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^42.1
?2)
HISTOIRE
DU
COMMERCE FRANÇAIS
DANS LE LEVANT
Au XVII^ Siècle
HISTOIRE
DU
COMMERCE FRANÇAIS
DANS LE LEVANT
Au XVIIe Siècle
PAR
Paul MASSON
DOCTEUR feS LETTRES
PARIS
LIBRAIRIE HACHETTE & C'
79, BOULE\'ARD SAINT-GERMAIN, 79
1896
LIBRARY OF THE
LBLAND 8TAHF0RD jn\ IINIVERSITY.
CL. L{.(o<^(=><6
NOV 27 ISOO
TVTOGRAPHtE ET LITHOGRAPHIE BARTHELET ET C'c, MARSEILLE
19, Rue Venture, 19
f
AVANT-PROPOS
L'histoire du commerce du Levant au moyen-dge a ètd-
tmité'e dans les deux grands ouvrages de Depping et de Heyd ',
mais personne ne l'a encore étudiée dans les temps modernes*.
Sans doute ce commerce perdit alors beaucoup de son impor-
tance ; la Méditerranée n'était plus le centre du commerce du
monde; les grandes découvertes maritimes avaient fait pren-
dre aux marchandises des Indes orientales de nouvelles voies,
et les échelles de Syrie et d'Egypte, au lieu d'être les entrepôts
des marchandises de tout l'Orient, n'offraient plus au trafic
des Occidentaux que les marchandises du Levant proprement
dit. Cependant la décadence fut moins rapide et moins pro-
fonde qu'on ne le croit communément : ce n'est qu'au milieu
du XVII* siècle que les marchandises des Indes cessèrent com-
plètement d'arriver A Alep ou au Caire, et les échelles de
(i) Voir pages ix cl x.
(J) JetLiASV, dans son Essai sur U Commerce dt Marseille, ne consacre qu'une
partie (lu premier volume à l'histoire du commerce et fait surioui un tableau du
commerce et des industries de Marseille à la An du xvni' siècle et vers 1850. —
De plus, faute d'avoir suffisamment étudie' les documents et par suite d'un tnwail
hJtif, la partie historique de cet ouvmgc renfemie des erreurs grossières, — Les
autres ouvrages sur le commerce de Marseille (Fouqui- : Histoire raiioi'iér du com-
mère* lit Marseille, 2 vol. in-S", Paris, Roret, 1845. — Salvador, Hisloire commet-
ciale, politiijue et diplomatique des échelles du Liant, Paris, Amiot, 18^6, in-S»)
répondent encore moins à leur titre.
ij AVANT-PROPOS
Smyrnc et d'AIcp restèrent encore les débouchés d'une grande
partie du commerce de la Perse, beaucoup plus riche alors
qu'aujourd'hui.
Pour la France surtout, le commerce du Levant resta long-
temps le plus important. Tandis que les Espagnols s'étaient
rendus les maîtres du trafic des Indes occidentales, que les
Hollandais et les Anglais succédaient aux Portugais dans les
Indes orientales, les Français qui, malgré les efforts de Fran-
çois I", de Coligny et d'Henri IV, n'avaient pas réussi à prendre
place à. côté d'eux, avaient profité de leur alliance avec les
Turcs pour s'emparer, aux dépens des Vénitiens et des Oita-
lans, d'une grande partie du commerce du Levant. Mc'me au
milieu du xvii"-" siècle, au moment où les tentatives coloniales
de Richelieu et de Colbert et les essais de grandes compagnies
attirent surtout l'attention, le commerce du Levant restait le
plus considérable du royaume, ainsi que l'écrivait Colbert
lui-même ;\ l'intendant de Provence, Morant, le 26 janvier
1682 : « Comme le commerce du Levant est assurément le
plus important du royaume, il est aussi dune grande con-
séquence que vous soyiez sûrement informé par ces moyens
de l'état auquel il est'. »
Ce n'est pas seulement i cause de son importance dans
l'histoire économique de la France que l'étude de ce commerce
est intéressante, mais aussi à cause des conditions particu-
lières dans lesquelles il était fait et des vicissitudes au.xqucls
il fut exposé. Le xvir siècle fut le moment décisif de son évo-
lution dans les temps modernes ; auparavant la Méditerranée
U> DKmxG. (>';'.>r. .Uminisl.. I. III. f: 6;:. — D'aprc* dos rcnsciçncnuv.ts
qui il.Ui.MU Je 1.1 momc CJXVJUC. S.iv.iry. lautcur du /);.::V"';.:;" v .::. (.'.-":••:. ..-.
ocrit que. p.>'.'.r !os An>;l.i!S. le commerce Ja Levanî n"ct.i:: j:ucrc nioi::s cor'îs-.Jc-
r.»Ho que celui des l:\dos. (Z>:V;;",-i-;. .v;'. :>'.•/». — Coîrert d:5.ii: \.\ :r.Cr.'.e c::,'-.
des Hv'''.'..j:iJ..:;s d.>!is ;:n n5éniv'>irc .idressè .v.: rv^i en it>7;.
AVANT- PROPOS iij
n'était encore sillonnée que par les navires des puissances
méditerranéennes; au début de ce siècle, les Anglais et les
Hollandais y parurent et s'établirent dans le Levant ; en pré-
sence de ces concurrents entreprenants, les Français allaient-
ils pouvoir conserver la prépondérance qu'ils avaient su acqué-
rir au xvi"-' siècle ? Leurs rivaux furent fiworisés par une série
de circonstances, et le xvii'-' siècle fut pour les Français une
époque de crise redoutable pendant laquelle ils furent me-
nacés de voir la ruine entière de leur commerce. C'est cette
crise qu'il m'a paru intéressant d'étudier.
Qju'il me soit permis en terminant ce travail de témoigner
ma profonde reconnaissance à mes anciens et vénérés maîtres,
M. Denis, professeur d'histoire moderne à la Sorbonne, et
M. Pingaud, professeur d'histoire moderne A la Faculté des
lettres de Besançon, qui ont bien voulu m'encourageri\ l'en-
treprendre et m'ont ensuite aidé de leurs précieux conseils
pour le mener à bien. — Je tiens aussi à remercier M. Mathieu,
secrétaire archiviste de la Chambre de Commerce de Marseille,
de la libéralité avec laquelle il m'a ouvert les riches archives
confiées à sa garde, et M. Barré, bibliothécaire-adjoint de la
ville de Marseille, qui s'est toujours mis avec empressement à
ma disposition pour faciliter mes recherches.
BIBLIOGRAPHIE
Sources ofiScielles*.
1" Abchives locales.
Archives communales de Marseille (à l'Hôtel de Ville). — Elles renferment la collection
. complète des registres de délibc-rations des assembl»ics municipales, la cor-
respondance expédiée par les consuls de Marseille et celles qu'ils recevaient
et de nombreuses autres pièces du xv!!»: siècle concernant le commerce. —
Malheureusement, l'absence d'inventaire et le désordre de ces archives y
rendent les recherches difficiles. (Un inventaire dressé en 1804 par l'archiviste
de Gourmes mentionne le contenu de 206 sacs bleus très importants puisqu'ils
renfermaient la collection de tous les arrêts, règlements, édits, ordonnances,
concernant le commerce au xvn« siècle, mais je n'ai retrouvé que les débris
de ces sacs et des pièces qu'ils contenaient, dans un recoin des combles de
l'Hôtel de Ville.)
Archives de la Cliambre de commeru de Marseille ' (palais de la Bourse). — Ce sont
les plus précieuses pour l'étude du commerce du Levant , mais elles
n'ont que très peu de pièces antérieures à 1652, date de la création de la
Chambre. Elles sont très bien tenues et possèdent un Inventaire conforme
(publié par M. Octave Teissiek, Marseille, Barlaiicr-Feiss.it, 1878, in-4'»)
où Ton trouve un grand nombre de pièces analysées et quelques-unes publiées
in-cxtenso. — A voir surtout : les Délibérations de la Chambre (série BB,
Rcg. I et suiv.); — sa correspondance (série BB, Reg. 26 et suiv.); — la
Correspondance reçue de la Cour (série AA, li.isse i et suiv. — BB, reg. 82
et suiv.); — la Corrcspond.nnce reçue des ambassadeurs a Constantinople ,
des consuls et des marchands des échelles (série AA, liasse 16} et suiv.); —
la Comptabilité de la Chambre (série CC) ; — les Règlements commerciaux
(série HH) ; — les Statistiques (série II).
(i) Documents relativement peu nombreux pour la première moitié du xvn° siècle,
extrêmement abondants pour l'époque suivante.
(2) Les documents désignés dans les notes de ce livre par de simples cotes, sans indication
des .irchives où ils sont renfermés, .-ippartiennent aux Archives de la Cli.\mbrc de commerce.
V)
BfBLIOGRAPHIR
Archives rfepitiirmenlahs di-s liouchn-dit-Rhhie. — Le fonds de ramirauti!- ne ren-
ferme malheureusement pas les nombreux documents concernant la navigation
qui étaient remis par les capitaines des bâtiments, au retour de leurs voyages,
au greffe de l'Amirauté. — 11 se compose des Registres des Insinuations des
actes royaux, où se trouvent un certain nombre de pièces intéros;intes, et
des Registres des sentence;» prononcées par le lieutenant de lamirauté (un
par an environ), à consulter pour l'étude dos usages commerciaux.
Archiva de la Santé (bâtiment de la Consigne, à Marseille). — Elles contiennent
les Registres de dépositions des capitaines devant les intendants de la Santé
depuis 1709 et les Registres de délibérations du Conseil sanitaire depuis 171 3.
Les archives de Toulon et de La Ciotat renferment quelques documents inté-
ressants, surtout pour la rivalité de ces villes avec Marseille.
2" Dépots x.vtiox.vlx.
Archives des Affaires èlranghes*. — Hlles renferment très peu de documents pour
la première moitié du xvnt siècle, un plus grand nombre pf^ur la deuxième,
mais sont surtout riches pour le xviii"^. — Ces documents font partie du
fonds : Cartons commerciaux ei consulaires, dont l'organisation n'est pas
cncfcre définitive. Les documents de quelques-uns de ces cartons ont* été
récemment reliés en volume. — A voir surtout : Chambre de commerce de
Marseille (tome 1 â V'III =: Lettres aux secrétaires d'état de la marine). —
Inspection du commerce de Marseille (tome I à XII = Lettres des inten-
dants de Provence). — Correspondance des consuls de chaque échelle avec
le secrétaire d'état de la marine (Cartons. — Sauf celles de l'ambassadeur,
les lettres du Ww siècle sont peu nombreuses). — Mémoires sur le com-
merce du Levant (trois cartons — important). — \'. aussi Corresp. polit.
Constantinopie, t. I X VIL — Enfin aux Mémoires et Documents, l'rance ;
Petits fonds. Provence (277-J07) et Affaires intérieures (92, 124, iiij) se
trouvent un certain nombre de documents.
Archives nationales. — Divers cartons de la série F'* — et G', liasse 458 et suiv.
Archiva de la Marine. — Nombreux registres et liasses, particulièrement de la
série B'. Mémoires et documents concernant le commerce.
Bihliolhèque nationale. — Manuscrits français. — Divers registres et liasses.
Les archives des consulats de France dans le Levant devaient renfermer de
précieux documents. Pour être renseigné i cet égard, je me suis adressé à
MM. les Consuls qui ont bien voulu me répoudre avec une obligeance et
une bonne grâce dont je tiens vivement à les remercier. Malheureusement
presque partout les documents du xviK ont péri dans des incendies ou ont
disparu*, Le consulat de la Canée conserve cinq registres reliés concernant
(1) M. Girird de Rmlle, ministre pUuipotcntiairc, clief Je U Division <let Archives des
Affaires étrangtircs, » bien voulu me donner lui-nième de précieuses iudicilions qui in'oni
évité (OUI uiioiincineut dans mes recherches ; je lui en exprime louic nu rcconnAissaacc.
(3) Lettres de M. Iloutiroii, chargé d'affjires de France en Tîgyptc -, de M. Rougon,
consul nèiiéral k Smyfoc ; de M. G.ixay, ionsul i (>;nst.tntiniiplr ; de M. Nicolas, chancelier
BIBLIOGRAPHIE Vlj
les actes commerciaux passés à la Chancellerie de 1684 à 1717 et un registre
des procès-verbaux des délibérations de la nation de 1680 à 1725». Seules
les archives de Beyrouth ont de 1 importance pour le xvu': siècle (plus de
trente registres contenant les actes et la correspondance), mais c'était alors
une échelle secondaire. Je remercie particulièrement M. le consul général
JuUemier qui a bien voulu y faire faire des recherches et ni'adresser d'inté-
ressants renseignements.
Recueils de documents.
Collection de Documents inédits sur l'Histoire de France :
Négociations de la France dans Je Levant. Correspondance, nùmoircs et actes
diplom., etc., par Ch.\rrière, 1848-60. 4 vol.
Recueil des lettres missives de Henri IV, par Berger de Xivrey, 1843-76. 7 vol.
et 2 vol. de supplém.
Lettres, instructions diplomatiques et papiers d'état du cardinal de RicMieu, par
AvENEL, 1853-1877, 8 vol.
Correspondance et dépêches de d'Escouhleau de Sourdis, etc., par Eugène Sue,
1839, 3 vol. — Tome III, pages 221-319 : Voyage et inspection de
M. de Séguiran sur les côtes de Provence en 1633.
Lettres de Peiresc, par M. Tamizey de Larroque, 1888-94, 5 vol.
Lettres du cardinal Maiariu pendant son ministère, par Chéruel, 1872-1890,
6 vol. et M. d'Avenel, 1893-94, 2 vol.
Correspondance administrative sous Louis XIV, etc, par Depping, 1850-55,4 vol.
Lettres, instructions et mémoires de Colbert, par P. Clé.ment. — Paris, Didier,
1868-71, 7 vol. in-S".
Correspondance des contrôleurs généraux des finances avec les intendants des provinces,
par M. DE B01SLISLE. — Paris, Didier, 1874-85, 2 vol. iu-4'>.
Correspondance des deys d'Alger avec la cour de France (iSJ^-iSjj), par M. Eugène
Pl.\ntet. — Paris, Alcan, 1889, in-S».
Correspondance des beys de Tunis et des consuls de France avec la Cour, etc., par
M. Eugène Plantet; tome I, 1577-1700; tome II, 1700-1770. — Paris,
Alcan, 1893-94, in-8".
(lu consulat de Chypre ; de M. Le Rée, consul général à .\lep : II a essaye en vain de
reconstituer ses archives qui, lors de l'expédition d'Hgyptc de 1798, ont été pillées par
les habitants et vendues. « On assure même, m'écrit-il, que certaines familles musulmanes
détiennent chez elles une partie de ces archives, et malgré tous les efforts que je n'ai
cessé de faire, je n'ai pu recouvrer que quelques imprimés ; par crainte, les détenteurs
n'osent entrer eu arrangement avec les personnes que j'avais chargées de tenter de les
faire restituer soit j^ratuitcmcnt, soit même à prix d'argent. » — De M. Licretelle, consul à
Alexandrie : « Tout a été brûlé à la suite du bonibarJjnient de 1882 et cepend.int nos
archives étaient précieuses : je le tiens de mon premier drogman qui est attaché à ce
consulat depuis trente ans Ces trésors ont disparu en quelques heures ; le consulat a
été abandonné sur des ordres formels sans qu'il ait été fait quoique ce soit pour mettre
à l'abri ces documents qui pouvaient être réunis en quelques caisses. Petit-fils d'historien
je ne puis me consoler en pensant à c« désastre. » — Lettres de 189;.
(i) Lettre de M. le consul Blanc,
VI 1|
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(V. le lomc II).
Oe DE GoN'TAUT-BiROK. Ambassades CH Turquie de Jean de Gontaut-Biron , batm de
Salignae (i6oi-i6 m). Séjour en Turquie, conespondanct diplomatiqtu et docutnenli
itUJils. — Paris, Picard, 1889, 2 vol. in-S*^'.
(1) Oa ne irouveri pas ci-dessous mic biblio^rjphic complète des multiples ouvrages
i]ui se rjttacliciic plus ou raoios direcceniciit A aotrc sujet, mais une simple liste de ceux
qui ont fourni des uuicfiitux i notre trav.iil. — Tou> se retrouveront cités dans les notes,
uniquement p*> le nom J« l'auceui.
X BIBLIOGRAPHIE
De Grammont. Hiitoin d'Algir sous la dotnittation turque (ijif-iSjo). — Paris.
Leroux, 1887, in-8<>.
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l'histoire des Turcs au xvi<: et au xvii'; siècle; t. IV, p. 721-747 ; t. V.
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P1GEONNE.MJ. Histoire du comnurce de la France. — Paris, Cerf, 1888, in-8''.
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Pouqueville. Mémoire historique et diplomatique sur le commerce et les ètuhlissements
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De Rlffi. Histoire de Marseille. — Marseille, 1642, in-f" ; 2«: éd. revue, 1696.
2 tomes en i vol. in-f".
O»: DE S'-Priest. Mémoires sur l'ambassade de Turquie et sur le commerce des Français
dans le Levant. — Paris, Leroux, 1877, in-80.
Jacques Savary. Le Parfait Ségocianl ou instruction générale pour ce qui regarde le
commerce, etc. — 1"= éd. 1675 ; y éd. Paris, 1734, 2 vol. in-40. (Voir dans
le tome II, p. 395-474 : Traité du négoce qui se fait sur la mer Méditerranée).
J.XCQUES S.VVARY DE Brlsloxs. Dictioniuûre universel du commerce. — Paris, 1723,
} vol. in-40.
INTRODUCTION
C'est au moment où le commerce du Levant semblait menacé de
la ruine par la découverte de la route maritime des Indes et par Téu-
blissement des Osmanlis, dans l'Archipel , la mer Noire, la Syrie
surtout et l'Egypte', que la France, en inaugurant le régime
Jes Capitulations lui ou\Tit une nouvelle ère de prospérité.
Le rôle des Provençaux dans le Levant avait été très effacé
depuis la fin des croisades et c'est à peine si de loin en loin,
Ail XIV' siècle et au xv* siècle, on signale leur présence dans
les échelles. Les efforts de Jacques Cœur , pour disputer aux
Vénitiens et aux Génois ce commerce dont ils étaient les maîtres,
n'avaient été, ni imités, ni poursuivis après lui. Cependant, Doriole,
général des finances, puis chancelier de France, adressait à Louis XI
en 1468 un mémoire pour se plaindre « qu'on écoutât encore dans
le Conseil un certain docteur de Lyon, envoyé pour faire lever la
défense de tirer de l'Italie des épiceries qui se débitaient dans le
royaume.... A empêcher les Vénitiens de vendre en France
des épiceries , le royaume gagnerait 3 ou 400.000 écus par an. »
Louis XI eut égard à ces remontrances en défendant de « laisser
entrer en France aucunes épiceries ni autres marchandises du
Levant, si elles n'étaient importées sur des vaisseaux français. »
Ciinrles Mil, hanté par des rêves de croisade, ne songea guère
.i développer le commerce du Levant et l'on vit Louis XII
entrer dans une ligue de princes chrétiens contre la Porte,
tindis que celle-ci offrit ;\ Venise des secours qu'elle n'accepta pas
contre les princes de la ligue de Cimhrai. Cependant, le sultan
Selim confirma, en 15 14, un sauf-conduit accordé par Soliman 1"
permettant aux marchanas de France de venir trafiquer en Turquie
(r) .\a ïujet de la ruine du commerce du Levant au di^butdu xvi« siècle, vo'^
Htro, t. II, p. 358-552. — DhPPI^^G, t. II, p. 209 et suiv.
XIJ
INTRODUCTION
en payant les droits accoutumes'. En 1528, l'espagnol Antoine
Uincon, le plus intelligent et le plus inflitij»able des agents de Fran-
çois I" en Orient, obtint de Soliman II la confirmation des privi-
lèges reconnus aux iranv^is par Selini. Enfin, le besoin réciproque
d'une alliance contre la puissance de Charles-Quint fit contracter à
Soliman et à François I" une alliance intime dont le profil le plus
clair fut de donnera la France la prépondérance commerciale dans les
éuts du Grand Seigneur.
Les premières Capitulations*, signées en février 1535 par un
chevalier de Saint-Jean, Jean de la Forest, contenaient dans leurs
dix-ncul articles le fond de tous les traités sembLibles que la Porte
renouvela avec la France S. diverses époques, ou qu'elle accorda ;\
d'autres pays chrétiens. Voici quel était le sens des principau.x arti-
cles de cet acte fondamental : la liberté du commerce était assurée
aux sujets des deux puissances (<///. 1). — Celles-ci s'interdisaient
d'établir de nouveaux droits sur les ventes et achats des marchandises
(art. 2). — Le roi pourrait établir des bayles ou consuls pour juger
les causes entre Français sans que les tribunaux du pays en pussent
connaître (rt/7. j). — Les procès entre un Français et un sujet du
Grand Seigneur ne pourraient être jugés par le tribunal turc sans la
présence iTun interprète et sans titre écrit (art. ^). — Les Français
pratiqueraient librement leur religion (ctri. 6). — Aucun Français ne
Courrait être rendu responsable d'un autre Français absent (arl. 7). —
es Français seraient exemptés de toutes corvées (art. S). — Leur
libre retour était assuré en France et leur héritage, en cas de mort,
garanti aux parents (art. 9). — Les autres articles, concernant les
restitutions d'esclaves et de marchandises déprédées, les règlements
en cas de rencontre de navires des deux puissances, ou les naufrages,
étaient moins importants. Le traité n était conclu que pour la vie
des deux souverains (art. /); cependant, après la mort de Fran-
çois F' et de Soliman, on ne se h.ita pas de le renouveler. Il tallut les
f plaintes des marchands d'Alexandrie, menacés contrairement à
'article 7 desCipitulations, d'une saisie de leurs effets par un cenain
(i) V. PouQjUEVii-Ln. Mcmoirt. p. 56. — S'-Phiest, p 276-77. — DErnsG, t. Il,
Çi, j.<5, noie. — Voir dans Heyd, t. II, p. 539-10, les intrigues de Philippe de
'arèics en 1510 h Alexandrie pour donner la prcpondératKC aux Français eii
Egypte et l'ambassade au Caire d'André le Roy envoyé de Louis XII en 1512.
(2) Ces premières Capitulations, celles de J569erde 1581. n'étaient plus con-
nues au xvii|>= siècle. lin elTet, le nuirquis de Bonnac, ancien ambassadeur dc
France à Constantinople, écrivait dans un Mémoire général au sujet du commer<c
des Fransais dans le Levant, adressé au contrôleur général Le Pelletier en 1727 :
« Les Français ne firent leur premier éiablissenicnt et leur premier commerce
qu'en vertu de quelques commandements ou ordres que les ambassadeurs obte-
naient ù mesure qu'ils en avaient besoin ou, s'il y avait queliiuc traité particulier
pour cela, il n'est pas venu jusqu'û nous. Les premières Capitulations furent négo-
ciées.en 1597 avec Mahomet III et M. de Briivcs lit les secondes <n 1604. »
Arct,. Nal. F'", (i.fs.
INTRODUCTION
XU]
Juif créancier du roi, pour faire envoyer c» ambassade Claude du
Huii ri:, trésorier du roi, qui, au mois d'octobre 1569, obtint de
•Sclim 11 de nouvelles Capitulations en dix-huit articles qui repro-
iluisaictit i peu prtlrs ceux de 1535 . On y remarque, cependant, deux
nouveautés importantes : le priumbule parle pour la première fois
du privilège de la France d'accorder son pavillon en Levant aux
navires des étrangers et cite les Génois, Siciliens et Ancuiiitaiiis.
Quelques années plus tard, les Ragusais, en leur qualité de protégés
immédiats de la Porte, ayant voulu se soustraire i l'usage de la ban-
nière iVançaise, ("iirent contraints de la reprendre sur la réquisition
qu'en lit à la Pane l'ambassadeur de France. De plus, la durée du
traité ne fut plus limitée i'i la vie des deux souverains qui l'avaient
conclu. Cependant, Henri 111 envoya A Constantinople Jacques de
Gcrmoles, oaron de Germigny, pour le renouveler. Cet ambassadeur
sij^na en juillet 15S1 les troisièmes Capitulations en vingt-sept arti-
cles. F.llcs conlirnuiientlous les anciens privilégies, mais renfermaient
en iiutrc trois articles exceptionnellement favorables. L'article un
assujeitissiit formellement tous les étrangers, sauf les Vénitiens, a
l'usage de notre bannière : « Que, les yèiiiùan en hors. Us Ciénois,
.dn^liiis, Portugais, Hspiignols, Cotalans, Siciîlais, Ancouitaws, Ragu-
i/i ci cniièninenl Ions ceux ijui oui cheminé sous le nom et bannière de
-mnce d'amcmu-ii' jusiiuà cejourd'hui ei en !a condition i/ii'ils aient cite-
(', d'ià en avant, ils aient à y cheminer de la nu'me manière. » Le
trtMsième article assurait .\u\ ambassadeurs de France la préséance sur
ceux de tous les rois et princes chrétiens. L'article quatorze excmp-
uit de tous impôts perstmnels les Français, même mariés, ce qui est
une dérogation A la loi musulmane qui assujettit à la capitation les
élratjgers mariés dans le pays'. Ainsi, les Français obtenaient par
ces ir.iités répétés une sécurité complète el des privilèges exception-
nels pour leur commerce et il semblait que chaque renouvellement
des Qipitulation^ allait les étendre encore. Seule avec celle deSaint-
M.ircJa bjnnière ûanv^ist- pouv;iii_flotti:r sur les mers du Levant, et
la France devenait la protectrice de tout le commerce de* chrétiens
ivci^! du Grand Seigneur.
Il urent profiter de la situation avantageuse
c^ui leur était faite ; dés 15 J7 une flotte, sous les ordres du baron do
. iwint-Blancard, partit de Marseille, parcourut tout le littoral Bar-
l'barcsque, longea les côtes de la Grèce jusqu'A Prevesa, fit le tour du
"^cloponèse, passa en vue d'.\thènes et vint mouiller ;\ Const:inti-
'nople ou elle resu jusqu'au 6 avril. File revint .1 Marseille par le
littoral de Syrie, d'Egypte et de Funisie, après avoir montré le
<l) Saint-Prihst, 377-287. — Il esi j remarquer que l'.irticlc i assujcnit les
■^" ' tic-mimcs A I hs;))«c Je notre baunièrL' quoique deux ans .lupjrijvant Ils
( .iiliiieiire leur ambA^^.ideur à l.i Porte. C'éuit un gr.iiiJ iticics
;...., ...u |>ir M. df Uvriiii^nv. — Sur sou .inibassaJe, voir di^v.\^ltv.\., Kiioc^
Jati le Uvant, t. Kl et IV. Coll. d,$ Da.. liiid.
XIV
ISTRODUCTION
Eavillon tVaiiçais.'i tout l'empire ottoman*. Déjà, depuis le rùgne de
,i)uis XII, les Provençaux s étaient remise envoyer des navires dans
le Levant*, cependant ce n'est que vers la lin du rè^ne de 1-rançois I"
qu'ils commencèrent ;\ s'établir dans les échelles. D'après un
niénuiire adressé .\ la cour en 1685 par M. Magy, l'un des plus
célèbres marchands de Marseille au .wir" siècle, les premiers établis-
sement des rrançais lurent tondes X Constantinople en 1550, puis
.\ Alexandrie, .\ Harut, Tripoli de Syrie, Scio. Ils durent être un
peu antérieurs et commencer d'abord ;\ Tripoli, où l'on voit appa-
laiircit prenner consul français établi dans te Levant en i uS, puis
.■i Alexandrie ' ; les Français se répandirent ensuite dans les autres
(1) iMcVKONNB-M", t. Il, p. i;i.
{!) n M.irviilo, entre Ict .inml'os 1490 et ijcxi, sentant le préjudice qu'elle
tJpriniviiit p.ir h iliniinution ou pUitiSt par h ccss-ition Je son commerce au
levant, tlécitl.i »|uel(|iicsiins Je ses artnateurs à le rétablir sans passer sous la
ilircction Jet V'Onitietis.... On expédia U'ahorJ des vaisseaux qui trafiquèrent dans
le i\ivs décliargeant et rcchai^cant À la eueillcttc... » M(m. itts Aff. élrang. dré
par l'otiierA iLLE.
( \) Le> origines de rétablissctucnt des marchands et Jes consuls de la nation
lraitvai%c dans le Levant sont lort obscua*», et elles étaient très nul connues,
niéntc ,iu xvii^ si^vte. M. Magy iS:rlt vu ctrct dans son mémoire: t Quoiqu'il
V eOt Je> marchands dans a"s échelles, les consuls n'y ont été qu'en 1 S73,
: le plus ancien des marchands faisait la fonctli^n Je consul, > (Arch.
^ • ii.\ — .^l de I Junv. directeur ciineral du cormucrce, dans un mèraoïn:
où il copi
Je-
. . affirme qu'il nV a eu des
/97. {<i. ijS-SSi. — Grpcn-
.i,.^ des Délibérations! permettent
;> .' Le j nui i>4Îi Jean Revnicr.
1 du roi. Son si.;," ■• ^ - ■-■■ ••.ois
juin 1 5 }o ; L.i ar
!, < -.r,-M:or< cci.i. . _ .... .;e,
.■>!'.« de %'ento en i J70,
.Marseille (Arcb.
1 a eu ^osieurs
•-:c. — irons les
. ces coosals
■ wSr rc|iv«}ue
TS <kla
rfstânts
-•Il
-l>
i-.jj.>c irsonic.
\
ut que «i'^Un s<ulev » Ccnc •ffinoMion scnit ec
tmiLw de ■■
es, Otoe». en tafègae étaieai Aa gens «lu fivs. Toos les aotm
'" ^' «'^'^^ K^u. ~ t, povms «le KltfiSi de pcofîsaaCB nynics.
ticm Je ^ . ' pû«mil-<fle èm euae poar c» ^oêlqacs
- ^ ' k'^ i)o\» Kid âocsnxBt 5p piriitsc le
«la cuMMk! àe Urtmmc aànmt asx camBls
— xioulo ftvuàrc Tvtdietse VDWvtcc sent ss|>~
ttS IB^UKit hcKrSS MBtDfkS JB SU |KnBBF, ^B il RM
. vax wtmoKve, iXftg Aa^/tdtafsf wiamèt Ait WK^
ccKic JÉB ^iK 1^ ««au» KQC» x<o^ pkac OHBMiAer « \«ctv sKicaœ ma etf61
INTRODUCTION
XV
c'clicîlcs, mais il n'y eut jusqu'en t6io que cinq consulats, établis A
Tripoli, Al- "'!■:• 'i-:> v...!:.. et Zaïite. C'est alors seulement,
dans la cch, que le commerce français
V " .1 i.iiucrc;ii>.ni celui des Vénitiens. D après des Mémoires
)' ^ au roi en 1623 par les députés de Marseille, la ville, avant
I )6o, n'envoyait en Levant que cinq ou six vaisseaux qui ne portaient
pas entre tous un fonds de 100.000 écus. La guerre qui éclata en
1570 entre Venise et les Turcs, quoique terminée peu après par le
-traité de paix de 1573, contribua puissamment aux progrès du trafic
*des marciKinds Irançais'. Dès lors chaque année de nombreux navires
partirent^e Marseille, portant « quantité de draps des fabriques
du royaume qu'on appelait de Paris, qui se fabriquaient en Nor-
mandie et d'autres en Dauphiné, Languedoc et Provence, des papiers
et des quincaillcs d'AUem.igne et les marchandises de prix pour le
Je scnibi.iblc teneur ;>n ma pcrsonc s\' man juges digne. » (JA. fS'}). On trouve
,au contraire d.uis le Reg. 1 des Insinuations de l'amirauté de Marseille toute une
^(tric de commissions royales .iCv:()rdées nitMno à des consuls d'Italie et d'Kspagne
'(Mjjjga, Séville, Messine, Cjtjliari. crtv en 161 5, etc.). — D'autres, comme
M. de Saint-Priest dans son .Mcnioire sur l'anihassadcdeTuri^uie (p. 289), pensent
que les consuls furent, jusque sous le reune d'Henri IV, à la nomination des
^mbJssJdeurs, ce qui n'est pas plus exact, hn riialité les consuls furent dès le début
îurvus par le roi et revêtus Ju caractère d'officiers royaux comme le montrent
Ici lettres de provisions citées ci-dessus et toutes jelles qui sont conservées dans
ic Registre des In.sinuaiionsde l'amirauté de M.irseillc (fol. 44, 6}, S4, 104, i jo,
3tô). Ces lettres de provision étaient enregistrées par le Parlement de Provence
et l'amirauté de Maricilie, nuis le Parlement ne les enregistrait qu'après avoir
ouvert une enquête sur le» « bonnes vies, mccurs et religion u du nouveau consul
(fal. .'l'y, loj). — Les consuls prêtaient serment par devant le lieutenant de
l'amirauté (fol. 314, 442) et devant l'ambassadeur du roi à Constantinople
(de Vento en 1 570 doit prêter serment devant l'ambassadeur à Venise). — En cas
l'de mort d'un consul il arrivait que r.imb.assadeur lui donnait d'urgence un
en^pla^ant, en attendant que le roi y eût pourvu, (Jitbl. Nal. mss Jr. làijS^
'fo/. 99, iii>) ce qui a pu faire croire que les ambassadeurs avaient le droit de
nomination. — Les consuls d'alors étaient presque tous .Marseillais et la communauté
|ile Marseille considérait comme un de ses privilèges, le droit de présenter au roi
les candidats aus consulats. Ainsi Laurent Reynier, consul de Tripoli, avait présenté
l'abord sa requête à la communauté qui lui prescrivit ensuite de se pourvoir par
»crs le roi. Quand il e-iJtreçu ses lettres de provision datées du 2 janvier 1560,
Icconwil de ville* du 22 janvier les enregistra sans tirer .\ conséquence contre ses
lil>ertés, stittuts, privilèges et franchises. Ij mission à Paris, en 1607, de M. dcX'cnto
pour se pLiindre de ce que Savan,' de Brèves eut disposé, sans les consulter, du
onsulat d'.Alexandrie que le roi lui avait concédé, montre quelles étaient les
rétentions des Marseillais. Voir une lettre de M. de Vento aux consuls de Mar-
«eille. De Paris 14 septembre 1607 ; « Ce n'a point été tant mon intérêt que le
bien public qui me fit donner votre procuration pour faire plainte au roi et <l
Nosseigneurs du conseil du ton que M. de Brèves et un Jean Pielrequin faisaient
la ville, d'avoir ledit sieur de Brèves, contre les privilèges et inmiunité d'icelle,
'fait pourvoir au consulat d'Alexandrie ledit Pletrequin sans nomination de vous
ni de vos dev.nnciers, au désiivantape du privilè{>e que la ville en a et qui est mi
des plus beaux qu'elle ait... h (AA, ji^).)
(0 Mémoire^ a" loi, 14 juillet 163}. HH, i : « Ce négoce de Marseille était il y
a soixante ans bien |>cu de chose, ne consistant qu'au trajet des côtes voisines
SV)
INTRODUCTION
Lovant et les Indes qui étaient du corail en branche et travaillé'. «
Ils rapportaient les produits dont Venise avait autrefois le monopole :
les soies de la Perse, les laines et les cuirs de l'Asie-Mineure, les
tapis de Smvrnc, les aromates et les gommes- d'Arabie, mais les
épiceries constituaient encore le fonds principal de leurs charyc-
ments*. En effet l'ariaiblisscmcnt du Portugal dans la seconde
partie du xvi' siècle, puis sa soumission à l'Espagne en 1580, ne
lui permirent pas de conserver le monopole commercial dans
l'Inde, que lui avaient donné les Almeida et les Albuquerque. En
attendant que les Hollandais et les Anglais eussent remplace les
Portugais dans l'Océan Indien, les anciennes voies commerciales
reprenaient de l'importance ; Alexandrie, Beyrouth, Tripoli pou-
v;iient fournir en quantité de riches cargaisons. Aussi comme le
disaient les corsaires algériens, « la Méditerranée était toute
grouillante de vaisseaux français. »
Cet éclat du commerce français fut de courte durée. En 1573
l'évéquc d'Acqs, François de Koailles, notre ambassadeur, écrivait
de Constantinoplc que le négoce de la France en Turquie était peu
considérable; cependant ce ne fut que dans les années qui suivirent
qu'il lut profondément .ittcint. Les guerres de religion, qui pendant
trente ans désolèrent sans exception toutes les provinces de la France,
ruinèrent tgutc indu^itrie çt jojuLCQîUmÊ^Ke et plpngèrci^t le royaume
Jansla plus profonde misère. Marseille se jeta avec ardeur dans la
lutte TTépoque de la Ligue et, gouvernée par les fougueux ligueurs
Louis d'Aix et Charles de Ca/eaulx, ne se rendit .1 Henri IV qu'en
1597. Outre les malheurs des guerres civiles, qui avaient fait aban-
donner tout négoce, le conmicrce du Levant soutirait d'autres maux
qui lui étaient particuliers. L'alliance des lys et du croissant, d'abord
intime et confiante sous François I" et Henri II, s'était peu .1
peu rel.khée et avait fait place des deux côtés ;\ une secrète
défiance. Après la paix de Catcau Gimbrésis. elle av'ait cessé d'être
offensive, et la réconciliation de la France et de l'Espagne avait
porté ombrage A la Porte. C'est tout au plus si dans l'expédition de
Lépantc on n'avait p.is vu les vaisseaux du roi parmi ceux de la flotte
chrétienne. L'échec de quelques négociations refroidit encore les
relations. Henri III, peu de temps après son avènement, se crut
d'It.ilid, d'Esp.i^ne et de Barbarie, cl peut-^tre envoyait tous les ans cinq ou six
vaisseaux en Lcv.-int qui ne port.nicnt pus entre tous un fonds de jcw.cxhs ùcus et
n'y iU'.iit en toutes les échelles ni consul, ni agent, ni facteur pour les Franij.iis.
Mais, «îtant survenue l.t guerre entre les Vénitiens et les Turcs, tout ce grand
négoce que Venise faisait en Levant et qui .ivnit rendu cette ville si fameuse, se
tiiinsféra .1 Marseille.... Dés lors même on mit des consuls en toutes les échelles
et fut établi l'ordre oui depuis a été obîcrvé, ce qui continua jusqu'aux troubles
de France et guerre de la Ligue. »
(1) Mfmoirt dr Si. île Ijagny, ,lrch. Matiitf, JP, 497, fol. fjS-SS.
(2) Mémoire cité. IIH, 1.
IVTRODUCTIOV
XVI)
offense Je n'avoir pu cmp6chcr h Porte de reconnaiirc comme roi
Etienne Biuliory que les Folonais lui avaient donné comme succes-
seur et il rappela stm envoyé l'abbé de l'Islc qui ne fut pas immédia-
tement remplacé. Il est viai que l'ambassadeur Gcrmipny fui ensuite
uès bien accueilli A la Porte et obtint par son crédit les tavorables
Capitulations de 1581 ; on vit alors une ambassade du sultan fcçuè~
avec magnificence en France, mais ces démonstrations d'amitié dufè-
rent jK'Uj Gçrriiiiiiiy lui-ménK' entra en n)ésinielligtut:e„avec-lc_
JTvan, la période des avanies commença. A Constantinople même,
les deux églises des Latins furent un moment fermées, Gcrmigny dut
en acheter la réouverture par des présents. Sous son successeur
Savary de Lancosmc (15S5) ce fut bien pis ; il était tout dévoué ù la
Lipue et sa conduite ne contribua guère à rétablir l'harmonie. Un
dimanche, dans l'église St-Georqcs de Galatn, il enleva h main
armée la place d'honneur qu'occupait l'ambassadeur impérial ;
rèj^lisc fut fermée et le grand vizir déclara qu'on ne la rouvrirait
3UC quand M. de Lancosme ne serait plus fou. Après la mort
'Henri III, Lancosmc cessa complètement d'être le représentant de
la Trance, ce n'était plus que l'agent de Philippe II et l'ambassadeur
anglais fut pendant quelque temps le chargé d'aHaires d'Henri IV.
En effet les Anglais s'étaient établis A Constantinople et profitaient
d£la misère de la France pour fonder leur commerce du Levant.
Gcrmigny ne sut pas empêcher l'introduction du premier ambas-
sadeur anglais .\ la Porte'. Cet ambassadeur, un marchand nommé
\yij[iam I brburn^ ou Hareborn, se ht accorder en 1 579 des Capitu-
lations .malogues à celles des Français et il revint en Angleterre
avec une lettre pour la reine, dans laquelle le sultan offrait de mettre
en liberté les Anglais esclaves sur ses galères. L'Angleterre, oui
faisait la guerre à lEspagne^ devenait en effet l'alliée naturelle dli^la.
Porte. « En 15S1 la reine créa la Compagnie privilégiée du Levant
en faveur des quatre marchands qui avaient noué les premières rela-
tions commerciales .avec la Turquie et des huit .nssociés qui devaient
se joindre .\ eux. La reine accordait ;\ la Société un monopole de sept
ans mais avec faculté de le lui retirer en la prévenant un an d'avance.
L'ambassadeur Hareborn avait reçu pouvoir de la reine d'établir des
consuls dans les ports et de faire des règlements pour le commerce
anglais en Turquie. Il créa de^s coniptpirs dans ce pays malgré l'op-
position «ic b France et Te Venise '. » Les Qpitulations de 1581
H) • L'ambassaJcur de Gcrmigny n'eut pas .issez d'industrie pour rompre ci;
coup.»5AVARV DE '^HiiVts.KoUisui giulgues arlichidesCapitulatiims, ('.24. (Appen-
Jicf il !j rchitioii de son voy.ige). — Cependant sous Louis XIV on croy.iit que
Gerwigny .«vait lui-mfnie aiJO à l'établissement de i'amliassadeur. V. Mémoire
Hr /ji.c".v, li', 49n /•• jyS-SS. Arch. Mai. — Ch.irrière (^'^goc. dans le Jnant)
r.ippelle H.ircbonnc (I. III, p. Stl^, noie ; II", p. iç), mit I, .iSy, ml( t. — Coll.
>lr D«c. IiM).
{2) Faoju^. Le Ccnnnuict sous Heurt IV. Rcv. Hist., mai-juin i88i .
XVllj
INTRODUCTION
assujettissaient les Anqlnis ;\ l'usage de notre bannière mais ils ne s'y
soumirent pas. Un navire anglais étant venu sous sa bannicrc en
Levant, Lancosnie s'en plaignit A la Porte sans avoir s^uisfaction.
Si notre anibassaticur ne pan'int pas :\ exclure le pavillon anglais des
mers du Levant, au moins rcus^ii-iiA_ernpèv:htT ivi-iUiirca uaiious.-
chrétienngs de l'emprunter ; il obtint à deux reprises la dètLmÎQii
du florentin Paul Mariani qui avait été un moment vice-consul des
Français à Alexandrie et qui depuis ne cessait d'exciter les capitaines
des vaisseaux italiens i navij;uer dans le Levain sous la bannière
anglaise et les marchands i\ se mettre sous leur protection ".
L'altération de l'alliance turque caus;i d'autres malheurs : les
Barharcsijucs, qui avaient fait de la piraterie une véritable institution
et leur grande source de revenus, commencèrent à ne pas respecter
les navires français plus que les autres. Dè.s 1585, sur l'initiative de
la municipalité de Marseille, il se forma une ligue dcs_ports de Pro-
vence pour purger la Méditerranée des corsarres^miisulmaiTsT^j|n_
devait envoyer au Grand Seigneur une ambass.ade extraordinaire
désignée par le roi ; le projet avorta, en 15 88 seulement un envoyé
extraordinaire du roi porta i Constantinople les plaintes des consuls
et des négociants de Marseille contre les pirates Algériens. Mais le
suUaiiAmuratllI lui-même autorisa les Barbaresquesà courir su.saux
navires de Marseille pour punir cette vijle d'avoir embrassé le parti
de la Li^tic contre le roi. Encouragés pai^ rirn2unjté.ils__étcndirent
tellement leurs ravages quh. Tavènement ^Tienri TV ceux-ci scm-
blaient intolérables *.
Lç règne d'Henri IV vint à temps pour empêcher cette décadence
de se transformer en ruine complète. Dès qu'il fut affermi sur le
trône, le roi demanda le renvoi de Lancosme comme espion de
l'Espagne et le remplaça par son cousin Savary de Brèvi^s* Celui-ci
« prit en Orient la même part ;\ l'exécution des desseins d'Henri IV
que le président Jeannin d.ins les Provinces-Unies. C'était, dans une
nature plus entreprenante, le même fonds de fervem" religieuse et
de dévouement monarchique, la même habileté pour tourner les
obstacles ou saisir les occasions, le même mélange de fidélité et
d'indépendance pour éclairer les vues et accomplir les instructions
(i) Pour tout cet liistorique, v. Saint-Priest, p.i5sim ; J,av.\lli:h, p. 270;
LAVissEct Rambal'D, Hisl. Cillerait, I. Il', p. 721-4-/, et surtout Charrièrf., Kigoc.
dam h Levant , tomes III H IV. Il y est longuement question d». ce Marî.ini qui,
apr<>s avoir ctc i Alexandrie le vice-consul de son compatriote Christophe Vento,
sciait brouillé avec lui parce que, au lieu de lui laisser sou consulat, Vento en
avait obtenu d'Henri III la survivance pour son neveu. Dés lors M.iriani ne cessa
d'intriguer en laveur de l'influence anglaise. — La lutte contre l'inlluence anglaise
avait <:ié la principale occupation des ambassadeurs Germigny et Lancosme.
(2) V. Coll. de Doc. Inéd. Mélanges Hisl., t. V, p. 6o}-6}S.
(}) Voir CiiARRiÈRK, /. ir, passim et dk Grammost. Hisl. d'Aller. Introduc-
tion, p. Vil
INTRODUCTION'
XIX
de son souverain', » Il sut se faire un tel crédit auprès du divan
que, suivant l'expression d'un historien turc, « peu s'en fallait que
dans la maison de l'islamisme un vcritahic enthousiasme ne se fût
déclaré pour la l'rancc par les menées de son maudit ambassadeur'. »
Ue Brèves lut d'abord cliarité de renouveler les Capitulations avec le
sultan Mourad III, car, dans les dix dernières années, celles de 1581
avaient subi bien des atteintes, mais nous n'avons pas ce premier
traité. Ce qu'il y a de certain c'est qu'il n'arrêta pas les empiétements
des Anglais, dont les intrigues incessantes auprès de la Forte occu-
pèrcntsans relâche le roi et son ambassadeur ^ En février 1597, sous
le nouveau sultan Mohammed III, de Brèves en négocia un autre
en trente-deux articles qui confirmait tous les privilèges anciens et
en accordait de nouveaux. On y trouvait la liberté accordée aux
l'rancais d'exporter du Levant des Cuirs, des cordouans et des cotons
filés, marchandises dont la sortie était précédemment interdite ; —
la défense de lever aucun droit sur les monnaies, que les Français
commençaient à apporter en grande quantité dans le Levant au lieu
de leurs draps, pour éviter de payer le droit de 5 "/o d'entrée sur
les marchandises, et l'interdiction aux ortîciers du Grand Seigneur
de s'en saisir, sous prétexte de les convertir en monnaie ottomane ;
— la promesse expresse du sultan d'obliger les corsaires de Barbarie
.1 restituer le fruit de leurs déprédations et de punir les Bevs qui les
.auraient permises. Mais de Brèves n'avait pu obtenir le renouvcUe-
ment de la clause b ■ '■ importante des Capitulations de 1581 : les
Anghiis restaient.
les \V'niiiens, exemptés' de l'obligation
d'arborer la bannière française, il est vrai qu'il leur était interdit de
donner la leur aux autres nations. Ce traité n'arrêta, ni les vexations
desotliciers du Grand Seigneur, ni les pirateries des Barbaresques,
entreprises des Anglais. Malgré la ferme attitude d'Henri IV
menaces de rupture pour faire lespectcr nos privilèges"', ils
finirent par obtenir en 1600 « que les é traj
ambassadeurs
(1) De Lacombe, p. 566,
<2t Lavallêe, p. 27R. — De Brèves, quoiqu'.irrivi.' en Turquie dés 1590,
n'olitiiit le titre d'ambassadeur que le 27 juillet 1593. V. Lettres miaiv/s, tonu- lit,
note .» l.t première lettre du roi, qui est du 22 novembre 1592.
Ij) Voir Lettiti missives ih Hmri IV, l. Il', //«'i''., 9 mars 1 f(f6. S nuu />'9":
« ...ne me pouv.tnt assex émerveiller du procédé ou plutiSi de l'imprudence
dudit agent d'.Angleiera' oui voul.iit niiiger (es nations étrangères sous l.i bannière
reconnue seulement depuis trois jours en l'empire d'Orient. » — 5 Oitobre tjçy :
• N'endurez que les prérog.itives de h Bannière de France soient communiquées
aux .An^bis, nousoppos.mt formellement ou autrement aux poursuites qu'en fer;i
le n^inistre de ladite d.une. »
(K Cependant Henri IV continua de songer à les y assujettir. Letltr à dr
Brh'fs, 10 juillet rôuu. Lf tires Mistives , t. V.
(St Voir dans les Uittes Missii'es de nombreuses lettres du roi à de Brèves.
T. V : 2S octohrt ifçj, J? novembre r^i^j, 21 avril iSçS, 10 juillet iSçS,
1} août is<^, plusieurs lettres de 1599, 7 janvier rfioo.
xs
INTRODUCTION
:\ 1.1 Porte pussent se servir de leur bannière » et de la protection de
leurs consuls '.
MolKimnied III étant mort en 1 603 de Brèves obtint l 'année suivante
de sou (ils Ahmed I dv nouvi-llcs Qipitul.uions en 48 articles, les
plus étendues ei les plus iavor.ibles c]iic nous eussions encore obte-
nues. Trois articles (^, 6, 7) condatnn.Tient expressément les pré-
tentions des Anglais : « Drrccbij nous coinmandom (jiie^ des Vàiilkus et
Anglais en là , toutes les autres nations aliénées de l'amitié de notre
Grande Porte et i/tii n'y ont {H>inl d'anibassadeuv, voulant Irafujuer par
nos pays, elles aient d'yxrnir sous la bannière '.t protection de France, sans
que pour jamais l'ambassadeur d'Angleterre ou autres aient de s'en empê-
cher... Et que tous les commandements qui se trouveront avoir été donnés
on qui se pourraient donner ci-aprês par surprise ou mégardc contraires il
cette déclaration soient de nul effet et valeur... » Pour la première fois il
était ciucstion dans les Capitulations de la protection des Saints Lieux
accordée au roi : (( Nous commandons aussi que les sujets dudil empereur
de France et ceux des princes ses amis puissent sous son aveu et protection
librement visiter les Saints Lieux de Jérusalem... De plus nous permettons
que les Religieux qui demeurent eu Jérusalem, Bcthlehem et autres lieux
de notre obéissance, pour y scn-ir les églises qui s'y trouvent d'ancienneté
bâties, y puissent avec sûreté séjourner... aidés et secourus en la considéra-
tion susdite. » Çart. 4, ;). Le Grand Seigneur, non content d'ordonner
de nouveau auxBarbaresqucs de restituer leurs prises et de permettre
au roi de France d'armer des vaisseaux lui-même pour leur courir
sus et user de représailles, s'ils continuaient à violer la paix (art. t^,
20), leur taisait une série de défenses nouvelles qu'ils ne devaient
jamais observer, et qui allaient devenir au xvii' siècle de perpétuelles
causes de guerre entre la France et les corsaires. Il était désormais
interdit de faire captifs les Français trouvés sur des navires ennemis,
a moins qu'ils ne lussent corsaires ; de prendre les vaisseaux français
chargés de
marchandises tirées des pays ennemis de la Porte, et
même de s'emparer de ces marchandises (art. 10, 12, //). Si ces
prescriptions eussent été observées toute la navigation des pays
Espagnols et de la plupart des pays luliens fût passé entre les mains
des Français, dont les vaisseaux eussent seuls offert une sécurité
absolue. Mais lesBarbare.squesne pouvaient consentir :"i laisser miner
ainsi la course, leur seul moyen d'existence. De Brèves obtint aussi
l'exemption pour les Français de quatre impôts spéciaux (art. 1 .Ç) et il y
attachait une grande importance car il s'en vante ;'i plusieurs reprises
dans sa correspondance avec les consuls de Marseille*. Enfin la sécu-
rité des Français dans les échelles et le libre exercice de leur négoce
(i) De BntvKS. A(>(>tudice à î(i rttation, p. 3-/. — V. LcUrcs iiiifsivf, 1. l\ 31 jvin
lôoOy m jiiilli't rC'on, 3 juin lOoi, 38 jnitttl 1601, j mars r6o3.
(i) V. AA, J40. 27 mars tôoo, X3 fuiii 160], t.f fh-titr 1604.
•
étaient garantis par de nombreux articles (jo à 4Sy. Ces capitula-
tions de M. de Brèves allaient régler pour plus d'un deini-sicclc la
situation et les privilcgcs dus Traitais dans le Levant; malheureu-
sement, en t'ait, elles ne devaient pas être longtemps respectées.
L'année suivante, de Brèves fut rappelé pour devenir ambassadeur
auprès du Saint-Siège ; avant de rentrer en I-rance il fut chargé
de deux importantes et épineuses missions. Il dut d'abord aller ;\
Jérusalem pour enlever le saint Sépulcre .n\\ m.iins des Arméniens
et des Grecs et le remettre aux mains des Latins. Il avait obtenu pour
cela les commandements les plus favorables de lîi Porte, mais, malijré
le bon accueil des pachas et gouverneurs, il ne put triompher tics
intrigues des Grecs qui parvinrent A conserver la possession des
saints Lieux*. De l.\ de Brèves passa à Tunis et A Alger pour signer
des tnités avec les Bnrbarcsques et obtenir la restitution des esclaves
ei des prises*.
Son successeur Jean de Gonuut Biron, baron de Salignac, n'arriva
.\ Constantinople qu'en 1607. Fort attaché ;i Henri IV, malgré le
supplice du marécb.il de Biron son parent, il le servit avec zèle et
hamkté et sut conserver A la Porte le crédit que de Brèves av.iii
acquis ;i notre diplomatie. Les y\nglaisa^-aiit réussi A rendre suspects
_lfi54iiSilili;5LjLHli AieiuiciU de s'étabjiLà Constantinople, le grand vizir
tes lit emprisonner comme espions de l'Hspagne.Tnais Salignac obtint
leur délivrance. Ce ne fut pas d'ailleurs la seule occasion oii il sut
déjouer les tentatives des Anglais pour diminuer notre influence'.
Notre crédit auprès de la Porte av;iit donc été bien rétabli par les
soins d'Henri IV et de ses ambassadeurs, cependant l'alliance n'avait
plus l'intimité d'autrefois, car chacun des deux alliés conservait des
arrière-pensées. La politique d'Henri IV était double: il voulait entre-
tenir l'alliance turque, parce que, dans la situation actuelle de
l'Europe, il la jugeait utile A sa politique dirigée contre la maison
d'Autriche*, et nécessaire A la conservation de notre commerce dans
le Levant ^ mais il était hanté, lui aussi, par les projets de guerre
It) V. T'<iiU 'h roi Utnri h Craint., fait fiar FtHlrmiit <U M. lîf Brh'ts (1 l.i
suite df la a'Iiitioii de «on voyage),/». t-3},fl Notes sur quflqnti arUcks du fr/a'denl
Irai If, /.. 3 4-H.
(2) \'. Rflalion du voyage it de Brèves, p. /ya-so.f.
{^) V» ci-dfssous ses n<Jgociations.
141 4 M. de S;ihign.ic nous .1 écrit que l'ambassadeur pour le roi de la Grande
BreUK"c a voulu innover quelque chose- avec ces gens !;> au priîjudicc de nos Cipi-
tulations, à quoi il s'est si bien opposé que {'.autre n'a rien gagné que de la lionle. «
itilri dt M. de Fuysiria, 2J juin 7607. — Voir A»d<aismïe m Turquie dr Jran dt
GenUiul Biron, eU.
(() Dans une Icitrt ^ de Brèves le roi le charge de poursuivre le rcnouvcllf-
meni dc^ Cipitulations, mais seulement s'il obtient le concours de la (lotte du
G. S. contre l'iispâgne (/ (h^r. liÇÔ. Lf lires missii-es, t. II').
(6) a Comme vous écrive/., c'est toute l'utilité que je puis espérer de leur aiTîitié
que Ij iùrcté du irjlic pour mes sujets. » (2^ uuin i f<fS, Ltire t) deBth'ts. Ltttei
wi«., /. IV.)
XXI)
INTRODUCTION
sainte et d'expulsion des Turcs, qui passionnaient alors de nombreux
esprits, et se faisaient jour dans une série de curieux écrits de la tin
du XVI' siëde et du couimt-ncement du xvir siècle'. Les plans de
réconciliation de la clircticnté pourchasser le Turc, exposes dans le
fameux Grand Dessein, n'ont pas été de pures conceptions, le roi
songea A les réaliser. C'est dans cette vue qu'il rappela de Brèves et
qu'il l'accrédita comme nmbassadeur auprès du pape. II lui enjoignit
d'informer le souverain Pontife de tout ce qu'il avait vu, et de com-
biner avec lui la politique qui devait être suivie \ l'égard de l'empire
turc. Parfois, quand il apprenait les dissensions et les révoltes qui
montraient la décadence déj.i profonde des Ottomans et l'inutilité de
leur alliance, le moment lui seinblait venu de changer de conduite*.
C'est d.nis la prévision de leur expulsion qu'Henri IV trav.iilLiit avec
ardeur .\ l'ét-iblissement de l'intluence française en (Prient, .ifln qu'au
jour de l'atlranchissement elle y dcmeur.'it prépondér.nite. Il trouva
dans Savaryde Brèves un parfait confident de ses pensées secrètes.
« Nul ne sut mieux entendre et mieux expliquer les deux phases de
la politique qu'Henri IV suivait en Orient, et, si l'on veut les appro-
fondir, on en trouvera le curieux exposé dans deux récits en appa-
rence contradictoires qu'a laissés ce ainlomate, l'un sur les avantages
que l'alliance du roi de France avec la Porte offre à la chrétienté^
l autre sur les moyens de ruiner la monarchie ottomane''. »
De leur côté les Turcs avaient été fort mécontents de la paix de
Vcrvins, qui rendait libres contre eux les forces de l'Espagne et
permit àceile-ci Je reprendre ses projets de conquête d'Alger (i6ot-
1602). Le roi avait rappelé les Français qui étaient au service du
Grand Seigneur, « n'étant pas convenable qu'ils continuassent à
servir le Turc contre des princes chrétiens*, » tandis que des
gentilshommes allaient en Hongrie combattre dans les rangs des
troupes impériales. Le duc de Mercœur était même un de leurs
généraux et il battit les Turcs dans la campagne de 1601 ; le duc
de Nevers, le prince de joinville firent contre eux la campagne de
1603". Les Turcs s'en plaignirent amèrement ; c'est en vain que le
roi prétendait ne pouvoir rappeler ses sujets, en 1601 le sultan
envoyait une ambassade spéciale pour demander au roi de leur
défendre le voyage de Hongrie, et de Brèves se vit accuser de
(i) V. Drapeykon ; Un profil jrançah de conquête, etc.
(2) « Me persuadant que l'empire de ce seigneur tombera bientôt en une
confusion ijui aura suite de changements d'importance... auquel ca.s il sera pcui-
6tre nécessaire que j'enibrassl- les occasions de m'en prévaloir comme feront les
autres, u ) mai 1602. Ltittt l'i df Bn'i'is. Ullrcs viissivfs, t. V.
(j) De Lacombe, p. 566.
(4) Làtire à de Brèves, t; tmn inn^. — Id. 6 août i6oj. — Ltttirs missiws,
I. il, iij'^tndice.
(\) Lrllie à fie Brèivs, rj octobre i(>0]. — Ihld., I. /'/, appendice.
INTRODUCTION-
xxnj
dùloyauié par le Grand Vizir, au grand déplaisir d'Henri IV '. Ce
sont CCS tiraillcnunts qui expliquent la taveurdont les Anglais i(.>ui5-
saicnt auprès de la Porte, malgré tous les efforts de la diplomatie
française : j\ir leurs guerres contre l'Kspaijne ils étaient pour les
Turcs des alliés miles et ne fatiguaient pas sans_çe&se le Divan Je
leurs réclamations.
La plus grave préoccupation de la politiaue d'Henri IV en Orient,
outre le maintien des Capitulations, fut la répression des pirateries
des Barbaresques et des Anglais qui enlevaient au commerce toute
sécurité. Il n'est presque pas de lettre du roi a Je Brèves où il n'en
soit question. A chaque nouvelle de la prise de quelques uns de
nos bâtiments ou de mauvais traitements infligés i"! nos consuls ou à
nos marchands en Barbarie, les Marseillais ne manquaient pas de
transmettre leurs doléances au roi, qui, à son tour, renouvelait ses
instances auprès de l'ambassadeur. Le lléau avait fait des progrés
terribles pendant les vingt dernières années du xvi"-" siècle. Ils étaient
dus surtout A l'afiaiblissement successif de toutes les marines de
guerre des grandes puissances méditerranéennes : Venise avait
maintenant de la peine à garder et à surveiller les cotes de ses posses-
sions maritimes ; l'Espagne, après avoir longtemps menacé les
Barbarcsqiies, voyait la puissance de sa flotte ruinée par le désastre
de l'Armada, et' restait condamnée par sa détresse fmancière \ ne
pouvoir la relever; les Turcs eux-méme!i,artaiblis non par la défaite
de Lépante, mais par la décadence et la désorganisation qui com-
mençaient à les atteindre, Iaiss.uent le plus souvent inactifs dans le
lort Je Constantinople leurs b.'itiments toujours nombreux; quanta
a France, oui avait eu sous l'rançois h' et sous Henri II un corps
redoutable Je galères, capable de faire respecter ses côtes et ses bâti-
ments de conmierce,sa marine n'était plus représentée que par deux
ou trois galères qui pourrissaient au fond du port de Marseille.
Cependant il restait assez de forces aux puissances commerçant
dans la Méditerranée pour anéantir facilement la piraterie si elles
se fu.sscnt une seule fois concertées. Les faiseurs de projets de guerre
sainte qui énuméraient les forces maritimes de l'Furope chrétienne
se complaisaient à montrer leur écrasante supériorité sur celles des
Turcs, combien eût-il été plus facile de détruire les Barbaresques
qui n'avaient pas encore atteint la puissance qu'ils devaient avoir au
xvii' siècle. Maiscon^ment espérer une entente des pu iss;inccs chré-
tiennes? Quand elles n'étaient pas en guerre ouverte, elles ne
songeaient qu'à se nuire: les Anglais trouvaient ;\ vendre en Espa-
gne ou chez le GranJduc de Toscane, alliéd'Henri IV, les prises qu'ils
m a Votre Mjjcsté trouver.! bon, .i l'imitation des empereurs, ses aïeux, de"
faire cji de nirtre jmiti<5 et de la conserver cliùretnent, cmpiîcher qu'aucun de
vos sujets n'ait j servir nos communs ennemis, ay.inl appris que beaucoup d'iccus.
contre le devoir qui se doit i notre dite amitié, vont au service du roi de Vienne. »
Ltllre lit StelieiiKt III d Heiiri II', // août i6o}.
XXIV
INTRODUCTION'
fais^iiciu sur les bâtinu-ius franyais ; quniit A celles des Bnrbaresaucs,
leur VLMUe ;i bas prix eiiricliissait les Juitsde Livouriic. Le yranu Jiic
lui-mèine n'av.iit-il pns prurtté des diflicultés d'Henri IV au début
de son règne pour s'emparer par un guet-apens des îles de Marseille
( I )9^'"97) ? '"'ï '"^ ^^*^ deSavoic ne ran.;onnait-il pas les navires frant;ajs
3ui passaient en vue de ses côtes pour leur réclamer un prétendu
roitde2o/o? Ainsi, il n'y 'ivait plus de police des mers et les
pirates, profitant de l'affaiblissement et de la désunion des puissances
méditerranéennes en étaient devenus les maîtres. La situation des
Français était la plus intolérable, car c'étaient eux qui avaient le
plus de bâtiments marchands en mer et qui pouvaient le moins les
défendre. En i6o2, les corsaires d'Alger tenaient à eux seuls i la
chaîne près de 3000 l-rançais'; qu'on songe au nombre de navires
et à la valeur des marchandises qu'ils avaient dû prendre pour
atteindre ce chiffre de captifs, puisque les bâtiments iMarseillais
n'avaient souvent que quelques hommes d'équipage. Quant aux
Anglais, Henri IV écrit à sou ambassadeur en Angleterre, d'après
un mémoire des Marseillais, que leurs vols montent i plus de
1.200.000 ou 1.500.000 écus*.
Le roi comprit toute l'étendue du nul et les remèdes qu'il fallait y
apporter. Sans jamais se lasser, il pressa son ambassadeur de réclamer
auprès de la Porte; grâce à sa fermeté; il obtint à diverses reprises
des commandements du Grand Seigneur adressés aux paclias d'Alger
et de Tunis pour leur ordonner de re.specier les bâtiments français;
même, en 1603, les deux pachas furent rappelés, l'un fut emprisonné
et l'autre étranglé. Mais les liarbaresques se souciaient aussi peu des
commandements du Grand Seigneur, dont ils reçurent avec insolence
le icliaouch qui les portait, que de la disgrâce de leur pacha et peu
après ils pillèrent et ra.sérent le Bastion de France*'. Ils commençaient
alors â former des républiques â peu près indépendantes et le pacha
était plutôt leur prisonnier qut leur gouverneur. Seuls ceux de Tri-
poli, moins puissants et plus rapprochés de Constantinople restaient
iipeu prés soumis. En 1605, de Brèves, en quittant Constantinople,
fut chargé de faire une dernière tentative. Il emporuit les comman-
dements les plus forts du nouveau sultan Ahmed I" aux Barba-
resques. « pour faire délivrer les Français détenus esclaves contre la
teneur des traités, défendre les pirateries sur les navires et denrées
de France, faire restituer l'argent, les vaisseaux et les marchandises
déprédées, et rebâtir le Bastion'. » De Brèves les porta lui-même à
Tunis et â Alger et, pour les présenter avec plus d'autorité aux pachas
et â la milice, il fui .iccompagné d'un Turc, Mustapha aga, qui avait
(i) Lettre à de Brèves. 10 juin 1602. — Lettre! iiiissius, t. F.
{1) Lettre dit r<}i à de Ikdiimont, 26 fhrier j6oJ. IM., l. T.
()) Lettre à de Brèves, }i iwiil 1O04. LeUrei missives, I. l'I.
( 4 ) Keiulioii du ivy,ige de M. de lirrves, />, 1S4.
IXTROnUCTlOS
XXV
<;rantl crédita la Porte, A Timis, malgré la (liveur du pacha, qui lui
devait son j;ouvcrnciiifnt, il faillit, devant le mauvais vuLiIoTr du dey
et de la milice, être obligé de partir sans rien obtenir'. Mais les lettres
suppliantes des consuls de Marseille le décidèrent à se contenter
deuemi-satisfoctions*. A Alger, c'est avec de grandes difficultés qu'il
fut reçu dans la ville, mais, malgré tous les efforts de s;i diplomatie
pendant un mois, malgré l'argent qu'il sut semer A propos, il n'ob-
tint ni la réédilicition du Bastion, ni la promesse d'oDservcr la paix.
La seule concession des Algériens kit que les esclaves français seraient
restitués moyennant le retour des Turcs esclaves à Marseille*. Les
efforts d'Henri IV semblent avoir mieux réussi auprès du sultan du
Maroc, qui, depuis 1601, entretenait des relations amicales avec la
I-rance et auprès duquel le roi gardait un résident, M. de Lisle, Mm
médecin ordinaire. Mis dans la confidence des négociations engagées
avec les Morisques d'Kspagne par M. de la l'orce, gouverneur du
Bêarn, pour les soulever contre Philippe III, il accorda au pavillon
français des avant.iges analogues i clu\ dont il jouissait dans le
Levant'. Cependant, le roi eut i lui faire écrire par le sultan pour le
prier de ne pas recevoir les corsaires anglais dans ses ports, et il lui
écrivit lui-même plusieurs fois pour lui réclamer des prises.
C'était aussi souvent h propos des Anglais que des Barbaresques
que le roi adressait ses plaintes ;\ la Porte, car il était plus lacile au
Grand Seigneur de se taire écouter de la reine d'Angleterre que de
ses propres sujets. La menace d'expulser les sujets anglais établis
dans les échelles, ou même de les inquiéter, devait sullire pour la
décider ù agir contre les corsaires '. Mais le Divan tenait. ilors autant
.i l'alliance anglaise qu'a celle de la l'rance et le roi s'irritait souvtnt
dans ses lettres contre le cipitan paclia qui leur était le plus (livo-
rable". Enfin, devant l'insistance d'Henri IV, le sultan se décida .\
envoyer une lettre menaçante à Elisabeth, qui mourut avant de la
recevoir, puis A Jacques I"'. Des représentations avaient souvent
( j) V. (Relalioii, p. }oS-j})) le récit curieux des ntîgooiations de de Brèves. —
Le gL-nèral des jjaltrcs dissuadait fortement le pacha et le dey de traiter en leur mon-
trant qu'ils n'avaient rien à craindre du G. S, ni d'une guerre .ivec l'empereur de
France : a Au pis, dii-il, c'est le meilleur qui puisse arriver; c'est alors que ntjus
moisionncricms en plein cluimp, nous pillerions indilîc'rcnnnent el sans réserve
tint de vaisseaux français dont cette mer est toute gmuillante. . » p. )}}. — Pen-
dant le séjour de de Brèves à Tunis, en moins d'un mois (juillet-.ioùt 1605), deux
barques, acux larianes provençales et deux vaisseaux de Marseille i'ureut amenés à
Biterte ou .i la Gouletic (/>, ]2i}-]}).
I2| V. Plantiit. Coiifsp{}iidattce des btys de Tunis, l. I, p. 6-'j, le texte des neuf
articles de l'accord conclu par de Brèves en août 1605.
[%) Maiion.p. 36i-77,
(41 PIGEON\^-^u, t. II, p. 321-22,
(5) i' /"'"'' 1600. h di Bih'l'i. — Ltliti, t. V.
(6) Citait un renégat qu'il appelle toujours le Sigale ou Sigal.
(7) KUIffiHtt m à lifiui jr, 1$ aoùl 160 j.
xxvj
INTRODUCTION
été faites directement par le roi à Elisabeth elle-même *, mais
Henri IV était obligé Je la ménager et il n'avait guère foi lui-mùnie
dans le succès de ses plaintes. Il répète îi plusieurs reprises dans ses
lettres que les principaux officiers de l'entourage de la reine partici-
paient aux bénéfices de ces brigandages, aussi n'en retirait-il que de
vaines protestations de regrets * ou des réparations incomplètes.
D'un autre côté, les Anglais craignaient une trop grande extension
de notre commerce et le lieutenant de l'Amirauté s'était laissé aller
à dire i notre ambassadeur que « s'ils nous accordaient tant de liberté
sur mer nous y mettrions en deux ans plus de vaisseaux qu'ils n'y
en avaient'. « Aussi c'est en vain qu'Henri IV poursuivit auprès
d'Hlrsabetb la signature d'un traité formel qui assurât la sécurité du
cotimierce franijais. Il profita de l'avènement de Jacques l"', qui se
montr.i mieux disposé, pour envoyer Sullv en mission spéciale, tan-
dis que les .Marseillais i bout de patience délibéraient de saisir tous
les vaisseaux et marchandises appartenant aux Anglais*. Sully signa
un traité dans lequel le roi Jacques déclarait désapprouver les pira-
teries de ses sujets. Quant à les réprimer, il ne s'en chargeait pas ;
était-il disposé aie faire, c'est douteux, en tout cas il s'en déclarait
nettement incapable, car il en vint ;\ prier Henri IV « de laire faire
la chasse aux pirates anglais pour les ch.ttier comme des voleurs '". »
Ce ne fut qu'en 1606, après trois ans de luttes sourdes que, la conspi-
ration des Poudres décida Jacques I" ;\ se rapprocher de la France et
à signer enfin avec notre ambass;idcur un traité de commerce qui
rétablit des relations normales entre les deux p.iys'. Cependant les
pirates anglais ne cessèrent pas complètement leurs courses.
La seule vraie ressource contre eux était d'user de représailles et
Henri IV n'avait pas attendu longtemps pour s'en rendre compte, sa
correspondance en fait foi. Il fut retenu dans cette voie parla crainte
de déplaire .i ses alliés Turcs et Anglais, mais surtout par le manque
de forces navales car, comme Jacques I", le sultan lui donna toute
latitude d'agir. Mais le projet de construction de galères, sans cesse
mis en avant, fut sans cesse renvoyé. Dés 1598, le roi en parle à de
Brèves'; en i6ûo, le moment de l'exécution semble venu, le roi
(i) I.c 2 Icvricr 1602 il aiinom;a i son ambassadeur de Beauniont le clêp.irtd'un
député de Marseille » chargé de présenter à Llisabetli un grand niémoirc des
grandes vollcries desJits Anglais » et il le chargea de dire a la reine qu'il se tien-
drait déchargé de ses dettes envers elle s'il n'obtenait réparation.
(2) .4 Je tirh'es. }t juilkt 1600. — IJ. 11 aoûl i6u3. Ltltres, I. V.
($) De Lacumbi:, p. 2ti;.
{j\) Atcb. Commun de MarseiUe. Rfg. dts Dilibèr. ti mars :6oj.
(5) V, Lettres â de Brèves, 22 juilkt, 1} iiov. 160} . Tome VI, .-Ifipend.
(6) Pigeonneau, t. Il, p. ^20,
(7) « Ditci-leur que je fais construire des galères, avec lesquelles j'espère .'i
l'avenir avoir meilleure correspondance àvec eux que je n'ai lait et pareillement
remédier aux atteutais des .anglais, v A de Brèves ^ S /hrùr tj^8. Lettres, tointlF.
INTRODUCTION
XXVlj
doit dire un voyage en Provence, c'est là qu'il réglera tout '. Mais
le voyage de Provence ne se rit pas et, en 1603, Henri IV en était
encore à prendre les incmes résolutions ; cette fois encore il devait
aller en Provence pour se rendre compte par lui-même, mais ce
projet fut de nouveau abandonné '. C'est en vain que de Brèves écri-
vait aux Marseillais : 0 II faut que le roi tienne 1 5 ou 20 galères
dans les ports de Provence années X l'avantage, qui gardent ordinai-
rement sa cote, taillant en pièces toutes galères, galliotes, frégates,
b^i^antines sans avoir égard qu'ils se disent dépendants du Grand
Seigneur.... Secondez-moi et importunez avec moi S. M. pour lui
&ire prendre une entière résolution d'avoir des galères*. » Les pira-
tes n eurent donc guère .\ redouter les poursuites des quelques
galères royales ; ce n'était que de loin en loin qu'elles se signalaient
par quelque prise que le roi savait habilement faire valoir pour
mtimider les Turcs*.
Les Marseillais surent parfois, comme ils le firent souvent plus
tard au xvir siècle, se protéger eux-mêmes contre les corsaires.
« A\'ant reçu l'avis que les corsaires de Tunis préparaient quelques
vaisseaux ù la Goulette pour courir sur les nôtres, la ville de Mar-
seille qui en eut l'appréhension traita avec le sieur d'Autcfort, lieu-
tenant du sieur de Beaulieu qui, moyennant une récompense de
50oécus qu'on lui promit, s'obligea de les aller brûler; il fit donc le
voyage avec le vaisseau du sieur de Beaulieu et, comme il fut arrivé
proche de la Goulette, il se mit dans une barque avec cinquante
soldats et beaucoup d'artifices .\ feu et, nonobstant une grandt
S|uantitc de coups de canon et de mou.squets qui lui furent tirés du
ort de la Goulette, ils brûlèrent vingt-trois bâtiments qui étaient
sous cette forteresse, et même une galère qui n'en était éloignée
que de la portée du pistolet". » M.illieureusement les armements
que les Marseillais avaient fait auparavant .\ plusieurs reprises 'étaient
loin d'avoir eu des résultats aussi heureux. En 1602 ils équipèrent
deux grands vaisseaux de guerre pour escorter leurs navires et ils
prirent la résolution, confirmée par lettres patentes du roi, de n'em-
ployer aucun vaisseau moindre de .j.ooo quintaux; les navires
devaient naviguer en flotte, sauf ceux de 7.000 quintaux, et ils
seraient bien pour\'us d'artillerie et de soldats à gages; pour animer
les équipages ;\ bien combattre, on décida qu'en cas de mort ou
d'infirmité on donnerait à chaque capitaine ou A ses héritiers 200
(l) y jaav. t€oo, jo mars 1600, 21 juillet 1600. A de Brèves. Lettres, t. V.
(i) // sept. tôoj. Lcllrts Miss. t. VI. Appriid.
(}) L/itre uii.v eorisnh Je ManfilU. AA, l/v.
Il) // Mùt 1602, à de Brèves. Lettres, t. V.
(3) RuFFi, p. 4.19. ^'n '^"y-
16» Voir au sujet des artncniciits : .irchives Commnttales de MarseiUe. R^. des
DiUlir. .4sseiiiblJes des jy mwaiibre îSoO , ;2 jaiwitr rôoS, tS scpttPihre 160S,
t6 février j6oç, & février 1610, 6 mai i6so.
*•*
xxviij
IXTKODUCTION
écu8| ^$o^ i\n piioïc ou .\ un écrivain, 50 écus A un lUtirinicr
cl IS îk un iMOLisse ; tous les nfîkicrs et mariniers prC'tcraicnt
iiTUicnt par di-vant le lieutenant île l'aniirautc de bien si: battre'.
Mais ce rcKkment ne tut jus loiif-tenips exécuté, bien qnc, l'année
I rcKi
e, le
suivante, le rui, sur le ciinseii de de Brèves, eût renouvela l'ordre
aux Marseillais J'anncr en guerre leur» vaisseaux marchands*, et que
pins tard, en 1609, l'assemblée de la Communauté de Marseille eût
décidé de ni)nveau que les vaisseaux ne partiraient que trois par
trois on quatre par quatre. Les tiiarins provençaux étaient ennemis
de toute contrainte et leurs jalousies mesquines leur permettaient
peu de s'associer. Ainsi, quels qu'aient été les efVorts du gouverne-
ment royal ou de l'initiative privée, il est dirtîcile d'alfntner que
Ic« piraterie» aient sensiMcnient diminué pendant les dernière»
années du règne d'Henri IV; les Tunisfcns qui avaient juré la paix
en 1605 n'en continuèrent pas moins leurs voleries connue Ceux
d'Alger, ainsi auc le montre la correspondance roy.tle ou lespLiintcs
des Marseillais*.
Il aurait t'alUi remédier aussi aux abus déjA nombreux dont souffrait
le comnïerce du Levant, et, pour y couper court, lui donner une
sérieuse organisation que personne n'avait encore songé A créer. I^
Conununanté de Marseille, bien qu'elle n'en eût pas le monopole,
était seule i\ sa tète, au détriment des autres villes maritimes du
Languedoc et de la Provence. C'étaient les consuls de cette ville qui,
avec rassist.mce des assemblées de la Comnuinauié, s'occupaient de
tout ce qui concernait s,i direction ou sa dét'ense et qui survtill.lient
l'administration des Hchelles du Levant. Or les consuls étiient élus
chaque année parmi les gentllhommes de Marseille et les bourgeois
A l'exclusion des marchands, aussi ces magistrats étaient peu fdits
ptnir s'occuper des détails du commerce qu'ils n'avaient jamais pra*
liqn»'. On sentit si bien cet inconvénient que, les ditliculti*» du
Cl devenant d». >. la Communauté
se I créer dcsd.'i , ., . diriger ks attiirc»
(lu con«\ij;rcc et qu'on appela députés du comnienx*. Ces députés,
au mniibn- ' ■ a\ lurent choisis chaque amie* A partir de i J99,
|Umti les rs de I.1 ville. « par les consuls en l'Assemblée Ct
3\ ^rj'icipjiux
ni •■u moitié,
*
c. irtima Jtt Tteta et éts Aagbit^ • 7 uv^maaktc ifoa. MÊfién 4d
U >^è^...n^ Jt UmrilU, m-l fit 9i. Jn*. ik ém À^Ëk -
Lcttnn iMK f 'uaer&ant ^ tous les imrrtuBA ic Miic loi» *o>jgtJ
liai» k Les.;. : o aaiira ponintoiuiDS de ? >^x) ,1V etc.-. f tmSSA ";£.•;
/M. I ^r.
i:'i L'Ur.- i X ^i\\i si adwalrc t^i.
!■• 1*07.
. _ .. u^ ib i«^ iny. A^, - ' « -»^ «- - -\,
l-i o «hi ) A.>ftt ii<^ ^ut cniaft h» ikputô et iiiiiiillMIi ém fâiia
XXIX
m bien qu'ils restaient deux nns en chnri^c et qu'il y en avait tou-
jours Jeux nu courant des affaires en suspens. On leur allouait pour
leurs frais « jusqu'à 1.200 ccus » qui devaient être imposas sur les
marchandises. C'était un premier acheminement vers la séparation
des artaircs du commerce et de la Commuiiautc et vers la création
de la célèbre Chambre du commerce. Mais, pendant le règne
de Henri IV\ les députés du commerce curent peu d'action; désif^nés
par les consuls, ils leur restèrent étroitement soumis et ne jouèrent
guère que le rôle, utile cependant, de conseillers et de rapporteurs
des affaires. Les consuls étaient malheureusement peu disposés ;\
suppléer .\ leur inexpérience par leur dévouement aux intérêts
publics. Marseille, plus qu'aucune autre ville, était alors déchirée
p.ir des factions qui se disputaient les fonctions municipales et les
exploitaient ensuite dans leur intérêt particulier. C'étaient les haines
de ces factions qui, bien plus que les passions reli)^ieuscs, avaient
troublé si profondément la ville à l'époque de la Ligue et devaient
h troubler encore i l'époque de la Fronde. C'était aux hasards de
CCS fluctuations des partis, de leurs vengeances et de leurs convoi-
tises, qu'était laissé le commerce du Levant.
Dans le Levant, les ambassadeurs charyés de protéger nos m^r-
chands auprès de la Forte avaient acquis une redoutable autorité
qui n'était limitée ni détinie par aucun acte royal. Les marchands
avaient besoin de les ménager car ils pouvaient d'un jour A l'autre
avoir besoin de leur protection pour obtenir la réparation d'une
injustice ; s'ils les mécontentaient ils pouvaient en outre craindre
leur vengeance car les ambassadeurs savaient se fiiire parmi les
grands otiîciers de la Porte des amis prêts i les servir. Aus.si, la
plupart des amba.ssadeurs abusèrent de leur pouvoir, surtout pour
subvenir .1 leurs dépenses. Il est juste de dire A leur décharge que,
dans une ambassade où les dépenses étaient très grandes et très néces-
saires pour acheter les faveurs du Divan, la pénurie causée parles
guciTCS de religion força les rois de laisser souvent les ambassadeurs
manquer d'argent'. C'est pourquoi Henri IV institua en faveur de de
Brèves un droit de 2 n/o i percevoir sur les marchandises tirées du
Levant par les Français et ceux qui se servaient de leur bannière.
Dans la pensée du roi c'était une mesure tout ;\ fait transitoire et,
négoce fut .ipprouvLL- par Lettres Patentes donncts 11 Paris le ij avril i6no ainsi
que la Icvtîe ilcs 1.200 tîcus, pour trois ans, auendant que par S. M, y ait été plus
meut pourvu. \AsstmbUt knut pour la nmnimtion dts iipuUi U s août tùoo.
I . Comm.)
(i)Lii traitement Je l'ambassatlcur était, en iiiSi.de 8400 écus (Saint-Phif-ST,
p. Jijgl, mais ils étaient très irrégiilictcnicnt payés. — F.n outre le Grand Sei-
RT\cur contribuait lui-ni^me i son entrelien. \'. Ixllie ù lir Ihh'ts, 1 } noi'il i j'/S :
■ Qyant à ce qui est alloué par la Porte pour l'entretien des ambassadeurs Iran-
(ais n, non sculcineni de Hréves est aulori&é .\ le réclamer mais il .lurait dû le
taire plus tiV, et, s'il ne l'obtenait, il devrait quitter Constantinople avec son
sccriitairc. UUrts miaives, t. V, apixnJ.
XXX
INTRODUCTIOX
(Jl'S la fin do 1598, il interdit ;\ de Brèves de continuer X percevoir
le 2 0/0. L'amb.issadeur en obtint cependant le maintien et le roi se
borna à lui recommander de faire oublier aux marchands par ses
services « l'amertume de cette imposition '. » Les Marseillais
envoyèrent sur ces entrefaites .1 l'ambassadeur un députe pour lui
dire que, reconnaissants de ses services, ils consentaient i lui voir
lever la tixe tant que le roi se servirait de lui, mais qu'ils lui dcmun-
daieut de se lier avec eux pour le faire abolir quand il p:irtirait et
de Brèves le leur promit.
C'est en vain que les Marseillais continuèrent, pendant l'ambas-
sade de M. de Salignac, leurs plaintes au roi contre la levée du
2 0/0, elle fut continuée jusqu'à la fin du règne et devint un impôt
définitivement établi. Peut-être dans leurs protestations ne surent-
ils pas reconnaître les services rendus et méritcrcni-ils le reproche
d'avarice que de Brèves leur adress;iit. Cependant, c'était une inno-
vation pleine de périls que d'introduire l'usage de faire lever par
ramKiss.idcur des t.ixcs sur le commerce, et de les lui laisser perce-
voir sans contrôle. De Brèves lui-même, sous prétexte de services
rendus A rêchelle d'Alcp et de dépenses qu'il avait supportées pour
elle, perçut pendant plus de dix ans une taxe sur cette échelle. Les
Marseillais s'en plaignirent vivement et obtinrent du roi une lettre
sévère, qu'ils lui firent porter par un député, lui enjoignant d'en
cesser la perception. De Brèves en fut très affecté et il croyait se justi-
fier en disant que c'était du consentement de tous les marchands
d'Alep qu'il levait cette imposition. Mais les Marseillais avaient
raison, il y avait l.i un abus fort grave, plus tard on ne vit que trop
souvent les ambassadeurs accabler le commerce de taxes, sous pré-
texte qu'ilsavaient fait de grandes dépenses pour l'améliorer: quant
au consentement des marchands il leur était trop lacile de l'obtenir *.
D.îiis les échelles, le nombre des résidents devenu considérable à
l'époque d'Henri IV rendit nécessaire la création d'une organisation
nouvelle. L'ensemble des résidents trançais iorma dans chaque
échelle une petite communauté qui, sous le nom de corps de la
nation, se réunissait en assemblées pour décider de ses affaires sous
la présidence du consul X la fois chef, juge et protecteur des mem-
f i) V. lettres à lU Brhvs, ]i ih'cemhn- iSçS, 24 iimrs IS99, 2} septembre /rtno.
(2) Voir pour cette affaire du 2 0/0 la lettre de de Brèves aux consuls de .Mar-
seille du 26 août 1605, et celle du 14 lés-rier 1604 dans laquelle il proteste avec
dignité contre les récriminations des Marseill.iis et rappelle ses services. A.A, i.fn.
— Lcllif du roi Aile Rikes, 26 mars 1602. Lettres miss. l. V. — Lettre de M. de
Veiitiy, di^iutJ des Marseillais à hi Cour. Il écrit ironiquement le J4 septembre 16(17 -
« Mais la connaissance du bon vouloir de M. de Brèves ne nous est pas seule-
ment notoire en cela mais en une infinité d'autres bonnes actions qu'il a fait pour le
bien de la ville, étant témoin le 2 0.0 dont il protège la continuation tant qu'il
peut depuis sa venue de deçà. Cela vous doit laire conn.iître que les lettres qu'il
vous écrit sont pilules qui ont l'or au-deli<irs et le licl au-dcdans. » .W, ;i<;.
INTRODUCTIOK
XXX]
bres de la nation '. Il eût fallu beaucoup de soin ce de prudence pour
organiser ces communautés lointaines, cependant il semble que tout
fut laissé au hasard, l'usage seul tint lieu de règle et ni le gouver-
nement royal, ni l'ambassadeur de Constaïuinople, ni la commu-
nauté de Marseille ne paraissent être inter\enus. La nation fran-
çaise dut s'établir en corps à peu près vers le même temps dans les
grandes échelles, elle adopta partout les mêmes formes extérieures
de gouvernement, ce n'est que dans le détail que l'usage établit des
différences. Il y avait de graves dangers dans cette absence de légis-
lation imposée aux échelles : rien n'y déterminait les droits des
consuls et des assemblées, l'autorité des ambassadeurs ou celle de la
communauté de Marseille qui, métropole de ces colonies, avait sur
elles un droit de surveillance que les consuls reconnaissaient en prin-
cipe, mais qu'ils respectaient peu dans la pratique.
Mais les abus aui devaient naître de ce déiaut d'organisation ne
prirent leur développement qu'après Henri IV, et, sous son régne,
on est surtout frappé par l'heureux effet qu'eurent sur le commerce
du Levant le relèvement de notre prestige à Constantinople et les
efforts pour rétablir la sécurité des mers. La prospérité ramenée dans
le royaume, l'industrie renaissante, les routes reconstruites, le poids
des impôts rendu moins lourd, les traités ouvrant des déboucnés i
notre commerce, tous ces heureux effets de la collaboration du roi
et de son ministre Sully durent exercer aussi leur action fivorable
sur les progrès du commerce du Levant*.
Il est bien difficile de donner pour cette époque des chiffres qui
puissent présenter quelque sûreté. D'après Savary de Brèves, le com-
merce avec le Levant atteignit 30.000.000 de livres et occupa mille
navires. * En la côte de Provence, dit-il, il y a un nombre inlini de
vaisseaux, ceux qui en sont propriétaires les louent A tant le mois ou
à tant pour voyage, ainsi ils sont guidés çaetlù. Les Espagnols, Gene-
vois, Napolitains et Siciliens s'en servent ordinairement pour le port
de leurs blés, vins et victuailles^ » De longtemps, de pareils chif-
fres ne devaient plus être atteints dans le cours du xvii* siècle. Des
(s) C'est sous ik-nri IV principalemc-iU quL- s'organisa le corps de ta nation
Jans les (ichcUts, auparavant les Français venaient plutôt y trafiquer qu'y risidcr.
V, Ar(h. Mur. Métn. île La^ny, B', 4i-j-/, p. jjS-SS.
(j) On pourrait reprocher à Henri IV d'avoir rtieompensé Pierre de Libcrtat, .n
qui il devait la soumission de Marseille, en lui accordant, par lettres patentes du
10 juillet 1596, le produit d'un droit de 2 0/0 sur tout le commerce du Levant
au préjudice des franchises de la ville. Les Marseillais se plaignirent en li-txi que
ce droit détournait le commerce .i Toulon, La Ciotat et autres lieux de la cùlc
« où les entnScs et yssaux étaient libres » et ils obtinrent lieureusemont la sup-
pression du droit, {.hitmblceiiu jojain 1600. Arch. Coiitm.) — Mais Henri IV avait
dû racheter son royaume et c'était là une concession provisoire qu'excuse la
situation difficile où il se trouvait.
(}) Dk Brèvis. Soks sur quehiius articles des Capitulations {A la suite de sa Relation
de voyage). — Deu\ autres inuicaiions concordent avec le chiffre de de Brèves:
XXXI]
INTRODUCTION
innsfonnations profondes s'étaient accomplies, à la fin du xvi', dans
la nature du commerce des Français dans le Levant. C'est pendant
les troubles de la Liyue que les Hollandais avaient rcHissi délinitivc-
mcnt à détourner vers Amsterdam le commerce des épiceries. « Les
marchands, dit un mémoire des Marseillais adressé au roi en 1625,
reprirent leur premier irain (sous Henri IV), auquel néanmoins ils
reconnurent un pirand clianj^ement; car de ce que le fonds principal
du négoce consistait en épicerie, ils trouvèrent qu'il était entière-
ment diverti et transféré du côté du Ponant par l'ouverture que k-s
l'iamands avaient faite d'aller a uérir les épiceries aux Moluqucs..,
Les marchands de Marseille s'adonnèrent alors à porter des soies, ce
qui leur réussit si avantageusement, soit par le ton génie de cette
ville, soit par la diligence de leurs vaisseaux et promptitude de leur
expédition, qu'en peu d'années ils attirèrent à Marseille presque tout
le négoce des soies de toute l'Europe, ayant tellement affaibli et dimi-
nué celui de Venise qu'au lieu de vingt grands navires qu'ils man-
daient tous les ans en Syrie, ils n'en envoyaient pas six, et au con-
traire, comme l'on ne voyait venir à Marseille par le passé en tout un
an plus haut de 100 ou 200 balles de soie, on en tira depuis, arrivées
sur un seul vaisseau, r 000 ou 1200 balles, et furent les navires de
Marseille estimés les plus riches qui allassent sur la mer, ce qui
haussa grandement la réputation du négoce des Français par tout le
Levant et dès lors mC'me les Vénitiens, qui précédaient les autres
nations, furent tontraints de céder à la nôtre'. » S;ivary de Brèves
avait aussi [ait ajouter dans les Capitulations de 1597 et de 160J les
cuirs, cordouans, cires, cotons, cotons rilés, aux marchandises dont
l'exportation était autorisée, et le transport des cotons devait deve-
nir au xvip siècle avec celui des soies le principal objet du commerce
des Français.
Mais les draps, qui constituaient auparavant le grand article
d'importation dans le Levant, avaient presque cessé d'y être envoyés
par suite de la ruine des manul.icturcs pendant les guerres de reli-
gion. De plus, les marchands devaient payer aux Turcs 5 0/0 de
la valeur des marchandises qu'ils apportaient et qu'ils vendaient.
« Pour s'exempter, tant de ce droit, nous apmend de Brèves*, que
pour l'avantage qu'ils trouvent sur !e prix de leurs monnaies qui est
grand, que pour n'être sujets :\ une longue deniture pour vendre
leurs marchandises, ils n'apportent plus de draps et font entièrement
leur négoce avec de l'argent comptant. » C'était une cause de faiblesse
Dans un .^d^^ii au roy, de 16 14, I.i valeur des exportations de Marseille pour U
Turquie est fixée à i.ctoo.oou J'écus (Archiva cuiintseï Je l'hisl. de Fr., a^ séiù^
t. /, y>. 4i(>). — Coloert, en i6f>j, disait que la ville de Marseille ne faisait pas la
dixième partie de son commerce avec le Levant. {luflies tl liiilr., t. Il, hilialtic-
ticn, p. CXXh'). Or, vers i66u, le commerce était d'environ trois millions.
(i) Mhimra au ivi, 14 juiJIfl 163 j. ////, /.
(3) Wotet iur quelques arlielcs des Capiliilallions, art. fl.
INTRODUCTION
XXXU)
pour notre commerce, car il Cillait acheter en Espigne les piastres
sevillancs ou mexicaints, seule monnaie acceptée par les Turcs, et
notre commerce du Levant dépendait ainsi étroitement de «nos rela-
tions commerciales avec ce pays. De plus, on perdait les bénéfices
qu'on aurait pu Caire sur les marchandises portées dans le Levant, ainsi
3u'une quantité de fret itnportante pour nos navires. Mais surtout,
"après les théories économiques qui s'étaient établies au .\vi' siècle,
l'exportation du numéraire était une cause de ruine pour le pays, et le
commerce du Levant, qui faisaiisortir beaucoup d'argent du ro)'aunie,
sins développer b consommation des produits de nos industries,
allait passer, aux yeux de bien des gens pendant tout le xvii' siècle,
pour un commerce funeste au bien du royaume. D'après un Advisau
tv\, de 1614', sept millions d'écus étaient exportés chaque année de
.Vfarseille dans les états du Grand Seigneur; aussi, aux Etats géné-
raux, le tiers protesta vivement et insista pour qu'on obtint de la
Porte des conditions plus avantaj^euses qui permissent de substituer
les marchandises aux métaux précieux dans ce négoce.
Henri I\' laiss.ut donc le commerce du Levant, qu'il avait trouvé
très affaibli, dans une situation prospère. Mais il ne faudrait pas s'exa-
gérer cette prospérité, elle était en somme fort précaire. 11 avait, par
une patiente diplomatie, rétabli notre influence à Constantinople,
mais il n'avait pas ramené h confiance dans l'esprit des Turcs et il
n'avait pu arrêter les progrès des Anglais. Il avait combattu la piraterie,
sans pouvoir la détruire, et il la laissait menaçante. 11 n'avait pas songé
i donner des règlements au commerce, et les abusqui devaient le rui-
ner avaient déjà pris naissance pendant son règne. Le roi avait eu le
mérite de comprendre toute l'importance du commerce du Levant,
il avait constamment appliqué son attention .\ le développer et il
avait réussi i .assurer le présent, mais sans garantir l'avenir qui appa-
raissait gros de nuages.
(i) Archives curieuses dei'hisl. de Fr., 2'^ s/rie, l. I, p. 4)6-}'; : « Lorsqu'il n'cstoit
porte auprès de l'empereur des Turcs que des denrées de vostre royaume, nutaiii-
mciu des dr.ips d'escarlatte... Mais depuis quelques années, l'on ne porte que de
r^irgcnt nionaoyé qui monte p.tr an à plus de sept millions d'escus, seulement
transporter par la ville de Marseille, sans ce qui se trans|>orte d'ailleurs, u —
« L'on vous supplie Sire, de considérer, que vous ferez de grandes choses eu rtSvo-
quoHt d'un cosié cesle alli.mcc et le négoce du Levant... u p. 4jS.
jt
LIVRE I
L'ANARCHIE COMMERCIALE
(1610-1661)
CHAPITRE PREMIHR
LES AVANIES
L'histoire du commerce du Levant pendant la première partie du
xvii'' siècle est celle d'une longue décadence ; durant ces cinquante
années, il souffrit tant de maux qu'on a peine à concevoir comment
il put subsister. De tous ces fléaux, ceux qui lui firent le plus de mal
et qui excitèrent le plus les doléances des marchands, furent les ava-
nies et les ravages des corsaires. Les avanies' étaient des sommes
d'argent que les pachas réclamaient aux marchands des échelles sous
les prétextes les plus divers, prétextes la plupart du temps injustes,
parfois extrêmement bizarres. Lorsqu'un pacha imposait une avanie,
le consul assemblait la nation qui cherchait le moyen d'en éviter le
paiement. Elle savait qu'il était à peu près inutile de discuter, même
(t) « Terme qu'on prétend tirer du nom d'avany qui !>e donne en Perse aux
courriers Je la cour et qui veut dire des gens qui prennent tout ce qu'ils trouvent,
parce qu'effectivement ces courriers prennent sur leur route des chevaux à toute
sorte de gens quand ils en ont besoin. » Chardin, 1. 1, p. S. Littré fait venir ce mot
de l'arabe houdn =^ mépris.
2 L ANARCmt COMMERCIALE
quand les prétentions du pach.i étalent insoutenables, maU elle
essayait de l'intimider. Le consul, accompagné des marchands, allait
lui représenter les capitulations qu'il violait et le menacer de porter
plainte à la Porte. Si le pacha n'était pas l'ami du grand vizir, ou
n*étail pas siir de l'appui du Divan, il cédait devant des protestations
énergiques, ou il engageait des négociations qui se terminaient par
quelque adoucissement de ses exigences. Mais s'il avait des protec-
teurs à la Porte, la moindre résistance lui servait au contraire de
motif pour exiger une avanie beaucoup plus considérable. Quand
une Echelle se trouvait trop accablée par les tyrannies d'un pacha,
la nation se décidait à envoyer une députation porter plainte à. Cons-
tantinople, ou bien elle en infonnait l'ambassadeur. Mais celui-ci ne
faisait pas toujours diligence, le Divan tardait à s'assembler, souvent
même le Grand Seigneur n'était pas i Constantinople et le Divan
se tenait à sa suite; une fois l'affaire introduite devant lui, elle
traînait en longueur, encore Cillait-il distribuer à propos des présents
sans lesquels il était impossible d'avoir justice, si bien qu'après avoir
attendu longtemps, on obtenait parfois à grand frais un commande-
ment du Grand Seigneur, ordonnant au pacha de restituer ce qu'il
avait exigé, commandement qu'il était aussi difficile de faire exécuter
que de fiire expédier. D'ailleurs le discrédit croissant de nos ambas-
sadeurs rendit tout à fait inutiles les plaintes à la Porte ; les pachas
étaient sûrs de l'impunité.
En effet, après la mort d'Henri r\', les relations entre la France et
les Turcs ne tardèrent pvis à se gâter. Au xvii' siècle le trône otto-
man ne fiit guère occupé que par des princes ignorants et barbares,
pleins d'une haine aveugle contre les chrétiens. • L'ancien sultan
Othmau, gnmd ennemi des chrétiens, dit le voyageur Pielro della
Valle, n'avait d'autre pensée que de se rendre quelque jouri Rome
avec 300.000 ou 400.000 hommes'. » A mesure que la décadence
des Turcs devenait plus profonde et que les armées chrétiennes leur
infligeaient des échecs répétés, leur fanatisme augmentait d'auunt.
En même temps, en France, U renaissance religieuse du début du xvu*
siècle donna plu^ de force 1 ces idées de guerre sainte qui avaient déjà
(l| Cette cOQsatatkH] se mnive dus les écrits lia tetofs et ce niral àa £m«.]
ttsme musulnun se produisit chei les plus intcUigcnu des ORaauns, pou^ae le*]
plos rcnurquaMes de leurs bomiDcs Sèut ta x\iF sicclc. ks Koeprilà faimlj
animas J'unu haine violente contre les cfanhieti^
hanté certains esprits au xvi' siècle. Cest alors que Sully, dans ses
Œconomies royales, traçait le plan de son fameux Grand Dessein,
tandis que le confident de Richelieu, le Père Joseph, embrassait
avec ardeur les projets de croisade de Charles de Gonzague duc de
Nevcrs et multipliait les négociations à la cour de France, h Rome
et à Madrid pour amener la formation d'une ligue chrétienne'.
Tandis que les sentiments de haine se réveillaient chez les Français
et chez les Turcs, le besoin de leur alliance devenait moins grand
pour les uns comme pour les autres. Les Turcs avaient fait des traités
avec les Anglais d'abord, avec les Hollandais ensuite (1612), dont
i'iniluence était loin d'être favorable à la notre. La France avait
trouvé contre la maison d'Autriche des auxiliaires plus s6rs et moins
dangereux dans les protestants d'Allemagne.^ Fnfin Tinhabileté de
jios ministres auprès .deiaJPorte et surtout Jcur ignorance de la reli-
gion, des lois, des usages des Ottomans leur fit commettre des fautes
qui envenimèrent encore les rapports des deux pays.
Achille de Harlay Sancy, baron de la Môle, qui succéda ;\ S.Tlignac
en 161 1, était un jeune homme de 25 ans, peu préparé ;\ un poste
aussi difficile. Pictro délia Valle loue grandement ses mérites, mais
il était son ami et les voyageurs d'.ilors ne sont généralement pas
avares d'éloges pour les ambassadeurs et les consuls qui les héber-
geaient et leur rendaient de grands services. Pendant son ambassade,
r.iUiance espagnole fit nécessairement négliger celle des Turcs, Sancy
lui-même « désirait passionnément que son roi rompit avec eux'. »
Son crédit fut peu assuré car il subit de la part du grand vizir une
violence jusques là sans exemple, il se vit insulté lui et ses gens,
arrêté, men.icé de la question et obligé de paver une avanie de 20.000
piastres. Il est vrai qu'il se vanta dans sa correspondance d'avoir évité
une avanie de 200.000 écus à la nation tandis qu'en 1616, pour un
aussi faible préte.xie, les Anglais avaient du payer 75.000 écus*. Le
{U V. FAGNrKZ, I.t Pire Joseph el Riihelii-n.t, 1, chap. ni. Le projet dt croisade
l6to-i6iSfp- 120-iSù. — Drapeyrok, Rei'ire des Deux Mondes, i" novembre iSj6.
(J) PlETRO DEIXA VaLLE, t. III, p. $82.
(î) Lillre aux iOtiitih Je Marseille. JA, 1.(3, 12 mai i6iS, — Il parait que
depuis cette querelle Sancy, quoique dcmeur.im h Constantinople, ne remplit jnus
les fonetions d'ambassadeur. V^oici ce qu'on lit en ctiei dans un mémoire de la
iCh.nmbre Ju Conunercu de M.trseille du 26 .loiit 1679 : « En 1616 le sieur de
Nans, homme de probité, intelligent et commode fut établi agent et pendant les
troii années qu'il v.ii»ua, jamais Tautorité du roi ne fut mieux soutenue, ni portée
plus haut et jamais le commerce ne lut plus libre... Quand après les trois années
de son exercice M. de Cé!>y fut établi... », BB, 26.
mÊM
^
4 L ANARCHIE COMMERCIALE
roi obtint pourtant réparation de l'injure et un tcliaouch fut envoyé
en France porter les excuses du sultan, mais Sancy fut rappelé.
Philippe de H.irlay, comte de Césy, qui le remplaça (1619), se
trouva dans des conditions beaucoup plus favorables ; Richelieu en
effet, dans sa lutte contre la maison d'Autriche, n'eut garde de négli-
ger l'alliance turque. L'heureuse issue de la délicate mission, dont
fut chargé Deshayes de Courmemin en 1621, montre que les Turcs
étaient encore animés d'intentions favorables à la France. Le roi
avait appris que les chrétiens arméniens avaient supplanté les reli-
jlieux cordelicrs ;\ Bethléem et dans plusieurs autres lieux saints de
Jérusalem, Deshayes reçut l'ordre de les rétablir et pour empêcher
de nouvelles usurpations, en même temps que pour protéger les
pèlerins, il eut mission de laisser un consul à Jérus;ilem. On le reçut
en grande pompe et malgré 30.000 écus que dépensèrent les Armé-
niens pour le faire échouer, il obtint des ministre du Grand Seigneur
tous les commandements nécessaires pour lui f^icilitersa tâche. Arrivé
à Jérusak-m, il déjoua encore les intrigues des. \nnéniens, les expulsa
des Saints Lieux, put faire réparer l'église du Saint-Sépulcre et les
autres qui en avaient besoin, et établit un consul le sieur Lempereur'.
Césy, qui semble avoir été un diplomate assez habile, maintint
d'abord la sécurité du commerce. « Depuis trois ans que je suis ambas-
sadeur, écrivait-il aux consuls de Marseille, les négocians d'Alep n'ont
pas eu une avanie de 10 piastres. » Il se vantait d'avoir soulagé le
commerce de plusieurs droits et il travaillait au renouvellement des
capitulations*. Il réussit il obtenir une foule de commandements
contre les barbaresques et eut une grande part au rétablissement de
la paix avec Alger', Il sortit a\cc honneur d'une méchante affaire
que lui avaient suscitée nos rivaux, en obtenant le maintien .1 Cons-
tantinoplc des jésuites, qu'ils avaient fait emprisonner'. Malheureu-
(1) Desh.^yes, p. I, i}2-'y},4i^i^. — y. Atcbdejaf.ètr.Corresp. fol. Constan-
tin. Ki-g. jifol. 8}, à'7.
(2) L/tlrd ttu.\ coitsiili Je Marseille, t ) timvwbr^ i6j3, j'^ février 1 6)0, A. -l, i^}, —
k M-^' l'atiib.iss.uleur, écrit Sjnsun N.ipollon de Constaïuiiioplc, s'emploie volon-
tiers et avec beaucoup d'.iffection en toutes ces affliircs et il j plus de crédit L]u'.tucun
autre amb.issadcur. « Ltltre (ju.v toinuli de Marsâlle, jtj mars tOij. AA, J6j.
(;) Voir Lfllies a«.v eonsuh lU Muncilh-, 1624-2/. AA, 14}.
(1) « I.'jflaire se terminer.! à mon contentement, ils y perdront leur l.nin bien
qu'en cette occasion ils fussent qnntre contre moi, Venise, Angleterre et MolLindc
auxquels s'est joint le patriarche de Constaniinoplc... ils ont despandu plus de
50.cx>o piastres en argent ou en robes... vous ne sauriez croire combien cenc action
éclatera dans tout le Levant à notre avantage et combien les sujets du roi en seront
pluii respccics. ■ Lettre aux constih de Marseille, 0 iiian 162S. AA, x.f}.
LES AVANIES 5
scracnt, pnr suite de ses prodigalit(!'S, il fut bientôt criblé de dettes
et rtiduit aux pires cxpédicns pour subsister.
Devant les plaintes des Marseillais, on le reniplaiça par Henri de
Gonmay, comte de Marchcville (1629), mais la Porte déclara
qu'elle ne laisserait partir Césy que si ses dettes étaient payées et il
dut rester \ Constantinople, où il gêna son successeur par ses intri-
gues. Marchevillc ne sut s'attirer que des déboires par une série de
maladresses. Il se conduisit avec un tel dédain des usages orientaux
qu'il passa pour fou et se trouva exposé à de continuelles injures.
Il s'était fait un ennemi du capitan paclia', qui était en grande faveur
et ne perdait aucune occasion de lui nuire. A l'occasion de la
réédification du palais de l'ambassadeur à Pera, la chapelle publique
fut démolie, sous prétexte qu'elle avait vue sur le sérail, et les
églises fermées ; on enleva les arraes qui se trouvaient dans les
maisons des étrangers, môme celles des ambassadeurs, et on imposa
sur les Francs une avanie générale de 40,000 écus d'Espagne.
Marcheville réclama si maladroitement contre la détention de cinq
capucins, que le capitan pacha avait ramenés de Seide, que son
drcgman fut pendu. Peu après, son ennemi lui fit signifier un ordre
du Grand Seigneur de sortir de Constantinople et, sans même le lui
communiquer, on le fit monter sur le champ dans une galère qui le
ramena en France (16^4). Un de ses derniers et de ses plus graves
échecs avait été son impuissance à empêcher les Grecs d'usurper sur
les Latins la garde du Saint-Sépulcre. L'afflxire fut plaidée devant le
Divan en i654avec beaucoup de solennité, en présence de tous
les .imbassadeurs chrétiens; A force d'argent les Grecs l'emportèrent
et tous les efforts que fit le gouvernement français, pour faire casser
ce jugement, échouèrent pendant 40 ans*. L'influence française
avait bien baissé à la Porte depuis le voyage triomphal de Dcsh.iyes
;i Jérusalem en 1621.
Le comte de Césy, qui se débattait péniblement à Constantinople
|j) LwALtf.F., p. 39S. — Il appelle M.ircheville un « gentilhomme présomp-
tueux, ignorant et spaJassin ». — C'était cependant un esprit curieux des
jntiquitvs de l'Orient comme le montrent ses relations suivies avec le ùmcux
irudit Peiresc. V. Cou. des Doc. IsÉO. Ltttrts de Pcirtsc aux Jrires Dufiiy,
il) tintrs t6i4, J" ttoùl 16 ;4.
(21 Des 1626. les Grecs avaient racheté la possession des Saints Lieux en
dëpen^ant St>,ooo piastres, jlich. da /ilj. c'Ir. Corrrsp. polit. Coiislant. Kt^. j,
fin, /90 : « Les Saints Lieux de Palestine possédés depuis plus de 330 années
Par ks Religieux de Saint-François sous la protection du très chrétien roi de
rance ont été achetés... au grand scandale de toute la chrétienté n.
6 L ANARCHIE COMXtERCIALE
au milieu de ses créanciers, fut presque contraint de reprendre ses
fonctions et Richelieu dut se contenter des explications du Divan.
Un pareil ambassadeur ne pouvait guère avoir d'autorité. En 16^8,
tandis qu'il célébrait des réjouissances pour la naissance de Louis XIV,
on put le voir courir nu tête hors de son palais pour se faire rendre à
;\ grand peine son fils qu'on conduisait en prison, sous prétexte qu'il
avait répondu avec hauteur à un officier Turc qui l'interrogeait*.
M. de la H.ive, son successeur, arrivé en 1639, avait ordre
d'acquitter définitivement ses dettes et de le décider, par la force
même, .i revenir en France. De la Haye est le premier homme de
robe qui ait été envoyé à Constantinople. Les premières années de
son ambassade lurent tranquilles. Mais il eut la maladresse de se
faire un ennemi du grand vizir Mohammed Kœprilu en tardant de
l'aller voir h son avènement et de lui faire son présent*. Kocprilù
très susceptible en garda profondément rancune pendant tout son
ministère (1655-61). La fameuse guerre de Gindie, qui avait
éclaté en 1644 entre Venise et la Porte, lui donna l'occision
de se venger et amena une brouille de plus en plus profonde
entre la France et la Turquie. Les Vénitiens, consternés de
leurs revers, s'adressèrent à Anne d'Autriche pour obtenir la
paix par son intermédiaire. Mazarin, dont cette guerre gênait !.t
politique, expédia à Constantinople le sieur de Varennes pour
conduire avec de la Haye la négociation, mais ils échouèrent et on
leur insinua même que leur insistance en faveur des Vénitiens
déplaisait au Sultan. D'ailleurs Mazarin ne se borna pas A ce rôle de
médiateur et accorda des secours à Venise, qu'il tenait à atwcher i
notre alliance. Le grand vizir l'apprit et de la Haye se trouva dans une
très fausse situation. Tandis qu'il lui réclamait le rclaxement d'un
vaisseau pris par les corsaires, ce ministre « reçut la nouvelle d'une
bataille contre les Vénitiens et connut que l'armée des Wniticns
(t) De S.mnt-Priest, p. 21J-215, 210.
(2) « La minorité de Mahomet IV fut une lîpoquc de troubles... Presque
tous les mois, on voyait un nouveau gr.ind-vizir. De la Haye père, croyant que
cela durerait, pour éviter les présents d'us.ngc, résolut de regarder tranquillement
ces changements de premier ministre, sans laire de visite ni de présent à aucun.
Cuperli Mahomet étant devenu Viïir, de la H.iyc fut le seul à ne pas faire visite,
bien qu'il en fût pressé. Cependant, voyant enfin que Cuperli durerait quelque
temps, il l'alla voir et lui lit son présent, mais inutilement Donc les diverbcs
avanies faites aux Français pendant 20 ans se rapportent à un chagrin personnel
nonobstant les raisons sur quoi on les a fondées dans la suite, comme l'entreprise
sur Gigeri elles secours donnès:\ l'empereur et aux Véniiicns w. Ch.\rdin, t. l,p. 9.
LES AVAXir-^
n'était coraposéc que de vaisseaux chrctiens et en particulier fran-
çais, ce qui l'irrita fort et il s'emporta en reproches étranges contre
ce prv'tendu secours ». De la Haye « t.\clia de lui faire comprendre
que c'étaient des vaisseaux marchands qui, se trouvant dans les ports
Vénitiens, étaient forcés de les aller servir, ce que le G. S. pratiquait
lui-même, quand il se trouvait de nos vaisseaux dans ses ports. Il ne
voulut rien entendre' »,
Un incident inattendu vint consommer la brouille. L'amiral de
Venise ay-mt confié ;Win Français nommé Vertamon, qui allaita
Constantinoplc, une lettre chiffrée pour de la Haye, Vertamon prit
le turban et remit la lettre A Kœprilû. Celui-ci ne put la faire tra-
duire et de la Haye, qui avait caché son secrétaire des chiffres, reçut
l'ordre de venir trouver le vizir à Andrinople. L'ambassadeur y
envoya son fils qui répondit peut-être avec une trop grande fermeté;
Ka'prilii, emporté par la passion, lui fit subir de mauvais traitements
et le fit emprisonner avec de grandes menaces de tourments et de
mort à ses interprètes, si on ne lui déchiffrait la lettre. De la Haye
alla à Andrinople pour faire élargir son fils, mais il s'y vit retenu
lui-même sans voir le vizir qui était parti en Transylvanie. Peu
après, les capitaines de deux bâtiments français' ayant chargé à
Alexandrie pour le compte des Turcs des marchandises destinées au
sérail et les ayant frauduleusement conduites à Livourne, le grand
vizir réclama à l'amb.issadeur une avanie de 36,000 piastres; de la
Haye ne put pas payer sur le champ et fut conduit aux Sept Tours,
le 19 octobre 1660, après avoir consenti au choix que fit la nation
française d'un négociant, nommé Roboly, pour suivre h la Porte les
affaires courantes. Il sortit de prison au bout de trois mois, quand
l'avanie eut été payée, mais ce fut pour rentrer en France, l'ordre
de son rappel lui étant arrivé. Il ne fut pas remplacé et jusqu'en
1665 la France n'eut plus à la Porte pour la représenter que Roboly
avec le titre de résident'.
Ainsi, depuis la mort d'Henri IV, les relations n'avaient jamais
été réellement cordiales entre la France et la Porte; nos ambassa-
deurs avaient, la plupart du temps, manqué de crédit et, loin de
pouvoir protéger etEcacement le commerce, ils s'étaient vus parfois
(l) L/Hri de de la Hayt aux consuls de Marseillf, 31 janvifr j6jy AA, t4S.
(2l Le* cipitaincs Durbccqui et CruveUlicr de la Cioiat. Cette affaire fit
graod bruit et occisionn.i â Li n.ition française des frais énormes.
(}) V. CiiAKotK, t. I, p. 9-n. — Saint-Priest, p, 79-81 et 316-219.
L ANARCHIE COMMERCIALE
eux-mcmcs exposés à des mauvais traitements et à des avanies'.
Cette situation s'ctnii aggravée progressivement si bien qu'en 1660
on pouvait se croire à la veille d'une rupture. Vraiment les paclias
n'avaient plus rien ù craindre des plaintes que les marchands français
pouvaient faire contre eux à Constantinoplc ; il pouvaient donner
libre cours ;\ la satisfaction de leur avarice.
Ce n'était pas seulement h cupidité qui les rendait avides, mais
les avanies et les exactions de toutes sortes étaient devenues pour
eux presque une nécessité, grâce aux progrès de la corruption et de
Il vénalité dans le gouvernement des Turcs au xvn' siècle. Gens de
basse naissance et sans fortune, qui passaient subitement du corps
des Iichoghlans et de l'obscurité du sérail au commandement d'une
province, ks pachas ne s'y m.tintenaient qu'en faisant des présents
considérables au Grand Seigneur, aux sultanes, au grand vizir et
aux autres grands officiers de la Porte. Craignant à chaque instant
d'être destitués, ils se hâtaient de se rembourser de leurs dépenses
et de s'enrichir pour pouvoir continuer à soutenir leur fortune;
ils n'avaient pas trop de temps, même s'ils restaient dans leur
province les trois années que durait leur commandement. Le pis
était qu\\ leurs débuts, pour satisfaire h leur dépenses et établir
leur train de maison, ils étaient obligés de s'adresser i des usuriers
juifs qui leur prêtaient à cent pour cent et ne leur inspiraient ensuite
que rapines et concussions, pour se libérer de leurs dettes. Cette
corruption, qui s'étendait des grands officiers de la Porte jusqu'aux
officiers subalternes de l'entourage des pachas, remontait, paraît-il, i
Mourad III (1574-9)). « L'avarice du sulun Mour.it, raconte Tour-
nefort, est la source de tous ces désordres : il introduisit l'usage de
recevoir des présents des grands à qui il donnait les charges de
l'empire : les grands pour se dédommager en usaient de même i
rég.ird de leurs inférieurs ; depuis ce temps là tout fut livré au plus
offrant *. » Quelle que fût la cause de leur avidité, pachas, cadis et
officiers subalternes étaient devenus insatiables et d'une ingéniosité
(i) Les Marseillais se plaignirent même plusieurs fois 1 la cour de b négli-
gence que M. de I.i Hjye 3j>portait à protéger les Echelles. — Lttlres des çonsvU
de M. Ju S fivr. !(>46, Ij i/à. 164S. AtcL. Commun. — Li-ttve du consul di'JUp-,
• Ce b»in seigneur n'a pas daigne sculenieni vouloir faire une visite au grand
vi»ir pour se plainda- des torts que nous avons reçus. Cest à r.ous. Messieurs.
d'obliger Panibass-ideur A nous protiiger, lui faire écrire de bonne encre piar le
secrtHaire d'IItat. • { <v/. l('4). AA. j6}.
ti\ ToiiîSFroRT. t. Il, p. 26.
n
Î.ES AVAN'IRS 9
extraordinaire pour extorquer de l'argent, aussi bien aux sujets du
Grand Scigiuiir, qu'aux march.inds chrétiens des Uchcllcs.
Parfois le pacha, sans aucun détour, réclamait une certaine
somme. Un pacha du Caire soutenait « qu'après l'arrivée de
tint de voiles et d'argent pour la nation c'était bien le moins de le
reconnaître par un présent de quelques milliers de piastres et
qu'encore sa discrétion paraissait bien grande de se contenter de si
peu'. » La demande d'argent était plus souvent déguisée sous le
nom d'emprunt. Inutile de dire que le pacha oubliait généralement
de payer ses dettes et qu'il eût trouve fort mauvais qu'on l'en fit
souvenir. Quant aux fournitures en nature, c'était devenu un usage,
.11.1 il était bien difficile de se soustraire, de donner aux pitis-
. rf de l'Echelle les denrées ou les marchandises d'Europe qui
leur étaient nécessaires : « C'est une méchante coutume, rapporte
d'Arvicux, qu'on a laissé introduire et qu'il est impossible de réfor-
mer A présent, de fournir aux gouverneurs iriille sortes de choses
qu'ils demandent journellement pour leur usage particulier : outre
les lx>issons et les liqueurs, il leur faut des confitures, du papier, de
la cire d'Espagne, des carreaux de f.iïence, des vitres et beaucoup
d'autres choses ; il est vrai que ce sont des choses de peu de valeur,
mais la quantité qu'ils en demandent ne laisse pas d'être onéreuse
aux Francs qui les fournissent: ils se mettent insensiblement en
droit de demander des draps et, si on voulait leur accorder tout ce
qu'ils demandent, eux et leurs gens seraient nourris et entretenus
toute l'année aux dépens des Francs *. »
C'étaient là les avanies les plus ordinaires et les moins vexatoires.
De temps en temps, quand ces moyens lui paraissaient usés, le pacha
frappait un grand coup : il profitait de l'arrivée d'un navire qu'il
déclarait être corsaire, il se saisissait du bâtiment et de tout ce qu'il
portail, argent et marchandises, et faisait emprisonner les ofiiciers
et les matelots. En vain ceux-ci protestaient, en v-iin le consul prou-
vait, pièces en mains» la provenance et la qualité de marchand du
navire, il y avait toujours de faux témoins qui soutenaient éncrgiquc-
nient devant lecadi qu'ils reconnaissaient le capitaine ou les matelots
pour les avoir vus sur des galères de Malte, ou sur d'autres corsaires,
où ils avaient été prisonniers. Aussi le consul savait bien où il fallait
(l) l/tlrf du cornai du Caire aux consuls de Marseillt, ') jintlct i6$j, AA, 164,
(a) D'Arvicix, t. iV, p. 299.
lO
L ANARCHIE COMMERCIALE
en arriver et, après avoir essayé de contester, il proposait au pacha
d'aciieicr la délivrance du vaisseau et de réquipagc. C'était toujours
en ce cas plusieurs milliers de piastres qu'il en coûtait à la nation, et
parfois aux pauvres capitaines et mariniers plus d'un mois de déten-
tion. En 164), deux barques de Marseille furent saisies A Modon
sur la simple dénonciation d'un Turc qui prétendait qu'elles étaient
maltaises, et les 40 hommes des deux équipages conduits iï Constan-
tinople restèrent prisonniers près de deux ans, malgré les réclama-
tions de M. de la Haye; le grand vizir exigea une lettre du roi pour
accorder leur relaxcmenl'.
Les marchands des Echelles se voyaient emprisonnés sous les
prétextes les plus divers. Le plus grand crime pour un Français
cuit d'être surpris avec une femme turque, La loi le condamnait
alors à être brûlé vif, ou à se faire musulman pour se racheter du
supplice, mais l'affaire s'accommodait généralement par une grosse
somme d'argent. Il fallait bien prendre garde de donner lieu par
quelque imprudente démarche à une pareille accusation, ne pas se
havirder le soir hors du quartier réservé aux chrétiens dans chaque
échelle, ou entrer en l'absence du maître dans la maison d'un Turc.
Un voyageur raconte à ce sujet une bizarre histoire : « Deux Fran-
çais, dont un chirurgien de navire, jouaient A la boule dans la plaine
qui est entre les murs d'Alexandrie et le port où sont les cabanes des
Mogrebins. Le chirurgien étant entré dans une de ces loges pour
reprendre une de leurs boules qui y était roulée, deux soldats du
vieux château qui se promenaient en ce lieu les saisirent à l'instant
et les conduisirent en prison. Bientôt après on les conduisit devant
le cadi où on les accusa d'avoir commis un adultère dont le jeu de
boule n'était que le prétexte, et, nonobstant toutes les sollicitations
qu'on fit en leur faveur, sans autre preuve ni témoignage que le
simple soupçon, on les condamna aux galères perpétuelles. Grande
injustice assurément, mais belle leçon pour apprendre aux Français i
se gouverner avec prudence*. » Il est vrai que les marchands don-
naient lieu Jices accusations par la vie de débauches qu'ils menaient
tropsouscnt. Le consul du Caire écrivait à Marseille A la suite d'ava-
nies subies par la nation : « Nos marchands n'ont garde 'de vous
*
(i) Ldtrei des cmsuh df Marsfilk à M. du Itorn, avocat au consttl et au comte dt
Brwvie, ijnov. i(>^i, lijam'. i^'IJ. Arcb. Comm. de Mars. — Correspondance envoyée.
(2) CorpiN, p. 555.
m
LES AVANIES
tf
informer de ce qui a donné lieu à l'indisposition générale qu'il y a ici
contre eux S'il y avait .lu milieu de vous 40 ou 50 Turcs, que
vous vinssiez \ découvrir qu'ils débauchent vos filles et vos iL-nimcs,
que vous eussiez fait pendre à la face du peuple une friponne qui
servait d'instrument ù ces débauches et qui logeait parmi eux et fait
crier par la ville que c'est ainsi qu'on traite celles qui mènent à ces
étrangers, en les nommant, les femmes et les filles des principaux de
votre ville, et qu'on eût en même temps saisi d'autres femmes qui
aient confirme tous ces fiits, et qu'il n'y eût ni grand ni petit de votre
ville qui n'en ftlt informé, ces étrangers ne devraient-ils pas s'esti-
mer fort heureux qu'on ne se fût pas élevé contre eux *. » Les mar-
chands étaient souvent aussi arrêtés sur le faux témoignage de Turcs
qui prétendaient avoir été maltraités par eux. Si par malheur il se
commettait dans l'échelle un assassinat mystérieux, soit d'un Turc,
suit d'un l'ranc, la nation risquait fort d'en être rendue responsable.
Les religieux étaient partout une occasion fréquente d'avanies :
on les accusait d'avoir établi secrètement de nouvelles chapelles, ou
bien ils avaient sans autorisation réparé une église, il suffisait pour
cela qu'on eût aperçu quelque trace de matériaux de construction
autour des demeures des Francs. En 1654, les capucins d'Alep
furent faussement accusés d'avoir bâti une église, le pacha les garda
un mois en prison sans en pouvoir tirer d'argent, ce que voyant, il
arrêta un marchand sans raison, le fit mettre aux ceps et sous le
bâton, et obligea le consul de donner 4.000 piastres pour sa déli-
vrance *.
Les faillites des marchands, qui se renouvelèrent fréquemment
dans cette période, fourniss;iient encoreaux pachas de bons prétextes.
En vain un article des capitulations de 1604 interdisait de faire
supporter à la nation les dettes des particuliers, le pacha, soi-disant
pour prendre en main les intérêts de ses administrés, imposait ;\ la
nation, à chaque banqueroute, une avanie considérable où il trouvait
lui-même son profit. La nation du Caire fut menacée de ruine en
1639, par la faillite d'un protégé français, un marchand suisse qui
fit une banqueroute d'environ 200.000 piastres et s'enfuit. Ses
créanciers, tous Turcs et Juifs, avaient eux-mêmes favorisé son éva-
sion dans le dessein de se faire payer par la nation. « Ils nous
(1) Lfttre du consul du Caire à la Chambre, 16 avril 170 j. A A, J04.
(2) Lettre du consul du Caire à la Clxtmbre, 21 août 16 $4. A A, ^64.
A
12
L ANARCHIE COMMERCIALH
opposèrent, écrit le consul ;\ Bouthillicr, deux faux témoins
disaient m'avoir ouï dire, A moi et à d'autres des nôtres, que nous
étions pleiges de tout ce qu'on donnerait au sieur Cram Enfin
le cadi nous condamna, sur la déposition de ses deux témoins, gens
misérables, inconnus sans autres pièces ni écritures. On me
donna ma maison pour prison où j'ai été gardé environ un mois et
demi par des chaoux et janissaires. • '. Il fallut deux commande-
ments du Grand Seigneur, obtenus par l'ambassadeur de Césy et
l'intervention du grand mufti, pour délivrer la nation do cette
fTicheuse alTairc.
Les Turcs avaient coutume de réquisitionner les navires français
qui se trouvaient dans les Echelles, pour faire des transports pour
le compte du Grand-Seigneur. C'est de cette façon que chaque
année le pacha du Caire envoyait au sultan le produits des impots
de l'Egypte et que des convois de denrées partaient d'Alexandrie
pour Constantinople. Dans Li guerre de Candie des navires chrétiens
firent tous les transports de vivres pour les troupes. Les officiers du
Grand Seigneur trouvaient dans ce mode de transports une sécurité
complète : ces navires avaient plus de chances d'échapper aux cor-
saires maltais ou autres, et, en cas de perte, ils se dédommageaient
par une grosse avanie sur la nation française, qui devait rembourser
la valeur du chargement et payer bien plus cher encore, s'il y
avait des musulmans prisonniers. Les avanies les plus ruineuses
eurent lieu à l'occasion de la perte de ces navires : ainsi en 1660,
celle des chargements des capitaines Durbecqui et Cruveillier coûta
46.800 piastres ; la prise par les .Maltais de quelques marchandises et
de quatre eunuques du Grand Seigneur qui se firent chrétiens, en fit
payer peu ù près 40.000; 25.000 furent données pour un chargement
de savons, 10.000 pour des biscuits, 7.000 pour du blé, 5.000
pour un tcliaouch *.
Enfin toutes ces occasions ne suffisaient pas aux pachas qui
trouvaient parfois les inventions les plus bizarres pour satisfaire leur
avidité. « Le pacha de Tripoli de Syrie ayant eu avis qu'il était
(l) /2 Hial 16 }0. A A, t4J, cf. ibid. 26 mars 162c.
[2] V. à ce sujet BB, 2. D^Ubèraliom de la Cliawhre, 12 août lùO-j, 22 nmvmbre
166S. — On trouve de nombreux exemples île toutes ces différentes sortes d'ava-
nies: An-hh'. CominiiH. Coirapoiulanct. — Archives de ht Cl<dmhe : CorresponJinice
des Libelles, A A, i6; etsniv. Dèlil>iiationsdehiCltambr(,Ull, ictiuh'. Corres(«)n-
divictde liClximl're, IIB, 26 et suiv.
LES AVANIES
13
arrive à ce port un navire de Marseille, ciiargé de plus de loo.ooo
féales de liuit (plus de 300.000 livres), pour y acheter des soies, y
fit porter secrd-temcnt des turbans et des habits turquesques, lesquels
il fil cicher par ses gens dans les lieux les plus secrets du navire,
puis y envoya des gens aposttis lesquels trouvant ces habits accusè-
rent les mariniers d'avoir tué des Turcs, autorisant la perfidie par
CCS habits. Le vaisseau fut confisqué, les mariniers au nombre de 33,
jugés par des juges corrompus, eurent la tête tranchée. Les mar-
chands envoyèrent remontrer cette cruauté ;\ Constantinople, sans
pouvoir en avoir raison »'. Une barque qui remontait le Nil pour
aller au Caire sombra sur le fleuve avec 9 . 000 piastres. Le coffre qui
les contenait fut retrouvé, mais le pacha le réclama. Devant les repré-
sentations du consul, il consentit à rendre le coffre publiquement,
niais à condition qu'on le lui rapportât secrètement la nuit suivante.
Il prétendit alors qu'il contenait auparavant lO.ooo piastres et exigea
qu'on lui comptât cette somme*. A Alep, le pacha prétendit un
jour que les chameaux qui portaient les marchandises d'Alep .\
Alexandrctte avaient été surchargés et que le devoir de sa conscience
l'obligeait A prendre la défense de ces pauvres bêtes ; le consul eut
m vouloir di.scuter, il tallut lui payer quelques milliers de livres'.
Les avajues étaient plus excusables de la part des Turcs quand
elles étaient les représailles des maux que leur causaient les pira-
teries des corsaires chrétiens. La plupart de ces corsaires portaient la
Kmnière de Malte, et le nom des Maltais excitait la terreur par tout
l'empire Ottoman, si bien, que des gens du peuple demandaient .\
un voyageur français, si la France était aussi yrande que Malte*. Ils
étaient aussi armés .\ Florence, .i Gènes, à Toulon, en Espagne,
mais c'étaient des écunieurs de mers de toutes les nations qui, sous
prétexte de seivir la religion, se livraient aux pires excès et ne
respectaient parfois pas plus les chrétiens que les Turcs. Les équi-
pages d'un grand nombre de ces bAtiments corN,iires étaient
Français ", aussi les Turcs, qui ne l'ignoraient pas, fais.iient suppor-
(U FbbmvniL, p. ^uo. Il est juste d'ajouter que celte avanie él.iit si txtr.i«)rdi-
tidirc qu'elle cutnim l'abjcidon pjr l.i nation l'r.Tiiçai.Ne de riicliellc de Tripoli.
(3) lytlre Ju (i^nnit aux lOnsiils île \farseiUi\ 13 mai i6}0, AA, //;,
{■%\ PoniET. /Vwi'/ dam It Lnant, i. II, p. 476. — V. un autre exemple:
i.l. I, p. 17.
. ..^. p. )62.
()| De liR&vt:», yoyagf, p. ;o«.
14 L ANARCHIE COMMERCIALE
ter surtout leurs représailles aux français des Echelles. La terreur
qu'il faisaient régner sur toutes les côtes de l'empire du Grand
Seigneur égalait, si elle ne la dépassait, celle que les Barbaresques
inspiraient aux populations de l'Italie du Sud ou de la Provc-nce,
coiiinîc l'attestent tous les récits des voyageurs, qui leur sont géné-
ralement peu favorables : le Hollandais Spon déclare que les
corsaires chrétiens sont beaucoup plus inhumains que les Turcs'.
En Morée, au xvii' siècle, une grande partie des côtes avait été
désertée par les habitants à la suite de leurs fréquentes descentes.
L'entrée du golfe de Lépante était interdite ;"i tout navire de peur
qu'il ne s'y gliss;\t quelque corsaire. « Les Turcs, dit Spon, n'osent
plus demeurera Mégare depuis qu'un de leurs vaïvodes y fut enlevé
par des corsaires chrétiens. Ces pauvres Grecs étaient toujours dans
l'appréhension et dés qu'il y avait plusieurs chiens qui se mettaient
à aboyer la nuit, ils commençaient à plier bagage, craignant que ce
fussent des corsaires. Le consul français d'Athènes les a fait accom-
moder avec le principal de ces coureurs de l'Archipel A qui ils
donnent tous les ans 250 mesures de froment pour ne point les
inquiéter. » * Les petites îles de l'Archipel étaient terrifiées par leurs
apparitions fréquentes. » Il y a d'ordinaire, rapporte Chardin, 40
vaisseaux de corsaires chrétiens dans l'Archipel, tant de Ma^jorquc
que de Villefranche, Livourne et Malte. Ces vaisseaux sont petits
la plupart et asseye mal avictuaillés, mais équipés de gens que la
niiscrc et une longue habitude de faire le mal ont rendus déterminés
et cruels. Il n'y a point de maux imaginables qu'ils ne fussent aux
habitants de cette mer où ils peuvent aborder, quoique ces habitants
soient tous chrétiens et que plusieurs reconnaissent le pape. » '
Aussi l'approche d'un navire inconnu y occasionnait des paniques
et les populations éaicnc toujours prêtes à s'enfuir dans les monta-
gnes. Sanio même, si rapprochée de Smynie et des parages frè-
qucntihi par les galères du capitin pacha était ■ quasi déserte et
dcslubitév par crainte des corsaires »,' et le voyageur Fermonel vit
les tubiunts s'enfuir à l'arrivée de son vaisseau, parce qu'ils croy^ent
(I) T. a, p. 179
(a) tbid. I. Il, B. 3S7. A^tees, naime ^ai n'avait pss «k nmanSÊt%, fat flaàean
faû ravagM pu Ks oontirt» jttsqg'i ce <)i>e. vcr$ t6so. ib jcÀgùnait ks nmhnr^
pu «le» murailles pour fonner ux coociotc et cocKirubàmii àa portes sux
catrto «k U riUc. (Whiuil. )97>.
ii) CiLVuus.t. I. p. a.
U» Bkic\iaU, r^^, p. 77.
Ui5 AVAKIES
15
à une descente de corsaires. D'autres îles se rachetaient de leurs
ravages, en devenant pour eux des centres de ravitaillement et des
places de refuge, où ils amenaiciu et vendaient leurs prises ; ainsi
Milo était comme c leur grande foire dans TArciiipel, I.'Argentière,
Uc voisine de Milo, était aussi leur rendez-vous et ils dépensaient en
déKiuches horribles ce qu'ils venaient de piller sur les Turcs. » ' Un
autre de leurs repaires c-tait aux ilois des GozeSj près du cap Saint-
Jean de Candie « habitas par 1000 ou 1200 garnements qui ne s'en-
tretiennent que des biens que leur font les pirates qu'ils reçoivent
chez eux »*.
Dans les mers de Chypre et de Syrie surtout, les corsaires ren-
daient le commerce extrêmement périlleux pour les sujets du G. S.
A Satalie, X l'approche d'un navire suspect, le château tirait le canon
pour avertir les habitants qui accouraient promptement sur le bord
de la mer, armés de mousquets pour empêcher la descente, et il était
parlbis difficile d'obtenir l'entrée du port parce qu'il leur était arrivé
d'être surpris par des corsaires qui se présentaient en amis *. Sou-
vent ils faisaient des descentes dans les parages d'Alexandrette, ils
tentèrent même une fois de s'emparer du trésor envoyé chaque
année d'Egypte ;\ Constantinople, a l'endroit où la route passe entre
la montagne et la mer. Ils croisaient en permanence aux abords de
la Syrie et se tenaient surtout cachés au détour du Mont Carmel,
attendant les navires qui allaient de Syrie en Egypte, ils venaient
même mouiller d.ins la r.ade de Khaïfii et enlevaient fréquemment
des habitants de cette cote qu'ils vendaient comme esclaves : pres-
que tous les villages maritimes avaient été abandonnés et la popula-
tion s'était retirée <f es creux des montagnes »*.
Le voy.tgeur Thévenot fait un récit piquant de la façon dont il fut
pris sur un bAtiment grec par un cors;ùre français en vue d'Acre, si
(i) < Cette Ile abondait en toutes sortes de biens d.ins le temps que les cor-
saifc'* franijais tenaient l.i mer en Levant. On y parle encore des grandes actions
de M. de Bcnneville Temcricourt, du chevalier d'Hocquincourt, d'Hugues Cru-
d'Entrechaut, Pousse!, l'Orange, Lauthicr et autres, qui amenaient leur
tn cette île comme i la grande foire de l'Archipel L'Argentièrc est
ûcvcnue tout A fait pauvre depuis que le roi nesourtre plus de corsaires français
Cil Levant Tout le commerce de l'ile roulait donc sur cette espèce de galanterie
v*ni délicatesse qui ne convenait qu'à des matelots, les femmes n'y travaillant
qu.\ des bas de coton et à faire l'amour. 1 Tournefort, t. I, p. j8, 56.
<3) De BatvEs, Voyage, p. 294.
(j) Fkrmasei., Voyage, p. 2}i.
(4) Db Brèvls, p. 67. — Cf. d'ARViuux, 1. II, p. 11.
26
L ANARCHIE COMMERCIALE
proche de terre qu'il entendait facilement les Arabes qui causaient
sur h rive et qui criaient ; c'est un corsaire de Malte. Mis en
liberté' par lui, il fut repris en vue de Damiettc par des corsaires
italiens '. En effet, les pirates venaient aussi attendre les. navires sur
les côtes d'Egypte, et Damiette était l'endroit où les Francs étaient
le pins universellement haïs, car les habitants étaient journellement
menacés d'être pillés *.
On s'explique assez, par ces ravages incessants, la recrudescence
de haine contre les chrétiens qui se remarque chez les populations
maritimes de l'Empire turc au xvii* siècle et l'on excuse les avanies
que les pachas ne manquaient pas d'imposer dans les Echelles aux
marchands francs, à chaque nouvel exploit d'un corsaire de leur
nation. En aurait-il été autrement en France, si les Barbaresques y
avaient eu des établissements ? Ainsi les corsaires chrétiens faisaient
souvent en définitive plus de mal au commerce de leurs compa-
triotes qu'à celui des Turcs. Le mal n'était pas nouveau, et Depping
constate qu'au Moyen-Age les corsaires chrétiens sur les côtes de
Syrie et d'Egypte furent un des grands fléaux du commerce du
Levant et donnèrent lieu à de cruelles représailles*. Aussi les
consuls des Echelles et les Marseillais ne cessaient de s'en plaindre
et s'adressaient au roi pour obtenir l'interdiction aux Français de
Élire des armements. Déjà Henri IV, répondant à leurs sollicitations,
écrivait au duc de Guise en 1607, pour empêcher et punir « les
déprédations en Levant »*. Mais le nombre des corsaires s'éleva, au
contraire, jusques dans la deuxième moitié du xvir siècle, malgré
les plaintes inutiles du commerce. « II est constant, sire, écrivaient
au roi les consuls de Marseille en 1655, que ces armements n'ont
point d'.iutre objet que l'intérêt particulier de ceux qui les entre-
pannent, et comme la plupart sont chevaliers de Malte, cadets de
maison et gens de fortune, et qu'ils ne se commettent au danger de
la mer que par l'espérance d'un e.xtraordinairc profit, ils tàclient
\\XT toutes sortes de moyens, de se rembourser. On ne les voit
jamais revenir les mains vides et, sous prétexte de courir sur les
cnncnûs de l'Etat, ils pillent les amis et allic's de votre couronne.
Ces mêmes prises nous rendent odieux et insupportables à tous nos
I
(I) TliiAtN-oi, p. 4i;-ii ; p. 449.
{3) D'Aii\nxx, 1. 1, p. ïjî.
{\) TOBK U.p. 301-3I}.
(4> Uitra miuivet, t. VU.
LES AVASIES
17
voisins, et vos sujets qui étaient les bienvenus partout sont aujour-
d'hui considorés comme d'infanics corsaires »',
11 faut aussi reconnaître que les Provençaux ne surent pas faire le
commerce du Levant avec assez de bonne foi et de prudence. Entraî-
nés par leur âpre désir du gain et par la facilité de duper les Turcs,
ils se laissèrent aller aux plus insignes voleries. Tous les voyageurs
sont en effet d'accord pour louer la sincérité et la simplicité natives
des Turcs. « Ils sont naturellement assez simples, dit Chardin, et
assez épais, gens à qui on en fait aisément .iccroirc. Aussi les chré-
tiens leur font sans cesse une infinité de friponneries et de méchants
tours, On les trompe un temps, mais ils ouvrent les yeux et alors ils
frappent rudement et se paient du tout en une seule fois. * »> On les
trompait d'abord sur la qualité des inarcliandises qu'on leur portait.
Ainsi la fabrication des draps, principal article de vente des Français,
devint de plus en plus mauvaise, ce qui fit abandonnner les drape-
ries françaises pour celles des Anglais et des Hollandais. Les mar-
chands n'hésitaient pas i faire des balles dont les premières pièces
étaient très belles et le reste de fort mauvaise qu-ilité.
Les Français portaient de grandes quantités d'argent dans le Levant
et dans l'espoir d'en retirer de gros bénéfices, aussi profitaient-ils de
la profonde ignoranc-e des Turcs, au sujet de la valeur des monnaies,
pour les duper sans cesse. Les piastres d'Espagne, la monnaie la
plus courante dans le Levant, étaient souvent altérées et c'est en vain
que, quand ils en recevaient avis, les consuls et députés du com-
merce de Marseille écrivaient aux consuls des Echelles d'empêcher
l'exposition et la vente de ces monnaies et leur ordonnaient de faire
des visites sur les navires à leur arrivée; ces visites amenaient rare-
ment des saisies.
Tandis que la Chambre du commerce s'opposait au trafic des
piastres fausses', elle laissa se développer l'exportation bien plus
dangereuse des pièces de 5 suis qui, peiidaiu 13 ans environ,
( t) Lcllie (ki coiiyith df MaisciUe au toi, ~ jaiiv. v6;,'. — V. LittiT li Iciiid, Jnr.
Kif /. Atcliiv. ccmmiin. Corrcspotttl. — Cf. BU, 2(1. LtlUe à V amiral, S fhr. lôj'j.
(2» Chardin, t. l. p. $. — V. Du Loir, p. 166. — Fermanel, p. 25. —
PoULUtT, t. II, p. 2?,
i;! V. hB, 76. Corres(>o»daiice df !a Chambre, kllres du 12 stptnnhre tfi^j
1.1 mai 1657, 10 imn 1661. — Arrêt du Parlement du 12 mai 1657 portant
inhibitions et JiMcnsi-s j'i tous niaririiands, capitaines Jcs v.iisseaux, barques ou
autres.... de porter ni exporter en la ville de Marseille et aux cotes du Levant et
particulièrement en la ville de Smyrne les pièces appelées Isilotes, taleros, ni
4utre monn.iie augmentée à peine de confiscation de corps et de biens. Il, 2/.
i8
L ANARCHIE COMMERCIALE
à partir de 1656, procura aux Marseillais des bénéfices de 80 et
90 0/0. « Les Turcs, qui les appelaient timmins, prirent les pre-
miers à 10 sols la pièce... Elles demeurèrent quelque temps à ce prix
et tombèrent .iprcs à 7 sols 1/2. Ils ne voulaient point d'autre
monnaie. Toute la Turquie s'en remplissait et l'on n'y voyait plus
guère d'autre argent, parce que les Fninçais l'emportaient. Cette
bonne fortune les aveugla si fort qu'ils ne se contentèrent pas du
grand gain qu'ils faisaient et ils se mirent ;\ altérer les pièces de
5 sols. Ils en firent fobriquer d'argent bas h Dombes puis i. Orange
et û Avignon. On en fit de pires â Monaco et à Florence et enfin on
en monnaya en des châteaux écartés, dans l'Etat de Gênes et en
divers autres lieux, qui n'étaient que de cuivre argenté. Les Turcs
furent longtemps à s'apercevoir de la tromperie, quoiqu'elle fût si
grossière et si importante, mais enfin ils s'en aperçurent et elle les
irrita si fort qu'ils firent partout de grandes avanies aux Français,
les traitant de faux monnayeurs, quoique les Hollandais et les
Génois y eussent autant de part. Ils envoyèrent des changeurs dans
tous les ports du Levant pour visiter l'argent qu'on apportait et
décrièrent cette monnaie, à la réser\'e du vrai coin de France qu'ils
réduisirent i 5 sols pièce'. » Marchands et capitaines s'entendaient
aussi très bien pour frauder les douanes du Grand Seigneur. A
Srayme, par exemple, la rue des Francs longeait le port et, sur les
derrières des maisons, les jardins s'.ivançaient jusqu'A la mer. On
employait les nuits à déciiarger clandestinement les marchandises de
valeur qu'on Elisait passer par ces jardins dans les magasins, en
trompant la surveillance delà douane. Les Turcs, qui soupçonnaient
ce manège, attendaient patiemment une occision puis se rattra-
paient par une grosse avanie. On voyait même parfois des capitaines
quitter le port avant de payer les droits de douane, sans se soucier
des avanies qu'ils attiraient immanquablement à la nation.
0) Chardin, t. I, p. 4-5. « Les plus communes avaient pour coin d'un côté
une lète de femme avec ces mois autour : yera lirtulif imago, et de Tauire
l'écu de France avec ceux-ci : Curretu (>er totam Asiarn. » — V . Lettre de ht
Haye à Colberi, <) octd're lôôf : « Tout le monde se plaint à .Marseille, du moins
les honnêtes gens, de ce que le sieur Bowell, qui a entrepris la fabrique des
piùccs de 5 sols les altère à un point qu'il y a ;$, îo et 55 o/O de diminution. »
— Deppixg. Corresp, adni., t. III, p. 59?, — 11 faut dire, pour excuser les Français,
que les Hollandais portaient en Levant des momuies aussi altilrécî que les piécCJ
de 5 sols; c'étaient lesasselanis ou al>ouquels. « Cependant, dit Chardin, les Turcs
ont si peu de discernement et de connaissance qu'ib estiment davantage cette
tnoiuiaie que celle d'Espagne. »
LES AVANIES
19
Toutes les Echelles n'eurent pas à souffrir également des exac-
ions; les plus èloignccs du Constatuinople y étaient le plus expo-
sées, p.u-LC qu'il était plusditficile de porter plainte à la Porte et que
ïes pachas y avaient plus d'indépendance. L'Egypte fut la terre clas-
sique des avanies; le pacha était un homme puissant; le Divan le
ménageait, car il redoutait par dessus tout une révolte de l'Egj'pte.
[1 y avait au Caire une nombreuse milice très turbulente qu'il fallait
payer et entretenir largement, le pacha avait donc de grands besoins;
tnfin la population détesLiit les chrétiens, beaucoup plus que dans le
[reste de l'empire, et encourageait les officiers du pays aux tyrannies
létaux exactions. Le consul du Caire écrivait, en 1630, i Bouthil-
lier : « J'ai demeuré autrefois vingt-trois ans en ce pays exerçant la
charge de consul ; j'en fus retiré puis j'y fus renvoyé au bout de
[trois ans, à mon grand regret. Dans mon premier séjour, j'avais déjà
[enduré beaucoup de peines, mais .\ mon retour j'ai trouvé les aflfliires
si empirées qu'il n'est plus possible de supporter les torts et la
tjrannie qu'on use envers les pauvres trafiquants. Je ne sais si des
[escbvcs en pourraient supporter davantage, et si d'aventure nous
nous prévalons du nom de S. M., nous entendons des paroles si
nulbéantes qui nous mettent au désespoir '. » Comme s'il n'y avait
[pas eu assez de ces maux, vers léjo deux consuls se disputèrent le
{consubt du dire; la nation se divisa en deux factions et chacune
'excita, par des présents, le pacha à chasser la partie adverse. Cela dura
plus de dix ans (1647-58) .m bout desquels le commerce d'Egypte
[était presque ruiné; les navires n'osaient plus aller ;\ Ale.vandrie, à
ausc des av.inies continuelles suscitées par ces brouillcries'.
Seide' et sa côte, depuis Acre à Tripoli, jouirent pendant vingt-
|scpt ans d'une paix profonde, sous la domination du prince Druse
Fakhreddin. Après sa mort (1635) ses deux (ils se montrèrent au
contraire d'une exigence insatiable. « Si cela eût duré la nation eût
été entièrement ruinée et aurait été obligée de faire banqueroute et
d'abandonner le pays*. » En 1653 les tyrannies du gouverneur
Hassan aga devinrent telles que la nation se décida à quitter Seïde et
(1) ta mai i6ju. AA, t^j.
(J) V. l'histoire de ces brouiilerics, chap. iv. — Pour les avanies continuelles que
subissait la nation d'Egypte, v. la correspondance consulaire AA, }0).
(}) La nation avait d'abord été établie à Tripoli, l'échelle lut transportée 1
Seide en 1612 ù la suite d'une avanie inémor.ib!e, V, p. 13.
(41 D'Arvieux, t. I, p. 389.
^
ao
LANARClIlt; COMMERCIALL
se retira Ji Acre. Elle ne revint que quand ce paclia fut parti, après
ses trois ans de gouvernement ' et ses successeurs ne valurent guère
mieux, puisqu'on 1656 et 1657 le pacha lit deux avanies de 24000
piastres et qu'il fut question ;\ Marseille de transporter définitive-
ment l'c-chelle ;ï St-Jean-d'Acrc*. A Barut une série d'avanies furent
causées par la rivalité des consuls d'Alep et de Scïde,qui prétendaient
tous les deux avoir ce vice-consulat sous leur dépendance'.
La correspondance des Consuls d'Alep est aussi remplie de
plaintes contre les pachas et les douaniers, surtout après 1650.
1 Ce pacha et les autres, écrit le Consul en 1654, prennent un
chemin à nous dire de six mois en six mois des avanies si grosses,
que Cela est capable de ruiner entièrement ceux qui ont ici quelque
fonds. II laudrait abandonner réchellc ou essayer d'apporter quelque
remède par M. l'Ambassadeur* ».
En se rapprochant de Constantinople, les avanies devenaient plus
rares. A Quidie, à Chio, et dans les autres îles de rArchipel, les
marchands n'avaient guère i se plaindre que de la fréquence des
présents. Smyrne était, s.ans contredit, l'échelle la plus tranquille :
les Francs y étaient en bien plus grand nombre, ils restèrent tou-
jours en bons termes avec h population qu'enrichissait le commerce
et surtout il n'y avait pour gouverneur qu'un simple aga et peu de
troupes. Q.uant à Constantinople, les ambassadeurs eux-mêmes n'y
furent pas toujours .\ l'abri des vexations.
Lii nation française n'était pas la seule ;\ supporter des avanies,
mais elle en paya plus que toutes les autres. Les Anglais , les
Hollandais et les Vénitiens avaient compris de quelle façon il fallait
vivre avec les pachas et ils savaient généralement éviter de trop
grosses vexations, en prévenant leurs désirs par des présents souvent
réitérés, ou en les satisfaisant sans protester. Les Français, au con-
traire, par leurs résistances la plupart du temps inutiles, ne faisaient
qu'augmenter les exigences des pachas et de plus irritaient leur
malveillance, Le pacha d'Alep, à la suite d'une querelle de ce genre
(i) D'Arvieux, t. 1, p. 262-69.
(2) BB, t. 3S juillft i(>S7, S »oi'emhie 16$"]. DéliMaliûiis dt la Chambre.
(3) V. Corrcslvmhnu consiilaiie, A A, }6^, — DU, 26. Correspoudatice Je la
Clumhre : lettrts de i(>j6, 7. S juiii, ek. 24 dkemhe if'SS, — n".\Rvniex, t. II,
p. 355-^5 : Hi^loiie du clfick viiironilf Aboii Kaiiftl , créé vice-consul .i ftirut;
il coûta plus Uc lOp.cxKJ ccus :'i l;i n.iik)n.
(4) AA,j6.f, Il août 16^4. — V. les Plaintes contrcie douanier Bédic eu i6ic».
V. ce que r.iconie La Boullayc le Goui; d'un .lutre douanier vers 1648, p. 547.
LF.S AVAKIES
21
qui avait durL* plusieurs jours, disait au Consul « qu'il savait que
les Français étaient de la même nature que les huîtres, dont on ne
saurait rien tirer, à moins qu'on n'enfonce le couteau bien avant
entre les écailles; que, de toutes les nations qu'il connaissait, la
Françiisc était celle qui savait le moins vivre en pays étranger;
qu'il se serait contente d'un bouquet de fleurs donné par amitié,
mais que puisque nous étions plus contents d'être dépouillés que de
céder un mouchoir par amitié, il savait vivre avec nous de manière
qu'il nous apprendrait à vivre avec lui'. » « Nous n'avons
jamais accoutumé, écrivait un Consul h Marseille A ce propos, de
remédier aux affaires que lorsqu'elles sont désespérées* »; mais,
malgré les avis et les dures leçons de l'expérience, les Français
n'apprirent pas .\ prévenir les avanies.
Celles-ci étaient en outre rendues bien plus ruineuses aux Fran-
çais par la façon dont ils les payaient. « Les Anglais et les Hollan-
dais savaient faire d'avance un fonds d'argent suffisant pour parer ;\
ces dépenses extraordinaires. C'était une règle établie que toutes les
marchandises, qui venaient aux échelles du Levant sous Li bannière
anglaise, payaient 2 o/o pour les dépenses futures de la nation. Cette
taxe produisait des sommes plus considérables qu'ils n'avaient occa-
sion d'en dépenser, et les mettait en état de primer et d'étouffeV
dans leur naissance les mauvaises affaires qui leur arrivaient sou-
vent. » Il était interdit .\ leur ambassadeur et ^ leurs consuls d'éta-
blir jamais aucune taxe sur le commerce sous prétexte d'avanie'.
Chez les Français, les députés de la nation n'avaient jamais dans
leur caisse que des sommes insuffisantes pour payer les avanies, ce
qui explique leurs répugnances :\ les accepter. Il fiillait généralement
emprunter aux préteurs indigènes, souvent juifs, à changes lunaires,
c'cst-i-dire à des taux énormes qui s'élevaient parfois â 25 0/0 pour
six mois, si bien que les intérêts .irrivaient en quelques années à
doubler le capit.1l emprunté *. Pour faire cesser les changes lunai-
0) D'Ar VIEUX, t. VI, p. 2 55.
(j| l^ltre lin consul it'Alep aux consuls de Marseille, S mars 162}. AA, }6).
(î) D'.\kvieux, t. I, p. .42. — Savary. Dictio.iiiaire col. 1413-14.
(4) j\insi, pour liquider les dettes de M. de Ccsy, il fatbit loo.ooo livres envi-
ron, « J'ji oui dire A des gens qui le savaient bien, rapporte Chardin, que ces
100. ooi) livres furent remboursées si tard, que l'intérêt montait à trois fois .tutiint
que le capital, de manière que cette avanie coùt.i prés de 150.000 écus à. la
anion. » (I, p. (>). « Les changes à .Scyde s'élèvent à 2, 5 et jusqn'.i 4 0/0 par
Itinc. I BB, I. 29 avril tCfS, Delib/tvlionde la Clfambre,
22
L ANARCHIE COMMERCIALE
I
res, les consuls prenaient l'argent nécessaire sur les navires qui
arrivaient à l'échelle, c'est ce qu'on appelait une avarie '. Le montant
de l'avarie était ensuite reparti entre les chargeurs des navires qui
l'avaient pajcc, selon la valeur des marchandises qu'ils y avaient.
Ceux-ci remboursaient les capitaines qui avaient fourni l'argent et fl
devenaient les créanciers du corps du commerce. Li dette n'avait
fait que passer de l'cchelle A la Chambre du Commerce de Marseille,
mais on avait échappé aux changes lunaires. La levée de ces
emprunts forcés qu'on appelait des avaries donnait lieu à de très-
graves abus, par suite de l'arbitraire avec lequel on y procédait dans
les Echelles; elle excitait des plaintes très-vives, car les marchands qui
envoyaient de l'argent dans le Levant se trouvaient ainsi subitement
empêchés de ùire les opérations sur lesquelles ils comptaient.
On ne pouvait employer ce moyen pour liquider les dettes des
échelles, quand elles étaient considérables, car les navires désertaient
celles où ils se savaient exposés à de grosses avaries. Quand une
échelle était trop engagée, il fallait demander i la Chambre du ^j
Commerce l'établissement d'une taxe sur les marchandises qui y S
étaient chargées. Mais la Chambre elle-même devait demander
l'autorisation i la Cour, puis, la levée de ces taxes étant affermée, il
fallait trouver un adjudicataire. Apres de longs délais, la perception i
■commençait, les dettes de l'échelle allaient Être payées. Il n'en était ■
rien trop souvent : par suite de nouvelles dépenses, de l'intervention
de ram'D.assadeur ou du consul, ou de la friponnerie des fermiers,
les deniers étaient détournés de leur destination; après plusieurs ,
années de la levée d'une taxe destinée à libérer l'échelle, on appre-^|
nait \ Marseille que l'argent était passé en grande partie ailleurs.
Alors lesMarseilbis envoyaient une dépuration au roi pour se plain-
dre et demander la déchéance du fermier. Celui-ci protestait de la
fausseté des accusations dirigées contre lui ; il fallait commencer une
enquête longue et difficile, par suite de la distance des échelles et de
la contradiction des témoignages et il s'engageait entre la Chambre
du commerce et les fermiers d'interminables procès. Quand
l'échelle était enfin libérée de ses dettes, il s'était écoulé des années
pendant lesquelles les changes lunaires avaient continué A courir.
(i) D.ms beaucoup de documents les mots av.inie et avnrie sont souvent
employés indilîércmment l'un pour l'.iutre. Ils avaient pourt.int un sens très
(liiïiireitt. Ce qui explique la confusion, c'est que l'avarie se produisait généra-
lement à la suite d'une avanie.
I
LES AVANÎT-S 25
Des aAranies continueront ;1 troubler le commerce plus de 20 ans
après qu'elles s'Ctaient produites et coûtèrent plus de trois fois ce
qu'elles avaient rapporté nu paclia'.
Par suite d'un système aussi défectueux et d'une confusion aussi
inexprimable, les Kciielles se trouvèrent, pendant la première
partie du xvii' siècle, presque toujours endettées, souvent pour des
sommes considérables. Les consuls de Marseille écrivent au comte
de Brienne, le 14 mars 165 1 : « Il est de notre devoir de vous
donner avis du déplorable état auquel se trouve le commerce, par
l'engagement presque général de toutes les Echelles»*. En 1661,
Alexandrie qui n'avait presque pas cessé d'être imposée pour payer
SCS dettes, devait encore 250.000 piastres'. En 1654, l'échelle de
Seïde devait So.ooo piastres dont elle ne parvenait pas à se libérer,
malgré l'assistance financière de la Chambre du commerce '. Les
navires ne purent partir pour Alep, en 1651, car, à cause des dettes
de la nation qui s'élevaient à plus de 30.000 piastres, les capitaines
étaient exposés à voir saisir leurs fonds par le pacha'. Aussi les
Marseillais, acciblés par tant de pertes réitérées, disaient-ils que
c'étaient les avanies qui avaient réduit le commerce dans le piteux
état où ils se trouvait vers ié6o*'. Les avanies auraient, en effet,
suffi \ expliquer sa ruine, mais, malheureusement pour eux, d'autres
maux non moins cruels avaient contribué à la rendre plus complète.
(1) Voir par exemple l'histoire du S o/o d'Alexandrie, Ju j 0/0 d' Alep et sur-
tout t'intcrmiiiablc liquidation des dettes M. de Césy. (Voir chapitre IQ).
(2) BB,i6.
(}) 3 ieptrmhrt 1661. liB, 26,
(^) D"Arvieux, 1. 1, p. 269. — En 1658, laClumbre lui envole 25000 piastres
ur faire cesser les changes lunaires, f] juin s6$S. BB, 36. — « Nous avons
Éuni une .isçeniMéc pour tâcher de vous tirer de ces immenses usures lunaires,
mais il l'.iut aussi Je votre côté vous y aider » /./ fh'rùr 166 1 , BB, 36. Lettre de la
Chambre à la ttalion de Stide .
(5) Arch. Comm. CorresponJatice. Lettre des Consuls de Marseille à Ycard, avocat
au Conseil, iH février j6jt, 2/ avril tâjr.
(6) Chardin, t. I, p. 6.
CHAPITRE II
LA PIRATERIE
La première moitié du xvii* siècle fut une belle époque pour la
piraterie. Chrétiens et musulmans, Turcs, Barbaresques, Maltais,
Italiens, Français, Majorquins et Espagnols s'y livraient à l'envi
dans la Méditerranée, et si chaque nation s'indignait des ravages
exercés sur ses côtes ou de la prise de ses navires, elle pardonnait
aisément à ses corsaires quand ils ramenaient leur butin dans ses
ports. C'est en vain que les puissances concluaient des traités de
commerce, où elles s'interdisaient réciproquement la course, et que
les rois publiaient des édits pour les faire observer. La mer, dit avec
raison d'Avenel, éveille l'idée d'une vaste forêt de Bondy où les
voleurs seraient aussi nombreux que les voyageurs. Aussi ceux-ci ne
s'y risquaicnt-ils que s'ils y étaient forcés; quant aux négociants
qui y exposaient leurs marchandises et aux marins qui les condui-
saient, c'était un vrai jeu de hasard qu'ils pratiquaient, plutôt qu'un
commerce régulier. Quand M. de Seguiran vint inspecter les côtes
de Provence en 1633, un marchand d'OUioules vint lui présenter
un projet pour combattre la piraterie : il avait vu ses marchandises
prises trois fois par les Barbaresques et lui même avait été deux fois
retenu comme esclave '. Le voyageur Deshayes parlant des quatre
routes qui conduisaient à Constantinople, dit « qu'il ne faut choisir
la route de mer qui est la moins coûteuse que si on y est forcé, a
cause des corsaires qui attendent entre Candie et la Morée », et le
Hollandais Spon* n'ose pas aller par mer de Constantinople à
Athènes. Sur mer, les capitaines s'attendent à tout moment à ren-
contrer un ennemi : aperçoit-on au loin un navire, vite on se
(i) Seguiran, p. 275 {Corresp. de Sotirdis. Coll. Doc. lu.)
(2) Deshayes. p. 455. — Spon, t. I, p. 273.
LA PIRATERIE 2,
détourne de sa route pour se dérober, car c'est peut-être un corsaire;
1.1 rencontre est-elle inévitable, les deux navires se préparent tous les
deux au combat, même s'ils portent des pavillons amis, car ils
redoutent une ruse de guerre et on ne désarme que quand on s'est
dûment reconnu, après avoir parlementé â distance. Il n'y a pas de
relation de voyage dans le Levant, A cette époque, où l'on ne
trouve un ou plusieurs récits de ces branle-bas de combat: mariniers
Cl passagers se hâtent alors de débarrasser le pont de ce qui l'encom'
brc, on apporte des matelas et des hardes pour former des remparts,
derrière lesquels se pl.iccnt les hommes armés de la mousqueterie
du bord, tandis que les autres vont se placer autour des canons et
des pierriers '
Toutes les ijoici; cuiicn: tnen.icecs par les corsaires, mais il Irc-
quentaient particulièrement certains parages que devaient traverser
les navires. Entre Malte et le cap Blanc ils gardaient l'une des entrées
des mers du Levant, mais c'est entre Qindie et la Moréc, particu-
lièrement « sur le Cerigue » ou A la Sapience, c'est-à-dire .S la pointe
de Cerigo ou au large de Modon, qu'ils se tenaient en plus grand
nombre, car c'était la route de Smyrne, suivie par le plus grand
nombre de navires, et aussi celle de Constantinople et de l'Archipel.
Dans cette dernière mer, ils occupaient les passages les plus fréquen-
tés. Sur la côte d'Asie Mineure on redoutait les « Bogas de Samo »,
c'est-à-dire l'entrée du golfe de Smyrne. Entre Chypre et Satalie,
les corsaires guettaient les bâtiments qui se rendaient ;\ Alcxandrctte,
;\ Tripoli ou à Seïde ; au mont Girmcl, ils attendaient ceux qui
nllaient de Syrie en Egypte. D'Alexandrie ou de Ro-setie, on pou-
vait les voir presque en permanence, épier l'arrivée ou le départ des
navires. Même les Barbarcsqucs ne se gênaient pas pour entrer et
séjourner dans le port d'Alexandrie, en dépit des capitulations; ils
s'y ravitaillaient et osaient même venir y vendre leurs prises*. Les
\-aisscaux fran<;ais étaient attendus dés leur départ, aux abords des
(i) Fcrnianclcst poursuivi trois fuis (p. 240-24;. 4>2). — Coppin est poursuivi
deux fois et pris, (p. 1 59, 369). — D'.'\rvitux (I. 32, III. Î7-|.| Tavcrnier (p. 160,
2J9) sont poursuivis a deux reprise». — ■ Tlicveuot est pris deux lois, etc.
(2) « l.e port d'.Mexandrie est le refuge de touit ie% ci>rs;iires de Barbarie, ils
vont tous avitailler !.<.... ils épient les v.iisseaux des Tnareh.inds et quand ils sont
prêts à partir, il les vont attendre .^ la mer, et s'il arrive, comme il arrive souvent,
' qu'ils retournent nu dit Alexandrie avec des esclaves français, ils ne les veulent
point rendre, quelque» plainte* que nous fassions.... encore que nous ayions de
Dons commandements ci les capitulations ». — lyllrt ilu comiil du Caiif U /'•"<•
Unilier, la mai lôfû. AA, i"j.
26
L ANARCHIE COMMERCIALE
côtes de Provence et particulièrement auprès des îles d'Hyères.
Fermancl r.icontc qu'il dut aller s'embarquer \ Cannes, au lieu de
Toulon, parce que les corsaires étaient au i les d'Hvèrcs et Tavernicr
fut poursuivi au sortir même de Marseille. Les Barbaresques faisaient
même des descentes sur la côte et opéraient des rafles de prisonniers
qu'ils emmenaient en esclavage. Aussi sur toute la côte de Provence,
de Bouc ;\ Antibes, il y avait de distance en distance des tours, où se
tenaient toujours des hommes de garde, qui prévenaient de l'appro-
che des galères ou vaisseaux en allumant un ou plusieurs feux,
suivant leur nombre. « Tous les soirs à l'entrcc de la nuit, rapporte
M. de Seguiran, fl mesure que la garde du cap et terroir de Sifour
fait feu et allume sou fagot, celle dudit la Gotat en fait de même et
ainsi est continué en toutes les autres et semblables logettcs, jusqu'à
la tour de Bouc et c'est le signe qu'on fait assure qu'il n'y a aucun
corsaire i la côte; que s'il yen avait reconnu quelqu'un, ladite logette
ferait deux feux et consécutivement toutes les autres qui sont depuis
Antibes jusqu'ù la tour de Bouc : ce qui est fait et achevé en moins
de demie heure de temps ' » .
La plupart des consaircs cependant n'avaient que de petits vais-
seaux; les plus puissants portaient de 55 à 40 canons, mais les
autres étaient beaucoup moins armés et incapables de lutter contre
les vaisseaux de guerre des marines d'alors. Ils étaient bien supérieurs
en force, pourtant, aux navires provençaux, dont les mieux armés
n'avaient guère que 10 à 15 canons et quelques pierriers. Mais
c'étaient surtout leurs nombreux équipages, de 100 à 200 hommes
déterminés, qui donnaient l'avantage aux corsaires sur les Provençaux
dont les plus gros vaisseaux n'avaient que 50 ;\ 70 hommes, et la
plupart 20 à 30 seulement*. Quant aux polacres, barques et
tartanes, elles ne pouvaient se défendre que contre les petits corsaires
I
(i) Inspection Je M. de Seguiram en 1633, p. 258-259, 384 (Corresfvnd. dt
Souniis. Coll. Doc, In.j Les principales tours étaient i Bouc, au Bec de l'aigle de
la Ciotat, au cap Sicié, au cap Bènat et à Antibes.
(2) Voici l'armement de quelques gros vaisseaux que M. do Seguiran trouva
au port de Marseille : 10 two quintaux, 16 canons de fer, 4 pierriers de bronze,
24 mousquets, 24 armes d'haste, 650 boulets, 70 hommes (ce vaisseau était d'une
grandeur extraordinaire). — 7.000 quintaux, 10 canons de fer, 6 pierriers, 24
mousquets, 24 armes d'haste 50 nommes. — j.cxxi quintaux, 2 canons, 6
pierriers de fonte, 12 mousquets, 12 armes d'haste 24 hommes. — 5.000
quintaux, 6 canons, 4 pierriers, 18 mousquets, 12 armes d'haste. — Polacre de
2. 500 ^x, 2 canons, 5 pierriers, 10 mousquets, 21 hommes.— Polacre de 1.800
qx, 4 pierriers de bronze et 2 de fer, 12 mousquets, 6 armes d'haste, 18 hommes.
— Inspection de Seguiran, p. 234-235.
LA PIRATERIE ij
de leur force, c't-uit il est vrai le plus grand nombre. Les Hollandais
et les Anglais, au contraire, n'envoyaient dans la Méditerranée que
de gros vaisseaux capables de nisistcr \ l'attaque d'un corsaire ; de
plus ils navljjuaient gcncralcmcnt de conserve, formant des convois
sous la conduite d'un ou de plusieurs vaisseaux de guerre, aussi leur
commerce se faisait avec beaucoup plus de sdcurité. Le seul avantage
des vaisseaux de Provence était leur légèreté et leur vitesse supé-
rieure ; aussi les corsaires ne les prenaient-ils jamais quand ils
allaient en Ircant, mais au retour ils étaient tellement chargés et
embarrassés qu'ils devenaient pour eux une proie flicile. Il fiiut
reconnaître que, même quand l'infériorité de leurs forces était
notoire, les Marseillais se laissaient rarement prendre sans combat.
Si des Ciipitaines se rendaient devant une simple sommation pour
éviter les vengeances des corsaires, leur lâcheté était publiée à Mar-
seille et ils avaient à craindre d'être poursuivis pour avoir manqué
i leur devoir. Souvent, au contraire, capitaines ou patrons se
défendaient avec achamement et les consuls de Marseille récom-
pensaient par des gratifications leurs actions d'éclat. En 1610 l'as-
semblée de la communauté de Marseille avait décidé d'établir un
excellent règlement : tous les ans on ferait trois flottes de vaisseaux,
de 4 mois en 4 mois, dont la moindre serait de 6 bâtiments qui ne
.se pourraient point séparer, soit en allant ou en retournant, sous
quelque prétexte que ce fût. Tous les vaisseaux seraient bien munis
d'hommes et d'armes pour se bien défendre'. Mais, ce règlement,
comme tous ceux de ce genre qu'on essaya d'imposer aux Pro-
vcnç-uix, ne fut pas longtemps maintenu, s'il fut jamais exécuté '.
I^cs .issuranccs permettaient bien aux armateurs et aux chargeurs de
supporter les pertes de navires sans en être accablés, nuis elles
augmentaient les frais du commerce et en diminuaient considérable-
ment les bénéfices. Grâce au malheur des temps, le service des
assiir.iiw-es ninritinus nvait pris en Provence une grande extension et
(») Rurn. p. -tjj-36-
(31 V. Registre I des insinuations de TAmirautù de M. : Enregistrement d'un
1 _„^^ cmn les di'putiîs du commerce de Marseille et le capitaine Simon
in termes duquel led. Dansser armera en guerre \ vaisseaux pour escorter
A. ,>,.;, .ç mjrchaiids, 28 août 1610, fol. 291. — Qmimission donnée
KTal de l'amir.nutO de ValbcUc d'Huc au capitaine f-'rançois
>- ■■■■ ■ — . ,- - ..'lumandci les soldats formant l'escorte des navires marchands
désignés plus Jjjut, in novembre 16 10, fol. 297. — Anhiv. Df'parl. des B.-du-Rh.
2S
L ANARCHtE COMMERCtALE
beaucoup de Marseillais, même les gcntîlhommes, y employaient
leurs capitaux. Ce service, réglé par l'usage et surveillé par les consuls
et les députés du commerce, fonctionnait beaucoup plus régulière-
ment que dans les a uta'.s villes du royaume.
De tous les corsaires, les Barbaresques étaient de beaucoup les plus
\ redouter pour les Provençaux. La première moitié du xvn'' siècle
tut l'époque de la plus grande puissance de leurs républiques, Alger,
la plus prospère, comptait environ loo.ooo habitants et la course
était devenue leur seul moyen d'existence'. Ses reïs ou corsaires,
presque tous renégats, étaient devenus de plus en plus nombreux;
leur ilotte qui se composait déjà en 1580 de 35 galères et 25 bri-
gantins ou frégates, sans compter une grande quantité de barques
armées en course, s'était accrue considérabk'mcnt, car en 1620,
on vit sortir du port plus de 300 reïs dont So commandaient
de grands vaisseau.v*. Dans les guerres du xvi" siècle ils avaient
acquis la réputation méritée d'être les meilleurs et les plus braves
marins de la Méditerranée et leurs galères, par leur armement, le
soin et la discipline des équipages, avaient une supériorité marquée
sur les galères chrétiennes. Plusieurs milliers de juifs qui résidaient
il Alger leur achetaient le produit de leurs prises et le revendaient .'i
leurs coreligionnaires de Livounit", ou même à des chrétiens et quel-
quefoisà des marchands de Marseille qui y faisaient de gros bénéfices.
Les consuls de Marseille s'en plaignirent plusieurs fois au roi et c'est
pourquoi ifs demandaient l'interdiction de tout commerce avec la
Barbarie*, k Si les chrétiens, écrivaient-ils au roi, n'achetaient
pas les marchandises prises par ceux de Barbarie leurs pirateries
cesseraient bientôt mais les sujets du roi d'Espagne, même ceux
de Maillorquc, Minorque et Sardaigne vont ordinairement en Alger
et Tunis acheter les marchandises dérobées comme font aussi ceux
(1) Voir au sujet de la situation d'Alger au début du xvii* siècle l'intL-rrcssant
ouvrage de De Grnnimont. — Cf. Plantet. Coirespondattce.
(2) Le II nurs 1623. 61 navires partaient ji la fois en co\iric(Areh. Cfunibre.
AA. so/). En r6î6, le P. D.in dit qu'ils avaient 70 vaisseaux de 40 à 25 pièces
de canons « tous les mieux armés qu'il fut possible de voir, d II faut y .ijouter au
moins le double de petits bùtiments de rame (De Grammont, p. 18;). Le Mer-
cure de France estimait le nombre de leurs corsaires à huiciante-cinq. (Plantet,
p. 17. Mercure de Fratue, VI, .170).
(}) V. ArJi. Chumh. Hfi, 4, 22. — Voir dans les registres de l'amirauté de
Marseille de nombreuses ordonnances d'iiuerdiction en 160.)., 1607, 1611, 1615,
fol. «55, 198. 506, 352, 357. Arcb. Di'part dfs B.-dn-Rh.— \'.Çi\T. 1618 (////, /),
juillet 161J, (Arch. Comm.}, octobre i6}i (HH, .f), septembre i6j8 {HH, /).
LA PIRATERIE
29
JcNicet'i dtr Vilicfranche, mais plus frcqueinnient ceux dcLivoume,
M. le Gr.ind Duc permettant que toute sorte de nations fasse le trajet
Je Barbarie et Livournc et y porte les dites prises'.» Un religieux
Récollet esclave à Tripoli écrivait aux consuls de Marseille au sujet
de ces patrons de barques qui venaient acheter les produits des
prises et les portaient à Livourne : « Leur ayant demandé de quelle
conscience ils osaient faire ce initier, ils allèrent jusqu'il dire que
le pape était le beau premier qui autorisait ces brigandages, et que
s'ils s'en allaient ;^ Civiu-Vecchla avec leur barque^ ils y seraient les
bien venus et aussi bien reçus qu'à Ligourne que cent autres en
faisaient autant et plus tous les jours, ;\ Tunis et en Alger, Enfin,
leur disant comment ils feraient pour se confesser, ils me faisaient
réponse que pour 1/4 de piastre ils trouveraient plus de prêtres qu'ils
n'en voudraient'.»
La taïffe, ou corporation des reïs, devint alors la vraie maîtresse
d'Alger. C'étaient eux en effet qui faisaient vivre la République.
C'est sous l'influence des reïs renégats qu'Alger s'atlVanchit de plus
en plus de l'obéissance ik la Porte; ce sont eux qui rendirent inutiles
les nombreux commandements que, depuis de Brèves, nos ambassa-
deurs obtinrent pour leur interdire la course sur les vaisseaux fran-
çais'. Toute paix était devenue impossible A observer pour les Algé-
riens; vouloir la leur imposer c'était leur demander de se condamner
eux-mêmes X la ruine. Les pachas se trouvèrent alors dans une sin-
gulière situation, exposés .\ un double danger de perdre leur tète:
s'ils laissaient trop ouvertement violer la paix avec les Français, les
plaintes des ambassadeurs pouvaient les faire destituer, comme il
arriva en I<îl9'; s'ils voulaient la maintenir, ils provoquaient le
mécontentement des reïs et de la milice, outre qu'ils perdaient un
grand profit. Dès lors, ils changèrent de tactique et se mirent à épier
soigneusement les moindres infractions i la paix, pour les transfor-
mer en un casusbelliet se donner un prétexte plausible pour recom-
(t> Miwcirf ail roi t^ juillet tôij, HH, i. (En marge) ; S. M. répond qu'elle
&:rira à ses ambassadeurs et .igents rilsidant auprès de ces princes.
(2) ^J, }JS, î; avril {(<}.(.
<J) V. Lrttit tif Si lie Ciiy, lo *f/fUiiih,' 1624, AA, 14]: « Ces ^ens-ci, dit-il, tic
veulent ni ne peuvent cli.Uier ceux de Barb.irie, vu que c'est maintenant leur
bra> dfoit et la princiale force (ju'ils aient par mer. » — Voir une série d'autres
Ictiresdc 1624. AA, 14].
(4) Lettre tU CoiiHanlinopk aux consuls de Maneilli:, ju imirs ;6;y. AA, 16S.
30 L ANARCHIE COMMERCIALE
mencer leurs larcins suns risquer leur tète*. » Il faut dire que les
occasions de rupture ne manquaient pas aux pachas, les Français ne
montrant pas plus de respect pour la paix que les Algériens eux-
mêmes. Nos corsaires, Toulonnais pour la plupart, se souciaient peu
de l'observer, car elle ne profitait qu'aux Marseillais leurs rivaux. Les
consuls de Marseille entendaient mieux les intérêts du commerce
et les délibérations des Bureaux du commerce montrent qu'ils tai-
saient tous leurs efforts pour bien accueillir les Algériens qui venaient
dans nos ports*.
En 1609 la fuite du corsaire flamand Simon Dansser ou Dansa
qui, après avoir foil longtemps la course :\ Alger, vint s'établir en
France, et l'enlèvement de deux cinons^ qu'il vendit au duc de
Guise, fut le prétexte d'une guerre qui dura vingt ans. Marseille,
douloureusement atteinte dans son commerce, résolut de se défendre
elle-même et arma des galères dont le commandement fut donné à
M. de Mantin et .\ J.icques de V'incheguerre, chevalier de Malte;
ces deux hardis marins firent bientôt redouter leurs noms sur la cote
d'Afrique. En l6l6, les Algériens voyant se continuer ces arme-
ments, se décidèrent ;\ traiter et envoyèrent deux députés ;\ Mar-
seille. Les pertes des armateurs français s'élevaient déjà à 3.000.000
de livres sans compter la valeur des captifs*. La paix fut jurée dans
une grande assemblée, en présence du comte de Joigny, général
des galères de France. Mais les députés envoyés de Marseille pour
la faire ratifier et échanger les captifs furent fort mal reçus p.ir le
divan et la milice et obligés de se rembarquer rapidement, car on
menaçait de les m.iltraiter". La cour se décida, en 161 S, .\ faire un
puissant armement, dont le duc de Guise exposa le plan dans une
grande assemblée à Marseille*. Les Algériens, effrayés, envoyèrent
(i) De Grammos:t, p. i}5.
(a) .Irch. comniiéiiaks J( M. Dilthiralions, 3} stbtcmbrt i6aj : Fournitures de
vivres et J'agrcs faites aux galères algériennes mouillées aux iles.
(5) V. Dt Grammokt: Le4 deux can,ms Jt Smoii Dama. Alger, 1879.
(4l De 1611 à 161 }, d'après une liste drt-ssée par les députés du commerce au
grcfi'c de l'amirauté, les Algériens avaient pris ) vaisseaux, 1 polacrc, 3 barques et
] tartane. A.1, J44. — « En i6t6 les corsaires d'.\frique prirent tant de voiles
sur la ville de Marseille dans sept ou huit mois que la perte égala i j ou iSooooo
livres.» Ruffi, p. 458.
(j) Arcl. commun. Dilibcratiom. 16 «■//. 1616, ij août ijij, t) nov. j6ij,
(6) AiitmbUf du 13 juilltt i6iS. Arch. commun. Voir Registre J âts Jiisinitali<ms
âr l'amirauti, fol, fo-i, joS, deux arrêts du Conseil ;\ ce sujet.
LA PIRATERIE
Je
deux ambassade
faire la
fut
nouveau deux ambassadeurs pour laire la paix qui lut conclue
après un an de négociations' et les préparatifs étaient faits pour le
retour des négociateurs à Alger quand une catastrophe imprévue
vint rallumer la guerre.
La nouvelle arriva à Marseille de la prise d'une pobcre par les
Algériens qui avaient mis ù mort tout l'équipage dans l'espoir qu'il
n'y aurait personne pour révéler cet odieux attentat. Aussitôt, la
populace furieuse se porta sur le quai, aux maisons où les ambassa-
deurs algériens étaient logés avec les esclaves qu'ils devaient rame-
ner, et les massacra malgré les efforts des consuls'. En vain le Parle-
ment de Provence, le 21 mai 1620, condamna à mort quatorze des
chefs du mouvement et en envoya d'autres aux galères, une émeute
formidable éclata à Alger le 8 août; il fut un instant question de
brûler vifs le consul et les résidents français et la guerre recommença
sans merci. Le commerce français essuya des pertes d'autant plus
grandes que tous les vaisseaux marchands étaient sortis dts ports sur
la foi des nouveaux traités. Le général des galères Emmanuel de
Gondi partit en croisière A la fin de juillet 1620 et prit ou coula six
gros vaisseaux aux Algériens, mais il eût fallu agir contre la ville
elle-même pour obtenir un résultat sérieux.
L'année suiv.inte, les consuls de Marseille s'adressèrent A Louis
de Prévôt sieur de Bcaulieu, vaillant capitaine qui commandait la
galère du duc de Guise. En deux mois de croisière, pendant la plus
mauvaise saison, il s'empara successivement de trois vaisseaux et
d'une barque, il avait diminué les forces d'Alger de 530 marins.
Puis les Marseillais firent un armement de trois vaisseaux comman-
dés par Théodore de Mantin, vice-amiral des mers du Levant, pour
convoyer les navires marchands ; de Mantin soutint devant Syracuse
un combat furieux contre cinq corsaires algériens et sauva le convoi
qu'il escortait*.
Le Divan d'Alger qui s'était préparé cette année-li « .1 armer
huictante navires de guerre, aux fins de saccager La Ciotat,
(t) V. Dilibéralions des iS et J3 décembre lùtS, if janvier 161^, 16 octobre lônj,
1 janvier 1620, i"fhrier 1620. Aich. commun.
[2) 14 mars 1620. V. .'tssemblh du ts murs 1620. Arch, commun. — V. DE
Crammost : Histoire du massacre des Turcs à Marseilleen 1620. Paris, Champion,
1879, tn-]6.
(}1 V. Archiv. Commun. Délibérations, i S décembre 1621, 9 mars 1612. — V.
RuFFi, p. 463-466. — Le duc de Guise, amir.il du Levant, avait fait voter un
^rinà armctnent dans l'Asieniblèe du 8 novembre 1620, nuis il n'eut pas lieu.
Mylb
32
L ANAKCMIE COMMERCIALE
Cassis Cl louie la Provence, mettant 6.000 hommes en terre »',
n'avait jni accomplir ses desseins. Cependant le roi s'était adressé à
la Porte et les démarches actives du comte de Césy firent décider
renvoi à Alger de Soliman, tchaouch du Grand Seigneur, en 1622'.
Mais celui-ci négocia pendant toute l'année 1623 sans rien obtenir
et les commandements de la Porte, renouvelés avec plus de force,
furent en vain signifiés aux Algériens, en 1624, 1625 et 1627 *.
Pendant ce temps les Barbaresques n'avaient pas cessé leurs ravages.
Alors même que leurs députés séjournaient à Consiantinople, ils
« étaient à Scio et encore plus prés A garder les passages, ne laiss;int
passer aacun vaisse;iu sans lui donner la chasse et ayant même été
dans le port de Scio attaquer et barques et vaisseaux français. »
Pour les en éloigner, le Sultan irrité dut les menacer de les fiire
couler par la forteresse de Chio. L'ambassadeur profita du mécon-
tentement pour faire prendre une décision énergique : « Ce matin,
écrit Césy le 10 novembre 1627, en présence de Sa Hautesse, il a
été décidé de faire venir le casteian de Pogia pour être châtié d'avoir
reçu une prise sous la forteresse du G. S. et d'envoyer un aga par
tous les lieux maritimes depuis Satalie ;\ Durazzo défendre sous
peine de la vie aux Beys et Cistelans de recevoir les corsaires et
même leur refuser l'eau et le biscuit comme A des rebelles » *.
Enfin la paix, signée par Sanjon Napoilon, le 19 septembre 1628,
vint rendre au commerce la sécurité que l'autorité du Sultan était
impuissante à lui assurer. Les pertes du commerce français avaient
(i) iMlre du Consul Chain aux Consuls lUMaisdUe. A A, 462.
(2) V. Lettres de M. d( Cesv aux Citusiils de Marseille, ij septembre /<«23, if
noirmbre, 7 décembre 1631. AÀ, 14},
(î) En 1624, le sieur Vcnéricr est envoyé à Alger .ivcc un cipiJji. (V. Lettres
de Cèsy. AA, 14}. — En 162) , les Algériens eux-mêmes, alors en guerre avec les
Angl.iis et les IIolLinJais, menacés en outre par un grand armement que prépa-
rait le duc de Guise, envoient des députés d Marseille pour traiter. (Aichiv.
Commun. Delib. du 16 Jèvrit-r el 21 mars i('2j). linlin Sanson Napoilon, envoyé
•^ Consiantinople Jés U>2}, va négocier la paix à Alger, 162^. — V. I.i-oS
DouKGUÉs. Sansmi S'iipolhii. — Dii Giiammont : Lti mission de Sanson Napollcti.
(4) Lettres de Ce'sy aux Consuls de Marseille, } mars it>2j, 1 j avril i62j, 10
novembre tb2'/. AA, 14}. — Le Sultan n'était d'ailleurs pas mieux obéi par ses 1
officiers que par les Barbaresques, témoin la lettre que Césy écrit quelques mois
après, le 6 mars 1628 : « Ces jours-ci voyant que Scio. Foggia et autres lieux de '
déi;i devenaient une petite Barbarie, je pris occasion d'exclamer sur ta prise de 1.1
polacrc J'ai olneiiu que le châtelain de Foggia avec le bey, le chi.iya, le navp
cl Y'A^i de Scio seraient amenés à cette Porte où je les poursuis vivement les
ayant fait mettre en prison. Les ministres du G. S. les pinceraut rudement par
la bourse. » AA, 14}.
I
I
LA PIRATERtl
33
L-iii t-nomics dans cette seconde période de l.i guerre: de 1613 i
1621, les corsaires avaient ramentl- 936 bAtiments dans le port
d'Alger. Encore n'est-ce pas le nombre total des prises, car ils ne
se donnaient souvent pas la peine de remorquer les vaisseaux qu'ils
avaient pris, mais ils les coubient à fond ou les incendiaient. S'il
faut en croire Isaac de Razilly, il y avait, en 1626, près de 8.000
matelots français retenus comme esclaves A Alger et A Tunis '.
Les premiers temps qui suivirent la paix furent heureux et le
traité produisit de si bons effets qu'un an après l'échange des signa-
tures il ne restait à Alger que deux captifs français que l'on recher-
chait activement pour les rendre. Le général des galères d'Alger
écrivait aux consuls de Marseille qu'il viendrait au printemps sui-
vant les \isiter avec ses galères *. Mais ce furent les Marseillais eux-
mêmes qui commirent une série d'infractions i la paix. C'est en
vain que Sanson Napollon essaya de calmer les Algériens, les reïs
recommencèrent leurs courses et la guerre reprit de plus belle, le
Divan n'ayant pu obtenir satisfaction.
De 1629 à 1634 le P. Dan estime que les Français perdirent
4.572.000 livres par la capture de 80 vaisseaux, dont 50 des ports
de l'Océan, et de 133 1 marins ou passagers. Même le sieur Blan-
chard, député par la ville de Marseille en 1632 pour racheter des
esclaves, écrivait qu'il y avait ;'! Alger 2. 300 Français déjà vendus ou
en dépôt dans les bagnes*. La cour de France hésitait A renouer
des négociations et il y avait dans le Conseil un parti qui voulait
une guerre sans merci et l'extermination de la marine barbaresque ;
le parti de la paix l'emporta et on envoya A Alger Sanson Lepage,
premier héraut d'armes de France, pour demander la restitution
des captifs et un nouveau traité*, mais il revint à la tin de 1634 sans
avoir pu rien conclure. Richelieu se décida à contenir les Algériens
par des croisières, tandis qu'il chargeait inutilement Sanson Lepage
en 1637 d'une nouvelle mission.
0) V. MiiiiiiCfils de l'iirnc VI, fol. ùi tt 63. Bibl. de Cnrpentras, cité par
Du Cramhont, p. ]6o. — Mitnoirt Je A'u^iVi'v, />. -27, cité p.\rrititoNSH.\u, II.-ijo,
{i) Le 36 «Icccmlire 162S. V. Piastet, Cotrespondauce.
(O hltie du tS aitii t6^2. AA, .jfi}. — Les consuli Je La Gotai dirent .1
M- de Stguiran en 16^5 qu'en une iculir anncc ils avaient perdu 2; barques et
l)0 de leurs meilleur'* jiidrtn:>, — luijtdiou de M. Jr Sf};uirtiu, (>. jjy. Coir. df
Sxmidii. — Doi. In.
t4) Le P. Ujn, r^demptariste, .luiciir d'une intéressante histoire de la Barbarie,
accûinjugnait Santon Lep.igc.
34
L ANARCHIE COMMERCIALE
G.'S négociations, accompagnées de faits de guerre, ne firen
qu'exaspérer les Algériens, au moment où les diflîcultés de I;
guerre de trente ans et la présence de la flotte Espagnole sur noi
côtes ne permettaient à Richelieu de rien tenter contre eux en 163
et en 1639. Heureusement le désastre que firent subir les Vénitieni
à la flotte Barbaresque, unie à celle du sultan dans l'archipel au porl
de la Velone (1638), empêcha les Algériens de profiter de notn
impuissance. La mort de Richelieu amena la cessation déiinitive de
croisières reprises en 1640 et 1641 '.
Les difficultés financières croissantes et les troubles qui agitèreni
le royaume, empêchèrent Mazarin de les continuer et les MarsetUaij
épuisés ne pouvaient songer A faire eux-mêmes des armements.
Sans les Vénitiens et les chevaliers de Malte, la Méditerranée eût éti
abondonnée sans défense à la piraterie. Enhardis par l'impunité,
les corsaires vinrent jusques dans les eaux de Marseille dont pourtani
les galères sortirent pour leur donner la chasse, mais on dut se
borner ù assurer la sécurité des côtes*. C'est dans ce but qu'en 1653
Anne d'Autriche accorda aux Marseillais sa galère La Reyne, la plu
forte de toutes, et qu'en 1656 le roi leur en fit donner une autre*.
Pendant ce temps, notre consul était mis aux fers en 1650 et y
restait jusqu'en 1652 sans que nous demandions de réparation ; on
se contenta de déclarer que le consulat d'Alger serait supprimé
Quand Mazarin fut délivré de la guerre contre l'Iispagne, il put
songer A venger ces insultes. Dès iX)^S il donna l'ordre au chevalleE
de Cler\'iUc de reconnaître les côtes de la régence pour y chercher
un endroit favorable A une Installation permanente : c'était la
première idée de l'expédition de Diidjclli. En même temps le roi
(r) Au sujet de ces arin».Tncnts. voir ia corrtsbondana de Soiirdis. Doc. In. îl,
clxtp. A',/!. }<>i-i4S ■ Expéditions contre les Etats B.irbarL'squt's 1637, î^- î9' 4*^. 4*
— Coi respoii,! . de RUMieti, IV, 575, V, loji, 106S, Vil, 26s — Mimoire iur lf$
affaires J'Algn de 16 ji li f^;<;. A rchivrs dts aff . Ûr. Mim. el Doc. Atgrr, AT. —
De Grammovt. Mission de Sanson Lepage, Alger 1S80. — Hist. d'Alger, p. 167»
191. — Pi.AKTCT — SrtiN, Un dessein /rau{ais sur Alger el Tunis sous Louis XIII,
Revue de Géogr. 1883. p. 21-29.
(2) V. Arch. Comiii. de M. DélîWrations : 27 juUlel 164s. Les corsaires
sont aux lies d'Hyùres, on ne peut amier une galère, 20 décembre 1646. Priirc i
M. de Vincheguerre d'armer des galères — 22 jativ. 164^. Négociations i. la cour
pour un armement — 9 Jhr. 164"]. Prière â l'archevêque d Aix de faire sortit
quelques galères.
(}) V. Lettres de Louis XIV, Arme d' Autriche, Mazarin aux Marseillais (mars,
avril, mai t6u) AA, j; BD, Si. — LeUre de l'avocat au conseil Ycard, so mil
j6}6 : lettre de Louis XIV, S Jhr. tùjô, BB, Si.
LA PIRATERIE
35
autorisait secrètement le commandeur Paul A tenter une entreprise
contre Alger et faisait armer activemant à Toulon, mais, faute
d'entente avec le commerce de Marseille pour les dépenses, l'arme-
ment ne fut pas poursuivi. Ainsi depuis léio, sauf une seule anntie
d'interruption (1628-29), la guerre n'avait pas cessé avec les
Algériens '. Par les chiflVes qui nous sont parvenus sur les premières
années de la .^uerre on peut juger dts pertes énormes que supporta
le commerce' ; on peut admettre qu'elles furent moindres pendant
l'époque des croisières organisées par Richelieu (1635-41), mais
pendant les vingt années qui suivirent, il resta exposé sans défense à
toutes les attaques des corsaires.
Les autres Barbaresques furent loin de lui faire subir auunt de
maux que les Algériens. Tunis était beaucoup moins puiss;mte
qu'Alger et elle vécut souvent en paix avec les Français. Le gouver-
nement était à peu près le même qu'il Alger, mais le pacha n y avait
même plus le pouvoir nominal*. Depuis i6oo environ, le clicf
suprême était le dey, élu par b milice, qui gouvernail avec le divan
des janissaires, mais la taïffe des reïs avait le même pouvoir occulte
qu'à Alger et son chef, le capitaine général des galères, ou bey,
participait officiellement au gouvernement ; c'était le second person-
nage de la république et souvent il contresignait les actes publics
avec le dey j en réalité, il avait plus de puis&mce que le dey lui-
même. Durant cette période, les Tunisiens avaient environ 6 ou 7
galères, 5 ou 6 gros vaisseaux eC un certain nombre de petits bâti-
ments ' ; ils étaient loin des So gros vaisseaux des Algériens.
(1) Il faut remarquer cependant que depuis 1628 In rupture ne fut pas oflicielle.
Ainsi If Pacha dans ses lettres à Louis \lV, en 1648, en 1661, proteste de son
disir de maintenir la paix. (V. Pl.\\tet, p. 53, S7)
(2) Il faut se dclîer des chiffres qui sont cités dans les diffc'rcnts ouvrages qui
ont traité de cette question, car ils se contredisent singulièrement.
(;) « On lui fait beaucoup d'honneur, mais il n"a point de voix au Conseil
d'Etal et il ne se niclc de rien que de boire, manger et se divertir comme bon lui
Ktiiblc avec les appointements que la république tiii donne. , . il ne peut sortir de
sa m.iison sans la permission du day et il faut qu'il s'accoutume :i cette soumission
s'il veut demeurer en place, car s'il témoigne quelque répugnance, le Divan
s'assemble et sans autre formalité on le tait embarquer et on le renvoie à
Constantinople. » D'Arvieux, t. IV, p. 55. — « Il lui en coûte même 100 piastres
chaque fois qu'il veut sortir. » Thévenot, p. 551.
(4) Kn 1618, ils ont 6 galères et 5 gros vaisseaux. Lillre du consul de Tunis
tS lurvetnb. 1618, AA, ;ri. — Dans peu de jours il doit sortir 7 galères de
Bizerte. Id. 3 mai 1624. AA, ^12. — «Les 7 g.ilères de Bizerte sont sorties de
b Goulctte. » /; juilld jôif. AA.sij- — En 1666, d'après d'Arvieux, Tunis
entretenait : « 3 galères, 6 ou 7 vaisse;mx et un nombre de barques de brigan-
tines et autres petits bitimcnts. »
'il
I
i:
36 l'anarchie commerciale
Cependant ils ne laissaient pas d'être redoutables, puisqu'en 1657
ils avaient dans leurs bagnes lo à 12000 esclaves chrétiens'. Leur
port de guerre principal était Bizerte où stationnaient les galères ;
il était mieux placé pour l'attaque que la Goulette et offrait un
refuge assuré, tandis que les chrétiens vinrent souvent attaquer leurs
navires sous le canon du mauvais fort qui protégeait ce dernier port.
Quelques petits corsaires partaient aussi de Sousse ou d'autres ports
de la régence. La course nourrissait les Tunisiens comme les Algé-
riens, mais ils avaient aussi d'autres ressources et attachaient
beaucoup plus d'importance au commerce. « Les ports de ce
j^ royaume, dit d'Arx'ieux, sont libres à tout le monde, toutes les
Jl , nations y sont bien venues quand elles y viennent pour trafiquer.
j;; *: Les Maltais même, quoique ennemis irréconciliables des Tunisiens,
\ viennent charger des blés, des légumes et autres marchandises avec
'I , leurs propres bannières déployées, on les reçoit, on commerce avec
eux et ils font tout le commerce qu'ils veulent *. »
.\vec une pareille population, la paix devait être, et fut en effet
■ , " plus facile à entretenir qu'avec les Algériens. Déjà, en 1605, de
Brèves avait réussi à lui faire recevoir les commandements du G. S.
• il. , et à lui faire promettre d'observer la paix. Cependant les Tunisiens
i ; violèrent bientôt leur parole ; ils continuèrent leurs courses tout en
!j prétendant maintenir la paix, et trouvaient toujours des prêtentes
pour justilîer leurs pri>es* : de 161 1 à 161 5, ils prirent 6 vaisseaux
et 2 barques *, plus que les .-Vlgériens dans le même temps, et dans
les six mois qui suivirent, S vaisseaux e: barques tom'?èrent encore
entre leurs mains ■. La situation i'aggrava en 1614 : M. de Mantin
vin: >e prc^enter .1 la Goulette avec un gros vaisseau e: deux pataches
pour raire des represcntaîior.s, nuis un conliit écla:a et il se retira
e" prena::: deux v.xis>caux ; pour »e veni^er le dey mis les résidents
:"ra"çai> i la ch.;:"e, leur ni ra>er la barbt c: ordonna à ses capitaines
.:■ :V. ;-.
:■ Li ..;.. .-. 'i':. ..'.. > T.--. :.-■: .-i.-i, ; . — Kr. irio. les Mar-
v^-....> .-.Tv^:-.: ■•■,•;•.. .~:c:-.: j.— .:-l i-_\ ; •. ^;>>viu\ ^■,":""-..-.~ii-^ r-2r le fameus
S. "UT. l"^..:-.v:. >-.-. :.■::■:.'-.■. -.•..: ir_h:>.-" t:-::^ l^-> :•.■._■::> ii-> T:;r.is:i-:î>. — Le
«■.■.•■.-;»■.« .■.■•-■... c. "...;■;..■.- .. ■...!->^;.\ n.-.-> ^-;::i ?.;;;i>. — En ifii, JcJn
.:» F.:.";, w.-.. . .. '...:> •.■.■.•. .» J_; .:^ t-.;..-» ?.:: '::.;.-; jj :o:. i.-&sjyj en
•....-. ^.. .j:.-.. . . — : : :.-::. .^> V...'.. . .- v:..:.-: p,".:r .-;s mois jvec
LA PtRATERIl ^^^H~ 37
Je prciidie les vaisseaux de Marseille, d'en noyer les capitaines et
écrivains et de réduire les mariniers en esclavage ' ; cet ordre fut
exécuté pour 22 barques de la côte de Provence que les galères de
Bizertc prirent pendant le mois de juin. L'année suivante, 377
esclaves français s'adressaient A Marseille pour obtenir leur liberté'.
En 1616, Sanson Napollon, consul d'Alcp, qui devait plus tard
montrer son habileté diplomatique en rétablissant la paix d'Alger,
obtint du Grand Vizir des commandements pour faire restituer les
esclaves et les marchandises et les fit porter par un envoyé accom-
pagné d'un Ichaouch de la Porte*, tandis que les Marseillais, qui
souflrircnt cette année-là leurs plus grosses pertes, se décidèrent ;\
faire La dépense d'un puissant armement. Us équipèrent cinq grands
vaisseaux et deux pataches, chargés de 1500 soldats. M. de Vinche-
guerrc qui les commandait alla se présenter devant Tunis et fut assez
heureux pour signer la paix. Issouf-dey montra aux négociateurs
beaucoup de bonne volonté dans la restitution des prises et le traité
fut solennellement ratifié le 17 août [617 à Marseille par les envoyés
du dey et le comte de Joigny, général des galères, au nom du roi*.
Cette nouvelle paix ne fut pas mieux respectée. En i6i8i la nou-
velle que le capitan pacha, au lieu de punir Hassan Aga de Bizerte
qui avait pris un vaisseau de Marseille'', avait partagé avec lui
l'argent de la prise et l'avait fait bey, Issouf-dey commanda A ses
cinq vaisseaux de prendre en mer tout ce qu'ils trouveraient et en
quelques jours ils envoyèrent ;\ la Guulette deux vaisseaux français.
En 1620 ils s'emparaient d'un chargement de la valeur de 800.000
livres venant d'Alexandrette, cependant ils ne prirent pas prétexte
du massacre des Algériens à Marseille pour rompre la paix. Pendant
ks années qui suivent, la correspondance du consul dcTunis est rem-
plie par les nouvelles de prises faites par les Tunisiens. Aux plaintes du
consul , le dey répondait « qu'il n'avait nullement pour agréables
les dites courses, mais que, quand les cors;iire,s étaient A la mer,
0) Md-rac lettre.
U) Mémoire pùur Its pauvrts adtvts ftastçais dt Tunis, 3<j sept. IS'S» ^^i i44-
Liste de Î77 noms.
(\) iMire de Santùii XapoVûu aux consuls de Af,, 6 fk'n s6l6. A A, )6f.
{■y\ Arcinv. Cimimun. DiUbh lUiam , if> nof. 1616. iSnm'. 1616, fj iioùl iôi~.
V, Citrusp. titfoyie de Tunii aux (otiitih de Marsrillt. AA, jw et s N- l'ublicc
p.ir r^NiuT. t. I, p. 9 et suiv.
(;) G: fait est rappelé Jjns un Cahitràt doWancesde la ville Je Marseille adressé
«u roi le (S janvier 1620 et publié par Flantet, t. 1, p. 40-4}.
L ANARCHIF. COMMERCIALE
il ne pouvait nullement les commander, o En 163 1, sous prétexte
qu'un corsaire tunisien avait é-tc- mis i mort à Marseille et ses gens
mis i la chaîne, il laissait vendre publiquement les Françùs au bazar,
ce qui ne s'était pas encore vu. Les corsaires de Tunis venaient
jusqucs sur les côtes de Provence : deux ans de suite le redoutable
Sanson croisa aux abords des îles d'Hyèrcs avec ses cinq gros
vaisseaux'. Après 18 ans de cette paix, malgré les nombreuses resti-
tutions d'esclaves* accordées par Issouf-dey, « une infinité de person-
nes qui avaient des parents esclaves » priaient les consuls de les
racheter et, en 1643, 150 esclaves français réclamaient encore leur
libération'. Du côté des Français, il est vrai, le respect du traité n'était
guère plus grand, ainsi qu'en témoignent les nombreuses demandes
de restitutions lattes par l'intermédiaire du consul ou par les lettres
du dey lui-même*. Ces violations fournissaient aux corsaires le pré-
texte, qu'ils étaient heureux de saisir, de continuer leurs dépréd.i-
tions ; en vain le consul alléguait-il au dey que les prises étaient
faites par ceux de Toulon : « il ne se peut faire, écrit-il, de lui ôter
de la tète que vous ne commandez toute la province'. »
Les consuls de Marseille mirent toute leur application h conserver
cette paix, si illusoire qu'elle fût. Ils s'armèrent de patience et adop-
tèrent vis-À-vis des Tunisiens une conduite toute différente de celle
qu'on tenait vis-à-vis des Algériens. Le consul de Tunis leur écrivait
avec raison que, s'ils voulaient faire un armement, il fallait en faire
un sérieux, car autrement ils ne feraient qu'exciter les corsaires et il
valait beaucoup mieux supporter les choses comme par le passé'. Le
mauvais succès des petits, mais coûteux armements, tentés contre les
Algériens, dut convaincre les Marseillais de la justesse du raisonne-
I
■
I
I
( I ) Voir Lfttrti du consul de Tunis aux consuls de MarseilU, particulicretnent i S no-
vembre téiS; 31 mars, 21 avtil 1630 ; j juillel, it' sepUmhrt 163: ; 27 mars, 3}
airil 1613; 30 août i(>3y, 9 narvtnû're 1634; so fhrùr :6iS\ 11 ûinl 163^;
31 it<n>emhre i6)0 ; tn avril, 14 octobre tôji, etc. AA, fu-jt;. Beaucoup de ces
lettres ont tic publiées p.ir PtA\TET. Conesp.
(2) V. PL\NTEr. p. XLV. la liste des cnvoyC's extraordinaires qui se rendirent .'i
Tunis pendant cette période pour retirer des esclaves et taffemiir la paix. Parcou-
rir la correspondance.
(5) Archiv. communales. DéU'b. 39 septembre ï6j4. — Lettres des conntls au amtte
de èrieitne, ij novembre 1^43. Arch. commun.
(4) Lettres du consul. 7 înillet lôip, 3j mars 1633, 13 juillet 1634, sn avril i6jO,
t" aoiit 161J, 3S janvier i6jS. .1A, s'i-pj. Lettres iFlssouJ iay, AA, $44. V.
celles publii-cs pjr Plantet, Corresp.
(5) 13 juillet J614. A A, iS3.
(6( r.V nafeitthrt s6iS. A A, jtt. Publiée en partie par Pustet, p. 28.
LA PIRATERIE
39
nient, car ils ne tentèrent jamais de répondre aux pirateries des
Tunisiens par des représailles. A chaque nouvelle d'une prise, ils
entamaient des négociations par l'intermédiaire du consul pour en
olncnir la restitution ; si les relations devenaient plus tendues,
ils envoyaient pour les rétablir des députés connus k Tunis'. Quand
leurs corsaires apparaissaient sur les côtes de Provence, au lieu d'en-
voyer des galères les chasser, ils faisaient partir une barque avec des
députés pour leur représenter le tort qu'ils avaient de violer la paix,
cl grice à quelques présents on parvenait souvent ù les éloigner'. De
temps en temps l'ambassadeur obtenait de la Porte des commande-
ments qui n'étaient pas sans effet sur les Tunisiens. Bien que les
barbaresques eussent peu de crainte de la Porte, il était bon de faire
renouveler ces commandements, car ils s'autoris;iient des avanies que
nous souffrions alors dans le Levant pour prétendre que l'alliance
entre la France et le Grand Seigneur était rompue*. Mais ce qui
maintint surtout la paix, ce furent les présents que les NLirseillais,
sortant de la parcimonie maladroite qu'on leur reprochait dans leur
commerce du Levant, surent envoyer à propos au dey et au général
des galères. Ces présents, peu considérables chaque fois, qui consis-
Liient en horloges, vestes, fruits, ou en une somme d'argent de
quelques ccntiincs de livres, éuient souvent renouvelés, même plu-
sieurs fois dans une année, et étaient portés parfois par des envoyés
spéciaux pour leur donner plus de valeur*. Ce qui produisait encore
un plus heureux effet sur les Tunisiens, c'était les esclaves que les
consuls de Marseille rachetaient et renvoyaient. Marseille donnait
même asile aux musulmans esclaves, échappés des pays voisins et les
consuls prenaient soin de les rapatrier dans leur pays. « La cause
principale des bonnes dispositions d'Issouf-dey, écrit le consul, n'est
que pour le passage que vous donnez à tous les musulmans que vous
recevez devers vous*. »
II) Un marchand marseillais, .Vf. Bércngier. qui leur fut envoyé plusieurs fois,
avait auprès d'eux bcauccuip de crcdii. .Irch. rowm. lyilli. i6iS-i^; f juin 1612.
(2) Arch. commun. Di'lih. ;fi mai 1623, 6 mai 1624.
(j) V. LtUres lit Vumluissadeur, jo fèvrifr fôiS, 12 mai té 18, plusieurs m J624,
) mars, 16 avril 162J, AA, 142, 14}. — Leitrt du comul dé Tunis, j juillet 1621,
AA, ils.
(4) Arch. commun. 'Diltb. sS nuti i6tS, t6 octchrf i6t^, 1} fh'ricr SÙ3), 26 ff-
vritr 1626, r S juin i(<2j, 9 octobrt 16 jr. — PuNTETa publié p. ioi-t02 la liste
des prissent s pnrti-s en 1629 par Bcrcngier.
(j) 39 ncKtmbte 1624. AA, }i2. V. Arch. commun. Délit, i S juin i62y, 24 oclo-
kt t6fi. — Corrtspond. consulairt. AA, ;is-stf.
40 L ANARCHIE COMMERCIALE
Grâce A ces habiles ménagements, les Marseillais paninrent, sinon Si
empôclier les prises des reïs, du moins à entretenir les bonnes disposi-
tions des deys ci à en obtenir la restitution d une bonne partie de c
qui était pris. Issouf-dey\qui garda le pouvoir jusqu'en 1637, ne cessa
de protester auprès des consuls de Marseille, de son désir de maintenir
la paix et il en donna des preuves en renvoyant de nombreuses
prises et en faisant délivrer la plupart des Français esclaves ; il fit
même interdire en 1624 de les vendre publiquement au bazar
« JusquW présent, écrit le consul la même année, tous les Français
qui sont arrivés ici il les ont rendus, saufquelqucs garçons qu'ils font
faire turcs » ; en un un il avait reçu 240 esclaves délivrés*. Issoui
vint même avec trois galères de Tunis mouiller aux îles de MarseiiW
pour faciliter la négociation de Sanson Napollon avec les Algériens*,
Dans les six années qui suivirent il fit délivrer plus de 3 50 Français
et si, en 1635,11 fallait envoyer deux religieux de la Trinité pou;
racheter ceux qui se trouvaient encore en grand nombre à Tunis^
c'est que, pour différentes raisons, ils pouvaient être considérés comme
de bonne prise, soient qu'ils eussent essayé de combattre, soit qu'ils
eussent été pris sur des navires étrangers*. Osta Morat' le capitaine
généra! des galères, qui lui succéda, avait toujours été en bons terme
avec les consuls ; il se montra peut-être encore mieux disposé poui
les Français, etquand il mourut, en 1640,1e consul écrivait au sujcj
de son successeur Amat (Ahmed) qu'il méritait beaucoup d'égardi
H ayant d'affection particulière pour les Marseillais, » En effet, er
1643, il promettait de leur rendre les 150 esclaves français qu'i
y avait à Tunis, si on lui renvoyait 1 5 ou 20 de ses musulman
qui étaient prisonniers sur les galères de France" . Les deys trouvaiciil
d'ailleurs tout avantage au maintien de cette situation : ils évitaient
des représailles qui pouvaient être dangereuses de la part de la France,
(i) Djns ses lettres il signe Issouf day, Issuf day, Issouf dei.
(2) L-ttre du 2 mai 1634. AA, s 12, publiii par PLAKTirr, p. 67.
(j) RuFFi, p. 47$.
(4) Lefirf du 7 octolire i6}2. AA, JI4 ; 24 itpttmhie t6}}. AA, jrf. — Cefët|3
Jant 1.1 cupidité des Tunisiens les poussait h abuser de ces prétextes pour rctenf
Je meilleur des prises en faisant quelques restitutions jwur jeter de la poudre ai
yeux, comme l'écrivait le consul : 1 1 avril 162'). AA, ii.j ; /j juillet 162}, AA, ;»
(5) Il signe ainsi toujours ses lettres. AA, S44.
(6j LiUlr,' diicoiisiil, 2S juillet 1640. AA, j/5, dans Plaktet, p. ijS. — Lttii
dm consuls dt M. au comte de Biieune, pour le supplier d'accorder ces vingt galérieni
tj um'embie 1643. Aich. Connu. — tt septembre 1646. Lettre des consuls de M,
Amat, dey de 'l'unis, pour le remercier de sa protection. — Arch. Coinm.
LA PIRATERIE
4ï
I
I
tandis que leurs vaisseaux pouvaient trouver un refuge dans nos
ports ; ils entretenaient avec nous des relations de commerce avan-
Ugcuscs ; ils évitaient aussi de se brcniiller avec l.i Porte, et cepen-
dant, grâce aux présents qu'ils recevaient et ù ce qu'ils savaient conser-
ver des prises, ils ne perdaient pas tous les profits que la course
eiit pu leur procurer.
Ainsi, les Marseillais avaient su trouver dans leurs relations avec
Tunis la meilleure façon de vivre avec les Barbaresques. Sans doute
Li sécurité de leur commerce n'était pas complète ; les présents
qu'il bllait envoyer, les restitutions partielles dont il tallait se con-
tenter, étaient des humiliations difficiles .\ supporter, mais n'étaicni-
clles pas préférables à ces coûteux armements que le commerce dut
payer contre les Algériens, sans en retirer d'autres bénéfices que de
voir ses pertes se multiplier. C'était ce que devaient mieux faire
voir encore les inutiles démonstrations navales tentées par Colbert,
à la suite desquelles la cour de France dut se résigner A suivre avec
tous les Barbaresques la tactique que les Marseillais avaient inau-
gurée avec Tunis.
Les Tripolins, comme on les appelait alors, parurent d'abord
bien moins dangereux que les autres Barbaresques, car leurs forces
étaient bien moins considérables : en réi2, ils n'avaient que quatre
navires en campagne pendant l'hiver et ils armaient trois galères
pour l'été. Malgré le petit nombre des reïs et de la milice, le pacha,
que les documents appellent parfois émir et bey, n'avait conservé
l.\ aussi que le pouvoir nominal et le vrai chef était le dey: « Chafer
dey, notre patron, écrivent des esclaves français aux consuls de
Marseille, commande tout ce pays et ne tient point compte du
pacha » '. Mais les Tripolins, plus rapprochés de Constantinople, et
et plus exposés aux visites du capitan pacha, devaient davantage
tenir compte des commandements du Grand Seigneur et de l'auto-
rité de son représentant. Sous Henri IV, les Français avaient un
consul X Tripoli, mais, soit qu'on eût jugé inutile d'en entretenir
un pour le peu de commerce qui s'y £iis.iit, soit qu'on eût voulu
éviter des avanies répétées, il n'y en avait plus en léio et c'était un
prétexte pour les reîs de courir sur nos vaisseaux. En 1612, il y
avait 150 Français esclaves, tous pris depuis deux ans : « Cliafer dey.
(i| iSjcciiii r6i^. .4A, jjf Utlrcs d'tsclaves.
42 L ANARCHIE COMMERCIALE
écrivent-ils', prend sujet que nous n'avons point de consul
qu'il n'a point de paix avec nous » pour courir sur nos vaisseaux.
Il semble, d'aprcs les lettres de l'ambassadeur Harlay de Sancy, qu'il ^
y eut un traite fait en 1617 avec Tripoli en même temps qu'avec ^
Tunis et il envoya A deux reprises des comnundemcnts de la Porte
pour affermir la paix*. h
\Liis les Tripolins s'irritèrent des égards que les Marseillais fl
avaient pour les Tunisiens qui recevaient des députations et des
présents, tandis qu'on semblait les dédaigner; leurs pachas ne cessaient
de rccbmer un consul, poussés bien plus par leur cupidité que par
leur amour-propre*. Dès 1620, ils faisaient une guerre ouverte aux
Fran<;ais qui ne cessèrent de se plaindre i la Porte*: en 1629, 150
esclaves françiis sollicitaient leur délivrance. Les forces des Tripo-
lins devinrent alors plus redoutables : ils armèrent en course les
navires dont ils s'emparèrent, mais surtout ils furent renforcés par
un certiin nombre de corsaires d'.Alger et de Tunis qui, gênés par
les traités de paix faits avec la France, vinrent y continuer leurs pira-
teries. C'était une coutume chez les Barbaresques, de changer ainsi
de ville pour éluder les traités qui devenaient illusoires, tant qu'on
n'avait pas la paix avec toutes leurs républiques à la fois. Ces Tripolins
d'adoption étaient d'autant plus dangereux qu'ils faisaient des prises
sans combattre, nos n.ivires les laissant s'approcher sans défiance,
parce qu'ils les croyaient d'Alger ou de Tunis*. En janvier 1651,
200 autres captifs et, deux mois plus tard, 50 nouveaux prisonniers
étaient enfermés dans les bagnes de Tripoli. Les Tripolins avaient
alors en mer quinze vaisseaux, poLicres et barques, bien armés et
trois galères ; ils se faisaient plus redouter que ceux d'Alger et de
I
I
(1) Mhm UUrt. — Cqvndint d'après un mss, de U Bihl. nat. Nicolas Brun
est pourvu de Tofficc de consul i Tripoli en novembre 1615, par la risignation
de Fmisois Dumas. — En 1619, le même Brun est indiqué comme possédant
cette m^e charge. — mus. Jr. 26jj8,/cl. loi-ioi, 1 10-11 j.
(a) 10 fivtitr t6iS, limai i6tS. AA, 142.
{%\ J mai 16x4, Lettrt du amsvJ Jt Tumù. AA, $12. — i^jam: i6ji, Uttre
JTtsamm : « Us veulent un consul, qu'on leur fasse même obéissance qu'à Tunis
et à Alger ». AA.m
(4) El'. it nommer i Tripoli dcspichas qui étaient ses obligés. 1
— V. k: i luats tàjj AA, -.4}.
(>) • Parce qu autrefois Ic^ Corsaires qui n'osaient se retirer en -Mger cl Tunis
alLuent <l>CTchcr leur retraite i Tripoli, j'ai obtenu d« commandements du
Grand ScijtTK-ur, alin que telle chose n'aJvicimc plus mais il sera besoin que
vo«is cnwvic* un consul r^isiJer au dit Tripoly k Leitrr Jt C/'sf, 2} avril j6j;
AA, t4\, — V. Laui J'éttlattt, fo morû 162^, A A, fff.
LA PIRATERIK 43
Tunis, parce que leurs corsaires croisaient tous aux abords des
Echelles, où les armements du roi ne pouvaient pénétrer'. Les Mar-
seillais se dccidcrcnt à négocier ce leur envoyèrent le capitaine Jean
Beau, mais ils commirent la maladresse de faire présenter au pacha
des présents qu'il trouva trop mesquins et indignes de lui '. Cepen-
dant, il promit son amitié, si on voulait établir un consul, et il fit
cadeau de fort beaux chevaux au maréchal de Vitr}-, gouverneur de
Provence. Mais les conditions qu'il fit au capitaine Beau étaient
peu favorables. Li négociation n'aboutit pas en définitive, on
n'envoya pas de consul et les courses continuèrent. Elles durèrent
jusque sous Louis XlVct lesTripolins devaient attendre longtemps
encore avant de se décider A la paix.
Les cors;tires de Salé comptaient parmi les plus redoutables*, mais
c'est surtout dans les mers du Ponant qu'ils exerçaient leurs ravages.
Cependant on les voyait souvent dans la Méditerranée occidentale
avec quelques barques de ceux de Tetouan. De ce côté, Richelieu
réussit h garantir notre commerce. Isaac de Razilly vint exiger des
habitants de Salé la délivrance des esclaves chrétiens, moyennant
rançon, la liberté du commerce et du culte, l'établissement d'un
coasulat et la promesse de ne plus faire les Français esclaves (3 sep-
tembre 1630). L'année suiv.inte, il signa avec le sultan du Maroc
un traité de commerce qui stipulait la restitution' des esclaves, l'ou-
vcrturc des ports aux Français, moyennant les droits d'usage, et
rautons.atiùn pour la France d'établir des consuls dans toutes les
villes où elle le jugerait convenable (ty et 24 septembre 1631). Ce
traité fut renouvelé le 18 juillet 1635 parduChalard, qui racheta 304
matelots pour 216.000 livres, payées généreusement de sa propre
fortune *. Sans doute, ces traités ne furent pas scrupuleusement
(1) Lettrtt d'eickvis, inairil i62<), 2; jaiivifr if>}iy / awil i6}i . — iSjuitttl
J6ju 3 mai lè}^. AA. /;î. — Lellre du capitaine } tan Btau : « C'est le lieu qui
• Cti le plus i craiuJrc que Argcr et Tunis tout ensemble aujourd'hui ». S mai 16^4.
*AA,sii.
(2) Leltft lif Stamft Paclm aux comuh dr Mannik, S mai i6j4. AA, SfS-
(}) >< Les Cors.iircs Je Salé et de Tctou;in qui armaient au moins 60 navires....
' avïÎL-nt priï en 8 ans plus de 6.ooû esclaves et 15 ,(XX),ooodc livres dont les 2/}
appartenaient:! notre pays». Pigf.okneal", t, 11, p. 405.
(4) V. ces traitiSs dans Isambekt. Rtcuril des lois, et dans Dumont, Coips
Dipi. t. V, 2 < part, p.^13, VI, in pan. p. 19-20, i ij-i 14. — Nomination Je
[■Trantfcis Je Hoyer, seigneur de Bandol, ii l'ntïice Je consul Je France à Saffi,
Mogador et Sainte Croix, 29 mars 1647, Amiraulf, Registre t des Insinuations, fol.
6ff^ — Il y avait déjA un consulat de Fer et Maroc depuis Henri IV.
44 L AXARCHIE COMMERCIALE
observés; pour les éluder, les Saletlns allaient souvent à Tunis ou à
Alger avec leurs prises françaises et y vendaient publiquement leurs
marchandises, malgré les plaintes de nos consuls. Cependant, ils
firent peu de mal en somme au commerce du Levant.
Nos marins avaient encore à redouter les Turcs eux-mêmes;
puisque les pachas et autres officiers de la Porte accablaient les Fran-
çais d'avanies, pourquoi les beys des galères se seraient-ils montrés
plus respectueux des Gipitulations ? « Les bâchas et les principaux
ministres de l'Etat, écrivait le consul d'Alep en 1624, n'ont pas
honte de dire publiquement que Dieu suscite les corsaires de Bar-
barie pour châtier les chrétiens, qui seraient à leurs portes et raviraient
leurs personnes et facultés, sans le secours de leurs armes, tellement
qu'ils ne font plus de diflférence entre les chrétiens amis ou ennemis
et le général de la mer ne se cache point à MM. les ambassadeurs,
lorsqu'il envoie ses galères prendre la part du butin qu'ils ont £iit
sur les vaisseaux des marchands, en sortant des ports'. Puisque les
galères du G. S. en usaient ainsi, les cors;iires turcs n'a\'aient guère
.\ redouter de châtiment s'ils couraient sur les Français. Aussi il y
en avait toujours un certain nombre dans l'Archipel ; la seule diffi-
culté qu'ils rencontraient c'était de pouvoir écouler le produit de
leurs prises, car s'ils les avaient amenées da.ns les ports de Turquie,
r.unl\iss.ideur en eût obtenu la restitution, mais ils s'entendaient
.ivec les Barbaresques auxquels ils les vendaient, à Rhodes particu-
lièrement *. Bien plus, des Français pris sur les navires marchands
devenaient esclaves dans les Kignes du Grand Seigneur. Si Tamhas-
s.iJeur en réclamait la lilxTté, on savait lui donner le change, comme
le montre une curieuse lettre d'esclaves franç.iis. adressée aux consuls
de Marseille. » Dernièrement, dis.iient-ils, ctant dans la prison des
esclaves du G. S., nous sortiront de nuit tous les Français pris en
marchandise et nous amenèrent sur une des galères de la garde de
Rhodes, laouelie la même nuit, taisant voile, prit la route de ce
p.'.ys, por.r otcr le moyen à .Wgr l'ambass-ideur, de nous donner la
lixrté'. .^ Il est vr.v. o".e lis sivets di: G. S. rris contrairement aux
>.ç:-:x:. . .:. . ■.-:. .-:.-;. -,-.— .t,<;?< .V;; .• i . ...•.•■.••,■ ■-'•jr. .-i.-i. ]-j. Du
:v. ç:"« vt ;". >,--.-.s .:, ^ ^> ' J;^ G. s. : » N.".;? >.^..:;:i^"> ô.iv !o:> plus J*incoin-
:".:vV;.:-. ^ vi ,:; '.".i .;.•.>.■.> f.;:;^:",.-:-.:.- c:-. ;," ;v.\>-.:; .:.:'..■.•. ivirK'.ric çuo:<juc l'on vous
LA PlKATHRIi;
45
Capitulations n'étaient pas moins nombreux sur les galères du roi de
France.
Comme si ce n'était pas assez des corsaires musulmans, la Médi-
terranée était encore infestée de corsaires an^^lais, majorquins, dun-
kerquois, génois, messinois, qui tous s'entendaient pour attaquer les
Français; quand la guerre éclatait avec leur nation, leur nombre et
leur audace redoublait. Pendant la minorité de Louis XIV, les Mar-
seillais redoutèrent plus les corsaires «maillorquins » que les Barba-
resques eux-mêmes. Avant 1648, malgré la prise de Ste-Marguerite
par les Espagnols en 163 5, et les menaces de leur flotte contre la côte
un J636, la Provence n'eut .\ souffrir beaucoup, ni de leur armée
navale, ni de leurs corsaires, à cause des armements que Richelieu
tint chaque année en mer, sous le commandement de Sourdis tt
d'Harcourt, et que Mazarin put d'abord continuer. Mais, les années
suivantes, les Majorquins apparaissent fréquemment jusqu'en vue de
Marseille, surtout au moment où les barques de la côte se rendent à
la foire de Beaucairc (juillet-août). Eu 1648, les consuls de Marseille
remercient le gouverneur de St- Tropez de l'avis que deux vaisseaux
majorquins sont le long de la côte, mais il sera presque impossible
de leur courir sus, parce qu'on a mis toutes les galères qui ont pu
ser\ir à l'armée, et celles qui sont restées n'ont aucune chiourmc
pour les pouvoir armer'. Les finances royales étant épuisées, les
Marseillais durent se charger seuls de leur défense; en 1652, ils
louèrent une galère à 4000 livres par mois pour protéger la côte et
cet armement fut renouvelé chaque année de 1654 à 1658*. La
Chambre du commerce eût bien voulu faire davantage, mais le
manque d'accord parmi les marchands, et surtout le refus des villes
de la côte de Provence et du Languedoc de contribuer aux dépenses
crapéchèTcnt tout armement sérieux. Le secours de cette galère, qui
restait :\ peine quelques mois en mer, était bien insuffisant pour
protéger le commerce. Plusieurs fois*, pour éloigner de la côte les
audacieuses barques des Majorquins, la Chambre traita pour quelques
jours avec des capitaines qui faisaient sortir leurs vaisseaux et leur
donnaient la chasse.
(t) L-ttre du 24 aoiil 164S. Bfl, ih.
(i) V. DR, i. DHibétaltons de la CiMmbrf, 20, 2/, 57 wv. i(>S2, 3 jauv. Jâfj,
iy mai iOS}, 36 J'évr. ibj4,tU.
()) X.BB, t.passim, lOsj-sS.
46
L ANARCHIE COMMERCtAI^
1-
1
1
■ n ^*
Dans notre détresse, c'étaient nos rivaux les Anglais et les Hol-
Lindais, alors nos alliés, qui protégeaient le plus eflicacemcnt notre,
commerce; en 1653, deux vaisseaux de l'escadre hollandaise étant!
venus aux ilcs, une multitude de marchands vinrent chez les consulsj
leur demander de leur Giire un présent, « tant à cause des bons
olfices qu'ils ont rendus quand ils ont rencontré nos bâtiments en
mer, que parce qu'ils tiennent les mers nettes de corsaires, pour les
engager à continuer les mêmes bons offices '. » En 1658, les consuls
de Marseille écrivaient au « génér.il » de l'escadre anglaise : « Nous^
sommes beaucoup obligés à Son Altesse, protecteur de la république™
d'Angleterre, de la bouté qu'il a eue de vous envoyer en ces mers
pour en chasser nos ennemis communs, mais particulièrement nous
vous sommes redevables du soin que vous vous êtes donne à la pro-
tection de nos vaisseaux et barques par cette frégate que vous avez
mandée pour les escorter*. » fl
C'était une nouveauté assez singulière pour les Marseillais que
d'avoir à remercier les Anglais des soins qu'ils prenaient pour notre
commerce. Jusqu'en i6js, ilsavaient continué à le ruiner par leurs
pirateries, malgré le traité de 1606 renouvelé en 1623, et malgré la^
promesse réciproque que se firent, en 1632, la France et l'Angle
terre « de ne plus donner à l'avenir de lettre de marque si ce n'e
en se prévenant et contre un navire seulement. « De puiss;mtea
compagnies, dont les plus grands seigneurs faisaient partie, n'avaient
pas d'autre objectif. Sous prétexte « de trafiquer es nrers du Levant,
écrit notre ambassadeur à Venise, les Anglais exercent la piraterie
contre les Français seuls », prennent leurs vaisseaux et les vendent
tantôt au Zante, tantôt à Céphalonie. « Si ces pirateries sont tolérées,
écrivent les députés du commerce à la Cour", il ne faut plus penser
qu'aucun navire sorte de la chaîne. » Il ne semble pas que la guerre
entre l'Angleterre et la France, de 1627 à 1629, ait donné plus de
violence aux ravages des Anglais dans la Méditerranée, mais de
165 1 à 165. j, leur guerre avec la Hollande fut l'occasion de pertes»
énormes pour notre commerce. Quand on négocia la paix avec eux,
la Chambre du commerce envoya à la Cour un rôle des prises qu'ils
(1) BB, t. Délibérations, S jam. lOf).
(2) Lettre lia consuls, avril S65S. BB, i6 .
()) Arçh, Commun. Correspond, ji janv. 164;. — V. Richelieu, Mhn. èd.l
MlCHAUi) et PoejouLM-, t. 1, p. 445 <aiinL»: 1627); t. II p. 91 (année i6î9).-j
Inutile» négociations pour obtenir des Anglais la cessation de leurs pirateries. '
'esd|
LA IMRATERIE
47
avalent faites de 1651 à 1654, elles montaient ;\ 1.320.000 livres
environ tt un mois après ils s'emparaient encore d'un yros vaisseau
richement clnirgé '. Le besoin «^u'.unii Mazarin de l'alliance de
CromwcU l'empêcha malheureusement d'exiger aucune restitution*.
La guerre d'Espagne terminée, les Anglais reprirent bientôt leurs
courses, sous prétexte de créances que le commerce de Marseille
niait leur devoir; leur escadre vint dans les eaux de Marseille, prit
deux vaisseaux qui arrivaient du Levant, en poursuivit A coups de
canon deux autres jusqu'en vue de la ville, et menaça d'arrêter tous
ceux qui viendraient jusqu'ù ce qu'ils fussent entièrement satisfaits*.
Telle était devenue Tinsécurité des mers pour les Français vers
i6jo, qu'ils n'étaient même plus en sûreté dans les ports des états
neutres. Leurs navires, malgré les ordres du grand duc de Toscane,
étaient attendus à l'entrée de Livournc par les Anglais et les Hollan-
dais. En 1653, un vaisseau holland.iis ose attaquer, dans le port de
Livourne mémo, un vaisseau français richement chargé et le combat
se prolonge malgré le feu de la forteresse, qui tire le canon pour le
faire cesser *. Il fallait se déiier même des nations amies^ car les vais-
seaux des Vénitiens et les corsaires de Malte pourchassaient nos
navires et les visitaient, sous prétexte qu'ils portaient des pass.igers
musulmans, ou qu'ilsavaient chargé des marchandises pour le compte
des sujets du G. S. Les Marseillais virent même plusieurs de leurs
navires saisis, et considérés comme de bonne prise, par le chevalier
Paul et par des commandants de vaisseaux du roi, parce qu'ils reve-
naient de l'Espagne avec qui la France était en guerre. En vain,
prouvéreni-ils qu'ils avaient une permission formelle du roi, il ÉiUut
de longues négociations pour les faire relaxer".
(11 BR, 26. Corrtspoiuianct, 3 juin 16^4, 28 juillet t6S4.
[1) DB. 26. 22 die. i^}s.
1^) BB, i(>. Ltthes à Ma^arin, a; juilUl, / août 16 fç.
\t D'Arvieux, i. I, p. 9-19.
ïj) Arcb. Commun. Corrupond. 2<) nov. 16)0, 28 iiuirs i6$i , it nov. i6ji. —
a, 26. i.(mart i6fi,juill(t /6j/, n/nov. i6f2.
CHAPITRE m
LES IMPOSITIONS
Outre les pertes que lui firent subir les avanies et la piraterie, le
commerce supporta continuellement le poids de lourdes impositions.
Les luttes contre les corsaires coûtèrent, en effet, de grosses som-
mes. I.e roi ne décida p;ts un armement sans demander au commerce
de participer aux dépenses : tantôt celui-ci fournissait quelques bâti-
ments, comme en t6i6 où il nolisait plusieun: barques armées eu
jîucrre A î«.h> livres jxir mois, en 1618 où il armait deux vaisseaux,
en lou^ où il envoyait A l'année navale, chargée de reprendre l'île
Ssùnie-Ntargueriic aux lisp.iiînols, 10 tarunes et un brigantin qui lui
coûtait îi>o livres par mois; tantôt il donnait une somme d'argent
détenninée: li.ooo livres pour Tentretien d'un petit vaisseau en
n>*i '. I.e commerce tit des dépenses encore plus con^dérables en
av.v.cmcî'.îs jMvticuUers : une galère lui coùuit 4000 livres par mois,
un vaisseau bien djvar.ucc; le vicc-amiral de Mantio, pour un
Vv\vaj:c d c>Cv^:tv\ en ic.;!, reçu: io.ooo livres*; le grand annement
vie M. ùc Viv.chciiucrrc. do imi à It>I^. c:i dépensa 450,000, et le
ô;:c de C';;-.se rcpvvvh.:;: «uv MarNcr.".i:s de $"èa-e la!&>c « piper plus
de î»v.*xv oc;-.s » jvitr ur.i c\rv;d:::or. cu*:I> prèfarèrent sans
vc^..":.:: cr. :^:S^ Ces :':v.:>r.'.r.:kr: i;: i:rc sur^rtés- pur toutes les
\;";>:^c;.; rc: c.;\:-.v-.-.; ,;v. conv.r.vrci du Liv:;".;. -uis les ports de
r^Vv-.-Cv vt ù;; l,-.:\c. vdcv :v.::cr.: 1- r\.s :-.™uvji>e grâce à payer
•...■■• i . , \;.. .. ....••.. ;.. ,•!. .-.T.-, :i-:f.x6ij.
LES lAlPOSlTIOXS 49
leur part ; après les armements de M. de Vincheyuerre il fallut de
longues négociations à la cour pour les faire condamner, en 1625, ;\
supporter le quart de la dépense. C'est en vain que, les années sui-
vantes, Marseille essaya de s'entendre avec les autres villes, elle dut
agir seule et leur jalousie empêcha i plusieurs reprises d'entrepren-
dre des armements nécessaires, les Marseillais ne pouvant en suppor-
ter tout le poids '.
Tandis que la répression de la piraterie se fit en partie aux frais
du roi, le commerce supporta toujours seul les dépenses des négo-
ciations avec les Barbaresques. Chaque fois, il fallait envoyer des
députés A la cour, i Alger, ù Tunis ; d'autres allaient A Livourne,
à Gènes ou en Espagne pour rechercher des prises ou des esclaves à
restituer aux Turcs. Un voyage à la cour coûtait 500 écus, beaucoup
plus s'il se prolongeait; pour leurs ambassades A Tunis, les envoyés
recevaient aussi 500 écus, 1000 pour leur truchement. M. de Vinche-
guerrc qui resta plus d'un an comme otage à Tunis, coûta plusieurs
milliers d'écus ; un voyage A la cour et A Alger, en 1619, occasionna
4,000 écus de frais. On dépensait bien davantage pour défr.iyer les
tchaouchs de la Porte qui, chaque fois qu'ils portaient A Alger ou A
Tunis des commandements du G. S., passaient par Marseille, ou
quand les Tunisiens et les Algériens envoyaient des négociateurs. Le
commerce nolisait des barques pour leur passage, il les logeait et les
défrayait somptueusement pendant leur séjour A Marseille, il pavait
leurs voyages A la cour quand ils allaient voirie roi*. Puis il fallait
r,icheter les esclaves, ceux des Français et ceux des Turcs, car les
Barbaresques, qui faisaient pap er ceux qu'ils restituaient, exigeaient
qu'on leur rendit gracieusement les leurs. En 16 17, pour « le rachat
de quantité de Turcs qui sont au pouvoir de Monseigneur le géné-
ral des galères » le député de Marseille fait un accord pour 18,000
livres. « Pour le rachat de 52 Turcs qui sont au pouvoir de Monsei-
gneur le duc de Montmorency » il dépense 10,000 livres, et il faut
encore • racheter plusieurs autres Turcs qui sont au pouvoir de plu-
sieurs capitaines de cette province, qui reviendront à plus de 300
(t| Voir aux .4n-b. Cimimmi. les Dcliboratlon$ citées plus li.uil, relatives 4iix
anncnicnls. — UB, t, D(lilvi allons de la Chambre sur les armements. 1655-58,
passini. — On vit mJme ces villes l'aire des diirtculfés pour p.iyer le ntchat de
leurs esclaves, .-tich. Conimiiti. i} jaiiv., 37 aoiil if'iS, ttc. DÙibh niions.
(2) V. Arch. Ctimmun. Dtlibà. ibtù-iS, 1626-3.S. — surtout iS août Un-;,
udtc. tùiS, ^ janv. 16 iç.
50 L ANARCHIE COMMERCIALE
livres chaque. » En même temps, d'après le traite de paix, il fallait"
retirer 300 esclaves français à TunisetàAlger'. Pour la paix de 1628,
négociée par NapoUon, les rachats d'esclaves et autres frais coûtèrent
bien plus ; d'une seule fois les députés de Marseille lui donnent
72,000 livres et « il fallait encore 10,000 écus pour racheter les
Turcs d'une seule galère ; ceux qui étaient à Toulon devaient coû-
ter autant *. » Les dépenses se renouvelaient pour maintenir la paix :
Issouf-dey, dans ses lettres, réclame sans cesse des bâtiments et des
esclaves que les consuls ne peuvent lui renvoyer qu'en les achetant
à beaux deniers comptants '. Enfin, il ne fallait pas négliger d'offrir,
à chaque occasion, des présents pour entretenir l'amitié *.
Pour subvenir à toutes ces dépenses, les députés du commerce
n'avaient pas de revenus réguliers. Ils avaient recours à des emprunts,
ce qui aggravait encore les frais, ils stipulaient bien que le taux de
l'intérêt ne devait pas dépasser 5 0/0, mais la plupart du temps ils
ne trouvaient des prêteurs qu'au denier 16, c'est-à-dire 6 1/4 0/0.
Pour rembourser ensuite ces emprunts, ils établissaient, avec l'auto-
risation royale, une imposition sur le commerce. De 1608 à 16 10,
chaque navire arrivant à xMarseille payait un cottimo *, c'est-à-dire
une somme fixe pour chaque type de bâtiment, vaisseau, polacre,
barque ou tartane, quelle que fût la valeur du chargement ; le cot-
timo variait cependant suivant la provenance des navires : ceux qui
arrivaient d'Espagne ou d'Italie payaient généralement moitié moins
que ceux qui revenaient des Echelles du Levant, parce que le char-
gement était moins riche. Le cottimo était payé par le capitaine du
navire, qui s'en remboursait ensuite suj^les chargeurs de son bâtiment,
entre lesquels était répartie la somme, suivant les marchandises
qu'ils y avaient. C'était un impôt mal assis, puisqu'il pesait du même
poids sur des chargements de valeur très inégale, de plus sa réparti-
tion sur les marchandises occasionnait des différends parmi les mar-
chands, mais il avait le mérite d'être facilement perçu, par des exac-
teurs commis par les députés du commerce ; d'ailleurs, un capitaine
(i) Arch. Comm. DM). 22 mars 1617, 8 août i6ip.
(2) Arch. Comm. De'lib. 2$ août 162S.
(}) Voir : Correspondance de Tunis. AA, jop-^44.
(4) On envoie 2,000 écus de présents à Tunis (18 août 1617), 700 écus au
Ichaouch de Tunis en 1616, 800 à ceux d'Alger en 1618, 800 en 1619, etc. —
Arch. Commun.
(s) Arch. Comm. DiHbir. 6 août 1608, S fh., 16 Jèv. 1619.
LES IMI>OSniON'S
51
pouvait tiiirc modérer son coitimu si le cliargemeiit de son navire
tta'n de trop peu de valeur. « Le cottimo s'exige avec grande foi et
sincérité, écrivent les consuls de Marseille au comte de Briennc, et
comme cette fomic de levëe se fait du }^ré de nos habitants, ils s'y
portent beaucoup plus gaiement qu'ils ne faisaient au paiement du
dit droit de 3 o o '. »
Il existait en effet déjà sous Henri IV un autre type d'imposition
qui fut d'abord préféré sous Louis XIII. Un droit de 3 0/0 d'entrée
et de sortie sur toutes les marchandises, perçu ;\ Marseille, avait été
supprimé iin r6oo puis rétabli eu 1603. Ce droit ad valorem était
adjugé à des fermiers, qui le percevaient d'après les estimations des
marchandises faites par les députés du commerce. Li levée en était
plus équitable que celle du coitinio, mais elle était plus onéreuse à
. cause du mode de perception. Le 2 0/0 fut de nouveau rétabli à
l'entrée et à la sortie te 27 juin 16 10, puis, les dettes de la ville et
du commerce augmentant, de nouveau.^ droits furent imposés les
années suiv.mtes.
De i6ioà 1630 il y eut sans interruption des taxes extraordinaires,
variant suivant les années de i à 3 1/2 0/0 (en 1621), charges lour-
des pour le commerce, .\ une époque où les profits étaient déji bien
aléatoires*. A partir de 1630, comme il n'y eut plus d'armements ni
de négociations avec les Barbaresques, les impositions disparurent à
peu prés, jusqu'au moment où les armements contre les Espagnols
nécessiiérenc de nouveau l'établissement du cottimo '. Mais tandis
que les impositions extraordinaires devenaient nioins lourdes ou dis-
paraiss.iient A Marseille, elles devenaient écrasantes dans les Echelles.
Henri IV, impuissant i payer son ambassadeur à la Porte, y avait
pour\'u au début de son règne en lui accordant la jouissance d'un
droit extraordinaire de 2 0/0 sur les marchandises chargées dans les
échelles* Quand les finances royales furent rétablies, les Marseillais
^^ cs.siyèrent en vain d'eulcvur la possession de ce droit aux arabassa-
^^^H (l| AtCu. Conn. Ccruip. ni mai itifS,
^^B (a) l'ermc de tsixxxt livre» en 1614. — i 00 tn t6t8 qui se lève jus(]u'en
^^^ léîî. 1/2 0/0 en 1619. — ICO en 1621. — Ces iinposiiions soin suppritiitïes
■ ca 1622, mais le i o/u r^appjralt en 1623. — Des cottimos sont «établis en 162;»
I 36, 27, 28 (400 livres par viiissMU, 500 p.ir polacre, J 50 p.ir b.irque revenant du
■ Levant, 100 livres, 6t)« 40 pour les hârimentx revenant J'Esp.ignc et d'iulic).
I V, .lich, Ciittmuu. Dilibiialiom.
K (î) Surtout .nprès 1650. — V. BB, t. i()S$-iùifi. IMibéraliotts de la Cltambit,
^^L (4) V, Introduction.
s^
L AS'ARCntE COMMERCIALE
(icurs, de Brèves cl Salignac. Lorsque Harlay Je Sancy partit pour
Constaïuinople en 1610, ils obtinrent cependant des lettres patentes
portant abolition de cette taxe ' et les envoyèrent aux consuls des
Echelles^ avec défense d'en laisser continuer h perception ; nuis ce
fut inutile, les consuls ne purent exécuter ces ordres, car l'ambassa-
deur avait des commandements du G. S. ordonnant aux puiss.inces
des diverses échelles d'aider à la levée du droit; beaucoup n'essayèrent
pas de le Élire et se retranchèrent derrière les ordres de l'ambassa-
deur : « les personnes de cette sorte ont le bras trop long » , écrivait
l'un d'eux. En vain le consul d'Alep reçut par lettres patentes
l'ordre de comparoir devant le conseil pour y répondre d'avoir négligé
de protéger les marchands, le droit continua d'être levé. Quand il
fut question en 16 17 du rappel de M. de Sancy les Marseillais
envoyèrent des députés à la cour, « pour tâcher d'apporter quelque
remède aux violences du Levant fomentées par M. l'Ambassadeur,
et décharger le commerce des droits qu'il prend. » Ils obtinrent de
nouvelles lettres patentes, du 16 février 1618, qui supprinuient de
nouveau le 2 0/0 mais ne furent pus mieux obéies. Cependant, i force
de prières, Sancy qui attendait son rappel eut la bonne grâce de con-
sentir à ce que le droit fût .iboli h partir du 15 juillet 1619 : à cette
date il allait quitter Constantinople*. Les Marseillais se décidèrent
alors à faire un accord avec le comte de Césy qui partait pour le rem-
placer, ils lui promirent le paiement annuel d'une pension de 16000
livres, pour l'aider aux dépenses extraordinaires qu'il pourrait faire à
propos des afl'aires du cunimercc, moyennant quoi il s'interdisait .'i
l'avenir toute levée de taxes*. Cette convention était à la fois favora-
(1) Lettres pattnUs du ç sepkmbrt 1610. Amirauté. Rtg. 1 des Insinua., fol, jSj.
(2) ij jainifr iôlt, 1} jiuiviti iôiS. AA, }0}. Utiin du Caire. — 6 octobrf
i(>i j, 2u iiovftnhn' 1611, 20 fh'rier 1612, 20 ieNtmhre, iS itoviiitbn 1612, 10 Sfff-
lemhrt, n) octobre 1618. AA, jù). Lettres J'Aleh. — linrcgistrcnicnt des lenrcs
patentes et texte. Aiiiirauli. Insinuât. Reg. 1, fol. ^çj-pS.
(î) Traite fait J Lyon le 25 septembre 1619. — Voir pour les népocijtions avec
Césy : Délibi ration s des 2(1 cioùt, iS septaiibre, 16 octobre idiç, Arch. Commun. —
0 Les députées lui ont promis .iimiiellement jccxjécuseffectirs en pièces de 10 sols
ou 20 sols de France pour lui être payées en 2 payes moitié ii Ij Saint-Jean prochaine
et l'autre .lux fêtes de Xoël portés et rendus audit Constantinople. — Ont encore
promis pour ses secrétaires ico pistoles toutes les années afin de les obliger et
rendre affectionnés au service de la nation. — Ils ont fait trouver bon Audit
ambassadeur de passer par celte ville avec son train atin de s'eiub.irquer sur le
Saint-I.azarc que la ville et commerce noiiserait à ses dépens, et que pendant sou
séjour ledit commerce pnier.iit et acquitterait tous les frais et dépens. >» — L'as-
semblée approuve le noliscmeni du Saint-La/.are pour scoo liv. et ordonne de
faire des présents à l'ambassadeur pour son embarquement. Assemblh du tû sep-
tembre tÔl'J.
LES IMPOSITIONS
>3
blc à r;tmba5B.idcur, qui cvit.iit d'ennuyeuses querelles i propos du
2 DO, et au commerce qui échappait en grande partie A une imposi-
tion considérable.
Malheureusement les dettes du commerce empêchèrent l'exécu-
tion de la convention ; quatre ans après, le paiement de la pension
était de trois ans en retard' et Césy, pour faire (acc \ ses grosses
dépenses, dut recourir \ des» expéditns : tantôt il prenait de l'arj^ent
i titre d'emprunt sur les navires, ce que redoutaient tellement les
marchands que, poury échapper, ils déchargeaient leurs marchandises
hors du port en cachette : « Une piastre prise ainsi, écrivaient les
con.suls de Marseille à leur avocat au conseil, en veut dire cent de
perte pour notre commerce'. » C'est en vain qu'ils essayèrent d'em-
pêcher ces levées en ordonnant aux consuls des Echelles de s'y oppo-
ser. De même que dans Patlairc du 2 0,0, il y eu eut peu qui eurent
le courage de résister i l'ambassadeur, comme le fit le consul de
Smyrnc Dupuy : « Il y a quelques mois, écrivait celui-ci, que
M. l'Ambassadeur envoja ici un dragoman pour prendre argent sur
les vaisseaux qui étaient dans ce port des nôtres, ce que j'empêchai
par mon industrie et l'aide de mes amis, dont j'ai couru grande for-
tune envers mon dit seigneur l'ambassadeur.,, et sur cette colère me
voulait envoyer un caplgi pour me prendre, mais mes amis que j'ai
à l'entour de lui l'ont détourné. VoiLi la récompense de faire le bien
public. » Une autre fois ses efforts ne réussirent pas : « Le diable,
disait-il pour s'excuser, n'aurait pas empêché les vaisseaux qui sont
dans le port de payer 500 piastres*. » La résistance ne servait la
plupart du temps qu'à occasionner de plus grandes pertes pour le com-
merce, car l'ambassadeur envoyait un tchaouch du Grand Seigneur
(surprendre l'argent de force et il fiiUait supporter les frais de cette
(I) « Vos devanciers s'excusent de ne ni'avoir envoyé deux années qui me sont
•dues,., et les guerres de Fr.ince ayant retarde mes pensions, j'en reçois une
extraordinaire inconunoditi', car depuis la mort du sultan Osman au changement
de 6 grands vizirs, qui à chaque lois ont causé la mutation des principaux officiers
de la Porte, j'.ti été selon la coutume contraint de leur faire les présents ordinaires
pour pouvoir négocier avec eux, de l'at^on qu'après avoirengagé ma vaisselle d'argent
et mes pierreries et les dits sieur> consuls ne m'ayant envoyé que du papier au lieu
de l'argent qui s'est reçu à Marseille, Je me suis aidé de quelques 2000 écusde ce
qui était charge sur la polacre adressée au petit Gués. . . J'aimerais mieux mourir
que de laire tort à personne, mais je suis venu ici pour servir le roi et non pas pour
fOC ruiner. » Lettre de Chy aux constdnh ManriUe, t j iiofnnlnc iùj2. .-/.-/, ;./},
— 16 juin j63J.
(3) 24 ifptfmhrt 164t. Lellrt à YcarJ. Arch. Commun.
{l\ 14 juillet 1626, 2 avril t6}j. .4.4. tjS.
54 L ANARCHIE COMMERCIALE
dépense. Césy cmpnu.tait aussi aux indigènes à des taux qui s'élevè-
rent jusqu'à loo pour cent, si bien qu'en quelques années il se
trouva chargé de lourdes dettes. Mais ce fut surtout l'imprudence
de sa conduite et ses abus d'autorité dans les affaires d'Alep qui entrai-
nèrent le commerce à des pertes immenses.
Pour obtenir la suppression du droit sur les soies dans cette
échelle et l'expulsion d'un douanier tyrannique, il donna de
grandes sommes aux ministres et prêta 142.000 piastres au grand
vizir, qui lui accorda, pour se rembourser, le 1/5 du produit de la
ferme des douanes d'Alep. Césy fit donner la ferme à des Armé-
niens qui s'engagèrent à lui remettre les sommes qui lui revien-
draient, mais il dut se rendre leur caution. Ces dépenses l'avaient
obligé ;\ recourir à des emprunts, il voulut, pour éviter le paiement
de gros intérêts, forcer les marchands d'Alep à les rembourser, ce
qui jeta la nation dans de grands désordres. Les marchands ayant
essayé de résister furent tous emprisonnés, le consul gardé dans sa
mai.son p;ir deux tchaouchs et les marchandises saisies ; il fallut
p;iyer de suite 50.000 piastres et faire des doiiatives au pacha pour
arrêter ces exécutions. La nation écrivit à Marseille des lettres sup-
pliantes : « Les ministres de ce pays, disait-elle, nous voyant en
trouble avec celui qui nous doit défendre se prévalent du temps pour
nous ass.issincr. Si cette affaire ne prend fin, il n'y aura plus moyen
de négocier. . . . ils nous mangeront jusqu'au sang. Comme étant
les j>ères de la p;itrie c'est ;\ vous autres de chercher les expédiens
convenables. . . . nous vous pourrons dire à bon droit les restaura-
teurs du ncg».Ke. . . \*oilà la ruine que cette malheureuse af&ire
nous jnnte. Dieu le pardonne .\ qui en est cause. » '. Les Marseil-
lais n'.ivaient jxis .ittendu ces lamentations pour s'émouvoir ; dès b
première nouvelle « des indues exactions que M. de Césy Ciisait
exiger en Alep pour des choses indues et desquelles lui en son par-
ticulier en a iJit la dette, sans que la nation y puisse rien entrer, »
le conseil de ville d«.liber.i à runanimité d interdire le nc^oce par
tvHitos îcs ccheV.cs dv: Levant, jusqu'à ce qi.:e S. M. y eût pourvu, et
suppli-i le duc de tîv.:se. goi:vcrneur de Provence, de « demander à
S. .\L cr.e ':.: correctiov. c v-c.'.e en ter.t:î servit d'exemple à l'avenir*. »
.■:j. : .
LES IMPOSITIONS
$5
Pendant ces contestations la situation s'aggrava encore : l'ambassa-
deiir s'était promis que, « moyennant la joiiissancf de la douane, les
dettes seraient proniptcnicnt acquittées,»' il n'en fut rien, l'entre-
prise de la douane ne réussit pas et la caution qu'il avait donnée aux
Arméniens l'obligea à payer pour eux de grosses sommes, si bien
qu'au bout de trois ans le grand vi/ir lui fit la grAcc de l'en décharger.
Césy demanda alors que le paiement de ces dettes fut supporté
par la communauté et commerce de Marseille et de nouvelles
contestations s'engagèrent. Sanson Napollon, qui négociait alors ;\
Constantinoplc, fut envoyé par le roi A Alep pour prendre infor-
mation de l'aflliire, puis, A son retour, un conseiller d'Etat M. de la
Picardière y fut délégué, tandis que la ville de Marseille députait à la
cour plusieurs des membres du conseil avec le premier consul.
Mais les intérêts de Césy furent énergiquemcnt défendus par ses
agents et d'ailleurs les ministres désiraient vivement faire revenir
l'ambassadeur, que ses créanciers ne voulaient pas laisser partir. Un
«rèt du conseil du 29 mars 1627 mit à la charge du commerce les
Jettes de M. de Césy, et pour les payer un droit de 3 0/0 fut établi
dans les Echelles l'année suivante.
Alors commença l'interminable liquidation de ces dettes ; îc
commissaire du roi La Picardière, d\iccord avec le nouvel ambas-
sadeur Marcheville, fixa d'abord à 310.000 piastres (930.000 livres
environ), la somme qui resterait .1 la charge du commerce (1631),
mais les Marseillais obtinrent que les comptes fussent vérifiés de
nouveau et contredits par deux de leurs députés (9 janvier 1632)*.
Un arrêt du conseil du i" août 16^4 les déchargea du paiement de
6.000 piastres d'intérêts que la première liquidation avait adjugées
aux créanciers et M. Je La Picardién.- régla définitivement la somme
i payer A 248.760 piastres, mais cette nouvelle décision ne termina
rien.
Les Marseillais eurent surtout i se défendre contre les nouvelles
entreprises des créanciers, qui cherchaient à se faire assigner leur
paiement sur le droit de 3 0/0, pour des dettes qui n'avaient aucun
il) 7 Décembre 1621, .-Z.^, i.f}. Lettre lU Clsy.
il) Lts cré.anci»:rs de Ccsy firent arriitcr et retenir comme otages à Constami-
nnpJe jusqu'en 1638 les deux envoyés des Marseillais ; le commerce dut leur
piycr 23.000 livres de domniages-intériits. V. jo octobre 1642. Transaction entre
u communauté et les sieurs de Montholieu et Bettandié, — Voir leur curieuse
correipondancc envoyée de Constantinople (i63)-}6). AA, 167, 8g Ultra,
56
L ANARCHIE COMMERCIALE
l'affaire d'
rappon avec l'attaire d'Alep, et « tendaient à faire immortaliser par
ce moyen l'exaction dudit droit. « Ces dettes s'accrurent encore
pendant la seconde ambassade de G:sy (1634-59) •' ■ Jl' suis réduit,
écrivait-il peu avant son retour, ù emprunter de nouveau i cent pour
cent ou à mourir de faim. » Les efforts du commerce pour éviter le
remboursement de ces nouvelles dettes ne réussirent guère, malgré
de grandes dépenses, à cause des influences que les créanciers surent
acheter à la cour. Les procès qui furent engagés contre plusieurs
d'entre eux inquiétèrent le commerce plus de 25 ans après la liqui-
dation de La Picardière'.
Cependant, malgré les dépenses énormes qu'il fit supporter au
commerce, Césy prétendit obtenir le paiement des arriérés de sa
pension de 16000 livres que les Marseillais avaient négligé de payer;
ils soutenaient « que l'ambassadeur, au lieu de satisfaire de sa part à
ce qu'il avait promis, avait levé par extorsion de grosses sommes sur
le négoce de la ville de Marseille en Alep, qui se montaient dix
fois davantage que ce qu'il prétendait. » Pour se dédommager Césy
avait continué à s'emparer des deniers qui arrivaient sur les vais-
seaux*. En vain les consuls de Marseille refusaient d'acquitter les
lettres de changes qu'il donnait aux capitaines pour se faire rem-
bourser, chaque fois ils étaient condamnés au paiement par le lieute-
nant du sénéchal, puis par le Parlement de Provence qui répétait
uniformément dans ses arrêts que s'ils ne voulaient pas payer ils
dev.^ient fiire cisser le contrat de 16 19. Enfin, quand Césy revint de
Constantinople, il fallut régler définitivement sa situation vis-à-vis
du commerce. L'intendant de Champigny chargé de juger le diffé-
rend, fi.xa d'après les comptes de la Picardière, à 229000 livres les
(0 Pour les dé-buts de l'affaire de Césy voir la Corrcspondttncf d'Al([<. A A, }<>;.
— Chardin, t. I, p. 6, les raconte peu exactement. Pour la suite Je l'afTaire V.
Arch. Commu.i. Dclibéralioiis et Coirespondanu. — A]î. étrangères. conrsf>, polit.
Constantin. Reg. s, 4, /■ Nonibreusts ktiies. — Four ces procès voir par exemple
l'alïaire Angusse : 22 aoiit i6}(>, iS octobre, 22 octobre 16)8. Arch. Comintin. iMtresl
de Vavocat au Conseil Le Roux. — 2/ novembre 1662. Lettre à de Bricnne. UB, 2(u
(2) 11 eut encore recours à des expédients plus cond.imnabIcs. — Les march.ind.*
fran>;ais vendaient librement leurs draps à Smyrne et à Constantinople 5 et 6
piastres le pic. lin i6;o Césy laissa les Turcs contraindre les marchands \ ne
vendre les draps que 4 piastres le pic, dont 5 seulement appartiendraient au vendeur
et la quatrième serait prélevée par ^amb.ts^adcu^. — Pour contraindre les mar-
chands à lui p.ayer cette pi.istre, Césy envoya \ Smyrne son premier drogman avec
un tchaouch et des commandements de la Porte pour saisir les draps dans les
magasins et il les fit transporter a Constantinople sans même en avoir fait un
inventaire. — Lettre du roi à M. de hîarchcviUe , iS octobre 16^1. Aff. èlrang. ^
Corr. polit. Constant. Reg. 4, fol. jS.
I
1
i
I
I
LES IMPOSITIOXS
57
arriérés dûs;H M. deCcsy pour sa pension, mais les Marseillais ay.nnt
découvert de nombreuses volcries dans les comptes de la Picardière,
les contestations recommencèrent. « Nous ne vous fatiguerons pas,
écrivaient -il s au secrétaire d'état Chavigny, du détail des suppositions
faites dans la liquidation de la Picardière : un iiorloge sonnant
acheté par M. de Césy au prix de 4000 piastres, et par lui revendu,
passe pour 20000 piastres employées pour les affaires du commerce '. »
Le nouvel intendant M. de Vautorte fut chargé d'examiner les
comptes, son jugement du 18 février 1645 retrancha 134987 livres
sur la somme attribuée à M. de Césy et « outre ce réservait au com-
merce de poursuivre ses plus grandes prétentions, » Les Marseillais
ne négligèrent pas de le faire, ils prétendaient que, sans les artifices
Je la liquidation, Césy se trouverait redevable envers le commerce.
L'affaire n'était pas encore réglée 20 ans après et remplissait la cor-
respondance de la Chambre du commerce qui l'appelle la « grande
atfairc*. »
Le paiement des dettes de Césy causa des déboires encore plus
grands que leur liquidation. Dès le début de celle-ci l'arrêt du
conseil du 26 juillet 162S établit un droit de sortie de 3 o, 0 qui dut
être perçu dans tout le Levant ; les fermiers chargés de la levée
s'engagèrent .\ payer les dettes en six ans\ Mais, comme la liquidation
tardait à se faire, le droit fut perçu pendant quatre ans sans qu'aucun
paiement fut effectué et l'argent fut employée d'autres dépenses. Les
Marseillais, trouvant que l'exaction du 3 0/0 était trop onéreuse dans
les échelles, l'établirent dans leur port A l'entrée des marchandises*.
Cet essai ne réussit pas mieux : trois ans après, aucune dette n'était
acquittée, les deniers s'accumulaient entre les mains du fermier de la
ville, sans qu'on os.U les f;iire passer à Constantinople, car ceux de
la première année de la ferme y avaient été employés au paiement
d'une av.anie*. De plus, les consuls de Marseille remontrèrent que
(1) Ijmai 16^2. LtttreàCliavigny. Arch. Commun.
(2) J3 */ 2^ Jfctmhu i6f^, 14 mais i/ijâ, l'/f. BB , 36. — .\ l,! suite d'un
rapport Ju pri'sidcin d'Oppède. cliargé de revoir toute l'.itTaire (1666-68), fut rendu
l'artct dit iTonscii du 27 juillet 1671. ll,3f. — niifiii uu .irrût du 27 juillet 1681
régla définitivement les prétentions que le comte de Césy avait eues sur leconi-
merce, lytii e du 4 décembre i6Sj. BU, 26.
(}) /tri-h. Commun, DéliNi . 6 uviîl 163g.
(4) .Irch, Commun. Dilih, 7, <; janvier, ro mars, 2} mai, 24 juillet, 24 cxtolre,
14 nairmbrc 16} 2.
(5) Arch. Comm, Délib, 9 juin, 11 oclob't 16 j^.
58 l'anarchie commerciale
« la levée du droit en cette %'ille était grandement préjudiciable au
bien et h la liberté du coninicrcc et divertissait icclui en la ville de
Gènes, Livourne et autres sujets de princes étrangers » et ils sollici-
tèrent le rétablissement de la ferme dans les échelles du Levant '.
Mais les risques \ courir étaient tels que, malgré les exhortations
des consuls, malgré l'offre du cardinal de Richelieu d'avancer
looooo livres de ses deniers pour encourager ceux qui voudraient
« faire parti » de payer les dettes, personne ne se présentait. Cepen-
dant les sommes à payer s'accroissaient chaque jour par les intérêts ;
elles avaient été liquidées définitivement à 248760 piastres en 1635 ;
quand la ferme du 3 0/0 fut de nouveau adjugée en 1637, le com-
merce devait payer 300000 piastres que le fermier Luguet commis-
s;ùre de la marine s'engagea à solder, moyennant la jouissance du
droit pendant ri années*..
Les Marseillais avaient demandé que, pour assurer l'emploi des
deniers, il y eùti Constantinople quelqu'un de la part de Sa Majesté.
La précaution n'eût pas été inutile car l'argent fut encore gaspillé :
M. de la Haye s'en serxùt, malgré les réclamations, pour payer les
dettes qu'il contractait*; le fermier Luguet en profita aussi pour
satisfaire ses propres créanciers. Il devait envoyer des draps à Smyme
et ;\ Constantinople mais au lieu de fournir des draps dits de Paris,
il avait tait glisser dans son contrat le mot draps de France, or,
comme l'écrivait Cés\-, les draps de Dieppe, de Languedoc et de
Poitou valaient dans le Levant plus d'un tiers en moins que les draps
du sceau. Ceux qu'avait expédiés Luguet étaient de si mauvaise
qualité qu'ils furent vendus d'abord à Kis prix et qu'ensuite les Turcs
n'en voulurent plus même i crédit '. Le droit fut donc levé encore
pondant cinq ans (1(^7-4-) s;ins que le paiement des dettes s'effec-
tuât et les changes lunaires les augmentaient toujours. Pour mettre
i;i .".;. :-•■. "V; :.•,•:■. — I.uçu^-; '.•.">.•;:;•.: ù'aK'-ri ^u"a<f>oc:é.i un «e'JrGuilhcnny.
V '..•;•;•.;"- .-. -• X .\-;.:.'> .:: .V. .:r ■:,-:.— .■• i :-.— . -'5. >\:j. — I". rtsu seul fermier
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\ • •
LES IMPOSITIONS
59
un terme aux malversations du fermier, les consuls de Marseille
obtinrent la aissation de son bail '. Mais Lugiiet, mis dans l'impuis-
sance de payer ses créanciers, se prétendit lésé et entama contre le
commerce de Marseille des procédures qui duraient tncorc plus de
35 ans après. Les Marseillais dépensèrent pour l'affaire Luguet en
(léputations, en présents, en frais de procès des sommes considé-
rables et furent condamnés malgré cela à dédommager ses héritiers.
Il falbit compter, en effet, :i\'ec l'influence des gens de cour que
les fermiers savaient intéresser i leurs bénéfices'. Dans l'afiaire
Luguet, le Bureau du commerce de Marseille dut même décliner la
juridiction du Tribunal de l'amirauté parce que le lieutenant du
siège de Marseille éuit un des intéressés à la ferme du trois pour
cent. Plus tard le comte de Brienne, secrétaire d'Etat, qui remplaça
Chavigny dans la direction des afiaires du Levant, participa aux
opérations des fermiers et se montra souvent peu favorable aux
démarches des consuls et des députés du commerce de Marseille.
Pour échapper aux vol cries des partisans qui demandaient que les
adjudications des fermes se fissent h Paris, où ils auraient facilement
obtenu des conditions onéreuses au commerce, les Marseillais ne
cessèrent de réclamer que les enchères se fissent :\ Marseille, sous la
surveillance de leurs consuls et députés; il leur fallut de longs
efforts pour triompher de l'opposition intéressée qu'ils rencontrèrent
à b cour. Malgré ces précautions les baux de la ferme du 5 0/0
furent encore ruineux pt)ur le commerce et à deux reprises les
consuls de Marseille négocièrent à la cour pour les faire aiTiender\
(t) N \ous cwi^inons que k- commerce ne reste ch.irgd- des Jhs p.iicmcnts et
nous ne savons à qui nous en prendre pour avoir aff.iire .1. des personnes perdues. »
Ltitré à Ycatd. 2; juilltl 16^1 Arch. Commun. — Luguet avail cependant fourni
des son^mes considérables puisque M. de Ch.impigny qui examina les comptes
des hiîritiers de feu Luguet les déclara déLnteurs de 81J00 pi.vstres pour reste
des }ooooo. Arch. Commun. Coi r,-sp. tiivoyéf, 20 avtil 1646.
(3) Si l'affaire Luguet donna tant de m.il aux Marseillais c'est que M, de la
Barde premier commis de M. de Chavigny y était grandenient intéressé (t-, Léllirs
à Ycard, 7, j-/, 21 tiiai , ;, 2t noivvibit, ; déceiiihrf t6.11). — Les Marseillais
aaignaient fort qu'il n'en fût de même de M. de Chavigny : « Ors que ledit
situr favorise Luguet, écrivaient-ils 1 leur avocat au conseil, nous sommes telle-
ment londés en justice qu'il n'en fout espérer que bonne justice » (à Ycard,
} stpietnbr^ 1641). Arch. Civnm.
(3) Arch. Commun. 14 nmembit 1644 ; jo jata. 1646. Dilibir.— Un certain
Antoine Marticliou ■ commis pour la recette générale ■ à qui tous les londs
rirovcnant du î 0/0 devaient être remis, avait ol^tenu pour ses frais 2 sols pour
ivtc, c'est-à-dire 10 0/0, il fallut encore négocier ù la cour pour obtenir la
réduction de ces prétentions « qui allaient h des sommes immenses. » t" ilketti-
irt 1644. Arch. comm.
6o
LAKARCHIE COMNtERClALE
De plus le gaspillage des deniers continua ; il y avait un an
qu'un nouveau fermier était en possession de la ferme, qu'il n'avait
encore rien payé pour les dettes de Césy : il avait dû avancer
20.900 piastres à M. de la Haye'. Il semblait que ce droit ne
j>ar\-iendrait jamais à payer les dettes pour la liquidation desquelles
on l'avait institué. Enfin les consuls de Marseille se décidèrent en
1648 à supprimer ce 3 0/0 qui leur avait causé tant de déboires.
« Les fermiers, écrivaient les consuls à Li cour pour se justifier de
ce coup d'autorité, en ont retiré plus de 2.000.000 délivres sans
les grands frais et dépenses que cette ville a supportés en dépura-
tions, procès et autres occasions que ledit droit a fait naître*. »
Le 3 0/0 fut remplacé par un cottimo considérable de 500 piastres
par vaisseau, 300 par polacre et 200 par barque qui continua d'être
levé jusqu'à l'époque de Colbcrt*. Ce qui causa une prolongation
si extraordinaire d'une imposition qui ne devait d'abord durer que
a années, ce fut, outre les malversations des fermiers ou les vire-
ments de fonds opérés par l'ambassadeur, le nombre croissant des
créanciers qui, malgré les etTorts des Marseillais obtinrent de la
cour que le paiement de leurs dettes fût assigné sur le produit du
3 0/0. Les e.sigcnces de quelques Anglais de Constantinoplc, créan-
ciers de Césy, rendirent même nécess.iire en 1655 l'établissement
d'un nouveau cottimo destiné à payer 470.000 livres qu'il IcurS
devait. Ainsi, après avoir p.iyé depuis 162S un droit de 3 0/0, puis
un lourd cottimo, pour liquider ces lameuscs dettes de Césj- qui ne
s'élevaient d'abord qu'A 722.000 livres environ, il en restait encore
470.000 à payer. Aucun exemple n'est plus propre i faire toucher
du doigt l'inconcevable désordre de l'administration d'alors et la
situation inextricable dans laquelle se débattait le commerce.
Aux impositions causées par les dettes de Césy vinrent encore
s'ajouter celles qu'exigea le paiement des créanciers de M. de Mar-
cheville, qui imita l'exemple donné par son prédécesseur. Comme
les consuls de Marseille tardaient à lui envoyer de l'argent, il sefl
remit a percevoir l'ancien droit de 2 0/0, ce qui ne l'empêcha pas de
réclamer ensuite les arrér.iges de sa pension. Bien plus, son ancien
secrétaire offrit de fournir aux consuls de Marseille des reçus, revêtus
I
(i) Lcllre à Yavocat au Conicil du liorn, 2<j janv. 164/. Arcli. comm.
yi) 6 avril 164S. Ai cb. commun.
(j) ;, /p mai i6^S. Arch. commun, Dilihir,
LES IMPOSITIONS
6r
Je S.1 signature, prouv.iiit qu'il réclamait des sommes qui lui avaient
été JOjA pavées pur le commerce'. Il partit de Constnntinople telle-
ment endetté qu'A son retour ;\ Marseille le patron de la barque qui
l'avait r.iment' fit saisir ses équipages en nantissement du prix de
son passage. Dès lors la liquidation des dettes de Marcheville et les
prétentions de ses créancierb occasionnèrent aux Marseillais des
tracas et des dépenses, moins grands sans doute, mais analogues à
ceux que leur avait suscités Césy*.
M. de la Haye, pendant presque toute son ambassade, fut en fort
mauvaise intelligence avec les marchands, â cause des levées conti-
nuelles qu'il pratiqua sur les vaisseaux, malgré leurs plaintes. Voyant
que, du temps de Marcheville, ils avaient du pa3'er à la fois le 2 0,0
et la pension de l'ambassadeur, les consuls de Marseille déclarèrent
à de la Haye qu'ils entendaient ne rien lui payer et qu'ils ne l'em-
pêchaient pas de lever le 2 0/0. Néanmoins l'ambassadeur, après
avoir joui de ce droit pendant deux ans, leur lit donner par la cour
l'ordre de lui payer 32.000 livres d'arrérages pour sa pension '. Sous
prétexte qu'il faisait de grandes dépenses pour tirer Césy des mains
de ses créanciers, de la Haye fit de nouveau de fréquentes saisies
de deniers sur les vaisseaux et s'empara aussi du produit du 3 0/0.
Les consuls de Marseille eurent beau répéter dans leurs lettres A la
cour que l'ambassadeur était depuis longtemps « surpayé de ses
dépenses», la cour ordonna de satisdiire à toutes ses exigences'.
L'établissement de plusieurs impositions qu'il fit percevoir de sa
propre autorité dans les échelles, en faveur de créanciers de Césy ou
de Marcheville dont il avait acheté la créance, acheva de le brouiller
avec les marchands. La Chambre du commerce dut lui Ciire expédier
plusieurs lettres de cachet pour obtenir la suppression de ces taxes*.
(1) Ltttres à Ycard 2/ noveiiihit, t<^ octd>rc 1641, 31 mai 164). Aicb. Cofiim.
(îl Voir par exemple l'affaire Guez. Ce créancier de Marcheville obtint de
M. de Id Huye l'ctablisscmciu d'une imposition sur les navires d.ins les liclielles
pour «.on rcnibourscnient. Pour 4 ou 5000 piastres qui lui étaient ducs, on eti
leva plus de 40.CIUO et les Marseillais curent beaucoup de niai 3 obtenir la sup-
pression de l'imposition V. Àrcb. Conimim. l.rttrc Je l'avocat ïcitid, 6 Jèv. lus 4.
(31 Lfliui à Yiitiil, 2.1 iUctmhi,' i6)S, / fh-rier iOji). Ai ch. commun.
(4) Ltltrt iluii fèv. 1643 à Yfdrtl, ij moi 1643 àChaviguy, i) dèciinhre 1644
il Chamfiigus. — De la Haye continua pour ses dispenses personnelles ;\ (;.irder
le produit du 3 00 des éclielks de Sinyrne et de C2onstantinople. LdtifS à Vcaut
du /•' ft S octûbif K'IJ. Afih. Commun.
{%) Voir hltfis di's Cùnsuh de M, tôjO-SS, J4 décembre léjf, 4 janvier ,
H fîv. sôjô. DU, 26. — Délibx'riUiûn de la Omiibre du •) septembre 16)6. Bli, 1 .
62
L ANARCHIE COMMERCIALE
I
Cependant les rapports s'améliorèrent entre les marchands et M.
la Hâve pendant les trois dernières années de son ambassade ; il
n'y eut plus de plaintes contre lui, on trouve même une lettre de
remerdments des consuls de Marseille pour un service qu'il leur a
rendu ; de leur côté les Marseillais lui payaient régulièrement sa
pension. Mais de la Haye se montrait bien oublieux ou singulière-
ment hardi quand il écrivait aux consuls : « Vous savez que pen-
dant les vingt ans de mon amhiissade il n'y a jamais eu de plainte
contre moi, soit de la part dugènéral^ soit des particuliers, bien que
j'aie eu plus de sujet qu'aucun autre ambassadeur de prendre sur
les vaisseaux ce qu'on sait qui me manquait d'ailleurs'. »
Les dettes croissantes que les avanies laisaient naître dans les
échelles y tirent établir des impositions encore plus lourdes que les
dépenses des ambassadeurs. En 1641 un droit général de 2 o,'o fut
créé pour 15 ans sur les marchandises chargées dans toutes les
échelles. Trois ans après il ttUut faire lever un autre 2 0/0 dont on
devait tirer 100.000 piastres'. Ces impositions générales n'empê-
chaient pas d'en mettre de particulières dans l'une ou l'autre des S
échelles qnand ses dettes l'exigeaient. Les trois grandes échelles les ™
plus exposées aux avanies, Alexandrie, Alep, Seide, furent presque
sans interruption chargées de diverses taxes. A Alexandrie dès 1630
la nation établit un droit de 3 0/0 qu'il fallut bientôt élever à 5, car,
.1 cause de la ruine du commerce, il suffis;iit à peine à payer les inté- '
rets des dettes*. En 1641 un sieur Letellier « avait feit parti » avecfl
le roi de p.iveren 15 ans les dettes d'Alexandrie moyennant la jouis-
sance du 5 0''o; or, écrivent les consuls de Marseille à leur avocat à
la Cour « les comptes envoyés par les principaux négocians de
l'écheUe montrent qu'ils paieront ce qui reste à payer en deux
années, sur le pied des paiements ci-devant faits au moyen du dit
droit .ivec lequel il s'est acquitté dans quatre années 80.000 piastres^
de façon que, durant ireue années, il y aurait à partager entre les ■
auteurs de cette volerie 26.000 pièces de 8 féaux, qui dévorerait la
(i) ^ /iiff». 1660. A A, 14s, cf. Lettre du 22 mars tôs).
(1) Dilib.du 2$ Hov. 1641, 34 dfc. 1644. Arch. Commun.
(3) Il s'jgissait en 1634 Je payer 80.000 piastres qui furent acquittées en 4 ans,
cependant la ferme du 5 o o existait encore en 1648, un moment supprimée elle
fut presque aiissittM rétablie; le droit était encore nervu en 1660 et cependant
l'ccUclle restait engagée (X)ur 250.000 piastres. V. Dtlili. du 2 janv., i'" août 16 f 4,
f M-ril 1641. — Leititi du 12 mars, 7, 14, 21 mai 1641, 9 mai 164^. 2J — ""'
164S. Anhiv. Commun. — DH'ib. J, la Chambre tn 1660. BB, i.
I
LES IMPOSITIONS
63
substance entière du commerce' ». Malgré l'évidence de la super-
cherie, les consuls craignirent pendant plusieurs mois de ne pas
obtenir satisfaction, car M. de la Barde premier commis de M. de
Chavi}»ny avait reçu promesse du sieur LetcUicr de 4.000 livres de
pension; cependant ils finirent par faire rejeter l'offre du partisan.
Jl était toujours dangereux de laisser étiblir une levée dans une
échelle car il était fort difficile de la faire supprimer dans la suite,
.1 cause des intrigues des financiers qui y trouvaient la source d'énor-
mes bénéfices. Alep ne fut guère mieux partagée qu'Alexandie* ;
quant i Scïde la nation, .'i la suite des avanies qu'elle subit après la
mort de Fakhreddin en 1633, dut contracter des dettes énormes
dont elle essaya en vain de se libérer.
Le préambule de l'arrêt du Conseil du 12 décembre 1664 résumait
nettement la triste situation des Echelles pendant cette période :
iSous prétexte de payer les dettes de la nation, on a établi, dis;iit-
I, des impositions qui sont si exorbitantes que depuis 20 ou 30 ans
il se lève dans toutes les Echelles du Levant 3 ou 5 0/0 sur toutes
les marchandises qui sont apportées ou qui en sortent et jusqu'à
r.ooo ou 1,200 pia.stres par chaque vaisseau ou barque, sans que les
sommes prodigieuses qui en doivent provenir aient pu suffire à
acquitter les dettes contractées. ". n C'est en vain que les Marseillais
adressaient leurs supplications à la Cour pour remédier à une situa-
tion si misérable : « Considérez, Monseigneur, s'il vous plaîtj toutes
ces raisons, écrivaient les consuls ;\ Chavigny, et au nom de Dieu
portez votre pensée aux moyens de mettre en liberté notre com-
merce qui se trouve chargé de plus de 12 ou 13 0/0 par toutes les
Echelles sans compter les droits du Grand Seigneur, sans l'assujettir
davantage par de nouvelles impositions et rendre son servage éter-
nel, ce qui serait capable de le faire abandonner par nos marchands
(1) Uii'i- a li-jrii, 13 imiis i(>4J. — ; avril iC^r. Détth. Aichîv, Commun.
La pi^istrc équivikit i peu près à l& pièce de 8 ri^jux.
(2) V. ^ août i6rç, sfpt. t6ji . Ardiiv. Commun. D/lih. — ;./ mai 1622,
8 mars t62j, 12 jatii'. t(<2}, ao, 2S mai 162}. AA, }6}. — DlUb. du } avril
lf>4i, 24 dtc. 1644, Archiv. Commun. — Des impositions y sont établies en
1619. 22, 2\, Jl — En 1641 fut alTcrmé pour 15 ans un droit de 2 0/0 hien-
tâl iiccru d'un .lutre droit de 4 0/0; tous Jeux étaient levés encore en 1660. —
De plus uncottimo avjit été créé en 1651.
(3) A A, t}2. — A Sniyrnc méntc l.i nation, quoique moins souvent exposée
iiux avanies, dut cependant ussez fréquemment établir des impositions. Letirts des
irchands, t3 mai tàjS, ij dtc. 1642. .4A, 17A'.
pour conserver le peu qui leur reste, et le rendre tout à ùit désen,
et par votre bon naturel empêchez les oppressions qui nous mena-
cent et vous serez son restaurateur '. » Deux ans plus tard le chance-
lier Séguicr semble avoir eu l'idée de jouer ce rôle : « Il s'informa
particulièrement, auprès de l'avocat au Conseil Ycard, chargé des inté-
rêts du commerce de Marseille, de 1 ctat des affaires du Levant et des
droits qui s'y levaient et il demanda que le Bureau du commerce de
Marseille avisât aux mo^'ens qu'on pourrait prendre pour en sup-
primer une partie et tâcher de rétablir le commerce. » Le Bureau
s'empressa d'y travailler et d'envoyer des mémoires, mais la bonne
volonté du chancelier resta sans effet*. Il fallut attendre Gilbert
pour obtenir un adoucissement aux charges extraordinaires quesup-
portait le commerce.
A côté des impositions extraordinaires établies dans les échelles,
il y avait les impositions royales payées à Marseille, dont le poids
croissait sans cesse. En vertu de vieux privilèges, dont l'origine
remontait au traité et chapitres de paix conclus ayçc Charles d'An-
jou, le 12 juin 12)7, ^ï confirmés lors de la réunion de la Provence
i la Inmce, Marseille était exempte de tous droits sur les navires cl
les marchandises entrant dans son port. Cette franchise, qui avait
fait sa fortune, avait été récemment confirmée par Charles IX, en
1 564, par Henri III, le 25 septembre 1 577, par Louis XIII lui-même,
le l"^ septembre 16 16. Mais les fermiers des droits du roi, poussés
par leur cupidité, entreprirent .sans cesse audacieuscmcnt de violer
les privilèges des Marseillais, et souvent la vigilance et les protesta-
tions des consuls de Marseille ne sullîrenl pas à les en empêcher. Les
fermiers et les commis de la foraine furent presque continuellc-ment
en conflit avec le commerce depuis le xvi' siècle. En vertu de la
franchise du port, ils n'avaient pas le droit d'établir leurs bureaux
dans la ville, mais seulement aux limites de son territoire. Ils réussi-
rent cependant, .1 plusieurs reprises, à les y introduire. Dès 1556,
des lettres patentes du roi ordonnent de supprimer le bureau qu'ils
vont créé et l»'s officiers qu'ils ont institués'. Cependant ils revin-
rent, sans doute à la faveur des troubles, et même ils prétendirent
(1) tj mai 1643. Arcb. Comm,
{2) Leitiv à YcdiJ, 2tj nav. i6.f.f. Arch. Commun.
(51 Oclohit I iSd. Hfgisi. I dti Iiisinualiom de l'Amkûuti dt M. fol 80 j. Arcb.
Dèp. dti ll-du-Rh.
LES LMPOSmONS
6%
exercer un droit de visite sur tous les vaisseaux qui sortaient du
port de Marseille. Mais le lieutenant de l'amirauté, qui exerçait ce
droit, protesta et un arrêt du Parlement de Provence, confirmé
par arrêt du Conseil en 1606, le lui réserva'. Les commis de la
foraine furent même obligés par les lettres patentes de 1616 de se
contenter d'avoir leurs bureaux autour de la ville, mais leurs querel-
ler avec les Marseillais se renouvelèrent plus vives que jamais au
sujet de denrées et de marchandises exemptées des droits et qu'ils
prétendaient y assujettir. En 1636, l'irritation était si vive contre
eux, qu'un matin, quantité de mutins sortirent de la v-ille avant le
jour et égorgèrent tous les commis des bureaux sans qu'il en échap-
pât un seul*. La correspondance entre les consuls de Marseille et
leur avocat au conseil est remplie de leurs démêlés avec les fermiers
de la foraine dans lesquels il est vrai, grâce à leur persévérance, ils
obtinrent généralement gain de cause*.
Il n'en fut pas de même au sujet du droit des drogueries et
épiceries. Les lettreô patentes du 25 septembre 1577 exemptaient
expressément les Marseillais de ce droit que François I", le 25 mars
1 544, avait fixé i\ deux écus parquintal pour les épiceries, et à 4 0/0
de leur valeur pour les drogueries. Cependant sous Louis XIII, ce
droit fut levé sur toutes les épiceries et drogueries qui entraient ;'i
Marseille. En 1644, le chancelier Séguier eut l'intention de faire
abolir cette imposition et des négociations furent entamées ;\ ce
sujet avec le Bureau du commerce de Marseille, mais la cour deman-
dait une grosse somme pour le rachat du droit et le remboursement
des oiïices des commis et le Bureau craignait qu'après l'avoir payée
on ne rétablit ensuite la levée, aussi les pourparlers n'aboutirent
pas*. II avait été question en même temps de supprimer le droit
de poids et cas.se qui existait depuis le moyen .iige et que les négo-
ciants payaient, lors des ventes et .ichats, pour les marchandises
qu'ils i;iisaicnt peser au Bureau du poids et casse par les commis
royaux. Le tarif de ce droit avait souvent varié suivant les besoins
(t) .Infl du Pailtmmt du 7 dhtmbrt ;jy^. — Anft du Constil, 16 fév. i(>o6.
— Ibidfûl, 3)4. J37.
(21 ji'LLUNY, I. I, p. so, d'après un Mémoire de Lcbret 1 la Bibl. Naiionale.
(î) Voir -■/»(■/;. Conwiu». Corropomhince rtiue vt nivoyft, notamment l6io, 1621,
l6}4, 1651, 1652 tt bB, j6, Corro/. dt la Chiinil're, 7 fhr. j6;;, 3 oct. jbyô.
U) Atsh, Commun Cotresp. rnvoyh, 6 àà. 1644, ij dtc, 1644, jjanv. 164s.
ftC l'anakcihe commerciale
de l'ctat*. Scj^uicr (it proposer le rachat des deux droits des épice-
ries et du poids et casse pour 200,000 livres, le commerce ne vou-
lant pas s'engager pour une aussi grosse somme offrit de payer au
roi une rente de 12,000 livres, supérieure à ce qu'il en retirait. Les
Marseillais ^-taicnt encore assujettis au paiement d'un écu parquintal
pour les aluns apportés du Levant, un fermier avait été établi pour
le percevoir au milieu du xvi* siècle*. Ils devaient aussi le droit de
visite aux oflîciers de l'amirauté qui s'assuraient que les navires
n'emportaient pas de marchandises prohibées et leur donnaient
ensuite congé et passeport. Quand M. de Seguiran fut envoyé en
1633 par Richelieu pour faire une enquête sur l'état de la marine et
du commerce du Levant, les Provençaux se plaignirent vivement
des exactions des officiers de l'amirauté qui outrepassaient considé-
rablement leurs droits. Seguiran apprit que, pour les bâtiments
visités aux îles de Marseille, ils prenaient 9 livres par vaisseau, 4
livres 10 sols parpulacre, 2 livres 5 sols par barque et 15 sols par
bateau; il réduisit leurs droits ;\ 5 livres 10 sols pour les vaisseaux,
et même à 3 livres 10 sols si la visite se faisait dans le port ou i la
chaîne ; les pulacres devaient payer de même et les barques 40 sols
seulement'.
Si la franchise du port de Marseille est fortement menacée et
mémo .itteinte, les droits qui pèsent sur les marchandises du Levant
À leur entrée dans le royaume augmentent encore au début du xvii«
siècle. C"est alors qu'apparut la douane de Valence payée par les
marchandises qui avaient déjà passé aux bureaux de la foraine au
sortir de Marseille, ou au bureau de la douane de Lyon. Les mar-
chands de Marseille et de Lyon s'élevèrent fortement contre cette
nv»uveautc : « l.cs villes de Lyon et de Marseille, écrivaient-ils au
KM, et inarchands d'iccîles villes et autres de ce royaume et étran-
jîcrs font grandes plaintes de ce que, pour fentretenement de la
1 : 1 A;. >•.:•>•: vie »>> xi:»*.;. Vc>i: i\\ ::. M:"x-i'i J^ LzCàtittirt du j mai ijij.
• 'l\\:u< \'^ :v.:v!-."'vV..<vS v.\:,;U": :~> jwuxs au Butwj- d- poids, mais les
!Vi;v\.vs»^.: a.- .i:-s - x;x:-: w:::: ■>:> cor.-.:'.-> ùu-> les v.ûsj«îux. les magasins
o. .vS .'..'" >'•<•"■' ■-"'•"■>.■■■:■■.■■.; ■.:■■>.■ *;:■,'.;■."".;.".;■.»•".:,;;. S ...-T ccrnjier.u
■.:> .\ ; • J ■ •1 .•"?. -•;-■ .:"-■ M. -■- : .. A:;.- .. . .•■: ---îiir jV Lstàii i'AJiJCHo
' ■■: . i,. .'•.. .• .'■.".-,. n. .:' ■!.• .t. .;.. J Ms .». V.-. .; -.-•. rf-J (xl. JJj).
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J V :> «ri ,••; .-»•-•.•.;;;>> ,■::■. !,■ «:>::,"•_::•:. "•;: •.■.■•.v.::-,ur i: le'sniËer lie Tami-
u.;v i.-. ,-.v.". ^ .-, :, j; c-,>.'.o.;s ..' : .: x" ." ;.: :_: iuiri sccsLooisXni
♦à. ji 1. «• .\.v >j>»v-.r r j^\ -.ij. Jw curxiv. i- .V".
LES IMPOSITIOXS
67
ciudellc de Valence, on a exigé en ladttL- vilL- une douane de 2 1/2
pour cent sur les marchandises, par le moyen de laquelle le com-
merce des marchandises du Levant et d'ailleurs est ruiné et prennent
Icsdites marchandises à présent autre passayc que par Marseille pour
venir à Lyon, et aller en France, Italie et Allemagne autre que par
la ville de Lyon, pour éviter lesdits subsides extraordinaires de
Valence qu'ils soutiennent être de plus de 6 0/0, encore qu'il
soit porté 2 1/2. » Mais les marchands curent beau ajouter que
ce serait « chose insolite et contre raison de payer deux douanes en
un royaume et en deux lieux pour même marchandise » et qu'en
outre depuis « le surhausseuieut des droits de douane à Lyon Liit du
temps de la ferme du sieur Louis Dadi.into elle est de plus de 7 1/2
pour cent, et d'y ajouter encore la douane de Valence serait chose
insupportable aux marchands 0 ', toutes ces plaintes furent vaines et
la nouvelle douane resta définitivement établie. Un autre mémoire,
du timeux négociant Marseillais Magy, nous apprend qu'en 1632
l'établissement d'un nouveau droit ruina en partie le commerce que
Marseille et Lyon faisaient des soies du Levant. « Le commerce de
Marseille, dit-il, apportiiit les soies en Europe et particulièrement
les ardasses que l'on moulinait aux environs de Lyon et qui se dis-
tribuaient non seulement dans le royaume mais dans toute l'Allema-
gne, les Pays-Bas et même en Angleterre ; cela a duré jusqu'en 1632
que l'on imposa sol par livre pour la nouvelle reprétiation. Cette
augmentation détourna ce commerce et dans la suite les Anglais et
les Hollandais en ont fait mouliner chez eux, non seulement pour
leur consommation, mais ils en fournissent toute l'Allemagne et même
depuis quelques années la plus grande partie du royaume et privent
les sujets de S. M. de l'ouvrage et teinture de 1.000 balles de
soie*.»
Si les Marseillais étaient obligés de supporter le poids croissant
des impositions, les étrangers, pour qui la franchise du port avait
encore plus complètement disparu, s'en détournèrent de plus en
plus. Non seulement en eflet ils étaient assujettis au paiement de
toutes les taxes établies sur le commerce français, mais ils en
payaient une série d'autres qui leur étaient particulières. Les
( j ) Plaintfs dfi marcfiamU de MantiUi d île Lyon, contre h douane tiouvclle-
racnt ctablie à Valence (sans date). Bibl. utit. mss.Jt . i6^^i,
(2) Mémoire du 2 juin i68j. Arch. nat. F", 64$.
68
L ANARCHIE COMMERCIALE
plus considt-rablcs étaient les droits de la Table de mer, droits très
anciens dont les habitants de Marseille étaient exempts depuis B
Charles d'Anjou et môme antérieurement. Ils s'élevaient en 1653 à
1/2 0/0 perçu sur toutes les marchandises, sauf sur les épiceries et
drogueries qui payaient i 0/0 '. Aux officiers de l'amirauté les étran-
gers acquittaient une taxe double pour le droit de visite *. Ils devient
au fermier de la gabelle du port, établie par la ville, 6 livres 8 sols
pour droit d'ancrage et pareille somme au sieur de Roquefort, sous
le nom de droit d'attiche, en vertu d'engagements antérieurs faits
par le domaine royal à la famille de ce gentilhomme*. La ville
exigeait aussi un mousquet de chaque navire étranger, droit qu'elle
avait converti en une taxe de 12 livres 16 sols. Le sieur de Pilles
gouverneur du Ch*ucau-d'If prenait une pistole à chacun de ces
mêmes bâtiments quand ils abordaient aux îles ; il expliquait que
« c'était une possession née avec la construction de la même forte-
resse et qui marquait une espèce d'homm.ige que les navires devaient
à la dignité du prince duquel les forteresses relevaient et que les
vaisseaux rendaient au commencement par la reconnaissance d'un
baril de poudre ou de quelques armes ; mais comme l'un et l'autre
était d'autant plus à charge qu'ils en avaient besoin durant leur
voyage, ils avaient commué ce devoir en argent, que tous les gou-
verneurs du Château-d^f recevaient depuis qu'il est érigé en capi-
tainerie et gouvernement '. » Les étrangers supportaient encore
plusieurs petits droits, comme celui de vingtain de carène qui
consistait en une taxe de 5 0/0 sur le tiers de la valeur des navires
ou des bois de construction qui sortaient des ports; ce droit, qui
appartenait ^ la ville, rapportait si peu qu'elle l'afferma 305 livres en
1647 et i8u livres en 1645 ^
(i) V. Inspection de Se!;uiran, p. 24S. Corrap. de Soiirdis. — Henri IV avait'
engagé ce droit au sieur de Liberut eit récompense de ses services et il appartenait '
sous Louis XIII aux maris Je ses deux tilles.
(2) Ibid.p. 242. — Cependant le consul hollandais déclara à Se^iron que lesl
vaisseaux de sa nation payaient 6/4 d"écu aux officiers de l'amirauté pour le
rapport qu'ils faisaient lors de leur arrivée et 6/4 d"écu à leur départ, ce qui
n'équivalait pas au double de ce que p.iyaicnt les Frani^ais. — Les .^n^lais don-
naient en outre pour 4 livres de confitures au lieutenant de l'amirauté, p. jjo-ji. '
(}) JbiJ, p. J4J, — La gabelle du port fut affirmée par la ville 28.000 liv en I
1645, ÎO.250 en 1647, ce qui suppose un grand nombre de b;ltinients étrangers]
fréquentant le fiort. — Wfr». Comm.Dêlib.
I4l Ihid. p. 3)1.
(5) Aich. Comm. Dâibir. — Parmi ces droits il (;iut citer ceux de la millerolle
LES IMPOSITIONS
69
Sans doute beaucoup de ces impositions étaient peu ontrcuscs,
mais ajoutées les une aux autres, elles ne laissaient pas d'être une
charge sensible pour les capitaines étrangers et surtout elles étaient
vex;itoires. Les capitaines, en arrivant h. Marseille, se trouvaient aux
prises avec une foule de commis ; ils devaient se soumettre à leurs
visites et à leurs tracasseries et c'est surtout pour tes éviter qu'ils
désertèrent de plus en plus le port de Marseille. Tandis que celui-
ci au début du xvii' siècle était l'entrepôt général du commerce du
Levant, où les Anglais et les Hollandais et aussi les Fran<;ais du
Ponant Venaient s'approvisionner ou faisaient escale, ce rôle passa
peu i peu à Livourne, où le grand duc sut attirer les étrangers en
donnant h ce port la franchise, qui n'était plus à Marseille qu'un
lointain souvenir.
Pendant la minorité de Louis XIV deux nouvelles impositions,
suscitées par l'extrême pénurie des finances, achevèrent de les chas-
ser de Marseille et de foire la fortune de Livourne. En 1646, la ville
créa une imposition sur le poisson salé de ro sols par quintal,
or les Ponantais, Français, Anglais ou Hollandais, apportaient
surtout quantité de morues A Marseille en échange des marchan-
dises du Levant qu'ils y prenaient; les Marseillais vendaient
ensuite ces morues dans tous les ports d'Espagne et d'Italie
et en retiraient des sommes considérables. Aussi, l'effet de cette
taxe fut bientôt ressenti: « L'événement nous a fait connaître,
remontrait le Premier Consul en 1650, que les march.inds qui
avaient accoutumé de porter des « merlusses » en cette ville, qui est
le poisson duquel se tire le principal revenu, ont diverti le commerce
ailleurs, trouvant cette imposition insupportable, et par ce moyen
affaibli notre commerce. )• Mais tout ce que put faire la ville, qui
avait un pressant besoin d'argent, fut d'abaisser le droit à 7 sols par
quintal'.
4e l'huile et du miel, d'estaque de barques, de l'huile et fanons de b.nleines,
sardes chiens et loup de mer et autres poissons, de l.i poix noire, qui appartenaient
au roi ; les uns pesaient aussi sur les M.irseiil.iis. V. BB, 2, fol. sSj-ç2 : Mémoires
de la Chambre au sujet de l'afFranchissement du port.
(I) Arch. Commun. DèUbèr. 4 novembre 1650, j; novemhre tSjo. — Pour
l'année 165 1, l.i ferme du poisson salé fut adjugée h 1 5 .200 livres. — Il y avait,
paraJt-il, d'après un document du xviii<-- siècle, un autre droit curieux sur le pois-
son apponé par les étr.ingcrs. Il n'en est fait mention dans aucun des documents
du XVII'-' siècle. — L'envoyé du Danemark se plaignit en 1748 d'un droit consi-
dérable perçu au nom de 1 amirauté et des consuls sur les chargements de morue :
l'amirauté prenait 9 quarterons faisant 223 pièces et les consuls ; quarterons fai-
70 I. ANARCHIE COMMERCIALE
Le dernier coup fut porté au commerce des étrangers à Marseille
par le fameux droit de 50 sous par tonneau, qui équivalait à peu
près à une entière prohibition. La Chambre du Commerce de Mar-
seille adressa au Roi à cette occasion des remontrances fortement
motivées : « Les échevins et députés, disait-elle, remontrent avec
de très profonds respects à Votre Majesté que la déclaration qu'elle
a faite le 10 juin 1659, portant la levée de 50 sols par tonneau sur les
vaisseaux étrangers, achèvera de ruiner le peu de commerce qui y reste
et de le transportera Ligourne, Genncs et Villefranche. Car encore,
Sire, que Votre Majesté se soit proposée deux avantages qui sont
d'en retirer un revenu considérable et d'obliger vos sujets à fabriquer
des vaisseaux toutefois, tant s'en faut que dans la côte de
Provence la levée dudit opère aucun desdits avantages, qu'au
contraire elle y produira des effets très-pernicieux à vos fermes de la
traiteforaine et domaniale et à tous vos sujets. Parce qu'il est cons-
tant que si ce droit là y a lieu, comme les vaisseaux étrangers qui y
viennent des mers du Ponant n'y sauraient faire que des profits fort
limités et qui ne pourraient pas sulfirc au payement dudit droit, s'il
étaitaccumulé à cinq ou six autres droits qu'il leur faut aussi payer,
cela les obligera tous d'aller décharger à Ligourne, Gennes et Ville-
franche où il en sont tout à fait exempts. L'expérience a déjà fait
voir que de 30 ou 40 vaisseaux étrangers qui y venaient, il n'y en
vient plus que 7 ou 8, les autres allant à Ligourne, Gennes et Ville-
franche où on les attire par l'exemption de tous droits. Et si en Pro-
vence le droit de 50 sols par tonneau est ajouté aux autres droits
il n'y en viendra du tout point et il faudra même que vos dits sujets
aillent quérir en Italie les marchandises du Nord que l'Italie venait
quérir chez nous avant l'imposition de tous ces droits... Sans que
toutefois. Sire, cela puisse obliger vos sujets de fabriquer des vais-
seaux pour aller négocier dans Icsdites contrées du Nord, parce que
la fabrique, les attraits et ravitaillement d'iceux leur coûtant bien
plus qu'à ces peuples du septentrion et le trajet en étant si long... ils
perdraient de l'argent..., outre, Sire, qu'ils ne sont nés et formés
qu'à la navigation et au commerce du Levant. » Ces remontrances
restèrent cependant sans effet, ainsi que les négociations que la
sant 125 morues. — La Chambre du Commerce répondit que ce droit était perçu
en vertu de l'article 37 des traités, conventions et chapitre de paix passés avec
Charles d'Anjou en 1257 et qu'il n'avait jamais excité aucune protestation. V.
ce, /;.
LES IMPOSITIONS 7I
Chambre continua de faire aprt's la mort de Mazarin, jusqu'à ce
qu'enfin Colbert eût rCubli en 1669 la franchise du port de Mar-
seille*.
Il est à remarquer que, pendant tout le xvii* siècle, la politique des
Marseillais vis-A-vis des étrangers fut double : d'un côté ils vou-
laient foire de leur port le grand entrepôt des marchandises du
Levant, comme il l'avait été X la fin du xvr siècle, et pour cela ils
voulaient y attirer les vaisseaux étrangers par une entière franchise
de droits. Mais ils tenaient aussi à se réserver l'entier monopole du
commerce dans les Echelles et du transport des marciiandises du
Levant à Marseille, c'est pourquoi ils réclamaient non moins vive-
ment des droits spéciaux sur les bâtiments étrangers chargés de ces
marchandises. C'est ainsi que les consuls envoyèrent A la cour de
nombreux mémoires pour se plaindre de la concurrence des Armé-
niens et Chofilins * qui apportaient des soies en France; ils firent
tant que les Arméniens transportèrent le marché des soies à
Livourne, En 1650» une déclaration royale soumettait encore les
Arméniens h payer 5 0/0 de la valeur des marchandises qu'ils impor-
taient en France *. C'est dans le môme but que, tout en se plai-
gnant du tort que les 50 sous par tonneau disaient au commerce,
la Chambre demandait « qu'il plût seulement à S. M. d'ordonner
que sa Déclaration de 50 sols par tonneau n'aurait lieu en Provence
que sur les vaisseaux étrangers qui apportent les marchandises du
Levant en France au préjudice de ses sujets, qui, par ce moyen,
voyant augmenter en leur faveur ledit négoce du Levant, seraient
obligés de fabriquer davantage des vaisseaux. » C'est aussi la
Ch.imbrc qui, quelque temps après, eut l'idée du fameux droit de
20 o'o sur toutes les marchandises du Levant apportées par les
vaisseaux étrangers, pour remplacer l'imposition des 50 sous par
tonneau *. Ceite conduite des Marseillais ne fut pas toujours bien
comprise des contemporains et on les accusa souvent i la cour, sur-
tout dans l'entourage de Colbert, lors des négociations pour le
II) IrH-himt'U rtmonlriince JtJ Echet'ins et di'putà du Commerce de Marstillf —
(jtMtdatf). Arih. df II Miiriiir B', 4S6, fol. )}2-s j. — Bxtrait du prxh-verlHil fait
fmr M. le Piemitr PriiUent iTOppide louchant rarticte des ;o sols par tonneau (1663).
tbid. fol. )S4-s6.
(j) Syriens du pays de Cliouf, .lux environs de Beyrouth et Seidc.
{\i 2S junv. rôfo. Amirauté. Rrg. 1 des Insin,, fol. 80).
U) V. Doc. cités note ». Arch Maritu. B', 486.
SftJI^BI&dHMi
72 L ANARCIire COMMERCIALF.
rétablissement du port franc, de ne pas reconnaître les avantages
qu'il y avait :\ attirer le plus possible les étrangers dans leur port.
Le commerce de France en Italie, qui était d'une i^rande impor-
tance pour la prospérité de celui du Levant, fut gêné dans toute
cette période par les prétentions du duc de Savoie et du prince de
Monaco. Ils s'arrogeaient le droit d'exiger un péage de tous les
bâtiments provençaux, qui passaient au large de leurs côtes pour aller
il Gênes, i Livourne et aux autres ports d'Italie. Tous ces bâtiments
devaient toucher au port de VillefranchL-, A l'aller et au retour, et
payer 2 0/0 de la valeur de leur chargement; à Monaco ils payaient
â l'aller seulement*. Ce péage rapportait au duc de Savoie 35,000
écustous les ans au début du xvn" siècle, et déjà les Etals de 1614
demandèrent qu'on lui en imposât la suppression, mais inutilement*.
Les Provençaux essayèrent de s'y soustraire en se dispensant de tou-
cher au port de Villefranche, mais ils se virent menacés d'être
arrêtés et leurs navires capturés par une barque armée en guerre â
Villefranche. Ils se décidèrent A entrer en composition et firent un
accord avec Madame Royale régente de Savoie d'après lequel,
moyennant un droit fixe de trente piastres par barque et de 20 par
tartane ils pourraient passer librement en Italie^, mais le sénat de
Nice ne voulut pas approuver la convention et la situ.ition s'aggniva.
« Nous avons eu plaintes de beaucoup de marchands, écrivent les
consuls â leur député en cour, de ce que la barque armée de Ville-
franche fait tous les jours des prises de diverses barques et tartanes,
tant de Marseille que de la côte de Prosence, lesquelles ils confis-
quent avec les fonds, et encore font des prisonniers lorsqu'ils se
défendent, en sorte qu'ils sont traités comme de Turc â More... en
fa^on que les Espagnols ne font pas tant de ravages que celte bar-
que de Villefranche*. » Mais le roi avait trop grand besoin à ce
moment là de mén.agcr le duc, son douteux .allié. Louis XIV se
(i) De Brèves. Relation, p. 381 et 58}.
(2) Les Provençaux en firent leurs plaintes en 16^} À M. de Seguir.in, lieute-
nant de Riciiclicu en Provence : m Et semble que ledit seigneur Duc et le sieur
de Mourcucs (Monaco), qui en use de mdme, pourraient se contenter de leur
droit sur les barques qui mouillent à l'ancre dans leur pon et ne point détourner
de ce chcmiu comme ils font celles qui eu passent 2j :\ 30 milles loin. » ImfKction
de Seguiran, p. j/9.
(3) 36 mars i6.)4, Arch. Comm. Dilibêraiious.
{4.) 2-j juin 164). Lettre au di'put/ en cour. Arch. Commun. — Cf. Lettres du 6,
12 Jk. t04S, 6, if, 17 aoiU 1647. Arch. Cimmun.
LES IMPOSITIONS
73
trouva plus tard en état de mieux faire respecter ses sujets, et l'cdit
Je l'affranchissement du port de Marseille de 1669 interdit expres-
sément « aux nt'gocians de payer aucune chose, soit en mer, soit en
terre, pour raison des droits prétendus par les seigneurs des ports de
Mourgues ei de Villefranche, et A toutes personnes de les exiger es
ports du royaume. » Mais, dès le début de la guerre de la Ligue
d'Augsbourg, le duc de Savoie fit revivre ses prétentions et il fallut
les discuter après le traité de Turin '. Ce qu'il y a de plus curieux,
c'est que le roi, qui contestait au duc son droit de 2 0/0, s'empressa
de le faire lever à son profit par un fermier, quand Nice tomba entre
ses mains, pendant les guerres de la Ligue d'Augsbourg et de la suc-
cession d'Espagne *. La levée du 2 0/0 reparut encore après les traités
d'Utrecht ; en 1726 le gouvernement français négocia une conven-
tion signée :\ Antibes, par laquelle il fut supprimé pour 20 ans
moyennant 40,000 livres par an payées par la Chambre du Com-
merce, enfin il fut définitivement racheté le 15 décembre 1753 au
prix de 1,200,000 livres que dut encore fournir la Chambre'.
Il était plus ticile d'obtenir raison du prince de Monaco. Quand
les Marseillais en 1629 demandèrent au roi d'intervenir auprès de
lui, il semble que la cour ignorait ;\ peu près son existence: « C'est
un prince A qui le roi n'a jamais écrit, répond aux consuls leur avo-
cat au conseil, et qui lui est nécessaire de savoir en quel pays il feit
sa demeure et en quel lieu il empêche les sujets du roi, il vous plaira
donc m'envoj'er mémoires amples sur ce sujet*. » En 1644 les
consuls firent avec lui un accommodement : les barques devaient lui
payer 15 piastres, et les tartanes 10 ; en i66> un arrêt du conseil lui
en interdit la levée et, en 1669, Colbert défendit aux marchands fran-
çais de payer ce droit qui disparut ;\ peu près définitivement, malgré
plusieurs tentatives du prince de Monaco pour le faire revivre*.
(i) Lettre de Seigiulay à hUtamhre, 2 mai lôSy : « Le roi ordonne d M. k
marquis d'.Nro- de se puindre S M, le duc de Savoie de la saisie ouc ses fermiers
ont laite A \"illcfr.inchc des deux banjues fraiii;aises, pour les obliger il p.iycr un
droit que vous me mariiue/ tie s'exiger plus depuis 50 atis. » — Lettres Je PonUtmr-
train 2J niars, t y avril, tj mai tùi/j, :ç mars, }u tivril t6<^S. IIB, S2.
(a) Lettres de Lebret, iS fèv., 3j, 2 f avril /6y;. Boislisle, t. I, 1392, note. —
Ltltr* du }n juillet tjto. BB, Sj.
(j) JULLIANY, t. r. p, ÎO9.
(4) Lettre du jo août 1629. Arch, Commun. Corresp. reçue.
(5) f)H, 3. fol. Sfo-ji. AtrH Ju Conseil, 27 ieplembre i6of : Jugement p.ir dc'faui
contre mcssirc Louis de Grimaidy. prince de Moutgues, p;iir de France, délcndcur
CI dffaiiLun, cite |ur les échevins et dépui([-s du commerce de Marseille pour pr£-
2
i
74 L ANARCHIE COMMERCIALE
Les droits que les Turcs exigeaient dans les Echelles sur le com-
merce français étaient fort modérés en principe depuis les Capitula-
lions de 1604. De Brèves s'était efforcé avec succès de les réduire
aux 5 0/0 d'entrée sur les marchandises, que payaient anciennement
les Français, et il pouvait se vanter dans ses lettres aux consuls de
Marseille d'avoir « exempté les trafiquants de 4 à 5 0/0 par toutes les
Echelles de cet empire'. » Les Français échappaient môme en partie
à ce droit assez modéré en apportant sur leurs navires de l'argent
qui était entièrement exempt de droits ; quant à la sortie des mar-
chandises, elle éuit entièrement libre pour celles qui étaient autori-
sées. Mais cette situation si avantageuse ne dura pas. Dès 161 1 les
marchands d'Alep se plaignent à Marseille des commandements que
le douanier A obtenus pour faire payer 2 0/0 d'entrée sur les mon-
naies et 5 0/0 de sortie sur les « fillets, balles, toiles, cordouans et
rubarbe » et toutes les marchandises qu'on enlève d'Alep; les soies
sont encore exceptées, mais il s'efforce de les y assujettir. « Si cela
arrive, écrivent les marchands, ce sera une ruine totale qui nous
importera plus de 30 et 40000 piastres toutes les années, outre le
courage que cela donne aux ministres et douaniers de ce pays, de
vous rechercher tous les jours de nouveaux impôts, vu qu'ils voient
que nous ne pouvons abolir les vieux. » La nation d'Alep envoya
des députés à Constantinoplc pour combattre les nouveaux droits qui
montaient à plus de 25000 piastres, mais elle avait limité maladroi-
tement leurs dépenses à 7000 piastres; le Grand Vi/ir ;\ lui seul en
exigea 15000 et il en eût fallu davantage pour les autres ministres ;
pendant que les députés écrivaient à Alcp pour obtenir des pouvoirs
plus étendus, le Vizir, informé de l'importance de l'affaire, déclara
que pour 1 00000 écus il n'accorderait pas l'abolition des droits*. Ces
impositions que dut subir, en dépit des Gipitulations, cette échelle
sentcr les titres en vertu desquels il prétend pouvoir lever tribut sur les navires de
S. M. qui trafiquent en Italie, les force .\ entrer dans le port de Mourgues
Défenses très expresses au prince de Mourcues, etc. V. HB, 26. Corr. de la Chambre,
2) février, 26 avril i6jy, 2} jaiivit-r 16S6. — V. aussi divers mémoires au sujet de
ces deux affaires de 1662, 98, 99. Arch. Marine. IF, 4S6. — li',4<)9,fol. 247-2x8.
(i) 14 février 1604. AA, 140. — V. Art. 9, 16, 17, 18 des Capitulations.
(2) 20 novembre 1611. AA, j6]. — jo tim'embre 161). AA, s68. — Lettres
d'Alep. — Des négociations furent conduites par M. de Sancy, le sieur de Nans
et M. de Césy au sujet de ces impositions d'Alep. V. jo février 1618. AA, 142.
Lettre de Vambassadettr. — «y janvitr 161 p. AA, )(>}. iMtre d'Alep. — 12 juin 1620,
Arch. cmnmiin. Délibtr. — /; novembre 1622. A A, 14 j, Ijrttre de Césy. — 12 jan-
vier 161). AA, }6}. — 16 juin 1674. AA, J64. iMtres d'Alep.
alors de beaucoup h plus considérable, furent sans doute payées aussi
dans les autres, mais la perte de la correspondance consulaire par ces
èchctics ne permet pas d'en avoir les preuves'.
En somme il faut reconnaître que, malgré ces violations des Capi-
tulations, les Turcs montrèrent dans l'établissement de leurs droits
de douane une très grande modération, à une époque où toutes les
puissances de l'Europe se laissaient entraîner à dresser des tarifs
prohibitifs. Malheureusement les tarifs douaniers ne furent pas
toujours respectés, et la perception de taxes arbitraires devint pour
les pachas une nouvelle sorte d'avanie, car les échelles ne s'en déli-
vraient la plupart du temps qu'en leur donnant de grosses sommes
d'argent. Toutes les douanes de l'empire dépendaient du Grand
douanier de Constantinople qui les concédait A des fermiers, juifs
la plupart du temps. Ces Juifs, grands ennemis de notre nation, et
poussés par leur cupidité, employaient toutes les ressources de leur
esprit inventif ù imaginer de nouveaux profils ; tantôt ils suggéraient
aux pachas des prétextes pour rétablissements de nouveaux droits,
tantôt ils prétendaient évaluer arbitrairement la valeur des marchan-
dises soumises aux droits, ou changer d'une manière vexatoire leur
mode de perception. Les pachas et les cadis, qui auraient dû protéger
les marchands françiis, recevaient de grosses sommes des douaniers,
ou partagcivient ouvertement avec eux le produit de leurs rapines,
i! fallait acheter leur justice h prix d'or*. L'échelle la plus exposée A
ces exactions injustes, comme clic l'était aux avanies, fut Alexandrie;
lâ se trouvait la douane la plus importante de l'empire, et le Juif qui
en était pourvu, qu'on appelait le Mahalem, jouissait toujours d'un
1res grand crédit, gnkc aux largesses qu'il distribuait au pacha et aux
ministresdc la Porte. En 1661 il levait impunément, depuis plusieurs
années, le droit énorme de 1200 piastres par vaisseau et 800 par
poLicre ; pour le décider A le supprimer il fallut interdire le commerce
avec réchelle. Cependant, en s'adressant i la Porte, on avait quelques
chances d'obtenir justice et plus d'un Mahalem d'Alexandrie paya
enfin de sa tète ses audacieuses voleries*.
(1) « Le consul de Stnyrne a ilcmjndé 5 comnunJcracnts pour la suppression
du droit d'ancMge, du droit d'nr et autres abus que Ij toicrancc avait laisse s'éta-
blir. • ; jaftfùr i6S(t. A A, tS6. Liltrt de Stnyrne à la Cliambre.
(l( içjanvier t6i'i,2} noi'fmhiy 161 j^ Arili. commun. D^lib. 1 3 juin rôio, IbiJ.
}i juillet ihas- AA, }(>}. Ullie d'Alep.
(}) Outre les droits payùs aux douaniers, les Français étaient assujettis k qucl-
Hita
j6 l'anarchie commerciale
Dans les Echelles comme à Marseille, le commerce ne cessa donc
pendant les 50 premières années du xvii* siècle d'être accablé d'im-
positions qui allèrent toujours en augmentant. Dès 1613 les consuls
de Marseille, dans des cahiers présentés au roi, disaient que le négoce
d'Alep était chargé de 12 1/2 0/0 d'impositions et de 5 0/0 de frais de
nolis et de commission et que le plus souvent, depuis quelques années,
il ne rapportait cependant que 6 0/0'. Sans doute ils exagéraient le
peu d'importance de leurs bénéfices, car comment eussent-ils pu
continuer leur négoce, puisque le poids des impositions en 1613
n'était rien en comparaison de ce qu'il devint plus tard. En 1642
les consuls pouvaient se plaindre sans aucune exagération à Chavigny
que le commerce était chargé de ï 2 à 13 0/0 de droits dans toutes
les Echelles. Qu'on y ajoute les 5 0/0 de douanes payés au G. S.,
sans tenir compte des exactions des douaniers, les impositions
royales ou autres établies A Marseille, 3 0/0 de nolis et 2 0/0 de cour-
tage donnés aux focteurs des échelles, enfin 15 0/0 d'assurances
environ qu'il fallait payer pour se garantir des risques de la mer et
de la piraterie, c'est au chiffre énorme de 40 à 45 0/0 qu'on arrive à
évaluer les frais du transport des marchandises « en Levant » vers le
milieu du xvii* siècle. Qu'on songe ensuite que toutes les impositions
étaient levées par des fermiers, dont le seul but était d'en tirer le plus
d'argent possible et l'on se représentera la situation des malheureux
négociants obligés de lutter pour échapper aux entreprises et aux
tracasseries répétées de tous ces fermiers : fermiers des droits du
roi, fermiers des droits de la ville, fermiers des droits des échelles,
fermiers des douanes du G. S. C'était miracle qu'il y eût des gens
assez hardis pour continuer à soutenir le commerce du Levant, et
assez habiles pour y réaliser des bénéfices.
ques taxes spéciales, comme le droit de mczetcrie qui appartenait à la sultatie mère
et qui était payé par les marchands turcs aussi bien que par les chrétiens. — Dans
certaines échelles chaque bitiment payait un droit d'ancrage. — A Smyme ils
devaient aux janissaires le droit de sire^ mais ces taxes étaient fort légères. V. Cor-
resp. consulaire ; 24 octobre ijoo. AA, 168. — 16 août t6^j. AA, 186. — ji octo-
bre i6ji, II avril 16 J2. A A, 180.
(i) 6 octobre 161). AA, j6).
CHAPITRE IV
LES ABUS DANS LliS liCIlELLES
L'histoire des impositions extraordinaires établies dans les cchclics
a montré qu'elles étaient dues en partie à la conduite des représen-
tants du roi dans le Levant qui, de protecteurs du commerce, en
étaient devenus les oppresseurs. Depuis le règne même d'Henri IV les
ambassadeurs n'avaient pas cessé d'être en mésintelligence avec le
commerce de Marseille pour des questions d'argent. Leurs exactions
étaient devenues légendaires, on en faisait longtemps après des
récits aux voyageurs, quand ils passaient dans les échelles. « J'ai
aussi ouï conter, écrit Chardin en 1672, qu'un des prédécesseurs de
M. de la H.ave le fils prit 15 ans durant 500 écus sur chaque voile
française qui venait à Constantinoplc, pour une prétendue dépense
de 600 écus, qu'il disait avoir faite pour le commerce de la nation, et
que, lorsque les marchands lui représentaient qu'il s'était cent fois
remboursé de cette somme, il répondait : « Je rendrai mes comptes,
je ne prends que ce qui m'est dû'. » Il est bien ditlkile de dire si
les besoins financiers des ambassadeurs provenaient plus de leurs
prodigalitésou de leurs maladresses, que de l'irrégularité avec laquelle
ils recevaient leur traitement de In Cour ou leur pension du com-
merce. Mais, de quelque côté qu'aient été les responsabilités, ce qu'il
importe de constater ici ce sont les pertes causées au commerce par
les procédés financiers et les abus d'autorité des ambassadeurs. Ce
qui ne fut pas moins funeste, ce fut la mésintelligence perpétuelle qui
çxista entre eux et les marchands, en un temps où, en présence des
avanies des Turcs et de la concurrence acharnée des Anglais et des
Hnllindais, l'accord du commerce et des représentants du roi était
(i) Chardin, t. I, p. 6.
78 l'anarchie commerciale
plus que jamais nécessaire. La crainte des abus de pouvoir des ambas-
sadeurs était devenue si grande que l'idée vint aux marchands qu'il
vaudrait mieux n'en pas avoir â Constantinople et qu'un simple
résident s'appliquerait mieux à défendre leurs intérêts, c'est ce qu'ils
essayèrent de faire entendre plus tard à ColbertV
Les consuls des Echelles*, bien qu'ayant moins d'autorité que
l'ambassadeur, causèrent beaucoup plus de maux au commerce par
les extraordinaires abus qu'ils commirent. Ceux-ci furent dus à la
détestable organisation des consulats jusqu'à Colbert. Les offices de
consuls étaient vénaux' dès la fin du règne d'Henri IV, puisque
Claude Rigon, pourvu du consulat de Smyrne le 19 janvier 1610,
avait acheté sa charge. Le prix en était d'abord peu considérable,
Rigon avait payé 4^90 livres et M. de Harlay l'ambassadeur offrait
4000 livres au secrétaire d'Etat Villeroi pour obtenir le consulat de
Fez et Maroc*. Mais plus tard le comte de Brienne vendait le consu-
lat de Smyrne 75000 livres et celui de Seïde 60000 livres'. Dès la
même époque les consulats tendaient à devenir héréditaires, sans que
cependant ce fût une règle : dans leurs lettres de provision les consuls
faisaient insérer une clause de survivance en faveur de leur fils ; c'est
ainsi que Camille Savary de Brèves obtint la survivance de son père
François Savary, l'ancien ambassadeur de Constantinople, pour le
consulat d'Alexandrie, Jean Viguier succède à Pierre Viguier à Alep
et à Seïde et transmet encore le consulat de Seïde à son fils Pierre en
(i) Voir un Mémoire de d'Arvicux au roi où il montre les inconvénients d'un
ambassadeur, t. IV, p. 222.
(2) Voici les consulats qui existaient sous Louis XIII : Tripoli de Syrie trans-
féré en 161 2 à Alep, Alexandrie transféré au Caire vers 1625, Scie transféré à
Smyrne, Satalie, Zante Patras et Morée, les seuls antérieurs à 1610. — Seïde créé le
22 mars 161 1 et définitivement le 15 juin 1616, Constantinople le 30 juin 1615
(l'ambassadeur en fut pourvu). — En Barbarie il y avait le consulat d'Alger créé
le 15 septembre 1564, celui de Tunis créé le 28 mai 1578, celui de Tripoli qui
subsista, au moins jusqu'en 1619, mais fut ensuite laissé vacant, celui de Fez
et Maroc créé le 10 juin IS77- — ^. fl'W. nal. mss. fr. lôyjS, fol. loi-ioa,
tlO-JJJ.
(3) La plupart des historiens ont répété après Pouqueville que Louis XIII avait
rendu les consubts vénaux (Pouqueville dit même, trompé par je ne sais quel
document : « Louis XIII confia l'administration des consulats à un fermier général
en 1617. » p. 62). — Non seulement ces offices étaient déjà vénaux du temps
d'Henri IV, mais peut-être môme dès le début, si on se fie à un Mémoire
adressé au roi par la Chambre du commerce de Marseille le 13 août 1670, où
elle rappelle les accords faits autrefois par les consuls de Marseille, le 22 janv.
1 561 et le 18 nov. 1 590, avec les propriétaires des consulats (V. p. 85, not. i).
(4) Bibl.Nat. mss.fr. 167)8, fol. 124. — M. fol. uj.
(5) Aidj. Nat. F",64f. Mémoire sans date.
LES ABUS
léS.} ; J,-B. Turquet fait doiintr la survivance de Seïdeà son gendre
de V
du Cai
•rançois de v iiitiinillc, la comtesse de Brienne celle du Laire i son
fils le commandeur de Brienne, Claude Gazille celle de Zante, Fatras
Cl la Morée â son fils Jacques Gazille, Mais souvent aussi on voit par
les lettres de provision qui nous sont parvenues, que la survivance
était accordée A quelqu'un d'étranger au titulaire*. Henri IV avait
donné un funeste exemple en donnant des consulats en récompense
â des hommes qui l'avaient bien servi, mats qui ne pouvaient pas les
exercer. Il contribua ainsi i répandre cette idée qu'ils constituaient
plutôt un revenu A exploiter, qu'une charge imposant de grands
devoirs et une lourde responsabilité. De Brèves, en récompense de
s«s services A Constuniinople, obtint pour lui et pour son fils la pro-
priété du consulat d'Alexandrie, et Pierre de Libertat, qui avait fitit
rendre Marseille au roi, fut gratifié pour lui et ses héritiers du con-
sulat d'Alep. Cet exemple fut suivi plus tard car M. de Puisiculx
devint en 1622 propriétaire du consulat de Smyrne et le comte de
Brienne posséda ceux du dire, de Seïde et de Smyrne. Comme ces
deux derniers étaient secrétaires d'Etat, chargés particulièrement des
affaires du commerce, ce fut sans doute ce qui donna lieu h la théo-
rie, courante après Colbert, que les consulats du Levant étaient la
propriété des secrétaires d'Etat de la marine chargés des affaires du
Levant*.
Li cause de tous les abus fut que les consuls ne résidaient pas et
faisaient exercer leur charge par des commis. L'usage s'en établit
sculeiuent à la fin du règne d'Henri IV et au début du règne de
Louis XUL (."în voit par les lettres de provision accordées alors, que,
parmi les consuls, les uns ont « (iicuhé de commettre » et les autres
doivent aller exercer eux-mêmes. Mais, d'après un Mémoire sur les
consulats remis ù M. de Césy en 1619, seul, parmi les consuls du
Levant, Qaude Rigonde Smyrne était astreint ;\ résider et pourtant
( I ) Voir CCS kttrci de provision dans le Registre I des Itiiinu;iiioiis de l'amirauuS
de Marseille. — Pour les exemple!, ci-dessus vnir en outre. Btbl. Kal. mss Jr. r6jjS.
^fmoirn ia cumulais du Ltvant bailla ,) M. lU C^{y au mois d'aoïU 161 y (fol. 101-
J97 H no-nj). On peut voir aussi les lettres de provision .Kcordées aux consuls
"Harii !« premiers registres de la Cornsp. polit. Constantin. .Arcbivts da ajf. itr,
tîl On ne savait même plus sous Louis XIV comment Brienne éuit devenu
de CCS consulats V. Anh. Kal. F'*, 64s : Mémoire s.in» titre : « Les
.s par M. de Brienne oni eu sans doute pour fondement un don du
roi Joni ji. n .il vu néanmoins aucun titre. » — Cependant il parait ijuc dt'jà,
sous Louis XIII , Villeroi lirait un gros revenu des consulats du Levant oui
iuieat dan» son diSpartement. V. Faunie)!. 1/ pire ]ouph, t. I, p. 147.
■fa
8o
L ANARCHIE COMMEKCIALH
il s'iltait fiait remplacer par un commis. Oa peut citer qucit^ucs
consuls propriétaires qui remplirent cux-mcmes leur charge, comme
les Dupuy copropriétaires du consulat de Smyrne qui y résidaient
chacun :\ leur tour, de trois ans en trois ans, nuis avant d'avoir
acheté la charge h M. de Brienne ils y avaient longtemps rempli
l'emploi de commis. Jean Viguier, l'un des propriétaires d'Alep y
resta trois ans (1621-24) et François Piquet pendant neuf ans
(1653-1661) ; mais c'étaient là de trop rares exceptions. Les
consuls propriétaires considérèrent généralement leur charge comme
une exploitation, qui devait leur rapporter le plus possible ; ils
prirent l'habitude d'y associer d'autres personnes qui s'y intéres-
saient pour une part déterminée, si bien que presque tous les
consulats avaient plusieurs propriétaires, qui se renvoyaient de l'uu
à l'autre les respons.abilités, quand le commerce avait des plaintes ;\
leur faire sur la gestion de leur consulat'. Celui-ci était confié à
un vice-consul qui leur affermait les revenus de la charge *. Le mal
eût été supportable si ces fermiers avaient présente des garanties
d'honnêteté, mais les propriéuires s'en inquiétaient peu, ils don-
naient leur commission au plus offrant. Sans doute les vice-consuls
devaient aussi obtenir des lettres de provision du roi, malheureuse-
ment celles-ci étaient accordées à la requête des propriétaires, sans
qu'on fit d'enquête sur ceux qu'ils proposaient. De nombreux
exemples montrent la criminelle avidité qui seule inspirait les pro-
priétaires des consulats*. Le comte de Brienne, secrétaire d'Etal,
donna lui-même le plus triste e.\emple pour le consulat du Ciirc
(i) D'nutres posséd.iifnt plusieurs consulats. Ijurent Munier. consul de Cï-nn
achète, le 19 novembre 1647. i Cimille Sjvary de Brèves le consubt d'iï;
et, le I) janv, 1648. il .ncquiert en outre le consulat de Livoume. — .itiir
Rfg. I des Imittuat, fol. 707-7/0.
(2) Dans la correspondance et dans tous les documents de cette époque les vice-
consuls fermiers qui exercent en réalité le consulat, sont toujours désignés sous le
nom de consuls, de même qu'ils le seront dans la suite de ce chapitre.
(3) On peut citer comme exception l'exemple de de Brèves qui avait en
Egypte un commis capable, mais ne lui affermait pas les droits du consulat. 11
écrivait aux consuls de Marseille : « J'ai remarqué que les rentiers des consulats
ruinent et incommcHient le trafic des niarcliands. Je n'ai j.inuib voulu afTernier
celui d'I-'gypte, mais pour le faiie .administrer, j'ai f.»it choix de. , .. que j'.ii tenu
en ce pays cinq ou six ans pour y apprendre les langues .\rabiques et 'l'urques-
ques . Je l'ai rappelé il y a environ deux ans pour le façonner.... Je l'ai
trouvé capable de bien faire. » i'^' mai ifi). AA, ifj. — Mai.s son fils ne l'iniit.i
pas: en i6î4, après avoir fait un bail de six ans avec Philibert de Bennond pour
son consulat, il voulut le donnera un autre qui lui eu offrait d.-ivantage. — (Àntt
du corntil enfavtur dt Btrmond Ju 6 man j6js. Uibl. iial. viss./r. lôjjS.Jol. iS8.)
LES ABUS
Si
qu'il avait cédé h sa femme et A son Hls. UiL-n ne peut mieux nous
montrer le honteux trafic auquel donnaient lieu ces charges que les
intrigues qui faillirent ruiner l'échelle* du Caire de 1650 a 1658 et
y laissèrent de longs souvenirs.
Deux familles Marseillaises, toutes deux influentes à Marseille et
au Caire, les de Bermond et les d'Antiioinc se disputaient la ferme
du consulat d'Egypte. Christophe de Bermond, qui exerçait le
consulat depuis 163 l, fut évincé en 1647 par Pierre d'Anthoine, qui
avait obtenu par intrigue une commission de M. de Brienne. Dès
lors de Bermond ne cess;i d'agir auprès du pacha du Ciire pour faire
cb.isser son rival et d'intriguer à la cour et auprès des de Brienne
pour obtenir son rétablissement. Il y par\'int en 1650, et ce fut au
tour des d'Anthoine de s'agiter. Le frère du consul, qui habitait
Marseille, fit des offres ;\ l'homme d'affaires de M. de Brienne ; il y
allait du salut de la famille, d'Anthoine déclarait qu'il était insolva-
ble et que s'ils n'avaient le consulat pour payer leurs dettes, il lui
faudrait fuir de Marseille à Livourne. L'agent de Brienne accepta ses
ouvertures, miiis lui fit des conditions trop dures. Il demandait que
la rente du propriétaire fût élevée à 10.000 livres*, « un bon pot
de vin et d'autres choses encore ». « Il faut employer les voies indi-
rectes, écrivit alors d'Anthoine à son frère, promettre au pacha et
autres même 100.000 piastres, pourvu que vous fassiez mettre dans
la charge, et faire embarquer Brémond et son neveu, promettant au
pacha que vous le paierez quand le vaisseau qui les embarquera sera
.t la voile... Faites ce que vous pourrez... De tout temps, et au-
jourd'hui principalement, les plus forts sont considérés ; quand les
choses sont faites, n'est pas difficile de les rabiller ; laissez m'en puis
à moi le pansement, s'il est avec le roi ne me sera pas difficile
d'avoir tant de parchemin et sire que faudra, et envers M. et M™* de
Brienne en lui promettant de bien payer sa rente, plutôt lui en payer
quelque chose de plus que Brémond et lui donner caution bour-
geoise... et surtout en donnant un bon pot de vin à M'"* de Brienne
et Élisant manger quelques-uns qui sont auprès, ne craignes rien que
j'obtienne tout ce que faudra et vous maintienne dans la charge,
(r) Tous les propriétaires de con<iul;n> furent dt-s Marseillais, sauf de Brèves,
{•uinculx et de Brienne, et il en fut de même de leurs fermiers.
(2) De Bermond, frère du ironsul, disait en 1665 ;i .M. de la Haye que son fràre
payait a«i pmpriiiairc 1 1 .000 liv., tandis qu'autrefois il n'en payait que 8.000. —
Ut la Hjyt j CûWeri, 9 octohre i66f. Dtppiiig. Coittsp. Adntin. I. 111. p. ji^j.
82
L AS'AKCHIE COMMERCIALE
le plus brave homt
la
nicnie vous faire passer pour le plus Drave homme a la cour que
soit en Turquie » '. Malheureusement pour ces beaux projets, le
consul de Bermond parvint A s'emparer de cette lettre et l'envoya
aux consuls de Marseille : l'intrigue fut rompue et de Bermond
maintenu ; il réussit mime à force d'argent qu'il donna au pacha à
faire embarquer de force d'Anthoinc, qui se vengea en l'attaquant
violemment à Marseille. De Bermond s'en plaignit aux consuls :
« Je ne puis assez admirer votre patience, leur écrit-il, à souffrir
que Pierre d'Anthoine, le plus insigne voleur qui ait jamais été en ce
pays, brave impudemment dans votre ville et attaque plusieurs per-
sonnes d'honneur et de mérite, après avoir volé manifestement plus
de 50.000 piastres au commerce de cette échelle et consumé en des
débauches désordonnées, ce qui a causé jusques à présent plus de
100.000 piastres d'intérêts, sans compter les mauvaises coutumes
que sa malice a introduites. >* D'Anthoine n'était pas en reste sur le
compte de de Bermond et le pis est que tous les deux disaient La
vérité.
Cependant, à la suite de l'embarquement de d'Anthoine la nation
du Caire était restée divisée en deux camps : t ils se ruinaient à plaisir
à force de donner de grosses sommes pour se faire embarquer et ren-
voyer en France Les particuliers s'étant épuisés, ils prirent de
l'argent au nom de la nation chez les usuriers du pays i change
lunaire c'est-à-dire à 2 1/2 pour cent par mois.... Le pacha les ser\'it
également bien pour leur argent; à mesure qu'il en recev.iit d'un
parti il £iisait embarquer avec violence celui ou ceux dont on lut
demandait l'éloignement. La nation se trouva endettée de plus de
400.000 écus, tant en principal qu'en intérêt, de sorte qu'on était
obligé de lever des sommes exorbitantes sur tous les bâtiments q ni
venaient en Egypte. » * En même temps les deux partis s'adressaient
au comte de Brienne pour se plaindre : le parti de d'Anthoine obtint
la ferme du consulat jtour M. de Bègue, mais Brienne la vendit peu
iprés à de Bemiond, de sorte qu'il y eut deux consuls de France
en Eg)'pie, pourvus de provisions en bonne forme et à peu près de
même date. Moyennant 30.000 écus offerts au pacha. Bègue obtint
de ùîre son entrée 1 Alexandrie: • C'était le plus plaisant conége
(n ^'1, S03' Lfttrt dm a ttff. it>st.
(3) A A, }Of. léfiv. i6ff.
()) D'AxTizvx, t. I, p. 160^174.
é^
LES ABUS
8}
que j'eusse encore vu, raconte d'Arvieux qui s'y trouvait, la popu-
lace nous accompagnait avec de grandes huées : excepté qu'on ne
nous jetât ni pierres ni bouc on ne pouvait pas nous témoigner plus
de mépris ». C'était l.\ le résultat de Ki belle conduite de nos consuls.
« Mais de Bermond offrit une somme encore plus considérable au
paclu et obtint que Bègue serait embarqué. Un aga le saisit dans la
maison consulaire, le lit monter sur une bourrique après l'avoir fouillé
et lui avoir volé sa montre et tout ce qu'il avait sur lui. Il le conduisit
ainsi aux Biquicrs (Aboukir) avec ses gens. L'aga du chAteau
lui déclara à son arrivée qu'il eût ;\ choisir, ou d'avoir la tète
coupée, ou de s'embarquer sur le champ. » Cependant ses amis
allaient voir le p.icha, lui faisaient valoir la justice de sa cause
et surtout lui promettaient encore plus d'argent : un autre aga
renvoyé aux Biquicrs ramena Bègue avec de grands honneurs du
vaisseau où il était embarqué et y fit monter de Bermond i sa place*.
Tout ne fut pas terminé : de Bermond vint .\ la cour et repartit
bientôt pour l'Egypte avec de nouvelles commissions qu'il avait
obtenues de M. de Brienne, tandis que les parents de Bègue intri-
guaient de nouveau pour obtenir confirmation de son bail et révoca-
tion de celui de Bermond *. Les de Bermond l'emportèrent, malgré
l'opposition de la Chambre du conrmerce : Honoré de Bermond,
neveu de Christophe, garda le consulat cinq ans (1664-69) puis le
laissa .1 sa mort h son cousin. Celui-ci qu'il avait auparavant chargé
du vice-consulat de Rosette « avait commencé par y friponner » et
avait dû en être dépossédé, il s'enfuit du Caire au bout de deux
ans bissiint ses dettes à p-iyer *. Entre temps le consulat avait été
obtenu quelques mois (1670) par un sieur Piquet marchand du
Caire, l'un des principaux artisans des troubles des années précéden-
tes. « Par sa présomption et sa malice écrivait de lui le consul
Bègue, il a fait manger en plusieurs rencontres 100.000 piastres A la
nation ainsi qu'il est aisé de prouver. » *
Telle était la moralité des gens i qui les propriétaires confiaient
(I) D'.Arvieux, t. I, p. 160-174.
(j) /i mai tés}. A A, J03.— LfUredts consuls de Marseille à leurs députés tu Cour
8jh>. 166t. BB, 26.
(j) AA, )oj. 10 juillet 1664, 24fh\ i6j2. Leurc du consul de Vigcr où il fait
un long réquisitoire contre ce de Hcrmond et sa famille qui continue à troubler
l'écbdle. — De Bermond retiré à Alexandrie était en effet revenu à Alep. ~
Id. } mai i6y2.
{4) 16 janvier 16S9. AA, jo}.
I
Iti!
84 l'anarchie commerciale
le consulat dans l'échelle la plus difficile à gérer et la plus exposée
aux tyrannies des Turcs, et telles étaient les odieuses intrigues que
la cour ratifiait de son approbation. Et il ne faudrait pas croire que
l'Echelle du Caire fût la seule à en souffrir. De Bermond consul
d'Alcp, émule de son frère Christophe qui était au Caire, avait
réussi à évincer son prédécesseur Bonin. Celui-ci ne cessa de le
poursuivre de ses accusations, finit par obtenir des propriétaires et
de la cour une nouvelle commission et demanda au pacha l'embarque-
ment immédiat du consul'. Bonin, quelques années après, laissa ses
dettes à payer à la nation, et les Marseillais se plaignirent vivement
à la cour de ses voleries.
On est heureux cependant, au milieu des plaintes contre les fer-
miers des consulats, de rencontrer dans les documents les louanges
de quelques-uns d'entre eux, qui laissèrent dans leur échelle une
mémoire respectée. Gabriel Fernoulx exerça 3 1 ans le consulat du
i^/ Caire et fut envoyé ensuite ;\ Alep dans des circonstances difficiles,
sans qu'on trouve trace de plaintes contre lui ; il est vrai que c'était
Savary de Brèves qui lui avait donné sa commission. Sanson
NapoUon révéla dans son consulat d'Alep les qualités qui devaient le
faire employer plus tard au rétablissement de la paix d'Alger, Piquet,
consul d'Alep de 1652 i i66o, qui appartenait ;\ une famille considé-
rable de Lyon, se lassa après neuf ans de la vie troublée de consul,
entra dans les ordres, devint évêque et visiteur général des missions
de Syrie et continua pendant 25 ans à rendre de grands services au
commerce, par l'influence que lui avaient acquise ses vertus et par
les missions dont il fut chargé*. François Baron, qui lui succéda de
1661 à 1670, sut ne pas s'en montrer indigne et ses talents lui valu-
rent d'être choisi par Colbert comme directeur ;\ Surate des affaires
de la Compagnie des Indes. On peut rappeler encore les Dupuy,
d'abord fermiers puis propriétaires du consulat de Smyrne, qui
tinrent généralement leur échelle en bon ordre et vécurent en
{ bonne intelligence avec le commerce'. Leur heureuse administra-
ii
] (i) 22, ji mars i6j().AA. ;^;.
; (2) D'Arvielx, t. VI, p. 81-87 •■ Histoire abrégée de M. François Picûuct,
évcque de Cé.sarople, vicaire apostolique de Babylone et visiteur général de la
jwrt de Sa Sainteté en Orient. D'Ar\ieux, alors consul d'Alep, fut en relations avec
lui. — PoLLLFr, t. Il, p. 494, fait un éloj;e pompeux de Picquct. — Remercinients
que lui adresse la C^hanibre de Coninierce. BB, 26. S avril lôjS. — Voir sa cor-
respondance. AA, }6j.
(}) Voir leur correspondance, AA, ijS. a Des 20 années que j'ai exercé la
LES ABUS ^^^H 85
tion, jointe A la rareté des avanies, ne contribua pas peu sans doute
à la rapide prospcritd- de Sniyrnc. Mais c'étaient là malheureusement
des exceptions et il fallait plutôt bénir le hasard que leur sollicitude
pour les iutérêts du commerce, quand le choix des propriétaires et
du secrétaire d'Etat, chargé des consulats du Levant, tombait sur des
gens de mérite. Préférés le plus souvent parce qu ils avaient offert
plus d'argent, favorisés parfois par leurs créanciers qui cherchaient
un moyen de se Caire rembourser, les consuls fermiers n'arrivaient
généralement dans leur échelle qu'avec la seule intention de faire
leur fortune ou de la rétablir.
Or dans l'état où le commerce tomba, c'était tout juste si un
consul pouvait vivre honorablement en se contentant des 2 0/0 de
sortie, sur les marchandises chargées dans son échelle, que lui
allouaient ses lettres de provision '. Pour amasser une fortune il
fallait recourir A des expédients et pressurer le commerce par tous
les moyens. Les charges d'un consul fermier étaient en effet consi-
dérables. 11 devait payer la rente du propriétaire: au Caire elle était
de 8000 livres vers 1650, de 11,000 en 1665, à Smyrne elle ne
montait, parait-il, à l'époque de Colbert qu'A 1500 livres, et à Scïde
elle tombait A 800'. Le consul distribuait chaque année des pré-
charge de vice-consul, puis de consul en clicf, j'ai empêché lus iatérôts lunaires
uuc plusieurs ont f.iit souffrir aux .luties Cclicllcs i la commcrcf de Marseille
En Smyrne ne s'est jamais fait tricherie comme on a pu taire à autres parts...
Lrltrti aux consuls df Marseilli, 20 mai i6^-], ii) août i/>si.
{t) D'apr<i^ Pouqueville {SUinoiie, p. ;6), les droits des consuls furent d'abord
de 1/2 o/t> seulement; une ordonnance dn 15 juin 1551 approuva un .iccord fait
cutre les nurclunds et le consul de Tripoli qui doublait ces droits, « pour rendre
les consuls plus curieux et plus surveillants aux affaires et empêcher les abus. »
Cl même les éleva à 2 et à ; o/u. Kn 1561. la communauté de Marseille prntita
de l'cnre^îlitremem des lettres de provision du consul llcynier pour l'aire un accord
avec lui : il devait percevoir ;1 la sortie des marchandise; i 0,0 p<iur lui et i 0/0
pour subvenir aux dépenses des « fondiques, drogmans, janissaires, prêtres etc. »,
— Une convention semblable fut faite avec les autres consuls comme le montre
un document postérieur ; Caym au Roi du 1 } aoùi t6jo, art. ij : « Les con-
suls font supporter au corps de la nation toutes les dépenses, quoiqu'ils soient
obligés À les faire, suivant les accords et commissions passées entre les devanciers
de» suppliants (les consuls de Marseille) et Us propriétaires des consulats du 22
janvier is6i et i8 novembre 159^1, moyennant i 0.0 qui leur fut accordé, l'autre
I 0/0 qulls exigent étant pour raison de leur office de consul. » ISB, 3. — « Les
consuls établis dans des pays chrétiens ne faisaient payer que j piastres par vais-
seau cl I 12 par barque. — Cependant, un consul établi au Zante obtint de lever
\a mêmes droits que les autres consuls du Levant, m j; octobre tfti^i. Bli, 2. —
V, Utttti jHittnlei du Koi accordées à Piiiuct , 1: janviir 165 j. Bli, 1. — Par
exception, A cause de ses dépenses considérables, le Consul du Oire levait } 0/0.
(ï) Mhiwift fiitis litit, Arch. Nal. F", 6^;. — Lettre de M. de la Haye à
Colbcri, 9 ûclob. 166 f. Deppisg. Cormp. Admin. t. Ul,p. ^9;.
b^*
86
L ANARCHIE COMMERCIALE
sents considérables aux pachas et aux autres autorités de l'échelle,
et faisait en outre des « donntives », quand il avait ;\ obtenir
une faveur ou à éviter une avanie. La maison consulaire devait être
tenue sur un pied honorable, d'autant plus que le consul de Frante,
ayant la préséance sur ceux d'Angleterre et de Hollande, ne pouvait
faire moins bien que ses collègues qui disposaient pour leurs dépenses
desommes plus considérables. Les réceptions étaient nombreuses chez
le consul; i plusieurs fôtes, consacrées par l'usage, il traitait chez
lui les autres consuls et leur nation, ou les marchands de la nation
française. En temps ordinaire, il hébergeait l'aumônier de la
nation, les drogmans, le chirurgien, les janissaires; les voyageurs,
les missionnaires de passage, trouvaient toujours chez lui table
ouverte; dans un lieu de passage fréquenté comme Alep le consul
avait tous les jours des hôtes nouveaux .i sa table. Les bénéfices, à
mesure que le commerce fut plus misérable, devinrent si aléatoires
qu'il fut parfois dilficile de trouver des acquéreurs pour les ofFces
de consuls, car les titulaires étaient responsables de leurs fermiers et
exposés à payer leurs dettes. C'est ainsi qu'une part du consulat d'Alep
resta quinze ans sans acquéreur et que le possesseur d'une autre por-
tion voulait y renoncer. Dans les petites Echelles où il y avait peu à
prendre sur le commerce et où l'on n'entretenait qu'un vice-consul
il arriva que personne ne voulut en accepter la charge*. Non seule-
ment il était difficile au fermier de s'enrichir mais il lui fallait se hâter
car sa position était précaire. Il avait toujours dans la nation des
ennemis qui l'attaquaient, des envieux qui convoitaient sa place; il
avait ;\ craindre le secrétaire d'état, les propriétaires du consulat qui,
sans même l'avertir, pouvaient lui envoyer un successeur, si on leur
avait promis plus d'argent, l'ambassadeur ou les députés du com-
merce de Marseille qui parfois étaient prévenus contre lui.
Aussi se h.\tcnt-ils tous de tirer du commerce tout ce qu'il peut
donner, leur audace est sans bornes et ils ne reculent dev.-int aucun
moj'en ; les plus voleurs remplissent leur correspondance de pro-
testations de zèle et s'apitoient sur les malheurs du commerce'.
Leur ressource la plus ordinaire était de lairc des emprunts au nom
(i) i6 nçrutmhre t666, 20 août 1667. ■^•^' 3Î^- Leilresdu consul ât Stide. Il dut
s'adresser au consul de Holl.inde pour remplir la charge de vice-consul de Tripoli.
(2) V. La corrcsptmdaïKe de d'Aathoinc, de Bcrmond, du Caire, AA, jof ; de
Bemiond cl Boniii d'.Mep, AA, }6j.
LES ABUS
87
de la nation et d'établir des taxes sur le commerce pour payer ses
dettes, bien qu'ils n'en eussent pas le pouvoir. Sansdoute il leur fallait
le consentement de l'assemblée de la nation, mais les marchands
ne pouvaient guère plus leur résister, de crainte de leurs vengeances,
que les consuls eux-mêmes ne pouvaient résister aux ordres de l'am-
bassadeur, et d'ailleurs ils avaient toujours parmi les marchands un
parti à leur dévotion. Les prétextes ne leur manquaient pas ; les
avanies jetaient sans cesse la nation dans de grands besoins d'argent,
et il fallait satisfaire aussitôt les pachas sous peine de voir leurs
exigences s'accroître. Outre ces prétextes légitimes ils en trouvaient
d'autres : les capitaines des navires ou les résidents s'attiraient
îuvent de la part des Turcs des avanies ou amendes particulières,
)ur les infractions les plus diverses aux coutumes des échelles, les
consuls en faisaient supporter le paiement à la nation, malgré toutes
les défenses des députés du commerce de Marseille. Quant à faire
passer leurs dettes personnelles pour des dettes de la nation, c'était
un expédient journalier ; ne les avaient-ils pas contractées au service
delà nation et n'imitaient-ils pas en cela les ambassadeurs qui eussent
dû protéger le commerce contre ces malversations ?
Lorsque le Consul avait réussi ;l imposer une taxe, il en prolon-
geait indéfiniment la perception à son plus grand bénéfice. « En
l'échelle d'Alexandrie, disait la Chambre du commerce dans un
mémoire adressé au roi en 1670, le consul fiiit payer 3 0/0 au lieu
de 2, en vertu d'un arrêt du conseil de 161 3 qui lui accorde 3/4 pour
cent, jusqu'au remboursement d'une somme de 60000 livres, qui
est remboursée depuis longtemps*. » Sans doute les deniers de ces
uxcs devaient être remis entre les mains de deux députés, élus par
la nation, qui en avaient l'administration et devaient en rendre
compte annuellement aux députés du commerce de Marseille, mais
ces régies de comptabilité n'étaient pas observées, les députés des
échelles, désignés par le consul au choix de la nation étaient ses
créatures et s'entendaient avec lui pour malverser ; quant aux
consuls et députés de Marseille c'est à peu près en vain qu'ils s'épui-
sèrent pendant toute cette période à réclamer les comptes de l'admi-
nistration financière des échelles, ils ne devaient pas même plus
tard avec l'appui de Colbert en obtenir l'envoi régulier*.
(I) Cayersan roi du t) août tù-jo, art. ij, BB, 2.
{1} Correspond, dila Otamhre. BB, 2ti. — Correspondance consulaire. A A, ijSetsuiv.
I
L ANARCHIE COMMERCIALE
Rien n'était donc plus dangereux pour le commerce que la per-
ception de CCS taxes établies par le consul au nom de la nation. Aussi
les consuls et députés de Marseille ne cessèrent de leur taire renou-
veler par le roi la défense d'emprunter au nom de la nation sous
aucun prétexte'. Cette même défense était rigoureusement Élite aux
consuls Anglais et Hollandais qui l'observaient, et leur commerce
était à l'abri des abus qui ruinaient le nôtre. En vain, pour répondre ■
aux prétextes invoqués par les consuls, les députés de Marseille
leur répétaient-ils quelle était la marche à suivre quand la nation
était obligée à des dépenses subites et manquait d'argent : ils devaient
prendre la somme qu'il leur fallait sur les vaisseaux qui se trouvaient
à l'échelle, c'était i Marseille que devait se foire ensuite le règlement
de cette avarie'. On peut dire que cette règle ne fut jamais observée,
car les infractions restaient malheureusement impunies. ■
Quand on était prévenu i Marseille, par un capitaine de retour
d'une échelle, ou par une lettre venue sur un navire, qu'un consul
avait établi une imposition, il y avait déjà plusieurs mois qu'il la
faisait percevoir; les députés du commerce de Marseille lui écrivaient
alors pour se plaindre, avant que sa réponse arrivât il pouvait s'écou-
ler cinq ou six mois, et il ne manquait pas de répondre par de bon-
nes raisons ; à l'entendre, il avait sauvé l'échelle des plus grands
malheurs. Les députés pouvaient s'adresser à la cour et solliciter
des ordres exprès au consul de surseoir à son imposition, mais le
conseil avait besoin d'être informé, l'afîliire traînait en longueur et
pendant ce temps le consul continuait ses levées. Souvent il trouvait
moyen d'éluder même les ordres du roi. Les députés de Marseille
avaient bien leur recours sur les propriétaires du consulat, respon-
(1) Dflihtration du i$janv. s6}4. Arch. Commun. '. Sommation aux consuls Je
ne faire aucune levée Je Jcnicrs CT impositions sur la nation sans qu'au préalable
apparaisse Jclibératioit du conseil de cette ville ; on poursuivra la reddition de»
compte* des levées des deniers faites injustement. — /?W, /. 3ijti»v. il>;} : Requête
pour empêcher que les consuls n'empruntent au nom de la nation. Demander
Itératives défenses aux consuls de rejeter sur le corps Je la nation les avanies
faites aux particuliers.
(2) V. Par exemple : D/lihiration de sef>lembre i6ji,Arch. Commun. : à l'avenir
il sera JéfenJu aux consuls et aux marchands de faire aucune délibération et réso-
lution d'emprunts d'aucune somme pour engager la nation fran(;aisci peine d'i
répondre en propre de ceui qui assisteraient aux dites assemblées. — Le consul
pourra faire payer par forme d'avaries, sur les fonds des vaisseaux qui se trouve
raient sur les lieux, les sommes dont la nation serait contrainte. — On poursuivra
le consul d'.\lcpqut, au lieu d'observer cette résolution, a emprunté au nom de
la nation.
I
I
>utfl
LES ABUS 89
sables de leurs fermiers, mais ceux-ci, personnages influents, étaient
rrop puissants pour craindre les efil-ts de cette responsabilité qui
resta purement nominale, car on ne trouve pas d'exemple que le
commerce ait pu les obliger i des remboursements; les députés
découragés de leurs tentatives finirent par renoncera les poursuivre '.
Li voie la plus pratique, pour cchapperauxtyrannicsdesconsuls,eùt
été pour les marchands de s'adresser aux ambassadeurs, mais quelle
protection pouvait-on en espérer, quand eux-mêmes avaient besoin
de la connivence des consuls, pour lever dans les échelles les impo-
sitions injustes dont ils accablaient le commerce.
Malgré leurs expédients financiers les temps étaient si mauvais que
les consuls arrivaient souvent h s'endetter comme les ambassadeurs,
ou bien, par une dernière volerte, ils laissaient s'accumuler leurs
dettes pour les faire payer .\ la nation après leur départ. C'est en vain
que les députés de Marseille essayèrent de soustraire les échelles ;l
Cette obligation contraire aux Capitulations, c'eût été s'exposer à de
terribles avanies et jeter le discrédit sur la nation française. Ainsi
l'échelle d'Alep paya successivement les dettes de deux de ses con-
suls; 14,294 piastres pour Delestradc en 1635, plus de 20,000 pour
Bonin en 1648. De Bermond du Caire devait 20,000 piastres en
quittant sa charge et vingt ans après son cousin s'enfuj'ait en laissant
de grosses sommes ii payer'. Les députés du commerce de Marseille
trouvèrent le vrai remède quand, A la suite de l'affaire Bonin, ils
demandèrent qu'on exigeât une caution de ceux qui iraient exercer
les consulats; mais, après plusieurs mois de négociations .1 la cour,
l'opposition intéressée du comte de Bricnne les empêcha d'obtenir
l'arrêt du conseil salutaire, qu'ils sollicitaient '.
Au mal que disaient les consuls par leurs voleries s'ajoutait celui
cju'ils laissaient faire aux pachas par le peu de protection qu'ils
^«iccordaient au commerce, souvent mèmcon les accusa de s'entendre
ivec les ministres du Grand Seigneur. Il ne pouvait en être autrc-
rnent: la plupart du temps en querelle avec la nation, tout au moins
(1) V. Arch. Commun, Délibérations, septembre :6}i. — Décembre i6}t — 29 Sfjh
\ttmhrt t6)4. — ii décembre i(>}S — «' lettre ihi coinul d'Alep du 2S juin 16.(6. A A,
\36}: poursuites inutiles contre l'ierre Viguier, titulaire du consulat d'.Mcp.
(2) L'affaire Bonin fit grand bruit à M.irseille. V. Arch. Commun., Correspond.
> <ies années tôsoet suiv., A.i, )6j. jS juin 16.16. iMtre du consul d'Alep.— A A,
30J. 30 octohrt làji , lettre du consul du Caire.
(;) Aich. Commun. Correspond. 21, it) iiov. têjo, tojanvier i6;t. — BB, 26.
Ji janvier i6}i. — Lettre à Siguier. 6 juin 16} t. Arch. Commun, Corresp.
90
L ANARCHIE COMMERCIALE
une partie Je
:hands
Mit besoin de la
avec une partie des marchantls, us avaient besoin de la protection
des pachas pour éviter un ordre d'embarquement que leurs ennemis
pouvaient obtenir contre eux, pour continuer impunément leurs
tyrannies, pour s'opposer à l'installation des successeurs qu'on leur
envoyait'. Mais ils ménageaient surtout dans ces occasions les inté-
rêts de leur commerce particulier aux dépens de ceux du commerce
général. Les consuls oubliaient en effet leur qualité de représentants
du roi pour se livrer au négoce, et c'était là une des plus grandesfl
plaies du commerce. Au lieu de n'avoir de soins que pour tivoriser
les marchands, ils leur Tassaient une concurrence désastreuse. Com-
ment en effet un simple marchand eût-il pu la soutenir : le consul,
par les relations qu'il avait avec les grands du pays, pouvait saisir les J
occasions, jouir de faveurs, d'exemptions de droits, acheter des™
monopoles. Il s'emparait des branches de commerce qu'il jugeait les
plus fructueuses, ne laiss;int aux marchands que ce qu'il dédaignait.
Il multipliait pour cela les présents et les « donatives aux puissan-
ces », car c'était la nation qui payait les dépenses faites en son nom
et pour son bien, comme le disaient les comptes envoyés ^ Marseille.
« Faites seulement l'affaire du natron, écrit le Marseillais d'Anihoine
à son frère le consul du Caire, car moyennant que ayicz le natron,
que personne n'en mande que vous, je me promets et je m'oblige
que du profit du natron je paierai ici notre rente et tout ce qu'il fau-^
dra... il y a plus de 10,000 piastres .1 gagner tous les ans, » Peu™
importait au consul de se lancer dans une spéculation hasardeuse,
s'il réussissait mal, la nation paierait ses denes. On vit môme desa
consuls favoriser par intérêt personnel les entreprises des marchands ™
étrangers, ainsi qu'en témoigne la lettre suivante du roi adressée à 1
celui du Caire, le 2 novembre 1633 : « Cher et bien amé, lesmar-B
chands de notre ville de Marseille nous ont représenté que ci-devant '
ils avaient accoutumé de traffiquer es échelles du Levant et spéciale-
ment en Alexandrie au Ciirc et à Damiette, des drogues médicina-
les qui s'y rencontrent comme casse et senc... ce qu'ils n'ont pu
continuer ces dernières années i cause du peu d'assistance qu'ils ont
reçu des consuls français lesquels, pour quelques intérêts particu-
liers, ont flivorisé les marchands Vénitiens en ce commerce qu'ils ont
(i) Voir ci-dessus l'histoire des brouillcries d'Eg\'pte. — Dcsiiayes envoyé pârJ
le roi dans le Levant dépossède en 1621 le consul de Smyrnc et en établit uni
autre, « encore que le vieil consul eut fait plusieurs présents aux officiers duj
G. S. pour être maintenu ». Relation, p. J4J.
LES ABUS
91
cniicrcmcnt attiré à eux. Si cela est ainsi, nous vous ordonnons...
de cesser toute corrcsponcluice et intelligence avec lesdits marchands
vénitiens... vous cnjoiyn.mt sous peine de privation de votre
emploi ' »
Comment un consul, préoccupé de ses intérêts, pouvait-il, même
avec les meilleures intentions, être un juge impartial dans les difl'é-
rends entre les marchands, dont les uns pouvaient être ses associés
et les autres ses concurents ? A qui ceux-ci pouvaient-ils recourir si
leurs affaires commerciales les mettait en conflit avec le consul ? La
dignité consulaireavait en réalité perdu son caractère de magistrature,
elle n'était plus qu'une exploitation commerciale, la plus lucrative
de l'échelle, ruineuse pour celles des marchands. Mais le mal était
tellement enraciné et passé dans la coutume que, pendant la première
moitié du xvii' siècle, les consuls et les députés du commerce de
Marseille désespérèrent d'y porter remède, c'est à peine si dans la
Suite plus de cmquante ans d'efforts purent le faire entièrement dis-
paraître*.
II y avait longtemps cependant qu'on s'était rendu compte à la
cour aussi bien qu'à Marstille de la gravité de ces abus*. Pour répon-
dre \ de nouvelles plaintes, le roi, par des Lettres patentes en forme
de déclaration données le 20 mai 161S, ordonne « que lesdits consuls
résident à l'avenir en personne en leurs charges pour les exercer, si
ce n'est que S. M. leur permette d'y commettre, à ta charge de
répondre de leurs commis et i condition expresse qu'ils ne seront
fermiers des droits desdits consulats sur peine de la vie, et auxdits
consuls de la perte de leurs offices, fait défenses sur les mêmes peines
auxdits consuls de s'entremettre d'aucun trafic ou négoce pour eux
tii pour autrui, ni de recevoir aucune commission des autres mar-
chands, ni admettre aucuns associés auxdites charges, révoque et
annule les sociétés jà faites, s;tns que les parties s'en puissent aider
ïii prévaloir en l'avenir. » ' Mais la déclaration resta lettre morte, de
même que l'arrêt du conseil du 15 juill^ 1641, qui astreignait les
(Il m.S3. '
(2) Pour les abus commis par les consuls, V. vircb. Commun. DiUb. et Corrfsh.
' î, /. De'lih. de la Chambre Ju conimncf. i6fo-i(>6o. r- BB, 36. Corrts[>onJ.
— Correspondance constilnire. AA, 140 et siiiv.
(j) V. CaytTi prhtnth au ro)' m 161 }. AA, }6).
{4} Voir le teste Itibl. nal. mss.fr. ]6j}S,fol. /70-/7/. Les propriétaires des
consulats firent opposition ti cette dcchuation et il est curieux de voir que les
92 L ANARCHIE COMMERCIALE
consuls ;\ la résidence effective, excepté ceux qui avaient reçu du
roi la permission de dcléi^uer leurs pouvoirs, et leur interdisait for- M
mellement d'emprunter de l'argent au nom de la nation française'. ™
La cour se borna à rappeler quelques consuls fermiers, quand leur
conduite était par trop scandaleuse et les plaintes des Marseillais trop A
vives*. Le mal subsistait dans toute sa force au moment où Colbert
s'occupa d'y remédier, comme le montre le préambule de l'arrêt du
conseil du commerce publié le 12 décembre 1664*.
Les consuls, qui vivaient de tant d'abus, ne pouvaient guère
châtier ceux auxquels se livraient les marchands; à vrai dire ils se
souciaient peu de la police de leur échelle, qui était avec la protec-
tion des marchands leur attribution essentielle. Assurés de l'impu-
nité, les marchands se livraient à tous les écarts et contribuaient
encore par leur conduite déréglée à la ruine du commerce. Ce
manque de police était en effet rendu plus dangereux par la mau-
vaise composition du corps de la nation française dans la plupart des
Echelles. L'imprudente coutume s'établit, parmi les fimilles marseil-
laises, d'envoyer leurs enfants jeunes dans les échelles pour y appren-
dre de bonne heure le commerce. Malheureusement ces jeunes gens,
qui dès l'âge de 20 ans faisaient partie des assemblées de la nation,
se trouvant loin de toute tutelle, prenaient de déplorables habitudes:
turbulents, dépensiers, débauchés, sans expérience, ils étaient sans
cesse pour le consul une cause d'alarmes, pour la nation une menace
d'avanies, et souvent pour leurs maisons des artisans de ruine*. Les
consuls et députés du commerce de Marseille, sans l'autorisation
dC'put^s du commerce, gmbrassant leurs intcrcts plutôt que ceux du commerce
gcmiral, Sl' joignirent A eux. — Voir le plaidoyer curieux du sieur de Cormis,
avocat général en Provence, pour répondre à kurs objections {ll'id. fol. }jg-t6Sj
— Arrêt du conseil du 16 mars 1620 confirmant les lettres patetttes. Ihid.fol. tiù.
(1) AmirnuU. Reg. I des Insin.fol. 729.
(2) LfUrfs patentes Je S. M. adressas à Marmery, consul d'Alep. 6 Ktd>re 161 J.
AA, }6}. — Léonard Gravier, consul fermier de Satallcli, est révoqué par arrvrt
du Parlement de Provence le 15 avril 1639. Amirauté. Re^. des Insin. fol. 44}.—
Claude Rigon, propriétaire du consulat de Scio et Smyrne, est révoqué par arrêt du
conseil du \" avril 1622. — Bihl. nat. mss.fr. i6y}S. — Rappel de Boiiin consul
d'Alep, 1648. — Saisie de ses biens par autorité du lieutenant de l'atriirautê.
ji janv. i6}t , 2S fèvr. i6f). Arcli. Commun. Coriesp. — Happel de de BennonJ
d'Alep 1639, de de Bertnond du Caire. 2S fh'r. 16} 2. Arcli. commun. Corresp.
(3) Ce préambule résume très nettement tous les abus que pratiquaient tous
consuls fermiers. — V. le texte AA, iji.
(4) Les banqueroutes, très fréquentes à cette époque, furent souvent le résultat
de l'inconduite des marchands. Cependant toutes restaient impunies ; les
resp. _
ous les H
ésulut H
autres H
LES ABUS
93
desquels personne ne pouvait aller résider dans le Levant, eurent le
tort de laisser s'établir i côte d'eux des gens sans moralité, des mar-
chands qui, ayant perdu leur fortune et leur crédit sur la place de
Marseille par leur nuuvaise conduite, allaient tenter de les rétablir
dans le Levant, comme s'il n'eût pas fallu au contraire des résidents
d'une probité et d'une habileté éprouvée, dans un pays où le négoce
était entouré de si grandes difficultés. On voyait encore se glisser
sans autorisation dans les échelles, au moyen de subterfuges flicilités
par la complicité des capitaines de navires, des gens sans aveu, des
vagabonds sans aucun bien, qui s'en allaient chercher aventure et qui
bientôt tombaient à la charge de la nation, gens dangereux qu'il
(allait ménager, car ils menaçaient de se porter aux pires excès, dont
le plus redouté pour l'honneur de la nation, était qu'ils ne se fissent
Turcs. Au milieu de ces éléments de désordre il y avait sans doute
dans chaque échelle des marchands probes et expérimentés, c'étaient
eux qui maintenaient .i force de patience le commerce menacé d'une
ruine complète, mais ils étaient souvent impuissants à empêcher les
excès, les cabales, les lourdes fautes de la jeunesse indisciplinée ou des
coquins qui les entouraient'.
Leur plus grave défaut était la mesquine jalousie qui les divisait
et fomentait entre eux des cabales sans cesse renaissantes. Leurs
haines les laissaient dés;irraés vis-à-vis des oppressions des Turcs,
incipables qu'ils étaient de les oublier pour concerter une action
commune en cas de danger, heureux souvent d'une avanie qui arri-
vait aujourd'hui à leur ennemi et qui pouvait les menacer demain,
capables parfois de la susciter eux-mêmes. Ces rivalités ne leur nui-
saient pas moins dans leurs opérations commerciales : quand les
indigènes apportaient leurs marchandises à vendre, ils ne songeaient
«^u'i se les enlever, inventant des stratagèmes pour devancer leurs
rivaux, ne craignant pas de faire monter les prix A des taux exagérés,
pourvu que d'autres ne pussent rien acquérir; arrivait-il un navire
chargé de marchandises de France A vendre, ils se pressaient h qui
inarcbdnds ou le consul lui-m^mc favorisaient la fuite du banqueroutier, de crainte
cu'il ne tombât entre les mains des Turcs. Souvent il allait sVtablir dans une
«chcllc voisine ou il continuait la même vie de désordres. Le consul d'Alep 5e
pUint en 16^9 d'un marcliand qui, après .-«a tniisiëme banqueroute, signe le premier
aux .issenibWes et se conduit en vrai maître de l'échelle. }i mars !<>}<}. A.l, )6;.
Il) Voit dans la Corresp. consul, les pl.iintes continuelles des consuls entre les
jeunes gens, « les cabalistes », les vagabonds. — Voir les mémoires de d'Arvieux
pendant son consulat d'Alep.
94
LANAKOUE COMMERCIALE
vendrait au détriment l'un de l'autre , a\-ilissant les prix à plaisir.
Ainsi, achetant cher, N'endant i trop bon compte, ils sacrifiaient
étourdiment leurs bénéfices. Ce mal frappait tous les veux, les corres-
pondances des consuls sont remplies de leurs plaintes, les voyageurs
le signalent : • les Français sont tous fort peu d'accord, écrit Chardin
en 1671, et entretiennent fort bien la division en leur commerce.
Ainsi il ne faut pas s'étonner s'il diminue et s'il cause en général
plus de dommage que de profit. Ceux qui en connaissent bien la
nature et les maximes disent que c'est cette désunion qui les ruine
en Levant et que si l'on compare l'état présent avec l'état passé du
négoce qu'ils y font, on trouvera qu'il est plus misérable et plus
stérile que jamais'. » Beaucoup attribuaient au trop grand nombre
des Français éLiblis dans les échelles, àSmyme particulièrement, les
riv.ilitésqui les divisaient, mais elles existaient aussi U où il n'y avait
qu'un petit nombre de résidents.
Ennemis de toute discipline, les marchands n'oubliaient leurs que-
relles que pour cabaler contre l'autorité consulaire. Peu de consuls
parvinrent à se maintenir en bon accord avec la nation, il leur fallait
une patience et une habileté peu communes. La correspondance des
échelles est curieuse à lire à cet égard : amis de la nouveauté, les
marchands faisaient généralement grand accueil à tout consul qui
venait dans leur échelle. Les premières lettres de celui-ci sont pleines
de témoignages de reconnaissance pour les démonstrations flatteuses
dont il a été l'objet, les querelles sont oubliées, tous les march.inds
lui ont promis de vivre en bonne harmonie. Ceux-ci, de leur côté,
se louent des qualités de leur nouveau chef; puis, dans les lettres qui
suivent, le consul parle de difficultés qu'il rencontre, de quelques
cabalistes qu'il a mis à la raison, ceux-ci se plaignent des rigueurs
du consul ; bientôt tout s'aigrit : le consul ne s'étonne plus des
déboires qu'a éprouvés son prédécesseur, les marchands écrivent
qu'il suit en tout point les tyrannies de ses devanciers ; les consuls
et députés du commerce de Marseille, et plus tard la chambre du
commerce, prennent généralement le parti des marchands, la cour
embrasse plutôt celui du consul et tout se termine par l'ordre d'em-
barquement de ce dernier ou des chefs de la cabale qui l'attaque.
Telle est la douloureuse comédie qui se joua malheureusement trop
souvent dans les échelles, non seulement pendant cette période, mais
(i) Chardin, t.I, p. 4.
LES ABUS 95
aussi dans celle qui la suit'. Combien les Turcs et nos rivaux les
Anglais et les Hollandais ne devaient-ils pas profiter d'une aussi
triste situation.
Ainsi s'en allait peu à peu le commerce, en proie ù tous les abus,
opprimé à la fois par tous ceux qui avaient reçu du roi la mission de
le diriger et de le protéger. Mais comment ces désordres, dénoncés
maintes fois par les plaintes des consuls et députés du commerce de
Marseille, purent-ils s'étaler en plein jour et grandir pendant plus de
50 ans, en dépit de quelques tentatives inutiles de répression ? C'est
ce que pourront faire comprendre la faiblesse de l'administration qui
était à la tète du commerce du Levant, et la négligence du gouverne-
ment royal.
(i) D'Arvieux consul d'AIcp écrit à la chambre le 4 octobre 1685 : « je n'attends
pour partir qiie l'arrivée de mon successeur. C'est la coutume de chanter alors:
Benedictus qui venit in nominc, comme de crier après : toile, toile, crucifige, tant
notre jeunesse indomptée est incline au divorce. » A^, J64.
«
CHAPn^RE V
LES DÉFAILLANCES DE l'ADMINISTRATION
Les Marseillais, entre les mains desquels étaient la police et la
direction du commerce du Levant, avaient imaginé de la confier aux
députés et bureaux du commerce, qui auraient rendu les plus grands
ser\'iccs s'ils avaient pris assez d'autorité. Les quatre députés du
commerce, créés en 1599', continuèrent d'être élus, sur la dési-
gnation des consuls, par des assemblées spéciales où figuraient les
plus notables négociants de la ville*. Ils étaient choisis parmi les
personnes les plus « expérimentées au négoce mercantil » comme
dit le procès-verbal d'élection de 16 12, et dans les Êimilles les
plus considérables, aussi beaucoup d'entre eux deviennent consuls
et sont employés plus tard dans les députations de la ville à la
Cour; plusieurs même sont élus consuls pendant qu'ils sont députés
et en conservent les fonctions*. C'étaient les députés du com-
(i\ V. IntRvIuotion.
[i\ Dans les pnxès-vcrbaux on ne voit mentionner que 30 à 40 assistants.
Klus J'.iK'ird le 4 ou le > août de chaque année, ils le sont, â partir de 1623, dans
le G.inscil de r « autorie • au commencement de novembre.
( î^ .\nibrv^i>e lV>nin député en 1600-1601 est consul en 160}. Pierre SoUe
député en ip«.n-o6 est consul en ici;. Simon Moustier consul en 1606-07 ***
co«»sul en toi ;, Baltha.ard Cappel. député en 1607-08 est consul en 1616.
Lé\m.ird dcSacto député e:i i6t>-lO est en même temps premier consul en 1616.
Pierre Mo>t:er est cor.sul et député en ikm- Cosme de Valbelle élu député le
\ août 1P17 es: cîi! premier consul le > novembre et reste député. Louis de
Veuto Jerutc c:i :oi; est rremier consul et députe en 1624. .-/r.-fr. CoHmiiiif.
iV.'.'.S-'. — l.c> procès-vcr>a>;x d'clcctio:; n-.ontrcr.t vju'au début on considérait
le-,:r existence co::v.'.'.e prov-.sv'iro et c!'.J.que ar.r.ce la nécessité de leur création
t.:j'.: rc!v.i>v e:*. ^;u^.s:i^.■>•■:. l:-.'. ;c:oon dcciJi numc leur suppression. « Toutefois,
vici'uis cue'.c-.:e> .t:^nees. J^^lara "e prenv.cr ccrsu!. or. a recotmu que telles
c!u:i;e> ne -w.t po:::: v.::!e> .!u public et la n-.u/.itudc des adniinistiateuis ne
:ai: '^u'eviicndrcr ccï dciordrvs. par ce n:oy».n voulant d"ua corps qu'est cette
LES DÉFAILLANCES DE l'aDMIS'ISTRATION
97
mcrce qui recevaient les avis touchant les affaires cotninerciales,
étudiaient les questions, faisaient des rapports aux assemblées, rédi-
geaient les cahiers et mémoires présentés au roi, les instructions
données aux députés en cour; ils avaient en même temps la sur-
veillance de la navigation, de l'administration des échelles, recevaient
et examinaient les comptes des levées de deniers qui se flùsaient sur
le commerce, ils en étaient en un mot les vrais directeurs. Devant
les ditlîcultés croissantes que rencontra le négoce, on songea bientôt
iles assister d'un Bureau, composé d'un petit nombre de membres,
choisis aussi parmi les gens les plus expérimentés au commerce et
les plus considérables. Ce Bureau, plus facile A convoquer que le
Conseil de ville ou les assemblées de la communauté, était en outre
beaucoup plus compétent, et les affaires y étaient expédiées plus
sûrement car on n'avait pas à craindre les bruyantes querelles, ou les
vaines discussions, des réunions plus nombreuses. II autorisait les
députés du commerce à agir, chaque fois que ceux-ci jugeaient bon
de le convoquer, et plu.s tard le Conseil de ville devait approuver
Ses décisions, mais c'était une pure formalité. C'est en 1608 qu'on
voit réunir pour la première fois un « Bureau des plus intéressés au
négoce»; en 1610 il prend le nom de « Bureau établi pour la
direction et conduite des affaires du commerce et il est composé de
huit membres. Ce bureau du commerce ne reparait ensuite qu'en
1 6 1 6 et subsiste jusqu'en 1622; après un nouvel inten'alle de cinq
ans, il est rétabli en 1627 et fonctionne jusqu'en 1632, composé de
douze membres*. Ces deux périodes du six années furent celles où
les Marseillais furent le plus occupés à combattre contre les Barba-
resques ou à négocier avec eux. Le commerce tendait ainsi .\ former
un corps séparé de la communauté avec son administration simple
c*t pratique, et présentant cependant de sérieuses garanties : il y avait
là le germe de l'organisation de la célèbre Chambre du commerce.
communauté' en com]x>scr deux, et que de toute ancictinctc toutes les atrairc&
«JuJit commerce n'étant aucunement distraites ni séparées du corps de ladite
conimun;iuté, étant jdniinistrée.s par Icsdits sieurs consuls. » {.■Irch. Commun.,
^ actU idiy). M.iis leurs fonctions étaient en réalité si nécessaires que. dés Tannée
*urvantc, le* consuls demandèrent le rétablissement des députés, (-''''f^'î'. Cu»mww>/.
37 miiTf 1630). L'autorité des députés s'accrut même dans les années suivantes ;
îu>ques la on les créait pour 0 assister les consuls », plus tard on les appelle cou-
Tiunincnt « directeurs du commerce » ; le u Conseil leur donne pouvoir de régir
et gouverner les affaires du commerce et négoce », dit le procès-verbal d'élection
\lu 15 novembre 164 j.
(I) V. Arch. Commun. D/Ubir,
98
L ANARCHIE COMMERCIALE
plus grands
I
Les déput&s et les bureaux rendirent
c'est 1 eux qu'il faut rapporter tout ce qui se fit de bien pendant la
prcmitTc moitié du xvn" siècle en faveur du commerce du Levant,
car c'éwitiu leurs députés en cour ou leur avocat au conseil qui
îiollicitaietu toujours l'action du gouvernement ; on ne pourrait
pas citer un seul acte du pouvoir royal qui n'ait été inspiré par les
cahiers, mémoires, ou lettres des députés du commerce de Marseille.
Touielois il laut reconnaître que Cc qu'ils firent n'était rien auprès
de ce qu'il aurait fallu faire. Sans doute ils étaient excusables ;
cuiUMuni quatre pauvres marchands, \ qui l'argent était parci-
monieusement mesuré, mal vus souvent de la cour, où l'on n'en-
tendait d'eux que leurs plaintes, eussent-ils suffi à leur lourde tâche ?
Cepeiulani les documents prouvent que leur activité, sollicitée par ■
iai\i d'objets, se laissa absorber par quelques uns et en négligea"
d'essentiets ; leurs délibérations ou leurs correspondances font
mention sans relâche des pirateries et surtout du règlement des
dettes du commerce et des échelles et des procès qu'elles suscitaient,
mais elle.s semblent trop laisser de coté r.idministration des échelles.
On est frappé de la rareté des lettres adressées aux consuls pour les
diriger et leur demander les comptes de leur administration. Par
une surveilLmce journalière, les députes du commerce auraient pu
prévenir bien des abus et empêcher beaucoup de ces dettes qu'ils
avaient ensuite tant de mal X éteindre. G: défaut de prévoyance J
frappa même les contemporains : ces messieurs de Marseille, t*crit
un consul, ont accoutumé de remédier aux affaires lorsqu'elles sont
désespérées. Encore hésite-i-on à accuser les députés de négligence,
leur abstention ne provenait peut-être que du sentiment nulhcu-j
ivusement taip justifié de leur impuissance.
Il T aurait des reproches plus mérités à adresser aux marchands]
qui composaient le burxxtu du commerce. Leurs séances furent
tou)oun peu fréquentes; le i; septembre 1616, en présence des^
graves a&tres qui sur^ctuient, ils avaient décidé de se réunir tous
les vendrodts, cette r^lc ne fut même pas observée ks semaines qoi
saiviicnt «t feur cnrail se boraa toujours à qtielqoes réunicms par an
où ih âpfmMmicnc en bloc ce ^ui i^M kté £iit, on ce qui était pro-
posé p«r ks «iéputês du coomieTOt*; aont le poids des a^resfl
aroH 4mUL ^*te >e fànut «le a'nvcr
lfo< : «
LES DÉFAILLANCES DE l'aDMINISTRATION 99
rctombaii sur ceux-ci. Cette négligence servit de prétexte :ï la
suppression du bureau du commerce qui disparaît en 1631'.
Cette suppression fut l'etict de la jalousie du conseil et du corps
de ville contre ce nouveau pouvoir, qui leur enlevait une partie de
leur importance. Les députés du commerce eux-mêmes furent tenus
dans une sorte de suspicion et n'eurent jamais l'autontê qui leur
eût ùid nécessaire. Ils restèrent toujours soumis i\ celle du conseil de
ville; ils ne pouvaient même agir dans les cas importants qu'ù la
suite d'une délibération de cette assemblée, que les consuls seuls
pouvaient cons-oquer et présider, et dont souvent ils ne faisaient
pas même partie'. Ils étaient surtout sous la dépendance des consuls,
sans l'ordre desquels ils ne pouvaient rien exécuter* et qui restaient
les vrais chefs du commerce comme de la communauté. C'est au
nom des consuls qu'ils rédigeaient toute la correspondance et qu'ils
expédiaient les affaires, c'est « aux consuls gouverneurs de la ville
de Marseille » qu'étaient envoyés les ordres du roi ou les lettres des
Echelles. Aussi, malgré le besoin évident qu'il y avait d'une admi-
nistration spéciale pour le commerce, et malgré l'intéressante ten-
tative que les Marseillais avaient laite pour l'organiser, elle resta
étroitement liée ù l'administration de la communauté. Subordonnée
:\ l'expédition des affaires de la ville qui absorbait l'attention des
consuls, l'administration de celles du commerce n'eut pas la vigueur
et la rapidité d'exécution qui eussent été nécessaires. Mais la plus
funeste conséquence de cette confusion fut que les intérêts du
micr consul lait faire lecture d'un acte par le secrétaire de l'an passé d'où il appert
que ce n'est pas la faute des sieurs consuls et députés, d'autant qu'avant appelé
pendant trois jours consécutifs ceux qui en étaient, plusieurs et diverses fois, n'en
comparaissaient que un ou deux cl cependant plusieurs affaires s'offraient ; le
consul se plaint de la ditriculté de s'acquitter de leur tâche pour ne pouvoir
assembler personne, témoin l'occision présente, la dixième partie des appelés
ne se sont point trouvés, n Arch. Commun.
(I) On voit fonctionner de i6}2 i t6jo une .lutre assemblée, le « bureau tant
pour les affaires de la communauté que celles du commerce », composé de 3o, puis
de i\ membres, tnais il ne s'occupa ^uère du conmierce : il y a des années où
l'on ne trouve pas une délibération qui le concerne (16^9, par exemple).
(i.) Voir par exemple le conseil du 1 5 juin 1625 très important, où l'on délibère
sur les aff.iircs de Cés\'. Les députés sont appelés pour donner leur avis, puis ils se
rvlinrnt et le conseil Jélibère. — Arçh. Commun.
(5) BB, 26. ij août j6;-/ Lettre des dfputis à Vafocat du commeice au comeil :
• Il ne tient pas .^ nous que l'affaire du sieur Maurellct ne soit hnie, mais nous
vous avons dit par nos précédcntei que nous ne pouvions rien de nous même*
uns l'autorisation de .MM. les consuls qui nous délaient toujours d'un jour à
l'AUtre. >> El cc]Hrndant en i6s4 la Chambre du commerce fonctionnait déjà.
lOO
L ANAKCIIIE COMMERCIALE
I
1
commerce, comme ceux de la ville^ furent trop souvent sacrifiés aux
rancunes des partis.
Pendant ces cinquante années, en effet, iMarseille ne cessa d'être
troublée par les discordes, qui tantôt se manifestaient par des sédi-
tions et des prises d'armes, tantôt par de sourdes iiitrit^ues. L'aristocra-
tie qui gouvernait la ville était formée de trois éléments rivaux, les
gentilshummcSj les bourgeois et les marchands, qui se disputaient le
pouvoir au conseil de ville. La noblesse, nombreuse 'et turbuletite,
composée de familles ennemies qui se transmettaient leurs haines
héréditaires, entraînait toute la ville dans l'agitation de ses factions.
Les troubles de la Ligue avaient soulevé de terribles rancunes entre
les familles qui avaient favorisé l'entreprise de Charles de Qizeaulx
et celles qui, ayant aidé Libertat à remettre la ville entre les mains
d'Menri IV, continuaient à bénéficier des faveurs royales. Chaque
fois qu'une occasion naissait, les partis ne tardaient pas à recourir
aux armes *.
En dehors de ces prises d'armes, la sécheresse des procès-verbaux
des délibérations du conseil de ville laisse souvent percer la trace
des violentes discussions qui l'agitaient. Il fallut le voy.ige du roi et
de la cour en :66o pour mettre un terme .\ ces agitations : les con-
suls furent supprimés par lettres patentes de mars i6éo et rempla-
cés par des échevins, qui durent être choisis parmi les négociants
bourgeois et les marchands, à l'exclusion des gentilshommes, m
« L'ambition de ceux qui prétendaient au consulat, disaient les ■
lettres patentes, et l'émulation parmi eux pour y parvenir ont formé
toutes les cabales qui ont troublé la tranquillité de la ville, et pour
cette raison le commerce est entièrement ruiné *. » Quelque temps —
auparavant, au milieu des troubles de la l'ronde, les Marseillais ^
avaient senti, comme autrefois après les malheurs de la Ligue, le
besoin de séparer l'administration du commerce de celle de la ville;
(i) Dans le procc-s-vcrbal d'un conseil géncial Je 1646, où figuicm 204 noms
et où le secrét.iire signnle beaucoup d'autres présctiis, 011 voit en tùlc 61; nobles,
dont 22 sont seigneurs de villages, — puis viennent les bourgeois et les niar-
clunds. — Arcb Comniuti.
(2) V. Troubles de 1609, 1610, 1644-46, pacifies par l'archevêque d'Arles j
Ma/ariu, — et surtout ceu\ Je 16)9-16611. — V'. Anh. Cominnu. Corr^spoiuL — !
Papon. t. IV, p. 530-600.
(}( Le commerce avait à redouter un autre danger, c'éi.iit de payer les dettes!
de la communauté qui «'•taient énormes : « Depuis 1 an passe, écrivent les consuls ]
le 28 nui 1641, elles se sont augmentées Je 100,000 livres, elles se portent i
947,000 livres et se vont Je jour en jour portant à un million, qui est une chose
LES DEFAILLANCES DE L ADMINISTRATION
lOI
c'est alors que b Chambre du commerce apparut. Créée provisoire-,
ment par le bureau du 24 avril 1650, elle te fut définitivement et
reçut son règlement à rassemblée du i^ novembre 1650 '. Cette fois
l'organisation à part du corps du commerce était détinitive; cette
heureuse innovation, précédant de peu les grandes réformes de
Colbert, allait ouvrir une ère nouvelle au commerce du Levant.
Si les Marseillais l'avaient longtemps nul dirigé, la responsabilité
en retombe en grande partie sur le gouvernement royal. Toutes
les innovations, les répressions d'abus, décidées par les bureaux du
commerce ou le conseil de ville, avaient besoin pour devenir exécu-
toires d'être revêtues de h sanction roj'ale, et il fallait chaque fois
pour cela aller jusqu'au conseil. On peut s'imaginer quelles dépenses
«quelles lenteurs en résultaient. La ville payait un avocat au con-
seil pour y défendre ses intérêts et poursuivre les affaires qu'elle avait
en suspens devant lui. C'éfciit à cet avocat que s'adressaient les
consuls pour l'expédition des affaires courantes du commerce; le
temps se passait en correspondances avant de terminer la moindre
affaire, car « l'ordinaire » n'apportait les lettres de Paris à Marseille
qu'une fois par semaine. Si l'avocat ou le conseil avaient besoin d'un
supplément d'informations sur une question, c'était près d'un mois
qui s'écoulait avant qu'il leur parvint. Four les affaires importantes
les consuls ne s'en remettiient pas ;'i leur avocat, ils envoyaient des
dépii tarions chargées d'.igir auprès du conseil, avec plus de compé-
tence et d'autorité. Il ne se passa presque p.as d'année sans qu'une
I députa tion n'allât à la cour, généralement pour plusieurs mois, et
icY'tait toujours pour la ville une dépense de plusieurs milliers de
livres. Il aurait fallu pouvoir terminer rapidement sur place les
lotit la seule pensée est affreuse. * De 1610 à 1620 le produit des taxes qui
«câaicttt sur le commerce, servit indiffcrcmmcnt .i payer toutes les dettes de la
ïoniraunautc, de quelque origine qu'elles tussent. (Aich. Commun. Dclib,). Ce
"es; que peu à peu aue la distinction s'établit nettement entre les deniers du
jmmerce et ceux de l;i communauté.
(I) Voir À l'appendice la note sur l'organisation et le fonctionnement de la
lliambre. — 11 fallut plusieurs années pour que la .séparation fut complète.
_cs députés écrivent, en effet, le 20 novembre 1657, ;\ leur avocat Ji la cour :
Comme .MM. les consuls de l'année précédente avaient pris l'entier soin des
ItT^tires du commerce, nous avions discontinué à vous écrire jusqu'à maintenant,
tt avant repris l'exercice de nos charges. . . » lili, 26. — Liltrc tin 2^ lUc. i66t :
puisqu'il a plu au roi en rétablissant la Chambre du Commerce » ftll, 26. —
„^ Chambre était composée de douze personnes, les quatre députés et huit des
bIus intéressés au commerce. — Les consuls, puis les éclievins présidèrent ses
ances, ma» il n'en étaient pas considérés comme membres.
102
L AKARCIUE COMMERCIALE
Ï
affaires ordinaires, expédier aussitôt les ordres nécessaires, dès que
l'avis d'une avanie, d'un abus de pouvoir d'un consul, ou de l'am-
bassadeur, arrivait d'une échelle. C'était bien ce que faisaient les
consuls de leur propre autorité, envoj'ant des ordres (( en attendant
que le roi y eût autrement pourvu », mais ils n'étaient pas obéis, ctfl
malheureusement il n'y avait en Provence aucun officier royal qui
pût immédiatement donnera leurs actes cette sanction, qui leur étiit
nécessaire. ■
Le duc de Guise prit, pendant son long gouvernement de Pro-
vence, une part considérable à la répression de la piraterie, mais il le
dut A sa charge d'amiral des mers du Levant, plutôt qu'à celle de gou-
verneur. Ses successeurs, le duc de Vitry (1631), le comte d'Alais,
le duc de Mercœur, no .se mêlèrent des affaires du commerce quej
quand tes consuls les sollicitèrent d'appuyer de leur influence les
demandes qu'ils faisaient à la cour. Le Parlement de Provence
joua un rôle plus utile et plus actif; bien que simples cours de justice
les Parlements avaient en etfet une grande part dans le gouverne-
ment et l'administration. En Provence particulièrement, « le Parle-
ment avait le gouvernement en l'absence du gouverneur et du lieuter^
nant du roi. Lorsqu'un de ces deux officiers militaires s'absentait"
avant que l'autre fût de retour dans la province, c'était l'usage qu'il
allât remettre au Parlement les rêves du gouvernement '. » C'estM
ainsi que sous Henri IV Guillaume du Vair, premier président,
avait joué longtemps le rôle de gouverneur de Provence'. Déplus
le roi confia à plusieurs reprises à des conseillers ou ;\ des présidents^
des commissions spéciales pour s'occuper des affaires du commerce.
Le Parlement semble même avoir eu régulièrement la mission de
contrôler toute l'administration financière des députés du commerce.
C'était par devant des commissaires de cette cour que ceux-ci ren-
daient les comptes de leur gestion. Les consuls de Marseille s'adres-
sèrent souvent aussi à elle afin de laire approuver les décisions du
du conseil de ville ou du bureau du commerce, soit pour établir une
imposition, soit pour interdire des levées aux consuls des échelles.
Leurs ordres arrivaient ainsi i la nation des échelles revêtus d'une
(i) Papon', t. IV, p. 600.
(a) V. Leitrei misiivei de Henri IV. Lctlres à du Voir. — .4rch. Commu». De'libi
l6iy '. « Suivant le ni.inJeinont priVis à nous fait de I.1 part de la cour du Farlo^
lemcindf ce pays et de la pan de M. le premier Président qui a le gouvernement
de cette province. »
LES DÉFAILLANCES DE L'ADMrNISTRATION
103
force plus grande, en attendant la sanction royale, ci l'approbation
de leur conduite par le Parlement leur était fort utile pour obtenir
celle du conseil ', mais il n'y avait pas à ce sujet de règle bien établie.
Le Parlement jugeait en outre en appel toutes les contestations
entre les déput(^s du commerce et les particuliers, portées en pre-
mière instance devant le lieutenant du SL-néchal, ou le lieutenant de
l'amirauté. 11 est vrai que les députés se défiaient des juridictions de
la province et prirent l'habitude de f^iirc évoquer leurs causes au
conseil. Dans ses Cayers du 13 août 1670, la Chambre du commerce
demandait que cet usage fût érigé en loi : « il arrive souvent, disait-
elle, que le commerce du Levant est attaqué par divers particuliers
s'appuyant sur des personnes d'autorité, lesquelles prennent part
secrètement aux affaires, ce qui fait que par le crédit qu'ils ont dans
les cours souveraines de la province, par ce moyen la Chambre n'a
pas bien souvent la justice que leur cause demande*. » La Chambre
devait trouver plus tard dans l'intendant ce juge impartial qu'elle
demandait. En somme, malgré l'intervention fréquente du Parle-
ment dans les affaires du commerce et l'appui que les consuls et
députés trouvèrent souvent auprès de lui, il ne fut pas chargé régu-
lièrement de donner à leurs actes la sanction royale.
Les officiers de l'amirauté semblaient, par leurs fonctions, devoir
être de précieux auxiliaires pour les consuls et les députés du com-
merce. Chargés de la surveillance de la navigation, ils expédiaient
les navires en partance après les avoir visités et s'être assurés qu'ils
ne transportaient rien d'illicite. A leur retour les capitaines devaient
immédiatement présenter à l'amirauté un rapport sur leur naviga-
tion et le manifeste de leur chargement. La compétence du tribunal
de l'amirauté s'étendait à tous les contrats intervenus pour des
marchandises transportées sur mer, et à tous les délits commis par
des gens de mer et aussi par les résidents des échelles. Les officiers
de l'amirauté auraient donc pu travailler efficacement au maintien
du bon ordre dans la navigation et d'une police sévère dans les
cchdles. Malheureusement ils ne vécurent jamais en bonne har-
di 13 juin i63o, j(i mars /6J2, iS mars i6}2, 34 juiUel i6i3. Arch, Commun.
Dâihh. — îS nin'tmbre i6i), au cousu} d'Alep ; « Il n'y a personne qui n'ait été
tntitTcmcnt étonné de voir que vous ayicz fait si peu Je compte «le notre délibé-
ration... M.ii< voui ne continuerez p.is. . . puisque vous ne vous en prendrez
pas seulement a nous mais à la souveraine cour de Parlement qui l'a autorisée
par son arrêt et qui le saura bien faire valoir. » BB, 16. — 8 avril 1624, ibid.
[i\ BB,iJo}.S^o.
t04
L ANARCHIE COMMERCIALE
monic avec les consuls et les licputds du commerce. Comme les
attribmions de ces deux corps, concernant la navigation et le com-
merce, n'avaient jamais été parfaitement réglées, ils se jalousaient et
crai<;naient leurs empiétements réciproques. De plus les officiers de
l'amirauté étaient en conflit depuis leur origine avec les juges des
marchands'. Mais ce qui les faisait détester des marchands c'était
surtout les droits de visite qu'ils percevaient au départ de chaque
navire. Les consuls et les députés du commerce ne cessèrent de se
plaindre à la cour de leurs exactions et engagèrent même contre le
lieutenant de l'amirauté plusieurs procès, malgré les nombreux
arrêts du conseil intervenus ù cet égard, et le règlement fliit en
1633 par M. de Seguiran, lieutenant de llichelicu en Provence, qui
ne fut pas exécuté*. En 1658 intervint entre le lieutenant général
de Valbelle et la Chambre du commerce un accord, qui devait servir
de règle i l'avenir, cependant en 1665 la Chambre engageait une
nouvelle instance contre les officiers de l'amirauté « sur les surexac-
tions et oppressions » qu'ils faisaient'. Aussi, à cause de cette
mésintelligence, l'amirauté fut-elle loin de rendre au commerce du
Levant tous les services qu'on aurait pu en attendre,
C'étaient les intendants qui devaient jouer plus tard ce rôle néces-
saire de commissaire délégué par le roi en Provence pour la direc-
tioit des affaires du commerce, mais ils n'apparurent que peu avant
le milieu du xvii'' siècle et leurs attributions ne devaient être bien
étabhes en Provence qu'au milieu du règne de Louis XIV *. Cepen-
dant dès leur création, les intendants, M. de la Potei-ie (16^2),
M. Talon ([634), M. de Merry (1636), furent mêlés à l'administra-
tion des affaires du commerce*. Deux surtout, MM. de Champigny
(i) V. Arrêt du Parlement de Provence statu.ini sur les conflits élevés entre
le lieuten.int fténérjl en l'aniinuité de Marseille et le vi^uicr de cette ville, les
jugi-s ordinaires et les juges des marchands, ji aoiit 1^64. Amiranlè. R,g. Ida
Insi». fol. loy.
{!) Arch. Commun. Vklih. 3$ fà'., 162}, 4 nov. 1644, au sujet de procès avec
l'.-imiraulé. — BB, i. S dk. i6s3, 21 mai i6sï- Conflits entre l'amirauté et la
Chambre. — Règlement de M. de Seguiran, dans la Corresp. de Sourdis : Jrts-
ptctiou lie M. Jr Stçitirau. — //, 3}. Brochure: .\rréts du Cnnscil d'Htat et de la
Cour de Parlement en faveur du commerce touchant le rêi^lement des officiers
de l'amirauté de Provence (1599. 1606, 1624, 1656, 1657).
(}) BB. 36. Lctlft du t} août tôôf — BB, 3j. Correspondance eu 1674 au
sujet d'un autre conllit.
(4) V. Marchand. Un intendant sous Louis XIF.
(5) Arch. Commun. Corresp. 3j nui 16^2, 10 octobre 1614. — Ijttre de Tax'Oial
Lt R<m\, 2n juin 16^6.
LES DÉFAILL.\XCES DE l' ADMINISTRATION
roi
(1636-40 et 1644-48) et de Vautorte, jouèrent un rôle fort impor-
uni, particulièrement lors de la liquidation des dettes de Ccsy. Les
Marseillais, maigre leur turbulence, surent apprécier les services de
jces nouveaux représentants du roi placés auprès d'eux, auxquels ils
pouvaient facilement fliire entendre leurs doléances et les intérêts du
commerce, sans avoir ^ redouter les lenteurs et les intrigues de la
cour. Au lieu de clierchcr à se soustraire à cette nouvelle autorité,
les consuls de Marseille réclamèrent pour diverses aflaires la juridic-
tion de Tintendant, au lieu de celle du conseil et leur confiance fut
justifiée' car MM. de Clianipigny et de Vautorte, par les deux révi-
jsions qu'ils firent de la liquidation des dettes de Césy, diminuèrent
considérablement les sommes qui avaient été mises à la charge du
commerce.
L'institution des intendants avait certainement facilité l'adrainis-
iration du commerce et lui avait donné plus de sûreté ; mais quelle
qu'ait été leur action, ainsi que celle du Parlement, jusqu'en 166 1, la
plupart des affaires, du moins des aHaires importantes, se traitèrent
directement entre les Marseillais et le conseil du roi. Le pouvoir
roval, qui tendait \ tout centraliser entre ses mains, et ne laissait
iplus assez d'initiative aux pouvoirs locaux, n'avait pas encore orga-
*nisé tous les rouages nécessaires au bon fonctionnement de la
nouvelle machine administrative. Le commerce supportait tous les
inconvénients de la centralisation, sans en ressentir encore les avan-
tages. Le conseil lui-même était loin d'être suffisamment organisé ;
I faute d'être définitivement divisé en sections se partageant entre elles
l'expédition des affaires, celles-ci s'y accumulaient. Ce qui .iggra-
vaitlcs lenteurs, c'est qu'il ne se réunissait pas toujours réguHère-
^ment: aux époques de guerres civiles, pendant la minorité de
(K Voir au sujet des bonnes relations du commerce de Marstillc avec ces deux
intendants et de leur rôle, de nombreuses lettres des consuls ou de leurs .ivocats
'su conseil (.-trch. Commun.) surtout à partir de 1640 — j mai 1644 : « Nous
iMmnics ravis que M. de Vautorte se rencontre un de nos juges (au conseil)
farce i^uc nous ayant toujours fait l'honneur de nous aimer et de protéger la
utice des intérêts de notre ville, nous sommes assurés qu'il nous assistera en
' ette rencontre. » — 30 sept. ià4.( : « Nous estimerions que ce serait un fort
un coup SI on pouvait renvoyer i M. de Champigny les atTaires des .\nglais
immc les autres affaires de Lu^uet. — .Après la suppression des Intendants
lj/.arin eut en Provence un homme de confiance l'évéque d'Orange, le domi-
licjin Hyacinthe Serroni qui joua un certain riMe dans les affaires du comnierce.
lazarin I établit intendant de la marine à Toulon en 1655. — (T. Lettres de
iaïaiin, t. II. l'U).
L ANARCHIE COMMERCIALE
Louis XIII et de Louis XIV, il y eut de longues interruptions de
SLMiiccs; quand le roi était en voyage, si le conseil s'assemblait
auprès de lui, Ici afliiires du commerce n'en restaient pas moins en
suspens, car l'agent chargé par les Marseillais de s'en occuper nt^Ê
pouvait quitter Paris; pendant la guerre contre l'Rspagne, les opéra-
lions militaires et les négociations absorbèrent l'attention du conseil,
et tout le reste en soutfrit. Aussi les affaires les plus urgentes tralrS
naient pendant de longs mois, avant que l'arrêt sollicité n'intervint
pour les régler; pour les procès, les lenteurs étaient d'autant plus^
grandes que les partisans retors, à qui le commerce avait affaire, J
étaient experts ;\ inventer des motifs de surséance. C'est avec raison
que dans le discours qu'il prononça à l'ouverture du premier conseil
de commerce, le 3 août 1664, Colbert regarda comme une des causes
de l'infériorité du commerce le défaut d'application du roi et de son
conseil'. ^
Il y avait bien dans le conseil et parmi les secrétaires d'Etat desw
hommes chargés particulièrement des consulats et du commerce du
Levant, mais ils étaient choisis sans posséder une compétence
spéciale et ils étaient occupés d'une foule d'autres soins. Ainsi, ^
jusqu'en 166 r, ce fut généralement le secrétaire d'état des atl'airei^
étrangères qui en fut chargé, parce qu'il avait la Provence dans son
département. Son embarras devait être bien grand pour prendre des
décisions dans ks questions qu'il devait trancher: il n'avait pas en,
Provence ou dans les échelles un agent impartial, placé en dehor
des querelles du commerce, qui pût le guider dans la solution de ce
affaires si embrouillées. Souvent il ne trouvait même pas, dans k
archives de ses bureaux, les anciennes ordonnances arrêts et règle-
ments, ou des documents sur les usages du commerce, quand les
Marseillais se plaignaient des innovations et des abus qu'on y intro-
duisait. Il s'adressait alors aux consuls de Marseille et plus tard à la
Chambre du commerce, pour leur demander de faire des recherches
dans leurs propres archives. Aussi les intrigues avaient beau jeu :^
on vit, sur la foi de renseignements trompeurs, le conseil se laisseij
arracher plusieurs fois des arrêts que les consuls avaient ensuite
beaucoup de mal .i faire réformer. L'histoire des affaires du
1
(i) Voir pour ce par.igraphe la Correspondance des consuls de Marseille
leur avocat .lu conseil. Arcbh. Commun.
LES DÉFAILLANCES DE l'aDMINISTRATION
t07
commerce introduites au conseil montre toute une série d'incerti-
tudes et de contradictions'.
Ce n'était pas seulement des lenteurs et du manque de compé-
tence que les intérêts du commerce avaient S souffrir, mais aussi du
favoritisme qui inspirait trop souvent les décisions du conseil. Tous
ceox qui vivaient des abus du commerce savaient se garantir des
poursuites et des réformes parles influences qu'ils avaient à la cour.
Dans un temps où celle-ci était remplie d'intrigues, les ministres
avaient trop d'amis ou d'ennemis à ménager pour ne pas leur sacrifier
souvent les intérêts de simples mariihands. La correspondance des
consuls de Marseille avec leur avocat, ou avec leurs députés en cour,
ne montre que trop contre quelles influences ilsavaient ù lutter*. Sans
cesse il est question, dans la même correspondance, de la distribution
de présents aux membres influents du conseil ; l'avocat des Marseil-
lais se plaint souvent de la parcimonie des consuls qui ne lui permet
pas de contrebalancer l'influence des cadeaux généreux distribués
par les adversaires du commerce ; à quoi les consuls répondent
piteusement, qu'il ne leur est pas possible de faire comprendre aux
marchands, ignorants de la façon dont les affaires se gouvernent \ la
cour, la nécessité de faire de grandes dépenses. Les secrétaires d'état
chargé des affaires du Levant donnent l'exemple de la vénalité' :
Chavigny reçoit de grosses sommes des partisans ; il fait concéder le
monopole de la vente des soudes et narrons d'Egypte, néccss;iires aux
NarseilUis pour leurs fabriques de savon, moyennant une pension
atmuelie de 6000 livres. Le comte de Brienne reçoit du fermier une
pension de 4000 livres sur le droit de 3 0/0, dont le commerce lui
demande A grands cris, mais en vain, la suppression '. Aussi, quand
(1 ) Àrch. Commun. Corresp. et BB, 36. Siùc d'arrêts contradiaoires rendus dans
les affeircs de Césy, Luguci, Gués, etc.
(2) V. Anh. Commun. Corresp. et BB, 26.
(î) Anh. Commun. Corresp. pafsim. — S juin 163.1 : 1» L'affaire de M. Cùsy
tunt trcs difficile, comme elle est, .i rétablir les tapis arriveront fort A
point pour obliger ceux a qui ils sont délivrés à prendre la protection de cette
affaire si juste. » — 7 fcvr. 16)6, lettre de Le lloux ; «J'ai ce matin présenté ce
que m*.ivcz ordonné à M. Servien qui l'a pris et témoigné le recevoir avec conten-
tCTnt-ni. J'ai aussi présenté aujourd'hui de votre part pareil présent A M. le chan-
celier qui m'a chargé de vous remercier... je départirai par le menu le restant à
ceux qui peuvent servir ; pour M. Bouthilhcr il a vu son présent avec conten-
tement. I» — tS apùl i6.fS : u Pour l'aH.iire de Pilles il faudrait des donatives
considérables aux puissances de la cour, n
(4) AA, jOj. Lellre de d'Aiithoint, 1651. — Arch. Commun. Lettre des consuls dt
M. 14 juillet if>iS.
loS
L ANARCHIE COMMERCIALE
I
les consuls poursuivent une affaire au conseil, ils recherchent avec j
soin si « les puiss;inccs » n'y ont pas des intérêts engagés. Ce!
mœurs étaient d'autant plus dangereuses que l'administration,^
par suite de l'accumulation croissante des affaires due à la
centralisation, tendait à être laissée de plus en plus entre les
mains de subaltL-rnes. On sent déjà grandir, à l'époque de
Richelieu, l'importance des premiers commis des secrétaires d'état.
Or ceux-ci, plus besogneux et moins soucieux de conserver leur
dignité, étaient plus enclins à la corruption, ils étaient d'ailleurs plus S
accessibles aux acheteurs d'inHuenccs et se vendaient à meilleur"
compte. Le commerce de Marseille eut ainsi beaucoup X souffrir de
l'hostilité intéressée de M. de la Barde, premier commis de M. de|
Chavigny, dont les consuls se plaignent souvent dans leur corres-
pondance '.
Si l'expédition des affaires courantes se ressentit beaucoup de la
mauvaise organisation et des mauvaises mœurs du conseil, le gou-
vernement royal se signala-t-il du moins par des tentatives de^
réformes ou d'heureuses innovations ? La régence de Marie de Mé-«B
dicis fut pour le commerce du Levant, comme pour le développe-
ment de la prospérité générale du royaume, une époque stérile ou
désastreuse. L'attention du pouvoir fut cependant attirée sur le com
merce du Levant par les Etats de 1614, qui formulèrent quelques]
demandes intéressantes. Mais on y retrouve la trace de cette crreu
économique, enracinée dans les esprits, que l'exportation de l'argen
était un danger pour la prospérité du royaume. Ce préjugé devai
longtemps nuire au commerce du Levant dans l'opinion publique*.'
Si l'on excepte la répression de la piraterie, qui fut de la part du
gouvernement l'objet de quelques efforts, il faut, pour sentir son
action sur les affaires du Levant, aller jusqu'à la mission de Deshayes
de Courmemiri en 1621. Le rétablissement des religieux latins dans
la possession des Lieux Saints, la protection des pèlerins assurée,
(0 Plus tard le nom de M. de Brisacier, premier commis de M, de Brienne,
tîgutc souvent dans les lettres des consuls.
(2) Recueil des Etats Géniiraux, t. .Wll, 2' panic, p. 154-157. — V. Pigeos-
NE-^u, t. II, p. 564-66. — Cf. Advis au io\ Je i6i^ : Des moyens d'cmpccher le
transport de l'argent et faire demeurer p.ir chacun an dans le royaume prvs de
cinq millions d or, de sept millions environ qui en sont transportes. (Arcb. Curieusti,
Ci.MBER et DAXjoe, 2' série, t. I, p. 4}i à 462.) — Ces préoccupations se retrou-
vent dans le livre de MoS'TcllRÉTltN : Traite de l'économie Jvlitique, paru à Rouen
en 161 5. *
i
J
LK-S oil AILL.WCES DE l'aDMIXISTRATION
109
riStablissemcnt pour I.1 prcniicre fois d'un consul ;\ Jérusalem, furent
les principaux rcsiiltals de ce voy;ige, qui contribua à mfiermir
notre prestige dans le Levant, et servit par là uiùine le commerce,
en lui assurant plasde sécurité. Dcsliayes avait aussi des instructions
concernant les atiaires des échelles, puisqu'il déposséda, suivant les
ordres du roi, le consul de Smyrne et en établit un autre àsa place',
La V'icuville était alors chargé des atfairt'S du Levant; il fit envoyer
en 1623 à Constantinoplc l'habile négociateur Sanson Napollon,
qui obtint de la Porte les commandements extraordinaires dont il
sut si bien se servir pour rétaWir la paix avec Alger. Cependant les
Marseillais redoutaient ce ministre fort hostile à leur ville et se
réjouirent de sa disgr.ice*. Ils s'étaient fort effrayés en 1618 d'un
projet de compagnie des Indes Orientales, qui fut étudié au Conseil,
Cl ils avaient supplié le roi de les « vouloir maintenir en leurs
anciennes coutumes sur le fait du négoce en routes les parties du
Levant et autres lieux, et trouver bon, qu'en rapportant desdits
lieux les marchandises des Indes, ik ne fussent point inquiétés' »,
mats ce projet n'eut pas de suite.
• Pour retrouver une volonté, dit avec raison Pigeonneau, une
direction, une politique raisonnée et maitresse d'elle-raènie, il faut
passer par dessus ces médiocrités et cette anarchie, et arriver d'un
seul bond jusqu'à Richelieu. Loin de réléguer les questions écono-
miques au second plan, Richelieu les a étudiées avec passion, il a eu
sur le commerce, sur la marine, sur les colonies, non pas ces aper-
çus vagues dont se contentent les politiques de second ordre, n ais
des vues arrêtées, et qu'il a formulées dans ses Mémoires et dans
$on Testament politique, son œuvre par la pensée, sinon par le style.
Toute une section du Testament politique intitulée : Du com-
merce comme une dépendance de la puissance de mer et de ceux
qu'on peut ùire commodément, est cons.icrëe .i l'industrie, au com-
merce et .\ In navigation*. « Il se ht même par ses propres réflexions
des idées personnelles sur le commerce du Levant. « J'avoue que
(1) Voir lj rcliiiion ilii voyage Je I>eshjycs.
(a) lettre de l'avocat Le Roux, 15 aoûi 1624, sur In disgrâce de La Vituvillc.
jirch. Commun.
(]) Jfih. Comttiun. Dihb., iS ilk. i6j8 : .\près que lecture a été faite d'uae
lettre Je S. M. du 6 déc. sur lu tr.iflL des Iiules Oiicntales
(.0 PiotONxtAf, I- 11, p. 176-79. — betoiidc p.irtîe du Tcsunicnt, clup. tx,
jcct. 6.
I lO
L ANARCHIE COMMERCIALE
j'ai ctc trompé longtemps, écrit-il, au commerce que les Proven-
çiux font en Levant. J'estimais avec beaucoup d'autres qu'il était
préjudiciable ,1 Tétat, tnudé sur ropiuiou commune qu'il épuisait
l'argent du royaume pour ne rapporter que des marchandises non
nécessaires Mais après avoir pris une exacte connaissance de ce
trafic condamné de la vois publique, j'ai changé d'avis sur de si solides
fondements que quiconque les connaîtra croira certainement que je
l'ai fait avec raison et partant il faudrait être aveugle pour n<|
connaître pas que ce trafic n'est pas seulement avantageux, ma
qu'il est tout à iliit nécessaire'. » Richelieu avait d'autant plus d
mérite que certains de ses confidents écoutés, comme Isaac di
Razilly, partageaient l'opinion commune au sujet du commerce du
Levant et s'ert'rayaieni de l'exportation de numéraire qu'il nécessi-
tait. En 1624, après la disgrâce de la Vieuville, la direction du
commerce avait été confiée i MM. de Champigny et Marillac,
conseillers d'état *. Mais Richelieu fit bientôt charger des afiaires.
du Levant Bouthillicr, puis en 1636 son fils Chavigny.
Son ami le P. Joseph y prit au moins autant de part, car soi
nom est sans cesse accolé, dans la correspondance des consuls à celui
des secrétaires d'état ; aucune afiaire n'est poursuivie par eux au
conseil, sans que leur agent ou leurs députés n'aillent conférer avei
le P. Joseph, en même temps qu'avec Bouthillierct Chavigny et c'esl
souvent l'influence du capucin qui les préoccupe le plus et paraît pré-
pondérante*. Tandis que Bouthillier et Chavigny paraissent n'avoir
été que des commis dociles dans la main du maître et que Chavign]^|
excita souvent les plaintes des Marseillais par sa trop grande facilité
i céder à la faveur ou \ se laisser acheter, le père Joseph eut des idées
je
lu
ii-
lu
ui
(i) Teslamtnt polUiquf, a<- part. Chap. IX, sect. 6.
(2) Ltltre dt Favocat Le Roux, ;y aoiil 162^ : « L'on nous (dit espérer en son lieu"
le retour de M. de Sulli..., mais pour moi j'estime plutôt que celle charge seni
possédée pur trois ou quatre directeurs tirés du conseil du roi. 11 — 59 aotit :
« Vous n'uvc* pour directeurs que MM. de Ch.implgny et Marillac. » Arch. Comut,
(5) V. Contspcuâance des avûcals Le Roux et Yeard, surtout 1651-38. — Uni
indisposition du père Joseph arrête toutes les affaires. — Pigeon s'e.m;, t. II, p. 582
cite comme collaborateurs de Richelieu « l'armateur breton François Fouauet
devenu conseiller au Parlement de Rennes, puis i celui de Paris, enfin conseiller
d'Etat chargé spécialement de tous les soins et affaires de la mer ; Sublet des
Noyers, secrétaire d'Etat de la guerre qui avait dans son département la marine dr^
Levant, Claude et Isaac de Razilly tous deux marias et colonisateurs, Martin, ce'
des secrétaires du cardinal qui rédigeait d'ordinaire les ordres et instructions rel
tifs au commerce. » — Aucun de ces noms ne tigure une seule fois dans la volu
mineuse correspondance des consuls de Marseille avec leur avocat au Conseil.
I
1
LES DEFAILLANCKS Dli L ADMINISTRATION'
I I I
originales et exerça dans le Lcv;iiu une action toute personnelle.
S'il écrivit la Turciadc et s'il conçut un cliiniérique projet de croi-
sade', il s'atiaciia passionnément A Tœuvrc plus pratique de la propa-
gation du christianisme et de l'inHuence françitsc dans le Levant.
Nottimé en 1625 préfet des missions du Levant, des Etats B.irbares-
ques et du Ginada, il envoya en Asie Mineure, en Palestine, en
Perse, une centaine de capucins français qui fondèrent des couvents
Cl des hôpitaux A Jérusalem, X Alexandrie, â Bagdad et A Ispahan.
Dès 1622 il leur avait ouvert la voie en envoyant en mission, en
Perse et jusqu'à Surate, un religieux qui obtint de Schah Abbas l'au-
torisation de créer des couvents à Ispahan et Bagdad. « S'ils ne fai-
saient pas le commerce pour leur compte, comme les jésuites au
Ginada et les frères prêcheurs aux Antilles, les capucins étaient tout
disposés à renseigner les commerçants, à leur donner asile et à servir
les intérêts de la France en même temps que ceux de l'Eglise,* » Les
récits des voy.igcurs montrent en effet l'heureuse influence de ces
missionnaires, particulièrement en Perse où ils jouissaient d'une
grande autorité; ils servirent aux marchands d'introducteurs auprès
des <• puissances » du pays et leur fournirent d'utiles renseigne-
ments, Le père Joseph protégea le fameux voyageur Tavernier qu'il
avait rencontré \ Ratisbonne en 1630. Fils d'un marchand de cartes
géographiques d'AnVers établi i Paris vers la fin du xvi* siècle, Ta-
vernier fit six voyiiges en Orient de 1631 i 1665, il poussa jusqu'à
java et au Tonkin, mais il séjourna \ plusieurs reprises en Perse et
contribua beaucoup à y développer le commerce français*.
Richelieu porta une attention toute particulière A ce commerce de
la Perse qui alimentait en grande partie celui du Levant. Les guerres
entre la Perse c: la Turquie, sous le règne de Schah .\bb;is, semblaient
détourner d'Alep les soies de ce pays et le schah, ne voulant plus Êiire
bénéficier les Turcs du passage des caravanes et des droits de douane,
était entré en négociations avec les Cosaques et avec les Moscovites
(i) V note 1.
(31 1 L . t. 11, p. 448. — V. Mreh. cur. de Thht. dt France, i« iirie,
X. IV, p. 11} cl suiv, : Le virilûhk tin Jauf cafmcin uommè au cardinalat. — Cent
capudtis furcui répartis, deux par deux et quatre air Quatre, dans les ditTérents
p.i ' ' -11 1625. Leur suct-'és l'ut très grand et d'autres furent envoyés le.i
ar en Perse et à Bagdad (p. 174-175). « Ceux qui alICrent i Hi.s-
Y 11- pal.iis du roi et n'eurent point d'.iutre detneuie pcnd.mt
V lit encore, si les HoIUndiis, j.4loiix d'un si yr.uid lionneur,
i\^ .v> i.u....,.L |... ....iJus !.ub|H;cts aux ministres du roi de Perse. »
()) JoRi.T, J.-B. Tavertiiff, in-S". 1886,
1 1.
L ANARCHIE COMMERCIALE
pour faire passer les marchandises de ses états par Astrakhan, 1
et Archangcl, ou par la mer Noire et la Pologne. Un autre illustre
voyageur, qui séjourna alors en Pursc, où il eut de longs entretiens
avec Schah Abbas et ses ministres, Pietro délia Valle, poussa le schah
dans cette voie, en même temps qu'il lui conseillait d'attirer le^|
Fran*;ais pour venir acheter directement les soies, et qu'il excitait
ses défiances contre les Anglais qui cherchaient à attirer le courant
commercial du côté d'Ormuz'. Richelieu songea à profiter de cette
situation et il envoya en 1629 Dcshaycs de Courmemin, fils de celui
qui avait été envoyé en 162 1 dans le Levant, pour conclure avec les
cours du Nord des conventions commerciales*. Ce projet original,
mais peut-être peu pratique, de détourner le commerce de la Pers<H
d'une de ses voies naturelles et séculaires lut rendu encore moins
opportun par le rétablissement de la paix entre les Turcs et la Perse.
Sa réussite eût été la ruine encore plus complète pour nos ports de
la Méditerranée et pour les échelles du Levant.
Richelieu songea aussi à ouvrir des voies nouvelles A notre com-
merce du coté de l'Egypte en y attirant les marchandises de l'Uthio-
pie; son attention fut portée de ce côté vers 1638 par le séjour en
Fratice d'un prince Ethiopien, exilé de sa patrie à la suite de troubles,^
et converti à la foi catholique sous le nom de Zaga Christ. Mais
mort prématurée ne permit pas au cardinal de mettre à exécution ;
projets sur l'Ethiopie qui furent repris plus tard sous Louis XIV*.
Un mémoire de cette époque, conservé aux Affaires étrangères, pro-^
pos.iit, pour ramener le commerce des Indes dans la Méditerranéc,B
de creuser un canal de Suez au Caire, « ainsi qu'il s'était pratique
sous les anciens rois d'Egypte et peut-être sous Salomon. Le Turc
1
0-
cn
iles,^
s ^a^
(i ) V, Pietro dflla Valle, t. III, p. 323-84 cl 272-74. — Les Turcs de leur
côté taisaient tout ce qu'ils pouvaient pour conserver à leurs ports le commerce de
la Perse : « MulgrO h guerre avec la Perse,., parce que Bagdad ne peut se passerai
des provisions qui lui vieuuein de la Perse, le Bassa, quoiqu il eût lait de graiides^|
pertes, ne coupa jamais le Lliemin des caravanes; au contraire, comme les douanes
lui rapportaient heaucoup tous les ans, autant po» ..on intérêt personnel que pour
celui du p.\vs, il le leur facilitait autant qu'il pouvait ; il sollicitait même les niar-
cli.tndsde se mettre en campa};ne, jusqu'à leur promettre toute la sécuriié qu'ils
pouvaient désirer. » Piltro, t. 111, p. î.
(2) Pigeonneau, t. Il, p. 44f>-47, pour la mission de Deshaves. — DcshavT
s'était fait charger en 1626 d'une mission en Perse. — Il eut à Ccnstantinoplc cle
démêlés avec le comte de Césy qui s'était fortement opposé à l'envoi de cetti
mission. Arcfi. aff. rtraiig., Ccrrfs[<. polit,, Cotisl., Rf^. j, fol. 2/7 et iiiii: — Il éta-
blit à Ispahan une compagnie de marchands qui ne réussit pas. Lav.sll(-E, p. 297.
(j) Vandal. Louis XI ^' et r Egypte.
LES DEFAILLANCES DE L ADMINISTRATION
113
espérerait enrichir son pays, Venise se remettrait, Marseille se ren-
drait puissante, on relèverait l'ancien commerce vers l'Abyssinie'. »
Cette idée devait aussi être formulée de nouveau sous le règne de
Louis XIV*.
Le grand projet de Richelieu pour le relèvement du commerce
fut la création de compagnies. Frappé de la prospérité commerciale
que l'Angleterre et la Hollande avaient acquises, grâce en grande
partie à leurs puissantes compagnies, au détriment de l'Espagne et
du Portugal qui avaient établi sur leur commerce une tutelle trop
étroite de l'état, de la France et de Venise qui avaient laissé trop à
faire à l'initiative des particuliers, le Cardinal n'eut qu'un but,
l'organisation de compagnies semblables*, mais il ne créa pas de
compagnie du Levant. La comp.agnie d'Orient ou de Madagascar ei
des Indes Orientales, fondée en 1642, devait se livrer aussi, d'après sa
charte, au commerce avec le Levant^, on ne trouve cependant aucune
trace de son action dans la Méditerranée.
Richelieu servit plus utilement le commerce par quelques
réformes pratiques que par ses tentatives avortées de grandes com-
pagnies. Le code Michau, préparé par les travaux de l'assemblée des
Notables de Paris de 1626, contenait, parmi d'autres dispositions
utiles au commerce et i la navigation, la défense d'exporter aucune
marchandise de provenance française, ;\ l'exception du sel, sous
pavillon étranger, ;\ moins qu'il n'y eût pas de bâtiments français
dans le port*. Cette disposition, destinée i encourager la construc-
tion des navires marcliands, aurait pu rendre de grands services
au commerce du Levant, car le temps était loin où de Brèves trou-
vait « en la côte de Provence un nombre infini de vaisseaux » ;
souvent nos marchands nolisaient des bâtiments étrangers pour
trafiquer dans le Levant. La défense de s'en servir fut renouvelée
dans le Règlement général de la marine, que Richelieu fit rédiger
au conseil en 1641-42, et les consuls de Marseille avaient sollicité
vivement pour qu'elle y fut introduite''. Rien ne pouvait être plus
(j) D'Avf.scti-, t, III, p. 219.
|J) Y. Mém. lie RicMitu,^. Michaud et Poujoulai, t. I , p. 438 (année 1627),
(51 pjmii Ses membre-; on voy-tit fif^urcr le cipirainc Hii:.iiit de Manscillc. Voir,
lu sujet de CCS compagnies, Bonnassiku.x et Pigeonni-mj, t. JI, p. 426-4 jt,
14) PiccoNxtAU, t. Il, p. j8)-}87. — V. d'Avenel. Lettres et papiers d'Etal, etc.
t. U. p. 16}, 290, 297.
(j) Anh. Commtm. Corresp. iil,2jjuiii, ), 10 décembre 164: ; ij, J4 janv. 1642.
114
L ANARCHIE COMMERCIALE
I
Utile qu'un bon règlement sur la marine, car il n'y avait en Frani
aucun code m.iritimf. n Datis l'Europe de 1630, dit d'Avcnel,
ccluingcr dts marclundiscs sur mer avec ses semblables est une
opération où la chance a tant de part qu'elle ressemble plus aux jeux
de Irasard prohibés par la police qu'à une sérieuse spéculation. Rien
de réglé sur les différends qui surviennent, les avaries, les assurances,
le jet des marchandises à la mer, les délais des chargeurs'. »
Richelieu entrait ainsi dans la voie des réformes pratiques; nuis il
eût fallu s'attaquer aux abus de toutes sortes qui ruinaient le
commerce du Levant et lui donner aussi son règlement général*. On
eût pu croire que le cardinal y songeait quand on vit presque à la
fois MM. de la Ficardiérc et de Seguiran parcourir, l'un toutes lesfl
Echelles en 1631-32, l'autre toutes les côtes de Provence en 1633.
Le conseiller d'Etat Li Picardicre, qui séjourna à Constantinople
pour liquider les dettes de Césy, et qui fut chargé ensuite d'établir
dans les échelles le droit de 3 0/0 destiné à les payer, se trouva ifl
même de recueillir des renseignements exacts sur leur situation
financière et commerciale. M. de Seguiran, premier président en la
cour des comptes de Provence, avait été choisi par Richelieu pour
son « lieutenant en la charge de grand maître, chef et surintendant^
général de la navigation et commerce de France au dit pays de Pro-"
vence. » Il entreprit la visite détailJée des côtes et des ports depuis
Arles jusqu'à Amibes et fit une enquête complète sur l'état actuel du
commerce et le nombre des navires. A Marseille, cinq marchands,
choisis par le conseil sur sa demande, vinrent « pour l'informer de
l'état et qualité de leur négoce, de la chute ou diminution d'icelui e
des moyens qui leur semblaient propres pour son rétablissement
et subsistance. » Seguiran s'en alla dûment instruit des maux dont
souffrait le négoce et il les résuma avec netteté dans le rapport
qu'il présenta au Cardinal'.
De cette double et vaste enquête il ne sortit cependant aucune
(t) Tome II, p. 197.
(2) Le 26 novembre 162$ fut publié un « Règlement pour empêcher toutes
sortes de iV.tudes, abus et malversations au fait du commerce et maintenir dans
le devoir tous ceux qui résident dans le Lev.int ou trafiquent sous la bannière de
France, conserver les négociants dans leurs libertés et Irancliiscs, empêcher qu'il
ne sur\'icnnc aucun ditTcrend et débat entre eux, faire punir et ch.\ticr.. .. *
{.4ff. t'irang. Cotresp. polit. Cointaiitiii. Reg. ), fol. i7}-J74). Mais ce règlement
était très insuffisant.
^i) Itispfcticti lie Seguiran, p. i}0'}t (Qjrresp. de Sourdis). Le seul résultat pour
les Marseillais l'ut rétablissement d'un droit à payer pour le commis de M. le
I
LKS DÉFAILLANCES DE l'aDMINISTRATION
II)
réforme. C'est que Richelieu fut dès lors absorbe par la lutte contre
l'Espagne; le voyage de Seguiran avait eu d'ailleurs un but niili-
tiirc, il avait inspecté avec soin les forteresses de la côte et l'état de
l'artillerie, fait dresser une carte détaillée de tout le littoral, et le
résultat le plus important de cette inspection fut la construction
(l'une série de fortifications, qui eurent l'avantage de mettre à l'abri
des coups de mains des ennemis les populations maritimes de Pro-
vence'. Quelques années auparavant, Richelieu avait pris une déci-
sion utile au commerce quand il avait transféré en 1627, de Mar-
seille à Toulon, le port d'attache des galères; il n'avait eupout but
que de mettre fin aux perpétuelles querelles du général des galères
avec le gouverneur de Provence; mais les galères emmenèrent avec
elles quantité de gentilhommcs de la suite du général, d'officiers et
de soldats, dont le séjour à Marseille n'était pas sans incommodité
pour le commerce, et les navires marchands purent disposer de
l'espace, auparavant restreint, du port. En somme, radministration
lie Richelieu, malgré son ardent désir de relever le commerce, et
malgré d'mtéressants projets qui montrent la puissante activité de
son esprit, n'avait rien fait d'important pour le commerce du
Ltrvant. Cependant, les Marseillais lui surent gré des bonnes inten-
tions qu'il avait, ils montrèrent plus de confiance envers le cardinal
qu'eiwers les secrétaires d'Etat à qui ils avaient affaire, et ils recom-
mandaient ;\ leur avocat de recourir à Son Eminence, si l'on n'avait
pas raison avec eux. Ils pleurèrent avec raison s.i mort, car s'il n'avait
rien accompli pour eux, ils pouvaient du moins en attendre de
grandes choses : « Nous avons vu, écrivent les consuls, la mort de
ce grand homme. M*'' le cardinal duc, qui n'eut point son pareil
Dieu l'ait tci;u en sa gloire et veuille départir son esprit et fidélité
au Conseil du Roi *. »
Mazarin témoigna de la bienveillance pour les Marseillais; il était
tenu au courant de leurs afîliires par son frère l'archevêque d'Arles
qui mérita leur reconnaissance en pacifiant les troubles de la ville.
Cependant, on ne trouve à rappeler, dans son gouvernement, aucune
grand niattre, sans les cong<55 et passeports duquel les navires ne pouvaient pas
pirtir. Les consuls protestèrent en vnin en disant qu'auparavant les congés de
l'amiral ne coûtaient rien. — Ibid., p. ;.^y.
h) Voir, pour les fortifications construites, Bouche, Histoire de Pimnite, t. Il,
p. 89s.
(2) LeUre à Icard, 16 décembre 1642. Arch. Commun.
lis
L ANARCHIE COMMERCIALE
tentative pour améliorer le commerce du Levant. En 1652, divers
négociants de Marseille formèrent le projet de créer une compagniefl
au capital de 200.000 livres pour le trafic du Levant. Gjlbcrt le
recommandait à Mazarin par une lettre du 13 octobre 165? : « Le
profit, disait-il, est de 25 i ^o 0/0 par voyage, chaque voyage durant
6 mois, et la vente deux mois. En faisant assurer le bâtiment, le proHtA
est réduit à 15 0/0'. » Mais ce projet n'eut aucune suite, et l'on ne^
voit pas davantage quel fut le résulut de la mission donnée en 1654
à Battliazar de Gratian, conseiller et procureur du Roi au bureau des
finances en la généralité de Provence, pour se rendre ^ Alep afin de
faire une enquête sur le commerce des 1-rançais dans le Levant*.
Dans l'entottrage de Maz;irin, le chancelier Scguier parait s'être
particulièrement intéressé au commerce du Levant; dès 1644, tiB
s'occupait pendant plusieurs jours de s'en informer particulièrement"
auprès des députés de Marseille à la Cour, et il leur demandait des
mémoires « pour aviser aux moyens qu'on pourrait tenir pour réta>d
blir le commerce. » Les Marseillais continuaient pendant les années
suivantes « à se louer de ses soins « et iîs écrivaient en 1648
qu'ils reconnaissaient en lui « une très grande inclination au sou-
lagement du commerce'. » Mais les embarras du gouvernement
étaient trop grands pour que le cardinal et le chancelier pussent
s'occuper avec continuité de ces questions et montrer aux Marseil-
lais autre chose que de la bienveillance. Quant au comte de
lîricnnc, qui était spécialement chargé des affaires du commerce et
des échelles, les Marseillais se plaignirent souvent de ion hostilité,
et son administration fut entachée de vénalité plus encore que celle
de Ch:ivigny *. M
Ainsi, le commerce du Levant ne tut jamais, d'une manière^
suivie, l'objet de l'attention et des soins de ceux qui furent à la tète
du gouvernement. Richelieu lui-même, bien qu'il en eût fait l'objet
de ses recherches et qu'il eût eu sur lui de grandes vues, ne le ser\'it
utilement qu'en le protégeant mieux contre les Barbaresques. Les
affaires du Levant furent, pour ainsi dire, abandonnées à elles-
(1) P. CuMiiNT. Hiil. ih Collxit. I. 1. [>. S'-
(2) Regiit. J lia Jnsiiiiiiit. fol. 960. (Amiraiilé lU Marseille),
(51 Arcb. Commun. Coirap. 21) novembre 16.(4, '7 jonvitr i(>4ii S """' ti
2j juin 164S.
(4) V. page 108.
LES DÉFAILLANCES DE l' ADMINISTRATION II7
mômes : la communauté de Marseille ne les dirigeait plus souverai-
nement, le gouvernement royal les négligeait, et, faute d'une
forte direction, l'impuissance des députés du commerce, les lenteurs
du Conseil et son peu de connaissance de ces questions, les intri-
gues et la corruption qui s'y donnèrent carrière, furent ciuse que le
commerce du Levant, laissé en proie aux avanies, à la piraterie, aux
impositions de toutes sortes, aux exactions des ambassadeurs et des
consuls, à l'incurie et à l'inconduite des marchands, marcha rapi-
dement vers son entière ruine.
CHAPITRE VI
LA RUINE DU COMMERCE FRANÇAIS ET LES PROGRÈS
DES ÉTRANGERS
Bien que la décadence du commerce fut rapide après la mort
d'Henri IV, il resta cependant « grand et utile jusque vers 1620' »
et pendant ces dix années sa valeur ne dut guère tomber au-dessous
de 30 millions de livres, dont 18 pour les importations de marchan-
dises du Levant*. Ce commerce était encore, comme on le disait
dans le projet de la Compagnie du Morbihan en 1626, le plus lucratif
qu'il y eût dans le royaume'. Mais, en 1620, le massacre des Algé-
riens :\ Marseille donna pour plusieurs années une grande recrudes-
cence aux pirateries des Algériens, et pendant les années qui suivi-
rent le commerce diminua de plus de moitié. Quand la paix fut
signée, en 1628, il y eut un léger relèvement, mais peu sensible,
car c'est alors que les autres maux dont souffrit le négoce prirent
toute leur intensité.
En même temps que diminuait notre négoce, les Anglais et les
Hollandais achevaient d'établir le leur et l'accroissaient de jour en
jour. Les Anglais, quoiqu'ils eussent leurs ambassadeurs à Constan-
tinople depuis 1579 et le droit de venir aux échelles sous leur
pavillon, continuèrent pendant longtemps d'emprunter le nôtre*. Il
en était de même des Hollandais, que les instances d'Henri IV
avaient fliit admettre :\ la Porte et qui y avaient obtenu des capitula-
(i) Arch. Nal., F", 64s. Mt'moire de M. Magy, 2 juin lôSj. — Cf. Airb.
Marine, B', .fçfj, fol. jjS-SS. Mèm. de M. de Lctgny.
(2) Les chiffres de statistique donnés dans ce chapitre n'ont pas une certitude
absohie. — Voir, à l'appendice, la manière dont ils ont été établis.
(3) Arnould, t. II, p. 243.
(4) Mémoires cités, note i .
PROCRJiS DES ETRANGERS
lions particulières en i6r2\ Ce n'est que depuis 1630 que leur com-
merce devint très considérable dans b Méditerranée : ils avaient
obtenu du Grand Seigneur la réduction ;\ 3 0/0 du droit de 5 0/0
que continuaient à payer les Français A l'encrée des marchandises. La
faveur de leurs ambassadeurs ;\ la Porte, qui datait du temps de la
minorité de Louis XIH, où la l'rance négligea l'alliance Turque pour
se rapprocher de l'Espagne, s'accrut encore du discrédit que valut
à nos représentants la conduite de MM. de Césy et de Marclieville
et préserva davantage leur commerce des avanies. Les Anglais et les
Hollandais surent aussi inspirer confiance aux Turcs par leur probité
commerciale, leur attachement X n'apporter en Levant que des mar-
chandises de première qualité et .\ respecter leurs contrats, A la
douane de Smyrne, raconte le voyageur Spon, « on s'en fiait le plus
souvent \ la bonne fol des Anglais sans les visiter, parce qu'ils agis-
saient avec honneur et que la plupart des négociants qui étaient h
étaient gentilhommes ou de riche maison, n'ayant pas besoin de ces
adresses pour a%'ancer leur fortune*. » Jusqu'en 1620, comme le
remarquait Colbert en 1663, les Hollandais et les Anglais ne fabri-
quaient point de draps, toutes les laines d'Espagne et d'Angleterre
étaient manufacturées en France: ils profitèrent du discrédit où tom-
bèrent alors les draperies de Rouen, à cause de la mauvaise qualité
des étofTes et surtout des teintures et des tromperies des flibricants
sur la largeur des pièces, pour établir la réputation de leurs draps,
dont la qualité ne se démentit jamais, et en remplir bientôt tout le
Levant. Ils avaient en outre sur les Français l'avantage d'avoir chez
eux, en grande quantité, les épiceries rapportées des Indes et les
métaux, que les Anglais tiraient de leurs mines et que les Hollandais
trouvaient à bas prix .\ Hambourg; c'étaient les deux articles d'échange
qui avaient, avec les draps, le pliLs de débit dans le Levant*. Mais
c'était surtout la solidité de leur organisation, si différente de l'anar-
chie qui désolait notre négoce, qui assurait tout l'avantage A ces
deux nations.
Le commerce des Anglais et des Hollandais fut Ciit dés le début
par des Compagnies, avec des règlements bien établis et bien obser-
vés, ce qui lui donna une sûreté inconnue de celui des autres nations.
(I) Voir le texte de ces Capitulations aux Arch. des Aff. étrang, Corresp.
poïii. ConUanlinoplt, R(g. } (tboo-iùaS), fol. }2-4'j.
{i\ T. I, p. 304.
1j) Mémoires cittis p. 118, note i.
I20
l ANARCHIE COMMERCIALE
La Compagnie anglaise du Levant, créée en 1581 par Elisabeth, fut
organisée définitivement en 1606 par Jacques I, qui fit rédiger les
règlements qu'elle conserva jusqu'au xviii' siècle. Après les troubles
de la révolution d'Angleterre, pendant lesquels certains de ces fl
règlements avaient été mal observés, Charles II leur rendit une nou-
velle vigueur par sa Charte du 2 avril 1661'. Ce n'était pas une
Compagnie ordinaire, ayant une caisse commune où les actionnaires!
déposent leurs fonds, mais une association de marchands, dont cha-
que membre faisait le commerce pour son propre compte, en obscr-'
vant les règlements faits par la Compagnie, et en contribuant aux
dépenses communes. Le nombre des marchands qui la composaient,
n'était pas fixe, mais pour y entrer il fiillait être « marchand en gros
de race », ou avoir fait un apprentissage de sept ans et payer un
droit d'entrée de 25 livres sterling, si on avait plus de 25 ans, de
50 si on était moins âgé ; d'ordinaire les membres étaient toujours
plus de 300. Li Compagnie avait le monopole du commerce dans
tous les ports de la Méditerranée, sauf ceux de France, d'Espagne et
d'Italie; ceux qui n'en étaient pas membres, et qui étaient surprisfl
faisant le commerce dans l'étendue de sa concession, payaient une"
amende, .1 raison de 20 0/0 de l'estimation des marchandises dont
leurs navires seraient trouvés chargés. ■
La Compagnie se gouvernait elle-même par ses assemblées où
tout se décidait à la pluralité des voix : « celui qui faisait assez de,
négoce pour porter huit écus d'impositions par an, avait sa voij
aussi forte que celui qui en faisait pour 100.000*. » Cette assemblée,
d'un caractère tout démocratique, fixait le nombre des vaisseaux^
qui devaient aller dans les échelles, réglait les tarifs du prix de la
'iscs qui étaient portées dans le Levant
marci
(i) Savary. Dictionnaire, col. 1415-14. — J.^cques Sav.^ry. Parfait Négociant^
p. 400, 4s8. — Cette Charte, du 2 avril i66i, se trouve aux Archives de U
Marine, B', 4S6. foi. 12^-142.
(2) Arch. Mar. B', 4S6.
(}) '< La Compagnie ayant reconnu que l'envie que !'intéi(}t fait naître d'ordi-
naire entre les gens de même profession était capable de les ruiner, qu'elle Icuji
faisait hausser ou baisser le prix des marchandises pour courir sur le marché l'ul'
de l'autre, qu'elle met en querelle les marchands avec les consuls, les consul;
avec l'ambassadeur et qu'elle fait faire mal à projHJS de certaines épargnes qii
•attirent des avanies et de rudes vexations ; la Compagnie, dis-je, y a fort Sage-
ment remédié car le drap et la plupart des marchandises leur sont envoyée
avec un tarif du prix auquel ils le doivent vendre ; on leur en envoie un autn
pour celles qu'on leur ordonne d'acheter. » Aicb. Mur. B', 4S6.
LES PROGRfes DES ÉTHAVGERS
I2t
qualité de celles dont on devait faire les retours ; elle établissait des
taxes sur les marchandises, quand il en était besoin pour payer des
avanies ou d'autres dépenses coiunumcs à la nation. Kllc présentait
trois noms au roi, parmi lesquels il choisissait l'ambassadeur à la
Porte, elle élisait les consuls de Smyrne et d'Alep et elle désignait
les jeunes gens de bonne maison, qu on élevait dans diverses
échelles, pour leur apprendre de bonne heure le négoce sur les lieux
mêmes. Un des plus utiles règlements était de ne pas permettre à
l'ambassadeur, ni aux consuls, de mettre des impositions sur les
vaisseaux et les marchandises, sous prétexte d'avanies ou d'autres
* frais extraordinaires. La Compagnie devait à l'ambassadeur une
1 pension de 12.000 écus et aux consuls de 2 à 3.000 écus", en outre
lelle leur payait l'entretien de leurs ministre, chancelier, secrétaires,
interprètes, janissaires et tous les présents et frais qu'ils étaient
>bligés de faire dans l'exercice de cette fonction. A cet effet un droit
^xlc 2 °;'b était per«;u dans les Echelles A l'entrée des marchandises et
les fonds centralisés à Constantinoplc entre les mains d'un trésorier.
Ce simple droit suffisait;! toutes le.s dépenses qui pouvaient survenir
la nation. Dans les cas extraordin;ures, les consuls et l'ambassadeur
ivaient recours A deux députés de la Compagnie, qui résidaient en
îvant, et faisaient assembler toute la nation, pour délibérer au sujet
les mesures \ prendre. Haute d'un règlement aussi sage, les Français,
jui donnaient déji aux Turcs 2 "0 de droits de plus que les Anglais,
payaient 2 "/o â leur ambassadeur, malgré la pension qu'il recevait
«du roi, 2 "/„ aux consuls dans chaque échelle, et malgré cela, à
rhaque avanie, il leur fallait contracter d'onéreux emprunts.
Pour veiller au maintien de tous ces règlements, l'assemblée délé-
ïuait ses pouvoirs à un conseil ou bureau établi à Londres, composé
«l'un gouverneur, choisi par le roi sur une liste de trois noms
«qu'elle lui proposait, d'un sous-gouverneur et de douze assistants
«jui devaient tous être domiciliés X Londres ou dans les faubourgs.
(i) Savary donne le chiffre de 8cw écus mais ce doit eue une erreur, car ce
chiffre parJit maigre. — Le voyageur Hoilaudais Spon (t. 1, p. }io), dit que l.i
Qxnpagnie attribue au consul de Smyrne 1 000 écus d'.Tppoiatcments. — Son
compagnon l'Anglais Wheier dit : <i Le consul (de Smyrne) a tous les ans j.ooo
CCU5 de gages de 1.1 Gimp.ignie du Levant et joo écus do don gratuit, outre le
tour du bâton <.t les .lutres voies honnêtes d'en attraper encore plus La Com-
pagnie du Lev.int Jonne 500 écus de gage par ati i leur chapelain, outre un
magasin pour leur trafic et les dotis ordin.nires de tous les marchands qui montent
Dre 50uvent plus haut. » p. 237.
122
L AKARCHIE COMMERCIALE
Le
:h;inds de la Comi
du Levant étaient
présentes
les échelles par des facteurs qui, contrairement ;\ ceux de la nation'
française, présentaient de sérieuses garanties : « La Compagnie des
facteurs Anglais, dit le voyageur Wlieler, est composée de 80 ou loaj
personnes dont la plupart sont de jeunes gentilshommes, qui don-
nent 3 ou 400 livres .\ quelques gros marchands de la Compagnie]
du Levant et qui s'engagent apprentis pour sept ans, dont ils et
servent trois à Londres pour connaître les affaires de leurs maîtres
après quoi leurs maitrcs sont obligés de les envoyer négocier dans'
ce pays et de leur confier leurs affaires dont ils leur allouent une
certaine somme par cent, dont ils vivent splendidement et devien-
nent riches en fort peu de temps, en trafiquant aussi pour eux-
mêmes avec bon profit et peu de perte, pourvu qu'ils soient gens de
bien et soigneux de leurs intérêts et de leurs affaires, et constam-^|
ment tout le comptoir vit ensemble dans la plus étroite union, paix
et amitié qui se rencontre dans ceux que j'ai vus hors de l'Angle-
terre'. »«
Le commerce des Hollandais se faisait l'i peu près dans les même;
conditions. Leur Compagnie du Levant méritait encore moins ce
nom que celle des Anglais. Ce n'était en effet qu'une Chambre de
direction établie à Amsterdam par les Etats Généraux dans la pre-
mière moitié du xvii" siècle. Cette Chambre était composée de six
députés et d'un greffier, tous marchands qui, sous l'autorité desj
bourgmestres, réglaient tout ce qui concerne la navigation et l
commerce de la Méditerranée. Llle avait un droit d'inspection suf
tous les vaisseaux partant de Hollande à destination du Levant ;
c'est elle qui leur accordait la permission d'entreprendre cette navi-
gation ; elle organisait les convois pour l'escorte des navires mar-
chands, nommait, avec l'agrément des Etats, aux consulats des
échelles du Levant, et enfin jugeait tous les différends qui surve-
I
i
(i) Wheler, p. 236-^7. — Cf. iI'Arvieux, t. I, p. lia ; « Tous les p.KUculicrsj
sont inagiiitîqucs en habits, on maisons, en meubles, en chevaux, en équipages.
Leurs t.ables sont toujours abondantes et délicates. Ils récompensent libéralcmer
leurs diogni.ins et leurs courtiers et tous ceux qui leur rendent serx-icc. Il semble
que l'argent ne leur coiiie rien : ils ont de l'esprit et du cœur, ils sont A 1]
véritil' fiers et hautains et veulent l'emporter sur tous les autres, mais quoi qu'ils
aient assez souvent des difTérends entre eux, ils s'accommodent dès qu'il s'agit 1I4
quelque chose qui regarde la nation. Il s'en faut bien que les Franijais soicnl
.lussi saj»cs. 1) — Pour tout ce paragraphe, voir SaV.\hy, Dutioiituiiir, col. 141 }-i+,
— Jacques Savary, Parfait A'4'oiia/i/, p. 400, 458. — Arch. Marine, B', 48b
Mimciie, fol. 12J-142.
tlîS PROGRÈS DES ÉTKANGfîRS
"î
naient entre les mardi ands au sujet du négoce. Le commerce du
Levant était libre pour tous les armateurs hollandais, en se soumet-
tant aux règlements de la Chambre. Le résident A La Porte, chargé
de maintenir les capitulations et de juger les appels des jugements
des consuls, recevait 12.000 écus d'appointements des Etats Géné-
raux, mais de plus il jouissait de la moitié des revenus de tous les
consulats qui étaient très considérables : Chardin assure que les droits
du seul consulat de Smyrne étaient parfois de 50.000 écus par an.
Ambassadeurs et consuls devaient, il est vrai, fournir les présents
aux officiers du Grand Seigneur et supporter tous les autres frais
qui pouvaient survenir. Cette organisation, moins solide que celle
des Anglais, se rapprochait davantage de celle du commerce fran(,-ais,
après que la Chambre du commerce de Marseille eut été établie avec
toute son autorité. Elle laissait beaucoup plus de place à l'initiative
personnelle, puisque le connnerce étiit libre pour tous les mar-
chands, et que le prix des marchandises n'était pas fixé par la
Chambre d'Amsterdam ; elle sufHt pour préserver des abus le com-
merce des Hollandais.
Une règle très sage, observée ;\ la fois par les Anglais et les
f-IoUandais, fut de ne laisser faire les voj'agcs du Levant que par
renvois. Les Hollandais qui employaient ;\ ce commerce environ 30
■lavires en formaient trois ou quatre escadres par an. Deux convois
seulement partaient chaque année pour Smyrne, à quelques mois
«.Vintcrvalle. Le règlement des Etats généraux de 1652 fixait au
imniniraum leur tonnage A 180 hasts (360 tonneaux), leur armement
â 24 ornons et leur équipage h 50 hommes. Ils donnaient en outre à
•chaque convoi deux gros vaisseaux d'escorte de 50 \ 60 pièces de
canon et de 160 à 170 hommes d'équipage'. Les Anglais occu-
paient tous les ans de 20 à 23 vaisseaux, de 25 ;i 30 pièces de
<anon chacun, qui s'en allaient aussi par convois; celui de Smyrne
^tait de cinq ou six vaisseaux marchands, escortés de deux vaisseaux
de guerre et, d'après le Parfait Nrgixiant, il ne partait que tous les
deux ans*. Grâce A la manière dont leur navigation était réglée, les
(I) Pour le commerce des Holland.iis,. \'. Savary. Dictionnairf, col. 971,
IO12. — Parfait Négociant, p. Î99. — /J/W. Nat. Msi. fr. 2}032 : Wmoir( sur
U commetcf da Hollamtais (île I0(j4), in-^", 36 1 Jol. — Même tnémoire. Mss. fr.
fSs9j. — Bonnassiciix donne des détails quelque peu diffiircnts, c'est que ses
rcnjeigncments tirés de l'EiiLyclopédfe mcthodiquc s'appliquent au xviii'- siècle.
I2) Savart, Diilioiiuairt, col. 1014. — Parfait Né^odanl, p. 598. — « fin
i6uo la Compagnie du Levant possédait 14 navires dont le tonnage s'élevait à
124 L ANARCHIE COMMERCIALE
Anglais et les Hollandais eurent beaucoup moins à souffrir de la
piraterie. Outre leur fort tonnage et leur armement, qui leur per-
mettait de mieux se défendre, leurs navires avaient une construction
plus avantageuse que celle des Français. « Ils mettent en mer, dit le
voyageur Poullet, de gros vaisseaux qui portent trois fois plus de
marchandises que ne font pas ceux des Français, sans qu'ils aient
néanmoins besoin d'un plus grand nombre d'hommes pour leur
conduite. Leur construction est tellement faite qu'ils sont fort
larges par le milieu du corps et viennent en se rétrécissant par la
partie d'en haut, de sorte que leur peu de largeur vers cet endroit ne
demande qu'une certaine étendue de voiles qui leur soit proportionnée
et conséquemment une petite quantité de personnes pour les gou-
verner. Au contraire nos vaisseaux français, qui vont toujours en
s'élargissant depuis l'extrémité d'en bas jusque vers le bord, veulent
autant dévoiles et autant de mariniers que les autres, quoiqu'ils soient
infiniment plus petits. Il est vrai que les Français sont obligés de
dresser leurs navires de la sorte pour se défendre plus facilement des
corsaires et gagner par la fuite*. »
Livourne était le quartier général du commerce anglais et hollan-
dais dans la Méditerranée ; c'était là que leurs vaisseaux, venant de
différentes directions, des états de Venise, des pays Barbaresques, ou
des états du Grand-Seigneur, se donnaient rendez-vous pour prendre
l'escorte; ils devaient venir jusque là en naviguant de conserve. Ce
port franc, où toutes les nations, de quelque religion qu'elles fussent,
jouissaient de la plus grande liberté et où les droits à payer étaient
très modiques, était devenu l'entrepôt et le magasin général des
marchandises que les Anglais et les Hollandais apportaient du
Ponant ou tiraient du Levant; de là elles étaient dirigées vers leur
destination définitive. Cependant, malgré les avantages qu'ils y
trouvaient, les Hollandais songèrent en 1664 à acquérir un port
dans l'île d'Elbe, soit Porto-Ferrajo, soit Porto-Longone, pour en
2790 tonneaux et qui occupaient 603 hommes. Cela ne suffisait pas aux besoins
de son commerce en Orient, elle en fréta cette anné«î 13 de plus», Fagniez,
Le commerce sous Henri IV.
(i) PofLLKT, t. II, p. 28-29. — A cause de la sécurité qu'ils offraient, les
voyageurs, même francçais, s'embarquaient de préférence sur des vaisseaux Anglais
ou Hollandais : Coppin part de Marseille sur un vaisseau Hollandais de 28 canons,
— Tavernier le 15 septembre 1638 sur un vaisseau Hollandais de 45 canons, en
1643 il part de Livourne avec la (lotte Hollandaise, une autre fois avec le convoi
Anglais. — Chardin s'embarque sur un navire Hollandais, etc.
LES PROGRtS DES ÉTRANGERS
"5
:
dire leur entrepôt. La question religieuse semble .ivoir été surtout la
cause de leur échec dans les négociations qu'ils entamèrent i ce sujet
avec le grand duc de Toscane et la cour d'Espagne, ainsi que le
montre la curieuse lettre suivante du comte d'Estrades, ambassadeur
i la Haye, à Colbert : « J'ai eu depuis huit jours, ècrit-il le 4 dé-
cembre 1664, deux grandes conférences avec mon ami qui est direc-
teur de 1.1 Compagnie des Indes et qui a part dans le commerce de
Smirnc. Il m'a dit que s'ils avaient pu réussir dans un traité qu'il
avait commencé avec le grand duc, par le moyen d'un Juif qui se
rient A Ligourne de U place de Porto-Ferrare, autrement Cosmopolis,
qu'ils auraient tiré 40.000.000 au commerce des Smirnes et de
l'Italie et qu'ils auraient fait li leurs magasins pour France, Espagne
et autres royaumes et qu'il n'y eût eu il Amsterdam que des m.iga-
sins pour les royaumes du Nord Il me dit que le Grand duc en
avait demandé 4 millions et qu'ils en avaient offert jusqu'à 3 et
cjuc môme la Société aurait offert de partiiger le différend par
moitié mais que l'affiire a été rompue sur la religion, parce que
La Société voulait bitir des temples et en cluisser les prêtres. Il me dit
«ensuite en confidence qu'ils travaillaient :\ disposer le conseil du roi
«d'Espagne i traiter de Porto-I-t)ngnon, n'étant qu'un fort et ne
voulant avoir que le port et la forteresse, qu'il n'y avait rien A mé-
ager pour les églises catholiques, n'y en ayant aucune, et qu'ils ont
ésolu de donner 200,000 écus de présents pour faire réussir
l'affaire et que, s'ils en viennent A bout, ils espèrent d'y bâtir une
"ville très considérable avant qu'il soit deux ans '. »
Smyrne était au début du xvii*^ siècle la plus importante et
presque l'unique échelle des Anglais et des Hulland.iis; ce sont eux
«qui firent la fortune de cette ville aux dépens de celle d'Alep où
«lominait le commerce français. Les Hollandais surtout, qui y fai-
saient le plus de commerce, allaient X peine dans les autres échelles.
Le commerce des Anglais dans le Levant s'élevait au milieu du .wir
siècle à I ) millions de livres environ par an : « Us y portaient 20 à
• 30.000 pièces de draps, des serges, de l'étain, du plomb, du poivre,
de la cochenille et beaucoup d'argent que leurs vaisseaux prenaient en
, p.is.sant ;1 Cadix. Leurs retours consistaient en soies crues, noix de
galle, poil de chèvre filé, laines, cotons, cendres pour lliire du verre
et des savons et plusieurs gommes et drogues médicinales. On
(1) Deppikc. Cerrtsp. admiuisl., i. III, p. 549.
126
L ANARCHIE COMMERCIALE
estime, njoute Savar)-', que le commerce que les marchands associ
dans cette Compagnie font à Smyrne, à Constantinople et à Scanda
rone (Iskanderouti ;= Alex.iiidrctte) n'est guère moins considérabli
que celui des Indes et qu'il est même en sorte plus avantageux
l'Angleterre, à cause qu'il consomme beaucoup plus de manuCictu
anglaises que l'autre, qui se fait presque tout en argent. ' »
Hollandais portaient dans le Levant quantité d'épiceries, mais surloul
6000 ou 7500 pièces de leurs draps connus sous le nom de londil-
nes*. « La plus grande partie, dit le Parfait Nègotiant, est tram
portée ;\ Constantinople et \ Aiidrinople par les Juifs et les Arm
niens qui les achètent, et particulièrement les draps fins, parce qu*i
n'y a que les tailleurs qui les achètent et qui les examinent
dernier point. A l'égard des draps inférieurs, ils se vendent pi
facilement â Smvrne*. »
Mais les Hollandais faisaient encore plus de profit sur l'arge
qu'ils portaient en très grande quantité dans le Levant; leur mon-
naie, connue sous le nom d'asselaiiis ou abouquels, était très recher-
chée des Turcs et cependant elle n'était guère de meilleur aloi que
les fameuses pièces de 5 sois portées par les Français, même eUfl
était notablement mêlée de pièces fausses*. Les Hollandais rappor-
taient au retour plus de 1000 balles de soies et jusqu'à 1 500 balles C
poil de chèvre dont ils fabriquaient des camelots qu'ils vendaient (
France en grande quantité*, des cotons, des cuirs, des cordoua
ou maroquins, des laines, de la cire, de l'alun, des noix de galle
(1) DicliouH., col. 1014 cl uni. — Cf. Par/ail Nt'gxiant, p 599.
(2) L'auteur du Parfait Négociant distingue trois sortes de draps portes dans
Levant : les londrînes, draps les plus fins, vendus surtout p.ir les Hollandais
y avait les londrines premières et les londrines secondes), — les draps nin londri
dont les .\nglais vendaient environ 4000 pièces à Smyrne, — les draps londi
qui avaient le plus de débit dans toutes les é-chellcs du Levant et en Pe
« parce que le tiers-état oui compose les trois-quarts du peuple s'habille ordii
rcmcnt de celte sorte de drap. » — Les Anglais en vendaient tous les ans sept
huit mille pièces à Smyrne. — V. Parfait W^ociant, p, 401-408 cl 445.
(3) Parfait N/gociani, p. 401. — Ces draps étaient vendus depuis deux piasu
3/4 jusqu'à trois piastres 1/4 le pic, mesure de Sniyme.
(4) n Les Turcs les appellent Aslani comme qui dirait des lions, car elles po
taient un lion sur les deux faces. Les Arabes, par sottise ou autrement, ont pni
lion pour un chien et ont nommé ces pièces Abou-Kelb, comme qui dirait '
chiens. ■ Chardin, t. î, p. 4.
(5) Le Parfait Négociant dit qu'à la fin du xv!!": siècle, la mode des carael
étant passée en France, les Holundais ne chargeaient plus guère de fil de chèvn
P- m-
LES PROGKÙS DES ÉTRANGERS
Ï27
quaniilé de drogues '. Un de leurs plus grands profits était d'affréter
au retour leurs navires aux Arméniens, qui chargeaient leurs soies
|H)ur Livoume. Colbert, dans un mémoire adressé au Roi eu 1672,
donnait au commerce des Hollandais dans le Levant la même
importance qu'A celui des Indes : « Les Hollandais, disait-il, ont
six principaux commerces... le quatrième est celui de Smirne et
des autres échelles du Lev.int. Ce commerce vaut tous les ans 10 à
12.000.000 de livres à I.1 Hollande... Le 6' est celui des Indes
Orientales, il leur vaut de 10 à 12.000.000 de livres tous les ans*. »
D'après le comte d'Estrades, ambass:ideur :\ la Haye, il aurait même
été plus considérable : « Vous recevrez par cet ordinaire, écrivait-il
;i Colben, deux mémoires : l'un pour l'éclaircissement du com-
merce des Smirnes qui est encore plus grand que je ne vous avais
mandé, le revenu de cette année montant à 16.000.000, Messieurs
les Etats y envoient des vaisseaux tous les quatre mois, le profit y
tjtant de la moitié plus grand que celui qu'ils tirent des Indes*. »
Les Hollandais avaient cet avantage sur les Français et même sur
les Anglais que leurs dépenses étaient fort médiocres. Leurs tacteurs
dans les échelles, dont le nombre était très petit, conscrwiient la
simplicité et l'austérité de mœurs qui frappait alors les étrangers
xoyageant en Hollande*, tandis que ceux des Anglais et des Fran-
çais « faisiient tous grande chère, jouaient hardiment leur argent,
vivaient tous leur cuisinier chez eux, et la plus grande partie d'entre
fux entretenaient le cheval à l'écurie et bien souvent quelques autres
galanteries ailleurs*. Longtemps le commerce fut partagé à peu près
«igalement entre les Anglais et les Hollandais; si ceux-ci rempor-
taient à Smyrne, les Anglais fliisaient en otitre un trafic considérable
ià Alep, mais la guerre de Hollande donna déllnîtivement la prépon-
«iérance aux Anglais*.
Les Italiens profitèrent aussi de la ruine du commerce des Français.
les Vénitiens, malgré leur déc.idence, faisaient encore un négoce assez
(t) Voir, pour plus de dé-tail, le Miimoire sur le commerce des Hollandais.
Btil. Wat. mss.fr. 3jo22,fol. rjn-i^}.
Il) Ltttffs et Instructions, t. II. [>. 6fS.
D) DtPPiNG. Corrtsp. .Administ., t. III, p. 349 ; 4 décembre 1664. V. lettre
du II diicunibre : Plus je m'informe du commerce des Smirnei et plus je le
trouve grand.
(,() V- LliFiVRE PON'TALIS : Jfa» de H'itt.
(51 PoctLET, t. IJ, p. 30. — V. aussi d'As.viF.ux.
[6) Wheler. p. 2j6.
à
'4
I
128 l'anarchie commerciale
considérable dans le Levant. Leur ambassadeur ù Constanttnople,
ou bailc, ctait charge des intérêts de ce commerce et levait pour
cela de grands droits sur tous les vaisseaux marchands qui portaient
le pavillon de St-ALuc. Ces droits, toute dépense déduite, pouvaient
lui produire 100. ooo écus pendant les trois ans qu'il y demeurait,!
aussi on regardait Tambassade de Constantinople comme une récom-
pense que le Sénat donnait aux nobles qui avaient passé par les
autres, fuineuses pour la plupart, « par la magnifique représentationl
qu'ils avaient coutume d'y faire *. Sous la direction du baile étaient]
deux consuls principaux qui résidaient à Alep et A Alexandrie;
c'étaient toujours deux nobles Vénitiens peu à leur aise qui exer-
çaient ces deux consulats et les gardaient ordinairement toute leur t
vie, la République voulant leur laisser le temps de rétablir leurs
affaires dans ces emplois très lucratifs. Dans les autres échelles les^j
Vénitiens n'entretenaient que de simples agents, soumis à ces deux^H
consuls, et qui souvent étaient des chrétiens du pays; ils en avaient ^^
A Chypre', Tripoli de Syrie, Smyrne, Chio et Rosette ; ailleurs ils
chargeaient les consuls des nations étrangères des intérêts de la leur.
Ils débitaient dans toutes les échelles une grande quantité de draps
d'or et d'étoffes de soie, de brocards et satins de leur fabrication, et 1
Constantinople, des draps ordinaires, moins fins et moins beaux que
ceux de France, d'Angleterre et de Hollande, mais très eMÎmês des
Turcs h cause de leur bon marché. Leurs cargaisons se composaient
en outre, de perles fausses, de glaces de miroir, de verres A vitres e
d'autres produits de leur industrie. Les Arméniens établis à Venisi
et ceux qui y venaient chaque année contribuaient beaucoup àent
tenir son commerce du Levant par les correspondances qu'ils avaient
dans tout l'empire Turc et la Perse. Mais la guerre de Gmdic qui
éclata en 1644 interrompit pour plus de 25 ans ce négoce, du moin:
sous le pavillon de St-Marc, et plus tard il ne se rétablit que très
imparfaitement ".
Les Génois, qui faisaient alors le commerce le plus considérable de
l'Italie, mais n'envoyaient que très rarement des vaisseaux dans Je
4
(t) Au di-^but du xvii* siècle, Us y avaient encore un consul, d'après Pic
IflU VjIIc : M II n'est pas noble Vénitien, mais citoyen seulement des plu* t|i
dclU Valle : m II n'est pas noble Vénitien, mais citoyen seulement des plu* t|UJ-
litics, do sorte tiuVncdii: que le consul de Chypre ne soit pas de la dépendanc^l
de celui d'Alep comme les vice-consuls, néanmoins celui d'Alep en qualité d^j
noble et de principal ajieni en ces quartiers .i je ne sais quelle prééminence U\y.\
celui de Ciiypre ». T. II, p. 513.
(I) Savary, Dictionnaire, col icxJ}, 1012. — Parfail Nigoci«Hl, p. i^H.
LES PROGRÎ-S DES ÉTRANGERS
129
fLevant, sous la bannière de France, cliLTchèrcnt à profiter de la
iccadencc des Français et de la brouille des Vénitiens avec les Turcs.
[Is envoyèrent en 1645 une ambassade, chargée de demander des
jpitulutions pour leur commerce et la permission d'avoir un
imbassadcur à la Porte. Mazarin, qui reclicrchait l'alliance des petits
îtaiî italiens contre l'Espagne, sacrifiant en cette occasion les inté-
rêts du commerce à ceux delà politique, fit appuyer leur négociation,
jui cependant é-clioua. Mais elle fut reprise et réussit en 1664, cette
ns-c'i malgré les elTorts de M. de la Haye le fils, grâce i des pré-
[sents considérables distribués au Divan et ;\ la protection des ambas-
[siidcurs de l'empereur et de l'Angleterre. La Compagnie Génoise
[ttu Lx;vant fut formée, et pendant quelques années elle eut un assez
^rand succès, dii surtout au commerce des pièces de 5 sols, avec
lequel les Français élisaient alors de grands bénéfices. Les Génois
■altérèrent encore davantage cette monnaie, déjà de bas aloi, et ce fut
leur insigne mauvaise fol qui amena le décri de cette monnaie par
[les Turcs en 1670. Leur Compagnie ne fit dès lors que végéter et
fils ne continuèrent A entretenir leur ambassadeur i la Porte que
pour sauvegarder leur amour-propre ' .
La ville qui profita le plus de la ruine des Français fut Livourne,
iouvcllement bâtie au début du xvii' siècle, par les grands ducs de
iToscane. Non seulement elle devint le grand port de relâche et
l'entrepôt général des Anglais et des Hollandais, mais les Arméniens,
[courtiers des Européens dans le Levant, s'y établirent en grand
tnombre et y firent venir, sur des vaisseaux hollandais, quantité de
'marchandises, surtout des soies, dont Livourne devint le plus grand
marché en Europe. Les Livournais envoyaient aussi quelques navires
'dans le Lc\^nt ; chaque année Smyrne recevait six de leurs bâtiments
[chargés de draps et de satins de leurs manufactures, de cochenille,
[de plomb, d'étain, d'épiceries, qu'ils recevaient des HolLindais*.
Les Messinois firent un trafic important dans les échelles pendant
cette période; ils allaient surtout y chercher sous la bannière de
Jîrancc des soies pour alitîienter leurs importantes filatures'. Il n'y
(l) S.vVAttY. Diiiioiiit., col. 1450. — Chardin, t, 1, p. 6 et 7. —Parfait N/go~
ùûnl, p. J98.
(2^ SAVAk\- i3â/ti'n«..ci'l. 101:2 cl iDL'S. — D'AïaMtex, t. I, n. 448 : Livourne
G^ics ont prolîti- des dcbiis de noire cnnimcrct: et les échelles sont à picsent
Eiiondiïcs Jes manufjctiircs de ces dcus villes.
(}) Savahv. DUtwnmvre, col. looî, — Cf. Pat/ait Nigociant, p. 398.
130 L ANARCHIE COMMERCIALE
avait pas jusqu'au duc de Savoie qui ne tentât de détourner de Mar-
seille le passage des soies vendues à Lyon pour les attirer à Gênes, les
foire passer à travers ses Etats par Suse, et entrer en France parle Pont
deBeauvoisin. Un officier au « Parlement » de Chambéry fut envoyé
à Paris pour négocier à ce sujet avec Mazarin et il était d'accord avec
une partie des négociants lyonnais. Les Marseillais eurent beaucoup
de peine à détourner ce nouveau coup qui menaçait leur commerce
et à foire maintenir les déclarations royales de 1609 et de 16 17 qui
portaient que les soies venues par mer ne pourraient entrer dans le
royaume que par Marseille*.
Un mémoire présenté au ministre Pontchartrain en 1696 résume
nettement les progrès qu'avaient foit les étrangers à notre détriment
avant i6éi. Les Anglais et les Hollandais ne s'étaient pas bornés à
nous supplanter dans le Levant, ils s'étaient emparés des principaux
débouchés où les Provençaux écoulaient auparavant leurs marchan-
dises : en Italie, où de nombreuses barques provençales avaient
l'habitude de transporter une grande partie des produits du Levant,
conduits d'abord à Marseille ; dans les ports français du Levant eux-
mêmes, car en apportant les produits de leurs pêcheries, et surtout
les morues, dans la Méditerranée, ils ruinèrent la navigation des
Malouins, qui faisaient auparavant de nombreux voyages en Espa-
gne, en Italie, en Provence, et chargeaient à Marseille quantité de
laines, de cotons, et d'autres matières brutes, nécessaires aux manu-
factures des Ponantais et particulièrement des Rouennais*.
Malgré les progrès rapides des étrangers A partir de 1620, les
Français firent encore un grand commerce jusqu'en 1635 : les
Anglais et les Hollandais étaient déjà les maîtres du marché de
Smyrne qui tendait ;\ devenir le plus important de l'Orient, mais
nos marchands l'emportaient encore dans les échelles de Syrie et
d'Egypte ; à Alep ils faisaient presque le double des affaires des
Anglais et des Vénitiens; dans d'autres échelles, comme ;\ Seïde, ils
étaient encore les seuls à trafiquer*. Pendant ces 1 5 années la valeur
de leur négoce se maintint entre 12 et 14.000.000 dont 7 à 8 pour les
marchandises apportées du Levant ; ce n'était même plus la moitié
(i) BB, 36. Lettres au député en cour, it, ij avril 16^6.
(2) Arch. Marine. B^, 497, fol. jyS.
(}) Fermanel, p. 268.— D'Arvieux, t. I, p. 464.
LA RUINt DU COMMERCE
131
du chitTre qu'il atteignait de 1610 à 1620'. Mais la guerre avec
l'Espagne vint encore aggraver sa ruine. Non sculemeiu la crainte
de la flotte espagnole, qui menaçait la côte de Provence, et les
pirateries des Majorquins, gênaient la navigation, mais surtout, par
suite de l'interdiction du commerce avec l'Espagne, les Provençaux
ne pouvaient plus aller y chercher les piastres qu'ils portaient dans
le Levant, et ils n'y trouvaient plus le débouché des marchandises
qu'ils en rapportaient. Ces échanges étaient si nécessaires aux deux
pays, que la liberté du commerce avec l'Espagne fut rétablicen 1639*,
mais il y avait tellement à craindre des vaisseaux de guerre des deux
flottes royales, ainsi que des corsaires^ que les marchands ne durent
guère en profiter. De plus la misère croissante du royaume, la
lourdeur des impôts, la ruine de ce qui restait de manufactures,
tous ces maux dont souHrait la prospérité générale du royaume,
(^ti\ient aussi ressentis par le commerce du Levant. De 1635 A 1648
il diminua encore de moitié, il était alors tombé presque à rien, à
6 ou 7 millions tout au plus, dont 4 environ pour les importations
en France.
Il semblait qu'il ne pouvait plus déchoir, mais les troubles du
royaume ajoutés A la continuation de la guerre avec l'Espagne lui
fîortèrcntle dernier coup. La Provence et Marseille souflrirent beau-
«zuup de la Fronde: dès 1649 les Marseillais, au sujet de leurs élec-
tions municipales, se brouillèrent avec le comte d'Alais, gouverneur
«de Provence et cousin de Condé, qui en i6)0 embrassa le parti des
princes, et ils s'armèrent pour défendre leur ville qu'ils croyaient
•KTienacéc d'un siège. Toulon, leur vieille rivale, voulant saisir
l'occasion de les supplanter, devint la place d'armes du comte
«J'Alais et ses corsaires vinrent attendre au passage les vaisseaux de
.^irseille. Quand ces troubles furent apaisés en 1653 grâce au duc
«Je Mercceur le nouveau gouverneur, une autre brouille surgit avec
telui-ci et agita toute b ville jusqu'en 1660^. Au milieu des malheurs
ni D'après l'inspection Je Stnuiraii(i6î3), il partait cliaque .innée de Marseille
1$ b.Uiments pour Alexandrie, 8 pour Scide. 20 pour Alcxandrette, 12 pour
Smvrne, 10 pour Constantinople, 4 ou > barques pour Satalieet quelques barques
parfois pour Pelrachc (Patras) et Candie. — (CoiKsp. de Souidis. Coll. Doc. Int'd).
(2) PlGEONNt-^U. t. H, p. 423.
(3) V. P.\Pos et RcFFi. — .-irch, Comm.Cûrresp., p, /6jo et suiv. — BB. 26,
awiUs iCfo tl suiv. — Au milieu de ce désarroi se produisit l'extraordinaire
affaire Patac. Ce Patac. un trait.nnt qui avait acheté diverses dettes restées en
souffrance des créanciers de Césy et Je Marchevillc, muni d'un arrêt de la Chambre
132
L ANARCHIE COMMERCIALE
I
I
I
causés par les troubles, la peste, qui avait déjà désolé la ville en
1630, sévit de nouveau en 1649 et 1650 ; les navires furent
obligés d'nbordcr au petit port de Cassis et, longtemps après la
cessation du tlcau, les villes jalouses de Marseille, comme Gcnes cl
LivouniL-, en profitaient pour mettre des obstacles ;i son commerce*.
Enfin les procédés financiers des surintendants rendaient encore
le commerce plus précaire : en 1653 la Cliambre du commerce se
plaignait à la cour du surhaussenient du prix des monnaies qui
ruinait le négoce*.
Le commerce parut près de succomber entièrement sous le poids
de tous ces maux vers 1660 : les importations du Levant en France
atteignaient au plus, d'après Savary, 2 1/2 à 5.000.000 de livres ;
quant aux exportations elles étaient presque réduites à rien : le
commerce des draps et des papiers, les deux principaux articles de ^
vente, avait été complètement ruiné par les abus*. Ce n'était plus M
seulement à Smyrne que les Anglais et les Hollandais avaient établi
leur prépondérance, mais à Alcp la vieille citadelle du commerce
français. Il n'y avait plus guère parmi les grandes échelles que Seîde
où les Provençaux tussent les maîtres du commerce, aussi éfciit-ellc
devenue leur cclielle'de prédilection V I^e commerce du Levant, qui
jusqu'en 1620 avait été de beaucoup le plus important du royaume,
était loin en 1660 d'atteindre la valeur de celui du Ponant puisque, I
brc de l'cdit JuDauphinc, se posi.i sur le chemin de Lyon avec des gens .irmés
et s'empara à diverses reprises des convois de voitures portant les murcliandises de
Marseille à Lyon. Messieurs de Lyon cl de Marseille interdirent le coninicfire
entre les deux villes ius(|u'i ce iiu'ils eussent obtenu du conseil un arrêt pour
rétablir la sûreté des clKMnins. M.iis bien que cet arrêt eût été obtenu et placardé
partout, les exploits de Patac continuèrent. Les Marseillais durent faire escorter
leurs muletiers et mettre « nombre de pcrNonncs armées aux endroits dange-
reux ». Enfin, d.ms l'un des combats i.]ui furent livrés, Patac finit par être pris et
resta longtemiis enfermé dans la prison de Pierre Seize à Lyon. — Voir de nom-
breuses lettres de 'a Chambre: BB, 26, ilii 3 fiv. lôfS à </iV. 1663. — Patac
meurt à Pierre Eucise, le i8 fév. 1686. BB, 4, fol. 31}.
(i) Aich. Commun. Comspond., 3 aoiit lô^p, 3^ fh:, 3Ç nian, avril, 3, 16
mai, juin tôfv. ,
(2) BB, 2rt. 20 avril i6s}. — Voir Pierre CLi;.\iKxr. Hist. </<.• Co)l>eit, t. I,
p, J72-74. Série de changements dans la valeur des monnaies opérés par Fouquct.
(5> lie BtAeuEP.MRF,. luiml. des Arcb. dt Houcit. — .Assemblée du t2 avril
i66j : Il Le commerce des draps occupait la plus faraude partie du peuple de ccttî
ville qui V trouvait sa vie i gagner; mais depuis quelques années il a été tellement
diminué qu'on a été obligé de l'employer aux ateliers publics ». — Cf. BB, t.
IXlil'halion du 10 nviit 16 5S.
{4) y. U\\rvieu\ qui él.iit alors .i Seide, t. H, p. j.ji : « Oe 1660 à 1665, plus
de ;oo conniiissionnaires des marchands de Marseille et de Lyon qui detncuraient
à Scvde et aux environs gagnaient des somme» considérables. »
I
LA Rl'rXE DU COMMERCn
133
d'après Colbcrt, les importations totales s'élevaient pour le royaume
à 20.000.000 de livres et les exportations de 12 A 18 millions'.
La ruine du commerce apparaît aussi clairement quand on voit
graduellement diminuer de 1610 à 1661 le nombre des bâtiments
français employés au commerce du Levant. D'après Savary de
Brèves les Provençaux avaient, avant 16 10, un millier de bâtiments,
dont les « Espagnols, Génois, Napolitains, Siciliens » se servaient
ordinairement pour leurs transports. En 1621, l'envoyé du roi
Dcshayes compte encore 400 vaisseaux sur la côte de Provence et du
Languedoc qui s'entretiennent par le trafic du Levant. Sur 554 b.âti-
ments de toute sorte servant au commerce que M. de Seguiran
trouva dans les ports de Provence en 1633, il n'y en avait que
182 destinés à la navigation du Levant ; les autres, barques ou
tartanes de très faible tonnage, ne faisaient que le cabotage sur les
côtes du Languedoc ou du nord de l'Italie et de l'Espagne. Parmi
ceux du Levant, 90 environ étaient de grosses barques de 100 A
200 tonneaux, 40 des polacres de 150 à 250 qui pouvaient déjà
nicriter le nom de vaisseaux et il n'y avait que 50 gros vaisseaux de
3000 a 7000 quintaux : l'un des vaisseaux de Marseille atteignait
toooo quintaux, c'était le géant de In flotte marchande du Levant*.
"r.indis qu'auparavant les Provençaux nolisaieni leurs bâtiments aux
étrangers, ils ne suffis;iicni même plus aux besoins de leur commerce
iiinoindri. L'article du code Michiui qui interdisait de fréter des
(i) Discours prononcii le ) ;ioùt 1664 i l'ouverture du premier conseil de com-
'■^-»erce, — Clément, t. 1, p. 35).
(2) Il est intéressant de connaître, pour chacun des ports de Provence, l'itat des
■>. avircs qui composaient leur flotte. Voici la liste dressée par Seguiran : Marseille :
■ «3 vaisse.iux de 3 à totnx) quintaux — 7 polacres de i>oo à 2500 — 6 f>rosscs
^iirques de 1 500 i 2000 — 8 barques de 1000 à 1 300 — 70 barques de 300 .\ 8tX3
— ■ — 2 tartanes de itx3o. — (Mais il ne parle que des bâtiments qu'il trouva dans le
►ort — pour les .lutres ports on lui indiqua tous ceux qui y étaient attachés). —
^.\ssis : 2 polacres de 2000 quintaux, .[ b.irques de 1500, 7 de 1200 pour l'Es-
^j^nc et l'Italie. — La Ciotat : 60 vaisseaux, barques nu polacres de la portée,
' ** une pour l'autre, de 1500 quintaux. — Bal'don (BanJol) : 6 tartanes de 30t>quin-
t^-i»ux pour le cabotage. — Lovary (Sanan) : 20 barques de 5K0 i 600 quintaux
3Ur le cabotage. — La Seyne, terroir de Silbur : 10 vaisseaux de 4 A 6000 quin-
iu\, 10 polacres ou grosses barques et 60 tartanes. — Toulon : 12 vaisseaux de
|3 à 70CK1 quintaux, 7 polacres de 1700 A 2400, 14 barques de jtKD .i 2500, 15 lar-
(%=«ncs. — BokMES : i tartane et 12 bateaux. — St-Tropez: 7 vaisseaux de 5CXX)
«=| uintaux. j polacres de 2i 2500 qx, 19 barques de 8ixj a 2500, 12 tartanes. —
^ Ktjes, Cannes, Ani iBts, Marth;l I s. .^RLi-s.N.-D.v.ME-DE-LA-MEK f/it5/('i-Affl» i«^,
' S-r-CH.\.M.v5, Bekre, ne possédaient connue Bandol, Sanary et Rormes que des
l>arqucsct des tartanes faisant le cabotage avec l'Italie et l'Espagne. — V. Itispec-
ftvtion dt Seguiiiin. Conesp. de Sourdis.
I
I}4 L ANARCHIE COMMERCIALE
navires étrangers n'était pas exécuté et les consuls de Marseille s'en
plaignirent vivement ;\ la cour : « Divers marcliands, écrivaient-ils
à leur avocat au conseil, au lieu de tréter et noliser des vaisseaux et
barques de cette ville, pour faire leurs diverses négociations, en
frètent et nolisent des étrangers, anglais ou flamands, qui ôtent le
pain et la vie à nos mariniers qui sont contraints de la chercher
ailleurs, laissant notre port désert*. » Mais les nécessités politiques
qui faisaient craindre h Richelieu de froisser les Hollandais et les
Anglais, renipéchtrcnt d'envoyer les ordres du roi sollicités par les
MarseiîLiis*. Notre flotte continua de diminuer rapidement ; d'après
l'état de 1.1 marine marchande que Colbert fit dresser en 1664, sur
les procès-verbaux qui lui furent envoyés parles officiers de l'ami-
rauté, la Provence entière ne comptait plus que 30 voiles qui fissent
le commerce: 21 pour l'aniirautc de Marseille et 9 pour celle de
Toulon; 8 gros vaisseaux seulement jaugeaient de 230 à 400 ton- ■
neaux, 2 polacrcs de 200 à 250 et les 20 autres voiles n'étaient que
des barques de 100 à 200 tonneaux. Pour toute la côte du Lmguedoc
la flotte de commerce était représentée par une barque d'Agde de
De 30 millions de livres le commerce tombé à 4 millions environ *,
de 1000 kîtiments de mer le nombre réduit à 30, tel était le résultat
de cinquante ans de malheurs, auxquels les marchands provençaux
(i) iS juin 1641, cf. 3f filin 164X, 21 jaitv'ur 1642. .'irch. Commun.
(2) Ijttm de l'avocat YcarJ, )i janv. j()^2, 2/ mars 1642.
(j) .4icb. délit Mûfine, B', 4SS, lirtise. — Table conienant le notnbrv des
vaisveaux app.irtcn;iiis aux sujets du roi en 1664, d'après les procùs-verbaux envoyés
à M. Colbcrt pur les oflkicrs de l'amirauté, .amirauté- de Marseille : 2 de 100 à
120 tonneaux, 5 de I20ii I 50, 6dc i)û A 200, 2 de 200 à 250, 3 de 250 A joo,
5 de Jfxi i 400. — .\mir.nuté de Toulon : 4 de 100 à 120 tonneaux, t de 120 3
150. 2 de 150 h 200, 2 de 300 à 400. — Les amirautt-s de Fréjus, Martigucs,
Arles, Aigues-Mortes, Frontignan, Agde n'ont que des bateaux de péchc et de
petits iiabotcurs; N.irbonne est indiquée avec In mentinti néant. — La flotte
totale du royaume est représcniée par 529 bStimetits de 100 à 400 tonneaux
jaugeant ensemble 55840 tonneaux; c'était moins que n'en comptait la flotte
provençale en 16}}. — A ces bâtiments de commerce s'ajoutaient cependant
2039 iMïtits caboteurs de 10 à icki tonneaux jauf^cant 75765 tonne.iux. — La
flotte an^ldise pendant la même période suivait une marche inverse grâce aux
encouragements continus du gouvernement et en particulier à l'acte de navigation.
« L'ûifluencede cet acte se résume par un chiffre: Avant le règne de Charles I"
on ne connai.ssait dans les ports d'.\nglcterre que 3 bitimcnis marchands de
500 tonneaux et à la mort de Charles II on en comptait plus de 4cx> de cette force. »
{Corresp. dtSourdis. Pi .'face, p. .XJIl. — Coll. Doc. IiièJ.).
(4) Dans un mémoire adressé au roi en 1663, Colbert écrivait que Marseille ne
(aisjit plus la dixième partie de son commerce en Levant. C'était rigoureusement
CX.ICI. — Dlties et List. Tome II. Introducl. f>. CXXF.
I
LA RUINE DU COMMERCE I35
avaient cependant résisté avec constance. Si la pauvreté de leur sol
et la tradition ininterrompue des siècles n'avaient fait d'eux des
marins et des négociants, on comprendrait à peine qu'ils n'eussent
pas abandonné le commerce du Levant. L'importance croissante
que prenait la route maritime des Indes semblait encore menacer le
commerce français d'une décadence plus profonde. Les Anglais et
les Hollandais, entièrement maîtres de cette route, cherchaient de
plus en plus à attirer les marchandises de l'Asie dans les ports de
l'Océan Indien au détriment de ceux du Levant. Ce n'étaient plus
seulement les épices et les drogueries qui abandonnaient leur ancienne
route, les soies de la Perse à leur tour s'acheminaient vers Ormuz,-
au lieu de venir à Alep et à Smyrne. C'est pourquoi la plupart de-
ceux qui dans le gouvernement s'occupaient de commerce maritime
et de colonisation, négligeant ce commerce du Levant qui semblait
voué à la ruine, tournaient toute leur attention vers les Indes Orien-
tales et Occidentales, dont ils voulaient disputer le trafic aux Anglais
et aux Hollandais. N'auraient-ils pas dû cependant songer à conserver
avant tout au commerce français l'ancien domaine que la situation
des ports de Provence semblait lui réserver : puisque les Espagnols,
et les Italiens, rivaux naturels des Provençaux, ne pouvaient pas leur
disputer la suprématie dans les mers du Levant, personne n'aurait
dû pouvoir la leur prendre. Ce fut une lourde faute d'avoir laissé
pour la première fois les Anglais et les Hollandais pénétrer dans la
Méditerranée, où ils ne devaient plus cesser de lutter pour rester
les maîtres, sans avoir réussi A leur rien enlever de leur trafic dans
les mers de l'Inde.
LIVRE II
LE RELÈVEMENT DU COMMERCE
(1661-1715)
CHAPITRE PREMIER
COLBERT ET LA RÉFORME DES ABUS
Colbert vint heureusement à temps pour sauver le commerce du
Levant d'un entier désastre. Il ne fut chargé officiellement de la
direction des afîllires du commerce qu'en 1664' et môme, jusqu'en
1669*, de Lionne, secrétaire d'Etat des affaires étrangères, à qui
était confiée en même temps la marine, contresigna tous les actes
royaux qui les concernaient, mais, dès 166 1, Colbert s'en occupa,
ainsi qu'en témoigne sa correspondance avec la Chambre du com-
merce'. Si le développement du commerce maritime fut l'une de
ses principales préoccupations, celui du Levant fut l'objet particulier
de ses soins, car les grands bénéfices qu'il voyait réaliser aux Anglais
et aux Hollandais, et le souvenir de ceux qu'y faisaient auparavant
(1) Lettre du roi, 26 août 1664 : à MM. les Figuier, èclievins et habilaiils de la
ville de Marseille. AA, j.
(2) Lettre de Colbert du /j mars ï66c). Il informe la Chambre qu'il vient d'être
pourvu de la charge de secrétaire d'Iitat.
(3) Bli, 26. }o mai 1662.
138 LE RKI.ÈVEMENT DU COMMERCE
les Provençaux, lui causaient les plus cuisants regrets. H ne lui fut
pas difficile de se pénétrer des maux dont souffrait le négoce : depuis
plus de 50 ans les députations à la cour et les mémoires des Mar-
seillais ne cessaient de répéter les mêmes plaintes auprès du conseil,
mais il eut le premier fermement l'idée d'y mettre un terme, et il
apporta à ce dessein la force de volonté et la ténacité, en même
temps que la netteté de vues et la méthode, qu'il montra dans toute
son administration. Il ne cessa d'y travailler depuis 1664 jusqu'à sa
mort, cependant ce fut surtout dans les dix années qui suivirent,
avant les embarras de la guerre de Hollande et les déboires de la fin
de sa carrière, que son action fut décisive.
Pour mettre un terme aux profonds abus qui étaient l'une des
principales causes de la ruine du commerce, Colbert sentit le besoin
de lui donner une solide organisation et il appliqua aux affaires du
Levant cette forte centralisation qui achevait alors de s'établir pour
tout le gouvernemenr du royaume. L'institution du conseil de
commerce donna tout aussitôt plus de vigueur et d'efficacité à l'action
du pouvoir royal. « L'abandonnement entier du conseil du roi, dit
un mémoire de 1669, était la première cause des désordres. Pour y
remédier il faut prendre le même chemin que la corruption a fait.
Le roi remédie au principe par le moyen de son application et de la
protection entière qu'il veut donner au commerce, comme étant une
des principales et plus importantes afïliires de son Etat'. » Le
conseil de commerce se réunit pour la première fois le 3 août
1664 ; Colbert ouvrit ses séances par un grand discours où il résuma
nettement ses idées sur le commerce, l'industrie et la marine. Les
faits suivirent promptemcnt les paroles : le 26 août Louis XIV
adressa aux échevins et habitants de Marseille une lettre, évidem-
ment inspirée par Colbert, leur recommandant d'avoir recours à lui,
pour tout ce qui concernait leurs intérêts : « Nous ferons loger
commodément à notre cour et suite, disait le roi, tous et chacun
les marchands qui y auront des afliiires, pendant tout le temps qu'ils
seront obligés d'y séjourner, ayant ordonné au grand maréchal des
logis de notre maison de faire marquer un logis propre pour cet
effet, qu'il sera appelé la maison du commerce. Que si les marchands
veulent députer quelqu'un d'entre eux à notre cour et suite pour
(i) Etat du commerce du Levant contenant les raisons du mauvais état auquel
il est réduit et des remèdes qu'on pourrait y apporter, 1669. — Arch. Nat, K, 8^9.
C0L1I1»RT ET tA KÉrORME HES ABUS
139
avoir solo Je leurs affaires, nous le k-rons loger dans ladite maison
et lui donnerons audience en toutes occasions. Que s'ils ont peine à
trouver quelqu'un qui puisse ou veuille quitter sa famille ou son
commerce pour cet emploi, nous commettrons une personne intel-
ligente et capable à laquelle nous donnerons des appointements pour
demeurer dans ladite maison, y recevoir tous les marchands qui
auront des affaires \ notre cour et suite, et leur envoyer toutes les
expéditions dont ils pourront avoir besoin^ te tout sans aucun frais
et dépens '. »
Hn vue de faciliter la tâche du conseil, l'arrêt du 5 dCrccmbre
1664 « porta qnc, tous les ans, les marchands de chacune des dix-huit
villes les plus importantes du royaume, éliraient deux d'entre eux et
que le roi choisirait trois des premiers élus, pour les représenter
pendant un an, soit à la cour, soit à sa suite, tenir correspondance
avec les marchands des villes de leur circonscription, et l'informer
de tout ce qu'il tiudrait faire pour l'augmentation du commerce.
A l'égard des autres élus, ils devaient s'assembler par tiers, le 20
juin de chaque année dans les trois villes que le roi désignerait pour
examiner Veut du commerce et dos manufactures et adresser le
procès-verbal de leur réunion A Colbert'. » Celui-ci trouva dans te
conseil de commerce d'utiles auxiliaires et il est juste de leur reporter
une partie des mérites des réformes qu'il accomplit. Outre les
conseillers ordinaires, Colbert savait y appeler des hommes qui
avaient la pratique du commerce comme Jacques Savary, grand
négociant, qu'il y fit entrer en 1670, pour aider à la rédaction du
Code marchand; les mémoires que celui-ci présenta A ce sujet au
conseil furent si remarqués, que Pussort le pressa de les publier et
il en fit le livre, vite fameux, du Parfait négocbnt".
Colbert ne se contentait pas des lumières du conseil et il accueillit
avec joie tous les mémoires que lui adressaient des gens d'expérience.
" Il exhortait ceux à qui il reconnaissait des talents et qui pouvaient
lui donner de bons mémoires pour le commerce du Levant, de s'y
appliquer comme à l'allaire d'état la plus importante, et les y enga-
geait par leur intérêt propre et les expressions du monde les plus
(I) M.i, f. — Cotbcrt adressait une lettre analogue aux consuls de Toulon, le
J9 novembre 1664.
{») P. Clément t. I. p. jjé.
(j) Voir la vie Je Sjvary en téie de l'ildition du Parfait Kign-iani de i/jfi. —
Li première édition parut en 167s et il (ut traduit aussitôt en plusieurs Kinguet.
140 LE RELEVEMENT DU COMMERCE
obligeantes'. » C'est ainsi qu'il témoigna sa faveur au chevalier
d'Arxùeux, d'une famille Marseillaise, qui, aprùs avoir pratiqué le
négoce à Smyrne et à Seïde, où il avait appris à fond la langue
turque, -s'était retiré à Marseille. Il l'employa dans diverses missions
:\ Constantinople, à Tunis et à Alger et lui fit rédiger différents
mémoires, notamment sur l'ambassade de Constantinople et sur la
réforme des consulats du Levant ; plus tard il lui donna en récom-
pense le consulat d'Alep*. Colbert garda jusqu'à sa mort auprès de
lui un homme qui jouissait de toute sa confiance, François de Bellin-
zani, son premier commis, qu'il fit inspecteur général des manufac-
tures et plus tard directeur de la Chambre des assurances créée à
Paris. Bellinzani fut très mêlé aux affaires du Levant, la Chambre
du commerce eut souvent recours ;\ lui pour obtenir ce qu'elle deman-
dait et elle mit le plus grand soin à entretenir sa faveur par l'envoi
régulier de présents*. Bellinzani n'y était pas insensible et Colbert
n'avait pas bien placé sa confiance, car, après sa mon, son premier
(i) Mémoire aux Arcb. de la Marine, li', 488.
(2) M. de Grammont (Les consuls iMiaristes et le cl>evalier d'Arvieux) traite celui-
ci d'homme emporté et extravagant, et M. Plantet dans l'introduction de sa
Correspondance des deys d'Alger, a tracé de d'Ar\'ieux un portrait peu flatté. — Les
mémoires de d'Arvieux et de nombreux témoignages nous le montrent sous un
autre jour : il fut estimé de Colbert et très considéré par la Cliambre du com-
merce de Marseille. On ne trouverait pas dans toute la correspondance de celle-ci
des lettres de félicitations semblables à celles qu'elle adresse à d'Arvieux, consul
d'.'Mep (BB, 26. n juillet i67(}, 30 juillet 16S0). — Voir Thi-.vi:not, t. II, p. 19 ;
DE Bruyn, p. 333 : « Il parlait et il écrivait en huit langues différentes, français,
latin, italien, espagnol, turc, arabe, grec, hébreux. 11 était d'une conversation
agréable et d'humeur enjouée. Il entendait outre cela la peinture et la musique, il
jouait presque de toutes sortes d'instruments, outre plusieurs autres choses en quoi
il excellait. » — D'Arvieux était surtout très au courant des mœurs des Turcs,
très-sensé, très -conciliant, et rendit de grands services.
(}) Voici un exemple du présent ordinaire qu'on lui .-idressait : 24 bouteilles de
rossoly, 48 bouteilles d'eau de fleur d'oranger, deux boîtes de 12 petites bouteilles
de diverses essences. — Bellinzani fit connaître qu'à l'avenir il aimerait mieux, au
lieu des diverses essences, quelques fruits et de l'huile d'olive. En effet en 1680 on
lui envoie : une charge de très-bonne huile d'olive, 62 boîtes de prunes de Bri-
gnoles, 12 barils d'olives et 12 autres de petites, 10 barils d'anchois des meilleurs
qu'on puisse trouver. — En 1681 et 1682 on lui expédie une couverture blanche
piquée à ses armes, un grand carreau et deux petits, une veste d'homme, une
toilette avec ses armes, deux jupes, une pour madame sa femme et une pour
mademoiselle. — BB, 26. 9 décembre i6y(), ip mars 16S0, nj septembre 16S2. —
Pour juger ceux qui recevaient ces présents il ne ne faut pas oublier que la cou-
tume en était générale. — Le secrétaire d'état qui s'occupait du commerce recevait
avant Colbert 1 5011 livres du commerce de Marseille et Colbert ne songea pas ii y
renoncer en 1669 : 0 Tachez de pénétrer sans vous déclarer de rien, écrit-il ;\
Arnoul le 2 novembre, de quelle sorte les députés du commerce ont résolu d'en
user. » Lettres et Iiisl. t. III, i'<^ partie.
COLBERT ET LA REI ORMï DES ABUS
141
commis fui iKcusc, avec son neveu Dcsmarcts, d'avoir reçu des pots
de vin dans l'affaire des pièces de 4 sols ; il confessa avoir acceptii
pendant cinq ans des sommes s'élcvanr i 40.000 livres par an, qu'il
partageait avec Desmarcts, et fut enfermé au château de Vincennes
oà il mourut de maladie.
En Provence, Colbcrt trouva deux conseillers et deux serviteurs
pleins de zélé et d'inte!li«^ence, le premier président du Parlement,
Henri de Maynier de l'orbin, baron d'Oppède, et l'intendant des
galères Nicolas Arnoul. D'Oppède, très-ambitieux mais administra-
teur de premier ordre, fut jusqu'à sa mort un véritable intendant de
Provence' et son nom doit être associé à celui de Colbert pour tout
ce qui concerne le commerce du Levant. Il en eut la haute direction
Cl ce fut l'objet principal de son administration. 11 tenait le ministre
au courant de la situation du commerce, il consultait les Marseillais
sur les innovations qu'il méditait, il était chargé de les leur fliire
accepter et d'en assurer l'exécution, ce qui lui demanda autant de
fermeté que de tact. L'intendant Arnoul fut Tinspirateur delà trans-
formation du port et de l'agrandissement de la ville de Marseille,
mais Colbert lui demanda des conseils sur tout ce qui concernait le
commerce et le fit le confident ou l'exécuteur de tous ses projets,
" S. M. étant persuadée, lui écrivait-il, que les alTaires des galères
vous pourront permettre de vaquer ù d'autres, qui la regarderont ou
SCS peuples*. » Agent docile et jSîcin de vigueur et souvent conseiller
intelligent, sa correspondance révèle une parf.iitc entente avec Colbert
et d'Oppède ; autoritaire et méthodique, comme son chef, mais
l'esprit un peu étroit et d'un zèle parfois intempérant, il avait besoin
d'être éclairé ou retenu par une intelligence supérieure. En 1669
d'Oppède et Arnoul furent nommés commissaires délégués par le roi
pour l'exécution des édits sur l'alfranchissement du port, et demeurè-
rcni pendant plusieurs années entièrement occupés du soin de celte
importante affaire. Colbert sut aussi se servir de l'influence et des
conseils de l'évèque de Marseille : « J'ai bien de la joie d'apprendre
par vous-même, lui écrit-il, que la ville de Marseille s'augmente et
[t) 11 «"intitule ; • Heim de .Maynier, barun d'Oppède, comte palatin, cunKilIcr
du roi en son coiiscîl, premier président en sa cour de parlement et comm-indant
en Ptovcnce. » iiU, i. OiiUmii. Jr fh: j6jo.
[2^ z IjTlIiti cl Insl. t. Il, /». 3. — NiiToI.is .Arnoul, eonimissairi'
générj! ic en l'rovcnce en 164 1. inicnd.int des g.ilèrcs à Marseilli
(lU avili ir<(^',i, iiiteiuUnt de I.1 marine j Toulon où il siucùdc j Math.irel en
167) ; il meurt le 18 Ot^tobre 1674.
142 LE RELEVEMENT DU COMMERCE
que le commerce s'y fortifie beaucoup. J'espère que votre présence
et l'application que vous y donnerez contribueront à l'augmenter, et
vous me ferez un singulier plaisir de me faire savoir, de temps en
temps, ce que vous estimerez à propos de faire, pour le bien éta-
blir'. »
Après l'arrivée en Provence de l'intendant Rouillé, en 1673, ^^"^
fut centralisé entre les mains de l'intendant, qui resta le seul repré-
sentant du ministre auprès de la Chambre du commerce et des
marchands*. Chargés d'abord de délégations spéciales, comme la
vérification et la liquidation des dettes du commerce et des échelles.
Rouillé et son successeur Morant étendirent peu à peu leur action :
c'est à eux que la Chambre s'adressa pour faire homologuer ses
délibérations et leur donner force executive; sur sa requête, ils firent
des ordonnances concernant les consulats et l'administration des
échelles; toutes les contestations entre les marchands, ou les
capitaines et la Chambre, furent portées devant l'intendant ; toutes
les affaires lui étaient soumises avant d'être portées comme autrefois
au conseil, et la Chambre était obligée de lui présenter requête pour
avoir l'autorisation d'envoyer des députés à la cour. L'ambassadeur,
autrefois tout puissant dans le Levant, s'inquiétait de cette nouvelle
autorité et Morant était accusé en 1684, auprès de Seignelay, de
vouloir faire valoir l'intendance et rabaisser l'ambassade'. L'inten-
dant jouait de plus en plus ce rôle d'inspecteur du commerce du
Levant dont Lebret, successeur de Morant, devait porter officicllenpnt
le titre. C'était ce soin des affaires du commerce qui donnait à
l'intendance de Provence une importance et un caractère tout parti-
culiers. « Je ne doute pas, écrivait Colbert ;\ Rouillé, qui sans doute
se plaignait des soucis qu'elles lui causaient, que la ville de Marseille
ne produise plus d'affaires que toutes les autres provinces*. »
A la tète du commerce Colbert laissa la Chambre, créée par les
(i) 16^1. Lettres et Jttit., t. Il, p. 619. — L'évéquc lui écrit le 27 novembre
1669 : « Pour toutes les afiaircs de la ville, j'agirai, Monsieur, suivant les ordres
que vous me ferez l'honneur de m'en donner je conférerai avec MM. d'Oppède
et Arnoul. » — Cf. 31 octobre lêji. Depping, Corr. Adm. t. I, p. S 10.
(2) BB, 27. 22 octobre i6j2 : « M. de Rouillé, que S. M. a nommé pour
intendant de justice, arrivera et prendra connaissance, suivant sa commission, des
affaires concernant les Echelles du Levant.»
(3) Arch. de laMar. B', 4^1, fol. 4)7-41 : Lettre de M. Mord à Seignelay, /j
octobre 1684.
(4) A Rouillé, 31 septembre JÔyç. Lettres et Inst., t. II, p. 706,
COLBERT ET L/V REFORME DES ABUS
M3
Marscilbis en 1650, et rétablie après la réforme de la niunicipaliié
en 1660, mais il ne comprit pas l'importaticc de cette institution et
les services qu'elle pouvait rendre, bien qu'elle ofirlt une analogie
frappante avec le Bureau de la compat^nie anglaise établie à Londres
ou la Chambre de direction d'Amsterdam. C'est que Colbert la
connaissait mal, il la confondait avec la communauté dont l'adminis-
tration lui était suspecte : « Je vous prie de me l'aire s;tvoir, écrivait-
il ^ Arnoul, quels sont ces députés du comnierce, en quel nombre
et Je quel corps ils sont tirés, quelles relations ils ont avec l'Iiôtel
de ville, comment ils sont élus, pour combien de temps ils le sont,
et quelle autorité et juridiction ils ont'. » Il était mal disposé pour
une population, dont la turbulence s'était manifestée tant de fois et
avait nécessité en 1660 le voyage de la cour A Marseille, mais surtout
les dettes immenses de la ville, « provenues d'un million de fripon-
neries de ses consuls et échevins, » comme il l'écrivait ;\ Rouillé,
l'irritaient vivement. Dans un mémoire qu'il rédigea en 16(19 il
accusait les députés du commerce d'exercer les mêmes voleries et
de tirer prortt des impositions établies pour l'acquittement des dettes
du Levant. « L'abus et la corruption, disait*il, ont passé successive-
ment d.ins tous les esprits qui se mêlent de ce commerce*. »
Colbert était de plus sans cesse mis en défiance contre les Marseil-
lais par ses agents en Provence, qui ne les aimaient guère. D'Oppède
n'avait pu oublier qu'en 1659 les Marseillais avaient donné un refuge
aux émeutiers qui avaient failli le massacrer i Aix; Arnoul surtout
s'irrita du mauvais accueil fait par les Echevins .1 ses plans d'agran-
dissement de la ville et de transformation du port. « J'ai assez répondu,
écriv.ut-il ;\ Colbert, aux plaintes que fait contre moi le député du
commerce. Si Messieurs de Marseille n'avaient comme moi devant
les yeux que la grandeur du roi, l'obéissance et le bien de leur ville,
nous serions tous d'accord; mais l'intérêt particulier, la défiance les
uns des autres se connaissant bien, les partagent tellementque je puis
dire n'avoir januis vu de si pauvres gens. Tout ce que vous soumet-
trez au résultat de leurs assemblées ne réussira jamais*. » Les lettres
(I) J novtiitbre i66i). Uttitstl Imt., /. III, i'« pan.
(a) Etat du coiwttfrcf tlii Ijcvaiil. — lettres tt liul., t. Fil, tupplhn. p. 3S6.
(5) 7 iJixi/ 1666. DiVflSG. Corrfsp admni., I, III, f. 40Q. — CS.UtIredeTh-Jqut
,1e Sliiisfillc-, }i ,Klobrr lôji. Corttifi. uJmin., t. l,p, Sio. — Auprirs du minisire,
Bcllinyjtii, l'un de;» principaux actionnaires de b Compagnie au Levant, avait
iin^rC-t i iiit^dirc de la Chambre.
I
144 '-E RELEVEMENT DU COMMERCE
d'ArnoLil revenaient sans cesse sur la mesquinerie et l'ctroitcssed'es'
prit des Marseillais, leur altachement entètéà leurs vieilles pratiques e
l'impossibilité de fliireavec eux ce grand commerce que Colbert rêvait
d'établir. Le ministre avait pleine conriance dans ces avisde l'intendant,
il mettait en marge d'une de ses lettres : « Tout ce raisonnement en
bien comme en mal est vrai. H ne faut pas espérer d'y remédier promp
tement : il faut le combattre doucement et persévérer, qu'ila fin on
en viendra ;\ bout'. » Colbert manifesta donc la plus grande défiance
;\ l'égard de la Chambre, tandis qu'elle eût pu être son plus puissant
auxiliaire dans l'teuvre qu'il avait entreprise. Ce n'est pas à elle qu'il
s'adresse pour avoir des renseignements et des avis, il demande à
Arnoul ou à d'Oppède de consulter les négociants les plus habiles;
pour la liquidation des dettes du commerce il charge les directeurs
de la Compagnie du Levant de s'informer'-, il ne croit pas aux chif-
fresde statistique que les déput-'-s du commerce fournissent à l'inien- .
dant et il se plaint à Rouillé qu'il se laisse trop influencer par cefl
qu'ils lui disent^ Quand Rouillé est remplacé, il recommande forte--™
ment au nouvel intendant Morant de se défier de ce que lui diront
les députés du commercee et de ne leur laisser aucune liberté d'agir :
« Je vous prie au surplus, lui dit-il, toutes les fois que vous parlerez
aux marchands de .Marseille de ces sortes d'afîiûrcs, d'être toujours
fort en garde contre leurs raisonnements, qui sont tous faux, et qui
vont plutôt à la destruction de leur commerce qu'à l'augmentation '. »
Les .Kcusations portées contre les Marseillais, n'étaient malheu-
reusement pas entièrement fausses. Les élections des échevins se
faisaient toujours par intrigue, l'esprit de faction n'avait pas disparu
de la ville et les magistrats restaient trop attachés ù leur intérêt
particulier. L'entente n'e-\isiait pas toujours entre les échevins et les
députés du commerce et leurs querelles ont laissé des traces mémo
sur les registres de leurs délibérations : il arriva en effet à diverses
reprises que les séances ne purent avoir lieu, h cause du refus de
députés de siéger. C'était avec raison qu'.Arnoul proposait h Colberi
(i) Ainoul à Coll'dl, 2} juin i6/>&. DeWS'G. Coinsfi. nJmiii., I. IIJ, p. ^oj.
(2) Letlii df rhvqite de Marseille à Colberi, 2j noi: jMtç. Depfisg, t, I, p. 8io.
(5) 2S dèambit i6jg. — i) janvii-r i6j} : « Comme les esprits des marchands^
de cette ville sont fort dOréglés, qu'il n'y a ni police, ni bonne foi p;irnii eux... »
(.1) ij ttvril t6Si. hilrei, t. Il, p. "jiù. — Plus tard Morel.le premier comrai^
de Seigncljy, dans uu inèinoirc qu il lui adressait, disait qu'il l'nllait Otreeng.irdc
contre les Trovcuvaux et contre les préventions de Murant qui les écoutait. Arch.
delà Mar., U^,4ifi,p 4J7-41.
I
I
COLBERT KT LA RÉFORME DES ABUS
»4$
de séparer nettement Ki Chambre du corps de la communauté : « il
y a deux intérêts à Marseille, écrivait-il, qu'il faut séparer l'un de
l'autre, l'échevinagcet le commerce et les traiter bien différemment,
discréditer le premier et accréditer l'autre. Tout cela serait trop long
à vous débiter. M, le premier, qui fait plus qu'il ne dit, s'en ira si
bien instruit, qu'il vous en fera connaître plus en une conférence,
que je ne vous en dirais en une main de papier.... Je ne souhaite
qu'une de vos visites pour guérir te malade'. » Colbert entra dans
les projets de l'intendant, cependant l'organisation de la Chambre
ne reçut aucune modification.
.Malgré les défiances qu'elle inspirait et les défliuts réels de son
organisation, la Chambre du commerce rendit cependant de grands
services, pendant l'administnition de Colbert, et c'est à elle qu'il
faut attribuer en partie l'honneur de ses réformes. Dès le début, les
députés du commerce, qui la dirigeaient, affirmèrent énergiquement
leur désir de porter remède aux abus, comme le montrent leurs
lettres adressées aux consuls des échelles: « d'hors en avant, leurs
disaient-ils, en leur demandant de les informer régulièrement des
affaires, nous voulons prendre connaissance entière de ce qui advien-
dra' ». C'est au.\ plaintes depuis longtemps réitérées des députés du
commerce que fut duc la réforme des consulats et de l'administration
des échelles, ils fournirent de nombreux mémoires au sujet de
Taffranchissemcnt du port; en partant pour îe Levant, M. de la
Haye le fils, chargé de renouveler les capitulations, leur demanda
des mémoires sur les contraventions des Turcs aux anciens traités
et sur les réclamations qu'il aurait h faire ^; enfin, malgré lavis de la
compagnie du Levant, ils firent décider la continuation des négo-
ciations avec les Turcs en 1669. Quelles que fussent les récri-
minations d'Arnoul dans ses lettres ;\ Colbert, au sujet de l'étroitesse
d'esprit des Marseillais et de l'impossibilité de rien accompHr
en consultant leurs assemblées, le recueil des délibérations de la
Chambre montre que d'Oppcde ne faisait rien sans la consul-
ter et qu'il se guidait généralement d'après ses avis. L'influence de
(1) a/ août 166S. - iS itplemhre : « Je cherclicraî dans ma tête les moyens de
faire deux corps séparés et qui néanmoins n'en fassent qu'un... » — Deppinc.
\. l, p. 788-89.
12) 6 juin 16 io. BB, 26, V. série d'autres lettres, mai-juin 1650, 14 mars
1651, etc.
(Jl BB, i. 7 iWlûbre i66f. — Mémoires four raffranchisietneni dupcri. BB,2.
10
146
LE RELEVEMENT DU COMMERCE
la Chambre s'accrur à mesure que les relations s'améliorèrent entre
elle et les représentants du roi. Des deux côtés les vieilles querelles
turent oubliées ; les Marseillais, qui avaient d'abord accueilli tort
mal certaines innovations de Colbert, parce que pendant longtemps
l'intervention de la cour ne s'était manifestée que par des nouvelles
impositions, ou des atteintes à leurs privilèges, apprirent h apprécier
les bienl'aits de ses rctbnnes. D'un autre côté, la Chambre obiiniplus
d'autorité à la cour par l'heureuse amélioration qui se fit dans le
choix des échevins et des députés du commerce. Grâce à l'esprit
d'ordre qui pénétrait partout, sous l'éneryique impulsion du mi-
nistre, les Intrigues furent contenues et les élections appelèrent les
plus dignes à diriger le commerce. Enfin les éciiccs successifs de la
Compagnie du Levant montrèrent que l'organisation des Marseillais
avait du bon et donnèrent plus d'importance à la Chambre,
Le commerce avait donc à sa tète une forte direction et un mi-
nistre qui lui communiquait son ardeur de tout réf»)nTH.T ; on en
sentit bientôt les effets. Un mémoire, que Colbert dressa lui-même
en 1669, et dont la minute autographe nous es: par\'enue, renferme
tout un programme méthodique de réformes'. « L'abandonnemeni
entier du conseil du roi, dis.iit-il, était la première cause des
désordres, laquelle ayant produit l'abus es personnes des ambassa-
deurs, la corruption a passé à tous ceux qui y ont eu part... Pour y
remédier, il faut prendre le même chemin que la corruption a tait...
Ih'aut donner ordre à l'ambassadeur de deux choses essentielles et
principales: l'une, de ne prendre intérêt en aucun commerce de
quelque nature que ce soit et l'autre, de donner une application tout
entière et d'employer toutes instances au nom du roi pour la pro-
tection des marchands*. » Il s'agissait alors, au moment du rappel
de M. de la Haye le fils, de décider s'il .serait remplacé par un
ambassadeur, ou par un simple agent du roi*. Colbert demanda A
.^rnoul de se renseigner auprès des députés du commerce: « Il sera
bon, lui écrit-il, que vous vous informiez de la conduite de l'ambas-
sadeur à Constantinople, de quelle sorte il traite les marchands,
quels droits lui sont dus, s'il se contente ou non de ce qui est légiti-
<I) Lettres tt Itislrttct., t. VIL supplm. p. 2S6.
(2) L.1 Chambre se plaignait encore le i^' juillet 1670 de l'oppression de
M de la Haye.— i" jiiil. i6jo. HH, 26.
(3) Voir 1 ce sujet le chapitre iv.
COLBERT ET LA RàpORME DES ABUS
H7
memcnt dû, et enfin si toutes les plaintes que les marchands font
contre lui ont quelque apparence de vérité ou non. Envoyez-moi
promptement le détail de ce que vous apprendrez'. »
Les députés du commerce ne firent que confirmer leurs anciennes
plaintes*, ci furent d'avis qu'il vaudrait mieux n'entretenir qu'un
simple résident ; cependant l'ambassade fut maintenue, mais M. de
»Nointcl reçut à son départ des instructions sévères et dut s'entendre
avec les députés du commerce, lors de son passage :\ Marseille.
Peu de temps après son arrivée à son poste, le roi lui écrivait encore:
« Je vous fais cette lettre pour vous dire que mon intention est que
vous ne fassiez à l'avenir aucune ordonnance pour des levées de
deniers sur les négociants, pour quelque prétexte que ce puisse être,
que vous n'en aviez auparavant communiqué le sujet aux marchands,
capitaines et écrivains de navires qui seront sur les lieux, et qu'ils
n'aient opiné et donné leurs suffnigessur 1.» matière*. » Pour enlever
tout prétexte à l'ambassadeur, une ordonnance de d'Oppcde décida,
^ en 1669, que les 16,000. livres de sa pension lui seraient payés
^annuellement, de préférence ;\ toute autre dépense*; M. de Nointel
fut en effet payé régulièrement tous les six mois et même d'avance*.
^ Cependant M. de Nointel, qui aimait le faste et l'apparat, trouva
V encore des prétextes de taire des levées extraordinaires d'argent, tant
pour le renouvellemeiu des Capitulations, que pour son voyage de
Terre-Sainte, et la Chambre se plaignit h diverses reprises de ses
dépenses exagérées*. Les violences qu'il exerça en 1677 contre la
nation de Smyrne pour se faire donner 18.000 piastres' firent reve-
Boitr k Chambre i la pensée de demander « qu'on ne tint à Constan-
tinople qu'un résident, parce que l'expérience du passé avait fait voir
cjue le commerce était mieux protégé que par les ambassadeurs, qui
&e jetaient dans des dépenses extraordinaires, qu'ils faisaient par après
1{t) 2 Hoii. i66ç, li Arnou]. Ltllrei, I. III, i": pttilif.
(2) Cahiers adressés au roi, arlkh 13. BB, 3. — T. Statcts du j jairv., 7 /</v.
667. B8, 2.
(}) to mars, 1670. Dupping, t. III, p. 555.
(4) 6 juilUt j66i/. RB, 2.
(5) BB, s. Dilihiraticns.
(6) 27 mars i6j4, iS mars sO/S, 1" octobre z6y6, ti fivritr H>Ti. AA, 183.
^ttra des drptitf's de la iialioti de Hmyrne, — Voir Lellrts de la Chambre à Colhrl,
• août /67J, } avril Jf</j. BB, 37.
(7) Il avait obtenu des commandements du G. S. où il était dit qu'en cas de
■«fus, le consul, six marchands et six capitaines de vaisseaux, seraient menés liés
et garrottés à Constantinople. — Lettres. AA, sSj . — Cf 22 ntai lù-fj . BB, 2-j.
148 LE RELÈVEMENT DU COMMERCE
souffrir aux négociants » et elle adressa des mémoires en ce sens à
son agent à la cour'. Mais ce n'étaient plus li que les derniers échos
de la longue querelle entre le commerce et les ambassadeurs et
l'envoi en Levant de l'intègre M. de Guilleragues (1679) allait défi-
nitivement donner à leurs rapports avec la Chambre et les marchands
le caractère qu'ils auraient dû toujours avoir.
Colbert rencontra beaucoup plus de difficultés dans la réforme des
consulats et de l'administration des échelles, à laquelle il travailla
pendant tout son ministère et qu'il laissa bien incomplète à sa mort.
Il avait chargé d'Oppèdc de l'étudier avec la Chambre et celui-ci lui
envoyait les mémoires qu'il avait demandés à ce sujet, le 27 mars
1664*. Quelques mois après Colbert, faisait rendre l'arrêt du Conseil
du 12 décembre 1664, dont le préambule résumait nettement tous les
abus auxquels avaient donné lieu les consulats. « A quoi étant néces-
saire de pourvoir, disait l'arrêt, S. M., étant en son Conseil de com-
merce, a ordonné et ordonne que dans les six mois, ;\ partir de la
publication du présent arrêt en la ville de Marseille, tous les pro-
priétaires des consulats des échelles du Levant remettront leurs
titres entre les mains du sieur Colbert pour en être fait rapport à Sa
Majesté, enjoint S. M. à tous les propriétaires desdites charges de se
rendre dans le temps de trois mois au lieu de leur résidence pour
les exercer en personne, et de donner caution solvable, foute de quoi,
ledit temps passé, leurs charges seront déclarées vacantes et inii>é-
trables, sans que cette clause puisse être censée comminatoire, fors et
excepté ceux à qui S. M. a permis par leurs lettres de provision de
faire exercer par des commis, desquels en ce cas ils seront respon-
sables, après les avoir présentés à S. M. pour être agréés et autorisés
par commission expresse, sans laquelle il défend à qui que ce soit
de s'immiscer aux fonctions de consul, A peine de faux et de répé-
tition sur eux des droits qu'ils auront reçus en cette qualité. » Cette
exception en fovcur de certains consuls, et c'étaient les plus nom-
breux, enlevait toute sa force ;\ l'obligation de résider et à la défense
d'établir des fermiers des consulats. D'ailleurs comment la foire e.\é- -
cuter, puisque dans plusieurs échelles, comme à Seïde et ;\ Alep, Ic:_
consulat appartenait à plusieurs propriétaires. Il ne subsistait guèr^
(1) llll, }. y mai lOy; , i<) iwi'il i(>yy, IMih'iaiioiis. — Voir ce mémoire int«3-.
rcssam, du 2) août 1677 : lilK 26.
(2) liH, 26.
COLBERT ET l.A REFORME DES ABUS
149
de l'arrêt que l'obligiuioii de fnirc agréer au roi les commis fermiers
et l'affirmation renouvelée de la responsabilité des propriétaires.
Colbert .sentit rinsullisance de ct- premier arrêt, qui n'eut d'autre
résultat que de susciter les remontrances des propriétaires des consu-
lats ct fil rendre celui du 7 juillet 1665 qui révoquait ta faculté
jccurdée aux propriétaires desdits consulats " de faire exercer Icsdits
ortices par des commis et personnes subdéléguées. » Les propriétaires
devaient se rendre « dans trois mois, pour toutes préfictions et délais,
du jour Je la signification du présent arrêt, aux lieux de leur résidence
pour exercer lesdits consulats en personne et ce, sous peine de priva-
tion Jesdits consulats et olïices'. >t
Ce nouvel arrêt ne fut pas mieux exécuté que le premier ; on
voit par la correspondance consulaire que le personnel des consulats
resta le même et que les consuls fermiers furent maintenus dans
leurs charges. Des députés des intéressés aux divers consulats étaient
X'cnus .\ la Cour •< pour supplier le roi de trouver bon de ne pas les
obliger à la résidence et que, répondant des actions de ceux qu'ils
commettraient A leur place on se pourrait attaquer à leurs biens
«t à leurs personnes propres » ; ils avaient sans doute obtenu
satisfaction*. Arnoul écrivait encore à Colbert le 25 juin 166S :
■« tant que les consulats seront tenus par des fermiers, par des
banqueroutiers et par des gens qui feront négoce, il n'en faut rien
attendre ; ils pensent à leurs affaires, ils craignent et n'osent parler,
«ri comme il faut toujours agir contre les douaniers, ils n'osent étant
Tiurchands. Je voudrais que le roi les fil appointer par le commerce,
<hoisir d'honnêtes gens autant que l'on pourrait, acquitter une fois
les échelles et connaître les dettes qui ne sont pas tout ce que l'on
pense, en faisant justice"'. « C'était la vraie solution qu'il indiquait
d Colbert : il t'ai lait renoncer au système des consuls propriétaires,
mais Colbert ne crut pas pouvoir l'adopter, car il se contentait de
mettre en marge de cette lettre: « Il tant envoyer un mémoire de
tous ceux qui possèdent ces consulats et m'écrire leurs bonnes et
mauvaises qualités '. »
{ I ) Arrêts du t2 liéamhrt 1664 et 7 juillet ib6}. A A, ij2.
(2) Leilrededtld Haye li Colhirl.kriU' de Marseille, 9 octobre. i6(>j : De hi Haye
voit A M-irifilk- le frère Jl- M. de Bermond, consul d'Hgyptc, il lui parle d'obliger
son l'rère a ne prendre (;|ue 2 0/0 pour ses droits de consulat, mais il nVst pas
qucsîion que Bermond quitte le consulat. Dkpping, t. ill, p. 375.
131 3S et 2<> août i()6S. DiiPnNo.t. Ill, p. 404-^05.
14) V. Deiting, I. I, p. 789, la réponse d'.\rnoul, iS septembre 166S.
150
LE RELÈVEMEST DU COMMERCE
I
Cette correspondance montre bien le souci continuel de Colberi
d'améliorer les consulats ; dans son programme de réformes qu'il
rédige;! en 1669, il se proposait encore d'obliger les consuls à aller
exercer en personne et il fit publier ;\ cet égard, mais sans plus de
succès, l'arrêt du conseil de commerce du 29 mars 1669*. La fl
question fut de nouveau remise sur le tapis en 1673 : Colbert
envoya un ample mémoire sur les consulats à l'intendant Rouillé
en lui demandant d'y répondre ; sur la recommandation de l'inten-
dant, le chevalier d'Arvieux fut chargé d'y travailler avec lui ; mais
ce n'est qu'en 1675 qu'intervint un nouvel arrêt, rendu au Conseil
sur le rapport de Colbert : après avoir rappelé que, malgré ceux de
1664 et 1665, les propriétaires avaient continué d'envoyer des
commis dans les échelles, ce règlement « cassait et annulait les
commissions données par les prétendus propriétaires des consulats ^
de Smirne, Napoly de Ronunie, Alep, Cliipre, Satalie, Seïde et fl
leurs dépendances, faisait très-expresses inhibitions et défenses aux-
dits consuls ou subdélégués de s'immiscer ù l'avenir en l'exercice et
fonctions desdiles charges. ;\ peine de lo.noo livres d'amende
enjoignait S. M. au marquis de Nointel de tenir la main i l'exécu-
tion du présent arrêt, se réservant S. M. de pourvoir auxdits consulats
de personnes capables*. » Les ordres du roi furent mieux exécutés,
puisqu'à Smyrne le consul Louis Chambon, homme de mérite.
ancien échevin de Marseille, fermier du propriétaire Dupuy, quitta
l'échelle en 1675 ; le consulat fut exercé par le propriétaire de
1676 à 1683, puis par son neveu du Roure avec le consentement de
l'ambassadeur et l'approbation royale*. A Alep l'un des propriétaires,
Dupont, exerçait le consulat sans donner lieu à des plaintes depuis
1671, et il y demeura. Mais, dans les aiitres échelles, les consuls
fermiers restèrent en charge et la nation de Seïde se plaignait encore
en 1680 que M. de Soissons, l'un des propriétaires, avait obtenu de
la Cour par surprise des lettres patentes pour honorer du consulat te ^
chancelier de réchelle, ce qui ne s'était jamais vu *. L'ordonnance de ^
Li marine de 1681 se borna à déclarer qu'aucun " ne pourrait se dire
I
(i> Ce programme se trouve : Letlra tî Intl.. l. Vil, ntpplêm ,p. aS6. — L'arrêt
est cite par Isambert, p. 205.
(I) Àntl du ijaoùl 167s. AA, iji. — V. d'ARViEOX, t. V, p. 319 ; les réponse»
qu'il fit au Miimoirc cnvoyc par Colbert à l'intendant Rouillé.
(j) Lf lires df du Roure, 12 juin, 6 sepUnibre 16S4. AA, jSj.
(4) Lettre de la nation, 4 mai 1680. AA, jj6.
COLBERT ET LA REIORME DKS ABUS
isr
consul de la nation française dans les pays étrangers sans avoir
commission du roi qui ne serait accordée qu'à ceux qui auraient l'âge
de ?o ans'. »
Ainsi, malgré tous ses efforts, Colburt n'avait pu mettre fin au
système ruineux des consuls fermiers ; tout au plus avait-il pu
obtenir que le choix de ces fermiers fut meilleur- et que la respon-
sahililé des propriétaires fût plus effective. Cependant, à la lin de
l'administration de Colbert, se produisit un événement qui devait
amener indirectement la réforme définitive des consulats. Les
propriétaires de ceux du Caire et d'Alcp étant morts, la possession
de ces deux charges fut considérée comme une dépendance du
secrétariat d'état de la marine et Colbert put disposer ;'\ son gré de
ces deux consulats importants^. Un peu après sa mort, Seignclay
étendait .\ tous les consulats cette prétention et décl.irait que la
propriété et jouissance de toutes ces charges étaient attachées à
Celle de secrétaire d'état*. Colbert donna i son fils un exemple
malheureux en affermant ku-mème ces deux consulats ; sans doute
il se contenta d'une redevance de 9.500 livres, tandis que le seul
consulat du Caire rapportait ri. 000 livres à l'ancien propriétaire,
mais il consacrait ainsi le système du fermage qu'il avait condamné
si souvent. Ce qui rendit son erreur plus grave ce fut de donner
cette ferme à la Compagnie du Levant, objet de toutes ses faveurs.
Comment les commis de la Compagnie pourraient-ils accorder une
sérieuse protection aux résidents des échelles qui lui titsaieut
concurrence ? Colbert qui avait défendu .wcc raison aux consuls de
pratiquer le négoce ne consacrait-i! pas lui-même cet abus contre
lequel il avait sans cesse lutté } Il n'était pas mieux inspiré quand il
-accordait la commission de consul de Candie à l'aparel directeur de
la Compagnie du Levant qui lui offrait de fournir chaque année
-200 ou 300 Turcs pour les galères, à 450 livres chacun '.
(!) Titre ix, art. i.
(î) La Chambre inttrvenaii parfois pour recommaudcr un candidat. Jjrtire à
Colh'l, r" avril tf>jt> ; à BMn-ani, 26 mai t6S3. Bli, 36.
( 5 1 Atch. Je la Marine, fl', 4Stf, fol. j}8-6a. Mémoire sur lu Coiripa^nie du Lrvant.
141 Aich. de la Marine. B' , 40r, fol. .fjj-^i. iMUe de M. Mord à Seignelay,
rfoclobre i^S.f, en m.irgc de l.nqueflc on a mis : Nouvelles preuves de la propriété
et jouissances des consulats attaches .i la charge de secrétaire d'état de la marine.
V. p. 79 pour l'origine de cette théorie.
(3) Cette question des consulats est très obscure, ce qui e.xpliquc toutes
lo erreurs commises â ce sujet par les historiens (V. par exempte JuUiany,
Marchand). Ce qui augmente la confusion c'est que tous les consulats delà
IS2
LE RELEVEMENT DU COMMERCE
Faute d'avoir remédié aux abus dans leur principe, toutes les
tentatives de Coibert pour la réorganisation des échelles furent en
partie frappées d'impuissance. Dé jil l'arrêt du Conseil du 12 décem-
bre i664avait pour but de mettre fin à deux des plus graves désordres:
« S. M., y était-il dit, veut et entend que désormais les consuls
donnent toute leur application au rétablissement du commerce et
au soulagement des marchands, leur fait expresse inhibition et
défense, tant à eux qu'à leurs commis, de se mêler d'aucun trafic
pour eux ni pour autrui, ni de recevoir aucune commission des
marchands..., leur lait semblable inhibition et défense d'emprunter
à l'avenir aucune somme et denier des Turcs, Mores et Juifs ou
Chrétiens sous le nom prétendu de la nation, pour quelque occasion
que ce puisse être, i peine de payer de leur propre... leur défend
en outre de charger les marchandises d'autres droits que de ceux qui
ont été ou seront ci-après ordonnés par arrêts ou lettres patentes...
et ce sous peine de concussion. » L'ambassadeur de la Haye partait
l'année suivante avec mission de veiller à l'exécution de ces dispo-
sitions. En ié66, sur l'ordre du président d'Oppède, la Chambre
dressait un règlement pour l'administration des échelles '. Comme
il était mal observé, Coibert adressa le i6 février 1670 aux consuls
de France dans le Levant un arrêt du Conseil destiné à mettre un
terme aux désordres et aux irrégularités dans la tenue des assemblées
de la nation, qui permettaient aux consuls d'exercer leurs vexations*.
La grande ordonnance de la marine de 16S1 résuma tous les
arrêts précédents et établit pour la première fois d'une manière
nette les rapports des consuls et de la nation et les règles de l'admi-
nistration des échelles. Elle réglementait la tenue des assemblées
(ari. ^, 5, 6, S)*, défendait de nouveau aux consuls de faire des
MèdiieiTanee n'étaient pas soumis au mime lésiiiic : A Alger et ix Tunis il n'y
eut pas de consuls fermiers. — A Candie, échelle nouvellement créée par Colbcn,
le secrétaire d'Etat disposait entièrement du consulat. Par contre, l'altusdu fermai
s'était étendu a divers consulats d'Italie, comme ccu.x. de Gènes et Livourne, V
;j ocJobrt thyt, Icllrt d( Colbdt. Ltttrti , I. //.— Gilbert ne lit rien pour le
recrutement des vice-consuls des petites échelles qui était L-ncorc plus délrctucun.
.\insi à .Alexandrie, Beyrouth, Tripoli, .Mexandrctte, Sat.ilic, Chypre, Chio il d'v
avait que des vice-consuls nommés par le cotisut de l'échelle principale dont elle»
3épettdaicnt. — Ces vice-consuls n'étaient donc que des conmiis des cnniulj
fermiers.
(I) K. Lttlrf ./« 17 m'riJ 1666. BB, 26.
(al Ltltrts il Inst., t. IL 10 fh'i'ut. i6ja. — DeppiNti. t [II. p. 508.
(5) Les consuls devaient y appeler tous les marchands, capitiincs et patrons
français étant sur les lieux, lesquels seraient obligés d\v assister à peine d'amende-
COLBERT ET LA REFORME DES ABUS
ISÎ
I
emprunts au nom de la nation, snns une délibération de rassemblée
e la nation qui en contiendrait les causes et la nécessité (an. lo).
Sous peine de concussion ils ne devaient pas lever de plus grands
droits que ceux qui leur seraient attribués (art. ii). En cas de
contestation entre les consuls et les négociants les parties devaient se
pourvoir au siège de l'aniirautc de Marseille (uri. /yj. Les pouvoirs
judiciaires du consul étaient réglés : leurs jugements devaient être
exécutés par provision en matière civile et définitivement en matière
criminelle, quand ils n'entraînaient pas une peine atflictive, le tout
pourvu qu'ils fussent donnes avec les députés et quatre notables de la
nation (art. i j). Si le cas comportait une peine afflictive, ils devaient
instruire le procès et embarquer l'accusé sur le premier vaisseau
qui ferait son retour dans le royaume, pour être jugé par les officiers
de l'amirauté du premier port où le vaisseau ferait sa décharge
(ait. i.f). Les consuls pourraient aussi, après information et par
Vavis des députés de la nation, faire sortir des échelles les Français
de vie et conduite scandaleuse, les capitaines devaient les embarquer
sur les ordres des consuls à peine de joo livres d'amende (art. i f).
Les appels des jugements consulaires ressortiraient au Parlement
d'Aix (art. iS). Les consuls devaient tenir bon et fidèle mémoire
des affaires importantes de leur consulat et Fenvoyer au secrétaire
Etat de la marine far/. 9J. D'autres articles réglaient les devoirs
des députés, élus chaque année pour administrer les deniers appar-
enant à la nation (art. 2, 7, 26), et ceux des chanceliers nommés
ar le consul (art, t6, ij, 20, 2J, 2-/). L'ordonnance de 1681 ne
:ontenait pas encore assez de développements sur les consulats du
e\*ant qui se trouvaient dans des conditions toute particulières,
'est ce qui nécessita la publication du Règlement du 25 décembre
685 qui s'appliquait spécialement aux échelles et reprit, en les
omplétant, les dispositions de l'ordonnance'.
IrbilMirc (m t. .f). — l,c< artisjiis établis dans Ici cchcllcs et les malciots ne
levaient pjw y *ire adims (art. f). — Les rcsoluUous Je la nation devaient être
ignéo de toui ceux qui y auraient assisté et exécutées sur le mandement du
>rtsul (iir:. 6). — Le iransul devait envoyer de 5 mois en } mois au lieutenant
le ramir.iuté Je Marseille copie des délibérations prises dans les assemblées et
les comptes rendus par les députés de la nation, pour être communiqués aux
' Jievins et jux députés du commerce et par eux débattus si besoin était (wl. S).
I — Titre ix.
(I) Il s'expliquait en détait sur la réforme des abus et contenait un grand
nombre de détails nouveaux, notamment sur les avanies, le rôle des députés.
IS4
LV. RELfevEMENT DU COMMERCE
I
I
Les échelles avaient désormais leur Code, mais ce serait une erreur
de croire que la publication de ces ordonnances suffit pour faire
disparaître les abus ; les délibérations de la Chambre du commerce
et sa correspondance avec les consuls sont encore remplies de ses
plaintes pendant toute l'administration de Colbert. C'est souvent en fl
vain, qu'en conformité des règlements, la Chambre réclame l'envoi ^^
des comptes de l'administration financière des échelles; quant à t
l'envoi trimestriel des délibérations des assemblées, celte règle ne fl
fut jamais observée. L'établisscmciu d'une administration régulière '
paraissait une nouveauté si extraordinaire aux résidents des échelles
qu'ils accusaient la Chambre de tracasserie quand elle réclanuit
l'exécution des ordres du roi. « Nous sommes obligés de vous dire,
écrit-elle au consul et aux députés du Caire, que vous paraissez un
peu échautïés et sans raison, et au lieu de nous faire des reiuercî-
ments vous nous voudriez bl.îmer en disant que nous vous pressons
un peu trop Il faut vous dire que depuis quelques années on ^M
prend des routes bien différentes de celles qu'on pratiquait autrefois ^^
et, comme vous suivez les vieux exemples, vous croyez qu'on vous
veut violenter, lorsqu'on vous donne des avis salutaires, qui sont de ^M
faire telle ou telle chose pour se conformer ù la volonté du rainis- ^^
tre On veut prendre une connaissance générale du passé pour
charger et rendre responsables ceux qui pourront avoir manqué ; ^Ê
ce n'est pas à votre échelle qu'on s'en prend, mais à toutes, et peut- ^
être que les derniers ne seront pas mieux traités, et ne dites pas que
c'est à notre réquisition que l'on fait toutes ces ordonnances, mais
bien c'est d'ordre du ministre Plus nous allons et plus il nous
faut être sages Si nous avions montré votre lettre à M. l'inten-
dant vous en seriez déplaisants.... Si on tarde davantage d'envoyer
les comptes qu'on a ordonnés h toutes les échelles, il prétend de
fulminer et donner d'amendes et agir sur les biens de ceux qui y
sont obligés'. » Les consuls firent encore supporter à la nation bien ^i
des dépenses qui ne la concernaient pas, mais l'abu.s le plus grave ^M
qui persistait c'est qu'ils continuaient à se mêler de négoce, sinon ^^
ouvertement, du moins ;'i l'aide de prête noms en s'intéressant aux
des chanceliers, cic... Ces ordonnances royales ne lircm d'ailkurs que déterminer
les rî'gles géniîralcs de l'administration des (échelles ; les détails en furent réglée
par 1.1 Chambre du commerce qui fit à ce sujet de nombreux règlements parti-
culiers, — (V. par exemple BB, 3. 21 août 166 1.)
il) to mars i6Sj. BB, 36.
COLBERT ET LA REFORME DES ABUS
IS5
opérations de certains marchands'. Cependant les efforts de Colbert
n'avaient pas été inutiles et, bien qu'il laissât la réforme des échelles
incomplète, le progrès avait été énorme ; les consuls fermiers avaient
à compter avec la surveillance active delà Chambre du commerce,
soutenue par l'autorité du ministre, et les abus pour rester impunis
devaient ne pas devenir trop criants.
Colbert avait aussi réformé heureusement l'institution des drop-
mans par la création des « EnBns de langue*. » Les drogmans de
l'ambassadeur et des conNuls étaient auparavant des indigènes, géné-
ralement des Crées, sujets du Grand Seigneur. L'emploi de ces
interprètes donnait lieu à de graves inconvénients, car leur con-
naissance imparfaite du Français les exposait souvent à dénaturer les
paroles qu'ils devaient rapporter, ce qui fit avorter plus d'une négo-
ciation délicate. Ces sujets du Grand Seigneur, qui ne jouissaient
pas des immunités accordées aux Français, avaient ;\ redouter les
vengeances des pachas et des vizirs, si, dans les discussions violentes
où ceu\-ci étaient parfois engagés avec les ambassadeurs et les
consuls, ils traduisaient trop fidèlement des paroles désagréables;
plus d'un drogman se vit, séance tenante, insulté, frappé et empri-
sonné. Le seul avantage qu'ils présentaient était de coûter peu de
chose. Pour remédier 1 leur insuffisance, le roi ordonna, par arrêt du
conseil du 17 novembre 1669, « que dorénavant les droguemans et
interprètes des échelles du Levant, résidant à Constantinople,
Smvrne et autres lieux, ne pourraient s'immiscer A la fonction de
ieur emploi, s'ils n'étaient Français de nation et nommés par une
:issemblée de marchands, qui se fettiit en présence du consul de la
nation, es mains duquel ils prêteraient le serinent dont leur serait
expédié acte, en la chancellerie desdites échelles. " Mais !a difficulté
était de trouver des Français qui eussent une connaissance suffisante
lies langues orientales, c'est ce qui rendit nécessaire l'institution
<ics enfans de langue. Elle fut créée par arrêt du conseil de com-
merce du 18 novembre 1669, et celui du 31 octobre 1670 la réglait
définitivement ainsi : « Afin qu'A l'avenir on puisse être assuré
(1) HB, 2, ). Délit., pusiitii. — BB, 26. S lUc. tô/i, 2tj inars i6j2, 36 avril 16S1.
(2) Les historiens emploient généralement le terme de Jeunes de langue. Cepen-
dant je ne l'ai rencontre que deux fois dans des documents du xvii« siècle. — Il
fut plutôt employé au xvjii'- siècle. — Drogman vient de Terdjeman, interprète.
— De ij oit a fait truchement, torguman, drogoman. — Truchement est encore
tris «nployê au xvii« siècle, drogoman quelquefois.
■ita
15e LE RELÈVEMENT DU COMMERCE
de la fidélité desdits drogmans et interprètes, il sera envoyé aux
dites échelles de Constantinoplc et de Smyrnc, de 3 ans en 3 ans,
six garçons de l'âge de 9 à 10 ans, qui voudront y aller volontaire-
ment, lesquels seront remis dans les couvents des capucins desdits
lieux, pour y être élevés et instruits à la religion catholique, aposto-
lique et romaine et à la connaissance des langues, en sorte que l'on
s'en puisse servir avec le temps pour interprètes'. »
Cette innovation fut mal accueillie au début, à Marseille et dans
les échelles. Ij Chambre du commerce, chargée de toutes les
dépenses des voyages et de l'entretien des enfans de langue, crai-
gnait en outre que l'éducation reçue chez les capucins ne préparât
mal les futurs drogmans à la connaissance des affaires commerciales
et que la présence de ces jeunes garçons dans les échelles ne fût une
occasion d'avanies*. Aussi, pendant les premières années, c'est avec
une répugnance bien marquée qu'elle acquitta les lettres de change
tirées sur elle par les pères capucins, elle préféra même laisser M. de
Nointel prendre de l'argent sur les bâtiments de Smyrnc'. Dans les
échelles on reçut mal les premiers qui y furent envoyés pour servir
de drogmans, cir quels services sérieux pouvaient rendre des jeunes
gens âgés de moins de 15 ans, et comment en trois ans auraient-ils
appris chez les pères capucins, qui ne la connaiss;iient pas très-bien
eux-mêmes, une langue qui ne se « pouvait apprendre que dans
les écoles du pays ou dans la conversation et fréquentation des
Turcs ?» De plus la nation et les consuls rejetaient l'un sur l'autre
le surcroît de dépense que causait leur entretien. Devant cette mal-
veillance des marchands, l'institution parut sur le point d'être aban-
donnée en 1681*. Cependant elle fut maintenue et le commerce
apprit à en apprécier les bienfiiits. Les enHints de langue demeuraient
chez les capucins de Constantinople jusqu'à ce que leur instruction
parût suffisante ; s'ils ne montraient pas de dispositions, ils étaient
ramenés en France sur la demande des capucins, ou sur leur propre
demande. C'était l'ambassadeur qui examinait leur instruction et
(1) AJ, ijS.
(2) RB, 27. Mémoire envoyé li la Cour, S dkemhre i(yyi. — V. aussi art. 11 des
Cayers an roi du 1} août i6jo. BB, 2, fol. S^()-}<).
(3) Nointel à la Chambre, S' décembre i6ji, 10 octobre i(>j2, iS juin lôj.f : « au
passage des six derniers enfants de langue à Marseille on leur dit beaucoup d'in-
jures qui étaient à la vérité déguisées en railleries. » .4.4, 146.
(4) Guilleragues à la Chambre : « Il n'est plus question des enfants de langue, il
ny en a plus à Constantinople. » 2 mars 16S1. A.4, 14-].
COLBERT I-T LA REFORME DES ABUS I57
qui les distribuait dans les échelles, quand il le jugeait à propos iet
suivant les demandes qu'il en recevait. La Chambre payait pour
chaque enfant de langue 300 livres par an aux capucins, mais ceux-ci
se plaignaient de l'insuffisance de cette somme, « pour les nourrir et
vêtir, les blanchir, payer un maître turc et un valet pour les servir.»
De plus, quand ils étaient reçus drogmans, on leur donnait 40 écus
pour les vêtir et les meubler'. Les capucins entretenaient avec la
Chambre une correspondance suivie pour la tenir chaque année au
courant du nombre des enfants, qui variait de 8 à 12, de leur arrivée,
de leur départ dans les échelles, et des comptes de leurs dépenses*.
L'admi.ssion de leurs fils parmi les entans de langue fut bientôt
recherchée par les familles des résidents des échelles et, grâce à cet
empressement, on put e.xiger d'eux les garanties et les qualités
nécessaires pour exercer les délicates fonctions de drogmans.
Il ne fallait pas seulement prémunir les échelles contre les abus
des consuls et les dangers d'une mauvaise administration, c'était les
marchands eux-mêmes qu'il fallait guérir de leur indiscipline, de
leurs jalousies et de leurs mauvaises mœurs. Delà Haye, en partant
pour le Levant, représentait :\ la Chambre que, pour y remédier, il
fallait commencer à nettoyer les échelles de la « vermine » qui s'y
trouvait, « qu'il en avait des ordres très-particuliers de S. M. et que
dorénavant, si quelque marchand ou artisan voulait s'aller établir
dans le Levant, il n'y serait point reçu sans sa permission, laquelle il
n'accorderait i personne qu'.'i c»*ux qui lui apporteraient des attesta-
tions de Messieurs les échevins et députés du commerce de Marseille,
comme ils étaient gens de bonnes mœurs et qu'ils avaient des facultés
suffisantes pour être marchands dans les échelles'. » Colbcrt avait
en effet trouvé le vrai moyen de changer les mœ^urs des résidents
des échelles, c'était de n'y laisser aller que des gens connus par leur
bonne conduite et présentant des garanties pour faire de bons mar-
chands. Mais pour par\enir à un résultat il ne suffisait pas de la bonne
( I ) Voir pour tout cela une série de lettres de ranibass.idcur à la Chambre :
20 août i68j, 1$ novembre i^ij- — i" "oi'il 16(^0, ji octobre 161)8. .4.4, 148-1$!.
— Lettres des capucins: / janvier i6-j2. .4.4, ij}. — 12 mni 1694, 2/ septembre
1696. .4.4, 164.
(2) V. cette correspondance, A A, 164.
( j) lettre de M. delà Haye à Colhert. Marseille, «y octobre i(>6j. Dkpping, t. III,
p. 392. — Cf. iMtre du consul d'Alep, 22 février 1666. A.4, J64. — .4rrét du Par-
letnent du ii janvier 166}, au sujet des certificats nécessaires aux passagers pour
le Levant.
iS8
LE REI.EVT.MENT DU COMMERCE
nr
volonté du ministre, ni de celle de l'ambassadeur, il Êillait la torte
application et l'entente de la Chambre du commerce et des consuls
pour surveiller rembarquement à Marseille et le débarquement .luv^
échelles de tous les passagers.
Par suite de la négligence, ou de la tolérance des uns ou de
autres, il ne semble pas que la composition du corps de la nation, r
que la conduite des résidents français, se soit améliorée pendant cettc^
période*. Les lettres des consuls ou des ambassadeurs qui se plaignent
des artisans sans ressources, des vagabonds et des gens sans aveuj
qu'on laisse embarquer, montrent que les ordres de Colbert n'avaient
pas été exécutés'. Les consuls avaient le pouvoir de faire revenir et
Fraiice les résidents qui se signalaient par leur mauvaise conduite,*
mais ces exécutions les rendaient odieux i la nation et fournissaient'
un prétexte au\ cabales, au.ssi n'y recouraient-ils que quand ils y
étaient absolument forcés. Il était réservé aux successeurs de Colbert
de mener à bien cette l.tborlcuse réforme des échelles.
Il n'était pas moins dilllcilc de faire cesser les mauvaises pratiques
commerciales dont les marchands fran(;ais étaient coulumiers ei
d'établir parmi eux ces traditions d'honnêteté qui donnaient au com-j
merce anglais et hollandais son crédit et s.i solidité. C'était une des]
choses auxquelles Colbert attachait le plus d'importance, aussi y]
revient-il sans cesse dans sa correspondance. « Le commerce universel!
de la Méditecrranée, écrivait-il à l'intendant Rouillé, peut être
attiré A Marseille si vous y pouvez rétablir le bon ordre et la bonne
foi... Vous devez vous appliquer à bien pénétrer les mauvaises voies!
dont les marchands de Marseille se servent pour faire le commerce,!
ce qui les a mis dans toute l'Europe dans une réputation de mauvaise]
foi qui ne se peut exprimer*. » Colbert combattit surtout le com-
merce des monnaies altérées, qui procurait des bénéfices immodérésJ
mais jetait ensuite le discrédit sur la nation française et l'exposait aiiXi
avanies, Il chargea en 1665 M. de la Haye de s'entendre avec la
Chambre du Commerce pour faire cesser le fameux trafic des pièces]
de cinq sols, et, sur tes instances de celle-ci, il fit rendre l'arrêt Ji
2 décembre 1666 qui interdisait de porter dans les échelles jnnnu -^
pièce de cinq sols, de quelque fabrication qu'elles fussent*. Plus tard
(i) 3 mari 16S1, 26 mai tàSi, Itllies Je Guitleragues. AA, 14J.
(2) Utlrcs tl Ittil., t. II, y. é/y.
(3) Delà Haye à Colberl, 9 octobre 166$, Depping, i, ]I1, p. i<)2. — I^lfia Jt
COLBERT ET LA Rf:FORMF. DES ABUS
1)9
à la suite tics plaintes de la Chambre, il écrivit à diverses reprises
aux intendants Rouille et Morant pour leur faire sur\eiller de près
l'exportation des monnaies fausses, seqiiins ou piastres altérées,
dans le Levant'. Ce l'ut en partie pour remédier à la t.ibrication et
au trafic des espèces altérées que Colbert su montra si rigoureux
pour empêcher l'exportation de l'argent dans le Levant'. Gr.'^ce à la
viyilancc de l'intendant, de la Chambre du ComnitTcc et des
consuls, l'exportation des pièces fausses n'offrit plus de dangers pour
notre commerce, mais elle ne cessa jamais entièrement^. Rien
n'était plus (Sicile en effet que de les transporter en cachette sur des
njvires; seuls les con.suls pouvaient les découvrir, mais trop tard,
«juand elles étaient exposées sur le marché de l'échelle ; ils faisaient
-ilors la visite des navires qui arrivaient, mais c'était généralement
sans résultat, car ks capitaines n'en apportaient que des quantités
peu considérables à la fois. Il y avait aussi à réprimer la fraude qui
oonsi-stait A tromper les Turcs sur la qualité des marchandises qu'on
lour vendait, c'est ce qu'essaya de faire Colbert par ses règlements
ïiur les nianuf-tctures*.
Ainsi 1 activité de Colbert avait été féconde; pendant tout son
i~ninistère il n'avait cessé de travailler .'i ré»;lementer le commerce du
lL_evaiu et les échelles; s'il n'avait pas réussi complètement et si
l-*' organisation des consulats restait toujours défectueuse, il faut lui
K~«ndre cette justice qu'aucun des abus et de-i désordres n'avait
«échappé i son attention. Vingt ans d'efforts soutenus n'avaient pas
»~^*ussi à déraciner complètement les habitudes d'un demi-siècle, mais
^^ lies étaient profondément atteintes et Colbert laissait ;\ ses succes-
«urs une t.khe facile .\ terminer.
^Z2hamt>re du 2S jiiillel, 24 aot'il, 8 sfpUmhre i66s; 2 fh'rifr, r.f d/ctmbre t666 :
^ Vous ne sauriez croire combien notre place a été satisfaite de l'arrêt que vous
> "mous avez envoyé sur les affaires de l'envoi des pièces de cinq sols de France. » —
— Wrrt'/ du 2 dt'ccmhrf 1666. II, 2}.
(I) Lettres à Colbert du f avril i6yo. HR, 26; njtimi i6j2. Hli, 27; ; nmembre
12) V. Lettres, t 11, p. Ji6. iMIre à Moranl, i(> octobre i6St.
1 ;i Voir Lttties deSeigiitlay, u juin tôSj. Dkpping, t. III, p. 65 1 et 1 30, noie 4.
14 mars i6Sj, 12 sepleinhre idSS. BD, S2, — Ijtttic dt la Chambre à l'aml-assadeiir,
ro fuiu i6po. Bli, 2S.
(41 On pourr.iit rappeler ici l.i Déclaration sur le fait et négoce des lettres de
<;liange du 9 janvier t66| complétée par celle du 10 mai 1686, l'édit du 3 octobre
1664 portant que les luvires sont meubles, et surtout l.i grande ordonnance de
167 j, qui prévinrent beaucoup d'abus, de contestations et de procès.
CHAPITRE II
LF. SYSTÏ^ME COMMERCIAL DR COLBERT
I. — L'affranchissement du port de Marseille .
Colbert ne se borna pas à combattre les abus qui ruinaient le
commerce du Levant, il pensait que sa misère provenait d'autres
causes, et qu'il follait, pour le relever, en changer les conditions et
les procédés. Témoin attristé et jaloux de la grandeur du commerce
des Anglais et des Hollandais et du développement rapide du port
de Livourne, il crut avoir surpris le secret de cette prospérité et
voulut vaincre nos rivaux avec leurs propres armes, en donnant
au commerce français l'organisation qu'ils avaient créée pour le leur.
De là l'idée de l'aflFranchissement du port de Marseille, qui le
mettrait sur le même pied que celui de Livourne et en ferait de
nouveau l'entrepôt du commerce des étrangers dans la Méditerranée ;
de li\ la formation de la compagnie du Levant, car une grande
compagnie seule pouvait rivaliser, pensait-il, avec celles des Anglais
/ et des Hollandais ; de là les efforts pour imiter dans nos manufactures
les draperies de nos concurrents, afin d'établir dans le Levant
l'exportation lucrative des marchandises, au lieu du trafic ruineux de
l'argent.
L'antique franchise du port de Marseille n'était plus qu'un nom;
aucun acte royal ne l'avait abolie, mais un grand nombre de taxes
avaient été établies sur les vai.sseaux étrangers au royaume, ou simple-
ment à la ville, qui abordaient dans le port; quelques-unes pesaient
sur les Marseillais eux-mêmes. La situation continuait à s'aggraver
en 1661 . Les commis de la foraine, qui jusque là n'avaient levé des
droits que sur les marchandises du crû du royaume chargées dans le
port de Marseille, s'enhardirent et les réclamèrent sur les marchan-
dises du Levant transportées de Marseille en Espagne ou à l'étranger.
L AFFRANCHISSEMENT DU PORT DE MARSEILLE
l6l
« Si dans cette ville, écrivait la Chambre à son député en cour,
nous n'avons l'entrepôt des marchandises étrangères, nous ferons
fuir le peu de commerce qui nous reste et cliacun fera son entrepôt
à Livourne Il en faut parler à M. Colbert et lui suj^gérer l'im-
portance de cette affaire.... Pour éviter ces vexations incroyables,
nos négociants sont obligés d'aller faire leurs achats il Gènes et i
Livourne, pour les transporter de là i dloiture en Espagne '. » En
même temps, le commerce était menacé de raugmeniation des
autres droits établis à Marseille sur les marchandises du Levant et Li
Chambre en flùsait ses plaintes .i Colbert, •< Monseigneur, lui disait-
elle, étant persuadés de la pureté de vos intentions sur le rétablisse-
ment du commerce, nous prenons la liberté de vous dire que d'accroî-
tre d'un tiers les droits qui sont établis dans Marseille, ce n'est pas
un moyen pour parvenir au rétablissement, car le droit du parisis et
des 12 et 6 deniers pour livre que Ton veut y introduire sur les dro-
gueries et épiceries, sur le poids et b table de la mer, est une
nouveauté si contraire .\ ce rétablissement que, si le roi n'a la
bonté de le supprimer, il est constant que le peu de commerce qui
nous reste passera du tout à Livourne, où le grand duc l'attire de
tous côtés par l'exemption de toutes sortes de droits *. »
L'intendant Arnoul conseillait de son côté à Colbert d'attirer à
Marseille des habitants d'autres provinces du royaume, par des
exemptions de taxes ; dans sa pensée les .Marseillais étaient impuis-
sants à faire un grand commerce et les étrangers viendraient leur
s<rrvir de guides; ce qui les écartait, « c'était ce privilège de bour-
feoisie qui rendait les autres sujets du roi étrangers à Marseille et
"«qu'ils ne pouvaient acquérir qu'en épousant une fille de la ville. »
•• Il y a dé'yX beaucoup d'étrangers négociants qui demandent des
Jalaces ù acheter, écrivait Arnoul désireux de peupler les nouveaux
cjuartiers qu'il avait tracés, il y en aurait bien plus sans ce privilège
cJe bourgeoisie*. « Colbert était tout gagné .\ ces idées d'exemptions
«r-t de franchises à accorder au commerce, comme il l'avait montré
^n 1^64 par la simplification des douanes intérieures. Il tenait sur-
tout à attirer les étrangers dans nos ports : en 1662, il avait accordé
la franchise au port de Dunkerque; l'ordonnance de septembre 1664
it) 8 mai i66f. BB, 26. — t^l 22 mars 1664. Depping, t, 1. p. 659.
(î) Lts iclm/iiis à Colberl, 2j janv. j66f. Depping, t 111, p. 518.
lî) i$f j S janv. i66j. Depping, t. I, p. 772 et suiv.
l62 LE RELÈVEMENT DU COMMERCE
avait accordé aux étrangers, dans les ports du Ponant, le droit d'en-
trepôt, sans payer de droits ; un arrêt du conseil exempta spéciale-
ment le commerce de Marseille de l'application du tarif prohibitif de
1667'.
C'est cette année là* que prit corps le projet d'affranchissement
du port de Marseille. Depuis plusieurs années les Toulonnais solli-
citaient à la Cour afin d'obtenir pour eux un entrepôt analogue ;\
ceux que l'ordonnance de 1664 avait accordés aux ports de l'Océan.
« Votre Majesté, disaient les consuls de Toulon dans une requête
envoyée au roi, par son édit du mois de septembre 1664, a ordonné
des entrepôts dans ses villes maritimes pour y attirer les étrangers
Si V. M. ouvre un port en Provence pour servir d'entrepôt, il
est évident que tous les marchands étrangers et les originaires de
son royaume reprendront leur ancienne route.... Mais surtout le
port de Toulon doit être considéré comme un asile assuré contre les
injures de la terre et de la mer, y ayant plus de sûreté que dans
aucun autre du monde, ce qui même a obligé de le choisir pour y
faire les armements des vaisseaux de V. M. Et c'est une autre cir-
constance pour laquelle il doit encore être préféré à celui de Mar-
seille et ;\ tous autres, parce que les armements des vaisseaux se
font bien mieux dans un lieu de commerce où toutes choses se
trouvent en abondance, que dans ceux qui en sont privés. En effet,
les exemples de Venise, Lisbonne, Cadis, Londres, Amsterdam,
Stocolm, Constantinople, sont des preuves de cette vérité'. » Les
Toulonnais avaient vu en effet leur ville prendre au xvn' siècle une
importance toute nouvelle, ils espéraient ravir à Marseille le com-
merce du Levant, comme ils lui avaient enlevé la station des galères,
mais la transformation de leur ville en un port de guerre était loin
d'être favorable, comme ils le pensaient, à un pareil projet, et d'ail-
leurs si l'on devait faire un port franc en Provence, il ne pouvait
être ailleurs qu'à Marseille.
Au mois d'îivrll 1667, « les puissances, Messeigneurs le gouvcr-
(i) Confirmé par .irrct du 6 févr. 1669. — Inventaire de Gourmes. Archiv.
Communales.
(2) Les Marseillais avertirent la Cour que le duc de Savoie venait d'établir un
port franc à Niceet Villefranchc : « Quelques marchands anglais, génois, milanais
et autres s'y sont retirés, présupposant d'attirer audit port au moyen de ladite
franchise tout le commerce de la Méditerranée. Je vous laisse à penser en quel
état nous sommes réduits. » 2 avril i66y. BB, 26. Au depulè m Cour,
(})//, 2). 1664.
»
l'aPFRANCHISSEMENT du port de MARSEILLE léj
neur, le premier président et M. d'Arnoux » (Arnoul), vinrent pro-
poser à la Chambre de faire un port franc ; elle devait en conférer
avec " les plus éclairés et les plus expérimentés marchands et leur
demander leur avis du bien ou du préjudice que cette franchise
pouvait apporter à la ville'. » Deux objections à faire au projet tel
qu'il leur était présenté frappèrent vivement l'esprit des Marseillais :
on leur demandait d'indemniser le roi et les propriétaires du droit de
la table de la mer, de la suppression de leurs revenus, il s'agissait
de grosses sommes et le commerce était absolument ruiné; ils ne
par\'enaient même pas Ji payer ses énormes dettes, où trouveraient-
ils l'argent nécessaire ? Il leur sembLiit d'autant plus dur de s'im-
poser ce lourd sacrifice que seuls, paraissait-il, les étrangers devaient
en profiter*. Si on les mettait sur le même pied que les Marseillais
pour le paiement des droits, il n'y avait pas A douter qu'ils s'empa-
reraient de tout le commerce, car o ils pouvaient donner les mar-
chandises à meilleur marché que ceux de Marseille, parce qu'ils avaient
la navigation ;\ meilleur marché et le noiis ù bas prix On ne
peut pas, disait la Chambre, mesurer la place de Marseille avec celle
de Livourne, parce que les Italiens ne négocient pas en mer et les
étrangers font tout le commerce, au contraire les Marseillais font
tout le négoce demer. .. La franchise du port détruirait la navigation
des Français et en clTct i Livourne si les gens du pays veulent
équiper un vaisseau il fiiut qu'ils l'arment des nations étrangères*. »
Après ces conférences, la Chambre et les représentants du roi
«dressèrent un tableau des droits à supprimer, sur lequel ils mirent,
n regard les unes des autres, leurs propositions*. Dans ces pre-
iTjîers mémoires, l.i Chambre complétait le projet qui lui avait été
soumis, en y comprenant un certain nombre de petits droits qui y
ixvaîent été omis, et elle faisait une série de propositions qui furent
dmises pour la plupart dans l'édit de 1669. Elle demandait, entre
utres choses, que les étrangers n'eussent la franchise que pour
1 es marchandises de leur crû ; i « l'égard des marchandises du
(0 La Chambre avait dtji été consultée auparavant à ce sujet, comme le
niontrc une lettre d'Arnoul a Colbert du 15 juin 1667. Deppisg, t. I, p. 772.
(3| La table (ic la mer, en effet, ci plusieurs autres droits, qu'on parlait de sup-
I>rimer, ne pesaient que sur les étrangers.
(j) V. Dâibiralioni du 3}, 28 avril, 2Ç avril i66f. BB, a, — Lellre du 26 avril
j66j. BB. 26.
(4) BB, 2. Annexé au fol. jSj.
1^4 LE RELÈVEMENT DU COMMERCE
Levant, Perse et Barbarie, qui est le commerce naturel de la ville,
pour le conserver tout entier aux Français, il fallait, disait-elle,
charger de 20 0/0 celles qui pourraient être apportées dans la ville par
les étrangers, alors même qu'elles fussent pour le compte de France,
ou pour les Français même qui pourraient les charger à Livourne,
Gênes, et ailleurs qu'en Levant et Barbarie'. » Mais il fallut deux
ans de discussions et toute une série de mémoires dressés par la
Chambre et le président d'Oppède pour arriver à la rédaction défi-
nitive de l'édit. Les Marseillais défendirent avec énergie les intérêts
de leur commerce particulier et firent prévaloir auprès du ministre
la plupart de leurs réclamations*; l'édit de l'affranchissement fut
enfin promulgué en mars 1669'.
A la suite du préambule, remarquable par la largeur des idées et
du style, on peut distinguer quatre séries de clauses d'une portée
différente. La suppression des droits énumérés au début profitait
moins aux Marseillais, déjà exempts d'un grand nombre d'entre eux,
qu'aux autres marchands du royaume et aux étrangers. Cependant
ils étaient exemptés des droits sur les drogueries et épiceries, sur les
aluns, et surtout ils étaient mis à l'abri des tentatives des commis de
la foraine et autres fermes, dont les bureaux devaient être reportés
aux limites de leur territoire. La liberté accordée pour le commerce
de plusieurs marchandises, qui faisaient auparavant l'objet d'un pri-
vilège*, la classification parmi les marchandises de contrebande,
dont peu à peu la nomenclature s'était arbitrairement augmentée,
d'un petit nombre d'articles seulement, munitions et armes de
guerre, matériaux nécessaires ;\ la construction et au radoub des
{!) BB,2.fol.58'r)92.
(2) Voir ce, 18 (}j pièces) : Notes et mémoires relatifs au projet d'affranchis-
semcm du port (1662-69).— R<-"g'strc in-.p : Recueil contenant divers documents
manuscrits et tous les arrêts imprimés concernant l'affranchissement du port
(1669-92) — Cependant quand d"Oppède, un mois avant la promulgation de
l'édit, vint leur présenter une dernière fois le projet définitif (V. AA, /, une lettre
de Colbert à d'C5ppèdc du 23 janv. 1669 qui montre avec quel soin scrupukux le
ministre avait préparé cet édit), les Marseillais trouvèrent encore qu'ils étaient
sacrifiés aux étrangers. Cette fois Colbert passa outre. — L'intendant Arnoul,
dans ses lettres, critique vivement la mesquinerie des Marseillais qui ne voient que
les intérêts de leur petit commerce. Mais on ne peut guère leur reprocher d'avoir
voulu conserver leurs anciens privilèges.
(3) Voir le texte, CC, 18. — Il est en entier dans JuUiany et par extraits dans
Isambert
(4) Ainsi les fanons et huiles de baleine. — La Chambre écrit à ce sujet le 30
mai 1662: cette affaire oblige trois vaisseaux hollandais de n'entrer p.is dans ce
port et s'en aller à Livourne. — BB, 26.
L AFFRAVCHISSEMENT DU PORT DE MARSEILLE
165
navires, «iraient des mesures utiles A la fois au commerce des Mar-
seillais et de tous les sujets du roi.
Mais c'étaient les étrangers surtout qui devaient bènéiicier de
raJTranchissement. Coiberi espérait que les Anglais et les Hollandais
abandonneraient peu à peu Livourne pour Marseille, et que les
Malouins, les Kouennais et autres Fonantais dont les vaisseaux ve-
naient chercher à Marseille les marchandises du Levant et y apporter
les leurs, y afflueraient en plus grand nombre, se décideraient à
5,''v établir et donneraient une vie nouvelle ,m commerce français du
Levant. « Et pour convier les étrangers, dit le passage capital qui les
I concerne, de fréquenter le port de Marseille, même de venir s'y éta-
ttlir, en les distinguant par des grâces particulières, voulons et nous
pilaît que lesdits marchands étrangers y puissent entrer par mer,
crharger et décharger et sortir leurs marchandises sans payer aucun
Iroits, quelque séjour qu'ils y aient fait, et sans qu'ils soient sujets
ixu droit d'aubeyne, ni qu'ils puissent être traités comme étrangers.
YV.n cas de décès, leurs entants, héritiers, ou ayans cause, pourront
recueillir leurs biens et successions comme s'ils étaient vrais et
«laturels français, et même qu'en cas de rupture et de décla-
mation de guerre avec les couronnes et états dont ils seront
Siujeis, ils soient et demeurent exempts du droit de représiiilles et
'«qu'ils puissent faire transporter leurs biens effets tt facultés, en toute
liberté, hors notre royaume, pendant six mois. Voulons aussi que
les étrangers qui prendront parti A Marseille et épouseront une (îlle
^u lieu, ou qui acquièreront une maison dans l'enceinte du nouvel
agrandissement du prix de 10.000 livres et au-dessus, qu'ils auront
liabitée pendant trois années, ou qui en auront acquis une du prix de
5 jusqu'à 10.000 livres et qui l'auront habitée pendant cinq années,
même ceux qui auront établi leur domicile et fiiit un commerce
jssidu pendant le temps de douze années consécutives dans ladite
ville de Marseille, quoiqu'ils n'y aient acquis aucuns biens ni maisons,
soient censés naturels français, réputés bourgeois d'icelle, et rendus
participants de tous droits privilèges et exceptions. »
Cependant, pour empêcher que ces grands privilèges ne permissent
aux étrangers d'accaparer le commerce de Marseille, aux dépens des
Français, et pour encourager la construction de navires marchands,
Colbert établissait un droit de 20 0/0 sur toutes les marchandises
du Levant, même appartenant A des Français, chargées et apportées
t6€
LE RELÈVEMENT DU COMMERCE
Sûr des bâtiments étrangers. C'était un vrai droit prohibitif, une
sorte d'Acte de navigation qui devait réserver i la marine nationale
tout le commerce du Levant. Les marcliandises qui ne venaient pas i
« à droiture » du Levant à Marseille et avaient été entreposées en ■
Italie étaient assujetties au 20 0/0, quoiqu'apportées par des navires
français, car c'eût été enlever ;\ ce droit toute son efficacité, si les —
barques françaises avaient été libres d'aller charger les marchandises fl
du Levant dans les grands entrepôts anglais et hollandais de Livourne.
Il fallait aussi empêcher les étrangers de porter ces marchandises dans
les autres ports du royaume; ils v étaient déjà chargés du droit de
50 sous par tonneau, mais il était à craindre que par fraude ils nej
réussissent, en faisant passer leurs bâtiments pour français â l'aide 1
de prête noms^ à se dispenser à la fois des 50 sous par tonneau et J
du 200,0.
C'est pourquoi ce nouveau droit eut un autre but, d'une utilité]
contestable, ce fut de donner \ Marseillle dans la Méditerranée, a
Rouen parmi les ports du Ponant, le monopole du commerce du 1
Levant. En effet, toutes les marchandises qui en venaient et n'en-fl
traient pas en France par l'un de ces deux ports étaient sujettes au
200/0, même chargées sur des bâtiments français, ce qui équivalait
à peu près â en interdire l'entrée par les autres ports. Si donc un
étranger voulait introduire sous son nom des marchandises du
Levant par les ports du Ponant, il devait payer à la fois le 200/0 et«
les 50 sous par tonneaux, el s'il parvenait â s'entendre avec unV
marchand français pour les faire passer sous le nom de celui-ci, il
payait encore 20 0/0 de leur valeur, ce qui devait suffire pour rem-
pêcher d'entreprendre ce trafic avec avantage. Rouen ne profiii^
guère du privilège qui lui était accordé, elle n'avait ni la situation,fl
ni les avantages de Marseille pour faire directement le commerce du
Levant et les capitaines Ponantais, accoutumés â venir à MarseillCi
s'approvisionner des produits du Levant, n'avaient jamais tent
d'aller les chercher eux-mêmes dans les échelles. L'édit du port Jran<
devait donc avoir pour résultat de faire définitivement de Marseille
ce qu'elle avait été toujours en réalité, le seul centre du commerce
français du Levant'.
(1) Déjà auparavaiu les soies du Ll-v.uu ne pouvjicnt entrer d.ins k- royauma
que par le port de Marseille. V. Lettres (mlnilei de 1609, arrêts du Conseil de 16 j}
el 1Ù44. Lettre dit 1^ septembre tbbi). BB, ib.
L APFRANCHISSEMEXT DU PORT DR MARSEILLE I67
Gîlte concentration d'une branche du commerce dans un seul
port 6tait bien en rapport .wi^c les idées du temps et avec celles de
Colbtrt lui-m^me. Le commerce était alors réservé à certains ports,
comme il devenait le monopole de quelques compagnies; Marseille
devait être le port de la Compagnie du Levant, comme Lorient
celui de la Compagnie des Indes Orientales et Dunkerque celui de
la Compagnie du Nord. Colbert ne faisait d'ailleurs qu'imiter les
étrangers : les Anglais, après avoir laissé les membres de leur
compagnie et leurs navires se disperser librement dans leurs dilie-
rents ports, avaient tait de Londres le seul centre du commerce du
Levant ; les navires hollandais, au retour des échelles, n'abordaient
<\uà Amsterdam, où siégeait !a Chambre de direction qui était à la
tête de la Compagnie. Outre qu'il répondait aux idées d'alors sur
le commerce, le monopole de Marseille favorisait encore la centrali-
sation administrative chère au ministre. Concentré dans ce port, le
commerce était bien dans la main de la Chambre du commerce et
de l'intendant de Provence qui en avaieut la direction ; il devenait
plus fiicile de lui appliquer l'étroite réglementation qui semblait
alors une des conditions nécessaires de sa prospérité. C'était
en prévision de l'importance nouvelle qu'allait prendre Marseille,
que Colbert avait agréé les plans d'agrandissement de la ville que
lui proposait l'intendant Arnoul, et qu'il avait fait procéder avec la
plus grande activité au curage de son port depuis longtemps négligé.
Ainsi donc, la consécration du principe de la franchise entière du
port de Marseille et la suppression de tous les droits qui y étaient
levés sur les Marseillais et surtout sur les étrangers, des faveurs par-
ticulières accordées à ceux-ci pour les y attirer, un tarif prohibitif
établi à l'entrée de tous les ports du royaume pour réserver .i la
marine nationale le transport des marchandises du Levant, le mo-
nopole du commerce confirmé au port de Marseille, telles étaient
les principales dispositions de ce fameux édit du port Iranc qui fut
l'acte capital de Colbert en faveur du commerce du Levant et ouvrit
aux Marseillais une nouvelle ère de prospérité.
Il restait à mettre en vigueur ces dispositions; ce ne fut pas s;ins
difficulté, et l'oppositian vint d'abord de la Chambre du commerce
elle-même. A l'édit du port franc était annexée une déclaration qui en
restreignait fort les avantages immédiats pour les Marseillais : « Pour
nous indemniser en quelque façon, disait le roi, de l'entière sup-
i€8
Î.E RELEVEMENT DU COMMERCE
pression' des droits qui se levaient à notre profit dans la ville de
Marseille, nous avons ordonné que les droits seigneuriaux des
poids et casses de b ville seront doublés sans distinction des per-
sonnes, à proportion de ce qui était ci-devant payé. » La Chambre
devait en outre payer aux cngagistcs du droit de l.i table de la mer
la moitié du remboursement qui leur était dû et qui s'éleva il
21 1,508 livres, le roi se chargeant seulement de l'autre moitié. Les
Marseillais protestèrent contre ces deux dispositions qui leur parais-
saient fort onéreuses au moment où, pour acquitter les immenses
dettes du commerce, les 16,000 livres de la pension de l'ambassa-
deur, et les 25,000 livres, qu'une ordonnance de d'Oppède du 6
juillet 1669 leschargcait de donner annuelknicnt pour le curage du
port, la nicmc déclaration établissait sur chaque navire partant
pour le Levant un énorme cottirao'. Le roi avait cependant promis,
dans le prcainhulcde l'cdit du port franc, qu'il pourvoirait lui-même
au remboursement des droits qui avaient été aliénés du domaine;
cette promesse était donc mensongère ? 1-orte de ces arguments, la
Chambre essaya donc, mais inutilement, d'empêcher la vérification
de Tédit par le Parlement d'Aix ; elle s'adrcss;i ensuite à la Chambre
des comptes, mais celle-ci, après lui avoir demandé de fortes épices,
se borna à envoyer i la Cour des remontrances qui n'eurent aucune
suite*.
Le roi avait noiiimé deux commissaires. d'Oppède et Arnoul,
pour la mise A exécution de l'édit du port franc, leur lâche fut déli-
cate et ils eurent besoin de plusieurs années d'efforts pour régler M
toutes les difficultés qu'ils rencontrèrent. Sans compter leurs nom-
breuses ordonnances, toute une série de déclarations royales et
d'arrêts du conseil furent nécessaires pour expliquer, compléter ou
confirmer l'édit de mars 1669. Il fallut d'abord assurer le respect de
I
I
( 1 ) II fdut reiujrqucr t^ue cetu suppression dc fut pas compléta, puisque non
seulement le droit de poids et casse fut maintenu, mais doublé. — Dc plus, le
commerce ne profila pas entièrement de la suppression des autres droits qui
n'eut son effet que pour les Provençaux et originaires de Marseille. En effet les
droits dc la table de la mer et des drogueries et épiceries devaient co/uinuer à
être perçus dans les ports de Provence et de Languedoc et aux bureaux des envi-
rons dc Marseille sur les marchandises entrant dans le royaume. Scule> celles
qui entraient par ces ports pour le compte des Prov.etjçaux et originaires de Mar-
seille en étaient exemptées.
(2) D(tlaralion de mars 7669. //, 2}. — V. BB. 2, fol 777 et "jsj.
(3» V. Sèanits de la Chambre: 4 tmii, 11 mai 166p. BB, 2.— Les remont otnces
sont insérées aux fol. 675-78.
L AFFRANCHISSEMENT DU PORT DE MARSEILLE
1^9
la franchise du pori : la déclaration du 26 mars avait ordonné le
transport hors de Marseille des bureaux de perception des droits
d'entrée dans le royaume'. Les commissaires royaux la firent
aussitôt exécuter, mais la chambre reçut, en 1669 et en 1670, toute
une série de plaintes contre les commis des fermiers qui renonçaient
difficilement à leurs anciens errements. Malgré le tarif établi par
d'Oppéde, de concert avec la Chambre, pour la levée du droit de la
table de la mer, malgré les ordonnances des commissaires, du 22
novembre 1669 et du ti avril 1670, interdisant aux fermiers d'exiger
c:e droit et celui des drogueries et épiceries des citoyens de Mar-
seille, la Chambre se plaignait, dans des Cahiers adressés au roi en
x6yo. de ce que les fermiers « exigeaient ces droits avec tant de
'violence qu'ils faisaient payer double ceux qui y étaient sujets et
«qu'ils avaient l'audace de faire paver ceux qui en étaient exempts »,
^t elle ne voyait d'autre remède que dans la suppression et l'amor-
«rjssement de ces droits. Les entreprises des fermiers continuèrent,
«ar, jusqu'à la mort de Colbert, la Chambre dut avoir recours, tantôt
.â l'intendant, tantôt à la Cour des comptes de Provence, pour s'en
«défendre*. Il est vrai que, de leur côté, les fermiers se plaignaient des
»iombreuses fraudes auxquelles donnait lieu rcxemption des Mar-
3seillais*.
L'organisation de la perception du 20 0,0 recontra des résistances
^jncore plus tenaces. Des commis furent d'abord établis .1 Toulon et
â Arles, puib i Agde pour le Languedoc, au Font de Beauvoisin pour
^ empêcher l'entrée des soies du Levant, mais ils furent partout fort
■»nal reçus. Les négociants du Languedoc voulurent même .s'opposer i
leur établissement et l'intendant de Bczon, embrassant les intérêts
It) II restait encore d.ins l.i ville, en dehors du |i<)ids et casse, plusieurs bureaux
^< perception, celui des chairs et poissons sales, celui de la ferme du domaine
«d'Occident, de l.i ferme du tdbac, mais ces droits ne concernaient pas le com-
■•nerce du Levant. — Les nouveaux bureaux turent placé's au Logisson près Cassis,
 la Penne, la Bourdonniére. .\llauch, La Gavotte, Septètnes.
(2| V. Piainles Jii 14 mai i66ç. — Taiif du ij juillel. — Plainlfs du i.f iiov.
iM^. BR, 2. — Ordonn. des commiisairts, 21 rici\ i6tnj CC, iS. — .-iiilie
■ordonnant; du 11 avril téjo. Arch. Commun. Inivnl. Chroiiol. — Requête aux
^ommiaaiies du ij juillet i6yo. II, 2$. — Cayeis et màtioiies au roi, i} iwùl 16/O.
JiB, 2 fol. Sju-fi. — ij juill. /077, arrêt de la cour des comptes. — iS mai, 2j
juin, ]o juin lé-jS, autres arrêts âe la cour des comptes. — 26 cet. j6/S. Ordonn.
^ Tintendant. — 2S juin lôjtj, arrêt dt la cour des comptes. — i6Sj, Requête à
J'intendûnt Invent, de Gourmes, Arch. Commun.
(j) //, 3/. Arrêt de la Cour des Comptes aides et finances de Prvjenct du fo juin
ifi]} (en faveur du fermier).
l
^^
170 LE RELÈVEMENT DU COMMERCE
de sa province, ne voulut le permettre que sur un ordre exprès du
roi ou de Colbert; dix ans après, son successeur Daguesseau
refusait encore de reconnaître un nouveau commis, comme s'il
se fut agi d'une nouveauté, et en référait ù Colbert et à
Seignelay*. Soit impuissance des commis, ou négligence et
maladresse comme les en accusait la Chambre, une contrebande
active se fit aux bureaux de Toulon et d'Agde pour échapper au
20 0/0. Les Marseillais se plaignaient surtout de l'entrée des soies du
Levant qui, débarquées à Livourne et i Gênes, passaient par le
Piémont et arrivaient en fraude à Lyon. Pour éviter le paiement du
20 0/0 au Pont de Beauvoisin, elles allaient passer jusqu'à Genève
et la Chambre écrivait en 1680 au résident pour le roi dans cette
ville : « Vous pouvez rendre au commerce de Marseille un service
considérable, si vous avez la bonté de vous faire bien informer
quelle quantité de marchandises du Levant passent par vos quartiers,
s'il en entre beaucoup en France et le chemin qu'on leur fait tenir,
et sur les avis que vous nous donnerez, nous prendrons nos mesures
avec vous pour y remédier*. » Quant aux ports du Ponant, la
Chambre n'y avait pas envoyé de commis et la perception du 20 0/0
devait y être faite par les commis des fermiers des droits du roi,
mais les fermiers étaient intéressés à augmenter le produit de leurs
fermes en attirant le commerce dans les ports du Ponant, aussi
était-il facile aux étrangers de foire entrer leurs marchandises sous le
nom de marchands français qui partageaient leurs bénéfices, si bien
que les Anglais et les Hollandais continuaient de fournir une grande
partie du royaume des produits du Levant. Ils parvenaient même A
faire entrer leurs marchandises par le port de Marseille, sans payer ni
le 20 0/0 ni les 50 sous par tonneau. Ils s'associaient avec des mar-
chands français, faisaient commander leurs bâtiments par des capi-
taines'français et obtenaient ainsi des passeports et congés de l'amiral,
avec permission de prendre la bannière de France, au préjudice des
bâtiments français qui ne trouvaient pas à se fréter.
Il y avait une apparente contradiction dans la conduite de Colbert
(i) V. Lettres du i" mars 1612 à M. de Be^oii, 2tj mars 16^2 à l'cvèquc de
Marseille, li avril 16S1 à Dagiussau. 24 niai 16S1 à Colbert et à Seigiulay, 16/ 1 â
Varchevéqtu de Lyon, 11 mars 1679 à l'intendant du Dauphiuè. BU, 26.
(2) 8 Mars 1680, à M. de Clinui'igny, re'sident pour le roi à Genève. Bli, 26. — V.
S octobre iMx). Il, 2; ; 14 janv. 1670. BB, 26 ; Cayers au roi du ij août 1670.
BB, 2. — }i mai 167), arrêt du conseil ordonnant la confiscation de soies. — ij fèvr.
1680. Ordonn. de Rouillé au sujet des contraventions pour les soies. II, 2j.
L AFFRANCHISSEMENT DU PORT DE MARSEILLE
l/t
qui cherchait à enlever aux étrangers le commerce du Levant par le
droit du 200/0 et leur laissait accorder d'autre part des facilités pour
le faire et échapper aux droits qui protégeaient notre marine natio-
nale, mais il cédait aux nécessités de la situaiioii. « Lors du rétablis-
.letncnt du commerce du Levant en 1669, expliqua fort bien
Forbonnais, M. Colbert trouva notre nation dans une impuissance
absolue de soutenir par elle-même tout son commerce au Levant.,.
Dans CCS circonstances, M. Colbert appela les étrangers, leur
industrie, leur argent, leurs matelots, et il se conduisit en homme de
génie. Il était question, non pas de tirer beaucoup d'argent de notre
commerce au Levant, mais d'en avoir un, d'en établir l'entrepôt à
Warseille, d'en faire sortir beaucoup de vaisseaux sans examiner à qui
la propriété en appartenait, de répandre l'argent dans nos manu-
factures pour leur rendre la vie et non de choisir ceux dont on
■accepterait l'argent; cnfm il fallait tirer delà main des Anglais et des
Hollandais le commerce du Levant par une grande concurrence
«quelconque où les Franijais trouvassent un bénéfice'. » C'est
pourquoi Colbert se réjouissait de voir que les étrangers abandon-
naient Livourne et que les Arméniens apportaient leurs soies à
Alarseille, tandis que les Marseillais, dont la pensée était surtout de
se réserver i eux seuls la navigation du Levant, s'en inquiétaient*.
• Je vous prie écrivait Colbert A d'Oppéde, de donner aux Arméniens
ïoute la protection que l'autorité de votre charge vous permettra et
«ie les garantir de toutes les chicanes des habitants de ladite ville, qui
ne connaissent pas en quoi consistent leurs avantages^. " La même
opposition de vues se rencontrait entre la Chambre et (Colbert quand
<elle-ci lui demandait, en 1672, l'expulsion de trois marchands juifs.
<|ui avaient obtenu, deux ans auparavant, de M. de Lionne, la permis-
sion de s'établir i Marseille, d'où leurs coreligionnaires avaient été
<has.sés depuis plus d'un siècle '. « Vous ne devez pas vous étonner,
<i) Qutitiofis sur U commerce dit Ijfvan!, p. 102-105.
{2) Sous Louis NUI, les Marseillais av.iicnt tout lait pour empêcher les Armsi-
nicns d'apporter les soies â Marseille et ils avaient ainsi comribuc à la prospérité
de Livoume.
(}> 16 octobre lôji, Dkppisg, t III, 467.
(4) 32 avril i6j2. HIS. ; : ■> Il .irrive joumellemciu des Juifs en tettc ville qui
viennent habiter, ce qui est coniraire aux édits et ordonnances et a l'estatut de la
ville, — Les ilîclievins et députés en écriront au roi pour obtenir les ordres de
i. M. i les faire chasser de cette ville, après qu'ils y auront résidé les trois jours
lés par l'esutut. » — Lettre à l'h-èqtu d< Marseille du 8 juin 1672. BB, 26.
172
LE RELÈVEMENT DU COMMERCE
I
I
répondait Colbert A rimendant Rouillé, si les Marseillais vou
tant parle des JuilV qui s'ctablisstnt à Marseille ; la raison est qu'ils
ne se soucient pas que le commerce augmente, mais seulement qu'il
passe tout par leurs mains et se Gisse à leur mode. 11 n'y a rien de sj^
avantageux pour le bien général du commerce que d'augmenter I
nombre de ceux qui le font, en sorte que, ce qui n'est pas avantageuse
aux habitants particuliers de Marseille, l'est l'on au général du
royaume. Ht d'autant plus que l'établissement des jui& n'a jamais]
été défendu pour le commerce, parce que, pour l'ordinaire, ilj
augmente partout où ils sont, mais seulement pour la religion ;
comme il n'est à présent question que de commerce, il ne iauc
point écouter les propositions qui vous seront faites contre les dits
Juifs*. » _
Qilbert, tout préoccupé d'attirer les étrangers à Marseille, nef
prèu donc pas attention tout d'abord aux mémoires que la Chambre
lui adressa pour se plaindre des fiveurs accordées à leurs na
vires; il se borru h encourager de toutes ses forces la construction
de bâtiments français, en continuant ù accorder aux constructeurs»
les primes qu'avait établies l'arrêt du Conseil du 5 décembre 1664,
loo sous par tonneau pour des navires de 100 tonneaux et au
dessus, 4 livres pr tonneau pour un navire acheté i l'cirangcr*.
Mais plus tard, quand le nombre des bâtiments français fut suffisant
pour alimenter le commerce et que la concurrence des kitimcnts
étrangers fut un danger pour le développement de notre marine
marchande, au lieu d'être un utile stimulant, de nombreux arrêts
du Conseil inter\inrent pour interdire aux marchands û-ançais de
s'associer avec des étrangers pour faire le commerce du Levant, ik
moins de se servir de vaisseaux tirançais, construits en France, donti
les deux tien de l'équipage et le capitaine fussent français et don~.
I
I
it) S ifffUmlrr léj}. Lttlra, t. Il, p. 6yy. — Ccpcndjn: en t68t,b Chiriilv,i^
pânnnt i v-onvaincrc Colben du danser des Juifc qui étaient en corrcspotKJar«^ ^^
avec ceux de Livoume, Tripoli cl .\lgcr et .ivcrtissjicot les Birlxircsqucs d«t *
<)ui se préparait contre eux. Il clurgeoii l'intend;iiit .Morjiit de i'airv une niquctt^
sujet de l'utilité du commerce des Juife et de leur conduite (jo ntnrmi'rf {f^^f^
Lttttfi, t. Il, p. J3i).— J m^i tt'Si. Ofvlre du roi de t'oia- sortir les- juif 5
Marseille et même de son rovjutne. — 19 juillet 168}. Ordonn. de riniciiiLiiXi ^
l'cxpuli-ion des sieurs Villcr^al. .\t>raham. Ants et tous JUtars Juifs, .y^^
Commun. Inttit. Chrotel.
{2\ Quel que fût l'intérêt iju'il pomh au développement de la nuriac «f^i
fiuerre, il rccomiiundait i rintcndjiii des galcrcs de ne pas engager des clurpci,^
tiers, et de ne pis acheter des bois qui devaient être cmpiovcs i la construction
de bitimcnis marchands. 6/auN i^-jn, à Armo^d. LAtra, 1. 11.
LA LIQUIDATION DES DETTES I7Î
l'arraeiTieni ei le désarmement se fit réellement en France'. L'édii
J'affiranchisscmcnt avait alors porte ses fruits : « Le droit de 20 0/0,
ccrivait la Chambre A l'intendant du Dauphiné, a comme transporté
LU l-rance le magasin des marcliandiscs du Levant qui était aupara-
vant h Livoiirne, Gênes, ou ailleurs, et les étrangers sont presque
réduits â venir s'en pourvoir chez nous... mais tout changerait
hieiitôi si la porte restait ouverte aux fraudes*. » Les soies et autres
niarchandi.ses n'entraient plus en France par le Piémont et les négo-
ciants de Lyon ainsi que les intéressés des fermes, qui y trouvaient
auparavant leur avantage, sollicitaient â la Cour en i68î pour
demander la suppression du 20 0/0^.
Si Pédit d'affranchissement eut son effet vis-.l-vis des étrangers
qu'il attira h Marseille, il eut d'abord peu d'influence sur le déve-
loppement du commerce français, qui restait accablé sous le poids de
ses énormes dettes, à Marseille et dans les échelles. Ce n'était pas
que Colbert ne se fût préoccupé de l'en délivrer dès le début de son
administration, la liquidation des dettes fut au contraire une de ses
plus constantes préoccupations. Le 4 mai 1662, on arrêt du Conseil
prorogeait la levée du droit de cottimo établi le 5 mars 1660, pour
continuer le paiement de la dette des Anglais et rembourser ensuite
les 46.800 piastres qu'avait coûté l'avanie du capitaine Durbecqui *.
Mais on ne Sitvaii même pas A combien s'élevaient les dettes des
échelles et si la nation les devait réellement, les comptes de leur
administration financière n'ayant jamais été envoyés .1 Marseille.
La Chambre, stimulée par Colbert, travailla les années suivantes h
cclaircir leur situation et surtout celle d'Alexandrie et de Seïde qui
étaient les plus engagées''. Les résultats de cette vaste enquête furent
peu rassurants. La seule échelle d'Alexandrie devait 810.000 livres,
(I) V. //, 26 ; OjdonnatKcs ei rvglenieius de S. M. sur le sujet des étrangers
qui ne peuvent se servir du pavillon l'rançaiy. (1671-86), brochure de 17 pages. —
2i niiù i6jr, 26 oclM'u 16S1, <ti
U) Il mars i6jy, HB, 26.
(J> io diambrt 16S}, Lettre à M. df Gitmtry. HD, 26.
(4) ce, ;. — Le cottimo ét.ibli par le contrat du ) mars 1660 était augmenté
Je jon livres pour les vaisseaux, 2iX) pour les polacres et Ijupour les l)arques. —
V. p. 6û pour la dette des .\nglais, p. 12 pour Tavanie de Durbecqui.
1)1 V. liB, 1 . Délibérations de 1663-64 pour Alexandrie. — La nation
demande en i66} l'autorisation d'imposer un 5 oo; ce droit existe encore en
166H I) viai 166S). — Pour Seide, V'. 24 janvitr 1661, 4 jiiilUl 1661 : I^
ClumbtT emprunte 40.000 piastres |H»ur t'acquillemctn dc4 dettes plu* pressantes
Uc la nation de Scîde.
174 LE RELÈVEMENT DU COMMERCE
Seïde environ 180.000 et les dettes totales du commerce s'élevaient
à plus de 1.200.000. « Nous pouvons vous assurer, écrivait en
même temps la Chambre à son député en Cour, que cette place est
en fort mauvais état, ayant perdu aux faillites qui y sont arrivées
plus de i.éoo.ooo livres, 150.000 qu'il a fallu donner pour le rachat
des esclaves d'Alger et de Tunis et 150.000 que nous coûte l'avanie
du Saint-Barthélémy, voilà 2.000.000 de pure perte*. » Aussi la
Chambre se déclarait-elle impuissante à acquitter les échelles,
comme le voulait Colbert, et demandait-elle qu'on imposât chacune
d'elles pour la valeur de ce qu'elle devait. Les recherches sur les
dettes des échelles et les moyens de les acquitter continuèrent pendant
l'étude du projet d'affranchissement du port et, sur la demande de
Colbert, la Chambre réclamait encore aux échelles en 1669 un
compte de toutes leurs dettes*.
La déclaration du 26 mars 1669, annexée ;\ l'édit du port franc, en
régla le paiement par un cottimo « sur chaque vaisseau, barque,
polacre, allant aux échelles, soit que les vaisseaux ou marchandises
appartinssent aux sujets du roi, ou aux étrangers négociant de Levant
en France et de France en Levant. » Ce nouveau cottimo devait être
de 2.000 piastres par vaisseau, 1.300 par polacre, i. 000 par barque
allant à Alexandrie et Smyrne ; de 1.600, i.ooo et 800 piastres pour
les voyages de Seïde et de Tripoli ; de 800, 500 et 400 pour les
voyages d'Alep, Chypre, Constantinoplc, Satalie, Escaleneuve et
la Morée ; de 400, 250 et 200 pour les voyages d'Alger, Tunis,
Tripoli, Bonne, La Callc, le Bastion et autres d'Afrique*. Une
pareille imposition était si exorbitante que le commerce menaçait
d'être complètement arrêté. Aussi, sur les représentations de la
Chambre, d'Oppède réduisit le cottimo presque à la moitié par son
ordonnance du 4 juin 1669 et le même droit fut encore modéré
par une ordonnance de l'intendant Arnoul du 5 décembre*. Malgré
cette taxe si lourde, les dettes des échelles et du commerce furent
acquittées lentement, car il fallait prélever auparavant, sur le pro-
(1) 26 avril i66j. BB. 26. — 29 avril ihb-/. BB, 2. — Remontrances : BB, 2,
fol. 6yf. — BB, 2, fol. j/2 : Règhmtnl prof'osi. — BB,2. 22 iimembre 1668 : Les
dettes sont évaluées à 397.000 piastres, c'est-à-dire environ 1.200.OCO livres.
(2) Lettre de Colbert du 9 novembre lôô^f. AA, j. — Lettres aux èclielles du 14,
20, 27 novefnbre i66p. BB, 26.
(3) II, 25.
U) ce. I.
I A LIQUIDATION DES DETTES
t7S
duit du cottimo, le remboursement de la inoitié de la linance des
cngagistes de la Tnblc de la nier év.duce A 210.000 livres, puis,
annuellement, les lé.ooo livres de la pension de l'ambassadeur et les
25.000 livres du curage du port, 4.500 livres pour l'entretien des
enfants de langue, 2. 500 livres environ pour les frais ordinaires de
1.1 Chambre et 5.000 livres pour les frais extraordinaires, soit en tout,
ch.ique année, la somme considérable de 54.000 livres. De plus, les
dépenses des négociations au sujet des capitulations et les avanies
renouvelaient les engagements des échelles. En 1670 la Chambre
envoyait ù Colbert un état des dettes qui s'élevait à 1.^60.000 livres
c'est-.'i-dire à une somme plus considérable cncure qu'en 1667. lin
1675, après plus de cinq années de paiement du cottimo, elles étaient
encore de 1. 130.660 livres'. Et cependant le roi avait nommé des
commissaires spéciaux pour travailler avec la Chambre à leur liqui-
dation : d'Oppède et Arnoul, remplacés en 1673 par l'intendant
Rouillé et le conseiller au Parlement Guidy. Ces commissaires
avaient établi des cottimos spéciaux, levés sur les navires abordant
au.K échelles endettées, ;\ Seide, Alexandrie, Chypre, sans préjudice
de celui qui ét.iit e.xigé ù Marseille pour les dettes du commerce
général '.
Colbert devait bien souffrir d'une pareille situation, lui dont le
TÙve était de soulager le commerce de toute imposition et qui
«crivait dès 1669 K d'Oppèdc : « Il faut s'appliquer à mettre la ville
de Marseille en état de supprimer dans quelques années, s'il est
possible, ledit cottimo, afin que la franchise des droits convie les
étrangers à s'y venir habituer et en même temps contribue i rendre
ce port li le plus fameux de toute la Méditer rante'. » Cependant la
situation s'améliora ; en 1679 Rouillé venait déclarer à la Chambre
que * des arrêts du conseil étaient intervenus par lesquels la plus
grande partie des procès (avec les créanciers du commerce) se trou-
vaient terminés. Et comme d'ailleurs ils pouvaient ;\ l'avenir servir
de règle et de maxime pour prévenir de semblables prétentions et
empêcher de pareils procès, S. M. lui avait ordonné de les faire
lire et publier.... et de faire entendre aux échevins et députés,
II) Leltie du 21 leptemlny tdja, aux dfpulis ti> cour, lili, 26. — Etal dti dettes
atmetl à la séance du 2} novembre 167/. BB, 2.
(2| A Alcsandric ce cottimo spîcial t'iait Je iioo piastres. — BB, 2. 2} juillet
()) A i'Ofprde, jo mai iCù^. OepImng, i. III, p. 467.
176
LE RELEVEMENT DU COMMERCE
marchands et négociants, qu'elle avait résolu de révoquer, aussitôtj
que faire se pourrait, la levée du cottimo et d'en décharger entière-
ment tous les vaisseaux, pour rendre le commerce plus libre, et
qu'elle pourvoirait d'ailleurs au fonds nécessaire pour la cure du
port et la pension de M"' l'ambassadeur'. » Les dettes A payer il I
Marseille ne s'élevaient plus en effet qu'A 150.000 livres environ et
Colbert écrivait en 1681, à l'intendant Morunt, de (aire en sorte de
supprimer le cottimo avant la fin de 1681*. Quant aux dettes des
échellej elles étaient aussi considérablement diminuées. Rouillé en 1
avait presque achevé la liquidation et Morant la terminait en 16821
par celle de Seïde, qui seule devait encore 28.938 piastres, pour le]
paiement desquelles il établissait un cottimo ^
Mais au moment où l'on pouvait espérer enfin être délivre des]
impositions, la malheureuse affaire de la canonnade de Chio attirai
aux échelles une série de nouvelles avanies et le commerce de Mar-|
seille duc payer les 250.000 livres de présents que M. de Guillcra-
gues promit pour apaiser la colère du divan. C'est en vain que la
Chambre fit les plus grands efforts pour l'en faire décharger* et que ,
l'ambassadeur proposa lui-même aux ministres que le roi payât B
cette dépense, les finances n'étaient pas en assez bon état pour per-
mettre au trésor cette libéralité. Au lieu de supprimer le cottimo, il
fallut en établir un second pour cette affaire particulière, le 27 no-]
vcmbre 1682. Dés lors il ne fut plus question de supprimer cette
taxe ; tout ce qu'on put faire, quand les 250.000 livres de l'affaire de
Chio furent payées, ce fut de réduire le cottimo qui, à partir du
I*' janvier 1686, fut ramené au taux qu'il conserva pendant le reste !
(i) 26 octobre i6j>). HB, j. — L'intendant fit ensuite lecture de sept arrêts du
conseil du 28 mars 1679^ ils déchargeaient le commerce général et les échelles,
purement et simplement, cl\ paiement de quatre avanies montant à 77 .000 piastres, 1
et de 5 . 500 piastres environ pour les Jettes de Césy, — liquidaient a 1 12 . 250 livre»
les sommes dues de ce fait aux héritiers de Luguet et à 11 .708 li^Tres les somme» j
ducs sur la pension de Césy.
(2) !6 octobre tôSt. Ltlties, t. Il,p. -jit.
(}) V. 4 mars i68j : Vfrhal de la liquidalion de Véche.Ui de Seule. BB, },fot. /oy.^-|
j:46. Document tort intéressant. — A Seignelay, BB, 2b. ij août 16&2 : les]
échelles sont presque entièrement dégagées.— Le 31 décembre 168} la Chambre
remet i l'intendant un état des dettes pas>ives des échelles dont les chiffres sont (
très réduits. — On peut remarquer que la Chambre déclare ne pouvoir donner 1
déchiffres pour Constantiiiople et Chypre parce que ces deux échelles ne lui ont!
jamais envoyé de comptes. — CC, 7/.
(4) Leitrt à fn/que de Marseille, Seignelay. Rouille, ttellin^ani, Colbtrt it\
Croiisy, Colbtrt, 29 ttptembte 16S2. BB, a6.
JB
LA LIQIUIDATION DES DETTES I77
du XVII' siècle'. Colbert était donc mort sans avoir pu réaliser son
rêve de la suppression de toute imposition sur le commerce du
Levant et le paiement du cottimo fut toujours pour le commerce
français une cause d'infériorité vis-à-vis des Anglais et des Hollan-
dais, qui n'étaient assujettis à aucun droit analogue. Cependant
Q>lbert pouvait être satisfait de son œuvre ; il avait réussi à porter
la lumière dans le chaos des dettes, des impositions et des procès et
il en avait entièrement délivré le commerce ; il avait établi pour
l'avenir, dans la gestion financière des deniers du commerce et des
échelles, cette régularité qu'il avait fait régner dans les finances du
royaume ; enfin si les marchands continuaient à payer le cottimo,
ils savaient du moins que cette imposition était nécessaire et que
les deniers qui en provenaient servaient à l'usage auquel ils étaient
destinés.
(0 Ordonnance de l'intendant Morant du )i octobre 1685, rendue en vertu de
l'arrêt du conseil du 15 août 1685 . Le cottimo fut fixé comme il suit, sur les évalua-
tions données par la Chambre. — Pour les bâtiments venant de Smyrne, i . 500,
1 .000, 750, }7> livres, par vaisseau, polacre, barque et tartane. — Pour ceux de
Gi>nstantinople, Chypre, Satalie, 600, 450. joo, 130. — Pour ceux d'Alexan-
drette et Seîde, i . 200, 800, 600, 300. — Pour ceux d'Alexandrie, 800, 600, 400,
aoo. — Pour ceux de Malte et Candie, 250, 150, 100, 50. — Four ceux de
l'Archipel, Barbarie et Morée, 300, 250, 150, 75. — Pour les bâtiments qui en
revenant du levant allaient terminer leur voyage à l'étranger. 500, 350, 250, 125.
— Idem, revenant Je Barbarie ou de l'Archipel, 200, 150, 100, 50. — L'évalua-
tion du cottimo variait beaucoup suivant les échelles d'où revenaient les navires,
parce que la valeur moyenne des cargaisons était très variable suivant les
échelles.
12
CHAPITRE III
LE SYSTi:.ME COMMERCIAL DE COLBERT
II. — Im Compagnie du Lnwit et la balance ihi commerce.
Si Colbert espérait foire de Marseille le plus grand port de la Médi-
terranée en y rendant le commerce libre de toute entrave et de toute
charge, il crut aussi nécessaire, pour y parvenir, d'abandonner les
anciennes méthodes pratiquées par les Marseillais et de créer une
grande Compagnie du Levant. C'était ;\ l'organisation des Compa-
gnies, pensait-il, qu'était dû le développement subit du commerce
de nos rivaux, tandis que la faiblesse du commerce français du Levant
venait de ce qu'il n'était fait que par des particuliers. Les petits
vaisseaux des Marseillais étaient forcément la proie des Barbdresques
et leur incurable jalousie les empêcherait toujours de faire des convois
pour s'en garantir. Les nombreux contre temps qu'il y avait à redou-
ter dans ce négoce, les hausses ou les baisses de prix inattendues, les
avanies, les naufrages, causaient la ruine de ces petits marchands, qui
ne disposaient que de fonds médiocres ; de là ces perpétuelles ban-
queroutes qui jetaient le désordre dans le commerce. Une Compa-
gnie, à la tète d'un gros capital, pourrait supporter des pertes momen-
tanées et profiter ensuite de meilleures conjonctures. Les particuliers
ne voulaient pas renoncera l'exportation de l'argent qui appauvrissait
le royaume et exposait les échelles à de perpétuelles avanies par la
mauvaise qualité des espèces qu'ils y portaient pour foire plus de
profit. Ils se refusaient à chercher les moyens de procurer du débit
aux manufiictures du royaume, que le ministre avait un ardent désir
de relever. On pourrait facilement s'entendre à ce sujet avec une
Compagnie qui ferait un commerce utile au royaume. C'étaient les
jalousies des particuliers qui entretenaient ù Marseille et dans les
LA COMPAGNIE DU LEVANT
Î79
I
échelles ces interminables querelles et cette aveugle concurrence qui
les ruinait tous dans Li crainte de laisser enrichir un rival. Enfin
l'àpreté au gain des march.inds, qui leur f.iisait employer tous les
moyens pour faire du profit, avait introduir dans le Levant ces mau-
\-aises pratiques qui avaient jeté le discrL'dit sur le nom et sur les
marchandises des Français. « Les petits marchands de Marseille,
écrivait CoJbert, ne croyant pas qu'il y ait d'autre commerce que
celui qui se passe dans leurs boutiques renverseraient volontiers tout
le commerce général sous l'espérance d'un profit présent et particu-
lier qui les ruinerait dans la suite'. « Sans doute les Marseillais
avaient fait un f^rand commerce autrefois, mais à une époque où les
Compagnies n'existaient pas. Celles-ci apparaissaient donc comme
un progrès sur les anciennes méthodes, qu'il fallait adopter sous
peine de demeurer en état d'infériorité.
Colbert aurait pu se rappeler cependant que la nécessité des Com-
pagnies s'était fait sentir quand il avait fallu nouer des relations
commerciales avec les p.iys lointains nouvellement découverts, où
les particuliers, par crainte de l'inconnu et de trop gros risques,
n'auraient pas osé se hasarder. Les Anglais et les Hollandais avaient
adopté ce mode de commerce qui leur était familier pour négocier
dans le Levant, car si ces pays étaient beaucoup moins éloignés que
les Indes, ils étaient déji lointains et la roule nouvelle et dangereuse.
D'ailleurs ils n'avaient pas formé réellement de Compagnies du
Levant, mais leurs marchands s'étaient seulement groupés en asso- -
ciations d'un caractère particulier, dont les membres, libres dans
leurs opérations commerciales, étaient liés par un règlement
commun. Les Marseillais qui, depuis des siècles, fréquentaient
les parages du Levant et avaient toujours pratiqué librement leur
négoce avec succès, avaient-ils besoin maintenant de former une
Compagnie ? Et, s'il paraissait nécessaire d'imiter les Anglais et les
Hollandais, la Chambre du Commerce de Marseille ne pouvait-elle
remplir exactement le même rôle que les Chambres de direction
d'Amsterdam et de Londres, pour maintenir dans ce négoce l'ordre
qui y était nécessaire ? Colbert, qui avait si bien pénétré les multiples
causes de la ruine du commerce du Levant, aurait pu penser qu'il
suffirait de les faire disparaître pour lui faire retrouver son ancienne
prospérité, sans qu'il fût besoin pour cela de bouleverser des habitudes
U) Pierre Clément, CoJbert, t J. p. 351.
i86
LE RELKVEMENT DU COMMERCE
séculaires. Au lieu de reprocher aux Marseillais leur impuissance,
il aurait pu s'étonner de leur persévérance qui avait maintenu le peu
de commerce qui restait, dans des circonstances extraordinairement
malheureuses, où une Compagnie eut depuis longtemps trouvé sa
ruine. Mais, autant Colbcrt rêvait grand l'avenir de Marseille, autant
il s'était fait une pauvre idée de ses habitants et ce n'était pas par
eux qu'il espérait réaliser ses projets. La Compagnie du Levant tut
donc résolue, à la même époque où Colbert organisait ses grandes
Compagnies de commerce et de colonisation, mais celle-ci rencontra
de grandes difficultés pour sorï établissement, ce qui en retarda J
l'apparition de plusieurs années. ^
Dès le mois de juillet 1664, h Chambre recevait une lettre du
roi au sujet de la Compagnie des Indes Orientales pour y faire entrer m^
les marchands. Le conseil de ville engagea la communauté pour Bj
5.000 livres, « parce que c'était la volonté du roi », mais la Cham-
bre, malgré les lettres pressantes de la cour, ne put décider aucun H
marchand à suivre cet exemple, « les uns prétextant qu'ils avaient
leur négoce établi aux échelles et qu'ils n'avaient pas assez de fonds
pour faire l'un et l'autre, en sorte qu'ils ne voulaient pas quitter le
certain pour l'incertain, et les autres qu'ils avaient leurs habitudes en
Levant, les uns y ayant leurs enfants et les autres de proches parents. •
Mais on apprit que MM. les intéressés de la ville de Lyon ■ préten-
daient obtenir une Chambre de direction qui aurait la direction de
Marseille et réglerait les affaires du Levant, comme ils menaçaient
tous les jours » ; pour éviter ce malheur la Chambre s'intéressa pour
20.000 livres dans la Compagnie des Indes'.
En même temps, elle était inlormée que les négociants de
Lyon sollicitaient la formation d'une grande Compagnie du Levant,
qui aurait le monopole exclusif du commerce, et elle s'empres-
sait d'écrire à son député en cour pour tikhcr de parer ce nou-
veau coup : « Comme il s'agit, disait-elle, de notre entière désola-
tion, il ne fautj s'il vous plait, rien oublier pour s'y opposer...
On dira que ceux qui négocient à présent le feront à l'avenir
dans la Compagnie, il laut savoir que notre ville est composée d'un
grand nombre d'habitants qui n'ont que 500 à 1000 livres vaillant,
qui par leur industrie le négocient et font rouler deux ou trois fois
de l'année et le retirent quand bon leur semble, ce qu'ils ne pouT-
4
4
in fili, 3. J, 1'^ jiiiUn! I) s<l>Umb)'(! i66.f; 21 mai i6ùj.
LA COMPAGNIE Dl JJiVANT
l8i
raient pas ûire, et un autre grand nombre qui négocient du soûl
crédit. Du jour que la Compaj;nie se concluera, on leur coupe l.i
gorge ou il faut que toutes ces ramilles aillent habiter un autre lieu
que Marseille, dans lequel nombre la plupart des mariniers sont
compris, en quoi le roi recevrait un grandissime préjudice par l'arme-
ment de ses vaisseaux et galères, que quand la Compagnie serait
i'urmée, cinq ou six vaisseaux en chaque échelle feraient tout le com-
merce, ce qui occuperait fort peu de mariniers, eu égard à la multitude
qu'il en faut i la quantité de vaisseaux, polacrcsct barques qui sortent
tous les jours de ce port... Si vous n'étiez à Paris on députerait un
corps de marchands pour s'aller jeter aux pieds du roi... On nous parle
que le roi y mettra fonds, MM. Je Lyon, Rohan (Rouen) et autres,
ils ne prennent pas garde que nous avons d'argent de reste pour
fournir à ce négoce auquel il ne s'emploie pas deux millions de
livres, et pour b trop grande abondance d'argent qui vont en Levant,
les marchandises s'achètent si chères et d'aucunes se gâtent dans les
magasins et d'autres chôment les deux cm trois années... Ce sont des
manopoles que ces Compagnies odieuses ,\ Dieu et au monde et
comme il n'y a rien qui ne doive être plus libre que le négoce, il n'y
a rien aus-si de plus affligeant que de le voir retraint entre les mains
de quelques particuliers; que si on voulait s'arrêter à la Compagnie
que les Anglais et les Hollandais ont pour le Levant, et que c'est par
Cette voie qu'ils ont trouvé de grands biens, en celaon peut répondre
que les Anglais et les Flamands n'ont pas pu faire moins et de former
en compagnie ce que les particuliers ne pouvaient iaire à cause de la
distance de leur pays au Levant et Barbarie, ce qui ne nous convient
pas pour être si voisins de Levant et Barbarie, étant si facile aux
particuliers de négocier et y former des desseins suivant leur indus-
tiie*. » Cette énergique résistance et l'appui de « quelques person-
nages de considération i^i la cour », qui coûta ù la Chambre 500 pis-
toles, tirent échouer le projet de compagnie des Lvonnais*.
Colbert songea alors à constituer la Compagnie avec les Marseillais
^L eux-mêmes, mais les ouvertures qu'il leur fit faire par l'intendant
^^ lies galères Arnoul furent bien mal accueillies, si l'on en juge par son
dépit : « Vous ne ferez jamais dans Marseille par ceux de la ville,
ccrit-il à Colbert, ce grand et beau commerce qui se devrait et pour
(I ) BB, j6. Lttire à Bonin, député m cour, iS juillet 166 j.
(i| BB, 2. 30 mars 1666.
I
I
4
l8a LE RELfe\'EMENT DU COMMERCE
qui h nature semble avoir fait cette ville. Tant que l'on s'amusera aux
Marseillais, jamais de compagnie; ils se sont tellement abâtardis i
leurs bastides, méchants trous de maisons qu'ils ont dans le terroir,
qu'ils abandonnent la meilleure affliire du monde, plutôt que de
perdre un divertissement de la bastide. En apparence ce n'est rien,
mais je soutiens que cela a ruiné la ville et la ruinera toujours. De
maîtres qu'ils étaient du commerce ils n'en sont devenus que les
valets, n'agissant presque plus que comme commissionnaires de
MM. de Lyon'. » Arnoul proposait d'attirer à Marseille des mar-
chands de Lyon, de Rouen et d'autres villes qui feraient des compa- _
gnies et serviraient de guides aux Marseillais pour leur enseigner lesf
bonnes pratiques du commerce, « cela scr\-jrait à enfiler le chapelet
qui n'est ici que par grains séparés*. »
Entre temps se créaient de petites Compagnies : le cardinal de
Vendôme en formait une qui faisait construire deux vaisseaux e»!
1669 et Colben recommandait à Amoul de ne pas l'en détourner
par l'achat de ses bois : « Il vaut beaucoup mieux, lui écrivait-il,
retarder le bâtiment des deu.x vaisseaux de S. M., s'il est absolument
nécessaire*. Cette tentative ne semble pus avoir eu de suites, nuis àfl
U même époque une Compagnie de quelques particuliers s'était™
constituée sous le nom du sieur Laurent de Chauvigny ; elle tbmu
le noyau de la future Compagnie du Le\'ant*, qui s'organisa dëliniti-
vemeni en 1669-70. Les marchands de Lyon présentèrent à la cour
un projet de Compagnie pour laquelle ils denundaient Je nouveau
un privilé};e exclusif et des avantages énormes, mab Colben, qui
\ï\ 2f fwim té6S, DCPVUCO, t Ul. p. 4<H- ^9 éistmèn t66S : « Je dc vou{
riea dc llniaKsr vaatstHiaoe. , Qsùad ««ms les niiuftici wxis aarxz phH d'eus
n ncles iuit nu ooasdircr pour rien £ùv, »ah U viDe qoi est jn roi et peut-ctn
la ph» bdle «1 «oo>k. les ûler nulgri cm • — Ibid.. t. 1, p. 794. - AiUeun i
WCTrair ks MjrsdlUb «i'^i^ir pertlo té goût <la «xMwnetvc : « Ô ^ut qu'Us s*ati«
■CM à devenir boss muchaaiiset fiâdes ateoduB s'ils pravcnt, sans uot rcchc
<ha les tilRs dTAaivrr et Ae uMessL qm tes naé ansatdc «■'îb ont oc peo
Kea. Comme 3s sont soèics et ÊiBéaMs, gnnàs luiletus et «bscbis de nouv ~
asaeveuleM fterieafageyeaefowifu aar le part. l'èpAe an cflc^. arec ^
kts et poifBatd^ i fvoi a est ton de iffdkj. > 1/ ftmitr t66j. DcrriN-c, t.
r-77»-
"^ fmSÊH tHf. as ^'^ *^*^' Ootoc. l I. p. 77a et satv.
.» nmt ttf«. l^mm»^ I. lit.
U) ir, 4Si. Jhtk. dr If iSmiim : ArrEl da Coaaci d'Eta conte nuit le
ncKC et Lrrnt 4» )o jeffciÉhe td7|. — «Je «ms ftic. éonm Colben il
Arsottl. de «ovt Hffiajiu A Hea OMMMve ct4 JfpnTCi fattiâRui la Cofnpagsie
de QMa\i|g(nr pOOT k LenMR. «« ^Y ae «eadde f« VBe fOfni«rifcc bien poor
>{témm7 9itf.ltlP«,t.tlI\.Bt^iaàq>aetaafs
LA CONfPACVIE DP LEVAST
îS?
avait déjA refusé, en 1665, de sacrifier les intérêts des Marseiims,
drcss;i lui-même un contre-projet, où il refusait d'accorder le mono-
pole demandé'.
De riches partisans de Paris, désireux de faire Itur cour au ministre,
s'entendirent enfin pour former la Compagnie, If 22 avril 1670
et réussirent à obtenir l'adhésion de Chauvigny et de ses anciens
associés, malgré leur grande répugnance*. A ceux-ci s'adjoignaient
Louis Reich de Pennauticr, trésorier des Etats du Languedoc, Fran-
çois Bellinzani, Samuel Daliès de la Tour, François d'Usson de
Ronrcpaus, Augustin Magy, César Ca7.e, Jean Tronchin et d'autres
associés. « formant en tout le nombre de 20 qui bientôt se réduisit i
18 par la sortie de deux intéressés ; la Compagnie entra dans tous les
agagements de la précédente et même se chargea de la rembourser
le tous les envois qu'elle avait iaits dans k' Levant depuis l'expiration
J'icelle, qui s'était trouvée finie le 6 septembre 1669... dans laquelle
Société tous lesdits intéressés entrèrent par portions égales de 50.000
livres chacun, ce qui composa un fonds de 540.000 livres. Mais S. M.
eut la bonté, par l'arrêt d'établi.ssenicnt de ladite Compagnie du
18 juillet 1670, de lui faire prêt de 200.000 livres sans intérêt pendant
six ans, outre laquelle somme S. M. aurait tait entrer !e sieur Bellin-
zani dans la Compagnie pour une portion et aurait mis sous son
nom 30.000 livres*. » L'acte de société fut dres.sé pour huit ans à
.tprès : M Je vous prie de l'aire payer i cette Com]^Ktginc i6 livres de chaque pi^cc
de drap qu'elle envole en Levant et de rendre cette libt'ralittî publique, afin que
les autres marchands soient excités d'en envoyer de niûmc p.ir 1 cspér.mce de rece-
voir une semblable gratific.nion. « {<} iioùl i(t6i). Lettres, t. IIJ). — Malgré ces
ciKOuragements, la Comp.ignic de Ch.iuvigny ne réussit pas ; par une delibcra-
lion du 17 décembre 1669 elle décida de se dissoudie avec 150,000 liv. de perte.
Auh.di la Marine, /?■', .^9/. Lettre de Chiuvigny à Collyrl, fol. ij^j-çj — il faut
remarquer que ces cc>nip.ignies particulières, sans priviiùge royal, n'étaient pas une
nouveauté ; les .Marseillais avaient l'habitude de former pour le commerce de telle
ou telle échelle des associations semblables, quoique moins nombreuses, compo-
sées de deux ou trois marchands.
Il) .Irch. de Mar. IP. 481^, fol 21J-224 : Mémoire pour expliquer ce que le roi
peut taire au lieu de l'exclusion demandée p.u le projet de la Conipagitie à former
pour le commerce du Levant, ledit mémoire envoyé par Ms' Colbert. i"-"^ octobre
i6(>9 (sur deux colonnes — en regard : Réponse des marchands de L_\on au mé-
moire ci-contre). — Publié en partie. Litres et liist., t. lll, p. 44t)-s2.
(2) Lettre de Chauvigny à Colbert, 4 septembre rSjj. Arch. de ta Mar. ff, 4</i,
fol. tj4-'^7.
(î) Archiv. de lu Miir., B', fSs : Arrêt du Conseil d'Etal (ouccrimnt le commerce
'lu ijx'ani du }i> septembre 16 j}. — Pierre Clément et Bonnassieux se trompent
donc qu.ind ils donnent le chiffre de }Oo. 000 livres pour le fonds de la Compagnie.
C'était celui du projet primitif des Lyonnais. — V. aussi W, 4S(f, fol. }6s-66 :
.Wmoire du 3ç avril i6jo.
184 LE RELÈVEMENT DU COMMERCE
Paris au bureau de la Compagnie, rue du Mail, le 30 juin 1670.
Tous les intéressés y sont désignés comme habitant Paris, seuls
Cliauvigny et Magy comme habitant ordinairement Marseille. Ainsi
c'était grâce à un Marseillais que la Compagnie s'était enfin organisée
et ce fut le Marseillais Magy qui en dirigea surtout les opérations.
« La direction des affaires, dit l'acte de société, se fera à Marseille
conjointement par les intéressés qui se trouveront sur les lieux, les-
quels devront être du moins en nombre de quatre et seront tenus
les quatre directeurs d'y faire leur résidence actuelle pendant le
temps qui aura été réglé par la Compagnie... La Compagnie s'assem-
blera tous les ans dans ladite ville le i" novembre, où chaque inté-
ressé sera tenu d'assister ou d'envoyer procuration. Lesdits directeurs
de Marseille seront tenus d'informer chaque semaine ceux de Paris
de tout ce qui se passera d'important et de prendre leur avis'. »
L'arrêt du Conseil du 18 juillet 1670 fixa les privilèges de la Com-
pagnie : le roi accordait 10 livres pour chaque pièce de drap qu'elle
V enverrait dans le Levant ; l'exemption des droits d'entrée et de sortie
des victuailles et munitions pour ses vaisseaux ; l'exemption de tous
droits et octrois des villes et la jouissance du droit de bourgeoisie
pour les directeurs. Les commis et directeurs seraient exempts de
guet, garde et corvées. La Compagnie pourrait faire passer ses mar-
chandises par transit et les faire décharger de bord à bord sans payer
aucun droit. Les effets de la Compagnie ne pourraient être saisis
pour les dettes des particuliers. Le roi promettait de protéger et
défendre la Compagnie envers et contre tous, de fournir des vais-
seaux de guerre pour escorter ses navires *. Ces privilèges considé-
rables furent encore augmentés peu après par l'abandon que la Com-
pagnie des sieurs Fréjus fit à celle du Levant de sa concession pour
le commerce du Bastion de France*. L'action de la Compagnie devait
donc s'étendre à la fois sur le Levant et la Barbarie. La Chambre
du commerce avait essayé inutilement de s'opposer à sa création
(i) Arch. de la Marine B', 48^ : Copie de l'acte de société de la Compagnie du
Levant Fait à Paris au bureau de ladite Compagnie, en la rue du Mail, l'an 1670
le 30 juin (foi. J52-57)-
(2) Arch. de la Mar. B', 48$, fol. }4S-fi : Arrêt du Conseil concernant les avan-
tages, droits, prérogatives, priviliges, exemptions et autres choses accordées par le roi à la
Compagnie du comnurce au Levant (18 juillet lôjo).
(3) Arch. de la Mar. B', 481), fol. j6y-6S : Arrêt du Conseil qui subroge la Com-
pagnie du Levant au lieu et place des sieurs Michel et Roland Fréjus et associés pour
le commerce d\ilbou:;;ime et Bastion de France.
LA COMPAGNIK DU LEVANT ' I05
et le chevalier d'Arvieiix, conseiller écouté de Colbert, qui se trou-
vait alors i U Cour, avait présenté au ministre des objections fort
justes'. Non contente de tous ces privilèges, la nouvelle Compagnie
en se constituant, rcclama rctablissemeut à Marseille d'une Chambre
générale d'assuninces maritimes analogue à celle de Paris, dont
Bellinzani, un de ses principaux membres, était directeur, tt Colbert
pressj d'Oppède de favoriser cette création '. Mais les Marseillais,
dont les assurances étaient l'un des principaux négoces, s'opjxisèrent
avec succès à cette nouvelle prétention. La Chambre du commerce
de Marseille se borna le l) avril 1671 A faire un nouveau règlement
concernant les assurances^, tandis que Colbert adressait à tous les
consuls une circulaire leur ordonnant « de tenir une correspondance
exacte avec le sieur Bcllin/nni, directeur de la Chambre des assu-
rances de Paris, et de lui donner avis de tous les vaisseaux qui entre-
raient ou sortiraient des ports qui étaient dans l'étendue de leur
consulat... et généralement de tout ce qui pouvait concerner le
commerce et la navigation'. » La Compagnie du Levant ne pouvait
manquer de profiter pour son commerce des avis reçus par la
Chambre des assurances qui n'étaient adressées aup;iravant qu'à la
Chambre du commerce ou à l'amirauté,
Elle commençait donc ses opérations sous les meilleurs auspices ;
Colbert et les intéressés devaient se flatter que le petit commerce
des Marseillais ne tiendrait pas devant cette puissante concurrence et
que, pour ne passe ruiner, les marchands seraient amenés peu i peu
.'i entrer dans la Compagnie. Elle arriverait ainsi p;tr la force des
choses à ce monopole qu'on n'avait pas osé lui donner au début.
Cependant l'événement déjoua toutes les prévisions; ce fut la concur-
rence JeN particuliers qui l'emporta. La Comp.ignie, au.ssitôt consti-
tuée, s'empres.sa d'envoyer ses conmiis dans les échelles : on les voit
agir .1 Smyrne, au Caire, h Alep, dès tf^yi. Le consul de Smyrne
force dés cette année-là l'un d'eux d'accepter les fonctions de député
de la nation parce que c'est lui qui faille plusd'atïairesdans l'échelle''.
Les deux commis du dire étaient chargés d'une mission de con-
(1) D'Arvieux, t IV*, p. 10I-20). Il donne d'intcreuant» déuiU sur les origiucs
de U Compagnie.
(2) )0 juin i6po. Lttlrfs, t. II.
(J) Arcb.Ccmutun. Invfut ehro/iolt^. Jtshif.
(4) 36 iUi*mbrt 1O71 Dr.PPixG, t. JU, p. 597.
(j) JÀ, tSo. j aoiU tôji.
l86 LE RELÈVEMENT DU COMMERCE
fiance, car Colbert attachait beaucoup d'importance au développe-
ment du commerce avec l'Inde, par l'Egypte et la mer Rouge. Il avait
fait venir à Paris un sieur Page « parce qu'il avait une connaissance
particulière du commerce de la mer Rouge par une longue résidence
faite au dire » et il en fit un des directeurs*. Le but principal de la
Compagnie était de substituer au commerce de l'argent, qu'on
jugeait funeste à l'Etat, l'exportation des marchandises de nos
manufactures et principalement des draps et des papiers. Encouragée
par la prime que lui allouait Colbert, elle exporta la première année
656 pièces de draps, la seconde année 615, pour lesquelles elle reçut
6. 560 et 6. 150 livres de gratification du roi*. Mais,malgré les efforts
de Colbert, les draps du Linguedoc étaient loin d'avoir la beauté de
ceux de Hollande et le débit dans le Levant en fut difficile. Aussi
l'exportation diminua- t-elle considérablement les années suivantes*,
d'autant plus que les Hollandais, « pour empêcher que les draps de
France ne s'établissent en Levant, baissaient tous les jours les prix
de ceux qu'ils y portaient, de telle sorte qu'au prix que la Compa-
gnie les achetait des manufactures il y avait considérablement à
perdre*. » Du 8 mai 1673 au 20 septembre 1674 les envois furent
encore de 993 pièces, mais ils tombèrent ensuite ;\ quelques cen-
taines de pièces par an. La Compagnie essayait de fiiire des bénéfices
en se livrant aux mauvaises pratiques que l'on reprochait si fort aux
marchands : Colbert apprenait qu'elle avait exporté des brocarts
d'or et d'argent faux en Portugal et il s'en plaignait vivement à
M. de Pennautier; plus tard la Chambre du Commerce représentait
au ministre que la Compagnie avait introduit;! Alep 6.000 piastres
abouquels, monnaie de mauvais aloi et sévèrement prohibée".
Dès la fin de 1672, la compagnie souffrait du manque de fonds,
tout son capital étant engagé, et pour en obtenir elle s'adressait à
( I ) Lettres à Page, mars i6yo. Lettres, t. II.
■ (2) GuiFFREY. Comptes des bâtiments du roi, t. I, col. 552, 640. (Coll. de Doc.
Inéd.)
(3) Arch. de la Mar. B', 41; i fol. 22)' : Certificat de M. Arnoul du 9 janvier
1675. Draps de Saptes, Carcassonne et autres. — Payé 9950 liv. le 9 août 1675.
GuiFFRKY, t. I, col. 876. — Mais on ne trouve plus que 2430 liv. le 5 octobre
1679, et 1190 liv. le 19 novembre 1679. Gciffrey, t. I, col. 1251-52.
(4) Arch. de la Mar. B' , 48^, fol. 3)8-60.
(5) Lettres et Iiisl., t. Il, />. 6ji, </ décembre i6/2. — BB, }. 6 juin 16S0. Il est
curieux de constater que la nouvelle en avait été donnée à la Chambre par d'Arvieux,
co?isul d'.\lep, qui affermait son consulat à la Compagnie i'^' mars 1680, AA, 364.
LA COMPAGNIE DU LEVANT 187
Colbert h. qui elle faisait valoir tout ce qu'elle avait fait dans ces deux
premières années. « La Compagnie, disait son mémoire', s'est
appliquée à deux choses : t" prendre une connaissance exacte du
commerce et des abus..., 2" introduire les manufactures de Trance
afin de diminuer le transport de l'argent. Pour cet effet, elle a établi
des commis dans ch.iquc échelle qui prennent soin de l'informer de
l'état des affaires de la nation, de la quantité des bâtiments étrangers
qui y trafiquent... en sorte que, par ces avis et par le voyage que
M. Magy a fait à Constantinople, la compagnie est pleinement ins-
truite... Quant aux manufactures de France, la compagnie a com-
mencé par un traité avec les m.irchantls de Saptes et de Carcassonne
pour 2.000 pièces de drap, dont elle a déji envoyé l.)0O pièces en
Levant, et si cette nianutacture se veut conformer au mémoire qui
en est donné séparément, la débitte eu augmentera considérablement.
Elle a introduit la débitte des cadis larges de Nismes A la façon
des perpetuans d'Angleterre dont la fabrique a bien réussi; et outre
CCS marchandises elle fait encore le commerce ordinaire des draps
grossiers, papiers, orlogeries et autres ouvrages de France. Elle a
ouvert aux Marseillais le commerce des iles de l'Amérique où ils ont
commencé d'envoyer leurs vaisseaux A l'imitation de l.i Compagnie,
ce qu'ils n'avaient fait jusqu'ici; en quoi ils ont bien réussi cette
année, leurs bâtiments s'étant saisis les premiers des bons havres du
petit nord, où ils ont fait bonne pêclie, et par ce moyen le commerce
du Levant se trouve soulagé de !.i trop grande qu.uitité de bâtiments
qu'il y avait auparavant et les Marseillais supplanteront les Anglais
qui leur venaient débiter leurs morues tous les ans et dans les côtes
d'F.spagne et d'Italie. . . Elle a établi une raffinerie ."i Marseille qui a bien
réussi et dont elle débitera quantité de sucres en Levant et en Italie
où elle a déjà fait des envois paressai*. Ces établissements ne se sont
il) M' 4t)i, fol. 14-H) : MèntoiiY du commera dt la Compagnu du Levant , 1^72.
— V. .\vis « riiflexions sur lï-t.u des affaires de la Compagnie donnt's par^crit à
la direction de Paris le 20 décembre 167 1 et signés par Cliauvignv. B', ^90,
fcl 2SS-fl4.
(2) Celte raffinerie prit en effet un grand développement comme le montre un
mémoire adressé à Pontchartrain en juin 1699: « La raffinerie qui parait main-
tenant à .M.irseilie sous le nom du sieur Maurellet et compagnie, fut établie il y a
\ingi huit ans sous les ordres de M. Colbcn. La vue générale de cet établisse-
ment a été d'étendre le commerce des iles frani^aises de l'Amérique dans la mer
Méditerranée et en Provence où il n'était point du tout connu. On eut pour vues
particulières de détruire de ce côté l'usage de sucres de HolLindc et celui des cas-
sonades du Brésil .. Celte raffinerie, petite dans ses commencements, est devenue
une des plus considérables du royaume. •> Arch. de la Mar. B', 4')9,Jo1. jji.
}âs
I.F. RELEVEMENT DU COMMERCE
pas faits sans sans dépense et même la Compagnie a eu du nullicuri
dans son commencement par la prise ou le naufrage de trois bâti-
ments, ne lui en restant plus que quatre pour son commerce. Lai
meilleure partie de son fonds a d'abord été employé au rembourse-]
sèment des effets de Tancienne compagnie. L'incertitude du renou-j
vellcment des Capitulations l'a tenue en suspens jusqu'ici. • La]
comp.ignie parlait ensuite de ce qu'elle pourrait faire lorsque les!
Capitulations seraient renouvelées : elle se proposait surtout d'aug-
menter l'exportation des draps et cadis de France, d'introduire dans]
le royaume la labrique des damas^ velours et satins de Gênes et]
Venise qui avaient un très grand débit en Levant. Pour tout ceU'
elle avait besoin de disposer de plus de capitaux et d'avoir du crédit.
Colbert entra dans ses vues et chargea son premier commis Bellinxanij
d'avertir les directeurs de Paris qu'il était nécessiiire de remettre dcij
fonds i Marseille pour fortifier le commerce de la Compagnie'.
L'année suivante la situation s'.iggrava et, pour éviter la ruine, il]
fallut réorganiser la compagnie en lui constituant un nouveau
capital, par l'arrêt du conseil du 30 septembre 1675 » rt-ndu àj
la suite d'une requête des principaux intéressés*, où ils cxposaienij
au roi « qu'ils n'avaient pu éviter de tomber dans des pertes très-]
considérables. » Le roi ordonna « que chacun des intéressés, même'
Bellinzani, ferait incessamment le tonds porté par la délibération du
5 septembre, si mieux n'aimaient les refusants se retirer de la
compagnie en supportant leur part delà perte faite... S. M. permet-
tait de prendre tel nombre de nouveaux associés qu'ils jugeraient â|
propos, et voulait qu'ils jouissent du bénéfice des 200.000 livrcsi
accordées par l'arrêt du iS juillet 1670, à l'e.xclusion de ceux qui sel
retireraient de ladite compagnie, lesquels seraient déchus'*. » Gràccj
à l'autorité du ministre, la compagnie continua d'exister, mais dès!
lors la désunion existait parmi ses membres, qui n'avaient plus!
aucune confiance dans l'avenir. Chauvigny se plaignait amêrciiunt
(1)9 dïi^mbte I6j2 ù M. Ji Ptitiiaulur. Lettres il lusl,. t. II, p. ôj i .
(2) Pcnnauticr, Bellintani. Daliès, de Bonrcpaux, .Magv, Cite, Tronchiij.
Ils oubliaient de dire que les Trais, causés par le trwp grand nombre d'officiers d<
toutes sortes qu'entretenait la Compagnie, étaient pour quelque chose Jans saI
ruine. (V. d'.\rvievx, t. IV, p. 202». — Les contretemps dont ils se plaignaient]
étaient aussi supponés par les Marseillais, à l'incapacité desquels Colbert et son!
entourage attribuaient auparavant la faiblesse de leur cotutnerce.
t } ) Arril du Consfil d'Etat ionaruani If commerce du Lniant du }o s*t>Umbrt
tôjj. Arch. dt la Mar. B^ , 48^,
LA COMPAGNU: DU LKVAXT
189
i Bellinzani qu'il eût cmpccht^ l;i dissolution de la société en irom-
pnt Colbert sur h» vraie situation. « Si Monseigneur, lui écrivait-il,
avait été bien informé que, par dessus les 200.000 livres de S. M., la
Lompagnic en perd encore 200.000 de son fonds, sans espoir
d'aucun retour, avec une certitude morale et j'ose dire imrnanquable
de la perte du reste, quelques desseins que l'on puisse former
pour le Levant, sa justice se serait certainement accommodée \ la
faiblesse de la compagnie... Vous m'apprenez, et je ne le savais pas,
que les 50.000 livres qui paraissaient sous votre nom dans la compa-
gnie appartiennent A S. .M., ainsi votre intérêt ne vous oblige pas
de regarder nos disgrâces du même ail que moi qui prévois la perte
certaine de tout mon bien et deux fois au-deL\, sans pouvoir seule-
ment être écouté. » Bellin/ani lui reprochait à son tour de n'avoir
pas tenu ce langage lors Je la formation de la compagnie, mais
celui-ci répondait qu'il n'avait été pour rien dans sa formation et
qu'il n'y était entré que forcé. « Ainsi, Monsi(.-nr, ajoutait-il, ne me
chargez point s'y vous plait des fiiutes ni du fardeau d'autrui et si
Monseigneur n'a pas su l'état des choses, il n'a tenu qu'à ceux qui
t)nt eu l'avantage de l'approcher, qui avaient vu comme moi le
lié.sordrcdu commerce.... et non pas à moi qui n'ai jamais eu l'hon-
neur de le voir.... Quant au discréditement de la compagnie sa
conduite en Provence et dans le Levant, aussi bien que ses pertes, y
réussissent assez bien, j'en sens ma conscience fort nette ; j'ai fait ce
que j'ai pu pour en laire remarquer les désordres, il y a plus de deux
ans, j'en ai proposé les remèdes, l'intérêt particulier a prévalu. J'ai
été mal écouté, je ne le suis pas mieux, c'est un malheur; la fin fera
connaître si j'avais raison, tous les prédicateurs ne convertissent pas
en Dieu ' » En admettant qu'il y ait de l'injustice dans ce réquisi-
toire, écrit par un homme aigri, cette lettre nous montre cependant
la conduite des directeurs de la compagnie et surtout de Bellinzani
sous un jour peu favorable. Les prévisions de Chauvignv se réalisè-
rent et le succès ne fut pas plus heureux dans la suite.
Cependant, lorsque le privilège delà Compagnie expira au bout
Je ses huit années, il s'en forma pour dix ans une nouvelle, qui
obtint les mêmes avantages par un arrêt du- ro septembre 1678*.
(I) lettre de Cbaiivigny i\ Coibnl, 4 stpUtnbre !(>-/} (il lui envoie l.n copie de
ccuc lettre i Bellinz.ini^, Jrcb. rfc la Mar. H', 41^1, fol. >/4-')f.
(I) Arrft du Comàl d'i'tal du 10 septanhit tbjS. Arch. Nui. AD, xi, 9. —
BcUinxani, comme directeur géni^ral du commerce et Mord de Boistiroux, qui lui
190 LE RELEVEMENT DU COMMERCE
Son organisation ne fut pas la même : elle fut divisée en trois
bureaux, « l'un à Paris, l'autre à Lyon et le troisième à Cette,
faisant chacun un commerce à part, comme trois Compagnies sous
une seule. Le bureau de Paris fut composé de M. Bellinzani, au nom
du roi, et des sieurs Caze, Tronchin, Magy et Penautier. Mais comme
celui de Cette était composé de plusieurs personnes qui n'avaient
aucune connaissance des affaires du Levant, elles prièrent le bureau
de Paris de vouloir entrer avec eux pour une portion et pour donner
les lumières nécessaires dans les occasions, ce qui fut exécuté, et on
y a mis jusqu'à 20.000 livres de fonds, qui est dû par b Compagnie
au sieur de Penautier. » Ainsi, Marseille était tenue à l'écan de la
nouvelle Compagnie, comme si l'établissement qui y avait été fait de
la direction de la première, eût été pour quelque chose dans son
insuccès. Pour lui faciliter le commerce des draps, • qui restait la fin
principale de son établissement », la Compagnie reçut bientôt de
nouveaux privilèges '. Comme elle avait reconnu que « le troq des
des draps se faisait en Levant plus facilement avec de grosses mar-
chandises qu'on appelle vulgairement grosse robbe qu'avec des soies
et autres marchandises tînes, et que ces marchandises avaient peu de
débit dans le royaume, où la trop grande abondance en ravalait le
prix, elle demanda dc> tacilités pour les transporter dans les pays
étrangers et, dans cette vue. l'arrêt du 10 septembre 1678, confirmé
et étendu cm 167») et ibSo, « ponait que les marchandises, que les
intértssi's voudraient taire passer par transit à travers le royaume
pour les pays étrangers, scraieiîC exemptes de tous droits des fermes
de S. M., droits d'octro: des villes et autres... comme de ce qui
regardait le 2 o o dWrIes, tiers sur aux. quarantième de la ville de
Lyon et autres vvtrois de ladite ville, péages, impositions extraor-
dinaires, octrois des v-.IIés et autres droits qui se îiivent sur les Sancs
d-i Rhônt et de Saône et .îutrt-? endroits". •
ii S M.. ;.:> .:r...* i<= s^efècc e: !cs délibérations
i,!": ri* :._:»= c»"illc wAEJiniiiit V. LtUnà
:- -r.-. :--i. — Il :iîfi;s« un privilège pour
ù\r>:is. — « i.c-:ï< !«:ob que fe trouwon
i;» ^iJt! ^ r -iï::; pii i :>îtniicher tous ks
.iT.' : v. . ••'.- i.-.v7i.- i ;r»..-. Ard;. .Vi/. AD,
r,— ..->—;; ,-.::- Cjrr.raiTiis. A'^. dt Lt Marine,
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LA COMPAGNIE DU t.EVAKT
I9t
Pour vendre les draps dans le Levant nu même prix que les Hol-
landais, il érait nécessaire de les acheter à meilleur compte qu'on
n'avait fait jusqu'alors. Dans ce but, la Compaj^nie fil un traité avec
le sieur de Varcnncs, entrepreneur de la manufacture de Saptes, par
lequel il s'engageait à ne fournir aucun drap pour le Levant qu'A la
Compagnie et à lui en fournir pendant six ans 300 pièces par an,
dont les qualités, les couleurs et les prix étaient réglés. Outre la
valeur des draps, la Compagnie lui donnerait 60.000 livres en six
ans et 750 livres chaque année. Trois des directeurs s*a.ssociérent en
même temps avec les entrepreneurs de la manufacture de Clermont,
qui s'engagèrent il faire la même fourniture de draps fins au même
prix*. Déjà la Compagnie avait obtenu le monopole de l'achat du
séné de la pake, on ferme d'Egypte, qui devait procurer de gros
bénéliccs, et les marchands protestèrent en vain contre ces deux
monopoles'. Colbert lui abandonna en outre la jouissance des
consulats de Seïde, du Caire et d'Alep, rentrés en la possession du roi
par la niort des propriétaires, moyennant une redevance assez faible".
[^Compagnie ne prolita guère de tous ces avantages; dès la
prcmicre année, elle fit 35.000 livres de pertes dans l'affaire du
transit et elle fut obligée de l'abandonner « à des marcliands, bien
plus propres qu'elle à faire valoir ce commerce »», disait un mémoire
écrit par un de ses membres, moyennant une redevance de 12.000
livres par an, avec laquelle elle comptait payer les pertes qu'elle y
avait taites. L'entreprise du séné tourna encore plus mal : après
(1) A', ./y;, fol. )fi2\ Traili d/ la CoinfMgnii </« Li-vanl ava la nianufaclurt dt
Stiptff, ;/ mai t(>S] : » ... lesquelles 390 pièces la Compagnie sera obligée de
prendre tous les ans de trois qualités, s.ivoir mations, londrines premières et
fondrincs secondes... Le prix a été réglé, savoir ; les inahons i lolivres 4 sols
l'aune de Paris, les londrines premières .^ 8 liv. 14 sols, les londrines secondes \
7 liv. 8 sols, de largeur ordiiuiirc pour le Levant, et. afin au'il n'y ait aucune
difficulté sur les couleurs des assortiments de chaque balle, le prix de chaque
couleur à été par nous réglé... (écarlatc, rouge cramoi.ii, pourpre, violet, couleurs
sitnpies). •> — IHit.fol. }(i6-(<-j (nicmt jour), ttaitr aivc la niiiniifacliinr tU Clfrmofil.
— IbiJ. jVjy-jj, CopU </(• iOiUtt fuliY les intéressés dt- la dmi/ktijiiif (Hetlin/ani,
l'ennauiier, Magy >, d /o (titrtpnrntiin des ttiamtjactmts Jt Clermont ri Saf)lei {l.indrcx,
'riionias et Frediati), l'Otit six ans, 2y mai sCaj.
(2) Arrêt du conseil portant interdiction du séné de Tripoli, et que celui néces-
saire pour la consommation du royaume sera tiré d'.Alexandrie par la nouvelle
Compagnie du Levant. tt> srptemire lOjS. — Arch, \'nt. AD, xi, <y.
(}) V. chapitre 1, p. !)i. — Les Directeurs de la Compagnie obtinrent en
oiiin- l'.nirèe Je l'un d'eux à la Chambre du Commerce de Mar^eillc. — L'inten-
« it termina, par le léglemeiit du 19 avril 1687, les contestations qui
a ce sujet entre la Chambre et la Compagnie de la .Méditerranée.
M,4,Jol.29f.
19:
LE RELÈVEMENT DU COMMERCE
ir ■
avoir reçu son privilège en 1678, la Compagnie fit feire par U
consul du dire, M. de Seola, 5M3n commis, un traite pour neuf ans'
avec le fermiet du G. S. qui avait seul la palte (monopole de la,
vente) du st-né : elle se chargeait de lui en prendre annuellemenl
)00 quintaux. Mais au bout de trois ans elle reconnut que le^
débit du séné n'était pas assez j;rand pour les achats qu'elle en avait
faits, car il lui en restait pour 184.000 livres en magasin. Elle
voulut faire annuler le traité, mais la nation du Caire fut menacée
d'avanies par le fermier et le pacha, qui forcèrent indistinctement les
marchands à prendre du séné. La Chambre du commerce intervint
alors pour demander qu'on obligeât la Compagnie à charger celui qui
lui appartenait; celle-ci, qui ne voyait plus de salut dans cetteH
atfaire qu'en demandant la révocation de son privilège, fut assez™
favorisée pour obtenir que la Chambre lui payât une indemnité de
26.876 livres en dédommagement de la perte d'un monopole quiJ
la ruinait'.
F.n 1684, la situation de la Compagnie était très précaire; \e\
commerce des draps, sur lequel elle comptait, n'avait donné ni perle
ni bénéfice, elle n'avait donc pas d'argent pour couvrir les pertes
qu'elle avait faites dans les affaires du séné et du transit et payer se
dépenses. Le capital de la Compagnie n'avait même jamais été réel
lement souscrit par suite de l'impuissance de quelques-uns des inté-^
resséset de la mauvaise volonté des autres : Bcllinzani n'ayant jamais
voulu fournir réellement son apport de 30.000 livres, ses co-a&.sociés
firent de même; c'était l'un deux, Pcnnautier, qui avait fait presque]
toutes les avances. La découverte des malversations de Bcllinzani et
son emprisonnement ne purent que diminuer encore le crédit de la
Compagnie. En vain l'arrêt du 3 février 1685 lui permit de prendre fl
10.000 livres sur la ville de Lyon, et un arrêt postérieur lui accorda j
S.ooo livres sur la ville de Marseille*. En vain Seignelay lui chercha
I
(t) Arrft du Omuil du if wAtmbft 16S4. — B', 492, Jol. 44-46 : Mtmoirt*
Morant, 34 dhrmhrt i6Sf ; fol. 4S-J6 : Mémoire du œmmtrce txmlrt la Cômfagnit
du Jjvant au siijtt du sfni, :6Sj ; fol. sS-t<i : Autre mémoire, Afcb- de la Mar.—
RB, 4. 7 janvier 16X4 : Mémoire du tèui. — Le pacha a lait saisir aux marchand J
J'Alcxundric pour ccuc affaire tS.ioS piastres, dont ia Chambre niclamv lereincrKa
boursemcnt. — Lettre de Seigtielay, S août 16S4. Depping, t. III, p. 6j6. Quant auj
<:on4ulat5, ils ng rapportcrcnt rien : « M.M . de la Compagnie, qui ont fait ciercc
«.■* consulat pendant cinq ans et cxigi les 2 00. ont perdu des sommes irès-coa
durables. » Brc^-i«-/f, cotnul Je Seide, 3 avril s6Si . A A, j}6.
(2) B', 4^3, fol. Ti-84. Un autre mémoire dit même que U Compagnie !■
1.A COMPAGNIE DU Li;\ AKT
193
Je nouveaux associés. « La Compagnie du Levant^ ccrivait-il A
Morant, intendant de Provence, a besoin d't^ire fortifiée d'associés
parce que quelques-uns de ceux qui la composaient sont morts et
d'autres se sont retirtis. Vous savez de quelle utilité elle est par
rapport au commerce du Levant et aux manufactures de Clennont
ut de Saptes. Je vous prie de chercher ;\ Marseille et dans les autres
pays de Provence des personnes puissantes et capables d'agir qui
voulussent prendre part h cette affaire : elle est bonne en soi, elle a
Je grands privilèges, il y laut peu de fonds, et, comme le roi veut
soutenir ce commerce, elle aura toute sorte de protection. » Il fut
impossible de maintenir la Compagnie, qui fut dissoute avant
d'avoir atteint le terme de ses dix années.
Mais Colbert et Seignelay n'avaient pas été découragés par ces
deux échecs successifs et, au moment où disparaissait la seconde
compagnie du Levant, les efforts de l'intendant Morant en Provence
aboutissaient h. la formation de la Compagnie de la Méditerranée '
faoût-septembre 168)). On avait du moins profité des précédentes
leçons, les préventions contre les Marseillais avaient été oubliées et
la compagnie eut une tout autre organisation. Tandis que les deux
compagnies du Levant avaient à leur tète des partisans, étrangers A
Marseille et au commerce du Levant, celle-ci ne comprenait que des
membres habitant Marseille ou Toulon, et, parmi ses quinze inté-
ressés, il y avait deux catégories bien distinctes : la plupart étaient
des officiers royaux appartenant il l'administration de la marine et
le principal, M. de Vauvré, intendant de la marine du Levant, avait
un grand crédit à la cour*; leur présence devait assurer i la com-
pagnie la (iiveur des ministres et augmenter son crédit. Mais elle
rcnuHiix' en 168} : « Il sera aisé de justifier que depuis »68j, que l'on fit une
nouvelle Compagnie du Lovant, elle n'a eu aucune plainte du drap. » fl', f(/3,fol.
4<I4. Anh. Marine.
(t) Maigre- le peu de succès du Bureau de Cette dans la précédente compagnie,
il s'y forma une compagnie particulière en 1685. — V. Arnt du comàl du 3f
ttpûmbrc iftSf. fl'. 4')3,fol. ion : a Le roi ayant été inl'ormé que quelques parti-
'■■■iiijcrs de la ville de Montpellier ont fait une Société de commerce sous le nom
e Seconde compagnie de commerce de Cette pour l'envoi du vin et autres
enrécs aux Fclielles de l.\ Méditerranée... * — Cette compagnie ne dcv.nit fiiire du
F«omincrcc qu'en It.ilic et en Esp3;,nK-,
(3) Jean Louis Girardin de Vauvré, intendant de la marine et des fortifica-
tion» en Provence, cxer<;ait encore ces fonctions en 1707. — Il avait épousé en
L1680, la fille de Bcllinzani, directeur général du commerce. — L'n de ses frères,
lieutenant civil au ChJtekt, devint ambassadeur ^ Constantinople de 1685 à
t(^. II. I.
'J
194 '•'- Ri-i i:vuMKNT DU COM merci;
comprenait en outre cinq des principaux niarch:)nds et banquiers de
Marseille, qui devaient avoir seuls la direction des opération^ Çoui-
merciales et prélever de ce fait 21,2 pour cent sur la vente de toutes
les marchandises. L'association était formée pour cinq ans, à partir
du I" octobre 1685, avec un capital de 300.000 livres» divisé pn
quinze parts de 20.000 livres*.
Des arrêts du conseil et lettres royales du 1 5 août 1685 lui renou-
velaient les privilèges de la Compagnie du Levant, entre autres les
10 livres par pièce de drap vendue en Levant, les ip.ooo livres à
prendre sur la ville de Lyon, et 8.000 sur b ville de Marseille, qui
devait bénéHcier des nouvelles manufactures établies par la compa-
gnie, Seignelay, qui venait de s'approprier tous les les consulats du
Levant, lui en abandonna la jouissance moyennant un fermage peu
élevé de 30.000 livres. Le but principal de cette compagnie était
encore le développement des manufactures, elle avait commencé
par renouveler le traité avec les directeurs des fabriques de Saptes
et de Clermont, pour la fourniture annuelle de 600 pièces de draps ;
outre les draps fins, elle commençait i faire fabriquer dans le Laii-
guedoc des draps grossiers pour le Levant, Seignelay l'en félicitait et
lui promettait i 2 pistole par pièce d'étoffe qu'elle exporterait*.
Mais elle se proposait surtout d'éuiblir à Marseille des manufactures
de toutes sortes d'étoffes de soie d'or et d'argent, encore inconnues
en France et fabriquées \ Venise ou X Gènes, dont le débit était
grand dans le Levant. Les lettres royales du 15 août 1685 luiaçcorr
dèrent pour 20 ans le privilège exclusif de les créer «et de ^ir^
(i) L'acte d'association ne fut signé que le 21 septembre 168). Il se trouve
aux .Xrchiv. Je l.i Marine (/{', ./y;;, fol. /;-•"»/) : « Nou!> soussignés Louis Girar-
ilin, chevalier, seigneur ilc Vauvré, intendant de la marine du Levant, Jacques
André du Pilles, ècuyer. conseiller du roi. receveur i;énéral des iinanccs de
Lyt)n. IVanijois Benon, écuyer. trésorier de la marnie à Toulon. Joseph
Fibre, trésorier de la marine à Marseille, aiicnt de Savoie, Pierre Charles,
irési^rier des galères, Mathieu labre et l-ran<,-ois Sabain. banouiers de Marseille,
Pierre Tournay, commi^saire ordinaire de la marine, André Brun, directeur des
vivres de la marine, Nicolas Simon, directeur général des vivres des galères,
J.icques Belluze. de Messine, naturalisé français, marchand habitua à Marseille,
Rodolphe Chambon. marchand habitué d Marseille, intéressés en la Compagnie
du commerce de la Méditerranée, que nous nous proposons de faire tant au sujet
des draps de Saptes et Clermont en Lantruediv que des diverses autres manufac-
tures d'ètviffes d'or, argent et soie, t.uit dans la Méditerranée.... que l'Océan et
même jusqu'aux Indes, s'il est trouvé .1 pro[K)s.... pendant cinq années, i com-
mencer du I'' octobre prochain, .lux conditions suiv.intes... » 129 articles).
{:) Sfifiifh} ii H^cK (intendant général des galères de Vrance qui était entré
dans la Compagnie). — 20 iidi-Hibn- jt'S6. Deimno, t. 111, p. 6$4*
LA COMPAGNlb Oh LA MbDlTERRAMEE
195
venir des pays étrangers les ouvricrb, métiers et outils nécessaires
pour cet eifet. » Le soin de ces établissements était confié au sieur
Joseph Fabre, le vrai chef de la Compagnie: appuyé par son frère,
riche banquier de Marseille, il dominait le conseil des cinq directeurs;
la caisse était dans sa maison et les assemblées s'y réunissaient ; deux
Je ses frères, l'un .x^enx du commerce A Constantinople, l'autre,
consul de Smyrne, étaient les commissionnaires de la Compagnie
dans eus échelles et en recevaient un courtage exagéré de 4 0/0 ; les
maisons que Fabre avait auparavant A Constantinople et A Smyrne
étaient devenues les comptoirs de la Compagnie; les commis établis
i Alep furent aussi ses parents. Fabre reçut 8.000 livres par an pour
(/iriger ces m.inufactures, A condition de donner 3. ouo livres aux
intéressés pendant les cinq premières années.
La compagnie remplit le programme qu'elle s'était tracé*: elle
Comptait parmi ses membres un messinois, le sieur Belluze, depuis
longtemps établi A Marseille, où il avait fondé des manufactures de
^oies plates et A coudre, de damas A la façon de Messine et de
Cjcncs, de rubans, de taHétas, de satinades, qu'il était sur le point
<4 "abandonner. Li compagnie donna plus d'extension A ces essais :
i3tlluze, sous la direction de Joseph Fabre, continua A s'occuper des
ïaioics à coudre ; un génois, le sieur Monfredini, prit la conduite des
x-^ianufactures des autres étoffes. On fit venir de l'étranger quantité
«Je fc-mmes et d'entants pour dévider les soies A la manière des pays
^^trangcrs et on les distribua dans des couvents et autres lieux de
»^haritè de Marseille afin d'y instruire les femmes et les enfants qui
;^/ étaient enfermés. Ce ne fut pas sans difîiculté qu'on put avoir des
«:3uvriers étrangers. Les Génois s'émurent de cette concurrence faite
.^^^ l'une de leurs industries les plus florissantes. « Les magistrats des
fabriques de soie de Gènes firent emprisonner plusieurs ouvriers qui
^devaient venir travaillée A Marseille ; pour les faire sortir de prison
1& les obligèrent de donner caution de payer i . 500 livres pour
:hacun de ceux qui sortiraient de la ville de Gènes ; le frère du sieur
.^ionfredini, qui s'était chargé de les recruter, fut menacé d'unt;
L
{l) On chercha ccpcnd.int X la gêner. V. Lllie Jt Sfigiulay à Utgoii, S dicemlnt
M-6S6. Depping, t. 111, p. 6;4. V. Aicb. i/d lu Mat. B\ 491, fol. )}(>-4i ; « Les
■marchands du Tours et de Lyon forment des obstacles d ces établisscniL-nts, se
picTbuadant que les ouvrages de soie qui se feront ik Marseille diminueront le
«zommercc ou enchérironi les soies Ceci est utie crainte vainc, a
196 LE RELÈVEMENT DU COMMERCE
condamnation à mort et de la confiscation de ses biens'. En 1686 on
comptait près de 2.000 personnes employées aux manufactures qui
étaient sous la conduite du sieur Monfredini, pour l'établissement
desquelles on avait dépensé plus de 60.000 livres : 104 métiers y
travaillaient sous ses ordres*. Quant à la manufacture des soies à
coudre, elle avait envoyé i Cadix pour 50.000 livres de soies et elle
allait en acheter40. 000 livres pour sa provision pendant un an. D'un
autre côté, la Compagnie avait envoyé en diverses échelles environ
500 pièces de drap de Saptes et de Clermont qui lui avaient coûté
150.000 livres et elle continuait d'en envoyer par tous les vaisseaux
qui partaient.
Mais déjà les difficultés surgissaient ; dans ces différentes entre-
prises, la Compagnie avait engagé tout son fonds et, pour soutenir
son commerce, elle songeait aux emprunts, en attendant que la vente
des marchandises rapportées du Levant lui eût donné un fonds de
roulement*. En même temps, l'arrêt du Conseil de 1686, qui interdit
l'entrée en France des toiles et autres ouvrages de coton, porta un
grand coup à la Compagnie ; elle représenta au roi qu'elle n'avait
foit le traité d'exporter 600 pièces de drap que dans l'espérance
de les troquer en Levant contre ces marchandises*. Avec les difficultés
s'élevèrent des dissentiments entre les officiers royaux qui étaient
entrés dans la Compagnie pour complaire au ministre et les mar-
chands de Marseille qui la dirigeaient. « Il est certain, répondait
Seignelay aux plaintes de l'un de ceu.x-là, l'intendant des galères
Begon, que si vous ne prenez garde de près à la conduite des inté-
(:) IP, 4i)2,fol. 2J3. Mt'tnoirt des directeurs de la Compagnie de h Médiler-
ratu'e, 21 juin 16S6. Arch. de la Mur.
(2) Savoir : « 10 métiers de grands damas à la génoise dont il n'y a aucune
iabrique en France : 0 métiers de velours façon de Gènes, 2 métiers de satin de
1-lorence, 5 métiers de tabis fiiçon de Pise et Gènes, 6 métiers de petit tabis à la
génoise, 8 de sendalles à la génoise pour le Levant, 16 de sendalles lisses pour le
Levant, 5 de pnits daniasquins à la vénitienne, 40 de ruban façon Naples, 2 de
camelots de poil de chèvre . — De tous ces ouvrages qui ne font que commencer, il
y en a quelques pièces en magasin et on continue à travailler et à augmenter cette
manufacture de tous les ouvrages de soie qui se font dans les pays étrangers et
qu'on ne fait point en France .» l-;xtrait d'un Mémoire sur l'état actuel auquel
sont à présent les manufactures établies à Marseille par la Compagnie de la
Méditerranée, 20 juin }6Sf>. n',.p)2.fdl. i}6-.ir. Arch. de la Marine. Voir
aussi : Arcbiv. Kal. F", 6 fs : Mémoire pour M" de la manufacture de Marseille
des prix et qualités des étoffes qui se fabriquent à Venise pour le Levant, par
comparaison aux leurs, suivant les échantillons que je leur ai remis.
(}) B', 49^, fol. J4<>.
(\) IP, 41^2, fol. 26S. Mémoire des directeurs de la Compagnie.
LA COMPAr.Xir. DE l.A MÉDITRRRANfeE
19/
fc'sscs de 1.1 Comp.-ij^nic de h Mt-diterrancc, que vous dites avoir tous
des itucr<Jts particuliers dans le commerce du Levant, ils les prcR'-
rcront à rintcrC-t gênerai de cette Compagnie et 'ù ceux-mèmes des
intéressés qui n'y sont entrés que par ordre du roi, et principalement
du sieur de Vauvré et de vous'. » Un des membres de la Compagnie
adressa, en 1687, i Seignelay un mémoire uù il montrait la toute
puissance du sieur Joseph Fabrc et le profit qu'il en tirait, lui, ses
frères et ses parents : « la Compagnie, disait-il, n'a pas un commerce
cie cinq sols en quelque endroit qu'il n'en soit le maître. » Ces
plaintes furent écoutées h h cour et Seignelay envoya à Marseille
t\J[. de Bonrepaux, intendant génér.il de la marine, pour remédier à
la, situation : « S. M. lui fliit observer, disaient ses instructions,
«que le succès de la Compagnie n'a pas été aussi considérable qu'il y
vivait lieu de se le promettre par la mauvaise administration des
«directeurs établis sur les lieux et la division qui s'est glissée parmi
1 es intéressés ; c'est pourquoi S. M. veut que sa première application
^oit de tricher de concilier les esprits et de leur déclarer qu'elle
<^hassera de la Compagnie celui qui s'écartera de la conduite qu'il
«:joit tenir* ». Un règlement fut dressé pour l'-idniinistration des
^^flfaires de la Compagnie, mais celles-ci ne prirent pas une tournure
X-Tieilleure. L'année suivante ét;iit la dernière des cinq années de
L'association et ses membres ne songeaient sans doute pas \ la
"X-cnouvelcr, car le ministre, pour ne pas laisser tomber les manufac-
tures créées à Marseille, chargea M. de Vaus'ré de faire un traité
^avcc Joseph Fabre qui seul était assez habile et avait assez de crédit
^K>ur les soutenir. Fabre accepta et promit même de porter le nombre
«Jes métiers des étoffes d'or et d'argent de 30 i\ 60 ;\ condition que
la ville de Marseille continuerait à lui payer 8.000 livres pend.mt
«::inq ans, dont il devait donner î.ooo .\ la Compagnie pour la
^édomm.Tger de ses pertes ; il fut subtituê à la Comp.agnie par
lettres patentes du 19 octobre 1690, suivies d'un arrêt du Conseil
■mAu 31 octobre*.
(i) Stij^nthy il Btgon, jo sfptitnhrc 16S6. DEPPtNGf.t. III, p. 654.
(2) IP. 4'/S, jol, jSS : Motion f <:tn>anl d'imlriiction au sieur de Bonrtpoux que h
■^oi envoie /'OMr ioii serviu en Provence.
13) H'. 4<f2, fol. Si-S;. Mémoire. — Cf. S iiùvemlre jdçî. Exécutinn du
■jirivilojic accorde au sieur Fabre. — : « L'intention du roi est que vous l'obligiez
â travailler lortcmcni ]iour remettre sur pied cette manuraciure. S. M. veut
pourtant bien le déclurger de l'obligation d'tt;(blir 60 métiers à condition
cî'en avoir au moins Jo battants ci travaillants dans la prcmitre ;mii<Je et de les
198 LE RELEVEMENT DU COMMERCE
Cependant une nouvelle Compagnie se forma pour cinq autres
années en 1689 et le nouvel ambassadeur, M. de Castagnères de
CIiAteauneuf, reçût pour instruction d'offrir à la Porte, pour Ib
compte de la Compagnie de la Méditerranée, l'engagement de fournir
toutes les marchandises dont les états du Grand Seigrieur avaient
besoin en draps, étoffes, pelleteries et autres articles, ainsi que d'ex-
porter du Levant tous les produits qu'il offrait au commerce*. Cette
Compagnie avait encore un traité avec le sieur de Varennes, directeur
de la martufactui-e de draps de Saptes, qui s'engagea A fabriquer pen-
dant dix ans des draps Londres, les plus recherchés, â raison dé
600 pièces, les deux premières années, et i.ooo pics* pendant les
huit autres, ;\ condition que S. M. lui ferait prêter 30.000 livres
pour dix ans par la province du Languedoc. Les affaires de la Com-
pagnie ne furent guère plus brillantes, bien que ce fût alors la
période la plus prospère du commerce marseillais dans le Levant.
Elle présenta à Pontchartrain, en décembre 1690, un projet de bilan
qui ne satisfit ni le ministre, ni les associés qu'elle avait h Paris *,
car les chiffres n'en étaient pas rassurants : le total des effets de la
Compagnie en circulation s'élevait à 325.778 livres, ses dettes à
311.400 ; il n'était pas question d'encaisse disponible et le moindre
des accidents si fréquents dans le commerce du Levant pouvait
changer en déficit ce léger excédent d'actif de 14. 378 livres*. Les
pertes que les corsaires infligèrent ;\ notre commerce pendant la
guerre de la Ligue d'Augsbourg la ruinèrent et quand elle arriva au
ternie de son privilège elle ne le fit pas renouveler.
Les échecs successifs des Compagnies avaient découragé pour long-
temps les particuliers d'en recommencer la tentiitive et le gouverne-
ment de les y pousser. Cependant, en 1698, un projet de Compagnie
fut envoyé ;\ Pontchartrain qu'il séduisit et le ministre essaya de
augmenter dans les 4 subséquentes jusqu'à 40.... Comme le cat-actèrc du conces-
sionnaire fait douter qu'il réussisse, le roi trouverait bon qu'on lui substituât
les négociants qui seraient disposés A. prendre Sa place. Du moins il est néces-
saire qu'il accepte pour associé le sieur Manfredini qui s'est déjà occupé avec
succès de cette fabrication. » Boislisli:. Cmusp. n" 1006.
(i) Saint-Pkiest, p. 506.
(2) Mesure adoptée à Smyrne pour les draps.
(3) Je n'ai pas trouvé de documents sur l'organisation de cette Compagnie.
(4) B', 4ç6, fol. iSi-'S'J ■ Prnjiît de bilan des affaires de la Compagnie de la
Méditerranée tiré sur les livres jusques au 10 décembre 1690. — fol. i<ji-ij2 :
Mémoire des directeurs à Pontchartrain, 2S fèvr. ifnji. — Arch. de la Marine.
LA COMPAGNir Dr. LA M^DlTERRANâE
I99
flire entrer la Chambre du Commerce dans ses vues. « On a pro-
posé au roi, lui écrivait-il, de faire une nouvelle Compagnie du
Levanisur d'autres principes qui permettraient un meilleur succès...
mais S. M., qui veut par préiérence au bien p-irticulier celui de la
ville de Marseille, m*a periiiis de vous exciter A y en former une
générale de tous ceux qui négocient en Levant et qui voudrotit y
entrer » ; il lui demandait de s'entendre avec l'intendant Lebrct i ce
sujet, et, si elle n'entrait pas dans ses vues, il menaçait d'écouter les
propositions qui lui étaient faites pour l'établissement d'une nouvelle
Compagnie du Levant'. Mais M. de Lagny, directeur général du
commerce, condamna lui-même ce projet dans des termes qui mon-
trent quel changement profond s'était opéré dans l'opinion, depuis
dolhert, au sujet des Compagnies et du commerce de Marseille. « Il
3' a plus d'un an, Monseigneur, écrivait-il i Pontchartrain le 26 avril
3699, ^^^ ^o"s m'avez fait l'honneur de me faire communiquer une
première proposition pour mettre le commerce du Levant en Com-
pagnie... J'ai particulièrement eu en vue dans cet e.xamen de cher-
cher si en effet on peut établir le commerce du Levant en Compagnie
«t plus j'y ai pensé, moins j'ai trouvé que cela se pût ni dût faire, ni
«qu'on pût attendre par la régie des directeurs, agfcnts et commis
«l'une Compagnie^ des remèdes contre le désordre qui peut encore
•subsister dans l'administration de la Chambre du Commerce et des
«léputés et consuls de la n.uion en Levant, n'y a3Mnt rien d'imagi-
nable qui puisse suppléer au plan sur lequel cette administration est
naturellement fondée par ceux qui ont en commun le principal intérêt
<ic le faire fidèlement, ni de voie ^ pratiquer pour faire cesser les
abus de l'intérêt particulier, au préjudice de celui du public, par lés
membres de la Chambre et députés de la nation et autres particuliers,
•<jue par l'autorité du règlcmerit définitif qui est à faire*. »
Ainsi les idées de Colbcrt et de son entourage sur la nécessité
d'une Compagnie pour relever le commerce du Levant se trouvaient
condamnées par les laits, et le commerce des particuliers, qu'il croyait
voué il l'impuissance et aux abus, s'était peu à peu corrigé de ceux-ci,
et atteignait, au moment même où disparaissait la Compagnie de
la Méditerranée, la plus grande prospérité qu'il eût connue depuis
II) Lettit du 16 avril 169S. BP, S2.
li) Ldtrt de M. de Lagny à PonUfar train, 26 avril t66ç. Arch. de la Mûr B*, 49*?,
200 LE RELÈVEMENT DU COMMERCE
1620. Il est vrai que les entreprises de ces Compagnies avaient été mal
conduites ; préoccupées de contribuer au développement des manu-
factures, comme le voulait Colbert, elles avaient été des entreprises
industrielles autant et peut-être plus que des Compagnies de com-
merce et de navigation : la première Compagnie du Levant avait sept
bâtiments h elle, celle de la Méditerranée n'en avait pas. Pour plaire
au ministre elles avaient voulu faire grand et montrer tout de suite
leur initiative, engageant tout leur capital dès les premiers mois de
leur existence et se trouvant ensuite paralysées dans leurs opérations
par le manque de fonds. De plus, la vente des draps, qui faisait leur prin-
cipal commerce, fut toujours pénible et ne leur donna que des profits
insignifiants, quand elle ne leur causa pas des pertes. Mais la mau-
vaise administration des Compagnies fut une des causes principales
de leurs mauvaises affaires. Les jalousies et les rivalités, que l'on
reprochait au commerce des particuliers, jetèrent la discorde dans
leurs assemblées et parmi leurs directeurs qui ne recherchaient que
leur intérêt particulier. Le trop grand nombre d'employés et les
émoluments ou les courtages trop considérables qu'elles leur accor-
daient, grevaient en outre leur commerce de frais inutiles. Les
Compagnies profitèrent surtout aux directeurs ou i ceux qui se
poussèrent dans la faveur du ministre en les organisant. Non seule-
ment elles ne prospérèrent pas, mais elles ne donnèrent pas au
commerce du Levant cette impulsion nouvelle qu'en attendait
Colbert et dont on eût pu profiter après leur disparition. Le seul
bien qu'elles aient produit ce fut d'avoir fait naître quelques indus-
tries à Marseille, comme la raffinerie, ou les manufactures de soie et
d'étoffes d'or et argent, et d'avoir fiivorisé le développement de la
fabrication des draps du Lmgucdoc ; mais c'était avoir acheté bien
cher, au prix de tant d'argent et d'efforts, un résultat qu'on aurait
pu plus facilement obtenir en consacrant directement ;\ ces manu-
factures les sommes qu'on perdit pour soutenir les Compagnies'.
(i) En même temps que la Compagnie du Levant était créée il (ut question
d'établir à Marseille une grande banque et Colbert encouragea ce dessein. On
discuta surtout le projet curieux d'un sieur Qize. La banque avait pour double but
de délivrer la ville de ses dettes et d'y développer un grand commerce, ainsi son
dessein n'était pas sans offrir d'analogie avec le système que I^iuv devait proposer
plus tard pour payer les dettes de l'Etat et relever la prospérité du royaume. — V.
ce projet : BB, },fol. 220-22, 224-36, 241-62. — Projet ih la Chambre. lUi, s, fol.
262-'/S. — Dllib. du 24 mai et 6 juin i6']4. — Ordonn. de Rouillé du 26 sept. 16J4.
— Cf. Colbert à Antoul, 2s de'c. i6j2, à Rouillé 10 nov. lOj}. Lettres, t. II, p. Oyi.
te
LA BALANCE DU COMMERCE 201
Gilbert sV-tait attache avec tant d'ardeur à l'idée d'organiser une
C!ompat»nie du Levant parce qu'il voulait faire cesser l'exportation
«Je l'argent dans les échelles et y substituer les produits de nos
iTia nu factures. Comme tous les hommes de son temps, ii était pénétré
«Je cette pensée que l'argent faisait la richesse d'un pays et que
l«j commerce du Levant, tel que le faisaient les Marseillais, était
unestc. " Comme ce commerce consomme de très grandes sommes,
crit-il à Rouillé, il est certain que c'est l'endroit du royaume
j^ar où s'écoule dans les pays étrangers une bonne partie de l'argent
«z]ue l'industrie des artisans et des marchands de toutes les autres
çorovinces y attire. Aussi ne pourrait-on rendre \ l'état un service
j^lus considérable que celui de rendre ce transport d'argent plus
«difficile par les movens dont je vous ai autrefois écrit '. »
Cependant les Proven(,Mux, en important des soies, des cotons,
es laines, des cuirs, alimentaient les manuflictures de matières
"jarcmières, que le royaume ne possédait pas ou ne produisait qu'en
■«quantités très insulî*is;intes, et faisaient un commerce évidemment
I «^itile au royaume. Leurs profits considérables sur les monnaies leur
I permettaient de vendre les marchandises du Levant ;\ meilleur
HKTonipte et ce commerce était fort apprécié des Turcs qui manquaient
^Kde métaux précieux et de monnaie ^.
^B Les Provençaux fiusatent d'ailleurs sortir beaucoup moins d'argent
^^<Ju royaume que ne le pensait Colbert, car ils fournissaient l'Espagne
«.'t une partie de l'Italie de denrées du Levant et retiraient ainsi de
es pays la plus grande partie de l'argent dont ils se servaient dans: les
chellcs*. C'est pourquoi, sauf pendant les quatorze années du trafic
es pièces de 5 sols, les Français n'v déchargèrent que des piastres
(H j mars i6j(/. Ltltrts et Iiisl., t. II, p. Açf^. — « Surtout pensez bien que lu
:\i\ et unique av.nniago de ce commerce consiste A porter les MarscilLiis à porter
;n Levjnt ces ni.iuuCacturcs comme les Angbis elles Hollamlnis. »
(2) D'Arvifux f.iit ressortir d.ins un mémoire .iu roi que les Turcs nm besoin
le r.irgeut des Fmnçais, ce qui fait qu'ils ne se dd-clureronc contre eux qu'à la
iemiére extrémité, t. IV, p. 218.
(j) Les iatend;»nts, en comact journalier avec les Marseillais, comprirent mieux
jnc Colbert le caractère de leur commerce et essayèrent discrètement de modifier
►es idées. — Ainsi Rouillé lui écrit le 26 septembre 1679: « L'on doit être per-
suadé que le négoce des Marseillais dans le Levant apporte incomparablement plus
i'or et d'argent en France qu'il n'en fait sortir et que si ce commerce (de l'argent)
rcssaii. il passerait entièrement aux Anglais et aux Hollandais. » — « Les
-Anglais et les Hollandais portent moins d'argent en Levant que les Français, à
cause que leurs manufactures y sont plus recherchées, et de plus ils ont leurs
plombs et éiain dont ils font grand négoce. » àicIi, Nat, C, 4sS.
202 LE RELÈVEMENT DU COMMERCE
de rcàtix espagnoles, dites sévillanes ou mexiaines. Mais lé ti-ans-
port même de l'argent étranger ne paraissait pas moins préjudiciable
à l'état : « Quoique l'argent qu'on porte en Levant, dit d'Arvieux,
ne soit que de l'argent d'Espagne, il est certain que cet argent porté
à la inonnaie produirait de l'avantage au roi, au lieu qu'il en est
frustré quand il passe dans un pays dont il ne peut plus revenir*. »
Colbert avait une idée plus juste quand il pensait que Ife ctitii-
nierce se ferait d'une façon plus utile au royaume si l'oti vendait
dans le Levant des marchandises, car il contribuerait au dévelop-
pement de ses manufoctures en leur assuraiit des débouchés. Encore
fallait- il savoir si les marchands, qui soutenaient leur commerce
grâce h leurs bénéfices dans le trafic des monnaies, trouveraient les
mêmes avantages à vendre les « manufactures » du royaume et
particulièrement les draps. Colbert eut le tort de s'imaginer qu'il ne
tenait qu'aux Marseillais d'imiter l'exemple des Anglais et des Hol-
landais, il crut trop vite avoir mis les draperies du Languedoc sur le
pied de celles de Hollande et il se plaignait injustemeiit de la mau-
vaise volonté des marchands, qui, pressés de plaire au ministre,
n'eussent pas manqué de le satisfaire, s'ils avaient cru y trouver
quelque bénéfice. La série de déboires, causés en partie à la compagnie
du Levant par l'engagement qu'elle avait pris de vendre des draps,
put lui faire voir que les Marseillais avaient eu raison de se montrer
prudents dans ce commerce. C'est que, si la qualité des draps du
Lmguedoc s'était peu à peu améliorée, grâce aux efforts de Colbert,
les frais de production étaient trop élevés et le bon marché des
fabriques hollandaises mettait les Français dans l'alternative de rie
pas vendre de draps ou de se ruiner. Colbert se trompait encore
quand il montrait aux Marseillais l'exemple des Anglais et des
Hollandais, qui, selon lui, ne faisaient leur commerce qu'en mar-
chandises *. De tout temps nos rivaux avaient porté avec leurs draps
des quantités considérables d'argent comptant sans lequel on ne
pouvait négocier dans le Levant : les Hollandais remplissaient les
échelles de leurs abouquels, monnaie de mauvais aloi, tandis que les
Anglais prenaient en passant :\ Gidix des piastres d'Espagne.
On ne peut donc que blâmer Colbert de la sévérité avec laquelle
il interdit aux marchands français le commerce de l'argent dans les
(i) D'AuviEux, t. IV, p. 204.
(2) 2(; mars 1671;. Li'llie à Rouillé. Lettres, t. II, p. 6<)6.
LA BALANCE DD COMMERCE
ÎO3
iclles. Il n'osa cependant pas interdire absolument rexportation
iles piastres d'Espagne, parce que les avis qu'il recevait de la Chambre
du commerce et des intendants eux-mêmes, qui osèrent plusieurs
fois le contredire sur ce point, lui faisaient sentir que la défense eût
été impossible à faire respecter'. Le projet de coinpagnie du Levant
dressé par Colbert lui-même en 1669 lui permettait d'exporter par an
« h valeur de i. 000.000 de livres, ;\ condition que ladite somme di-
minuerait tous les ans, jusqu'à ce qu'elle put faire son commerce par
lie moyen des manufactures de France, » et les marchands Lyoïmais
[Suppliaient le ministre de de pas fixer de limite, tant que les manu-
factures ne seraient pas en meilleur état. Colbert avait donc tort
d'ajouter : « il sera fait très expresses défenses à tous autres mar-
chands de transporter aucun argent hors du rovaume sous peine de
la vie*. » Colbert dut se borner ù prescrire aux intendants d'employer
«les expédients pour réduire ce transport, tout en laissant voir que
«e n'était pour lui qu'un pis aller. Il écrivait à l'intendant Rouillé,
■<qui lui avait fait des objections à cet égard : « Si vous relisiez la lettre
<^ue je vous ai écrite sur cette matière, vous verrez bien que ma
pensée n'a jamais été de leur interdire en un instant le transport qu'ils
«n font, mais aussi vous devez être persuadé que l'on peut diminuer
<onsidérablement ce transport... Ce i quoi je vous ai convié par ma
lettre du 3, a été de chercher des expédients pour les obliger de com-
itafcilccr à chercher des manufactures pour diminuer toujours le
transport de cet argent. Vous pourrez même, entre tous les expé-
dients que vous trouverez pour les y porter, leur déclarer que, le roi
\oulant absolument empêcher ce transport, S. M, fera arrêter et
visiter par ses vaisseaux de guerre les vaisseaux qui iront dans le
Levant. Vow voudrez bien que je vous dise que vous devez traiter
cette matière comme la plus importante de toutes celles auxquelles
vous devez donner votre application, pendant le temps que vous serez
dans la même province*. >•
{i) HB, 26. 30 dfc. i6(ii. .4hx tUpulés en cour : « Si nous ne pouvons sortir les
rtiiix que nous relirons d'Hspagnc, ce sera le vrai moyen pour atUrtr tout le négoce
de notre ville i celle de Liporne... Infailliblement si cette pcrmissioh ne nous est
accordée, tous nos nC-gociants déserteront pour habiter à Nice ou Ligornc. 11
(3) .4ich. de la Mur., JP, .fSy, fol. 2tj-24, art. S et ^ du mhnoirt.
(j) 3<) mars iffjf). Lettres, t. U, p. <>9/>. — Rouilli lui r<ipoildit le 8 avril en lui
montrant encnrc la nfJcessitO de porter Je l'argent dans le Levant. — .\ auoi
" "hcft réplique le lo, qu'il ne veut pas l'interdire ; il faut pousser les M.irseill.iis
•porter des marcliandises en faisiint de temps en temps faire des visites de
204 I-E RELEVEMENT DU COMMERCE
Gilbert, pour intimider les marchands, fit faire de temps en temps
des visites de vaisseaux et des confiscations ; ces exécutions arbitraires,
en vertu d'une loi qu'on n'osait pas appliquer d'une façon régulière,
ne servaient qu'à jeter le trouble dans le commerce et A inquiéter inu-
tilement les marchands. Il croyait encoreatteindre son but quand, par
l'arrêt du conseil du ii avril 1675, il réglementait l'entrée en France
des réaux d'Espagne : il augmentait le poids qu'ils devaient avoir pour
entrer dans le royaume et diminuait le prix auquel on pouvait les
vendre. Cette mesure excita vivement les alarmes de la Chambre du
commerce qui l'avertit qu'il allait détourner vers l'Italie le commerce
des piastres d'Espagne'. Il accordait aux marchands qui enverraient
des draps dans le Levant la gratification d'une pistole par pièce pro-
mise ;\ la Compagnie du Levant*. Les difficultés que Colbert ren-
contrait malgré tout à obtenir la diminution du trafic des espèces
auraient dû lui faire sentir que les marchands devaient obéir A une
nécessité et non s'obstiner dans leur routine. Cependant, jusqu'à
la fin, il eut recours aux mesures de rigueur malgré les prudents
avis des intendants Rouillé et Morant : « Je n'ai rien à ajouter,
écrit-il à celui-ci en 1682, à ce que je vous ai écrit, qui consiste en
ce que les officiers de l'amirauté doivent confisquer sans difficulté...
Les raisons des marchands de Marseille sont toutes mauvaises ; c'est
à eux de chercher les moyens d'envoyer plus de manufactures du
royaume et moins d'argent*. » On ne saurait trop déplorer un pareil
excès de sévérité, dit avec raison M. Pierre Clément, d'autant plus
que les Marseillais avaient fait en réalité tous leurs efibrts pour satis-
faire le ministre.
C'est en r666, que Colbert avait pris une série de mesures pour
relever les manufactures du Languedoc et qu'il y avait attiré des
ouvriers hollandais pour fabriquer spécialement des draps destinés au
Levant : dès le 3 février 1667, la Chambre du commerce envoyait
quelques vaisseaux et confisquer quelque partie de l'argent qu'ils portent. — Voir
Leltres à Moraiit, 16 ocl., 1} nov., 16S1. iMItrs, t. JI, p y 16. — S janvier 16S2,
20 mai 16S2. Depping, t. III. — Il recominande toujours de faire des visites et
des confiscations de temps en temps.
(i) BB, 27. ;r) avril 16/). — Cf. L'Itres, t. III, p. 6ij>)-(/>. j mars, 29 mars
îô-ji), 2S août 16S1.
(2) 7 décembre i66(f, à Anioiù. Ixtlrcs, t. II.
(3) 12 février 16S2. Clûment. Ilist. de Colbert, t. I, p. 593. — V. BB, 2S.
}o janvier t6i)i. — Lettre du contrôleur général à Morant, }i mai i6S(y. Boislisle,
Corresp. n° 277.
(;n marchand drapier de Marseille pour examiner ces nouvelles dra-
peries. « Hier, à l'assemblc'e du commerce, écrivait-elle, pour
tionner contentement à M. de Colbert, il tut résolu d'envoyer exprès
ù Carc;issonne pour acheter cent pièces de drap de la ûbrique que
Vous avez marquée ù MM. les échevins, pour les envoyer en Levant
»it en faire la preuve..., si n'y a point de perte, et quand nous ne
retirerions que notre capital, pour donner s.uisfactioii à mondit
dolbert, nous continuerons ce négoce'. •» Qiielque temps après, la
CZhambre écrivait à son envoyé à Carcassonne : « Nous ferons notre
p>ossible A porter nos négociants \ s'intéresser ;\ ce commerce, ce qui
»^e sera pas difficile si cette fabrique a réussi au point que vous nous
«-iites*. » L'essai fut tenté et la Chambre envoya de ces draps ;\ un
«liarchnnd de Smyrne : « Vous trouverez, lui disait-elle, par les
^échantillons ci-inclus de belles et bonnes marchandises et des cou-
■t «urs aussi belles et si fidèles qu'on pourrait faire en Hollande,
sr%.itcndu qu'ils sont teints en écarlate. » Par un accident malencon-
treux, le vaisseau qui les portait s'échoua, on les retira du naufrage
«SI il tïllut les reteindre à Marseille, ce qui diminua fort leur beauté
«_:t leur qualité. La vente en fut laborieuse et six mois après, la
^IZhanibrc, pour la faciliter, était obligée d'envoyer à Smyrne de
X 'argent comptant'.
C'est qu'en réalité, malgré leurs réels progrès, les manufactures
«Ju Languedoc n'avaient pas encore atteint la perfection de celles
«Jes Hollandais et leurs produits étaient surtout plus chers. Quand
«3n forma la Compagnie du Levant, le chevalier d'Arvieux repré-
.^senta « que les manudictures de draps, établies en Languedoc pour
^zrontrefaire les draps d'Angleterre, de Hollande et de Venise, étaient
^srncore bien éloignées de la perfection, et de la bonté de ceux de ces
;^ays là, qu'il fallait se persuader que les Turcs se connaissaient en
niarchandises pour le moins aussi bien que les Espagnols qui sont
«>Jè si habiles connaisseurs, que nos plus habiles commerçants ne
^s^iuraient les tromper et, cela posé, qu'il ne fallait pas compter de
:^Ixirc un grand débit de ces draps, A moins qu'on ne réussit ;\ les faire
(i) Bli, 36. 4 février 1667, au déjmlr Ikmti.
(a) lui, J7. Litift iIh 36 avril t66j : li M. Boiineati, à Carcassonnt. — Cf. Ptii-
m**ulin à Coiktt, 37 ,ivril i66j. Depmng, t. 111, p. 801.
(5) Ltllrei à Louis Philipon, à Stnynu, 7 xloloii t66^, s 3 avril if'6S, BB, 16.
206 LE RELÈVEMENT DU COMMERCE
aussi bons et aussi beaux, que ceux des autres pays '. » En effet,
en 1671 la Compagnie était obligée de révoquer les commandes
qu'elle avait faites dla manufacture de Carcassonne et elle diminua
ses envois de draps jusqu'en 1683. Comment Colbert pouvait-il en
vouloir à la Chambre du Commerce et aux Marseillais de ne pas se
lancer dans un commerce que la Compagnie, avec tous ses avantages,
ne pouvait pas soutenir ?
Il avait du moins travaillé sans relâche, à mettre les manufactures
de draps dans cette perfection que réclamait le commerce, et les
soins qu'il donna à cette industrie doivent être loués sans restriction.
Richelieu s'était borné à déplorer la décadence et la ruine de ces
fabriques qui alimentaient seules le Levant à la fin du xvi' siècle ;
Colbert n'eut qu'un but, ravir aux étrangers la supériorité qu'ils nous
avaient enlevée. En 1666 il envoyait des statuts et règlements pour
les draperies du Linguedoc et chargeait le sieur de Pennautier de les
faire respecter; il les complétait par le règlement du 13 août 1669
et par une série d'arrêts du conseil rendus en conséquence. En
même temps, il fit venir des ouvriers Hollandais qu'il établit à Saptes,
auprès de Carcassonne, pour enseigner leurs méthodes : « Nous
avons trouvé, lui écrivait Pennautier, par l'expérience des Hollan-
dais, qui travaillent depuis six mois dans le diocèse de Carcassonne,
au lieu de Sapdes, que, jusques à ce que nos ouvriers aient attrapé le
secret, nous ne pourrons jamais faire les draps au prix qu'ils les
vendent ; ils ont l'art de faire un drap égal à ceux de Carcassonne
avec un tiers de moins de laine, et cette laine encore ils la filent et
l'apprêtent avec une diligence si grande qu'un de leurs ouvriers fait
plus d'ouvrage en un jour qu'un Français en une semaine. Les nôtres
apprennent tous les jours leur manière, et ce serait un très grand
dommage pour notre province si le petit désordre qui est arrivé
dans les affaires du sieur de Varennes ne lui permettait pas de
secourir sa manufacture d'Hollandais, qui est capable d'instruire
toute celle de Carcassonne, et cela mériterait bien qu'on l'aidât de
quelque chose s'il en avait besoin*. » Colbert favorisa en effet autant
qu'il put la manufacture du sieur de Varennes, qui, malgré les
difficultés, finit par prospérer et devint considérable après sa mort.
Il surveilla étroitement l'application de ses règlements destinés à
(i) D'Arvieux, t. IV, p. 204.
(2) Pennautier à Colbert, 27 avril 1667. Deppino, t. III, p. 8gI.
LA BALANCE DU COMMERCE
207
^v
^
jssurer la qualité des tissus et des teintures', et, grâce à ses soins
continues parses successeurs, nos draps du L.ini^ucdoc purent enfin
rivaliser avec ceux des étrangers. Aussi les Marseillais en portèrent
alors des quantités considérables dans le Levant^ sans qu'il fiit besoin
ur ceU des objurgations du ministre. Sans doute les manufactures
<ie draps, comme toutes celles établies par Colbert, coûtèrent beau-
coup d'argent, mais, ici du moins, les sacrifices lurent pleinement
récompensés*.
Colbert, qui s'était tant plaint de l'étroitcsse de vues et de l'esprit
c routine des Provençaux dans leur Lommerce, avait reçu pourtant
n 1666, des « Mémoires générallessur les manufactures qui seraient
roprcs dans la province de Provence ' ; » ils avaient été présentés
l'assemblée de la province et l'on y proposait de faire toute une
«irie d'établissements utiles pour le commerce du Levant. C'étaient
'abord les draperies qu'il était d'autant plus facile de fabriquer en
rovencequ'ony recevait en abondance les laines du Levant. « C'est
«n vain de dire, ajoutait le mémoire, que les eaux ne sont pas
■propres pour les belles couleurs et le toulage des draps. Notamment
•«dans Marseille on y voit des teintureries faire les teintures .achevées,
<:omme celle des nommés Roux, Ripert et quelques autres. L'écarlate
-cju'on n'a jamais su faire bien en France n"a-t-clle pas été faite à
^ïarseille il y a 50 ou 60 ans par un nommé ouvrier étranger,
codant I ) ou 20 ans, avec tant de réputation que le débit s'en
ais;itt en Levant sans le regarder pourvu qu'on vit la marque de
l'ouvrier, aussi il gagna des sommes immenses... et, s'en confiant
près à ses ouvriers, l'abus s'y glissa et ruina cette flibrique et l'ouvrier
ourut sans en apprendre le secret. » Aux draperies on pouvait
joindre les étoffes de soie, les tapisseries et les dentelles de toutes
rtes, les épingles et aiguilles, les quincailles, le raffinage des
ucres, la manufacture des papiers « qu'on peut dire qui est origi-
•nellcde cette province i l'exclusion de toutes les autres de France, »
la curaterie « qui a toujours été très fameuse en France et
<\m est aujourd'hui dans une entière ruine par la quantité de
cuirs ouvrés en toute façon qu'on apporte des pays étrangers.
(I) V. par exemple : Leitre à Pennautkr, ifi-]i. letira, t. H, p, 6^0. — A
VinUniant dt Baons, i} man 167t. Depping, t. III, p, 878.
Iz) Pour plus de deuils sur les raaaufacturet de draps, voir Pierre CLÉME>rr.
Hiir. dt Colbert ; Lcttrn ci Insl.
{}) Anh, Hat. P», 6.^5.
208 LE RELÈVEMENT DU COMMERCE
qui ne valent pas ceux de France. » Ces propositions n'eurent
aucune suite en 1666 et furent de nouveau présentées au
ministre en 1688 sans plus de succès. Il eût été naturel cependant
de créer ou de relever en Provence les industries spéciales qui
pouvaient alimenter le commerce du Levant et celles qu'étiblit la
Compagnie de la Méditerranée peuvent être considérées comme
l'application d'une partie de ce programme dressé par les Proven-
çaux en 1666.
En somme il y aurait i relever plusieurs erreurs dans les concep-
tions commerciales de Colbert, si on les jugeait d'après les idées
économiques de notre temps, car il partageait toutes celles de son
époque. En confirmant X Marseille le monopole du commerce du
Levant, en voulant en réserver la jouissance i\ une Compagnie, en
condamnant absolument le trafic des espèces, il était d'accord avec
les gens les plus expérimentés d'alors, comme, après lui, ses succes-
seurs en réglementant le commerce \ outrance. Mais si le commerce
du Levant souffrit de l'application du système commercial de Colbert,
combien n'y gagna-t-il pas davantage ? Li poursuite des abus, contre
lesquels les marchands réclamaient en vain depuis si longtemps, la
liquidation presque achevée des dettes des échelles et du commerce,
l'affranchissement du port de Marseille, les privilèges destinés à
attirer les étrangers en France, les encouragements à la marine
nationale, les efforts pour créer et développer les manufactures,
suffiraient seuls i la gloire d'un grand ministre, si Colbert n'avait
laissé tant d'autres titres h l'admiration de la postérité.
CHAPITRE IV
LE RENOUVELLEMENT DES CAPITULATIONS ET LA LUTTE
CONTRE LES BAKBARESQUES
Malgré tous les efTorts de Colbert, le commerce se releva pénible-
ment et resta dans une situation précaire jusqu'à sa mort. Il lui avait
Ëillu en effet tout son ministère pour faire cesser les désordres et
encore cette tâche n'élait-elle pas complètement terminée en 1683 ;
mais surtout il n'avait pas réussi à rendre à la navigation et aux
échelles la sécurité dont les négociants avaient besoin pour risquer
leurs capitaux et les armateurs leurs navires. Les relations avec la
Porte étaient devenues plus tendues et avaient failli même être
rompues complètement, puis s'étaient renouèes, mais la réconci-
liation avait été peu sincère. Quant aux Barbaresqucs, Colbert .ivait
usé tantôt de l'intimidation, tantôt de la diplomatie, pour les amener
à respecter les traités, il mourut les laissant en guerre ouverte avec
nous.
Depuis 1660, la France n'avait plus qu'un résident à Constanti-
nople; Louis XIV s'était vengé des insultes faitesàsonambassadcuret
des avanies supportées par les Français en envoyant des secours aux
Vénitiens .1 Candie et à l'armée impériale en Hongrie. L'expédition
de Bcaufort i Gigeri et la bataille de S'-Gothard portèrent au plus
haut degré la mésintelligence entre les deux puissances et les choses
en étaient venues au point qu'il fallait, ou rompre tout à fait, ou
changer entièrement de conduite pour renouveler l'alliance. Si les
Français avaient cru obtenir des Turcs des concessions par l'intimi-
dation, ils s'étaient complètement trompés et le seul résultat atteint
avait été d'attirer une recrudescence d'avanies sur leurs marchands.
Colbert n'envisageait que les intérêts du commerce et regardait une
rupture avec les Turcs comme une affaire désastreuse, c'est pourquoi
210 LE RELEVEMENT DU COMMERCE
il fit décider un clîangement de politique en 1665. Louis XIV
écrivit au sultan pour justifier les secours qu'il avait donnés à l'armée
impériale l'année précédente, par l'obligation où il était, comme
prince de l'empire, d'en aider le chef. L'explication était pauvre ; la
réponse du vizir, sans être satisÉiisante, décida cependant l'envoi d'un
ambassadeur. M. de la Haye Ventelay, fils de l'ancien, était alors à
Paris où il sollicitait un emploi et le paiement de plusieurs années
d'arrérages dûs à la succession de son père ; il demanda l'ambassade
et l'obtint, grâce à de puissantes protections, en renonçant à ses
réclamations d'argent. Ce choix était mauvais : M. de la Haye
connaissait les affaires du Levant et la cour de Constantinople, où il
avait résidé avec son père, mais il était d'un caractère hautain et peu
accommodant et les violentes querelles que son père et lui avaient
eues avec Koeprilû Mohammed le mettait dans une position difficile
vis-à-vis de son fils Kœprilû Ahmed, alors vizir. Ceux qui en avaient
tiré argument auprès du roi pour lui persuader qu'il était de son
honneur que M. de la Haye allât le représenter, afin que le grand
vizir fût obligé de lui faire réparation des humiliations que son père
lui avait autrefois fait souffrir, avaient donné un singulier conseil.
M. de la Haye arriva à Constantinople le i*' décembre 1665 sur
un vaisseau du roi, avec des instructions du 22 août 1665, rédigées
par Colbert lui-même, et les mémoires que lui avait remis la Chambre
du commerce : le principal objet de sa mission était de renouveler
les capitulations. Il reçut un très mauvais accueil et réussit aussi
mal que possible. En 1667, l'éclat du secours conduit par le duc de
la Feuillade à Candie, attira à nos marchands de nouvelles avanies
et leurs plaintes décidèrent le roi à rappeler son ambassadeur. M. de
la Haye reçut cet ordre à la fin de 1668, mais, désireux de se main-
tenir à Constantinople, il intrigua auprès des ministres du sultan
pour renouer une négociation ; ceux-ci, voulant éviter une rupture
immédiate, se prêtèrent à son jeu, mais, pour traîner les choses en
longueur, le grand vizir prétexta qu'on ne pouvait faire fonds sur un
ambassadeur rappelé par son maître et qu'il fallait avant tout envoyer
en France pour savoir les intentions du roi'. L'ambassadeur, heureux
(t) Sur l'ambassade de M. de la Haye, voir, en dehors des documents des
archives des aff. (itrang., Chardin, 1. 1, p. 9-14. — d'Arvieux, t. IV, p. i u et suiv.
— Saint-Priest, Mémoire, p. S2-S$, 221-26. — La vallée, p. 313-315. Les lettres
envoyées en 1669 à la cour par de la Haye sont curieuses ; à l'entendre, les
Turcs sont prêts à accorder les capitulations les plus avantageuses. — Lettres du 9
et jy avril 166^. Affaires étrangères. Carions commerciaux. Constantinople.
LE RENOUVELLEMENT DES CAPITULATIONS
au
de rester, accepta cet expédient et fit embarquer i sa place, sur l'un
des quatre vaisseaux du roi qui l'attendaient, un envoyé du sulun
Soliman nga. Celui-ci débarqua AToulon le4aoùt 1669, et fut traité
magnifiquement, par les officiers du roi i Toulon, par la Chambre
du commerce ù Marseille. Arrivé h Paris, il fut reçu en audience
solennelle par de Lionne et par le roi, mais attendit jusqu'à la fin de
novembre une réponse aux lettres du Grand Seigneur'. Li cour
était en effet irrésolue et parut d'abord pencher vers une rupture»
aussi le rappel de M. de la Haye fut confirmé. Au moment où
Soliman aga s'embarquait pour la France un nouveau secours français,
plus considérable que le premier, avait été conduit A Candie par les
ducs de Bcaufort et de Navailles. Cette inutile expédition* qui avait
compromis l'honneur des armes du roi, rendait encore plus difficile
un accommodement. Chardin rapporte que le ^jrand vizir ayant
demandé au chevalier Molino, plénipotentiaire vénitien, pourquoi
Candie avait résisté si longtemps, celui-ci répondit que c'était à
l'instigation du roi de France, qui avait promis à la république de
déclarer la guerre au.\ Turcs. Kaprilù, prévoyant la possibilité
d'une rupture, expédia en Espagne un renégat portugais pour faire
à cette cour des ouvertures d'alliance et celle-ci de son côté envoya
i\ Constantinoplc un prêtre portugais nommé Allcgrctti.
Cependant, l'influence de Colbert, qui venait de publier l'édit du
port franc et qui travaillait a organiser la Compagnie du Levant,
l'emporta sur les partisans d'une rupture dans le conseil du roi et
l'on décida qu'on enverrait un autre ambassadeur. Il y' eut alors des
discussions pour savoir si le roi se ferait représenter par un ambas-
sadeur en titre ou s'il n'aurait ù Constantinople qu'un simple rési-
dent, comme l'avait été le sieur Roboly de 1660 A 1665. D'Arvieux,
qui désirait ce poste pour lui, présenta a de Lionne et à Colbert un
mémoire où il montrait les avantages d'un résident, mieux disposé i
s'occuper des intérêts du commerce qu'un ambassadeur, trop fier de
sa dignité et dédaigneux des affaires des marchands; un résident
coûtait beaucoup moins cher, et, comme on était toujours exposé à
Constantinople aux mauvais traitements des ministres, l'honneur du
(i) Sur Soliman .iça, voir d'AhVieCx (l. IV, 125-150) qui fut tris mùlë à sa
négociation parce qu'il était le seul Ji pouvoir converser couramment avec l'envoyé
t]u sultan.
(3) L'expédition arriva à Candie le 34 juin [669; Navailles se rembarqua le
Il août; Candie se rendit et les Vénitien» signùrcut la paix le 6 septembre 1669.
212 LE RELEVEMENT DU COMMERCE
roi serait moins en péril qu'avec un ambassadeur'. Colbert ayant
voulu avoir sur ce sujet l'avis des Marseillais, d'Oppèdeet Arnoul,
ses conseillers, après avoir consulté la Chambre du Commerce et les
négociants les plus expérimentés, répondirent qu'il était préférable
d'envoyer un résident*. Mais Louvois et Colbert de Villacerf
appuyaient fortement M. de Nointel pour l'ambassade ; la Compa-
gnie du Levant, qui pensait en recevoir une assistance plus forte
pour son commerce, changea l'opinion de Colbert et Nointel fut
choisi comme ambassadeur.
• C'était un conseiller au Parlement de Paris, savant et curieux,
qui, poussé par le désir de connaître l'Orient, avait été autrefois à
Constantinople '. M. de la Haye s'était montré trop rude et emporté
vis-à-vis des Turcs; Nointel, au dire de Chardin qui le vit à Cons-
tantinople, était beaucoup trop doux pour négocier avec eux. Il
partit en août 1670 avec Soliman- Aga, fut conduit par quatre vais-
seaux du roi et arriva à Constantinople en octobre *. A sa première
audience, il remit au grand vizir un mémoire en 30 articles ". Le roi
demandait le renouvellement de l'article des capitulations de 1604
qui obligeait toutes les nations qui n'avaient pas d'agent à la Porte
à prendre la bannière de France et à se mettre sous la protection de
notre ambassadeur, car les Turcs prétendaient que l'emploi de la
bannière française était fiiculiatif. Le mémoire contenait encore trois
demandes essentielles : les Français ne paieraient que 3 0/0 de
douane comme les Anglais, les Hollandais et les Génois, au lieu de 5
(1) Mémoire présenté au roi, t. IV, p. 3oy-3jp. (Donné à de Lionne et à Colbert,
le 20 janviert 1670).
(2) BB, 26. Mémoire envoyé à la Cour, 24 août i6jj.
(î) « Il s'appelait Charles-François Olier... il était âgé de 40 ans, d'une taille
médiocre, il avait le visage long et le teint brun, le poil noir, le nez aquilin, les
yeux grands, d'une coniplexion mélancolique, il était grave comme il convient à
un magistrat, il parlait jieu, avait la voix grosse, rude et peu agréable... il était
savant, fort sage, fort posé et fort homme de bien. » D'.Arvievx, t. IV, p. 243.
— La correspondance de Nointel (Aff. élrang. Carions commerciaux) au sujet du
renouvellement des capitulations est très-volumineuse.
(4) M. de la Haye s'embarqua en décembre sur les mêmes vaisseaux pour revenir
en France.
(5) V. Lettre de Nointel adressée d'Andrinople, 51 janvier 1671 : Liste des
articles proposés pour les GipituLitions. — L'article sur la mer Rouge ne s'y
trouve p.ns ; Nointel voulut en effet en faire l'objet d'une négociation à part :
« Je n'ai p.is jugé .à propos de confondre l'article de la mer Rouge avec tous les
autres, me réservant, après qu'ils seront terminés, d'en faire une négociation
particulière en l.iquelle j'espère de réussir puisque l'avantage de la Porte s y trouve
entièrement. » {Aff. élrattg. Carto.ts commerciaux).
LE RENOL'\TLLEMENT DES CAPITULATIONS
213
qu'ils payaient actuellement. Le Grand Seigneur accorderait aux
Français la libertc^ de trafiquer aux Indes par ses états et notamment
par le canal de la mer Rouge, sans payer d'autres droits que ceux
d'entrée. Il ferait rendre aux religieux catholiques romains de Terre \
Sainte les Lieux Saints dont les Grecs les avaient chassés en 1638.
Colbert attachait une importance particulière au droit de com-
mercer par la mer Rouge, qui jusques là avait étc interdite aux
chrétiens .à cause du voisinage de la Mecque; dès 1664, il .avait
présenté au Conseil de commerce un mémoire ;\ ce sujet : il avait
«!'tc nettement frappé de ce fait, que la route de l'Inde par le Gip
^uii trop longue et que l'ancienne route, par l'Egypte, Suez et la
mer Rouge, était de beaucoup Li meilleure; en la rouvrant aux
Tnarchands français il espérait leur donner le monopole du commerce
*le l'Inde; aussi les instructions de M. de la Haye puis de M. de
"Mointel insisuicnt-elles sur ce point '. « Il faudrait tâcher, écrivait
Colbert A Nointcl, de fiiire un traité avec le Grand Seigneur par
lequel il nous fût permis d'avoir ;\ Alexandrie ou au grand Caire des
"\-aisseaux qui reçussent les marchandises que d'autres vaisseaux
amèneraient par la mer Rouge d'Aden i Suez, ce qui abrégerait la
navigation des Indes de plus de 200 lieues. » Ces idées n'étaient
-pas nouvelles; des faiseurs de projets les avaient émises déjà du
temps de Richelieu'. Les autres réclamations présentées par Nointel
•étaient de moindre importance, mais elles devenaient considérables
par leur nombre''. Le Divan traita ces prétentions d'exorbitantes et
même de ridicules et le grand vizir, qui ne cherchait qu'à gagner du
temps, feignit de croire que M. de Nointel avait outrepassé ses
instructions; avant de lui accorder audience^ il exigea de lui la pro-
(1) Voir à ce sujet : Vandal : Louis XIV et l'Expie.
(2) V. pAge 112. — Voir en outre les mémoires trirs curieux remis il Gilbert
par Jacques Snv,ir)-, l'auteur du Paifail yiêgociaiit, p. 5)9.
(3) En voici quelques-unes: Le mi de France scr.iit reconnu i h Porte comme
le seul protecteur des chrétiens. Tous les cliréticns du rit romain qui étaient dans
rcniptrc ottom.in seraient reconnus et considérés comme étant sous la protection de
S. M. — Les capucins français de Constantinoplc pourraient relever une église à
Galata, consumée par le feu il y avait ij ans, — Toutes les églises des chrétiens
romains qui étaient dans l'empire ottoman pourraient à l'avenir être réparées et
rclc\-écs autant de fois qu'il serait nécessaire, sans qu"il fût besoin d'en demander
la permission. — Tous les Français qui étaient esclaves en Turquie seraient mis en
liberté, etc..
[
214 lE RELÈVEMENT DU COMMERCE
messe que, dans les six mois, il ferait venir une lettre du roi qui
confirmerait nettement les articles du mémoire '.
Les négociations ne s'ouvrirent pour le renouvellement des
capitulations qu'à la fm de mars 1672. Elles furent pénibles : pour
éviter des froissements le grand vizir voulut négocier par intermé-
diaires et il se servit de son premier interprète le grec Panaioti, très
mal disposé pour notre nation*. Noin tel remit au grand vizir un
nouveau mémoire des demandes du roi, bien moins développé que
1 le premier ; il ne contenait que 1 1 articles, on le trouva encore
< exorbitant. A l'instigation de Panaioti, ennemi des catholiques, le
; vizir déclara qu'il accorderait la diminution des droits de douane et
; l'autorisation de commercer par la mer Rouge, mais à la condition
\ qu'on ne parlerait pas de la Terre Sainte'.
\ Enfin tout parut conclu le 26 mai, mais Nointel, se confiant aux
conventions orales, n'avait pas pris la peine de fixire dresser en sa
présence le modèle des nouvelles capitulations. Le lendemain, quand
il reçut les articles écrits, il vit que l'article concernant les nations
étrangères n'obligeait pas, comme il l'avait demandé, celles qui
n'avaient pas d'ambassadeur à la Porte à prendre la bannière de
France. L'ambassadeur s'en plaignit vivement et fit dire que si cet
article n'était pas rectifié il n'acceptait pas les Capitulations. Koeprilû
le prit au mot et déclara qu'il retirait sa parole pour ce qu'il avait
accordé. Ce fut un coup de foudre pour Nointel : une légère négli-
gence le faisait échouer au moment où il touchait au but ; il essaya en
vain de voir le grand vizir qui allait partir avec l'armée et qui le pria
(i) Le mauvais accueil reçu par M. de Nointel faillit de nouveau amener une
rupture. Colbert chargea d'Oppcde {V. Lettre Je Colbert du }i mai i6ji. Depping,
t. III, p. 467) de consulter à ce sujet la Chambre et les principaux négociants.
D'Oppède, Arnoul et la Compagnie du Levant, pensaient, comme l'ambassadeur,
que l'envoi d'une escadre aux Dardanelles ferait céder le Divan ; le Commerce de
Marseille fut d'abord du même avis, cependant il s'effraya des suites d'une rupture
et envoya au roi des mémoires pour lui en faire voir le danger (20 août i6yi.
Depping, t. III, p 553). — Le roi, qui s'était décidé à ùire la guerre à la
HoU.inde, résolut de tenter un nouvel effort pour accommoder les choses. Le
chevalier d'.\rvieux fut chargé de remettre une lettre de M. de Lionne au (îrand
Vizir, en même temps qu'il portait de nouvelles instructions à M. de Nointel
pour la continuation des négociations. Parti en septembre 1671, il n'arriva à
Constantinople qu'à la fin de février 1672.
(2) V. sur P.inaioti d'ARViEUX, t. IV, p. î82.
(3) En 1634, un grand vizir avait reconnu aux Grecs la propriété des Lieux
Saints. — En 1636, un autre vizir la rendit aux Cordeliers. — En 1638, un
troisième vizir la redonna aux Grecs. Depuis, les religieux Latins avaient fait, pour
en obtenir la restitution, de vains efforts appuyés par l'ambassadeur de l'empereur,
en 1665, par letaile de Venise en 1669. — Chardin, t. I, p. 20.
E RENOUVELLEMENT DES CAPITULATIONS
^lle^ttendre ;ï Consr.intinople la résolution du Grand Seigneur.
Nointcl partit donc d'Andrinople; ses instructions primitives lui
ordonnaient de s'embarquer, s'il n'obtenait pas les Capitulations,
mais la guerre de Hollande était engagée, il avait reçu l'ordre de
temporiser. Il laissa donc repartir (29 juillet 1672) d'Arvieux sur
le vaisseau qui l'avait amené, emportant avec lui les dépêches de
l'ambassadeur pour la Cour'.
Heureusement les foudroyants succès de Louis XIV en Hollande
produisirent un effet considérable sur le Divan ; les ministres du
G. S. s'eff^rayèrent à l'idée de consommer la rupture avec la France
et Nointel sut habilement exploiter ces dispositions. Le grand vizir
fit venir l'ambassadeur à Andrinople et lui remit, enfin, les Capitu-
lations avec des lettres pour le roi et ses ministres (5 juin 1673).
« Le renouvellement des Capitulations fit grand bruit à la cour et à
la ville et beaucoup d'honneur à M. de Nointel. On en parlait
comme d'une merveille. On mit ce grand événement dans la
Galette; on fitcrierpar les colporteurs des relations imprimées qui
avaient pour titre : Le renouvellement de la nouvelle alliance du
Grand Seigneur avec le roi et le rétablissement de la foi catholique
dans l'empire Ottoman par M. de Nointel*. » Il n'avait cependant
pas remporté un brillant succès diplomatique. Les principales
demandes qu'il avait présentées avaient été éludées; il n'était pas
question dans les Capitulations du passage aux Indes par la mer
Rouge, auquel Colbert tenait tant. La négociation avait semblé sur
le point d'aboutir, mais, au dernier moment, le Divan avait invoqué
li nécessité de demander l'avis du mufti qui, çpnformétnent ;\ son
désir, se montra nettement opposé à l'introduction des dirétiens dans
la mer Rouge, sous prétexte que leurs vaisseaux pourraient irisuliçr
ou enlever le tombeau de Mahomet. L'ambassadeur anglais avait
même insinué au Divan que les Français avaient le projet de s'em-
parer de l'Egypte. Nointel, dans le voyage qu'il fit par la suite aux
Lieux Saints, avait l'intention de pousser jusqu'en Egypte pour
négocier avec le pacha un arrangement particulier, mais le vizir lui
ordonna de revenir ;\ Constantinople. Louis XFV n'avait pas obtenu
davantage la restitution des Lieux Saints ni le protectorat exclusif
(i) Voir, pour tout ce récit, d'Arvieux, t. IV, p. 254-455. — Chardin, 1. 1,
p. 15-12 — cJ Jes ouvrages spéci;iux Saint-Priest, Lavau.é£, Flass.\n, etc.
(j) d'Arvieux, t. V, p. 54.
iCJK.
I^M
HELÈVEMI
)M.MERCB
des chrétiens du Levant qu'il avait d'abord réclame. Un des points
les plus importants pour nou-e commerce était l'obligation pour les
étrangers qui n'avaient pas de capitulations de se mettre sous la
protection de notre bannière et de nos consuls, or cette obligation
n'était pas mentionnée dans le traité. La seule concession importante
qu'il contenait était la réduction des droits de douane -1 } o/o, elle
nous mettait sur le même pied seulement que les autres nations*.
Le renouvellement des Capitulations ne fut donc pas, comme
il l'aurait flillu pour le commerce^ un renouvellement de l'ancienne
alliance ; arraché par l'intimidation il n'avait eu pour but que d'éviter
une rupture, mais il n'indiquait pas des dispositions bienveillantes
entre les deux cours. Jamais le commerce n'avait eu autant \
soutTrir des avanies que p)cndant les dix années précédentes; en
1668, la Chambre du commerce évaluait les engagements des
échelles dus au.x dernières avanies à 100.000 piastres. Après 1673,
vizirs et pachas continuèrent A être hostiles au commerce français et
les marchands eurent plus d'une fois encore à se plaindre de leurs
vexations *. En effet, pendant les deux premières années de l'arabas-
sadc de M, de Guilleragues (1679-81), les relations avec la Porte
avaient pris de nouveau un caractère très aigre *. Les instructions
de l'ambassadeur lui prescrivaient d'exiger, avant de prendre
audience, qu'on lui préparât un sopha pour s'asseoir en face d
virir, suivant l'ancien cérémonial que le nouveau vizir Kara Mus-
tapha a%"ait refusé de suivre pour M. de Nointel *. Kara Mustapha
très ennemi des chrétiens, n'était pas homme à céder et Guillera
gucs resta plusieurs années sans obtenir ses premières audiences -=
U) Les AneUis, Ict Hofiândùs, les G^noù ptvaicai ) 0/0 ; ks AUemands et le
V^tîcBS itsteiem scub à {Mfcr s o^Y».
(a) V. Uttn et U Chwtrr à Cdkrt, ti mù 1677. BB, 36. - Cnmiairt Je M
CàaafirY amx tcmpdi, i« ttf timàit 1679. BB. ?6. — Proci$-v>crb(2l iTaranie
cawrto i ii. ^ CdUengoes par d'Ameus, coosiU «fAkf en 1681. Mé»m .
t. ri, f. -TV.
(^) Gabckt-loMah de h Vo^ ée Goilcragnes, xoaa premier président à
k cour Jes aioB oe Botdonn, puis scoteiic éa priaoe de Cooti et ^ecrvuire du
caMaet dn rai. — > D PJBsak a ne à Piris dans la booDc compagnie et le coiiuiiaCT
dt» COB de lettres. BoîIcmi In adreni sa 7* èfitrt. — Le m l'cnvova à Cas»-
tB^BMde pour reuîre sa m lune ^m éUm doaDrte. a Je coonte, Im dk
Looit mV, lofs^ll pnl 'oaagL, <fae voaft «oos ooaJaucx oaienx en Turquie avt
vùtK piMénciwiii. • — « Suc, tépcmSx Gaateagnes. f espère qœ V. M. no
£npasa«Kaatiaaa»cctoe«r. » — S*D(r-ftflBr, p. S}:-};.
UÎ KoîBMlaMil aoocptt de s'aiaeairsar as aboaretaa bas de rcstndeoà ëaà
le ^iiir. — Ce ta b caaae de m taffel, WÊin soa crédk ztaàx été dé^ irtt
■ fu Ws — fceeBsa pliiaif 1 de» — cfapds am tofet de ses ventians.
LE RENOUVELLEMENT DES CAPITULATIONS 217
JBn i68r, la canonnade de Duquesne à Cliio et ses menaces au
capitan pacha' irritèrent au plus haut point le vizir, autant qu'elles
i 'effrayèrent. Il reçut l'ambassadeur avec colère, le menaça des Sept
Tours puis le retint pendant trois jours dans une chambre de son
j-îalais. Guilleragues rejeta la responsabilité de l'affaire sur les Trlpo-
litjs et refusa toute satisfaction. Il eût été facile de tirer vengeance
t3es affronts qu'il avait subis: Duquesne ne demandait que dix
'vaisseaux de ligne pour forcer les Dardanelles et faire obtenir à
I^. de Guilleragues tout ce qu'il demanderait. Scignelay entra plei-
»iement dans ses vues et prépara une puissante démonstration navale.
.^ais les Français de Constantinople, craignant de graves dangers
I^our le commerce si on en venait i des extrémités *, persuadèrent X
l'ambassadeur d'apaiser le grand vizir par l'offre d'un présent. Kara
-Mustapha, très inquiet de son côté des suites de ses violences,
accepta avec empressement : le présent s'éleva à 60.000 piastres
«environ ; avec les cadeaux accessoires que l'ambassadeur dut distri-
l)uer pour cet accommodement, la dépense s'éleva A 250.000 livres,
«que les intérêts des emprunts contractés aux échelles pour la payer,
:4îrent monter à 400.000 livres^; ce fut la dernière grande avanie
«que le commerce eut h supporter.
Les relations s'améliorèrent entre la France et la Turquie i partir
«de 1683 ; l'alliance redevint solide et l'influence de notre ambassa-
«Jcur resta jusqu'à la fin du règne, sinon toujours prépondérante,
«lu moins toujours considérable. Les deux états sentaient, en effet,
le besoin de s'appuyer l'un sur l'autre : les revers qui avaient suivi
la levée du siège de Vienne adoucirent l'orgueil des Turcs ; le suc-
H) Voir p, 237.
(2) L'affaire de Chio f.iis.iit gntnJ bruit dnns les tchcUcs et les Anglais
cssavaicnt d'en profiter pour ruiner notre nation; ils répandaient de faux bruits
Sur (a rupture de la Porte avci; la France dans l'espoir de soulever les Turcs contre
10s résidents. — V. d'Arvifux, t. VI, 238-4 1, 248-49, 252 : dét.iils intéressants
fsur les intrigues des Angl.iis à .Mep.
(3) BB, 4. fol. 416 et mit'. — Pour les détails de l'affjirc de Chio, voir d'.\R-
' VIEUX, i. VI, p. 28) et suiv. — Saint-Pkiest, p. 90-95 et 235-35. .n suivi son
récit. — Il reproche à M. de Guilleragues l'envoi du présent comme un manque
Je fermeté |p. 235). Ce ne fut pas le sentiment des contemporains, unanimes à
louer Lt fermeié de l'ambassadeur. La Chambre du commerce elle-même, bien
<jue le paiement des 250.000 livres fût une lourde clurgi; pour te commerce, féli-
cita vivement M. de Guilleragues de sa conduite : « Nous apprenons avec admi-
ration la fermeté avec laquelle votre Excellence agit si utilement cti l'aftairc de
Chio. » j nmtmbrt 16S1. — 21 juillet 16S2 : elle lui envoie de très humbles
rcmerclments de son couMge. — HB, 37.
2l8 LE RELÈ\'EMENT DU COMMERCE
cesseur de Kara Mustapha craignit que la France n'accédât à la ligne
générale que les puissances chrétiennes du centre de l'Europe firent
alors contre la Porte'. De son côté, Louis XIV, qui avait aussi con-
tre lui une partie de l'Europe coalisée, comprit mieux l'utilité de
l'alliance turque*. M. de Guilleragues ne fut pas étranger à ce rap-
prochement ; il s'était fait à la Porte de nombreuses amitiés qui
s'étaient montrées même lors de l'affaire de Chio. « On peut dire,
remarque d'Arvieux, que son Excellence a reconnu dans cette
occasion combien il était estimé et aimé dans cette cour. Tous les
grands du pays et de la Porte ont pris ses intérêts avec chaleur et
tous ceux qui ont pu approcher du grand vizir ont été ses solliciteurs,
de sorte que nous sommes assurés... qu'il aura des distinctions si
marquées que les autres représentants n'y pourront prétendre*. » Au
mois de septembre 1684, il reçut l'invitation de se rendre à Andri-
nople, il fut accueilli par le grand vizir avec beaucoup de distinction
et eut toute satisfaction au sujet du fameux sopha. L'année suivante
il obtint, peu avant son départ, des commandements très avantageux
qui réduifiaient à 3 0/0 les droits de douane payés en Egypte par les
Français, tandis que les étrangers payaient 20 0/0 à Alexandrie et
10 0/0 ;\ Boulac et son successeur Girardin se fit accorder en 1686
de nouvelles faveurs. La guerre de la Ligue d'Augsbourg, pendant
laquelle les deux états se concertèrent pour les opérations militaires
contre les armées de l'empereur*, vint bientôt donner plus de soli-
dité à ce rapprochement. Dès lors, si l'avidité des pachas et leur peu
de soumission à l'autorité de la Porte exposèrent encore les échelles
aux vexations, ils furent cependant contenus par la certitude que
l'ambassadeur avait assez d'autorité auprès du divan pour en obtenir
réparation. L'époque des avanies était désormais passée".
(i) « Depuis que les Vénitiens ont déclaré la guerre, écrit le consul de la
Canée, le jo juin 1684, jamais les puissances ni ce peuple ne nous ont témoigné
tant d'amitié. » — A.-], 42).
(2) Cependant on la considér.iit toujours comme une nécessité passagère. —
Des projets de croisade continuent d'être publiés. Les agents du roi, chargés en
1686 de faire la visite des éciielles, ont pour instruction d'étudier les points de
descente sur les côtes de l'empire ottoman. — V. dans Drapeyron : Un projet
de conquête de l'empire otlomun, les ouvrages de Febvre 1675 et 1682, Coppin
1686, du Vigneau 1682, de la Croix 1695. — Rev. de Géog., juin 1877: Le
grand dessein secret de Louis XIV contre l'empire ottotnan en 1688.
(}) D'Arvieux, t. VI, p. 295.
(4) Saint-Priest, p. 98-103.
( I ) La correspondance des échelles et de la Chambre n'en parle plus dès lors
que très rarement.
LA LUTTE CONTRE LES BARBARESaUES
219
Mais b sécurité des mers fut beaucoup plus difficile à rétablir
pendant toute cette période la France ne cessa d'être en guerre avec
Tune ou l'autre des nations barbaresques et les paix qu'elles signaient
n'empêchaient guère leurs corsaires de continuer leurs déprédations.
Les plaintes continuelles de la Chambre du Commerce ne pouvaient
manquer d'attirer l'attention de Coibert. « Le roi, disait-il plus tard
ù Scignclay, veut que toutes les mers soient nettoyées de pirates,
que tous les marchands soient escortés, fovorisés et protégés dans
leur commerce. C'est à quoi mon fils doit s'appliquer. Il faut qu'il
sente aussi vivement tous les désordres qui arriveront dans le com-
merce, et toutes les pertes que feront tous les marchands, comme si
elles lui étaient personnelles. » Coibert, pendant toute son .idmi-
nistrntion, donna ;\ son fils l'exemple de l'application qu'il lui recom-
mandait. Le plus pressé, puisque l'on ne pouvait pas réprimer et faire
cesser immédiatcmement la piraterie, était de préserver les bâtiments
marchands de ses atteintes. Coibert ne trouva rien de mieux que de
suivre Texcmple des Anglais et des Hollandais, c'est-.Vdirc de faire
escorter les navires de commerce par des vaisseaux de guerre, et il
s'en occupa activement en 1662. « Pour cet ctfet, écrit-il i\ la Cham-
bre le 17 octobre, S. M. a résolu de tenir .1 la mer 12 galères pendant
les étés et, en tous les temps, 20 vaisseaux dans les deux mers, dont
les chefs auront ordre d'escorter les vaisseaux français qui trafiqueront
soit en Levant, soit dans le Nord ou vers le Midi... Il y aura une
escadre plus considérable dans la Méditerranée... l'intention du roi
étant que, lorsque deux ou trois vaisseaux marchands, plus ou moins,
voudront aller en quelque lieu, sur les avis que les capitaines et
lirons des vaisseaux en donneront aux commandants de ceux de
M., Icsdits commandants les accompagnent jusqu'à ce qu'ils soient
en sûreté. Ce qui doit exciter les particuliers i construire de nou-
veaux bAtiments, pour quoi elle leur donnera toute la protection
qu'ils sauraient désirer'. »
Mais l'obligation d'attendre les escortes dans le port et de ne partir
qu':\ certaines époques de l'année bouleversait toutes les habitudes
des Marseillais. Leurs nombreux navires se fais.iient une concurrence
acharnée ; les négociants réglaient leurs départs suivant les .ivis
qu'ils recevaient du Levant et les occasions qui se présentaient, la
<l) À/i, s ft fia, S3. — Cf. Lelht à l'intendant dt la tmiriiu û Totdon, 3S août
1663 tt 9 août 166^. Ltllr/t, t. m, I" partie.
220 LE RELÈVEMENT DU COMMERCE
rapidité des petits bâtiments plus légers compensait leur infériorité
vis-A-vis des gros vaisseaux. Forcer les bâtiments à partir ensemble
c'était enlever aux négociants le moyen de profiter de leur in-
dustrie et des correspondances qu'ils avaient en Levant, aux capi-
taines expérimentés, tous les avantages de leur supériorité dans la
navigation. De plus, les navires escortés devaient payer un droit
pour les frais d'entretien des vaisseaux du roi qui les protégeaient.
Enfin la conduite des capitaines de vaisseaux chargés de l'escorte
donnait lieu à de vives pLiintes; ce rôle obscur et monotone de
convoyeurs leur déplaisait ; ils se conduisaient avec hauteur et dédain
vis-à-vis des capitaines marchands et se permettaient môme des
vexations. Déjà, à l'époque de Richelieu, les marchands de Rouen
qui sollicitaient une escorte demandaient d'en nommer eux-mêmes
les officiers, car s'ils étaient à la merci des hommes de guerre « ils
aimeraient mieux rien, » ce serait un danger de plus'. Deux ordon-
nances de 1669, portant défenses aux' capitaines de vaisseaux de
guerre d'embarquer des marchandises sur leur bord, et d'abandonner
les vaisseaux qu'ils avaient ordre d'escorter, montrent d'autres
inconvénients des escortes*.
Aussi les offres du ministre furent-elles mal accueillies par le com-
merce qui préféra ne pas profiter des escortes que d'en supporter
l'assujettissement. Ce fut un déplaisir des plus sensibles pour Colbert
et l'un de ses grands griefs contre les Marseillais. « Si vous pouviez
les faire convenir, écrit-il à l'intendant Rouillé, de faire leur com-
merce avec plus d'ordre et de régularité et faire partir leurs vaisseaux
dans les temps réglés, on pourrait convenir de leur donner des
vaisseaux du roi pour escorte, en sorte que leur commerce serait
toujours en sûreté... Peut-être que les pertes qu'ils font continuelle-
ment les obligeront enfin d'entendre une fois et d'exécuter ce que la
raison devrait leur avoir persuadé de faire depuis longtemps'. » Les
Marseillais ne se résignèrent qu'aux moments de graves dangers,
quand la navigation des particuliers devenait presque impossible :
c'est ce qu'on vit en 1682 et pendant les années suivantes, au milieu
(i) D'AvENEL, t. III, p. 198.
(2) I S août i66<j. — ijfivr. i6j6. — Isambert.
(3) ^ Rouillé, 26 octobre 167c. Lettres, t. II, p. yoç. — Cf. Lettre à Morant,
27 mars 16S1. Ibid. t. II, p. 716. — Colbert n'hésitait pas d'ailleurs à donner
satisfaction aux m.nrchands quand ils avaient à se plaindre des officiers des vais-
seaux du roi. — V. Lettres à M. de Larsati, 11 juillet 1670. Lettres, t. II, p. j}6.
LA LUTTE CONTRE LES BARBARESaUES
221
de la lutte contre Tripoli et Alger, et plus tard pendant les guerres
de la Ligue d'Augsbourgetde la succession d'Espagne', Un règlement
Tut dressé pour les escortes et le départ des navires, comme le voulait
Colbert, et l'intendant Morant « fit très-expresse défense aux navires
%dc partir en Levant sans attendre l'escorte h peine de confiscation
des bAtimcnis et marchandises et 3.000 livres d'amende*. » Mais la
Chambre n'avait cédé que devant l'urgente nécessité et, le danger
assé, elle s'empressa chaque fois de demander k liberté de la navi-
tion. Plus tard, elle fit valoir à Seignelay de nouveaux arguments
ontre le système des convois : la foule des b.îtiments qui abordait
out à coup à une échelle y causait la cherté des m.irchandises et
X 'avilissement de celles de France. De plus, comme les convois ne se
formaient qu'i de longs intervalles, souvent de six mois en six
xiiois, il y avait là une facilité donnée aux Anglais et aux Hollandais,
<qui disposaient de grandes quantités de marchandises du Levant
«dans leurs entrepôts de Livourne, pour en fournir l'Espagne et les
vautres pays où les Français avaient l'habitude d'en vendre; ils en
introduisaient même en France malgré le droit de 20 0/0, « dont les
fraudes allaient pour lors jusqu'à l'infini'. »
Aussi, lorsqu'éclata la seconde guerre contre les Algériens, en 16S7,
les instances de la Chambre empêchèrent qu'on établit de nouveau
(1) tS dcccmhie i6Si ri 2 janvier 16S2, kltres de Colbtrl à Morant. DePPINC,
1. III, p. 619-20. « Je n'ai point douté des difficultés que vous avez trouvées de
' la part des marchands de MarsL-ilIc, pour les faire convenir de faire leurcomnierce
par le moyen des escortes, et toutes les raisons qu'ils vous ont alléguées sont les
mêmes qu'ils ont toujours dit pour se conserver une liberté entière d.ans leur com-
merce. Et pour vous dire la vérité ce sont les raisons de petits marchands qui ne
considèrent qu'un petit protit présent et qui espèrent toujours qu'ils se sauveront,
au lieu que les véritables marchands et qui ont les vues plus longues et plus éten-
dues comme sont les Anglais et les Hollandais... •»
(2) Oriawianu de Morant, 7 man 16S2.II, 2;. — V. BB, j, fol. totS-it-jy. —
Seignelay demande 21.000 livres au commerce pour chaque vaisseau de guerre
servant d'escorte {Dèlibèr. du 12 juin ibS}). — Mémoire de ce qui est dû par le
commerce pour les convois : armement du Fidèle du i^r novembre au t" août r;^:
9 mois — armement du Capable du ii^r septembre au i" avril :^ 7 mois. Total
16 mois. Le commerce a payé pour un An 59. 100 liv. i > sols. Il reste à p.iyer pour
quatre mois, â raison de }-259 liv. 2 sols 6 deniers le mois, 13.0^6 liv. 10 sols.
— Fait le 50 août 1684. De Vauvré (intendant de la marine). RB, 4.
[\) Littrt à Seii'uday, 26 octobre 16SS. BB^ 2S. — L'expérience des convois avait
^é concluante car l'ambassadeur Guilleragues, l'intendant Morant et l'inten-
tendant de la marine de Vauvré lui écrivirent qu'il fallait y renoncer. V. Seignelay
<i Morant, S août 1O84, 14 août 16S4 : « Je suis persuadé de ce que m'écrit M. de
<3uillerjgiies que le commerce ne peut se faire avec avantage qnand il se fera par
convoi. » DtPPiNG, t. III.
222 LE RELEVEMENT DU COMMERCE
robligation des escortes et des convois'. Elle réussit à faire prévaloir
le système des croisières organisées, soit aux abords des ports barba-
resques afin d'empêcher les corsaires de sortir pour leurs expéditions,
ou de rentrer avec leurs prises, soit aux passages où ils avaient
l'habitude de se tenir pour attendre les bâtiments marchands. La
navigation restait libre et les officiers de la marine royale étaient
employés à un rôle actif qui convenait mieux à leurs aptitudes, où ils
pouvaient se distinguer par quelque action d'éclat et s'enrichir par
les prises. Chaque année, pendant l'été, quand les vaisseaux du roi
ne furent pas envoyés directement contre les ports barbaresques, il y
eut une escadre chargée de courir sus aux corsaires, tandis que les
galères faisaient souvent campagne de leur côté. Colbert avait songé
à ces croisières dès le début de son administration. « Vous pouvez
adjoindre, disait-il dans sa lettre à l'intendant de la marine du
28 avril 1662 où il annonçait l'organisation des escortes, que le roi
aura pendant tous les étés douze galères à la mer et six vaisseaux en
toutes les saisons, dans la vue de nettoyer la mer de pirates et
donner moyen à ses sujets de faire leur trafic avec sûreté*. » Tandis
que Seignelay se prononçait définitivement en 1687 pour ce système
qui, entre autres avantages, présentait celui de ne rien coûter au
commerce, il recommandait aux Marseillais un moyen terme pour
ménager la liberté du commerce et donner plus de sécurité à la
navigation, c'était de. faire partir les vaisseaux deux à deux et trois
par trois. Il ordonnait en môme temps à l'intendant Morant de ne les
laisser sortir des ports qu'après avoir fortifié leurs équipages et les
avoir fait mettre en état de défense*. Colbert avait essayé auparavant
de décider les Marseillais ;\ construire de gros vaisseaux plus capables
de résister aux corsaires, mais il ne put rien obtenir à son grand
mécontentement. C'eût été, en effet, une transformation complète
du commerce marseillais, et, puisqu'il occupait beaucoup de bâti-
ments et de nombreux mariniers, il ne pouvait se faire exclusivement
avec de gros vaisseaux qui n'auraient pas trouvé suffisamment de
(i) V. Arrêt du conseil du 2/ septembre lôSy. II, 26.
(2) iMtres, l. III, i"^ partie. — Ibid. Louis XIV à Beaufort, ip mai 1662. —
Cf. Colbert à Arnoul, intendant des galères, 12 juillet 1661). Lettres, t. III, x''^ partie.
— Instructions au marquis Centurion et au chef d'escadre d' Aimeras, 19 tnars i6yi,
24 avril lùyi. Lettres, t. III, i"^ partie. — Les croisières de Beaufort, du comman-
deur Paul, du marquis Centurion, de Vivonne. du marquis de Martel, de d' Aimeras,
firent subir aux Barbaresques des pertes considérables. V. de Grammont.
(}) 14 août 16S4. Deppinu, t. I, p. 626.
LA LUTTE CONTRL LLS DAKBARESQ,UES
123
Irct pour payer leur armement. D'ailleurs, les Anglais et les Hol-
laiidais, que Colbcrt prenait toujours pour modèles, n'envoyaient
leurs vaisseaux que dans les grandes échelles pour le trafic desquelles
les Marseillais se servaient de bâtiments aussi considérables, tandis
que les barques de Provence n'allaient que dans les petites échelles
de l'Archipel, de la Morée ou de Barbarie, dont le faible négoce
suffisait A composer leurs cargaisons.
Grâce aux armements royaux, le commerce n'«itait plus exposé*
\ des pertes comparables il celles qu'il avait souffertes pendant
le règne de Louis XIII. Mais Louis XIV, si attaché à reiiausser
la gloire de son nom et l'éclat de sa couronne, ne pouvait se
résigner à voir une poignée de corsaires braver sa quissance et violer
les traités si souvent renouvelés avec la France. De plus, il lui plai-
sait de jouer le rôle d'un Charles-Quint défenseur de la chrétienté,
comme il le montra i Saint-Gothard et à Candie. Les puissances
européennes commençaient d'ailleurs à se lasser de supporter les
pirateries des Barbaresqucs et toutes Ciis.iient des armements contre
eux'. Mais les reïs n'en étaient pas intimidés; pour échapper aux
croisières, ils avaient pris l'habitude de ne plus naviguer qu'en escadre.
En 1661, les trente vaisseaux algériens, ;\ eux seuls, avaient ramené
douze bâtiments anglais, neuf hollandais et douze français ou italiens.
Louis XIV conçut le projet, qu'il ne perdit jamais de vue, de détruire
la puissance des Barbarcsques\ Mais l'échec de l'expédition de Djid-
jclli, dû à la mésintelligence des chefs, et les préoccupations de la
politique européenne firent abandonner momentanément ces projets
et revenir A l'ancienne politique, qui consistait i traiter avec les
Barbaresqucs, Les prises faites parlescorsairesdepuis 1652 s'élevaient
alors, d'après le mémoire remis par la Chambre du commerce à
M. de la Haye, qui partait pour son ambassade, i 10.000.000 de
livres* et plus de 1 100 Français étaient détenus .\ Alger. Les Algériens,
de leur côté, fatigués des pertes que leur faisaient subir nos croisières,
firent entendre au consul Dubourdieu qu'ils étaient disposés à traiter.
(i) Voir, pour lu dduil des rclatioas avec les Barbaresqucs, de Grammont et
PUVNTET.
(2) BD. 2. tî mai 1613, is mai, j jiiilUl.— Grandes asseniblces tenues i M.ir-
Scillc sur l'ordre du roi qui dcnundait aux .Marseillais de contribuer à ce « glorieux
■dessein de détruire les corsaires de Barbarie. » — Le conitnerce ne put accorder
'que 20.UO0 livres.
( J) Dt la Haye à Colbcrt, 2^ ociobrt. 166s, Depfi.VG, I. III, p. 396.
ià&i
224 LE RELEVEMENT DU COMMERCE
M. de Trubert, gentilhomme ordinaire du roi et commissaire géné-
ral des armées navales, fut chargé d'aller négocier et signa un traité
de paix : les Algériens s'engageaient pour la première fois à respecter
les marchandises étrangères et les passagers étrangers embarqués sur
nos bâtiments, à n'accoster ceux-ci pour les visiter qu'avec une sim-
ple barque pour éviter les surprises; ils reconnaissaient la préémi-
nence du consul de France sur ceux des autres nations et restituaient
1126 captifs. Cette paix fort avantageuse ne fut jamais pleinement
respectée, mais, les années suivantes, les vaisseaux du roi appa-
rurent plusieurs fois devant Alger pour demander réparation des
infractions faites au traité et inspirer le respect de nos armes. Le
changement de gouvernement de 167 1, qui mit les deys à la tête de
la régence d'Alger, fut le triomphe définitif de la taïffe des reïs sur la
milice des janissaires. Cependant la paix avec la France continua,
paix précaire, sans cesse menacée par de graves querelles. Néanmoins,
le dey, dans ses lettres au roi, protestait de son désir de la main-
tenir*. En 1674, o" ^'v^iï ^'u <^*^'^'' reïs les plus renommés d'Alger,
Samson et Mezzamorto, escorter deux vaisseaux marseillais qui reve-
naient de Syrie richement chargés et qui avaient fait un accord avec
eux pour les protéger contre les Espagnols. La Chambre du commerce
les reçut très bien à leur arrivée ;\ Marseille et leur donna, outre les
provisions dont ils avaient besoin pourleur retour, un présent de vin,
confitures, fruits, rossoli, eau-de-vic, de sorte qu'à peine revenus à
Alger, ils publièrent partout les bons traitements qu'ils avaient reçus à
Marseille*. En 1679, Scignelay demandait à la Chambre de lui faire
savoir les contraventions des corsaires d'Alger et de Tunis aux
traités foits avec eux en 1670, elle répondit que ceux d'Alger avaient
« entretenu le traité*. » Tourville, qui fut envoyé cette année-là à
Alger avec son escadre pour réclamer les Français pris sur des
vaisseaux étrangers, y fut reçu avec les plus grands honneurs; le dey
lui accorda ce qu'il demandait et consentit à modifier un article du
traité de paix qui donnait lieu à contestation*.
(i) V. Plaktet. CoiTi'sp. passim. — V. d'Arvikux, t. V, p. 69-204, le récit
inti;rcss.iiu de son consul.it à .\lger. — De Grammont : Les consuls lazaristes et le
dm-alier d'Aivicux.
(2) D'.\rvieux, t. V, p. 159.
(3) 2 tuai i6^<^ à Stigmlay. BB, 26. — Cependant elle se plaignit en 1676 â
Colbert des prises continuelles des corsaires, et surtout des Algériens. BB, 26,
S septembre i6j6.
(4) Di; Gra,mmont, p. 246.
LA LUTTE CONTRE LES BARBARIiSQCES
225
■ 1-11
Les Tunisiens qui, pendant le règne précédent, s'étaient montrés
Kiucoup plus pacifiques que les Algériens, donnèrent peut-être
lieu i plus de plaintes. Le duc de Beau fort, dans s:i croisière de 1665,
leur avait fait renouveler la paix, le 25 novembre 1665. M. Dumolin,
écuycr de la reine et le chevalier d'Arvieux, chargés en 1666 d'aller
retirer les esclaves, délivrèrent 85 Français étrani,'ers A la Provence,
^rachetés aux frais du roi pour 1.1.875 piastres, à raison de 175
ïiastres l'un, et 205 Provençaux rachetés aux dépens des commu-
nautés de Provence pour 35.700 piastres'. En 1668 le marquis
de Martel vint encore i\ Tunis pour réclamer des restitutions de
prises; il fallut bloquer pendant 27 mois les ports de la régence et
wnonner I^ Goulette, Bizcrte et Porto Farina pour obtenir la
'remise de 300 esclaves et la signature d'un nouveau traité de paix,
Je 28 juin 1672'. Les Tunisiens firent encore les années sui-
irantcs une série de captures dont la Chanibre envoyait le rôle ù
kignelay en 1679', cependant Tunis s'affaiblissait de plus en
[plus et ne songeait pas à rompre la paix avec la France.
Nous ne restions en guerre qu'avec Salé eç Tripoli. En 1666, le
sieur Roland Fréjus avait contracté alliance au nom de la France
[avec le sultan du Maroc, contre les Anglais qui venaient d'occuper
[Tanger; cela n'cmpécha pas les Saletins de courir sur nos navires.
En 1669 et 1670, le vice amiral du Ponant d'Estrées tint leur port
bloqué avec son escadre pour les mettre à la raison; en 167 1, quatre
.vaisseaux allèrent occuper le « poste » de Salé et Gilbert préparait
[une nouvelle escadre ;\ d'Estrées. « Les Saletins, dit d'Arvieux,
étaient si misérables par le petit nombre et la petitesse de leurs bàti-
•^mcnts qu'on les eut bientôt resserrés dans leur méchant port'. »
Il n'eu fut pas de même des Tripolins, qui restèrent les adversaires
Ries plus redoutables de notre commerce. Ils furent fortifiés comme
(t) Voir le récit de cette mission. D'Arvieux, t. III, p, 390-SS8 et t. IV,
p. i-9t.>. — • Tunis entretient otdin.iircmctit trois g.nièrcs et six ou sept vaisseaux
cl un nombre Je bJr^|llt■^. de brigantiiis et autres petits bâtiments qui courent les
cdtcs de l'Italie, de la Corse, de la Sardaignc et des royaumes de Kaplcs et do
"icilc. i)
(î) V. Plantet. Correspondance. — Cf. BB,2. i.f die. i6li8, 2j mv. J669,
1} ftçrj. i6jij, 2) murs i(yji. — lili, 36. iioifl, yepl. ifijo, tS nov, i6-jo. IXlibn.
it la Clfitvibre.
(;| JA, ;^jo. 2S dà. t6j2. — A.1, ;<yj. i<; sept. if>j2. — BB, 26. 2j avril
\i6f7, a mai lô-j^;.
(4) T. VI, p. toi. — V. Initrwlioiis au comlt d'Esirà-s, / amU jéjo —
llUt U d'Eslria, tS janv. 167t. — Lcllrts ii Colltrl, I. JII, t" pattie.
v;,
Hui
W'
1)
22é M- RULÈVUMENT DU COMMKKCl-
c'était l'ordiiLiirc, p;ir un certain nombre de corsaires d'Alger et de
Tunis, gênés par les traités de paix, qui continuaient à taire la
course avec le pavillon de Tripoli : aussitôt après la signature du
traité de 1666, 5 vaisseaux Algériens s'y étaient retirés'. A partir de
1675, ils devinrent encore plus redoutables: les Anglais, après leur
avoir brûlé cinq vaisseaux dans leur port, les avaient obligés à la
paix* et tous leurs efForis se tournaient contre les Français, d'au-
tant plus que les vaisseaux du roi, occupés à combattre les Hollan-
dais et les Espagnols, ne pouvaient aller les châtier. En 1676, deux
vaisseaux furent pris dans le port de Larnaca par quatre «Tripolins
qui les conduisirent :\ Alexandrie ; l'année suivante ils retournaient
visiter la rade de Larnaca et, n'y trouvant pas de navires, ils allaient
jeter l'alarme dans celle d'Alexandrette ; en 1678, ils s'emparaient
encore de deux vaisseaux et 3 barques, en 1679, d'un vaisseau
richement chargé de soies et de cotons pour 100.000 piastres. Malgré
les capitulations, les corsaires recevaient ouvertement asile dans les
ports du G, S. et à son retour de Terre Sainte M. de Nointel lui-
même fut insulté à Chio par deux corsaires de Tripoli qui étaient
dans la rade. Les soldats entrèrent dans sa barque, déchirèrent les
pavillons et battirent le capitaine et les matelots'.
La guerre de Hollande terminée, Colbert résolut enfin de les
mettre à la raison et chargea le commandeur de Valbelle, chef d'es-
cadre, d'aller les châtier. Le dey répondit à cette déclaration de
guerre « par des ordres très fulminants il ses vaisseaux d'aller prendre
les nôtres jusquesdans les ports de Chipres et d'Alexandrette », et
ils s'emparèrent peu après d'un chargement de la valeur de 100,000
écus. En 1680, ils mirent le comble à leurs méfaits en descendant
A Larnaca, en pillant les maisons de nos marchands et en maltrai-
tant odieusement notre consul, sous prétexte qu'un esclave français
s'était enfui à terre*. Les Tripolins avaient alors 9 gros vaisseaux à
(i) BB, 26. 21 dèc. 1666. h lire de Ici Chamhre.
(2) Spon, t. 1,11. }8i. — Lch Anglais les ont obligés de faiiv la paix avec eux
et do leur pa\x'r la valeur de 80.000 écus en esclaves, marchandises ou argent.
Ils r.nchetcrenî un chevalier el 40^) esclaves Maltais pour 25.000 écus, en recon-
naissance de services rendus.
(5) D'Arvikux, t. V, p. 316. — Pour les faits qui précédent, voir BB, 26.
ji junv.i6j6, ly jitill. lOjy, uulcf. i6jS, /; die. 16"] i). h-tlirs delà Chamhre. —
L'tirc du consul de Chypre, 12 juin i6j^. AJ, 406.
(.}) Lettre du consui de Chypre du ;; ocl. i6Sq. AA, 406 . — Cl". D'.\RViEUx,
t. VI, p. 247-48. L<j Chambre it Scignelay, /_> jèv. i(>Si : Nouvelle prise d'un
vaisseau par les Tripolins. BB, 27.
LA LUTTE CONTRE LES BARBAKESCIUES
»27
Icnx, iJont les trois principaux : la Capitane, la Patronne et l'Admi-
mirante avaient 45 h jo canons chacun et de puissants équipages*.
Li Chambre du commerce de Marseille députa l'un de ses membres
à Tripoli pour traiter de la pais, mais ils refusèrent de négocier et
les Marseillais réclamèrent une puissante intervention du roi*.
La France venait alors de dicter la paix A l'Europe; Louis XIV,
. dans tout l'éclat de sa puissance, ne pouvait laisser ainsi piller ses
H sujets et maltraiter ses représentants. Duquesne avec son escadre
l'ut chargé en 168 1 décroiser dans l'archipel pour combattre les cor-
Sniiresj il devait au retour passer à Tripoli, Tunis, et Alger, en leur
donnant la chasse et ne rentrer à Toulon qu'après 18 mois de navi-
H gation'. Il avait ordre de poursuivre les corsaires jusques dans les
ports du G. S., qui leur donnaient asile, et M. de Guilleragues fut
ch.irgc d'en prévenir la Porte. L'escadre ayant rencontré cinq vais-
■ seaux Tripolins les poursuivit jusque dans le port de Chio où ils se
réfugiaient souvent et, sur le refus du gouverneur de les livrer,
I Duquesne les mit en pièces par le feu de son artillerie qui atteignit
même quelques maisons de la ville et endommagea les mosquées.
Le grand vizir informé envoya en hâte le pacha de Smyrne et le
capitan pacha auxquels Duquesne déclara fièrement qu'il coulerait A
fond les t.;ilères turques, si elles osaient prendre X h reniorque les
■ carcasses des vaisseaux tripolins. Le capitan pacha se borna i jouer
le rôle de médiateur et Duquesne signa avec les corsaires Tripolins
le 25 octobre 1681, un traité de paix à des conditions qu'aucune
nation barbaresque n'avait encore acceptées*. Malheureusement le
traité fut fort mal accueilli h Tripoli et violé presque aussitôt et, au
moment où les Tripolins se décidaient à la guerre, les Algériens
rompaient aussi la paix à la tin de i68i.
Louis XIV s'était en effet décidé A reprendre avec les Barbaresque»,
Cette guerre d'extermination par laquelle il avait voulu inaugurer
(1) L/t(ri d'un ei£lavf, Mentau, an cûnsiil dt Livounii, 27 iiûv. 16S0. AA, ;//,
(2) A Sfigrifky, 24 ]èi\, 12 mais 1680. BH, 37.
t$) Lmtis XIV à Duqutsut, J.V mars ifiSi. Ltllics tl luU, t. III, t": partie. -^
Ltthtsdt Cùlbeit à Morant, i-; mars i6St et 77 avril. Lelliis,l. II, p. 716. — La
Cliamlxe li Morant, 2o mars i6St : « Le commer<:c fera un ctTort et contribucrd
pour jo.oooi^cus au dernier .armement des quatre frégates légères qu'on doit armer
•*U printemps contre Ici Tripolins. »
[4) D'Ab^heux, t. VI. p, 203-204. — Jal, Duquaiie et la marine de son temps ,
tw II, p. .{>-) et suiv., fait un récit très détaillé desdivers bombardements opérés
par Duquesne.
228 LE RELÈVEMENT DU COMMERCE
son règne. On poussa les Algériens à bout en leur refusant systéma-
tiquement la restitution de sept des leurs, qui avaient été pris sur un
vaisseau espagnol et qu'ils avaient réclamés vainement au père le
Vacher consul, à Tourville, à Dusquesne, qui vint leur présenter des
griefs le 14 septembre 1680, enfin au commissaire de la. marine
Hayet, chargé en 1681 d'aller faire renouveler les traités. La
Chambre du commerce avait cependant appuyé leur réclamation :
« Nous osons conjurer Votre Grandeur, écrivait-elle à Seignelay, de
considérer combien la paix avec Alger nous est avantageuse pour
nous obliger à l'entretenir'. » La mauvaise foi du gouvernement
français excita une indignation générale à Alger et, après un ulti-
matum qui fut dédaigneusement accueilli à Versailles, la guerre fut
unanimement déclarée à la France, le i8 octobre 1681*. » Le
commerce ne tarda pas à ressentir les effets de cette rupture : les
Anglais qui étaient en guerre avec les Algériens et s'étaient vu
prendre, en 14 ans, 350 navires et é.ooo matelots, en profitèrent
pour faire une paix onéreuse ; tandis qu'un mois après la rupture,
les reïs avaient déjà pris 29 bâtiments français et fait 300 esclaves '.
La politique des ministres pouvait se justifier si la guerre eût abouti
à la destruction d'Alger ; tel était en effet le but de l'expédition qui
fut envoyée sous le commandement de Duquesne en 1682, mais
les bombardements de 1682 (août-septembre), et de 1683 (juin),
n'eurent d'autre résultat que l'écroulement d'une centaine de mai-
sons, de deux ou trois mosquées, la mort d'un millier d'habitants et
l'incendie de trois vaisseaux corsaires. C'était peu pour la dépense
de 25.000.000 délivres que les deux expéditions avaient coûté au
trésor; les reïs n'avaient guère été atteints et étaient amplemenï
dédommagés par les prises qu'ils avaient faites au début des hostilités
et qu'ils continuaient de faire *. Cependant les Algériens avaient
senti le poids de nos armes et redoutaient le retour de nouvelles
(i) BB, 2j. I S juin 16S0.
(2) Voir, pour tous ces faits, de nombreuses lettres de la Chambre {BB, 27) et
les lettres de Seignelay à la Chambre {BB, S2).
(5) Le 6 novembre 1681, le père Le Vacher annonce que déjà six prises ont
été faites avec 100 marins et 150.000 écus de marchandises. — 12 ikhembre 16S1 :
les prises se succèdent d'une manière effrayante. On compte les esclaves français
par centaines toutes les semaines. Vingt navires dont le chargement e.st évalué .i
600.000 livres viennent d'entrer dans le port. — A^4, 46^.
(4) Voir une série de lettres de la Chambre : 2S novembre 16S2, iS, jç, 2)
dkembit 16S2. — nj, 21 janvifr, i6 mars, ij avril, S, 16 mai, 22 mai, 16 juin,
24 novembre i6S}, etc., BB, 27.
LA LUTTE CONTRE LES DARBARESQUES
229
exclurions. Ils avaient mOnic commencé A trnitcr nvcc Duqucsne
pendant un armistice du second bombardement et la restitution des
aptifs s'opérait', quand une révolvuion fut excitée par le fameux reïs
Mezzomorto, qui se lit proclamer dey sous le nom de Hadji Hussein
et rouvrit aussitôt les hostilités. En 1684 Hadji Hussein Un-mèmc
avoua à Dusault, charge par le roi d'ouvrir des négociations, que,
« si le roi voulait la paix une fuis, lui la voulait dix. n Le 2 avril
1684, Tourvillc accompagné d'un capidji de la Porte arriva à Alger
avec une grosse escadre, il fut très honorablement reçu et signa la
paix qui fut proclamée pour une durée de 100 ans*; immédiate-
-r»-ient les Algériens déclarèrent la guerre aux Anglais et aux Hollan-
dais. Mais Seignelay se faisait singulièrement illusion quand il
«5-crivait à l'intendant Morant le 9 octobre 1 684 : « il me paraît qu'ils
(^Ics corsaires) ont été si rudement punis en dernier lieu et ce qui
:s"*cst passé h Alger servira d'un si grand exemple il tous les autres,
c^ u'il n'3' a pas d'apparence qu'ils osent jamais enfreindre la paix qui
1 «?ur est accordée'. » Malgré tout le retentissement des bombarde-
»~ï.icnt5 de Duquesne, la paix de 168 4, qui avait coûté si cher au roi et
. -u commerce, n'était pas plus solide que celle que Seignelay avait
iiis-sé rompre en 1681.
Pendant ce temps, les Tripolins avaient repris impunément leurs
r ourses en 1682 avec leurs neuf vaisseaux, sous prétexte qu'il n'était
«encore venu ni lettre de la' cour, ni aucun vaisseau pour ratifier la
^:iaix imposée par Duqucsne en 1681, et en novembre 1682. Ils
x-jiirent. H la chaîne le consul de France, disant qu'ils ne pouvaient
Subsister sans avoir la guerre*. Avant d'apprendre la rupture de la
Jr^aix, le roi, pour les satisfaire, envoya A la Chambre du conuiierce
Vjne lettre adressée au pacha "et la Chambre députa le fils du premier
^chevin pour la porter à Tripoli. Celui-ci échoua avec sa barque sur
xjn écueil en vue de la ville, on s'empara de lui et il fut fait esclave
iïvec l'équipage, sans que le pacha voulût lire les lettres dont il était
porteur. Seignelay écrivit A la Chambre que « ceux de Tripoli se
II) 141 .furent rendus le 29 juin, 124 le 50, 152 le i-^' juillet, 83 le 2. — De
Crammont, p, 251.
(2) IsAMBERT. 23; avril 1684.
(}) Dfjping, t. m, p. 629.
<4) Lftiif de Plastrier, roi'sul ik Tunis, 7 dhcmhn 16S3. .i.l, ^44. — Uttrtf de
M. Je la Magâeltinr, consul de Tripoli, 1; lUcnnbre 1683 , 2/ mars tôS}. .4A , j^j.
(5) V, le texte de cette lettre annexée à la délibération du 25 janv. 168}. BB, }.
230 LU RELEVEMENT DU COMMERCE
repentiraient de leur téméritc A déclarer la guerre * » et Duquesne,
aussitôt après le second bombardement d'Alger, reçut l'ordre d'aller
les châtier: la vengeance fut complète* et Tripoli fut abandonnée
dans un état de ruine dont elle ne devait jamais se relever. La guerre
continua cependant, car les Tripolins qui étaient dans le Levant
loi-s du bombardement avaient échappé au désastre. Deux d'entre
eux prirent un vaisseau français sous le feu de la forteresse tuni-
sienne de la Galipie, et sept autres en capturèrent un, aux abords
de Metelin. C'est alors que d'Estrées vint de nouveau bombarder la
ville, et les Tripolins se décidèrent ;\ signer la paix le 29 juin 1683 :
ils reçurent un nouveau consul et restituèrent les esclaves français
au commandant d'un vaisseau du roi qui vint les prendre en 1686 '.
Les Tunisiens eux-mêmes, imitant l'exemple des Tripolins et
des Algériens, rompirent à la- fin de 1681 la paix qui durait depuis
1672. Comme ceux-ci ils étaient irrités de ne pouvoir obtenir la
mise en liberté des leurs, esclaves sur les galères royales*; lorsqu'ils
apprirent enfin que quelques uns des leurs, pris par les Anglais,
s' étant sauvés sur des vaisseaux du roi où ils croyaient trouver le
salut, avaient été mis sur les galères, ils décidèrent de courir sus
aux bâtiments français et débutèrent en s'emparant par surprise de
sept ou huit navires. Mais Tunis était dans un état misérable ; depuis
dix ans elle était en proie â la guerre civile et deux frères s'y dispu-
taient le gouvernement. Des négociations s'ouvrirent donc, cepen-
dant elles n'aboutirent définitivement qu'en 1685 ; il f;illut les
bombardements d'Alger et de Tripoli pour triompher des hésitations
des Tunisiens et d'Estrées signa le 30 août 1685 un nouveau traité
pour la durée de cent années''.
La paix était donc rétablie en 1685 avec tous les Barbaresqucs
quand les hostilités reprirent avec les Algériens. Ils se plaignaient
de la dilliculté qu'ils éprouvaient à retirer leurs esclaves de France
(1) 16 (loi'il 16S}. — V. ur avril 1685. La Ch.uiibrc lui a appris la capture de
deux vaisseaux venant de Syrie. — lU), Sj. ,
(2) V. D'Auviue.K, t. VI, p. .)H3-
(3) V. pour tous ces laits, une série de lettres: jj Jl'ir. if^Sf. AA. /i,. —
j./ mai 16S). ,-i./, /./;. — y Jr^'r. lOSO. AA. )//. ■ - 11 jVvr. i^>S<k A A, jSf.
(4) V. Letlifs </(• Si'ij^'mhiy j /:/ Ckiiiihii-. Hli, S2.
(5) V. Plantit pour les négociations. — Texte du traité, p. 5 19-)7. — V. une
série de lettres du consul de Tunis, AA. ji6. — Lettres de la (lltambre, JiB, 27.
LA LUTTE COSTRi: LES BARBARESQUES 23 1
tsn vertu du traité de i6S.|.' et les reis ne pouvaient renoncera la
t:ourse qui les faisaient vivre. Deux démonstrations navales furent
biics en i686 pour les contenir dans le devoir*. Les relations
'aigrirent encore en 1687 et la guerre fut de nouveau déclarée'.
D'Estrécs, après avoir châtie Tunis et Tripoli, qui, à l'exemple des
ilgêriens, observaient fort mal les traites, parut devant Alger le 26
juin 1688 avec une llotte considérable, mais son bombardement,
jien que les ctFets en aient été plus terribles encore pour la ville que
:eux de Duquesnc, laissa en partie intacte la flotte des reïs qui ne
perdit que cinq vaisseaux ancres dans le port*. Après son départ, les
ravages des corsaires lurent plus terribles que jamais et les Marseillais
kLitêrcnt en doléances". La cour se décida ù entamer d'abord de
L'crètcs négociations puis envoya le commissaire de la marine,
lircel, qui renouvela le 25 septembre 1689 le traité de 1684 avec
juelqucs modirtcations insignifiantes. Cette nouvelle paLx fut difficile
à bien établir ; le commissaire Marcel écrivait à Seignelay «qu'il avait
[trouvé les corsaires enflés des prises faites sur nos vaisseaux et ne
cliercliant qu'à continuer la guerre ". » La restitution des esclaves se
prolongea jusqu'à la fin de 1690, et même davantage, et les Algériens
{i) Le âcy Hadji-Husscin rccLimc encore j6 Turcs par une lettre de janvier
>86. (Plamtet, Corrtsp., p. iiy). — Sans doute les rcchcrclics étaient ditHciies, '
lais les oflSciers de Toulon et particulièrement M. de Vauvré, intendant de la
lariiic, y mettaient certainement de la mauvaise volonté. — l'our entretenir les
iinurmc» des f;aléres on violait ouvertement les Capitulations et on risquait de se
rooUk-r avec les Turcs en favorisant le trafic des esclaves Turcs que des capitaines
rovcnçjux .nchetaieni aux corsaires chrétiens de TArchipcl. — V. une curieuse
Itrc de Seignef.iy, _;o noveiubre i6Sa. RB, Si.
<2) Par le duc de Morteman, général des galères et M. de Blainville, chef
^escadre. — Comme leurs réclamations furent inutiles, des croisières furent de
^uveau organisées contre eux et leur firent perdre une vingtaine de bâtiments.
La chambre offrit .lux corsaires fiançais 3000 livres pour chaque vaissuiu
ïéricn pris {arrti du constil du if oclobu i6Sy).
(3) Lettn de DinauU à Si!tj;riflay, rj» leptetnbre i6Sy, PuvNTET, Corrap., p. 148,
MC 1.
(4> ID'Estrécs avait 15 vaisseaux, 16 galères et 10 galioies à bombes. — Le
)itib.^rdcmcnt dura du i" m 16 juillet 1688. Les gaUotcs lancèrent 10420 bombes
causèrent d'immenses dég.its.
(S) V. de nombreuses lettres des Echelles : iS notietitbre 16S0, de l'ambassaJetir.
fjf, 14^. — ^upUmbrf t(>S^, lUSmyrnt. A A, 30f. — ^ dkanhrc i6S(f, du Caire.
A. }of. — ;/ ]iiilUt i6Sç, d'AltxattdrU : « Il y a quin^e vaisseaux d'Algvr en
î<; mers, alors qu'on nous faisait espérer la paix avec eux ». AA, }3o. —
Cbamb» I- li Seig iifliiy, j icMembif i6S(; : « Janwis la mer n'a été plus couverte de
:onaires, ni nos vaisseaux plus exposés, h — Id. jo septembre i6Sç. BB, 3S. — etc.
(6) t^/rf. 1690. PLAKTEr, Corresp. p. 186.
232 LE RELEVEMENT DU COMMERCE
se plaignirent encore vivement de la mauvaise volonté des officiers
royaux i les remettre à leurs ambassadeurs*.
Cependant la paix de 1689 fut maintenue, car on comprit enfin
ù b. cour que le meilleur moyen de sauvegarder le commerce était
d'en revenir au système suivi, la plupart du temps, avec Tunis
et qui avait réussi avec Alger de 1666 ;\ 1681. Pontchartrain rompit
avec la politique de représailles et de guerre à outrance que Colbert
et Seignelay avaient voulu tenter et qui avait été définitivement
condamnée parles expériences de 1682, 1683 et t688, coûteuses
pour le trésor royal et ruineuses pour le commerce, car chaque
rupture avait été le signal d'une recrudescence de prises. Les
bombardements et les incendies n'avaient pas atteint les reïs, qui
réparaient leurs pertes par quelques mois de course: il fallait abso-
lument, ou anéantir complètement les Algériens, ou vivre en paix
avec eux. Aussi le nouveau consul d'Alger, Lemairc, reçut-il pour
instructions de chercher à plaire et de faire ;\ tout prix de la con-
ciliation, il n'avait pas à compter sur des armements du roi, tout au
plus serait-il appuyé de temps en temps par l'apparition de quelque
vaisseau de guerre dans la rade. Cette politique, dictée par la
sagesse, le fut aussi par la nécessité, car, à partir de 1690, nos flottes
ne cessèrent d'être occupées contre celles de l'Angleterre et de la Hol-
lande. Malgré l'indiscipline des reïs, malgré l'argent prodigue par les
Anglais et les Hollandais pour fiiirc déclarer les Algériens contre
nous, et la pénurie d'argent où nous laissions nos consuls*, malgré
les revers de notre marine, elle réussit et, dans la dernière partie du
règne de Louis XIV, le commerce du Levant n'eut guère A souffrir
des Barbaresques. Le souvenir des expéditions de Duquesne, de
Tourville, de D'Estrées, et des croisières de nos vaillants chefs
d'escadre ne fut sans doute pas étranger ;\ ce succès. Les Algériens
trouvaient leur avantage A rester en paix avec la nation chrétienne
qui était pour eux la plus redoutable i\ cause de son voisinage et de
(i) Voiries himentations de l'ambassadeur Mohammed el Amin dans diverses
lettres, sur le sans fa(;on avec lequel on le traite à Toulon. — 22 seplcmhre i6go :
«il y a déj.'i 151 jours que nous sommes ici sans avoir trouvé aucune satisfaction. »
— jo novembre 16^0, ù dèeemhrc i6t)o,elc. — Lcltre du dey à Seigiiehjy, lo mai i(u)o.
Pl.\ntet, p. 234. — Lettre de Marcel à Seipielay, ii avril i(>i)o : il y avait encore
à Alger 7 à 800 esclaves français. Dusault racheta les esclaves à 260 piastres
chacun.
(2) Voir la correspondance du consul Lemaire qui se plaint sans cesse du
manque d'argent. A A, 470; de nombreuses lettres de Pontchartrain à la Chambre.
Bli, Sj, passim.
LA LUTTE CONTRE LVS BARBAUESQUES
233
la force de sa marine. Les ports de France leur oHTraient un refuge
commode en cas de mauvais temps et d'utiles ressources pour
leur ravitaillement'. D'ailleurs les Barbaresques étaient sortis très
arfaiblis de tous les assauts que depuis trente ans les escadres
françaises, anglaises, hollandaises, leur avaient livrés A tour de rtMe.
Ttinis et Tripoli étaient dans une profonde décadence; leurs reïs
ii'iivaient plus que quelques bâtiments, et, comme le butin n'affluait
plus, la misère était grande*. Alt^er seule restait redoutable, cependant
« les grands corsaires étaient tombés tour i tour sous le canon des
croisières et sous les coups des clievaliers de Malte, les armateurs
s ^Ciiient dégoûtés d'une spéculation devenue trop hasardeuse »,
les cioys durent se charger eux-mêmes de créer une marine de guerre.
Tt>»a t ce qui faisait la force d'Alger diminuait ; l'armée et la marine,
»3 rrj ilice et les reïs; les renégats, qui se distinguaient par leur esprit
'l'^V'entures et leur énergie, avaient à peu près disparu au début du
X'^'l 11*=^ siècle'. Les temps héroïques de la Barbarie étaient passés, une
*^re- n ouvelle allait commencer pour le commerce de la Méditerranée.
en olbert ne l'avait pas vu s'ouvrir et il avait laissé en monrain notre
'^"*3-i"îne aux prises avec tous les Barbaresques. Pendant la période
oii Itrs Algériens et les Tunisiens étaient restés en paix avec nous, la
^iie-iTi; de Hollande n'avait pas permis au commerce du Levant de
)oui»- de la sécurité. Colbert espérait en 1672 profiter de celte guerre
P*^*-»»" chasser les Hollandais de la Méditerranée. Le 2 janvier 1672
M. tic Vivonne, sur sa demande, lui adressait un plan de campagne
P*^ *-• »* s'emparer de leurs navires. « Pour exécuter ce dessein il proposait
^ s«>Ttir au plus tôt avec 25 frégates et ,( ou 5 brûlots et d'aller, sous
^''^''te-xte de la guerre de Tunis, droit .i Malte, ensuite dans la rade
^ Srnyrne, pour prendre et couler .1 fond tout ce qui s'y trouverait
^ *^ o. vires hollandais, puis vers Alexandrette et la côte d'Kgyptc et
fC'to^j mer en côtoyant la Barbarie ju.squ'i la hauteur d'Alger. Il
'^'"^cJrait après :\ Ivicc et aux Fromentièrcs où les galères l'atten-
' ' > V. les registres dt dclibtir.uions de la Oianibrc, passiin : Secours donnés
■^ ^-i* Cliambre à des corsaires d'Alger, ainsi: DB, -f, fol. 202, joi), -jiS, ;oo.
j 1 1^ y Quand une nouvelle rupture éclata avec Tripoli en 1692, le consul licrivait
. * fcnt compte d'anncr sept ou huit vaisseaux ce qu'ils ne fxiurront jamais faire
_^ ■^•"ti ni bois, cordages, voiles, biscuit, fer, ni charbon. Ceux qui sortiront
f *~**^t très mal armiis et encore plus mal équipés et par ainsi j'espère qu'ils ne
'^*^"* pas tout ce qu'ils se sont projeté.... Les plus grands du pays ne vivent
° *^ *3«; sauterelles. « 6 mars i6')2. .-iA, J./7. — Cf 22 mai 16^2. Ihid.
^î ) De CR.\MM(PNr, p. 256-241.
234 ^^- RF-LEVEMENT DU COMMERCE
(Iraient* ». Le prétexte dont parle Vivonnc indique que dans la
pensée de Colbert c'est dans la Méditerranée que devait commencer
la guerre par une surprise des bâtiments hollandais. Quelques mois
après, quand il fut question de dicter des conditions de paix aux
Hollandais, Colbert proposa de leur interdire l'entrée de la Médi-
terranée et de leur faire retirer leur ambassadeur de la Porte et leurs
consuls des échelles : « 11 est difficile, disait-il, de moins leur deman-
der sur ce commerce* ». Pendant qu'il faisait donner la chasse aux
navires de commerce hollandais par nos escadres, il prenait soin de
fermer la Méditerranée à leurs vaisseaux de guerre et, pendant l'hiver
de 1673, •! faisait garder le détroit de Gibraltar par six des meilleurs
vaisseaux de la flotte*. Aussi écrivait-il à l'intendant Rouillé que les
Marseillais devaient profiter de la conjoncture où la mer était libre
et le commerce fermé aux Hollandais pour attirer A eux tout le trafic *.
La face des choses changea , après la formation de la coalition ; le
commerce souffrit peu des atteintes des flottes hollandaises et espa-
gnoles contre lesquelles nos escadres tenaient la mer; mais pendant
ce temps les corsaires Majorquips faisaient subir aux Provençaux des
pertes considérables. En 1677 le roi donna l'ordre d'armer contre eux
quatre vaisseaux et quelques mois après la Chambre implorait l'appui
de Vivonne qui se trouvait à Messine, « pour se venger des Maillor-
quins qui avaient ruiné notre commerce. » Ce fut en vain, car l'année
suivante, devant l'insécurité de la mer, il fallut faire une défense
générale de sortir des ports à tous les bâtiments, et lesMajorquins se
disposèrent à aller jusqu'à Alexandrette prendre quatre vaisseaux
marseillais qui s'y trouvaient encore. Leur audace était devenue telle
qu'ils continuèrent leurs courses après la signature de la paix et le
(i) Mcmoiros pour répondre à la dépêche de M. Colbert du 18 dccenibre
dernier, pnr laquelle il m'ordonne de la part du roi d'examiner ce qui se pourrait
faire dans la Méditerranée œntre les Hollandais avec le corps de ses {galères
pour ruiner le commerce qu'ils y font. Arch. de la Mar. B', -iç^i, fol. 7-1}.
(2) Propositions sur les avantages que l'on pourrait tirer des Etats de Hollande
pour l'auj'nientation du commerce du royaume. S juillet i6j2. Lcllies cl Itist.,
t. II, I'. ôjS.
(3) Lettres et Inst., I, III, !'<■ partie. Au viarijiiif de Martel, lieulcnant scellerai ila
armées navales, 2S juillet lô"}!. Litres, t. III, 2'= partie : Mémoire île Colbert (sur
les expéditions envoyées par Seignelay, pour l'escadre du Levant), Oct. 1673 : « A
présent vous êtes assuré qu'il n'y a aucun vaisseau ennemi dans toute la Méditer-
ranée. » — Il y en avait en 1672. V. lettres tlu consul de IJvounie, <) août i(^'j2,
6 septembre : « Six vaisseaux hollandais attendent les l'rançiis en vue de Livourne.»
.-///, S<)2.
(.}) I ; jativ. /(^'7;, h-ttres, .', II, p. Oj}.
LES CORSAtRRS CHRÉTIENS
235
Juc de Villaliermosa. vice-roi de Majorque, ayant délivré des passe-
poitsil nos capiLiines pour aller librement aux ports d'Ilsp;if;ne, les
corsaires de Majorque s'emparèrent dans le mois qui suivit de vingt-
sc*p»t vuilesde Marseille; le commerce avec l'Espagne ne fut réelle-
ment rétabli qu'en 1680'. Li guerre contre Gênes en 1684 et la nou-
vtrllc rupture avec l'Espagne causèrent encore aux Provençaux une
série de pertes'.
I^'.irmenient de flottes royales considérables pendant toutes ces
g utrrris avaient eu aussi pour résultat de priver les bâtiments mar-
dis» iids de matelots, car Colbert avait commencé dés 1672 à enfrein-
dra ses règlements sur les classes. La Chambre du commerce écrivait
W ù. A^ , de Vauvré, intendant de la marine .\ Toulon, le 4 mai 1682 :
H^ î>Ios capitaines ne trouvent |X)int de matelots et le peu qu'il y en a
^^•i cette ville est tout enrôlé pour le service du roi ; nous vous prions
Je vouloir bien donner vos ordres ;\ vos commis aux disses de cette
vil le- pour leur permettre de prendre des inatelots de toutes classes;
^*^rs Cette permission il leur serait impossible de former leur èqui-
P^ge pour être prêts'. » Enfin la rupture avec l'Espagne produisait
^*^*J jours le résultat de priver le commerce du Levant de son meilleur
^*^fc»ouché et du marché des piastres qui étaient néccss;nres A ce
'^^SOce. Sans doute le commerce avec l'Espagne n'était pas alors
'"^-•^i^plctement interrompu et continuait par l'intermédiaire des vais-
^^^'^Ux neutres, mais avec beaucoup de frais et de difficultés'. »
A.»nsi, pendant le ministère de Colbert, le commerce fut encore
*^"^ d'être dans de bonnes conditions de pro.spérité. Malgré tous
^^ efforts, il n'avait pu réussir à le délivrer entièrement des maux
^H| le ruinaient; il avait entrepris \ la fois de réprimer les abus et les
dé^
Ta
^^c>i"«Jre5, de liquider les dettes et de supprimer les impositions, de
««"e cesser les avanies et les ravages des corsaires, rien de tout cela
^ ' * > Zjtttrts de la Cfmmhrt, r.f jauv., i-j juillet i6jj, 16 fà'i . i6jS, iS mars,
**^'»'il, fie... 2.) itot'., t(\ dk. i6jq. RB, 27.
3j.' * ) JLii Chambre li .Vf. df l'auvn', t(> juin t6S.f : .VIM. de Gênes ont fait divtrs
Q-jT'^^'iicnK et singulicremcnt 8 galiros tju'on nous dit dcvtiir se joindre A 2.S
» -^Pagne... lesquelles ont déjà pris 2 de nos barques.» — A Seigiiel.-iv, } juillet :
j P*"ijSt par les Esp.ignols dans le détroit de 6 (lûtes escortées par un vaisseau
,^ S.V* '" '^*'' craindre dav;mtage pour le convoi de Sniyrne ij iiov. 16S4,
jg „-'•*•-'»'. i6Ss : Les Génois viennent de prendre 6 lurques, 5 t.irtanes. — 3fi mars
ç^ ^ } Ij déclaration du roi limite au 12 de ce mois la date jusqu'à laquelle les
■* ''^^^î's pouvaient faire des prises, lili, 27.
^■$ï m. 2-, — V P. Ct-C.MKNT. Colhal. t. I, p.439-
y\\ "v. m,2(>. 27 juiihi lôjs.
236 LE RELÈVEMENT DU COMMERCE
n'était achevé en 1683. Cependant, l'œuvre de Colbert avait porté
ses fruits : le commerce, réduit vers 1661 à 3 .000.000 délivres pour
les importations du Levant, s'éleva en moyenne à plus de 6.000.000
de 1670 a 1683, mais, tel il était lors de l'afFranchissement du port,
tel il restiità la mort du ministre, avec de fortes fluctuations d'une
année à l'autre, mais sans aucune tendance à augmenter'. Ces chif-
fres étaient encore peu de chose en comparaison des achats des
Anglais et des Hollandais qui s'élevaient chaque année à 25 millions
de livres environ. La flotte commerciale du Levant s'était accrue avec
les besoins du trafic. Au lieu de 30 voiles employées par le com-
merce en 1664, il y en avait 94 en 1670, mais ce chiflre ne se main-
tenait pas et il tombait h 56 en 1678. La difficulté de trouver des équi-
pages pendant la guerre devait être pour quelque chose dans cette
diminution. Colbert ne pouvait y croire; il était persuade que la
Chambre, en lui donnant ces chiffres, voulait dissimuler la prospérité
du commerce et il recommandait i l'intendant Morant de ne pas se
fier aux renseignements qu'elle donnait '. « Je vous prie, lui écrivait-
il, de vous appliquer sérieusement A bien pénétrer l'état dans lequel
est le commerce, ce que vous pouvez facilement connaître, non pas
en demandant aux marchands et faisant fondement sur ce qu'ils
vous diront, mais vous devez examiner pour cela le nombre des
vaisseaux qu'il y avait il y a 20 ans et combien il y en a présente-
ment, si l'argent court facilement sur la place de Marseille et quels
intérêts les marchands donnent, si l'on bâtit dans- la ville, si les
mariages sont plus considérables qu'ils n'étaient il y a 20 ans, si les
(i) Voir à l'appendice les chiffres dos importations pour ces treize années. On
n'a aucun chiffre pour les années 1661-1670, mais on sait que le commerce eut
une activité factice à cause du trafic des pièces de 5 sols. Les grands profits qu'on
faisait alors firent multiplier les achats dans les échelles, ce qui expliauerait cette
phrase de d'Arvieux écrite en 1672 : « Il est constant qu'il y a à Marseille des
marchandises du Levant depuis plus de dix ans qui ne sont pas vendues et qui
suffisent pour la consommation qui s'en fait en France plus qu'il n'en faut pour
vingt ans. » La Chambre affirma la même chose quand il fut question de rompre
avec les Turcs. D'après un mémoire de M. Magy, l'un des directcurs.de la Com-
pagnie du Levant, adressé & la Cour en 1685, le conmierce de Marseille en
Levant ne s'élevait par année ordinaire qu'.i 5 ou 4.000.01x1, celui des Anglais à
7 ou 8, celui des Hollandais 4 3 ou .^. Arch. KiH. F", 64s. Ces chiffres sont mani-
festement au-dessous de la vérité et n'indiquent même pas les rapports exacts du
commerce des trois nations rivales. Les Hollandais faisaient un commerce beau-
coup plus considérable que les Français. — Colbert l'évaluait vers 1661 à lo ou
I2.CXXD.OOO et les FloUandais n'étaient pas encore en décadence.
(2) Il n'avait pas complètement tort. La Chambre écrivait à son agent à Paris
le 15 août 1661 : « Il faut paraître pauvres au ministre. » BH, 26.
RÉSULTATS DE l'cHUVRE DE COLBERT
237
cliargcs de la ville nugmctncnr de prix, et si les marchands sont bien
meublés et font quelque dépense chez eus. Vous voyez que vous
pouvez facilement tiire réflexion sur toutes ces choses, dont vous
pouvez tirer une conséquence sûre que le commerce va bien ou mal,
sans le demander aux marchands dont le stile ordinaire est de n'être
jamais contents; mais, comme le commerce du Levant est assuré-
ment le plus important du royaume, il est aussi d'une très-grande
conséquence que vous soyiez siiremeui informé par ces moyens de
l'état auquel il est '. »
Colbert dut apprendre avec joie qu'après la guerre de Hollande on
se remettait A constniire des navires. Li Chambre du Commerce
réclatnait alors à la Cour la restitution d'un chantier de construction
qu'elle avait abandonné pendant la guerre .\ l'intendant, M, de
Brodart, pour y construire des tjaléres, « Cela lui fut accordé, écri-
vait-elle, parce que nous n'avons point de réserve pour ce qui regarde
le service du roi et que d'ailleurs il ne se fabriquait pas alors de
navires A cause de la misère du négoce... Nous en avons présen-
tement besoin ;\ cause que nos marchands commencent de concevoir
espérance d'un bon commerce par les ordres que le roi a donnés
contre les corsaires de Salé et de Tripoli et forment des desseins
pour faire bâtir et fabriquer des vaisseaux pour la navigation, y
en ayant trois de commencés et quelques barques* ». Un document
intéressant, conservé aux archives de la Chambre, nous donne le
mouvement complet de la navigation auquel donna lieu le com-
merce du Levant pour les quatre années de 1680 à 1683. Le nombre
de voyages des bâtiments français fut de 50 en 1680, de 49 en
i68i, de 37 en 1682, de 76 en 1683*; les vaisseaux figuraient
(i| 2 fanv. 1682. Deppixg, t. m, p. 621.
(21 A M. Je Gtimeri, agent à la Ccnr, (} acûl 16S1. BB, 26, — La Ciout qui
n'av.iic uuc 1} bâtiments en 1661, en posséJ.iic au moins 40 en 1683. Mémoire de
la Chavwff (annexé à la séance du 19 lévrier 1688). BB, 3, fol. 3S4-4if.
15) Ces chiffres corrcspondcm bien à ceux de la valeur des importations:
l'année 1682 fut celle où le commerce tomba le plus bas pendant les treize années
Je 1670-16S3. — Cf. .■Ircb. XiU. /■"", 64^. Mèmoirt Jf i{T/0 : » On peut faire état
qu'il t>art tous les ans 50 ou 60 bâtiments pour le Levant et 20 barques au plus
pour la Candie ou la ciSte de la Morée. » — Aicb. Kat. C, .ffS : Rouillé, le
21) septembre 1O79, envoie un état des navires entrée à .Vlarscillc en 1660, 1668 et
1678-79, venant du Levant, du l'onant , d'.^niiterdatn , Hambourg. — ]| y avait
eu, en ibdo, j6 entrées, en «668, 75, du ji^' octobre 167S au 30 nciobre 1679,
XO}. — « Malgré tous ses soins, et quoiqu'il y ait fait travailler par le lieutenant
énéral en l'amirauté, il ne peut rendre compte des vais.vcaux qu'il y avait .l
laneille il y a vingt ans, et il n'a pu mieux reconnaître la différence du com-
merce de ce ten:ps d'avec celui d'aujourd'hui, m
238 LE REI.kVEMI-NT DU COMMERCE
dans ce total au nombre de 19, 17, 15 et 24; les autres voyages
avaient été faits par des bâtiments plus petits, polacres ou barques.
En outre, 270 voyages avaient été faits de Marseille aux ports d'Italie
en 1680, 243 en 1681, 270 en 1682, 205 en 1683. Le mouvement
des quatre années, pour le commerce avec la côte d'Espagne, avait été
de 187, 174, 191 et 123 voyages et ce trafic n'était guère fait que par
des barques. Enfin, 59 vaisseaux étaient partis de Marseille pour les
ports du Ponant en 1680, et 67, 25, 51 dans les trois années sui^
vantes. On peut remarquer que Colbcrt avait bien peu réussi h faire
de Marseille l'entrepôt des Anglais et des Hollandais au détriment de
Livourne, comme c'était sa pensée en publiant l'édit du port franc,
car presque tous ces vaisseaux Ponantais qui fréquentaient Marseille
appartenaient aux ports français et plus de la moitié aux Malouins.
On n'y voit figurer qu'un bâtiment anglais et un hollandais en 1680,
6 hollandais et 2 anglais en 1681, 4 hollandais et i anglais en
1682'. A la suite de l'édit du port franc on avait pu espérer un
moment que Livourne serait délaissé, mais la guerre de Hollande
avait contribué A y maintenir l'entrepôt du commerce des étrangers :
Aux avantages de la franchise s'ajoutaient ceux de la neutralité de
son port*.
S'il avait redonné plus d'activité au commerce français du Levant
Colbert n'avait pas affaibli celui de nos rivaux; môme, malgré
l'établissement du droit de 20 0/0, et grâce aux fraudes qu'ils com-
mettaient dans les ports du Ponant avec la connivence des fermiers
des droits du roi, les Anglais et les Hollandais continuaient â
fournir une grande partie du royaume des marchandises du Levant,
tandis qu'elles s'entassaient sans trouver de débit dans les magasins
de Marseille; c'était une des causes principales des progrès assez
faibles qu'avait faits le commerce du Levant sous Colbert*. Cepen-
dant, les progrès de nos manufactures conmicnçaient à menacer la
prospérité de nos rivaux. « Les draps de Hollande, dit un mémoire
adressé â la Cour en 1685, n'ont plus tant de réputation comme
autrefois ; depuis que les Français en portent ils les ont diminués de
bonté et les vendent 30 00 de moins qu'ils ne les vendaient en 1670,
(i) //, 2. Etat di-s hdlimenii partis dt' Marseille Je i6Sn ù 16S}. Document très
déMillé et très intéressant.
(2) Ultre de Roiiilh' à Colbcrl, 7 oct. lO'j'j. Arch. Nal. Gu .j}8.
(3) V. le chapitre suivant.
RESULTATS DK L ŒUVRE DE COLBERT 239
que nous avons commencé d'en porter, et nous vendons les nôtres
12 à 15 0/0 de plus que les autres.' » Seignelay et Pontchartrain,
en achevant l'œuvre de Colbert, allaient donner au commerce cette
sécurité et cette régularité qui lui étaient nécessaires, et ils devaient
le protéger plus efficacement contre la concurrence des étrangers.
(i) Mintoire de M. Magy (de la Compagnie du Levant). Aicb. Kal. f*, 64^. —
Les Anglais portent 2j à jo.ooo pièces de draps et les Hollandais 4 à 5000. —
Il faut remarquer que Magy. tjui plaide pour la Compagnie, exagère les progrès
Je nos draps qui lui étaient dûs en partie.
CHAPITRE V
LHS ANNliliS DE PROSPIÎRITI- (1683-I7OI)
I. — Liubèvcmenl de r œuvre de Colbcrl par Seignelay
et Ponlcharlrain.
A la mort de Colbcrt, le commerce resta dans les attributions du
contrôleur général des finances, mais les échelles du Levant, comme
les colonies, firent partie du département de la marine ; faute d'un
partage bien net d'attributions, il pouvait naître des conflits entre
les deux ministres, aussi, apris la mort de Pontchartrain, qui avait
de nouveau réuni les deux charges, un règlement délimita leurs
fonctions et laissa définitivement les consulats et les affaires du
Levant aux mains du secrétaire d'Etat de la marine'. L'administra-
tion de Seignelay et celle de Pontchartrain furent également actives;
ils poursuivirent tous les deux l'œuvre de la centralisation qui
devenait plus étroite dans toutes les branches de l'administration ;
l'action du Ministre et du Conseil s'étendit jusqu'à de minutieux
détails, comme le montre la correspondance de plus en plus volu-
mineuse que le secrétaire d'Etat entretient avec la Chambre du
commerce et la quantité d'arrêts du Conseil, de règlements, d'ordon-
nances de l'intendant, que celle-ci consigne dans ses registres*.
(1) V. DE BoisLiSLK. Cûiresp. t. H, apptnd. p. 44i) : Projet de rirglcmcnt
(mai 1699). — Lettre de D.igues.sc.iu à Pontcliartrain père (20 mai 1699).
Mémoire au roi par M. de Pontchartrain père. — 0 Le secrétaire d'Etat aura Ln
conduite de tout ce qui regarde les échelles et consulats du Levant, police des
négociants qui composent le corps de la nation, nomination des consuls, Chambre
du commerce de Marseille, choix de l'inspecteur établi à Marseille pour la visite
et marque des draps pour le Levant. »
(2) V. BB, S2. BB, 2-j, 2S. — V. les arrêts et règlements insérés dans le
registre BB, 4.
ACHEVEMENT DE L ŒU\'RE DE COLBERT
!4I
Cc-t te tutelle étroite du pouvoir central eut pour résultat de mettre
un ternie aux desordres dont souffrait le commerce, mais elle finit
par l*.issu)ettir à une rèt^lemcntatiou trop étroite qui gêna son essor.
Seignchy, élevé à la rude école paternelle, avait fait un sérieux
et Icitig apprentissage des choses de la marine et du commerce avant
Jt- rernplacer son père. Plus heureux que Colhert qui avait plusieurs
fois projeté un voyage :\ Marseille sans pouvoir l'accomplir, il avait
i.iït trn 1676 un voyage d'inspection des ports de Provence' ; il est
vrai <qu'il avait séjourné à Toulon beaucoup plus qu'à Marseille.
I* Ai«Ja puis suppléa peu i peu son père dans la direction de la
""•^^ ri ne et des affaires du Levant ; à partir de janvier 1 679 la Chambre
l>-«i il dresse toutes ses lettres et n'en envoie plus que rarement ù
^*^lb»ert. Longuement formé par son père, Seignelay se conduisit en
^**"3.i disciple, poursuivant avec ardeur l'achèvement de tout ce que
^<^lt>ert avait cominencé, cependant il eut le mérite de s'affranchir
*;;^ tj nelques-uns de ses préjugés. Les trois premiers commis qui
**^^«^iit successivement chargés de l'expédition des affaires du com-
^"*<i»"ec Merci, de b Salle, de Salaberri, furent loin de jouer le rôle
* ^"^ portant du concussionnaire Ikllin/ani. M. de Lagny, qui reçut en
' ^556 le titre de directeur génér.il du commerce, eut plus d'intUience
^^*»" la conduite des affaires*. Quant aux cinq commissaires des
^''^i rcs du commerce qui avaient été créés en 1684 : M. de Rouillé,
1^
pr«^sident de Fourci, prévôt des marchands, les conseillers d'Etat
^^*-»cherat et Pussort et le lieutenant de police de la Reynie, ils
'^ apparaissent dans la correspondance de la Chambre qu'une fois,
P*--*^ir recevoir des félicitations au sujet de leur nomination''. Dagues-
^^^u, ancien intendant de Languedoc devenu conseiller d'Etat en
* ^S 5 ^ s'occupa particulièrement du commerce du Levant, et en
^S8 Seignelay l'envoya en mission spéciale en Provence afin de
^ * ) Jjclha tl Iiistr. l. m, 2^- partie. — Instructions au nurquis de Scigneby.
"""" ^^"rit de lettres ;\ son pcrc d.itces Je Provence, octobre 1676.
'^> Aforel de Boistiroux succède j Bcllinzjni — de l.i S.illc à Morcl eu 1686
^7 '^'^ Salaberti ;ipparait d.ins h correspondance en 1689. V. BB, 3-],2S. — Lii
j **?»ï»brc félicite de Lignv de sa nomination le ig avril 1686. BB, 37. — Celui-ci
^^ ertic 1.1 n-tvigation. (.■imiiaulé de Mars. Regiihc dis Insinunt. Arch. Dipart.
_ ' -fi .~,lt4-Kli ^. Le titre de directeur général du commerce av.iit été déj.i porté
P^*" les premiers commis Bellinjani et Morcl. Il semble que les deux fonctions
Sont «.»..' A.- ... .i*/: '
■ ** au lieuten;»nt pénér.il de l'amirauié. le 27 avril, de l'informer de tout ce uuj
P-">r j
'^"« séparées en 16S6.
*î) iiS ifpttmhit 16S4. BB, 2j. — La Chambre, qui avait choisi, pour la reprè-
cn\er j Paris, M. de Gumer) , ancien secrétaire de M. de Rouillé, eut toujours
'* celui-ci un protecteur dévoué des intérêts du commerce.
16
242 LES AKNEES DE PROSPEKITE
conférer avec la Chambre sur le rctablissemeut du négoce '.
Seignclay fut donc entouré d'une pléiade d'hommes expérimentés
qui avaient été les auxiliaires dévoués de Colbert dans son œuvre
commerciale, comme Pussort, La Rcynie, Daguesseau et Rouillé.
Ces deux derniers, par les intendances qu'ils avaient remplies en
Languedoc et en Provence, étaient les deux membres du Conseil les
plus compétents pour les affaires du Levant et furent les meilleurs
auxiliaires du ministre.
Le long conflit qui se perpétuait depuis plus de quatre-vingts
ans entre la Chambre du commerce et les ambassadeurs se termina
enfm à cette époque par le triomphe de la Chambre. Ses relations,
après avoir été assez cordiales avec M. de Guilleragues, s'étaient
aigries après l'affaire de Chio qui fut l'origine de nombreuses levées
d'argent faites par l'ambassadeur sur les échelles. Quoique M. de
Guilleragues fût bien en cour, Seignelay se crut obligé de lui
adresser une lettre de reproches : « Le roi a été fort surpris, lui disait-
il, d'apprendre par les échcvins et députés du commerce de Mar-
seille la nouvelle levée de 4.000 piastres que vous avez fait faire à
Smyrne sur vos ordonnances S. M. veut être absolument
informée en quoi consistent les dépenses excessives qui se font en
Levant et les raisons que vous avez de les faire étant obligé de
vous dire que, les plaintes que fait le commerce de ces levées conti-
nuant, cela pourrait vous faire tort dans l'esprit de S. M. * » Guil-
leragues étant mort presque aussitôt, la Chambre essaya de nouveau
de représenter qu'un simple résident serait plus avantageux pour le
commerce qu'un ambassadeur', puis elle remit des mémoires au
sujet des abus d'autorité qu'il faudrait interdire au successeur de
Guilleragues, M. Girardin.
Celui-ci, dans les trois années qu'il passa à Constantinoplc, ne se
livra pas à des dépenses exagérées et ne tira pas de grandes sommes
(i) BU, 4. fol. p)6 cl siu'v. : Mlmoirc donné d Ms' DiigMsu-au, conseiller â'Elat,
commissaire envoyé par S. M. en celle province en août i(>SS pour le rèlahlissement
du commerce du Levant. — Cf. un niimoire à Daguesseau de i6S^. lil), 4, fol. 140.
(2) Dkpping, t. III, p. 629. — V. iMre de la Clximbre à Seignelay, 2; ocld're
16S4, 21 mars i6Sj, 20 avril lôSj. BB, 27. — La Cliambre réclama des resti-
tutions aux héritiers de M. de Guilleragues : V. BB, 7, délibérations du <? juillet,
22 août 16S6. — Mémoire du ij juillet l6S<j (donné à M. de Castaçnères), /o/. 416
et suit'. : Un arrêt du Conseil du 28 décembre 1685 avait donné 1 ordre de dresser
à Constantinople un compte des sommes levées par M. de Guilleragues ; il fut
impossible d'y obéir car il n'y avait aucune pièce à la chancellerie.
(3) 27 avril, 2 mai 168$. BB, 2j.
AC1lfe\'KMEKT DE L'ŒUVRE DE COLUEKT
243
d'nrgcni Jcs échelles, cependiiin il entra encore en querelle avec la
Chambre au sujet Je ses pouvoirs. Les députés du coinmcrce refu-
icrcnt de payer ù son ordre les lettres de change qu'il délivrait aux
capitaines dci navires sur lesquels il prenait de l'argent ; ils soute-
naient qu'il n'avait aucune juridiction sur la Chambre, que c'était
elle au contraire qui avuit h examiner ses comptes et le juste motif
de Ses levées, afin d'en donner avis A l'intendant, qui ordonnerait
alors le remboursement aux capitaines. Ils lui contestaient le droit
de se mêler aux querelles des consuls et de la nation dans les
échelles, que Girardin prétendait régler par ses ordonnances, et ils
l'accusaient de Éivoriscr les consuls aux dépens des marchands.
Même ils le mettaient au défi de montrer que les rois eussent
jamais attribué aucune juridiction aux amb.issadcurs, tandis que
l'article i8 du titre 9 de l'ordonnance de la m.irine spécirtait que
les appellations des jugements de« consuls des échelles rcssoniraient
au Parlement d'Aix, c: l'article 19 attribuait au lieutenant de
l'amirauté la connaissance des contestations entre les négociants et
les consuls. Il y avait loin de cette théorie ;\ l'autorité absolue que
s'arrogeaient autrefois les ambassadeurs dans le Levant. Ils devaient
être réduits au rôle de protecteurs du commerce auprès de la Porte
et l'administration des échelles devait rester h la Chambre seule,
sous le contrôle de l'intendant,
La Chambre profita de la mort de Girardin (1688) pour faire
régler i la cour toutes ces contestations « sur les prétendus attributs
de l'ambassade », avant la nomination de son succesîveur'. Aucune
déclaration roN-ale n'intervint à ce sujet, mais M. de Castagnéres de
Chàteauneul, le nouvel ambass.»deur, dut recevoir pour instruction
de s'incliner devant l'autorité de la Chambre, car les contestations
ccs.sérent complètement. Même il y eut entre la Chambre et l'ani-
bassade une cordialité de relations que l'on était peu accoutumé \
voir. « Nous avons conféré, écrivaient les députés du commerce,
avec notre nouvel ambassideur. Il est si content de nous et nous de
lui qu'on ne {K-ut rien désirer davant.igc. Il a écrit ù h cour d'une
manière si avantageuse pour nous, que nous avons lieu d'espérer
d'avoir auunt à nous louer de lui que nous avons eu à nous plaindre
(t) Pour ces conflits. V. BU, 4 : MémMrts du kbniins H dipuUs du commerce
coactrnant /Va', ' ordonnatud de M . l'amlHissadeui , nj/hritr t6S,S, fol. ]32
et suiv. — M. ■'■ il iVf. i/r Casiiipùrti dt ChdlfauiunJ iUr ton ùauttge far
Marsfille, U y jntmi loSy, Joi. 416 el mh:
244
LES ANNÉES DE PROSPÉRITÉ
de tous les autres'. » La Chnmbrc se chargea de taire parvenir rt'gu-
licrenicnt \ Tanibassadeur la Ga^'tu Je France et les nouvelles
manuscrites qui circulaient ; elle lui achetait son vin et lui envoyait'
des provisions de toutes sortes, elle servait d'interm<?diaire entre lui
et son frère, l'ablK^ de Châteauneuf, pour leur correspondance *.J
Dès lors le pouvoir des ambass;ideurs n'offrit plus de dangers pour™
le commerce et la bonne harmonie ne fut plus que rarement troublée
entre eux et la Chambre. mk
Celle-ci, au départ de M. de Castagnères, lui avait remis des™
mémoires remplis de plaintes contre les consuls. En effet la question
des consulats et de l'administration des échelles n'était pas cncor
réi;lée \ la satisfaction du commerce. En 16S4, Seigndav, sani
consulter ni prévenir la Chambre', fit de tous les consulats une
ferme générale qu'il adjugea ù la Compagnie de la Méditerranée
celle-ci après lui en avoir donné d'abord environ 22.000 livres porta
plus tard la ferme jusqu'à 40.000*. Seignclay ne fais;iit qu'appli-
quer là le système de Colbert qui voulait mettre la Compagnie \ la ,
tête de tout le commerce. Mais celle-ci confia les consulats à de^H
sous-fermiers qui donnèrent lieu A des plaintes aussi vives, peut-être, 1
que les commis des anciens consuls propriétaires^. Ils n'eurent, en
effet, comme ceux-ci^ qu'un but . s'enrichir pendant le court espace
des trois années du bail qu'ils fais:iient avec la Compagnie. Ils n<
commettaient plus ouvertement des exactions comme autrefois^
car les plaintes des marchands eussent été vivement soutenues porj
la Chambre, mais ils faisaient payer par la nation des dépenses qu'ils
auraient à\X supporter, comme les présents à faire aux pachas,!
(1) Il juilUt léStj, à Vilkntuvt, agent à la cour. BB, 3S.
(2) BD, iS. - octoht i6S<f, 3ç twvcmbre iCiyi. Compte d'envoi Je provisions .1
M, l'iimbiissadcut : lard, sucvn, cspine vinctte, nonp.ircille ambrée, anis, coriandre,
cassonade, quinaquina. — 1:11e adressait à M. Aroiiet, conseiller du tui, nouire
au CliAtelct. rue Caknde prés le palais, les lettres de l'ambassadeur à l'jbSi de
ChAteauiieuf. V. 6 aoi'U lùpi, 17, /y avril linjî, etc. BB, 2S.
(3) BB, 27. Lettre à M. de Bounecorse, i; mars 16S4.
(^) Arch. Kation. F" 64s- Mémoire s.ins titre; voir les mémoires de la note
(5) Voir au sujet de ces plaintes : Mànoirt sur Us comulats du LcMiit rt
Barbarie {f/of\). Bil'l. Kal. Mss. franc, ifxju^, fol. /. — Lettre de Lebret, 2 ju
lyoS. Ibiil. fol. riSi-tSS ; eUc est inspirée du niénioire précédent. —
mémoire ^ur les consulat:. Ihid. fol. 2ji-i04. — L'auteur du premier inèr
qui a inspiré les autres, ni.il renseigné, ou plutôt voulant iotluencer la cour ,
il propose le rétablissement des oinces de consuU propriétaires, fait l'apûlog
l'administration des consulats avant Seignelay. juliiany et Marchand ont
trompés par ce niénioire. — V. Jclliaw, 1. 1, p. 66. — Marchand, p. î}2.
ACHF.VEMHXT DH L rFin'RE DK COLBERT
!45
/entretien des chapelains, des chanceliers et des drogmans de
/ c^chellc ; même, aa lieu de donner l'i ces derniers leur salaire, ils en
tirnient de l'argent, « moyennant quoi la conduite de ceux-ci n'était
p;is plus régulière » ; pour cacher ces irrégularités, ils parvenaient
sous différents prétextes à éluder l'envoi des comptes qu'ils devaient
Ciire tous les trois mois ;\ la Chambre du commerce. Mais le plus
grnnd abus c'est qu'ils fais;uent tous le commerce, directement ou
ind î rcctement, avec tout l'avantage sur les autres marchands que
leur donnait leur situation et leurs relations avec la G:)mpagnie. Ils
reccv- Client des Juifs ou des étrangers des pensions pour les admettre
sons la protection de la France ; ils permettaient, malgré les ordon-
''•i ri ces, à des vaisseaux étrangers de prendre notre pavillon qui les
«iïva.îx jouir des avantages accordés aux Français dans les échelles,
^nrx d'augmenter leurs droits de consulats. En Egypte notamment,
*^" i^racc à la complicité du consul, ils ne payaient comme les
^'■"^ï^çais que 3 0/0 de douane au lieu de 30 0/0, les étrangers parvc-
'^**-'<^iii ainsi à faire un grand commerce.
^^iïli»cureuscment ces consuls étaient fortement appuyés. Des deux
^'-"•'Cs du directeur de la Compagnie de la Méditerranée, Joseph
^t>«"e, l'un fut consul de Smyrne, l'autre vit créer pour lui, malgré
^^hambre, le poste inutile d'agent du commerce à Constanti-
*-*t*Ie ' et fut en outre chargé de l'ancien consulat non moins inutile
^ Gallipoli. Jullien, consul d'Alep, était l'homme de confiance de
■:*^^^ph Fabre ; Marlot, consul du Caire, était parent de M. de
- ^*-^-»vré, intendant de la marine ;\ Toulon, et principal intéressé de
^ ^-^^ m pag nie. Fabre de Smyrne fut remplacé par Blondcl, frère du
■^'"'^'^lier commis de M. de Croissy et quand la Chambre, « après
* y*^îr dissimulé une infinité de plaintes » contre lui, par considéra-
*^-**^ pour son frère, osa dévoiler sa conduite, elle res.sentit les effets
^^ *A rancune de celui-ci*. L'ambassadeur Girardin, frère de M. de
***JVré, était tout dévoué à la Compagnie et défendait les consuls
Commis. Seignelay lui-même avait annoncé qu'il doimerait ;\ la
j * * ) 1 Knus ne s.ivons qu'il puisse arriver rien de pis dans le commerce. » L/Ilre
^ 'f (Chambre à M. île dumery, fj ocloine i6S$. BB, 77. lettres Je plaintes coiilit lui
2 ^^^'gmlty, BB, 27. 21 mai, ;■•' octdhe i6^\. Scipielay refuse de le rcvoiiucr,
•* 'nari, j6S6. BB, S2. iinfin l'.imb.issadeur Castagncrcs de Ch;itcaiineut eut
P*^***" instructions de supprimer son poste (1689). La Chambre lui payait i.oc»
i^*^*^*" P-«r.>n; comme il était le principl négociant de Constaniinoplc, cette charge
rendait le nwitre de rédiclle.
'*) BB, iS. ij dfc. j6iVy, 10 mai t6<^, 6 oct. ifi^.
ses
2^(>
LES AXNÈES DE PROSPKRIjfe
Conip;ignic toute sorte de protection et tenait parole en fermant
souvent roreillc aux plaintes. « Les négociants de Smyrne, écrivait I
Ixbrct ;\ Le Pcleticr en 1687, se sont phiinis de leur consul, le sieur
Eibrc, frère du fermier général des consulats. Il faudrait faire un,
exemple : mais le marquis de Scignelay s'y refuse. De plus, les amisi
du sieur Habre se sont vantés d'avoir vu dans les bureaux de M. de
Seignelay ma lettre du 4 septembre spécifiant tout ce qui est .\ leur
désavantage ; vous jugez de l'agrément que tout cela peut avoir pour
un homme de ma manière, qui ne suis entré dans tous ces détailsifl
que pour obéir A vos ordres*. » Aussi les plaintes des marchands,™
transmises par la Chambre^ devinrent-elles plus vives dans les der-
nières années de l'administration de Seignelay ; les députés du com-
merce rappelaient tous leurs griefs dans une longue lettre écrite h
Lebrct en r68S' et dans le mémoire qu'ils remirent peu de temps
après au nouvel ambassadeur, M. de Castagnère.s, lors de son départ
de Marseille*; ils adressaient aux consuls du Ciire, de Smyrne, de
Seïdc, en 1689 et 1690, des lettres de vifb reproches*.
Cependant il est juste de reconnaître que Seignelay, s'il s'était
laissé circonvenir par la Compagnie de la Méditerranée, avait sincè^
rement l'intention d'améliorer les consulats et l'administration d<
échelles •\ En 1685 M. Dortières, contrcMeur générai des galères
Marseille, fut envoyé aux frais de la Chambre", avec deux vaisscaui
du roi, pour visiter les échelles. Il avait de très amples instructions]
il devait d'une manière générale « se transporter partout où te
Français avaient leur commerce pour remédier aux abus et malvcr
sations, y mettre l'ordre que S. M. avait mis partout ailleurs » ;
outre sa mission avait pour but de développer notre influence daii
(t) A U PtUtier, 22 dkembre t6Sj. Cf. Ltltrt r) Stigneluy, 24 Jh<rifr i68i.-
Marchand, p. jjî.
(2) /./ c^tdtre 16SS. BB, 38.
(î) BB, 4. fol. ./tô (I suiv. Mémoiifi dit (f juillet 16S1).
(.j) .■} Matlol du Caire, 2) avril, 20 sept. i(>Si), 20 oci. i(yi}0. A Blondtl ^
Smvriu', i } di'c. i6S^, 6 Jà. i(><)o. — Au coiisnl Je SciJe, îq iim'. i6Sç, r-A . BB, j •^;^
— F;<brc, lemiicr ^vineral dos consulius cl les autres directeurs de l,i Comp.iKt ^ .
se livrèrent cux-mùmcs, gr.kc A 1.» cnnnlvciicc de I nnib.i&s.ndcur L-t d« consuls ,^
de graves abus. Voir un imimoire de Lebrct do 1708 : BihI. NiU. mis. /r. i6<)
fol. iSi-iSS.
(5) V. Ullif <i Morant, 9x1. 16S4. Deppisg, t. III, p. 629. — On peut r
peler l'arrOt du Conseil du n m.irs 1685 cjui délcndait de rccoini.iltrc pour coii
de la nation rr.ini,aise les ctringers ijui prctcndrjicnt en f;iirc les fonction*. 11^
(6) A Morattl, 2^ août 16S9. Deppisg, t. III, p. 6^-
ACHFA*EME\T DE L CT.UVRE DE COLBERT
247
Iti Levant, de « faire connaître aux pachas la grandeur ctla puissance
<4u roi, combien S. M. est au-dessus de tous les autres jinnces chré-
t: icns, ses forces par terre et par mer, ses conquêtes; il devait insinuer
«:|ue tous les princes de l'Iiurope ligués contre la France avaient été
«jbligésde lui demander un traité que S. M. leur avait accordé pour
20 ans. Etant arrivé à Constantinople, le sieur Dortières devait obte-
nir aussi, conjointement avec notre ambassadeur, de nouveaux com-
mandements aux pachas pour empêcher qu'il ne tût établi dans
les échelles d'autres consuls que les Français et que les étrangers ne
pussent négocier que sous l'aveu de la bannière de France et en
obéissant aux consuls de la nation qui y résidaient, comme il avait
été convenu par l'art. 44 des Capitulations d'avril 1673, ù la réserve
toutefois des nations qui avaient un ambassadeur résident A la
Porte '. » Les mémoires sur la situation des échelles que Dortières
présenta à son retour en 1686 firent sans doute juger nécessaire un
second voyage*. Il en accomplit en effet un second en 1687, cette
fois-ci avec pouvoir d'établir lui-même des règlements. Dortières
mit fin à de nombreux abus, mais il excita les plaintes des marchands
&en réglant en faveur des consuls tous les points qui étaient contestés
au sujet de la dépense des échelles, particulièrement de l'entretien
ides chanceliers et des drogmans, en haussant les droits de consulat
«t de chancellerie, et surtout en dissimulant les réclamations qu'il
avait reçues contre la conduite des consuls; aussi la Chambre
s'adressa à Seignelay pour empêcher l'exécution de différents articles
«le son règlement\ En 1688, M. Daguesseau fut envoyé en Provence
poar faire une enquête au sujet de toutes ces plaintes; il s'en revint
pleinement édifié et réussit .\ convaincre le ministre, qui était décidé
^ supprimer la ferme des consulats, quand il mourut.
(1) Instructions du ij août tôSs- Arch. des aJJ. ilr. Turquie, SupftUmetit. isiy
«î i/^S. Extraits d.ins Dfjpinc, t. III, p. 643. Dortières reçut des conmiande-
Tiiciiis du sultan pour faire mettre partout en vigueur les Capitulations qui lurent
jHiur la première fois appliquées en Kgyptc.
(2) .Aucun historien n'a parlé de ce second voy.nge ; il ressort cependant de
plusieurs lettres {à de Ligvy, ;•■' mars i6S(> ; à Dortihcs, 2S juin t6S6. lili , 27;
^ngntlay à Morant, jy août lôHô ; Dkpping, t, III, p, 63}) que Dortières était
iv>'cnu de son voyage au printemi>s de 1686, et de nombreux documents nous le
montrent de nouveau parcourant les échelles en 1687,
(3) V. Bli. 4, fol. jçç-406. Mémoire envoyé le 10 mai 1688 à M. le m.irquisdc
Seienclav contre le sieur Louis Fabrc, consul de Smyrne, et contre le prétendu
Tèglement provisionnel fait par M. Dortières ~- Voir////, 36. Règtnnent fait pour
iaicMlts du Ln'iwtpar M. Dorlihf s. Smyrne, SoeUibrt lôH-j. ai articles.
248 LES ANNÉES DE PROSPÉRITÉ
Seignclay se préoccupa aussi de prévenir le retour des dettes dont
la liquidation s'achevait. En 1688 on ne levait un cottimo pour leur
paiement que dans les échelles de Scïde et d'Alexandrie', il ne fallait
pas que les avanies et les emprunts vinssent les renouveler. C'est ce
que Scignelay voulut prévenir par le règlement en 30 articles du
25 décembre 1685, complété par l'arrêt du conseil du 29 décembre
1685. Tous les dcu.K avaient été mûrement étudiés par la Chambre
et le dernier ne faisait qu'ordonner l'exécution d'une de ses délibé-
rations*. Le roi y interdit « de faire, pour et au nom de Li nation,
aucun emprunt des Turcs, Juifs et autres gens du pays, sous quelque
prétexte que ce soit, si ce n'est dans les cas indispensables dont on
sera oblige de justifier la nécessité et de tenir registre, lequel en
contiendra les motifs » (art. /). Les avanies auxquelles les particu-
liers auront donné lieu par leur faute ou mauvaise conduite en quel-
que manière que ce soit seront supportées par eux (arl. 2). Au cas
où ils ne paieront pas ils seront retenus prisonniers et au bout de trois
mois renvoyés en Franco, où la Chambre du Commerce poursuivra
le paiement et les contraindra, tant en leurs biens que par emprison-
nements de leurs personnes. Ce sera à la Chambre du Commerce de
juger, d'après les informations faites par les consuls, si les avanies
seront supportées par la nation ou les particuliers (iirt. ] à 6). Quand
la nation devra payer une avanie, l'argent sera levé sur les voiles
qui aborderont dans l'échelle en forme d'avarie (arl. 7). Ces avaries
payées par les capitaines seront remboursées au retour par le coq>s
du bâtiment et les effets du ciiargement, en tenant compte du
change maritime*. Ces sommes demeureront en pure perte pour les
intéressés au bâtiment ou pour les assureurs, jusqu'i concurrence
de la valeur d'un cottimo et demi, sur le pied qu'il se lève actuclle-
(i) Mt'moii,- diitiiit'c à M. d: CasUh^turis, i<.) pvriei i6SS. Bli, 4, fol. J32.
Ul />W, ./. Dt'lihêmlion ,!ii ;; //(///.•/ lOSf. — 7 Siftfmhe i6Sf. Mnnoires sur hs^^
avuiiis. — Sel 1} dt'ciinhrt' loS). (À^iisiiltiitions d'avocals et dilihcrations de laCliambri^-
i(;< siijtt dt'S aviirûi.
(5) t^<-' clumgo in.iritinii.' C-tait ûxc .\ 20 o o sauf à Alexandrie où il pourrait ctf' -^.
do 50 o o. M.ii-i tous Ici particuliers pcuivaient offrir de f.tire des av.irics i la plag-^,
des capitaines à un moindre ciiaufie et pour cette raison la fourniture devait ètw- j
puWiéc et mise au rabais dans IWsseniWée publique du corps de I.1 nation, (.'/r^^
/j-/;). — La Chambre supplia d'abais-;er ce taux du chance qui donnait trop •
bé-néùce ( j /./■■..', r.» <:.K\-iiil'n- lOoi. lUi, 2S). — L'arrêt du 2\ novembre 16 .»«^
chargea Lebret de le réijler à l'.-.venir en tenant compte du cours du chani^' £=-«=;
la place de .Marseille. //, -v> — Une ordonnance de Lebret, du 4 mars 1695,
fixe à I ) o i\ — du 10 mars 100 \, à i<S o o, — du 2 | novembre 1696, à 24 0»_
a cause de la guerre. — du !<.•• iiàilet I^9^i, .1 iSo o, — etc., //. 27.
ACHEVEMENT DE I. ŒUVRE DE COLBERT
249
meni'. Si les sommes levées excédent cette valeur, les intéressés
detin cureront créanciers de réchclle pour le surplus, dont ils seront
reixï L>oursés avec intérêt au denier ao, par le moyen d'un cottimo
qui ïscr.i levé sur les voiles qui y négocieront (art. «V à //). En cas
de <i cpense indispens;iblc et inopinée, dans le temps qu'il ne se
frc^ux-v-cra aucun bâtiment dans l'échelle, il sera procédé a une levée
sur- l<;s particuliers négociants de l'échelle, sauf le consul et les çcdù-
siiis tiques qui n'exerceront pas de négoce ; ils seront remboursés sur
'•^^ jr>Tcmiêres voiles qui arriveront Cm t. 16 à 20). Pour assurer la
PC> »^ ne administration des fonds des échelles, le règlement s'occupait
'■'^ fi »^ de l'élection des députés des échelles, du maniement des fonds
^^ «-J^ l'envoi des comptes (tirt. 21 à ^9).
-'^-î.nsi l'interdiction des emprunts et l'établissement définitif du
^'^^t Or me des avaries devait i^arantir les échelles de l'accumulation de
*^'-* •-■■ '^-elles dettes, mais la levée des avaries pouvait à son tour devenir
* ■"• ^5:ereuse si les capitaines étaient exposés ;\ l'arbitraire des consuls.
•'^*-^ ^sii I4 délibération de la Chambre, dont l'exécution était ordonnée
P*-*" 1 'arrêt du Conseil du 29 décembre, établissait elle avec soin des
^■*" *~^^«- »ities contre les abus: aucune levée d'avarie ne pourrait être faite
*^'~*^ «ne délibération en règle de la nation ; les capitaines en rappor-
^*"^* ■• «nt des actes justificatifs que la Cliambre exan;incrait et ce n'est
^^ ^'- V^fés avoir mis son visa sur ces procédures qu'elle permettrait de
^^*--^ le <f régalement » des sommes payées par les capitaines sur le
**■ '■^^ement du navire.
"^■'^algré la disparition des dettes et les efforts du ministre et de la
, ^^^^^ MTibre pour établir une bonne administration des finances des
^ *^ lies, les charges du commerce furent lourdes encore. Il y eut
^ent des levées d'avaries pour paver les dépenses ordinaires ou
Jitionnelles. Les députés des échelles ne se montraient pas assez
, *^ *~* agers de deniers qui leurcoùtaient peu. Ainsi, pendant la guerre
. *-i* Ligue d'Augsbourg, ils dépensèrent de grosses sommes pour
*^t»rcr les triomphes du roi. La Chambre écrivait ;t Pontchartrain
*^ •-*'on y avait célébré des fêtes pour la prise de Mons et de Nice
^ * avaient coûté plus de mille piastres \ Alcp, environ 500 à
'^^^■'rne, 3 ou 400 iSeyde et autant A Saloiiiq, où il n'y avait même
a^ J ^ Le cottimo l'ut eu crtct diniiinicî tic moiii<i i pa-tir Ju \" janvier 1686. — Un
j^^^*^* du C»)nscil du (\ octobre i6i)S .idoucit cette obligation. Les b.itinient.s ne
^J*\«iu sujets aux .ivaries qu'.\ proportion de ta valtur des nwrcliaiiJises dont ils
*^î*:ni charges.
250 LES ANNÉES DE PROSPÉRITÉ
aucun corps de nation, et tout cela était levé par les consuls et dépu-
tés sur les voiles françaises qui venaient charger. Une seule échelle
avait plus dépensé que toutes les villes de Provence ensemble'. »
L'intendant dut ordonner qu'il ne serait fait aucune réjouissance
dans les échelles que celles qui seraient ordonnées par la Chambre,
« auquel cas les dépenses de Smirne et d'Alep ne pourraient pas
dépasser 100 piastres par réjouissance, le Caire et Seyde 200, Chypres
et Alexandrie 100*. » Le commerce dut supporter une partie des
frais des armements contre les Barbaresques. Ainsi, pour subvenir aux
dépenses de la dernière guerre contre Alger, l'arrêt du Conseil du
25 septembre 1687 décida qu'il serait perçu, pendant que la guerre
durerait, trois livres par tonneau sur tous les bâtiments qui revien-
draient du Levant. Cette imposition fut maintenue bien longtemps
après le rétablissement de la paix en 1689, car les besoins financiers
de la guerre de la ligue d'Augsbourg ne permettaient d'abandonner
aucune ressource, ce n'est qu'en 1699 que la chambre obtint la sup-
pression de ce droit de tonnelage'.
Quant au cottimo que Colbert espérait abolir à la fin de l'année
1681, il n'était plus question de le supprimer; bien plus, le nouveau
cottimo établi pour payer l'avanie de Chio continua d'être levé après
la mort de Colbert. Cependant l'amélioration de la situation finan-
cière du commerce et l'augmentation du négoce permirent de les
réduire tous les deux de moitié ;\ partir du i" janvier 1686. Puis
deux ans après, le nouveau cottimo fut supprimé, ce qui diminua
encore de moitié l'imposition de chaque bâtiment*. Comme la dimi-
nution du cottimo aurait empêché la Chambre de subvenir à ses
dépenses, Seignelay la déchargea des frais du curage du port de Mar-
seille*. En somme, grâce à la liquidation des dettes, à l'organisation
financière des échelles, au règlement sur les avaries, à la diminution
(i) -•/ Poiilchailraiit, 7 novembre i6t)j. BB, 2S. — Aux consuls et lUpulh. Circulaire
du i mars i6t)2. BB, 2S.
(2) //, 27. 10 mars i6tj.{.
(3) //, 2y. Airèt du I) mai i6<j(j.
U) Ordonnance de Moraiil du ;; octobre 16S) (reiuliK: en vertu d'un .nrrût du
Conseil du 15 août 1685). — Delibéralion du ; juillet 16SS. BB, 4. — Il fut aussi
établi définitivement que les cliargemenls de blé, de légumes, de fromage, de sel,
en ser-iicnt exempts. BB, 4, pi. 12, 21, 9;, ;;2, 600.
(5) Seignelay à Moranl 1 { mit i6Ss. Di:pi'ing, t. 111, p. 651 : « S. M. ayant été
informée que ce qui contribue à con\bler le port n'est autre chose que les ordures
et immondices de la ville . a estimé à propos de faire fournir cette somme des
deniers d'octroy de ladite villt- »
ACHfeVR.N(T.NT ni- l'œUVRE DE COLBERT 2)1
du cottimo, les charges qui pesaient sur le commerce éwicnt beau-
coup moins lourdes à In mort de Seignelay que du temps de Colbcrt'.
Une des plus graves préoccup.itJons de la Chambre était
J'enipOcher les Anglais et les Hollandais de fournir une grande
partie de la France de marchandises du Levant, en les faisant entrer
par les ports du Pon.mt. Elle ne cessait de répéter que l'édit de 1669
n'avait pas eu les résultats qu'on en attendait. « On se proposait
alors, disait-elle dans un mémoire, que cette imposition ferait le
rtiènie eftet que si l'on avait interdit tout i fait l'entrée des dites
marcliandises entreposées dans les pays étrangers, où elles sont
apportées par les Anglais et les Hollandais, qui de h'icn fournissent
prcsc|ue toute la France du cAté du Ponant. Mais les fermiers de
S. M. ont rendu cela inutile car ils craignirent la diminution de
leurs droits... Heureusement dans la Méditerranée la Chambre
entra en la place desdits fermiers et, en vertu d'un arrêt du conseil,
elle établit divers bureaux, commis, gardes à Marseille, Toulon, la
Ciornt, Antibes, Cette, Lion, Pont de Bcauvoisin et partout ailleurs
où il fut besoin. Mais, comme la porte resta ouverte en Ponant, ces
Pféca VI tions n'ont servi de rien '. » Ces plaintes furent entendues
^^ l'arrêt du conseil du i > août i68j établit d'une manière définitive
1^* ïTionopole de Marseille*.
Les marchandises du Levant ne pouvaient plus entrer que par ce
P^''^ sans payer le 20 0/0, et, même en lepayant, seul leport de Rouen
*^"^ restait ouvert, ce qui devait rendre la répression des fraudes
^••••-icoup plus facile. Cependant les représentations des négociants
C^unkerque* et des pays conquis de la Flandre qui, semb!e-t-il,
I» *'* On pourrait rappeler ki diverses ordotinance!> ou arrêts iiui complétèrent
j^. ^'^^t^riancc de la marine de 1681 p.ir exemple au sujet de ladiMivrance .lux cani-
j,^*^*^^ *^t patrons desconRcs de l'amiral. (V. 7/, 27 : arrêt ilii Comeil du 141WÙI 16^6,
ij,^ ■*■* dfctmbrc 16S6 ; ontotinaiiff du j ncv^ntbif i6S-j, }o iiï'ril r/><VA') ; ces prcscrip-
«,._i^ .av-aient pour but d'cmpccher les étrangers de se procurer des congés par
l'j,^^'"'''^;. — Seignelay opéra encore plusieurs autres léformes de détail. Rappelons
j.,ji. _•-**"> riancc portant défense aux inlenJ.ints de la marine, des galères, commis-
gj ''"^ crt contrôleurs généraux et ordinaires, commissaire-i et commis aux classes
jjp^'^'«"o* employés dans l.i marine et dans les galères de l'aire aucun commerce
^y^y^'^ïlKnt ou indirectement. HH. 36. Sans date, — La Chambre s'était plaint
cthj.^, j Li;brctde cet abus : à L.bnl, 14 oftobrx 16SS. lili, 3S.
' ) \Uiiioi»ê JoHiii' 1) M. Diigutsstati eu Mût ifHS. Uli, ./, jo\. }ç6 tt siiiv.
ulm^* ^I, ^S- — iM chambre aJreSie dt'i rotutdments très vifs ù SeU'nelay, k ti
qor MtniiHrt ,ifi ntgiKÎants de Duukeraue (t avis Jf Vinttndaitt, touchant Us co$isi-
***^*'^ ,lf TarrH du i ; twùl i6Sf, 1 1 juilltt rt 29 aoit 16S6. Boislisle, Corresp. iç^.
!)-:
LES ANNÉES DE PROSPÉRITÉ
n'avaient pas clé soumis au 20 0/0 par l'édit de 1669 firent publier
cil leur faveur l'arrêt du 22 février 1687 : « les marchandises servant:
aux manufactures desdits pays et villes conquises, mentionnées dans
l'état arivté au conseil, pourraient entrer librement par le port de:
Dunkerque et de là passer dans les villes des pays conquis et nor
ailleurs, en payant les droits portés par le tirif de juin 1671, ains
qu'elles faisaient avant le dit arrêt du 15 mars 1685 V» Ce fut au
tour des Marseillais de se plaindre et, S la suite d'un mémoir-
envoyé par la Chambre ;\ Ponchartrain le 16 janvier 1692, l'arrêt d
3 juillet révoqua le privilège accordé à Dunkerque et soumit toute
les marchandises du Levant qui y entraient au droit de 20 o.'o
Malheureusement les arrêts de 1685 et de 1692 ne furent guc
mieux respectés que ledit de 1669 et la concurrence étranger
continua, comme le montrent les plaintes répétées de la Chambre 1
commerce. « Les fermiers des droits du roi n'ont fait que sauver
apparences, exposait-elle à Daguesseau en 1688, il est noto-
quc les étrangers ont presque autant de ftcilités qu'auparavant pc — — -;|
faire entrer les marchandises par fraude. On arrange les registres ,
dissimulant le poids et la quantité. Une preuve convaincante c'esczr <
voir par ces registres que l'on continue d'apporter ces marchand ^S^S(
en payant le droit, ce qui serait impossible, si on le payait en ent^ ^S.e;
de les fournir au même prix. » Pour remédier aux fraudes, la chan^-m_ "bn
demandait surtout qu'on la chargent d'établir des gardes et surv-- -^eil-
( I ) //, 2ù. — Dans l'itat annexe à l'arrêt figurent toutes les principales »TKn»r-
clianJiscs du Levant ; soies, cotons, laines, cuirs, toutes les matières w!'ccs-s-=-'«ircs
aux teintures (alun, pommes, galles, cendres, etc.).— En présences des con««^=-'>u-
tions entre les marchands et les fermiers des cinq grosses fermes, fut a-ndu I 'i.J».rrct
du 9 novembre ihSS en interprét.ition de celui du i > aoilt 1685. Il décidait c| »-» «e/cs
marchandises du Levant arrivées à droiture i Marseille et p.isi;int de laditcr "^i/Zc
dans le royaume, soit par terre, soit par mer, par les ports de Provence c«: Ju
Languedoc, de Rouen, Dunkerque et autres du Ponant, seraient excmpttrs» du
droit de 20 o.'o. Mais elles devraient avoir des ccrtificits d'origine délivrés ps-'* f b
Chambre du commerce de Marseille. //, 26.
(2) a Les négociants du royaume qui font le commerce du Levant par le _ l'on
de Marseille, auraient remontré à S. M. qu'ils ne peuvent plus souien î » ce
commerce .i cause de la quantité de marclsandises que les étfan^jcrs 'on;
entrer en Flandre Les négociants de Dunkerqiie ne donn.int aucun avanïii^'
effectif aux sujets du roi du pavs conquis pour leurs manufactures, si ce n'est pour
les maintenir dans l'habitude de négocier avec les ennemis préférablement Ji'iv
les Lranijais. puisqu'il leur est plus facile de faire venir les dites niarctundi*«?s i/e
Marseille, du commerce des Frini,"ais, et qu'au moyen du transit qui leur ^ àc
accordé par l'arrêt du 1 5 juin 16S8 ils peuvent tirer les marchandises du Lfvjn/
sans payer aucun droit d'entrée et de sortie auxquels les négociants des .'ufrc
lieux du royaume sont soumis. * //, 2j.
ACHtVEMENT DE L CEUVRE DE OOLBERT
253
bnts dans le Ponant ; m.iis elle ne put jamais l'obtenir. M.ilj?rc la
surveillance active qu'elle exer<;ait, la contreb.uulc continuait i être
pratiquée, même dans les ports du Lins^uedoc et de la Provence.
Cependant, malgré la possibilité des fraudes, les Anglais et les
Hollandais, exposés i payer uw droit énorme en introduisant des
marchandises du Levant en France par Rouen ou Dunkerque, com-
mencèrent, pour échapper au 20 0,0, aies taire entrer par Marseille
en les chargeant sur des b:\timents françiis. C'était le but qu'avait
voulu atteindre Colbert, désireux seulement de développer la
marine nationale, en établissant le 20 0,0, mais la Chambre du
commerce voulait que tout le trafic se fit par les marchands français
et elle se plaignait des facilités accordées aux étrangers. Scignelav,
pénétré d'abord des idées de Colbert, demanda à ce sujet l'avis de
l'intendant ; « Je dois vous ùire observer, disait-il, qu'il est impor-
tant de ne point rebuter lesdits étrangers de charger sur des vais-
seaux français, cela étant très utile pour le commerce et pouvant
augmenter considérablement le nombre des vaisseaux et ta naviga-
tion des sujets de S. M. ' » L'année suivante, il changeait d'avis :
« Je suis informé, écrivait-il, que, ne pouvant consommer chez eux
les marchandises qu'ils sont obligés de prendre pour le retour de ce
qu'ils vendent, ils Icsenvoient sur des vaisseaux français A Marseille
où ils les adressent ;\ des marchands de leur nation qui y ont établi
des maisons pour cet effet et pour les débiter dans le royaume.
L'avanuge que les Anglais prennent par cette facilité est préjudicia-
ble au commerce des sujets du roi*. » Les capitaines, menacés d'être
inquiétés au sujet des marchandises qu'ils transportaient pour le
compte des étrangers, évitèrent ces tracas en les chargeant sous le
nom de marchands français ; les Juifs et les Arméniens, courtiers
des soies de Perse sur les marchés du Levant, introduisirent ainsi
en France, quantité de soies et d'autres marchandises. Une ordon-
nance royale* interdit « à tous marchands français résidans en
Levaut et i tous autres de prêter leur nom aux Arméniens, Juifs et
autres étrangers directement ni indirectement pour charger des soies
ni autres marchandises pour les apporter en France et ù tous capitai-
nes de recevoir lesditcs .soies et marchandises dans leurs bords, ni les
(1) aç ociobrt iMf, à Moraiit, Q\.ppi\û, t. lU, p. 6}5.
(i) 1} cKtobii t6Sj, DuTiNC, t. Ill, p. 6$i,
(j) OiitonmtM du it ot/i'frfc i(>Sj, //, 36 tl liU, 4.J0L ))}.
Mfa
2)4 LES ANNÉES DE PROSPÉRITÉ
personnes desdits Arméniens et Juife à peine de confiscation desdits
vaisseaux et marchandises et de 3.000 livres d'amende. » Le préam-
bule disait que les Arméniens et les Juifs envoyaient à Marseille des
soies inférieures et de rebut qui avaient causé une décadence des
manufactures de Lyon et de Tours, mais ce n'était là qu'un prétexte.
« L'ordonnance de 1687, écrivait plus tard Pontchartrain, n'a point
eu pour motif de remédier aux fraudes que les Arméniens font, mais
d'empêcher les Français de leur prêter leur nom sous lequel ils
étaient exempts des droits de douane et faisaient leur commerce par
préférence aux sujets de S. M. » Quelques Arméniens demandaient
alors à s'établir à Marseille pour y négocier, le ministre promettait,
si on le leur accordait « de leur imposer des conditions qui les
empêcheraient de faire tort au commerce des sujets de S. M. ' »
Ainsi on s'écartait nettement de la politique de Colbert qui avait été
d'attirer à Marseille un grand courant commercial, sans s'inquiéter
de ceux qui faisaient le trafic, pourvu que les transports fussent
opérés sur des bâtiments français. Il est vrai que les circonstances
n'étaient plus les mêmes et que, vers 1690, les négociants français
se sentaient capables de faire un grand commerce et de fournir à
nos bâtiments le fret qu'ils voulaient interdire de demander aux
étrangers.
Ceux-ci éludaient encore le paiement du 20 0/0 en foisant navi-
guer leurs vaisseaux sous pavillon français : ils simulaient des ventes
de leurs navires ;\ leurs correspondants en France et obtenaient ainsi
sous le nom de ceux-ci des congés de l'amiral, ou bien ils achetaient
des vaisseaux français en conservant les capitaines et une partie des
équipages et ils gardaient le pavillon. Outre qu'ils échappaient ainsi
à la fois au 20 0/0 et au droit de 50 sous par tonneau, ils jouissaient
dans leur navigation de la sécurité que les clforts de Louis XIV
avaient donné ;\ notre pavillon dans les mers du Levant et des avan-
tages commerciaux qu'il avait acquis dans les échelles. L'ordonnance
du 22 mai 1671 qui faisait « très expresses défenses ;\ tous marchands
et propriétaires de vaisseaux français de prêter leur nom aux étran-
gers à peine de 1000 Hvres damcnde.... et aux préposés :\ la déli-
vrance des passeports et congés de M. l'amiral d'en donner qu'aux
vaisseaux appartenant aux marchands français commandés par des
capitaines de la même nation, » était trop facile à éluder, elle fut
(1) 17 mars 16^4. BB,S2.
ACHÈVEMENT TO L OEUVRE DE COLBtRT
255
précisée parle règlement du 24 octobre i6St, contirmé et modifié A
à son tour, sur les plaintes de la Cliambre du commerce, par les
rcrglements ou ordonnances des 23 avril, 5 noiit, 8 octobre et 22
décembre 1686. Dorénavant on ne considérait comme bAtimenls
friin*^aiv que ceux appartenant réellement, en toute propriété, à des
m:ir*^hands français, qui seraient armés et désarmés dans les ports
frsLr»4^'K, et dont le capitaine et les 2/3 de l'équipage seraient français.
Seî^nclay avait permis, en 1684 ', que les étrangers fussent associés
potar un tiers à la propriété des n.ivires, cette tolérance était révo-
quitr<r. Les vaisseaux anglais et hollandais qui seraient trouvés navi-
^tj^ntsous la bannière de France seraient confisqués et ceux qui
P*"«it:oraicnt leurs noms aux étrangers condamnés à 1.500 livres
«^'-miende, les capit.iines et patrons coupables de la même faute
^tiraient arrêtés *.
En Egypte, quand MM. deGuilleragues et Girardin eurent obtenu
***^ r«^cluction A 3 00 pour les Français, des droits d'entrée de 300/0
R'^'ciiî payait auparavant, il fut dilHcile d'enipécher la contrebande
^^^^î'v-c i laquelle se livrèrent les étrangers pour laire bénéficier leurs
*^**»"c:lian dises de cet énorme .avantage, avec la complicité de nos
'''*^*r<;hands qui leur prêtaient leur nom. La Chambre fit rendre une
^*"*ionnance royale du 4 août 1688 qui défendit expressément aux
*"*"=* r^çiis d'Kgypte « de prêter le nom aux étrangers. » Cependant le
<^oi^sul, M. de Maillet, écrivait en 1692 ;\ la Chambre*: «Four
^*^*^'> bien croyez-vous qu'il se soit fait de commerce d'Italie en ce
ï*^>^s-ci sous le nom des Français depuis h. diminution des douanes ;
'^*^*">"»|itez des millions; il y a ici des march.mds qui ont reçu seuls
***^* «ffets pour 200.000 pi.astres et plus, ajoutez-y le retour il est
^'"•î^i qu'on n'y a pas assez veillé et l'intérêt particulier a prévalu en
^ * i 14 août 166^. II, 36.
j_ ^ ^ ) HH, 26. BrocbuTi conteihiiil les OrJoitiiancfs tt ùglcnimls dt S. M. sur le iujet
* t^ttaitgers qui lie ptuvfiil se servir du pai'Hhin français (i6jt-i6Sf>). — Ces
'L^5'^«^«inances furent mal obscrvtics Cûmme le montre la lettre suivante de Pont-
1^2**'* rain aux consuls du Lcvam du }i dcvembrc 1698: « Le roi .1 lait ùirc un
5^ *=■«» sèment général des matelots des dép.irtetncnts de Provence et de L.inguc-
.^^*- |3jr lequel S. M. a vu qu'il y en a un nombre considérable à rester eu Levant
^ "' ^ ' îles de rArJnpcl, qui s'occupent uniquement à servir sur les bâtiments
..5' • donnent souvent occasion d'abuser du pavillon de France. » — La
r.. ■'^ " «Huc >e plaini encore du même abus en 1703 ; à Pontcharttain, 7 nuti. BB, 3g.
**^s. le inèMK* but l'ordonnance du 16 févr. 1695 tit très expresses défenses « de
^*^*treaux ctrajigjrs, sous quelque prétexte que ce fut, aucun vaisseau sans la
P^'«v»iision particulière de S.M. i JJ, if.
* î ) iu ifptfmbrt i6y3. AA, }04.
256 LES ANNÈKS DE PROSPÉRITÙ
beaucoup d'occasions sur l'intérêt général. » Les fraudes continuèrent
malgré les bonnes intentions du consul, car on voit en 1699 ^^
capitaine condamné pour ce motif ;\ 10. 000 livres d'amende, et en
1701 un patron qui avait introduit au Caire des quantités considé-
rables de marchandises pour les étrangers, arrêté, ramené en France,
et jugé suivant l'ordonnance de 1688 '.
Seignelay se proposa aussi d'enlever à la marine étrangère les
transports du Levant en Italie qui enrichissaient autrefois les Proven-
çaux. Les vaisseaux français, qui déchargeaient une partie de leurs
marchandises en Italie, étaient ensuite assujettis au paiement du
20 0/0 pour le reste de leur chargement, il en résultait que ceux qui
achevaient leur voyage en France ne prenaient point de fret pour
l'Italie. Seignelay voulut y remédier par l'ordonnance du 3 mars
1688: « S. M. a permis et permet, disait-elle, à tous capitaines de
vaisseaux français revenant du Levant d'aborder en Italie et y déchar-
ger partie de leurs marchandises sans qu'ils puissent pour raison de
ce être obligés de payer le droit de 20 0/0 pour les marchandises qui
leur resteront à leur entrée ;\ Marseille. » * La Chambre avait les mêmes
vues que Seignelay quand elle demanda en 1686 qu'on fit payer le
cottimo aux vaisseaux des étrangers qui se mettaient sous la protec-
tion de la France dans le Levant et arboraient son pavillon. C'était
frapper les Italiens et en particulier les Vénitiens, alors en guerre
avec les Turcs, afin de mettre à même les bâtiments français de leur
faire concurrence pour les transports du Levant en Italie. Mais la
Chambre se trompa en croyant atteindre ce but car les Italiens, pour
éviter cette imposition, se mirent sous la protection des Anglais et
des Hollandais. Aussi rencontra- t-elle une vive opposition de l'am-
bassadeur et des consuls qui craignaient de voir diminuer leurs
droits de consulat, si les étrangers abandonnaient leur protection.
(i) V. BB, S2. 26 aoùl /^vp, ]/'> jVvr. lyoi, 2 fiv. /6<;/.
(2) } mars 16SS. Il, 26. La mv.-surc ctait cflic.icc, car les Jc'UUcs de .rôthollc
de Constantinople écrivaient le 8 juin 1688 : « Nous vous donnons avis que,
comme le droit de 20 0/0 n'engage plus les bâtiments venant du Levant d'éviter
le commerce d'Italie, il est constant qu'il en partira beaucoup de ces quartiers qui
passeront à Messine et à Livourne. » AA, 16S. — Cependant il était très ditîicile
d'enlever aux Anglais le transport et la vente des marcli.uidisi.s du Levant dans
les pavs étrangers, car leurs ta'ils de fret étaient de beaucoup inférieurs à ceux
des Marseillais, ceux-ci a\ant a p.iyer des droits bien supérieui-s à ceux que sup-
portaient les Anglais. (V. le tableau comparé des droits que les vaisseaux fran-
ijais payaient en chargeant des marchandises à Constantinople pour l'Italie :
l-r.tnsai's = 2.(7 piastres, Anglais = 5). Arch. Xal. P-', <'>/;.)
ACIIHVEMENT DE L CEUVRE DE COLBERT
257
'ambassadeur publia mcmi: une ordonnance interdisant de lever le
nr iuio sur ces bâtiments, mais la Chambre obtint des ordres du roi
(U r contraindre l'ambas&ideur '. Au début de la guerre de la Ligue
'A. Ligsbourg, comme on espérait fermer la mer aux Anglais et aux
[ollandais, les Marseillais crurent pouvoir faire davantage ci se
rîiervcr le monopole du commerce en interdisant;! tous les étran-
gers sans exception de se servir de la bannière française dans le
Levant, mais leur attente fut encore trompée. La nation de Cons-
^Jaiitinoplc écrivait à la Chambre en 1690 : « Ceux qui ont donné
^■Ks Nlcmoires â S. M. pour défendre que les bâtiments étrangers ne
^fct-iisscntse servir du pavillon blanc n'ont pas rendu un bon service
^B la Chambre, je veux dire du moins pour le trafic qu'il y a de
^M^ «^nisc ici, car, au moyen de l'ordonnance du roi, il n'est plus venu
aucune voiJc du dit lieu avec pavillon de l-rance et on n'a pas
*ï^stt-, en se servant de ceux d'Angleterre et de Hollande, de conti-
nuer le trajet d'un négoce considérable, sans que cela ait porté
aucun bénéfice à nos bAtiments, on voit au contraire que cette
"miteuse est préjudiciable aux français qui sont établis dans cette
I *■'*'" elle, puisqu'ils ne jouissent pas des commissions qu'ils pourraient
*^*oir*)). La Chambre fut toujours animée de cet esprit exclusif
'^ïroit qui ne s'inspirait pas toujours des intérêts bien entendus du
-^«^nitnercc.
Q.uoiqu'on puisse penser des rigoureuses mesures de protection
t*^ elle inspira .'i Seignelay, l'administration active du ministre et
nombreuses réformes, la plupart bien conçues, attestent qu'il
••^t loin, comme l'en ont accusé certains historiens, d'avoir négligé
**^s affaires commerciale s, pour s'occuper de la marine de guerre.
-*^ reprociie le plus grave qu'on puisse lui faire, c'est d'avoir encore
ItXûgéré la confiance et la fiveur que Colbert avait accordées ;i la
•^O'Tïpagnie du Levant et d'avoir laissé commettre aux consuls qu'elle
*vait établis dans les échelles tous leurs abus, sans écouter les
V'aintes de la Chambre. Il avait consersé pour celle-ci une partie
•^^"^ prcvenlions que Colbert avait eues contre elle. Les gens de son
"^"lounigc, jaloux de son autorité et de celle de l'intendant de Pro-
^'cnce sur le commerce du Levant, étaient intéressés ;ï les entretenir
"^^ i^e s'en faisaient pas faute, aussi la Chambre s'en plaignait-elle
U) h) mai tôHj.
U) il juilUl sbijo, AA, lôS.
«7
258 LES ANNÉIîS DE PROSPÉRITÉ
parfois amèrement. « Nous sommes bien malheureux, écrivaient
les députés du commerce A leur agent à Paris, qu'on n'ait nulle
confiance au témoignage que nous donnons, et qu'il faille qu'une
funeste expérience... justifie la justice et la vérité de nos plaintes.
Nous sommes en possession de n'être écoutés en rien et ce sont
sans doute des mauvais offices que l'on nous rend auprès du minis-
tre, car nous ne pensons pas d'avoir jamais rien fait qui ait pu attirer
ce malheur*. »
Pontchartrain, qui n'avait pas le caractère autoritaire de Sei-
gnelay, n'avait pas été non plus initié de longue main aux affaires
du commerce, aussi fut-il tout naturellement porté à se guider
davantage d'après les avis de la Chambre du commerce et de l'in-
tendant de Provence, qui, depuis 1686, portait le titre d'inspecteur
du commerce du Levant. L'importance toute nouvelle de la corres-
pondance du ministre avec la Chambre, le petit nombre de lettres
adressées par les députés du commerce à leur agent à la cour, pour
soutenir leurs affaires devant le conseil, montrent le rôle désormais
prépondérant que joue la Chambre dans la direction des affaires du
Levant. Le ton des lettres de Pontchartrain, sensiblement différent
de celui de Seignelay, dénote une confiance nouvelle et parfois une
véritable cordialité dans les relations du ministre avec les Marseil-
lais*. Chaque année, la Chambre reconnaissante lui adressait un
présent considérable, ce qu'elle n'avait jamais fait pour Colbert, ni
pour Seignelay*. En 1695, voulant imiter Colbert, il envoya son
fils visiter les ports de Provence, la Chambre le reçut avec de grands
témoignages d'affection et conféra avec lui sur les affiires du com-
(1) A de Gumery, ly octobre 168 ;. BB, 27.
(2) La curieuse lettre qui suit, de l'intciidant Lebret à Daguesseau, conseiller
d'état, montre qu'au début on avait inspiré les mêmes préventions à Pontchartrain
qu'à Seignelay : « M. de Pontchartrain est bien résolu d'arrêter entièrement
les désordres, mais j'ai cru voir, je l'avoue, un reste du vieux levain dans son
esprit, ce qui m'a obligé non pas à lui dissimuler mes sentiments, ce dont je ne
serai jamais capable contre mon devoir, mais à les dire avec plus de retenue et de
circonspection que je n'aurais fiiit, si on ne m'avait pas répété à plusieurs reprises,
qu'il faut bien se garder d'entrer dans les passions des écnevins et négociants de
Marseille, que leur humeur intéressée, jointe à la chaleur et vivacité des esprits
du pays les porte à exagérer... » 2] juin 16^1.
(3) V. / janv. 18 liée. i6ç2, 26 uov. JÔtj}. tic. BB, 4. — Le présent valait 8 à
900 livres. — Même, en 1694, la Chambre adressa à M"»; de Pontchartrain un
présent que le ministre renvoya (une boîte de dou7.e lichus ou mouchoirs, ouvrés
d'or et d argent). Il fut revendu 600 livres (i ) mai 16(^4. BB, 4). Ces présents
furent envoyés « en reconnaissance de la protection extraordinaire que M. de
Pontchartrain donne au commerce ». (Délibénition du j janv. 161)3).
ACHEVKMENT DU L lllUVKi: Oh COLBBRT
259
J^^erce. A partir de ce moment le jeune Pontchartrain s'occupa avec
on père des affaires du Levant comme l'avait bit autrefois Sei-
nelay, pour se préparer ;\ prendre ensuite le secrétariat de la
a-narine '.
Ainsi, l'autorité de la Chambre du commerce, qui n'avait fait
uc croître pendant l'administration de Colbert et de Seignelay,
«Jevini alors seulement toute puissante dans la direction des affaires
«-iu Levant*. Ce corps éuit renouvelé en entier tous les deux ans,
lais, comme chaque année la moitié seulement de ses membres
tait changée, l'expédition des aHaires se poursuivait toujours sans
rrêt. De plus, il se recruta toujours dans un petit nombre de
^"tmilles qui formaient l'aristocratie commerciale de Marseille. Ces
-tjmilles, lîères de leur passé et de celui de leur ville, très attachées
■î?» leurs vieux usages commerciaux et à leurs privilèges, auxquels elles
•srattribuaicnt l'antique prospérité de leur ville, s'en transmettaient
:K~eligieusement la tradition de père en fils. Aussi la Chambre eut-elle
"%_-ine politique commerciale bien nette, qu'elle suivit avec tous les
iiinisires; elle avait pour la guider ses archives soigneusement
enues en ordre', où ses membres pouvaient suivre pas ;\ pas les
tfortsde leurs prédécesseurs et les vicissitudes du commerce. C'est
i ^ qu'ils trouvaient les matériaux de ces nombreux mémoires qui
i nspirèrent en grande partie la législation commerciale de l'époque.
ij)e toutes les mesures concernant spécialement le con>mcrce du
Xl^evant, il en est très peu qu'elle n'ait pas suscitées par sesproposi-
■*.. ions et par ses plaintes, il en est moins encore qui aient été résolues
ontrairement A ses avis, il n'en est pas sur lesquelles elle n'ait pas
té consultée. La Chambre montra parfois un esprit un peu routi-
^
( 1 ) Plusieurs lettre* adressées i la Cliambrc et signées Phclypcaux sont de
X?ontchjrtr4in le fils. Hli, ^3.
(2) Une curieuse lettre de Pontchartrain, que ni Coibert, ni Seigncli»y n'aurait
'^&critc. montre la déférence qu'il avflit pour la Chambre. 77 déc. !6<f6. Deppivg,
X . 1, P 891 . — Cf. une lettre de Pontcnartrain le fils à Lebret du m^ine jour, sur
1« même sujet. Ibid. t. I, p. 913.
( j) Dtlibi'ration du f juin IJ04 : « Li Chambre ayant diîlibën! depuis le 7
Iwilici 1^79 qu'il serait procédé à un invent.iire général de tous les papiers, livres,
titres et documents de la Chambre qui doivent être dans les archives, afin d'en être
fait un chargement dans les formes, cette délibération fut renouvelée par une
aum; du 20 novembre 1683 et par une troisième du 15 octobre 1691. Cependant
Ïa volonté de l.i Chambre se trouve éludée depuis environ 25 ans en une chose
«le la dernière importance ». — Elle décide de procéder A un inventaire général. —
Les .ippointemcnts du conmiis aus archives sont portés de 240 â 300 livres. -^
m, s.
260 LES ANNÉES DE PROSPÉRITÉ
nier, un attachement étroit et aveugle pour les anciennes coutumes,
cette hostilité pour les nouveautés qui ne venaient pas d'elle, dont
s'était si fort irrité Colbert, mais aussi une vigilance toujours active
à signaler les abus. En face de l'envahissement progressif de la cen-
tralisation "et de la menace de ses règlements multipliés, elle eut le
mérite de revendiquer hautement le principe de la liberté du com-
merce indispensable à sa prospérité.
De tout temps, elle avait été chargée de surveiller l'administration
des échelles, mais les règlements nombreux faits par Colbert, Seigne-
lay et Ponchartrain les mirent de plus en plus étroitement sous sa
dépendance, et la réforme des consulats, faite par Pontchartrain,
augmenta encore son autorité. L'ambassadeur à Constantinople
recevait d'elle, au départ, d'amples mémoires sur les objets qui
devaient attirer son attention et entretenait avec elle une correspon-
dance suivie pour l'expédition des affaires. Les règlements publiés sur
a navigation du Levant par Seignelay et Pontchartrain lui en attri-
buèrent aussi la direction et la surveillance. Pour faire respecter son
autorité, elle n'avait pas elle-même de juridiction, mais elle poursui-
vait les délinquants par devant le tribunal de l'amirauté, le parlement
de Provence ou l'intendant'. En temps de guerre, la Chambre veil-
lait i la sécurité du commerce, elle recevait de partout des avis sur la
position des corsaires ou des Hottes ennemies, elle envoyait des tar-
tanes rapides en avertir les bâtiments français qui se trouvaient aux
échelles, clic s'entendait avec la cour pour l'organisation des convois
ou des croisières, elle récompensait les capitaines des bâtiments mar-
chands qui avaient combattu vaillamment, elle poursuivait ceux qui
montraient de la lâcheté*. C'était elle qui veillait au maintien de la
santé publique, et les intendants de la santé, qui avaient le soin par-
ticulier des infirmeries et des quarantaines, étaient sous sa surveil-
lance. La Chambre fut en outre chargée â différentes époques de
services spéciaux. Ainsi, pendant les deux grandes guerres de la fin
du règne de Louis XIV, elle dut s'occuper d'approvisionner de blé la
Provence ; elle fit des instances pour être chargée de porter les paquets
du roi à Constantinople ou en Barbarie, au lieu des particuliers qui
en profitaient pour faire du commerce ; elle rapatria â ses frais, en
( 1 ) Dans un procc.s délicat, on voit la Cour d'Aix consulter la Clianibrc comme
une autorité en matière d'usages. BB, 4. 24 mars i6<)S.
(2) V. BB, 4, fol 14, ;/, 20, S4, S^, 4^^, 4^9' 4}^ 4)4, S4^, 562, '•'•■•
ACHEVEMENT DE L ŒUVRE DE COLBERT
261
ixttendant d'en Ctrc remboursce par le roi, un grand nombre de sol-
«Jats déserteurs au ser\iccde l'empereur et de Venise, qui revenaient
<:rombatirc dans les armées du roi*.
En niiïmc temps que grandissait l'autorité de b Chambre, croissait
ra-ussi celle de l'intendant : placé à côté d'elle pour la surveiller et la
«contrôler, il était devenu bientôt son meilleur auxiliaire, un colla-
'fcjoratcur dévoué plutôt qu'un surveillant j^ênaut, un appui précieux
<r:ontre l'insubordination des consuls, des marchands ou des capi-
t^aines, ou contre les intrigues et le mauvais vouloir des ministres.
H.CS relations de la Chambre, qui avaient été cordiales avec l'inten-
«-iant Rouillé, le devinrent encore plus avec M. de Morant, son suc-
«zesseur, et M. Lebret. Elles montrent que les Marseillais gagnaient
iTk être vus de près et qu'ils valaient beaucoup mieux que la réputa-
'K:ation que des critiques intéressés leur faisaient à la cour. Le soin
«Jes affaires du commerce était devenu tellement important pourTin-
"^:endant de Provence que M. de Morant vint habiter .\ Marseille* et
*^ue le roi lui ht payer, pour ce surcroit de frais et de travail,
^000 livres de pension annuelle par la Chambre du commerce, qui s'y
^:sE<nimit sans répugnance. Lebret, qui lui succéda, en 1687, n'habita
Xr>as ;\ Marseille, il continua cepc-ndant de toucher la pension de
^?ooo livres attachée désormais au titre d'inspecteur du commerce
■«z^ue porta l'intendant de Provence. Lebret était peu préparé i\ ces fonc-
tions, comme il l'avouait dans une lettre à Seignelay : « Je suis novice
^2n matière de commerce, lui-disait-il, et il faut tant de temps et de
"5:>ratique pour bien distinguer ce qui est de conséquence en pareille
mivitière, de ce qui ne mérite aucune considération, que je ne
■^uis point surpris que le roi ait )ugé de cette dernière qualité
ïcs raisons par lesquelles je croyais à propos de défendre au consul
(t) Pour les blés, voir la Corrcsp. p.issim. — Pour les dt-scrteurs, ibid, à partir
«du 17 décembre 1692. BB , 83. — Pour les paguets du roi. voir 3n juillet lôSç :
ia Chambre en est chargée pour la prcniiire ibis sur la demande de Croissy. —
J7 juillet, 20 juillet 16^1. BU, 2S. — /j juillel i6ç). BB. Si. — Le nMc de la
<Ihaiubre apparaît assez nettement dans tout le cours de cette histoire pour qu'il
■soit nécessaire de préciser davantage ici ses aitributions. — Pour son organisation
i.ntûn«rurc, ses dépenses, les recettes dont elle disposait, voir à l'appendice la note
sor la Chambre.
(2) 29 janvier i6Ss. BB, 4. — Morant fait savoir que. suivant une lettre de Sci-
Enclay du 14, S. M, a bien voulu lui accorder 6000 livres par an en considération
3c5 dépenses qu'il est obligé de faire pour les dépenses du commerce, et de l'obli-
gation dans laquelle cela le met de faire son séjour à MaiT>eille et de faire de
îréquents voyages à Aix, où il tient maison et famille séparés. — Morant avait
«Jcjà S.1 résidence ordinaire A Marseille depuis deux ans.
262 LES ANNÉES DE PROSPÉRITÉ
de Chypre de faire le commerce'. » Mais c'était un homme
consciencieux, il s'appliqua avec ardeur à la tâche qui lui incombait,
et, dans le cours des vingt ans (1687-1706) pendant lesquels
il resta chargé de l'inspection du commerce, il acquit peu à peu
une compétence et une autorité reconnues de tous*. Il s'honora dès
ses débuts en soutenant auprès de Seignelay les plaintes que lui
Élisait la Chambre au sujet des consuls, ce qui lui attira l'hostilité
de l'irascible ministre. Il continua de vivre en parfaite communion
d'idées avec la Chambre et il soutint toujours avec énergie auprès
de Pontchartrain et de Chamillart la cause de la liberté du com-
merce qu'elle défendait. Lebret, qui était en même temps premier
président du Parlement d'Aix, ne garda que cette dernière charge et
transmit l'intendance à son fils, en 1704, puis l'inspection du com-
merce, en 1706. A sa mort, en 1710, Lebret fils, devenu premier
président, céda l'intendance du commerce i M. ArnouP, intendant
des galères ; ainsi, pendant près de vingt-cinq ans, les intérêts du
commerce furent confiés aux mains des deux Lebret ; les Marseillais
n'eurent qu'à s'en louer.
Pontchartrain accomplit une réforme capitale qui fut l'honneur de
son administration : ce fut l'organisation définitive des consulats.
Seignelay, fatigué des plaintes incessantes auxquelles donnaient lieu
les commis de la Compagnie de la Méditerranée, fit proposer à la
Chambre, peu de temps avant sa mort, d'acheter les consulats ou de
les prendre elle-même à ferme. Les députés du commerce lui répon-
dirent en acceptant la proposition de la ferme*, mais la mort du
ministre empêcha cette affiiire d'aboutir. Pontchartrain conçut immé-
diatement le projet de fiure nommer les consuls par le roi et de
(i) 16 août 1688. Il est vrai que Lebret est ici très ironique, car cette question
était précisément de la plus haute importance.
(2) Sur la personne de Lebret. V. Marchand : Un intendant sous Louis XIJ'.
(3) Arnoul, intendant des galères, avait intrigué en 1704 pour que l'inspection
du commerce fût rattachée à l'intendance des galères, mais Lebret, par ses solli-
cit.itions, avait obtenu que son fils en fût chargé. (Cependant .^rnoul triompha
en 1710, car Pontchartrain s'adresse à lui pour les affaires du conmierce; il l'ap-
pelle intendant du commerce, intendant des galères et du commerce. (V. BB, cS';).
— Il fiiut remarquer, à ce sujet, que la Chambre tend A perdre son caractère
de corps indépendant pour devenir un corps administratif, instrument du ministre
et de l'intendant. Pontchartrain, le tïls, prend l'habitude de ne plus correspondre
directement avec elle, il s'adresse toujours ;\ l'intendant Arnoul, et c'est sur la
communication de ses lettres que celle-ci donne son avis sur les questions qu'on
lui soumet; parfois même, Arnoul, de 171 1 à 1715, la fait délibérer en sa présence.
(4) ] mai i(hjo. BB, 2S.
ACHEVEMENT DE L ŒUVRE DE COLBERT
263
anemplacer les droits de consulat qui donnaient lieu à tant de contes-
Cations par des appointements fixes'. La Chambre en accueillit h
^nouvelle avec une joie (licile ;\ comprendre, car elle ne s'y attendait
^ucrc. « Monseigneur, écrivait-elle !c 12 février 1 691, la gricc dont
"^otreGrandeur vient de nouscorablersurlesujet des consulats, suivant
la lettre dont elle a bien voulu nous Iionorer, du 5 de ce mois, est
si grande et si extraordinaire, que nous ne saurions, Monseigneur,
"«rouver des termes assez forts pour en témoigner à Votre Grandeur,
^u point que nous le sentons, h trùs-respectucuse reconnaissance
'«que nous en concevons'. » L'arrôt du 31 juillet 1691 établit, pour
jpaj'or les consuls, un droit de tonncbge, gradué suivant les échelles,
.il cause de la différence de la richesse des chargements qui s'y
rtfaisaicnt. La dépense totale des consulats était évaluée à 100.000
livres, savoir : « Les sommes employées pour les appointements et
"«able entre les mains desdits consuls et celles destinées pour les
dépenses extraordinaires, présents, appointements des drogmans et
sautres, par les mains desdits députés et sur les ordonnances des
«consuls, lesquels n'en pourront rendre pour les dépenses extraordi-
:»airesetqui ne seront fixées qu'ensuite d'une délibération du corps
^e la nation. » L'arrêt faisait « trés-cx presses défenses aux consul.s
«et ensemble Ji leurs oflkiers et domestiques de faire aucun commerce
â peine de privation de leurs consulats et de 3000 livres d'amende. »
^1 supprimait le consulat de Satalie qui n'avait pas assez d'impor-
tance et le réunissait à celui d'Altp; un nouveau consulat était créé
■^ Jérusalem « pour donner aux 1-rançais et i tous les catholiques les
secours qu'ils peuvent attendre de la protection de S. M." »
La mise h exécution de ce nouveau règlement souleva de nom-
breuses difficultés, qui furent terminées par une série d'ordonnances
ou d'arrêts. On reconnut vite que le produit du droit de tonnelagc
dépasserait de beaucoup les 100.000 livres dont on avait besoin et
que b nouvelle imposition excédait les droits de consulat qu'on venait
ide supprimer; un arrêt du 24 novembre 1(191 réduisit le tonnelagc
(i) Il l'annonci  la Clumbre par une lettre du 5 février 1691 : « J'écris à
M. Le Bret de se rendre â Marseille pour fixer avec vous et les principaux négo-
ciants, les appointements... » l)B, S2.
\2) BB, iS, — Le lendcn^ain elle écrivait A l'ambassadeur : « Nous prenons
la liberté de vous envoyer la copie de sa lettre autant pour ne pas vous laisser
t
rorcr.. . que pour publier et porter le plus loin que nous pourrons la générosité
on illustre ministre, w
(3) BB, 4, fol. 4jp, el suit'.
^
264 LES ANNÉES DE PROSPÉRITÉ
d'un quart. Il fut encore réduit pour les mûmes raisons le 27 janvier
1694, t>ien que les dépenses de table des consuls fussent augmentées
et enfin, le 18 septembre 1699, les vaisseaux venant de Smyrne et
d'Alep payèrent définitivement 8 livres par tonneau, ceux de Seïde
et Tripoli 6, ceux d'Egypte, 8 livres 10 sols, ceux de Chypre et
Satalie, 5 livres seulement et le tarif s'abaissait au-dessous de 5
livres pour les bâtiments qui avaient chargé à Candie, dans l'Archipel
ou en Morée '. Les bâtiments qui terminaient leurs voyages en pays
étrangers, en Italie par exemple, payaient environ la moitié de ces
droits parce que leurs chargements étaient peu riches et qu'il impor-
tait de soutenir ce commerce en leur faisant supporter des charges
moins considérables que celles des étrangers*. Parmi ces derniers,
ceux qui employaient notre bannière dans le Levant ne payaient pas
le tonnelage et restaient assujettis aux anciens droits de consulat, il
en étnit de même des marchandises chargées sur nos bâtiments pour
leur compte *.
L'arrêt du 31 juillet 1691 .ivait alTecté une certaine somme à la
dépense de chaque échelle, mais sans fixer ce qui devait être payé
aux consuls et ce que les députés de la nation devaient dépenser
chaque année pour les dépenses ordinaires de l'échelle ; il y avait
h\ matière à d'interminables contestations. Sur les représentations
de la Chambre, l'ordonnance de Lebret du 24 octobre 1 69 1 fit la sépa-
ration de ces sommes pour chaque échelle et fixa celles qui devaient
revenir à chaque consul pour leurs appointements et frais de table,
y compris la nourriture de leur aumônier, du chancelier, du drog-
man, les gages de ses domestiques, les habits et ornements consu-
laires, ainsi que le loyer de sa maison '. Aussitôt des plaintes s'éle-
vaient de tous côtés, la plupart des consuls assaillirent la Chambre
et la Cour de leurs supplications au sujet de la modicité de leurs
traitements. « M. Sorhainde, écrivait la Chambre à Le Bret, n'est
pas le seul h. se plaindre de la modicité de ses appointements. Il n'y
♦ i) Lo droit oubli en 1691 était do 18 livros p.ir tonneau pour los naviios vonant
do .Smyrno, 14 pour coux d'Alop, Soïdo et Tripoli. 10 pour ceux d'Egypte, 8 pour
ceux de Chypre et Satalié, 6 pour ceux do la liarbarie, 5 pour ceux de Candie.
(2) Anrt du 2 f tioivml're :(><)t, 2y jauvicr i(><)i. lUi, 4.
(îi AiiiH lin S sifti-mhrc 161/1. BB, .f. — Pour 110 payer que lo tonnelage, les
étrangers recommencèrent à charger leurs marchandises sous le ni)m de mar-
chands français. L'arrêt du 27 janvier 169) lit do nouveau a très-expresses
défenses à tous français de prêter leur nom aux étrangers »
(}) /)'/)', ./. — Voir aussi AA, 1^2.
ACHfeVEMEST DE l'œUVRE DE COI.BERT
265
a pas un seul consul qui ne prétende la même chose, quoique bien
bien loin d'avoir été forcés A accepter le consulat sur le pied de cette
prétendue modicité, ils n'nicnt rien oublié pour être préfères à t.int
d'autres qui le postulaient '. >• On leur donn.i une dernière satis-
faction par l'arrêt du 27 janvier 1694 qui augnientait les dépenses de
la table des consuls et fixait dértnitiveraent leurs appointements'.
En retour, cet arrêt leur renouvelait la défense de négocier direc-
tement ou indirectement, défense confirmée encore par deux arrêts,
le 31 mai et le 17 juin 1694 '. Interdiction leur avait été déji iaitc
auparavant de lever aucuns droits, tels que « dix piastres par voiles
ou autres droits particuliers sous prétexte d'ancrage, ou sous quel-
que prétexte que ce soit ;\ peine de restitution du double, » ils
devaient au contraire continuer la perception de tous ces droits
d'usage sur les bâtiments étrangers'.
Les chancelleries des consulats, placées jusqucs là sous l'étroite
dépendance des consuls, furent rendues indépendantes et complète-
ment réorganisées par l'ordonnance du 4 décembre 1691 qui attri-
buait au roi la nomination des ciianccliers. « Tous les titres disait-
elle, papiers, argent et autres effets, qui seront consignés et mis en
dépôt aux chancelleries des consulats des échelles, seront remis dans
un lieu de la maison du consul destiné A cet effet et fermé à trois
clefs différentes dont une demeurerait entre les mains du chancelier,
une autre dans celles du consul et la troisième dans celles du premier
des deux députés de la nation, en sorte que Icsdits effets ne pour-
raient être tirés de ce dépôt qu'en leur présence et de leur consen-
tement ou au moins du consul et du député*. » A l'ordonnance
était joint un état des émoluments qui devaient être pavés aux chan-
celiers pour chacun de leurs actes de chancellerie*. L'arrêt du
31 mai 1694 interdit aux chanceliers de Hiirc du commerce, mais,
« pour leur donner moyen de subsister dans leur emploi, dans les
échelles où le casuel de la chancellerie n'était pas considérable, » il
leur accorda des appointements variant de toc A 200 piastres ; les
II) 7;"'" K'Çi. fili, i''!, — V. j fiiii'i'itibir i6t)2. Ihid. '
(2) Bft, v- — I.cs dùpenscs totales des iJclicllcs ^'élevèrent alors A 119.815 liv.,
y compris celles ilo Barbarie. Voir a l'appendice
m BB, 4,/pl. 602.
I )) BB. ), fol. fSf. Ordi>iui. de Lchrct, 10 mars l^94.
(>) Oi'Jonn. ivyalr ilii 4 lU'cemb. 16^!. AA, tj2.
{6) AA, t}i, D.11O du I ! juin 169* dcvnnt N.icnur, Voir à Tappendicc.
266 LES ANNÉES DE PROSPÉRITÉ
chanceliers devaient en outre continuer de toucher « les sommes
qui leur étaient annuellement accordées par la nation esdites échelles,
suivant la coutume, sans qu'elles puissent ôtre augmentées, ni dimi-
nuées, ni qu'il en pût être accordé aucune à l'avenir aux échelles où
les dits chanceliers n'avaient par ci-devant aucune gratification*. » La
Chambre qui avait pris une grande part à la rédaction de ces divers
arrêts ou ordonnances avait envoyé en outre des lettres circulaires
et des instructions aux députés des échelles pour leur en expliquer le
mécanisme et leur éclaircir les points douteux *.
Li nouvelle organisation des consulats et les règles qui étaient
imposées pour l'administration des échelles présentaient toutes les
garanties désirables; mais tout le fruit qu'on en devait recueillir
'dépendait en partie du bon choix qu'on ferait pour le personnel des
consulats. Il semble que Pontchartrain ait tenu à s'entourer à ce
sujet de toutes les garanties désirables, en s'adressant à la fois à la
Chambre et à Lebret pour lui indiquer les meilleurs sujets. « Je ne
doute pas, écrivait-il aux échevins et députés du commerce, le
5 février 1691, que, dans la vue du soulagement de votre commerce
et de la reconnaissance de la remise que je fais des droits de ma
charge en votre faveur, vous n'avanciez par toutes sortes de voies
l'exécution de mon dessein et que vous n'ayiez dans la suite une
application particulière à ne me proposer que de bons sujets pour
remplir les consulats ou à me rendre compte sans partialité et sans
prévention des bonnes ou mauvaises qualités de ceux qui en deman-
deront*. » Le jour môme de la publication de l'ordonnance sur les
consulats, Lebret écrivait à Pontchartrain : « Voici le précis de ce
que j'ai pu tirer de plus de vingt des principaux négociants de Mar-
seille que j'ai questionnés séparément et en secret sur les bonnes et
mauvaises qualités de ceux qui se sont présentés jusqu'A présent
pour remplir les consulats des échelles du Levant et dont vous
m'avez fait l'honneur de me renvoyer les placets. » Il donnait en
effet son sentiment sur vingt et un candidats sur lesquels il croyait
seulement pouvoir en recommander cinq comme étant de bons
sujets. Le même document renferme il la suite les appréciations de
l'intendant sur les consuls actuels et fait voir combien la Compagnie
(1) AA, 1)2 et BB, 4, fol. 602.
(2) BB, 2S. if novembre 16^1, 2} nmembre l6pi, etc.
(}) f février lôç^i. BB, 82.
ACHI-VF.MEXT DH l.'cTUVRR DP. COLBERT 267
do la M<5Jitcrranée avnit abusé de la complaisance de Scignclay*.
Quand Pontcliartratn dccida de reformer les chancelleries il ordonna
de même i\ Lebrct de lui donner une liste des sujets qu'il estimait
propres :\ les remplir*.
Il est vrai que cela n'empùcha pas les intrigues de Cour de se
donner carrière et le ministre ne tint pas toujours compte des avis
de l'intendant et de la Cliambre. Sur les six candidats que lui
proposait Lebret pour les consulats importants, trois seulement
furent pourvus et Pontchartrain nomma au consulat de Smyrnc le
sieur de Rians, qui était fortement appuyé-, mais que Lebret jugeait
insurtisant pour ce poste si important ^. Quelques mois après, la
Chambre envoyait une liste de six personnes, qu'elle regardait
• comme les plus capables de remplir le consulat du Caire, » aucune
ne lut choisie ; le minbtrc ne prit même pas toujours son avis *.
Pontchartrain ne tint donc pas toujours ce qu'il avait semblé
promettre nu début et plus tard Lebret écrivait à Chamillart une
lettre pleine de désillusion où il déclarait qu'on pouvait sans danger
renoncer au système actuel des consulats, car ils ne pouvaient pas
être remplis par des sujets plus mal choisis, il est vrai que l'intendant
parlait alors en mécontent, sous l'impression des plaintes très vives
auxquelles donnait lieu le consul du Ciire de Maillet. Les rapports
des consuls avec la Chambre, pendant cette période, montrent avec
évidence que si leur admniistraton donnait lieu parfois encore à des
plaintes, le progrès était néanmoins considérable. On en trouve une
autre preuve dans la longueur du séjour que les consuls firent alors
dans leurs échelles, où il ne leur etit pas été possible de se maintenir,
s'ils eussent été brouillés avec la nation. Tandis qu'auparavant
beaucoup n'arrivaient pas au terme des trois ans de leur commission
ou ne la renouvelaient pas, les nouveaux consuls furent nommés
pour cinq ans et plusieurs furent ensuite maintenus pour une même
durée: M. de Maillet reste quinze ans au Caire (1692-170S);
II) //-■/, Xj';. — Lo consul Je Milo demande J h Cliiimbrc le consulat de
S.iloniquc ou do Chypre, t en qualité, dit-il, de votre brebis et orphelin, je sais
que, si vous le voulez d'un doigt, le ministre Me de Pontclunr.ïin le voudra des
deux ni.tins, se* lettres m'en donnent jssc/ de bons témoignages. » A A, t4i.
(2) 2f> octd'rt i6çt. Hli, S2.
(}) Les six proposés étaient les sieurs Broqucry, rFnipercur, Blanc, de Saint
j.iaïues. Ripcrt, Louis Clumbon. — Chambon fut noinm»* à Alcp, L'Empereur
resta à SeiJe où il était. Blanc rempUsa Chambon en I698.
(4) V. Ltltre du ir janv. tà^j. BB, aS.
268 LES ANNÉES DE PROSPÉRITÉ
l'échelle de Scïde n'a que deux consuls en vingt ans, MM. L'Empe-
reur et Estelle (1692-1711); celle d'Alep ne garda que cinq ans
M. Chambon, trop âgé pour y rester (1692-97), mais conserva dix
ans M. Blanc (1698-1707); il en fut de même à Smyrne où, à,
M. de Rians en 1697, succéda pour dix ans M. Royer. Cette stabi-
lité, qui permettait aux consuls de prendre une autorité sérieuse à
la fois sur la nation et sur les puissances du pays, montre ;\ elle seule
les bienfaits du nouveau système.
Li réforme de Pontchartrain, sans donner tous les résultats qu'on
aurait pu en attendre, avait donc été féconde et couronna dignement
les efforts commencés par Colbert pour réformer les consulats et les
échelles. Les consuls, autrefois menaçants pour la nation, se
trouvaient même maintenant dans une situation difficile, vis-à-vis
des marchands soutenus dans leurs réclamations par la Chambre.
Pontchartrain lui reprocha plusieurs fois sa partialité pour les
résidents des échelles qui se montraient peu soumis aux consuls à
cause de l'appui qu'ils savaient trouver à Marseille, et il ne cessait de
lui recommander de s'appliquer à faire de la conciliation. «J'ai à
vous faire observer, écrivait-il, que votre principale attention doit
être de vous mettre toujours entre le consul et la nation pour
accommoder les différends, sans quoi les marchands cherciieront à
en fiiirc naître, excités par les secours qu'ils recevront de vous '. »
« S. M., ajoutait-il ailleurs, saura, lorsque les consuls sortiront des
bornes qui leur sont prescrites, les y faire rentrer, aussitôt qu'elle
aura été bien informée de leur conduite*. » En effet, Pontchartrain,
bien différent en cela de Seignclay, montra, en présence des querelles
qui renaissaient toujours dans les échelles, une modération et un
souci de la conciliation dont il est juste de le féliciter.
(i) jo mars i6çs, — cf. 26 jaiiv. i6<)), 12 oclohre 16');, 29 août i6ç6, BB, S2,
— L.1 Chambre, il est vrai, protestait vivement Je son esprit de conciliation.
V. Litie à Li'brel du }n jauv. i6tjj. BB, 2S.
(2) j6 pvrùr i6<}). DEpriNG, t. I, p. 891.
CHAPITRE VI
LES ANNÉES DE PROSPÉRITÉ (1683-I7OI)
II. — Les abus de la règh'nientalion et les prohibitions.
Malheureusement le désir d'introduire de l'ordre dans le com-
merce et les heureux effets des règlements introduits dans les échelles
entraînèrent le gouvernement dans une voie dangereuse, en lui
faisant croire qu'il fallait étendre cette réglementation à tous les
détails du commerce. Colbert, tout amoureux qu'il fût de lu régu-
larité, n'était pas tombé dans cette erreur, car il était non moins
pénétré de la nécessité de laisser la plus grande liberté aux marchands
dans leur négoce. « H y a dix ans entiers, écrivait-il le i" septembre
1671, que S. M. travaille ;\ établir dans son royaume une liberté
entière de commerce..., la fin de votre commission est d'augmenter
cette liberté en délivrant tous ceux qui naviguent et qui font com-
merce dans les ports du royaume, de toutes les vexations qu'ils peu-
vent souffrir. » Il disait encore : « Le commerce universellement
consiste en la liberté ;\ toutes personnes d'acheter et de vendre et en
la multiplicité des acheteurs. Tout ce qui tend à restreindre la liberté
et le nombre des marchands ne peut rien valoir'. » Seignelay et sur-
tout Pontchartrain ne s'inspirèrent pas toujours assez de ces sages
maximes. En 1685 il fut question d'imposer un cautionnement à
tous ceux qui voudraient aller s'établir dans les échelles. La Chambre,
se hâta d'envoyer des remontrances pour empêcher la publication
d'un arrêt qui eût été un « coup mortel pour le commerce et cause
(n P. C.iiMiM, Colhrt, t. I, p. 567. — Il n'avait pas toujours applique ces
maximes, quand il voulait créer une Chambre d'assurances, quand il faisait visiter
les navires pour y saisir l'arj^ent [wrté dans le Levant ; mais dans les deux cas, il
avait llni par renoncer û contraindre les marchands.
270 LES ANNEES DE PROSPERITE
infaillible de l'extinction entière du négoce. Nul ne va résider, disait-
elle, qu'en vue d'aller foire une fortune qu'il n'a pas encore faite et
de là il s'ensuit que, généralement parlant, ce ne sont jamais les
pères de famille accommodés dans leurs affaires qui y vont, ni des per-
sonnes qui aient déjà de solides établissements*. » Ces représenta-
tions furent écoutées et l'ordonnance du 21 octobre 1685 ne fit que
reproduire les anciennes défenses « de s'embarquer et s'établir en
Levant qu'après avoir été examiné et reçu par la Chambre et que les
noms n'aient été transcrits sur un registre à peine de 2.000 livres
d'amende*. » Le but du ministre était de restreindre le nombre des
résidents dans les échelles et d'y laisser moins de concurrents en pré-
sence. Il était en effet persuadé que leur nombre était la cause de
leurs rivalités et de leurs querelles : les Français étaient obligés de
chercher à se nuire entre eux parce qu'ils avaient i se partager les
bénéfices d'un commerce restreint.
La crainte des dangers de la concurrence inspira une série d'autres
règlements contre lesquels la Chambre protesta inutilement. Les
matelots des bâtiments marchands avaient l'habitude d'emporter
avec eux de petites pacotilles qu'ils échangeaient à leur arrivée contre
des marchandises du Levant ; les marchands des échelles s'en plai-
gnaient comme d'un tort grave, prétendant que, par leur précipita-
tion :\ Élire leurs ventes et leurs achats, les matelots exerçaient une
influence néfastt sur le marché. A Alep ils avaient obtenu du pacha
la défense singulière de venir d'Alexandrette à Alep, autrement qu'A
cheval, afin de les décourager d'y aller, en leur imposant des frais
trop lourds. Pour satisfaire les résidents des échelles, l'ordonnance
du 3 août 1685 défendit aux écrivains des bâtiments, matelots et
autres, de vendre et d'acheter directement aux Turcs et leur ordonna
« de passer par le canal des marchands de la nation il peine de 500
livres d'amende. » La Chambre qui soutenait d'ordinaire les mar-
chands s'opposa cette fois ;\ leurs prétentions et adressa à ce sujet de
(i) BB, 4. 13 septembre i6S$.
(2) BB, 4. fol. 1/4. — On 1.1 consiJcra plust.ird comme insuffisante et l'ordon-
nance du 3 novembre 1700, interdit à la Chambre daccorder des certificats à
des jeunes gens au-dessous de 2) ans. //, 27. — La Cliambre envoya un mémoire
pour remontrer qu'il était nécessaire de commencer l'apprentissage du négoce avant
25 ans, mais le ministre répondit que cet apprentissage pouvait se l'aire â Marseille
(ijjiiin fjoi, BB, S}). Il est vrai que, devant la nécessité, des dispenses d'âge
furent accordées, mais il falliiit en référer au ministre (S jiiilld i/ii, 2 sept. ijii).
— Le 21 novembre 1714, renouvellement des défenses portées par l'ordonn.ance
de 1700. BB, Ss.
IJas ABUS DK LA ^fecLEMENTATlON
«71
sages rcQioiitranoes. « Ce serait, disait-elle, ôtcr la vie à de pauvres
gc-ns qui ne pourraient subsister, s'ils n'avaient que leurs Siilaires.
De plus, il y aurait un grave inconvcnieni pour le commerce, car
s'ils n'avaient pas de fonds sur les bâtiments, ils seraient bien plus
ardents \ les abandonner et il y aurait plus de naufrages et de
pertes.... De plus, ce serait se priver d'avoir de bons capitaines qui
doivent entendre aussi bien le négoce que la navigation.' •> Mais il
y avait A ce sujet malentendu entre la Chambre et Seignelay ; tandis
qu'elle soutenait .wnc raison qu'il s'.igissait « d'un commerce imper-
ceptible et de nulle conséquence préjudiciable, » le ministre trompé
par les marchands écrivait que les « capitaines, écrivains et passagers
portaient des fonds considérable en Levant, » et la rappelait à l'exé-
cution de l'ordonnance.
L'artluence trop considérable des bâtiments Provençaux aux
échelles parut un danger de même nature que le trop grand nombre
des marchands cl fit songer .î réduire la navigation du Levant \ un
nombre déterminé et peu considérable de b.\timents, comme le
pratiquaient les Anglais et les Hollandais. Ce système fut inauguré
par nécessité et provisoirement pendant les guerres contre les Barba-
re^ques; il fallait organiser les convois d'escorte, les composer
de quelques navires seulement ; pour ne favoriser personne les
capitaines durent prendre rang et, chacun h leur tour, firent partie
des convois. Seignelay, pénétré des enseignements de Colbert,
considérait ce règlement comme désavantageux pour le commerce.
Il écrivait* .\ l'intendant Morant après la sign.iture de la \mx avec
les Algériens en 1684 : « S. M. a estimé .i propos de rétablir entiè-
rement la liberté du commerce par l'ordonnance que vous trouverez
ci-jointe, étant certain qu'il ne peut être jamais en meilleur état que
lorsque les particuliers ont permission de naviguer en tel temps et de
telle manière qu'ils l'estiment à propos. » Mais Pontchartrain,
pendant la guerre de la Ligue dWugsbourg, rétablir ;\ plusieurs repri-
ses pour les n.ivires le règlement du tour, comme on l'appelait, sous
prétexte que la diminution du négoce ne permettait que d'occuper
quelques biUiments. La Chambre devait alors veiller .i ce que tous
(t) BU, .f,fo!. i^}'t.t4t f) stpttmbre tôSj : La Chambre dcmaiiiic qus l'ordua^
nancc <lu } août soit r^>vcK)uêc.
(j) UUifdt Stigiulay, iS /Ai, 1689. BU, Si.
(|) tfOCldTt tô'f^. Depfing, i. III, p. 6»<9.
272
LES ANNEES DE PROSPERITE
les marchands pussent, s'ils le voulaient, participer au chargement il
un tiers de la charge des navires qui bénéficiaient du tour leuréuil"
réservé et les chargeurs ordinaires de ces bâtiments ne pouvaient en
occuper que les deux tiers '. L'idée de l'utilité de cette organisation,
qui ne laissait piusaucune initiative aux marchands et aux capitaines,
s'impl.tnta si bien dans l'esprit du ministre que, le 27 janvier 1700»
un règlement en quinze articles fixa le nombre des navires qui pour-J
raient être employés au commerce, les assujettit au tour, déterminal
la date des départs pour chaque échelle et établit un tarit des prixdu'
fret, qui fut dressé par la Chambre le 15 février 1700*. Ainsi les
armateurs se trouvaient en réalité dépossédés de la libre disposition
de leurs bâtiments et les capitaines devenaient de véritables commis.]
lin outre l'exécution du règlement de 1700 était très délicate et le
ministre se vit assailli par les plaintes des marchands qui prétcndaieni
que le tour des bùiimcnts était réglé par la faveur, à Marseille et
dans les échelles. Ces plaintes firent publier l'ordonnance du 6 juii
1703 qui supprimait le règlement du tour pour la durée de la guerre,]
« sur ce qui a été représenté A S. M., disait le préambule, que le
(1) Lellns de PoHicliarlitlin du j; noiil n-yo, 23 iwiii, 3i> sfptcmbre ttt^jl
2 octchre lô'jS. liB, Si.
(2) II, 2y. lU'glcment pour le dépjn des vaisseaus et barques pour le coni''
mcrcc du Levant, que S. M, vcui être observé jusqu'à ce qu'elle en .ii: jutreiiKUlj
ordonnii (i> articles). Ail. i : Il ne sera employé au commerce de* échelle
que jt vaisseaux et 20 barques par an, savoir : pour Coustaniinople 4 vaisscjui
et .| barques, pour Smyrne 10 vaisseaux et 4 barques, AlcxandreUc } vaisseau!
et 3 barques, Seyde et la c6te 6 vaisseaux et 4 barques, Alexandrie 8 vaivicaui
et 5 barques. — .iil. 2 à j : Dates de départ pour chaque échelle. — y/r/. A \
Les capitaines et patrons qui voudront entreprendre un voyage seront tenus d'ci
faire leurs déclarations en personne A l'archivaire de la tfhanibre sans qu'o*
puisse varier sur la destination qui aura été écrite dans le regi.stre, qu'en perd.uil
le rang qui y aura été donné. — Arl. n : Les capitaines qui auront pris rar
seront tenus de faire enregistrer aux archives et de faire afficher dans la s.dle dl
la Loge, huitaine après le départ du biltiment qui les aura précédés pour le niéiu&
voyage, l'écrit qu'ils auront dressé pour le noli,semcnt de leur bAtimcnt, conttM
nant le lieu de leur destination et le temps auquel il mettent à la voile. — Arlà
12: Pendant la quinzaine à compter du jour de l'enregistrement dudit écrit «le]
noliscment, les négociants qui n auront aucun intérêt au corps du biiimenl^
pourront prendre celui qu'ils jugeront i propos aux 2/5 de son chargement, l'autrel
l. } demeurant a la disposition des propriétaires. — Art. j; : Il sera lait incc*-l
samment par les sieurs Echcvins et députés de la Chambre un tarif de fret on
noiis des marchandises chargées sur les navires. — An. if : Défcnvc aux capj^
taines et pairoi»s de prendre plus de dix écus pour le passage des religieux
obser\antiiis qui iront à Jérusalem ou rentreront en rraiicc.... et de re^u^e^ J'cfl
embarquer aucuns. — L'ordonn. de l'intendant du i<r mai 1701 précise certair
]X)ints du règlement de 1700. Elle ajoute un vaisseau et deux barques pour 0)u»>|
lantinople.
Les abus de la réglementation
273
tour qu'elle a établi par le rùi^lement du 20 janvier l 700 est préjudi-
ciable au commerce dans la conjoncture présente, en ce qu'il Hiit
passer dans les ports d'Italie celui qui se (liisait ;\ Marseille, qu'il
donne lieu à la perte d'un nombre considérable de bâtiments....
parce que les corsaires étant informés du temps de leur départ sont
plus certains de les rencontrer dans leur route et qu'enfin les matelots
<iui trouvent moins d'occasions d'être employés se dissipent et en
"vont chercher dans les pays étrangers'. » Mais les inconvénients
sii^nalés avec netteté dans cette ordonnance et ressentis plus vivement
pendant la guerre gén.iient aussi le conin)erce pendant la paix.
De même qu'on avait supprimé la concurrence entre les armateurs
et les capitaines on songea ;\ la détruire entre les marchands des
échelles. On n'osa pas publier d'ordonnance A ce sujet, mais la
Chambre et les consuls reçurent l'ordre d'engager les marchands à
se former en société pour faire leurs achats et leurs ventes. Seignelay
écrivait à l'intendant Morant, le 24 novembre 1686; « Jecroisqu'après
avoir fait avertir lesdits marchands par le consul de se contenir dans
le concert qui est nécessaire pour leur avantage et leur avoir déclaré
<jue l'intention de S. M. est que les contrevenans soient châtiés, on
pourniit obliger ceux qui tomberont en faute à revenir en France,
alin d'y rendre compte de leurs actions. Je vous prie d'en prendre
le sentiment des députés du commerce, de leur ordonner d'écrire de
leur part...* » Ponichartrain était i\ ce sujet dans les mêmes senti-
ancnts que Seignelay, il écrivait A la Chambre le 25 .loùt 1694:
* Vous soufl'rez que chacun donne des commissions et achète ;\ sa
"Volonté dans les échelles, ce qui enchérit toujours les marchandises
«ju'on en tire et diminue le prix de celles qu'on y porte... ce que
"^'ous pourriez empêcher sans gêner les négociants, en prenant de
«concert avec les consuls les précautions que les conjonctures suggè-
rent *. » Il fallut s'incliner devant les volontés de la Cour et, bon
^ré mal gré, la coutume s'introduisit dans les échelles de former des
sociétés pour les ventes et les achats. Tous les ans à Seïde, les
(il BB, S- Ce)X'ndant le règlement du tour rendit des services en jyoo, à cause
«des circoivslances p.-irticuliéres dans Icstiuelles il fut établi ivo'ir plus bas, chap. Vu),
^'est ce <jui explique qu'en i 705 I.1 Chambre, contrairement i 1 avis des principaux
"légtxi.-inis et de Lcbret, s'oppos.1 à sa suppression. Lettres à Potttchartrain, 6, }o
tvril, 14, 21 mai l'jo). BB, k),
(2) 24 nov. 16S6. Depping, t. III, p. éjj.
(3) BB, 82 — ci'. ) août 1-01. BB, Sj.
18
^74
LES AKXÈES DE PROSPÉKiTh
niarchaiiJs s'entendaient pour acheter la récolte des cotons et, sui-
vant les avis cnvoyiis à Marseille, sur l'abondance de la récolte c
répoquc où elle se faisait, la Chambre fixait le nombre et la date de
départs de bâtiments pour réchelle. La nation en usait de même à.
Alep pour l'acliat des soies de Perse, au Caire pour celui des cuirs
ou des sa rifra lions.
Cet ensemble de règlements sur le droit de résider dans le Levant,
sur la navigation et sur le négoce des échelles, presque tous rendu
malgré l'opposition de la Chambre, ne s'explique pas seulement par
les progrés de la centralisation, mais parce que les anciennes idées
sur la supériorité du commerce des Compagnies continuaient à. être]
en faveur Ji la Cour. Pontchartrain avait songé en 1698 A formel
une Compagnie composée de tous les marchands de Marseille, il
avait fini par arriver indirectement presque au même résulut. La
discipline étroite imposée au commerce de 16S3 à 1700 se rapprochait
fort des statuts de la Compagnie d'Amsterdam. Comme elle avait
fait disparaître certains abus et qu'elle rendait des services dont il
était facile de se rendre compte, les plaintes de la Chambre étiicnt
accueillies comme celles de gens à courte vue dont on plaignaitA
l'aveuglement, et le maintien de tous ces règlements parut longtemps™
nécessaire \ la prospérité du commerce; on en établit même d'autres
dans la première moitié du xvin" siècle. Forbonnais, dans
Questions sur le commerce du Levant, publiées ;\ Marseille sous
pseudonyme, en 1755, eut le premier le courage de s'insurger coni
les théories plus que jamais en honneur à la Cour, et il montra
avec une grande netteté les inconvénients de l'organisation en
vigueur. Il combattait les règlements commerciaux du Levant pai
des raisons souvent contestables, mais son livre, qui n'est qu(
l'application au commerce du Levant de la doctrine économique di
iMtsseï faire, laisse:^ passer, montre la fin du règne des idées mises
en pratique par Seignelay, Pontchartrain et leurs successeurs.
Des règlements non moins étroits furent appliqués aux manu-
factures. Le perfectionnement des draps destinés aux échelles fut
avec raison, l'un des soucis constants de Ponicluirtrain, nuis il eut J
le tort de croire que pour y parvenir il fallait assujettir la fabrica<fl
lion à des prescriptions minutieuses, et que, pour prévenir la
négligence des ouvriers et des directeurs et surtout leurs fraudes, il 1
était nécessaire de les soumettre ;\ une surveillance rigoureuse. Les-j
très 1,
uifl
ure^l
LES ABUS DE LA RtcLEMENTATIOS'
^75
précautions déjA prises par Colbcrt dans sw règlements de 1 669
parurent insuffisantes : les gardes-jurés, tirés annuellement du corps
des manufacturiers, furent accusés de complaisance et les commis
inspecteurs, établis dans les manuûctures pour visiter les draps, de
manque de vigilance'. Un arrêt du Conseil du i" septembre 1693
établit donc un commis inspecteur à Marseille qui devait prêter
serment devant l'intendant, inspecteur du commerce, et visiter
exactement et sans frais toutes les étoffes de laine et draps destinés
pour le Levant, en présence de deux marchands de la ville, choisis
tous les six mois ou plus souvent, s'il était besoin, par la Chambre
du commerce ci agréés piir l'intendant. Aucune pièce de drap ne
pouvait être embarquée sans porter le visa de l'inspecteur de Mar-
seille. Les étolfes qui ne seraient pas conformes aux règlements
devaient être saisies et l'arrêt attribuait en cette matière toute cour
et juridiction à la Chambre du commerce, saul appel devant le Par-
lement de Provence, au-dessus de la valeur de 150 livres*. Le bureau
de l'inspecteur des draps continua de fonctionner au xviii' siècle et
il prononça fréquemment des saisies, quoi qu'il lui fût fort ditlicile
de bien remplir ses fonctions, car il ne pouvait faire déplier les balles
de drap pour les visiter, ce qui leur aurait fait perdre de leur lustre ;
il se bornait a foire t< la tàte de chaque pièce du côté de la lisière. »
Quelques années après, le roi fut informé que les largeurs prescrites
en 1669 pour les draps ne convenaient pas pour le Levant et qu'il
lallait aussi régler la qualité des laines employées. Pontchartrain,
après avoir pris l'avis des principaux fabricants et des plus notables
marchands, fit publier l'arrêt du Conseil du 22 octobre 1697 « por-
tant règlement pour la fabrique des draperies qui se feront dans les
manutactures des provinces du Languedoc, Provence, Dauphiné et
dans les autres manufactures du royaume pour être envoyés en
Levant'. >' Sur la demande de l'inspecteur Cauvière, Lebrei
rédigea l'ordonnance du i" décembre 1701, au sujet de la teinture
(t) l.eurc d'Atuclot, conseiller J'Iîui, chargii Je la Jircciian du commcrte cl
dts manufactures, aux in>(>ecteurs du Languedoc, février i"ot : « .. ,. Je sub
bien aise de vous avertir que je ferai veiller sur votre conduite et que si je ne
>uis informé que vous nous donner tout le soin et toute l'application que vous
devei!..... je vous révoquerai de votre emploi. • Jrch. }Jai. F'', ;//.
lH Voir le texte: //. 27, Ilfl, 26 et !ÎB, 4, fol, f6.( et siiiv. — Ponlchanrain
Lnomma comme inspecteur, le 4 octobre 1695, le sieur Cauvl<:rc qui conserva ces
^ibnctions j u sq u 'en 1715.
()) II , ij. Brochure de 8 pages.
276
LES ANKÉES DE PROSPÉRITÉ
des draps A Marseille'; en novembre 1708 le règlement de 1697 fut
renouvelé cl rendu plus rigoureux.
Cependant, nulgré tant de précautions, on se plaignait encore
parfois de h mauvaise qualité des draps envoyés dans le Levant et
un mémoire adressé de Constantinople le 25 janvier 17 14 à la cour
proposait des mesures radicales : « Le dépérissement du commerce
vient, disaii-il, de ce que les manufactures nouvellement établies
font des draps qui ne sont pas de la qualité qu'il faut.... Il paraîtrait^
nécessaire d'empêcher ces manufacturiers de travailler , ne per-
mettre de travailler lei> draperies pour Levant qu'aux manufactures
royales et autres bonnes fabriques dont les draps sont de bonne ■
qualité de l'aveu de tous les néjîociants. Il faudrait encore que les
manufictures fussent fixées au nombre de ao, que chaque manufac-
ture fût obligée de taire une Comp.ignie et que cette Compagnie
envoyât les draps à un ou tout au plus i deux correspondants de
ch.aque échelle. » La Chambre eut le bon sens de s'élever contre ct:s
exagérations : « Ce ne sont pas toujours les dr.ips des fabriques
nouvelles, répondit-elle, qui contribuent au dépérissement, au
contraire elles ont intérêt .\ bien travailler Quant au projet de
limiter le nombre des manufactures, il est mauvais : il doit être
permis ù chacun de faire valoir son industrie et talent sans être forcé
à tonner des sociétés ni des compagnies qui ne sont jamais convena-
bles*. )) Ces plaintes eurent néanmoins pour résultat l'établissement
d'une inspection et visite générale, à Montpellier, des draps qui se
fab-nquaient dans le Languedoc pour le Levant. Tous ces draps'
devaient être portés à Montpellier et déposés dans un bureau « où'
leurs qualités, matières, apprêts, longueurs, brgeurs et teintures
seraient examinés par l'inspecteur des manufactures conjointement
avec deux négociants nommés par l'intendant et changés tous
les ans s'il le jugeait nécessaire*. » L'inspection de Marseille
était maintenue pour les draps de Provence et du Dauphiné. Sans
doute tous ces règlements eurent des résultats utiles et nos draperies
furent enfin en état de rivaliser avantageusement avec celles de
Hollande et d'Angleterre, nuis on conçoit aussi quelle gêne et quels
ennuie ces inspections causaient au commerce.
(Il 11.37-
(2) BB, 6. fol. I3f-i26.
0) Anit ia Coniat dn 16 mai 1^14. BB, 6. JbiJ.
LES PROHIBITIONS
•/ /
Les chapeaux fabriqués en Provence, article d'exportation assez
important pour le Levant, furent, comme les draps, soumis à une
marque par un édit d'avril 1690 : « Quelque soin que j'aie pris,
écrivait Lebret à Pontchartrain, d'engager les chapeliers de la province
i se charger comme ils ont fiiit dans la suite de la nouvelle marque
des chapeaux qui aurait porté un notable préjudice au commerce qui
s'en lait A l'étranger, ils n'ont voulu entendre raison sur cela qu'après
avoir essuyé quelque temps le désayrémcnt des visites presque con-
tinuelles des commis dans leurs boutiques et dans leurs magasins' ».
Les savons, l'un des principaux produits de l'industrie marseillaise,
furent aussi l'objet d'un règlement analogue du 5 octobre 1688*;
il était du moins bien conçu car l'édit du 20 février 1760 rappelait
plus tard que a la bonne fabrication du savon établie par le règle-
ment du 5 octobre 1688 avait eu pour ces sortes de manufactures
tout le succès qu'on en devait attendre. »
En même temps, le système protecteur, dont Colbert avait su
éviter les exagérations, entraîna .Seignelay et Pontchartrain ;*i des
prohibitions qui causèrent une grande gène au commerce du Levant.
Le 30 avril 1686, fut imposé un droit de 6 livres par pièce à l'en-
trée des toiles de coton peintes, teintes et blanches, et de 4 livres
par chaque livre pesant des ouvrages de coton, dans le but de favo-
riser les manufactures de cotonnades du royaume. La Chambre s'en
plaignit aussitôt amèrement", et la Compagnie de la Méditerranée,
qui échangeait contre ces toiles de coton beaucoup de draps du Lan-
guedoc, envoya aussi un mémoire de remontrances'. Mais Seignelay
répondit ;\ l'intendant Morant par un refus très net de £iire droit à
ces supplications^. La Chambre lit alors remarquer « qu'entre les
diverses sortes de toiles de coton, il s'en trouvaitd'uncqualitésigros-
sière... qu'à leur égard, les manufactures de France ne souffraient
nul préjudice, puisque l'usage de ces toiles grossières ne pouvait
il) 21 juillet 16^1. BoiSLisLE, 967. — Cette mesure fut, il est vrai, abrogd-c
(.'Il tyoi : M D^ïcl.imtion du roi qui supprime I3 visite et In marque A laquelle tous
les chapeaux ûbriqués d.ins le royaume ont été assujettis p.tr l'art, i de l'édit
d'avril 1690 ». //, 27.
(1) RfgUminl en i] arlicUs. Il, 16. — En 1703, fut établi aussi un inspecteur
dcï savonneries. Ij Chambre protesta (V. BB, jp. lo oclol're ijoj). — Chamillart,
qui l'avait établi sur la proposition de Lebret, lui ordonna de se retirer. Cltamillarl
à Lebret, 4 décembre f/Oj. BU, S).
lî) Lettre à Le Feletier du 17 mai 16S6. BB, 2j.
(4) 34 mai i6S(i. Mémoire des directeurs. Arch. de la Mar. B', ^i^i, pi. 2f<S.
(j) tû juin 16S6. Deppinc, t. III, p. 65t.
278
LES ANNÉES DE PROSPÉRITÉ
ùtre siipplî-L* par les ouvrages de laine et de soie, bien loin de là'. •
Mais ces nouvelles rcpré-senlntions furent encore inutiles et le ministre
écrivait encore Ji Lebret le 9 octobre 1687 que les arrCts du
30 avril ï(\S6 et du 8 février 1667 devaient être exécutés sans restric- j
tîon aucune*. Comme il arrive toujours en pareil cas, la fraude fut ■
pratiquée sur une grande échelle; Lebret, ayant rei;u l'ordre en 1688 '
de détruire les toiles indiennes, tant peintes que blanches, entrées en
fraude, répondait au contrôleur général qu'il attendrait de nouveaux
ordres, de peur de ruiner les marchands, chez qui on en trouverait
de nrandes quantités : « Je ne crois pas, écrivait-il, que l'exécution
de cet arrêt regarde aucunement la ville de Marseille, car, au moyen
de son port franc, des bureaux établis aux environs de son terroir
et de la domaniale, que ses habitants paient actuellement, elle
doit être considérée ;\ cet égard comme une ville étrangère, outre que,
si on ôtait la liberté d'y foire entrer ces sortes de marchandises,
il en arriverait deux inconvénients : l'un, que les Marseillais seraient
privés d'en fournir ;\ l'Espagne et autres pays étrangers, d'où ils rap-
portent en France les lingots d'argent et les piastres qui sont abso- 1
lument nécessaires pour le commerce du Levant, et l'autre, que
certaines manufactures du royaume et particulièrement celle des
bonnets qui se fabriquent dans cette ville en souffriraient une
diminution considérable, puisqu'elles n'ont presque de débit dans
le Levant qu'en échange de ces toiles de coton". » On cntt^i
momentanément dans les vues de l'intendant; mais, en 1691*,
il re<;ut des ■ ordres très fulminants » à l'égard des toiles de coton
dont on interdisait l'entrée, même pour les consommer X Marseille.
Découragée par lu peu d'attention qu'on faisait A ses plaintes, La
Chambre adressait cependant encore, le 14 février 169-j, un long
mémoire très fortement motivé au sujet des prohibitions*. 1
(1 ) W lit Lagny, j juillet 16S6. — A de Gumeri, it mai. — A Stigtulay, 22 juin.
c Cti serait pour le commerce du L«vant un adoudssement très grand au nul qu'il
souiTiv. • — HB, 2j.
(]> W Uhd, <f oclobrt i68j. — Aux fermirrs ginèran», 9 upUmbre ifiSj.
BoiSLisLE. 290".
(j) Lebrit au cofittiUfur gfwrat, 24 mai 16SS. Boislisle, 579.
(4^ I.'jrrct du conseil du 10 février 1691 renouvela exprcwcmeni Ici dtifcnso.
[i) Ponte hartrjin et Lcbrci se pl.iignaicnt alors ués vivciticni des fraudes. —
V. Ij-h-ei au ilirti-tciir gMnil dts Je> nus , 2) octobre 161)4. — PontfintrUain A Ijhttt^
Mtflhtr i(»)4. — V. (t mémoire. If H, 4, fol. SJ9-S) : « Miiiioirei pour l " •■:•(/
âH fHtrt (ram conjoimcmeni à fidit du mois de mttrs ]66çf. • — C est Li lit-
cllc, qui » profiti} des pnjhibiiions. Les étrangers vont y chercher et» ainci -jui y
sont entreposées, et y portent les piastres d'Espagne,
LES PROHIBITIONS
Li
files du Levant fur
cotons hlcs du Levant turent aussi frappés d'une imposition
de an livres par quintal par anût du conseil du ii dt!'ccmbrc 1691,
« ce qui causa une diminution de plus de In moitié du commerce
qui!>e laisait A Marseille de cette marchandise'. » On voulait par l.\
favoriser l'importation des cotons en laine d'Amérique, pour les
iiiirc filer en France, mais il n'en vint presque point et « on expéri-
mcnu que, comme ceux du Levant, ils ne pouvaient être filés que sur
les lieux. « Il en résulta que les manufactures « de futaines, bazins
et autres toiles de cotons, tissus de coton filé venant du Levant,
qui étaient considérables dans le royaume, sans celles de Marseille,
et dont la consommation était presque toute destinée pour l'Espagne
et autres pays étrangers, ne purent plus subsister, » et Gênes,
Qiiiersdu Piémont et autres lieux d'Italie en profitèrent*. Puis ce
fut le tour des bourres de soie et de coton du Levant et des toiles de
lin d'Egypte dont l'entrée fut interdite ù Marseille par l'arrêt du
3| juillet 1692 i la Chambre récl.imalt encore contre cette interdiction
en 1700, en vertu de la franchise du port ; « les conséquences que
vous lirez de vos privilèges et de la franchise du port, leur répon-
dait Pontchartrain, sont trop grandes, le bien général du royaume
doit être préféré .\ tout ^ »
Cette franchise, qu'avait voulu établir Colbert, subissait sans cesse
de nouvelles atteintes ; l'ordonnance des fermes de juillet 1681 aug-
menta les droits anciens qui pesaient sur les étains étrangers et le
nouveau fermier établit ses bureaux de perception dans Li ville de
Marseille, contrairement .\ Tédit du port franc et au grand dommage
du commerce du Levant, car l'étain était un article de vente im|)or-
tant dans les échelles. La Chambre obtint il est vrai un arrêt du
conseil du 3 mars 1693 qui ordonnait au fermier d'enlever ses
bureaux de la ville avec défense de les rétablir, mais il ne semble
pas qu'il fut exécuté*. Pour favoriser l'introduction en France des
sucres des Antilles françaises, un arrêt du 25 avril 1690 imposa des
droits considérables sur les sucres et assonades étrangers qui
venaient surtout du Brésil. Pour les sucres destint-s à la réexporta-
tion, il devait y avoir "i Maisrillf un entrepôt à deux clefs dont l'une
(i) l'ttamhtilf Je Varnl tin in jinlltt ijoj.
(3) Mi'mrt mimoirfi du 14 février i6ç4.
(j) tn février, ) niais ijoo. Lettres di Pontchartrain. RB, H}.
J4) Archives Commun, de Mars. Inventaire de Cimmus. — Cf. arrél du conseil
qui Hal'IU une marque sur Vilain de 6 deniers par livre, il moi'. l6ya.
280 LES ANNÉES DE PROSPÉRITÉ
serait entre les mains des commis du fermier et l'autre d'un commis
préposé par les marchands. La Chambre ne cessa de protester contre
ce système des entrepôts, déjà appliqué au tabac, « parce que c'était
la chose la plus contraire à la liberté d'une ville franche. Il y a,
disait-elle dans un mémoire adressé à la cour, une infinité de mar-
chandises plus précieuses que les sucres, telles que sont toutes les
épiceries et drogueries, toiles de coton fines et autres qu'il serait
plus aisé de faire entrer en fraude et cependant il n'y a point d'en-
trepôt établi sur ces marchandises. Les fermiers ne se plaignent
cependant point qu'il se commette des fraudes à cet égard et n'ont
point demandé qu'il fût établi des entrepôts pour toutes ces mar-
chandises*. » Pour éviter les formalités et la gène de l'entrepôt, les
marchands préférèrent renoncer à ce commerce des sucres qui était
cependant fort utile : « Les rebuts de toutes les marchandises du
royaume, lit-on dans un autre mémoire de la Chambre, soit des
étoffes de soie ou de laine et de toutes sortes d'ouvrages qui restent
dans les boutiques quand la mode en est passée en France et qui
causent d'ordinaire une perte qui surpasse le profit qu'on a fait sur
ce qui a été vendu tout cela était reçu ;\ Lisbonne en troque des
sucres que les Français y allaient prendre.... et ces sucres étaient
consommés en Levant où ils servaient au lieu de piastres... Les
confiseurs de Marseille s'étaient acquis tant de réputation qu'on
envoyait prendre leurs confitures d'Espagne, du Levant et même de
Perse... Ils se sont retirés dans les pays étrangers depuis l'imposition
sur les sucres et les cassonades *. »
L'impulsion une fois donnée les ministres eurent fort à faire pour
se défendre contre les prétentions des industries les plus diverses
qui toutes voulaient être protégées. On vit le syndic de la pro-
vince du Languedoc solliciter du contrôleur général une augmenta-
tion des droits sur la barillc d'Espagne et les cendres venant du
Levant qui servaient à la fabrication du savon, parce que le débit de
ces denrées faisait tort ;\ celui du salicot cultivé dans le Languedoc.
« Mais, répondait au ministre l'intendant Bàville, dévoué cependant
aux intérêts de sa province, le salicot ne fournit pas le cinquantième
(i) Bibl.Kat.mis.fi. i6çoç, fol. 79- J" : Miimoirc présenté au conseil du
commerce entre 1701 et 1705.
(2) Mémoire pour le ritahlisicmnt du port franc, 14 fév. i6ç.f. BB, 4, fol. S/p-Sj.
de ce qu'il Êiut aux savonniers'. » D'autres denrées furent chargées
de lourdes taxes et soumises il l'entrepôt, sans qu'on pût invoquer le
prétexte de la protection ;\ donner aux manufactures du royaume.
• Le premier règlement qui avait diminué la franchise du port de
Marseille et la liberté qui avait été donnée au commerce par l'édit
H de rrurs 1669 avait été l'arrêt du Conseil du 15 janvier 167:, par
^ lequel il avait été imposé des droits sur le tabac à l'entrée de Mar-
seille, avec l'établissement d'un entrepôt pour le tabac dont il serait
H fait commerce dans les pays étrangers*. >> Puis, le 30 novembre 1674,
Colbcrt \ court d'argent donna à ferme la vente du tabac dans le
^ royaume et le fermier excita bientôt les plaintes de la Chambre. En
B 1684 elle présenta au contrôleur Le Peletier un placct des * inté-
H ressés au commerce du tabac contre le fermier qui ne voulait pas
™ leur laisser la liberté accordée par le roi de faire passer par Marseille
les tabacs destinés aux pays étrangers'\ »
H Le café fut aussi l'objet d'un monopole : la vente en fut concédée
exclusivement i un bourgeois de Paris pour six années, h partir de
1692*. Il est vrai que son privilège fut révoqué dès l'année suivante,
H mais le café destiné ;\ être réexporté fut soumis X l'entrepôt. Cette fois
^^4^ Cliambre remontra que l'exécution de l'arrêt était impossible car les
^" tiègociants, au moment où ils recevaient cette marchandise, ne pou-
vaient savoir qu'elle serait sa destination délinitive, s'ils la vendraient
dans le royaume ou à l'étranger, ils étaient donc mis dans l'alterna-
tive ou de payer les droits d'entrée établis par l'arrêt de 1692 pour
tous leurs cafés, ou de les mettre tous à l'entrepôt '. T.andis qu'on
prohibait l'entrée d'un certain nombre de marchandises, Marseille
se plaignit en 1686 de l'interdiction de faire sortir du royaume les
plombs travaillés, car elle recevait des Anglais et des Hollandais
(i > ContTélfur gèntrat à Bdvillt, }0 juin t6^j. — Hé/wnc lU BdvilU iS juillet. —
BoiSLi&LE, t. I, 427.
(2) PriSambule do l'arrdt du 10 juillet 1705.
(5) 2j avril 16S.1 lifi, f. — Cf. IbiJ. 7 janvier 16S4 : Mémoire contre le fer-
lier çjui, sous prétexte de se préc.iutionncr contre les fraudes qu'on pourrait faire
sa ferme, tient un bateau de gnrde aux environs pour visiter tous les bâtiments
ÏU'il voit venir. »
(.|) 22 janvier 16^2. Arrtit du Conseil porunt uue M. François Damame, bour-
gs a Paris, jouira pendant six années du priviléf;c de vendre, faire vendre et
rbitcr seul... tous les cafés tant en fèves qu en poudre, le thé, les sorbecs et les
acolats... ensemble les drogues dont il est composé comme le cacao et la vanille.
. ^7-
ils) BiM. liai, mss.fr. i6ço^, foî. 49-so.
a82 LES ANNÉES DE PROSPÈRIT/-
beaucoup de plomb qu'ils tiraient de Hambourg, et elle en fabriquait
du plomb en grenaille pour la chasse qu'elle vendait en très-grande
quantité :\ l'Italie, à l'Espagne et dans le Levant ; la liberté de sortir
les plombs en grenaille fut rendue, mais deux ans après les Marseil-
lais furent menacés de voir créer un nouveau monopole pour ce
commerce*.
Au début de la guerre de la ligue d'Augsbourg, une série d'arrêts
frappèrent de droits prohibitifs ou interdirent complètement l'entrée
dans les ports du royaume des marchandises anglaises ou hollan-
daises, qui pouvaient servir i la réexportation dans le Levant. Le
22 janvier 1691, une ordonnance royale interdit rigoureusement
d'apporter dans les ports du royaume, sous quelque prétexte que ce
fût, des marchandises des pays ennemis. Pontchartrain, il est vrai,
dans une lettre explicative du 20 avril 169 1, modérait cette prohibi-
tion en autorisant la Chambre à recevoir à Marseille les marchandises
d'Espagne apportées par des vaisseaux neutres et les marchandises
anglaises et hollandaises entreposées en Italie, sauf celles défendues
par des arrêts spéciaux et dont il donnait la liste*. Des défenses
particulières furent Hiites par l'ordonnance du 23 avril 1692 de
transporter en Levant les draps d'Angleterre ou de Hollande que nos
bâtiments pouvaient charger à Livourne. Pontchartrain se plaignit
bientôt vivement qu'elles ne fussent pas exécutées ; une ordonnance
du 29 avril 1693 édicta des peines sévères contre les contevenants*.
La chambre demanda en vain qu'on établit pour les marchandises
étrangères, prohibées seulement dans le royaume et destinées à la
réexportation, un entrepôt comme pour le tabac, les sucres, le
café et les toiles de coton ; le ministre refusa en disant que ce n'était
qu'un prétexte pour chercher les moyens de les débiter en France*.
L'entrepôt n'était cependant qu'un pis aller pour le commerce ; les
marchands se plaignaient d'être forcés d'abandonner le négoce des
(i) Mémoire de juillet 16S6. lUi. 4, fol. 2}.f. — ;; aoiit 16SS, lettre à l'agent à la
cour, Villeneuve. BB, 2S.
(2) BH, S2. — Voici les marchandises interdites : Toute sorte de draps, de
toiles de coton, de peaux et cuirs apprêtés, de poissons salés, de chairs salées,
d'huiles de poissons, de fers blancs, de glaces," de toiles de Hollande.
(3) 10 Juillet i(nf2. Lettre à la Cl>amhre. BH, S2. — Orilounance du 29 avril i6çj.
Il, 27 et BH, 4, fol. fijS. — Cependant il fallut accorder ensuite des penuissions
de charger des draps de Hollande et d'Angleterre. IW, 4. fol. 6)6.— Cf. 10 juil-
let i(»)S : Défense de porter en Levant des étotfes de soie, or et argent des ma-
nufactures d'Italie. BB,.S2.
(4) Ixllre du 4 juillet i6yi , )0 janvier i(i()2. BB, S2.
LES PROniBtTIONS
183
1^
I
marchandises qui y étaient assujetties, « et de Élire tout porter A
ivourne, par l'impossibilité qu'il y avait de se garantir des pertes et
«Il's chagrins'. »
Par suite du régime des prohibitions, la franchise du port de Mar-
seille n'existait plus que de nom; les commis des fermiers avaient
*lc nouveau établi leurs bureaux dans la ville et recommençiient à
inquit'ter le commerce. L'intendant Morant rendit en 1686 une
«rdonnance qui prescrivait aux fermiers du domaine de lui repré-
senter « les arrêts ou édits en vertu desquels ils avaient établi des
bureaux dans la ville de Marseille*, n Cependant les fermiers, qui
s'étaient plaints au contrôleur général Le Pelctier, obtinrent raison.
En 1694, la Chambre adressa un long mémoire ;\ la Cour pour
demander le rétablissement de la franchise. Elley dis.iit en rappelant
h situation du commerce avant l'éditdc 1669 : «On est sur le point
de se voir dans une bien plus pire situation que jamais, s'il n'y est
promptement remédié, car les étrangers s'enrichissent comme alors
du commerce que les prohibitions et nouvelles impositions ont
iloigné et éloignent tous les jours de ce royaume et une partie des
manufactures importantes de France sont déjà tombées par la cessa-
tion du même commerce et une partie a été transportée ailleurs ;\
cause de l'altération de la tranchi.sc du port de Marseille. Les étran-
gers ne veulent plus venir à Marseille; les naturels même se déli-
vrent volontiers de l'iippre.ssion qu'ils trouvent en entrant dans ce
port, voyant leurs b.itiments abordés par un nombre de bâtiments
chargés de commis qui montent et entrent dedans comme â un
pillage, pour trouver, les uns du café, les autres du sucre, du tabac,
du sel, delà poudre, des glaces de miroir, etc., ce qui est insupportable
surtout aux étrangers et aux matelots en particulier qui pestent et
jurent de ne revenir plus à Marseille où ils n'ont pas la liberté qu'ils
ont chez les étrangers d'y apporter pour leur compte des bagatelles
pour vendre aux endroits où ils abordent, dans l'espérance d'un
petit gain... et qui n'est de nulle conséquence...' »
Il fut alors question du rétablissement de la franchise du port ;
la t
net
( I ) V. Mhnoh t fioiir le rélMissfmeiit du port franc, 14 février 16^4. BB, 4, fol. jj^,
(2) MoTfifit iiii ci>ntr<5ltur, 24 jiiUi i6Sfi. Boislisle, t, 1, 288, — Cf. i^rch. dr
lit miir. B' , iÇ2, fol. 4i)4-ion. Lettre du sient de Louvigny à Ge'nes, 34 juin /6J7,
(J) Mémoire piuir le rétablitwneul du port Jraiic, t4 fêv. i6ç4, BB, 4 fol. fji^-S4.
•— Lcbrct reproduit les doU-ances de la Chambre dans une lettre au contrôleur
iénèral. 2 janv. 169$. Boislisle, t. I, i}92.
284 LES ANNÉES DF. PROSPÉRITÉ
le jeune Ponichartrain en conféra avec la Chambre et Lcbret, lors de
son voyage en Provence dans l'été de 1695, et il obtint de la Cour
après beaucoup de peines et de discussions, écrivait- il, qu'on
accordât aux Marseillais ce qu'ils demandaient. Mais la Chambre,
après un nouvel examen de la question, changea de sentiment et
écrivit à Pontchartrain que les avantages que l'on promettait au
commerce étaient insuffisants et pouvaient môme devenir dange-
reux. Celui-ci ne put s'empêcher d'exhaler son dépit dans deux
lettres curieuses à la Chambre et A l'intendant'. Lebret, non moins
mécontent, était d'avis de passer outre, mais le jeune Pontchartrain
découragé n'osa pas montrer de résolution et ne fit que lui renou-
veler ses plaintes. Colbert dans les mêmes circonstances avait su
triompher des irrésolutions ou des hostilités des Marseillais.
Les incertitudes de la Chambre ne furent pas les seules causes de
l'échec du rétablissement de la franchise du port ; plus tard Lebret,
dans une lettre à Chamillart, l'attribuait uniquement « à l'opposi-
tion des fermiers du roi et à la crainte d'ouvrir par ce moyen la porte
à toute sorte de contrebande et de porter préjudice au commerce des
îles*.» En effet, les fermiers ne négligeaient pas de répondre aux
plaintes de la Chambre et, au moment où s'agitait la question du
rétablissement de la franchise, plusieurs volumineux mémoires'
envoyés au ministre, concluaient énergiquement au maintien de
de l'état de choses actuel . «(Les négociants de .Marseille, lisait-on
dans l'un d'eux, remis aux plénipotentiaires du roi ;Y Riswick,
s'étaient plaints ci-devant des règlements que S. M. a été obligée de
fiire, particulièrement au sujet du tabac, des toiles de coton, des
sucres, du coton filé et du café, par rapport au commerce général
de l'Etat et ils ont essaye de remontrer qu'en cela on a donné
(i) Potitckirtraiii à la Chvnhre, ij dêc. i6(fS- Depping, t. III, p. 891. — A
Lebirt. Ibid, t. III, n 913, 17 dtic. 1696. Cette date est erronée; la lettre est
du môme jour que 1 autre. De plus, c'est Pontchartrain le (ils qui l'a écrite, c.ir
il parle de son père.
(2) 11 s'agit des .\ntilles. — Au contivhnr gàiéral, <) ivlobrc i(")9. (Cité par
Marchand, p. 322.)
(j) Arch. tU la Mar. B', 4t)j, fol, .fo6-^(>y : Mémoire par lequel on justifie
que la police établie et les réglenieuts donnés pour le commerce de I-rance depuis
la paix des Pyrénées ont produit l'abondance de l'or et de l'arj^ent dans le
royaume et que l'on n'y peut taire de changement sans remettre l'Etat dans
l'esclavage des étrangers. — H', .;<>A', fol. 266-3tji : .Mémoire pour justifier que
les principes sur lesquels le commerce de France a été rétabli depuis 1660 sont
ceux sans lesquels il ne peut subsister avec succès .
LES PROHIDiriONS 38 J
atterintc au port franc et qu'on ruine le commerce du Levant,
C|Li^ le commerce général du royaume en souffre un «^rarid préjudice
ut trti particulier celui que Marseille faisait avec l'Italie et avec l'Espa-
gne;. S. M. a examiné les plaintes aussit{n qu'elles sont venues à sa
coi-inaiss;ince... et encore particulièrement l'année 1693 on a trouvé
qia'tn fais;intces règlements S. M. avait prévenu tout ce qui pouvait
porter atteinte au commerce Je Marseille et pris autant de précau-
tions qu'il était possible pour conserver la liberté du port franc...
C<_- pendant les négociants de Marseille viennent de renouveler les
inôiiies plaintes et ;\ peu près sur les mêmes fondements'...»
Après le traité de Riswick, les fermiers prétendirent rendre exé-
cutoire à Marseille le tarif de 1699 établi par une convention avec
les Hollandais ainsi que le tarif de 1667 et tous les arrêts posté-
rie' «jrement rendus sur le même sujet. Cette nouveauté, directement
Cor-» traire ;\ l'esprit de l'édit du port franc, acheva de détourner de
^^•i». rseille le peu de commerce que !cs étrangers venaient y faire'.
-^^insi, vers 1700, il ne restait presque rien de cette franchise du
po«~t de Marseille queColbert avait eu tant de mal ;\ établir et dont il
^*^ p>romettait tant de bons résultats. En établissant toutes ces proht-
*^*ti«ns, Seignelay et Pontchartrain s'imaginaient peut-être rester
**^x^ s la tradition du grand ministre et compléter son œuvre, mais ils
*-**-* l^laient que, si Colbert voulait favoriser les progrès de nos manu-
'***^ t ures, en les protégeant contre la concurrence étrangère, il n'était
P**-^ moins pénétré des besoins du commerce, qu'il avait proclamé
■a »>écessité de laisser à celui-ci la plus grande liberté, et d'attirer
^**^r»s nos ports le mouvement de la navigation et des échanges en
***^*^iiant aux étrangers toutes sortes de facilités.
< « ) .hcb. de 1,1 \Ltr H', ^ijy, J'ai. }S6.
^•*) PriambiiJe de Tanit du to juilltl i/Uj.
CHAPITRE VII
LES ANNÉES DE PROSPÉRITÉ (1683-I702)
III. — Les progrès du commerce.
Quelles qu'aient été les entraves mises au commerce par les
règlements ou les prohibitions, elles ne rempèchèrent pas de profiter
des heureuses réformes accomplies depuis 1683, surtout de la
cessation des ravages commis par les Barbaresques, et de l'atteinte
portée i\ la concurrence étrangère par l'applicition plus rigoureuse
du droit de 20 0/0. Il ne fit pas de progrès pendant les quatre
années qui suivirent la mort de Gilbert; c'était en effet l'époque des
dernières luttes contre les Barbaresques, des désordres causés par
l'avanie de Chio, des vexations des consuls fermiers de la Compa-
gnie de la Méditerranée. Aussi la moyenne des importations du
Levant des années 1684-87 fut de 5.625.000 livres seulement,
tandis que leur valeur avait dépassé 6 millions du temps de Colbcrt.
Mais, pendant les sept années qui suivirent (1688- 1694), ^'-^ nioyenne
s'éleva i\ près de 7.700.000 livres. En effet, la sécurité des mers
avait été rétablie et les flottes françaises restèrent maîtresses de la
Méditerranée pendant les premières années de la guerre de la Ligue
d'Augsbourg. De plus, le resserrement de l'alliance avec les Turcs
pendant cette guerre permit à notre ambassadeur d'engager avec le
Divan d'intéressantes négociations, et de se faire accorder des avan-
tages considérables'. Le plus important fut la réduction des droits
dédouane en Egypte de 30a 3 0/0 pour les Erançais. L'ambassadeur
(i) L'ambassadeur Girardin, dans une lettre à la Chambre du 2} mai 1686,
cnumère un grand nombre de « Cathechi'iifs » ou commandements qu il Avait
obtenus. — « t)n ne m'a encore rien relusé de ce que j"ai demandé, ajoutait-il.
Si les Consuls mavaicnt fait s.ivoir ce qui peut leur être avantageux, j'aurais fait
LES PROGRES DU COMMERCt
287
Ginrdiu avait obtenu en même temps la permission pour les vais-
seaux français de transporter les denrées, telles que k- blé, le riz et le
café, d'Alexandrie i Constantinople, et même d'en charger pour la
France. Les blés du Levant, achetés surtout dans l'Archipel, furent
d'un grand secours pendant la guerre de la ligue d'Aujjsbourg et
surtout pendant les disettes de ta guerre de succession ; en mémt
temps ils fournirent un fret important i notre marine marchande.
C'est aussi à partir de cette époque que les cafés achetés en Hgypte
arrivèrent pour la première fois à Marseille.
Girardin reprit aussi les négociations que Colbert avait fait
engager par M. de Nointel au sujet du commerce de la mer Rouge et
présenta au grand vizir des mémoires où, pour la première fois, il
était question d'établir un canal de jonction de la mer Rouge à la
Méditerranée. Il reçut une réponse favorable, nuis le consul de
France en Egypte, qui agissait de son côté, rencontra au dire une
très grande hostilité. Le pacha craignait de voir réduire les droits de
douane de 10 0/0, payés par les marchands turcs qui faisaient le
commerce de la mer Rouge, i j 0/0, taux fixé pour les Français, ou
même à moins, car Girardin dans son mémoire proposait un simple
droit de transit de 1/2 pour cent. De leur côté, les tîiarchands du
Giire redoutaient de voir sortir de leurs mains ce commerce consi-
dérable, surtout les chefs des milices qui étaient devenus marclunds
et avaient peu à peuacaparé le commerce de la mer Rouge. Mais,
pour ne pas paraître intéressés dans cette affaire, ils se retranchèrent
derrière la question religieuse et firent valoir l'inconvénient qu'il y
aurait d'admettre des chrétiens dans une mer, sur les bords de laquelle
se trouvait le tombeau du Prophète; Girardin échoua donc connue
avait échoué Nointel V II proposa aussi à la cour d'entreprendre le
commerce avec Tlnde par la voie de l'Euphratc, mais on lui répondit
que la proposition ne paraissait • pas être praticable et qu'il n'était
même pasù propos d'embrasser tant de choses à la fois. » Le ministre
attachait au contraire beaucoup d'importance à l'ouverture de la
en sorte de leur envoyer tous \es cnmnunJcmcnts qu'ils auraient pu souhAiter.
Àyl, 14S. — La Clunibre lut envoya de l'argent pour ('.tcilitcr ees négoei;itii)n«.°
Ddnsiet rc|;isires de dispenses Je l.i Chambre iCC, 2j tt suit'.) fijjurent, en 168;,
l.|..Sji livres pour les citclierifs d'Egypte et d'.Mcxaiidrie, 15.59} livres en 1686
et 994 J livres en 1687.
(il Voir. Vanoal, ouvrage cité, — Nohl, t. H, p, 220-21. — V. UUtt du n>i
du ji aotU 16S6. Deitihc, t. III, p. 6)6.
288 LES ANNÉES DE PROSPÉRITÉ
mer Noire à notre commerce « parce que ce négoce procurait des
retours aux vaisseaux qui allaient à Constantinople ; afin d'être
informé de l'utilité qu'on en pourrait retirer, écrivait-il, il faudrait
commencer par fiiire en sorte d'engager quelque jnarchand à faire un
chargement de mâts et de bois de construction pour les magasins de
Toulon. » Le Divan eut la complaisance de permettre à M. Girar-
din de charger pour Toulon deux navires de bois de construction
coupés sur les côtes de cette mer, mais à condition d'en faire l'achat
à Constantinople. De plus, il exigea que les capitaines promissent de
rapporter un certificat de déchargement des marchandises de la mer
Noire dans les ports de France, ce à quoi l'ambassadeur eut ordre de
ne pas faire de difficultés*. Mais le Divan opposa un refus très-net à
l'introduction du pavillon français dans la mer Noire, qu'il regardait
comme le domaine de la marine turque.
Tandis que des marchés nouveaux s'ouvraient au commerce fran-
çais, celui-ci prenait plus d'extension au fond de l'archipel où était
créée l'échelle de Salonique à la fin de 1685. Cette création, due à
l'initiative du fermier général des consulats le sieur Fabrc, directeur
de la Compagnie de la Méditerranée, parut au début une dépense
inutile à la Chambre « car, disait-elle, il ne se retire rien à droiture
de Salonique que l'on ne puisse facilement retirer par voie de Smyriic
comme on l'avait toujours pratiqué*. » Pendant près de dix ans, le
consul fut en effet le seul français de la nouvelle échelle ; il vantait
cependant les avantages considérables du commerce qu'on pourrait
fliirc en blés et en laines et le pacha de Salonique lui avait permis de
faire arrêter tous les étrangers qui venaient de Durazzo et des envi-
rons acheter des cires, ou de les leur prendre au prix qu'ils les auraient
achetées ; ainsi le commerce pouvait être mis entièrement entre les
mains des Français*. Ces avantages étaient réels ; deux marchands
vinrent s'établir :\ Salonique, d'autres les suivirent et l'échelle était
soHdement établie vers 1700.
(i) Lettre du roi à Giiarditt, }i août 16S6. — Seignday à GiranUu, lômars 16S6.
— Depping, t. III, p. 651.
(2) S février i6tj2, à Poiitihir train. BB, 2S. — Cf. Mémoires sur leconsulal qu'on
propose à' établir à 'l'bessalotiic, i<} octobre inS^. BB, 4, fol. ij2.
(5) h'tlre de Pontchai train , }o jauv. i(np. BB, S2. — La chambre lui répond :
« Nous n'oublions rien pour exciter les marchands à aller à Salonique », S fhricr
16^2. BB, 2S. — Le consul avait lait embarquer pour la Lrance, sous prétexte de
mauvaise conduite, le premier marchand qui était allé s'y établir, ce n'était guère
encourageant. La Chambre l'accusa d'avoir voulu se débarrasser d'un concurrent
pour son commerce. {iMlre à l'ambassadeur, 6 octobre ifnjD.)
LES PROGRfes DU COM.MLRCL
289
L'ambassadeur Girardin avait môme cru pouvoir entamer une
ncyociation plus délicate et plus importante que toutes les autres;
il s'agi-ssait de dépouiller les Hollandais des avantages dont ils jjuis-
saient, et de les assujettir i ne naviguer en Levant qu'avec la bannière
française et sous la protection de nos consuls. Le roi lui écrivait à ce
sujet : « La négociation que vous avez entreprise pour exclure les
Hollandais du commerce du Levant sous autre bannière que la fran-
i;alse est très délicate et doit éirc traitée avec un fort grand secret. . .
Je crois que vous pourrez réussir aisément dans celte négociation en
faisant bien connaître .\ ce ministre l'avantage que recevraient les
douanes du Grand Seigneur... et surtout en appuyant bien sur le
désavantage que reçoivent les Turcs par la distribution que lesdits
Hollandais font continuellement en Levant de piastres de mauvais
aloi appelées abouquels. Et vous êtes assez informé, par ce qui vous
a été expliqué dans votre instruction, de l'importance qu'il y a d'ex-
clure ces abouquels pour ne pas douter que vous n'y donniez, une
entière application'. » La négociation n'aboutit pas et ne pouvait p.is
aboutir, mais le seul fait qu'elle fut engagée montre assez l'influence
dont notre ambassadeur jouissait auprès du divan.
Malheureusement l'essor du commerce fut paralysé par la guerre
delà Ligue d'Augsbourg. Le roi accorda, il est vrai, aux Marseillais
la liberté de recevoir des marchandises d'Espagne et mémo d'Angle-
terre et de Hollande, nécessaires à leur trafic*; mais, malgré cette
faveur, le commerce avec l'Espagne et l'Italie était bien gêné, comme
le prouve la quantité de marchandises apportées du Levant qui
restaient sans écoulement dans les magasins de Marseille*. D'un
autre cùté les armements considérables faits pendant la guerre par la
marine royale enlevèrent iouvent les matelots a la m.irinc mar-
chande*. Il est vrai que, gràcc .1 ces armements, les flottes françaises
se trouvèrent maîtresses de la mer pendant les premières années de 1
la guerre*; les convois anglais et hollandais ne purent qu'avec'
(1) Ijt roi â Girardin, ji aoi'U t6S6. Du'PIng, t. III, p. 6j6.
(î) Aich. de la Mar. h* , p/j, fol. jS-j : Mémoire d^ i6ç6,
(î) La Clumbre mï plaignit vivement de h «.licnc de» piastres Jonl le prix
atteignit 72 soi». — Lettre à Ubret, t" fivr. i6çj. BB, 28.
( I) t f tiuii idStf, à Je y'auvri. iS mai t6</>. BB, Si,
(>) Cependant on t.^«;rit de ConM.intinopIe le 2) o..; • que les vjisse.iux
Je guerre du convoi jn^bis ont fait cinq prises sur le lU vue de Sinymc,
un vaisseau et qujtie turques. BB, lOS,
«9
2$a
LES ANNÉES DE PROSPÈRlTt
difficulté passer d.ms le Levain et Pontch.trirain pensait, comme
Colbert au début de la guerre de Hollande, que les circonst.iiucs
étaient i^ivorables pour supplanter nos rivaux. 11 promettait dit
« donner aux négociants français toutes les facilités qui pourraienr
contribuer à leur faire profiter de la conjoncture présente d;ins;
laquelle ils pouvaient se rendre maîtres du commerce du Levant et
obliger les Anglais et les Hollandais A en tirer les marciiandises dtt
leurs mains'. » En 169.^ le convoi d'Angleterre et de Hollande fu
battu par une tempête .1 la hauteur de Malaga et fit en panie luu
frage ; les autres bâtiments durent aller se radouber à Gibraltar, ei
Pontchartrain excita encore les marclunds à profiter de cet lieureu
hasard*. Ce sont les difficultés du commerce de nos rivaux qui
expliquent que celui des Français continua de s'élever jusqu'ea
1694, iiniiée dans laquelle leurs importations dépassèrent 8.700.
livres.
Cependant les pertes que la course lui faisait subir avaient e;e,
grandes, surtout depuis 1692, et elles s'accrurent considérablcnien
pendant les dernières années de la guerre. Le capitan p.icha Mem
morto imagina en vain de supposer une ligne, entre la côte d'Afriqu
et l'île de Candie, à l'est de laquelle les corsaires des puis&tnceS;
chrétiennes belligérantes ne pourraient pénétrer, sous peine de
châtiment et d'illég.ilité des prises. Mais les ennemis de la France n
tinrent pas compte de cette démarcation, signifiée aux cours euro^
péennes, et la Porte était alors trop occupée elle-même pour ùire
respecter ses défenses ; on vit môme les vaisseaux français nienaci
à Alexandrette et dans les ports de Syrie, se retirer à Famagoustô
pour y attendre l'occasion de rentrer en France. Heureusement le*
Barbaresques restaient en paix ; les Algériens renouvelaient leui
traité en 1691, malgré les exciutions des Anglais et des Hollandais
pour les soulever contre la France. Seuls, les Tripolins déclarèrent
de nouveau la guerre au commencement de 1692. Les Anglais el:
les Hollandais leur avaient promis 30.000 pi.istres, la fourniture
des toiles, cordages et .igrès nécessaires, et leur avaient donné
l'espérance de les secourir avec leurs vais.seaux, en cas d'aruquc de
bpart des Français'. De plus, ils étaient poussés par leur misère.
I
(I) 16 irptembrc i6<j}. — Cf. 37 uuù, ij juiu. BB, S2.
(s) t^ ttiril i6<j)^. BB, Hi.
(j) Litlr» ilu consul >U TrifvU, 6 mars, ao atnil i6ç2 : « La nouvelle qa'il»<
LES PROGRliS OU COMMEKCE
1^)1
m. Nos braves Tripolins, écrit le consul, de qui j'.ù rcçii depuis que je
^oiis ici toutes les honnêtetés du monde, ne sachant plus où donner
«Jlc la tète pour trouver de quoi pour payer U t.iïrte, se sont délibérés
«J-e rompre la paix'. » Un nouveau bombardement qu'ils subirent
«■% u mois d'août 1692 ne décida pas les Tripolins \ la paix. L'influence
«wi ont jouissaient les I-ranvais ;\ Cunst.intinople les servit hciireusc-
■~~»ient : un capidji du Grand Seigneur passa à Tripoli au printemps
«.:S. e 1693 tandis que Denis Dusault allait négocier; les hostilités
«zr «ssèrcnt le 27 mai 1693 et la paix lu: rétablie*.
U était temps que la guerre de Tripoli prit tin car, en 1693, les
«:=: «jrsaires ennemis, encouragés par ralFaiblissement de notre marine,
-=:». jpparurent nombreux dans la Méditerranée, où jusques 1;\ ils
^"» 'avaient fait que quelques prises. Plusieurs Flessinguois et Anglais
^^^- "^établirent dans le canal de Malte et sur le cap lion'. Faute de pré-
•^^^ -sautions de la p;irt des Marseillais, ils s'emparèrent coup sur coup de
*^^^^ uatre vaisseaux, l'un dont le chargement valait 400,000 livres, les
■=^^- litres 150,000 et 200,000. Ces nouvelkb captures, ajoutées aux
"^r-fcfécédentes, portaient les prises des Flessinguois i plus de 1.400.000
■- ivres*. Il y avait alors, au nùlieu de Tannée 1693, sept corsaires
*^ essinguois et un corsaire anglais sur les routes du Levant et on
=^ étendait l'arrivée de douze autres, qui heureusement ne vinrent
S^âs. Un seul vaisseau parut assez fort pour être excepté de la déten-
^ îon générale des 'rifitiments que la Chambre décida le 20 mai, c'était
•c^clui du capitaine Guieu, d'environ 600 tonneaux de portée, armé
<ic40 pièces de canon et de 200 liommcs d'équipage; on le laissa
partir en renforçant son équipage de 25 hommes. Le capitaine
Cjuieu justifia cette faveur, car non seulement il revint sain et sauf,
inais, au commencement de 1694, il coula le corsaire anglais qui
apprise Je 1.) p.iix «.l'Alger a bien contritiuè à la sotlisc qu'ils ont fuite, disant que
W* .Atgéricns ont f.iit avec nous tout ce qu'ils ont voulu » AA, f4j.
Il) 6 mars i6ç2. AA, f4/. Cette lettre renferme des détails intéressants. —
n ils ont prii en tout 11 bâtiments et ai$ esclaves, sans compter celui qui se fit
couler. » — Lfttrf du consul, 22 mai 161)2. AA, S4J. — Le plus gros vaisseau de
1.1 tlottc Marseillaise, revenant Je Snivrnc ivvc un chargement de 600.CKX) livres,
•s'i'tail fait couler, plut<*it que de se rendre, .iprés un long et rade combat.
Il) Ltltrn lit PoiiUharlniiit, 4 juin jbi)2. BU, Sj — ih- la OHivihie à l'ainbas-
iOiUiir, 2} août i(n}2. BB, 2S — Je DinaiiU à la Cliamlirt, 27 oclotuf 169). A A,
;;; — de Paittdiaritain, // jnilitl it'n^}. BB, S2. elc.
(}| r y etî avait aussi aux abords Je Livourne. \'oir la correspond, du consul.
AA, ,'y;'. — Déji en 1692 {24 juillet) il signale la présence de dix-liuif galère»
J'Iispapic.
[\) la Cliambre 1) PaHlcharliain, / ei 20 mai tO'j). BB, 3S.
2^)1 l.IvS ANNÛKS DU PROSPÉRITÉ
i.r()i.s.iit.sur le c.i|) Hon et reçut en récompense de la Chambre une
f',iatiliL.ui(»n de 2<)<)() livres'.
l'oiuchartrain employa simultanément le système des escortes et
ciliii des croisières. Le vaisseau V Aventurier partit au mois d'août
avec un convoi et dut prendre à Smyrne les vaisseau.^ du Levant qui
s'y rasscuïbleraient pour les ramener*, tandis que le vaisseau le
AVV/Vh.v et la tVèj'aie la Jalouse allèrent croiser dans le canal de Malte,
pi>ur en chasser les corsaires*. Les croisières furent maintenues,
uïème pendant l'hiver : « le roi, éciit Pontchartrain en décembre
u»i)î, euvoie un vaisseau dans le canal de Malte, un autre sur le cap
S|urnvente, il y en a un sur le cap de Gatte et les iles Saint-Pierre.
La iVêyaie la Mutine est destinée pour assurer la traite des blés de
Haibaiie ; la Jaù^u^e croisera le lonsj des côtes d'Italie et sur le cap
(lorse pourch.isser les cors,ùres Mayorquinsqui y ont paru et S. M.
tait .sortir deux j;alères jxnir assurer le commerce de Gènes à Mar-
seille. Je ne crv»is pas qu'on puisse ajouter rien à ces soins, ni à la
protection qu'elle donne en cette occasion aux négociants*. »
L'année suivante neut" corxitres l-[essini;uois se trouvaient dans la
MêdiîeMaïuv. mai.N le TvM tit encore occuper les croisières importan-
tes \ l.'asv.vnce d's". paNS.is:e de l'amiraî Russe', dans L .Méditerranée
av^v .\\ \.r,N.Ne.u:\ de '.ii;:K\ qui dev.î:vnt >e •oit'ïJre ù ceux qui étaient
de'.\ .\ v.\u!;\ et A '..v rloîtc c>ps\i::K>'e. -eta '.'al.:rr.u <.". Provtr.ce c: tît
P'.v.uv.e '..i P"OC.iv.:'.k"". Oe rctv^'.r .e> .-Ji:::v.»":> :r.:"vV.:> di"> les
v\.'^>,.»>. cu',;'.e'.'."»»'""'»"' -■. "-^'t;> >:v':o"i'". c. ..'.>..■.: >^":'. wt.'.~t;rjr .l'.Mn—
.". .:"» »U'"v"'>f .".f.o" >.'.r ..> »'.";»> Ci ..'. v...iti.."î'r:c. Pe~-
.•■>»:, .'.•.'••■■.'. !\..v-^. Cv;.:,." ■-■. «iv^ ■ .'. ■ vv. .". .'A ;.. .!;■> rri-^iitcs
•:, .i :.-. \ M ■,-•".:■; -.v-i-'^ ^.t-^.:^, c. i,;-.- :.-.:>.:. .:^:^::
.-.: ;.:■.• . .^ " "- ;. ■•■-- c.- : ".•- ^o.-"--. ;.:- '.z -^ , i_
«." ,. V.
LES PROGRÈS DU COMMERCE
295
En 1695, 1.1 sitiuirion devînt plus grave : douze vnlsscaux anglais
occupùrent les croisiùres des iles de Malte, Sniiit-Picrre, Ivici et les
Flcssinguois purent faire la course sous leur protection, tandis que
six autres vaisseaux anglais allaient ù Smyrne pour ramener le con-
voi. Il f.illut interdire complètement l.i navigation du Levant i\ par-
tir du i^'mai; les vaisseaux qui étaient dans les cchelles durent
attendre que la saison fût avancée et que la flotte ennemie se retirât
pour revenir jusqu'A Malte où des vaisseaux du roi devaient aller les
prendre en conduisant les bâtiments qui partaient i leur tour pour le
Levant '. Mais, au début de 1696, les bâtiments qui étaient dans le
Levant n'avaient pas encore été ramenés et des corsaires nombreux
les attendaient dans le canal de Malte, undis que d'autres allaient
aux abords des eclielles pour les empêcher d'en sortir.
Pontciiartrain ne put faire sortir que deux vaisseaux, le 5mV».v et le
MarcjitiSy pour les chasser du canal et protéger l'arrivée des Français
S Malte. Ils escortèrent neuf vaisseaux se rendant en Syrie, poussèrent
jusqu'i Gmdie et en ramenèrent les vaisseaux d'Egypte et d'Alep qui
avaient pu s'y réfugier tandis que ceux de Smyrne restaient bloqués
par deux vaisseaux de guerre anglais. Une partie des bâtiments du
Levant revint ainsi à Marseille, après une longue attente et les deux
vaisseaux du roi ramenèrent en outre quelques prises*. Le trésor
obéré supportait avec peine la charge de ces armements et Pontchar-
train demanda â la Chambre qu'elle y contribuât; quoique, depuis
la dernière guerre d'Alger, le commerce continuât de payer une
imposition d'un écu par tonneau sur tous les bâtiments, la Chambre
offrit 40,000 livres pour l'entretien du Scriaix. Les deux vaisseaux
repartirent, l'un pour Candie, l'autre pour Smyrne, cnlîn dans un
troisième voyage ils s'en allèrent â Malte pour ramener les bâti-
ments qui s'y trouvaient'. Ces faibles armements suffirent, parce
que la flotte ennemie n'avait pas pénétré cette année là dans la
(i) y, 16 mit' s, 6 avril, a^ Juin, so, ji aoùl, 7, 2/ îtpt., 2} oU. t6gj. BB, Sa.
(2) M. Je Pdllas comtn.iiulait le SénetLX et M. de Furbin le Marquis. M. tic
Pulliis s'empara d'un 1-leï.singuois et rei;ut une gratificition de U Clumbte. M. de
Forhin fe<,'ut 20ûo livres pour jvoir pris deux vjisseaux corsaires, de M.ijori)ue cl
détruit une barque napolitaine de 150 hommes d'équipage, tj avril, jiy ooiit
t6^)6. BU, 4.
()) 1 1 jtim.. S, is fivr., }f, 18 mars, ./. if avril, 2, t ( iimi, r, {$, 31 août
161/'. HU, Sa. — Deux vaisseaux avaient été envoyés sur les cAtcs de la Barbarie
et deux autres ;i Livoumc [Hiur en l'aire sortir Jes bâtiments bloquds par les
Anglais.
294 LES AKNfenS XiV. PROSPfiRlTfe
Méditerranée et la navigation ne fut pas interrompue comme l'année
précédente. En 1697 la situation fut la même', les flottes de guerre
étaient occupées par le siège de Barcelone et le commerce n'eut à se
protéger que contre les corsaires, dont le nombre, il est vrai, était
considérable : ce fut pendant cette année que le chiffre des prises
s'éleva le plus haut *.
Pendant cette malheureuse guerre, b progression du commerce
avait naturellement cessé et même les transactions avaient considé-
rablement diminué : en 1695, l'année où la flotte anglaise était
restée maîtresse de la mer et nos bâtiments enfermés dans les
ports, les importations du Levant tombèrent A 2 . 099 , 000 livres,
elles remontèrent il est vrai à 8. 399.000 livres en 1696 mais pour
fléchir à 5 .000.000 en 1697 ; pour ces trois années, la moyenne ne
fut que de 3 . 160.000 livres, inférieure de plus de deux millions et
demi A celle des sept années précédentes. Encore ces chiffres ne
peuvent-ils donner une idée de la profonde perturbation que la
guerre avait apportée dans les affaires. Il est vrai que celle-ci avait
été funeste aux coalisés autant qu'aux Français, les convois des
Anglais et des Hollandais n'avaient pas été plus réguliers que les
voyages des bâtiments français. Les flottes royales, au début de la
guerre surtout, leur avaient ;\ plusieurs reprises fermé l'entrée de la
Méditerranée et de nombreux corsaires Toulonnais ou Marseillais
leur avaient aussi donné la chasse'. Les Vénitiens n'avaient pas pu
(i) En août 1697 fut organisé un grand convoi et dos vaisseaux furent cnvoyi-s
en croisière. — La course fut en effet autorisée après la signa'.nre de la paix
(20 sept. 1697) jusqu'au i" déc. 1697.
(2) Le chiffre total des prises de bâiimems par les corsaires, de i68g à 1697, fut
de 480 (260 vaisseaux, 182 barques, 58 tartanes. — 1689 :.-; 30 ; 1690 - 30; 1691
---- 49; 1692 — 59; 1É93 -- 56 ; 1694 = 60 ; 1695 — 49 ; 1696 = 62 ; 1697
rr: 8)). — 175 bâtiments (barques surtout) furent pris par des l:spagnols (de .Major- .
que, 'irapani, Naples, Barcelone, Ostende), 165 par des Anglais, 1 5 par des Hollan-
dais (de Flcssingue surtout et de Middelbourg), 22 par des Algériens (10 en 1689),
14 par des Tripolins (10 en 1692), 2 par des Saletins. i par des Tunisiens, des
Cîénois et des corsaires « ayant commission de Mp"^ l'électeur de Brandebourg »,
3 par des corsaires inconnus. — V. i?i'ji,'i'.i/;-« des pertes de navires conservés aux
Archives de la Chambre de Commerce à partir de 1688. 11 faut remarquer que les
déclarations de pertes faites .i la Chambre et leur vérification par celle-ci étaient
des formalités nécessaires pour le paiement des assurances. Ces registres contiennent
donc tous les lutiments perdus, assurés A Marseille; beaucoup avaient été pris dans
la mer du Nord, la Manche, l'Océan, à Terre-Neuve et aux Antilles. ()n y voit
figurer quelques bAtiments étrangers, même ennemis, Anglais, Danois, Suédois,
(iénois, assurés;! Marseille et pris par des corsaires français ou par les Algériens.
EE, S, ifg. iii-r, 7P P"g"-
(3) Les Marseillais avaient cependant une grande répugnance A pratiquer la
course; mais les registres de l'amirauté de Marseille attestent que de nombreux
LES PROORF.S DU COMMF.PCU 395
profiter davantage de ces conjonctures, puisqu'ils étaient en guerre
KAvec les Turcs. Aussi, la SL'curiti.' des mers une fois rétablie, lesMar-
"^eillais n'eiirent-ils qii'îi reprendre leur négoce interrompu, mais
Testé sans atteinte.
K Pendant quatre ans (l 698-1 701) le commerce du Levant jouit
^'une paix profonde, qu'une guerre avec les corsaires de Salé ne
troubla guère '. Le rétablissement des relations commerciales avec
l'Espagne rouvrit au commerce du Levant son principal débouché et
]c traité de commerce conclu avec ta Hollande A Riswick, le 2t sep-
tembre 1697, permit aux négociants français de recevoir avec plus de
facilité certaines marchandises nécessaires h la composition de leurs
I cargaisons pour le Levant'; le besoin qu'avait le roi de faire des
concessions politiques et commerciales à ses ennemis avait ainsi, X
son insu, l'avantage de rendre moins exclusif le règne des prohibi-
tions. Ces trois années furent une époque de très grande activité
K pour les Provençaux dont le trafic atteignit des chiffres inconnus
" depuis 70 ans; les importations s'élevèrent en effet tout d'un coup
à 10.300.000, 11.300.000 et II .200.000 livres. Le naturaliste
B Tourncfort, chargé d'une mission scientifique dans le Levant,
" pouvait écrire avec raison, après avoir visité Marseille en 1700 :
n Le commerce des Français en Levant est plus considérable qu'il
^ n'a iam.iis été". » Il est vrai que ce mouvement commercial était un
peu factice ; la reprise des affaires avait été trop précipitée, chacun
avait voulu protitcr des avantages de la paix et du désarroi du négoce
Lapitaincsdciiiaiidcrciu cl obtinrent l'autorisation d'armer. — On y fcliivc irci/u
.iiitoris-uions accordées en 1689 — 52 en 16911 — 41 en 1691 — j6 en 1693,
etc. — (Aifbiv. lUjurlt'meittala des H.-dii-Kb.) — On .1 peu de renseignenicnis
*ur les exploits de ces corsaires. — Le 11 juillet 1697 U chambre donne 2.(XX3
livrer à l'un d'eux, M. du Ligondès, armateur de ['HirotiJcIh, t]ui ramène un cor-
s.iire anglais armé à Livoume. Dans sa navigation il a forcé deux corsaires flessin-
guQÏs à ï'iichouer, l'un au c.ip Sp.nrtivcnto de 56 canons et 200 hommes d'équi-
nage, l'autre de jo canons et i6û hommes au cap Carbotmaire. — lili, 4. —
V. autres récompenses de ce genre. M\, 4. paisim. — Cf. Mémoire de M. de
Vauvré sur les armements en course en Provence, <S' mars i6çf. Arch. d« la mar,
W, 497, Joi- 1(^0-184.
(il Voir correspondance de Ponchartrain. 1697 et 1700. IW, S3. — En 1698
il y eut encore treize priseii au début de l'année, une seule en 1699, deux en
1700, aucune en 1701. HE, S.
(a) Voir Archiva Je la tiinriiie, R', 4^8, fol. lyçet iuiv.fol. jjp-fii, une série
de mémoires et documents au sujet de ce traité de commerce avec la Hollande.
— Cf. R', 4<)j, J'ol, 3ii-6a : Mémoires de 1696. — Un traité de commerce était
préparé avec l'.\ngleterre. — Voir une série de Mémoires à ce sujet. Arch. de la
mar. fl', 4^y tt joo. passim.
(î) TOUBMEFORT, page 5.
29^
LES AVNÉES DE PROSPÉRtTÉ
des Anglais et des Hollandais, si bien que, après avoir manqua de
marchandises du Levant, on s'en trouva encombré, elles s'accumu-
lèrent dans les ni.igasins de Marseille sans trouver d'écoulement et
l'année 1699 fut marquée par une série de banqueroutes. Mais ce
n'était l.\ qu'un malaise passager que le règlement du tour ctjibli en
janvier 1700 guérit promptement '.
Si on jugeait d'après le commerce du Levant la situation de la
France en 1700, on ne se douterait pas que toutes les sources de sa
richesse étaient alors profondément atteintes, comme le révèle la
grande enquête faite au même moment par les intendants. Tandis
que les manufiiciures créées par Gilbert, à grands frais, étaient rui-
nées ou prés de l'être, les fltbriques de draps pour le Levant étaient
en pleine activité. « Les soins que S. M. a pris depuis 50 ans pour
les draperies fines, lit-on dans un mémoire de 1697, ne commencent
que depuis les dernières années à répondre au.\ espérances que S. M.
a pu concevoir des grandes dépenses qu'elle a faites pour porter ces
draperies au point où elles sont. Ce n'est que depuis 1688 qu'on a
ciurcprisla fabrique des Londres en Languedoc, d'abord pour en portei
en Levant 600 pièces et en 1692 par laGsmpagnie de la Méditerranée^:»—:
1 .500 pièces, dont elle a augmenté l'envoi d'un plus grand nombre. -r_j
A son imitation les particuliers en ont fait dans la même province ew- :^
dans les voisines qu'on porte en Levant par augmentation, concur-— ^
rcmmcnt pour le bénéfice avec les Anglais qui en portaient ci-dcvan*
40.000 pièccîi*. ■ M. de Pcnnauiier, qui, depuis la fondation de ce:
(ahrîques, a\:ait éti chat^ par Gilbert de les surveiller, consuuu
leur p- ---:-.; en 1691 : « Le commerce des draperies dans I-
Haut i ^oc et dans tous les lieux où il s'en tiit ne saurait è
plus florissant. On trax'aiUe partout à force et les ouvriers manqu
(t) « Afcis h faa «k R(»k-idt les nfgocùats firent de gnads achats.
peàoKr q«e k* toaô^en aBiioK rcfncshiic kur comaKroe. Ainsi b Compign ^^ *c
«■ Le«am em An^Mctrc 6t éamaa ses <fciycric» i pêne pour Êàre van me — x-vi
■Abcs «( nitaMn- b t«nte «les lewv Aasà ks Mirwilnii um»iimi «fificif
i AxMkr k«n nardMadëes «{oi s^McviMlèRM Job ks maeasif is, ce oui ooc
skttM oac ïiMc Jo tiiinaniMUi • «MITmiii é» élftÉi it \*mUt «n Comtiil —_
CtmÊmnt^ 4 "M^ ty>i. — Bcirajsi.r, t. U. Ayyeifce. p. 4^7^ — ■ Le ~
mat è» IMT «s'il ptol â S^ M. d'itatta n bob ée ianner 1701 ooén ;
praapMflMM ndfct ^*oa s'duit ftofoaé^fai ctak priadfMkmcnt a urter **^^
<OMS «KS boM^MtOMCs Mrinfes cB (mhc 1 JBDce pvfcàknte par b trop
aviiM <k& ■Jndwii. a tt. f. HMilfl mki âa. ai >ék-. 17^4.
U) >cik A h UÊ^im, r. M7. /W. #b. — La Loaâtts tekni ks ai«.-#»
LES PROGRÈS DU COMMERCE 297
plutôt que le débit. J'ai vu la manufacture de Saptes qui n'avait d'or-
dinaire, inOme selon son obligation, que 30 métiers battans. Elle
en avait le 20 de ce mois 53 et on allait en établir d'autres.
Si elle ne flùt pas la quantité de pièces de drap pour le Levant qu'elle
devrait fciire, c'est parce que les ouvriers lui manqueront, quoique
depuis peu il lui soit venu di.vscpt familles bollandaiscs, toutes
catholiques. Je n'ai pas eu le temps d'aller à celle de Clermont, mais
j'apprends qu'elle travaille aussi considérablement '. »
En 1694 des marchands de Carcassonne et d'autres manulacturiers
du l.auf'uedoc se proposaient d'entreprendre la fabrication des draps
pour le Levatit et demandaient b. Pontchartrain les mômes avantages
que possédaient les manulacturcs royales de Clermont et Saptes ou
bien la réduction .\ la nioitié des droits sur les transports du Lanjjuc-
doc i Marseille. Pontcliartr.iiii, qui demandait l'avis de Lcbret, en
était il craindre que l'envoi d'une trop grande quantité de draps en
Levant ne détermin.ii une baisse de prix; on était loiti du temps ou
Colberi s'irritait de voir les .Marseillais négliger ce trafic *. Vers la fin
de la guerre on vit encore un Hollandais recevoir l'autorisation de
fonder dans le Languedoc une nouvelle manufacture de draps pour le
Levant. Un autre industriel établit aussi dans les Cévennes une
manuCtcture de serges impériales dont les produits étaient exportés
par Marseille, et Pontchartrain consultait Lebrct en 1697, pour
sivoir si ce commerce valait la peine qu'on l'exempt.'it des droits de
sortie du Lmguedoc^. Enfin Pontchartrain constatait lui-même la
bonne situation des fabriques de draps à la fin de 1697, quand il
écrivait i Lebret ; « Je vois ;\ présent que ces m.inufacturcs sont bien
établies, qu'il se présente tous les jours des gens qui demandent des
permissions d'en établir de nouvelleset que généralement la plupart
des marchands offrent de travailler pour le Levant, pourvu qu'ils
puissent le faire à des conditions égales Ji celles qui ont été accordées
h quelques entrepreneurs par leurs privilèges*. » D'un autre coté la
qualité de nos draps continuait à devenir meilleure. « Si on continue
de perfectionner les draps français dont on vient de voir ici de très
». I. çi
i| Pdinanlicr, tiiioiier Ats fiiiaiKti, au coiitioleiir, }o octobn if»jt, BoisLtsi.E,
977".
(2) .4 LebrrI, 14 octohrt i6ç3. Itli, Jii.
(3) .-< Lfbrel, 2; octobre id^j, ScKtobn' i6çS. RoisusLK, l. I, 1671";
M» --/ Lfbr/I, s tit'cfmbiê j6çj. IIojsusle, t. 1, 1671.
398
LHS AK\ÉES nn PROSPÉRITÉ
beaux essais, écrivait à la Chambre le consul du Ciire, le 25 févrîc
ifi9>), comme I.1 montre Je ces essais n'est pas moins belle que celle
des plus beaux draps d'Angleterre, il demeure constant qu'on peut
égaler ce travail '. »
Les manufactures du Languedoc étaient alors nombreuses et se
divisaient en deux groupes ; les manufactures royales de beaucoup
les plus importantes, qui jouissaient de grands privilèges et aux-
quelles les Elus du Languedoc payaient une pistole par pièce de
drap de trente aunes, c'est-à-dire une demi-pistole par pièce de drap
ordinaire, et les manufactures des particuliers, qui soutenaient dilli-
cilement la concurrence contre les précédentes. Pendant la guerre
du succession d'Espagne, la province de Languedoc essaya de s'affran-
chir de la pistole. mais on fit voir ;\ la Cour que si le commerce des
draps était utile \ l'Etat il ne l'était pas moins au Languedoc. Les
manufactures qui jouissaient de la pistole fabriquaient par année
moyenne 5.00Q pièces de draps fins qui, valant chacune environ
200 livres, rapportaient i la province i. 000. 000 de livres, or l'achat
des laines et des drogues pour la teinture ne courait pas plus de
a 50.000 livres et le paiement de la pistole 25.000 seulement; c'était
donc une grosse somme qui restait chaque année dans la province*.
Parmi les sept manufactures jouissant de la pistole, celle de Saptes,
la plus ancienne, était dépassée en activité par celles de V'illencuvc-
les-Clermont et de la Trivalle; les fabriques de la Grange-des-Prés,
de Pennautier, de la Terrasse, dirigée par des Hollandais, et de
Bizan, prés Narbonne, étaient moins importantes. Parmi les autres
manufactun^s, celles de Clcrmont, de St-Chinian, de Circassonne,
de Conques n'étaient pas moins actives que ces dernières ; enfin
venaient les petits fabriamis de Si-Chinian et de St-Pons*.
Un mémoire, remis aux plénipotentiaires du roi au Congrès de
Kiswick', constate en 1696 l'activité d'autres industries qui four-
nissaient des articles d'exportation pour le Levant : • Ceux de Mar-
seille ont encore, par dessus les autres provinces du royaume,
(i) AÀ. J04 — Le consul di; livournc écrivait au contraire le -i septembre — '
I69^ : c li-s marchandises du convoi Angle- Hollandais sont de très nuuvaisir —
qualité. • AA. S 94.
(2) Mémoire de ijof. AnAiw }fat. F", 64$.
(j) Dùpouilk-mem tiré de ViAxx général envo\tî par le sieur Cauvièrc de toup-
ies draps tins et communs qui sont passas à Marseille sous son inspection pendant
les années 1700-1705. — Artlntws K'al. F'*, 64s.
LES PROGr/îS du commerce
299
«liversesmaniiCicturesdans leur ville, de bonnets de laine et de draps
d'un mrand et singulier débit en Levant, dont S. M. a procuré l'au^-
meiitation par les règlements qu'elle a fait expédier, et d'autres
Tnaiiufactures... On a établi des papeteries en Provence, dans tous
les endroits où il a été possible d'en faire; S, M. en a même fliit éta-
blir en Languedoc pour aider au commerce de Marseille qui en
Trouvera en Levant le débit autant qu'on en pourrait porter, sans
<^ue les papiers de Gènes et de Venise puissent diminuer les nôtres.
Les s;ivonnicrs de Marseille travaillent autant et plus que pendant
la paix. S. M. a mis un droit exclusif à l'entrée du savon des fabri-
<jucs étrangères qui assure la consommation du savon des fabriques
<le Marseille. Un des plus considérables commerces du Levant après
les soies et des plus nécessaires au royaume consiste dans les cuirs et
les peaux en poil; il y a A Marseille des tanneries d'un grand travail
et cette ville fournit aux besoins des autres provinces les cuirs tannés
et apprêtés dont le commerce se trouvait beaucoup diminué il y a
huit ans, parce que les Atiglais, qui tiraient les peaux brutes du
Levant, les apprêtaient chez eux et les renvoyaient tannées i\ Marseille
et dans les autres ports de Provence; S. M., pour empêcher ce mal,
a lait ordonner par l'arrêt du Conseil du 8 novembre 1687, 20 0/0
de la valeur h l'entrée de Marseille même et des ports de Provence
et de Languedoc.., Les blanchisseries de cire de Marseille ont aussi
fort augmenté pour l'emploi et le débit des cires brutes de leur com-
merce'. » Les marchands étaient donc .issurés de se procurer facile-
ment les articles d'exportation dont ils avaient besoin pour le négoce
du Levant; d'un autre côté l'appauvrissement du royaume ne l'em-
pêchait pas d'avoir besoin des matières premières et des denrées
qu'on achetait dans le Levant. La ruine de l'agriculture profita
même aux armateurs marseillais qui transportèrent alors des quan-
tités considérables de blés de l'archipel, de Salonique et de Barbarie.
Au moment où la France allait reprendre la lutte sur mer contre
l'Angleterre et la Hollande, elle était enfin parvenue i rendre à son
commerce du Levant une importance A peu prés égale ;\ celui de ses
deux rivales. Ces progrès n'avaient pas été réalisés sans lutte, et,
depuis quarante ans, la rivalité d'influence avait été fort vive entre
les ditî'érentcs nations auprès de la Porte et dans les échelles. Malgré
les relations en apparence cordiales qu'entretenaient entre eux les
II) Arch. de la Marine. B^, 4<)-,, fol. jS/.
300 LES ANNÉES DE PROSPèRITÉ
consuls et les marchands, ils ne manquaient aucune occasion de se
nuire les uns aux autres. Ainsi, lors de l'affaire de Chio, les Anglais
avaient partout répandu le bruit que les Français avaient commis une
grave offense envers le sultan et qu'une rupture allait en résulter;
ils espéraient par li exciter contre eux des soulèvements populaires
dans les échelles*. Chaque guerre européenne était une occasion pour
les résidents des échelles de faire valoir la puissance de leur nation,
et les Français ne manquaient pas de célébrer par d'éclatantes réjouis-
sances, dans chaque échelle, les victoires de Louis XIV. Les progrès
du commerce français depuis 1661 semblent avoir été faits surtout au
détriment des Hollandais; c'est aux dépens de leurs draperies que le
débit des draps du Languedoc prit des proportions considérables
dans le Levant*. Nos ouvriers apprirent peu ;\ peu les secrets de leur
fabrication, que des transfuges hollandais leur avaient apportés,
et la gêne que firent subir à leur commerce les deux guerres
qu'ils venaient de soutenir contre la France, donna aux marchands
français les avantages de la vente*. D'ailleurs, les Hollandais n'avaient
pas cherché à étendre leur commerce dans tout le Levant; fortement
établis à Smyrne, ils ne s'étaient pas formés ailleurs en corps de nation
et n'avaient pas de consuls dans les autres échelles; les quelques
marchands qu'ils y avaient, comme au Ciire et à Alep, restaient
sous la protection des consuls français*.
(i) D'Arvieux, t. VI, p. 238-244. « Les Anglais rùsidant À Coiistantinople ne
manquèrent pas d'écrire à Alep la canonnade de Chio, et ceux d'Alep la dépeigni-
rent dans les places et les bazars avec des couleurs si noires que, dans tout autre lieu
qu'Alcp, le peuple se serait soulevé, nous aurait égorgés et mis tous nos biens au
pillage... Tous nos marchands en étaient alarmés à un point que, si nous eussions
été plus près de la mer, ils seraient tous repassés en France, à l'imitation de ceux
de Smirue. »
(2) SeigneJayà Girardin, 4 janv. 16S7. Df.pping, t. III, p. 648 : « La décadence
du débit des draperies de Hollande et la préférence de celles de 1-landre, dont vous
m'informez, donnent des espérances pour l'augmentation de notre commerce en
Levant. — Cf. Ành. Nal., F" 645, Mémoire de 16S) : « Les draps de Hollande
n'ont plus tant de réputation conmie autrefois depuis que les Franç-iis y en por-
tent. »
(3) M.Dortières, au retour de son voyage d'inspection dans les échelles, exposa
dans un mémoire du 27 septembre 1686, que le principal article d'achat des Hol-
landais en troc de leurs draps était le fil ou poil de chvère, dont ils tiraient des quan-
tités prodigieuses pour fabriquer des camelots. — Il proposa d'établir ce commerce
en France; d'aller voir à Valenciennes et dans les autres places de Flandre où il
se Hibriquc des camelots si on pourra le faire par Dunkcrque, ou bien de faire
fabriquer des camelots ;'i Marseille. — Arcb. Nat., F", 64^. Mân. du 27 sept. 16S6.
{4) Le consul anglais d'Alep disputa à d'Arvieux le consulat des Hollandais
(t VI, p. 483.502). — Cependant, en 1692, il semble qu'il y a un consul hollan-
dais à Alep.
LES PROGRES DU COMMERCE
301
Tout autre cuit I.1 situation des Anglais, dont les progrès croissants
"riiquiétaicnt vivement les Marseillais. C'est en Egypte surtout cjue
s'exercèrent leurs efforts pour enlever aux Français la situation
prépondérante et presque le monopole du commerce qu'ils avaient
^kconservé jusque là. Le négoce de l'Egypte prenait en effet de jour en
^^our plus d'importance; la permission que les Turcs commençaient à
4lonner d'exporter des denrées livrait au trafic deux articles nouveaux,
■de riz et surtout le cat'é. De plus, les idées de Colbert et de Riche-
lieu sur l'importance de l'Egypte et de la mer Rouge, considérées
comme la vraie route des Indes, avaient tait leur chemin dans les
esprits, et, tandis que nos diplomates cherchaient ;\ ouvrir la mer
^Rouge i nos navires et à nos marchands, l'attention des Anglais se
pona aussi de ce coté ; dès lors, la rivalité d'influence entre les deux
nations en Egypte devint très vive. La réduction énorme de> droits
et les autres fiiveurs accordées aux Français de 1 684 à 1 6S7 semblèrent
Ileur doimer définitivement le monopole du commerce dans ce pavs,
et les Anglais ne songèrent d'abord à lutter qu'en traliquant sous
le nom de marchands français. Mais ils ne purent se résoudre
longtemps i ne pénétrer que par fraude sur un marché aussi
important, et tous leurs efforts tendirent ù obtenir l'établissement
d'un consul anglais au Caire et la réduction des droits de
douane au même taux que pour les Français. Leurs résidents se
■ donnèrent un consul en 1696, et les facteurs hollandais en Egypte
songèrent aussitôt à se mettre sous sa protection pour éviter les
droits considérables que leur fais-iit p.uer le consul de France'.
C'était un grave échec pour la nation française; l'ambassadeur,
M. de Castagnères, réussit ;\ empêcher pendant deux ans que
la Porte ne reconnût ce consul, mais l'argent des Anglais finit par
triompher, et ils obtinrent en 1698 un catffecherif qui leur accorda le
consulat duCiire. Pontchartrain songea bien un moment ;\ en empê-
cher l'exécution en s'appuyant sur le pacha et les puissances d'Egjpte,
qui se trouvaient lésés dans leurs intérêts, si la diminution des droits
de douane était étendue aux Anglais, mais cette affaire ne fut pas
poursuivie*.
Les Anglais se trouvèrent ainsi sur te pied d'égalité pour disputer
(r) Lettres de Poiilcimrliaiii, iiS' wai, S août i6()6. BB, Si.
(l1 Lettre de Ponlcbiir train. 2) juilU't i6qS. BB, .Va. — L/tIre de la Cliamhre,
6 novembre i6i)S. BB, iS : Elle jutorisc la nation Ju C.iire à dépenser jusqu'à
I
I
302 LES ANNÉI-S DE PROSPÉRITÉ
aux Français le commerce de l'Egypte, et leur concurrence fut immé-
diatement redoutable. A peine établis, ils voulurent enlever aux
Français le privilège des transports qu'ils faisaient, pour le compte des
Turcs, d'Alexandrie à Constantinople et aux autres ports du G. S.
M. de Maillet, consul du Caire, inquiet de les voir réussir, propo-
sait de modérer les droits sur les effets des étrangers embarqués sur
les bâtiments français, pour amener les Turcs à les préférer à ceux
des Anglais*. En même temps le consul anglais songeait à ravir à
celui de France la protection des étrangers qui donnait à ce consulat
une importance et des revenus considérables, c'était le but que les
consuls de sa nation poursuivaient depuis longtemps dans les autres
échelles. Il s'agissait surtout des Italiens, Génois, Livournais, Messi-
nois, Vénitiens môme, quand ils étaient en guerre avec les Turcs.
Les Capitulations ne les obligeant plus à prendre la bannière de
France, ils naviguaient sous la protection de celle qui leur accordait
le plus de' sûreté et d'avantages. Avant Colbert, « l'avilissement du
pavillon français avait donné la préférence de cette navigation aux
Anglais et aux Hollandais » ; Colbert réussit, en relevant notre pres-
tige, à ramener les étrangers sous notre protection et, jusqu'en 1694,
« il n'y avait que le pavillon français employé dans le Levant*. »
Mais à la suite de la réforme des consulats de Pontchartrain, quand
les étrangers se virent obligés de payer, outre les anciens droits de
consulat plus onéreux que ceux des Anglais et des Hollandais, les
avaries quelquefois très lourdes imposées dans les échelles pour les
dépenses de la nation française, lorsque la guerre de la ligue d'Augs-
bourg montra l'aifaiblissemcnt de la marine française et qu'on vit la
Méditerranée presque au pouvoir des corsaires et des flottes des coa-
lisés, beaucoup d'étrangers abandonnèrent une protection onéreuse
et qui ne semblait plus utile. Cependant cette désertion ne prit des
proportions inquiétantes que pendant la guerre de succession
d'Espagne'.
dix bourses (9000 piastres) pour gagner les principaux clicfs de la milice. — V.
Lettre du consul Je Maillet : ij août lôçS : « Les Anglais ont déjà dépensé douze
bourses et ils n'établiront les choses sur le même pied que nous qu'il ne leur en
coûte beaucoup. » AA, ^04.
(i) 21 juillet ijoo. BB, S2.
(2) Arcb. de la Mar. B^, (97, fol. jyS-SS.
(}) Voir, à ce sujet, la correspondance des consuls, qui se plaignaient vivement
car ils voyaient diminuer les revenus de leur consulat.
LtS PROGRES DU COMMUKCE
303
Partout, iliuis les grandes échelles, les Anglais s'étaient établis ;\ côté
des Français ; ainsi, dès qu'ils virent la nouvelle échelle, que ceux-ci
venaient de créer A Saionique, prendre de l'importance, ils songè-
rent à y envoyer un consul'. Pour mieux établir leur influence, ils
fondèrent alors A Oxford un collège pour élever de jeunes enflints
des pays du Levant et les instruire dans la religion anglicane. Dès
que U nouvelle en parvint .i la cour, on s'en émut et Pontchartrain
écrivait à la Chambre le 3 1 mars 1700 : « S. M. a trouvé important,
pour ne point laisser introduire l'hérésie parmi les nations :\ la con-
version desquelles un nombre de missionnaires de ses sujets travail-
lent, de tirer dou/e enfants des iamillcs les plus accréditées dans les
Arméniens, les Grec.^, les Suricns et les Coptes pour les faire élever
dans un collège dans le royaume, leur apprendre les principes de la
vraie religion et les mettre en état de la défendre dans leurs nations
et d'empêcher que ceux qui repasseront d'Angleterre y dissent aucuns
progrès. » Le roi avait résolu de les faire élever dans le collège des
jésuites i Paris qui reçut en effet en 1700, douze jeunes gens dont
quatre jeunes Grecs et Arméniens ci huit Syriens ou Coptes qui
vinrent du Caire et d'Alep*.
Les Juifs des pays chrétiens, paniculièrcmcnt de Livournc, qui
venaient s'établir dans les échelles, où ils se mettaient sous la pro-
tection du consul de France, inspirèrent aussi aux négociants français
de vives inquiétudes, surtout au Giire et ;\ Alep. Le consul d'Alep
écrivait à leur sujet en 1692 des lettres curieuses' : « De toutes les
tidtions qui s'établissent aux échelles du Levant pour négocier,
disait-il À la Chambre, il n'y en a pas qui porte plus de préjudice X
notre commerce que celle des Juifs de chrétienté. Cette ville d'Alep
en était délivrée, mais depuis quelques années ils s'y sont introduits
et, s'étant mis sous la protection des consuls de France, jouissent
des mêmes privilèges et avant.iges que les Français... Depuis cinq ou
six moi? ou ui» an seulement, le nombre de ces gens l;l s'est rendu
aussi grand que celui des marchands français et comme il va toujours
en augmentani, en étant venu deux ou trois de Livournc et en
{}) iS dhriHbre ijao. .iÀ, s 4)- Lttire Ju cmnil.
(Il Ponlcharlram à la Chanihrt, )t mars. 11 avril ijoo. BH, S}. — Deppinc,
I. IV, p. 19J. — Sur le commerce Jo .\ugl;iis ù Alcp, voir Jcs dthjils intéressants
Jans U Arvieux, t. VI, p. 54, 266, etc.
(î) l6 avril i6>}3, 31 fnift i6çj. À A, )f>î. — Cf. Délibération de \i Clunibfe
(lu î^ «ovembfT 1711 à la suite d'utic nouvelle Ictirt de consul d'.AIcp, BB, (>
304 LES ANNÉES DE PROSPÊRITÙ
devant venir encore d'autres, il va être incomparativement plus
grand que le nôtre et il excédera sans doute celui des Anglais qui
sont beaucoup plus que nous. Ils vont, à la barbe près qu'ils se
laissent croître, comme les Français et les Anglais, et pour se distin-
guer des Juifs du pays et paraître comme s'ils étaient chrétiens, ils
portent le chapeau et la perruque. Il y en a quatre qui sont logés
dans le même camp que j'habite.... Ils se logent et se nourrissent à
petits frais ; ils sont toujours les premiers à recevoir des marchandises
d'avis et à renchérir le prix de celles qui viennent de Perse et d'autres
provinces, à faire des trocs qui semblent leur être désavantageux et
qui ne le sont pas par les frauderies qu'ils font à leurs marchandises,
de sorte que notre nation et celle des Anglais et des Hollandais
souffrent beaucoup de ces gens h\ dans leur négoce et seraient bien
aises de les faire retirer en ne leur accordant pas de protection....
mais il faudrait être assuré que le consul Hollandais ne les recevra
pas sous la sienne, car pour celui d'Angleterre il ne les recevra
jamais, à cause des défenses rigoureuses qu'il a de MM. de la grande
Compagnie. Il faudrait provoquer une démarche des ambassadeurs
auprès du Grand vizir pour lui représenter que toutes sortes de Juifs,
dès qu'ils sont dans les terres du G. S., seront censés être de ses
raïas ou sujets et soumis h. toutes les charges et par conséquent
obligés de quitter le chapeau et prendre la tourtoure, comme font
tous ceux de leur nation qui sont sujets de sa Hautesse. »
Les mêmes plaintes furent formulées au sujet des Juifs établis
à Alexandrie qui étaient accusés dé se livrer ;\ toutes sortes de
fraudes, et elles ne firent que devenir plus vives pendant la guerre
de succession, mais le projet de leur refuser toute protection n'abou-
tit jamais, foute d'entente avec les Anglais et les Hollandais. Quant
aux Vénitiens, qui occupaient encore une place importante dans le
Levant au début du xvii' siècle, leur commerce avait continué
de décliner; leur consul d'Alep, le plus important de tous, ne
pouvait plus subsisrer à cause de la pauvreté de leurs affaires, il
était remplacé par un vice-consul et d'Arvieux rapporte qu'en 1679
les marchands Vénitiens lui représentèrent que la république voulait
le retirer et mettre sous la protection de France tous ses sujets qui
voudraient continuer le commerce en Syrie '.
(0 D'Akviel-x, t. VI, p. 168-72. V. lettre qu'il écrivit au Sénat de Venise le
10 novembre 1679 pour dire qu'il accepterait le consulat des Vénitiens. — T. VI,
LES PROGRliS DU COMMERCE
305
Ainsi, vers 1700, les Anglais, les Français et les Hollandais
fAiSiiient ;\ peu près tout le commerce du Levant ; les premiers
étaient de beaucoup au premier rang, mais les IVançais se rappro-
chaient d'eux rapidement et les Hollandais passaient dctînitivement
au troisième rang'. Ce n'étaient pas seulement les chiffres du com-
merce des trois puissances rivales qui s'étaient modifiés depuis 166 1,
mais les conditions dans lesquelles elles le faisaient ; tandis que celles-
ci étaient très ditTérentes en 1661, elles tendaient de plus en plus A
devenir uniformes. Les nations autrefois étaient soumises à des
droits différents par les Turcs : les Français, après avoir obtenu, en
1673, de payer les mêmes droits que leurs rivaux, avaient acquis un
traitement privilégié en Egypte, en 1685 ; les Anglais se firent accor-
der les mêmes faveurs en i6^8. Les Français étaient dispersés dès
le début du wii' siècle dans de nombreuses échelles, sur toutes les
côtes de l'empire du G. S. depuis la Barbarie jusqu'A la Morée, tandis
que leurs concurrents n'étaient établis solidement qu'à Smyrne et
que les quelques marchands de leur nation résidant ailleurs restaient
sous la protection du consul de France; en 1700 on voyait partout
dans les grandes échelles un consul et une nation anglaise à côté de
la nation française. Transformé par les cflbrts soutenus du gouver-
nement royal, le commerce français, ouvert autrefois librement
aux efforts de l'initiative individuelle, mais aussi abandonné A ses
écarts, avait reçu une organisation solide, mais un peu gênante,
comme celle des Anglais et des Hollandais; la Chambre du
commerce de Marseille, par l'étroite surveillance qu'elle exerçait,
n'était pas sans analogie avec la Chambre d'Amsterdam. Enfin,
tandis qu'aupar.ivant les Français portaient dans le Levant beaucoup
plus d'argent et les étrangers beaucoup plus d'objets manufacturés,
tous se disputaient maintenant la vente des draps et l'achat des
mêmes marchandises pour les retours.
Cependant de profondes différences subsistaient encore entre les
p. jio, « Le convoi Je Veni-sc arriva i Tripoli compose de trois vaisseaux Je guerre
et sept marchands. Ils n'osèrent venir ù Alcxandrettc .1 cause des engagcmcms du
wiir Né^;ri, leur consul... Ce convoi, extrêmement pauvre, semblait ùtrv venu plutôt
pour charger des marchandises à fret que pour en acheter. »
(t) Un mé'raoire des Arch. de la marine de i6g6 dit que le commerce des Hol-
landais est i peu prés sur le m£me pied que celui des i-'rançais et que les .\ng|jis
faisaient û eux seuls autant de «.ommerce uue les iiollarrdais elles Tranfais ensem-
ble. — Mais il s'appuyait sans doute sur des renscignenicnts datant de quelques
annéci. J3', ^i^j, fol. jSj.
30
306 U.b ANNLLS ni: l'KOSPURlTi:
Franv-iis et L-iirs voisins. Leconiincrcc Jcs Anglais et des Hollandais
continuait d'ctrc concentré dans quelques mains, n'occupait qu'un
petit nombre de navires, et était limité aux grandes échelles comme
Smyrne, Alep, le dire. Celui des Ixinçais était soutenu par la
réunion de nombreux petits capitaux ; non seulement toute la popu-
lation de Marseille, mais celle des autres villes de Provence, et
surtout les marchands de Lyon y étaient intéressés. Les Français
montraient leur pavillon dans tous les ports du Levant et de la Bar-
barie, dans les petite:» îIcn de l'Archipel et sur les côtes de la Morée et
de la Macédoine, comme dans les grandes échelles, et ils employaient
à cause de cela un grand nombre de bâtiments de toute sorte : bar-
ques et tartanes qui fréquentaient les petites échelles ou taisaient le
cabotage dans le Levant, pulacres et gros vaisseaux destinés aux
échelles de premier ordre. Ainsi dispersé et morcelé, le commerce
français était moins solidement établi peut être et donnait moins de
bénéfices que celui des Anglais et dus Hollandais, mais il manifestait
plus d'activité et plus d'efforts et il était plus intimement lié à la
prospérité du royaume, dont il faisait vivre toute une province. Sans
le commerce du Levant, ALirseille et le.s ports de Provence eussent
été entièrement ruinés, l'industrie- de Lyon et du Languedoc fort
compromises, tandis que Londres et .\msterda:n eussent été atteintes
sans doute dans leur richesse, mais n'en seraient pas moins restées
des cités prospères.
CHAPITRE VIII
LA CRISE (17OI-I715)
I. — Les réformes et les projets de Cbamillart
et de Jérôme Pontchar train.
L'essor du commerce du Levant de 1697 i 1701 semble avoir
frappé l'attention de Pontchartrain le fils, qui resta chargé jusqu'à la
fin du règne des affaires du Levant, et de Ciiamillart qui eut la
direction générale du commerce, rattachée définitivement au
contrôle général des finances, quand Pontchartrain le père devint
chancelier en 1699. L'importance de la correspondance des ministres
avec la Chambre entre 1701 et 1706, les nombreux arrêts du conseil
éditsou ordonnances concernant le commerce du Levant, montrent
que les soucis de la guerre de succession ne firent pas négliger par
le gouvernement les soins de l'administration. Des innovations
importantes furent tentées pour fiiciliter le développement du
négoce, car, au début de la guerre, on ne croyait pas être i\ la veille
d'une crise terrible et l'on nourrissait encore l'espoir, déjà trompé
parles deux guerres précédentes, que la lutte serait funeste au com-
merce de nos rivaux et profitable au nôtre. Les conditions parais-
saient particulièrement favorables : l'Espagne était devenue notre
alliée ; il était facile, en s'appuyant sur Gibraltar et Ccuta, de fermer
la Méditerranée aux flottes et aux corsaires ennemis, qui n'y parurent
pas en effet dans les premières années de la guerre ; c'est ce qui fit
de l'attaque et de la prise de Gibraltar par les Anglais la condition
nécessaire du maintien de leur commerce dans la iMéditcrranée et le
Levant. De plus, l'Hspagnc et ses possessions italiennes, dont le
308 LA CRISE
commerce nous était fermé pendant les guerres précédentes, deve-
naient au contraire des marchés exclusivement réservés aux Fran-
çais. Les succès militaires partagés, dans les premières campagnes,
permirent de garder quelque temps ces illusions ; mais la prise de
Gibraltar fut le coup le plus funeste pour le commerce français du
Levant ; la porte fut ouverte aux nombreux corsaires, aux flottes de
guerre et aux convois des Anglo-Hollandais, tandis qu'elle était
fermée à nos navires du Ponant. Puis les désastres s'accumulèrent
sur tous les champs de bataille, toutes les richesses du royaume
furent épuisées et la correspondance administrative, toujours active,
ne trahit plus que l'unique souci de faire foce à l'urgence des néces-
sités présentes et aux besoins de la misère grandissante.
Les principales innovations de Pontchartrain et de Chamillart :
la création du conseil de commerce, le rétablissement de la fran-
chise du port et l'adoucissement du régime des prohibitions, la
visite des échelles, les missions envoyées dans le Levant, ne furent
que des applications des idées de Colbert, parfois même le simple
rétablissement de ce qu'il avait fiiit. Pontchartrain' et Chamillart,
sans grande valeur personnelle, mais lionnètes et consciencieux,
s'honorèrent en s'inspirant d'un pareil modèle.
Le conseil de commerce, créé par arrêt du conseil du 29 juin
1700, sur la proposition de Chamillart, comprit, outre le contrôleur
général et le secrétaire d'Etat Pontchartrain, deux conseillers
d'Etat, Dagucsseau et Amelot, deux maîtres des requêtes, M. d'Her-
nothon et d'Angervilliers, et douze marchands, députés des principales
villes du royaume : Rouen, Bordeaux, Lyon, Marseille, La Rochelle,
Nantes, Saint-Malo, Lille, Bayonne et Dunkerque ; Paris avait deux
représentants. Le conseil devait se réunir au moins une fois par
semaine et discuter « toutes les propositions et mémoires qui y
seraient envoyés, ensemble les affaires et difficultés qui survien-
draient concernant le commerce, tant de terre que de mer, et
concernant les flibriques et manufactures*. »
(i) Sa correspondance avec la Chambre révèle un grand manque d'initiative.
Il s'abrite toujours derrière l'avis du conseil de commerce et accepte avec défé-
rence ceux de la Chambre.
(2) L'institution du conseil de commerce fut complétée par l'arrêt du conseil du
30 août 170 1 qui ordonnait l'établissement A Lyon. Rouen. Bordeaux, Toulouse,
Montpellier, La Rochelle, Nantes, Saint-iMalo, Lille et Bayonne 0 de Clîanibres
particulières de commerce où les marchands négociants des autres villes et
provinces du royaume pourraient adresser leurs mémoires, contenant les proposi-
FORMES ET PROJCTS
309
Le conseil fonctionna en effet régulièrement jusqu'en 171 j et
discun toutes les mesures nppliquées nu commerce ; Pontchnrtrain
invoque toujours son appui quand il fait des propositions ^ la
Chambre de Marseille, et le nom de ses membres, surtout de
Dagucsscau et Amelot, revient sans cesse dans la correspondance de
celle-ci. Le députe^ de Marseille ne fut pas choisi sans dillîculté, la
Chambre ne s'entendait pas avec les négociants ; pour concilier
leurs prétentions réciproques^ Chamillan décida que ceux-ci dési-
gneraient six ou douze d'entre eux et les présenteraient à la Cham-
bre, qui prendrait l'un des plus capables. Sim choix tomba sur
Joseph Fabrc, l'ancien directeur de la Compagnie de la Méditerranée,
qui possédait toute rexpéricnce et l'autorité auprès de la cour,
néccss.iires A ce poste de confiance. Il en resta ciiargé deux ans et,
sans doute à cause de ses infirmités et de son grand âge, qu'il allé-
guait déj.i en 1700 pour refuser cet honneur, il fut remplacé en
1702 par son frère, le banquier M.athieu Fabrc, jusqu'en 1714'. Les
deux Fabre défendirent avec habileté les intérêts de leur ville et
triomphèrent de la coalition des représentants des ports du Ponaut
dans la question de la franchise du port.
Les mémoires remis par les villes .1 leurs députés formèrent les
cahiers de doléances du commerce au début du xvni' siècle et .\ cet
égard ils Seraient curieux à étudier. Cette consultation des princi-
pales villes du royaume, bien que leur nombre fût trop restreint, et
leur participation A la direction des atîiùrcs du commerce, eussent
pu produire un grand mouvement de réformes. Malheureusement
tlons qu'ils aur.iient h faire, sur ce qui leur paraîtrait te plus convenable de faciliter
et augmenter leur coninierce, ou leurs plaintes de ce qui poiiv.iit y être contraire. ..
pour être les dites propositions ou sujets de plaintes discutés et examinés par
celle desdites Chambres pariiculièrcs de commerce .i laquelle lesditN mémoires
avaient ùlù adrcvis et ensuite envoyés par Icsditcs Chambres avec leurs avis
audit conseil de commerce. • Ces Cliambrc>, purement consultatives, dont le
rAlc se honiait a servir d'intermédiaires entre les marchands de leur région et le
conseil du conjmercc, n'avaient aucune ressemblance .wcc la Chambre du com-
merce de Marseille
II) Littifs deChamiilail, )<i août ijoo, 2<) novtmbrt rjtw, i} nmvnilff tjai —
(/* l'ouIctMtti ain , 23 oclohit 1704. — Il approuve U délibération de payer .nu sieur
Habrc },0(X> livres par extraordinaire pour chacune des années de sa dépuiation
pour le dédommager de ses dépenses et en considération des services qu'il a
rendus .i la ville de Marseille. HH, S]. — I.e ^o août 1711 le sieur F'hilip arclii-
vaire en second qui est i Paris est désigné provisoirement pour remplacer Mathieu
Fabre. — Un arrêt du conseil du } janvier i7ili décida uu'a l'avenu' la Chambre
nommerait seule le député. — Les appointements des députés au conseil étaieni
(!•• <■> (HK» livrer.
rflA
É^
3IO LA CRISE
les mémoires remis par chacune d'elles A leurs députés renfermaient
peu d'idées fécondes. La seule idée, non pas nouvelle, mais dont
l'affirmation par tous avait alors une grande importance, était que le
commerce avait besoin de liberté pour prospérer : tous les mémoires
étaient unanimes i demander que les marchands fussent moins en
butte aux vexations des fermiers et des gens de justice. Ainsi les
Marseillais qui réclamaient vivement depuis plusieurs années contre
les atteintes portées à la franchise de leur port, en demandaient le
rétablissement dans les volumineux mémoires remis par la Chambre
à Joseph Fabre. Devant l'unanimité des plaintes, le conseil dut
accorder quelques satis&ctions, et divers arrêts rendus en 1701 et
1702 adoucirent le régime des prohibitions'. Mais, si les villes s'en-
tendaient pour protester contre les entraves dont souffrait le négoce,
chacune envisageait surtout ses intérêts particuliers; leurs mémoires
invoquaient souvent le bien général de l'état, mais c'était la plupart
du temps leur propre avantage qu'elles prenaient pour les intérêts
généraux du royaume. Marseille avait le monopole du commerce du
Levant, les villes du Ponant, qui supportaient mal l'obligation d'aller
y acheter les produits dont elles avaient besoin, demandèrent de
pouvoir aller les chercher elles-mêmes à droiture ; la province du
Languedoc, si intéressée par ses manufiictures au commerce du
Levant, et Toulon, la vieille rivale de Marseille, soutinrent avec
énergie les mômes revendications. Les Marseillais, au contraire, se
plaignaient des fraudes commises dans les ports du Ponant qui flivo-
risaient le commerce des Anglais et des Hollandais en France, en
même temps qu'ils réclamaient le retfouvcllement delà franchise de
leur port; ils insistaient pour qu'on fit respecter plus rigoureusement
l'interdiction de l'entrée des marchandises du Levant dans les ports
du Ponant et pour qu'on exigeât régulièrement le 20 00 dans ceux
de Rouen et de Dunkerquc, en vertu des arrêts de 1685 et de 1692.
Ce conflit des villes du Ponant et de Marseille occupa, jusqu'après
1705, un grand nombre des séances du conseil de commerce et leurs
prétentions rivales furent soutenues dans de volumineux mémoires.
Dans les premiers qu'ils présentèrent au conseil, au début de 1701,
les députés de Rouen, de Dunkerque, de Nantes, de Bordeaux, de
(i) Voir //, 27 et Arch. comiiiuii. Invent. Chroiiol : Arrcts du 2| dcccmbrc
1701, 12 :ivril 1702, 9 octobre 1702, 2\ juillet 1703, iS septembre 170}, 16 octo-
bre 1703, réglant les droits lie sortie de dilTérentes marcliaiidises.
REFORMES l-T PROJETS 3H
Bayonne, protestaient vivement contre les privilèges de Marseille ;
seul le mémoire du député de la Rochelle ne contenait aucune allu-
sion au commerce du Levant. Le plus développé de tous était celui
du sieur Des Cazeaux du Halley, député de Nantes ', et c'était aussi
celui qui attaquait le plus violemment le monopole de Marseille. Il
s'attachait d'abord à montrer que le commerce des Marseillais n'était
pas prospère, comme le prouvaient les banqueroutes de 1699. Il les
accusait ensuite de survendre les marchandises du Levant aux villes
du Ponant qui n'avaient pas le droit d'en acheter aux étrangers,
même en payant le 20 0/0, comme pouvaient le foire ceux de Rouen.
Les Ponantais feraient des voyages plus avantageux dans la Méditer-
ranée si, en portant leurs chargements de morues et leurs autres
marchandises, ils avaient la liberté de les échanger contre des mar-
chandises du Levant et de les rapporter directement chez eux sans
toucher à Marseille, en payant un droit plus modique que le 200/0.
Si cela n'était pas possible, il demandait de pouvoir au moins acheter
ces marchandises aux étrangers en payant le 20 0/0, quand elles
seraient trop chères à Marseille. Il rappelait ensuite que le commerce
des Marseillais en Levant consommait beaucoup d'espèces et il insi-
nuait « qu'il serait peut-être plus à propos de l'interdire que de le
continuer, parce que, le foisant, les Marseillais pourraient s'appliquer
à la navigation et à l'établissement de nos colonies, qui nous
étaient d'une plus grande utilité sans comparaison, » Enfin il termi-
nait en s'attaquant au privilège des Lyonnais qui jouissaient de
l'entrée exclusive des soies du Levant par Marseille et de celles d'Italie
parle Pont de Beauvoisin, au grand avantage de leurs manufactures.
« Ces restrictions, disait-il, ont tellement ruiné les fabriques de
Tours que de 12.000 métiers d'étoffes de soie qu'il y avait autrefois
à Tours, qui consommaient 4^5 millions de soie et produisaient
pour trois fois autant d'étoffes qui causaient un grand négoce avec
(l) Voir ces mémoires. Bibl. Nat. mss fr. iS^çy : Mémoires... dressés et
envoyés par les députés des provinces en l'année 1701 à la Chambre du commerce
à Paris. Regist. grand in-4'\ 105 fol. — Mémoire du sieur Ménager, député de la
ville de Rouen, fol. /-/, — du sieur Piécourt, député de Dunkcrque, fol. /-2J,
— du sieur Des Cazeaux du Halley, fol. 2J-J7, — du député de la Rochelle,
fol. f7-66. — du député de Bordeaux. ('6-js. — du député de Bayonne, 7S-S6,
— des députés du Languedoc, S6-çS , — du député de Lyon, 9/-Jf)/, — du
député de Lille, /0/-J03. — Il semble qu'il y ait eu une entente entre les députés
du Ponant, car une partie du mémoire de Dunl<erque reproduit celui de Nantes. —
Le mémoire de N.mtcs est résumé dans Boislislk, t.' II. Appendice, p. 487-93.
312 LA CRISE
les étrangers, cela est réduit à la dixième partie du tout. Le remède
à ce mal serait de permettre l'entrée des soies par tous les ports du
royaume, ou du moins par celui de Nantes, en faveur des Touran-
geaux. »
Il y avait dans ce mémoire, ;\ côté de justes revendications, des
inexactitudes et des exagérations. Celui du député de Bordeaux,
plus sobre et beaucoup plus modéré, avait une portée plus grande.
Il reconnaissait que le commerce du Levant était utile à l'Etat, parce
que nous y débitions nos denrées et qu'il formait des matelots ;
qu'il était raisonnable d'empêcher les étrangers de le faire à notre
place et qu'il follait pour cela maintenir l'imposition du 20 0/0.
« II est juste pourtant, disait-il, de la restreindre aux marchan-
dises qui appartiennent aux étrangers, ou qui seraient portées dans
leurs vaisseaux, sans que l'entrée en soit limitée aux ports de Dun-
kerque et de Rouen, parce que cette limitation blesse l'intérêt du
commerce général et toutes les villes maritimes doivent jouir du
même avantage, sans qu'il soit aucunement considérable de dire
que le commerce de Marseille en recevrait quelque préjudice, puis-
qu'il est certain qu'à cause de sa situation, la prime des assurances,
les gages des matelots et les victuailles lui reviennent ;\ beaucoup
moins qu'aux étrangers et si on y ajoute les droits de 20 0/0 cela
fait une différence de plus de 25 0/0 qui viennent à l'avantage des
négociants de Marseille... Il est certain et très juste que les ports de
France soient sur le pied de celui de Marseille, qu'on y puisse
recevoir toutes les marchandises du Levant en droiture lorsqu'elles
viennent pour le compte des fermiers et dans les vaisseaux de la
nation, puisqu'étant tous également sujets du roi, ils doivent jouir
des mêmes griices... Plusieurs provinces ont des denrées surabon-
dantes qui sont propres pour le commerce, dont on doit flivoriscr la
sortie, et parce que Marseille est mieux située, ce n'est point une
raison valable pour exclure et interdire les autres villes du ro)'aumc;
au contraire, s'il y avait quelque grâce, ce serait en flweur de celles-
ci afin d'établir une concurrence. Marseille ne saurait avoir aucune
bonne raison pour demander quelque distinction, clic en a moins
encore pour demander une interdiction. »
Il semblait difficile de répondre A une argumentation aussi me-
surée; cependant la Chambre du commerce de Marseille ne resta pas
;\ court de raisons et fit présenter par le sieur Fabre toute une série
REFORMES ET PROJETS
moires ', en réponse à ceux des députés du Ponant et aux rcpli-
|ues qu'ils prti'sentèrcnt L-nsuitc. Il soutint que les villes du Ponant
l'avaient jamais tenté le commerce du Levant, « preuve certaine que
e commerce ne leur était pas convenable ». Avant l'édit de 1669,
Dûtes avaient cependant la liberté de le faire ; Rouen et Dunkerque
'avaient conservée jusqu'en 1685, mais elles n'en avaient profité
ue pour remplir la France de marchandises du Levant tirées d'An-
[letcrre et de Hollande, ce qu'elles trouvaient plus commode que
de tenter une navigation .\ laquelle elles voyaient beaucoup de diffi-
cultés. En ce moment même elles ne songeaient qu'i pouvoir
prendre ce trafic préjudiciable X l'Etat. Les Fonantais parlaient de
"porter leurs morues, leurs sucres et leur tabac en Espagne et en
wlie et de se procurer ainsi des pi.istres pour aller charger dans le
,cvant, mais ils ne venaient qu'une fois par an apporter le produit
e leurs pèches et n'en retiraient que des sommes insuffisantes pour
ire de si lointains voyages; quant au tabac et aux sucres, Lisbonne
fournissait A l'Espagne et à l'Italie plus qu'il ne leur en fallait. Si
s Fonantais allaient dans le Levant, que feraient-ils des marchan-
iscs qu'ils y chargeraient? « Il y a entre autres, disait Fabre> quatre
ualités qui font les 3/4 de la charge des vaisseaux, qui sont laines
grosses, cuirs en poil, cendres en grande quantité et lins*, toutes
iiarchandiscs propres pour les manufactures établies en Provence,
anguedocet Dauphiné,quc les provinces du Ponant n'ont pas. » Si
n accordait aux villes du Ponant la permission qu'elles demandaient,
faudrait la donner aussi à la ville de Cette qui la réclamait ; que
aeviendrait le négoce avec cette atfluence de navires quand, par le
règlement du tour de 1700, le ministre venait de réduire de moitié
le nombre des bâtiments Marseillais qui le pratiquaient.
Le député de Marseille s'attachait ensuite h. démontrer que les
ilculs des Ponantais étaient faux quand ils prétendaient que les
(1) V. Bihl. Xat. Mis.fr. lô.çoij : Réponse de M. te dcputé de M.uscillc aux
lùmoircs de MM. les députés des villes du PoiiJiu, 16 juin 1701,/ti/. 26-} j. —
;cp.irtie du sieur Fabre, député de Marseille, à la réplique de MM. du Ponant sur le
>iiimeri:edu Levant, /o/. }6-^). — Précis des raison* du sieur F.ibre... fol. .)6-4S. —
lémoire Je quelques articles essentiels que le sieur Fahre présente... fol. Si-!2. —
ioiifb qui ont décidé le roi en 1669 de préférer sa ville de Marseille... fol. 6i-f-2.
- Réponse du député de Marseille iï l'avis des députés des autres villes, fol. 6}-
}. — Mémoire du député de Marseille sur le tarif du 2Q0/0, fol. 66-6ç.
(2) Cette atfirmaiion é-tait manifestement inexacte, les soies et les cotons
iccupaicnt dans les chargements une place autrement importante que les lins et
Cs cendres.
Marseillais leur vcnd-iicnc les ninrcli.indiscs du Levant plus clicr que
les Anglais, il les mettait .ni dclî de piouvcr ce qu'ils avançaient, cl
il apportait, pour faire voir les véritables prix de vente A Marseille.
des ccrtificus des courtiers royaux de cette ville. Enfin le dcpulê
Fabre tenait en réserve un dernier argument qui produisit beaucoup
d'effet : l'article 9 du traité de Riswick reconnaissait le droit aux
Hollandais d'introduire les marchandises du Levant en France,
avec les mêmes avantages que les sujets du roi, par conséquent
les Hollandais feraient tout le commerce par les ports du Ponant
si on leur accordait ce qu'ils demandaient. « C'est pourquoi ,
dis.vit Fahre ;\ la fin d'un de ses mémoires, ce députi!: espère de
la bonté du roi, de Nosseigneurs les Ministres, et du Conseil, que,
bien loin d'accorder cette permission, qui serait inl^iilliblenient
ouvrir la porte pour mettre le loup dans la bergerie, on prendra
plutôt soin de la mieux fermer, si elle ne l'est pas assez, et de faire
tenir la main pour éviter l'abonnement du 20 00 et pour empé^-
cher les contrebandes. »
Les raisons des Marseillais furent fortement appuyées par le
député de Lyon', car la prospérité des soieries de cette ville étaît
attachée au maintien du monopole de Marseille. La suppression du
200/0, disait-il, mettrait les négociants du Languedoc, du Dau-
phiné cl de Lyon « dans la nécessité de se servir de la commission
de MM. des ports du Ponant pour se fournir des marchandises du
Levant, parce qu'elles leur reviendraient à meilleur marché, ;\ cause
de la modicité des droits du tarif de 1664, car les négociants de ces
provinces paient pour les marchandises qu'ils tirent de Marseille,
six impositions différentes, savoir : b table de mer, les 3 o/o
d'Arles, les droits d'épiceries et de drogueries qui se paient encore à
Arles, le droit domanial ou denier de Saint-André les Avignon, la
douane de Valence, la douane de Lyon et une infinité de péagw
sur le Rhône. » Ces différents mémoires furent examinés dans
plusieurs séances importantes du conseil en présence de Chamillart
et de Pontchartrain*. Le conseil fut surtout frappé par « l'art. 9 du
traité de commerce £ùl à Riswick avec les Hollandais, qui était un
(1) V. liibl. XaL viss. fi. fol. 22-3) : Mémoire du dcputt! de Lyon en r^poiuc
du mémoire luit p.ir MM. les dtiputés des ville!, du Ponant. — Fol, J4-}} "
Autre mémoire.
(2) i7 juin, S jiiilUl. 9 srf>trmhrt, i$ sepUmbre 170/. — Voir, Arclj. Nat, P*.
}f : Registre du Conseil de commerce, I70i-i7<>6.
RÉFORMÉS PT PROJETS
Itî
obstacle insurinont.iblc » â la demande des villes du Ponnnt. Puis,
Pniitch:irtr;iin fît observer « qu'il étiiit à craindre que le trop qrnnd
concoure des marchands n'anicnit l'avilissement des marcbandises
f<]ii royaume portées dans le Levant et le renchérissement de celles
<]u'on en rapportait ; qu'il y avait même présentemenr A Marseille
une si grande quantité de marchandises de Levant qu'on ne savait
<)u'en faire ei qu'on avait été obligé de surseoir de trois mois le départ
<les vaisseaux qui étaient en tour d'aller en Levant. » Sur quoi
Chamillart renchérit et dit « qu'il craignait que le commerce de
Levant ne fût déjà que trop{,'rand et à charge au royaume par deux
endroits, l'un par l'argent qu'il y faut envoyer, l'autre par la qualité
Jes marchandises qui en viennent, comme toiles peintes et autres
i<iui se vendent dans le royaume en fraude, et qui ruinent nos manu-
factures. » C'étaient deux pauvres arguments, cependant la majo-
rité du conseil partageait encore les préjugés du ministre, car on
tiécidn qu'avant de passer outre on s'assurerait d'abord si le commerce
du Levant était ou non utile et s'il fallait l'encourager; Poiitchar-
B train fut chargé de demander A I.ebret un état exact « de tous les
envois qui s'étaient faits depuis un certain temps en Levant, tant en
argent qu'en marchandises, et de tous les retours qui en étaient
H venus*. » Comme il était favorable aux Marseillais, Il s'empressa
d'avertir la Chambre de la disposition d'esprit du conseil. « Je
dois vous exhorter, lui écrjvait-il, .\ examiner les objections qui ont
été faites sur l'abus qu'on prétend être dans votre commerce et
causer un préjudice au royaume, qui est la sortie des espèces que
TOUS estimez être obligés d'y employer, pour apporter tous les soins
dont vous êtes capables pour y remédier en augmentant l'envoyée
Jes manufactures et denrées du royaume et empêcher l'abord des
tn.irchandises de contrebande, qui sont celles qui causent la consom-
mation de l'argent, non seulement sans utilité, mais même avec
dommage- pour le royaume*. »
L'affaire traîna ensuite en longueur .\ cause d'une maladie pro-
longée de M. Amclotqui devait en être le rapporteur au conseil. La
Chambre de Marseille en fut fort chagrinée*, car Amelot lui était
favorable, m.aisles Ponantaiset les fermiers généraux en profilèrent
I
(l| S^aner du jeudi if upltml-re ijoi. Arch. Mt/. F", fi, fol. 70-J4.
U) 75» oclohre ijor. BJl, Sj.
(5) Voir une série de lettres de la Ch.imbrc à Fabrc où clic se pKiint de la
njré ^^^^^~ LA CRISE
pi /ucr auprès du conseil où M. Rouillé du Caaàsm.
y. lit, qui vetuit d'y entrer, les appu\'2 et &t «aioir et
veau contre les Marseilbis l'argument de i'exponatioB
Ïji Chambre y répondit en donnant un état des chaf
iàiuient en ce moment m<ime à Marseille. « \ous avons esûièâ;
po*, écrit-elle ù Fabrc, que, pour donner une juste idée i M*'
du commerce que nous faisons en Levant, très éloîgoé de ce
pouvait lui avoir écrit, il fallait l'informer des mirdua&Et
embarquait sur les bâtiments qui doivent partir pour le Levas
l'escorte du premier vaisseau que nous avons bit armer, par
pourra reconnaître que nous ne faisons pas ce commerce
comme il l'a soutenu; ainsi, sur le vaisseau du capiutnc GtûnL__^«, i t
a déj;\ .joo.ooo livres de marclundiscs cl on doit encore y
120. ooo livres de draps'. «
Pendant ce temps, les députés du Languedoc sollicitaient
pour que le commerce du Levant pût se (aire par le pon de
Afm d'inrïuenccr le Conseil, les états du Languedoc prêtetids^^bitn
supprimer l;i pistolc que la province donnait aux entrepreoctiiid! — 'i ia
inanut.ictiircs, pour chaque pic-ce de drap de 30 aunes qu'ils ^^Ktthri-
quaient pour le Levant, car si la province ne pouvait pas parti— riper
;'ice commerce, pourquoi continuerait-elle de s'imposer des sacrS^ftccs
pour l'encouraf^cr ? De leur côté, les Toulonnais emplo>~aien^^l un
moyen détourné pour faire venir les marchandises du Levant
liiir ]«)rt, ils demandaient de nouveau que les navires vcnan
I.evatU pussent faire librement quarantaine dans leur port, ce
DU VI hait la porte aux contrebandes, tandis que leurs savonniers
citaient l'autorisation de faire venir directement des cendre^^^ Ju
Levant\ Toutes ces revendications, contraires au monopole de 3I.Tr-
seille, étaient justes, mais il eût fallu, pour les satisfaire, bouleverser
complètement l'organisation du commerce du Levant et renoncer i
maladie Je M. Amclot qui suspend les assemblées .lu sujet du riitablisscmcnt *icU
Ir.uicliiie [4 iwi)t ijvj, S noiit, ij aoiU, 4 septembre. BB, 29). — Pontchartraia K»-
tenait vivement les Marseillais.
(1) 3 Jh-r. lyo} Itli, jy. — Les Pnnanuis resta-ii-nirent alors leurs prCii
Cl se l>ot'ni:reni à réclamer h diminution do moitié ilu droit de 20 o.'oei le - -
lion de ce droit pour les cotons, les cires, les huiles et le riz. La Clumbre s'y oppou
non njoins énergit.]uemcnt. V. Lettres du j; et )kiaoi'ic 1702. UB, 29.
(î) Jin/lol il /j-/-/.'/, ) juin tjot. Arcb. .Vu/., F'*, 114 ; Recueil des li:itr«
lïcrittfs par M. .\nielot, conseiller d'Etat, sur les .ilîaires concenum le coronitn:'
el let manurjcturcs.
\\) b dkoHbrt tyoi. BB, iç, — ao ii€tmbrt ijoa, ^iJ,
élis
r ifs
qui
m-
RàKORMES ET PROJETS
317
les principes qui l'avaient inspirée; il eût f.illu changer le sys-
tème des fermes qui favorisait la contrebande des étrangers, et modi-
fier nos relations coninieicialcs avec l'Angleterre, comme le taisait
Remarquer le député Fabre dans un de ses mémoires : v 11 est si appa-
HtQt et si vrai, disnit-ii, que Marseille est toujours remplie de toutes
Sortes de marchandises assortissantes, et plus même que la Hollande
■et l'Angleterre, que Marseille fournit souvent la première de mar-
chandises qu'elle n'a pas et en ferait autant A l'autre s'il était permis
BéIV en porter, mais ils y ont mis bon ordre par une défense rigou-
Rcuse, et les marelKindises qu'on y porterait seraient brûlées et peut-
Becre aussi les vaisseaux, tant ils sont attentifs à conserver ce commerce
pour eux-mêmess, et encore par une haine naturelle qu'ils ont
contre les Français. Kt par quel endroit de justice la France permet-
trait-elle que les Français allassent prendre des marchandises du
Levant chez euxV »
S Outre les arguments que Fabre sut faire valoir et le nom de Colbert
qu'il invoqua habilement pour faire renouveler les privilèges de Mar-
seille, la Chambre ne négligea pas les sollicitations et sut employer
ITargeat i propos. Les Ponantais ayant présenté un grand mémoire,
pîi ils critiquaient la conduite de la Chambre dans la direction du
cjmmerce et proposaient l'établissement d'une Compagnie, la Cham-
bre intrigua pour empêcher qu'il ne fût produit dans le conseil, et,
^^ur en détruire l'effet, elle écrivit des lettres pressantes à chacun de
"ies membres*. Jamais elle ne dépensa autant en présents distribués
de divers côtés. « Nous voyons de plus en plus, écrit-elle A Fabre,...
Hes indispositions que M«' Rouillé du Coudray a contre nous, mais,
pour ne pas laisser inutiles les offres qu'il a plu à M. le bailli de
Noailles de vous faire, nous trouvons à propos que vous donniez
jusqu'à 100 louis d'or \ la personne qu'il vous a dit pour vous rendre
JM. Rouillé favorable, mais avec cette condition expresse que
(Il BiM. Nal. mss.fr. ift/oti), fol. 21).
(i\ 2î SfpUwbie If 02, à M. delà Vigne, preinitr cotiiiiiis. — li Mp iPOnutou et
ljf<- XftirUtigyi, titûitrei dfS reijiiitfs, — à M»'^ l\mklhirlrain et Chamillart. — A
fcW*''» Diigiiciseau, AiikIoI, Diinitenonville, Kouitlé du Coiuhiiv, coiiieilUrsdii roi. lili, 2^.
Fabre trouva l.i lettre a Ch.iraill.irt m.iljJmitc et l.i renvoyai \a Chambre pour
I corriger. « Vous trouverez ci-joint, lui répond-cllc, les deux lettres que vous .avez
Rupt' 3 propos de «rorriger : les foujnges de M. Colbert dans celles de Me' de Cha-
tiullart nous p.ir.ii5saicnt bien placées, mais puisque vous .ivez jugé .i propos de les
supprimer, nous l'avons l'ait... nous y avons placé les mots de Votre Grandeur
en bien d'endroits. » — Au R. P. Fleuriau, jésuite (frère de d'Armenon ville),
Klobre fjo2. BB, 29.
318
IS CRISE
vuus serez bien certain qu'il aura favorablement opine pour nous,
tant au sujet de notre commerce des piastres de Levant que pour le
rétablissement de notre franchise'. » Par une autre lettre-, elle Tauto-
risait ;\ promettre à d'autres personnes jusqu'A 2.000 pistoies'. Ei"»"
outre, elle multipliait les cadeaux aux membres du conseil. Enfin
pour la première fois, la Cl-ambre servit annuellement des peniion. -^
h ceux qui pouvaient lui être utiles ; M. de Salaberr>', premier con."~^^-
mis dePontchartrain, reçut 1000 livres jusqu'à la fin du règne, M. ■ "^ c
la Vigne, secrétaire d'Amelot, eut aussi sa pension.
Tant d'etlbrts et d'intrigues furent couronnés de succès ci "ïi
10 juillet 1703 fut enhn publié l'arrêt du Conseil', si longtcm ^^^
attendu par la Chambre, portant rétablissement de b franchise de I
ville, port et territoire de Marseille. Le préambule, fort développ
rappelait les privilèges accordés par l'édit de mars 1669 à Marseille^
tous les arrêts qui les avaient confirmés et étendus, il énutnér -.— _«it
ensuite tous les arrêts subséquents qui avaient altéré la franchise^ et
concluait ainsi : « Quoique tous ces règlements semblent n'av'^dzair
été faits que pour favorùser le commerce des sujets de S. M. et 'M vi
duimer quelque avantage sur le commerce des étrangers, ils n'crr» ijt
pas laissé cependant de produire un effet tout contraire. Depuis X«s
difficultés auxquelles l'cxccution de ces règlements a donné I » ^u
d.ms Marseille, les étrangers qui y avaient pris des habitudes v*^ »t
taire commerce A Gènes et \ Livourne qui sont devenues pac~ *^e
moyen les places les plus fréquentées et les plus considérables p«_>«Jr
le commerce de Levant et d'Italie. ■ L'édit conmiençait par décLx r^r
que « les habitants de la ville de Marseille et les marchands et tié^<->-
ciants, tint sujets de S. M. qu'étrangers et autres personnes de to»-!-
tes nations et qualités, jouiraient dans toute l'étendue de lavill<-,
port et territoire de Marseille, des exemptions, privilèges et ÙTAti-
chises accordés en lavtur du commerce et portés par l'édit du ii"»oi$
de mars 1669 » ; mais il renfermait ensuite plusieurs restriction -S.
Les prohibitions subsistaient en partie : « les draps, étoffes et b^»
de laine de manufactures étrangères, les étoffes des Indes de toutes
11) 1; jam\ tjof. BB, 29.
(j) tS oclohie fjoi. — « Si la personne i laquelle vous nous proposez de donr»«.'r
^000 livres m: l'.iis.iil fort Je nous faire accorder le rctablisscmciit de tiotrv Ux n-
chisc en cniiirr ctwirs resiriciioii, vous pouvoi les lui promettre pour être fuy«î'**
lorsque vous auiici en m.iin l'arrêt en çonlomiitc. » b nvril ijof. UB, ay.
(î) Sut le rapport de Chaniillart,
RIilORMES ET PROJUTS 319
sortes, mùmc cclles-d'cLorccs d'arbres, les toiles peintes des Indes,
les morues sèches de la pêche des étniiigers et les cuirs tannés venant
de Levant et d'aillems ne pourraient entrer dans ladite ville et port
de Marseille, ni en être lait commerce par les marchands et négo-
ciants de ladite ville ii peine de confiscation des marchandises et de
3.000 livres d'amende. » Le roi permettait, il est vrai, « l'entrée, le
commerce et l'usage dans ladite ville, port et territoire de Marseille,
des toiles blanches, peintes, teintes ou à carreaux venant :\ droiture
de Levant. » Les bureaux des fermes étaient reportés comme en
1669 aux limites du territoire, mais « à l'exception néanmoins du
bureau des chairs et poissons salés dépendant de la ferme des gabelles,
du bureau des poids et casses, de celui de la ferme du domaine
d'Occident et de celui de la ferme du tabac. » Les entrepôts établis
pour les cassonades du Brésil et pour le café n'étaient supprimés
que pour trois ans; il est vrai que la liberté du commerce de ces deux
denrées fut renouvelée régulièrement tous les trois uns', jusqu en
171J.
L» fr;inchisc établie en 1703 n'était donc pas aussi complète que
celle de 1669, mais elle était cependant un bienfait considérable et
les Marseillais obtenaient la liberté pour les trois marchandises qui
avaient fait surtout l'objet de leurs sollicitations ; les toiles de coton
du Levant, les sucres et le café. En même temps que l'édit de 1703
rétablissait la franchise du port, il maintenait le 20 0/0 et le mono-
pole de Marseille et déboutait les villes du Ponant de leurs deman-
des. La seule satisfaction donnée aux villes du Ponant, c'est que
toutes étaient soumises au même traitement que Kouen et Dunker-
que auparavant tivorisées; elles pourraient, commes elle l'enten-
draient, tirer des marchandises du Levant des étrangers ou venir les
chercher A Livourne, en y apportant le produit de leurs {wches et
leurs autres marchandises, moyennant le paiement du 20 0,0. Li
Chambre de Marseille obtenait de son côté des garanties contre les
contrebandes : elle commettrait des receveurs pour la perception du
droit à Marseille et au bureau du pont de Beauvoisin, sur les mar-
chandises entreposées en Italie qui y arrivaient et des contrôleurs
dans les autres ports du royaume, pour tenir registre des marchan-
dises du Levant apportées directement sans avoir été prises à Mar-
seille.
(i) im, fi - .i'u't dit Civiifil du ii> dicanlirf tft}. — Il renouvelle ccu» du
} ;ioù< 1706 et 19 octobre \~i<y).
320 LA CRISE
L'arrêt du Conseil du lo juillet 1703 ne fit pas cesser la lutte
entre Marseille et les villes du Ponant, ni les revendications des ports
de Cette et de Toulon. Pour que le 20 0/0 fût efficace, la Chambre
prétendait qu'il était nécessaire qu'elle pût à son gré fixer le tarif
d'après lequel il était levé, car les étrangers pourraient profiter des
hausses de prix sur les marchandises pour les faire entrer en France
sans souffrir du 20 0/0, qui devenait alors insuffisant; mais, bien
qu'elle soutînt avoir toujours joui de ce droit, Chamillart ne lui
reconnut, avec raison, que celui d'envoyer des projets de tarifs au
Conseil chargé de les dresser, car, lui permettre de les établir défini-
tivement, c'eût été mettre entièrement à sa merci le commerce des
villes du Ponant'. A peine l'édit de 1703 était-il rendu qu'un
député de Toulon sollicitait vivement la permission de faire le
commerce du Levant A droiture, d'être déchargé du paiement du
20 0/0 et de pouvoir donner les quarantaines ; les marchands du
Languedoc demandaient les mêmes privilèges pour Cette. En 1705,
les états du Languedoc demandèrent dans leurs cahiers que le cot-
timo fut supprimé « et que la Chambre rendit compte de l'adminis-
tration qu'elle en avait fait depuis son établissement et de l'emploi
des deniers qui en étaient provenus. » Chamillart, qui semble avoir
eu peu de bienveillance pour la Chambre, lui demanda en effet des
explications à ce sujet. Sans se décourager de leurs précédents échecs,
les marchands du Languedoc fiiisaient encore présenter en 17 13 A
Desmarets par le syndic général de la province un placet où ils solli-
citaient l'affranchissement du port de Cette et le droit de faire direc-
tement le commerce du Levant*. Les Toulonnais ne se rebutaient
pas non plus et finissaient par obtenir en 1709 le droit de donner la
quarantaine aux navires*. En 171 r, les marchands de Normandie et
de Picardie demandèrent la permission de pouvoir faire venir des
cotons en laine et filés des pays étrangers, sous prétexte que la quan-
tité qui en venait du Levant par Marseille ne suffisait pas A la con-
sommation ; les députés de Lyon et de Marseille s'y opposèrent
(i) Cette affaire Ju tarif du 20 0/0 occupa la Chambre et le Conseil du com-
merce toute l'année 1704. Voir, Lettn-s de lyo} et 171)4. BU, 25? et BB, S}. — V.
BB, ; : Arrêt du Conseil du 16 janv. ijof}, fixant le tarif du 20 0/0 : « Le roi, ouï
le rapport du sieur Chamillart... vu les tarifs dressés par la Chambre en 1683,
84, 85, 86, 89, 91, 98, 1700 et 1702 »
(2) Lettre à Fabre, ly août i/O], BB, 2p. — lettre de Chamillart, 16 septembre
I/O}. BB, 8j. — Délibération du 29 août 1713. BB, 6.
(3) Ordonnance royale du }i juillet lyoi), Arch. Commun. Invent, de Courmes.
RÉFORMES ET l»ROJETS
32t
^vcment; Pontchartrain qui les soutint et demanda des renseigne-
ments à la Chambre pour mieux les appuyer, lui fort étonné' d'ap-
prendre que, loin de manquer de coton à Marseille, les négociants
avaient en magasin plus de looo balles de coton filé et 500 de coton
ti laine '.
La Chambre, de son côté, veillait jalousement au maintien du
onopole de Marseille : la Compagnie des Indes et des particuliers
apportaient par la route de l'Océan des cafés de Moka, la Chambre
soutint qu'ils devaient être soumis au droit de 200/0. «S. M.,
répondit le ministre, n'a pas cru devoir assujettir la Compagnie ni
■es cessionnaires au droit de 20 0/0 sur ce qu'elle a reconnu son
privilège antérieur de cinq ans h ceux de Marseille par lesquels il
S'y est point dérogé, et qu'elle en a joui pendant plus de 40 ans
u'ellca fait venir des Indes de ces denrées pour son compte.... On
a justifié d'ailleurs que les cafés d'Egypte seront toujours incontes-
tablement supérieurs en qualité :\ ceux de la Compagnie des Indes et
pourront se donner en France à meilleur marché, à cause des frais
immenses qui sont inévitables dans la longueur des voyages par le
Ponant. Le débit des cafés du Levant est donc assuré'. » Les Mar-
seillais furent plus heureux dans leurs revendications contre la
Compagnie des Indes au sujet du commerce des soies. L'arrêt du
Eonseil du 13 mars 1714, rendu .\ la requête de la Chambre et du
Tj-ndic général du Languedoc, portait défense à !a Compagnie des
Indes orientales, à celle de la Chine et ;\ tous autres d'introduire
■ans le royaume par mer ni par terre aucunes soies, ni marchandises
de soierie venant des dits pays, même sous prétexte d'entrepôt. « La
Jijmpagnie, disait le préambule, a si bien reconnu qu'elle n'a pas ce
■roit, que de 1664 à 1685 elle n'a pas apporté de soies. Depuis 1685
elle n'en a apporté que de 6 à 7.000 livres par an. Mais le vaisseau
pie Grand-Dauphin, revenu de Chine ;\ Saint-Malo en octobre, en ayant
Bpporté plus de 30.000 livres pesant, il serait à craindre, si on le
■olératt, qu'il n'en vint encore davantage. Or, les règlements sur
n'entrée des soies ont eu deux raisons : premièrement assurer la
perception des droits dus à S. M. qu'il est impossible de frauder....
leuxièmcment, protéger les manuflactures de Lyon. Elles sont par-
icnuesàun si grand point de perfection et le commerce en est si
(r) BB, Sj. 21 août, 3 septembre, 2j upUmbrc tjii,
il) iQ juin fji}, 6 avril 1J12. BB, 8j.
31
322 LA CRISU
bien établi, tant dedans que dehors du royaume, qu'elles méritent
une faveur pirticulière. Elles ne pourraient néanmoins se maintenir
si les soies des Indes et de la Chine étaient admises par les ports de
l'Océan et n'y payaient que i6 livres par quintal, pendant que les
droits qui se lèvent à Lyon sur celles qui viennent d'Italie, d'Espa-
gne et du Levant se montent à 93 Uvres 19 sols'. »
Le monopole de Marseille fut donc maintenu intact non seule-
ment jusqu'en 171 5, mais jusqu'à la fin du xvin' siècle, néanmoins
la vivacité des attaques dont il avait été l'objet depuis 1701 et le
crédit qu'elles avaient obtenu auprès de certains membres du Conseil
semblent montrer qu'il commençait à se produire un revirement
dans les esprits au sujet du système commercial du Levant. Il fallut
cependant attendre les ouvrages des économistes pour voir formuler
de nouveaux principes et Forbonnais les énonçait clairement dans
ses Questions sur le Commerce du Levant, en 1755 : n Tant que le
monopole de Marseille existera, disait-il, la France n'aura pas entre-
pris tout le commerce qu'elle peut faire au Levant Il ne faut
pas croire que Marseille compose ses cargaisons de tous les articles
que le Ponent essaierait d'introduire au Levant. Chaque port a pour
ainsi dire sa destinée privilégiée à laquelle on ne penserait point
dans un autre port Si les vaisseaux du Ponent fréquentaient les
échelles du Levant, ils rapporteraient à meilleur marché dans leurs
ports, les matières premières propres à nos manufictures Mar-
seille sera toujours le siège principal du commerce du Levant par sa
situation qui lui ouvre un débouché assuré dans nos provinces
méridionales, en Suisse, en divers cantons de l'Allemagne, Italie,
Espagne, Portugal. Plus la concurrence des autres ports avec elle
sera grande, plus elle s'appliquera à conserver les branches de
réexportation que la nature semble lui avoir consignées*. »
En même temps que la grave question du renouvellement de la
franchise du port était en discussion, l'attention de la Chambre et du
gouvernement fut attirée par les désordres qui renaissaient sans cesse
(i) BB, 6. fol. 116. « Le concours des soies d'Orient qui peuvent être données
à très vil prix parce i]u'cllcs se recueillent sans aucinic dépense au lieux d'origine,
causerait la destruction des mûriers plantés dans les provinces de Dauphiné, l'ro-
vence, Lan}>uedoc et principalement dans cette dernière province qui a fait des
frais très considérables pour le succès de cette plantation. »
(2) FoKiuiNNMS. ihivr. cile, p. 112. — Cf. 1-'-', à./). Anh. Nut. ■ Mémoire du
xviii= siècle (sans date), rédigé par un Marseillais.
RÉFORMES ET l'ItOJETS
323
; les échelles. Celle du Caire surtout fut profondément troublée par
les graves querelles entre le consul M. de Maillot et les marchands'.
Cinq marchands du Ciire furent rappelés en l'rancc pour justifier
leur conduite, et un commissaire du roi, M. de Gastines, fut envoyé
pour faire une enquête sur place, avec mission de visiter en même
temps toutes les échelles. Il partit en 1706 sur le vaisseau du roi La
/•l^r/H»«, après avoir conféré avec la Chambre et rei^u d'elle le recueil
de toutes les ordonnances concernant le commerce du Levant. La
Chambre devait lui payer 1000 livres d'appointements par mois.
Cette seconde visite des échelles eut moins d'importance que celle
de Dortiéres; Gastines, après avoir rétabli l'ordre dans l'échelle du
Caire en donnant raison au consul contre les marchands*, termina
aussi par des règlements les dilllcultés qui s'étaient élevées dans les
autres échelles, particulièrement au sujet des appointements des
consuls et de la nomination des députés^. La Chambre avait protesté
en t686 contre certains règlements de Dortiéres, parce qu'ils étaient
trop favorables aux consuls, elle fît le même reproche à quelques
unes des décisions de M. de Gastines, et elle demandait au nouvel
ambass^ideur, en 17 10, d'en suspendre l'exécution*. Elle ne pouvait
pas, en effet, considérer d'un bon ail ces missions extraordinaires
qui ne pouvaient que diminuer son autorité et semblaient constater
l'insuffisance de la surveillance qu'elle exerçait sur les échelles.
L La sollicitude du gouvernement de Louis XIV pour le commerce
"du Levant se manifesta encore d'une manière remarquable, au début
Je la guerre de succession, parles missions envoyées en Orient pour
ouvrir de nouvelles voies à nos niarchands. En 1697, le consul du
P
(i) V, pour toute celte nfT^irc la corrcsp. de 1 cchclledu Caire, .-(.■!, jnf et jio
(1704-17O)). Il y eut à ce sujet des dissentiments entre U ChAïubre qui soutenait
le.% marchands (V. UB, 2<)) et Pontcliartraiii lavorablc au consul (V. diverses lettres
de 1704-1705. BB, S}). Q.ue!qucs-unes se trouvent dans Dupping, 1. 1, p. 891-899.
(2) Voir Lellrti des lUpulà du Caire, AA, ;/(j. /; mai, i~ Jéctinhie f/o6 :
^lt M. de Gastines n'a point eu épard ;i nos raisons, ayant tout accordé à M. le
Consul... Cependant... on nous lait pressentir que vous pourrez, tout terminer avec
ledit sieur quand il passera par Marseille. — ullie du coinul, A A, J04. m aoi'il
IJ06. — Cependant de Maillet fut révoqué à la lin de 1708. (V. BB, A';. Ltttre
ii Pou le hai Irai II, )o janv. ijotj.
(3) Voir pour ces réglenienls : Lettre du consul du Caire du 10 fk'riir /707,
AA, jo; : « M. l'intendant de Gastines doit tître arrivé en Provence étant parti
dcChipres avec le convoi, depuis le 10 décembre dernier. 11 est resté ici pendant
vingt-huit jours, etc. >i — 11 est souvent question, plus lard, dans la correspondance
ÛQs règlements de M. de Gastines.
(4) Pontcharlrain s'en plaint, i) janvier lyiu. BB. Sj,
324 l'A CRiSb
Caire, M. Je Maillet, que h Clianibre elle-nicine, malgré ses dcmèlès
avec lui, reconnaissait comme un liomnie habile, adressa i Poniclur-
train un mémoire « sur les vues que l'on avait Je pénétrer en Ethio-
pie par les routes du Nii ou de la mer Rouge, par rapport à Tintro-
ductiun du commerce des Indes orientales. » Il y mêlait les deux
questions du commerce de l'InJc et de celui de l'Ethiopie par la mer
Rouge. Au sujet du premier, il ne laisait guère que reprendre les idées
de Colbert et de Seignelay et il reproduisait les plans que Jacqui
Savary avait exposés en 1679, dans son Parfait négociant, pour b
jonction de la mer Rouge au >jil ou i\ la mer Méditerranée par un
canal'. Il pressait le ministre d'en tenter la réalisation, car il v
avait à craindre que les Anglais ne prissent les devants ; c'était, en
effet, le moment oii ils établissaient un consulat en Egypte (1698).
De Maillet apprenait qu'un agent anglais passait dans b mer Rouge
« pour reconnaître les liaisons qu'on pourrait établir entre les lieu
où ils étaient établis aux Indes et l'Egypte où ils comptaient de
l'être au premier jour, » et il s'empressait d'écrire .\ la Chambn
qu'il paraissiiit chargé surtout de prendre à Moka « les intormatio
nécessaires pour y fliire un établissement à la faveur duquel les
Anglais pourraient venir, tous les ans, charger les cafés qu'ils
croiraient pouvoir se consommer dans l'Europe; » il avait décidé un
marchand du Caire A faire à sa suite le voyage de Moka pour épier
ses démarches et il demandait à la Chambre si elle approuverai: de
grosses donatives pour laire éclioucr le dessein des Anglais*.
Ces projets n'eurent aucune suite, mais il n'en fut pas de tnème
de ceux qu'il exposait au sujet de l'Ethiopie. Il informait la cour que
i
(I) Voir ccj iiiiimoircs de Maillet d.ms N'OKi., t. II, p. 221-25. M''S ^'- Nocl
rcï»arde A tort les idées exposées par de Maillet comme étant origin.iles. Oairou^vj
cependant dans ces mémoires des vues nouvelles et ingénieuses sur les moyens de ]
faire réussir cette affaire et de triompher de lliostilité des Turcs. Il fallait, selon
lui, user de patience et s'introduire peu à peu et sans bruit dans la mer Ruuge.
Son avis était « d'entretenir une tart.ine d'avis pour taire passer à Surate ou ail-
leurs dés nouvelles » en donnant pour prétexte de cette organisation l'importance
du conmierce de la France avec les Indes et le désir des marchands d'avoir plus
prompicment des nouvelles de leurs vaisseaux qui devaient passer le G\p. « On
éviterait ainsi, avec un si f;iiblc commencement, les inconvénients de la jalousie
des marchands d'ici, et, entîn, ce serait beaucoup d'introduire la coutume de voir
de nos b.Uimcnts sur la mer Kouge; cette coutume est toute puissante parmi co ^
gciii li... il n'y J qu'à trouver les vt)ies d'en faire naître de nouvelles... » La Ur-
tane commencerait par faire un commerce restreint, puis 0 deviendrait barbue en
peu de temps, et la barque donnerait lieu à une seconde. »
(a) LeUieà la Chunbrc, w mai i6^S. AA, JV4.
RÉFORMES ET PROJETS
32)
chaque année deux caravanes considérables partaient du Ctire pour
Scnnaar, capitale du pays de Fungi ou Nubie, et que des négociants
turcs vêtaient établis et y trafiquaient en toute sécurité. Toutefois,
il marquait s;i prétérence pour une route partant de Suez, touchant
i Djeddah et aboutisxint à Massaouah. L'envoi de ces mémoires
coïncida avec l'arrivée au Caire d'un envoyé du roi d'Ethiopie qui
venait y chercher un médecin pour son maître ; de Maillet fit
accompagner le médecin par un Jésuite et peu après deux mission-
naires les suivirent. Depuis longtemps, en effet, des religieux avaient
pénétré en Ethiopie et y avaient iait des établissements, car le consul
du dire écrivait déjà à lîouthillicr, le 12 mai 1630, que les pères
jésuites partis pour l'Ethiopie avaient failli être mis ;\ mort au Caire
où on les avait (Itit passer pour des espions du roi d'Espagne'. Ce
furent sans doute ces Européens qui décidèrent le souverain éthio-
pien à envoyer un ambassadeur A Louis XIV en 1701. Le roi,
craignant d'être obligé ."i des dépenses considérables, donna pour
instructions au consul du Caire de le retenir. Cependant, l'envoyé
fit parvenir au roi et au pape deu.x^ lettres de son maître où il était
question de s;i conversion, et îc pape envoya en Ethiopie deux reli-
gieux Italiens qui revinrent sans avoir rien conclu. Leur échec
faisait douter de la conversion du roi, mais leur retour prouvait que
le voyage pouvait s'accomplir sans grand danger.
Pendant ce temps les mémoires du consul de Maillet avaient
décidé la cour de France X envoyer une mission en Ethiopie pour
profiter des bonnes dispositions du souverain*. Elle fut confiée au
sieur Le Noir du Roule, ancien consul de Satalie et vice-consul
d'Alexandrie, qui avait lait un long séjour chez les Turcs. Il partit
au mois d'août 1703^ mais dut attendre longtemps en Egypte \ cause
des obstacles qu'il rencontra. La nation du Caire devait lui avancei
10.000 livres pour préparer son voyage et il lui était alloué par les
lettres du roi 18.000 livres par an d'appointements, pendant sa
mission, ainsi que 1060 livres au sieur Poucet qui l'accompagnait.
Mais les marchands regrettaient ces dépenses, pour un projet bien
t(i) .•/.•?, t4j. — Il avait dépense 7 ou S. 000 piastres pour leur s.iuvcr ]a vie.
(2) On avait commence par envoyer les Jésuites s'établir ,iu Caire pour être
prêts ensuite à envoyer des missionnaires: « Le roi nous ayant ordonné de venir
uire un établissement au Caire pour faciliter les desseins que nous avons avec le
lemps de passer en des pays plus éloignés pour porter l'évangile. 1» Lettu du P.
Vti^ii,jciitiU, }0 oeUii<rt'i6')i). A A, }04.
^26
LA CRISE
hasardeux et inspirt' par leur consul avec lequel ils étaient en violenté
querelle, aussi ninutrèrcnt-ils beaucoup de malveillance pour la
mission'. En mùnic lenips, il avait fallu solliciter un passe pi) rt i la
Porte, l'ambassadeur l'obtint, non sans difficulté, il avait dû en
parler cinq fois au grand vizir et écrivait qu'il aurait obtenu plus
facilement une grâce de grande considération*. Du Roule ne partit
donc du dire qu'en juillet 1704 et, tantôt en suivant le Nil, tantôt
en traversant les déserts, il parvint à la fin de mai 1705 à Sennaar,
dont le souverain parut d'abord bien l'accueillir. Mais celui-ci refijsa
de le laisser continuer sa route, malgré l'ordre du roi d'Ethiopie et
du Roule finit par être assassiné A Sennaar avec toute sa suite. Ce
désastre mit fin pour longtemps aux relations entre les nations
chrétiennes de l'Europe et l'Ethiopie, l'Abysslnie d'aujourd'hui.
Les efforts du gouvernement de Louis XIV du c6té de la Perse
furent plus heureux; depuis longtemps, des marchands français y
étaient venus trafiquer et même s'y étaient établis. Tavernier, en
1639, trouva un certain nombre de Français établis à Ispahan et les
remplit de joie par la nouvelle de la naissance du Dauphin, il celé- J
bra avec eux de grandes réjouissances, sans même avoir besoin de
demander la permission comme en Turquie, parce que les Français
« étaient tout à iait bien venus en Perse*. » Ce fiimeux voya-
geur, après y être retourné à plusieurs reprises pour ses affaires,
décrivit la Perse dans des relations de voyage qui firent le tour de
l'Europe et plusieurs autres voyageurs français écrivirent après lui
des relations sur ce pays. Mais la première ambassade ayant un
caractère officiel fut celle envoyée en 1664 par la nouvelle Com-
(1) V. Lellre des DcpuUs de lit nation du 27 mai I/04. AA, jso.
(2) AA, ifo. 1; Jtiilltl 1J04. — Pour cette affaire, voir lettres ,i de Maillet,
consul du Caire, }o juiUel lôt^S, /j mai ijoi, etc. Depping, t IV, 181-187. —
Lellu-^ de Poittclutiratii (BB, S), ff août tj02, 16 mai JJO}, 1^ iwvrmhre 1^04):
Hcius qu'on a fait constamment au Caire de fournir aucun secours au sieur tlu
Roule pour le voyage d'Ethiopie. — A son départ il n"a été accompngnt par
aucun marchand français, pendant que les étrangers et tous les religieux lui ont
fait tout l'honneur qu'il devait attendre des sujets du roi, — Pour la suite du
voyage, voir V"' de Caix de Sain r-AvMOUR : Histoin d/s relaliom de la F'ana
atw TAbyssinie cMtitnnt sous les règnes d< Louii XIIJ et de Louis XIV.
I;) TAVERN'itR, t. I, p. 159. — Cf. La Bol'i.laye le Goez : Il trouve a hpi-
han en 1648 deux capucins français, le procureur général des Jésuites, très connu
dans la ville, un norm.md, liorlogeur du schah, un gentilhomme normand, dcu»
facteurs anglais ; deux joailliers huguenots français dont l'un associé de Tavernier^ '
— Il rencontre deux Français à Hendcr-.\bbas, — p. ^14-28 et 119.
RÉFORMES ET PROJETS
^7
ignie des Indes'. Elle était composée de trois marchands et deuK
►eiiiilshoniines et portait une Ifttre dt- Louis XIV au sc!i;\h, le priant
le bien accutilir les 1-rançius. La réussite de cette mission ne pouvait
^tre que nuisible, il est vrai, au commerce du Levant, cir il s'agis-
-lit de détourner vers le fjolfe Persique et vers Surate, centre des
jpérations de la Compagnie, le commerce de la Perse qui était fait
:n grande partie par les caravanes de Smyrnc et d'Alep; depuis
longtemps les Compagnies des Indes anglaise et hollandaise pour-
'suîvaient le même but*. La mission arriva à Ispahan en juillet 1665,
obtint un accueil favorable et conclut un traité par lequel le schah
iccordait à la Compagnie la remise des droits de douane de Bender
Lbbas pendant trois ans, ;\ charge de lui donner un présent qui éga-
lerait cette remise. D'autres députés se firent accorder en 1674 la
même exemption sans limite de temps, après avoir toutefois dépensé
200.000 écus en frais de voyages et de présents*.
Ces dépenses furent inutiles, car la Compagnie du Levant ne fut
pas en état de profiter de ce privilège. D'ailleurs, l'édit de mars
^k669 avait déclaré que les soies, le grand article d'exportation de la
^B^erse, ne pourraient entrer dans le roy.iumc que par Marseille, et en
^Rnterdisait par conséquent le commerce à la Compagnie. Ces mis-
^■Kîons ne firent donc que consolider en Perse l'influence française et
prorttèrent ainsi au commerce du Levant, bien que tel n'ait pas été
t(t) Le voy.igour Poiillct, qui rcsu dans le Luvaiu Je 1655 A i66j, adressa à de
^ Croix, secrétaire et intcrprcte du roi, une histoire des Anglais et des Hollan-
jis dans le Levant. C'est en grande partie une dissertation sur le commerce des
mglais et des Hollandais en Perse — 11 serait facile, disail-ii, d'y introduire les
'r.inçais, car les Anglais et les Hollandais sont fort mal vus, surtout des .\rmé-
icns qui sont maîtres du commerce et qu'ils ont écartés de leurs ports. Le soplii
ne demande qu";i empêcher le commerce de ses terres de passer par la Turquie et
attirer même le commerce de l'Asic-Mineure vers ses ports. Les Arméniens,
ionl les Italiens se servent comme de facteurs, portent les soies à Livoume et à
^cnise. Il faudrait les admettre .lussi comme facteurs et leur faire prendre le chemin
Je Madagascnr. — Poullct insiste sur les moyens de peupler Madagascar, de la
".Ttiliser. — Il faut prendre la route des Indes par l'Océan et quitter celle delà
'urquie où le commerce est désavantageux par les engagements des échelles,
par l'argent qu'on v porte. Pouilht, p. 448. — Ces curieux mémoires ont pu,
tition inspirer la mission en Perse, du moins contribuer à la faire entreprendre.
(2) V. SavaRY. Diction, du commerce, ço\. noo-iioî : Les Anglais commen-
cèrent à faire le commerce de la Perse par le golfe Persique en 1613. — Ils
aident scluli Ahbas à reprendre Ormuz au.x Portugais en 1622. — Omiuz démolie
f«st remplacée par Bender Abb.is, n le port de toute la Perse et peut-être de toute
M'Amc où il se tait le plus grand commerce. » — Les Hollandais paraissent dix ans
Y«prts les Anglais, l'emportent bientôt sur eux. Les Frans^ais n'apparaissent qu'en
1664.
()) Savary. Diclionn. Ibid.
328
LA CRISB
leur but. C'est avec la mission de 1664 que l'Illustre voyageur Char-
din fît en Perse son premier voyage*; le schah le nomma son mar-
chand par des lettres patentes de 1666, et, associé avec un marchand
lyonnais, il entreprit par les caravanes de Smyrne un commerce]
important consistant surtout eu bijoux et orfèvrerie. En 1681, les!
chrctiens de Perse, se sentant menacés, pensèrent que leur ruine]
ne pouvait être conjurée que par l'envoi d'une ambassade du roi trùs-j
chrétien. Ils envoyèrent deux jacobins trouver M. Piquet, ancienj
consul d'Alep, entré dans les missions étrangères et devenu « évèquc
de Césarople, vicaire apostolique de Babilone (Bagdad) et visiteur
général des missions en Orient. » L'cvôque entra dans leurs vues etfl
écrivit à Colbert qui le fit envoyer à Ispahan comme ambassadeur
du roi en 1681. M. Piquet fut bien accueilli h Ispahan, où il demeura
plus d'une année en 1682-83, et, bien que sa mission eût surtout
un but religieux, il ne manqua pas de s'occuper des intérêts JiitM
commerce qu'il connaissait à fond *. "
Mais, pour la première fois, pendant la guerre de succession, il fut
question de laire avec la Perse un traité de commerce et d'y établir
à demeure des maisons de commerce françaises. En 1704, Pont-
chartrain écrivait i la Chambre : « S. M. envoie le sieur J.-B.
Fabre en Perse pour examiner les moyens d'y introduire les mar-
chandises et manufactures du royaume et lever les obstacles qui M
peuvent s'y opposer pour entrer, s'il est possible, en concurrence'
avec le commerce qu'y font les Anglais et les Hollandais. Vous con-
fércrez avec lui sur les notions que vous pouvez en avoir Mandez ■
aux députés de la nation d'Alep de lui faire compter neuf mille
hvres sur ses appointements quand il y passera et six mille livres au
retour *. » Fabre, le frère de l'ancien directeur de la Compagnie de ■
la Méditerranée, qui représentait alors la ville de Marseille au conseil
de commerce, fut sans doute chargé de cette mission à sa recom-
mandation. Il avait été longtemps le principal marchand de l'échelle
de Constantinople et connaiss;ùt donc bien les affaires du Levant.
Fabre s'embarqua pour ;\lep avec une suite considér.ible de 52 per-
sonnes en 1705, mais le pacha ne voulut pas le laisser continuer
(i) Chardis, t. I, p. I.
(2) V. D'Arvieux, t. VI, p. J2S-i$î, sa correspondance avec M. Piquet
Ispahan.
()) 13 août 1704. — LiUrtdt ChamiUail,6 ao&t 1704. BB, 8), — LaQunib«-«
adresse de très humbles .nctions de grices à Pontchartrain, ij nov, J/04. BB, i p.
RÉFORMES ET PROJETS
329
son voyage sans un ordre exprès de la Porte, car « il était inouï,
écrivait le consul, que personne eût passé en Perse avec une
suite aussi considérable et des habits à la Française '. » Parti enfin
d'Alep, il eut \ dé-jouer une série d'embûches qu'il s'attira en partie
par sa maladresse, et finit par aller mourir A Erivan , empoisonné
dit-on. Sa maîtresse, Marie Petit, qui l'avait accompagné vêtue en
homme, se remit en route avec son jeune fils, arriva h Ispalian où
elle fit une entrée triomphale, présenta son fils comme le successeur
de son père et remit en son nom à Hussein schah les lettres et les
présents que Louis XIV lui destinait *. Aprî.'s des fêtes brillantes et
des réceptions magnifiques elle revint en France et débarqua à Mar-
Pscille le 8 février 1709.
Dès la mort de Fabre, l'ambassadeur, M. de berriol, avait orga-
nisé une nouvelle mission, afin d'engager de sérieuses négociations.
Le sieur Michel, son envoyé, partit aux frais de la Chambre de Mar-
seille, réussit très bien dans s;i mission, signa avec le schah un
traité de commerce en 1708 et revint en France au début de 1710',
Les désastres de la guerre de succession empêchèrent les marchands
de profiter de ces succès, mais le schah répondit aux avances de
Louis XIV par l'envoi de la première ambassade persane qu'on ait
»v-uc en France. L'envoyé persan arriva A Marseille le 23 octobre
17 14 et alla à Versailles le 19 février 17 15 offrir i Louis XIV
les hommages de son souverain. Il était chargé d'entamer des négo-
ciations pour la conclusion définitive d'un traité de commerce.
• Vous êtes sans doute info/"més, écrivait Pontchanrain à la Cham-
bre, par le sieur Philip, votre député au conseil du commerce, des
conditions que l'on propose d'exiger de l'ambassadeur qui est \
Paris, muni des pouvoirs indéfinis du sophi, pour procurer de plus
grands avantages aux négociants de Provence qui voudront commer-
cer en Perse par les caravanes de Turquie ou par la mer Noire....
Faites savoir si vous connaissez encore quelque ch<.>se d'essentiel à
demander.... On va mettre incessamment la dernière main à l'inter-
prétation que l'on juge ."i propos de donner à quelques articles du
traité signé Alspalian par le sieur Michel en 1708 On stipulequ'il
(t) S juin ijnf. — Cf. i<^' mai 170}. AA, jôj.
{2) M. Noël, qui raconte en détail le voyage de Fabre (t. II, p, 215), ne par le
pas de la mission de Micliel.
(^) La Chambre acquiite une lettre de change de 16.000 liv. tirée par l'ambas-
sadeur, «/>/. 1708. Bti, S}. — 22 jiinv. tjio. BB, tS).
?30 LA CRISE
sera fourni du domaine du sophi des logements et magasins amples
et commodes dans les lieux de la frontière de Perse en Turquie où
les marchands voudront établir des comptoirs avec un consul....
Toutes marchandises d'entrée et sortie sans exception pour compte
des sujets de sa Majesté, attesté par le certificat d'un consul, seront
exemptes de tous droits, et même de la visite des officiers persans'. »
Tandis que le conseil royal cherchait à ouvrir de nouvelles voies
au commerce en Ethiopie et en Perse et réussissait à obtenir de
l'envoyé du schah des avantiges considérables, Pontchartrain parve-
nait au même moment à établir définitivement un consul à Jérusa-
lem. Deshayes, l'envoyé de Louis XIII^ y avait réussi en 1621 ;
depuis on y avait vainement songé ; Pontchartrain ne fut d'abord
guère heureux dans sa tentative; M. Brémond, qu'il chargea d'éta-
blir le consulat, fut à peine arrivé à Jérusalem, en mars 1700, qu'il
fut obligé d'en partir à la suite des vexations du pacha, encouragé
par les intrigues des Pères de Terre Sainte inquiets pour leur
influence. Les soucis de la guerre de succession firent négliger cet
établissement, mais dès 17 13, un nouveau consul, M. deBlacas, fut
envoyé à Jérusalem et réussit cette fois à s'y maintenir *. Cjc n'était
pas un succès commercial, le consul était chargé uniquement de
maintenir l'influence des latins en Terre Sainte et de veiller à
l'entretien des Lieux Saints, mais son établissement ne fut pas sans
affermir notre prestige auprès des populations de la Syrie.
On ne voyait pas seulement des missions diplomatiques et com-
merciales parcourir le Levant aux frais du roi et du commerce, mais
aussi des savants, chargés de faire diverses études dans ces pays. En
1700, Pontchartrain chargeait le botaniste Tournefort d'un voyage
en Levant, « pour travailler sur les plantes et sur les autres parties
de l'histoire naturelle », et ordonnait ;\ la Chambre de Marseille de
lui donner des lettres de crédit sur les échelles, jusqu'à concurrence
de 10.000 livres*. En 1714, « le sieur Paul Lucas, médecin, passait
(i) 29 mai lyi'). BB, Sj. — L' constil (Us di'pi'dvs l'i la Chamhn- , 79 ixt. lyij :
« 1,0 Conseil de régence ayant jugé.i propos d établir A Marseille un consul per-
san, suivant 1« traité fait avec le sophi, a ordonné au conseil du dedans du
royaume de vous mander de fournir au dit consul une maison convenable à son
état et proportionnée à son équipage. » Signé d'Antin.
(2) V. ^A. ;>j, la correspondance de ces consuls. — Récit très curieux de
Brémond qui raconte ses mésaventures ù Jérus.ilem.
(3) j mars ijoo. Bli, Sj. — La relation de Tournefort est adressée à Pont-
chartrain.
RÉFORMES ET PROJETS 33 I
en Levant par ordre de S. M., pour chercher des médailles et autres
pièces rares pour les cabinets de S. M. ; la Chambre devait lui fournir
sans retard des lettres de crédit jusqu'à la concurrence de 3000 pias-
tres sur la nation de Constantinople, autant sur Smyrne et 2000 sur
Salonique et le Qire '. » Si le commerce contribuait pour des som-
mes considérables aux frais de ces voyages c'est qu'ils n'étaient pas
complètement étrangers aux intérêts du négoce : « le sieur Lucas,
écrivait Pontchartrain, est chargé de diverses choses entre lesquelles
il y en a plusieurs qui regardent le commerce *. » On ne peut s'em-
pêcher d'admirer la hauteur de vues du gouvernement de Louis XIV
qui, malgré la pénurie des finances, ne ménageait pas l'argent pour
développer l'influence de la France en Orient et en trouvait même
pour doter généreusement des missions scientifiques.
(i) i" mai I-JI4. BB, 8j.
(2) j8 nmi 1714. BB, 5$.
CHAPITRE IX
LA CRISE (17OI-I715)
II. — Les maux de la guerre de succession.
III. — L(i reprise des affaires.
Malheureusement les maux causes par la nouvelle guerre rendirent
inutiles les efforts du gouvernement pour foire prospérer le com-
merce. L'alliance de la France avec l'Espagne ne lui fut pas utile
autant qu'on aurait pu l'espérer. Seul le commerce avec les Pays-Bas
espagnols prit un grand développement. L'intendant de la Flandre
maritime écrivait à Chamillartle 51 octobre 1703 : « On me mande
de Lille que l'on s'y aperçoit de l'interdiction du commerce avec la
Hollande et que les négociants d'Anvers et des autres villes des
Pays-Bas espagnols tirent de la Flandre française les cotons, soies,
huiles, riz, café et autres marchandises du Levant, qu'ils tiraient de
Hollande. On m'ajoute que le change de Lille à Anvers est déj;\
diminué de 4 0/0 et un capitaine de frégate de Dunkerque, qui est
présentement ;\ Marseille, mande que l'on s'y empresse de charger
pour Dunkerque i\ 100 sols par quintal de fret, au lieu qu'il y a trois
semaines, à peine il trouvait de quoi charger A 3 livres 10 sols '. » En
Espagne Philippe V accorda aux marchands français des privilèges
importants : deux décrets de 1703 défendirent aux juges et officiers
de contrebande de visiter les bâtiments français et d'exiger aucun
droit sur les marchandises permises venant du ro3'aume, ou sur les
marchandises des prises foites par les corsaires*. En même temps la
(i) BoisLiSLK. Corresp. t. II, 512. •
(2) Il juillet jyo}. BB,S).
LES MAUX DE LA GUERRE
333
Chambre, sur les ordres de Pontchartrain, dressa des mémoires sur
les moyens d'c'tablir le commerce de Marseille à Messine. M.iis les
Marseillais abusèrent des privilèges qu'on leur avait accurdés pour
tiirc une contrebande active ; le conseil d'Aragon, le vice-roi de
Naples firent des remontrances ; des incidents ftcheux se produisi-
rent dans tous les ports entre les Français et la population, l'irriia-
rion grandit peu à peu contre eux et ne fut pas étrangîrre à l'accueil
que reçut l'archiduc Charles en lyoé. Les deux principaux ports,
Barcelone et Valence, furent tout dévoués ù s;i cause: « les habi-
tants de Valence pillèrent les effets des marchands français après en
avoir traité plusieurs avec la dernière dureté. >• Alicante tomba aussi
entre les mains de l'archiduc ; les Génois en profitèrent pour faire
tout le commerce entre ces ports et le Levant. Carthagène, reprise
par les troupes de Philippe V à la fin de 1706, resta seule ouverte
bu commerce français et les Marseillais furent désormais réduits i
emprunter les b.\timents des neutres, comme pendant les guerres
précédentes, pour ne pas renoncer entièrement à leur négoce. Pour
plus de sûreté Louis XIV donna même des passeports A des navires
ennemis qui vinrent charger il Marseille et Philippe V poussa la
condescendance iusqu'.\ détendre aux corsaires espagnols de prendre
aucun des bâtiments qui en étaient munis'.
^ D'un autre côté, la misère de l'Espagne arrivée à son comble, les
invasions qu'y firent l'archiduc Charles et les Anglais, la guerre civile
qui necessa de la désoler, diminuèrent considérablement lecommerce
de ce pays. L'argent monnayé tiré d'Amérique dut ser\'ir aux dé-
penses de la guerre, au lieu d'être employé en achats de produits du
Levant; dès 170}, un décret du roi Catholique décida de se servir des
piastres de la flotte des Indes par forme d'emprunt. « S'il est exécuté,
écrivait la Chambre, ce sera la ruine du commerce nvtc l'Espagne et
avec le Levant*. » En effet la rareté des piastres ;\ Marseille occa-
sionna une grande gène; en 1703, au lieu de trois livres qu'elles
■niaient couramment, elles étaient achetées quatre livres. Bientôt
rinsécurité de la mer fit qu'on n'en reçut plus par cette voie et il
lilut les faire venir de Lyon, où elles étaient envoyées de Bayonne
(i) Pour tous an f.iits, voir une série de lettres de Pontclurtrain de 170} h
I708. BB, S} (Il juillet, 12 septembre 170} : 4 mars 170J, 12 août lyoj ;
K avril. 22 décembre 1706; 16 février 1707; 4 janvier 1708, etc.).
(2) 2 avril lyoj. BB, 2tj.
3 34 LA CRISE
t't d'Oloron par Bordeaux et par Toulouse'. Le 7 janvier 1706,
Lebret rc^iit Tordro' du contrôleur gémirai d'en empêcher l'cxpor-m
talion et de diriger ces espèces, soit sur Paris, soit sur les hôtels des^
monnaies. La Chambre, appuyée par l'intendant, demanda en vain
que Marseille fut exemptée de l'arrêt portant dccri des réaux d'Es-
pagne, et de l'obligation de porter toutes les matières aux monnaicb
Chaniill.irt répondit « qu'il accordait aux Marseillais une permission'
spéciale pour faire transporter en Levant les matières d'argent qu'i
faisaient venir par la même voie, mais que la franchise de leur po
ne saurait aller jusqu'à y attirer pour l'exportation les matières intro
duites par d'autres endroits dans le royaume *. » Aussi les piastres
atteignirent elles un prix extraordinaire et la Chambre en souffrait
vivement quand il s'agissait de faire des envois d'argent aux échelles
pour payer leurs dépenses et leurs dettes".
A cause de la fermeture des marchés étrangers et de l'insuffisance;
croissante de la consommation française, diminuée de plus en plu
par les progrès de la misère et de la ruine des manufactures, les'
Marseillais ne trouvaient plus de débit pour les marchandises du
Levant, qui restaient accumulées dans leurs magasins. Avant li
guerre mèniej l'essor subit qu'avait pris le commerce depuis 169
avait amené tout à coup à Marseille des quantités considérables de
marchandises qui n'avaient pu être débitées *. La guerre fit dégé
nérer ce malaise en une crise aiguë ; cependant des arrêts du con
seil renouvelèrent à plusieurs reprises avec une sévérité croiss.mtc
la défense de commercer avec les ennemis et de faire entrer leu
marchandises dans le royaume et Chamillart avertit la Chambre
qu'il faisait faire une surveillance extraordinaire ■'. 11 crut remédier
il l'interruption de notre commerce avec les pays du Nord, en
attirant dans nos ports les Danois et les Suédois par l'exemption du
u
(1) M. de Sailli- Maurice, eommissaire général de la Cour dts nionnaits à Lyon, i I
Cfiamilhrl, 22 septembre fjo}. — « La plupart des courtiers m'ont dit qu'il v
avait djiis Lyon pour plus de a.soo.ixx) livres de piastres et même d/ivantjgc..
Toutes les piastres sont renvoyées à Marseille, d'où le commerce trouve grauJ~
profil à les faire passer en Le^'ant. » Boislislk, t. H, 528 et note.
(a) I" janvier i^ob, Ltbret à Chamillart. — y janvier, Chimillart à Lebret, id. /• 1
mars fjoy. — Boislisle, i. II, 944, 1208 et notes.
(3) 3 juillet tjii. BB, 6.
(4) Lettre de Lebret à Chamillart. Boislisle, t. II, 287. — Cl. II, 487, et lett»
Pûtiicharlrain du 4 août ijiu. BB, 29.
(5) Arrêts du 11 avril tyo2, 3S aoilt fpoj, tj avril 1704. BB, f. — Lilsa^ ^
du 24 avril 1^114. BB, Sj.
UsS MAUX DE LA GUKRRE
33)
droit de )0 sous par tonneau sur leurs vaisseaux qui viendraient en
France cliarycs des marcliandibcs de leur crû ei qui prendraient en
retour des marcliandises franç.iises *, mais on ne voit pas qu'il soit
venu beaucoup de ces navires à Marseille. En 1705, en présence
des besoins urgents du commerce, des arrêts du Conseil permirent
l'entrée de six espèces de marchandises de Hollande*, les instances
de la Cliambre firent munie accorder des passeports pour quatre bâti-
ments hollandais, « dans la vue de procurer les moyens d'envoyer
au dehors les marchandises du Levant, dont les Marseillais étaient
surchargés* » ; la Chambre demandait cette autorisation pour huit
vaisseaux, mais la Cour, sous prétexte que pendant la paix il ne venait
pas autant de navires hollandais à Marseille ne voulut pas l'accorder.
Le mauvais effet des expédients financiers auxquels eut recours
Chamillart, aggrava encore la situation du commerce. Les nom-
breuses mutations de monnaies, déjà pratiquées par Pontchartrain,
lui enlevèrent toute sécurité*. La déclaration royale du 12 avril
I 707, ordonnant que les billets de monnaie seraient re»;us dans tout
Ji^ royaume, et qu'à partir du 20 mai les paiements seraient ^lits un
tiers en billets de monnaie et le reste en argent comptant, suscita
«Jc^s plaintes générales. Les marchands du Languedoc écrivaient que
<:*^uit la plus terrible secousse qu'on pouvait donner au négoce.
il> 'après l'intendant Bâville, on suspendait de toutes parts les opéra-
ci «:3ns avec l'étranger \ La Chambre de Marseille rédigea de son
oc^téle 2 mai de longues remontrances où elle atlirniait que le
rars^anque de fonds avait causé dans la ville, « depuis environ trois
i»"a«is, dix A douze banqueroutes pour des sommes considérables*. »
dl«:Dmme Chamillart recevait de toutes parts des plaintes semblables,
iE «iécida, par un arrêt du ro mai 1707, de surseoir i l'exécution de la
*î «^<laration du 12 avril, mais l'arrêt du Conseil du 29 octobre, ne fit
C •) ■■irrfti du 14 juin, iv septembre ijoj, 4 mats ijo). BU, j.
K i) Ces marcli.iiuliscs, comme les drogueries et épiceries, èuient nécessaires
► mjr les Assonimcins des ch.irgements envoyés d-ins le Levain — Lcllres du
■^ «s*wi/, tô juin i/oj. liU, S}.
C Jl /' tiùvaiibre tjo;, /y mai, 16 juin iyo6. DB, S). — Cf. Lettre dt PontcJxti-
**"•*■*« li DaguciSfau. 27 avril /707, 4 mai fjoj. BB, S).
C 4) V. Lettre lie Ltbrtttlu 20 juin jjoi. Boislislk, t. II, 287. — De 1701 i 1713,
^1?'* ne compte pas moins de 90 éditsou arrôtsdu Conseil conceniatit les tiioniuics.
"^^ '"•c//, Comm. (le Murs., liiveiit. clnonal.
t 5) 3j avril tjoj, 2H avril, 1; cl ;; rrw», Boislisle, t. II, ta}}"-
»^ C ^1 2 mai i/Oj. lioiSLisui;, t II, IJ37. — La remontrance est envoyée aussi à
^*»itchartrain, u mai lyoj. Bli, S;,
33é LA CRISE
qu'en atténuer la gravite, en déclarant que les paiements devraient
être dits un quart en billets de monnaie'. L'effet fut désastreux ;
Trudaine, intendant de Lyon, écrivait au ministre: « Je rassure
autant que je puis sur la crainte qu'on a qu'il ne se fasse un plus
grand nombre de billets de monnaie que ce qu'il en reste dans le
public... l'argent est devenu ici si rare et si cher que les affaires du
roi ni celles du commerce ne peuvent se soutenir si cela ne change...
Enfin tout le monde est si prévenu contre les billets de monnaie
que l'on craint une cessation générale de tout le commerce*. »
Malgré ses funestes résultats la circulation des billets de monnaie
dura jusqu'à la fin de 17 lo*.
Le commerce de Marseille ne pouvait être à l'abri des multiples
créations d'offices, onéreux autant qu'inutiles, dont la vente était
une des ressources principales des contrôleurs généraux. En 1704,
Chamillart songea à faire des consulats des offices héréditaires ;
Lebret, consulté par lui sur cette innovation, lui répondit ironique-
ment que les effets de l'hérédité ne seraient pas plus mauvais que
ceux de la faveur qui présidait actuellement au choix des consuls*.
Chamillart abandonna son idée, il écouta encore les avis contraires
de l'intendant au sujet de la création d'une Chambre souveraine à
Marseille pour juger les affaires de commerce, et d'offices de
contrôleurs visiteurs de draperies et autres étoffes de laine. « Les
inquiétudes qu'on donnerait infailliblement aux fabricants et mar-
chands, lui objecta Lebret, dégoûteraient assez les uns et les autres
pour porter beaucoup plus de préjudice aux droits des fermes et au
commerce en général, que S. M. ne tirerait d'utilité de ce nouvel
établissement*. Cette critique pouvait s'appliquer à la plupart de ces
offices, dont le trésor tirait des ressources momentanées au détri-
ment de ses vrais revenus. Cependant, en 1705, furent créés des
jurés contrôleurs essayeurs d'huiles auxquels il était attribué 50 sols
par cent pesant ; la Chambre se plaignit en vain à Pontchartrain
de cette violation de la franchise du port, qui allait ruiner un com-
(1) .-irch. Coiinii. hivettt. ie Connues.
(2) I s itcvemhii' lyoj, Boislisle, t. II, 1510".
(3) Déclanuion du roi pour la suppression des billots de monnaio. — Arch.
Comm. Invent, chioiidl.
(4) I" novemhie 1704, BoisusLK, t. II, 682.
()) 4 avril 1-J04, id. II, 592.
LI£S MAUX DE LA GL'ËKRI^
337
merce important, nécessaire aux manufactures de savon' ; un édii
de nurs 1709 institua de nouveaux offices d'inspecteurs et visiteurs
de routes sortes d'huiles, supprimés il est vrai en octobre 1710.
D'autres créations atteignirent le commerce tout entier : il y eut
des contrôleurs visiteurs de poids et mesures, des greffiers des juri-
dictions consulaires auxquelles on sentit le besoin un an après de
donner des greffiers en chef. Un cdit de mars 1692 avait érigé en
titre d'offices formés ei héréditaires les 46 courtiers qui étaient en
exercice il Marseille, un autre édit d'août 1709 en fixa le nombre à
60 et leur accorda des augmentations de gages*.
Le commerce du Levant n'eut pas ;\ supporter du moins d'im-
positions nouvelles sur les marchandises. En 1705, la Chambre
rc-sista avec succès ù l'étiblissement d'une taxe sur les savons ; elle
écrivait .\ Chamillart : « L'expérience a été faite depuis peu au sujet
de La grenaille, une simple interruption des fobriques de grenaille
par une imposition qui fut peu après levée, en porta l'industrie en
Cualogne. Il en sortait de cette ville environ 150.000 livres par
année commune, il n'en sort à présent que 30.000 et on va en
diminuant Mais les grenailles n'ont nul rapport à l'importance
des savonneries \» Le mauvais succès de ce premier essai et peut-être
aussi le souvenir de la franchise qu'on venait de rendre à Marseille
empêchèrent Chamillart d'entrer plus avant dans cette voie.
Le plus grand des maux de la guerre fut comme toujours
l'insécurité des mers qui, par suite de la ruine de notre marine,
devint beaucoup plus grande qu'elle n'avait été dans les guerres
précédentes. La Chambre, ignorant la pénurie du trésor, s'imaginait
au début pouvoir profiter des hostilités pour détruire le commerce
des Anglais dans la Méditerranée et elle avait présenté dans ce but
A Pontchartrain tout un plan de croisières. La réponse du ministre
dut singulièrement la décourager : « Les fonds destinés pour les
dépenses de la marine étant remplis par des objets plus pressants
disait-il....,, ce serait à vous à vous charger de l'armement de quel-
(0 jaoïitijo}. BB, Sj. — 24 juillet ifo},BB, 39.,
(2) ()n voulut (aire paver .\ la Clumbre en 1705, 20.000 livres pour h sup-
pression desortkcs d'iiispcctturs des tnanufjcturcs, clic fit voir que cela ne U con-
ccniLiit pas, puisqu'elle entretenait à Marseille le sieur Cauvière inspecteur des
draps, qui lui coûtait 5.000 liv. p.iran. — En 1705, il fut au.ssi question de créer
uti utiicc de comtâlcur au grelTe des assurances. — j aotU tyo}, u août Jjof.
BB. jp.
Ij) .-< Chamillart, 3v juilkt tjos. BB, 39.
aa
338 LA CRISE
ques vaisseaux propres pour la course, que je proposerai volontiers
au roi de vous accorder aux conditions les plus avantageuses que
vous pourrez désirer Si vous ne prenez ce parti S. M. sera obligée
de rétablir l'imposition de l'écu par tonneau pour en employer le
produit à la dépense de cet armement '. »
Il s'agissait alors d'attaquer nos adversaires, il fallut bientôt changer
de langage et songer uniquement i, se défendre ; des vaisseaux flessin-
guois, nom sous lequel on désignait tous les corsaires hollandais,
furent armés en course à Gènes et à Livourne où ils étaient venus
pour charger des marchandises. D'autres corsaires anglais et flessin-
guois entrèrent dans la Méditerranée en 1702*. Pour éviter le réta-
blissement de l'imposition d'un écu par tonneau, qu'elle avait eu
tant de peine à faire supprimer dix ans après la guerre d'Alger pour
laquelle elle avait été établie (1689-99), ^^ Chambre promit de
subvenir aux frais des armements; en attendant qu'ils fussent orga-
nisés le commerce fut complètement suspendu en décembre 1702*.
Pour l'année 1703 la Chambre arma d'abord une frégate la Fortune
wlante dont elle confia le commandement au lieutenant de vaisseau
du roi Sabran de Beaudinart*, puis deux vaisseaux, le Téméraire et
l'Heureux Retour destinés à servir d'escortes^ Mais quand les navires
(1) 37 mai 1702, 26 juillet 1702, 16 août 1702. BB, 8j,
(2) j mai 1702, 26 juillet 1702. BB, Sj. — 2/ octobre 1702, } novenére 1702,
Il novembre 1702, i" décembre 1702. — Les Flessinguois sont huit à neuf. —
Quatre vaisseaux et de petits bâtiments ont été pris. — Il y a trois vaisseaux en
route ; par une sorte de moquerie, les Anglais et les Hollandais établis à Livourne
en ont déjà mis en vente les chargements dont la valeur pourrait aller à un
million et demi. — 6 décembre 1702. BB, 29.
(3) 6 décembre 1702, ij décembre 1702. BB, 8}.
(4) La Fortune Volante, armée de 40 canons, à laquelle il y aura environ }oo
hommes d'équip.igc, / janv. 170}. BB, 2<). — Hlle a été louée 12.500 livres par
mois, nous serons encore obligés d'ajouter 500 livres, moyennant quoi nous n'en-
trons en aucune dépense, 2^ janv. 170 j. BB, 21}. — Dans les comptes trésoraires
de la Chambre {CC, 2j et sutv.), figurent, aux dépenses de 1704, 110.092 livres
pour l'armement du vaisseau la Fortuite de la Mer, 11.355 pour celui du Témé-
raire, 33.000 pour le Toulouse et le Trident. — Les sommes considérables fournies
par les deux droits de i 1/2 0/0 établis en 1703 et 1706 pour subvenir aux arme-
ments montrent combien la dépense fut considérable dans les années suivantes.
La recette de ces droits fut en effet de 120.000 livres en 1704, de 80 à 95 pour
1705, 1706, 1707, 150.000 en 1708, etc. — En réalité les dépenses dépassèrent
ces sommes : En 1705, armement du Ro{endalct du Trident, 43.000 livres. — En
1706, armement du Toulouse et du Trident, 57.343 livres, de quatre frégates
100.000 livres. ^ En 1707, armement de VHeureux Retour 41.389 livres, du
Fortuné 52.000 livres, des quatre frégates 20.200. — Les dépenses diminuent les
années suivantes.
(5) Voir une série de lettres de 1703. BB, 8}. — La Chambre avait demandé
LES MAUX DE LA GUERRE
339
furent prêts X partir, en août 1703, on apprit que Tarnu^e ennemie
forte de 52 vaisseaux de ligne escortant le convoi anglo-hollandais
était entrée dans la Méditerranée, il fallut donc les retenir, ï Marseille.
11 en fut ainsi les années suivantes chaque fois que la Botte ennemie
se montra, les armements royaux ne pouvant protéger le commerce
que contre les corsaires. Le convoi attendit toute l'année, ce nu fut
*^u'en décembre, quand la flotte ennemie ramenant celui des Anglais
et des Hollandais fut revenue vers Gibralt.ir, qu'on put songer .\ le
faire partir, mais la saison était mauvaise, la tempête le dispersa et
]çu un grand nombre de ses bâtiments sur la cùte de Gitalogne, ce
<\m retarda le départ définitif au mois de février 1704. Ainsi, malgré
les dépenses (liites par la Cluunbrc en 1703, aucun bâtiment n'avait
pu partir. On avait été plus heureux pour faire revenir ceux qui se
trouvaient dans le Levant. M. de Sabran avec la Fortune les avait
lamcnés jusqu'à Malte où un vaisseau du roi, le Fleuron, fut envoyé
|)our l'aider i les conduire jusqu'à Marseille. La neutralité des ports
«le .Malte et le bon accueil qu'y recevaient nos n.ivires furent pendant
<ettc guerre le salut de notre commerce. Malte fut le point de
xallicmcnt de nos b.kiments, qui s'y trouvaient toujours réunis en
a^rand nombre, attendant l'occasion favorable de partir pour Marseille
ou pour les échelles. Tous les convois y faisaient escale, un vaisseau
«lu roi les conduisait h Malte et ramenait ceux qui s'y trouvaient, un
eiutre vaisseau d'escorte les prenait à Malte pour les conduire aux
«jch elles.
Le service des convois fonctionna régulièrement en 1704, mais la
CZhambre se trouva gênée pour payer la dépense des vaisseaux du
»-oi, les marchands se plaignaient de la contrainte des escortes qui
n'étaient pas prêtes au moment favorable pour le départ, on renonça
ijux convois et, en attendant que la Chambre se fût décidée à d'autres
■iTirmements, Ponichartrain ordonna de nouveau la suspension du
v^ommercc*. La Chambre finit par consentira fournir la moitié de
la dépense de l'armement de deux vaisseaux du roi, le Trident et le
I
^J'.ux bons ViiiMcaux, l'un de 60 canons et ^50 hommes d'é-quipage, l'uutrc de 40
«^jnons et 250 hommes, gr.uis, avec tous tes agrès et munitions. — Li Chambre
ï »e paierait que la n>oitiê des saUires et de l'entretien des équipages. 16 avril ijoj,
{\\ »9 d^cfiubr,! IJ04. UB, S}. — Dêjj le iotnmcrcc .ivali été suspendu par
V'ordonttAMCc du i6 juillet jusqu'au 16 octobre. — Voir pour tout ce récit les lettres
«Je Ponichartrain. lia, S) et les lettres de h Chambre. BU, 2y.
340 LA CRISE
Toulouse, destines à donner la chasse aux corsaires'. Mais les bâti-
ments partaient sans escorte* et sept vaisseaux marseillais furent pris
par les l-lessinguois en septembre et octobre 1705. En même temps
l'entrée de la flotte ennemie dans la Méditerranée retint les bâtiments
à Marseille pendant plus de deux mois (août-octobre 1705).
Cependant les négociants de Marseille, assemblés par la Chambre,
délibérèrent presque unanimement en 1706 «de supplier le ministre
de vouloir les dispenser de faire leur commerce par convoi, ce moyen
leur ayant paru contraire et préjudiciable au bien du commerce
auquel convient seulement une entière liberté*. » L'année avait com-
mencé par une suspension de la navigation, parce que le roi « voulait
s'assurer de trouver un nombre suffisant de bâtiments pour le trans-
port des munitions en Catalogne* » ; cette suspension fut mainte-
nue à cause du grand nombre de corsaires Flessinguois et de la
présence de l'escadre du « chevalier Lack » dans la Méditerranée.
Pendant ce temps on avait longuement discuté sur les armements
à (aire et sur les avantages des convois ou des croisières; le ministre
finit par s'entendre avec le commerce pour l'armement de quatre
frégates ^. Mais leur armement ne fut prêt qu'à la fin d'octobre 1706 ;
les départs pour le Levant se trouvaient donc reculés à la fin de
l'arrière saison*.
L'armement des quatre frégates rendit des services : au printemps
de 1707 deux d'entre elles croisaient â l'entrée de l'archipel, les
deux autres, après s'être montrées sur les côtes de Barbarie, ramenè-
rent à Malte un convoi très riche. Cependant plusieurs pertes
furent faites au début de 1707. « Ces nouvelles pertes me touchent
(i) La Clkiwliy à PoiilclMiiruiti, 2i) àkcmhrc /70./. Eli, 29. — Les deux vaisseaux
firent deux croisières sans s'emparer d'aucun corsaire.
(2) Cependant la frégate le Ro^nda] ramena plusieurs bâtiments du Levant. Le
capitaine Guieu, qui commandait le plus gros n.ivire de Marseille, conduisit un
convoi dans l'Archipel et le ramena. La Chambre lui accorda 5.000 livres de gra-
tification.
(5) i aoûl j-jo6. HB, 5.
(4) 24 février ijuô. BB, <V/.
( j) Le commerce s'engaj^eait à payer au moins les deux tiers de la dépense. —
Deux devaient croiser dans le canal de Malte, les deux autres à l'entrée de l'Archi-
pel, puis ramasser les bâtiments des échelles et les ramener ;\ Malte. Lettre de
Poiitilvtrtrdiu , 22 si[Uciubr( ijnO. 1>B,S}.
(6) Pendant ce temps les galères étaient chargées de protéger les abords des
cotes de Provence. Deux d'entre elles se tenaient d'ordinaire à .Vntibes pour faci-
liter le passage des barqu<>s des côtes de Provence à Gênes et écarter les « coralines »
d'Oneille. 6 octobre i/n6, ij août jjoS, jo noi-einhre JJ12. BB, S).
LES MAUX DE LA GUERRE 34 1
beaucoup, écrivait Pontchartrain Ji la Chambre, mais quand il 3-
aurait dix frégates au lieu de quatre, elles n'empocheraient point
encore qu'on ne prît des bâtiments à cause de l'étendue delà
mer et parce que les capitaines ne s'embarrassent pas de passer par
les endroits dangereux'. » Tout ce que put faire le ministre en
juin 1707 ce fut d'ordonner ;\ un vaisseau de guerre de prendre
sous escorte les bâtiments prêts à partir, pour les conduire â Malte
et ramener sept ou huit bâtiments qui y étaient. Pendant ce temps le
convoi anglais traversait la Méditerranée sous l'escorte de huit vais-
seaux de guerre. Sur ces entrefaites la flotte ennemie se montra, la
Provence fut envahie par le duc de Savoie, le commerce fut entière-
ment suspendu et Marseille se prépara â subir un siège. Permise un
moment à la fin d'octobre 1707, la navigation fut immédiatement
interdite de nouveau sur la demande unanime de la Chambre.
En 1708 on annonçait de Livourne la présence de vingt-deux
corsaires flessinguois; aux propositions d'armement une grande
assemblée de marchands répondait unanimement que, « comme
S. M. ne pouvait point supporter présentement la dépense de l'ar-
mement nécessaire pour escorter les bâtiments destinés pour les
échelles, ni même en faire l'avance, ils n'étaient pas en état de pou-
voir le fiiire par eux-mêmes*. » Cependant deux vaisseaux, le Duc
0de Berri et V Entreprenant furent demandés au roi et ramenèrent de
<2andie un convoi considérable.
Le commerce fut continué ainsi pendant les années suivantes par
<des convois irréguliers, dont on ne savait jamais ni le départ précis,
m l'arrivée, car les escortes, composées d'un ou deux vaisseaux,
31'étaient pas suffisantes pour braver toutes les attaques, il fallait
■ssaisir les occasions favorables, surprendre l'attention des ennemis, ou
profiter de la mauvaise saison, pour se glisser presque furtivement de
!^arseille à Malte, de Malte à Candie, et de li dans l'Archipel ou
"^ers les échelles. « Profitez des longues nuits où la chasse est diffi-
^le, écrivait Pontchartrain, pour faire revenir les bâtiments du
X-evant*. » Le transport des blés de l'Archipel était devenu, surtout
depuis 1709, la principale occupation des navires, aussi, c'était à
l'entrée de cette mer que se pressaient les corsaires. En 1710, une
(1) 8 juin IJ07. BB. S}.
(2) 16 juin 1708. BB, s.
(j) 7 décembre 1707. BB, Sj.
342 LA CRISE
grosse escadre anglaise vint attendre sur les côtes de Morée le convoi
de blé, 25 bâtiments et deux vaisseaux du roi qui en étaient chargés
restèrent enfermés dans le port de Chio. En 17 12, un sieur Maillet,
négociant de Marseille, forma avec quelques autres une Compagnie
qui offrit d'entretenir jusqu'à la paix trois ou quatre navires de ligne
bien armés; faute de s'entendre avec elle, écrivait Pontchartrain,
« le roi ne pourra s'empêcher d'interdire absolument le commerce*. »
La Chambre passa en effet une convention avec le sieur Maillet pour
l'armement du Trident et du Cheval-Marin*. Pontchartrain laissa
toute latitude à la Chambre pour faire armer d'autres vaisseaux du
roi par des particuliers, puisque ni le trésor royal, ni la Chambre,
ne pouvait s'en charger. En effet, d'autres armements eurent lieu,
mais, par une nouveauté qui montre bien l'impuissance à laquelle
était réduit le commerce, les navires de guerre furent employés à la
fois à convoyer d'autres bâtiments, à faire des croisières et h trans-
porter eux-mêmes des marchandises. Ainsi, en 1712, \e Fleuron et
l'Entreprenant rapportèrent des cargaisons très riches ; en décembre
17 12 on attendait le retour des vaisseaux du roi le Sérieux, le
Diamant et le Cheval-Marin venant de diverses échelles richement
chargés, et le Trident, venant de Barbarie, rempli de blé. Deux autres
vaisseaux armés 1 Toulon se préparaient à prendre des cargaisons
pour Constantinople, l'Egypte et la Palestine. Un autre fait montre A
la fois l'audace des corsaires et l'impuissance de notre marine : deux
corsaires, partis de Livourne, vinrent faire en 171 1 et 1712 plusieur.-:
croisières sur les côtes de Provence entre les îles de Marseille et
l'île Saintc-M.irguerite et capturèrent de nombreux bâtiments*.
Il était temps que la guerre fût terminée: en 17 12 les hostilités
avaient pris fin avec les Anglais, le 11 avril 17 13, elles cessèrent
avec les Hollandais et les prises ne furent légitimes que pendant un
délai de six semaines seulement après cette date.
(i) // mars ijJ2. BB , 8}.
(2) V. ce c0ntr.1t BB, 6, fol. ]6, ;o mai 17/2 ; Maillet Hiisait l'avance de tous
les frais, la Chambre l'en rembourserait avec intérêts à 8 o o et 4000 livres de
}:;ratirication. — lîlle aurait 45 0/0 des prises, le roi 25 0,0, .Maillet i/io, les
éiiuipages des vaisseaux i/io et Monseigneur l'Amirai i 10. — Dc'jà, à la fin de
1707, deux vaisseaux du roi, le Toulouse et le Content, armés en course pour le
compte de particuliers, s'emparèrent à l'entrée du détroit de Gibraltar de deux
Flessinguois qui entraient dans la Méditerranée : le Propljète-Elic, de 42 canons
et 250 hommes, et h-i Sept Provinces-Unies, de 28 canons et 200 hommes.
— 2; janvier ijoS, BB, Sj.
(3) Assemblée extraordinaire des marchands, 6 décembre 1712. BB, 6.
LES MAxrx nr 1-a guerre
343
^:
Tous les armements fliits parla Chambre avalenrcoi^té au com-
merce lies sommes ùnormos : deux droits de i 1/2 0/0 avaient été
établis, l'un en 1703, l'autre en 1706, de plus les navires decliaque
convoi payaient des droits particuliers. Les capitaines, pour avoir
l'autorisation de faire les voyages du Levant, avaient dû, en outre,
recevoir sur leur bord 25 A 50 soldats afin de renforcer leurs équi-
pages, ce qui augmentait les frais de la navigation et la cherté du
liret. La Chambre payait encore des gratifications aux corsaires et
aux vaisseaux du roi pour chaque prise qu'ils faisaient. Non seule--
ment toutes ces dépenses n'avaient pas empoché les pertes de navires
d'avoir été très nombreuses', mais, comme les armements avaient
tîté très insuffisants pour assurer la sécurité de la navigation, le
commerce avait souffert de maux de toutes sortes comme le renché-
r-issement énorme des assurances maritimes et du change, l'incerti-
xude dans les opérations causée par les suspensions chroniques du
«négoce et les détentions des navires dans les ports.
Les corsaires de Toulon et les vaisseaux du roi avaient sans doute
fcit subir aussi de grandes pertes aux ennemis, mais les prises qu'ils
amenaient étaient loin d'être une compensation pour les négociants
rançais, car la concurrence que les armateurs corsaires faisaient au
«ciommercc, en vendant A vil prix les marchandises des prises, aggra-
'^ait encore la crise que celui-ci traversait. Ces marchandises n'étaient
"^•endues il est vrai qu'i la condition d'être transportées à l'étranger,
XTiais cette condition n'était pas observée. Le commerce avait d'autant
^lus souffert que la crise s'était prolongée plus longtemps : la guerre
«Je Hollande ne l'avait troublé que pendant cinq ans, celle de la
igue d'Augsbourg moins de temps encore, cette fois la désolation
u commerce s'était prolongée dix ans et de plus les désastres
'étaient accumulés pendant cette guerre.
Aussi les chiffres des importations du Levant pendant cette
"j^ériodc indiquent éloqueramcnt quel arrêt avaient subi les affaires ;
«Je 1703 ;\ 1711, pendant les années où la guerre fit le plus soufl'rir
^^ (i) D'aprcs les Registres des pênes {EE, 9 et 10) le nombre des prises de
L «702 a 171 5 fut de I7;> vaisseaux et barques (1702 = 15 ; 1703=: 127;
^HJK704 ::= 159 ; 1705 ^= 187 ; 170e ^:z 144 ; 1707 := 170 ; 1708 — 160 ; 1709
^^p= 318 ; 1710 = 193 ; 1711 := 160 ; 1712 ^ 150 ; 1713 = 56 ; 1714 = 14 ;
^^ •715 = a). Il fâut rcmarqui;r que tous cas navires iivaient ùti assurés h Marseille,
"*T)ais que he.iut*OUp d'entre eux n'-ippartcnaient pas aux ports provençaux et
■=»v.-ticnt été pris liors de la Méditerranée. V. p. 294, note 2.
344 LA CRISE
le négoce, la moyenne s'abaissa à près de 5.000.000 de livres*,
malgré les prix très élevés qu'atteignirent alors les marchandises du
Levant. Un seul commerce, dont l'importance ne fait qu'indiquer la
profonde misère de l'agriculture française, s'accrut singulièrement
et offrit du moins l'avantage de donner du fret aux nombreux bâti-
ments de la flotte de Provence : ce fut l'achat des blés du Levant.
Toute une flottille de petits bâtiments fut occupée, pendant la
guerre, à en chercher sur les côtes de la Barbarie, de la Morée, à
Salonique, mais surtout dans l'Archipel. En 1703 la Chanfibre
écrivait qu'il était parti plus de cent Kâtiments pour la traite des blés,
tandis que depuis quatre mois aucun n'avait fait voile pour les
grandes échelles. En 1709, le commerce fut à peu près interrompu
pour faire uniquement le transport des blés. D'après les ordres du
ministre, tous les bâtiments qui allaient dans le Levant durent rap-
porter au moins les 3/4 de leurs chargements en blés et la Chambre
fut chargée d'y tenir la main avec la plus grande sévérité*. La
famine, qui menaçait la Provence, faisait passer par dessus les
dangers de la navigation et les bâtiments destinés â la traite des
blés étaient généralement exemptés des interruptions du commerce
et pouvaient naviguer librement â leurs risques et périls, aussi fut-ce
parmi eux que les corsaires firent le plus de prises. Une autre cir-
constance vint favoriser ce commerce : « Le roi par un édit de
septembre 1708 ayant créé 500.000 livres de rentes au profit de
ceux qui voudraient pour toujours s'affranchir de la capitation, la
ville de Marseille, continuant de donner au roi des marques de son
zèle pour son service, offrit de donner 20.000 charges de blé
évaluées à 800.000 livres pour r.ifFr.inchissement de la capitation
pour tous les habitants de la ville et du terroir, et, par arrêt du
Conseil du 22 avril 17 10, S. M. ayant .iccepté cette offre, la commu-
nauté fit fiiire l'expédition desdites 20.000 charges pour la subsis-
tance de l'armée d'Italie ; en conséquence, la capitation cessa d'être
levée à Marseille pendant deux ans*. » Ce n'était pas toujours chose
facile que de trouver des chargements, car, suivant l'abondance de
la récolte et les besoins de l'empire, les ministres du G. S. et les
( I ) Voir à l'appendice le tableau des importations.
(2) 12 Jèvr. 1-/10. lili, Sj. — Cet ordre fut rOvoqué par l'intendant dos galères
Arnoul, m avril ijio. IW. j.
(5) j4rch. Commun, de Mars. Invent. de Coiirmcs, sac rpç.
LES MAUX DE LA GL^RRE
345
*
»
pachas des provinces en autorisaient ou en interdisaient l'importa-
tion. Il till.iit souvent employer h fraude ou distribuer des présents
3U divan et .uix pachas pour pouvoir continuer ce commerce".
Les ports neutres de l'Italie profitèrent de cette crise; Livourne
fut plus que jam.iis l'entrepôt des marchandises anglaises et hollan-
daises qu'un grand nombre de n.ivires anglais et hollandais, mais
surtout Vénitiens et Génois, transportaient dans le Levant. « On
voit ici mieux que chez vous, écrivait le consul de Livourne, le
nombre étonnant de bâtiments génois qui est employé dans la Médi-
terranée*. >) Gènes crut même le moment venu d'introduire son
pavillon dans les échelles et d'y établir des comptoirs : en 17 12, la
République envoya i la Porte un noble Génois pour entamer des
négociations ;\ ce sujet : malgré les efforts de notre ambassadeur,
l'envoyé génois obtint la permission pour un certain nombre de
bâtiments de la République de naviguer sous pavillon anglais avec
cert.ains privilèges ; d'autres ambass;ideurs furent chargés de négocier
des traités avec les Barbaresques'. Les négociants de Malte eux-
mêmes se mirent h apporter à Marseille des quantités considérables
de marchandises du Levante! la Chambre, inquiète de cette nouvelle
concurrence, demanda que les marchandises venues de Malte fussent
assujetties au 20 0/0.
Le peu de sûreté que donnait notre pavillon et les droits considé-
rables auxquels il était assujetti le firent abandonner des bâtiments
étrangers, ce qui afLiiblit notre prestige et diminua les droits que
percevait la Chambre dans les échelles. Les Vénitiens surtout, les
plus nombreux ise servir de notre pavillon, prirent celui des Anglais;
quant aux Ragusois, ils s'étaient affranchis des droits qu'ils nous
payaient en établissant iu\ consul à Smyrne en 1697, ^ Tripoli de
Syrie en 1699*. D'autre part les Italiens et surtout les Arméniens c:
les Juifs des échelles, qui avaient l'habitude de noliser des bâtiments
français pour faire le commerce du Levant en Italie, furent obligés
par les nombreuses pertes qu'ils subissaient et la lourdeur des droits
(i) La valeur de riniport.ition dcf blcs ne figure pas dans les chiffres Uonnés
ci -dessus, car le blé éi.-iit exempt du paiement du cottimo dont les tablcnux de
Tecetcc ont servi a calculer ces chiffres. (V. à l'appendice),
(3) 8 octobre IJJ3. AA, sçj.
(î) L'assemblée des marchands de Marseille du 3 mai 1712 (BB, 6) montra
vivement la nécessite de combattre les projets des Génois.
(4) AA, 40J. 2^ dtcemhrt 169J, — AA, }SS. 6 avril tùt)().
346 LA CRISE
qu'ils devaient acquitter de prendre des navires anglais. Môme le
consul d'Egypte donnait avis en 17 13 que les marchands français
établis en Italie se servaient de « bâtiments portant pavillon anglais
ou hollandais, pour Élire passer en Egypte leurs marchandises et
les exempter des droits de consulat et avaries, ainsi que de ceux qui
appartenaient à la Chambre du Commerce*. » En vain, à la suite de
cette lettre, l'ordonnance du 5 mai 1713 défendit-elle aux Français
de charger sur des bâtiments étrangers, le consul de Livourne écri-
vait avec raison que « ce qu'il fallait c'était alléger les droits qui
pesaient sur notre bannière, le commerce d'Italie en Levant, qui
empruntait avant la guerre un si grand nombre de bâtiments fran-
çais, leur reviendrait et nous renverrions bientôt dans l'autre mer
les trois quarts des Anglais et des Hollandais qui sont en celle-ci*. »
En 1713, peu après la signature de la paix, la Chambre constatait
qu'il n'y avait pas un vaisseau français ii Livourne et qu'il y en avait
cinquante anglais destinés à faire les transports d'Italie dans le Levant*.
Aussi songea-t-elle à remédier à cette triste situation en diminuant,
comme le demandait le consul de Livourne, les taxes que payaient les
bâtiments français, afin de permettre de les fréter â meilleur marché
aux étrangers. Cependant ce ne fut pas sans peine qu'elle consentit
âla suppression des droits établis en 1703 et 1706, pour subvenir
aux frais des armements, car elle avait besoin de payer ses dettes.
Les revenus de la Chambre avaient en effet diminué â mesure que
ses dépenses augmentaient. Tandis qu'avant la guerre ses comptes
accusaient chaque année des excédents de recettes, elle ne suffisait
plus à fiiire face aux dépenses que par des emprunts : « à la fin de
(i) l'r fèvriet- lyij à Arnotil, BB, S).
(2) 12 mai i-jij ; 21 fèv., septembre J714. AA, ^çj. — Le consul faisait remar-
quer avec raison que pour faciliter le moyen aux étrangers de se servir de nos
navires il fallait abroger l'ordonnance qui défendait aux sujets du roi d'intéresser
les étrangers pour plus d'un tiers dans les chargements de leurs navires. — Cette
ordonnance avait été rendue en un temps où les Français jouissaient de grands
avantages en Turquie et surtout en Egypte, pour leur réseï ver les profits du trafic.
Mais ces avantages étaient devenus communs aux Anglais ; il était donc de l'intérêt
de notre nation de permettre d'associer les étrangers pour la plus grande portion
des chargements pour les empêcher de chajrger sur des navires anglais ou de se
servir de la bannière anglaise. — S octobre IJ12. AA, S97. — On a la preuve de
la concurrence heureuse que les Anglais firent i notre marine pendant la guerre
de succession pour les transports d'Italie dans le Levant, par les chifTres des cotti-
mos payés par les navires français qui faisaient ces voyages. Ces chiffres, considé-
rables de i68j à 1695, époque où ces navires étaient très employés, tombent à
presque rien en 1696-97 et h partir de 1701. — CC, 2] et stiiv.
(î) 20 juillet lyi}. BB, 6.
LES MAUX DE LA GUERRE 347
1706, Pontchartrain s'étonnaii d'apprendre qu'elle avait 800.000
livres do dettes. Cependant elle avait dû négliger d'envoyer aux
L^chellcs l'argent nécessaire; celles-ci, A leur tour, avaient été obli-
gées d'emprunter à des intérêts énormes et elles s'endettaient rapi-
dement. En 1708 la Chambre se reconnut impuissante A payer les
dépenses du commerce et elle demanda la suppression des appointe-
ments des consuls qu'elle payait, et le réuiblisseracnt des anciens
droits de consulat'. C'eût été perdre le fruit d'une excellente réforme ;
d'un autre côté, il valait mieux contracter des dettes i Marseille que
dans les échelles, Pontchartrain lui donna l'ordre de suspendre tous
les paiements, sauf ceux des appointements des consuls et autres
officiers des échelles. Le ministre ne pouvait pas croire qu'il n'y eût
p.is de la négligence et du gaspillage dans l'administration financière
de la Chambre et, au milieu des préoccupations de l'année 17 10, il
décida de faire une révision générale de ses comptes. L'arrêt du
Conseil du i" février 1710 commit pour ce travail M. de Harlay,
conseiller d'état, assisté de deux autres conseillers et de deux maîtres
lies requêtes. Les trésoriers du commerce lui remirent leurs comptes
depuis l'année 1705 et les commissaires durent examiner dans les
archives les comptes antérieurs, de 1669 à 1704. Cette enquête ne fit
pas découvrir d'irrégularités dans la gestion de la Chambre, mais
olle ne fut pas inutile, car les commissaires réglèrent une série de
«JifTcrends entre elle et ses créanciers et après le rétablissement
«ie la paix ils travaillèrent avec elle ;'i délivrer le commerce et les
«échelles de leurs engagements*.
Cependant le commerce ne fut pas aussi profondément atteint
cju'on pourrait le croire; nos rivaux avaient souffert cruellenici\t de
^la guerre ; les Génois et les Vénitiens avaient pu profiter du droit
(i) ) janv. i/oS. BB, j. — Il y eut .i ce sujci de violentes querelles p.irmi les
*ï^octants de Marseille, les uns étant du sentiment de la Chambre, les autres, plus
rfcombreu», protestant contre le retour du système du fermage des consulats. Les
1 «Ivux partis envoyèrent à la cour une série de mémoires. Lebret cssay.i en vain de les
I amener à une entente. Voir ces mémoires. Rihl. Nal. tins. fr. t6'/(>i}, fol. i })-iSS,
I (a) Un premier état de-; dettes de la Chambre fourni à M. de HarKny le Jî août
I -71 I, s'élève en tout à 746.058 livres. liibl, Kal. mis. fr, i6<fix). fol. 'lij. — Les
ccjrTjmisiaircs réclament le 28 octobre 171 1 l'éiaf détaillé des dettes de toutes les
libelles. RB, X}. — Le 12 juin 1715 la Chambre remet A l'intendant un nouvel
eut Je sa situation : ses dettes étaient évaluées à 495.000 livres, ses dépenses
uclles A 228.000 livres, ses recettes à 568.800 livres. — Elle comptait donc
voir chaque année 140.8CX3 livres d'excédent et par conséquent payer ses dettes en
quatre ans environ. BB, 6, fol. St.
1 Qlia
LA CRISE
des neutres pour s emparer en pnrtie des transports dans la Mcditcr-
rnnco pendant les hostilités, mais ils ne pouvaient en temps de paix
rivaliser avec les trois grandes puissances commcr«;ante5, parce qu'iU
n'avaient pas de correspondants dans les échelles. Heureusement les
traites de commerce, signés ;\ Utrccht avec l'Angleterre et la Hol-
lande, ne continrent pas de clauses désavantageuses. Les Hollandais
avaient cru retirer de grands avantages de l'article 9 de leur irahé
ainsi conçu : « h l'égard du commerce de Levant en France et de
20 "/o qui se lève à cette occasion, les sujets des Etats Généraux des
Provinces Unies jouiront aussi de la même liberté que les sujets du
roi Très chrétien, tellement qu'il sera permis aux sujets des Euts
Généraux de porter des marchandises du Levant à Marseille et
autres places permises en France, tant par leurs propres vaisseaux
que dans des vaisseaux français; et que, ni dans l'un ni dans l'autre
cas, lesdits sujets ne seraient assujettis au 20 "/o sinon dans les cas où
les Français y sont sujets.... et en ceci ne pourra se (aire aucun
changement au préjudice des sujets des Etats Généraux '. » Il y eut
.\ ce sujet un moment d'inquiétude à Marseille : si les Hollandais
étaient dispensés de payer le 20 °/o, grâce à l'inférioritc de leurs prix
de fret, ils seraient bientôt les maîtres du commerce de b France
avec le Levant ; les Anglais, auxquels l'article 8 de leur traité accor
dait les a\-antages de la nation la plus favorisée, jouiraient aussi d 4
la même exemption. Pontchartrain proposa au Conseil decommerc
de chercher les moyens d'éluder l'exécution de ces articles', mais
Chambre put démontrer que les avantages accordés aux HolLinda^K-is
étaient en grande partie illusoires ; ils devaient en ctTet être trait «.-.s
sur le même pied que les Français, or ccux<i ne pouvaient ra^K.rr
entrer les marchandises du Levant dans les ports du Ponant qu' -^n
p.nant le 20 "s, à moins qu'elles n'eussent été prises ;\ Marseille, Mes
1 lolUndais ne seraient donc exemptés du 20 "/« qu'eu décbargc=r*nr
;\ Marseille, mais les Français ne pourraient pas charger sur le 'mjrs
navires, car, d'après les ordonnances, ils éwient assujettis au 2»
quand ils chargeaient sur des navires étrangers. Les autres natio/is
et particulièrement les Arméniens et les Juifs ne pourraient pas ne/,'
plus emprunter les navires bollandais, car l'ordonnance du 21 octo-
(I) V. Mémoire ic U Oumlct an saiet des tnii^ <!c ctftamcTfX fiits avcv It
LA REPRISE DES AFFAIRES
349
brc 1687, rendue exécutoire pour toutes les échelles, par arrêt du
i Conseil du 27 janvier 1694, défendait expressément l'entrée en
J-r.incc des marchandises pour le compte des Arméniens, Juifs et
autres étrangers, à peine de confiscation et de 3 .000 livres d'amende ;
l'avantage accordé aux Hollandais était donc limité à l'entrée par
Marseille des marchandises du Levant chargées sur leurs bitiments,
pour le compte de ceux de leur nation « ce qui ne pouvait être que
d'un petit objet, car ce trafic détournerait leurs b;\timcnts de leur
route de retour, et les frais du retird ainsi occasionné excéderaient
^^les bénéfices du fret des marchandises qu'ils déchargeraient à Mar-
^■^eille. » La Chambre se montrait donc rassurée sur les effets du traité,
^^â condition que dans l'exécution on s'en tint ;\ son interprétation '.
Le commerce français avait conservé tous les avantages dont il
j ouïssait auparavant : la nation française restait la plus nombreuse
^bians la plupart des échelles, les revers de nos armées n'avaient pas
^^Itéré nos rapports avec le Divan et les réclamations de notre ambas-
sjdeur contre les tyrannies de quelques pachas étaient mieux écou-
^btées que jamais. Les Barbaresques n'avaient pas cherché à profiler
^^ie nos embarras ; d'ailleurs la présence de nombreux corsaires
crhrctiens et de Hottes de guerre considérables dans la Méditerranée
Xî'était pas favorable k leurs courses. Bien que nos consuls n'eussent
<quc des sommes modestes à leur disposition pour détruire l'effet des
^^ntrigues des Anglais et des Hollandais la paix fut donc mainicnue
^Ktvcc eux, il fallut toutefois fermer les yeux sur un certain nombre
^ftj'avanies qu'ils firent subir A nos bâtiments. En 17x4, il fut question
^^3e les en châtier, mais la Chambre et la Compagnie d'Afrique firent
^^à la l'ois des représentations pour qu'on eût recours à la conciliation
^■KC M. Duquesne, envoyé ù Tunis et à Tripoli avec le vaisseau le
JDiamant réussit, en distribuant seulement pour 1.496 livres de
présents, à obtenir des deux gouvernements les satisfactions qu'on
«demandait *.
^^ Il semblait, pendant la guerre, qu'il n'y eût plus d'argent en
^BFrance : « notre place est si resserrée qu'il n'y reste pas un sol »,
^Bécrivait la Chambre dés 17O), mais les capitaux se cachaient, ils ne
manquaient pas et il leur tardait de se hasarder après être restés
longtemps improductifs. Il en était de même des b;\timents que les
(t) M^moirt citi. BU, 6. Jol. 13J et suiv.
(lol>r( rj!.f. lU!, Sj. — Cf. [3 fnr. lyio, aj/aiiv. 1712. BB, S}.
350 LA CRISE
armateurs étaient impatients de fréter après les avoir vus si souvent
enfermés dans le port. Sans doute les prises avaient fortement dimi-
nué la flotte provençale, d'autres vaisseaux avaient été vendus aux
Génois ou aux Livournais, mais, avant même la fin de la guerre, le
nombre des voyages faits dans le Levant prouve que le nombre des
bâtiments était considérable et l'on dut se remettre activement à en
construire, car, en 17 14, quatre-vingts vaisseaux au moins sortirent
des ports de Provence, sans compter les petits bâtiments. On pour-
rait croire aussi que la ruine des manufactures dut empêcher les
négociants de trouver des marchandises ;\ porter en Levant, mais le
peu de trafic qui s'était fait dans les dix dernières années avait laissé
s'accumuler un stock considérable de marchandises, et, après la paix,
les fabricants assurés du débit purent donner une nouvelle activité ;\
leur production. Les manufactures de draps du Languedoc, qui
fournissaient les articles les plus importants d'exportation, n'avaient
d'ailleurs jamais cessé leur fabrication.
Rien n'empêchait donc les Provençaux de reprendre leur com-
merce que la guerre avait interrompu, mais non ruiné. Ils n'attendi-
rent même pas qu'elle fût finie ; dès qu'il se produisit un ralentisse-
ment dans les hostilités, il y eut une véritable fièvre parmi les
marchands, les armateurs et les capitaines, pour être les premiers A
profiter de la reprise des affaires. Dans les cinq années les plus
désastreuses de la guerre, de 1705 à 17 10, la moyenne des départs
pour le Levant, sans tenir compte des transports de blé, avait été de
69; on 1710, il y eut 104 départs, 135 en 1711, 120 en 1712 et ce
chiffre i la suite de la signature de la paix s'éleva à 156 et à 305 en
171 5; on n'avait pas vu un pareil mouvement dans les ports de
Provence depuis les débuts du xvii"= siècle. Les marchandises déchar-
gées à Marseille, en 1713 et 17 14, atteignirent la valeur de
1 1. 212. 000 et 23.332.000 livres, et ces chiffres se maintinrent aussi
élevés les années suivantes.
Il est vrai que les marchands de Marseille avaient montré trop
d'empressement à faire des achats ; le royaume ne s'était pas remis
aussi vite de la crise qu'il avait traversée, l'argent ne circulait pas,
la misère étiiii grande, les manufactures tardaient à se remettre en
mouvement et la consommation des marchandises du Levant était
donc beaucoup moins considérable. L'Kspagne, le principal débou-
ché des négociants provençaux, était encore plus ruinée que la
LA REPRISE DES AFFAIRES
351
'nnce et il fallait du temps pour que les transactions avec les autres
[pays comme l'Italie, la Hollande ou rAllemagnc fussent rc'tablies.
fD'aillcurs, en aucun temps, pareille quantité de marchandises n'avait
tété déversée i la fois sur le marché marseillais et ce n'était pas seu-
lement les anciens débouchés qu'il fallait retrouver, l'activité inusitée
_du commerce rendait nécessaire d'en ouvrir de nouveaux et ce
^n'était pas chose facile, au lendemain d'une guerre qui avait boule-
versé la moitié de l'Hurope.
Le commerce subit donc une nouvelle crise en 1715, analogue ;\
celle qu'il avait ressentie de 1697 a 1700, par suite de la pléthore des
^marchandises i Marseille. Les magasins étaient remplis, il n'y avait
pas d'acheteurs, la Chambre se plaignit « du rabais presque incroyable
des prix '. » 11 s'ensuivit, dans les premiers mois de 1715, environ
soixante-dix banqueroutes, dont les unes avaient entraîné les autres.
Pour conjurer le danger, le ministre accorda une prorogation de
plusieurs mois pour les paiements de Pâques qui furent reportes en
juillet, puis, il cette date, la Chambre obtint encore du Parlement
■ d'Aix un sursis de deux mois pour l'exécution des contraintes à
l'égard des débiteurs négociants. Le 30 juillet, une grande assem-
Iblée des marchands fut réunie par l'intendant Arnoul, pour concer-
ter les moyens « d'éviter la déroute presque générale du commerce,
afin que les négociants prissent des ajustements entre eux pour se
soulager les uns les autres. » L'assemblée jugea que, pour faciliter
ces arrangements, « il paraissait encore nécessaire de mettre une
I surséance de six mois pour les billets à ordre *. »
Mais cette nouvelle crise, quoique très grave, ne se prolongea pas,
le chiffre des importations, tombé au-dessous de 5.000.000 en 1716,
remonta à plus de 13.000.000 de livres en 1717 et le courant des
afl;iires conserva régulièrement un niveau supérieur à celui qu'il
avait atteint pendant tout le règne de Louis XIV : l'année 171 9
deux cent quatre-vingt-dix-sept navires rapportèrent du Levant des
I
(I) Lettre du consul du Ciiirt y juin ijif : « Les négoci.-ints de Marieille ont
eu h fureur J'envoycr une forait de bdtimeats avec des sommes immenses.... ils
ont cru l'Egypte in<^puisable, ils oat nclieté les piastres jusqu'à S livres ) sols ; ils
ont rais le feu aux marchandises que l'on tire de l'Egypte pour les revendre à une
perte de 50 0/0, Vous voulez la liberté du commerce et voili ce qui arrive ; il y a
di:i-huit mois que les négoci.ints de votre place font un commerce très désa-
vantageux dans toutes les échelles du Levant et vous n'avez l'ait aucune diligence
pour y mettre ordre. » A A, ^04.
(1} AtsetnbUt du jo juillet 171 s- — BB, 6, fol. içy.
352 LA CRISE
marchandises valant près de vingt-quatre millions de livres. La
guerre de succession n'avait donc causé qu'une crise très doulou-
reuse, mais passagère, qui ne détruisit pas l'heureux effet des longs
efforts accomplis pendant le règne de Louis XIV. La nation fran-
çaise achevait alors de s'établir dans les parties du Levant où elle
ne l'était pas encore : au début de la guerre de succession avait été
ouverte l'échelle de Larta en Epire. En 171 5, la chambre décida
d'établir un consul dans chacune des îles de l'Archipel, pour donner
la protection nécessaire aux Français ; des vice-consuLits, dépen-
dants de l'échelle de Salonique, durent être créés sur la côte de
Macédoine *. L'important commerce de blés qu'on avait fait dans
ces pays pendant la guerre de succession avait attiré avec raison
l'attention de la Chambre. Les Français étaient enfin en état, au
début du xvin" siècle, de disputer avec succès aux Anglais et aux
Hollandais les bénéfices d'un négoce que ceux-ci avaient pu espérer
leur enlever en entier, au milieu du xvii" siècle.
(1) 26 avril ijiS- ^ti, 6. — Ils auront pour les faire subsister 2 0/0 de la valeur
des marchandises et en outre un droit d'ancrage de 5 piastres par vaisseau, sur
ceux qui après avoir déchargé ne chargeraient pas |X>ur le retour.
LIVRE III
TABLEAU DU COMMERCE DU LEVANT
A LA FIN DU XVIIc SIÈCLE
CHAPITRE PREMIER
LES PORTS FRANÇAIS ET LE COMMERCE DU LEVANT
Depuis l'édit de 1669 et les arrêts du Conseil de 1685 et 1692,
confirmés par celui de 1703, Marseille avait définitivement le
monopole du commerce du Levant qu'elle faisait déjà presque en
entier auparavant, grâce aux avantages de sa position et aux privi-
lèges dont elle avait toujours joui depuis le moyen âge. Colbert
pensa tout d'abord à la transformer pour la rendre digne du rôle
«qu'il lui assignait. La ville s'étageait alors presque tout entière sur
les pentes des collines qui bordaient son port du côté du nord, avec
Un quartier plus récent faisant face aux anciens, au pied de la col-
line escarpée de Notre-Dame-de-la-Garde, près du vieux monastère
de Saint-Victor. Entre ces deux parties de la ville s'allongeait le
port, prolongé du côté de l'est par les chantiers de construction du
plan Formiguier.
C'est de ce côté que l'intendant des galères Arnoul proposa d'éta-
blir les nouveaux quartiers ; il en avait conçu l'idée et, de sa propre
initiative, il en adressa les plans â Colbert'. Celui-ci les approuva
(1) / mars 1666, à Arnoul. Lettres et Inst. t. II, p. 434.
3)4 ' TABLEAU DU COMMERCE
aussitôt et en poursuivit activement l'exécution, malgré l'opposition
des Marseillais, très en garde contre tout ce qui venait de la cour,
mécontents de voir abattre une partie de leurs vieilles murailles,
« dont les tours, écrit Arnoul, semblaient menacer le ciel et la
terre' », et avec lesquelles paraissaient tomber les derniers vestiges
de leur indépendance, inquiets enfin de voir des étrangers venir
s'établir dans leur ville.
Les éclievins durent s'entendre avec Arnoul, « agir avec lui avec
la dernière correspondance, » et, à partir de 1669, les nouveaux
quartiers commencèrent à s'élever*. Dès qu'il avait été question de
les construire, « beaucoup d'étrangers bons négociants, » d'après
Arnoul, avaient demandé des places à acheter ; le privilège de bour-
geoisie, que l'édit de 1669 accorda sur ses instances à ceux qui
bâtiraient ou achèteraient des maisons dans les nouveaux quartiers,
dut contribuera les attirer'. Les plans conçus par l'intendant étaient
grandioses, et la Cannebière, malheureusement séparée du port par
les dépendances de l'arsenal des galères, le Cours qui la coupait à
angle droit avec ses belles constructions régulières, à l'ornementa-
tion desquelles avait présidé Pierre Puget*, excitaient alors l'admi-
ration des étrangers. En même temps, au milieu de l'ancienne ville,
sur le quai du port, l'hôtel de ville, devenu insuffisant pour les
assemblées des marchands, était remplacé par un édifice lourd et
disgracieux, mais d'aspect monumental. Gnke à ces tranformations,
Marseille passait ;\ la fin du xvii"' siècle pour l'une des belles villes
d'Europe. Sa population, inférieure ;\ éo.ooo habitants avant
Louis XIV, s'était élevée à loo.ooo en 1700".
Des travaux bien plus importants pour le commerce avaient été
(i) « Voilà le dernier coup de l'autorité rétablie de voir sauter ces tours qui
semblaient menacer le ciel et la terre. » 21 décembre 1666. Depping, t. I, p. 772 ;
cf. lettre du 22 janvier 1667. Ibid.
(2) « L'on fait les alignements pour l'agrandissement où l'on va travailler avec
diligence. » — Evèque de Marseille à Colbert, 2j novembre xGùi). Dkpping, t. I,
p. 810.
(3) iS janvier i66j. Arnoul à Colbert. Depping, t. I, p. 772.
(4) Colbert expédia ù .\rnou!, le i" mai 1671, un arrêt du Conseil pour com-
mettre le sieur Puget aux alignements... et obliger les particuliers à ne faire aucuns
bâtiments sans sa participation. lettres et Inst. t. III, i" partie. — Cependant
l'ornenientation des maisons du cours St-Louis, construites au XYiii"- siècle, ne
doit pas être attribuée à Puget. F.'iBRE. Les Rues île Marseille, t. II, p. 78.
(5) Arch. de la Marine. B', joo, fol. 99. — Cependant d'après les calculs de
M. Fabre (Les Hues de Marseille, t. I, p. 388), la ville n'avait que 75.000 habitants
eu 1696.
MARSEILLE J 5 S
faits en même temps dans le port, sous la direction de l'intendant
Arnoul. L'excellent port naturel de Marseille si heureusement choisi
par les navigateurs grecs avait une entrée resserrée entre deux rochers ;
en 1380 pour le rendre encore plus sûr et en ûciliter la défense, on
l'avait encore rétréci parla construction de trois piliers en pierres de
taille, entre lesquels était tendue une cliaine pour le fermer pendant
la nuit. Il n'y eut pas d'autre travail fait avant que Marseille appar-
tint aux rois de France. « Le roi Louis XII, raconte l'historien de
Marseille RufR, fut le premier qui commanda d'y faire un quai du
coté delà ville, et parce qu'on y travaillait fort lentement, Préjentde
Bidoux, capitaine-général des galères, en avertit S. M., qui, par sa
lettre datée de Blois (9 avril 13 il), enjoignit aux consuls d'user de
diligence; et, l'année suivante, ce prince donna ordre .\ Pierre Filholi,
archevêque d'Aix, de faire achever ce quai, qui fut alors construit
sur des paux et tout de pierre de taille et n'avait que quatre pans de
large... Q)mme il était encore trop étroit, le roi Louis XIII, étant .^
Marseille l'un 1622, trouva .i propos de l'agrandir encore, de sorte
que la même année on commença d'y travailler, et on continua
depuis avec tant de diligence que, l'an 1623, on le mit au même état
où nous le voyons, aux dépens de la gabelle du port. » Du coté de
b colline de N.-D. de-la-Garde, le port avait été bordé d'une muraille
^bcn 1)11, aux frais de la communauté, un quai n'y fut construit
^qu'en ï$f>6, sur l'ordre de Charles IX, qui visita la ville'. Mais ce
^uai ne s'étendait pas tout le long du port dont le côté est, était
Kcccupé par le Pbn Formiguier.
L'intendant Arnoul voulut créer dans le port un grand arsenal
|j)0ur les galères ; « Il est de nécessité, écrivait-il, que les choses
soient tellement disposées à Marseille et à Toulon qu'en cas d'acci-
«ient, de maladie contagieuse, l'un ou l'autre puisse servir pour
'vaisseaux et pour galères. » Malheureusement il ne trouva pas de
meilleur emplacement pour l'arsenal que le plan Formiguier ; les
marchands et la Chambre, menacés d'être dépossédés de leur
■ chantier de construction de navires, firent au projet une vive
opposition et c'est à ce sujet que commencèrent les démêlés avec
l'intendant. Leurs arguments firent même impression sur Colbert,
préoccupé plus encore du développement du commerce que de
m (1) RL'FFi, p- 5. —En 1646, un Eindl avait été construit parla commuiuutô
il'cntrdc du port. Wrjy. Commun. IMilih-, du t) jtpUmbri 1646.
356 TABLEAU DU COMMERCE
celui de la marine de guerre, et l'intendant fut obligé de se justifier.
« Si Marseille avait tout le commerce du Levant à elle, écrit-il
au ministre, elle a de quoi bAtir commodément plus de vingt grands
vaisseaux ila fois, pourvu que l'on donne du fonds en Rive- Neuve,
qui a été mon intention et que j'exécuterai, pourvu que l'on me croie
et que l'on remette Rive-Neuve' en plage. J'ai consulté nos maîtres
charpentiers, ceux de la ville qui m'ont parlé sans prévention ; j'ai
vu bAtir un des plus grands vaisseaux qui se soit bâti à Marseille et
ce hors du plan Fournilier et en un lieu où on en bâtirait aisément
plus qu'il n'en faudra jamais et le roi a un arsenal commode et
beau Je vous prie d'être en repos pour le commerce et bâtiment
des vaisseaux de Marseille. Je prends sur ma tête et ma vie qu'on
me laisse faire, qu'ils ne seront point incommodés de la prise
entière du plan Fournilier, pourvu qu'avant de prendre feu, les
choses que j'ai toujours eu dessein de faire soient faites*. »
La création de l'arsenal des galères ne semble pas en effet avoir
gêné le développement du commerce ; d'Oppède et Arnoul, sur
l'ordre du roi, firent avec la ville un contrat le 13 septembre 1668,
par lequel on lui cédait un autre emplacement pour la construction
des vaisseaux'. Plus tard l'intendant des galères ayant voulu en
construire deux en dehors de l'arsenal, dont les deux bassins se
trouvaient occupés par la construction de deux autres, obtint de la
Chambre l'autorisation de s'établir provisoirement sur le chantier
destiné au commerce, mais il refusa de l'abandonner quand celui-ci
en eut besoin, et, après plusieurs années de contestations, la Chambre
dut encore chercher un nouvel emplacement, pour que le commerce
pût avoir son chantier*.
Arnoul se préoccupa non moins vivement du curage du port' qui,
par suite de la négligence des consuls, menaçait de se combler
(1) Quai bâti bous Charles IX.
(2) 10 avril i66ti. Dti'PiNG, t. I. p. 772 et suivants.
(3) Il est vrai que la ville dut acheter cet emplacement des religieuses Bernar-
dines sur la rive neuve du port au prix de 50.OCX) livres. — (Délibêr. du 2 août
1666. — Reg. 66 des Délibêr., fol. ;;;).
(4) <; août 16S1. Lrltn- de la Chambre, HB, 26. — jo juillet 16S6, Seignelay à
Morant. — Par acte du 12 novembre 1689 la ville acheta de l'C^uvre de N.-O.
de Miséricorde, au prix de H -5*^3 libres, le terrain qui servit délinitivemcnt de
chantier jusqu'.'i nos jours. — (.U\h. Commun. Reg. ij2 des itélibér., fol. i.f.)
(5) Puget avait dressé un plan de canaux pour augmenter l'étendue des quais
et du port, mais l'intendant en déconseilla l'exécution : le port suffisait ample-
ment si ou savait l'utiliser. — Lettre du 4 décembre tôôS. — DtpriNG, t. I, p. 791,
MARSEILLE 357
et devenait insnffis.int, au moment où les navires augmentaient de
dimensions et de tonnage. Il y avait cependant chaque année pour
ce curage des travaux adjuges ù un entrepreneur et il fut plusieurs
fois question dans les délibérations de l'assemblée municipale, anté-
rieurement h la création de la Chambre du commerce, de l'expéri-
mentation de machines perfectionnées pour opérer le dragage des
boues et de nouvelles barques pour les conduire en pleine mer; mais
il y avait, sans doute, comme l'écrivait Arnoul, une foule d'abus, il
fallait empêcher « les pots de vin qu'on prenait en donnant la ferme
qui était une intrigue, ne donner de la barcade de vase que ce
qu'elle valait et tenir la main que tous ces deniers fussent bien
employés. Les deux intendants du port, disait-il, ne peuvent venir
à bout de ceux qui travaillent avec lesdits engins, qui sont de
pauvres misérables auxquels on sous ferme la barcade de boue
Comme on leur donne le moins qu'on peut et que tout le profit
demeure au bourgeois. ;\ qui la machine appartient.... ces pauvres
gens vont chercher dans le purt l'endroit où la bouc est la plus
molle sans s'inquiéter s'il manque de fond en cet endroit je les
fis tomber d'accord que je mettrais moi-même les machines aux
lieux nécessaires'. » En ié68, faute d'un fond suffisant, il f.nUut
attendre plusieurs mois pour mettre ù l'eau la galère capitane nou-
vellement construite et l'on dut, pour la garantir du soleil .'i terre,
la recouvrir de toiles sans cesse mouillées'.
Colbert donna à Arnoul la direction du travail du curage et le
pres.sa vivement de le poursuivre avec activité. « Je vous prie de
me mander en détail tous les mois, lui écrit-il, la quantité de pon-
dons que vous emploierez et le n4)mbre de batelécs de vase qu'ils
Jltcront'. » Mais ce n'était pas un mince travail que de faire un
curage complet du port ; fa Chambre avait évalué la dépense en r662
A 600.000 livres et la gabelle du port, dont la ville affectait ch.tque
année le produit A cet usage, ne donnait par an que 15.000 livres,
A la suite de l'affranchissement du port, la Chambre consentit
à supporter cette charge et l'ordonnance du premier président
l'Oppède décida que tous les ans, préférablement A toute autre
il) s »««' '66S. — Depping, t. IV, p. 54.
(1) Même lettre.
(j) tô août i6bi). Lettres et fint., t. III, !'•■■ partu. — ;<•' mai if>/i, ihid. —
* d'Oppfde, ;o mii 1661). Depping, i. III, p. .^67.
5)8 TABLEAU DU COMMERCE
dépense, elle verserait au trésorier de la ville 23.000 livres pour
être employées au curage'. Plus tard la Chambre réussit h se faire
décharger de cette dépense sous prétexte que le comblement du port
ne venait pas des navires, puisque leur déchargement se faisait dans
les infirmeries, mais des ordures et immondices de la ville qui se
déversaient dans le port. L'arrêt du Conseil du 16 août 1685 ordonna
que la somme de 25.000 livres serait prise sur les deniers d'octroi
ou fermes de Marseille, et payée annuellement par trimestre et
d'avance, avec défense à la Chambre à l'avenir de plus rien imposer
ou lever sur les bâtiments marchands, sous prétexte de nettoiement du
port en quelque forme et manière que ce fût, à peine de concussion *.
Pendant la guerre de succession d'Espagne, l'état extrêmement
obéré des finances de la ville décida l'intendant Lebret A proposer à
Pontchartrain de remettre de nouveau le curage du port à la charge
de la Chambre, mais celle-ci, réussit à plusieurs reprises à faire
écarter cette proposition*.
Les travaux d'entretien avaient été mieux exécutés depuis 1669,
car on ne fit plus de plaintes de l'insuffisance de la profondeur du
port, mais il semble que l'augmentation de la marine marseillaise
après le traité d'Utrecht ait fait trouver trop restreint l'espace dont
disposaient les navires. On proposa en effet pour la première fois,
en 171 5, d'effectuer des travaux pour faire disparaître un rocher qui
occupait dans le bassin un espace considérable*. Deux ans après, un
ingénieur du roi, garde des plans de S. M., M. Mazin, présenta à
la Chambre un projet, qu'il avait fait approuver par le Conseil de
marine, pour la construction d'une darse « à y pouvoir placer les
galères du roi et laisser libre aux négociants l'ancien port, en sorte
qu'on puisse faire avec toute sorte de commodité et de liberté le
commerce. » Lt Chambre trouva sans doute que la contribution
de 400.000 livres qu'on lui demandait était trop considérable et les
travaux n'eurent pas lieu.
(i) Ordonn. du fi juiUd i66p, BB, 2, fol. 77 j. — 4 septembre i66q. Ordoim.
explicative. Ibid. fol. ■j]i-)2. — Dans les registres de comptes des dépenses de la
cL-inibrc, CC, 2} et siiiv., la cure du port (i<^ure en 1673 pour 87. 5(X) livres, en
1674 pour 37.51)0, en 167S pour 18.750, en 1677 pour 25. ax), en 1678 pour
51,250 et ensuite régulièrement pour 25.000 livres.
(2) BB,4,fol. IS4.
(3) 24 novembre I/06, i S janvier 170S, 21 mai iji}. BB, S}.
(4) 2i) mai ijij. BB, S}. Lettre do Pontchartrain faisant entendre à la Chambre
que c'est ;\ elle et non à la ville à supporter cette dépense.
MARSEILLE
L'insuffisance de l'organisation des quarantaines, si importantes
'"à Marseille, dont les navires revenaient de lieux souvent ravagés
par la peste, nécessita aussi sous Louis XIV des travaux très impor-
tants '. Les quarantaines étaient purgées ordinairement aux îles, dans
les ports de Pomègue et du Frioul, mais si un navire arrivait de
lieux où sévissait la contiigion, les marchandises pouvaient être
envoyées au lazaret, situé sur la terre ferme, où les passagers avaient
la faculté de passer le temps des quarantaines. Marseille avait eu un
premier lazaret en 1476; après la peste de 1557, il fi.it établi dans
des constructions situées sur le port St-Lambert qui prit le nom
qu'il conserva jusqu'au xix' siècle de port des Vieilles-Infirmeries',
Quand le roi fit construire le fort St-Nicolas on trouva le lazaret
trop rapproché et il fut transféré au nord de la ville, où il resta
jusqu'à la construction des bassins actuels du port de Marseille, dont
l'un porte le nom de bassin du Laziiret. Les Nouvelles Infirmeries,
pour la construction desquelles le roi avait accordé 50.000 livres h
h ville', occupaient un vaste espace au nord de la ville. « Le Lazaret,
écrit un voyageur allemand du xviii* siècle, se trouve à une distance
de mille pieds des murs du la ville et contient tous les bâtiments
nécessaires pour loger le commandant, l'aumônier, le médecin, le
chirurgien, l'économe et les garçons de service. Il est entouré d'une
double muraille de 24 pieds de haut; l'intervalle est de 56 de large
et des soldats gardent continuellement l'extérieur. A côté se trouve
un second lazaret dans les mêmes conditions : c'est là qu'on décharge
les marclian dises des navires suspects pour y être aérées, retournées
et soumises aux fumigations pendant cinquante jours. Les travail-
leurs attachés à cette besogne sont rigoureusement internés dans le
premier lazaret où on les nourrit avec le plus grand soin *. » Quant
aux ports des îles, où s'arrêtaient tous les navires pour subir la qua-
■ (!) La peste avait en effet éclaté à Marseille dix fois au xvi« siècle et deux fois
dans 1.1 première moitié du xvn<^ siècle.
(3) niles avaient àiè agrandies par l'achat de plusieurs maisons voisines \ la
suite de la peste de i6jo. — V. Jrcb. Commun. Dâibérations, 10 novembre i6jo,
i, iS aoùl, 4, 6, 7 octobre i6}i.
(3) Mcrariir à Colhert, 22 el 5/ mai tô6i. Il le presse de mettre la ville en
possession de la somme promise pour une infirmerie. Deppinc, t. I, p. 525. —
Colberl à de la GuelU, intcidanl d<- la Marine, S septembre 1662. Lettres, t. III.
(4) FiscH. Lettres sur le Midi de la France. Zurich, 1790. Trad.par M. Barré.
Bibl. de la ville de Marseille, dans le Bull, de la Soc. de Gio^. de Marseille, 1895,
p. 20. — « Le lazaret, dit le voyageur Lucas en 1717. est un des plus beaux
Ditimenis qu'on puisse voir. ><
360 TABLEAU DU COMMERCE
rantaine, on les avait laissé combler peu à peu, si bien qu'à l'époque
de Colbert ils ne furent plus accessibles et les navires furent obligés
de faire quarantaine au port de Doumes (Endoume) qui était très
petit et touchait à la terre ferme. Il était d'autant plus important
d'approfondir le port de Pomègue, que les galères royales étaient
souvent obligées, à cause de l'état de la mer, d'y faire un séjour
considérable*. Seignelay, sur la plainte de la Chambre, fit feire une
enquête pour savoir à combien reviendrait la dépense de l'améliora-
tion de Pomègue, pour le remettre en état de recevoir les vaisseaux
et les galères, mais les travaux ne furent effectués qu'au début de la
guerre de la ligue d'Augsbourg*. Grâce à ces travaux les navires, en
cas de besoin, purent relâcher non seulement à Pomègue, mais au
port du Frioul et au fort Tourville dans le petit îlot qui émerge à
l'entrée de la rade d'Endoume, où la Chambre du commerce avait
soin d'entretenir des amarres scellées dans le roc. Enfin, A cet
ensemble de travaux effectués dans le port de Marseille s'ajoutait la
construction des deux fortifications, la citadelle St-Nicolas et le fort
St-Jean, qui en gardaient l'entrée ; peu de ports du royaume avaient
été l'objet de pareilles dépenses.
Il y avait aussi peu de villes où le commerce tînt une aussi grande
place dans la vie des habitants. En dehors des négociants, des ban-
quiers, des assureurs maritimes, des courtiers, des armateurs, des
capitaines et patrons de bâtiments, qui formaient une fraction impor-
tante de la population, tout le reste de la ville était intéressé au
commerce du Levant. Les gentilshommes, nombreux â Marseille,
s'ils ne pratiquaient pas eux-mêmes le négoce, engageaient leurs
capitaux dans la banque ou dans les assurances; le menu peuple
risquait sur les navires le peu d'argent dont il disposait : « les gens
de bras, valets et ouvriers, disaient les Lyonnais dans un mémoire
adressé à Colbert, mettent ce qu'ils ont d'argent sur les barques et
vaisseaux qui vont en Levant, jusqu'à des sommes de 20 et 25 écus. »
Ce morcellement des capitaux faisait à la fois la force et la fiiblesse
du commerce marseillais. C'est ce qui lui permit de traverser, s;ins
succomber, de terribles crises : les banqueroutes pouvaient s'accu-
muler sans que le commerce fût complètement ruiné, parce qu'elles
n'étaient pas considérables.
{i) La Chambre à Seignelay, 2S jiiUM 16S2, BB, 26.
(2) \B août 16S2, BB, S2. — Vingt délibérations de la Chambre, 1688-92. BB, 4.
' MARSEILLE 31»!
Cette multiplicitc d'intérêts divers était la cause de ces mesquines
rivalités, df cc-s querelles violentes et de ces indécisions qui carac-
térisaient L'S assemblées tumultueuses des marchands de Marseille et
provoquaient chez Colbert et ses agents une irritation mêlée de pitié
dédaigneuse; mais c'est aussi pourquoi la vie municipale avait encore
à Mjrseillc une intensité qu'elle n'avait gardée dans aucune autre
ville : dans les grandes assemblées de marchands convoquées par la
Chambre du commerce, le secrétaire de la Chambre pouvait parfois
relever les noms de plusieurs centaines de notables négociants, sans
compter une foule d'autres assistants. Li grande salle de la Loge, qui
occupait tout le rez-de-chaussée de l'Hôtel de Ville, regorgeait alors;
par SCS grandes portes, l'assemblée se répandait dans les rues voisines
et sur le large quai du port.
Le commerce du Levant avait en outre fait créer i\ Marseille une
série d'industries qui ne vivaient que par lui. La plus ancienne et la
plus prospère était celle de la savonnerie, répandue autrefois dans
toute la Provence, mais concentrée de plus en plus à Marseille et A
Toulon ; même les savonniers de Toulon, obligés de venir chercher
en partie ;\ Marseille les matières premières dont ils avaient besoin,
luttaient péniblement contre la concurrence de leurs rivaux plus favo-
risés. On comptait, en 1707, en Provence, plus de cinquante manu-
tictures de savon blanc et marbré. Les huiles de la province ne
suffisaient pas i\ alimenter cette industrie, qui tirait des quantités
considérables d'huiles de l'Archipel et surtout de Cindie. Elle
employait en outre les cendres du Levant pour le savon blanc, les
barilles ou bourdes d'Espagne pour le iivon marbré. Les teinturiers
en laine, en soie ou en fil, ne devaient, suivant les règlements
de 1664, employer que du s.ivon de Provence.
Les manulactures de chapeaux de Marseille, expédiés en Italie, en
Esp.ignc. en Savoie, en Allemagne et dans le Levant, employaient
plus de 6000 ouvriers ou ouvrières, soit * pour le triage des laines,
poil de chevron ou poil de lièvre ou de lapin, soit pour les ouvriers qui
les mettaient en œuvre'. » « Les manufactures des bonnets de laine*
et celles des aulfes ou joncs d'Espagne établies i Marseille, disant la
Chambre dans un mémoire en 1707, sont celles qui entretiennent
et donnent de quoi subsister X toutes les pauvres gens de la ville ei
(1) De BoisusU!, i. II, ii;;.
(a) 'rcints en rouge (SavaRV. Dut. dn cotmneru, cet, 902).
362 TABLEAU DU COMMERCE
du terroir, soit hommes, femmes ou enfants... On peut," sans exa-
gération, compter que le nombre est de plus de 20.000 qui, sans
l'occupation que leur donnent ces deux manufactures, seraient
réduits à la mendicité. Pour la composition des bonnets, il faut des
laines du Levant, et pour les ouvrages de ces auffes, il Éiut avoir
recours à la côte du royaume de Valence*. Il y avait, à Marseille et
dans la Provence, jusqu'à soixante papeteries, où se fabriquaient
plusieurs sortes de papiers excellents, entre autres, de fort bons
papiers à écrire ; ils se vendaient dans tout le Levant et jusqu'en
Perse. Les tanneries, très nombreuses à Marseille et dans son terroir,
travaillaient des cuirs verts, apportés du Levant et de Barbarie.
L'industrie marseillaise manufacturait encore une partie des cotons
qui venaient du Levant, elle en faisait « des cotonines pour les
voiles des bâtiments de mer, des bas de coton qui occupaient la plus
grande partie des forçats des galères de S. M. », et aussi des toiles
de coton vendues dans le royaume. D'une importance moindre
était la fabrication des « grenailles ou dragées et balles de plomb »
pour la chasse, dont Marseille exportait jusqu'à 150.000 livres par an
en Espagne et dans le Levant, ou la taille « en olive » du corail
dont la pêche occupait « le long de la côte de Provence, de Mar-
seille à Antibes, un grand nombre de matelots invalides. Il ne s'en
consommait pas un grain dans le royaume et tout passait ensuite
aux Indes et en Levant pour la Perse et royaumes circonvoisins *. »
Neuf « blancheries » de cire établies à Marseille y travaillaient les
cires brutes ou jaunes importées du Levant pour les introduire
ensuite dans le royaume*.
A côté de ces industries nombreuses et pour la plupart anciennes
deux autres furent créées vers le milieu du règne de Louis XIV : le
raffinage du sucre et la fabrication d'étoffes de soie d'or et d'argent
analogues à celles de Venise et de Gênes*. Ces entreprises sur-
vécurent heureusement aux Compagnies du Levant qui s'en étaient
chargées. Marseille était donc, alors comme aujourd'hui, une ville
aussi industrielle que commerçante, et toutes ces manufactures qui,
sauf quelques unes, ne subsistaient que par le commerce du Levant,
(j) BB, 2S.
(2) BoisusLF.. Ihid. — Savary, col. 90 j. — Spon. Voyage, p. 25.
(3) V. Lettif. de Chamillait, 2; nov. lyof- BU, S}. Hlk-s sont excmptccs des
droits qui frappent les cires blanches étrangères entrant dans le royaume.
(4) V. p. 188 et 195.
LA CJOTAT
363
d'où elles recevaient leurs matières premières, ne lui étaient pas moins
indispensables, car elles fournissaient aux négociants Marseillais pres-
que tout rassortiment des marchandises demandées aux Français
dans les échelles.
Marseille était aussi devenue, dans la deuxième partie du xvii»
siècle, le port d'armement de beaucoup le plus important pour le
Levant. Sous Louis Xllî ta iloite commerciale du Levant était
répartie dans tous les ports de Provence, des Martigues à Antibes.
Deux petites villes venaient même en tête pour la grosseur et le
nombre des navires qu'elles possédaient, et leur population n'était
composée que de marins : c'étaient La Ciotat, qui envoyait en
Levant, en 1633, soixante vaisseaux, polacres ou barques et
Six-Fours, qui réunissait dans son port de la Seyne, dix gros
vaisseaux et dix polacres ou grosses barques. Toulon armait douze
vaisseaux et sept polacres ; Saint-Tropez sept vaisseaux, trois
polacres et dix-neuf grosses barques; Marseille avec ses dix vais-
seaux, ses sept polacres et ses quatorze grosses barques ne faisait
qu'égaler ces quatre autres ports'. Cinquante ans après, la situation
était bien changée, la plupart des vaisseaux armés pour les grandes
échelles avaient Marseille pour port d'attache'.
A la tète des autres ports de Provence était La Ciotat qui, en
1688, comptait plus de quarante bâtiments'. Mais les capitaines de
La Ciotat ne pratiquaient guère que la navigation d'Italie dans le
Levant et ils nolisaient surtout leurs gros vaisseaux aux Juifs de
Livourne pour l'échelle d'Alexandrie. L'un d'eux repré.sentait à la
Chambre le 5 mai 1670 que « le lieu de La Cieutat ne faisait d'autre
négoce que l'emploi d'environ soixante b.\timents qu'ils avaient, de
partir dudit Cieut.n pour aller chercher ù. faire des nolis d'Italie
I (1) Inspcciion de M. de Seguiran.
m (3) D'aprcs un tableau des départs de navires, de 1680 à 168^, conservé aux
Arch. de la Chambre (//, 2). Sur 154 bâtiments partis de Marseille pour le Levant
en 1680, 81, 82, il y en avait 107 de Marseille, 6 de Cassis, 7 de La Ciotat,
5 de Martigues. } de Toulon, i de la Seyne. Sanary, Antibes, La Nielle
(Oncglia), Manorque (Minorque), Amsterdam. — Hn léSj, il en partit ji de
Marseille, } de La Ciotat, 4 de Cassis, 2 de Martigues. 2 de Bordc.iux. 2 de Saint-
Mato, I de Toulon, 1 d'Amsterdam, 4 de Malte. — On peut voir année par
année d.ins les registres de recette du cottimo, le port d'attache de tous les navi-
res qui revenaient du Levant à. Marseille (CC, 2} et suiv.). — Ainsi, en 1687,
il revint des cinq grandes échelles à Marseille ; 26 vaisseaux, de Marseille, 4 de
Cassis, 3 de La Ciotat, 2 de Toulon, i de Saint-Malo.
(5) Mitnoire des nésocianls capitaints d patrons de La Ciotat, Toulon et Cassis,
fhritr 16S8. Bli, 4, fol, JJ4-4S. — En i«5i, il n'y avait que ireiic bâtiments.
364 TABLEAU DU COMMERCE
en Levant, qu'ils demeuraient d'ordinaire deux trois ou quatre
années dehors et après ils venaient audit Cieutat rendre compte aux
participants et associés, tellement qu'ils ne faisaient pas autre com-
merce depuis plus de deux siècles*. » La Ciotat n'était donc qu'un
port d'armement et non une ville de négoce. « On défie tous les
intéressés aux bâtiments de Li Ciotat, répondait la Chambre à un
mémoire qu'ils avaient adressé il la cour, de justifier qu'ils xient
jamais expédié un seul bâtiment qu'ils n'aient eu besoin de réclamer
le secours des négociants de Marseille, soit pour former les fonds
nécessaires ou pour en faire les assurances. De là vient que ce sont
les négociants représentés par la Chambre qui font subsister la navi-
gation de La Ciotat... Les propriétaires des bâtiments doivent être
extrêmement distingués des négociants en général, puisque les bâti-
ments ne sont, à l'égard du commerce sur mer, que ce que sont les'
charretiers et les mulets *. » Cependant La Ciotat faisait un commerce
particulier avec les échelles de Seïde et de Saint- Jean d'Acre pour
l'achat des cendres nécessaires à ses savonneries et elle y envoyait
chaque année plusieurs vaisseaux'.
Parmi les autres ports de Provence, seuls Cassis et Toulon possé-
daient de gros vaisseaux, qui faisaient par an tout au plus deux ou
trois voyages dans les grandes échelles. Les petits ports Provençaux
n'étaient cependant pas déserts, mais ils n'armaient que des bâtiments
d'un petit tonnage, de grosses barques qui s'en allaient chercher les
huiles et les blés à Candie ou dans l'Archipel et les produits de la
Barbarie, et, en plus grand nombre encore, des barques plus petites,
destinées au grand cabotage avec l'Espagne et l'Italie. Dans cette
navigation se distinguait au premier rang le port des Martigucs :
sous Louis XIII, d'après M. deScguiran, il vivait misérablement de
la pèche, tandisqu'en r68o plusieurs de ses grosses barques partaient
pour le Levant et les patrons de ses petits bâtiments disaient soixante
voyages sur les côtes d'Espagne et vingt-sept sur celles d'Italie*.
Ainsi, quoique Marseille eût â elle seule une flotte commerciale
(1) BB,2.
(2) Mémoire cite (1688), BB, 4, fol. SS4-
(î) V. Archives de la Ciotat. HH, iS : Etat des navires arrives à Marseille, de
1660 à 1682 des échelles de Seïdc et de Saint-Jean d'Acre. Dans cet état figu-
rent 82 vaisseaux de Marseille, 41 de la Ciotat, 15 de Cassis, 3 do Toulon, etc. —
Cf. Archives de la Oximbre, HH, 26. Htat des bâtiments venus du Levant en
1690 : 5 vaisseaux de La Ciotat viennent de Seïde.
(4) Même pour les petits bâtiments, Marseille venait en tête. Ainsi sur
TOULON ^^^^V 365
plus importante que celle de tous les autrts ports de Provence, le
commerce du Levant n'en continuait pas moins à donner la vie i
toute la côte de cette province.
■ Un seul des ports de Provence ne s'était pas résigné à laisser aux
Marseillais le monopole du commerce du Levant, c'était Toulon.
Simple bourg au moyenne, petite ville au xv siècle, Toulon avait
grandi peu i peu sous la domination franyiise et comptait environ
5.000 habitants vers 1550. Henri IV résolut de lui donner plus
d'importance; il fit commencer en 1594 une belle enceinte de
pierres de taille, fortifiée de bastions et de courtines, et construire
deux grands môles qui enveloppèrent tout le port. En 1633, d'après
le rapport de M. de Seguiran, le commerce des denrées de la Pro-
vence y avait une certaine activité : « Le fonds de leur négoce mari-
time, disait-il, est de 150.000 livres ou environ et ce, non compris
le trafic et débit qui se fait des huiles, qui va par commune année A
500.000 livres et parfois jusqu'.l 800.000... Et, ayant mandé venir les
consuls des nations anglaise et flamande qui résident à Toulon et
enquis de la condition des négoces que lesdites nations y font, il
nous aurait été dit que toutes les années il aborde audit Toulon
quinze ou vingt et quelquefois trente vaisseaux flamands, chargés
ordinairement de harengs, merluches, guittran, graisse, plomb et
autres charges semblables ; pareil nombre y aborde aussi d'Angleterre,
Irlande et Terre-Neuve, chargés de poisson salé, plomb, étain, peaux
de veau ou harengs, et en rapportent des huiles, câpres, amandes,
sel et du riz qu'on apporte de la côte de Gènes'. « Toulon venait
d'enlever à Marseille la flotte des galères en 1627; l'importance
que prit la marine royale sous Louis XIV lui donna une prospérité
et une activité inconnues jusques l.\, elle comptait alors 40.000
habitants*. Transformée complètement, sous la direction de Vauban
qui la fortifia puissamment, la duta de son magnifique arsenal et
d'une darse* bordée d'un vaste quai, Toulon, au fond de sa rade
ï
70 barques p.inies en 1680 pour I'IuIk-, 72 étaient de M.irsciile, 27 Jes Martigues,
6 Je Sanar)', 3 de Saint-Tropez, 4 de Six-Fours, 5 de la Ciotat, 2 de Toulon. —
Les autres app.inenaient aux poris Italiens, surtout de la rivi(:re de (Jùnés, ou aux
ports français du Ponant. //, 2. •
(i) Inspection de Seguiran, p. 275.
2) Àrch. de Toulon. HH, nj,
3) Les navires de commerce y mouillaient à côté des navires de guerre,
iarés par une simple panne. — V. TeissiiïR, Hiil. dii divers a^ratuiissemetits, <z\c.
de Toulon en 1666, p. I).
366 TABLEAU DU COMMERCE
splendide, pensait avoir autant de droits que Marseille à devenir un
grand port de commerce. Elle aussi avait des industries qui ne
vivaient que par le commerce du Levant : « douze ou quinze
manufactures pour les cuirs dont on Élisait un assez grand débit,
quelques-unes de chapeaux, celles de pinchinat sorte de gros drap
qu'on travaillait parfaitement bien dans Toulon.... vingt fabriques
de savon blanc et marbré dont on faisait un fort grand commerce
parce qu'il était excellent, ce qu'on attribuait à b qualitédes eaux*.»
On voyait en outre dans son terroir d'autres tanneries, d'autres
fabriques de pinchinats dans tout le voisinage, à SoUiers, à Cuersdes
manufactures de chapeaux, de cotonines, des blanchisseries de cire.
Aussi en 1650*, en 1664 et surtout en 1701, les Toulonnais
avaient sollicité vivement à la cour l'affranchissement de leur port.
Toulon dut se résigner à n'être pas à la fois le grand port de guerre
et le centre du commerce français de la Méditerranée. D'ailleurs, à la
fin du règne de Louis XIV, la ville était bien déchue de la situation
brillante où l'avait élevée Colbert. « Une infinité de familles, dit un
mémoire de 1715, l'ont abandonnée depuis les malheurs du temps,
ne pouvant plus y subsister, par le défaut d'armements et par la
cessation du travail dans l'arsenal du roi. » Un dénombrement
fait en 1703, pour arrêter le rôle de la capitation, montra qu'il y
avait 2 . 288 maisons habitées, outre les maisons du roi et celles des
communautés, et 19.000 habitants, non compris la garnison, la
marine, les communautés d'hommes et do femmes*. Toulon comp-
tait peu de négociants et possédait peu de capitaux; à l'époque
même de sa plus grande activité commerciale, ses navires, comme le
faisait remarquer la Chambre, n'avaient guère été que des « voitu-
riers, » employés par les négociants de Marseille, comme ceux de La
Ciotat, de Six-Fours ou de Saint-Tropez ; ses prétentions à faire le
grand commerce avaient toujours été bien au-dessus de ses forces.
Cependant les Toulonnais n'avaient pas encore renoncé ;\ leurs
espérances: « il est certain, dit un mémoire de 1715, que Toulon
(i) Mémoire. Arch. de Toulon. HH, /y.
(2) LfUrfs de l'avocat Ycard, /j octobre, 2 décembre j(5/o. — Arch. Commun.
(3) Mémoires conservés aux Archives de Toulon. HII, i<). — Voir pour
toute cette histoire les documents de la série HH des archives de Toulon, série
consacrée au commerce, à l'agriculture et à l'industrie. HH. i}. Mémoires tendant
à obtenir la francinse du fort (16^0-^^). — HH, 16. Commerce du Levant (1622-
j-]6<)).— HH, 19. — V. l'inventaire de M. Octave Teissicr.
LES PORTS DU LANGUEDOC
3^7
est une des villes du royaume où l'on trouve de plus grands avan-
tages pour y lliire fleurir le commerce. Si situation qui est admirable
au milieu de trente petites villes ou bourgs qui n'en sont éloi*;nés
que de deux ou trois lieues, la douceur du climat.,., son port com-
mode et assuré le mettraient en état de devenir une des plus puis-
santes villes de l'Europe s'il plaisait au roi de lui accorder un entrepôt
ou des franchises capables d'y attirer les négociants. »
If La province de Languedoc avait toujours songé aussi ù faire par
^le-ménie le commerce du Levant ; elle fournissait la plus grande
partie des draps qui s'y vendaient, pourquoi était-elle obligée de
les expédier par l'intermédiaire des Marscilbis ? Mais, pour elle,
cette sujétion était plus naturelle que pour les Toulonnais, car elle
n'avait pas de ports capables de Liire un grand commerce. Les trois
grands ports Languedociens du moyen âge, Narbonne, Aigues-
Mortes et Montpellier, étaient depuis longtemps en décadence au
xvii"-' siècle. Narbonne était même déji ruinée vers la fin du wv,
Aigues-Mortes avait été délaissée parles rois de France, dès qu'ils
avaient acquis Montpellier et son port n'avait cessé de s'ensabler.
Ces deux villes n'étaient cependant pas encore résignées à leur
ruine au wi" siècle et l'on y fit des travaux sous Louis XI et sous
François !"■' ; mais seule Aigues-Mortes conservait quelques barques
pour le cabotage au début du xvn* siècle, Montpellier déclinait déji
vers la fin du xiv' siècle et le commencement du xV ; sa chute fut
activée par la réunion de la Provence au domaine royal, elle subit une
effrayante dépopulation ; Charles VIII et Louis XII essayèrent bien
de la favoriser, mais les troubles des guerres de religion achevèrent
de la ruiner et le siège de 1622 porta le dernier coup à son com-
merce ; son port de Lattes n'existait plus au xvu' siècle et la Rouhine
qui l'y unissait n'était plus entretenue*. Montpellier avait cependant
encore quelques marchands, mais ils devaient se servir des deux
seuls ports qui restaient au Linguedoc, Agde et Frontignan.
■ Agde offrait le meilleur abri de la côte, Richelieu le comprit et
décida en 1632 d'y créer un port « en face de l'Ile de Briscou, qui
devait être réunie à b côte par une digue de 2.000 mètres. On voit
I
■ (1) P1GEONNE.W, t. II, p. 113. — Cf. Lenthéric. Les villa mortes... p, 237 et
Buiv. — PoHT. Essai sur l'msloiie du cumm^ra maritime de Narbonne. Angers, 1854,
(2| £lle n'avait d'ailleurs que 6 m. de lam: et 1 m. de profoadcur. Germain,
|, II, p. Jl-S), Hist. du comtmrce de MonlpèUicr.
368 TABLEAU DU COMMERCE
par la correspondance de Richelieu avec le maréchal de Schomberg,
gouverneur du Languedoc, quelle importance il attachait à ces tra-
vaux auxquels les états du Linguedoc avaient promis leur concours '. »
Colbert reprit en partie ses plans et d'Oppède, son homme de con-
fiance en Provence, lui écrivait le 18 juin 1668 : « Je fais travailler
sans perte de temps au môle d'Agde et ai donné au sieur Riquet la
somme de 10.000 livres pour le commencer*. » Cependant les mar-
chands de Montpellier se servirent plutôt au xvii' siècle du port de
Frontignan, bien qu'il ne communiquât avec la mer que par un grau
de plus en plus ensablé, aussi les barques de Frontignan, d'un faible
tonnage, n'allaient qu'en Espagne et en Barbarie''. Peu satisfait sans
doute des résultats obtenus à Agde, Colbert conçut le projet de faire le
grand port du Languedoc sur un point nouveau de la côte et il choisit
Cette. La première pierre des travaux fut posée en 1666 ; le cap
de Cette fut prolongé par une jetée, à l'extrémité de laquelle fut placé
un fanal, une seconde jetée b;\tie de l'autre côté ferma le port ; dès 167 1
les galères garde-côtes y purent faire un voyage et les officiers se
déclarèrent satisfaits, mais les travaux ne furent achevés que plusieurs
années plus tard*. « La nouvelle ville avait déjà pris en 1685 assez
de consistance pour que l'intendant de Basville ait cru devoir y jeter
dès lors les premières bases d'une administration municipale, elle
eut en outre à partir de 1692 un lieutenant général d'amirauté". »La
seconde Compagnie du Levant en fit le siège d'un de ses trois
bureaux, qui commerçaient indépendamment l'un de l'autre, mais le
bureau de Cette, malgré la fiicilité qu'il avait pour fiiire le commerce
des draps, fut celui des trois qui réussit le plus mal. Malgré ce début
peu heureux. Cette, débouclié d'une province riche comme le
Linguedoc, ne pouvait manquer de prospérer, mais en 171 5 ce
port n'avait pas encore envoyé un seul vaisseau dans le Levant".
(i) Pigeonneau, t. II, p. 410.
(2) Depping, t. IV, p. 54.
( 3) Les proccs-vcrbaux envoyés à Colbert en 1664 par les officiers de l'amirauté,
contenant le nombre des bâtiments du ressort de leur siège, ne mentionnent pour
Agde, Frontignan, Aigues-Mortes que des bateaux de pèche et de petits cabo-
teurs. — Pour Narbonne on voit la mention néant, ^^l■cb. Mar. li^, 4S8.
(4) Colbert à Anwul, 14 août i(iyi , S tiécembre 16/ j. Mémoire sur le port de Cette,
travail des jetées, formation des ensablements. Lettres d Itist., t. JII, i>' partie.
(5) Germai.v, t. II, p. 132, 135.
(6) Voir livre II, chap. vni, les efforts inutiles faits par les Etats du Languedoc de
1701 à 1715 pour obtenir la permission de faire directement le commerce du Levant,
LES PORTS DU POSANT 369
De tous les ports français du Ponant, deux seuls, au début du
il'siccle, envoyaient directement leurs vaisseaux dans les éclicUcs:
ctaicnt St-Malo et Rouen. Mais leurs voyages y avaient toujours
té fort rares ', car les marchands du Ponant n'avaient pas les assor-
tncnls de marchandises ni les piastres nécessaires pour faire par
lix-mèmes le commerce du Levant, et de plus ils n'avaient pas de
rrespondantsdans les échelles où tous les résidents français étaient
s Provençaux, commissionnaires des négociants de Marseille ou
; Lyon. Li participation des villes du Ponant au commerce du
?vant fut seulement indirecte : leurs vaisseaux venaient churclier à
arseille les matières premières nécessaires :\ leurs industries. Les
alouins surtout, qui, de tous les Ponantais, possédaient alors le
us grand nombre de vaisseaux, venaient fréquemment à Marseille *.
Un document intéressant conservé aux archives de la Chambre'
onne la liste de tous les navires partis de Marseille pour le Ponant
1680 à 1683 avec leurs ports d'attache et leurs chargements; il
rmet de se tiirc une idée de la part que prenaient les ports de
Océan au commerce du Levant. Sur 202 vaisseaux qui figurent
ans Cette liste, S) se rendirent de Marseille i Saint-Malo, 54 au
avre, mais c'étaient aussi des navires Malouins et leurs marchan-
ises étaient à destination de Rouen, 17 à Dunkerque, 10 à Nantes,
ù Bordeaux, 5 à la Rochelle et un seuli Rouen. Les autres avaient
>ur destination des ports étrangers : 25 d'entre eux déchargèrent
sur cargaison a Amsterdam, 9 .\ Londres, 9 à Hambourg et .} s'en
Jèrent aux Antilles avec lesquelles depuis 1670 les Marseillais
1 1 ) Voir les Mtl-moires de Fabre, député de Marseille, nu Conseil du commerce,
réponse aux récbmations des ports du Ponant en 1701. — liil'l. .Vu/, mis. ft.
()()'), fd. 26 ttfoî. )6. — Il soutient que Rouen, Dunkerque, Bordeaux, n'ont
Tuis fait y droiture le commerce du Levant, quelque permission qu'ils en aient
e avant l'cdit de 1669 et mùmc Rouen et Dunkerque jusqu'en 1685. — Les
icunients signalent cependant chaque année des voyages de quelques Ponantais
ns les échelles, mais c'est qu'ils avaient été nolisés par des négociants Marseil-
iï. Ainsi en 1685, deux vaisseaux de St-Malo panent de Marseille pour le Levant.
h 1686, sur 46 bâtiments qui reviennent de Candie et de l'Archipel ù Marseille,
y a qu.Ure Malouins. V. les registres de la recette du cotiimo, CC, 3} et suiv,
- La présence de navires Dunkcrquois est signalée quelquefois dans la corre>-
pndance des échelles. ^7 mai lùSj, ç fh'ritr 16SS, jo iWt'd i6Sç, Letlifs àt
rifuli de Sytif AA, }SS.
{2] Dans les états de la marine niardi.mde remis à Colbert en 1664. on voit
e St-Malo a 148 b.itinients, dont quatre gros vaissciux de }oo à 400 tonneaux,
)is de a 50 .i Joo, huit de 200 i 250. — Rouen en a 94. dont un de joo à 40O
mnciux, deux de 200 à 250. — Le Havre a un vaisseau de jooi 400 tonneaux,
lUx de 200 J 250, sur 168 b.itimeuis. — Arch, dé la tiiar. B', 48!^.
24
370 TABLEAU DU COMMERCE
commençaient à entrer en relation. Si l'on recherche quels étaient
les ports d'attache de ces navires on voit que près de loo, c'est-à-
dire la moitié, appartenaient au port de Saint-Malo, tandis que le
Havre, devenu définitivement l'avant-port de Rouen, n'avait envoyé
à Marseille que 5 navires de son port. Pendant ces quatre années, il
n'était sorti de la Méditerranée que 13 vaisseaux Marseillais; avec
un navire de Saint-Tropez et deux de la Seyne, ils avaient été les
seuls représentants de la flotte provençale dans l'Océan.
Mais il s'en fallait que ce mouvement considérable de navigation
intéressât entièrement le commerce du Levant, car les chargements
de ces vaisseaux étaient composés en grande partie de denrées de
Provence ; il est vrai que les Malouins, en apportant à Marseille leurs
morues et autres poissons salés, revendus ensuite en Espagne et en
Italie, favorisaient les relations de ces pays avec Marseille et servaient
ainsi indirectement au développement du commerce du Levant. En
examinant les cargaisons de 25 des vaisseaux partis en 1681 pour le
Ponant, on trouve que 19 portaient de l'huile, 18 du savon, 6 des
amandes, 5 du bois d'olivier, des fruits, du cumin, 4 des câpres, 3
des noisettes, 2 du romarin ; il n'y en avait que 4 qui eussent quel-
ques marchandises du Levant, coton, drogues, riz; deux renfermaient
de la laine et du poil de chameau, un seul des galles, du séné, de
l'encens, de l'alun. Cette constatation aurait lieu d'étonner si l'on
ne remarquait que ce document est antérieur aux arrêts du Conseil
de 1685 et 1692 qui rendirent plus rigoureuse la perception du droit
de 20 0/0. Les plaintes de la Chambre étaient donc fondées : les
Ponantais avaient besoin des produits du Levant; puisqu'ils ne les
achetaient ni i Marseille ni dans les échelles, il fallait en conclure
qu'ils s'adressaient aux Anglais et aux Hollandais'. Gênés dans leur
commerce avec les étrangers, par la surveillance devenue plus sévère
à l'égard des contrebandes, les Ponantais firent en vain tous leurs
efforts, de 1701 â 1703, pour obtenir la liberté d'entreprendre « à
droiture » le voyage des échelles ; pendant tout le xvn^ siècle, ils
durent se résigner ;\ venir chercher à Marseille ces marcliandises qui
leur étaient nécessaires.
(i) Une intéressante statistique conserve-eaux Archives nationales montre que
des quantités considérables de marcluindises du Levant, comme les cotons, les
poils de chèvre, les laines, etc., entraient dans le royaume par Rouen. F'*, i8}4 :
Htat ths marchandise élrangcrcs entircs eu France en iOG<). — Mêmes états pour
1671, 1672, 1683.
CHAPITRE II
LES liCHELLES DU LEVANT
I. — La Syrie.
C'était dans les échelles de Syrie et d'Egypte que les Français
avaient commencé à faire le commerce du Levant ; pendant le règne
de Louis XIV, malgré l'importance nouvelle deSmyrne et d'autres
échelles, ils y conservèrent la plus grande partie de leur négoce. De
plus, ils s'y trouvèrent longtemps seuls avec les Vénitiens et y
gardèrent toujours la prépondérance.
Alep était, au début du xvn* siècle, la plus grande place de
commerce du Levant. « C'est une ville célèbre pour le grand trafic
qui s'y fait, écrit en 1616 Pietro délia Valle, où, d'un côté, se
rendent tous les Orientaux avec leurs pierreries, leurs soies, leurs
épiceries et leurs toiles, et de l'autre côté tout l'Occident, savoir la
France, Venise, Hollande et l'Angleterre avec leurs vaisseaux
chargés de piastres, dont il y a ici une si grande quantité, comme
de toute autre sorte de monnaie, que dans le négoce et trafic qui s'y
fait on ne les compte point, on se contente seulement d'en emplir
les caisses et de les peser, et je puis dire qu'il ne s'y &it point de
marché, soit que l'on vende ou que l'on achète, qui ne soit de 40,
50, 80 ou 100.000 écus et ce leur serait une chose honteuse de
traiter avec eux autrement. Leur plus grand commerce est de soie
qui vient de Perse et de quelques autres endroits nonobstant la
guerre*. » Alep recevait en effet par Bassora les marchandises de
l'Inde et de l'Extrême-Orient. Pietro délia Valle se trouvait dans
cette dernière ville en 1625 et parle d'une grande caravane, ou
(i) Pietro dhlla Valle, 1. 1, p. }}5.
372 TABLEAU DU COMMERCE
Cafila, qui en partait chaque année pour Alep *. D'après le rouen-
nais Fcrmanel, « c'était la ville de Turquie qui rapportait le plus de
profit au Grand Seigneur, et on tenait que la douane et le tribut des
chrétiens qui y demeuraient, y compris lé pays d'alentour, rappor-
taient tous les ans au Grand Turc 3 .000.000 de livres.... On nous
dit, ajoutait-il, que les Français y emploient un million et demi de
réaies, quelquefois jusqu'A 2 millions (6 millions de livres)*. » Dans
son voyage d'inspection en Provence, en 1633, M. de Seguiran
apprenait des Marseillais que c'était l'échelle la plus fréquentée :
« Il y allait tous les ans 20 vaisseaux, polacrcs ou barques qui
portaient en argent ou en marchandises, l'un portant l'autre, 40.000
écus et en rapportaient des soies dont la majeure partie venait de
Perse, des cotons filés, toutes sortes de toiles, galles, rhubarbe, scam-
monée, opium et plusieurs autres drogues, le musc, maroquin,
camelot, etc'. »
Mais les tyrannies des pachas et les guerres contre la Perse, du
temps du grand conquérant Schah-Abbas (i 389-1628), ruinèrent
peu à peu le commerce d'Alep*. Bagdad, l'entrepôt général des
marchandises de l'Asie centrale et même de l'Extrême-Orient, fut
disputée plusieurs fois par les Turcs et les Perses. « Devant ces
guerres, dit Fermanel, B.igadet était une des villes les meilleures et
les plus marchandes du Levant; ceux du Mogor, des Indes et même
de la Chine y envoyaient des marchandises, mais la guerre en a
banni tout le négoce, ce qui fiit qu'elle commence à se ruiner. »
En même temps les nombreux passages de troupes qui, pour s'en
aller à Bagdad, passaient par Alep étaient une cause d'alarme pour
(1) PlHTRO DELLA VaLLK, t. II, p. 45 |.
(2) Fermanel, p. 272, 78, en 1651.
(5) Incpfit'wn tic \f. lU Sfguban, p. 226. — Los chitTrcs de la v.ilcur du com-
merce dcb l-'rançais donnes par Fermanel sont bien supérieurs à ceux de Seguiran,
mais les marchands d'Alep, pour se faire valoir auprès du voyageur, exagérèrent
naturellement les chiffres, taudis que ceu>; de iMarseille eurent intérêt à les
diminuer, pour dissimuler au ministre l'importance de leur commerce.
(.() On en sentait les effets déjà du temps d'Henri IV. — V. liihl. \al. nisi.
fr. i6j}S, fol. ]4<) : Réponse du roi aux remontrances d'Arsens, député de
MM. les lùats Généraux des Provinces, 25 février 1605 (sans doute au sujet delà
Compagnie fondée par Henri I\' pour le commerce de l'Inde) : « Ce royaume
est contraint, à l'occasion de la guerre qui est entre le Grand Seigneur et les
Persiens d'aller prendre du côté des Indes Orientales les épiceries qu'ils avaient
coutume de tirer du côté d'.Mep et de Tripoli où il ne se lait à présent aucun
tralic ou négoce. » — Deshayes remarque en 1621 que les Arméniens appor-
tent leurs soies à Smyrne au lieu d'aller à Alep.
LES ÉCHELLES : ALEP 373
le commerce. « Depuis que le Grand Turc est en guerre avec le
roi de Perse, écrit le même voyageur, il ya toujours quantité de
janissaires qui y vont et viennent, lesquels... se rendent maîtres de
la ville et commettent mille pilleries.... Ils incommodent aussi
grandement les marchands du Ponant et ne leur permettent point
de sortir de leur caravansaral sans être accompagnés d'un janissaire
auquel il faut qu'ils donnent une réale de 8 par jour (i piastre);
s'ils sortent de la ville, il faut qu'ils donnent à leur janissaire dix
réaies de 8. Les consuls nous dirent qu'ils avaient envoyé leurs
plaintes à Constantinople et que, si le Grand Seigneur n'y mettait
ordre, ils étaient résolus de quitter le trafic et la ville '. »
Quand la paix fut rétablie et que les Turcs restèrent définitive-
ment maîtres de Bagdad, les pachas essayèrent bien, dans le but
d'accroître leurs droits de douane, de favoriser le commerce avec la
Perse, mais les efforts du.schah, joints ;\ ceux des Hollandais et des
Anglais, le détournèrent en partie vers l'Océan Indien. Les Hollan-
dais, établis à Ormuz, vendaient chaque année en Perse pour
1.500.000 à 1.600.000 livres d'épiceries, en paiement des soies
qu'ils achetaient*. D'après le tableau des caravanes régulières de
l'Asie Occidentale vers 1640, donné par le voyageur La BouUaye le
Gouz, il partait une caravane d'Ormuz pour Ispahan tous les deux
jours, depuis le i" décembre jusqu'au mois de mars*.
Une grande partie des marchandises de la Perse continuaient
cependant d'être apportées en Turquie par les caravanes, mais au
lieu d'être vendues à Alep, où elles avaient ;\ payer des droits de
douane exorbitants et où les marchands redoutaient des vexa-
tions, elles étaient conduites à Smyrne. « Le commerce n'est pas si
considérable à Alep qu'il était il y a vingt-quatre ans, lit-on dans un
mémoire adressé en 1671 à la Compagnie du Levant. De sept à huit
caravanes des Indes qui y abordaient tous les ans et qui vont à
Smyrne, il n'y en vient ;\ présent qu'une, appelée la grande, chargée
«le quantité de toiles et drogues, et de Perse ou Dierbec il en vient
(1) Fermanhl, p. 267, 275. U^ ne put visiter la ville en 163 1, parce que le
Grand Vizir la tenait assiégée.
(2) TAVERNiER,t. I, p. 257. En i6)Oun différend s'élant élevé entre le scliahd
Perse et la Compagnie Hollandaise pour le prix des soies, le schah leur fit savo i
que ses sujets se passeraient aisément de leurs épiceries, parce qu'il avait dans s on
royaume une plante qui était aussi forte et aussi chaude que pouvaient être le
poivre et le clou. Les Hollandais cédèrent.
(}) P. 62-6^.
374 TABLEAU DU COMMERCE
trois ou quatre qui portent ce que la grande n'a pu porter. De Mos-
soul et d'Assanmanzour, qui sont à douze journées d'AIep, on y
porte des galles, la récolte s'en fait en octobre et les meilleurs vien-
nent de Mossoul. Les caravanes des Indes et de Bagdad emportent
d'AIep des draps, du papier, de la cochenille et des réaux'. »
Cependant, tandis que le commerce des Français était en déca-
dence i Alep, les Anglais s'y établissaient de plus en plus solide-
ment*. «Il y arrive tous les ans, dit un mémoire de 167 1, deux
vaisseaux anglais nommés généraux, parce qu'ils partent pour la
Compagnie, chargés de draps, d'étain et de plomb dont il se fait
grand débite, et trois ou quatre vaisseaux pour le reste des retraits
que les vaisseaux généraux y ont portés. Il y a vingt commissaires
anglais, qui n'y peuvent être établis que de l'aveu de la Compa-
gnie '. » D'Arvieux, consul d'AIep, nous apprend que, « le 26 février
1681, le convoi d'Angleterre arriva à Alexandrette. Il était composé
de deux vaisseaux de guerre et de trois marchands avec une cargaison
très considérable. Elle consistait en 325.000 piastres de réaux,
300.000 livres en patagons ou lions d'Hollande, 1.900 balles de
drap valant un million d'or, cent sacs de poivre, une grande quan-
tité d'étain, de plomb, de cochenille et d'épiceries. On estimait
cette cargaison deux millions d'or ou 6 millions de livres ; c'en était
assez pour enrichir le consul*. »
A la môme époque, les Français n'y achetaient jamais pour un
million de livres de marchandises ; Alep était passée au quatrième
rang, parmi leurs échelles, après Smyrne, Alexandrie et Seïde;
môme, de 1700 à 17 15, elle fut dépassée en importance par Constan-
tinople et resta la dernière des^cinq grandes échelles*. Les marchan-
(i) Aich. Nat. F", 64s. — Cf. Lettre de la Nation à ramb.nssadeur : «Cette
échelle n'est plus ce qu'elle a été ; autrefois elle était la métropolitaine pour le
négoce, et aujourd'hui elle n'est presque rien... L'échelle de Smyrne s'est faite
du débris de celle-ci. » 26 juin i6j4. AA, 364.— V. D'Arvieux, t. VI, p. 419.
(2) « MM. les Anglais, dont le négoce est incomparativement plus grand que
le nôtre », écrit le consul le 50 décembre 1663. AA. ^64.
(3) Arch. Nat. F", 64;. « Ils achètent soies, galles, drogues, laines de chevron,
coton filé. »
(4) D'Arvieux, t. VI, p. 54. — Cf. Un mémoire .adressé le 16 septembre 1686 à
M. de Lagny par le consul Julien, successeur de d'Arvieux, sur le commerce d'AIep.
(Arch. des aff. Hrang. Mémoires sur le commerce du Levant. Carton. lôSj-iôçp).
(5) Sur 104.549.000 livres d'importations du Levant en France de 1671 à
1700, 21.482.000 vinrent d'.'Mep (d'.iprès les chiffres du cottinio. CC , 2j).
Sur 153.205.000 livres d'importations, de 1700 à 1715, Alep fournit 10.604.000
livres (d'après JI, i}).
LES ÉCHELLES : ALEP 373
i dises qu'on y achetaient étaient très variées : Alep était encore avec
Smyrnc et Scïde l'un des trois grands marchés de soie, dont elle
vendit en 17 14 aux Français pour plus d'un million de livres; elle
était re.stéc le i;rand centre d'approvisionnement des noix de galles,
dont elle exporta la même année pour 277.000 livres; les laines,
les toiles, les cotons figuraient ensuite pour les chiffres les plus
importants dans son trafic; enfin on y trouvait des cendres, de la
cire et de nombreuses drogues médicinales*.
Les caravanes de Perse, qui alimentaient encore en grande partie
le commerce d'Alcp, suivaient pour s'y rendre plusieurs routes,
toutes peu directes et dangereuses : les marchands avaient beau
aller en nombre et prendre des escortes, ils se mettaient ainsi ;\
l'abri des coups de main des pillards isolés, mais ils étaient à la merci
des émirs arabes dont le passage des caravanes était la grande res-
source; sous prétexte de droits de douane, ceux-ci les rançonnaient
odieusement. Pietro délia Valîe donne de longs détails dans sa rela-
tion sur la rencontre qu'il fit de plusieurs chefs pillards et sur leurs
exigences, il cite quatre seigneurs arabes qui percevaient régulière-
ment des péages sur la route du désert. En outre, il avait payé aux
Turcs un droit de sortie en partant de Bassora, et il dut leur
acquitter d'autres droits de douane en passant i Anna (Anah sur
'l'Euphrate), en arrivant à Alep, enfin en embarquant ses mar-
chandises à Alc.xandrctte. « Il en est du désert comme de la mer,
remarque-t-il, où la rencontre des ennemis dépend de la bonne ou
de la mauvaise fortune.... ainsi on ne laisse pas de le traverser, bien
(i) Voici d'aprùs un document très pri5cieux des Archives de la Chambre du
commerce, l'ctnt estimatif des m.irchandises qui vinrent il Marseille de 1700 a
' J747 (II, I }), le taMc.iii des marchandises venues d'Alep en 171X), année de trafic
mayeii : 4 vaisseaux, 2 barques chargeas de : agobillcs (30.000 livres), assa-fœtida
(6.631 livres), bedelium (2.582), coton ( 50. ;96), cendres (9.839), cire (9,000),
cordouans ou maroquins (4.860), galb.inuni (504), gomme armoniac (2,99;),
noix de plie (1^4.338), laines (130. ooo), musc (598), opoponax (3.042),
figtions d'Inde (1.458), plumes d'autruches (5.000), pistaches (7.398), rhubarbe
6.840), séné (1.236), spicanardy (3.168), scammonOe (17 388), semencine
(7,176), se! armoniac (1.008), soies et bourres (146.331), turbit (4.060),
loiles (150.000).— Total 726.079 livres. — L'année maximum des exportations
d'Alcp tut en 1714 = 2.108.0011 livres; l'année minimum, 1703 =^' 277.000
livres. — On ne voit plus figurer dans les cargaisons les fameux camelots d'Alep
dont parlent les voyageurs : n Ces admirables camelots, particulièrement couleur
de feu, ondes, qui ne sont guère moins estimés que la moire. Les ouvriers qui
fabriquent ces camelots et qui travaillent aux étoffes de soie sont en plus grande
quantité qu'aucun autre et occupent à Alep les principaux bazars. » Savary.
Dictionn., col. 1017-18.
376 TABLEAU DU COMMERCE
qu'il y ait autant de danger que des corsaires ou des ennemis sur
mer*.» Pour échappera ces vexations, les caravanes, suivant les
nouvelles qu'elles avaient de la marche des princes bédouins, s'éloi-
gnaient souvent des routes ordinaires, jalonnées par des puits, et des
centres de ravitaillement, mais ce n'était pas sans danger, car elles
risquaient alors de périr de soif*. C'est pourquoi la durée du voyage
des caravanes était très incertaine, autant que les frais auxquels elles
étaient exposées : Tavernier considère comme extraordinaire d'avoir
mis 65 jours dans un de ses voyages pour aller d'Alep à Bassora^
cependant Pietro délia Valle n'y était arrivé qu'en 69 jours.
Les caravanes ne se ser\'aient dans ce trajet, ni du Tigre, ni de
l'Euphrate, comme voies navigables, et ne suivaient même pas leurs
cours. « Pour ce qui est de l'Euphrate, écrit Tavernier, il est cons-
tant que la grande quantité de moulins qu'on y a bâtis pour tirer
l'eau afin d'arroser les terres, en empêchent la navigation et la
rendent dangereuse Pour ce qui est du Tigre, il n'est guère
navigable que depuis Bagdad jusqu'à Balsara où on le monte et on le
descend avec des barques. En descendant on fait d'ordinaire le
chemin en 9 ou 10 jours. Il y a cela d'incommode qu'au moindre
village ou pavillon d'Arabes que l'on trouve sur le bord, il faut aller
raisonner et y laisser quelque argent. Il est vrai que les marchands de
Mossoul et de Bagdat e"t autres, qui viennent de la Chaldée pour
négocier à Balsara, font remonter leurs marchandises jusqu'à Bagdat,
mais, comme il n'y a que des hommes qui tirent, les barques
demeurent quelquefois en chemin jusqu'à 70 jours. Sur ce pied là
on peut juger du temps et de la dépense qu'il fliudrait foire pour
faire monter les marchandises par l'Euphrate jusqu'au Bir (Biredjik)
où on les débarquerait pour Alep Enfin quand on aurait la
commodité du Morat Sou (Euphrate) et qu'on pourrait transporter
toutes les marchandises par cette rivière, les marchands ne pren-
draient pas encore cette route parce que, les caravanes n'allant
ordinairement que l'été, elles pourraient rencontrer souvent des
princes Arabes qui en ce temps h\ viennent camper sur les bords de
(i) PiKTRO DF.i.LA Vai.i.k, t. II. p. |)4-49i (.iniicc i62)). —Cf. Fermaxel.
p. 290. Il revint de Baj^dad à Alep harcelé par les troupes d'.Xrabes. — Tavcniicr
fut retenu cinq semaines avec sa caravane par un prince arabe qui força les mar-
chands d'acheter les marchandises de ses sujets. Hn cnitre, il exigea .jo piastres
par cliarge de chameau, t. I, p. 1.(1.
(2) 'r.WF.HMiR, t. I, p. 147. — la caravane avec laquelle il se trouvait
comptait 6cx) chameaux et t^>^' li-nunies.
LRS ÉCHELLES : ALEP 377
l'Euphrate avec toute leur suite et tout leur bétail, pour y trouver
l'eau et les herbages qui leur manquent alors dans le désert'. »
Il y avait cinq routes principales pour aller d'Alepà Ispahan : l'une
par le Bîr (Biredjik), Orfa, Diarbek (Diarbekir), Van et Tauris*.
La seconde se dirigeait à peu près droit i l'Est, par Mossoul et
Hamadan. D'Alep, on allait à cheval au Bir^ en quatre journées de
caravane, à travers un pays assez bien cultivé. Le Bir était une assez
grande ville, où l'on trouvait en abondance toutes les choses néces-
saires; c'était là qu'on passait l'Euphrate; la douane y prenait deux
piastres pour chaque charge de marchandises, soit de cheval soit de
mule, quoique les mules fussent beaucoup plus chargées, et une demi-
piastre pour chaque bête qui portait les provisions ; pour les chevaux
ou mules de selle, le douanier ne prenait rien. Deux jours après, on
arrivait à Orfa, où la caravane s'arrêtait d'ordinaire huit à dix jours,
parce que c'était le pays de ceux qui louaient les mules et les chevaux
et qu'ils y avaient toujours quelques affaires. Orfa, l'ancienne
Edesse, était la capitale de la Mésopotamie; de h\, par Nisibin, l'an-
cienne Nisibe, on arrivait i\ Mossoul, « ville, dit Tavernier, qui
paraît belle au dehors avec de hautes murailles de pierre de taille,
mais au dedans elle est presque toute ruinée et n'a que de petits
bazars borgnes. Le lieu n'est considérable que parle grand abord des
négociants, surtout des Arabes et des Kurdes, dans le pays desquels
se fait une grande récolte et un grand commerce de noix de galle*. »
La troisième route descendait au sud-est par Anna, où l'on passait
l'Euphrate, Bagdad et Kengaver; la quatrième, qui était la plus
suivie, descendait de Bagdad à Bassora pour gagner ensuite Ispahan,
Enfin, la cinquième traversait le grand désert pour atteindre Bag-
dad; c'était une route extraordinaire où l'on ne passait qu'une fois
par an, quand les marchands do Turquie et d'Egypte allaient acheter
des chameaux. Les caravanes qui prenaient cette route ne se met-
taient en chemin que qu.ind les pluies étaient tombées, pour trouver
deTeaudansledésert, c'est-à-dire vers la fin de décembre. Elles n'em-
ployaient que des chameaux, cnr on restait souvent trois jours sans
trouver de l'eau, tandis que sur les autres routes elles comptaient
(1) Tavernier, t. I, p. 138.
(2) Voir sa description d.iiis Poullct (t. II), qui la suivit pour revenir de Perse.
(}) Taverkier, t. I, p. 162-186. Il suivit cette route en 1644 et 1651. — Thé-
venot la suivit aussi (t. II, p. 74).
578 TABLEAU DU COMAIERCÉ
beaucoup de chevaux et de mulets. DcBassora, on descendait en une]
marée A l'embouchure de l'Huphrate; de lA, en quarante-huit heures,
on arrivait au Bander Rie (licnder Rig) qui ne comptait que cinq à|
six huttes de pêcheurs; enfin, en six jours, on parvenait ;ï Ispahaal
par Kazeroun, Chiraz et Ycsdecas (Yezdikhast)*.
Alep comptait, au xvn' siècle, de 200.000 A 300.000 habitants*.]
Ville de négoce, elle était occupée en grande partie par les bazars'
dont les rues couvertes et voûtées à cause de la grande chaleur
étaient en outre sans cesse arrosées d'eau pendant le jour, ce qui
entretenait une grande fraîcheur. On y voyait de nombreux artisar
qui travaillaient la soie, préparaient le camelot de poil de chèvre,^
tissaient et teignaient les toiles. Tous les habitants, à la réser\'e d(
nobles et de ceux qui étaient fort riches, s'occupaient A quelque'
métier ou au trafic. Ils étaient divisés en soixante-douze corps qui
avaient chacun leur chef. Pour le logement des marchands étranger
il y avait environ quarante ciravansérails, les uns servaient h rece
voir les caravanes, les autres pour la demeure des Francs. « Le pli
beau de tous, écrit Fermanel, est celui des Franç.iis qui est d'une telle
étendue qu'il fait tous les ans 1500 écus de rente A La Mecque. •
Tavernier parle de la « quaisserie qui est un lieu où les étrangers sc<
mettent en pension A un demi-écu par jour et un quart pour le valetJ
et où l'on est raisonnablement traité, » il y avait donc des sorte
d'hôtelleries*. Cependant, elles ne pouvaient guère recevoir d'étran-
gers, car, quand la mission du sieur Fabre passa A Alep en 1705,
avec une suite de cinquante-deux personnes, on ne put trouver
auberge ni maison pour les loger, et on les répartit chez le consul 1
les marchands'
La nation française d'Alep, qui comptait encore en 1630 quarante
marchands environ, avait diminué peu A peu et souvent n'atteigni^B
plus le chiffre de vingt membres : en 1653 une lettre de la nation^
(1) Tavernier, t. I, p. 141-1 $9. — La BoulLiye te Gouï, d.nns son tabltiu J« i
canvAncs régulières, dit qu'il y .1 une caravane J'Alep |K)ur Bagdad tous les deui-j
mois (en 1648), p. 6^-64.
(i) Fcrmiintl lui donne 200.000 habitants. D'Arvicu.t estime ' ' 'ion
285.000 dont ;oi jj .000 chrétiens, .\rmcniens, Grecs, Syriens, ' N'vs
toricns cl environ 2000 juifs. lille avait trois bonnes lieues de drcuiiii.i<:uL^. i . M
p. 420 et 459-
(5) Ferm.vnel, p. 266-72. — Thévenot. t. Il, p. 60. — TAXtiLSiER. t jy
p. 154-IJ7. — D'.\Hviiïu.>c, t. VI, p. 4>8-457-
••* ^À. |i.'. . /70;.
LES ECHELl
porte quinze siRiiatures, en 1693, le consul écrit qu'il y a seize
marchands, mais que cinq sont sur le point de partir '. Sur 1473
jeunes gens qui, d'après les registres de la Chambre du commerce,
partirent pour résider en Levant depuis l'ordonnance du 21 octo-
bre 1685 jusqu'en 1719,86 seulement allèrent s'établir ;\ Alcp. Les
Anglais «étaient h peu près aussi nombreux que les Français * et
avaient déjà un consul au début du xvii' siècle ; les quelques mar-
chands hollandais qui résidaient ii Atcp restèrent sous la protection
du consul de France jusqu'A la guerre de la ligue d'Augsbourg, où
ils passèrent sous celle des Anglais. Quant aux Vénitiens, leurs
affaires étaient tombées dans un tel désordre qu'ils songèrent i sup-
primer vers 1680 leur consulat d'Aiep, autrefois le plus important
de ceux qu'ils avaient dans le Levant.
D'Alep à son port d'Alexandrcttc, en traversant la plaine d'Antio-
che, il y avait plusieurs journées de marche; la route n'était pas
sûre et il fallait s'armer contre les Arabes pillards ; l'aga d'Alexan-
drette fournissait des janissaires d'escorte aux marchands ou perce-
vait vingt piastres seulement, s'ils ne les prenaient pas. Tandis
que dans les autres échelles il était interdit aux Francs d'aller :\
cheval, il ne leur était pas permis d'aller A pied d'Alexandrette à
Alcp*. La distance entre le port et la ville, qui demandait pour être
franchie plus de deux journées de cheval, était un grave inconvénient
pour les marchands d'Alep qui n'étaient pas prévenus immédiate-
ment de l'arrivée et du départ des navires. Pour y remédier les
négociants se servaient depuis longtemps de pigeons voyageurs,
sous l'aile desquels étaient attachés les avis qu'ils avaient ù donner
ou à recevoir, les nouvelles se transmettaient ainsi en une heure et
demie ou une heure trois quarts *.
Alexandrette n'avait qu'une rade foraine, heureusement très
sûre; on n'avait jamais vu un vaisseau s'y perdre. Malheureusement
(i) Il V av.iit au inimc moment quatorze Juifs sous la protection de la Fnncc
et cinq .iflaicM arriver sur un navire. — D'.Xrvieux, I. VI, p. 7}, dit que, %-crs 1670,
soixante marchands composaient la nation.
|i| Dt iîniyn, hollandais <jui passa d Alcp vers i68o, dit que les Français y sont
l« plus nombreux et au premier rang et que les .Anf^lais viennent ensuite. — Mais
d'autres documents indiquent que dans cette période les Anglais furent souvent
les plus nombreux et firent surtout plus de commerce — il y avait alors deux
ladcurs Hollandais seulement.
(}) V. p. 270, la raison de cette obligation. Le voyage coûtait environ jo piastres.
(4I FERMANtL. — Ta\crnier dit que les pigeons mettent quatre ou cinq heures,
ce qui serait très exagéré, car la distance A vol d'oiseau est de 100 à 103 kilométr.
jSo
TABLEAU DU COMMERCE
elle ne put prospérer, pendant tout le xvii' siècle, h cause de deux
graves inconvcnienrs : l'air y était très malsain, parce que des
marécages s'étendaient sur la plage, et les européens ne pouvaient
guère y vivre que quelques années, encore ne se retiraient-ik pas
sans avoir contracté de fâcheuses maladies. Aussi était-il ditlicilc de
trouver des vice-consuls et des commis pour y résider. Le consul
d'Alep écrivait le 28 juin 1692 : « le vice-consul d'Alexandrettc est
mort..... autant qu'il en viendra, autant il en mourra. Il est mort»
en effet, non pas de la peste qui a presque cessé, mais des fièvres de
safran paclia qui ne pardonnent à aucun Français. Il est inutile d'en
envoyer de nouveau pour les sacrifier'. » En outre, la plage n'chait
protégée par aucune forteresse, si bien que les corsaires pouvaient
impunément venir att.iquer les navires .lu mouillage; on vit même
les Tripolins. descendre ;\ terre et piller les magasins et la douane ;
un chevalier de Malte français accomplit le même exploit, il en
coûta à la n.uion dix mille piastres pour n'être pas rendue rcs|>on-
sable; enfin le chevalier Paul av.nit failli enlever auprès d'Alexan-
drettc la caravane qui port.aît tous les ans X Constintinople le tribut
d'Egypte*.
C'était le double danger de la maladie et des corsaires qui .iv.ijt
fait abandonner Alexandrette au moyen âge et Tripoli était au débu
du xvii* siècle le port d'Alep, mais les tyrannies du pacha avaien
obligé les Français A quitter l'échelle*; après de difficiles négociations
â la Porte, qui coûtèrent plus de 20.000 piastres \ la nation
d'Alep, l'échelle avait été transportée en i6t2 â Alexandrette*
Il n'y avait que cinq ou six maisons de Francs, en comptant celles des
vice-consuls français et anglais, .assez commodément logés et qui
recevaient les voyageurs, le logis de l'aga cl du douanier et une
douzaine de méchantes huttes habitées par des Grecs qui tenaient
I
I
I
(i) .-/..-/, }6}. — n On appelle cette maladie s:ifrnn B.issia qui est une espèce!
de jaunisse. On y trouve entre les facteurs des Européens une certaine inconi-l
modité qui les rend comme p.iraiytiques de leurs membres; outre cela, ils sont]
fort jaunes et d'un teint fort laid et ils ont presque toujours la fièvre. » Dk
Bruyn, p. 372.
(2) V. pour ces faits, AA, }6}. A" Juin 1624, 2} juin tôjt et d'autres lettres
d'.\lep, ainsi en 1681. — Tavf.rnier, t. I. p. 127.
(j) V. p. 13. — Fer-masei-, p. 259, 500. — Arch. Nat. Mimoirt de M. Ma(t.
de ibfis. F", 64s.
(4) V. A A, ;6j'. Leilrts ik 1611-12, surtout la fhrifr 161 3, iioiit 1611.
LES ÉCHELLES : TRIPOLI
îlots'. En 1692, deuxfrc
fais;ticni. écrit le
ret pour des matel
tuii.iul d'Alep, loutéi. les atlaircs des ninrclutuls tt de 1685 ;\ 1719
les registres de I.1 Chambre ne signalent que neuf facteurs qui
allèrent s'y établir.
Tripoli de Syrie, bien qu'elle possédât tous les avantages qui
manquaient à Alexandrette, ne put lui reprendre la place qu'elle
avait perdue : l'air y était sain, sur sa plage sept grosses tours
carrées la défendaient contre l'abord des corsaires', mais elle
n'avait aussi qu'une rade ouverte, beaucoup moins sûre que celle
d'Ale.xandrette', éloignée de cinq journées de marche d'Alep. Savary
de Brèves la vit en 1605 dans toute sa prospérité avec de beaux édi-
fices publics, bains, mosquées, « fondics et caravanseras *. » Mais,
après le dcp.irt des Franç.iis, en 1612, elle n'eut plus de résidents
pendant longtemps. Fermanel la visita en 1630 : les anciens bazars,
H les caravansérails et les maisons étaient en train de se ruiner. » On
nous assura, dit-il, que, durant que cette ville était florissante, les
Turcs y étaient insupportables, maintenant qu'ils sont dans la pau-
■vreté ce sont les meilleures gens du monde et nous n'avons trouvé
en aucun endroit des Turcs si courtois et si affables*. »
Cependant si Tripoli ne redevint plus le débouché du grand
m.irché d'Alep, la richesse de la région qui l'entourait lui permit
Kde retrouver la prospérité et suffit A y entretenir un assez grand
commerce. « Cette ville est fort marchande, écrit d'Arvieu.x..,,
on y fait un trafic de soies très considérable, elles sont du crû du
pays, plus fortes et plus unies que dans les autres endroits de la
^cote, on les emploie à cause décela aux ouvrages d'or et d'argent.
(r) Fermanel, p. 258-261. — Tavkhnif.b, t. I, p. 120-134. — De Bruyn ;
jAlcxanJrcttc n'a qu'un rang de maisons iur le bord de la mer, p. 572.
(2) De plus au lieu d'éire enferniée entre la mer et la montagne comme
Alexandrette, elle était le diiboucliè d'un « terroir très fcrtitc et gras, abondant en
{;rains, vins, huiles, fruits, et liclie pour le grand trafic des soies, de la manne
qui se trouve au Liban, du s.ivon et des cendres à faire les verres. « — « Elle est
entre deux plaines, l'une plantée de mûriers pour lu soie dont se fait li grande
quantité et grand commerce, l'autre plantée d'oliviers. » — De Brèves. Relation,
V- 40, J3.
(3) On ne voyait plus que les ruines du beau port entouré de murailles, qu'elle
avait au Moyen-Age; elles apparaissaient i;a et là comme des écucils. Ferm.\nel,
p. 301 . — Des sept tours, trois avaient été bdties du temps des croisades Les
Turcs lei entretenaient avec soin. D'.^rvielx, t. II, p. 383
(4) « Les Français y ont aujourd'hui un consul et deux maisons ou fondiques
où les m.trchands logent venant ici. Les Vénitiens en ont aussi un.... Les Anglais
y ont un autre fondique.... 11 — de UtAL veal' (compagnon de de Brèves), p. 96.
(>) Fekmanel. p. 299-501.
I
382 TABLKAL' DU COMMIiRCE
On trouve aussi quantité Je ces cendres ' qu'on transporte à Mar-
seille et à Venise pour faire du verre et du savon, des raisins sea
qui viennent de Balbec, des tapis et des étoffes du pays, de soie, de
laine et de coton. » Des marchands français revinrent y résider,
mais ce n'est que vers 1680 que la nation française s'y oi^nisa
définitivement avec un vice-consul, dépendant de celui d'Alep. On
avait vu auparavant le consulat des français exercé par des Hollan-
dais, des Anglais et des Italiens *.
En 1699, le vice-consul français se plaignait à la Chambre de la
modicité des appointements qu'on lui avait attribués : « Je suis
surpris, écrivait-il, qu'on regarde ce lieu comme une petite échelle,
étant une ville considérable où il y a 80.000 habitants, à cela joint
un pacha, un cadi, un caya, un aga des janissaires, quantité d'autres
officiers.... c'est tout ce qu'il y a i Alep et il s'en manque beaucoup
qu'il y en ait autant à Seïde*. » La nation française n'y comptait
cependant quequelques marchands et, de 1685 à 1719, il n'y vint que
quarante-trois résidents. L'échelle n'était visitée chaque année que
par quatre ou cinq bâtiments qui généralement ne Élisaient que
compléter leur chargement commencé à Seïde ou i\ Alexandrette. De
1700 à 17I) elle exporta pour près de sept millions de livres de
marchandises parmi lesquelles les soies, les noix de galles, les cotons,
les cendres, les huiles étaient les principales. On y trouvait aussi le
café, le ri/ et d'autres marchandises d'Egypte apportées par les bâti-
ments français, turcs ou grec.-., appelés caravanaires, qui faisaient
un cabotage actif entre les côtes de Syrie et les ports d'Egypte*.
Seïde, l'ancienne Sidon, nétait qu'une méchante bourgade,
mais elle éuil devenue, grâce à son heureuse situation au milieu de
la côte de Syrie et à ses communications faciles avec l'intérieur du
pays, surtout avec Damas, la grande échelle de Syrie et la troisième
(1)1 l,;i qu.intitc Jl- no^ b.uiments venus cctt». aiince pour charger des cendres
les .1 rendues si r-ircs qu'il n'y en a plus jusqu'à l'arrivée des caravanes. j> Lettre
ilu vUf-i-oiiiul, 10 Jivr. i-ii. .iA. jSç.
(2) 2j thK'eml'it- 10S2. .lA. ;SS. l.t'.iy ,hi -.icc-comui . — AA, }}6. 20 août i66j :
Le consul d'Alep a aiVernié le consulat de Tripoli au consul des Hollandais.
(5) AA, }$>). I) ii:ril ijiw.
(4) En 1714, .innée i.>ù le commerce de Tripoli atteignit son maximum,
l'échelle l'ut visitée p.ir un v.iisse.i;:, q'.Mtre b.irqiies. treize vaisseaux venant de
Seide et .\lexandrette. — La valeur des exportations lut de 1.025. 281 livres
(cotons 44.CXX)— cendres 20..) 2 i — cité 2 7. M 7 — galles 59 737 — huile
51 .786 — soies 77S.1XK) — toiles 2o.<nx)i. — lin i70i>, les exportations ne
furent que de 28. i!?6 liw. imininumii. — II, i;.
LES ÉCHELLES : SElDE
en Importance de toutes les échelles, ii la fin du xvii' siècle. Elle dut
' en panie sa fortune i l'cmir druse Fakhreddin qui s'en empara dans
les premières années du xvii' siècle et en resta maître jusqu'en 1633 ;
il en fît sa capitale et s'efforça par tous les moyens d'y attirer le
commerce*. « 11 n'y a point de pays dans la Turquie, écrit l'envoyé
de Louis Xfll Deshayes de Courmemiii, en 1621, où les chrétiens
soient si libres comme dans les terres de Facnrdin. Ils ne sont point
sujets aux avanies qui se pratiquent dans l'empire du Turc, chacun
y vit en repos et les étrangers y reçoivent autant de protection que
les naturels du pays. Le voyage que ce prince a fait en chrétienté où
il a demeuré cinq ans a beaucoup servi à polir ses mœurs et son
esprit*. » Cependant Fakhreddiiî porta un grand tort aux bâtiments
qui fréquentaient Seïde en fai.s;MU combler son port, de crainte que
les galères turques ne pussent y entrer et venir l'atuquer par mer.
Le port de Seïde était une rade ouverte aux deux extrémités, que
les Provençaux appelaient un Frioul, abritée par une petite île de
rochers. Elle était bien ;\ couvert du vent du S.-O. trés-violcnt et
très-dangereux, mais ouverte au vent du Nord, qui n'était pas moins
à craindre. Le fond, partout rocheux, y rendait le mouillage diilicile
et il fallait prendre des précautions, pour empêcher les câbles d'être
Coupée par le frottement. Ce port incommode avait l'avantage d'être
défendu par un bon château, situé sur un rocher dans la mer vis-à-
vis de la ville, et réuni X la terre ferme par un pont de dix ou douze
arches.
La ville, petite et fort mal bjitie, était habitée par des Turcs, Maures,
Maronites et Juils : il n'y avait pas en tout 6,000 habitants*. Les
étrangers vivaient dans deux grands « camps' » l'un sur le bord de
la mer, l'autre plus grand, dans l'intérieur de la ville, qui servait
aux Français, Leur consul avait acheté ù côté une belle maison très
Ornée que Facardin avait fait construire pour y loger ses femmes.
La nation française resta seule établie à Seïde pendant les deux tiers
du xvii' siècle*. De 1685 à 1719, cent soixante -quinze résidents
( I ) Les clirâticns l'appelaient Facardin ou pL-kerdin. — I! était maître de toute
•la côte depuis Tripoli jusqu'au mont Carmcl et de l'intérieur jusque vers Damas.
— Il fut pris par les Turcs et mis à mort à Constantinoplc en 1633. Cependant
^»es neveux reprirent plus tard le pouvoir à Sdde.
(a) Deshayes, p. 441.
(j) DWrvieux, t. I, p. joi. — CoppiN, p. 420, — Thèvenot, t. Il, p. 20.
(4) Les Français appelaient camps, khans, cams, les caravansérails qu'ils habitaient.
(î) D'Arvibux, t. I, p. .^64. — Sav.wv dont ks renseignements sont un peu
384 TABLEAU DU COMMERCE
passèrent de Marseille à Seïde, c'est-à-dire deux fois plus qu'il n'en
partit pour Alep dans la même période. Il est vrai qu'on séjournait
peu à Seïde et \a nation n'était pas plus nombreuse qu'à Alep ; vers
1670 elle se composait de 14 maisons, en 1713 de 18, dont quelques
unes comptaient plusieurs associés. De 1671 à 1714 cette échelle
exporta, d'après les chiffres de recette du cottimo, pour 53.000.000
de marchandises, ce qui était presque le double des exportations
d'Alep'.
Le coton fut toujours le plus grand article du commerce de Seïde ;
les Provençaux y achetaient à peu près en égale quantité les cotons
en laine et les cotons filés. Les premiers étaient vendus en été
aussitôt après la récolte, les seconds plutôt en hiver, car les habitants
des vallées du Liban et de la Cœle Syrie filaient peu en été, occupés
qu'ils étaient aux récoltes du blé, des olives et de la soie. Tous les
lundis et les mardis se tenait à Seïde le marché des cotons filés,
devant le grand camp eti travers toute la ville, jusqu'au bord de la
mer. Les femmes y apportaient ce qu'elles avaient filé chaque
semaine; pour en augmenter le poids elles vendaient leurs écheveaux
encore mouillés, mais les marchands accoutumés à ce subterfuge,
en tenaient compte dans leurs achats et faisaient ensuite sécher ces
écheveaux sur des tringles en bois qui étaient scellées à cet effet dans
les galeries du grand camp *. Les cotons de Seïde n'étaient pas aussi
forts que ceux que l'on filait dans les autres endroits de la côte,
mais ils étaient plus blancs et plus fins et coûtaient plus cher.
postcrieurs dit que les nations qui ont des consuls à Smyrne et à .\lep en ont
aussi à Seïde à l'exception des Vénitiens et des Génois. Dict. du Coni , col. 1020.
— .Après la mort de Fakhreddin, Seule souffrit be.iucoup des avanies ; à deux repri-
ses, en 16)6 et en 1667. la nation abandonna l'échelle et se retira h Acre et à
Tripoli. V. liv. I, cliap. i. — Lllri' du ij avril i6b-j. AA, _j;6.
( I ) ce, 2} et siiiv. — V. à l'appendice les chiffres des exportations pour chaque
année de 1671 à 171 4. — Savary, DicJ. col. 10 iÇ), dit que les Français faisaient
par année niovenne 350.000 piastres de commerce a Seïde, chiffe supérieur à celui
que donnent les tableaux du cottimo vers 1670, époque à laquelle s'appliquent les
chiffres de Savary,
(2) Lellre du confiil, 2} /Vît. iji;. A A, jsS : On achète à Seïde les filés au
marché public les lundis et mardis par l'entremise des censaux (^ui les pèsent avec
leurs romaines; après quoi personne ne peut plus en acheter ailleurs pendant la
semaine. — Voir aux Archives des affaires étrangères (Mtwoiics sur le commerce du
Levanl. Qirtoti lôSj-i^'j) un intéressant mémoire touchant le commerce de
l'échelle de Seïde et des dépendances envoyé par le consul Desguisier le 20 lévrier
i(,c)i. — • Knlin, Monseigneur, je conclus pour vous dire que les l-rançais n'avaient
jamais été mieux considérés à Seïde et toute sa dépendance que présentement. Les
pachas nous honorent, nous aiment, et nous accordent tout oe que nous leur
demandons de juste et de raisonnable. 0 — Il compte vingt marchands à Seïde.
LES ECHELLES : SEIDE
385
Pl
US
bre
Nulle part les rivalités entre march.uiJs français n'étaient
ardentes que pour l'achat des cotons dans cette échelle ; la Cliam
du Commerce et les consuls s'épuisèrent en vain en efforts pour les
amener i s'entendre, souvent ils achetaient d'avance la récolte et se
mettaient à la merci des cheiks des villages pour la fixation des prix.
• En vain, écrit le consul le 25 septembre 1714, une ordonnance
de l'ambassadeur, autorisée par arrêt du Conseil, interdit aux mar-
chands de prêter ou avancer aucune somme aux cheiks du pachalik
de Seide et autres, ni d'avoir aucun engagement avec uux ;\ peine
de 100 livres d'amende... 11 y a, dit-on publiquement, plus de 80,000
piastres données en avance aux cheiks... Les villages du pays de
Saphet sont assignés et hypothéqués aux Français en retour de ces
sommes'. »
Le chiffre des achats de coton, étant subordonné ;\ l'abondance de
la récolle, variait beaucoup suivant les années, mais il atteignait
toujours au moins la moitié du commerce total de réchelle. En
1714, 44 bâtiments français qui y chargèrent 2,588,000 livres de
marchandises emportèrent i . 150.000 livres de cotons.
Ils transportèrent aussi cette même année pour 540.000 livres
de soies; mais les soies qu'on achetait à Seïde, récoltées surtout
chez les Druses et appelées pour cette raison soies Chouf*, étaient
les plus grosses et les moins estimées du Levant, on les employait
pour faire les velours. Les cendres et les huiles figuraient dans les
chargements de Seïde en quantités assez considérables ; on trouvait
aussi dans cette échelle du riz et du café apportés d'Egypte par les
navires « caravanaires »'. Les cargaisons des vaisseaux français qui
y abordaient étaient peu importantes : c'était l'une des échelles
où l'on portait le plus de piastres et les marchands de Marseille
(11 AA, jjS.
(2) On appelait en clîct le pavs des Druses, pays de Cliouf. — « Le pays de
Chouf ou des Druses au N.-E. Je Seïde est moiitueux mais agréable, rempli de
tiuantité de vignes, oliviers et mûriers à soie. Les Druses se irroiciit issus des
Iransiiis et les .accueillent très bien. » Coppi.n, p. 459. — « Dès qu'ils ont un petit
rjiorccdu de rocber, s'ils y peuvent faire tenir deux doigts de terre, ils y plantent
Un mûrier. » Thèves'ot, t. 11, p. 20.
(3) En 1700, année moyenne pour la valeur du commerce de Seïde. l'échelle
fut visitée par six vaisseaux et quatre barques. — La valeur des exportations fut de
1 -CI 7.000 livres (Glu, 560. — Soies et bourres de soie, yj.ooo. — Cendres,
73.500. — Casse, 1.080, — Cire, 580. —Cotons, 721 000. — Galles, aa.otx).
— - Laines, 9.000. — Ri/., 84.000. — Soies, 83.000. — Sel armoniac, 156. —
Toiles, 420). En 1714 (maximum) 10 vaisseaux et 34 barques visitèrent l'échelle.
— Leurs chargements valurent 2. 388.000 liv. — En 170} (minimum) les cxpor-
2S
386 TABLEAU DU COMMERCE
faisaient aussi remettre à leurs commissionnaires de Seïde des lettres
de change à négocier sur leurs correspondants de Constantinoplc
où l'on portait au contraire des marchandises pour une valeur supé-
rieure à celle des achats.
Seïde faisait une partie de son commerce avec Damas ; de li,
venaient les cotons filés les plus beaux, les plus fins et les meilleurs,
des toiles de coton blanches et bleues, des soieries et d'autres étoffes
que les ouvriers de Damas fabriquaient en grande quantité : velours,
satins, taffetas, damas, brocards, tabis, moires. Damas était en effet
l'une des villes les plus riches et les plus commerçantes du Levant. Les
caravanes de la Mecque y apportaient des drogues de toutes sortes,
des épiceries, des marchandises de Perse et des Indes ; les Francs y
vendaient des draps de soie, de laine et d'or, du papier, des
bonnets, de la cochenille, de l'indigo, du sucre et quantité d'autres
marchandises transportées par caravanes de Seïde, de Barut et de
Tripoli*. Mais ce commerce paraît avoir diminué peu à peu dans le
courant du xvu" siècle. A la fin duxvi"-' siècle Damas était l'échelle prin-
cipale et le consul y résidait, mais l'incommodité et les risques qu'il
y avait pour le transport de l'argent pendant trois journées, par un
chemin dangereux et souvent impraticable, fit juger à propos de
transporter le consulat et le siège du négoce A Seïde.
En 1630, Fermanel trouva encore i\ Damas un consul des Français
et des marchands Vénitiens qui y vivaient en grande liberté. Les
ouvriers de cette ville étaient encore habiles dans la trempe de l'acier
et fournissaient aux marchands de fort beaux coutelas; le commerce
des raisins secs y était considérable h cette époque ; les émirs
propriétaires des vignobles qui les produisaient aux environs de
Damas en affermaient la vente à un partisan qui en expédiait chaque
année 500 quintaux; malgré ce monopole, on faisait ;\ Seïde de
grands profits sur cette marchandise, mais on se mit à cultiver en
Italie les panses de Damas et on apprit à y préparer aussi bien les
raisins secs, aussi dès 1660 la vente en avait i\ peu près cessé.
D'après d'Arvieux, Damas à cette époque commerçait surtout avec
Utions furent de 83.000 livres. 7/, ij. — Pour tout ce qui concerne Seïde,
Voir Dkshayks, p. 441-42, Fer.manix, p 526-28, Copris, p. 419-23, D'.\ h viiiux,
surtout, qui y résida plusieurs années comme marchand, t. 1, p. 262-466; t. III,
p. 341 etsuiv. — Cùmspoudatuc consulaire. AA, JSÙ-J42. — Savary, D/V/. du
Comm., col. 1019-20,
(i) D'Arvikux, t. II, p. 462-64.
LES ÉCHELLES : DAMAS, BARUT
387
Alcp quoique le trajet fût plus long de cinq à six journées et les
chemins peu sûrs, parce que les marcliands de cette ville n'étaient
pas a-ssuri^s de trouver à Setde les marchandises dont ils avaient
besoin, les Marseillais y port;int surtout de l'argent. I! y r<îsidait
cependant encore des marchands français ainsi que des médecins et
des chirurgiens'. iMais le voyageur Lucas, qui visita Damas en
1715, ne signale la présence d'aucun résident français, bien qu'il
insiste sur la présence dans cette ville des capucins, des Pères de
Terre Sainte et des jésuites *.
Seïde était en outre le magasin et l'entrepôt où étaient envoyées
toutes les marchandises de la côte de Syrie, des échelles secondaires
de Barut, Acre et Rame. Les marchands de Seïde eurent longtemps
des commis qui y séjournaient à demeure, y faisaient des achats en
leur nom et envoyaient les marchandises i Seïde par les bateaux du
pays. Dans la seconde moitié du xvn' siècle, les résidents y for-
mèrent des nations distinctes avec des vice-consuls dépendant de
Seïde; elles furent en rivalité constante d'atl'aircsavec les marchanda
de l'échelle principale, parce qu'elles exploitaient à peu près les
mêmes marchés et acheuientles mfimes marchandises, ce qui donna
lieu parfois à des querelles fort vives*.
La ville de Barut avnit été avant Seïde, parait-il*, le siège de
l'échelle ; tlk- était deux fois plus grande qu'elle, entourée de
murailles bien entretenues et beaucoup mieux b.ltie. La plupart de
ses habitants étaient des chrétiens et des maronites, ils passaient
pour être particulièrement doux et polis. Son port avait été comblé
comme celui de Seïde par l'émir l'akhreddin : il avait fait .s;iuier
deux puissantes tours qui en détendaient l'entrée, leurs débris
l'avaient obstrué et les alluvions de la mer av.aient fait le reste, il n'y
pouvait entrer que de petits bateaux, mais il y avait en dehors une
bonne rade avec un fond d'excellente tenue ; cependant, iï cause de
(1) Voir sur k comnicrcir Je Dam.is ; pERMANia, p. ÎI2-2:, D'Auvicex, t. I,
p. Î39-465. Coi'PiN, p. 122, TiiCVENOT, t. II, p. 25-40, it diScrit Damas en 1663.
(2) Liic\s, p. Î49.
(i) Voir la ConrifKivJaiice d< r/chelU deSeidt. A A, )jf>-}.f2. — On relève dans
kplus ancien des rejjistres Je-» arcliives du con*uI;it de Beyrouth (1608-1625) les
nom* d'une trentaine de Français. — Je dois ce renseignement à l'obligeance de
M. le consul général Jullemier.
(4) Anb. Nat. P', ('•./;. Mémoire de i6Sf. — « Les Français rappellent Barut,
les gens du pays Bcirout. On tire le nom de Beiroutde Bir qui en arabe signifie
puiis, parce que sa situation dans un lieu tout environné de montagnes le fait
met ressemblera un puits. » D'ArVieux, t. II. p. 337.
388 TABLEAU DU COMMERCE
la cniinte des corsaires, les vaisseaux français n'allaient qu'.\ Scîdc et
il était rare qu'on en vit un A Barut dans une année. M
Cependant la richesse du territoire environnant et la soie qu'il
produisait en quantités considérables y attiraient un grand cotu-
merce. « L'émir Fekherdin, rapporte d'Arvieux, regardait le territoir
de Barut comme son jardin de plaisance et, comme ses sujets étaient
bien plus riches de son temps qu'ils ne le sont, depuis qu'ils sont
tombés sous la domination des Turcs, ils tâchaient de l'imiter eC
avaient un soin particulier de cultiver un terrain si bon.... On y voit
encore i\ présent de longues allées d'orangers et de citronniers quî^
faisaient les clôtures de leurs jardins à fleurs. Les choses sont aujour-^
d'hui (i6éo)dans une situation bien différente : accablés des vexi-j
tions continuelles des pachas et autres officiers aussi avares, ils n<
songent qu'a remplir l'avidité de leurs tyrans, leurs jardins à fleui
sont complètement abandonnés, ils ne pensent qu'à cultiver leurs
mûriers blancs et à élever les vers à soie qui sont leur commerce et
leur meilleur revenu Il y vient des caravanes de Damas, d'Alcpj
et d'Egypte, surtout dans le temps qu'on Élit la récolte de la soie. UJ
s'en (ait de grandes levées pour leurs Éxbriques de satin, de velours et
d'autres étoffes dont il se fait une grande consommation dans le pays
parce que les Turcs sont magnifiques dans leurs habillements'.
Barut recevait encore plus de soies de la région des montagne
voisines : tandis qu'A Seïde on était en rapport avec les Druscs, il
Barut c'était avec les Maronites, si bien que, dans l'intérêt du com-j
merce, des cheiks maronites furent chargés à deux reprises, en 165 J,
et en 1702, du consulat de la nation française*. Les soies barutincs»]
jaunes et 'olanches, plus fortes que celles de Tripoli, mais moins qu«
celles deSetde, servaient pour les taffetas, les tabis et les moires.
Les marchands français établis i Barut* achetaient toujours lo
meilleur de la récolte et ne laiss.iient que des soies moins fines ai
caravanes qui venaient y trafiquer.
(1) D'Arvifux, t. II, p. 5 î 7-49-
(21 V. d'.\rvieux : Hist. du chtik Abou \a»fej, t. II, p. }S5 et suivants.
Pontwliartrain dans une lettre à b Clunibnc du î8 juin 1702 annonce que ».t
livres d'.ipfXJÎntcnients sont accordas ,1 Hussein Asin émir, prince des inaroniTt
consul de I3arut. ainsi au 'au patri.irche de cette n-ition à Antioche qui resiJt; juj
luonastèrc du Canobin (dans le Liban). Ces sommes seront payL'es par les dipvjt6
de la nation Je Seide. HB, S;. — « Un chef des Maronites fut honord il v j
quelques annèej de la qualité de consul de la nation française 1 Barut, aussi éuir-il
le plus connu et le plus distingué- d.ms sa famille. » Lucas, p. joi (en 1715).
(3) D'.\r\icus en cite quatas
LES ÉCHELLES : ACRE
389
Acre, le grand port de la S3'ric au Moycn-Agc, n'ctait plus qu'un
monceau de ruines couvertes en partie par les sables que le vent y
avait apportés; ses belles murailles doubles, si fortes, si épaisses et si
bien cimentt-es, avaient été renversées dans ses doubles fossés et les
avaient comblés ; on y voyait quelques beaux restes, comme ceux du
palais des grands maîtres et de celui que l'émir Fakhreddin avait fait
bâtir. Une tour carrée sur le bord de la mer défendait le port, auprès
était la demeure de Taga qui dépendait du pacha de Sephct ou Galilée.
Le port était encombré de ruines, qui en rendaient Fabord fort
dangereux, aussi les vaisseaux mouillaient dans la vaste rade d'Acre,
nuis celle-ci complètement ouverte n'offrait aucune sûreté, les nau-
frages y étaient fréquents, aussi les navires allaient souvent se réfugier
en dice dans celle de Cailfa, abritée par le Carmel ; malhcureusemem
c'était le point de la côte le plus exposé aux corsaires chrétiens ou
turcs, qui y croisaient perpétuellement.
Acre n'était même plus un bourg, car on n'y voyait qu'une cin-
quantaine de maisons fort misérables, presque des huttes. Il y
*lemeur.ait en outre en 1630 « environ deux cents familles de Maures
*Ians des voûtes et des caves qui se trouvaient parmi les ruines'. »
Les Français continuaient d'y faire un assez grand commerce et
jusqu'en 1700 ils furent seuls à y résider*. Les vaisseaux anglais et
hollandais venaient cependant y faire chaque année des chargements,
mais les marchands de ces deux nations, qui résidaient A Alep, don-
naient leurs ordres aux licteurs français d'Acre pour flùre les achats
à leur nom et leur remettaient pour cela 2 % de commission*. En
169^, le consul de Seïde empêcha un Anglais de s'établir .\ Acre et à
llame pour conserver à la nation le monopole du commerce et il
accepta l'offre que lui faisaient les consuls anglais et hollandais d'Alep
(i) Fermaxel, p. 334. — Thévenot, d'Arvikux.
(3) COPPIN, p. 432, parle cependant d'un Hollandais qui était vice-consul dc$
Français.
(3( « Vous souhaitez de savoir au sujet du niigoce que les n.itions étrangères
font a la dépendance de cette éclicllc : il vient à Acre tous les ans un convoi Je
Holl.indt' qui, lorsqu'il est arrivé, trouve tout son chiirgeuicnt prêt en cotons, en
laines, consistant à 3 ù 4cx> balles plus ou moins ; ils chargent aussi quelquefois
cjuelques halles de filés à nolis pour nos messieurs pour les porter i Livourne, et
lorsque ledit convoi est entièrement, il retourne à .Mexandrctte pour y finir son
chargement. Il vient aussi à Acre J à 4 vaisseaux anglais une fois l'année pour
y charger aussi des cotons en laines, les uns en prennent 200 balles et les autres
plus et quelquefois seulement 40 à 50 puisqu'ils ne vont au dit endroit que pour
commencer leur char^cmont pour aller ensuite à .'\lexandrette. » Uttiedu <onsul
tit Seide il lit ClMitihx, 57 ncvanhii- 16SS. AA, fjfi.
390 TABLEAU DU COMMERCE
de se charger de la protection de leurs nationaux dans ces deux
endroits afin de les détourner d'y établir des vice-consuls*. Cepen-
dant en ryoo, malgré les nouveaux eflPorts de notre consul, le sieur
Maashouk, hollandais, fut établi à Acre comme vice-consul de Hol-
lande et d'Angleterre* et il troubla bientôt l'échelle par ses intrigues
et ses prétentions. Malgré la violente querelle qui éclata entre lui
et la nation française d'Acre et deSeïde*, on vit en 17 14 le vice-
consul d'Angleterre et de Hollande chargé aussi du consulat des
Français*. Ceux-ci étaient cependant toujours aussi nombreux et
leur nation, composée de dix-sept ou dix-huit marchands, n'était pas
moins importante que celle deSeïde.
Elle habitait dans un petit « camp » commode construit par l'émir
Fakhreddin pour les étrangers, et dans quelques maisons, semblables
plutôt à des cabanes, que quelques marchands s'étaient fait cons-
truire aux alentours, dans le voisinage du port. Le commerce d'Acre
consistait surtout en cotons en laine et quelques cotons filés qui
venaient de la Galilée, en cendres vendues en grande quantité
h Marseille et à Venise, pour la fabrication du savon et du verre.
Ces cendres provenaient de ceruiines herbes qui croissaient sans
culture et que les paysans fauchaient et faisaient brûler. Le territoire
était fertile en blé et en riz et :\ certaines époques de disette en
France, de nombreux navires étaient venus charger ces deux
denrées. Ainsi le voyageur Fermanel trouva dans la rade d'Acre,
en 1630, trente-deux vaisseaux ;\ la fois « dont le moindre était
de 150 tonneaux y en ayant de trois et quatre cents, jusques ;\
six cents, qui tous étaient venus pour prendre du blé. » En 1714 les
prix des ri/ ayant été gAtcs en Egypte par l'arrivée de trop nom-
breux navires, un grand nombre vinrent charger du riz ;\ Acre, où
depuis longtemps on n'avait vu des bâtiments en aussi grand nom-
bre'. Mais en temps ordinaire les vaisseaux français venaient peu à
Acre, dont on expédiait les marciiandiscs à Seïde sur des bateaux du
(i) Lettre, du cpiisuI, 2) décembre i6ç}}. AA, j}6.
(2) L-ttre du consul, 20 Juin lyoo.
(î) Voir au sujet de celte atîairc : Ij;llre du consul de Seide, ;> avril tyn.j. AA,
jjj. — L'ambassadeur, mis au courant, ordonne d'expulser Maashouk.
(4) Lettre du consul de, Seïde, 12 jhrier iji.f : « Les assemblées d'Acre no sont
que des coliucs, les marchands ont rompu leurs pipes sur l'estomac du vice-
consul d'Angleterre et de Hollande à qui j'en ai lait (aire satisfaction.» AA, }jj.
(5) 12 août iyi4. AA,}}S.
LES ÉCHELLES : KAME , JAFFA
391
pays, ou, s'ils y passaient, c'était pour y prendre seulement une
partie de leur chargement, qu'ils coniplijtaicnt A Scïde'.
Kamc, l'éciielle de l:i Palestine, ;\ quatre lieues de Jaffa dans l'inté-
rieur des terres, n'était qu'un mauvais bourg, «011 il y avait plus
de masures que de maisons », La seule habitation considérable était
la maison de Nicodéme, que les rois de i'rance avaient fait recons-
truire : les marchands français y demeuraient, ainsi que tous les pèle-
rins qui scrcndaient A Jérusalem. On y faisait presque exclusivement
le commerce des cotons filés apportés de la Judée. Cette petite
échelle, où résidaient cependant huit marchands français en 1670,
ne put jamais prospéreret fut même abandonnée :\ plusieurs reprises,
:\ cause de l'insécurité croissante dans laquelle vécut la nation. Les
gouverneurs s'y montrèrent toujours tréstyranniques, mais surtout
les Arabes pillards étaient les vrais maîtres de ce pays désolé et ran-
çonnaient sans cesse les indigènes aussi bien que les étrangers. En
1692 ils assassinèrent même le gouverneur et l'échelle fut abandon-
née plusieurs années par le vice-consul français et le seul marchand
qui y fût resté avec lui ; cinq marchands revinrent pourtant s'y éta-
blir en 1700, le pays étant redevenu plus tranquille, mais en I7ri
le vice-consul se retira de nouveau et il fut question de transporter
définitivement l'échelle à Jaffa pour éviter des dépenses inutiles*.
Jaffa, le port de Rame, était le plus misérable de toute la côte,
l'ancienne ville n'était plus que ruines, il nen restait debout que
deux tours où logeaient quatre ou cinq Turcs, que le pacha de Gaza
envoyait pour garder le port. On n'y voyait pas même de maisous
et ceux qui abordaient n'avaient pour se mettre .1 couvert que cinq
anciennes voûtes qui se trouvaient le long de la marine, c'est pour-
quoi la nation s'était établie à Rame. Vers la fin du xvii* siècle, la
situation de Jafîa semblait cependant s'améliorer ; on y voyait quel-
ques magasins, des maisons et une mosquée, mais ce lieu était
(1) Au «ujet d'Acre, voir:DESHAYES,p. 451, Fermanel. p. 334, CoppiN.p. 4^2,
Thévenot, p. 422, d'.'Xkvieux, t. I, p. 270-7^. DE FiKUYN'.p. 31)9-14, qui uxagôre
l'importance de son coinmcrce. — S\vah\, Dictioiiii., col. 101^-20. — Coiresfvml.
4f làhellt dt Seule.
(2) V. Littrt du consul dt Stidi, jt ianv. 1697,6 avril 169^, AA, j}y —du
consul de Jérusalem, iS atfil lyoo, AA, jSS — df PotiUharlrain, 1" mai lyti.
BB, S). — Sept nurclunds partent de .Marseille pour aller résider à Rame de
1685 â 1719 — Au sujet de R.inie. Voir : Deshaves, p. 371. — TiifevtS'oT,
p. 563 — d'Arvieux, t. I, p, 340 — Savary. Dicl. col. 1019-20. — Lfltres de
hchelU. A A, 36 t.
392 TABLEAU DU COMMERCE
exposé sans défense aux pillages des Arabes ainsi qu'aux attaques des
corsaires'. Dans l'ancien port il ne pouvait entrer que de petites
barques, et les vaisseaux n'étaient en sûreté dans sa rade que pendant
l'été, aussi les Français n'y venaient-ils jamais charger et prenaient
les marchandises de Rame à Acre ou à Seïde *.
Jérusalem, où résidait un consul français à la fin du règne de
LouisXIV, n'était pas une échelle et on n'y voyait aucun marchand.
De tout temps les pèlerins et les religieux latins gardiens des Lieux
Saints, avaient été sous la protection du roi de France et de son
ambassadeur à Constantinoplc. Ce rôle attribué au roi rehaussait
grandement le prestige de la nation aux yeux des Turcs, ainsi que
le montre ce propos d'un pacha de Damas au consul de Seïde à qui
il disait « que la grandeur du Sultan consistait i avoir les clefs de la
Mecque et que l'autorité du roi surpassait celle des autres rois et
provenait de la grâce que Sa Hautessc avait faite à S. M. de lui
donner les clefs du saint Sépulcre*. » Mais les chrétiens de rite grec
ou autres, sujets du Grand Seigneur et favorisés par les pachas, ne
songeaient qu'à s'emparer pour eux seuls des Lieux Saints. En 1690
les négociations de l'ambassadeur de Cistagnères avaient eu raison
encote une fois des intrigues des Grecs : « L'affaire de Terre Sainte,
écrivait-il, m'a retenu plus que je ne croyais. J'ai enfin obtenu la
restitution de tous les Lieux Saints pour les religieux francs dont les
Grecs les avaient dépouillés, c'est-A-dire qu'ils ont ;\ présent le Saint
Sépulcre qu'ils avaient perdu depuis quinze ans et même la pierre
de l'onction, le calvaire et la crèche de Bethléem dont ils avaient été
chassés depuis 56 ans. Le bonheur que j'ai de satisfaire aux ordres
du roi sur ce chapitre satisfera beaucoup sa piété*. » D'un autre côté
les pèlerins qui se rendaient à Jérusalem étaient exposés sans défense
aux exigences du pacha et aux insultes de la population. Ce furent ces
raisons qui firent songer à l'établissement d'un consul à Jérusalem.
(i) En 1689 trois corsaires l'rançiiis tirùrcnt plus de 200 coups de canon sur
Jaffa. Lettre tU la nation- de Rame, iS juin i6S<) (vice-consul et deux marchands),
AA, 361.
(2) Sur Jaffa. Voir: df. Brèvks. p. 85-87; Deshayks, p. 378 ; Thkvexot,
p. 416 ; DK Bruyn, p. 500 — « .'\ récliellc de Rame qui est le port de JalTa,
dans la belle saison il y va un des vaisseaux anglais pour y charger partie de trois
ou quatre cents sacs savon et environ deux cents balles filets (cotons lilés) de
R.inie qu'ils font faire tous les ans à un marchand maronite. » — 27 novembre
16SS. Jj-ttie ilti consul th-Sàtle. A A, }]y.
(3) 7 /H/7/i-/ 17/.?. Lellrv du consul Je Si'ïJe. AA, jjS.
( }) L'tire du jo mai i{n)o, à la Chambre. AA, i./^.
LES ÉCHELLES : JÉRUSALEM, CHYPRE
393
I
Les deux premiers consuls qui )- furent envoj'cs furent chassés au
bout de peu de temps, le sieur Lempereur en 1624', le sieur
lîrémond en 1700; une troisième tentative réussit mieux en 171 3 et
le consulat resta délînitivement établi*. « De tout le Levant, écrivait
Brémond .\ la Chambre en 1700, je ne crois pas qu'il y ait un consul
<]ui vous soit plus inutile que moi. » Cependant, les échelles de
Rame et de Jaffa étaient de son ressort*, aussi le commerce payait
ses appointements de 5.000 livres, comme ceux de tous les consuls.
Chypre doit être rattachée aux échelles de Syrie, caries vaisseaux
qui fréquentaient ses ports étaient ceux qui allaient charger ;\ Alexan-
drette ou \ Seide*. Conquise par Selim II en 1570 et cédée délîniti-
>'emeni par Venise en 1578, la domination ottomane lui avait été
funeste. Tandis que, depuis les croisades, sous le gouvernement des
Lusignan et de Venise, elle était devenue, grilce à la fertilité de son
sol, une des terres les plus riches de la Méditerranée et l'un de ses
niarchc-s les plus importants, sa décadence lut rapide au xvii' siècle, à
à cause du joug tyrannique que les Turcs firent peser sur les habi-
tants, les plus maltraités de l'empire ottoman. Les descriptions des
voyageurs témoignent encore de son importance au début de ce
siècle. • Chypre, dit de Brèves, produit quantité de sucres, cotons,
blés et vins exquis, huile, térébenthine, safran, légumes de toutes
(1) Le pacha Je Damas le fit prendre en 1624, l'enteriua au cliiteau de Damas
ot ne le délivra que inoycniiatit 5 .000 pi.iitres ; mais il ne voulut p.is le laisser
revenir i Jérusalem malgré les commandements Je la Porte. — V. aux Ajf. itr.
Corr. polit. CûHStanl. Ri't;. }, les lettres de Lempereur, fol. ni, 320, 14^.
(2) Ct'. p. îîo au sujet de cet établissement. L'idée en avait été donnée par
Dortiires, lors de sa visite des échelles en i6t46 ct l'arrêt du Conseil du 31 juillet
1691 en avait décidé la création. liB, 4.
(3) Lettrts dn iS mit /700, iS avril tji}. AA, jfS— Brémond réclamait,
pour qu'il pûi jouer réellement un rôle utile, qu'on mît sous sa dépendance
l'cchclle d'.\crc. Aussi y eut-il dés le déhui rivalité entre le consul de Jérusalem
*;t le consul de Seide qui s'intitulait auparavant consul pour la Palestine, Galilée,
Sam.irie «l Judée. En effet, par une lettre du 28 avril 1694, Pontchartrain avait
charcé celui-ci de faire les fonctions de consul a Jérusalem « en attendant que
[S. M. y eût pourNU (A A, ]}ô). Sur l'ordre du ministre, le consul de Seîde avait
Irait chaque année un voyage a Jérusalem pour les fêtes de Pâques, jusqu'en «699.
Voir SCS lettres où il k* plaint des grandes dépenses où ce voyage l'entraîne :
wi stptniibu i("ff, jo juillet i6'/S. A A, j]/>. — Voir aussi les lettres de 1700 et
1701 où il attribue l'échec de Brémond ;\ ses fautes et à son avarice.
<4) Chypre ne fut même, jusqu'en 1675, qu'un vice-consulat dépendant d'Alep
^Mériioir/ iiu II septfiiti'rf i(ii)t. — Aff. itiiiugiifs. Inspection du comniiict lU Mat-
eillf, t. 11!). — Avant que le sieur S.iuvan res"ùt le titre de consul, plusieurs
^nglais avaient pris h ferme ce vice-consulat pour 250 piastres (Voir aux Affaires
j^rangéres. Inspection du camnurc4, t. I, la volumineuse procédure contre un mar-
liand de Chypre ramené en France et jugé par l'intendant. — Année 1681).
394
TABLEAU DU COMMERCE
sortes. Cl encore des minéraux. On y compte huit cents villages cl
six ou sept villes de nom. » Les Français avaient un consul à Nicosie,
les Vénitiens avaicin le leur A Larnaca et un vice-consul iLimisso,
où se trouvaient déj:\ des marchands hollandais. Mais, dès 1630,
Fermanel constate la ruine de l'Ile : « Nicosie porte les marques de
toute désolation, parce que les Turcs l'ont tellement ruinée qu'il n'y
a presque pas d'habitants chrétiens, quoiqu'ils soient en grand nom-
bre, qui aient moyen de manger du pain toute l'année, car il n'y a^
aucuns chrétiens aussi tyrannisés dans tout l'Etat du Grand Sei-
gneur... Cyprc était autrefois remplie de cotonniers d'où on tirait le
meilleur coton du monde, mais il s'en fait bien peu 1 présent... les
vins, qui étaient si bons et si estimés, y sont rares A présent. •
Les cultures .lyant été abandonnées, la grande plaine centrale d
l'île se remplit de marécages qui dégageaient en été des miasm
pestilentiels, le climat devint très insalubre, et il fut difficile, à eau
des nombreuses pestes qui la ravageaient périodiquement, de trouver
des marchands et des consuls qui voulussent y résider. Un marchand
s'olTrait, en 1694, pour remplacer le consul décédé, • dans la croyanceM
que j'ai, écrit-il, que vous trouverez peu de gens qui veuillent venir
pour ce sujet, ;\ cause de la peur qu'on a de ce pays. » « L'année 1
été terrible, écrit le consul malade lui-même en 1699, et, de 82 Francs,
il y a eu 80 malades dont 34 sont morts', »
Aussi, tandis qu'il y avait autrefois des consuls de chaque nation
dans l'île, le consul français restait le seul .\ la fin du .Kvir siècle et
servait h la fois pour les Vénitiens, les Anglais, les Holland.iis, l
Ragusois*. En outre, le commerce de Chypre souffrait des ravagi
des corsaires plus que celui d'aucune autre échelle. De ses troiS;
ports, Limisso, Larnaca et Famagoustc, ce dernier seul était fortifii,
mais ne fliisait p.is de commerce. Les harbaresques, les forban
chrétiens ou turcs, enlevaient fréquemment tes navires dans la radi
de Lirnaca; plusieurs fois, les Tripolins ou les Algériens firent même
des descentes i terre et pillèrent les maisons et les niag.isins des
marchands. Chypre n'était donc plus qu'une échelle d'un petit
commerce. Au début de 1700, la nation française comprenait douze
marchands; en 1704, il n'y en avait que dix*. Ils résidaient à Larnaca
(1) ay fèvrùr /6j></, aS décembre 169c. A A, 406 et 407.
(2) Du moins .i rL')v>que du consul Sauvan (1670-1690).
(}) Q^iairc-vingt-Jix marclumds partirent du Marseille pour y résider de
à 1719.
les
i
d
r
LES ÉCHELLES : CHYPRE, SATALIE
395
mauvais village à un mille environ de la mer. Son port n'était
qu'une plage an fond d'im golfe profond et spacieux où les navires
(itaient en sûreté. Il y avait aux alentours de v.astes s;ilincs ; les Turcs
en tiraient, au début du xvii* siècle, de grandes quantités de sel, qu'ils
vendaient aux Occidentaux comme lest, surtout aux Vénitiens, qui
le revendaient très cher \ Venise, mais leur négligence les avait fait
abandonner. Les achats de la nation française s'élevèrent, de 1700
A 1715, à 3.710.000 livres; auparavant, ils consistaient surtout
en cotons, qui passaient pour les plus beaux et les plus fins de tout
le Levant; vers 1700, les soies, beaucoup moins fines que celles de
Perse et de Syrie et vendues bien meilleur marché, restaient seules
le grand article d'exportation *.
Satalie, l'Adalia des Turcs, située en face l'île de Chypre, au fond
de son grand golfe, n'avait été occupée par la nation française qu'au
début du XVII'-' siècle. Savary de Brèves écrivait, le 18 janvier 1600,
aux consuls de Marseille : •< D'aucuns de vos capitaines m'ont fait
entendre qu'ils désiraient d'aller trafiquer en l'échelle de Satalie et y
tenir quelque bon trafic h cause de la commodité des cuirs, cordouans,
tires, tapis, storaz et autres menues marchandises qui se trouvent en
ladite échelle peu fréquentée. C'est pourquoi j'ai fait faire de puissants
commandements et ferai partir dans quinze ou vingt jours un des
miens avec une copie de la Capitulation, pour y résider comme
«ronsul en attendant que S. M. y pourvoie*. » Ancienne possession
«Jes chevaliers de Kliodes, puis des Génois, Satalie était dans une
situation très forte, au pied des montagnes, et passa pendant tout le
( j ) Chaque .inruSc-, en été, les marduiids se rendirent à Nicosie pour y régler
Me prix des siiie^de la récolte. — Hn 17CX) (aiiniie moyenne) qu.itrc vaissc;m)i et
^cux biirquei chargèrent à Chypre, et en outre dix v.iisseatix et deux barque»
■Venant de Seide et d'Alexandreite y complétèrent leurs clurgement* La valeur de
^;c5charyenieni>fiii dc49i.O(xWiv. (hW 6i).ooo, cire 689,cuirb45û, coton 70, ihXj,
^roloiiuinte 8.142, drogues 750, galles 4.279, graines de choux-fleurs 886,
laines 7.000. lin 162, pistaches 1.025, rir. 70.580, storax 8.300, soies 257.000.
'V'crmillon 405). — Hn 1712 (année maximum) 760.000 livres furent chargées sur
«dix-huit bâtiments venant de Seïde et d'.Alexandrette (soies 600.000, café 54.000).
Année 1715 (minimum) : 85 .754 livres — Le café et le riz étaient apportés
*d'Egypte parles caravanaircs. — //, i). — « Il sort plus de 1000 barils par an
^'unc espèce d'onoians dont les Vénitiens sont très friands. On les prend au gluau
<ît, après les avoir fait bouillir deux ou trois bouillons, on les encaoue comme des
^anchois ». Savvry, col, 1021. — Au sujet de Chypre, voir : Dh Brèves, p. 29;
"OE BE-^UVEAV, p. 89-96; PlETRO DELLA VaLLE, t. 11, p. 512-SI9; Fek.MANEL,
Ç). 240-255. Taverniek. p. 126; Savaky, Did., coî. 1021.— Conesfvmlance cou-
sulairt, A A, 406-40J.
(2) AA, 140. Letlre aux consuls ic Marseille.
396 TABLEAU DU COMMERCE
XVII* siècle pour une des meilleures places des Turcs en Asie; mais
son port était très étroit et bon seulement pour les petits vaisseaux ;
l'entrée, comblée en grande partie par des ruines presque à fleur
d'eau, était très périlleuse, la rade qui le précédait était semée
d'écueils et la mer souvent agitée.
Aussi, l'échelle ne prospéra pas, et, lors de la réorganisation des
consulats en 1691, la Chambre du commerce fit supprimer celui de
Satalie'. Cependant, il y resta quelques marchands, et, des querelles
s'étant élevées entre eux en 1 701, on se demanda si on les soumet-
trait à la juridiction du consul d'Alep ou de celui de Chypre :
l'échelle fut mise sous la dépendance de Chypre et le consul
chargea un des marchands de percevoir en son nom les droits dus à la
Chambre du commerce, sans cependant lui donner le nom de vice-
consul à cause du peu d'importance de cet établissement. Depuis la
disparition du consul, on ne vit plus de navires français charger h
Satalie, tandis qu'auparavant il y venait chaque année régulièrement
une ou deux barques*.
En somme, les Français gardaient encore en Syrie une place prépon-
dérante à la fin du xvii* siècle. Sans doute, les Anglais et Hollandais
s'étaient établis ;\ côté d'eux à Alep, à Tripoli, à Acre, à Chypre, et
les Anglais faisaient un commerce plus important qu'eux dans la
première de ces échelles. Mais ils conservaient le monopole du
commerce à Seïde, à Barut, à Rame, et faisaient plus d'affaires que
leurs rivaux i\ Acre et à Chypre.
(1) Le consul de Satalie ne partit cependant qu'en 169s (Lettre de l'atiibassadeur,
10 juillet 1696. AA, ijo). — Pour cotte suppression, il fallut faire des sollicitations
et des dépenses à la Porte, comme pour obtenir la création d'une échelle.
(2) Voir les tableaux des recettes du cottimo. CC, 2} et siiiv. — Au sujet de
Satalie, voir de Brèves, p, 22; Beauvi:.\u, p. 86; I'f.rmanfx, p. 253 ; de Bruyn,
p. 391. — Lettres du rf avril, 7 décembre lyoï. AA, .foj.
CHAPITRE III
LES ECHELLES DU LEVANT
II. — L'Egypte.
L'Egypte avait perdu en partie, au début du xvn' siècle, l'impor-
tance commerciale qu'elle avait conservée pendant tout le moyen-
âge. L'établissement des Portugais, des Hollandais et des Anglais
dans les Indes Orientales avait fait prendre aux marchandises de ces
pays de nouvelles routes, mais le gouvernement tyrannique établi
par les Turcs en Egypte contribua aussi à en détourner le com-
merce. « Ce royaume, écrivait en 1630 le voyageur Fermanel, a
bien changé depuis qu'il est sous la domination du Turc, carde plus
Je 4000 villes qu'on comptait, à peine y trouverait-on maintenant
50 places qui méritent le nom de ville. Le Grand Seigneur y envoie
tous les trois ans un pacha, lequel doit envoyer tous les ans au trésor
de Constantinople, toutes les charges payées, 600.000 sequins et,
outre cela il est encore obligé, sa commisssion finie, de faire un beau
et riche présent à son maître. Les bâchas, pour fournir ce tribut,
font tant de supercheries et exactions d'argent qu'ils ruinent et
«iépeuplent tout le pays : leur tyrannie a presque banni tout le trafic
car les Indiens, qui y venaient par la mer Rouge, n'osent plus venir
à cause que ces bâchas en ont souvent empoisonné et saisi leurs
"vaisseaux et marchandises*. » Cependant, jusqu'en 1630, les
Indiens apportèrent encore en Egypte des quantités considérables de
xnarchandises et, jusqu'à la fin du xvn* siècle, leur navigation ne
cessa jamais complètement. Malgré sa décadence, l'Egypte offrait par
(i) Ferhakel, p. 404. — Les exactions des pachas provenaient aussi de la
xiécessité d'entretenir un corps considérable de milices et de satisfaire leur avidité.
h.: . —.1
398 TABLEAU DU COMMERCE
elle-môme assez de ressources pour alimenter un grand trafic, enfin
elle restait le débouché de l'Arabie et de l'Ethiopie, pays des dro-
gues médicinales et des parfums ; elle jouait un rôle d'autant plus
considérable qu'on y achetait des produits différents de ceux des
autres échelles.
La nation française fut d'abord établie à Alexandrie, mais c'était
au Caire qu'arrivaient les marchandises de la mer Rouge et pour
cette ville que celles d'Europe recevaient leur destination, c'était là
que se traitaient les achats et les ventes et que le consul devait se
rendre pour défendre les intérêts de la nation auprès du pacha et des
« puissances », aussi, vers 1625, le siège du consulat fut transféré
au Caire. Cette ville était alors la plus peuplée de l'Empire Otto-
man et égalait les plus grandes de l'Europe. « Il est certain premiè-
rement, dit Pictro délia Valle, que la' ville du Caire est beaucoup
plus grande que Rome, que Constantinople et que quelque autre
que je sache. » Fermanel lui donne neuf lieues de tour et la déclare la
ville de Turquie la plus peuplée ; « mais la plupart de ses habitants
sont pauvres et misérables, qui, ramassés de tous les endroits
d'Egypte, y viennent demeurer pour vivre en oisiveté.... c'est de ce
commun peuple que la peste est si souvent au dire, car il passe
peu d'années qu'il n'y en meure une grande quantité, mais l'on voit
par expérience que de trois ans en trois ans, elle est plus véhé-
mente. » Cependant Coppin , qui l'habita deux ans en 1638,
affirme que la ville était plus petite que Paris, moins peuplée, et avait
moins de mouvement. De Bruyn, en 1680, la trouve à peine
aussi grande que Constantinople ou que Rome, mais pour le moins
aussi grande qu'Amsterdam, « car on en peut aisément Hiire le tour
en trois heures et la plus longue rue, qui va d'un bout de la ville ;\
l'autre et qu'on appelle le Khalits, se peut foire en moins d'une
heure. » Lucas, en 171 5, y compte plus de 300.000 habitants,
Maures, Coptes, Grecs ou Turcs, sans compter les milices du
Grand Seigneur'.
(i) Des auteurs sérieux, comme S.ivary, acceptaient de singulières exagéra-
tions : « Q.uel<jues auteurs disent qu'il a 25 ou 30 lieues de tour en y compre-
nant le vieil Caire et le Boulac, mais on estime que la nouvelle ville n'est pas
filus grande que Paris. — On estime qu'il v a 4 ou 5 millions d'hommes qui
'habitent parmi lesquelles il peut y avoir i .2ck).0(.xi Juifs. Quoiqu'il en soit, il
faut que le peuple du Caire soit en grand nombre puisque quelques uns assurent
qu'en trois mois de l'année 1618 on y enterra plus de 600.000 personnes mortes
de peste, et que l'on ne s'en aperçoit pas lorsque cette maladie n'en fait mourir
que 200.000. B Parfait négociant, p. 465.
LES ÉCHELLES : LE CAIRE
399
Aucune échelle n'eut une histoire aussi troublée que celle du
Caire; les pachas se livraient s;ins crainte ;\ toutes les tyrannies*,
l'envoi des « capigis » et des commandements du Grand Seigneur les
effrayait peu ; ils s'en soucient, écrit un consul, comme d'un papier
;\ plier les confitures *. Les milices du Caire, les plus nombreuses, les
mieux armées et les plus braves des états du Grand Seij;ncur for-
maient, au début du wn*^ siècle, un corps de 25 i 30.000 liommes,
tant janissaires que spahis et asaps. Le consul comptait alors quinze
chefs principaux, « bcys et sandjacs », qu'il fallait acheter, sans
compter les nombreux agas dont la protection n'était pas ;\ dédaigner.
Car si les milices étaient un danger pour la nation française, elles
pouvaient aussi la protéger contre les pachas ; bien des avanies
furent évitées, beaucoup de commandements des pachas ne reçurent
pas d'exécution, par suite de l'intervention de leurs chefs. Leur
puissance ne fit en effet que s'accroître et le gouvernement de
l'Egypte tendit de plus en plus à ressembler i celui des états barba-
roqucs. Pendant tout le xvu° siècle, la nation française s'appuya
principalement sur le corps des janissaires qui était le plus puissant.
En 1623 leur protection, achetée par les Français et les Vénitiens
17.000 piastres, exempta les deux nations d'une contribution
annuelle de 20.000 piastres que le pacha voulait exiger d'elles *; de
1700 à 17 15 c'est grâce aux janissaires que les Français purent (Itire
le commerce du café. En février 1703, une révolution s'étant
produite dans le gouvernement du Caire .H la suite de la coalition
des autres corps de la milice contre les janissaires, les Français s'en
ressentirent aussitôt par une foule de mesures vcxatoiresqui furent
prises contre eux : on leur interdit le commerce du café, on fixa
arbitrairement le prix de toutes les marchandi-jes qu'ils vendaient,
on les chicana sur leur habillement et leur coiffure. En 1715, une
guerre civile éclata entre les milices, la n.ition, pour éviter les plus
grands malheurs, dut acheter ;\ la fois la protection des chefs
des deux partis '.
Les Européens avalent même, en Egypte, à redouter la population
(1) Le douai>icr et plusieurs otTicicrs juifs du pacha ■ lui donnjicnt tous les
jours de nouvelles inventions pour taire des avanies. » ThÉVItnot, p. 501.
(I) JA, }t^, 10 itf'ttmbre i63f. Uiln dit Caire.
<|) Lucas, t. II, p. 180-2^8, raconte en dihail cette guerre entre les Asjps et
les laniuiiires.
400 . TABLEAU DU COMMERCE
qui, contrairement à celle des autres échelles, leur était fort hostile.
Le dire, qui n'avait pas l'industrie d'Alep ou de Damas pour occuper
ses nombreux habitants, renfermait un ramassis de gens misérables,
capables de se porter à tous les excès'. Dans une situation aussi diffi-
cile, on pourrait croire que la nation française eut à cœur d'éviter
par une conduite sage et prudente et une parfaite entente avec son
consul de fournir aux Turcs des prétextes d'exercer leurs vexations.
Au contraire aucune nation ne se signala jusqu'en 17 15 par une
conduite aussi déréglée et par des querelles aussi violentes. Aussi la
nation resta exposée jusqu'en 17 15 aux pires avanies, et subit des
mauvais traitements qu'elle n'avait jamais souffert ailleurs.
Au début du xvii« siècle, les Français et les Vénitiens formaient
seuls un corps de nation en Egypte et y faisaient h peu près tout le
commerce. Les vaisseaux des autres nations y venaient sous la ban-
nière de France et les droits qu'ils payaient aux consuls constituaient
la plus grande partie de leur revenu. « Vous savez, écrit le consul
Fernoulxaux consuls de Marseille en i6it que ceux des nations
étrangères qui trafiquent en cette échelle y font beaucoup plus de
négoce que les Français et par conséquent le droit qu'on en retire est
beaucoup plus grand*... » Il s'agissait ici des Messinois, des Livour-
nais, des Génois, des R.igusois et aussi des Anglais et des Hollandais.
Ces deux dernières nations eurent cependant leur consul au Caire
avant 1630', mais elles n'y étaient pas solidement établies. La guerre
de Candie réduisit les Vénitiens eux-mêmes à retirer leur consul et
A continuer leur commerce sous la bannière de France', et il y eut
alors pour les consuls français une période où leurs revenus furent
très-considérables. « Pendant que j'étais au dire, écrit un voyageur,
le consul fut très heureux et il arriva dans l'espace d'un an six vingts
voiles dans son ressort, de Français ou de Messinois et, par l'estime
que j'en fis à peu près, ces six vingts voiles ne valurent pas moins de
(i) Le voyageur Thévenoi fait un long tableau des outrages et des vexations de
toutes sortes auxquelles la population du Caire soumettait les marchands étran-
gers. V. chap. Lxxvi : Des Francs qui deiih'urait en EgypU- d des vanies qu'on leur fait,
p. )0S.
(2) ij janv. 161 1. AA, joj.
(5) FiiR.MANKL, p. 43). — Tuilvi SOT, p. )02 : « Il y a au Caire un consul
fraii«;ais, un vénitien, anglais, flamand. » — En 1658.
(4) Klle commenija en juillet 1645. — Le consul vénitien demeura d'abord au
dire avec la même sûreté et le « signor Seguessi vénitien qui avait le parti de la
casse et du séné de toute l'Lgypte ne laissa pas de le continuer. » CopPin, p. 487.
LES ÉCHELLES : LE CAIRE
401
f
aoo.cxxj livres à M. de Bermond', » Mais h longue querelle des de
Bcrmond et des d'Antlioine, qui se disputèrent le consulat entre
1650 et i6)S discrédita la nation, lut coûta des sommes énormes et
laissa l'échelle chargée de dettes ; de plus la brouille de la France
avec les Turcs attira à cette même époque une recrudescence d'ava-
nies en Egypte. Le commerce végéta jusqu'au moment où les
ambassadeurs Guilleragues et Girardin obtinrent, de 16S3 à 1686,
une série de commandements de la Porte qui firent pour la pre-
mière fois respecter les Capitulations en Egypte et accordèrent aux
Frani^ais de grands privilèges: l'abaissement des droits d'entrée à
3 "/o' et la permission de faire des transports de denrées d'Alexandrie
à Constantinople.
Ils acquéraient ainsi au Caire une situation tout a fait exception-
nelle et devaient s'emparer du monopole du commerce de cette
échelle. Les Anglais et les Hollandais, qui, dans la période précédente,
leur avaient fiiit une rude concurrence et avaient tenté de leur ravir la
protection des nations dépourvues Je consuls"*, avaient au contraire
au même moment une situation singulièrement amoindrie : ils
31 'avaient plus même de consul de leur nation et en 1679 ils étaient
sous la protection du consul vénitien, tandis qu'un Messinois était
•chargé de leurs affaires à Alexandrie'. Li guerre ayant repris entre
Denise et les Turcs en 1684, les Vénitiens eux-mêmes perdirent leur
consul et revinrent sous la protection du consul de France qui resta
ainsi le seul établi au Caire. Malheureusement les, Français ne reti-
lèrent pas tous les profits qu'ils auraient pu d'une pareille situation
à cause de la contrebande active que firent les étrangers pour parti-
ciper ù leurs avantages. Toutes les ordonnances faites en France pour
arrêter ces fraudes'', et l'établissement par la Chambre du Comnjercc
d'un contrôleur à Alexandrie pour les Élire observer n'y réussirent
P (i) CoppiN, p. 215 (en 1638-Î9).
(2) Les m.irchandises payaient 20 0/0 d'cntn5e à Alexandrie et 10 0,0 à Boulak
3uand elles venaient au Cure. Les droits de sortie étaient au contraire trés-faibles,
c 1 1/2 0/0 environ, ce qui facilitait l'ccoulement des produits de l'Egypte, (Par/ail
ifgociaiit).
( j) En 1643 le consul des Franç.nis l'emporta sur celui des Anglais qui voulait
lui enlever la protection des Messinois. La Boullaye le Golz, p. 368. — Mais
«n 1667 le pacha mit aux enchères la protection des nations étrangères et, malgré
les capitulations, l'attribua au consul des Hollandais, moyennant l'offre de quin/;«
bourses. (Une bourse valait environ 900 piastres).
t4^ Df Brlvn, p. 186 et J4).
(5) V. p. 255.
a&
402 TABLEAU DU COMMERCE
que bien imparfaitement. G;pendant le commerce français prit alors
en Egypte un essor considérable : le nombre des marchands doubla ' ;
les exportations d'Egypte en Trancc, qui atteignaient très rarement
auparavant la valeur de 2.000.000 de livres, dépassèrent plusieurs fois
la somme de 3.000.000, de plus les marchands du Caire envoyaient
de nombreux navires chargés à destination de l'Italie, enfin d'autres
bAtiments nolisés par les Turcs faisaient pour eux les transports
d'Alexandrie à Constantinople*.
La nation était alors plus nombreuse qu'elle n'avait jamais été ;
undis que les lettres adressées à la Chambre à diverses époques du
xv!!*-" siècle ne portaient que 15 à 25 signatures, ce qui laisse sup-
poser, il est vrai, un nombre plus considérable de marchands, car ils
n'assistaient jamais tous aux assemblées, les lettres de 1702 portent
29 et 3 1 signatures, et la nation comptait cette année là cinquante
marchands*; à Smyrne seulement les Français étaient en plus
grand nombre. Les marchands du Caire ne résidaient pas dans un
camp fermé comme dans les échelles de Syrie, ils habitaient une
série de maisons contiguës formant un petit quartier qu'on appelait
la contrée de la nation française; il se trouvait dans le khalis, la plus
belle rue du Caire. « Les maisons de la rue, écrit le voyageur
Coppin, sont assez belles, mais celle du consul surpassait de bien
loin toutes les autres, l'entrée en était comme celle d'un hôtel, il
y avait à la première porte un lieu pour asseoir ses six janissaires,
car il en a toujours ce nombre 1;\, qui reçoivent de lui chacun six
piastres par mois, et il n'y manque point d'en rester toujours deux
ou trois qui la gardent comme des suisses*. » Les Français vivaient
ainsi avec plus de liberté que ceux de Syrie dans leurs camps, mais
ils étaient moins en sûreté; la canaille pouvait venir les insulter
dans leurs maisons, des santons venaient dans la rue contrefaire les
insensés et ameuter contre eux la foule, de faux témoins venaient
affirmer qu'on avait vu sortir des femmes de leurs maisons, accusa-
(i) Lettre du consul, lo tuai i6<)S. AA, ^04.
(2) 11 est vrai qu'en 1698 les .\nglais établirent un consul au Caire et firent
une concurrence plus redoutable aux Français. V. p. 501-502.
(5) 24 mars, // mars iyo2. AA, }io. — Coppin donne une liste de vingt-deux
marchands français habitant le C;iire en 1638. — De 1685 à 1719, cent neuf
résidents seulement vinrent s'établir au Caire. Dans la même période, Alexandrie
qui commençait à se relever de sa ruine en reçut un nombre plus considérable.
(,4) Coppin, p. 177.
LES èCHEI-LES : LE CAIRE
403
ion, il est vrai, qui n'était pas toujours fausse, m Si vous me faisiez
l'honneur de me croire, écrivait le consul A la Chambre, ;\ la suite
'd'une ftcheuse affaire vous prendriez la sage résolution de faire
bitir un cunp qui ne reviendrait pas A 100.000 francs en ùisant
apporter le bois et le fer. Le louage qu'on en retirerait paierait à
peu près l'intérêt de cette somme'. »
Le Caire avait trois ports d'importance très inégale avec lesquels
il ne communiquait que par le Nil : Alexandrie, Rosette et
Damiette. Les marchandises ét;iicnt transportées à dos de chameau
du Caire A Boulak, son port sur le Xil et son bureau de douane A
une demi lieue environ de la ville. Li elles étaient embarquées sur
Kdes bâtiments d'une construction particulière, qu'on appelait des
germes, longs bateaux plats, calant peu d'eau pour franchir la barre,
non pontés et portant une grosse voile carrée. Le voyage n'était pas
Bsans inconvénients, car de nombreux larcins de marchandises étaient
commis par ceu.\ qui les conduisaient. Des pillards arabes épiaient
la nuit les germes mal gardés pour dérober des marchandises.
« Durant notre navigation écrit le voyageur Thévenot, nous allu-
Imions la nuit plusieurs mèches que nous attachions en dehors, A
l'entrée de la barque, et les Arabes voyant toutes ces mèches croient
Cicilement que ce sont autant d'arquebuses qu'ils appréhendent fort,
n'en ayant point du tout l'usage. Outre cela nous avions des armes à
feu que nous tirions souvent, tant de nuit que de jour, pour les leur
iiiire entendre*. » Il y avait aussi A redouter de véritables tempêtes
sur le Nil quand les vents étésiens refoulaient dans les terres les eaux
Eu fleuve alors en crue. Les marchandises descendaient presque
xclusivement par la branche de Rosette, mais la plus grande partie
'était chargée dans des vaisseaux qu'à Alexandrie, parce que le port
de Rosette n'était accessible A ceux-ci que lors des hautes eaux du
"Nil. A Rosette les grosses marchandises étaient souvent transbordées
«dans des bateaux plus considérables, quand les basses eaux du Nil ne
permettaient d'employer que des germes de très faible tonnage
entre Boulak et Rosette. Les marchandises de valeur et les voya-
1(1) /6 aiT/7 >fi>}. AA, fv.f.
{2\ P. 254 (en 1658). — « Tout le long du Nil courent force voleurs d.nns de
etitts barques et qu.inJ ils trouicnt des clirt-tiens à leur avantage, ils les pillLiit,
rcnncm et tuent tiuelquefois. » Hkauvkac, p. j66 (en 1605). Le voyage durait
rdinairemcnt trois jours en naviguant jour et nuit, du Caire à Alexandrie. Tmé-
EMOT, L.V BOULLAYE LE GOUZ.
404 TABLEAU DU COMMERCE
geurs prenaient la route de terre, le long delà mer. Sur ce chemin,
qui traversait un désert, les caravanes étaient parfois arrêtées par des
tourmentes de sables, plus souvent par les pillards arabes dont les
tribus insoumises erraient dans le delta. Il y avait environ douze
heures de route de Rosette à Alexandrie, le plus souvent le trajet se
faisait en deux jours, onze piliers plantés en terre indiquaient la route
le long de laquelle on ne rencontrait à mi-chemin qu'une misérable
hôtellerie, au bord d'une lagune* qu'on franchissait sur un lac.
Alexandrie n'était pas alors la belle et grande ville qu'on serait
tenté d'imaginer. La vieille ville du moyen âge, qui avait conservé
intacte son enceinte de murailles, était presque déserte et n'offrait
qu'un amas de ruines avec quelques misérables masures. Mais les
apports de la mer avaient formé une large plage sablonneuse au nord
des murailles, à la base de la digue des « Sept Stades » construite
par le premier des Ptolémces, pour rattacher à la terre l'île de Pharos,
qui se transformait peu à peu en presqu'île. Au milieu du xvii*
siècle l'œuvre de la mer n'était pas encore achevée ; un pont en
pierre de quelques arches, sous lequel l'eau des deux ports se
mélangeait, rattachait l'île à la plage*. En 17 15 les deux ports ne
communiquaient plus et la plage de sable se prolongeait jusqu'à
l'ancienne Pharos mais on voyait encore les ruines de la digue
antique tout le long de l'isthme. C'est sur cette plage basse, en dehors
des murailles, que fut construite peu ii peu l'Alexandrie turque:
elle se rapprochait de la mer h mesure que celle-ci s'en éloignait.
En 1600, elle était très peu considérable et en dehors de la douane et
des « fondiques », où habitaient les marchands français et vénitiens,
elle comprenait peu de maisons, mais elle s'accrut rapidement au
xvu'^ siècle. Le voyageur Lucas qui la visitait pour la seconde fois
en 17 15 dit d'elle: la nouvelle ville d'Alexandrie s'accroît tous les
jours et je trouvai que depuis mon dernier voyage on y avait bâti
plus de vingt oquclles, ce sont des auberges pour loger les voya-
geurs, sans parler de quelques bazars qu'on a rétablis ou laits à neuf.»
(i) « I.e Maadicli, cVst-à-dirc, le gué ou passage, ;'i l'issue du lac d'.Vboukir,
rappelle le cours de rancienne branche canopique du Xil. » Ricr.us. AJiù]ue
sfpUntiioiuih', p. 59S. — Les Francs appelaient cette hôtellerie la Médie. — I.c
consul de Maillet, en 1692, s'embarque \ .■\lexandrie pour Rosette, car la route
de terre n'est pas libre à cause des Arabes avec lesquels on est en guerre. —
I) juillet i6ij2. .1.1, jo.(.
(2) Thévenot, eu 1658.
LES ÉCHELLES : ALEXANDRIE
40)
:n dehors de la population marchande on y voy.iit un grand nombre
de « Maugarbins », gens sans aveu et vagabonds, qui habitaient les
masures de la vieille ville et causaient souvent de grands désordres;
leur haine pour les chrétiens et surtout pour les Francs était très vive,
aussi les marchands d'Alexandrie étaient-ils plus exposés encore
aux insultes et aux mauvais traitements que ceux du Caire. Plusieurs
fois les pachas eux-mêmes s'inquiétèrent de leur turbulence et
donnèrent ordre au bey de purger L\ ville de cette canaille.
Le fondique des Français, spacieux et commode, leur était fourni
gratuitement par le Gr.md Seigneur, le consul recevait même ou
devait recevoir, chaque année une somme d'argent pour l'entretien
des bâtiments, Alexandrie avait deux ports, séparés par risthme
étroit qui rattachait Pharos à la terre ferme : h. l'Ouest, le port
vieux, l'Eunostos des anciens, vaste, bien abrité par l'ancienne île
contre les vents du nord et très profond^ mais réservé aux vaisseaux
et aux galères du Grand Seigneur' ; à l'Est le port neuf, seul
ouvert aux vaisseaux marchands, était abrité par deux moles en
forme de croiss;int qui portaient chacun à leur extrémité une forte-
resse. L;i plus considérable, à la pointe X.-E. de Pharos, s'appelait le
Pharillon et était bien armé de r 50 pièces d'artillerie et d'environ
300 hommes de garnison. Le port marchand était ainsi bien garanti
contre les tentatives des consaires, malheureusement, s'il était vaste,
il était ouvert aux vents de gregal et de tramontane (N.-E. et N.),
les plus dangereux dans cette mer, et de plus l'entrée en était fort
dangereuse A cause de plusieurs éciieils qui s'y trouvaient, dont deux
étaient célèbres sous le nom du Diamant et de la GiroHe.
Aussi, quand la mer était mauvaise, les navires allaient mouiller
à quinze milles à t'Est, i\ la rade des Biquiers* (Aboukir), protégée
des vents du Nord par plusieurs petites ilcs basses : sur la plage un
assez mauvais château, avec une garnison d'une cinquantaine de
janissaires défendait la rade. Les navires y attend.iient le moment
propice pour entrer â Alexandrie et il arrivait même souvent que,
pour éviter un détour inutile, ou pour fuir les avanies aux moments
de troubles, on les déchargeait là sur les barques qui devaient trans-
I
(1) « L'n vaisseau du roi pour .avoir voulu venir au Port vieux avec la permis-
sion des puissances a excité une si grande sédition que ledit vaisseau fut cbligt!:
de s'en retourner aux Biquicrs. k Leltie iln vict-consul d'.-Hexiiiuirie, le iS juillel
'6^S. AA, }2o.
(z) Que les Turcs appellent .Mwuchar. I)'.'\RViEex, t. 1, p. 155.
TABLEAU nu COMMERCE
porteries marclmndiscs sur le Nil \ Rosette et au dire. L'inquiétude
continuelle où vivaient les marchands à Alexandrie les tù même
songer à charger ordinairement aux Biquiers. « Nous sommes bien
aises, écrivaient les députes de la nation du Caire à la Chambre du
commerce en 1697, de savoir si vous souhaiteriez que la coutume
de charger aux Biquiers s'introduisit. Nous y voyons beaucoup
d'apparence on affermira un usage qui va .i la liberté des bâti-
ments et qu'il faudra peut-être établir après avec peine, le port
d'Alexandrie se remplissant d'un jour A l'autre '. h
Bien qu'Alexandrie ne fût qu'une ville assez misérable, que son
port fût mauvais et son air très malsain, elle ne laissait pas de ûire
un commerce très actit, mais ses marchands, pendant la plus grande
j>artie du xvii' siècle, ne furent guère que les commissionnaires de
ceux du Caire, chargés de présider au chargement et au déch-ir-
gcmcnt des marchandises et aux formalités de la douane. Aussi la
nation Irançiise y était-elle beaucoup moins nombreu.se qu'au Caire,
mais, à la fin du xvii* siècle, le commerce tendait i se déplacer; à
mesure que la nouvelle Alexandrie s'accroissait, elle devenait peu
à peu un centre d'achats et de ventes aussi important que le dire
même, et les résidents français qui venaient en Egypte s'établissaicnc:!
plus nombreux i Alexandrie: il yen eut i66 de 1685 A 1719. Aussi]
les marchands d'Alex.mdrie .s'impatientaient de ne pas former un
corps de nation et d'être sous la dépendance de MM. du Caire pour
toutes leurs affaires*.
Rosette ' était la vilîe la plus grande et la mieux bhùc de l'Egypte
après le Caire. Ses maisons en briques de couleurs éclatantes, Jt deux
ou trois étages, surmontées déterrasses, les nombreux « oqnellesn ou
caravansérails bien bùtis et bien entretenus qu'elle offrait aux étran-
gers, de jolies places, les superbes jardins dont elle était entourée,
son air qui passait pour le plus salubre d'Egypte, en faisaient une
ville très agréable ;\ habiter. Malheureusement, située A cinq mille*
de l'embouchure du Nil fermée en partie par une barre, elle n'était
qu'un port Huvial où ne pouvaient remonter que les saïqucs des
Grecs, les caramonsaux des Turcs qui faisaient le cabotage «nitr
(1) J7 /(u7/W t6çj. AA, J0Ç.
(a) V. Ulhaduf' juillet jf>9J, 2.faoiU tôçS.AA, j2n,iS jauvitr t6çi. AÀ,ti4'
{%) Les voyageurs du xvii<' s\i:de l'appellent Inncicnnc Canopus. C'est uor
erreur. Kosette (en .irabc Rcchid), ne fut fondée qu'.iu tX"^ 5J6clc. C4Dope était
auprès d'.Mioukir.
LES ECHELLHS : ROSETTE, DAMIETTE
[rEgyptc et la Syrie, et les germes sur lesquels étaient déchargés les
Ivaissenux des Francs â Alexandrie.
Rosette était donc surtout un port d'entrepôt, cependant il
exportait aussi des produits du delta, tels que le riz qui est encore
aujourd'hui la production la plus importante du pays, le lin', les
cuirs et d'autres marchandises. Aussi, dès le début du xvii= siècle, des
marchands français y résidaient et le consul d'Egypte y avait un
■ vice-consul. Mais les résidents n'y furent jamais qu'en petit nombre et
servaient plutôt de commis aux marchands du Caire et d'Alexandrie ;
vingt-neuf seulettient vinrent de Marseille pour s'y établir de 1685 à
1719. Le consul du Ciire écrivait en 1706 A la Chambre que la dépense
de l'entretien d'un vice-consul qu'elle y fiiisaii était fort superflue et
qu'on pourrait en faire remplir les fonctions par un simple mar-
chand ; le vice-consul de Rosette adressait lui-même un avis sem-
blable quelques années auparavant : « Le bruit court, écrivait-il le
5 décembre 170a, qu il doit venir s'établir ici sept \ huit de nos
marchands, ce que je trouve bien particulier pour le peu d'atfaires
qui se fliit, que deux marchands qu'il y a, en a un do trop; s'il n'y
Icn avait qu'un on ferait les alfaires i meilleur compte, ce serait un
^rand bénéfice*. »
Damictte était située comme Rosette à cinq milles environ de
l'embouchure du Nil. C'était une ville d'environ 25.000 habitants
au début du xvii« siècle, elle était bâtie sur la branche principale du
fleuve dont les rives étaient beaucoup plus peuplées que celles de la
I branche de Rosette, les villages et les villes s'y succédaient sans
interruption. Le territoire de Damiette même était très fertile et
très bien cultivé, avec des prairies et des jardins remplis d'orangers,
de citronniers et de cassicrs. Aussi c'était une ville riche et d'un
commerce actif: une partie des habitants travaillait à faire des toiles
rayées; le reste, dit le voyageur Coppin, qui fut le premier consul
français établi dans cette ville, s'adonne à la marchandise et parmi
^cux il y en a de fort riches, l'un d'eux n'a pas moins de quatre-vingts
H domestiques. Malheureusement Damiette ne pouvait faire concur-
rence à Alexandrie, parce que l'entrée de la bouche du Nil, n'était
praticable qu'à des bâtiments plus petits encore que ceux qui
(i) Av.int que le vicc-consul eût des appointements, s;t principale ressource
fêtait « 1.1 cnurtrtisic du lin. » — Ltllrf du S fh-rifi ijoi. AAy J04.
(2) i; Jévritr sjoô. AA, J04 ; AA, }}}.
408 TABLEAU DU COMMERCE
entraient dans la bouche de Rosette. Tout le commerce maritime
de Damictte était donc fait par les saïques grecques ou d'autres petits
bâtiments qu'il était même nécessaire de décharger en partie sur des
allèges pour le passage de la barre. Il arrivait parfois que les vents
du Nord, refoulant les alluvions du Nil, obstruaient complètement
le passage et il fallait attendre que le courant du fleuve, reprenant le
dessus, se frayât de nouveau un chenal.
Dans la première partie du \vn' siècle les Vénitiens avaient un
consul â Damiette, un Grec en 1630 y exerçait le consulat pour
quelques marchands qui s'y trouvaient. En 1644 ^^^ consuls français
et anglais du Caire s'entendirent pour y établir un vice-consul, mais
celui-ci fut dégoûté au bout de deux ans par la modicité des revenus
qu'il en tirait et les difficultés que lui suscitaient les gens du pays
et il abandonna la place'. Cependant on continua d'y voir un ou
deux marchands français qui achetaient principalement les riz pour
les transporter de là dans les autres échelles. Il sembla vers 1700 que
Damiette allait devenir le siège d'une véritable échelle : le consul
du Caire réclamait l'établissement d'un vice-consul, en attendant il
envoyait un marchand pour en faire les fonctions et 3 5 Kâtiments
en 1700, 21 en 1701 venaient prendre à Damiette du riz et d'autres
marchandises'. Mais une sédition éclata à Damiette contre les Fran-
çais, l'agent du consul dut revenir au Caire et le trafic cessa. En 171 1
ce furent les habitants de Damiette qui demandèrent eux-mêmes
l'établissement d'un vice-consul et du commerce français dans leur
ville, mais la Chambre du commerce consultée par Pontchartrain
donna un avis défavorable. Leur demande, répondit-elle, n'avait
pour but que de faire des avanies aux Français. D'ailleurs la sortie
du riz n'étant pas permise, sauf pour le transporter dans les autres
ports du Grand Seigneur, le commerce de cette échelle était
réduit ;\ celui du sel ammoniac, de quelques cuirs et de toileries
fort grossières qui n'étaient propres qu'aux matelots. Les Mores
de Damictte faisaient transporter ces marchandises au Caire ou ;\
Alexandrie, de sorte qu'elles coûtaient moins aux Français que s'ils
allaient les chercher en droiture"'.
(i) C'était le voyageur Coppiii. V. dans sa relation de voyage, le récit de son
consulat, p. .168-49}.
(2) V. .-/.-/, ^04. Letlresilu i $ aot'it i6ç)S, 2; août i6çS, 14 août 7699, 20 janvier
lyoo, 6 jtiilkl, 2 août lyoo, i'^' jaiiv. I/02.
(3) Délibération du 2 décembre ijii, BB, 6.
ECHELLES : COMMERCE T>E L fiCVPTE 4O9
Alexandrie et le Caire éciient en définitive les deux seuls grands
marchés do l'Egvpte au xvii' siècle. Il est difficile d'indiquer exacte-
ment quelle fut la valeur du commerce Français, parce que, outre
les nurchandises qu'ils achetaient pour Marseille, ils en expédiùrent
aussi .1 certaines époques des quantités considérables i Livourne,
leurs navires taisaient aussi des transports en grand nombre en Italie
pour le compte des étrangers, enfin les capitaines « caravanaires »
conduisaient h Constanlinopie et dans les autres ports de Turquie,
les riz, les blés qu'il était interdit de transporter en chrétienté, les
cafés et d'autres denrées'. Si l'on s'en tient au commerce fait par b
nation française, au nom des marchands de Marseille, le chiffre de
ses achats fut de près de 85.000.000 de livres de 1671 .\ 1714, et de
plus de 29.000.000 de 1700 A 1714, chitfres A peine inférieurs A ceux
de l'cchelle de Smyrne. Cependant la nation avait beaucoup souffert
en lîgypte pendant cette dernière période; le commerce avait été
troublé par les querelles entre les marchands et le consul et surtout
par les désordres de la milice, qui avaient attiré aux Français de
nombreuses vexations. C'étaient les quinze années précédentes, de
1685 à 1700, qui a%'aient été les plus brillantes pour leur commerce'.
Les marchandises qu'ils tiraient d'Egypte étaient de nature et
d'origine très différentes : les unes étaient des produits du pays même,
les autres venaient de l'Arabie, des Indes ou de l'Ethiopie et du
Soudan \ L'Egypte fournit surtout, pendant le xviP siècle, des cuir'
de toutes sortes, des cotons filés, des toiles, des safranons. D'autres
( I ) On appelait caravanaires les capitaines français qui faisaient les transports
de l'Egypte à Constaminople. aux ports de Syrie et de Chypre ou de Candie, et
de rArchipcl h Consiantinople, en vertu d'une ptrmission obtenue par l'anibas&t-
dcur Girardin en 1686. La caravane fut autorisée par une ordonnance du }c avril
i68.S {liB, 6). — Ia*s caravan.iires quittaient la France pour plusieurs années, avec
des congt^ sjKciaux de Tamirauté. Ils étaient nombreux, cependant leur trafic était
JX.-U estimé en Provence car il rapportait peu, i cause de la modicité des nolis. Ils
étaient ni.it vus des marchands et des consuls : « la plupart des caravanaires Nont
de grandes canailles, » écrit un consul en 1698, 16 mvil 16^8. AA, 40J.
(2) Les exportations avaient dépassé 33.000.000.
(>) En 1700 (année moyenne) cint) vaisnaux emportèrent d'Egypte la valeur de
i.Sôj.otx» livre* en marchandises (assa fœtida 163, aloés 427, café i.o76.otxj,
coton 223.900, caisses corail 2,000, cire 4.669, cot]uedu Levant 3 864, cuirs
2S6.0OC), dents d'éléphant jgi, encens 8.77S, tleur d'esquinancc 72. gomme tiiri-
que 1.^51. gomme arabique 966, hermodattos 2.68i, lin 16.605. niirabolan 1386,
miel 66, nux vomica 4.958, plumes 12.1KX». salTranum 46.440, sel armoniac
17.128, semence de ben 1.799, toiles diverses 155.000, tamarindy 8.719, '«-'doria
7.386). — Exfiortations en 1714 (année maximum! sur 16 vaisseaux et 23 barques,
^$.378.01» livre» (café 3.448.01XJ, cuirs 487. Otiu, toiles 306. uoo, gommes 124.000,
cotons 213.000. séné Ho 000, ri; 76,000, etc.) //, ;;.
410 TABLEAU DU COMMERCE
produits importants auparavant, comme le lin et la cire, le natron
ou soude, ne figuraient plus dans les achats vers 1700 que pour des
sommes insignifiantes ; le sucre et la cassonade n'étaient plus du tout
achetés, c'était au contraire de Marseille qu'on portait dans le Levant
des sucres du Brésil. Le sel ammoniac, la casse, produite par un
arbre assez semblable au noyer, venaient aussi d'Egypte, le riz était
une des principales productions du pays et, malgré l'interdiction
d'en exporter en chrétienté, on obtenait quelquefois des « puis-
sances », à prix d'argent, la permission d'en charger pour la France
des quantités considérables. Longtemps le séné dont les feuilles
étaient récoltées aussi dans le pays, mais dont la plus grande partie
était apportée à La Mecque par les caravanes, avait été un des prin-
cipaux articles du commerce de l'Egypte. La vente en appartenait à
un fermier <\ qui le pacha l'adjugeait. Le commerce du séné diminua
peu à peu d'importance et, de 1700 à 171 5, les Français n'en achetè-
rent pas toutes les années.
D'Arabie, les marchands turcs fusaient venir en Egypte des
drogues, des parfums et surtout les gommes qu'ils revendaient
ensuite aux Français pour la préparation des teintures. La plupart
des marchandises de l'Arabie arrivaient du port de Moka, bien placé,
à l'entrée de la mer llouge, pour être le grand entrepôt du commerce
maritime des Arabes. Ce port, qui passait alors pour être fort bon,
était, en outre, le débouché de l'Yémen, la région la plus riche de
l'Arabie, dont le prince s'était révolté contre la domination du
Grand Seigneur, en 1640, et s'était rendu indépendant. Il était
ouvert à toutes les nations de l'Europe, qui y étaient bien traitées,
puisque les clirétiens ne payaient que 3 0/0 de droits de douane, au
lieu de 5 0/0 que payaient les Turcs. C'étaient cependant les mar-
chands turcs du Caire, qui fusaient le plus d'échanges avec ce port,
quoiqu'il fût visité chaque année par trois ou quatre vaisseaux des
Portugais de Goa, par des Anglais et des Hollandais qui y apportaient
des marchandises des Indes.
Les indigènes de l'Ycmen avaient dans le port de Moka 40
ou 50 germes ou grosses barques destinées à transporter ;\ Gidda
(Djedda) les marchandises achetées par les commissionnaires que
les marchands du Caire avaient à Moka. Ces germes faisaient à
Gidda deux ou trois voyages par an et en rapportaient des pro-
duits d'Egypte, riz, légumes, et des marchandises d'Europe, draps
LES ÉCHELLES : COMMERCH DE l'ÈG^TTE
papiers surtout, amcnces à Gidda par des bâtiments turcs,
A Gidila ks cliarf^ements venus de Moka payaient des droits de
Buane CQnsid<^rables dont le produit revenait moitic au Grand
seigneur, moitié au grand cHcrif de la Mecque. Vingt \ vingt-cinq
tîtiments turcs venaient cliaque année prendre ces marchandises à
fjdda pour les transporter à Suez et parfois seulement allaient les
[lercher eux-mêmes ;\ Moka. Cc'tait là tout ce qui restait de la
avigation de la mer Rouge, autrefois sillonnée par tant de navires ;
encore s'y faisait-elle avec une extrême lenteur. « Comme les
Arabes ne sont pas de grand navigateurs, remarque le voyageur
Lucas, ils ne voy.ngent jamais que le jour, ayant toujours un homme
^r Li proue ci l'autre sur le haut du m;\t pour observer la mer, ils
Hlouillent d'abord que le soleil est prêt à se coucher et ne lèvent
l'ancre que quand ils ont le vent en poupe, employant ainsi deux
ou trois mois à une navigation de sept à huit jours. Il est bien vrai
que la mer Rouge a plusieurs écueils, mais il serait {;tcile de les
witer lorsqu'on les connaît; d'ailleurs cette mer est si peu sujette
^ux tempêtes qu'on est étonné que le commerce y languisse autant
qu'il fait'. » Les bâtiments turcs prenaient aMSsi ,\ Gidda des mar-
chandises de toutes sortes venues jusques des Indes, apportées par
A^ caravanes de la Mecque. Tous déchargeaient leurs cargaisons à
^ue/, bourgr d'environ 200 maisons, dont le port petit, peu profond,
avec des bas fonds et des rocheri .\ fleur d'eau h. l'entrée, n'était pas
^cessible aux vaisseaux et auK galères, obligés de se tenir dans la
^dc*. De Suez les caravanes de chatneaux, chargés chacun de sept A
huit quintaux, apportaient enfin les marchandises au Caire, en deux
■^urs et deini, en traversant un pays entièrement désert, où cepen-
dant une forte escorte était nécessaire, pour se garantir des attaques
Ies Arabes pillards.
Ce n'éuit pas seulement des denrées de l'Arabie et des côtes
pi&in^s de l'Afrique comme le pays des Aromates, qui venaient de
loka et de Gidda au Cuire, mais l'Bgypie continuait .i recevoir par
I mer Rouge des marchandises des Indes. Quelques vais.seau.v
portugais, hollandais, anglais, en apportaient eux-mêmes ;\ Mi)ka,
lais les indigènes de certaines côtes de l'Inde n'avaient pas encore
(i) Lucas, t. HI, p. 183.
{2) Ausf ilu iL-iups où de gros g.ilion5 faisaient le voyngc des Indes ils atluicni
jrdinairc mouiller .lu a Tore » petite ville i trois journées de Suez, dont le
■vrc èuit grand et assuré. Ferhanel, p. 444.
412 TABLEAU DU COMMERCE
cessé complètement leur ancienne navigation comme le montre un
mémoire remis à Colbert, vers 1670. « Les Hollandais et les Por-
tugais, dit ce mémoire, n'ont pu tellement assujettir les Indiens qu'il
n'en reste encore quantité de ceux que Ton appelle Malabares qui
sont dans le royaume de Bisnagar ou Calicut et ennemis jurés des
Hollandais et des Portugais lesquels font le commerce à Moka en
leur particulier et y vendent leurs toiles, du poivre, de la canelle
sauvage et plusieurs autres sortes de drogueries et épiceries, ils
en remportent de l'argent, des draps, du papier, etc. Il aborde
chaque année à Moka huit à dix navires de malabares de 200 à
250 tonneaux. Les Indiens de Surate y viennent aussi au nombre
de quinze à vingt vaisseaux des particuliers et deux du roi qui
portent les pèlerins de la Mecque, de 6 il 700 tonneaux, lesquels
portent de l'indigo, de l'aque ou cire jaune, toiles, cocos, poivre,
zcdoaria, benjoin et quantité d'autres drogueries et épiceries
Deux à trois navires de Macilipatam apportent quantité de toiles
indiennes peintes, toiles de coton, benjoin et porcelaines De
Sumatra des bâtiments apportent du poivre, girofle et muscade'... »
Dans le tableau fait par Savary dans son Parfait Négociant, vers la
même année, des marchandises venues d'Egypte en France, figurent,
en effet, de nombreux produits des Indes : opium, indigo, cannelle,
muscade, poivre, girofle, nacre.
Mais avec les nombreux transbordements que les produits des
Indes avaient ;\ subir à Moka, ;\ Gidda, i\ Suez, avant d'arriver au
Giire, avec les droits considérables de douane payés dans ces trois
villes, avec les lenteurs de la navigation des Arabes dans la mer
Rouge, il était impossible que ce trafic prît de l'importance. Il eût
fallu qu'une nation chrétienne obtînt la permission de faire entrer
ses navires dans la mer Rouge et entreprît elle-même d'y apporter
les marchandises de l'Inde pour que l'Egypte en redevînt le grand
entrepôt. Le fait que les Anglais et les Hollandais vendaient dans
tout le Levant et même au Caire de grandes quantités d'épiceries à
la fin du xvn' siècle, montre assez clairement combien le commerce
de l'Inde par la mer Rouge avait peu d'importance. D'ailleurs la
Compagnie des Indes avait le monopole exclusif de la vente des
marchandises de ce pays en France, aussi ne figurent-elles plus dans
(i) Archiv. Nul. F", 6./; : Mémoire touchant le commerce de la mer Rouge.
LES ÉCHELLES : CO.NLMERCE DE l'ÙGYPTE
413
les chargements des vaisseaux venus d'Egypte i la fin du xvit' siècle'.
^ffiniîti les Fninçxis achetaient en Egypte quelques produits des
^Kontrées éloignées de l'Afrique : les principaux étaient l'encens et
la niirrhe de l'Abyssin je qui arrivaient aussi par Moka. Parmi les
marchandises qui pouvaient être apportées au Caire parles caravanes
de l'Ethiopie, il n'y a guère que les défenses d'éléphant et les plumes
d'autruche qui paswient ensuite en France,
^k Mais, à la fin du xvn' siècle^ les deux tiers environ de la valeur
des cargaisons apportées d'Egypte par les Français, étaient fournis
^jiar une seule denrée, le café, presque inconnu en Europe cinquante
HEins auparavant, bien qu'il tînt depuis longtemps une grande place
dans la vie des Orientaux, Tous les voyageurs du xvii" siècle par-
lent de cette boisson que les Turcs ne manquaient pas d'offrir aux
étrangers qui les visitaient, et qui se débitait dans toutes les villes du
Levant, dans des « cavangicrs «. Mais peu la trouvaient agréable,
car les Turcs prenaient le café mélangé avec le marc et sans sucre;
ce ne fut qu'à la fin du wn" siècle qu'ils prirent l'h.ibitude de le
sucrer comme plusieurs de leurs autres boissons, ce qui donna une
importance toute nouvelle A la vente dans le Levant des sucres des
Indes occidentales. Cependant le goût du café s'introduisit peu i\
peu en Europe dans ta deuxième moitié du xvii' siècle; Savary le
Hj^ic déj.\ figurer parmi les denrées apportées d'Egypte vers 1670, et la
^Consommation de ce nouveau produit, dont l'exportation était
interdite comme celle des autres denrées alimentaires du Levant,
devint bientôt si grande en France que l'ambassadeur Girardin, lors
des négociations engagées au sujet de l'Egypte auprès de la Porte en
ï 6S6 fut chargé de demander et obtint, pour les Français, la per-
rnission d'apporter du café en chrétienté.
Le café remplaça en partie les marchandises des Indes qui ne
Venaient plus alimenter le commerce d'Egypte. Mais ce nouveau
négoce fut troublé par bien des contre-temps. En 1703 une sédition
Ues milices fit interdire l'exportation du café en chrétienté; dès
lors ce ne fut qu'en dépensant chaque année de grosses sommes
d'argent auprès du pacha et des chefs des janissaires que la nation
put obtenir la permission d'en acheter. Hn 1706 l'interdiction du
>mnierce des cafés fut rcnouvetée avec plus de rigueur et étendue
(1) Voir: //, rj, pour les années 1700. 171 j. — Le voyageur Lucas se trompe
lonc quand il compte parmi les marchandises qui venaient d'Egypte en 1715,
^opium, llndigo, la cannelle, h muscade, etc., t. 111, p. 188.
414 TABLEAU DU COMMERCE
même aux marchands turcs. « Nous ne parviendrons plus à avoir
une permission générale pour la sortie des cafés, écrit le consul à Id
Chambre en 1708, à moins que nous ne fassions des dépenses im-
menses ù la Porte, ce qui nous serait encore moins onéreux que les
permissions particulières dans le goût desquelles on a mis le pacha
et les puissances de ce pays-ci. » Cette année là il avait fallu dépenser
10.000 piastres pour obtenir de charger du café sur deux vaisseaux*.
Heureusement que les « puissances » du Caire étaient un peu rete-
nues par la crainte de voir le café, dont l'entrepôt général était ù
Moka, se détourner de l'Egypte et prendre la route du Cap, si elles
apportaient trop d'entraves au commerce; pour entretenir cette
crainte salutaire, les Français d'Egypte faisaient de temps en temps
courir le bruit que des Anglais ou des Hollandais étaient allés à
Moka f;jire de gros chargements.
Ce qui n'était d abord qu'un faux bruit devint bientôt une réalité,
les Français eux-mêmes commencèrent à envoyer des vaisseaux à
Moka, en passant par le Cap. Une compagnie de St-Malo, qui avait
reçu cette concession de la Compagnie des Indes, y établit un
comptoir et le consul du Caire apprenait en 171 2, par une lettre du
directeur, qu'il y faisait charger quatre vaisseaux de café. Si ce com-
merce continuait c'était la ruine de la nation d'Egypte ; la Chambre
du commerce prit l'alarme et demanda, mais inutilement, que ces
cafés fussent assujettis au droit de 20%*. La douane de Suez qui
enrichissait le pacha était ainsi menacée de perdre le meilleur de ses
revenus. Aussi les puissances du Caire changèrent d'attitude et
devinrent-elles favorables à la sortie des cafés. Mais dans l'intervalle
était intervenu un « cathcchcrif » du G. S. confirmé par des « ordres
fulminants »,qui l'interdisait formellement. Le pacha et les puis-
sances étaient donc placés entre le désir de ménager leurs intérêts
et la crainte de désobéir \ la Porte et surtout de mécontenter la plus
grande partie des milices très hostiles à ce commerce. En 17141e
pacha du Caire fut déposé et était menacé de « perdre la tête », en
partie pour avoir favorisé la sortie des cafés et du riz. Aussi fallut-il
dépenser encore beaucoup d'argent pour obtenir qu'on fermât les
yeux sur ce commerce qui continua clandestinement jusqu'en 1715 '.
(1) Lettres du consul du Caire, 2; juilh't )/oS, 9 Siplembre ijoS. AA. }o.f.
(2) Voir ; iMtri's du consul du Caire, 1} juin I/12, 24 noi'enihre iji S- ■^''i, S04.
(3) Voir une série de lettres du consul du Ciirc de 1710 à 1715. .'lA, )04.
LES ÉCHELLES : COMMERCE DE L'ÉGYPTE
4IS
I
Malgré toutes ces diiHcuités k-s achats de café étaient tort considt^-
rablcs, en 1714 et en 1715 leur valeur s'éleva pour chaque année à
près de 3.500.000 livres. Mats ils revenaient à un prix exorbitant ;
les donatives que l'on faisait augmentaient le prix de une et même
deux piastres par quintal. De plus il flillait passer par l'intermédiaire
des Turcs, des Juifs et des Arabes qui faisaient les achats et les
transports de Moka au Caire par Djedda et Suez ; or, écrivait le
consul du Ciire, « les vendeurs se sont accoutumés à la douce habi-
tude de n'en vendre qu'A ino "/„ de profit. >• Aussi le prix du café
varia en ligypte, entre 1 700 et 1 7 î 5 , de 20 à 40 sols la livre ', chiffre
très considérable pour l'époque. C'est autant pour échapper à ces
coûteux intermédiaires que pour rendre à l'Egypte et enlever aux
Anglais et aux Hollandais le commerce des Indes que l'on avait fait
tant d'efforts sous Louis XIV, pour ouvrir aux vaisseaux français la
K navigation de la mer Houge.
^ Au début du xvMi' siècle les Français gardaient en lîgvpte la pré-
pondérance qu'ils avaient eue pendant tout le xvji' siècle et qu'ils
I avaient réussi ;\ transformer en un véritable monopole de 1686 à
1698. Cependant leur commerce n'y était pas établi avec la même
sûreté que dans les autres échelles. La grande puissance des pachas,
l'indiscipline et l'avidité des milices, l'hostilité de la population
rendaient leur situation toujours précaire et exposaient le négoce à
de grands troubles. De plus les Anglais, établis de nouveau au
Qiirc en corps de nation, depuis 1698, avaient fait, pendant la
guerre de succession, les plus grands efforts pour amoindrir l'in-
fluence française, et menaçaient les marchands français en 1715
«i'unc redoutable concurrence.
t
(il Voir: II, 1;. — 20 sols en 1 700^ 40 sois en 171U, îo iols en 1714.
CHAPITRE IV
LHS LCHELLES DU LHVANT
III. — Analolic, Archipel, Turquie d'Europe, Moréc.
Smyrne était, dès le début du xvii" siècle, la plus grande ville et
la principale place de commerce de l'Anatolie. Sa position centrale,
au débouché des principales vallées, et la commodité de sa rade lui
assuraient déjà le premier rang dans ce pays, mais elle était loin
d'avoir, parmi les échelles du Levant, l'importance qu'elle devait
bientôt acquérir. Elle n'était encore que le marché des produits de
l'Asie-Mineure et le commerce de la Perse, qui devait plus tard
l'enrichir, passait en entier par Alep. Peu ri peu elle supplanta cette
échelle, car nulle part les chrétiens ne jouissaient d'une aussi grande
sécurité et d'autant de fiicilités pour leur commerce. Ils pouvaient
aller et venir librement, sortir de la ville sans aucune escorte de
janissaires, faire des parties de plaisir et de chasse à la campagne,
s'y promener à cheval, ce qu'ils ne pouvaient foire ailleurs, sauf à
Constantinople ; A l'époque du carnaval ils s'y permettaient même
des fiintaisies qu'on n'aurait pas tolérées en France.
Le développement de la prospérité de Smyrne ne fut entravé que
par les fréquents tremblements de terre auxquels elle était exposée ; il
ne se passait presque pas d'année qu'elle n'en ressentît des secousses
plus ou moins violentes, et la ville avait été plusieurs fois détruite
et rebâtie, aussi les constructions étaient-elles basses et l'on y
employait le bois et la terre battue au lieu de pierre. Ce sont sans
doute ces désastres répétés qui expliquent que, tandis que le com-
merce de l'échelle augmentait, la population de la ville diminuait :
évaluée à 90.000 habitants vers 1650, elle ne s'élevait pas i 60.000
en 1675. En 1688 eut lieu le plus terrible tremblement de terre
LES ECHELLES : SMYRNÈ
4X7
.
qu'on eût encore ressenti et la ville fut à peu près entièrement ren-
versée. On la reconstruisit rapidement en prenant encore plus de
précautions qu'auparavant. « Les nuisons, écrit le voyageur Lucas
en 17 15, ne sont de pierre que depuis les fondements jusqu'à la
hauteur de dix ou quinze pieds. Le reste est de pièces de bois entre-
lacées dont les intervalles sont remplis de terre cuite et enduits de
chaux. La précaution a été bonne car quoi qu'il soit survenu depuis
des tremblements même plus violents, il y a eu peu de maisons
renversées. » En 1700, la ville n'avait encore que 30.000 habitants
environ, mais en 1715 elle en comptait plus de 100.000'.
La plus belle rue de la ville était la rue des Francs, qui longeait
toute la Marine ; les marchands avaient loué A très long terme tout
le terrain qui s'étendait le long de la rade et s'étaient construit leurs
liahitations à leur guise. « Leurs maisons, écrit le voyageur Lucas,
sont très belles et très commodes, elles ont des galeries construites
de bois pour s'y réfugier dans les tremblements de terre. » Les façades
regardaient du côté de la ville, mais toutes ces maisons avaient des
portes de derrière donnant sur la marine, qui leur servaient à intro-
duire furtivement des marchandises dans leurs magasins pendant la
nuit, pour échapper au paiement des droits de douane. Ces portes
donnaient sur une sorte de quai de largeur irréguliére, construit par
les marchands eux-mêmes et soutenus par des pilotis ou des
murailles. Le terrain en avait été formé peu A peu par le sable et le
gravier du lest que les vaisseaux français apportaient en quantité,
chargés qu'ils étaient de piastres au lieu de marchandises*. « Les
Turcs, rapporte Tournefort, paraissent rarement dans la rue des
Francs qui est de toute la longueur de la ville. II semble quand on
est dans cette rue que l'on soit en pleine chrétienté ; on n'y parle
qu'Italien, l-rançais, Anglais, Hollandais. Tout le monde se découvre
en se saluant ; on y voit des capucins, des jésuites, des récollets. La
langue provençale y brille sur toutes les autres parce qu'il y a beau-
(1) Qti.int i \.^ composiiion Je la popuLitioii elle varia suivant les cpo<]Ucs :
Elle comprenait 60.000 Turcs, ij.ooo Grecs ; 8.000 Arméniens et 6 ou 7.000
Juif» d'après Tavernier (i6.|0). — 60.000 Turci, 7 ou 8.000 Juifs et plus de
JO.tXV» autres personnes d'après d'Arvicux tcn 165. |). — 30.000 Turcs, 12 ou
«5- 000 Juifs et 9 ou 10. ot» Grecs d'après Spon (en 1675. — 18.000 Turcs,
JO.ooo Grecs, 18.000 Juifs, 200 .Arméniens, autant de Francs d'après Tournefort
(en 17021. — 20.000 Grecs, 8.(xx) .\nnéniens et 70.000 Turcs d'après Lucas
(en 1715).
(2) Par endroits ce quai n'existait pas, « l.\ nier venait battre jusqu'au derrière des
tnaisuns et les bateaux entraient pour ainsi dire dans les magasins. » ToeRXEtORT.
41 8 TABLEAU DU COMMERCE
coup plus de provençaux que d'autres nations.... On n'y garde pas
assez de mesures avec les Mahomctans, car les cabarets y sont ouverts
à toutes les heures du jour et de la nuit. On y joue, on y Élit bonne
chère, on y danse à la française, à la grecque à la turque*. »
A l'une des extrémités de la rue des Francs était le port dont
l'entrée était défendue par un vieux château, mais il était réservé aux
galères du G. S. et aux bâtiments turcs, leur négligence le laissa
d'ailleurs ensabler peu à peu dans le courant du xvii' siècle. Les
Vaisseaux des Francs mouillaient dans h. rade * très sûre de Smyrne,
assez profonde pour que les bâtiments pussent approcher de très
près du quai ou des maisons de la marine^ ce qui facilitait les opéra-
tions des chargements et des déchargements.
Les Français, bien avant 1650, dépassaient en nombre, à Smyrne,
les autres nations, mais ils étaient loin de faire un aussi grand
commerce. Plus tard la situation changea^ : la nation française
devint moins nombreuse mais son commerce ne fit qu'augmenter et
finit par rivaliser avec celui des Anglais et des Hollandais. « Elle
était composée en 1702, dit le naturaliste Tournefort, d'environ
trente marchands bien établis sans compter plusieurs autres Français
qui y faisaient un commerce moins considérable. La nation anglaise
y était moins considérable et leur négoce était florissant. Li nation
hollandaise n'était composée que de dix-huit ou vingt marchands
bien établis et fort estimés; il n'y avait que deux Génois qui
négociaient sous la bannière de France. Il y résidait un consul de
Venise quoiqu'il n'y eût aucun marchand de cette nation; c'était le
signer Lupazzolo, vénérable vieillard de 118 ans*. » Smyrne resta
cependant l'échelle où les Français venaient résider en plus grand
nombre: il en arriva 313 de Marseille entre 1685 et 1719; c'était
presque le quart du nombre total des marchands qui partirent pour
s'établir dans le Levant. Leur commerce y fut aussi plus important
(1) Tournefort, i. I, p. 197. — (lin 1702).
(2) Jusque vers 1650 la rade ne lut défendue par aucune fortification; mais
pendant la guerre contre les Vénitiens, les Turcs construisirent à l'entrée un
ciiâtcau dont les batteries rasaient l'eau. A partir de ce moment les vaisseaux de
guerre qui escortaient les vaisseaux anglais et hollandais mouillèrent en dehors
de la rade, dans le golfe do Smyrne.
(3) Cependant le Hollandais de Bruyn écrit encore vers 1680: Les Hollan-
dais et les Anglais sont à peu prés en nombre égal à Smyrne. — Les Français
sont en plus grand nombre mais ne font p.is à beaucoup près un si grand com-
merce vu qu'il y a parmi eux beaucoup d'artisans et telles autres sortes de gens.
(4) Tournefort, t. II, p. 197.
LES ÉCHELLES : SMYRNK
4«9
que dans aucune autre échelle, puisque leurs achats do 1671 ;i
1714 s'y (ilcvcreut presque i la somme de 90.000.000 de livres.
Les exportations réunies de toutes les échelles de Syrie pendant
cette même période n'atteignirent pas cette valeur, seule l'échelle du
Caire rivalisait d'importance avec celle de Smyrnc,
Sniyrne était le débouché de l'Asie mineure, mais surtout de la
Perse. Les caravanes de la Perse commençaient à arriver en janvier,
c'étaient celles qui apportaient les soies fines, d'autres arrivaient
jusqu'en automne, mais les plus nombreuses étaient attendues en
février, en juin et en octobre ; passé ce temps, on cessait d'en voir
jusqu'au mois de janvier suivant'. Leur route ordinaire pass-iit par
Kachan, Koum, Téhéran, Kazvin, Tauris, Erivan, Kars, Erzeroum,
Tokat, Angora, Karahissar ; elles se formaient à Ispahan, centre du
commerce de toute la Perse, et s'} arrêtaient au retour; leur voyage
durait d'ordinaire environ sept mois. Tout le long de leur chemin
elles trouvaient de beaux caravansérails dus, sur le territoire turc, à
la piété de riches musulmans, en Perse, à la sage politique des
souverains. C'était sur cette route que voyagaient les plus belles
caravanes : elles comptaient d'ordinaire 600 ;\ 800 hommes A cheval
et un nombre plus considérable de chameaux chargés de marchan-
dises. Les frais dont celles-ci étaient grevées, quand elles arrivaient
à Smyrne, étaient énormes : chaque charge de chameau payait
seulement 40 piastres de transport, mais elle acquittait, en divers
endroits de la route, 122 piastres de droits et l'entrée .\ Smyrne
coûtait encore 46 piastres. Aussi n'est-il pas étonnant que la plupart
des marchandises de la Perse prissent alors le chemin de Bender
Abb-Ts, malgré l'énonne détour que faisaient les vaisseaux européens
pour y parvenir.
Les marchands des échelles ne faisaient pas eux-mêmes directe-
ment le commerce avec la Perse; il y avait bien des facteurs fran-
çais, anglais, hollandais, établis à Lspahan, mais c'étiit pour le
compte des Compagnies des Indes. Si l'on voyait des Européens dans
les caravanes qui allaient en Perse, c'étaient des joailliers, des horK'
gcrs, des artisans divers, ou des curieux; mais tout le commerce
passait par l'intermédiaire des Arméniens, qui remplissaient le même
(1) Parfait Kègoiianl, p. 410. — Twernjer; de Bru^-N. p. 28. — Toumcforl
csi en coQtradictiou .ivit: tou< les lutres jutcun quand il Jit cpjc lc$ caravanes
ne wCsscnt d'arriver dcpui;» b Ttiussaiut juitqu'cii mart.
420 TABLEAU DU COMMERCE
rôle àAlcp et à Constantinople. Ce petit peuple, retombé depuis
longtemps dans l'obscurité d'où il était sorti un moment pendant
l'époque romaine, prit une importance toute nouvelle au xvii*
siècle ; les Arméniens devinrent les courtiers de tout le commerce
de l'Asie Occidentale avec l'Europe. Ce fut, paraît-il, le grand Schah
Abbas qui leur révéla leur vocation de marchands et commença leur
prospérité en fondant près d'Ispahan le faubourg de Julfa qu'il
peupla d'Arméniens.
« Comme il n'avait d'autres vues que d'enrichir ses états et qu'il
était convaincu qu'il ne pouvait le faire que par le commerce,
rapporte le naturaliste Tournefort, il jeta les yeux sur la soie
comme la marchandise la plus précieuse, et sur les Arméniens,
comme gens les plus propres pour les débiter. La frugalité des Armé-
niens, leur économie, leur bonne foi^ leur vigueur pour entre-
prendre et pour soutenir de grands voyages lui parurent des talents
propres pour ses desseins. La religion chrétienne qui leur facilitait la
communication avec toutes les nations de l'Europe lui parut encore
une disposition assez fiivorable pour parvenir i ses fins. En un mot,
de laboureurs qu'étaient les Arméniens, il en fit des marchands et
ces marchands sont devenus les plus célèbres commerçants de la
terre.... Le roi ne s'en mêla plus, les bourgeois de Jul&, parle
moyen de leurs procureurs ou agents, soutiennent ce grand
commerce.... Ces procureurs sont des Arméniens qui se chargent
moyennant un certain profit d'accompagner les marchandises en
car.iv.inc et de les débiter au plus grand avantage de ceux qui les
leur confient.... Soit qu'ils travaillent pour eux ou pour les mar-
chands de Julfi, ils sont infatigables dans leurs voyages et mépri-
sent les rigueurs dos saisons.... Quand ils séjournent dans les villes
ils se mettent par chambrées et vivent à peu de frais. Ils ne vont
jamais sans filets; ils pèchent sur les routes et ils nous ont £ui
manger souvent d'excellents poissons.... En Asie, ils débitent la
quincaillerie de Wnise. de France, d'Allemagne : les petits miroirs,
les bagues, les colliers, les émaux, les petits couteaux, les ciseaux, les ^
cpingle-i, les éguilles, sont plus recherchées dans les villages que L^^
bonne monnaie Non seulement ils sont les maîtres du commerc».c:^
dit l.cv.îîu. mais ils o:u boaucoijp de part à celui des plus grand^=~.j.
villes J'iùiropo. On les voit venir du fond de la Perse jusqi» ^
Llvoiirne. Combien en trouvc-t-on en Hollande et en Angleterrr.
LES ECHELLES : SMYRN'E 42 1
Il n'y a pas longtemps qu'ils étaient établis à Marseille'. » Au
moment où ils fondaient leur commerce, les Arméniens vinrent en
effet en grand nombre ;\ Marseille qui était alors, au début du règne
de Louis XIII, la ville la plus connue dans tout le Levant, et ils
commencèrent à s'y établir. Mais les Marseillais, inquiets de l'acti-
vité de ces nouveaux concurrents, firent interdire aux Arméniens
d'apporter leurs soies à Marseille. Ceux-ci s'établirent alors à
Livourne qui devint le grand entrepôt des soies dans la Méditer-
ranée occidentale.
C'était en effet la principale marchandise que transportaient les
caravanes de la Perse. D'après le Parfait négociant, sur 22.000
balles de soie que produisait ce pays, il en venait environ 3000 A
Smyrne vers 1670. Chaque balle pesait 276 livres et il en follait deux
pour faire la charge d'un chameau. Les achats des Français étaient
très importants à la fin du xvii'= siècle; en 1714, ils s'élevèrent
exceptionnellement à près de i . 600 . 000 livres *. Les caravanes
de la Perse apportaient aussi annuellement 400 à 500 balles de
poil de chameau que les Francs désignaient sous le nom de poil
de chevron ou testi; on en faisait des étamines, des droguets et
des camelots. On recevait encore à Smyrne deux cents balles
environ de toiles indiennes peintes, mais les Français n'en achetaient
pas car l'importation en était prohibée à la fin du xv!!"-' siècle.
Enfin, toute une série de drogues, 200 balles de galbanum, 100
balles desemencine, de la rhubarbe et beaucoup d'autres en moindre
quantité, complétaient les chargements des caravanes de la Perse.
Les hauts plateaux d'Asie Mineure, pays de pâturages et de trou-
peaux, fournissaient à Smyrne des quantités considérables de poils
de chèvre qui constituaient avec la soie le principal article de son
commerce. La plus grande quantité de ces poils et les plus renommés
pour leur finesse venaient d'Angora* et de Beibazar qui n'en était
qu'à une journée. Il fallait vingt journées de caravane ou douze de
cheval pour aller de Smyrne à Angora, mais le transport ne coûtait
que cinq piastres pour deux balles, qui en valaient plus de cinq cents.
(i) TouRKEFORT, t. I , p. 158-159 : « Lcs Ariuciiicns sont les meilleures gens
du monde, honnûtes, polis, pleins de bon sens el de probité. «
(2) Outre les soies de Perse, on achetait à Smyrne, mais en petite quantité, des
soies de l'Archipel apportées sur leurs barques par des Grecs de Tino, d'Andro,
de Naxo et d'autres îles.
(}) Dictiontiain dit coiiimerce, cot. 1016. — //, ij.
422
TAH-EAU on CX3MMERCE
Au milieu du xvii* siècle les Français, d'après le Parfait négociant,
achetaient plus de 500 balles de poils de chèvre, les Anglais un peu
moins, et les Hollandais jusqu'à 1 500, sans compter les achats de
camelors qui se Éibriquaient à Angora. Ce lut un des commerces que
Colbert et Seignelay se préoccupèrent le plus d'enlever aux Hollan*
dais, et, des fabriques de camelots s'étant établies en France, les achats
des Hollandais diminuèrent considérablement, tandis que ceux des
Français aufjmenuient : de 1700 i 171 > leur valeur s'éleva à 400.000
ou 500.000 liNTCs pour les poils de chè\TC, à 100.000 ou 200.000
pour les c;tmelots. Les Anglais et les Hollandais avaient des mar-
chands qui résidaient i Angora pour faire leurs achats ; les Français
en eurent aussi quelquefois, mais le plus souvent ils les faisaient
faire par des commissionnaires du pays, ce qui diminuait leurs gains'.
Les caravanes de l'Asie Mineure apportaient aussi à Sniyrne des
quantités considérables de laines ; il y avait des années où les achats
des Français dépassaient la valeur de 500.000 livres, d'autres années
ils n'atteignaient guère que la moitié de cette somme.
Les fertiles \'allées qui descendaient du plateau d'Anatolie vers
l'Archipel produisaient surtout le coton. La récolte en était si consi-
dérable qu'on pouvait en enlever tous les ans jusqu'A 10.000 balles,
quoiqu'il s'en consomm.it autant dans les manullictures du pavs.
Cependant les Français achetaient beaucoup moins de cotons i
Smyrne qu'à Seïde ; leur trafic ne dépass^iit pas, dans les meilleures
années, 350.000 li\Tes, en coton blé pour la plus grande partie. Les
toiles de coton, dont il se débit;iit jusqu';!^ 2.000 balles par an, étaient
vendues en grande quantité à Marseille, nuis les prohibitions établies
par Seignelay et Pontchartrain mirent fin à ce commerce. La cire,
les noix de galles récoltées aux environs de Smyrne , mais moins
bonnes qu'i Alep, les cuirs et cordouans ou maroquins du Le\'ant.
enfin les drogues, comme l'opium , cultivé déj.H i cette époque
autour d'Atioum Karahissar, la scammonée recueillie plus prés de
Smj-me, le storax, la gomme adragante, qui venait de Dadalié. â
quinze journées de l'échelle, complétaient l'ensemble des marchan-
dises dont le commerce avait quelque importance ;\ Smyrne*.
(t) n en venait aussi beaucoup dos environs de Konieh.
(2) En 1700 (inniit: moyenne) ii\ vaisseaux et trois barquesiranç.ii'yrscl'-itsJtwjj
a Smvrnc pour 2.a^7.ocxJ livres de man:lundi&es (agari>: 325 ! :a,
«mciats d Angora 108.2} î, cotons files }i8,ix», en libe a; .0,
pcaus. de chagritis }.4(», dcmittes (toiles de coton) &.000, Al de wii..viv ^i.éjo.
I
LES àCHELLES : CHIO 433
Le consul françnis eut, pendant une bonne partie du xvii" siècle»
deux vice-consuls ;\ Echelle neuve et h Cliio. Echelle neuve avait un
fort bon port, mais le voisinage de Sm^'rne ne lui permettait que de
faire un trafic local peu actif, on y chargeait cependant des cotons en
grande quantité. Mais le vice-consul français s'étant entendu avec le
gouverneur de la ville qui abaissa les droits d'entrée, les Français se
mirent ;\ venir décharger leurs vaisseaux à Echelle neuve et à dire
transporter leurs marchandises par terre à Smyrne ; le douanier de
Smyrnc se plaignit ;\ la Porte de ce qu'on le frustrait de ses droits et
l'échelle fut supprimée vers 1650'.
Chio avait une tout autre importance ; la richesse de son sol, sa
nombreuse population, pouvaient alimenter un grand commerce.
Sous Henri IV et au début du régne de Louis XIII cette ville avait
même été le siège principal du consulat, qui fut transférée Smyrnc*
vers 1620. Elle ne conserva dés lors qu'un vice-consul choisi par
le consul de Smyrnc parmi les chrétiens du pays. On y achetait par
an plus de loo.ooo écus de soies filées, des cotons, des vins, de Li
térébenthine, enfin le fameux mastic, dont les officiers du G. S.
prélevaient la meilleure part pour le harem de Sa Hautesse, et ne
laissaient que le rebut aux Européens. Les Anglais jugeaient ce trafic
assez important pour entretenir aussi un consul ;\ Chio*.
galles î).o8i, g.ilh;inuiu 5.972, pomme 4.4011, l.iine de chevron ifxi.ooo, Liines
295.000, moiicayars ao.cxxi, opium 600, orpiment 800, rhubarbe 56.259, riz
4.028, soie de 'l'ino 1.752, de Perse 590.000, scmcncine 25.542, storax 4^7,
scimmnnée 7.038, tapis 7.188). — En 1714 (année inaximum ) quinze vaisseaux et
trente-sept barques chargèrent pour 4. jéo.ooolivres de niarcliandises (on y voit figu-
rer 50,7 50 livres decafé venu d Ilg^pte.du mastic pour 41.000 livres).— Année 1710
(minimum) sept vaisseaux, une barque chargent pour 707.000 livres de marchandises
(dont 165.000 livres de blé, 41.000 d'huile). — Le Parfait nigocianl cite en outre
p-irmi les marchandises de Smvme, l'avclanède ou coque du gland dont 50.000
quintaux é-taient vendus en Italie pour la tannerie, cl l'alun. — Ces deux produits ne
figurent pas dans les statistiques de la Chambre.
(1) Tavekvier, p. 77. — Parfait négociant, p. 4}6.
(2) L'éclielle portait le nom Je la petite ville de Foggie (FokU) l'ancienne
Phocéc, mais le consul ne semble pas y avoir faitiais résidé. Voici comment est
désignée cette échelle dans les lettres patentes accordées à Claude Rigon consul, le
19 janvier 1610 : « Henri par la gnke de Dieu etc donnons et octroyons
l'omce de consul en l'Ile de Scio ports havres et échelles Foggie neuve et vcchie
Ihisme ou passage Smirne Souvrassary Avsole Monemeu Firia les lies de Metelin
et Tenedo et antres lieux de la Natolic voisins et dépendants de ladite échelle de le
Foggie vacant parla mort de.... » — Ce consulat est désigné de la même façon dans
Jeux listes des consulats du Levant de 1619 qui se trouvaient à laBibl. Kat. mis.
fr. t6'j}S,fol. toi il no. — Foggie qui donnait son nom à l'échelle n'était cepen-
dant plus connue alors que comme un repaire de corsaires où les barbaresqucs se
retiraient souvent. Flr»unel, p. 108 (en i6;o). — Du Loir, p. 11 (en io}9).
(}) S.^VARY. Dict. du commerce, col, 1020.
424
TABLEAU DU COMMERCE
I
I
es J
Cette ville contenait, en 1650, environ 30.000 habitants, dont
15.000 Grecs, 8.000 Latins et 6.000 Turcs. Elle devait une impor-
tance particulière à sa position centrale dans l'Archipel qui en faisait
un port de relâche fréquenté par de nombreux navires français albni
soit i Smyme, soit à Constantinople, ou même ;\ Saloniquc. Les
capitaines venaient y chercher des renseignements sur la situation
des échelles, sur les corsaires, sur les occasions du commerce, et le
principal soin du vice-consul était de se tenir en mesure de les éclairer
sur tous CCS points et de leur transmettre les ordres et les avis que h
l'ambassadeur lui envoyait'. Pour la même raison, le port de Chio V
avait une grande importance militaire. Souvent les corsaires barba-
rcsques en firent leur place d'armes, malgré les réclamations des,
ambassadeurs et c'est ce qui occasionna la fameuse canonnade de
Duqucsne en 1681. En 1694, les Vénitiens s'en emparèrent, aprc
un siège de cinq jours, mais les Turcs la reprirent aussi fecileroent
l'année suivante; cette guerre nuisit ;\ son commerce, car les Turcs»
auparavant très tolérants, se mirent à persécuter les luuins jalouser
par les Grecs du pays ; le vice-consul de France, chrétien indigène
fut même embarqué honteusement,
A partir de ce moment, il y eut un vice-consul français nommé p;
le roi, mais on n'y vit qu'un seul marchand français jusqu'en 1715
et les vaisseaux français n'allaient pas y charger, cat le mastic et 1
autres produits de Tiie étaient portés A Smyme. Chio ne gard;
d'importance que comme port de relâche; dans la guerre de succc
sion d'Espagne, son port rendit de grands services, surtout pourl
b.ltimcntsqui chargeaient du blé dans l'Archipel ; ils venaient y pren-
dre des inûirmations sur les endroits où ils pourraient faire leurs
chargements. « J'ai toujours à ma disposition, écrivait le consu
une troupe de Grecs, qui ont correspondance avec les pach.is et agi
des golfes de l'Archipel m.iltrcs du commerce du blé. S'il y avai^
quelques capitaines qui n'eussent pas la pratique de ces endroits, je
leur ferais embarquer de ces Grecs pour faciliter les chargcmenlsV
Les vaisseaux venaient aussi ;\ Chio se menre A l'abri des corsai
et se former en convois pour revenir en France. • La quantité de nos
bfltiments passés ici, écrivait ;\ la même époque le consul, ont mU
la disette sur l'île, et le peuple en murmure*.
(i) I^ilre (Iti ï'ke-ccnsul Arligut. AA, 22t.
(1) tS mai f}0(f. .4.4, 23}.
(j) Voir Correspondance des vict-a>ntuh de Chio. AA, 2ai-22S,
iirs
"1
LES ÉCHELLES : ILES DE l' ARCHIPEL 425
Quant aux trois autres grandes îles qui forment avec Cliio comme
le prolongement de l'Asie Mineure, Metelin, Samos et Rhodes, elles
ne furent à aucun moment le siège d'une échelle, ni le séjour de
marchands français. Au début du xvii* siècle, on voyait si peu sou-
vent des marchands francs à Metelin que la foule s'amassait autour
des voyageurs que leur curiosité y amenait, à cause du spectacle
inusité de leur costume*. Samos, à la même époque, était presque
inhabitée à cause de la terreur qu'inspiraient les corsaires; les habi-
tants par précaution s'enfuyaient à l'intérieur des terres, à l'approche
d'un navire*. La situation de ces îles changea cependant peu à peu et
à la fin du règne de Louis XIV elles fiùsaient, comme les autres îles
de l'Archipel, un commerce dont l'importance variait beaucoup sui-
vant les années, en huiles et en blés. D'après \é naturaliste Tourne-
fort, on chargeait, par année ordinaire, à Samos, vers l'an 1700,
trois barques de blé pour la France et une barque de laine*. A Mete-
lin, venaient fréquemment une ou deux barques de Provence par
année, et deux marchands allèrent même y résider entre 1700
et 17 1 5 *. L'île de Rhodes, autrefois l'un des remparts de la chrétienté,
était devenue le refuge des corsaires dans la Méditerranée orien-
tale; c'était dans son port, que les Barbaresques et les corsaires turcs
se donnaient rendez-vous; ceux-ci venaient y céder aux premiers à
bas prix les prises qu'ils ne pouvaient vendre dans les ports du Grand
Seigneur à cause des Capitulations.
Aucune des îles de l'Archipel ne forma d'échelle pendant le
xvn* siècle; des barques françaises venaient y faire leurs chargements,
mais aucun marchand français n'y faisait résidence, sauf de rares
exceptions'*. Cependant, la plupart avaient un consul de la nation
française; c'étaient des habitants de ces îles. Latins ou Grecs, appar-
tenant toujours aux meilleures fiimilles, qui recherchaient ce titre
comme un honneur et aussi comme une sauvegarde contre la
(i) La Boullaye Le Gouz, p 22.
(2) En 1700 encore, les parngcs des « Boglias » de Samos c'taicnt redoutés â
cause des bandits qui les infestaient. — Tocrnefort, p. 155.
(3) Ch.ique barque contient huit ou neuf cents mesures faisant 60.000 ou
67.500 livres pesant, car chaque mesure est deys livres. La mesure s'appelle un
quilot. TouRNEFORT, p. 158.
(4) BB, 6.
(j) Ainsi, en 1675, le Hollandais Spon rencontre un Français qui s'est établi au
Tinc et qui tâche de s'y faire créer consul de la nation. — p. 169.
4^6 TABLEAU DU COMMERCE
tyrannie des cadis turcs'. Souvent la fonction se transmettait dans
la même famille, comme ;\ Naxo, où, pendant tout le xvn"' siècle,
elle appartint aux Coroncllo*, Presque tous tenaient leur litre de
l'ambassadeur deConstantinoplc, quelques uns seulement, comme i
Naxo et à Milo» recevaient des lettres patentes du roi, d'autres pre-|
naicnt le titre de consul, sans avoir reçu aucune commission.
En 1700, Tournefort vit il Patmos un Grec qui exerçait ainsi Icsj
fonctions de consul de France. « Il nous assura, dit-il, que c'était
pour rendre service A la nation que depuis trois générations, de père'
en tils, ils avaient pris cette qualité sur un ancien parchemin qui
leur fut expédié du temps d'un roi de France dont il ne savait pas Ici
nom et que nous jupcâmes ^tre Henri IV. Ce parchemin se trouva]
égaré quand nous le priâmes de nous le fliire voir. Ce consul est bon
iiomme à qui s'adressent tous les étrangers, et qui, en cas de besoin, ■
se dirait consul de tous les étrangers qui abordent en cette île'. « ■
Les fonctions de ces consuls étaient peu compliquées : ils facili- "
taient les charocments des rares barques qui fréquentaient IcurSj
îles, donnaient des renseignements aux bâtiments qui y relâchaient,
hébcrgaient chez eux les étrangers, fliisaient quelques présents auxj
cadis et, en retour, percevaient suivant l'usage un droit d'ancrage
de cinq piastres par vaisseau que, bien souvent, les patrons refusaient
de leur payer, ne redoutant pas d'y être contraints ; leur charge éuiti
d'un maigre profit. « C'est un consulat qui ne fournit point pour la
nourriture seulement d'un valet, écrit le consul de Milo, et la,
plupart s'en vont insolemment sans me payer. » Coronello de Naxo,
adressiiit les mêmes plaintes à la Chambre : « Je suis obligé de
faire des présents au c.ipitan pacha, quand il vient dans les îles, .m
bey et A d'autres Turcs qui out autorité dans l'île Je ne Êiis p.nsj
de difficulté de dépenser du mien, mais, si j'avais quelque secours,
cela m'aiderait beaucoup pour soutenir mon rang avec distinction...
Je ne demande que 150 piastres et j'entretiendrai là dessus un
janissaire pour relever le consulat', n Jusque vers 1670 les îles de
l'Archipel furent alfreusement désolées par les cors;iircs chrétinjs]
et en particulier parles Français, ce qui ne fit qu'augmenter la haintj
(i) C'est pourquoi on voyait dans certaines de ces lies des consuls anglais cti
hollandais, bien que ces nations n'y fissent à peu prOs aucun commerce.
(z) Ijelire du cotisiil Coronello, $ février :6<}9. AA,2g8.
(%) ToURNEFOiO', t. I, p. 169.
(4) t6 fèi: 16^4. AA, 242; i fh<. if>i)g. AA, 2ç8.
LES ÉCHELLES : ILES DE l'aRCMIPEL
427
que nourrissaient dqà pour les Latins, les Grecs qui formnient l;i
majorité de I.i population. Celle-ci accablée en outre sous la tyrannie
des officiers Turcs, parfois les seuls de leur nation dans l'île, ne
cultivait la terre que pour ne pas mourir de fliim et vivait trOs
mis<irablemcnt. La situation des insulaires s'était aggravée pendant
la guerre de Candie où certains corsaires français, encouragés par
la présence dans l'Archipel des (lottes vénitiennes, se rendirent
légendaires parles exploits et les ravages qu'ils y accomplirent.
A la suite des capitulations de 1673, Louis XIV interdit aux
corsaires français de paraître dans les mers du Levant, beaucoup
cependant continuèrent pendant longtemps, sous pavillon maltais, A
désoler l'Archipel, et Tournefort pouvait encore écrire en 1700 :
• Il est si dangereux de passer de Candie aux îles de l'Archipel, sur
des bâtiments du pays, que nous n'osâmes pas l'entreprendre '. »>
Quelques barques provençales vinrent alors chaque année faire leur
chargement, en passant d'île en île, mais ce commerce était encore
très peu considérable'. Ce ne fut que quand la paix de Qrlowitz
eût rétabli définitivement la paix entre les Turcs et les Vénitiens et
ramené plus de sécurité dans l'Arcliipel que la culture et par suite le
trafic, prirent une importance entièrement inconnue auparavant.
L'Archipel devint pour les français un grand marché d'huiles et de
blés, dont les achats variaient considérablement d'une année i l'autre,
suivant l'abondance des récoltes. Pendant la guerre de la succession
d'Espagne, la disette dont souffrirent la France et l'Espagne donnèrent
au trafic des blés une activité extraordinaire. La Porte, après avoir
accordé aux ambassadeurs de France l'autorisation d'exporter des
blés de la Turquie, fut effrayée de la quantité qu'ils enlevaient et,
craignant que la disette ne succédât à l'abondance, elle renouvela les
dépenses d'embarquer des blés pour la chrétienté, mais ce fut en
vain. En Turquie on accommodait tout avec de l'argent et, avec ta
connivence des officiers turcs, on continua partout de charger les
(l) ToURNnFORT, t. I, p. 5).
(j) D'après les registres du cottimo, trois barques reviennent de Milo en 1669,
trois en 1673, un vaisseau en 1676, une barque en 1678, une barque en 1679,
plusieurs en 1680, deux en 1681, deux en 1686. etc. — Des autres îles il revient
lieux barques en 1672, un vaisseau en 1674, trois barques en 1679, un vaisseau
en 1(180. une barque en 1682, etc. — De Tino. une barque en 1680. — Il est
\Tai que, le blé ne payant pas le cottimo, les bâtiments chargés de blés ne figu-
rent pas dans ces tableaux. — Quatre Franyiis vont s'établir dans l'-Vrclupel entre
1685 et 1700, dont deux à Milo. — La résidence des deux autres n'est pas indi-
quée. — M, 4.
28
TABLEAU DU COMMERCE
blés, parfois ouvertement, souvent pendant h nuit ou dans des anses
rc'tiréesJu rivage. De 1700 .\ lyiy. 1215 barques franaiiscs revin-
rent des lies de l'Archipel et plusieurs centaines avaient ctc prises
cependant par les corsaires ennemis. Les chargements qu'elles rap-
portèrent valaient 20.000.000 de livres environ, les blés en formaient
plus des 2/3, parfois plus des 3/4, et les huiles à peu près tout le
reste : en 17 10, l'année où ce commerce atteignit le chiffre le plus
élevé sur une valeur totale de 2.779.000 livres, celle des blés et d<a
huiles fut de 2. [44,000 et 620.000 livres*.
Toutes les Iles prenaient part .\ ce commerce, suivant leur gran-
deur et leur fertilité, et la plupart avaient des ports suffisants pour
que les barques de l'époque pussent y charger. Paros passait pour
avoir l'un des plus beaux, il servait à la fois pour le trafic de Tile et
pour celui de Naxo, la plus grande des Cyclades, dont le port êuit
mauvais, c'est pourquoi le consul de Xaxo y entretenait un vice-
consul *. La beauté des ports de Nio y attiraitsouvent des bàtimaits;
celui de Myconos, très sûr et placé sur la route de Constantinople
et de Smyrne, servait souvent de refuge, pendant les tempêtes
dangereuses de l'hiver. Mais l'île qui avait le plus d'importance
pour les Hninçais était Milo; elle était bien habitée, bien cultivée et
comptait parmi celles qui fournissaient les meilleurs chargements;
surtout, son port était l'un des meilleurs de l'Archipel et servait
de relAche A la plupart des bâtiments qui allaient à Smyrne et A
Constantinople ou en revenaient ; elle jouait alors le rôle qu'a pris
aujourd'hui l'île encore plus petite de Syra.
Deux des Cyclades Myconos et Tino restaient encore aux \ eni-
tiens à la fin du xvir siècle ; Tino, qui avait du à cette circonstance
d'être épargné par les corsaires chrétiens, était la mieux cultivée des
Cyclades et c'était la seule qui, en dehors des blés et des huiles,
fournissait des soies en quantité considérable ; les habiunts allaient
souvent les porter eux-mêmes à Smyrne pour les vendre aux Fran-
çais. Ces soies de l'Archipel étaient très fines et convenaient parti-
(Il En 1700 (année tnininaum), onze vaisseaux et ircntc-scpt l'arques cmptir-
lèrent de l'Arirhipcl pour 476.000 livres Je marcliaiidlses (blé 2;i.olx>, cire 1881,
cotons filés 684. éponges 1065, fromages 14.400, liuilc i>o.O(x>. Uinc ~f>]i,
peau d'agneau 283}, riz 5019. solo de Tino s8.66o, suif 221. savon j2o. toile»
de coton 22î5). — En 1710 (année maximum) figurent les niCraes marchandii»,
- //. n.
(l) lyttrf du i fh: 1699. AA, 2^S,
rf^
I
LES ÉCHELLES : CANDIE 429
culicrctîieiit pour faire des fils et des rubnns'. Le commerce de
l'Archiprl avait pris une lelle importance que la Chambre du com-
merce de Marseille décida, en 171 5, d'établir des consuls français
dans un certain nombre d'ites de l'Archipel. En ctfct un intéressant
mémoire sur le commerce français du Levant, adressé en 1727 par It-
marquis de Bonnac, ancien ambassadeur, au contrôleur général
Le Pelletier, indique dans la liste des échelles treize consuls français,
dont trois seulement il est vrai, nommés par le roi, parmi les vingt-
ct-un consuls des iles de l'Archipel ^
Sous la domination vénitienne la grande île de Candie laisaît
au début du xvii'' siècle un grand trafic « de blé, d'huile d'olive,
de toutes sortes de légumes, de fromages, cire, cotons, soies,
cuirs, et particulièrement de Malvoisie, qui était son principal
négoce*. » Li longue guerre, dans laquelle les Turcs et les Vénitiens
se disputèrent sa possession, la dépeupla, ruina ses cultures et
interrompit entièrement son commerce. Quand l'île fut aux mains
des Turcs il y eut un consul français et la n.-iiion s'y organisa comme
dans les autres échelles. Le consul résidait A Li Canée, bien que la
ville la plus grande de l'ile et la résidence du pacha fût Candie, mais
celle-ci, depuis son fameux siège, n'était plus que la « carc;isse d'une
grande ville » et son enceinte était occupée en partie par de misé-
rables masures. La Canée était devenue le centre de presque tout le
commerce de l'île et c'était dans son port que chargeaient presque
tous les bâtiments français'. Ce port, fort exposé a la tramontane,
manquait de sûreté, mais il pouvait recevoir toutes sortes de navires,
undisque celui de Candie n'avait assez de profondeur que pour des
(1) Une lettre du consul de Tino cite uu.-ttre marchands français qui y résident
pour acheter les soies, 30 juillet i(k)ij. .4 A, }oo. Voir au sujet des iles de l'Ar-
chipel ; Tavernier, 312-515, et surtout Tournefout qui décrit en 1700 la plupart
des Cyclades, t. I. p. 55-140. — Corresp. Conitil. île Milûcl l'Argcntièrt. AA, 342.
(dix lettres); de Naxos, A A, 2^S (trois lettres); it Myanos, AA, 25)9 (une lettre
insignifinntc) ; de Titio. A A, jno.
(2) Les trois consuls français cjui avaient des lettres patentes du roi étaient ceux
de Cliio, Naxos, Milo. — Les dix autres avaient reçu leurs commissions de l'ani-
bjsSâdeur : c'était ceux de Uhodcs, Santorin, Nio, Sira, Siffanto, Scopolv, Metelin,
Samos, Xégrcpont, StJiichio. — Les consuls indigènes étaient ceux de Zia,
Myconos, .Athènes, .'Vniipnros, .^ndros, Paros, Terniia, Largeniiére ; seuls ceux
d'.Athènes tt de .Mvconos, avaient été nommés par lettres patentes du roi. — Arch,
Xal. F'», rt./s.
(}) Tavf.kniek, p. 510.
(4) La Canée est habitée p.tr 1.500 Turcs environ, 2.000 Grecs, 50 Juifs, — \
Cindie il va iUx) Grecs environ, i .o<x> Juifs, 200 Arméniens. Tous les autres
habitants sont Turcs enrôlés dans les troupes suis-antcs .,— Tournefort, p. 8,16.
430 TABLI-AU DU COMMERCE
kirques ; il est vrai qu'il venait beaucoup plus de barques rrnnçaûesj
que de vaisseaux pour charger dans l'île. La nation française de Lil
Canée comptait vers 1700 dix à douze marclunds, celle de Candie]
trois ou quatre familles'. Un Français remplissait à Candie les fonc-
tions de vice-consul, un Grec du pays en était chargé A Rctlnio, le]
troisième port de l'ile, qui ne recevait que très irrégulièrement la]
visite de quelques barques françaises. Les Vénitiens avaient conservé]
deux ports, La Sude et Espinelongue (Spinalonga), de temps eti
temps on voyait une barque française prendre son chargement il
Espinelongue, la Sude servait assez souvent de port de reliche.
Après la guerre de Candie, le commerce des Français dans l'ilc fut
d'abord fort médiocre, deux ou trois barques par an y sutlîsaient,
mais il s'accrut peu X peu de 1670 à 1685 et quinze à trente bar-
ques vinrent chaque année chercher des marchandises A la Canécct
A Candie. La guerre qui éclata de nouveau entre les Vénitiens et
les Turcs en 1684 vint arrêter cet essor, et, pendant dix ans surtout,
de 1689 A 1697, le trafic fut presque entièrement suspendu*, mai
après la paix de Carlowit>:(i699) il prit une activité qu'il n'avait
jamais eue : cinquante-neuf barques et six vaisseaux français entrè-
rent en 1700 dans les ports de La Canée, Candie et Retiûîo.
Le commerce de l'échelle de Oindie ne ressemblait à celui
d'aucune autre, il était alimenté A peu près entièrement par ur
seul produit, l'huile d'olive que les Marseillais et les Toulonnais
employaient à la confection de leurs savons. En 1715, sur une valeur
totile de 1.307.000 livres qu'atteignirent les achats des Français,!
l'huile figurait pour 1.304.000. D'autres fois, cependant, on yj
achetait des quantités assez importantes de blé, de fromages et de cire. [
Aussi le négoce de Candie était-il soumis à des Buctuations beau-
coup plus grandes que celui de toute autre échelle, car il dépendait
entièrement de l'-ibondance de la récolte des olives en Provence eti
dans l'île; tandis que ses ports reçurent en 1700 soixante-cinq bûti-
ments franç;iis, ils n'en virent que deux en 1708. De 1700 à. 1715]
les achats des Franç.ais atteignirent 7.121.000 livres', chiffre moins
(1) Vingt-deux résidents s'établirent àCindic de 1685 à 17x9, qumnxe^eflxl
U Canée. — HB, 4, /, 6.
(2) En 169) it vint une b.irquc française ; aucune ne eh;trgca i Candie en 16
et 1695 ; une seule fit ce voyage en 1696 et en 1697. (D'après les registres
recette du cottimo. CC, 2} A miv.).
n) En 1700 six vaisseaux et cinquantcncuf b.-uques fransttlses cniportcat
LES ÉCHELLES : CANDIE, CONSTANTINOPLE
élevé que celui des exportations des îles de l'Archipel pendant
la même période, mais ce trafic répondait :\ des besoins permanents
des marchands français, tandis que la disette des blés en France
pendant la guerre de succession n'avait donné au commerce de
l'Archipel qu'une importance momentanée : en réalité, l'échelle Je
Candie prenait rang immédiatement après les cinq grandes échelles.
Constantinople semblait designée, au xvii« siècle comme aujour-
d'hui, par sa position et sa population considérable, pour taire un
grand commerce. Elle était avec Paris et Londres la vilL- la plus
grande de l'Europe' et le débouché naturel de- deux régions lertilcs
et bien cultivées : d'un côté les plaines de la Roumélie actuelle,
dont les voyageurs qui venaient de Vienne admiraient, au sortir des
terres dévastées de la Hongrie et des montagnes sauvages de la
Serbie, les riches villages et les belles cultures; de l'autre, les vallées
du nord-ouest de l'AnatoIie. Ici la riche ville de Brousse était le lieu
de formation des caravanes qui partaient pour l'intérieur de l'Asie-
Mineure et même, cinq ou six fois par an, pour la Perse*. Enfin,
comme la mer Noire était fermée par les Turcs aux navires euro-
péens, Constantinople était l'entrepôt général où les bâtiments
grecs et turcs venaient décliarger les marchandises des pays qui
entouraient ce vaste bassin ; particulièrement les fourrures de
Moscovie, la boutargue, le caviar et autres produits des pêcheries de
la mer d'Azov, les bois de construction des forêts de l'AnatoIie du
Nord.
Cependant, malgré tous ces avantages, Constantinople, pendant
une grande partie du xvii' siècle, fut de beaucoup ta moins impor-
tante des cinq grandes échelles et le commerce français ne lit qu'y
végéter jusque vers 1685. C'est qu'il était exposé, beaucoup plus
qu'ailleurs, aux vexations : au lieu d'un pacha et de quelques
Candie des chargements valant 1.330.000 livr. — (blé 43.750, cire 3^.527, ci(ù
540, fromages 37)H8, casse 525, huile 1.078. 000, laine 2.768, pois 1.400, riz
34.870, soie6.786,selarmoniac 1,080). — Exportations en 171 5 (année maximum),
1.307.000 ii%'res (huile 1.504.400, cire 2.700), — en 1708 (année minimum),
78.2CX) livr. (huile).
(1) Tqlrnefort, t. I, p. 179 et i8i.
{2) Tavemier dit qu'elles p.irtaicnt de lA et Qu'il en partait très rarement de
Constantinople. — « Celte ville (Prousin) est u'un jjrand abord et de grand
trafic, toutes les caravanes qui vieiinein de Smvrnc, d'ÀIep et la plupart de celles
3 ui viennent de Perse à Constantinople passent par U On y jwrte beaucoup
e draps d'Angleterre et on y fait beaucoup de soie, Us plaines îtant couvertes de
mûriers. » Wiieleh, p. 188'
432
TABLEAU DU COMMERCE
officiers subalternes comme dans les autres échelles, c'était tout lu-
divan du Grand Seigneur qu'il fallait satisfaire et les hauts ofTicicrs
de 1.1 milice, dont les exigences se mesuraient A l'imporunce. La
mauvaise conduite des ambassadeurs qui spéculaient sur cette
situation pour pressurer eux-mômes le commerce contribuait à
accabler la nation de Constantinople d'impositions plus lourdes que
partout ailleurs. Quand la réconciliation fut complète entre la
France et les Turcs et qu'il fm définitivement interdit aux ambassa-
deurs Je foire des levées d'argent sur les vaisseaux, sous aucun
prétexte, le commerce de l'échelle entra dans une voie prospère,
sans toutefois approcher de celui du Caire ou de Smyrnc.
Ce qui le distinguait de celui de toutes les autres échelles, c'était
que les Français, les Anglais et les Hollandais y apportaient beau-
coup plus de marchandises qu'ils n'en retiraient. Constantinople
était surtout le grand marché de leurs draps ; outre ceux que les
vaisseaux des Francs y déchargeaient, une partie de ceux qui étaient
débarqués à Smyrne étaient ensuite transportés à Constantinople
par les caravanes très fréquentes entre les deux villes. Li cour nom-
breuse du sultan, la milice, l'aristocratie turque ou grecque qui
peuplait Constantinople et la riche ville d'Andrinople, la seconde de
l'empire, consommaient nécessairement des quantités considérables
non seulement de draps mais d'étoffes précieuses de toutes sones,
tissus de soies, d'argent et d'or fabriqués surtout en France et en
Italie', ainsi qu'une foule d'autres marchandises. Aussi tandis que
dans les autres échelles les marchands français étaient obliges
d'envoyer beaucoup d'argent pour pouvoir payer leurs achats, i
Constantinople ils .avaient toujours des sommes considérabks à
recouvrer et, pour établir la balance de leur commerce, ils (;its.ticnt
tirer des lettres de change sur cette ville, par leurs correspondants
de Smyrne ou d'Alep.
On achetait surtout à Constantinople des laines, des cuirs de
de diverses sortes, de la cire, et parfois des quantités considérable
(i) « Les principales sont les satins de Florence, les tabis, les dani.is.uuniv Je
Venise h fleurs d'or et d'argent ei les velours de Gènes à fleurs. Qu ?
ces dtotres conservent le nom de leur ancienne fabrique, beaucoup
sont de Lyon, de Tours, d'Amsterdam et de Londres qu'on vend dus ; •
turcs et aux marchands .irmèniens pour vrais Venise ou vrais Gènes.. .. ■ .
des brocards d'or et d'argent à fleurs qu'il se vend davantage mais sculeiiu'u:
de ceux faits exprés sur des patrons propivs à cette lîchellc l't^cLil ei le "
niarclié surtout plaisent aux Turcs. » S.w.vuv. Dùl. col. 1021-1024.
LtS ECHELLES : CONSl'ANTrNOPLH
43^
Je poils de chèvre d'Angora, de toiles, de colons ; quant aux soies
elles n'y arrivaient qu'en trùs petites quantités. De 1671 i 17I4 la
valeur des chargements apportés de Constantinople par les vaisseaux
français s'éleva à plus de 3 1 millions de livres'. Par l'importance de
de ses exportations l'échelle de Consiantinople avait donc dépassé
celle d'Alep, et par l'ensemble de son négoce elle venait même avant
l'échelle de Seïde où les Français n'écoulaient qu'une très petite
quantité de marchandises et ne portaient guère que de l'argent;
seules Smyrne et le Caire tenaient une place plus considérable dans
le commerce français du Levant.
La nation française y était nombreuse à la fin du xvii" siècle et
175 résidents vinrent s'y établir de 168 j ;î 1719. Les marchands
étrangers vivaient à Galata au milieu des juifs, des Grecs, des Armé-
niens et même des Turcs qui peuplaient ce fliubourg, et A Pera, où
s'élevaient les palais des divers ambassadeurs. « On goûte dans
Galata, écrit Tournefort en 1700, une espèce de liberté qui ne se
trouve guère ailleurs dans l'empire Ottoman. Galata est comme une
ville chrétienne au milieu de la Turquie, où les cabarets sont permis
et où les Turcs viennent boire du vin : il y a des auberges à Galata
pour les Francs, on y fait bonne chère. » La nation de Constanti-
nople n'.ivait p.is de consul ', l'ambassadeur de France, qui en rem-
plissait les fonctions', h.ibitaii A Pera le plus beau des palais des
ambassadeurs chrétiens, vaste b.\timent construit lorsque de Brèves
(1) Rn 1700 (année moyenne) cinq vaisseaux et quatre barques chargèrent pour
9($.000 livres de marclundiscs (ag.tric 158, cire J35.0OO, bourres de soie S.976,
chajt-rins 46.000, coton en laine 4 7J9, file 969, crin 788, camelots 96}, cuirs
198.700, étûlTcs de Perse 4.6CK), tiis de chèvre J.948, laine de chevron 5.901
laines 556.000, toiles 4.500, opoponax iSo, scammonée 60.000, soie 4.200.)
— En 1714 (.innée maximum) les exportations s'élevèrent S 2.596.000 livres
(dont: alun 54.000, bois de buis 25.000, coton J 14.000, cire 182.000, cuirs
185.000, tils de chèvre 810.000, laines 816.000, laine de chevron 27.000, soies
125.000, toiles indiennes et autres 184.000, etc.) — En 1710 (année mininium),
les exportations tombèrent à 25J.000 livres. — D'après Pouqiieville, les chiffres
du commerce de rêchelle de Constantinople éuient les suivants : Français,
1,519.000 livres. — Anglais, 4.1S4 000. — Hollandais, 3,697.000. — Vénitiens,
246.000. — Livournais, 898.(.k;io. — (Page 61 de son mémoire). — Mais il n'in-
dique pas où il a trouvé ces cliitTrcs.
(2) C'est ce qui avait servi de prétexte à la création d'un office spécial d'.igent
(lu commerce a Constantinople en faveur d'un des frères Fabre, en 1686 ; cette
agence fut supprimée en 1690 sur les vives instances de la Chambre, et, dès lors,
l'ambassadeur tit élire régullèrenient deux députés tous les ans par la nation,
comme faisaient les autres consuls. (V. lettre des dffmlrs, ^octobre, ;6yo. A A, tùS),
(5) Dans la liste des consulats remise ;\ M. de Césy lors de son départ pour
Constantinople en 1619, l'ambassadeur est considéré comme titulaire de celui de
28
434 TABLEAU DU COMMERCE
ctiit ambassadeur, par ordre d'Henri IV, entièrement réparé sous
Louis Xni par M. de Marcheville, et successivement embelli par ses
successeurs, surtout par M. de Nointel. Les réparations y étaient
fréquentes car, comme toutes les maisons de Constantinople, il
était construit en mauvais matériaux et les dépenses qu'elles néces-
sitaient, supportées par le commerce, furent souvent un objet de
contestations entre la Chambre et les ambassadeurs. Ceux-ci, par
tradition, et pour faire honneur à leur roi, y entretenaient un grand
train de maison *, aussi avec les dépenses qu'ils étaient obligés de
faire à la Porte en toutes sortes d'occasions, il n'était pas étonnant
qu'ils fussent souvent à court d'argent.
Il n'y avait pas d'échelle secondaire dépendant de Constantinople.
Gallipoli avait eu un consul français sous Louis XIII, mais, bien que
la ville fût grande, aucun bâtiment n'y chargea plus sous Louis XIV
et le consulat fut aboli en 1689*. Ce port n'avait guère d'autre
importance pour les Francs que de permettre de faire relâche, quand
les vents contraires ou la bonace empêchaient les bâtiments de
remonter le courant du détroit. Tous les bâtiments francs, au retour
de Constantinople, devaient s'arrêter aux vieux châteaux des Darda-
nelles *, pour y être visités par les Turcs, qui s'assuraient surtout
s'ils ne faisaient pas évader d'esclaves des galères du Grand Seigneur;
sous Louis Xin ils devaient y attendre trois jours afin qu'on eût le
temps d'apprendre de Constantinople s'il y avait eu des fuites
d'esclaves. Aussi les diverses nations entretenaient aux Dardanelles
un vice-consul, généralement indigène; cependant, un Français en
remplit la charge â partir de la fin du xvir siècle; son office consis-
tait surtout â remettre aux capitaines des vaisseaux marchands, qui
attendaient aux Dardanelles l'autorisation de partir, les dépêches
Constantinople, avec la faculté, comme pour les autres propriétaires de consulats
d'alors, de commettre quelqu'un ;\ sa place pour le remplir. Ce consulat est ainsi
désigné: « Constantinople, Bursia, Rodosto, Sinope, 'l'rébisonde, Kafla et autres
pays et lieux situés tant au long des côtes de la mer Noire que d'un et d'autre
Côté de la mer depuis Constantinople jusques aux châteaux de l'Hellespont.» Bibl.
Nat. Mss.fr. i6y}S, fol. loi.
(i) Tournelbrt admire beaucoup le luxe de l'ambassadeur de France, t. I, p. 182.
(2) PiKiRO DiXLA Vai-LE, p. 17. — La Bolllayi; li; (Jouz, p. 24 : « Il y a
une échelle dont le sieur de la Forest angevin est consul. » — Spds, p. ji i , parle
d'un consul vénitien. — Abolition du consulat : Lettre du ii juillet lOSi). BB, 28.
(5) Les voyageurs du xvii^- siècle les appellent souvent châteaux de Sestos et
d'Abydos ; ifs étaient cependant assez éloignés de l'emplacement de ces deux
anciennes villes. — A l'entrée du détroit, pendant la guerre de Candie, les Turcs
lirent construire deux autres forteresses qu'on appelait les nouveaux châteaux.
LES tCHELLES : DARDANELLES, SALONlliCE
435
que l'ambassadeur envoyait à la dur et qu'il expédiait aux
Dardanelles par des barques rapides'. Quant A Andrinople,
malgré l'importance de sa popuLition et les séjours de plus en plus
fréquents qu'y lU la cour du sultan dans la deuxième moitié du
xvii% les nations franques n'y établirent pas d'échelle, un seul mar-
chand français alla y résider dans toute la période qui s'étend entre
i68) et 17 19.
Depuis les Dardanelles jusqu'à Athènes, les Français n'eurent
pendant longtemps aucun établissement; ils ne diisaient aucun
commerce sur toutes les côtes de la Roumélie et de la Macédoine
dont quelques marchandises seulement leur étaient apportées à
Smyrne par les barques grecques. « De tout temps, cependant,
disait la Chambre dans un mémoire en 1685, on est allé clurger du
blé dans les ports déserts du golfe de Tcssalonic. Il est vrai que, c'a
toujours été en se tenant un peu au large, attendu qu'il est défendu
en ces pays là d'en sortir les denrées, ainsi que dans tout le reste du
Levant, mais cette difficulté n\i jamais empêché les sujets du roi d'y
négocier comme ils ont fait, en metunt un matelot i terre, qui
convient du prix du blé, dont on ne fait le paiement qu'après qu'il est
entièrement chargé dans le bAtiment *. h L'échelle de Saloniquc,
créée en 1685, malgré la Chambre qui n'en voyait pas l'utilité', resta
quinze ans sans aucun marchand, mais trente-un résidents vinrent
s'y établir entre 1700 et 1719. On ne voit pas bien, pourtant, com-
ment le maigre commerce qu'ils faisaient pouvait les foire vivre. Les
deux premiers marchands de l'échelle avaient ,issez heureusement
débuté, en 1700, en achetant pour 338,000 livres de blés et de
laines, mais ce chiffre d'aftaires ne fit que décroître les années
suivantes pour tomber au-dessous de 50.000 livres par an, de 1709
à 1712. Li peste, qui sévit cruellement cette année-là, enleva 6000
habitants de Salonique et cinq marchands ou protégés français, et
força la mtion à se tenir enfermée, sembla vouloir consommer la
ruine de réchelle. Cependant, en 17 14, les achats des Français
atteignirent 634.000 livres en laines et en cotons. Ce relèvement
devait être durable et le x^^^* siècle ouvrit pour Salonique une ère
(1) Du LoiK, p. 209. Un janissaire fjit ïa aiTaircs des Français à Abvdos. —
PlhTKO UEXJ.A Vaixe, p. 17. — .-tA, ijô. Cûrrufoiidaiu:' dts vLt-iMsiiU jraniais.
— QjiJranie-six kUrw, de 169} i 1785.
(2) t^ octobre 1685. BB, 4. fol. rj2.
(î) V. p. 2U.
4^6 Tableau du commerce
de prospérité qui récompensa les efforts faits par les Français pour y
établir leur commerce '.
Ce qui nuisait en partie i son développement, c'est que les capi-
taines, au lieu d'aller jusqu'au fond de son golfe pour faire leurs
chargements, s'arrêtaient dans les petits ports déserts de la côte de
Macédoine, où ils faisaient directement leurs achats aux gens du
pays, sans avoir à payer les frais des intermédiaires et du consulat. Les
marchands de Salonique et le consul s'en plaignaient en 1715 et
celui-ci établit un vice-consul à l'île de Skopelos (une des Sporadcs)
et un autre au Volou (Volo) et à Larse (Larissa), capitale de la
Macédoine, prétendant que toute la côte était de sa dépendance. Les
cipitaines en firent leurs doléances à la Chambre, mais on avait
représenté au ministre que les marchands, par ces petits ports,
introduisaient de mauvais draps de France, et qu'ils faisaient entrer
des espèces malgré les règlements ; pour empêcher ce trafic illicite,
la Chambre et le ministre s'accordèrent pour établir deux consulats
analogues i ceux de l'Archipel aux deux extrémités de la côte de
Macédoine dont un à Volo *. Ce port, débouché des riches plaines
de la Thessalie, qui prend aujourd'hui une importance croissante,
commença alors à sortir de son obscurité.
Au moment où la création de l'échelle de Salonique semblait
promettre d'heureux résultats, le marquis de Ferriol, ambassadeur,
eut l'idée d'en créer une autre ;\ la Civajle (Kavala) au milieu de
la côte de Roumélie, qu'on appelait encore alors la Macédoine.
« La Cavalle, écrit un voyageur, a été autrefois une grande ville
de Macédoine dans une assiette qui la rendait imprenable', » mais,
vers 1715, elle était à peu près ruinée. Le premier consul qui y fut
envoyé écrivait à la Chambre en annonçant son arrivée : « Il y a bien
des travaux à pouvoir dresser une échelle si inconnue pour le négoce
II) Q,U()ii]u'un vaisseau par an eût sulîi pour porter les chargements de Salo-
nique, 133 J-iAtiments français y passèrent, de lyooà 171 j; c'est qu'ils ne venaient
seulement que pour commencer leurs chargements, achevés ensuite dans IWr-
chipel ou en Morée. — De 17CK) ;i 1715. les Français exportèrent sur ces 133 bâti-
ments pour 2.776.(X)0 livres de marchandises. — (En 1700, 338.934 : aiicots
i-tl. '■'le- 232.260, cire 3.J 20, coton 2270, laine 88.565, maroquins 159. peaux
d'agneaux 2)67, peaux de lapins 225, riz 272, soie i 9(K), tabac 1080, toiles 6cco
— r.n 1714, 654.755 : blé 16.000, coton 228.255, laine 257.600, toiles 36.000),
II, /;. Voir au sujet de Salonique la correspondance consulaire. .■^.^, ././;-./^.
(2) Dt'lil'i'iaticm ,lu 1 j imirs ijij W/>', ^. — Ii'//'v du ] avril 171 ). BB, S;.
(5) Luc.\s, p. 50.
LES ÉCHELLES : LA r.AVALLK, VfeCîREPOS'T. ATUfeSES .j^J
que celle-ci, où il ne s'est jamais fait aucun commerce'. » Le nou-
vel c'tabli.sscment rcnJit cependant des services et les bâtiments
apprirent le chemin de la Cavalle, i;r.kc à la disette des blés en
France, puisque d'après un état dressé par le consul et envoyé .\ la
Chambre, du 25 mai 1703 au i" avril 1710, cinquante-un bâtiments,
dont un certain nombre de vaisseaux, chargèrent du blé A la Cavalle
ou A ses dépendances*.
Tout le pays au sud de la Macédoine était regardé par les Pro-
vençaux au wii"^ siècle comme appartenant a la Morée; pour eux
Néijrcpont et Athènes tiyuraicnt parmi les ports de ce pays. Négrc-
pont comptait, en 1675, sept à huit familles de Francs et une maison
de Jésuites, mais il n'y avait aucun Français et ce n'était que rare-
ment que des barques provençales allaient y charger. On y établit
un consul, vers 1700, qui, lui-même, créa aussitôt un vice-consul ^
Cliâteau-Rougc, mais la nouvelle échelle ne fut guère fréquentée
et le consul se plaignait i la Chambre, en 1709, de sa triste situa-
tion*. Le voyageur Tavernicr donne ;\ Athènes près de 22.000
habitants dont 1 5.oooGrecs, 5 ou 6.000 Latin.set i.ooo Turcs*, mais,
vingt-cinq ans après, le Hollandais Spon dit qu'elle était moitié
moins peuplée que Négrepont et qu'elle ne comptait que 8 ;\
9.000 habitants. Il y avait alors un consul français et les Anglais
avaient profité de la disgr.kc de l'un d'eux pour en faire leur consul.
En dehors des deux consuls on n'y voyait d'autres Francs qu'un
père capucin, un arquebusier fr.ançais et quelques valets, « Il y
vient, dit Spon. plusieurs tartanes de Marseille tous les ans qui y
chargent particulièrement des huiles très excellentes,'» mais le
(1) 3t janv. tfot. AA, 4sy Fcrriol, icnt le 20 juin 1702. « Sur les pLiintcs
que vous m'avcx faites du consul de la Cavale, je le clungetai pour v mctlre le
sieur Bruni qui a été plus de dix .in\ consul a Andros. » AA, ijo. En elTet, ce
consulat était une dépendance de l'échelle de Constantinoplc et de l'amb-issadeur
qui y jouait le rôle de consul.
(2) 3 avril 17/1). AA, 4U-
(î) j; mari tyo$. A A, 3ç6. — Lettre dr Fertiol, 10 avril tyoï. A A, lïo,
(^) TAVF.R>if(;R. t. I. p. }|6.
i)) Il énutnérc toute une série d'autre marchandises : anis, cumin, laine, Iro-
•mages de brebis, miel e^celle^t, cire jaune, cordouans, autres cuirs, perconoki
l'tgraine pour les teiniufiers, guitran et poix résine, quatre ou cinq sortes Je soies,
Sitvon. la velanède qui se cueille des chênes verts d'Illeusis, le sel qui vient du
cabo Gilûiiiie (cap Sutiium), — • Les Francs n'ont que la chapelle des capucin»
qui est au Taiiari lou Dimosihcnis. Les consuls de France et d';\ngleterrc y ont
Jeux prie Dieu égaux, aussi ont ils également soin de l'entretien de la mission. »
Spox, t. H, p. 99-2JO.
438 TABLEAU DU COMMERCE
consul dut vanter au voyageur l'importance de son échelle, car ce
n'était même pas régulièrement chaque année qu'une barque
française venait au Port-Lion (Pirce) chercher des huiles. En
17 10, le consulat n'était plus exercé que par un Grec du pays, quoi-
qu'il y eût alors plusieurs marchands résidant à Athènes*.
La Morée proprement dite ne fut d'abord qu'une dépendance du
consulat de Zante créé en décembre 1610'. Au milieu du xvii'
siècle, il y avait des consuls indigènes â Patras, Coron, Modon,
Napoli de Romanie (Nauplie)* ; vers la fin, apparurent dans ces
villes des consuls français. Napoli de Romanie en eut un à partir de
1697, grâce à l'initiative du consul de Milo qui demanda cette charge
pour un de ses parents, mais le succès ne fut guère heureux, car
pendant la guerre de succession le commerce de la Morée fut encore
inférieur à ce qu'il était auparavant *. De Napoli de Romanie il
fallait aller jusqu'à Cerigo pour retrouver un port fréquenté par les
Français ; leurs barques y prenaient assez rarement des marchandises,
cela suffisait pour qu'un indigène y exerçât les fonctions de consul
pour la nation française. Le titre s'en transmettait de père en fils,
mais, en 1684, le titulaire se montrait las d'une charge qui ne lui
rapportait rien : « Vous savez, écrivait-il à la Chambre, que le roi
me défend expressément d'exiger aucun consulat des bâtiments qui
ne font point de commerce. Vous n'ignorez pas qu'il ne s'en fait
aucun ici. On dit en proverbe : qui sert l'autel il faut qu'il le
nourrisse. Ce n'est pas que je ne fasse aucune gloire de servir la
(i) /; ;■(//;/ ijio. AA, 2ps-
(2) Mémoire des consulats. Bihl. Nal. Mss.fr. i6'/}S,fol. iio-nj : « Zante en
Grèce, Pétrache (Patras) et toute la Morée auquel n'avait pas encore été pourvu.
Claude Bazillc de Marseille et son fils a la survivance. L'un et l'autre ont été
pourvus dudit office le . . décembre 16 10. d
(3) Tavernier, t. I, p. 517.
(4) Un Français vint résider à Nauplie, entre 1715 et 1719. — Litre du consul
de Naxie j fèv. lôtfp. AA, 29.Ç. — Comme la correspondance des consuls de
Nauplie conser\'ée aux Archives de la Chambre {A A, 267) ne commence qu'après
1715, M. Teissier dans son inventaire dit à tort qu'il n'y a pas eu de consul
auparavant. Deux lettres du consul Goujon de 1697 et 1709 se trouvent même aux
Archives, mêlées à celles d'un autre consul dans la liasse AA, 26j. — A la Biblioth.
Nat. {Mss.fr. lôjjS, fol. /j/) se trouve un curieux mémoire d'un Français qui
demande qu'on le nomme consul à Naples de Romanie... il vante la très grande
richesse de la .Morée. — Naples en est le seul bon port, car Modon Coron et
Navarin sont exposés à la tramontane et les corsaires anglais v viennent vendre
leurs larcins... Il promet de rendre, en trois années, ce consulat autant et plus
utile que celui d'iîgypte. » (Hntre 1605 et 1610.)
LK-S ^irJlÈLLES DE MÙHi'.U
439
nncion fran*;aisc, mais quitter ses affiiires cl faire des dépenses sans
en avoir aucune sorte de hénclkc, c'est un cas bien sensible'.»
Coron, le port le plus fréquenté de la Moréc du Sud, où deux ou
trois barques françaises allaient presque régulièrement chaque année
prendre leur cliarj^ement, ne semble pas avoir eu de consul français
avant le xvnr siècle. En 1717 U en vint un, qui établit aussitôt un
vice-consul A Modon, où de temps ;i autre on voyait une barque
française*. Patras était avec Coron le port le plus commerçant de h
Morée ; on y trouvait dcj.\ des raisins secs, mais les Français en
achetaient peu et n'y prenaient guère que des blés et des huiles
comme dans le reste de la Morée. Cette échelle était de la dépen-
dance du consulat d'Athènes, qui y entretenait un vice-consul
français. Celui-ci avait dans son ressort tout le golfe de Lépantc
dont le port était au milieu du xvir siècle un des refuges des
corsaires barbaresques, si bien qu'on le surnommait le petit Alger;
un Juif V exerçait ;\ la fois le vice-consulat des Français, des Véni-
tiens et des Anglais. On faisait dans le golfe de Lépante des achats
de cuirs, huile, tabac, blé ; mais, par crainte des corsaires Maltais, il
était interdit aux vaisseaux chrétiens d'y pénétrer ; ils devaient
s'arrêter .\ Patras et n'envoyer dans le golfe que des embarcations*.
Le commerce de la Morée n'ét.iit en somme que d'une impor-
tance minime. Le pays était ruiné par les longues luttes des Véni-
tiens et des Turcs qui s'en disputaient la possession, par les tyrannies
de ceux qui en restaient détinitivemcnt les maîtres, par les brigan-
dages des Maïnotes. De plus, les Provençaux trouvaient avec plus de
facilité i\ Candie et dans l'Archipel les cargaisons qu'ils auraient pu
prendre en Morce. Le tralîc de ce pays n'avait fait d'ailleurs que
décroître pendant le xvii'' siècle, à la suite des deux guerres de
Venise contre les Turcs (1645-1669 et 1684-99). Les relations des
(1^ fO juilkt tôSjf. A A, 3g^.
(2) V. Ci^rfjfifliiiiatuy du situr MaHUl, cmml dt Coron, AA, 2.f6. — Tcissicr
d.imi îon invciit.iirc dit i\ tort que M. Maillet p.iralt .ivoir ilù le preinicr consul
I établi en Morce, piiisip'il y .iv.iit depuis longtemps des consuls indigènes dans
^SC4 ports, et un consul transais ii Napoli de Koum.ink depuis 1697. — Le chevalier
Roze fut vice-consul à Modon 1717-19.
{^) .SpoN, t. Il, p. 24-44 : ^^'llr:l-^■R, p- 5«4-26 : Il parle d'un consul anglais
de Zantc et la Morèc. — «f Le Turc a biti deux cli:\te;iux aux bouches du polie
de l.ép.mte, il ne pcnnct pa» à nos bâtiments d'y entrer de peur de quelque
surprise.... Nous y fûmes dan> le tettip» qu'un tnarchand anglais y .nvait ancr*
ton bûtimcnt pour le charger de raisuis.... les Anglais consomment pIuN de ce
niisin dons leurs ra^^oûts que ni la France, ni l'Allcnugne ensemble, n
440 TABLEAU DU COMMERCE
voyageurs antérieures à 1650 montrent clairement que la Morée
avait conservé Jusque là une certaine prospérité*. Tandis que, de
1669 à 1685, six à sept barques, d'après les registres du cottimo,
chargeaient chaque année en Morée pour Marseille et quelquefois
jusqu'à douze; de 1700 a 1715, si ce dernier chiffre fut atteint deux
fois, on vit la plupart du temps un ou deux bâtiments seulement
revenir de la Morée*.
Les îles Ioniennes de la domination de Venise passaient encore
pour des échelles du Levant. Il y avait un consul français à Zanteet
des vice-consuls indigènes à Céphalonie et à Sainte-Maure. Un
certain nombre de barques venaient à Zante charger diverses
denrées : en 1669 le consul se plaignit de certains patrons qui
refusaient de lui payer son consulat d'un demi pour cent, et il
envoya à la Chambre un rôle de treize d'entre eux dont neuf
n'avaient pris que du vin, tandis que les autres avaient en outre dans
leurs cargaisons du lin, des lentilles, des cuirs et du tabac. Mais les
Grecs de l'île détestaient les Français et les Vénitiens étaient mal
disposés à les soutenir ; en 1690 le consul écrivait qu'il restait
enfermé chez lui de peur d'ctrc assassiné. Pendant la guerre de
succession, malgré les plaintes de la France et les défenses du prové-
ditcur général de la République, Zante, Céphalonie et Corfou furent
les marchés où les corsaires hollandais et anglais vinrent vendre
les nombreuses prises qu'ils faisaient à l'entrée de l'Archipel ; ils
éviwient ainsi de les conduire jusqu'à Livournc*. Le commerce des
Français à Corfou était bien moins important encore que celui de
Zante, malgré la grandeur et la richesse de l'île, et le consulat n'y
était exercé que par un Grec *.
Sur la frontière de la Grèce actuelle fut créé, en 1701 ou 1702, le
(i) Bcauvcaii, p. 20. — Tavernicr, p. 317. — Un mémoire aiitcrieur à 1610
attribue ;i la Morée une très grande ricliessc et montre en même temps qu'à
cette époque les Français n'y commers'aient pas. — Hibl. Nul. Mss. fr. i6jjS,
fol. isj.
(2) De 1715 à 1719 il partit de Marseille un résident pour Naples de Roumanie,
deux pour la Morée, un pour Patras, un pour Athènes. Hli, 6. — De 1700 .n
171 5 les exportations de la Morée sur quatre-vinj^t-trois bâtiments iVanijais s'éle-
vèrent à 1.570.000 livres. Année 171 5 (maximum) = 255 .759 livres (blé
loo.ixio, huile 88.000, soie 42.0(Xï, cire 2.759). 11, ij.
(5) •■/.-/. 29 j. Cûireapoiulance du consul de Zanle (de i66i) à iji))- — 20 jiiillfl
IJ12 : rôle de cinq patrons qui n'ont pas payé les droits. Ils ont à payer chacun
68 liv. S sols, dont un .sequin (27 liv. 3 sols) pour le droit d'ancrage au consul ;
le reste est dû aux Vénitiens.
(4) Voir,-/./, 29;. Ij'llie du sit-in Dasioli coiniil.
LES èCHELLES î ZANTE, LART\
44 r
consul.it Je Lana, aujourd'hui Arta, sur la rivière de ce nom. Les
navires venaient sans doute ciiargcr ^ l'embouchure de la rivière,
tandis qu'aujourd'hui tout le commerce du grand golfe d'Arta se
fait p.irle port de Prcvesa. situé à Tentrcc, qui n'était alors que la
douane des Turcs. Larta était surtout en relations avec Janina, que
le consul qualifie de " grosse place de négoce », et dont elle était
distante de dou/c lieues'. Les Vénitiens, jaloux de l'établissement
des Français sur cette côte, dont ils considéraient le commerce
comme une déptndance de leurs îles, prétendirent •« imposer 6 o/o
sur toutes les marchandises qu'on chargerait en terre ferme, dépen-
dant du G. S., depuis le Sazino jusqu'A Larfanary », et les faire
payer à Corfou, avec menaces de grandes rigueurs. Le consul reçut
l'ordre du roi de faire connaître au provéditeur de l'Ile que S. M. ne
voulait pas que les bâtiments venant de terre ferme payassent aucun
droit, ni ù Corfou, ni dans d'autres possessions de Venise*.
Les port de la côte d'Epire, entre autres Saint-Qiiarante, (Hagioi
Saranta), la Saillade' (Sagiada) où fut établi un vice-consul,
Laparguc (Parga) qui appartenait encore aux Vénitiens, dépendaient
de l'échelle de Larta. Parmi les articles du commerce, le tabac
avilit une importance particulière en Epirc et le consul de Larta, qui
l'appelait « un pain quotidien » pour l'échelle, eut h lutter contre
les entreprises d'un Grec qui .avait pris ;\ ferme la vente du tab.ic
pour .S.ilonique, Durazzo et Lirta, II finit par obtenir en 171 3, p.ir
l'entremise Je l'ambassadeur, le privilège pour les l-'ransais d'être
exempts des droits particuliers mis sur La sortie des tabacs et de ne
p.\ver que les 3 00 indiqués par les Capitulations. Nos b.^timents,
(i> L/tIrf du consul, r«f jiiiîtel 1714. .1A, iSf.
[2\ Id. r.f jnin f;n), .-f.-f, j.S'j. — Pendant la piicrrc de Hollande dos b.itimcnts
fr.inv.iis vinrent sur la cAtc de la M(iréf et de l'Epire en dcc des îles de Venise
dierciicr des blés pour le ravitaillement de Messine. Le provéditeur de Zante en-
voya des aaléres en 1678 pour empêcher ce commerce et lit ramener à Zante deux
barques ciurgées de blé, qu'il voulut faire décharger. — Il préitndait que les blés
de ces pays étaient i la réuuisition des trois lies de la République. — lyllrf du
consul lie Xdttle, itj uot'il JÔJf*. .lA, iSS.
(H « Vers la lin du XVH« siècle, Garnicr, vice-consul de Say.id«, instrtiisit le
GcHivcmemeni des ressources qu'on pourrait tirer de l'HpirC. des bois, des blés
et des s.'ilaisons de viande que notre marine devrait y prendre. • — LAVALLiiR,
p. ^27. Il fait ensuite un tableau brill.intde notre commerce en Hpire, il parle de
cinq it six millions d'exportations, d'un million de draps importés. De pareils
chinfres sont puiement imaginaires. — Le premier consul Je Larta s'appelait
(ircnier. (Voir A.1, j.V/. CoirtsjK) Ke serait-ce pas le même que le Garnicr de
Uvalléc ?
442 TABLEAU DU COMMERCE
écrivait-il, fournissaient de tabac la Sicile, le royaume de Naples, les
états de l'église et du grand duc de Toscane*.
Le consul de Larta, comme celui de Salonique était particulière-
ment chargé de rapatrier en France, aux frais du roi, les soldats
français déserteurs de l'armée vénitienne et les matelots « disgra-
ciés* ». Ces désertions furent surtout fréquentes pendant la guerre
de succession d'Espagne, car la guerre en Orient étant terminée
depuis la paix de Carlowitz, ces soldats quittaient le service de
Venise pour venir combattre dans l'armée française. Mais la préoccu-
pation du roi n'était pas tant de renforcer ses armées par des soldats
exercés et aguerris que d'empêcher ces déserteurs de se faire musul-
mans. Li Chambre du commerce qui faisait les avances des dépen-
ses de ces rapatriements et n'en était pas remboursée régulièrement
trouva bientôt exagérés les frais qu'ils coûtaient et demanda que
l'on se bornât h rapatrier les Français, mais le ministre donna
l'ordre aux consuls d'accueillir tous ceux qui se présenteraient.
« Selon ma faible conception, écrivait le consul de Larta, jamais
charité ne fut plus juste. Par mon seul organe elle a garanti du
naufrage plus de huit cents hommes et retiré pour le moins
cent qui étaient tombés avant qu'elle se fit, elle est connue à tous les
potentats de l'Europe et de l'empereur, admirée dans ses effets et
dans sa grandeur par ses envieux. Les déserteurs risquent leur vie
pour se mettre sous la protection de la France.... Le pacha et le
cadi qui sont Agy (hadji), c'cst-A-dire ont été i\ la Mecque, donc des
plus zélés de leur loi, font tout ce qu'ils peuvent pour les gagner h se
faire Turcs. J'ai déjà eu de grosses paroles avec ces deux officiers*. »
L'échelle de Larta, fournit en outre pendant la guerre de succession
des chargements de blés assez importants, elle présenta, dès sa
création, une certaine activité et le dut en partie à son troisième
consul Dubroca, dont la correspondance permet de juger le zèle et
l'activité *.
(i) ly septembre i/ij. .-lA, 2. S'/.
(2) Les documents n'indiquent pas ce qu et.aient ces matelots disgraciés. Peut-
être étaient-cc les équipages des bâtiments pris par les Anglais et les Hollandais
et abandonnés à Corl'ou ou ;\ Zante. Les Grecs de ces iles achetaient les navires
et les cargaisons et laissaient aller les matelots. — Le consul de la Canéc rapa-
tria aussi parfois des matelots disgraciés.
(}) ij septembre ijij. AA, 2S$.
(4) Il avait trouvé l'échelle en très mauvais état. — Il écrivit .\ l'ambassadeur
qu'elle n'était plus tenable si les vexations ne cessaient. L'ambassadeur Fcrriol
LES ÉCHELLES ï LARTA , DURAZZO
44Î
Au milieu de la côte d'Albanie les Français avaient dc).\ depuis
assez longtemps un consulat ;\ Durazzo, la seule échelle qu'il y eût
dans l'Adriatique. Mais ce n'est qu'à la lin du xvir siècle que Pont-
cliartrnin voulut y éublir un consul français pour le charger de faire
pan'enir à notre ambassadeur en Turquie les dépêches de la cour,
quand on se fut aperçu que la voie de Venise n'était pas sûre ; la
création des échelles de Salonique et de la Qvalle avait été due en
partie !\ la môme préoccupation. Quant au commerce français à
Durazzo il fut toujours peu considérable ; la mer Adriatique était
sillonnée par les vaisseaux vénitiens, qui la considéraient comme
leur domaine, et la navigation des autres nations n'y avait guère
d'importance'.
Ainsi, des rives du Nil aux côtes de l'Adri-itique, se suivaient
sans interruption les échelles françaises; il n'y avait pas un port de
quelque importance dans les états du Grand Seigneur, sauf dans la
mer Noire*, où l'on ne trouvit un consul et des marchands français.
Leurs établissements, restreints d'abord à quelques grandes échelles,
s'étaient multipliés de plus en plus dans le courant du xvn' siècle.
La diminution du commerce de leurs vieilles échelles d'Alep et
d'Alexandrie qui occupaient au xvi*^ siècle presque toute l'activité
des Provençaux, la concurrence des Anglais et des Hollandais, qui
vinrent s'y établir à coté d'eux et réussirent en même temps ^
détourner vers Smyrne la plus grande partie du commerce de la
Pcrbc-, forcèrent d'abord les Français A faire de ce port leur princi-
pale échelle, puis ù chercher un nouvel alimenta l'activité de leurs
marins, de leurs armateurs, et de leurs négociants, dans des pays
dont le négoce leur avait paru jusque lu de peu d'importance; c'est
ainsi qu'entre 1680 et ryij leur attention se porta vers les i les de
l'Archipel et les ports de la Turquie d'Europe qu'ils avaient à peu
obiint lj déposition du cidi et une menace de mort pour le vaïvodc. — « On
.iv.iit fi,.\ii ce pays cii faisant des dons mal i propos et en endurant ; ainsi
M. Grenier (son prédécesseur | fut mis aux fers (en 1705) sans poner plainte. —
Nous sommes i présent aussi bien c]uc nous étions mal, nos charges étant res-
treintes i 3 "/.. de douanes portées par les Capitulations. » Lettrr d la CImnbrt,
13 aîril fji)6. AA, iSj. — Un mémoire du marouis de Bonnac, de mars 17J7,
nous apprend que Dubruca ét.iit encore consul de l^arta, tandis iiuc son fils, était
ii Dura/.zo, et que ccm deux consul.Us dépendaient directement de l'ambassadeur
comme les vice-consulats de» grandes é-chclles. — Arch. \'al. F'*,64j.
(t) V. AA, jiV.V. CoirafKiiiclanu du (oiuul ComU {t6i^-fjo$),
(3) r^llc-ci allait bicnttM s'ouvrir aux Huropcens. Hn 1727 il v avait un consul
de France en Crimée. Arch. Nal. h", 64 j, Mémoire du marquis at Bonnac.
444 TABLEAU DU COMMERCE
près délaissés auparavant. Les Anglais, devenus leurs plus redouta-
bles rivaux, avaient été les seuls ;\ s'établir à côté d'eux dans les
échelles importantes, mais ils avaient négligé de créer à leur exemple
une foule d'échelles secondaires et leur négoce restait beaucoup
moins dispersé. Tandis que les Français avaient réussi à leur dispu-
ter l'achat des soies de la Perse à Smyrne et la vente des draps dans
cette ville et à Constantinople, les Anglais leur avaient pris la pre-
mière place à Alep et faisaient tous leurs efforts pour la leur ravir à
Alexandrie et au Caire. Mais ils n'avaient pas sérieusement tenté
de leur enlever le monopole qu'ils conservaient encore en grande
partie dans l'échelle de Seïde et ses dépendances, et ils leur abandon-
naient la plus grande partie du négoce de Chypre, de Candie, des
îles de l'Archipel et des ports de la Morée ; ces dernières échelles
fournissaient en effet surtout des denrées qui convenaient peu au
trafic des Anglais.
CHAPITRE V
LA VIE DANS LES ÉCHELLES A LA FIN DU XVI1« SIÈCLE
La nation française, avait, dans toutes les échelles, la même orga-
nisation, réglée dans ses grandes lignes par l'ordonnance de la
marine de 1681, le règlement du 25 décembre 1685, l'ordonnance
sur les consulats de i69i,et,dans tous les détails, par une série d'or-
donnances royales, d'arrêts du Conseil, d'ordonnances de l'intendant
de Provence et de délibérations de la Chambre du commerce
homologuées par lui'. Elle formait une sorte de république en
miniature avec son chef, ses assemblées, ses finances, sa dette, sa
justice, mais elle était plus encore en tutelle que les communautés du
royaume, soumise qu'elle était à l'autorité de l'ambassadeur, de la
Chambre du commerce, de l'intendant de Provence et du ministre.
Le consul était à la fois pour les marchands le représentant de
l'autorité royale, un juge, un protecteur, un guide. Il devait faire
exécuter les ordonnances et règlements, dont il faisait lecture à la
nation assemblée, quand il les recevait ; il les faisait afficher ensuite
dans la chancellerie du consulat. Il était aussi chargé de faire res-
pecter par les capitaines et patrons les règlements relatifs à la navi-
gation. Il maintenait la police et le bon ordre parmi les marchands :
il pouvait, en cas de mauvaise conduite, leur intimer l'ordre de
rester enfermés dans leurs demeures, leur infliger une admonestation
en pleine assemblée, les condamner à des amendes et, dans les cas
graves, avec l'assentiment des députés de la nation, les forcer à reve-
nir en France. En ce cis tous les capitaines et les patrons étaient
contraints par les ordonnances de les embarquer sur l'ordre des
(i) Voir pour les règlements concernant les t'chellcs un recueil très complet
qui fut rédigé et mis en ordre en 1742 par un commis aux écritures de diverses
chancelleries du Levant. //, 2}, 111-40 de j)} ptigfs.
44^ TABLEAU DU COMMERCE
consuls, ;\ peine de 500 livres d'amende. Le consul était en même
temps le juge des marchands. En matière civile, ses jugements
étaient exécutés par provision', sauf appel au Parlement de Provence;
en matière criminelle ils étaient sans appel, quand ils n'entraînaient
pas de peines atîlictives. Dans ce dernier cas, le consul instruisait
seulement l'affaire et faisait embarquer le coupable sur le premier
vaisseau qui se rencontrait, pour le foire juger par les officiers de
l'amirauté de Marseille. Le consul ne pouvait juger qu'assisté des
députés de la nation et de. quatre notables marchands, règle qui
n'était applicable que dans les grandes échelles. Il lui était souvent
difficile de trouver des marchands pour l'assister dans ses juge-
ments, et de fiùre des procédures contre ceux qu'il voulait pour-
suivre, car les témoins refusaient de lui donner des éclaircisse-
ments*. En cas de conflit entre eux, les consuls et les marchands
devaient s'adresser au tribunal de l'amirauté de Marseille, mais ce
tribunal eut rarement à décider, car les adversaires portaient leurs
griefs par devant l'ambassadeur, la Chambre du commerce, l'inten-
dant de Provence, ou le ministre lui-même, si la concorde ne pou-
vait être rétablie. « Il faut savoir, écrit d'Arvieux, consul d'Alep, que
de tout temps le curé de la paroisse a été juge des différends qui
naissaient ou qui pouvaient naître entre le consul et les marchands'.»
Mais de tels arbitrages ne parx'enaient que rarement à maintenir la
paix dans les échelles.
Si l'autorité du consul le mettait souvent en conflit avec les mar-
chands, le besoin qu'ils avaient de sa protection empêchait souvent
aussi les ruptures, ou rétablissait la bonne harmonie. Le consul était
en effet sans cesse en négociations avec le pacha et les « puis-
sances » pour éviter les avanies, les extorsions de droits injustes,
réclamer la punition d'insultes fiiitcs aux marchands, obtenir des
fiicilités pour le commerce. Il devait chercher à augmenter celui de
sa nation au détriment des nations rivales, à étendre, s'il le pouvait,
dans des pays nouveaux, le cercle de ses relations commerciales ou à
faire entrer dans son trafic des marchandises nouvelles ; les mémoires
■
(i) Il était aussi chargé de liquider les successions des marchands qui mouraient
dans les échelles et les banqueroutes qui s'y produisaient assez fréquemment.
(2) L'ordonnance du 12 avril 1702 donna le droit aux consuls de condamner à
20 livres d'amende, « et à 100 en cas de contumace », ceux qui refuseraient de
rendre témoignage.
(}) D'Akvux'X, t. VI, p. 4;
LA VU- DANS LES ECHELLES
■417
cnvoyC'spar les consuls au secrétaire d'Etat de la Marine, leur cor-
respondance avec la Chambre, montrent qu'ils se préoccupaient de
cette partie de leur t;lclic. Enfin le consul devait jouer auprès des
n^arclunds le rolc non moins délicat de conseiller et de tuteur.
Généralement plus Agé que les jeunes commissionnaires des échelles,
plus au courant des usages et du trafic, il devait les taire profiter de
son expérience, mettre un terme S leurs rivalités ruineuses, les
engager A former des sociétés pour les achats et pour les ventes. U ne
pouvait alors que donner des conseils, cependant, quand il recevait
des instructions de la Chambre et de l'inspecteur du commerce, il
faisiiit des ordonnances pour régler la h^on dont devait être pratiqué
le négoce de l'échelle. Les consuls jouaient donc un rôle multiple
qui exigeait les qualités, difficiles à trouver réunies chez un même
homme, d'un administrateur, d'un diplonute, d'un marchand
consommé, aussi les bons consuls éuient-ils rares. Choisis la plu-
p.irt d.ms des familles provençales et même marseillaises, comme les
d'Anthoine, les de Bemiond, les Magy, les Fahre, les Lempereur,
ils avaient ainsi plus de chances d'être au courant des affaires com-
merciales et des us.iges. A la fin du xvu* siècle, des Parisiens furent
quelquefois envoyés dans les échelles, mais ces choix ne furent pas
très heureux, car les marchands se brouillèrent la plupart du temps
avec ces consuls étrangers .\ leurs mœurs et la Chambre montra la
plus grande défiance envers ces protégés du ministre qu'elle ne
connaissait pas'.
Les dépenses des consuls étaient considérables; dans les grandes
échelles, et même dans les échelles secondaires, ils avaient un train
de maison important. M. Beitandié, consul de Seïde (1655-1659),
entretenait deux secrétaires, un valet de chambre, un cuisinier, un
pour\'oy£ur, deux aides de cuisine, deux laquais, deux palefreniers,
un valet pour aller chercher de l'eau, il avait deux chevaux et une
bourrique'. Le consul fournissait la table au chancelier, au drogman,
au chapelain de la nation, et recevait dans sa maison les voyageurs
(i) Se rappeler les querelles .ivcc Blonde!, consul de Sniymc, cl de Maillet,
consul du Caire.-
{a) D'Abvikux, t. I, p. ]y\. — Le corwul J'Alcp, su I710, a un Cuisinier et
un sous-cuisinier, trois v.ilcts, un palefrenier et un soun-palel renier et entretient
quatre chev.iux. FI dépense 4 , 601 pijsucs pnur meubler U ni.lison consulaire, .-/.-f ,
j6s. s mars ijio. — Un simple vice-consul de Sataliv i tn>is domestiques, son
chapelain, son ianissaire, son drngnijin et »on chinir^ien .^ payer et i entretenir.
ÀJ, J30, Jo avril 16*^,
448
TABLEAU DU COMMERCE
français de passage dans l'échellt;. Il donnait des repas de cérémonie
à la nation pour la Saint-Louis et d'autres fctes, lors de l'élection des
députes, et il avait très souvent des marchands a sa table'; il échan-
geait en outre des réceptions avec les consuls des nations étrangères'
et avec les grands du pays. Les visites de ceux-ci chez les consuls
étaient presque journalières, et, suivant les usages et leur qualité, il
lallait leur oHVir le café et le sorbet ou du vin et des pipes. « Le consul
d'Angleterre, écrit notre consul d'Alep, est défrayé tous les ans de
loo piastres pour le café et le sorbet et de cent aussi pour le vin
qu'il donne au.x gens du pays, et je ne reçois pour le vin que cin-
quante piastres... Si on trouve des pipes et du tabac dans mes
comptes, ce n'est pas pour moi, qui n'ai jamais fumé, par la grâce
de Dieu, mais pour les visites que je reçois des gens du pays et pour
les étrangers quand je les traite, auxquels je fais présenter la pipe
après le repas ^ <• Chaque consul devait encore poun.'oir à l'entretien
des janissaires attachés à sa personne, qui se tenaient chaque jour i
la porte de la maison consulaire à sa disposition : le consul du Caire
en avait jusqu'à six, qu'il fallait nourrir et qui recevaient en outre
jusqu'.l six piastres par mois. Ces soldats servaient 1 la fois à donner
du prestige au consul, A le défendre des insultes, à préserver des vols
la maison consulaire, où étaient souvent enfermés des dépens impor-
tants d'argent et d'objets précieux, entin h faire la police dans b
contrée ou dans le camp des Français, et à assurer l'exécution des
sentences du consul. Les janissaires se disputaient le ser^'ice des
consuls francs, parce que c'était pour eux à la fois un honneur et un
profil'.
En dehors des dépenses de sa maison, le consul était obligé A de
coûteux présents envers les puissances. Il lui fallait se montrer géné-
reux quand il arrivait dans l'échelle et qu'il recevait sa première
( I ) Il II ne se passe pas de jour, écrit le consul du Caire, que je n'jic qucltiu'oo
de la n.uton â ma table le matin et le soir, et régulièrement un certain nombn:
d'entre eux viennent pour les après-souper à la maison consulaire. • j4j1, 114.
(2) Les consuls ne se visitaient que rarement, ntais, aux principales fttci àe
Tannée, ils s'envovaient réciproquement des marchands pour se complinientcr. rt
ces réceptions étaient suivies de repas superbes. — D'Akvielx, t. I, p. ijo, —
V. ToLUSïFOKT, t. I, p. 198.
(5) A.4, }6s. 4 avril i6<fs.
Ul Les marchands, par l'intermédiaire du consul, se faisaient aussi donner des
janissaires pour leur sûreté quand ils avaient à sortir en dehors des villes ou >c
se trouvaient les échelles.
LA VIE DANS LES ECHELLES
449
audience, ou quand il allait pour la première fois chez les nouveaux
pachas, renouvelés tous les trois ans, ou parfois, comme au Caire,
tous les ans. Chaque année, il avait A distribuer des présents dont la
valeur était réglée par l'usage, aux fêtes du grand et du petit baïram'.
Ces présents ordinaires étaient entièrement A la charge du consul ;
seuls les présents extraordinaires, qu'il fallait faire quand le consul
portait au pacha des coniniandemcnts du Grand Seigneur ou négo-
ciait au sujet de quelque affaire, étaient supportés par la nation. Les
présents ordinaires montaient, dans les grandes échelles, ù plusieurs
milliers de livres; d'Arvieux estime la dépense pour le consul de
Seïde ;ï près de 1500 écus; :\ Alep, au début du xviT' siècle, au dire,
jusqu'en 17 15, elle dépassait de beaucoup cette somme. Les visites
aux pachas pour la remise de ces présents se faisaient en grande céré-
monie par le consul, accompagné de toute la nation et de ceux qui
éuient sous la protection française.
Un voyageur décrit ainsi le cortège d'un consul du Qire rendant
visite au pacha : « Le consul étant prêt à sortir, ses six janiss;iires,
montés sur des ânes, marchèrent les premiers, deux i deux, ayant à
la main leur nabou qui est un gros bâton de six pieds ; ils étaient
proprement vêtus à leur manière, les uns d'étoffe rouge, les autres
de bleue et au lieu de turban ils avaient un grand bonnet de feutre
enrichi par en bas de quelque broderie de fil d'or irait et sur le
devant de la tête il s'élevait un tuyau qui laissait tomber un panache
fort long par derrière. Ils étaient assez distants les uns des autres et
faisaient faire place parles rues ; quatre ou cinq pas après eux s'avan-
çaient deux Juitsqui étaient les truchements du consul, aussi montés
sur des ânes avec des tapis et huit ou dix pas plus loin paraissait le
consul en un équipage qui n'est pas indigne de remarque. Il avait
une veste de velours couleur de feu, doublée de martes de grand
(i) .'^ Smyrne, il devait en ofTrir à la visite annuelle que le capitan-pacha y
faisait avec les galères du Grand Seigneur. — Le petit consul de Satalie dépense
en prcsents, en 1695 :à trois cadis, 60 pinstrcs; au pacha et à ses domestiques,
90 piastres ; à son mousselcm, 35 piastres ; aux deux b.iïrams, 31 piastres ;
prcsents particuliers, 25 piastres. AJ, )30, lettre du }o airil i6')S- — Voir un
curieux état dctaitld' des présents faits par M. de Marigny, vice-consul de Chic, •
dans les visites rendues au pacha, ki.iya, cadi et aea du karach, le 1 5 août 171 3.
— Il distribue en tout 12 1 piastres, dont 35 nu pacha (en café, sucre, douze boites
de confitures, deux moutons, deux tanaux verre) les autres officiers reçoivent
aussi du c.ifé et du sucre; leurs valets, de la menue monnaie. — Au grand bairam,
il distribue 29 piastres pour ces v;ilets(aux six t.tmboursdu paclia, aux sixcliaoux,
aux quatre chocodars, aux quatre chiatirs.aux quatre mararagis, aux valctsdu cadi,
du janissaire aga, du kiaya, du caragy, etc.) AA, 32 j, S noi'tinbrt tj: }, Juillet iyi.f.
29
450
TABLEAU DU COMMERCE
prix, soa habic par dessous était du rnème relours, nuis Cnt i b
f des boutons et Je larges bouionnicres »i'off«fvtrne, il
a-<.. ^.. ..^..w; de point de Gènes qui était le pluscstiaié en ccteo^
la et ^a ctstor garni d'un gros cordon d'or irait rèpomim i ta
rkhcsse du reste. Il montait un cheval à longue queue parûitemcoi
b«jiu lumjchd- il la lurquesque. sa selle de velours cnunobi avait
cuoune deux pommeaux^ l'un devant et l'autre derrière, revêtus ^
plaques d'argent doré, ses ètriers étaient de semblable Biétal et I2
boussc de velours. — Deux estafiers bien vêtus mirchaicot on pe«
derrière le consul, tenant chacun une main sur la cioape de soo
cheval... Les marchands suivaient ensuite deux à deux, trais pas nn
n'aurait voulu être le dernier pour le danger qu'il y a^'aii de recevoir
quelque coup de poing de la part des Turcs qui se trouvent iiKoo-
modés de la poussière que fait élever cette marche dans les rues*... •
A l'issue de l'audience, remplie par des échanges de compliments et
où l'on servait le cifé et le sorbet, le pacha, qui resuii tou)ouri assii
sans faire aucun mouvement, faisait remettre au consul quelques
vestes pour lui et pour ceux qui raccompagnaient ; les plus belles
étaient données aux députés et les autres atu marchands les plus
anciens, pour éviter les jalousies, bien que ces étodcs n'eussent
aucune valeur.
Pour suffire à toutes ces dépenses les consuls avaient perçu jusqu'en
1691 leurs droits de consulat, qui variaient suivant les échelles, mais
s'élevaient en général .1 2 0/0 environ. Les arrêts du G)n»eil du
31 juillet 1691 et du 27 janvier 1694. leur donnèrent des appointe-
ments fixes*. Mais les petits consuls de l'Archipel et de la Morèe
continuèrent i végéter avec les six piastres de droit d'ancrage qu'ib
percevaient sur chaque bâtiment ; tandis que tout commerce était
rigoureusement interdit aux autres consuls, leur négoce personnel
constituait le plus clair Je leur revenu. Bien que les appointements
fixés en 1691 eussent été augmentés en 1694 ^^^-^use de leur notoire
insuffisance, les consuls pouvaient tout juste vivre honorablement
avec les sommes mises ù leur disposition ; en 1710 le consul d'AJep
10 Ia>pp1N, p. 212-314 (en t6î8). Seul le consul av.iit Icdroit de >ortir i chtral,
les ni.irchands allaient à une. — Cf. Ll'cas, p. 282-8) ; il raconte une vbite «lu
consul d'.Mcp .lu paclia.
(2) Lcf appointements personnels tics consuls étaient de 4.0CX} livres i Sm\TT>eci
au Caire, 3.500 ;'i Alep. 5.000 1 Seidc. — Les fi.iisde ubje t't.aicm fixes i 6.600
pour le Caire. $.500 pour Sinyrne. J.cxxj pour Atep, 4.000 pour Seîkk, etc. —
V. à l'appeudicv le tableau des dépenses des consuluts.
LA VIE DANS LES ÉCHELLES
451
I
qui disposait de 8.500 livres pour les dépenses de s;i maison envoyait
à l;i Clianibrc un compte de dépenses de 11.742 livres pour l'année
précédente, dont 9.198 de dépenses normales'.
Pour l'administration des affaires de l'éclielle, le consul ne pouvait
rien taire sans la participation de l'assemblée de la nation. 11 devait
y convoquer tous les marchands et les capitaines et patrons de navires
qui se trouvaient sur l'échelle, mais les artisans ne pouvaient en
£iire partie. Les marchands étaient tenus d'assister aux assemblées
sous peine d'amende, ils s'en dispensaient cependant, surtout quand
ils étaient en brouille avec le consul. Le règlement fait par M. de
Gastines au Giire, en 1706, les astreignait encore .'i d'autres obli-
gations: « Ils seront tenus, disaient les articles 13 et 15, d'accompa-
gner le consul dans toutes les visites d'honneur et de nécessité qu'il
rendra au pacha et autres puissances du pays et de le reconduire
jusqu'à la maison consulaire, sans qu'aucun s'en puisse dispenser,
à peine de trente livres d'amende, payables sans dépôt, sur le seul
verbal et ordonnance du consul. Le corps de l'assemblée sera pareil-
lement obligé d'accompagner le consul en habit de cérémonie lors-
qu'il ira aux églises des pères de la Terre-Sainte et des Capucins dans
les jours déterminés par l'usage, qui sont les deux fêtes d'après les
jours de Pâques, Pentecôte et Noël, et de revenir ensuite avec ledit
iconsul jusqu'à la maison consulaire : et toute la nation sans exception
sera réunie dans la salle de ladite maison consulaire en habit décent
aux principales fêtes de Tannée, qui sont les jours de l'an, Piques,
Pentecôte, Assomption, Saint-Louis et Noël et ceux où l'on chantera
k
I) ; mars ilio. A.4, }6s. — Le dùuil de ces dépenses est curieux. I] ne
compte que 900 livres pour l'entreiieii de son é[>ous«, deux tilles et quatre fils qui lui
restent à placer. — Ci'. LcUre da députa de Smyriu, iS juin jôi)2 : 0 Les consuls
d'Angleterre et de Holl.ande ont chacun 4.000 piastres de réaux du grand poids qui
reviennent A 14.400 livres tournois et le nôtre ét.int d'un plus haut degré et d'une
plus forte considération qu'eux, il est obligé de faire de plus urandes dépenses
pour assortir le rang de son caractère.. Cette différence est d'un grand poids
pamii des peuples de la nature du niitre qui ne se paient <}ue d'obstentation et de
force La nation a attribué 200 piastres de salaire au vice-consul de Scio dont
100 pour son entretien et le reste il le donnera au chancelier, drogmans, janissaires,
et payera les présents au pacha et au cadi, en quoi la somme est visiblement très
modique. » .-/-■/. 30} . — Le consul de France avait partout sans contestation même
à Sniyrne, le pas sur tous les autres. « Tous, dit d'Arvieux, le lui cèdent sans
hésiter. Il n'y a que celui d'Angleterre qui ait peine h le lui céder et qui dans
toutes les occasions tache d'empiéter sur ses droits. L'un ne va jamais à la prome-
nade ordinaire quand il sait que l'autre y est .avant lui... Un de nos consuls donna
un jour un soumet a celui de l'.Angletcrre qui l'avait prévenu dans une visite de
cériimouie qu'on rendait au capitan pacha... qui lui donna raison. » t. I, p. 127.
45*
TABLEAU DU COMMERCE
Jl-s Tc Dcuin, pour aller avec ledit consul entendre la grand'messc
ou le Te Deum d.iiis l.i clmpellc consulaire et le reconduire ainsi qu'il
cit dit ci-dessus dans ladite salle, à peine contre les contrevenants de
dix livres d'amende pour chaque contravention. » Les marchands
prenaient rang dans l'assemblée après le consul et les députés delà
nation, d'après leur ancienneté dans l'échelle ; les questions de pré-
séance firent souvent éclater des querelles, l'on vil des consuls en
référer au ministre pour savoir dans quel ordre les marchands devaient
signer les délibérations et il fut sagement décidé qu'on se réglerait
encore sur l'ancienneté des marchands.
Les assemblées avaient surtout A discuter et à voter les dépenses
extraordinaires de l'échelle, telles que réparations à la maison ou à
la chnpelle consulaire, fêtes en l'honneur du roi, et surtout présents
extraordinaires i taire aux puissances, suivant les circonstances, ou
emprunts nécessaires pour payer les avanies. Pour suffire i tous ces
besoins, elles établissaient des .avaries, c'est-;\-dire des droits sur
chaque navire qui venait charger A l'échelle. Mais ces levées ne deve-
naient exécutoires que quand les délibérations de la nation avaient
été approuvées par la Chambre du commerce à laquelle le consul
devait régulièrement les envoyer. Pour administrer les finances de
l'échelle l'assemblée de la nation nommait chaque année, au mois
de décembre, deux députés, parmi les marchands âgés au moins de
25 ans et établis depuis deux ans dans l'échelle. Cette élection était
souvent le sujet d'intrigues et de querelles, et souvent aussi le consul
avait ses candidats qu'il soutenait, malgré la défense expresse que lui
faisaient les ordonnances de s'ingérer en aucune façon dans les élec-
tions. Aucun marchand ne pouvait être réélu député que deux ans
après être sorti de charge, A moins qu'il n'y eût pas dans l'échelle
d'autre sujet capable d'être élu. On vit encore des querelles de
préséance se produire entre les députes comme entre les marchands
des assemblées : le premier élu prétendait avoir une supériorité sur
l'autre, il fallut décider qu'ils étaient députés au même titre et qu€
l'ancienneté de résidence de\-ait seule donner le pas à l'un sur
l'autre'.
Le consul dewiit communiquer aux députés toutes les afEiires,
avant de les soumettre aux assemblées, pour agir de concert avcff
eux, et ils devaient raccompagner dans ses audiences avec les puis-
(t) sjmttf rjoy. ,4.4,304.
LA VIE DANS LES ÉCHELLES
4)3
sanccs cî « dans toutes les occasions nécessaires pour le bien de la
nation. » En outre les députés étaient chargés de percevoir sur les
navires les droits établis au profit de la Chambre du commerce qui
étaient levés dans les échelles, c'est-^-dirc le cottimo des bâtiments
qui (itisiaieni les voyages du Levant en Italie et les droits de consulat
sur les biîtiraents des étrangers qui prenaient la bannière française.
Tous les trimestres ils devaient reinettre au consul un état sommaire
des recettes et des dépenses qu'ils avaient faites, et, aussitôt sortis de
charge, dans le mois de janvier qui suivait, ils devaient déposer ;\ la
chancellerie, dè.s comptes complets de leur administration ; tous ces
comptes devaient être expédiés à la Chambre par la première voile
qui partirait de l'échelle ; mais ces règles strictes de comptabilité ne
furent jamais observées'. Primitivement les fonctions de député,
quelques délicates qu'elles fussent, étaient purement honorifiques et
la Chambre refusait de ratifier les comptes des échelles où ils préten-
daient s'attribuer quelque gratification. Cependant il leur arrivait de
tirer de grands bénéfices de leur charge en disposant pour leur com-
merce des fonds, considérables parfois, qu'ils avaient en caisse. II y
zvah l\ un grave danger pour h sécurité des fonds du commerce et
plusieurs banqueroutes de députés des échelles firent décider par
l'arrêt du 27 janvier 1694 que dorénavant les fonds perçus par les
députés seraient remis dans la maison consulaire dans une caisse A
trois clefs dont le consul, le chancelier et les députés auraient chacun
une. Comme les marchands ne voulaient plus accepter ces fonctions
onéreuses on leur accorda dcu.v cents livres à chacun dans les grandes
échelles et cent dans les petites. En outre ils obtinrent le droit de
prendre i 0/0 sur toutes les recettes qu'ils faisaient pour le
compte de la Chambre du commerce*.
Ch.ique nation avait à son service un chancelier et des drogmans.
Le chancelier' tenait un registre des délibérations des assemblées.
(t) Malgré l'article 9 du rcgltmont de Dortiéres du S octobre 1687: m I.cs
disputés de la nation sortant d'exercice dont les comptes ne seront pas en état
d'iître rendus dans le temps prescrit par l'ordonnance de S. M, du 25 octobre 1685
(art. 27), seront privés de leurs appointements de toute l'année et seront en outre
, condamnés il 500 livres d';iniende.
(2) Oui. du 25 iUrfinbie 16S), du 10 mars i6>j/ (de l'intendant Lebrct). — La
IChan)brc eut parfois des exacteurs de droits dans les écliellcs, ainsi ![ .Mexandrie
où les sommes à percevoir sur les étrangers qui portaient notre pavillon, et surtout
[sur les vaisseaux qui ûisaient les voyages d'Italie, étaient considérables. (Voir la
t Correspondance de ces exacteurs, .•i.-l, ]jo, }fi.
(î) ^- P-^S*^ 265-266, l'organisation des chancelleries par PoNTCHARTRAtx.
454
TABLEAU DU COMMERCE
des comptes déposés par les députés à leur sortie de charge, des
procédures faites par le consul ; il recevait les manifestes des navires
h leur arrivée et h leur départ ; il enregistrait toutes sortes d'actes et
de contrats faits par les marchands ; il acceptait les dépôts d'argent
et d'effets des marchands ; il recueillait ceux des résidents déoédés
dans l'échelle et des banqueroutiers. Ainsi il était A la fois le secré-
taire, l'archiviste, le greffier, le notaire de la nation.
Les drogmans jouaient dans les échelles un double rôle ; ils
servaient d'interprètes au consul auprès des puissances et souvent
d'ambassadeurs quand ceux-ci voulaient éviter des audiences trop
fréquentes ou craignaient de compromettre leur dignité. Ils étaient
aussi les intermédiaires des marchands dans leur commerce, mais il
fallait demander aux consuls, sous les ordres directs desquels ils
étaient, l'autorisation de les employer. Dans les grandes échelles il
y avait deux drogmans et même davantage ; le premier drograan
était alors plus particulièrement attaché ;\ la personne du consul et
mangeait A sa table, c'était toujours un Français, tandis que les autres
étaient des gens du pays. Il fut plusieurs fois question d'exclure
complètement les sujets du G. S. des emplois de drogmans, mais la
Chambre, qui avait été hostile au début ;t la création des enfants de
langue, répondait encore à une lettre de Pontchartrain en 171 2:
« Il n'est pas possible de n'avoir que le drogman français qui est
dans l'échelle car, outre ce drogman, il est d'usage qu'il y en ait un
autre :\ la porte de la maison consulaire et même d'autres pour le
service des négociants. Ainsi il est nécessaire qu'on se serve des
Grecs ou autres gens du pays, les appointements desquels sont fort
modiques, parce que ces sortes de gens recherchent ces emplois,
plutôt pour s^exempter de payer le carach' aux Turcs que pour la
rétribution qu'ils en tirent. S'il était possible que tous les drogmans
fussent Français, la dépense serait excessive*. A la suite d'un échange
de lettres entre Pontcliartr.iin et l'intendant et d'une nouvelle déli-
bération de la Chambre le ministre décida seulement « d'établir les
plus anciens des enfants de langue élevés ;\ Constantinoplc en qualité
de second drogman dans les sept grandes échelles.... l'excédent de
traitement ;\ leur accorder au-delà de ce que coûtent les Turci «
les Grecs ne devant pas égaler les avanies auxquels Ils donnent
(1) Capitation payée par tous les sujets du sultan non musulnians.
(2) Délibération du 21 jami. ijii. BB, 6.
mm
LA VIE DANS LES ÉCHELLES
4SS
lieu'. » Malgré la modicité de leurs appointements, nugmentû's par
de légères rétributions des marchands*, les drogmans indigènes
avaient rendu des services, ils étaient attachés à leurs fonctions et
plusieurs lamilles avaient été employées par la nation française
pendant tout le xvil' siècle. Les drogmans français coûtaient beau-
coup plus, car leurs appointements variaient de 500 à 1500 livres*,
mais ils remplissaient leurs fonctions avec plus d'autorité et de
Bsécurité, aussi la mesure prise par Pontchartrain en 1712 fut
maintenue.
Les besoins de la religion n'étaient pas oubliés dans les échelles et
partout où il y avait un marchand français on trouvait établis un ou
plusieurs religieux. Tous les consuls avaient leur chapelain qu'ils
nourrissaient à leur table, tandis que la nation française avait son
curé qu'elle payait. Il était d'usage de choisir toujours les religieux
qui remplissaient les fonctions de chapelain ou de curé dans les
mêmes communautés, qui tenaient beaucoup ;\ l'honneur de servir
le consul ou Li nation et considéraient ces charges comme de véri-
ublcs propriétés. Parfois, comme on le vit un moment i Alep, les
deux fonctions étaient remplies par le même religieux. Quand
môme elles étaient sép.irées, la chapelle consulaire servait de paroisse
pour la nation, car les Turcs ne permettaient pas qu'il y eut des
églises dans les échelles, sauf :\ Smyrne et à Constantinople, où les
jésuites et les capucins avaient chacun la leur. Les jésuites se
vantaient que leur église Saint-Benoit de Galata fût la première que
■ les Français eussent obtenu de construire dans le Levant : « Elle est
la mieux établie par les Capitulations, écrivait leur supérieur à
Constantinople, c: par une foule d'édits du Grand Seigneur qui nous
mettent h couvert des avanies. C'est celle que les Turcs peuvent le
(1) Lettrés à Vinttudaitt .-Irnoul du 6 janvier ijti, 16 mars tji2 : « Comme
îl y a inconcruitcWrciivoycr chez un Turc uti garçon au-dessous de vingt .ins, il
doit être détendu .^ l'cnfânt de l.inguc d'y aller, ciu'.\ I.i suite d'un m.nrchand
avancé endge. — 27 avril i-jij. S juin 17/3. BU, è).
(2) Le consul du Giirc en i6}8 donnait six écus par mois seulement à chacun
de ses deux truchements. — Coppin, p. 215.
y ^ ) Liltn de l'anibassadfur, 4 juin 1 6^ : « Le sieur Barbier était iroîsifcrae drogroan
à Constantinople avec 200 «icus d'appointements outre ses droits et il-molumcnts
de l'échelle qui mont.nient environ h 3(X) piastres par an Je l'ai envoyé à
Smyrne comme premier drogman et il se plaint que ses appointements réglés h
250 écus ne lui suffisent pas. » — 21 octobre i6ifû . « J'ai (m savoir au sieur Barbier
que vous avez fixé ses appointements à 5CX3 piastres, n — ..^W, 1.(9.
4)6
TABLEAU DU COMMERCE
moins enlever aux chriîrtiens*. » A Alcp les Vénitiens avaient eu
une église publique dans un grand magasin au-dessous de leur camp,
elle servait de p.Hoi.s.se ;\ tons les catholiques ; les Turci en firent
une mosquL'C quand ils chassèrent les Vénitiens au début de h
guerre de Candie et la paroisse fut transférée dans la chapelle du
consul de France'.
Ces chapelles consulaires étaient d'une très grande simplicité : à
Alcp elle tenait dans un coin de la chambre consulaire où s'assem-
blait la nation ; il y avait juste place pour un petit autel et le prie
Dieu du consul ; quand la messe avait été célébrée on fermait les
portes et le consul recevait les marchands dans la salle, pour l'expé-
dition des affaires ; au Caire l'installation n'était pas moins rudimen-
taire. Comme cette chapelle servait h la fois au consul et à la nation,
ils rejetaient l'un sur l'autre le soin de son entretien, qui souvent
laissait fort à désirer. La fourniture d'huile et de chandelle pour le
luminaire était généralement à la charge de la nation qui lésinait sur
Cette mince dépense; quant aux ornements on les laiss;iit tomber
dans un honteux délabrement, jusqu'à ce que l'urgente nécessité
forc.it de recourir ;\ la Chambre du commerce pour les remplacer.
« Les pères capucins qui sont les chapelain.s de la chapelle consulaire,
écrit le consul de Seïde, seront bientôt obligés de cesser d'y &ire les
offices par le manquement d'ornements, il n'y a ni un tabernacle
propre pour conserver le saint Sacrement, ni niche pour l'exposer,
ni un bouquet de ftusses tleurs, mais seulement quelques chasubles
usées et des nappes d'autel déchirées'. » A Alep, au Caire, les
consuls se plaignent aussi que la chapelle soit dans le délabrement le
plus complet, et demandent A la Cliambre d'y remédier*. Tandis
que les échelles montraient souvent une grande tiédeur pour subvenir
aux besoins du culte, la Chambre, ordinairement économe des
deniers du commerce, s'empressait de fournir les étoffes ou les
ornements nécessaires qu'on lui demandait*.
Ce n'était pas seulement le soin de la chapelle et l'entretien du
chapelain et du curé dans chaque échelle, qui étaient à la charge du
(i) 30 août tôgô. AA, 166.
(2) D'Arvjeux. t. VI, p. 72.
(3) 16 août tjo2. AA, jj6. — 6 avril if>pg. AA, j}^>.
(4) AA. J04. Lfllre Je \6^). — 1" janvitr fjij, AA, )}S.
<5) Li Chambre vote un;inimcment une dépense de 500 livras pour \'ic\\»\
dVtoffes, demelles, ctc pour la dupelle d'Alep. — /<;' ottobre 16^)4 Bli. 1.
457
commerce, mais il contribuait largement h l'ét-iblissement et ;\ l'en-
tretien des maisons reli.^iciises. Au Caire, en 1699, la nation fourni:
400 piastres aux jésuites pour l'achat du terrain destiné ^ leur
établissement et les aida dans la construction de leur maison ; à
Smyrne, A la suite du grand tremblement de terre de 1688 et à
Constantinoplc, après le grand incendie de Galata de 1696, les
maisons et les églises des capucins et des jésuites ne se relevèrent
que grâce ;\ la générosité de la Chambre'. Les jésuites, reconnais-
sants de la « magnifique église St-Louis qu'elle leur avait fait
bàiir » ;\ Sniyrnc, gravèrent sur l'édifice une inscription en son
honneur. Les marchands de ces deux échelles ne contribuèrent nu
contraire qu'à contre-cœur à ces dépenses. Outre ces occasions
extraordinaires la correspondance consulaire montre que les reli-
gieux avaient souvent recours à l'assistance de la Chambre malgré
celle qu'ils recevaient des échelles*. A Smyrne le consul fournissait
aux capucins deux plats garnis, un pour le matin et l'autre pour le
soir, et la nation leur allouait cinq piastres par bâtiment sur les
droits d'ancrage ; après la suppression de ces droits, en 1691, elle
leur vota d'abord 400, puis 250 piastres par an, dont 100 pour le
luminaire de l'église et 150 pour l'entretien des trois religieux et
du frère convers qui composaient la communauté*. Les jésuites de
Smyrne, qui étaient cinq ou six, vivaient du revenu de la location
de mag.asins que la nation leur accordait. Au Caire, les pères de
Terre sainte jouissaient par «ne concession royale de certains droits
sur les bâtiments français qui venaient en Egypte*.
Le développement des maisons religieusesdu Levant, encouragé par
le gouvernement de Louis XIV, fut considérable au xvir" siècle. A
Alcp, point de départ des niissionnaires pour la Perse et pour l'Inde,
il n'y avait vers 1670 qu'un cordelier, un capucin, un jésuite et un
carme, accompagnés chacun d'un frère laïque, ce qui fais;iiten tout
huit religieux. « Il va h présent, écrit d'Arvieux en 1681, six cor-
dcliers prêtres, six jésuites, quatre capucins et quatre carmes, avec
(i) « Les pères JiL-suites ont pcrJii dans l'incendie de Galat.i leur maison et
toutes celles qui fournissaient à leur subsistance; leur d-glisc mùnic est fort
endonimagtïe... » Ultif tU Vamhassadcm 161)6. AA. z./^.
(2) lî ixtobrt lôcfS '. Les capucins vous sont bien obligeas des 2.000 livres que
vous leur avez accordées de nouveau ; je crois que vous serez encore obligiis de
leur donner quelque chose si vous voulez qu'ils ne restent pas endettés.
(3) 2S juin }6i)2. A A, 301.
(4) 22 fiuù i-jos. AA, j«4.
>4S8 TABLE,\U DU COMMERCE
deux frcres laïques pour chaque maison, ce qui fait vingt-huit rcll-
gicux de résidence, auxquels si on joint les passants, il s'en trouve
parfois jusqu'à quarante qui demeurent dans la ville en attendant
l'occasion de continuer leurs voyages, et cela le plus souvent àla charge ^Ê
de la nation. ' » Au début du xvii' siècle, on ne voyait guère dans '
les échelles de Syrie et d'Egypte que les Religieux de Terre-Sainte', ^
cordeliers espagnols ou italiens, dont la principale maison était à ^Ê
Jérusalem. Le père Joseph avait donné une très vive impulsion aux
missions des capucins. Sous Louis XIV ce furent les jésuites qui,
grâce ;\ la protection de la Cour, acquirent une situation prépon-
dérante dans le Levant. Etablis auparavant i Constantinople, i
Smyrne, ."i Alep et ;\ Seïde, ils fondèrent une série de maisons
nouvelles et donnèrent beaucoup plus d'importance aux anciennes.
En 171 5, le voyageur Lucas les trouve établis h Damas et leur
« mission est la plus belle qui soit dans le Levant. » Protégés par
les ministres et par !a Chambre du commerce, qui tenait à plaire à La
Cour, les jésuites enlevèrent aux capucins ;\ Smyrae, aux pères de
Terre-Sainte à Alep la fonction de chapelain du consul. Ces progrès
(r) D'Arvif.L'X, t. VI, p. 72-74.
(2) Au sujet des progrès des étahlissements religieux dans le LevMtit pendant le
XviF siècle et de leur nombre au milieu du règne de Louis XIV, on }>eut consul-
ter un intcTcsSiinl dcKument conservé .lux Archives des affaires étrangères (Ins-
pection du commerce de Marseille, tome II) ; \Umoiri sur VétahVissftnent JesPtrtt
de Terri'-Saiiite et da antres pères ou religieux et missiounaires dans le ljri<atit. (7 pages,
— Envoyé par l'intendant Morant le \" août 1685) : m Les Pères obserxMmim
de Terre-Sainte sont les plus anciens religieu.x établis dans le Levant et avant
l'établissement des capucins dans le même pays, qui fut environ l'année 1626, ili
y ùisaieni eux seuls les fonctions curiales, principalement dans l'Eg^-ptc, la Pales-
tine et la Syrie qui sont les trois provinces seulement qui dépendent du gardien
des observantins de Hierus.ilem. .. (suit le détail des établissements et du nombre
des religieux dans chaque échelle). — L'on ne doit pas taire que dans toutes les
occasions de peste très-fréquentes dans tout le Levant, il n'y a uniquement que
les capucins qui s'exposent, aussi il y en meurt quantité du mal contagieux. Et
au contraire les observantins de la Terre-Sainte, non-seulement ils ne s exposent
p.is ordinairement, mais même ils ne donnent pas tout le soin nécessaire pour
apprendre les langues du pays coinme font les jésuites et les capucins oui y vkil-
lisseiit dans la vue de se rendre parfaits A l'instruaion des chrétiens dcsiieun, i U (
différence des Pères de Terre- Sainte oui changent très souvent de religieux dans
leurs couvents, v ayant aussi i consiuérer que les missionnaires franj.us, [(.'«lites 1
et capucins, sont plus studieux et de meilleur exemple que les relii :iiol«
et italiens qui résident en Levant, ainsi qu'il est très-notoire, 1\. quiu ile^i
bien difficile et dangereux de remédier, attendu que lesdits Pères de TcrreSaitiK
sont non-seulement plus anciens que nos missionnaires français mais ciicori'
sans comparaison plus pécunieux et ne manqueraient pas avec l'abandaaa'
d'.irgent dans laquelle ils vivent, de susciter de fâcheuses alTaircs à nos mi^Ofl-
naires.,., »
LA VIE DAKS LES ÉCHELLES
459
It ces faveurs suscitèrent des jalousies violentes contre eux '. A
Smyrnc, tandis que les consuls les favorisaient, les marchands par
esprit d'indépendance ou par attachement ;\ leurs usages, soutenaient
les capucins. A Alep surtout, leurs querelles étaient fréquentes avec
^pes autres ordres *. Les maisons religieuses du Levant rendaient sans
doute des services A l'influL-nce française et au commerce, par leur
prédication, par leurs écoles, surtout par leurs missions dans des
pays éloignés où elles ouvraient la voie aux marchands en faisant
connaicre le nom français et en fournissant d'utiles renseignements;
mais elles étaient pour les échelles une source de dépenses et
d'embarras^ par leur zèle mal réglé, par leurs querelles et par leur
peu de docilité, dont les consuls avaient souvent à se plaindre.
La nation française des échelles se composait A la fois de marchands
et d'artisans, qui tous avaient dû obtenir l'autorisation de la Chambre
B^u commerce pour venir y résider*. Mais cette prescription ne fut
jamais exécutée à la lettre et des résidents parvinrent toujours ;\ se
glisser dans les échelles sans autorisation*. C'étaient généralement
des jeunes gens qui partaient pour s'établir comme marchands dans
Kles échelles; depuis l'ordonn-ance de 1700, ils devaient avoir au
^moins 25 ans, ils y allaient avec peu de fonds dans l'intention d'y
faire leur fortune et servaient de commissionnaires ou coagis'" h de
Htgros négociants de Marseille qui leur donnaient 2 "^o sur toutes les
opérations qu'ils faisaient en leur nom ; .avec l'argent qu'ils pou-
Ivaient avoir, ils faisaient en outre le commerce pour leur propre
(i) Les pères Je Turri^- Sainte craignaient vivement de les voir venir à JéruM*
lem à la suite de la création du consulat de France et ils apprirent avec grande
joie que le premier consul Brémond n'en conduirait point avec lui. Lettre du 2S
aoùl lô^ij. AA, ))6.
(a) Voir un curieux récit de D'ARVfEUX. t. VI, p. J2-17. — Cf. lettre de
l'ambassadeur, 2/ décembre tjûf, AA, i/o.
Il (î) V. p. 269-70.
i (.1) Lettre de Poitlcl>artraln âPdmbassiuUur, t4janv. ijii ■ Ordre de dresser un
,rôle des marchands et artisans français établis avec autorisation à Constantiiiople
et un -lutre de ceux qui y sont sans permission, avec des notes sur leurs familles
et leurs ressources.
K()) Mot prnvenijal = Commissionnaire. — V. Dictionnaire Fraiifan-Prtrvença}
de Vnin. Mistral : \ h tin du xvii"^ siècle on trouvait dans les échelles des rési-
[lents qui faisaient parfois des affaires importantes p<»ur leur compte. Voici par
exemple ce que dit le consul de Seïde dans un mémoire adressé A Pontchartain
le 20 février 1691 : « Il ya six marcliaudïi i .\cre qui négocient de leur propre
argent : François Rippert négocie tout de son propre, réside depuis environ vingt
ans, c'est un homme riche i 40,000 livres. — François Deydier réside aussi depuis
longtemps, a un fonds de loo.ocw livres. — Joseph Arnaud est établi depuis vingt
4^0
TABLEAU DU COMMERCE
compte. A côté de ces marchands qui formaient seuls le corps dt l.i
nation, on voyait dans les grandes L-chellcs des artisans français de
tout niL-tier : tailleurs, liorlogers, ré-pandus dans tout le Lcv.înt et
jusqu'en Perse, boulangers, cuisiniers, charpentiers, calfats, cabare-
tiers surtout, dont les matelots, les voyageurs de passage et les
résidents alimentaient l'industrie. On y trouvait aussi des chirur-
giens et des apothicaires, mais leur métier était peu rémunérateur,
malgré les maladies contagieuses fréquentes et malgré les clients
qu'ils trouvaient parmi les indigènes; aussi, pour les décider :\ venir
s'établir dans les échelles, la nation était-elle obligée souvent de leur
promettre des appointements fi.xes. Au Caire, en 1686, M. Dortiéres
autorisa rétablissement d'un chirurgien de la nation; l'échelle de
Seïde avait son apothicaire; en 1703 la nation d'Alep vota 150 pias-
tres de pension viagère « ;\ un maître chirurgien pour qu'il fût uni-
quement attaché aux Français préalablement :\ tous autres, en temps
de peste' » ; cet cxcniplc fut imité \ Tripoli, ;\ Salonique et il
Scïde. Mais h Chambre du commerce s'opposa toujours vivement
A ces établissements et en fit rayer les frais des comptes des échelles
chaque fois qu'elle les reçut*.
Très peu de marchands des échelles étaient mariés ; quant aux
.artisans, généralement plus âgés et qui allaient fiiire un établisse-
ment définitif aux échelles, Iccasétait plus fréquent, mats ils n'obte-
naient pas toujours l'autorisation d'emmener avec eux leur famille;
la Chambre voyait avec raison Je mauvais œil la présence dans l«
échelles de femmes et d'enfants qui pouvaient causer des embarras
;\ la nation et tombera sa charge. « Je suis aise d'apprendre, écrit
Lempereur, consul de Seïde, que vous n'avez pas désapprouve les
ménagements que j'ai gardés pour faire embarquer la veuve d'Antoine
Deydier et sa sœur... J'ai notifié A la femme et à la fille du nommé
ans, a un fonds de ^0.000 livres ; Jacques Aubert rcsidc depuis longtemps, a un
fonds de 25,000 livres; Laurent .\maud, frère de Joseph, .1 un fonds de 20 i
25.000 livres; Nicolas Hydoux, mon vice-ûonsul, a un fonds de 20.000 livres. —
Il y a encore d'autres messieurs «^ui ne font que conimcneer... (huit noms)... Tous
ces messieurs peuvent avoir un londs de 6.001) livres l'un pour l'autre...» Arei.
des aff. élr. Mémoires sur U commerct du Levant .
(i) }o mai ijnj. AA, )6j. — S mars ijo^. AA, )JJ. — Jt octobre IJ04. ta
nation de Sniyrne se plaiiu d'être dénuée souvent de secours en temps de maladie.
Hlle demande que la Chambre favorise rembarquement d'un apotliicairc chi-
rurgien. AA, lisj.
(2) A A, )Sç. 6 dtfcemht sfoi), pour Tripoli; AA. 444. 38 dàifNhmjii, poBK-
Salonique ; 2} juin 16S1}, BB, 2S, pour Seîdc, etc.
LA VIE DANS LES àcil ELLES
461
Daupin l'ordre que vous m'aviez donné de les f;iire ixtoitriiLT et je
lui ai marqué qu'elles avaient très mal fait de s'embarquer en cachette
au préjudice des défenses que vous lui aviez fait. Le mari qui est
un calfat invalide qui a ici son. père et sa mère m'est venu voir...
On craint que la présence de ma famille ne trouble nos messieurs
dans le Kam; j'otfre de prendre une maison en ville où nous ne
recevrons aucune visite'. » En 17 10 Pontchartrain chargea l'inten-
dant de Provence d'examiner .i fond avec la Chambre, s'il convenait
d'autoriser les résidents des échelles à avoir avec eux leurs femines
■et leurs enfants; l'hostilité de la Chambre fit résoudre la question
négativement. Cependant en 1 7 1 6 le Conseil de Marine se préoccupa
de la situation anormale qui était faite aux marchands des échelles
et comprit que le meilleur mo3-en d'améliorer leurs mœurs était de
la faire cesser ; c'est dans ce but que l'ordonnance du 17 mars 17 16
Hk« permit aux femmes et aux filles d'aller vivre avec leurs maris et
leurs pères.»
C'est en eHet la privation de la vie de famille qui fait comprendre
le dérèglement des mœurs et les habitudes de débauches dont les
ordonnances royales et les efforts de la Chambre et des consuls ne
purent jamais préserver complètement les jeunes marchands des
échelles. La crainte des avanies ou de traitements ignominieux
^In'arrétait pas leurs entreprises galantes auprès des Grecques ou
même auprès des dames turques, qui leur Hiisatent souvent un
accueil complaisant, quoique la rigueur de la loi turque menaçât
les deux coupables, en cas de surprise, d'une mort cruelle, évitée
toujours, il est vrai, par le paiement de grosses sonniies d'argent.
Quelquefois ils se laissaient prendre aux avances que leur faisaient
les familles indigènes et, d;ms certaines échelles, les mariages avec
des Grecques n'étaient pas rares. La Chambre les voyait toujours
de mauvais œil et parfois les consuls les empêchaient absolument,
car aux yeux des Turcs ces mariages étaient pour un Français une
^■déchéance, dont rhuniiliation retombait sur toute la nation ; on
^^ redoutait surtout de voir ces jeunes gens abandonner leur religion
ou laisser élever leurs entants dans la religion grecque.
Un article du règlement de Dortières du 8 octobre 1687, ordonna
(i) jnjiiîlhl i6i)S. .1.1, }s6 — Cf. d'Ahvjeox, t. VI, rt. 4» . — Pontcliarlrain à
\la Chambre, j juin lyoj. Hti, Si. — Deux familles de Chypre ileinandcnt deux
I servantes franvJÎses pour élever leurs enfants. Vous laisserez à celles qu'on voui
présentera la liberté- de s'embarquer, après vous être assurés de leur conduite.
462 TABLEAU DU COMMERCE
pour toutes les échelles que les Français qui se feraient marier
par des prêtres du rit grec seraient renvoyés eu France, ainsi que
ceux qui mèneraient une vie scandaleuse. En 1709, les plaintes de la
Chambre amenèrent Pontchartrain à s'occuper de la question et,
après avoir reçu l'avis de l'intendant à ce sujet, il lui répondait :
« S. M... s'est déterminée pour l'expédient dont vous faites
l'ouverture et elle défendra aux fils de famille français qui résident
dans les échelles de se marier avec des femmes du pays, sans le
consentement de leurs pères et mères, sous les peines portées par
les ordonnances, et encore sous celle d'être renvoyés en France...
ils seront tenus d'envoyer leurs enfants en France de 10 à 25 ans*. »
En 17 16, cette délicate question fut de nouveau soulevée et le
Conseil de marine demanda son avis à la Chambre qui y répondit
par une intéressante consultation nettement motivée. « S'il était
possible, disait-elle, d'empêcher les Français de se marier en
Levant, il est certain qu'il en reviendrait un avantage considérable
aux sujets de S. M., parce qu'au lieu de s'engager sur les échelles
avec les femmes du pays qui ne les laissent plus revenir en France,
il arriverait qu'après avoir fait des fortunes honnêtes, ils revien-
draient dans leur pays pour en jouir commodément et y épouseraient
des filles de leur patrie, et outre que cela augmenterait les richesses
du royaume, c'est que les marchands qui sortent des échelles du
Levant, pour s'en revenir chez eux, font place aux jeunes gens qui
y vont commencer leur fortune, et, de cette façon, chacun peut aller
i son tour profiter d'une industrie qui est commune à tous les négo-
ciants. Mais outre ces raisons générales, l'expérience fait assez voir
les maux qui peuvent arriver des mariages contractés entre des
Français et des Grecques.... Ce serait donc à la vérité chose très
convenable de défendre aux Français de se marier sans la permission
par écrit du consul mais il se présente des inconvénients. Le
premier est de donner carrière i\ l'arbitraire des consuls Puis les
prêtres ne voudraient pas se soumettre ;\ l'autorité des consuls, puis-
que presque tous les mariages qui se font en Levant se consument
par l'entremise et négociation de ces prêtres Ainsi l'avis de la
Chambre est de laisser subsister les choses. Et comme l'ordonnanee
du 17 mars dernier a permis aux femmes et aux filles d' « aller vivre
avec leurs maris et pères, et qu'à l'avenir il pourrait se faire des
(l) Depping. Corr. Adm., j dk. 1708 ij Jiv. lyoç, t. IV, p. 7S3.
LA VIE DANS LES ÉCHELLES
4^5
mariages avec des Françjiises, il paraîcrait néces&iireque ceux qui
contracteraient mariage avec des filles de Français demeurassent
exclus de toutes charj^es et administration du corps de la nation et,
si c'était avec des filles du pays, les mûmes Français fussent, eux et
leurs enfants exclus en outre des assemblées nationales'. » Cette
délibération fut approuvée par l'intendant Arnoul, inspecteur du
commerce du Levant et l'ordonnance royale du ii août 1716 fut
rendue en conséquence*.
Si la vie de fomille n'exisuit guère aux échelles les marchands
viv;iient du moins dans une étroite communauté. Au Caire, A
Smyrne ils avaient chacun leur maison, mais leurs habitations
étaient contiguës et ils avaient leur quartier réservé qu'on appelait
la contrée française. A Alexandrie, à Rosette et dans toutes les
échelles de Syrie : Acre, Seïde. Barut, Tripoli, Alep, ils vivaient
réunis dans un raéme édifice qu'on appelait le camp*. Les camps
étaient des édifices rectangulaires fermés complètement .1 l'extérieur
et dont les appartements étaient disposés autour d'une grande cour
intérieure, au centre de laquelle était généralement une fontaine avec
un bassin. Tous ces bâtiments étaient à un seul étage surmonté d'une
terrasse comme toutes les maisons de ces pays. Au rez-de-chaussée
s'étendait sur tout le pourtour une galerie voûtée, sur laquelle s'ou-
vraient les magasins des marchands, les boutiques ou échoppes des
artis;ins et les tavernes des cabareticrs. Au premier étage se trou-
vaient les appartements des marchands, disposé-s le long d'une sem-
blable galerie. Dans les échelles de Syrie les religieux occupaient une
partie du cimp à côté des marchands, et les appartements consulaires
s'y trouvaient aussi généralement ; à Seïde le consul occupait un
(Tctit palais construit par l'émir Fakhreddin pour son sérail,
mais on y pénétrait par la cour du camp ; à Tripoli sculc-
(I) Dflilfi'raliùH du t6 juHltt tyi6. Hli,6.
{2) Les résidents de» échelles ne pouvant pas se m.iricr sans cire déchus de
leurs droits, ne s'établissaient pas d^innitivenient dans les échelles nù le corps de
• lanjiionsc renouvelait sans cesse, et n'y restaient que le temps nécessain: pour
jfairc leur fortune. De (685 à t7J5,il partit de Abr>eille 1240 résidents, c'cst-à-
Wire en moyenne 3 1 p.ir an ; comme le nombre des résidents ne s'iiccrul pas
ipciid.uU celte période, il en revenait donc chaque année à peu prés aut.im .1 Mar-
seille. Les nations des dclielles ne l'ormaieiil donc pas de véritables colonies comme
peuvent le taire .lujùiird'hiii les familles franvaise* établies en Itg^'ptc. parcxcn)p1c.
(î) t Ondoit toiii iJre par un t^rav.msérjil un logement de voy.i-
geuri à la campagne, ilxcs cl sans boutiques; le lian a ses boutiques et
SCS chambres et le HeMM.iii ii'ii-'iif) est une place runlcrmée où il y a des bouti-
ques sans chambres. » PoUtxrr, t. I. p. I}5.
464
TABLEAU DU COMMKRCE
ipli
k
niarchnnds, il occupait une
maison à part. Outre ses appartements particuliers, le consul de^'ait
avoir deux s;illes de réception, l'une meublée à l'européenne pour
les visites des marchands français ou de ceux des autres nations,
l'autre installée en divan pour les visites des Turcs, et il était tenu
de meubler dignement ces deux pièces. A côté se trouvait la
grande salle consulaire où se tenaient les assemblées de la nation.
Un consul d'Alep, dans une lettre ù la Chambre, fait de la salle
consulaire de cette échelle une intéressante de^cription : « Elle a
neuf toises (18 mètres) de long et environ trois de large, ccrit-il, un
dôme au milieu et des fenêtres A chaque bout, dont les unes regar-
dent au septentrion et dans le grand bazar qui est tout voûté, les
autres au midi et dans la cour du grand camp qui la renferme... Ce
qui l'embellit le plus, ce .sont les meubles, qui consistent en di.\
pièces de tapisseries dont chacune porte deux faisceaux passés en
sautoir sur un champ d'azur, surcharges d'une croix blanche et can-
tonnés de quatre fleurs de lys d'un jaune orangé. La bordure qui
occupe la quatrième partie de la tapisserie porte ù chaque coin une
fleur de lys de la même couleur que les autres, sur un champ d'azur
d'un pied en carré. Entre chaque fleur de lys, il y a un écu de
France .accompagné de part et d'autre de chiff^res d'.tzursurun champ
de gueules. Au milieu de cette salle... il y est la chapelle ou plutôt
l'oratoire... mais la porte en demeure fermée, ù la réserve des heures
des prières. Par dessus cette porte de l'oratoire, il y a le portrait de
Louis Xin ;\ cheval dans un cadre rouge, parsemé de fleursde lys d'or
d'environ sept pieds en carré; X côté droit de ce tableau, sont les .armes
de Marseille, et, .\ gauche, celles d'Alep. Vis à vis de Louis XIII, est
notre roi, peint dans un cadre doré de tout son long, d'environ huit
pieds de hauteur et cinq de largeur, avec son manteau royal, la cou-
ronne sur la tète et le sceptre X la main. A côte droit, sont lesarmcsdc
W' r.Amiral, et, X gauche, celles de la maison Colbert. Entre le&
fenêtres qui regardent à la cour du Kan, et au-dessus, sont les armes
de France dans un grand cidre octogone d'environ six pieds et detni
de hauteur soutenues de deux p.ilmes de côté et d'autre. A l'autre
bout de la salle, et au-dessus des fenêtres qui regardent au grand
Kizar, sont les annes de MM. les Etats', de sis pieds et demi de brgc
(it Le comul de Fnncc avait ili pcudiat tout le xw sièck consul «les Hoi-
bndiùs à .Mcp.
LA VIE DAMS LES ÉCHELLES
465
Bt quatre et demi de hauteur; à leur droite, celles de la province de
Hollande, cl, ;\ gauche, celles de la province d'Amsterdam. Au-des-
Ius de la tapisserie, de côté et d'autre, les armes de ceux qui ont
xercé le consulat d'Alep sont placés au nombre de vingt-cinq.
/i plus ancien des consuls, qui a commencé en 1562, est Jean Rei-
lier, auquel succéda, en 1579, Jean Reinier son fils, en 1589,
ivlathieu Reinier En entrant par la niènie porte de l'Occident,
est, à droite, la chambre d'audience... Vis i vis de la fenêtre, on voit
hin dais de damas cramoisi avec des franges d'or. Il est accompagné,
à droite, de Louis XIII, et, \ gauche, d'Anne d'Autriche. Vis à vis
de ce portrait du roi et au-dessus de la fenêtre, est encore Louis XUl,
représenté dans un tableau lorsqu'il n'était que dauphin, ayant le
sceptre à la main. A droite, Catherine de Médicis, et plus loin sur b
même ligne, Gaston-Jean-Baptiste de France, duc d'Orléans. A gau-
che, Henri IV, et à son côté, Marie de Bourbon, duchesse de Mont-
■pensier, femme du même duc d'Orléans. Cette chambre a une
tapisserie de cuir doré, au-dessus de laquelle, ;\ droite et ;\ gauche,
—Sont six tableaux qui représentent divers paysages... dans un des
■coins, un £iuteuil de cuir rouge où le consul s'assied quand on tient
assemblée. Dans ce même coin, une pièce de tapisserie qui porte une
épéc qui soutient une couronne royale, surchargée d'un sceptre et
d'une main de justice en sautoir, surmontée d'une balance, le tout
kur un champ d'azur. — Vous ne sauriez croire combien de personnes
de cette ville et de ses environs viennent pour voir ces meubles et
(pour admirer les portraits de nos rois et surtout les deux de notre
grand monarque''. »
Mais le camp d'Alep passait pour le plus vaste et le plus beau de
toute la Syrie et, sans doute, aucune autre salle consulaire n'était
ornée avec tant d'apparat et n'offrait un aspect aussi imposant.
■Malgré les vastes dimensions des camps, les marchands s'y trouvaient
assez i\ l'étroit et il leur eût été difficile de s'y installer avec leurs
familles. Dans le grand camp de Seide chaque marchand avait une
■chambre grande et commode accompagnée d'un cabinet et quelques
pièces avaient été transformées en cuisines et en fours. Les mar-
iChands devaient s'y meubler ;\ leurs frais, mais ne paj-aient rien pour
;ur logement ; parfois même, comme à Alexandrie, la nation
levait recevoir des Turcs une somme pour l'entretien des bâti-
(I) LcHrt du 4 avril i6pj, AA, jôj.
30
466
TABLEAU DU COMMKUCE
munis'. Au début du xvn'^ siècle les camps éuient fermas chaque
soir et les cld's remises aux officiers Turcs chez qui on allait les
reprendre le lendemain matin ; le vendredi, pendant Fa prière de
midi, les marchands trancs devaient aussi rester L-nlermcs dans leurs
camps, parce que, d'après une prophétie répandue chez les Turcs,
les Francs devaient profiter de ce moment pour s'emparer de leurs
villes.
Dans les échelles où les marchands avaient leurs maisons iU
étaient établis plus commodément et les voyageurs vantent l'installa-
tion de leurs habitations du Caire ou de Smyrne, la grandeur et la
beauté des maisons consulaires. Mais, au début du xvii'^ siècle
surtout, les camps offraient l'avantage de tenir les l-rançais i l'abri
du contact des Turcs et par conséquent des occasions J'avanies ; en
cas de troubles, ils étaient pour eux un asile sûr, car les camps,
coumie les caravansérails, étaient des édifices dont le revcûu éuit
consacré aux mosquées et les Turcs n'osaient pas les violer ; enfin,
pendant les pestes fréquentes dans les échelles, les nurchands y
restaient enfermés pour se présers^er de la contagion. Dans les
échelles où il n'y avait pas de camp la maison consulaire apjurtenair
généralement au corps du commerce, les consuls en payaient le
loyer et devaient pourvoir .\ son entretien. Au Caire seulement leur
maison leur était fournie par la nation qui la louait 2.300 mcdins'.
Dans les petites échelles il n'y avait pas toujours une maison consu*
laire attitrée et les consuls se plaignaient de cette situation qui les
forçait souvent à s'établir dans des habitations insutlisantes et indi-
gnes de leur caractère^. Quant aux résidents ils achetaient ordinaife-
ment, en arrivant, la maison d'un marchand qui s'en allait et ils b
remettaient à d'autres quand ils part;iient eux-mêmes.
Malgré l'installation quelquefois assez sommaire des camps, les
Français menaient dans les échelles une vie large et facile. Les mar-
chands avaient ordinairement des chevaux, sauf en Ugj'pte où les
Turcs le leur défendaient, et plusieurs domestiques ; Li plupart
(i) D'Arviecx, t. I, p. 176.
(3) }j nicJIns font .\o sols iournots. — Cotniuu clic éuit trop pethc, 1a aâàcti
eu louait une .nutrc pour loger le cha)x-l.iin et les ilrogiiijQS.
(}) W Lettics du consul de la Catu'c, 20 janvier sjao, A A, 43}; dt TriftûS,
tj lioiil iffiJS- AA, }S,S. Ils Ut.'UunJt;iit l'autorisation d'jclK-ter une nutton . b
Chambre n'aura A l'aire que l'avance des l'unJs ; le cunsul leur p.iicrj le tayextottt
les ans.
LA VIE DANS LES ECHELLES
467
cependant n'.iv;iieiu p.is leur cuisinier et mangeaient au dehors.
Dans certaines échelles, comme au Ciire, beaucoup prenaient pen-
sion ;\ la table consulaire ; ;\ Alep, en 1695, un marchand pour sa
nourriture et celle de son valet payait au consul iSo piastres par an,
mais celui-ci soutenait qu'il y trouvait plus de perte que de profit et
le consul des Anglais, qui avait beaucoup de marchands ;\ sa table,
recevait d'eux 200 piastres, sans être tenu de nourrir leurs valets*,
Quand ils n'étaient pas les pensionnaires du consul, les marchands
trouvaient chez des cabareticrs français établis dans le camp ou dans
la contrée une table bien servie pour un prix modique*.
La vie en commun était donc dans les échelles la règle ordinaire,
cependant, quand leurs affaires prospéraient, les marchands tenaient
à avoir leur maison complètement montée, parfois sur un grand pied.
« En moins de deux ans que je fis ce commerce, écrit d'Arvieux
alors négociant iiSeïde, je trouvai avoir gagné une trèsgrosse somme
quoique je lisse une dépense considérable : car j'avais quatre che-
vaux, six domestiques, une table de six couverts et souvent de davan-
tage, et bien servie, où mes amis de toutes sortes de nations venaient
boire et manger sans cérémonie. J'avais une maison fort agréable",
dont la plupart des vues donnaient sur la mer, quatre belles chambres,
un grand cabinet, une salle .1 manger, une cuisine, un office, deux
grands m.igasins, une écurie, des logements pour mes domestiques,
des meubles propres, toujours bonne provision de vins de plusieurs
sortes, aussi bien que d'cau-dc-vie et de liqueurs'. » Un pareil
train de maison, exceptionnel pour un marchand français, était
fréquent chez les Anglais qui avaient un très grand amour du
bien-être et possédaient les moyens de le satisfaire. La dépense était
d'ailleurs moindre qu'on pourrait le croire, car dans toutes les
échelles on vivait à fort bon compte ; les domestiques, outre leur
entrelien, se contentaient de quelques piastres, les vivres étaient
partout en grandeabondance et h bon marché. « A Smyrne, en 1654,
U livre de bœuf ne se vendait qu'un sol, celle de veau ou de mouton
deux sols. Les perdrix rouges ne coûtaient que cinq i!k six sols pièce.
(t) 4 avril 161)). AA,}ôs. Ltllre tlu cotisuL
(2) De mon tcmp» un cuisinier fr.inqais y tciuit une aubt^rge (à SelJc), à josols
p.ir jour, (Coppix, p. 421 — vers 1640).
()) Dans un petit kjmp dil-pciidunc du grand qui 5e trouvait alors rempli, les
rCiidcius e'tant trcs nombreux.
(4) D'Ar^eUX, t. IV, p. 348.
/
468 TABLEAU DU COMMERCE
les lièvres dix sols, les becfigues et autres oiseaux six sols la douzaine. »
A Seïde le bœuf et le mouton revenaient à deux sols la livre, les
poules à dix sols pièce, les poulets à huit sols la paire, les perdrix
rouges à quinze sols la paire '. Il en était de môme en Egypte, à Cons-
tantinople et ailleurs*.
Dans toutes les échelles les Francs sortaient revêtus de robes et
de pelisses à la Turque et portaient la barbe longue ; les Hollandais
et les Anglais, dit un voyageur, parvenaient à prendre absolument
l'extérieur des gens du pays, mais on reconnaissait toujours les
Français à leurs manières. Les marchands pouvaient ainsi vaquer
librement à leurs afîiiires, sans attirer l'attention et sans s'exposer
aux insultes de quelque fanatique. Les consuls qui ne sortaient
qu'accompagnés de leurs janissaires et pouvaient mieux se faire res-
pecter conservèrent toujours la perruque et le chapeau qui les
faisaient reconnaître. A la fin du xvii' siècle la sécurité étant devenue
plus grande pour les Européens, les marchands reprirent aussi la
coiffure nationale ; et même, dans les échelles où passaient le plus
d'étrangers comme à Smyrne et \ Constantinoplc, les indigènes
s'étaient habitués à voir les voyageurs se promener habillés entière-
ment i la franque. « Tandis qu'on travaillait à nos habits à la
Turquesque, écrit en lyooTournefort, nous courions partout pour
vùir les beautés de la ville, vêtus à la française, l'épée au côté, la
perruque poudrée et le chapeau retroussé, quoique rien ne choque
plus les Musulmans... Ceux de Constantinople et de Smyrne se sont
mis ;\ nos manières à force de nous voir dans notre équipage ordi-
naire ; nous n'eussions fait aucune difficulté d'aller dans les rues
sans janissaires si M. l'ambassadeur... n'eût ordonné qu'ils nous
accompagnassent partout*. »
En Egypte seulement, où la haine contre les chrétiens était plus
vivace et où l'on avait à redouter les insultes d'une populace très
remuante, les Français tenaient ;\ conserverie privilège qu'ils avaient
de porter une sorte de chéchia formée d'un bonnet de velours noir
garni d'un léger turban de soie bigarrée. C'était au turban qu'on
(i) D'Arvieux, t. I, p. 61 et 351.
{2) ']"nKVi.xoT loue une fort jolie maison à Constantinople et prend pension, le
tout ;\ fort bon marché, p. 3.1.
(5) ToUKNKrouT, t I, p. 152. — « Presque tous les étr.nngcrs, de quelque
nation qu'ils soient, s'y habillent comme les Turcs, ;i la coiffure près. » — LecAS,
p. 172 (en 171 5).
t.A vn? n.ws LES èchelir?
1^9
Tcconn.iissait en Egypte b condition des personnes: les Turcs le
portaient bl;tnc, les chrétiens bigarre, les Juifs ne pouvaient pns en
avoir, mais portaient le cilpas " bonnet violé fort haut de tcte et plat
pardessus'. » Les rayures et la forme de celui des Français les distin-
guaient à la fois des Turcs et des gens du pays et leur permettaient
de passer inaperçus au dire ou il Alexandrie dans la foule et de se
faire respecter i l'occasion, tandis que le consul qui portait le chapeau
et la perruque était souvent insulté. Aussi ce fut un grand cnioi dans
la nation quand, A l'instigation du consul qui était en querelle avec
les marchands, Pontchartrain leur envoya l'ordre de laisser leurs
* cesses » pour prendre le chapeau ou le calpas. « Nous vous obser-
vons, écrivirent-ils .1 la Chambre, que, par une preuve qui ne nous est
que trop sensible, le chapeau ne saurait être porté dans le dire sans
y être maltraités à tout moment : cela n'est que trop prouvé par les
insultes qui arrivent journellement aux capitaines et passagers qui
viennent au Caire coiH'és .\ la française Si nous venions auprès
du pacha pour lui demander justice on s'excuserait sur ce qu'on ne
nous connaissait pas pour Français n'ayant plus ces cesses qui nous
distinguent des autres nations. Cela nous mettrait dans Li nécessité
de nous tenir en contrée et de taire agir des ccnsaux (courtiers), Juifs
ou Mores, pour les achats des marchandises et recouvrement de nos
dettes.... Fn adoptant le calpas la nation se trouverait confondue
avec les Arméniens, Grecs et Juifs et par conséquent sujette ;\ tous
les outrages que ces nations esclaves sont exposées journellement *. *
Sur les instances des marchands la Chambre se décida à demander
au ministre, et obtint le maintien de l'ancienne coiffure'.
(i) CoppiN, p. 2iM et 312. — • Tiius IçN Fr.ini;ais por{.»ivnt, quand j'ct-iis au
C.iirc Ivers t^îj), la barl>e et les cheveux longs. Ils n'en av.iitnt ym meilleure
mine. Ils se contentent à présent d".ivoir Jeux Wellers et épaisses moustaches, lis
ont 1.1 tète couverte d'un bonnet de velours noir dont on dit que l'inventeur est
venu de Venise. Us environnent le bord de ce bonnet d'une légère éc)^.trpe de
St^iie Ou de lin de diverses couleurs pour les disiin;;uer des 'l'urcs qui portent leurs
turbans tout blancs et fort gros. Leurs souliers ne sont que des espèces de chaus-
sures de ninroquin sans talon qu'ils mettent d.ins des pantoufles. » D'Arvieux,
1. 1, p. 20Î,
(2) Lellrt dt ijot, AA, jio.
{}) If mari ij03,3j nmn lynj, AA. jin. — L'année suiv;inte ce lui le p.icha
qui leur interdit de pnrter 1.» (Itmeuse cesse, .■> la suite de la révolution d.tos la
milice en 1705, et leur ordonna de porter le ch:ipeiu ou le chipas. — Le consul
du dire é-crivit qu'il éuit d'une nécessité .ibsolne pour le repos de la nation que
l'état des habillements IvU réglé A Constantinople et suppli.i l'anibassaJeur de voir
s'il était possible d'obtenir le rét.iblissement de la «cesse « dont il lui envoyait
le modèle... :i tt.ir.-nihi^ i-.>: l l,}Of.
470 TABLEAU DU COMMERCE
Sauf en Egypte et dans certaines échelles de Syrie, comme Acre
et Barut, où la campagne n'était pas sûre, môme pour les habitants
du pays, à cause des incursions des Arabes, les Francs sortaient en
toute sécurité hors des villes pour s'y divertir, y faire des promena-
des à cheval, y chasser le gibier partout fort abondant. A Seïde, les
marchands qui ne chassaient pas avaient parfois chez eux leur
chasseur, qui pourvoyait facilement leur table'. En 171 5, le consul
de France possédait même aux environs de Smyrne une fort jolie
maison de campagne et son beau père le consul de Hollande en
avait aussi une très belle*. En dehors des parties de campagne les
marchands ne laissaient passer aucune occasion de se divertir. Ils se
traitaient fréquemment les uns les autres avec magnificence, ils
recevaient aussi les gens considérables de l'échelle. Turcs ou Grecs.
« Les facteurs des Anglais et des Français, dit le voyageur PouUet,
font tous grande ciière, jouent hardiment leur argent, ont tous
leur cuisinier chez eux et la plus grande partie d'entre eux entretient
le cheval :\ l'écurie et bien souvent quelques autres galanteries
ailleurs.... A tout prendre il ne faut pas s'étonner si les Français et
les Anglais sont de si belle humeur dans cette ville, le vin y est si
exquis qu'il faut y perdre tout ce que la mélancolie a de malignité '. »
Si habitués qu'ils tussent aux vins du pays, les résidents des échel-
les ne laissaient pas d'en sentir vivement les effets si l'on en juge
par le tableau suivant : « Quand ces divertissements se font à terre,
chez des marchands riches et généreux et surtout chez les Anglais,
rapporte d'Arvieux, on ne peut rien ajouter ;\ la magnificence des
festins, ni à la quantité de vin qui s'y boit. On casse et on brise
tout pour faire honneur ;\ ceux ;\ qui on boit et on pousse quelque-
fois la débauche si loin que, ne trouvant plus rien i\ casser, on fait
allumer un grand feu et on y jette les chapeaux, les perruques et les
habits jusqu'aux chemises, après quoi ces Messieurs sont obligés de
demeurer au lit jusqu'à ce qu'on leur ait fait d'autres habits. D'autres
(1) D'Akvikux, t. I, p. 351.
(2) LvcAS, p. 202. — De Bruyn (hollandais) passa six mois à Smyrne fort
agréablement. « Vingt-neuf marchands de notre nation y ont fait b.itir une maison
à Haselaer dans laquelle ils ont plusieurs beaux appartements et diverses cliambrcs
avec une écurie à tenir 30 chevaux, le tout environné d'une grande muraille.
Tous ces Messieurs prenaient j^rand plaisir à la chasse et .i la pêche. » — Il ne
fallait cependant pas trop s'éloigner des villes à cause des voleurs de grand chemin
qu'on trouvait partout. — Pour aller de Smyrne à lîphèsc il fallait une escorte.
{5) Poi;u.i:r, t. Il, p. 29-30.
LÀ VIR DANS LKS fecHFLLES
47»
plus raisonnables so tlivcrtissedt â jeter h la mer, du haut de leurs
gaicriw, tics poignées de pidccsdccinq sols, .ifin d'avoir le plaisir de
de voir la populace plonger er se battre au Ibiul de la nier pour les
ramasser*. » Les prétextes de banqueter ne manquaient pas; les
marchands célébraient l'arrivée des navires qu'ils attendaient, ou
bien tenaient à honneur de recevoir dignement un voyaf^eur de
marque. Au.x principales fêtes de Tannée les consuls envo^-aient leurs
m;»r\:hands en cérémonie complimenter les consuls des autres
nations et « c'étaient des repas superbes dont les meilleures tétcs
avaient peine i se tirer sans qu'il y parût beaucoup. »
Le carnaval était chaque année l'époque des plus grandes réjouis-
sances et l'occasion de tourcs sortes d'extravagances. « Le carnaval
de Smyrne, de 1657, raconte d'Arvicux, se passa dans les divertis-
sements ordinaires, dans les bals er dans les festins ; les consuls, tour
à tour, recevaient chez eux les compagnies ; on jouait, on dansait, on
portait des momons et on faisait i^rande chère. Nous nous avis.^mcs
déjouer des comédies.... L; première pièce que nous rcprésentAmes
fur le Nicoméde de Corneille. M, notre consul prêta la grande
salle de la maison consulaire et on y dressa un théAtre; on fit un
orchestre et on per.;a quelques chambres où l'on mit des jalousies
pour les dames du pays qui voudraient y venir.... Il y eut symphonie
dans les entnictcs, on distribua, ou plutôt on prodigua toutes sortes
dcdrai;écs, de confitures sèches et de rafraîchissements et la pièce
fut suivie d'un maj^nifique repas, d'où plusieurs Anplais et Hollan-
dais ne purent pas se tirer eux-mêmes. On les porta sur des lits
où, après un lon^ sommeil, ils se mirent X table pour dîner et
réparer leurs forces abattues parle tr.îvail de la nuit précédente....
Des Turcs et même leurs femmes, déguisées en vieillards, vinrent
dans les chambres ^ jalousies A une seconde rcpréiientation....* »
Mais les bals et la comédie ne .suffisaient pas aux jeunes écervelés des
échelles. » Quelques présents qu'ils donnaient au cadi de Smyrne,
rapporte le voyageur PouUet, leur donnaient une telle licence que
bien souvent, et principalement dans les jours du carnaval, on les y
vit aller L-n ni.f.oiR. quelquefois mis, sanschemiscs, noircis comme
(I) D'ARVtKex, t. l, p. ijî,
{1) D'Arvievx. t. l, p. IÏI-1J7. — 1 ni ensuite Jes reprisent .itinn'i
chci le consul .ingl.ii« Mir un îhiJatre ; .. — V. .lU-wi ibns J'Arvic-u»,
, 1. 1. p. loo-to), la curieuse d««cription Uc I.1 Itu Ju • papcgni t à Smvmc.
472 TABLEAU DU COMMERCE
des Mores nu courir dans les maisons des grecques, y passer toute
la nuit ;ï boire, A y danser avec des violons et prendre des libertés
qui nous seraient ici détendues et quelquefois si extravaganies qu'un
Turc un jour, me voulant remettre ce temps en mémoire, ne put
mieux expliquer sa pensée qu'en me le désignant par celui auquel
les Français étaient fous, croyant que cette mascarade fût une
maladie qui nous prît toutes les années dans cette saison '. » La
tradition de ces folies se perpétua, puisqu'cn 1705 Pontchanrain
écrivait l\ un commis de consulat : « La réflexion que vous faites
sur la conduite que tiennent les négociants français établis i Cons-
tantinople et A Smyrnc pendant le carnaval est très-juste ; clic
pourrait donner au nouveau grand vizir qui aime la police une
mauvaise opinion de la nation et peut-être occasion de faire quelque
règlement de rigueur '. «
Pendand les guerres de Louis XIV, les victoires du roi fournirent
aux marchands des échelles de nombreuses occasions de célébrer des
réjouissances exceptionnelles où ils déplo)'aicnt d'autant plus de
magnificence et d'entrain que les frais en étaient supportés par le
corps du commerce : aux festins s'ajoutaient alors les illuminations
et les détonations de boîtes d'artifices. Sous prétexte de couvrir de
confusion les autres nations, les Français auraient célébré, sans
compter, le.v moindres prises de villes, si la Chambre n'avait décide
qu'ils ne feraient de fêtes publiques que sur son ordre, et n'avait
fixé pour chaque échelle la somme qu'elle pourrait dépenser. Il n'y
a plus à s'étonner quand on connaît ces mœurs, de toutes les
plaintes que les consuls t;iis;tient contre la turbulence et les folies de
la jeunesse des échelles et de l'insistance que mirent Seignelay et
Pontchartrain X ne laisser aller dans les échelles que des jeunes gens
âgés d'au moins 25 ans, moins susceptibles de se laisser entraîner .\
(1) PouLLirr, I. Il, p. 26. — Cf. d'Arvieux. t. VI. p. 48-49. « Le 20 février
168 1, je fusaK-crti des dCsordrcs que notre jeunesse av^it fjits les jours pTécèJeiits
.TU sujet Ju caraav.il (à Alep). Ils avaient donné selon la couuinic une vcslc
au sous bachi pour avoir la |XTniission de courir les rues pendant la nuit dégui-
sas et it\'aient lait tant de bruit et tant de désordres que tes Turcs en i.^t.iient
scandalisés ou feignaient de l'être pour avoir lieu de nous faire une avnnic, je lis
venir les chefs de ces coureurs; je leur fis une remontrance paternelle.... Je le»
avertis une seconde fois, ils promirent de se corriger et n'en firent rien. Je t'w
arrêter les chefs et leur lis garder la prison 24 heures, après quoi je fis publier et
afficher une ordonnance portant défense de courir I.1 nuit déguisés sous peine de
prison et d'amende, et cela mit lin aux désordres et aux craintes que j'avais
de quelque mauvaise atTaire pour eux et peut-être pour la nation. »
(2) t^ janvier ijO). Depping, l. IV, p. 781.
s^^m
LA VIE DANS LES ÉCHELLES 473
tous ces débordements. Le consul de Seïdc, Lempercur, écrivait
avec raison, mais assez naïvement à la Chambre : La plus mau-
vaise école du monde pour la jeunesse est le Levant qui ne gâte que
trop souvent les vieilles gens, et plût il Dieu que je n'y eusse jamais
été. * »
La vie dans les échelles à la fin du xvii« siècle ne se présentait donc
aux jeunes résidents venant de Provence que trop remplie d'attraits.
Au milieu d'une population d'un commerce facile comme les Turcs,
que tous les voyageurs s'accordent à dépeindre comme de bonnes
gens', n'ayant plus à craindre que rarement les avanies des pachas
et jouissant d'un grand crédit dans tous les états du G. S., les facteurs
français des échelles avaient toute la sécurité et toutes les facilités
nécessaires pour se consacrer au développement des affaires de leurs
commettants et des leurs. Mais ils étaient absorbés tantôt par leurs
plaisirs, tantôt par leurs incessantes rivalités. Tandis que par leur
faute ils perdaient l'occasion de s'enrichir et d'étendre le commerce
de la nation, leurs excès ruinaient leur santé et les faisaient rapide-
ment succomber aux atteintes de climats malsains. Sans doute les
pestes très fréquentes dans toutes les échelles*, étaient cause en partie
de l'énorme mortalité qui sévissait parmi les résidents, bien qu'ils
prissent la précaution de s'enfermer chez eux pendant les contagions ;
les fièvres paludéennes emportaient aussi beaucoup de marchands,
surtout i\ Alexandrette, à Chypre et ;\ Smyrne. Mais un voyageur
remarque que tandis que les Turcs « meurent beaucoup de la peste
à cause de leur mauvaise nourriture et du croupissement des eaux
des fleuves, les Francs meurent d'une fièvre ardente qui enflamme
les entrailles du malade parce qu'ils s'accoutument à un vin trop
violent*. Un consul pouvait écrire en 1713 : « De cent Français qui
(i) 1" août i6i)S, A A, }6).
(2) « Quant aux mœurs des liahitants, Turcs et Maures, ce sont de bonnes gens
qui d'eux-mêmes ne sont pas capables de faire du mal à leur prochain, mais qui
s'y portent volontiers quand ils y sont excités. Ils aiment les étrangers et les Francs
plus que les autres. Ils sont adroits dans le commerce, mais de bonne foi... On
dit que les chrétiens du pays sont un peu meilleurs que les. Turcs ; la charité
m'obligerait A le croire si l'expérience ne me prouvait le contraire. Ht général ils
sont tous vains et superbes, fourbes, menteurs et ivroj^nes au dernier point. • —
D'Arvieux, t. VI, p. .140.
(î) Voir la correspondance consulaire et les récits des voyageurs. — Elles étaient
d'autant plus meurtrières que les Turcs ne prenaient contre elles aucune précaution
et subissaient le fléau avec un fatalisme résigné.
(4) P0UI.LET, t. II, p. 52.
474 TABLEAU nu COMMERCE
passent en Levant l'expérience fait voir que quatre-vingt-dix y meu-
rent, trois s'en retournent aisés, cinq plus pauvres ou plus riches que
quand il y sont venus et deux font fiiillite*. Ce consul écrivait sous
l'impression d'une peste violente qui venait d'enlever un grand nom-
bre de marchands en Syrie, et il exagérait la mortalité des Français,
mais il est certain qu'il y avait peu de marchands qui fissent fortune
dans le Levant et les banqueroutes y étaient très fréquentes encore
à la fin du xvii* siècle.
( r) Lettre du consul de Tripoli de Syrie, i" janvier lyij. AA, jSS : a A Scïdc, à Acre
et A Rome dix Français sont morts Tan dernier de peste ou de fièvres malignes. »
CHAPITRE VI
LES USAGES DE LA NAVIGATION ET DU COMMERCE
Suivons un navire provençal dans un voyage de Marseille aux
échelles jusqu'à son retour, et essayons de noter les principaux usages
de la navigation et du commerce.
Les Provençaux envoyaient dans les échelles des bâtiments de
tonnage et de construction très différents, dont les principaux étaient
les vaisseaux, les polacres, les barques et les tartanes. M. de Scguiran,
dans son inspection des côtes de Provence en 1633, trouva des
vaisseaux qui portaient de 3.000 à 7.000 quintaux* avec vingt ;\
cinquante hommes d'équipage; un seul vaisseau marseillais portait
10.000 quintaux et était monté par soixante-dix hommes. A l'époque
de Colbert, les vaisseaux de Provence jaugeaient de 300 A 400 ton-
neaux, et leur grandeur ne varia guère jusqu'en 171 5. Les polacres,
« bâtiments qui avaient une partie de leurs voiles à la Levantine et
les autres carrées*, » portaient de 1.500 à 2.500 quintaux et comp-
taient quinze à vingt hommes d'équipage. Les grosses barques latines
de i.ooo A 2.000 quintaux et les grandes tartanes de i.ooo quintaux
(i) La marine du Lcvantctait toute différente de celle du Poniint. Dans les ports
de la Méditerranée, on estimait en quintaux la charge d'un navire ; dans le Ponant,
on comptait par tonneaux. Le langage maritime du Ponant et du Levant était si
diflérent au début du xvi^- siècle, que le gouvernement s'occupa de dresser une
sorte de dictionnaire pour que les marins pussent s'entendre. — (V. d'Avenel.
t. in, p. 162). — D'Infrcville. lors de la même inspection de 1633, trouva k
Saint-Malo quarante vaisseaux de 200 à 5CX) tonneaux.
(2) CoPPiN, p. 417 : « Celle-ci était du port de 200 tonneaux et des plus
belles qui se fissent pour lors (1638), avec quatre pièces de canon et plusieurs
[•ierricrs. » — D'après Seguiran (p. 249), les vaisseaux étaient à « deux gages »,
es polacres à « une gage ». — Gage était synonyme de hune. Le navire à deux
gages avait une hune au grand mât et au mat de misaine avec des voiles carrées,
le mât d'artimon portait une voilure latine ; le navire ;\ une gage, à deux ou
à trois mâts, n'avait de voiles carrées qu'au mât d'avant ; les barques avaient une
voilure latine à leurs trois mâts ; les tartanes, de forme allongée, n'avaient qu'un
47^
PABLEAU nu COMMERCF.
faisaient aussi les voyages du Levant. A h fin du xvii' sieciëT
grandes échelles L-taient surtout fréquentées par ks vaisseaux et les'
polacres, tandis que les barques fusaient les voyages de Candie, de
r Archipel et de la Morée; les tartanes n'étaient plus guère employée
dans le Levant que pour le service des dépêches à cause de Icuri
légèreté et de leur vitesse.
Les vaisseaux provençaux n'étaient pas construits d'après le
mêmes principes que ceux des Anglais ou des Hollandais. Ceux-ci se
préoccupaient surtout de faire porter A leurs bâtiments de lourdesl
charges et de diminuer les équipages en simplifiant la voilure; l»'ur
navigation était très lente, mais peu leur importait : ils naviguaient
de conserve, arrivaient ensemble aux échelles et revenaient Je
mC'me; ils ne faisaient qu'un convoi par an, s'ils restaient quelques
jours de plus en mer, il n'en coûtait que la maigre solde d'un équipas
peu nombreux. Tout autre était la préoccupation des Provençaux;]
entre les vaisseaux toujours nombreux, même aux plus mauvaise
époques, qui faisaient (c commerce du Levant, la concurrence était
grande; c'était à qui arriverait le plus vite dans les échelles poursaisirl
les occasions de se débarrasser de la cargaison, de profiter des prij
élevés avant qu'ils ne fussent avilis par l'arrivée d'autres marchan-
dises, de f^iire un chargement dans les meilleures conditions, A qui
devancerait les concurrents au retour pour revenir prendre charge âj
Marseille. Aussi, dans la construction, tout était sacrifié ;\ la vitesse, (
les vaisseaux provençaux passaient avec raison pour les plus fins voi«
liers de tous ceux qui voyageaient dans la Méditerranée; pour navi-
guer de conserve avec un lourd vaisseau hollandais, un capitaine^
provençal était obligé de n'employer que le quart de sa voilure. • Les!
Compagnies des Anglais et des Hollandais, dit le voyageur PoulletJ
peuvent mettre en mer de gros vaisseaux qui portent trois fois plus
de marchandises que ne font ceux des Français, sans qu'ils aient
néanmoins besoin d'un plus grand nombre d'hommes pour leur con-l
duitc. Leur construction et tellement faite qu'ils sont fon larges par]
le milieu du corps et viennent en se rétrécissant par la partie d'cni
seul mât h voilure l.ntinc. — V. JAL. Diclionnaire (Tarcliéol. nax-alf. — Les docu*]
nicnts des archives de la Ch.iinbre parlent encore de piiiques qui avaient la voilure]
des barques, de quechs, ■ b.itiments qui n'ont qu'un arbre » et qui peuvent p»>f-/
ter plus de 5.000 quintaux; ceux qui ne dépassaient pas ce chilFre panaient le]
cottimo comme polacres, ceux qui portaient moins de i . 500 quintaux étaient rcgar-j
dés comme barques. — Tous ces bâtiments ne se distinguaient pas seuienicni [wj
leur voilure, mais par leur forme, et d'autres détails de leur griment.
LES USAGES DE LA NAVIGATION ET OU COMMERCE
477
I
haut, de f.orte que leur peu de largeur vers cet endroit ne demande
qu'une certaine étendue de voiles qui lui soit proportionnée, et, con-
séquemnient, une petite quantité de personnes pour les gouverner.
Au contraire, nos vaisseaux frani;ais, qui vont toujours en s'êlargis-
sani, depuis rcxtrémitè d'en bas jusque vers les bords, veulent autant
de voiles et autant de mariniers que les autres, quoiqu'ils soient infi-
niment plus petits... toute l.t place qui est au-dessus ne sert qu'i y
loger le canon, les personnes, ou à se promener... il est vrai que les
Français sont obligés de dresser leurs navires de la sorte pour se défen-
dre plus facilement des corsaires et gagner par la fuite'. »
Suivant l'usage de l'époque, tous les bâtiments Provençaux étaient
armés pour résister aux corsaires, et, pour le service de l'artillerie, le
Conseil de ville de Marseille décida même, le 14 octobre 162S, la
création d'une « académie de canonniers puur apprendre à tirer et à
charger les canons, attendre le besoin, tant pour le service de S. M.
que pour le trafic et négoce des vaisseaux et navires qui partent tous
les jours de ce port, ne se trouvant qu'un petit nombre pour la con-
duite des dits navires au dit état de canonnier*. »
Toute la côte de Provence était peuplée de marins, la pêche
occupait de nombreux bateaux, le ubotage était très actif avec les
cotes du Languedoc, d'Italie et d'Espagne, aussi les bâtiments du
Levant recrutaient facilement leurs équipages. Les marins Proven-
çaux étaient renommés dans toute la Méditerranée pour leur habileté.
Desh.iyes remarque que les vaisseaux vénitiens « grands, pesants et
mal faits ne sauraient naviguer avec un petit vent, ni résister .1 une
fortune, de sorte que pendant leurs voyages ils sont beaucoup plus
dans les ports qu'à la mer et ne font point de chemin par ce
moyen-là. . . Les vaisseaux de Provence sont plus petits et beaucoup
plus légers et sont faits d'un tel garbe qu'ils résistent aux plus
grandes tempêtes, les patrons tenant à grande lâcheté de prendre
port ; aussi, quelque temps qu'il arrive, ils demeurent toujours à la
mer et ne perdent point d'occasion de faire chemin aussitôt que le
vent leur permet, ce que ne peuvent faire les vaisseaux qui prennent
port car le plus souvent le vent qui est propre pour leur voyage leur
(i) PouLLET, t. II, p. 28-29.
<2) .-Irch. communales, — Ki'ghtie des Mibhalions. — V. fwur plus de Jctails
sur l'armement iii.:> navires du conmicrce, p. 26, et les diapitrcs où il est question
(ie la piraterie.
478 TABLEAU DU COMMERCE
est contraire i\ sortir du port où ils sont... outre cela les mariniers de
Marseille sont si adroits et ont une telle pratique de lu Méditerranée
qu'ils y sont en pareille considération que les Hollandais sur l'Océan .
Toutes ces choses sont cause que ceux qui veulent aller présente-
ment en Levant s'embarquent A Marseille*. » « Les matelots de
Provence, dit d'Arvieux, ont la réputation d'être des matelots de
beau temps : ce sont les premiers hommes de cette espèce pour
sauter, pour gambader, pour voltiger sur les cordages, mais ces
exercices ne leur conviennent pas dans les tempêtes et les matelots
du Ponant sont plus accoutumés qu'eux aux gros temps et aux tem-
pêtes et résistent bien plus longtemps à la fatigue. Je dois cependant
rendre justice aux nôtres, ils se comportèrent en cette occasion en
vrais Ponantais, le danger était aussi pressant qu'il le pouvait être,
il ne s'agissait de rien moins que de la vie... Nos matelots de Pro-
vence sont encore superstitieux : on fait ce reproche ù tous les
matelots en général, les Provençaux le sont plus que les autres. Ils
croient comme article de foi que les diables président aux tempêtes
et on perdrait son temps si on voulait leur persuader le contraire.
Ceux qui étaient montés sur les vergues étaient tellement étourdis
qu'ils tombaient sur le pont au lieu de descendre sur les haubans et
ils disaient que c'étaient les diables qui avaient voulu les jeter à la
mer, ils assuraient les avoir vus sur les cordages : un nous disait fort
sérieusement qu'il s'était battu avec un qui avait une perruque blonde
avec de grandes griffes dont il nous montrait les égratignures, qu'il
s'était faites en tombant *. »
Un autre voyageur s'émerveille de l'ordre qui règne sur les vais-
seaux provençaux et de la simplicité des mœurs des matelots : « Je
prenais grand plaisir, raconte-t-il, ;\ observer le bon ordre dont l'on
vit dans ces navires marchands ; toutes les heures y sont réglées
comme dans une maison religieuse ; l'on y chante la prière le soir et
le matin avec beaucoup de révérence et l'on y fait quelque lecture
de piété pendant le jour et principalement les fêtes... Il n'est pas
croyable avec quelle discrétion tous les matelots se gouvernent et
combien chacun apporte d'exactitude à s'acquitter de son devoir. Ils
ont entre eux de petits jeux de récréation, comme de dames et de
la blanque, et ils jouent quelque pinte de vin qu'ils achètent du
(i) D^:bHAYEs, p. 457.
(2) DWhvieun, t. IV, p. 79-80.
LES USAGbS DE LA NAVIGATION ET DU COMMliRCIj:
179
dépensier. D'autres fois ils font danser les petits mousser; et comme
ce sont d'ordinaire des espiègles tout pleins de malignité', quand ils
ont fliii quelques-uns de leurs traits, le capitaine et quatre ou cinq
des principaux se revêtent de leur capot qui est une manière de robe
de chambre qui a un capuclion attaché et ils s'asseyent avec gravité
autour de la table avec l'écrivain qui sert de yrefficr pour porter
sentence contre l'accusé, La cause s'agite avec mille plaisanteries et
après ils condamnent le mousse, selon la gravité de la lâute, i^
chanter ou danser et quelquefois aussi à être fustigé', u
Mais cet ordre qu'admiraient les passagers des b.itimenis était
plutôt dû a la rigueur des règlements maritimes, qu'au caractère
docile des marins provençau.x ; ceux-ci une foisatTrAnchis delà rude
discipline du bord, caus;iient souvent de graves désordres dans les
échelles où ils débarquaient. Leurs capitaines peu scrupuleux ne
cherchaient qu'à se soustraire au paiement des droits dus aux consuls
et aux officiers Turcs. Pour mettre un terme à a leurs fautes et
nunquements » dans les échelles, l'ambassudeur de la Haye, avait
proposé en 1665 de les faire cautionner avant leur départ, mais la
Chambre du commerce répondit qu'il y »< avait impossibilité pour
les capitaines et patroiw i trouver caution, considéré que personne ne
voulait juraiire participer .\ la propriété des navires pour ne pas
répondre de leurs actions, et que toutes les participations ne parais-
saient que par des écrits privés qu'ils tenaient cachés*. »
C'étaient le.s capitaines des navires qui traitaient eux-mêmes avec
les affréteurs ou les chargeurs les conditions du fret ou nolis des
nxarchandises sur leurs b.itimcnts. Souvent d'ailleurs, comme aujour-
d'hui encore, ils avaient une pari dans la propriété du navire et
quelquefois ils en étaient eux-mêmes les propriétaires. Le fret étail
déj^j au .xvu' siècle, beaucoup plus cher sur les vaisseaux de Mar-
seille que sur ceux de Hollande ou d'Angleterre, grave cause d'infé-
riorité pour notre marine marchande qui permit à ses deux rivales
d'enlever aux Provençaux les transports du Levant en Italie. Celte
cherté tenait sans doute au prix trop élevé de la construction des
(l) CoFPis, p. îi6. — Au »ui«t des mousses on peut rappeler un arrùi du
Conseil Ju 4 .ivtil 1628, qui orJuniuh i tout patron de barque ou de navire
ttiar^'illais all.uit d.uis le Levant uu ver» Sévillc el IJ^bonnc de prendre à bord
<omtiK' ^)lKl^^t ii)i J..S iMiKii.- lu' int» élevés par les hl^piuu.\ de .Maneitlc ou la
tlonffctie vK ' J<t lusmuutwits Je fAmirauiè dt Marstillt,
jd. Uà. A'
(3) Drlibirutton Un j odoirt tbù). BB, a.
480 TABUiAU DU COMMERCt
navires, malgré les primes accordées par Colbert à la construction,
à b forme des bâtiments marseillais qui, pour un tonnage bien moins
considérable, demandaient un équipage aussi nombreux, au grand
nombre de ces bâtiments qui ne leur permettait pas d'emporter des
chargements complets et de charger d'une manière régulière, enhn
à la lourdeur des taxes qui pesèrent pendant tout le xvii* siècls sur
la navigation du Levant'. La Chambre s'occupa i plusieurs reprises ^j
d'établir des règlements au sujet des nolis, mais, pour la première ^M
fois, le règlement du tour du 27 janvier 1700* établit un tarif uni- '
forme de fret sur tous les navires pour chaque marchandise, urif
qui fut renouvelé â différents intervalles'. Dès lors les négociants ne
furent plus à la merci des capitaines, mais on enleva à ceux-ci toute
initiative et on supprima la concurrence qui à elle seule suffisait pour
nuiiUcnir les prix du fret â un niveau équitable. Il éuit d'usage de ne
payer aux capitaines aucun fret pourles sommes d'argent qu'ils trans-
port.iient, mais, en retour de cette complaisance, les marchandiM.'s
qu'elles servaient â acheter dans les échelles étaient chargées sur leurs
navires.
Assez souvent les vaisseaux qui partaient pour les grandes échelles
emmenaient des passagers, marchands, arti&ms* ou voyageurs, cepen-
dant tout était sacrifié sur ces bâtiments au transport des marchan-
dises qui encombraient souvent jusqu'au pont et empêchaient toute
défense quand on était rencontré par des corsaires. Malgré l'inconj-
modité de leur installation, les passagers payaient une somme asseï
élevée pour l'époque ; d'après Deshayes de Courmcnin, le voyage
de Constantinople coûtait en 1621 douze écus. Ces prix semblent
avoir peu varié dans le courant du .wii* siècle puisque l'article 15
du règlement du 27 janvier 1700 « faisait défense au capitaine et
patrons de prendre plus de dix écus pour le passage des religieux
observantins qui iraient ;\ Jérusalem ou retourneraient en France, et
de refuser d'en embarquer aucun ni d'exiger aucune chose. »
Quand un capitaine se disposait à partir pour le Levant, il c*ait
( I ) Mcmc à la fin du xvn«; siècle, les cipiiaines acquituient i chaque vo\'agc le
coitimo, le tonnclagc et ?i0uvcnt les avaries des échelles, laxes qui pL<iaicni non
seulement sur les marchandises du chargenieui, mais sur le corps du bJlimeiil.
(2) Voir au sujet de ce règlement, p. 272.
(î) Voir f[, iS. Tarif du fret ou nolis des marclundises d'enttOc et de sortie,
.-irrcté au burcm de la Chambre du Comniercc de Marseille, le 7 fi-vrier 171$.—
Tableaux imprimib.
LES USAGES DE LA NAVIGATION ET DU COMMERCE 48 1
^enu d'en avertir les négociants par un avis imprimé ci affiche dans
''1.1 salle de la loge, mais ces avis étant confondus il était diUîcile aux
marchands de se renseigner ; le 3 mars 17 12, la Chambre délibéra
H« que, de chaque côté des quatre portes de la salle de la loge, dans
Tintéricur d'icellcs, les capitaines ou patrons feraient poser par la
garde ou concierge d'icelle les billets d'avertissement de leurs desti-
nations, et ce, chacun à l'endroit où elle se rapporterait, El, à cet
effet, le bureau délibéra en outre qu'il serait mis des pièces de marbre
noir d'environ deux pans de longueur aux susdits endroits, oij
seraient gravés en lettres dorées les noms de chaque échelle en par-
Bliculier et d'autres contiendraient ces lieux en général : Barbarie,
Italie, Espagne et ports de Ponent'. »
_^ Au moment du départ les armateurs et les chargeurs pouvaient
fou non assurer le corps du bâtiment et le chargement contre les
risques de la mer, Les assurances étaient l'un des points les plus
délicats du commerce maritime ; pendant tout le xv]!"" siècle elles se
tirent en toute liberté A Marseille sans que les règlements faits à ce
sujet par la Chambre vinssent gêner l'initiative de ceux qui voulaient
se faire assureurs, aussi ce genre de négoce avait-il pris une
extension extraordinaire*. Les remontrances que la Chambre du
Commerce adressa à Seignelay au sujet de la Chambre des assurances
f qu'il voulait créer à Marseille comme son père en avait créé h
"Paris, et qui lui firent abandonner son projet, donnent sur le fonc-
tionnement des assurances ;\ Marseille et sur l'importance qu'elles y
lavaient les renseignements les plus complets et les plus curieux.
« En premier lieu, expose h Chambre, presque tout !e commerce
de la côte de Provence se fait dans la Méditerranée; comme les
naufrages ne sont pas fréquents, comme les voyages ne sont souvent
que de quinze jours à un mois et comme on a souvent des nou-
velles, les marchands, avaiit que de se faire assurer, ont diverses
réflexions ;\ se fiire, au sujet de la saison, de la force du bâtiment,
de la bravoure de l'équipage, des mouvements des pirates. Sur toutes
ces circonstances, ils épargnent la prime en cour.mt le risque, ou
bien ils marchandent le plus avantageusement qu'ils peuvent si la
~ U\BB,6.
(2) Kn dehors des assurances il y av;iit toute une série de façons de faire valoir
■ son argent dans le coinnierce sans pratiquer directement le négoce. V. un intéres-
sant mémoire conservé aux Archives Nation, f ", 64} : Méiiioire Je la municie qu'on
ptui négixier l'argent sur la place île Marseille. i6yo.
î«
482
TABLEAU DU COMMliRCE
prudence les oblige de se faire assurer. . . Les assurances dans Marseille
et dans toute la côte se font d'une manière qu'elles ne souffrent ni
délai ni retardement. Quand un marchand revoit des nouvelles dou-
teuses, il lait ses assurances dans une heure de temps; autrement
des secondes nouvelles qui sont souvent fréquentes apprendraient la
perte du navire... et dans moins d'un jour on pourrait se faire assu-
rer pour plus de 200.000 livres... La prime n'a rien de fixe, il y a
autant de quotités qu'il y a de ports et de sortes de bAtimcnts; elle
dépend aussi des conjonctures... Souvent dans un même jour le
assurances qui se font sur un môme navire i\ 6 % le matin se feron
le jour suivant X dix et souvent h quinze... Les assurances se font
Marseille de la manière la plus avantageuse qu'on puisse imaginer.
Les assurés ne déboursent aucun argent pour le paiement de li
prime; les courtiers qu'on appelle vulgairement censaux font Icsi
polices. Ils ont le soin de chercher les assureurs; ils prennent euX'
niâmes des assurances jusqu'à la concurrence de la prime et de leurs
droits, ils la paient ensuite aux assureurs en billets. Ceux qui pren-
nent des assurances en font faire pour leur compte et il se fait à la
fin de l'année des compensations des primes tant entre les assures,
les censauxj que les assureurs; par ce moyen la prime fait une partie
du trafic et le négoce en compensations apporte tant de facilité aux
assurances que sans cette voie le commerce ne saurait subsister...
Cette liberté à tout le monde d'assurer et aux m-irchands de choisir
les assureurs a engagé les gentilhorames, les bons bourgeois et les
artisans même dans le négoce... ils se rendent assureurs. Or tout
l'argent d'une ville entre par ce moyen dans le commerce et il est
Vrai de dire que d.ms Marseille il n'y a personne, de quelque condi-
tion qu'il soit, lequel par le moyen des assurances ne négocie...
Quoique matière fertile en procès l'expérience est si grande qu'il
n'arrive aucune contestation ; l'usage même a établi des règles pour
les terminer à l'amiable... S'il se trouve quelque assureur qui aime
les procès, on a sur les lieux le lieutenant de l'amirauté qui assigne du
jour au lendemain. On sort d'alTaire ordinairement en deux jours,
sonmiairemcnt et sans frais... La facilité et la bonne foi qu'on
trouve dans les assureurs \ Marseille est si grande que les négociants
des îles de Maillorque, ceux de la côte d'Espagne, la plupart de ceux
de Gènes et de Livourne y font faire leurs assurances et cela y fait
apporter des sommes très considérables, ce qui fait ime des parties
il
LES USAGES DE LA NAVIGATION ET DU COMMERCE 483
fpriiKip.\lcs du commerce de cette ville... Le commerce de M.arseille
était autrefois dans une si grande rcpuution qu'il s'y est établi de
toutes sortes de nations de Tturope', ce qui ne se rencontre pas
dans les autres ports de mer. Aussi c'est cette ville laquelle, après
Venise, a mi,s la première en usage les assurances et l'on peut dire
que les négociants et les assureurs y raffinent sur cette science qui
est plus difficile qu'on ne croit*. » Ce tableau présenté par la Chambre
était, il est vrai, bien embelli, car les abus auxquels donnaient lieu
les assurances occasionnèrent souvent des plaintes et la Ckumbrc dut
s'occuper d'y remédier, mais elle tenait jalousement à conserver les
vieux usages et la liberté dont jouissaient les Marseillais.
Les assurances maritimes, comme toutes les autres opérations
relatives au commerce maritime, étaient t-ùtes .\ Marseille par l'inter-
médiaire des courtiers ou censaux^, alin de donner plus de sûreté .\
^^ces opérations. L'établissement des courtiers maritimes i Marseille
remontait au moyen-âge. Par un des statuts municipaux antérieurs
à 12)7 '' ^^^ porté que les courtiers renouvelleront ieur serment
Itous les ans, le jour de N.-D, de la Purification, dans l'hôtel de ville,
entre les mains du viguier et des consuls. Leur nombre varia suivant
les époques; au milieu du \\i' siècle il y en avait soixante-dix,
une délibération municipale de 1579 lesréduisitâ trente tandis qu'en
1)99 ^^ <-■" 1604 on en créa huit nouveaux puis six autres*;
pendant tout le xvn"^ siècle leur nombre resta fixé à quarante-
six. Quand l'un des courtiers mourait ou abandonnait sa charge,
■ ceux qui voulaient le remplacer se présentaieut devant les
consuls et plus tard devant les échevins et en recevaient leur com-
mission, après avoir fait preuve de bonne vie et mœurs et de capa-
cité; les courtiers devaient en outre fournir une caution et payer une
pension annuelle de dix-huit livres .\ l'hôpital de Marseille °. La
Chambre eut souvent .\ s'occuper des abus commis par les courtiers
(i) « Ces cirangerji (GiSnois, .■\rm(inicns et autres nations) ne sont la plupart
établis d.ins Marseille que nour y f.iirc les assurances des niigociants de leurs p.iys...
Ils font valoir beaucoup le commerce et riit-it les a crus si niiccssoircs que les
ministres ont toujours favorisé le commerce- .1 leur occasion. »
(2) fl/ï, ./, fol. i6s-!^2 : Très humbles remontrances des négociants de la
ville de Marseille et de la côte maritime de Provence contre l'ctablissemcni d'une
Chambre d'assurance privative qu'on médite dans Paris. .V novembre lOS)-.
(J) Ce nom est encore empUiyé en italien : Sensale marittimo.
(|) RuiFi, II, p. 230.
()) Voir la série des Registres de délibér.itions du Conseil de ville de Marseillei
Toutes les Commissions des censaux y sont enregistrées. — .irch. Commun.
484
TABLEAU DU COMMERCE
et fit de uomba'ux rcylcments qui les concernaient, principalemcnil
iiu sujet de la forme des assurances'. S'ils donnaient lieu à des
plaintes, elle les citait h comparaître devant son bureau et leur infli-
geait des réprimandes, des amendes, des interdictions temporaires»!
ou leur interdisait de continuer leurs fonctions*.
En 1660 un édit royal créa cinquante offices royaux de courtiers,!
mais, sur les plaintes de la Chambre, le roi rétablit l'ancien état dej
choses, par lettres patentes du 14 août 1661 '. Les besoins financier
du trésor lîrcnt songer de nouveau à cette création et l'édit de mail
1692* érigea les quarante-six charges de courtiers en offices hérédi-1
taircs, ce qui n'empêcha pas les quarante-six titulaires d'être rem-
placés, en 1708, par soixante autres courtiers, puis rétablis en 1709J
avec quatorze de leurs successeurs, moyennant le paiement au roi Je]
120.000 livres^. L'édit royal leur accordait pour leurs émoluments,
dans les traités de vente et d\achatde marcliandises, 1/2 "/», tant des]
vendeurs que des acheteurs, jusqu'à 1.200 livres, et au-dessus 1/3 ",'»;!
pour les contrats d'assurances ils percevaient un sol par écu surlcs j
primes.
Tous les navires qui partaient de Marseille ne chargeaient pas
dans le port, beaucoup prenaient leur cargaison aux iles du Frioul
distantes d'environ trois kilomètres". C'était sans doute pour éviter
(1) Ainsi le rcgicmcnt du 1 1 avril 1670 lion)oIogu«S pjr le Parlement, renouvelé
le is juin '677. — Alcr. i : « Les carnets des eciisaux stroin p.ir.ilL* par Its
celicvliis et d(jput«!s ou par l'un d'eux à peine de f.iux et de 1.000 livi»
d'.inicnde. » — Cette rèi;le est encore observée aujourd'hui piir les courtitn
maritimes. — BB, j. — Cf. BB, 2, 24 lUumbie 1662.
(2) V. BB, j,fol. i)ù, i)'), sij, 600, 60s, ôvj, j6o, yo6, yj/, etc.
(3» Archiva Commuiutlts de Mancille.
(1) Rfi^-.tUs Iiisitiiial. df rAmirattlc de Mars., foK j/i. Areh. dtp. âa {f.-ikK^-
Lebret s'opposa en vain A la crt-ation de."î courtiers rovaux. V. lettre i PontcliJt*
train du j mai 1692 ; « On pourrait établir des courtiers mais en autorisant If»
échevins de Marseille il les déposséder s'ils ne remplissent pas consciencieusi.'jncni
leur office, car ce serait un grand mal pour le public si de tels officiers m lj
bonne foi desquels le commerce de iMarseille doit rouler tout entier, vouaient rcît«
absolument indépendants de la Chambre du commerce. » (Citée par Marclui'^l.
( j) Edit du ; ûtlolue rjoç. — » L'édit de 1709 autorisa les courticxs rovius i
tenir une caisse chez eux pour f.»ciliter les transactions. Ils abusvrent Je cette
faculté pour s'emparer du monopole de la banque. Ces doubles fonction» qu'ib
s'ét.iient arrogées, réunirent dans leurs mains tous les capitaux destines au ctm-
merce, tous les papiers négociables, et ils devinrent les arbitres absolus du uuxJc
l'intérêt et de l'escompte. nJl'lLiANV, 1. I. p. jgt).
(6) Ce fait est attesté par le rapport de M. de Scpuiran de i6îj: LcsofiâB
de l'amirauté lui représentent (ju'ils sont obligés d'aller faire les visite» drt vii*"
seaux aux iles, éloignées de trois milles, ou ils emploient le plus souvent t>'>ut< ^
journée» (p. JJl). — « Il est vrai que par la disposition du négoce Je iCBC
^gl^lll^l^ll
LES USAGES DE LA NAVIGATION HT Dl' COMMERCE
483
les longs retards ;iuxqiiels donn.iicm lieu les rigoureuses quaran-
tnines qu'il fallait subir au retour du lAvant, que les navires au lieu
d'en attendre la fui pour rentrer dans le port de Marseille, déchar-
geaient leurs marchandises aux îles, y recevaient leur, nouveau
chargement et pouvaient repartir pour un nouveau voyage sans
aucune perte de temps. Les ports de Pomùgue et du Frioul étaient
ainsi devenus au xvir siècle comme les avant-ports de Marseille.
■ Avant de partir, les navires devaient recevoir la visite des officiers de
l'amirauté qui venaient s'assurer qu'ils n'eniporiaicnt pas de mar-
cliandises de contrebande et prenaient des mains de Ttrcrivain le
Btnanifeste du chargement.
■ Dans sa visite des côtes de Provence en 1653, M. de Seguiran
■ s'informa auprès des officiers de l'amirauté de la manière dont ils
élisaient ces visites. « Ils nous ont dit, rapporte-t-il, qu'étant arrivér,
^ dans le vaisseau, ils font lire par le greffier l'état et rôle des mar-
chandises chargées, le nom des mariniers, les lieux de leur demeure
et voient leur artillerie; et, ce fait, ils font prêter serment au capi-
taine de leur déclarer s'il y a dans ledit vaisseau d'autres marchan-
dises que celles qui sont exprimées au manife,';te ou police de char-
gement, et après, le procureur du roi et le greffier font exacte
recherche dans le vaisseau pour voir s'il y a des marchandises de
fc contrebande. Et cependant le lieutenant fait entendre audit capi-
tiinc que le chargement de telles robes lui est prohibé à peine de la
vie et de confiscation, ni de charger autres marchandises après la
visite sans la permission ; lui enjoint de porter les étendards du roi
et de M»^' le grand m.aitre (Richelieu) déployés, de traiter ses gens
' en bon père de f.nnille; au retour qu'il fera, l'avertir des excès, lar-
Bcins et malversations qui pourraient être commis par ceux de son
Béquipage et de rapporter son artillerie. Et là, présents tous les offi-
^ cierset mariniers du vaisseau, il leur ordonne d'obéir à leur capitaine,
ne le quitter, ni abandonner durant le voyage, à peine de punition
Hcorporelle, perte de leurs salaires et avec la rigueur portée par les
ville, le chargement et départ des navires pour le Levant ne se pouv.mt faire
iqu';)ux ilcs... » (p. 24^). — CcpcnJam il y .nvait des navires qui chargeaient dans
[le port (p. 24s). — Contsp. de Sou r dis. Coll. des Doc. In. — Dd-s 1621 l'auiorisa-
1 lion fut accordée .uix Marseillais « de construire aux îles Poméguc et Ratonneau
[•des halles où ils puissent mettre i l'abri les marchandises qu'ils rapportent
[«d'outre mer avant d'avoir purj^é leur Quarantaine.» Rtj;islif di'nhisin.di- l'Antirautc,
\t>utri i(i3t,fol. ifj. Arch. dfs li.-dii-kh. — F,n 1652 la ville obtint la permission
pde construire d'autres halles, i" ixlchn tf>}2. .ircb. Coinmini. krgist. i/« Dililtii .
4^6 TABLEAU DU COMMl-RŒ
ordonnances. Et aprùs tout cela, ils donnent congc aux susdits \*3is-
seaux ail nom de M"' le grand maître, scellé" du sceau royal, signé
par le lieutenant et le greffier'. »
En réalité les visites de navires, du moins sous Louis XIV, ne se
faisaient pas avec tant de cérémonie, les officiers de l'amirauté en
laissaient le soin A leurs commis qui délivraient aux capitaines leurs
congés et passeports *. Ces congés étaient accordés pour un temps
limité, au terme duquel les capitaines devaient être de retour au
port; ils seiTaicnt aux capitaines i prouver qu'ils naviguaient
régulièrement et à (liire reconnaître leur qualité de français quand
ils rencontraient des vaisseaux du roi, des corsaires Français ou
barbaresqucs, et quand ils arrivaient aux échelles*. Parfois des
capitaines étnngers, en distribuant de l'argent aux commis de
l'nmirauté, parvinrent à obtenir des congés ; arrivés en pleine mer,
ils arboraient le pavillon français * pour se garder des corsaires et le
quittiiient en arrivant aux écliellcs pour ne pas payer les droits
(i) Pnur le tarifdes vacations des officiers de l'amirauté, voir p. 66, — « D'aprt»
le règlement de 1599 confirmé par celui de 164 1, l'amiral prend pour les congés
en Ponant 7 livres 10 sols, mais en cette ville il ne prend que 5 livres par vais-
seau, 40 sols les polacres, 20 sols les barques, 16 sols les barques allant en Italie,
Espajjne, Barbarie, 8 sols les tartanes et j sols les bateaux et chaloupes. — Or,
par le règlement de 1641 les ofliciers de l'amirauté sont réglés et ne peuvent.
prendre entre tous trois que autant que h\g' l'amiral. » ùllrf du 2» aoiU lôfi
J!H, 26. — Richelieu avait fait établir par M. de Séguiran. en l6î3, un commit
pour délivrer en son nom les congés et passeports; les officiers Je l'amirauié après
leur visite devaient se bonier A délivrer un simple certificat des marchanJiw»
qu'ils avaient visitées, (Inspection, p. 244). Mais ce commis ne fut pas maimenu
car on voit dans la suite la Chambre souvent en contestation avec les olHciers de
l'amirauté au sujet des droits qu'ils percevaient pour la délivrance des congés et
passeports. V la lettre ci-dessus. — Cf. //, 3). Ordonnance de ,\f. de Stguhaii,
pri-mier pri'sident tn ht Cour des compiff, aida tl finances de Ptvttnef el lieutenant
ginha] pour Mi' le duc dt VendAne en h clmrge àr Grand-Maiire, etc. 16/7.
(2) Les congés étaient délivrés pour le capitaine et son navire, les passcpom
pour les marchandises qu'il portait.
(5) PoHicliarIrain aux consith de! icIteUa, 2j janvier 16^ : « Pnur distinguer les
capitaines fran<;ais d'avec ceux qui ne le sont pas, les dernier* doivent être munis
tout au plus d'une simple perinission de sortir des ports du royaume l»nu]u'ils v
ont fini leurs alîaires et les consuls peuvent avertir les corsaires que tous ceux qui
ne leur représenteront que de semblables )H.'rmissions ne sont certainement pas
fran^'ais, quelque pavillon qu'ils aient arboré. » — ReiUieil des rès^lenienti , H, 2>.
(4) La couleur et la forme de ce pavillon furent définitivement réglée* par
l'ordonnance du 9 décembre 1661 : ■ Ordonnance du roi interdisant à tous maîtres
et panons des vaisseaux de commerce d'arborer d leur m:U le pavillon blanc qui
est réservé aux vaisseaux de S, M. et portant qu'ils devront, comme auparavant, se
bomer à porter l'ancien pavillon de la nation française qui est la croix blanche
dans un estcnJart d'estofTe bleue avec l'cscu des armes de S. M. » Reg. des Insin.
di VAmirauU, fol. 1 144 .
LES USAGES DE LA NAVFGATrON lîT TÎU COMMERCE
'auxquels pouvaient être assujettis les vaisseaux français, mais la
Chambre du commerce mit un terme h cet abus.
Les bâtiments de Provence partaient généralement peu chargés
pour le Levant, car ils emportaient toujours de l'argent au moins
pour la valeur du tiers de leur chargement ; beaucoup étaient même
obligés de prendre du lest pour assurer leur stabilité. La valeur des
cargaisons variait considérablement suivant les circonstances, mais
un vaisseau qui emportait de l'argent et des marchandises pour 3 A
^ 400,000 livres passait pour être richement chargé. Il y avait parfois
0 cependant des chargements d'une valeur beaucoup plus grande :
d'Arvieux cite un vaisseau qui partit de Marseille en 1653 portant
200,000 piastres argent comptant et 100. oon piastres en marchan-
dises ; mais ce n'était là qu'une exception, il s'agissait en effet d'un
^■vaisseau du roi qui, h cause de l'insécurité de la mer pendant la
guerre contre l'Espagne, était envoyé dans le Levant « en mar-
chandise'. » Il arrivait beaucoup plus souvent que des vaisseaux
partiiient avec des chargements valant moins de ïoo,ooo livres
H et c'était une des causes de la cherté du fret X Marseille, car les
^^ bénéfices des armateurs étaient insuffisants.
Les départs étaient peu fréquents en hiver, surtout dans le mois
de janvier, ;\ cause de la fréquence des mauvais temps. Suivant
les vents qu'ils rencontraient et les circonstances, les navires suivaient
^- deux routes pour aller dans le Levant, l'une passant par Messine,
^ l'autre par Malte. Cette dernière, quoique plus longue, était la plus
fréquentée, même les convois Anglais et Hollandais partant de
Livourne y passaient quelquefois ' ; jusque vers Candie la route était
la même pour toutes les échelles. Candie servait de point de repaire
^P aux capitaines pour savoir où ils se trouvaient, car la navig.ation se
faisait encore avec certains t.itonnemcnts et les voyageurs parlent
souvent d'erreurs de calculs faites par les capitaines qui les condui-
saient. Thévenot raconte que le sien attendait avec inquiétude le
moment de passer devant l'ilot de Sapience où se tenaient les
corsaires, tandis que le vaisseau avait déjA franchi le cap Matapan
à plus de 70 milles A l'Est; plus loin, ce capitaine passa contre son
intention entre Cerigo et la terreau lieu de prendre entre Cerigo et
Cerigotto. Une autre fois^ en longeant Tilede Candie pour aller A
(i) D'Arvieux, t. I, p. 2.
(2) Taveusiek, p. 3.
488
TABLEAU DIT COMMERCE
Alexandrie, le capitaine se trouva au bout de l'île A 200 milles plu5
loin qu'il ne pensait '. « Trois choses, dit le voyageur Ferinanel,
sont absoUimcnt nécessaires pour naviguer assurcmcnt dans la
Méditerranée : connaître le cas, c'est-;\-dire, connaître et discerner
les côtes ce qui ne se peut apprendre qu'en les voyant souvent, les
courants et l'estime de la course du vaisseau*. »
La vieille routine s'était donc maintenue dans la navigation de la
Méditerranée où elle pouvait suffire, tandis que dans l'Océan les
longues distances et l'éloignement des terres obligeaient X déter-
miner la marche et la position des navires par des procédés plus
scientifiques. Aussi, les capitaines provençaux n'avaient-ils guère
besoin de connaissances techniques, c'était par un long.apprentissagc
pratique et en passant par les fonctions d'écrivain où ils s'initiaient
au commerce, qu'ils parvenaient :\ leurs fonctions. La durée de la
navigation était très-variable suivant les changements de vents qui
sont trés-fréquents dans la Méditerranée et aussi suivant les nou-
velles des corsaires qui forçaient souvent à faire des détours pour
les éviter. Le voyage de Marseille à Constantinople demandait régu-
lièrement quinze ou vingt jours quand on ne rencontrait pas de
vents contraires; on arrivait aux échelles de Syrie en moins d'un
mois, mais parfois les traversées étaient singulièrement tourmentées
en hiver : Chardin, dans un de ses voyages, mit trois mois pour
arriver 1 Smyrne*.
Aussitôt arrive à. l'échelle de sa destination, le capitaine devait
aller remettre au consul son maniteste de chargement, son congé et
passeport et lui faire un rapport de son voyage. Le consul devait
venir visiter le navire pour s'assurer qu'il ne contenait pas de mar-
chandises prohibées par les ordonnances comme des draps étrangers,
ni des monnaies Je France et c'était seulement alors que le déchar-
gement pouvait commencer. Il s'opérait généralement en présence
(1) Thévenot, t. I, p. 23, t. II, p. 8. — Il .-luribuc ces deux cnxnrs .lux
courants de l'Adriatique qui les av.iicnt ditourniis et poussa.
(2) Fi RMANiiL, p. 460-46} ; Dr la navigation de la Mfditerranie.
(5» V. DisHAvn, p. 458, Lucas, t. 1, p, t6 : Nous arrivâmes .iSniyrnc en dix-
sept jours et nous y serions arrivés en seize, si nous n'avions cchouc sur !c» ha»-
foiiJ> qui soiil auprès du chiUeau. — Les principaux vents connus des m.irins
provcnç-iux éLiieiit la tranioiit.me (Nord|. lemistrjl (ou maestni. ni;iistre:», Nord-
Ouest), Iclcbesche (Est), le grcgal (N.-l;.), le svroch (Sud), le ponant (Oucsll. —
» Pour aller de Marseille en tous les susdits endroits, t.int du Levant que du Midi,
il faut avoir les vents du ponant et mistral et, pour en revenir, les Grecs et Icvjuit
esseroc et ^regalis. m Insptction dt Segiiiian, p. 32S.
LES USAGES DE LA NAVIGATION ET DU COMMERCE 489
des commis de la douane, affermée parles Turcs le plus souvent à
des Juifs ; les formalités de douane étaient remplies avec beaucoup
de facilité et ne gênaient pas les opérations d'embarquement et de
débarquement. Les commis se contentaient d'inscrire les marchan-
dises à mesure de leur arrivée A terre, les estimaient d'après le tarif
appliqué à la nation et écrivaient le nom du marchand qui venait les
recevoir et la somme qu'il devait à la douane; ils n'en exigeaient le
paiement que plus tard et s'en rapportaient à la bonne foi des mar-
chands '. Les exacteurs des droits de l'échelle assistaient aussi au
déchargement quand il y avait des avaries à payer, et le consul y
envoyait souvent ses commis pour s'assurer que le manifeste qu'on
lui avait remis était bien sincère.
La plupart des marchands des échelles ;\ qui les marchandises
étaient remises n'étaient que des commissionnaires ou facteurs des
marchands de Marseille qu'on appelait leurs majeurs. Ce système
ne donnait pas de très bons résultats si l'on en juge par les critiques
de l'auteur du Parfait Négociant très bien renseigné sur le commerce
du Levant. Les commissionnaires, faute de pouvoirs suffisants de
la part de leurs majeurs, laissaient souvent échapper d'excellentes ^
occasions de faire des échanges avantageux ; mais surtout ils ne
s'occupaient guère que de leur intérêt personnel ; leur avantage
était de faire le plus d'achats et de ventes qu'ils pourraient pou .
toucher leur commission et c'est pour cela qu'ils se disputaient avec
tant d'acharnement les marchandises de leur échelle, s'inquiétant
peu de faire baisser les prix de celles d'Europe et de faire monter |
ceux des produits du pays, au grand détriment des intérêts de leurs
commettants*. Le Parfait Négociant leur reproche surtout de réaliser
des gains illégitimes en envoyant ;\ Marseille des comptes faux pour
les frais de leurs ventes et de leurs achats ; ils faisaient des bénéfices
considérables en particulier sur les droits de douane que les Turcs
exigeaient d'ordinaire suivant des évaluations modérées et qu'ils
faisaient figurer dans leurs comptes suivant toute la rigueur du tarit
officiel'. « Non seulement les coagis trompent leurs commettants
(i) D'Arvieux, t. I, p. 55, 3ti.
(2) La correspondance consulaire est remplie de plaintes à ce sujet.
(j) Savary dans son Paifuit Kègcviaitl donne pour chaque sorte de marchan-
dises un compte vrai des frais de vente aux échelles et le compte donné par le
coagi. Pour une balle de drap le compte exact des frais était de 57 piastres, celui
remis par le coagi de 127 piastres.
490
TABLEAU nu COMMERCE
Je cette manière, ajoute le môme auteur, mais encore dans la vente
dos 111:1! cliandises, car bien souvent ils les vendent en troc en
d'autres qu'ils envoient \ leurs commettants pour les retours de
celles qu'ils leur ont envoyées et prennent leur commission de ao/o
pour la vente et d'autres 2 o,'o pour l'achat en troc qui est un double
droit qui tourne encore en pure perte aux commettants. « Aussi
Savary conseillait non sans raison aux négociants de former des
sociétés et d'envoyer sur les lieux un des associés. » On peut
prendre pour associé, disait-il, un jeune homme qui ne soit point
encore engagé dans le mariage, qui ne portera dans une société que
peu d'argent et beaucoup d'industrie, lequel sera bien aise de p.isscr
sept à huit ans de temps que durera la société dans le Levant pour
y faire sa fortune*. »
Savary semble avoir cependant beaucoup exagéré les inconvé-
nients du système des commissionnaires. En réalité beaucoup
d'entre eux, originaires de Marseille, servaient de correspondants A
leurs parents ou i des marchands avec qui leur famille était en
relation. Quand ils avaient fait fortune dans le Levant ils s'établis-
saient à leur tour ,\ Marseille et l'on voyait parmi les négociants de
cette ville, même parmi les membres de la Chambre du commerce
et les échcvins, d'anciens résidents des échelles. Les usages du Levant
étaient donc fort bien connus ;\ Marseille et il n'était guère possible
aux commissionnaires de commettre régulièrement au détriment de
leurs majeurs les irrégularités dont les accuse l'auteur du Par/ail
Négociant. Il est vrai qu'il leur était plus facile de les faire admettre
aux négociants de Lyon, du Lmguedoc ou même de Rouen dont
ils recevaient aussi les commissions et ceux ci durent être les seules
victimes de leur malhonnêteté.
Toutes les transactions dans les échelles se faisaient par ^inlc^
médiaire de courtiers ou censaux presque toujours Juifs ou Armé-
niens. On vit quelquefois des Français ^ Smyrne ser\'ir de courtiers
aux marchands, mais il fallait connaître :\ fond les langues du pays
ce qui était fort rare parmi les l-ran^ais qui dédaignaient en outre ce
métier. Les Juifs se rencontraient dans toutes les échelles, pariois
au nombre de quelques milliers comme A Alep ou h Smvrnc.
Partout ils montraient leur grande intelligence des affaires et la plus
(i) Parfait Négociant, p. ,\o<y et 397.
LES TJSAGF-S DE LA XAVIGATION ET DU COMMERCE
491
finindc partie du commerce passait entre leurs mains'. Ils n'étaient
pas seulement les courtiers Jl-s ccholles, ils y faisaient aussi la
banque et c'étiiit à eux que la nation avait recours quand il f.illaii
emprunter pour payer les avanies qu'ils avaient souvent suscitées ;
il fallait alors accepter de leur payer ces « changes lunaires » aux
taux usuraircs qui avaient tôt fait de doubler le capital emprunté.
C'étaient eux encore qui atTermaient les douanes aux Turcs dans
presque toutes les échelles et leur rap.acité excita souvent des plaintes.
Les Juifs étaient donc les habitants des échelles avec lesquels les
Francs avaient le plus de relations, cependant ils les détestaient,
tandis qu'ils étalent souvent en fort bons termes avec les Turcs, et
les Juifs le leur rendaient bien.
« I-cs Juifs, dit d'Arvieux, sont les plus méchantes gens qu'il y ait
nu monde. Ils haïssent mortellement les chrétiens, sont toujours
prêts il leur foire du mal, ils en recherchent avec soin les occasions ;
ils trahissent sans honte ceux qui leur ont fait le plus de bien. La
plupart des avanies viennent d'eux, ils les suggèrent aux olRcicrs de
l'Etat et, quoi qu'il ne leur en vienne le plus souvent rien ou très peu
de chose, ils satisfont leur mauvais naturel et leur rage et sont
contents de taire le mal pour le mal même Ceux qui s'en servent
doivent être toujours sur leurs gardes et ne leur jamais confier un
secret'. » Les Turcs les méprisaient encore davantage et les forçaient
dans beaucoup d'échelles à vivre dans des quartiers séparés et
fermés. Ces ghettos du Levant se distinguaient par leur saleté, car
les Juifs affectaient les dehors de la misère autant par nécessité que
par avarice, les Turcs pr.uiquaient en effet vis-à-vis d'eux la même
conduite que les rois de France au Moyen-Age, ils les laissaient
s'enrichir pour' les dépouiller ensuite'.
Les marchands vivaient au contraire en bons termes avec les Armé-
niens, nombreux surtout \ Alep et A Smyrnc où ils servaient natu-
rellement d'intermédiaires avec les m.irchands de leur nation qui
composaient les caravanes de Perse. Quant aux négociants turcs
(i) • Tout le commerce se fait p-ir l'entremise des Juifs et on ne saurait rien
vendre ni acheter qui ne pnssc par leurs mains. On a beau les traiter de ciiifous
et de malheureux, rien ne se meut que par leurs orgnnes. Il faut leur rendre
cette justice, ils ont plus d'habileté que les autres marchands. » Tournefort,
t II, p. 197.
(if D'.ARVirux, t VI, p. 441.
(3) A Smvrnc. où la liberté éuit plus grande, les Juifs vivaient d'une manière
asscx aisée. V. ToeiiNEi-cwT, t. Il, p. 197.
492
TABLEAU DU COMMERCE
avec lesquels ils fliisnient des marchés, les Provençaux connaissaient
leur bonne foi et leur attachement à leur parole, mais ils en abusè-
rent tellement pour les tromper qu'ils les mirent sur leurs gardes et
diminuèrent par leur malhonnêteté la facilité avec laquelle ils trai-
taient primitivement lesaffliires. Les courtiers des échelles prenaient
ordinairement pour leurs frais i ou 1/2 00 suivant les échelles.
Parfois, comme à Seide, pour donner plus de sûreté aux transactions
elles se traitaient A la porte du camp devant un officier du pacha
qui prenait i o 0 sur tous les marchés qu'on concluait devant lui V
L'emploi des monnaies* dont les marchands se servaient dans le
Levant fut l'une des choses les plus difficiles à régler et qui occupè-
rent le plus l'attention des ministres et de la Chamhre du commerce
pendant le xvu' siècle. Les Turcs frappaient très peu de monnaies
et n'avaient guère que de menues pièces d'arjjent en circulation.
« C'est une chose bien surprenante, dit Chardin, que dans tout
l'empire Ottoman on ne batte point de monnaies d'argent que des
demi-sols qu'ils appellent accha, terme générique pour signifier
l'argent monnayé, que les Européens ont corrompu en celui d'aspres,
monnaie si petite et si mince qu'elle se perd entre les doigts. C'est
pourtant lu la monnaie originaire et pour ainsi dire unique des
Turcs, avec quoi ils comptent et supputent au trésor et aux bureaux
des finances et à leurs Chambres des comptes. Ils font de deux sortes
d'aspres, la courante ou réelle qui vaut demi-sol ou i2où Técu et
l'entière qu'ils appellent l'immaculée qui vaut 9 deniers. Je n'iguore
p.is qu'on b.it en Egypte une autre monnaie d'argent qui vaut 18
deniersqu'on appelle para ou paré, terme qui signifie partie du tout.
Mais, outre que ce n'est qu'en Egypte qu'on en bat, il y a en si peu
qu'on ne s'en aperçoit pas dans le cours... Quant aux monnaies d'or
on en bat en Fîgypte et seulement li\ » A la fin du xvir siècle les
Turcs, du moins en Syrie et en Egypte avaient encore une autre
petite monnaie d'argent le medin qui v.ilait environ 1 5 deniers.
Toutes les autres monnaies étaient introduites par les étrangers;
(1) D'AuviEUX, t. II, p. 341. — Le Parfait Négociant compte i/ï 0,0 de cou>-
lage pour Sinyrne.
<2j Pour les poids et mesures dont on se servait dans chaque i-clicllc voix le
Parjait S'cgocitiiil de Savary, et un mémoire conserve aux Arcli. \at. /•". ^^J :
Mimoitt sefi'uiit iTinitruction pour le Cùittmeiu du hvaiit mr la dif/ffitce dtt f«ids
et nitiures. — (Il en donne le détail pour chaque échelle}.
[W Chardin, t. I, p. 5. — .\ccha, dit-il, signifie blanc, comme aspron en Grec.
LES USAGES DE LA NAVIGATION ET DU COMMERCE
493
ceux-ci, les Français surU)ut, m.iis aussi les Anglais, les Hollandais
et les Vénitiens acheuictit beaucoup plus qu'ils ne vendaient aux
Turcs; ils apportaient donc, en dehors de leurs marchandises, de
grosses sommes d'argent qui restaient dans les états du G. S. et y
formaient la masse du numéraire circulant. Le commerce du Levant
fournissait aussi aux Persans la plus grand partie de la monnaie dont
ils se servaient, mais le schah la faisait (oiidrcr et frappera son effigie.,.
Non seulement les Turcs ne prenaient pas la peine de frapper de
leur monnaie mais ils connaissaient très mal la valeur de celles que
les Francs leur vendaient ; les marchands, les soldats et le peuple
s'engouaient pour certaines pièces étrangères qui leur plaisaient par
leur forme ou leur aspect, sans s'inquiéter de leur titre et de leur
valeur exacte. Au début du xvii' siècle ils ne connaissaient guère que
les piastres d'Esp.igne, sévillanes ou mexicaines qu'on appelait
réaies d'Espagne ou piastres de réaux ; ces pièces leur étant apportées
surtout par les Marseillais ils les nommaient des M.irsillies. La
guerre entre la France et l'Espagne ayant produit la cherté des
piastres, les Provençaux se mirent vers 1653 -^ porter dans le Levant
les fitmeuses pièces de cinq sols qui eurent un succès énorme'.
A la fiveur des pièces de cinq sols succéda celle des piastres
abouquels qui dura jusqu'au xvin* siècle. C'étaient les' rixdales des
Hollandais; comme cette monnaie portait sur chaque face des lions,
les Turcs les désignèrent sous le nom d'asiani c'est-à-dire piastres
aux lions, mais ils les appelèrent aussi aboukelb, piastres aux chiens
soit par dérision, soit qu'ils eussent pris les lions pour des chiens;
ces deux désignations persistèrent, mais surtout la seconde. Les
asselanis ou abouquels, comme les appelaient les Français, valaient
70 iispres c'cst-;Vdire un peu moins que la piastre d'Espagne ; c'était
une monnaie de fort mauvais aloi, ne contenant parfois que la moitié
de fin et si mêlée de cuivre qu'elle avait beaucoup plus la couleur
rougeâtre de ce métal que celle de l'argent; de plus les Hollandais,
malgré leur honnêteté, ne se faisaient aucun scrupule de l'altérer.
Cependant les Turcs avaient si peu de discernement que cette
monnaie ctait plus recherchée que les piastres d'Espagne*. Lesabou-
(1) V. p. 17-1R.
(3) Les marclunds .irniénicns mieux avisés donnaicni jusqu'à 10 0/0 du change
pour avoir des piastres d'Kspjgnc et les porter en Fersc à la niounaic du soplii
Parfait ufgociaiit, />. 4;6.
494
TABLEAU DU COMMERCE
quels qui se divisaient en dcmi-pi.nstres et quarts de piastres étaient
la monnaie l;i plus courante de l'empire ottoman.
A certaines époques les piastres isolotes, quittaient encore d'un
plus bas aloi, circulèrent en quantité dans le Levant. Cette monnaie
resta même la plus usitée dans l'Archipel et les bâtiments français
qui fais;iient la traite des blés dans lesiles entre 1700 et 1715 allaient
toucher ii Sniyrne pour changer leurs piastres sevillanes' en isolotes.
Il semble que cette monnaie se répandit dans le Levant h peu près ù la
même époque que les pièces de cinq sols et qu'elle commença à être
transportée en quantités considérables à Srayrne par les vaisseaux
de la Ciotat. La Chambre, dés qu'elle fut au courant de cette nou-
veauté, se pourvut devant le Parlement d'Aix pour faire interdire le
transport de cette monnaie et elle engagea une négociation avec le
prince de Monaco qui laissait fabriquer dant sa monnaie les isolotes
ainsi que les pièces de cinq sols altérées'. Malgré ses défenses le
trafic des isolotes fut continué, tant par les Français* que par les Ita-
liens, cependant cette monnaie ne joua qu'un rôle secondaire dans
les transactions et ne se répandit pas dans tout le Levant. Il en fut
autrement des sequins qui, avec les abouquels, étaient la monnaie la
plus en usage dans tout l'empire ottoman au milieu du xvu' siècle;
les plus connus étaient les sequins vénitiens qui valaient lâGa-spa-s
c'est-ù-dire exactement deux piastres d'Espagne; les sequins hongrois
étaient aussi estimés et avaient ;\ peu près la même valeur* on Icj
trouvait surtout A Constantinople.
Telles étaient les monnaies employées dans le commerce du Levant
au xvn" siècle. Les Français tentèrent de fabriquer et de transporter
des abouquels et des sequins A l'époque même oii ils commençaient
(1) SavakY. Diclionn. du Comm. col. tôt}. — A A, //;, UUre lU Seidt du ttman
Ijoj ; du 1: août ijoS: la valeur du change des issclojlcs aux abouquels c»i ic
60/0. — AA, IIS, Compte d'un viu-consul de Chic • 44 isolutous lotit 29 piatirc».
({) V. BB, t. Série de dil'libcratioris de la Chambre i et sujet (24 nwn, ti nui,
iS juillet 16s 7)- — On appelle alors cette monnaie stilots, stolots, tsillots, pilloti,
pclottcs.
(î) Ultu Ji Smvnit, du 14 uclohie i6Sj : « Nous ne manquerons pa4 d'apporter
tous nos soins au sujet des assclanis et isolotes que nos voiles apporteront i Vjvi.--
nir. » — AA, 1^4.
(4) Le sequin hongre vaut deux piastres un quart courantes. L/ttfr ■^■^ '"■ ■ lau-
f(«.. dit 2S '"'" tSSS. AA, !•]}. — Il y avait encore d'autres sortes .: le
sequin rouspi valant deux piastres et demie {lettre du comul des D. '.A,
176. lu août té^j) ; le sequin tourrcli, monnaie courante du pay» . ' (f-
Vfitr ijoj. AA, SS7)' le sequin clierirqui valait deux piastres et i. xidc
(«7 H0i>embrt tSSif. AA, Jfo).
LES USAGES DE LA NAVIGATION ET DU COMMERCE
•495
à faire le trafic des pièces de cinq sols et des isolotes. La Chambre
autorisa d'abord en 1653 l-* fiibrication des abouqucls pour suppléer
sans doute à la pénurie des réaies'. Mais ceux qui les tâbriquaient les
altérèrent malgré les préc;iutions de la Chambre, ù l'imitation des
Hollandais, et celle-ci avertie par les malheurs qu'avaient causés
les. pièces de cinq sols interdit le trafic des abouquels, elle se plaignit
même vivement au ministre en 1680 de ce que la Compagnie du
Bl^evant avait commencé d'en introduire A Alep. Quant aux sequins,
ceux qu'on fabriquait en France étaient plus ou moins faux et
altérés; sans cela les marchands n'auraient eu aucun bénéfice .'i
^■transporter dans le Levant cette monnaie au lieu des réaies, car leur
' cours n'y était pas au-dessus de leur véritable valeur.
La Chambre eut s;uis cesse son attention portée sur le commerce
de ces monnaies de mauvais aloi, pièces de cinq^ols, isolotes, abou-
quels, sequins faux, et nombreuses sont les lettres où elle recommande
la vi}i;ilance aux consuls et leur ordonne de taire des visites à l'arrivée
des navires pour s'assurer qu'ils n'en transportaient pas. Ces visites
et les saisies opérées de temps à autre n'arrêtèrent jamais complète-
ment le transport des monnaies mauvaises. Il eût fallu que les Turcs
eux-mêmes, pour se détendre contre leur introduction, prissent par-
tout la précaution qu'ils avaient adoptée à Alep;"» la lin du xvn*^ siècle.
« On ne peut que difïïcilement introduire des fausses espèces dans
cette échelle, écrivait le consul, attendu que tous les argents employés
dans le commerce passent par les mains des sarrafs ou censaux de
change, gens très-habiles dans la connaissance des monnaies, et, étant
d'u5;ige i\ Alep de faire les paiements dans des sacs cachetés avec le
boul ou cachet de ces censaux lesquels répondant de la qualité et
poids des espèces qui sont sous leurs cachets, ils n'auraient garde de
donner les mains ;\ l'introduction d'une fausse monnaie*. »
A la fin du xvii' siècle les Français ne pouvaient donc plus trans-
porter librement dans les échelles que des piastres sevillanes ou
mexicaines, particulièrement des premières*. Elles valaient dans le
^r (') BB, 1. 7 mars t6f} : « A ité résolu et dclibcré que Messieurs les diputés
' du commerce rapporteront que l'affaire de la fabrique d'espèces de 27 sous csl
, tavorablc pour le commerce du Lcv.int, pourvu qu'elles soient fnhiiquées au même
^K poids et titre que celles qui se fabriquent en Hollande. » — (Les pièces de 27 sols
^f de France avaient en etTet la mOmc valeur que Us dcmi-abouqucis Hollandais.)
(3) AA, )6f. 10 avril 7699.
{}) En i6s}, au moment de la piinuric des piastres Sevillanes, les Marseillais
essayèrent de les remplacer par des piastres du Pérou, mais il f;illut aussitôt
49^ TABLEAU DU COMMERCE
Levant 80 asprcs et étaient vendues à Marseille aux négociants
environ 3 livres 5 sols en temps ordinaire '. Dans les momenti où
elles étaient rares, comme pendant la guerre de succession d'Espa-
gne, leur prix sVMeva jusqu'A quatre livres et raème en 1715
l'afflucncc des bâtiments qui partaient pour le Levant et se les dispu-
taient fut telle qu'il monta ^ 6 livres 3 sols. Même en temps ordi-
naire, les Français étaient dans un état d'infériorité évidente vis-i-vis
des Hollandais qui faisaient recevoir leurs abouquels à un prix
presque égal à celui des piastres sevillanes tandis que leur valeur
réelle était bien inférieure. On tinit par s'émouvoir de cette situation
et l'ambassadeur Girardin reçut en 1686 pour instruction d'ouvrir
les yeux des Turcs sur le tort qu'ils recevaient par l'introduction de
cette monnaie de mauvais aloi*. Ses efiorts ne furent pas inutiles
car les abouquels subirent les années suivantes une forte déprécLi-
tion : dès 1687 le change était îl Smyrne de 13 0/0 entre les piastres
sevillanes et les abouquels, peu après il s'éleva jusqu'à 380,0*. Les
bénélices des Hollandais sur leurs monnaies diminuèrent donc
considérablement ce qui, sans doute, ne fut pas s;ins influence iur la
décadence sensible du commerce de cette nation dans le Lcvam vers
la fin du XVII' siècle.
Pour ajouter aux difficultés que présentait dans le commerce la
diversité des monnaies en us.agc dans le Levant, les pi.istres sevillanes
n'étaient même pas d'un type uniforme, il fallait distinguer les
piastres courtes et les piastres de grand poids dont la valeur était
inttrdirc ce tr.ific à cause des troubles qu'il c-iusi dans les échelles. — V. Ltttrf
d'Alfp, AAy j6.(. jy dà. lôjj : C'est un grand bonheur |.>our nous que ce»
voiles ne soient point venues chargées de ces piastres neuves du Pérou, cur
assurément nous serions tombés dans quelque grande avanie. Je vous coulure de
l'aire en sorte qu'on ne recommence pas un si sale commerce. Les louis d ar;;coi
pussent ici fort librement au même prix des piastres et si l'on ne peut avoir Ja
sevillanes ou mexicaines, il faudra se résou Jrc â en envoyer. » — Cf. jo dh, 166}.
(t) Savary (Dkl.dii Connu, col. \)}<f) détaille .iinsi les frais dont étaient prevtSct
les piastres avant d'arriver i Marseille : « Si un négiKiant établi a Cadix veut
acheter looo pi.istrcs mexicaines, il faut d'abord qu'il en paie la prime. Or,
suppo54S que cette prime ne soit que de 2 o 'o qui est le plus bas prix où clic puisse
être, les looo piastres font 1020 p. — i 0,0 pour l'exlncuon, cy 10 pias.—
fret de Cadix en France i i ; 2 o o, cy i { piast. — Conmtission à « o/o, cy lo piait.
— Les tiKX) piastres reviendront h 105 j.
0 V. ci-dessus, p. 289.
(j> a.V man ihS-;. AA, 1S4 : 592 piastn» sevillanes de grand poids, valeur de
,|tî .issclanis. l'âge i ij 0/0 (agc ou aagc est employé dans plusieurs Jctlfcsdans
le sens de change) — sS mai tb'jj, A A, }6j : l'âge des rcalcs vaut niainiciunl
en abouquels }J .t j6o''o. — / jattv. 161^4 : l'agc vaut 58 0^0.
LES USAGES DE LA NAVIGATION' ET DU COMMERCE
497
sensiblement diffcTt-nie ; enfin il ne fallait pas confondre ces mon-
luics avec la piastre courante qui ét;nt pour les Turcs des échelles
une monnaie de compte comme la livre tournois en France, d'une
valeur bien inférieure .'i celle de la piastre effective'. Ces différences
dans la valeur de la piastre causèrent de fréquentes discussions entre
la Chambre du commerce et les consuls ou les députés des échelles
quand il s'agissait de régler les comptes ou de payer les appointe-
ments exprimés en piastres, sans qu'on sût jamais de quelle sorte de
piastres il s'agissait. Les mêmes querelles surj^issaient entre les
consuls et les capitaines ou marchands qui fournissaient l'argent des
avaries pour les besoins de Féchelle. Ceux-ci chicanaient sur le
change en abouquels, monnaie courante des Turcs, des piastres
qu'ils fournissaient, pour en tirer le plus de profit possible*.
Une autre cause de querelles entre les capitaines et les marchands
était la fixation du change maritime qu il fallait payer dans les
échelles pour l'argent qu'on y recevait. C'était la plus value que
recevait l'argent par suite des frais de transport qu'il avait supportés
et des risques qu'il avait courus sur mer. Le change maritime,
comme les assurances, avec le prix desquels il était en rapport, était
naturellement très variable suivant les circonstances, mais sa valeur
normale fut d'environ 15 o/o pendant tout le courant du xvii' siècle.
Elle n'était pas arbitraire d'ailleurs et pour mettre les marchands des
échelles à l'abri des exigences des capitaines, c'était la Chambre qui
la fixait et la changeait suivant les circonstances*, d'accord avec
l'intendant, inspecteur du commerce.
Quand les capitaines avaient opéré dans une échelle le décharge-
ment de leur navire, ils devaient y attendre qu'ils pussent y prendre
une nouvelle cargaison, car il leur était interdit d'aller la chercher
ailleurs ou même d'aller !a compléter dans une autre échelle. Cette
facilité n'était permise que pour certaines échelles secondaires où
les navires ne pouvaient jamais trouver un chargement complet,
ainsi les bâtiments qui voulaient charger à Chypre prenaient aupa-
(II La pustrc courante fut rt5glée à jj nicdîns = 40 sols en Egypte. — Klle
correspondait à peu prc^ A la valeur de i'asselani ou abotiquel. — La piastre
ctTectivc valait 46 medins. — Lilie du 2j novanbrc ibSS. AA, }jb.
(2) Après la dépréciation des abouqu-ils les capitaines arrivèrent i réaliser, avec
le clianj-e maritime, un bénéfice de plus de 50 0/0, en continuant à donner 104
abiiuquels pour 100 piastres de grand poids. — (ai' mai i(>9}. AA, )6j.)
()) V, p. 248, note 3. —La Chambre le portait 30 O/o le 8 novembre 1708, BB. ;.
Î2
498 TABLEAU DU COMMERCE
ravant une partie de leur cargaison »^ Seïde ou à Alcxandrette,
d'autres visitaient à la fois les échelles de Chypre et Tripoli ou de
Chypre et Satalie ; de même Barut, Acre et Jaffa étaient fréquentées
par des vaisseaux qui avaient touché à Seïde ; dans l'Archipel,
les barques ne pouvaient trouver un chargement complet qu'en
visitant plusieurs îles. Son chargement terminé, le capitaine, avant
de partir, devait aller trouver le consul et déposer à la chancellerie
le manifeste des marchandises qu'il emportait, dont le chancelier
lui délivrait une copie. Il était interdit au consul de donner aux
capitaines des congés ou passeports pour empêcher des étrangers,
par surprise ou de connivence avec eux, d'en obtenir et de se faire
passer en mer pour Français.
Le voyage de retour, comme celui de l'aller, pouvait varier beau-
coup de longueur, mais il était toujours beaucoup moins rapide, les
navires étant beaucoup plus lourdement chargés de marchandises. Leur
arrivée était signalée dès cette époque à Marseille, lorsqu'ils dou-
blaient le cap Croisette, par la vigie de N.-D. de la Garde, au moyen
de pavillons hissés au haut d'un mât*. Si les bâtiments partaient
souvent des îles de Marseille où ils avaient fiiit leur chargement, ils
s'y arrêtaient toujours au retour pour purger leur quarantaine. La
rigueur de celles-ci devint de plus en plus grande à la suite des
pestes qui désolèrent Marseille et il semble qu'avant celle de 1630
on laissait entrer immédiatement dans le port, comme aujourd'hui,
les vaisseaux qui arrivaient avec patente nette, ainsi que le montre
le procès-verbal d'une délibération du Conseil de ville du 9 mars
1620 : « Les consuls ont reçu des plaintes de quelques personnes
que les surintendants de la santé ont donné entrée dans le port au
vaisseau les Tivis-Rois, qui arriva hier d'Alexandrette, sans lui avoir
fait faire aucune quarantaine, et qu'il est fort à craindre qu'il apporte
quelques cotons ou autres marchandises qui pourraient avoir été
portées audit Alexandrette de Seïde ou St-Jcan-d'Acre, lieux conta-
minés. Sur quoi les surintendants ont remontré qu'ils ont accordé
l'entrée fort à propos puisque le vaisseau a apporté patente nette et
que le capitaine a fait serment n'avoir négocié aucune part où il y ait
doute de contagion... Il a été décidé après mûr examen que les
surintendants n'ont pas failli à leur charge, mais pour éviter la
conséquence que les vaisseaux d'Alexandrette pourraient tirer, le
(i) V. BB, 6. novembre lyn.
LES USAGKS Dli LA NAVIGATION ET DU COMMERCE
499
vaisseau les Trots-Rois sera ramené ;iux îles où il dcchargera
les cotons ut bines et autres niarcluindises, sauf les soies'. * La peste
de 16^0 tit établir des règlements plus sévères qui furent encore
singulièrement agi^ravés après celle de 1720.
Aucun document du xvii* siècle ne permet de dire exactement
quelles étaient alors les formalités des quarantaines ; voici ce qu'en
dit un étranger qui visiu Marseille à la lin du xviii'^ siècle. « Arrivé
en rade, il faut jeter l'ancre à Pomègue : une garde occupe alors le
navire pour empêcher tout contact entre les nouveaux venus et les
autres quarantenaires. En cas de patente nette, une barque mène le
capitaine i la Consigne'; elle comporte deux galériens et des soldats
qui tiennent toute embarcation ci distance. A destination le capitaine
se placeen dcliors de la grille de fer et fait son rapport aux deux
intendants de service'' , non sans avoir tout d'abord juré sur l'évan-
gile de dire la vérité pure, quelque question qu'on lui pose. Il jette
ensuite la patente dans un vase plein de vinaigre où les valets du
Conseil' la maintieiment avec des pinces de fer; quand le document
est sulïisamment imbibé, les intendants en prennent connaissance et
le font enregistrer. Suit un interrogatoire circonstancié; les réponses
sont coucbées par écrit et comparées avec le dire des autres capi-
taines. Hntin, après avoir déclaré s'il a des passagers et si ces
derniers entendent passer leur quarantaine ^ bord ou au lazaret, le
nouvel arrivé n'a plus qu';"» remettre le courrier en entaillant
chaque lettre aux angles : on les plonge dans le vinaigre, s.uif celles
qui sont ;\ l'adresse de la cour et des ministres ; pour ces dcrnièresj
fumigation d.ans un poêle. » Sur patente nette le navire devait faire
aux lies une quarantaine qui variait de vingt jours au minimum, à
cinquante parfois*.
(0 Arch. commun, de MaisriHi-,
(2) Le b.\tiuicnt de l.i Cohsigue existe encore à l'cntriîe du vieux port de
Marseille où il est encore occupé par le service de la yinti, — On y conser\-e
les pinces de (et avec lesquelles on recev.nit les p.jtentes des mains des capitaines et
li\ boite à parfums dans jaiiuelle on luniigeait les p.ipiers du bord et les lettres
«■«jimises par les capitaines. La boite à parfums contenait du soufre vif, poix, réiinc,
grabeau de myrrhe, encens, sérille dcstorax, laudanum, poivre noir, gingembre,
cumin, curcuma dit cipcrus, cardamome, aristoloches longues, euphorbes,
tubèbes, graine île genièvre, le tout miilangé à .^9 0/0 de son.
(3) Les intendants de la santé. — V. ci-dessous.
{4) Le conseil sanitaire composé des intendants de la santd'
(5) Voir aux Archives de la santé les registres de délibérations du conseil sani-
t£%îre conserviis à partir de 1713.
500
TABLEAU DU COMMERCE
« Si 1.1 patniîc p.irlc d'une épidémie au point de départ ou danj>
une escale, si quelqu'un est mort ou a été malade, ce n'est pas à la
Consigne mnis bien au lazaret des pestiférés qu'est envoyé le capi-
taine. L'interrogatoire est beaucoup plus sévère ; le médecin sanitaire
rend une décision qui, concurremment avec le rapport circonstancié
du délégué, est examinée à la prochaine séance du conseil... De retour
à Pomégue, le capitaine voit son navire soumis à un redoublement
de surveillance! tandis que des bateaux occupés par des gardes l'en-
tourent de toutes parts. L'équipage doit pendre ses effets au grand
air, décharger le navire dans un magasin spécial, sortir tous les
ballots de marchandises, les ouvrir, les aérer, les retourner, les
manipuler; de sorte qucj si elles recelaient quelque germe pestilen-
tiel, c'est sur CCS hommes qu'il produirait son meilleur effet. S'il
survient alors quelque cas dans l'équipage, ce qui, de cette façon,
doit toujours arriver, le capitaine doit l'annoncer au gouverneur de
l'île. Celui-ci ordonne d'expédier toutes les marchandises au Lazaret
et y envoie aussi le malade dans une barque avec un matelot et le
médecin du bord. On les enferme tous les trois dans un appartement
particulier : tous les jours ils reçoivent deux fois la visite du méde-
cin et du chirurgien du lazaret et on les interroge à. une distance
déterminée sur l'ét-U du malade, avec toutes les précautions néces-
saires. SI ce dernier se rétablit pendant la quarantaine, il est soutuis
aux fumigations avec le chirurgien et le matelot qui l'ont accomp.i-
gné; on lave leurs vêtements et alors ils peuvent retourner A bord.
Mais, s'il meurt, le cadavre doit être ouvert par son compagnon de
captivité^ le médecin, qui fait l'autopsie des entrailles en présence de
ses deux confrères de l'administration; sur le moindre symptôme
de peste, le corps est enfoui dans la chaux, les effets consumés par
te feu ; les vêtements de l'opérateur et du matelot sont passés à l'eau
bouillante et les instruments qui ont servi i l'autopsie sont recuits.
Oi\ redouble de surveillance autour du navire et la quarantaine est
à recommencer. Li Chambre qu'occupait le mort est soumise à trois
désinfections successives, par la fumée des végétaux, du soufre et
enfin de l'arsenic ; tous ceux qui se trouvaient au lazaret en même
temps sont regardés comme suspects et doivent purger une quaran-
taine entière. La maladie qui a emporté le défunt n'eût-ellc aucun
rapport avec la peste, le navire n'en doit pas moins recommencer sx
période d'observation La police est d'une extrèaie sévérité au
dÉ^i
LES USAGES DE LA NAVIGATION- ET DL' TOMMERCF.
SOI
laznret '. Le commandant, le médecin ci le chirurgien doivent Lux
célibataires. I/intcndant de visite se fait apporter le compte-rendu à
la grille de U porte. Toutes les provisions sont déposées à la pre-
mière porte ; le concierge les remet A la seconde et ou ne les intro-
duit dans rétablissement qu'après qu'il s'est retiré. Le soir, tous les
habitants du lazaret doivent être enfermés dans leur appartement
particulier et toutes les clés sont apportées au commandant. Celui-ci
est encore astreint i une double ronde de nuit pour voir si tout est
calme et tranquille. Si une barque de pèche ou un U'itiment même
s'approche du lazaret .'i moins de 600 pas, il est saisi, brûlé sans
miséricorde et l'équipage retenu en captivité *. »
La sévérité des quarantaines , un peu moins rigoureuse au
XV!!"" siècle qu'au xvnr, n'en fut pas moins toujours fort gênante
pour le commerce et l'on comprend que pour échapper aux
prescriptions minutieuses autant qu'aux retards qu'elles impos;iient,
beaucoup de navires fissent aux iles leurs déchargements et leurs
chargements. Fendant leur durée bâtiments et marchandises étaient
sous la surveillance des seize intendants de la santé, élus chaque
année par le conseil de ville' et soumis aux ordres de la Chambre du
commerce. Us devaient veiller non seulement ^ ce que les règlements
sanitaires fussent observésj mais un de leurs soins principaux était
d'empêcher les marchands de proliter du débarquement des mar-
chandisesaux îles ou au lazaret pour faire entrer dans le port sur de
petits bateaux des marchandises proliibces. Pour laciliter leur t.tchc
il était interdit i toutes personnes d'entrer dans « les infirmeries »
sauf aux membres de la Chambre du commerce et aux directeurs de
la Compagnie du Levant, et aucune marchandise ne devait sortir
des magasins des infirmeries sans un billet signé par l'un des éche-
(i) Les voyageurs qui revenaient du Levant y «L-taient du moins commodé-
ment installés. V. Lucas qui y subit une quar.-intainc en 1717 : « Les voyageurs
y sont parfailcmcnl bien loges et il n'y manque rien de ce qui est né-cessalrc pour
les commodités de la vie. On donne à chacun une garde autant pour le service
que jiour empêcher qu'on ne parle aux autres quW une certaine distance. Lors-
qu'on a fait cette minutieuse quarantaine on est narluraé avec des herbes odorifé-
rantes et on a la liberté de s'en aller. » Tome IlJ, p 85.
(2) Ijcltres sur It Midi de la France, pari. FiscH. Zurich, 1790, in-8f. — Tra-
duites par M. H. Barrk, bibliothécaire de la ville de .Marseille, dans le Biillftin de
la Soc. Je Gfogr. de Marseille (tomes XVI 11 et XIX. — iSyf-gs)-
()> Ils étaient choisis parmi les négociants, sauf un ou deux pris parmi L"S capi-
taines marins expérimentés.
502 TABLEAU ^ DU COMMERCE
vins OU des députés du commerce*. Cependant la contrebande des
marchandises prohibées se fit assez activement par la négligence ou
plutôt la tolérance des intendants de la santé pour que Pontchartrain
menaçât à plusieurs reprises la Chambre de les remplacer dans leurs
fonctions par des officiers royaux qui seraient plus attachés i\ leur
devoir*.
Enfin, la quarantaine terminée, le capitaine, avec son navire, pou-
vait rentrer dans le port ; il devait aussitôt se rendre au greffe de
l'amirauté pour faire un rapport de son voyage, tandis que son écri-
vain remettait une copie du manifeste de son chargement dont une
autre devait être donnée ;\la Chambre du commerce. Il n'avait plus
alors qu'à préparer son chargement pour un nouveau voyage.
(i) Il fallait aussi aue le capitaine eût payé tous les droits dus à la Chambre,
comme le cottimo et le tonnelage.
(2) Les intendants de la santé percevaient de légers droits sur les navires, sans
doute pour l'entretien des magasins des infirmeries. L'arrêt du conseil du 7 octo-
bre 1694 confirma l'obligation dans laquelle ils étaient de rendre chaque année
leurs comptes à la Chambre, et leur ordonna de déposer les registres de leur
comptabilité aux Archives de la Chambre. BB, 4,
CHAPITRE VII
LES ARTICLES DU COMMERCE
En parcourant la longue nomenclature des marchandises que les
bâtiments français chargeaient dans les échelles ou de celles qu'ils y
portaient, il semble que le commerce du Levant comprenait une
grande variété d'articles, mais si l'on ne tient compte que de ceux
qui donnaient lieu i un trafic de réelle importance, le nombre en
était très restreint.
L'étude des échelles a déjà montré quelles étaient les exportations
de chacune d'elles. On a pu remarquer que quelques produits étiient
communs à la plupart ou à un certain nombre d'entre elles. Au pre-
mier rang figuraient les matières brutes destinées à l'industrie textile
qui à elles seules constituaient près de la moitié de la valeur de tout
ce qui venait du Levant*. Les cotons venaient en tète suivis de près
par les soies, les laines étaient l'objet d'achats un peu moins impor-
tants, mais en y ajoutant les poils de chèvre d'Angora destinés à
fabriquer les camelots et les laines de chevron ou poils de chameau
qui servaient au même usage et s'employaient aussi dans la chapel-
lerie, la valeur de leurs achats atteignait ou dépassait celle des cotons
et des soies*. Ces trois grands produits textiles étaient charges en
plus ou moins grande quantité dans toutes les échelles, bien que
Smyrne fût le grand marché des soies, Seïde celui des cotons, Cons-
tantinople celui des laines. Seule, parmi les grandes échelles, l'Egypte
ne vendait ni soies ni laines; on en rapportait en revanche un peu de
lin . Aux produits textiles il faut ajouter les tissus : camelots d'Angora,
toiles de coton et cotonines qui servaient à la confection des voiles
(i) 4,200.000 livres environ en 1700 sur 9.1 $2.000 livres.
(2) Cotons 1.400.000 livres, soies 1.035.000, bourres de soies 82.000, laines
810.000, fil de chC-%Te 495.000 laines de chevron 159.000.
504
TABLEAU DU COMMERCE
de navires et dont les édits prohibitifs de Pontchartrain limitèrent
tnilîc, tapis enfin dont les achats ne furent jamais iniportnnts'.
D'autres matières premières employées par l'industrie liirati«tatsei
venaient en assez grande quantité du Levant : les cuirs, travaillés]
dans les nombreuses tanneries de Provence, étaient aciictès presque
exclusivement h Alexandrie et à Constantinople, les peaux de chagrin
se trouvaient aussi dans cette dernière échelle, les cordouans ou
maroquins, dont le trafic très important au début du xvii' siècle était
devenu presque insignifiant, étaient chargés surtout ;\ Alep*. Les cires
étaient importées en petite quantité de toutes les échelles; des
aclvats plus ronsidérables étaient faits à Constantinople, à Candie et
i\ Smyrnc. Les noix de galle continuaient à faire l'objet d'échanges
considérables à Alep et servaient en France à la teinture des draps;
enfin les cendres, achetées surtout à Acre pour les fabriques de
savons de Provence, complétaient la série des matières premières que
l'industrie française se procurait régulièrement dans le Levant*.
Après les trois grands produits textiles, c'étaient trois denrées ali-
mentaires qui donnaient Heu aux transactions les plus importantes
dans les échelles : le café, l'huile et le blé. Le trafic ne s'en était
développé qu'à la fin du xvu' siècle, car longtemps rimportation
des produits alimentaires avait été rigoureusement interdite dans
les échelles. Ce commerce ne fut d'ailleurs jamais complètcnicnt
libre, il était plutôt toléré qu'autorisé et souvent il ne continua
que gr.îce aux complaisances chèrement achetées des pachas. ||
présentait en outre cette particularité qu'il était spécial à certaines
échelles : le café venait exclusivement d'Egypte, les huiles ctaicnt
fournies presque en entier par Candie et le reste par l'Archipel et b
Morée ; elles servaient en France .\ la fabrication des savons plus
encore quW l'alimentation, pour laquelle les Provençaux préféraient
les huiles de leur récolte. Quant aux blés l'importance doiacluts
(1) En 171X) les Français importirent pour ;i4.cxx) livres de toile» ilimwj.
110.000 livres de camelots.
(2) Ach.iis de cuirs en 1700 : 485 .000 livres (dont ;8) .000 cil Kg^ptc, lajtt
à Constantinople l, chagrins 49.385 livres (dont 46.(Xxià Co(ki:iiiI.'. l.vjou
4.860 livres. M Les cordouans sont des maroquins de I.cv.irit
(Parfail Xfgûciaul). — .^chat Je nurdquins .i Alcp ^out I.1
d'une valeur de 2.000 piastres. Lettre du 12 iv
(3) Le natron ou soude cmpIr>\L J.uis I.i fi! . '^ rjir. Ij
de Levant, le vermillon, les
qui servait aux teintures, tîmr.
LES ARTIGI.RS D rMT>01lTATI0X
505
variait énormément d'une année à l'autre, suivant l'insnllîsance tic
la production en France, mais on les taisait dans l'Archipel et à
Salonique en presque totalité. Le trafic du riz aurait eu plus d'ini-
r
«erdi
plusdt
portitnce si 1 exportation n en avait
que pour les autres denrées alimentaires. Les fromages de Chypre,
de Cindie et de Pctrache(Pairas), les raisins deCorintlie, de Damas
et de Smyrnc, les pistaches d'Alep étaient les seuls autres produits
des échelles qui iouaient un r<Me dans l'alimentation française'.
L'ensemble de ces marchandises, matières premières employées par
l'industrie et denrées, constituait environ les neuf dixièmes des
achats que les Français faisaient dans le Levant. Ce n'était pas seule-
ment par leur valeur qu'elles avaient de l'importance mais aussi par
leur poids, toutes, sauf le café, étant d'un prix modique sous un
petit volume. Elles alimentaient donc en grande partie la navigation
du Levant qui leur devait toute son activité.
Endcliorsde ces articles de tratic, le Levant continuait cependant
à fournir de nombreuses drogueries à l'Europe occidentale; la liste
eu est longue, mais beaucoup ne comptaient dans les achats que
pour quelques centaines de livres, ou ne figuraient pas tous les ans
dans les chargements. Smyrne et Alep qui les tiraient de la Perse
ou de l'Asie Mineure même, l'Egypte qui les recevait d'Arabie,
étaient les trois échelles de provenance des drogueries. La rluibarbc
et la scammonée, la semcncine de Smyrneetd'Atcp,leséné d'Egypte,
le siorax de Chypre et de Smyrne, les gommes de diverses sortes
étaient les principales*. Les parfums, comme l'encens d'Egypte,
ropoponax, le musc d'.Mep, la mirrhe, le benjoin, avaient encore
beaucoup moins d'importance que les drogueries. Cependant le
commerce de toutes ces denrées, bien que peu considérable par sa
valeur ou par le fret qu'il procurait, n'en avait pas moins son intérêt,
car il fournissait.'! la consommation du royaume des produits qu'il
ne recevait pas par d'autres voies et qui lui étaient nécessaires.
Quant auxépices qui fournissaient encore au commerce du Levant
vers la tin du xvr siècle ses principaux articles, on en achetait encore
vers le milieu du xvii' siècle h Alep et au Caire, ainsi que le mon-
trent les nomenclatureù de marchandises du Levant données par les
(i) Voici \ii valeur des ach.us des diverses denriics en 17O0 : huiles i .250.000
livres, café 1.077. 000, ^^^ séj.oixi, riz 195.000, I'roiii.-ip;es 51.988.
(2) Achats de rhubarbe en 1700. 6}.ooolivr. — Scammonée 25. 000. —
Semcncine ji.ooo. — Gommes 10.000 environ. — Storax 9.000.
TARLEAtT nU r.OMMFRCP
voyageurs de cette époque, et les mémoires dont s'est ser\'î Savarj'
d;tnsson Parfait Ncgiviatil*. Mais, après 1700, aucun des documents
qui duiinent la liste des produits rapportés du Levant, même de
ceux qui n'en venaient que rarement*, n'en fiiit mention. Les pays
du Levant en recevaient même si peu pour leur usage par les navires
des indigènes de l'Inde qui venaient décharger A Moka, ou par les
caravanes qui arrivaient A Alep de Bassora, que les Hollandais et les
Anglais en (iiisaicnt un débit considérable dans les échelles.
Les Trançais faisaient aussi dans les éciielles un commerce que Ici
statistiques de la Chambre du commerce ne nous révèlent pas, c'est
celui des « curiosités du Levant. » Les lettrés, les savants, les collec-
tionneurs ne cessèrent pendant tout le xvii' siècle d'y faire recher-
cher des médailles, des manuscrits et des livres anciens, des inscrip-
tions, des fleurs ou des plantes et même des animaux exotiques. La
plupart des voyageurs qui parcoururent alors le Levant, à part
quelques marchands comme Taveniier et Chardin ou quelques
simples curieux, étaient des chercheurs et des acheteurs de » curio-
sités ». Les ministres de Louis XIV, Colbert surtout, s'intéressèrent
beaucoup à ces recherches, dans l'intérêt de la Bibliothèque et du
Jardin du roi, ou de son Cabinet des médailles; ils envoyèrent
même des niissiohs officielles dans le Levant comme celle du célè-
bre nuniism.itc Vaillant vers 1670, du bownistcTournefort en 1700
et du médecin Liicis en 1714. Le Hollandais Vansleb, envoyé par
Colbert dans les échelles en 1671, y résida plusieurs années. « Le
principal dessein du roi pour les voyages qu'il ordonne au sieur
Vansleb de faire dans le I^'vant, disaient ses instructions, étant d'y
rechercher et envoyer ici la plus grande quantité qu'il pourra de bons
manuscrits et des médailles anciennes pour sa bibliothèque, il y
apportera un soin particulier*. » M. de Monceaux, trésorier de
France A Caen, qui se trouvait dans le Levant quelques années
auparavant reçut pour mission de » rechercher avec le plus de soin
qu'il pourrait de bons manuscrits anciens en grec, en arabe, cj^
persan et autres langues orientales excepté en hébreu parce qu'il
en avait ici quantité, et les acheter pour le roi... Pour ce qui étaj^
(i) P'irjiitl AVx'on'ï"/, p. KV — ^'- FF.KMA\'tx, Théven'OT.
(2) Ainsi les turih du 20 0/0 Jressûs par ia Chambre.
(îl Lfitre de Catlcit, 17 mars rôjr. Utlr/j tl bntr. T. VU. Siipplim., p. /; _
— Vansleb suivit ses instructions, cir en 1671, 72, 73, il envoy.i pour U ^\'^I^~^f'
tlièquc du roi 457 ouvrages. Ihid., p. />y. ^»^^^^i^
LES AnTICT.ES D IlSfPORTATlOK
sf>:
matières dont pouvaient traiter ces manuscrits, celles de la reli-
gion étaient les plus reclicrchccs, comme les traités des Pères grecs,
les anciens conciles ou synodes et l'Iiistoire ecclésiastique ; après
jla l'histoire séculière, la géographie, la philosophie, la médecine
'et les mathématiques'. »
Les ambassiidcurs de France A Constantinoplc suivaient Icsinstruc-
ions des ministres autant que leur propre goût, quand, par une tradi-
tion conscn-éc jusqu'au xvni' siècle, ils s'intéressaient aux reliques de
l'antiquité si nombreuses dans le Levant *. Colbcrt s'adressait môme
aux consuls pour les charger de faire des recherches et des achats :
D'Arvieux lui envoyait d'Alep, en 1683, « une grande caisse
de très beaux manuscrits orientaux très bien choisis pour sa biblio-
thèque et celle du roi * », et Baron, autre consul d'Alep, lui écrivait
le 23 juin t668 : « j'espérais, Monsieur, de vous régaler de qucl-
jues curiosités de Perse et des Indes et je me fondais sur une lettre
que le pèce supérieur des capucins d'Ispahan m'écrivit le mois de
novembre dernier*, n
^P Colbert et Seignelay encouragèrent aussi un autre trafic moins
recommandable, c'était celui des esclaves destinés au service des
galères royales. Malgré les engagements formels pris lors du renou-
vellement de-s capitulations en 1673, les capitaines et patrons des
bâtiments français continuèrent à acheter clandestinement aux cor-
saires chrétiens qui croisaient dans l'Archipel les prisonniers qu'ils
Caisaicnt ; un postulant du consulat de la Canéc offrait même i"! Sci-
rnelay de lui fournir chaque année un nombre déterminé de galériens
1 on lui donnait cette charge *.
(f) Lettrt (/<• Colbtrt, jt> die. i66j. — Lcltrfi el Imt., t. VU. Siipph'meiil p. ^60.
{2) Harlay de Sancy, Marchcville, ami du grand tl'riidit et cnlleciionncur
r'ciresc, Nointcl, Guillcrapues, s'en occupèrent particulièrement,
(j) D'Arvikux, t. VI, p. 55).
(4) LtttttJ et Insl. de Collvrl, l. l'il. SiippUiiunt, t>. ]S5'S^- ~ Colbcrt l'axait
*^IJ outre chargé d'autres achats : « J'.ii bien du déplaisir, écrit Baron, de la mort
<Jes quatre gazelles oiic j'envoyai en Alexandrcttc oour mettre sur le vaisseau du
«^sipitaine Hugue. C'étaient des animaux très jolis et qui vous auraient sans
"^oute beaucoup plu Je ne me rebute point pour ce petit accident, nonobstant
^3 uc vous me témoignez de n'en p.TS sounniter davantage... Quant aux ciicvaux
^Jfabes qu'on appelle de race, ils sont ici très chers et très difficiles .1 connaître.
r *ai du monde en clierche pour cela et je pourrai vous en acheter deux ou trois,
t- 1 >' aura de la dilViculté ù les embarquer en .\texandrette avec ces embarras de
S"*-»<ïra'dc Candie. Les .Anglais en ont envoyé d'ici â Smyme par terre, je crois
X 'J*?, par là, l'embarcation est permise.... Ils en ont envoyé en Angleterre des
* «îMx et des trois à la fois. »
< 5) V. L/itrfs d( Seignelay, $0 «w. s68o, 3/ mars et 14 avril 16S4, 2) fh: 1681.
■^^. 6.
5Ô8 TABLEAU DU COMMERCE
L'industrie marseillaise, très active, consomniviit sur place une
partie importante des marchandises qui venaient du Levant. Les
manufactures analogues établies en Provence faisaient aussi une
grande consommation de matières premières. Beaucoup de char-
gements prenaient la direction de Lyon; sur la route qui unissait les
deux villes c'était un va-et-vient continuel de muletiers conduisant
leurs lourdes charrettes. Toutes les soies qui ii'étaient pas travail-
lées .'i Marseille passaient par là, car Lyon était le marché général de
cette marchandise pour toute la France et les soies ne pouvaient
pénétrer dans le royaume qu'après avoir été visitées par la douane de
Lyon. Mais les soies du Levant ne s'arrêtaient pas dans cette ville
car l'industrie lyonnaise employait surtout celles d'Italie qui arri-
vaient par 1.1 route du Pont de Bcauvoisin, comme l'écrivait en
1707 l'intendant du Lyonnais à Chamillart : «1 Nos ouvriers
n'emploient presque que des soies d'Italie, fort peu celles de France,
l'on peut compter que celles de France ne fournissent que du 1/4
au 1/5 de ce qui s'emploie ici Il nous vient encore des soies de
Messine et du Levant mais l'on s'en sert fort peu dans nos manu-
factures : elles s'envoient X Tours et s'emploient pour les
rubans'. » En dehors des soies on transportait A Lyon, mais en
moindre quantité, des cotons filés, des toiles de coton, des laines,
des plumes d'autruche, des drogues de diverses sortes, du café *. Une
partie des marchandises du Levant qui avaient cette destination
évitait la grande route qui suivait la v.illce du Rhône, où il fallait
payer la douane de Valence et toute une série de péages, et prenait
la route des Alpes à travers le Dauphiné et la Savoie pour entrer en
France par le Pont de Beauvoisin, comme les marchandises qui
venaient d'Italie '. Les négociants de Lyon faisaient même directe-
tcment des achats considérables dans le Levant sans passer par
(i) Trudaint, inttndant à Lyon au contrôleur génial, if novembre 1707 Bois-
LiSLE, tontf II, iî40" — Savary, Dk. col. 8jo: La manufacture de Tours con-
sommait .niitrefois jusqu'à 2.400 balles de soie; à présent 7 ou 800 balles suffi-
sent... Chaque balle pèse de 160 à 200 livres. » — Col. Sfn-p : « ïoutci les solo
qui se lireni du Levant, de Perse, de Messine, d'Italie, d'Espagiie. etc. doivent
être conduites i\ Lyon et c'est de là qu'elles sont envoyées A Paris, à Tours et
dans les autres villes du royaume où il y a des manufactures de soieries. »
{2) Voir Hll, 26. Etal des ttuncliatiJius de Lmant ivnuts de ManeilU à Lyoni»
t*t oclobreaii /^' dtc. 16S] : 438 balles de soies, 112 balles d'autres marclwiidisc*.
(^1 Voir l!H, 26. Etui des marclMmlists iviiues de h ville Je Marseille ftit le Pml
ik Beauvoisin an bureau gènàal de la douane à Lyon, en juin 16S6 ; i\\ balles de
soies, n8 balles ou caisses Je marchandises variées, dont 47 halles de cotun filé.
LES DÈBOUCJiès DES PRODUITS DU LEVANT
509
i '1
I
rintcrmédiaire des négociants MarscilUis ; « on tient, écrit Savary,
qu'ils sont intéressés pour environ i . 500.000 livres par an dans le
commerce du Levant*. »
Chaque année la foire de Beaucaire attirait un nombre considé-
rable de barques de Frovencc, mais elles étaient chargées surtout du
produit de la pèche des marins provençaux, de fruits du pays ou de
niarchandiscs d'Italie, et elles ne transportaient que très peu de
produits tirés du Levant*. Les manufactures de draps du Languedoc
et du Dauphiné devaient recevoir une grande partie des laines qui
venaient en si yrandc quantité .\ Marseille cependant elles
employaient beaucoup de laines du pavs^. Enfin les navires ponan-
taisdc Saint-Malo ou de Dunkcrque qui .apportaient ;\ Marseille les
morues de Terre-Neuve, les sucres et les cassonades du Brésil et
des « îles d'Amérique » etlesaiiues produits des Indes occidentales,
chargeaient pour leurs retours des marchandises du Levant, surtout
depuis que les édits de 1685, 1692 et 1703 avaient empêché les
Ponantais de se les procurer auprès des Anglais et des Hollandais.
es Malouins approvisionnaient Nantes et Rouen, les Dunkerquois
transportaient les matières nécessaires aux industries des Pays conquis
du Nord, de l'Artois et de la Picardie. Les laines, les cotons, les fîlsde
chèvre, les poils de chameau, l'alun, les gommes, les noix de j^alles,
le bois de fustel, les cendres de Syrie et généralement toutes les
matières employées dans les teintures, les cuirs et maroquins, le riz,
^^ étaient les principaux articles des cargaisons des Ponantais*.
^P Malgré la grande consommation de produits du Levant dans
^^ toutes les manufactures du royaume, les Marseillais en revendaient
^_ des quantités considérables dans les pays étrangers, en Espagne, en
^f (i) Savary, Dkiionu., col. S>i.
I (2) V. HH. 26, une série de procès-verhaux de visites des barques se rendant
I à Beaucaire, faites à Arles par un commis envoyé par la Chambre pour faire
^^L payer le 200/0 aux marchandises du Levant qui pouvaient se trouver sur ces
^VpArquos. — 90 barques visitées en 168), j8 en 1689, 60 en 1691, 18 en 1692,
^^ 27 en 1693, 51 en 1695, 61 en 1694, etc.... Ces procès- verbaux très intéressants
qui donnent tout le détail des cargaisons des barques qui se rendaient à Beaucaire,
montrent l'importance encore considérable de celte foire.
(3) Sav<\ky. Dut. col. i/iii : « Les laines pour ces manufactures (Grenoble,
Voiron, Tullins, Saint-.Marcellin, Vienne, Romans, etc.)..., sont presque toutes
du pays. »
(4) L'arrêt du 22 février 1687 qui CNcmptait momentanément Dunkerque du
20 0.0 énumére ces niardiandises. — Voir aussi //, 2 : EUtt da bdlimtnts partis
de MarteilU pour h Ponant de 16S0 à i6Sj. — Cf. p. 370.
510
TABLEAU DL' COMMERCE
Italie, en Suisse et même en Allemagne. L'Espagne surtout avait et
pendant tout le xvii' siècle, l'un des débouchés les plus importants
du commerce Marseillais. « 11 y a dans Marseille et sur la cote de I*rc
vence, écrit Savary, plus de 80 barques qui ne font autre trafic que
d'aller en Italie, en Barbarie, en Espagne porter et rapporter de
marchandises et courir départ et d'autre avec une diligence incroya*
ble Ce sont proprement des postillons de mer qui ne mettent
jamais plus de deux ou trois jours de distance entre leur arrivée
leur départ Comme l'Espagne n'a point de coiTespondance dani
le Levant, les Espagnols n'tn reçoivent les marchandises que parle
moyen des Marseillais qui leur envoient en droiture sur des taruoc
une partie de ce qu'ils en ont apporté... principalement des toilerie
bleues de diverses qualités, tant de celles d'Alep que du Cairc,j
quaiuiié de laines qui viennent aussi de cette dernière ville, dont le
Espagnols font des mouchoirs, des drogues pour la médecine et
teinture, etc.... Le négoce le plus considérable que les Marseillais
font en Esp.agne est celui de Cadix '. »> En ert'et les barques ou tarunc
de Marseille firent en quatre ans, de 1680 à 1683, 675 voyages aui
ports d'Espagne*, mais l'examen de leurs cargaisons semble montrvj
qu'elles transportaient beaucoup moins de produits du Levant que
ne l'indique Savary et que leur trafic consisiait surtout en denrées ou
objets manufacturés de France.
Les voyages de Marseille en Italie étaient plus fréquents encore
dans les quatre mêmes années on en compte 98S, accomplis eal
grande partie par des tartanes et des bateaux plus petits. Mais leur
chargements étaient composés presque en entier de produits rran»;
car les vaisseaux italiens de Gènes et de Livourne, les Hollandais 1
les Anglais ou les Français, surtout les capitaines de La Gotat^j
transporuient directement les marchandises du Levant eu It2lic,|
Cependant des laines, des cuirs, des cotons, des dr
apportées .i Marseille repassaient en Italie sur les petit? n .
faisaient le cabotage entre les deux pays*.
(1) SwARY. Dit/, (-o}. 906. — V. col. 934.5J où il parle du comone
Mibgd, .Micjnic, Barcelone ; il cxagùre b ruine de celle-ci ; « Ln
tout peu lie commerce, dit-il, un N-aisscau Je morue de U pichc
suffit. » — Cf. Itstvctùm Jt Stfuiran. p. 2.1&
(i) 187 en 1680, 174 en 1681, 191 en 1682. 13) eu ; : 1 P^tbaoti
)i A Barcelone. 22 à .\licantc, i} a lisbcmne, 14 t d^ .3.
{}) V. //, i. Sur tes 270 voyages ùHu, en 1680, le plu* gtju4 uuaùn haat
LES DlîBOUCHtS DES PRODUITS DU LEVANT 5II
Enfin la voie du Rhône servait à transporter les marchandises du
Levant à Genève et de là elles étaient vendues dans toute la Suisse
et dans l'Allemagne du sud'. Mais, alors comme aujourd'hui, ce
marché de l'Europe centrale était disputé par trois puissances mari-
times : les Génois y envoyaient leurs marchandises par le Piémont,
les Hollandais par la voie du Rhin. Pour assurer l'avantage au
commerce français le roi, par l'édit de septembre 1664, accorda
l'exemption de tous droits pour les marchandises qui transiteraient
de Marseille à Genève par la voie du Rhône. Cette liberté du transit
fut révoquée par arrêt du Conseil du 2 décembre 1673, sans doute à
la sollicitation des propriétaires des péages sur le Rhône, à la tête u
desquels étaient le prince de Monaco et le duc de Ventadour. Le
20 septembre 1678 ell^ fut rétablie, mais pour la Compagnie du
Levant seulement ; cette fois, ce furent les Lyonnais qui protestè-
rent contre ce privilège, défavorable pour leur commerce, et un arrêt
du 26 octobre 1680 limita le nombre des marchandises avec les-
quelles la Compagnie pourrait faire le transit : les noix de galles, les '
cotons, la cire jaune, le sucre de la raffinerie de Marseille, le poivre, \
l'étain et l'anis restaient les seuls produits exempts de tous droits ; U
d'autres ne devaient payer que 45 sols par quintal, d'autres enfin \\
étaient assujettis aux droits ordinaires. ;;
Cependant les Lyonnais et les péagers du Rhône renouvelèrent, Ij
chacun de leur côté, leurs réclamations et le privilège du transit fut
supprimé de nouveau en 1688. La question fut alors vivement
débattue devant le Conseil entre le prévôt des marchands et les éche-
vins de Lyon, les péagers du Rhône et les intéressés de la Compagnie .
du Levant. A la suite de ces contestations la liberté du transit fut réta-
blie en 1692 en faveur d'une Compagnie particulière, mais, quelques
années après, Pontchartrain se demandait de nouveau s'il ne serait
pas bon de le rendre général*. Cette question, depuis si longtemps
accomplis dans les ports de la rivière de Gênes. — 60 à Languilla (Laigueglia ?
entre Oneglia et Albonga), S9 à Gênes, 25 à .San-Remo, 18 à Savonc, 51 à
Livourne, 12 à Naplcs. etc. ;
(i) Dès le xvi<: siècle des marchands des pays Rhénans venaient chercher des «
marchandises du Levant à Marseille. (V. Reg. des fnsin. de l'amirauU de Marseille, \
Arch. des Bouches-du-Rhôtie. — Mainlevée de la saisie de 180 balles d'alun qui avait |
été pratiquée à Marseille sur Israël Miquel marchand de Strasbourg et ses associés >
Nicolas Meycr et Georges Obret. 2 septembre ISSS- Registre I, fol. 31). S
(2) Voir pour cette question plusieurs mémoires des Archives de là Marine. |
B', 49Î, fol, ^)2-S>7 ■' Mémoires généraux sur le droit de transit de Marseille à Genève !
et de Genève à Marseille (sans date, mais postérieur à 1692). — B', 4(^6, fol. 4j- 1
SI.
TABLHAU DU COMMERCE
pendante, ne fut pas encore réglée, on la discuta encore par devant
le Conseil de commerce en 1704 : les Lyonnais demandèrent que le
privilège accordé à la compagnie marseillaise dirigée par le sieur
iMagy fut étendu .1 tous les négociants, tandis que les fermiers géné-
raux réclamèrent l'abolition de la franchise. L'arrêt du 15 octobre
1704 ne satisiit personne, en révoquant le privilège du transit et en
établissant un tarif particulier qui équivalait à l'cxemptiou de la
moitié des droits ordinaires'.
Ces longues tergiversations n'avaient pas contribué à encourager
le commerce de Marseille avec la Suisse et l'Allemagne; cependant,
à défaut de chiffres précis, on peut affirmer qu'il avait une réelle
importance, comme suffirait à le montrer la longue rivalité des
Marseillais et des Lyonnais qui se le disputaient. En 1680, la Com-
pagnie du Levant ab.indonna le monopole de ce commerce qu'elle
possédait à une société de marchands marseillais moyennant
une redevance annuelle de 12.000 livres; ceux-ci, pour payer
cette somme sur leurs bénéfices, devaient faire un trafic assez consi-
dérable. Peu après la révocation du droit de transit, en 1704, la
Chambre se préoccupa d'empêcher qu'un voiturier n'obtint le pri-
vilège des transports de Marseille .'l Genève, et elle se félicita de le
voir abandonner sa prétention; elle considérait comme un point
particulièrement important le transport des cafés « que les voituricrs
ordinaires s'obligeaient de rendre à Genève moyennant onze livres
du cent pesant, au lieu que le sieur xMagy faisait payer treize livres
avant la révocation du transit. » En retour des marchandises qu'elle
faisiiit passer en Suisse, Marseille recevait de Genève « des toiles et
des épiceries, qui sont, écrit la Chambre, deux articles très considé-
rables pour notre commerce*. » Ces épiceries, apportées des Indes
fç : ConUsIalion pour k transit entre le pfina dt .\Jl>i.<, ir, u.ii. Je Ventaïk^ui 1. .ikii.j
propriètairci dt's péage i ijui se Ih'tnt sur le Rlioiie, tes iiiléressJa Je la Cotuptigtit Ju
l/varil et le pri'viU des marchands et kisevins de Lyon, i6o<>. — Fol. ti)S-ioo. — f<)l.
2f6-2ôi : Mémoiie Jalsanl mention du prix des marcIxinJises et des frais Jeivtturt Je
Hollande en Suisse et Haute- Allemagne par comparaison dt celles d'Italie et de \iafifilU
Jani Usdits pa\s, tant parle RIxiiie que parla voie de Nice et dit Piémont, t6<.>t. (TablcJU
détaille et intt-ressaiii des Irais de transport). — Fol. 261-62 : ce mémoire ra|>pcllc
les arrêts du 2 décembre 1675, 10 septembre 1678, ao octobre et 22 décembre 1680,
;i mai 16S1, jo mai 1682.
m Arch. Xulion., F", ji : sé.mcc du Conseil de commerce du ;} janvier 1704
(fol. 2} s) ; — du 12 juillet 1704 : rapport de M. Dcriiofl»on sur le dossier du trausit
(fùl, 2^6). — BU, jy. Lettre du 1; octobre i-;o4 ; — BB, j. Arr/t du ;/ odcbre 1^04
(fol. 292).
U) BB, 21J. iMlru du 1) octobre i/O.f, 3} janvier ijoj.
LES DÉBOUCHÉS DES PRODUITS DU LEVANT 513
en Hollande et de là par le Rhin i Genève puis à Marseille et desti-
nées en partie à être réexportées dans le Levant, suivaient une voie
bien singulière pour parvenir aux échelles qui les fournissaient autre-
fois à l'Europe.
Des Suisses s'étaient même établis à Marseille, où ils étaient
attirés par de grands privilèges, pour y pratiquer le commerce du
Levant. En 1716, la Chambre délibéra au sujet de deux Suisses qui
réclamaient parce qu'on avait fait payer à La Canée les droits de
consulat à des marchandises qui leur étaient adressées, ils préten-
daient être soumis au droit de tonnelage payé par les marchands
français, et non aux anciens droits de consulat conservés seulement
pour les étrangers. « Etant Suisses, déclara la Chambre, ils sont à
l'instar des Français jouissant des mêmes privilèges que les véritables
sujets de Sa Majesté », et elle ordonna que les droits qu'ils avaient
payés leur fussent restitués'. Enfin, les Marseillais vendaient même
des produits du Levant aux vaisseaux hollandais qui venaient leur
apporter des métaux, des épices, des mâts, des cordages*, et qui
chargeaient surtout pour leurs retours des huiles, des savons et des
fruits du Midi*.
Les débouchés du commerce français du Levant étaient donc nom-
breux, mais ils étaient néanmoins insuffis;ints. Souvent les négociants
souffraient de l'encombrement des marchandises, qui restaient dans
les magasins sans acheteurs. Plusieurs fois, il fallut avoir recours à |j
des suspensions de commerce de quelques mois pour faciliter l'écou-
lement du stock accumulé i Marseille, et chaque fois qu'il se pro-
duisit un redoublement d'activité dans les échanges entre Marseille
et le Levant, comme de 1697 à 1701 ou de 1713 i\ 171 S> il en résulta
une véritable crise et une série de banqueroutes parmi les négociants
de Marseille. Ce qu'il fallait au commerce français du Levant, ce
n'était pas tant cherciicr des débouchés à l'étranger que s'assurer
(i) BB, 6. Dïlibiralion du 7 août iji6.
(2) Voir HH, 2/ : Etat des vaisseaux arrivés de Hollande à MarstilU et de leurs !|
clMrgtments en i6</S, i6q(}, ijon (14 vaisseaux d'Amsterdam et 2 de Rotterdam). 1
— Le girofle, le poivre, les inercerics; le fer, le plomb, le laiton, le fer blanc, la !
céruse; les cibles, le chanvre, les mâts, douelles, poulies et de nombreuses autres |
marchandises figuraient d.ins leurs cargaisons. •
(î) Vingt-cinq vaisseaux (dont dix d'Amsterdam) chargèrent à Marseille pour !
la Hollande de 1680 à 1683, et neuf pour Hambourg. 11 y avait à Marseille des 1
marchands hollandais établis et un consul hollandais. — V. Regisl. des Insiii. de !
Vamirautède Marseille, i" octobre r6/<;, 2} avril 16S}, 2 février 16S6 : enregistre-
ment de la commission du consul.
îî
5M
TABMîAU qi; ÇOMMERCp
cçli)i des port:> français du Ponant; la s^rveillancs plus rigoureuse
ctabjic pour faire payer le 20 0/0 força les Fonaniais, ver* le com-
mencement du xviir siècle, à s'approvisionner davantage à Manieillc,
et ce fut l'une des principales causes de l'essor plus grand que prit |c
commerce du Levant à cette cpocjuc.
La valeur des marchandises d'exportation fut toujours bien infé-
rieure à celles des importations du Levant en 1-rance, et de tout
temps les Marseillais complétèrent leurs cargaisons par de fortes
sommes d'argent. Cependant, A la fin du xvii' siècle, grâce aux efforts
de Colbert et de ses successeurs, les marc!iiandises prirent dans les
chargements des bAtiments français une place qu'elles n'avaient
jamais eue. Les articles que la France fournit aux ét^hellçs p¥
varièrent d'ailleurs pas pendant tout le xvii" siècle et le nombre en
était encore plus restreint que celui des produits du Levant apportù
en Ff^nçe, si rpn s&]{i tient i\ ceux qui donnaient lieu A un sérieux
trafic. Les draps .avaient à eux seuls beaucoup plus d'importance que
tous les autres, et après eux les papiers, les bonnets, la mercerie,
];\ quincaillerie étaient les seuls qui donnaient lieu .\ des veuics
considérables.
A la tin du xvu' siècle, les nombreuses manufactures du Langue-
doc' fabriquaient des draps fins et communs analogues à ceux dw
Anglais et des Hollandais; eUes les égalaient et parfois mèroe les
dépassaient en beauté et en qualité'. LesmanuCictures du Dauphinc
et de Provence ne produisaient que des draps communs et eu quan-
tité beaucoup moindre. De 1700 ù ijOj les bâtiments français
portèrent 61 .831 pièces de dr.ap^ dans les échelles et U guerre de
succession ne porta pas atteinte aux manufactures puisqu'en 1716
(1) Voir l'énumcratiou, p. 298.
(2) Voir au sujet de ces draps, p. 126, note 2. — Le tarif de fret dressé paç b
Cliambrc le 1^ février i-iX) distingue ies draps : iiuhout, londrine prcmiétc et
seconde, londres, Saint-Cliinian, S.iiiit-Pons et abouboucliv, BB, ; . — I,o l^r/ail
Kigxiiiiit donne le détail des assortiments de pièces de difléreotcs coulcoft dont
il faut composer une lialle de draps pour les ditVèrentcs éclielies. — Modèle d'une
balk de draps londrines pour Sniyrne ; une pièce écarlate ou rouge crantûisj ;
deux pièces violet, un clair cl un foncé; trois pièces vert, mais il n'eu tAut point
dv- vert d'herbe; une pièce couleur de pourpre ou cancllc. — Les coukun ks
plus demandées pour \a l'erse sont : Isabelle, feuille morte, couleur de soufrt,
jaune, citron, orange, couleur de chair, pourpre clair, céladon, rosc^ incaruadin.—
Les assortiments de draps londres destinés au peuple étaient moins compliqua.
Modèle d'une balle: trois pièces bleues, deux vert orua, une vert Daissani, Jctu
violet bien foncé. — P. 402 et suiv.
0) Dont 4*.>.095 pièces de draps fuis, is.l49dL draps commuas du Langucdoi
LES ARTICLES D EXPORTATION
515
l'exportation s'éleva à 15.485 pièces, chiiïrc qui sans doute avait
été rarement atteint auparavant. Ainsi, au commencement du xviii"
siècle, les trois grandes puissances qui se disputaient le marché du
Levant avaient la draperie comme principal article d'éciiange; elles y
portaient les mêmes qualités et les mêmes assortiments, ne cherchant
qu'à imiter réciproquement leurs procédés de fabrication. Mais, en
dehors de cet article commun d'éclianges, chacune d'elles écoulait
dans le Levant les produits particuliers de son industrie ou de son sol.
Les Marseillais vendaient dans les échelles diverses étoffes gros-
sières comme les pinchinats fabriqués en Provence, dont les plus
beaux étaient achetés 38 A 42 livres la pièce à Marseille, et les
vigans, que les tisserands des Cévennes apportaient à la foire de
Beaucaire. Ces draps, portés à Smyrne surtout' et à Constantinoplc,
étaient ensuite revendus aux liabitants de l'Archipel qui seuls en fai-
saient usage, aussi le débit n'en était pas grand ; il en était de même
des cadis et perpctuans de Nimes, mais les verdets de Montpellier
avaient plus d'importance puisque la vente de ces étofles à Smyrne
atteignait parfois 5 .1 600.000 livres'. En dehors de ces diverses dra-
peries, fines ou grossières, la Provence exportait encore dans le
Levant quelques toileries et des serges impériales.
La fabrication des bonnets de laine, florissante à Marseille, fournis-
sait un excellent article d'échanges : les Provençaux vendaient i
Smyrne jusqu'il 150 caisses de 80 douzaines de bonnets fins dont les
plus beaux valaient 3 piastres la douzaine et 200 caisses de bonnets
ordinaires à i pi;istre 1/2; à Constantinople b consommation n'était
que de 30 ou 40 caisses de bonnets fins\ Un certain nombre de
vaisseaux prenaient chaque année des assortiments de « merces *,
c'est-à-dire de mercerie ; suivant le Parfait Négociant on pouvait
débiter chaque année à Constantinople jusqu'.\ un million d'aiguil-
les de France, achetées à Lyon, Paris ou Rouen *. Quant à l'indus-
et 6.488 pièces Je draps commun.s Je Marseille ci du Djupliinc (Joiit j.tStj de
Marseille). — Ftat envoyé par le sieur Cauviùre inspecteur des Jraps. — Même ét.it
pour l'annte 1716. Arai Nul. f^.ô.f).
(i) Lts vigans valaient à Smyrne trois quarts ou utte piastre le pic, tandis que
les lonJrincs éuient venJucs Jcpuis deux piastres fiisqu'i trois piastres un quart,
les draps iiin-lonJrins jusqu'à deux piastres, les draps londrcs ou communs une
piastre un quart i une piastre et «ieiiiie. — Neuf pics de Smyrne faisaient dnq
auocs. {Piiij'uit Xt'gocitvit .)
(i) Parfait S'ègoàmil, p. .|o8. 410. 446-47.
(5) /WJ.,p. 408 et 453.
(4) ;W.,p. 4SI-
5 lé TABLEAU DU COMMERCE
trie des chapeaux, plus développée encore à Marseille que celle des
bonnets, elle ne donnait pas lieu à des échanges dans le Levant où
cette coiffure n'était pas usitée; les chapeaux de Marseille étaient
vendus en Italie et en Espagne.
Avec les tissus l'article de vente le plus important du commerce
français était le papier. Le trafic du papier dans le Levant était
antérieur au xvii*' siècle et les Vénitiens en portaient aussi des
quantités considérables, mais celui de France était plus renommé.
Sa réputation se maintint, même quand celle des draps tomba, et
quand Seguiran visita les vaisseaux de Marseille en 1633, la plupart
d'entre eux en étaient partiellement charges. Le papier des manufac-
tures de Provence et des autres pays du royaume était alors apprécié
surtout à Alexandrie et au Ciire où on l'acceptait dans les échanges
comme une véritable monnaie et l'un des meilleurs cadeaux que les
consuls pussent foire aux pachas et aux puissances était de leur en
donner quelques balles ; à la fin du xvii' siècle c'était plutôt à
Smyrne et à Constantinople qu'on en trouvait le débit; d'après
Savary les ventes s'élevaient à 7 ou 800 balles de 24 rames dans la
première échelle et h 900 dans la seconde, et les Français en reti-
raient environ 100.000 livres'.
Les métaux bruts ou travaillés donnaient lieu à un important
trafic dans le Levant où l'industrie minière et métallurgique n'exis-
tait guère, mais ce commerce était fait surtout par les Anglais et les
Hollandais qui s'approvisionnaient de ces métaux à Hambourg et
dans les villes de la Baltique. Les Marseillais en transportaient dans
les échelles de petites quantités qui leur étaient fournies par les
vaisseaux d'Amsterdam venus pour chercher des produits du Midi,
et plus rarement par les Anglais. C'est ainsi que le fer, l'acier, le
plomb, l'étain, le fer blanc, le fil de fer, le fil de laiton, la céruse, le
cinabre, r« arquifous* », figuraient chaque année, mais pour de
faibles valeurs dans les chargements des Marseillais. Les « quin-
quailles », fabriquées spécialement à Forest, étaient un article plus
courant du commerce des Français. « Dix-huit i vingt milliers de
quincaillerie de Forest, dit le Parfait Ni'gociaiil, se peuvent vendre à
( I ) V. liiijwlion tic Sej;ifiran, p. 2;./. — Parfait W[i^'ociant, />. 40^ : les ballots Je
24 rames se vendent de 16 à 18 pùistres ; les bons papiers, 20 piastres. — P. 447 :
il y a deux sortes de papiers de France ; le papier manuHicturé en Provence s'achète
36 livres le ballon de 24 rames et se vend ordinairement 20 piastres le ballon.
(2) Acheté en Angleterre ou en Hollande pour écurer.
LES ARTICLES D EXPORTATION 517
Constantinoplc, savoir : couteaux de nacre de perle, mancliettes
rondes, ciseaux il barbiers, ciseaux h rose, petits ciscaux'damasquinés,
couteaux à la caudale, 7 ;\ 800 douzaines de lunettes *. » La gre-
naille de plomb préparée ;\ Marseille pour la chasse foisait l'objet
d'échanges assez importants puisque la Chambre en évaluait l'expor-
tation à 150.000 livres par an vers 1700 ; il est vrai qu'une partie
était vendue en Espagne. Enfin, le corail ouvré à Marseille dans des
ateliers qui étaient une curiosité pour les étrangers, les « rocailles » .
qui « s'achetaient ;\ Rouen de plusieurs couleurs et façons et dont
les unes vertes et jaunes valaient environ 23 sols le millier », les
cuirs, « buffres, basanes, baudriers », les « auffes », ouvrages de
sparteric faits avec l'alfa tiré de la province de Valence et qui occu-
paient h Marseille quantité de pauvres gens, faisaient encore partie
des objets manuflicturés portés par les Français dans le Levant.
Outre les produits de l'industrie française un grand nombre de den-
rées, surtout de denrées alimentaires, soit des Indes, soit de Provence,
fournissaient des articles d'échange aux Marseillais. Les échelles, à la
fin du xvii*^ siècle, recevaient leurs épices de l'Occident au lieu de lui
en fournir; malheureusement, bien que la Compagnie des Indes
orientales en apportât beaucoup sur ses vaisseaux, ce n'était que par les
Hollandais que Marseille se les procurait. Par suite des monopoles
et de la bizarrerie des règlements on voyait ce spectacle singulier :
les Ponantais s'approvisionnaient auprès des Anglais et des Hollan-
dais des marchandises du Levant et les Marseillais demandaient aux
étrangers les denrées des Indes. Aussi, tandis que les Anglais
et les Hollandais portaient quantité d'épiceries dans les échelles,
les Provençaux ne vendaient qu'un peu de poivre et de girofle et
encore moins de cannelle et de muscade. Du moins les Malouins
leur apportaient avec leurs morues des produits des Indes occiden-
tales qui étaient ensuite réexportées dans le Levant, et même, ;\ la
fin du xvn' siècle, les Marseillais, encouragés par les ministres,
envoyèrent des vaisseaux eux-mêmes aux « îles françaises de l'Amé-
rique*. » Le sucre, raffiné à Marseille, et les cassonades du Brésil
(i) Par/ail Négociant, p. .f)i. — Forcst-sur-Vcsdrc , bourg de la province de
Litige, possède encore aujourd'hui divers établissements métallurgiques et des
fabriques d'aiguilles (3180 habitants).
(2) Autorisation donnée au capitaine François Bonnccorse de se rendre aux îles
d'Amérique avec son vaisseau le Saint -Charles, chargé de marchandises, et de les
}• échanger contre d'autres, moyeniiant le 5 0/0 de la valeur du chargement à la
TABl-HAU nu COMMERCK
cwicni les denrées des Indes occidentales de meilleure vente d.ins le
Levant ; ils faisaient concurrence \ Sniyrnc et \ Constantinoplc
aux sucres d'Egypte et ces deux L^chelles en achetaient de grindes
quantités, surtout quand la récolte d'Egypte n'était pas bonne. Un
voyageur remarque qu'i\ la fin du xvu' siècle les besoins du Levant
devinrent bien plus considérables quand les Turcs prirent l'habitude
de sucrer leur café comme ils sucraient auparavant déj;\ leurs autres
boissons. La cochenille, l'indigo, le bois de campôche» le bois du
Brésil, la salsepareille, le tabac, la morue, étaient les autres produits
d'Amérique que les MarscilLiis portaient aussi dans les échelles.
Quant aux denrées de Provence, elles n'avaient qu'un débit
restreint dans le Levant : les huiles étaient loin de suffire i la
consommation de la province et de ses savonneries' ; les .imandes
seules se vendaient bien et les Provençaux en retiraient parfois
jusqu'A 100.000 livres au début du xvin*^ siècle. La vente des caux-
de-vie atteignit ccruiines années une valeur double. Elles figuraient
toujours parmi les présents que les nations françaises des échelles
élisaient aux pachas et aux « puissances » du pays, avec le vinaigre,
le cassis et d'autres liqueurs, les eaïux de senteur et les confitures,
deux produits renommés de l'industrie marseillaise, les prunes de
Brignole et d'autres fruits. Le miel, le cumin, le gingembre, l'anis,
le vin même, mais rarement, entraient aussi dans les chargements
des b.'uiments de Provence '.
Comp-ignic des Indes occidentales, jo septembre 1670. Registit det /mit», dt
l'amiratiti de Mttrseillf.jol. j j22. — Id. 11 janv. t6jt,Jol. 7/ji. — Ai. 10 fitr.
i6S],Jol. /;;.
(i^ Q,u.int aux savons de Provence exportés en grande quantité en Espagne et
en Italie, on en venJ.iit très peu dans les échelles, car celles-ci en fabriquaient.
(2> Cette liste des niarcliandises d'export.ition a été dressée d'après une siaiiS'
tique des b.Uiments partis de Marseille en 1680, 81, 82. 83 et de leurs car-
gaisons (//, 3\, et le tarif de fret dressé par l.i Chambre, le IJ février 1700
{Bli, s). — D'après le premier de ces documents, sur 97 h.itimcnts partis pour le
Levant en 1680 et 1681, $2 portaient des dr^aps, 60 du papier, 23 du sucre et
TO de la cassonade, iq du poivre et 7 du girolle. i> de la mercerie. 13 des
bonnets, 7 des quincailles, 9 des amandes, elc, — Mais les archives de la Chambre
ne reiifernienl iiucun document du XVii>-' siècle nous renseîgn.nnt snr l.i valeur
des exportations pour le Levant. Des statistiques très o>mplètes ont été conscnéo
au cnntr.iire à partir de r7J> (II, ij). — On peut citer quelques chilTres de ces
documents pour montrer rimpnrtjiicc relative des divers aruclcs d'exportation.
En 1726 les exportations pour le Lev.tnt s'élevèrent ;'i 5 îSô.cxxi livres idrapJ
2.450.000 — mercerie 523.000 — cau-de-vie 207.1V10 — amandes t}l.O0D —
indigo 136.001) — quincailles 40.000, etc.) — Le p.ipier et les bonnets ne
figurent dans ces statistiques que |v>ur des sommes insi;inifi.intcs car la pcslç de
1720 avait désorganisé pour quelques années les industries niarscilUiscs.
LES ARTICLES D EXPORTATION 519
Ainsi les Français tiraient surtout des échelles des matières pre-
mières nécessaires aux industries du royaume, ils y vendaient prin-
cipalement des objets manufacturés qui n'étaient pas moins indis-
pensables aux Turcs, et ce qui caractérisait le commerce du Levant
au XVII'' siècle, c'est que Français, Anglais et Hollandais transpor-
taient à peu près les mêmes articles et faisaient tous le même trafic.
Pour tous la balance du commerce s'établissait par un apport plus
ou moins considérable d'argent dans les échelles. Mais le commerce
du Levant qui donnait lieu à un vaste mouvement d'échanges,
entretenait une active marine marchande, faisait vivre une nom-
breuse population de marins, alimentait de matières premières de
nombreuses industries et leur fournissait en môme temps des
débouchés indispensables, était un commerce, non seulement utile,
mais nécessaire au royaume, en dépit de l'excédent des importations
qui avait longtemps jeté le discrédit sur lui et l'avait fait combattre
par les gens trop imbus de la théorie de la balance du commerce.
CONCLUSION
Dans 'la seconde moitié du xvi'' siècle le commerce français
avait atteint presque tout d'un coup dans le Levant le plus
grand développement qu'il ait jamais eu. Leur alliance étroite
avec les Turcs, les concessions nouvelles que ceux-ci leur
accordaient ;\ chaque renouvellement des Capitulations, avaient
fliit aux Français une situation exceptionnellement privilégiée :
depuis 1381 leur pavillon pouvait seul flotter librement dans
les mers du Levant à côté de celui des Vénitiens. G:ux-ci,
afïliiblis par les longs efforts qu'ils avaient soutenus contre
les Ottomans, et sans cesse en lutte avec eux, n'avaient pu
défendre leur ancienne prépondérance.
Mais la situation avait grandement changé au début du xvii'
siècle : non seulement les Français ne furent plus les seuls alliés
des Turcs et les Anglais et les Hollandais firent recevoir leurs
ambassadeurs à la Porte, leurs consuls et leurs résidents dans
les échelles, mais l'union des lys et du croissant fut sur le point
d'être rompue et, au lieu d'être traités comme auparavant avec
flivcur, les Français se virent partout molestés. Profitant de cette
nouvelle situation et encouragés par la ruine de la marine de la
France, les Barbaresques, dont la course était devenue l'unique
moyen d'existence, s'enrichirent des dépouilles des Français : la
puiss:ince d'Alger au début du xvii'' siècle grandit surtout aux
dépens de Marseille et du commerce des Provençaux.
De plus le commerce de ceux-ci portait en lui-même des
germes de désorganisation et de décadence : les abus d'autorité
des ambassadeurs de France à Constantinople et des consuls
des échelles, leur avarice et leurs concussions, la mauvaise
conduite des résidents des échelles, le manque d'une autorité
capable de réprimer tous les abus, contrastaient singulièrement
avec l'ordre et la régularité que les Anglais et les Hollandais
CONCLUSION- 521
avaient su maintenir dans leur négoce et dans leurs établisse-
ments du Levant. Tout semblait accabler A la fois les Français :
la lourdeur des impositions croissantes qui frappèrent leur com-
merce et l'avidité de ceux qui les levaient leur ôtaient tous les
bénéfices qu'ils pouvaient encore faire. Enfin les manufactures
du royaume en décadence ne leur fournissaient plus les riches
cargaisons qu'ils portaient autrefois dans les échelles et ne con-
sommaient plus en assez grande quantité les produits qu'ils en
retiraient. %
Les Provençaux résistèrent pourtant X cette longue crise qui
dura plus de cinquante ans ; ils voyaient leur ruine approcher
tous les jours, mais ils luttaient en désespérés parce que le
commerce du Levant était lié trop intimement depuis des
siècles à la vie de leur province pour qu'ils pussent l'aban-
donner. Ils connaissaient les causes de leurs maux ; les députés
du commerce de Marseille, qui étaient A leur tête, ne cessaient
de présenter à la Cour des Mémoires de leurs plaintes, et de
réclamer des réformes salutaires ; mais il fallait une intelligence
puissante pour embrasser d'une vision nette toute la gravité
de la situation du commerce et les remèdes qu'on pouvait y
apporter, et une forte volonté pour triompher des résistances
de ceux qui profitaient des abus, ou même de l'hostilité des
membres du Conseil qui, trompés par une théorie économique
fausse, voyaient dans le commerce du Levant un danger pour
l'Etar. Colbert eut i\ la fois cette vision nette de ce qu'il y
avait A faire et l'énergie nécessaire pour mener à bien l'œuvre
des réformes. Ses efforts incessants, continués avec un grand
esprit de suite par Seignelay, les Pontchartrain et Chamillart,
arrêtèrent d'abord la décadence du commerce et le mirent peu
A peu en état de lutter contre la concurrence des étrangers
puis de reprendre la place qu'il avait eue auparavant.
Le relèvement du commerce fut malheureusement gêné A
deux reprises, au moment où il commençait A prendre un
grand essor, par les guerres de la ligue d'Augsbourg et de
la succession d'Espagne pendant lesquelles la ruine de notre
marine permit à nos rivaux de se rendre les maîtres de la
Méditerranée. Néanmoins le négoce avait ressenti les bienfaits
de la réorganisation accomplie par les ministres de Louis XIV:
522 CONCLUSION
la marine du Levant redevenue nombreuse et active, l'impor-
tance du trafic plus que triplée depuis t66i, tels étaient les
résultats qu'on avait pu constater pendant les courtes périodes
de paix de la fin du règne. En 1715, le commerce français
n'avait pas repris la place prépondérante qu'il occupait cent ans
auparavant, il le cédait même en importance à celui des Anglais,
mais il était plus solidement établi qu'il n'avait jamais été.
Bien vus à la Porte, en paix avec les Barbaresques, forte-
ment organisés dans les échelles désormais préservées des désor-
dres, dirigés par la Chambre du commerce de Marseille qui
avait inspiré les ministres de Louis XIV dans leurs réformes,
et, gardienne des traditions, veillait au maintien de l'ordre éta-
bli, les Français allaient pouvoir, au xvm' siècle, lutter à armes
égales avec les Anglais restés leurs seuls concurrents redouta-
bles. Dans toutes les grandes échelles on voyait maintenant
établies ces deux nations qui, au début du xvir siècle avaient
borné leurs établissements et leur navigation à quelques grands
marchés du Levant. Français et Anglais, poussés par la néces-
sité qui s'imposait à eux, par suite de la diminution du com-
merce du Levant privé des marchandises des Indes, et de la
rude concurrence qu'ils se faisaient, avaient cherché à regagner
par l'extension de leur négoce à de nouveaux pays, ce qu'ils
perdaient dans les vieux marchés du Levant. Pour la première
fois, au début du xviii' siècle, les échelles françaises du Levant
couvraient toutes les côtes de l'empire du Grand Seigneur
depuis l'Albanie jusqu'à la Barbarie; seule la mer Noire restait
fermée aux Provençaux, mais elle allait bientôt leur être
ouverte.
Quel avenir le xviii"-" siècle leur réservait-il, c'est ce qu'il était
impossible de prévoir en 1715; car, s'ils avaient fait depuis
depuis vingt-cinq ans des progrès rapides que la paix devait
encourager, les Anglais, pendant le même temps, n'avaient
pas tait moins d'efforts : c'est dans cette courte période qu'on
les avait vus s'établir au Caire et disputer aux Français le marché
de l'Egypte dont ceux-ci avaient espéré se réserver la jouissance
exclusive. En face de l'activité de ces deux nations, seule la
ruine définitive du commerce des Hollandais, dont la décadence
en 17 15 était dcj;\ sensible, paraissait se préparer.
CONCLUSION
523
Il est vrai que le dcvcloppcment du commerce français était
entravé par la rL-t^lcnu-ntation trop étroite ;\ laquelle il avait
été soumis. Colbert, témoin attristé de la prospérité du com-
Bmerce des Hollandais et des Anglais qu'il attribuait à l'orga-
Wriisation de leurs compagnies, avait eu l'esprit vivement frappé
" des dangers de l'initiative individuelle, aux hasiirds de laquelle
était abandonné le commerce français : elle n'engendrait que
Bdes abus et ruinait le négoce par la concurrence effrénée que
se faisaient les marchands, trop nombreux \ s'en disputer les
bénéfices. Il avait donc créé la Compagnie du Levant, sans
■ cependant lui donner de monopole exclusif, mais pensant bien
qu'elle aurait vite fait de s'emparer de tout le commerce.
L'événement avait trompé ses prévisions, et Pontcliarirain avait
dû renoncer définitivement i\ relever la Compagnie déjà tombée
H plusieurs fois. Le commerce du Levant était donc resté libre
" en France, sous la direction de 1.1 Chambre du commerce de
Marseille, mais celle-ci fut soumise de plus en plus ù l'auto-
rité de l'intendant de Provence, inspecteur du commerce du
Levant, qui exerça sur lui une tutelle étroite. Li centralis;i-
tion eut pour effet une accumulation de règlements de plus en
plus rigoureux : le départ des navires, les prix du fret, les
achats et les ventes dans les échelles, tout fut peu ;\ peu
réglementé, et le but poursuivi était de réduire presque à rien
la part de l'initiative individuelle.
H De plus, dans la pensée que le trafic devait être concentré
dans un petit nombre de mains pour être profitable, Colbert
en avait réservé le monopole au port de Marseille et, dans
celui-ci même, il comptait que la Compagnie s'en rendrait
m.aîtrcsse. Seignelay et Ponte hartrain, s'inspirant du même
principe, mais oublieux de la prudence que montrait toujours
Colbert dans rapplicatioii de ses idées économiques, avaient
Brendu plus exclusif le monopole de Marseille, et Pontchartrain
avait même limité, par le lameux règlement du tour de 1700,
le nombre des navires marseillais qui pourraient partir chaque
année pour chaque échelle.
■ Hnfin, l'aggravation du système protecteur de Colbert empê-
chait les négociants d'acheter dans le Levant plusieurs articles
d'échange avantageux et de se procurer librement auprès des
524 COSCLUSIOX
Anglais et des Hollandais un certain non-.?re ie nnrchi-iise^
nécessaires au commerce du Levant qui leur coùtiii-r.: reiujoup
plus cher dans le royaume ou ne s'y :rouvjîen: ri>. C'e^:
pour mieux l'établir et empêcher plus ûciiemen: la contreranvii-
des marchandises étrangères, auunt que par cra:r.:c ces ciccs
de la concurrence, que les ministres de Louis XIV jvaier.: t-ic
amenés non seulement à maintenir, mais a aggraver ce système
suranné de commerce qui faisait de l'un des ports du royaume
le centre privilégié et l'entrepôt exclusif du tralic avec l'une
des parties du monde.
Cependant, ces erreurs économiques ne metuient pas le
commerce français dans un état d'infériorité vis à vis des
étrangers, car elles étaient alors acceptées par toute l'Europe
comme des doctrines salutaires, et c'est en étudiant l'organisa-
tion des Anglais et des Hollandais que Colbert s'était pénétré
des maximes qui avaient dirigé sa conduite. La Compagnie de
Londres était moins soumise, il est vrai, à la tutelle de l'Etat
et elle faisait elle-même les règlements qu'elle croyait utiles au
commerce, mais la concurrence existait encore moins qu'en
l'rance. Le commerce du Ixvant était concentré dans un plus
petit nombre de mains, et les marchands de la Compagnie, tout
en opérant chacun pour leur propre compte, étaient liés par
des règles étroites qui limitaient leur initiative. Comme le
remarque Forbonnais dans ses Questions sur k Commerce du
Iji'ant, la Compagnie de Londres, qui en avait le monopole
en Angleterre, était intéressée elle-même à ne pas donner trop
d'extension à ses affaires; elle préférait limiter ses ventes et ses
achats pour vendre plus cher ses marchandises en Angleterre et
réaliser autant de bénéfices en courant moins de risques.
Les théories des économistes comme Forbonnais, partisan de
la liberté du commerce et de l'industrie, devaient transformer
le commerce du Levant comme tous les autres, mais, en 1715,
les anciennes théories étaient encore en pleine faveur et c'est
avec l'organisation ;\ peu près semblable qu'ils avaient alors, que
les l-rançais et les Anglais allaient se disputer, au xviii'^ siècle,
la prépondérance dans le Levant.
TABLE DES MATIÈRES
Avant-Propos j-iij
BlHLlOGRAPUIE V-X
iNTKODUcnoN xj-xxxiij
Rôle des Français dans le Levant au xv»; et au début du xvi>: siècle. Les
Capitulations de 1535, 1569, 1581 (xj-xiij). — Etablissement des
Français dans les échelles, et des consulats (xiij-xv); progrès rapides
de leur commerce (xv-xvj) ; causes de sa décadence sous Henri III
(xvj-xviij). — Relèvement du commerce sous Henri IV : Savary de
Brèves et le renouvellement des Capitulations (xviij-xxj) ; caractère
nouveau de l'alliance turque (xxj-xxiij); efforts pour réprimer les
pirateries des Barbaresques (xxiij-xxv) et des Anglais (xxv-xxviij) ; mais
les abus apparaissent (xxviij-xxxj). Prospérité du commerce (xxxj-
xxxiij).
LIVRE I
L'ANARCHIE COMMERCIALE (1610-1661) 1-155
Chapitre Premier. — lf.s avanies 1-25
Ce que c'était qu'une avanie (1-2). — Causes des avanies : l'amitié entre
la France et la Turquie se refroidit (2-5) ; discrédit croissant des am-
bassadeurs : de Sancy, de Césy, de Marcheville, de la Haye (j-S);
progrès de la corruption et de la vénalité chez les Turcs (8). —
Exemples variés d'avanies (9-13). — Elles n'étaient parfois que des
représailles exercées à la suite des ravages des corsaires chrétiens dans
le Levant (13-17), ou les Provençaux se les attiraient par leur mau-
vaise foi (17-18). — Echelles qui supportèrent le plus d'avanies (19-
20). — Les Français eu souffrirent beaucoup plus que les Anglais et
les Hollandais (20-22). — Enormes dettes des échelles causées par les
avanies (23).
52é
TABLE DES MATIKRES
Chapitre II. — la piraterie
Insccuritc des mers et p;irti<:uliërement de ]a Méditerranée au xvir sîcclc
(24-28). — Los Barbarcsqucs : puissance d'Alger cl iniiX)rtiincc qu'y
prend h course (28-jo). — Guerre enlre les Algiiriens et les FrJtiyiis
(i6oy-28) ; mission de Sunson Napt)llon et paix de 1628 (50-55). —
Les hostilités reprennent .lussitùt 1 1629) ; croisières org.iiiisics par
Ricticlieu (1655-41) ; impuissance de notre marine aprùs lui (îj-î>>.
— Les Tunisiens sont moins redoutables ; cependant les imités de
16O), 1617, sont s.in5 cesse violés (35-58). — Politique particulière
suivie par ks consuls de Marseille à l'égard des deys de Tunis (58-
41). — Puissance croissante des « Tripolins » ; ils ne sont jamais en
paix avec la France (41-43). — Les Saletins : traités de paix de 1650
et 1635 avec le Maroc (43). —Pirateries des l'urcs eux-mêmes (44J.
— Rav.»ges des corsaires chrétiens : des Majorquins (i63)-j9), des
.\ntlais(!6ii-54), (.^5-47).
CH.\PITRE III. — LES IMPOSITIONS
Impositions extr.iordinaircs : dépenses supportées par le comuicrce y>our
les armements, pour les négociations avec les Darbausqucs (48-30).
— Coitimos et droits d'emr^e et de sortie sur les marchandises, éta-
blis i Marseille (1610-1630) (50-51) — Les impositions dans les
échelles : le 2 0/0 des ambassadeurs (51-54) ; les dettes de Ccsy (54-
55), leur liquidation (55-57); le 5 0/0 constitué pourles paycrl57-6o) .
lecottimo de 1648 et le cottimo dc&.\ngl.iis de 1655 (60); exactions
des .mibassadcurs, de Marchevillcet de la Haye (60-61); impositions
établies pou: le paiement des dettes produites par les av.inies (62-64).
Impositions royales, établies malgré la franchise du port de .Marseille
(64-67). Les droits nombreux qui pèsent sur les étrangers leur font
fuir le port de Marseille et causent U (ortunc de Livourne [67-70). —
Politique des Marseillais vis-à-vis des étrangers (71) ; droit de 2 0/0 du
duc de Savoie et du prince de Monaco (72-74). — Droit d'entnie Je
5 0/0 payé aux Turcs d.ms les échelles (74-75). — Conclusion (761
Chapitre IV. — les abcs dans les échelles. 77 9 J
Mauvaise organisation des consulats : la vénalité, les consuls hcmiiers
(78-80) ; leur mau\-ais recrutement (81-85). — Nécessité dans la-
quelle ils se trouvent de vivre d'expédients (85-86). IK cherchent a
s'enrichir par toutes sort"» de volcries I86-89). — Au lieu de prot<?-
léger les marchands, ils pratiquent le négoce eux-mêmes (89-91 1. —
Plaintes inutiles du commerce (91-92). — Mauvaise conduite des
marchands des échelles, leurs jalousies et leurs querelles (92-95).
Ch.\P1TRE V. — LES OtfAaL.\N"CES OE L'jlt>MlNISTRATION. 'J^ «1"
Le bureau et les députés du commerce de Marseille (96-97) ; lenr
insutiîsance ; suppression du bureau du commerce, 1631 (98).—
TABLE DES -MATIERES 527
Piges
L'administration di) commerce reste liée à celle de la communauté
de Marseille (99); dangers qui en résultent (loo-ioi). — Respon-
sabilité du gouvernement royal : les députés du comrnerce sont
obligés dp s'adresser directement au Conseil pour faire approuver leurs
actes (ipi-102) ; rôle utile n>ais intermittent du parlement de Provence
( 102-10}) ; les officiers de l'amirauté, par suite de leurs querelles avec les
députés du commerce ne leur sont pas d'un grand secours (103-104);
services rendus pur les intendants dés leur apparition (104-105). —
Lenteurs et incompétence du Conseil; la corruption s'y exerce (105-
108). — Le gouvernement s'occupe peu du commerce avant Richelieu
(108-109). — Richelieu s'intéresse particulièrement au commerce du
Levant (109-110); rôle du père Joseph (iicvii 1) ; grandes idées de
Richelieu ( 1 1 i-i 1 3) ; mais il accomplit peu de réformes pratiques (113-
115). — Bienveillance stérile de Mazarin pour le commerce (115-116).
Chapitre VI. — la ruine du commerce français et les progrès
DES étrangers. ••■••. 118-135
Progrès du coiiim^r^Ç des Anglais et des Hollandais (ii&-u9); leur
organis^tioti : les Compagnies de Londres et d'Amsterdam (119-
123) ; les convois (123-124); Livourne, entrepôt général des Anglais
et des Hollandais (124-125) ; Smyme, marché de leurs draps (125-
126) ; commerce particulier des Hollandais (126-127). — Progrès des
Italiens : les Vénitiens (127-128) ; efforts des Génois pour profiter de
U ruine des Français ; commerce de Livourne, de Messine ; projets
du duc de Savoie (128-130). — Progrès de la décadence du com-
merce français à partir de 1620 (130-132); ruine de la marine pro-
vençale (133-134). Conclusion (135).
LIVRE n
LE RELÈVEMENT DU COMMERCE (1661-1715) 1.37-352
Chapitre Premier. — colbert et la réforme des abus 1 37-' 59
Colbert veiH domiçr au commerce une forte organisation : il s'appuie
sur le Conseil (Je commerce ("138-139), écoute les gens d'expérience
(139-140), et trouve des auxiliaires habiles et dévoués, d'Oppèdc,
Arnoul, les intendants Rouillé et Moraiit (141-142). — Défiance
de Colbert envers la Chambre du Commerce de Marseille et les
Marseillais (142-145). Cependant influence croissante de la Chambre
(145-146).
Sévères instructions données à l'ambassadeur de Constantinoplc, cepen-
dant démêlés de la Chambre avec M. de Nointel (146-148). —
Réforme incomplète des consulats, malgré les nombreux arrêts du
528 TABLE DES MATIERES
Page*
Conseil que fit rendre Colbcrt (148-15 1). — Réforme de l'admi-
nistration des échelles r l'ordonnance de la marine de 1681 (152-153) ;
cependant les abus ne disparaissent pas complètement ( 154-155 ). —
Réforme des drogmans : les enfants de langue (155-157). — Colbert
tente en vain de réprimer les désordres des résidents des échelles et
d'empêcher les fraudes dans le commerce (157-159).
Chapitre II. — Le système commercial de colbert : I. L'affran-
chissement du port de Marseille et la liquidation des dettes
du commerce 160-177
La franchise du port de Marseille n'existe plus (i6o-i6i). — Projet
d'afifranchissement, discussions qu'il soulevé (161-164). — L'édit du
port franc de mars 1669 favorise surtout les étrangers (164-165) ; le
droit de 20 0,0 et le monopole de Marseille (165-167); difficultés
rencontrées pour la mise à exécution de l'édit, surtout au sujet du
20 0/0 (167-170) ; politique de Colbert vis-à-vis des étrangers (170-
173). — La liquidation des dettes du commerce et des échelles : éta-
blissement définitif du cottimo (1669) que Colbert regardait comme
une imposition provisoire ; lenteurs de la liquidation, inachevée eu
1683 (173-177)-
Chapitre III. — Le systé.me commercial de colbert : II. La com-
pagnie du Levant et la balance du commerce 17S-108
Idées de Colbert sur la nécessité d'une Compagnie (178-180). — Projet
de Compagnie exclusive des Lyonnais (180-182) ; la Compagnie de
Chauvigny (182) : formation de la Compagnie du Levant (1670) et
création de la Chambre des assurances de Paris (183-185) ; opérations
de la Compagnie : elle s'applique à développer les exportations de
produits de manufactures (185-186) ; elle a besoin d'un nou\-eau
capital et il faut la réorganiser en 1673 ; découragement de ses
membres (186-189). — Seconde Compagnie du Levant (1678-84)
son organisation et ses privilèges (189-190); elle a encore moins
desuccèsque la première (191-195). — Compagnie de la Méditerranée
établie à Marseille (1685-89) (193-194) ; manufactures de soieries
quelle crée à Marseille (194-196) ; mais diilicultés qu'elle éprouve
(196-197». — Nouvelle Compagnie de la Méditerranée (1689-94) ;
elle ne réussit pas mieux (1981. — Cependant projet de Compagnie
générale présenté en 1698 (198-199). — Causes des échecs des
Compagnies (i 09-21x11.
Idées de Colbert sur la balance du commerce et l'exportation de l'argent
(201-2021; Colbert cherche à empêcher le commerce des piastres
d'I'sp.ignc; sévérité regrettable qu'il montra (202-204). — Amélio-
r.ition des manulacturcs de draps (204-207) et projets de manufactures
des Prûvcn.,-aux (207-20S).
TABLE DES MATIERES 529
Pages
Chapitre IV. — le renouvellement des capitulations et la
LUTTE contre LES BARBARESaUES 209-2^9
Changement de politique vis-à-vis des Turcs conseillé par Colbert (209-
210) ; ambassade de M. de la Haye le fils (1665) ; il échoue coniplé-
tcment ; la brouille s'aggrave entre la France la Porte ; mission de
Soliman aga en France (1669) (210-211) ; cependant ambassade de
M. de Nointel (1670) et négociations pour le renouvellement des Capi-
tulations (211-215); les Capitulations de 1673 (215-216); les relations
restent tendues avec la Porte : M. de Guilleragues et l'affaire de
Chio (216-217) ' elles s'améliorent définitivement après 1683 (217 218).
Colbert veut établir le système des convois et des escortes ; il est mal
accueilli; on y renonce (219-221) ; organisation des croisières (221-
223). — Projets de destruction des Barbaresques ; cependant négo-
ciations avec les Algériens et traité de 1666 (223-224) ; paix de 1665
avec les Tunisiens, elle est mal observée (225); guerre contre Salé,
contre Tripoh (1661-81) (225-227). — Nouveaux projets de destruc-
tion des Barbaresques ; guerre contre Alger (1681-84): bombarde-
ments de 1682 et 1683 (227-229) ; nouvelle guerre contre Tripoli
(1682-85), contre Tunis (1681-85) (229-230). — Pai* générale en
1685, mais elle n'est pas respectée; bombardements de 1688 ; nou-
velle paix avec Alger (1689) (230-232); nouvelle politique vis-à-vis
des Barbaresques (252-233). — Ravages des corsaires Majorquins
pendant la guerre de Hollande (233-235).
Résultats de l'oeuvre de Colbert : progrès lents du commerce (235-239).
Chapitre V. — les .années ue prospérité (1683-1701): I. L'achè-
vement de l'œuvre de Colbert par Seignelatj et Pontchartrain. 240-268
Seignelay et ses auxiliaires (240-242). — Dernières querelles et récon-
ciliation définhive de la Chambre du commerce avec l'ambassadeur
à Constantinople (242-244). — Seignelay accorde à la Compagnie de
la Méditerranée la ferme des consulats : nouveaux abus des consuls
soutenus par le ministre (244-246) ; cependant Seignelay s'efforça de
réformer l'administration des échelles : mission de Dortières dans le
Levant (1685-87) (246-247). — Achèvement de la liquidation des
dettes et règlement du 25 décembre 1685 pour en prévenir le retour
(248-250); réduction du cottimo en 1686 (250-251). — Arrêts du
15 août 1685 et du 3 juillet 1692 pour empêcher l'introduction en
France des marchandises du Levant transportées par les étrangers
(251-252). — Interdition aux capitaines de transporter des marchan-
dises pour le compte des étrangers et de prêter leur nom aux étran-
gers (253-255); même défense aux marchands français d'Egypte
(255-256); mesures malheureuses dirigées contre les étrangers qui
se servaient du pavillon français (256-257).
Prépondérance du rôle de la Chambre pendant le ministère de Pontchar-
34
530 TABLE DES MATIERES
Pages
train (258-261) ; en même temps grandit le rôle des intendants de
Provence : Lebret inspecteur du commerce du Levant (361-262). —
Réforme définitive des consulatïi par Pontchartrain ; le droit de ton-
nelage (262-265) ; réforme des chancelleries (265-266) — Choix du
personnel des consulats (266-268).
Chapitre VI. — les années de prospérité : II. Les abus de la
réglementalion et les prohibitions 269-285
Ordonnances du 21 octobre 1685 et du 3 novembre 1700 au sujet de la
résidence datis le Levant (269-270) ; ordonnance du j août 1685
interdisant aux matelots de vendre et d'acheter directement aux Turcs
(270-271) ; le règlement du tour pour les navires (271-273) ; contrainte
exercée pour restreindre la concurrence entre les marchands des échelles
(273-274) — Règlements concernant les manufactures: l'inspection
des draps à Marseille et à Montpellier (274-277). — Tarifs prohibitifs
et prohibitions établies pour empêcher l'introduction de diverses
marchandises étrangères : toiles de coton, cotons filés, bourres de
soie et de coton, toiles de lin (277-279). — Système des entrepôts
(279-282). — Nouvelles prohibitions pendant la guerre de la Ligue
d'Augsbourg (282). — La franchise du port de Marseille n'existe
plus. — Projet de la rétablir (283-285).
Chapitre VIL — les années ue prospérité : III. Les progrès du
commerce 286-306
Progrès du commerce de 1688 à 1694 (286). — Avantages obtenus par
l'ambassadeur Girardin pour le commerce avec l'Egj'ptc ; ses autres
négociations pour l'extension de notre commerce (286-289). — L'essor
du commerce est arrêté par la guerre de la Ligue d'.-Vugsbourg qui
parut au début le favoriser (289-290) ; elle suscite une nouvelle
rupture avec les Tripolins en 1692-93 (290-291) ; r.ivages des cor-
saires Plessinguois et Anglais; les croisières organisées par Pontchar-
train (291-294). — Arrêt dans la progression du commerce de 1694 à
1697 (294), mais activité très grande après la paix, de 1698 à 1701
(295-296) ; prospérité des manufactures de drap pour le Levant
(296-297) : les manufactures du Languedoc (298) ; activité des indus-
tries marseillaises (298-299). — Le commerce français s'est relevé
malgré la concurrence ardente des Hollandais et surtout des Anglais
(300) ; efforts des Anglais pour s'emparer du commerce de l'Egypte
(301-302) ; concurrence faite par les Juifs à .\lep et i Alexandrie
(305-304) ; situation comparée des Français, des Anglais et des Hol-
landais en 1700 (305-306).
Chapitre VIII. — la crise (1701-1715): I. Les réformes et les
projets de Chamillart et de Jérôme Pontchartrain 307-531
Idée générale sur la période de 1701 à 1715 (307-308). — Principales
TABLE DES MATIERES 53 1
Pages
innovations do Pontchartrain et de Chamillart : création du conseil
de commerce; les Fabre délégués de Marseille (}o8-509) ; mémoires
présentés par les délégués des villes : les villes du Ponant, le Lan-
guedoc, Toulon, réclament l'abolition du monopole de Marseille ;
après de longues contestations, les Marseillais triomphent de cette
coalition (309-318) ; l'arrêt du 10 juillet 1703 confirme leurs privi-
lèges et rétablit la franchise du port (518-319) ; les entreprises des
autres villes contre Marseille continuent (320-321) ; de son côté la
Chambre du commerce veille jalousement au maintien du monopole
(321-322) ; celui-ci est en effet maintenu au xvjii' siècle (322). —
Pontchartrain se préoccupe aussi des désordres qui renaissent dans les
échelles: mission (1706) et règlements de M. de Gastines (322-323),
Projets au sujet de la mer Rouge et de l'Ethiopie (323-325) ; échec de
la mission de du Roule (1703-1705 (325-326). — Efforts du gouver-
nement de Louis XIV pour ouvrir la Perse Ha commerce français
(326-328) ; mission deJ.-B. Fabre et de Michel en Perse (1705-1710)
(328-529) ; ambassade persane en France (1714-1715) (329-330).
— Etablissement d'un consul à Jérusalem (330). — Missions scienti-
fiques envoyées dans le Levant (330-331).
Chapitre IX. — la crise : II. Les maux de la guerre de suc-
cession 332-352
Les faveurs obtenues par les marchands français en Espagne ne profitent
pas longtemps au commerce du Levant (352-333). — Le commerce
souffre de la rareté des piastres (333-334). — Arrêt des transactions
causé par la guerre (354-355). — Mauvais effet des expédients finan-
ciers de Chamillart : édits sur les monnaies, billets de monnaie (335-
336) ; créations d'offices (556-337). — Mais surtout la marine
royale est impuissante à protéger la navigation contre les marines et
les corsaires ennemis : les convois, les croisières, les suspensions de
la navigation, les transports faits parles navires de guerre (337-343).
— Trouble profond du commerce français (545-545); les Livournais,
les Vénitiens, les Génois en profitent (345) ; les étrangers abandon-
nent la protection du pavillon français (345-546) ; dettes de la
Chambre et des échelles (546-547).
III. — La reprise des affaires. — Les traités d'Utrccht ne portent pas
atteinte au commerce du Ix:vant (547-349). — Les Marseillais
peuvent reprendre immédiatement leur trafic (349-550) ; leur préci-
pitation cause une crise passagère en 1715 (550-551) , le commerce
du Levant reste ensuite plus actif que jamais (551-552).
532 TABLE DES MATIERES
LIVRE III
Page»
TABLEAU DU COMMERCE DU LEVANT A LA FIN DU
X\'lh SIÈCLE 355-524
Chapitre premier. — les ports français et le commerce du levant . 5 5 5-370
Marseille : agrandissement de la ville, amélioration du port, l'arsenal
des galères, curage du port (555-358); construction du Lazaret et
travaux aux îles (559-560). — Tous les Marseillais participent au
commerce du Levant (560-561); industries marseillaises (561-365). —
Marseille était devenue aussi le grand port d'armement de la Pro-
vence (565-565). — Toulon essaie en vain de rivaliser avec Marseille
(565-67). — Les ports du Languedoc: Agde et Cette (567-568). —
Rôle des ports du Ponant: ils n'ont jamais participé qu'indirectement
au commerce du Levant; transports faits parles Malouins (569-370).
Chapitre II. — les échelles du lev.wt : I. La Syrie 371-596
Alep : décadence de son commerce (571-575) ; les caravanes de la Perse
et leurs routes (575-378) ; la ville et la nation française (578-579) ;
.\lexandrette port d'.\lep (579-581). — Tripoli de Syrie (581-582). —
Scïdc (382-586) et Damas (586-587). — Barut (387-589) ; Acre
(589-590) ; Rame et Jaffii (591-592). — Consulat de Jérusalem
(592-393)- — Chypre (595-595) ; Satalie (595-596).
Chapitre III. — les échelles du lev.wt : II. L'Egypte 397-415
Décadence de l'Egypte (597). — Le Caire : histoire troublée de l'échelle
(598-40<i) ; rivalités des nations européennes (400-402) ; la nation
française en 1700 (402-405). — Les ports du Caire : Alexandrie et
les Biquiers (405-406) ; Rosette (406-407) ; Damiette (407-408). —
Valeur du commerce français : les caravanaires (409) ; marchandises
d"Egypte ; le commerce de la mer Rouge : Moka, Gidda, Suez
(409-415) ; importance du café (415-415).
Chapitre IV. — les échelles du lev.\nt : III. Anatolie, Archipel,
Tiinpiic d'Europe, Morde 416-444
Sniyrnc supplante .\lep dans la première partie du xvin siècle (416-417);
la rue des l'rancs (417-418) ; la nation française (418) ; commerce de
Smyrne : les caravanes de Perse, rôle des Arméniens (419-421) ;
m.xrchandisos de l'.Vnatolie (421-422). — F.chelle neuve, Chio (425-
424). — Consulats de l'Archipel et commerce des îles (425-429). —
Candie (429-451). — Constantinople (451-454); Gallipoli et les Dar-
danelles (454). — Salonique et ses dépendances (435-436). — La
TABLE DES MATIERES 533
Pages
Cavallc (436). — K(igrcpont, Athènes (437-438). — Echelles de
MoriL-e : Napoli de Romanle, Cerigo, Coron, Modon, Patras (438-
440). — Iles Ioniennes : Zante (440), — Consulats de Larta et
Durazzo 441-443).
Chapitre V. — la vie dans les échelles a la fin du xvii": siècle. . 445-474
Les consuls : leurs attributions (445-447) ; leur train de maison et leurs
dépenses (447-450); leurs droits de consulat et leurs appointements
(450-451). — Les assemblées et les députés de la nation (451-453).
— Les chanceliers et les drogmans (453-455). — Les religieux, cha-
pelains du consul et curés de la nation ; leurs rivalités ; progrés des
jésuites (455-459). — Les résidents des échelles: marchands et arti-
sans (459-460); règlements au sujet de la résidence des femmes;
les mariages dans les échelles (460-463) ; habitations des résidents :
les camps et les contrées (463-467); vie large et facile des échelles
(467-468) ; le costume (468-469) ; les divertissements et les fêtes
(470-473).
Chapitre VI. — les usages de la n.wig.^tion et du commerce 475-502
Différentes sortes de navires employés au commerce du Levant (475-
477). — Les marins provençaux (477-479). — Les affrètements,
cherté du fret (479-480). — Les assurances maritimes (481-483). —
Les courtiers ou censaux (483-484). — Visites des officiers de
l'amirauté : congés et passeports (484-486). — Valeur des cargaisons
(487). — Routes suivies par les navires (487-488). — Leur arrivée
aux échelles (488-489). — Les coagis ou commissionnaires français
(489-490). — Les courtiers juifs ou arméniens (490-492). — Monnaies
usitées dans les échelles ; les différentes sortes de piastres (492-497).
— Retour des navires : les quarantaines (497-502)
Chapitre VII. — les articles du co.mmerce 503-524
Articles d'importation : matières brutes destinées à l'industrie, cotons,
soies, laines, cuirs, cires, etc. (503-504) ; denrées alimentaires : cafés,
huiles, blés (504-505); drogueries (505-506); curiosités du Levant
(506-507). — Les débouchés des produits du Levant : l'industrie mar-
seillaise et provençale ; Lyon, le Languedoc, Nantes, Rouen, Dun-
kerque (508-509) ; l'Espagne, l'Italie (509-510) ; la Suisse et l'Alle-
magne : le transit du Rhône (51 1-5 13) ; insuffisance de ces débouchés
(513-514). — Articles d'exportation: les draps et autres étoff'cs
(514-516), les papiers, les métaux bruts et travaillés (516-517). —
Denrées alimentaires (517-518).
Conclusion 520-524
APPENDICE
I. — Note sur l'organisation et le fonctionnement de la Chambre
du commerce de Marseille
La Chambre du commerce fut crC-ée par le « Bureau » du 24 avril 1650, mais
son organisation ne fut définitivement réglée qu'au Conseil de l'authorie • » du 13
novembre 1650. Dés lors la Chambre ne cessa de fonctionner régulièrement, sauf
une interruption de quelques mois causée par les troubles de Marseille : suppri-
mée par le Conseil de ville du 27 octobre 1659, elle fut rétablie par des lettres
patentes de mars 1660 et réorganisée le 16 août 1660*.
Nom. — Le nom de Chambre du commerce apparaît dès le début : « Or et sera
la Chambre du commerce composée de douze personnes », dit le règlement du
13 novembre 1650. « II a plu au roi, par ses lettres patentes données en mars
dernier, ordonner le rétablissement de la Chambre du commerce », lit-on dans le
procès-verbal de la séance de la Chambre du 16 août 1660. Cependant on la
désigna plutôt, pendant longtemps, sous le nom de « Bureau du commerce n,
tandis que le nom de Chambre s'appliquait au local où elle se réunissait. Sur les
registres des Délibérations le secrétaire écrivait en tête de chaque procès-verbal :
« Bureau tenu dans la Chambre du commerce de l'hôtel de cette ville », et ses
membres étaient appelés « Messieurs du bureau ^. » Ces deux termes n'étaient
d'ailleurs employés qu'à Marseille ; dans les lettres venues de la Cour, des échelles,
dans les arrêts du Conseil, les ordonnances et édits ros'aux, la Chambre est tou-
jours désignée par ces mots : « Messieurs les échevins et députés du commerce
de Marseille. » Les lettres patentes du 13 août 1751 qui la réorganisèrent disent
encore : « et continuera ladite Chambre de s'appeller et intituler : les échevins et
députés du commerce de Marseille. » — Cependant le nom de Chambre du
(i) Le Ginseil de rauthorio (autoric, actorie, .-lutoirc, authoirie) se réunissait tous les ans
du to au 15 novembre, peu après le Conseil de la Saint-Simon et Saint-Jude (a8 octobre),
où l'on faisait la création du « nouvel ét;it », c'eM-a-dire l'élection des consuls et du conseil
de ville. Sous la présidence des nouveaux consuls, le conseil procéd.iit à la nomination des
différents officiers au service de la ville. Ainsi le bureau des vingt-quatre qui expédiait les
affaires courantes, les députes du commerce, y étaient choisis.
(2) V. BB, 1. 1(1 iioiU IdliO.
(}) Pour la première fois .iu procès-verbal du 14 .loût 1653.
ri
APPENDICE
commerce devint peu d peu courant. A partir du quatrième registre de dciik-n-
tions ' apparaît une nouvelle formule du secrc-taire : « Bureau tenu par la Ciurn-
bre du commerce en rhotcl-de-ville, » ou o Bureau de la Chambre du commerire ».
et le même nom est employé fréquemment dans les corrcspttndances de la Cour
et des éclielles vers la même époque. Enfin, à partir du 36 septembre 1711 le
secrétaire écrit définitivement : Cliambrc de Commerce.
Composition. — La composition delaOïambre, réglée le ij novembre 1650,
ne changea plus jusqu'en 17^0, sauf le remplacement des consuls par les échcvins
qui furent mis à la tète du corps de ville en 1660. Les trois consuls Jevaietu pré-
sider la Chambre et étaient chargés d'.issurer l'exécution de ses décisions, mais ils
n'en étaient pas considérés comme membres : le règlement du 15 novembre 1650
déclare qu'elle sera composée de douse personnes, les quatre députes ci huit des
plus intéressés du commerce ; l'article qui établit que, si le partage des douze voit
se fait également, « les consuls ordonneront à leur volonté, » montre qu'ils ne
votaient pas avec les autres membres ; enfin, dans les réunions, ce n'étaient pas les
consuls qui prenaient la parole et dirigeaient les délibérations, mais les députés du
commerce, vrais chefs du nouveau corps. Après 1660 les échevins et leur atses-
seur remplacent les consuls et jouent le même rûle. Hu 1677, les échcvins essayè-
rent de prendre la direction effective de la Chambre : « Le premier cchcvin Prai
représente, lit-on dans le procès-verbal du 6 mai 1677, que, depuis Je longues
années, il s'était glissé un abus préjudiciable au chaperon, en ce que. au préjudice
du règlement de la Chambre, les sieurs députés du commerce avaient usurpi la
présidence dans les Bureaux et Assemblées, en telle sorte que les échcvins n'étaient,
il semble, que pour autoriser les bureaux, et comme cela choquait le sens commun
ils firent représenter le règlement de ladite Chambre, l'un en l'année 1650, â
l'article 4 duquel, entre autres, il est dit que Messieurs les consuls y prcsiJcronl et
en leur absence lesdits députés. Et par le nouveau règlement fait par le roi ea
1660 il est ordonné en l'article 28 que les sieurs échevins pourront nommer et
proposer au conseil de ville tel nombre de personnes qu'ils trouveront a pmpos
pour composer la Chambre du commerce lesquelles seront approuvées par le
Conseil et ne pourront s'assembler et délibérer qu'eri présence des nouveaux et
anciens échcvins et assesseurs, si bien qu'ayant voulu remontrer aux dits députa
de vouloir désister de cette présidence, puisque par les règlements elle «t attribuât
aux sieurs échevins, ils ont abandonné les affaires du commerce et désisté détenir
les bureaux nonobstant qu'ils les aient souvente fois envoyé quérir par billets à ta
manière accoutumée Afin que rien ne périclite ils ont .issemblé le Conseil
de ville le 17 courant, a été résolu qu'on signifierait aux députés de venir, ûnon
les actes seraient signés par deux conseillers et auraient même valeur ... » Mais les
députés ne voulurent pas accepter ce qu'ils considéraient de leur côté comme une
usurp;ition ; ils persistèrent .i s'abstenir de paraître aux séances jusqu'4 U lîn de
l'année et les nouveaux échevins durent céder*.
Les quatre députés du commerce restaient en charge dcnx ans et étaient
(1) BB, 4. Commencé le 7 janvier t6&4.
(j) Il y «viil Ai\i eu une coniesution analogue en 1657 '°^™ '** f<'"»uls «t lo 4*|>«-
t^s;ccu»-ci l'abiiinrent de (uraltrc auK té<nc«, (iu t" janvier i6}7 jm K juin. — BB, I.
APPENDICE m
renouvelés chaque année par moitié : il y avait deux députés « anciens » et deux
« modernes, » dont l'autorité était d'ailleurs la même ; on les élisait au Conseil
de l'authorie. Les députés étaient choisis parmi les meilleures familles de négociants,
beaucoup devenaient ensuite échevins : en 1672, un député en fonctions ayant
été élu premier échevin, le Conseil de ville décida, en s'appuyant sur l'article xiii
du Règlement du sort, qu'il pouvait exercer la charge de député avec celle
d'échevin'. Mais un ancien échevin considérait comme une déchéance d'être élu
député, ainsi que le montre une curieuse lettre de l'intendant Lebret : « J'entre
dans les raisons que vous avez eues, Monsieur, de ne pas accepter la charge de
second député du commerce de votre ville après lavoir remplie il y a douze ou
quinze ans et avoir été élu depuis second échevin ; on n'a pas eu les égards qu'on
vous devait en vous nommant une seconde fois pour le même emploi et selon
toute sorte de raison et de justice vous ne pouviez plus être nommé que pour la
première charge ; néanmoins comme je suis informé par bien des endroits de votre
probité, sagesse et expérience, j'ai cru que pour rendre un bon office à votre ville,
je devais vous engager à passer par dessus ces motifs*. »
Les huit membres du bureau qui composaient la Chambre avec les députés
devaient être élus, d'après le règlement de 1650 «dans le premier bureau» qui
suivrait le Conseil de l'authorie ; » mais, à partir de 1660, ils furent nommés
comme les députés eux-mêmes au Conseil de l'authorie. Ils étaient désignés au
choix du Conseil par les échevins et devaient étie pris parmi les « plus intéressés
et capables au fait du négoce. » On leur donnait le nom de conseillers.
Séances de la Chambre. — Les séances de la Chambre se tinrent toujours à
l'Hôtel de Ville dans la « Chambre attenant à la grande salle de la Loge. » Le
règlement de 1650 décidait que « la Chambre s'assemblerait deux fois la semaine
et davantage, si besoin était, » mais il ne fut jamais appliqué, sauf peut-être au
début : du 20 novembre 1652 au i«f janvier 165? figurent, en effet, huit séances
consignées dans le premier registre de délibérations qui soit conservé aux archives
de la Chambre. Mais, en 165 5, la Chambre ne se réunit que 58 fois, 21 en 1654 ;
le nombre des séances s'élève il est vrai à 60 en 1655. La fréquence des réunions
varia énormément d'une année à l'autre, suivant les besoins des affaires et le
zèle des échevins et des députés qui convoquaient la Chambre, mais elles n'eurent
jamais lieu régulièrement, bien qu'.i plusieurs reprises laChambre eiit décidé de se
réunir une fois par semaine et plus s'il le fallait. Cependant, à chaque renouvel-
lement, elle fixait, une fois pour toutes, un jour de la semaine pour ses réunions :
c'était ordinairement le jeudi ou le vendredi. Comme les séances n'étaient pas
régulières, les échevins prévenaient les membres par des billets de convocation ;
mais, bien qu'ils fussent avertis, ceux-ci ne montraient pas une bien grande
assiduité. Il est rare que les procès-verbaux mentionnent la présence de tous les
assistants; presque toujours il manquait à Li lois l'un des consuls, des députés et
plusieurs des conseillers. Souvent les registres montrent que l'assemblée dut être
renvoyée faute d"être en nombre pour délibérer, car le règlement de 1650 avait
(i) BB, 3. 4 noi.emhr; IGTi.
(2) Séance de la Chambre du 4 mars 1688. — Lettre de Lebret du 2S février.
(3) Il s'agit du bureau des 24, crée chaque année pour traiter les affaires courantes et éviter
des réunions trop fréquentes du Conseil de ville.
J\ APPETÎDICE
sagement t'tnbli qu'on « ne pourr.iit faire écrire les diîlîbtnliom qu'il n'y eût $cpt
personnes, a Les réunions ordinaires Ju Bureau servaient A rcxpiidition dc$
alTaircs couranies, mais toutes les fois qu'il se présentait une difficulté i résoudre,
une afîuirc importante à tranclier, qu'il fallait ilresscr des mémoires pour l.i cour,
créer des impositions, faire des règlements pour les échelles ou l.i navigation, la
Chambre, dans ses Bureaux, se bornait à étudier les questions et en référait i une
assemblée pour les décider.
Pour ces assemblées les échcvins convoquaient par billets un certain tiombrede
notables négociants qui s'adjoignaient aux membres du bureau et donnaient plus
d'autorité aux décisions de la Chambre Enfin, si les circonstances l'exigeaient, li
Chauîbre renvoyait la décision A prendre à une assemblée générale ou extraordi-
naire pour laquelle elle envoyait aussi des billets de convocation aux principaux
négociants' ; chaque année il y en avait une ou plusieurs* et les as&cmblécs
ordinaires étaient fréquences. Malgré l'importance des affaires qui y étaient traitéts
les négociants montraient beaucoup d'jnJifférence A s'y rendre et ces iisscmbléc*
étaient rarement fort nombreuses : on en trouve où le procés-vcrbal énumtre
plus de loo assistants et renonce ;\ nommer tous les autres i cause de la foule ;
mais, la plupart du temps, quelques négociants, les plus considérables il est vr«i,
répondaient aux convocations'*. En 1662, pour une assemblée qui devait être
présidée par le duc de Mercœur, gouverneur de Provence, 200 billets avaient été
lancés par le secrétaire de la Chambre, il vint 16 assistants. On constate donc, dès
le xvii« siècle, cet e.\traordinaire détachement des négociants pour les aHiiircs
générales du commerce que l'on remarque encore aujourd'hui pour les élections
des Chambres et surtout des Tribunaux de Commerce. Connaissant les dispositions
des négociants, la Chambre avait parfois recours & un lutre procédii quaad clic
voulait avoir l'avis d'un grand nombre d'entre eux, cite les convoquait par petits
groupes plusieurs journées de suite comme on le vit en 1666 et 1669 pour pré-
parer des mémoires au roi sur la fameuse question delà franchise du port.
Ainsi donc, si la Chambre était déléguée pur le corps des marchands pour
diriger les affaires du commerce, elle restait eu relation consbintc avec lui, et
c'était endéfinitis-e r.issen'.blé-c des marchands elle-même qui conservait la défense
de SCS intérêts. A I.1 fui du xviii; siècle les bureaux de la Ch.imbrc et les aslcm-
blées se réunirent de plus en plus fréquemment en présence de l'intendant
chargé de l'inspection du commerce qui devait « homologuer ses délibératioits
pour les rendre exécutoires. Plus tard le règlement de 17s l institua l'iiupccteur
du commerce, chef et président de la Chambre ; mais jusqu'en 1715, sauf quand
l'intendant était chargé par le ministre de lui faire une communication, la
Chambre, même en sa présence, tenait ses séances dans la forme ordinaire.
Q.uant au subdélégué, dont l'office avait été créé par un édit d'avril 1704 et qui
prétendait avoir le droit d'assister i toutes les assemblée» en l'absciKc de t'inten-
(t) Parfois tous tes ncgocijinti éiaieiii convoauis en bloc. Souvent cti aiscniblrci ginénlo
se tciiiicat en Jcliors Je l'Hotcl de Ville : « ious négociants et iratiqiiants $00: cooroogé»
pour se trouver au rd'ectoirc des Prèclieuri i 2 beutes après midi. • 1" m/rU JC5S, BB, i.
(]) 6en 16;], 2 en i6;4, 1 eu i6;j, etc.
(i) On compte 60, 16. 2$, ti assistants aux assemblées générales de l6(); 14, 19 t
ccllct de 1654 ; 4) en i6sS' — Plus (•■rd ou y vint cucorc moiiit : on rclivc t(, 1 J. 7 «tai>'
tants en 170^, Le ; j.iMviet 170S personne ne répond à I4 convocation. OH, 5.
ém
APPENDICE V
dam, la Chambre s'opposa à ses prétentions et obtint gain de cause, tandis que
la communauté fut obligée de les subir'.
Dans les réunions de la Chambre c'était l'un des députés qui prenait la parole
et exposait les questions d l'ordre du jour. La discussion s'engageait successive-
ment sur chaque question, mais les procés-verbaux ne peuvent nous en donner
une idée car, après l'exposé de chaque question fait par le député, ils se bornent
'a enregistrer la décision prise en indiquant seulement si elle a obtenu la pluralité
ou l'unanimité des voix. L'expérience fit établir peu à peu de sages règlements
pour la tenue des séances. Le 12 novembre 1670 on décida que, « lorsqu'on pro-
poserait quelque affaire où ceux qui seraient dans le bureau auraient intérêt, ou
leur père, beau-père, beau-frère, cousin germain ou venu de germain, ils s'abstien-
draient d'opérer et feraient tour aux autres opinants*. » Ce texte et d'autres
montrent que chaque membre prenait la parole à son tour pour dire son avis, mais
dans les affaires délicates, pour laisser aux conseillers toute leur liberté, on votait
à la ballotte, c'est A dire au scrutin secret *. Dans le même but la Chambre se
préoccupa d'assurer le secret de ses délibérations: « Il est de la dernière impor-
tance, remontra l'un des députés, le 15 novembre 1670, de tenir le secret du
Bureau, parce que, le tenant, on a ses suffrages plus libres; qu'au contraire on est
dans la crainte qu'on n'opine pas le plus souvent avec la liberté requise et par ce
procédé les affaires de la Chambre périclitent beaucoup a été résolu qu'il sera
prêté présentement le serment de tenir secret tout ce qui se délibérera dans le
Bureau sans le pouvoir divulguer à personne. 0 Le serment fut prêté sur le
champ, « ès-mains du h' échevin, » mais le secret ne fut guère gardé, car, dès la
séance suivante, il y eut des plaintes et le serment fut renouvelé (2 décembre
1670). C'est encore la même préoccupation qui dut faire renoncer à l'usage de
faire signer les délibérations par les membres qui y assistaient. Cette formalité
n'avait d'ailleurs jamais été accomplie régulièrement; quelquefois les échevins, les
députés et une partie des conseillers signaient ; souvent le secrétaire signait seul
pour tous; le 27 novembre 1665, il en fut chargé officiellement : « s'il y avait
quelque bureau de très grande considération, les échevins et députés en signe-
raient la délibération*. »
On s'étonnerait de ces précautions prises et du peu de courage des membres de
la Chambre à assumer la responsabilité de leurs opinions et de leurs décisions si
l'on ne savait quelles étaient les ardentes ris'alités des familles marseillaises et
combien il était difficile à la Chambre d'agir avec indépendance.
Personnel an service de la Chambre. — Pour l'expédition des affaires
qui nécessitait une vaste correspondance, pour l.i rédaction des nombreux mémoi-
(i) « Nous commissaires généraux, en vertu des pouvoirs à nous attribués par les arrêts
des 16 et 17 décembre 1710.... Ayant égard aux demandes de la Chambre du commerce,
ensemble k leur opposition formée aux arrêts des 2; août 1705 et 12 avril 1707, avons
débouté ledit Rigord (subdvlc<;uc) de ses prétentions concernant ladite Chambre du com-
merce, lui faisant défenses de s'immiscer en ladite qualité de subdclégué i tout ce qui regarde
la Chambre, examen et clôture de ses comptes. » 3 mai ITli. BB, 6.
(2) BB, 2.
(}) DHihiralion du 1" Jécembrc 1057. BB, 1.
(4) Depuis rarcliiv.iirc Hstricu (16^?), les procoj -verbaux sont signés par le I"' échevin
et le I" député.
VI
APPENDICE
rcs qu'elle envoyait d'elle-même A la cour ou que les ministres lui réclamaient,
h Chambre n'avait pas un nombreux personnel j son service: le sccriîuirv
arcbivaire suffisait J'abord à toute celle besogne et A la garde des .irchtvcs. Cet
archivaire, ordinairemenl choisi parmi les notaires royaux de la ville, devait ctic
un homme rompu aux affaires pour pouvoir tenir dignement son emploi'. Il ne
recevait pourtant que 1500 livres d'appointements", chiffre il est vrai 4>»cz
important pour l'époque, « sans pouvoir rien prétendre par dessus, au cas qu'il
arrive des affaires extraordinaires qu'il fasse voyage à Aix ou aillctirs, sauf
remboursement de ses dépenses. ..Il sera tenu d'expédier gratis au public les extraits
ou certificats dont les particuliers pourront avoir besoin concernant ladite l'onc-
tion d'archivaire, de l'aveu toutefois de MM. les échevins cl députés. » L'archi-
vaire avait avec lui un commis aus archives qu'on désignait aussi sous le nom de
sous archivaire ; il recevait îoo livres d'appointements et en outre une gratifica-
tion de 50 louis d'or à l'occasion de la reddition des comptes du trésorier de la
Chambre, dont il faisait les écritures'. Lors de la réforme des consulats de 1691
qui compliquait beaucoup le travail du .secrétaire de la Chambre, l'archivaire obtint
la création d'un sous archivaire, mais Ponichnrtrain en ordonna la suppression •■
Le ser\icc des Archives fut d'abord très secondaire pour l'archivairx: ; les
papiers de la Chambre étaient simplement rangés dans une armoire de sa salle
de réunion C/ï<^/iriM/»f/ Jii ;j noivmbrf 16 jo). Cette installation fut bientôt insuf-
fisante: « Le cabinet des archives du commerce est si petit qu'on ne peut ranger
aucun papier et sont tous en confusion... », dit le procès-verbal du 3 dt-ccmbrt
1662 et l'on décida d'aménager pour les archives une chambre du \" étage avec
des armoires ^. En 1679 on se plaignit de nouveau de l'inconimodité de l'instaN
lation des archives et la Chambre décida d'y pouivoir (s janvirr i6j<f. BB, }).
Quelques mois après, quand l'archivaire Brémond se retira, ion successeur fut
chargé de procéder à un c inventaire général de tous les papiers, livres, titrw et
documents de la Chambre qui devaient être dans les arcliivcs. » (j jvUltt i6jg.
BB, s)- Cette déclaration fut renouvelée le 20 novembre 1683 et le i j octobre
1691, cependant la Chambre constatait encore le ; juin 1704 que sa volonté v.*
trouvait éludéx* depuis 25 ans « en une chose de la dernière importance sur
quoi, dit le procés-verbal, a été déUbéré qu'il sera incessamment procévié à la per-
fection d'un inventaire général sur lequel il puisse être fait un char. r.i
les formes et afin que ladite délibération ait son effet, la Chambre ac , m
commis le sieur Franiçois Philip (commis aux archives), pour procéder avecl'un
des échevins et l'un des députés 1 la vérification et confrontation des minutes
d'inventaires qui se trouvent dans les archives, avec les pièces mentionnées en
m) La Chiuihre se lou» deî «rchis.iiri. ' ::
elle »ccorJ» ipris tj retrait; too livres d 1; '
Ctrfucit (i6S}-95), nomme pour Jîx iu , ^ ; - ■■'<
DcUiiier (i67<)-8;>, < chacun uchint que le «eut Oeiimcr as pas tootc ia apadtc <|iie
son emploi revUnie, •
(i) ContfM fA\ti avec Carfucil, le ao novembre «68». BiS. S. — EMnen qui le ftm-
pl«c<:«ti 169Î n'4 que 1 joo livret.
(1) r w/vtmh-f l(iS4. BB, 4.
U) .1 /hm JOfH, BB, 4.
(î) G>mpie Jes dépense^ Je 167» •. Biiisse Jm Arcl>iv« du Commerce 3000 livni.
APPENDICE
VU
icelles et à la perfection desdites minutes jusqu'au temps pniscnt, et ceiwnd.»iit
qu'il commencera dans les intervalles à travailler au mis au net dos minutes véri-
fiées sur le grand papier qui sera relié et ce sans distraction. » On ne s;iurait trop
louer la préoccupation incessante que montra la Guimbre pour le bon ordre de
SCS archives; les ministres, qui ne l'avaient pas aussi bien maintenu dans les
leurs, étaient souvent obligés de s'adresser à la Oiambrc elle-même pour connaî-
tre les anciens édits et ri:glements sur le commerce du Levant.
Pour administrer sei finances la Chambre avait un trésorier qu'elle dc\"ait au
début choisir chaque année parmi ses membres (n\i;kw(nt du i j uovembre i6fo).
Apres ibéo le trésorier lut toujours pris en dehors de la Chambre et nommé
pour plusieurs années : le sieur Antoine Dupuy, choisi le 16 août 1660, garda
ses fonctions jusqu'en 1669. Mais quand on créa le cottimo cette année-b, la
Chambre reconnut que l'établissement du trésorier était contraire aux formes et
usages adoptés antérieurement pour la levée du cottimo toujours administré par
des directeurs. Elle créa donc trois directeurs du cottimo, « lesquels tiendront la
caisse à trois serrures dans la maison du premier, dans laquelle ils remettront tous
les deniers perçus jusqu'à aujourd'luii... Chacun desdits directeurs en tiendra
uac clef et la distribution des deniers, suivant leur destination, sera faite sous le
mandement desdits échevins et députés, les uns en absence des autres.» Une
ordonnance du 5 mars 1670 des commissaires royaux .Amoul et d'Oppède, leur
ordonna, « vu que le commerce n'a aucun trésorier et que les directeurs en font la
fonction », de recevoir tous les deniers perdus au protit de la Chambre. Antoine
Dupuy fut l'un des trois directeurs nommés en t66g et qui subsistèrent jusqu'en
1675 ; il redevint seul trésorier du commerce de 1676 à i68o, année où réappa-
paraissent trois directeurs, dont l'un resta trésorier en 1684; dés lors cette charge
subsista seule. La Chambre décida qu'il donnerait tous les samedis une note de sa
recette; à la fin de l'année il rendait des comptes par devant un contrôleur désigné
par la Chambre. Pour ses émoluments il percevait sur sa recette une rétribution
qui fut fixée à i 3 0/0 en 1686, après lu réduction définitive du cottimo (4 avril
t6S6. BB, 4). Pour la perception de ses droits la Chambre avait des commis à
Marseille, et parfois dans les échelles. U y avait à Marseille les exacteurs du cot-
timo ; pour les vaisseaux de la Ciotat et de Toulon qui faisaient le commerce du
Levant en Italie, tantôt la Chambre tint ses exacieurs A .Mexandrie où chargeaient
surtout ces navires, tantôt à Livourne et i Gènes où ils déchargeaient, ou â la
Ciotat et à Toulon. De même la Chambre payait un commis pour la levée du
20 0/0 à Toulon, À Cette, au Pont de Beauvoisin, à Arles au moment de la foire
de Beaucaire, mais elle ne put jamais obtenir d'en établir à Rouen et a Dun-
kcrquc où la perception était faite par les fermiers des droits royaux*.
Enfin, pour la défense des intérêts du couinierce, la Chambre avait auprès du
Parlement d'Ai\ un avocat chargé de la représenter; un avocat au Conseil jouait
le même rôle auprès du Conseil d'Etat. La correspondance delà Chambre montre
quel était le rôle important et délicat de ce dernier, qui non seulement recevait
les instructions de la Chambre pour poursuivre les affaires du commerce pendantes
(i) Li drlibcraiion du <, juin 17U4 parle de rctabUsscmerii d'un commis à li Rochelle
• pour cinpcclier l'entrée des nurcluiiJiscs des pays de II domination du Grand Seigneur et
du roi de Perie. » BB, 5,
VII r
APPEKDICE
dovanr le Conseil, mais lui donnait dcb avis prCcicux sur ce quî s'y pr^pjrait d
la renseignait sur les dispositions des ministres. Les « agents du cptuiiiercie » i
la Cour, comme on les appelait, futent les plus utiles auxiliaires de la Cliiimbnr.
Revenus piuinciers cl dépenses. — 1-a Chambre avait, A la fin du x%*ii«
siècle, des ressources financières importantes. C'est l'èdit du Port franc de mars
1669 qui lu! assura pour la première fois un revenu sérieux par l'instituiian du
cottimo, imposition provisoire dans l'esprit de Colbett, mais qui fut maintenue
jusqu'à la fui du x\iii« siècle. Le produit du cottimo qui variait, non suivant
rim|X)ttance du commerce, ni.iis suiv.int le nontbre des navires qui allaient dans
le Levant, subissait de grandes fluctuations d'une année à l'autre : en 1684 il
donna 66.000 livres; en j686. J06.447 livres. Après la r^uction de cette tasic en
1686, on voit les années 1695, 1705, 1709 produire !9.889, i6.8$6, 16.482
livres, tandis que l'année 1714, tout d fait exceptimmclle. fit entrer 1411.061
livres dans la caisse de la Chambre '. Le cottimo fut, jusqu'en 1691, le seul rcvctiu
de la Chimibre car le droit de 20 00 établi aussi en 1669 et destiné h frapper
le commerce des étrangers et à maintenir le monopole de Marseille était plutôt
une charge qu'une ressource : les frais de perception l'emportaient souvent sur le
produit très mininie de cette imposition; jusqu'en 1700 celui-ci fut généralement
inférieur à 5.000 livres et parfois même à i.ooo tandis que les frais variaient
entre j et 4.000 livres. Ce 11c fut que pendant la guerre de succession que. grlcc
à la répression plus rigoureuse des fraudes, le 20 0/0 produisit souvent plus de
20.000 livres et même, eu 1708, jusqu'à 45.000 livres.
Avec les ressources du cottimo la Chambre devait suffire aux dépenses les plus
variées. Elle devait, avant tout, prélever i6.cioo livres pour la pension de l'ambas-
sadeur, 25.000 pour le curage du port, jusqu'à l'arrêt du 16 août 1685, qui l'en
déchargea. 4.500 povir la ]Knsioi> des enfants de langue et 2,500 livres environ
pour les dépenses de son personnel. Jusque vers 1680 il fallut en outre omoriir
les vieilles dettes du commerce léguées par le règne de Louis XJII. La Chambre
payait encore aux créanciers des comtes de Césy et de MarchcviMc 107.872
livres en 1678, 2^.000 en 1679, 41.479 en 1680. C'est l'extinction de ces dctu»
et la suppression de la dépense du curage du port qui permirent de diminuer le
cottimo de moitié le i" janvier 1686. Si les dépenses ordinaires étaient asseï peu
nombreuses, il n'en était pas de même des dépenses extraordinaires. La Chambre
envoyait fréquemment un ou plusieurs de ses membres en mission A .Mx ei À la
Cour, parfois i Nice, à Gènes. A l.ivourne pour y porter des réclamations. Elle
•tdjoignit plusieurs fois ses commissaires h ceux du roi dans les ' i*
auprès des Barbjrcsquex et elle leur envoya aussi des anibas^adcs poui c
compte; pour entretenir la paix avec eux elle racheta des esclaves des galcn.s
royales ou leur renvoya ;! ses frais des équipages naufragés sur les côtes de France.
Elle paya toujours l'entretien i Marseille et les frais de voyage â la Cour de toutes
les ambassades envoyées en France par les Barbaresques et parfois par le sultan ;
en 1685 ce fut l'évéque de Maredin, envoyé par le roi de l'erse, dont il fallut
paver les dépenses à Marseille et le voyage à Versailles. On renvoyait parfois des
sujets du Grand Seigneur, esclaves sur les galères; c'était la Chambre qui sup-
(1) Voir ci-dessoui Ici tableaux de rec«tt< du conimo.
SM^
APPENDICE IX
portait les frais de leur nourriture. Pendant les guerres elle payait les frais des
escortes et des croisières organisées pour la protection du commerce et elle se
chargeait elle-même de faire des armements ; il est vrai qu'elle percevait alors des
droits particuliers pour suffire à ces dépenses. Les gratifications accordées aux
officiers des vaisseaux du roi pour la prise ou la destruction de corsaires, à des
capitaines marchands pour leur belle conduite, l'envoi de tartanes dans le Levant
pour avertir les bâtiments étaient d'autres dépenses ordinaires des temps de guerre.
I! y avait encore à distribuer des présents à divers personnages de la Cour dont
on avait besoin de s'assurer la protection : celle de Pontchartrain coûtait annuel-
lement 8 à 900 livres; le i=f commis du ministre recevait la valeur d'environ
trente louis d'or; le directeur du commerce, du temps de Seignelay et de Pont-
chartrain, un cadeau de cinquante louis d'or. De temps en temps, la Chambre
envoyait aussi des présents à certains membres du Conseil, surtout aux membres
du Conseil de commerce après 1701. Eu 1693 un personnage influent dwit on
doit taire le nom reçoit un présent de i .000 livres ; les commis de l'intendant à
Aix touchaient des gratifications plus modestes. Enfin, quand l'occasion s'en pré-
sentait, la Chambre savait faire à propos des dépenses utiles au commerce : en
169} elle donne 30Q livres à Bertelot, hydrographe du roi, pour dresser une carte
de la Méditerranée plus exacte que toutes celles qui ont été dressées, à charge
d'en fournir des exemplaires pour l'hôtel de ville et les archives de la Chambre
que les capitaines marins pourront consulter. En 1700 une série de capitaines se
présentent au bureau, « ils remontrent qu'il n'y a pas d'ouvriers intelligents dans
la ville pour ajuster les boussoles, qu'il faut les envoyer X Toulon, au sieur
Brémond, qui ajuste celles des vaisseaux du roi. Il consentirait à s'éiablir à Marseille
si la Chambre voulait lui donner une indemnité pour prendre son logement et
boutique sur le port » La Chambre décide de lui accorder 100 livres annuellement.
La Chambre se chargea parfois de certaines dépenses qui concernaient le service
du roi ; pendant la guerre de Hollande, elle fit une série d'envois de blés pour
le ravitaillement de Messine; plus tard, elle noiisa les tartanes qui portaient à
Constantinople les dépèches de la cour et rapportaient celles de l'ambassadeur,
mais c'étaient là des entreprises pour lesquelles elle faisait un contrat avec le minis-
tre et qui pouvaient se solder par des bénéfices. H n'en était pas de même des
sommes dépensées .i partir de 1692 pour le rapatriementen France des soldats dé-ser-
teursde l'armée vénitienne et des matelots « disgraciés ». La Chambre devait en
être remboursée, mais la pénurie du trésor royal fit longtemps retarder ou même
négliger ces remboursements, si bien que ces rapatriements constituaient une nou-
velle et lourde charge pour la Chambre.
A partir de 1691, la Chambre fut chargée de payer les appointements des con-
suls et des autres officiers des consulats'. Pour y suffire, elle leva le droit de
tonnelage dont le taux, comme celui du cottimo, variait suivant les échelles. Les
vaisseaux étrangers qui naviguaient sous la bannière de France, au lieu de payer
le tonnelage, continuaient à payer, mais au profit de la Chambre, les anciens droits
de consulat : c'étaient les députés des échelles qui les jTcrcevaient au nom de la
Chambre.
(i) Vuir ci-il<:ssou-> le tableau général Je la dépense des consulats.
X APPENDICE
La situation financière do la Chambre fut prospère à partir du moment où
vers 1680, elle eutliquidi^ les anciennes dettes du commerce; malgré les dépenses
variées qui lui incombaient, son budget se solda chaque année jusqu'en 1702 par
des excédents de recettes quelquefois considérables'. Mais la guerre de succession
ruina cette prospérité; malgré le surcroît considérable de recettes fourni par les droits
de 1 1/2 o,'o établis en 1703 et 1706 pour subvenir aux armements contre les cor-
saires, il fallut recourir aux emprunts : on en fit pour 113.954 livres en 1704.
548.279 en 1706, 123.188 en 1707, 69.000 en 1708, 6.000 en 1709. Du moins,
grâce à CCS emprunts, la Chambre réussit à équilibrer ses recettes et ses dépenses
de 1703 à 1709, et même, non seulement les intérêts en furent payés régulière-
ment, mais une bonne partie du capital emprunté fut remboursée*. La situation,
telle que l'exposait la Chambre en 1 7 1 3 aux commissaires du roi chargés de liqui-
der ses dettes, ainsi que celles de la communauté, n'était pas brillante, mais n'était
pas non plus désespérée 3. Aussi, les commissaires constataient-ils, dans leur rapport
au ministre, qu'il y avait une profonde différence entre l'administration financière
de la Chambre et celle de la communauté qui se trouvait alors dans le plus profond
désarroi. L'équiUbre financier se rétablit même plus vite que ne l'espérait la Cham-
bre grâce au mouvement commercial extraordinaire qui se produisit de 171 3 à
1715. Ses recettes furent en effet de 603.335 livres en 1713, 835.189 en 1714;
aussi, l'imposition extraordinaire de i 1/2 0/0 établie en 1706 put-elle être suppri-
mée avant la mort de Louis XIV*.
(:) Recettes annuelles de 1692 i 1703 : 133.000 livres, 186.000, 195.000, 140.000,
289.000, 208.000, 269.000, 26}. 000, 285.000, 222 000, 122.000. — Dépenses : 99.000,
173.000, 179.000, 95.000, 221.000, 174.000, 179.000, 158.000, 189.000, 19;. 000,
I 16. (XX).
(2) 481 .000 livres sur 660.000. — Il est vrai que le paiement des dépenses des consu-
lats avait été négligé et que les échelles s'étaient de nouveau endettées.
(5) Etat présent des afT.iircs de la Chambre de commerce de Marseille : Dettes diverses,
495. (XK) livres. — Charges annuelles (y compris les intérêts de ces dettes), 228.000 liv. —
Etat des droits que la Chambre peut exiger par année commune en temps de paix,
568.880 livres (cottimo ii9.(XX), toniiel.ige 108.880. consulat payé par les étrangers pro-
tégés français jb.ixw. — Droit de 1 1/2 0/0 de 1706 que la Chambre demande de conti-
nuer à lever 105.000). — «11 reste de bon 140.880 livres tous les ans, au moyen de quoi
il par.iit que dans environ quatre ans elle peut se libérer des dettes qu'elle a contmclées. >
Fait i Marseille, le 12 juin 1715. — BB. 6",/o/.W.
(i) L'autre droit de 1 1/2 0/0 établi en 1703 avait déjà été aboli avant 1713.
APPENDICE XI
II. —Dépenses des consulats du Levant d'après l'arrêt du conseil
du 27 janvier i694 qui les régla détinitivement
But des sommes que le roi veut être payées pour les appointements des consuls
du Levant et les dépenses extraordinaires des consulats.
Echelle du Caire : i" Appointements du Consul 4.000 livres.
2^ Sa table — avec la nourriture de l'au-
mônier, chancelier, drogman, domes-
tiques.— Habits consulaires 6.600 »
50 Frais et présents qu'il doit faire en pre-
nant possession du consulat 900 »
40 Loyer de sa maison — appointements
du chancelier, drogman et autres
dépenses extraordinaires 6. 300 »
50 Pareils appointements, table et autres
dépenses pour le vice-consul d'Alexan-
drie 7 .000 »
24.800 livres.
Echelle de Seide : 12.213 livres (3.000, 4.000, 300, 4. 113, 800= rente due
au sieur de Vintimille, ci-devant propriétaire du consulat).
Echelle d'.-VIep : 19.650 livres (3.500, 5 000, 900, 2.250, 2.300 pour le vice-
consul d'Alexandrctte, 4.200 pour celui de Tripoli, 1.500 pour celui de
Satalie).
Echelle deSmyrne : 13.300 livres (4.000, 5.500, 800, 3.000).
Echelle de Chypre : 6.650 livres (2.000, 3.500, 400, 750).
Echelle de Salonique : 3.000 livres.
Echelle de Candie : 13.500 livres (2.000, 3.500, 500, 4.000, 3.500 pour le
vice-consul de Candie).
Tripoli, 5.oç)o liv. — Tunis, 5.000. — Alger, 6.000. — Salé, 4.000. —
Tetouan, 3.000.— Jérusalem, 3.600.
Total : 119.813 livres.
m. — Arrêt du conseil du 4 décembre i69i qui tixe les droits
de chancellerie à payer dans les échelles
Etat des droits et émoluments que le roi veut être attribués aux chanceliers
des échelles de Levant et de Barbarie.
Pour les polices d'assurance, 4 livres. — Pour les mariages, testaments,
donations, par les marchands, 6 livres, et par les artisans, 2 livres, et autant pour
l'expédition.
Î5
Xn APl'KNDICE
Pour l'ouverture, adverntion et enregistrement d'un testament solennel
7 livres lo sols et autant pour l'expédition.
Pour la descente et apposition de scellés dans quelque maison ou magasin
3 livres, compris l'expédition.
Pour les inventaires et inquants, 3 livres pour chaque séance de deux heures,
y compris l'expédition.
Pour les dépôts, 2 0,0 des sommes déposées. — Pour l'acte de dépôt, 2 livres,
la moitié pour la quittance et autant pour l'expédition.
Pour une transaction ou émancipation ou vente de biens immeubles, 4 livres
et autant pour l'expédition.
Pour un acte portant quittance, attestation, procuration, obligation ou enregis-
trement d'une pièce, i livre 10 sols et autant pour l'expédition.
Pour la patente de santé d'un bâtiment de mer, 5 livres, pour celle d'un
passager, i livre.
Pour un procès-verbal et quittance d'une levée de deniers sur un bâtiment,
pour avance ou contribution en forme d'avarie le tout ensemble, 12 livres.
Pour l'état ou manifeste du chargement d'un bâtiment y compris deux expédi-
tions, 10 livres.
Pour une requête aux fins d'être informé, 1 livre.
Pour une requête et exploit de saisie faite en conséquence, avec la signification
à la partie, 3 livres.
Pour une information ou enquête, à raison d'une livre pour cliaque déposition
de témoin, y compris l'expédition.
Pour un acte de protêt, de lettre de change ou sommation avec signification
et réponse, i livre 10 sols.
Pour un acte de cession ou transport et autre de pareille qualité, i livre
10 sols.
Pour l'advération des pièces, y compris l'enregistrement, i livre 10 sols.
Pour la minute d'une ordonnance des contestations entre parties, n'excédant
pas une page d'écriture, 1 livre, et à proportion pour les plus longues.
Pour l'ouverture d'un procès-verbal appelé consulat, savoir pour la requête
I livre, et autant pour la déposition de chaque témoin, y compris l'expédition.
Lesquels droits seront payés en chaque échelle en telles cspècts de monnaie
qui y ont cours avec proportion et supprétation de valeur par rapport aux livres
de France, en sorte que, sous prétexte de la qualité des espèces et de leur diffé-
rente valeur, lesdits chanceliers ne se puissent rien attribuer au-delà de ce qui
est porté par le présent état que S M. veut être publié et enregistré dans la
Chambre du commerce de Marseille et envoyé à tous les consuls des échelles.
Fait au camp devant Namur, le i> juin 1692.
(AA, na.)
APPENDICE
xni
IV. — Tableau de la recette des cottimos de 1610 à lliS
D'apris les comptes trésoraires de la Chambre du commerce.
{CC, 23 et suiv.)
Candie,
Anaées
Alep
Smyrne
Seïde
Alexandrie
Constanti-
nople
Arcllipel,
Morèe
et Barbarie
1071
Liv.22.llfHl
Liv. 24.1.^0
Liv. 11.1)00
Liv. 11.800
Liv. 8. 100
Liv. 5.. 360
lti72
8.8(H1
2.')..'>00
6.600
12. (MW
6.9(M)
2.6(M)
lf.73
20.00(1
2.1. 5(H»
14.8(!0
16.2(M)
2. KM)
8.31X)
lli74
10.000
24.5(M>
16.0(M)
i».200
G.9(M)
6.805
I67ri
4.80O
19. (MM)
24.(K)0
14.000
3..3(K)
7.826
11)76
U.(NH)
20.000
18.100
8.800
1.300
7.418
ir.77
f).4(MI
24. (KX)
19.8(M)
1G.(M)0
5. KM)
5.836
1(578
12.0(KI
22.5(M>
14.4(M)
6.4(H)
2.769
4.278
1(>79
11.200
22.n(K)
7.200
13.600
i.8(M.»
10.544
l<»«ll
10.4CMI
19.. MM)
8. (MX)
6.6(M)
4.600
8.147
KiXl
9.G00
13.5(M)
23,600
11.2tMJ
4.8fM.)
9.579
l()«-2
().(R)0
16.500
16. (MM)
2.400
4.8(M)
7.433
IBX:!
9.600
19.500
24.930
12.800
6.6(M)
7.499
11)84
().50O
19. (MK)
9.4(M)
10.649
4.2(H)
8.300
ll'>85
7.200
10..W)0
23.4(M)
19.200
5.400
5.933
1(>86
8.4(H)
12.750
13.2(H)
11.200
6.4(M)
17.. 534
1()87
10.800
9.000
13.200
10.4(M)
6.2(M)
15.696
1()88
i;i.2(M)
17.300
19.2(M)
20.0(X»
9.1MM)
11.672
H)«9
9.0OO
11.2(H)
24. (MM)
19.200
6.4(M)
5.332
lt)5X>
12.(H)0
19.500
18. (MM)
2I.(>00
6. (MM)
8.808
lt)!n
().0(H)
33.000
26.600
20. (MM)
13.8(H)
12.806
1G!«
7.200
30. (MM)
19.2(M)
17.600
3.600
14.002
IGtCi
9.600
37.4(M)
12. WM)
14.400
5.4(M)
12.110
1C)'.M
7.200
42.W)0
13.800
15.000
10.800
12.680
1(;95
9.()00
>)
2.7(M)
4.UMJ
4.8(H)
732
16'J(>
7.200
28.6(K)
33.600
16.800
7.200
5.536
ir.97
4.8CN1
15.6(.>0
15. (MX)
10.400
7.2(M)
l.(M)4
1()98
16.800
61.500
22.81M)
8.000
8. KM)
5.884
lt)9'.)
14.400
60. (MK)
20.41M)
13.600
13.2(K)
14.538
171 H)
12.(HHt
35.200
24. (M H)
19.200
14.(MXJ
21.506
17(11
().()( K)
18.(MI0
12.(K)0
9.6(M)
4.8(K)
27.862
17(12
8.800
I3.:)00
12.4(M)
11.600
7.2(M)
47.(M)6
17(13
:».()( H)
6. (KM)
2.4(MI
3.8(M)
2. KM)
12.928
17(14
7. (;()()
21.600
1.").8(M)
14.8(M)
8.8(K)
13.320
17(1")
6.4(M)
i:).2(M)
10.8(K)
20.300
4.3(H)
5.758
170()
4.0(H)
24.100
1I.2(M>
6. (MM)
7.2(M)
13. .502
17(17
11.2(K)
21.800
16.000
9.2(M)
9.600
7.492
17(18
4.0110
10.8(M)
10.4(M)
6.8(M)
4.(MJ0
7.310
17<i9
1.2(M)
9.600
.'..(MM)
7.200
2.4(M)
5.892
1710
9.()00
15.8(M)
19.2(M)
4.400
4.300
6.294
1711
6.00O
10.300
20. (MM)
11. (KM)
4.6(M)
22.. 508
1712
r).(MK)
19..S(M)
32.4(M)
14.3(H)
5.400
19.274
I7i:?
6.000
48. (KM)
46.400
13.61M)
7.8(M)
20.800
171i
12.800
94.0(M)
70.800
43.000
22.800
35.770
Totaux.
390.700
1.047.4(H)
825.190
566.549
266.069
511.502
XIV
APPENDICE
Ces chiffres du cottimo ne peuvent pas senùr à comparer la valeur du commerce
des différentes échelles, parce que le taux de cette imposition variait suivant les
échelles ; mais ils indiquent exactement les variations du commerce de chaque
échelle entre 1670 et 1715.
Pour avoir la valeur totale des cottimos perçus par la Chambre du commerce
il faut ajouter aux chiffres ci-dessus ceux des cottimos perçus sur les vaisseaux qui
terminaient leur voyage à l'étranger. Le tableau de ces cottimos est instructif car
il fait connaître le nombre des vaisseaux de Provence qui étaient nolisés chaque
année par des étrangers, surtout par les négociants de Livounie.
COTn.MOS DES VOY.\GES TERMINÉS A l'ÉTR.\KGER
lti7-2 :
6.60(1
16X1 :
15.S78
1690 :
25.100
1699 :
2.6O0
l(i73 :
7.0-'8
U>82 :
11.903
1691 :
19.548
170» :
4.0iNt
1G74 :
1(1.1)65
16J<3 :
12.378
16!>2 :
18.102
1701 :
2.742
167.-. :
7.G30
IG."! :
10.648
1693 :
9.382
17(t2 :
932
ir,7li :
14.!»35
168.5 :
11.052
1694 :
37.1)40
1703 :
9(iU
Iti77 :
7. Ml?
16J<6 :
11.866
1«95 :
14.790
1704 ;
2lK>
1C7X :
3.721
16X7 :
3:.. 848
1696 :
1.100
17(15 :
200
107!) :
.l.J<(;2
wm :
24.!t84
1697 :
200
17(H) :
7(10
1Cj<(> :
1.^.203
UiSλ :
21.724
1698 :
26.288
1707 :
300
1708 :
17(»y :
171» :
1711 :
1712 (
1713.
1714/
4.878
1..50(»
6(N)
1.308
Itctmr mn-
lïM l'n r«(
bilr «iiiln
Deux faits sont frappants dans ce tableau : l'importance prise par les bâtiments
Provençaux dans le commerce des ports Italiens entre 1686 et 1693 (à b suite
des commandements obtenus à la Pone qui réduisaient les droits de douane en
Fgjpte en faveur des Français. — Il s'agit ici en effet presque exclusivement de
voyages dWlexaudrie à Livourne) et la cessation presque complète de ces affrète-
ments à l'étranger pendant la guerre de succession.
T.\BLE.\U DE LA RLCETTE TOT.\LE DES COTT1.MOS
(D'ipris ce, S3 et suiv.)
I(i7" :
îii').2(>i
IC,79 :
7N.69ÎI
i(;8s
116..V)«)
1697 .
58.810
1706
67.744
I(i7l :
6M.270
ICvSO •
77.189
KWt
87. ;•(!()
1698
i:i4.(KMl
(707 .
~2.!^24
1672 :
7.j.ii:i3
icsi
••0.(116
16!K)
110.080
169'.>
l;W..518
1708
48.164
1673 :
Il 11.., lis
1(kS2 .
(".0.788
1691
12.-..80(l
17(10 .
145.090
17(*9
32.9«V»
I(i74 :
93.6<'6
i(;,s3
1<H!.447
1092
109.744
1701
8.1.462
1710
60.516
167.-. :
8;i.7l2
US\
02.191
1093
Hil.l!l2
1702
71.988
1711
82.152
li>7('> :
81.6i'.t
l(X".
NS.419
1094
139.216
1703 .
33.712
1712
95.888
l(i77 :
77.9.VI
11. m;
8iî.2()0
1695
39.778
17(«4 .
84.452
1713
143. (U)
l(>7S :
72.:t.vs
16s7
I"4..-.7i
UM
103.218
1705 :
64.394
1714
28(».122
.\>-/.i. — Coirnic U îàux du cottinio fat diminué de moitié i partir de jatiTier 1686,
les cIiiîTrcs de !.i ie;v.tte ont été doubles Jaiis cc^ tableaux 1 partir de 1686, afin d'avoir
une iji.e e\.»cte des v.ir:at:c:i$ du comnierce de 1670 à 1714.
APPENDICE
XV
V. — Valeur des exportatioas de chaque échelle
de 1670 à i715
Constanti-
Candie,
Années
Alep
Srayrne
Seide
Alex.indric
noplc
Archipel,
Morce
Totaux
1671
1.050.000
2.040.0(M)
773.000
1.770.000
8tO.0<M)
208. 0(K)
7. 311. non
167-2
(JOO.OOO
2.167.(KK)
440. (KM)
1.80().(J<M)
(i'jO.(KK)
130. (MM)
5. 887. (KM)
1673
1.5(K).000
2.107.(K)()
9.53. (KM)
2.'280.(MK)
210. (MM)
415. (MM)
7. 525. (MM)
1674
750. OtK)
2.0.'.().(M)()
1.(H'>().(KM)
1.380.(KH)
690. (MK)
340. (MM)
0.270. (KM)
1675
350.000
1.615.(KK)
1.0(H).(HK)
2.1(M).(KK)
3.30. (KM)
39I.(M)0
6.386.(KK)
1676
450.000
1.7(M).(MM)
1.2(M).(MM)
1.3-2().(MK)
I30.(KK)
370. (KM)
5.14().(KK)
1677
480. UOO
2.()iO.(KM)
l.,32().(K)()
2.4(H).(MM)
510. (KX)
290. (MM)
7.()4().0)K)
167«
900.000
1.912.(MK)
960. (K>0
96().(KK)
276. 9(K)
213. (X)0
5.221.(KK)
1679
84U.(MH)
I.9I2.(MK)
480.000
2. 040. (KM)
180. (KK)
527, (KK)
5.979.(MK)
1680
780. ( KM»
1 .620.(KK)
.5.30. 0(K)
99)). (KM)
460. (MK)
442. (MM)
4.8-22.(KK)
1681
720. (H H»
1.147. (MM)
t.. 572. (KM»
1.680.1K)()
480. (MK)
478.(KK)
6.077.0(X)
1682
450.000
1.402. (MM)
l.(MÎ().(KK)
360. (KK)
480. (XH>
376.000
4.1-28.(KK)
1683
720.000
1 .6-20.0(M)
1.602. (KM)
1.9-20. (KM)
660.(KK)
379. (MK)
6.961.(KX)
1684
487.<Jt>0
1.615. (MM)
6-20. (KK)
1.596.(KK)
4-20. (XK)
415. IHX)
5. 159. OtK)
1685
540. <KH)
892.(KM)
1.5.50.(KM)
2.880.(HK)
.540. (KK)
296. (M)0
6.698.0(X)
1686
030. (MK)
1.082. (KM)
880. (KM)
1.680.(M)0
640. (MX)
()42.'MM)
5.554.(KX)
1687
810.000
695. (MK)
880. 0(K)
1.500.(MK)
6-20.(KM)
5:U).0(K)
5.095.000
1688
990. ( M (0
1.47().(MK)
l.-280.(KM)
3.000.(KK1
9(K).(XK)
410. 0(K)
8.050.()(K)
I68<J
675.000
9.52. (KM)
1.6(M).(.M)()
2. 880. (MX)
640. (KX)
168. 0(K)
6.915.(HX)
ICîW
900.000
l.620.(HK)
l.-2(X).(MK)
3.-24().(MK)
600. 0(M)
300. 0(K)
7.860.(KK)
1091
450. (M)0
2. 805. (KM)
1 .772.(KK)
3 (MM). (KM)
1.380. (MM)
419. (K)0
6.826.000
1692
540.000
2..V)0.(KM)
1. -280. (KM)
2. 040. (KM)
300. 0(X)
399. 0(K)
7.769.(KK)
1693
720. (H)0
3.179.(KK)
8(M).(KK)
2.10O.(K)O
540. (KX)
310.(XX)
7.7()9.(KX)
1694
540.000
3..">7().(KM)
9-20. (KK)
2. 250. (KM)
1.080.(MM)
37 7. (MX)
8.817.(KK)
1695
720.000
néjDt
18i.(MK)
715. (KM)
480. (MM)
néant
2.099.000
1696
540.000
2. 431. (KM)
2.240.(KK)
2. 522. (KM)
7-20. (MM)
148. (KK)
8.399.(KX)
1607
350.000
1.3-26. (KM)
l.(KK).(K)()
1.560.(K)()
720. (XK)
.50.2(X»
5.(MXJ.2(K)
1698
1.2(;0.0(tO
5.219.(KK)
1.5-20.(KK)
1.2(M).(KK)
8I0.(KK)
294.2(.X)
10.3()3.2(K)
1699
1.080.000
5.1(K).(KM)
1.36().(KK)
2.040.(MK)
1.3-20. (KM)
400. 0( M)
11.3(K).(KX)
1700
900. OIM)
2. 992. (KM)
1 .0(M).(MK)
2. 880. (KM)
1.750.(KK)
1.075.0(K)
11.197.(X)0
1701
450.000
1.530. (MM)
8(M).(KK)
1.440.0(K)
6(K).(KM}
785.000
5.6()5.0(K)
1702
OOO.OOO
1.147. (KM)
8-20.(KK)
1.740.(KK)
9(X).(KK)
404.000
5.737.0(X»
1703
270. (KM)
510. (KM)
It)O.(KM)
570. (KM)
-202. (KK)
410.0(K)
2.182.0(K)
1704
.")70.<MM)
1.8.30.0(M)
1.052. (KM)
2.2-2().(KK>
l.KMl.WM)
374. 0(M)
7.1.52.000
1705
480. (KM)
1.-292. (MM)
7-20. (K)0
3. 045. (KM)
.537. ( M K)
176.000
0.-2.5().(MK)
17(Mi
.3IM).(HM)
2.()48.(KK)
746. (KK)
9(M1.0(M)
9(M).(K)0
405. (MK)
5.299.(XM)
1707
840. (MK)
1. 8.53. (KM)
1 .()60.(KK)
1.380.(KK)
l.-2(M).(KM)
193.0(M)
6..526.(KX)
1708
3(M).(HM)
«18. (KM)
0!)2.(KK)
1.0-20.(KK)
.5(K).0(M)
'231. (MM)
3.661.1XK)
1709
911. (K):)
8l(i.(MM)
3.13. (KM)
l.()80.(KK)
3(K).(MK)
214. 0(M)
V.883.(KH>
1710
720. (MM)
1.343. (MM)
1.28()-(MK)
000. (KM)
537. (KM)
162.(KXI
4.7O2.0(X)
17)1
450. (MK)
875. (KM)
1.333. (MM)
1.740.(KK)
.575. (KM)
780.000
5.733.0(X)
1712
375. (MK)
l.C.')7.(M)()
2.10().(MK>
2.H5.(KK)
675. (KK)
619. (MK)
7.661.(K)0
1713
451). (MM)
4.()8().(MK)
3.O92.01M)
1 .940. (MM)
975. (KM)
675. 0(M)
11.212.000
1714
90l>.(MK)
7. 990. (KM)
4.7iO.(MK)
0.450.(MK)
2. 850. (MX)
362.000
23.332.000
Totaux.
29. 297. (M )0
8S.7S5.(KM)
53.282.(MJ()
84.211.(KK)
31.331.(HX)
16.7-25. 4(K)
303.631.400
xn
APPENDICE
VI. — Note sur les chiffres de statistique donnés dans le livre I
(1610-1661)
Il est bien difficile cTétablir des statistiques, même ;ipproxim.itivc$, de U valeur
du commerce du Levant entre 1610 et 1661. Aucun chiffre officiel ne nous est
parvenu, sauf ceux qui furent recueillis à Marseille par M. de Seguiran. lors tic
son inspection des côtes de Provence en 1633. On peut aussi regarder comme
officiels les chiffres de Savarj' dans son DicliùtttMiu Ju comtnfrc4, car il eut à sa
disposition les meilleurs documents qu'on possédait à la fin du xvne siècle.
Malheureusement Savary ne fournit qu'un seul chiffre pour cette ptïriode, «lui
de ta valeur des exportations du Levant vers 1661. Nous possédons aussi les
chiffres d'un certain nombre d'adjudications de fermes des inii>OMtions ihablics sur
le commerce du Lcviini entre )6io et 1^61. Les baux de ces fermes, adjugés tou-
jours aux mOmes conditions, fournissent des termes de comparaison rigoureuse-
ment exacts pour la valeur relative du commerce aux diffé-rcntes anniics oit i\t
sont conclus et nous font voir d'une manière saisissante les progrès de la déca-
dence du commerce. Comme ils nous sont quelquefois parvenus avec le dt'tail de
la valeur de la ferme pour chaque iJcliclie, iU permettent de se faire une idée des
fluctuations de l'importance des échelles. Mais pour l'estimation de la valeur du
commerce du Levant ils ne peuvent fournir que des évaluations approximative).
En effet, les droits de 1 0/0 ou de J 0/0 (V. Livre I, cliap. iti| ne rcpnfscntaicat
pas exactement le centième ou les trois centièmes de la valeur des r <:c»
taxées, car, pour ne pas surcharger les marchands, l'évaluation des n, i^t-s
qui servait de b.ise .1 la perception de ces droits, était (iiite à un taux très bas. De
plus, le traitant qui affermait ces impositions avait i compter avec des fra'i* de
perception considérables, puisqu'il lui fallait établir des commis dans les échelles,
et avec les fraudes nombreuses des capitaines qui présentaient des nv Je
chargement incomplets ' ; il devait donc se réserver un bénéfice en .cC
le risque qu'il courait dans une opération aussi aléatoire.
Mais, en tenant compte de ces deux causes d'crncur, decorobictilâut'U majorer
les estimations de la valeur du commerce fournies par les baux des fermes, c'est
ce qu'il est impossible de calculer exactement. On peut cepend.int le conjecturer
CM comparant ces estimations avec les chiffres officiels de \f>i} et de t66i four-
nis p.ir Seguiran ctSavarv, et les résultats obtenus ainsi seraient même assci pro-
bants s'il ne fallait se défier même des chiffres otHcicls. Colbcrt accusait plus tard
les marchands de lui fournir systématiquement des statistiques inférieun» à I.)
réalité pour taire croire i leur misère Les Marseillais qui présentaient leurs
doléances .\ Seguiran et voulaient lui faire connaître la ruine du négoce ne durent
pas manquer de dissimuler la vraie valeur de leur commerce. U faut ccmstdètvr
(1) r II i)c pouvxit prctendrc lucaa d^domm.igcmcnt ni d^clurgc. soat ptéicitc dr
guerre on ioTcriliciion Ju commerce, ni cuntigion el «utrc ar'ulciii'^, i main; que quelque
cr»ni1e guerre ciupccliic entièrement le négoce, ni i)u'' le roi et
le Cl. S., ni que quelque prince ou puissance te Sinitic vi ,. ■ Ter-
ni» (lu contrit de la ferme <iu }o)o pd^u: ivcc NUry L>ii^> kci [-oui liui; jii>. ut'in. '^^mm.
di 3Jars. Drlihfr, — aj nov. 164t.)
dHÉ
APPENDICE
XVII
coroniv absolument exact lu nontbre annuel des voyages faits dans le Levant
qu'ils lui di'i:l.irèretit. car il (}tJit facile Je le contrôler sur k's registres de r.imirnutt',
mais los cvaUiations Je la valeur moyenne des chargcnjcnts qu'ils doimérem à
Seguiran paraissent bien faibles en comparaison d'autres chiffres que nous possé-
dons. Ils déclarèrent 120. ooo livres pour l.i valeur moyenne du fi>nds porté par
les navires î\ Alep, or ceux qui en revenaient avaient fréquemment des charge-
ments d'une valeur de 200. 500, 400.000 livres. Fermanel qui se trouvait en 16} i
à Alcp, dit que les Frantjais y emploient chaque année 1.500.000 réaies ou écus,
quelquefois 2.000.000 ; c'est le double du chilTre de Soo.ooo écus donné par les
Marseillais à Seguiran. En admettant que les marchands d'.Mep se soient vanté»
à Fermanel, car ils lui afiirmérent qu'ils faisaient un commerce double de celui
des Anglais et des ^'énitiens, la vérité serait entre les deux chiffres. Pour les
chargements destinés à Alexandrie les .Marseillais indiquèrent une valeur moyenne
de 60,000 livres, or il ne partait pour cette échelle qt^y de gros vaisseaux qui
portaient toujours en argent ou en marchandises un fonds bien plus considérable.
Il faut aussi remarquer que les évaluations données par Seguiran dans son Rap-
port soBt celles des chargements destinés pour le Levant, Cîr on sait que sur
l'argent qu'ils transportaient dans le Levant les Provençaux faisivient un bénéfice
de 10 0/0 au moins et souvent de 15 à 17 0/0' et qu'ils employaient tout leur
fonds ix faire des achats pour leur retour. Pour ces deux raisons, en majorant les
chiffres de Seguiran de la moitié de leur valeur, on obliendr4 une estimation des
chargements rapportés du Levant assez rapprochée de la vérité et qui d'après les
indications des docuinents de l'époque sera encore pliiliM trop faible qu'e.\agcrée.
Si on compare le chiffre ainsi obtenu pour la valeur des importations du Levant
en France, en 16} 5, i ceux que donnent les adjudications des fermes du 5 0/0
en 1632 et 163), on voit qu'il faut multiplier ceux-ci au moins par trois pour
approcher de la vraie valeur du commerce. Les chiffres que donnent ces calculs
correspondent bien aux indications que fournissent les documents et l'étude des
faits, sur les progrès de la décadence du commerce de i6to a 1661.
VII. — Note sur les chiffres de statistique donnés dans le livre II
(1661-1715)
Comme pour la période précédente il est impossible de fournir des statistiques
exactes de la valeur des marchandises apportées du Levant en France, mais on
peut heureiisemeiu calculer des chiffres approximatifs d'une valeur beaucoup
plus siire. Les archives de la Chambre de Commerce de Marseille possèdent en
effet deux séries de documents précieux. Ce sont d'abord les comptes de la
recette du cottimo remis chaque année .'i la Chambre \;ix « les directeurs des
deniers de l'exaction du cottimo « et il partir de 1675 par le trésorier du com-
merce. Ces registres de comptes contiennent la liste de tous les navires revenus
des échelles de 1670 a 171 5 avec l'indication des sonmies qu'ils ont pyées
(CC, 3j tt suimnls. — Registres reliés en parchemin ; il y en a un par an à
(l) Parfait Nigoc'uinl , p. 4}-».
xvni
APrENDlCE
partir de 1675. — Nous ne possd'dons pas tes originaux mais des copies £sUes
juin 1716 lors de la r<îvi>ion des comptes de 1a Chambre depuis I.» créatiofi rfîT
cottimo. On trouve en effet à la tin des registres h mention suivante : Vu par
nous commissaires députés pjr lettres pjtcntos du S février 1716 pour procéder à
la révision des comptes de la Ciianibre de commerce depuis 1669 inclusivement....
Fait à Marseille le....,, juin 1716. Signé, le maréchal de Villars, Lchfet,
llaoussctdt Bourbon et de Bezieux. — Collalionné à l'original par moi i" secré-
taire de Mk' le duc de Villars. ^ Gally).— D'autres registres (II, ij) non moms
précieux contiennent, pour les années r700-i747, des tableaux, annuels Je*
navires revenus de chaque échelle, avec le détail complet des ni.ircliandiscs de
leurs chargements et de leur valeur, article par article.
Il semble au premier abord que ces registres tenus par les soins Je la Ownibnc
nous donnent des cliilfres absolument sûrs pour la valeur du commerce a {urtir
de 1700. Malheureusement, en comparant pour la périiide de 1700 .i 1715 les
registres II et CC, on constate qu'ils sont très loin de donner pour chaquv année
le même nombre de navires revenus du Levant ; c'est qu'en effet les statistiques
de ces deux séries de registres sont incomplètes. Les comptes du cottimo ne
mentionnent pas les navires qui revenaient chargés de blé, fromages, lé{;umes.
parce que ces denrées étaient exemptes du droit. Les registres II les complètent
sur ce point en nous donnant le détail des chargements de blés rapponés de
l'Archipel, de Salonique et d'autres échelles entre 1700 et 1715 ; mais ils offrent
des lacunes bien plus importantes. Rédigés par les soins de la Chambre, mais
après 1747, ils omettent pour la période 1700-1715 un nombre assez convUc-
rable de navires. Ce ne peut être par ignorance puisqu'il n'y avait qu'a consulter
les registres CC pour connaitro le cliitTre exact des navires revenus du Levant <wut
ceux chargés de blé). Comme ces statistiques furent certainement dressées par
ordre de la Cour pour préparer quelque arrêt ou règlement, la Chambre eut peut-
être à dissimuler les vrais chiffres du commerce. Quoi qu'il en soit, les tableaux II
n'indiquent pour 1700-171 > que 697 gros vaisseaux revenus du Levant i.indis que
les registres CC en comptent 782, c'est-à-dire 85 de plus. En revanche sur les
premiers le nombre des petits bâtiments est beaucoup plus considérable 2.668 au
lieu de 1888 parce que c'étaient les petits bâtiments qui faisaient presque exclusi-
vement le commerce des blés et qu'ils ne figuraient pas sur les n.-gistrcs du
cottimo. Les deux séries de statistiques se complètent donc Tune par l'autre pour
la période de 1700-1715.
Le tableau ci-dessus (p. xv ), de la valeur des importations de marchandises
du Levant, a été dressé d'après les chitiVes du cottimo, mais le calcul n'a pu être
qu'approximatif. En cfTct le cottimo ne correspondait pas exactement à la valeur
des charf^ements, le taux de ce droit dépendait de la catégorie à laquelle les
navires appartenaient (vaisseau, polacre, barque, tartane) et de l'échelle où ils
avaient chargé. Or le même vaisseau, venant de la même échelle, pouvait
rapporter des chargements de valeur très variable suivant les circonstances, La
Chambre estimait olliciellement la valeur du cottimo à 3 0/0 et après 1686 â
I 1/2 o/û ; quand un navire revenait avec un cliargenicnt trop incomplet, au
lieu de lui faire payer le cottimo entier elle lui faisait payer î ou i 1/2 0/0 de la
valeur de ses marchandises. Mais on se tromperait fort en estimant le cottimo i
^mA
APPENDICE XIX
un taux aussi élevé ; en réalité il représentait une valeur bien inférieure. Ainsi,
l'imposition du i i '2 o/o établie par la Chambre en 1705 produisit en 1704
120.000 livres pour 46 bdtiments, en 1705 95.000 pour 45, en 1706 81.000
pour }8, etc.. . Il y avait li des bâtiments de toute catégorie et de toute prove-
nance, mais à supposer même que tous eussent été des vaisseaux venant de
Smyrne payant i . 500 livres de cottimo (chiffre maximum) ce droit perçu sur
les mêmes bâtiments aurait produit des sommes inférieures presque de moitié ;
donc le cottimo ne s'élevait pas en moyenne à la moitié de la valeur du i 1/2 0/0.
Et cependant l'on sait que, quand la Chambre établissait un droit ad vithrem de
I 1/2 ou 3 0/0, les marchandises étaient estimées à bas prix pour la perception de
ce droit si bien qu'il ne représentait pas le taux auquel il était évalué.
Il faut aussi remarquer que la valeur du cottimo relativement à celle des
chargements des navires était bien différente suivant les échelles. Un vaisseau
venant de Smyrne où l'on faisait les plus riches chargements, et où le commerce
avait la plus grande sécurité, était taxé à i . 500 livres : s'il venait d'Alexandrie il
n'en payait que 800 parce que les chargements y étaient en 1669 de moindre
valeur et que les vaisseaux y payaient souvent des droits d'avaries élevés ; mais,
à la fm du xviic siècle, le commerce du café procura de riches chargements et la
sécurité devint beaucoup plus grand en Egypte, cependant la taxe du cottimo resta
la même ; elle était donc beaucoup plus légère qu'à Smyrne. Il en fut de même
à Constantinoplc dont les vaisseaux ne payaient que 600 livres parce que le
commerce de cette échelle était d'abord assez misérable et que les ambassadeurs
faisaient des levées fréquentes sur les navires ; or ces levées leur furent complè-
tement interdites depuis 1685 environ et le commerce de l'échelle s'améliora.
Pour calculer la valeur des exportations du Levant d'après les chiffres du
cottimo, il fallait donc rechercher d'abord quel était le taux exact de cette imposi-
tion pour chaque échelle. Cette recherche a été faite en comparant avec soin les
registres CC et le tableau II : sur les uns se trouvent les chiffres de cottimo
payés par les vaisseaux, sur l'autre la valeur des chargements des mêmes navires.
Ces calculs ont été multipliés autant que possible, afin d'obtenir des chiffres plus
sûrs. Un autre document a servi à établir la valeur relative des cottimos c'est un
tableau, envoyé par la Chambre au Ministre, de la valeur des marchandises
apportées du Levant en 1679, ^°' ^' (^fi> ^^)t où sont mentionnés à la fois les
vaisseaux revenus de chaque échelle et la valeur de leurs chargements. Ces
calculs dont les résultats ont en outre été comparés aux indications qui se trouvent
dans différents documents sur la valeur des cargaisons qui provenaient des diffé-
rentes échelles, ont amené à déterminer les valeurs suivantes pour les cottimos :
Alep 1/130, Smyrne i 170, Seîdc 3/4 0/0, Alexandrie i/) 0/0, Constantinople
1/250, Candie, Archipel i 0/0. — C'est d'après ces taux divers qu'ont été
calculés les chiffres des exportation de chaque échelle en France de 1670 à 171 5.
Malheureusement ces estimations de la valeur du cottimo ne représentent que
des moyennes, trompeuses comme toutes moyennes. Les chiffres de notre tableau
sont exacts pour une période de plusieurs années, ils risquent d'être sensiblement
inexacts pour une année déterminée. Il ne faut pas oublier non plus qu'ils sont
incomplets, la valeur des blés et autres denrées exemptes du cottimo n'y est pas
comptée. Il est facile pour la période 1700-1715 de compléter ces chiffres en
prenant dans les registres II, 13 les valeurs de ces denrées.
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XXVI APPENDICi;
IX. — Tableau des marchandises rapportées du Levant en France
avec de brèves indications au sujet de leur nature et de leur
usage'.
r> Drogueries.
Agaric. — Ce nom est donné aujourd'hui à des champignons très nombreux.
— L'agaric du chêne (Boietus igniarius L.) desséché et préparc devient l'agaric
des chirurgiens que l'on emploie comme hémostatique. — L'agaric blanc
(Polyporus officinalis Pries.) est un violent purgatif drastique. — Il est difficile
de préciser quelle sorte d'agaric on rapportait autrefois du Levant. Voici sur
cette drogue les indications du Dictionnaire du Commerce : « Excroissance qui
naît comme un potiron ou comme un champignon sur le tronc et les grosses
branches de différents arbres. — L'agaric mâle, commun ou pesant, s'emploie
ordinairement pour teindre en noir et on le met au nombre des drogues non
colorantes dont les teinturiers du grand et bon teint doivent se servir. — L'agaric
femelle est le plus estimé parce qu'il a beaucoup d'usage dans la médecine. —
Le meilleur agaric vient du Levant ; la plupart se tire par Smyrne où on
l'envoie de Dadalie qui en est à plus de quinze journées. On en peut acheter
année commune jusqu'à 500 ocos ■*. »
Aglu ou Glu du Levant. — Tandis que la glu ordinaire se faisait avec la
seconde écorce du houx, la glu d'Alexandrie ou du Levant se préparait avec
des sebestes(voir ce mot).
Aloès. — Substance résineuse que l'on retire des feuilles charnues de plusieurs
aloès. — Comme au ww siècle on en distingue encore dans le commerce trois
sortes : l'aloès socotrin (cicotrin, BB, 90), le meilleur, qui venait autrefois de
Socotora. — L'aloès hépatique (épatic) moins pur, qui tire son nom de sa
couleur analogue à celle du foie, — l'aloès caballin, le moins estimé. — (Pour
le commerce de l'aloès au moyen âge voir Heyd, t. II, p. 563.)
Assa tœtida. — Gomme résine fétide qu'on obtient par des incisions faites à la
tige et au collet de la racine du Ferula .\ssa fœtida L. — L'assa fœtida, dit
Savar}', n'a plus guère d'usage que pour les maréchaux qui en consomment
beaucoup. Il en vient des Indes, de Perse, de la Médie, de l'Assyrie et de
l'Arabie. La plus grande partie de celle qu'on a en France vient de Londres.
Les Anglais l'envoient dans de grands tonneaux, ce qui la fait reconnaître
d'avec celle de Marseille qui est dans des paniers de feuilles de palmier.
(i) Cette liste acte dressée .lussi complète que possible d'après différents documents des
.\rcliivcs de 1.1 Cluimbrc : Etats des marchandises déchargés à Marseille de 1700 à niô. |7,
JS. — Tarifs du droit de SO O'O dresses par arrêts du Conseil du 10 juillet 1703 tt du IG
janvier 170(1. If H, .'>. — Tableati du prix des marchandises de IGSO à 1706. BB, 00. — Quant
aux rciiscignoniciits sur les niarcli.iiidises ils ont été tirés du Dictionnaire du Comweice de
S.iv.iry de Brusions, particulièrement bien informe sur le commerce du Levant. — L'idcnti'
licjtion scientifique des diverses drogueries a été empruntée au Dictionnaire de Médecine de
LiTiRù et Robin.
(2) L'oco ou ocque, mesure de pdids la plus employée alors dans le Levant, valait 400
c dragmcs » ou ; livres 2 onces, poids de Marseille.
APPENDICE
XXVII
Balaustes. — On appcltait aiasi les Meurs du grenadier sauvage; elles étaient
réputées astringentes et servaient dans la médecine.
Baume blanc — « Espi'cc de gomme en grande rcputaiion en mt-decine et en
chirurgie et qui est un remède souverain pour la guOrison des plaies et de
quantité de maladies. Les dames en font aussi un cas extraordinaire parce que,
mêlé avec un jaune d'œuf et de l'esprit de vin, elles en composent un lard
excellent. Les véritables baumes, c'est-à-dire les baumes naturels, se réduisent
presque au bauiiic du Levant et au baume du Pérou. Le baume du Levant, que
l'on tiein pour le plus excellent, coule de l'incision que l'on fait dans un arbre
du même nom qui croit en Egypte et en Judée et qui est si précieux qu'il fait
partie du donwiwe particulier du Grand Seigneur... Peu de personnes peuvent
se x'anter de l'avoir pur et son pris est cause qu'on le sophistique presque au
sortir de l'arbre d'où il distille. Sa véritable couleur est de jaune doré. Il y a
encore le baume de la Mecque qui est une gomme sèche et blanclie, il ressemble
assez à de la couperose blanche, surtout quand il est vieux. Il .t toutes les venus
du baume de Judée et il y a bien de l'apparence que c'est le même qui s'est
durci et qui ,i changé de couleur. » Savarv. (Voir les intéressants détails que
donne Heyd sur le commerce du baume au moyen âge, t. Il, p. S/j-ilo.)
Aujourd'hui l'ancien baume du Caire, de la Judée, de la Mecque, est considéré
comme une térébenthine. Il s'obtient par l'incision de l'écorce du B.ilsamo-
Jendron nu .Amycis opobalsamum et gileadcusc Kunih.
Bdelliura. — Gomme résine de l'.^r.ibie et des Indes Orientâtes produite par
une plante qui était inconnue au xvii'' siècle et l'est encore aujourd'hui. Cette
gomme entrait dans la composition de l'cmplàtrc divin, du niitliridaie, etc.
Benjoin. — Baume qui découle d'incisions f.iites au tronc du Styr.ix ben/oin.
Dryandcr., arbre qui croît à Sumatra, à Java et dans le royaume de Siam. —
« On tire du benjoin des fleurs blanches propres pour les asthmatiques et une
hiiile qui est une espèce de bnunie pour ks plaies. « Savakv. — (V. HtYti,
t. ll.p. s8o).
Bol armenium. — Les anciens désignaient sous le nom de bols des terres
.tri^ik-uses qui servaient à différents usages en médecine. Ils leur donnaieiil des
formes particulières et leur imprimaient uti cicltet (stgillum) d'où le nom de
terres sigillées. — Le bol d'Arménie ou bol oriental était une argile ocreusc
rouge (couleur due à de l'oxyde de fer), tonique c» astringente. — « On le
croit dessicatif et cette qualité le lait employer pour plusieurs maux intérieurs et
extérieurs. » Sav.\rv.
Cardamome. — On donne ce nom aux fruits de plusieurs espèces du f;enrc
anionie, en particulier à celui de l'amomum Cardamomum L. — Peut-être
les trois espèces de cardamome connues autrefois (grand, moyen, petit), et
aujourd'hui encore, en droguerie, ne sont-elles que des variétés de ce dernier
fruit. — a Le petit se recueille au roj'aume de Cinanor sur une montagne à
six ou sept lieux de la mer, c'est le seul endroit du monde oi'i l'on en trouve.
Presque tout ce cardamome, le plus estimé et le plus précieux, se débite et se
consomme en Orient à cause que les peuples ne trouvent leur riz bien assai-
soimé qu'avec celte sorte de drogue ou épice. Nos marchands droguistes de
36
XXVm APPENDICE
France le tirent des Anglais et Hollandais. Ces derniers en consomment beau-
coup parce qu'ils se plaisent à le michcr. » Savarv. — (V. Heyd, p. 601-602.)
Casse. — Drogue qui purge doucement et qui était l'une des plus communément
ordonnées par les médecins et apothicaires. On distinguait la casse du Levant,
d'Egypte, du Brésil et des Antilles. — Pulpe des fruits du canéficier : Cassia
fistula L. (Heyd, t. II, p. 602.)
Colequinte (Coloquinte). — Fruit du cucumis colocynthis L., de la grosseur
d'une grosse orange. Purgatif des plus violents. La meilleure venait et vient
encore d'Alep.
Coque du Levant. — Espèce de fruit de la grosseur d'un grain de chapelet,
avec un noyau intérieur qui est la coque. Elle servait à faire périr la vermine ;
on l'employait aussi, alors comme aujourd'hui, pour enivrer le poisson, surtout
dans les eaux dormantes.
Corcome. (Curcuma). — Racine d'une plante des Indes Orientales (Curcuma
longa L.). — Il était employé comme stimulant et réconfortant.
Encens. — Celui de l'Arabie et de l'Abyssinie est une résine fournie par un
balsaniodendron, celui du Bengale est produit par une BoswcIIia. — L'encens,
qui est fourni aujourd'hui en grande partie par le pays des Sonuli, provenait
surtout de l'Arabie méridionale. — (V. Heyd, t. II, p. 614.)
Fleur d'Esquinance. — Même drogue sans doute que l'esquine , dont le vrai
nom est squine, dit Savarj'. — Racine du Smilax China L. — « Cette drogue
dont on fait des décoctions et des tisanes sudorifiques pour la guérison de ces
maux que la raison abhorc tant et que la débauche n'évite presque jamais,
vient de la Chine et de plusieurs endroits des grandes Indes. » Savarv.
Folium indy. — Feuille d'un grand arbre des Indes qui pousse particulièrement
aux environs de Cambaye. — On ne l'employait que pour la com[>osition de
la thériaque.
Galbanum. — Gomme résine fétide qui découle du Ferula galbanifera Lobel.,
plante qui croit dans l'Arabie, la Syrie et quelques endroits des Indes. Le
galbanum était d'un grand usage en médecine et entrait dans la composition
de plusieurs emplâtres.
Gomme. — On recevait du Levant cinq sortes principales de gommes dont les
usages étaient tout différents.
Gomme adragaiit. — Elle sort spontanément des tiges et des rameaux de plu-
sieurs astr.igalus. — « La meilleure vient d'Alep. — Les Marseillais en tirent
aussi beaucoup de Smyrne où elle est apportée de Dadalic qui est à plus de
quinze journées. Cette gomme a quelque usage dans la médecine où elle entre
dans la composition des électuaires pour les maladies des yeux, mais sa grande
consommation se fait par plusieurs ouvriers et artisans qui s'en servent dans
divers ouvrasses. Les peaussiers s'en servent beaucoup dans la préparation de
leurs cuirs. » Savaky. — (V. Hkyd, t. Il, p. 623.)
Gomiiif ammoniac. — Gomme résine produite par une plante de la Libye et de
la Perse, le Dorenia ammoniacum Don. — On en tirait un esprit et une huile
auxquels on attribuait de grandes vertus. On l'emploie encore dans la prépara-
lion d'emplâtres fondants.
APPENDICE XXIX
Gomme arabique. — Fournie par plusieurs plantes du genre acacia. Elle venait
surtout d'Egypte.
Gomme serapine (serapique ou sagapenum). — Gomme résine provenant proba-
blement du Ferula persica. — Elle entre encore dans la préparation de plusieurs
produits pharmaceutiques.
Gomme tnrique. — « Gomme arabique tombée des acacias dans les temps de
pluie et qui s'est amoncelée en grosses masses. Elle est propre aux teinturiers
en soie et ceux de Lyon on consomment beaucoup. » — Savary.
Graines de ben. — La noix de ben est le fruit du Moringa aptera Gœrtner.
Elle ressemble à nos noisettes et contient une am.inde qui donne une huile
légère, inodore et purgative appelée huile de ben. — On s'en ser\ait pour
enlever les taches ou lentilles du visage ; elle était employée aussi par les par-
fumeurs de gants.
Il y avait aussi une autre drogue qu'on appelait racine de ben, apportée des
montagnes du Liban ; on la mettait au nombre des cardiaques et des contre-
poisons.
Hermodattes (Hermodacte). — « Il y en a de deux sortes : l'une est la racine
d'une plante, l'autre est le fruit d'un arbre. On fait venir celui-ci d'Egypte où,
sur la foi des Marseillais qui l'envoient à Paris, on dit qu'il est produit par des
grands arbres qui y croissent en quantité. Ces derniers hermodactes sont d'usage
dans la médecine. » Savary. — L'hcrmodacte officinal actuel est le bulbe du
colchicum varicgatum L.
Ladanum. — Substance gommo résineuse qui exsude spontanément sous la
forme de gouttes des feuilles et des rameaux de plusieurs arbrisseaux de l'île
de Candie, du genre Cistus, tel que le cistus ladaniferus L. — On récoltait
autrefois le ladanum en peignant la barbe des boucs et des chèvres qui brou-
taient les feuilles de ces arbrisseaux. La substance graisseuse qu'on recueillait,
liquéfiée et purifiée donnait le ladanum liquide ou baume noir qu'on enfermait
dans de petites yessies très minces. Il entrait dans la composition des meilleurs
parfums. — (V. Heyd, t. II, p. 631.)
Lignum alpès (Bois d'aioés). — On connaît sous ce nom des bois qui n'ont
aucun rapport avec le suc d'aloès. Le bois d'aioés proprement dit (lignum aloès)
fourni par une légumineuse de la Cochinchine (Alœxylon agallochum Lou-
rciro) était employé pour faire des fumigations que l'on regardait comme
toniques.
Mastic. — Résine qui découle d'incisions, faites au terebinthus lentiscus L. —
Depuis le moyen âge le mastic était récolté surtout dans l'île de Chio. Il en
venait aussi des autres parties du Levant, et, d'après Savary, ce dernier mastic
de qualité inférieure était à peu près le seul qui fût apporté à Marseille. On
pouvait en acheter tous les ans à Smyrne environ 300 caisses pesant chacune
un quintal et un tiers. — « Le mastic est de quelque usage en médecine où
on l'emploie particulièrement pour apaiser les maux de dents. On s'en sert
aussi dans la composition du vernis et les orfèvres en mêlent avec de la téré-
benthine et du noir d'ivoire qu'ils mettent sous les diamants pour leur donner
de l'éclat. » Savary. — (V. Heyd, t. II, p. 633.)
XXX
APPENDICE
Mirabolan (Myrobalan). — Petit fruit purgatif ressemblant à des prunes dessé-
chées dont les droguistes et apotliiciires faisaient un grand commerce. On eu
distinguait cinq sortes qui toutes vcnjiein des Indes orientales. — Les piiar-
maciens connaissent encore aujourd'hui ces cinq variétés dont aucune a"cjt
beaucoup employée (V. Hevd, t, II, p. 640-42.)
Mirrhe (Myrrhe). — Gomme résine du balsamodcndron myrrha Nccs, plante
lérébinlhacée qui croit en Arabie, en Egypte et en .\b\-ssinie. — « Il faut
prendre garde qu'elle ne soit fourrée et mêlée de qu.intitc d'écorccs d'arbrc>
et d'autres ordures ou que même elle n'ait été triée, ce qui n'arrive que
trop souvent. Cette gomme entrx; dans la composition de plusieurs !«irtes
d'onguents pour la guérison des plaies et c'est une des principales drogues
dont on se sert pour embaumer les corps morts. On tire de la myrrhe, au
moyeu de la chimie, des huiles, des esprits et des teintures, à qui l'on
.ittribue de grandes vertus. » S.w.xRï.
Momie (Moumie ou Mumie). — « Ces momies ne sont autre chose que les cliair^
et graisses du corps humain qui ne font plus qu'un même tout et comme une
gomme de nouvelle espèce avec les aromates dont on les avait enduites
pour les conserver. Il faut choisir la momie la moins kiiv.inte, bien noire,
d'une bonne odeur, et qui, brûlée, ne sente point I.1 poix. L'on prétend que
toute celle que l'on vend présentement chex les marchands épiciers droguis-
tes de Paris, soit qu'elle leur soit apportée de Venise ou de Lyon, soit
mime qu'ils la tirent eu droiture du Levant par Alexandrie ou Marseille.
n'est qu'une momie pour ainsi dire factice, et qu'elle est l'ouvrage de cer-
tains juils qui, s;ichant le cas que les Européens font de la momie J'H^ypte,
la contrefont en faisant sécher au four des cadavres qu'ils ont auparavant
préparés avec la poussière de myrrhe, Taloés cabulin, le bitume de Judée,
de la poix itoire et d'autres gontmcs ou communes ou mauvaises. Si cette
opinion est véritable, on devrait bien se désabuser de l'usage d'une aussi
misérable drogue. » Savauy. — On attribuait alors à la momie des vertus
cxtmordinaires. — (V. Heyd, t. 11, p. 635.)
On donnait aussi le nom de inomie à une sonc de goudron nitnéral. le
pisasphalte, qui venait de la Pêne. « C'est une liqueur minérale qui découle
naturellement d'un rocher, dans la province de Laer, et le lieu où elle se
recueille est une caverne que les rois de Perse ont fait renfermer d'une petite
forteresse où il y a garnison, laquelle est commandée par un gouverneur par-
ticulier qui ne dépend que du roi de Perse et qui est chargé de recueillir
tout ce qu'il peut de cette liqueur. La grotte qui en produit la mcilleua'
est fermée et scellée du sceau du roi. — On n'en tire pas plus de huit ou
dix onces par an, en sorte qu'elle est très rare. Comme cette momie appar-
tient uniquement nu roi et qu'il ne s'en produit guère, il est ditficile d'en obte-
nir et surtout pour de l'argent... Mchemcd Be/abeg, ambassadeur de Perse, cîi
présenta au feu roi Louis XIV de la part du roi sou maître, lorsqu'il vint en
France pour conclure un traité d'alliance et de commerce (en 17 >S). —
Cette momie est un cordial excellent qui répare les débilités du cœur, le»
crudités d'estomac. — C'est un contrv-pi.>ison merveilleux. — Elle rêtahlii
les forces abattues — Une de ses principales vertus est de rejoindre promp-
d^i^
APPENDICE XXXI
tement les os casses, etc.. » Savary. (Heyd parle déj.'i de la n;rotte d'où
s'cxtr.iyait cette momie au Moycn-.\ge et la place à plusieurs journées de
marche au S.-Ii. do Chiraz, dans le voisinage de Darabgerd.)
Musc. — Substance animale renfermée dans une poche velue que porte près de
l'ombilic un ruminant, le Mosclius moschiferus L., habitant des forets du
Boutan, de la Cochinchinc et du Tonkin. — « L'usage du musc est peu consi-
dérable en médecine surtout à cause des vapeurs que son odeur provoque aux
femmes, mais les parfumeurs en emploient assez considérablement, quoique
beaucoup moins qu'autrefois, les parfums en général et le musc en particulier
.nyant bien perdu de leur réputation. » Savary. — (V. Heyb. t. II, p. 656-40.)
Noix vomique. — Fruit du vomiquier, arbre qui croît en plusieurs endroits de
l'Egypte. — Elle passait pour sudorifiquc et fébrifuge et était mise au nombre
"des remèdes diurétiques.
Opium. — Suc épaissi des capsules du pavot somnifère (papaver somniferumL.)
— « Quand ce suc sort par l'incision qu'on y ùit, il garde son nom d'opium, mais
quand c'est par expression, il prend celui de meconium. L'opium est préférable,
à toutes sortes d'égards, au meconium, aussi est-il rare que l'on envoie en
France de l'opium de la première sorte, les Turcs qui en font grand usage
ne permettant pas qu'on le transporte. C'est donc seulement du meconium que
les épiciers droguistes vendent ordinairement pour opium. Il leur vient du
Levant et particulièrement du Caire par voie de Marseille ; encore n'est-il pas
bien parfait ni bien pur, les Levantins pour avoir plus t6t fait et pour multi-
plier leur suc le tirent également des têtes et des feuilles de pavots... II se fait
une très grande consommation et un commerce considérable d'opium dans
tout le Levant. De Smyrnc seul, on en peut tirer jusqu'à 1000 ocos par an,
encore plus au Caire, et des autres échelles à proportion. » Savary.
Opoponax (Opoponax). — Suc gomnieux obtenu par des incisions faites au collet
de la racine du Pasténaca opopanax L., plante qui croît en abondance en Grèce
et en Macédoine. (D'après le Dict. de Mid., il vient aujourdliui de Syrie). —
« Cette gomme a presque les mêmes vertus que le sagapcnum pour la guérison
des plaies, ce qui fait qu'il entre dans la composition de l'onguent divin, avec
le galbanum, l'ammoniac et le bdellium. » — Savary.
Orpiment (Sulfure jaune d'arsenic naturel ). — « Les peintres, les maréchaux et
quelques autres ouvriers font une assez grande consommation de ce minéral.
Ce sont les Anglais et les Hollandais qui l'envoient aux marchands épiciers
droguistes de France, particulièrement à ceux de Paris. » — Poison corrosif
très violent.
Pignons d'Inde. — Semence du Jatropha curcas. — Purgatif très violent, d'un
goût très acre.
Pirèthre. — Racine médicinale qui venait de Tunis. On s'en servait pour apaiser
les maux de dents et les vinaigriers l'employaient aussi dans la composition
de leurs vinaigres.
Rhapontic. — « Nom ancien de la rhubarbe de France, originaire des bords du
Pont Euxin et du nord de la mer Caspienne » (Dicl. de tnéd.). — « Racine que
l'on confond quelquefois avec la rhubarbe. Quoique ceux qui envoient la rhu-
XXXII APPENDICE
barbe à nos épiciers et droguistes de Paris y mêlent souvent de la racine du
premier, il est aisé d'en faire la différence. » — Savary.
Rhubarbe. — La véritable rhubarbe est la racine du Rheuni ofTicinale Bâillon
et probablement d'autres plantes de la même lamillc. Hlle vient des monta-
gnes de la Chine et particulièrement des provinces de Chen-si, Kan-sou et
Se-tchouen.— Au moyen âge et au xvii« siècle on ne savait pas exactement
d'où elle venait. « Les uns disent qu'elle vient dans le royaume de Boutan,
les autres qu'on la trouve dans les provinces de Xensi et de Suchen dans la
Chine d'où elle passe en Turquie par le moyen des marchands du Tliibet et
du Mogol ; d'autres la font naître sur les contins de la Moscovie et d'autres
seulement dans la l*er.se. » Savary. — La Rhubarbe était d'un très grand
usage en médecine et on lui attribuait des propriétés extraordinaires. — (V.
Heyd, t. II, p. 665-667.)
Scammonée. — Gomme résine dont on distingue encore, comme au xviii siècle
deux sortes : la scammonée d'Alcp, la meilleure, qui parait provenir d'inci-
sions faites au collet de la racine du Convolvulus scammonia L. ; la scammonée
de Smyrnc fournie par plusieurs plantes , entre autres le periploca scammone.
« II n'y a guère de purgatifs plus surs, mais aussi plus violents que la
scammonée ce qui fait qu'on ne s'en sert jamais sans en avoir corrigé la trop
grande force par quelque préparation et alors on l'appelle di.igredc ou scam-
monée diagredé. On tire de ce suc une résine qui a plus de vertu que la
scammonée même et l'on en fait un sirop qui est un très bon et très doux
purgatif. » Savary. — (V. IlKYn. t. II, p. 669.)
Schine. — (China ou Chine). « Racine médicinale qui vient d'Orient. Cette
racine est d'un rouge brun tirant sur le noir au dehors et blanche ou rougeâtre
en dedans. I-!lle croit dans dos marais qui sont ordinairement couverts de la
nier qui, en se retirant, en entraine quantité sur la grève. On la croit e.xcellente
pour guérir la goutte sciatique et elle est aussi estimée souveraine contre
l'hydrupisie et l'asthme. » Savaky.
Sebestes. — Fruits desséchés du CorJia Sebestena I,. qu'on récollait aux envi-
rons de Seïde, adoucissants et légèrement laxatifs. — Ils servaient à préparer
la glu du Levant ou d'.Mexandrie.
Sel ammoniac. — « L'ammoniac naturel, n'est autre chose que l'urine de
chameau cristallisée. Il est si rare en France qu'il ne s'en fait aucun commerce.
— On tire le sel ammoni.ic artificiel par le moyen des vaisseaux sublimatoires
de toutes sortes d'urines d'honuues et d'animaux où l'on a mêlé du sel commun
ei de la suie de cheminée. Il vient ordinairement de Venise et de Hollande. —
L'usage de ce sel est fort considérable en l'raiice, soit pour la médecine, soit
pour beaucoup d'ouvriers, teinturiers, (ondeurs, orfèvres, maréchaux, etc.... »
Savahy. - Il s'agit ici du chlorhydrate d'annnoniaque.
Semence de ben. — Plusieurs drogues sont qualifiées du nom de semences,
ainsi la semence de sauge, la senience de ben. V. Graines de ben.
Semencine ou semen contra. — On le recevait dWlep et de Smyrnc. —
Vermifuge bien connu.
APPENDICE
XXXlIll
Setnea cartami. — Cette drogue devait ctrc an.ilogue ^u icmcn contra.
Savary pUcc ce nioti l'article Scmcnciiic sans aucune explication.
Séné. — l'urjjaiif des plus einplo)ès, encore aujourd'liui. — L'arbrisseau (plu-
sieurs espèces du genre Cissia) qui porte les feuilles de séné est cullivé en
plusieurs endroits du Levant. — « M. Binndel qui a été longtemps consul di.
la nation française dans plusieurs échelles du Levant, nous assure que le vrai
séné ne croit que dans les bois d'k'tbiopie et en Arabie aux environs de Moca,
qu'on ne l'achetait autrefois qu'au Ciire et que celui qu'on tire de Seide, de
Tripoli, etc., y est apporté du Caire ou d'Arabie par des caravanes, ou
d'Alexandrie par mer. — Les épicicrs-droguisics de Paris distinguent trois
sortes de séné. — La première espèce est le séné qui vient de Scîdc qu'on
nomme séné de l'appaltc, du mot appalto qui, en langue franque et Italienne,
si|j;nilîe ferme ou gabelle, les douaniers du G. S. faisant payer un droit assez
considérable pour en permettre le transport. — La seconde espèce est te séné
de Tripoli ou d'Alexandrie. — La troisième espèce est le séné de Moca ou A la
pique. — Les marchands épiciers et droguistes vendent encore le grabeau ou
poussière qui se trouve au fond des balles, ce qui est une assez nnauvaisc
marchandise. » Savary.
Spica celtica. — Le nard celtique. — • Se trouve sur les montagnes des Alpes
et en d'autres endroits. Les marchands de Paris le reçoivent par la voie de
Marseille et de Rouen. » Il était moins estimé que le nard indien, spicanarJi.
Spicanardi. — Racine de l'andropogon nardus L. qui venait des Indes. — Elle
entrait dans la composition de la thcriaque.
Stia marin (ou stinc). — < Espèce de petit lé/ard amphibie, assez semblable au
crocodile pour la figure, mais si petit que les plus grands ne passent guère
quinze pouces de longueur. Il s'en trouve quantité en Egypte le long du
Nil et c'est de \i qu'on les apporte en France. — On croit leur chair bonne
contre les poisons et propre .i ranimer la chaleur des vieillards. — Le stinc
entre dans la composition du mlthridate. u Savary.
Storax. — Baume d'odeur très agréable qui provient du styrax oflîcinalc.a II y
a de trois sortes de storax, le storax rouge, le calamité et le liquide. — Le
storax liquide est une espèce de résine factice de couleur grise composée de
vrai storax, de galipot, d'huile et de vin battus avec de l'eau pour le rendre en
consistance d'onguent. Il vient assez grande quantité de storax liquide de
plusieurs échelles du Levant, particulièrement de Smyrne, on en lire, année
connnunc, de cette ville jusqu'à 2.000 ocos. — Le storax calamité est une
composition de plusieurs drogues excellentes. — Du storax et du benjoin
auxquels on ajoute du musc, de la civette ou de l'ambre, suivant qu'on aime
[ces odeurs, on fait d'excellentes pastilles dont on brûle au lieu d'encens ordi-
In.iire dans les principales églises des catholiques. — On compose aussi du lait
LJiginal avec ces deux gommes que l'on fait dissoudre dans de l'esprit de vin;
Lite drogue que les dames emploient pour leur teint, et dont se servent aussi
L-s barbiers étuvistes, doit être d'un beau rouge, claire, odorante, et qui ne
te point l'esprit de vin. » SavarV.
irindy (Tamarin). — Fruit du Limarindus indica, arbre des Indes, de
Lsic occidentale et de l'Egypte. — Purgatif d'un goût aigre et assez agréable.
XXXn' APPENDICE
Turbit (Turbithl. — « Racine médicinale (convolvulusturpethum) qui vient Jes
grandes Indes, surtout de Cimbaye, Surate et Goa : d'autres prétendeat néan-
moins que le \'éritahle turbit vient particulièrement de l'ilc de CeyUn. Le
turbit des modernes a si peu de ressemblance avec celui des anciens qu'il c=>i
ditHcile de croire que ce soit le même. » Savary. — Pargatif drastique antre-
lois très-employé.
TuUe. (Tuthie). — Suie métallique (oxyde de zinc) qui resuit attachée a des
rouleaux de terre qu'on suspendait exprès en haut des fourneaux des tbadenn
en bronze. — On la recevait d'abord d'Alexandrie et plus tard d'AIIcmaçce.
— « La tutie est propre pour les maladies de» yeux, délayée dans de l'eic ie
rose ou de l'eau de plar.tin et incorporé dans du beurre irais. Elle est aossi -::
excellent remède pour les hémorroïdes.» Savary. (V. Hevd. t. IL p. &;^--j.i
Zedoaire. — On distinguait et on distingue oncore la zedoaire(Curcunia 2e-S:u-
nia Rt.>%coc) qui vient des Indes et des Moluques et la zedoaire ro-auje o*.
zenimbet. — Sorte de gingembre sauvage qui passait pour un excellent cctr.ii2.
iV. Hevd. t. II. p. 676.1
2-" Bfatières premières employées par rindustrie firançaise.
Alun. — Au moyen igc l'alun employé en Occident venait jotcc:: .: As*
Mineure. tV. Hlvd, î. IL p. )t>)-J7i.» Au xvii^ siècle tia en ---—- -»-*<î- — :»3
sortes principales : ceux dî Rome. d'.\a£:cterre, de Liège. ♦ L'il.:- i- Lc-irt
n'es: gatre dincrent de ces trois sortes et sen aux mêmes csag^f. — g^ Z is
moir.s commun en France à cause de la facilité qu'il y a d'ep. iT-rir i a^rrre-.
On peut acÎK-îtr à Smyrrc é.ooo quirîîa-jx d'alun tous les aas. Le 5=^ n; rs:
la mine e>: éloigné de 6 ou 7 jourr.évs de Smyme et. ccz^rss -s -r:--ti es:
a~err.:éc t: q-'i! (21:1 nccesîviireaiw-n: passer par les îaa:=î zz ierrrutr. I es
augmente et diminue k- prix a son jrré. 0:3 tire aussi î'al^jn ic Cocs:a3i:ar>r«<i_
qui es: p'.-s pras et mtiileur qi:e celui de Sm\Tne. » S.^vaIT. — c L'£J;:r isac
ra^rer.: iniispensabit: po;:r b nxan^r. des couleurs str }es éti>5ts : .ir iii.- anr-
huii: de pi-s 'j pr>-^prié:é de leur donner fais d'éclat «.-: de "rr-Z.i3: . juss- n:
ne :ci jn-i: tu une pièce de drap o- de soie sans employer !'a'=r . Lts ifi-Turu-T-..
!e* <.r.'.un-;ineurs. k-s peinrrcs, ies doreurs, en ùiiiien: zriod -.sasc. ■sars cimmir
les tanneurs eu: ^'en scr-.aien: pr^ur a préparation de IcuîS c-i-Sv. »■ Hr^T .
Bois de buis. — < Lt nî;.il]cur vicr.: d'E«-parnc ci de Sn:\T2i CiLii.— c s— »-t
â Rc^uen o_ ics H.V.IaniAi> i'apporten: par k- retour de jCZTb i-slssajiiiz Jt
Lf.an:. C"e>: de cette espèce de buis que son: laits presc ji ::»U5 i^ peurm:-
c..: «s.- r'i.-ric j^r.: i Parij. , S.-.varv.
Buffles. — « Li-i '?ufr!js >on: trej-coainjuns dans k Le^-ait. pa-rvaiiiir-mnen:
ii-x en-.ircir.s dé Snr.me e: Ol C^^nst.miiniT'plc. — De la peau ra»ei s.t uuiic
.-■n fi.: J^-> espèces dj 'usuaci-'rpi^ ^ppck-s des ^uiîk.•s çu'o; iana£ .. is .ijva-
;.r;^ .: _ ii ^i.n^rTT.i.-r'ii.. <.>n en ûi: aus^î des bandoulières, de^ ccitciir.itîi. aci-
^;Sc-c.e%<-. c^-- ^ir.ts ► — Sav-.j.ï.
Cendres. — < Lo cend-es d;. la r.-v:je::e. quoa appeUe iiùçaL-emsn: cciuires
uu Le- ir.:. p:;rcc eue ce::c bê■r^é se rrùJe à Saini-Jcaa-d"Acre e: i Tripoi; àt
APPENDICE
XXXV
Svrie, servent à foire le savon et le cristal. Celle de Saiiu-Jean-d*Acre vient
dans des sacs gris et est U plus estimée, celle de Tripoli dans des sacs bleus. »
— Savarv.
Cire. Crins'.
Corail. — Le corail qui était travaillé à Marseille venait du bastion de France.
{V. Hevd, t. II, p. 609.)
Cotons en laine et cotons tiïés. — (V. Heyd, t. II, p. 61 1 pour le commerce
du coton au moyen Jgc) — Voir p. xxi les différentes variétés de cotons
qui venaient du Levant.
Cuirs. — llsvcniiient ordinairement en poil, sans avoir été préparés. — (V.
p. XXI les diverses v.iriétés de cuirs).
Dents d'éléphant. — (V. Heyd, t. H, p. 629. pour le commerce de l'ivoire i\x
movcn-ilgc.)
Eponges. — • Les Français tirent les éponges du Levant. Les plus petites qui
sont les plus lincs et les plus estimées viennent de Constaniinople et les plus
grosses sont cnvoj'ées de B.irbaric. » Savary.
Fil de chèvre.
Fustet (au Fustel). — Bois propre i la teinture, pour teindre en feuille morte et
en couleur cifc. Les feuilles et les branches ét.iient employées par les cor-
roycurs. — Les tourneurs cl les ébénistes se servaient aussi du bois. — « Celui
de Provence est le meilleur. — Cependant, quoiqu'il y soit abondant, les Fran-
çais aiment mieux le tirer d'Angleterre et de Hollande ; c'est que le fustel de
Provence revient plus cher. • — Savahy.
Galles (Noix de galle). — excroissance qui se développe sur les feuilles de cer-
tains chênes. Elle est produite par la piqûre d'un insecte (Cynips gallae tinc-
tori£ L.) <( Les meilleures noix de galle sont celles du Levant, surtout celles
qui viennent de Smyrne, .\lcp, Tripoli. Les noix Je («ailes du Levant sont de trois
sortes, les unes noiritres, les autres tirant sur le vert et les troisièmes i demi-
blanches, — Les vertes et les noires servent a teindre en noir et les blanches
pour teindre les toiles. — L'encre se Hiit aussi avec des galles noires ou vertes.
Ce sont encore ces sortes de galles qui entrent dans la composition du noir
des corroyeurs et autres ouvriers en cuir. — La noix de galle d'.VIep l'emporte
sur celle de Tripoli ; les meilleures sont celles qui viennent do Mossoul sur le
Tigre. — Les noix de galle sont du nombre des drogues qui sont communes
aux teinturiers du grand et du petit teint ; cependant les premiers ne doivent
s'en servir que lorsqu'ils en ont besoin pour quelque légère bruniture et quand
il leur est difficile d'assonir autrement leurs nuances. » Savary. — (Heyd,
I. 11, p. 6.\%.}
Gomme adragant, turique. — Voir ces mots parmi les drt^eries.
Laines. — V. p. xxii-xxiii les dilTérentes sortes de laines du Levant — Lin.
Nacre. — La nacre venait surtout du golfe Persique et de la mer Rouge. —
(t) On ne donne pAS de détails ici sur tes arlicla dont l'usjge est asscx connn et dont la
provenance et l'importance ont été suffisamment indiquées dans le corps de l'ouvrage. (Liv. III.
Chapitres sur les échelles du Levant cl les articles du commerce.)
XXXVI APPENDICE
« Les nacres entrent dans les ouvrages Je marqueterie et de vernis de la Chine.
On en fait aussi divers bijoux, entre autres de très-belles tabatières. » S.*v.\ry.
Natrum. — (Natron). — « Espèce de sel noir et grisâtre qu'on tire d'un lac d'eau
morte dans le territoire de Terrana en Egjpte. Il y a aussi du natron blanc
(carbonate de soude. Dict. de Me'J.) qui n'est guère différent de la soude blan-
cjie ou du salpêtre. » — Savary donne plus de détails sur ce natron blanc à
l'article Salpêtre : « L'eau du Nil, aidée de l'ardeur du soleil et ménagée à peu
près de même que l'eau de la mer dans les marais salants de Brouagc, fournit
une troisième espèce de salpêtre naturel connu des anciens sous le nom de
natrum que les droguistes appellent conimunément natron. C'est proprement
ce qu'on appelle de la soude blanche. Autrefois il se faisait en France an si
grand commerce de ce salpêtre qu'il s'en consommait dans la ville de Paris
le poids de plus de lo.ooo.ooo de livres. Depuis qu'il a été défendu aux mar-
chands d'en faire venir ni d'en vendre, il y est devenu si rare qu'on peut
presque assurer qu'il ne s'y en trouve point du tout. » Ce natron blanc servait
au blanchiment des toiles.
Plumes d'Autruche. — Elles étaient apportées à Marseille en grande quantité
de Barbarie, d'Egypte, de Scïde et d'.\lep.
Satfraaum. — Espè-cc de safran bâtard qu'on apportait du Levant. C'était la
fleur d'une petite plante qui croit sur les bords du Nil aux environs du Caire.
Les teinturiers en soie de Lyon et de Tours en consommaient beaucoup pour
les couleurs rouges vives comme les incarnadins d'Espagne, les incarnats, la
couleur de feu, les couleurs de rose, etc. (V. Heyd, t. II, p. 668.)
Soies. — (V. Heyd. t. II, p. 670.) — V. ci-dessus pour les nombreuses variétés
de soies.
Suif.
Vermillon. — « Couleur rouge très vive et très belle. Il y en a de deux sortes,
de naturel et d'artificiel. Le naturel se trouve dans quelques mines d'argent en
forme de sable rouge qu'on prépare par plusieurs lotions et coctions. — L'arti-
ficiel se fait avec le cinabre minéral broyé avec de l'eau-de-vie et de l'urine et
ensuite séché. On en fait aussi avec du plomb brûlé et lavé ou de la cérusc
poussée au feu. » Savary. — Le vermillon venait surtout de Hollande.
Vitriol de Chypre ou Vitriol bleu. — Sulfate de cuivre.
3" Denrées.
Cannelle. — C'est la seule épice qui figure encore parmi les marchandises venant
du Levant à la fin du wii'^ siècle. (V. Heyd, t II, p. S95.)
Blé. Café. Dattes. Fèves (.\rchipel). Fromages {.\rchipel et Moréc).
Graines de choux-fleurs (Chypre). Huile. Pois. Riz.
Panses ou raisins de Corinthe, Damas, Smyrne.
Pistaches. — Elles venaient particulièrement d'.Mcp et de la Perse. « Les pis-
taches entrent dans quantité de ragoûts et l'on en fait ces excellentes dragé'es
qui n'en ont guère de pareilles pour la bonté. Les pistaches d'Asie sont les
seules dont les marchands épiciers fassent commerce en France. » Savary.
APPENDICE XXXVII
4° Produits manufacttirés.
Bourre. — « Bourre de Marseille. Nom que l'otï donne à une sorte d'étoflfe
nioherée dont la chaîne est toute de soie et la trcme entièrement de bourre de
soie. On en a d'abord fabriqué à Marseille. On en fait présentement à Mont-
pellier, à Nismes, à Avignon, à Lyon et niénic à Paris. » Savary. — Le mot
bourre désignait plus ordinairemctt le poil de bœuf, cheval, buffle, etc., dont
on garnissait les selles, les bâts, les chaises, les banquettes, etc. Mais dans le
tarif du prix des marchandises du Levant dressé par la Chambre (V. le tableau
ci-dessus) les bourres sont estimées par pièces et non au poids, il s'agit donc
bien d'étoffes.
Camelot. — « Etoffe non croisée composée d'une chaîne et d'une trème qui se
fabrique avec la navette sur un métier à deux marches^ de même que la toile
et l'étamine. Il s'en fabrique de toutes sortes de couleurs, les uns de poil de
chèvre, tant en chaîne qu'en trème, les autres dont la trème est de poil et la
chaîne moitié poil et moitié soie, d'autres dont la chaîne et la trème sont
entièrement de laine, d'autres laine et fil. Les uns s'emploient à faire des
habits tant pour liommes que pour femmes, les autres servent à faire des tours
de lits et autres meubles et d'autres sont destinés pour faire des chasuUes et
autres ornements d'église. — D'après Ménage, camelot viendrait de Zambelot,
mot levantin qui se dit des étoffes fabriquées d'une sorte de poil délié qui pro-
vient de certaines chèvres qui naissent en quelques lieux de Turquie. — Zam-
belot serait dérivé de Giamal, chameau. — Aussi a t-on proprement appelé
camelot les étoffes qui se font du poil de chameau. » Savary. — Les camelots
de l'Asie-Mineure et particulièrement d'Angora donnaient lieu à un très grand
commerce.— Au début du xviii' siècle on fabriquait des camelots en Artois,
en Flandre et en Picardie, particulièrement à Arras, Lille, Amiens. — (D'après
Heyd, t. II, p. 703. Camelot vient de l'arabe khaml, khamlab : étoffe à longs
poils.)
Chagrin. — « Fîspèce de peau ou cuir très dur, couvert et parsemé de petits grains
ronds. Les auteurs ne conviennent pas de la peau de quel animal se fait le
chagrin ; les uns assurent que ce n'est que de peaux de cheval, d'âne ou de
mulet préparées de certaine façon ; d'autres assurent que le chagrin est un
animal chez les Turcs et les Polonais. — Tout le monde est d'accord sur la
préparation. Après l'avoir étendue à l'air toute fraîche, on y sème et on y
écrase de la semence de moutarde, on la laisse ainsi exposée quelques jours
et ensuite on la tanne. — Cette peau très dure, sèche, devient extrêmement
molle trempée dans l'eau ; elle est employée par les gaîniers et les relieurs. —
Elle vient de Tauris, Constantinople, Alger, et de la Pologne. — Celle de
Constantinople est la plus estimée. » — Savary.
Cordouans. — « Les cordouans sont des espèces de maroquins avec cette
différence que les cordouans sont apprêtés avec le tan et que les véritables
maroquins sont apprêtes en sumac ou en galle. Plusieurs veulent que les
cordouans aient pris leur nom de Cordoue. — 11 se fait à Smyrne un très
grand commerce de cordouans ou maroquins de toutes les couleurs qui y
xxxvnt
APPEXDICE
sont covofés de la Djdalie dont ceux d'Orutut Mot çgimM le% meilleBis et
les mieux colorée. Les bUncs, qui ne sont guère connos en Ftxhcc. le mm
beaucoup dans toute l'Italie où il s'en fait des envois cooïidcrablcs do port
de SniNTHC. » — Savary.
Moocayars (Moncahiard, Mocayjr). — Etoiîc très iinc. ontioaimncnt ooirr.
qu'on employait surtout pour Ctirc des v£tenients aux gens d'alise et âe
robe. — On en fabriquait en Flandre.
Pellissonnes (l'ciissoos), — Jupes ou jupons faits de pcaox et Je Tourrurr»
communes.
Sucre. — V. Hkyd, t. II, p. 68069}, sur le commerce du iucrt
.\ge. — Les aciuts de sucre dans le Levant avaient presque t '...v: .-:
cessai au xvik siècle. — On y ponait au contraire du sucre d'Amcriqoe
raffiné i Marseille.
Tabac.
Tapis. — «I Les upis qui viennent en France des pa)'S étrangers sont ks upis
de Perse et de Turquie, ceux-ci velus ou ris. Les uns et les autres se tirent
le plus ordinairement par la voie de Smyme où il y en a de trois sortes^. Les
uns qu'on .ippclle mosquets se vendent à I.1 pièce, depuis sis piastres (usqu'à
trente piastres le upis - ils sont les plus beaux et les plus tins do tous. — Les
autres se nomment tapis de pic parce qu'on les achète au pic quatre. Ce sont
les plus grands de ceux qui s'apportent du Levant. Leur prix est communé-
ment de demi piastre le pic'. Les moindres de tous sont ceux qu'on appelle
cadénc, ils peuvent valoir depuis une piastre jusqu'à deux piastre le tapis. »
— Savary.
Toiles. — V. ci-dessus (p. x.xv et note) la longue nomenclature des diverses
sortes de toiles qui venaient du Levant.
V. dans Hevd, t. II, p. 693-711, la nomenclature des divers tissus qui \-enaient
du Levant au Moyeu- .\ge, — Sauf les tapis, les camelots, les boucassins
(toiles de lin) leurs noms ne se retrouvent plus dans les documents du xvii«
siècle. Les riches tissus de soie achetés autrefois dans le Levant étaient alors
fabriqués dans les piiys de l'Occident qui en vendaient à leur tour aux
Orientaux. — Heyd (p. 699) parle de divers tissus ; samit, (exaraitum)
amita, dimita, trimita, dont les noms se retrouvent dans la liste des toiles du
Levant au xvii« siècle : toiles de mites, de mitons, escamites. — Mais, d'après
Heyd, ces tissus du Moyen- Age étaient des soieries ; les samits étaient une
étoffe de soie lourde et èp.aissc et très dière, elle se fabriquait notamment à
Chyprcs. Les toiles escaniites, au contraire, étaient grossières et de bas prix,
elles venaient aussi de Chypre. (Ce nom d'cscamite est encore usité à Mar-
seille)*.
(t) Le pic itiit la mesure dont on se semit en Turquie pour mesurer les étoffes
jmine lie l'âuiie en France. — Il vaUit \'% d'aune de Paris (j pieds, 2 pouce», 1 ligncx).
(j) La lulure Je quelques nurcbuiidises du I.cviiui mentionnées par les documents
n'» pu *ue déterminée. — Ce sont les suivantes: .•\gobilles, slayars, alicou, vhacaiiilou»,
peaux de chicâlis, escailtoles.
XIV
APPENDICE
Ces chiffres du cottimo ne peuvent pas scr\'ir à comparer la valeur du commerce
des différentes échelles, parce que le taux de cette imposition variait suivant les
échelles ; mais ils indiquent exactement les variations du commerce de chaque
échelle entre 1670 et 1715.
Pour avoir la valeur totale des cottimos perçus par la Chambre du commerce
il faut ajouter aux chiffres ci-dessus ceux des cottimos perçus sur les vaisseaux qui
terminaient leur voyage à l'étranger. Le tableau de ces cottimos est instructif car
il fait connaître le nombre des vaisseaux de Provence qui étaient nolisés chaque
année par des étrangers, surtout par les négociants de Livourne.
COTTIMOS DES VOYAGES TERMINÉS A L'ih'RANGER
lf>72 :
6.600
1681 :
15.878
1690 :
25.100
1699
2.600
1708 : 4.878
1l'.7:< :
7.028
1(»2 :
11.903
1691 :
19.548
17«»
4.00(1
1709 : \.M)0
1074 :
10.665
1683 :
12.378
1692 :
18.102
1701
2.742
1710 : filK»
167.") :
7.630
1684 :
10.648
16!»3 :
9.382
1702
932
1711 : I.30X
H>7t> ;
14.!»35
1685 :
11.052
1694 :
37.640
1703
900
17121 »«••'■"-
1(>77 :
7.r.02
1686 :
11.866
1H95 :
14.790
1704
2(W
7 s)!":'""'
1678 :
3.721
1687 :
35.848
1696 :
1.100
1705
200
1714 ^r
1679 :
4. «62
1688 :
24.984
1697 :
200
1706
71K1
16«0 :
15.203
1G80 :
21.724
1698 :
26.288
1707
300
Deux fiiits sont frappants dans ce tableau : l'importance prise par les bâtiments
Provençaux dans le commerce des ports Italiens entre 1686 et 1693 (à la suite
des commandements obtenus à la Porte qui réduisaient les droits de douane en
Egypte en faveur des Français. — Il s'agit ici en effet presque exclusivement de
voyages d'Alexandrie à Livourne) et la cessation presque complète de ces affrète-
ments â l'étranger pendant la guerre de succession.
TABLEAU DE LA RECETTE TOT.\LE DES COTTIMOS
(D'apros CC, S3 et suiv.)
1670 :
10"). 260
1679
1671 •
68.270
lt)80
1672 :
75.033
1681
1673 :
loi.JOX
1682
11)74
93.6<i6
Ili83
1675 .
83.712
1684
1676
81.619
1685
1677
77.954
11,86
1678
72.388
1687
78.699
IWS :
77.189
lt>89 :
90.016
16!K) .
66.788
1691 :
KH5.447
1692 :
62.191
1693 :
88.419
1694 :
86.20fi
1695 :
l(t4.:)74
1696 :
116..').')6
1697
.58.810
1706 .
67.744
87.906
1698
l:i4.(K)0
1707 :
72.924
110.080
16<.»9
i:«.518
1708 :
48.164
I25.8!I0
1700
145.090
1709 :
32.964
109.744
1701
84.462
1710 :
60.516
101.192
1702
71.988
1711 :
82.152
139.216
1703
33.712
1712
95.888
39.778
1704
84.452
1713 ■
143.«)44
103.218
1705
tu. 394
1714 ■
2W.1-22
.V,V.i. — Comme le taux du cottimo fut diiiiiiiuc de moitié à partir de janvier 1686,
les chiffres de I.1 recette ont été doubles dans ces t.ibleaux 1 partir de 1686, afin d'avoir
une idée exacte des v.iriations du commerce de 1670 à 1714.
APPEXDICF,
XV
V. — Valeur des exportations de chaque échelle
de 1610 à ilî5
Constanti-
(^ndie,
Annies
Alep
Smyrne
Seïde
Alexandrie
nople
Archipel,
Totaux
Morce
1671
1.650.000
2.040.000
773.000
1.770.0(X)
810.000
268.000
7.311.000
167-2
GIW.OOO
2.167.(XM)
440. (XX)
1.800. (MX)
6!i0.(KX)
130.(M)0
5.887.(XK)
1673
1.500.000
2.167.000
953. (XX)
2.280.(XM)
210. (MM)
415.0(M)
7. 525. (MM)
1674
750.000
2.050.000
1. 060. 000
1.380.(XM)
6iM).(MX)
340. (H M)
6. -270. (M K»
1675
350.000
I.OIÔ.IKX)
1.6(X).(X.X)
2.I(X).(MM)
3.30. 0(X)
391.000
6. 386. (MM)
1676
•i.'.0.000
1.700. (MM)
1.21X5. (XX)
1.320.(XM)
t30.(KX)
370. (MM)
5. 140. (MM)
1677
480.000
2.0iO.(KM)
1.320.(KX)
2.4(X).(XX)
510. (MX)
290. (MM)
7.040.000
1678
900.000
1.9r2.(XM)
960. (X)0
960. (KM)
276. 9(X)
213. (K)0
5. 221. (MM)
1679
840.000
1.912. (KM)
480.000
2.040.(XM)
180. (M)0
527. (KX)
5. 979. (MX)
1680
780.000
1.620. (MM)
•■).30.(MX)
990. (XX)
460. (MX)
442. (X)0
4.8-22.(KX)
1681
7-20. 0(Xl
1.147. (KM)
1..572.(KX)
1.680. (MX)
480. (MX)
478.000
6.()77.0(K)
1682
450.000
1.402. (MX)
1.060.000
360. (XX)
48O.0(X)
376.000
4.128.0(X)
1683
720. 0(K)
1.620. (XX)
1.662. (XX)
1.9-20.(XM)
660.000
379. (MX)
6. 961. (XX)
1684
487.000
1.615.0(X)
6-26.(XM)
1.596. (XX)
4-20.(XX)
415.000
5.159.000
1685
.540.000
892. (MX)
1.. 5.50. (XX)
2. 880. 000
540. (XM)
296. 0(X)
6.698.000
1686
630. (KK)
1.082.(MX)
880.(XM)
1.68().(MM)
640. (XX)
642. 0(M)
5.554.0(H)
1687
810.000
695. (MM)
880. 0(X)
1.56().(XM)
620. (KX)
530. (XM)
5.095.000
1688
990. IKK)
1.470. (MX)
1.-280.1XM)
3.(.XX).(KM)
9(M).0(X)
410. 0(M)
8. 050.000
168'J
675.000
952.000
l.6(M).(XM)
2. 880. (XX)
640. 0(X)
168.0(X)
6.915.(KX)
1690
900.000
1.620. (MM)
1.'20().(XM)
3. -240. (MM)
6(X).(XM)
300. 0(M)
7.86().(XK)
1691
450. (H)0
2. 81 15. (MM)
1.772.000
3 (MM).(XM)
1.380. (MX)
419.000
6.8-26.000
1692
540.000
2..5.".0.(MK)
1.280. (XX)
2.640. (XX)
3(iO.O(X)
399.000
7.769.(KX)
1693
7-20. IXM)
3.179.0(H)
8(X).)MX)
2.1(>0.(XX)
540.(MK)
310.000
7. 709. (XX)
1694
540.000
3. 570. (MX)
920. (XX)
2.25().(XM)
1.080. (XX)
377.(KX)
8.817.(KK)
1695
7-21 >. 000
néant
184.1XN)
715. (XX)
480.(XK)
néant
2.099.0(M)
1696
540.000
2.431.IM)0
2.240.(X)0
2. 522. (XX)
7-20. (XX)
148. (KM)
8.399.(KX)
1697
3.^0.000
1.3-26.(XJ()
1.(XX).(.XM)
1.56().(H)0
720. (XK)
.50.200
5.0(X;.2(X)
1698
1.2C>0.0()0
5.219.fXM)
1.520. (MX)
1.200. (MX)
810.000
294. 2iX)
10.303.200
1699
1.080.000
5.1(X).(MM)
1.360. (MX)
2. 040. (MX)
1.3-20.0(M)
400. 0(K)
11.3(K).0(X)
1700
900.0(Mt
2.992.(M)0
1.6(X).(MM)
2.8«0.(XM)
1.750.(XX)
1.075.0(X)
11.197.000
1701
450. 01 H)
1.530. (MX)
8(X).(M)()
1 .440. (MX)
6(M).(XK)
785.000
5.6()5.0(X»
170-2
660.000
1.147. (MX)
826. (X M)
1.740. (MM)
900. (MX)
464.000
5.737. 0(HI
1703
■270.000
510. (XM)
16O.(K)0
570. (XX)
-262. 0!X)
410.0(K)
2.182.{KX)
1704
.570. (HMl
1.8.%.()(X)
1.052. (MM)
2. 2-20. (MX)
1.1(M).(MK)
374. 0(M)
7.1.52.000
1705
480. (H 10
1. -292. (MM)
7'2().(XX)
3. 045. (MM)
537. (MM)
176.000
6. -250. (MX)
1700
3lM).t.MH)
2. 048. (MX)
746. (MX)
9(M).(XM)
9(M).(XH)
405.000
5.299.000
1707
840. (MM)
1.853. (MM)
1 .060. (MX)
1.380. (MX)
l.-2(M).(MM)
193.000
6..5-26.(XK)
1708
3(M).0(M)
018. (MM)
692. (MM)
l.()-2().(MX)
.5(M).0(M)
231. (KM)
3.()61.(MK)
1709
90.(Mt:i
810. ()(X)
333. (MM)
1.080. (MM)
3(M).(MX)
214.000
'2.883.(MK)
1710
7-20. (MM)
1.343. (MM)
1.280-(MM)
660. (MM)
537. (XKI
162. (MX)
4.702.0(X)
1711
450. (MM)
875. (MM)
l.333.0(M)
1.740. (MX)
.575. (MM)
780.000
5.733.0(X)
1712
375. (MK)
1.657. (MM)
2. 160. (MM)
2.H5.(XM)
675. (MX)
6 19. (XX)
7.661.(XM)
1713
450. (MM)
4.!)8li.(MM)
3.oy2.0(M)
1.940. (MX)
975. (MM)
675. 0( M)
11.212.000
1714
960. (MM)
7. 990. (M M)
4.7iO.(MX)
6. 450. (XX)
2.850.000
362.000
23.332.000
Totaux.
29.297.000
88. 785. (MX)
53.282.(M)0
84. 211. (MX)
31.331.0(X)
16.7-23. 400
303.631.400
XVI
APPENDICE
VI. — Note sur les cbiftres de statistique doaoés dans le livre l
(1610-1661)
H est bïen difficile d'établir des statistiques, même approximilivcs, di* b rilear
du commerce du Levant entre 1610 et 1661. Aucun cliitTre officiel ne oooscit
pan'cnu, sauf ceux qui furent recueillis à Marseille par M. de Scguiran, Ion de
son inspection des cAtes de Provence en 163^. On peut aussi rvgarder comme
officiels les chiffres de Savar^' dans son Dittionnaiu Ju commeru, car U eut i sa
disposition les meilleurs documents qu'on possédait à la fin du xvn« si6<:le.
Malheureusement Savarv' ne fournit qu'un seul chitfre pour cette p^ode. celui
de la valeur des exportations du Levant vers 1661. NouJ poMcdons aDS${ les
chilTrcs d'un certain noniba- d'adjudications d< J'crtnes des imposition» établies sur
le commerce du Levant entre t6tO et 1661. Les baux de ces fermes, adjugés ton*
jours aux mêmes conditions, founussent des termes de comparaison tigourcosc'
ment exacts pour b valeur relative du commerce aux difTcrentcs années oâ Qs
sont conclus cl nous font voir d'une nunii're saisissante les progré* d< U déca-
dence du commerce. Q»rame ils nous sont quelquefois par\cnus avec le t}élail tic
h valeur de h ferme pour chaque échelle, ils perar.etient de se faire un* i«kc de»
fluctuations de llmportance des échelles. Mais pour l'estimation de la râleur Ai
commerce du Levant ils ne peuvent fournir que des évaluations approiioutives.
En ctfct, les droits de i 00 ou de ; 00 (V. Livre I. clup. mf ne itpr<«ent^cnt
pas cxaacraent le centième ou les trois centièmes de la valeur des marchxnfiscs
taxées, car. pour ne pas surcharger les marchands, réraJuatkn des marchandises
qui servait de base à ta perception de ces droits, étah faite â na tau» trt» hts. De
plus, le iraîtant qui afTcmuit ces impositions avait k compfcr avec do fr^ de
perception considérables, puiv^u'il lui fallait cublir des commit dans les ■'«■kH'ff,
et avec les fraudes nombrcst entaient des ntaiMiracs de
chargement incomplets ' : 1 . ua bénéâcc en rapport arce
le risque qu'il courah dans une opération aussi aléatoin;.
Mais, en tciunt compte Je ces deux causes d'erreur, de cfiOibicB&M-il majonr
les estimations de U valeur du cumn^erce fournies par les baoi des feroKS^ c*cs
c. 'TtposstUe de calculer eiictcmert. On peut cependant fc ctiofecnDcr
c^i tt co estimations a\tc les chiJres officieb Je i6)} et de 1661 foa-
nts par Scjruiran et Savar>-. et les rtsaltats obtenus ainsi seraâent mtflsc assez mo-
haats s'il ne (albh se défier cnéme des chifres officiels. O!^ '* ' ' •-• -'35 tati
les nurchanJs de loi fournir s^téRUoquement des statis' -s l b
rcariic pour (aire croire k Icnr miscre Les Marseilliis ^oi ftcK-ntjygî }tw%
doléances à Scguiran et voukiett loi £ttie cmoiy tre la raine da négoce oc daftnt
pas manquer de dissimiiler la vraie valeur de kur commerce. U faut nwiiidtn
(t) • :it pcCfain aoaa Méomangeacat «i iiàiatfi. tom fr"-'- «c
guerr* va la oamnercc, ai COWtgiqB et atm »ttiitMtM. i Marw f «e ^
nt»ie (ucrr< capècltk anûènmtmt k mign- . ai ^a'S y cAi cacr»« ii\tUih' raxn le
H G. S.. &< i(«c {acl^ar priaoe om fini» rt t: %ttâ.i Az fadii* «ac 4ss4lic* ««Mlei. • T
Mes <ia c««cr it ii< U (crac 4* a <M> fMiaé ««ec Uuy LaaQEirei pour ••<: aaa. (Jreè. O»»
et Km. WJw . — «5 mem. 1^1. >
APPENDICE
XVII
comme absolument ciact le nombre annuel des voyages faits J.ms le Levant
qu'ils lui déclarèrent, cir il était facile de le contrtiler sur les registres de r.imir.iuté,
mais les évaluations de la valeur moyenne des chargements qu'ils donnèrent à
Seguiran paraissent bien faibles en comparaison d'autres chiffres que nous possé-
dons. Ils déclarèrent 120.000 livres pour la valeur moyenne du fonds porté par
les navires à Alep, or ceux qui en revenaient avaient fréquemment des charge-
ments d'une v.nleiir de 20c), 300, 400. coo livres. Fermanel qui se trouvait en 1631
à .\lep, dit que les Français y emploient chaque année 1.500.000 réaics ou écus,
quelquefois 2.000.000 ; c'est le double du chiffre de 800.000 écus donné par les
Marseillais à Seguiran. En admettant que les marchands d'Alep se soient vantés
il Fermanel, car ils lui allirmérent qu'ils faisaient un commerce double de celui
des .Anglais et des \'énitieiis, la vérité serait entre les deux chiffres. Pour les
chargements destinés à Alexandrie les Marseillais indiquèrent une valeur moyenne
de 60.000 livres, or il ne partait pour cette échelle qqt de gros vaisseaux qui
portaient toujours en argent ou en marchandises un fonds bien plus considérable.
Il faut aussi remarquer que les évaluations données par Seguiran dans son Rap-
port sont celles des ch.irgemcnts destinés pour le Lev.int. Or on sait que sur
l'argent qu'ils transportaient dans le Levant tes Provcn<;aux faisaient un bénéfice
de 10 0/0 au moins et souvent de 15 à 17 0/0' et qu'ils employaient tout leur
fonds à faire des achats pour leur retour. Pour ces deux raisons, en majorant les
chiffres de Seguiran de la moitié de leur valeur, on obtiendra une estimation des
chargements rapportés du Levant .assez rapprochée de la vérité et qui d'après les
indications des documents de l'époque sera encore plul<M trop faible qu'exagérée.
Si on compare le chiffre ainsi obtenu |H)ur la valeur des imponations du Levant
en France, en 1653, â ceux que donnent les adjudications des fermes du j 0/0
en i6}2 et 1633, on v"'^ ^" >' ^^^^ multiplier ceux-ci au moins par trois pour
approcher de la vraie valeur du commerce. Les chiffres que donnent c;s calculs
correspondent bien aux indications que fournissent les documents et l'étude des
faits, sur les progrés de la décadence du commerce de 1610 À l66t.
VU. — Note sur les chiffres de statistique donnés dans le livre II
(1661-1715)
Comme pour la période précédente il est impossible de fournir des statistiques
exactes de la valeur des marchandises apportées du Levant en France, mais on
peut heureusement calculer des chiffres approxim.itifs d'une valeur bciucoup
plus sûre. Les archives de la Chambre de Commerce de Marseille possèdent en
effet deux séries de documents précieux. Ce sont d'abord les comptes de la
recette du cottimo remis chaque année à la Chambre par « les directeurs des
deniers de l'exaction du cottimo « et à partir de 1675 par le trésorier du com-
merce. Ces registres de comptes contiennent la liste de tous les navires revenus
des échelles de 1670 h 1715 avec l'indication des sommes qu'ils ont payées
(CC, 2j ft suivants. — Registres reliés en parchentin ; il y en a un par an à
(j) Parfait Négariaul , p. 454.
XVIIl
APPENDICE
partir de 1675. — Nous ne possédons pas les originaux mais des copits faites en
juin 1716 lors de la riH'ision des comptes de la Cliambrc depuis la crtiation du
cottimo. On trouve en effet à la fin des registres la mention suivante : Vu par
nous commissaires députés par lettres patentes du 8 février 17 16 pour procéder à
la révision des comptes de la Chambre de commerce depuis 1669 inclusivement, ...
Fait à Marseille le juin 1716. Signé, le maréchal de Villars, Lcbret,
Raoussetde Bourbon et de Bezicux. — CoUationné à l'original par moi i" secré-
taire de Mk'^ le duc de Vilbrs. — Gally). — D'autres registres (IJ. tj) non moiii*
précieux contiennent, pour les années 1700-1747, des tablcau\ anuuch des
navires revenus de chaque échelle, avec le détail complet des marchandises de
leurs chargements et de leur valeur, article par article.
Il semble au premier abord que ces registres tenus par les soins de la Chambre
nous donnent des chiffres absolument sûrs pour la valeur du commerce i partir
de 1700. Malheureusement, en comparant pour la période de J700 a Jjlj les
registres II et CC, on consi.ntc qu'ils sont très loin de donner pour chaque année
le même nombre de navires revenus du Levant ; c'est qu'en effet les statistiques
de ces deux séries de registres sont incomplètes. Les comptes du cottimo ne
mentionnent pas les navires qui revenaient chargés de blé, fromages, Ié>;ume4,
parce que ces denrées étaient exemptes du droit. Les registres II les complètent
sur ce point en nous donnant le détail des chargements de blés rapportés de
l'Archipel, de .Salonique et d'autres échelles entre 1700 et 171 j ; mais ils offrent
des lacunes bien plus importantes. Rédigés par les soins de la Charabne, mais
après 1747, ils omettent pour la période 1700-J715 un nombre assez considé-
rable de navires. Ce ne peut être par ignorance puisqu'il n'y avait qu'A consulter
les registres CC pour connaître le chiffre exact des navires revenus du Levant (saui
ceux chargés de blé). Comme ces statistiques furent certainement dressées par
ordre de la Cour pour préparer quelque arrêt ou règlement, la Chambre eut peut-
être A dissimuler les vrais chiffres Ju commerce. Quoi qu'il en soit, les tableaux II
n'indiquent pour 1700-1715 que 697 gros vaisseaux revenus du Levant tandis que
les registres CC en comptent 782, c'est-à-dire 85 de plus. En revanche sur les
premiers le nombre des petits b.himcnts est beaucoup plus considérable 3.668 au
lieu de 1888 parce que c'étaient les petits bâtiments qui faisaient presque exclusi-
vement le commerce des blés et qu'ils ne figuraient pas sur les registres du
cottimo. Les deux séries de statistiques se complètent donc l'une par l'autre pour
la péricKle de 1700-1715,
Le tableau ci-dessus (p. xv ), de la valeur des importations de m,ir\:lianiliscs
du Levant, a été dressé d'après les chiffres du cottimo, mais le calcul n'a pu être
qu'approximatif. En effet le cottimo ne corres(X)ndait pas exactement à la valevr
des chargements, le taux de ce droit dépendait de la catégorie à Liqucllc les
navires appartenaient (vaisseau, polacrc, barque, tartane) et de l'échelle où ils
avaient chargé. Or le même vaisseau, venant de la même échelle, pouvah
rapporter des chargements de valeur très variable suivant les circonstances. La
Chambre estimait officiellement la vsdeur du cottimo à î 0/0 et après 1686 a
I 1/2 0/0 ; quand un navire revenait avec un chargement trop incomplet, au
lieu de lui faire payer le cottimo entier elle lui faisait p.iver } ou t i/i 0/0 de la
valeur de ses marchandises. Mais on se tromperait fort en estimant le cottimo i
APPENDICE XIX
un taux aussi élevé ; en rcalitc il représentait une valeur bien inférieure. Ainsi,
l'imposition du i 1/2 0/0 établie par la Chambre en 1705 produisit en 1704
120.000 livres pour 46 bâtiments, en 1705 95.000 pour 45, en 1706 81.000
pour 58, etc.. . Il y avait là des bâtiments de toute catégorie et de toute prove-
nance, mais à supposer même que tous eussent été des vaisseaux venant de
Smyrne payant i . 500 livres de cottimo (chiffre maximum) ce droit perçu sur
les mêmes bâtiments aurait produit des sommes inférieures presque de moitié ;
donc le cottimo ne s'élevait pas en mo\'enne à la moitié de la valeur du i 12 0/0.
Et cependant l'on sait que, quand la Chambre établissait un droit ad vuloiem de
I I /2 ou 5 0/0, les marchandises étaient estimées h bas prix pour la perception de
ce droit si bien qu'il ne représentait pas le taux auquel il était évalué.
Il faut aussi remarquer que la valeur du cottimo relativement à celle des
chargements des navires était bien différente suivant les échelles. Un vaisseau
venant de Smyrne où l'on faisait les plus riches chargements, et où le commerce
avait la plus grande sécurité, était taxé à i . 500 livres : s'il venait d'Alexandrie il
n'en payait que 800 parce que les chargements y ét.iient en 1669 de moindre
valeur et que les vaisseaux y payaient souvent des droits d'avaries élevés ; mais,
i la fin du xviie siècle, le commerce du café procura de riches chargements et la
sécurité devint beaucoup plus grand en Egypte, cependant la taxe du cottimo resta
la même ; elle était donc beaucoup plus légère qu'à Smyrne. II en fut de même
à Constantinople dont les vaisseaux ne payaient que 600 livres parce que le
commerce de cette échelle était d'abord assez misérable et que les ambassadeurs
faisaient des levées fréquentes sur les navires ; or ces levées leur furent complè-
tement interdites depuis 1685 environ et le commerce de l'échelle s'améliora.
Pour calculer la valeur des exportations du Levant d'après les chiffres du
cottimo, il fallait donc rechercher d'abord quel était le taux exact de cette imposi-
tion pour chaque échelle. Cette recherche a été faite en comparant avec soin les
registres CC et le tableau II : sur les uns se trouvent les chiffres de cottimo
payés par les vaisseaux, sur l'autre la valeur des chargements des mêmes navires.
Ces calculs ont été multipliés autant que possible, afin d'obtenir des chiffres plus
sûrs. Un autre document a servi à établir la valeur relative des cottimos c'est un
tableau, envoyé par la Chambre au Ministre, de la valeur des marchandises
apportées du Levant en 1679, So, 81 (HH, 26), où sont mentionnés à la fois les
vaisseaux revenus de chaque échelle et la valeur de leurs chargements. Ces
calculs dont les résultats ont en outre été comparés aux indications qui se trouvent
dans différents documents sur la valeur des cargaisons qui provenaient des diffé-
rentes échelles, ont amené à déterminer les valeurs suivantes pour les cottimos :
Alep 1/150, Smyrne i 170, Seide 3/40/0, Alexandrie 1/3 0/0, Constantinople
1/250, Candie, Archipel i 0/0. — C'est d'après ces taux divers qu'ont été
calculés les chiffres des exportation de chaque échelle en France de 1670 à 171 5.
Malheureusement ces estimations de la valeur du cottimo ne représentent que
des moyennes, trompeuses comme toutes moyennes. Les chiffres de notre tableau
sont exacts pour une période de plusieurs années, ils risquent d'être sensiblement
inexacts pour une année déterminée. Il ne faut pas oublier non plus qu'ils sont
incomplets, la valeur des blés et autres denrées exemptes du cottimo n'v est pas
comptée. Il est facile pour la période 1700-1715 de compléter ces chiffres en
pren.int dans les registres II, 1 5 les valeurs de ces denrées.
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