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Full text of "Histoire du commerce français dans le Levant au XVIIe siècle"

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^42.1 


?2) 


HISTOIRE 


DU 


COMMERCE  FRANÇAIS 


DANS   LE    LEVANT 


Au  XVII^  Siècle 


HISTOIRE 


DU 


COMMERCE  FRANÇAIS 


DANS    LE    LEVANT 


Au  XVIIe  Siècle 


PAR 


Paul    MASSON 

DOCTEUR   feS  LETTRES 


PARIS 
LIBRAIRIE    HACHETTE    &    C' 

79,  BOULE\'ARD   SAINT-GERMAIN,  79 


1896 


LIBRARY  OF  THE 
LBLAND  8TAHF0RD  jn\  IINIVERSITY. 

CL.  L{.(o<^(=><6 

NOV  27  ISOO 


TVTOGRAPHtE  ET  LITHOGRAPHIE  BARTHELET  ET  C'c,    MARSEILLE 

19,  Rue  Venture,  19 


f 


AVANT-PROPOS 


L'histoire  du  commerce  du  Levant  au  moyen-dge  a  ètd- 
tmité'e  dans  les  deux  grands  ouvrages  de  Depping  et  de  Heyd  ', 
mais  personne  ne  l'a  encore  étudiée  dans  les  temps  modernes*. 
Sans  doute  ce  commerce  perdit  alors  beaucoup  de  son  impor- 
tance ;  la  Méditerranée  n'était  plus  le  centre  du  commerce  du 
monde;  les  grandes  découvertes  maritimes  avaient  fait  pren- 
dre aux  marchandises  des  Indes  orientales  de  nouvelles  voies, 
et  les  échelles  de  Syrie  et  d'Egypte,  au  lieu  d'être  les  entrepôts 
des  marchandises  de  tout  l'Orient,  n'offraient  plus  au  trafic 
des  Occidentaux  que  les  marchandises  du  Levant  proprement 
dit.  Cependant  la  décadence  fut  moins  rapide  et  moins  pro- 
fonde qu'on  ne  le  croit  communément  :  ce  n'est  qu'au  milieu 
du  XVII*  siècle  que  les  marchandises  des  Indes  cessèrent  com- 
plètement d'arriver  A  Alep  ou  au  Caire,  et  les  échelles  de 


(i)  Voir  pages  ix  cl  x. 

(J)  JetLiASV,  dans  son  Essai  sur  U  Commerce  dt  Marseille,  ne  consacre  qu'une 
partie  (lu  premier  volume  à  l'histoire  du  commerce  et  fait  surioui  un  tableau  du 
commerce  et  des  industries  de  Marseille  à  la  An  du  xvni'  siècle  et  vers  1850.  — 
De  plus,  faute  d'avoir  suffisamment  étudie'  les  documents  et  par  suite  d'un  tnwail 
hJtif,  la  partie  historique  de  cet  ouvmgc  renfemie  des  erreurs  grossières,  —  Les 
autres  ouvrages  sur  le  commerce  de  Marseille  (Fouqui-  :  Histoire  raiioi'iér du  com- 
mère* lit  Marseille,  2  vol.  in-S",  Paris,  Roret,  1845.  —  Salvador,  Hisloire  commet- 
ciale,  politiijue  et  diplomatique  des  échelles  du  Liant,  Paris,  Amiot,  18^6,  in-S») 
répondent  encore  moins  à  leur  titre. 


ij  AVANT-PROPOS 

Smyrnc  et  d'AIcp  restèrent  encore  les  débouchés  d'une  grande 
partie  du  commerce  de  la  Perse,  beaucoup  plus  riche  alors 
qu'aujourd'hui. 

Pour  la  France  surtout,  le  commerce  du  Levant  resta  long- 
temps le  plus  important.  Tandis  que  les  Espagnols  s'étaient 
rendus  les  maîtres  du  trafic  des  Indes  occidentales,  que  les 
Hollandais  et  les  Anglais  succédaient  aux  Portugais  dans  les 
Indes  orientales,  les  Français  qui,  malgré  les  efforts  de  Fran- 
çois I",  de  Coligny  et  d'Henri  IV,  n'avaient  pas  réussi  à  prendre 
place  à.  côté  d'eux,  avaient  profité  de  leur  alliance  avec  les 
Turcs  pour  s'emparer,  aux  dépens  des  Vénitiens  et  des  Oita- 
lans,  d'une  grande  partie  du  commerce  du  Levant.  Mc'me  au 
milieu  du  xvii"-"  siècle,  au  moment  où  les  tentatives  coloniales 
de  Richelieu  et  de  Colbert  et  les  essais  de  grandes  compagnies 
attirent  surtout  l'attention,  le  commerce  du  Levant  restait  le 
plus  considérable  du  royaume,  ainsi  que  l'écrivait  Colbert 
lui-même  ;\  l'intendant  de  Provence,  Morant,  le  26  janvier 
1682  :  «  Comme  le  commerce  du  Levant  est  assurément  le 
plus  important  du  royaume,  il  est  aussi  dune  grande  con- 
séquence que  vous  soyiez  sûrement  informé  par  ces  moyens 
de  l'état  auquel  il  est'.  » 

Ce  n'est  pas  seulement  i  cause  de  son  importance  dans 
l'histoire  économique  de  la  France  que  l'étude  de  ce  commerce 
est  intéressante,  mais  aussi  à  cause  des  conditions  particu- 
lières dans  lesquelles  il  était  fait  et  des  vicissitudes  au.xqucls 
il  fut  exposé.  Le  xvir  siècle  fut  le  moment  décisif  de  son  évo- 
lution dans  les  temps  modernes  ;  auparavant  la  Méditerranée 

U>  DKmxG.  (>';'.>r.  .Uminisl..  I.  III.  f:  6;:.  — D'aprc*  dos  rcnsciçncnuv.ts 
qui  il.Ui.MU  Je  1.1  momc  CJXVJUC.  S.iv.iry.  lautcur  du  /);.::V"';.:;"  v  .::.  (.'.-":••:.  ..-. 
ocrit  que.  p.>'.'.r  !os  An>;l.i!S.  le  commerce  Ja  Levanî  n"ct.i::  j:ucrc  nioi::s  cor'îs-.Jc- 
r.»Ho  que  celui  des  l:\dos.  (Z>:V;;",-i-;.  .v;'.  :>'.•/».  —  Coîrert  d:5.ii:  \.\  :r.Cr.'.e  c::,'-. 
des  Hv'''.'..j:iJ..:;s  d.>!is  ;:n  n5éniv'>irc  .idressè  .v.:  rv^i  en  it>7;. 


AVANT- PROPOS  iij 

n'était  encore  sillonnée  que  par  les  navires  des  puissances 
méditerranéennes;  au  début  de  ce  siècle,  les  Anglais  et  les 
Hollandais  y  parurent  et  s'établirent  dans  le  Levant  ;  en  pré- 
sence de  ces  concurrents  entreprenants,  les  Français  allaient- 
ils  pouvoir  conserver  la  prépondérance  qu'ils  avaient  su  acqué- 
rir au  xvi"-'  siècle  ?  Leurs  rivaux  furent  fiworisés  par  une  série 
de  circonstances,  et  le  xvii'-'  siècle  fut  pour  les  Français  une 
époque  de  crise  redoutable  pendant  laquelle  ils  furent  me- 
nacés de  voir  la  ruine  entière  de  leur  commerce.  C'est  cette 
crise  qu'il  m'a  paru  intéressant  d'étudier. 

Qju'il  me  soit  permis  en  terminant  ce  travail  de  témoigner 
ma  profonde  reconnaissance  à  mes  anciens  et  vénérés  maîtres, 
M.  Denis,  professeur  d'histoire  moderne  à  la  Sorbonne,  et 
M.  Pingaud,  professeur  d'histoire  moderne  A  la  Faculté  des 
lettres  de  Besançon,  qui  ont  bien  voulu  m'encourageri\  l'en- 
treprendre et  m'ont  ensuite  aidé  de  leurs  précieux  conseils 
pour  le  mener  à  bien.  —  Je  tiens  aussi  à  remercier  M.  Mathieu, 
secrétaire  archiviste  de  la  Chambre  de  Commerce  de  Marseille, 
de  la  libéralité  avec  laquelle  il  m'a  ouvert  les  riches  archives 
confiées  à  sa  garde,  et  M.  Barré,  bibliothécaire-adjoint  de  la 
ville  de  Marseille,  qui  s'est  toujours  mis  avec  empressement  à 
ma  disposition  pour  faciliter  mes  recherches. 


BIBLIOGRAPHIE 


Sources  ofiScielles*. 
1"  Abchives  locales. 

Archives  communales  de  Marseille  (à  l'Hôtel  de  Ville).  —  Elles  renferment  la  collection 
.  complète  des  registres  de  délibc-rations  des  assembl»ics  municipales,  la  cor- 
respondance expédiée  par  les  consuls  de  Marseille  et  celles  qu'ils  recevaient 
et  de  nombreuses  autres  pièces  du  xv!!»:  siècle  concernant  le  commerce.  — 
Malheureusement,  l'absence  d'inventaire  et  le  désordre  de  ces  archives  y 
rendent  les  recherches  difficiles.  (Un  inventaire  dressé  en  1804  par  l'archiviste 
de  Gourmes  mentionne  le  contenu  de  206  sacs  bleus  très  importants  puisqu'ils 
renfermaient  la  collection  de  tous  les  arrêts,  règlements,  édits,  ordonnances, 
concernant  le  commerce  au  xvn«  siècle,  mais  je  n'ai  retrouvé  que  les  débris 
de  ces  sacs  et  des  pièces  qu'ils  contenaient,  dans  un  recoin  des  combles  de 
l'Hôtel  de  Ville.) 

Archives  de  la  Cliambre  de  commeru  de  Marseille  '  (palais  de  la  Bourse).  —  Ce  sont 
les  plus  précieuses  pour  l'étude  du  commerce  du  Levant ,  mais  elles 
n'ont  que  très  peu  de  pièces  antérieures  à  1652,  date  de  la  création  de  la 
Chambre.  Elles  sont  très  bien  tenues  et  possèdent  un  Inventaire  conforme 
(publié  par  M.  Octave  Teissiek,  Marseille,  Barlaiicr-Feiss.it,  1878,  in-4'») 
où  Ton  trouve  un  grand  nombre  de  pièces  analysées  et  quelques-unes  publiées 
in-cxtenso.  —  A  voir  surtout  :  les  Délibérations  de  la  Chambre  (série  BB, 
Rcg.  I  et  suiv.);  —  sa  correspondance  (série  BB,  Reg.  26  et  suiv.);  —  la 
Correspondance  reçue  de  la  Cour  (série  AA,  li.isse  i  et  suiv.  —  BB,  reg.  82 
et  suiv.);  —  la  Corrcspond.nnce  reçue  des  ambassadeurs  a  Constantinople , 
des  consuls  et  des  marchands  des  échelles  (série  AA,  liasse  16}  et  suiv.);  — 
la  Comptabilité  de  la  Chambre  (série  CC)  ;  —  les  Règlements  commerciaux 
(série  HH)  ;  —  les  Statistiques  (série  II). 

(i)  Documents  relativement  peu  nombreux  pour  la  première  moitié  du  xvn°  siècle, 
extrêmement  abondants  pour  l'époque  suivante. 

(2)  Les  documents  désignés  dans  les  notes  de  ce  livre  par  de  simples  cotes,  sans  indication 
des  .irchives  où  ils  sont  renfermés,  .-ippartiennent  aux  Archives  de  la  Cli.\mbrc  de  commerce. 


V) 


BfBLIOGRAPHIR 


Archives  rfepitiirmenlahs  di-s  liouchn-dit-Rhhie.  —  Le  fonds  de  ramirauti!-  ne  ren- 
ferme malheureusement  pas  les  nombreux  documents  concernant  la  navigation 
qui  étaient  remis  par  les  capitaines  des  bâtiments,  au  retour  de  leurs  voyages, 
au  greffe  de  l'Amirauté.  —  11  se  compose  des  Registres  des  Insinuations  des 
actes  royaux,  où  se  trouvent  un  certain  nombre  de  pièces  intéros;intes,  et 
des  Registres  des  sentence;»  prononcées  par  le  lieutenant  de  lamirauté  (un 
par  an  environ),  à  consulter  pour  l'étude  dos  usages  commerciaux. 

Archiva  de  la  Santé  (bâtiment  de  la  Consigne,  à  Marseille).  —  Elles  contiennent 
les  Registres  de  dépositions  des  capitaines  devant  les  intendants  de  la  Santé 
depuis  1709  et  les  Registres  de  délibérations  du  Conseil  sanitaire  depuis  171 3. 

Les  archives  de  Toulon  et  de  La  Ciotat  renferment  quelques  documents  inté- 
ressants, surtout  pour  la  rivalité  de  ces  villes  avec  Marseille. 

2"  Dépots  x.vtiox.vlx. 

Archives  des  Affaires  èlranghes*.  —  Hlles  renferment  très  peu  de  documents  pour 
la  première  moitié  du  xvnt  siècle,  un  plus  grand  nombre  pf^ur  la  deuxième, 
mais  sont  surtout  riches  pour  le  xviii"^.  —  Ces  documents  font  partie  du 
fonds  :  Cartons  commerciaux  ei  consulaires,  dont  l'organisation  n'est  pas 
cncfcre  définitive.  Les  documents  de  quelques-uns  de  ces  cartons  ont*  été 
récemment  reliés  en  volume.  —  A  voir  surtout  :  Chambre  de  commerce  de 
Marseille  (tome  1  â  V'III  =:  Lettres  aux  secrétaires  d'état  de  la  marine).  — 
Inspection  du  commerce  de  Marseille  (tome  I  à  XII  =  Lettres  des  inten- 
dants de  Provence).  —  Correspondance  des  consuls  de  chaque  échelle  avec 
le  secrétaire  d'état  de  la  marine  (Cartons.  —  Sauf  celles  de  l'ambassadeur, 
les  lettres  du  Ww  siècle  sont  peu  nombreuses).  —  Mémoires  sur  le  com- 
merce du  Levant  (trois  cartons  —  important).  —  \'.  aussi  Corresp.  polit. 
Constantinopie,  t.  I  X  VIL  —  Enfin  aux  Mémoires  et  Documents,  l'rance  ; 
Petits  fonds.  Provence  (277-J07)  et  Affaires  intérieures  (92,  124,  iiij)  se 
trouvent  un  certain  nombre  de  documents. 

Archives  nationales.  —  Divers  cartons  de  la  série  F'*  —  et  G',  liasse  458  et  suiv. 

Archiva  de  la  Marine.  —  Nombreux  registres  et  liasses,  particulièrement  de  la 
série  B'.  Mémoires  et  documents  concernant  le  commerce. 

Bihliolhèque  nationale.  —  Manuscrits  français.  —  Divers  registres  et  liasses. 

Les  archives  des  consulats  de  France  dans  le  Levant  devaient  renfermer  de 
précieux  documents.  Pour  être  renseigné  i  cet  égard,  je  me  suis  adressé  à 
MM.  les  Consuls  qui  ont  bien  voulu  me  répoudre  avec  une  obligeance  et 
une  bonne  grâce  dont  je  tiens  vivement  à  les  remercier.  Malheureusement 
presque  partout  les  documents  du  xviK  ont  péri  dans  des  incendies  ou  ont 
disparu*,  Le  consulat  de  la  Canée  conserve  cinq  registres  reliés  concernant 


(1)  M.  Girird  de  Rmlle,  ministre  pUuipotcntiairc,  clief  Je  U  Division  <let  Archives  des 
Affaires  étrangtircs,  »  bien  voulu  me  donner  lui-nième  de  précieuses  iudicilions  qui  in'oni 
évité  (OUI  uiioiincineut  dans  mes  recherches  ;  je  lui  en  exprime  louic  nu  rcconnAissaacc. 

(3)  Lettres  de  M.  Iloutiroii,  chargé  d'affjires  de  France  en  Tîgyptc -,  de  M.  Rougon, 
consul  nèiiéral  k  Smyfoc  ;  de  M.  G.ixay,  ionsul  i  (>;nst.tntiniiplr  ;  de  M.  Nicolas,  chancelier 


BIBLIOGRAPHIE  Vlj 

les  actes  commerciaux  passés  à  la  Chancellerie  de  1684  à  1717  et  un  registre 
des  procès-verbaux  des  délibérations  de  la  nation  de  1680  à  1725».  Seules 
les  archives  de  Beyrouth  ont  de  1  importance  pour  le  xvu':  siècle  (plus  de 
trente  registres  contenant  les  actes  et  la  correspondance),  mais  c'était  alors 
une  échelle  secondaire.  Je  remercie  particulièrement  M.  le  consul  général 
JuUemier  qui  a  bien  voulu  y  faire  faire  des  recherches  et  ni'adresser  d'inté- 
ressants renseignements. 

Recueils  de  documents. 

Collection  de  Documents  inédits  sur  l'Histoire  de  France  : 

Négociations  de  la  France  dans  Je  Levant.    Correspondance,   nùmoircs   et  actes 

diplom.,  etc.,  par  Ch.\rrière,  1848-60.  4  vol. 
Recueil  des  lettres  missives  de  Henri  IV,  par  Berger  de  Xivrey,  1843-76.  7  vol. 

et  2  vol.  de  supplém. 
Lettres,  instructions  diplomatiques  et  papiers  d'état  du  cardinal  de  RicMieu,  par 

AvENEL,  1853-1877,  8  vol. 
Correspondance  et  dépêches  de  d'Escouhleau  de  Sourdis,  etc.,  par  Eugène  Sue, 

1839,   3  vol.  —  Tome  III,  pages  221-319  :  Voyage  et  inspection  de 

M.  de  Séguiran  sur  les  côtes  de  Provence  en  1633. 
Lettres  de  Peiresc,  par  M.  Tamizey  de  Larroque,  1888-94,  5  vol. 
Lettres  du  cardinal  Maiariu  pendant  son  ministère,  par  Chéruel,   1872-1890, 

6  vol.  et  M.  d'Avenel,  1893-94,  2  vol. 
Correspondance  administrative  sous  Louis  XIV,  etc,  par  Depping,  1850-55,4  vol. 

Lettres,  instructions  et  mémoires   de  Colbert,  par  P.   Clé.ment.  —  Paris,   Didier, 

1868-71,  7  vol.  in-S". 
Correspondance  des  contrôleurs  généraux  des  finances  avec  les  intendants  des  provinces, 

par  M.  DE  B01SLISLE.  —  Paris,  Didier,  1874-85,  2  vol.  iu-4'>. 
Correspondance  des  deys  d'Alger  avec  la  cour  de  France  (iSJ^-iSjj),  par  M.  Eugène 

Pl.\ntet.  —  Paris,  Alcan,  1889,  in-S». 
Correspondance  des  beys  de  Tunis  et  des  consuls  de  France  avec  la  Cour,   etc.,  par 

M.  Eugène  Plantet;  tome  I,  1577-1700;  tome  II,  1700-1770.  —  Paris, 

Alcan,  1893-94,  in-8". 

(lu  consulat  de  Chypre  ;  de  M.  Le  Rée,  consul  général  à  .\lep  :  II  a  essaye  en  vain  de 
reconstituer  ses  archives  qui,  lors  de  l'expédition  d'Hgyptc  de  1798,  ont  été  pillées  par 
les  habitants  et  vendues.  «  On  assure  même,  m'écrit-il,  que  certaines  familles  musulmanes 
détiennent  chez  elles  une  partie  de  ces  archives,  et  malgré  tous  les  efforts  que  je  n'ai 
cessé  de  faire,  je  n'ai  pu  recouvrer  que  quelques  imprimés  ;  par  crainte,  les  détenteurs 
n'osent  entrer  eu  arrangement  avec  les  personnes  que  j'avais  chargées  de  tenter  de  les 
faire  restituer  soit  j^ratuitcmcnt,  soit  même  à  prix  d'argent.  »  —  De  M.  Licretelle,  consul  à 

Alexandrie  :  «  Tout  a  été  brûlé  à  la  suite  du  bonibarJjnient  de  1882 et  cepend.int  nos 

archives  étaient   précieuses  :    je   le   tiens  de   mon   premier  drogman   qui   est   attaché  à  ce 

consulat  depuis  trente  ans Ces  trésors  ont  disparu  en  quelques  heures  ;  le  consulat  a 

été  abandonné  sur  des  ordres  formels  sans  qu'il  ait  été  fait  quoique  ce  soit  pour  mettre 
à  l'abri  ces  documents  qui  pouvaient  être  réunis  en  quelques  caisses.  Petit-fils  d'historien 
je  ne  puis  me  consoler  en  pensant  à  c«  désastre.  »  —  Lettres  de  189;. 
(i)  Lettre  de  M.  le  consul  Blanc, 


VI  1| 


BIBLIOCRAPHIL 


Relations  de  voyages. 

JACauES  Dt;  Castel,  écuycr.  Relation  da  voyages  de  M.  de  Brèves,  etc.  (en  1605). 

—  Paris,  1628,  1(1-4". 

Henri  de  Beauvau.  Rdalwn  joiirnalière  du  voyage  du  Levant,  etc.  (en  1604-1605). 

—  Nancy,  J615,  in-40. 

l'iETKû  DELLA  Vallh.  Lts  fdiiieux  l'oyitgts  de  Pieiro,  etc.  (de  i6i4  A  1626).  —  TraJ. 

de  l'Italien  par  les  PP.  Carneau  et  Leconne.  —  Paris,  1670-S4,  4  vol.  in-4". 
Deshayes  de  Courmesmin.  Voyage  du  Ln-aiil  Jail  (Kir  le  comntimdaiieiil  du  roi  en 

Tannée  1621  par  le  sieur  D.  C.  —  Paris,  1629,  in-4''. 
Fbkmanel.  Lt  ivyagt  d'Jlalie  cl  du  Levant  de  M.  Fermanel,  comeiller  au  Parlemenl, 

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CoppiN.  Le  Hciwlier  de  l'Europe  ou  la  guerre  sainte,  avec  les  voyages  de  l'auteur  dans 

la  Turquie,  etc.,  par  le  R.  P.Jean  Ccppitt  (ancien  consul  A  Damictte)  (1638-47). 

—  Le  Puv,  t686,  in-4y. 

Du  Loir.  Les  voyitgvs  du  sieur  du  L>ir  (1659).  —  Paris,  1654,  »ti-4<». 

La  H<it;ii.AVE  LE  Gouz.  Les  tvyages  et  observations  du  sieur  de  La  Boullaye  le  Goui, 

gentilhûmiiie  angevin  (1647-48).  —  Paris,  16)7,  in-S", 
« 
Tavehnikh.  Les  six  wagesdeJ.-B.  Tavernier,  iciiyer,  baron  d'Aubonnc,  en  Turquie,  en 

Perse  et  aux  Indes  (  i6}8-i66}).  Paris,  1676,  2  vol.  in-4'>.  —  Recueil  de  plusieurs 

relations  et  traites  singuliers  et  curieux  de  J  -B.  Tavernier.  —  Paris,  1679,  in-80. 
Tkèvenot.  Relation  d'un  voyage  fait  au  Ltvant,  dans  laquelle  il  est  curieusement  traité 

des  états  sujets  au  Crand-Sàgnew,  etc.  (1655  à  1668,  mort  près  de  Tauris).  — 

Parib,  1664,  1674,  1684;  trois  parties  en  a  vol,  10-4". 
Mémoires  du  clfevalitr  d'Arvieux,  envoyé  extraordinaire  du  roi  à  la  Porte,  consul 

d'Jlep,  etc.  (1653-168$),  par  le  R.  P.  LAiiAf  Ue  l'ordre  des  Frè-rt»  Prêcheurs. 

Paris,  1735,  6  vol.  in-i2. 
Roland  pRÉJt^s.   Relation  d'un  uoyagt  fait  en  Mauritanie  par  Roland  Fréjus  de 

Marseille,  par  ordre  de  S.  M.  en  t666,  etc.  —  Paris.  1670,  in- 12. 

POULLET.  Nouvelle  relation  du  Lei'ant,  etc.  (en  1655).  —  Paris,  1668,  2  vol.  in-12. 
Cmarui».   f^oyages  de  M.  le  dievalier  Clardin  en  Perse  et  autres  lieux  de  l'Orient 

(de  1671  à  1674).  —  .\nisterdani,  1711,  j  vol.  in-4i>. 
VjiiiSim.  Nouvelle  relation  d'un  image  fait  en  Egyptepar  le  R,  P.  yansleb  en  1672-7  j- 

—  Paris,  1677,  in- 12. 

Spon.  Voyage  d'Italie,  de  Dahuatie,  de  Grtce  et  du  Levant  fait  h  années  167$  et  1676 

par  Jacob  Spon...  et  d-orges  WMer.  —  Lyon,  1678,  j  vol.  in-12. 
WnELER.  Voyage  de  Duhualie,  Grèce  et  du  Levant  par  M.  G.  fVheler^  citevalier  anglais, 

—  Amsterdam,  1689,  2  vol.  in-12. 

De  la  Croix.  Mémoires  du  situr  de  la  Croix  ci-devant  secrétaire  de  l'ambassade  de 
CoHslantinople ,  contenant  diverses  relations  très  curieuses  de  l'empire  ottoman.  — 
Paris,  1684,  2  vol.  in-i8. 

De  Bruys.  Voyage  au  Levant,  etc.  par  Corneille  Lebrun  (de  Bruyn,  Hollandais) 
(1677-84).—  Paris,  :7i4,  iu-fol. 


mk 


BIBLIOGRAPHIE 


IX 


TouRiwEioKT  (Pltton  Je).  KtLtlion  d'un  voyiif;^  ilu  Ltwnt  Jail  par  ordre  du  roi 

futr  M.  de  Tounujort.,,  (1700).  —  AnuterJam,  1718,  2  tomcicn  1  vol.  in-^-. 
Voyait  de  l' Araliit  Hiurenst /ail  par  Us  Fraii(ais  pour  la  prtmiire  foii  dans  les 

années  lyoS-iyto avec  un  mèmoiic  concemanl  l'urbie  et  le  fruit  du  ca/è 

SûH  iutroiiuclicn  eu  Fniuce  et  r^tablinement  Je  son  usage  à  Parti.  —  Anisicrdatn, 

I7l6>  iii-8". 
Lucas.  Voyage  du  sieur  Paul  Lucas  fait  en  1714.  .  par  ordre  de  Louis  \IV  iltius  la 

Turquie,  l'Asie,  Sourie,  tic.  —  Rouen,  1724.  j  vol.  in-12. 


Principaux  ouvrages  à  consulter  '  : 

Ahnould.  De  la  l>alauci  du  commerce  et  des  relatioui  commerciales  exléruuics  de  la 
Frauce  dans  toutes  les  fwlies  du  i;lobe,  parliculièituient  il  la  fin  du  règne  de 
Louis  XIV  et  au  moment  de  la  Rri'olutiou.  —  Paris,  1791,  2  vol.  in-12. 

D'AvENF.L.  RicMieu  et  la  monarchie  ahiohie.  —  Paris,  Pion,  1884-90,  -t  vol.  iii-«' . 
(Voir  le  tome  111). 

BoNSASSiEUX.  Us  gratules  Compigities  de  comnurct:.  —  Paris,  Ploi),  1892,  in-S". 

Bouche.  Cliorographie  ou  description  delà  Proi-euce.  —  ,^ix,  1664,  2  vol.  in-f". 

BouRGUhs.  Sanson  Napollou.  —  Rlv.  de  Marscillo  et  de  Provence  (6  article*, 
mai-juin  1886  à  mai-juin  1887). 

p.  CLÉ.MBN1.  Hiftoire  de  Colhert  et  de  son  administration  —  P;iris,  Didier,  1874, 
2  vol.  in-80. 

—  iltstoire  du  sysUnie  prolecteur  en  liance  depuis  le  mimsteu  de  Colkrt.  — 

Pans,  Guillauniin,  1854,  in-8'^'. 
Depping.  Histoire  du  commerce  entre  le  Ijemut  et  l'Europe  depuis  les  Croisades  jusqu'à 
U  fondation  des  colonies  d'Amiiiqiu.  —  Paris,  Inipr.  roydlc,  1830,  2  voi.  iii-JJ". 
Drapevron.   Vu  projet  français  de  conquête  de  t'etnpire  ûtlonuw  au  AT/<-   et  au 

XVll'  sikle  —  Rcv.  des  Deux-Mondes,   i«'  sept.  1876. 

—  Le  grand  dcss/iii  secrti  de  Louis  A7K  contre  l'empire  ottoman.  —  Rev. 

de  Géogr.  Juin  1877 
AUGUSTIX  Fabkï..  Les  rues  de  Marseille.  —  Marseille,  Canioiii,  1867-69,  5  vol.  iii-S-^'. 
F.vGNia.  Le  commerce  sous  Henri  It'.  —  Rev.  Ilist.  nui-juin  1881. 

—       Lepèrefosepb  et  Richelieu  (1  y/7-i6jS).  —  Paris,  Hacheue,  1894,  2  v.  in-8'j. 
FoRBONNAis.   Questions  sur   le   commerce  des   Français   au  Levant.  —    Marseille. 

1755,  iQ-I2. 

Gerximn.  Histoire  du  commerce  de  Montpellier,  —  Montpellier,  1861,  2  vol.  in-8". 

(V.  le  lomc  II). 
Oe  DE  GoN'TAUT-BiROK.  Ambassades  CH  Turquie  de  Jean  de  Gontaut-Biron ,  batm  de 

Salignae  (i6oi-i6  m).  Séjour  en  Turquie,  conespondanct  diplomatiqtu  et  docutnenli 

itUJils.  —  Paris,  Picard,  1889,  2  vol.  in-S*^'. 


(1)  Oa  ne  irouveri  pas  ci-dessous  mic  biblio^rjphic  complète  des  multiples  ouvrages 
i]ui  se  rjttacliciic  plus  ou  raoios  direcceniciit  A  aotrc  sujet,  mais  une  simple  liste  de  ceux 
qui  ont  fourni  des  uuicfiitux  i  notre  trav.iil.  —  Tou>  se  retrouveront  cités  dans  les  notes, 
uniquement  p*>  le  nom  J«  l'auceui. 


X  BIBLIOGRAPHIE 

De  Grammont.  Hiitoin  d'Algir  sous  la  dotnittation  turque  (ijif-iSjo).  —  Paris. 
Leroux,  1887,  in-8<>. 
—  La  course,  l'eschvagf  et  la  rédemption  à  Alger.  —  Rev.  Hist.  1884-85, 

tomes  XXV,  "XXVI,  XXVII. 
Ha.m.mek.  Histoire  de  l'empire  ottoman  depuis  son  origine  jusqu'à  nos  jours.  —  Trad. 

par  HcUcrt.  —  Paris,  1835-41,  18  vol.  in-S". 
Heyd.  Histoire  du  commerce  du  Levant  au  inoyen-dge.  —  Trad.  Furcy  Raynaud.  — 

Leipzig,  Harrassowitz,  1886,  2  vol.  in-S". 
JuLLiANY.  £«1;/  sur  le  commerce  de  Marseille.  —  Marseille,  1842,  }  vol.  in-8". 
La  VALLÉE.  Histoire  de  l'empire  ottoman.  —  Paris,  Garnicr,  1855,  in-80. 
De  L.-\combe.  Henri  IV  et  sa  politique.  —  Paris,  Didier,  1877,  in-12. 
Lavisse  et  Rambaud.   Histoire  générale.  —   Voir  les  chapitr.;s  qui   traitent  de 

l'histoire  des  Turcs  au  xvi<:  et  au  xvii';  siècle;  t.  IV,  p.    721-747  ;   t.   V. 

p.  844-894  ;  t.  VI,  p.  821-8)6. 
Marchand.  Un  intendant  sous  Louis  XIV,  étude  sur  V administration  de  Lebret  en 

Provence  (1687-I/04).  —  Paris,  Hachette,  1889,  in-S", 
Noël.  Histoire  du  commerce  du  monde  depuis  les  temps  les  plus  recules.  —  Paris,  Pion, 

1891-94,  2  vol.  in-8''. 
Papon.  Histoire  de  Provence.  —  Paris,  1777,  4  vol.  iu-f". 
P1GEONNE.MJ.  Histoire  du  comnurce  de  la  France.  —   Paris,    Cerf,    1888,   in-8''. 

(V.  le  tome  II). 
Port.  Essai  sur  l'histoire  du  commera'  maritime  de  Karbonne.  —  Angers,  1854,  in-80. 
Pouqueville.  Mémoire  historique  et  diplomatique  sur  le  commerce  et  les  ètuhlissements 

français  au  Levant.  —  Rev.  Eiicyclop.  Juillet  1828,  tome  XXXIX. 
De  Rlffi.  Histoire  de  Marseille.  —  Marseille,  1642,  in-f"  ;  2«:  éd.  revue,  1696. 

2  tomes  en  i  vol.  in-f". 
O»:  DE  S'-Priest.  Mémoires  sur  l'ambassade  de  Turquie  et  sur  le  commerce  des  Français 

dans  le  Levant.  —  Paris,  Leroux,  1877,  in-80. 
Jacques  Savary.  Le  Parfait  Ségocianl  ou  instruction  générale  pour  ce  qui  regarde  le 

commerce,  etc.  —  1"=  éd.  1675  ;  y  éd.  Paris,  1734,  2  vol.  in-40.  (Voir  dans 

le  tome  II,  p.  395-474  :  Traité  du  négoce  qui  se  fait  sur  la  mer  Méditerranée). 
J.XCQUES  S.VVARY  DE  Brlsloxs.  Dictioniuûre  universel  du  commerce.  —  Paris,  1723, 

}  vol.  in-40. 


INTRODUCTION 


C'est  au  moment  où  le  commerce  du  Levant  semblait  menacé  de 
la  ruine  par  la  découverte  de  la  route  maritime  des  Indes  et  par  Téu- 
blissement  des  Osmanlis,  dans  l'Archipel ,  la  mer  Noire,  la  Syrie 
surtout  et  l'Egypte',  que  la  France,  en  inaugurant  le  régime 
Jes  Capitulations  lui  ou\Tit  une  nouvelle  ère  de  prospérité. 
Le  rôle  des  Provençaux  dans  le  Levant  avait  été  très  effacé 
depuis  la  fin  des  croisades  et  c'est  à  peine  si  de  loin  en  loin, 
Ail  XIV'  siècle  et  au  xv*  siècle,  on  signale  leur  présence  dans 
les  échelles.  Les  efforts  de  Jacques  Cœur ,  pour  disputer  aux 
Vénitiens  et  aux  Génois  ce  commerce  dont  ils  étaient  les  maîtres, 
n'avaient  été,  ni  imités,  ni  poursuivis  après  lui.  Cependant,  Doriole, 
général  des  finances,  puis  chancelier  de  France,  adressait  à  Louis  XI 
en  1468  un  mémoire  pour  se  plaindre  «  qu'on  écoutât  encore  dans 
le  Conseil  un  certain  docteur  de  Lyon,  envoyé  pour  faire  lever  la 
défense  de  tirer  de  l'Italie  des  épiceries  qui  se  débitaient  dans  le 
royaume....  A  empêcher  les  Vénitiens  de  vendre  en  France 
des  épiceries  ,  le  royaume  gagnerait  3  ou  400.000  écus  par  an.  » 
Louis  XI  eut  égard  à  ces  remontrances  en  défendant  de  «  laisser 
entrer  en  France  aucunes  épiceries  ni  autres  marchandises  du 
Levant,  si  elles  n'étaient  importées  sur  des  vaisseaux  français.  » 
Ciinrles  Mil,  hanté  par  des  rêves  de  croisade,  ne  songea  guère 
.i  développer  le  commerce  du  Levant  et  l'on  vit  Louis  XII 
entrer  dans  une  ligue  de  princes  chrétiens  contre  la  Porte, 
tindis  que  celle-ci  offrit  ;\  Venise  des  secours  qu'elle  n'accepta  pas 
contre  les  princes  de  la  ligue  de  Cimhrai.  Cependant,  le  sultan 
Selim  confirma,  en  15 14,  un  sauf-conduit  accordé  par  Soliman  1" 
permettant  aux  marchanas  de  France  de  venir  trafiquer  en  Turquie 


(r)  .\a  ïujet  de  la  ruine  du  commerce  du  Levant  au  di^butdu  xvi«  siècle,  vo'^ 
Htro,  t.  II,  p.  358-552.  —  DhPPI^^G,  t.  II,  p.  209  et  suiv. 


XIJ 


INTRODUCTION 


en  payant  les  droits  accoutumes'.  En  1528,  l'espagnol  Antoine 
Uincon,  le  plus  intelligent  et  le  plus  inflitij»able  des  agents  de  Fran- 
çois I"  en  Orient,  obtint  de  Soliman  II  la  confirmation  des  privi- 
lèges reconnus  aux  iranv^is  par  Selini.  Enfin,  le  besoin  réciproque 
d'une  alliance  contre  la  puissance  de  Charles-Quint  fit  contracter  à 
Soliman  et  à  François  I"  une  alliance  intime  dont  le  profil  le  plus 
clair  fut  de  donnera  la  France  la  prépondérance  commerciale  dans  les 
éuts  du  Grand  Seigneur. 

Les  premières  Capitulations*,  signées  en  février  1535  par  un 
chevalier  de  Saint-Jean,  Jean  de  la  Forest,  contenaient  dans  leurs 
dix-ncul  articles  le  fond  de  tous  les  traités  sembLibles  que  la  Porte 
renouvela  avec  la  France  S.  diverses  époques,  ou  qu'elle  accorda  ;\ 
d'autres  pays  chrétiens.  Voici  quel  était  le  sens  des  principau.x  arti- 
cles de  cet  acte  fondamental  :  la  liberté  du  commerce  était  assurée 
aux  sujets  des  deux  puissances  (<///.  1).  —  Celles-ci  s'interdisaient 
d'établir  de  nouveaux  droits  sur  les  ventes  et  achats  des  marchandises 
(art.  2).  —  Le  roi  pourrait  établir  des  bayles  ou  consuls  pour  juger 
les  causes  entre  Français  sans  que  les  tribunaux  du  pays  en  pussent 
connaître  (rt/7.  j).  —  Les  procès  entre  un  Français  et  un  sujet  du 
Grand  Seigneur  ne  pourraient  être  jugés  par  le  tribunal  turc  sans  la 
présence  iTun  interprète  et  sans  titre  écrit  (art.  ^).  —  Les  Français 
pratiqueraient  librement  leur  religion  (ctri.  6). —  Aucun  Français  ne 

Courrait  être  rendu  responsable  d'un  autre  Français  absent  (arl.  7).  — 
es  Français  seraient  exemptés  de  toutes  corvées  (art.  S).  —  Leur 
libre  retour  était  assuré  en  France  et  leur  héritage,  en  cas  de  mort, 
garanti  aux  parents  (art.  9).  —  Les  autres  articles,  concernant  les 
restitutions  d'esclaves  et  de  marchandises  déprédées,  les  règlements 
en  cas  de  rencontre  de  navires  des  deux  puissances,  ou  les  naufrages, 
étaient  moins  importants.  Le  traité  n  était  conclu  que  pour  la  vie 
des  deux  souverains  (art.  /);  cependant,  après  la  mort  de  Fran- 
çois F'  et  de  Soliman,  on  ne  se  h.ita  pas  de  le  renouveler.  Il  tallut  les 
f plaintes  des  marchands  d'Alexandrie,  menacés  contrairement  à 
'article  7  desCipitulations,  d'une  saisie  de  leurs  effets  par  un  cenain 


(i)  V.  PouQjUEVii-Ln.  Mcmoirt.  p.  56.  —  S'-Phiest,  p  276-77.  —  DErnsG,  t.  Il, 

Çi,  j.<5,  noie.  —  Voir  dans  Heyd,  t.  II,  p.  539-10,  les  intrigues  de  Philippe  de 
'arèics  en  1510  h  Alexandrie  pour  donner  la  prcpondératKC  aux  Français  eii 
Egypte  et  l'ambassade  au  Caire  d'André  le  Roy  envoyé  de  Louis  XII  en  1512. 
(2)  Ces  premières  Capitulations,  celles  de  J569erde  1581.  n'étaient  plus  con- 
nues au  xvii|>=  siècle.  lin  elTet,  le  nuirquis  de  Bonnac,  ancien  ambassadeur  dc 
France  à  Constantinople,  écrivait  dans  un  Mémoire  général  au  sujet  du  commer<c 
des  Fransais  dans  le  Levant,  adressé  au  contrôleur  général  Le  Pelletier  en  1727  : 
«  Les  Français  ne  firent  leur  premier  éiablissenicnt  et  leur  premier  commerce 
qu'en  vertu  de  quelques  commandements  ou  ordres  que  les  ambassadeurs  obte- 
naient ù  mesure  qu'ils  en  avaient  besoin  ou,  s'il  y  avait  queliiuc  traité  particulier 
pour  cela,  il  n'est  pas  venu  jusqu'û  nous.  Les  premières  Capitulations  furent  négo- 
ciées.en  1597  avec  Mahomet  III  et  M.  de  Briivcs  lit  les  secondes  <n  1604.  » 
Arct,.  Nal.  F'",  (i.fs. 


INTRODUCTION 


XU] 


Juif  créancier  du  roi,  pour  faire  envoyer  c»  ambassade  Claude  du 
Huii ri:,  trésorier  du  roi,  qui,  au  mois  d'octobre  1569,  obtint  de 
•Sclim  11  de  nouvelles  Capitulations  en  dix-huit  articles  qui  repro- 
iluisaictit  i  peu  prtlrs  ceux  de  1535 .  On  y  remarque,  cependant,  deux 
nouveautés  importantes  :  le  priumbule  parle  pour  la  première  fois 
du  privilège  de  la  France  d'accorder  son  pavillon  en  Levant  aux 
navires  des  étrangers  et  cite  les  Génois,  Siciliens  et  Ancuiiitaiiis. 
Quelques  années  plus  tard,  les  Ragusais,  en  leur  qualité  de  protégés 
immédiats  de  la  Porte,  ayant  voulu  se  soustraire  i  l'usage  de  la  ban- 
nière iVançaise,  ("iirent  contraints  de  la  reprendre  sur  la  réquisition 
qu'en  lit  à  la  Pane  l'ambassadeur  de  France.  De  plus,  la  durée  du 
traité  ne  fut  plus  limitée  i'i  la  vie  des  deux  souverains  qui  l'avaient 
conclu.  Cependant,  Henri  111  envoya  A  Constantinople  Jacques  de 
Gcrmoles,  oaron  de  Germigny,  pour  le  renouveler.  Cet  ambassadeur 
sij^na  en  juillet  15S1  les  troisièmes  Capitulations  en  vingt-sept  arti- 
cles. F.llcs  conlirnuiientlous  les  anciens  privilégies,  mais  renfermaient 
en  iiutrc  trois  articles  exceptionnellement  favorables.  L'article  un 
assujeitissiit  formellement  tous  les  étrangers,  sauf  les  Vénitiens,  a 
l'usage  de  notre  bannière  :  «  Que,  les  yèiiiùan  en  hors.  Us  Ciénois, 
.dn^liiis,  Portugais,  Hspiignols,  Cotalans,  Siciîlais,  Ancouitaws,  Ragu- 
i/i  ci  cniièninenl  Ions  ceux  ijui  oui  cheminé  sous  le  nom  et  bannière  de 
-mnce  d'amcmu-ii'  jusiiuà  cejourd'hui  ei  en  !a  condition  i/ii'ils  aient  cite- 
(',  d'ià  en  avant,  ils  aient  à  y  cheminer  de  la  nu'me  manière.  »  Le 
trtMsième  article  assurait  .\u\  ambassadeurs  de  France  la  préséance  sur 
ceux  de  tous  les  rois  et  princes  chrétiens.  L'article  quatorze  excmp- 
uit  de  tous  impôts  perstmnels  les  Français,  même  mariés,  ce  qui  est 
une  dérogation  A  la  loi  musulmane  qui  assujettit  à  la  capitation  les 
élratjgers  mariés  dans  le  pays'.  Ainsi,  les  Français  obtenaient  par 
ces  ir.iités  répétés  une  sécurité  complète  el  des  privilèges  exception- 
nels pour  leur  commerce  et  il  semblait  que  chaque  renouvellement 
des  Qipitulation^  allait  les  étendre  encore.  Seule  avec  celle  deSaint- 
M.ircJa  bjnnière  ûanv^ist-  pouv;iii_flotti:r  sur  les  mers  du  Levant,  et 
la  France  devenait  la  protectrice  de  tout  le  commerce  de*  chrétiens 
ivci^!  du  Grand  Seigneur. 

Il  urent  profiter  de  la  situation  avantageuse 

c^ui  leur  était  faite  ;  dés  15  J7  une  flotte,  sous  les  ordres  du  baron  do 
.  iwint-Blancard,  partit  de  Marseille,  parcourut  tout  le  littoral  Bar- 
l'barcsque,  longea  les  côtes  de  la  Grèce  jusqu'A  Prevesa,  fit  le  tour  du 
"^cloponèse,  passa  en  vue  d'.\thènes  et  vint  mouiller  ;\  Const:inti- 
'nople  ou  elle  resu  jusqu'au  6  avril.  File  revint  .1  Marseille  par  le 
littoral  de  Syrie,  d'Egypte  et  de    Funisie,  après  avoir  montré  le 


<l)  Saint-Prihst,  377-287.  —  Il  esi  j  remarquer  que  l'.irticlc  i  assujcnit  les 

■^"  ' tic-mimcs  A  I  hs;))«c  Je  notre  baunièrL'  quoique  deux  ans  .lupjrijvant  Ils 

(  .iiliiieiire  leur  ambA^^.ideur  à  l.i  Porte.  C'éuit  un  gr.iiiJ  iticics 
;....,  ...u  |>ir  M.  df  Uvriiii^nv.  —  Sur  sou  .inibassaJe,  voir  di^v.\^ltv.\.,  Kiioc^ 
Jati  le  Uvant,  t.  Kl  et  IV.  Coll.  d,$  Da..  liiid. 


XIV 


ISTRODUCTION 


Eavillon  tVaiiçais.'i  tout  l'empire  ottoman*.  Déjà,  depuis  le  rùgne  de 
,i)uis  XII,  les  Provençaux  s  étaient  remise  envoyer  des  navires  dans 
le  Levant*, cependant  ce  n'est  que  vers  la  lin  du  rè^ne  de  1-rançois  I" 
qu'ils  commencèrent  ;\  s'établir  dans  les  échelles.  D'après  un 
niénuiire  adressé  .\  la  cour  en  1685  par  M.  Magy,  l'un  des  plus 
célèbres  marchands  de  Marseille  au  .wir"  siècle,  les  premiers  établis- 
sement des  rrançais  lurent  tondes  X  Constantinople  en  1550,  puis 
.\  Alexandrie,  .\  Harut,  Tripoli  de  Syrie,  Scio.  Ils  durent  être  un 
peu  antérieurs  et  commencer  d'abord  ;\  Tripoli,  où  l'on  voit  appa- 
laiircit  prenner  consul  français  établi  dans  te  Levant  en  i  uS,  puis 
.■i  Alexandrie  '  ;  les  Français  se  répandirent  ensuite  dans  les  autres 


(1)  iMcVKONNB-M",  t.  Il,  p.  i;i. 

{!)  n  M.irviilo,  entre  Ict  .inml'os  1490  et  ijcxi,  sentant  le  préjudice  qu'elle 
tJpriniviiit  p.ir  h  iliniinution  ou  pUitiSt  par  h  ccss-ition  Je  son  commerce  au 
levant,  tlécitl.i  »|uel(|iicsiins  Je  ses  artnateurs  à  le  rétablir  sans  passer  sous  la 
ilircction  Jet  V'Onitietis....  On  expédia  U'ahorJ  des  vaisseaux  qui  trafiquèrent  dans 
le  i\ivs  décliargeant  et  rcchai^cant  À  la  eueillcttc...  »  M(m.  itts  Aff.  élrang.  dré 
par  l'otiierA  iLLE. 

(  \)  Le>  origines  de  rétablissctucnt  des  marchands  et  Jes  consuls  de  la  nation 
lraitvai%c  dans  le  Levant  sont  lort  obscua*»,  et  elles  étaient  très  nul  connues, 
niéntc  ,iu  xvii^  si^vte.  M.  Magy  iS:rlt  vu  ctrct  dans  son  mémoire:  t  Quoiqu'il 
V  eOt  Je>  marchands  dans  a"s  échelles,  les  consuls  n'y  ont  été  qu'en  1 S73, 
:  le  plus  ancien  des  marchands  faisait  la  fonctli^n  Je  consul,  >  (Arch. 
^  •  ii.\  —  .^l  de  I  Junv.  directeur  ciineral  du  cormucrce,  dans  un  mèraoïn: 


où  il  copi 


Je- 


. .  affirme  qu'il  nV  a  eu  des 
/97.  {<i.  ijS-SSi.  —  Grpcn- 
.i,.^  des  Délibérations!  permettent 
;>  .'  Le  j  nui  i>4Îi  Jean  Revnicr. 
1  du  roi.  Son  si.;,"  ■•  ^  -  ■-■■  ••.ois 
juin  1 5  }o  ;  L.i  ar 

!,  <  -.r,-M:or<  cci.i. .    _  .... .;e, 

.■>!'.«  de  %'ento  en  i  J70, 

.Marseille  (Arcb. 

1    a  eu  ^osieurs 

•-:c.  —  irons  les 

.  ces  coosals 

■  wSr  rc|iv«}ue 

TS  <kla 

rfstânts 

-•Il 

-l> 

i-.jj.>c  irsonic. 


\ 


ut  que  «i'^Un  s<ulev   »  Ccnc   •ffinoMion  scnit   ec 
tmiLw  de  ■■ 

es,  Otoe».  en  tafègae  étaieai  Aa  gens  «lu  fivs.  Toos  les  aotm 

'"    ^'     «'^'^^  K^u.    ~      t,  povms  «le  KltfiSi  de  pcofîsaaCB  nynics. 

ticm  Je   ^  .  '  pû«mil-<fle  èm  euae  poar  c»  ^oêlqacs 

-   ^     '  k'^   i)o\»  Kid   âocsnxBt  5p  piriitsc  le 

«la  cuMMk!  àe  Urtmmc  aànmt  asx  camBls 

—  xioulo  ftvuàrc  Tvtdietse  VDWvtcc  sent  ss|>~ 

ttS  IB^UKit  hcKrSS  MBtDfkS  JB  SU   |KnBBF,  ^B  il  RM 

.  vax  wtmoKve,  iXftg  Aa^/tdtafsf  wiamèt  Ait  WK^ 
ccKic  JÉB  ^iK  1^  ««au»  KQC»  x<o^  pkac  OHBMiAer  «  \«ctv  sKicaœ  ma  etf61 


INTRODUCTION 


XV 


c'clicîlcs,  mais  il  n'y  eut  jusqu'en  t6io  que  cinq  consulats,  établis  A 
Tripoli,  Al- "'!■:•  'i-:>  v...!:..  et  Zaïite.  C'est  alors  seulement, 
dans  la  cch,  que   le  commerce  français 

V  "  .1  i.iiucrc;ii>.ni  celui  des  Vénitiens.  D  après  des  Mémoires 
)'  ^  au  roi  en  1623  par  les  députés  de  Marseille,  la  ville,  avant 

I  )6o,  n'envoyait  en  Levant  que  cinq  ou  six  vaisseaux  qui  ne  portaient 
pas  entre  tous  un  fonds  de  100.000  écus.  La  guerre  qui  éclata  en 
1570  entre  Venise  et  les  Turcs,  quoique  terminée  peu  après  par  le 
-traité de  paix  de  1573,  contribua  puissamment  aux  progrès  du  trafic 
*des  marciKinds  Irançais'.  Dès  lors  chaque  année  de  nombreux  navires 
partirent^e  Marseille,  portant  «  quantité  de  draps  des  fabriques 
du  royaume  qu'on  appelait  de  Paris,  qui  se  fabriquaient  en  Nor- 
mandie et  d'autres  en  Dauphiné,  Languedoc  et  Provence,  des  papiers 
et  des  quincaillcs  d'AUem.igne  et  les  marchandises  de  prix  pour  le 


Je  scnibi.iblc  teneur  ;>n  ma  pcrsonc  s\'  man  juges  digne.  »  (JA.  fS'}).  On  trouve 

,au  contraire  d.uis  le  Reg.  1  des  Insinuations  de  l'amirauté  de  Marseille  toute  une 

^(tric  de  commissions  royales  .iCv:()rdées  nitMno  à  des  consuls  d'Italie  et  d'Kspagne 

'(Mjjjga,    Séville,  Messine,   Cjtjliari.  crtv   en  161 5,  etc.).  —  D'autres,  comme 

M.  de  Saint-Priest  dans  son  .Mcnioire  sur  l'anihassadcdeTuri^uie  (p.  289),  pensent 

que  les  consuls  furent,  jusque  sous   le   reune  d'Henri  IV,  à  la  nomination   des 

^mbJssJdeurs,  ce  qui  n'est  pas  plus  exact,  hn  riialité  les  consuls  furent  dès  le  début 

îurvus  par  le  roi   et  revêtus  Ju  caractère  d'officiers  royaux  comme  le   montrent 

Ici  lettres  de  provisions  citées  ci-dessus  et  toutes  jelles  qui    sont  conservées  dans 

ic  Registre  des  In.sinuaiionsde  l'amirauté  de  M.irseillc  (fol.  44,  6},  S4,  104,  i  jo, 

3tô).  Ces  lettres  de  provision  étaient  enregistrées  par  le  Parlement  de  Provence 

et  l'amirauté  de  Maricilie,  nuis  le  Parlement  ne  les    enregistrait  qu'après  avoir 

ouvert  une  enquête  sur  le»  «  bonnes  vies,  mccurs  et  religion  u  du  nouveau  consul 

(fal.  .'l'y,  loj).  —  Les   consuls   prêtaient    serment    par   devant   le   lieutenant   de 

l'amirauté    (fol.    314,    442)    et    devant  l'ambassadeur    du    roi  à  Constantinople 

(de  Vento  en   1 570  doit  prêter  serment  devant  l'ambassadeur  à  Venise).  — En  cas 

l'de  mort   d'un  consul   il    arrivait  que    r.imb.assadeur  lui   donnait  d'urgence   un 

en^pla^ant,  en   attendant  que    le  roi  y  eût   pourvu,  (Jitbl.  Nal.    mss  Jr.  làijS^ 

'fo/.  99,  iii>)  ce  qui  a  pu   faire   croire  que   les    ambassadeurs   avaient  le  droit  de 

nomination.  —  Les  consuls  d'alors  étaient  presque  tous  .Marseillais  et  la  communauté 

|ile  Marseille  considérait  comme  un  de  ses  privilèges,  le  droit  de  présenter  au  roi 

les  candidats  aus  consulats.  Ainsi  Laurent  Reynier,  consul  de  Tripoli,  avait  présenté 

l'abord  sa  requête  à  la  communauté  qui  lui  prescrivit  ensuite  de  se  pourvoir  par 

»crs  le  roi.  Quand  il  e-iJtreçu  ses  lettres  de  provision  datées  du  2  janvier  1560, 

Icconwil  de  ville*  du  22  janvier  les  enregistra  sans  tirer  .\  conséquence  contre  ses 

lil>ertés,  stittuts,  privilèges  et  franchises.  Ij  mission  à  Paris,  en  1607,  de  M.  dcX'cnto 

pour  se  pLiindre  de  ce  que  Savan,'  de  Brèves  eut  disposé,  sans  les  consulter,  du 

onsulat   d'.Alexandrie  que  le  roi  lui  avait  concédé,  montre  quelles  étaient  les 

rétentions  des  Marseillais.  Voir  une  lettre  de  M.  de  Vento  aux  consuls  de  Mar- 

«eille.  De  Paris  14  septembre  1607  ;  «  Ce  n'a  point  été  tant  mon  intérêt  que  le 

bien  public  qui  me  fit  donner  votre  procuration  pour  faire  plainte  au  roi  et  <l 

Nosseigneurs  du  conseil  du  ton  que  M.  de  Brèves  et  un  Jean  Pielrequin  faisaient 

la  ville,  d'avoir  ledit  sieur  de  Brèves,  contre  les  privilèges  et  inmiunité  d'icelle, 

'fait  pourvoir  au  consulat  d'Alexandrie  ledit  Pletrequin  sans  nomination  de  vous 

ni  de  vos  dev.nnciers,  au  désiivantape  du  privilè{>e  que  la  ville  en  a  et  qui  est  mi 

des  plus  beaux  qu'elle  ait...  h  (AA,  ji^).) 

(0  Mémoire^  a"  loi,  14  juillet  163}.  HH,  i  :  «  Ce  négoce  de  Marseille  était  il  y 
a  soixante  ans  bien    |>cu   de  chose,    ne  consistant  qu'au  trajet  des  côtes  voisines 


SV) 


INTRODUCTION 


Lovant  et  les  Indes  qui  étaient  du  corail  en  branche  et  travaillé'.  « 
Ils  rapportaient  les  produits  dont  Venise  avait  autrefois  le  monopole  : 
les  soies  de  la  Perse,  les  laines  et  les  cuirs  de  l'Asie-Mineure,  les 
tapis  de  Smvrnc,  les  aromates  et  les  gommes-  d'Arabie,  mais  les 
épiceries  constituaient  encore  le  fonds  principal  de  leurs  charyc- 
ments*.  En  effet  l'ariaiblisscmcnt  du  Portugal  dans  la  seconde 
partie  du  xvi'  siècle,  puis  sa  soumission  à  l'Espagne  en  1580,  ne 
lui  permirent  pas  de  conserver  le  monopole  commercial  dans 
l'Inde,  que  lui  avaient  donné  les  Almeida  et  les  Albuquerque.  En 
attendant  que  les  Hollandais  et  les  Anglais  eussent  remplace  les 
Portugais  dans  l'Océan  Indien,  les  anciennes  voies  commerciales 
reprenaient  de  l'importance  ;  Alexandrie,  Beyrouth,  Tripoli  pou- 
v;iient  fournir  en  quantité  de  riches  cargaisons.  Aussi  comme  le 
disaient  les  corsaires  algériens,  «  la  Méditerranée  était  toute 
grouillante  de  vaisseaux  français.   » 

Cet  éclat  du  commerce  français  fut  de  courte  durée.  En  1573 
l'évéquc  d'Acqs,  François  de  Koailles,  notre  ambassadeur,  écrivait 
de  Constantinoplc  que  le  négoce  de  la  France  en  Turquie  était  peu 
considérable;  cependant  ce  ne  fut  que  dans  les  années  qui  suivirent 
qu'il  lut  profondément  .ittcint.  Les  guerres  de  religion,  qui  pendant 
trente  ans  désolèrent  sans  exception  toutes  les  provinces  de  la  France, 
ruinèrent  tgutc  indu^itrie  çt jojuLCQîUmÊ^Ke  et  plpngèrci^t  le  royaume 
Jansla  plus  profonde  misère.  Marseille  se  jeta  avec  ardeur  dans  la 
lutte TTépoque  de  la  Ligue  et,  gouvernée  par  les  fougueux  ligueurs 
Louis  d'Aix  et  Charles  de  Ca/eaulx,  ne  se  rendit  .1  Henri  IV  qu'en 
1597.  Outre  les  malheurs  des  guerres  civiles,  qui  avaient  fait  aban- 
donner tout  négoce,  le  conmicrce  du  Levant  soutirait  d'autres  maux 
qui  lui  étaient  particuliers.  L'alliance  des  lys  et  du  croissant,  d'abord 
intime  et  confiante  sous  François  I"  et  Henri  II,  s'était  peu  .1 
peu  rel.khée  et  avait  fait  place  des  deux  côtés  ;\  une  secrète 
défiance.  Après  la  paix  de  Catcau  Gimbrésis.  elle  av'ait  cessé  d'être 
offensive,  et  la  réconciliation  de  la  France  et  de  l'Espagne  avait 
porté  ombrage  A  la  Porte.  C'est  tout  au  plus  si  dans  l'expédition  de 
Lépantc  on  n'avait  p.is  vu  les  vaisseaux  du  roi  parmi  ceux  de  la  flotte 
chrétienne.  L'échec  de  quelques  négociations  refroidit  encore  les 
relations.    Henri  III,  peu  de  temps  après  son  avènement,  se  crut 


d'It.ilid,  d'Esp.i^ne  et  de  Barbarie,  cl  peut-^tre  envoyait  tous  les  ans  cinq  ou  six 
vaisseaux  en  Lcv.-int  qui  ne  port.nicnt  pus  entre  tous  un  fonds  de  jcw.cxhs  ùcus  et 
n'y  iU'.iit  en  toutes  les  échelles  ni  consul,  ni  agent,  ni  facteur  pour  les  Franij.iis. 
Mais,  «îtant  survenue  l.t  guerre  entre  les  Vénitiens  et  les  Turcs,  tout  ce  grand 
négoce  que  Venise  faisait  en  Levant  et  qui  .ivnit  rendu  cette  ville  si  fameuse,  se 
tiiinsféra  .1  Marseille....  Dés  lors  même  on  mit  des  consuls  en  toutes  les  échelles 
et  fut  établi  l'ordre  oui  depuis  a  été  obîcrvé,  ce  qui  continua  jusqu'aux  troubles 
de  France  et  guerre  de  la  Ligue.  » 

(1)  Mfmoirt  dr  Si.  île  Ijagny,  ,lrch.  Matiitf,  JP,  497,  fol.  fjS-SS. 

(2)  Mémoire  cité.  IIH,  1. 


IVTRODUCTIOV 


XVI) 


offense  Je  n'avoir  pu  cmp6chcr  h  Porte  de  reconnaiirc  comme  roi 
Etienne  Biuliory  que  les  Folonais  lui  avaient  donné  comme  succes- 
seur et  il  rappela  stm  envoyé  l'abbé  de  l'Islc  qui  ne  fut  pas  immédia- 
tement remplacé.  Il  est  viai  que  l'ambassadeur  Gcrmipny  fui  ensuite 
uès  bien  accueilli  A  la  Porte  et  obtint  par  son  crédit  les  tavorables 
Capitulations  de  1581  ;  on  vit  alors  une  ambassade  du  sultan  fcçuè~ 
avec  magnificence  en  France,  mais  ces  démonstrations  d'amitié  dufè- 
rent  jK'Uj  Gçrriiiiiiiy  lui-ménK'  entra  en  n)ésinielligtut:e„avec-lc_ 
JTvan,  la  période  des  avanies  commença.  A  Constantinople  même, 
les  deux  églises  des  Latins  furent  un  moment  fermées,  Gcrmigny  dut 
en  acheter  la  réouverture  par  des  présents.  Sous  son  successeur 
Savary  de  Lancosmc  (15S5)  ce  fut  bien  pis  ;  il  était  tout  dévoué  ù  la 
Lipue  et  sa  conduite  ne  contribua  guère  à  rétablir  l'harmonie.  Un 
dimanche,  dans  l'église  St-Georqcs  de  Galatn,  il  enleva  h  main 
armée  la  place  d'honneur  qu'occupait  l'ambassadeur  impérial  ; 
rèj^lisc  fut   fermée  et  le  grand  vizir  déclara  qu'on  ne  la  rouvrirait 

3UC  quand  M.  de  Lancosme  ne  serait  plus  fou.  Après  la  mort 
'Henri  III,  Lancosmc  cessa  complètement  d'être  le  représentant  de 
la  Trance,  ce  n'était  plus  que  l'agent  de  Philippe  II  et  l'ambassadeur 
anglais  fut  pendant  quelque  temps  le  chargé  d'aHaires  d'Henri  IV. 

En  effet  les  Anglais  s'étaient  établis  A  Constantinople  et  profitaient 
d£la  misère  de  la  France  pour  fonder  leur  commerce  du  Levant. 
Gcrmigny  ne  sut  pas  empêcher  l'introduction  du  premier  ambas- 
sadeur anglais  .\  la  Porte'.  Cet  ambassadeur,  un  marchand  nommé 
\yij[iam  I  brburn^  ou  Hareborn,  se  ht  accorder  en  1 579  des  Capitu- 
lations .malogues  à  celles  des  Français  et  il  revint  en  Angleterre 
avec  une  lettre  pour  la  reine,  dans  laquelle  le  sultan  offrait  de  mettre 
en  liberté  les  Anglais  esclaves  sur  ses  galères.  L'Angleterre,  oui 
faisait  la  guerre  à  lEspagne^  devenait  en  effet  l'alliée  naturelle  dli^la. 
Porte.  «  En  15S1  la  reine  créa  la  Compagnie  privilégiée  du  Levant 
en  faveur  des  quatre  marchands  qui  avaient  noué  les  premières  rela- 
tions commerciales  .avec  la  Turquie  et  des  huit  .nssociés  qui  devaient 
se  joindre  .\  eux.  La  reine  accordait  ;\  la  Société  un  monopole  de  sept 
ans  mais  avec  faculté  de  le  lui  retirer  en  la  prévenant  un  an  d'avance. 
L'ambassadeur  Hareborn  avait  reçu  pouvoir  de  la  reine  d'établir  des 
consuls  dans  les  ports  et  de  faire  des  règlements  pour  le  commerce 
anglais  en  Turquie.  Il  créa  de^s  coniptpirs  dans  ce  pays  malgré  l'op- 
position  «ic  b  France  et  Te  Venise '.  »  Les  Qpitulations  de  1581 

H)  •  L'ambassaJcur  de  Gcrmigny  n'eut  pas  .issez  d'industrie  pour  rompre  ci; 
coup.»5AVARV  DE  '^HiiVts.KoUisui  giulgues  arlichidesCapitulatiims,  ('.24.  (Appen- 
Jicf  il  !j  rchitioii  de  son  voy.ige).  —  Cependant  sous  Louis  XIV  on  croy.iit  que 
Gerwigny  .«vait  lui-mfnie  aiJO  à  l'établissement  de  i'amliassadeur.  V.  Mémoire 
Hr  /ji.c".v,  li',  49n  /••  jyS-SS.  Arch.  Mai.  —  Ch.irrière  (^'^goc.  dans  le  Jnant) 
r.ippelle  H.ircbonnc  (I.  III,  p.  Stl^,  noie  ;  II",  p.  iç),  mit  I,  .iSy,  ml(  t.  —  Coll. 
>lr  D«c.  IiM). 

{2)  Faoju^.  Le  Ccnnnuict  sous  Heurt  IV.  Rcv.  Hist.,  mai-juin  i88i . 


XVllj 


INTRODUCTION 


assujettissaient  les  Anqlnis  ;\  l'usage  de  notre  bannière  mais  ils  ne  s'y 
soumirent  pas.  Un  navire  anglais  étant  venu  sous  sa  bannicrc  en 
Levant,  Lancosnie  s'en  plaignit  A  la  Porte  sans  avoir  s^uisfaction. 
Si  notre  anibassaticur  ne  pan'int  pas  :\  exclure  le  pavillon  anglais  des 
mers  du  Levant,  au  moins  rcus^ii-iiA_ernpèv:htT  ivi-iUiirca  uaiious.- 
chrétienngs  de  l'emprunter  ;  il  obtint  à  deux  reprises  la  dètLmÎQii 
du  florentin  Paul  Mariani  qui  avait  été  un  moment  vice-consul  des 
Français  à  Alexandrie  et  qui  depuis  ne  cessait  d'exciter  les  capitaines 
des  vaisseaux  italiens  i  navij;uer  dans  le  Levain  sous  la  bannière 
anglaise  et  les  marchands  i\  se  mettre  sous  leur  protection  ". 

L'altération  de  l'alliance  turque  caus;i  d'autres  malheurs  :  les 
Barharcsijucs,  qui  avaient  fait  de  la  piraterie  une  véritable  institution 
et  leur  grande  source  de  revenus,  commencèrent  à  ne  pas  respecter 
les  navires  français  plus  que  les  autres.  Dè.s  1585,  sur  l'initiative  de 
la  municipalité  de  Marseille,  il  se  forma  une  ligue  dcs_ports  de  Pro- 
vence  pour  purger  la  Méditerranée  des  corsarres^miisulmaiTsT^j|n_ 
devait  envoyer  au  Grand  Seigneur  une  ambass.ade  extraordinaire 
désignée  par  le  roi  ;  le  projet  avorta,  en  15 88  seulement  un  envoyé 
extraordinaire  du  roi  porta  i  Constantinople  les  plaintes  des  consuls 
et  des  négociants  de  Marseille  contre  les  pirates  Algériens.  Mais  le 
suUaiiAmuratllI  lui-même  autorisa  les  Barbaresquesà  courir  su.saux 
navires  de  Marseille  pour  punir  cette  vijle  d'avoir  embrassé  le  parti 
de  la  Li^tic  contre  le  roi.  Encouragés  pai^  rirn2unjté.ils__étcndirent 
tellement  leurs  ravages  quh.  Tavènement  ^Tienri  TV  ceux-ci  scm- 
blaient  intolérables  *. 

Lç  règne  d'Henri  IV  vint  à  temps  pour  empêcher  cette  décadence 
de  se  transformer  en  ruine  complète.  Dès  qu'il  fut  affermi  sur  le 
trône,  le  roi  demanda  le  renvoi  de  Lancosme  comme  espion  de 
l'Espagne  et  le  remplaça  par  son  cousin  Savary  de  Brèvi^s*  Celui-ci 
«  prit  en  Orient  la  même  part  ;\  l'exécution  des  desseins  d'Henri  IV 
que  le  président  Jeannin  d.ins  les  Provinces-Unies.  C'était,  dans  une 
nature  plus  entreprenante,  le  même  fonds  de  fervem"  religieuse  et 
de  dévouement  monarchique,  la  même  habileté  pour  tourner  les 
obstacles  ou  saisir  les  occasions,  le  même  mélange  de  fidélité  et 
d'indépendance  pour  éclairer  les  vues  et  accomplir  les  instructions 


(i)  Pour  tout  cet  liistorique,  v.  Saint-Priest,  p.i5sim  ;  J,av.\lli:h,  p.  270; 
LAVissEct  Rambal'D,  Hisl.  Cillerait,  I.  Il',  p.  721-4-/,  et  surtout  Charrièrf.,  Kigoc. 
dam  h  Levant ,  tomes  III  H  IV.  Il  y  est  longuement  question  d».  ce  Marî.ini  qui, 
apr<>s  avoir  ctc  i  Alexandrie  le  vice-consul  de  son  compatriote  Christophe  Vento, 
sciait  brouillé  avec  lui  parce  que,  au  lieu  de  lui  laisser  sou  consulat,  Vento  en 
avait  obtenu  d'Henri  III  la  survivance  pour  son  neveu.  Dés  lors  M.iriani  ne  cessa 
d'intriguer  en  laveur  de  l'influence  anglaise.  —  La  lutte  contre  l'inlluence  anglaise 
avait  <:ié  la  principale  occupation  des  ambassadeurs  Germigny  et  Lancosme. 

(2)  V.  Coll.  de  Doc.  Inéd.  Mélanges  Hisl.,  t.  V,  p.  6o}-6}S. 

(})  Voir  CiiARRiÈRK,  /.  ir,  passim  et  dk  Grammost.  Hisl.  d'Aller.  Introduc- 
tion, p.  Vil 


INTRODUCTION' 


XIX 


de  son  souverain',  »  Il  sut  se  faire  un  tel  crédit  auprès  du  divan 
que,  suivant  l'expression  d'un  historien  turc,  «  peu  s'en  fallait  que 
dans  la  maison  de  l'islamisme  un  vcritahic  enthousiasme  ne  se  fût 
déclaré  pour  la  l'rancc  par  les  menées  de  son  maudit  ambassadeur'.  » 
Ue  Brèves  lut  d'abord  cliarité  de  renouveler  les  Capitulations  avec  le 
sultan  Mourad  III,  car,  dans  les  dix  dernières  années,  celles  de  1581 
avaient  subi  bien  des  atteintes,  mais  nous  n'avons  pas  ce  premier 
traité.  Ce  qu'il  y  a  de  certain  c'est  qu'il  n'arrêta  pas  les  empiétements 
des  Anglais,  dont  les  intrigues  incessantes  auprès  de  la  Forte  occu- 
pèrcntsans  relâche  le  roi  et  son  ambassadeur  ^  En  février  1597,  sous 
le  nouveau  sultan  Mohammed  III,  de  Brèves  en  négocia  un  autre 
en  trente-deux  articles  qui  confirmait  tous  les  privilèges  anciens  et 
en  accordait  de  nouveaux.  On  y  trouvait  la  liberté  accordée  aux 
l'rancais  d'exporter  du  Levant  des  Cuirs,  des  cordouans  et  des  cotons 
filés,  marchandises  dont  la  sortie  était  précédemment  interdite  ;  — 
la  défense  de  lever  aucun  droit  sur  les  monnaies,  que  les  Français 
commençaient  à  apporter  en  grande  quantité  dans  le  Levant  au  lieu 
de  leurs  draps,  pour  éviter  de  payer  le  droit  de  5  "/o  d'entrée  sur 
les  marchandises,  et  l'interdiction  aux  ortîciers  du  Grand  Seigneur 
de  s'en  saisir,  sous  prétexte  de  les  convertir  en  monnaie  ottomane  ; 
—  la  promesse  expresse  du  sultan  d'obliger  les  corsaires  de  Barbarie 
.1  restituer  le  fruit  de  leurs  déprédations  et  de  punir  les  Bevs  qui  les 
.auraient  permises.  Mais  de  Brèves  n'avait  pu  obtenir  le  renouvcUe- 
ment  de  la  clause  b  ■  '■     importante  des  Capitulations  de  1581  :  les 


Anghiis  restaient. 


les  \V'niiiens,  exemptés'  de  l'obligation 


d'arborer  la  bannière  française,  il  est  vrai  qu'il  leur  était  interdit  de 
donner  la  leur  aux  autres  nations.  Ce  traité  n'arrêta,  ni  les  vexations 
desotliciers  du  Grand  Seigneur,  ni  les  pirateries  des  Barbaresques, 
entreprises  des  Anglais.  Malgré  la  ferme  attitude  d'Henri  IV 
menaces  de  rupture  pour  faire    lespectcr   nos  privilèges"',  ils 


finirent  par  obtenir  en  1600  «  que  les  é traj 


ambassadeurs 


(1)  De  Lacombe,  p.  566, 

<2t  Lavallêe,  p.  27R.  —  De  Brèves,  quoiqu'.irrivi.'  en  Turquie  dés  1590, 
n'olitiiit  le  titre  d'ambassadeur  que  le  27  juillet  1593.  V.  Lettres  miaiv/s,  tonu-  lit, 
note  .»  l.t  première  lettre  du  roi,  qui  est  du  22  novembre  1592. 

Ij)  Voir  Lettiti  missives  ih  Hmri  IV, l.  Il',  //«'i''.,  9  mars  1  f(f6.  S  nuu  />'9": 
«  ...ne  me  pouv.tnt  assex  émerveiller  du  procédé  ou  plutiSi  de  l'imprudence 
dudit  agent  d'.Angleiera'  oui  voul.iit  niiiger  (es  nations  étrangères  sous  l.i  bannière 
reconnue  seulement  depuis  trois  jours  en  l'empire  d'Orient.  »  —  5  Oitobre  tjçy  : 
•  N'endurez  que  les  prérog.itives  de  h  Bannière  de  France  soient  communiquées 
aux  .An^bis,  nousoppos.mt  formellement  ou  autrement  aux  poursuites  qu'en  fer;i 
le  n^inistre  de  ladite  d.une.  » 

(K  Cependant  Henri  IV  continua  de  songer  à  les  y  assujettir.  Letltr  à  dr 
Brh'fs,  10  juillet  rôuu.  Lf tires  Mistives ,  t.  V. 

(St  Voir  dans  les  Uittes  Missii'es  de  nombreuses  lettres  du  roi  à  de  Brèves. 
T.  V  :  2S  octohrt  ifçj,  J?  novembre  r^i^j,  21  avril  iSçS,  10  juillet  iSçS, 
1}  août  is<^,  plusieurs  lettres  de  1599,  7  janvier  rfioo. 


xs 


INTRODUCTION 


:\  1.1  Porte  pussent  se  servir  de  leur  bannière  »  et  de  la  protection  de 
leurs  consuls  '. 

MolKimnied  III  étant  mort  en  1 603  de  Brèves  obtint  l 'année  suivante 
de  sou  (ils  Ahmed  I  dv  nouvi-llcs  Qipitul.uions  en  48  articles,  les 
plus  étendues  ei  les  plus  iavor.ibles  c]iic  nous  eussions  encore  obte- 
nues. Trois  articles  (^,  6,  7)  condatnn.Tient  expressément  les  pré- 
tentions des  Anglais  :  «  Drrccbij  nous  coinmandom  (jiie^  des  Vàiilkus  et 
Anglais  en  là ,  toutes  les  autres  nations  aliénées  de  l'amitié  de  notre 
Grande  Porte  et  i/tii  n'y  ont  {H>inl  d'anibassadeuv,  voulant  Irafujuer  par 
nos  pays,  elles  aient  d'yxrnir  sous  la  bannière  '.t  protection  de  France,  sans 
que  pour  jamais  l'ambassadeur  d'Angleterre  ou  autres  aient  de  s'en  empê- 
cher... Et  que  tous  les  commandements  qui  se  trouveront  avoir  été  donnés 
on  qui  se  pourraient  donner  ci-aprês  par  surprise  ou  mégardc  contraires  il 
cette  déclaration  soient  de  nul  effet  et  valeur...  »  Pour  la  première  fois  il 
était  ciucstion  dans  les  Capitulations  de  la  protection  des  Saints  Lieux 
accordée  au  roi  :  ((  Nous  commandons  aussi  que  les  sujets  dudil  empereur 
de  France  et  ceux  des  princes  ses  amis  puissent  sous  son  aveu  et  protection 
librement  visiter  les  Saints  Lieux  de  Jérusalem...  De  plus  nous  permettons 
que  les  Religieux  qui  demeurent  eu  Jérusalem,  Bcthlehem  et  autres  lieux 
de  notre  obéissance,  pour  y  scn-ir  les  églises  qui  s'y  trouvent  d'ancienneté 
bâties,  y  puissent  avec  sûreté  séjourner...  aidés  et  secourus  en  la  considéra- 
tion susdite.  »  Çart.  4,  ;).  Le  Grand  Seigneur,  non  content  d'ordonner 
de  nouveau  auxBarbaresqucs  de  restituer  leurs  prises  et  de  permettre 
au  roi  de  France  d'armer  des  vaisseaux  lui-même  pour  leur  courir 
sus  et  user  de  représailles,  s'ils  continuaient  à  violer  la  paix  (art.  t^, 
20),  leur  taisait  une  série  de  défenses  nouvelles  qu'ils  ne  devaient 
jamais  observer,  et  qui  allaient  devenir  au  xvii'  siècle  de  perpétuelles 
causes  de  guerre  entre  la  France  et  les  corsaires.  Il  était  désormais 
interdit  de  faire  captifs  les  Français  trouvés  sur  des  navires  ennemis, 


a  moins  qu'ils  ne  lussent  corsaires  ;  de  prendre  les  vaisseaux  français 
chargés  de 


marchandises  tirées  des  pays  ennemis  de  la  Porte,  et 
même  de  s'emparer  de  ces  marchandises  (art.  10,  12,  //).  Si  ces 
prescriptions  eussent  été  observées  toute  la  navigation  des  pays 
Espagnols  et  de  la  plupart  des  pays  luliens  fût  passé  entre  les  mains 
des  Français,  dont  les  vaisseaux  eussent  seuls  offert  une  sécurité 
absolue.  Mais  lesBarbare.squesne  pouvaient  consentir  :"i  laisser  miner 
ainsi  la  course,  leur  seul  moyen  d'existence.  De  Brèves  obtint  aussi 
l'exemption  pour  les  Français  de  quatre  impôts  spéciaux  (art.  1  .Ç)  et  il  y 
attachait  une  grande  importance  car  il  s'en  vante  ;'i  plusieurs  reprises 
dans  sa  correspondance  avec  les  consuls  de  Marseille*.  Enfin  la  sécu- 
rité des  Français  dans  les  échelles  et  le  libre  exercice  de  leur  négoce 


(i)  De  BntvKS.  A(>(>tudice  à  î(i  rttation,  p.  3-/. —  V.  LcUrcs  iiiifsivf,  1.  l\  31  jvin 
lôoOy  m  jiiilli't  rC'on,  3  juin  lOoi,  38  jnitttl  1601,  j  mars  r6o3. 
(i)  V.  AA,  J40.  27  mars  tôoo,  X3  fuiii  160],  t.f  fh-titr  1604. 


• 


étaient  garantis  par  de  nombreux  articles  (jo  à  4Sy.  Ces  capitula- 
tions de  M.  de  Brèves  allaient  régler  pour  plus  d'un  deini-sicclc  la 
situation  et  les  privilcgcs  dus  Traitais  dans  le  Levant;  malheureu- 
sement, en  t'ait,  elles  ne  devaient  pas  être  longtemps  respectées. 
L'année  suivante,  de  Brèves  fut  rappelé  pour  devenir  ambassadeur 
auprès  du  Saint-Siège  ;  avant  de  rentrer  en  I-rance  il  fut  chargé 
de  deux  importantes  et  épineuses  missions.  Il  dut  d'abord  aller  ;\ 
Jérusalem  pour  enlever  le  saint  Sépulcre  .n\\  m.iins  des  Arméniens 
et  des  Grecs  et  le  remettre  aux  mains  des  Latins.  Il  avait  obtenu  pour 
cela  les  commandements  les  plus  favorables  de  lîi  Porte,  mais,  malijré 
le  bon  accueil  des  pachas  et  gouverneurs,  il  ne  put  triompher  tics 
intrigues  des  Grecs  qui  parvinrent  A  conserver  la  possession  des 
saints  Lieux*.  De  l.\  de  Brèves  passa  à  Tunis  et  A  Alger  pour  signer 
des  tnités  avec  les  Bnrbarcsques  et  obtenir  la  restitution  des  esclaves 
ei  des  prises*. 

Son  successeur  Jean  de  Gonuut  Biron,  baron  de  Salignac,  n'arriva 
.\  Constantinople  qu'en  1607.  Fort  attaché  ;i  Henri  IV,  malgré  le 
supplice  du  marécb.il  de  Biron  son  parent,  il  le  servit  avec  zèle  et 
hamkté  et  sut  conserver  A  la  Porte  le  crédit  que  de  Brèves  av.iii 
acquis  ;i  notre  diplomatie.  Les  y\nglaisa^-aiit  réussi  A  rendre  suspects 
_lfi54iiSilili;5LjLHli AieiuiciU  de  s'étabjiLà  Constantinople,  le  grand  vizir 
tes  lit  emprisonner  comme  espions  de  l'Hspagne.Tnais  Salignac  obtint 
leur  délivrance.  Ce  ne  fut  pas  d'ailleurs  la  seule  occasion  oii  il  sut 
déjouer  les  tentatives  des  Anglais  pour  diminuer  notre  influence'. 

Notre  crédit  auprès  de  la  Porte  av;iit  donc  été  bien  rétabli  par  les 
soins  d'Henri  IV  et  de  ses  ambassadeurs,  cependant  l'alliance  n'avait 
plus  l'intimité  d'autrefois,  car  chacun  des  deux  alliés  conservait  des 
arrière-pensées.  La  politique  d'Henri  IV était  double:  il  voulait  entre- 
tenir l'alliance  turque,  parce  que,  dans  la  situation  actuelle  de 
l'Europe,  il  la  jugeait  utile  A  sa  politique  dirigée  contre  la  maison 
d'Autriche*,  et  nécessaire  A  la  conservation  de  notre  commerce  dans 
le  Levant ^  mais  il  était  hanté,  lui  aussi,  par  les  projets  de  guerre 

It)  V.  T'<iiU  'h  roi  Utnri  h  Craint.,  fait  fiar  FtHlrmiit  <U  M.  lîf  Brh'ts  (1  l.i 
suite  df  la  a'Iiitioii  de  «on  voyage),/».  t-3},fl  Notes  sur  quflqnti arUcks  du  fr/a'denl 
Irai  If,  /..  3  4-H. 

(2)  \'.  Rflalion  du  voyage  it  de  Brèves, p.  /ya-so.f. 

{^)  V»  ci-dfssous  ses  n<Jgociations. 

141  4  M.  de  S;ihign.ic  nous  .1  écrit  que  l'ambassadeur  pour  le  roi  de  la  Grande 
BreUK"c  a  voulu  innover  quelque  chose-  avec  ces  gens  !;>  au  priîjudicc  de  nos  Cipi- 
tulations,  à  quoi  il  s'est  si  bien  opposé  que  {'.autre  n'a  rien  gagné  que  de  la  lionle.  « 
itilri  dt  M.  de  Fuysiria,  2J  juin  7607.  —  Voir  A»d<aismïe  m  Turquie  dr  Jran  dt 
GenUiul  Biron,  eU. 

(()  Dans  une  Icitrt  ^  de  Brèves  le  roi  le  charge  de  poursuivre  le  rcnouvcllf- 
meni  dc^  Cipitulations,  mais  seulement  s'il  obtient  le  concours  de  la  (lotte  du 
G.  S.  contre  l'iispâgne  (/  (h^r.  liÇÔ.  Lf lires  missii-es,  t.  II'). 

(6)  a  Comme  vous  écrive/.,  c'est  toute  l'utilité  que  je  puis  espérer  de  leur  aiTîitié 
que  Ij  iùrcté  du  irjlic  pour  mes  sujets.  »  (2^  uuin  i f<fS,  Ltire  t)  deBth'ts.  Ltttei 
wi«.,  /.  IV.) 


XXI) 


INTRODUCTION 


sainte  et  d'expulsion  des  Turcs,  qui  passionnaient  alors  de  nombreux 
esprits,  et  se  faisaient  jour  dans  une  série  de  curieux  écrits  de  la  tin 
du  XVI'  siëde  et  du  couimt-ncement  du  xvir  siècle'.  Les  plans  de 
réconciliation  de  la  clircticnté  pourchasser  le  Turc,  exposes  dans  le 
fameux  Grand  Dessein,  n'ont  pas  été  de  pures  conceptions,  le  roi 
songea  A  les  réaliser.  C'est  dans  cette  vue  qu'il  rappela  de  Brèves  et 
qu'il  l'accrédita  comme  nmbassadeur  auprès  du  pape.  II  lui  enjoignit 
d'informer  le  souverain  Pontife  de  tout  ce  qu'il  avait  vu,  et  de  com- 
biner avec  lui  la  politique  qui  devait  être  suivie  \  l'égard  de  l'empire 
turc.  Parfois,  quand  il  apprenait  les  dissensions  et  les  révoltes  qui 
montraient  la  décadence  déj.i  profonde  des  Ottomans  et  l'inutilité  de 
leur  alliance,  le  moment  lui  seinblait  venu  de  changer  de  conduite*. 
C'est  d.nis  la  prévision  de  leur  expulsion  qu'Henri  IV  trav.iilLiit  avec 
ardeur  .\  l'ét-iblissement  de  l'intluence  française  en  (Prient,  .ifln  qu'au 
jour  de  l'atlranchissement  elle  y  dcmeur.'it  prépondér.nite.  Il  trouva 
dans  Savaryde  Brèves  un  parfait  confident  de  ses  pensées  secrètes. 
«  Nul  ne  sut  mieux  entendre  et  mieux  expliquer  les  deux  phases  de 
la  politique  qu'Henri  IV  suivait  en  Orient,  et,  si  l'on  veut  les  appro- 
fondir, on  en  trouvera  le  curieux  exposé  dans  deux  récits  en  appa- 
rence contradictoires  qu'a  laissés  ce  ainlomate,  l'un  sur  les  avantages 
que  l'alliance  du  roi  de  France  avec  la  Porte  offre  à  la  chrétienté^ 
l  autre  sur  les  moyens  de  ruiner  la  monarchie  ottomane''.  » 

De  leur  côté  les  Turcs  avaient  été  fort  mécontents  de  la  paix  de 
Vcrvins,  qui  rendait  libres  contre  eux  les  forces  de  l'Espagne  et 
permit  àceile-ci  Je  reprendre  ses  projets  de  conquête  d'Alger  (i6ot- 
1602).  Le  roi  avait  rappelé  les  Français  qui  étaient  au  service  du 
Grand  Seigneur,  «  n'étant  pas  convenable  qu'ils  continuassent  à 
servir  le  Turc  contre  des  princes  chrétiens*,  »  tandis  que  des 
gentilshommes  allaient  en  Hongrie  combattre  dans  les  rangs  des 
troupes  impériales.  Le  duc  de  Mercœur  était  même  un  de  leurs 
généraux  et  il  battit  les  Turcs  dans  la  campagne  de  1601  ;  le  duc 
de  Nevers,  le  prince  de  joinville  firent  contre  eux  la  campagne  de 
1603".  Les  Turcs  s'en  plaignirent  amèrement  ;  c'est  en  vain  que  le 
roi  prétendait  ne  pouvoir  rappeler  ses  sujets,  en  1601  le  sultan 
envoyait  une  ambassade  spéciale  pour  demander  au  roi  de  leur 
défendre  le    voyage  de   Hongrie,  et  de  Brèves  se  vit   accuser  de 


(i)  V.   Drapeykon  ;  Un  profil  jrançah  de  conquête,  etc. 

(2)  «  Me  persuadant  que  l'empire  de  ce  seigneur  tombera  bientôt  en  une 

confusion  ijui  aura  suite  de  changements  d'importance...  auquel  ca.s  il  sera  pcui- 
6tre  nécessaire  que  j'enibrassl-  les  occasions  de  m'en  prévaloir  comme  feront  les 
autres,  u  )  mai  1602.  Ltittt  l'i  df  Bn'i'is.  Ullrcs  viissivfs,  t.  V. 

(j)  De  Lacombe,  p.  566. 

(4)  Làtire  à  de  Brèves,  t;  tmn  inn^.  —  Id.  6  août  i6oj.  —  Ltttirs  missiws, 
I.  il,  iij'^tndice. 

(\)  Lrllie  à  fie  Brèivs,  rj  octobre  i(>0].  —  Ihld.,  I.  /'/,  appendice. 


INTRODUCTION- 


xxnj 


dùloyauié  par  le  Grand  Vizir,  au  grand  déplaisir  d'Henri  IV '.  Ce 
sont  CCS  tiraillcnunts  qui  expliquent  la  taveurdont  les  Anglais  i(.>ui5- 
saicnt  auprès  de  la  Porte,  malgré  tous  les  efforts  de  la  diplomatie 
française  :  j\ir  leurs  guerres  contre  l'Kspaijne  ils  étaient  pour  les 
Turcs  des  alliés  miles  et  ne  fatiguaient  pas  sans_çe&se  le  Divan  Je 
leurs  réclamations. 

La  plus  grave  préoccupation  de  la  politiaue  d'Henri  IV  en  Orient, 
outre  le  maintien  des  Capitulations,  fut  la  répression  des  pirateries 
des  Barbaresques  et  des  Anglais  qui  enlevaient  au  commerce  toute 
sécurité.  Il  n'est  presque  pas  de  lettre  du  roi  a  Je  Brèves  où  il  n'en 
soit  question.  A  chaque  nouvelle  de  la  prise  de  quelques  uns  de 
nos  bâtiments  ou  de  mauvais  traitements  infligés  i"!  nos  consuls  ou  à 
nos  marchands  en  Barbarie,  les  Marseillais  ne  manquaient  pas  de 
transmettre  leurs  doléances  au  roi,  qui,  à  son  tour,  renouvelait  ses 
instances  auprès  de  l'ambassadeur.  Le  lléau  avait  fait  des  progrés 
terribles  pendant  les  vingt  dernières  années  du  xvi"-"  siècle.  Ils  étaient 
dus  surtout  A  l'afiaiblissement  successif  de  toutes  les  marines  de 
guerre  des  grandes  puissances  méditerranéennes  :  Venise  avait 
maintenant  de  la  peine  à  garder  et  à  surveiller  les  cotes  de  ses  posses- 
sions maritimes  ;  l'Espagne,  après  avoir  longtemps  menacé  les 
Barbarcsqiies,  voyait  la  puissance  de  sa  flotte  ruinée  par  le  désastre 
de  l'Armada,  et'  restait  condamnée  par  sa  détresse  fmancière  \  ne 
pouvoir  la  relever;  les  Turcs  eux-méme!i,artaiblis  non  par  la  défaite 
de  Lépante,  mais  par  la  décadence  et  la  désorganisation  qui  com- 
mençaient à  les  atteindre,  Iaiss.uent  le  plus  souvent  inactifs  dans  le 
lort  Je  Constantinople  leurs  b.'itiments  toujours  nombreux;  quanta 


a  France,  oui  avait  eu  sous  l'rançois  h'  et  sous  Henri  II  un  corps 
redoutable  Je  galères,  capable  de  faire  respecter  ses  côtes  et  ses  bâti- 
ments de  conmierce,sa  marine  n'était  plus  représentée  que  par  deux 
ou  trois  galères  qui  pourrissaient  au  fond  du  port  de  Marseille. 
Cependant  il  restait  assez  de  forces  aux  puissances  commerçant 
dans  la  Méditerranée  pour  anéantir  facilement  la  piraterie  si  elles 
se  fu.sscnt  une  seule  fois  concertées.  Les  faiseurs  de  projets  de  guerre 
sainte  qui  énuméraient  les  forces  maritimes  de  l'Furope  chrétienne 
se  complaisaient  à  montrer  leur  écrasante  supériorité  sur  celles  des 
Turcs,  combien  eût-il  été  plus  facile  de  détruire  les  Barbaresques 
qui  n'avaient  pas  encore  atteint  la  puissance  qu'ils  devaient  avoir  au 
xvii' siècle.  Maiscon^ment  espérer  une  entente  des  pu iss;inccs  chré- 
tiennes? Quand  elles  n'étaient  pas  en  guerre  ouverte,  elles  ne 
songeaient  qu'à  se  nuire:  les  Anglais  trouvaient  ;\  vendre  en  Espa- 
gne ou  chez  le  GranJduc  de  Toscane,  alliéd'Henri  IV,  les  prises  qu'ils 

m  a  Votre  Mjjcsté  trouver.!  bon,  .i  l'imitation  des  empereurs,  ses  aïeux,  de" 
faire  cji  de  nirtre  jmiti<5  et  de  la  conserver  cliùretnent,  cmpiîcher  qu'aucun  de 
vos  sujets  n'ait  j  servir  nos  communs  ennemis,  ay.inl  appris  que  beaucoup  d'iccus. 
contre  le  devoir  qui  se  doit  i  notre  dite  amitié,  vont  au  service  du  roi  de  Vienne.  » 
Ltllre  lit  StelieiiKt  III  d  Heiiri  II',  //  août  i6o}. 


XXIV 


INTRODUCTION' 


fais^iiciu  sur  les  bâtinu-ius  franyais  ;  quniit  A  celles  des  Bnrbaresaucs, 
leur  VLMUe  ;i  bas  prix  eiiricliissait  les  Juitsde  Livouriic.  Le  yranu  Jiic 
lui-mèine  n'av.iit-il  pns  prurtté  des  diflicultés  d'Henri  IV  au  début 
de  son  règne  pour  s'emparer  par  un  guet-apens  des  îles  de  Marseille 
(  I  )9^'"97)  ?  '"'ï  '"^  ^^*^  deSavoic  ne  ran.;onnait-il  pas  les  navires  frant;ajs 

3ui  passaient  en  vue  de  ses  côtes  pour  leur  réclamer  un  prétendu 
roitde2o/o?  Ainsi,  il  n'y 'ivait  plus  de  police  des  mers  et  les 
pirates,  profitant  de  l'affaiblissement  et  de  la  désunion  des  puissances 
méditerranéennes  en  étaient  devenus  les  maîtres.  La  situation  des 
Français  était  la  plus  intolérable,  car  c'étaient  eux  qui  avaient  le 
plus  de  bâtiments  marchands  en  mer  et  qui  pouvaient  le  moins  les 
défendre.  En  i6o2,  les  corsaires  d'Alger  tenaient  à  eux  seuls  i  la 
chaîne  près  de  3000  l-rançais';  qu'on  songe  au  nombre  de  navires 
et  à  la  valeur  des  marchandises  qu'ils  avaient  dû  prendre  pour 
atteindre  ce  chiffre  de  captifs,  puisque  les  bâtiments  iMarseillais 
n'avaient  souvent  que  quelques  hommes  d'équipage.  Quant  aux 
Anglais,  Henri  IV  écrit  à  sou  ambassadeur  en  Angleterre,  d'après 
un  mémoire  des  Marseillais,  que  leurs  vols  montent  i  plus  de 
1.200.000  ou  1.500.000  écus*. 

Le  roi  comprit  toute  l'étendue  du  nul  et  les  remèdes  qu'il  fallait  y 
apporter.  Sans  jamais  se  lasser,  il  pressa  son  ambassadeur  de  réclamer 
auprès  de  la  Porte;  grâce  à  sa  fermeté;  il  obtint  à  diverses  reprises 
des  commandements  du  Grand  Seigneur  adressés  aux  paclias  d'Alger 
et  de  Tunis  pour  leur  ordonner  de  re.specier  les  bâtiments  français; 
même,  en  1603,  les  deux  pachas  furent  rappelés,  l'un  fut  emprisonné 
et  l'autre  étranglé.  Mais  les  liarbaresques  se  souciaient  aussi  peu  des 
commandements  du  Grand  Seigneur,  dont  ils  reçurent  avec  insolence 
le  icliaouch  qui  les  portait,  que  de  la  disgrâce  de  leur  pacha  et  peu 
après  ils  pillèrent  et  ra.sérent  le  Bastion  de  France*'.  Ils  commençaient 
alors  â  former  des  républiques  â  peu  près  indépendantes  et  le  pacha 
était  plutôt  leur  prisonnier  qut  leur  gouverneur.  Seuls  ceux  de  Tri- 
poli, moins  puissants  et  plus  rapprochés  de  Constantinople  restaient 
iipeu  prés  soumis.  En  1605,  de  Brèves,  en  quittant  Constantinople, 
fut  chargé  de  faire  une  dernière  tentative.  Il  emporuit  les  comman- 
dements les  plus  forts  du  nouveau  sultan  Ahmed  I"  aux  Barba- 
resques.  «  pour  faire  délivrer  les  Français  détenus  esclaves  contre  la 
teneur  des  traités,  défendre  les  pirateries  sur  les  navires  et  denrées 
de  France,  faire  restituer  l'argent,  les  vaisseaux  et  les  marchandises 
déprédées,  et  rebâtir  le  Bastion'.  »  De  Brèves  les  porta  lui-même  à 
Tunis  et  â  Alger  et,  pour  les  présenter  avec  plus  d'autorité  aux  pachas 
et  â  la  milice,  il  fui  .iccompagné  d'un  Turc,  Mustapha  aga,  qui  avait 


(i)  Lettre  à  de  Brèves.  10  juin  1602.  —  Lettre!  iiiissius,  t.  F. 
{1)  Lettre  dit  r<}i  à  de  Ikdiimont,  26  fhrier  j6oJ.  IM.,  l.  T. 
())  Lettre  à  de  Brèves,  }i  iwiil  1O04.  LeUrei  missives,  I.  l'I. 
(  4  )  Keiulioii  du  ivy,ige  de  M.  de  lirrves,  />,  1S4. 


IXTROnUCTlOS 


XXV 


<;rantl  crédita  la  Porte,  A  Timis,  malgré  la  (liveur  du  pacha,  qui  lui 
devait  son  j;ouvcrnciiifnt,  il  faillit,  devant  le  mauvais  vuLiIoTr  du  dey 
et  de  la  milice,  être  obligé  de  partir  sans  rien  obtenir'.  Mais  les  lettres 
suppliantes  des  consuls  de  Marseille  le  décidèrent  à  se  contenter 
deuemi-satisfoctions*.  A  Alger,  c'est  avec  de  grandes  difficultés  qu'il 
fut  reçu  dans  la  ville,  mais,  malgré  tous  les  efforts  de  s;i  diplomatie 
pendant  un  mois,  malgré  l'argent  qu'il  sut  semer  A  propos,  il  n'ob- 
tint ni  la  réédilicition  du  Bastion, ni  la  promesse  d'oDservcr  la  paix. 
La  seule  concession  des  Algériens  kit  que  les  esclaves  français  seraient 
restitués  moyennant  le  retour  des  Turcs  esclaves  à  Marseille*.  Les 
efforts  d'Henri  IV  semblent  avoir  mieux  réussi  auprès  du  sultan  du 
Maroc,  qui,  depuis  1601,  entretenait  des  relations  amicales  avec  la 
I-rance  et  auprès  duquel  le  roi  gardait  un  résident,  M.  de  Lisle,  Mm 
médecin  ordinaire.  Mis  dans  la  confidence  des  négociations  engagées 
avec  les  Morisques  d'Kspagne  par  M.  de  la  l'orce,  gouverneur  du 
Bêarn,  pour  les  soulever  contre  Philippe  III,  il  accorda  au  pavillon 
français  des  avant.iges  analogues  i  clu\  dont  il  jouissait  dans  le 
Levant'.  Cependant,  le  roi  eut  i  lui  faire  écrire  par  le  sultan  pour  le 
prier  de  ne  pas  recevoir  les  corsaires  anglais  dans  ses  ports,  et  il  lui 
écrivit  lui-même  plusieurs  fois  pour  lui  réclamer  des  prises. 

C'était  aussi  souvent  h  propos  des  Anglais  que  des  Barbaresques 
que  le  roi  adressait  ses  plaintes  ;\  la  Porte,  car  il  était  plus  lacile  au 
Grand  Seigneur  de  se  taire  écouter  de  la  reine  d'Angleterre  que  de 
ses  propres  sujets.  La  menace  d'expulser  les  sujets  anglais  établis 
dans  les  échelles,  ou  même  de  les  inquiéter,  devait  sullire  pour  la 
décider  ù  agir  contre  les  corsaires  '.  Mais  le  Divan  tenait. ilors  autant 
.i  l'alliance  anglaise  qu'a  celle  de  la  l'rance  et  le  roi  s'irritait  souvtnt 
dans  ses  lettres  contre  le  cipitan  paclia  qui  leur  était  le  plus  (livo- 
rable".  Enfin,  devant  l'insistance  d'Henri  IV,  le  sultan  se  décida  .\ 
envoyer  une  lettre  menaçante  à  Elisabeth,  qui  mourut  avant  de  la 
recevoir,  puis  A  Jacques  I"'.  Des  représentations  avaient  souvent 


(  j)  V.  (Relalioii,  p.  }oS-j}))  le  récit  curieux  des  ntîgooiations  de  de  Brèves.  — 
Le  gL-nèral  des  jjaltrcs  dissuadait  fortement  le  pacha  et  le  dey  de  traiter  en  leur  mon- 
trant qu'ils  n'avaient  rien  à  craindre  du  G.  S,  ni  d'une  guerre  .ivec  l'empereur  de 
France  :  a  Au  pis,  dii-il,  c'est  le  meilleur  qui  puisse  arriver;  c'est  alors  que  ntjus 
moisionncricms  en  plein  cluimp,  nous  pillerions  indilîc'rcnnnent  el  sans  réserve 
tint  de  vaisseaux  français  dont  cette  mer  est  toute  gmuillante.  .  »  p.  )}}.  —  Pen- 
dant le  séjour  de  de  Brèves  à  Tunis,  en  moins  d'un  mois  (juillet-.ioùt  1605),  deux 
barques,  acux  larianes  provençales  et  deux  vaisseaux  de  Marseille  i'ureut  amenés  à 
Biterte  ou  .i  la  Gouletic  (/>,  ]2i}-]}). 

I2|  V.  Plantiit.  Coiifsp{}iidattce  des  btys  de  Tunis,  l.  I,  p.  6-'j,  le  texte  des  neuf 
articles  de  l'accord  conclu  par  de  Brèves  en  août  1605. 

[%)  Maiion.p.  36i-77, 

(41  PIGEON\^-^u,  t.  II,  p.  321-22, 

(5)  i'  /"'"''  1600.  h  di  Bih'l'i.  —  Ltliti,  t.  V. 

(6)  Citait  un  renégat  qu'il  appelle  toujours  le  Sigale  ou  Sigal. 

(7)  KUIffiHtt  m  à  lifiui  jr,  1$  aoùl  160 j. 


xxvj 


INTRODUCTION 


été  faites  directement  par  le  roi  à  Elisabeth  elle-même  *,  mais 
Henri  IV  était  obligé  Je  la  ménager  et  il  n'avait  guère  foi  lui-mùnie 
dans  le  succès  de  ses  plaintes.  Il  répète  îi  plusieurs  reprises  dans  ses 
lettres  que  les  principaux  officiers  de  l'entourage  de  la  reine  partici- 
paient aux  bénéfices  de  ces  brigandages,  aussi  n'en  retirait-il  que  de 
vaines  protestations  de  regrets  *  ou  des  réparations  incomplètes. 
D'un  autre  côté,  les  Anglais  craignaient  une  trop  grande  extension 
de  notre  commerce  et  le  lieutenant  de  l'Amirauté  s'était  laissé  aller 
à  dire  i  notre  ambassadeur  que  «  s'ils  nous  accordaient  tant  de  liberté 
sur  mer  nous  y  mettrions  en  deux  ans  plus  de  vaisseaux  qu'ils  n'y 
en  avaient'.  «  Aussi  c'est  en  vain  qu'Henri  IV  poursuivit  auprès 
d'Hlrsabetb  la  signature  d'un  traité  formel  qui  assurât  la  sécurité  du 
cotimierce  franijais.  Il  profita  de  l'avènement  de  Jacques  l"',  qui  se 
montr.i  mieux  disposé,  pour  envoyer  Sullv  en  mission  spéciale,  tan- 
dis que  les  .Marseillais  i  bout  de  patience  délibéraient  de  saisir  tous 
les  vaisseaux  et  marchandises  appartenant  aux  Anglais*.  Sully  signa 
un  traité  dans  lequel  le  roi  Jacques  déclarait  désapprouver  les  pira- 
teries de  ses  sujets.  Quant  à  les  réprimer,  il  ne  s'en  chargeait  pas  ; 
était-il  disposé  aie  faire,  c'est  douteux,  en  tout  cas  il  s'en  déclarait 
nettement  incapable,  car  il  en  vint  ;\  prier  Henri  IV  «  de  laire  faire 
la  chasse  aux  pirates  anglais  pour  les  ch.ttier  comme  des  voleurs  '".  » 
Ce  ne  fut  qu'en  1606,  après  trois  ans  de  luttes  sourdes  que,  la  conspi- 
ration des  Poudres  décida  Jacques  I"  ;\  se  rapprocher  de  la  France  et 
à  signer  enfin  avec  notre  ambass;idcur  un  traité  de  commerce  qui 
rétablit  des  relations  normales  entre  les  deux  p.iys'.  Cependant  les 
pirates  anglais  ne  cessèrent  pas  complètement  leurs  courses. 

La  seule  vraie  ressource  contre  eux  était  d'user  de  représailles  et 
Henri  IV  n'avait  pas  attendu  longtemps  pour  s'en  rendre  compte,  sa 
correspondance  en  fait  foi.  Il  fut  retenu  dans  cette  voie  parla  crainte 
de  déplaire  .i  ses  alliés  Turcs  et  Anglais,  mais  surtout  par  le  manque 
de  forces  navales  car,  comme  Jacques  I",  le  sultan  lui  donna  toute 
latitude  d'agir.  Mais  le  projet  de  construction  de  galères,  sans  cesse 
mis  en  avant,  fut  sans  cesse  renvoyé.  Dés  1598,  le  roi  en  parle  à  de 
Brèves';  en  i6ûo,  le  moment  de  l'exécution    semble   venu,   le  roi 


(i)  I.c  2  Icvricr  1602  il  aiinom;a  i  son  ambassadeur  de  Beauniont  le  clêp.irtd'un 
député  de  Marseille  »  chargé  de  présenter  à  Llisabetli  un  grand  niémoirc  des 
grandes  vollcries  desJits  Anglais  »  et  il  le  chargea  de  dire  a  la  reine  qu'il  se  tien- 
drait déchargé  de  ses  dettes  envers  elle  s'il  n'obtenait  réparation. 

(2)  .4  Je  tirh'es.  }t  juilkt  1600.  —  IJ.  11  aoûl  i6u3.  Ltltres,  I.  V. 

($)  De  Lacumbi:,  p.  2ti;. 

{j\)  Atcb.  Commun   de  MarseiUe.  Rfg.  dts  Dilibèr.  ti  mars  :6oj. 

(5)  V,  Lettres  â  de  Brèves,  22  juilkt,  1}  iiov.  160} .  Tome  VI,  .-Ifipend. 

(6)  Pigeonneau,  t.  Il,  p.  ^20, 

(7)  «  Ditci-leur  que  je  fais  construire  des  galères,  avec  lesquelles  j'espère  .'i 
l'avenir  avoir  meilleure  correspondance  àvec  eux  que  je  n'ai  lait  et  pareillement 
remédier  aux  atteutais  des  .anglais,  v  A  de  Brèves ^  S  /hrùr  tj^8.  Lettres,  tointlF. 


INTRODUCTION 


XXVlj 


doit  dire  un  voyage  en  Provence,  c'est  là  qu'il  réglera  tout  '.  Mais 
le  voyage  de  Provence  ne  se  rit  pas  et,  en  1603,  Henri  IV  en  était 
encore  à  prendre  les  incmes  résolutions  ;  cette  fois  encore  il  devait 
aller  en  Provence  pour  se  rendre  compte  par  lui-même,  mais  ce 
projet  fut  de  nouveau  abandonné  '.  C'est  en  vain  que  de  Brèves  écri- 
vait aux  Marseillais  :  0  II  faut  que  le  roi  tienne  1 5  ou  20  galères 
dans  les  ports  de  Provence  années  X  l'avantage,  qui  gardent  ordinai- 
rement sa  cote,  taillant  en  pièces  toutes  galères,  galliotes,  frégates, 
b^i^antines  sans  avoir  égard  qu'ils  se  disent  dépendants  du  Grand 
Seigneur....  Secondez-moi  et  importunez  avec  moi  S.  M.  pour  lui 
&ire  prendre  une  entière  résolution  d'avoir  des  galères*.  »  Les  pira- 
tes n  eurent  donc  guère  .\  redouter  les  poursuites  des  quelques 
galères  royales  ;  ce  n'était  que  de  loin  en  loin  qu'elles  se  signalaient 
par  quelque  prise  que  le  roi  savait  habilement  faire  valoir  pour 
mtimider  les  Turcs*. 

Les  Marseillais  surent  parfois,  comme  ils  le  firent  souvent  plus 
tard  au  xvir  siècle,  se  protéger  eux-mêmes  contre  les  corsaires. 
«  A\'ant  reçu  l'avis  que  les  corsaires  de  Tunis  préparaient  quelques 
vaisseaux  ù  la  Goulette  pour  courir  sur  les  nôtres,  la  ville  de  Mar- 
seille qui  en  eut  l'appréhension  traita  avec  le  sieur  d'Autcfort,  lieu- 
tenant du  sieur  de  Beaulieu  qui,  moyennant  une  récompense  de 
50oécus  qu'on  lui  promit,  s'obligea  de  les  aller  brûler;  il  fit  donc  le 
voyage  avec  le  vaisseau  du  sieur  de  Beaulieu  et,  comme  il  fut  arrivé 
proche  de  la  Goulette,  il  se  mit  dans  une  barque  avec  cinquante 
soldats  et   beaucoup   d'artifices  .\  feu  et,   nonobstant  une  grandt 

S|uantitc  de  coups  de  canon  et  de  mou.squets  qui  lui  furent  tirés  du 
ort  de  la  Goulette,  ils  brûlèrent  vingt-trois  bâtiments  qui  étaient 
sous  cette  forteresse,  et  même  une  galère  qui  n'en  était  éloignée 
que  de  la  portée  du  pistolet".  »  M.illieureusement  les  armements 
que  les  Marseillais  avaient  fait  auparavant  .\  plusieurs  reprises 'étaient 
loin  d'avoir  eu  des  résultats  aussi  heureux.  En  1602  ils  équipèrent 
deux  grands  vaisseaux  de  guerre  pour  escorter  leurs  navires  et  ils 
prirent  la  résolution,  confirmée  par  lettres  patentes  du  roi,  de  n'em- 
ployer aucun  vaisseau  moindre  de  .j.ooo  quintaux;  les  navires 
devaient  naviguer  en  flotte,  sauf  ceux  de  7.000  quintaux,  et  ils 
seraient  bien  pour\'us  d'artillerie  et  de  soldats  à  gages;  pour  animer 
les  équipages  ;\  bien  combattre,  on  décida  qu'en  cas  de  mort  ou 
d'infirmité  on  donnerait  à  chaque  capitaine  ou  A  ses  héritiers  200 

(l)  y  jaav.  t€oo,  jo  mars  1600,  21  juillet  1600.  A  de  Brèves.  Lettres,  t.  V. 

(i)  //  sept.  tôoj.  Lcllrts  Miss.  t.  VI.  Appriid. 

(})  L/itre  uii.v  eorisnh  Je  ManfilU.  AA,  l/v. 

Il)  //  Mùt  1602,  à  de  Brèves.  Lettres,  t.  V. 

(3)  RuFFi,  p.  4.19.  ^'n  '^"y- 

16»  Voir  au  sujet  des  artncniciits  :  .irchives  Commnttales  de  MarseiUe.  R^.  des 
DiUlir.  .4sseiiiblJes  des  jy  mwaiibre  îSoO  ,  ;2  jaiwitr  rôoS,  tS  scpttPihre  160S, 
t6  février  j6oç,  &  février  1610,  6  mai  i6so. 


*•* 


xxviij 


IXTKODUCTION 


écu8|  ^$o^  i\n  piioïc  ou  .\  un  écrivain,  50  écus  A  un  lUtirinicr 
cl  IS  îk  un  iMOLisse  ;  tous  les  nfîkicrs  et  mariniers  prC'tcraicnt 
iiTUicnt  par  di-vant  le  lieutenant  île  l'aniirautc  de  bien  si:  battre'. 
Mais  ce  rcKkment  ne  tut  jus  loiif-tenips  exécuté,  bien  qnc,  l'année 


I  rcKi 
e,  le 


suivante,  le  rui,  sur  le  ciinseii  de  de  Brèves,  eût  renouvela  l'ordre 
aux  Marseillais  J'anncr  en  guerre  leur»  vaisseaux  marchands*,  et  que 
pins  tard,  en  1609,  l'assemblée  de  la  Communauté  de  Marseille  eût 
décidé  de  ni)nveau  que  les  vaisseaux  ne  partiraient  que  trois  par 
trois  on  quatre  par  quatre.  Les  tiiarins  provençaux  étaient  ennemis 
de  toute  contrainte  et  leurs  jalousies  mesquines  leur  permettaient 
peu  de  s'associer.  Ainsi,  quels  qu'aient  été  les  efVorts  du  gouverne- 
ment royal  ou  de  l'initiative  privée,  il  est  dirtîcile  d'alfntner  que 
Ic«  piraterie»  aient  sensiMcnient  diminué  pendant  les  dernière» 
années  du  règne  d'Henri  IV;  les  Tunisfcns  qui  avaient  juré  la  paix 
en  1605  n'en  continuèrent  pas  moins  leurs  voleries  connue  Ceux 
d'Alger,  ainsi  auc  le  montre  la  correspondance  roy.tle  ou  lespLiintcs 
des  Marseillais*. 

Il  aurait  t'alUi  remédier  aussi  aux  abus  déjA  nombreux  dont  souffrait 
le  comnïerce  du  Levant,  et,  pour  y  couper  court,  lui  donner  une 
sérieuse  organisation  que  personne  n'avait  encore  songé  A  créer.  I^ 
Conununanté  de  Marseille,  bien  qu'elle  n'en  eût  pas  le  monopole, 
était  seule  i\  sa  tète,  au  détriment  des  autres  villes  maritimes  du 
Languedoc  et  de  la  Provence.  C'étaient  les  consuls  de  cette  ville  qui, 
avec  rassist.mce  des  assemblées  de  la  Comnuinauié, s'occupaient  de 
tout  ce  qui  concernait  s,i  direction  ou  sa  dét'ense  et  qui  survtill.lient 
l'administration  des  Hchelles  du  Levant.  Or  les  consuls  étiient  élus 
chaque  année  parmi  les  gentllhommes  de  Marseille  et  les  bourgeois 
A  l'exclusion  des  marchands,  aussi  ces  magistrats  étaient  peu  fdits 
ptnir  s'occuper  des  détails  du  commerce  qu'ils  n'avaient  jamais  pra* 
liqn»'.  On  sentit  si  bien  cet  inconvénient  que,  les  ditliculti*»  du 
Cl  devenant  d».  >.  la  Communauté 

se  I  créer  dcsd.'i  ,  .,        .  diriger  ks  attiirc» 

(lu  con«\ij;rcc  et  qu'on  appela  députés  du  comnienx*.  Ces  députés, 

au  mniibn-  '  ■  a\  lurent  choisis  chaque  amie*  A  partir  de  i  J99, 

|Umti  les  rs  de  I.1  ville.    «  par  les  consuls  en  l'Assemblée  Ct 

3\  ^rj'icipjiux 

ni  •■u  moitié, 


* 


c.  irtima  Jtt  Tteta  et  éts  Aagbit^  •  7  uv^maaktc  ifoa.  MÊfién  4d 

U >^è^...n^  Jt  UmrilU,  m-l  fit  9i.  Jn*.  ik  ém  À^Ëk  - 

Lcttnn  iMK  f  'uaer&ant  ^  tous  les  imrrtuBA  ic  Miic  loi»  *o>jgtJ 

liai»  k  Les.;.  : o  aaiira  ponintoiuiDS  de  ?  >^x)  ,1V  etc.-.  f  tmSSA  ";£.•; 

/M.  I ^r. 

i:'i  L'Ur.-  i  X  ^i\\i    si  adwalrc  t^i. 
!■•  1*07. 

.     _  .. u^  ib  i«^  iny.  A^,  -     '  «  -»^     «-     -     -\, 

l-i  o  «hi  )  A.>ftt  ii<^  ^ut  cniaft  h»  ikputô  et  iiiiiiillMIi  ém  fâiia 


XXIX 


m  bien  qu'ils  restaient  deux  nns  en  chnri^c  et  qu'il  y  en  avait  tou- 
jours Jeux  nu  courant  des  affaires  en  suspens.  On  leur  allouait  pour 
leurs  frais  «  jusqu'à  1.200  ccus  »  qui  devaient  être  imposas  sur  les 
marchandises.  C'était  un  premier  acheminement  vers  la  séparation 
des  artaircs  du  commerce  et  de  la  Commuiiautc  et  vers  la  création 
de  la  célèbre  Chambre  du  commerce.  Mais,  pendant  le  règne 
de  Henri  IV\  les  députés  du  commerce  curent  peu  d'action;  désif^nés 
par  les  consuls,  ils  leur  restèrent  étroitement  soumis  et  ne  jouèrent 
guère  que  le  rôle,  utile  cependant,  de  conseillers  et  de  rapporteurs 
des  affaires.  Les  consuls  étaient  malheureusement  peu  disposés  ;\ 
suppléer  .\  leur  inexpérience  par  leur  dévouement  aux  intérêts 
publics.  Marseille,  plus  qu'aucune  autre  ville,  était  alors  déchirée 
p.ir  des  factions  qui  se  disputaient  les  fonctions  municipales  et  les 
exploitaient  ensuite  dans  leur  intérêt  particulier.  C'étaient  les  haines 
de  ces  factions  qui,  bien  plus  que  les  passions  reli)^ieuscs,  avaient 
troublé  si  profondément  la  ville  à  l'époque  de  la  Ligue  et  devaient 
h  troubler  encore  i  l'époque  de  la  Fronde.  C'était  aux  hasards  de 
CCS  fluctuations  des  partis,  de  leurs  vengeances  et  de  leurs  convoi- 
tises, qu'était  laissé  le  commerce  du  Levant. 

Dans  le  Levant,  les  ambassadeurs  charyés  de  protéger  nos  m^r- 
chands  auprès  de  la  Forte  avaient  acquis  une  redoutable  autorité 
qui  n'était  limitée  ni  détinie  par  aucun  acte  royal.  Les  marchands 
avaient  besoin  de  les  ménager  car  ils  pouvaient  d'un  jour  A  l'autre 
avoir  besoin  de  leur  protection  pour  obtenir  la  réparation  d'une 
injustice  ;  s'ils  les  mécontentaient  ils  pouvaient  en  outre  craindre 
leur  vengeance  car  les  ambassadeurs  savaient  se  fiiire  parmi  les 
grands  otiîciers  de  la  Porte  des  amis  prêts  i  les  servir.  Aus.si,  la 
plupart  des  amba.ssadeurs  abusèrent  de  leur  pouvoir,  surtout  pour 
subvenir  .1  leurs  dépenses.  Il  est  juste  de  dire  A  leur  décharge  que, 
dans  une  ambassade  où  les  dépenses  étaient  très  grandes  et  très  néces- 
saires pour  acheter  les  faveurs  du  Divan,  la  pénurie  causée  parles 
guciTCS  de  religion  força  les  rois  de  laisser  souvent  les  ambassadeurs 
manquer  d'argent'.  C'est  pourquoi  Henri  IV  institua  en  faveur  de  de 
Brèves  un  droit  de  2  n/o  i  percevoir  sur  les  marchandises  tirées  du 
Levant  par  les  Français  et  ceux  qui  se  servaient  de  leur  bannière. 
Dans  la  pensée  du  roi  c'était  une  mesure  tout  ;\  fait  transitoire  et, 


négoce  fut  .ipprouvLL- par  Lettres  Patentes  donncts  11  Paris  le  ij  avril   i6no  ainsi 

que  la  Icvtîe  ilcs  1.200  tîcus,  pour  trois  ans,  auendant  que  par  S.  M,  y  ait  été  plus 

meut  pourvu.  \AsstmbUt  knut  pour  la  nmnimtion  dts  iipuUi  U  s  août  tùoo. 

I      .  Comm.) 

(i)Lii  traitement  Je  l'ambassatlcur  était, en  iiiSi.de  8400  écus  (Saint-Phif-ST, 

p.    Jijgl,    mais  ils  étaient   très  irrégiilictcnicnt  payés.  —  F.n  outre  le  Grand  Sei- 

RT\cur  contribuait  lui-ni^me  i  son  entrelien.  \'.  Ixllie  ù  lir  Ihh'ts,  1 }  noi'il  i  j'/S  : 

■  Qyant  à  ce  qui  est  alloué  par  la  Porte  pour  l'entretien  des  ambassadeurs  Iran- 

(ais  n,  non  sculcineni  de  Hréves  est  aulori&é  .\  le  réclamer  mais  il  .lurait  dû  le 

taire  plus  tiV,  et,  s'il  ne  l'obtenait,  il  devrait  quitter  Constantinople  avec  son 

sccriitairc.  UUrts  miaives,  t.  V,  apixnJ. 


XXX 


INTRODUCTIOX 


(Jl'S  la  fin  do  1598,  il  interdit  ;\  de  Brèves  de  continuer  X  percevoir 
le  2  0/0.  L'amb.issadeur  en  obtint  cependant  le  maintien  et  le  roi  se 
borna  à  lui  recommander  de  faire  oublier  aux  marchands  par  ses 
services  «  l'amertume  de  cette  imposition  '.  »  Les  Marseillais 
envoyèrent  sur  ces  entrefaites  .1  l'ambassadeur  un  députe  pour  lui 
dire  que,  reconnaissants  de  ses  services,  ils  consentaient  i  lui  voir 
lever  la  tixe  tant  que  le  roi  se  servirait  de  lui,  mais  qu'ils  lui  dcmun- 
daieut  de  se  lier  avec  eux  pour  le  faire  abolir  quand  il  p:irtirait  et 
de  Brèves  le  leur  promit. 

C'est  en  vain  que  les  Marseillais  continuèrent,  pendant  l'ambas- 
sade de  M.  de  Salignac,  leurs  plaintes  au  roi  contre  la  levée  du 
2  0/0,  elle  fut  continuée  jusqu'à  la  fin  du  règne  et  devint  un  impôt 
définitivement  établi.  Peut-être  dans  leurs  protestations  ne  surent- 
ils  pas  reconnaître  les  services  rendus  et  méritcrcni-ils  le  reproche 
d'avarice  que  de  Brèves  leur  adress;iit.  Cependant,  c'était  une  inno- 
vation pleine  de  périls  que  d'introduire  l'usage  de  faire  lever  par 
ramKiss.idcur  des  t.ixcs  sur  le  commerce,  et  de  les  lui  laisser  perce- 
voir sans  contrôle.  De  Brèves  lui-même,  sous  prétexte  de  services 
rendus  A  rêchelle  d'Alcp  et  de  dépenses  qu'il  avait  supportées  pour 
elle,  perçut  pendant  plus  de  dix  ans  une  taxe  sur  cette  échelle.  Les 
Marseillais  s'en  plaignirent  vivement  et  obtinrent  du  roi  une  lettre 
sévère,  qu'ils  lui  firent  porter  par  un  député,  lui  enjoignant  d'en 
cesser  la  perception.  De  Brèves  en  fut  très  affecté  et  il  croyait  se  justi- 
fier en  disant  que  c'était  du  consentement  de  tous  les  marchands 
d'Alep  qu'il  levait  cette  imposition.  Mais  les  Marseillais  avaient 
raison,  il  y  avait  l.i  un  abus  fort  grave,  plus  tard  on  ne  vit  que  trop 
souvent  les  ambassadeurs  accabler  le  commerce  de  taxes,  sous  pré- 
texte qu'ilsavaient  fait  de  grandes  dépenses  pour  l'améliorer:  quant 
au  consentement  des  marchands  il  leur  était  trop  lacile  de  l'obtenir  *. 

D.îiis  les  échelles,  le  nombre  des  résidents  devenu  considérable  à 
l'époque  d'Henri  IV  rendit  nécessaire  la  création  d'une  organisation 
nouvelle.  L'ensemble  des  résidents  trançais  iorma  dans  chaque 
échelle  une  petite  communauté  qui,  sous  le  nom  de  corps  de  la 
nation,  se  réunissait  en  assemblées  pour  décider  de  ses  affaires  sous 
la  présidence  du  consul  X  la  fois  chef,  juge  et  protecteur  des  mem- 


f  i)  V.  lettres  à  lU  Brhvs,  ]i  ih'cemhn-  iSçS,  24  iimrs  IS99,  2}  septembre  /rtno. 

(2)  Voir  pour  cette  affaire  du  2  0/0  la  lettre  de  de  Brèves  aux  consuls  de  .Mar- 
seille du  26  août  1605,  et  celle  du  14  lés-rier  1604  dans  laquelle  il  proteste  avec 
dignité  contre  les  récriminations  des  Marseill.iis  et  rappelle  ses  services.  A.A,  i.fn. 
—  Lcllif  du  roi  Aile  Rikes,  26  mars  1602.  Lettres  miss.  l.  V.  —  Lettre  de  M.  de 
Veiitiy,  di^iutJ  des  Marseillais  à  hi  Cour.  Il  écrit  ironiquement  le  J4  septembre  16(17  - 
«  Mais  la  connaissance  du  bon  vouloir  de  M.  de  Brèves  ne  nous  est  pas  seule- 
ment notoire  en  cela  mais  en  une  infinité  d'autres  bonnes  actions  qu'il  a  fait  pour  le 
bien  de  la  ville,  étant  témoin  le  2  0.0  dont  il  protège  la  continuation  tant  qu'il 
peut  depuis  sa  venue  de  deçà.  Cela  vous  doit  laire  conn.iître  que  les  lettres  qu'il 
vous  écrit  sont  pilules  qui  ont  l'or  au-deli<irs  et  le  licl  au-dcdans.  »  .W,  ;i<;. 


INTRODUCTIOK 


XXX] 


bres  de  la  nation  '.  Il  eût  fallu  beaucoup  de  soin  ce  de  prudence  pour 
organiser  ces  communautés  lointaines,  cependant  il  semble  que  tout 
fut  laissé  au  hasard,  l'usage  seul  tint  lieu  de  règle  et  ni  le  gouver- 
nement royal,  ni  l'ambassadeur  de  Constaïuinople,  ni  la  commu- 
nauté de  Marseille  ne  paraissent  être  inter\enus.  La  nation  fran- 
çaise dut  s'établir  en  corps  à  peu  près  vers  le  même  temps  dans  les 
grandes  échelles,  elle  adopta  partout  les  mêmes  formes  extérieures 
de  gouvernement,  ce  n'est  que  dans  le  détail  que  l'usage  établit  des 
différences.  Il  y  avait  de  graves  dangers  dans  cette  absence  de  légis- 
lation imposée  aux  échelles  :  rien  n'y  déterminait  les  droits  des 
consuls  et  des  assemblées,  l'autorité  des  ambassadeurs  ou  celle  de  la 
communauté  de  Marseille  qui,  métropole  de  ces  colonies,  avait  sur 
elles  un  droit  de  surveillance  que  les  consuls  reconnaissaient  en  prin- 
cipe, mais  qu'ils  respectaient  peu  dans  la  pratique. 

Mais  les  abus  aui  devaient  naître  de  ce  déiaut  d'organisation  ne 
prirent  leur  développement  qu'après  Henri  IV,  et,  sous  son  régne, 
on  est  surtout  frappé  par  l'heureux  effet  qu'eurent  sur  le  commerce 
du  Levant  le  relèvement  de  notre  prestige  à  Constantinople  et  les 
efforts  pour  rétablir  la  sécurité  des  mers.  La  prospérité  ramenée  dans 
le  royaume,  l'industrie  renaissante,  les  routes  reconstruites,  le  poids 
des  impôts  rendu  moins  lourd,  les  traités  ouvrant  des  déboucnés  i 
notre  commerce,  tous  ces  heureux  effets  de  la  collaboration  du  roi 
et  de  son  ministre  Sully  durent  exercer  aussi  leur  action  fivorable 
sur  les  progrès  du  commerce  du  Levant*. 

Il  est  bien  difficile  de  donner  pour  cette  époque  des  chiffres  qui 
puissent  présenter  quelque  sûreté.  D'après  Savary  de  Brèves,  le  com- 
merce avec  le  Levant  atteignit  30.000.000  de  livres  et  occupa  mille 
navires.  *  En  la  côte  de  Provence,  dit-il,  il  y  a  un  nombre  inlini  de 
vaisseaux,  ceux  qui  en  sont  propriétaires  les  louent  A  tant  le  mois  ou 
à  tant  pour  voyage,  ainsi  ils  sont  guidés  çaetlù.  Les  Espagnols,  Gene- 
vois, Napolitains  et  Siciliens  s'en  servent  ordinairement  pour  le  port 
de  leurs  blés,  vins  et  victuailles^  »  De  longtemps,  de  pareils  chif- 
fres ne  devaient  plus  être  atteints  dans  le  cours  du  xvii*  siècle.   Des 


(s)  C'est  sous  ik-nri  IV  principalemc-iU  quL-  s'organisa  le  corps  de  ta  nation 
Jans  les  (ichcUts,  auparavant  les  Français  venaient  plutôt  y  trafiquer  qu'y  risidcr. 
V,  Ar(h.  Mur.  Métn.  île  La^ny,  B',  4i-j-/,  p.  jjS-SS. 

(j)  On  pourrait  reprocher  à  Henri  IV  d'avoir  rtieompensé  Pierre  de  Libcrtat,  .n 
qui  il  devait  la  soumission  de  Marseille,  en  lui  accordant,  par  lettres  patentes  du 
10  juillet  1596,  le  produit  d'un  droit  de  2  0/0  sur  tout  le  commerce  du  Levant 
au  préjudice  des  franchises  de  la  ville.  Les  Marseillais  se  plaignirent  en  li-txi  que 
ce  droit  détournait  le  commerce  .i  Toulon,  La  Ciotat  et  autres  lieux  de  la  cùlc 
«  où  les  entnScs  et  yssaux  étaient  libres  »  et  ils  obtinrent  lieureusemont  la  sup- 
pression du  droit,  {.hitmblceiiu  jojain  1600.  Arch.  Coiitm.)  —  Mais  Henri  IV  avait 
dû  racheter  son  royaume  et  c'était  là  une  concession  provisoire  qu'excuse  la 
situation  difficile  où  il  se  trouvait. 

(})  Dk  Brèvis.  Soks  sur  quehiius  articles  des  Capitulations  {A  la  suite  de  sa  Relation 
de  voyage).  —  Deu\  autres  inuicaiions  concordent  avec  le  chiffre  de  de  Brèves: 


XXXI] 


INTRODUCTION 


innsfonnations  profondes  s'étaient  accomplies,  à  la  fin  du  xvi',  dans 
la  nature  du  commerce  des  Français  dans  le  Levant.  C'est  pendant 
les  troubles  de  la  Liyue  que  les  Hollandais  avaient  rcHissi  délinitivc- 
mcnt  à  détourner  vers  Amsterdam  le  commerce  des  épiceries.  «  Les 
marchands,  dit  un  mémoire  des  Marseillais  adressé  au  roi  en  1625, 
reprirent  leur  premier  irain  (sous  Henri  IV),  auquel  néanmoins  ils 
reconnurent  un  pirand  clianj^ement;  car  de  ce  que  le  fonds  principal 
du  négoce  consistait  en  épicerie,  ils  trouvèrent  qu'il  était  entière- 
ment diverti  et  transféré  du  côté  du  Ponant  par  l'ouverture  que  k-s 
l'iamands  avaient  faite  d'aller  a uérir  les  épiceries  aux  Moluqucs.., 
Les  marchands  de  Marseille  s'adonnèrent  alors  à  porter  des  soies,  ce 
qui  leur  réussit  si  avantageusement,  soit  par  le  ton  génie  de  cette 
ville,  soit  par  la  diligence  de  leurs  vaisseaux  et  promptitude  de  leur 
expédition,  qu'en  peu  d'années  ils  attirèrent  à  Marseille  presque  tout 
le  négoce  des  soies  de  toute  l'Europe,  ayant  tellement  affaibli  et  dimi- 
nué celui  de  Venise  qu'au  lieu  de  vingt  grands  navires  qu'ils  man- 
daient tous  les  ans  en  Syrie,  ils  n'en  envoyaient  pas  six,  et  au  con- 
traire, comme  l'on  ne  voyait  venir  à  Marseille  par  le  passé  en  tout  un 
an  plus  haut  de  100  ou  200  balles  de  soie,  on  en  tira  depuis,  arrivées 
sur  un  seul  vaisseau,  r 000  ou  1200  balles,  et  furent  les  navires  de 
Marseille  estimés  les  plus  riches  qui  allassent  sur  la  mer,  ce  qui 
haussa  grandement  la  réputation  du  négoce  des  Français  par  tout  le 
Levant  et  dès  lors  mC'me  les  Vénitiens,  qui  précédaient  les  autres 
nations,  furent  tontraints  de  céder  à  la  nôtre'.  »  S;ivary  de  Brèves 
avait  aussi  [ait  ajouter  dans  les  Capitulations  de  1597  et  de  160J  les 
cuirs,  cordouans,  cires,  cotons,  cotons  rilés,  aux  marchandises  dont 
l'exportation  était  autorisée,  et  le  transport  des  cotons  devait  deve- 
nir au  xvip  siècle  avec  celui  des  soies  le  principal  objet  du  commerce 
des  Français. 

Mais  les  draps,  qui  constituaient  auparavant  le  grand  article 
d'importation  dans  le  Levant,  avaient  presque  cessé  d'y  être  envoyés 
par  suite  de  la  ruine  des  manul.icturcs  pendant  les  guerres  de  reli- 
gion. De  plus,  les  marchands  devaient  payer  aux  Turcs  5  0/0  de 
la  valeur  des  marchandises  qu'ils  apportaient  et  qu'ils  vendaient. 
«  Pour  s'exempter,  tant  de  ce  droit,  nous  apmend  de  Brèves*,  que 
pour  l'avantage  qu'ils  trouvent  sur  !e  prix  de  leurs  monnaies  qui  est 
grand,  que  pour  n'être  sujets  :\  une  longue  deniture  pour  vendre 
leurs  marchandises,  ils  n'apportent  plus  de  draps  et  font  entièrement 
leur  négoce  avec  de  l'argent  comptant.  »  C'était  une  cause  de  faiblesse 


Dans  un  .^d^^ii  au  roy,  de  16 14,  I.i  valeur  des  exportations  de  Marseille  pour  U 
Turquie  est  fixée  à  i.ctoo.oou  J'écus  (Archiva  cuiintseï  Je  l'hisl.  de  Fr.,  a^  séiù^ 
t.  /,  y>.  4i(>).  —  Coloert,  en  i6f>j,  disait  que  la  ville  de  Marseille  ne  faisait  pas  la 
dixième  partie  de  son  commerce  avec  le  Levant.  {luflies  tl  liiilr.,  t.  Il,  hilialtic- 
ticn,  p.  CXXh').  Or,  vers  i66u,  le  commerce  était  d'environ  trois  millions. 

(i)  Mhimra  au  ivi,  14  juiJIfl  163 j.  ////,  /. 

(3)  Wotet  iur  quelques  arlielcs  des  Capiliilallions,  art.  fl. 


INTRODUCTION 


XXXU) 


pour  notre  commerce,  car  il  Cillait  acheter  en  Espigne  les  piastres 
sevillancs  ou  mexicaints,  seule  monnaie  acceptée  par  les  Turcs,  et 
notre  commerce  du  Levant  dépendait  ainsi  étroitement  de  «nos  rela- 
tions commerciales  avec  ce  pays.  De  plus,  on  perdait  les  bénéfices 
qu'on  aurait  pu  Caire  sur  les  marchandises  portées  dans  le  Levant,  ainsi 

3u'une  quantité  de  fret  itnportante  pour  nos  navires.  Mais  surtout, 
"après  les  théories  économiques  qui  s'étaient  établies  au  .\vi'  siècle, 
l'exportation  du  numéraire  était  une  cause  de  ruine  pour  le  pays,  et  le 
commerce  du  Levant,  qui  faisaiisortir  beaucoup  d'argent  du  ro)'aunie, 
sins  développer  b  consommation  des  produits  de  nos  industries, 
allait  passer,  aux  yeux  de  bien  des  gens  pendant  tout  le  xvii'  siècle, 
pour  un  commerce  funeste  au  bien  du  royaume.  D'après  un  Advisau 
tv\,  de  1614',  sept  millions  d'écus  étaient  exportés  chaque  année  de 
.Vfarseille  dans  les  états  du  Grand  Seigneur;  aussi,  aux  Etats  géné- 
raux, le  tiers  protesta  vivement  et  insista  pour  qu'on  obtint  de  la 
Porte  des  conditions  plus  avantaj^euses  qui  permissent  de  substituer 
les  marchandises  aux  métaux  précieux  dans  ce  négoce. 

Henri  I\'  laiss.ut  donc  le  commerce  du  Levant,  qu'il  avait  trouvé 
très  affaibli,  dans  une  situation  prospère.  Mais  il  ne  faudrait  pas  s'exa- 
gérer cette  prospérité,  elle  était  en  somme  fort  précaire.  11  avait,  par 
une  patiente  diplomatie,  rétabli  notre  influence  à  Constantinople, 
mais  il  n'avait  pas  ramené  h  confiance  dans  l'esprit  des  Turcs  et  il 
n'avait  pu  arrêter  les  progrès  des  Anglais.  Il  avait  combattu  la  piraterie, 
sans  pouvoir  la  détruire,  et  il  la  laissait  menaçante.  11  n'avait  pas  songé 
i  donner  des  règlements  au  commerce, et  les  abusqui  devaient  le  rui- 
ner avaient  déjà  pris  naissance  pendant  son  règne.  Le  roi  avait  eu  le 
mérite  de  comprendre  toute  l'importance  du  commerce  du  Levant, 
il  avait  constamment  appliqué  son  attention  .\  le  développer  et  il 
avait  réussi  i  .assurer  le  présent,  mais  sans  garantir  l'avenir  qui  appa- 
raissait gros  de  nuages. 


(i)  Archives  curieuses  dei'hisl.  de  Fr.,  2'^  s/rie,  l.  I,  p.  4)6-}';  :  «  Lorsqu'il  n'cstoit 
porte  auprès  de  l'empereur  des  Turcs  que  des  denrées  de  vostre  royaume,  nutaiii- 
mciu  des  dr.ips  d'escarlatte...  Mais  depuis  quelques  années,  l'on  ne  porte  que  de 
r^irgcnt  nionaoyé  qui  monte  p.tr  an  à  plus  de  sept  millions  d'escus,  seulement 
transporter  par  la  ville  de  Marseille,  sans  ce  qui  se  trans|>orte  d'ailleurs,  u  — 
«  L'on  vous  supplie  Sire,  de  considérer,  que  vous  ferez  de  grandes  choses  eu  rtSvo- 
quoHt  d'un  cosié  cesle  alli.mcc  et  le  négoce  du  Levant...  u  p.  4jS. 


jt 


LIVRE  I 

L'ANARCHIE    COMMERCIALE 

(1610-1661) 


CHAPITRE    PREMIHR 


LES    AVANIES 


L'histoire  du  commerce  du  Levant  pendant  la  première  partie  du 
xvii''  siècle  est  celle  d'une  longue  décadence  ;  durant  ces  cinquante 
années,  il  souffrit  tant  de  maux  qu'on  a  peine  à  concevoir  comment 
il  put  subsister.  De  tous  ces  fléaux,  ceux  qui  lui  firent  le  plus  de  mal 
et  qui  excitèrent  le  plus  les  doléances  des  marchands,  furent  les  ava- 
nies et  les  ravages  des  corsaires.  Les  avanies'  étaient  des  sommes 
d'argent  que  les  pachas  réclamaient  aux  marchands  des  échelles  sous 
les  prétextes  les  plus  divers,  prétextes  la  plupart  du  temps  injustes, 
parfois  extrêmement  bizarres.  Lorsqu'un  pacha  imposait  une  avanie, 
le  consul  assemblait  la  nation  qui  cherchait  le  moyen  d'en  éviter  le 
paiement.  Elle  savait  qu'il  était  à  peu  près  inutile  de  discuter,  même 

(t)  «  Terme  qu'on  prétend  tirer  du  nom  d'avany  qui  !>e  donne  en  Perse  aux 
courriers  Je  la  cour  et  qui  veut  dire  des  gens  qui  prennent  tout  ce  qu'ils  trouvent, 
parce  qu'effectivement  ces  courriers  prennent  sur  leur  route  des  chevaux  à  toute 
sorte  de  gens  quand  ils  en  ont  besoin.  »  Chardin,  1. 1,  p.  S.  Littré  fait  venir  ce  mot 
de  l'arabe  houdn  =^  mépris. 


2  L  ANARCmt    COMMERCIALE 

quand  les  prétentions  du  pach.i  étalent  insoutenables,  maU  elle 
essayait  de  l'intimider.  Le  consul,  accompagné  des  marchands,  allait 
lui  représenter  les  capitulations  qu'il  violait  et  le  menacer  de  porter 
plainte  à  la  Porte.  Si  le  pacha  n'était  pas  l'ami  du  grand  vizir,  ou 
n*étail  pas  siir  de  l'appui  du  Divan,  il  cédait  devant  des  protestations 
énergiques,  ou  il  engageait  des  négociations  qui  se  terminaient  par 
quelque  adoucissement  de  ses  exigences.  Mais  s'il  avait  des  protec- 
teurs à  la  Porte,  la  moindre  résistance  lui  servait  au  contraire  de 
motif  pour  exiger  une  avanie  beaucoup  plus  considérable.  Quand 
une  Echelle  se  trouvait  trop  accablée  par  les  tyrannies  d'un  pacha, 
la  nation  se  décidait  à  envoyer  une  députation  porter  plainte  à.  Cons- 
tantinople,  ou  bien  elle  en  infonnait  l'ambassadeur.  Mais  celui-ci  ne 
faisait  pas  toujours  diligence,  le  Divan  tardait  à  s'assembler,  souvent 
même  le  Grand  Seigneur  n'était  pas  i  Constantinople  et  le  Divan 
se  tenait  à  sa  suite;  une  fois  l'affaire  introduite  devant  lui,  elle 
traînait  en  longueur,  encore  Cillait-il  distribuer  à  propos  des  présents 
sans  lesquels  il  était  impossible  d'avoir  justice,  si  bien  qu'après  avoir 
attendu  longtemps,  on  obtenait  parfois  à  grand  frais  un  commande- 
ment du  Grand  Seigneur,  ordonnant  au  pacha  de  restituer  ce  qu'il 
avait  exigé,  commandement  qu'il  était  aussi  difficile  de  faire  exécuter 
que  de  fiire  expédier.  D'ailleurs  le  discrédit  croissant  de  nos  ambas- 
sadeurs rendit  tout  à  fait  inutiles  les  plaintes  à  la  Porte  ;  les  pachas 
étaient  sûrs  de  l'impunité. 

En  effet,  après  la  mort  d'Henri  r\',  les  relations  entre  la  France  et 
les  Turcs  ne  tardèrent  pvis  à  se  gâter.  Au  xvii'  siècle  le  trône  otto- 
man ne  fiit  guère  occupé  que  par  des  princes  ignorants  et  barbares, 
pleins  d'une  haine  aveugle  contre  les  chrétiens.  •  L'ancien  sultan 
Othmau,  gnmd  ennemi  des  chrétiens,  dit  le  voyageur  Pielro  della 
Valle,  n'avait  d'autre  pensée  que  de  se  rendre  quelque  jouri  Rome 
avec  300.000  ou  400.000  hommes'.  »  A  mesure  que  la  décadence 
des  Turcs  devenait  plus  profonde  et  que  les  armées  chrétiennes  leur 
infligeaient  des  échecs  répétés,  leur  fanatisme  augmentait  d'auunt. 
En  même  temps,  en  France,  U  renaissance  religieuse  du  début  du  xvu* 
siècle  donna  plu^  de  force  1  ces  idées  de  guerre  sainte  qui  avaient  déjà 


(l|  Cette  cOQsatatkH]  se  mnive  dus  les  écrits  lia  tetofs  et  ce  niral  àa  £m«.] 
ttsme  musulnun  se  produisit  chei  les  plus  intcUigcnu  des  ORaauns,  pou^ae  le*] 
plos  rcnurquaMes  de  leurs  bomiDcs  Sèut  ta  x\iF  sicclc.  ks  Koeprilà  faimlj 
animas  J'unu  haine  violente  contre  les  cfanhieti^ 


hanté  certains  esprits  au  xvi'  siècle.  Cest  alors  que  Sully,  dans  ses 
Œconomies  royales,  traçait  le  plan  de  son  fameux  Grand  Dessein, 
tandis  que  le  confident  de  Richelieu,  le  Père  Joseph,  embrassait 
avec  ardeur  les  projets  de  croisade  de  Charles  de  Gonzague  duc  de 
Nevcrs  et  multipliait  les  négociations  à  la  cour  de  France,  h  Rome 
et  à  Madrid  pour  amener  la  formation  d'une  ligue  chrétienne'. 

Tandis  que  les  sentiments  de  haine  se  réveillaient  chez  les  Français 
et  chez  les  Turcs,  le  besoin  de  leur  alliance  devenait  moins  grand 
pour  les  uns  comme  pour  les  autres.  Les  Turcs  avaient  fait  des  traités 
avec  les  Anglais  d'abord,  avec  les  Hollandais  ensuite  (1612),  dont 
i'iniluence  était  loin  d'être  favorable  à  la  notre.  La  France  avait 
trouvé  contre  la  maison  d'Autriche  des  auxiliaires  plus  s6rs  et  moins 
dangereux  dans  les  protestants  d'Allemagne.^  Fnfin  Tinhabileté  de 
jios  ministres  auprès .deiaJPorte  et  surtout  Jcur  ignorance  de  la  reli- 
gion, des  lois,  des  usages  des  Ottomans  leur  fit  commettre  des  fautes 
qui  envenimèrent  encore  les  rapports  des  deux  pays. 

Achille  de  Harlay  Sancy,  baron  de  la  Môle,  qui  succéda  ;\  S.Tlignac 
en  161 1,  était  un  jeune  homme  de  25  ans,  peu  préparé  ;\  un  poste 
aussi  difficile.  Pictro  délia  Valle  loue  grandement  ses  mérites,  mais 
il  était  son  ami  et  les  voyageurs  d'.ilors  ne  sont  généralement  pas 
avares  d'éloges  pour  les  ambassadeurs  et  les  consuls  qui  les  héber- 
geaient et  leur  rendaient  de  grands  services.  Pendant  son  ambassade, 
r.iUiance  espagnole  fit  nécessairement  négliger  celle  des  Turcs,  Sancy 
lui-même  «  désirait  passionnément  que  son  roi  rompit  avec  eux'.  » 
Son  crédit  fut  peu  assuré  car  il  subit  de  la  part  du  grand  vizir  une 
violence  jusques  là  sans  exemple,  il  se  vit  insulté  lui  et  ses  gens, 
arrêté,  men.icé  de  la  question  et  obligé  de  paver  une  avanie  de  20.000 
piastres.  Il  est  vrai  qu'il  se  vanta  dans  sa  correspondance  d'avoir  évité 
une  avanie  de  200.000  écus  à  la  nation  tandis  qu'en  1616,  pour  un 
aussi  faible  préte.xie,  les  Anglais  avaient  du  payer  75.000  écus*.  Le 


{U  V.  FAGNrKZ,  I.t  Pire  Joseph  el  Riihelii-n.t,  1,  chap.  ni.  Le  projet  dt  croisade 
l6to-i6iSfp-  120-iSù.  —  Drapeyrok,  Rei'ire  des  Deux  Mondes,  i"  novembre  iSj6. 

(J)  PlETRO  DEIXA  VaLLE,  t.  III,   p.   $82. 

(î)  Lillre  aux  iOtiitih  Je  Marseille.  JA,  1.(3,  12  mai  i6iS,  —  Il  parait  que 
depuis  cette  querelle  Sancy,  quoique  dcmeur.im  h  Constantinople,  ne  remplit  jnus 
les  fonetions  d'ambassadeur.  V^oici  ce  qu'on  lit  en  ctiei  dans  un  mémoire  de  la 
iCh.nmbre  Ju  Conunercu  de  M.trseille  du  26  .loiit  1679  :  «  En  1616  le  sieur  de 
Nans,  homme  de  probité,  intelligent  et  commode  fut  établi  agent  et  pendant  les 
troii  années  qu'il  v.ii»ua,  jamais  Tautorité  du  roi  ne  fut  mieux  soutenue,  ni  portée 
plus  haut  et  jamais  le  commerce  ne  lut  plus  libre...  Quand  après  les  trois  années 
de  son  exercice  M.  de  Cé!>y  fut  établi...  »,  BB,  26. 


mÊM 


^ 


4  L  ANARCHIE    COMMERCIALE 

roi  obtint  pourtant  réparation  de  l'injure  et  un  tcliaouch  fut  envoyé 
en  France  porter  les  excuses  du  sultan,  mais  Sancy  fut  rappelé. 

Philippe  de  H.irlay,  comte  de  Césy,  qui  le  remplaça  (1619),  se 
trouva  dans  des  conditions  beaucoup  plus  favorables  ;  Richelieu  en 
effet,  dans  sa  lutte  contre  la  maison  d'Autriche,  n'eut  garde  de  négli- 
ger l'alliance  turque.  L'heureuse  issue  de  la  délicate  mission,  dont 
fut  chargé  Deshayes  de  Courmemin  en  1621,  montre  que  les  Turcs 
étaient  encore  animés  d'intentions  favorables  à  la  France.  Le  roi 
avait  appris  que  les  chrétiens  arméniens  avaient  supplanté  les  reli- 
jlieux  cordelicrs  ;\  Bethléem  et  dans  plusieurs  autres  lieux  saints  de 
Jérusalem,  Deshayes  reçut  l'ordre  de  les  rétablir  et  pour  empêcher 
de  nouvelles  usurpations,  en  même  temps  que  pour  protéger  les 
pèlerins,  il  eut  mission  de  laisser  un  consul  à  Jérus;ilem.  On  le  reçut 
en  grande  pompe  et  malgré  30.000  écus  que  dépensèrent  les  Armé- 
niens pour  le  faire  échouer,  il  obtint  des  ministre  du  Grand  Seigneur 
tous  les  commandements  nécessaires  pour  lui  f^icilitersa  tâche.  Arrivé 
à  Jérusak-m,  il  déjoua  encore  les  intrigues  des. \nnéniens,  les  expulsa 
des  Saints  Lieux,  put  faire  réparer  l'église  du  Saint-Sépulcre  et  les 
autres  qui  en  avaient  besoin,  et  établit  un  consul  le  sieur  Lempereur'. 
Césy,  qui  semble  avoir  été  un  diplomate  assez  habile,  maintint 
d'abord  la  sécurité  du  commerce.  «  Depuis  trois  ans  que  je  suis  ambas- 
sadeur, écrivait-il  aux  consuls  de  Marseille,  les  négocians  d'Alep  n'ont 
pas  eu  une  avanie  de  10  piastres.  »  Il  se  vantait  d'avoir  soulagé  le 
commerce  de  plusieurs  droits  et  il  travaillait  au  renouvellement  des 
capitulations*.  Il  réussit  il  obtenir  une  foule  de  commandements 
contre  les  barbaresques  et  eut  une  grande  part  au  rétablissement  de 
la  paix  avec  Alger',  Il  sortit  a\cc  honneur  d'une  méchante  affaire 
que  lui  avaient  suscitée  nos  rivaux,  en  obtenant  le  maintien  .1  Cons- 
tantinoplc  des  jésuites,  qu'ils  avaient  fait  emprisonner'.  Malheureu- 


(1)  Desh.^yes,  p.  I,  i}2-'y},4i^i^.  — y.  Atcbdejaf.ètr.Corresp.  fol. Constan- 
tin. Ki-g.  jifol.  8},  à'7. 

(2)  L/tlrd ttu.\  coitsiili  Je  Marseille,  t )  timvwbr^  i6j3,  j'^ février  1 6)0,  A. -l,  i^}, — 
k  M-^'  l'atiib.iss.uleur,  écrit  Sjnsun  N.ipollon  de  Constaïuiiioplc,  s'emploie  volon- 
tiers et  avec  beaucoup  d'.iffection  en  toutes  ces  affliircs  et  il  j  plus  de  crédit  L]u'.tucun 
autre  amb.issadcur.  «  Ltltre  (ju.v  toinuli  de  Marsâlle,  jtj  mars  tOij.  AA,  J6j. 

(;)  Voir  Lfllies  a«.v  eonsuh  lU  Muncilh-,  1624-2/.  AA,  14}. 

(1)  «  I.'jflaire  se  terminer.!  à  mon  contentement,  ils  y  perdront  leur  l.nin  bien 
qu'en  cette  occasion  ils  fussent  qnntre  contre  moi,  Venise,  Angleterre  et  MolLindc 
auxquels  s'est  joint  le  patriarche  de  Constaniinoplc...  ils  ont  despandu  plus  de 
50.cx>o  piastres  en  argent  ou  en  robes...  vous  ne  sauriez  croire  combien  cenc  action 
éclatera  dans  tout  le  Levant  à  notre  avantage  et  combien  les  sujets  du  roi  en  seront 
pluii  respccics.  ■  Lettre  aux  constih  de  Marseille,  0  iiian  162S.  AA,  x.f}. 


LES    AVANIES  5 

scracnt,  pnr  suite  de  ses  prodigalit(!'S,  il  fut  bientôt  criblé  de  dettes 
et  rtiduit  aux  pires  cxpédicns  pour  subsister. 

Devant  les  plaintes  des  Marseillais,  on  le  reniplaiça  par  Henri  de 
Gonmay,  comte  de  Marchcville  (1629),  mais  la  Porte  déclara 
qu'elle  ne  laisserait  partir  Césy  que  si  ses  dettes  étaient  payées  et  il 
dut  rester  \  Constantinople,  où  il  gêna  son  successeur  par  ses  intri- 
gues. Marchevillc  ne  sut  s'attirer  que  des  déboires  par  une  série  de 
maladresses.  Il  se  conduisit  avec  un  tel  dédain  des  usages  orientaux 
qu'il  passa  pour  fou  et  se  trouva  exposé  à  de  continuelles  injures. 
Il  s'était  fait  un  ennemi  du  capitan  paclia',  qui  était  en  grande  faveur 
et  ne  perdait  aucune  occasion  de  lui  nuire.  A  l'occasion  de  la 
réédification  du  palais  de  l'ambassadeur  à  Pera,  la  chapelle  publique 
fut  démolie,  sous  prétexte  qu'elle  avait  vue  sur  le  sérail,  et  les 
églises  fermées  ;  on  enleva  les  arraes  qui  se  trouvaient  dans  les 
maisons  des  étrangers,  môme  celles  des  ambassadeurs,  et  on  imposa 
sur  les  Francs  une  avanie  générale  de  40,000  écus  d'Espagne. 
Marcheville  réclama  si  maladroitement  contre  la  détention  de  cinq 
capucins,  que  le  capitan  pacha  avait  ramenés  de  Seide,  que  son 
drcgman  fut  pendu.  Peu  après,  son  ennemi  lui  fit  signifier  un  ordre 
du  Grand  Seigneur  de  sortir  de  Constantinople  et,  sans  même  le  lui 
communiquer,  on  le  fit  monter  sur  le  champ  dans  une  galère  qui  le 
ramena  en  France  (16^4).  Un  de  ses  derniers  et  de  ses  plus  graves 
échecs  avait  été  son  impuissance  à  empêcher  les  Grecs  d'usurper  sur 
les  Latins  la  garde  du  Saint-Sépulcre.  L'afflxire  fut  plaidée  devant  le 
Divan  en  i654avec  beaucoup  de  solennité,  en  présence  de  tous 
les  .imbassadeurs  chrétiens;  A  force  d'argent  les  Grecs  l'emportèrent 
et  tous  les  efforts  que  fit  le  gouvernement  français,  pour  faire  casser 
ce  jugement,  échouèrent  pendant  40  ans*.  L'influence  française 
avait  bien  baissé  à  la  Porte  depuis  le  voyage  triomphal  de  Dcsh.iyes 
;i  Jérusalem  en  1621. 

Le  comte  de  Césy,  qui  se  débattait  péniblement  à  Constantinople 

|j)  LwALtf.F.,  p.  39S. —  Il  appelle  M.ircheville  un  «  gentilhomme  présomp- 
tueux, ignorant  et  spaJassin  ».  —  C'était  cependant  un  esprit  curieux  des 
jntiquitvs  de  l'Orient  comme  le  montrent  ses  relations  suivies  avec  le  ùmcux 
irudit  Peiresc.  V.  Cou.  des  Doc.  IsÉO.  Ltttrts  de  Pcirtsc  aux  Jrires  Dufiiy, 
il)  tintrs   t6i4,    J"  ttoùl   16  ;4. 

(21  Des  1626.  les  Grecs  avaient  racheté  la  possession  des  Saints  Lieux  en 
dëpen^ant  St>,ooo  piastres,  jlich.  da  /ilj.  c'Ir.  Corrrsp.  polit.  Coiislant.  Kt^.  j, 
fin,  /90  :  «  Les  Saints  Lieux  de  Palestine  possédés  depuis  plus  de  330   années 

Par  ks  Religieux  de  Saint-François  sous    la  protection  du   très  chrétien  roi  de 
rance  ont  été  achetés...  au  grand  scandale  de  toute  la  chrétienté  n. 


6  L  ANARCHIE   COMXtERCIALE 

au  milieu  de  ses  créanciers,  fut  presque  contraint  de  reprendre  ses 
fonctions  et  Richelieu  dut  se  contenter  des  explications  du  Divan. 
Un  pareil  ambassadeur  ne  pouvait  guère  avoir  d'autorité.  En  16^8, 
tandis  qu'il  célébrait  des  réjouissances  pour  la  naissance  de  Louis  XIV, 
on  put  le  voir  courir  nu  tête  hors  de  son  palais  pour  se  faire  rendre  à 
;\  grand  peine  son  fils  qu'on  conduisait  en  prison,  sous  prétexte  qu'il 
avait  répondu  avec  hauteur  à  un  officier  Turc  qui  l'interrogeait*. 

M.  de  la  H.ive,  son  successeur,  arrivé  en  1639,  avait  ordre 
d'acquitter  définitivement  ses  dettes  et  de  le  décider,  par  la  force 
même,  .i  revenir  en  France.  De  la  Haye  est  le  premier  homme  de 
robe  qui  ait  été  envoyé  à  Constantinople.  Les  premières  années  de 
son  ambassade  lurent  tranquilles.  Mais  il  eut  la  maladresse  de  se 
faire  un  ennemi  du  grand  vizir  Mohammed  Kœprilu  en  tardant  de 
l'aller  voir  h  son  avènement  et  de  lui  faire  son  présent*.  Kocprilù 
très  susceptible  en  garda  profondément  rancune  pendant  tout  son 
ministère  (1655-61).  La  fameuse  guerre  de  Gindie,  qui  avait 
éclaté  en  1644  entre  Venise  et  la  Porte,  lui  donna  l'occision 
de  se  venger  et  amena  une  brouille  de  plus  en  plus  profonde 
entre  la  France  et  la  Turquie.  Les  Vénitiens,  consternés  de 
leurs  revers,  s'adressèrent  à  Anne  d'Autriche  pour  obtenir  la 
paix  par  son  intermédiaire.  Mazarin,  dont  cette  guerre  gênait  !.t 
politique,  expédia  à  Constantinople  le  sieur  de  Varennes  pour 
conduire  avec  de  la  Haye  la  négociation,  mais  ils  échouèrent  et  on 
leur  insinua  même  que  leur  insistance  en  faveur  des  Vénitiens 
déplaisait  au  Sultan.  D'ailleurs  Mazarin  ne  se  borna  pas  A  ce  rôle  de 
médiateur  et  accorda  des  secours  à  Venise,  qu'il  tenait  à  atwcher  i 
notre  alliance.  Le  grand  vizir  l'apprit  et  de  la  Haye  se  trouva  dans  une 
très  fausse  situation.  Tandis  qu'il  lui  réclamait  le  rclaxement  d'un 
vaisseau  pris  par  les  corsaires,  ce  ministre  «  reçut  la  nouvelle  d'une 
bataille  contre  les  Vénitiens  et   connut  que  l'armée  des  Wniticns 


(t)  De  S.mnt-Priest,  p.  21J-215,  210. 

(2)  «  La  minorité  de  Mahomet  IV  fut  une  lîpoquc  de  troubles...  Presque 
tous  les  mois,  on  voyait  un  nouveau  gr.ind-vizir.  De  la  Haye  père,  croyant  que 
cela  durerait,  pour  éviter  les  présents  d'us.ngc,  résolut  de  regarder  tranquillement 
ces  changements  de  premier  ministre,  sans  laire  de  visite  ni  de  présent  à  aucun. 
Cuperli  Mahomet  étant  devenu  Viïir,  de  la  H.iyc  fut  le  seul  à  ne  pas  faire  visite, 
bien    qu'il   en  fût    pressé.  Cependant,  voyant  enfin  que  Cuperli  durerait  quelque 

temps,  il  l'alla  voir  et  lui  lit  son  présent,  mais  inutilement Donc  les  diverbcs 

avanies  faites  aux  Français  pendant  20  ans  se  rapportent  à  un  chagrin  personnel 
nonobstant  les  raisons  sur  quoi  on  les  a  fondées  dans  la  suite,  comme  l'entreprise 
sur  Gigeri  elles  secours  donnès:\  l'empereur  et  aux  Véniiicns  w.  Ch.\rdin,  t.  l,p.  9. 


LES  AVAXir-^ 

n'était  coraposéc  que  de  vaisseaux  chrctiens  et  en  particulier  fran- 
çais, ce  qui  l'irrita  fort  et  il  s'emporta  en  reproches  étranges  contre 
ce  prv'tendu  secours  ».  De  la  Haye  «  t.\clia  de  lui  faire  comprendre 
que  c'étaient  des  vaisseaux  marchands  qui,  se  trouvant  dans  les  ports 
Vénitiens,  étaient  forcés  de  les  aller  servir,  ce  que  le  G.  S.  pratiquait 
lui-même,  quand  il  se  trouvait  de  nos  vaisseaux  dans  ses  ports.  Il  ne 
voulut  rien  entendre'  », 

Un  incident  inattendu  vint  consommer  la  brouille.  L'amiral  de 
Venise  ay-mt  confié  ;Win  Français  nommé  Vertamon,  qui  allaita 
Constantinoplc,  une  lettre  chiffrée  pour  de  la  Haye,  Vertamon  prit 
le  turban  et  remit  la  lettre  A  Kœprilû.  Celui-ci  ne  put  la  faire  tra- 
duire et  de  la  Haye,  qui  avait  caché  son  secrétaire  des  chiffres,  reçut 
l'ordre  de  venir  trouver  le  vizir  à  Andrinople.  L'ambassadeur  y 
envoya  son  fils  qui  répondit  peut-être  avec  une  trop  grande  fermeté; 
Ka'prilii,  emporté  par  la  passion,  lui  fit  subir  de  mauvais  traitements 
et  le  fit  emprisonner  avec  de  grandes  menaces  de  tourments  et  de 
mort  à  ses  interprètes,  si  on  ne  lui  déchiffrait  la  lettre.  De  la  Haye 
alla  à  Andrinople  pour  faire  élargir  son  fils,  mais  il  s'y  vit  retenu 
lui-même  sans  voir  le  vizir  qui  était  parti  en  Transylvanie.  Peu 
après,  les  capitaines  de  deux  bâtiments  français'  ayant  chargé  à 
Alexandrie  pour  le  compte  des  Turcs  des  marchandises  destinées  au 
sérail  et  les  ayant  frauduleusement  conduites  à  Livourne,  le  grand 
vizir  réclama  à  l'amb.issadeur  une  avanie  de  36,000  piastres;  de  la 
Haye  ne  put  pas  payer  sur  le  champ  et  fut  conduit  aux  Sept  Tours, 
le  19  octobre  1660,  après  avoir  consenti  au  choix  que  fit  la  nation 
française  d'un  négociant,  nommé  Roboly,  pour  suivre  h  la  Porte  les 
affaires  courantes.  Il  sortit  de  prison  au  bout  de  trois  mois,  quand 
l'avanie  eut  été  payée,  mais  ce  fut  pour  rentrer  en  France,  l'ordre 
de  son  rappel  lui  étant  arrivé.  Il  ne  fut  pas  remplacé  et  jusqu'en 
1665  la  France  n'eut  plus  à  la  Porte  pour  la  représenter  que  Roboly 
avec  le  titre  de  résident'. 

Ainsi,  depuis  la  mort  d'Henri  IV,  les  relations  n'avaient  jamais 
été  réellement  cordiales  entre  la  France  et  la  Porte;  nos  ambassa- 
deurs avaient,  la  plupart  du  temps,  manqué  de  crédit  et,  loin  de 
pouvoir  protéger  etEcacement  le  commerce,  ils  s'étaient  vus  parfois 


(l)  L/Hri  de  de  la  Hayt  aux  consuls  de  Marseillf,  31  janvifr  j6jy  AA,  t4S. 
(2l  Le*  cipitaincs    Durbccqui   et     CruveUlicr  de  la   Cioiat.    Cette  affaire  fit 
graod  bruit  et  occisionn.i  â  Li  n.ition  française  des  frais  énormes. 
(})  V.  CiiAKotK,  t.  I,  p.  9-n.  —  Saint-Priest,  p,  79-81  et  316-219. 


L  ANARCHIE    COMMERCIALE 


eux-mcmcs  exposés  à  des  mauvais  traitements  et  à  des  avanies'. 
Cette  situation  s'ctnii  aggravée  progressivement  si  bien  qu'en  1660 
on  pouvait  se  croire  à  la  veille  d'une  rupture.  Vraiment  les  paclias 
n'avaient  plus  rien  ù  craindre  des  plaintes  que  les  marchands  français 
pouvaient  faire  contre  eux  à  Constantinoplc  ;  il  pouvaient  donner 
libre  cours  ;\  la  satisfaction  de  leur  avarice. 

Ce  n'était  pas  seulement  h  cupidité  qui  les  rendait  avides,  mais 
les  avanies  et  les  exactions  de  toutes  sortes  étaient  devenues  pour 
eux  presque  une  nécessité,  grâce  aux  progrès  de  la  corruption  et  de 
Il  vénalité  dans  le  gouvernement  des  Turcs  au  xvn'  siècle.  Gens  de 
basse  naissance  et  sans  fortune,  qui  passaient  subitement  du  corps 
des  Iichoghlans  et  de  l'obscurité  du  sérail  au  commandement  d'une 
province,  ks  pachas  ne  s'y  m.tintenaient  qu'en  faisant  des  présents 
considérables  au  Grand  Seigneur,  aux  sultanes,  au  grand  vizir  et 
aux  autres  grands  officiers  de  la  Porte.  Craignant  à  chaque  instant 
d'être  destitués,  ils  se  hâtaient  de  se  rembourser  de  leurs  dépenses 
et  de  s'enrichir  pour  pouvoir  continuer  à  soutenir  leur  fortune; 
ils  n'avaient  pas  trop  de  temps,  même  s'ils  restaient  dans  leur 
province  les  trois  années  que  durait  leur  commandement.  Le  pis 
était  qu\\  leurs  débuts,  pour  satisfaire  h  leur  dépenses  et  établir 
leur  train  de  maison,  ils  étaient  obligés  de  s'adresser  i  des  usuriers 
juifs  qui  leur  prêtaient  à  cent  pour  cent  et  ne  leur  inspiraient  ensuite 
que  rapines  et  concussions,  pour  se  libérer  de  leurs  dettes.  Cette 
corruption,  qui  s'étendait  des  grands  officiers  de  la  Porte  jusqu'aux 
officiers  subalternes  de  l'entourage  des  pachas,  remontait,  paraît-il,  i 
Mourad  III  (1574-9)).  «  L'avarice  du  sulun  Mour.it,  raconte  Tour- 
nefort,  est  la  source  de  tous  ces  désordres  :  il  introduisit  l'usage  de 
recevoir  des  présents  des  grands  à  qui  il  donnait  les  charges  de 
l'empire  :  les  grands  pour  se  dédommager  en  usaient  de  même  i 
rég.ird  de  leurs  inférieurs  ;  depuis  ce  temps  là  tout  fut  livré  au  plus 
offrant  *.  »  Quelle  que  fût  la  cause  de  leur  avidité,  pachas,  cadis  et 
officiers  subalternes  étaient  devenus  insatiables  et  d'une  ingéniosité 

(i)  Les  Marseillais  se  plaignirent  même  plusieurs  fois  1  la  cour  de  b  négli- 
gence que  M.  de  I.i  Hjye  3j>portait  à  protéger  les  Echelles.  —  Lttlres  des  çonsvU 
de  M.  Ju  S  fivr.  !(>46,  Ij  i/à.  164S.  AtcL.  Commun.  —  Li-ttve  du  consul  di'JUp-, 
•  Ce  b»in  seigneur  n'a  pas  daigne  sculenieni  vouloir  faire  une  visite  au  grand 
vi»ir  pour  se  plainda-  des  torts  que  nous  avons  reçus.  Cest  à   r.ous.    Messieurs. 

d'obliger  Panibass-ideur  A  nous  protiiger,  lui  faire  écrire  de  bonne  encre  piar  le 

secrtHaire  d'IItat.  •  {  <v/.  l('4).  AA.  j6}. 

ti\  ToiiîSFroRT.  t.  Il,  p.  26. 


n 


Î.ES  AVAN'IRS  9 

extraordinaire  pour  extorquer  de  l'argent,  aussi  bien  aux  sujets  du 
Grand  Scigiuiir,  qu'aux  march.inds  chrétiens  des  Uchcllcs. 

Parfois  le  pacha,  sans  aucun  détour,  réclamait  une  certaine 
somme.  Un  pacha  du  Caire  soutenait  «  qu'après  l'arrivée  de 
tint  de  voiles  et  d'argent  pour  la  nation  c'était  bien  le  moins  de  le 
reconnaître  par  un  présent  de  quelques  milliers  de  piastres  et 
qu'encore  sa  discrétion  paraissait  bien  grande  de  se  contenter  de  si 
peu'.  »  La  demande  d'argent  était  plus  souvent  déguisée  sous  le 
nom  d'emprunt.  Inutile  de  dire  que  le  pacha  oubliait  généralement 
de  payer  ses  dettes  et  qu'il  eût  trouve  fort  mauvais  qu'on  l'en  fit 
souvenir.  Quant  aux  fournitures  en  nature,  c'était  devenu  un  usage, 
.11.1  il  était  bien  difficile  de  se  soustraire,  de  donner  aux  pitis- 
.  rf  de  l'Echelle  les  denrées  ou  les  marchandises  d'Europe  qui 
leur  étaient  nécessaires  :  «  C'est  une  méchante  coutume,  rapporte 
d'Arvicux,  qu'on  a  laissé  introduire  et  qu'il  est  impossible  de  réfor- 
mer A  présent,  de  fournir  aux  gouverneurs  iriille  sortes  de  choses 
qu'ils  demandent  journellement  pour  leur  usage  particulier  :  outre 
les  lx>issons  et  les  liqueurs,  il  leur  faut  des  confitures,  du  papier,  de 
la  cire  d'Espagne,  des  carreaux  de  f.iïence,  des  vitres  et  beaucoup 
d'autres  choses  ;  il  est  vrai  que  ce  sont  des  choses  de  peu  de  valeur, 
mais  la  quantité  qu'ils  en  demandent  ne  laisse  pas  d'être  onéreuse 
aux  Francs  qui  les  fournissent:  ils  se  mettent  insensiblement  en 
droit  de  demander  des  draps  et,  si  on  voulait  leur  accorder  tout  ce 
qu'ils  demandent,  eux  et  leurs  gens  seraient  nourris  et  entretenus 
toute  l'année  aux  dépens  des  Francs  *.  » 

C'étaient  là  les  avanies  les  plus  ordinaires  et  les  moins  vexatoires. 
De  temps  en  temps,  quand  ces  moyens  lui  paraissaient  usés,  le  pacha 
frappait  un  grand  coup  :  il  profitait  de  l'arrivée  d'un  navire  qu'il 
déclarait  être  corsaire,  il  se  saisissait  du  bâtiment  et  de  tout  ce  qu'il 
portail,  argent  et  marchandises,  et  faisait  emprisonner  les  ofiiciers 
et  les  matelots.  En  vain  ceux-ci  protestaient,  en  v-iin  le  consul  prou- 
vait, pièces  en  mains»  la  provenance  et  la  qualité  de  marchand  du 
navire,  il  y  avait  toujours  de  faux  témoins  qui  soutenaient  éncrgiquc- 
nient  devant  lecadi  qu'ils  reconnaissaient  le  capitaine  ou  les  matelots 
pour  les  avoir  vus  sur  des  galères  de  Malte,  ou  sur  d'autres  corsaires, 
où  ils  avaient  été  prisonniers.  Aussi  le  consul  savait  bien  où  il  fallait 


(l)  l/tlrf  du  cornai  du  Caire  aux  consuls  de  Marseillt,  ')  jintlct  i6$j,  AA,  164, 
(a)  D'Arvicix,  t.  iV,  p.  299. 


lO 


L  ANARCHIE    COMMERCIALE 


en  arriver  et,  après  avoir  essayé  de  contester,  il  proposait  au  pacha 
d'aciieicr  la  délivrance  du  vaisseau  et  de  réquipagc.  C'était  toujours 
en  ce  cas  plusieurs  milliers  de  piastres  qu'il  en  coûtait  à  la  nation,  et 
parfois  aux  pauvres  capitaines  et  mariniers  plus  d'un  mois  de  déten- 
tion. En  164),  deux  barques  de  Marseille  furent  saisies  A  Modon 
sur  la  simple  dénonciation  d'un  Turc  qui  prétendait  qu'elles  étaient 
maltaises,  et  les  40  hommes  des  deux  équipages  conduits  iï  Constan- 
tinople  restèrent  prisonniers  près  de  deux  ans,  malgré  les  réclama- 
tions de  M.  de  la  Haye;  le  grand  vizir  exigea  une  lettre  du  roi  pour 
accorder  leur  relaxcmenl'. 

Les  marchands  des  Echelles  se  voyaient  emprisonnés  sous  les 
prétextes  les  plus  divers.  Le  plus  grand  crime  pour  un  Français 
cuit  d'être  surpris  avec  une  femme  turque,  La  loi  le  condamnait 
alors  à  être  brûlé  vif,  ou  à  se  faire  musulman  pour  se  racheter  du 
supplice,  mais  l'affaire  s'accommodait  généralement  par  une  grosse 
somme  d'argent.  Il  fallait  bien  prendre  garde  de  donner  lieu  par 
quelque  imprudente  démarche  à  une  pareille  accusation,  ne  pas  se 
havirder  le  soir  hors  du  quartier  réservé  aux  chrétiens  dans  chaque 
échelle,  ou  entrer  en  l'absence  du  maître  dans  la  maison  d'un  Turc. 
Un  voyageur  raconte  à  ce  sujet  une  bizarre  histoire  :  «  Deux  Fran- 
çais, dont  un  chirurgien  de  navire,  jouaient  A  la  boule  dans  la  plaine 
qui  est  entre  les  murs  d'Alexandrie  et  le  port  où  sont  les  cabanes  des 
Mogrebins.  Le  chirurgien  étant  entré  dans  une  de  ces  loges  pour 
reprendre  une  de  leurs  boules  qui  y  était  roulée,  deux  soldats  du 
vieux  château  qui  se  promenaient  en  ce  lieu  les  saisirent  à  l'instant 
et  les  conduisirent  en  prison.  Bientôt  après  on  les  conduisit  devant 
le  cadi  où  on  les  accusa  d'avoir  commis  un  adultère  dont  le  jeu  de 
boule  n'était  que  le  prétexte,  et,  nonobstant  toutes  les  sollicitations 
qu'on  fit  en  leur  faveur,  sans  autre  preuve  ni  témoignage  que  le 
simple  soupçon,  on  les  condamna  aux  galères  perpétuelles.  Grande 
injustice  assurément,  mais  belle  leçon  pour  apprendre  aux  Français  i 
se  gouverner  avec  prudence*.  »  Il  est  vrai  que  les  marchands  don- 
naient lieu  Jices  accusations  par  la  vie  de  débauches  qu'ils  menaient 
tropsouscnt.  Le  consul  du  Caire  écrivait  à  Marseille  A  la  suite  d'ava- 
nies subies  par  la  nation  :   «  Nos  marchands  n'ont  garde  'de  vous 


* 


(i)  Ldtrei  des  cmsuh  df  Marsfilk  à  M.  du  Itorn,  avocat  au  consttl  et  au  comte  dt 
Brwvie,  ijnov.  i(>^i,  lijam'.  i^'IJ.  Arcb.  Comm.  de  Mars.  —  Correspondance  envoyée. 
(2)  CorpiN,  p.  555. 


m 


LES   AVANIES 


tf 


informer  de  ce  qui  a  donné  lieu  à  l'indisposition  générale  qu'il  y  a  ici 

contre  eux S'il  y  avait  .lu  milieu  de  vous  40  ou  50  Turcs,  que 

vous  vinssiez  \  découvrir  qu'ils  débauchent  vos  filles  et  vos  iL-nimcs, 
que  vous  eussiez  fait  pendre  à  la  face  du  peuple  une  friponne  qui 
servait  d'instrument  ù  ces  débauches  et  qui  logeait  parmi  eux  et  fait 
crier  par  la  ville  que  c'est  ainsi  qu'on  traite  celles  qui  mènent  à  ces 
étrangers,  en  les  nommant,  les  femmes  et  les  filles  des  principaux  de 
votre  ville,  et  qu'on  eût  en  même  temps  saisi  d'autres  femmes  qui 
aient  confirme  tous  ces  fiits,  et  qu'il  n'y  eût  ni  grand  ni  petit  de  votre 
ville  qui  n'en  ftlt  informé,  ces  étrangers  ne  devraient-ils  pas  s'esti- 
mer fort  heureux  qu'on  ne  se  fût  pas  élevé  contre  eux  *.  »  Les  mar- 
chands étaient  souvent  aussi  arrêtés  sur  le  faux  témoignage  de  Turcs 
qui  prétendaient  avoir  été  maltraités  par  eux.  Si  par  malheur  il  se 
commettait  dans  l'échelle  un  assassinat  mystérieux,  soit  d'un  Turc, 
suit  d'un  l'ranc,  la  nation  risquait  fort  d'en  être  rendue  responsable. 

Les  religieux  étaient  partout  une  occasion  fréquente  d'avanies  : 
on  les  accusait  d'avoir  établi  secrètement  de  nouvelles  chapelles,  ou 
bien  ils  avaient  sans  autorisation  réparé  une  église,  il  suffisait  pour 
cela  qu'on  eût  aperçu  quelque  trace  de  matériaux  de  construction 
autour  des  demeures  des  Francs.  En  1654,  les  capucins  d'Alep 
furent  faussement  accusés  d'avoir  bâti  une  église,  le  pacha  les  garda 
un  mois  en  prison  sans  en  pouvoir  tirer  d'argent,  ce  que  voyant,  il 
arrêta  un  marchand  sans  raison,  le  fit  mettre  aux  ceps  et  sous  le 
bâton,  et  obligea  le  consul  de  donner  4.000  piastres  pour  sa  déli- 
vrance *. 

Les  faillites  des  marchands,  qui  se  renouvelèrent  fréquemment 
dans  cette  période,  fourniss;iient  encoreaux  pachas  de  bons  prétextes. 
En  vain  un  article  des  capitulations  de  1604  interdisait  de  faire 
supporter  à  la  nation  les  dettes  des  particuliers,  le  pacha,  soi-disant 
pour  prendre  en  main  les  intérêts  de  ses  administrés,  imposait  ;\  la 
nation,  à  chaque  banqueroute,  une  avanie  considérable  où  il  trouvait 
lui-même  son  profit.  La  nation  du  Caire  fut  menacée  de  ruine  en 
1639,  par  la  faillite  d'un  protégé  français,  un  marchand  suisse  qui 
fit  une  banqueroute  d'environ  200.000  piastres  et  s'enfuit.  Ses 
créanciers,  tous  Turcs  et  Juifs,  avaient  eux-mêmes  favorisé  son  éva- 
sion dans  le  dessein  de  se  faire  payer  par  la  nation.  «  Ils  nous 

(1)  Lfttre  du  consul  du  Caire  à  la  Chambre,  16  avril  170  j.  A  A,  J04. 

(2)  Lettre  du  consul  du  Caire  à  la  Clxtmbre,  21  août  16  $4.  A  A,  ^64. 


A 


12 


L  ANARCHIE    COMMERCIALH 


opposèrent,   écrit  le   consul  ;\  Bouthillicr,  deux  faux  témoins 
disaient  m'avoir  ouï  dire,  A  moi  et  à  d'autres  des  nôtres,  que  nous 

étions  pleiges  de  tout  ce  qu'on  donnerait  au  sieur  Cram Enfin 

le  cadi  nous  condamna,  sur  la  déposition  de  ses  deux  témoins,  gens 

misérables,  inconnus sans  autres  pièces  ni  écritures.  On   me 

donna  ma  maison  pour  prison  où  j'ai  été  gardé  environ  un  mois  et 
demi  par  des  chaoux  et  janissaires.  •  '.  Il  fallut  deux  commande- 
ments du  Grand  Seigneur,  obtenus  par  l'ambassadeur  de  Césy  et 
l'intervention  du  grand  mufti,  pour  délivrer  la  nation  do  cette 
fTicheuse  alTairc. 

Les  Turcs  avaient  coutume  de  réquisitionner  les  navires  français 
qui  se  trouvaient  dans  les  Echelles,  pour  faire  des  transports  pour 
le  compte  du  Grand-Seigneur.  C'est  de  cette  façon  que  chaque 
année  le  pacha  du  Caire  envoyait  au  sultan  le  produits  des  impots 
de  l'Egypte  et  que  des  convois  de  denrées  partaient  d'Alexandrie 
pour  Constantinople.  Dans  Li  guerre  de  Candie  des  navires  chrétiens 
firent  tous  les  transports  de  vivres  pour  les  troupes.  Les  officiers  du 
Grand  Seigneur  trouvaient  dans  ce  mode  de  transports  une  sécurité 
complète  :  ces  navires  avaient  plus  de  chances  d'échapper  aux  cor- 
saires maltais  ou  autres,  et,  en  cas  de  perte,  ils  se  dédommageaient 
par  une  grosse  avanie  sur  la  nation  française,  qui  devait  rembourser 
la  valeur  du  chargement  et  payer  bien  plus  cher  encore,  s'il  y 
avait  des  musulmans  prisonniers.  Les  avanies  les  plus  ruineuses 
eurent  lieu  à  l'occasion  de  la  perte  de  ces  navires  :  ainsi  en  1660, 
celle  des  chargements  des  capitaines  Durbecqui  et  Cruveillier  coûta 
46.800  piastres  ;  la  prise  par  les  .Maltais  de  quelques  marchandises  et 
de  quatre  eunuques  du  Grand  Seigneur  qui  se  firent  chrétiens,  en  fit 
payer  peu  ù  près  40.000;  25.000  furent  données  pour  un  chargement 
de  savons,  10.000  pour  des  biscuits,  7.000  pour  du  blé,  5.000 
pour  un  tcliaouch  *. 

Enfin  toutes  ces  occasions  ne  suffisaient  pas  aux  pachas  qui 
trouvaient  parfois  les  inventions  les  plus  bizarres  pour  satisfaire  leur 
avidité.  «  Le  pacha    de  Tripoli   de  Syrie  ayant  eu  avis  qu'il  était 


(l)  /2  Hial  16  }0.  A  A,  t4J,  cf.  ibid.  26  mars  162c. 

[2]  V.  à  ce  sujet  BB,  2.  D^Ubèraliom  de  la  Cliawhre,  12  août  lùO-j,  22  nmvmbre 
166S.  —  On  trouve  de  nombreux  exemples  île  toutes  ces  différentes  sortes  d'ava- 
nies: An-hh'.  CominiiH.  Coirapoiulanct.  —  Archives  de  ht  Cl<dmhe  :  CorresponJinice 
des  Libelles,  A  A,  i6;  etsniv.  Dèlil>iiationsdehiCltambr(,Ull,  ictiuh'.  Corres(«)n- 
divictde  liClximl're,  IIB,  26  et  suiv. 


LES  AVANIES 


13 


arrive  à  ce  port  un  navire  de  Marseille,  ciiargé  de  plus  de  loo.ooo 
féales  de  liuit  (plus  de  300.000  livres),  pour  y  acheter  des  soies,  y 
fit  porter  secrd-temcnt  des  turbans  et  des  habits  turquesques,  lesquels 
il  fil  cicher  par  ses  gens  dans  les  lieux  les  plus  secrets  du  navire, 
puis  y  envoya  des  gens  aposttis  lesquels  trouvant  ces  habits  accusè- 
rent les  mariniers  d'avoir  tué  des  Turcs,  autorisant  la  perfidie  par 
CCS  habits.  Le  vaisseau  fut  confisqué,  les  mariniers  au  nombre  de  33, 
jugés  par  des  juges  corrompus,  eurent  la  tête  tranchée.  Les  mar- 
chands envoyèrent  remontrer  cette  cruauté  ;\  Constantinople,  sans 
pouvoir  en  avoir  raison  »'.  Une  barque  qui  remontait  le  Nil  pour 
aller  au  Caire  sombra  sur  le  fleuve  avec  9 .  000  piastres.  Le  coffre  qui 
les  contenait  fut  retrouvé,  mais  le  pacha  le  réclama.  Devant  les  repré- 
sentations du  consul,  il  consentit  à  rendre  le  coffre  publiquement, 
niais  à  condition  qu'on  le  lui  rapportât  secrètement  la  nuit  suivante. 
Il  prétendit  alors  qu'il  contenait  auparavant  lO.ooo  piastres  et  exigea 
qu'on  lui  comptât  cette  somme*.  A  Alep,  le  pacha  prétendit  un 
jour  que  les  chameaux  qui  portaient  les  marchandises  d'Alep  .\ 
Alexandrctte  avaient  été  surchargés  et  que  le  devoir  de  sa  conscience 
l'obligeait  A  prendre  la  défense  de  ces  pauvres  bêtes  ;  le  consul  eut 

m  vouloir  di.scuter,  il  tallut  lui  payer  quelques  milliers  de  livres'. 

Les  avajues  étaient  plus  excusables  de  la  part  des  Turcs  quand 
elles  étaient  les  représailles  des  maux  que  leur  causaient  les  pira- 
teries des  corsaires  chrétiens.  La  plupart  de  ces  corsaires  portaient  la 
Kmnière  de  Malte,  et  le  nom  des  Maltais  excitait  la  terreur  par  tout 
l'empire  Ottoman,  si  bien,  que  des  gens  du  peuple  demandaient  .\ 
un  voyageur  français,  si  la  France  était  aussi  yrande  que  Malte*.  Ils 
étaient  aussi  armés  .\  Florence,  .i  Gènes,  à  Toulon,  en  Espagne, 
mais  c'étaient  des  écunieurs  de  mers  de  toutes  les  nations  qui,  sous 
prétexte  de  seivir  la  religion,  se  livraient  aux  pires  excès  et  ne 
respectaient  parfois  pas  plus  les  chrétiens  que  les  Turcs.  Les  équi- 
pages d'un  grand  nombre  de  ces  bAtiments  corN,iires  étaient 
Français  ",  aussi  les  Turcs,  qui  ne  l'ignoraient  pas,  fais.iient  suppor- 


(U  FbbmvniL,  p.  ^uo.  Il  est  juste  d'ajouter  que  celte  avanie  él.iit  si  txtr.i«)rdi- 
tidirc  qu'elle  cutnim  l'abjcidon  pjr  l.i  nation  l'r.Tiiçai.Ne  de  riicliellc  de  Tripoli. 
(3)  lytlre  Ju  (i^nnit  aux  lOnsiils  île  \farseiUi\  13  mai  i6}0,  AA,  //;, 
{■%\  PoniET.  /Vwi'/  dam  It  Lnant,  i.  II,  p.  476.  —  V.  un  autre  exemple: 

i.l.  I,  p.  17. 
.  ..^.  p.  )62. 

()|  De  liR&vt:»,  yoyagf,  p.  ;o«. 


14  L  ANARCHIE    COMMERCIALE 

ter  surtout  leurs  représailles  aux  français  des  Echelles.  La  terreur 
qu'il  faisaient  régner  sur  toutes  les  côtes  de  l'empire  du  Grand 
Seigneur  égalait,  si  elle  ne  la  dépassait,  celle  que  les  Barbaresques 
inspiraient  aux  populations  de  l'Italie  du  Sud  ou  de  la  Provc-nce, 
coiiinîc  l'attestent  tous  les  récits  des  voyageurs,  qui  leur  sont  géné- 
ralement peu  favorables  :  le  Hollandais  Spon  déclare  que  les 
corsaires  chrétiens  sont  beaucoup  plus  inhumains  que  les  Turcs'. 
En  Morée,  au  xvii'  siècle,  une  grande  partie  des  côtes  avait  été 
désertée  par  les  habitants  à  la  suite  de  leurs  fréquentes  descentes. 
L'entrée  du  golfe  de  Lépante  était  interdite  ;"i  tout  navire  de  peur 
qu'il  ne  s'y  gliss;\t  quelque  corsaire.  «  Les  Turcs,  dit  Spon,  n'osent 
plus  demeurera  Mégare  depuis  qu'un  de  leurs  vaïvodes  y  fut  enlevé 
par  des  corsaires  chrétiens.  Ces  pauvres  Grecs  étaient  toujours  dans 
l'appréhension  et  dés  qu'il  y  avait  plusieurs  chiens  qui  se  mettaient 
à  aboyer  la  nuit,  ils  commençaient  à  plier  bagage,  craignant  que  ce 
fussent  des  corsaires.  Le  consul  français  d'Athènes  les  a  fait  accom- 
moder avec  le  principal  de  ces  coureurs  de  l'Archipel  A  qui  ils 
donnent  tous  les  ans  250  mesures  de  froment  pour  ne  point  les 
inquiéter.  »  *  Les  petites  îles  de  l'Archipel  étaient  terrifiées  par  leurs 
apparitions  fréquentes.  »  Il  y  a  d'ordinaire,  rapporte  Chardin,  40 
vaisseaux  de  corsaires  chrétiens  dans  l'Archipel,  tant  de  Ma^jorquc 
que  de  Villefranche,  Livourne  et  Malte.  Ces  vaisseaux  sont  petits 
la  plupart  et  asseye  mal  avictuaillés,  mais  équipés  de  gens  que  la 
niiscrc  et  une  longue  habitude  de  faire  le  mal  ont  rendus  déterminés 
et  cruels.  Il  n'y  a  point  de  maux  imaginables  qu'ils  ne  fussent  aux 
habitants  de  cette  mer  où  ils  peuvent  aborder,  quoique  ces  habitants 
soient  tous  chrétiens  et  que  plusieurs  reconnaissent  le  pape.  »  ' 
Aussi  l'approche  d'un  navire  inconnu  y  occasionnait  des  paniques 
et  les  populations  éaicnc  toujours  prêtes  à  s'enfuir  dans  les  monta- 
gnes. Sanio  même,  si  rapprochée  de  Smynie  et  des  parages  frè- 
qucntihi  par  les  galères  du  capitin  pacha  était  ■  quasi  déserte  et 
dcslubitév  par  crainte  des  corsaires  »,'  et  le  voyageur  Fermonel  vit 
les  tubiunts  s'enfuir  à  l'arrivée  de  son  vaisseau,  parce  qu'ils  croy^ent 

(I)  T.  a,  p.  179 

(a)  tbid.  I.  Il,  B.  3S7.  A^tees,  naime  ^ai  n'avait  pss  «k  nmanSÊt%,  fat  flaàean 
faû  ravagM  pu  Ks  oontirt»  jttsqg'i  ce  <)i>e.  vcr$  t6so.  ib  jcÀgùnait  ks  nmhnr^ 
pu  «le»  murailles  pour  fonner  ux  coociotc  et  cocKirubàmii  àa  portes  sux 
catrto  «k  U  riUc.  (Whiuil.  )97>. 

ii)  CiLVuus.t.  I.  p.  a. 

U»  Bkic\iaU,  r^^,  p.  77. 


Ui5    AVAKIES 


15 


à  une  descente  de  corsaires.  D'autres  îles  se  rachetaient  de  leurs 
ravages,  en  devenant  pour  eux  des  centres  de  ravitaillement  et  des 
places  de  refuge,  où  ils  amenaiciu  et  vendaient  leurs  prises  ;  ainsi 
Milo  était  comme  c  leur  grande  foire  dans  TArciiipel,  I.'Argentière, 
Uc  voisine  de  Milo,  était  aussi  leur  rendez-vous  et  ils  dépensaient  en 
déKiuches  horribles  ce  qu'ils  venaient  de  piller  sur  les  Turcs.  »  '  Un 
autre  de  leurs  repaires  c-tait  aux  ilois  des  GozeSj  près  du  cap  Saint- 
Jean  de  Candie  «  habitas  par  1000  ou  1200  garnements  qui  ne  s'en- 
tretiennent que  des  biens  que  leur  font  les  pirates  qu'ils  reçoivent 
chez  eux  »*. 

Dans  les  mers  de  Chypre  et  de  Syrie  surtout,  les  corsaires  ren- 
daient le  commerce  extrêmement  périlleux  pour  les  sujets  du  G.  S. 
A  Satalie,  X  l'approche  d'un  navire  suspect,  le  château  tirait  le  canon 
pour  avertir  les  habitants  qui  accouraient  promptement  sur  le  bord 
de  la  mer,  armés  de  mousquets  pour  empêcher  la  descente,  et  il  était 
parlbis  difficile  d'obtenir  l'entrée  du  port  parce  qu'il  leur  était  arrivé 
d'être  surpris  par  des  corsaires  qui  se  présentaient  en  amis  *.  Sou- 
vent ils  faisaient  des  descentes  dans  les  parages  d'Alexandrette,  ils 
tentèrent  même  une  fois  de  s'emparer  du  trésor  envoyé  chaque 
année  d'Egypte  ;\  Constantinople,  a  l'endroit  où  la  route  passe  entre 
la  montagne  et  la  mer.  Ils  croisaient  en  permanence  aux  abords  de 
la  Syrie  et  se  tenaient  surtout  cachés  au  détour  du  Mont  Carmel, 
attendant  les  navires  qui  allaient  de  Syrie  en  Egypte,  ils  venaient 
même  mouiller  d.ins  la  r.ade  de  Khaïfii  et  enlevaient  fréquemment 
des  habitants  de  cette  cote  qu'ils  vendaient  comme  esclaves  :  pres- 
que tous  les  villages  maritimes  avaient  été  abandonnés  et  la  popula- 
tion s'était  retirée  <f  es  creux  des  montagnes  »*. 

Le  voy.tgeur  Thévenot  fait  un  récit  piquant  de  la  façon  dont  il  fut 
pris  sur  un  bAtiment  grec  par  un  cors;ùre  français  en  vue  d'Acre,  si 


(i)  <  Cette  Ile  abondait  en  toutes  sortes  de  biens  d.ins  le  temps  que  les  cor- 

saifc'*  franijais  tenaient  l.i  mer  en  Levant.  On  y  parle  encore  des  grandes  actions 

de  M.  de  Bcnneville  Temcricourt,  du  chevalier  d'Hocquincourt,  d'Hugues  Cru- 

d'Entrechaut,  Pousse!,  l'Orange,  Lauthicr  et   autres,  qui  amenaient  leur 

tn  cette  île  comme  i   la  grande  foire  de  l'Archipel L'Argentièrc  est 

ûcvcnue  tout  A  fait  pauvre  depuis  que  le  roi  nesourtre  plus  de  corsaires  français 

Cil  Levant Tout  le  commerce  de  l'ile  roulait  donc  sur  cette  espèce  de  galanterie 

v*ni  délicatesse  qui  ne  convenait  qu'à  des  matelots,  les  femmes  n'y  travaillant 
qu.\  des  bas  de  coton  et  à  faire  l'amour.  1  Tournefort,  t.  I,  p.  j8,  56. 

<3)  De  BatvEs,  Voyage,  p.  294. 

(j)  Fkrmasei.,  Voyage,  p.  2}i. 

(4)  Db  Brèvls,  p.  67.  —  Cf.  d'ARViuux,  1.  II,  p.  11. 


26 


L  ANARCHIE    COMMERCIALE 


proche  de  terre  qu'il  entendait  facilement  les  Arabes  qui  causaient 
sur  h  rive  et  qui  criaient  ;  c'est  un  corsaire  de  Malte.  Mis  en 
liberté'  par  lui,  il  fut  repris  en  vue  de  Damiettc  par  des  corsaires 
italiens  '.  En  effet,  les  pirates  venaient  aussi  attendre  les.  navires  sur 
les  côtes  d'Egypte,  et  Damiette  était  l'endroit  où  les  Francs  étaient 
le  pins  universellement  haïs,  car  les  habitants  étaient  journellement 
menacés  d'être  pillés  *. 

On  s'explique  assez,  par  ces  ravages  incessants,  la  recrudescence 
de  haine  contre  les  chrétiens  qui  se  remarque  chez  les  populations 
maritimes  de  l'Empire  turc  au  xvii*  siècle  et  l'on  excuse  les  avanies 
que  les  pachas  ne  manquaient  pas  d'imposer  dans  les  Echelles  aux 
marchands  francs,  à  chaque  nouvel  exploit  d'un  corsaire  de  leur 
nation.  En  aurait-il  été  autrement  en  France,  si  les  Barbaresques  y 
avaient  eu  des  établissements  ?  Ainsi  les  corsaires  chrétiens  faisaient 
souvent  en  définitive  plus  de  mal  au  commerce  de  leurs  compa- 
triotes qu'à  celui  des  Turcs.  Le  mal  n'était  pas  nouveau,  et  Depping 
constate  qu'au  Moyen-Age  les  corsaires  chrétiens  sur  les  côtes  de 
Syrie  et  d'Egypte  furent  un  des  grands  fléaux  du  commerce  du 
Levant  et  donnèrent  lieu  à  de  cruelles  représailles*.  Aussi  les 
consuls  des  Echelles  et  les  Marseillais  ne  cessaient  de  s'en  plaindre 
et  s'adressaient  au  roi  pour  obtenir  l'interdiction  aux  Français  de 
Élire  des  armements.  Déjà  Henri  IV,  répondant  à  leurs  sollicitations, 
écrivait  au  duc  de  Guise  en  1607,  pour  empêcher  et  punir  «  les 
déprédations  en  Levant  »*.  Mais  le  nombre  des  corsaires  s'éleva,  au 
contraire,  jusques  dans  la  deuxième  moitié  du  xvir  siècle,  malgré 
les  plaintes  inutiles  du  commerce.  «  II  est  constant,  sire,  écrivaient 
au  roi  les  consuls  de  Marseille  en  1655,  que  ces  armements  n'ont 
point  d'.iutre  objet  que  l'intérêt  particulier  de  ceux  qui  les  entre- 
pannent,  et  comme  la  plupart  sont  chevaliers  de  Malte,  cadets  de 
maison  et  gens  de  fortune,  et  qu'ils  ne  se  commettent  au  danger  de 
la  mer  que  par  l'espérance  d'un  e.xtraordinairc  profit,  ils  tàclient 
\\XT  toutes  sortes  de  moyens,  de  se  rembourser.  On  ne  les  voit 
jamais  revenir  les  mains  vides  et,  sous  prétexte  de  courir  sur  les 
cnncnûs  de  l'Etat,  ils  pillent  les  amis  et  allic's  de  votre  couronne. 
Ces  mêmes  prises  nous  rendent  odieux  et  insupportables  à  tous  nos 


I 


(I)  TliiAtN-oi,  p.  4i;-ii  ;  p.  449. 
{3)  D'Aii\nxx,  1. 1,  p.  ïjî. 

{\)  TOBK  U.p.  301-3I}. 

(4>  Uitra  miuivet,  t.  VU. 


LES  AVASIES 


17 


voisins,  et  vos  sujets  qui  étaient  les  bienvenus  partout  sont  aujour- 
d'hui considorés  comme  d'infanics  corsaires  »', 

11  faut  aussi  reconnaître  que  les  Provençaux  ne  surent  pas  faire  le 
commerce  du  Levant  avec  assez  de  bonne  foi  et  de  prudence.  Entraî- 
nés par  leur  âpre  désir  du  gain  et  par  la  facilité  de  duper  les  Turcs, 
ils  se  laissèrent  aller  aux  plus  insignes  voleries.  Tous  les  voyageurs 
sont  en  effet  d'accord  pour  louer  la  sincérité  et  la  simplicité  natives 
des  Turcs.  «  Ils  sont  naturellement  assez  simples,  dit  Chardin,  et 
assez  épais,  gens  à  qui  on  en  fait  aisément  .iccroirc.  Aussi  les  chré- 
tiens leur  font  sans  cesse  une  infinité  de  friponneries  et  de  méchants 
tours,  On  les  trompe  un  temps,  mais  ils  ouvrent  les  yeux  et  alors  ils 
frappent  rudement  et  se  paient  du  tout  en  une  seule  fois.  *  »>  On  les 
trompait  d'abord  sur  la  qualité  des  inarcliandises  qu'on  leur  portait. 
Ainsi  la  fabrication  des  draps,  principal  article  de  vente  des  Français, 
devint  de  plus  en  plus  mauvaise,  ce  qui  fit  abandonnner  les  drape- 
ries françaises  pour  celles  des  Anglais  et  des  Hollandais.  Les  mar- 
chands n'hésitaient  pas  i  faire  des  balles  dont  les  premières  pièces 
étaient  très  belles  et  le  reste  de  fort  mauvaise  qu-ilité. 

Les  Français  portaient  de  grandes  quantités  d'argent  dans  le  Levant 
et  dans  l'espoir  d'en  retirer  de  gros  bénéfices,  aussi  profitaient-ils  de 
la  profonde  ignoranc-e  des  Turcs,  au  sujet  de  la  valeur  des  monnaies, 
pour  les  duper  sans  cesse.  Les  piastres  d'Espagne,  la  monnaie  la 
plus  courante  dans  le  Levant,  étaient  souvent  altérées  et  c'est  en  vain 
que,  quand  ils  en  recevaient  avis,  les  consuls  et  députés  du  com- 
merce de  Marseille  écrivaient  aux  consuls  des  Echelles  d'empêcher 
l'exposition  et  la  vente  de  ces  monnaies  et  leur  ordonnaient  de  faire 
des  visites  sur  les  navires  à  leur  arrivée;  ces  visites  amenaient  rare- 
ment des  saisies. 

Tandis  que  la  Chambre  du  commerce  s'opposait  au  trafic  des 
piastres  fausses',  elle  laissa  se  développer  l'exportation  bien  plus 
dangereuse   des  pièces   de  5    suis  qui,    peiidaiu    13    ans   environ, 

(  t)  Lcllie  (ki  coiiyith  df  MaisciUe  au  toi,  ~  jaiiv.  v6;,'.  —  V.  LittiT  li  Iciiid,  Jnr. 
Kif  /.  Atcliiv.  ccmmiin.  Corrcspotttl.  —  Cf.  BU,  2(1.  LtlUe  à  V amiral,  S  fhr.  lôj'j. 
(2»  Chardin,  t.  l.  p.  $.  —  V.  Du  Loir,  p.  166.  —  Fermanel,   p.  25.  — 

PoULUtT,  t.  II,  p.  2?, 

i;!  V.  hB,  76.  Corres(>o»daiice  df  !a  Chambre,  kllres  du  12  stptnnhre  tfi^j 
1.1  mai  1657,  10  imn  1661.  —  Arrêt  du  Parlement  du  12  mai  1657  portant 
inhibitions  et  JiMcnsi-s  j'i  tous  niaririiands,  capitaines  Jcs  v.iisseaux,  barques  ou 
autres....  de  porter  ni  exporter  en  la  ville  de  Marseille  et  aux  cotes  du  Levant  et 
particulièrement  en  la  ville  de  Smyrne  les  pièces  appelées  Isilotes,  taleros,  ni 
4utre  monn.iie  augmentée  à  peine  de  confiscation  de  corps  et  de  biens.  Il,  2/. 


i8 


L  ANARCHIE    COMMERCIALE 


à  partir  de  1656,  procura  aux  Marseillais  des  bénéfices  de  80  et 
90  0/0.  «  Les  Turcs,  qui  les  appelaient  timmins,  prirent  les  pre- 
miers à  10  sols  la  pièce...  Elles  demeurèrent  quelque  temps  à  ce  prix 
et  tombèrent  .iprcs  à  7  sols  1/2.  Ils  ne  voulaient  point  d'autre 
monnaie.  Toute  la  Turquie  s'en  remplissait  et  l'on  n'y  voyait  plus 
guère  d'autre  argent,  parce  que  les  Fninçais  l'emportaient.  Cette 
bonne  fortune  les  aveugla  si  fort  qu'ils  ne  se  contentèrent  pas  du 
grand  gain  qu'ils  faisaient  et  ils  se  mirent  ;\  altérer  les  pièces  de 
5  sols.  Ils  en  firent  fobriquer  d'argent  bas  h  Dombes  puis  i.  Orange 
et  û  Avignon.  On  en  fit  de  pires  â  Monaco  et  à  Florence  et  enfin  on 
en  monnaya  en  des  châteaux  écartés,  dans  l'Etat  de  Gênes  et  en 
divers  autres  lieux,  qui  n'étaient  que  de  cuivre  argenté.  Les  Turcs 
furent  longtemps  à  s'apercevoir  de  la  tromperie,  quoiqu'elle  fût  si 
grossière  et  si  importante,  mais  enfin  ils  s'en  aperçurent  et  elle  les 
irrita  si  fort  qu'ils  firent  partout  de  grandes  avanies  aux  Français, 
les  traitant  de  faux  monnayeurs,  quoique  les  Hollandais  et  les 
Génois  y  eussent  autant  de  part.  Ils  envoyèrent  des  changeurs  dans 
tous  les  ports  du  Levant  pour  visiter  l'argent  qu'on  apportait  et 
décrièrent  cette  monnaie,  à  la  réser\'e  du  vrai  coin  de  France  qu'ils 
réduisirent  i  5  sols  pièce'.  »  Marchands  et  capitaines  s'entendaient 
aussi  très  bien  pour  frauder  les  douanes  du  Grand  Seigneur.  A 
Srayme,  par  exemple,  la  rue  des  Francs  longeait  le  port  et,  sur  les 
derrières  des  maisons,  les  jardins  s'.ivançaient  jusqu'A  la  mer.  On 
employait  les  nuits  à  déciiarger  clandestinement  les  marchandises  de 
valeur  qu'on  Elisait  passer  par  ces  jardins  dans  les  magasins,  en 
trompant  la  surveillance  delà  douane.  Les  Turcs,  qui  soupçonnaient 
ce  manège,  attendaient  patiemment  une  occision  puis  se  rattra- 
paient par  une  grosse  avanie.  On  voyait  même  parfois  des  capitaines 
quitter  le  port  avant  de  payer  les  droits  de  douane,  sans  se  soucier 
des  avanies  qu'ils  attiraient  immanquablement  à  la  nation. 


0)  Chardin,  t.  I,  p.  4-5.  «  Les  plus  communes  avaient  pour  coin  d'un  côté 
une  lète  de  femme  avec  ces  mois  autour  :  yera  lirtulif  imago,  et  de  Tauire 
l'écu  de  France  avec  ceux-ci  :  Curretu  (>er  totam  Asiarn.  »  —  V .  Lettre  de  ht 
Haye  à  Colberi,  <)  octd're  lôôf  :  «  Tout  le  monde  se  plaint  à  .Marseille,  du  moins 
les  honnêtes  gens,  de  ce  que  le  sieur  Bowell,  qui  a  entrepris  la  fabrique  des 
piùccs  de  5  sols  les  altère  à  un  point  qu'il  y  a  ;$,  îo  et  55  o/O  de  diminution.  » 
—  Deppixg.  Corresp,  adni.,  t.  III,  p.  59?,  —  11  faut  dire,  pour  excuser  les  Français, 
que  les  Hollandais  portaient  en  Levant  des  momuies  aussi  altilrécî  que  les  piécCJ 
de  5  sols;  c'étaient  lesasselanis  ou  al>ouquels.  «  Cependant, dit  Chardin,  les  Turcs 
ont  si  peu  de  discernement  et  de  connaissance  qu'ib  estiment  davantage  cette 
tnoiuiaie  que  celle  d'Espagne.  » 


LES   AVANIES 


19 


Toutes  les  Echelles  n'eurent  pas  à  souffrir  également  des  exac- 
ions;  les  plus  èloignccs  du  Constatuinople  y  étaient  le  plus  expo- 
sées, p.u-LC  qu'il  était  plusditficile  de  porter  plainte  à  la  Porte  et  que 
ïes  pachas  y  avaient  plus  d'indépendance.  L'Egypte  fut  la  terre  clas- 
sique des  avanies;  le  pacha  était   un  homme  puissant;  le  Divan  le 
ménageait,  car  il  redoutait  par  dessus  tout  une  révolte  de  l'Egj'pte. 
[1  y  avait  au  Caire  une  nombreuse  milice  très  turbulente  qu'il  fallait 
payer  et  entretenir  largement,  le  pacha  avait  donc  de  grands  besoins; 
tnfin  la  population  détesLiit  les  chrétiens,  beaucoup  plus  que  dans  le 
[reste  de  l'empire,  et  encourageait  les  officiers  du  pays  aux  tyrannies 
létaux  exactions.  Le  consul  du  Caire  écrivait,  en  1630,  i  Bouthil- 
lier  :  «  J'ai  demeuré  autrefois  vingt-trois  ans  en  ce  pays  exerçant  la 
charge  de  consul  ;  j'en  fus  retiré  puis  j'y  fus  renvoyé  au  bout  de 
[trois  ans,  à  mon  grand  regret.  Dans  mon  premier  séjour,  j'avais  déjà 
[enduré  beaucoup  de  peines,  mais  .\  mon  retour  j'ai  trouvé  les  aflfliires 
si  empirées  qu'il  n'est  plus  possible   de  supporter  les   torts  et  la 
tjrannie qu'on  use  envers  les  pauvres  trafiquants.  Je  ne  sais  si  des 
[escbvcs  en  pourraient  supporter  davantage,  et  si  d'aventure  nous 
nous  prévalons  du  nom  de  S.  M.,  nous  entendons  des  paroles  si 
nulbéantes  qui  nous  mettent  au  désespoir  '.  »  Comme  s'il  n'y  avait 
[pas  eu  assez  de  ces  maux,  vers  léjo  deux  consuls  se  disputèrent  le 
{consubt  du  dire;  la  nation  se  divisa  en  deux  factions  et  chacune 
'excita,  par  des  présents,  le  pacha  à  chasser  la  partie  adverse.  Cela  dura 
plus  de  dix  ans  (1647-58)  .m  bout  desquels  le  commerce  d'Egypte 
[était  presque  ruiné;  les  navires  n'osaient  plus  aller  ;\  Ale.vandrie,  à 
ausc  des  av.inies  continuelles  suscitées  par  ces  brouillcries'. 

Seide'  et  sa  côte,  depuis  Acre  à  Tripoli,  jouirent  pendant  vingt- 
|scpt  ans  d'une  paix  profonde,  sous  la  domination  du  prince  Druse 
Fakhreddin.  Après  sa  mort  (1635)  ses  deux  (ils  se  montrèrent  au 
contraire  d'une  exigence  insatiable.  «  Si  cela  eût  duré  la  nation  eût 
été  entièrement  ruinée  et  aurait  été  obligée  de  faire  banqueroute  et 
d'abandonner  le  pays*.  »  En  1653  les  tyrannies  du  gouverneur 
Hassan  aga  devinrent  telles  que  la  nation  se  décida  à  quitter  Seïde  et 

(1)  ta  mai  i6ju.  AA,  t^j. 

(J)  V.  l'histoire  de  ces  brouiilerics,  chap.  iv.  —  Pour  les  avanies  continuelles  que 
subissait  la  nation  d'Egypte,  v.  la  correspondance  consulaire  AA,  }0). 

(})  La  nation  avait  d'abord  été  établie  à  Tripoli,  l'échelle  lut  transportée  1 
Seide  en  1612  ù  la  suite  d'une  avanie  inémor.ib!e,  V,  p.  13. 

(41  D'Arvieux,  t.  I,  p.  389. 


^ 


ao 


LANARClIlt;    COMMERCIALL 


se  retira  Ji  Acre.  Elle  ne  revint  que  quand  ce  paclia  fut  parti,  après 
ses  trois  ans  de  gouvernement  '  et  ses  successeurs  ne  valurent  guère 
mieux,  puisqu'on  1656  et  1657  le  pacha  lit  deux  avanies  de  24000 
piastres  et  qu'il  fut  question  ;\  Marseille  de  transporter  définitive- 
ment l'c-chelle  ;ï  St-Jean-d'Acrc*.  A  Barut  une  série  d'avanies  furent 
causées  par  la  rivalité  des  consuls  d'Alep  et  de  Scïde,qui  prétendaient 
tous  les  deux  avoir  ce  vice-consulat  sous  leur  dépendance'. 

La  correspondance  des  Consuls  d'Alep  est  aussi  remplie  de 
plaintes  contre  les  pachas  et  les  douaniers,  surtout  après  1650. 
1  Ce  pacha  et  les  autres,  écrit  le  Consul  en  1654,  prennent  un 
chemin  à  nous  dire  de  six  mois  en  six  mois  des  avanies  si  grosses, 
que  Cela  est  capable  de  ruiner  entièrement  ceux  qui  ont  ici  quelque 
fonds.  II  laudrait  abandonner  réchellc  ou  essayer  d'apporter  quelque 
remède  par  M.  l'Ambassadeur*  ». 

En  se  rapprochant  de  Constantinople,  les  avanies  devenaient  plus 
rares.  A  Quidie,  à  Chio,  et  dans  les  autres  îles  de  rArchipel,  les 
marchands  n'avaient  guère  i  se  plaindre  que  de  la  fréquence  des 
présents.  Smyrne  était,  s.ans  contredit,  l'échelle  la  plus  tranquille  : 
les  Francs  y  étaient  en  bien  plus  grand  nombre,  ils  restèrent  tou- 
jours en  bons  termes  avec  h  population  qu'enrichissait  le  commerce 
et  surtout  il  n'y  avait  pour  gouverneur  qu'un  simple  aga  et  peu  de 
troupes.  Q.uant  à  Constantinople,  les  ambassadeurs  eux-mêmes  n'y 
furent  pas  toujours  .\  l'abri  des  vexations. 

Lii  nation  française  n'était  pas  la  seule  ;\  supporter  des  avanies, 
mais  elle  en  paya  plus  que  toutes  les  autres.  Les  Anglais ,  les 
Hollandais  et  les  Vénitiens  avaient  compris  de  quelle  façon  il  fallait 
vivre  avec  les  pachas  et  ils  savaient  généralement  éviter  de  trop 
grosses  vexations,  en  prévenant  leurs  désirs  par  des  présents  souvent 
réitérés,  ou  en  les  satisfaisant  sans  protester.  Les  Français,  au  con- 
traire, par  leurs  résistances  la  plupart  du  temps  inutiles,  ne  faisaient 
qu'augmenter  les  exigences  des  pachas  et  de  plus  irritaient  leur 
malveillance,  Le  pacha  d'Alep,  à  la  suite  d'une  querelle  de  ce  genre 

(i)  D'Arvieux,  t.  1,  p.  262-69. 

(2)  BB,  t.  3S  juillft  i(>S7,  S  »oi'emhie  16$"].  DéliMaliûiis  dt  la  Chambre. 

(3)  V.  Corrcslvmhnu  consiilaiie,  A  A,  }6^,  —  DU,  26.  Correspoudatice  Je  la 
Clumhre  :  lettrts  de  i(>j6,  7.  S  juiii,  ek.  24  dkemhe  if'SS, —  n".\Rvniex,  t.  II, 
p.  355-^5  :  Hi^loiie  du  clfick  viiironilf  Aboii  Kaiiftl ,  créé  vice-consul  .i  ftirut; 
il  coûta  plus  Uc  lOp.cxKJ  ccus  :'i  l;i  n.iik)n. 

(4)  AA,j6.f,  Il  août  16^4.  — V.  les  Plaintes  contrcie douanier  Bédic eu  i6ic». 
V.  ce  que  r.iconie  La  Boullayc  le  Goui;  d'un  .lutre  douanier  vers  1648,  p.  547. 


LF.S    AVAKIES 


21 


qui  avait  durL*  plusieurs  jours,  disait  au  Consul  «  qu'il  savait  que 
les  Français  étaient  de  la  même  nature  que  les  huîtres,  dont  on  ne 
saurait  rien  tirer,  à  moins  qu'on  n'enfonce  le  couteau  bien  avant 
entre  les  écailles;  que,  de  toutes  les  nations  qu'il  connaissait,  la 
Françiisc  était  celle  qui  savait  le  moins  vivre  en  pays  étranger; 
qu'il  se  serait  contente  d'un  bouquet  de  fleurs  donné  par  amitié, 
mais  que  puisque  nous  étions  plus  contents  d'être  dépouillés  que  de 
céder  un  mouchoir  par  amitié,  il  savait  vivre  avec  nous  de  manière 
qu'il  nous  apprendrait  à  vivre  avec  lui'.  »  «  Nous  n'avons 
jamais  accoutumé,  écrivait  un  Consul  h  Marseille  A  ce  propos,  de 
remédier  aux  affaires  que  lorsqu'elles  sont  désespérées*  »;  mais, 
malgré  les  avis  et  les  dures  leçons  de  l'expérience,  les  Français 
n'apprirent  pas  .\  prévenir  les  avanies. 

Celles-ci  étaient  en  outre  rendues  bien  plus  ruineuses  aux  Fran- 
çais par  la  façon  dont  ils  les  payaient.  «  Les  Anglais  et  les  Hollan- 
dais savaient  faire  d'avance  un  fonds  d'argent  suffisant  pour  parer  ;\ 
ces  dépenses  extraordinaires.  C'était  une  règle  établie  que  toutes  les 
marchandises,  qui  venaient  aux  échelles  du  Levant  sous  Li  bannière 
anglaise,  payaient  2  o/o  pour  les  dépenses  futures  de  la  nation.  Cette 
taxe  produisait  des  sommes  plus  considérables  qu'ils  n'avaient  occa- 
sion d'en  dépenser,  et  les  mettait  en  état  de  primer  et  d'étouffeV 
dans  leur  naissance  les  mauvaises  affaires  qui  leur  arrivaient  sou- 
vent. »  Il  était  interdit  .\  leur  ambassadeur  et  ^  leurs  consuls  d'éta- 
blir jamais  aucune  taxe  sur  le  commerce  sous  prétexte  d'avanie'. 
Chez  les  Français,  les  députés  de  la  nation  n'avaient  jamais  dans 
leur  caisse  que  des  sommes  insuffisantes  pour  payer  les  avanies,  ce 
qui  explique  leurs  répugnances  :\  les  accepter.  Il  fiillait  généralement 
emprunter  aux  préteurs  indigènes,  souvent  juifs,  à  changes  lunaires, 
c'cst-i-dire  à  des  taux  énormes  qui  s'élevaient  parfois  â  25  0/0  pour 
six  mois,  si  bien  que  les  intérêts  .irrivaient  en  quelques  années  à 
doubler   le  capit.1l  emprunté  *.  Pour  faire  cesser  les  changes  lunai- 

0)  D'Ar VIEUX,  t.  VI,  p.  2 55. 

(j|  l^ltre  lin  consul  it'Alep  aux  consuls  de  Marseille,  S  mars  162}.  AA,  }6). 

(î)  D'.\kvieux,  t.  I,  p.  .42. —  Savary.  Dictio.iiiaire  col.  1413-14. 

(4)  j\insi,  pour  liquider  les  dettes  de  M.  de  Ccsy,  il  fatbit  loo.ooo  livres  envi- 
ron, «  J'ji  oui  dire  A  des  gens  qui  le  savaient  bien,  rapporte  Chardin,  que  ces 
100. ooi)  livres  furent  remboursées  si  tard,  que  l'intérêt  montait  à  trois  fois  .tutiint 
que  le  capital,  de  manière  que  cette  avanie  coùt.i  prés  de  150.000  écus  à.  la 
anion.  »  (I,  p.  (>).  «  Les  changes  à  .Scyde  s'élèvent  à  2,  5  et  jusqn'.i  4  0/0  par 
Itinc.  I  BB,  I.  29  avril  tCfS,  Delib/tvlionde  la  Clfambre, 


22 


L  ANARCHIE   COMMERCIALE 


I 


res,  les  consuls  prenaient  l'argent  nécessaire  sur  les  navires  qui 
arrivaient  à  l'échelle,  c'est  ce  qu'on  appelait  une  avarie  '.  Le  montant 
de  l'avarie  était  ensuite  reparti  entre  les  chargeurs  des  navires  qui 
l'avaient  pajcc,  selon  la  valeur  des  marchandises  qu'ils  y  avaient. 
Ceux-ci  remboursaient  les  capitaines  qui  avaient  fourni  l'argent  et  fl 
devenaient  les  créanciers  du  corps  du  commerce.  Li  dette  n'avait 
fait  que  passer  de  l'cchelle  A  la  Chambre  du  Commerce  de  Marseille, 
mais  on  avait  échappé  aux  changes  lunaires.  La  levée  de  ces 
emprunts  forcés  qu'on  appelait  des  avaries  donnait  lieu  à  de  très- 
graves  abus,  par  suite  de  l'arbitraire  avec  lequel  on  y  procédait  dans 
les  Echelles;  elle  excitait  des  plaintes  très-vives,  car  les  marchands  qui 
envoyaient  de  l'argent  dans  le  Levant  se  trouvaient  ainsi  subitement 
empêchés  de  ùire  les  opérations  sur  lesquelles  ils  comptaient. 

On  ne  pouvait  employer  ce  moyen  pour  liquider  les  dettes  des 
échelles,  quand  elles  étaient  considérables,  car  les  navires  désertaient 
celles  où  ils  se  savaient  exposés  à  de  grosses  avaries.  Quand  une 
échelle  était  trop  engagée,  il  fallait  demander  i  la    Chambre  du  ^j 
Commerce  l'établissement  d'une  taxe  sur  les  marchandises  qui  y  S 
étaient   chargées.   Mais  la  Chambre  elle-même  devait   demander 
l'autorisation  i  la  Cour,  puis,  la  levée  de  ces  taxes  étant  affermée,  il 
fallait  trouver  un  adjudicataire.  Apres  de  longs  délais,  la  perception       i 
■commençait,  les  dettes  de  l'échelle  allaient  Être  payées.  Il  n'en  était  ■ 
rien  trop  souvent  :  par  suite  de  nouvelles  dépenses,  de  l'intervention 
de  ram'D.assadeur  ou  du  consul,  ou  de  la  friponnerie  des  fermiers, 
les  deniers  étaient  détournés  de  leur  destination;  après  plusieurs      , 
années  de  la  levée  d'une  taxe  destinée  à  libérer  l'échelle,  on  appre-^| 
nait  \  Marseille  que  l'argent  était  passé  en  grande  partie  ailleurs. 
Alors  lesMarseilbis  envoyaient  une  dépuration  au  roi  pour  se  plain- 
dre et  demander  la  déchéance  du  fermier.  Celui-ci  protestait  de  la 
fausseté  des  accusations  dirigées  contre  lui  ;  il  fallait  commencer  une 
enquête  longue  et  difficile,  par  suite  de  la  distance  des  échelles  et  de 
la  contradiction  des  témoignages  et  il  s'engageait  entre  la  Chambre 
du   commerce    et    les    fermiers    d'interminables    procès.    Quand 
l'échelle  était  enfin  libérée  de  ses  dettes,  il  s'était  écoulé  des  années 
pendant  lesquelles  les  changes  lunaires  avaient  continué  A  courir. 

(i)  D.ms  beaucoup  de  documents  les  mots  av.inie  et  avnrie  sont  souvent 
employés  indilîércmment  l'un  pour  l'.iutre.  Ils  avaient  pourt.int  un  sens  très 
(liiïiireitt.  Ce  qui  explique  la  confusion,  c'est  que  l'avarie  se  produisait  généra- 
lement à  la  suite  d'une  avanie. 


I 


LES    AVANÎT-S  25 

Des  aAranies  continueront  ;1  troubler  le  commerce  plus  de  20  ans 
après  qu'elles  s'Ctaient  produites  et  coûtèrent  plus  de  trois  fois  ce 
qu'elles  avaient  rapporté  nu  paclia'. 

Par  suite  d'un  système  aussi  défectueux  et  d'une  confusion  aussi 
inexprimable,  les  Kciielles  se  trouvèrent,  pendant  la  première 
partie  du  xvii'  siècle,  presque  toujours  endettées,  souvent  pour  des 
sommes  considérables.  Les  consuls  de  Marseille  écrivent  au  comte 
de  Brienne,  le  14  mars  165 1  :  «  Il  est  de  notre  devoir  de  vous 
donner  avis  du  déplorable  état  auquel  se  trouve  le  commerce,  par 
l'engagement  presque  général  de  toutes  les  Echelles»*.  En  1661, 
Alexandrie  qui  n'avait  presque  pas  cessé  d'être  imposée  pour  payer 
SCS  dettes,  devait  encore  250.000  piastres'.  En  1654,  l'échelle  de 
Seïde  devait  So.ooo  piastres  dont  elle  ne  parvenait  pas  à  se  libérer, 
malgré  l'assistance  financière  de  la  Chambre  du  commerce  '.  Les 
navires  ne  purent  partir  pour  Alep,  en  1651,  car,  à  cause  des  dettes 
de  la  nation  qui  s'élevaient  à  plus  de  30.000  piastres,  les  capitaines 
étaient  exposés  à  voir  saisir  leurs  fonds  par  le  pacha'.  Aussi  les 
Marseillais,  acciblés  par  tant  de  pertes  réitérées,  disaient-ils  que 
c'étaient  les  avanies  qui  avaient  réduit  le  commerce  dans  le  piteux 
état  où  ils  se  trouvait  vers  ié6o*'.  Les  avanies  auraient,  en  effet, 
suffi  \  expliquer  sa  ruine,  mais,  malheureusement  pour  eux,  d'autres 
maux  non  moins  cruels  avaient  contribué  à  la  rendre  plus  complète. 


(1)  Voir  par  exemple  l'histoire  du  S  o/o  d'Alexandrie,  Ju  j  0/0  d' Alep  et  sur- 
tout t'intcrmiiiablc  liquidation  des  dettes  M.  de  Césy.  (Voir  chapitre  IQ). 

(2)  BB,i6. 

(})  3  ieptrmhrt  1661.  liB,  26, 

(^)  D"Arvieux,  1. 1,  p.  269.  —  En  1658,  laClumbre  lui  envole  25000  piastres 
ur  faire  cesser  les  changes  lunaires,  f]  juin  s6$S.  BB,  36. —  «  Nous  avons 
Éuni  une  .isçeniMéc  pour  tâcher  de  vous  tirer  de  ces  immenses  usures  lunaires, 
mais  il  l'.iut  aussi  Je  votre  côté  vous  y  aider  »  /./  fh'rùr  166 1 ,  BB,  36.  Lettre  de  la 
Chambre  à  la  ttalion  de  Stide . 

(5)  Arch.  Comm.  CorresponJatice.  Lettre  des  Consuls  de  Marseille  à  Ycard,  avocat 
au  Conseil,  iH février  j6jt,  2/  avril  tâjr. 

(6)  Chardin,  t.  I,  p.  6. 


CHAPITRE    II 

LA    PIRATERIE 


La  première  moitié  du  xvii*  siècle  fut  une  belle  époque  pour  la 
piraterie.  Chrétiens  et  musulmans,  Turcs,  Barbaresques,  Maltais, 
Italiens,  Français,  Majorquins  et  Espagnols  s'y  livraient  à  l'envi 
dans  la  Méditerranée,  et  si  chaque  nation  s'indignait  des  ravages 
exercés  sur  ses  côtes  ou  de  la  prise  de  ses  navires,  elle  pardonnait 
aisément  à  ses  corsaires  quand  ils  ramenaient  leur  butin  dans  ses 
ports.  C'est  en  vain  que  les  puissances  concluaient  des  traités  de 
commerce,  où  elles  s'interdisaient  réciproquement  la  course,  et  que 
les  rois  publiaient  des  édits  pour  les  faire  observer.  La  mer,  dit  avec 
raison  d'Avenel,  éveille  l'idée  d'une  vaste  forêt  de  Bondy  où  les 
voleurs  seraient  aussi  nombreux  que  les  voyageurs.  Aussi  ceux-ci  ne 
s'y  risquaicnt-ils  que  s'ils  y  étaient  forcés;  quant  aux  négociants 
qui  y  exposaient  leurs  marchandises  et  aux  marins  qui  les  condui- 
saient, c'était  un  vrai  jeu  de  hasard  qu'ils  pratiquaient,  plutôt  qu'un 
commerce  régulier.  Quand  M.  de  Seguiran  vint  inspecter  les  côtes 
de  Provence  en  1633,  un  marchand  d'OUioules  vint  lui  présenter 
un  projet  pour  combattre  la  piraterie  :  il  avait  vu  ses  marchandises 
prises  trois  fois  par  les  Barbaresques  et  lui  même  avait  été  deux  fois 
retenu  comme  esclave  '.  Le  voyageur  Deshayes  parlant  des  quatre 
routes  qui  conduisaient  à  Constantinople,  dit  «  qu'il  ne  faut  choisir 
la  route  de  mer  qui  est  la  moins  coûteuse  que  si  on  y  est  forcé,  a 
cause  des  corsaires  qui  attendent  entre  Candie  et  la  Morée  »,  et  le 
Hollandais  Spon*  n'ose  pas  aller  par  mer  de  Constantinople  à 
Athènes.  Sur  mer,  les  capitaines  s'attendent  à  tout  moment  à  ren- 
contrer un  ennemi  :   aperçoit-on  au    loin    un  navire,  vite  on  se 

(i)  Seguiran,  p.  275  {Corresp.  de  Sotirdis.  Coll.  Doc.  lu.) 
(2)  Deshayes.  p.  455.  —  Spon,  t.  I,  p.  273. 


LA   PIRATERIE  2, 

détourne  de  sa  route  pour  se  dérober,  car  c'est  peut-être  un  corsaire; 
1.1  rencontre  est-elle  inévitable,  les  deux  navires  se  préparent  tous  les 
deux  au  combat,  même  s'ils  portent  des  pavillons  amis,  car  ils 
redoutent  une  ruse  de  guerre  et  on  ne  désarme  que  quand  on  s'est 
dûment  reconnu,  après  avoir  parlementé  â  distance.  Il  n'y  a  pas  de 
relation  de  voyage  dans  le  Levant,  A  cette  époque,  où  l'on  ne 
trouve  un  ou  plusieurs  récits  de  ces  branle-bas  de  combat:  mariniers 
Cl  passagers  se  hâtent  alors  de  débarrasser  le  pont  de  ce  qui  l'encom' 
brc,  on  apporte  des  matelas  et  des  hardes  pour  former  des  remparts, 
derrière  lesquels  se  pl.iccnt  les  hommes  armés  de  la  mousqueterie 
du  bord,  tandis  que  les  autres  vont  se  placer  autour  des  canons  et 
des  pierriers  ' 

Toutes  les  ijoici;  cuiicn:  tnen.icecs  par  les  corsaires,  mais  il  Irc- 
quentaient  particulièrement  certains  parages  que  devaient  traverser 
les  navires.  Entre  Malte  et  le  cap  Blanc  ils  gardaient  l'une  des  entrées 
des  mers  du  Levant,  mais  c'est  entre  Qindie  et  la  Moréc,  particu- 
lièrement «  sur  le  Cerigue  »  ou  A  la  Sapience,  c'est-à-dire  .S  la  pointe 
de  Cerigo  ou  au  large  de  Modon,  qu'ils  se  tenaient  en  plus  grand 
nombre,  car  c'était  la  route  de  Smyrne,  suivie  par  le  plus  grand 
nombre  de  navires,  et  aussi  celle  de  Constantinople  et  de  l'Archipel. 
Dans  cette  dernière  mer,  ils  occupaient  les  passages  les  plus  fréquen- 
tés. Sur  la  côte  d'Asie  Mineure  on  redoutait  les  «  Bogas  de  Samo  », 
c'est-à-dire  l'entrée  du  golfe  de  Smyrne.  Entre  Chypre  et  Satalie, 
les  corsaires  guettaient  les  bâtiments  qui  se  rendaient  ;\  Alcxandrctte, 
;\  Tripoli  ou  à  Seïde  ;  au  mont  Girmcl,  ils  attendaient  ceux  qui 
nllaient  de  Syrie  en  Egypte.  D'Alexandrie  ou  de  Ro-setie,  on  pou- 
vait les  voir  presque  en  permanence,  épier  l'arrivée  ou  le  départ  des 
navires.  Même  les  Barbarcsqucs  ne  se  gênaient  pas  pour  entrer  et 
séjourner  dans  le  port  d'Alexandrie,  en  dépit  des  capitulations;  ils 
s'y  ravitaillaient  et  osaient  même  venir  y  vendre  leurs  prises*.  Les 
\-aisscaux  fran<;ais  étaient  attendus  dés  leur  départ,  aux  abords  des 


(i)  Fcrnianclcst  poursuivi  trois  fuis  (p.  240-24;. 4>2).  —  Coppin  est  poursuivi 
deux  fois  et  pris,  (p.  1 59,  369).  —  D'.'\rvitux  (I.  32,  III.  Î7-|.|  Tavcrnier  (p.  160, 
2J9)  sont  poursuivis  a  deux  reprise».  — ■  Tlicveuot  est  pris  deux  lois,  etc. 

(2)  «  l.e  port  d'.Mexandrie  est  le  refuge  de  touit  ie%  ci>rs;iires  de  Barbarie,  ils 
vont  tous  avitailler  !.<....  ils  épient  les  v.iisseaux  des  Tnareh.inds  et  quand  ils  sont 
prêts  à  partir,  il  les  vont  attendre  .^  la  mer,  et  s'il  arrive,  comme  il  arrive  souvent, 
'  qu'ils  retournent  nu  dit  Alexandrie  avec  des  esclaves  français,  ils  ne  les  veulent 
point  rendre,  quelque»  plainte*  que  nous  fassions....  encore  que  nous  ayions  de 
Dons  commandements  ci  les  capitulations  ».  —  lyllrt  ilu  comiil  du  Caiif  U  /'•"<• 
Unilier,  la  mai  lôfû.  AA,  i"j. 


26 


L  ANARCHIE    COMMERCIALE 


côtes  de  Provence  et  particulièrement  auprès  des  îles  d'Hyères. 
Fermancl  r.icontc  qu'il  dut  aller  s'embarquer  \  Cannes,  au  lieu  de 
Toulon,  parce  que  les  corsaires  étaient  au  i les  d'Hvèrcs  et  Tavernicr 
fut  poursuivi  au  sortir  même  de  Marseille.  Les  Barbaresques  faisaient 
même  des  descentes  sur  la  côte  et  opéraient  des  rafles  de  prisonniers 
qu'ils  emmenaient  en  esclavage.  Aussi  sur  toute  la  côte  de  Provence, 
de  Bouc  ;\  Antibes,  il  y  avait  de  distance  en  distance  des  tours,  où  se 
tenaient  toujours  des  hommes  de  garde,  qui  prévenaient  de  l'appro- 
che des  galères  ou  vaisseaux  en  allumant  un  ou  plusieurs  feux, 
suivant  leur  nombre.  «  Tous  les  soirs  à  l'entrcc  de  la  nuit,  rapporte 
M.  de  Seguiran,  fl  mesure  que  la  garde  du  cap  et  terroir  de  Sifour 
fait  feu  et  allume  sou  fagot,  celle  dudit  la  Gotat  en  fait  de  même  et 
ainsi  est  continué  en  toutes  les  autres  et  semblables  logettcs,  jusqu'à 
la  tour  de  Bouc  et  c'est  le  signe  qu'on  fait  assure  qu'il  n'y  a  aucun 
corsaire  i  la  côte;  que  s'il  yen  avait  reconnu  quelqu'un, ladite  logette 
ferait  deux  feux  et  consécutivement  toutes  les  autres  qui  sont  depuis 
Antibes  jusqu'ù  la  tour  de  Bouc  :  ce  qui  est  fait  et  achevé  en  moins 
de  demie  heure  de  temps  '  » . 

La  plupart  des  consaircs  cependant  n'avaient  que  de  petits  vais- 
seaux; les  plus  puissants  portaient  de  55  à  40  canons,  mais  les 
autres  étaient  beaucoup  moins  armés  et  incapables  de  lutter  contre 
les  vaisseaux  de  guerre  des  marines  d'alors.  Ils  étaient  bien  supérieurs 
en  force,  pourtant,  aux  navires  provençaux,  dont  les  mieux  armés 
n'avaient  guère  que  10  à  15  canons  et  quelques  pierriers.  Mais 
c'étaient  surtout  leurs  nombreux  équipages,  de  100  à  200  hommes 
déterminés,  qui  donnaient  l'avantage  aux  corsaires  sur  les  Provençaux 
dont  les  plus  gros  vaisseaux  n'avaient  que  50  ;\  70  hommes,  et  la 
plupart  20  à  30  seulement*.  Quant  aux  polacres,  barques  et 
tartanes,  elles  ne  pouvaient  se  défendre  que  contre  les  petits  corsaires 


I 


(i)  Inspection  Je  M.  de  Seguiram  en  1633,  p.  258-259,  384  (Corresfvnd.  dt 
Souniis.  Coll.  Doc,  In.j  Les  principales  tours  étaient  i  Bouc,  au  Bec  de  l'aigle  de 
la  Ciotat,  au  cap  Sicié,  au  cap  Bènat  et  à  Antibes. 

(2)  Voici  l'armement  de  quelques  gros  vaisseaux  que  M.  do  Seguiran  trouva 
au  port  de  Marseille  :  10  two  quintaux,  16  canons  de  fer,  4  pierriers  de  bronze, 
24  mousquets,  24  armes  d'haste,  650  boulets,  70  hommes  (ce  vaisseau  était  d'une 
grandeur  extraordinaire).  —  7.000  quintaux,  10  canons  de  fer,  6  pierriers,  24 

mousquets,  24  armes  d'haste 50  nommes.  —  j.cxxi  quintaux,  2  canons,  6 

pierriers  de    fonte,   12  mousquets,  12   armes  d'haste 24  hommes.  —  5.000 

quintaux,  6  canons,  4  pierriers,  18  mousquets,  12  armes  d'haste.  —  Polacre  de 
2. 500 ^x,  2  canons,  5  pierriers,  10  mousquets,  21  hommes.—  Polacre  de  1.800 
qx,  4  pierriers  de  bronze  et  2  de  fer,  12  mousquets,  6  armes  d'haste,  18  hommes. 
—  Inspection  de  Seguiran,  p.  234-235. 


LA    PIRATERIE  ij 

de  leur  force,  c't-uit  il  est  vrai  le  plus  grand  nombre.  Les  Hollandais 
et  les  Anglais,  au  contraire,  n'envoyaient  dans  la  Méditerranée  que 
de  gros  vaisseaux  capables  de  nisistcr  \  l'attaque  d'un  corsaire  ;  de 
plus  ils  navljjuaient  gcncralcmcnt  de  conserve,  formant  des  convois 
sous  la  conduite  d'un  ou  de  plusieurs  vaisseaux  de  guerre,  aussi  leur 
commerce  se  faisait  avec  beaucoup  plus  de  sdcurité.  Le  seul  avantage 
des  vaisseaux  de  Provence  était  leur  légèreté  et  leur  vitesse  supé- 
rieure ;  aussi  les  corsaires  ne  les  prenaient-ils  jamais  quand  ils 
allaient  en  Ircant,  mais  au  retour  ils  étaient  tellement  chargés  et 
embarrassés  qu'ils  devenaient  pour  eux  une  proie  flicile.  Il  fiiut 
reconnaître  que,  même  quand  l'infériorité  de  leurs  forces  était 
notoire,  les  Marseillais  se  laissaient  rarement  prendre  sans  combat. 
Si  des  Ciipitaines  se  rendaient  devant  une  simple  sommation  pour 
éviter  les  vengeances  des  corsaires,  leur  lâcheté  était  publiée  à  Mar- 
seille et  ils  avaient  à  craindre  d'être  poursuivis  pour  avoir  manqué 
i  leur  devoir.  Souvent,  au  contraire,  capitaines  ou  patrons  se 
défendaient  avec  achamement  et  les  consuls  de  Marseille  récom- 
pensaient par  des  gratifications  leurs  actions  d'éclat.  En  1610  l'as- 
semblée de  la  communauté  de  Marseille  avait  décidé  d'établir  un 
excellent  règlement  :  tous  les  ans  on  ferait  trois  flottes  de  vaisseaux, 
de  4  mois  en  4  mois,  dont  la  moindre  serait  de  6  bâtiments  qui  ne 
.se  pourraient  point  séparer,  soit  en  allant  ou  en  retournant,  sous 
quelque  prétexte  que  ce  fût.  Tous  les  vaisseaux  seraient  bien  munis 
d'hommes  et  d'armes  pour  se  bien  défendre'.  Mais,  ce  règlement, 
comme  tous  ceux  de  ce  genre  qu'on  essaya  d'imposer  aux  Pro- 
vcnç-uix,  ne  fut  pas  longtemps  maintenu,  s'il  fut  jamais  exécuté  '. 
I^cs  .issuranccs  permettaient  bien  aux  armateurs  et  aux  chargeurs  de 
supporter  les  pertes  de  navires  sans  en  être  accablés,  nuis  elles 
augmentaient  les  frais  du  commerce  et  en  diminuaient  considérable- 
ment les  bénéfices.  Grâce  au  malheur  des  temps,  le  service  des 
assiir.iiw-es  ninritinus  nvait  pris  en  Provence  une  grande  extension  et 


(»)  Rurn.  p.  -tjj-36- 

(31  V.  Registre  I  des  insinuations  de  TAmirautù  de  M.  :  Enregistrement  d'un 

1  _„^^  cmn  les  di'putiîs  du  commerce  de  Marseille  et  le  capitaine  Simon 

in  termes  duquel  led.  Dansser  armera  en  guerre  \  vaisseaux  pour  escorter 

A.  ,>,.;,  .ç  mjrchaiids,  28  août  1610,  fol.  291.  —  Qmimission  donnée 

KTal  de  l'amir.nutO  de  ValbcUc  d'Huc  au  capitaine  f-'rançois 

>-    ■■■■  ■ — .  ,-  -    ..'lumandci  les  soldats  formant  l'escorte  des  navires  marchands 

désignés  plus  Jjjut,  in  novembre  16 10,  fol.  297.  —  Anhiv.  Df'parl.  des  B.-du-Rh. 


2S 


L  ANARCHtE    COMMERCtALE 


beaucoup  de  Marseillais,  même  les  gcntîlhommes,  y  employaient 
leurs  capitaux.  Ce  service,  réglé  par  l'usage  et  surveillé  par  les  consuls 
et  les  députés  du  commerce,  fonctionnait  beaucoup  plus  régulière- 
ment que  dans  les  a uta'.s  villes  du  royaume. 

De  tous  les  corsaires,  les  Barbaresques  étaient  de  beaucoup  les  plus 
\  redouter  pour  les  Provençaux.  La  première  moitié  du  xvn''  siècle 
tut  l'époque  de  la  plus  grande  puissance  de  leurs  républiques,  Alger, 
la  plus  prospère,  comptait  environ  loo.ooo  habitants  et  la  course 
était  devenue  leur  seul  moyen  d'existence'.  Ses  reïs  ou  corsaires, 
presque  tous  renégats,  étaient  devenus  de  plus  en  plus  nombreux; 
leur  ilotte  qui  se  composait  déjà  en  1580  de  35  galères  et  25  bri- 
gantins  ou  frégates,  sans  compter  une  grande  quantité  de  barques 
armées  en  course,  s'était  accrue  considérabk'mcnt,  car  en  1620, 
on  vit  sortir  du  port  plus  de  300  reïs  dont  So  commandaient 
de  grands  vaisseau.v*.  Dans  les  guerres  du  xvi"  siècle  ils  avaient 
acquis  la  réputation  méritée  d'être  les  meilleurs  et  les  plus  braves 
marins  de  la  Méditerranée  et  leurs  galères,  par  leur  armement,  le 
soin  et  la  discipline  des  équipages,  avaient  une  supériorité  marquée 
sur  les  galères  chrétiennes.  Plusieurs  milliers  de  juifs  qui  résidaient 
il  Alger  leur  achetaient  le  produit  de  leurs  prises  et  le  revendaient  .'i 
leurs  coreligionnaires  de  Livounit",  ou  même  à  des  chrétiens  et  quel- 
quefoisà  des  marchands  de  Marseille  qui  y  faisaient  de  gros  bénéfices. 
Les  consuls  de  Marseille  s'en  plaignirent  plusieurs  fois  au  roi  et  c'est 
pourquoi  ifs  demandaient  l'interdiction  de  tout  commerce  avec  la 
Barbarie*,  k  Si  les  chrétiens,  écrivaient-ils  au  roi,  n'achetaient 
pas  les   marchandises    prises  par  ceux  de  Barbarie  leurs   pirateries 

cesseraient  bientôt mais  les  sujets  du  roi  d'Espagne,  même  ceux 

de  Maillorquc,  Minorque  et  Sardaigne  vont  ordinairement  en  Alger 
et  Tunis  acheter  les  marchandises  dérobées  comme  font  aussi  ceux 


(1)  Voir  au  sujet  de  la  situation  d'Alger  au  début  du  xvii*  siècle  l'intL-rrcssant 
ouvrage  de  De  Grnnimont.  —  Cf.  Plantet.  Coirespondattce. 

(2)  Le  II  nurs  1623.  61  navires  partaient  ji  la  fois  en  co\iric(Areh.  Cfunibre. 
AA.  so/).  En  r6î6,  le  P.  D.in  dit  qu'ils  avaient  70  vaisseaux  de  40  à  25  pièces 
de  canons  «  tous  les  mieux  armés  qu'il  fut  possible  de  voir,  d  II  faut  y  .ijouter  au 
moins  le  double  de  petits  bùtiments  de  rame  (De  Grammont,  p.  18;).  Le  Mer- 
cure de  France  estimait  le  nombre  de  leurs  corsaires  à  huiciante-cinq.  (Plantet, 
p.  17.  Mercure  de  Fratue,  VI,  .170). 

(})  V.  ArJi.  Chumh.  Hfi,  4,  22.  —  Voir  dans  les  registres  de  l'amirauté  de 
Marseille  de  nombreuses  ordonnances  d'iiuerdiction  en  160.).,  1607,  1611,  1615, 
fol.  «55,  198.  506,  352,  357.  Arcb.  Di'part  dfs  B.-dn-Rh.—  \'.Çi\T.  1618  (////, /), 
juillet  161J,  (Arch.  Comm.},  octobre  i6}i  (HH,  .f),  septembre  i6j8  {HH,  /). 


LA    PIRATERIE 


29 


JcNicet'i  dtr  Vilicfranche,  mais  plus  frcqueinnient  ceux  dcLivoume, 
M.  le  Gr.ind  Duc  permettant  que  toute  sorte  de  nations  fasse  le  trajet 
Je  Barbarie  et  Livournc  et  y  porte  les  dites  prises'.»  Un  religieux 
Récollet  esclave  à  Tripoli  écrivait  aux  consuls  de  Marseille  au  sujet 
de  ces  patrons  de  barques  qui  venaient  acheter  les  produits  des 
prises  et  les  portaient  à  Livourne  :  «  Leur  ayant  demandé  de  quelle 
conscience  ils  osaient  faire  ce  initier,  ils  allèrent  jusqu'il  dire  que 
le  pape  était  le  beau  premier  qui  autorisait  ces  brigandages,  et  que 
s'ils  s'en  allaient  ;^  Civiu-Vecchla  avec  leur  barque^  ils  y  seraient  les 

bien  venus  et  aussi  bien  reçus  qu'à  Ligourne que  cent  autres  en 

faisaient  autant  et  plus  tous  les  jours,  ;\  Tunis  et  en  Alger,  Enfin, 
leur  disant  comment  ils  feraient  pour  se  confesser,  ils  me  faisaient 
réponse  que  pour  1/4  de  piastre  ils  trouveraient  plus  de  prêtres  qu'ils 
n'en  voudraient'.» 

La  taïffe,  ou  corporation  des  reïs,  devint  alors  la  vraie  maîtresse 
d'Alger.  C'étaient  eux  en  effet  qui  faisaient  vivre  la  République. 
C'est  sous  l'influence  des  reïs  renégats  qu'Alger  s'atlVanchit  de  plus 
en  plus  de  l'obéissance  ik  la  Porte;  ce  sont  eux  qui  rendirent  inutiles 
les  nombreux  commandements  que,  depuis  de  Brèves,  nos  ambassa- 
deurs obtinrent  pour  leur  interdire  la  course  sur  les  vaisseaux  fran- 
çais'. Toute  paix  était  devenue  impossible  A  observer  pour  les  Algé- 
riens; vouloir  la  leur  imposer  c'était  leur  demander  de  se  condamner 
eux-mêmes  X  la  ruine.  Les  pachas  se  trouvèrent  alors  dans  une  sin- 
gulière situation,  exposés  .\  un  double  danger  de  perdre  leur  tète: 
s'ils  laissaient  trop  ouvertement  violer  la  paix  avec  les  Français,  les 
plaintes  des  ambassadeurs  pouvaient  les  faire  destituer,  comme  il 
arriva  en  I<îl9';  s'ils  voulaient  la  maintenir,  ils  provoquaient  le 
mécontentement  des  reïs  et  de  la  milice,  outre  qu'ils  perdaient  un 
grand  profit.  Dès  lors,  ils  changèrent  de  tactique  et  se  mirent  à  épier 
soigneusement  les  moindres  infractions  i  la  paix,  pour  les  transfor- 
mer en  un  casusbelliet  se  donner  un  prétexte  plausible  pour  recom- 


(t>  Miwcirf  ail  roi  t^  juillet  tôij,  HH,  i.  (En  marge)  ;  S.  M.  répond  qu'elle 
&:rira  à  ses  ambassadeurs  et  .igents  rilsidant  auprès  de  ces  princes. 

(2)  ^J,  }JS,  î;  avril  {(<}.(. 

<J)  V.  Lrttit  tif  Si  lie  Ciiy,  lo  *f/fUiiih,'  1624,  AA,  14]:  «  Ces  ^ens-ci,  dit-il,  tic 
veulent  ni  ne  peuvent  cli.Uier  ceux  de  Barb.irie,  vu  que  c'est  maintenant  leur 
bra>  dfoit  et  la  princiale  force  (ju'ils  aient  par  mer.  »  —  Voir  une  série  d'autres 
Ictiresdc  1624.  AA,  14]. 

(4)  Lettre  tU  CoiiHanlinopk  aux  consuls  de  Maneilli:,  ju  imirs  ;6;y.  AA,  16S. 


30  L  ANARCHIE    COMMERCIALE 

mencer  leurs  larcins  suns  risquer  leur  tète*.  »  Il  faut  dire  que  les 
occasions  de  rupture  ne  manquaient  pas  aux  pachas,  les  Français  ne 
montrant  pas  plus  de  respect  pour  la  paix  que  les  Algériens  eux- 
mêmes.  Nos  corsaires,  Toulonnais  pour  la  plupart,  se  souciaient  peu 
de  l'observer,  car  elle  ne  profitait  qu'aux  Marseillais  leurs  rivaux.  Les 
consuls  de  Marseille  entendaient  mieux  les  intérêts  du  commerce 
et  les  délibérations  des  Bureaux  du  commerce  montrent  qu'ils  tai- 
saient tous  leurs  efforts  pour  bien  accueillir  les  Algériens  qui  venaient 
dans  nos  ports*. 

En  1609  la  fuite  du  corsaire  flamand  Simon  Dansser  ou  Dansa 
qui,  après  avoir  foil  longtemps  la  course  :\  Alger,  vint  s'établir  en 
France,  et  l'enlèvement  de  deux  cinons^  qu'il  vendit  au  duc  de 
Guise,  fut  le  prétexte  d'une  guerre  qui  dura  vingt  ans.  Marseille, 
douloureusement  atteinte  dans  son  commerce,  résolut  de  se  défendre 
elle-même  et  arma  des  galères  dont  le  commandement  fut  donné  à 
M.  de  Mantin  et  .\  J.icques  de  V'incheguerre,  chevalier  de  Malte; 
ces  deux  hardis  marins  firent  bientôt  redouter  leurs  noms  sur  la  cote 
d'Afrique.  En  l6l6,  les  Algériens  voyant  se  continuer  ces  arme- 
ments, se  décidèrent  ;\  traiter  et  envoyèrent  deux  députés  ;\  Mar- 
seille. Les  pertes  des  armateurs  français  s'élevaient  déjà  à  3.000.000 
de  livres  sans  compter  la  valeur  des  captifs*.  La  paix  fut  jurée  dans 
une  grande  assemblée,  en  présence  du  comte  de  Joigny,  général 
des  galères  de  France.  Mais  les  députés  envoyés  de  Marseille  pour 
la  faire  ratifier  et  échanger  les  captifs  furent  fort  mal  reçus  p.ir  le 
divan  et  la  milice  et  obligés  de  se  rembarquer  rapidement,  car  on 
menaçait  de  les  m.iltraiter".  La  cour  se  décida,  en  161  S,  .\  faire  un 
puissant  armement,  dont  le  duc  de  Guise  exposa  le  plan  dans  une 
grande  assemblée  à  Marseille*.  Les  Algériens,  effrayés,  envoyèrent 


(i)  De  Grammos:t,  p.  i}5. 

(a)  .Irch.  comniiéiiaks  J(  M.  Dilthiralions,  3}  stbtcmbrt  i6aj  :  Fournitures  de 
vivres  et  J'agrcs  faites  aux  galères  algériennes  mouillées  aux  iles. 

(5)  V.  Dt  Grammokt:  Le4  deux  can,ms  Jt  Smoii  Dama.  Alger,  1879. 

(4l  De  1611  à  161 },  d'après  une  liste  drt-ssée  par  les  députés  du  commerce  au 
grcfi'c  de  l'amirauté,  les  Algériens  avaient  pris  )  vaisseaux,  1  polacrc,  3  barques  et 
]  tartane.  A.1,  J44.  —  «  En  i6t6  les  corsaires  d'.\frique  prirent  tant  de  voiles 
sur  la  ville  de  Marseille  dans  sept  ou  huit  mois  que  la  perte  égala  i  j  ou  iSooooo 
livres.»  Ruffi,  p.  458. 

(j)  Arcl.  commun.  Dilibcratiom.  16  «■//.  1616,  ij  août  ijij,  t)  nov.  j6ij, 

(6)  AiitmbUf  du  13  juilltt  i6iS.  Arch.  commun.  Voir  Registre  J  âts  Jiisinitali<ms 
âr  l'amirauti,  fol,  fo-i,  joS,  deux  arrêts  du  Conseil  ;\  ce  sujet. 


LA    PIRATERIE 


Je 


deux  ambassade 


faire  la 


fut 


nouveau  deux  ambassadeurs  pour  laire  la  paix  qui  lut  conclue 
après  un  an  de  négociations'  et  les  préparatifs  étaient  faits  pour  le 
retour  des  négociateurs  à  Alger  quand  une  catastrophe  imprévue 
vint  rallumer  la  guerre. 

La  nouvelle  arriva  à  Marseille  de  la  prise  d'une  pobcre  par  les 
Algériens  qui  avaient  mis  ù  mort  tout  l'équipage  dans  l'espoir  qu'il 
n'y  aurait  personne  pour  révéler  cet  odieux  attentat.  Aussitôt,  la 
populace  furieuse  se  porta  sur  le  quai,  aux  maisons  où  les  ambassa- 
deurs algériens  étaient  logés  avec  les  esclaves  qu'ils  devaient  rame- 
ner, et  les  massacra  malgré  les  efforts  des  consuls'.  En  vain  le  Parle- 
ment de  Provence,  le  21  mai  1620,  condamna  à  mort  quatorze  des 
chefs  du  mouvement  et  en  envoya  d'autres  aux  galères,  une  émeute 
formidable  éclata  à  Alger  le  8  août;  il  fut  un  instant  question  de 
brûler  vifs  le  consul  et  les  résidents  français  et  la  guerre  recommença 
sans  merci.  Le  commerce  français  essuya  des  pertes  d'autant  plus 
grandes  que  tous  les  vaisseaux  marchands  étaient  sortis  dts  ports  sur 
la  foi  des  nouveaux  traités.  Le  général  des  galères  Emmanuel  de 
Gondi  partit  en  croisière  A  la  fin  de  juillet  1620  et  prit  ou  coula  six 
gros  vaisseaux  aux  Algériens,  mais  il  eût  fallu  agir  contre  la  ville 
elle-même  pour  obtenir  un  résultat  sérieux. 

L'année  suiv.inte,  les  consuls  de  Marseille  s'adressèrent  A  Louis 
de  Prévôt  sieur  de  Bcaulieu,  vaillant  capitaine  qui  commandait  la 
galère  du  duc  de  Guise.  En  deux  mois  de  croisière,  pendant  la  plus 
mauvaise  saison,  il  s'empara  successivement  de  trois  vaisseaux  et 
d'une  barque,  il  avait  diminué  les  forces  d'Alger  de  530  marins. 
Puis  les  Marseillais  firent  un  armement  de  trois  vaisseaux  comman- 
dés par  Théodore  de  Mantin,  vice-amiral  des  mers  du  Levant,  pour 
convoyer  les  navires  marchands  ;  de  Mantin  soutint  devant  Syracuse 
un  combat  furieux  contre  cinq  corsaires  algériens  et  sauva  le  convoi 
qu'il  escortait*. 

Le  Divan  d'Alger  qui  s'était  préparé  cette  année-li  «  .1  armer 
huictante   navires  de    guerre,  aux   fins    de    saccager  La    Ciotat, 

(t)  V.  Dilibéralions  des  iS  et  J3  décembre  lùtS,  if  janvier  161^,  16  octobre  lônj, 
1  janvier  1620,  i"fhrier  1620.  Aich.  commun. 

[2)  14  mars  1620.  V.  .'tssemblh  du  ts  murs  1620.  Arch,  commun.  —  V.  DE 
Crammost  :  Histoire  du  massacre  des  Turcs  à  Marseilleen  1620.  Paris,  Champion, 
1879,  tn-]6. 

(}1  V.  Archiv.  Commun.  Délibérations,  i S  décembre  1621,  9  mars  1612.  —  V. 
RuFFi,  p.  463-466.  —  Le  duc  de  Guise,  amir.il  du  Levant,  avait  fait  voter  un 
^rinà  armctnent  dans  l'Asieniblèe  du  8  novembre  1620,  nuis  il  n'eut  pas  lieu. 


Mylb 


32 


L  ANAKCMIE    COMMERCIALE 


Cassis  Cl  louie  la  Provence,  mettant  6.000  hommes  en  terre  »', 
n'avait  jni  accomplir  ses  desseins.  Cependant  le  roi  s'était  adressé  à 
la  Porte  et  les  démarches  actives  du  comte  de  Césy  firent  décider 
renvoi  à  Alger  de  Soliman,  tchaouch  du  Grand  Seigneur,  en  1622'. 
Mais  celui-ci  négocia  pendant  toute  l'année  1623  sans  rien  obtenir 
et  les  commandements  de  la  Porte,  renouvelés  avec  plus  de  force, 
furent  en  vain  signifiés  aux  Algériens,  en  1624,  1625  et  1627  *. 

Pendant  ce  temps  les  Barbaresques  n'avaient  pas  cessé  leurs  ravages. 
Alors  même  que  leurs  députés  séjournaient  à  Consiantinople,  ils 
«  étaient  à  Scio  et  encore  plus  prés  A  garder  les  passages,  ne  laiss;int 
passer  aacun  vaisse;iu  sans  lui  donner  la  chasse  et  ayant  même  été 
dans  le  port  de  Scio  attaquer  et  barques  et  vaisseaux  français.  » 
Pour  les  en  éloigner,  le  Sultan  irrité  dut  les  menacer  de  les  fiire 
couler  par  la  forteresse  de  Chio.  L'ambassadeur  profita  du  mécon- 
tentement pour  faire  prendre  une  décision  énergique  :  «  Ce  matin, 
écrit  Césy  le  10  novembre  1627,  en  présence  de  Sa  Hautesse,  il  a 
été  décidé  de  faire  venir  le  casteian  de  Pogia  pour  être  châtié  d'avoir 
reçu  une  prise  sous  la  forteresse  du  G.  S.  et  d'envoyer  un  aga  par 
tous  les  lieux  maritimes  depuis  Satalie  ;\  Durazzo  défendre  sous 
peine  de  la  vie  aux  Beys  et  Cistelans  de  recevoir  les  corsaires  et 
même  leur  refuser  l'eau  et  le  biscuit  comme  A  des  rebelles  »  *. 

Enfin  la  paix,  signée  par  Sanjon  Napoilon,  le  19  septembre  1628, 
vint  rendre  au  commerce  la  sécurité  que  l'autorité  du  Sultan  était 
impuissante  à  lui  assurer.  Les  pertes  du  commerce  français  avaient 


(i)  iMlre  du  Consul  Chain  aux  Consuls  lUMaisdUe.  A  A,  462. 

(2)  V.  Lettres  de  M.  d(  Cesv  aux  Citusiils  de  Marseille,  ij  septembre  /<«23,  if 
noirmbre,  7  décembre  1631.  AÀ,  14}, 

(î)  En  1624,  le  sieur  Vcnéricr  est  envoyé  à  Alger  .ivcc  un  cipiJji.  (V.  Lettres 
de  Cèsy.  AA,  14}.  —  En  162) ,  les  Algériens  eux-mêmes,  alors  en  guerre  avec  les 
Angl.iis  et  les  IIolLinJais,  menacés  en  outre  par  un  grand  armement  que  prépa- 
rait le  duc  de  Guise,  envoient  des  députés  d  Marseille  pour  traiter.  (Aichiv. 
Commun.  Delib.  du  16  Jèvrit-r  el  21  mars  i('2j).  linlin  Sanson  Napoilon,  envoyé 
•^  Consiantinople  Jés  U>2},  va  négocier  la  paix  à  Alger,  162^.  —  V.  I.i-oS 
DouKGUÉs.  Sansmi  S'iipolhii. —  Dii  Giiammont  :    Lti  mission  de  Sanson  Napollcti. 

(4)  Lettres  de  Ce'sy  aux  Consuls  de  Marseille,   }  mars  it>2j,  1  j  avril  i62j,  10 
novembre  tb2'/.  AA,  14}.  —  Le  Sultan  n'était  d'ailleurs  pas  mieux   obéi  par  ses  1 
officiers  que  par  les  Barbaresques,  témoin  la  lettre  que  Césy  écrit  quelques  mois 
après,  le  6  mars  1628  :  «  Ces  jours-ci  voyant  que  Scio.  Foggia  et  autres  lieux  de  ' 
déi;i  devenaient  une  petite  Barbarie,  je  pris  occasion  d'exclamer  sur  ta  prise  de  1.1 

polacrc J'ai  olneiiu  que  le  châtelain  de  Foggia  avec  le  bey,  le  chi.iya,  le  navp 

cl  Y'A^i  de  Scio  seraient  amenés  à  cette  Porte  où  je  les  poursuis  vivement  les 
ayant  fait  mettre  en  prison.  Les  ministres  du  G.  S.  les  pinceraut  rudement  par 
la  bourse.  »  AA,  14}. 


I 
I 


LA    PIRATERtl 


33 


L-iii  t-nomics  dans  cette  seconde  période  de  l.i  guerre:  de  1613  i 
1621,  les  corsaires  avaient  ramentl-  936  bAtiments  dans  le  port 
d'Alger.  Encore  n'est-ce  pas  le  nombre  total  des  prises,  car  ils  ne 
se  donnaient  souvent  pas  la  peine  de  remorquer  les  vaisseaux  qu'ils 
avaient  pris,  mais  ils  les  coubient  à  fond  ou  les  incendiaient.  S'il 
faut  en  croire  Isaac  de  Razilly,  il  y  avait,  en  1626,  près  de  8.000 
matelots  français  retenus  comme  esclaves  A  Alger  et  A  Tunis  '. 

Les  premiers  temps  qui  suivirent  la  paix  furent  heureux  et  le 
traité  produisit  de  si  bons  effets  qu'un  an  après  l'échange  des  signa- 
tures il  ne  restait  à  Alger  que  deux  captifs  français  que  l'on  recher- 
chait activement  pour  les  rendre.  Le  général  des  galères  d'Alger 
écrivait  aux  consuls  de  Marseille  qu'il  viendrait  au  printemps  sui- 
vant les  \isiter  avec  ses  galères  *.  Mais  ce  furent  les  Marseillais  eux- 
mêmes  qui  commirent  une  série  d'infractions  i  la  paix.  C'est  en 
vain  que  Sanson  Napollon  essaya  de  calmer  les  Algériens,  les  reïs 
recommencèrent  leurs  courses  et  la  guerre  reprit  de  plus  belle,  le 
Divan  n'ayant  pu  obtenir  satisfaction. 

De  1629  à  1634  le  P.  Dan  estime  que  les  Français  perdirent 
4.572.000  livres  par  la  capture  de  80  vaisseaux,  dont  50  des  ports 
de  l'Océan,  et  de  133 1  marins  ou  passagers.  Même  le  sieur  Blan- 
chard, député  par  la  ville  de  Marseille  en  1632  pour  racheter  des 
esclaves,  écrivait  qu'il  y  avait  ;'!  Alger  2. 300  Français  déjà  vendus  ou 
en  dépôt  dans  les  bagnes*.  La  cour  de  France  hésitait  A  renouer 
des  négociations  et  il  y  avait  dans  le  Conseil  un  parti  qui  voulait 
une  guerre  sans  merci  et  l'extermination  de  la  marine  barbaresque  ; 
le  parti  de  la  paix  l'emporta  et  on  envoya  A  Alger  Sanson  Lepage, 
premier  héraut  d'armes  de  France,  pour  demander  la  restitution 
des  captifs  et  un  nouveau  traité*,  mais  il  revint  à  la  tin  de  1634  sans 
avoir  pu  rien  conclure.  Richelieu  se  décida  à  contenir  les  Algériens 
par  des  croisières,  tandis  qu'il  chargeait  inutilement  Sanson  Lepage 
en  1637  d'une  nouvelle  mission. 


0)  V.  MiiiiiiCfils  de  l'iirnc  VI,  fol.  ùi  tt  63.  Bibl.  de  Cnrpentras,  cité  par 
Du  Cramhont,  p.  ]6o.  —  Mitnoirt  Je  A'u^iVi'v, />. -27,  cité  p.\rrititoNSH.\u,  II.-ijo, 

{i)  Le  36  «Icccmlire  162S.  V.  Piastet,  Cotrespondauce. 

(O  hltie  du  tS  aitii  t6^2.  AA,  .jfi}.  —  Les  consuli  Je  La  Gotai  dirent  .1 
M-  de  Stguiran  en  16^5  qu'en  une  iculir  anncc  ils  avaient  perdu  2;  barques  et 
l)0  de  leurs  meilleur'*  jiidrtn:>,  —  luijtdiou  de  M.  Jr  Sf};uirtiu,  (>.  jjy.  Coir.  df 
Sxmidii.  —  Doi.  In. 

t4)  Le  P.  Ujn,  r^demptariste,  .luiciir  d'une  intéressante  histoire  de  la  Barbarie, 
accûinjugnait  Santon  Lep.igc. 


34 


L  ANARCHIE    COMMERCIALE 


G.'S  négociations,  accompagnées  de  faits  de  guerre,  ne  firen 
qu'exaspérer  les  Algériens,  au  moment  où  les  diflîcultés  de  I; 
guerre  de  trente  ans  et  la  présence  de  la  flotte  Espagnole  sur  noi 
côtes  ne  permettaient  à  Richelieu  de  rien  tenter  contre  eux  en  163 
et  en  1639.  Heureusement  le  désastre  que  firent  subir  les  Vénitieni 
à  la  flotte  Barbaresque,  unie  à  celle  du  sultan  dans  l'archipel  au  porl 
de  la  Velone  (1638),  empêcha  les  Algériens  de  profiter  de  notn 
impuissance.  La  mort  de  Richelieu  amena  la  cessation  déiinitive  de 
croisières  reprises  en  1640  et  1641  '. 

Les  difficultés  financières  croissantes  et  les  troubles  qui  agitèreni 
le  royaume,  empêchèrent  Mazarin  de  les  continuer  et  les  MarsetUaij 
épuisés  ne  pouvaient  songer  A  faire  eux-mêmes  des  armements. 
Sans  les  Vénitiens  et  les  chevaliers  de  Malte,  la  Méditerranée  eût  éti 
abondonnée  sans  défense  à  la  piraterie.  Enhardis  par  l'impunité, 
les  corsaires  vinrent  jusques  dans  les  eaux  de  Marseille  dont  pourtani 
les  galères  sortirent  pour  leur  donner  la  chasse,  mais  on  dut  se 
borner  ù  assurer  la  sécurité  des  côtes*.  C'est  dans  ce  but  qu'en  1653 
Anne  d'Autriche  accorda  aux  Marseillais  sa  galère  La  Reyne,  la  plu 
forte  de  toutes,  et  qu'en  1656  le  roi  leur  en  fit  donner  une  autre*. 

Pendant  ce  temps,  notre  consul  était  mis  aux  fers  en  1650  et  y 
restait  jusqu'en  1652  sans  que  nous  demandions  de  réparation  ;  on 
se  contenta  de  déclarer  que  le  consulat  d'Alger  serait  supprimé 
Quand  Mazarin  fut  délivré  de  la  guerre  contre  l'Iispagne,  il  put 
songer  A  venger  ces  insultes.  Dès  iX)^S  il  donna  l'ordre  au  chevalleE 
de  Cler\'iUc  de  reconnaître  les  côtes  de  la  régence  pour  y  chercher 
un  endroit  favorable  A  une  Installation  permanente  :  c'était  la 
première  idée  de  l'expédition   de  Diidjclli.  En  même  temps  le  roi 

(r)  Au  sujet  de  ces  arin».Tncnts.  voir  ia  corrtsbondana  de  Soiirdis.  Doc.  In.  îl, 
clxtp.  A',/!.  }<>i-i4S  ■  Expéditions  contre  les  Etats  B.irbarL'squt's  1637,  î^-  î9'  4*^.  4* 
—  Coi respoii,! .  de  RUMieti,  IV,  575,  V,  loji,  106S,  Vil,  26s  —  Mimoire  iur  lf$ 
affaires  J'Algn  de  16 ji  li  f^;<;.  A rchivrs  dts  aff .  Ûr.  Mim.  el  Doc.  Atgrr,  AT.  — 
De  Grammovt.  Mission  de  Sanson  Lepage,  Alger  1S80.  —  Hist.  d'Alger,  p.  167» 
191.  —  Pi.AKTCT  —  SrtiN,  Un  dessein /rau{ais  sur  Alger  el  Tunis  sous  Louis  XIII, 
Revue  de  Géogr.  1883.  p.  21-29. 

(2)  V.  Arch.  Comiii.  de  M.  DélîWrations  :  27  juUlel  164s.  Les  corsaires 
sont  aux  lies  d'Hyùres,  on  ne  peut  amier  une  galère,  20  décembre  1646.  Priirc  i 
M.  de  Vincheguerre  d'armer  des  galères  —  22  jativ.  164^.  Négociations  i.  la  cour 
pour  un  armement  —  9  Jhr.  164"].  Prière  â  l'archevêque  d  Aix  de  faire  sortit 
quelques  galères. 

(})  V.  Lettres  de  Louis  XIV,  Arme  d' Autriche,  Mazarin  aux  Marseillais  (mars, 
avril,  mai  t6u)  AA,  j;  BD,  Si.  —  LeUre  de  l'avocat  au  conseil  Ycard,  so  mil 
j6}6  :  lettre  de  Louis  XIV,  S  Jhr.  tùjô,  BB,  Si. 


LA    PIRATERIE 


35 


autorisait  secrètement  le  commandeur  Paul  A  tenter  une  entreprise 
contre  Alger  et  faisait  armer  activemant  à  Toulon,  mais,  faute 
d'entente  avec  le  commerce  de  Marseille  pour  les  dépenses,  l'arme- 
ment ne  fut  pas  poursuivi.  Ainsi  depuis  léio,  sauf  une  seule  anntie 
d'interruption  (1628-29),  la  guerre  n'avait  pas  cessé  avec  les 
Algériens  '.  Par  les  chiflVes  qui  nous  sont  parvenus  sur  les  premières 
années  de  la  .^uerre  on  peut  juger  dts  pertes  énormes  que  supporta 
le  commerce'  ;  on  peut  admettre  qu'elles  furent  moindres  pendant 
l'époque  des  croisières  organisées  par  Richelieu  (1635-41),  mais 
pendant  les  vingt  années  qui  suivirent,  il  resta  exposé  sans  défense  à 
toutes  les  attaques  des  corsaires. 

Les  autres  Barbaresques  furent  loin  de  lui  faire  subir  auunt  de 
maux  que  les  Algériens.  Tunis  était  beaucoup  moins  puiss;mte 
qu'Alger  et  elle  vécut  souvent  en  paix  avec  les  Français.  Le  gouver- 
nement était  à  peu  près  le  même  qu'il  Alger,  mais  le  pacha  n  y  avait 
même  plus  le  pouvoir  nominal*.  Depuis  i6oo  environ,  le  clicf 
suprême  était  le  dey,  élu  par  b  milice,  qui  gouvernail  avec  le  divan 
des  janissaires,  mais  la  taïffe  des  reïs  avait  le  même  pouvoir  occulte 
qu'à  Alger  et  son  chef,  le  capitaine  général  des  galères,  ou  bey, 
participait  officiellement  au  gouvernement  ;  c'était  le  second  person- 
nage de  la  république  et  souvent  il  contresignait  les  actes  publics 
avec  le  dey  j  en  réalité,  il  avait  plus  de  puis&mce  que  le  dey  lui- 
même.  Durant  cette  période,  les  Tunisiens  avaient  environ  6  ou  7 
galères,  5  ou  6  gros  vaisseaux  eC  un  certain  nombre  de  petits  bâti- 
ments '  ;    ils   étaient  loin   des   So  gros  vaisseaux   des  Algériens. 

(1)  Il  faut  remarquer  cependant  que  depuis  1628  In  rupture  ne  fut  pas  oflicielle. 
Ainsi  If  Pacha  dans  ses  lettres  à  Louis  \lV,  en  1648,  en  1661,  proteste  de  son 
disir  de  maintenir  la  paix.  (V.  Pl.\\tet,  p.  53,  S7) 

(2)  Il  faut  se  dclîer  des  chiffres  qui  sont  cités  dans  les  diffc'rcnts  ouvrages  qui 
ont  traité  de  cette  question,  car  ils  se  contredisent  singulièrement. 

(;)  «  On  lui  fait  beaucoup  d'honneur,  mais  il  n"a  point  de  voix  au  Conseil 
d'Etal  et  il  ne  se  niclc  de  rien  que  de  boire,  manger  et  se  divertir  comme  bon  lui 
Ktiiblc  avec  les  appointements  que  la  république  tiii  donne. ,  .  il  ne  peut  sortir  de 
sa  m.iison  sans  la  permission  du  day  et  il  faut  qu'il  s'accoutume  :i  cette  soumission 
s'il  veut  demeurer  en  place,  car  s'il  témoigne  quelque  répugnance,  le  Divan 
s'assemble  et  sans  autre  formalité  on  le  tait  embarquer  et  on  le  renvoie  à 
Constantinople.  »  D'Arvieux,  t.  IV,  p.  55.  — «  Il  lui  en  coûte  même  100  piastres 
chaque  fois  qu'il  veut  sortir.  »  Thévenot,  p.  551. 

(4)  Kn  1618,  ils  ont  6  galères  et  5  gros  vaisseaux.  Lillre  du  consul  de  Tunis 
tS  lurvetnb.  1618,  AA,  ;ri.  —  Dans  peu  de  jours  il  doit  sortir  7  galères  de 
Bizerte.  Id.  3  mai  1624.  AA,  ^12.  —  «Les  7  g.ilères  de  Bizerte  sont  sorties  de 
b  Goulctte.  »  /;  juilld  jôif.  AA.sij-  —  En  1666,  d'après  d'Arvieux,  Tunis 
entretenait  :  «  3  galères,  6  ou  7  vaisse;mx  et  un  nombre  de  barques  de  brigan- 
tines  et  autres  petits  bitimcnts.  » 


'il 


I 


i: 


36  l'anarchie  commerciale 

Cependant  ils  ne  laissaient  pas  d'être  redoutables,  puisqu'en  1657 
ils  avaient  dans  leurs  bagnes  lo  à  12000  esclaves  chrétiens'.  Leur 
port  de  guerre  principal  était  Bizerte  où  stationnaient  les  galères  ; 
il  était  mieux  placé  pour  l'attaque  que  la  Goulette  et  offrait  un 
refuge  assuré,  tandis  que  les  chrétiens  vinrent  souvent  attaquer  leurs 
navires  sous  le  canon  du  mauvais  fort  qui  protégeait  ce  dernier  port. 
Quelques  petits  corsaires  partaient  aussi  de  Sousse  ou  d'autres  ports 
de  la  régence.  La  course  nourrissait  les  Tunisiens  comme  les  Algé- 
riens, mais  ils  avaient  aussi  d'autres  ressources  et  attachaient 
beaucoup  plus  d'importance  au  commerce.  «  Les  ports  de  ce 
j^  royaume,  dit  d'Arx'ieux,  sont  libres  à  tout  le  monde,  toutes  les 

Jl    ,  nations  y  sont  bien  venues  quand  elles  y  viennent  pour  trafiquer. 

j;;  *:  Les  Maltais  même,  quoique  ennemis  irréconciliables  des  Tunisiens, 

\  viennent  charger  des  blés,  des  légumes  et  autres  marchandises  avec 

'I ,  leurs  propres  bannières  déployées,  on  les  reçoit,  on  commerce  avec 

eux  et  ils  font  tout  le  commerce  qu'ils  veulent  *.  » 

.\vec  une  pareille  population,  la  paix  devait  être,  et  fut  en  effet 
■  ,    "  plus  facile  à  entretenir  qu'avec  les  Algériens.  Déjà,  en  1605,  de 

Brèves  avait  réussi  à  lui  faire  recevoir  les  commandements  du  G.  S. 
•  il.  ,  et  à  lui  faire  promettre  d'observer  la  paix.  Cependant  les  Tunisiens 

i  ;  violèrent  bientôt  leur  parole  ;  ils  continuèrent  leurs  courses  tout  en 

!j  prétendant  maintenir  la  paix,  et  trouvaient  toujours  des  prêtentes 

pour  justilîer  leurs  pri>es*  :  de  161 1  à  161 5,  ils  prirent  6  vaisseaux 
et  2  barques  *,  plus  que  les  .-Vlgériens  dans  le  même  temps,  et  dans 
les  six  mois  qui  suivirent,  S  vaisseaux  e:  barques  tom'?èrent  encore 
entre  leurs  mains  ■.  La  situation  i'aggrava  en  1614  :  M.  de  Mantin 
vin:  >e  prc^enter  .1  la  Goulette  avec  un  gros  vaisseau  e:  deux  pataches 
pour  raire  des  represcntaîior.s,  nuis  un  conliit  écla:a  et  il  se  retira 
e"  prena:::  deux  v.xis>caux  ;  pour  »e  veni^er  le  dey  mis  les  résidents 
:"ra"çai>  i  la  ch.;:"e,  leur  ni  ra>er  la  barbt  c:  ordonna  à  ses  capitaines 

.:■  :V.  ;-. 

:■  Li ..;..  .-.    'i':.  ..'..  >  T.--.   :.-■:    .-i.-i,   ;     .  —  Kr.  irio.  les  Mar- 

v^-....>  .-.Tv^:-.:  ■•■,•;•.. .~:c:-.:  j.— .:-l  i-_\  ;  •. ^;>>viu\  ^■,":""-..-.~ii-^  r-2r  le  fameus 
S. "UT.  l"^..:-.v:.  >-.-.  :.■::■:.'-.■.  -.•..:  ir_h:>.-"  t:-::^  l^->  :•.■._■::>  ii->  T:;r.is:i-:î>.  —  Le 
«■.■.•■.-;»■.«  .■.■•-■...  c.  "...;■;..■.-  ..  ■...!->^;.\  n.-.->  ^-;::i  ?.;;;i>.  —  En  ifii,  JcJn 
.:»  F.:.";,  w.-..  .  ..  '...:>  •.■.■.•.  .»  J_;  .:^  t-.;..-»  ?.::  '::.;.-;  jj  :o:.  i.-&sjyj  en 
•....-.   ^..      .j:.-..  .  .   —    :  :    :.-::.    .^>    V...'..   .  .-   v:..:.-:    p,".:r   .-;s  mois  jvec 


LA    PtRATERIl  ^^^H~  37 

Je  prciidie  les  vaisseaux  de  Marseille,  d'en  noyer  les  capitaines  et 
écrivains  et  de  réduire  les  mariniers  en  esclavage  '  ;  cet  ordre  fut 
exécuté  pour  22  barques  de  la  côte  de  Provence  que  les  galères  de 
Bizertc  prirent  pendant  le  mois  de  juin.  L'année  suivante,  377 
esclaves  français  s'adressaient  A  Marseille  pour  obtenir  leur  liberté'. 
En  1616,  Sanson  Napollon,  consul  d'Alcp,  qui  devait  plus  tard 
montrer  son  habileté  diplomatique  en  rétablissant  la  paix  d'Alger, 
obtint  du  Grand  Vizir  des  commandements  pour  faire  restituer  les 
esclaves  et  les  marchandises  et  les  fit  porter  par  un  envoyé  accom- 
pagné d'un  Ichaouch  de  la  Porte*,  tandis  que  les  Marseillais,  qui 
souflrircnt  cette  année-là  leurs  plus  grosses  pertes,  se  décidèrent  ;\ 
faire  La  dépense  d'un  puissant  armement.  Us  équipèrent  cinq  grands 
vaisseaux  et  deux  pataches,  chargés  de  1500  soldats.  M.  de  Vinche- 
guerrc  qui  les  commandait  alla  se  présenter  devant  Tunis  et  fut  assez 
heureux  pour  signer  la  paix.  Issouf-dey  montra  aux  négociateurs 
beaucoup  de  bonne  volonté  dans  la  restitution  des  prises  et  le  traité 
fut  solennellement  ratifié  le  17  août  [617  à  Marseille  par  les  envoyés 
du  dey  et  le  comte  de  Joigny,  général  des  galères,  au  nom  du  roi*. 
Cette  nouvelle  paix  ne  fut  pas  mieux  respectée.  En  i6i8i  la  nou- 
velle que  le  capitan  pacha,  au  lieu  de  punir  Hassan  Aga  de  Bizerte 
qui  avait  pris  un  vaisseau  de  Marseille'',  avait  partagé  avec  lui 
l'argent  de  la  prise  et  l'avait  fait  bey,  Issouf-dey  commanda  A  ses 
cinq  vaisseaux  de  prendre  en  mer  tout  ce  qu'ils  trouveraient  et  en 
quelques  jours  ils  envoyèrent  ;\  la  Guulette  deux  vaisseaux  français. 
En  1620  ils  s'emparaient  d'un  chargement  de  la  valeur  de  800.000 
livres  venant  d'Alexandrette,  cependant  ils  ne  prirent  pas  prétexte 
du  massacre  des  Algériens  à  Marseille  pour  rompre  la  paix.  Pendant 
ks  années  qui  suivent,  la  correspondance  du  consul  dcTunis  est  rem- 
plie par  les  nouvelles  de  prises  faites  par  les  Tunisiens.  Aux  plaintes  du 
consul  ,  le  dey  répondait  «  qu'il  n'avait  nullement  pour  agréables 
les  dites  courses,  mais  que,  quand  les  cors;iire,s  étaient  A  la  mer, 

0)  Md-rac  lettre. 

U)  Mémoire  pùur  Its  pauvrts  adtvts  ftastçais  dt  Tunis,  3<j  sept.  IS'S»  ^^i  i44- 
Liste  de  Î77  noms. 

(\)  iMire  de  Santùii  XapoVûu  aux  consuls  de  Af,,  6  fk'n  s6l6.  A  A,  )6f. 

{■y\  Arcinv.  Cimimun.  DiUbh lUiam ,  if>  nof.  1616.  iSnm'.  1616,  fj  iioùl  iôi~. 
V,  Citrusp.  titfoyie  de  Tunii  aux  (otiitih  de  Marsrillt.  AA,  jw  et  s  N-  l'ublicc 
p.ir  r^NiuT.  t.  I,  p.  9  et  suiv. 

(;)  G:  fait  est  rappelé  Jjns  un  Cahitràt  doWancesde  la  ville  Je  Marseille  adressé 
«u  roi  le  (S  janvier  1620  et  publié  par  Flantet,  t.  1,  p.  40-4}. 


L  ANARCHIF.    COMMERCIALE 


il  ne  pouvait  nullement  les  commander,  o  En  163 1,  sous  prétexte 
qu'un  corsaire  tunisien  avait  é-tc-  mis  i  mort  à  Marseille  et  ses  gens 
mis  i  la  chaîne,  il  laissait  vendre  publiquement  les  Françùs  au  bazar, 
ce  qui  ne  s'était  pas  encore  vu.  Les  corsaires  de  Tunis  venaient 
jusqucs  sur  les  côtes  de  Provence  :  deux  ans  de  suite  le  redoutable 
Sanson  croisa  aux  abords  des  îles  d'Hyèrcs  avec  ses  cinq  gros 
vaisseaux'.  Après  18  ans  de  cette  paix,  malgré  les  nombreuses  resti- 
tutions d'esclaves*  accordées  par  Issouf-dey,  «  une  infinité  de  person- 
nes qui  avaient  des  parents  esclaves  »  priaient  les  consuls  de  les 
racheter  et,  en  1643,  150  esclaves  français  réclamaient  encore  leur 
libération'.  Du  côté  des  Français,  il  est  vrai,  le  respect  du  traité  n'était 
guère  plus  grand,  ainsi  qu'en  témoignent  les  nombreuses  demandes 
de  restitutions  lattes  par  l'intermédiaire  du  consul  ou  par  les  lettres 
du  dey  lui-même*.  Ces  violations  fournissaient  aux  corsaires  le  pré- 
texte, qu'ils  étaient  heureux  de  saisir,  de  continuer  leurs  dépréd.i- 
tions  ;  en  vain  le  consul  alléguait-il  au  dey  que  les  prises  étaient 
faites  par  ceux  de  Toulon  :  «  il  ne  se  peut  faire,  écrit-il,  de  lui  ôter 
de  la  tète  que  vous  ne  commandez  toute  la  province'.  » 

Les  consuls  de  Marseille  mirent  toute  leur  application  h  conserver 
cette  paix,  si  illusoire  qu'elle  fût.  Ils  s'armèrent  de  patience  et  adop- 
tèrent vis-À-vis  des  Tunisiens  une  conduite  toute  différente  de  celle 
qu'on  tenait  vis-à-vis  des  Algériens.  Le  consul  de  Tunis  leur  écrivait 
avec  raison  que,  s'ils  voulaient  faire  un  armement,  il  fallait  en  faire 
un  sérieux,  car  autrement  ils  ne  feraient  qu'exciter  les  corsaires  et  il 
valait  beaucoup  mieux  supporter  les  choses  comme  par  le  passé'.  Le 
mauvais  succès  des  petits,  mais  coûteux  armements,  tentés  contre  les 
Algériens,  dut  convaincre  les  Marseillais  de  la  justesse  du  raisonne- 


I 

■ 

I 
I 


(  I  )  Voir  Lfttrti  du  consul  de  Tunis  aux  consuls  de  MarseilU,  particulicretnent  i S  no- 
vembre téiS;  31  mars,  21  avtil  1630  ;  j  juillel,  it'  sepUmhrt  163:  ;  27  mars,  3} 
airil  1613;  30  août  i(>3y,  9  narvtnû're  1634;  so  fhrùr  :6iS\  11  ûinl  163^; 
31  it<n>emhre  i6)0  ;  tn  avril,  14  octobre  tôji,  etc.  AA,  fu-jt;.  Beaucoup  de  ces 
lettres  ont  tic  publiées  p.ir  PtA\TET.  Conesp. 

(2)  V.  PL\NTEr.  p.  XLV.  la  liste  des  cnvoyC's  extraordinaires  qui  se  rendirent  .'i 
Tunis  pendant  cette  période  pour  retirer  des  esclaves  et  taffemiir  la  paix.  Parcou- 
rir la  correspondance. 

(5)  Archiv.  communales.  DéU'b.  39  septembre  ï6j4.  —  Lettres  des  conntls  au  amtte 
de  èrieitne,  ij  novembre  1^43.  Arch.  commun. 

(4)  Lettres  du  consul.  7  înillet  lôip,  3j  mars  1633,  13  juillet  1634,  sn  avril  i6jO, 
t"  aoiit  161J,  3S  janvier  i6jS.  .1A,  s'i-pj.  Lettres  iFlssouJ iay,  AA,  $44.  V. 
celles  publii-cs  pjr  Plantet,  Corresp. 

(5)  13  juillet  J614.  A  A,  iS3. 

(6(  r.V  nafeitthrt  s6iS.  A  A,  jtt.  Publiée  en  partie  par  Pustet,  p.  28. 


LA    PIRATERIE 


39 


nient,  car  ils  ne  tentèrent  jamais  de  répondre  aux  pirateries  des 
Tunisiens  par  des  représailles.  A  chaque  nouvelle  d'une  prise,  ils 
entamaient  des  négociations  par  l'intermédiaire  du  consul  pour  en 
olncnir  la  restitution  ;  si  les  relations  devenaient  plus  tendues, 
ils  envoyaient  pour  les  rétablir  des  députés  connus  k  Tunis'.  Quand 
leurs  corsaires  apparaissaient  sur  les  côtes  de  Provence,  au  lieu  d'en- 
voyer des  galères  les  chasser,  ils  faisaient  partir  une  barque  avec  des 
députés  pour  leur  représenter  le  tort  qu'ils  avaient  de  violer  la  paix, 
cl  grice  à  quelques  présents  on  parvenait  souvent  ù  les  éloigner'.  De 
temps  en  temps  l'ambassadeur  obtenait  de  la  Porte  des  commande- 
ments qui  n'étaient  pas  sans  effet  sur  les  Tunisiens.  Bien  que  les 
barbaresques  eussent  peu  de  crainte  de  la  Porte,  il  était  bon  de  faire 
renouveler  ces  commandements,  car  ils  s'autoris;iient  des  avanies  que 
nous  souffrions  alors  dans  le  Levant  pour  prétendre  que  l'alliance 
entre  la  France  et  le  Grand  Seigneur  était  rompue*.  Mais  ce  qui 
maintint  surtout  la  paix,  ce  furent  les  présents  que  les  NLirseillais, 
sortant  de  la  parcimonie  maladroite  qu'on  leur  reprochait  dans  leur 
commerce  du  Levant,  surent  envoyer  à  propos  au  dey  et  au  général 
des  galères.  Ces  présents,  peu  considérables  chaque  fois,  qui  consis- 
Liient  en  horloges,  vestes,  fruits,  ou  en  une  somme  d'argent  de 
quelques  ccntiincs  de  livres,  éuient  souvent  renouvelés,  même  plu- 
sieurs fois  dans  une  année,  et  étaient  portés  parfois  par  des  envoyés 
spéciaux  pour  leur  donner  plus  de  valeur*.  Ce  qui  produisait  encore 
un  plus  heureux  effet  sur  les  Tunisiens,  c'était  les  esclaves  que  les 
consuls  de  Marseille  rachetaient  et  renvoyaient.  Marseille  donnait 
même  asile  aux  musulmans  esclaves,  échappés  des  pays  voisins  et  les 
consuls  prenaient  soin  de  les  rapatrier  dans  leur  pays.  «  La  cause 
principale  des  bonnes  dispositions  d'Issouf-dey,  écrit  le  consul,  n'est 
que  pour  le  passage  que  vous  donnez  à  tous  les  musulmans  que  vous 
recevez  devers  vous*.  » 


II)  Un  marchand  marseillais,  .Vf.  Bércngier.  qui  leur  fut  envoyé  plusieurs  fois, 
avait  auprès  d'eux  bcauccuip  de  crcdii.  .Irch.  rowm.  lyilli.  i6iS-i^;  f  juin  1612. 

(2)  Arch.  commun.  Di'lih.  ;fi  mai  1623,  6  mai  1624. 

(j)  V.  LtUres  lit  Vumluissadeur,  jo  fèvrifr  fôiS,  12  mai  té  18,  plusieurs  m  J624, 
)  mars,  16  avril  162J,  AA,  142,  14}.  —  Leitrt  du  comul  dé  Tunis,  j  juillet  1621, 
AA,  ils. 

(4)  Arch.  commun.  'Diltb.  sS  nuti  i6tS,  t6  octchrf  i6t^,  1}  fh'ricr  SÙ3),  26  ff- 
vritr  1626,  r S  juin  i(<2j,  9  octobrt  16 jr.  —  PuNTETa  publié  p.  ioi-t02  la  liste 
des  prissent  s  pnrti-s  en  1629  par  Bcrcngier. 

(j)  39  ncKtmbte  1624.  AA,  }i2.  V.  Arch.  commun.  Délit,  i  S  juin  i62y,  24  oclo- 
kt  t6fi.  —  Corrtspond.  consulairt.  AA,  ;is-stf. 


40  L  ANARCHIE  COMMERCIALE 

Grâce  A  ces  habiles  ménagements,  les  Marseillais  paninrent,  sinon  Si 
empôclier  les  prises  des  reïs,  du  moins  à  entretenir  les  bonnes  disposi- 
tions des  deys  ci  à  en  obtenir  la  restitution  d  une  bonne  partie  de  c 
qui  était  pris.  Issouf-dey\qui  garda  le  pouvoir  jusqu'en  1637,  ne  cessa 
de  protester  auprès  des  consuls  de  Marseille,  de  son  désir  de  maintenir 
la  paix  et  il  en  donna  des  preuves  en  renvoyant  de  nombreuses 
prises  et  en  faisant  délivrer  la  plupart  des  Français  esclaves  ;  il  fit 
même  interdire  en  1624  de  les  vendre  publiquement  au  bazar 
«  JusquW  présent,  écrit  le  consul  la  même  année,  tous  les  Français 
qui  sont  arrivés  ici  il  les  ont  rendus,  saufquelqucs  garçons  qu'ils  font 
faire  turcs  »  ;  en  un  un  il  avait  reçu  240  esclaves  délivrés*.  Issoui 
vint  même  avec  trois  galères  de  Tunis  mouiller  aux  îles  de  MarseiiW 
pour  faciliter  la  négociation  de  Sanson  Napollon  avec  les  Algériens*, 
Dans  les  six  années  qui  suivirent  il  fit  délivrer  plus  de  3  50 Français 
et  si,  en  1635,11  fallait  envoyer  deux  religieux  de  la  Trinité  pou; 
racheter  ceux  qui  se  trouvaient  encore  en  grand  nombre  à  Tunis^ 
c'est  que,  pour  différentes  raisons,  ils  pouvaient  être  considérés  comme 
de  bonne  prise,  soient  qu'ils  eussent  essayé  de  combattre,  soit  qu'ils 
eussent  été  pris  sur  des  navires  étrangers*.  Osta  Morat'  le  capitaine 
généra!  des  galères,  qui  lui  succéda,  avait  toujours  été  en  bons  terme 
avec  les  consuls  ;  il  se  montra  peut-être  encore  mieux  disposé  poui 
les  Français,  etquand  il  mourut, en  1640,1e  consul  écrivait  au  sujcj 
de  son  successeur  Amat  (Ahmed)  qu'il  méritait  beaucoup  d'égardi 
H  ayant  d'affection  particulière  pour  les  Marseillais,  »  En  effet,  er 
1643,  il  promettait  de  leur  rendre  les  150  esclaves  français  qu'i 
y  avait  à  Tunis,  si  on  lui  renvoyait  1 5  ou  20  de  ses  musulman 
qui  étaient  prisonniers  sur  les  galères  de  France" .  Les  deys  trouvaiciil 
d'ailleurs  tout  avantage  au  maintien  de  cette  situation  :  ils  évitaient 
des  représailles  qui  pouvaient  être  dangereuses  de  la  part  de  la  France, 

(i)  Djns  ses  lettres  il  signe  Issouf  day,  Issuf  day,  Issouf  dei. 
(2)  L-ttre  du  2  mai  1634.  AA,  s  12,  publiii  par  PLAKTirr,  p.  67. 
(j)  RuFFi,  p.  47$. 

(4)  Lefirf  du  7  octolire  i6}2.  AA,  JI4  ;  24  itpttmhie  t6}}.  AA,  jrf.  —  Cefët|3 
Jant  1.1  cupidité  des  Tunisiens  les  poussait  h  abuser  de  ces  prétextes  pour  rctenf 
Je  meilleur  des  prises  en  faisant  quelques  restitutions  jwur  jeter  de  la  poudre  ai 
yeux,  comme  l'écrivait  le  consul  :  1 1  avril  162').  AA,  ii.j  ;  /j  juillet  162},  AA,  ;» 

(5)  Il  signe  ainsi  toujours  ses  lettres.  AA,  S44. 
(6j  LiUlr,'  diicoiisiil,  2S  juillet  1640.  AA,  j/5,  dans  Plaktet,  p.   ijS.  —  Lttii 

dm  consuls  dt  M.  au  comte  de  Biieune,  pour  le  supplier  d'accorder  ces  vingt  galérieni 
tj  um'embie  1643.  Aich.  Connu.  —  tt  septembre  1646.  Lettre  des  consuls  de  M, 
Amat,  dey  de  'l'unis,  pour  le  remercier  de  sa  protection. —  Arch.  Coinm. 


LA    PIRATERIE 


4ï 


I 


I 


tandis  que  leurs  vaisseaux  pouvaient  trouver  un  refuge  dans  nos 
ports  ;  ils  entretenaient  avec  nous  des  relations  de  commerce  avan- 
Ugcuscs  ;  ils  évitaient  aussi  de  se  brcniiller  avec  l.i  Porte,  et  cepen- 
dant, grâce  aux  présents  qu'ils  recevaient  et  ù  ce  qu'ils  savaient  conser- 
ver des  prises,  ils  ne  perdaient  pas  tous  les  profits  que  la  course 
eiit  pu  leur  procurer. 

Ainsi,  les  Marseillais  avaient  su  trouver  dans  leurs  relations  avec 
Tunis  la  meilleure  façon  de  vivre  avec  les  Barbaresques.  Sans  doute 
Li  sécurité  de  leur  commerce  n'était  pas  complète  ;  les  présents 
qu'il  bllait  envoyer,  les  restitutions  partielles  dont  il  tallait  se  con- 
tenter, étaient  des  humiliations  difficiles  .\  supporter,  mais  n'étaicni- 
clles  pas  préférables  à  ces  coûteux  armements  que  le  commerce  dut 
payer  contre  les  Algériens,  sans  en  retirer  d'autres  bénéfices  que  de 
voir  ses  pertes  se  multiplier.  C'était  ce  que  devaient  mieux  faire 
voir  encore  les  inutiles  démonstrations  navales  tentées  par  Colbert, 
à  la  suite  desquelles  la  cour  de  France  dut  se  résigner  A  suivre  avec 
tous  les  Barbaresques  la  tactique  que  les  Marseillais  avaient  inau- 
gurée avec  Tunis. 

Les  Tripolins,  comme  on  les  appelait  alors,  parurent  d'abord 
bien  moins  dangereux  que  les  autres  Barbaresques,  car  leurs  forces 
étaient  bien  moins  considérables  :  en  réi2,  ils  n'avaient  que  quatre 
navires  en  campagne  pendant  l'hiver  et  ils  armaient  trois  galères 
pour  l'été.  Malgré  le  petit  nombre  des  reïs  et  de  la  milice,  le  pacha, 
que  les  documents  appellent  parfois  émir  et  bey,  n'avait  conservé 
l.\  aussi  que  le  pouvoir  nominal  et  le  vrai  chef  était  le  dey:  «  Chafer 
dey,  notre  patron,  écrivent  des  esclaves  français  aux  consuls  de 
Marseille,  commande  tout  ce  pays  et  ne  tient  point  compte  du 
pacha  »  '.  Mais  les  Tripolins,  plus  rapprochés  de  Constantinople,  et 
et  plus  exposés  aux  visites  du  capitan  pacha,  devaient  davantage 
tenir  compte  des  commandements  du  Grand  Seigneur  et  de  l'auto- 
rité de  son  représentant.  Sous  Henri  IV,  les  Français  avaient  un 
consul  X  Tripoli,  mais,  soit  qu'on  eût  jugé  inutile  d'en  entretenir 
un  pour  le  peu  de  commerce  qui  s'y  £iis.iit,  soit  qu'on  eût  voulu 
éviter  des  avanies  répétées,  il  n'y  en  avait  plus  en  léio  et  c'était  un 
prétexte  pour  les  reîs  de  courir  sur  nos  vaisseaux.  En  1612,  il  y 
avait  150  Français  esclaves,  tous  pris  depuis  deux  ans  :  «  Cliafer  dey. 


(i|  iSjcciiii  r6i^.  .4A,  jjf    Utlrcs  d'tsclaves. 


42  L  ANARCHIE    COMMERCIALE 

écrivent-ils',  prend  sujet  que  nous  n'avons  point  de  consul 
qu'il  n'a  point  de  paix  avec  nous  »  pour  courir  sur  nos  vaisseaux. 
Il  semble,  d'aprcs  les  lettres  de  l'ambassadeur  Harlay  de  Sancy,  qu'il  ^ 
y  eut  un  traite  fait  en  1617  avec  Tripoli   en   même  temps  qu'avec  ^ 
Tunis  et  il  envoya  A  deux  reprises  des  comnundemcnts  de  la  Porte 
pour  affermir  la  paix*.  h 

\Liis  les  Tripolins  s'irritèrent  des  égards  que  les  Marseillais  fl 
avaient  pour  les  Tunisiens  qui  recevaient  des  députations  et  des 
présents,  tandis  qu'on  semblait  les  dédaigner;  leurs  pachas  ne  cessaient 
de  rccbmer  un  consul,  poussés  bien  plus  par  leur  cupidité  que  par 
leur  amour-propre*.  Dès  1620,  ils  faisaient  une  guerre  ouverte  aux 
Fran<;ais  qui  ne  cessèrent  de  se  plaindre  i  la  Porte*:  en  1629,  150 
esclaves  françiis  sollicitaient  leur  délivrance.  Les  forces  des  Tripo- 
lins devinrent  alors  plus  redoutables  :  ils  armèrent  en  course  les 
navires  dont  ils  s'emparèrent,  mais  surtout  ils  furent  renforcés  par 
un  certiin  nombre  de  corsaires  d'.Alger  et  de  Tunis  qui,  gênés  par 
les  traités  de  paix  faits  avec  la  France,  vinrent  y  continuer  leurs  pira- 
teries. C'était  une  coutume  chez  les  Barbaresques,  de  changer  ainsi 
de  ville  pour  éluder  les  traités  qui  devenaient  illusoires,  tant  qu'on 
n'avait  pas  la  paix  avec  toutes  leurs  républiques  à  la  fois.  Ces  Tripolins 
d'adoption  étaient  d'autant  plus  dangereux  qu'ils  faisaient  des  prises 
sans  combattre,  nos  n.ivires  les  laissant  s'approcher  sans  défiance, 
parce  qu'ils  les  croyaient  d'Alger  ou  de  Tunis*.  En  janvier  1651, 
200  autres  captifs  et,  deux  mois  plus  tard,  50  nouveaux  prisonniers 
étaient  enfermés  dans  les  bagnes  de  Tripoli.  Les  Tripolins  avaient 
alors  en  mer  quinze  vaisseaux,  poLicres  et  barques,  bien  armés  et 
trois  galères  ;  ils  se  faisaient  plus  redouter  que  ceux  d'Alger  et  de 


I 
I 


(1)  Mhm  UUrt.  —  Cqvndint  d'après  un  mss,  de  U  Bihl.  nat.  Nicolas  Brun 
est  pourvu  de  Tofficc  de  consul  i  Tripoli  en  novembre  1615,  par  la  risignation 
de  Fmisois  Dumas.  —  En  1619,  le  même  Brun  est  indiqué  comme  possédant 
cette  m^e  charge.  —  mus.  Jr.  26jj8,/cl.  loi-ioi,  1 10-11  j. 

(a)  10 fivtitr t6iS,  limai  i6tS.  AA,  142. 

{%\  J  mai  16x4,  Lettrt  du  amsvJ  Jt  Tumù.  AA,  $12.  —  i^jam:  i6ji,  Uttre 
JTtsamm  :  «  Us  veulent  un  consul,  qu'on  leur  fasse  même  obéissance  qu'à  Tunis 
et  à  Alger  ».  AA.m 

(4)  El'.  it  nommer  i  Tripoli  dcspichas  qui  étaient  ses  obligés.  1 

—  V.  k:  i  luats  tàjj   AA,  -.4}. 

(>)  •  Parce  qu  autrefois  Ic^  Corsaires  qui  n'osaient  se  retirer  en  -Mger  cl  Tunis 
alLuent   <l>CTchcr   leur  retraite    i  Tripoli,  j'ai    obtenu   d«    commandements  du 

Grand  ScijtTK-ur,  alin  que  telle  chose  n'aJvicimc  plus mais  il  sera  besoin  que 

vo«is  cnwvic*  un  consul  r^isiJer  au  dit  Tripoly k  Leitrr  Jt  C/'sf,  2}  avril  j6j; 

AA,  t4\,  —  V.  Laui  J'éttlattt,  fo  morû  162^,  A  A,  fff. 


LA    PIRATERIK  43 

Tunis,  parce  que  leurs  corsaires  croisaient  tous  aux  abords  des 
Echelles,  où  les  armements  du  roi  ne  pouvaient  pénétrer'.  Les  Mar- 
seillais se  dccidcrcnt  à  négocier  ce  leur  envoyèrent  le  capitaine  Jean 
Beau,  mais  ils  commirent  la  maladresse  de  faire  présenter  au  pacha 
des  présents  qu'il  trouva  trop  mesquins  et  indignes  de  lui  '.  Cepen- 
dant, il  promit  son  amitié,  si  on  voulait  établir  un  consul,  et  il  fit 
cadeau  de  fort  beaux  chevaux  au  maréchal  de  Vitr}-,  gouverneur  de 
Provence.  Mais  les  conditions  qu'il  fit  au  capitaine  Beau  étaient 
peu  favorables.  Li  négociation  n'aboutit  pas  en  définitive,  on 
n'envoya  pas  de  consul  et  les  courses  continuèrent.  Elles  durèrent 
jusque  sous  Louis  XlVct  lesTripolins  devaient  attendre  longtemps 
encore  avant  de  se  décider  A  la  paix. 

Les  cors;tires  de  Salé  comptaient  parmi  les  plus  redoutables*,  mais 
c'est  surtout  dans  les  mers  du  Ponant  qu'ils  exerçaient  leurs  ravages. 
Cependant  on  les  voyait  souvent  dans  la  Méditerranée  occidentale 
avec  quelques  barques  de  ceux  de  Tetouan.  De  ce  côté,  Richelieu 
réussit  h  garantir  notre  commerce.  Isaac  de  Razilly  vint  exiger  des 
habitants  de  Salé  la  délivrance  des  esclaves  chrétiens,  moyennant 
rançon,  la  liberté  du  commerce  et  du  culte,  l'établissement  d'un 
coasulat  et  la  promesse  de  ne  plus  faire  les  Français  esclaves  (3  sep- 
tembre 1630).  L'année  suiv.inte,  il  signa  avec  le  sultan  du  Maroc 
un  traité  de  commerce  qui  stipulait  la  restitution'  des  esclaves,  l'ou- 
vcrturc  des  ports  aux  Français,  moyennant  les  droits  d'usage,  et 
rautons.atiùn  pour  la  France  d'établir  des  consuls  dans  toutes  les 
villes  où  elle  le  jugerait  convenable  (ty  et  24  septembre  1631).  Ce 
traité  fut  renouvelé  le  18  juillet  1635  parduChalard,  qui  racheta  304 
matelots  pour  216.000  livres,  payées  généreusement  de  sa  propre 
fortune  *.  Sans  doute,  ces  traités  ne  furent  pas  scrupuleusement 


(1)  Lettrtt  d'eickvis,  inairil  i62<),  2;  jaiivifr  if>}iy  /  awil  i6}i .  —  iSjuitttl 
J6ju  3  mai  lè}^.  AA.  /;î.  —  Lellre  du  capitaine  } tan  Btau  :  «  C'est  le  lieu  qui 

•  Cti  le  plus  i  craiuJrc  que  Argcr  et  Tunis  tout  ensemble  aujourd'hui  ».  S  mai  16^4. 
*AA,sii. 

(2)  Leltft  lif  Stamft  Paclm  aux  comuh  dr  Mannik,  S  mai  i6j4.  AA,  SfS- 
(})  ><  Les  Cors.iircs  Je  Salé  et  de  Tctou;in  qui  armaient  au  moins  60  navires.... 

'  avïÎL-nt  priï  en  8  ans  plus  de  6.ooû  esclaves  et   15  ,(XX),ooodc  livres  dont  les 2/} 

appartenaient:!  notre  pays».  Pigf.okneal",  t,  11,  p.  405. 
(4)  V.  ces  traitiSs    dans   Isambekt.  Rtcuril  des  lois,  et  dans  Dumont,   Coips 

Dipi.  t.  V,  2 <  part,  p.^13,  VI,  in  pan.  p.  19-20,   i  ij-i  14.  —  Nomination  Je 
[■Trantfcis  Je  Hoyer,  seigneur  de  Bandol,  ii   l'ntïice  Je   consul   Je  France  à  Saffi, 

Mogador  et  Sainte  Croix,  29  mars  1647,  Amiraulf,  Registre  t  des  Insinuations,  fol. 

6ff^  —  Il  y  avait  déjA  un  consulat  de  Fer  et  Maroc  depuis  Henri  IV. 


44  L  AXARCHIE    COMMERCIALE 

observés;  pour  les  éluder,  les  Saletlns  allaient  souvent  à  Tunis  ou  à 
Alger  avec  leurs  prises  françaises  et  y  vendaient  publiquement  leurs 
marchandises,  malgré  les  plaintes  de  nos  consuls.  Cependant,  ils 
firent  peu  de  mal  en  somme  au  commerce  du  Levant. 

Nos  marins  avaient  encore  à  redouter  les  Turcs  eux-mêmes; 
puisque  les  pachas  et  autres  officiers  de  la  Porte  accablaient  les  Fran- 
çais d'avanies,  pourquoi  les  beys  des  galères  se  seraient-ils  montrés 
plus  respectueux  des  Gipitulations  ?  «  Les  bâchas  et  les  principaux 
ministres  de  l'Etat,  écrivait  le  consul  d'Alep  en  1624,  n'ont  pas 
honte  de  dire  publiquement  que  Dieu  suscite  les  corsaires  de  Bar- 
barie pour  châtier  les  chrétiens,  qui  seraient  à  leurs  portes  et  raviraient 
leurs  personnes  et  facultés,  sans  le  secours  de  leurs  armes,  tellement 
qu'ils  ne  font  plus  de  diflférence  entre  les  chrétiens  amis  ou  ennemis 
et  le  général  de  la  mer  ne  se  cache  point  à  MM.  les  ambassadeurs, 
lorsqu'il  envoie  ses  galères  prendre  la  part  du  butin  qu'ils  ont  £iit 
sur  les  vaisseaux  des  marchands,  en  sortant  des  ports'.  Puisque  les 
galères  du  G.  S.  en  usaient  ainsi,  les  cors;iires  turcs  n'a\'aient  guère 
.\  redouter  de  châtiment  s'ils  couraient  sur  les  Français.  Aussi  il  y 
en  avait  toujours  un  certain  nombre  dans  l'Archipel  ;  la  seule  diffi- 
culté qu'ils  rencontraient  c'était  de  pouvoir  écouler  le  produit  de 
leurs  prises,  car  s'ils  les  avaient  amenées  da.ns  les  ports  de  Turquie, 
r.unl\iss.ideur  en  eût  obtenu  la  restitution,  mais  ils  s'entendaient 
.ivec  les  Barbaresques  auxquels  ils  les  vendaient,  à  Rhodes  particu- 
lièrement *.  Bien  plus,  des  Français  pris  sur  les  navires  marchands 
devenaient  esclaves  dans  les  Kignes  du  Grand  Seigneur.  Si  Tamhas- 
s.iJeur  en  réclamait  la  lilxTté,  on  savait  lui  donner  le  change,  comme 
le  montre  une  curieuse  lettre  d'esclaves  franç.iis.  adressée  aux  consuls 
de  Marseille.  »  Dernièrement,  dis.iient-ils,  ctant  dans  la  prison  des 
esclaves  du  G.  S.,  nous  sortiront  de  nuit  tous  les  Français  pris  en 
marchandise  et  nous  amenèrent  sur  une  des  galères  de  la  garde  de 
Rhodes,  laouelie  la  même  nuit,  taisant  voile,  prit  la  route  de  ce 
p.'.ys,  por.r  otcr  le  moyen  à  .Wgr  l'ambass-ideur,  de  nous  donner  la 
lixrté'.  .^  Il  est  vr.v.  o".e  lis  sivets  di:  G.  S.  rris  contrairement  aux 


>.ç:-:x:.  .   .:.       .  ■.-:.  .-:.-;.    -,-.—  .t,<;?<  .V;;  .•    i  .    ...•.•■.••,■  ■-'•jr.  .-i.-i.  ]-j.  Du 

:v.  ç:"«  vt  ;".  >,--.-.s  .:, ^  ^> '  J;^  G.  s.  :  »  N.".;?  >.^..:;:i^">  ô.iv  !o:>  plus  J*incoin- 

:".:vV;.:-.  ^  vi ,:;  '.".i  .;.•.>.■.>  f.;:;^:",.-:-.:.-  c:-.  ;,"  ;v.\>-.:;  .:.:'..■.•.  ivirK'.ric  çuo:<juc  l'on  vous 


LA    PlKATHRIi; 


45 


Capitulations  n'étaient  pas  moins  nombreux  sur  les  galères  du  roi  de 
France. 

Comme  si  ce  n'était  pas  assez  des  corsaires  musulmans,  la  Médi- 
terranée était  encore  infestée  de  corsaires  an^^lais,  majorquins,  dun- 
kerquois,  génois,  messinois,  qui  tous  s'entendaient  pour  attaquer  les 
Français;  quand  la  guerre  éclatait  avec  leur  nation,  leur  nombre  et 
leur  audace  redoublait.  Pendant  la  minorité  de  Louis  XIV,  les  Mar- 
seillais redoutèrent  plus  les  corsaires  «maillorquins  »  que  les  Barba- 
resques  eux-mêmes.  Avant  1648,  malgré  la  prise  de  Ste-Marguerite 
par  les  Espagnols  en  163  5,  et  les  menaces  de  leur  flotte  contre  la  côte 
un  J636,  la  Provence  n'eut  .\  souffrir  beaucoup,  ni  de  leur  armée 
navale,  ni  de  leurs  corsaires,  à  cause  des  armements  que  Richelieu 
tint  chaque  année  en  mer,  sous  le  commandement  de  Sourdis  tt 
d'Harcourt,  et  que  Mazarin  put  d'abord  continuer.  Mais,  les  années 
suivantes,  les  Majorquins  apparaissent  fréquemment  jusqu'en  vue  de 
Marseille,  surtout  au  moment  où  les  barques  de  la  côte  se  rendent  à 
la  foire  de  Beaucairc  (juillet-août).  Eu  1648,  les  consuls  de  Marseille 
remercient  le  gouverneur  de  St- Tropez  de  l'avis  que  deux  vaisseaux 
majorquins  sont  le  long  de  la  côte,  mais  il  sera  presque  impossible 
de  leur  courir  sus,  parce  qu'on  a  mis  toutes  les  galères  qui  ont  pu 
ser\ir  à  l'armée,  et  celles  qui  sont  restées  n'ont  aucune  chiourmc 
pour  les  pouvoir  armer'.  Les  finances  royales  étant  épuisées,  les 
Marseillais  durent  se  charger  seuls  de  leur  défense;  en  1652,  ils 
louèrent  une  galère  à  4000  livres  par  mois  pour  protéger  la  côte  et 
cet  armement  fut  renouvelé  chaque  année  de  1654  à  1658*.  La 
Chambre  du  commerce  eût  bien  voulu  faire  davantage,  mais  le 
manque  d'accord  parmi  les  marchands,  et  surtout  le  refus  des  villes 
de  la  côte  de  Provence  et  du  Languedoc  de  contribuer  aux  dépenses 
crapéchèTcnt  tout  armement  sérieux.  Le  secours  de  cette  galère,  qui 
restait  :\  peine  quelques  mois  en  mer,  était  bien  insuffisant  pour 
protéger  le  commerce.  Plusieurs  fois*,  pour  éloigner  de  la  côte  les 
audacieuses  barques  des  Majorquins,  la  Chambre  traita  pour  quelques 
jours  avec  des  capitaines  qui  faisaient  sortir  leurs  vaisseaux  et  leur 
donnaient  la  chasse. 


(t)  L-ttre  du  24  aoiil   164S.  Bfl,  ih. 

(i)  V.  DR,  i.  DHibétaltons  de  la  CiMmbrf,  20,  2/,  57  wv.   i(>S2,  3  jauv.  Jâfj, 
iy  mai  iOS},  36  J'évr.  ibj4,tU. 

())  X.BB,  t.passim,  lOsj-sS. 


46 


L  ANARCHIE    COMMERCtAI^ 


1- 

1 
1 

■  n  ^* 


Dans  notre  détresse,  c'étaient  nos  rivaux  les  Anglais  et  les  Hol- 
Lindais,  alors  nos  alliés,  qui  protégeaient  le  plus  eflicacemcnt  notre, 
commerce;  en  1653,  deux  vaisseaux  de  l'escadre  hollandaise  étant! 
venus  aux  ilcs,  une  multitude  de  marchands  vinrent  chez  les  consulsj 
leur  demander  de  leur  Giire  un  présent,  «  tant  à  cause  des  bons 
olfices  qu'ils  ont  rendus  quand  ils  ont  rencontré  nos  bâtiments  en 
mer,  que  parce  qu'ils  tiennent  les  mers  nettes  de  corsaires,  pour  les 
engager  à  continuer  les  mêmes  bons  offices  '.  »  En  1658,  les  consuls 
de  Marseille  écrivaient  au  «  génér.il  »  de  l'escadre  anglaise  :  «  Nous^ 
sommes  beaucoup  obligés  à  Son  Altesse,  protecteur  de  la  république™ 
d'Angleterre,  de  la  bouté  qu'il  a  eue  de  vous  envoyer  en  ces  mers 
pour  en  chasser  nos  ennemis  communs,  mais  particulièrement  nous 
vous  sommes  redevables  du  soin  que  vous  vous  êtes  donne  à  la  pro- 
tection de  nos  vaisseaux  et  barques  par  cette  frégate  que  vous  avez 
mandée  pour  les  escorter*.  »  fl 

C'était  une  nouveauté  assez  singulière  pour  les  Marseillais  que 
d'avoir  à  remercier  les  Anglais  des  soins  qu'ils  prenaient  pour  notre 
commerce.  Jusqu'en  i6js,  ilsavaient  continué  à  le  ruiner  par  leurs 
pirateries,  malgré  le  traité  de  1606  renouvelé  en  1623,  et  malgré  la^ 
promesse  réciproque  que  se  firent,  en  1632,  la  France  et  l'Angle 
terre  «  de  ne  plus  donner  à  l'avenir  de  lettre  de  marque  si  ce  n'e 
en  se  prévenant  et  contre  un  navire  seulement.  «  De  puiss;mtea 
compagnies,  dont  les  plus  grands  seigneurs  faisaient  partie,  n'avaient 
pas  d'autre  objectif.  Sous  prétexte  «  de  trafiquer  es  nrers  du  Levant, 
écrit  notre  ambassadeur  à  Venise,  les  Anglais  exercent  la  piraterie 
contre  les  Français  seuls  »,  prennent  leurs  vaisseaux  et  les  vendent 
tantôt  au  Zante,  tantôt  à  Céphalonie.  «  Si  ces  pirateries  sont  tolérées, 
écrivent  les  députés  du  commerce  à  la  Cour",  il  ne  faut  plus  penser 
qu'aucun  navire  sorte  de  la  chaîne.  »  Il  ne  semble  pas  que  la  guerre 
entre  l'Angleterre  et  la  France,  de  1627  à  1629,  ait  donné  plus  de 
violence  aux  ravages  des  Anglais  dans  la  Méditerranée,  mais  de 
165 1  à  165. j,  leur  guerre  avec  la  Hollande  fut  l'occasion  de  pertes» 
énormes  pour  notre  commerce.  Quand  on  négocia  la  paix  avec  eux, 
la  Chambre  du  commerce  envoya  à  la  Cour  un  rôle  des  prises  qu'ils 

(1)  BB,  t.  Délibérations,  S  jam.  lOf). 

(2)  Lettre  lia  consuls,  avril  S65S.  BB,  i6 . 
())  Arçh,  Commun.  Correspond,  ji  janv.  164;.  —  V.   Richelieu,  Mhn.  èd.l 

MlCHAUi)  et  PoejouLM-,   t.  1,  p.  445  <aiinL»:  1627);   t.  II  p.  91  (année  i6î9).-j 
Inutile»  négociations  pour  obtenir  des  Anglais  la  cessation  de  leurs  pirateries.       ' 


'esd| 


LA    IMRATERIE 


47 


avalent  faites  de  1651  à  1654,  elles  montaient  ;\  1.320.000  livres 
environ  tt  un  mois  après  ils  s'emparaient  encore  d'un  yros  vaisseau 
richement  clnirgé  '.  Le  besoin  «^u'.unii  Mazarin  de  l'alliance  de 
CromwcU  l'empêcha  malheureusement  d'exiger  aucune  restitution*. 
La  guerre  d'Espagne  terminée,  les  Anglais  reprirent  bientôt  leurs 
courses,  sous  prétexte  de  créances  que  le  commerce  de  Marseille 
niait  leur  devoir;  leur  escadre  vint  dans  les  eaux  de  Marseille,  prit 
deux  vaisseaux  qui  arrivaient  du  Levant,  en  poursuivit  A  coups  de 
canon  deux  autres  jusqu'en  vue  de  la  ville,  et  menaça  d'arrêter  tous 
ceux  qui  viendraient  jusqu'ù  ce  qu'ils  fussent  entièrement  satisfaits*. 
Telle  était  devenue  Tinsécurité  des  mers  pour  les  Français  vers 
i6jo,  qu'ils  n'étaient  même  plus  en  sûreté  dans  les  ports  des  états 
neutres.  Leurs  navires,  malgré  les  ordres  du  grand  duc  de  Toscane, 
étaient  attendus  à  l'entrée  de  Livournc  par  les  Anglais  et  les  Hollan- 
dais. En  1653,  un  vaisseau  holland.iis  ose  attaquer,  dans  le  port  de 
Livourne  mémo,  un  vaisseau  français  richement  chargé  et  le  combat 
se  prolonge  malgré  le  feu  de  la  forteresse,  qui  tire  le  canon  pour  le 
faire  cesser  *.  Il  fallait  se  déiier  même  des  nations  amies^  car  les  vais- 
seaux des  Vénitiens  et  les  corsaires  de  Malte  pourchassaient  nos 
navires  et  les  visitaient,  sous  prétexte  qu'ils  portaient  des  pass.igers 
musulmans,  ou  qu'ilsavaient  chargé  des  marchandises  pour  le  compte 
des  sujets  du  G.  S.  Les  Marseillais  virent  même  plusieurs  de  leurs 
navires  saisis,  et  considérés  comme  de  bonne  prise,  par  le  chevalier 
Paul  et  par  des  commandants  de  vaisseaux  du  roi,  parce  qu'ils  reve- 
naient de  l'Espagne  avec  qui  la  France  était  en  guerre.  En  vain, 
prouvéreni-ils  qu'ils  avaient  une  permission  formelle  du  roi,  il  ÉiUut 
de  longues  négociations  pour  les  faire  relaxer". 


(11  BR,  26.  Corrtspoiuianct,  3  juin  16^4,  28  juillet  t6S4. 
[1)  DB.  26.  22  die.  i^}s. 

1^)  BB,  i(>.  Ltthes  à  Ma^arin,  a;  juilUl,  /  août  16 fç. 
\t  D'Arvieux,  i.  I,  p.  9-19. 
ïj)  Arcb.  Commun.  Corrupond.  2<)  nov.  16)0,  28  iiuirs  i6$i ,  it  nov.  i6ji.  — 
a,  26.  i.(mart  i6fi,juill(t  /6j/,  n/nov.  i6f2. 


CHAPITRE   m 

LES     IMPOSITIONS 

Outre  les  pertes  que  lui  firent  subir  les  avanies  et  la  piraterie,  le 
commerce  supporta  continuellement  le  poids  de  lourdes  impositions. 
Les  luttes  contre  les  corsaires  coûtèrent,  en  effet,  de  grosses  som- 
mes. I.e  roi  ne  décida  p;ts  un  armement  sans  demander  au  commerce 
de  participer  aux  dépenses  :  tantôt  celui-ci  fournissait  quelques  bâti- 
ments, comme  en  t6i6  où  il  nolisait  plusieun:  barques  armées  eu 
jîucrre  A  î«.h>  livres  jxir  mois,  en  1618  où  il  armait  deux  vaisseaux, 
en  lou^  où  il  envoyait  A  l'année  navale,  chargée  de  reprendre  l'île 
Ssùnie-Ntargueriic  aux  lisp.iiînols,  10  tarunes  et  un  brigantin  qui  lui 
coûtait  îi>o  livres  par  mois;  tantôt  il  donnait  une  somme  d'argent 
détenninée:  li.ooo  livres  pour  Tentretien  d'un  petit  vaisseau  en 
n>*i  '.  I.e  commerce  tit  des  dépenses  encore  plus  con^dérables  en 
av.v.cmcî'.îs  jMvticuUers  :  une  galère  lui  coùuit  4000  livres  par  mois, 
un  vaisseau  bien  djvar.ucc;  le  vicc-amiral  de  Mantio,  pour  un 
Vv\vaj:c  d  c>Cv^:tv\  en  ic.;!,  reçu:  io.ooo  livres*;  le  grand  annement 
vie  M.  ùc  Viv.chciiucrrc.  do  imi  à  It>I^.  c:i  dépensa  450,000,  et  le 
ô;:c  de  C';;-.se  rcpvvvh.:;:  «uv  MarNcr.".i:s  de  $"èa-e  la!&>c  «  piper  plus 
de  î»v.*xv  oc;-.s  »  jvitr  ur.i  c\rv;d:::or.  cu*:I>  prèfarèrent  sans 
vc^..":.::  cr.  :^:S^  Ces  :':v.:>r.'.r.:kr:  i;:  i:rc  sur^rtés-  pur  toutes  les 
\;";>:^c;.;  rc:  c.;\:-.v-.-.;  ,;v.  conv.r.vrci  du  Liv:;".;.  -uis  les  ports  de 
r^Vv-.-Cv  vt  ù;;  l,-.:\c.  vdcv  :v.::cr.:  1-  r\.s  :-.™uvji>e  grâce  à  payer 

•...■■•  i      .       ,    \;..  ..      ....••..      ;..  ,•!.  .-.T.-,  :i-:f.x6ij. 


LES   lAlPOSlTIOXS  49 

leur  part  ;  après  les  armements  de  M.  de  Vincheyuerre  il  fallut  de 
longues  négociations  à  la  cour  pour  les  faire  condamner,  en  1625,  ;\ 
supporter  le  quart  de  la  dépense.  C'est  en  vain  que,  les  années  sui- 
vantes, Marseille  essaya  de  s'entendre  avec  les  autres  villes,  elle  dut 
agir  seule  et  leur  jalousie  empêcha  i  plusieurs  reprises  d'entrepren- 
dre des  armements  nécessaires,  les  Marseillais  ne  pouvant  en  suppor- 
ter tout  le  poids  '. 

Tandis  que  la  répression  de  la  piraterie  se  fit  en  partie  aux  frais 
du  roi,  le  commerce  supporta  toujours  seul  les  dépenses  des  négo- 
ciations avec  les  Barbaresques.  Chaque  fois,  il  fallait  envoyer  des 
députés  A  la  cour,  i  Alger,  ù  Tunis  ;  d'autres  allaient  A  Livourne, 
à  Gènes  ou  en  Espagne  pour  rechercher  des  prises  ou  des  esclaves  à 
restituer  aux  Turcs.  Un  voyage  à  la  cour  coûtait  500  écus,  beaucoup 
plus  s'il  se  prolongeait;  pour  leurs  ambassades  A  Tunis,  les  envoyés 
recevaient  aussi  500  écus,  1000  pour  leur  truchement.  M.  de  Vinche- 
guerrc  qui  resta  plus  d'un  an  comme  otage  à  Tunis,  coûta  plusieurs 
milliers  d'écus  ;  un  voyage  A  la  cour  et  A  Alger,  en  1619,  occasionna 
4,000  écus  de  frais.  On  dépensait  bien  davantage  pour  défr.iyer  les 
tchaouchs  de  la  Porte  qui,  chaque  fois  qu'ils  portaient  A  Alger  ou  A 
Tunis  des  commandements  du  G.  S.,  passaient  par  Marseille,  ou 
quand  les  Tunisiens  et  les  Algériens  envoyaient  des  négociateurs.  Le 
commerce  nolisait  des  barques  pour  leur  passage,  il  les  logeait  et  les 
défrayait  somptueusement  pendant  leur  séjour  A  Marseille,  il  pavait 
leurs  voyages  A  la  cour  quand  ils  allaient  voirie  roi*.  Puis  il  fallait 
r,icheter  les  esclaves,  ceux  des  Français  et  ceux  des  Turcs,  car  les 
Barbaresques,  qui  faisaient  pap er  ceux  qu'ils  restituaient,  exigeaient 
qu'on  leur  rendit  gracieusement  les  leurs.  En  16 17,  pour  «  le  rachat 
de  quantité  de  Turcs  qui  sont  au  pouvoir  de  Monseigneur  le  géné- 
ral des  galères  »  le  député  de  Marseille  fait  un  accord  pour  18,000 
livres.  «  Pour  le  rachat  de  52  Turcs  qui  sont  au  pouvoir  de  Monsei- 
gneur le  duc  de  Montmorency  »  il  dépense  10,000  livres,  et  il  faut 
encore  •  racheter  plusieurs  autres  Turcs  qui  sont  au  pouvoir  de  plu- 
sieurs capitaines  de  cette  province,  qui  reviendront  à  plus  de  300 


(t|  Voir  aux  .4n-b.  Cimimmi.  les  Dcliboratlon$  citées  plus  li.uil,  relatives  4iix 
anncnicnls.  —  UB,  t,  D(lilvi allons  de  la  Chambre  sur  les  armements.  1655-58, 
passini.  —  On  vit  mJme  ces  villes  l'aire  des  diirtculfés  pour  p.iyer  le  ntchat  de 
leurs  esclaves,  .-tich.  Conimiiti.  i}  jaiiv.,  37  aoiil  if'iS,  ttc.  DÙibh niions. 

(2)  V.  Arch.  Ctimmun.  Dtlibà.  ibtù-iS,  1626-3.S.  —  surtout  iS  août  Un-;, 
udtc.  tùiS,  ^  janv.  16 iç. 


50  L  ANARCHIE    COMMERCIALE 

livres  chaque.  »  En  même  temps,  d'après  le  traite  de  paix,  il  fallait" 
retirer  300  esclaves  français  à  TunisetàAlger'.  Pour  la  paix  de  1628, 
négociée  par  NapoUon,  les  rachats  d'esclaves  et  autres  frais  coûtèrent 
bien  plus  ;  d'une  seule  fois  les  députés  de  Marseille  lui  donnent 
72,000  livres  et  «  il  fallait  encore  10,000  écus  pour  racheter  les 
Turcs  d'une  seule  galère  ;  ceux  qui  étaient  à  Toulon  devaient  coû- 
ter autant  *.  »  Les  dépenses  se  renouvelaient  pour  maintenir  la  paix  : 
Issouf-dey,  dans  ses  lettres,  réclame  sans  cesse  des  bâtiments  et  des 
esclaves  que  les  consuls  ne  peuvent  lui  renvoyer  qu'en  les  achetant 
à  beaux  deniers  comptants  '.  Enfin,  il  ne  fallait  pas  négliger  d'offrir, 
à  chaque  occasion,  des  présents  pour  entretenir  l'amitié  *. 

Pour  subvenir  à  toutes  ces  dépenses,  les  députés  du  commerce 
n'avaient  pas  de  revenus  réguliers.  Ils  avaient  recours  à  des  emprunts, 
ce  qui  aggravait  encore  les  frais,  ils  stipulaient  bien  que  le  taux  de 
l'intérêt  ne  devait  pas  dépasser  5  0/0,  mais  la  plupart  du  temps  ils 
ne  trouvaient  des  prêteurs  qu'au  denier  16,  c'est-à-dire  6  1/4  0/0. 
Pour  rembourser  ensuite  ces  emprunts,  ils  établissaient,  avec  l'auto- 
risation royale,  une  imposition  sur  le  commerce.  De  1608  à  16 10, 
chaque  navire  arrivant  à  xMarseille  payait  un  cottimo  *,  c'est-à-dire 
une  somme  fixe  pour  chaque  type  de  bâtiment,  vaisseau,  polacre, 
barque  ou  tartane,  quelle  que  fût  la  valeur  du  chargement  ;  le  cot- 
timo variait  cependant  suivant  la  provenance  des  navires  :  ceux  qui 
arrivaient  d'Espagne  ou  d'Italie  payaient  généralement  moitié  moins 
que  ceux  qui  revenaient  des  Echelles  du  Levant,  parce  que  le  char- 
gement était  moins  riche.  Le  cottimo  était  payé  par  le  capitaine  du 
navire,  qui  s'en  remboursait  ensuite  suj^les  chargeurs  de  son  bâtiment, 
entre  lesquels  était  répartie  la  somme,  suivant  les  marchandises 
qu'ils  y  avaient.  C'était  un  impôt  mal  assis,  puisqu'il  pesait  du  même 
poids  sur  des  chargements  de  valeur  très  inégale,  de  plus  sa  réparti- 
tion sur  les  marchandises  occasionnait  des  différends  parmi  les  mar- 
chands, mais  il  avait  le  mérite  d'être  facilement  perçu,  par  des  exac- 
teurs commis  par  les  députés  du  commerce  ;  d'ailleurs,  un  capitaine 

(i)  Arch.  Comm.  DM).  22  mars  1617,  8  août  i6ip. 

(2)  Arch.  Comm.  De'lib.  2$  août  162S. 

(})  Voir  :  Correspondance  de  Tunis.  AA,  jop-^44. 

(4)  On  envoie  2,000  écus  de  présents  à  Tunis  (18  août  1617),  700  écus  au 
Ichaouch  de  Tunis  en  1616,  800  à  ceux  d'Alger  en  1618,  800  en  1619,  etc.  — 
Arch.  Commun. 

(s)  Arch.  Comm.  DiHbir.  6  août  1608,  S  fh.,  16  Jèv.  1619. 


LES   IMI>OSniON'S 


51 


pouvait  tiiirc  modérer  son  coitimu  si  le  cliargemeiit  de  son  navire 
tta'n  de  trop  peu  de  valeur.  «  Le  cottimo  s'exige  avec  grande  foi  et 
sincérité,  écrivent  les  consuls  de  Marseille  au  comte  de  Briennc,  et 
comme  cette  fomic  de  levëe  se  fait  du  }^ré  de  nos  habitants,  ils  s'y 
portent  beaucoup  plus  gaiement  qu'ils  ne  faisaient  au  paiement  du 
dit  droit  de  3  o  o  '.  » 

Il  existait  en  effet  déjà  sous  Henri  IV  un  autre  type  d'imposition 
qui  fut  d'abord  préféré  sous  Louis  XIII.  Un  droit  de  3  0/0  d'entrée 
et  de  sortie  sur  toutes  les  marchandises,  perçu  ;\  Marseille,  avait  été 
supprimé  iin  r6oo  puis  rétabli  eu  1603.  Ce  droit  ad  valorem  était 
adjugé  à  des  fermiers,  qui  le  percevaient  d'après  les  estimations  des 
marchandises  faites  par  les  députés  du  commerce.  Li  levée  en  était 
plus  équitable  que  celle  du  coitinio,  mais  elle  était  plus  onéreuse  à 
.  cause  du  mode  de  perception.  Le  2  0/0  fut  de  nouveau  rétabli  à 
l'entrée  et  à  la  sortie  te  27  juin  16 10,  puis,  les  dettes  de  la  ville  et 
du  commerce  augmentant,  de  nouveau.^  droits  furent  imposés  les 
années  suiv.mtes. 

De  i6ioà  1630  il  y  eut  sans  interruption  des  taxes  extraordinaires, 
variant  suivant  les  années  de  i  à  3  1/2  0/0  (en  1621),  charges  lour- 
des pour  le  commerce,  .\  une  époque  où  les  profits  étaient  déji  bien 
aléatoires*.  A  partir  de  1630,  comme  il  n'y  eut  plus  d'armements  ni 
de  négociations  avec  les  Barbaresques,  les  impositions  disparurent  à 
peu  prés,  jusqu'au  moment  où  les  armements  contre  les  Espagnols 
nécessiiérenc  de  nouveau  l'établissement  du  cottimo '.  Mais  tandis 
que  les  impositions  extraordinaires  devenaient  nioins  lourdes  ou  dis- 
paraiss.iient  A  Marseille,  elles  devenaient  écrasantes  dans  les  Echelles. 
Henri  IV,  impuissant  i  payer  son  ambassadeur  à  la  Porte,  y  avait 
pour\'u  au  début  de  son  règne  en  lui  accordant  la  jouissance  d'un 
droit  extraordinaire  de  2  0/0  sur  les  marchandises  chargées  dans  les 
échelles*  Quand  les  finances  royales  furent  rétablies,  les  Marseillais 
^^      cs.siyèrent  en  vain  d'eulcvur  la  possession  de  ce  droit  aux  arabassa- 

^^^H  (l|  AtCu.  Conn.  Ccruip.  ni  mai   itifS, 

^^B  (a)  l'ermc  de  tsixxxt  livre»  en  1614.  —  i  00  tn   t6t8  qui  se  lève  jus(]u'en 

^^^  léîî.  1/2  0/0  en  1619.  —  ICO  en  1621.  —  Ces  iinposiiions  soin  suppritiitïes 

■  ca  1622,  mais  le  i  o/u  r^appjralt  en  1623.  —  Des  cottimos  sont  «établis  en  162;» 
I  36,  27,  28  (400  livres  par  viiissMU,  500  p.ir  polacre,  J  50  p.ir  b.irque  revenant  du 

■  Levant,  100  livres,  6t)«  40  pour  les   hârimentx  revenant  J'Esp.ignc  et  d'iulic). 
I  V,  .lich,  Ciittmuu.  Dilibiialiom. 

K  (î)  Surtout  .nprès  1650.  —  V.  BB,  t.  i()S$-iùifi.  IMibéraliotts  de  la  Cltambit, 

^^L  (4)  V,  Introduction. 


s^ 


L  AS'ARCntE    COMMERCIALE 


(icurs,  de  Brèves  cl  Salignac.  Lorsque  Harlay  Je  Sancy  partit  pour 
Constaïuinople  en  1610,  ils  obtinrent  cependant  des  lettres  patentes 
portant  abolition  de  cette  taxe  '  et  les  envoyèrent  aux  consuls  des 
Echelles^  avec  défense  d'en  laisser  continuer  h  perception  ;  nuis  ce 
fut  inutile,  les  consuls  ne  purent  exécuter  ces  ordres,  car  l'ambassa- 
deur avait  des  commandements  du  G.  S.  ordonnant  aux  puiss.inces 
des  diverses  échelles  d'aider  à  la  levée  du  droit;  beaucoup  n'essayèrent 
pas  de  le  Élire  et  se  retranchèrent  derrière  les  ordres  de  l'ambassa- 
deur :  «  les  personnes  de  cette  sorte  ont  le  bras  trop  long  »  ,  écrivait 
l'un  d'eux.  En  vain  le  consul  d'Alep  reçut  par  lettres  patentes 
l'ordre  de  comparoir  devant  le  conseil  pour  y  répondre  d'avoir  négligé 
de  protéger  les  marchands,  le  droit  continua  d'être  levé.  Quand  il 
fut  question  en  16 17  du  rappel  de  M.  de  Sancy  les  Marseillais 
envoyèrent  des  députés  à  la  cour,  «  pour  tâcher  d'apporter  quelque 
remède  aux  violences  du  Levant  fomentées  par  M.  l'Ambassadeur, 
et  décharger  le  commerce  des  droits  qu'il  prend.  »  Ils  obtinrent  de 
nouvelles  lettres  patentes,  du  16  février  1618,  qui  supprinuient  de 
nouveau  le  2  0/0  mais  ne  furent  pus  mieux  obéies.  Cependant,  i  force 
de  prières,  Sancy  qui  attendait  son  rappel  eut  la  bonne  grâce  de  con- 
sentir à  ce  que  le  droit  fût  .iboli  h  partir  du  15  juillet  1619  :  à  cette 
date  il  allait  quitter  Constantinople*.  Les  Marseillais  se  décidèrent 
alors  à  faire  un  accord  avec  le  comte  de  Césy  qui  partait  pour  le  rem- 
placer, ils  lui  promirent  le  paiement  annuel  d'une  pension  de  16000 
livres,  pour  l'aider  aux  dépenses  extraordinaires  qu'il  pourrait  faire  à 
propos  des  afl'aires  du  cunimercc,  moyennant  quoi  il  s'interdisait  .'i 
l'avenir  toute  levée  de  taxes*.  Cette  convention  était  à  la  fois  favora- 


(1)  Lettres  pattnUs  du  ç  sepkmbrt  1610.  Amirauté.  Rtg.  1  des  Insinua.,  fol,  jSj. 

(2)  ij  jainifr  iôlt,  1}  jiuiviti  iôiS.  AA,  }0}.  Utiin  du  Caire.  —  6  octobrf 
i(>i  j,  2u  iiovftnhn'  1611,  20  fh'rier  1612,  20  ieNtmhre,  iS  itoviiitbn  1612,  10  Sfff- 
lemhrt,  n)  octobre  1618.  AA,  jù).  Lettres  J'Aleh.  —  linrcgistrcnicnt  des  lenrcs 
patentes  et  texte.  Aiiiirauli.  Insinuât.  Reg.  1,  fol.  ^çj-pS. 

(î)  Traite  fait  J  Lyon  le  25  septembre  1619.  —  Voir  pour  les  népocijtions  avec 
Césy  :  Délibi  ration  s  des  2(1  cioùt,  iS  septaiibre,  16  octobre  idiç,  Arch.  Commun. — 
0  Les  députées  lui  ont  promis  .iimiiellement  jccxjécuseffectirs  en  pièces  de  10  sols 
ou  20  sols  de  France  pour  lui  être  payées  en  2  payes  moitié  ii  Ij  Saint-Jean  prochaine 
et  l'autre  .lux  fêtes  de  Xoël  portés  et  rendus  audit  Constantinople.  —  Ont  encore 
promis  pour  ses  secrétaires  ico  pistoles  toutes  les  années  afin  de  les  obliger  et 
rendre  affectionnés  au  service  de  la  nation.  —  Ils  ont  fait  trouver  bon  Audit 
ambassadeur  de  passer  par  celte  ville  avec  son  train  atin  de  s'eiub.irquer  sur  le 
Saint-I.azarc  que  la  ville  et  commerce  noiiserait  à  ses  dépens,  et  que  pendant  sou 
séjour  ledit  commerce  pnier.iit  et  acquitterait  tous  les  frais  et  dépens.  >»  —  L'as- 
semblée approuve  le  noliscmeni  du  Saint-La/.are  pour  scoo  liv.  et  ordonne  de 
faire  des  présents  à  l'ambassadeur  pour  son  embarquement.  Assemblh  du  tû  sep- 
tembre tÔl'J. 


LES   IMPOSITIONS 


>3 


blc  à  r;tmba5B.idcur,  qui  cvit.iit  d'ennuyeuses  querelles  i  propos  du 
2  DO,  et  au  commerce  qui  échappait  en  grande  partie  A  une  imposi- 
tion considérable. 

Malheureusement  les  dettes  du  commerce  empêchèrent  l'exécu- 
tion de  la  convention  ;  quatre  ans  après,  le  paiement  de  la  pension 
était  de  trois  ans  en  retard'  et  Césy,  pour  faire  (acc  \  ses  grosses 
dépenses,  dut  recourir  \  des»  expéditns  :  tantôt  il  prenait  de  l'arj^ent 
i  titre  d'emprunt  sur  les  navires,  ce  que  redoutaient  tellement  les 
marchands  que,  poury  échapper,  ils  déchargeaient  leurs  marchandises 
hors  du  port  en  cachette  :  «  Une  piastre  prise  ainsi,  écrivaient  les 
con.suls  de  Marseille  à  leur  avocat  au  conseil,  en  veut  dire  cent  de 
perte  pour  notre  commerce'.  »  C'est  en  vain  qu'ils  essayèrent  d'em- 
pêcher ces  levées  en  ordonnant  aux  consuls  des  Echelles  de  s'y  oppo- 
ser. De  même  que  dans  Patlairc  du  2  0,0,  il  y  eu  eut  peu  qui  eurent 
le  courage  de  résister  i  l'ambassadeur,  comme  le  fit  le  consul  de 
Smyrnc  Dupuy  :  «  Il  y  a  quelques  mois,  écrivait  celui-ci,  que 
M.  l'Ambassadeur  envoja  ici  un  dragoman  pour  prendre  argent  sur 
les  vaisseaux  qui  étaient  dans  ce  port  des  nôtres,  ce  que  j'empêchai 
par  mon  industrie  et  l'aide  de  mes  amis,  dont  j'ai  couru  grande  for- 
tune envers  mon  dit  seigneur  l'ambassadeur.,,  et  sur  cette  colère  me 
voulait  envoyer  un  caplgi  pour  me  prendre,  mais  mes  amis  que  j'ai 
à  l'entour  de  lui  l'ont  détourné.  VoiLi  la  récompense  de  faire  le  bien 
public.  »  Une  autre  fois  ses  efforts  ne  réussirent  pas  :  «  Le  diable, 
disait-il  pour  s'excuser,  n'aurait  pas  empêché  les  vaisseaux  qui  sont 
dans  le  port  de  payer  500  piastres*.  »  La  résistance  ne  servait  la 
plupart  du  temps  qu'à  occasionner  de  plus  grandes  pertes  pour  le  com- 
merce, car  l'ambassadeur  envoyait  un  tchaouch  du  Grand  Seigneur 
(surprendre  l'argent  de  force  et  il  fiiUait  supporter  les  frais  de  cette 

(I)  «  Vos  devanciers  s'excusent  de  ne  ni'avoir  envoyé  deux  années  qui  me  sont 
•dues,.,  et  les  guerres  de  Fr.ince  ayant  retarde  mes  pensions,  j'en  reçois  une 
extraordinaire  inconunoditi',  car  depuis  la  mort  du  sultan  Osman  au  changement 
de  6  grands  vizirs,  qui  à  chaque  lois  ont  causé  la  mutation  des  principaux  officiers 
de  la  Porte,  j'.ti  été  selon  la  coutume  contraint  de  leur  faire  les  présents  ordinaires 
pour  pouvoir  négocier  avec  eux,  de  l'at^on  qu'après  avoirengagé  ma  vaisselle  d'argent 
et  mes  pierreries  et  les  dits  sieur>  consuls  ne  m'ayant  envoyé  que  du  papier  au  lieu 
de  l'argent  qui  s'est  reçu  à  Marseille,  Je  me  suis  aidé  de  quelques  2000  écusde  ce 
qui  était  charge  sur  la  polacre  adressée  au  petit  Gués. . .  J'aimerais  mieux  mourir 
que  de  laire  tort  à  personne,  mais  je  suis  venu  ici  pour  servir  le  roi  et  non  pas  pour 
fOC  ruiner.  »  Lettre  de  Chy  aux  constdnh  ManriUe,  t  j  iiofnnlnc  iùj2.  .-/.-/,  ;./}, 
—  16  juin  j63J. 

(3)  24  ifptfmhrt  164t.  Lellrt  à  YcarJ.  Arch.  Commun. 

{l\  14  juillet  1626,  2  avril  t6}j.  .4.4.  tjS. 


54  L  ANARCHIE    COMMERCIALE 

dépense.  Césy  cmpnu.tait  aussi  aux  indigènes  à  des  taux  qui  s'élevè- 
rent jusqu'à  loo  pour  cent,  si  bien  qu'en  quelques  années  il  se 
trouva  chargé  de  lourdes  dettes.  Mais  ce  fut  surtout  l'imprudence 
de  sa  conduite  et  ses  abus  d'autorité  dans  les  affaires  d'Alep  qui  entrai- 
nèrent  le  commerce  à  des  pertes  immenses. 

Pour  obtenir  la  suppression  du  droit  sur  les  soies  dans  cette 
échelle  et  l'expulsion  d'un  douanier  tyrannique,  il  donna  de 
grandes  sommes  aux  ministres  et  prêta  142.000  piastres  au  grand 
vizir,  qui  lui  accorda,  pour  se  rembourser,  le  1/5  du  produit  de  la 
ferme  des  douanes  d'Alep.  Césy  fit  donner  la  ferme  à  des  Armé- 
niens qui  s'engagèrent  à  lui  remettre  les  sommes  qui  lui  revien- 
draient, mais  il  dut  se  rendre  leur  caution.  Ces  dépenses  l'avaient 
obligé  ;\  recourir  à  des  emprunts,  il  voulut,  pour  éviter  le  paiement 
de  gros  intérêts,  forcer  les  marchands  d'Alep  à  les  rembourser,  ce 
qui  jeta  la  nation  dans  de  grands  désordres.  Les  marchands  ayant 
essayé  de  résister  furent  tous  emprisonnés,  le  consul  gardé  dans  sa 
mai.son  p;ir  deux  tchaouchs  et  les  marchandises  saisies  ;  il  fallut 
p;iyer  de  suite  50.000  piastres  et  faire  des  doiiatives  au  pacha  pour 
arrêter  ces  exécutions.  La  nation  écrivit  à  Marseille  des  lettres  sup- 
pliantes :  «  Les  ministres  de  ce  pays,  disait-elle,  nous  voyant  en 
trouble  avec  celui  qui  nous  doit  défendre  se  prévalent  du  temps  pour 
nous  ass.issincr.  Si  cette  affaire  ne  prend  fin,  il  n'y  aura  plus  moyen 
de  négocier. . . .  ils  nous  mangeront  jusqu'au  sang.  Comme  étant 
les  j>ères  de  la  p;itrie  c'est  ;\  vous  autres  de  chercher  les  expédiens 
convenables. . . .  nous  vous  pourrons  dire  à  bon  droit  les  restaura- 
teurs du  ncg».Ke.  . .  \*oilà  la  ruine  que  cette  malheureuse  af&ire 
nous  jnnte.  Dieu  le  pardonne  .\  qui  en  est  cause.  »  '.  Les  Marseil- 
lais n'.ivaient  jxis  .ittendu  ces  lamentations  pour  s'émouvoir  ;  dès  b 
première  nouvelle  «  des  indues  exactions  que  M.  de  Césy  Ciisait 
exiger  en  Alep  pour  des  choses  indues  et  desquelles  lui  en  son  par- 
ticulier en  a  iJit  la  dette,  sans  que  la  nation  y  puisse  rien  entrer,  » 
le  conseil  de  ville  d«.liber.i  à  runanimité  d  interdire  le  nc^oce  par 
tvHitos  îcs  ccheV.cs  dv:  Levant,  jusqu'à  ce  qi.:e  S.  M.  y  eût  pourvu,  et 
suppli-i  le  duc  de  tîv.:se.  goi:vcrneur  de  Provence,  de  «  demander  à 
S.  .\L  cr.e  ':.:  correctiov.  c  v-c.'.e  en  ter.t:î  servit  d'exemple  à  l'avenir*.  » 


.■:j.  : . 


LES   IMPOSITIONS 


$5 


Pendant  ces  contestations  la  situation  s'aggrava  encore  :  l'ambassa- 
deiir  s'était  promis  que,  «  moyennant  la  joiiissancf  de  la  douane,  les 
dettes  seraient  proniptcnicnt  acquittées,»'  il  n'en  fut  rien,  l'entre- 
prise de  la  douane  ne  réussit  pas  et  la  caution  qu'il  avait  donnée  aux 
Arméniens  l'obligea  à  payer  pour  eux  de  grosses  sommes,  si  bien 
qu'au  bout  de  trois  ans  le  grand  vi/ir  lui  fit  la  grAcc  de  l'en  décharger. 

Césy  demanda  alors  que  le  paiement  de  ces  dettes  fut  supporté 
par  la  communauté  et  commerce  de  Marseille  et  de  nouvelles 
contestations  s'engagèrent.  Sanson  Napollon,  qui  négociait  alors  ;\ 
Constantinoplc,  fut  envoyé  par  le  roi  A  Alep  pour  prendre  infor- 
mation de  l'aflliire,  puis,  A  son  retour,  un  conseiller  d'Etat  M.  de  la 
Picardière  y  fut  délégué,  tandis  que  la  ville  de  Marseille  députait  à  la 
cour  plusieurs  des  membres  du  conseil  avec  le  premier  consul. 
Mais  les  intérêts  de  Césy  furent  énergiquemcnt  défendus  par  ses 
agents  et  d'ailleurs  les  ministres  désiraient  vivement  faire  revenir 
l'ambassadeur,  que  ses  créanciers  ne  voulaient  pas  laisser  partir.  Un 
«rèt  du  conseil  du  29  mars  1627  mit  à  la  charge  du  commerce  les 
Jettes  de  M.  de  Césy,  et  pour  les  payer  un  droit  de  3  0/0  fut  établi 
dans  les  Echelles  l'année  suivante. 

Alors  commença  l'interminable  liquidation  de  ces  dettes  ;  îc 
commissaire  du  roi  La  Picardière,  d\iccord  avec  le  nouvel  ambas- 
sadeur Marcheville,  fixa  d'abord  à  310.000  piastres  (930.000  livres 
environ),  la  somme  qui  resterait  .1  la  charge  du  commerce  (1631), 
mais  les  Marseillais  obtinrent  que  les  comptes  fussent  vérifiés  de 
nouveau  et  contredits  par  deux  de  leurs  députés  (9  janvier  1632)*. 
Un  arrêt  du  conseil  du  i"  août  16^4  les  déchargea  du  paiement  de 
6.000  piastres  d'intérêts  que  la  première  liquidation  avait  adjugées 
aux  créanciers  et  M.  Je  La  Picardién.-  régla  définitivement  la  somme 
i  payer  A  248.760  piastres,  mais  cette  nouvelle  décision  ne  termina 
rien. 

Les  Marseillais  eurent  surtout  i  se  défendre  contre  les  nouvelles 
entreprises  des  créanciers,  qui  cherchaient  à  se  faire  assigner  leur 
paiement  sur  le  droit  de  3  0/0,  pour  des  dettes  qui  n'avaient  aucun 


il)  7  Décembre  1621,  .-Z.^,   i.f}.  Lettre  lU  Clsy. 

il)  Lts  cré.anci»:rs  de  Ccsy  firent  arriitcr  et  retenir  comme  otages  à  Constami- 
nnpJe  jusqu'en  1638  les  deux  envoyés  des  Marseillais  ;  le  commerce  dut  leur 
piycr  23.000  livres  de  domniages-intériits.  V.  jo  octobre  1642.  Transaction  entre 
u  communauté  et  les  sieurs  de  Montholieu  et  Bettandié,  —  Voir  leur  curieuse 
correipondancc  envoyée  de  Constantinople  (i63)-}6).  AA,  167,  8g  Ultra, 


56 


L  ANARCHIE   COMMERCIALE 


l'affaire  d' 


rappon  avec  l'attaire  d'Alep,  et  «  tendaient  à  faire  immortaliser  par 
ce  moyen  l'exaction  dudit  droit.  «  Ces  dettes  s'accrurent  encore 
pendant  la  seconde  ambassade  de  G:sy  (1634-59)  •'  ■  Jl'  suis  réduit, 
écrivait-il  peu  avant  son  retour,  ù  emprunter  de  nouveau  i  cent  pour 
cent  ou  à  mourir  de  faim.  »  Les  efforts  du  commerce  pour  éviter  le 
remboursement  de  ces  nouvelles  dettes  ne  réussirent  guère,  malgré 
de  grandes  dépenses,  à  cause  des  influences  que  les  créanciers  surent 
acheter  à  la  cour.  Les  procès  qui  furent  engagés  contre  plusieurs 
d'entre  eux  inquiétèrent  le  commerce  plus  de  25  ans  après  la  liqui- 
dation de  La  Picardière'. 

Cependant,  malgré  les  dépenses  énormes  qu'il  fit  supporter  au 
commerce,  Césy  prétendit  obtenir  le  paiement  des  arriérés  de  sa 
pension  de  16000  livres  que  les  Marseillais  avaient  négligé  de  payer; 
ils  soutenaient  «  que  l'ambassadeur,  au  lieu  de  satisfaire  de  sa  part  à 
ce  qu'il  avait  promis,  avait  levé  par  extorsion  de  grosses  sommes  sur 
le  négoce  de  la  ville  de  Marseille  en  Alep,  qui  se  montaient  dix 
fois  davantage  que  ce  qu'il  prétendait.  »  Pour  se  dédommager  Césy 
avait  continué  à  s'emparer  des  deniers  qui  arrivaient  sur  les  vais- 
seaux*. En  vain  les  consuls  de  Marseille  refusaient  d'acquitter  les 
lettres  de  changes  qu'il  donnait  aux  capitaines  pour  se  faire  rem- 
bourser, chaque  fois  ils  étaient  condamnés  au  paiement  par  le  lieute- 
nant du  sénéchal,  puis  par  le  Parlement  de  Provence  qui  répétait 
uniformément  dans  ses  arrêts  que  s'ils  ne  voulaient  pas  payer  ils 
dev.^ient  fiire  cisser  le  contrat  de  16 19.  Enfin,  quand  Césy  revint  de 
Constantinople,  il  fallut  régler  définitivement  sa  situation  vis-à-vis 
du  commerce.  L'intendant  de  Champigny  chargé  de  juger  le  diffé- 
rend, fi.xa  d'après  les  comptes  de  la  Picardière,  à  229000  livres  les 

(0  Pour  les  dé-buts  de  l'affaire  de  Césy  voir  la  Corrcspondttncf  d'Al([<.  A  A,  }<>;. 
—  Chardin,  t.  I,  p.  6,  les  raconte  peu  exactement.  Pour  la  suite  Je  l'afTaire  V. 
Arch.  Commu.i.  Dclibéralioiis  et  Coirespondanu.  —  A]î.  étrangères.  conrsf>,  polit. 
Constantin.  Reg.  s,  4,  /■  Nonibreusts  ktiies.  —  Four  ces  procès  voir  par  exemple 
l'alïaire  Angusse  :  22  aoiit  i6}(>,  iS  octobre,  22  octobre  16)8.  Arch.  Comintin.  iMtresl 
de  Vavocat  au  Conseil  Le  Roux.  —  2/  novembre  1662.  Lettre  à  de  Bricnne.  UB,  2(u 

(2)  11  eut  encore  recours  à  des  expédients  plus  cond.imnabIcs.  —  Les  march.ind.* 
fran>;ais  vendaient  librement  leurs  draps  à  Smyrne  et  à  Constantinople  5  et  6 
piastres  le  pic.  lin  i6;o  Césy  laissa  les  Turcs  contraindre  les  marchands  \  ne 
vendre  les  draps  que  4  piastres  le  pic,  dont  5  seulement  appartiendraient  au  vendeur 
et  la  quatrième  serait  prélevée  par  ^amb.ts^adcu^.  —  Pour  contraindre  les  mar- 
chands à  lui  p.ayer  cette  pi.istre,  Césy  envoya  \  Smyrne  son  premier  drogman  avec 
un  tchaouch  et  des  commandements  de  la  Porte  pour  saisir  les  draps  dans  les 
magasins  et  il  les  fit  transporter  a  Constantinople  sans  même  en  avoir  fait  un 
inventaire.  —  Lettre  du  roi  à  M.  de  hîarchcviUe ,  iS  octobre  16^1.  Aff.  èlrang.  ^ 
Corr.  polit.  Constant.  Reg.  4, fol.  jS. 


I 

1 

i 
I 

I 


LES   IMPOSITIOXS 


57 


arriérés  dûs;H  M.  deCcsy  pour  sa  pension,  mais  les  Marseillais  ay.nnt 
découvert  de  nombreuses  volcries  dans  les  comptes  de  la  Picardière, 
les  contestations  recommencèrent.  «  Nous  ne  vous  fatiguerons  pas, 
écrivaient -il  s  au  secrétaire  d'état  Chavigny,  du  détail  des  suppositions 
faites  dans  la  liquidation  de  la  Picardière  :  un  iiorloge  sonnant 
acheté  par  M.  de  Césy  au  prix  de  4000  piastres,  et  par  lui  revendu, 
passe  pour  20000  piastres  employées  pour  les  affaires  du  commerce  '.  » 
Le  nouvel  intendant  M.  de  Vautorte  fut  chargé  d'examiner  les 
comptes,  son  jugement  du  18  février  1645  retrancha  134987  livres 
sur  la  somme  attribuée  à  M.  de  Césy  et  «  outre  ce  réservait  au  com- 
merce de  poursuivre  ses  plus  grandes  prétentions,  »  Les  Marseillais 
ne  négligèrent  pas  de  le  faire,  ils  prétendaient  que,  sans  les  artifices 
Je  la  liquidation,  Césy  se  trouverait  redevable  envers  le  commerce. 
L'affaire  n'était  pas  encore  réglée  20  ans  après  et  remplissait  la  cor- 
respondance de  la  Chambre  du  commerce  qui  l'appelle  la  «  grande 
atfairc*.  » 

Le  paiement  des  dettes  de  Césy  causa  des  déboires  encore  plus 
grands  que  leur  liquidation.  Dès  le  début  de  celle-ci  l'arrêt  du 
conseil  du  26  juillet  162S  établit  un  droit  de  sortie  de  3  o,  0  qui  dut 
être  perçu  dans  tout  le  Levant  ;  les  fermiers  chargés  de  la  levée 
s'engagèrent  .\  payer  les  dettes  en  six  ans\  Mais,  comme  la  liquidation 
tardait  à  se  faire,  le  droit  fut  perçu  pendant  quatre  ans  sans  qu'aucun 
paiement  fut  effectué  et  l'argent  fut  employée  d'autres  dépenses.  Les 
Marseillais,  trouvant  que  l'exaction  du  3  0/0  était  trop  onéreuse  dans 
les  échelles,  l'établirent  dans  leur  port  A  l'entrée  des  marchandises*. 
Cet  essai  ne  réussit  pas  mieux  :  trois  ans  après,  aucune  dette  n'était 
acquittée,  les  deniers  s'accumulaient  entre  les  mains  du  fermier  de  la 
ville,  sans  qu'on  os.U  les  f;iire  passer  à  Constantinople,  car  ceux  de 
la  première  année  de  la  ferme  y  avaient  été  employés  au  paiement 
d'une  av.anie*.  De  plus,  les  consuls  de  Marseille  remontrèrent  que 


(1)  Ijmai  16^2.  LtttreàCliavigny.  Arch.  Commun. 

(2)  J3  */  2^  Jfctmhu  i6f^,  14  mais  i/ijâ,  l'/f.  BB ,  36.  —  .\  l,!  suite  d'un 
rapport  Ju  pri'sidcin  d'Oppède.  cliargé  de  revoir  toute  l'.itTaire  (1666-68),  fut  rendu 
l'artct  dit  iTonscii  du  27  juillet  1671.  ll,3f.  —  niifiii  uu  .irrût  du  27  juillet  1681 
régla  définitivement  les  prétentions  que  le  comte  de  Césy  avait  eues  sur  leconi- 
merce,  lytii e  du  4  décembre  i6Sj.  BU,  26. 

(})  /tri-h.  Commun,  DéliNi .  6  uviîl  163g. 

(4)  .Irch,  Commun.  Dilih,  7,  <;  janvier,  ro  mars,  2}  mai,  24  juillet,  24  cxtolre, 
14  nairmbrc  16} 2. 

(5)  Arch.  Comm,  Délib,  9  juin,  11  oclob't  16 j^. 


58  l'anarchie  commerciale 

«  la  levée  du  droit  en  cette  %'ille  était  grandement  préjudiciable  au 
bien  et  h  la  liberté  du  coninicrcc  et  divertissait  icclui  en  la  ville  de 
Gènes,  Livourne  et  autres  sujets  de  princes  étrangers  »  et  ils  sollici- 
tèrent le  rétablissement  de  la  ferme  dans  les  échelles  du  Levant  '. 
Mais  les  risques  \  courir  étaient  tels  que,  malgré  les  exhortations 
des  consuls,  malgré  l'offre  du  cardinal  de  Richelieu  d'avancer 
looooo  livres  de  ses  deniers  pour  encourager  ceux  qui  voudraient 
«  faire  parti  »  de  payer  les  dettes,  personne  ne  se  présentait.  Cepen- 
dant les  sommes  à  payer  s'accroissaient  chaque  jour  par  les  intérêts  ; 
elles  avaient  été  liquidées  définitivement  à  248760  piastres  en  1635  ; 
quand  la  ferme  du  3  0/0  fut  de  nouveau  adjugée  en  1637,  le  com- 
merce devait  payer  300000  piastres  que  le  fermier  Luguet  commis- 
s;ùre  de  la  marine  s'engagea  à  solder,  moyennant  la  jouissance  du 
droit  pendant  ri  années*.. 

Les  Marseillais  avaient  demandé  que,  pour  assurer  l'emploi  des 
deniers,  il  y  eùti  Constantinople  quelqu'un  de  la  part  de  Sa  Majesté. 
La  précaution  n'eût  pas  été  inutile  car  l'argent  fut  encore  gaspillé  : 
M.  de  la  Haye  s'en  serxùt,  malgré  les  réclamations,  pour  payer  les 
dettes  qu'il  contractait*;  le  fermier  Luguet  en  profita  aussi  pour 
satisfaire  ses  propres  créanciers.  Il  devait  envoyer  des  draps  à  Smyme 
et  ;\  Constantinople  mais  au  lieu  de  fournir  des  draps  dits  de  Paris, 
il  avait  tait  glisser  dans  son  contrat  le  mot  draps  de  France,  or, 
comme  l'écrivait  Cés\-,  les  draps  de  Dieppe,  de  Languedoc  et  de 
Poitou  valaient  dans  le  Levant  plus  d'un  tiers  en  moins  que  les  draps 
du  sceau.  Ceux  qu'avait  expédiés  Luguet  étaient  de  si  mauvaise 
qualité  qu'ils  furent  vendus  d'abord  à  Kis  prix  et  qu'ensuite  les  Turcs 
n'en  voulurent  plus  même  i  crédit  '.  Le  droit  fut  donc  levé  encore 
pondant  cinq  ans  (1(^7-4-)  s;ins  que  le  paiement  des  dettes  s'effec- 
tuât et  les  changes  lunaires  les  augmentaient  toujours.  Pour  mettre 

i;i  .".;.  :-•■.  "V;  :.•,•:■.  —  I.uçu^-; '.•.">.•;:;•.:  ù'aK'-ri ^u"a<f>oc:é.i un «e'JrGuilhcnny. 
V '..•;•;•.;"-  .-.  -•  X  .\-;.:.'> .::  .V.  .:r  ■:,-:.— .■•  i  :-.— .  -'5.  >\:j.  —  I".  rtsu  seul  fermier 
c:t  :c-;:  <  ••-■■.  --.  ■'-'  ■"•-  -Tj:.  .-!':' .C: ■".•::.•:.  cV  -.'j/t-.iji:.*  /nzym).  — 
If  lui;.:»:  v:.i::  '.■::  scrv.:;;::  ù,:  ;.::j;::.t'..  V.  K;V-  -'  •-••  :':s:r:.^h:s  de  tJmirûuU 
.::  M  '  y-x  .:.:■.■■?  j.  :.  •.;■,  .:.•■•:.  /..-  ".'  .".;•. ■;  \:."  :.•  .vVe.'..:.  _'i  ;:".•*-  F-j-x-'oij  Ltfmet, 
'.  ,■..'  .;..•.;..•;  .._:\-:.  ".  •._.' i'.-,-^;.-»  .-n  P'^t^v  ft  faire 
.'.    :'  ••.  -  .:/  :-:  .  "i:  /.'    :  ;  ,\  .v.V.-  :î-;,-.  j'cL  409. 

:-  •:,  .".;  :.•.■.-.  —  1..:    .  .';  l'"^:;;>.-..  :;  «fjj  1642. 
.  '.  .    ■;..:       .-•■.:      :.-,:.  —  L.:.  /.  i.  C^»  j  Lifuet.  6,  jo 


\  •  • 


LES  IMPOSITIONS 


59 


un  terme  aux  malversations  du  fermier,  les  consuls  de  Marseille 
obtinrent  la  aissation  de  son  bail  '.  Mais  Lugiiet,  mis  dans  l'impuis- 
sance de  payer  ses  créanciers,  se  prétendit  lésé  et  entama  contre  le 
commerce  de  Marseille  des  procédures  qui  duraient  tncorc  plus  de 
35  ans  après.  Les  Marseillais  dépensèrent  pour  l'affaire  Luguet  en 
(léputations,  en  présents,  en  frais  de  procès  des  sommes  considé- 
rables et  furent  condamnés  malgré  cela  à  dédommager  ses  héritiers. 
Il  falbit  compter,  en  effet,  :i\'ec  l'influence  des  gens  de  cour  que 
les  fermiers  savaient  intéresser  i  leurs  bénéfices'.  Dans  l'afiaire 
Luguet,  le  Bureau  du  commerce  de  Marseille  dut  même  décliner  la 
juridiction  du  Tribunal  de  l'amirauté  parce  que  le  lieutenant  du 
siège  de  Marseille  éuit  un  des  intéressés  à  la  ferme  du  trois  pour 
cent.  Plus  tard  le  comte  de  Brienne,  secrétaire  d'Etat,  qui  remplaça 
Chavigny  dans  la  direction  des  afiaires  du  Levant,  participa  aux 
opérations  des  fermiers  et  se  montra  souvent  peu  favorable  aux 
démarches  des  consuls  et  des  députés  du  commerce  de  Marseille. 
Pour  échapper  aux  vol  cries  des  partisans  qui  demandaient  que  les 
adjudications  des  fermes  se  fissent  h  Paris,  où  ils  auraient  facilement 
obtenu  des  conditions  onéreuses  au  commerce,  les  Marseillais  ne 
cessèrent  de  réclamer  que  les  enchères  se  fissent  :\  Marseille,  sous  la 
surveillance  de  leurs  consuls  et  députés;  il  leur  fallut  de  longs 
efforts  pour  triompher  de  l'opposition  intéressée  qu'ils  rencontrèrent 
à  b  cour.  Malgré  ces  précautions  les  baux  de  la  ferme  du  5  0/0 
furent  encore  ruineux  pt)ur  le  commerce  et  à  deux  reprises  les 
consuls  de  Marseille  négocièrent  à  la  cour  pour  les  faire  aiTiender\ 

(t)  N  \ous  cwi^inons  que  k-  commerce  ne  reste  ch.irgd-  des  Jhs  p.iicmcnts  et 
nous  ne  savons  à  qui  nous  en  prendre  pour  avoir  aff.iire  .1.  des  personnes  perdues.  » 
Ltitré  à  Ycatd.  2;  juilltl  16^1  Arch.  Commun.  —  Luguet  avail  cependant  fourni 
des  son^mes  considérables  puisque  M.  de  Ch.impigny  qui  examina  les  comptes 
des  hiîritiers  de  feu  Luguet  les  déclara  déLnteurs  de  81J00  pi.vstres  pour  reste 
des  }ooooo.  Arch.  Commun.  Coi  r,-sp.  tiivoyéf,  20  avtil  1646. 

(3)  Si  l'affaire  Luguet  donna  tant  de  m.il  aux  Marseillais  c'est  que  M,  de  la 
Barde  premier  commis  de  M.  de  Chavigny  y  était  grandenient  intéressé  (t-,  Léllirs 
à  Ycard,  7,  j-/,  21  tiiai ,  ;,  2t  noivvibit,  ;  déceiiihrf  t6.11). —  Les  Marseillais 
aaignaient  fort  qu'il  n'en  fût  de  même  de  M.  de  Chavigny  :  «  Ors  que  ledit 
situr  favorise  Luguet,  écrivaient-ils  1  leur  avocat  au  conseil,  nous  sommes  telle- 
ment londés  en  justice  qu'il  n'en  fout  espérer  que  bonne  justice  »  (à  Ycard, 
}  stpietnbr^  1641).  Arch.  Civnm. 

(3)  Arch.  Commun.  14  nmembit  1644  ;  jo  jata.  1646.  Dilibir.—  Un  certain 
Antoine    Marticliou  ■   commis  pour  la  recette   générale  ■  à  qui   tous  les  londs 

rirovcnant  du  î  0/0  devaient  être  remis,  avait  ol^tenu  pour  ses  frais  2  sols  pour 
ivtc,  c'est-à-dire  10  0/0,  il  fallut  encore  négocier  ù  la  cour  pour  obtenir  la 
réduction  de  ces  prétentions  «  qui  allaient  h  des  sommes  immenses.  »  t"  ilketti- 
irt  1644.  Arch.  comm. 


6o 


LAKARCHIE    COMNtERClALE 


De  plus  le  gaspillage  des  deniers  continua  ;  il  y  avait  un  an 
qu'un  nouveau  fermier  était  en  possession  de  la  ferme,  qu'il  n'avait 
encore  rien  payé  pour  les  dettes  de  Césy  :  il  avait  dû  avancer 
20.900  piastres  à  M.  de  la  Haye'.  Il  semblait  que  ce  droit  ne 
j>ar\-iendrait  jamais  à  payer  les  dettes  pour  la  liquidation  desquelles 
on  l'avait  institué.  Enfin  les  consuls  de  Marseille  se  décidèrent  en 
1648  à  supprimer  ce  3  0/0  qui  leur  avait  causé  tant  de  déboires. 
«  Les  fermiers,  écrivaient  les  consuls  à  Li  cour  pour  se  justifier  de 
ce  coup  d'autorité,  en  ont  retiré  plus  de  2.000.000  délivres  sans 
les  grands  frais  et  dépenses  que  cette  ville  a  supportés  en  dépura- 
tions, procès  et  autres  occasions  que  ledit  droit  a  fait  naître*.  » 

Le  3  0/0  fut  remplacé  par  un  cottimo  considérable  de  500  piastres 
par  vaisseau,  300  par  polacre  et  200  par  barque  qui  continua  d'être 
levé  jusqu'à  l'époque  de  Colbcrt*.  Ce  qui  causa  une  prolongation 
si  extraordinaire  d'une  imposition  qui  ne  devait  d'abord  durer  que 
a  années,  ce  fut,  outre  les  malversations  des  fermiers  ou  les  vire- 
ments de  fonds  opérés  par  l'ambassadeur,  le  nombre  croissant  des 
créanciers  qui,  malgré  les  etTorts  des  Marseillais  obtinrent  de  la 
cour  que  le  paiement  de  leurs  dettes  fût  assigné  sur  le  produit  du 
3  0/0.  Les  e.sigcnces  de  quelques  Anglais  de  Constantinoplc,  créan- 
ciers de  Césy,  rendirent  même  nécess.iire  en  1655  l'établissement 
d'un  nouveau  cottimo  destiné  à  payer  470.000  livres  qu'il  IcurS 
devait.  Ainsi,  après  avoir  p.iyé  depuis  162S  un  droit  de  3  0/0,  puis 
un  lourd  cottimo,  pour  liquider  ces  lameuscs  dettes  de  Césj-  qui  ne 
s'élevaient  d'abord  qu'A  722.000  livres  environ,  il  en  restait  encore 
470.000  à  payer.  Aucun  exemple  n'est  plus  propre  i  faire  toucher 
du  doigt  l'inconcevable  désordre  de  l'administration  d'alors  et  la 
situation  inextricable  dans  laquelle  se  débattait  le  commerce. 

Aux  impositions  causées  par  les  dettes  de  Césy  vinrent  encore 
s'ajouter  celles  qu'exigea  le  paiement  des  créanciers  de  M.  de  Mar- 
cheville,  qui  imita  l'exemple  donné  par  son  prédécesseur.  Comme 
les  consuls  de  Marseille  tardaient  à  lui  envoyer  de  l'argent,  il  sefl 
remit  a  percevoir  l'ancien  droit  de  2  0/0,  ce  qui  ne  l'empêcha  pas  de 
réclamer  ensuite  les  arrér.iges  de  sa  pension.  Bien  plus,  son  ancien 
secrétaire  offrit  de  fournir  aux  consuls  de  Marseille  des  reçus,  revêtus 


I 


(i)  Lcllre  à  Yavocat  au  Conicil  du  liorn,  2<j  janv.  164/.  Arcli.  comm. 

yi)  6  avril  164S.  Ai cb.  commun. 

(j)  ;,  /p  mai  i6^S.  Arch.  commun,  Dilihir, 


LES   IMPOSITIONS 


6r 


Je  S.1  signature,  prouv.iiit  qu'il  réclamait  des  sommes  qui  lui  avaient 
été  JOjA  pavées  pur  le  commerce'.  Il  partit  de  Constnntinople  telle- 
ment endetté  qu'A  son  retour  ;\  Marseille  le  patron  de  la  barque  qui 
l'avait  r.iment' fit  saisir  ses  équipages  en  nantissement  du  prix  de 
son  passage.  Dès  lors  la  liquidation  des  dettes  de  Marcheville  et  les 
prétentions  de  ses  créancierb  occasionnèrent  aux  Marseillais  des 
tracas  et  des  dépenses,  moins  grands  sans  doute,  mais  analogues  à 
ceux  que  leur  avait  suscités  Césy*. 

M.  de  la  Haye,  pendant  presque  toute  son  ambassade,  fut  en  fort 
mauvaise  intelligence  avec  les  marchands,  â  cause  des  levées  conti- 
nuelles qu'il  pratiqua  sur  les  vaisseaux,  malgré  leurs  plaintes.  Voyant 
que,  du  temps  de  Marcheville,  ils  avaient  du  pa3'er  à  la  fois  le  2  0,0 
et  la  pension  de  l'ambassadeur,  les  consuls  de  Marseille  déclarèrent 
à  de  la  Haye  qu'ils  entendaient  ne  rien  lui  payer  et  qu'ils  ne  l'em- 
pêchaient pas  de  lever  le  2  0/0.  Néanmoins  l'ambassadeur,  après 
avoir  joui  de  ce  droit  pendant  deux  ans,  leur  lit  donner  par  la  cour 
l'ordre  de  lui  payer  32.000  livres  d'arrérages  pour  sa  pension  '.  Sous 
prétexte  qu'il  faisait  de  grandes  dépenses  pour  tirer  Césy  des  mains 
de  ses  créanciers,  de  la  Haye  fit  de  nouveau  de  fréquentes  saisies 
de  deniers  sur  les  vaisseaux  et  s'empara  aussi  du  produit  du  3  0/0. 
Les  consuls  de  Marseille  eurent  beau  répéter  dans  leurs  lettres  A  la 
cour  que  l'ambassadeur  était  depuis  longtemps  «  surpayé  de  ses 
dépenses»,  la  cour  ordonna  de  satisdiire  à  toutes  ses   exigences'. 

L'établissement  de  plusieurs  impositions  qu'il  fit  percevoir  de  sa 
propre  autorité  dans  les  échelles,  en  faveur  de  créanciers  de  Césy  ou 
de  Marcheville  dont  il  avait  acheté  la  créance,  acheva  de  le  brouiller 
avec  les  marchands.  La  Chambre  du  commerce  dut  lui  Ciire  expédier 
plusieurs  lettres  de  cachet  pour  obtenir  la  suppression  de  ces  taxes*. 


(1)  Ltttres  à   Ycard  2/  noveiiihit,  t<^  octd>rc  1641,  31  mai  164).  Aicb.  Cofiim. 

(îl  Voir  par  exemple  l'affaire  Guez.  Ce  créancier  de  Marcheville  obtint  de 
M.  de  Id  Huye  l'ctablisscmciu  d'une  imposition  sur  les  navires  d.ins  les  liclielles 
pour  «.on  rcnibourscnient.  Pour  4  ou  5000  piastres  qui  lui  étaient  ducs,  on  eti 
leva  plus  de  40.CIUO  et  les  Marseillais  curent  beaucoup  de  niai  3  obtenir  la  sup- 
pression de  l'imposition  V.  Àrcb.  Conimim.  l.rttrc  Je  l'avocat  ïcitid,  6  Jèv.  lus 4. 

(31  Lfliui  à   Yiitiil,  2.1  iUctmhi,'  i6)S,  /  fh-rier  iOji).  Ai ch.  commun. 

(4)  Ltltrt  iluii  fèv.  1643  à  Yfdrtl,  ij  moi  1643  àChaviguy,  i)  dèciinhre  1644 
il  Chamfiigus.  —  De  la  Haye  continua  pour  ses  dispenses  personnelles  ;\  (;.irder 
le  produit  du  3  00  des  éclielks  de  Sinyrne  et  de  C2onstantinople.  LdtifS  à  Vcaut 
du  /•'  ft  S  octûbif  K'IJ.  Afih.  Commun. 

{%)  Voir  hltfis  di's  Cùnsuh  de  M,  tôjO-SS,  J4  décembre  léjf,  4  janvier , 
H  fîv.  sôjô.  DU,  26.  —  Délibx'riUiûn  de  la  Omiibre  du  •)  septembre  16)6.  Bli,  1 . 


62 


L  ANARCHIE    COMMERCIALE 


I 


Cependant  les  rapports  s'améliorèrent  entre  les  marchands  et  M. 
la  Hâve  pendant  les  trois  dernières  années  de  son  ambassade  ;  il 
n'y  eut  plus  de  plaintes  contre  lui,  on  trouve  même  une  lettre  de 
remerdments  des  consuls  de  Marseille  pour  un  service  qu'il  leur  a 
rendu  ;  de  leur  côté  les  Marseillais  lui  payaient  régulièrement  sa 
pension.  Mais  de  la  Haye  se  montrait  bien  oublieux  ou  singulière- 
ment hardi  quand  il  écrivait  aux  consuls  :  «  Vous  savez  que  pen- 
dant les  vingt  ans  de  mon  amhiissade  il  n'y  a  jamais  eu  de  plainte 
contre  moi,  soit  de  la  part  dugènéral^  soit  des  particuliers,  bien  que 
j'aie  eu  plus  de  sujet  qu'aucun  autre  ambassadeur  de  prendre  sur 
les  vaisseaux  ce  qu'on  sait  qui  me  manquait  d'ailleurs'.  » 

Les  dettes  croissantes  que  les  avanies  laisaient  naître  dans  les 
échelles  y  tirent  établir  des  impositions  encore  plus  lourdes  que  les 
dépenses  des  ambassadeurs.  En  1641  un  droit  général  de  2  o,'o  fut 
créé  pour  15   ans  sur   les   marchandises  chargées  dans  toutes  les 
échelles.  Trois  ans  après  il  ttUut  faire  lever  un  autre  2  0/0  dont  on 
devait  tirer  100.000  piastres'.  Ces   impositions  générales  n'empê- 
chaient pas  d'en  mettre  de  particulières  dans  l'une  ou  l'autre  des  S 
échelles  qnand  ses  dettes  l'exigeaient.  Les  trois  grandes  échelles  les  ™ 
plus  exposées  aux  avanies,  Alexandrie,  Alep,  Seide,  furent  presque 
sans  interruption  chargées  de  diverses  taxes.  A  Alexandrie  dès  1630 
la  nation  établit  un  droit  de  3  0/0  qu'il  fallut  bientôt  élever  à  5,  car, 
.1  cause  de  la  ruine  du  commerce,  il  suffis;iit  à  peine  à  payer  les  inté-     ' 
rets  des  dettes*.  En  1641  un  sieur  Letellier  «  avait  feit  parti  »  avecfl 
le  roi  de  p.iveren  15  ans  les  dettes  d'Alexandrie  moyennant  la  jouis- 
sance du  5  0''o;  or,  écrivent  les  consuls  de  Marseille  à  leur  avocat  à 
la  Cour  «  les  comptes  envoyés  par  les  principaux  négocians  de 
l'écheUe  montrent  qu'ils  paieront  ce  qui  reste  à  payer  en  deux 
années,  sur  le  pied  des  paiements  ci-devant    faits  au  moyen  du  dit 
droit  .ivec  lequel  il  s'est  acquitté  dans  quatre  années  80.000  piastres^ 
de  façon  que,  durant  ireue  années,  il  y  aurait  à  partager  entre  les  ■ 
auteurs  de  cette  volerie  26.000  pièces  de  8  féaux,  qui  dévorerait  la 


(i)  ^  /iiff».  1660.  A  A,  14s,  cf.  Lettre  du  22  mars  tôs). 

(1)  Dilib.du  2$  Hov.  1641,  34  dfc.  1644.  Arch.  Commun. 

(3)  Il  s'jgissait  en  1634  Je  payer  80.000  piastres  qui  furent  acquittées  en  4  ans, 
cependant  la  ferme  du  5  o  o  existait  encore  en  1648,  un  moment  supprimée  elle 
fut  presque  aiissittM  rétablie;  le  droit  était  encore  nervu  en  1660  et  cependant 
l'ccUclle  restait  engagée  (X)ur  250.000  piastres.  V.  Dtlili.  du  2  janv.,  i'"  août  16 f  4, 
f  M-ril  1641.  —  Leititi  du  12  mars,  7,  14,  21  mai  1641,  9  mai  164^.  2J  — ""' 
164S.  Anhiv.  Commun.  —  DH'ib.  J,  la  Chambre  tn  1660.  BB,  i. 


I 


LES   IMPOSITIONS 


63 


substance  entière  du  commerce'  ».  Malgré  l'évidence  de  la  super- 
cherie, les  consuls  craignirent  pendant  plusieurs  mois  de  ne  pas 
obtenir  satisfaction,  car  M.  de  la  Barde  premier  commis  de  M.  de 
Chavi}»ny  avait  reçu  promesse  du  sieur  LetcUicr  de  4.000  livres  de 
pension;  cependant  ils  finirent  par  faire  rejeter  l'offre  du  partisan. 
Jl  était  toujours  dangereux  de  laisser  étiblir  une  levée  dans  une 
échelle  car  il  était  fort  difficile  de  la  faire  supprimer  dans  la  suite, 
.1  cause  des  intrigues  des  financiers  qui  y  trouvaient  la  source  d'énor- 
mes bénéfices.  Alep  ne  fut  guère  mieux  partagée  qu'Alexandie*  ; 
quant  i  Scïde  la  nation,  .'i  la  suite  des  avanies  qu'elle  subit  après  la 
mort  de  Fakhreddin  en  1633,  dut  contracter  des  dettes  énormes 
dont  elle  essaya  en  vain  de  se  libérer. 

Le  préambule  de  l'arrêt  du  Conseil  du  12  décembre  1664  résumait 
nettement  la  triste  situation  des  Echelles  pendant  cette  période  : 
iSous  prétexte  de  payer  les  dettes  de  la  nation,  on  a  établi,  dis;iit- 
I,  des  impositions  qui  sont  si  exorbitantes  que  depuis  20  ou  30  ans 
il  se  lève  dans  toutes  les  Echelles  du  Levant  3  ou  5  0/0  sur  toutes 
les  marchandises  qui  sont  apportées  ou  qui  en  sortent  et  jusqu'à 
r.ooo  ou  1,200  pia.stres  par  chaque  vaisseau  ou  barque,  sans  que  les 
sommes  prodigieuses  qui  en  doivent  provenir  aient  pu  suffire  à 
acquitter  les  dettes  contractées.  ".  n  C'est  en  vain  que  les  Marseillais 
adressaient  leurs  supplications  à  la  Cour  pour  remédier  à  une  situa- 
tion si  misérable  :  «  Considérez,  Monseigneur,  s'il  vous  plaîtj  toutes 
ces  raisons,  écrivaient  les  consuls  ;\  Chavigny,  et  au  nom  de  Dieu 
portez  votre  pensée  aux  moyens  de  mettre  en  liberté  notre  com- 
merce qui  se  trouve  chargé  de  plus  de  12  ou  13  0/0  par  toutes  les 
Echelles  sans  compter  les  droits  du  Grand  Seigneur,  sans  l'assujettir 
davantage  par  de  nouvelles  impositions  et  rendre  son  servage  éter- 
nel, ce  qui  serait  capable  de  le  faire  abandonner  par  nos  marchands 


(1)  Uii'i-  a  li-jrii,  13  imiis  i(>4J. —  ;  avril  iC^r.  Détth.  Aichîv,  Commun. 
La  pi^istrc  équivikit  i  peu  près  à  l&  pièce  de  8  ri^jux. 

(2)  V.  ^  août  i6rç,  sfpt.  t6ji .  Ardiiv.  Commun.  D/lih.  —  ;./  mai  1622, 
8  mars  t62j,  12  jatii'.  t(<2},  ao,  2S  mai  162}.  AA,  }6}. —  DlUb.  du  }  avril 
lf>4i,  24  dtc.  1644,  Archiv.  Commun.  —  Des  impositions  y  sont  établies  en 
1619.  22,  2\,  Jl  —  En  1641  fut  alTcrmé  pour  15  ans  un  droit  de  2  0/0  hien- 
tâl  iiccru  d'un  .lutre  droit  de  4  0/0;  tous  Jeux  étaient  levés  encore  en  1660.  — 
De  plus  uncottimo  avjit  été  créé  en  1651. 

(3)  A  A,  t}2. —  A  Sniyrnc  méntc  l.i  nation,  quoique  moins  souvent  exposée 
iiux  avanies,  dut  cependant  ussez  fréquemment  établir  des  impositions.  Letirts  des 

irchands,  t3  mai  tàjS,  ij  dtc.  1642.  .4A,  17A'. 


pour  conserver  le  peu  qui  leur  reste,  et  le  rendre  tout  à  ùit  désen, 
et  par  votre  bon  naturel  empêchez  les  oppressions  qui  nous  mena- 
cent et  vous  serez  son  restaurateur  '.  »  Deux  ans  plus  tard  le  chance- 
lier Séguicr  semble  avoir  eu  l'idée  de  jouer  ce  rôle  :  «  Il  s'informa 
particulièrement,  auprès  de  l'avocat  au  Conseil  Ycard,  chargé  des  inté- 
rêts du  commerce  de  Marseille,  de  1  ctat  des  affaires  du  Levant  et  des 
droits  qui  s'y  levaient  et  il  demanda  que  le  Bureau  du  commerce  de 
Marseille  avisât  aux  mo^'ens  qu'on  pourrait  prendre  pour  en  sup- 
primer une  partie  et  tâcher  de  rétablir  le  commerce.  »  Le  Bureau 
s'empressa  d'y  travailler  et  d'envoyer  des  mémoires,  mais  la  bonne 
volonté  du  chancelier  resta  sans  effet*.  Il  fallut  attendre  Gilbert 
pour  obtenir  un  adoucissement  aux  charges  extraordinaires  quesup- 
portait  le  commerce. 

A  côté  des  impositions  extraordinaires  établies  dans  les  échelles, 
il  y  avait  les  impositions  royales  payées  à  Marseille,  dont  le  poids 
croissait  sans  cesse.  En  vertu  de  vieux  privilèges,  dont  l'origine 
remontait  au  traité  et  chapitres  de  paix  conclus  ayçc  Charles  d'An- 
jou, le  12  juin  12)7,  ^ï  confirmés  lors  de  la  réunion  de  la  Provence 
i  la  Inmce,  Marseille  était  exempte  de  tous  droits  sur  les  navires  cl 
les  marchandises  entrant  dans  son  port.  Cette  franchise,  qui  avait 
fait  sa  fortune,  avait  été  récemment  confirmée  par  Charles  IX,  en 
1 564,  par  Henri  III,  le  25  septembre  1 577,  par  Louis  XIII  lui-même, 
le  l"^  septembre  16 16.  Mais  les  fermiers  des  droits  du  roi,  poussés 
par  leur  cupidité,  entreprirent  .sans  cesse  audacieuscmcnt  de  violer 
les  privilèges  des  Marseillais,  et  souvent  la  vigilance  et  les  protesta- 
tions des  consuls  de  Marseille  ne  sullîrenl  pas  à  les  en  empêcher.  Les 
fermiers  et  les  commis  de  la  foraine  furent  presque  continuellc-ment 
en  conflit  avec  le  commerce  depuis  le  xvi'  siècle.  En  vertu  de  la 
franchise  du  port,  ils  n'avaient  pas  le  droit  d'établir  leurs  bureaux 
dans  la  ville,  mais  seulement  aux  limites  de  son  territoire.  Ils  réussi- 
rent cependant,  .1  plusieurs  reprises,  à  les  y  introduire.  Dès  1556, 
des  lettres  patentes  du  roi  ordonnent  de  supprimer  le  bureau  qu'ils 
vont  créé  et  l»'s  officiers  qu'ils  ont  institués'.  Cependant  ils  revin- 
rent, sans  doute  à  la  faveur  des  troubles,  et  même  ils  prétendirent 


(1)  tj  mai  1643.  Arcb.  Comm, 

{2)  Leitiv  à  YcdiJ,  2tj  nav.  i6.f.f.  Arch.  Commun. 

(51  Oclohit  I  iSd.  Hfgisi.  I  dti  Iiisinualiom  de  l'Amkûuti  dt  M.  fol   80 j.  Arcb. 

Dèp.  dti  ll-du-Rh. 


LES   LMPOSmONS 


6% 


exercer  un  droit  de  visite  sur  tous  les  vaisseaux  qui  sortaient  du 
port  de  Marseille.  Mais  le  lieutenant  de  l'amirauté,  qui  exerçait  ce 
droit,  protesta  et  un  arrêt  du  Parlement  de  Provence,  confirmé 
par  arrêt  du  Conseil  en  1606,  le  lui  réserva'.  Les  commis  de  la 
foraine  furent  même  obligés  par  les  lettres  patentes  de  1616  de  se 
contenter  d'avoir  leurs  bureaux  autour  de  la  ville,  mais  leurs  querel- 
ler avec  les  Marseillais  se  renouvelèrent  plus  vives  que  jamais  au 
sujet  de  denrées  et  de  marchandises  exemptées  des  droits  et  qu'ils 
prétendaient  y  assujettir.  En  1636,  l'irritation  était  si  vive  contre 
eux,  qu'un  matin,  quantité  de  mutins  sortirent  de  la  v-ille  avant  le 
jour  et  égorgèrent  tous  les  commis  des  bureaux  sans  qu'il  en  échap- 
pât un  seul*.  La  correspondance  entre  les  consuls  de  Marseille  et 
leur  avocat  au  conseil  est  remplie  de  leurs  démêlés  avec  les  fermiers 
de  la  foraine  dans  lesquels  il  est  vrai,  grâce  à  leur  persévérance,  ils 
obtinrent  généralement  gain  de  cause*. 

Il  n'en  fut  pas  de  même  au  sujet  du  droit  des  drogueries  et 
épiceries.  Les  lettreô  patentes  du  25  septembre  1577  exemptaient 
expressément  les  Marseillais  de  ce  droit  que  François  I",  le  25  mars 
1 544,  avait  fixé  i\  deux  écus  parquintal  pour  les  épiceries,  et  à  4  0/0 
de  leur  valeur  pour  les  drogueries.  Cependant  sous  Louis  XIII,  ce 
droit  fut  levé  sur  toutes  les  épiceries  et  drogueries  qui  entraient  ;'i 
Marseille.  En  1644,  le  chancelier  Séguier  eut  l'intention  de  faire 
abolir  cette  imposition  et  des  négociations  furent  entamées  ;\  ce 
sujet  avec  le  Bureau  du  commerce  de  Marseille,  mais  la  cour  deman- 
dait une  grosse  somme  pour  le  rachat  du  droit  et  le  remboursement 
des  oiïices  des  commis  et  le  Bureau  craignait  qu'après  l'avoir  payée 
on  ne  rétablit  ensuite  la  levée,  aussi  les  pourparlers  n'aboutirent 
pas*.  II  avait  été  question  en  même  temps  de  supprimer  le  droit 
de  poids  et  cas.se  qui  existait  depuis  le  moyen  .iige  et  que  les  négo- 
ciants payaient,  lors  des  ventes  et  .ichats,  pour  les  marchandises 
qu'ils  i;iisaicnt  peser  au  Bureau  du  poids  et  casse  par  les  commis 
royaux.  Le  tarif  de  ce  droit  avait  souvent  varié  suivant  les  besoins 


(t)  .Infl  du  Pailtmmt  du  7  dhtmbrt  ;jy^.  —  Anft  du  Constil,  16  fév.  i(>o6. 
—  Ibidfûl,  3)4.  J37. 

(21  ji'LLUNY,  I.  I,  p.  so,  d'après  un  Mémoire  de  Lcbret  1  la  Bibl.  Naiionale. 

(î)  Voir  -■/»(■/;.  Conwiu».  Corropomhince  rtiue  vt  nivoyft,  notamment  l6io,  1621, 
l6}4,  1651,  1652  tt  bB,  j6,  Corro/.  dt  la  Chiinil're,  7  fhr.  j6;;,  3  oct.  jbyô. 

U)  Atsh,  Commun   Cotresp.  rnvoyh,  6  àà.  1644,  ij  dtc,  1644,  jjanv.  164s. 


ftC  l'anakcihe  commerciale 

de  l'ctat*.  Scj^uicr  (it  proposer  le  rachat  des  deux  droits  des  épice- 
ries et  du  poids  et  casse  pour  200,000  livres,  le  commerce  ne  vou- 
lant pas  s'engager  pour  une  aussi  grosse  somme  offrit  de  payer  au 
roi  une  rente  de  12,000  livres,  supérieure  à  ce  qu'il  en  retirait.  Les 
Marseillais  ^-taicnt  encore  assujettis  au  paiement  d'un  écu  parquintal 
pour  les  aluns  apportés  du  Levant,  un  fermier  avait  été  établi  pour 
le  percevoir  au  milieu  du  xvi*  siècle*.  Ils  devaient  aussi  le  droit  de 
visite  aux  oflîciers  de  l'amirauté  qui  s'assuraient  que  les  navires 
n'emportaient  pas  de  marchandises  prohibées  et  leur  donnaient 
ensuite  congé  et  passeport.  Quand  M.  de  Seguiran  fut  envoyé  en 
1633  par  Richelieu  pour  faire  une  enquête  sur  l'état  de  la  marine  et 
du  commerce  du  Levant,  les  Provençaux  se  plaignirent  vivement 
des  exactions  des  officiers  de  l'amirauté  qui  outrepassaient  considé- 
rablement leurs  droits.  Seguiran  apprit  que,  pour  les  bâtiments 
visités  aux  îles  de  Marseille,  ils  prenaient  9  livres  par  vaisseau,  4 
livres  10  sols  parpulacre,  2  livres  5  sols  par  barque  et  15  sols  par 
bateau;  il  réduisit  leurs  droits  ;\  5  livres  10  sols  pour  les  vaisseaux, 
et  même  à  3  livres  10  sols  si  la  visite  se  faisait  dans  le  port  ou  i  la 
chaîne  ;  les  pulacres  devaient  payer  de  même  et  les  barques  40  sols 
seulement'. 

Si  la  franchise  du  port  de  Marseille  est  fortement  menacée  et 
mémo  .itteinte,  les  droits  qui  pèsent  sur  les  marchandises  du  Levant 
À  leur  entrée  dans  le  royaume  augmentent  encore  au  début  du  xvii« 
siècle.  C"est  alors  qu'apparut  la  douane  de  Valence  payée  par  les 
marchandises  qui  avaient  déjà  passé  aux  bureaux  de  la  foraine  au 
sortir  de  Marseille,  ou  au  bureau  de  la  douane  de  Lyon.  Les  mar- 
chands de  Marseille  et  de  Lyon  s'élevèrent  fortement  contre  cette 
nv»uveautc  :  «  l.cs  villes  de  Lyon  et  de  Marseille,  écrivaient-ils  au 
KM,  et  inarchands  d'iccîles  villes  et  autres  de  ce  royaume  et  étran- 
jîcrs  font  grandes  plaintes  de  ce  que,  pour  fentretenement  de  la 


1 : 1  A;.  >•.:•>•:  vie  »>>  xi:»*.;.  Vc>i:  i\\   ::.  M:"x-i'i  J^  LzCàtittirt  du  j  mai  ijij. 

•  'l\\:u<  \'^  :v.:v!-."'vV..<vS  v.\:,;U":  :~>  jwuxs  au  Butwj-  d-  poids,  mais  les 
!Vi;v\.vs»^.:  a.-  .i:-s  -  x;x:-:  w::::  ■>:>  cor.-.:'.->  ùu->  les  v.ûsj«îux. les  magasins 
o.    .vS  .'..'"  >'•<•"■'  ■-"'•"■>.■■■:■■.■■.;  ■.:■■>.■  *;:■,'.;■."".;.".;■.»•".:,;;. S  ...-T  ccrnjier.u 

■.:>    .\  ;  •     J  ■         •1    .•"?.   -•;-■    .:"-■  M.  -■-  :  ..  A:;.- ..  .  .•■:  ---îiir  jV  Lstàii  i'AJiJCHo 
'  ■■:  .      i,.   .'•..  .•    .'■.".-,.       n.  .:'   ■!.•  .t.    .;..   J  Ms  .».  V.-.  .;  -.-•.  rf-J  (xl.  JJj). 

:    V     ^■.-      .:'.  x        ..   Ja-.  ."  .  :".  —  .■.•..•.•.  .-n  I.  x^     -t.  y.  2^i-34b. —  Ces 
J  V  :>    «ri  ,••;  .-»•-•.•.;;;>>    ,■::■.   !,■    «:>::,"•_::•:.  "•;:  •.■.■•.v.::-,ur  i:  le'sniËer  lie  Tami- 
u.;v  i.-.  ,-.v.".  ^  .-,  :,   j;  c-,>.'.o.;s  ..'  :  .:  x"  ."  ;.:  :_:  iuiri  sccsLooisXni 

♦à.    ji  1.    «•  .\.v    >j>»v-.r  r  j^\  -.ij.  Jw  curxiv.  i- .V". 


LES   IMPOSITIOXS 


67 


ciudellc  de  Valence,  on  a  exigé  en  ladttL-  vilL-  une  douane  de  2  1/2 
pour  cent  sur  les  marchandises,  par  le  moyen  de  laquelle  le  com- 
merce des  marchandises  du  Levant  et  d'ailleurs  est  ruiné  et  prennent 
Icsdites  marchandises  à  présent  autre  passayc  que  par  Marseille  pour 
venir  à  Lyon,  et  aller  en  France,  Italie  et  Allemagne  autre  que  par 
la  ville  de  Lyon,  pour  éviter  lesdits  subsides  extraordinaires  de 
Valence  qu'ils  soutiennent  être  de  plus  de  6  0/0,  encore  qu'il 
soit  porté  2  1/2.  »  Mais  les  marchands  curent  beau  ajouter  que 
ce  serait  «  chose  insolite  et  contre  raison  de  payer  deux  douanes  en 
un  royaume  et  en  deux  lieux  pour  même  marchandise  »  et  qu'en 
outre  depuis  «  le  surhausseuieut  des  droits  de  douane  à  Lyon  Liit  du 
temps  de  la  ferme  du  sieur  Louis  Dadi.into  elle  est  de  plus  de  7  1/2 
pour  cent,  et  d'y  ajouter  encore  la  douane  de  Valence  serait  chose 
insupportable  aux  marchands  0  ',  toutes  ces  plaintes  furent  vaines  et 
la  nouvelle  douane  resta  définitivement  établie.  Un  autre  mémoire, 
du  timeux  négociant  Marseillais  Magy,  nous  apprend  qu'en  1632 
l'établissement  d'un  nouveau  droit  ruina  en  partie  le  commerce  que 
Marseille  et  Lyon  faisaient  des  soies  du  Levant.  «  Le  commerce  de 
Marseille,  dit-il,  apportiiit  les  soies  en  Europe  et  particulièrement 
les  ardasses  que  l'on  moulinait  aux  environs  de  Lyon  et  qui  se  dis- 
tribuaient non  seulement  dans  le  royaume  mais  dans  toute  l'Allema- 
gne, les  Pays-Bas  et  même  en  Angleterre  ;  cela  a  duré  jusqu'en  1632 
que  l'on  imposa  sol  par  livre  pour  la  nouvelle  reprétiation.  Cette 
augmentation  détourna  ce  commerce  et  dans  la  suite  les  Anglais  et 
les  Hollandais  en  ont  fait  mouliner  chez  eux,  non  seulement  pour 
leur  consommation, mais  ils  en  fournissent  toute  l'Allemagne  et  même 
depuis  quelques  années  la  plus  grande  partie  du  royaume  et  privent 
les  sujets  de  S.  M.  de  l'ouvrage  et  teinture  de  1.000  balles  de 
soie*.» 

Si  les  Marseillais  étaient  obligés  de  supporter  le  poids  croissant 
des  impositions,  les  étrangers,  pour  qui  la  franchise  du  port  avait 
encore  plus  complètement  disparu,  s'en  détournèrent  de  plus  en 
plus.  Non  seulement  en  eflet  ils  étaient  assujettis  au  paiement  de 
toutes  les  taxes  établies  sur  le  commerce  français,  mais  ils  en 
payaient   une   série  d'autres   qui    leur    étaient    particulières.    Les 


(  j  )  Plaintfs  dfi  marcfiamU  de  MantiUi  d  île  Lyon,  contre   h  douane  tiouvclle- 
racnt  ctablie  à  Valence  (sans  date).  Bibl.  utit.  mss.Jt .  i6^^i, 
(2)  Mémoire  du  2  juin  i68j.  Arch.  nat.  F",  64$. 


68 


L  ANARCHIE   COMMERCIALE 


plus  considt-rablcs  étaient  les  droits  de  la  Table  de  mer,  droits  très 
anciens  dont  les  habitants  de  Marseille  étaient  exempts  depuis  B 
Charles  d'Anjou  et  môme  antérieurement.  Ils  s'élevaient  en  1653  à 
1/2  0/0  perçu  sur  toutes  les  marchandises,  sauf  sur  les  épiceries  et 
drogueries  qui  payaient  i  0/0  '.  Aux  officiers  de  l'amirauté  les  étran- 
gers acquittaient  une  taxe  double  pour  le  droit  de  visite  *.  Ils  devient 
au  fermier  de  la  gabelle  du  port,  établie  par  la  ville,  6  livres  8  sols 
pour  droit  d'ancrage  et  pareille  somme  au  sieur  de  Roquefort,  sous 
le  nom  de  droit  d'attiche,  en  vertu  d'engagements  antérieurs  faits 
par  le  domaine  royal  à  la  famille  de  ce  gentilhomme*.  La  ville 
exigeait  aussi  un  mousquet  de  chaque  navire  étranger,  droit  qu'elle 
avait  converti  en  une  taxe  de  12  livres  16  sols.  Le  sieur  de  Pilles 
gouverneur  du  Ch*ucau-d'If  prenait  une  pistole  à  chacun  de  ces 
mêmes  bâtiments  quand  ils  abordaient  aux  îles  ;  il  expliquait  que 
«  c'était  une  possession  née  avec  la  construction  de  la  même  forte- 
resse et  qui  marquait  une  espèce  d'homm.ige  que  les  navires  devaient 
à  la  dignité  du  prince  duquel  les  forteresses  relevaient  et  que  les 
vaisseaux  rendaient  au  commencement  par  la  reconnaissance  d'un 
baril  de  poudre  ou  de  quelques  armes  ;  mais  comme  l'un  et  l'autre 
était  d'autant  plus  à  charge  qu'ils  en  avaient  besoin  durant  leur 
voyage,  ils  avaient  commué  ce  devoir  en  argent,  que  tous  les  gou- 
verneurs du  Château-d^f  recevaient  depuis  qu'il  est  érigé  en  capi- 
tainerie et  gouvernement  '.  »  Les  étrangers  supportaient  encore 
plusieurs  petits  droits,  comme  celui  de  vingtain  de  carène  qui 
consistait  en  une  taxe  de  5  0/0  sur  le  tiers  de  la  valeur  des  navires 
ou  des  bois  de  construction  qui  sortaient  des  ports;  ce  droit,  qui 
appartenait  ^  la  ville,  rapportait  si  peu  qu'elle  l'afferma  305  livres  en 
1647  et  i8u  livres  en  1645  ^ 


(i)  V.  Inspection  de  Se!;uiran,  p.  24S.  Corrap.  de  Soiirdis.  —  Henri  IV  avait' 
engagé  ce  droit  au  sieur  de  Liberut  eit  récompense  de  ses  services  et  il  appartenait  ' 
sous  Louis  XIII  aux  maris  Je  ses  deux  tilles. 

(2)  Ibid.p.  242.  —  Cependant  le  consul  hollandais  déclara  à  Se^iron  que  lesl 
vaisseaux  de  sa   nation   payaient  6/4  d"écu  aux  officiers   de  l'amirauté  pour  le 
rapport  qu'ils  faisaient  lors  de  leur  arrivée  et  6/4  d"écu  à  leur  départ,  ce  qui 
n'équivalait  pas  au  double  de  ce  que  p.iyaicnt  les  Frani^ais.  —  Les  .^n^lais  don- 
naient en  outre  pour  4  livres  de  confitures  au  lieutenant  de  l'amirauté,  p.  jjo-ji.  ' 

(})  JbiJ,  p.  J4J,  —  La  gabelle  du  port  fut  affirmée  par  la  ville  28.000  liv  en  I 
1645,  ÎO.250  en  1647,  ce  qui  suppose  un  grand  nombre  de  b;ltinients  étrangers] 
fréquentant  le  fiort.  —  Wfr».  Comm.Dêlib. 

I4l  Ihid.  p.  3)1. 

(5)  Aich.  Comm.  Dâibir.  —  Parmi  ces  droits  il  (;iut  citer  ceux  de  la  millerolle 


LES   IMPOSITIONS 


69 


Sans  doute  beaucoup  de  ces  impositions  étaient  peu  ontrcuscs, 
mais  ajoutées  les  une  aux  autres,  elles  ne  laissaient  pas  d'être  une 
charge  sensible  pour  les  capitaines  étrangers  et  surtout  elles  étaient 
vex;itoires.  Les  capitaines,  en  arrivant  h.  Marseille,  se  trouvaient  aux 
prises  avec  une  foule  de  commis  ;  ils  devaient  se  soumettre  à  leurs 
visites  et  à  leurs  tracasseries  et  c'est  surtout  pour  tes  éviter  qu'ils 
désertèrent  de  plus  en  plus  le  port  de  Marseille.  Tandis  que  celui- 
ci  au  début  du  xvii'  siècle  était  l'entrepôt  général  du  commerce  du 
Levant,  où  les  Anglais  et  les  Hollandais  et  aussi  les  Fran<;ais  du 
Ponant  Venaient  s'approvisionner  ou  faisaient  escale,  ce  rôle  passa 
peu  i  peu  à  Livourne,  où  le  grand  duc  sut  attirer  les  étrangers  en 
donnant  h  ce  port  la  franchise,  qui  n'était  plus  à  Marseille  qu'un 
lointain  souvenir. 

Pendant  la  minorité  de  Louis  XIV  deux  nouvelles  impositions, 
suscitées  par  l'extrême  pénurie  des  finances,  achevèrent  de  les  chas- 
ser de  Marseille  et  de  foire  la  fortune  de  Livourne.  En  1646,  la  ville 
créa  une  imposition  sur  le  poisson  salé  de  ro  sols  par  quintal, 
or  les  Ponantais,  Français,  Anglais  ou  Hollandais,  apportaient 
surtout  quantité  de  morues  A  Marseille  en  échange  des  marchan- 
dises du  Levant  qu'ils  y  prenaient;  les  Marseillais  vendaient 
ensuite  ces  morues  dans  tous  les  ports  d'Espagne  et  d'Italie 
et  en  retiraient  des  sommes  considérables.  Aussi,  l'effet  de  cette 
taxe  fut  bientôt  ressenti:  «  L'événement  nous  a  fait  connaître, 
remontrait  le  Premier  Consul  en  1650,  que  les  march.inds  qui 
avaient  accoutumé  de  porter  des  «  merlusses  »  en  cette  ville,  qui  est 
le  poisson  duquel  se  tire  le  principal  revenu,  ont  diverti  le  commerce 
ailleurs,  trouvant  cette  imposition  insupportable,  et  par  ce  moyen 

affaibli  notre  commerce.  )•  Mais  tout  ce  que  put  faire  la  ville,  qui 

avait  un  pressant  besoin  d'argent,  fut  d'abaisser  le  droit  à  7  sols  par 
quintal'. 


4e  l'huile  et  du  miel,  d'estaque  de  barques,  de  l'huile  et  fanons  de  b.nleines, 
sardes  chiens  et  loup  de  mer  et  autres  poissons,  de  l.i  poix  noire, qui  appartenaient 
au  roi  ;  les  uns  pesaient  aussi  sur  les  M.irseiil.iis.  V.  BB,  2,  fol.  sSj-ç2  :  Mémoires 
de  la  Chambre  au  sujet  de  l'afFranchissement  du  port. 

(I)  Arch.  Commun.  DèUbèr.  4  novembre  1650,  j;  novemhre  tSjo.  —  Pour 
l'année  165 1,  l.i  ferme  du  poisson  salé  fut  adjugée  h  1 5 .200  livres.  —  Il  y  avait, 
paraJt-il,  d'après  un  document  du  xviii<--  siècle,  un  autre  droit  curieux  sur  le  pois- 
son apponé  par  les  étr.ingcrs.  Il  n'en  est  fait  mention  dans  aucun  des  documents 
du  XVII'-'  siècle.  —  L'envoyé  du  Danemark  se  plaignit  en  1748  d'un  droit  consi- 
dérable perçu  au  nom  de  1  amirauté  et  des  consuls  sur  les  chargements  de  morue  : 
l'amirauté  prenait  9  quarterons  faisant  223  pièces  et  les  consuls  ;  quarterons  fai- 


70  I.  ANARCHIE    COMMERCIALE 

Le  dernier  coup  fut  porté  au  commerce  des  étrangers  à  Marseille 
par  le  fameux  droit  de  50  sous  par  tonneau,  qui  équivalait  à  peu 
près  à  une  entière  prohibition.  La  Chambre  du  Commerce  de  Mar- 
seille adressa  au  Roi  à  cette  occasion  des  remontrances  fortement 
motivées  :  «  Les  échevins  et  députés,  disait-elle,  remontrent  avec 
de  très  profonds  respects  à  Votre  Majesté  que  la  déclaration  qu'elle 
a  faite  le  10  juin  1659,  portant  la  levée  de  50  sols  par  tonneau  sur  les 
vaisseaux  étrangers,  achèvera  de  ruiner  le  peu  de  commerce  qui  y  reste 
et  de  le  transportera  Ligourne,  Genncs  et  Villefranche.  Car  encore, 
Sire,  que  Votre  Majesté  se  soit  proposée  deux  avantages  qui  sont 
d'en  retirer  un  revenu  considérable  et  d'obliger  vos  sujets  à  fabriquer 

des  vaisseaux toutefois,  tant   s'en  faut  que  dans  la  côte  de 

Provence  la  levée  dudit  opère  aucun  desdits  avantages,  qu'au 
contraire  elle  y  produira  des  effets  très-pernicieux  à  vos  fermes  de  la 
traiteforaine  et  domaniale  et  à  tous  vos  sujets.  Parce  qu'il  est  cons- 
tant que  si  ce  droit  là  y  a  lieu,  comme  les  vaisseaux  étrangers  qui  y 
viennent  des  mers  du  Ponant  n'y  sauraient  faire  que  des  profits  fort 
limités  et  qui  ne  pourraient  pas  sulfirc  au  payement  dudit  droit,  s'il 
étaitaccumulé  à  cinq  ou  six  autres  droits  qu'il  leur  faut  aussi  payer, 
cela  les  obligera  tous  d'aller  décharger  à  Ligourne,  Gennes  et  Ville- 
franche  où  il  en  sont  tout  à  fait  exempts.  L'expérience  a  déjà  fait 
voir  que  de  30  ou  40  vaisseaux  étrangers  qui  y  venaient,  il  n'y  en 
vient  plus  que  7  ou  8,  les  autres  allant  à  Ligourne,  Gennes  et  Ville- 
franche  où  on  les  attire  par  l'exemption  de  tous  droits.  Et  si  en  Pro- 
vence le  droit  de  50  sols  par  tonneau  est  ajouté  aux  autres  droits 
il  n'y  en  viendra  du  tout  point  et  il  faudra  même  que  vos  dits  sujets 
aillent  quérir  en  Italie  les  marchandises  du  Nord  que  l'Italie  venait 
quérir  chez  nous  avant  l'imposition  de  tous  ces  droits...  Sans  que 
toutefois.  Sire,  cela  puisse  obliger  vos  sujets  de  fabriquer  des  vais- 
seaux pour  aller  négocier  dans  Icsdites  contrées  du  Nord,  parce  que 
la  fabrique,  les  attraits  et  ravitaillement  d'iceux  leur  coûtant  bien 
plus  qu'à  ces  peuples  du  septentrion  et  le  trajet  en  étant  si  long...  ils 
perdraient  de  l'argent...,  outre,  Sire,  qu'ils  ne  sont  nés  et  formés 
qu'à  la  navigation  et  au  commerce  du  Levant.  »  Ces  remontrances 
restèrent  cependant  sans  effet,  ainsi  que  les  négociations  que  la 

sant  125  morues.  —  La  Chambre  du  Commerce  répondit  que  ce  droit  était  perçu 
en  vertu  de  l'article  37  des  traités,  conventions  et  chapitre  de  paix  passés  avec 
Charles  d'Anjou  en  1257  et  qu'il  n'avait  jamais  excité  aucune  protestation.  V. 
ce,  /;. 


LES   IMPOSITIONS  7I 

Chambre  continua  de  faire  aprt's  la  mort  de  Mazarin,  jusqu'à  ce 
qu'enfin  Colbert  eût  rCubli  en  1669  la  franchise  du  port  de  Mar- 
seille*. 

Il  est  à  remarquer  que,  pendant  tout  le  xvii*  siècle,  la  politique  des 
Marseillais  vis-A-vis  des  étrangers  fut  double  :  d'un  côté  ils  vou- 
laient foire  de  leur  port  le  grand  entrepôt  des  marchandises  du 
Levant,  comme  il  l'avait  été  X  la  fin  du  xvr  siècle,  et  pour  cela  ils 
voulaient  y  attirer  les  vaisseaux  étrangers  par  une  entière  franchise 
de  droits.  Mais  ils  tenaient  aussi  à  se  réserver  l'entier  monopole  du 
commerce  dans  les  Echelles  et  du  transport  des  marciiandises  du 
Levant  à  Marseille,  c'est  pourquoi  ils  réclamaient  non  moins  vive- 
ment des  droits  spéciaux  sur  les  bâtiments  étrangers  chargés  de  ces 
marchandises.  C'est  ainsi  que  les  consuls  envoyèrent  A  la  cour  de 
nombreux  mémoires  pour  se  plaindre  de  la  concurrence  des  Armé- 
niens et  Chofilins  *  qui  apportaient  des  soies  en  France;  ils  firent 
tant  que  les  Arméniens  transportèrent  le  marché  des  soies  à 
Livourne,  En  1650»  une  déclaration  royale  soumettait  encore  les 
Arméniens  h  payer  5  0/0  de  la  valeur  des  marchandises  qu'ils  impor- 
taient en  France  *.  C'est  dans  le  môme  but  que,  tout  en  se  plai- 
gnant du  tort  que  les  50  sous  par  tonneau  disaient  au  commerce, 
la  Chambre  demandait  «  qu'il  plût  seulement  à  S.  M.  d'ordonner 
que  sa  Déclaration  de  50  sols  par  tonneau  n'aurait  lieu  en  Provence 
que  sur  les  vaisseaux  étrangers  qui  apportent  les  marchandises  du 
Levant  en  France  au  préjudice  de  ses  sujets,  qui,  par  ce  moyen, 
voyant  augmenter  en  leur  faveur  ledit  négoce  du  Levant,  seraient 
obligés  de  fabriquer  davantage  des  vaisseaux.  »  C'est  aussi  la 
Ch.imbrc  qui,  quelque  temps  après,  eut  l'idée  du  fameux  droit  de 
20  o'o  sur  toutes  les  marchandises  du  Levant  apportées  par  les 
vaisseaux  étrangers,  pour  remplacer  l'imposition  des  50  sous  par 
tonneau  *.  Ceite  conduite  des  Marseillais  ne  fut  pas  toujours  bien 
comprise  des  contemporains  et  on  les  accusa  souvent  i  la  cour,  sur- 
tout dans  l'entourage  de  Colbert,   lors  des  négociations  pour  le 


II)  IrH-himt'U  rtmonlriince  JtJ  Echet'ins  et  di'putà  du  Commerce  de  Marstillf  — 
(jtMtdatf).  Arih.  df  II  Miiriiir  B',  4S6,  fol.  )}2-s j.  —  Bxtrait  du  prxh-verlHil fait 
fmr  M.  le  Piemitr  PriiUent  iTOppide  louchant  rarticte  des  ;o  sols  par  tonneau  (1663). 
tbid.  fol.  )S4-s6. 

(j)  Syriens  du  pays  de  Cliouf,  .lux  environs  de  Beyrouth  et  Seidc. 
{\i  2S  junv.  rôfo.  Amirauté.  Rrg.  1  des  Insin,,  fol.  80). 
U)  V.  Doc.  cités  note  ».  Arch  Maritu.  B',  486. 


SftJI^BI&dHMi 


72  L  ANARCIire   COMMERCIALF. 

rétablissement  du  port  franc,  de  ne  pas  reconnaître  les  avantages 
qu'il  y  avait  :\  attirer  le  plus  possible  les  étrangers  dans  leur  port. 

Le  commerce  de  France  en  Italie,  qui  était  d'une  i^rande  impor- 
tance pour  la  prospérité  de  celui  du  Levant,  fut  gêné  dans  toute 
cette  période  par  les  prétentions  du  duc  de  Savoie  et  du  prince  de 
Monaco.  Ils  s'arrogeaient  le  droit  d'exiger  un  péage  de  tous  les 
bâtiments  provençaux,  qui  passaient  au  large  de  leurs  côtes  pour  aller 
il  Gênes,  i  Livourne  et  aux  autres  ports  d'Italie.  Tous  ces  bâtiments 
devaient  toucher  au  port  de  VillefranchL-,  A  l'aller  et  au  retour,  et 
payer  2  0/0  de  la  valeur  de  leur  chargement;  à  Monaco  ils  payaient 
â  l'aller  seulement*.  Ce  péage  rapportait  au  duc  de  Savoie  35,000 
écustous  les  ans  au  début  du  xvn"  siècle,  et  déjà  les  Etals  de  1614 
demandèrent  qu'on  lui  en  imposât  la  suppression,  mais  inutilement*. 
Les  Provençaux  essayèrent  de  s'y  soustraire  en  se  dispensant  de  tou- 
cher au  port  de  Villefranche,  mais  ils  se  virent  menacés  d'être 
arrêtés  et  leurs  navires  capturés  par  une  barque  armée  en  guerre  â 
Villefranche.  Ils  se  décidèrent  A  entrer  en  composition  et  firent  un 
accord  avec  Madame  Royale  régente  de  Savoie  d'après  lequel, 
moyennant  un  droit  fixe  de  trente  piastres  par  barque  et  de  20  par 
tartane  ils  pourraient  passer  librement  en  Italie^,  mais  le  sénat  de 
Nice  ne  voulut  pas  approuver  la  convention  et  la  situ.ition  s'aggniva. 
«  Nous  avons  eu  plaintes  de  beaucoup  de  marchands,  écrivent  les 
consuls  â  leur  député  en  cour,  de  ce  que  la  barque  armée  de  Ville- 
franche  fait  tous  les  jours  des  prises  de  diverses  barques  et  tartanes, 
tant  de  Marseille  que  de  la  côte  de  Prosence,  lesquelles  ils  confis- 
quent avec  les  fonds,  et  encore  font  des  prisonniers  lorsqu'ils  se 
défendent,  en  sorte  qu'ils  sont  traités  comme  de  Turc  â  More...  en 
fa^on  que  les  Espagnols  ne  font  pas  tant  de  ravages  que  celte  bar- 
que de  Villefranche*.  »  Mais  le  roi  avait  trop  grand  besoin  à  ce 
moment  là  de  mén.agcr  le  duc,  son  douteux  .allié.  Louis  XIV  se 

(i)  De  Brèves.  Relation,  p.  381  et  58}. 

(2)  Les  Provençaux  en  firent  leurs  plaintes  en  16^}  À  M.  de  Seguir.in,  lieute- 
nant de  Riciiclicu  en  Provence  :  m  Et  semble  que  ledit  seigneur  Duc  et  le  sieur 
de  Mourcucs  (Monaco),  qui  en  use  de  mdme,  pourraient  se  contenter  de  leur 
droit  sur  les  barques  qui  mouillent  à  l'ancre  dans  leur  pon  et  ne  point  détourner 
de  ce  chcmiu  comme  ils  font  celles  qui  eu  passent  2j  :\  30  milles  loin.  »  ImfKction 
de  Seguiran,  p.  j/9. 

(3)  36  mars  i6.)4,  Arch.  Comm.  Dilibêraiious. 

{4.)  2-j  juin  164).  Lettre  au  di'put/  en  cour.  Arch.  Commun.  —  Cf.  Lettres  du  6, 
12  Jk.  t04S,  6,  if,  17  aoiU  1647.  Arch.  Cimmun. 


LES   IMPOSITIONS 


73 


trouva  plus  tard  en  état  de  mieux  faire  respecter  ses  sujets,  et  l'cdit 
Je  l'affranchissement  du  port  de  Marseille  de  1669  interdit  expres- 
sément «  aux  nt'gocians  de  payer  aucune  chose,  soit  en  mer,  soit  en 
terre,  pour  raison  des  droits  prétendus  par  les  seigneurs  des  ports  de 
Mourgues  ei  de  Villefranche,  et  A  toutes  personnes  de  les  exiger  es 
ports  du  royaume.  »  Mais,  dès  le  début  de  la  guerre  de  la  Ligue 
d'Augsbourg,  le  duc  de  Savoie  fit  revivre  ses  prétentions  et  il  fallut 
les  discuter  après  le  traité  de  Turin  '.  Ce  qu'il  y  a  de  plus  curieux, 
c'est  que  le  roi,  qui  contestait  au  duc  son  droit  de  2  0/0,  s'empressa 
de  le  faire  lever  à  son  profit  par  un  fermier,  quand  Nice  tomba  entre 
ses  mains,  pendant  les  guerres  de  la  Ligue  d'Augsbourg  et  de  la  suc- 
cession d'Espagne  *.  La  levée  du  2  0/0  reparut  encore  après  les  traités 
d'Utrecht  ;  en  1726  le  gouvernement  français  négocia  une  conven- 
tion signée  :\  Antibes,  par  laquelle  il  fut  supprimé  pour  20  ans 
moyennant  40,000  livres  par  an  payées  par  la  Chambre  du  Com- 
merce, enfin  il  fut  définitivement  racheté  le  15  décembre  1753  au 
prix  de  1,200,000  livres  que  dut  encore  fournir  la  Chambre'. 

Il  était  plus  ticile  d'obtenir  raison  du  prince  de  Monaco.  Quand 
les  Marseillais  en  1629  demandèrent  au  roi  d'intervenir  auprès  de 
lui,  il  semble  que  la  cour  ignorait  ;\  peu  près  son  existence:  «  C'est 
un  prince  A  qui  le  roi  n'a  jamais  écrit,  répond  aux  consuls  leur  avo- 
cat au  conseil,  et  qui  lui  est  nécessaire  de  savoir  en  quel  pays  il  feit 
sa  demeure  et  en  quel  lieu  il  empêche  les  sujets  du  roi,  il  vous  plaira 
donc  m'envoj'er  mémoires  amples  sur  ce  sujet*.  »  En  1644  les 
consuls  firent  avec  lui  un  accommodement  :  les  barques  devaient  lui 
payer  15  piastres,  et  les  tartanes  10  ;  en  i66>  un  arrêt  du  conseil  lui 
en  interdit  la  levée  et,  en  1669,  Colbert  défendit  aux  marchands  fran- 
çais de  payer  ce  droit  qui  disparut  ;\  peu  près  définitivement,  malgré 
plusieurs  tentatives  du  prince  de  Monaco  pour  le  faire  revivre*. 

(i)  Lettre  de  Seigiulay  à  hUtamhre,  2  mai  lôSy  :  «  Le  roi  ordonne  d  M.  k 
marquis  d'.Nro-  de  se  puindre  S  M,  le  duc  de  Savoie  de  la  saisie  ouc  ses  fermiers 
ont  laite  A  \"illcfr.inchc  des  deux  banjues  fraiii;aises,  pour  les  obliger  il  p.iycr  un 
droit  que  vous  me  mariiue/  tie  s'exiger  plus  depuis  50  atis.  »  —  Lettres  Je  PonUtmr- 
train  2J  niars,  t y  avril,  tj  mai  tùi/j,   :ç  mars,  }u  tivril  t6<^S.  IIB,  S2. 

(a)  Lettres  de  Lebret,  iS  fèv.,  3j,  2 f  avril  /6y;.  Boislisle,  t.  I,  1392,  note.  — 
Ltltr*  du  }n  juillet  tjto.  BB,  Sj. 

(j)  JULLIANY,  t.    r.   p,  ÎO9. 

(4)  Lettre  du  jo  août  1629.  Arch,  Commun.  Corresp.  reçue. 

(5)  f)H,  3.  fol.  Sfo-ji.  AtrH  Ju  Conseil,  27  ieplembre  i6of  :  Jugement  p.ir  dc'faui 
contre  mcssirc  Louis  de  Grimaidy.  prince  de  Moutgues,  p;iir  de  France,  délcndcur 
CI  dffaiiLun,  cite  |ur  les  échevins  et  dépui([-s  du  commerce  de  Marseille  pour  pr£- 


2 

i 


74  L  ANARCHIE    COMMERCIALE 

Les  droits  que  les  Turcs  exigeaient  dans  les  Echelles  sur  le  com- 
merce français  étaient  fort  modérés  en  principe  depuis  les  Capitula- 
lions  de  1604.  De  Brèves  s'était  efforcé  avec  succès  de  les  réduire 
aux  5  0/0  d'entrée  sur  les  marchandises,  que  payaient  anciennement 
les  Français,  et  il  pouvait  se  vanter  dans  ses  lettres  aux  consuls  de 
Marseille  d'avoir  «  exempté  les  trafiquants  de  4  à  5  0/0  par  toutes  les 
Echelles  de  cet  empire'.  »  Les  Français  échappaient  môme  en  partie 
à  ce  droit  assez  modéré  en  apportant  sur  leurs  navires  de  l'argent 
qui  était  entièrement  exempt  de  droits  ;  quant  à  la  sortie  des  mar- 
chandises, elle  éuit  entièrement  libre  pour  celles  qui  étaient  autori- 
sées. Mais  cette  situation  si  avantageuse  ne  dura  pas.  Dès  161 1  les 
marchands  d'Alep  se  plaignent  à  Marseille  des  commandements  que 
le  douanier  A  obtenus  pour  faire  payer  2  0/0  d'entrée  sur  les  mon- 
naies et  5  0/0  de  sortie  sur  les  «  fillets,  balles,  toiles,  cordouans  et 
rubarbe  »  et  toutes  les  marchandises  qu'on  enlève  d'Alep;  les  soies 
sont  encore  exceptées,  mais  il  s'efforce  de  les  y  assujettir.  «  Si  cela 
arrive,  écrivent  les  marchands,  ce  sera  une  ruine  totale  qui  nous 
importera  plus  de  30  et  40000  piastres  toutes  les  années,  outre  le 
courage  que  cela  donne  aux  ministres  et  douaniers  de  ce  pays,  de 
vous  rechercher  tous  les  jours  de  nouveaux  impôts,  vu  qu'ils  voient 
que  nous  ne  pouvons  abolir  les  vieux.  »  La  nation  d'Alep  envoya 
des  députés  à  Constantinoplc  pour  combattre  les  nouveaux  droits  qui 
montaient  à  plus  de  25000  piastres,  mais  elle  avait  limité  maladroi- 
tement leurs  dépenses  à  7000  piastres;  le  Grand  Vi/ir  ;\  lui  seul  en 
exigea  15000  et  il  en  eût  fallu  davantage  pour  les  autres  ministres  ; 
pendant  que  les  députés  écrivaient  à  Alcp  pour  obtenir  des  pouvoirs 
plus  étendus,  le  Vizir,  informé  de  l'importance  de  l'affaire,  déclara 
que  pour  1 00000  écus  il  n'accorderait  pas  l'abolition  des  droits*.  Ces 
impositions  que  dut  subir,  en  dépit  des  Gipitulations,  cette  échelle 

sentcr  les  titres  en  vertu  desquels  il  prétend  pouvoir  lever  tribut  sur  les  navires  de 

S.  M.  qui  trafiquent  en  Italie,  les  force  .\  entrer  dans  le  port  de  Mourgues 

Défenses  très  expresses  au  prince  de  Mourcues,  etc.  V.  HB,  26.  Corr.  de  la  Chambre, 
2)  février,  26  avril  i6jy,  2}  jaiivit-r  16S6.  —  V.  aussi  divers  mémoires  au  sujet  de 
ces  deux  affaires  de  1662,  98,  99.  Arch.  Marine.  IF,  4S6.  —  li',4<)9,fol.  247-2x8. 

(i)  14  février  1604.  AA,  140.  —  V.  Art.  9,  16,  17,  18  des  Capitulations. 

(2)  20  novembre  1611.  AA,  j6].  —  jo  tim'embre  161).  AA,  s68.  —  Lettres 
d'Alep.  —  Des  négociations  furent  conduites  par  M.  de  Sancy,  le  sieur  de  Nans 
et  M.  de  Césy  au  sujet  de  ces  impositions  d'Alep.  V.  jo  février  1618.  AA,  142. 
Lettre  de  Vambassadettr.  —  «y  janvitr  161  p.  AA,  )(>}.  iMtre  d'Alep.  —  12  juin  1620, 
Arch.  cmnmiin.  Délibtr.  —  /;  novembre  1622.  A  A,  14  j,  Ijrttre  de  Césy.  —  12  jan- 
vier 161).  AA,  }6}.  —  16  juin  1674.  AA,  J64.  iMtres  d'Alep. 


alors  de  beaucoup  h  plus  considérable,  furent  sans  doute  payées  aussi 
dans  les  autres,  mais  la  perte  de  la  correspondance  consulaire  par  ces 
èchctics  ne  permet  pas  d'en  avoir  les  preuves'. 

En  somme  il  faut  reconnaître  que,  malgré  ces  violations  des  Capi- 
tulations, les  Turcs  montrèrent  dans  l'établissement  de  leurs  droits 
de  douane  une  très  grande  modération,  à  une  époque  où  toutes  les 
puissances  de  l'Europe  se  laissaient  entraîner  à  dresser  des  tarifs 
prohibitifs.  Malheureusement  les  tarifs  douaniers  ne  furent  pas 
toujours  respectés,  et  la  perception  de  taxes  arbitraires  devint  pour 
les  pachas  une  nouvelle  sorte  d'avanie,  car  les  échelles  ne  s'en  déli- 
vraient la  plupart  du  temps  qu'en  leur  donnant  de  grosses  sommes 
d'argent.  Toutes  les  douanes  de  l'empire  dépendaient  du  Grand 
douanier  de  Constantinople  qui  les  concédait  A  des  fermiers,  juifs 
la  plupart  du  temps.  Ces  Juifs,  grands  ennemis  de  notre  nation,  et 
poussés  par  leur  cupidité,  employaient  toutes  les  ressources  de  leur 
esprit  inventif  ù  imaginer  de  nouveaux  profils  ;  tantôt  ils  suggéraient 
aux  pachas  des  prétextes  pour  rétablissements  de  nouveaux  droits, 
tantôt  ils  prétendaient  évaluer  arbitrairement  la  valeur  des  marchan- 
dises soumises  aux  droits,  ou  changer  d'une  manière  vexatoire  leur 
mode  de  perception.  Les  pachas  et  les  cadis,  qui  auraient  dû  protéger 
les  marchands  françiis,  recevaient  de  grosses  sommes  des  douaniers, 
ou  partagcivient  ouvertement  avec  eux  le  produit  de  leurs  rapines, 
i!  fallait  acheter  leur  justice  h  prix  d'or*.  L'échelle  la  plus  exposée  A 
ces  exactions  injustes,  comme  clic  l'était  aux  avanies,  fut  Alexandrie; 
lâ  se  trouvait  la  douane  la  plus  importante  de  l'empire,  et  le  Juif  qui 
en  était  pourvu,  qu'on  appelait  le  Mahalem,  jouissait  toujours  d'un 
1res  grand  crédit,  gnkc  aux  largesses  qu'il  distribuait  au  pacha  et  aux 
ministresdc  la  Porte.  En  1661  il  levait  impunément,  depuis  plusieurs 
années,  le  droit  énorme  de  1200  piastres  par  vaisseau  et  800  par 
poLicre  ;  pour  le  décider  A  le  supprimer  il  fallut  interdire  le  commerce 
avec  réchelle.  Cependant,  en  s'adressant  i  la  Porte,  on  avait  quelques 
chances  d'obtenir  justice  et  plus  d'un  Mahalem  d'Alexandrie  paya 
enfin  de  sa  tète  ses  audacieuses  voleries*. 


(1)  «  Le  consul  de  Stnyrne  a  ilcmjndé  5  comnunJcracnts  pour  la  suppression 
du  droit  d'ancMge,  du  droit  d'nr  et  autres  abus  que  Ij  toicrancc  avait  laisse  s'éta- 
blir. •  ;  jaftfùr  i6S(t.  A  A,  tS6.  Liltrt  de  Stnyrne  à  la  Cliambre. 

(l(  içjanvier  t6i'i,2}  noi'fmhiy  161  j^  Arili.  commun.  D^lib.  1 3  juin  rôio,  IbiJ. 
}i  juillet  ihas-  AA,  }(>}.  Ullie  d'Alep. 

(})  Outre  les  droits  payùs  aux  douaniers,  les  Français  étaient  assujettis  k  qucl- 


Hita 


j6  l'anarchie  commerciale 

Dans  les  Echelles  comme  à  Marseille,  le  commerce  ne  cessa  donc 
pendant  les  50  premières  années  du  xvii*  siècle  d'être  accablé  d'im- 
positions qui  allèrent  toujours  en  augmentant.  Dès  1613  les  consuls 
de  Marseille,  dans  des  cahiers  présentés  au  roi,  disaient  que  le  négoce 
d'Alep  était  chargé  de  12  1/2  0/0  d'impositions  et  de  5  0/0  de  frais  de 
nolis  et  de  commission  et  que  le  plus  souvent,  depuis  quelques  années, 
il  ne  rapportait  cependant  que  6  0/0'.  Sans  doute  ils  exagéraient  le 
peu  d'importance  de  leurs  bénéfices,  car  comment  eussent-ils  pu 
continuer  leur  négoce,  puisque  le  poids  des  impositions  en  1613 
n'était  rien  en  comparaison  de  ce  qu'il  devint  plus  tard.  En  1642 
les  consuls  pouvaient  se  plaindre  sans  aucune  exagération  à  Chavigny 
que  le  commerce  était  chargé  de  ï  2  à  13  0/0  de  droits  dans  toutes 
les  Echelles.  Qu'on  y  ajoute  les  5  0/0  de  douanes  payés  au  G.  S., 
sans  tenir  compte  des  exactions  des  douaniers,  les  impositions 
royales  ou  autres  établies  A  Marseille,  3  0/0  de  nolis  et  2  0/0  de  cour- 
tage donnés  aux  focteurs  des  échelles,  enfin  15  0/0  d'assurances 
environ  qu'il  fallait  payer  pour  se  garantir  des  risques  de  la  mer  et 
de  la  piraterie,  c'est  au  chiffre  énorme  de  40  à  45  0/0  qu'on  arrive  à 
évaluer  les  frais  du  transport  des  marchandises  «  en  Levant  »  vers  le 
milieu  du  xvii*  siècle.  Qu'on  songe  ensuite  que  toutes  les  impositions 
étaient  levées  par  des  fermiers,  dont  le  seul  but  était  d'en  tirer  le  plus 
d'argent  possible  et  l'on  se  représentera  la  situation  des  malheureux 
négociants  obligés  de  lutter  pour  échapper  aux  entreprises  et  aux 
tracasseries  répétées  de  tous  ces  fermiers  :  fermiers  des  droits  du 
roi,  fermiers  des  droits  de  la  ville,  fermiers  des  droits  des  échelles, 
fermiers  des  douanes  du  G.  S.  C'était  miracle  qu'il  y  eût  des  gens 
assez  hardis  pour  continuer  à  soutenir  le  commerce  du  Levant,  et 
assez  habiles  pour  y  réaliser  des  bénéfices. 

ques  taxes  spéciales,  comme  le  droit  de  mczetcrie  qui  appartenait  à  la  sultatie  mère 
et  qui  était  payé  par  les  marchands  turcs  aussi  bien  que  par  les  chrétiens.  —  Dans 
certaines  échelles  chaque  bitiment  payait  un  droit  d'ancrage.  —  A  Smyme  ils 
devaient  aux  janissaires  le  droit  de  sire^  mais  ces  taxes  étaient  fort  légères.  V.  Cor- 
resp.  consulaire  ;  24  octobre  ijoo.  AA,  168.  —  16  août  t6^j.  AA,  186.  —  ji  octo- 
bre i6ji,  II  avril  16  J2.  A  A,  180. 
(i)  6  octobre  161).  AA,  j6). 


CHAPITRE  IV 


LES   ABUS   DANS    LliS   liCIlELLES 


L'histoire  des  impositions  extraordinaires  établies  dans  les  cchclics 
a  montré  qu'elles  étaient  dues  en  partie  à  la  conduite  des  représen- 
tants du  roi  dans  le  Levant  qui,  de  protecteurs  du  commerce,  en 
étaient  devenus  les  oppresseurs.  Depuis  le  règne  même  d'Henri  IV  les 
ambassadeurs  n'avaient  pas  cessé  d'être  en  mésintelligence  avec  le 
commerce  de  Marseille  pour  des  questions  d'argent.  Leurs  exactions 
étaient  devenues  légendaires,  on  en  faisait  longtemps  après  des 
récits  aux  voyageurs,  quand  ils  passaient  dans  les  échelles.  «  J'ai 
aussi  ouï  conter,  écrit  Chardin  en  1672,  qu'un  des  prédécesseurs  de 
M.  de  la  H.ave  le  fils  prit  15  ans  durant  500  écus  sur  chaque  voile 
française  qui  venait  à  Constantinoplc,  pour  une  prétendue  dépense 
de  600  écus,  qu'il  disait  avoir  faite  pour  le  commerce  de  la  nation,  et 
que,  lorsque  les  marchands  lui  représentaient  qu'il  s'était  cent  fois 
remboursé  de  cette  somme,  il  répondait  :  «  Je  rendrai  mes  comptes, 
je  ne  prends  que  ce  qui  m'est  dû'.  »  Il  est  bien  ditlkile  de  dire  si 
les  besoins  financiers  des  ambassadeurs  provenaient  plus  de  leurs 
prodigalitésou  de  leurs  maladresses,  que  de  l'irrégularité  avec  laquelle 
ils  recevaient  leur  traitement  de  In  Cour  ou  leur  pension  du  com- 
merce. Mais,  de  quelque  côté  qu'aient  été  les  responsabilités,  ce  qu'il 
importe  de  constater  ici  ce  sont  les  pertes  causées  au  commerce  par 
les  procédés  financiers  et  les  abus  d'autorité  des  ambassadeurs.  Ce 
qui  ne  fut  pas  moins  funeste,  ce  fut  la  mésintelligence  perpétuelle  qui 
çxista  entre  eux  et  les  marchands,  en  un  temps  où,  en  présence  des 
avanies  des  Turcs  et  de  la  concurrence  acharnée  des  Anglais  et  des 
Hnllindais,  l'accord  du  commerce  et  des  représentants  du  roi  était 

(i)  Chardin,  t.  I,  p.  6. 


78  l'anarchie  commerciale 

plus  que  jamais  nécessaire.  La  crainte  des  abus  de  pouvoir  des  ambas- 
sadeurs était  devenue  si  grande  que  l'idée  vint  aux  marchands  qu'il 
vaudrait  mieux  n'en  pas  avoir  â  Constantinople  et  qu'un  simple 
résident  s'appliquerait  mieux  à  défendre  leurs  intérêts,  c'est  ce  qu'ils 
essayèrent  de  faire  entendre  plus  tard  à  ColbertV 

Les  consuls  des  Echelles*,  bien  qu'ayant  moins  d'autorité  que 
l'ambassadeur,  causèrent  beaucoup  plus  de  maux  au  commerce  par 
les  extraordinaires  abus  qu'ils  commirent.  Ceux-ci  furent  dus  à  la 
détestable  organisation  des  consulats  jusqu'à  Colbert.  Les  offices  de 
consuls  étaient  vénaux'  dès  la  fin  du  règne  d'Henri  IV,  puisque 
Claude  Rigon,  pourvu  du  consulat  de  Smyrne  le  19  janvier  1610, 
avait  acheté  sa  charge.  Le  prix  en  était  d'abord  peu  considérable, 
Rigon  avait  payé  4^90  livres  et  M.  de  Harlay  l'ambassadeur  offrait 
4000  livres  au  secrétaire  d'Etat  Villeroi  pour  obtenir  le  consulat  de 
Fez  et  Maroc*.  Mais  plus  tard  le  comte  de  Brienne  vendait  le  consu- 
lat de  Smyrne  75000  livres  et  celui  de  Seïde  60000  livres'.  Dès  la 
même  époque  les  consulats  tendaient  à  devenir  héréditaires,  sans  que 
cependant  ce  fût  une  règle  :  dans  leurs  lettres  de  provision  les  consuls 
faisaient  insérer  une  clause  de  survivance  en  faveur  de  leur  fils  ;  c'est 
ainsi  que  Camille  Savary  de  Brèves  obtint  la  survivance  de  son  père 
François  Savary,  l'ancien  ambassadeur  de  Constantinople,  pour  le 
consulat  d'Alexandrie,  Jean  Viguier  succède  à  Pierre  Viguier  à  Alep 
et  à  Seïde  et  transmet  encore  le  consulat  de  Seïde  à  son  fils  Pierre  en 

(i)  Voir  un  Mémoire  de  d'Arvicux  au  roi  où  il  montre  les  inconvénients  d'un 
ambassadeur,  t.  IV,  p.  222. 

(2)  Voici  les  consulats  qui  existaient  sous  Louis  XIII  :  Tripoli  de  Syrie  trans- 
féré en  161 2  à  Alep,  Alexandrie  transféré  au  Caire  vers  1625,  Scie  transféré  à 
Smyrne,  Satalie,  Zante  Patras  et  Morée,  les  seuls  antérieurs  à  1610.  —  Seïde  créé  le 
22  mars  161 1  et  définitivement  le  15  juin  1616,  Constantinople  le  30  juin  1615 
(l'ambassadeur  en  fut  pourvu). —  En  Barbarie  il  y  avait  le  consulat  d'Alger  créé 
le  15  septembre  1564,  celui  de  Tunis  créé  le  28  mai  1578,  celui  de  Tripoli  qui 
subsista,  au  moins  jusqu'en  1619,  mais  fut  ensuite  laissé  vacant,  celui  de  Fez 
et  Maroc  créé  le  10  juin  IS77- —  ^.  fl'W.  nal.  mss.  fr.  lôyjS,  fol.   loi-ioa, 

tlO-JJJ. 

(3)  La  plupart  des  historiens  ont  répété  après  Pouqueville  que  Louis  XIII  avait 
rendu  les  consubts  vénaux  (Pouqueville  dit  même,  trompé  par  je  ne  sais  quel 
document  :  «  Louis  XIII  confia  l'administration  des  consulats  à  un  fermier  général 
en  1617.  »  p.  62).  —  Non  seulement  ces  offices  étaient  déjà  vénaux  du  temps 
d'Henri  IV,  mais  peut-être  môme  dès  le  début,  si  on  se  fie  à  un  Mémoire 
adressé  au  roi  par  la  Chambre  du  commerce  de  Marseille  le  13  août  1670,  où 
elle  rappelle  les  accords  faits  autrefois  par  les  consuls  de  Marseille,  le  22  janv. 
1 561  et  le  18  nov.  1 590,  avec  les  propriétaires  des  consulats  (V.  p.  85,  not.  i). 

(4)  Bibl.Nat.  mss.fr.  167)8,  fol.  124.  —  M.  fol.  uj. 

(5)  Aidj.  Nat.  F",64f.  Mémoire  sans  date. 


LES    ABUS 


léS.}  ;  J,-B.  Turquet  fait  doiintr  la  survivance  de  Seïdeà  son  gendre 


de  V 


du  Cai 


•rançois  de  v  iiitiinillc,  la  comtesse  de  Brienne  celle  du  Laire  i  son 
fils  le  commandeur  de  Brienne,  Claude  Gazille  celle  de  Zante,  Fatras 
Cl  la  Morée  â  son  fils  Jacques  Gazille,  Mais  souvent  aussi  on  voit  par 
les  lettres  de  provision  qui  nous  sont  parvenues,  que  la  survivance 
était  accordée  A  quelqu'un  d'étranger  au  titulaire*.  Henri  IV  avait 
donné  un  funeste  exemple  en  donnant  des  consulats  en  récompense 
â  des  hommes  qui  l'avaient  bien  servi,  mats  qui  ne  pouvaient  pas  les 
exercer.  Il  contribua  ainsi  i  répandre  cette  idée  qu'ils  constituaient 
plutôt  un  revenu  A  exploiter,  qu'une  charge  imposant  de  grands 
devoirs  et  une  lourde  responsabilité.  De  Brèves,  en  récompense  de 
s«s  services  A  Constuniinople,  obtint  pour  lui  et  pour  son  fils  la  pro- 
priété du  consulat  d'Alexandrie,  et  Pierre  de  Libertat,  qui  avait  fitit 
rendre  Marseille  au  roi,  fut  gratifié  pour  lui  et  ses  héritiers  du  con- 
sulat d'Alep.  Cet  exemple  fut  suivi  plus  tard  car  M.  de  Puisiculx 
devint  en  1622  propriétaire  du  consulat  de  Smyrne  et  le  comte  de 
Brienne  posséda  ceux  du  dire,  de  Seïde  et  de  Smyrne.  Comme  ces 
deux  derniers  étaient  secrétaires  d'Etat,  chargés  particulièrement  des 
affaires  du  commerce,  ce  fut  sans  doute  ce  qui  donna  lieu  h  la  théo- 
rie, courante  après  Colbert,  que  les  consulats  du  Levant  étaient  la 
propriété  des  secrétaires  d'Etat  de  la  marine  chargés  des  affaires  du 
Levant*. 

Li  cause  de  tous  les  abus  fut  que  les  consuls  ne  résidaient  pas  et 
faisaient  exercer  leur  charge  par  des  commis.  L'usage  s'en  établit 
sculeiuent  à  la  fin  du  règne  d'Henri  IV  et  au  début  du  règne  de 
Louis  XUL  (."în  voit  par  les  lettres  de  provision  accordées  alors,  que, 
parmi  les  consuls,  les  uns  ont  «  (iicuhé  de  commettre  »  et  les  autres 
doivent  aller  exercer  eux-mêmes.  Mais,  d'après  un  Mémoire  sur  les 
consulats  remis  ù  M.  de  Césy  en  1619,  seul,  parmi  les  consuls  du 
Levant,  Qaude  Rigonde  Smyrne  était  astreint  ;\  résider  et  pourtant 


(  I  )  Voir  CCS  kttrci  de  provision  dans  le  Registre  I  des  Itiiinu;iiioiis  de  l'amirauuS 
de  Marseille. —  Pour  les  exemple!,  ci-dessus  vnir  en  outre.  Btbl.  Kal.  mss  Jr.  r6jjS. 
^fmoirn  ia  cumulais  du  Ltvant  bailla  ,)  M.  lU  C^{y  au  mois  d'aoïU  161  y  (fol.  101- 
J97  H  no-nj).  On  peut  voir  aussi  les  lettres  de  provision  .Kcordées  aux  consuls 
"Harii  !«  premiers  registres  de  la  Cornsp.  polit.  Constantin.  .Arcbivts  da  ajf.  itr, 
tîl  On  ne  savait  même  plus  sous  Louis  XIV  comment  Brienne  éuit  devenu 
de  CCS  consulats  V.  Anh.  Kal.  F'*,  64s  :  Mémoire  s.in»  titre  :  «  Les 
.s  par  M.  de  Brienne  oni  eu  sans  doute  pour  fondement  un  don  du 
roi  Joni  ji.  n  .il  vu  néanmoins  aucun  titre.  »  —  Cependant  il  parait  ijuc  dt'jà, 
sous  Louis  XIII ,  Villeroi  lirait  un  gros  revenu  des  consulats  du  Levant  oui 
iuieat  dan»  son  diSpartement.  V.  Faunie)!.  1/  pire ]ouph,  t.  I,  p.  147. 


■fa 


8o 


L  ANARCHIE    COMMEKCIALH 


il  s'iltait  fiait  remplacer  par  un  commis.  Oa  peut  citer  qucit^ucs 
consuls  propriétaires  qui  remplirent  cux-mcmes  leur  charge,  comme 
les  Dupuy  copropriétaires  du  consulat  de  Smyrne  qui  y  résidaient 
chacun  :\  leur  tour,  de  trois  ans  en  trois  ans,  nuis  avant  d'avoir 
acheté  la  charge  h  M.  de  Brienne  ils  y  avaient  longtemps  rempli 
l'emploi  de  commis.  Jean  Viguier,  l'un  des  propriétaires  d'Alep  y 
resta  trois  ans  (1621-24)  et  François  Piquet  pendant  neuf  ans 
(1653-1661)  ;  mais  c'étaient  là  de  trop  rares  exceptions.  Les 
consuls  propriétaires  considérèrent  généralement  leur  charge  comme 
une  exploitation,  qui  devait  leur  rapporter  le  plus  possible  ;  ils 
prirent  l'habitude  d'y  associer  d'autres  personnes  qui  s'y  intéres- 
saient pour  une  part  déterminée,  si  bien  que  presque  tous  les 
consulats  avaient  plusieurs  propriétaires,  qui  se  renvoyaient  de  l'uu 
à  l'autre  les  respons.abilités,  quand  le  commerce  avait  des  plaintes  ;\ 
leur  faire  sur  la  gestion  de  leur  consulat'.  Celui-ci  était  confié  à 
un  vice-consul  qui  leur  affermait  les  revenus  de  la  charge  *.  Le  mal 
eût  été  supportable  si  ces  fermiers  avaient  présente  des  garanties 
d'honnêteté,  mais  les  propriéuires  s'en  inquiétaient  peu,  ils  don- 
naient leur  commission  au  plus  offrant.  Sans  doute  les  vice-consuls 
devaient  aussi  obtenir  des  lettres  de  provision  du  roi,  malheureuse- 
ment celles-ci  étaient  accordées  à  la  requête  des  propriétaires,  sans 
qu'on  fit  d'enquête  sur  ceux  qu'ils  proposaient.  De  nombreux 
exemples  montrent  la  criminelle  avidité  qui  seule  inspirait  les  pro- 
priétaires des  consulats*.  Le  comte  de  Brienne,  secrétaire  d'Etal, 
donna  lui-même  le  plus  triste  e.\emple  pour  le  consulat  du  Ciirc 


(i)  D'nutres  posséd.iifnt  plusieurs  consulats.  Ijurent  Munier.  consul  de  Cï-nn 
achète,  le  19  novembre  1647.  i  Cimille  Sjvary  de  Brèves  le  consubt  d'iï; 
et,  le  I)  janv,  1648.  il  .ncquiert  en  outre  le  consulat  de  Livoume.  —  .itiir 
Rfg.  I  des  Imittuat,  fol.  707-7/0. 

(2)  Dans  la  correspondance  et  dans  tous  les  documents  de  cette  époque  les  vice- 
consuls  fermiers  qui  exercent  en  réalité  le  consulat,  sont  toujours  désignés  sous  le 
nom  de  consuls,  de  même  qu'ils  le  seront  dans  la  suite  de  ce  chapitre. 

(3)  On  peut  citer  comme  exception  l'exemple  de  de  Brèves  qui  avait  en 
Egypte  un  commis  capable,  mais  ne  lui  affermait  pas  les  droits  du  consulat.  11 
écrivait  aux  consuls  de  Marseille  :  «  J'ai  remarqué  que  les  rentiers  des  consulats 
ruinent  et  incommcHient  le  trafic  des  niarcliands.  Je  n'ai  j.inuib  voulu  afTernier 
celui  d'I-'gypte,  mais  pour  le  faiie  .administrer,  j'ai  f.»it  choix  de.  ,  ..  que  j'.ii  tenu 
en  ce  pays  cinq  ou  six  ans  pour  y  apprendre  les  langues  .\rabiques  et  'l'urques- 

ques .  Je  l'ai  rappelé  il  y  a  environ  deux   ans  pour  le    façonner....  Je  l'ai 

trouvé  capable  de  bien  faire.  »  i'^'  mai  ifi).  AA,  ifj.  —  Mai.s  son  fils  ne  l'iniit.i 
pas:  en  i6î4,  après  avoir  fait  un  bail  de  six  ans  avec  Philibert  de  Bennond  pour 
son  consulat,  il  voulut  le  donnera  un  autre  qui  lui  eu  offrait  d.-ivantage.  —  (Àntt 
du  corntil  enfavtur  dt  Btrmond  Ju  6  man  j6js.  Uibl.  iial.  viss./r.  lôjjS.Jol.  iS8.) 


LES   ABUS 


Si 


qu'il  avait  cédé  h  sa  femme  et  A  son  Hls.  UiL-n  ne  peut  mieux  nous 
montrer  le  honteux  trafic  auquel  donnaient  lieu  ces  charges  que  les 
intrigues  qui  faillirent  ruiner  l'échelle*  du  Caire  de  1650  a  1658  et 
y  laissèrent  de  longs  souvenirs. 

Deux  familles  Marseillaises,  toutes  deux  influentes  à  Marseille  et 
au  Caire,  les  de  Bermond  et  les  d'Antiioinc  se  disputaient  la  ferme 
du  consulat  d'Egypte.  Christophe  de  Bermond,  qui  exerçait  le 
consulat  depuis  163  l,  fut  évincé  en  1647  par  Pierre  d'Anthoine,  qui 
avait  obtenu  par  intrigue  une  commission  de  M.  de  Brienne.  Dès 
lors  de  Bermond  ne  cess;i  d'agir  auprès  du  pacha  du  Ciire  pour  faire 
cb.isser  son  rival  et  d'intriguer  à  la  cour  et  auprès  des  de  Brienne 
pour  obtenir  son  rétablissement.  Il  y  par\'int  en  1650,  et  ce  fut  au 
tour  des  d'Anthoine  de  s'agiter.  Le  frère  du  consul,  qui  habitait 
Marseille,  fit  des  offres  ;\  l'homme  d'affaires  de  M.  de  Brienne  ;  il  y 
allait  du  salut  de  la  famille,  d'Anthoine  déclarait  qu'il  était  insolva- 
ble et  que  s'ils  n'avaient  le  consulat  pour  payer  leurs  dettes,  il  lui 
faudrait  fuir  de  Marseille  à  Livourne.  L'agent  de  Brienne  accepta  ses 
ouvertures,  miiis  lui  fit  des  conditions  trop  dures.  Il  demandait  que 
la  rente  du  propriétaire  fût  élevée  à  10.000  livres*,  «  un  bon  pot 
de  vin  et  d'autres  choses  encore  ».  «  Il  faut  employer  les  voies  indi- 
rectes, écrivit  alors  d'Anthoine  à  son  frère,  promettre  au  pacha  et 
autres  même  100.000  piastres,  pourvu  que  vous  fassiez  mettre  dans 
la  charge,  et  faire  embarquer  Brémond  et  son  neveu,  promettant  au 
pacha  que  vous  le  paierez  quand  le  vaisseau  qui  les  embarquera  sera 
.t  la  voile...  Faites  ce  que  vous  pourrez...  De  tout  temps,  et  au- 
jourd'hui principalement,  les  plus  forts  sont  considérés  ;  quand  les 
choses  sont  faites,  n'est  pas  difficile  de  les  rabiller  ;  laissez  m'en  puis 
à  moi  le  pansement,  s'il  est  avec  le  roi  ne  me  sera  pas  difficile 
d'avoir  tant  de  parchemin  et  sire  que  faudra,  et  envers  M.  et  M™*  de 
Brienne  en  lui  promettant  de  bien  payer  sa  rente,  plutôt  lui  en  payer 
quelque  chose  de  plus  que  Brémond  et  lui  donner  caution  bour- 
geoise... et  surtout  en  donnant  un  bon  pot  de  vin  à  M'"*  de  Brienne 
et  Élisant  manger  quelques-uns  qui  sont  auprès,  ne  craignes  rien  que 
j'obtienne  tout  ce  que  faudra  et  vous  maintienne  dans  la  charge, 

(r)  Tous  les  propriétaires  de  con<iul;n>  furent  dt-s  Marseillais,  sauf  de  Brèves, 
{•uinculx  et  de  Brienne,  et  il  en  fut  de  même  de  leurs  fermiers. 

(2)  De  Bermond,  frère  du  ironsul,  disait  en  1665  ;i  .M.  de  la  Haye  que  son  fràre 
payait  a«i  pmpriiiairc  1 1 .000  liv.,  tandis  qu'autrefois  il  n'en  payait  que  8.000.  — 
Ut  la  Hjyt  j  CûWeri,  9  octohre  i66f.  Dtppiiig.  Coittsp.  Adntin.  I.  111.  p.  ji^j. 


82 


L  AS'AKCHIE   COMMERCIALE 


le  plus  brave  homt 


la 


nicnie  vous  faire  passer  pour  le  plus  Drave  homme  a  la  cour  que 
soit  en  Turquie  »  '.  Malheureusement  pour  ces  beaux  projets,  le 
consul  de  Bermond  parvint  A  s'emparer  de  cette  lettre  et  l'envoya 
aux  consuls  de  Marseille  :  l'intrigue  fut  rompue  et  de  Bermond 
maintenu  ;  il  réussit  mime  à  force  d'argent  qu'il  donna  au  pacha  à 
faire  embarquer  de  force  d'Anthoinc,  qui  se  vengea  en  l'attaquant 
violemment  à  Marseille.  De  Bermond  s'en  plaignit  aux  consuls  : 
«  Je  ne  puis  assez  admirer  votre  patience,  leur  écrit-il,  à  souffrir 
que  Pierre  d'Anthoine,  le  plus  insigne  voleur  qui  ait  jamais  été  en  ce 
pays,  brave  impudemment  dans  votre  ville  et  attaque  plusieurs  per- 
sonnes d'honneur  et  de  mérite,  après  avoir  volé  manifestement  plus 
de  50.000  piastres  au  commerce  de  cette  échelle  et  consumé  en  des 
débauches  désordonnées,  ce  qui  a  causé  jusques  à  présent  plus  de 
100.000  piastres  d'intérêts,  sans  compter  les  mauvaises  coutumes 
que  sa  malice  a  introduites.  >*  D'Anthoine  n'était  pas  en  reste  sur  le 
compte  de  de  Bermond  et  le  pis  est  que  tous  les  deux  disaient  La 
vérité. 

Cependant,  à  la  suite  de  l'embarquement  de  d'Anthoine  la  nation 
du  Caire  était  restée  divisée  en  deux  camps  :  t  ils  se  ruinaient  à  plaisir 
à  force  de  donner  de  grosses  sommes  pour  se  faire  embarquer  et  ren- 
voyer en  France Les  particuliers  s'étant  épuisés,  ils  prirent  de 

l'argent  au  nom  de  la  nation  chez  les  usuriers  du  pays  i  change 
lunaire  c'est-à-dire  à  2  1/2  pour  cent  par  mois....  Le  pacha  les  ser\'it 
également  bien  pour  leur  argent;  à  mesure  qu'il  en  recev.iit  d'un 
parti  il  £iisait  embarquer  avec  violence  celui  ou  ceux  dont  on  lut 
demandait  l'éloignement.  La  nation  se  trouva  endettée  de  plus  de 
400.000  écus,  tant  en  principal  qu'en  intérêt,  de  sorte  qu'on  était 
obligé  de  lever  des  sommes  exorbitantes  sur  tous  les  bâtiments  q ni 
venaient  en  Egypte.  »  *  En  même  temps  les  deux  partis  s'adressaient 
au  comte  de  Brienne  pour  se  plaindre  :  le  parti  de  d'Anthoine  obtint 
la  ferme  du  consulat  jtour  M.  de  Bègue,  mais  Brienne  la  vendit  peu 
iprés  à  de  Bemiond,  de  sorte  qu'il  y  eut  deux  consuls  de  France 
en  Eg)'pie,  pourvus  de  provisions  en  bonne  forme  et  à  peu  près  de 
même  date.  Moyennant  30.000  écus  offerts  au  pacha.  Bègue  obtint 
de  ùîre  son  entrée  1  Alexandrie:  •  C'était  le  plus  plaisant  conége 


(n  ^'1,  S03'  Lfttrt  dm  a  ttff.  it>st. 

(3)  A  A,  }Of.  léfiv.  i6ff. 

())  D'AxTizvx,  t.  I,  p.  160^174. 


é^ 


LES   ABUS 


8} 


que  j'eusse  encore  vu,  raconte  d'Arvieux  qui  s'y  trouvait,  la  popu- 
lace nous  accompagnait  avec  de  grandes  huées  :  excepté  qu'on  ne 
nous  jetât  ni  pierres  ni  bouc  on  ne  pouvait  pas  nous  témoigner  plus 
de  mépris  ».  C'était  l.\  le  résultat  de  Ki  belle  conduite  de  nos  consuls. 
«  Mais  de  Bermond  offrit  une  somme  encore  plus  considérable  au 
paclu  et  obtint  que  Bègue  serait  embarqué.  Un  aga  le  saisit  dans  la 
maison  consulaire, le  lit  monter  sur  une  bourrique  après  l'avoir  fouillé 
et  lui  avoir  volé  sa  montre  et  tout  ce  qu'il  avait  sur  lui.  Il  le  conduisit 
ainsi  aux  Biquicrs  (Aboukir)  avec  ses  gens.  L'aga  du  chAteau 
lui  déclara  à  son  arrivée  qu'il  eût  ;\  choisir,  ou  d'avoir  la  tète 
coupée,  ou  de  s'embarquer  sur  le  champ.  »  Cependant  ses  amis 
allaient  voir  le  p.icha,  lui  faisaient  valoir  la  justice  de  sa  cause 
et  surtout  lui  promettaient  encore  plus  d'argent  :  un  autre  aga 
renvoyé  aux  Biquicrs  ramena  Bègue  avec  de  grands  honneurs  du 
vaisseau  où  il  était  embarqué  et  y  fit  monter  de  Bermond  i  sa  place*. 
Tout  ne  fut  pas  terminé  :  de  Bermond  vint  .\  la  cour  et  repartit 
bientôt  pour  l'Egypte  avec  de  nouvelles  commissions  qu'il  avait 
obtenues  de  M.  de  Brienne,  tandis  que  les  parents  de  Bègue  intri- 
guaient de  nouveau  pour  obtenir  confirmation  de  son  bail  et  révoca- 
tion de  celui  de  Bermond  *.  Les  de  Bermond  l'emportèrent,  malgré 
l'opposition  de  la  Chambre  du  conrmerce  :  Honoré  de  Bermond, 
neveu  de  Christophe,  garda  le  consulat  cinq  ans  (1664-69)  puis  le 
laissa  .1  sa  mort  h  son  cousin.  Celui-ci  qu'il  avait  auparavant  chargé 
du  vice-consulat  de  Rosette  «  avait  commencé  par  y  friponner  »  et 
avait  dû  en  être  dépossédé,  il  s'enfuit  du  Caire  au  bout  de  deux 
ans  bissiint  ses  dettes  à  p-iyer  *.  Entre  temps  le  consulat  avait  été 
obtenu  quelques  mois  (1670)  par  un  sieur  Piquet  marchand  du 
Caire,  l'un  des  principaux  artisans  des  troubles  des  années  précéden- 
tes. «  Par  sa  présomption  et  sa  malice  écrivait  de  lui  le  consul 
Bègue,  il  a  fait  manger  en  plusieurs  rencontres  100.000  piastres  A  la 
nation  ainsi  qu'il  est  aisé  de  prouver.  »  * 

Telle  était  la  moralité  des  gens  i  qui  les  propriétaires  confiaient 

(I)  D'.Arvieux,  t.  I,  p.  160-174. 

(j)  /i  mai  tés}.  A  A,  J03.—  LfUredts  consuls  de  Marseille  à  leurs  députés  tu  Cour 
8jh>.  166t.  BB,  26. 

(j)  AA,  )oj.  10  juillet  1664,  24fh\  i6j2.  Leurc  du  consul  de  Vigcr  où  il  fait 
un  long  réquisitoire  contre  ce  de  Hcrmond  et  sa  famille  qui  continue  à  troubler 
l'écbdle.  —  De  Bermond  retiré  à  Alexandrie  était  en  effet  revenu  à  Alep.  ~ 
Id.  }  mai  i6y2. 

{4)  16  janvier  16S9.  AA,  jo}. 


I 


Iti! 


84  l'anarchie  commerciale 

le  consulat  dans  l'échelle  la  plus  difficile  à  gérer  et  la  plus  exposée 
aux  tyrannies  des  Turcs,  et  telles  étaient  les  odieuses  intrigues  que 
la  cour  ratifiait  de  son  approbation.  Et  il  ne  faudrait  pas  croire  que 
l'Echelle  du  Caire  fût  la  seule  à  en  souffrir.  De  Bermond  consul 
d'Alcp,  émule  de  son  frère  Christophe  qui  était  au  Caire,  avait 
réussi  à  évincer  son  prédécesseur  Bonin.  Celui-ci  ne  cessa  de  le 
poursuivre  de  ses  accusations,  finit  par  obtenir  des  propriétaires  et 
de  la  cour  une  nouvelle  commission  et  demanda  au  pacha  l'embarque- 
ment immédiat  du  consul'.  Bonin,  quelques  années  après,  laissa  ses 
dettes  à  payer  à  la  nation,  et  les  Marseillais  se  plaignirent  vivement 
à  la  cour  de  ses  voleries. 

On  est  heureux  cependant,  au  milieu  des  plaintes  contre  les  fer- 
miers des  consulats,  de  rencontrer  dans  les  documents  les  louanges 
de  quelques-uns  d'entre  eux,  qui  laissèrent  dans  leur  échelle  une 
mémoire  respectée.  Gabriel  Fernoulx  exerça  3 1  ans  le  consulat  du 
i^/  Caire  et  fut  envoyé  ensuite  ;\  Alep  dans  des  circonstances  difficiles, 
sans  qu'on  trouve  trace  de  plaintes  contre  lui  ;  il  est  vrai  que  c'était 
Savary  de  Brèves  qui  lui  avait  donné  sa  commission.  Sanson 
NapoUon  révéla  dans  son  consulat  d'Alep  les  qualités  qui  devaient  le 
faire  employer  plus  tard  au  rétablissement  de  la  paix  d'Alger,  Piquet, 
consul  d'Alep  de  1652  i  i66o,  qui  appartenait  ;\  une  famille  considé- 
rable de  Lyon,  se  lassa  après  neuf  ans  de  la  vie  troublée  de  consul, 
entra  dans  les  ordres,  devint  évêque  et  visiteur  général  des  missions 
de  Syrie  et  continua  pendant  25  ans  à  rendre  de  grands  services  au 
commerce,  par  l'influence  que  lui  avaient  acquise  ses  vertus  et  par 
les  missions  dont  il  fut  chargé*.  François  Baron,  qui  lui  succéda  de 
1661  à  1670,  sut  ne  pas  s'en  montrer  indigne  et  ses  talents  lui  valu- 
rent d'être  choisi  par  Colbert  comme  directeur  ;\  Surate  des  affaires 
de  la  Compagnie  des  Indes.  On  peut  rappeler  encore  les  Dupuy, 
d'abord  fermiers  puis  propriétaires  du  consulat  de  Smyrne,  qui 
tinrent  généralement  leur  échelle  en   bon  ordre  et  vécurent  en 

{  bonne  intelligence  avec  le  commerce'.  Leur  heureuse  administra- 

ii 

]  (i)  22,  ji  mars  i6j().AA.  ;^;. 

;  (2)  D'Arvielx,  t.  VI,  p.  81-87  •■  Histoire  abrégée  de  M.  François  Picûuct, 

évcque  de  Cé.sarople,  vicaire  apostolique  de  Babylone  et  visiteur  général  de  la 
jwrt  de  Sa  Sainteté  en  Orient.  D'Ar\ieux,  alors  consul  d'Alep,  fut  en  relations  avec 
lui. —  PoLLLFr,  t.  Il,  p.  494,  fait  un  éloj;e  pompeux  de  Picquct. —  Remercinients 
que  lui  adresse  la  C^hanibre  de  Coninierce.  BB,  26.  S  avril  lôjS.  —  Voir  sa  cor- 
respondance. AA,  }6j. 

(})  Voir  leur  correspondance,  AA,  ijS.  a  Des  20  années  que  j'ai  exercé  la 


LES   ABUS  ^^^H  85 

tion,  jointe  A  la  rareté  des  avanies,  ne  contribua  pas  peu  sans  doute 
à  la  rapide  prospcritd-  de  Sniyrnc.  Mais  c'étaient  là  malheureusement 
des  exceptions  et  il  fallait  plutôt  bénir  le  hasard  que  leur  sollicitude 
pour  les  iutérêts  du  commerce,  quand  le  choix  des  propriétaires  et 
du  secrétaire  d'Etat,  chargé  des  consulats  du  Levant,  tombait  sur  des 
gens  de  mérite.  Préférés  le  plus  souvent  parce  qu  ils  avaient  offert 
plus  d'argent,  favorisés  parfois  par  leurs  créanciers  qui  cherchaient 
un  moyen  de  se  Caire  rembourser,  les  consuls  fermiers  n'arrivaient 
généralement  dans  leur  échelle  qu'avec  la  seule  intention  de  faire 
leur  fortune  ou  de  la  rétablir. 

Or  dans  l'état  où  le  commerce  tomba,  c'était  tout  juste  si  un 
consul  pouvait  vivre  honorablement  en  se  contentant  des  2  0/0  de 
sortie,  sur  les  marchandises  chargées  dans  son  échelle,  que  lui 
allouaient  ses  lettres  de  provision  '.  Pour  amasser  une  fortune  il 
fallait  recourir  A  des  expédients  et  pressurer  le  commerce  par  tous 
les  moyens.  Les  charges  d'un  consul  fermier  étaient  en  effet  consi- 
dérables. 11  devait  payer  la  rente  du  propriétaire:  au  Caire  elle  était 
de  8000  livres  vers  1650,  de  11,000  en  1665,  à  Smyrne  elle  ne 
montait,  parait-il,  à  l'époque  de  Colbert  qu'A  1500  livres,  et  à  Scïde 
elle  tombait  A  800'.  Le  consul  distribuait  chaque  année  des  pré- 
charge de  vice-consul,  puis  de  consul  en  clicf,  j'ai   empêché  lus  iatérôts  lunaires 

uuc  plusieurs  ont  f.iit  souffrir  aux  .luties  Cclicllcs  i  la  commcrcf  de  Marseille 

En  Smyrne  ne  s'est  jamais  fait  tricherie  comme  on  a  pu  taire  à  autres  parts... 
Lrltrti  aux  consuls  df  Marseilli,  20  mai  i6^-],  ii)  août  i/>si. 

{t)  D'apr<i^  Pouqueville  {SUinoiie,  p.  ;6),  les  droits  des  consuls  furent  d'abord 
de  1/2  o/t>  seulement;  une  ordonnance  dn  15  juin  1551  approuva  un  .iccord  fait 
cutre  les  nurclunds  et  le  consul  de  Tripoli  qui  doublait  ces  droits,  «  pour  rendre 
les  consuls  plus  curieux  et  plus  surveillants  aux  affaires  et  empêcher  les  abus.  » 
Cl  même  les  éleva  à  2  et  à  ;  o/u.  Kn  1561.  la  communauté  de  Marseille  prntita 
de  l'cnre^îlitremem  des  lettres  de  provision  du  consul  llcynier  pour  l'aire  un  accord 
avec  lui  :  il  devait  percevoir  ;1  la  sortie  des  marchandise;  i  0,0  p<iur  lui  et  i  0/0 
pour  subvenir  aux  dépenses  des  «  fondiques,  drogmans,  janissaires,  prêtres  etc.  », 
—  Une  convention  semblable  fut  faite  avec  les  autres  consuls  comme  le  montre 
un  document  postérieur  ;  Caym  au  Roi  du  1 }  aoùi  t6jo,  art.  ij  :  «  Les  con- 
suls font  supporter  au  corps  de  la  nation  toutes  les  dépenses,  quoiqu'ils  soient 
obligés  À  les  faire,  suivant  les  accords  et  commissions  passées  entre  les  devanciers 
de»  suppliants  (les  consuls  de  Marseille)  et  Us  propriétaires  des  consulats  du  22 
janvier  is6i  et  i8  novembre  159^1,  moyennant  i  0.0  qui  leur  fut  accordé,  l'autre 
I  0/0  qulls  exigent  étant  pour  raison  de  leur  office  de  consul.  »  ISB,  3.  —  «  Les 
consuls  établis  dans  des  pays  chrétiens  ne  faisaient  payer  que  j  piastres  par  vais- 
seau cl  I  12  par  barque.  —  Cependant,  un  consul  établi  au  Zante  obtint  de  lever 
\a  mêmes  droits  que  les  autres  consuls  du  Levant,  m  j;  octobre  tfti^i.  Bli,  2.  — 
V,  Utttti  jHittnlei  du  Koi  accordées  à  Piiiuct ,  1:  janviir  165 j.  Bli,  1.  —  Par 
exception,  A  cause  de  ses  dépenses  considérables,  le  Consul  du  Oire  levait  }  0/0. 

(ï)  Mhiwift  fiitis  litit,  Arch.  Nal.  F",  6^;.  —  Lettre  de  M.  de  la  Haye  à 
Colbcri,  9  ûclob.  166 f.  Deppisg.  Cormp.  Admin.  t.  Ul,p.  ^9;. 


b^* 


86 


L  ANARCHIE    COMMERCIALE 


sents  considérables  aux  pachas  et  aux  autres  autorités  de  l'échelle, 
et  faisait  en  outre  des  «  donntives  »,  quand  il  avait  ;\  obtenir 
une  faveur  ou  à  éviter  une  avanie.  La  maison  consulaire  devait  être 
tenue  sur  un  pied  honorable,  d'autant  plus  que  le  consul  de  Frante, 
ayant  la  préséance  sur  ceux  d'Angleterre  et  de  Hollande,  ne  pouvait 
faire  moins  bien  que  ses  collègues  qui  disposaient  pour  leurs  dépenses 
desommes  plus  considérables.  Les  réceptions  étaient  nombreuses  chez 
le  consul;  i  plusieurs  fôtes,  consacrées  par  l'usage,  il  traitait  chez 
lui  les  autres  consuls  et  leur  nation,  ou  les  marchands  de  la  nation 
française.  En  temps  ordinaire,  il  hébergeait  l'aumônier  de  la 
nation,  les  drogmans,  le  chirurgien,  les  janissaires;  les  voyageurs, 
les  missionnaires  de  passage,  trouvaient  toujours  chez  lui  table 
ouverte;  dans  un  lieu  de  passage  fréquenté  comme  Alep  le  consul 
avait  tous  les  jours  des  hôtes  nouveaux  .i  sa  table.  Les  bénéfices,  à 
mesure  que  le  commerce  fut  plus  misérable,  devinrent  si  aléatoires 
qu'il  fut  parfois  dilficile  de  trouver  des  acquéreurs  pour  les  ofFces 
de  consuls,  car  les  titulaires  étaient  responsables  de  leurs  fermiers  et 
exposés  à  payer  leurs  dettes.  C'est  ainsi  qu'une  part  du  consulat  d'Alep 
resta  quinze  ans  sans  acquéreur  et  que  le  possesseur  d'une  autre  por- 
tion voulait  y  renoncer.  Dans  les  petites  Echelles  où  il  y  avait  peu  à 
prendre  sur  le  commerce  et  où  l'on  n'entretenait  qu'un  vice-consul 
il  arriva  que  personne  ne  voulut  en  accepter  la  charge*.  Non  seule- 
ment il  était  difficile  au  fermier  de  s'enrichir  mais  il  lui  fallait  se  hâter 
car  sa  position  était  précaire.  Il  avait  toujours  dans  la  nation  des 
ennemis  qui  l'attaquaient,  des  envieux  qui  convoitaient  sa  place;  il 
avait  ;\  craindre  le  secrétaire  d'état,  les  propriétaires  du  consulat  qui, 
sans  même  l'avertir,  pouvaient  lui  envoyer  un  successeur,  si  on  leur 
avait  promis  plus  d'argent,  l'ambassadeur  ou  les  députés  du  com- 
merce de  Marseille  qui  parfois  étaient  prévenus  contre  lui. 

Aussi  se  h.\tcnt-ils  tous  de  tirer  du  commerce  tout  ce  qu'il  peut 
donner,  leur  audace  est  sans  bornes  et  ils  ne  reculent  dev.-int  aucun 
moj'en  ;  les  plus  voleurs  remplissent  leur  correspondance  de  pro- 
testations de  zèle  et  s'apitoient  sur  les  malheurs  du  commerce'. 
Leur  ressource  la  plus  ordinaire  était  de  lairc  des  emprunts  au  nom 


(i)  i6  nçrutmhre  t666,  20  août  1667.  ■^•^'  3Î^-  Leilresdu  consul  ât  Stide.  Il  dut 
s'adresser  au  consul  de  Holl.inde  pour  remplir  la  charge  de  vice-consul  de  Tripoli. 

(2)  V.  La  corrcsptmdaïKe  de  d'Aathoinc,  de  Bcrmond,  du  Caire,  AA,  jof  ;  de 
Bemiond  cl  Boniii  d'.Mep,  AA,  }6j. 


LES   ABUS 


87 


de  la  nation  et  d'établir  des  taxes  sur  le  commerce  pour  payer  ses 
dettes,  bien  qu'ils  n'en  eussent  pas  le  pouvoir.  Sansdoute  il  leur  fallait 
le  consentement  de  l'assemblée  de  la  nation,  mais  les  marchands 
ne  pouvaient  guère  plus  leur  résister,  de  crainte  de  leurs  vengeances, 
que  les  consuls  eux-mêmes  ne  pouvaient  résister  aux  ordres  de  l'am- 
bassadeur, et  d'ailleurs  ils  avaient  toujours  parmi  les  marchands  un 
parti  à  leur  dévotion.  Les  prétextes  ne  leur  manquaient  pas  ;  les 
avanies  jetaient  sans  cesse  la  nation  dans  de  grands  besoins  d'argent, 
et  il  fallait  satisfaire  aussitôt  les  pachas  sous  peine  de  voir  leurs 
exigences  s'accroître.  Outre  ces  prétextes  légitimes  ils  en  trouvaient 
d'autres  :  les  capitaines  des  navires  ou  les  résidents  s'attiraient 
îuvent  de  la  part  des  Turcs  des  avanies  ou  amendes  particulières, 
)ur  les  infractions  les  plus  diverses  aux  coutumes  des  échelles,  les 
consuls  en  faisaient  supporter  le  paiement  à  la  nation,  malgré  toutes 
les  défenses  des  députés  du  commerce  de  Marseille.  Quant  à  faire 
passer  leurs  dettes  personnelles  pour  des  dettes  de  la  nation,  c'était 
un  expédient  journalier  ;  ne  les  avaient-ils  pas  contractées  au  service 
delà  nation  et  n'imitaient-ils  pas  en  cela  les  ambassadeurs  qui  eussent 
dû  protéger  le  commerce  contre  ces  malversations  ? 

Lorsque  le  Consul  avait  réussi  ;l  imposer  une  taxe,  il  en  prolon- 
geait indéfiniment  la  perception  à  son  plus  grand  bénéfice.  «  En 
l'échelle  d'Alexandrie,  disait  la  Chambre  du  commerce  dans  un 
mémoire  adressé  au  roi  en  1670,  le  consul  fiiit  payer  3  0/0  au  lieu 
de  2,  en  vertu  d'un  arrêt  du  conseil  de  161 3  qui  lui  accorde  3/4  pour 
cent,  jusqu'au  remboursement  d'une  somme  de  60000  livres,  qui 
est  remboursée  depuis  longtemps*.  »  Sans  doute  les  deniers  de  ces 
uxcs  devaient  être  remis  entre  les  mains  de  deux  députés,  élus  par 
la  nation,  qui  en  avaient  l'administration  et  devaient  en  rendre 
compte  annuellement  aux  députés  du  commerce  de  Marseille,  mais 
ces  régies  de  comptabilité  n'étaient  pas  observées,  les  députés  des 
échelles,  désignés  par  le  consul  au  choix  de  la  nation  étaient  ses 
créatures  et  s'entendaient  avec  lui  pour  malverser  ;  quant  aux 
consuls  et  députés  de  Marseille  c'est  à  peu  près  en  vain  qu'ils  s'épui- 
sèrent pendant  toute  cette  période  à  réclamer  les  comptes  de  l'admi- 
nistration financière  des  échelles,  ils  ne  devaient  pas  même  plus 
tard  avec  l'appui  de  Colbert  en  obtenir  l'envoi  régulier*. 


(I)  Cayersan  roi  du  t)  août  tù-jo,  art.  ij,  BB,  2. 

{1}  Correspond,  dila  Otamhre.  BB,  2ti.  —  Correspondance  consulaire.  A  A,  ijSetsuiv. 


I 


L  ANARCHIE   COMMERCIALE 

Rien  n'était  donc  plus  dangereux  pour  le  commerce  que  la  per- 
ception de  CCS  taxes  établies  par  le  consul  au  nom  de  la  nation.  Aussi 
les  consuls  et  députés  de  Marseille  ne  cessèrent  de  leur  taire  renou- 
veler par  le  roi  la  défense  d'emprunter  au  nom  de  la  nation  sous 
aucun  prétexte'.  Cette  même  défense  était  rigoureusement  Élite  aux 
consuls  Anglais  et  Hollandais  qui  l'observaient,  et  leur  commerce 
était  à  l'abri  des  abus  qui  ruinaient  le  nôtre.  En  vain,  pour  répondre  ■ 
aux  prétextes  invoqués  par  les  consuls,  les  députés  de  Marseille 
leur  répétaient-ils  quelle  était  la  marche  à  suivre  quand  la  nation 
était  obligée  à  des  dépenses  subites  et  manquait  d'argent  :  ils  devaient 
prendre  la  somme  qu'il  leur  fallait  sur  les  vaisseaux  qui  se  trouvaient 
à  l'échelle,  c'était  i  Marseille  que  devait  se  foire  ensuite  le  règlement 
de  cette  avarie'.  On  peut  dire  que  cette  règle  ne  fut  jamais  observée, 
car  les  infractions  restaient  malheureusement  impunies.  ■ 

Quand  on  était  prévenu  i  Marseille,  par  un  capitaine  de  retour 
d'une  échelle,  ou  par  une  lettre  venue  sur  un  navire,  qu'un  consul 
avait  établi  une  imposition,  il  y  avait  déjà  plusieurs  mois  qu'il  la 
faisait  percevoir;  les  députés  du  commerce  de  Marseille  lui  écrivaient 
alors  pour  se  plaindre,  avant  que  sa  réponse  arrivât  il  pouvait  s'écou- 
ler cinq  ou  six  mois,  et  il  ne  manquait  pas  de  répondre  par  de  bon- 
nes raisons  ;  à  l'entendre,  il  avait  sauvé  l'échelle  des  plus  grands 
malheurs.  Les  députés  pouvaient  s'adresser  à  la  cour  et  solliciter 
des  ordres  exprès  au  consul  de  surseoir  à  son  imposition,  mais  le 
conseil  avait  besoin  d'être  informé,  l'afîliire  traînait  en  longueur  et 
pendant  ce  temps  le  consul  continuait  ses  levées.  Souvent  il  trouvait 
moyen  d'éluder  même  les  ordres  du  roi.  Les  députés  de  Marseille 
avaient  bien  leur  recours  sur  les  propriétaires  du  consulat,  respon- 

(1)  Dflihtration  du  i$janv.  s6}4.  Arch.  Commun.  '.  Sommation  aux  consuls  Je 
ne  faire  aucune  levée  Je  Jcnicrs  CT  impositions  sur  la  nation  sans  qu'au  préalable 
apparaisse  Jclibératioit  du  conseil  de  cette  ville  ;  on  poursuivra  la  reddition  de» 
compte*  des  levées  des  deniers  faites  injustement. —  /?W,  /.  3ijti»v.  il>;}  :  Requête 
pour  empêcher  que  les  consuls  n'empruntent  au  nom  de  la  nation.  Demander 
Itératives  défenses  aux  consuls  de  rejeter  sur  le  corps  Je  la  nation  les  avanies 
faites  aux  particuliers. 

(2)  V.  Par  exemple  :  D/lihiration  de  sef>lembre  i6ji,Arch.  Commun.  :  à  l'avenir 
il  sera  JéfenJu  aux  consuls  et  aux  marchands  de  faire  aucune  délibération  et  réso- 
lution d'emprunts  d'aucune  somme  pour  engager  la  nation  fran(;aisci  peine  d'i 
répondre  en  propre  de  ceui  qui  assisteraient  aux  dites  assemblées.  —  Le  consul 
pourra  faire  payer  par  forme  d'avaries,  sur  les  fonds  des  vaisseaux  qui  se  trouve 
raient  sur  les  lieux,  les  sommes  dont  la  nation  serait  contrainte.  —  On  poursuivra 
le  consul  d'.\lcpqut,  au  lieu  d'observer  cette  résolution,  a  emprunté  au  nom  de 
la  nation. 


I 


I 


>utfl 


LES    ABUS  89 

sables  de  leurs  fermiers,  mais  ceux-ci,  personnages  influents,  étaient 
rrop  puissants  pour  craindre  les  efil-ts  de  cette  responsabilité  qui 
resta  purement  nominale,  car  on  ne  trouve  pas  d'exemple  que  le 
commerce  ait  pu  les  obliger  i  des  remboursements;  les  députés 
découragés  de  leurs  tentatives  finirent  par  renoncera  les  poursuivre  '. 
Li  voie  la  plus  pratique,  pour  cchapperauxtyrannicsdesconsuls,eùt 
été  pour  les  marchands  de  s'adresser  aux  ambassadeurs,  mais  quelle 
protection  pouvait-on  en  espérer,  quand  eux-mêmes  avaient  besoin 
de  la  connivence  des  consuls,  pour  lever  dans  les  échelles  les  impo- 
sitions injustes  dont  ils  accablaient  le  commerce. 

Malgré  leurs  expédients  financiers  les  temps  étaient  si  mauvais  que 
les  consuls  arrivaient  souvent  h  s'endetter  comme  les  ambassadeurs, 
ou  bien,  par  une   dernière  volerte,   ils  laissaient  s'accumuler  leurs 
dettes  pour  les  faire  payer  .\  la  nation  après  leur  départ.  C'est  en  vain 
que  les  députés  de  Marseille  essayèrent  de  soustraire  les   échelles  ;l 
Cette  obligation  contraire  aux  Capitulations,  c'eût  été  s'exposer  à  de 
terribles  avanies  et  jeter  le  discrédit  sur  la  nation  française.   Ainsi 
l'échelle  d'Alep  paya  successivement  les  dettes  de  deux  de  ses  con- 
suls; 14,294  piastres  pour  Delestradc  en  1635,  plus  de  20,000  pour 
Bonin  en  1648.  De  Bermond  du  Caire  devait  20,000  piastres  en 
quittant  sa  charge  et  vingt  ans  après  son  cousin  s'enfuj'ait  en  laissant 
de  grosses  sommes  ii  payer'.  Les  députés  du  commerce  de  Marseille 
trouvèrent  le  vrai  remède  quand,  A  la  suite  de  l'affaire  Bonin,  ils 
demandèrent  qu'on  exigeât  une  caution  de  ceux  qui  iraient  exercer 
les  consulats;  mais,  après  plusieurs  mois  de  négociations  .1  la  cour, 
l'opposition  intéressée  du  comte  de  Bricnne  les  empêcha  d'obtenir 
l'arrêt  du  conseil  salutaire,  qu'ils  sollicitaient  '. 

Au  mal  que  disaient  les  consuls  par  leurs  voleries  s'ajoutait  celui 
cju'ils  laissaient  faire  aux  pachas  par  le  peu  de  protection  qu'ils 
^«iccordaient  au  commerce,  souvent  mèmcon  les  accusa  de  s'entendre 
ivec  les  ministres  du  Grand  Seigneur.  Il  ne  pouvait  en  être  autrc- 
rnent:  la  plupart  du  temps  en  querelle  avec  la  nation,  tout  au  moins 

(1)  V.  Arch.  Commun,  Délibérations,  septembre  :6}i.  —  Décembre  i6}t  —  29  Sfjh 
\ttmhrt  t6)4.  —  ii  décembre  i(>}S  —  «'  lettre  ihi  coinul  d'Alep  du  2S  juin  16.(6.  A  A, 
\36}:  poursuites  inutiles  contre  l'ierre  Viguier,  titulaire  du  consulat  d'.Mcp. 

(2)  L'affaire  Bonin  fit  grand  bruit  à  M.irseille.  V.  Arch.  Commun.,  Correspond. 
>  <ies  années  tôsoet  suiv.,  A.i,  )6j.  jS  juin  16.16.  iMtre  du  consul  d'Alep.—    A  A, 

30J.  30  octohrt  làji ,  lettre  du  consul  du  Caire. 

(;)  Aich.  Commun.  Correspond.  21,  it)  iiov.  têjo,  tojanvier  i6;t.  —  BB,  26. 
Ji  janvier  i6}i.  —  Lettre  à  Siguier.  6  juin  16} t.  Arch.  Commun,  Corresp. 


90 


L  ANARCHIE    COMMERCIALE 


une  partie  Je 


:hands 


Mit  besoin  de  la 


avec  une  partie  des  marchantls,  us  avaient  besoin  de  la  protection 
des  pachas  pour  éviter  un  ordre  d'embarquement  que  leurs  ennemis 
pouvaient  obtenir  contre  eux,  pour  continuer  impunément   leurs 
tyrannies,  pour  s'opposer  à  l'installation  des  successeurs  qu'on  leur 
envoyait'.  Mais  ils  ménageaient  surtout  dans  ces  occasions  les  inté- 
rêts de  leur  commerce  particulier  aux  dépens  de  ceux  du  commerce 
général.  Les  consuls  oubliaient  en  effet  leur  qualité  de  représentants 
du  roi  pour  se  livrer  au  négoce,  et  c'était  là  une  des  plus  grandesfl 
plaies  du  commerce.  Au  lieu  de  n'avoir  de  soins  que  pour  tivoriser 
les  marchands,  ils  leur  Tassaient  une  concurrence  désastreuse.  Com- 
ment en  effet  un  simple  marchand  eût-il  pu  la  soutenir  :  le  consul, 
par  les  relations  qu'il  avait  avec  les  grands  du  pays,  pouvait  saisir  les  J 
occasions,  jouir    de  faveurs,   d'exemptions  de  droits,  acheter  des™ 
monopoles.  Il  s'emparait  des  branches  de  commerce  qu'il  jugeait  les 
plus  fructueuses,  ne  laiss;int  aux  marchands  que  ce  qu'il  dédaignait. 
Il  multipliait  pour  cela  les  présents  et  les  «  donatives  aux  puissan- 
ces »,  car  c'était  la  nation  qui  payait  les  dépenses  faites  en  son  nom 
et  pour  son  bien,  comme  le  disaient  les  comptes  envoyés  ^  Marseille. 
«  Faites  seulement  l'affaire  du  natron,  écrit  le  Marseillais  d'Anihoine 
à  son  frère  le  consul  du  Caire,  car  moyennant  que  ayicz  le  natron, 
que  personne  n'en  mande  que  vous,  je  me  promets  et  je  m'oblige 
que  du  profit  du  natron  je  paierai  ici  notre  rente  et  tout  ce  qu'il  fau-^ 
dra...  il  y  a  plus  de  10,000  piastres  .1  gagner  tous  les  ans,   »  Peu™ 
importait  au  consul  de  se  lancer  dans  une  spéculation  hasardeuse, 
s'il  réussissait  mal,  la  nation  paierait  ses  denes.  On  vit  môme  desa 
consuls  favoriser  par  intérêt  personnel  les  entreprises  des  marchands  ™ 
étrangers,  ainsi  qu'en  témoigne  la  lettre  suivante  du  roi  adressée  à    1 
celui  du  Caire,  le  2  novembre  1633  :  «  Cher  et  bien  amé,  lesmar-B 
chands  de  notre  ville  de  Marseille  nous  ont  représenté  que  ci-devant    ' 
ils  avaient  accoutumé  de  traffiquer  es  échelles  du  Levant  et  spéciale- 
ment en  Alexandrie  au  Ciirc  et  à  Damiette,  des  drogues  médicina- 
les qui  s'y  rencontrent  comme  casse  et  senc...    ce  qu'ils  n'ont  pu 
continuer  ces  dernières  années  i  cause  du  peu  d'assistance  qu'ils  ont 
reçu  des  consuls  français  lesquels,  pour  quelques  intérêts  particu- 
liers, ont  flivorisé  les  marchands  Vénitiens  en  ce  commerce  qu'ils  ont 

(i)  Voir  ci-dessus  l'histoire  des  brouillcries  d'Eg\'pte.  —  Dcsiiayes  envoyé  pârJ 
le  roi  dans  le  Levant  dépossède  en  1621  le  consul  de  Smyrnc  et  en  établit  uni 
autre,  «  encore  que  le  vieil  consul  eut  fait  plusieurs  présents  aux  officiers  duj 
G.  S.  pour  être  maintenu  ».  Relation,  p.  J4J. 


LES  ABUS 


91 


cniicrcmcnt  attiré  à  eux.  Si  cela  est  ainsi,  nous  vous  ordonnons... 
de  cesser  toute  corrcsponcluice  et  intelligence  avec  lesdits  marchands 
vénitiens...    vous   cnjoiyn.mt   sous    peine  de   privation    de    votre 

emploi  ' » 

Comment  un  consul,  préoccupé  de  ses  intérêts,  pouvait-il,  même 
avec  les  meilleures  intentions,  être  un  juge  impartial  dans  les  difl'é- 
rends  entre  les  marchands,  dont  les  uns  pouvaient  être  ses  associés 
et  les  autres  ses  concurents  ?  A  qui  ceux-ci  pouvaient-ils  recourir  si 
leurs  affaires  commerciales  les  mettait  en  conflit  avec  le  consul  ?  La 
dignité  consulaireavait  en  réalité  perdu  son  caractère  de  magistrature, 
elle  n'était  plus  qu'une  exploitation  commerciale,  la  plus  lucrative 
de  l'échelle,  ruineuse  pour  celles  des  marchands.  Mais  le  mal  était 
tellement  enraciné  et  passé  dans  la  coutume  que,  pendant  la  première 
moitié  du  xvii'  siècle,  les  consuls  et  les  députés  du  commerce  de 
Marseille  désespérèrent  d'y  porter  remède,  c'est  à  peine  si  dans  la 
Suite  plus  de  cmquante  ans  d'efforts  purent  le  faire  entièrement  dis- 
paraître*. 

II  y  avait  longtemps  cependant  qu'on  s'était  rendu  compte  à  la 
cour  aussi  bien  qu'à  Marstille  de  la  gravité  de  ces  abus*.  Pour  répon- 
dre \  de  nouvelles  plaintes,  le  roi,  par  des  Lettres  patentes  en  forme 
de  déclaration  données  le  20  mai  161S,  ordonne  «  que  lesdits  consuls 
résident  à  l'avenir  en  personne  en  leurs  charges  pour  les  exercer,  si 
ce  n'est  que  S.  M.  leur  permette  d'y  commettre,  à  ta  charge  de 
répondre  de  leurs  commis  et  i  condition  expresse  qu'ils  ne  seront 
fermiers  des  droits  desdits  consulats  sur  peine  de  la  vie,  et  auxdits 
consuls  de  la  perte  de  leurs  offices,  fait  défenses  sur  les  mêmes  peines 
auxdits  consuls  de  s'entremettre  d'aucun  trafic  ou  négoce  pour  eux 
tii  pour  autrui,  ni  de  recevoir  aucune  commission  des  autres  mar- 
chands, ni  admettre  aucuns  associés  auxdites  charges,  révoque  et 
annule  les  sociétés  jà  faites,  s;tns  que  les  parties  s'en  puissent  aider 
ïii  prévaloir  en  l'avenir.  »  '  Mais  la  déclaration  resta  lettre  morte,  de 
même  que  l'arrêt  du  conseil  du   15  juill^  1641,  qui  astreignait  les 


(Il  m.S3.  ' 

(2)  Pour  les  abus  commis  par  les  consuls,  V.  vircb.  Commun.  DiUb.  et  Corrfsh. 
'  î,  /.  De'lih.  de  la  Chambre  Ju  conimncf.  i6fo-i(>6o.  r-  BB,  36.  Corrts[>onJ. 
—  Correspondance  constilnire.  AA,  140  et  siiiv. 
(j)  V.  CaytTi  prhtnth  au  ro)'  m  161 }.  AA,  }6). 

{4}  Voir  le  teste  Itibl.  nal.  mss.fr.  ]6j}S,fol.  /70-/7/.  Les  propriétaires  des 
consulats   firent  opposition  ti   cette  dcchuation  et  il  est  curieux  de  voir  que  les 


92  L  ANARCHIE    COMMERCIALE 

consuls  ;\  la  résidence  effective,  excepté  ceux  qui  avaient  reçu  du 
roi  la  permission  de  dcléi^uer  leurs  pouvoirs,  et  leur  interdisait  for-     M 
mellement  d'emprunter  de  l'argent  au  nom  de  la  nation  française'.     ™ 
La  cour  se  borna  à  rappeler  quelques  consuls  fermiers,  quand  leur 
conduite  était  par  trop  scandaleuse  et  les  plaintes  des  Marseillais  trop     A 
vives*.  Le  mal  subsistait  dans  toute  sa  force  au  moment  où  Colbert 
s'occupa  d'y  remédier,  comme  le  montre  le  préambule  de  l'arrêt  du 
conseil  du  commerce  publié  le  12  décembre  1664*. 

Les  consuls,  qui  vivaient  de  tant  d'abus,  ne  pouvaient  guère 
châtier  ceux  auxquels  se  livraient  les  marchands;  à  vrai  dire  ils  se 
souciaient  peu  de  la  police  de  leur  échelle,  qui  était  avec  la  protec- 
tion des  marchands  leur  attribution  essentielle.  Assurés  de  l'impu- 
nité, les  marchands  se  livraient  à  tous  les  écarts  et  contribuaient 
encore  par  leur  conduite  déréglée  à  la  ruine  du  commerce.  Ce 
manque  de  police  était  en  effet  rendu  plus  dangereux  par  la  mau- 
vaise composition  du  corps  de  la  nation  française  dans  la  plupart  des 
Echelles.  L'imprudente  coutume  s'établit,  parmi  les  fimilles  marseil- 
laises, d'envoyer  leurs  enfants  jeunes  dans  les  échelles  pour  y  appren- 
dre de  bonne  heure  le  commerce.  Malheureusement  ces  jeunes  gens, 
qui  dès  l'âge  de  20  ans  faisaient  partie  des  assemblées  de  la  nation, 
se  trouvant  loin  de  toute  tutelle,  prenaient  de  déplorables  habitudes: 
turbulents,  dépensiers,  débauchés,  sans  expérience,  ils  étaient  sans 
cesse  pour  le  consul  une  cause  d'alarmes,  pour  la  nation  une  menace 
d'avanies,  et  souvent  pour  leurs  maisons  des  artisans  de  ruine*.  Les 
consuls  et  députés  du  commerce  de  Marseille,  sans  l'autorisation 

dC'put^s  du  commerce,  gmbrassant  leurs  intcrcts  plutôt  que  ceux  du  commerce 
gcmiral,  Sl'  joignirent  A  eux.  —  Voir  le  plaidoyer  curieux  du  sieur  de  Cormis, 
avocat  général  en  Provence,  pour  répondre  à  kurs  objections  {ll'id.  fol.  }jg-t6Sj 
—  Arrêt  du  conseil  du  16  mars  1620  confirmant  les  lettres  patetttes.  Ihid.fol.  tiù. 

(1)  AmirnuU.  Reg.  I  des  Insin.fol.  729. 

(2)  LfUrfs  patentes  Je  S.  M.  adressas  à  Marmery,  consul  d'Alep.  6  Ktd>re  161 J. 
AA,  }6}.  —  Léonard  Gravier,  consul  fermier  de  Satallcli,  est  révoqué  par  arrvrt 
du  Parlement  de  Provence  le  15  avril  1639.  Amirauté.  Re^.  des  Insin.  fol.  44}.— 
Claude  Rigon,  propriétaire  du  consulat  de  Scio  et  Smyrne,  est  révoqué  par  arrêt  du 
conseil  du  \"  avril  1622.  —  Bihl.  nat.  mss.fr.  i6y}S.  —  Rappel  de  Boiiin  consul 
d'Alep,  1648.  —  Saisie  de  ses  biens  par  autorité  du  lieutenant  de  l'atriirautê. 
ji  janv.  i6}t ,  2S  fèvr.  i6f).  Arcli.  Commun.  Coriesp.  —  Happel  de  de  BennonJ 
d'Alep  1639,  de  de  Bertnond  du  Caire.  2S  fh'r.  16} 2.  Arcli.  commun.  Corresp. 

(3)  Ce  préambule  résume  très  nettement  tous  les  abus  que  pratiquaient  tous 
consuls  fermiers.  —  V.  le  texte  AA,  iji. 

(4)  Les  banqueroutes,  très  fréquentes  à  cette  époque,  furent  souvent  le  résultat 
de  l'inconduite  des  marchands.  Cependant  toutes  restaient  impunies  ;  les 


resp.  _ 

ous  les  H 

ésulut  H 

autres  H 


LES  ABUS 


93 


desquels  personne  ne  pouvait  aller  résider  dans  le  Levant,  eurent  le 
tort  de  laisser  s'établir  i  côte  d'eux  des  gens  sans  moralité,  des  mar- 
chands qui,  ayant  perdu  leur  fortune  et  leur  crédit  sur  la  place  de 
Marseille  par  leur  nuuvaise  conduite,  allaient  tenter  de  les  rétablir 
dans  le  Levant,  comme  s'il  n'eût  pas  fallu  au  contraire  des  résidents 
d'une  probité  et  d'une  habileté  éprouvée,  dans  un  pays  où  le  négoce 
était  entouré  de  si  grandes  difficultés.  On  voyait  encore  se  glisser 
sans  autorisation  dans  les  échelles,  au  moyen  de  subterfuges  flicilités 
par  la  complicité  des  capitaines  de  navires,  des  gens  sans  aveu,  des 
vagabonds  sans  aucun  bien,  qui  s'en  allaient  chercher  aventure  et  qui 
bientôt  tombaient  à  la  charge  de  la  nation,  gens  dangereux  qu'il 
(allait  ménager,  car  ils  menaçaient  de  se  porter  aux  pires  excès,  dont 
le  plus  redouté  pour  l'honneur  de  la  nation,  était  qu'ils  ne  se  fissent 
Turcs.  Au  milieu  de  ces  éléments  de  désordre  il  y  avait  sans  doute 
dans  chaque  échelle  des  marchands  probes  et  expérimentés,  c'étaient 
eux  qui  maintenaient  .i  force  de  patience  le  commerce  menacé  d'une 
ruine  complète,  mais  ils  étaient  souvent  impuissants  à  empêcher  les 
excès,  les  cabales,  les  lourdes  fautes  de  la  jeunesse  indisciplinée  ou  des 
coquins  qui  les  entouraient'. 

Leur  plus  grave  défaut  était  la  mesquine  jalousie  qui  les  divisait 
et  fomentait  entre  eux  des  cabales  sans  cesse  renaissantes.  Leurs 
haines  les  laissaient  dés;irraés  vis-à-vis  des  oppressions  des  Turcs, 
incipables  qu'ils  étaient  de  les  oublier  pour  concerter  une  action 
commune  en  cas  de  danger,  heureux  souvent  d'une  avanie  qui  arri- 
vait aujourd'hui  à  leur  ennemi  et  qui  pouvait  les  menacer  demain, 
capables  parfois  de  la  susciter  eux-mêmes.  Ces  rivalités  ne  leur  nui- 
saient pas  moins  dans  leurs  opérations  commerciales  :  quand  les 
indigènes  apportaient  leurs  marchandises  à  vendre,  ils  ne  songeaient 
«^u'i  se  les  enlever,  inventant  des  stratagèmes  pour  devancer  leurs 
rivaux,  ne  craignant  pas  de  faire  monter  les  prix  A  des  taux  exagérés, 
pourvu  que  d'autres  ne  pussent  rien  acquérir;  arrivait-il  un  navire 
chargé  de  marchandises  de  France  A  vendre,  ils  se  pressaient  h  qui 


inarcbdnds  ou  le  consul  lui-m^mc  favorisaient  la  fuite  du  banqueroutier,  de  crainte 
cu'il  ne  tombât  entre  les  mains  des  Turcs.  Souvent  il  allait  sVtablir  dans  une 
«chcllc  voisine  ou  il  continuait  la  même  vie  de  désordres.  Le  consul  d'Alep  5e 
pUint  en  16^9  d'un  marcliand  qui,  après  .-«a  tniisiëme  banqueroute,  signe  le  premier 
aux  .issenibWes  et  se  conduit  en  vrai  maître  de  l'échelle.  }i  mars  !<>}<}.  A.l,  )6;. 
Il)  Voit  dans  la  Corresp.  consul,  les  pl.iintes  continuelles  des  consuls  entre  les 
jeunes  gens,  «  les  cabalistes  »,  les  vagabonds.  —  Voir  les  mémoires  de  d'Arvieux 
pendant  son  consulat  d'Alep. 


94 


LANAKOUE    COMMERCIALE 


vendrait  au  détriment  l'un  de  l'autre ,  a\-ilissant  les  prix  à  plaisir. 
Ainsi,  achetant  cher,  N'endant  i  trop  bon  compte,  ils  sacrifiaient 
étourdiment  leurs  bénéfices.  Ce  mal  frappait  tous  les  veux,  les  corres- 
pondances des  consuls  sont  remplies  de  leurs  plaintes,  les  voyageurs 
le  signalent  :  •  les  Français  sont  tous  fort  peu  d'accord,  écrit  Chardin 
en  1671,  et  entretiennent  fort  bien  la  division  en  leur  commerce. 
Ainsi  il  ne  faut  pas  s'étonner  s'il  diminue  et  s'il  cause  en  général 
plus  de  dommage  que  de  profit.  Ceux  qui  en  connaissent  bien  la 
nature  et  les  maximes  disent  que  c'est  cette  désunion  qui  les  ruine 
en  Levant  et  que  si  l'on  compare  l'état  présent  avec  l'état  passé  du 
négoce  qu'ils  y  font,  on  trouvera  qu'il  est  plus  misérable  et  plus 
stérile  que  jamais'.  »  Beaucoup  attribuaient  au  trop  grand  nombre 
des  Français  éLiblis  dans  les  échelles,  àSmyme  particulièrement,  les 
riv.ilitésqui  les  divisaient,  mais  elles  existaient  aussi  U  où  il  n'y  avait 
qu'un  petit  nombre  de  résidents. 

Ennemis  de  toute  discipline,  les  marchands  n'oubliaient  leurs  que- 
relles que  pour  cabaler  contre  l'autorité  consulaire.  Peu  de  consuls 
parvinrent  à  se  maintenir  en  bon  accord  avec  la  nation,  il  leur  fallait 
une  patience  et  une  habileté  peu  communes.  La  correspondance  des 
échelles  est  curieuse  à  lire  à  cet  égard  :  amis  de  la  nouveauté,  les 
marchands  faisaient  généralement  grand  accueil  à  tout  consul  qui 
venait  dans  leur  échelle.  Les  premières  lettres  de  celui-ci  sont  pleines 
de  témoignages  de  reconnaissance  pour  les  démonstrations  flatteuses 
dont  il  a  été  l'objet,  les  querelles  sont  oubliées,  tous  les  march.inds 
lui  ont  promis  de  vivre  en  bonne  harmonie.  Ceux-ci,  de  leur  côté, 
se  louent  des  qualités  de  leur  nouveau  chef;  puis,  dans  les  lettres  qui 
suivent,  le  consul  parle  de  difficultés  qu'il  rencontre,  de  quelques 
cabalistes  qu'il  a  mis  à  la  raison,  ceux-ci  se  plaignent  des  rigueurs 
du  consul  ;  bientôt  tout  s'aigrit  :  le  consul  ne  s'étonne  plus  des 
déboires  qu'a  éprouvés  son  prédécesseur,  les  marchands  écrivent 
qu'il  suit  en  tout  point  les  tyrannies  de  ses  devanciers  ;  les  consuls 
et  députés  du  commerce  de  Marseille,  et  plus  tard  la  chambre  du 
commerce,  prennent  généralement  le  parti  des  marchands,  la  cour 
embrasse  plutôt  celui  du  consul  et  tout  se  termine  par  l'ordre  d'em- 
barquement de  ce  dernier  ou  des  chefs  de  la  cabale  qui  l'attaque. 
Telle  est  la  douloureuse  comédie  qui  se  joua  malheureusement  trop 
souvent  dans  les  échelles,  non  seulement  pendant  cette  période,  mais 

(i)  Chardin,  t.I,  p.  4. 


LES   ABUS  95 

aussi  dans  celle  qui  la  suit'.  Combien  les  Turcs  et  nos  rivaux  les 
Anglais  et  les  Hollandais  ne  devaient-ils  pas  profiter  d'une  aussi 
triste  situation. 

Ainsi  s'en  allait  peu  à  peu  le  commerce,  en  proie  ù  tous  les  abus, 
opprimé  à  la  fois  par  tous  ceux  qui  avaient  reçu  du  roi  la  mission  de 
le  diriger  et  de  le  protéger.  Mais  comment  ces  désordres,  dénoncés 
maintes  fois  par  les  plaintes  des  consuls  et  députés  du  commerce  de 
Marseille,  purent-ils  s'étaler  en  plein  jour  et  grandir  pendant  plus  de 
50  ans,  en  dépit  de  quelques  tentatives  inutiles  de  répression  ?  C'est 
ce  que  pourront  faire  comprendre  la  faiblesse  de  l'administration  qui 
était  à  la  tète  du  commerce  du  Levant,  et  la  négligence  du  gouverne- 
ment royal. 

(i)  D'Arvieux  consul  d'AIcp  écrit  à  la  chambre  le  4  octobre  1685  :  «  je  n'attends 
pour  partir  qiie  l'arrivée  de  mon  successeur.  C'est  la  coutume  de  chanter  alors: 
Benedictus  qui  venit  in  nominc,  comme  de  crier  après  :  toile,  toile,  crucifige,  tant 
notre  jeunesse  indomptée  est  incline  au  divorce.  »  A^,  J64. 


« 


CHAPn^RE  V 

LES    DÉFAILLANCES   DE   l'ADMINISTRATION 


Les  Marseillais,  entre  les  mains  desquels  étaient  la  police  et  la 
direction  du  commerce  du  Levant,  avaient  imaginé  de  la  confier  aux 
députés  et  bureaux  du  commerce,  qui  auraient  rendu  les  plus  grands 
ser\'iccs  s'ils  avaient  pris  assez  d'autorité.  Les  quatre  députés  du 
commerce,  créés  en  1599',  continuèrent  d'être  élus,  sur  la  dési- 
gnation des  consuls,  par  des  assemblées  spéciales  où  figuraient  les 
plus  notables  négociants  de  la  ville*.  Ils  étaient  choisis  parmi  les 
personnes  les  plus  «  expérimentées  au  négoce  mercantil  »  comme 
dit  le  procès-verbal  d'élection  de  16 12,  et  dans  les  Êimilles  les 
plus  considérables,  aussi  beaucoup  d'entre  eux  deviennent  consuls 
et  sont  employés  plus  tard  dans  les  députations  de  la  ville  à  la 
Cour;  plusieurs  même  sont  élus  consuls  pendant  qu'ils  sont  députés 
et  en  conservent  les  fonctions*.  C'étaient  les   députés  du  com- 

(i\  V.  IntRvIuotion. 

[i\  Dans  les  pnxès-vcrbaux  on  ne  voit  mentionner  que  30  à  40  assistants. 
Klus  J'.iK'ird  le  4  ou  le  >  août  de  chaque  année,  ils  le  sont,  â  partir  de  1623,  dans 
le  G.inscil  de  r  «  autorie  •  au  commencement  de  novembre. 

(  î^  .\nibrv^i>e  lV>nin  député  en  1600-1601  est  consul  en  160}.  Pierre  SoUe 
député  en  ip«.n-o6  est  consul  en  ici;.  Simon  Moustier  consul  en  1606-07  *** 
co«»sul  en  toi  ;,  Baltha.ard  Cappel.  député  en  1607-08  est  consul  en  1616. 
Lé\m.ird  dcSacto  député  e:i  i6t>-lO  est  en  même  temps  premier  consul  en  1616. 
Pierre  Mo>t:er  est  cor.sul  et  député  en  ikm-  Cosme  de  Valbelle  élu  député  le 
\  août  1P17  es:  cîi!  premier  consul  le  >  novembre  et  reste  député.  Louis  de 
Veuto  Jerutc  c:i  :oi;  est  rremier  consul  et  députe  en  1624.  .-/r.-fr.  CoHmiiiif. 
iV.'.'.S-'.  —  l.c>  procès-vcr>a>;x  d'clcctio:;  n-.ontrcr.t  vju'au  début  on  considérait 
le-,:r  existence  co::v.'.'.e  prov-.sv'iro  et  c!'.J.que  ar.r.ce  la  nécessité  de  leur  création 
t.:j'.:  rc!v.i>v  e:*.  ^;u^.s:i^.■>•■:.  l:-.'.  ;c:oon  dcciJi  numc  leur  suppression.  «  Toutefois, 
vici'uis  cue'.c-.:e>  .t:^nees.  J^^lara  "e  prenv.cr  ccrsu!.  or.  a  recotmu  que  telles 
c!u:i;e>  ne  -w.t  po::::  v.::!e>  .!u  public  et  la  n-.u/.itudc  des  adniinistiateuis  ne 
:ai:  '^u'eviicndrcr  ccï  dciordrvs.  par  ce  n:oy».n  voulant  d"ua  corps  qu'est  cette 


LES   DÉFAILLANCES  DE  l'aDMIS'ISTRATION 


97 


mcrce  qui  recevaient  les  avis  touchant  les  affaires  cotninerciales, 
étudiaient  les  questions,  faisaient  des  rapports  aux  assemblées,  rédi- 
geaient les   cahiers  et  mémoires  présentés  au  roi,  les  instructions 
données  aux  députés  en  cour;  ils  avaient  en  même  temps  la  sur- 
veillance de  la  navigation,  de  l'administration  des  échelles,  recevaient 
et  examinaient  les  comptes  des  levées  de  deniers  qui  se  flùsaient  sur 
le  commerce,  ils  en  étaient  en  un  mot  les  vrais  directeurs.  Devant 
les  ditlîcultés  croissantes  que  rencontra  le  négoce,  on  songea  bientôt 
iles  assister  d'un  Bureau,  composé  d'un  petit  nombre  de  membres, 
choisis  aussi  parmi  les  gens  les  plus  expérimentés  au  commerce  et 
les  plus  considérables.  Ce  Bureau,  plus  facile  A  convoquer  que  le 
Conseil  de  ville  ou  les  assemblées  de  la  communauté,  était  en  outre 
beaucoup   plus  compétent,  et  les  affaires  y  étaient  expédiées  plus 
sûrement  car  on  n'avait  pas  à  craindre  les  bruyantes  querelles,  ou  les 
vaines  discussions,  des  réunions  plus  nombreuses.  II  autorisait  les 
députés  du  commerce  à  agir,  chaque  fois  que  ceux-ci  jugeaient  bon 
de   le  convoquer,  et  plu.s  tard  le  Conseil  de  ville  devait  approuver 
Ses  décisions,  mais  c'était  une  pure  formalité.  C'est  en  1608  qu'on 
voit  réunir  pour  la  première  fois  un  «  Bureau  des  plus  intéressés  au 
négoce»;  en    1610  il  prend  le  nom  de  «  Bureau  établi  pour  la 
direction  et  conduite  des  affaires  du  commerce  et  il  est  composé  de 
huit  membres.  Ce  bureau  du  commerce  ne  reparait  ensuite  qu'en 
1 6 1 6  et  subsiste  jusqu'en  1622;  après  un  nouvel  inten'alle  de  cinq 
ans,  il  est  rétabli  en  1627  et  fonctionne  jusqu'en  1632,  composé  de 
douze  membres*.  Ces  deux  périodes  du  six  années  furent  celles  où 
les  Marseillais  furent  le  plus  occupés  à  combattre  contre  les  Barba- 
resques  ou  à  négocier  avec  eux.  Le  commerce  tendait  ainsi  .\  former 
un  corps  séparé  de  la  communauté  avec  son  administration  simple 
c*t  pratique,  et  présentant  cependant  de  sérieuses  garanties  :  il  y  avait 
là  le  germe  de  l'organisation  de  la  célèbre  Chambre  du  commerce. 


communauté'  en  com]x>scr  deux,  et  que  de  toute  ancictinctc  toutes  les  atrairc& 
«JuJit  commerce  n'étant  aucunement  distraites  ni  séparées  du  corps  de  ladite 
conimun;iuté,  étant  jdniinistrée.s  par  Icsdits  sieurs  consuls.  »  {.■Irch.  Commun., 
^  actU  idiy).  M.iis  leurs  fonctions  étaient  en  réalité  si  nécessaires  que.  dés  Tannée 
*urvantc,  le*  consuls  demandèrent  le  rétablissement  des  députés,  (-''''f^'î'.  Cu»mww>/. 
37  miiTf  1630).  L'autorité  des  députés  s'accrut  même  dans  les  années  suivantes  ; 
îu>ques  la  on  les  créait  pour  0  assister  les  consuls  »,  plus  tard  on  les  appelle  cou- 
Tiunincnt  «  directeurs  du  commerce  »  ;  le  u  Conseil  leur  donne  pouvoir  de  régir 
et  gouverner  les  affaires  du  commerce  et  négoce  »,  dit  le  procès-verbal  d'élection 
\lu  15  novembre  164  j. 

(I)  V.  Arch.  Commun.  D/Ubir, 


98 


L  ANARCHIE    COMMERCIALE 


plus  grands 


I 


Les  déput&s  et  les  bureaux  rendirent 
c'est  1  eux  qu'il  faut  rapporter  tout  ce  qui  se  fit  de  bien  pendant  la 
prcmitTc  moitié  du  xvn"  siècle  en  faveur  du  commerce  du  Levant, 
car  c'éwitiu  leurs  députés  en  cour  ou  leur  avocat  au  conseil  qui 
îiollicitaietu  toujours  l'action  du  gouvernement  ;  on  ne  pourrait 
pas  citer  un  seul  acte  du  pouvoir  royal  qui  n'ait  été  inspiré  par  les 
cahiers,  mémoires,  ou  lettres  des  députés  du  commerce  de  Marseille. 
Touielois  il  laut  reconnaître  que  Cc  qu'ils  firent  n'était  rien  auprès 
de  ce  qu'il  aurait  fallu  faire.  Sans  doute  ils  étaient  excusables  ; 
cuiUMuni  quatre  pauvres  marchands,  \  qui  l'argent  était  parci- 
monieusement mesuré,  mal  vus  souvent  de  la  cour,  où  l'on  n'en- 
tendait d'eux  que  leurs  plaintes,  eussent-ils  suffi  à  leur  lourde  tâche  ? 
Cepeiulani  les  documents  prouvent  que  leur  activité,  sollicitée  par  ■ 
iai\i  d'objets,  se  laissa  absorber  par  quelques  uns  et  en  négligea" 
d'essentiets  ;  leurs  délibérations  ou  leurs  correspondances  font 
mention  sans  relâche  des  pirateries  et  surtout  du  règlement  des 
dettes  du  commerce  et  des  échelles  et  des  procès  qu'elles  suscitaient, 
mais  elle.s semblent  trop  laisser  de  coté  r.idministration  des  échelles. 
On  est  frappé  de  la  rareté  des  lettres  adressées  aux  consuls  pour  les 
diriger  et  leur  demander  les  comptes  de  leur  administration.  Par 
une  surveilLmce  journalière,  les  députes  du  commerce  auraient  pu 
prévenir  bien  des  abus  et  empêcher  beaucoup  de  ces  dettes  qu'ils 
avaient  ensuite  tant  de  mal  X  éteindre.  G:  défaut  de  prévoyance  J 
frappa  même  les  contemporains  :  ces  messieurs  de  Marseille,  t*crit 
un  consul,  ont  accoutumé  de  remédier  aux  affaires  lorsqu'elles  sont 
désespérées.  Encore  hésite-i-on  à  accuser  les  députés  de  négligence, 
leur  abstention  ne  provenait  peut-être  que  du  sentiment  nulhcu-j 
ivusement  taip  justifié  de  leur  impuissance. 

Il  T  aurait  des  reproches  plus  mérités  à  adresser  aux  marchands] 
qui  composaient  le  burxxtu  du  commerce.  Leurs  séances  furent 
tou)oun  peu  fréquentes;  le  i;  septembre  1616,  en  présence  des^ 
graves  a&tres  qui  sur^ctuient,  ils  avaient  décidé  de  se  réunir  tous 
les  vendrodts,  cette  r^lc  ne  fut  même  pas  observée  ks  semaines  qoi 
saiviicnt  «t  feur  cnrail  se  boraa  toujours  à  qtielqoes  réunicms  par  an 
où  ih  âpfmMmicnc  en  bloc  ce  ^ui  i^M  kté  £iit,  on  ce  qui  était  pro- 
posé p«r  ks  «iéputês  du    coomieTOt*;  aont  le  poids  des  a^resfl 


aroH  4mUL  ^*te  >e  fànut  «le  a'nvcr 


lfo<  :  « 


LES   DÉFAILLANCES   DE    l'aDMINISTRATION  99 

rctombaii  sur  ceux-ci.  Cette  négligence  servit  de  prétexte  :ï  la 
suppression  du  bureau  du  commerce  qui  disparaît  en  1631'. 

Cette  suppression  fut  l'etict  de  la  jalousie  du  conseil  et  du  corps 
de  ville  contre  ce  nouveau  pouvoir,  qui  leur  enlevait  une  partie  de 
leur  importance.  Les  députés  du  commerce  eux-mêmes  furent  tenus 
dans  une  sorte  de  suspicion  et  n'eurent  jamais  l'autontê  qui  leur 
eût  ùid  nécessaire.  Ils  restèrent  toujours  soumis  i\  celle  du  conseil  de 
ville;  ils  ne  pouvaient  même  agir  dans  les  cas  importants  qu'ù  la 
suite  d'une  délibération  de  cette  assemblée,  que  les  consuls  seuls 
pouvaient  cons-oquer  et  présider,  et  dont  souvent  ils  ne  faisaient 
pas  même  partie'.  Ils  étaient  surtout  sous  la  dépendance  des  consuls, 
sans  l'ordre  desquels  ils  ne  pouvaient  rien  exécuter*  et  qui  restaient 
les  vrais  chefs  du  commerce  comme  de  la  communauté.  C'est  au 
nom  des  consuls  qu'ils  rédigeaient  toute  la  correspondance  et  qu'ils 
expédiaient  les  affaires,  c'est  «  aux  consuls  gouverneurs  de  la  ville 
de  Marseille  »  qu'étaient  envoyés  les  ordres  du  roi  ou  les  lettres  des 
Echelles.  Aussi,  malgré  le  besoin  évident  qu'il  y  avait  d'une  admi- 
nistration spéciale  pour  le  commerce,  et  malgré  l'intéressante  ten- 
tative que  les  Marseillais  avaient  laite  pour  l'organiser,  elle  resta 
étroitement  liée  ù  l'administration  de  la  communauté.  Subordonnée 
:\  l'expédition  des  affaires  de  la  ville  qui  absorbait  l'attention  des 
consuls,  l'administration  de  celles  du  commerce  n'eut  pas  la  vigueur 
et  la  rapidité  d'exécution  qui  eussent  été  nécessaires.  Mais  la  plus 
funeste   conséquence  de  cette  confusion    fut  que    les  intérêts  du 

micr  consul  lait  faire  lecture  d'un  acte  par  le  secrétaire  de  l'an  passé  d'où  il  appert 
que  ce  n'est  pas  la  faute  des  sieurs  consuls  et  députés,  d'autant  qu'avant  appelé 
pendant  trois  jours  consécutifs  ceux  qui  en  étaient,  plusieurs  et  diverses  fois,  n'en 
comparaissaient  que  un  ou  deux  cl  cependant  plusieurs  affaires  s'offraient  ;  le 
consul  se  plaint  de  la  ditriculté  de  s'acquitter  de  leur  tâche  pour  ne  pouvoir 
assembler  personne,  témoin  l'occision  présente,  la  dixième  partie  des  appelés 
ne  se  sont  point  trouvés,  n  Arch.  Commun. 

(I)  On  voit  fonctionner  de  i6}2  i  t6jo  une  .lutre  assemblée,  le  «  bureau  tant 
pour  les  affaires  de  la  communauté  que  celles  du  commerce  »,  composé  de  3o,  puis 
de  i\  membres,  tnais  il  ne  s'occupa  ^uère  du  conmierce  :  il  y  a  des  années  où 
l'on  ne  trouve  pas  une  délibération  qui  le  concerne  (16^9,  par  exemple). 

(i.)  Voir  par  exemple  le  conseil  du  1 5  juin  1625  très  important,  où  l'on  délibère 
sur  les  aff.iircs  de  Cés\'.  Les  députés  sont  appelés  pour  donner  leur  avis,  puis  ils  se 
rvlinrnt  et  le  conseil  Jélibère.  —  Arçh.  Commun. 

(5)  BB,  26.  ij  août  j6;-/  Lettre  des  dfputis  à  Vafocat  du  commeice  au  comeil  : 
•  Il  ne  tient  pas  .^  nous  que  l'affaire  du  sieur  Maurellct  ne  soit  hnie,  mais  nous 
vous  avons  dit  par  nos  précédcntei  que  nous  ne  pouvions  rien  de  nous  même* 
uns  l'autorisation  de  .MM.  les  consuls  qui  nous  délaient  toujours  d'un  jour  à 
l'AUtre.  >>  El  cc]Hrndant  en  i6s4  la  Chambre  du  commerce  fonctionnait  déjà. 


lOO 


L  ANAKCIIIE    COMMERCIALE 


I 


1 


commerce,  comme  ceux  de  la  ville^  furent  trop  souvent  sacrifiés  aux 
rancunes  des  partis. 

Pendant  ces  cinquante  années,  en  effet,  iMarseille  ne  cessa  d'être 
troublée  par  les  discordes,  qui  tantôt  se  manifestaient  par  des  sédi- 
tions et  des  prises  d'armes,  tantôt  par  de  sourdes  iiitrit^ues.  L'aristocra- 
tie qui  gouvernait  la  ville  était  formée  de  trois  éléments  rivaux,  les 
gentilshummcSj  les  bourgeois  et  les  marchands,  qui  se  disputaient  le 
pouvoir  au  conseil  de  ville.  La  noblesse,  nombreuse 'et  turbuletite, 
composée  de  familles  ennemies  qui  se  transmettaient  leurs  haines 
héréditaires,  entraînait  toute  la  ville  dans  l'agitation  de  ses  factions. 
Les  troubles  de  la  Ligue  avaient  soulevé  de  terribles  rancunes  entre 
les  familles  qui  avaient  favorisé  l'entreprise  de  Charles  de  Qizeaulx 
et  celles  qui,  ayant  aidé  Libertat  à  remettre  la  ville  entre  les  mains 
d'Menri  IV,  continuaient  à  bénéficier  des  faveurs  royales.  Chaque 
fois  qu'une  occasion  naissait,  les  partis  ne  tardaient  pas  à  recourir 
aux  armes  *. 

En  dehors  de  ces  prises  d'armes,  la  sécheresse  des  procès-verbaux 
des  délibérations  du  conseil  de  ville  laisse  souvent  percer  la  trace 
des  violentes  discussions  qui  l'agitaient.  Il  fallut  le  voy.ige  du  roi  et 
de  la  cour  en  :66o  pour  mettre  un  terme  .\  ces  agitations  :  les  con- 
suls furent  supprimés  par  lettres  patentes  de  mars  i6éo  et   rempla- 
cés par  des  échevins,  qui  durent  être  choisis  parmi  les  négociants 
bourgeois   et  les  marchands,    à    l'exclusion    des    gentilshommes,  m 
«   L'ambition  de  ceux  qui  prétendaient   au    consulat,    disaient  les  ■ 
lettres  patentes,  et  l'émulation  parmi  eux  pour  y  parvenir  ont  formé 
toutes  les  cabales  qui  ont  troublé  la  tranquillité  de  la  ville,  et  pour 
cette  raison  le  commerce  est  entièrement  ruiné  *.  »  Quelque  temps  — 
auparavant,  au   milieu  des  troubles  de   la  l'ronde,   les  Marseillais  ^ 
avaient  senti,  comme  autrefois  après  les  malheurs  de  la  Ligue,  le 
besoin  de  séparer  l'administration  du  commerce  de  celle  de  la  ville; 

(i)  Dans  le  procc-s-vcrbal  d'un  conseil  géncial  Je  1646,  où  figuicm  204  noms 
et  où  le  secrét.iire  signnle  beaucoup  d'autres  présctiis,  011  voit  en  tùlc  61;  nobles, 
dont  22  sont  seigneurs  de  villages,  —  puis  viennent  les  bourgeois  et  les  niar- 
clunds.  —  Arcb  Comniuti. 

(2)  V.  Troubles  de  1609,  1610,  1644-46,  pacifies  par  l'archevêque  d'Arles  j 
Ma/ariu,  —  et  surtout  ceu\  Je  16)9-16611.  —  V'.  Anh.  Cominnu.  Corr^spoiuL  — ! 
Papon.  t.  IV,  p.  530-600. 

(}(  Le  commerce  avait  à  redouter  un  autre  danger,  c'éi.iit  de  payer  les  dettes! 
de  la  communauté  qui  «'•taient  énormes  :  «  Depuis  1  an  passe,  écrivent  les  consuls  ] 
le  28  nui    1641,  elles  se  sont    augmentées  Je   100,000  livres,  elles  se  portent  i 
947,000  livres  et  se  vont  Je  jour  en  jour  portant  à  un  million,  qui  est  une  chose 


LES   DEFAILLANCES    DE   L  ADMINISTRATION 


lOI 


c'est  alors  que  b  Chambre  du  commerce  apparut.  Créée  provisoire-, 
ment  par  le  bureau  du  24  avril  1650,  elle  te  fut  définitivement  et 
reçut  son  règlement  à  rassemblée  du  i^  novembre  1650  '.  Cette  fois 
l'organisation  à  part  du  corps  du  commerce  était  détinitive;  cette 
heureuse  innovation,  précédant  de  peu  les  grandes  réformes  de 
Colbert,  allait  ouvrir  une  ère  nouvelle  au  commerce  du  Levant. 

Si  les  Marseillais  l'avaient  longtemps  nul  dirigé,  la  responsabilité 
en  retombe  en  grande  partie  sur  le  gouvernement  royal.   Toutes 
les  innovations,  les  répressions  d'abus,  décidées  par  les  bureaux  du 
commerce  ou  le  conseil  de  ville,  avaient  besoin  pour  devenir  exécu- 
toires d'être  revêtues  de  h  sanction  roj'ale,  et  il  fallait  chaque  fois 
pour  cela  aller  jusqu'au  conseil.  On  peut  s'imaginer  quelles  dépenses 
«quelles  lenteurs  en  résultaient.  La  ville  payait  un  avocat  au  con- 
seil pour  y  défendre  ses  intérêts  et  poursuivre  les  affaires  qu'elle  avait 
en  suspens  devant  lui.  C'éfciit  à  cet  avocat   que  s'adressaient  les 
consuls   pour  l'expédition  des  affaires  courantes  du  commerce;    le 
temps  se  passait  en  correspondances  avant  de  terminer  la  moindre 
affaire,  car  «  l'ordinaire  »  n'apportait  les  lettres  de  Paris  à  Marseille 
qu'une  fois  par  semaine.  Si  l'avocat  ou  le  conseil  avaient  besoin  d'un 
supplément  d'informations  sur  une  question,  c'était  près  d'un  mois 
qui  s'écoulait  avant  qu'il  leur  parvint.  Four  les  affaires  importantes 
les  consuls  ne  s'en  remettiient  pas  ;'i  leur  avocat,  ils  envoyaient  des 
dépii tarions  chargées  d'.igir  auprès  du  conseil,  avec  plus  de  compé- 
tence et  d'autorité.  Il  ne  se  passa  presque  p.as  d'année  sans  qu'une 
I  députa tion  n'allât  à  la  cour,  généralement  pour  plusieurs  mois,  et 
icY'tait  toujours  pour  la  ville  une  dépense  de  plusieurs   milliers  de 
livres.   Il  aurait   fallu  pouvoir  terminer  rapidement  sur  place   les 


lotit  la    seule   pensée  est  affreuse.  *  De  1610  à   1620  le  produit  des  taxes  qui 

«câaicttt  sur  le  commerce,  servit  indiffcrcmmcnt  .i  payer  toutes  les  dettes  de  la 

ïoniraunautc,  de  quelque  origine  qu'elles  tussent.  (Aich.   Commun.  Dclib,).  Ce 

"es;  que  peu  à  peu  aue    la  distinction  s'établit  nettement  entre  les  deniers  du 

jmmerce  et  ceux  de  l;i  communauté. 

(I)  Voir  À  l'appendice  la  note  sur  l'organisation  et  le  fonctionnement  de  la 
lliambre.  —  11  fallut  plusieurs  années  pour  que  la  .séparation  fut  complète. 
_cs  députés  écrivent,  en  effet,   le  20  novembre  1657,  ;\  leur  avocat  Ji  la  cour  : 

Comme  .MM.  les  consuls  de  l'année  précédente  avaient  pris  l'entier  soin  des 
ItT^tires  du  commerce,  nous  avions  discontinué  à  vous  écrire  jusqu'à  maintenant, 
tt  avant  repris  l'exercice  de  nos  charges. . .  »  lili,  26.  —  Liltrc  tin  2^  lUc.   i66t  : 

puisqu'il  a  plu  au  roi  en  rétablissant  la  Chambre  du  Commerce »  ftll,  26.  — 

„^  Chambre  était  composée  de  douze  personnes,  les  quatre  députés  et  huit  des 
bIus  intéressés  au  commerce.  —  Les  consuls,  puis  les  éclievins  présidèrent  ses 

ances,  ma»  il  n'en  étaient  pas  considérés  comme  membres. 


102 


L  AKARCIUE   COMMERCIALE 


Ï 


affaires  ordinaires,  expédier  aussitôt  les  ordres  nécessaires,  dès  que 
l'avis  d'une  avanie,  d'un  abus  de  pouvoir  d'un  consul,  ou  de  l'am- 
bassadeur, arrivait  d'une  échelle.  C'était  bien  ce  que  faisaient  les 
consuls  de  leur  propre  autorité,  envoj'ant  des  ordres  ((  en  attendant 
que  le  roi  y  eût  autrement  pourvu  »,  mais  ils  n'étaient  pas  obéis,  ctfl 
malheureusement  il  n'y  avait  en  Provence  aucun  officier  royal  qui 
pût  immédiatement  donnera  leurs  actes  cette  sanction,  qui  leur  étiit 
nécessaire.  ■ 

Le  duc  de  Guise  prit,  pendant  son  long  gouvernement  de  Pro- 
vence, une  part  considérable  à  la  répression  de  la  piraterie,  mais  il  le 
dut  A  sa  charge  d'amiral  des  mers  du  Levant,  plutôt  qu'à  celle  de  gou- 
verneur. Ses  successeurs,  le  duc  de  Vitry  (1631),  le  comte  d'Alais, 
le  duc  de  Mercœur,  no  .se  mêlèrent  des  affaires  du  commerce  quej 
quand  tes  consuls  les  sollicitèrent  d'appuyer  de  leur  influence  les 
demandes  qu'ils  faisaient  à  la  cour.  Le  Parlement  de  Provence 
joua  un  rôle  plus  utile  et  plus  actif;  bien  que  simples  cours  de  justice 
les  Parlements  avaient  en  etfet  une  grande  part  dans  le  gouverne- 
ment et  l'administration.  En  Provence  particulièrement,  «  le  Parle- 
ment avait  le  gouvernement  en  l'absence  du  gouverneur  et  du  lieuter^ 
nant  du  roi.  Lorsqu'un  de  ces  deux  officiers  militaires  s'absentait" 
avant  que  l'autre  fût  de  retour  dans  la  province,  c'était  l'usage  qu'il 
allât  remettre  au  Parlement  les  rêves  du  gouvernement  '.  »  C'estM 
ainsi  que  sous  Henri  IV  Guillaume  du  Vair,  premier  président, 
avait  joué  longtemps  le  rôle  de  gouverneur  de  Provence'.  Déplus 
le  roi  confia  à  plusieurs  reprises  à  des  conseillers  ou  ;\  des  présidents^ 
des  commissions  spéciales  pour  s'occuper  des  affaires  du  commerce. 
Le  Parlement  semble  même  avoir  eu  régulièrement  la  mission  de 
contrôler  toute  l'administration  financière  des  députés  du  commerce. 
C'était  par  devant  des  commissaires  de  cette  cour  que  ceux-ci  ren- 
daient les  comptes  de  leur  gestion.  Les  consuls  de  Marseille  s'adres- 
sèrent souvent  aussi  à  elle  afin  de  laire  approuver  les  décisions  du 
du  conseil  de  ville  ou  du  bureau  du  commerce,  soit  pour  établir  une 
imposition,  soit  pour  interdire  des  levées  aux  consuls  des  échelles. 
Leurs  ordres  arrivaient  ainsi  i  la  nation  des  échelles  revêtus  d'une 


(i)  Papon',  t.  IV,  p.  600. 

(a)  V.  Leitrei  misiivei  de  Henri  IV.  Lctlres  à  du  Voir.  —  .4rch.  Commu».  De'libi 
l6iy  '.  «  Suivant  le  ni.inJeinont  priVis  à  nous  fait  de  I.1  part  de  la  cour  du  Farlo^ 
lemcindf  ce  pays  et  de  la  pan  de  M.  le  premier  Président  qui  a  le  gouvernement 
de  cette  province.  » 


LES   DÉFAILLANCES   DE    L'ADMrNISTRATION 


103 


force  plus  grande,  en  attendant  la  sanction  royale,  ci  l'approbation 
de  leur  conduite  par  le  Parlement  leur  était  fort  utile  pour  obtenir 
celle  du  conseil  ',  mais  il  n'y  avait  pas  à  ce  sujet  de  règle  bien  établie. 
Le  Parlement  jugeait  en  outre  en  appel  toutes  les  contestations 
entre  les  déput(^s  du  commerce  et  les  particuliers,  portées  en  pre- 
mière instance  devant  le  lieutenant  du  SL-néchal,  ou  le  lieutenant  de 
l'amirauté.  11  est  vrai  que  les  députés  se  défiaient  des  juridictions  de 
la  province  et  prirent  l'habitude  de  f^iirc  évoquer  leurs  causes  au 
conseil.  Dans  ses  Cayers  du  13  août  1670,  la  Chambre  du  commerce 
demandait  que  cet  usage  fût  érigé  en  loi  :  «  il  arrive  souvent,  disait- 
elle,  que  le  commerce  du  Levant  est  attaqué  par  divers  particuliers 
s'appuyant  sur  des  personnes  d'autorité,  lesquelles  prennent  part 
secrètement  aux  affaires,  ce  qui  fait  que  par  le  crédit  qu'ils  ont  dans 
les  cours  souveraines  de  la  province,  par  ce  moyen  la  Chambre  n'a 
pas  bien  souvent  la  justice  que  leur  cause  demande*.  »  La  Chambre 
devait  trouver  plus  tard  dans  l'intendant  ce  juge  impartial  qu'elle 
demandait.  En  somme,  malgré  l'intervention  fréquente  du  Parle- 
ment dans  les  affaires  du  commerce  et  l'appui  que  les  consuls  et 
députés  trouvèrent  souvent  auprès  de  lui,  il  ne  fut  pas  chargé  régu- 
lièrement de  donner  à  leurs  actes  la  sanction  royale. 

Les  officiers  de  l'amirauté  semblaient,  par  leurs  fonctions,  devoir 
être  de  précieux  auxiliaires  pour  les  consuls  et  les  députés  du  com- 
merce. Chargés  de  la  surveillance  de  la  navigation,  ils  expédiaient 
les  navires  en  partance  après  les  avoir  visités  et  s'être  assurés  qu'ils 
ne  transportaient  rien  d'illicite.  A  leur  retour  les  capitaines  devaient 
immédiatement  présenter  à  l'amirauté  un  rapport  sur  leur  naviga- 
tion et  le  manifeste  de  leur  chargement.  La  compétence  du  tribunal 
de  l'amirauté  s'étendait  à  tous  les  contrats  intervenus  pour  des 
marchandises  transportées  sur  mer,  et  à  tous  les  délits  commis  par 
des  gens  de  mer  et  aussi  par  les  résidents  des  échelles.  Les  officiers 
de  l'amirauté  auraient  donc  pu  travailler  efficacement  au  maintien 
du  bon  ordre  dans  la  navigation  et  d'une  police  sévère  dans  les 
cchdles.  Malheureusement  ils  ne  vécurent  jamais  en  bonne  har- 
di 13  juin  i63o,  j(i  mars  /6J2,  iS  mars  i6}2,  34  juiUel  i6i3.  Arch,  Commun. 
Dâihh.  —  îS  nin'tmbre  i6i),  au  cousu}  d'Alep  ;  «  Il  n'y  a  personne  qui  n'ait  été 
tntitTcmcnt  étonné  de  voir  que  vous  ayicz  fait  si  peu  Je  compte  «le  notre  délibé- 
ration... M.ii<  voui  ne  continuerez  p.is. .  .  puisque  vous  ne  vous  en  prendrez 
pas  seulement  a  nous  mais  à  la  souveraine  cour  de  Parlement  qui  l'a  autorisée 
par  son  arrêt  et  qui  le  saura  bien  faire  valoir.  »  BB,  16.  —  8  avril  1624,  ibid. 
[i\  BB,iJo}.S^o. 


t04 


L  ANARCHIE   COMMERCIALE 


monic  avec  les  consuls  et  les  licputds  du  commerce.  Comme  les 
attribmions  de  ces  deux  corps,  concernant  la  navigation  et  le  com- 
merce, n'avaient  jamais  été  parfaitement  réglées,  ils  se  jalousaient  et 
crai<;naient  leurs  empiétements  réciproques.  De  plus  les  officiers  de 
l'amirauté  étaient  en  conflit  depuis  leur  origine  avec  les  juges  des 
marchands'.  Mais  ce  qui  les  faisait  détester  des  marchands  c'était 
surtout  les  droits  de  visite  qu'ils  percevaient  au  départ  de  chaque 
navire.  Les  consuls  et  les  députés  du  commerce  ne  cessèrent  de  se 
plaindre  à  la  cour  de  leurs  exactions  et  engagèrent  même  contre  le 
lieutenant  de  l'amirauté  plusieurs  procès,  malgré  les  nombreux 
arrêts  du  conseil  intervenus  ù  cet  égard,  et  le  règlement  fliit  en 
1633  par  M.  de  Seguiran,  lieutenant  de  llichelicu  en  Provence,  qui 
ne  fut  pas  exécuté*.  En  1658  intervint  entre  le  lieutenant  général 
de  Valbelle  et  la  Chambre  du  commerce  un  accord,  qui  devait  servir 
de  règle  i  l'avenir,  cependant  en  1665  la  Chambre  engageait  une 
nouvelle  instance  contre  les  officiers  de  l'amirauté  «  sur  les  surexac- 
tions et  oppressions  »  qu'ils  faisaient'.  Aussi,  à  cause  de  cette 
mésintelligence,  l'amirauté  fut-elle  loin  de  rendre  au  commerce  du 
Levant  tous  les  services  qu'on  aurait  pu  en  attendre, 

C'étaient  les  intendants  qui  devaient  jouer  plus  tard  ce  rôle  néces- 
saire de  commissaire  délégué  par  le  roi  en  Provence  pour  la  direc- 
tioit  des  affaires  du  commerce,  mais  ils  n'apparurent  que  peu  avant 
le  milieu  du  xvii''  siècle  et  leurs  attributions  ne  devaient  être  bien 
étabhes  en  Provence  qu'au  milieu  du  règne  de  Louis  XIV  *.  Cepen- 
dant dès  leur  création,  les  intendants,  M.  de  la  Potei-ie  (16^2), 
M. Talon  ([634),  M.  de  Merry  (1636), furent  mêlés  à  l'administra- 
tion des  affaires  du  commerce*.  Deux  surtout,  MM.  de  Champigny 


(i)  V.  Arrêt  du  Parlement  de  Provence  statu.ini  sur  les  conflits  élevés  entre 
le  lieuten.int  fténérjl  en  l'aniinuité  de  Marseille  et  le  vi^uicr  de  cette  ville,  les 
jugi-s  ordinaires  et  les  juges  des  marchands,  ji  aoiit  1^64.  Amiranlè.  R,g.  Ida 
Insi».  fol.  loy. 

{!)  Arch.  Commun.  Vklih.  3$  fà'.,  162},  4  nov.  1644,  au  sujet  de  procès  avec 
l'.-imiraulé.  —  BB,  i.  S  dk.  i6s3,  21  mai  i6sï-  Conflits  entre  l'amirauté  et  la 
Chambre.  —  Règlement  de  M.  de  Seguiran,  dans  la  Corresp.  de  Sourdis  :  Jrts- 
ptctiou  lie  M.  Jr  Stçitirau.  —  //,  3}.  Brochure:  .\rréts  du  Cnnscil  d'Htat  et  de  la 
Cour  de  Parlement  en  faveur  du  commerce  touchant  le  rêi^lement  des  officiers 
de  l'amirauté  de  Provence  (1599.  1606,   1624,  1656,  1657). 

(})  BB.  36.  Lctlft  du  t}  août  tôôf  —  BB,  3j.  Correspondance  eu  1674  au 
sujet  d'un  autre  conllit. 

(4)  V.  Marchand.  Un  intendant  sous  Louis  XIF. 

(5)  Arch.  Commun.  Corresp.  3j  nui  16^2,  10  octobre  1614.  —  Ijttre  de  Tax'Oial 
Lt  R<m\,  2n  juin  16^6. 


LES  DÉFAILL.\XCES   DE  l' ADMINISTRATION 


roi 


(1636-40  et  1644-48)  et  de  Vautorte,  jouèrent  un  rôle  fort  impor- 
uni,  particulièrement  lors  de  la  liquidation  des  dettes  de  Ccsy.  Les 
Marseillais,  maigre  leur  turbulence,  surent  apprécier  les  services  de 

jces  nouveaux  représentants  du  roi  placés  auprès  d'eux,  auxquels  ils 
pouvaient  facilement  fliire  entendre  leurs  doléances  et  les  intérêts  du 
commerce,  sans  avoir  ^  redouter  les  lenteurs  et  les  intrigues  de  la 
cour.  Au  lieu  de  clierchcr  à  se  soustraire  à  cette  nouvelle  autorité, 
les  consuls  de  Marseille  réclamèrent  pour  diverses  aflaires  la  juridic- 
tion de  Tintendant,  au  lieu  de  celle  du  conseil  et  leur  confiance  fut 
justifiée'  car  MM.  de  Clianipigny  et  de  Vautorte,  par  les  deux  révi- 

jsions  qu'ils  firent  de  la  liquidation  des  dettes  de  Césy,  diminuèrent 
considérablement  les  sommes  qui  avaient  été  mises  à  la  charge  du 
commerce. 

L'institution  des  intendants  avait  certainement  facilité  l'adrainis- 
iration  du  commerce  et  lui  avait  donné  plus  de  sûreté  ;  mais  quelle 
qu'ait  été  leur  action,  ainsi  que  celle  du  Parlement,  jusqu'en  166 1,  la 
plupart  des  affaires,  du  moins  des  aHaires  importantes,  se  traitèrent 
directement  entre  les  Marseillais  et  le  conseil  du  roi.  Le  pouvoir 
roval,  qui  tendait  \  tout  centraliser  entre  ses  mains,  et  ne  laissait 

iplus  assez  d'initiative  aux  pouvoirs  locaux,  n'avait  pas  encore  orga- 

*nisé  tous  les  rouages  nécessaires  au  bon  fonctionnement  de  la 
nouvelle  machine  administrative.  Le  commerce  supportait  tous  les 
inconvénients  de  la  centralisation,  sans  en  ressentir  encore  les  avan- 
tages. Le  conseil  lui-même  était  loin  d'être  suffisamment  organisé  ; 

I  faute  d'être  définitivement  divisé  en  sections  se  partageant  entre  elles 
l'expédition  des  affaires,  celles-ci  s'y  accumulaient.  Ce  qui  .iggra- 
vaitlcs  lenteurs,  c'est  qu'il  ne  se  réunissait  pas  toujours  réguHère- 

^ment:  aux  époques  de  guerres  civiles,   pendant  la  minorité  de 


(K  Voir  au  sujet  des  bonnes  relations  du  commerce  de  Marstillc  avec  ces  deux 

intendants  et  de  leur  rôle,  de  nombreuses  lettres  des  consuls  ou  de  leurs  .ivocats 

'su  conseil  (.-trch.  Commun.)  surtout  à  partir  de  1640  —  j  mai  1644  :  «  Nous 

iMmnics  ravis  que  M.  de  Vautorte  se  rencontre  un    de  nos  juges  (au  conseil) 

farce  i^uc  nous  ayant  toujours  fait  l'honneur  de  nous  aimer  et  de  protéger  la 
utice  des  intérêts  de  notre  ville,  nous  sommes  assurés  qu'il  nous  assistera  en 
'  ette  rencontre.  »  —  30  sept.  ià4.(  :  «  Nous  estimerions  que  ce  serait  un  fort 
un  coup  SI  on  pouvait  renvoyer  i  M.  de  Champigny  les  atTaires  des  .\nglais 
immc  les  autres  affaires  de  Lu^uet.  —  .Après  la  suppression  des  Intendants 
lj/.arin  eut  en  Provence  un  homme  de  confiance  l'évéque  d'Orange,  le  domi- 
licjin  Hyacinthe  Serroni  qui  joua  un  certain  riMe  dans  les  affaires  du  comnierce. 
lazarin  I  établit  intendant  de  la  marine  à  Toulon  en  1655.  —  (T.  Lettres  de 
iaïaiin,  t.  II.  l'U). 


L  ANARCHIE   COMMERCIALE 


Louis  XIII  et  de  Louis  XIV,  il  y  eut  de  longues  interruptions  de 
SLMiiccs;  quand   le    roi   était  en  voyage,  si  le  conseil  s'assemblait 
auprès  de  lui,  Ici  afliiires  du  commerce  n'en  restaient  pas  moins  en 
suspens,  car  l'agent  chargé  par  les  Marseillais  de  s'en  occuper  nt^Ê 
pouvait  quitter  Paris;  pendant  la  guerre  contre  l'Rspagne,  les  opéra- 
lions  militaires  et  les  négociations  absorbèrent  l'attention  du  conseil, 
et  tout  le  reste  en  soutfrit.  Aussi  les  affaires  les  plus  urgentes  tralrS 
naient  pendant  de  longs  mois,  avant  que  l'arrêt  sollicité  n'intervint 
pour  les  régler;  pour  les  procès,  les  lenteurs  étaient  d'autant  plus^ 
grandes  que  les  partisans  retors,  à  qui  le  commerce  avait  affaire,  J 
étaient  experts  ;\  inventer  des  motifs  de  surséance.  C'est  avec  raison 
que  dans  le  discours  qu'il  prononça  à  l'ouverture  du  premier  conseil 
de  commerce,  le  3  août  1664,  Colbert  regarda  comme  une  des  causes 
de  l'infériorité  du  commerce  le  défaut  d'application  du  roi  et  de  son 
conseil'.  ^ 

Il  y  avait  bien  dans  le  conseil  et  parmi  les  secrétaires  d'Etat  desw 
hommes  chargés  particulièrement  des  consulats  et  du  commerce  du 
Levant,   mais   ils  étaient   choisis  sans    posséder  une   compétence 
spéciale  et   ils  étaient  occupés  d'une  foule   d'autres  soins.  Ainsi,  ^ 
jusqu'en   166  r,  ce  fut  généralement  le  secrétaire  d'état  des  atl'airei^ 
étrangères  qui  en  fut  chargé,  parce  qu'il  avait  la  Provence  dans  son 
département.  Son  embarras  devait  être  bien  grand  pour  prendre  des 
décisions  dans  ks  questions  qu'il  devait  trancher:  il  n'avait  pas  en, 
Provence  ou  dans  les  échelles  un  agent  impartial,  placé  en  dehor 
des  querelles  du  commerce,  qui  pût  le  guider  dans  la  solution  de  ce 
affaires  si  embrouillées.  Souvent  il  ne  trouvait  même  pas,  dans  k 
archives  de  ses  bureaux,  les  anciennes  ordonnances  arrêts  et  règle- 
ments, ou  des  documents  sur  les  usages  du  commerce,  quand  les 
Marseillais  se  plaignaient  des  innovations  et  des  abus  qu'on  y  intro- 
duisait. Il  s'adressait  alors  aux  consuls  de  Marseille  et  plus  tard  à  la 
Chambre  du  commerce,  pour  leur  demander  de  faire  des  recherches 
dans  leurs  propres  archives.  Aussi    les  intrigues  avaient  beau  jeu  :^ 
on  vit,  sur  la  foi  de  renseignements  trompeurs,  le  conseil  se  laisseij 
arracher  plusieurs   fois  des  arrêts  que  les  consuls  avaient  ensuite 
beaucoup   de  mal   .i    faire    réformer.    L'histoire    des    affaires    du 


1 


(i)  Voir  pour  ce  par.igraphe  la  Correspondance  des  consuls  de  Marseille 
leur  avocat  .lu  conseil.  Arcbh.  Commun. 


LES   DÉFAILLANCES   DE    l'aDMINISTRATION 


t07 


commerce  introduites  au  conseil  montre  toute  une  série  d'incerti- 
tudes et  de  contradictions'. 

Ce  n'était  pas  seulement  des  lenteurs  et  du  manque  de  compé- 
tence que  les  intérêts  du  commerce  avaient  S  souffrir,  mais  aussi  du 
favoritisme  qui  inspirait  trop  souvent  les  décisions  du  conseil.  Tous 
ceox  qui  vivaient  des  abus  du  commerce  savaient  se  garantir  des 
poursuites  et  des  réformes  parles  influences  qu'ils  avaient  à  la  cour. 
Dans  un  temps  où  celle-ci  était  remplie  d'intrigues,  les  ministres 
avaient  trop  d'amis  ou  d'ennemis  à  ménager  pour  ne  pas  leur  sacrifier 
souvent  les  intérêts  de  simples  mariihands.  La  correspondance  des 
consuls  de  Marseille  avec  leur  avocat,  ou  avec  leurs  députés  en  cour, 
ne  montre  que  trop  contre  quelles  influences  ilsavaient  ù  lutter*. Sans 
cesse  il  est  question,  dans  la  même  correspondance,  de  la  distribution 
de  présents  aux  membres  influents  du  conseil  ;  l'avocat  des  Marseil- 
lais se  plaint  souvent  de  la  parcimonie  des  consuls  qui  ne  lui  permet 
pas  de  contrebalancer  l'influence  des  cadeaux  généreux  distribués 
par  les  adversaires  du  commerce  ;  à  quoi   les  consuls  répondent 
piteusement,  qu'il  ne  leur  est  pas  possible  de  faire  comprendre  aux 
marchands,  ignorants  de  la  façon  dont  les  affaires  se  gouvernent  \  la 
cour,  la  nécessité  de  faire  de  grandes  dépenses.  Les  secrétaires  d'état 
chargé  des  affaires  du   Levant  donnent  l'exemple  de  la  vénalité'  : 
Chavigny  reçoit  de  grosses  sommes  des  partisans  ;  il  fait  concéder  le 
monopole  de  la  vente  des  soudes  et  narrons  d'Egypte,  néccss;iires  aux 
NarseilUis  pour  leurs   fabriques  de  savon,  moyennant    une  pension 
atmuelie  de  6000  livres.  Le  comte  de  Brienne  reçoit  du  fermier  une 
pension  de  4000  livres  sur  le  droit  de  3  0/0,  dont  le  commerce  lui 
demande  A  grands  cris,  mais  en  vain,  la  suppression  '.  Aussi,  quand 


(1  )  Àrch.  Commun.  Corresp.  et  BB,  36.  Siùc  d'arrêts  contradiaoires  rendus  dans 
les  affeircs  de  Césy,  Luguci,  Gués,  etc. 

(2)  V.  Anh.  Commun.  Corresp.  et  BB,  26. 

(î)  Anh.  Commun.  Corresp.  pafsim.  —  S  juin  163.1 :  1»  L'affaire  de  M.    Cùsy 

tunt   trcs  difficile,    comme  elle   est,  .i  rétablir les  tapis    arriveront    fort  A 

point  pour  obliger  ceux  a  qui  ils  sont  délivrés  à  prendre  la  protection  de  cette 
affaire  si  juste.  »  —  7  fcvr.  16)6,  lettre  de  Le  lloux  ;  «J'ai  ce  matin  présenté  ce 
que  m*.ivcz  ordonné  à  M.  Servien  qui  l'a  pris  et  témoigné  le  recevoir  avec  conten- 
tCTnt-ni.  J'ai  aussi  présenté  aujourd'hui  de  votre  part  pareil  présent  A  M.  le  chan- 
celier qui  m'a  chargé  de  vous  remercier...  je  départirai  par  le  menu  le  restant  à 
ceux  qui  peuvent  servir  ;  pour  M.  Bouthilhcr  il  a  vu  son  présent  avec  conten- 
tement. I»  —  tS  apùl  i6.fS  :  u  Pour  l'aH.iire  de  Pilles  il  faudrait  des  donatives 
considérables  aux  puissances  de  la  cour,  n 

(4)  AA,  jOj.  Lellre  de  d'Aiithoint,  1651. —  Arch.  Commun.  Lettre  des  consuls  dt 
M.  14  juillet  if>iS. 


loS 


L  ANARCHIE    COMMERCIALE 


I 


les  consuls  poursuivent  une  affaire  au  conseil,  ils  recherchent  avec  j 
soin  si  «  les  puiss;inccs  »  n'y  ont  pas  des  intérêts  engagés.  Ce! 
mœurs  étaient  d'autant  plus  dangereuses  que  l'administration,^ 
par  suite  de  l'accumulation  croissante  des  affaires  due  à  la 
centralisation,  tendait  à  être  laissée  de  plus  en  plus  entre  les 
mains  de  subaltL-rnes.  On  sent  déjà  grandir,  à  l'époque  de 
Richelieu,  l'importance  des  premiers  commis  des  secrétaires  d'état. 
Or  ceux-ci,  plus  besogneux  et  moins  soucieux  de  conserver  leur 
dignité,  étaient  plus  enclins  à  la  corruption,  ils  étaient  d'ailleurs  plus  S 
accessibles  aux  acheteurs  d'inHuenccs  et  se  vendaient  à  meilleur" 
compte.  Le  commerce  de  Marseille  eut  ainsi  beaucoup  X  souffrir  de 
l'hostilité  intéressée  de  M.  de  la  Barde,  premier  commis  de  M.  de| 
Chavigny,  dont  les  consuls  se  plaignent  souvent  dans  leur  corres- 
pondance '. 

Si  l'expédition  des  affaires  courantes  se  ressentit  beaucoup  de  la 
mauvaise  organisation  et  des  mauvaises  mœurs  du  conseil,  le  gou- 
vernement royal   se   signala-t-il   du  moins  par    des   tentatives  de^ 
réformes  ou  d'heureuses  innovations  ?  La  régence  de  Marie  de  Mé-«B 
dicis  fut  pour  le  commerce  du  Levant,  comme  pour  le  développe- 
ment de  la  prospérité  générale  du  royaume,  une  époque  stérile  ou 
désastreuse.  L'attention  du  pouvoir  fut  cependant  attirée  sur  le  com 
merce  du  Levant  par  les  Etats  de  1614,  qui  formulèrent  quelques] 
demandes  intéressantes.  Mais  on  y  retrouve  la  trace  de  cette  crreu 
économique,  enracinée  dans  les  esprits,  que  l'exportation  de  l'argen 
était  un  danger  pour  la  prospérité  du  royaume.  Ce  préjugé  devai 
longtemps  nuire  au  commerce  du  Levant  dans  l'opinion  publique*.' 

Si  l'on  excepte  la  répression  de  la  piraterie,  qui  fut  de  la  part  du 
gouvernement  l'objet  de  quelques  efforts,  il  faut,  pour  sentir  son 
action  sur  les  affaires  du  Levant,  aller  jusqu'à  la  mission  de  Deshayes 
de  Courmemiri  en  1621.  Le  rétablissement  des  religieux  latins  dans 
la  possession  des  Lieux  Saints,  la  protection  des  pèlerins  assurée, 


(0  Plus  tard  le  nom  de  M.  de  Brisacier,  premier  commis  de  M,  de  Brienne, 
tîgutc  souvent  dans  les  lettres  des  consuls. 

(2)  Recueil  des  Etats  Géniiraux,  t.  .Wll,  2'  panic,  p.  154-157.  —  V.  Pigeos- 
NE-^u,  t.  II,  p.  564-66.  —  Cf.  Advis  au  io\  Je  i6i^  :  Des  moyens  d'cmpccher  le 
transport  de  l'argent  et  faire  demeurer  p.ir  chacun  an  dans  le  royaume  prvs  de 
cinq  millions  d  or,  de  sept  millions  environ  qui  en  sont  transportes.  (Arcb.  Curieusti, 
Ci.MBER  et  DAXjoe,  2'  série,  t.  I,  p.  4}i  à  462.)  —  Ces  préoccupations  se  retrou- 
vent dans  le  livre  de  MoS'TcllRÉTltN  :  Traite  de  l'économie  Jvlitique,  paru  à  Rouen 
en  161 5.  * 


i 

J 


LK-S   oil  AILL.WCES   DE   l'aDMIXISTRATION 


109 


riStablissemcnt  pour  I.1  prcniicre  fois  d'un  consul  ;\  Jérusalem,  furent 
les  principaux  rcsiiltals  de  ce  voy;ige,  qui  contribua  à  mfiermir 
notre  prestige  dans  le  Levant,  et  servit  par  là  uiùine  le  commerce, 
en  lui  assurant  plasde  sécurité.  Dcsliayes  avait  aussi  des  instructions 
concernant  les  atiaires  des  échelles,  puisqu'il  déposséda,  suivant  les 
ordres  du  roi,  le  consul  de  Smyrne  et  en  établit  un  autre  àsa  place', 
La  V'icuville  était  alors  chargé  des  atfairt'S  du  Levant;  il  fit  envoyer 
en  1623  à  Constantinoplc  l'habile  négociateur  Sanson  Napollon, 
qui  obtint  de  la  Porte  les  commandements  extraordinaires  dont  il 
sut  si  bien  se  servir  pour  rétaWir  la  paix  avec  Alger.  Cependant  les 
Marseillais  redoutaient  ce  ministre  fort  hostile  à  leur  ville  et  se 
réjouirent  de  sa  disgr.ice*.  Ils  s'étaient  fort  effrayés  en  1618  d'un 
projet  de  compagnie  des  Indes  Orientales,  qui  fut  étudié  au  Conseil, 
Cl  ils  avaient  supplié  le  roi  de  les  «  vouloir  maintenir  en  leurs 
anciennes  coutumes  sur  le  fait  du  négoce  en  routes  les  parties  du 
Levant  et  autres  lieux,  et  trouver  bon,  qu'en  rapportant  desdits 
lieux  les  marchandises  des  Indes,  ik  ne  fussent  point  inquiétés'  », 
mats  ce  projet  n'eut  pas  de  suite. 

•  Pour  retrouver  une  volonté,  dit  avec  raison  Pigeonneau,  une 
direction,  une  politique  raisonnée  et  maitresse  d'elle-raènie,  il  faut 
passer  par  dessus  ces  médiocrités  et  cette  anarchie,  et  arriver  d'un 
seul  bond  jusqu'à  Richelieu.  Loin  de  réléguer  les  questions  écono- 
miques au  second  plan,  Richelieu  les  a  étudiées  avec  passion,  il  a  eu 
sur  le  commerce,  sur  la  marine,  sur  les  colonies,  non  pas  ces  aper- 
çus vagues  dont  se  contentent  les  politiques  de  second  ordre,  n  ais 
des  vues  arrêtées,  et  qu'il  a  formulées  dans  ses  Mémoires  et  dans 
$on  Testament  politique,  son  œuvre  par  la  pensée,  sinon  par  le  style. 
Toute  une  section  du  Testament  politique  intitulée  :  Du  com- 
merce comme  une  dépendance  de  la  puissance  de  mer  et  de  ceux 
qu'on  peut  ùire  commodément,  est  cons.icrëe  .i  l'industrie,  au  com- 
merce et  .\  In  navigation*.  «  Il  se  ht  même  par  ses  propres  réflexions 
des  idées  personnelles  sur  le  commerce  du  Levant.  «  J'avoue  que 


(1)  Voir  lj  rcliiiion  ilii  voyage  Je  I>eshjycs. 

(a)  lettre  de  l'avocat  Le  Roux,  15  aoûi  1624,  sur  In  disgrâce  de  La  Vituvillc. 
jirch.  Commun. 

(])  Jfih.  Comttiun.  Dihb.,  iS  ilk.  i6j8  :  .\près  que  lecture  a  été  faite  d'uae 
lettre  Je  S.  M.  du  6  déc.  sur  lu  tr.iflL  des  Iiules  Oiicntales 

(.0  PiotONxtAf,  I-  11,  p.  176-79.  —  betoiidc  p.irtîe  du  Tcsunicnt,  clup.  tx, 
jcct.  6. 


I  lO 


L  ANARCHIE    COMMERCIALE 


j'ai  ctc  trompé  longtemps,  écrit-il,  au  commerce  que  les  Proven- 
çiux  font  en  Levant.  J'estimais  avec  beaucoup  d'autres  qu'il  était 
préjudiciable  ,1  Tétat,  tnudé  sur  ropiuiou  commune  qu'il  épuisait 
l'argent  du  royaume  pour  ne  rapporter  que  des  marchandises  non 

nécessaires Mais  après  avoir  pris  une  exacte  connaissance  de  ce 

trafic  condamné  de  la  vois  publique,  j'ai  changé  d'avis  sur  de  si  solides 
fondements  que  quiconque  les  connaîtra  croira  certainement  que  je 

l'ai  fait  avec  raison et  partant  il  faudrait  être  aveugle  pour  n<| 

connaître  pas  que  ce  trafic  n'est  pas  seulement  avantageux,  ma 
qu'il  est  tout  à  iliit  nécessaire'.  »   Richelieu  avait  d'autant  plus  d 
mérite  que  certains  de    ses   confidents  écoutés,   comme  Isaac  di 
Razilly,  partageaient  l'opinion  commune  au  sujet  du  commerce  du 
Levant  et  s'ert'rayaieni  de  l'exportation  de  numéraire  qu'il  nécessi- 
tait. En  1624,  après  la  disgrâce  de  la  Vieuville,   la  direction  du 
commerce  avait  été  confiée  i   MM.   de   Champigny  et   Marillac, 
conseillers  d'état  *.  Mais  Richelieu  fit  bientôt  charger  des  afiaires. 
du  Levant  Bouthillicr,  puis  en  1636  son  fils  Chavigny. 

Son  ami  le  P.  Joseph  y  prit  au  moins  autant  de  part,  car  soi 
nom  est  sans  cesse  accolé,  dans  la  correspondance  des  consuls  à  celui 
des  secrétaires  d'état  ;  aucune  afiaire  n'est  poursuivie  par  eux  au 
conseil,  sans  que  leur  agent  ou  leurs  députés  n'aillent  conférer  avei 
le  P.  Joseph,  en  même  temps  qu'avec  Bouthillierct  Chavigny  et  c'esl 
souvent  l'influence  du  capucin  qui  les  préoccupe  le  plus  et  paraît  pré- 
pondérante*. Tandis  que  Bouthillier  et  Chavigny  paraissent  n'avoir 
été  que  des  commis  dociles  dans  la  main  du  maître  et  que  Chavign]^| 
excita  souvent  les  plaintes  des  Marseillais  par  sa  trop  grande  facilité 
i  céder  à  la  faveur  ou  \  se  laisser  acheter,  le  père  Joseph  eut  des  idées 


je 

lu 
ii- 
lu 

ui 


(i)  Teslamtnt  polUiquf,  a<- part.  Chap.  IX,  sect.  6. 

(2)  Ltltre  dt  Favocat  Le  Roux,  ;y  aoiil  162^  :  «  L'on  nous  (dit  espérer  en  son  lieu" 
le  retour  de  M.  de  Sulli...,  mais  pour  moi  j'estime  plutôt  que  celle  charge  seni 
possédée  pur  trois  ou  quatre  directeurs  tirés  du  conseil  du  roi.  11  —  59  aotit  : 
«  Vous  n'uvc*  pour  directeurs  que  MM.  de  Ch.implgny  et  Marillac.  »  Arch.  Comut, 

(5)  V.  Contspcuâance  des  avûcals  Le  Roux  et  Yeard,  surtout   1651-38.  —  Uni 
indisposition  du  père  Joseph  arrête  toutes  les  affaires.  —  Pigeon  s'e.m;,  t.  II,  p.  582 
cite  comme   collaborateurs  de  Richelieu   «  l'armateur   breton  François  Fouauet 
devenu  conseiller  au  Parlement  de  Rennes,  puis  i  celui  de  Paris,  enfin  conseiller 
d'Etat  chargé  spécialement  de  tous  les  soins  et  affaires   de  la    mer  ;    Sublet  des 
Noyers,  secrétaire  d'Etat  de  la  guerre  qui  avait  dans  son  département  la  marine  dr^ 
Levant,  Claude  et  Isaac  de  Razilly  tous  deux  marias  et  colonisateurs,  Martin,  ce' 
des  secrétaires  du  cardinal  qui  rédigeait  d'ordinaire  les  ordres  et  instructions  rel 
tifs  au  commerce.  »  —  Aucun  de  ces  noms  ne  tigure  une  seule  fois  dans  la  volu 
mineuse  correspondance  des  consuls  de  Marseille  avec  leur  avocat  au  Conseil. 


I 
1 


LES   DEFAILLANCKS    Dli    L  ADMINISTRATION' 


I  I  I 


originales  et  exerça  dans  le  Lcv;iiu  une  action  toute  personnelle. 
S'il  écrivit  la  Turciadc  et  s'il  conçut  un  cliiniérique  projet  de  croi- 
sade', il  s'atiaciia  passionnément  A  Tœuvrc  plus  pratique  de  la  propa- 
gation du  christianisme  et  de  l'inHuence  françitsc  dans  le  Levant. 
Nottimé  en  1625  préfet  des  missions  du  Levant,  des  Etats  B.irbares- 
ques  et  du  Ginada,  il  envoya  en  Asie  Mineure,  en  Palestine,  en 
Perse,  une  centaine  de  capucins  français  qui  fondèrent  des  couvents 
Cl  des  hôpitaux  A  Jérusalem,  X  Alexandrie,  â  Bagdad  et  A  Ispahan. 
Dès  1622  il  leur  avait  ouvert  la  voie  en  envoyant  en  mission,  en 
Perse  et  jusqu'à  Surate,  un  religieux  qui  obtint  de  Schah  Abbas  l'au- 
torisation de  créer  des  couvents  à  Ispahan  et  Bagdad.  «  S'ils  ne  fai- 
saient pas  le  commerce  pour  leur  compte,  comme  les  jésuites  au 
Ginada  et  les  frères  prêcheurs  aux  Antilles,  les  capucins  étaient  tout 
disposés  à  renseigner  les  commerçants,  à  leur  donner  asile  et  à  servir 
les  intérêts  de  la  France  en  même  temps  que  ceux  de  l'Eglise,*  »  Les 
récits  des  voy.igcurs  montrent  en  effet  l'heureuse  influence  de  ces 
missionnaires,  particulièrement  en  Perse  où  ils  jouissaient  d'une 
grande  autorité;  ils  servirent  aux  marchands  d'introducteurs  auprès 
des  <•  puissances  »  du  pays  et  leur  fournirent  d'utiles  renseigne- 
ments, Le  père  Joseph  protégea  le  fameux  voyageur  Tavernier  qu'il 
avait  rencontré  \  Ratisbonne  en  1630.  Fils  d'un  marchand  de  cartes 
géographiques  d'AnVers  établi  i  Paris  vers  la  fin  du  xvi*  siècle,  Ta- 
vernier fit  six  voyiiges  en  Orient  de  1631  i  1665,  il  poussa  jusqu'à 
java  et  au  Tonkin,  mais  il  séjourna  \  plusieurs  reprises  en  Perse  et 
contribua  beaucoup  à  y  développer  le  commerce  français*. 

Richelieu  porta  une  attention  toute  particulière  A  ce  commerce  de 
la  Perse  qui  alimentait  en  grande  partie  celui  du  Levant.  Les  guerres 
entre  la  Perse  c:  la  Turquie,  sous  le  règne  de  Schah  .\bb;is,  semblaient 
détourner  d'Alep  les  soies  de  ce  pays  et  le  schah,  ne  voulant  plus  Êiire 
bénéficier  les  Turcs  du  passage  des  caravanes  et  des  droits  de  douane, 
était  entré  en  négociations  avec  les  Cosaques  et  avec  les  Moscovites 


(i)  V  note  1. 

(31  1  L  .  t.  11,  p.  448.  —  V.  Mreh.  cur.  de  Thht.  dt  France,  i«  iirie, 

X.  IV,  p.  11}  cl  suiv,  :  Le  virilûhk  tin  Jauf  cafmcin  uommè  au  cardinalat.  —  Cent 
capudtis  furcui  répartis,  deux  par  deux  et  quatre  air  Quatre,  dans  les  ditTérents 
p.i       '     '  -11  1625.  Leur  suct-'és  l'ut  très  grand  et  d'autres  furent  envoyés  le.i 

ar  en  Perse  et  à  Bagdad  (p.   174-175).  «  Ceux  qui  alICrent  i  Hi.s- 

Y  11-  pal.iis  du  roi  et  n'eurent  point  d'.iutre  detneuie  pcnd.mt 

V  lit  encore,  si  les  HoIUndiis,  j.4loiix  d'un  si  yr.uid  lionneur, 
i\^  .v>  i.u....,.L  |...  ....iJus  !.ub|H;cts  aux  ministres  du  roi  de  Perse.  » 

())  JoRi.T,  J.-B.  Tavertiiff,  in-S".  1886, 


1 1. 


L  ANARCHIE    COMMERCIALE 


pour  faire  passer  les  marchandises  de  ses  états  par  Astrakhan,  1 
et  Archangcl,  ou  par  la  mer  Noire  et  la  Pologne.  Un  autre  illustre 
voyageur,  qui  séjourna  alors  en  Pursc,  où  il  eut  de  longs  entretiens 
avec  Schah  Abbas  et  ses  ministres,  Pietro  délia  Valle,  poussa  le  schah 
dans  cette  voie,  en  même  temps  qu'il  lui  conseillait  d'attirer  le^| 
Fran*;ais  pour  venir  acheter  directement  les  soies,  et  qu'il  excitait 
ses  défiances  contre  les  Anglais  qui  cherchaient  à  attirer  le  courant 
commercial  du  côté  d'Ormuz'.  Richelieu  songea  à  profiter  de  cette 
situation  et  il  envoya  en  1629  Dcshaycs  de  Courmemin,  fils  de  celui 
qui  avait  été  envoyé  en  162 1  dans  le  Levant,  pour  conclure  avec  les 
cours  du  Nord  des  conventions  commerciales*.  Ce  projet  original, 
mais  peut-être  peu  pratique,  de  détourner  le  commerce  de  la  Pers<H 
d'une  de  ses  voies  naturelles  et  séculaires  lut  rendu  encore  moins 
opportun  par  le  rétablissement  de  la  paix  entre  les  Turcs  et  la  Perse. 
Sa  réussite  eût  été  la  ruine  encore  plus  complète  pour  nos  ports  de 
la  Méditerranée  et  pour  les  échelles  du  Levant. 

Richelieu  songea  aussi  à  ouvrir  des  voies  nouvelles  A  notre  com- 
merce du  coté  de  l'Egypte  en  y  attirant  les  marchandises  de  l'Uthio- 
pie;  son  attention  fut  portée  de  ce  côté  vers  1638  par  le  séjour  en 
Fratice  d'un  prince  Ethiopien,  exilé  de  sa  patrie  à  la  suite  de  troubles,^ 
et  converti  à  la  foi  catholique  sous  le  nom  de  Zaga  Christ.  Mais 
mort  prématurée  ne  permit  pas  au  cardinal  de  mettre  à  exécution  ; 
projets  sur  l'Ethiopie  qui  furent  repris  plus  tard  sous  Louis  XIV*. 
Un  mémoire  de  cette  époque,  conservé  aux  Affaires  étrangères,  pro-^ 
pos.iit,  pour  ramener  le  commerce  des  Indes  dans  la  Méditerranéc,B 
de  creuser  un  canal  de  Suez  au  Caire,  «  ainsi  qu'il  s'était  pratique 
sous  les  anciens  rois  d'Egypte  et  peut-être  sous  Salomon.  Le  Turc 


1 

0- 

cn 
iles,^ 
s  ^a^ 


(i  )  V,  Pietro  dflla  Valle,  t.  III,  p.  323-84  cl  272-74.  —  Les  Turcs  de  leur 
côté  taisaient  tout  ce  qu'ils  pouvaient  pour  conserver  à  leurs  ports  le  commerce  de 
la  Perse  :  «  MulgrO  h  guerre  avec  la  Perse,.,  parce  que  Bagdad  ne  peut  se  passerai 
des  provisions  qui  lui  vieuuein  de  la  Perse,  le  Bassa,  quoiqu  il  eût  lait  de  graiides^| 
pertes,  ne  coupa  jamais  le  Lliemin  des  caravanes;  au  contraire,  comme  les  douanes 
lui  rapportaient  heaucoup  tous  les  ans,  autant  po»  ..on  intérêt  personnel  que  pour 
celui  du  p.\vs,  il  le  leur  facilitait  autant  qu'il  pouvait  ;  il  sollicitait  même  les  niar- 
cli.tndsde  se  mettre  en  campa};ne,  jusqu'à  leur  promettre  toute  la  sécuriié  qu'ils 
pouvaient  désirer.  »  Piltro,  t.  111,  p.  î. 

(2)  Pigeonneau,  t.  Il,  p.  44f>-47,  pour  la  mission  de  Deshaves.  —  DcshavT 
s'était  fait  charger  en  1626  d'une  mission  en  Perse.  —  Il  eut  à  Ccnstantinoplc  cle 
démêlés  avec  le  comte  de  Césy  qui  s'était  fortement  opposé  à  l'envoi  de  cetti 
mission.  Arcfi.  aff.  rtraiig.,  Ccrrfs[<.  polit,,  Cotisl.,  Rf^.  j,  fol.  2/7  et  iiiii:  —  Il  éta- 
blit à  Ispahan  une  compagnie  de  marchands  qui  ne  réussit  pas.  Lav.sll(-E,  p.  297. 

(j)  Vandal.  Louis  XI ^'  et  r Egypte. 


LES  DEFAILLANCES  DE   L  ADMINISTRATION 


113 


espérerait  enrichir  son  pays,  Venise  se  remettrait,  Marseille  se  ren- 
drait puissante,  on  relèverait  l'ancien  commerce  vers  l'Abyssinie'.  » 
Cette  idée  devait  aussi  être  formulée  de  nouveau  sous  le  règne  de 
Louis  XIV*. 

Le  grand  projet  de  Richelieu  pour  le  relèvement  du  commerce 
fut  la  création  de  compagnies.  Frappé  de  la  prospérité  commerciale 
que  l'Angleterre  et  la  Hollande  avaient  acquises,  grâce  en  grande 
partie  à  leurs  puissantes  compagnies,  au  détriment  de  l'Espagne  et 
du  Portugal  qui  avaient  établi  sur  leur  commerce  une  tutelle  trop 
étroite  de  l'état,  de  la  France  et  de  Venise  qui  avaient  laissé  trop  à 
faire  à  l'initiative  des  particuliers,  le  Cardinal  n'eut  qu'un  but, 
l'organisation  de  compagnies  semblables*,  mais  il  ne  créa  pas  de 
compagnie  du  Levant.  La  comp.agnie  d'Orient  ou  de  Madagascar  ei 
des  Indes  Orientales,  fondée  en  1642,  devait  se  livrer  aussi,  d'après  sa 
charte, au  commerce  avec  le  Levant^,  on  ne  trouve  cependant  aucune 
trace  de  son  action  dans  la  Méditerranée. 

Richelieu    servit  plus    utilement    le    commerce    par    quelques 
réformes  pratiques  que  par  ses  tentatives  avortées  de  grandes  com- 
pagnies. Le  code  Michau,  préparé  par  les  travaux  de  l'assemblée  des 
Notables  de  Paris  de  1626,  contenait,  parmi  d'autres  dispositions 
utiles  au  commerce  et  i  la  navigation,  la  défense  d'exporter  aucune 
marchandise  de  provenance  française,  ;\  l'exception  du  sel,  sous 
pavillon  étranger,  ;\  moins  qu'il  n'y  eût  pas  de  bâtiments  français 
dans  le  port*.  Cette  disposition,  destinée  i  encourager  la  construc- 
tion des  navires  marcliands,  aurait  pu  rendre  de  grands  services 
au  commerce  du  Levant,  car  le  temps  était  loin  où  de  Brèves  trou- 
vait «  en  la  côte  de  Provence  un  nombre  infini  de  vaisseaux  »  ; 
souvent  nos  marchands   nolisaient  des  bâtiments  étrangers  pour 
trafiquer  dans  le  Levant.  La  défense  de  s'en  servir  fut  renouvelée 
dans  le  Règlement  général  de  la  marine,  que  Richelieu  fit  rédiger 
au  conseil  en  1641-42,  et  les  consuls  de  Marseille  avaient  sollicité 
vivement  pour  qu'elle  y  fut  introduite''.  Rien  ne  pouvait  être  plus 


(j)  D'Avf.scti-,  t,  III,  p.  219. 

|J)  Y.  Mém.  lie  RicMitu,^.  Michaud  et  Poujoulai,  t.  I ,  p.  438  (année  1627), 
(51  pjmii  Ses  membre-;  on  voy-tit  fif^urcr  le  cipirainc  Hii:.iiit  de  Manscillc.  Voir, 
lu  sujet  de  CCS  compagnies,  Bonnassiku.x  et  Pigeonni-mj,  t.  JI,  p.  426-4  jt, 

14)  PiccoNxtAU,  t.  Il,  p.  j8)-}87.  —  V.  d'Avenel.  Lettres  et  papiers  d'Etal,  etc. 
t.  U.  p.  16},  290,  297. 
(j)  Anh.  Commtm.  Corresp.  iil,2jjuiii,  ),  10  décembre  164:  ;  ij,  J4  janv.  1642. 


114 


L  ANARCHIE    COMMERCIALE 


I 


Utile  qu'un  bon  règlement  sur  la  marine,  car  il  n'y  avait  en  Frani 
aucun  code  m.iritimf.  n  Datis  l'Europe  de  1630,  dit  d'Avcnel, 
ccluingcr  dts  marclundiscs  sur  mer  avec  ses  semblables  est  une 
opération  où  la  chance  a  tant  de  part  qu'elle  ressemble  plus  aux  jeux 
de  Irasard  prohibés  par  la  police  qu'à  une  sérieuse  spéculation.  Rien 
de  réglé  sur  les  différends  qui  surviennent,  les  avaries,  les  assurances, 
le  jet  des  marchandises  à  la  mer,  les  délais  des  chargeurs'.  » 

Richelieu  entrait  ainsi  dans  la  voie  des  réformes  pratiques;  nuis  il 
eût  fallu  s'attaquer  aux  abus   de   toutes  sortes   qui  ruinaient  le 
commerce  du  Levant  et  lui  donner  aussi  son  règlement  général*.  On 
eût  pu  croire  que  le  cardinal  y  songeait  quand  on  vit  presque  à  la 
fois  MM.  de  la  Ficardiérc  et  de  Seguiran  parcourir,  l'un  toutes  lesfl 
Echelles  en  1631-32,  l'autre  toutes  les  côtes  de  Provence  en  1633. 
Le  conseiller  d'Etat  Li  Picardicre,  qui  séjourna  à  Constantinople 
pour  liquider  les  dettes  de  Césy,  et  qui  fut  chargé  ensuite  d'établir 
dans  les  échelles  le  droit  de  3  0/0  destiné  à  les  payer,  se  trouva  ifl 
même  de  recueillir  des  renseignements  exacts  sur  leur   situation 
financière  et  commerciale.  M.  de  Seguiran,  premier  président  en  la 
cour  des  comptes  de  Provence,  avait  été  choisi  par  Richelieu  pour 
son  «  lieutenant  en  la  charge  de  grand  maître,  chef  et  surintendant^ 
général  de  la  navigation  et  commerce  de  France  au  dit  pays  de  Pro-" 
vence.  »  Il  entreprit  la  visite  détailJée  des  côtes  et  des  ports  depuis 
Arles  jusqu'à  Amibes  et  fit  une  enquête  complète  sur  l'état  actuel  du 
commerce  et  le  nombre  des  navires.  A  Marseille,  cinq  marchands, 
choisis  par  le  conseil  sur  sa  demande,  vinrent  «  pour  l'informer  de 
l'état  et  qualité  de  leur  négoce,  de  la  chute  ou  diminution  d'icelui  e 
des  moyens  qui  leur  semblaient  propres  pour  son  rétablissement 
et  subsistance.  »  Seguiran  s'en  alla  dûment  instruit  des  maux  dont 
souffrait  le  négoce  et  il  les  résuma  avec  netteté  dans  le  rapport 
qu'il  présenta  au  Cardinal'. 

De  cette  double  et  vaste  enquête  il  ne  sortit  cependant  aucune 


(t)  Tome  II,  p.  197. 

(2)  Le  26  novembre  162$  fut  publié  un  «  Règlement  pour  empêcher  toutes 
sortes  de  iV.tudes,  abus  et  malversations  au  fait  du  commerce  et  maintenir  dans 
le  devoir  tous  ceux  qui  résident  dans  le  Lev.int  ou  trafiquent  sous  la  bannière  de 
France,  conserver  les  négociants  dans  leurs  libertés  et  Irancliiscs,  empêcher  qu'il 
ne  sur\'icnnc  aucun  ditTcrend  et  débat  entre  eux,  faire  punir  et  ch.\ticr..  ..  * 
{.4ff.  t'irang.  Cotresp.  polit.  Cointaiitiii.  Reg.  ),  fol.  i7}-J74).  Mais  ce  règlement 
était  très  insuffisant. 

^i)  Itispfcticti  lie  Seguiran,  p.  i}0'}t  (Qjrresp.  de  Sourdis).  Le  seul  résultat  pour 
les  Marseillais  l'ut  rétablissement  d'un  droit  à  payer  pour  le  commis  de  M.  le 


I 


LKS   DÉFAILLANCES   DE   l'aDMINISTRATION 


II) 


réforme.  C'est  que  Richelieu  fut  dès  lors  absorbe  par  la  lutte  contre 
l'Espagne;  le  voyage  de  Seguiran  avait  eu  d'ailleurs  un  but  niili- 
tiirc,  il  avait  inspecté  avec  soin  les  forteresses  de  la  côte  et  l'état  de 
l'artillerie,  fait  dresser  une  carte  détaillée  de  tout  le  littoral,  et  le 
résultat  le  plus  important  de  cette  inspection  fut  la  construction 
(l'une  série  de  fortifications,  qui  eurent  l'avantage  de  mettre  à  l'abri 
des  coups  de  mains  des  ennemis  les  populations  maritimes  de  Pro- 
vence'. Quelques  années  auparavant,  Richelieu  avait  pris  une  déci- 
sion utile  au  commerce  quand  il  avait  transféré  en  1627,  de  Mar- 
seille à  Toulon,  le  port  d'attache  des  galères;  il  n'avait  eupout  but 
que  de  mettre  fin  aux  perpétuelles  querelles  du  général  des  galères 
avec  le  gouverneur  de  Provence;  mais  les  galères  emmenèrent  avec 
elles  quantité  de  gentilhommcs  de  la  suite  du  général,  d'officiers  et 
de  soldats,  dont  le  séjour  à  Marseille  n'était  pas  sans  incommodité 
pour  le  commerce,  et  les  navires  marchands  purent  disposer  de 
l'espace,  auparavant  restreint,  du  port.  En  somme,  radministration 
lie  Richelieu,  malgré  son  ardent  désir  de  relever  le  commerce,  et 
malgré  d'mtéressants  projets  qui  montrent  la  puissante  activité  de 
son  esprit,  n'avait  rien  fait  d'important  pour  le  commerce  du 
Ltrvant.  Cependant,  les  Marseillais  lui  surent  gré  des  bonnes  inten- 
tions qu'il  avait,  ils  montrèrent  plus  de  confiance  envers  le  cardinal 
qu'eiwers  les  secrétaires  d'Etat  à  qui  ils  avaient  affaire,  et  ils  recom- 
mandaient ;\  leur  avocat  de  recourir  à  Son  Eminence,  si  l'on  n'avait 
pas  raison  avec  eux.  Ils  pleurèrent  avec  raison  s.i  mort,  car  s'il  n'avait 
rien  accompli  pour  eux,  ils  pouvaient  du  moins  en  attendre  de 
grandes  choses  :  «  Nous  avons  vu,  écrivent  les  consuls,  la  mort  de 

ce  grand  homme.  M*''  le  cardinal  duc,  qui  n'eut  point  son  pareil 

Dieu  l'ait  tci;u  en  sa  gloire  et  veuille  départir  son  esprit  et  fidélité 
au  Conseil  du  Roi  *.  » 

Mazarin  témoigna  de  la  bienveillance  pour  les  Marseillais;  il  était 
tenu  au  courant  de  leurs  afîliires  par  son  frère  l'archevêque  d'Arles 
qui  mérita  leur  reconnaissance  en  pacifiant  les  troubles  de  la  ville. 
Cependant,  on  ne  trouve  à  rappeler,  dans  son  gouvernement,  aucune 


grand  niattre,  sans  les  cong<55  et  passeports  duquel  les  navires  ne  pouvaient  pas 
pirtir.  Les  consuls  protestèrent  en  vnin  en  disant  qu'auparavant  les  congés  de 
l'amiral  ne  coûtaient  rien.  —  Ibid.,  p.  ;.^y. 

h)  Voir,  pour  les  fortifications  construites,  Bouche,  Histoire  de  Pimnite,  t.  Il, 
p.  89s. 

(2)  LeUre  à  Icard,  16  décembre  1642.  Arch.  Commun. 


lis 


L  ANARCHIE    COMMERCIALE 


tentative  pour  améliorer  le  commerce  du  Levant.  En  1652,  divers 
négociants  de  Marseille  formèrent  le  projet  de  créer  une  compagniefl 
au  capital  de  200.000  livres  pour  le  trafic   du  Levant.  Gjlbcrt  le 
recommandait  à  Mazarin  par  une  lettre  du  13  octobre  165?  :  «  Le 
profit,  disait-il,  est  de  25  i  ^o  0/0  par  voyage,  chaque  voyage  durant 
6  mois,  et  la  vente  deux  mois.  En  faisant  assurer  le  bâtiment,  le  proHtA 
est  réduit  à  15  0/0'.  »  Mais  ce  projet  n'eut  aucune  suite,  et  l'on  ne^ 
voit  pas  davantage  quel  fut  le  résulut  de  la  mission  donnée  en  1654 
à  Battliazar  de  Gratian,  conseiller  et  procureur  du  Roi  au  bureau  des 
finances  en  la  généralité  de  Provence,  pour  se  rendre  ^  Alep  afin  de 
faire  une  enquête  sur  le  commerce  des  1-rançais  dans  le  Levant*. 
Dans  l'entottrage    de  Maz;irin,  le  chancelier  Scguier  parait  s'être 
particulièrement  intéressé  au  commerce  du  Levant;  dès  1644,  tiB 
s'occupait  pendant  plusieurs  jours  de  s'en  informer  particulièrement" 
auprès  des  députés  de  Marseille  à  la  Cour,  et  il  leur  demandait  des 
mémoires  «  pour  aviser  aux  moyens  qu'on  pourrait  tenir  pour  réta>d 
blir  le  commerce.  »  Les  Marseillais  continuaient  pendant  les  années 
suivantes    «  à  se    louer  de  ses  soins  «  et  iîs  écrivaient  en    1648 
qu'ils  reconnaissaient  en  lui  «  une  très  grande  inclination  au  sou- 
lagement du  commerce'.   »    Mais  les  embarras  du  gouvernement 
étaient  trop  grands  pour  que  le  cardinal  et   le  chancelier  pussent 
s'occuper  avec  continuité  de  ces  questions  et  montrer  aux  Marseil- 
lais  autre  chose   que   de    la  bienveillance.    Quant   au    comte  de 
lîricnnc,  qui  était  spécialement  chargé  des  affaires  du  commerce  et 
des  échelles,  les  Marseillais  se  plaignirent  souvent  de  ion  hostilité, 
et  son  administration  fut  entachée  de  vénalité  plus  encore  que  celle 
de  Ch:ivigny  *.  M 

Ainsi,  le  commerce  du  Levant  ne  tut  jamais,  d'une  manière^ 
suivie,  l'objet  de  l'attention  et  des  soins  de  ceux  qui  furent  à  la  tète 
du  gouvernement.  Richelieu  lui-même,  bien  qu'il  en  eût  fait  l'objet 
de  ses  recherches  et  qu'il  eût  eu  sur  lui  de  grandes  vues,  ne  le  ser\'it 
utilement  qu'en  le  protégeant  mieux  contre  les  Barbaresques.  Les 
affaires  du    Levant  furent,  pour  ainsi  dire,  abandonnées  à  elles- 


(1)  P.  CuMiiNT.  Hiil.  ih  Collxit.  I.  1.  [>.  S'- 

(2)  Regiit.  J  lia  Jnsiiiiiiit.  fol.  960.  (Amiraiilé  lU  Marseille), 
(51  Arcb.  Commun.  Coirap.  21)  novembre  16.(4,  '7  jonvitr  i(>4ii  S  """'  ti 

2j  juin  164S. 
(4)  V.  page  108. 


LES   DÉFAILLANCES   DE   l' ADMINISTRATION  II7 

mômes  :  la  communauté  de  Marseille  ne  les  dirigeait  plus  souverai- 
nement, le  gouvernement  royal  les  négligeait,  et,  faute  d'une 
forte  direction,  l'impuissance  des  députés  du  commerce,  les  lenteurs 
du  Conseil  et  son  peu  de  connaissance  de  ces  questions,  les  intri- 
gues et  la  corruption  qui  s'y  donnèrent  carrière,  furent  ciuse  que  le 
commerce  du  Levant,  laissé  en  proie  aux  avanies,  à  la  piraterie,  aux 
impositions  de  toutes  sortes,  aux  exactions  des  ambassadeurs  et  des 
consuls,  à  l'incurie  et  à  l'inconduite  des  marchands,  marcha  rapi- 
dement vers  son  entière  ruine. 


CHAPITRE   VI 

LA    RUINE   DU    COMMERCE   FRANÇAIS   ET   LES   PROGRÈS 
DES   ÉTRANGERS 


Bien  que  la  décadence  du  commerce  fut  rapide  après  la  mort 
d'Henri  IV,  il  resta  cependant  «  grand  et  utile  jusque  vers  1620'  » 
et  pendant  ces  dix  années  sa  valeur  ne  dut  guère  tomber  au-dessous 
de  30  millions  de  livres,  dont  18  pour  les  importations  de  marchan- 
dises du  Levant*.  Ce  commerce  était  encore,  comme  on  le  disait 
dans  le  projet  de  la  Compagnie  du  Morbihan  en  1626,  le  plus  lucratif 
qu'il  y  eût  dans  le  royaume'.  Mais,  en  1620,  le  massacre  des  Algé- 
riens :\  Marseille  donna  pour  plusieurs  années  une  grande  recrudes- 
cence aux  pirateries  des  Algériens,  et  pendant  les  années  qui  suivi- 
rent le  commerce  diminua  de  plus  de  moitié.  Quand  la  paix  fut 
signée,  en  1628,  il  y  eut  un  léger  relèvement,  mais  peu  sensible, 
car  c'est  alors  que  les  autres  maux  dont  souffrit  le  négoce  prirent 
toute  leur  intensité. 

En  même  temps  que  diminuait  notre  négoce,  les  Anglais  et  les 
Hollandais  achevaient  d'établir  le  leur  et  l'accroissaient  de  jour  en 
jour.  Les  Anglais,  quoiqu'ils  eussent  leurs  ambassadeurs  à  Constan- 
tinople  depuis  1579  et  le  droit  de  venir  aux  échelles  sous  leur 
pavillon,  continuèrent  pendant  longtemps  d'emprunter  le  nôtre*.  Il 
en  était  de  même  des  Hollandais,  que  les  instances  d'Henri  IV 
avaient  fliit  admettre  :\  la  Porte  et  qui  y  avaient  obtenu  des  capitula- 

(i)  Arch.  Nal.,  F",  64s.  Mt'moire  de  M.  Magy,  2  juin  lôSj.  —  Cf.  Airb. 
Marine,  B',  .fçfj,  fol.  jjS-SS.  Mèm.  de  M.  de  Lctgny. 

(2)  Les  chiffres  de  statistique  donnés  dans  ce  chapitre  n'ont  pas  une  certitude 
absohie.  —  Voir,  à  l'appendice,  la  manière  dont  ils  ont  été  établis. 

(3)  Arnould,  t.  II,  p.  243. 

(4)  Mémoires  cités,  note  i . 


PROCRJiS    DES   ETRANGERS 

lions  particulières  en  i6r2\  Ce  n'est  que  depuis  1630  que  leur  com- 
merce devint  très  considérable  dans  b  Méditerranée  :  ils  avaient 
obtenu  du  Grand  Seigneur  la  réduction  ;\  3  0/0  du  droit  de  5  0/0 
que  continuaient  à  payer  les  Français  A  l'encrée  des  marchandises.  La 
faveur  de  leurs  ambassadeurs  ;\  la  Porte,  qui  datait  du  temps  de  la 
minorité  de  Louis  XIH,  où  la  l'rance  négligea  l'alliance  Turque  pour 
se  rapprocher  de  l'Espagne,  s'accrut  encore  du  discrédit  que  valut 
à  nos  représentants  la  conduite  de  MM.  de  Césy  et  de  Marclieville 
et  préserva  davantage  leur  commerce  des  avanies.  Les  Anglais  et  les 
Hollandais  surent  aussi  inspirer  confiance  aux  Turcs  par  leur  probité 
commerciale,  leur  attachement  X  n'apporter  en  Levant  que  des  mar- 
chandises de  première  qualité  et  .\  respecter  leurs  contrats,  A  la 
douane  de  Smyrne,  raconte  le  voyageur  Spon,  «  on  s'en  fiait  le  plus 
souvent  \  la  bonne  fol  des  Anglais  sans  les  visiter,  parce  qu'ils  agis- 
saient avec  honneur  et  que  la  plupart  des  négociants  qui  étaient  h 
étaient  gentilhommes  ou  de  riche  maison,  n'ayant  pas  besoin  de  ces 
adresses  pour  a%'ancer  leur  fortune*.  »  Jusqu'en  1620,  comme  le 
remarquait  Colbert  en  1663,  les  Hollandais  et  les  Anglais  ne  fabri- 
quaient point  de  draps,  toutes  les  laines  d'Espagne  et  d'Angleterre 
étaient  manufacturées  en  France:  ils  profitèrent  du  discrédit  où  tom- 
bèrent alors  les  draperies  de  Rouen,  à  cause  de  la  mauvaise  qualité 
des  étofTes  et  surtout  des  teintures  et  des  tromperies  des  flibricants 
sur  la  largeur  des  pièces,  pour  établir  la  réputation  de  leurs  draps, 
dont  la  qualité  ne  se  démentit  jamais,  et  en  remplir  bientôt  tout  le 
Levant.  Ils  avaient  en  outre  sur  les  Français  l'avantage  d'avoir  chez 
eux,  en  grande  quantité,  les  épiceries  rapportées  des  Indes  et  les 
métaux,  que  les  Anglais  tiraient  de  leurs  mines  et  que  les  Hollandais 
trouvaient  à  bas  prix  .\  Hambourg;  c'étaient  les  deux  articles  d'échange 
qui  avaient,  avec  les  draps,  le  pliLs  de  débit  dans  le  Levant*.  Mais 
c'était  surtout  la  solidité  de  leur  organisation,  si  différente  de  l'anar- 
chie qui  désolait  notre  négoce,  qui  assurait  tout  l'avantage  A  ces 
deux  nations. 

Le  commerce  des  Anglais  et  des  Hollandais  fut  Ciit  dés  le  début 
par  des  Compagnies,  avec  des  règlements  bien  établis  et  bien  obser- 
vés, ce  qui  lui  donna  une  sûreté  inconnue  de  celui  des  autres  nations. 


(I)  Voir  le  texte  de  ces  Capitulations  aux  Arch.  des  Aff.  étrang,  Corresp. 
poïii.  ConUanlinoplt,  R(g.  }  (tboo-iùaS),  fol.  }2-4'j. 
{i\  T.  I,  p.  304. 
1j)  Mémoires  cittis  p.  118,  note  i. 


I20 


l  ANARCHIE   COMMERCIALE 


La  Compagnie  anglaise  du  Levant,  créée  en  1581  par  Elisabeth,  fut 
organisée  définitivement  en   1606  par  Jacques  I,  qui  fit  rédiger  les 
règlements  qu'elle  conserva  jusqu'au  xviii'  siècle.  Après  les  troubles 
de  la  révolution  d'Angleterre,    pendant    lesquels  certains  de  ces  fl 
règlements  avaient  été  mal  observés,  Charles  II  leur  rendit  une  nou- 
velle vigueur  par  sa  Charte  du  2  avril  1661'.  Ce  n'était  pas  une 
Compagnie  ordinaire,  ayant  une  caisse  commune  où  les  actionnaires! 
déposent  leurs  fonds,  mais  une  association  de  marchands,  dont  cha- 
que membre  faisait  le  commerce  pour  son  propre  compte,  en  obscr-' 
vant  les  règlements  faits  par  la  Compagnie,  et  en  contribuant  aux 
dépenses  communes.  Le  nombre  des  marchands  qui  la  composaient, 
n'était  pas  fixe,  mais  pour  y  entrer  il  fiillait  être  «  marchand  en  gros 
de  race  »,  ou  avoir  fait  un  apprentissage  de  sept  ans  et  payer  un 
droit  d'entrée  de  25  livres  sterling,  si  on  avait  plus  de  25  ans,  de 
50  si  on  était  moins  âgé  ;  d'ordinaire  les  membres  étaient  toujours 
plus  de  300.  Li  Compagnie  avait  le  monopole  du  commerce  dans 
tous  les  ports  de  la  Méditerranée,  sauf  ceux  de  France,  d'Espagne  et 
d'Italie;  ceux  qui  n'en  étaient  pas  membres,  et  qui  étaient  surprisfl 
faisant  le  commerce  dans  l'étendue  de  sa  concession,  payaient  une" 
amende,  .1  raison  de  20  0/0  de  l'estimation  des  marchandises  dont 
leurs  navires  seraient  trouvés  chargés.  ■ 

La  Compagnie  se  gouvernait  elle-même  par  ses  assemblées  où 
tout  se  décidait  à  la  pluralité  des  voix  :  «  celui  qui  faisait  assez  de, 
négoce  pour  porter  huit  écus  d'impositions  par  an,  avait  sa  voij 
aussi  forte  que  celui  qui  en  faisait  pour  100.000*.  »  Cette  assemblée, 
d'un  caractère  tout  démocratique,  fixait  le  nombre  des  vaisseaux^ 
qui  devaient  aller  dans  les  échelles,  réglait  les  tarifs  du  prix  de  la 
'iscs  qui  étaient  portées  dans  le  Levant 


marci 


(i)  Savary.  Dictionnaire,  col.  1415-14. —  J.^cques  Sav.^ry.  Parfait  Négociant^ 
p.  400,  4s8.  —  Cette  Charte,  du  2  avril  i66i,  se  trouve  aux  Archives  de  U 
Marine,  B',  4S6.  foi.  12^-142. 

(2)  Arch.  Mar.  B',  4S6. 

(})  '<  La  Compagnie  ayant  reconnu  que  l'envie  que  !'intéi(}t  fait  naître  d'ordi- 
naire entre  les  gens  de  même  profession  était  capable  de  les  ruiner,  qu'elle  Icuji 
faisait  hausser  ou  baisser  le  prix  des  marchandises  pour  courir  sur  le  marché  l'ul' 
de  l'autre,  qu'elle  met  en  querelle  les  marchands  avec    les   consuls,  les   consul; 
avec  l'ambassadeur    et   qu'elle  fait   faire  mal  à  projHJS  de  certaines  épargnes  qii 
•attirent  des  avanies  et  de  rudes  vexations  ;  la  Compagnie,  dis-je,  y  a  fort  Sage- 
ment remédié  car  le  drap   et   la  plupart  des  marchandises  leur   sont  envoyée 
avec  un  tarif  du  prix  auquel  ils  le  doivent  vendre  ;  on  leur  en  envoie    un  autn 
pour  celles  qu'on  leur  ordonne  d'acheter.  »  Aicb.  Mur.  B',  4S6. 


LES   PROGRfes   DES  ÉTHAVGERS 


I2t 


qualité  de  celles  dont  on  devait  faire  les  retours  ;  elle  établissait  des 

taxes  sur  les  marchandises,  quand  il  en  était  besoin  pour  payer  des 

avanies  ou  d'autres  dépenses  coiunumcs  à  la  nation.  Kllc  présentait 

trois  noms  au  roi,  parmi  lesquels  il  choisissait  l'ambassadeur  à  la 

Porte,  elle  élisait  les  consuls  de  Smyrne  et  d'Alep  et  elle  désignait 

les  jeunes  gens  de   bonne  maison,   qu  on    élevait    dans    diverses 

échelles,  pour  leur  apprendre  de  bonne  heure  le  négoce  sur  les  lieux 

mêmes.  Un  des  plus  utiles  règlements  était  de  ne  pas  permettre  à 

l'ambassadeur,   ni   aux  consuls,  de  mettre  des  impositions  sur  les 

vaisseaux  et  les  marchandises,  sous  prétexte  d'avanies  ou  d'autres 

*  frais  extraordinaires.  La   Compagnie  devait  à   l'ambassadeur  une 

1  pension  de  12.000  écus  et  aux  consuls  de  2  à  3.000  écus",  en  outre 

lelle  leur  payait  l'entretien  de  leurs  ministre,  chancelier,  secrétaires, 

interprètes,  janissaires  et   tous  les  présents  et  frais  qu'ils  étaient 

>bligés  de  faire  dans  l'exercice  de  cette  fonction.  A  cet  effet  un  droit 

^xlc  2  °;'b  était  per«;u  dans  les  Echelles  A  l'entrée  des  marchandises  et 

les  fonds  centralisés  à  Constantinoplc  entre  les  mains  d'un  trésorier. 

Ce  simple  droit  suffisait;!  toutes  le.s  dépenses  qui  pouvaient  survenir 

la  nation.  Dans  les  cas  extraordin;ures,  les  consuls  et  l'ambassadeur 

ivaient  recours  A  deux  députés  de  la  Compagnie,  qui  résidaient  en 

îvant,  et  faisaient  assembler  toute  la  nation,  pour  délibérer  au  sujet 

les  mesures  \  prendre.  Haute  d'un  règlement  aussi  sage,  les  Français, 

jui  donnaient  déji  aux  Turcs  2  "0  de  droits  de  plus  que  les  Anglais, 

payaient  2  "/o  â  leur  ambassadeur,  malgré  la  pension  qu'il  recevait 

«du  roi,  2  "/„  aux  consuls  dans  chaque  échelle,  et  malgré  cela,  à 

rhaque  avanie,  il  leur  fallait  contracter  d'onéreux  emprunts. 

Pour  veiller  au  maintien  de  tous  ces  règlements,  l'assemblée  délé- 
ïuait  ses  pouvoirs  à  un  conseil  ou  bureau  établi  à  Londres,  composé 
«l'un  gouverneur,  choisi  par  le  roi  sur  une  liste  de  trois  noms 
«qu'elle  lui  proposait,  d'un  sous-gouverneur  et  de  douze  assistants 
«jui  devaient  tous  être  domiciliés  X  Londres  ou  dans  les  faubourgs. 


(i)  Savary  donne  le  chiffre  de  8cw  écus  mais  ce  doit  eue  une  erreur,  car  ce 
chiffre  parJit  maigre.  —  Le  voyageur  Hoilaudais  Spon  (t.  1,  p.  }io),  dit  que  l.i 
Qxnpagnie  attribue  au  consul  de  Smyrne  1  000  écus  d'.Tppoiatcments.  —  Son 
compagnon  l'Anglais  Wheier  dit  :  <i  Le  consul  (de  Smyrne)  a  tous  les  ans  j.ooo 
CCU5  de  gages  de  1.1  Gimp.ignie  du  Levant  et  joo  écus  do  don  gratuit,  outre  le 
tour  du  bâton  <.t  les  .lutres  voies  honnêtes  d'en  attraper  encore  plus La  Com- 
pagnie du  Lev.int  Jonne  500  écus  de  gage  par  ati  i  leur  chapelain,  outre  un 
magasin  pour  leur  trafic  et  les  dotis  ordin.nires  de  tous  les  marchands  qui  montent 
Dre  50uvent  plus  haut.  »  p.  237. 


122 


L  AKARCHIE    COMMERCIALE 


Le 


:h;inds  de  la  Comi 


du  Levant  étaient 


présentes 
les  échelles  par  des  facteurs  qui,  contrairement  ;\  ceux  de  la  nation' 
française,  présentaient  de  sérieuses  garanties  :  «  La  Compagnie  des 
facteurs  Anglais,  dit  le  voyageur  Wlieler,  est  composée  de  80  ou  loaj 
personnes  dont  la  plupart  sont  de  jeunes  gentilshommes,  qui  don- 
nent 3  ou  400  livres  .\  quelques  gros  marchands  de  la  Compagnie] 
du  Levant  et  qui  s'engagent  apprentis  pour  sept  ans,  dont  ils  et 
servent  trois  à  Londres  pour  connaître  les  affaires  de  leurs  maîtres 
après  quoi  leurs  maitrcs  sont  obligés  de  les  envoyer  négocier  dans' 
ce  pays  et  de  leur  confier  leurs  affaires  dont  ils  leur  allouent  une 
certaine  somme  par  cent,  dont  ils  vivent  splendidement  et  devien- 
nent riches  en  fort  peu  de  temps,  en  trafiquant  aussi  pour  eux- 
mêmes  avec  bon  profit  et  peu  de  perte,  pourvu  qu'ils  soient  gens  de 
bien  et  soigneux  de  leurs  intérêts  et  de  leurs  affaires,  et  constam-^| 
ment  tout  le  comptoir  vit  ensemble  dans  la  plus  étroite  union,  paix 
et  amitié  qui  se  rencontre  dans  ceux  que  j'ai  vus  hors  de  l'Angle- 
terre'. »« 

Le  commerce  des  Hollandais  se  faisait  l'i  peu  près  dans  les  même; 
conditions.  Leur  Compagnie  du  Levant  méritait  encore  moins  ce 
nom  que  celle  des  Anglais.  Ce  n'était  en  effet  qu'une  Chambre  de 
direction  établie  à  Amsterdam  par  les  Etats  Généraux  dans  la  pre- 
mière moitié  du  xvii"  siècle.  Cette  Chambre  était  composée  de  six 
députés  et  d'un  greffier,  tous  marchands  qui,  sous  l'autorité  desj 
bourgmestres,  réglaient  tout  ce  qui  concerne  la  navigation  et  l 
commerce  de  la  Méditerranée.  Llle  avait  un  droit  d'inspection  suf 
tous  les  vaisseaux  partant  de  Hollande  à  destination  du  Levant  ; 
c'est  elle  qui  leur  accordait  la  permission  d'entreprendre  cette  navi- 
gation ;  elle  organisait  les  convois  pour  l'escorte  des  navires  mar- 
chands, nommait,  avec  l'agrément  des  Etats,  aux  consulats  des 
échelles  du  Levant,  et  enfin  jugeait  tous  les  différends  qui  surve- 


I 

i 


(i)  Wheler,  p.  236-^7. —  Cf.  iI'Arvieux,  t.  I,  p.  lia  ;  «  Tous  les  p.KUculicrsj 
sont  inagiiitîqucs  en  habits,  on  maisons,  en  meubles,  en  chevaux,  en  équipages. 
Leurs  t.ables  sont  toujours  abondantes  et  délicates.  Ils  récompensent  libéralcmer 
leurs  diogni.ins  et  leurs  courtiers  et  tous  ceux  qui  leur  rendent  serx-icc.  Il  semble 
que   l'argent  ne  leur  coiiie  rien  :   ils  ont  de   l'esprit  et  du  cœur,  ils   sont  A  1] 
véritil'  fiers  et  hautains  et  veulent  l'emporter  sur  tous  les  autres,  mais  quoi  qu'ils 
aient  assez  souvent  des  difTérends  entre  eux,  ils  s'accommodent  dès  qu'il  s'agit  1I4 
quelque   chose  qui  regarde  la  nation.  Il  s'en  faut  bien  que   les  Franijais   soicnl 
.lussi  saj»cs.  1)  —  Pour  tout  ce  paragraphe,  voir  SaV.\hy,  Dutioiituiiir,  col.  141  }-i+, 
—  Jacques  Savary,  Parfait  A'4'oiia/i/,  p.  400,  458.  —  Arch.  Marine,  B',  48b 
Mimciie,  fol.  12J-142. 


tlîS  PROGRÈS  DES   ÉTKANGfîRS 


"î 


naient  entre  les  mardi ands  au  sujet  du   négoce.  Le  commerce  du 
Levant  était  libre  pour  tous  les  armateurs  hollandais,  en  se  soumet- 
tant aux  règlements  de  la  Chambre.  Le  résident  A  La  Porte,  chargé 
de  maintenir  les  capitulations  et  de  juger  les  appels  des  jugements 
des  consuls,  recevait  12.000  écus  d'appointements  des  Etats  Géné- 
raux, mais  de  plus  il  jouissait  de  la  moitié  des  revenus  de  tous  les 
consulats  qui  étaient  très  considérables  :  Chardin  assure  que  les  droits 
du  seul  consulat  de  Smyrne  étaient  parfois  de  50.000  écus  par  an. 
Ambassadeurs  et  consuls  devaient,  il  est  vrai,  fournir  les  présents 
aux  officiers  du   Grand  Seigneur  et  supporter  tous  les  autres  frais 
qui  pouvaient  survenir.  Cette  organisation,  moins  solide  que  celle 
des  Anglais,  se  rapprochait  davantage  de  celle  du  commerce  fran(,-ais, 
après  que  la  Chambre  du  commerce  de  Marseille  eut  été  établie  avec 
toute  son  autorité.  Elle  laissait  beaucoup  plus  de  place  à  l'initiative 
personnelle,  puisque  le  connnerce  étiit  libre  pour  tous  les  mar- 
chands,  et   que  le  prix  des  marchandises   n'était  pas  fixé   par  la 
Chambre  d'Amsterdam  ;  elle  sufHt  pour  préserver  des  abus  le  com- 
merce des  Hollandais. 

Une  règle  très  sage,  observée  ;\  la  fois  par  les  Anglais  et  les 
f-IoUandais,  fut  de  ne  laisser  faire  les  voj'agcs  du  Levant  que  par 
renvois.  Les  Hollandais  qui  employaient  ;\  ce  commerce  environ  30 
■lavires  en  formaient  trois  ou  quatre  escadres  par  an.  Deux  convois 
seulement  partaient  chaque  année  pour  Smyrne,  à  quelques  mois 
«.Vintcrvalle.  Le   règlement  des   Etats  généraux  de    1652  fixait  au 
imniniraum  leur  tonnage  A  180  hasts  (360  tonneaux),  leur  armement 
â  24  ornons  et  leur  équipage  h  50  hommes.  Ils  donnaient  en  outre  à 
•chaque  convoi  deux  gros  vaisseaux  d'escorte  de  50  \  60  pièces  de 
canon   et  de    160  à  170  hommes  d'équipage'.  Les  Anglais  occu- 
paient tous  les  ans  de  20   à   23   vaisseaux,  de  25   ;i   30  pièces  de 
<anon  chacun,  qui  s'en  allaient  aussi  par  convois;  celui  de  Smyrne 
^tait  de  cinq  ou  six  vaisseaux  marchands,  escortés  de  deux  vaisseaux 
de  guerre  et,  d'après  le  Parfait  Nrgixiant,  il  ne  partait  que  tous  les 
deux  ans*.  Grâce  A  la  manière  dont  leur  navigation  était  réglée,  les 


(I)  Pour  le  commerce  des  Holland.iis,.  \'.  Savary.  Dictionnairf,  col.  971, 
IO12.  —  Parfait  Négociant,  p.  Î99.  —  /J/W.  Nat.  Msi.  fr.  2}032  :  Wmoir(  sur 
U  commetcf  da  Hollamtais  (île  I0(j4),  in-^",  36 1  Jol.  —  Même  tnémoire.  Mss.  fr. 
fSs9j.  —  Bonnassiciix  donne  des  détails  quelque  peu  diffiircnts,  c'est  que  ses 
rcnjeigncments  tirés  de  l'EiiLyclopédfe  mcthodiquc  s'appliquent  au  xviii'-  siècle. 

I2)  Savart,  Diilioiiuairt,  col.  1014.  —  Parfait  Né^odanl,  p.  598.  —  «  fin 
i6uo  la  Compagnie  du  Levant  possédait   14   navires  dont  le  tonnage  s'élevait  à 


124  L  ANARCHIE    COMMERCIALE 

Anglais  et  les  Hollandais  eurent  beaucoup  moins  à  souffrir  de  la 
piraterie.  Outre  leur  fort  tonnage  et  leur  armement,  qui  leur  per- 
mettait de  mieux  se  défendre,  leurs  navires  avaient  une  construction 
plus  avantageuse  que  celle  des  Français.  «  Ils  mettent  en  mer,  dit  le 
voyageur  Poullet,  de  gros  vaisseaux  qui  portent  trois  fois  plus  de 
marchandises  que  ne  font  pas  ceux  des  Français,  sans  qu'ils  aient 
néanmoins  besoin  d'un  plus  grand  nombre  d'hommes  pour  leur 
conduite.  Leur  construction  est  tellement  faite  qu'ils  sont  fort 
larges  par  le  milieu  du  corps  et  viennent  en  se  rétrécissant  par  la 
partie  d'en  haut,  de  sorte  que  leur  peu  de  largeur  vers  cet  endroit  ne 
demande  qu'une  certaine  étendue  de  voiles  qui  leur  soit  proportionnée 
et  conséquemment  une  petite  quantité  de  personnes  pour  les  gou- 
verner. Au  contraire  nos  vaisseaux  français,  qui  vont  toujours  en 
s'élargissant  depuis  l'extrémité  d'en  bas  jusque  vers  le  bord,  veulent 
autant  dévoiles  et  autant  de  mariniers  que  les  autres,  quoiqu'ils  soient 
infiniment  plus  petits.  Il  est  vrai  que  les  Français  sont  obligés  de 
dresser  leurs  navires  de  la  sorte  pour  se  défendre  plus  facilement  des 
corsaires  et  gagner  par  la  fuite*.  » 

Livourne  était  le  quartier  général  du  commerce  anglais  et  hollan- 
dais dans  la  Méditerranée  ;  c'était  là  que  leurs  vaisseaux,  venant  de 
différentes  directions,  des  états  de  Venise,  des  pays  Barbaresques,  ou 
des  états  du  Grand-Seigneur,  se  donnaient  rendez-vous  pour  prendre 
l'escorte;  ils  devaient  venir  jusque  là  en  naviguant  de  conserve.  Ce 
port  franc,  où  toutes  les  nations,  de  quelque  religion  qu'elles  fussent, 
jouissaient  de  la  plus  grande  liberté  et  où  les  droits  à  payer  étaient 
très  modiques,  était  devenu  l'entrepôt  et  le  magasin  général  des 
marchandises  que  les  Anglais  et  les  Hollandais  apportaient  du 
Ponant  ou  tiraient  du  Levant;  de  là  elles  étaient  dirigées  vers  leur 
destination  définitive.  Cependant,  malgré  les  avantages  qu'ils  y 
trouvaient,  les  Hollandais  songèrent  en  1664  à  acquérir  un  port 
dans  l'île  d'Elbe,  soit  Porto-Ferrajo,  soit  Porto-Longone,  pour  en 


2790  tonneaux  et  qui  occupaient  603  hommes.  Cela  ne  suffisait  pas  aux  besoins 
de  son  commerce  en  Orient,  elle  en  fréta  cette  anné«î  13  de  plus»,  Fagniez, 
Le  commerce  sous  Henri  IV. 

(i)  PofLLKT,  t.  II,  p.  28-29.  —  A  cause  de  la  sécurité  qu'ils  offraient,  les 
voyageurs,  même  francçais,  s'embarquaient  de  préférence  sur  des  vaisseaux  Anglais 
ou  Hollandais  :  Coppin  part  de  Marseille  sur  un  vaisseau  Hollandais  de  28  canons, 
—  Tavernier  le  15  septembre  1638  sur  un  vaisseau  Hollandais  de  45  canons,  en 
1643  il  part  de  Livourne  avec  la  (lotte  Hollandaise,  une  autre  fois  avec  le  convoi 
Anglais.  —  Chardin  s'embarque  sur  un  navire  Hollandais,  etc. 


LES  PROGRtS  DES  ÉTRANGERS 


"5 


: 


dire  leur  entrepôt.  La  question  religieuse  semble  .ivoir  été  surtout  la 
cause  de  leur  échec  dans  les  négociations  qu'ils  entamèrent  i  ce  sujet 
avec  le  grand  duc  de  Toscane  et  la  cour  d'Espagne,  ainsi  que  le 
montre  la  curieuse  lettre  suivante  du  comte  d'Estrades,  ambassadeur 
i  la  Haye,  à  Colbert  :  «  J'ai  eu  depuis  huit  jours,  ècrit-il  le  4  dé- 
cembre 1664,  deux  grandes  conférences  avec  mon  ami  qui  est  direc- 
teur de  1.1  Compagnie  des  Indes  et  qui  a  part  dans  le  commerce  de 
Smirnc.  Il  m'a  dit  que  s'ils  avaient  pu  réussir  dans  un  traité  qu'il 
avait  commencé  avec  le  grand  duc,  par  le  moyen  d'un  Juif  qui  se 
rient  A  Ligourne  de  U  place  de  Porto-Ferrare,  autrement  Cosmopolis, 
qu'ils  auraient  tiré  40.000.000  au  commerce  des  Smirnes  et  de 
l'Italie  et  qu'ils  auraient  fait  li  leurs  magasins  pour  France,  Espagne 
et  autres  royaumes  et  qu'il  n'y  eût  eu  il  Amsterdam  que  des  m.iga- 

sins  pour  les  royaumes  du  Nord Il  me  dit  que  le  Grand  duc  en 

avait  demandé  4  millions  et  qu'ils  en  avaient  offert  jusqu'à  3  et 
cjuc  môme  la  Société  aurait   offert   de   partiiger  le    différend    par 

moitié mais  que  l'affiire  a  été  rompue  sur  la  religion,  parce  que 

La  Société  voulait  bitir  des  temples  et  en  cluisser  les  prêtres.  Il  me  dit 
«ensuite  en  confidence  qu'ils  travaillaient  :\  disposer  le  conseil  du  roi 
«d'Espagne  i  traiter  de  Porto-I-t)ngnon,  n'étant  qu'un  fort  et  ne 
voulant  avoir  que  le  port  et  la  forteresse,  qu'il  n'y  avait  rien  A  mé- 
ager  pour  les  églises  catholiques,  n'y  en  ayant  aucune,  et  qu'ils  ont 
ésolu  de  donner  200,000  écus  de  présents  pour  faire  réussir 
l'affaire  et  que,  s'ils  en  viennent  A  bout,  ils  espèrent  d'y  bâtir  une 
"ville  très  considérable  avant  qu'il  soit  deux  ans  '.  » 

Smyrne  était  au  début  du   xvii*^  siècle    la    plus  importante    et 
presque  l'unique  échelle  des  Anglais  et  des  Hulland.iis;  ce  sont  eux 
«qui  firent  la  fortune  de  cette  ville  aux  dépens  de  celle  d'Alep  où 
«lominait  le  commerce  français.  Les  Hollandais  surtout,  qui  y  fai- 
saient le  plus  de  commerce,  allaient  X  peine  dans  les  autres  échelles. 
Le  commerce  des  Anglais  dans  le  Levant  s'élevait  au  milieu  du  .wir 
siècle  à  I  )  millions  de  livres  environ  par  an  :  «  Us  y  portaient  20  à 
•  30.000  pièces  de  draps,  des  serges,  de  l'étain,  du  plomb,  du  poivre, 
de  la  cochenille  et  beaucoup  d'argent  que  leurs  vaisseaux  prenaient  en 
,  p.is.sant  ;1  Cadix.  Leurs  retours  consistaient  en  soies  crues,  noix  de 
galle,  poil  de  chèvre  filé,  laines,  cotons,  cendres  pour  lliire  du  verre 
et  des  savons  et  plusieurs   gommes  et  drogues  médicinales.  On 


(1)  Deppikc.  Cerrtsp.  admiuisl.,  i.  III,  p.  549. 


126 


L  ANARCHIE  COMMERCIALE 


estime,  njoute  Savar)-',  que  le  commerce  que  les  marchands  associ 
dans  cette  Compagnie  font  à  Smyrne,  à  Constantinople  et  à  Scanda 
rone  (Iskanderouti  ;=  Alex.iiidrctte)  n'est  guère  moins  considérabli 
que  celui  des  Indes  et  qu'il  est  même  en  sorte  plus  avantageux 
l'Angleterre,  à  cause  qu'il  consomme  beaucoup  plus  de  manuCictu 
anglaises  que  l'autre,  qui  se  fait  presque  tout  en  argent.  '  » 
Hollandais  portaient  dans  le  Levant  quantité  d'épiceries,  mais  surloul 
6000  ou  7500  pièces  de  leurs  draps  connus  sous  le  nom  de  londil- 
nes*.  «  La  plus  grande  partie,  dit  le  Parfait  Nègotiant,  est  tram 
portée  ;\  Constantinople  et  \  Aiidrinople  par  les  Juifs  et  les  Arm 
niens  qui  les  achètent,  et  particulièrement  les  draps  fins,  parce  qu*i 
n'y  a  que  les  tailleurs  qui  les  achètent  et  qui  les  examinent 
dernier  point.  A  l'égard  des  draps  inférieurs,  ils  se  vendent  pi 
facilement  â  Smvrne*.  » 

Mais  les  Hollandais  faisaient  encore  plus  de  profit  sur  l'arge 
qu'ils  portaient  en  très  grande  quantité  dans  le  Levant;  leur  mon- 
naie, connue  sous  le  nom  d'asselaiiis  ou  abouquels,  était  très  recher- 
chée des  Turcs  et  cependant  elle  n'était  guère  de  meilleur  aloi  que 
les  fameuses  pièces  de  5  sois  portées  par  les  Français,  même  eUfl 
était  notablement  mêlée  de  pièces  fausses*.  Les  Hollandais  rappor- 
taient au  retour  plus  de  1000  balles  de  soies  et  jusqu'à  1 500  balles  C 
poil  de  chèvre  dont  ils  fabriquaient  des  camelots  qu'ils  vendaient  ( 
France  en  grande  quantité*,  des  cotons,  des  cuirs,  des  cordoua 
ou  maroquins,  des  laines,  de  la  cire,  de  l'alun,  des  noix  de  galle 


(1)  DicliouH.,  col.  1014  cl  uni.  — Cf.  Par/ail  Nt'gxiant,  p    599. 

(2)  L'auteur  du  Parfait  Négociant  distingue  trois  sortes  de  draps  portes  dans 
Levant  :  les  londrînes,  draps  les  plus  fins,  vendus  surtout  p.ir  les  Hollandais 
y  avait  les  londrines  premières  et  les  londrines  secondes), —  les  draps  nin  londri 
dont  les  .\nglais  vendaient  environ  4000  pièces  à  Smyrne,  —  les  draps  londi 
qui  avaient  le  plus  de  débit  dans  toutes   les   é-chellcs  du  Levant   et   en    Pe 
«  parce  que  le  tiers-état  oui  compose  les  trois-quarts  du  peuple  s'habille  ordii 
rcmcnt  de  celte  sorte  de  drap.  »  —  Les  Anglais  en  vendaient  tous  les  ans  sept 
huit  mille  pièces  à  Smyrne.  —  V.  Parfait  W^ociant,  p,  401-408  cl  445. 

(3)  Parfait  N/gociani,  p.  401.  —  Ces  draps  étaient  vendus  depuis  deux  piasu 
3/4  jusqu'à  trois  piastres  1/4  le  pic,  mesure  de  Sniyme. 

(4)  n  Les  Turcs  les  appellent  Aslani  comme  qui  dirait  des  lions,  car  elles  po 
taient  un  lion  sur  les  deux  faces.  Les  Arabes,  par  sottise  ou  autrement,  ont  pni 
lion  pour  un  chien  et  ont  nommé  ces  pièces  Abou-Kelb,  comme  qui  dirait  ' 
chiens.  ■  Chardin,  t.  î,  p.  4. 

(5)  Le  Parfait  Négociant  dit  qu'à  la  fin  du  xv!!":  siècle,  la  mode  des  carael 
étant  passée  en  France,  les  Holundais  ne  chargeaient  plus  guère  de  fil  de  chèvn 

P-  m- 


LES   PROGKÙS    DES    ÉTRANGERS 


Ï27 


quaniilé  de  drogues  '.  Un  de  leurs  plus  grands  profits  était  d'affréter 
au  retour  leurs  navires  aux  Arméniens,  qui  chargeaient  leurs  soies 
|H)ur  Livoume.  Colbert,  dans  un  mémoire  adressé  au  Roi  eu  1672, 
donnait  au  commerce  des  Hollandais  dans  le  Levant  la  même 
importance  qu'A  celui  des  Indes  :  «  Les  Hollandais,  disait-il,  ont 
six  principaux  commerces...  le  quatrième  est  celui  de  Smirne  et 
des  autres  échelles  du  Lev.int.  Ce  commerce  vaut  tous  les  ans  10  à 
12.000.000  de  livres  à  I.1  Hollande...  Le  6'  est  celui  des  Indes 
Orientales,  il  leur  vaut  de  10  à  12.000.000  de  livres  tous  les  ans*.  » 
D'après  le  comte  d'Estrades,  ambass:ideur  :\  la  Haye,  il  aurait  même 
été  plus  considérable  :  «  Vous  recevrez  par  cet  ordinaire,  écrivait-il 
;i  Colben,  deux  mémoires  :  l'un  pour  l'éclaircissement  du  com- 
merce des  Smirnes  qui  est  encore  plus  grand  que  je  ne  vous  avais 
mandé,  le  revenu  de  cette  année  montant  à  16.000.000,  Messieurs 
les  Etats  y  envoient  des  vaisseaux  tous  les  quatre  mois,  le  profit  y 
tjtant  de  la  moitié  plus  grand  que  celui  qu'ils  tirent  des  Indes*.  » 

Les  Hollandais  avaient  cet  avantage  sur  les  Français  et  même  sur 
les  Anglais  que  leurs  dépenses  étaient  fort  médiocres.  Leurs  tacteurs 
dans  les  échelles,  dont  le  nombre  était  très  petit,  conscrwiient  la 
simplicité  et  l'austérité  de  mœurs  qui  frappait  alors  les  étrangers 
xoyageant  en  Hollande*,  tandis  que  ceux  des  Anglais  et  des  Fran- 
çais «  faisiient  tous  grande  chère,  jouaient  hardiment  leur  argent, 
vivaient  tous  leur  cuisinier  chez  eux,  et  la  plus  grande  partie  d'entre 
fux  entretenaient  le  cheval  à  l'écurie  et  bien  souvent  quelques  autres 
galanteries  ailleurs*.  Longtemps  le  commerce  fut  partagé  à  peu  près 
«igalement  entre  les  Anglais  et  les  Hollandais;  si  ceux-ci  rempor- 
taient à  Smyrne,  les  Anglais  fliisaient  en  otitre  un  trafic  considérable 
ià  Alep,  mais  la  guerre  de  Hollande  donna  déllnîtivement  la  prépon- 
«iérance  aux  Anglais*. 

Les  Italiens  profitèrent  aussi  de  la  ruine  du  commerce  des  Français. 
les  Vénitiens,  malgré  leur  déc.idence,  faisaient  encore  un  négoce  assez 

(t)  Voir,  pour  plus  de  dé-tail,  le  Miimoire  sur  le  commerce  des  Hollandais. 
Btil.  Wat.  mss.fr.  3jo22,fol.  rjn-i^}. 

Il)  Ltttffs  et  Instructions,  t.  II.  [>.  6fS. 

D)  DtPPiNG.  Corrtsp.  .Administ.,  t.  III,  p.  349  ;  4  décembre  1664.  V.  lettre 
du  II  diicunibre  :  Plus  je  m'informe  du  commerce  des  Smirnei  et  plus  je  le 
trouve  grand. 

(,()   V-   LliFiVRE  PON'TALIS  :  Jfa»  de  H'itt. 

(51  PoctLET,  t.  IJ,  p.  30.  —  V.  aussi  d'As.viF.ux. 

[6)  Wheler.  p.  2j6. 


à 


'4 
I 


128  l'anarchie  commerciale 

considérable  dans  le  Levant.  Leur  ambassadeur  ù  Constanttnople, 
ou  bailc,  ctait  charge  des  intérêts  de  ce  commerce  et  levait  pour 
cela  de  grands  droits  sur  tous  les  vaisseaux  marchands  qui  portaient 
le  pavillon  de  St-ALuc.  Ces  droits,  toute  dépense  déduite,  pouvaient 
lui  produire  100. ooo  écus  pendant  les  trois  ans  qu'il  y  demeurait,! 
aussi  on  regardait  Tambassade  de  Constantinople  comme  une  récom- 
pense que  le  Sénat  donnait  aux  nobles  qui  avaient  passé  par  les 
autres,  fuineuses  pour  la  plupart,  «  par  la  magnifique  représentationl 
qu'ils  avaient  coutume  d'y  faire  *.  Sous  la  direction  du  baile  étaient] 
deux  consuls   principaux  qui   résidaient  à  Alep  et  A  Alexandrie; 
c'étaient  toujours  deux  nobles  Vénitiens  peu  à  leur  aise  qui  exer- 
çaient ces  deux  consulats  et  les  gardaient  ordinairement  toute  leur       t 
vie,   la  République  voulant  leur  laisser  le  temps  de  rétablir  leurs 
affaires  dans  ces  emplois  très  lucratifs.    Dans  les  autres  échelles  les^j 
Vénitiens  n'entretenaient  que  de  simples  agents,  soumis  à  ces  deux^H 
consuls,  et  qui  souvent  étaient  des  chrétiens  du  pays;  ils  en  avaient  ^^ 
A  Chypre',  Tripoli  de  Syrie,  Smyrne,  Chio  et  Rosette  ;  ailleurs  ils 
chargeaient  les  consuls  des  nations  étrangères  des  intérêts  de  la  leur. 
Ils  débitaient  dans  toutes  les  échelles  une  grande  quantité  de  draps 
d'or  et  d'étoffes  de  soie,  de  brocards  et  satins  de  leur  fabrication,  et  1 
Constantinople,  des  draps  ordinaires,  moins  fins  et  moins  beaux  que 
ceux  de  France,  d'Angleterre  et  de  Hollande,  mais  très  eMÎmês  des 
Turcs  h  cause  de  leur  bon  marché.  Leurs  cargaisons  se  composaient 
en  outre,  de  perles  fausses,  de  glaces  de  miroir,  de  verres  A  vitres  e 
d'autres  produits  de  leur  industrie.  Les  Arméniens  établis  à  Venisi 
et  ceux  qui  y  venaient  chaque  année  contribuaient  beaucoup  àent 
tenir  son  commerce  du  Levant  par  les  correspondances  qu'ils  avaient 
dans  tout  l'empire  Turc  et  la  Perse.  Mais  la  guerre  de  Gmdic  qui 
éclata  en  1644  interrompit  pour  plus  de  25  ans  ce  négoce,  du  moin: 
sous  le  pavillon  de  St-Marc,  et  plus  tard  il  ne  se  rétablit  que  très 
imparfaitement  ". 

Les  Génois,  qui  faisaient  alors  le  commerce  le  plus  considérable  de 
l'Italie,  mais  n'envoyaient  que  très  rarement  des  vaisseaux  dans  Je 


4 


(t)  Au  di-^but  du  xvii*  siècle,  Us  y  avaient  encore  un  consul,  d'après  Pic 
IflU  VjIIc  :  M  II  n'est  pas  noble  Vénitien,  mais  citoyen  seulement  des  plu*  t|i 


dclU  Valle  :  m  II  n'est  pas  noble  Vénitien,  mais  citoyen  seulement  des  plu*  t|UJ- 
litics,  do  sorte  tiuVncdii:  que  le  consul  de  Chypre  ne  soit  pas  de  la  dépendanc^l 
de  celui  d'Alep  comme  les  vice-consuls,  néanmoins  celui  d'Alep  en  qualité  d^j 
noble  et  de  principal  ajieni  en  ces  quartiers  .i  je  ne  sais  quelle  prééminence  U\y.\ 
celui  de  Ciiypre  ».  T.  II,  p.  513. 

(I)  Savary,  Dictionnaire,  col   icxJ},  1012.  —  Parfail  Nigoci«Hl,  p.  i^H. 


LES    PROGRÎ-S   DES    ÉTRANGERS 


129 


fLevant,  sous  la  bannière  de  France,  cliLTchèrcnt  à  profiter  de  la 
iccadencc  des  Français  et  de  la  brouille  des  Vénitiens  avec  les  Turcs. 
[Is  envoyèrent  en  1645  une  ambassade,  chargée  de  demander  des 
jpitulutions  pour   leur  commerce  et  la  permission    d'avoir  un 
imbassadcur  à  la  Porte.  Mazarin,  qui  reclicrchait  l'alliance  des  petits 
îtaiî  italiens  contre  l'Espagne,  sacrifiant  en  cette  occasion  les  inté- 
rêts du  commerce  à  ceux  delà  politique,  fit  appuyer  leur  négociation, 
jui  cependant  é-clioua.  Mais  elle  fut  reprise  et  réussit  en  1664,  cette 
ns-c'i  malgré  les  elTorts  de  M.  de  la  Haye  le  fils,  grâce  i  des  pré- 
[sents  considérables  distribués  au  Divan  et  ;\  la  protection  des  ambas- 
[siidcurs  de  l'empereur  et  de  l'Angleterre.  La  Compagnie  Génoise 
[ttu  Lx;vant  fut  formée,  et  pendant  quelques  années  elle  eut  un  assez 
^rand  succès,  dii  surtout  au  commerce  des  pièces  de  5  sols,  avec 
lequel  les  Français  élisaient  alors  de  grands  bénéfices.   Les  Génois 
■altérèrent  encore  davantage  cette  monnaie,  déjà  de  bas  aloi,  et  ce  fut 
leur  insigne  mauvaise  fol  qui  amena  le  décri  de  cette  monnaie  par 
[les  Turcs  en  1670.  Leur  Compagnie  ne  fit  dès  lors  que  végéter  et 
fils  ne  continuèrent  A  entretenir  leur  ambassadeur  i  la  Porte  que 
pour  sauvegarder  leur  amour-propre  ' . 

La  ville  qui  profita  le  plus  de  la  ruine  des  Français  fut  Livourne, 

iouvcllement  bâtie  au  début  du  xvii'  siècle,  par  les  grands  ducs  de 

iToscane.    Non  seulement   elle  devint  le  grand  port  de  relâche  et 

l'entrepôt  général  des  Anglais  et  des  Hollandais,  mais  les  Arméniens, 

[courtiers  des   Européens  dans  le  Levant,  s'y  établirent  en  grand 

tnombre  et  y  firent  venir,  sur  des  vaisseaux  hollandais,  quantité  de 

'marchandises,  surtout  des  soies,  dont  Livourne  devint  le  plus  grand 

marché  en  Europe.  Les  Livournais  envoyaient  aussi  quelques  navires 

'dans  le  Lc\^nt  ;  chaque  année  Smyrne  recevait  six  de  leurs  bâtiments 

[chargés  de  draps  et  de  satins  de  leurs  manufactures,  de  cochenille, 

[de  plomb,  d'étain,  d'épiceries,  qu'ils  recevaient  des  HolLindais*. 

Les  Messinois  firent  un  trafic  important  dans  les  échelles  pendant 
cette  période;  ils  allaient  surtout  y  chercher  sous  la  bannière  de 
Jîrancc  des  soies  pour  alitîienter  leurs  importantes  filatures'.  Il  n'y 


(l)  S.vVAttY.  Diiiioiiit.,  col.  1450.  —  Chardin,  t,  1,  p.  6  et  7.  —Parfait  N/go~ 
ùûnl,  p.  J98. 

(2^  SAVAk\- i3â/ti'n«..ci'l.  101:2  cl  iDL'S.  — D'AïaMtex,  t.  I,  n.  448  :  Livourne 

G^ics  ont  prolîti-  des  dcbiis  de  noire  cnnimcrct:  et  les  échelles  sont  à  picsent 
Eiiondiïcs  Jes  manufjctiircs  de  ces  dcus  villes. 

(})  Savahv.  DUtwnmvre,  col.  looî,  —  Cf.  Pat/ait  Nigociant,  p.  398. 


130  L  ANARCHIE   COMMERCIALE 

avait  pas  jusqu'au  duc  de  Savoie  qui  ne  tentât  de  détourner  de  Mar- 
seille le  passage  des  soies  vendues  à  Lyon  pour  les  attirer  à  Gênes,  les 
foire  passer  à  travers  ses  Etats  par  Suse,  et  entrer  en  France  parle  Pont 
deBeauvoisin.  Un  officier  au  «  Parlement  »  de  Chambéry  fut  envoyé 
à  Paris  pour  négocier  à  ce  sujet  avec  Mazarin  et  il  était  d'accord  avec 
une  partie  des  négociants  lyonnais.  Les  Marseillais  eurent  beaucoup 
de  peine  à  détourner  ce  nouveau  coup  qui  menaçait  leur  commerce 
et  à  foire  maintenir  les  déclarations  royales  de  1609  et  de  16 17  qui 
portaient  que  les  soies  venues  par  mer  ne  pourraient  entrer  dans  le 
royaume  que  par  Marseille*. 

Un  mémoire  présenté  au  ministre  Pontchartrain  en  1696  résume 
nettement  les  progrès  qu'avaient  foit  les  étrangers  à  notre  détriment 
avant  i6éi.  Les  Anglais  et  les  Hollandais  ne  s'étaient  pas  bornés  à 
nous  supplanter  dans  le  Levant,  ils  s'étaient  emparés  des  principaux 
débouchés  où  les  Provençaux  écoulaient  auparavant  leurs  marchan- 
dises :  en  Italie,  où  de  nombreuses  barques  provençales  avaient 
l'habitude  de  transporter  une  grande  partie  des  produits  du  Levant, 
conduits  d'abord  à  Marseille  ;  dans  les  ports  français  du  Levant  eux- 
mêmes,  car  en  apportant  les  produits  de  leurs  pêcheries,  et  surtout 
les  morues,  dans  la  Méditerranée,  ils  ruinèrent  la  navigation  des 
Malouins,  qui  faisaient  auparavant  de  nombreux  voyages  en  Espa- 
gne, en  Italie,  en  Provence,  et  chargeaient  à  Marseille  quantité  de 
laines,  de  cotons,  et  d'autres  matières  brutes,  nécessaires  aux  manu- 
factures des  Ponantais  et  particulièrement  des  Rouennais*. 

Malgré  les  progrès  rapides  des  étrangers  A  partir  de  1620,  les 
Français  firent  encore  un  grand  commerce  jusqu'en  1635  :  les 
Anglais  et  les  Hollandais  étaient  déjà  les  maîtres  du  marché  de 
Smyrne  qui  tendait  ;\  devenir  le  plus  important  de  l'Orient,  mais 
nos  marchands  l'emportaient  encore  dans  les  échelles  de  Syrie  et 
d'Egypte  ;  à  Alep  ils  faisaient  presque  le  double  des  affaires  des 
Anglais  et  des  Vénitiens;  dans  d'autres  échelles,  comme  ;\  Seïde,  ils 
étaient  encore  les  seuls  à  trafiquer*.  Pendant  ces  1 5  années  la  valeur 
de  leur  négoce  se  maintint  entre  12  et  14.000.000  dont  7  à  8  pour  les 
marchandises  apportées  du  Levant  ;  ce  n'était  même  plus  la  moitié 


(i)  BB,  36.  Lettres  au  député  en  cour,  it,  ij  avril  16^6. 

(2)  Arch.  Marine.  B^,  497,  fol.  jyS. 

(})  Fermanel,  p.  268.—  D'Arvieux,  t.  I,  p.  464. 


LA    RUINt    DU    COMMERCE 


131 


du  chitTre  qu'il  atteignait  de  1610  à  1620'.  Mais  la  guerre  avec 
l'Espagne  vint  encore  aggraver  sa  ruine.  Non  sculemeiu  la  crainte 
de  la  flotte  espagnole,  qui  menaçait  la  côte  de  Provence,  et  les 
pirateries  des  Majorquins,  gênaient  la  navigation,  mais  surtout,  par 
suite  de  l'interdiction  du  commerce  avec  l'Espagne,  les  Provençaux 
ne  pouvaient  plus  aller  y  chercher  les  piastres  qu'ils  portaient  dans 
le  Levant,  et  ils  n'y  trouvaient  plus  le  débouché  des  marchandises 
qu'ils  en  rapportaient.  Ces  échanges  étaient  si  nécessaires  aux  deux 
pays,  que  la  liberté  du  commerce  avec  l'Espagne  fut  rétablicen  1639*, 
mais  il  y  avait  tellement  à  craindre  des  vaisseaux  de  guerre  des  deux 
flottes  royales,  ainsi  que  des  corsaires^  que  les  marchands  ne  durent 
guère  en  profiter.  De  plus  la  misère  croissante  du  royaume,  la 
lourdeur  des  impôts,  la  ruine  de  ce  qui  restait  de  manufactures, 
tous  ces  maux  dont  souHrait  la  prospérité  générale  du  royaume, 
(^ti\ient  aussi  ressentis  par  le  commerce  du  Levant.  De  1635  A  1648 
il  diminua  encore  de  moitié,  il  était  alors  tombé  presque  à  rien,  à 
6  ou  7  millions  tout  au  plus,  dont  4  environ  pour  les  importations 
en  France. 

Il  semblait  qu'il  ne  pouvait  plus  déchoir,  mais  les  troubles  du 
royaume  ajoutés  A  la  continuation  de  la  guerre  avec  l'Espagne  lui 
fîortèrcntle  dernier  coup.  La  Provence  et  Marseille  souflrirent  beau- 
«zuup  de  la  Fronde:  dès  1649  les  Marseillais,  au  sujet  de  leurs  élec- 
tions municipales,  se  brouillèrent  avec  le  comte  d'Alais,  gouverneur 
«de  Provence  et  cousin  de  Condé,  qui  en  i6)0  embrassa  le  parti  des 
princes,  et  ils  s'armèrent  pour  défendre  leur  ville  qu'ils  croyaient 
•KTienacéc  d'un  siège.  Toulon,  leur  vieille  rivale,  voulant  saisir 
l'occasion  de  les  supplanter,  devint  la  place  d'armes  du  comte 
«J'Alais  et  ses  corsaires  vinrent  attendre  au  passage  les  vaisseaux  de 
.^irseille.  Quand  ces  troubles  furent  apaisés  en  1653  grâce  au  duc 
«Je  Mercceur  le  nouveau  gouverneur,  une  autre  brouille  surgit  avec 
telui-ci  et  agita  toute  b  ville  jusqu'en  1660^.  Au  milieu  des  malheurs 


ni  D'après  l'inspection  Je  Stnuiraii(i6î3),  il  partait  cliaque  .innée  de  Marseille 
1$  b.Uiments  pour  Alexandrie,  8  pour  Scide.  20  pour  Alcxandrette,  12  pour 
Smvrne,  10  pour  Constantinople,  4  ou  >  barques  pour  Satalieet  quelques  barques 
parfois  pour  Pelrachc  (Patras)  et  Candie.  —  (CoiKsp.  de  Souidis.  Coll.  Doc.  Int'd). 

(2)  PlGEONNt-^U.  t.   H,  p.  423. 

(3)  V.  P.\Pos  et  RcFFi.  —  .-irch,  Comm.Cûrresp.,  p,  /6jo  et  suiv.  —  BB.  26, 
awiUs  iCfo  tl  suiv.  —  Au  milieu  de  ce  désarroi  se  produisit  l'extraordinaire 
affaire  Patac.  Ce  Patac.  un  trait.nnt  qui  avait  acheté  diverses  dettes  restées  en 
souffrance  des  créanciers  de  Césy  et  Je  Marchevillc,  muni  d'un  arrêt  de  la  Chambre 


132 


L  ANARCHIE    COMMERCIALE 


I 

I 
I 


causés  par  les  troubles,  la  peste,  qui  avait  déjà  désolé  la  ville  en 
1630,  sévit   de  nouveau  en    1649  et   1650  ;  les  navires  furent 

obligés  d'nbordcr  au  petit  port  de  Cassis  et,  longtemps  après  la 
cessation  du  tlcau,  les  villes  jalouses  de  Marseille,  comme  Gcnes  cl 
LivouniL-,  en  profitaient  pour  mettre  des  obstacles  ;i  son  commerce*. 
Enfin  les  procédés  financiers  des  surintendants  rendaient  encore 
le  commerce  plus  précaire  :  en  1653  la  Cliambre  du  commerce  se 
plaignait  à  la  cour  du  surhaussenient  du  prix  des  monnaies  qui 
ruinait  le  négoce*. 

Le  commerce  parut  près  de  succomber  entièrement  sous  le  poids 
de  tous  ces  maux  vers  1660  :  les  importations  du  Levant  en  France 
atteignaient  au  plus,  d'après  Savary,  2  1/2  à  5.000.000  de  livres  ; 
quant  aux  exportations  elles  étaient  presque  réduites  à  rien  :  le 
commerce  des  draps  et  des  papiers,  les  deux  principaux  articles  de  ^ 
vente,  avait  été  complètement  ruiné  par  les  abus*.  Ce  n'était  plus  M 
seulement  à  Smyrne  que  les  Anglais  et  les  Hollandais  avaient  établi 
leur  prépondérance,  mais  à  Alcp  la  vieille  citadelle  du  commerce 
français.  Il  n'y  avait  plus  guère  parmi  les  grandes  échelles  que  Seîde 
où  les  Provençaux  tussent  les  maîtres  du  commerce,  aussi  éfciit-ellc 
devenue  leur  cclielle'de  prédilection  V  I^e  commerce  du  Levant,  qui 
jusqu'en  1620  avait  été  de  beaucoup  le  plus  important  du  royaume, 
était  loin  en  1660  d'atteindre  la  valeur  de  celui  du  Ponant  puisque,    I 

brc  de  l'cdit  JuDauphinc,  se  posi.i  sur  le  chemin  de  Lyon  avec  des  gens  .irmés 
et  s'empara  à  diverses  reprises  des  convois  de  voitures  portant  les  murcliandises  de 
Marseille  à  Lyon.  Messieurs  de  Lyon  cl  de  Marseille  interdirent  le  coninicfire 
entre  les  deux  villes  ius(|u'i  ce  iiu'ils  eussent  obtenu  du  conseil  un  arrêt  pour 
rétablir  la  sûreté  des  clKMnins.  M.iis  bien  que  cet  arrêt  eût  été  obtenu  et  placardé 
partout,  les  exploits  de  Patac  continuèrent.  Les  Marseillais  durent  faire  escorter 
leurs  muletiers  et  mettre  «  nombre  de  pcrNonncs  armées  aux  endroits  dange- 
reux ».  Enfin,  d.ms  l'un  des  combats  i.]ui  furent  livrés,  Patac  finit  par  être  pris  et 
resta  longtemiis  enfermé  dans  la  prison  de  Pierre  Seize  à  Lyon.  —  Voir  de  nom- 
breuses lettres  de  'a  Chambre:  BB,  26,  ilii  3  fiv.  lôfS  à  </iV.  1663.  — Patac 
meurt  à  Pierre  Eucise,  le  i8  fév.  1686.  BB,  4,  fol.  31}. 

(i)  Aich.  Commun.  Comspond.,  3  aoiit  lô^p,  3^  fh:,  3Ç  nian,  avril,  3,  16 
mai,  juin  tôfv.  , 

(2)  BB,  2rt.  20  avril  i6s}.  —  Voir  Pierre  CLi;.\iKxr.  Hist.  </<.•  Co)l>eit,  t.  I, 
p,  J72-74.  Série  de  changements  dans  la  valeur  des  monnaies  opérés  par  Fouquct. 

(5>  lie  BtAeuEP.MRF,.  luiml.  des  Arcb.  dt  Houcit.  —  .Assemblée  du  t2  avril 
i66j  :  Il  Le  commerce  des  draps  occupait  la  plus  faraude  partie  du  peuple  de  ccttî 
ville  qui  V  trouvait  sa  vie  i  gagner;  mais  depuis  quelques  années  il  a  été  tellement 
diminué  qu'on  a  été  obligé  de  l'employer  aux  ateliers  publics  ».  —  Cf.  BB,  t. 
IXlil'halion  du   10  nviit  16 5S. 

{4)  y.  U\\rvieu\  qui  él.iit  alors  .i  Seide,  t.  H,  p.  j.ji  :  «  Oe  1660  à  1665,  plus 
de  ;oo  conniiissionnaires  des  marchands  de  Marseille  et  de  Lyon  qui  detncuraient 
à  Scvde  et  aux  environs  gagnaient  des  somme»  considérables.  » 


I 


LA   Rl'rXE   DU   COMMERCn 


133 


d'après  Colbcrt,  les  importations  totales  s'élevaient  pour  le  royaume 
à  20.000.000  de  livres  et  les  exportations  de  12  A  18  millions'. 

La  ruine  du  commerce  apparaît  aussi  clairement  quand  on  voit 

graduellement   diminuer  de  1610  à   1661  le  nombre  des  bâtiments 

français  employés  au  commerce  du  Levant.   D'après   Savary   de 

Brèves  les  Provençaux  avaient,  avant  16 10,  un  millier  de  bâtiments, 

dont  les  «  Espagnols,   Génois,  Napolitains,   Siciliens  »  se  servaient 

ordinairement    pour  leurs  transports.  En    1621,  l'envoyé  du  roi 

Dcshayes  compte  encore  400  vaisseaux  sur  la  côte  de  Provence  et  du 

Languedoc  qui  s'entretiennent  par  le  trafic  du  Levant.  Sur  554  b.âti- 

ments  de  toute  sorte  servant  au   commerce  que  M.   de   Seguiran 

trouva  dans  les  ports  de  Provence  en  1633,   il  n'y   en    avait  que 

182  destinés  à  la  navigation  du   Levant  ;  les   autres,    barques  ou 

tartanes  de  très  faible  tonnage,  ne  faisaient  que  le  cabotage  sur  les 

côtes  du  Languedoc  ou  du  nord   de  l'Italie  et  de  l'Espagne.  Parmi 

ceux  du  Levant,  90  environ  étaient  de  grosses  barques  de  100  A 

200  tonneaux,  40  des   polacres  de  150  à  250  qui  pouvaient  déjà 

nicriter  le  nom  de  vaisseaux  et  il  n'y  avait  que  50  gros  vaisseaux  de 

3000  a  7000  quintaux  :  l'un  des  vaisseaux  de  Marseille  atteignait 

toooo  quintaux,  c'était  le  géant  de  In  flotte  marchande  du   Levant*. 

"r.indis  qu'auparavant  les  Provençaux  nolisaieni  leurs  bâtiments  aux 

étrangers,  ils  ne  suffis;iicni  même  plus  aux  besoins  de  leur  commerce 

iiinoindri.  L'article  du   code  Michiui  qui  interdisait  de   fréter    des 


(i)  Discours  prononcii  le  )  ;ioùt  1664  i  l'ouverture  du  premier  conseil  de  com- 
'■^-»erce,  —  Clément,  t.  1,  p.  35). 

(2)  Il  est  intéressant  de  connaître,  pour  chacun  des  ports  de  Provence,  l'itat  des 

■>.  avircs  qui  composaient  leur  flotte.  Voici  la  liste  dressée  par  Seguiran  :  Marseille  : 

■  «3  vaisse.iux  de  3  à  totnx)  quintaux   —  7  polacres    de    i>oo  à  2500  —  6  f>rosscs 

^iirques  de  1 500  i  2000  —  8  barques  de  1000  à  1 300  —  70  barques  de  300  .\  8tX3 

— ■ —  2  tartanes  de  itx3o.  —  (Mais  il  ne  parle  que  des  bâtiments  qu'il  trouva  dans  le 

►ort  —  pour  les  .lutres  ports  on  lui  indiqua  tous  ceux  qui  y  étaient    attachés).  — 

^.\ssis  :  2  polacres  de  2000  quintaux,  .[  b.irques  de  1500,  7  de  1200  pour  l'Es- 

^j^nc  et  l'Italie.  —  La  Ciotat  :  60  vaisseaux,  barques  nu  polacres  de  la  portée, 

'  **  une  pour  l'autre,  de  1500  quintaux.  —  Bal'don  (BanJol)  :  6  tartanes  de  30t>quin- 

t^-i»ux  pour  le  cabotage.    —  Lovary  (Sanan)  :  20   barques  de  5K0  i  600  quintaux 

3Ur  le  cabotage.  —  La  Seyne,  terroir  de  Silbur  :  10  vaisseaux  de  4  A  6000  quin- 

iu\,  10  polacres  ou  grosses  barques  et  60  tartanes.  —  Toulon  :  12  vaisseaux  de 

|3    à  70CK1  quintaux,  7  polacres  de  1700  A  2400,  14  barques  de  jtKD  .i  2500,  15  lar- 

(%=«ncs.  —  BokMES  :  i  tartane  et  12  bateaux.  — St-Tropez:  7  vaisseaux  de    5CXX) 

«=|  uintaux.  j  polacres  de  2i  2500  qx,  19  barques  de  8ixj  a  2500,   12  tartanes.  — 

^  Ktjes,  Cannes,  Ani  iBts,  Marth;l  I  s.  .^RLi-s.N.-D.v.ME-DE-LA-MEK  f/it5/('i-Affl»  i«^, 

'  S-r-CH.\.M.v5,  Bekre,  ne  possédaient  connue  Bandol,    Sanary  et  Rormes  que    des 

l>arqucsct  des  tartanes  faisant  le  cabotage  avec  l'Italie  et  l'Espagne.  —  V.  Itispec- 

ftvtion  dt  Seguiiiin.  Conesp.  de  Sourdis. 


I 


I}4  L  ANARCHIE    COMMERCIALE 

navires  étrangers  n'était  pas  exécuté  et  les  consuls  de  Marseille  s'en 
plaignirent  vivement  ;\  la  cour  :  «  Divers  marcliands,  écrivaient-ils 
à  leur  avocat  au  conseil,  au  lieu  de  tréter  et  noliser  des  vaisseaux  et 
barques  de  cette  ville,  pour  faire  leurs  diverses  négociations,  en 
frètent  et  nolisent  des  étrangers,  anglais  ou  flamands,  qui  ôtent  le 
pain  et  la  vie  à  nos  mariniers  qui  sont  contraints  de  la  chercher 
ailleurs,  laissant  notre  port  désert*.  »  Mais  les  nécessités  politiques 
qui  faisaient  craindre  h  Richelieu  de  froisser  les  Hollandais  et  les 
Anglais,  renipéchtrcnt  d'envoyer  les  ordres  du  roi  sollicités  par  les 
MarseiîLiis*.  Notre  flotte  continua  de  diminuer  rapidement  ;  d'après 
l'état  de  1.1  marine  marchande  que  Colbert  fit  dresser  en  1664,  sur 
les  procès-verbaux  qui  lui  furent  envoyés  parles  officiers  de  l'ami- 
rauté, la  Provence  entière  ne  comptait  plus  que  30  voiles  qui  fissent 
le  commerce:  21  pour  l'aniirautc  de  Marseille  et  9  pour  celle  de 
Toulon;  8  gros  vaisseaux  seulement  jaugeaient  de  230  à  400  ton-  ■ 
neaux,  2  polacrcs  de  200  à  250  et  les  20  autres  voiles  n'étaient  que 
des  barques  de  100  à  200  tonneaux.  Pour  toute  la  côte  du  Lmguedoc 
la  flotte  de  commerce  était  représentée   par  une  barque  d'Agde  de 


De  30  millions  de  livres  le  commerce  tombé  à  4  millions  environ  *, 
de  1000  kîtiments  de  mer  le  nombre  réduit  à  30,  tel  était  le  résultat 
de  cinquante  ans  de  malheurs,  auxquels  les  marchands  provençaux 

(i)  iS  juin  1641,  cf.  3f  filin  164X,  21  jaitv'ur  1642.  .'irch.  Commun. 

(2)  Ijttm  de  l'avocat  YcarJ,  )i  janv.  j()^2,  2/  mars  1642. 

(j)  .4icb.  délit  Mûfine,  B',  4SS,  lirtise.  — Table  conienant  le  notnbrv  des 
vaisveaux  app.irtcn;iiis  aux  sujets  du  roi  en  1664,  d'après  les  procùs-verbaux  envoyés 
à  M.  Colbcrt  pur  les  oflkicrs  de  l'amirauté,  .amirauté-  de  Marseille  :  2  de  100  à 
120  tonneaux,  5  de  I20ii  I  50,  6dc  i)û  A  200,  2  de  200  à  250,  3  de  250  A  joo, 
5  de  Jfxi  i  400.  —  .\mir.nuté  de  Toulon  :  4  de  100  à  120  tonneaux,  t  de  120  3 
150.  2  de  150  h  200,  2  de  300  à  400.  —  Les  amirautt-s  de  Fréjus,  Martigucs, 
Arles,  Aigues-Mortes,  Frontignan,  Agde  n'ont  que  des  bateaux  de  péchc  et  de 
petits  iiabotcurs;  N.irbonne  est  indiquée  avec  In  mentinti  néant.  —  La  flotte 
totale  du  royaume  est  représcniée  par  529  bStimetits  de  100  à  400  tonneaux 
jaugeant  ensemble  55840  tonneaux;  c'était  moins  que  n'en  comptait  la  flotte 
provençale  en  16}}.  —  A  ces  bâtiments  de  commerce  s'ajoutaient  cependant 
2039  iMïtits  caboteurs  de  10  à  icki  tonneaux  jauf^cant  75765  tonne.iux.  —  La 
flotte  an^ldise  pendant  la  même  période  suivait  une  marche  inverse  grâce  aux 
encouragements  continus  du  gouvernement  et  en  particulier  à  l'acte  de  navigation. 
«  L'ûifluencede  cet  acte  se  résume  par  un  chiffre:  Avant  le  règne  de  Charles  I" 
on  ne  connai.ssait  dans  les  ports  d'.\nglcterre  que  3  bitimcnis  marchands  de 
500  tonneaux  et  à  la  mort  de  Charles  II  on  en  comptait  plus  de  4cx>  de  cette  force.  » 
{Corresp.  dtSourdis.  Pi  .'face,  p.  .XJIl.  —  Coll.  Doc.  IiièJ.). 

(4)  Dans  un  mémoire  adressé  au  roi  en  1663,  Colbert  écrivait  que  Marseille  ne 
(aisjit  plus  la  dixième  partie  de  son  commerce  en  Levant.  C'était  rigoureusement 
CX.ICI.  —  Dlties  et  List.  Tome  II.  Introducl.  f>.  CXXF. 


I 


LA    RUINE   DU   COMMERCE  I35 

avaient  cependant  résisté  avec  constance.  Si  la  pauvreté  de  leur  sol 
et  la  tradition  ininterrompue  des  siècles  n'avaient  fait  d'eux  des 
marins  et  des  négociants,  on  comprendrait  à  peine  qu'ils  n'eussent 
pas  abandonné  le  commerce  du  Levant.  L'importance  croissante 
que  prenait  la  route  maritime  des  Indes  semblait  encore  menacer  le 
commerce  français  d'une  décadence  plus  profonde.  Les  Anglais  et 
les  Hollandais,  entièrement  maîtres  de  cette  route,  cherchaient  de 
plus  en  plus  à  attirer  les  marchandises  de  l'Asie  dans  les  ports  de 
l'Océan  Indien  au  détriment  de  ceux  du  Levant.  Ce  n'étaient  plus 
seulement  les  épices  et  les  drogueries  qui  abandonnaient  leur  ancienne 
route,  les  soies  de  la  Perse  à  leur  tour  s'acheminaient  vers  Ormuz,- 
au  lieu  de  venir  à  Alep  et  à  Smyrne.  C'est  pourquoi  la  plupart  de- 
ceux  qui  dans  le  gouvernement  s'occupaient  de  commerce  maritime 
et  de  colonisation,  négligeant  ce  commerce  du  Levant  qui  semblait 
voué  à  la  ruine,  tournaient  toute  leur  attention  vers  les  Indes  Orien- 
tales et  Occidentales,  dont  ils  voulaient  disputer  le  trafic  aux  Anglais 
et  aux  Hollandais.  N'auraient-ils  pas  dû  cependant  songer  à  conserver 
avant  tout  au  commerce  français  l'ancien  domaine  que  la  situation 
des  ports  de  Provence  semblait  lui  réserver  :  puisque  les  Espagnols, 
et  les  Italiens,  rivaux  naturels  des  Provençaux,  ne  pouvaient  pas  leur 
disputer  la  suprématie  dans  les  mers  du  Levant,  personne  n'aurait 
dû  pouvoir  la  leur  prendre.  Ce  fut  une  lourde  faute  d'avoir  laissé 
pour  la  première  fois  les  Anglais  et  les  Hollandais  pénétrer  dans  la 
Méditerranée,  où  ils  ne  devaient  plus  cesser  de  lutter  pour  rester 
les  maîtres,  sans  avoir  réussi  A  leur  rien  enlever  de  leur  trafic  dans 
les  mers  de  l'Inde. 


LIVRE  II 

LE    RELÈVEMENT   DU    COMMERCE 
(1661-1715) 


CHAPITRE   PREMIER 

COLBERT    ET    LA     RÉFORME    DES    ABUS 

Colbert  vint  heureusement  à  temps  pour  sauver  le  commerce  du 
Levant  d'un  entier  désastre.  Il  ne  fut  chargé  officiellement  de  la 
direction  des  afîllires  du  commerce  qu'en  1664'  et  môme,  jusqu'en 
1669*,  de  Lionne,  secrétaire  d'Etat  des  affaires  étrangères,  à  qui 
était  confiée  en  même  temps  la  marine,  contresigna  tous  les  actes 
royaux  qui  les  concernaient,  mais,  dès  166 1,  Colbert  s'en  occupa, 
ainsi  qu'en  témoigne  sa  correspondance  avec  la  Chambre  du  com- 
merce'. Si  le  développement  du  commerce  maritime  fut  l'une  de 
ses  principales  préoccupations,  celui  du  Levant  fut  l'objet  particulier 
de  ses  soins,  car  les  grands  bénéfices  qu'il  voyait  réaliser  aux  Anglais 
et  aux  Hollandais,  et  le  souvenir  de  ceux  qu'y  faisaient  auparavant 

(1)  Lettre  du  roi,  26  août  1664  :  à  MM.  les  Figuier,  èclievins  et  habilaiils  de  la 
ville  de  Marseille.  AA,  j. 

(2)  Lettre  de  Colbert  du  /j  mars  ï66c).  Il  informe  la  Chambre  qu'il  vient  d'être 
pourvu  de  la  charge  de  secrétaire  d'Iitat. 

(3)  Bli,  26.  }o  mai  1662. 


138  LE   RKI.ÈVEMENT   DU    COMMERCE 

les  Provençaux,  lui  causaient  les  plus  cuisants  regrets.  H  ne  lui  fut 
pas  difficile  de  se  pénétrer  des  maux  dont  souffrait  le  négoce  :  depuis 
plus  de  50  ans  les  députations  à  la  cour  et  les  mémoires  des  Mar- 
seillais ne  cessaient  de  répéter  les  mêmes  plaintes  auprès  du  conseil, 
mais  il  eut  le  premier  fermement  l'idée  d'y  mettre  un  terme,  et  il 
apporta  à  ce  dessein  la  force  de  volonté  et  la  ténacité,  en  même 
temps  que  la  netteté  de  vues  et  la  méthode,  qu'il  montra  dans  toute 
son  administration.  Il  ne  cessa  d'y  travailler  depuis  1664  jusqu'à  sa 
mort,  cependant  ce  fut  surtout  dans  les  dix  années  qui  suivirent, 
avant  les  embarras  de  la  guerre  de  Hollande  et  les  déboires  de  la  fin 
de  sa  carrière,  que  son  action  fut  décisive. 

Pour  mettre  un  terme  aux  profonds  abus  qui  étaient  l'une  des 
principales  causes  de  la  ruine  du  commerce,  Colbert  sentit  le  besoin 
de  lui  donner  une  solide  organisation  et  il  appliqua  aux  affaires  du 
Levant  cette  forte  centralisation  qui  achevait  alors  de  s'établir  pour 
tout  le  gouvernemenr  du  royaume.  L'institution  du  conseil  de 
commerce  donna  tout  aussitôt  plus  de  vigueur  et  d'efficacité  à  l'action 
du  pouvoir  royal.  «  L'abandonnement  entier  du  conseil  du  roi,  dit 
un  mémoire  de  1669,  était  la  première  cause  des  désordres.  Pour  y 
remédier  il  faut  prendre  le  même  chemin  que  la  corruption  a  fait. 
Le  roi  remédie  au  principe  par  le  moyen  de  son  application  et  de  la 
protection  entière  qu'il  veut  donner  au  commerce,  comme  étant  une 
des  principales  et  plus  importantes  afïliires  de  son  Etat'.  »  Le 
conseil  de  commerce  se  réunit  pour  la  première  fois  le  3  août 
1664  ;  Colbert  ouvrit  ses  séances  par  un  grand  discours  où  il  résuma 
nettement  ses  idées  sur  le  commerce,  l'industrie  et  la  marine.  Les 
faits  suivirent  promptemcnt  les  paroles  :  le  26  août  Louis  XIV 
adressa  aux  échevins  et  habitants  de  Marseille  une  lettre,  évidem- 
ment inspirée  par  Colbert,  leur  recommandant  d'avoir  recours  à  lui, 
pour  tout  ce  qui  concernait  leurs  intérêts  :  «  Nous  ferons  loger 
commodément  à  notre  cour  et  suite,  disait  le  roi,  tous  et  chacun 
les  marchands  qui  y  auront  des  afliiires,  pendant  tout  le  temps  qu'ils 
seront  obligés  d'y  séjourner,  ayant  ordonné  au  grand  maréchal  des 
logis  de  notre  maison  de  faire  marquer  un  logis  propre  pour  cet 
effet,  qu'il  sera  appelé  la  maison  du  commerce.  Que  si  les  marchands 
veulent  députer  quelqu'un  d'entre  eux  à  notre  cour  et  suite  pour 

(i)  Etat  du  commerce  du  Levant  contenant  les  raisons  du  mauvais  état  auquel 
il  est  réduit  et  des  remèdes  qu'on  pourrait  y  apporter,  1669.  —  Arch.  Nat,  K,  8^9. 


C0L1I1»RT  ET  tA   KÉrORME  HES  ABUS 


139 


avoir  solo  Je  leurs  affaires,  nous  le  k-rons  loger  dans  ladite  maison 
et  lui  donnerons  audience  en  toutes  occasions.  Que  s'ils  ont  peine  à 
trouver  quelqu'un  qui  puisse  ou  veuille  quitter  sa  famille  ou  son 
commerce  pour  cet  emploi,  nous  commettrons  une  personne  intel- 
ligente et  capable  à  laquelle  nous  donnerons  des  appointements  pour 
demeurer  dans  ladite  maison,  y  recevoir  tous  les  marchands  qui 
auront  des  affaires  \  notre  cour  et  suite,  et  leur  envoyer  toutes  les 
expéditions  dont  ils  pourront  avoir  besoin^  te  tout  sans  aucun  frais 
et  dépens  '.  » 

Hn  vue  de  faciliter  la  tâche  du  conseil,  l'arrêt  du  5  dCrccmbre 
1664  «  porta  qnc,  tous  les  ans,  les  marchands  de  chacune  des  dix-huit 
villes  les  plus  importantes  du  royaume,  éliraient  deux  d'entre  eux  et 
que  le  roi  choisirait  trois  des  premiers  élus,  pour  les  représenter 
pendant  un  an,  soit  à  la  cour,  soit  à  sa  suite,  tenir  correspondance 
avec  les  marchands  des  villes  de  leur  circonscription,  et  l'informer 
de  tout  ce  qu'il  tiudrait  faire  pour  l'augmentation  du  commerce. 
A  l'égard  des  autres  élus,  ils  devaient  s'assembler  par  tiers,  le  20 
juin  de  chaque  année  dans  les  trois  villes  que  le  roi  désignerait  pour 
examiner  Veut  du  commerce  et  dos  manufactures  et  adresser  le 
procès-verbal  de  leur  réunion  A  Colbert'.  »  Celui-ci  trouva  dans  te 
conseil  de  commerce  d'utiles  auxiliaires  et  il  est  juste  de  leur  reporter 
une  partie  des  mérites  des  réformes  qu'il  accomplit.  Outre  les 
conseillers  ordinaires,  Colbert  savait  y  appeler  des  hommes  qui 
avaient  la  pratique  du  commerce  comme  Jacques  Savary,  grand 
négociant,  qu'il  y  fit  entrer  en  1670,  pour  aider  à  la  rédaction  du 
Code  marchand;  les  mémoires  que  celui-ci  présenta  A  ce  sujet  au 
conseil  furent  si  remarqués,  que  Pussort  le  pressa  de  les  publier  et 
il  en  fit  le  livre,  vite  fameux,  du  Parfait  négocbnt". 

Colbert  ne  se  contentait  pas  des  lumières  du  conseil  et  il  accueillit 
avec  joie  tous  les  mémoires  que  lui  adressaient  des  gens  d'expérience. 
"  Il  exhortait  ceux  à  qui  il  reconnaissait  des  talents  et  qui  pouvaient 
lui  donner  de  bons  mémoires  pour  le  commerce  du  Levant,  de  s'y 
appliquer  comme  à  l'allaire  d'état  la  plus  importante,  et  les  y  enga- 
geait par  leur  intérêt  propre  et  les  expressions  du  monde  les  plus 


(I)  M.i,  f.  —  Cotbcrt  adressait  une  lettre  analogue  aux  consuls  de  Toulon,  le 
J9  novembre  1664. 

{»)  P.  Clément  t.  I.  p.  jjé. 

(j)  Voir  la  vie  Je  Sjvary  en  téie  de  l'ildition  du  Parfait  Kign-iani  de  i/jfi.  — 
Li  première  édition  parut  en  167s  et  il  (ut  traduit  aussitôt  en  plusieurs  Kinguet. 


140  LE   RELEVEMENT   DU  COMMERCE 

obligeantes'.  »  C'est  ainsi  qu'il  témoigna  sa  faveur  au  chevalier 
d'Arxùeux,  d'une  famille  Marseillaise,  qui,  aprùs  avoir  pratiqué  le 
négoce  à  Smyrne  et  à  Seïde,  où  il  avait  appris  à  fond  la  langue 
turque, -s'était  retiré  à  Marseille.  Il  l'employa  dans  diverses  missions 
:\  Constantinople,  à  Tunis  et  à  Alger  et  lui  fit  rédiger  différents 
mémoires,  notamment  sur  l'ambassade  de  Constantinople  et  sur  la 
réforme  des  consulats  du  Levant  ;  plus  tard  il  lui  donna  en  récom- 
pense le  consulat  d'Alep*.  Colbert  garda  jusqu'à  sa  mort  auprès  de 
lui  un  homme  qui  jouissait  de  toute  sa  confiance,  François  de  Bellin- 
zani,  son  premier  commis,  qu'il  fit  inspecteur  général  des  manufac- 
tures et  plus  tard  directeur  de  la  Chambre  des  assurances  créée  à 
Paris.  Bellinzani  fut  très  mêlé  aux  affaires  du  Levant,  la  Chambre 
du  commerce  eut  souvent  recours  ;\  lui  pour  obtenir  ce  qu'elle  deman- 
dait et  elle  mit  le  plus  grand  soin  à  entretenir  sa  faveur  par  l'envoi 
régulier  de  présents*.  Bellinzani  n'y  était  pas  insensible  et  Colbert 
n'avait  pas  bien  placé  sa  confiance,  car,  après  sa  mon,  son  premier 


(i)  Mémoire  aux  Arcb.  de  la  Marine,  li',  488. 

(2)  M.  de  Grammont  (Les  consuls  iMiaristes  et  le  cl>evalier  d'Arvieux)  traite  celui- 
ci  d'homme  emporté  et  extravagant,  et  M.  Plantet  dans  l'introduction  de  sa 
Correspondance  des  deys  d'Alger,  a  tracé  de  d'Ar\'ieux  un  portrait  peu  flatté. —  Les 
mémoires  de  d'Arvieux  et  de  nombreux  témoignages  nous  le  montrent  sous  un 
autre  jour  :  il  fut  estimé  de  Colbert  et  très  considéré  par  la  Cliambre  du  com- 
merce de  Marseille.  On  ne  trouverait  pas  dans  toute  la  correspondance  de  celle-ci 
des  lettres  de  félicitations  semblables  à  celles  qu'elle  adresse  à  d'Arvieux,  consul 
d'.'Mep  (BB,  26.  n  juillet  i67(},  30  juillet  16S0). —  Voir  Thi-.vi:not,  t.  II,  p.  19  ; 
DE  Bruyn,  p.  333  :  «  Il  parlait  et  il  écrivait  en  huit  langues  différentes,  français, 
latin,  italien,  espagnol,  turc,  arabe,  grec,  hébreux.  11  était  d'une  conversation 
agréable  et  d'humeur  enjouée.  Il  entendait  outre  cela  la  peinture  et  la  musique,  il 
jouait  presque  de  toutes  sortes  d'instruments,  outre  plusieurs  autres  choses  en  quoi 
il  excellait.  »  —  D'Arvieux  était  surtout  très  au  courant  des  mœurs  des  Turcs, 
très-sensé,  très -conciliant,  et  rendit  de  grands  services. 

(})  Voici  un  exemple  du  présent  ordinaire  qu'on  lui  .-idressait  :  24  bouteilles  de 
rossoly,  48  bouteilles  d'eau  de  fleur  d'oranger,  deux  boîtes  de  12  petites  bouteilles 
de  diverses  essences.  —  Bellinzani  fit  connaître  qu'à  l'avenir  il  aimerait  mieux,  au 
lieu  des  diverses  essences,  quelques  fruits  et  de  l'huile  d'olive.  En  effet  en  1680  on 
lui  envoie  :  une  charge  de  très-bonne  huile  d'olive,  62  boîtes  de  prunes  de  Bri- 
gnoles,  12  barils  d'olives  et  12  autres  de  petites,  10  barils  d'anchois  des  meilleurs 
qu'on  puisse  trouver.  —  En  1681  et  1682  on  lui  expédie  une  couverture  blanche 
piquée  à  ses  armes,  un  grand  carreau  et  deux  petits,  une  veste  d'homme,  une 
toilette  avec  ses  armes,  deux  jupes,  une  pour  madame  sa  femme  et  une  pour 
mademoiselle.  —  BB,  26.  9  décembre  i6y(),  ip  mars  16S0,  nj  septembre  16S2.  — 
Pour  juger  ceux  qui  recevaient  ces  présents  il  ne  ne  faut  pas  oublier  que  la  cou- 
tume en  était  générale.  —  Le  secrétaire  d'état  qui  s'occupait  du  commerce  recevait 
avant  Colbert  1 5011  livres  du  commerce  de  Marseille  et  Colbert  ne  songea  pas  ii  y 
renoncer  en  1669  :  0  Tachez  de  pénétrer  sans  vous  déclarer  de  rien,  écrit-il  ;\ 
Arnoul  le  2  novembre,  de  quelle  sorte  les  députés  du  commerce  ont  résolu  d'en 
user.  »  Lettres  et  Iiisl.  t.  III,  i'<^  partie. 


COLBERT    ET    LA    REI  ORMï   DES   ABUS 


141 


commis  fui  iKcusc,  avec  son  neveu  Dcsmarcts,  d'avoir  reçu  des  pots 
de  vin  dans  l'affaire  des  pièces  de  4  sols  ;  il  confessa  avoir  acceptii 
pendant  cinq  ans  des  sommes  s'élcvanr  i  40.000  livres  par  an,  qu'il 
partageait  avec  Desmarcts,  et  fut  enfermé  au  château  de  Vincennes 
oà  il  mourut  de  maladie. 

En  Provence,  Colbcrt  trouva  deux  conseillers  et  deux  serviteurs 
pleins  de  zélé  et  d'inte!li«^ence,  le  premier  président  du  Parlement, 
Henri  de  Maynier  de  l'orbin,  baron  d'Oppède,  et  l'intendant  des 
galères  Nicolas  Arnoul.  D'Oppède,  très-ambitieux  mais  administra- 
teur de  premier  ordre,  fut  jusqu'à  sa  mort  un  véritable  intendant  de 
Provence'  et  son  nom  doit  être  associé  à  celui  de  Colbert  pour  tout 
ce  qui  concerne  le  commerce  du  Levant.  Il  en  eut  la  haute  direction 
Cl  ce  fut  l'objet  principal  de  son  administration.  11  tenait  le  ministre 
au  courant  de  la  situation  du  commerce,  il  consultait  les  Marseillais 
sur  les  innovations  qu'il  méditait,  il  était  chargé  de  les  leur  fliire 
accepter  et  d'en  assurer  l'exécution,  ce  qui  lui  demanda  autant  de 
fermeté  que  de  tact.  L'intendant  Arnoul  fut  Tinspirateur  delà  trans- 
formation du  port  et  de  l'agrandissement  de  la  ville  de  Marseille, 
mais  Colbert  lui  demanda  des  conseils  sur  tout  ce  qui  concernait  le 
commerce  et  le  fit  le  confident  ou  l'exécuteur  de  tous  ses  projets, 
"  S.  M.  étant  persuadée,  lui  écrivait-il,  que  les  alTaires  des  galères 
vous  pourront  permettre  de  vaquer  ù  d'autres,  qui  la  regarderont  ou 
SCS  peuples*.  »  Agent  docile  et  jSîcin  de  vigueur  et  souvent  conseiller 
intelligent,  sa  correspondance  révèle  une  parf.iitc  entente  avec  Colbert 
et  d'Oppède  ;  autoritaire  et  méthodique,  comme  son  chef,  mais 
l'esprit  un  peu  étroit  et  d'un  zèle  parfois  intempérant,  il  avait  besoin 
d'être  éclairé  ou  retenu  par  une  intelligence  supérieure.  En  1669 
d'Oppède  et  Arnoul  furent  nommés  commissaires  délégués  par  le  roi 
pour  l'exécution  des  édits  sur  l'alfranchissement  du  port,  et  demeurè- 
rcni  pendant  plusieurs  années  entièrement  occupés  du  soin  de  celte 
importante  affaire.  Colbert  sut  aussi  se  servir  de  l'influence  et  des 
conseils  de  l'évèque  de  Marseille  :  «  J'ai  bien  de  la  joie  d'apprendre 
par  vous-même,  lui  écrit-il,  que  la  ville  de  Marseille  s'augmente  et 

[t)  11  «"intitule  ;  •  Heim  de  .Maynier,  barun  d'Oppède,  comte  palatin,  cunKilIcr 
du  roi  en  son  coiiscîl,  premier  président  en  sa  cour  de  parlement  et  comm-indant 
en  Ptovcnce.  »  iiU,  i.  OiiUmii.  Jr  fh:  j6jo. 

[2^  z  IjTlIiti  cl  Insl.  t.   Il,  /».  3.  —  NiiToI.is  .Arnoul,  eonimissairi' 

générj!  ic  en   l'rovcnce  en   164 1.   inicnd.int  des  g.ilèrcs  à  Marseilli 

(lU  avili  ir<(^',i,  iiiteiuUnt  de  I.1  marine  j  Toulon  où  il  siucùdc  j  Math.irel  en 
167)  ;  il  meurt  le  18  Ot^tobre  1674. 


142  LE  RELEVEMENT  DU   COMMERCE 

que  le  commerce  s'y  fortifie  beaucoup.  J'espère  que  votre  présence 
et  l'application  que  vous  y  donnerez  contribueront  à  l'augmenter,  et 
vous  me  ferez  un  singulier  plaisir  de  me  faire  savoir,  de  temps  en 
temps,  ce  que  vous  estimerez  à  propos  de  faire,  pour  le  bien  éta- 
blir'. » 

Après  l'arrivée  en  Provence  de  l'intendant  Rouillé,  en  1673,  ^^"^ 
fut  centralisé  entre  les  mains  de  l'intendant,  qui  resta  le  seul  repré- 
sentant du  ministre  auprès  de  la  Chambre  du  commerce  et  des 
marchands*.  Chargés  d'abord  de  délégations  spéciales,  comme  la 
vérification  et  la  liquidation  des  dettes  du  commerce  et  des  échelles. 
Rouillé  et  son  successeur  Morant  étendirent  peu  à  peu  leur  action  : 
c'est  à  eux  que  la  Chambre  s'adressa  pour  faire  homologuer  ses 
délibérations  et  leur  donner  force  executive;  sur  sa  requête,  ils  firent 
des  ordonnances  concernant  les  consulats  et  l'administration  des 
échelles;  toutes  les  contestations  entre  les  marchands,  ou  les 
capitaines  et  la  Chambre,  furent  portées  devant  l'intendant  ;  toutes 
les  affaires  lui  étaient  soumises  avant  d'être  portées  comme  autrefois 
au  conseil,  et  la  Chambre  était  obligée  de  lui  présenter  requête  pour 
avoir  l'autorisation  d'envoyer  des  députés  à  la  cour.  L'ambassadeur, 
autrefois  tout  puissant  dans  le  Levant,  s'inquiétait  de  cette  nouvelle 
autorité  et  Morant  était  accusé  en  1684,  auprès  de  Seignelay,  de 
vouloir  faire  valoir  l'intendance  et  rabaisser  l'ambassade'.  L'inten- 
dant jouait  de  plus  en  plus  ce  rôle  d'inspecteur  du  commerce  du 
Levant  dont  Lebret,  successeur  de  Morant,  devait  porter  officicllenpnt 
le  titre.  C'était  ce  soin  des  affaires  du  commerce  qui  donnait  à 
l'intendance  de  Provence  une  importance  et  un  caractère  tout  parti- 
culiers. «  Je  ne  doute  pas,  écrivait  Colbert  ;\  Rouillé,  qui  sans  doute 
se  plaignait  des  soucis  qu'elles  lui  causaient,  que  la  ville  de  Marseille 
ne  produise  plus  d'affaires  que  toutes  les  autres  provinces*.  » 

A  la  tète  du  commerce  Colbert  laissa  la  Chambre,  créée  par  les 


(i)  16^1.  Lettres  et  Jttit.,  t.  Il,  p.  619.  —  L'évéquc  lui  écrit  le  27  novembre 
1669  :  «  Pour  toutes  les  afiaircs  de  la  ville,  j'agirai,  Monsieur,  suivant  les  ordres 

que  vous  me  ferez  l'honneur  de  m'en  donner je  conférerai  avec  MM.  d'Oppède 

et  Arnoul.  »  —  Cf.  31  octobre  lêji.  Depping,  Corr.  Adm.  t.  I,  p.  S 10. 

(2)  BB,  27.  22  octobre  i6j2  :  «  M.  de  Rouillé,  que  S.  M.  a  nommé  pour 
intendant  de  justice,  arrivera  et  prendra  connaissance,  suivant  sa  commission,  des 
affaires  concernant  les  Echelles  du  Levant.» 

(3)  Arch.  de  laMar.  B',  4^1,  fol.  4)7-41  :  Lettre  de  M.  Mord  à  Seignelay,  /j 
octobre  1684. 

(4)  A  Rouillé,  31  septembre  JÔyç.  Lettres  et  Inst.,  t.  II,  p.  706, 


COLBERT   ET   L/V    REFORME   DES    ABUS 


M3 


Marscilbis  en  1650,  et  rétablie  après  la  réforme  de  la  niunicipaliié 
en  1660,  mais  il  ne  comprit  pas  l'importaticc  de  cette  institution  et 
les  services  qu'elle  pouvait  rendre,  bien  qu'elle  ofirlt  une  analogie 
frappante  avec  le  Bureau  de  la  compat^nie  anglaise  établie  à  Londres 
ou  la  Chambre  de  direction  d'Amsterdam.  C'est  que  Colbert  la 
connaissait  mal,  il  la  confondait  avec  la  communauté  dont  l'adminis- 
tration lui  était  suspecte  :  «  Je  vous  prie  de  me  l'aire  s;tvoir,  écrivait- 
il  ^  Arnoul,  quels  sont  ces  députés  du  comnierce,  en  quel  nombre 
et  Je  quel  corps  ils  sont  tirés,  quelles  relations  ils  ont  avec  l'Iiôtel 
de  ville,  comment  ils  sont  élus,  pour  combien  de  temps  ils  le  sont, 
et  quelle  autorité  et  juridiction  ils  ont'.  »  Il  était  mal  disposé  pour 
une  population,  dont  la  turbulence  s'était  manifestée  tant  de  fois  et 
avait  nécessité  en  1660  le  voyage  de  la  cour  A  Marseille,  mais  surtout 
les  dettes  immenses  de  la  ville,  «  provenues  d'un  million  de  fripon- 
neries de  ses  consuls  et  échevins,  »  comme  il  l'écrivait  ;\  Rouillé, 
l'irritaient  vivement.  Dans  un  mémoire  qu'il  rédigea  en  16(19  il 
accusait  les  députés  du  commerce  d'exercer  les  mêmes  voleries  et 
de  tirer  prortt  des  impositions  établies  pour  l'acquittement  des  dettes 
du  Levant.  «  L'abus  et  la  corruption,  disait*il,  ont  passé  successive- 
ment d.ins  tous  les  esprits  qui  se  mêlent  de  ce  commerce*.  » 

Colbert  était  de  plus  sans  cesse  mis  en  défiance  contre  les  Marseil- 
lais par  ses  agents  en  Provence,  qui  ne  les  aimaient  guère.  D'Oppède 
n'avait  pu  oublier  qu'en  1659  les  Marseillais  avaient  donné  un  refuge 
aux  émeutiers  qui  avaient  failli  le  massacrer  i  Aix;  Arnoul  surtout 
s'irrita  du  mauvais  accueil  fait  par  les  Echevins  .1  ses  plans  d'agran- 
dissement de  la  ville  et  de  transformation  du  port.  «  J'ai  assez  répondu, 
écriv.ut-il  ;\  Colbert,  aux  plaintes  que  fait  contre  moi  le  député  du 
commerce.  Si  Messieurs  de  Marseille  n'avaient  comme  moi  devant 
les  yeux  que  la  grandeur  du  roi,  l'obéissance  et  le  bien  de  leur  ville, 
nous  serions  tous  d'accord;  mais  l'intérêt  particulier,  la  défiance  les 
uns  des  autres  se  connaissant  bien,  les  partagent  tellementque  je  puis 
dire  n'avoir  januis  vu  de  si  pauvres  gens.  Tout  ce  que  vous  soumet- 
trez au  résultat  de  leurs  assemblées  ne  réussira  jamais*.  »  Les  lettres 


(I)  J  novtiitbre  i66i).  Uttitstl Imt.,  /.  III,  i'«  pan. 

(a)  Etat  du  coiwttfrcf  tlii  Ijcvaiil.  —  lettres  tt  liul.,  t.  Fil,  tupplhn.  p.  3S6. 

(5)  7  iJixi/  1666.  DiVflSG.  Corrfsp  admni.,  I,  III,  f.  40Q.  —  CS.UtIredeTh-Jqut 
,1e  Sliiisfillc-,  }i  ,Klobrr  lôji.  Corttifi.  uJmin.,  t.  l,p,  Sio.  —  Auprirs  du  minisire, 
Bcllinyjtii,  l'un  de;»  principaux  actionnaires  de  b  Compagnie  au  Levant,  avait 
iin^rC-t  i  iiit^dirc  de  la  Chambre. 


I 


144  '-E   RELEVEMENT   DU   COMMERCE 

d'ArnoLil  revenaient  sans  cesse  sur  la  mesquinerie  et  l'ctroitcssed'es' 
prit  des  Marseillais,  leur  altachement  entètéà  leurs  vieilles  pratiques  e 
l'impossibilité  de  fliireavec  eux  ce  grand  commerce  que  Colbert  rêvait 
d'établir.  Le  ministre  avait  pleine  conriance  dans  ces  avisde l'intendant, 
il  mettait  en  marge  d'une  de  ses  lettres  :  «  Tout  ce  raisonnement  en 
bien  comme  en  mal  est  vrai.  H  ne  faut  pas  espérer  d'y  remédier  promp 
tement  :  il  faut  le  combattre  doucement  et  persévérer,  qu'ila  fin  on 
en  viendra  ;\  bout'.  »  Colbert  manifesta  donc  la  plus  grande  défiance 
;\  l'égard  de  la  Chambre,  tandis  qu'elle  eût  pu  être  son  plus  puissant 
auxiliaire  dans  l'teuvre  qu'il  avait  entreprise.  Ce  n'est  pas  à  elle  qu'il 
s'adresse  pour  avoir  des  renseignements  et  des  avis,  il  demande  à 
Arnoul  ou  à  d'Oppède  de  consulter  les  négociants  les  plus  habiles; 
pour  la  liquidation  des  dettes  du  commerce  il  charge  les  directeurs 
de  la  Compagnie  du  Levant  de  s'informer'-,  il  ne  croit  pas  aux  chif- 
fresde  statistique  que  les  déput-'-s  du  commerce  fournissent  à  l'inien-  . 
dant  et  il  se  plaint  à  Rouillé  qu'il  se  laisse  trop  influencer  par  cefl 
qu'ils  lui  disent^  Quand  Rouillé  est  remplacé,  il  recommande  forte--™ 
ment  au  nouvel  intendant  Morant  de  se  défier  de  ce  que  lui  diront 
les  députés  du  commercee  et  de  ne  leur  laisser  aucune  liberté  d'agir  : 
«  Je  vous  prie  au  surplus,  lui  dit-il,  toutes  les  fois  que  vous  parlerez 
aux  marchands  de  .Marseille  de  ces  sortes  d'afîiûrcs,  d'être  toujours 
fort  en  garde  contre  leurs  raisonnements,  qui  sont  tous  faux,  et  qui 
vont  plutôt  à  la  destruction  de  leur  commerce  qu'à  l'augmentation  '.  » 
Les  .Kcusations  portées  contre  les  Marseillais,  n'étaient  malheu- 
reusement pas  entièrement  fausses.  Les  élections  des  échevins  se 
faisaient  toujours  par  intrigue,  l'esprit  de  faction  n'avait  pas  disparu 
de  la  ville  et  les  magistrats  restaient  trop  attachés  ù  leur  intérêt 
particulier.  L'entente  n'e-\isiait  pas  toujours  entre  les  échevins  et  les 
députés  du  commerce  et  leurs  querelles  ont  laissé  des  traces  mémo 
sur  les  registres  de  leurs  délibérations  :  il  arriva  en  effet  à  diverses 
reprises  que  les  séances  ne  purent  avoir  lieu,  h  cause  du  refus  de 
députés  de  siéger.  C'était  avec  raison  qu'.Arnoul  proposait  h  Colberi 

(i)  Ainoul  à  Coll'dl,  2}  juin  i6/>&.  DeWS'G.  Coinsfi.  nJmiii.,  I.  IIJ,  p.  ^oj. 

(2)  Letlii  df  rhvqite  de  Marseille  à  Colberi,  2j  noi:  jMtç.  Depfisg,  t,  I,  p.  8io. 

(5)  2S  dèambit  i6jg.  —  i)  janvii-r  i6j}  :  «  Comme  les  esprits  des  marchands^ 
de  cette  ville  sont  fort  dOréglés,  qu'il  n'y  a  ni  police,  ni  bonne  foi  p;irnii  eux...  » 

(.1)  ij  ttvril  t6Si.  hilrei,  t.  Il,  p.  "jiù. —  Plus  tard  Morel.le  premier  comrai^ 
de  Seigncljy,  dans  uu  inèinoirc  qu  il  lui  adressait,  disait  qu'il  l'nllait  Otreeng.irdc 
contre  les  Trovcuvaux  et  contre  les  préventions  de  Murant  qui  les  écoutait.  Arch. 
delà  Mar.,  U^,4ifi,p  4J7-41. 


I 
I 


COLBERT  KT  LA  RÉFORME  DES  ABUS 


»4$ 


de  séparer  nettement  Ki  Chambre  du  corps  de  la  communauté  :  «  il 
y  a  deux  intérêts  à  Marseille,  écrivait-il,  qu'il  faut  séparer  l'un  de 
l'autre,  l'échevinagcet  le  commerce  et  les  traiter  bien  différemment, 
discréditer  le  premier  et  accréditer  l'autre.  Tout  cela  serait  trop  long 
à  vous  débiter.  M,  le  premier,  qui  fait  plus  qu'il  ne  dit,  s'en  ira  si 
bien  instruit,  qu'il  vous  en  fera  connaître  plus  en  une  conférence, 
que  je  ne  vous  en  dirais  en  une  main  de  papier....  Je  ne  souhaite 
qu'une  de  vos  visites  pour  guérir  te  malade'.  »  Colbert entra  dans 
les  projets  de  l'intendant,  cependant  l'organisation  de  la  Chambre 
ne  reçut  aucune  modification. 

.Malgré  les  défiances  qu'elle  inspirait  et  les  défliuts  réels  de  son 
organisation,  la  Chambre  du  commerce  rendit  cependant  de  grands 
services,  pendant  l'administnition  de  Colbert,  et  c'est  à  elle  qu'il 
faut  attribuer  en  partie  l'honneur  de  ses  réformes.  Dès  le  début,  les 
députés  du  commerce,  qui  la  dirigeaient,  affirmèrent  énergiquement 
leur  désir  de  porter  remède  aux  abus,  comme  le  montrent  leurs 
lettres  adressées  aux  consuls  des  échelles:  «  d'hors  en  avant,  leurs 
disaient-ils,  en  leur  demandant  de  les  informer  régulièrement  des 
affaires, nous  voulons  prendre  connaissance  entière  de  ce  qui  advien- 
dra' ».  C'est  au.\  plaintes  depuis  longtemps  réitérées  des  députés  du 
commerce  que  fut  duc  la  réforme  des  consulats  et  de  l'administration 
des  échelles,  ils  fournirent  de  nombreux  mémoires  au  sujet  de 
Taffranchissemcnt  du  port;  en  partant  pour  îe  Levant,  M.  de  la 
Haye  le  fils,  chargé  de  renouveler  les  capitulations,  leur  demanda 
des  mémoires  sur  les  contraventions  des  Turcs  aux  anciens  traités 
et  sur  les  réclamations  qu'il  aurait  h  faire  ^;  enfin,  malgré  lavis  de  la 
compagnie  du  Levant,  ils  firent  décider  la  continuation  des  négo- 
ciations avec  les  Turcs  en  1669.  Quelles  que  fussent  les  récri- 
minations d'Arnoul  dans  ses  lettres  ;\  Colbert,  au  sujet  de  l'étroitesse 
d'esprit  des  Marseillais  et  de  l'impossibilité  de  rien  accompHr 
en  consultant  leurs  assemblées,  le  recueil  des  délibérations  de  la 
Chambre  montre  que  d'Oppcde  ne  faisait  rien  sans  la  consul- 
ter et  qu'il  se  guidait  généralement  d'après  ses  avis.  L'influence  de 

(1)  a/  août  166S.  -  iS  itplemhre  :  «  Je  cherclicraî  dans  ma  tête  les  moyens  de 
faire  deux  corps  séparés  et  qui  néanmoins  n'en  fassent  qu'un...  »  —  Deppinc. 
\.  l,  p.  788-89. 

12)  6  juin  16 io.  BB,  26,  V.  série  d'autres  lettres,  mai-juin  1650,  14  mars 
1651,  etc. 

(Jl  BB,  i.  7  iWlûbre  i66f.  —  Mémoires  four  raffranchisietneni  dupcri.  BB,2. 

10 


146 


LE    RELEVEMENT   DU    COMMERCE 


la  Chambre  s'accrur  à  mesure  que  les  relations  s'améliorèrent  entre 
elle  et  les  représentants  du  roi.  Des  deux  côtés  les  vieilles  querelles 
turent  oubliées  ;  les  Marseillais,  qui  avaient  d'abord  accueilli  tort 
mal  certaines  innovations  de  Colbert,  parce  que  pendant  longtemps 
l'intervention  de  la  cour  ne  s'était  manifestée  que  par  des  nouvelles 
impositions,  ou  des  atteintes  à  leurs  privilèges,  apprirent  h  apprécier 
les  bienl'aits  de  ses  rctbnnes.  D'un  autre  côté,  la  Chambre  obiiniplus 
d'autorité  à  la  cour  par  l'heureuse  amélioration  qui  se  fit  dans  le 
choix  des  échevins  et  des  députés  du  commerce.  Grâce  à  l'esprit 
d'ordre  qui  pénétrait  partout,  sous  l'éneryique  impulsion  du  mi- 
nistre, les  Intrigues  furent  contenues  et  les  élections  appelèrent  les 
plus  dignes  à  diriger  le  commerce.  Enfin  les  éciiccs  successifs  de  la 
Compagnie  du  Levant  montrèrent  que  l'organisation  des  Marseillais 
avait  du  bon  et  donnèrent  plus  d'importance  à  la  Chambre, 

Le  commerce  avait  donc  à  sa  tète  une  forte  direction  et  un  mi- 
nistre qui  lui  communiquait  son  ardeur  de  tout  réf»)nTH.T  ;  on  en 
sentit  bientôt  les  effets.  Un  mémoire,  que  Colbert  dressa  lui-même 
en  1669,  et  dont  la  minute  autographe  nous  es:  par\'enue,  renferme 
tout  un  programme  méthodique  de  réformes'.  «  L'abandonnemeni 
entier  du  conseil  du  roi,  dis.iit-il,  était  la  première  cause  des 
désordres,  laquelle  ayant  produit  l'abus  es  personnes  des  ambassa- 
deurs, la  corruption  a  passé  à  tous  ceux  qui  y  ont  eu  part...  Pour  y 
remédier,  il  faut  prendre  le  même  chemin  que  la  corruption  a  tait... 
Ih'aut  donner  ordre  à  l'ambassadeur  de  deux  choses  essentielles  et 
principales:  l'une,  de  ne  prendre  intérêt  en  aucun  commerce  de 
quelque  nature  que  ce  soit  et  l'autre,  de  donner  une  application  tout 
entière  et  d'employer  toutes  instances  au  nom  du  roi  pour  la  pro- 
tection des  marchands*.  »  Il  s'agissait  alors,  au  moment  du  rappel 
de  M.  de  la  Haye  le  fils,  de  décider  s'il  .serait  remplacé  par  un 
ambassadeur,  ou  par  un  simple  agent  du  roi*.  Colbert  demanda  A 
.^rnoul  de  se  renseigner  auprès  des  députés  du  commerce:  «  Il  sera 
bon,  lui  écrit-il,  que  vous  vous  informiez  de  la  conduite  de  l'ambas- 
sadeur à  Constantinople,  de  quelle  sorte  il  traite  les  marchands, 
quels  droits  lui  sont  dus,  s'il  se  contente  ou  non  de  ce  qui  est  légiti- 


<I)  Lettres  tt  Itislrttct.,  t.  VIL  supplm.  p.  2S6. 

(2)  L.1   Chambre  se  plaignait  encore   le    i^'  juillet   1670  de  l'oppression    de 
M    de  la  Haye.—  i" jiiil.  i6jo.  HH,  26. 

(3)  Voir  1  ce  sujet  le  chapitre  iv. 


COLBERT   ET   LA    RàpORME   DES   ABUS 


H7 


memcnt  dû,  et  enfin  si  toutes  les  plaintes  que  les  marchands  font 
contre  lui  ont  quelque  apparence  de  vérité  ou  non.  Envoyez-moi 
promptement  le  détail  de  ce  que  vous  apprendrez'.  » 

Les  députés  du  commerce  ne  firent  que  confirmer  leurs  anciennes 
plaintes*,  ci  furent  d'avis  qu'il  vaudrait  mieux  n'entretenir  qu'un 
simple  résident  ;  cependant  l'ambassade  fut  maintenue,  mais  M.  de 

»Nointcl  reçut  à  son  départ  des  instructions  sévères  et  dut  s'entendre 
avec  les  députés  du  commerce,  lors  de  son  passage  :\  Marseille. 
Peu  de  temps  après  son  arrivée  à  son  poste,  le  roi  lui  écrivait  encore: 
«  Je  vous  fais  cette  lettre  pour  vous  dire  que  mon  intention  est  que 
vous  ne  fassiez  à  l'avenir  aucune  ordonnance   pour   des  levées  de 
deniers  sur  les  négociants,  pour  quelque  prétexte  que  ce  puisse  être, 
que  vous  n'en  aviez  auparavant  communiqué  le  sujet  aux  marchands, 
capitaines  et  écrivains  de  navires  qui  seront  sur  les  lieux,  et  qu'ils 
n'aient  opiné  et  donné  leurs  suffnigessur  1.»  matière*.  »  Pour  enlever 
tout  prétexte  à  l'ambassadeur,  une  ordonnance  de  d'Oppcde  décida, 
^  en  1669,  que  les   16,000.  livres    de  sa  pension  lui  seraient  payés 
^annuellement,  de  préférence  ;\  toute  autre  dépense*;  M.  de  Nointel 
fut  en  effet  payé  régulièrement  tous  les  six  mois  et  même  d'avance*. 
^     Cependant  M.  de  Nointel,  qui  aimait  le  faste  et  l'apparat,  trouva 
V  encore  des  prétextes  de  taire  des  levées  extraordinaires  d'argent,  tant 
pour  le  renouvellemeiu  des  Capitulations,  que  pour  son  voyage  de 
Terre-Sainte,  et   la  Chambre  se  plaignit  h  diverses  reprises  de  ses 
dépenses  exagérées*.  Les  violences  qu'il  exerça  en    1677  contre  la 
nation  de  Smyrne  pour  se  faire  donner  18.000  piastres'  firent  reve- 
Boitr  k  Chambre  i  la  pensée  de  demander  «  qu'on  ne  tint  à  Constan- 
tinople  qu'un  résident,  parce  que  l'expérience  du  passé  avait  fait  voir 
cjue  le  commerce  était  mieux  protégé  que  par  les  ambassadeurs,  qui 
&e  jetaient  dans  des  dépenses  extraordinaires,  qu'ils  faisaient  par  après 

1{t)  2  Hoii.  i66ç,  li  Arnou].  Ltllrei,  I.  III,  i":  pttilif. 
(2)  Cahiers  adressés  au  roi,  arlkh  13.  BB,  3.  —  T.  Statcts  du  j  jairv.,  7 /</v. 
667.  B8,  2. 
(})  to  mars,  1670.  Dupping,  t.  III,  p.  555. 
(4)  6  juilUt  j66i/.  RB,  2. 
(5)  BB,  s.  Dilihiraticns. 
(6)  27  mars  i6j4,  iS  mars  sO/S,  1"  octobre  z6y6,  ti  fivritr  H>Ti.  AA,  183. 
^ttra  des  drptitf's  de  la  iialioti  de  Hmyrne,  —  Voir  Lellrts  de  la  Chambre  à  Colhrl, 
•  août  /67J,  }  avril  Jf</j.  BB,  37. 
(7)  Il  avait  obtenu   des  commandements  du  G.  S.  où  il  était  dit  qu'en  cas  de 
■«fus,  le  consul,  six  marchands  et  six  capitaines  de  vaisseaux,  seraient  menés  liés 
et  garrottés  à  Constantinople.  —  Lettres.  AA,  sSj  . —  Cf  22  ntai  lù-fj .  BB,  2-j. 


148  LE  RELÈVEMENT   DU   COMMERCE 

souffrir  aux  négociants  »  et  elle  adressa  des  mémoires  en  ce  sens  à 
son  agent  à  la  cour'.  Mais  ce  n'étaient  plus  li  que  les  derniers  échos 
de  la  longue  querelle  entre  le  commerce  et  les  ambassadeurs  et 
l'envoi  en  Levant  de  l'intègre  M.  de  Guilleragues  (1679)  allait  défi- 
nitivement donner  à  leurs  rapports  avec  la  Chambre  et  les  marchands 
le  caractère  qu'ils  auraient  dû  toujours  avoir. 

Colbert  rencontra  beaucoup  plus  de  difficultés  dans  la  réforme  des 
consulats  et  de  l'administration  des  échelles,  à  laquelle  il  travailla 
pendant  tout  son  ministère  et  qu'il  laissa  bien  incomplète  à  sa  mort. 
Il  avait  chargé  d'Oppèdc  de  l'étudier  avec  la  Chambre  et  celui-ci  lui 
envoyait  les  mémoires  qu'il  avait  demandés  à  ce  sujet,  le  27  mars 
1664*.  Quelques  mois  après  Colbert,  faisait  rendre  l'arrêt  du  Conseil 
du  12  décembre  1664,  dont  le  préambule  résumait  nettement  tous  les 
abus  auxquels  avaient  donné  lieu  les  consulats.  «  A  quoi  étant  néces- 
saire de  pourvoir,  disait  l'arrêt,  S.  M.,  étant  en  son  Conseil  de  com- 
merce, a  ordonné  et  ordonne  que  dans  les  six  mois,  ;\  partir  de  la 
publication  du  présent  arrêt  en  la  ville  de  Marseille,  tous  les  pro- 
priétaires des  consulats  des  échelles  du  Levant  remettront  leurs 
titres  entre  les  mains  du  sieur  Colbert  pour  en  être  fait  rapport  à  Sa 
Majesté,  enjoint  S.  M.  à  tous  les  propriétaires  desdites  charges  de  se 
rendre  dans  le  temps  de  trois  mois  au  lieu  de  leur  résidence  pour 
les  exercer  en  personne,  et  de  donner  caution  solvable,  foute  de  quoi, 
ledit  temps  passé,  leurs  charges  seront  déclarées  vacantes  et  inii>é- 
trables,  sans  que  cette  clause  puisse  être  censée  comminatoire,  fors  et 
excepté  ceux  à  qui  S.  M.  a  permis  par  leurs  lettres  de  provision  de 
faire  exercer  par  des  commis,  desquels  en  ce  cas  ils  seront  respon- 
sables, après  les  avoir  présentés  à  S.  M.  pour  être  agréés  et  autorisés 
par  commission  expresse,  sans  laquelle  il  défend  à  qui  que  ce  soit 
de  s'immiscer  aux  fonctions  de  consul,  A  peine  de  faux  et  de  répé- 
tition sur  eux  des  droits  qu'ils  auront  reçus  en  cette  qualité.  »  Cette 
exception  en  fovcur  de  certains  consuls,  et  c'étaient  les  plus  nom- 
breux, enlevait  toute  sa  force  ;\  l'obligation  de  résider  et  à  la  défense 
d'établir  des  fermiers  des  consulats.  D'ailleurs  comment  la  foire  e.\é-  - 
cuter,  puisque  dans  plusieurs  échelles,  comme  à  Seïde  et  ;\  Alep,  Ic:_ 
consulat  appartenait  à  plusieurs  propriétaires.  Il  ne  subsistait  guèr^ 

(1)  llll,  }.  y  mai  lOy; ,  i<)  iwi'il  i(>yy,  IMih'iaiioiis.  —  Voir  ce  mémoire  int«3-. 
rcssam,  du  2)  août  1677  :  lilK  26. 

(2)  liH,  26. 


COLBERT  ET  l.A  REFORME  DES  ABUS 


149 


de  l'arrêt  que  l'obligiuioii  de  fnirc  agréer  au  roi  les  commis  fermiers 
et  l'affirmation  renouvelée  de  la  responsabilité  des  propriétaires. 
Colbert  .sentit  rinsullisance  de  ct-  premier  arrêt,  qui  n'eut  d'autre 
résultat  que  de  susciter  les  remontrances  des  propriétaires  des  consu- 
lats ct  fil  rendre  celui  du  7  juillet  1665  qui  révoquait  ta  faculté 
jccurdée  aux  propriétaires  desdits  consulats  "  de  faire  exercer  Icsdits 
ortices  par  des  commis  et  personnes  subdéléguées.  »  Les  propriétaires 
devaient  se  rendre  «  dans  trois  mois,  pour  toutes  préfictions  et  délais, 
du  jour  Je  la  signification  du  présent  arrêt,  aux  lieux  de  leur  résidence 
pour  exercer  lesdits  consulats  en  personne  et  ce,  sous  peine  de  priva- 
tion Jesdits  consulats  et  olïices'.  >t 

Ce  nouvel  arrêt  ne  fut  pas  mieux  exécuté  que  le  premier  ;  on 
voit  par  la  correspondance  consulaire  que  le  personnel  des  consulats 
resta  le  même  et  que  les  consuls  fermiers  furent  maintenus  dans 
leurs  charges.  Des  députés  des  intéressés  aux  divers  consulats  étaient 
X'cnus  .\  la  Cour  •<  pour  supplier  le  roi  de  trouver  bon  de  ne  pas  les 
obliger  à  la  résidence  et  que,  répondant  des  actions  de  ceux  qu'ils 

commettraient  A  leur  place on  se  pourrait  attaquer  à  leurs  biens 

«t  à   leurs  personnes  propres  »  ;    ils    avaient   sans   doute   obtenu 

satisfaction*.    Arnoul  écrivait  encore  à  Colbert  le  25  juin  166S  : 

■«  tant  que  les  consulats  seront   tenus   par  des   fermiers,    par  des 

banqueroutiers  et  par  des  gens  qui  feront  négoce,  il  n'en  faut  rien 

attendre  ;  ils  pensent  à  leurs  affaires,  ils  craignent  et  n'osent  parler, 

«ri  comme  il  faut  toujours  agir  contre  les  douaniers,  ils  n'osent  étant 

Tiurchands.  Je  voudrais  que  le  roi  les  fil  appointer  par  le  commerce, 

<hoisir  d'honnêtes  gens  autant  que  l'on  pourrait,  acquitter  une  fois 

les  échelles  et  connaître  les  dettes  qui  ne  sont  pas  tout  ce  que  l'on 

pense,  en  faisant  justice"'.  «  C'était  la  vraie  solution  qu'il  indiquait 

d  Colbert  :  il  t'ai  lait  renoncer  au  système  des  consuls  propriétaires, 

mais  Colbert  ne  crut  pas  pouvoir  l'adopter,  car  il  se  contentait  de 

mettre  en  marge  de  cette  lettre:  «  Il  tant  envoyer  un  mémoire  de 

tous  ceux  qui  possèdent  ces  consulats  et  m'écrire  leurs  bonnes  et 

mauvaises  qualités  '.  » 


{ I  )  Arrêts  du  t2  liéamhrt  1664  et  7  juillet  ib6}.  A  A,  ij2. 

(2)  Leilrededtld  Haye  li  Colhirl.kriU'  de  Marseille,  9  octobre.  i6(>j  :  De  hi  Haye 
voit  A  M-irifilk-  le  frère  Jl-  M.  de  Bermond,  consul  d'Hgyptc,  il  lui  parle  d'obliger 
son  l'rère  a  ne  prendre  (;|ue  2  0/0  pour  ses  droits  de  consulat,  mais  il  nVst  pas 
qucsîion  que  Bermond  quitte  le  consulat.  Dkpping,  t.  ill,  p.  375. 

131  3S  et  2<>  août  i()6S.  DiiPnNo.t.  Ill,  p.  404-^05. 

14)  V.  Deiting,  I.  I,  p.  789,  la  réponse  d'.\rnoul,  iS  septembre  166S. 


150 


LE   RELÈVEMEST   DU   COMMERCE 


I 


Cette  correspondance  montre  bien  le  souci  continuel  de  Colberi 
d'améliorer  les  consulats  ;  dans  son  programme  de  réformes  qu'il 
rédige;!  en  1669,  il  se  proposait  encore  d'obliger  les  consuls  à  aller 
exercer  en  personne  et  il  fit  publier  ;\  cet  égard,  mais  sans  plus  de 
succès,  l'arrêt  du  conseil  de  commerce  du  29  mars  1669*.  La  fl 
question  fut  de  nouveau  remise  sur  le  tapis  en  1673  :  Colbert 
envoya  un  ample  mémoire  sur  les  consulats  à  l'intendant  Rouillé 
en  lui  demandant  d'y  répondre  ;  sur  la  recommandation  de  l'inten- 
dant, le  chevalier  d'Arvieux  fut  chargé  d'y  travailler  avec  lui  ;  mais 
ce  n'est  qu'en  1675  qu'intervint  un  nouvel  arrêt,  rendu  au  Conseil 
sur  le  rapport  de  Colbert  :  après  avoir  rappelé  que,  malgré  ceux  de 
1664  et  1665,  les  propriétaires  avaient  continué  d'envoyer  des 
commis  dans  les  échelles,  ce  règlement  «  cassait  et  annulait  les 
commissions  données  par  les  prétendus  propriétaires  des  consulats  ^ 
de  Smirne,  Napoly  de  Ronunie,  Alep,  Cliipre,  Satalie,  Seïde  et  fl 
leurs  dépendances,  faisait  très-expresses  inhibitions  et  défenses  aux- 
dits  consuls  ou  subdélégués  de  s'immiscer  ù  l'avenir  en  l'exercice  et 

fonctions  desdiles  charges.  ;\  peine  de  lo.noo  livres  d'amende 

enjoignait  S.  M.  au  marquis  de  Nointel  de  tenir  la  main  i  l'exécu- 
tion du  présent  arrêt,  se  réservant  S.  M.  de  pourvoir  auxdits  consulats 
de  personnes  capables*.  »  Les  ordres  du  roi  furent  mieux  exécutés, 
puisqu'à  Smyrne  le  consul  Louis  Chambon,  homme  de  mérite. 
ancien  échevin  de  Marseille,  fermier  du  propriétaire  Dupuy,  quitta 
l'échelle  en  1675  ;  le  consulat  fut  exercé  par  le  propriétaire  de 
1676  à  1683,  puis  par  son  neveu  du  Roure  avec  le  consentement  de 
l'ambassadeur  et  l'approbation  royale*.  A  Alep  l'un  des  propriétaires, 
Dupont,  exerçait  le  consulat  sans  donner  lieu  à  des  plaintes  depuis 
1671,  et  il  y  demeura.  Mais,  dans  les  aiitres  échelles,  les  consuls 
fermiers  restèrent  en  charge  et  la  nation  de  Seïde  se  plaignait  encore 
en  1680  que  M.  de  Soissons,  l'un  des  propriétaires,  avait  obtenu  de 
la  Cour  par  surprise  des  lettres  patentes  pour  honorer  du  consulat  te  ^ 
chancelier  de  réchelle,  ce  qui  ne  s'était  jamais  vu  *.  L'ordonnance  de  ^ 
Li  marine  de  1681  se  borna  à  déclarer  qu'aucun  "  ne  pourrait  se  dire 


I 


(i>  Ce  programme  se  trouve  :  Letlra  tî  Intl..  l.  Vil,  ntpplêm  ,p.  aS6.  —  L'arrêt 
est  cite  par  Isambert,  p.  205. 

(I)  Àntl  du  ijaoùl  167s.  AA,  iji.  —  V.  d'ARViEOX,  t.  V,  p.  319  ;  les  réponse» 
qu'il  fit  au  Miimoirc  cnvoyc  par  Colbert  à  l'intendant  Rouillé. 

(j)  Lf lires  df  du  Roure,  12  juin,  6  sepUnibre  16S4.  AA,  jSj. 

(4)  Lettre  de  la  nation,  4  mai  1680.  AA,  jj6. 


COLBERT    ET   LA    REIORME    DKS    ABUS 


isr 


consul  de  la  nation  française  dans  les  pays  étrangers  sans  avoir 
commission  du  roi  qui  ne  serait  accordée  qu'à  ceux  qui  auraient  l'âge 
de  ?o  ans'.  » 

Ainsi,  malgré  tous  ses  efforts,  Colburt  n'avait  pu   mettre  fin  au 

système  ruineux  des  consuls  fermiers  ;  tout  au   plus    avait-il    pu 

obtenir  que  le  choix  de  ces  fermiers  fut  meilleur-  et  que  la  respon- 

sahililé  des  propriétaires  fût  plus  effective.  Cependant,  à  la  lin  de 

l'administration  de  Colbert,  se  produisit  un  événement  qui  devait 

amener  indirectement    la  réforme  définitive   des   consulats.    Les 

propriétaires  de  ceux  du  Caire  et  d'Alcp  étant  morts,  la  possession 

de  ces    deux  charges  fut   considérée  comme  une  dépendance  du 

secrétariat  d'état  de  la  marine  et  Colbert  put  disposer  ;'\  son  gré  de 

ces  deux  consulats  importants^.  Un  peu  après  sa  mort,  Seignclay 

étendait  .\   tous  les  consulats  cette  prétention  et  décl.irait  que  la 

propriété  et   jouissance  de  toutes  ces  charges  étaient  attachées  à 

Celle   de  secrétaire  d'état*.  Colbert  donna  i  son   fils  un  exemple 

malheureux  en  affermant  ku-mème  ces  deux  consulats  ;   sans  doute 

il  se  contenta  d'une  redevance  de  9.500  livres,  tandis  que  le  seul 

consulat  du  Caire  rapportait  ri. 000  livres  à   l'ancien  propriétaire, 

mais  il  consacrait  ainsi  le  système  du  fermage  qu'il  avait  condamné 

si  souvent.  Ce  qui  rendit  son  erreur  plus  grave  ce  fut  de  donner 

cette  ferme  à  la  Compagnie  du  Levant,  objet  de  toutes  ses  faveurs. 

Comment  les  commis  de  la  Compagnie  pourraient-ils  accorder  une 

sérieuse    protection    aux   résidents  des  échelles  qui    lui    titsaieut 

concurrence  ?  Colbert  qui  avait  défendu  .wcc  raison  aux  consuls  de 

pratiquer  le  négoce  ne  consacrait-i!  pas  lui-même  cet  abus  contre 

lequel  il  avait  sans  cesse  lutté  }  Il  n'était  pas  mieux  inspiré  quand  il 

-accordait  la  commission  de  consul  de  Candie  à  l'aparel  directeur  de 

la  Compagnie  du  Levant  qui  lui  offrait  de  fournir  chaque  année 

-200  ou  300  Turcs  pour  les  galères,  à  450  livres  chacun  '. 


(!)  Titre  ix,  art.  i. 

(î)  La  Chambre  inttrvenaii  parfois  pour  recommaudcr  un  candidat.  Jjrtire  à 
Colh'l,  r"  avril  tf>jt>  ;  à  BMn-ani,  26  mai  t6S3.  Bli,  36. 

(  5 1  Atch.  Je  la  Marine,  fl',  4Stf,  fol.  j}8-6a.  Mémoire  sur  lu  Coiripa^nie  du  Lrvant. 

141  Aich.  de  la  Marine.  B' ,  40r,  fol.  .fjj-^i.  iMUe  de  M.  Mord  à  Seignelay, 
rfoclobre  i^S.f,  en  m.irgc  de  l.nqueflc  on  a  mis  :  Nouvelles  preuves  de  la  propriété 
et  jouissances  des  consulats  attaches  .i  la  charge  de  secrétaire  d'état  de  la  marine. 
V.  p.  79  pour  l'origine  de  cette  théorie. 

(3)  Cette  question  des  consulats  est  très  obscure,  ce  qui  e.xpliquc  toutes 
lo  erreurs  commises  â  ce  sujet  par  les  historiens  (V.  par  exempte  JuUiany, 
Marchand).  Ce  qui  augmente  la  confusion    c'est  que   tous  les  consulats  delà 


IS2 


LE   RELEVEMENT   DU   COMMERCE 


Faute  d'avoir  remédié  aux  abus  dans  leur  principe,  toutes  les 
tentatives  de  Coibert  pour  la  réorganisation  des  échelles  furent  en 
partie  frappées  d'impuissance.  Dé jil  l'arrêt  du  Conseil  du  12  décem- 
bre i664avait  pour  but  de  mettre  fin  à  deux  des  plus  graves  désordres: 
«  S.  M.,  y  était-il  dit,  veut  et  entend  que  désormais  les  consuls 
donnent  toute  leur  application  au  rétablissement  du  commerce  et 
au  soulagement  des  marchands,  leur  fait  expresse  inhibition  et 
défense,  tant  à  eux  qu'à  leurs  commis,  de  se  mêler  d'aucun  trafic 
pour  eux  ni  pour  autrui,  ni  de  recevoir  aucune  commission  des 
marchands...,  leur  lait  semblable  inhibition  et  défense  d'emprunter 
à  l'avenir  aucune  somme  et  denier  des  Turcs,  Mores  et  Juifs  ou 
Chrétiens  sous  le  nom  prétendu  de  la  nation,  pour  quelque  occasion 
que  ce  puisse  être,  i  peine  de  payer  de  leur  propre...  leur  défend 
en  outre  de  charger  les  marchandises  d'autres  droits  que  de  ceux  qui 
ont  été  ou  seront  ci-après  ordonnés  par  arrêts  ou  lettres  patentes... 
et  ce  sous  peine  de  concussion.  »  L'ambassadeur  de  la  Haye  partait 
l'année  suivante  avec  mission  de  veiller  à  l'exécution  de  ces  dispo- 
sitions. En  ié66,  sur  l'ordre  du  président  d'Oppède,  la  Chambre 
dressait  un  règlement  pour  l'administration  des  échelles '.  Comme 
il  était  mal  observé,  Coibert  adressa  le  i6  février  1670  aux  consuls 
de  France  dans  le  Levant  un  arrêt  du  Conseil  destiné  à  mettre  un 
terme  aux  désordres  et  aux  irrégularités  dans  la  tenue  des  assemblées 
de  la  nation,  qui  permettaient  aux  consuls  d'exercer  leurs  vexations*. 

La  grande  ordonnance  de  la  marine  de  16S1  résuma  tous  les 
arrêts  précédents  et  établit  pour  la  première  fois  d'une  manière 
nette  les  rapports  des  consuls  et  de  la  nation  et  les  règles  de  l'admi- 
nistration des  échelles.  Elle  réglementait  la  tenue  des  assemblées 
(ari.  ^,  5,  6,  S)*,  défendait   de   nouveau  aux  consuls   de  faire  des 

MèdiieiTanee  n'étaient  pas  soumis  au  mime  lésiiiic  :  A  Alger  et  ix  Tunis  il  n'y 
eut  pas  de  consuls  fermiers.  —  A  Candie,  échelle  nouvellement  créée  par  Colbcn, 
le  secrétaire  d'Etat  disposait  entièrement  du  consulat.  Par  contre,  l'altusdu  fermai 
s'était  étendu  a  divers  consulats  d'Italie,  comme  ccu.x.  de  Gènes  et  Livourne,  V 
;j  ocJobrt  thyt,  Icllrt  d(  Colbdt.  Ltttrti ,  I.  //.—  Gilbert  ne  lit  rien  pour  le 
recrutement  des  vice-consuls  des  petites  échelles  qui  était  L-ncorc  plus  délrctucun. 
.\insi  à  .Alexandrie,  Beyrouth,  Tripoli,  .Mexandrctte,  Sat.ilic,  Chypre,  Chio  il  d'v 
avait  que  des  vice-consuls  nommés  par  le  cotisut  de  l'échelle  principale  dont  elle» 
3épettdaicnt.  —  Ces  vice-consuls  n'étaient  donc  que  des  conmiis  des  cnniulj 
fermiers. 

(I)  K.  Lttlrf  ./«  17  m'riJ  1666.  BB,  26. 

(al  Ltltrts  il  Inst.,  t.  IL  10  fh'i'ut.  i6ja.  —  DeppiNti.  t    [II.  p.  508. 

(5)  Les  consuls  devaient  y  appeler  tous  les  marchands,   capitiincs  et  patrons 
français  étant  sur  les  lieux,  lesquels  seraient  obligés  d\v  assister  à  peine  d'amende- 


COLBERT  ET  LA  REFORME  DES  ABUS 


ISÎ 


I 


emprunts  au  nom  de  la  nation,  snns  une  délibération  de  rassemblée 

e  la  nation  qui  en  contiendrait  les  causes  et  la  nécessité  (an.  lo). 

Sous  peine  de  concussion  ils  ne  devaient  pas  lever  de  plus  grands 

droits    que  ceux  qui   leur    seraient  attribués  (art.   ii).  En  cas  de 

contestation  entre  les  consuls  et  les  négociants  les  parties  devaient  se 

pourvoir  au  siège  de  l'aniirautc  de  Marseille  (uri.  /yj.  Les  pouvoirs 

judiciaires  du  consul  étaient   réglés  :  leurs  jugements  devaient  être 

exécutés  par  provision  en  matière  civile  et  définitivement  en  matière 

criminelle,  quand  ils  n'entraînaient  pas  une  peine  atflictive,  le  tout 

pourvu  qu'ils  fussent  donnes  avec  les  députés  et  quatre  notables  de  la 

nation  (art.  i  j).  Si  le  cas  comportait  une  peine  afflictive,  ils  devaient 

instruire  le  procès  et   embarquer  l'accusé  sur   le  premier  vaisseau 

qui  ferait  son  retour  dans  le  royaume,  pour  être  jugé  par  les  officiers 

de  l'amirauté  du  premier  port  où  le   vaisseau   ferait  sa   décharge 

(ait.    i.f).    Les  consuls  pourraient  aussi,  après  information  et  par 

Vavis  des  députés  de  la  nation,  faire  sortir  des  échelles  les  Français 

de  vie  et  conduite  scandaleuse,  les  capitaines  devaient  les  embarquer 

sur  les  ordres  des  consuls  à  peine  de  joo  livres  d'amende  (art.  i  f). 

Les  appels  des  jugements  consulaires  ressortiraient  au  Parlement 

d'Aix   (art.   iS).  Les  consuls  devaient  tenir  bon  et  fidèle  mémoire 

des  affaires  importantes  de  leur  consulat  et  Fenvoyer  au  secrétaire 

Etat  de  la  marine  far/.  9J.  D'autres  articles  réglaient  les  devoirs 

des  députés,  élus  chaque  année  pour  administrer  les  deniers  appar- 

enant  à  la  nation  (art.  2,  7,  26),  et  ceux  des  chanceliers  nommés 

ar  le  consul  (art,  t6,  ij,  20,  2J,  2-/).  L'ordonnance  de  1681  ne 

:ontenait  pas  encore  assez  de  développements  sur  les  consulats  du 

e\*ant  qui  se  trouvaient  dans  des  conditions  toute  particulières, 

'est  ce  qui  nécessita  la  publication  du  Règlement  du  25  décembre 

685  qui  s'appliquait  spécialement  aux  échelles  et   reprit,  en   les 

omplétant,  les  dispositions  de  l'ordonnance'. 


IrbilMirc  (m t.  .f).  —  l,c<  artisjiis  établis  dans  Ici  cchcllcs  et  les  malciots  ne 
levaient  pjw  y  *ire  adims  (art.  f).  —  Les  rcsoluUous  Je  la  nation  devaient  être 
ignéo  de  toui  ceux  qui  y  auraient  assisté  et  exécutées  sur  le  mandement  du 
>rtsul  (iir:.  6).  —  Le  iransul  devait  envoyer  de  5  mois  en  }  mois  au  lieutenant 
le  ramir.iuté  Je  Marseille  copie  des  délibérations  prises  dans  les  assemblées  et 
les  comptes  rendus  par  les  députés  de  la  nation,  pour  être  communiqués  aux 
'  Jievins  et  jux  députés  du  commerce  et  par  eux  débattus  si  besoin  était  (wl.  S). 
I —  Titre  ix. 

(I)  Il  s'expliquait    en    détait  sur  la  réforme  des  abus    et  contenait  un  grand 
nombre  de  détails  nouveaux,  notamment   sur  les   avanies,  le  rôle  des  députés. 


IS4 


LV.    RELfevEMENT   DU   COMMERCE 


I 

I 


Les  échelles  avaient  désormais  leur  Code,  mais  ce  serait  une  erreur 
de  croire  que  la  publication   de  ces  ordonnances  suffit  pour   faire 
disparaître  les  abus  ;  les  délibérations  de  la  Chambre  du  commerce 
et  sa  correspondance  avec  les  consuls  sont  encore  remplies  de  ses 
plaintes  pendant  toute  l'administration  de  Colbert.  C'est  souvent  en  fl 
vain,  qu'en  conformité  des  règlements,  la  Chambre  réclame  l'envoi  ^^ 
des  comptes  de  l'administration   financière  des  échelles;  quant  à       t 
l'envoi  trimestriel  des  délibérations  des  assemblées,  celte  règle  ne  fl 
fut  jamais  observée.  L'établisscmciu  d'une  administration  régulière       ' 
paraissait  une  nouveauté  si  extraordinaire  aux  résidents  des  échelles 
qu'ils  accusaient  la  Chambre  de   tracasserie  quand   elle  réclanuit 
l'exécution  des  ordres  du  roi.  «  Nous  sommes  obligés  de  vous  dire, 
écrit-elle  au  consul  et  aux  députés  du  Caire,  que  vous  paraissez   un 
peu  échautïés  et  sans  raison,  et  au   lieu  de  nous  faire  des  reiuercî- 
ments  vous  nous  voudriez  bl.îmer  en  disant  que  nous  vous  pressons 

un  peu  trop Il   faut  vous  dire  que  depuis  quelques  années  on  ^M 

prend  des  routes  bien  différentes  de  celles  qu'on  pratiquait  autrefois  ^^ 
et,  comme  vous  suivez  les  vieux  exemples,  vous  croyez  qu'on  vous 
veut  violenter,  lorsqu'on  vous  donne  des  avis  salutaires,  qui  sont  de  ^M 
faire  telle  ou   telle  chose  pour  se  conformer  ù  la  volonté  du  rainis-  ^^ 

tre On  veut  prendre  une  connaissance  générale  du  passé   pour 

charger  et    rendre  responsables  ceux  qui  pourront  avoir  manqué  ;  ^Ê 
ce  n'est  pas  à  votre  échelle  qu'on  s'en  prend,  mais  à  toutes,  et  peut-   ^ 
être  que  les  derniers  ne  seront  pas  mieux  traités,  et  ne  dites  pas  que 
c'est  à  notre  réquisition  que  l'on  fait  toutes  ces  ordonnances,  mais 

bien  c'est  d'ordre  du  ministre Plus  nous  allons  et  plus  il  nous 

faut  être  sages Si  nous  avions  montré  votre  lettre  à  M.  l'inten- 
dant vous  en  seriez  déplaisants....  Si  on  tarde  davantage  d'envoyer 
les  comptes  qu'on  a  ordonnés  h  toutes  les  échelles,  il  prétend  de 
fulminer  et  donner  d'amendes  et  agir  sur  les  biens  de  ceux  qui  y 
sont  obligés'.  »  Les  consuls  firent  encore  supporter  à  la  nation  bien  ^i 
des  dépenses  qui  ne  la  concernaient  pas,  mais  l'abu.s  le  plus  grave  ^M 
qui  persistait  c'est  qu'ils  continuaient  à  se  mêler  de  négoce,  sinon  ^^ 
ouvertement,  du  moins  ;'i  l'aide  de  prête  noms  en  s'intéressant  aux 

des  chanceliers,  cic...  Ces  ordonnances  royales  ne  lircm  d'ailkurs  que  déterminer 
les  rî'gles  géniîralcs  de  l'administration  des  (échelles  ;  les  détails  en  furent  réglée 
par  1.1  Chambre  du  commerce  qui  fit  à  ce  sujet  de  nombreux   règlements  parti- 
culiers, —  (V.  par  exemple  BB,  3.  21  août  166 1.) 
il)  to  mars  i6Sj.  BB,  36. 


COLBERT  ET  LA  REFORME  DES  ABUS 


IS5 


opérations  de  certains  marchands'.  Cependant  les  efforts  de  Colbert 
n'avaient  pas  été  inutiles  et,  bien  qu'il  laissât  la  réforme  des  échelles 
incomplète,  le  progrès  avait  été  énorme  ;  les  consuls  fermiers  avaient 
à  compter  avec  la  surveillance  active  delà  Chambre  du  commerce, 
soutenue  par  l'autorité  du  ministre,  et  les  abus  pour  rester  impunis 
devaient  ne  pas  devenir  trop  criants. 

Colbert  avait  aussi  réformé  heureusement  l'institution  des  drop- 
mans  par  la  création  des  «  EnBns  de  langue*.  »  Les  drogmans  de 
l'ambassadeur  et  des  conNuls  étaient  auparavant  des  indigènes,  géné- 
ralement des  Crées,  sujets  du  Grand  Seigneur.  L'emploi   de  ces 
interprètes  donnait  lieu  à  de  graves  inconvénients,  car  leur  con- 
naissance imparfaite  du  Français  les  exposait  souvent  à  dénaturer  les 
paroles  qu'ils  devaient  rapporter,  ce  qui  fit  avorter  plus  d'une  négo- 
ciation délicate.  Ces  sujets  du  Grand  Seigneur,  qui  ne  jouissaient 
pas  des  immunités  accordées  aux  Français,  avaient  ;\  redouter  les 
vengeances  des  pachas  et  des  vizirs,  si,  dans  les  discussions  violentes 
où  ceu\-ci   étaient   parfois  engagés  avec   les  ambassadeurs  et  les 
consuls,  ils  traduisaient  trop  fidèlement  des  paroles  désagréables; 
plus  d'un  drogman  se  vit,  séance  tenante,  insulté,  frappé  et  empri- 
sonné. Le  seul  avantage  qu'ils  présentaient  était  de  coûter  peu  de 
chose.  Pour  remédier  1  leur  insuffisance,  le  roi  ordonna,  par  arrêt  du 
conseil  du  17  novembre  1669,  «  que  dorénavant  les  droguemans  et 
interprètes    des    échelles    du    Levant,    résidant  à  Constantinople, 
Smvrne  et  autres  lieux,  ne  pourraient  s'immiscer  A  la  fonction  de 
ieur  emploi,  s'ils  n'étaient  Français  de  nation  et  nommés  par  une 
:issemblée  de  marchands,  qui  se  fettiit  en  présence  du  consul  de  la 
nation,  es  mains  duquel  ils  prêteraient  le  serinent  dont  leur  serait 
expédié  acte,  en  la  chancellerie  desdites  échelles.  "  Mais  !a  difficulté 
était  de  trouver  des  Français  qui  eussent  une  connaissance  suffisante 
lies  langues  orientales,  c'est  ce  qui   rendit  nécessaire  l'institution 
<ics  enfans  de  langue.  Elle  fut  créée  par  arrêt  du  conseil  de  com- 
merce du  18  novembre  1669,  et  celui  du  31  octobre  1670  la  réglait 
définitivement    ainsi  :    «   Afin  qu'A  l'avenir  on  puisse  être  assuré 

(1)  HB,  2,  ).  Délit., pusiitii.  —  BB,  26.  S lUc.  tô/i,  2tj  inars  i6j2,  36 avril  16S1. 

(2)  Les  historiens  emploient  généralement  le  terme  de  Jeunes  de  langue.  Cepen- 
dant je  ne  l'ai  rencontre  que  deux  fois  dans  des  documents  du  xvii«  siècle.  —  Il 
fut  plutôt  employé  au  xvjii'-  siècle.  —  Drogman  vient  de  Terdjeman,  interprète. 
—  De  ij  oit  a  fait  truchement,  torguman,  drogoman.  —  Truchement  est  encore 
tris  «nployê  au  xvii«  siècle,  drogoman  quelquefois. 


■ita 


15e  LE   RELÈVEMENT  DU   COMMERCE 

de  la  fidélité  desdits  drogmans  et  interprètes,  il  sera  envoyé  aux 
dites  échelles  de  Constantinoplc  et  de  Smyrnc,  de  3  ans  en  3  ans, 
six  garçons  de  l'âge  de  9  à  10  ans,  qui  voudront  y  aller  volontaire- 
ment, lesquels  seront  remis  dans  les  couvents  des  capucins  desdits 
lieux,  pour  y  être  élevés  et  instruits  à  la  religion  catholique,  aposto- 
lique et  romaine  et  à  la  connaissance  des  langues,  en  sorte  que  l'on 
s'en  puisse  servir  avec  le  temps  pour  interprètes'.  » 

Cette  innovation  fut  mal  accueillie  au  début,  à  Marseille  et  dans 
les  échelles.  Ij  Chambre  du  commerce,  chargée  de  toutes  les 
dépenses  des  voyages  et  de  l'entretien  des  enfans  de  langue,  crai- 
gnait en  outre  que  l'éducation  reçue  chez  les  capucins  ne  préparât 
mal  les  futurs  drogmans  à  la  connaissance  des  affaires  commerciales 
et  que  la  présence  de  ces  jeunes  garçons  dans  les  échelles  ne  fût  une 
occasion  d'avanies*.  Aussi,  pendant  les  premières  années,  c'est  avec 
une  répugnance  bien  marquée  qu'elle  acquitta  les  lettres  de  change 
tirées  sur  elle  par  les  pères  capucins,  elle  préféra  même  laisser  M.  de 
Nointel  prendre  de  l'argent  sur  les  bâtiments  de  Smyrnc'.  Dans  les 
échelles  on  reçut  mal  les  premiers  qui  y  furent  envoyés  pour  servir 
de  drogmans,  cir  quels  services  sérieux  pouvaient  rendre  des  jeunes 
gens  âgés  de  moins  de  15  ans,  et  comment  en  trois  ans  auraient-ils 
appris  chez  les  pères  capucins,  qui  ne  la  connaiss;iient  pas  très-bien 
eux-mêmes,  une  langue  qui  ne  se  «  pouvait  apprendre  que  dans 
les  écoles  du  pays  ou  dans  la  conversation  et  fréquentation  des 
Turcs  ?»  De  plus  la  nation  et  les  consuls  rejetaient  l'un  sur  l'autre 
le  surcroît  de  dépense  que  causait  leur  entretien.  Devant  cette  mal- 
veillance des  marchands,  l'institution  parut  sur  le  point  d'être  aban- 
donnée en  1681*.  Cependant  elle  fut  maintenue  et  le  commerce 
apprit  à  en  apprécier  les  bienfiiits.  Les  enHints  de  langue  demeuraient 
chez  les  capucins  de  Constantinople  jusqu'à  ce  que  leur  instruction 
parût  suffisante  ;  s'ils  ne  montraient  pas  de  dispositions,  ils  étaient 
ramenés  en  France  sur  la  demande  des  capucins,  ou  sur  leur  propre 
demande.  C'était  l'ambassadeur  qui  examinait  leur  instruction  et 

(1)  AJ,  ijS. 

(2)  RB,  27.  Mémoire  envoyé  li  la  Cour,  S  dkemhre  i(yyi.  —  V.  aussi  art.  11  des 
Cayers  an  roi  du  1}  août  i6jo.  BB,  2,  fol.  S^()-}<). 

(3)  Nointel  à  la  Chambre,  S'  décembre  i6ji,  10  octobre  i(>j2,  iS  juin  lôj.f  :  «  au 
passage  des  six  derniers  enfants  de  langue  à  Marseille  on  leur  dit  beaucoup  d'in- 
jures qui  étaient  à  la  vérité  déguisées  en  railleries.  »  .4.4,  146. 

(4)  Guilleragues  à  la  Chambre  :  «  Il  n'est  plus  question  des  enfants  de  langue,  il 
ny  en  a  plus  à  Constantinople.  »  2  mars  16S1.  A.4,  14-]. 


COLBERT   I-T   LA    REFORME   DES   ABUS  I57 

qui  les  distribuait  dans  les  échelles,  quand  il  le  jugeait  à  propos  iet 
suivant  les  demandes  qu'il  en  recevait.  La  Chambre  payait  pour 
chaque  enfant  de  langue  300  livres  par  an  aux  capucins,  mais  ceux-ci 
se  plaignaient  de  l'insuffisance  de  cette  somme,  «  pour  les  nourrir  et 
vêtir,  les  blanchir,  payer  un  maître  turc  et  un  valet  pour  les  servir.» 
De  plus,  quand  ils  étaient  reçus  drogmans,  on  leur  donnait  40  écus 
pour  les  vêtir  et  les  meubler'.  Les  capucins  entretenaient  avec  la 
Chambre  une  correspondance  suivie  pour  la  tenir  chaque  année  au 
courant  du  nombre  des  enfants,  qui  variait  de  8  à  12,  de  leur  arrivée, 
de  leur  départ  dans  les  échelles,  et  des  comptes  de  leurs  dépenses*. 
L'admi.ssion  de  leurs  fils  parmi  les  entans  de  langue  fut  bientôt 
recherchée  par  les  familles  des  résidents  des  échelles  et,  grâce  à  cet 
empressement,  on  put  e.xiger  d'eux  les  garanties  et  les  qualités 
nécessaires  pour  exercer  les  délicates  fonctions  de  drogmans. 

Il  ne  fallait  pas  seulement  prémunir  les  échelles  contre  les  abus 
des  consuls  et  les  dangers  d'une  mauvaise  administration,  c'était  les 
marchands  eux-mêmes  qu'il  fallait  guérir  de  leur  indiscipline,  de 
leurs  jalousies  et  de  leurs  mauvaises  mœurs.  Delà  Haye,  en  partant 
pour  le  Levant,  représentait  :\  la  Chambre  que,  pour  y  remédier,  il 
fallait  commencer  à  nettoyer  les  échelles  de  la  «  vermine  »  qui  s'y 
trouvait,  «  qu'il  en  avait  des  ordres  très-particuliers  de  S.  M.  et  que 
dorénavant,  si  quelque  marchand  ou  artisan  voulait  s'aller  établir 
dans  le  Levant,  il  n'y  serait  point  reçu  sans  sa  permission,  laquelle  il 
n'accorderait  i  personne  qu'.'i  c»*ux  qui  lui  apporteraient  des  attesta- 
tions de  Messieurs  les  échevins  et  députés  du  commerce  de  Marseille, 
comme  ils  étaient  gens  de  bonnes  mœurs  et  qu'ils  avaient  des  facultés 
suffisantes  pour  être  marchands  dans  les  échelles'.  »  Colbcrt  avait 
en  effet  trouvé  le  vrai  moyen  de  changer  les  mœ^urs  des  résidents 
des  échelles,  c'était  de  n'y  laisser  aller  que  des  gens  connus  par  leur 
bonne  conduite  et  présentant  des  garanties  pour  faire  de  bons  mar- 
chands. Mais  pour  par\enir  à  un  résultat  il  ne  suffisait  pas  de  la  bonne 

(  I  )  Voir  pour  tout  cela  une  série  de  lettres  de  ranibass.idcur  à  la  Chambre  : 
20  août  i68j,  1$  novembre  i^ij-  —  i"  "oi'il  16(^0,  ji  octobre  161)8.  .4.4,  148-1$!. 
—  Lettres  des  capucins:  /  janvier  i6-j2.  .4.4,  ij}.  —  12  mni  1694,  2/  septembre 
1696.  .4.4,  164. 

(2)  V.  cette  correspondance,  A  A,  164. 

(  j)  lettre  de  M.  delà  Haye  à  Colhert.  Marseille,  «y  octobre  i(>6j.  Dkpping,  t.  III, 
p.  392.  —  Cf.  iMtre  du  consul  d'Alep,  22  février  1666.  A.4,  J64.  —  .4rrét  du  Par- 
letnent  du  ii  janvier  166},  au  sujet  des  certificats  nécessaires  aux  passagers  pour 
le  Levant. 


iS8 


LE   REI.EVT.MENT   DU   COMMERCE 


nr 


volonté  du  ministre,  ni  de  celle  de  l'ambassadeur,  il  Êillait  la  torte 
application  et  l'entente  de  la  Chambre  du  commerce  et  des  consuls 
pour  surveiller  rembarquement  à  Marseille  et  le  débarquement  .luv^ 
échelles  de  tous  les  passagers. 

Par  suite  de  la  négligence,  ou  de  la  tolérance  des  uns  ou  de 
autres,  il  ne  semble  pas  que  la  composition  du  corps  de  la  nation,  r 
que  la  conduite  des  résidents  français,  se  soit  améliorée  pendant  cettc^ 
période*.  Les  lettres  des  consuls  ou  des  ambassadeurs  qui  se  plaignent 
des  artisans  sans  ressources,  des  vagabonds  et  des  gens  sans  aveuj 
qu'on  laisse  embarquer,  montrent  que  les  ordres  de  Colbert  n'avaient 
pas  été  exécutés'.  Les  consuls  avaient  le  pouvoir  de  faire  revenir  et 
Fraiice  les  résidents  qui  se  signalaient  par  leur  mauvaise  conduite,* 
mais  ces  exécutions  les  rendaient  odieux  i  la  nation  et  fournissaient' 
un  prétexte  au\  cabales,  au.ssi  n'y  recouraient-ils  que  quand  ils  y 
étaient  absolument  forcés.  Il  était  réservé  aux  successeurs  de  Colbert 
de  mener  à  bien  cette  l.tborlcuse  réforme  des  échelles. 

Il  n'était  pas  moins  dilllcilc  de  faire  cesser  les  mauvaises  pratiques 
commerciales  dont   les  marchands   fran(;ais  étaient  coulumiers  ei 
d'établir  parmi  eux  ces  traditions  d'honnêteté  qui  donnaient  au  com-j 
merce  anglais  et  hollandais  son  crédit  et  s.i  solidité.  C'était  une  des] 
choses  auxquelles  Colbert  attachait  le  plus  d'importance,  aussi  y] 
revient-il  sans  cesse  dans  sa  correspondance.  «  Le  commerce  universel! 
de  la  Méditecrranée,  écrivait-il  à   l'intendant  Rouillé,   peut  être 
attiré  A  Marseille  si  vous  y  pouvez  rétablir  le  bon  ordre  et  la  bonne 
foi...  Vous  devez  vous  appliquer  à  bien  pénétrer  les  mauvaises  voies! 
dont  les  marchands  de  Marseille  se  servent  pour  faire  le  commerce,! 
ce  qui  les  a  mis  dans  toute  l'Europe  dans  une  réputation  de  mauvaise] 
foi  qui  ne  se  peut  exprimer*.  »  Colbert  combattit  surtout  le  com- 
merce des  monnaies  altérées,  qui  procurait  des  bénéfices  immodérésJ 
mais  jetait  ensuite  le  discrédit  sur  la  nation  française  et  l'exposait  aiiXi 
avanies,  Il  chargea  en  1665  M.  de  la  Haye  de  s'entendre  avec  la 
Chambre  du  Commerce  pour  faire  cesser  le  fameux  trafic  des  pièces] 
de  cinq  sols,  et,  sur  tes  instances  de  celle-ci,  il  fit  rendre  l'arrêt  Ji 
2  décembre  1666  qui  interdisait  de  porter  dans  les  échelles  jnnnu  -^ 
pièce  de  cinq  sols,  de  quelque  fabrication  qu'elles  fussent*.  Plus  tard 

(i)  3  mari  16S1,  26  mai  tàSi,  Itllies  Je  Guitleragues.  AA,  14J. 

(2)  Utlrcs  tl  Ittil.,  t.  II,  y.  é/y. 

(3)  Delà  Haye  à  Colberl,  9  octobre  166$,  Depping,  i,  ]I1,  p.  i<)2.  —  I^lfia  Jt 


COLBERT   ET   LA    Rf:FORMF.  DES   ABUS 


1)9 


à  la  suite  tics  plaintes  de  la  Chambre,  il  écrivit  à  diverses  reprises 

aux  intendants  Rouille  et  Morant  pour  leur  faire  sur\eiller  de  près 

l'exportation  des  monnaies  fausses,  seqiiins  ou  piastres  altérées, 

dans  le  Levant'.  Ce  l'ut  en  partie  pour  remédier  à  la  t.ibrication  et 

au  trafic  des  espèces  altérées  que  Colbert  su  montra  si  rigoureux 

pour  empêcher  l'exportation  de  l'argent  dans  le  Levant'.  Gr.'^ce  à  la 

viyilancc  de    l'intendant,  de   la  Chambre   du    ComnitTcc  et   des 

consuls,  l'exportation  des  pièces  fausses  n'offrit  plus  de  dangers  pour 

notre   commerce,  mais  elle  ne   cessa   jamais    entièrement^.    Rien 

n'était  plus  (Sicile  en  effet  que  de  les  transporter  en  cachette  sur  des 

njvires;  seuls  les  con.suls  pouvaient  les  découvrir,  mais  trop  tard, 

«juand  elles  étaient  exposées  sur  le  marché  de  l'échelle  ;  ils  faisaient 

-ilors  la  visite  des  navires  qui  arrivaient,  mais  c'était  généralement 

sans  résultat,  car  ks  capitaines  n'en  apportaient  que  des  quantités 

peu  considérables  à  la  fois.  Il  y  avait  aussi  à  réprimer  la  fraude  qui 

oonsi-stait  A  tromper  les  Turcs  sur  la  qualité  des  marchandises  qu'on 

lour  vendait,  c'est  ce  qu'essaya  de  faire  Colbert  par  ses  règlements 

ïiur  les  nianuf-tctures*. 

Ainsi  1  activité  de  Colbert  avait  été  féconde;  pendant  tout  son 
i~ninistère  il  n'avait  cessé  de  travailler  .'i  ré»;lementer  le  commerce  du 
lL_evaiu  et  les  échelles;  s'il  n'avait  pas  réussi  complètement  et  si 
l-*' organisation  des  consulats  restait  toujours  défectueuse,  il  faut  lui 
K~«ndre  cette  justice  qu'aucun  des  abus  et  de-i  désordres  n'avait 
«échappé  i  son  attention.  Vingt  ans  d'efforts  soutenus  n'avaient  pas 
»~^*ussi  à  déraciner  complètement  les  habitudes  d'un  demi-siècle,  mais 
^^  lies  étaient  profondément  atteintes  et  Colbert  laissait  ;\  ses  succes- 
«urs  une  t.khe  facile  .\  terminer. 


^Z2hamt>re  du  2S  jiiillel,  24  aot'il,  8  sfpUmhre  i66s;  2  fh'rifr,  r.f  d/ctmbre  t666  : 
^  Vous  ne  sauriez  croire  combien  notre  place  a  été  satisfaite  de  l'arrêt  que  vous 
>  "mous  avez  envoyé  sur  les  affaires  de  l'envoi  des  pièces  de  cinq  sols  de  France.  »  — 
— Wrrt'/  du  2  dt'ccmhrf  1666.  II,  2}. 

(I)  Lettres  à  Colbert  du  f  avril  i6yo.  HR,  26;  njtimi  i6j2.  Hli,  27;  ;  nmembre 

12)  V.  Lettres,  t   11,  p.  Ji6.  iMIre  à  Moranl,  i(>  octobre  i6St. 

1  ;i  Voir  Lttties  deSeigiitlay,  u  juin  tôSj.  Dkpping,  t.  III,  p.  65 1  et  1 30,  noie  4. 

14  mars  i6Sj,  12  sepleinhre  idSS.  BD,  S2,  —  Ijtttic  dt  la  Chambre  à  l'aml-assadeiir, 

ro  fuiu  i6po.  Bli,  2S. 

(41  On  pourr.iit  rappeler  ici  l.i  Déclaration  sur  le   fait  et  négoce  des  lettres  de 
<;liange  du  9  janvier  t66|  complétée  par  celle  du  10  mai  1686,  l'édit  du  3  octobre 
1664  portant  que  les  luvires  sont  meubles,  et  surtout  l.i  grande  ordonnance  de 
167  j,  qui  prévinrent  beaucoup  d'abus,  de  contestations  et  de  procès. 


CHAPITRE  II 

LF.   SYSTÏ^ME   COMMERCIAL   DR   COLBERT 

I.  —  L'affranchissement  du  port  de  Marseille . 

Colbert  ne  se  borna  pas  à  combattre  les  abus  qui  ruinaient  le 
commerce  du  Levant,  il  pensait  que  sa  misère  provenait  d'autres 
causes,  et  qu'il  follait,  pour  le  relever,  en  changer  les  conditions  et 
les  procédés.  Témoin  attristé  et  jaloux  de  la  grandeur  du  commerce 
des  Anglais  et  des  Hollandais  et  du  développement  rapide  du  port 
de  Livourne,  il  crut  avoir  surpris  le  secret  de  cette  prospérité  et 
voulut  vaincre  nos  rivaux  avec  leurs  propres  armes,  en  donnant 
au  commerce  français  l'organisation  qu'ils  avaient  créée  pour  le  leur. 
De  là  l'idée  de  l'aflFranchissement  du  port  de  Marseille,  qui  le 
mettrait  sur  le  même  pied  que  celui  de  Livourne  et  en  ferait  de 
nouveau  l'entrepôt  du  commerce  des  étrangers  dans  la  Méditerranée  ; 
de  li\  la  formation  de  la  compagnie  du  Levant,  car  une  grande 
compagnie  seule  pouvait  rivaliser,  pensait-il,  avec  celles  des  Anglais 
/  et  des  Hollandais  ;  de  là  les  efforts  pour  imiter  dans  nos  manufactures 
les  draperies  de  nos  concurrents,  afin  d'établir  dans  le  Levant 
l'exportation  lucrative  des  marchandises,  au  lieu  du  trafic  ruineux  de 
l'argent. 

L'antique  franchise  du  port  de  Marseille  n'était  plus  qu'un  nom; 
aucun  acte  royal  ne  l'avait  abolie,  mais  un  grand  nombre  de  taxes 
avaient  été  établies  sur  les  vai.sseaux  étrangers  au  royaume,  ou  simple- 
ment à  la  ville,  qui  abordaient  dans  le  port;  quelques-unes  pesaient 
sur  les  Marseillais  eux-mêmes.  La  situation  continuait  à  s'aggraver 
en  1661 .  Les  commis  de  la  foraine,  qui  jusque  là  n'avaient  levé  des 
droits  que  sur  les  marchandises  du  crû  du  royaume  chargées  dans  le 
port  de  Marseille,  s'enhardirent  et  les  réclamèrent  sur  les  marchan- 
dises du  Levant  transportées  de  Marseille  en  Espagne  ou  à  l'étranger. 


L  AFFRANCHISSEMENT   DU    PORT   DE   MARSEILLE 


l6l 


«  Si  dans  cette  ville,  écrivait  la  Chambre  à  son  député  en  cour, 
nous  n'avons  l'entrepôt  des  marchandises  étrangères,  nous  ferons 
fuir  le  peu  de  commerce  qui  nous  reste  et  cliacun  fera  son  entrepôt 
à  Livourne Il  en  faut  parler  à  M.  Colbert  et  lui  suj^gérer  l'im- 
portance de  cette  affaire....  Pour  éviter  ces  vexations  incroyables, 
nos  négociants  sont  obligés  d'aller  faire  leurs  achats  il  Gènes  et  i 
Livourne,  pour  les  transporter  de  là  i  dloiture  en  Espagne  '.  »  En 
même  temps,  le  commerce  était  menacé  de  raugmeniation  des 
autres  droits  établis  à  Marseille  sur  les  marchandises  du  Levant  et  Li 
Chambre  en  flùsait  ses  plaintes  .i  Colbert,  •<  Monseigneur,  lui  disait- 
elle,  étant  persuadés  de  la  pureté  de  vos  intentions  sur  le  rétablisse- 
ment du  commerce,  nous  prenons  la  liberté  de  vous  dire  que  d'accroî- 
tre d'un  tiers  les  droits  qui  sont  établis  dans  Marseille,  ce  n'est  pas 
un  moyen  pour  parvenir  au  rétablissement,  car  le  droit  du  parisis  et 
des  12  et  6  deniers  pour  livre  que  Ton  veut  y  introduire  sur  les  dro- 
gueries et  épiceries,  sur  le  poids  et  b  table  de  la  mer,  est  une 
nouveauté  si  contraire  .\  ce  rétablissement  que,  si  le  roi  n'a  la 
bonté  de  le  supprimer,  il  est  constant  que  le  peu  de  commerce  qui 
nous  reste  passera  du  tout  à  Livourne,  où  le  grand  duc  l'attire  de 
tous  côtés  par  l'exemption  de  toutes  sortes  de  droits  *.   » 

L'intendant  Arnoul  conseillait  de  son  côté  à  Colbert  d'attirer  à 
Marseille   des  habitants  d'autres  provinces  du    royaume,  par  des 
exemptions  de  taxes  ;  dans  sa  pensée  les  .Marseillais  étaient  impuis- 
sants à  faire  un  grand  commerce  et  les  étrangers  viendraient  leur 
s<rrvir  de  guides;  ce  qui  les  écartait,  «  c'était  ce  privilège  de  bour- 
feoisie  qui  rendait  les  autres  sujets  du  roi  étrangers  à  Marseille  et 
"«qu'ils  ne  pouvaient  acquérir  qu'en  épousant  une  fille  de  la  ville.  » 
••    Il  y  a  dé'yX  beaucoup  d'étrangers  négociants  qui  demandent  des 
Jalaces  ù  acheter,  écrivait  Arnoul  désireux  de  peupler  les  nouveaux 
cjuartiers  qu'il  avait  tracés,  il  y  en  aurait  bien  plus  sans  ce  privilège 
cJe  bourgeoisie*.  «  Colbert  était  tout  gagné  .\  ces  idées  d'exemptions 
«r-t  de  franchises  à  accorder  au  commerce,  comme  il  l'avait  montré 
^n  1^64  par  la  simplification  des  douanes  intérieures.  Il  tenait  sur- 
tout à  attirer  les  étrangers  dans  nos  ports  :  en  1662,  il  avait  accordé 
la  franchise  au  port  de  Dunkerque;  l'ordonnance  de  septembre  1664 


it)  8  mai  i66f.  BB,  26.  —  t^l    22  mars  1664.  Depping,  t,  1.  p.  659. 
(î)  Lts  iclm/iiis  à  Colberl,  2j  janv.  j66f.  Depping,  t   111,  p.  518. 
lî)  i$f  j S  janv.  i66j.  Depping,  t.  I,  p.  772  et  suiv. 


l62  LE  RELÈVEMENT  DU   COMMERCE 

avait  accordé  aux  étrangers,  dans  les  ports  du  Ponant,  le  droit  d'en- 
trepôt, sans  payer  de  droits  ;  un  arrêt  du  conseil  exempta  spéciale- 
ment le  commerce  de  Marseille  de  l'application  du  tarif  prohibitif  de 
1667'. 

C'est  cette  année  là*  que  prit  corps  le  projet  d'affranchissement 
du  port  de  Marseille.  Depuis  plusieurs  années  les  Toulonnais  solli- 
citaient à  la  Cour  afin  d'obtenir  pour  eux  un  entrepôt  analogue  ;\ 
ceux  que  l'ordonnance  de  1664  avait  accordés  aux  ports  de  l'Océan. 
«  Votre  Majesté,  disaient  les  consuls  de  Toulon  dans  une  requête 
envoyée  au  roi,  par  son  édit  du  mois  de  septembre  1664,  a  ordonné 

des  entrepôts  dans  ses  villes  maritimes  pour  y  attirer  les  étrangers 

Si  V.  M.  ouvre  un  port  en  Provence  pour  servir  d'entrepôt,  il 
est  évident  que  tous  les  marchands  étrangers  et  les  originaires  de 
son  royaume  reprendront  leur  ancienne  route....  Mais  surtout  le 
port  de  Toulon  doit  être  considéré  comme  un  asile  assuré  contre  les 
injures  de  la  terre  et  de  la  mer,  y  ayant  plus  de  sûreté  que  dans 
aucun  autre  du  monde,  ce  qui  même  a  obligé  de  le  choisir  pour  y 
faire  les  armements  des  vaisseaux  de  V.  M.  Et  c'est  une  autre  cir- 
constance pour  laquelle  il  doit  encore  être  préféré  à  celui  de  Mar- 
seille et  ;\  tous  autres,  parce  que  les  armements  des  vaisseaux  se 
font  bien  mieux  dans  un  lieu  de  commerce  où  toutes  choses  se 
trouvent  en  abondance,  que  dans  ceux  qui  en  sont  privés.  En  effet, 
les  exemples  de  Venise,  Lisbonne,  Cadis,  Londres,  Amsterdam, 
Stocolm,  Constantinople,  sont  des  preuves  de  cette  vérité'.  »  Les 
Toulonnais  avaient  vu  en  effet  leur  ville  prendre  au  xvn'  siècle  une 
importance  toute  nouvelle,  ils  espéraient  ravir  à  Marseille  le  com- 
merce du  Levant,  comme  ils  lui  avaient  enlevé  la  station  des  galères, 
mais  la  transformation  de  leur  ville  en  un  port  de  guerre  était  loin 
d'être  favorable,  comme  ils  le  pensaient,  à  un  pareil  projet,  et  d'ail- 
leurs si  l'on  devait  faire  un  port  franc  en  Provence,  il  ne  pouvait 
être  ailleurs  qu'à  Marseille. 

Au  mois  d'îivrll  1667,  «  les  puissances,  Messeigneurs  le  gouvcr- 

(i)  Confirmé  par  .irrct  du  6  févr.  1669.  —  Inventaire  de  Gourmes.  Archiv. 
Communales. 

(2)  Les  Marseillais  avertirent  la  Cour  que  le  duc  de  Savoie  venait  d'établir  un 
port  franc  à  Niceet  Villefranchc  :  «  Quelques  marchands  anglais,  génois,  milanais 
et  autres  s'y  sont  retirés,  présupposant  d'attirer  audit  port  au  moyen  de  ladite 
franchise  tout  le  commerce  de  la  Méditerranée.  Je  vous  laisse  à  penser  en  quel 
état  nous  sommes  réduits.  »  2  avril  i66y.  BB,  26.  Au  depulè  m  Cour, 

(})//,  2).  1664. 


» 


l'aPFRANCHISSEMENT   du    port   de   MARSEILLE  léj 

neur,  le  premier  président  et  M.  d'Arnoux  »  (Arnoul),  vinrent  pro- 
poser à  la  Chambre  de  faire  un  port  franc  ;  elle  devait  en  conférer 
avec  "  les  plus  éclairés  et  les  plus  expérimentés  marchands  et  leur 
demander  leur  avis  du  bien  ou  du  préjudice  que  cette  franchise 
pouvait  apporter  à  la  ville'.  »  Deux  objections  à  faire  au  projet  tel 
qu'il  leur  était  présenté  frappèrent  vivement  l'esprit  des  Marseillais  : 
on  leur  demandait  d'indemniser  le  roi  et  les  propriétaires  du  droit  de 
la  table  de  la  mer,  de  la  suppression  de  leurs  revenus,  il  s'agissait 
de  grosses  sommes  et  le  commerce  était  absolument  ruiné;  ils  ne 
par\'enaient  même  pas  Ji  payer  ses  énormes  dettes,  où  trouveraient- 
ils  l'argent  nécessaire  ?  Il  leur  sembLiit  d'autant  plus  dur  de  s'im- 
poser ce  lourd  sacrifice  que  seuls,  paraissait-il,  les  étrangers  devaient 
en  profiter*.  Si  on  les  mettait  sur  le  même  pied  que  les  Marseillais 
pour  le  paiement  des  droits,  il  n'y  avait  pas  A  douter  qu'ils  s'empa- 
reraient de  tout  le  commerce,  car  o  ils  pouvaient  donner  les  mar- 
chandises à  meilleur  marché  que  ceux  de  Marseille,  parce  qu'ils  avaient 

la  navigation  ;\   meilleur  marché  et  le  noiis  ù  bas  prix On  ne 

peut  pas,  disait  la  Chambre,  mesurer  la  place  de  Marseille  avec  celle 

de  Livourne,  parce  que  les  Italiens  ne  négocient  pas  en  mer  et  les 

étrangers  font  tout  le  commerce,  au  contraire  les  Marseillais  font 

tout  le  négoce  demer. ..  La  franchise  du  port  détruirait  la  navigation 

des  Français  et  en  clTct  i  Livourne  si  les  gens  du    pays  veulent 

équiper  un  vaisseau  il  fiiut  qu'ils  l'arment  des  nations  étrangères*.  » 

Après  ces  conférences,  la   Chambre  et  les  représentants  du  roi 

«dressèrent  un  tableau  des  droits  à  supprimer,  sur  lequel  ils  mirent, 

n  regard  les  unes  des  autres,  leurs  propositions*.  Dans  ces  pre- 

iTjîers  mémoires,  l.i  Chambre  complétait  le  projet  qui  lui  avait  été 

soumis,  en  y  comprenant  un  certain  nombre  de  petits  droits  qui  y 

ixvaîent  été  omis,  et  elle  faisait  une  série  de  propositions  qui  furent 

dmises  pour  la  plupart  dans  l'édit  de  1669.  Elle  demandait,  entre 

utres  choses,  que   les  étrangers  n'eussent  la    franchise  que  pour 

1  es  marchandises  de  leur  crû  ;  i  «  l'égard  des   marchandises   du 


(0  La  Chambre  avait  dtji  été  consultée  auparavant  à  ce  sujet,  comme  le 
niontrc  une  lettre  d'Arnoul  a  Colbert  du  15  juin  1667.  Deppisg,  t.  I,  p.  772. 

(3|  La  table  (ic  la  mer,  en  effet,  ci  plusieurs  autres  droits,  qu'on  parlait  de  sup- 
I>rimer,  ne  pesaient  que  sur  les  étrangers. 

(j)  V.  Dâibiralioni  du  3},  28  avril,  2Ç  avril  i66f.  BB,  a,  — Lellre  du  26  avril 
j66j.  BB.  26. 

(4)  BB,  2.  Annexé  au  fol.  jSj. 


1^4  LE   RELÈVEMENT   DU   COMMERCE 

Levant,  Perse  et  Barbarie,  qui  est  le  commerce  naturel  de  la  ville, 
pour  le  conserver  tout  entier  aux  Français,  il  fallait,  disait-elle, 
charger  de  20  0/0  celles  qui  pourraient  être  apportées  dans  la  ville  par 
les  étrangers,  alors  même  qu'elles  fussent  pour  le  compte  de  France, 
ou  pour  les  Français  même  qui  pourraient  les  charger  à  Livourne, 
Gênes,  et  ailleurs  qu'en  Levant  et  Barbarie'.  »  Mais  il  fallut  deux 
ans  de  discussions  et  toute  une  série  de  mémoires  dressés  par  la 
Chambre  et  le  président  d'Oppède  pour  arriver  à  la  rédaction  défi- 
nitive de  l'édit.  Les  Marseillais  défendirent  avec  énergie  les  intérêts 
de  leur  commerce  particulier  et  firent  prévaloir  auprès  du  ministre 
la  plupart  de  leurs  réclamations*;  l'édit  de  l'affranchissement  fut 
enfin  promulgué  en  mars  1669'. 

A  la  suite  du  préambule,  remarquable  par  la  largeur  des  idées  et 
du  style,  on  peut  distinguer  quatre  séries  de  clauses  d'une  portée 
différente.  La  suppression  des  droits  énumérés  au  début  profitait 
moins  aux  Marseillais,  déjà  exempts  d'un  grand  nombre  d'entre  eux, 
qu'aux  autres  marchands  du  royaume  et  aux  étrangers.  Cependant 
ils  étaient  exemptés  des  droits  sur  les  drogueries  et  épiceries,  sur  les 
aluns,  et  surtout  ils  étaient  mis  à  l'abri  des  tentatives  des  commis  de 
la  foraine  et  autres  fermes,  dont  les  bureaux  devaient  être  reportés 
aux  limites  de  leur  territoire.  La  liberté  accordée  pour  le  commerce 
de  plusieurs  marchandises,  qui  faisaient  auparavant  l'objet  d'un  pri- 
vilège*, la  classification  parmi  les  marchandises  de  contrebande, 
dont  peu  à  peu  la  nomenclature  s'était  arbitrairement  augmentée, 
d'un  petit  nombre  d'articles  seulement,  munitions  et  armes  de 
guerre,  matériaux  nécessaires  ;\  la  construction  et  au  radoub  des 

{!)  BB,2.fol.58'r)92. 

(2)  Voir  ce,  18  (}j  pièces)  :  Notes  et  mémoires  relatifs  au  projet  d'affranchis- 
semcm  du  port  (1662-69).—  R<-"g'strc  in-.p  :  Recueil  contenant  divers  documents 
manuscrits  et  tous  les  arrêts  imprimés  concernant  l'affranchissement  du  port 
(1669-92)  —  Cependant  quand  d"Oppède,  un  mois  avant  la  promulgation  de 
l'édit,  vint  leur  présenter  une  dernière  fois  le  projet  définitif  (V.  AA,  /,  une  lettre 
de  Colbert  à  d'C5ppèdc  du  23  janv.  1669  qui  montre  avec  quel  soin  scrupukux  le 
ministre  avait  préparé  cet  édit),  les  Marseillais  trouvèrent  encore  qu'ils  étaient 
sacrifiés  aux  étrangers.  Cette  fois  Colbert  passa  outre.  —  L'intendant  Arnoul, 
dans  ses  lettres,  critique  vivement  la  mesquinerie  des  Marseillais  qui  ne  voient  que 
les  intérêts  de  leur  petit  commerce.  Mais  on  ne  peut  guère  leur  reprocher  d'avoir 
voulu  conserver  leurs  anciens  privilèges. 

(3)  Voir  le  texte,  CC,  18.  —  Il  est  en  entier  dans  JuUiany  et  par  extraits  dans 
Isambert 

(4)  Ainsi  les  fanons  et  huiles  de  baleine.  —  La  Chambre  écrit  à  ce  sujet  le  30 
mai  1662:  cette  affaire  oblige  trois  vaisseaux  hollandais  de  n'entrer  p.is  dans  ce 
port  et  s'en  aller  à  Livourne.  —  BB,  26. 


L  AFFRAVCHISSEMENT   DU   PORT   DE    MARSEILLE 


165 


navires,  «iraient  des  mesures  utiles  A  la  fois  au  commerce  des  Mar- 
seillais et  de  tous  les  sujets  du  roi. 

Mais  c'étaient   les  étrangers  surtout   qui  devaient  bènéiicier  de 
raJTranchissement.  Coiberi  espérait  que  les  Anglais  et  les  Hollandais 
abandonneraient  peu   à   peu  Livourne  pour  Marseille,  et  que   les 
Malouins,  les  Kouennais  et  autres  Fonantais  dont  les  vaisseaux  ve- 
naient chercher  à  Marseille  les  marchandises  du  Levant  et  y  apporter 
les  leurs,  y  afflueraient  en  plus  grand   nombre,  se  décideraient  à 
5,''v  établir  et  donneraient  une  vie  nouvelle  ,m  commerce  français  du 
Levant.  «  Et  pour  convier  les  étrangers,  dit  le  passage  capital  qui  les 
I  concerne,  de  fréquenter  le  port  de  Marseille,  même  de  venir  s'y  éta- 
ttlir,  en  les  distinguant  par  des  grâces  particulières,  voulons  et  nous 
pilaît  que   lesdits  marchands  étrangers  y  puissent  entrer  par  mer, 
crharger  et  décharger  et  sortir  leurs  marchandises  sans  payer  aucun 
Iroits,  quelque  séjour  qu'ils  y  aient  fait,  et  sans  qu'ils  soient  sujets 
ixu  droit  d'aubeyne,  ni  qu'ils  puissent  être  traités  comme  étrangers. 
YV.n   cas  de  décès,  leurs  entants,  héritiers,  ou  ayans  cause,  pourront 
recueillir  leurs  biens  et  successions  comme  s'ils  étaient   vrais  et 
«laturels    français,    et    même  qu'en   cas  de  rupture  et  de  décla- 
mation   de    guerre    avec  les    couronnes   et   états  dont    ils   seront 
Siujeis,  ils  soient  et  demeurent  exempts  du  droit  de  représiiilles  et 
'«qu'ils  puissent  faire  transporter  leurs  biens  effets  tt  facultés,  en  toute 
liberté,  hors  notre  royaume,  pendant  six  mois.  Voulons  aussi  que 
les  étrangers  qui  prendront  parti  A  Marseille  et  épouseront  une  (îlle 
^u  lieu,  ou  qui  acquièreront  une  maison  dans  l'enceinte  du  nouvel 
agrandissement  du  prix  de  10.000  livres  et  au-dessus,  qu'ils  auront 
liabitée  pendant  trois  années,  ou  qui  en  auront  acquis  une  du  prix  de 
5  jusqu'à  10.000  livres  et  qui  l'auront  habitée  pendant  cinq  années, 
même  ceux  qui  auront  établi  leur  domicile  et  fiiit  un  commerce 
jssidu  pendant  le  temps  de  douze  années  consécutives  dans  ladite 
ville  de  Marseille,  quoiqu'ils  n'y  aient  acquis  aucuns  biens  ni  maisons, 
soient  censés  naturels  français,  réputés  bourgeois  d'icelle,  et  rendus 
participants  de  tous  droits  privilèges  et  exceptions.   » 

Cependant,  pour  empêcher  que  ces  grands  privilèges  ne  permissent 
aux  étrangers  d'accaparer  le  commerce  de  Marseille,  aux  dépens  des 
Français,  et  pour  encourager  la  construction  de  navires  marchands, 
Colbert  établissait  un  droit  de  20  0/0  sur  toutes  les  marchandises 
du  Levant,  même  appartenant  A  des  Français,  chargées  et  apportées 


t6€ 


LE   RELÈVEMENT   DU   COMMERCE 


Sûr  des  bâtiments  étrangers.  C'était  un  vrai  droit  prohibitif,  une 
sorte  d'Acte  de  navigation  qui  devait  réserver  i  la  marine  nationale 
tout  le  commerce  du  Levant.  Les  marcliandises  qui  ne  venaient  pas    i 
«  à  droiture  »  du  Levant  à  Marseille  et  avaient  été  entreposées  en  ■ 
Italie  étaient  assujetties  au  20  0/0,  quoiqu'apportées  par  des  navires 
français,   car  c'eût  été  enlever  ;\  ce  droit   toute  son  efficacité,  si  les  — 
barques  françaises  avaient  été  libres  d'aller  charger  les  marchandises fl 
du  Levant  dans  les  grands  entrepôts  anglais  et  hollandais  de  Livourne. 
Il  fallait  aussi  empêcher  les  étrangers  de  porter  ces  marchandises  dans 
les  autres  ports  du  royaume;  ils  v  étaient  déjà  chargés  du  droit  de 
50  sous  par  tonneau,  mais  il  était  à  craindre  que  par  fraude  ils  nej 
réussissent,  en  faisant  passer  leurs  bâtiments  pour  français  â  l'aide  1 
de  prête  noms^  à  se  dispenser  à  la  fois  des  50  sous  par  tonneau  et  J 
du  200,0. 

C'est  pourquoi  ce  nouveau  droit  eut  un  autre  but,  d'une  utilité] 
contestable,  ce  fut  de  donner  \  Marseillle  dans  la  Méditerranée,  a 
Rouen  parmi  les  ports  du  Ponant,  le  monopole  du  commerce  du    1 
Levant.  En  effet,  toutes  les  marchandises  qui  en  venaient  et  n'en-fl 
traient  pas  en  France  par  l'un  de  ces  deux  ports  étaient  sujettes  au 
200/0,  même  chargées  sur  des  bâtiments  français,  ce  qui  équivalait 
à  peu  près  â  en  interdire  l'entrée  par  les  autres  ports.  Si  donc  un 
étranger  voulait  introduire  sous  son    nom   des  marchandises  du 
Levant  par  les  ports  du  Ponant,  il  devait  payer  à  la  fois  le  200/0  et« 
les  50  sous  par  tonneaux,  el  s'il  parvenait  â  s'entendre  avec  unV 
marchand  français  pour  les  faire  passer  sous  le  nom  de  celui-ci,  il 
payait  encore  20  0/0  de  leur  valeur,  ce  qui  devait  suffire  pour  rem- 
pêcher  d'entreprendre  ce  trafic  avec  avantage.  Rouen   ne   profiii^ 
guère  du  privilège  qui  lui  était  accordé,  elle  n'avait  ni  la  situation,fl 
ni  les  avantages  de  Marseille  pour  faire  directement  le  commerce  du 
Levant  et  les  capitaines  Ponantais,  accoutumés  â  venir  à  MarseillCi 
s'approvisionner  des  produits  du  Levant,  n'avaient    jamais    tent 
d'aller  les  chercher  eux-mêmes  dans  les  échelles.  L'édit  du  port  Jran< 
devait  donc  avoir  pour  résultat  de  faire  définitivement  de  Marseille 
ce  qu'elle  avait  été  toujours  en  réalité,  le  seul  centre  du  commerce 
français  du  Levant'. 


(1)  Déjà  auparavaiu  les  soies  du  Ll-v.uu  ne  pouvjicnt  entrer  d.ins  k-  royauma 
que  par  le  port  de  Marseille.  V.  Lettres  (mlnilei  de  1609,  arrêts  du  Conseil  de  16 j} 
el  1Ù44.  Lettre  dit  1^  septembre  tbbi).  BB,  ib. 


L  APFRANCHISSEMEXT    DU    PORT    DR    MARSEILLE  I67 

Gîlte  concentration  d'une  branche  du  commerce  dans  un  seul 
port  6tait  bien  en  rapport  .wi^c  les  idées  du  temps  et  avec  celles  de 
Colbtrt  lui-m^me.  Le  commerce  était  alors  réservé  à  certains  ports, 
comme  il  devenait  le  monopole  de  quelques  compagnies;  Marseille 
devait  être  le  port  de  la  Compagnie  du  Levant,  comme  Lorient 
celui  de  la  Compagnie  des  Indes  Orientales  et  Dunkerque  celui  de 
la  Compagnie  du  Nord.  Colbert  ne  faisait  d'ailleurs  qu'imiter  les 
étrangers  :  les  Anglais,  après  avoir  laissé  les  membres  de  leur 
compagnie  et  leurs  navires  se  disperser  librement  dans  leurs  dilie- 
rents  ports,  avaient  tait  de  Londres  le  seul  centre  du  commerce  du 
Levant  ;  les  navires  hollandais,  au  retour  des  échelles,  n'abordaient 
<\uà  Amsterdam,  où  siégeait  !a  Chambre  de  direction  qui  était  à  la 
tête  de  la  Compagnie.  Outre  qu'il  répondait  aux  idées  d'alors  sur 
le  commerce,  le  monopole  de  Marseille  favorisait  encore  la  centrali- 
sation administrative  chère  au  ministre.  Concentré  dans  ce  port,  le 
commerce  était  bien  dans  la  main  de  la  Chambre  du  commerce  et 
de  l'intendant  de  Provence  qui  en  avaieut  la  direction  ;  il  devenait 
plus  fiicile  de  lui  appliquer  l'étroite  réglementation  qui  semblait 
alors  une  des  conditions  nécessaires  de  sa  prospérité.  C'était 
en  prévision  de  l'importance  nouvelle  qu'allait  prendre  Marseille, 
que  Colbert  avait  agréé  les  plans  d'agrandissement  de  la  ville  que 
lui  proposait  l'intendant  Arnoul,  et  qu'il  avait  fait  procéder  avec  la 
plus  grande  activité  au  curage  de  son  port  depuis  longtemps  négligé. 
Ainsi  donc,  la  consécration  du  principe  de  la  franchise  entière  du 
port  de  Marseille  et  la  suppression  de  tous  les  droits  qui  y  étaient 
levés  sur  les  Marseillais  et  surtout  sur  les  étrangers,  des  faveurs  par- 
ticulières accordées  à  ceux-ci  pour  les  y  attirer,  un  tarif  prohibitif 
établi  à  l'entrée  de  tous  les  ports  du  royaume  pour  réserver  .i  la 
marine  nationale  le  transport  des  marchandises  du  Levant,  le  mo- 
nopole du  commerce  confirmé  au  port  de  Marseille,  telles  étaient 
les  principales  dispositions  de  ce  fameux  édit  du  port  Iranc  qui  fut 
l'acte  capital  de  Colbert  en  faveur  du  commerce  du  Levant  et  ouvrit 
aux  Marseillais  une  nouvelle  ère  de  prospérité. 

Il  restait  à  mettre  en  vigueur  ces  dispositions;  ce  ne  fut  pas  s;ins 
difficulté,  et  l'oppositian  vint  d'abord  de  la  Chambre  du  commerce 
elle-même.  A  l'édit  du  port  franc  était  annexée  une  déclaration  qui  en 
restreignait  fort  les  avantages  immédiats  pour  les  Marseillais  :  «  Pour 
nous  indemniser  en  quelque  façon,  disait  le  roi,   de   l'entière  sup- 


i€8 


Î.E  RELEVEMENT   DU   COMMERCE 


pression'  des  droits  qui  se  levaient  à  notre  profit  dans  la  ville  de 

Marseille,  nous  avons  ordonné que  les  droits  seigneuriaux  des 

poids  et  casses  de  b  ville  seront  doublés  sans  distinction  des  per- 
sonnes, à  proportion  de  ce  qui  était  ci-devant  payé.  »  La  Chambre 
devait  en  outre  payer  aux  cngagistcs  du  droit  de  l.i  table  de  la  mer 
la  moitié  du  remboursement  qui  leur  était  dû  et  qui  s'éleva  il 
21 1,508  livres,  le  roi  se  chargeant  seulement  de  l'autre  moitié.  Les 
Marseillais  protestèrent  contre  ces  deux  dispositions  qui  leur  parais- 
saient fort  onéreuses  au  moment  où,  pour  acquitter  les  immenses 
dettes  du  commerce,  les  16,000  livres  de  la  pension  de  l'ambassa- 
deur, et  les  25,000  livres,  qu'une  ordonnance  de  d'Oppède  du  6 
juillet  1669  leschargcait  de  donner  annuelknicnt  pour  le  curage  du 
port,  la  nicmc  déclaration  établissait  sur  chaque  navire  partant 
pour  le  Levant  un  énorme  cottirao'.  Le  roi  avait  cependant  promis, 
dans  le  prcainhulcde  l'cdit  du  port  franc,  qu'il  pourvoirait  lui-même 
au  remboursement  des  droits  qui  avaient  été  aliénés  du  domaine; 
cette  promesse  était  donc  mensongère  ?  1-orte  de  ces  arguments,  la 
Chambre  essaya  donc,  mais  inutilement,  d'empêcher  la  vérification 
de  Tédit  par  le  Parlement  d'Aix  ;  elle  s'adrcss;i  ensuite  à  la  Chambre 
des  comptes,  mais  celle-ci,  après  lui  avoir  demandé  de  fortes  épices, 
se  borna  à  envoyer  i  la  Cour  des  remontrances  qui  n'eurent  aucune 
suite*. 

Le  roi  avait  noiiimé  deux  commissaires.  d'Oppède  et  Arnoul, 
pour  la  mise  A  exécution  de  l'édit  du  port  franc,  leur  lâche  fut  déli- 
cate et  ils  eurent  besoin  de  plusieurs  années  d'efforts  pour  régler  M 
toutes  les  difficultés  qu'ils  rencontrèrent.  Sans  compter  leurs  nom- 
breuses  ordonnances,  toute  une  série  de  déclarations  royales  et 
d'arrêts  du  conseil  furent  nécessaires  pour  expliquer,  compléter  ou 
confirmer  l'édit  de  mars  1669.  Il  fallut  d'abord  assurer  le  respect  de 


I 


I 


(  1  )  II  fdut  reiujrqucr  t^ue  cetu  suppression  dc  fut  pas  compléta,  puisque  non 
seulement  le  droit  de  poids  et  casse  fut  maintenu,  mais  doublé.  —  Dc  plus,  le 
commerce  ne  profila  pas  entièrement  de  la  suppression  des  autres  droits  qui 
n'eut  son  effet  que  pour  les  Provençaux  et  originaires  de  Marseille.  En  effet  les 
droits  dc  la  table  de  la  mer  et  des  drogueries  et  épiceries  devaient  co/uinuer  à 
être  perçus  dans  les  ports  de  Provence  et  de  Languedoc  et  aux  bureaux  des  envi- 
rons dc  Marseille  sur  les  marchandises  entrant  dans  le  royaume.  Scule>  celles 
qui  entraient  par  ces  ports  pour  le  compte  des  Prov.etjçaux  et  originaires  de  Mar- 
seille en  étaient  exemptées. 

(2)  D(tlaralion  de  mars  7669.  //,  2}.  —  V.  BB.  2,  fol   777  et  "jsj. 

(3»  V.  Sèanits  de  la  Chambre:  4  tmii,  11  mai  166p.  BB,  2.—  Les  remont otnces 
sont  insérées  aux  fol.  675-78. 


L  AFFRANCHISSEMENT    DU    PORT    DE    MARSEILLE 


1^9 


la  franchise  du  pori  :  la  déclaration  du  26  mars  avait  ordonné  le 
transport  hors  de  Marseille  des  bureaux  de  perception  des  droits 
d'entrée  dans   le   royaume'.    Les     commissaires  royaux  la  firent 
aussitôt  exécuter,  mais  la  chambre  reçut,  en  1669  et  en  1670,  toute 
une  série  de  plaintes  contre  les  commis  des  fermiers  qui  renonçaient 
difficilement  à  leurs  anciens  errements.  Malgré  le  tarif  établi  par 
d'Oppéde,  de  concert  avec  la  Chambre,  pour  la  levée  du  droit  de  la 
table  de  la  mer,  malgré  les  ordonnances  des  commissaires,  du  22 
novembre  1669  et  du  ti  avril  1670,  interdisant  aux  fermiers  d'exiger 
c:e  droit  et  celui  des  drogueries  et  épiceries  des  citoyens  de  Mar- 
seille, la  Chambre  se  plaignait,  dans  des  Cahiers  adressés  au  roi  en 
x6yo.  de  ce  que  les  fermiers  «  exigeaient  ces  droits  avec  tant  de 
'violence  qu'ils  faisaient  payer   double  ceux  qui  y  étaient  sujets  et 
«qu'ils  avaient  l'audace  de  faire  paver  ceux  qui  en  étaient  exempts  », 
^t  elle  ne  voyait  d'autre  remède  que  dans  la  suppression  et  l'amor- 
«rjssement  de  ces  droits.   Les  entreprises  des  fermiers  continuèrent, 
«ar,  jusqu'à  la  mort  de  Colbert,  la  Chambre  dut  avoir  recours,  tantôt 
.â  l'intendant,  tantôt  à  la  Cour  des  comptes  de  Provence,  pour  s'en 
«défendre*.  Il  est  vrai  que,  de  leur  côté,  les  fermiers  se  plaignaient  des 
»iombreuses  fraudes  auxquelles   donnait  lieu  rcxemption  des  Mar- 
3seillais*. 

L'organisation  de  la  perception  du  20  0,0  recontra  des  résistances 
^jncore  plus  tenaces.  Des  commis  furent  d'abord  établis  .1  Toulon  et 
â  Arles,  puib  i  Agde  pour  le  Languedoc,  au  Font  de  Beauvoisin  pour 
^  empêcher  l'entrée  des  soies  du  Levant,  mais  ils  furent  partout  fort 
■»nal  reçus.  Les  négociants  du  Languedoc  voulurent  même  .s'opposer  i 
leur  établissement  et  l'intendant  de  Bczon,    embrassant  les  intérêts 

It)  II  restait  encore  d.ins  l.i  ville,  en  dehors  du  |i<)ids  et  casse,  plusieurs  bureaux 
^<  perception,  celui  des  chairs  et  poissons  sales,  celui  de  la  ferme  du  domaine 
«d'Occident,  de  l.i  ferme  du  tdbac,  mais  ces  droits  ne  concernaient  pas  le  com- 
■•nerce  du  Levant. —  Les  nouveaux  bureaux  turent  placé's  au  Logisson  près  Cassis, 
  la  Penne,  la  Bourdonniére.  .\llauch,  La  Gavotte,  Septètnes. 

(2|  V.  Piainles  Jii  14  mai  i66ç. —   Taiif  du   ij  juillel.  —   Plainlfs  du   i.f  iiov. 

iM^.  BR,  2.  —  Ordonn.  des  commiisairts,  21  rici\  i6tnj  CC,  iS.  —  .-iiilie 
■ordonnant;  du  11  avril  téjo.  Arch.  Commun.  Inivnl.  Chroiiol.  —  Requête  aux 
^ommiaaiies  du  ij  juillet  i6yo.   II,  2$.  —  Cayeis  et  màtioiies  au  roi,  i}  iwùl  16/O. 

JiB,  2  fol.  Sju-fi. —   ij  juill.   /077,  arrêt  de  la  cour  des  comptes.  —  iS  mai,  2j 
juin,  ]o  juin  lé-jS,  autres  arrêts  âe  la  cour  des  comptes.   —   26  cet.   j6/S.  Ordonn. 

^  Tintendant.  —  2S  juin  lôjtj,  arrêt  dt  la  cour  des   comptes.  —    i6Sj,  Requête  à 

J'intendûnt    Invent,  de  Gourmes,  Arch.  Commun. 

(j)  //,  3/.  Arrêt  de  la  Cour  des  Comptes  aides  et  finances  de  Prvjenct  du  fo  juin 
ifi]}  (en  faveur  du  fermier). 


l 


^^ 


170  LE  RELÈVEMENT   DU   COMMERCE 

de  sa  province,  ne  voulut  le  permettre  que  sur  un  ordre  exprès  du 
roi  ou  de  Colbert;  dix  ans  après,  son  successeur  Daguesseau 
refusait  encore  de  reconnaître  un  nouveau  commis,  comme  s'il 
se  fut  agi  d'une  nouveauté,  et  en  référait  ù  Colbert  et  à 
Seignelay*.  Soit  impuissance  des  commis,  ou  négligence  et 
maladresse  comme  les  en  accusait  la  Chambre,  une  contrebande 
active  se  fit  aux  bureaux  de  Toulon  et  d'Agde  pour  échapper  au 
20  0/0.  Les  Marseillais  se  plaignaient  surtout  de  l'entrée  des  soies  du 
Levant  qui,  débarquées  à  Livourne  et  i  Gênes,  passaient  par  le 
Piémont  et  arrivaient  en  fraude  à  Lyon.  Pour  éviter  le  paiement  du 
20  0/0  au  Pont  de  Beauvoisin,  elles  allaient  passer  jusqu'à  Genève 
et  la  Chambre  écrivait  en  1680  au  résident  pour  le  roi  dans  cette 
ville  :  «  Vous  pouvez  rendre  au  commerce  de  Marseille  un  service 
considérable,  si  vous  avez  la  bonté  de  vous  faire  bien  informer 
quelle  quantité  de  marchandises  du  Levant  passent  par  vos  quartiers, 
s'il  en  entre  beaucoup  en  France  et  le  chemin  qu'on  leur  fait  tenir, 
et  sur  les  avis  que  vous  nous  donnerez,  nous  prendrons  nos  mesures 
avec  vous  pour  y  remédier*.  »  Quant  aux  ports  du  Ponant,  la 
Chambre  n'y  avait  pas  envoyé  de  commis  et  la  perception  du  20  0/0 
devait  y  être  faite  par  les  commis  des  fermiers  des  droits  du  roi, 
mais  les  fermiers  étaient  intéressés  à  augmenter  le  produit  de  leurs 
fermes  en  attirant  le  commerce  dans  les  ports  du  Ponant,  aussi 
était-il  facile  aux  étrangers  de  foire  entrer  leurs  marchandises  sous  le 
nom  de  marchands  français  qui  partageaient  leurs  bénéfices,  si  bien 
que  les  Anglais  et  les  Hollandais  continuaient  de  fournir  une  grande 
partie  du  royaume  des  produits  du  Levant.  Ils  parvenaient  même  A 
faire  entrer  leurs  marchandises  par  le  port  de  Marseille,  sans  payer  ni 
le  20  0/0  ni  les  50  sous  par  tonneau.  Ils  s'associaient  avec  des  mar- 
chands français,  faisaient  commander  leurs  bâtiments  par  des  capi- 
taines'français  et  obtenaient  ainsi  des  passeports  et  congés  de  l'amiral, 
avec  permission  de  prendre  la  bannière  de  France,  au  préjudice  des 
bâtiments  français  qui  ne  trouvaient  pas  à  se  fréter. 

Il  y  avait  une  apparente  contradiction  dans  la  conduite  de  Colbert 

(i)  V.  Lettres  du  i"  mars  1612  à  M.  de  Be^oii,  2tj  mars  16^2  à  l'cvèquc  de 
Marseille,  li  avril  16S1  à  Dagiussau.  24  niai  16S1  à  Colbert  et  à  Seigiulay,  16/ 1  â 
Varchevéqtu  de  Lyon,  11  mars  1679  à  l'intendant  du  Dauphiuè.  BU,  26. 

(2)  8 Mars  1680,  à  M.  de  Clinui'igny,  re'sident  pour  le  roi  à  Genève.  Bli,  26.  —  V. 
S  octobre  iMx).  Il,  2;  ;  14  janv.  1670.  BB,  26  ;  Cayers  au  roi  du  ij  août  1670. 
BB,  2.  —  }i  mai  167),  arrêt  du  conseil  ordonnant  la  confiscation  de  soies.  —  ij  fèvr. 
1680.  Ordonn.  de  Rouillé  au  sujet  des  contraventions  pour  les  soies.  II,  2j. 


L  AFFRANCHISSEMENT   DU    PORT    DE   MARSEILLE 


l/t 


qui  cherchait  à  enlever  aux  étrangers  le  commerce  du  Levant  par  le 
droit  du  200/0  et  leur  laissait  accorder  d'autre  part  des  facilités  pour 
le  faire  et  échapper  aux  droits  qui  protégeaient  notre  marine  natio- 
nale, mais  il  cédait  aux  nécessités  de  la  situaiioii.  «  Lors  du  rétablis- 
.letncnt    du  commerce    du    Levant    en     1669,    expliqua    fort   bien 
Forbonnais,  M.  Colbert  trouva  notre  nation  dans  une  impuissance 
absolue  de  soutenir  par  elle-même  tout  son  commerce  au  Levant.,. 
Dans   CCS   circonstances,   M.    Colbert   appela   les  étrangers,  leur 
industrie,  leur  argent,  leurs  matelots,  et  il  se  conduisit  en  homme  de 
génie.  Il  était  question,  non  pas  de  tirer  beaucoup  d'argent  de  notre 
commerce  au  Levant,  mais  d'en  avoir  un,  d'en  établir  l'entrepôt  à 
Warseille,  d'en  faire  sortir  beaucoup  de  vaisseaux  sans  examiner  à  qui 
la  propriété  en  appartenait,  de  répandre  l'argent  dans   nos  manu- 
factures pour  leur  rendre   la  vie  et  non  de  choisir  ceux  dont  on 
■accepterait  l'argent;  cnfm  il  fallait  tirer  delà  main  des  Anglais  et  des 
Hollandais  le   commerce  du    Levant    par  une  grande  concurrence 
«quelconque    où    les    Franijais   trouvassent    un    bénéfice'.   »  C'est 
pourquoi  Colbert  se  réjouissait  de  voir  que    les  étrangers  abandon- 
naient Livourne    et  que  les  Arméniens   apportaient    leurs    soies  à 
Alarseille,  tandis  que  les  Marseillais,  dont  la  pensée  était  surtout  de 
se  réserver  i  eux  seuls  la  navigation  du  Levant,  s'en  inquiétaient*. 
•  Je  vous  prie  écrivait  Colbert  A  d'Oppéde,  de  donner  aux  Arméniens 
ïoute  la  protection  que  l'autorité  de  votre  charge  vous  permettra  et 
«ie  les  garantir  de  toutes  les  chicanes  des  habitants  de  ladite  ville,  qui 
ne  connaissent  pas  en  quoi  consistent  leurs  avantages^.    "   La  même 
opposition  de  vues  se  rencontrait  entre  la  Chambre  et  (Colbert  quand 
<elle-ci  lui  demandait,  en  1672,  l'expulsion  de  trois  marchands  juifs. 
<|ui  avaient  obtenu,  deux  ans  auparavant,  de  M.  de  Lionne,  la  permis- 
sion de  s'établir  i  Marseille,  d'où  leurs  coreligionnaires  avaient  été 
<has.sés  depuis  plus  d'un  siècle  '.  «  Vous  ne  devez  pas  vous  étonner, 


<i)  Qutitiofis  sur  U  commerce  dit  Ijfvan!,  p.   102-105. 

{2)  Sous  Louis  NUI,  les  Marseillais  av.iicnt  tout  lait  pour  empêcher  les  Armsi- 
nicns  d'apporter  les  soies  â  Marseille  et  ils  avaient  ainsi  comribuc  à  la  prospérité 
de  Livoume. 

(}>  16  octobre  lôji,  Dkppisg,  t   III,  467. 

(4)  32  avril  i6j2.  HIS.  ;  :  ■>  Il  .irrive  joumellemciu  des  Juifs  en  tettc  ville  qui 

viennent  habiter,  ce  qui  est  coniraire  aux  édits  et  ordonnances  et  a  l'estatut  de  la 

ville, —  Les  ilîclievins  et  députés  en  écriront  au  roi   pour  obtenir    les  ordres  de 

i.  M.  i  les  faire  chasser  de  cette  ville,  après  qu'ils  y  auront  résidé  les  trois  jours 

lés  par  l'esutut.  »  —  Lettre  à  l'h-èqtu  d<  Marseille  du  8  juin  1672.  BB,  26. 


172 


LE    RELÈVEMENT   DU   COMMERCE 


I 

I 


répondait  Colbert  A  rimendant  Rouillé,  si  les  Marseillais  vou 
tant  parle  des  JuilV  qui  s'ctablisstnt  à  Marseille  ;  la  raison  est  qu'ils 
ne  se  soucient  pas  que  le  commerce  augmente,  mais  seulement  qu'il 
passe  tout  par  leurs  mains  et  se  Gisse  à  leur  mode.  11  n'y  a  rien  de  sj^ 
avantageux  pour  le  bien  général  du  commerce  que  d'augmenter  I 
nombre  de  ceux  qui  le  font,  en  sorte  que,  ce  qui  n'est  pas  avantageuse 
aux  habitants  particuliers  de  Marseille,  l'est  l'on  au  général  du 
royaume.  Ht  d'autant  plus  que  l'établissement  des  jui&  n'a  jamais] 
été  défendu  pour  le  commerce,  parce  que,  pour  l'ordinaire,  ilj 
augmente  partout  où  ils  sont,  mais  seulement  pour  la  religion  ; 
comme  il  n'est  à  présent  question  que  de  commerce,  il  ne  iauc 
point  écouter  les  propositions  qui  vous  seront  faites  contre  les  dits 
Juifs*.  »  _ 

Qilbert,   tout  préoccupé  d'attirer  les   étrangers  à  Marseille,   nef 
prèu  donc  pas  attention  tout  d'abord  aux  mémoires  que  la  Chambre 
lui  adressa   pour  se   plaindre  des  fiveurs  accordées  à    leurs    na 
vires;  il  se  borru  h  encourager  de  toutes  ses  forces  la  construction 
de  bâtiments  français,  en  continuant  ù  accorder  aux  constructeurs» 
les  primes  qu'avait  établies  l'arrêt  du  Conseil  du  5  décembre  1664, 
loo  sous  par  tonneau  pour  des  navires  de    100  tonneaux  et  au 
dessus,  4  livres  pr  tonneau  pour  un  navire  acheté  i  l'cirangcr*. 
Mais  plus  tard,  quand  le  nombre  des  bâtiments  français  fut  suffisant 
pour  alimenter  le  commerce  et  que  la  concurrence  des  kitimcnts 
étrangers  fut  un  danger  pour    le  développement  de  notre  marine 
marchande,  au  lieu  d'être  un  utile  stimulant,  de  nombreux  arrêts 
du  Conseil  inter\inrent  pour  interdire  aux  marchands  û-ançais  de 
s'associer  avec  des  étrangers  pour  faire  le  commerce  du  Levant,  ik 
moins  de  se  servir  de  vaisseaux  tirançais,  construits  en  France,  donti 
les  deux  tien  de  l'équipage  et  le  capitaine  fussent  français  et  don~. 


I 
I 


it)  S  ifffUmlrr  léj}.  Lttlra,  t.  Il,  p.  6yy. —  Ccpcndjn:  en  t68t,b  Chiriilv,i^ 
pânnnt  i  v-onvaincrc   Colben   du  danser  des  Juifc  qui  étaient  en  corrcspotKJar«^  ^^ 
avec    ceux  de  Livoume,  Tripoli  cl  .\lgcr  et  .ivcrtissjicot  les  Birlxircsqucs  d«t      * 
<)ui  se  préparait  contre  eux.  Il  clurgeoii  l'intend;iiit  .Morjiit  de  i'airv  une  niquctt^ 
sujet  de  l'utilité  du  commerce  des  Juife  et    de    leur  conduite  (jo  ntnrmi'rf  {f^^f^ 
Lttttfi,  t.    Il,   p.  J3i).—  J  m^i  tt'Si.  Ofvlre  du  roi  de    t'oia-  sortir  les-  juif 5 
Marseille  et  même  de  son  rovjutne.  —  19  juillet  168}.  Ordonn.  de  riniciiiLiiXi  ^ 
l'cxpuli-ion    des  sieurs  Villcr^al.    .\t>raham.   Ants  et  tous  JUtars  Juifs,    .y^^ 
Commun.  Inttit.  Chrotel. 

{2\  Quel   que  fût   l'intérêt  iju'il  pomh  au    développement  de  la  nuriac  «f^i 
fiuerre,  il  rccomiiundait  i  rintcndjiii  des  galcrcs  de  ne  pas  engager  des  clurpci,^ 
tiers,  et  de  ne  pis  acheter  des  bois  qui  devaient  être  cmpiovcs  i  la  construction 
de  bitimcnis  marchands.  6/auN  i^-jn,  à  Armo^d.  LAtra,  1. 11. 


LA    LIQUIDATION    DES   DETTES  I7Î 

l'arraeiTieni  ei  le  désarmement  se  fit  réellement  en  France'.  L'édii 
J'affiranchisscmcnt  avait  alors  porte  ses  fruits  :  «  Le  droit  de  20  0/0, 
ccrivait  la  Chambre  A  l'intendant  du  Dauphiné,  a  comme  transporté 
LU  l-rance  le  magasin  des  marcliandiscs  du  Levant  qui  était  aupara- 
vant h  Livoiirne,  Gênes,  ou  ailleurs,  et  les  étrangers  sont  presque 
réduits  â  venir  s'en  pourvoir  chez  nous...  mais  tout  changerait 
hieiitôi  si  la  porte  restait  ouverte  aux  fraudes*.  »  Les  soies  et  autres 
niarchandi.ses  n'entraient  plus  en  France  par  le  Piémont  et  les  négo- 
ciants de  Lyon  ainsi  que  les  intéressés  des  fermes,  qui  y  trouvaient 
auparavant  leur  avantage,  sollicitaient  â  la  Cour  en  i68î  pour 
demander  la  suppression  du  20  0/0^. 

Si  Pédit  d'affranchissement  eut  son  effet  vis-.l-vis  des  étrangers 
qu'il  attira  h  Marseille,  il  eut  d'abord  peu  d'influence  sur  le  déve- 
loppement du  commerce  français,  qui  restait  accablé  sous  le  poids  de 
ses  énormes  dettes,  à  Marseille  et  dans  les  échelles.  Ce  n'était  pas 
que  Colbert  ne  se  fût  préoccupé  de  l'en  délivrer  dès  le  début  de  son 
administration,  la  liquidation  des  dettes  fut  au  contraire  une  de  ses 
plus  constantes  préoccupations.  Le  4  mai  1662,  on  arrêt  du  Conseil 
prorogeait  la  levée  du  droit  de  cottimo  établi  le  5  mars  1660,  pour 
continuer  le  paiement  de  la  dette  des  Anglais  et  rembourser  ensuite 
les  46.800  piastres  qu'avait  coûté  l'avanie  du  capitaine  Durbecqui  *. 
Mais  on  ne  Sitvaii  même  pas  A  combien  s'élevaient  les  dettes  des 
échelles  et  si  la  nation  les  devait  réellement,  les  comptes  de  leur 
administration  financière  n'ayant  jamais  été  envoyés  .1  Marseille. 
La  Chambre,  stimulée  par  Colbert,  travailla  les  années  suivantes  h 
cclaircir  leur  situation  et  surtout  celle  d'Alexandrie  et  de  Seïde  qui 
étaient  les  plus  engagées''.  Les  résultats  de  cette  vaste  enquête  furent 
peu  rassurants.  La  seule  échelle  d'Alexandrie  devait  810.000  livres, 


(I)  V.  //,  26  ;  OjdonnatKcs  ei  rvglenieius  de  S.  M.  sur  le  sujet  des  étrangers 
qui  ne  peuvent  se  servir  du  pavillon  l'rançaiy.  (1671-86),  brochure  de  17  pages.  — 
2i  niiù  i6jr,  26  oclM'u  16S1,  <ti 

U)  Il  mars  i6jy,  HB,  26. 

(J>  io  diambrt  16S},  Lettre  à  M.  df  Gitmtry.  HD,  26. 

(4)  ce,  ;.  —  Le  cottimo  ét.ibli  par  le  contrat  du  )  mars  1660  était  augmenté 
Je  jon  livres  pour  les  vaisseaux,  2iX)  pour  les  polacres  et  Ijupour  les  l)arques.  — 
V.  p.  6û  pour  la  dette  des  .\nglais,  p.  12  pour  Tavanie  de  Durbecqui. 

1)1  V.  liB,  1  .  Délibérations  de  1663-64  pour  Alexandrie. —  La  nation 
demande  en  i66}  l'autorisation  d'imposer  un  5  oo;  ce  droit  existe  encore  en 
166H  I)  viai  166S).  —  Pour  Seide,  V'.  24  janvitr  1661,  4  jiiilUl  1661  :  I^ 
ClumbtT  emprunte  40.000  piastres  |H»ur  t'acquillemctn  dc4  dettes  plu*  pressantes 
Uc  la  nation  de  Scîde. 


174  LE   RELÈVEMENT  DU   COMMERCE 

Seïde  environ  180.000  et  les  dettes  totales  du  commerce  s'élevaient 
à  plus  de  1.200.000.  «  Nous  pouvons  vous  assurer,  écrivait  en 
même  temps  la  Chambre  à  son  député  en  Cour,  que  cette  place  est 
en  fort  mauvais  état,  ayant  perdu  aux  faillites  qui  y  sont  arrivées 
plus  de  i.éoo.ooo  livres,  150.000  qu'il  a  fallu  donner  pour  le  rachat 
des  esclaves  d'Alger  et  de  Tunis  et  150.000  que  nous  coûte  l'avanie 
du  Saint-Barthélémy,  voilà  2.000.000  de  pure  perte*.  »  Aussi  la 
Chambre  se  déclarait-elle  impuissante  à  acquitter  les  échelles, 
comme  le  voulait  Colbert,  et  demandait-elle  qu'on  imposât  chacune 
d'elles  pour  la  valeur  de  ce  qu'elle  devait.  Les  recherches  sur  les 
dettes  des  échelles  et  les  moyens  de  les  acquitter  continuèrent  pendant 
l'étude  du  projet  d'affranchissement  du  port  et,  sur  la  demande  de 
Colbert,  la  Chambre  réclamait  encore  aux  échelles  en  1669  un 
compte  de  toutes  leurs  dettes*. 

La  déclaration  du  26  mars  1669,  annexée  ;\  l'édit  du  port  franc,  en 
régla  le  paiement  par  un  cottimo  «  sur  chaque  vaisseau,  barque, 
polacre,  allant  aux  échelles,  soit  que  les  vaisseaux  ou  marchandises 
appartinssent  aux  sujets  du  roi,  ou  aux  étrangers  négociant  de  Levant 
en  France  et  de  France  en  Levant.  »  Ce  nouveau  cottimo  devait  être 
de  2.000  piastres  par  vaisseau,  1.300  par  polacre,  i. 000  par  barque 
allant  à  Alexandrie  et  Smyrne  ;  de  1.600,  i.ooo  et  800  piastres  pour 
les  voyages  de  Seïde  et  de  Tripoli  ;  de  800,  500  et  400  pour  les 
voyages  d'Alep,  Chypre,  Constantinoplc,  Satalie,  Escaleneuve  et 
la  Morée  ;  de  400,  250  et  200  pour  les  voyages  d'Alger,  Tunis, 
Tripoli,  Bonne,  La  Callc,  le  Bastion  et  autres  d'Afrique*.  Une 
pareille  imposition  était  si  exorbitante  que  le  commerce  menaçait 
d'être  complètement  arrêté.  Aussi,  sur  les  représentations  de  la 
Chambre,  d'Oppède  réduisit  le  cottimo  presque  à  la  moitié  par  son 
ordonnance  du  4  juin  1669  et  le  même  droit  fut  encore  modéré 
par  une  ordonnance  de  l'intendant  Arnoul  du  5  décembre*.  Malgré 
cette  taxe  si  lourde,  les  dettes  des  échelles  et  du  commerce  furent 
acquittées  lentement,  car  il  fallait  prélever  auparavant,  sur  le  pro- 


(1)  26  avril  i66j.  BB.  26.  —  29  avril  ihb-/.  BB,  2.  —  Remontrances  :  BB,  2, 
fol.  6yf.  —  BB,  2,  fol.  j/2  :  Règhmtnl  prof'osi.  —  BB,2.  22  iimembre  1668  :  Les 
dettes  sont  évaluées  à  397.000  piastres,  c'est-à-dire  environ  1.200.OCO  livres. 

(2)  Lettre  de  Colbert  du  9  novembre  lôô^f.  AA,  j.  —  Lettres  aux  èclielles  du  14, 
20,  27  novefnbre  i66p.  BB,  26. 

(3)  II,  25. 
U)  ce.  I. 


I  A    LIQUIDATION    DES   DETTES 


t7S 


duit  du  cottimo,  le  remboursement  de  la  inoitié  de  la   linance  des 
cngagistes  de  la  Tnblc  de  la  nier  év.duce  A  210.000  livres,  puis, 
annuellement,  les  lé.ooo  livres  de  la  pension  de  l'ambassadeur  et  les 
25.000  livres  du  curage  du  port,  4.500  livres  pour  l'entretien  des 
enfants  de  langue,  2. 500  livres  environ  pour  les  frais  ordinaires  de 
1.1  Chambre  et  5.000  livres  pour  les  frais  extraordinaires,  soit  en  tout, 
ch.ique  année,  la  somme  considérable  de  54.000  livres.  De  plus,  les 
dépenses  des   négociations  au  sujet  des  capitulations  et  les  avanies 
renouvelaient  les  engagements   des  échelles.   En  1670  la  Chambre 
envoyait  ù  Colbert  un  état  des  dettes  qui  s'élevait  à  1.^60.000  livres 
c'est-.'i-dire  à  une  somme  plus  considérable  cncure  qu'en  1667.  lin 
1675,  après  plus  de  cinq  années  de  paiement  du  cottimo,  elles  étaient 
encore  de  1. 130.660  livres'.  Et  cependant  le  roi  avait  nommé  des 
commissaires  spéciaux  pour  travailler  avec  la  Chambre  à  leur  liqui- 
dation :   d'Oppède  et  Arnoul,  remplacés  en    1673  par  l'intendant 
Rouillé  et  le  conseiller  au   Parlement  Guidy.     Ces   commissaires 
avaient  établi  des  cottimos  spéciaux,  levés  sur  les  navires  abordant 
au.K  échelles  endettées,  ;\  Seide,  Alexandrie,  Chypre,  sans  préjudice 
de  celui  qui  ét.iit  e.xigé  ù  Marseille  pour  les  dettes  du  commerce 
général  '. 

Colbert  devait  bien  souffrir  d'une  pareille  situation,  lui  dont  le 
TÙve  était  de  soulager   le  commerce  de  toute  imposition   et   qui 
«crivait  dès  1669  K  d'Oppèdc  :  «  Il  faut  s'appliquer  à  mettre  la  ville 
de  Marseille  en  état  de  supprimer  dans  quelques  années,   s'il   est 
possible,  ledit  cottimo,  afin  que  la  franchise  des  droits  convie  les 
étrangers  à  s'y  venir  habituer  et  en  même  temps  contribue  i  rendre 
ce  port  li  le  plus  fameux  de  toute  la  Méditer rante'.  »  Cependant  la 
situation  s'améliora  ;  en  1679  Rouillé  venait  déclarer  à  la  Chambre 
que  *  des  arrêts  du  conseil  étaient  intervenus  par  lesquels  la  plus 
grande  partie  des  procès  (avec  les  créanciers  du  commerce)  se  trou- 
vaient terminés.  Et  comme  d'ailleurs  ils  pouvaient  ;\  l'avenir  servir 
de  règle  et  de  maxime  pour  prévenir  de  semblables  prétentions  et 
empêcher  de  pareils  procès,  S.  M.  lui  avait  ordonné  de  les  faire 
lire  et  publier....   et   de    faire  entendre  aux  échevins  et  députés, 


II)  Leltie  du  21  leptemlny  tdja,  aux  dfpulis  ti>  cour,   lili,  26.  —  Etal  dti  dettes 
atmetl  à  la  séance  du  2}  novembre  167/.  BB,  2. 
(2|  A  Alcsandric  ce  cottimo  spîcial  t'iait  Je  iioo  piastres.  —  BB,  2.  2}  juillet 

())  A  i'Ofprde,  jo  mai  iCù^.  OepImng,  i.  III,  p.  467. 


176 


LE   RELEVEMENT   DU   COMMERCE 


marchands  et  négociants,  qu'elle  avait  résolu  de  révoquer,  aussitôtj 
que  faire  se  pourrait,  la  levée  du  cottimo  et  d'en  décharger  entière- 
ment tous  les  vaisseaux,  pour  rendre  le  commerce  plus  libre,  et 
qu'elle  pourvoirait  d'ailleurs  au  fonds  nécessaire   pour  la  cure  du 
port  et  la  pension  de  M"'  l'ambassadeur'.  »  Les  dettes  A  payer  il  I 
Marseille  ne  s'élevaient  plus  en  effet  qu'A  150.000  livres  environ  et 
Colbert  écrivait  en  1681,  à  l'intendant  Morunt,  de  (aire  en  sorte  de 
supprimer  le  cottimo  avant  la  fin  de  1681*.  Quant  aux  dettes  des 
échellej  elles  étaient  aussi  considérablement  diminuées.  Rouillé  en  1 
avait  presque  achevé  la  liquidation  et  Morant  la  terminait  en  16821 
par  celle  de  Seïde,  qui  seule  devait  encore  28.938  piastres,  pour  le] 
paiement  desquelles  il  établissait  un  cottimo  ^ 

Mais  au  moment  où   l'on  pouvait  espérer  enfin  être  délivre  des] 
impositions,  la  malheureuse  affaire  de  la  canonnade  de  Chio  attirai 
aux  échelles  une  série  de  nouvelles  avanies  et  le  commerce  de  Mar-| 
seille  duc  payer  les  250.000  livres  de  présents  que  M.  de  Guillcra- 
gues  promit  pour  apaiser  la  colère  du  divan.  C'est  en  vain  que  la 
Chambre  fit  les  plus  grands  efforts  pour  l'en  faire  décharger*  et  que    , 
l'ambassadeur  proposa  lui-même  aux  ministres  que  le    roi  payât  B 
cette  dépense,  les  finances  n'étaient  pas  en  assez  bon  état  pour  per- 
mettre  au  trésor  cette  libéralité.  Au  lieu  de  supprimer  le  cottimo,  il 
fallut  en  établir  un  second  pour  cette  affaire  particulière,  le  27  no-] 
vcmbre  1682.  Dés  lors  il  ne  fut  plus  question  de  supprimer  cette 
taxe  ;  tout  ce  qu'on  put  faire,  quand  les  250.000  livres  de  l'affaire  de 
Chio  furent  payées,  ce  fut  de  réduire  le  cottimo  qui,  à  partir  du 
I*'  janvier  1686,  fut  ramené  au  taux  qu'il  conserva  pendant  le  reste  ! 


(i)  26  octobre  i6j>).  HB,  j.  —  L'intendant  fit  ensuite  lecture  de  sept  arrêts  du 
conseil  du  28  mars  1679^  ils  déchargeaient  le  commerce  général  et  les  échelles, 
purement  et  simplement,  cl\  paiement  de  quatre  avanies  montant  à  77 .000  piastres,  1 
et  de  5 .  500  piastres  environ  pour  les  Jettes  de  Césy,  —  liquidaient  a  1 12 .  250  livre» 
les  sommes  dues  de  ce  fait  aux  héritiers  de  Luguet  et  à  11 .708  li^Tres  les  somme»  j 
ducs  sur  la  pension  de  Césy. 

(2)  !6  octobre  tôSt.  Ltlties,  t.  Il,p.  -jit. 

(})  V.  4  mars  i68j  :  Vfrhal  de  la  liquidalion  de  Véche.Ui  de  Seule.  BB,  },fot.  /oy.^-| 
j:46.  Document  tort  intéressant.  —  A  Seignelay,  BB,  2b.  ij  août  16&2  :  les] 
échelles  sont  presque  entièrement  dégagées.—  Le  31  décembre  168}  la  Chambre 
remet  i  l'intendant  un  état  des  dettes  pas>ives  des  échelles  dont  les  chiffres  sont  ( 
très  réduits.  —  On  peut  remarquer  que  la  Chambre  déclare  ne  pouvoir  donner  1 
déchiffres  pour  Constantiiiople  et  Chypre  parce  que  ces  deux  échelles  ne  lui  ont! 
jamais  envoyé  de  comptes.  —  CC,  7/. 

(4)  Leitrt    à    fn/que   de    Marseille,   Seignelay.    Rouille,    ttellin^ani,   Colbtrt  it\ 
Croiisy,  Colbtrt,  29  ttptembte  16S2.  BB,  a6. 


JB 


LA   LIQIUIDATION  DES  DETTES  I77 

du  XVII'  siècle'.  Colbert  était  donc  mort  sans  avoir  pu  réaliser  son 
rêve  de  la  suppression  de  toute  imposition  sur  le  commerce  du 
Levant  et  le  paiement  du  cottimo  fut  toujours  pour  le  commerce 
français  une  cause  d'infériorité  vis-à-vis  des  Anglais  et  des  Hollan- 
dais, qui  n'étaient  assujettis  à  aucun  droit  analogue.  Cependant 
Q>lbert  pouvait  être  satisfait  de  son  œuvre  ;  il  avait  réussi  à  porter 
la  lumière  dans  le  chaos  des  dettes,  des  impositions  et  des  procès  et 
il  en  avait  entièrement  délivré  le  commerce  ;  il  avait  établi  pour 
l'avenir,  dans  la  gestion  financière  des  deniers  du  commerce  et  des 
échelles,  cette  régularité  qu'il  avait  fait  régner  dans  les  finances  du 
royaume  ;  enfin  si  les  marchands  continuaient  à  payer  le  cottimo, 
ils  savaient  du  moins  que  cette  imposition  était  nécessaire  et  que 
les  deniers  qui  en  provenaient  servaient  à  l'usage  auquel  ils  étaient 
destinés. 

(0  Ordonnance  de  l'intendant  Morant  du  )i  octobre  1685,  rendue  en  vertu  de 
l'arrêt  du  conseil  du  15  août  1685 .  Le  cottimo  fut  fixé  comme  il  suit,  sur  les  évalua- 
tions données  par  la  Chambre.  —  Pour  les  bâtiments  venant  de  Smyrne,  i .  500, 
1 .000,  750,  }7>  livres,  par  vaisseau,  polacre,  barque  et  tartane.  —  Pour  ceux  de 
Gi>nstantinople,  Chypre,  Satalie,  600,  450.  joo,  130.  —  Pour  ceux  d'Alexan- 
drette  et  Seîde,  i .  200,  800,  600,  300.  —  Pour  ceux  d'Alexandrie,  800,  600,  400, 
aoo.  —  Pour  ceux  de  Malte  et  Candie,  250,  150,  100,  50.  —  Four  ceux  de 
l'Archipel,  Barbarie  et  Morée,  300,  250,  150,  75.  —  Pour  les  bâtiments  qui  en 
revenant  du  levant  allaient  terminer  leur  voyage  à  l'étranger.  500, 350,  250,  125. 
—  Idem,  revenant  Je  Barbarie  ou  de  l'Archipel,  200,  150,  100,  50.  —  L'évalua- 
tion du  cottimo  variait  beaucoup  suivant  les  échelles  d'où  revenaient  les  navires, 
parce  que  la  valeur  moyenne  des  cargaisons  était  très  variable  suivant  les 
échelles. 


12 


CHAPITRE    III 


LE   SYSTi:.ME   COMMERCIAL    DE   COLBERT 


II.  —  Im  Compagnie  du  Lnwit  et  la  balance  ihi  commerce. 

Si  Colbert  espérait  foire  de  Marseille  le  plus  grand  port  de  la  Médi- 
terranée en  y  rendant  le  commerce  libre  de  toute  entrave  et  de  toute 
charge,  il  crut  aussi  nécessaire,  pour  y  parvenir,  d'abandonner  les 
anciennes  méthodes  pratiquées  par  les  Marseillais  et  de  créer  une 
grande  Compagnie  du  Levant.  C'était  ;\  l'organisation  des  Compa- 
gnies, pensait-il,  qu'était  dû  le  développement  subit  du  commerce 
de  nos  rivaux,  tandis  que  la  faiblesse  du  commerce  français  du  Levant 
venait  de  ce  qu'il  n'était  fait  que  par  des  particuliers.  Les  petits 
vaisseaux  des  Marseillais  étaient  forcément  la  proie  des  Barbdresques 
et  leur  incurable  jalousie  les  empêcherait  toujours  de  faire  des  convois 
pour  s'en  garantir.  Les  nombreux  contre  temps  qu'il  y  avait  à  redou- 
ter dans  ce  négoce,  les  hausses  ou  les  baisses  de  prix  inattendues,  les 
avanies,  les  naufrages,  causaient  la  ruine  de  ces  petits  marchands,  qui 
ne  disposaient  que  de  fonds  médiocres  ;  de  là  ces  perpétuelles  ban- 
queroutes qui  jetaient  le  désordre  dans  le  commerce.  Une  Compa- 
gnie, à  la  tète  d'un  gros  capital,  pourrait  supporter  des  pertes  momen- 
tanées et  profiter  ensuite  de  meilleures  conjonctures.  Les  particuliers 
ne  voulaient  pas  renoncera  l'exportation  de  l'argent  qui  appauvrissait 
le  royaume  et  exposait  les  échelles  à  de  perpétuelles  avanies  par  la 
mauvaise  qualité  des  espèces  qu'ils  y  portaient  pour  foire  plus  de 
profit.  Ils  se  refusaient  à  chercher  les  moyens  de  procurer  du  débit 
aux  manufiictures  du  royaume,  que  le  ministre  avait  un  ardent  désir 
de  relever.  On  pourrait  facilement  s'entendre  à  ce  sujet  avec  une 
Compagnie  qui  ferait  un  commerce  utile  au  royaume.  C'étaient  les 
jalousies  des  particuliers  qui  entretenaient  ù  Marseille  et  dans  les 


LA  COMPAGNIE   DU   LEVANT 


Î79 


I 


échelles  ces  interminables  querelles  et  cette  aveugle  concurrence  qui 
les  ruinait  tous  dans  Li  crainte  de  laisser  enrichir  un  rival.  Enfin 
l'àpreté  au  gain  des  march.inds,  qui  leur  f.iisait  employer  tous  les 
moyens  pour  faire  du  profit,  avait  introduir  dans  le  Levant  ces  mau- 
\-aises  pratiques  qui  avaient  jeté  le  discrL'dit  sur  le  nom  et  sur  les 
marchandises  des  Français.  «  Les  petits  marchands  de  Marseille, 
écrivait  CoJbert,  ne  croyant  pas  qu'il  y  ait  d'autre  commerce  que 
celui  qui  se  passe  dans  leurs  boutiques  renverseraient  volontiers  tout 
le  commerce  général  sous  l'espérance  d'un  profit  présent  et  particu- 
lier qui  les  ruinerait  dans  la  suite'.  «  Sans  doute  les  Marseillais 
avaient  fait  un  f^rand  commerce  autrefois,  mais  à  une  époque  où  les 
Compagnies  n'existaient  pas.  Celles-ci  apparaissaient  donc  comme 
un  progrès  sur  les  anciennes  méthodes,  qu'il  fallait  adopter  sous 
peine  de  demeurer  en  état  d'infériorité. 

Colbert  aurait  pu  se  rappeler  cependant  que  la  nécessité  des  Com- 
pagnies s'était  fait  sentir  quand  il  avait  fallu  nouer  des  relations 
commerciales  avec  les  p.iys  lointains  nouvellement  découverts,  où 
les  particuliers,  par  crainte  de  l'inconnu  et  de  trop  gros  risques, 
n'auraient  pas  osé  se  hasarder.  Les  Anglais  et  les  Hollandais  avaient 
adopté  ce  mode  de  commerce  qui  leur  était  familier  pour  négocier 
dans  le  Levant,  car  si  ces  pays  étaient  beaucoup  moins  éloignés  que 
les  Indes,  ils  étaient  déji  lointains  et  la  roule  nouvelle  et  dangereuse. 
D'ailleurs  ils  n'avaient  pas  formé  réellement  de  Compagnies  du 
Levant,  mais  leurs  marchands  s'étaient  seulement  groupés  en  asso- - 
ciations  d'un  caractère  particulier,  dont  les  membres,  libres  dans 
leurs  opérations  commerciales,  étaient  liés  par  un  règlement 
commun.  Les  Marseillais  qui,  depuis  des  siècles,  fréquentaient 
les  parages  du  Levant  et  avaient  toujours  pratiqué  librement  leur 
négoce  avec  succès,  avaient-ils  besoin  maintenant  de  former  une 
Compagnie  ?  Et,  s'il  paraissait  nécessaire  d'imiter  les  Anglais  et  les 
Hollandais,  la  Chambre  du  Commerce  de  Marseille  ne  pouvait-elle 
remplir  exactement  le  même  rôle  que  les  Chambres  de  direction 
d'Amsterdam  et  de  Londres,  pour  maintenir  dans  ce  négoce  l'ordre 
qui  y  était  nécessaire  ?  Colbert,  qui  avait  si  bien  pénétré  les  multiples 
causes  de  la  ruine  du  commerce  du  Levant,  aurait  pu  penser  qu'il 
suffirait  de  les  faire  disparaître  pour  lui  faire  retrouver  son  ancienne 
prospérité,  sans  qu'il  fût  besoin  pour  cela  de  bouleverser  des  habitudes 


U)  Pierre  Clément,  CoJbert,  t  J.  p.  351. 


i86 


LE   RELKVEMENT   DU   COMMERCE 


séculaires.  Au  lieu  de  reprocher  aux  Marseillais  leur  impuissance, 
il  aurait  pu  s'étonner  de  leur  persévérance  qui  avait  maintenu  le  peu 
de  commerce  qui  restait,  dans  des  circonstances  extraordinairement 
malheureuses,  où  une  Compagnie  eut  depuis  longtemps  trouvé  sa 
ruine.  Mais,  autant  Colbcrt  rêvait  grand  l'avenir  de  Marseille,  autant 
il  s'était  fait  une  pauvre  idée  de  ses  habitants  et  ce  n'était  pas  par 
eux  qu'il  espérait  réaliser  ses  projets.  La  Compagnie  du  Levant  tut 
donc  résolue,  à  la  même  époque  où  Colbert  organisait  ses  grandes 
Compagnies  de  commerce  et  de  colonisation,  mais  celle-ci  rencontra 
de  grandes  difficultés  pour  sorï  établissement,  ce  qui  en  retarda  J 
l'apparition  de  plusieurs  années.  ^ 

Dès  le  mois  de  juillet  1664,  h  Chambre  recevait  une  lettre  du 
roi  au  sujet  de  la  Compagnie  des  Indes  Orientales  pour  y  faire  entrer  m^ 
les  marchands.   Le  conseil  de  ville  engagea  la  communauté  pour  Bj 
5.000  livres,  «  parce  que  c'était  la  volonté  du  roi  »,  mais  la  Cham- 
bre, malgré  les  lettres  pressantes  de  la  cour,  ne  put  décider  aucun  H 
marchand  à  suivre  cet  exemple,  «  les  uns  prétextant  qu'ils  avaient 
leur  négoce  établi  aux  échelles  et  qu'ils  n'avaient  pas  assez  de  fonds 
pour  faire  l'un  et  l'autre,  en  sorte  qu'ils  ne  voulaient  pas  quitter  le 
certain  pour  l'incertain,  et  les  autres  qu'ils  avaient  leurs  habitudes  en 
Levant,  les  uns  y  ayant  leurs  enfants  et  les  autres  de  proches  parents.  • 
Mais  on  apprit  que  MM.  les  intéressés  de  la  ville  de  Lyon  ■  préten- 
daient obtenir  une  Chambre  de  direction  qui  aurait  la  direction  de 
Marseille  et  réglerait  les  affaires  du  Levant,  comme  ils  menaçaient 
tous  les  jours  »  ;  pour  éviter  ce  malheur  la  Chambre  s'intéressa  pour 
20.000  livres  dans  la  Compagnie  des  Indes'. 

En  même  temps,  elle  était  inlormée  que  les  négociants  de 
Lyon  sollicitaient  la  formation  d'une  grande  Compagnie  du  Levant, 
qui  aurait  le  monopole  exclusif  du  commerce,  et  elle  s'empres- 
sait d'écrire  à  son  député  en  cour  pour  tikhcr  de  parer  ce  nou- 
veau coup  :  «  Comme  il  s'agit,  disait-elle,  de  notre  entière  désola- 
tion, il  ne  fautj  s'il  vous  plait,  rien  oublier  pour  s'y  opposer... 
On  dira  que  ceux  qui  négocient  à  présent  le  feront  à  l'avenir 
dans  la  Compagnie,  il  laut  savoir  que  notre  ville  est  composée  d'un 
grand  nombre  d'habitants  qui  n'ont  que  500  à  1000  livres  vaillant, 
qui  par  leur  industrie  le  négocient  et  font  rouler  deux  ou  trois  fois 
de  l'année  et  le  retirent  quand  bon  leur  semble,  ce  qu'ils  ne  pouT- 


4 
4 


in  fili,  3.  J,  1'^  jiiiUn!  I)  s<l>Umb)'(!  i66.f;  21  mai  i6ùj. 


LA   COMPAGNIE   Dl    JJiVANT 


l8i 


raient  pas  ûire,  et  un  autre  grand  nombre  qui  négocient  du  soûl 
crédit.  Du  jour  que  la  Compaj;nie  se  concluera,  on  leur  coupe  l.i 
gorge  ou  il  faut  que  toutes  ces  ramilles  aillent  habiter  un  autre  lieu 
que  Marseille,  dans  lequel  nombre  la  plupart  des  mariniers  sont 
compris,  en  quoi  le  roi  recevrait  un  grandissime  préjudice  par  l'arme- 
ment de  ses  vaisseaux  et  galères,  que  quand  la  Compagnie  serait 
i'urmée,  cinq  ou  six  vaisseaux  en  chaque  échelle  feraient  tout  le  com- 
merce, ce  qui  occuperait  fort  peu  de  mariniers,  eu  égard  à  la  multitude 
qu'il  en  faut  i  la  quantité  de  vaisseaux,  polacrcsct  barques  qui  sortent 
tous  les  jours  de  ce  port...  Si  vous  n'étiez  à  Paris  on  députerait  un 
corps  de  marchands  pour  s'aller  jeter  aux  pieds  du  roi...  On  nous  parle 
que  le  roi  y  mettra  fonds,  MM.  Je  Lyon,  Rohan  (Rouen)  et  autres, 
ils  ne  prennent  pas  garde  que  nous  avons  d'argent  de  reste  pour 
fournir  à  ce  négoce  auquel  il  ne  s'emploie  pas  deux  millions  de 
livres,  et  pour  b  trop  grande  abondance  d'argent  qui  vont  en  Levant, 
les  marchandises  s'achètent  si  chères  et  d'aucunes  se  gâtent  dans  les 
magasins  et  d'autres  chôment  les  deux  cm  trois  années...  Ce  sont  des 
manopoles  que  ces  Compagnies  odieuses  ,\  Dieu  et  au  monde  et 
comme  il  n'y  a  rien  qui  ne  doive  être  plus  libre  que  le  négoce,  il  n'y 
a  rien  aus-si  de  plus  affligeant  que  de  le  voir  retraint  entre  les  mains 
de  quelques  particuliers;  que  si  on  voulait  s'arrêter  à  la  Compagnie 
que  les  Anglais  et  les  Hollandais  ont  pour  le  Levant,  et  que  c'est  par 
Cette  voie  qu'ils  ont  trouvé  de  grands  biens,  en  celaon  peut  répondre 
que  les  Anglais  et  les  Flamands  n'ont  pas  pu  faire  moins  et  de  former 
en  compagnie  ce  que  les  particuliers  ne  pouvaient  iaire  à  cause  de  la 
distance  de  leur  pays  au  Levant  et  Barbarie,  ce  qui  ne  nous  convient 
pas  pour  être  si  voisins  de  Levant  et  Barbarie,  étant  si  facile  aux 
particuliers  de  négocier  et  y  former  des  desseins  suivant  leur  indus- 
tiie*.  »  Cette  énergique  résistance  et  l'appui  de  «  quelques  person- 
nages de  considération  i^i  la  cour  »,  qui  coûta  ù  la  Chambre  500  pis- 
toles,  tirent  échouer  le  projet  de  compagnie  des  Lvonnais*. 
Colbert  songea  alors  à  constituer  la  Compagnie  avec  les  Marseillais 
^L  eux-mêmes,  mais  les  ouvertures  qu'il  leur  fit  faire  par  l'intendant 
^^  lies  galères  Arnoul  furent  bien  mal  accueillies,  si  l'on  en  juge  par  son 
dépit  :  «  Vous  ne  ferez  jamais  dans  Marseille  par  ceux  de  la  ville, 
ccrit-il  à  Colbert,  ce  grand  et  beau  commerce  qui  se  devrait  et  pour 

(I  )  BB,  j6.  Lttire  à  Bonin,  député  m  cour,  iS  juillet  166 j. 
(i|  BB,  2.  30  mars  1666. 


I 


I 


4 


l8a  LE   RELfe\'EMENT   DU   COMMERCE 

qui  h  nature  semble  avoir  fait  cette  ville.  Tant  que  l'on  s'amusera  aux 
Marseillais,  jamais  de  compagnie;  ils  se  sont  tellement  abâtardis  i 
leurs  bastides,  méchants  trous  de  maisons  qu'ils  ont  dans  le  terroir, 
qu'ils  abandonnent  la  meilleure  affliire  du  monde,  plutôt  que  de 
perdre  un  divertissement  de  la  bastide.  En  apparence  ce  n'est  rien, 
mais  je  soutiens  que  cela  a  ruiné  la  ville  et  la  ruinera  toujours.  De 
maîtres  qu'ils  étaient  du  commerce  ils  n'en  sont  devenus  que  les 
valets,  n'agissant  presque  plus  que  comme  commissionnaires  de 
MM.  de  Lyon'.  »  Arnoul  proposait  d'attirer  à  Marseille  des  mar- 
chands de  Lyon,  de  Rouen  et  d'autres  villes  qui  feraient  des  compa- _ 
gnies  et  serviraient  de  guides  aux  Marseillais  pour  leur  enseigner  lesf 
bonnes  pratiques  du  commerce,  «  cela  scr\-jrait  à  enfiler  le  chapelet 
qui  n'est  ici  que  par  grains  séparés*.  » 

Entre  temps  se  créaient  de  petites  Compagnies  :  le  cardinal  de 
Vendôme  en  formait  une  qui  faisait  construire  deux  vaisseaux  e»! 
1669  et  Colben  recommandait  à  Amoul  de  ne  pas  l'en  détourner 
par  l'achat  de  ses  bois  :  «  Il  vaut  beaucoup  mieux,  lui  écrivait-il, 
retarder  le  bâtiment  des  deu.x  vaisseaux  de  S.  M.,  s'il  est  absolument 
nécessaire*.  Cette  tentative  ne  semble  pus  avoir  eu  de  suites,  nuis  àfl 
U  même  époque  une  Compagnie  de  quelques  particuliers  s'était™ 
constituée  sous  le  nom  du  sieur  Laurent  de  Chauvigny  ;  elle  tbmu 
le  noyau  de  la  future  Compagnie  du  Le\'ant*,  qui  s'organisa  dëliniti- 
vemeni  en  1669-70.  Les  marchands  de  Lyon  présentèrent  à  la  cour 
un  projet  de  Compagnie  pour  laquelle  ils  denundaient  Je  nouveau 
un  privilé};e  exclusif  et  des  avantages  énormes,  mab  Colben,  qui 

\ï\  2f  fwim  té6S,  DCPVUCO,  t  Ul.  p.  4<H-  ^9  éistmèn  t66S  :  «  Je  dc  vou{ 
riea  dc  llniaKsr  vaatstHiaoe.  ,  Qsùad  ««ms  les  niiuftici  wxis  aarxz  phH  d'eus 
n  ncles  iuit  nu ooasdircr  pour  rien  £ùv,  »ah  U viDe qoi est  jn  roi  et  peut-ctn 
la  ph»  bdle  «1  «oo>k.  les  ûler  nulgri  cm  •  —  Ibid..  t.  1,  p.  794.    -  AiUeun  i 
WCTrair  ks  MjrsdlUb  «i'^i^ir  pertlo  té  goût  <la  «xMwnetvc  :  «  Ô  ^ut  qu'Us  s*ati« 
■CM  à  devenir  boss  muchaaiiset  fiâdes  ateoduB  s'ils  pravcnt,  sans  uot  rcchc 
<ha  les  tilRs  dTAaivrr  et  Ae  uMessL  qm  tes  naé  ansatdc  «■'îb  ont  oc  peo 
Kea.  Comme  3s  sont  soèics  et  ÊiBéaMs,  gnnàs  luiletus  et  «bscbis  de  nouv  ~ 
asaeveuleM  fterieafageyeaefowifu  aar  le  part.  l'èpAe  an  cflc^.  arec  ^ 
kts  et  poifBatd^  i  fvoi  a  est  ton  de  iffdkj.  >  1/  ftmitr  t66j.  DcrriN-c,  t. 

r-77»- 

"^  fmSÊH  tHf.  as  ^'^  *^*^'  Ootoc.  l  I.  p.  77a  et  satv. 
.»  nmt  ttf«.  l^mm»^  I.  lit. 
U)  ir,  4Si.  Jhtk.  dr  If  iSmiim  :  ArrEl  da  Coaaci  d'Eta  conte  nuit  le 
ncKC  et  Lrrnt  4»  )o  jeffciÉhe  td7|.  —  «Je  «ms  ftic.  éonm  Colben  il 
Arsottl.  de  «ovt  Hffiajiu  A  Hea  OMMMve  ct4  JfpnTCi  fattiâRui  la  Cofnpagsie 
de  QMa\i|g(nr  pOOT  k  LenMR.  ««  ^Y  ae  «eadde  f« VBe  fOfni«rifcc  bien  poor 

>{témm7  9itf.ltlP«,t.tlI\.Bt^iaàq>aetaafs 


LA   CONfPACVIE  DP   LEVAST 


îS? 


avait  déjA  refusé,  en  1665,  de  sacrifier  les  intérêts  des  Marseiims, 
drcss;i  lui-même  un  contre-projet,  où  il  refusait  d'accorder  le  mono- 
pole demandé'. 

De  riches  partisans  de  Paris,  désireux  de  faire  Itur  cour  au  ministre, 
s'entendirent  enfin  pour  former  la  Compagnie,  If  22  avril  1670 
et  réussirent  à  obtenir  l'adhésion  de  Chauvigny  et  de  ses  anciens 
associés,  malgré  leur  grande  répugnance*.  A  ceux-ci  s'adjoignaient 
Louis  Reich  de  Pennauticr,  trésorier  des  Etats  du  Languedoc,  Fran- 
çois Bellinzani,  Samuel  Daliès  de  la  Tour,  François  d'Usson  de 
Ronrcpaus,  Augustin  Magy,  César  Ca7.e,  Jean  Tronchin  et  d'autres 
associés.  «  formant  en  tout  le  nombre  de  20  qui  bientôt  se  réduisit  i 
18  par  la  sortie  de  deux  intéressés  ;  la  Compagnie  entra  dans  tous  les 
agagements  de  la  précédente  et  même  se  chargea  de  la  rembourser 
le  tous  les  envois  qu'elle  avait  iaits  dans  k'  Levant  depuis  l'expiration 
J'icelle,  qui  s'était  trouvée  finie  le  6  septembre  1669...  dans  laquelle 
Société  tous  lesdits  intéressés  entrèrent  par  portions  égales  de  50.000 
livres  chacun,  ce  qui  composa  un  fonds  de  540.000  livres.  Mais  S.  M. 
eut  la  bonté,  par  l'arrêt  d'établi.ssenicnt  de  ladite  Compagnie  du 
18  juillet  1670,  de  lui  faire  prêt  de  200.000  livres  sans  intérêt  pendant 
six  ans,  outre  laquelle  somme  S.  M.  aurait  tait  entrer  !e  sieur  Bellin- 
zani dans  la  Compagnie  pour  une  portion  et  aurait  mis  sous  son 
nom  30.000  livres*.  »  L'acte  de  société  fut  dres.sé  pour  huit  ans  à 


.tprès  :  M  Je  vous  prie  de  l'aire  payer  i  cette  Com]^Ktginc  i6  livres  de  chaque  pi^cc 
de  drap  qu'elle  envole  en  Levant  et  de  rendre  cette  libt'ralittî  publique,  afin  que 
les  autres  marchands  soient  excités  d'en  envoyer  de  niûmc  p.ir  1  cspér.mce  de  rece- 
voir une  semblable  gratific.nion.  «  {<}  iioùl  i(t6i).  Lettres,  t.  IIJ).  — Malgré  ces 
ciKOuragements,  la  Comp.ignic  de  Ch.iuvigny  ne  réussit  pas  ;  par  une  delibcra- 
lion  du  17  décembre  1669  elle  décida  de  se  dissoudie  avec  150,000  liv.  de  perte. 
Auh.di  la  Marine,  /?■',  .^9/.  Lettre  de  Chiuvigny  à  Collyrl,  fol.  ij^j-çj  —  il  faut 
remarquer  que  ces  cc>nip.ignies  particulières,  sans  priviiùge  royal,  n'étaient  pas  une 
nouveauté  ;  les  .Marseillais  avaient  l'habitude  de  former  pour  le  commerce  de  telle 
ou  telle  échelle  des  associations  semblables,  quoique  moins  nombreuses,  compo- 
sées de  deux  ou  trois  marchands. 

Il)  .Irch.  de  Mar.  IP.  481^,  fol  21J-224  :  Mémoire  pour  expliquer  ce  que  le  roi 
peut  taire  au  lieu  de  l'exclusion  demandée  p.u  le  projet  de  la  Conipagitie  à  former 
pour  le  commerce  du  Levant,  ledit  mémoire  envoyé  par  Ms'  Colbert.  i"-"^  octobre 
i6(>9  (sur  deux  colonnes  —  en  regard  :  Réponse  des  marchands  de  L_\on  au  mé- 
moire ci-contre).  —  Publié  en  partie.  Litres  et  liist.,  t.  lll,  p.  44t)-s2. 

(2)  Lettre  de  Chauvigny  à  Colbert,  4  septembre  rSjj.  Arch.  de  ta  Mar.  ff,  4</i, 
fol.  tj4-'^7. 

(î)  Archiv.  de  lu  Miir.,  B',  fSs  :  Arrêt  du  Conseil  d'Etal  (ouccrimnt  le  commerce 
'lu  ijx'ani  du  }i>  septembre  16  j}.  —  Pierre  Clément  et  Bonnassieux  se  trompent 
donc  qu.ind  ils  donnent  le  chiffre  de  }Oo. 000  livres  pour  le  fonds  de  la  Compagnie. 
C'était  celui  du  projet  primitif  des  Lyonnais.  —  V.  aussi  W,  4S(f,  fol.  }6s-66  : 
.Wmoire  du  3ç  avril  i6jo. 


184  LE  RELÈVEMENT  DU  COMMERCE 

Paris  au  bureau  de  la  Compagnie,  rue  du  Mail,  le  30  juin  1670. 
Tous  les  intéressés  y  sont  désignés  comme  habitant  Paris,  seuls 
Cliauvigny  et  Magy  comme  habitant  ordinairement  Marseille.  Ainsi 
c'était  grâce  à  un  Marseillais  que  la  Compagnie  s'était  enfin  organisée 
et  ce  fut  le  Marseillais  Magy  qui  en  dirigea  surtout  les  opérations. 
«  La  direction  des  affaires,  dit  l'acte  de  société,  se  fera  à  Marseille 
conjointement  par  les  intéressés  qui  se  trouveront  sur  les  lieux,  les- 
quels devront  être  du  moins  en  nombre  de  quatre  et  seront  tenus 
les  quatre  directeurs  d'y  faire  leur  résidence  actuelle  pendant  le 
temps  qui  aura  été  réglé  par  la  Compagnie...  La  Compagnie  s'assem- 
blera tous  les  ans  dans  ladite  ville  le  i"  novembre,  où  chaque  inté- 
ressé sera  tenu  d'assister  ou  d'envoyer  procuration.  Lesdits  directeurs 
de  Marseille  seront  tenus  d'informer  chaque  semaine  ceux  de  Paris 
de  tout  ce  qui  se  passera  d'important  et  de  prendre  leur  avis'.  » 

L'arrêt  du  Conseil  du  18  juillet  1670  fixa  les  privilèges  de  la  Com- 
pagnie :  le  roi  accordait  10  livres  pour  chaque  pièce  de  drap  qu'elle 
V  enverrait  dans  le  Levant  ;  l'exemption  des  droits  d'entrée  et  de  sortie 
des  victuailles  et  munitions  pour  ses  vaisseaux  ;  l'exemption  de  tous 
droits  et  octrois  des  villes  et  la  jouissance  du  droit  de  bourgeoisie 
pour  les  directeurs.  Les  commis  et  directeurs  seraient  exempts  de 
guet,  garde  et  corvées.  La  Compagnie  pourrait  faire  passer  ses  mar- 
chandises par  transit  et  les  faire  décharger  de  bord  à  bord  sans  payer 
aucun  droit.  Les  effets  de  la  Compagnie  ne  pourraient  être  saisis 
pour  les  dettes  des  particuliers.  Le  roi  promettait  de  protéger  et 
défendre  la  Compagnie  envers  et  contre  tous,  de  fournir  des  vais- 
seaux de  guerre  pour  escorter  ses  navires  *.  Ces  privilèges  considé- 
rables furent  encore  augmentés  peu  après  par  l'abandon  que  la  Com- 
pagnie des  sieurs  Fréjus  fit  à  celle  du  Levant  de  sa  concession  pour 
le  commerce  du  Bastion  de  France*.  L'action  de  la  Compagnie  devait 
donc  s'étendre  à  la  fois  sur  le  Levant  et  la  Barbarie.  La  Chambre 
du  commerce  avait  essayé  inutilement  de  s'opposer  à  sa  création 

(i)  Arch.  de  la  Marine  B',  48^  :  Copie  de  l'acte  de  société  de  la  Compagnie  du 
Levant  Fait  à  Paris  au  bureau  de  ladite  Compagnie,  en  la  rue  du  Mail,  l'an  1670 
le  30  juin  (foi.  J52-57)- 

(2)  Arch.  de  la  Mar.  B',  48$,  fol.  }4S-fi  :  Arrêt  du  Conseil  concernant  les  avan- 
tages, droits,  prérogatives,  priviliges,  exemptions  et  autres  choses  accordées  par  le  roi  à  la 
Compagnie  du  comnurce  au  Levant  (18  juillet  lôjo). 

(3)  Arch.  de  la  Mar.  B',  481),  fol.  j6y-6S  :  Arrêt  du  Conseil  qui  subroge  la  Com- 
pagnie du  Levant  au  lieu  et  place  des  sieurs  Michel  et  Roland  Fréjus  et  associés  pour 
le  commerce  d\ilbou:;;ime  et  Bastion  de  France. 


LA    COMPAGNIK    DU    LEVANT    '  I05 

et  le  chevalier  d'Arvieiix,  conseiller  écouté  de  Colbert,  qui  se  trou- 
vait alors  i  U  Cour,  avait  présenté  au  ministre  des  objections  fort 
justes'.  Non  contente  de  tous  ces  privilèges,  la  nouvelle  Compagnie 
en  se  constituant,  rcclama  rctablissemeut  à  Marseille  d'une  Chambre 
générale  d'assuninces  maritimes  analogue  à  celle  de  Paris,  dont 
Bellinzani,  un  de  ses  principaux  membres,  était  directeur,  tt  Colbert 
pressj  d'Oppède  de  favoriser  cette  création  '.  Mais  les  Marseillais, 
dont  les  assurances  étaient  l'un  des  principaux  négoces,  s'opjxisèrent 
avec  succès  à  cette  nouvelle  prétention.  La  Chambre  du  commerce 
de  Marseille  se  borna  le  l)  avril  1671  A  faire  un  nouveau  règlement 
concernant  les  assurances^,  tandis  que  Colbert  adressait  à  tous  les 
consuls  une  circulaire  leur  ordonnant  «  de  tenir  une  correspondance 
exacte  avec  le  sieur  Bcllin/nni,  directeur  de  la  Chambre  des  assu- 
rances de  Paris,  et  de  lui  donner  avis  de  tous  les  vaisseaux  qui  entre- 
raient ou  sortiraient  des  ports  qui  étaient  dans  l'étendue  de  leur 
consulat...  et  généralement  de  tout  ce  qui  pouvait  concerner  le 
commerce  et  la  navigation'.  »  La  Compagnie  du  Levant  ne  pouvait 
manquer  de  profiter  pour  son  commerce  des  avis  reçus  par  la 
Chambre  des  assurances  qui  n'étaient  adressées  aup;iravant  qu'à  la 
Chambre  du  commerce  ou  à  l'amirauté, 

Elle  commençait  donc  ses  opérations  sous  les  meilleurs  auspices  ; 
Colbert  et  les  intéressés  devaient  se  flatter  que  le  petit  commerce 
des  Marseillais  ne  tiendrait  pas  devant  cette  puissante  concurrence  et 
que,  pour  ne  passe  ruiner,  les  marchands  seraient  amenés  peu  i  peu 
.'i  entrer  dans  la  Compagnie.  Elle  arriverait  ainsi  p;tr  la  force  des 
choses  à  ce  monopole  qu'on  n'avait  pas  osé  lui  donner  au  début. 
Cependant  l'événement  déjoua  toutes  les  prévisions;  ce  fut  la  concur- 
rence JeN  particuliers  qui  l'emporta.  La  Comp.ignie,  au.ssitôt  consti- 
tuée, s'empres.sa  d'envoyer  ses  conmiis  dans  les  échelles  :  on  les  voit 
agir  .1  Smyrne,  au  Caire,  h  Alep,  dès  tf^yi.  Le  consul  de  Smyrne 
force  dés  cette  année-là  l'un  d'eux  d'accepter  les  fonctions  de  député 
de  la  nation  parce  que  c'est  lui  qui  faille  plusd'atïairesdans  l'échelle''. 
Les  deux  commis  du  dire  étaient  chargés  d'une  mission  de  con- 


(1)  D'Arvieux,  t  IV*,  p.  10I-20).  Il  donne  d'intcreuant»  déuiU  sur  les  origiucs 
de  U  Compagnie. 

(2)  )0  juin  i6po.  Lttlrfs,  t.  II. 

(J)  Arcb.Ccmutun.  Invfut    ehro/iolt^.  Jtshif. 
(4)  36  iUi*mbrt  1O71    Dr.PPixG,  t.  JU,  p.  597. 
(j)  JÀ,  tSo.  j  aoiU  tôji. 


l86  LE    RELÈVEMENT   DU    COMMERCE 

fiance,  car  Colbert  attachait  beaucoup  d'importance  au  développe- 
ment du  commerce  avec  l'Inde,  par  l'Egypte  et  la  mer  Rouge.  Il  avait 
fait  venir  à  Paris  un  sieur  Page  «  parce  qu'il  avait  une  connaissance 
particulière  du  commerce  de  la  mer  Rouge  par  une  longue  résidence 
faite  au  dire  »  et  il  en  fit  un  des  directeurs*.  Le  but  principal  de  la 
Compagnie  était  de  substituer  au  commerce  de  l'argent,  qu'on 
jugeait  funeste  à  l'Etat,  l'exportation  des  marchandises  de  nos 
manufactures  et  principalement  des  draps  et  des  papiers.  Encouragée 
par  la  prime  que  lui  allouait  Colbert,  elle  exporta  la  première  année 
656  pièces  de  draps,  la  seconde  année  615,  pour  lesquelles  elle  reçut 
6. 560  et  6. 150  livres  de  gratification  du  roi*.  Mais,malgré  les  efforts 
de  Colbert,  les  draps  du  Linguedoc  étaient  loin  d'avoir  la  beauté  de 
ceux  de  Hollande  et  le  débit  dans  le  Levant  en  fut  difficile.  Aussi 
l'exportation  diminua- t-elle  considérablement  les  années  suivantes*, 
d'autant  plus  que  les  Hollandais,  «  pour  empêcher  que  les  draps  de 
France  ne  s'établissent  en  Levant,  baissaient  tous  les  jours  les  prix 
de  ceux  qu'ils  y  portaient,  de  telle  sorte  qu'au  prix  que  la  Compa- 
gnie les  achetait  des  manufactures  il  y  avait  considérablement  à 
perdre*.  »  Du  8  mai  1673  au  20  septembre  1674  les  envois  furent 
encore  de  993  pièces,  mais  ils  tombèrent  ensuite  ;\  quelques  cen- 
taines de  pièces  par  an.  La  Compagnie  essayait  de  fiiire  des  bénéfices 
en  se  livrant  aux  mauvaises  pratiques  que  l'on  reprochait  si  fort  aux 
marchands  :  Colbert  apprenait  qu'elle  avait  exporté  des  brocarts 
d'or  et  d'argent  faux  en  Portugal  et  il  s'en  plaignait  vivement  à 
M.  de  Pennautier;  plus  tard  la  Chambre  du  Commerce  représentait 
au  ministre  que  la  Compagnie  avait  introduit;!  Alep  6.000  piastres 
abouquels,  monnaie  de  mauvais  aloi  et  sévèrement  prohibée". 

Dès  la  fin  de  1672,  la  compagnie  souffrait  du  manque  de  fonds, 
tout  son  capital  étant  engagé,  et  pour  en  obtenir  elle  s'adressait  à 


(  I  )  Lettres  à  Page,  mars  i6yo.  Lettres,  t.  II. 
■    (2)  GuiFFREY.  Comptes  des  bâtiments  du  roi,  t.  I,  col.  552,  640.  (Coll.  de  Doc. 
Inéd.) 

(3)  Arch.  de  la  Mar.  B',  41; i  fol.  22)'  :  Certificat  de  M.  Arnoul  du  9  janvier 
1675.  Draps  de  Saptes,  Carcassonne  et  autres. —  Payé  9950  liv.  le  9  août  1675. 
GuiFFRKY,  t.  I,  col.  876. —  Mais  on  ne  trouve  plus  que  2430  liv.  le  5  octobre 
1679,  et  1190  liv.  le  19  novembre  1679.  Gciffrey,  t.  I,  col.  1251-52. 

(4)  Arch.  de  la  Mar.  B' ,  48^,  fol.  3)8-60. 

(5)  Lettres  et  Iiisl.,  t.  Il,  />.  6ji,  </  décembre  i6/2.  —  BB,  }.  6  juin  16S0.  Il  est 
curieux  de  constater  que  la  nouvelle  en  avait  été  donnée  à  la  Chambre  par  d'Arvieux, 
co?isul  d'.\lep,  qui  affermait  son  consulat  à  la  Compagnie  i'^'  mars  1680,  AA,  364. 


LA   COMPAGNIE  DU   LEVANT  187 

Colbert  h.  qui  elle  faisait  valoir  tout  ce  qu'elle  avait  fait  dans  ces  deux 
premières  années.  «  La  Compagnie,  disait  son  mémoire',  s'est 
appliquée  à  deux  choses  :  t"  prendre  une  connaissance  exacte  du 
commerce  et  des  abus...,  2"  introduire  les  manufactures  de  Trance 
afin  de  diminuer  le  transport  de  l'argent.  Pour  cet  effet,  elle  a  établi 
des  commis  dans  ch.iquc  échelle  qui  prennent  soin  de  l'informer  de 
l'état  des  affaires  de  la  nation,  de  la  quantité  des  bâtiments  étrangers 
qui  y  trafiquent...  en  sorte  que,  par  ces  avis  et  par  le  voyage  que 
M.  Magy  a  fait  à  Constantinople,  la  compagnie  est  pleinement  ins- 
truite... Quant  aux  manufactures  de  France,  la  compagnie  a  com- 
mencé par  un  traité  avec  les  m.irchantls  de  Saptes  et  de  Carcassonne 
pour  2.000  pièces  de  drap,  dont  elle  a  déji  envoyé  l.)0O  pièces  en 
Levant,  et  si  cette  nianutacture  se  veut  conformer  au  mémoire  qui 
en  est  donné  séparément, la  débitte  eu  augmentera  considérablement. 
Elle  a  introduit  la  débitte  des  cadis  larges  de  Nismes  A  la  façon 
des  perpetuans  d'Angleterre  dont  la  fabrique  a  bien  réussi;  et  outre 
CCS  marchandises  elle  fait  encore  le  commerce  ordinaire  des  draps 
grossiers,  papiers,  orlogeries  et  autres  ouvrages  de  France.  Elle  a 
ouvert  aux  Marseillais  le  commerce  des  iles  de  l'Amérique  où  ils  ont 
commencé  d'envoyer  leurs  vaisseaux  A  l'imitation  de  l.i  Compagnie, 
ce  qu'ils  n'avaient  fait  jusqu'ici;  en  quoi  ils  ont  bien  réussi  cette 
année,  leurs  bâtiments  s'étant  saisis  les  premiers  des  bons  havres  du 
petit  nord,  où  ils  ont  fait  bonne  pêclie,  et  par  ce  moyen  le  commerce 
du  Levant  se  trouve  soulagé  de  !.i  trop  grande  qu.uitité  de  bâtiments 
qu'il  y  avait  auparavant  et  les  Marseillais  supplanteront  les  Anglais 
qui  leur  venaient  débiter  leurs  morues  tous  les  ans  et  dans  les  côtes 
d'F.spagne  et  d'Italie. . .  Elle  a  établi  une  raffinerie  ."i  Marseille  qui  a  bien 
réussi  et  dont  elle  débitera  quantité  de  sucres  en  Levant  et  en  Italie 
où  elle  a  déjà  fait  des  envois  paressai*.  Ces  établissements  ne  se  sont 


il)  M'  4t)i,  fol.  14-H)  :  MèntoiiY  du  commera  dt  la  Compagnu  du  Levant ,  1^72. 
—  V.  .\vis  «  riiflexions  sur  lï-t.u  des  affaires  de  la  Compagnie  donnt's  par^crit  à 
la  direction  de  Paris  le  20  décembre    167 1    et  signés  par   Cliauvignv.  B',  ^90, 

fcl  2SS-fl4. 

(2)  Celte  raffinerie  prit  en  effet  un  grand  développement  comme  le  montre  un 
mémoire  adressé  à  Pontchartrain  en  juin  1699:  «  La  raffinerie  qui  parait  main- 
tenant à  .M.irseilie  sous  le  nom  du  sieur  Maurellet  et  compagnie,  fut  établie  il  y  a 
\ingi  huit  ans  sous  les  ordres  de  M.  Colbcn.  La  vue  générale  de  cet  établisse- 
ment a  été  d'étendre  le  commerce  des  iles  frani^aises  de  l'Amérique  dans  la  mer 
Méditerranée  et  en  Provence  où  il  n'était  point  du  tout  connu.  On  eut  pour  vues 
particulières  de  détruire  de  ce  côté  l'usage  de  sucres  de  HolLindc  et  celui  des  cas- 
sonades du  Brésil  ..  Celte  raffinerie,  petite  dans  ses  commencements,  est  devenue 
une  des  plus  considérables  du  royaume.  •>  Arch.  de  la  Mar.  B',  4')9,Jo1.  jji. 


}âs 


I.F.   RELEVEMENT   DU   COMMERCE 


pas  faits  sans  sans  dépense  et  même  la  Compagnie  a  eu  du  nullicuri 
dans  son  commencement  par  la  prise  ou  le  naufrage  de  trois  bâti- 
ments, ne  lui  en  restant  plus  que  quatre  pour  son  commerce.    Lai 
meilleure  partie  de  son  fonds  a  d'abord  été  employé  au  rembourse-] 
sèment  des  effets  de  Tancienne  compagnie.  L'incertitude  du  renou-j 
vellcment  des  Capitulations  l'a  tenue  en  suspens  jusqu'ici.  •  La] 
comp.ignie  parlait  ensuite  de  ce  qu'elle   pourrait   faire   lorsque  les! 
Capitulations  seraient  renouvelées  :  elle  se  proposait  surtout  d'aug- 
menter l'exportation  des  draps  et  cadis  de  France,  d'introduire  dans] 
le  royaume  la  labrique  des  damas^  velours  et  satins  de  Gênes  et] 
Venise  qui  avaient  un  très  grand   débit  en  Levant.  Pour  tout  ceU' 
elle  avait  besoin  de  disposer  de  plus  de  capitaux  et  d'avoir  du  crédit. 
Colbert  entra  dans  ses  vues  et  chargea  son  premier  commis  Bellinxanij 
d'avertir  les  directeurs  de  Paris  qu'il  était  nécessiiire  de  remettre  dcij 
fonds  i  Marseille  pour  fortifier  le  commerce  de  la  Compagnie'. 

L'année  suivante  la  situation  s'.iggrava  et,  pour  éviter  la  ruine,  il] 
fallut  réorganiser  la  compagnie   en   lui  constituant    un    nouveau 
capital,   par   l'arrêt    du   conseil  du  30  septembre  1675  »   rt-ndu  àj 
la  suite  d'une  requête  des  principaux  intéressés*,  où  ils  cxposaienij 
au  roi  «  qu'ils  n'avaient  pu  éviter  de  tomber  dans  des  pertes   très-] 
considérables.  »  Le  roi  ordonna  «  que  chacun  des  intéressés,  même' 
Bellinzani,  ferait  incessamment  le  tonds  porté  par  la  délibération  du 
5  septembre,  si   mieux  n'aimaient   les    refusants   se  retirer  de  la 
compagnie  en  supportant  leur  part  delà  perte  faite...  S.  M.  permet- 
tait de  prendre  tel  nombre  de  nouveaux  associés  qu'ils  jugeraient  â| 
propos,  et  voulait  qu'ils   jouissent  du  bénéfice   des  200.000  livrcsi 
accordées  par  l'arrêt  du  iS  juillet  1670, à  l'e.xclusion  de  ceux  qui  sel 
retireraient  de  ladite  compagnie,  lesquels  seraient  déchus'*.  »  Gràccj 
à  l'autorité  du  ministre,  la  compagnie  continua  d'exister,  mais  dès! 
lors  la  désunion    existait  parmi  ses  membres,  qui   n'avaient    plus! 
aucune  confiance  dans  l'avenir.  Chauvigny  se  plaignait  amêrciiunt 


(1)9  dïi^mbte  I6j2  ù  M.  Ji  Ptitiiaulur.  Lettres  il  lusl,.  t.  II,  p.  ôj  i . 

(2)  Pcnnauticr,  Bellintani.  Daliès,  de  Bonrcpaux,  .Magv,  Cite,  Tronchiij. 
Ils  oubliaient  de  dire  que  les  Trais,  causés  par  le  trwp  grand  nombre  d'officiers  d< 
toutes  sortes  qu'entretenait    la   Compagnie,  étaient   pour  quelque  chose  Jans  saI 
ruine.  (V.  d'.\rvievx,  t.  IV,  p.  202». —  Les  contretemps  dont  ils  se  plaignaient] 
étaient  aussi  supponés   par  les  Marseillais,  à  l'incapacité  desquels  Colbert  et  son! 
entourage  attribuaient  auparavant  la  faiblesse  de  leur  cotutnerce. 

t }  )  Arril  du  Consfil  d'Etat  ionaruani  If  commerce  du  Lniant  du  }o   s*t>Umbrt 
tôjj.  Arch.  dt  la  Mar.  B^ ,  48^, 


LA   COMPAGNU:    DU    LKVAXT 


189 


i  Bellinzani  qu'il  eût  cmpccht^  l;i  dissolution  de  la  société  en  irom- 
pnt  Colbert  sur  h»  vraie  situation.  «  Si  Monseigneur,  lui  écrivait-il, 
avait  été  bien  informé  que,  par  dessus  les  200.000  livres  de  S.  M.,  la 
Lompagnic  en  perd  encore  200.000  de  son  fonds,  sans  espoir 
d'aucun  retour,  avec  une  certitude  morale  et  j'ose  dire  imrnanquable 
de  la  perte  du  reste,  quelques  desseins  que  l'on  puisse  former 
pour  le  Levant,  sa  justice  se  serait  certainement  accommodée  \  la 
faiblesse  de  la  compagnie...  Vous  m'apprenez,  et  je  ne  le  savais  pas, 
que  les  50.000  livres  qui  paraissaient  sous  votre  nom  dans  la  compa- 
gnie appartiennent  A  S.  .M.,  ainsi  votre  intérêt  ne  vous  oblige  pas 
de  regarder  nos  disgrâces  du  même  ail  que  moi  qui  prévois  la  perte 
certaine  de  tout  mon  bien  et  deux  fois  au-deL\,  sans  pouvoir  seule- 
ment être  écouté.  »  Bellin/ani  lui  reprochait  à  son  tour  de  n'avoir 
pas  tenu  ce  langage  lors  Je  la  formation  de  la  compagnie,  mais 
celui-ci  répondait  qu'il  n'avait  été  pour  rien  dans  sa  formation  et 
qu'il  n'y  était  entré  que  forcé.  «  Ainsi,  Monsi(.-nr,  ajoutait-il,  ne  me 
chargez  point  s'y  vous  plait  des  fiiutes  ni  du  fardeau  d'autrui  et  si 
Monseigneur  n'a  pas  su  l'état  des  choses,  il  n'a  tenu  qu'à  ceux  qui 
t)nt  eu  l'avantage  de  l'approcher,  qui  avaient  vu  comme  moi  le 
lié.sordrcdu  commerce....  et  non  pas  à  moi  qui  n'ai  jamais  eu  l'hon- 
neur de  le  voir....  Quant  au  discréditement  de  la  compagnie sa 

conduite  en  Provence  et  dans  le  Levant,  aussi  bien  que  ses  pertes,  y 
réussissent  assez  bien,  j'en  sens  ma  conscience  fort  nette  ;  j'ai  fait  ce 
que  j'ai  pu  pour  en  laire  remarquer  les  désordres,  il  y  a  plus  de  deux 
ans,  j'en  ai  proposé  les  remèdes,  l'intérêt  particulier  a  prévalu.  J'ai 
été  mal  écouté,  je  ne  le  suis  pas  mieux,  c'est  un  malheur;  la  fin  fera 
connaître  si  j'avais  raison,  tous  les  prédicateurs  ne  convertissent  pas 
en  Dieu  ' »  En  admettant  qu'il  y  ait  de  l'injustice  dans  ce  réquisi- 
toire, écrit  par  un  homme  aigri,  cette  lettre  nous  montre  cependant 
la  conduite  des  directeurs  de  la  compagnie  et  surtout  de  Bellinzani 
sous  un  jour  peu  favorable.  Les  prévisions  de  Chauvignv  se  réalisè- 
rent et  le  succès  ne  fut  pas  plus  heureux  dans  la  suite. 

Cependant,  lorsque  le  privilège  delà  Compagnie  expira  au  bout 
Je  ses  huit  années,  il  s'en  forma  pour  dix  ans  une  nouvelle,  qui 
obtint  les  mêmes  avantages  par  un  arrêt  du- ro  septembre  1678*. 


(I)  lettre  de  Cbaiivigny  i\  Coibnl,  4  stpUtnbre  !(>-/}  (il  lui  envoie  l.n  copie  de 
ccuc  lettre  i  Bellinz.ini^,  Jrcb.  rfc  la  Mar.  H',  41^1,  fol.  >/4-')f. 

(I)  Arrft  du  Comàl  d'i'tal  du  10  septanhit  tbjS.  Arch.  Nui.  AD,  xi,  9.  — 
BcUinxani,  comme  directeur  géni^ral  du  commerce  et  Mord  de  Boistiroux,  qui  lui 


190  LE  RELEVEMENT  DU   COMMERCE 

Son  organisation  ne  fut  pas  la  même  :  elle  fut  divisée  en  trois 
bureaux,  «  l'un  à  Paris,  l'autre  à  Lyon  et  le  troisième  à  Cette, 
faisant  chacun  un  commerce  à  part,  comme  trois  Compagnies  sous 
une  seule.  Le  bureau  de  Paris  fut  composé  de  M.  Bellinzani,  au  nom 
du  roi,  et  des  sieurs  Caze,  Tronchin,  Magy  et  Penautier.  Mais  comme 
celui  de  Cette  était  composé  de  plusieurs  personnes  qui  n'avaient 
aucune  connaissance  des  affaires  du  Levant,  elles  prièrent  le  bureau 
de  Paris  de  vouloir  entrer  avec  eux  pour  une  portion  et  pour  donner 
les  lumières  nécessaires  dans  les  occasions,  ce  qui  fut  exécuté,  et  on 
y  a  mis  jusqu'à  20.000  livres  de  fonds,  qui  est  dû  par  b  Compagnie 
au  sieur  de  Penautier.  »  Ainsi,  Marseille  était  tenue  à  l'écan  de  la 
nouvelle  Compagnie,  comme  si  l'établissement  qui  y  avait  été  fait  de 
la  direction  de  la  première,  eût  été  pour  quelque  chose  dans  son 
insuccès.  Pour  lui  faciliter  le  commerce  des  draps,  •  qui  restait  la  fin 
principale  de  son  établissement  »,  la  Compagnie  reçut  bientôt  de 
nouveaux  privilèges  '.  Comme  elle  avait  reconnu  que  «  le  troq  des 
des  draps  se  faisait  en  Levant  plus  facilement  avec  de  grosses  mar- 
chandises qu'on  appelle  vulgairement  grosse  robbe  qu'avec  des  soies 
et  autres  marchandises  tînes,  et  que  ces  marchandises  avaient  peu  de 
débit  dans  le  royaume,  où  la  trop  grande  abondance  en  ravalait  le 
prix,  elle  demanda  dc>  tacilités  pour  les  transporter  dans  les  pays 
étrangers  et,  dans  cette  vue.  l'arrêt  du  10  septembre  1678,  confirmé 
et  étendu  cm  167»)  et  ibSo,  «  ponait  que  les  marchandises,  que  les 
intértssi's  voudraient  taire  passer  par  transit  à  travers  le  royaume 
pour  les  pays  étrangers,  scraieiîC  exemptes  de  tous  droits  des  fermes 
de  S.  M.,  droits  d'octro:  des  villes  et  autres...  comme  de  ce  qui 
regardait  le  2  o  o  dWrIes,  tiers  sur  aux.  quarantième  de  la  ville  de 
Lyon  et  autres  vvtrois  de  ladite  ville,  péages,  impositions  extraor- 
dinaires, octrois  des  v-.IIés  et  autres  droits  qui  se  îiivent  sur  les  Sancs 
d-i  Rhônt  et  de  Saône  et  .îutrt-?  endroits".  • 

ii  S  M..  ;.:>  .:r...*  i<=  s^efècc  e:  !cs  délibérations 

i,!":  ri*  :._:»=  c»"illc  wAEJiniiiit  V.  LtUnà 
:-  -r.-.  :--i.  —  Il  :iîfi;s«  un  privilège  pour 
ù\r>:is.  —  «  i.c-:ï<  !«:ob  que  fe  trouwon 

i;»  ^iJt!    ^  r  -iï::;    pii  i  :>îtniicher  tous  ks 

.iT.'  :  v. .  ••'.-  i.-.v7i.-  i    ;r»..-.  Ard;.  .Vi/.  AD, 
r,— ..->—;;  ,-.::-  Cjrr.raiTiis.  A'^.  dt  Lt  Marine, 

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LA   COMPAGNIE   DU    t.EVAKT 


I9t 


Pour  vendre  les  draps  dans  le  Levant  nu  même  prix  que  les  Hol- 
landais, il  érait  nécessaire  de  les  acheter  à  meilleur  compte  qu'on 
n'avait  fait  jusqu'alors.  Dans  ce  but,  la  Compaj^nie  fil  un  traité  avec 
le  sieur  de  Varcnncs,  entrepreneur  de  la  manufacture  de  Saptes,  par 
lequel  il  s'engageait  à  ne  fournir  aucun  drap  pour  le  Levant  qu'A  la 
Compagnie  et  à  lui  en  fournir  pendant  six  ans  300  pièces  par  an, 
dont  les  qualités,  les  couleurs  et  les  prix  étaient  réglés.  Outre  la 
valeur  des  draps,  la  Compagnie  lui  donnerait  60.000  livres  en  six 
ans  et  750  livres  chaque  année.  Trois  des  directeurs  s*a.ssociérent  en 
même  temps  avec  les  entrepreneurs  de  la  manufacture  de  Clermont, 
qui  s'engagèrent  il  faire  la  même  fourniture  de  draps  fins  au  même 
prix*.  Déjà  la  Compagnie  avait  obtenu  le  monopole  de  l'achat  du 
séné  de  la  pake,  on  ferme  d'Egypte,  qui  devait  procurer  de  gros 
bénéliccs,  et  les  marchands  protestèrent  en  vain  contre  ces  deux 
monopoles'.  Colbert  lui  abandonna  en  outre  la  jouissance  des 
consulats  de  Seïde,  du  Caire  et  d'Alep,  rentrés  en  la  possession  du  roi 
par  la  niort  des  propriétaires,  moyennant  une  redevance  assez  faible". 

[^Compagnie  ne  prolita  guère  de  tous  ces  avantages;  dès  la 
prcmicre  année,  elle  fit  35.000  livres  de  pertes  dans  l'affaire  du 
transit  et  elle  fut  obligée  de  l'abandonner  «  à  des  marcliands,  bien 
plus  propres  qu'elle  à  faire  valoir  ce  commerce  »»,  disait  un  mémoire 
écrit  par  un  de  ses  membres,  moyennant  une  redevance  de  12.000 
livres  par  an,  avec  laquelle  elle  comptait  payer  les  pertes  qu'elle  y 
avait  taites.  L'entreprise  du  séné    tourna  encore  plus  mal  :  après 


(1)  A',  ./y;,  fol.  )fi2\  Traili  d/ la  CoinfMgnii  </«  Li-vanl  ava  la  nianufaclurt  dt 
Stiptff,  ;/  mai  t(>S]  :  »  ...  lesquelles  390  pièces  la  Compagnie  sera  obligée  de 
prendre  tous  les  ans  de  trois  qualités,  s.ivoir  mations,  londrines  premières  et 
fondrincs  secondes...  Le  prix  a  été  réglé,  savoir  ;  les  inahons  i  lolivres  4  sols 
l'aune  de  Paris,  les  londrines  premières  .^  8  liv.  14  sols,  les  londrines  secondes  \ 
7  liv.  8  sols,  de  largeur  ordiiuiirc  pour  le  Levant,  et.  afin  au'il  n'y  ait  aucune 
difficulté  sur  les  couleurs  des  assortiments  de  chaque  balle,  le  prix  de  chaque 
couleur  à  été  par  nous  réglé...  (écarlatc,  rouge  cramoi.ii,  pourpre,  violet,  couleurs 
sitnpies).  •>  —  IHit.fol.  }(i6-(<-j  (nicmt  jour),  ttaitr  aivc  la  niiiniifacliinr  tU  Clfrmofil. 
—  IbiJ.  jVjy-jj,  CopU  </(•  iOiUtt  fuliY  les  intéressés  dt-  la  dmi/ktijiiif  (Hetlin/ani, 
l'ennauiier,  Magy  >,  d  /o  (titrtpnrntiin  des  ttiamtjactmts  Jt  Clermont  ri  Saf)lei  {l.indrcx, 
'riionias  et  Frediati),  l'Otit  six  ans,  2y  mai  sCaj. 

(2)  Arrêt  du  conseil  portant  interdiction  du  séné  de  Tripoli,  et  que  celui  néces- 
saire pour  la  consommation  du  royaume  sera  tiré  d'.Alexandrie  par  la  nouvelle 
Compagnie  du  Levant.  tt>  srptemire  lOjS.  —  Arch,  \'nt.  AD,  xi,  <y. 

(})  V.  chapitre  1,  p.   !)i.  —  Les  Directeurs  de  la  Compagnie  obtinrent  en 

oiiin-  l'.nirèe  Je  l'un  d'eux  à  la  Chambre  du  Commerce  de  Mar^eillc.  —  L'inten- 

«  it   termina,  par  le  léglemeiit    du  19    avril  1687,  les  contestations  qui 

a  ce  sujet  entre  la    Chambre   et  la    Compagnie    de   la  .Méditerranée. 

M,4,Jol.29f. 


19: 


LE   RELÈVEMENT   DU   COMMERCE 


ir    ■ 


avoir  reçu  son  privilège  en  1678,  la  Compagnie  fit  feire  par  U 
consul  du  dire,  M.  de  Seola,  5M3n  commis,  un  traite  pour  neuf  ans' 
avec  le  fermiet  du  G.  S.  qui  avait  seul  la  palte  (monopole  de  la, 
vente)  du  st-né  :  elle  se  chargeait  de  lui  en  prendre  annuellemenl 
)00  quintaux.  Mais  au  bout  de  trois  ans  elle  reconnut  que  le^ 
débit  du  séné  n'était  pas  assez  j;rand  pour  les  achats  qu'elle  en  avait 
faits,  car  il  lui  en  restait  pour  184.000  livres  en  magasin.  Elle 
voulut  faire  annuler  le  traité,  mais  la  nation  du  Caire  fut  menacée 
d'avanies  par  le  fermier  et  le  pacha,  qui  forcèrent  indistinctement  les 
marchands  à  prendre  du  séné.  La  Chambre  du  commerce  intervint 
alors  pour  demander  qu'on  obligeât  la  Compagnie  à  charger  celui  qui 
lui  appartenait;  celle-ci,  qui  ne  voyait  plus  de  salut  dans  cetteH 
atfaire  qu'en  demandant  la  révocation  de  son  privilège,  fut  assez™ 
favorisée  pour  obtenir  que  la  Chambre  lui  payât  une  indemnité  de 
26.876  livres  en  dédommagement  de  la  perte  d'un  monopole  quiJ 
la  ruinait'. 

F.n  1684,  la    situation  de  la  Compagnie   était  très  précaire;   \e\ 
commerce  des  draps,  sur  lequel  elle  comptait,  n'avait  donné  ni  perle 
ni  bénéfice,  elle  n'avait   donc  pas  d'argent  pour  couvrir  les   pertes 
qu'elle  avait  faites  dans  les  affaires  du  séné  et  du  transit  et  payer  se 
dépenses.  Le  capital  de  la  Compagnie  n'avait  même  jamais  été  réel 
lement  souscrit  par  suite  de  l'impuissance  de  quelques-uns  des  inté-^ 
resséset  de  la  mauvaise  volonté  des  autres  :  Bcllinzani  n'ayant  jamais 
voulu  fournir  réellement  son  apport  de  30.000  livres,  ses  co-a&.sociés 
firent  de  même;  c'était  l'un  deux,  Pcnnautier,  qui  avait  fait  presque] 
toutes  les  avances.  La  découverte  des  malversations  de  Bcllinzani  et 
son  emprisonnement  ne  purent  que  diminuer  encore  le  crédit  de  la 
Compagnie.  En  vain  l'arrêt  du  3  février  1685  lui  permit  de  prendre  fl 
10.000  livres  sur  la  ville  de  Lyon,  et  un  arrêt  postérieur  lui  accorda     j 
S.ooo  livres  sur  la  ville  de  Marseille*.  En  vain  Seignelay  lui  chercha 


I 


(t)  Arrft  du  Omuil  du  if  wAtmbft  16S4.  —  B',  492,  Jol.  44-46  :  Mtmoirt* 

Morant,   34  dhrmhrt  i6Sf  ;  fol.  4S-J6  :  Mémoire  du  œmmtrce  txmlrt  la  Cômfagnit 
du  Jjvant  au  siijtt  du  sfni,  :6Sj  ;  fol.  sS-t<i  :  Autre  mémoire,  Afcb-  de  la  Mar.— 
RB,  4.  7  janvier  16X4  :  Mémoire  du  tèui.  —  Le  pacha  a  lait  saisir  aux  marchand  J 
J'Alcxundric  pour  ccuc  affaire  tS.ioS  piastres,  dont  ia  Chambre  niclamv  lereincrKa 
boursemcnt.  —  Lettre  de  Seigtielay,  S  août  16S4.  Depping,  t.  III,  p.  6j6.  Quant  auj 
<:on4ulat5,  ils  ng rapportcrcnt  rien  :  «  M.M .  de  la  Compagnie,  qui  ont  fait  ciercc 
«.■*  consulat  pendant  cinq  ans  et  cxigi  les  2  00.  ont  perdu  des  sommes  irès-coa 
durables.  »  Brc^-i«-/f,  cotnul  Je  Seide,  3  avril  s6Si .  A  A,  j}6. 
(2)  B',  4^3,  fol.  Ti-84.  Un  autre  mémoire  dit  même  que  U  Compagnie  !■ 


1.A    COMPAGNIE    DU    Li;\  AKT 


193 


Je  nouveaux  associés.  «  La  Compagnie  du  Levant^  ccrivait-il  A 
Morant,  intendant  de  Provence,  a  besoin  d't^ire  fortifiée  d'associés 
parce  que  quelques-uns  de  ceux  qui  la  composaient  sont  morts  et 
d'autres  se  sont  retirtis.  Vous  savez  de  quelle  utilité  elle  est  par 
rapport  au  commerce  du  Levant  et  aux  manufactures  de  Clennont 
ut  de  Saptes.  Je  vous  prie  de  chercher  ;\  Marseille  et  dans  les  autres 
pays  de  Provence  des  personnes  puissantes  et  capables  d'agir  qui 
voulussent  prendre  part  h  cette  affaire  :  elle  est  bonne  en  soi,  elle  a 
Je  grands  privilèges,  il  y  laut  peu  de  fonds,  et,  comme  le  roi  veut 
soutenir  ce  commerce,  elle  aura  toute  sorte  de  protection.  »  Il  fut 
impossible  de  maintenir  la  Compagnie,  qui  fut  dissoute  avant 
d'avoir  atteint  le  terme  de  ses  dix  années. 

Mais  Colbert  et  Seignelay  n'avaient  pas  été  découragés  par  ces 
deux  échecs  successifs  et,  au  moment  où  disparaissait  la  seconde 
compagnie  du  Levant,  les  efforts  de  l'intendant  Morant  en  Provence 
aboutissaient  h.  la  formation  de  la  Compagnie  de  la  Méditerranée  ' 
faoût-septembre  168)).  On  avait  du  moins  profité  des  précédentes 
leçons,  les  préventions  contre  les  Marseillais  avaient  été  oubliées  et 
la  compagnie  eut  une  tout  autre  organisation.  Tandis  que  les  deux 
compagnies  du  Levant  avaient  à  leur  tète  des  partisans,  étrangers  A 
Marseille  et  au  commerce  du  Levant,  celle-ci  ne  comprenait  que  des 
membres  habitant  Marseille  ou  Toulon,  et,  parmi  ses  quinze  inté- 
ressés, il  y  avait  deux  catégories  bien  distinctes  :  la  plupart  étaient 
des  officiers  royaux  appartenant  il  l'administration  de  la  marine  et 
le  principal,  M.  de  Vauvré,  intendant  de  la  marine  du  Levant,  avait 
un  grand  crédit  à  la  cour*;  leur  présence  devait  assurer  i  la  com- 
pagnie la  (iiveur  des  ministres  et  augmenter  son  crédit.  Mais  elle 


rcnuHiix'  en  168}  :  «  Il  sera  aisé  de  justifier  que  depuis  »68j,  que  l'on  fit  une 
nouvelle  Compagnie  du  Lovant,  elle  n'a  eu  aucune  plainte  du  drap.  »  fl',  f(/3,fol. 
4<I4.  Anh.  Marine. 

(t)  Maigre- le  peu  de  succès  du  Bureau  de  Cette  dans  la  précédente  compagnie, 
il  s'y  forma  une  compagnie  particulière  en    1685.  —  V.   Arnt   du   comàl  du  3f 
ttpûmbrc  iftSf.  fl'.  4')3,fol.  ion  :  a  Le  roi  ayant  été  inl'ormé  que  quelques  parti- 
'■■■iiijcrs  de  la  ville  de  Montpellier  ont  fait  une  Société  de  commerce  sous  le  nom 
e   Seconde  compagnie  de  commerce  de  Cette  pour  l'envoi   du  vin   et   autres 
enrécs  aux  Fclielles  de  l.\  Méditerranée...  *  —  Cette  compagnie  ne  dcv.nit  fiiire  du 
F«omincrcc  qu'en  It.ilic  et  en  Esp3;,nK-, 

(3)  Jean    Louis  Girardin   de  Vauvré,  intendant  de  la  marine  et  des  fortifica- 
tion» en  Provence,  cxer<;ait  encore  ces  fonctions  en  1707.  —  Il  avait  épousé  en 
L1680,  la  fille  de  Bcllinzani,  directeur  général  du  commerce.  —  L'n  de  ses  frères, 
lieutenant    civil    au  ChJtekt,   devint    ambassadeur  ^  Constantinople  de  1685  à 
t(^.  II.  I. 


'J 


194  '•'-  Ri-i  i:vuMKNT  DU  COM merci; 

comprenait  en  outre  cinq  des  principaux  niarch:)nds  et  banquiers  de 
Marseille,  qui  devaient  avoir  seuls  la  direction  des  opération^  Çoui- 
merciales  et  prélever  de  ce  fait  21,2  pour  cent  sur  la  vente  de  toutes 
les  marchandises.  L'association  était  formée  pour  cinq  ans,  à  partir 
du  I"  octobre  1685,  avec  un  capital  de  300.000  livres»  divisé  pn 
quinze  parts  de  20.000  livres*. 

Des  arrêts  du  conseil  et  lettres  royales  du  1 5  août  1685  lui  renou- 
velaient les  privilèges  de  la  Compagnie  du  Levant,  entre  autres  les 
10  livres  par  pièce  de  drap  vendue  en  Levant,  les  ip.ooo  livres  à 
prendre  sur  la  ville  de  Lyon,  et  8.000  sur  b  ville  de  Marseille,  qui 
devait  bénéHcier  des  nouvelles  manufactures  établies  par  la  compa- 
gnie, Seignelay,  qui  venait  de  s'approprier  tous  les  les  consulats  du 
Levant,  lui  en  abandonna  la  jouissance  moyennant  un  fermage  peu 
élevé  de  30.000  livres.  Le  but  principal  de  cette  compagnie  était 
encore  le  développement  des  manufactures,  elle  avait  commencé 
par  renouveler  le  traité  avec  les  directeurs  des  fabriques  de  Saptes 
et  de  Clermont,  pour  la  fourniture  annuelle  de  600  pièces  de  draps  ; 
outre  les  draps  fins,  elle  commençait  i  faire  fabriquer  dans  le  Laii- 
guedoc  des  draps  grossiers  pour  le  Levant,  Seignelay  l'en  félicitait  et 
lui  promettait  i  2  pistole  par  pièce  d'étoffe  qu'elle  exporterait*. 
Mais  elle  se  proposait  surtout  d'éuiblir  à  Marseille  des  manufactures 
de  toutes  sortes  d'étoffes  de  soie  d'or  et  d'argent,  encore  inconnues 
en  France  et  fabriquées  \  Venise  ou  X  Gènes,  dont  le  débit  était 
grand  dans  le  Levant.  Les  lettres  royales  du  15  août  1685  luiaçcorr 
dèrent  pour  20  ans  le  privilège  exclusif  de  les  créer  «et  de  ^ir^ 


(i)  L'acte  d'association  ne  fut  signé  que  le  21  septembre  168).  Il  se  trouve 
aux  .Xrchiv.  Je  l.i  Marine  (/{',  ./y;;,  fol.  /;-•"»/)  :  «  Nou!>  soussignés  Louis  Girar- 
ilin,  chevalier,  seigneur  ilc  Vauvré,  intendant  de  la  marine  du  Levant,  Jacques 
André  du  Pilles,  ècuyer.  conseiller  du  roi.  receveur  i;énéral  des  iinanccs  de 
Lyt)n.  IVanijois  Benon,  écuyer.  trésorier  de  la  marnie  à  Toulon.  Joseph 
Fibre,  trésorier  de  la  marine  à  Marseille,  aiicnt  de  Savoie,  Pierre  Charles, 
irési^rier  des  galères,  Mathieu  labre  et  l-ran<,-ois  Sabain.  banouiers  de  Marseille, 
Pierre  Tournay,  commi^saire  ordinaire  de  la  marine,  André  Brun,  directeur  des 
vivres  de  la  marine,  Nicolas  Simon,  directeur  général  des  vivres  des  galères, 
J.icques  Belluze.  de  Messine,  naturalisé  français,  marchand  habitua  à  Marseille, 
Rodolphe  Chambon.  marchand  habitué  d  Marseille,  intéressés  en  la  Compagnie 
du  commerce  de  la  Méditerranée,  que  nous  nous  proposons  de  faire  tant  au  sujet 
des  draps  de  Saptes  et  Clermont  en  Lantruediv  que  des  diverses  autres  manufac- 
tures d'ètviffes  d'or,  argent  et  soie,  t.uit  dans  la  Méditerranée....  que  l'Océan  et 
même  jusqu'aux  Indes,  s'il  est  trouvé  .1  pro[K)s....  pendant  cinq  années,  i  com- 
mencer du  I''  octobre  prochain,  .lux  conditions  suiv.intes...  »  129  articles). 

{:)  Sfifiifh}  ii  H^cK  (intendant  général  des  galères  de  Vrance  qui  était  entré 
dans  la  Compagnie).  —  20  iidi-Hibn-  jt'S6.  Deimno,  t.  111,  p.  6$4* 


LA   COMPAGNlb   Oh   LA    MbDlTERRAMEE 


195 


venir  des  pays  étrangers  les  ouvricrb,  métiers  et  outils  nécessaires 
pour  cet  eifet.  »  Le  soin  de  ces  établissements  était  confié  au  sieur 
Joseph  Fabre,  le  vrai  chef  de  la  Compagnie:  appuyé  par  son  frère, 
riche  banquier  de  Marseille,  il  dominait  le  conseil  des  cinq  directeurs; 
la  caisse  était  dans  sa  maison  et  les  assemblées  s'y  réunissaient  ;  deux 
Je  ses  frères,  l'un  .x^enx  du  commerce  A  Constantinople,  l'autre, 
consul  de  Smyrne,  étaient  les  commissionnaires  de  la  Compagnie 
dans  eus  échelles  et  en  recevaient  un  courtage  exagéré  de  4  0/0  ;  les 
maisons  que  Fabre  avait  auparavant  A  Constantinople  et  A  Smyrne 
étaient  devenues  les  comptoirs  de  la  Compagnie;  les  commis  établis 
i  Alep  furent  aussi  ses  parents.  Fabre  reçut  8.000  livres  par  an  pour 
(/iriger  ces  m.inufactures,  A  condition  de  donner  3. ouo  livres  aux 
intéressés  pendant  les  cinq  premières  années. 

La  compagnie  remplit  le  programme  qu'elle  s'était  tracé*:  elle 

Comptait  parmi  ses  membres  un  messinois,  le  sieur  Belluze,  depuis 

longtemps  établi  A  Marseille,  où  il  avait  fondé  des  manufactures  de 

^oies  plates  et  A  coudre,  de  damas  A   la  façon  de  Messine  et  de 

Cjcncs,  de  rubans,  de  taHétas,  de  satinades,  qu'il  était  sur  le  point 

<4  "abandonner.  Li  compagnie  donna  plus  d'extension  A  ces  essais  : 

i3tlluze,  sous  la  direction  de  Joseph  Fabre,  continua  A  s'occuper  des 

ïaioics  à  coudre  ;  un  génois,  le  sieur  Monfredini,  prit  la  conduite  des 

x-^ianufactures  des  autres  étoffes.  On  fit  venir  de  l'étranger  quantité 

«Je  fc-mmes  et  d'entants  pour  dévider  les  soies  A  la  manière  des  pays 

^^trangcrs  et  on  les  distribua  dans  des  couvents  et  autres  lieux  de 

»^haritè  de  Marseille  afin  d'y  instruire  les  femmes  et  les  enfants  qui 

;^/  étaient  enfermés.  Ce  ne  fut  pas  sans  difîiculté  qu'on  put  avoir  des 

«:3uvriers  étrangers.  Les  Génois  s'émurent  de  cette  concurrence  faite 

.^^^  l'une  de  leurs  industries  les  plus  florissantes.  «  Les  magistrats  des 

fabriques  de  soie  de  Gènes  firent  emprisonner  plusieurs  ouvriers  qui 

^devaient  venir  travaillée  A  Marseille  ;  pour  les  faire  sortir  de  prison 

1&    les    obligèrent  de    donner    caution  de  payer  i .  500  livres  pour 

:hacun  de  ceux  qui  sortiraient  de  la  ville  de  Gènes  ;  le  frère  du  sieur 

.^ionfredini,  qui  s'était  chargé  de  les  recruter,   fut   menacé   d'unt; 


L 


{l)  On  chercha  ccpcnd.int  X  la  gêner.  V.  Lllie  Jt Sfigiulay  à  Utgoii,  S  dicemlnt 
M-6S6.  Depping,  t.  111,  p.  6;4.  V.  Aicb.  i/d  lu  Mat.  B\  491,  fol.  )}(>-4i  ;  «  Les 
■marchands  du  Tours  et  de  Lyon  forment  des  obstacles  d  ces  établisscniL-nts,  se 
picTbuadant  que  les  ouvrages  de  soie  qui  se  feront  ik  Marseille  diminueront  le 
«zommercc  ou  enchérironi  les  soies Ceci  est  utie  crainte  vainc,  a 


196  LE    RELÈVEMENT    DU   COMMERCE 

condamnation  à  mort  et  de  la  confiscation  de  ses  biens'.  En  1686  on 
comptait  près  de  2.000  personnes  employées  aux  manufactures  qui 
étaient  sous  la  conduite  du  sieur  Monfredini,  pour  l'établissement 
desquelles  on  avait  dépensé  plus  de  60.000  livres  :  104  métiers  y 
travaillaient  sous  ses  ordres*.  Quant  à  la  manufacture  des  soies  à 
coudre,  elle  avait  envoyé  i  Cadix  pour  50.000  livres  de  soies  et  elle 
allait  en  acheter40. 000  livres  pour  sa  provision  pendant  un  an.  D'un 
autre  côté,  la  Compagnie  avait  envoyé  en  diverses  échelles  environ 
500  pièces  de  drap  de  Saptes  et  de  Clermont  qui  lui  avaient  coûté 
150.000  livres  et  elle  continuait  d'en  envoyer  par  tous  les  vaisseaux 
qui  partaient. 

Mais  déjà  les  difficultés  surgissaient  ;  dans  ces  différentes  entre- 
prises, la  Compagnie  avait  engagé  tout  son  fonds  et,  pour  soutenir 
son  commerce,  elle  songeait  aux  emprunts,  en  attendant  que  la  vente 
des  marchandises  rapportées  du  Levant  lui  eût  donné  un  fonds  de 
roulement*.  En  même  temps,  l'arrêt  du  Conseil  de  1686,  qui  interdit 
l'entrée  en  France  des  toiles  et  autres  ouvrages  de  coton,  porta  un 
grand  coup  à  la  Compagnie  ;  elle  représenta  au  roi  qu'elle  n'avait 
foit  le  traité  d'exporter  600  pièces  de  drap  que  dans  l'espérance 
de  les  troquer  en  Levant  contre  ces  marchandises*.  Avec  les  difficultés 
s'élevèrent  des  dissentiments  entre  les  officiers  royaux  qui  étaient 
entrés  dans  la  Compagnie  pour  complaire  au  ministre  et  les  mar- 
chands de  Marseille  qui  la  dirigeaient.  «  Il  est  certain,  répondait 
Seignelay  aux  plaintes  de  l'un  de  ceu.x-là,  l'intendant  des  galères 
Begon,  que  si  vous  ne  prenez  garde  de  près  à  la  conduite  des  inté- 

(:)  IP,  4i)2,fol.  2J3.  Mt'tnoirt  des  directeurs  de  la  Compagnie  de  h  Médiler- 
ratu'e,  21  juin  16S6.  Arch.  de  la  Mur. 

(2)  Savoir  :  «  10  métiers  de  grands  damas  à  la  génoise  dont  il  n'y  a  aucune 
iabrique  en  France  :  0  métiers  de  velours  façon  de  Gènes,  2  métiers  de  satin  de 
1-lorence,  5  métiers  de  tabis  fiiçon  de  Pise  et  Gènes,  6  métiers  de  petit  tabis  à  la 
génoise,  8  de  sendalles  à  la  génoise  pour  le  Levant,  16  de  sendalles  lisses  pour  le 
Levant,  5  de  pnits  daniasquins  à  la  vénitienne,  40  de  ruban  façon  Naples,  2  de 
camelots  de  poil  de  chèvre .  —  De  tous  ces  ouvrages  qui  ne  font  que  commencer,  il 
y  en  a  quelques  pièces  en  magasin  et  on  continue  à  travailler  et  à  augmenter  cette 
manufacture  de  tous  les  ouvrages  de  soie  qui  se  font  dans  les  pays  étrangers  et 
qu'on  ne  fait  point  en  France .»  l-;xtrait  d'un  Mémoire  sur  l'état  actuel  auquel 
sont  à  présent  les  manufactures  établies  à  Marseille  par  la  Compagnie  de  la 
Méditerranée,  20  juin  }6Sf>.  n',.p)2.fdl.  i}6-.ir.  Arch.  de  la  Marine.  Voir 
aussi  :  Arcbiv.  Kal.  F",  6  fs  :  Mémoire  pour  M"  de  la  manufacture  de  Marseille 
des  prix  et  qualités  des  étoffes  qui  se  fabriquent  à  Venise  pour  le  Levant,  par 
comparaison  aux  leurs,  suivant  les  échantillons  que  je  leur  ai  remis. 

(})  B',  49^,  fol.  J4<>. 

(\)  IP,  41^2,  fol.  26S.  Mémoire  des  directeurs  de  la  Compagnie. 


LA    COMPAr.Xir.    DE    l.A    MÉDITRRRANfeE 


19/ 


fc'sscs  de  1.1  Comp.-ij^nic  de  h  Mt-diterrancc,  que  vous  dites  avoir  tous 

des  itucr<Jts  particuliers  dans  le  commerce  du  Levant,  ils  les  prcR'- 

rcront  à  rintcrC-t  gênerai  de  cette  Compagnie  et  'ù  ceux-mèmes  des 

intéressés  qui  n'y  sont  entrés  que  par  ordre  du  roi,  et  principalement 

du  sieur  de  Vauvré  et  de  vous'.  »  Un  des  membres  de  la  Compagnie 

adressa,  en  1687,  i  Seignelay  un  mémoire  uù  il  montrait  la  toute 

puissance  du  sieur  Joseph  Fabrc  et  le  profit  qu'il  en  tirait,  lui,  ses 

frères  et  ses  parents  :  «  la  Compagnie,  disait-il,  n'a  pas  un  commerce 

cie    cinq  sols  en  quelque  endroit  qu'il  n'en  soit  le  maître.  »  Ces 

plaintes  furent  écoutées  h  h  cour  et  Seignelay  envoya  à  Marseille 

t\J[.  de  Bonrepaux,  intendant  génér.il  de  la  marine,  pour  remédier  à 

la,  situation  :   «  S.  M.  lui  fliit  observer,  disaient  ses  instructions, 

«que  le  succès  de  la  Compagnie  n'a  pas  été  aussi  considérable  qu'il  y 

vivait   lieu  de  se  le  promettre  par  la  mauvaise  administration  des 

«directeurs  établis  sur  les  lieux  et  la  division  qui  s'est  glissée  parmi 

1  es  intéressés  ;  c'est  pourquoi  S.  M.  veut  que  sa  première  application 

^oit  de  tricher  de  concilier  les  esprits et  de  leur  déclarer  qu'elle 

<^hassera  de  la  Compagnie  celui  qui  s'écartera  de  la  conduite  qu'il 
«:joit  tenir*  ».  Un  règlement  fut  dressé  pour  l'-idniinistration  des 
^^flfaires  de  la  Compagnie,  mais  celles-ci  ne  prirent  pas  une  tournure 
X-Tieilleure.   L'année  suivante  ét;iit  la  dernière  des  cinq  années  de 
L'association  et  ses  membres  ne  songeaient  sans  doute  pas  \  la 
"X-cnouvelcr,  car  le  ministre,  pour  ne  pas  laisser  tomber  les  manufac- 
tures créées  à  Marseille,  chargea  M.  de  Vaus'ré  de  faire  un  traité 
^avcc  Joseph  Fabre  qui  seul  était  assez  habile  et  avait  assez  de  crédit 
^K>ur  les  soutenir.  Fabre  accepta  et  promit  même  de  porter  le  nombre 
«Jes  métiers  des  étoffes  d'or  et  d'argent  de  30  i\  60  ;\  condition  que 
la  ville  de  Marseille  continuerait  à  lui  payer  8.000  livres  pend.mt 
«::inq  ans,   dont  il  devait  donner   î.ooo  .\  la  Compagnie   pour  la 
^édomm.Tger   de  ses  pertes  ;  il  fut  subtituê  à  la  Comp.agnie   par 
lettres  patentes  du   19  octobre  1690,  suivies  d'un  arrêt  du  Conseil 
■mAu  31  octobre*. 


(i)  Stij^nthy  il  Btgon,  jo  sfptitnhrc  16S6.  DEPPtNGf.t.  III,  p.  654. 

(2)  IP.  4'/S,  jol,  jSS  :  Motion  f  <:tn>anl  d'imlriiction  au  sieur  de  Bonrtpoux  que  h 
■^oi  envoie  /'OMr  ioii  serviu  en  Provence. 

13)  H'.  4<f2,  fol.  Si-S;.  Mémoire.  —  Cf.  S  iiùvemlre  jdçî.  Exécutinn  du 
■jirivilojic  accorde  au  sieur  Fabre.  —  :  «  L'intention  du  roi  est  que  vous  l'obligiez 
â  travailler  lortcmcni  ]iour  remettre  sur    pied   cette    manuraciure.    S.   M.   veut 

pourtant  bien le  déclurger  de  l'obligation  d'tt;(blir  60  métiers  à  condition 

cî'en  avoir  au  moins  Jo  battants  ci  travaillants  dans  la  prcmitre  ;mii<Je  et  de  les 


198  LE   RELEVEMENT   DU    COMMERCE 

Cependant  une  nouvelle  Compagnie  se  forma  pour  cinq  autres 
années  en  1689  et  le  nouvel  ambassadeur,  M.  de  Castagnères  de 
CIiAteauneuf,  reçût  pour  instruction  d'offrir  à  la  Porte,  pour  Ib 
compte  de  la  Compagnie  de  la  Méditerranée,  l'engagement  de  fournir 
toutes  les  marchandises  dont  les  états  du  Grand  Seigrieur  avaient 
besoin  en  draps,  étoffes,  pelleteries  et  autres  articles,  ainsi  que  d'ex- 
porter du  Levant  tous  les  produits  qu'il  offrait  au  commerce*.  Cette 
Compagnie  avait  encore  un  traité  avec  le  sieur  de  Varennes,  directeur 
de  la  martufactui-e  de  draps  de  Saptes,  qui  s'engagea  A  fabriquer  pen- 
dant dix  ans  des  draps  Londres,  les  plus  recherchés,  â  raison  dé 
600  pièces,  les  deux  premières  années,  et  i.ooo  pics*  pendant  les 
huit  autres,  ;\  condition  que  S.  M.  lui  ferait  prêter  30.000  livres 
pour  dix  ans  par  la  province  du  Languedoc.  Les  affaires  de  la  Com- 
pagnie ne  furent  guère  plus  brillantes,  bien  que  ce  fût  alors  la 
période  la  plus  prospère  du  commerce  marseillais  dans  le  Levant. 
Elle  présenta  à  Pontchartrain,  en  décembre  1690,  un  projet  de  bilan 
qui  ne  satisfit  ni  le  ministre,  ni  les  associés  qu'elle  avait  h  Paris  *, 
car  les  chiffres  n'en  étaient  pas  rassurants  :  le  total  des  effets  de  la 
Compagnie  en  circulation  s'élevait  à  325.778  livres,  ses  dettes  à 
311.400  ;  il  n'était  pas  question  d'encaisse  disponible  et  le  moindre 
des  accidents  si  fréquents  dans  le  commerce  du  Levant  pouvait 
changer  en  déficit  ce  léger  excédent  d'actif  de  14. 378  livres*.  Les 
pertes  que  les  corsaires  infligèrent  ;\  notre  commerce  pendant  la 
guerre  de  la  Ligue  d'Augsbourg  la  ruinèrent  et  quand  elle  arriva  au 
ternie  de  son  privilège  elle  ne  le  fit  pas  renouveler. 

Les  échecs  successifs  des  Compagnies  avaient  découragé  pour  long- 
temps les  particuliers  d'en  recommencer  la  tentiitive  et  le  gouverne- 
ment de  les  y  pousser.  Cependant,  en  1698,  un  projet  de  Compagnie 
fut  envoyé  ;\  Pontchartrain  qu'il  séduisit  et  le  ministre  essaya  de 


augmenter  dans  les  4  subséquentes  jusqu'à  40....  Comme  le  cat-actèrc  du  conces- 
sionnaire fait  douter  qu'il  réussisse,  le  roi  trouverait  bon  qu'on  lui  substituât 
les  négociants  qui  seraient  disposés  A.  prendre  Sa  place.  Du  moins  il  est  néces- 
saire qu'il  accepte  pour  associé  le  sieur  Manfredini  qui  s'est  déjà  occupé  avec 
succès  de  cette  fabrication.  »  Boislisli:.  Cmusp.  n"  1006. 
(i)  Saint-Pkiest,  p.  506. 

(2)  Mesure  adoptée  à  Smyrne  pour  les  draps. 

(3)  Je  n'ai  pas  trouvé  de  documents  sur  l'organisation  de  cette  Compagnie. 

(4)  B',  4ç6,  fol.  iSi-'S'J  ■  Prnjiît  de  bilan  des  affaires  de  la  Compagnie  de  la 
Méditerranée  tiré  sur  les  livres  jusques  au  10  décembre  1690.  —  fol.  i<ji-ij2  : 
Mémoire  des  directeurs  à  Pontchartrain,  2S  fèvr.  ifnji.  —  Arch.  de  la  Marine. 


LA    COMPAGNir    Dr.    LA    M^DlTERRANâE 


I99 


flire  entrer  la  Chambre  du  Commerce  dans  ses  vues.  «  On  a  pro- 
posé au  roi,  lui  écrivait-il,  de  faire  une  nouvelle  Compagnie  du 
Levanisur  d'autres  principes  qui  permettraient  un  meilleur  succès... 
mais  S.  M.,  qui  veut  par  préiérence  au  bien  p-irticulier  celui  de  la 
ville  de  Marseille,  m*a  periiiis  de  vous  exciter  A  y  en  former  une 
générale  de  tous  ceux  qui  négocient  en  Levant  et  qui  voudrotit  y 
entrer  »  ;  il  lui  demandait  de  s'entendre  avec  l'intendant  Lebrct  i  ce 
sujet,  et,  si  elle  n'entrait  pas  dans  ses  vues,  il  menaçait  d'écouter  les 
propositions  qui  lui  étaient  faites  pour  l'établissement  d'une  nouvelle 
Compagnie  du  Levant'.  Mais  M.  de  Lagny,  directeur  général  du 
commerce,  condamna  lui-même  ce  projet  dans  des  termes  qui  mon- 
trent quel  changement  profond  s'était  opéré  dans  l'opinion,  depuis 
dolhert,  au  sujet  des  Compagnies  et  du  commerce  de  Marseille.  «  Il 
3'  a  plus  d'un  an,  Monseigneur,  écrivait-il  i  Pontchartrain  le  26  avril 
3699,  ^^^  ^o"s  m'avez  fait  l'honneur  de  me  faire  communiquer  une 
première  proposition  pour  mettre  le  commerce  du  Levant  en  Com- 
pagnie... J'ai  particulièrement  eu  en  vue  dans  cet  e.xamen  de  cher- 
cher si  en  effet  on  peut  établir  le  commerce  du  Levant  en  Compagnie 
«t  plus  j'y  ai  pensé,  moins  j'ai  trouvé  que  cela  se  pût  ni  dût  faire,  ni 
«qu'on  pût  attendre  par  la  régie  des  directeurs,  agfcnts  et  commis 
«l'une  Compagnie^  des  remèdes  contre  le  désordre  qui  peut  encore 
•subsister  dans  l'administration  de  la  Chambre  du  Commerce  et  des 
«léputés  et  consuls  de  la  n.uion  en  Levant,  n'y  a3Mnt  rien  d'imagi- 
nable qui  puisse  suppléer  au  plan  sur  lequel  cette  administration  est 
naturellement  fondée  par  ceux  qui  ont  en  commun  le  principal  intérêt 
<ic  le  faire  fidèlement,  ni  de  voie  ^  pratiquer  pour  faire  cesser  les 
abus  de  l'intérêt  particulier,  au  préjudice  de  celui  du  public,  par  lés 
membres  de  la  Chambre  et  députés  de  la  nation  et  autres  particuliers, 
•<jue  par  l'autorité  du  règlcmerit  définitif  qui  est  à  faire*.  » 

Ainsi  les  idées  de  Colbcrt  et  de  son  entourage  sur  la  nécessité 
d'une  Compagnie  pour  relever  le  commerce  du  Levant  se  trouvaient 
condamnées  par  les  laits,  et  le  commerce  des  particuliers,  qu'il  croyait 
voué  il  l'impuissance  et  aux  abus,  s'était  peu  à  peu  corrigé  de  ceux-ci, 
et  atteignait,  au  moment  même  où  disparaissait  la  Compagnie  de 
la  Méditerranée,  la  plus  grande  prospérité  qu'il  eût  connue  depuis 


II)  Lettit  du  16  avril  169S.  BP,  S2. 

li)  Ldtrt  de  M.  de  Lagny  à  PonUfar train,  26  avril  t66ç.  Arch.  de  la  Mûr  B*,  49*?, 


200  LE   RELÈVEMENT   DU  COMMERCE 

1620.  Il  est  vrai  que  les  entreprises  de  ces  Compagnies  avaient  été  mal 
conduites  ;  préoccupées  de  contribuer  au  développement  des  manu- 
factures, comme  le  voulait  Colbert,  elles  avaient  été  des  entreprises 
industrielles  autant  et  peut-être  plus  que  des  Compagnies  de  com- 
merce et  de  navigation  :  la  première  Compagnie  du  Levant  avait  sept 
bâtiments  h  elle,  celle  de  la  Méditerranée  n'en  avait  pas.  Pour  plaire 
au  ministre  elles  avaient  voulu  faire  grand  et  montrer  tout  de  suite 
leur  initiative,  engageant  tout  leur  capital  dès  les  premiers  mois  de 
leur  existence  et  se  trouvant  ensuite  paralysées  dans  leurs  opérations 
par  le  manque  de  fonds.  De  plus,  la  vente  des  draps,  qui  faisait  leur  prin- 
cipal commerce,  fut  toujours  pénible  et  ne  leur  donna  que  des  profits 
insignifiants,  quand  elle  ne  leur  causa  pas  des  pertes.  Mais  la  mau- 
vaise administration  des  Compagnies  fut  une  des  causes  principales 
de  leurs  mauvaises  affaires.  Les  jalousies  et  les  rivalités,  que  l'on 
reprochait  au  commerce  des  particuliers,  jetèrent  la  discorde  dans 
leurs  assemblées  et  parmi  leurs  directeurs  qui  ne  recherchaient  que 
leur  intérêt  particulier.  Le  trop  grand  nombre  d'employés  et  les 
émoluments  ou  les  courtages  trop  considérables  qu'elles  leur  accor- 
daient, grevaient  en  outre  leur  commerce  de  frais  inutiles.  Les 
Compagnies  profitèrent  surtout  aux  directeurs  ou  i  ceux  qui  se 
poussèrent  dans  la  faveur  du  ministre  en  les  organisant.  Non  seule- 
ment elles  ne  prospérèrent  pas,  mais  elles  ne  donnèrent  pas  au 
commerce  du  Levant  cette  impulsion  nouvelle  qu'en  attendait 
Colbert  et  dont  on  eût  pu  profiter  après  leur  disparition.  Le  seul 
bien  qu'elles  aient  produit  ce  fut  d'avoir  fait  naître  quelques  indus- 
tries à  Marseille,  comme  la  raffinerie,  ou  les  manufactures  de  soie  et 
d'étoffes  d'or  et  argent,  et  d'avoir  fiivorisé  le  développement  de  la 
fabrication  des  draps  du  Lmgucdoc  ;  mais  c'était  avoir  acheté  bien 
cher,  au  prix  de  tant  d'argent  et  d'efforts,  un  résultat  qu'on  aurait 
pu  plus  facilement  obtenir  en  consacrant  directement  ;\  ces  manu- 
factures les  sommes  qu'on  perdit  pour  soutenir  les  Compagnies'. 


(i)  En  même  temps  que  la  Compagnie  du  Levant  était  créée  il  (ut  question 
d'établir  à  Marseille  une  grande  banque  et  Colbert  encouragea  ce  dessein.  On 
discuta  surtout  le  projet  curieux  d'un  sieur  Qize.  La  banque  avait  pour  double  but 
de  délivrer  la  ville  de  ses  dettes  et  d'y  développer  un  grand  commerce,  ainsi  son 
dessein  n'était  pas  sans  offrir  d'analogie  avec  le  système  que  I^iuv  devait  proposer 
plus  tard  pour  payer  les  dettes  de  l'Etat  et  relever  la  prospérité  du  royaume.  —  V. 
ce  projet  :  BB,  },fol.  220-22,  224-36,  241-62.  —  Projet  ih  la  Chambre.  lUi,  s,  fol. 
262-'/S.  —  Dllib.  du  24  mai  et  6  juin  i6']4.  —  Ordonn.  de  Rouillé  du  26  sept.  16J4. 
—  Cf.  Colbert  à  Antoul,  2s  de'c.  i6j2,  à  Rouillé  10  nov.  lOj}.  Lettres,  t.  II,  p.  Oyi. 


te 


LA   BALANCE   DU    COMMERCE  201 

Gilbert  sV-tait  attache  avec  tant  d'ardeur  à  l'idée  d'organiser  une 

C!ompat»nie  du  Levant  parce  qu'il  voulait  faire  cesser  l'exportation 

«Je  l'argent  dans  les  échelles  et  y  substituer   les   produits  de  nos 

iTia  nu  factures.  Comme  tous  les  hommes  de  son  temps,  ii  était  pénétré 

«Je   cette  pensée  que  l'argent  faisait  la  richesse  d'un   pays  et   que 

l«j  commerce  du  Levant,  tel  que   le  faisaient  les  Marseillais,   était 

unestc.  "  Comme  ce  commerce  consomme  de  très  grandes  sommes, 

crit-il  à   Rouillé,   il  est  certain  que  c'est  l'endroit  du   royaume 

j^ar  où  s'écoule  dans  les  pays  étrangers  une  bonne  partie  de  l'argent 

«z]ue  l'industrie  des  artisans   et  des  marchands  de  toutes  les  autres 

çorovinces  y  attire.  Aussi  ne  pourrait-on  rendre  \  l'état  un  service 

j^lus  considérable  que  celui  de  rendre  ce   transport  d'argent   plus 

«difficile  par  les  movens  dont  je  vous  ai  autrefois  écrit  '.  » 

Cependant  les  Proven(,Mux,  en  important  des  soies,  des  cotons, 
es  laines,  des  cuirs,  alimentaient  les  manuflictures  de  matières 
"jarcmières,  que  le  royaume  ne  possédait  pas  ou  ne  produisait  qu'en 
■«quantités  très  insulî*is;intes,  et  faisaient  un  commerce  évidemment 
I  «^itile  au  royaume.  Leurs  profits  considérables  sur  les  monnaies  leur 
I  permettaient  de  vendre  les  marchandises  du  Levant  ;\  meilleur 
HKTonipte  et  ce  commerce  était  fort  apprécié  des  Turcs  qui  manquaient 
^Kde  métaux  précieux  et  de  monnaie  ^. 

^B      Les  Provençaux  fiusatent  d'ailleurs  sortir  beaucoup  moins  d'argent 
^^<Ju  royaume  que  ne  le  pensait  Colbert,  car  ils  fournissaient  l'Espagne 
«.'t  une  partie  de  l'Italie  de  denrées  du  Levant  et  retiraient  ainsi  de 
es  pays  la  plus  grande  partie  de  l'argent  dont  ils  se  servaient  dans:  les 
chellcs*.  C'est  pourquoi,  sauf  pendant  les  quatorze  années  du  trafic 
es  pièces  de  5  sols,  les  Français  n'v  déchargèrent  que  des  piastres 

(H  j  mars  i6j(/.  Ltltrts et  Iiisl.,  t.  II,  p.  Açf^.  —  «  Surtout  pensez  bien  que  lu 
:\i\  et  unique  av.nniago  de  ce  commerce  consiste  A  porter  les  MarscilLiis  à  porter 
;n  Levjnt  ces  ni.iuuCacturcs  comme  les  Angbis  elles  Hollamlnis.  » 

(2)  D'Arvifux  f.iit  ressortir  d.ins  un  mémoire  .iu  roi  que  les  Turcs  nm  besoin 
le  r.irgeut  des  Fmnçais,  ce  qui  fait  qu'ils  ne  se  dd-clureronc  contre  eux  qu'à  la 
iemiére  extrémité,  t.  IV,  p.  218. 

(j)  Les  iatend;»nts,  en  comact  journalier  avec  les  Marseillais,  comprirent  mieux 
jnc  Colbert  le  caractère  de  leur  commerce  et  essayèrent  discrètement  de  modifier 
►es  idées.  —  Ainsi  Rouillé  lui  écrit  le  26  septembre  1679:  «  L'on  doit  être  per- 
suadé que  le  négoce  des  Marseillais  dans  le  Levant  apporte  incomparablement  plus 
i'or  et  d'argent  en  France  qu'il  n'en  fait  sortir  et  que  si  ce  commerce  (de  l'argent) 
rcssaii.  il  passerait  entièrement  aux  Anglais  et  aux  Hollandais.  »  —  «  Les 
-Anglais  et  les  Hollandais  portent  moins  d'argent  en  Levant  que  les  Français,  à 
cause  que  leurs  manufactures  y  sont  plus  recherchées,  et  de  plus  ils  ont  leurs 
plombs  et  éiain  dont  ils  font  grand  négoce.  »  àicIi,  Nat,  C,  4sS. 


202  LE   RELÈVEMENT   DU   COMMERCE 

de  rcàtix  espagnoles,  dites  sévillanes  ou  mexiaines.  Mais  lé  ti-ans- 
port  même  de  l'argent  étranger  ne  paraissait  pas  moins  préjudiciable 
à  l'état  :  «  Quoique  l'argent  qu'on  porte  en  Levant,  dit  d'Arvieux, 
ne  soit  que  de  l'argent  d'Espagne,  il  est  certain  que  cet  argent  porté 
à  la  inonnaie  produirait  de  l'avantage  au  roi,  au  lieu  qu'il  en  est 
frustré  quand  il  passe  dans  un  pays  dont  il  ne  peut  plus  revenir*.  » 

Colbert  avait  une  idée  plus  juste  quand  il  pensait  que  Ife  ctitii- 
nierce  se  ferait  d'une  façon  plus  utile  au  royaume  si  l'oti  vendait 
dans  le  Levant  des  marchandises,  car  il  contribuerait  au  dévelop- 
pement de  ses  manufoctures  en  leur  assuraiit  des  débouchés.  Encore 
fallait- il  savoir  si  les  marchands,  qui  soutenaient  leur  commerce 
grâce  h  leurs  bénéfices  dans  le  trafic  des  monnaies,  trouveraient  les 
mêmes  avantages  à  vendre  les  «  manufactures  »  du  royaume  et 
particulièrement  les  draps.  Colbert  eut  le  tort  de  s'imaginer  qu'il  ne 
tenait  qu'aux  Marseillais  d'imiter  l'exemple  des  Anglais  et  des  Hol- 
landais, il  crut  trop  vite  avoir  mis  les  draperies  du  Languedoc  sur  le 
pied  de  celles  de  Hollande  et  il  se  plaignait  injustemeiit  de  la  mau- 
vaise volonté  des  marchands,  qui,  pressés  de  plaire  au  ministre, 
n'eussent  pas  manqué  de  le  satisfaire,  s'ils  avaient  cru  y  trouver 
quelque  bénéfice.  La  série  de  déboires,  causés  en  partie  à  la  compagnie 
du  Levant  par  l'engagement  qu'elle  avait  pris  de  vendre  des  draps, 
put  lui  faire  voir  que  les  Marseillais  avaient  eu  raison  de  se  montrer 
prudents  dans  ce  commerce.  C'est  que,  si  la  qualité  des  draps  du 
Lmguedoc  s'était  peu  à  peu  améliorée,  grâce  aux  efforts  de  Colbert, 
les  frais  de  production  étaient  trop  élevés  et  le  bon  marché  des 
fabriques  hollandaises  mettait  les  Français  dans  l'alternative  de  rie 
pas  vendre  de  draps  ou  de  se  ruiner.  Colbert  se  trompait  encore 
quand  il  montrait  aux  Marseillais  l'exemple  des  Anglais  et  des 
Hollandais,  qui,  selon  lui,  ne  faisaient  leur  commerce  qu'en  mar- 
chandises *.  De  tout  temps  nos  rivaux  avaient  porté  avec  leurs  draps 
des  quantités  considérables  d'argent  comptant  sans  lequel  on  ne 
pouvait  négocier  dans  le  Levant  :  les  Hollandais  remplissaient  les 
échelles  de  leurs  abouquels,  monnaie  de  mauvais  aloi,  tandis  que  les 
Anglais  prenaient  en  passant  :\  Gidix  des  piastres  d'Espagne. 

On  ne  peut  donc  que  blâmer  Colbert  de  la  sévérité  avec  laquelle 
il  interdit  aux  marchands  français  le  commerce  de  l'argent  dans  les 

(i)  D'AuviEux,  t.  IV,  p.  204. 

(2)  2(;  mars  1671;.  Li'llie  à  Rouillé.  Lettres,  t.  II,  p.  6<)6. 


LA   BALANCE   DD   COMMERCE 


ÎO3 


iclles.  Il  n'osa  cependant  pas  interdire  absolument  rexportation 
iles  piastres  d'Espagne,  parce  que  les  avis  qu'il  recevait  de  la  Chambre 
du  commerce  et  des  intendants  eux-mêmes,  qui  osèrent  plusieurs 
fois  le  contredire  sur  ce  point,  lui  faisaient  sentir  que  la  défense  eût 
été  impossible  à  faire  respecter'.  Le  projet  de  coinpagnie  du  Levant 
dressé  par  Colbert  lui-même  en  1669  lui  permettait  d'exporter  par  an 
«  h  valeur  de  i. 000.000  de  livres,  ;\  condition  que  ladite  somme  di- 
minuerait tous  les  ans,  jusqu'à  ce  qu'elle  put  faire  son  commerce  par 
lie  moyen  des  manufactures  de  France,  »  et  les  marchands  Lyoïmais 
[Suppliaient  le  ministre  de  de  pas  fixer  de  limite,  tant  que  les  manu- 
factures ne  seraient  pas  en  meilleur  état.  Colbert  avait  donc  tort 
d'ajouter  :   «  il  sera  fait  très  expresses  défenses  à  tous  autres  mar- 
chands de  transporter  aucun  argent  hors  du  rovaume  sous  peine  de 
la  vie*.  »  Colbert  dut  se  borner  ù  prescrire  aux  intendants  d'employer 
«les  expédients  pour  réduire  ce  transport,  tout  en  laissant  voir  que 
«e  n'était  pour  lui  qu'un  pis  aller.  Il  écrivait  à  l'intendant  Rouillé, 
■<qui  lui  avait  fait  des  objections  à  cet  égard  :  «  Si  vous  relisiez  la  lettre 
<^ue  je  vous  ai  écrite  sur  cette  matière,  vous  verrez   bien  que   ma 
pensée  n'a  jamais  été  de  leur  interdire  en  un  instant  le  transport  qu'ils 
«n  font,  mais  aussi  vous  devez  être  persuadé  que  l'on  peut  diminuer 
<onsidérablement  ce  transport...  Ce  i  quoi  je  vous  ai  convié  par  ma 
lettre  du  3,  a  été  de  chercher  des  expédients  pour  les  obliger  de  com- 
itafcilccr  à  chercher  des    manufactures  pour  diminuer  toujours  le 
transport  de  cet  argent.  Vous  pourrez  même,  entre  tous  les  expé- 
dients que  vous  trouverez  pour  les  y  porter,  leur  déclarer  que,  le  roi 
\oulant  absolument  empêcher  ce  transport,   S.  M,  fera  arrêter  et 
visiter  par  ses  vaisseaux  de  guerre  les  vaisseaux  qui  iront  dans  le 
Levant.  Vow  voudrez  bien  que  je  vous  dise  que  vous  devez  traiter 
cette  matière  comme  la  plus  importante  de  toutes  celles  auxquelles 
vous  devez  donner  votre  application,  pendant  le  temps  que  vous  serez 
dans  la  même  province*.  >• 


{i)  HB,  26.  30  dfc.  i6(ii.  .4hx  tUpulés  en  cour  :  «  Si  nous  ne  pouvons  sortir  les 
rtiiix  que  nous  relirons  d'Hspagnc,  ce  sera  le  vrai  moyen  pour  atUrtr  tout  le  négoce 
de  notre  ville  i  celle  de  Liporne...  Infailliblement  si  cette  pcrmissioh  ne  nous  est 
accordée,  tous  nos  nC-gociants  déserteront  pour  habiter  à  Nice  ou  Ligornc.  11 

(3)  .4ich.  de  la  Mur.,  JP,  .fSy,  fol.  2tj-24,  art.  S  et  ^  du  mhnoirt. 

(j)  3<)  mars  iffjf).  Lettres,  t.  U,  p.  <>9/>.  —  Rouilli  lui  r<ipoildit  le  8  avril  en  lui 
montrant  encnrc  la  nfJcessitO  de  porter  Je  l'argent  dans  le  Levant.  —  .\  auoi 
"  "hcft  réplique  le  lo,  qu'il  ne  veut  pas  l'interdire  ;  il  faut  pousser  les  M.irseill.iis 
•porter  des  marcliandises  en  faisiint  de  temps  en  temps  faire  des  visites  de 


204  I-E   RELEVEMENT  DU   COMMERCE 

Gilbert,  pour  intimider  les  marchands,  fit  faire  de  temps  en  temps 
des  visites  de  vaisseaux  et  des  confiscations  ;  ces  exécutions  arbitraires, 
en  vertu  d'une  loi  qu'on  n'osait  pas  appliquer  d'une  façon  régulière, 
ne  servaient  qu'à  jeter  le  trouble  dans  le  commerce  et  A  inquiéter  inu- 
tilement les  marchands.  Il  croyait  encoreatteindre  son  but  quand, par 
l'arrêt  du  conseil  du  ii  avril  1675,  il  réglementait  l'entrée  en  France 
des  réaux  d'Espagne  :  il  augmentait  le  poids  qu'ils  devaient  avoir  pour 
entrer  dans  le  royaume  et  diminuait  le  prix  auquel  on  pouvait  les 
vendre.  Cette  mesure  excita  vivement  les  alarmes  de  la  Chambre  du 
commerce  qui  l'avertit  qu'il  allait  détourner  vers  l'Italie  le  commerce 
des  piastres  d'Espagne'.  Il  accordait  aux  marchands  qui  enverraient 
des  draps  dans  le  Levant  la  gratification  d'une  pistole  par  pièce  pro- 
mise ;\  la  Compagnie  du  Levant*.  Les  difficultés  que  Colbert  ren- 
contrait malgré  tout  à  obtenir  la  diminution  du  trafic  des  espèces 
auraient  dû  lui  faire  sentir  que  les  marchands  devaient  obéir  A  une 
nécessité  et  non  s'obstiner  dans  leur  routine.  Cependant,  jusqu'à 
la  fin,  il  eut  recours  aux  mesures  de  rigueur  malgré  les  prudents 
avis  des  intendants  Rouillé  et  Morant  :  «  Je  n'ai  rien  à  ajouter, 
écrit-il  à  celui-ci  en  1682,  à  ce  que  je  vous  ai  écrit,  qui  consiste  en 
ce  que  les  officiers  de  l'amirauté  doivent  confisquer  sans  difficulté... 
Les  raisons  des  marchands  de  Marseille  sont  toutes  mauvaises  ;  c'est 
à  eux  de  chercher  les  moyens  d'envoyer  plus  de  manufactures  du 
royaume  et  moins  d'argent*.  »  On  ne  saurait  trop  déplorer  un  pareil 
excès  de  sévérité,  dit  avec  raison  M.  Pierre  Clément,  d'autant  plus 
que  les  Marseillais  avaient  fait  en  réalité  tous  leurs  efibrts  pour  satis- 
faire le  ministre. 

C'est  en  r666,  que  Colbert  avait  pris  une  série  de  mesures  pour 
relever  les  manufactures  du  Languedoc  et  qu'il  y  avait  attiré  des 
ouvriers  hollandais  pour  fabriquer  spécialement  des  draps  destinés  au 
Levant  :  dès  le  3  février  1667,  la  Chambre  du  commerce  envoyait 

quelques  vaisseaux  et  confisquer  quelque  partie  de  l'argent  qu'ils  portent.  —  Voir 
Leltres  à  Moraiit,  16  ocl.,  1}  nov.,  16S1.  iMItrs,  t.  JI,  p  y  16.  —  S  janvier  16S2, 
20  mai  16S2.  Depping,  t.  III.  —  Il  recominande  toujours  de  faire  des  visites  et 
des  confiscations  de  temps  en  temps. 

(i)  BB,  27.  ;r)  avril  16/).  —  Cf.  L'Itres,  t.  III,  p.  6ij>)-(/>.  j  mars,  29  mars 
îô-ji),  2S  août  16S1. 

(2)  7  décembre  i66(f,  à  Anioiù.  Ixtlrcs,  t.  II. 

(3)  12  février  16S2.  Clûment.  Ilist.  de  Colbert,  t.  I,  p.  593.  —  V.  BB,  2S. 
}o  janvier  t6i)i.  —  Lettre  du  contrôleur  général  à  Morant,  }i  mai  i6S(y.  Boislisle, 
Corresp.  n°  277. 


(;n  marchand  drapier  de  Marseille  pour  examiner  ces  nouvelles  dra- 
peries.   «    Hier,   à   l'assemblc'e   du    commerce,    écrivait-elle,    pour 
tionner  contentement  à  M.  de  Colbert,  il  tut  résolu  d'envoyer  exprès 
ù  Carc;issonne  pour  acheter  cent  pièces  de  drap  de  la  ûbrique  que 
Vous  avez  marquée  ù  MM.  les  échevins,  pour  les  envoyer  en  Levant 
»it  en  faire  la  preuve...,  si  n'y  a  point  de  perte,  et  quand  nous  ne 
retirerions  que  notre  capital,  pour  donner  s.uisfactioii  à  mondit 
dolbert,  nous  continuerons  ce  négoce'.  •»  Qiielque  temps  après,  la 
CZhambre  écrivait  à  son  envoyé  à  Carcassonne  :  «  Nous  ferons  notre 
p>ossible  A  porter  nos  négociants  \  s'intéresser  ;\  ce  commerce,  ce  qui 
»^e  sera  pas  difficile  si  cette  fabrique  a  réussi  au  point  que  vous  nous 
«-iites*.  »  L'essai  fut  tenté  et  la  Chambre  envoya  de  ces  draps  ;\  un 
«liarchnnd  de  Smyrne  :   «  Vous  trouverez,  lui   disait-elle,  par  les 
^échantillons  ci-inclus  de  belles  et  bonnes  marchandises  et  des  cou- 
■t  «urs  aussi  belles  et  si  fidèles  qu'on   pourrait   faire  en  Hollande, 
sr%.itcndu  qu'ils  sont  teints  en  écarlate.  »  Par  un  accident  malencon- 
treux, le  vaisseau  qui  les  portait  s'échoua,  on  les  retira  du  naufrage 
«SI  il  tïllut  les  reteindre  à  Marseille,  ce  qui  diminua  fort  leur  beauté 
«_:t   leur  qualité.  La  vente  en  fut  laborieuse  et  six  mois  après,  la 
^IZhanibrc,  pour  la  faciliter,  était  obligée  d'envoyer  à  Smyrne  de 
X  'argent  comptant'. 

C'est  qu'en  réalité,  malgré  leurs  réels  progrès,  les  manufactures 

«Ju  Languedoc  n'avaient  pas  encore  atteint  la   perfection  de  celles 

«Jes  Hollandais  et  leurs  produits  étaient  surtout  plus  chers.  Quand 

«3n  forma  la  Compagnie  du  Levant,   le  chevalier  d'Arvieux  repré- 

.^senta  «  que  les  manudictures  de  draps,  établies  en  Languedoc  pour 

^zrontrefaire  les  draps  d'Angleterre,  de  Hollande  et  de  Venise,  étaient 

^srncore  bien  éloignées  de  la  perfection,  et  de  la  bonté  de  ceux  de  ces 

;^ays  là,  qu'il  fallait  se  persuader  que  les  Turcs  se  connaissaient  en 

niarchandises  pour  le  moins  aussi  bien  que  les  Espagnols  qui  sont 

«>Jè  si  habiles  connaisseurs,  que  nos  plus    habiles  commerçants  ne 

^s^iuraient  les  tromper  et,  cela  posé,  qu'il  ne  fallait  pas  compter  de 

:^Ixirc  un  grand  débit  de  ces  draps,  A  moins  qu'on  ne  réussit  ;\  les  faire 


(i)  Bli,  36.  4  février  1667,  au  déjmlr  Ikmti. 

(a)  lui,  J7.  Litift  iIh  36  avril  t66j  :  li  M.  Boiineati,  à  Carcassonnt.  —  Cf.  Ptii- 
m**ulin  à  Coiktt,  37  ,ivril  i66j.  Depmng,  t.  111,  p.  801. 

(5)  Ltllrei  à  Louis  Philipon,  à  Stnynu,  7  xloloii  t66^,  s 3  avril  if'6S,  BB,  16. 


206  LE   RELÈVEMENT   DU   COMMERCE 

aussi  bons  et  aussi  beaux,  que  ceux  des  autres  pays  '.  »  En  effet, 
en  1671  la  Compagnie  était  obligée  de  révoquer  les  commandes 
qu'elle  avait  faites  dla  manufacture  de  Carcassonne  et  elle  diminua 
ses  envois  de  draps  jusqu'en  1683.  Comment  Colbert  pouvait-il  en 
vouloir  à  la  Chambre  du  Commerce  et  aux  Marseillais  de  ne  pas  se 
lancer  dans  un  commerce  que  la  Compagnie,  avec  tous  ses  avantages, 
ne  pouvait  pas  soutenir  ? 

Il  avait  du  moins  travaillé  sans  relâche,  à  mettre  les  manufactures 
de  draps  dans  cette  perfection  que  réclamait  le  commerce,  et  les 
soins  qu'il  donna  à  cette  industrie  doivent  être  loués  sans  restriction. 
Richelieu  s'était  borné  à  déplorer  la  décadence  et  la  ruine  de  ces 
fabriques  qui  alimentaient  seules  le  Levant  à  la  fin  du  xvi'  siècle  ; 
Colbert  n'eut  qu'un  but,  ravir  aux  étrangers  la  supériorité  qu'ils  nous 
avaient  enlevée.  En  1666  il  envoyait  des  statuts  et  règlements  pour 
les  draperies  du  Linguedoc  et  chargeait  le  sieur  de  Pennautier  de  les 
faire  respecter;  il  les  complétait  par  le  règlement  du  13  août  1669 
et  par  une  série  d'arrêts  du  conseil  rendus  en  conséquence.  En 
même  temps,  il  fit  venir  des  ouvriers  Hollandais  qu'il  établit  à  Saptes, 
auprès  de  Carcassonne,  pour  enseigner  leurs  méthodes  :  «  Nous 
avons  trouvé,  lui  écrivait  Pennautier,  par  l'expérience  des  Hollan- 
dais, qui  travaillent  depuis  six  mois  dans  le  diocèse  de  Carcassonne, 
au  lieu  de  Sapdes,  que,  jusques  à  ce  que  nos  ouvriers  aient  attrapé  le 
secret,  nous  ne  pourrons  jamais  faire  les  draps  au  prix  qu'ils  les 
vendent  ;  ils  ont  l'art  de  faire  un  drap  égal  à  ceux  de  Carcassonne 
avec  un  tiers  de  moins  de  laine,  et  cette  laine  encore  ils  la  filent  et 
l'apprêtent  avec  une  diligence  si  grande  qu'un  de  leurs  ouvriers  fait 
plus  d'ouvrage  en  un  jour  qu'un  Français  en  une  semaine.  Les  nôtres 
apprennent  tous  les  jours  leur  manière,  et  ce  serait  un  très  grand 
dommage  pour  notre  province  si  le  petit  désordre  qui  est  arrivé 
dans  les  affaires  du  sieur  de  Varennes  ne  lui  permettait  pas  de 
secourir  sa  manufacture  d'Hollandais,  qui  est  capable  d'instruire 
toute  celle  de  Carcassonne,  et  cela  mériterait  bien  qu'on  l'aidât  de 
quelque  chose  s'il  en  avait  besoin*.  »  Colbert  favorisa  en  effet  autant 
qu'il  put  la  manufacture  du  sieur  de  Varennes,  qui,  malgré  les 
difficultés,  finit  par  prospérer  et  devint  considérable  après  sa  mort. 
Il  surveilla  étroitement  l'application  de   ses  règlements  destinés  à 

(i)  D'Arvieux,  t.  IV,  p.  204. 

(2)  Pennautier  à  Colbert,  27  avril  1667.  Deppino,  t.  III,  p.  8gI. 


LA    BALANCE    DU    COMMERCE 


207 


^v 

^ 


jssurer  la  qualité  des  tissus  et  des  teintures',  et,  grâce  à  ses  soins 
continues  parses  successeurs,  nos  draps  du  L.ini^ucdoc  purent  enfin 
rivaliser  avec  ceux  des  étrangers.  Aussi  les  Marseillais  en  portèrent 
alors  des  quantités  considérables  dans  le  Levant^  sans  qu'il  fiit  besoin 
ur  ceU  des  objurgations  du  ministre.  Sans  doute  les  manufactures 
<ie  draps,  comme  toutes  celles  établies  par  Colbert,  coûtèrent  beau- 
coup d'argent,  mais,  ici  du  moins,  les  sacrifices  lurent  pleinement 
récompensés*. 

Colbert,  qui  s'était  tant  plaint  de  l'étroitcsse  de  vues  et  de  l'esprit 
c  routine  des  Provençaux  dans  leur  Lommerce,  avait  reçu  pourtant 
n  1666,  des  «  Mémoires  générallessur  les  manufactures  qui  seraient 
roprcs  dans  la  province  de  Provence  '  ;  »  ils  avaient  été  présentés 
l'assemblée  de  la  province  et  l'on  y  proposait  de  faire  toute  une 
«irie  d'établissements  utiles  pour  le  commerce  du  Levant.  C'étaient 
'abord  les  draperies  qu'il  était  d'autant  plus  facile  de  fabriquer  en 
rovencequ'ony  recevait  en  abondance  les  laines  du  Levant.  «  C'est 
«n  vain  de  dire,  ajoutait  le  mémoire,  que  les  eaux  ne  sont  pas 
■propres  pour  les  belles  couleurs  et  le  toulage  des  draps.  Notamment 
•«dans  Marseille  on  y  voit  des  teintureries  faire  les  teintures  .achevées, 
<:omme  celle  des  nommés  Roux,  Ripert  et  quelques  autres.  L'écarlate 
-cju'on    n'a  jamais  su   faire  bien  en  France   n"a-t-clle  pas  été  faite  à 

^ïarseille  il  y  a  50  ou  60  ans  par  un  nommé ouvrier  étranger, 

codant  I  )  ou  20  ans,  avec  tant  de  réputation  que  le  débit  s'en 
ais;itt  en  Levant  sans  le  regarder  pourvu  qu'on  vit  la  marque  de 
l'ouvrier,  aussi  il  gagna  des  sommes  immenses...  et,  s'en  confiant 
près  à  ses  ouvriers,  l'abus  s'y  glissa  et  ruina  cette  flibrique  et  l'ouvrier 
ourut  sans  en  apprendre  le  secret.  »  Aux  draperies  on  pouvait 
joindre  les  étoffes  de  soie,  les  tapisseries  et  les  dentelles  de  toutes 
rtes,  les  épingles  et  aiguilles,  les  quincailles,  le  raffinage  des 
ucres,  la  manufacture  des  papiers  «  qu'on  peut  dire  qui  est  origi- 
•nellcde  cette  province  i  l'exclusion  de  toutes  les  autres  de  France,  » 
la  curaterie  «  qui  a  toujours  été  très  fameuse  en  France  et 
<\m  est  aujourd'hui  dans  une  entière  ruine  par  la  quantité  de 
cuirs  ouvrés  en    toute  façon  qu'on  apporte  des  pays    étrangers. 


(I)  V.  par  exemple  :  Leitre  à  Pennautkr,  ifi-]i.  letira,  t.  H,  p,  6^0.  —  A 
VinUniant  dt  Baons,  i}  man  167t.  Depping,  t.  III,  p,  878. 

Iz)  Pour  plus  de  deuils  sur  les  raaaufacturet  de  draps,  voir  Pierre  CLÉME>rr. 
Hiir.  dt  Colbert  ;  Lcttrn  ci  Insl. 

{})  Anh,  Hat.  P»,  6.^5. 


208  LE   RELÈVEMENT   DU   COMMERCE 

qui  ne  valent  pas  ceux  de  France.  »  Ces  propositions  n'eurent 
aucune  suite  en  1666  et  furent  de  nouveau  présentées  au 
ministre  en  1688  sans  plus  de  succès.  Il  eût  été  naturel  cependant 
de  créer  ou  de  relever  en  Provence  les  industries  spéciales  qui 
pouvaient  alimenter  le  commerce  du  Levant  et  celles  qu'étiblit  la 
Compagnie  de  la  Méditerranée  peuvent  être  considérées  comme 
l'application  d'une  partie  de  ce  programme  dressé  par  les  Proven- 
çaux en  1666. 

En  somme  il  y  aurait  i  relever  plusieurs  erreurs  dans  les  concep- 
tions commerciales  de  Colbert,  si  on  les  jugeait  d'après  les  idées 
économiques  de  notre  temps,  car  il  partageait  toutes  celles  de  son 
époque.  En  confirmant  X  Marseille  le  monopole  du  commerce  du 
Levant,  en  voulant  en  réserver  la  jouissance  i\  une  Compagnie,  en 
condamnant  absolument  le  trafic  des  espèces,  il  était  d'accord  avec 
les  gens  les  plus  expérimentés  d'alors,  comme,  après  lui,  ses  succes- 
seurs en  réglementant  le  commerce  \  outrance.  Mais  si  le  commerce 
du  Levant  souffrit  de  l'application  du  système  commercial  de  Colbert, 
combien  n'y  gagna-t-il  pas  davantage  ?  Li  poursuite  des  abus,  contre 
lesquels  les  marchands  réclamaient  en  vain  depuis  si  longtemps,  la 
liquidation  presque  achevée  des  dettes  des  échelles  et  du  commerce, 
l'affranchissement  du  port  de  Marseille,  les  privilèges  destinés  à 
attirer  les  étrangers  en  France,  les  encouragements  à  la  marine 
nationale,  les  efforts  pour  créer  et  développer  les  manufactures, 
suffiraient  seuls  i  la  gloire  d'un  grand  ministre,  si  Colbert  n'avait 
laissé  tant  d'autres  titres  h  l'admiration  de  la  postérité. 


CHAPITRE    IV 

LE   RENOUVELLEMENT   DES   CAPITULATIONS   ET   LA   LUTTE 
CONTRE    LES    BAKBARESQUES 


Malgré  tous  les  efTorts  de  Colbert,  le  commerce  se  releva  pénible- 
ment et  resta  dans  une  situation  précaire  jusqu'à  sa  mort.  Il  lui  avait 
Ëillu  en  effet  tout  son  ministère  pour  faire  cesser  les  désordres  et 
encore  cette  tâche  n'élait-elle  pas  complètement  terminée  en  1683  ; 
mais  surtout  il  n'avait  pas  réussi  à  rendre  à  la  navigation  et  aux 
échelles  la  sécurité  dont  les  négociants  avaient  besoin  pour  risquer 
leurs  capitaux  et  les  armateurs  leurs  navires.  Les  relations  avec  la 
Porte  étaient  devenues  plus  tendues  et  avaient  failli  même  être 
rompues  complètement,  puis  s'étaient  renouèes,  mais  la  réconci- 
liation avait  été  peu  sincère.  Quant  aux  Barbaresqucs,  Colbert  .ivait 
usé  tantôt  de  l'intimidation,  tantôt  de  la  diplomatie,  pour  les  amener 
à  respecter  les  traités,  il  mourut  les  laissant  en  guerre  ouverte  avec 
nous. 

Depuis  1660,  la  France  n'avait  plus  qu'un  résident  à  Constanti- 
nople;  Louis  XIV  s'était  vengé  des  insultes  faitesàsonambassadcuret 
des  avanies  supportées  par  les  Français  en  envoyant  des  secours  aux 
Vénitiens  .1  Candie  et  à  l'armée  impériale  en  Hongrie.  L'expédition 
de  Bcaufort  i  Gigeri  et  la  bataille  de  S'-Gothard  portèrent  au  plus 
haut  degré  la  mésintelligence  entre  les  deux  puissances  et  les  choses 
en  étaient  venues  au  point  qu'il  fallait,  ou  rompre  tout  à  fait,  ou 
changer  entièrement  de  conduite  pour  renouveler  l'alliance.  Si  les 
Français  avaient  cru  obtenir  des  Turcs  des  concessions  par  l'intimi- 
dation, ils  s'étaient  complètement  trompés  et  le  seul  résultat  atteint 
avait  été  d'attirer  une  recrudescence  d'avanies  sur  leurs  marchands. 
Colbert  n'envisageait  que  les  intérêts  du  commerce  et  regardait  une 
rupture  avec  les  Turcs  comme  une  affaire  désastreuse,  c'est  pourquoi 


210  LE   RELEVEMENT   DU    COMMERCE 

il  fit  décider  un  clîangement  de  politique  en  1665.  Louis  XIV 
écrivit  au  sultan  pour  justifier  les  secours  qu'il  avait  donnés  à  l'armée 
impériale  l'année  précédente,  par  l'obligation  où  il  était,  comme 
prince  de  l'empire,  d'en  aider  le  chef.  L'explication  était  pauvre  ;  la 
réponse  du  vizir,  sans  être  satisÉiisante,  décida  cependant  l'envoi  d'un 
ambassadeur.  M.  de  la  Haye  Ventelay,  fils  de  l'ancien,  était  alors  à 
Paris  où  il  sollicitait  un  emploi  et  le  paiement  de  plusieurs  années 
d'arrérages  dûs  à  la  succession  de  son  père  ;  il  demanda  l'ambassade 
et  l'obtint,  grâce  à  de  puissantes  protections,  en  renonçant  à  ses 
réclamations  d'argent.  Ce  choix  était  mauvais  :  M.  de  la  Haye 
connaissait  les  affaires  du  Levant  et  la  cour  de  Constantinople,  où  il 
avait  résidé  avec  son  père,  mais  il  était  d'un  caractère  hautain  et  peu 
accommodant  et  les  violentes  querelles  que  son  père  et  lui  avaient 
eues  avec  Koeprilû  Mohammed  le  mettait  dans  une  position  difficile 
vis-à-vis  de  son  fils  Kœprilû  Ahmed,  alors  vizir.  Ceux  qui  en  avaient 
tiré  argument  auprès  du  roi  pour  lui  persuader  qu'il  était  de  son 
honneur  que  M.  de  la  Haye  allât  le  représenter,  afin  que  le  grand 
vizir  fût  obligé  de  lui  faire  réparation  des  humiliations  que  son  père 
lui  avait  autrefois  fait  souffrir,  avaient  donné  un  singulier  conseil. 

M.  de  la  Haye  arriva  à  Constantinople  le  i*'  décembre  1665  sur 
un  vaisseau  du  roi,  avec  des  instructions  du  22  août  1665,  rédigées 
par  Colbert  lui-même,  et  les  mémoires  que  lui  avait  remis  la  Chambre 
du  commerce  :  le  principal  objet  de  sa  mission  était  de  renouveler 
les  capitulations.  Il  reçut  un  très  mauvais  accueil  et  réussit  aussi 
mal  que  possible.  En  1667,  l'éclat  du  secours  conduit  par  le  duc  de 
la  Feuillade  à  Candie,  attira  à  nos  marchands  de  nouvelles  avanies 
et  leurs  plaintes  décidèrent  le  roi  à  rappeler  son  ambassadeur.  M.  de 
la  Haye  reçut  cet  ordre  à  la  fin  de  1668,  mais,  désireux  de  se  main- 
tenir à  Constantinople,  il  intrigua  auprès  des  ministres  du  sultan 
pour  renouer  une  négociation  ;  ceux-ci,  voulant  éviter  une  rupture 
immédiate,  se  prêtèrent  à  son  jeu,  mais,  pour  traîner  les  choses  en 
longueur,  le  grand  vizir  prétexta  qu'on  ne  pouvait  faire  fonds  sur  un 
ambassadeur  rappelé  par  son  maître  et  qu'il  fallait  avant  tout  envoyer 
en  France  pour  savoir  les  intentions  du  roi'.  L'ambassadeur,  heureux 

(t)  Sur  l'ambassade  de  M.  de  la  Haye,  voir,  en  dehors  des  documents  des 
archives  des  aff.  (itrang.,  Chardin,  1. 1,  p.  9-14.  —  d'Arvieux,  t.  IV,  p.  i  u  et  suiv. 
—  Saint-Priest,  Mémoire,  p.  S2-S$,  221-26.  — La  vallée,  p.  313-315.  Les  lettres 
envoyées  en  1669  à  la  cour  par  de  la  Haye  sont  curieuses  ;  à  l'entendre,  les 
Turcs  sont  prêts  à  accorder  les  capitulations  les  plus  avantageuses.  —  Lettres  du  9 
et  jy  avril  166^.  Affaires  étrangères.  Carions  commerciaux.  Constantinople. 


LE    RENOUVELLEMENT    DES    CAPITULATIONS 


au 


de  rester,  accepta  cet  expédient  et  fit  embarquer  i  sa  place,  sur  l'un 
des  quatre  vaisseaux  du  roi  qui  l'attendaient,  un  envoyé  du  sulun 
Soliman  nga.  Celui-ci  débarqua  AToulon  le4aoùt  1669,  et  fut  traité 
magnifiquement,  par  les  officiers  du  roi  i  Toulon,  par  la  Chambre 
du  commerce  ù  Marseille.  Arrivé  h  Paris,  il  fut  reçu  en  audience 
solennelle  par  de  Lionne  et  par  le  roi,  mais  attendit  jusqu'à  la  fin  de 
novembre  une  réponse  aux  lettres  du  Grand  Seigneur'.  Li  cour 
était  en  effet  irrésolue  et  parut  d'abord  pencher  vers  une  rupture» 
aussi  le  rappel  de  M.  de  la  Haye  fut  confirmé.  Au  moment  où 
Soliman  aga  s'embarquait  pour  la  France  un  nouveau  secours  français, 
plus  considérable  que  le  premier,  avait  été  conduit  A  Candie  par  les 
ducs  de  Bcaufort  et  de  Navailles.  Cette  inutile  expédition*  qui  avait 
compromis  l'honneur  des  armes  du  roi,  rendait  encore  plus  difficile 
un  accommodement.  Chardin  rapporte  que  le  ^jrand  vizir  ayant 
demandé  au  chevalier  Molino,  plénipotentiaire  vénitien,  pourquoi 
Candie  avait  résisté  si  longtemps,  celui-ci  répondit  que  c'était  à 
l'instigation  du  roi  de  France,  qui  avait  promis  à  la  république  de 
déclarer  la  guerre  au.\  Turcs.  Kaprilù,  prévoyant  la  possibilité 
d'une  rupture,  expédia  en  Espagne  un  renégat  portugais  pour  faire 
à  cette  cour  des  ouvertures  d'alliance  et  celle-ci  de  son  côté  envoya 
i\  Constantinoplc  un  prêtre  portugais  nommé  Allcgrctti. 

Cependant,  l'influence  de  Colbert,  qui  venait  de  publier  l'édit  du 
port  franc  et  qui  travaillait  a  organiser  la  Compagnie  du  Levant, 
l'emporta  sur  les  partisans  d'une  rupture  dans  le  conseil  du  roi  et 
l'on  décida  qu'on  enverrait  un  autre  ambassadeur.  Il  y'  eut  alors  des 
discussions  pour  savoir  si  le  roi  se  ferait  représenter  par  un  ambas- 
sadeur en  titre  ou  s'il  n'aurait  ù  Constantinople  qu'un  simple  rési- 
dent, comme  l'avait  été  le  sieur  Roboly  de  1660  A  1665.  D'Arvieux, 
qui  désirait  ce  poste  pour  lui,  présenta  a  de  Lionne  et  à  Colbert  un 
mémoire  où  il  montrait  les  avantages  d'un  résident,  mieux  disposé i 
s'occuper  des  intérêts  du  commerce  qu'un  ambassadeur,  trop  fier  de 
sa  dignité  et  dédaigneux  des  affaires  des  marchands;  un  résident 
coûtait  beaucoup  moins  cher,  et,  comme  on  était  toujours  exposé  à 
Constantinople  aux  mauvais  traitements  des  ministres,  l'honneur  du 


(i)  Sur  Soliman  .iça,  voir  d'AhVieCx  (l.  IV,  125-150)  qui  fut  tris  mùlë  à  sa 
négociation  parce  qu'il  était  le  seul  Ji  pouvoir  converser  couramment  avec  l'envoyé 
t]u  sultan. 

(3)  L'expédition  arriva  à  Candie  le  34  juin  [669;  Navailles  se  rembarqua  le 
Il  août;  Candie  se  rendit  et  les  Vénitien»  signùrcut  la  paix  le  6  septembre  1669. 


212  LE  RELEVEMENT  DU  COMMERCE 

roi  serait  moins  en  péril  qu'avec  un  ambassadeur'.  Colbert ayant 
voulu  avoir  sur  ce  sujet  l'avis  des  Marseillais,  d'Oppèdeet  Arnoul, 
ses  conseillers,  après  avoir  consulté  la  Chambre  du  Commerce  et  les 
négociants  les  plus  expérimentés,  répondirent  qu'il  était  préférable 
d'envoyer  un  résident*.  Mais  Louvois  et  Colbert  de  Villacerf 
appuyaient  fortement  M.  de  Nointel  pour  l'ambassade  ;  la  Compa- 
gnie du  Levant,  qui  pensait  en  recevoir  une  assistance  plus  forte 
pour  son  commerce,  changea  l'opinion  de  Colbert  et  Nointel  fut 
choisi  comme  ambassadeur. 

•  C'était  un  conseiller  au  Parlement  de  Paris,  savant  et  curieux, 
qui,  poussé  par  le  désir  de  connaître  l'Orient,  avait  été  autrefois  à 
Constantinople  '.  M.  de  la  Haye  s'était  montré  trop  rude  et  emporté 
vis-à-vis  des  Turcs;  Nointel,  au  dire  de  Chardin  qui  le  vit  à  Cons- 
tantinople, était  beaucoup  trop  doux  pour  négocier  avec  eux.  Il 
partit  en  août  1670  avec  Soliman- Aga,  fut  conduit  par  quatre  vais- 
seaux du  roi  et  arriva  à  Constantinople  en  octobre  *.  A  sa  première 
audience,  il  remit  au  grand  vizir  un  mémoire  en  30  articles  ".  Le  roi 
demandait  le  renouvellement  de  l'article  des  capitulations  de  1604 
qui  obligeait  toutes  les  nations  qui  n'avaient  pas  d'agent  à  la  Porte 
à  prendre  la  bannière  de  France  et  à  se  mettre  sous  la  protection  de 
notre  ambassadeur,  car  les  Turcs  prétendaient  que  l'emploi  de  la 
bannière  française  était  fiiculiatif.  Le  mémoire  contenait  encore  trois 
demandes  essentielles  :  les  Français  ne  paieraient  que  3  0/0  de 
douane  comme  les  Anglais,  les  Hollandais  et  les  Génois,  au  lieu  de  5 

(1)  Mémoire  présenté  au  roi,  t.  IV,  p.  3oy-3jp.  (Donné  à  de  Lionne  et  à  Colbert, 
le  20  janviert  1670). 

(2)  BB,  26.  Mémoire  envoyé  à  la  Cour,  24  août  i6jj. 

(î)  «  Il  s'appelait  Charles-François  Olier...  il  était  âgé  de  40  ans,  d'une  taille 
médiocre,  il  avait  le  visage  long  et  le  teint  brun,  le  poil  noir,  le  nez  aquilin,  les 
yeux  grands,  d'une  coniplexion  mélancolique,  il  était  grave  comme  il  convient  à 
un  magistrat,  il  parlait  jieu,  avait  la  voix  grosse,  rude  et  peu  agréable...  il  était 
savant,  fort  sage,  fort  posé  et  fort  homme  de  bien.  »  D'.Arvievx,  t.  IV,  p.  243. 
—  La  correspondance  de  Nointel  (Aff.  élrang.  Carions  commerciaux)  au  sujet  du 
renouvellement  des  capitulations  est  très-volumineuse. 

(4)  M.  de  la  Haye  s'embarqua  en  décembre  sur  les  mêmes  vaisseaux  pour  revenir 
en  France. 

(5)  V.  Lettre  de  Nointel  adressée  d'Andrinople,  51  janvier  1671  :  Liste  des 
articles  proposés  pour  les  GipituLitions.  —  L'article  sur  la  mer  Rouge  ne  s'y 
trouve  p.ns  ;  Nointel  voulut  en  effet  en  faire  l'objet  d'une  négociation  à  part  : 
«  Je  n'ai  p.is  jugé  .à  propos  de  confondre  l'article  de  la  mer  Rouge  avec  tous  les 
autres,  me  réservant,  après  qu'ils  seront  terminés,  d'en  faire  une  négociation 
particulière  en  l.iquelle  j'espère  de  réussir  puisque  l'avantage  de  la  Porte  s  y  trouve 
entièrement.  »  {Aff.  élrattg.  Carto.ts  commerciaux). 


LE   RENOL'\TLLEMENT  DES  CAPITULATIONS 


213 


qu'ils  payaient  actuellement.   Le  Grand  Seigneur  accorderait  aux 
Français  la  libertc^  de  trafiquer  aux  Indes  par  ses  états  et  notamment 
par  le  canal  de  la  mer  Rouge,  sans  payer  d'autres  droits  que  ceux 
d'entrée.  Il  ferait  rendre  aux  religieux  catholiques  romains  de  Terre  \ 
Sainte  les  Lieux  Saints  dont  les  Grecs  les  avaient  chassés  en  1638. 
Colbert  attachait   une  importance  particulière  au  droit  de  com- 
mercer par  la   mer  Rouge,  qui  jusques  là  avait  étc  interdite  aux 
chrétiens  .à  cause  du   voisinage  de  la  Mecque;    dès   1664,    il  .avait 
présenté  au  Conseil  de  commerce  un  mémoire  ;\  ce  sujet  :    il  avait 
«!'tc  nettement  frappé  de  ce  fait,  que  la  route  de  l'Inde  par  le  Gip 
^uii  trop  longue  et  que  l'ancienne  route,  par  l'Egypte,  Suez  et  la 
mer  Rouge,  était  de  beaucoup  Li  meilleure;  en  la  rouvrant  aux 
Tnarchands  français  il  espérait  leur  donner  le  monopole  du  commerce 
*le  l'Inde;  aussi  les  instructions  de  M.  de  la  Haye  puis  de  M.  de 
"Mointel  insisuicnt-elles  sur  ce  point  '.  «  Il  faudrait  tâcher,  écrivait 
Colbert  A  Nointcl,  de  fiiire  un  traité  avec  le  Grand  Seigneur  par 
lequel  il  nous  fût  permis  d'avoir  ;\  Alexandrie  ou  au  grand  Caire  des 
"\-aisseaux  qui  reçussent  les   marchandises  que  d'autres  vaisseaux 
amèneraient  par  la  mer  Rouge  d'Aden  i  Suez,  ce  qui  abrégerait  la 
navigation  des  Indes  de  plus  de  200  lieues.  »  Ces  idées  n'étaient 
-pas  nouvelles;  des  faiseurs  de  projets  les  avaient  émises  déjà  du 
temps  de  Richelieu'.  Les  autres  réclamations  présentées  par  Nointel 
•étaient  de  moindre  importance,  mais  elles  devenaient  considérables 
par  leur  nombre''.  Le  Divan  traita  ces  prétentions  d'exorbitantes  et 
même  de  ridicules  et  le  grand  vizir,  qui  ne  cherchait  qu'à  gagner  du 
temps,  feignit  de  croire  que  M.   de  Nointel  avait  outrepassé  ses 
instructions;  avant  de  lui  accorder  audience^  il  exigea  de  lui  la  pro- 


(1)  Voir  à  ce  sujet  :  Vandal  :  Louis  XIV et  l'Expie. 

(2)  V.  pAge  112.  —  Voir  en  outre  les  mémoires  trirs  curieux  remis  il  Gilbert 
par  Jacques  Snv,ir)-,  l'auteur  du  Paifail  yiêgociaiit,  p.  5)9. 

(3)  En  voici  quelques-unes:  Le  mi  de  France  scr.iit  reconnu  i  h  Porte  comme 
le  seul  protecteur  des  chrétiens.  Tous  les  cliréticns  du  rit  romain  qui  étaient  dans 
rcniptrc  ottom.in  seraient  reconnus  et  considérés  comme  étant  sous  la  protection  de 
S.  M.  —  Les  capucins  français  de  Constantinoplc  pourraient  relever  une  église  à 
Galata,  consumée  par  le  feu  il  y  avait  ij  ans,  —  Toutes  les  églises  des  chrétiens 
romains  qui  étaient  dans  l'empire  ottoman  pourraient  à  l'avenir  être  réparées  et 
rclc\-écs  autant  de  fois  qu'il  serait  nécessaire,  sans  qu"il  fût  besoin  d'en  demander 
la  permission.  —  Tous  les  Français  qui  étaient  esclaves  en  Turquie  seraient  mis  en 
liberté,  etc.. 


[ 


214  lE  RELÈVEMENT   DU  COMMERCE 

messe  que,  dans  les  six  mois,  il  ferait  venir  une  lettre  du  roi  qui 
confirmerait  nettement  les  articles  du  mémoire  '. 

Les  négociations  ne  s'ouvrirent  pour  le  renouvellement  des 
capitulations  qu'à  la  fm  de  mars  1672.  Elles  furent  pénibles  :  pour 
éviter  des  froissements  le  grand  vizir  voulut  négocier  par  intermé- 
diaires et  il  se  servit  de  son  premier  interprète  le  grec  Panaioti,  très 
mal  disposé  pour  notre  nation*.  Noin tel  remit  au  grand  vizir  un 
nouveau  mémoire  des  demandes  du  roi,  bien  moins  développé  que 

1    le  premier  ;  il  ne  contenait  que  1 1  articles,  on  le  trouva  encore 
<    exorbitant.  A  l'instigation  de  Panaioti,  ennemi  des  catholiques,  le 

;  vizir  déclara  qu'il  accorderait  la  diminution  des  droits  de  douane  et 

;    l'autorisation  de  commercer  par  la  mer  Rouge,  mais  à  la  condition 

\    qu'on  ne  parlerait  pas  de  la  Terre  Sainte'. 

\  Enfin  tout  parut  conclu  le  26  mai,  mais  Nointel,  se  confiant  aux 
conventions  orales,  n'avait  pas  pris  la  peine  de  fixire  dresser  en  sa 
présence  le  modèle  des  nouvelles  capitulations.  Le  lendemain,  quand 
il  reçut  les  articles  écrits,  il  vit  que  l'article  concernant  les  nations 
étrangères  n'obligeait  pas,  comme  il  l'avait  demandé,  celles  qui 
n'avaient  pas  d'ambassadeur  à  la  Porte  à  prendre  la  bannière  de 
France.  L'ambassadeur  s'en  plaignit  vivement  et  fit  dire  que  si  cet 
article  n'était  pas  rectifié  il  n'acceptait  pas  les  Capitulations.  Koeprilû 
le  prit  au  mot  et  déclara  qu'il  retirait  sa  parole  pour  ce  qu'il  avait 
accordé.  Ce  fut  un  coup  de  foudre  pour  Nointel  :  une  légère  négli- 
gence le  faisait  échouer  au  moment  où  il  touchait  au  but  ;  il  essaya  en 
vain  de  voir  le  grand  vizir  qui  allait  partir  avec  l'armée  et  qui  le  pria 

(i)  Le  mauvais  accueil  reçu  par  M.  de  Nointel  faillit  de  nouveau  amener  une 
rupture.  Colbert  chargea  d'Oppcde  {V.  Lettre  Je  Colbert  du  }i  mai  i6ji.  Depping, 
t.  III,  p.  467)  de  consulter  à  ce  sujet  la  Chambre  et  les  principaux  négociants. 
D'Oppède,  Arnoul  et  la  Compagnie  du  Levant,  pensaient,  comme  l'ambassadeur, 
que  l'envoi  d'une  escadre  aux  Dardanelles  ferait  céder  le  Divan  ;  le  Commerce  de 
Marseille  fut  d'abord  du  même  avis,  cependant  il  s'effraya  des  suites  d'une  rupture 
et  envoya  au  roi  des  mémoires  pour  lui  en  faire  voir  le  danger  (20  août  i6yi. 
Depping,  t.  III,  p  553).  —  Le  roi,  qui  s'était  décidé  à  ùire  la  guerre  à  la 
HoU.inde,  résolut  de  tenter  un  nouvel  effort  pour  accommoder  les  choses.  Le 
chevalier  d'.\rvieux  fut  chargé  de  remettre  une  lettre  de  M.  de  Lionne  au  (îrand 
Vizir,  en  même  temps  qu'il  portait  de  nouvelles  instructions  à  M.  de  Nointel 
pour  la  continuation  des  négociations.  Parti  en  septembre  1671,  il  n'arriva  à 
Constantinople  qu'à  la  fin  de  février  1672. 

(2)  V.  sur  P.inaioti  d'ARViEUX,  t.  IV,  p.  î82. 

(3)  En  1634,  un  grand  vizir  avait  reconnu  aux  Grecs  la  propriété  des  Lieux 
Saints.  —  En  1636,  un  autre  vizir  la  rendit  aux  Cordeliers.  —  En  1638,  un 
troisième  vizir  la  redonna  aux  Grecs.  Depuis,  les  religieux  Latins  avaient  fait,  pour 
en  obtenir  la  restitution,  de  vains  efforts  appuyés  par  l'ambassadeur  de  l'empereur, 
en  1665,  par  letaile  de  Venise  en  1669.   —  Chardin,  t.  I,  p.  20. 


E    RENOUVELLEMENT    DES   CAPITULATIONS 

^lle^ttendre  ;ï  Consr.intinople  la  résolution  du  Grand  Seigneur. 
Nointcl  partit  donc  d'Andrinople;  ses  instructions  primitives  lui 
ordonnaient  de  s'embarquer,  s'il  n'obtenait  pas  les  Capitulations, 
mais  la  guerre  de  Hollande  était  engagée,  il  avait  reçu  l'ordre  de 
temporiser.  Il  laissa  donc  repartir  (29  juillet  1672)  d'Arvieux  sur 
le  vaisseau  qui  l'avait  amené,  emportant  avec  lui  les  dépêches  de 
l'ambassadeur  pour  la  Cour'. 

Heureusement  les  foudroyants  succès  de  Louis  XIV  en  Hollande 
produisirent  un  effet  considérable  sur  le  Divan  ;  les  ministres  du 
G.  S.  s'eff^rayèrent  à  l'idée  de  consommer  la  rupture  avec  la  France 
et  Nointel  sut  habilement  exploiter  ces  dispositions.  Le  grand  vizir 
fit  venir  l'ambassadeur  à  Andrinople  et  lui  remit,  enfin,  les  Capitu- 
lations avec  des  lettres  pour  le  roi  et  ses  ministres  (5  juin  1673). 
«  Le  renouvellement  des  Capitulations  fit  grand  bruit  à  la  cour  et  à 
la  ville  et  beaucoup  d'honneur  à  M.  de  Nointel.  On  en  parlait 
comme  d'une  merveille.  On  mit  ce  grand  événement  dans  la 
Galette;  on  fitcrierpar  les  colporteurs  des  relations  imprimées  qui 
avaient  pour  titre  :  Le  renouvellement  de  la  nouvelle  alliance  du 
Grand  Seigneur  avec  le  roi  et  le  rétablissement  de  la  foi  catholique 
dans  l'empire  Ottoman  par  M.  de  Nointel*.  »  Il  n'avait  cependant 
pas  remporté  un  brillant  succès  diplomatique.  Les  principales 
demandes  qu'il  avait  présentées  avaient  été  éludées;  il  n'était  pas 
question  dans  les  Capitulations  du  passage  aux  Indes  par  la  mer 
Rouge,  auquel  Colbert  tenait  tant.  La  négociation  avait  semblé  sur 
le  point  d'aboutir,  mais,  au  dernier  moment,  le  Divan  avait  invoqué 
li  nécessité  de  demander  l'avis  du  mufti  qui,  çpnformétnent  ;\  son 
désir,  se  montra  nettement  opposé  à  l'introduction  des  dirétiens  dans 
la  mer  Rouge,  sous  prétexte  que  leurs  vaisseaux  pourraient  irisuliçr 
ou  enlever  le  tombeau  de  Mahomet.  L'ambassadeur  anglais  avait 
même  insinué  au  Divan  que  les  Français  avaient  le  projet  de  s'em- 
parer de  l'Egypte.  Nointel,  dans  le  voyage  qu'il  fit  par  la  suite  aux 
Lieux  Saints,  avait  l'intention  de  pousser  jusqu'en  Egypte  pour 
négocier  avec  le  pacha  un  arrangement  particulier,  mais  le  vizir  lui 
ordonna  de  revenir  ;\  Constantinople.  Louis  XFV  n'avait  pas  obtenu 
davantage  la  restitution  des  Lieux  Saints  ni  le  protectorat  exclusif 


(i)  Voir,  pour  tout  ce  récit,  d'Arvieux,  t.  IV,  p.  254-455.  —  Chardin,  1. 1, 
p.  15-12  —  cJ  Jes  ouvrages  spéci;iux  Saint-Priest,  Lavau.é£,  Flass.\n,  etc. 
(j)  d'Arvieux,  t.  V,  p.  54. 


iCJK. 


I^M 


HELÈVEMI 


)M.MERCB 


des  chrétiens  du  Levant  qu'il  avait  d'abord  réclame.  Un  des  points 
les  plus  importants  pour  nou-e  commerce  était  l'obligation  pour  les 
étrangers  qui  n'avaient  pas  de  capitulations  de  se  mettre  sous  la 
protection  de  notre  bannière  et  de  nos  consuls,  or  cette  obligation 
n'était  pas  mentionnée  dans  le  traité.  La  seule  concession  importante 
qu'il  contenait  était  la  réduction  des  droits  de  douane  -1  }  o/o,  elle 
nous  mettait  sur  le  même  pied  seulement  que  les  autres  nations*. 

Le  renouvellement  des  Capitulations  ne  fut  donc  pas,  comme 
il  l'aurait  flillu  pour  le  commerce^  un  renouvellement  de  l'ancienne 
alliance  ;  arraché  par  l'intimidation  il  n'avait  eu  pour  but  que  d'éviter 
une  rupture,  mais  il  n'indiquait  pas  des  dispositions  bienveillantes 
entre  les  deux  cours.  Jamais  le  commerce  n'avait  eu  autant  \ 
soutTrir  des  avanies  que  p)cndant  les  dix  années  précédentes;  en 
1668,  la  Chambre  du  commerce  évaluait  les  engagements  des 
échelles  dus  au.x  dernières  avanies  à  100.000  piastres.  Après  1673, 
vizirs  et  pachas  continuèrent  A  être  hostiles  au  commerce  français  et 
les  marchands  eurent  plus  d'une  fois  encore  à  se  plaindre  de  leurs 
vexations  *.  En  effet,  pendant  les  deux  premières  années  de  l'arabas- 
sadc  de  M,  de  Guilleragues  (1679-81),  les  relations  avec  la  Porte 
avaient  pris  de  nouveau  un  caractère  très  aigre  *.  Les  instructions 
de  l'ambassadeur  lui  prescrivaient  d'exiger,  avant  de  prendre 
audience,  qu'on  lui  préparât  un  sopha  pour  s'asseoir  en  face  d 
virir,  suivant  l'ancien  cérémonial  que  le  nouveau  vizir  Kara  Mus- 
tapha a%"ait  refusé  de  suivre  pour  M.   de  Nointel  *.  Kara  Mustapha 

très  ennemi  des  chrétiens,  n'était  pas  homme  à  céder  et  Guillera 

gucs  resta  plusieurs  années  sans  obtenir  ses  premières  audiences     -= 


U)  Les  AneUis,  Ict  Hofiândùs,  les  G^noù  ptvaicai  )  0/0  ;  ks  AUemands  et  le 
V^tîcBS  itsteiem  scub  à  {Mfcr  s  o^Y». 

(a)  V.  Uttn  et  U  Chwtrr  à  Cdkrt,  ti  mù  1677.  BB,  36.  -  Cnmiairt  Je  M 
CàaafirY  amx  tcmpdi,  i«  ttf timàit  1679.  BB.    ?6.  —  Proci$-v>crb(2l  iTaranie 


cawrto  i  ii.  ^  CdUengoes  par  d'Ameus,  coosiU  «fAkf  en  1681.  Mé»m . 

t.  ri,  f.  -TV. 

(^)  Gabckt-loMah  de  h  Vo^  ée  Goilcragnes,  xoaa  premier  président  à 
k  cour  Jes  aioB  oe  Botdonn,  puis  scoteiic  éa  priaoe  de  Cooti  et  ^ecrvuire  du 
caMaet  dn  rai.  — >  D  PJBsak  a  ne  à  Piris  dans  la  booDc  compagnie  et  le  coiiuiiaCT 
dt»  COB  de  lettres.  BoîIcmi  In  adreni  sa  7*  èfitrt.  —  Le  m  l'cnvova  à  Cas»- 
tB^BMde  pour  reuîre  sa  m  lune  ^m  éUm  doaDrte.  a  Je  coonte,  Im  dk 
Looit  mV,  lofs^ll  pnl  'oaagL,  <fae  voaft  «oos  ooaJaucx  oaienx  en  Turquie  avt 
vùtK  piMénciwiii.  •  —  «  Suc,  tépcmSx  Gaateagnes.  f espère  qœ  V.  M.  no 
£npasa«Kaatiaaa»cctoe«r.  »  —  S*D(r-ftflBr,  p.  S}:-};. 

UÎ  KoîBMlaMil  aoocptt  de  s'aiaeairsar  as  aboaretaa  bas  de  rcstndeoà  ëaà 
le  ^iiir.  —  Ce  ta  b  caaae  de  m  taffel,  WÊin  soa  crédk  ztaàx  été  dé^  irtt 
■  fu  Ws  — fceeBsa  pliiaif  1  de»  — cfapds  am  tofet  de  ses  ventians. 


LE   RENOUVELLEMENT   DES   CAPITULATIONS  217 

JBn  i68r,  la  canonnade  de  Duquesne  à  Cliio  et   ses  menaces  au 

capitan  pacha'  irritèrent  au  plus  haut  point  le  vizir,  autant  qu'elles 

i 'effrayèrent.  Il  reçut  l'ambassadeur  avec  colère,  le  menaça  des  Sept 

Tours  puis  le  retint  pendant  trois  jours  dans  une  chambre  de  son 

j-îalais.  Guilleragues  rejeta  la  responsabilité  de  l'affaire  sur  les  Trlpo- 

litjs  et  refusa  toute  satisfaction.  Il  eût  été  facile  de  tirer  vengeance 

t3es  affronts  qu'il  avait  subis:   Duquesne  ne  demandait  que  dix 

'vaisseaux  de  ligne  pour  forcer  les  Dardanelles  et  faire  obtenir  à 

I^.  de  Guilleragues  tout  ce  qu'il  demanderait.  Scignelay  entra  plei- 

»iement  dans  ses  vues  et  prépara  une  puissante  démonstration  navale. 

.^ais  les   Français  de  Constantinople,  craignant  de  graves  dangers 

I^our  le  commerce  si  on  en  venait  i  des  extrémités  *,  persuadèrent  X 

l'ambassadeur  d'apaiser  le  grand  vizir  par  l'offre  d'un  présent.  Kara 

-Mustapha,    très  inquiet  de  son   côté  des  suites  de  ses  violences, 

accepta  avec  empressement  :    le  présent  s'éleva  à  60.000  piastres 

«environ  ;  avec  les  cadeaux  accessoires  que  l'ambassadeur  dut  distri- 

l)uer  pour  cet  accommodement,  la  dépense  s'éleva  A  250.000  livres, 

«que  les  intérêts  des  emprunts  contractés  aux  échelles  pour  la  payer, 

:4îrent  monter  à  400.000  livres^;  ce  fut  la  dernière  grande  avanie 

«que  le  commerce  eut  h  supporter. 

Les  relations  s'améliorèrent  entre  la  France  et  la  Turquie  i  partir 
«de  1683  ;  l'alliance  redevint  solide  et  l'influence  de  notre  ambassa- 
«Jcur  resta  jusqu'à  la  fin  du  règne,  sinon  toujours  prépondérante, 
«lu  moins  toujours  considérable.  Les  deux  états  sentaient,  en  effet, 
le  besoin  de  s'appuyer  l'un  sur  l'autre  :  les  revers  qui  avaient  suivi 
la  levée  du  siège  de  Vienne  adoucirent  l'orgueil  des  Turcs  ;  le   suc- 


H)  Voir  p,  237. 

(2)  L'affaire  de  Chio  f.iis.iit  gntnJ  bruit  dnns  les  tchcUcs  et  les  Anglais 
cssavaicnt  d'en  profiter  pour  ruiner  notre  nation;  ils  répandaient  de  faux  bruits 
Sur  (a  rupture  de  la  Porte  avci;  la  France  dans  l'espoir  de  soulever  les  Turcs  contre 
10s  résidents.  —  V.  d'Arvifux,  t.  VI,  238-4 1,  248-49,  252  :  dét.iils  intéressants 

fsur  les  intrigues  des  Angl.iis  à  .Mep. 

(3)  BB,  4.  fol.  416  et  mit'.  —  Pour  les  détails  de  l'affjirc  de  Chio,  voir  d'.\R- 
'  VIEUX,  i.  VI,  p.  28)  et  suiv.  —   Saint-Pkiest,    p.  90-95  et  235-35.  .n  suivi  son 

récit.  —  Il  reproche  à  M.  de  Guilleragues  l'envoi  du  présent  comme  un  manque 
Je  fermeté  |p.  235).  Ce  ne  fut  pas  le  sentiment  des  contemporains,  unanimes  à 
louer  Lt  fermeié  de  l'ambassadeur.  La  Chambre  du  commerce  elle-même,  bien 
<jue  le  paiement  des  250.000  livres  fût  une  lourde  clurgi;  pour  te  commerce,  féli- 
cita vivement  M.  de  Guilleragues  de  sa  conduite  :  «  Nous  apprenons  avec  admi- 
ration la  fermeté  avec  laquelle  votre  Excellence  agit  si  utilement  cti  l'aftairc  de 
Chio.  »  j  nmtmbrt  16S1.  —  21  juillet  16S2  :  elle  lui  envoie  de  très  humbles 
rcmerclments  de  son  couMge.  —  HB,  37. 


2l8  LE  RELÈ\'EMENT   DU  COMMERCE 

cesseur  de  Kara  Mustapha  craignit  que  la  France  n'accédât  à  la  ligne 
générale  que  les  puissances  chrétiennes  du  centre  de  l'Europe  firent 
alors  contre  la  Porte'.  De  son  côté,  Louis  XIV,  qui  avait  aussi  con- 
tre lui  une  partie  de  l'Europe  coalisée,  comprit  mieux  l'utilité  de 
l'alliance  turque*.  M.  de  Guilleragues  ne  fut  pas  étranger  à  ce  rap- 
prochement ;  il  s'était  fait  à  la  Porte  de  nombreuses  amitiés  qui 
s'étaient  montrées  même  lors  de  l'affaire  de  Chio.  «  On  peut  dire, 
remarque  d'Arvieux,  que  son  Excellence  a  reconnu  dans  cette 
occasion  combien  il  était  estimé  et  aimé  dans  cette  cour.  Tous  les 
grands  du  pays  et  de  la  Porte  ont  pris  ses  intérêts  avec  chaleur  et 
tous  ceux  qui  ont  pu  approcher  du  grand  vizir  ont  été  ses  solliciteurs, 
de  sorte  que  nous  sommes  assurés...  qu'il  aura  des  distinctions  si 
marquées  que  les  autres  représentants  n'y  pourront  prétendre*.  »  Au 
mois  de  septembre  1684,  il  reçut  l'invitation  de  se  rendre  à  Andri- 
nople,  il  fut  accueilli  par  le  grand  vizir  avec  beaucoup  de  distinction 
et  eut  toute  satisfaction  au  sujet  du  fameux  sopha.  L'année  suivante 
il  obtint,  peu  avant  son  départ,  des  commandements  très  avantageux 
qui  réduifiaient  à  3  0/0  les  droits  de  douane  payés  en  Egypte  par  les 
Français,  tandis  que  les  étrangers  payaient  20  0/0  à  Alexandrie  et 
10  0/0  ;\  Boulac  et  son  successeur  Girardin  se  fit  accorder  en  1686 
de  nouvelles  faveurs.  La  guerre  de  la  Ligue  d'Augsbourg,  pendant 
laquelle  les  deux  états  se  concertèrent  pour  les  opérations  militaires 
contre  les  armées  de  l'empereur*,  vint  bientôt  donner  plus  de  soli- 
dité à  ce  rapprochement.  Dès  lors,  si  l'avidité  des  pachas  et  leur  peu 
de  soumission  à  l'autorité  de  la  Porte  exposèrent  encore  les  échelles 
aux  vexations,  ils  furent  cependant  contenus  par  la  certitude  que 
l'ambassadeur  avait  assez  d'autorité  auprès  du  divan  pour  en  obtenir 
réparation.  L'époque  des  avanies  était  désormais  passée". 

(i)  «  Depuis  que  les  Vénitiens  ont  déclaré  la  guerre,  écrit  le  consul  de  la 
Canée,  le  jo  juin  1684,  jamais  les  puissances  ni  ce  peuple  ne  nous  ont  témoigné 
tant  d'amitié.  »  —  A.-],  42). 

(2)  Cependant  on  la  considér.iit  toujours  comme  une  nécessité  passagère.  — 
Des  projets  de  croisade  continuent  d'être  publiés.  Les  agents  du  roi,  chargés  en 
1686  de  faire  la  visite  des  éciielles,  ont  pour  instruction  d'étudier  les  points  de 
descente  sur  les  côtes  de  l'empire  ottoman.  —  V.  dans  Drapeyron  :  Un  projet 
de  conquête  de  l'empire  otlomun,  les  ouvrages  de  Febvre  1675  et  1682,  Coppin 
1686,  du  Vigneau  1682,  de  la  Croix  1695.  —  Rev.  de  Géog.,  juin  1877:  Le 
grand  dessein  secret  de  Louis  XIV  contre  l'empire  ottotnan  en  1688. 

(})  D'Arvieux,  t.  VI,  p.  295. 

(4)  Saint-Priest,  p.  98-103. 

(  I  )  La  correspondance  des  échelles  et  de  la  Chambre  n'en  parle  plus  dès  lors 
que  très  rarement. 


LA    LUTTE   CONTRE   LES    BARBARESaUES 


219 


Mais  b  sécurité  des  mers  fut  beaucoup  plus  difficile  à  rétablir 
pendant  toute  cette  période  la  France  ne  cessa  d'être  en  guerre  avec 
Tune  ou  l'autre  des  nations  barbaresques  et  les  paix  qu'elles  signaient 
n'empêchaient  guère  leurs  corsaires  de  continuer  leurs  déprédations. 
Les  plaintes  continuelles  de  la  Chambre  du  Commerce  ne  pouvaient 
manquer  d'attirer  l'attention  de  Coibert.  «  Le  roi,  disait-il  plus  tard 
ù  Scignclay,  veut  que  toutes  les  mers  soient  nettoyées  de  pirates, 
que  tous  les  marchands  soient  escortés,  fovorisés  et  protégés  dans 
leur  commerce.  C'est  à  quoi  mon  fils  doit  s'appliquer.  Il  faut  qu'il 
sente  aussi  vivement  tous  les  désordres  qui  arriveront  dans  le  com- 
merce, et  toutes  les  pertes  que  feront  tous  les  marchands,  comme  si 
elles  lui  étaient  personnelles.  »  Coibert,  pendant  toute  son  .idmi- 
nistrntion,  donna  ;\  son  fils  l'exemple  de  l'application  qu'il  lui  recom- 
mandait. Le  plus  pressé,  puisque  l'on  ne  pouvait  pas  réprimer  et  faire 
cesser  immédiatcmement  la  piraterie,  était  de  préserver  les  bâtiments 
marchands  de  ses  atteintes.  Coibert  ne  trouva  rien  de  mieux  que  de 
suivre  Texcmple  des  Anglais  et  des  Hollandais,  c'est-.Vdirc  de  faire 
escorter  les  navires  de  commerce  par  des  vaisseaux  de  guerre,  et  il 
s'en  occupa  activement  en  1662.  «  Pour  cet  ctfet,  écrit-il  i\  la  Cham- 
bre le  17  octobre,  S.  M.  a  résolu  de  tenir  .1  la  mer  12  galères  pendant 
les  étés  et,  en  tous  les  temps,  20  vaisseaux  dans  les  deux  mers,  dont 
les  chefs  auront  ordre  d'escorter  les  vaisseaux  français  qui  trafiqueront 
soit  en  Levant,  soit  dans  le  Nord  ou  vers  le  Midi...  Il  y  aura  une 
escadre  plus  considérable  dans  la  Méditerranée...  l'intention  du  roi 
étant  que,  lorsque  deux  ou  trois  vaisseaux  marchands,  plus  ou  moins, 
voudront  aller  en  quelque  lieu,  sur  les  avis  que  les  capitaines  et 
lirons  des  vaisseaux  en  donneront  aux  commandants  de  ceux  de 

M.,  Icsdits  commandants  les  accompagnent  jusqu'à  ce  qu'ils  soient 
en  sûreté.  Ce  qui  doit  exciter  les  particuliers  i  construire  de  nou- 
veaux bAtiments,  pour  quoi  elle  leur  donnera  toute  la  protection 
qu'ils  sauraient  désirer'.  » 

Mais  l'obligation  d'attendre  les  escortes  dans  le  port  et  de  ne  partir 
qu':\  certaines  époques  de  l'année  bouleversait  toutes  les  habitudes 
des  Marseillais.  Leurs  nombreux  navires  se  fais.iient  une  concurrence 
acharnée  ;  les  négociants  réglaient  leurs  départs  suivant  les  .ivis 
qu'ils  recevaient  du  Levant  et  les  occasions  qui  se  présentaient,  la 


<l)  À/i,  s  ft  fia,  S3.  —  Cf.  Lelht  à  l'intendant  dt  la  tmiriiu  û  Totdon,  3S  août 
1663  tt  9  août  166^.  Ltllr/t,  t.  m,  I"  partie. 


220  LE   RELÈVEMENT  DU   COMMERCE 

rapidité  des  petits  bâtiments  plus  légers  compensait  leur  infériorité 
vis-A-vis  des  gros  vaisseaux.  Forcer  les  bâtiments  à  partir  ensemble 
c'était  enlever  aux  négociants  le  moyen  de  profiter  de  leur  in- 
dustrie et  des  correspondances  qu'ils  avaient  en  Levant,  aux  capi- 
taines expérimentés,  tous  les  avantages  de  leur  supériorité  dans  la 
navigation.  De  plus,  les  navires  escortés  devaient  payer  un  droit 
pour  les  frais  d'entretien  des  vaisseaux  du  roi  qui  les  protégeaient. 
Enfin  la  conduite  des  capitaines  de  vaisseaux  chargés  de  l'escorte 
donnait  lieu  à  de  vives  pLiintes;  ce  rôle  obscur  et  monotone  de 
convoyeurs  leur  déplaisait  ;  ils  se  conduisaient  avec  hauteur  et  dédain 
vis-à-vis  des  capitaines  marchands  et  se  permettaient  môme  des 
vexations.  Déjà,  à  l'époque  de  Richelieu,  les  marchands  de  Rouen 
qui  sollicitaient  une  escorte  demandaient  d'en  nommer  eux-mêmes 
les  officiers,  car  s'ils  étaient  à  la  merci  des  hommes  de  guerre  «  ils 
aimeraient  mieux  rien,  »  ce  serait  un  danger  de  plus'.  Deux  ordon- 
nances de  1669,  portant  défenses  aux'  capitaines  de  vaisseaux  de 
guerre  d'embarquer  des  marchandises  sur  leur  bord,  et  d'abandonner 
les  vaisseaux  qu'ils  avaient  ordre  d'escorter,  montrent  d'autres 
inconvénients  des  escortes*. 

Aussi  les  offres  du  ministre  furent-elles  mal  accueillies  par  le  com- 
merce qui  préféra  ne  pas  profiter  des  escortes  que  d'en  supporter 
l'assujettissement.  Ce  fut  un  déplaisir  des  plus  sensibles  pour  Colbert 
et  l'un  de  ses  grands  griefs  contre  les  Marseillais.  «  Si  vous  pouviez 
les  faire  convenir,  écrit-il  à  l'intendant  Rouillé,  de  faire  leur  com- 
merce avec  plus  d'ordre  et  de  régularité  et  faire  partir  leurs  vaisseaux 
dans  les  temps  réglés,  on  pourrait  convenir  de  leur  donner  des 
vaisseaux  du  roi  pour  escorte,  en  sorte  que  leur  commerce  serait 
toujours  en  sûreté...  Peut-être  que  les  pertes  qu'ils  font  continuelle- 
ment les  obligeront  enfin  d'entendre  une  fois  et  d'exécuter  ce  que  la 
raison  devrait  leur  avoir  persuadé  de  faire  depuis  longtemps'.  »  Les 
Marseillais  ne  se  résignèrent  qu'aux  moments  de  graves  dangers, 
quand  la  navigation  des  particuliers  devenait  presque  impossible  : 
c'est  ce  qu'on  vit  en  1682  et  pendant  les  années  suivantes,  au  milieu 

(i)  D'AvENEL,  t.  III,  p.  198. 

(2)  I S  août  i66<j.  —  ijfivr.  i6j6.  —  Isambert. 

(3)  ^  Rouillé,  26  octobre  167c.  Lettres,  t.  II,  p.  yoç.  —  Cf.  Lettre  à  Morant, 
27  mars  16S1.  Ibid.  t.  II,  p.  716.  —  Colbert  n'hésitait  pas  d'ailleurs  à  donner 
satisfaction  aux  m.nrchands  quand  ils  avaient  à  se  plaindre  des  officiers  des  vais- 
seaux du  roi.  —  V.  Lettres  à  M.  de  Larsati,  11  juillet  1670.  Lettres,  t.  II,  p.  j}6. 


LA   LUTTE   CONTRE    LES    BARBARESaUES 


221 


de  la  lutte  contre  Tripoli  et  Alger,  et  plus  tard  pendant  les  guerres 

de  la  Ligue  d'Augsbourgetde  la  succession  d'Espagne',  Un  règlement 

Tut  dressé  pour  les  escortes  et  le  départ  des  navires,  comme  le  voulait 

Colbert,  et  l'intendant  Morant  «  fit  très-expresse  défense  aux  navires 

%dc  partir  en  Levant  sans  attendre  l'escorte  h  peine  de  confiscation 

des  bAtimcnis  et  marchandises  et  3.000  livres  d'amende*.  »  Mais  la 

Chambre  n'avait  cédé  que  devant  l'urgente  nécessité  et,  le  danger 

assé,  elle  s'empressa  chaque  fois  de  demander  k  liberté  de  la  navi- 

tion.  Plus  tard,  elle  fit  valoir  à  Seignelay  de  nouveaux  arguments 

ontre  le  système  des  convois  :  la  foule  des  b.îtiments  qui  abordait 

out  à  coup  à  une  échelle  y  causait  la  cherté  des  m.irchandises  et 

X 'avilissement  de  celles  de  France.  De  plus,  comme  les  convois  ne  se 

formaient   qu'i    de  longs  intervalles,  souvent  de  six  mois  en  six 

xiiois,  il  y  avait  là  une  facilité  donnée  aux  Anglais  et  aux  Hollandais, 

<qui   disposaient  de  grandes  quantités  de  marchandises  du  Levant 

«dans  leurs  entrepôts  de  Livourne,  pour  en  fournir  l'Espagne  et  les 

vautres  pays  où  les  Français  avaient  l'habitude  d'en  vendre;  ils  en 

introduisaient  même  en  France  malgré  le  droit  de  20  0/0,  «  dont  les 

fraudes  allaient  pour  lors  jusqu'à  l'infini'.  » 

Aussi,  lorsqu'éclata  la  seconde  guerre  contre  les  Algériens,  en  16S7, 
les  instances  de  la  Chambre  empêchèrent  qu'on  établit  de  nouveau 


(1)  tS  dcccmhie  i6Si  ri  2  janvier  16S2,  kltres  de  Colbtrl  à  Morant.  DePPINC, 
1.  III,  p.  619-20.  «  Je  n'ai  point  douté  des  difficultés  que  vous  avez  trouvées  de 

'  la  part  des  marchands  de  MarsL-ilIc,  pour  les  faire  convenir  de  faire  leurcomnierce 
par  le  moyen  des  escortes,  et  toutes  les  raisons  qu'ils  vous  ont  alléguées  sont  les 
mêmes  qu'ils  ont  toujours  dit  pour  se  conserver  une  liberté  entière  d.ans  leur  com- 
merce. Et  pour  vous  dire  la  vérité  ce  sont  les  raisons  de  petits  marchands  qui  ne 
considèrent  qu'un  petit  protit  présent  et  qui  espèrent  toujours  qu'ils  se  sauveront, 
au  lieu  que  les  véritables  marchands  et  qui  ont  les  vues  plus  longues  et  plus  éten- 
dues comme  sont  les  Anglais  et  les  Hollandais...  •» 

(2)  Oriawianu  de  Morant,  7  man  16S2.II,  2;.  —  V.  BB,  j,  fol.  totS-it-jy.  — 
Seignelay  demande  21.000  livres  au  commerce  pour  chaque  vaisseau  de  guerre 
servant  d'escorte  {Dèlibèr.  du  12  juin  ibS}).  —  Mémoire  de  ce  qui  est  dû  par  le 
commerce  pour  les  convois  :  armement  du  Fidèle  du  i^r  novembre  au  t"  août  r;^: 
9  mois  —  armement  du  Capable  du  ii^r  septembre  au  i"  avril  :^  7  mois.  Total 
16  mois.  Le  commerce  a  payé  pour  un  An  59. 100  liv.  i  >  sols.  Il  reste  à  p.iyer  pour 
quatre  mois,  â  raison  de  }-259  liv.  2  sols  6  deniers  le  mois,  13.0^6  liv.  10  sols. 
—  Fait  le  50  août  1684.  De  Vauvré  (intendant  de  la  marine).  RB,  4. 

[\)  Littrt  à  Seii'uday,  26  octobre  16SS.  BB^  2S.  —  L'expérience  des  convois  avait 
^é  concluante  car  l'ambassadeur  Guilleragues,  l'intendant  Morant  et  l'inten- 
tendant  de  la  marine  de  Vauvré  lui  écrivirent  qu'il  fallait  y  renoncer.  V.  Seignelay 
<i  Morant,  S  août  1O84,  14  août  16S4  :  «  Je  suis  persuadé  de  ce  que  m'écrit  M.  de 
<3uillerjgiies  que  le  commerce  ne  peut  se  faire  avec  avantage  qnand  il  se  fera  par 
convoi.  »  DtPPiNG,  t.  III. 


222  LE  RELEVEMENT  DU   COMMERCE 

robligation  des  escortes  et  des  convois'.  Elle  réussit  à  faire  prévaloir 
le  système  des  croisières  organisées,  soit  aux  abords  des  ports  barba- 
resques  afin  d'empêcher  les  corsaires  de  sortir  pour  leurs  expéditions, 
ou  de  rentrer  avec  leurs  prises,  soit  aux  passages  où  ils  avaient 
l'habitude  de  se  tenir  pour  attendre  les  bâtiments  marchands.  La 
navigation  restait  libre  et  les  officiers  de  la  marine  royale  étaient 
employés  à  un  rôle  actif  qui  convenait  mieux  à  leurs  aptitudes,  où  ils 
pouvaient  se  distinguer  par  quelque  action  d'éclat  et  s'enrichir  par 
les  prises.  Chaque  année,  pendant  l'été,  quand  les  vaisseaux  du  roi 
ne  furent  pas  envoyés  directement  contre  les  ports  barbaresques,  il  y 
eut  une  escadre  chargée  de  courir  sus  aux  corsaires,  tandis  que  les 
galères  faisaient  souvent  campagne  de  leur  côté.  Colbert  avait  songé 
à  ces  croisières  dès  le  début  de  son  administration.  «  Vous  pouvez 
adjoindre,  disait-il  dans  sa  lettre  à  l'intendant  de  la  marine  du 
28  avril  1662  où  il  annonçait  l'organisation  des  escortes,  que  le  roi 
aura  pendant  tous  les  étés  douze  galères  à  la  mer  et  six  vaisseaux  en 
toutes  les  saisons,  dans  la  vue  de  nettoyer  la  mer  de  pirates  et 
donner  moyen  à  ses  sujets  de  faire  leur  trafic  avec  sûreté*.  »  Tandis 
que  Seignelay  se  prononçait  définitivement  en  1687  pour  ce  système 
qui,  entre  autres  avantages,  présentait  celui  de  ne  rien  coûter  au 
commerce,  il  recommandait  aux  Marseillais  un  moyen  terme  pour 
ménager  la  liberté  du  commerce  et  donner  plus  de  sécurité  à  la 
navigation,  c'était  de.  faire  partir  les  vaisseaux  deux  à  deux  et  trois 
par  trois.  Il  ordonnait  en  môme  temps  à  l'intendant  Morant  de  ne  les 
laisser  sortir  des  ports  qu'après  avoir  fortifié  leurs  équipages  et  les 
avoir  fait  mettre  en  état  de  défense*.  Colbert  avait  essayé  auparavant 
de  décider  les  Marseillais  ;\  construire  de  gros  vaisseaux  plus  capables 
de  résister  aux  corsaires,  mais  il  ne  put  rien  obtenir  à  son  grand 
mécontentement.  C'eût  été,  en  effet,  une  transformation  complète 
du  commerce  marseillais,  et,  puisqu'il  occupait  beaucoup  de  bâti- 
ments et  de  nombreux  mariniers,  il  ne  pouvait  se  faire  exclusivement 
avec  de  gros  vaisseaux  qui  n'auraient  pas  trouvé  suffisamment  de 

(i)  V.  Arrêt  du  conseil  du  2/  septembre  lôSy.  II,  26. 

(2)  iMtres,  l.  III,  i"^  partie.  —  Ibid.  Louis  XIV  à  Beaufort,  ip  mai  1662.  — 
Cf.  Colbert  à  Arnoul,  intendant  des  galères,  12  juillet  1661).  Lettres,  t.  III,  x''^  partie. 
—  Instructions  au  marquis  Centurion  et  au  chef  d'escadre  d' Aimeras,  19  tnars  i6yi, 
24  avril  lùyi.  Lettres,  t.  III,  i"^  partie.  —  Les  croisières  de  Beaufort,  du  comman- 
deur Paul,  du  marquis  Centurion,  de  Vivonne.  du  marquis  de  Martel,  de  d' Aimeras, 
firent  subir  aux  Barbaresques  des  pertes  considérables.  V.  de  Grammont. 

(})  14  août  16S4.  Deppinu,  t.  I,  p.  626. 


LA  LUTTE  CONTRL  LLS  DAKBARESQ,UES 


123 


Irct  pour  payer  leur  armement.  D'ailleurs,  les  Anglais  et  les  Hol- 
laiidais,  que  Colbcrt  prenait  toujours  pour  modèles,  n'envoyaient 
leurs  vaisseaux  que  dans  les  grandes  échelles  pour  le  trafic  desquelles 
les  Marseillais  se  servaient  de  bâtiments  aussi  considérables,  tandis 
que  les  barques  de  Provence  n'allaient  que  dans  les  petites  échelles 
de  l'Archipel,  de  la  Morée  ou  de  Barbarie,  dont  le  faible  négoce 
suffisait  A  composer  leurs  cargaisons. 

Grâce  aux  armements  royaux,  le  commerce  n'«itait  plus  exposé* 
\  des  pertes  comparables  il  celles  qu'il  avait  souffertes  pendant 
le  règne  de  Louis  XIII.  Mais  Louis  XIV,  si  attaché  à  reiiausser 
la  gloire  de  son  nom  et  l'éclat  de  sa  couronne,  ne  pouvait  se 
résigner  à  voir  une  poignée  de  corsaires  braver  sa  quissance  et  violer 
les  traités  si  souvent  renouvelés  avec  la  France.  De  plus,  il  lui  plai- 
sait de  jouer  le  rôle  d'un  Charles-Quint  défenseur  de  la  chrétienté, 
comme  il  le  montra  i  Saint-Gothard  et  à  Candie.  Les  puissances 
européennes  commençaient  d'ailleurs  à  se  lasser  de  supporter  les 
pirateries  des  Barbaresqucs  et  toutes  Ciis.iient  des  armements  contre 
eux'.  Mais  les  reïs  n'en  étaient  pas  intimidés;  pour  échapper  aux 
croisières,  ils  avaient  pris  l'habitude  de  ne  plus  naviguer  qu'en  escadre. 
En  1661,  les  trente  vaisseaux  algériens,  ;\  eux  seuls,  avaient  ramené 
douze  bâtiments  anglais,  neuf  hollandais  et  douze  français  ou  italiens. 
Louis  XIV conçut  le  projet,  qu'il  ne  perdit  jamais  de  vue,  de  détruire 
la  puissance  des  Barbarcsques\  Mais  l'échec  de  l'expédition  de  Djid- 
jclli,  dû  à  la  mésintelligence  des  chefs,  et  les  préoccupations  de  la 
politique  européenne  firent  abandonner  momentanément  ces  projets 
et  revenir  A  l'ancienne  politique,  qui  consistait  i  traiter  avec  les 
Barbaresqucs,  Les  prises  faites  parlescorsairesdepuis  1652  s'élevaient 
alors,  d'après  le  mémoire  remis  par  la  Chambre  du  commerce  à 
M.  de  la  Haye,  qui  partait  pour  son  ambassade,  i  10.000.000  de 
livres*  et  plus  de  1 100  Français  étaient  détenus  .\  Alger.  Les  Algériens, 
de  leur  côté,  fatigués  des  pertes  que  leur  faisaient  subir  nos  croisières, 
firent  entendre  au  consul  Dubourdieu  qu'ils  étaient  disposés  à  traiter. 


(i)  Voir,  pour  lu  dduil  des  rclatioas  avec  les  Barbaresqucs,  de  Grammont  et 

PUVNTET. 

(2)  BD.  2.  tî  mai  1613,  is  mai,  j  jiiilUl.—  Grandes  asseniblces  tenues  i  M.ir- 
Scillc  sur  l'ordre  du  roi  qui  dcnundait  aux  .Marseillais  de  contribuer  à  ce  «  glorieux 
■dessein  de  détruire  les  corsaires  de  Barbarie.  »  —  Le  conitnerce  ne  put  accorder 
'que  20.UO0  livres. 

(  J)  Dt  la  Haye  à  Colbcrt,  2^  ociobrt.  166s,  Depfi.VG,  I.  III,  p.  396. 


ià&i 


224  LE   RELEVEMENT   DU   COMMERCE 

M.  de  Trubert,  gentilhomme  ordinaire  du  roi  et  commissaire  géné- 
ral des  armées  navales,  fut  chargé  d'aller  négocier  et  signa  un  traité 
de  paix  :  les  Algériens  s'engageaient  pour  la  première  fois  à  respecter 
les  marchandises  étrangères  et  les  passagers  étrangers  embarqués  sur 
nos  bâtiments,  à  n'accoster  ceux-ci  pour  les  visiter  qu'avec  une  sim- 
ple barque  pour  éviter  les  surprises;  ils  reconnaissaient  la  préémi- 
nence du  consul  de  France  sur  ceux  des  autres  nations  et  restituaient 
1126  captifs.  Cette  paix  fort  avantageuse  ne  fut  jamais  pleinement 
respectée,  mais,  les  années  suivantes,  les  vaisseaux  du  roi  appa- 
rurent plusieurs  fois  devant  Alger  pour  demander  réparation  des 
infractions  faites  au  traité  et  inspirer  le  respect  de  nos  armes.  Le 
changement  de  gouvernement  de  167 1,  qui  mit  les  deys  à  la  tête  de 
la  régence  d'Alger,  fut  le  triomphe  définitif  de  la  taïffe  des  reïs  sur  la 
milice  des  janissaires.  Cependant  la  paix  avec  la  France  continua, 
paix  précaire,  sans  cesse  menacée  par  de  graves  querelles.  Néanmoins, 
le  dey,  dans  ses  lettres  au  roi,  protestait  de  son  désir  de  la  main- 
tenir*. En  1674,  o"  ^'v^iï  ^'u  <^*^'^''  reïs  les  plus  renommés  d'Alger, 
Samson  et  Mezzamorto,  escorter  deux  vaisseaux  marseillais  qui  reve- 
naient de  Syrie  richement  chargés  et  qui  avaient  fait  un  accord  avec 
eux  pour  les  protéger  contre  les  Espagnols.  La  Chambre  du  commerce 
les  reçut  très  bien  à  leur  arrivée  ;\  Marseille  et  leur  donna,  outre  les 
provisions  dont  ils  avaient  besoin  pourleur  retour,  un  présent  de  vin, 
confitures,  fruits,  rossoli,  eau-de-vic,  de  sorte  qu'à  peine  revenus  à 
Alger,  ils  publièrent  partout  les  bons  traitements  qu'ils  avaient  reçus  à 
Marseille*.  En  1679,  Scignelay  demandait  à  la  Chambre  de  lui  faire 
savoir  les  contraventions  des  corsaires  d'Alger  et  de  Tunis  aux 
traités  foits  avec  eux  en  1670,  elle  répondit  que  ceux  d'Alger  avaient 
«  entretenu  le  traité*.  »  Tourville,  qui  fut  envoyé  cette  année-là  à 
Alger  avec  son  escadre  pour  réclamer  les  Français  pris  sur  des 
vaisseaux  étrangers,  y  fut  reçu  avec  les  plus  grands  honneurs;  le  dey 
lui  accorda  ce  qu'il  demandait  et  consentit  à  modifier  un  article  du 
traité  de  paix  qui  donnait  lieu  à  contestation*. 

(i)  V.  Plaktet.  CoiTi'sp.  passim.  —  V.  d'Arvikux,  t.  V,  p.  69-204,  le  récit 
inti;rcss.iiu  de  son  consul.it  à  .\lger.  —  De  Grammont  :  Les  consuls  lazaristes  et  le 
dm-alier  d'Aivicux. 

(2)  D'.\rvieux,  t.  V,  p.  159. 

(3)  2  tuai  i6^<^  à  Stigmlay.  BB,  26.  —  Cependant  elle  se  plaignit  en  1676  â 
Colbert  des  prises  continuelles  des  corsaires,  et  surtout  des  Algériens.  BB,  26, 
S  septembre  i6j6. 

(4)  Di;  Gra,mmont,  p.  246. 


LA   LUTTE  CONTRE   LES   BARBARIiSQCES 


225 


■      1-11 


Les  Tunisiens  qui,  pendant  le  règne  précédent,  s'étaient  montrés 
Kiucoup  plus  pacifiques   que   les  Algériens,    donnèrent  peut-être 
lieu  i  plus  de  plaintes.  Le  duc  de  Beau  fort,  dans  s:i  croisière  de  1665, 
leur  avait  fait  renouveler  la  paix,  le  25  novembre  1665.  M.  Dumolin, 
écuycr  de  la  reine  et  le  chevalier  d'Arvieux,  chargés  en  1666  d'aller 
retirer  les  esclaves,  délivrèrent  85  Français  étrani,'ers  A  la  Provence, 
^rachetés  aux  frais  du  roi  pour  1.1.875   piastres,   à  raison   de  175 
ïiastres  l'un,  et  205  Provençaux  rachetés  aux  dépens  des  commu- 
nautés de  Provence  pour  35.700  piastres'.    En  1668  le  marquis 
de  Martel  vint  encore   i\  Tunis  pour  réclamer  des  restitutions  de 
prises;   il  fallut  bloquer  pendant  27  mois  les  ports  de  la  régence  et 
wnonner  I^  Goulette,  Bizcrte  et  Porto  Farina  pour  obtenir  la 
'remise  de  300  esclaves  et  la  signature  d'un  nouveau  traité  de  paix, 
Je   28   juin    1672'.    Les    Tunisiens   firent  encore  les  années  sui- 
irantcs  une  série  de  captures  dont  la  Chanibre  envoyait  le  rôle  ù 
kignelay    en    1679',    cependant    Tunis  s'affaiblissait  de  plus  en 
[plus  et  ne  songeait  pas  à  rompre  la  paix  avec  la  France. 

Nous  ne  restions  en  guerre  qu'avec  Salé  eç  Tripoli.   En  1666,  le 

sieur  Roland  Fréjus  avait  contracté  alliance  au  nom  de  la  France 

[avec  le  sultan  du  Maroc,  contre  les  Anglais  qui  venaient  d'occuper 

[Tanger;  cela  n'cmpécha  pas  les  Saletins  de  courir  sur  nos  navires. 

En  1669  et  1670,  le  vice  amiral  du  Ponant  d'Estrées  tint  leur  port 

bloqué  avec  son  escadre  pour  les  mettre  à  la  raison;  en  167 1,  quatre 

.vaisseaux  allèrent  occuper  le  «  poste  »  de  Salé  et  Gilbert  préparait 

[une  nouvelle  escadre    ;\   d'Estrées.   «  Les  Saletins,  dit  d'Arvieux, 

étaient  si  misérables  par  le  petit  nombre  et  la  petitesse  de  leurs  bàti- 

•^mcnts  qu'on   les  eut   bientôt  resserrés  dans  leur  méchant  port'.  » 

Il  n'eu  fut  pas  de  même  des  Tripolins,  qui  restèrent  les  adversaires 

Ries  plus  redoutables  de  notre  commerce.  Ils  furent  fortifiés  comme 
(t)  Voir  le  récit  de  cette  mission.  D'Arvieux,  t.  III,  p,  390-SS8  et  t.  IV, 
p.  i-9t.>.  —  •  Tunis  entretient  otdin.iircmctit  trois  g.nièrcs  et  six  ou  sept  vaisseaux 
cl  un  nombre  Je  bJr^|llt■^.  de  brigantiiis  et  autres  petits  bâtiments  qui  courent  les 
cdtcs  de  l'Italie,  de  la  Corse,  de  la  Sardaignc  et  des  royaumes  de  Kaplcs  et  do 
"icilc.  i) 

(î)  V.  Plantet.  Correspondance.  —  Cf.  BB,2.  i.f  die.  i6li8,  2j  mv.  J669, 
1}  ftçrj.  i6jij,  2)  murs  i(yji.  —  lili,  36.  iioifl,  yepl.  ifijo,  tS  nov,  i6-jo.  IXlibn. 
it  la  Clfitvibre. 

(;|  JA,  ;^jo.  2S  dà.  t6j2.  —  A.1,  ;<yj.   i<;  sept.  if>j2.  —  BB,  26.  2j  avril 
\i6f7,  a  mai  lô-j^;. 

(4)  T.    VI,   p.    toi.  —  V.  Initrwlioiis  au   comlt  d'Esirà-s,  /  amU   jéjo    — 
llUt  U  d'Eslria,  tS  janv.  167t.  —  Lcllrts  ii  Colltrl,  I.  JII,  t"  pattie. 


v;, 
Hui 

W' 


1) 


22é  M-    RULÈVUMENT    DU    COMMKKCl- 

c'était  l'ordiiLiirc,  p;ir  un  certain  nombre  de  corsaires  d'Alger  et  de 
Tunis,  gênés  par  les  traités  de  paix,  qui  continuaient  à  taire  la 
course  avec  le  pavillon  de  Tripoli  :  aussitôt  après  la  signature  du 
traité  de  1666,  5  vaisseaux  Algériens  s'y  étaient  retirés'.  A  partir  de 
1675,  ils  devinrent  encore  plus  redoutables:  les  Anglais,  après  leur 
avoir  brûlé  cinq  vaisseaux  dans  leur  port,  les  avaient  obligés  à  la 
paix*  et  tous  leurs  efForis  se  tournaient  contre  les  Français,  d'au- 
tant plus  que  les  vaisseaux  du  roi,  occupés  à  combattre  les  Hollan- 
dais et  les  Espagnols,  ne  pouvaient  aller  les  châtier.  En  1676,  deux 
vaisseaux  furent  pris  dans  le  port  de  Larnaca  par  quatre  «Tripolins 
qui  les  conduisirent  :\  Alexandrie  ;  l'année  suivante  ils  retournaient 
visiter  la  rade  de  Larnaca  et,  n'y  trouvant  pas  de  navires,  ils  allaient 
jeter  l'alarme  dans  celle  d'Alexandrette  ;  en  1678,  ils  s'emparaient 
encore  de  deux  vaisseaux  et  3  barques,  en  1679,  d'un  vaisseau 
richement  chargé  de  soies  et  de  cotons  pour  100.000  piastres.  Malgré 
les  capitulations,  les  corsaires  recevaient  ouvertement  asile  dans  les 
ports  du  G,  S.  et  à  son  retour  de  Terre  Sainte  M.  de  Nointel  lui- 
même  fut  insulté  à  Chio  par  deux  corsaires  de  Tripoli  qui  étaient 
dans  la  rade.  Les  soldats  entrèrent  dans  sa  barque,  déchirèrent  les 
pavillons  et  battirent  le  capitaine  et  les  matelots'. 

La  guerre  de  Hollande  terminée,  Colbert  résolut  enfin  de  les 
mettre  à  la  raison  et  chargea  le  commandeur  de  Valbelle,  chef  d'es- 
cadre, d'aller  les  châtier.  Le  dey  répondit  à  cette  déclaration  de 
guerre  «  par  des  ordres  très  fulminants  il  ses  vaisseaux  d'aller  prendre 
les  nôtres  jusquesdans  les  ports  de  Chipres  et  d'Alexandrette  »,  et 
ils  s'emparèrent  peu  après  d'un  chargement  de  la  valeur  de  100,000 
écus.  En  1680,  ils  mirent  le  comble  à  leurs  méfaits  en  descendant 
A  Larnaca,  en  pillant  les  maisons  de  nos  marchands  et  en  maltrai- 
tant odieusement  notre  consul,  sous  prétexte  qu'un  esclave  français 
s'était  enfui  à  terre*.  Les  Tripolins  avaient  alors  9  gros  vaisseaux  à 

(i)  BB,  26.  21  dèc.  1666.  h  lire  de  Ici  Chamhre. 

(2)  Spon,  t.  1,11.  }8i.  —  Lch  Anglais  les  ont  obligés  de  faiiv  la  paix  avec  eux 
et  do  leur  pa\x'r  la  valeur  de  80.000  écus  en  esclaves,  marchandises  ou  argent. 
Ils  r.nchetcrenî  un  chevalier  el  40^)  esclaves  Maltais  pour  25.000  écus,  en  recon- 
naissance de  services  rendus. 

(5)  D'Arvikux,  t.  V,  p.  316.  —  Pour  les  faits  qui  précédent,  voir  BB,  26. 
ji  junv.i6j6,  ly  jitill.  lOjy,  uulcf.  i6jS,  /;  die.  16"]  i).  h-tlirs  delà  Chamhre. — 
L'tirc  du  consul  de  Chypre,  12  juin  i6j^.  AJ,  406. 

(.})  Lettre  du  consui  de  Chypre  du  ;;  ocl.  i6Sq.  AA,  406 .  —  Cl".  D'.\RViEUx, 
t.  VI,  p.  247-48.  L<j  Chambre  it  Scignelay,  /_>  jèv.  i(>Si  :  Nouvelle  prise  d'un 
vaisseau  par  les  Tripolins.  BB,  27. 


LA    LUTTE  CONTRE   LES   BARBAKESCIUES 


»27 


Icnx,  iJont  les  trois  principaux  :  la  Capitane,   la  Patronne  et  l'Admi- 

mirante  avaient  45  h  jo canons  chacun  et  de  puissants  équipages*. 

Li  Chambre  du  commerce  de  Marseille  députa  l'un  de  ses  membres 

à  Tripoli  pour  traiter  de  la  pais,  mais  ils  refusèrent  de  négocier  et 

les  Marseillais  réclamèrent  une  puissante  intervention  du  roi*. 

La  France  venait  alors  de  dicter  la  paix  A  l'Europe;  Louis  XIV, 

.      dans  tout  l'éclat  de  sa  puissance,  ne  pouvait  laisser  ainsi  piller  ses 

H  sujets  et  maltraiter  ses  représentants.  Duquesne  avec  son  escadre 

l'ut  chargé  en  168 1  décroiser  dans  l'archipel  pour  combattre  les  cor- 

Sniiresj  il  devait  au  retour  passer  à  Tripoli,  Tunis,  et  Alger,  en  leur 

donnant  la  chasse  et  ne  rentrer  à  Toulon  qu'après  18  mois  de  navi- 

H  gation'.  Il  avait  ordre  de  poursuivre  les  corsaires  jusques  dans  les 

ports  du  G.  S.,  qui  leur  donnaient  asile,  et  M.  de  Guilleragues  fut 

ch.irgc  d'en  prévenir  la  Porte.  L'escadre  ayant  rencontré  cinq  vais- 

■  seaux  Tripolins  les  poursuivit  jusque  dans  le  port  de  Chio  où  ils  se 
réfugiaient  souvent  et,  sur  le  refus  du  gouverneur  de  les    livrer, 

I  Duquesne  les  mit  en  pièces  par  le  feu  de  son  artillerie  qui  atteignit 
même  quelques  maisons  de  la  ville  et  endommagea  les  mosquées. 
Le  grand  vizir  informé  envoya  en  hâte  le  pacha  de  Smyrne  et  le 
capitan  pacha  auxquels  Duquesne  déclara  fièrement  qu'il  coulerait  A 
fond  les  t.;ilères  turques,  si  elles  osaient  prendre  X  h  reniorque  les 

■  carcasses  des  vaisseaux  tripolins.  Le  capitan  pacha  se  borna  i  jouer 
le  rôle  de  médiateur  et  Duquesne  signa  avec  les  corsaires  Tripolins 
le  25  octobre  1681,  un  traité  de  paix  à  des  conditions  qu'aucune 
nation  barbaresque  n'avait  encore  acceptées*.  Malheureusement  le 
traité  fut  fort  mal  accueilli  h  Tripoli  et  violé  presque  aussitôt  et,  au 
moment  où  les  Tripolins  se  décidaient  à  la  guerre,  les  Algériens 
rompaient  aussi  la  paix  à  la  tin  de  i68i. 

Louis  XIV  s'était  en  effet  décidé  A  reprendre  avec  les  Barbaresque», 
Cette  guerre  d'extermination  par  laquelle  il  avait  voulu  inaugurer 


(1)  L/t(ri  d'un  ei£lavf,  Mentau,  an  cûnsiil  dt  Livounii,  27  iiûv.  16S0.  AA,  ;//, 

(2)  A  Sfigrifky,  24  ]èi\,  12  mais  1680.  BH,  37. 
t$)  Lmtis  XIV  à  Duqutsut,  J.V  mars  ifiSi.  Ltllics  tl  luU,  t.  III,  t":  partie.    -^ 

Ltthtsdt  Cùlbeit  à  Morant,  i-;  mars  i6St  et  77  avril.  Lelliis,l.  II, p.  716.  —  La 
Cliamlxe  li  Morant,  2o  mars  i6St  :  «  Le  commer<:c  fera  un  ctTort  et  contribucrd 
pour  jo.oooi^cus  au  dernier  .armement  des  quatre  frégates  légères  qu'on  doit  armer 
•*U  printemps  contre  Ici  Tripolins.  » 

[4)  D'Ab^heux,  t.  VI.  p,  203-204.  —  Jal,  Duquaiie  et  la  marine  de  son  temps , 
tw  II,  p.  .{>-)  et  suiv.,  fait  un  récit  très  détaillé  desdivers  bombardements  opérés 
par  Duquesne. 


228  LE  RELÈVEMENT  DU   COMMERCE 

son  règne.  On  poussa  les  Algériens  à  bout  en  leur  refusant  systéma- 
tiquement la  restitution  de  sept  des  leurs,  qui  avaient  été  pris  sur  un 
vaisseau  espagnol  et  qu'ils  avaient  réclamés  vainement  au  père  le 
Vacher  consul,  à  Tourville,  à  Dusquesne,  qui  vint  leur  présenter  des 
griefs  le  14  septembre  1680,  enfin  au  commissaire  de  la.  marine 
Hayet,  chargé  en  1681  d'aller  faire  renouveler  les  traités.  La 
Chambre  du  commerce  avait  cependant  appuyé  leur  réclamation  : 
«  Nous  osons  conjurer  Votre  Grandeur,  écrivait-elle  à  Seignelay,  de 
considérer  combien  la  paix  avec  Alger  nous  est  avantageuse  pour 
nous  obliger  à  l'entretenir'.  »  La  mauvaise  foi  du  gouvernement 
français  excita  une  indignation  générale  à  Alger  et,  après  un  ulti- 
matum qui  fut  dédaigneusement  accueilli  à  Versailles,  la  guerre  fut 
unanimement  déclarée  à  la  France,  le  i8  octobre  1681*.  »  Le 
commerce  ne  tarda  pas  à  ressentir  les  effets  de  cette  rupture  :  les 
Anglais  qui  étaient  en  guerre  avec  les  Algériens  et  s'étaient  vu 
prendre,  en  14  ans,  350  navires  et  é.ooo  matelots,  en  profitèrent 
pour  faire  une  paix  onéreuse  ;  tandis  qu'un  mois  après  la  rupture, 
les  reïs  avaient  déjà  pris  29  bâtiments  français  et  fait  300  esclaves  '. 
La  politique  des  ministres  pouvait  se  justifier  si  la  guerre  eût  abouti 
à  la  destruction  d'Alger  ;  tel  était  en  effet  le  but  de  l'expédition  qui 
fut  envoyée  sous  le  commandement  de  Duquesne  en  1682,  mais 
les  bombardements  de  1682  (août-septembre),  et  de  1683  (juin), 
n'eurent  d'autre  résultat  que  l'écroulement  d'une  centaine  de  mai- 
sons, de  deux  ou  trois  mosquées,  la  mort  d'un  millier  d'habitants  et 
l'incendie  de  trois  vaisseaux  corsaires.  C'était  peu  pour  la  dépense 
de  25.000.000  délivres  que  les  deux  expéditions  avaient  coûté  au 
trésor;  les  reïs  n'avaient  guère  été  atteints  et  étaient  amplemenï 
dédommagés  par  les  prises  qu'ils  avaient  faites  au  début  des  hostilités 
et  qu'ils  continuaient  de  faire  *.  Cependant  les  Algériens  avaient 
senti  le  poids  de  nos  armes  et  redoutaient  le  retour  de  nouvelles 

(i)  BB,  2j.  I S  juin  16S0. 

(2)  Voir,  pour  tous  ces  faits,  de  nombreuses  lettres  de  la  Chambre  {BB,  27)  et 
les  lettres  de  Seignelay  à  la  Chambre  {BB,  S2). 

(5)  Le  6  novembre  1681,  le  père  Le  Vacher  annonce  que  déjà  six  prises  ont 
été  faites  avec  100  marins  et  150.000  écus  de  marchandises.  —  12  ikhembre  16S1  : 
les  prises  se  succèdent  d'une  manière  effrayante.  On  compte  les  esclaves  français 
par  centaines  toutes  les  semaines.  Vingt  navires  dont  le  chargement  e.st  évalué  .i 
600.000  livres  viennent  d'entrer  dans  le  port.  —  A^4,  46^. 

(4)  Voir  une  série  de  lettres  de  la  Chambre  :  2S  novembre  16S2,  iS,  jç,  2) 
dkembit  16S2.  —  nj,  21  janvifr,  i6  mars,  ij  avril,  S,  16  mai,  22  mai,  16  juin, 
24  novembre  i6S},  etc.,  BB,  27. 


LA  LUTTE  CONTRE  LES  DARBARESQUES 


229 


exclurions.  Ils  avaient  mOnic  commencé  A  trnitcr  nvcc  Duqucsne 
pendant  un  armistice  du  second  bombardement  et  la  restitution  des 
aptifs  s'opérait',  quand  une  révolvuion  fut  excitée  par  le  fameux  reïs 
Mezzomorto,  qui  se  lit  proclamer  dey  sous  le  nom  de  Hadji  Hussein 
et  rouvrit  aussitôt  les  hostilités.    En   1684  Hadji  Hussein  Un-mèmc 
avoua  à  Dusault,  charge  par  le  roi  d'ouvrir  des  négociations,  que, 
«   si  le  roi  voulait  la  paix  une  fuis,  lui  la  voulait  dix.  n  Le  2  avril 
1684,  Tourvillc  accompagné  d'un  capidji  de  la  Porte  arriva  à  Alger 
avec  une  grosse  escadre,  il  fut  très  honorablement  reçu  et  signa  la 
paix  qui   fut  proclamée  pour  une  durée  de  100  ans*;  immédiate- 
-r»-ient  les  Algériens  déclarèrent  la  guerre  aux  Anglais  et  aux  Hollan- 
dais. Mais  Seignelay    se    faisait  singulièrement    illusion    quand  il 
«5-crivait  à  l'intendant  Morant  le  9  octobre  1 684  :   «  il  me  paraît  qu'ils 
(^Ics  corsaires)  ont  été  si  rudement   punis  en  dernier  lieu   et  ce  qui 
:s"*cst  passé  h  Alger  servira  d'un  si  grand  exemple  il  tous  les  autres, 
c^  u'il  n'3'  a  pas  d'apparence  qu'ils  osent  jamais  enfreindre  la  paix  qui 
1  «?ur  est  accordée'.  »  Malgré  tout  le  retentissement  des  bombarde- 
»~ï.icnt5  de  Duquesne,  la  paix  de  168  4,  qui  avait  coûté  si  cher  au  roi  et 
.  -u  commerce,  n'était  pas  plus  solide  que  celle  que  Seignelay  avait 
iiis-sé  rompre  en  1681. 

Pendant  ce  temps,  les  Tripolins  avaient  repris  impunément  leurs 

r  ourses  en  1682  avec  leurs  neuf  vaisseaux,  sous  prétexte  qu'il  n'était 

«encore  venu  ni  lettre  de  la' cour,  ni  aucun  vaisseau   pour  ratifier  la 

^:iaix  imposée  par  Duqucsne  en   1681,  et  en  novembre   1682.   Ils 

x-jiirent. H  la  chaîne  le  consul  de    France,  disant  qu'ils  ne    pouvaient 

Subsister  sans  avoir  la  guerre*.  Avant  d'apprendre  la  rupture  de  la 

Jr^aix,  le  roi,  pour  les  satisfaire,  envoya  A  la  Chambre  du  conuiierce 

Vjne  lettre  adressée  au  pacha  "et  la  Chambre  députa  le  fils  du  premier 

^chevin  pour  la  porter  à  Tripoli.  Celui-ci  échoua  avec  sa  barque  sur 

xjn  écueil  en  vue  de  la  ville,  on  s'empara  de  lui  et  il  fut  fait  esclave 

iïvec  l'équipage,  sans  que  le  pacha  voulût  lire  les  lettres  dont  il  était 

porteur.  Seignelay  écrivit  A  la  Chambre  que  «  ceux  de  Tripoli  se 


II)   141  .furent  rendus  le  29  juin,  124  le  50,  152  le  i-^'  juillet,  83  le  2.  —  De 
Crammont,  p,  251. 

(2)  IsAMBERT.  23;  avril  1684. 
(})  Dfjping,  t.  m,  p.  629. 

<4)  Lftiif  de  Plastrier,  roi'sul  ik  Tunis,  7  dhcmhn  16S3.  .i.l,  ^44. —  Uttrtf  de 
M.  Je  la  Magâeltinr,  consul  de  Tripoli,  1;  lUcnnbre  1683 ,  2/  mars  tôS}.  .4A ,  j^j. 
(5)  V,  le  texte  de  cette  lettre  annexée  à  la  délibération  du  25  janv.  168}.  BB,  }. 


230  LU   RELEVEMENT   DU   COMMERCE 

repentiraient  de  leur  téméritc  A  déclarer  la  guerre  *  »  et  Duquesne, 
aussitôt  après  le  second  bombardement  d'Alger,  reçut  l'ordre  d'aller 
les  châtier:  la  vengeance  fut  complète*  et  Tripoli  fut  abandonnée 
dans  un  état  de  ruine  dont  elle  ne  devait  jamais  se  relever.  La  guerre 
continua  cependant,  car  les  Tripolins  qui  étaient  dans  le  Levant 
loi-s  du  bombardement  avaient  échappé  au  désastre.  Deux  d'entre 
eux  prirent  un  vaisseau  français  sous  le  feu  de  la  forteresse  tuni- 
sienne de  la  Galipie,  et  sept  autres  en  capturèrent  un,  aux  abords 
de  Metelin.  C'est  alors  que  d'Estrées  vint  de  nouveau  bombarder  la 
ville,  et  les  Tripolins  se  décidèrent  ;\  signer  la  paix  le  29  juin  1683  : 
ils  reçurent  un  nouveau  consul  et  restituèrent  les  esclaves  français 
au  commandant  d'un  vaisseau  du  roi  qui  vint  les  prendre  en  1686  '. 

Les  Tunisiens  eux-mêmes,  imitant  l'exemple  des  Tripolins  et 
des  Algériens,  rompirent  à  la- fin  de  1681  la  paix  qui  durait  depuis 
1672.  Comme  ceux-ci  ils  étaient  irrités  de  ne  pouvoir  obtenir  la 
mise  en  liberté  des  leurs,  esclaves  sur  les  galères  royales*;  lorsqu'ils 
apprirent  enfin  que  quelques  uns  des  leurs,  pris  par  les  Anglais, 
s' étant  sauvés  sur  des  vaisseaux  du  roi  où  ils  croyaient  trouver  le 
salut,  avaient  été  mis  sur  les  galères,  ils  décidèrent  de  courir  sus 
aux  bâtiments  français  et  débutèrent  en  s'emparant  par  surprise  de 
sept  ou  huit  navires.  Mais  Tunis  était  dans  un  état  misérable  ;  depuis 
dix  ans  elle  était  en  proie  â  la  guerre  civile  et  deux  frères  s'y  dispu- 
taient le  gouvernement.  Des  négociations  s'ouvrirent  donc,  cepen- 
dant elles  n'aboutirent  définitivement  qu'en  1685  ;  il  f;illut  les 
bombardements  d'Alger  et  de  Tripoli  pour  triompher  des  hésitations 
des  Tunisiens  et  d'Estrées  signa  le  30  août  1685  un  nouveau  traité 
pour  la  durée  de  cent  années''. 

La  paix  était  donc  rétablie  en  1685  avec  tous  les  Barbaresqucs 
quand  les  hostilités  reprirent  avec  les  Algériens.  Ils  se  plaignaient 
de  la  dilliculté  qu'ils  éprouvaient  à  retirer  leurs  esclaves  de  France 


(1)  16  (loi'il  16S}.  —  V.  ur  avril  1685.  La  Ch.uiibrc  lui  a  appris  la  capture  de 
deux  vaisseaux  venant  de  Syrie.  —  lU),  Sj.  , 

(2)  V.  D'Auviue.K,  t.  VI,  p.  .)H3- 

(3)  V.    pour  tous  ces    laits,    une  série  de  lettres:  jj  Jl'ir.  if^Sf.  AA.  /i,. — 
j./  mai  16S).  ,-i./,  /./;.  —  y  Jr^'r.  lOSO.  AA.  )//.  ■  -  11  jVvr.  i^>S<k  A  A,  jSf. 

(4)  V.  Letlifs  </(•  Si'ij^'mhiy  j  /:/  Ckiiiihii-.  Hli,  S2. 

(5)  V.  Plantit  pour  les  négociations.  —  Texte  du  traité,  p.  5 19-)7.  —  V.  une 
série  de  lettres  du  consul  de  Tunis,  AA.  ji6.  —  Lettres  de  la  (lltambre,  JiB,  27. 


LA  LUTTE  COSTRi:  LES  BARBARESQUES  23  1 

tsn  vertu  du  traité  de  i6S.|.'  et  les  reis  ne  pouvaient  renoncera  la 

t:ourse  qui  les  faisaient  vivre.  Deux  démonstrations  navales  furent 
biics  en    i686  pour  les  contenir  dans  le  devoir*.    Les   relations 
'aigrirent  encore   en   1687  et  la  guerre  fut  de  nouveau  déclarée'. 
D'Estrécs,  après  avoir  châtie  Tunis  et  Tripoli,  qui,  à  l'exemple  des 
ilgêriens,  observaient  fort  mal  les  traites,  parut  devant  Alger  le  26 
juin  1688   avec   une    llotte  considérable,  mais  son  bombardement, 
jien  que  les  ctFets  en  aient  été  plus  terribles  encore  pour  la  ville  que 
:eux  de  Duquesnc,  laissa  en  partie  intacte  la  flotte  des  reïs  qui  ne 
perdit  que  cinq  vaisseaux  ancres  dans  le  port*.  Après  son  départ,  les 
ravages  des  corsaires  lurent  plus  terribles  que  jamais  et  les  Marseillais 
kLitêrcnt  en  doléances".  La  cour  se  décida  ù  entamer  d'abord  de 
L'crètcs  négociations  puis  envoya    le  commissaire    de   la    marine, 
lircel,  qui  renouvela  le  25  septembre  1689  le  traité  de  1684  avec 
juelqucs  modirtcations  insignifiantes.  Cette  nouvelle  paLx  fut  difficile 
à  bien  établir  ;  le  commissaire  Marcel  écrivait  à  Seignelay  «qu'il  avait 
[trouvé  les  corsaires  enflés  des  prises  faites  sur  nos  vaisseaux  et  ne 
cliercliant  qu'à  continuer  la  guerre  ".  »  La  restitution  des  esclaves  se 
prolongea  jusqu'à  la  fin  de  1690,  et  même  davantage,  et  les  Algériens 


{i)  Le  âcy  Hadji-Husscin  rccLimc  encore  j6  Turcs  par  une  lettre  de  janvier 
>86.  (Plamtet,  Corrtsp.,  p.  iiy).  —  Sans  doute  les  rcchcrclics  étaient  ditHciies,  ' 
lais  les  oflSciers  de  Toulon  et  particulièrement  M.  de  Vauvré,  intendant  de  la 
lariiic,  y  mettaient  certainement  de  la  mauvaise  volonté.  —  l'our  entretenir  les 
iinurmc»  des  f;aléres  on  violait  ouvertement  les  Capitulations  et  on  risquait  de  se 
rooUk-r  avec  les  Turcs  en  favorisant  le  trafic  des  esclaves  Turcs  que  des  capitaines 
rovcnçjux  .nchetaieni  aux  corsaires  chrétiens  de  TArchipcl.  —  V.  une  curieuse 
Itrc  de  Seignef.iy,  _;o  noveiubre  i6Sa.  RB,  Si. 

<2)  Par  le  duc  de  Morteman,  général  des  galères  et  M.  de  Blainville,  chef 
^escadre.  —  Comme  leurs  réclamations  furent  inutiles,  des  croisières  furent  de 
^uveau  organisées  contre  eux  et  leur  firent  perdre  une  vingtaine  de  bâtiments. 
La  chambre  offrit  .lux  corsaires  fiançais  3000  livres  pour  chaque  vaissuiu 
ïéricn  pris  {arrti  du  constil  du  if  oclobu  i6Sy). 
(3)   Lettn  de  DinauU  à  Si!tj;riflay,  rj»  leptetnbre  i6Sy,  PuvNTET,  Corrap.,  p.  148, 

MC    1. 

(4>  ID'Estrécs  avait  15  vaisseaux,  16  galères  et  10  galioies  à  bombes.  —  Le 
)itib.^rdcmcnt  dura  du  i"  m  16  juillet  1688.  Les  gaUotcs  lancèrent  10420  bombes 
causèrent  d'immenses  dég.its. 

(S)  V.  de  nombreuses  lettres  des  Echelles  :  iS  notietitbre  16S0,  de  l'ambassaJetir. 

fjf,  14^.  —  ^upUmbrf  t(>S^,  lUSmyrnt.  A  A,  30f.  —  ^  dkanhrc  i6S(f,  du  Caire. 

A.  }of.  —  ;/  ]iiilUt  i6Sç,  d'AltxattdrU  :  «  Il  y  a  quin^e  vaisseaux  d'Algvr  en 

î<;    mers,   alors   qu'on  nous    faisait    espérer    la  paix  avec  eux  ».    AA,  }3o.  — 

Cbamb»  I-  li  Seig  iifliiy,  j  icMembif  i6S(;  :  «  Janwis  la  mer  n'a  été  plus  couverte  de 

:onaires,  ni  nos  vaisseaux  plus  exposés,  h  —  Id.  jo  septembre  i6Sç.  BB,  3S.  —  etc. 

(6)  t^/rf.  1690.  PLAKTEr,  Corresp.  p.  186. 


232  LE  RELEVEMENT  DU   COMMERCE 

se  plaignirent  encore  vivement  de  la  mauvaise  volonté  des  officiers 
royaux  i  les  remettre  à  leurs  ambassadeurs*. 

Cependant  la  paix  de  1689  fut  maintenue,  car  on  comprit  enfin 
ù  b.  cour  que  le  meilleur  moyen  de  sauvegarder  le  commerce  était 
d'en  revenir  au  système  suivi,  la  plupart  du  temps,  avec  Tunis 
et  qui  avait  réussi  avec  Alger  de  1666  ;\  1681.  Pontchartrain  rompit 
avec  la  politique  de  représailles  et  de  guerre  à  outrance  que  Colbert 
et  Seignelay  avaient  voulu  tenter  et  qui  avait  été  définitivement 
condamnée  parles  expériences  de  1682,  1683  et  t688,  coûteuses 
pour  le  trésor  royal  et  ruineuses  pour  le  commerce,  car  chaque 
rupture  avait  été  le  signal  d'une  recrudescence  de  prises.  Les 
bombardements  et  les  incendies  n'avaient  pas  atteint  les  reïs,  qui 
réparaient  leurs  pertes  par  quelques  mois  de  course:  il  fallait  abso- 
lument, ou  anéantir  complètement  les  Algériens,  ou  vivre  en  paix 
avec  eux.  Aussi  le  nouveau  consul  d'Alger,  Lemairc,  reçut-il  pour 
instructions  de  chercher  à  plaire  et  de  faire  ;\  tout  prix  de  la  con- 
ciliation, il  n'avait  pas  à  compter  sur  des  armements  du  roi,  tout  au 
plus  serait-il  appuyé  de  temps  en  temps  par  l'apparition  de  quelque 
vaisseau  de  guerre  dans  la  rade.  Cette  politique,  dictée  par  la 
sagesse,  le  fut  aussi  par  la  nécessité,  car,  à  partir  de  1690,  nos  flottes 
ne  cessèrent  d'être  occupées  contre  celles  de  l'Angleterre  et  de  la  Hol- 
lande. Malgré  l'indiscipline  des  reïs,  malgré  l'argent  prodigue  par  les 
Anglais  et  les  Hollandais  pour  fiiirc  déclarer  les  Algériens  contre 
nous,  et  la  pénurie  d'argent  où  nous  laissions  nos  consuls*,  malgré 
les  revers  de  notre  marine,  elle  réussit  et,  dans  la  dernière  partie  du 
règne  de  Louis  XIV,  le  commerce  du  Levant  n'eut  guère  A  souffrir 
des  Barbaresques.  Le  souvenir  des  expéditions  de  Duquesne,  de 
Tourville,  de  D'Estrées,  et  des  croisières  de  nos  vaillants  chefs 
d'escadre  ne  fut  sans  doute  pas  étranger  ;\  ce  succès.  Les  Algériens 
trouvaient  leur  avantage  A  rester  en  paix  avec  la  nation  chrétienne 
qui  était  pour  eux  la  plus  redoutable  i\  cause  de  son  voisinage  et  de 

(i)  Voiries  himentations  de  l'ambassadeur  Mohammed  el  Amin  dans  diverses 
lettres,  sur  le  sans  fa(;on  avec  lequel  on  le  traite  à  Toulon.  —  22  seplcmhre  i6go  : 
«il  y  a  déj.'i  151  jours  que  nous  sommes  ici  sans  avoir  trouvé  aucune  satisfaction.  » 
—  jo  novembre  16^0,  ù  dèeemhrc  i6t)o,elc.  —  Lcltre  du  dey  à  Seigiiehjy,  lo  mai  i(u)o. 
Pl.\ntet,  p.  234.  —  Lettre  de  Marcel  à  Seipielay,  ii  avril  i(>i)o  :  il  y  avait  encore 
à  Alger  7  à  800  esclaves  français.  Dusault  racheta  les  esclaves  à  260  piastres 
chacun. 

(2)  Voir  la  correspondance  du  consul  Lemaire  qui  se  plaint  sans  cesse  du 
manque  d'argent.  A  A,  470;  de  nombreuses  lettres  de  Pontchartrain  à  la  Chambre. 
Bli,  Sj,  passim. 


LA  LUTTE  CONTRE  LVS   BARBAUESQUES 


233 


la    force  de  sa  marine.  Les  ports  de  France  leur  oHTraient  un  refuge 

commode  en  cas  de  mauvais  temps  et   d'utiles   ressources  pour 

leur     ravitaillement'.  D'ailleurs  les  Barbaresques  étaient  sortis  très 

arfaiblis    de  tous   les   assauts    que  depuis   trente    ans   les  escadres 

françaises,  anglaises,  hollandaises,  leur  avaient  livrés  A  tour  de  rtMe. 

Ttinis  et  Tripoli  étaient  dans  une  profonde  décadence;  leurs  reïs 

ii'iivaient  plus  que  quelques  bâtiments,  et,  comme  le  butin  n'affluait 

plus,  la  misère  était  grande*.  Alt^er  seule  restait  redoutable,  cependant 

«    les   grands  corsaires  étaient  tombés  tour  i  tour  sous  le  canon  des 

croisières  et  sous  les  coups  des  clievaliers  de  Malte,  les  armateurs 

s  ^Ciiient  dégoûtés  d'une  spéculation  devenue   trop  hasardeuse  », 

les  cioys  durent  se  charger  eux-mêmes  de  créer  une  marine  de  guerre. 

Tt>»a  t  ce  qui  faisait  la  force  d'Alger  diminuait  ;  l'armée  et  la  marine, 

»3    rrj  ilice  et  les  reïs;  les  renégats,  qui  se  distinguaient  par  leur  esprit 

'l'^V'entures  et  leur  énergie,  avaient  à  peu  près  disparu  au  début  du 

X'^'l  11*=^  siècle'.  Les  temps  héroïques  de  la  Barbarie  étaient  passés,  une 

*^re-    n  ouvelle  allait  commencer  pour  le  commerce  de  la  Méditerranée. 

en olbert  ne  l'avait  pas  vu  s'ouvrir  et  il  avait  laissé  en  monrain  notre 

'^"*3-i"îne  aux  prises  avec  tous  les  Barbaresques.  Pendant  la  période 

oii   Itrs  Algériens  et  les  Tunisiens  étaient  restés  en  paix  avec  nous,  la 

^iie-iTi;  de  Hollande  n'avait  pas  permis  au  commerce  du  Levant  de 

)oui»-  de  la  sécurité.  Colbert  espérait  en  1672  profiter  de  celte  guerre 

P*^*-»»"    chasser  les  Hollandais  de  la  Méditerranée.  Le  2  janvier  1672 

M.  tic  Vivonne,  sur  sa  demande,  lui  adressait  un  plan  de  campagne 

P*^  *-•  »*  s'emparer  de  leurs  navires.  «  Pour  exécuter  ce  dessein  il  proposait 

^  s«>Ttir  au  plus  tôt  avec  25  frégates  et  ,(  ou  5  brûlots  et  d'aller,  sous 

^''^''te-xte  de  la  guerre  de  Tunis,  droit  .i  Malte,  ensuite  dans  la  rade 

^  Srnyrne,  pour  prendre  et  couler  .1  fond  tout  ce  qui  s'y  trouverait 

^  *^  o. vires  hollandais,  puis  vers  Alexandrette  et  la  côte  d'Kgyptc  et 

fC'to^j  mer  en  côtoyant  la  Barbarie   ju.squ'i  la   hauteur    d'Alger.   Il 

'^'"^cJrait  après  :\  Ivicc  et  aux  Fromentièrcs  où  les  galères  l'atten- 


'  '  >      V.  les   registres  dt   dclibtir.uions  de  la  Oianibrc,  passiin  :  Secours  donnés 

■^         ^-i*   Cliambre  à  des  corsaires  d'Alger,  ainsi:  DB,  -f,  fol.  202,  joi),  -jiS,  ;oo. 

j  1 1^  y      Quand  une  nouvelle  rupture  éclata  avec  Tripoli  en  1692,  le  consul  licrivait 

.     *      fcnt  compte  d'anncr  sept  ou  huit  vaisseaux  ce  qu'ils  ne  fxiurront  jamais  faire 

_^  ■^•"ti  ni  bois,  cordages,  voiles,   biscuit,   fer,   ni   charbon.  Ceux  qui  sortiront 

f    *~**^t  très  mal  armiis  et  encore  plus  mal  équipés  et  par   ainsi  j'espère  qu'ils  ne 

'^*^"*  pas  tout  ce  qu'ils  se  sont  projeté....    Les  plus  grands  du  pays  ne  vivent 

°    *^    *3«;  sauterelles.  «  6  mars  i6')2.  .-iA,  J./7.  —  Cf  22  mai  16^2.  Ihid. 

^î  )    De  CR.\MM(PNr,  p.  256-241. 


234  ^^-   RF-LEVEMENT   DU    COMMERCE 

(Iraient*  ».  Le  prétexte  dont  parle  Vivonnc  indique  que  dans  la 
pensée  de  Colbert  c'est  dans  la  Méditerranée  que  devait  commencer 
la  guerre  par  une  surprise  des  bâtiments  hollandais.  Quelques  mois 
après,  quand  il  fut  question  de  dicter  des  conditions  de  paix  aux 
Hollandais,  Colbert  proposa  de  leur  interdire  l'entrée  de  la  Médi- 
terranée et  de  leur  faire  retirer  leur  ambassadeur  de  la  Porte  et  leurs 
consuls  des  échelles  :  «  11  est  difficile,  disait-il,  de  moins  leur  deman- 
der sur  ce  commerce*  ».  Pendant  qu'il  faisait  donner  la  chasse  aux 
navires  de  commerce  hollandais  par  nos  escadres,  il  prenait  soin  de 
fermer  la  Méditerranée  à  leurs  vaisseaux  de  guerre  et,  pendant  l'hiver 
de  1673,  •!  faisait  garder  le  détroit  de  Gibraltar  par  six  des  meilleurs 
vaisseaux  de  la  flotte*.  Aussi  écrivait-il  à  l'intendant  Rouillé  que  les 
Marseillais  devaient  profiter  de  la  conjoncture  où  la  mer  était  libre 
et  le  commerce  fermé  aux  Hollandais  pour  attirer  A  eux  tout  le  trafic  *. 
La  face  des  choses  changea ,  après  la  formation  de  la  coalition  ;  le 
commerce  souffrit  peu  des  atteintes  des  flottes  hollandaises  et  espa- 
gnoles contre  lesquelles  nos  escadres  tenaient  la  mer;  mais  pendant 
ce  temps  les  corsaires  Majorquips  faisaient  subir  aux  Provençaux  des 
pertes  considérables.  En  1677  le  roi  donna  l'ordre  d'armer  contre  eux 
quatre  vaisseaux  et  quelques  mois  après  la  Chambre  implorait  l'appui 
de  Vivonne  qui  se  trouvait  à  Messine,  «  pour  se  venger  des  Maillor- 
quins  qui  avaient  ruiné  notre  commerce.  »  Ce  fut  en  vain,  car  l'année 
suivante,  devant  l'insécurité  de  la  mer,  il  fallut  faire  une  défense 
générale  de  sortir  des  ports  à  tous  les  bâtiments,  et  lesMajorquins  se 
disposèrent  à  aller  jusqu'à  Alexandrette  prendre  quatre  vaisseaux 
marseillais  qui  s'y  trouvaient  encore.  Leur  audace  était  devenue  telle 
qu'ils  continuèrent  leurs  courses  après  la  signature  de  la  paix  et  le 

(i)  Mcmoiros  pour  répondre  à  la  dépêche  de  M.  Colbert  du  18  dccenibre 
dernier,  pnr  laquelle  il  m'ordonne  de  la  part  du  roi  d'examiner  ce  qui  se  pourrait 
faire  dans  la  Méditerranée  œntre  les  Hollandais  avec  le  corps  de  ses  {galères 
pour  ruiner  le  commerce  qu'ils  y  font.  Arch.  de  la  Mar.  B',  -iç^i,  fol.  7-1}. 

(2)  Propositions  sur  les  avantages  que  l'on  pourrait  tirer  des  Etats  de  Hollande 
pour  l'auj'nientation  du  commerce  du  royaume.  S  juillet  i6j2.  Lcllies  cl  Itist., 
t.  II,  I'.  ôjS. 

(3)  Lettres  et  Inst.,  I,  III,  !'<■  partie.  Au  viarijiiif  de  Martel,  lieulcnant  scellerai  ila 
armées  navales,  2S  juillet  lô"}!.  Litres,  t.  III,  2'=  partie  :  Mémoire  île  Colbert  (sur 
les  expéditions  envoyées  par  Seignelay,  pour  l'escadre  du  Levant),  Oct.  1673  :  «  A 
présent  vous  êtes  assuré  qu'il  n'y  a  aucun  vaisseau  ennemi  dans  toute  la  Méditer- 
ranée. »  —  Il  y  en  avait  en  1672.  V.  lettres  tlu  consul  de  IJvounie,  <)  août  i(^'j2, 
6  septembre  :  «  Six  vaisseaux  hollandais  attendent  les  l'rançiis  en  vue  de  Livourne.» 

.-///,  S<)2. 

(.})   I ;  jativ.  /(^'7;,  h-ttres,  .',  II, p.  Oj}. 


LES  CORSAtRRS   CHRÉTIENS 


235 


Juc  de  Villaliermosa.  vice-roi  de  Majorque,  ayant  délivré  des  passe- 
poitsil  nos  capiLiines  pour  aller  librement  aux  ports  d'Ilsp;if;ne,  les 
corsaires  de  Majorque  s'emparèrent  dans  le  mois  qui  suivit  de  vingt- 
sc*p»t  vuilesde  Marseille;  le  commerce  avec  l'Espagne  ne  fut  réelle- 
ment rétabli  qu'en  1680'.  Li  guerre  contre  Gênes  en  1684  et  la  nou- 
vtrllc  rupture  avec  l'Espagne  causèrent  encore  aux  Provençaux  une 
série  de  pertes'. 

I^'.irmenient  de  flottes  royales  considérables  pendant  toutes  ces 
g utrrris  avaient  eu  aussi  pour  résultat  de  priver  les  bâtiments  mar- 
dis» iids  de  matelots,  car  Colbert  avait  commencé  dés  1672  à  enfrein- 
dra ses  règlements  sur  les  classes.  La  Chambre  du  commerce  écrivait 
W  ù.  A^  ,  de  Vauvré,  intendant  de  la  marine  .\  Toulon,  le  4  mai  1682  : 
H^  î>Ios  capitaines  ne  trouvent  |X)int  de  matelots  et  le  peu  qu'il  y  en  a 
^^•i  cette  ville  est  tout  enrôlé  pour  le  service  du  roi  ;  nous  vous  prions 
Je  vouloir  bien  donner  vos  ordres  ;\  vos  commis  aux  disses  de  cette 
vil  le-  pour  leur  permettre  de  prendre  des  inatelots  de  toutes  classes; 
^*^rs  Cette  permission  il  leur  serait  impossible  de  former  leur  èqui- 
P^ge  pour  être  prêts'.  »  Enfin  la  rupture  avec  l'Espagne  produisait 
^*^*J  jours  le  résultat  de  priver  le  commerce  du  Levant  de  son  meilleur 
^*^fc»ouché  et  du  marché  des  piastres  qui  étaient  néccss;nres  A  ce 
'^^SOce.  Sans  doute  le  commerce  avec  l'Espagne  n'était  pas  alors 
'"^-•^i^plctement  interrompu  et  continuait  par  l'intermédiaire  des  vais- 
^^^'^Ux  neutres,  mais  avec  beaucoup  de  frais  et  de  difficultés'.  » 

A.»nsi,  pendant  le  ministère  de  Colbert,  le  commerce  fut  encore 

*^"^    d'être  dans  de  bonnes  conditions  de  pro.spérité.   Malgré  tous 

^^  efforts,  il  n'avait  pu  réussir  à  le  délivrer  entièrement  des  maux 

^H|  le  ruinaient;  il  avait  entrepris  \  la  fois  de  réprimer  les  abus  et  les 


dé^ 


Ta 


^^c>i"«Jre5,  de  liquider  les  dettes  et  de  supprimer  les  impositions,  de 
««"e  cesser  les  avanies  et  les  ravages  des  corsaires,  rien  de  tout  cela 


^    '  *  >    Zjtttrts  de  la  Cfmmhrt,  r.f  jauv.,  i-j  juillet  i6jj,  16  fà'i .  i6jS,  iS  mars, 

**^'»'il,  fie...  2.)  itot'.,  t(\  dk.  i6jq.  RB,  27. 

3j.'  *  )     JLii  Chambre  li  .Vf.  df  l'auvn',  t(>  juin  t6S.f  :  .VIM.  de  Gênes  ont  fait  divtrs 

Q-jT'^^'iicnK  et  singulicremcnt    8  galiros  tju'on  nous  dit  dcvtiir  se  joindre  A  2.S 

»     -^Pagne...  lesquelles  ont  déjà  pris  2  de  nos  barques.»  —  A  Seigiiel.-iv,  }  juillet  : 

j      P*"ijSt  par  les  Esp.ignols  dans  le  détroit  de  6  (lûtes  escortées   par  un  vaisseau 

,^     S.V*   '"  '^*''  craindre  dav;mtage  pour  le  convoi  de  Sniyrne ij  iiov.  16S4, 

jg  „-'•*•-'»'.  i6Ss  :  Les  Génois  viennent  de  prendre  6  lurques,  5  t.irtanes. —  3fi  mars 
ç^  ^  }    Ij  déclaration  du  roi  limite  au  12  de  ce  mois  la  date  jusqu'à  laquelle  les 
■*  ''^^^î's  pouvaient  faire  des  prises,  lili,  27. 
^■$ï    m.  2-,    —  V    P.  Ct-C.MKNT.  Colhal.  t.  I,  p.439- 

y\\  "v.  m,2(>.  27  juiihi  lôjs. 


236  LE   RELÈVEMENT  DU   COMMERCE 

n'était  achevé  en  1683.  Cependant,  l'œuvre  de  Colbert  avait  porté 
ses  fruits  :  le  commerce,  réduit  vers  1661  à  3 .000.000  délivres  pour 
les  importations  du  Levant,  s'éleva  en  moyenne  à  plus  de  6.000.000 
de  1670  a  1683,  mais,  tel  il  était  lors  de  l'afFranchissement  du  port, 
tel  il  restiità  la  mort  du  ministre,  avec  de  fortes  fluctuations  d'une 
année  à  l'autre,  mais  sans  aucune  tendance  à  augmenter'.  Ces  chif- 
fres étaient  encore  peu  de  chose  en  comparaison  des  achats  des 
Anglais  et  des  Hollandais  qui  s'élevaient  chaque  année  à  25  millions 
de  livres  environ.  La  flotte  commerciale  du  Levant  s'était  accrue  avec 
les  besoins  du  trafic.  Au  lieu  de  30  voiles  employées  par  le  com- 
merce en  1664,  il  y  en  avait  94  en  1670,  mais  ce  chiflre  ne  se  main- 
tenait pas  et  il  tombait  h  56  en  1678.  La  difficulté  de  trouver  des  équi- 
pages pendant  la  guerre  devait  être  pour  quelque  chose  dans  cette 
diminution.  Colbert  ne  pouvait  y  croire;  il  était  persuade  que  la 
Chambre,  en  lui  donnant  ces  chiffres,  voulait  dissimuler  la  prospérité 
du  commerce  et  il  recommandait  i  l'intendant  Morant  de  ne  pas  se 
fier  aux  renseignements  qu'elle  donnait  '.  «  Je  vous  prie,  lui  écrivait- 
il,  de  vous  appliquer  sérieusement  A  bien  pénétrer  l'état  dans  lequel 
est  le  commerce,  ce  que  vous  pouvez  facilement  connaître,  non  pas 
en  demandant  aux  marchands  et  faisant  fondement  sur  ce  qu'ils 
vous  diront,  mais  vous  devez  examiner  pour  cela  le  nombre  des 
vaisseaux  qu'il  y  avait  il  y  a  20  ans  et  combien  il  y  en  a  présente- 
ment, si  l'argent  court  facilement  sur  la  place  de  Marseille  et  quels 
intérêts  les  marchands  donnent,  si  l'on  bâtit  dans-  la  ville,  si  les 
mariages  sont  plus  considérables  qu'ils  n'étaient  il  y  a  20  ans,  si  les 

(i)  Voir  à  l'appendice  les  chiffres  dos  importations  pour  ces  treize  années.  On 
n'a  aucun  chiffre  pour  les  années  1661-1670,  mais  on  sait  que  le  commerce  eut 
une  activité  factice  à  cause  du  trafic  des  pièces  de  5  sols.  Les  grands  profits  qu'on 
faisait  alors  firent  multiplier  les  achats  dans  les  échelles,  ce  qui  expliauerait  cette 
phrase  de  d'Arvieux  écrite  en  1672  :  «  Il  est  constant  qu'il  y  a  à  Marseille  des 
marchandises  du  Levant  depuis  plus  de  dix  ans  qui  ne  sont  pas  vendues  et  qui 
suffisent  pour  la  consommation  qui  s'en  fait  en  France  plus  qu'il  n'en  faut  pour 
vingt  ans.  »  La  Chambre  affirma  la  même  chose  quand  il  fut  question  de  rompre 
avec  les  Turcs.  D'après  un  mémoire  de  M.  Magy,  l'un  des  directcurs.de  la  Com- 
pagnie du  Levant,  adressé  &  la  Cour  en  1685,  le  conmierce  de  Marseille  en 
Levant  ne  s'élevait  par  année  ordinaire  qu'.i  5  ou  4.000.01x1,  celui  des  Anglais  à 
7  ou  8,  celui  des  Hollandais  4  3  ou  .^.  Arch.  KiH.  F",  64s.  Ces  chiffres  sont  mani- 
festement au-dessous  de  la  vérité  et  n'indiquent  même  pas  les  rapports  exacts  du 
commerce  des  trois  nations  rivales.  Les  Hollandais  faisaient  un  commerce  beau- 
coup plus  considérable  que  les  Français.  —  Colbert  l'évaluait  vers  1661  à  lo  ou 
I2.CXXD.OOO  et  les  FloUandais  n'étaient  pas  encore  en  décadence. 

(2)  Il  n'avait  pas  complètement  tort.  La  Chambre  écrivait  à  son  agent  à  Paris 
le  15  août  1661  :  «  Il  faut  paraître  pauvres  au  ministre.  »  BH,  26. 


RÉSULTATS   DE   l'cHUVRE   DE    COLBERT 


237 


cliargcs  de  la  ville  nugmctncnr  de  prix,  et  si  les  marchands  sont  bien 
meublés  et  font  quelque  dépense  chez  eus.  Vous  voyez  que  vous 
pouvez  facilement  tiire  réflexion  sur  toutes  ces  choses,  dont  vous 
pouvez  tirer  une  conséquence  sûre  que  le  commerce  va  bien  ou  mal, 
sans  le  demander  aux  marchands  dont  le  stile  ordinaire  est  de  n'être 
jamais  contents;  mais,  comme  le  commerce  du  Levant  est  assuré- 
ment le  plus  important  du  royaume,  il  est  aussi  d'une  très-grande 
conséquence  que  vous  soyiez  siiremeui  informé  par  ces  moyens  de 
l'état  auquel  il  est  '.  » 

Colbert  dut  apprendre  avec  joie  qu'après  la  guerre  de  Hollande  on 
se  remettait  A  constniire  des  navires.  Li  Chambre  du  Commerce 
réclatnait  alors  à  la  Cour  la  restitution  d'un  chantier  de  construction 
qu'elle  avait  abandonné  pendant  la  guerre  .\  l'intendant,  M,  de 
Brodart,  pour  y  construire  des  tjaléres,  «  Cela  lui  fut  accordé,  écri- 
vait-elle, parce  que  nous  n'avons  point  de  réserve  pour  ce  qui  regarde 
le  service  du  roi  et  que  d'ailleurs  il  ne  se  fabriquait  pas  alors  de 
navires  A  cause  de  la  misère  du  négoce...  Nous  en  avons  présen- 
tement besoin  ;\  cause  que  nos  marchands  commencent  de  concevoir 
espérance  d'un  bon  commerce  par  les  ordres  que  le  roi  a  donnés 
contre  les  corsaires  de  Salé  et  de  Tripoli  et  forment  des  desseins 
pour  faire  bâtir  et  fabriquer  des  vaisseaux  pour  la  navigation,  y 
en  ayant  trois  de  commencés  et  quelques  barques*  ».  Un  document 
intéressant,  conservé  aux  archives  de  la  Chambre,  nous  donne  le 
mouvement  complet  de  la  navigation  auquel  donna  lieu  le  com- 
merce du  Levant  pour  les  quatre  années  de  1680  à  1683.  Le  nombre 
de  voyages  des  bâtiments  français  fut  de  50  en  1680,  de  49  en 
i68i,  de  37  en  1682,  de  76  en  1683*;  les  vaisseaux  figuraient 


(i|  2  fanv.  1682.  Deppixg,  t.  m,  p.  621. 

(21  A  M.  Je  Gtimeri,  agent  à  la  Ccnr,  (}  acûl  16S1.  BB,  26,  —  La  Ciout  qui 
n'av.iic  uuc  1}  bâtiments  en  1661,  en  posséJ.iic  au  moins  40  en  1683.  Mémoire  de 
la  Chavwff  (annexé  à  la  séance  du  19  lévrier  1688).  BB,  3,  fol.  3S4-4if. 

15)  Ces  chiffres  corrcspondcm  bien  à  ceux  de  la  valeur  des  importations: 
l'année  1682  fut  celle  où  le  commerce  tomba  le  plus  bas  pendant  les  treize  années 
Je  1670-16S3.  —  Cf.  .■Ircb.  XiU.  /■"",  64^.  Mèmoirt  Jf  i{T/0  :  »  On  peut  faire  état 
qu'il  t>art  tous  les  ans  50  ou  60  bâtiments  pour  le  Levant  et  20  barques  au  plus 
pour  la  Candie  ou  la  ciSte  de  la  Morée.  »  —  Aicb.  Kat.  C,  .ffS  :  Rouillé,  le 
21)  septembre  1O79,  envoie  un  état  des  navires  entrée  à  .Vlarscillc  en  1660,  1668  et 
1678-79,  venant  du  Levant,  du  l'onant ,  d'.^niiterdatn ,  Hambourg.  —  ]|  y  avait 
eu,  en  ibdo,  j6  entrées,  en  «668,  75,  du  ji^'  octobre  167S  au  30  nciobre  1679, 
XO}.  —  «  Malgré  tous  ses  soins,  et  quoiqu'il  y  ait  fait  travailler  par  le  lieutenant 

énéral  en   l'amirauté,  il   ne  peut  rendre  compte  des  vais.vcaux  qu'il  y   avait  .l 

laneille  il  y  a  vingt  ans,  et  il  n'a  pu  mieux  reconnaître  la  différence  du  com- 
merce de  ce  ten:ps  d'avec  celui  d'aujourd'hui,  m 


238  LE   REI.kVEMI-NT   DU    COMMERCE 

dans  ce  total  au  nombre  de  19,  17,  15  et  24;  les  autres  voyages 
avaient  été  faits  par  des  bâtiments  plus  petits,  polacres  ou  barques. 
En  outre,  270  voyages  avaient  été  faits  de  Marseille  aux  ports  d'Italie 
en  1680,  243  en  1681,  270  en  1682,  205  en  1683.  Le  mouvement 
des  quatre  années,  pour  le  commerce  avec  la  côte  d'Espagne,  avait  été 
de  187,  174,  191  et  123  voyages  et  ce  trafic  n'était  guère  fait  que  par 
des  barques.  Enfin,  59  vaisseaux  étaient  partis  de  Marseille  pour  les 
ports  du  Ponant  en  1680,  et  67,  25,  51  dans  les  trois  années  sui^ 
vantes.  On  peut  remarquer  que  Colbcrt  avait  bien  peu  réussi  h  faire 
de  Marseille  l'entrepôt  des  Anglais  et  des  Hollandais  au  détriment  de 
Livourne,  comme  c'était  sa  pensée  en  publiant  l'édit  du  port  franc, 
car  presque  tous  ces  vaisseaux  Ponantais  qui  fréquentaient  Marseille 
appartenaient  aux  ports  français  et  plus  de  la  moitié  aux  Malouins. 
On  n'y  voit  figurer  qu'un  bâtiment  anglais  et  un  hollandais  en  1680, 
6  hollandais  et  2  anglais  en  1681,  4  hollandais  et  i  anglais  en 
1682'.  A  la  suite  de  l'édit  du  port  franc  on  avait  pu  espérer  un 
moment  que  Livourne  serait  délaissé,  mais  la  guerre  de  Hollande 
avait  contribué  A  y  maintenir  l'entrepôt  du  commerce  des  étrangers  : 
Aux  avantages  de  la  franchise  s'ajoutaient  ceux  de  la  neutralité  de 
son  port*. 

S'il  avait  redonné  plus  d'activité  au  commerce  français  du  Levant 
Colbert  n'avait  pas  affaibli  celui  de  nos  rivaux;  môme,  malgré 
l'établissement  du  droit  de  20  0/0,  et  grâce  aux  fraudes  qu'ils  com- 
mettaient dans  les  ports  du  Ponant  avec  la  connivence  des  fermiers 
des  droits  du  roi,  les  Anglais  et  les  Hollandais  continuaient  â 
fournir  une  grande  partie  du  royaume  des  marchandises  du  Levant, 
tandis  qu'elles  s'entassaient  sans  trouver  de  débit  dans  les  magasins 
de  Marseille;  c'était  une  des  causes  principales  des  progrès  assez 
faibles  qu'avait  faits  le  commerce  du  Levant  sous  Colbert*.  Cepen- 
dant, les  progrès  de  nos  manufactures  conmicnçaient  à  menacer  la 
prospérité  de  nos  rivaux.  «  Les  draps  de  Hollande,  dit  un  mémoire 
adressé  â  la  Cour  en  1685,  n'ont  plus  tant  de  réputation  comme 
autrefois  ;  depuis  que  les  Français  en  portent  ils  les  ont  diminués  de 
bonté  et  les  vendent  30  00  de  moins  qu'ils  ne  les  vendaient  en  1670, 


(i)  //,  2.   Etat  di-s  hdlimenii  partis  dt'  Marseille  Je  i6Sn  ù  16S}.  Document  très 
déMillé  et  très  intéressant. 

(2)  Ultre  de  Roiiilh'  à  Colbcrl,  7  oct.  lO'j'j.  Arch.  Nal.  Gu  .j}8. 

(3)  V.  le  chapitre  suivant. 


RESULTATS   DK   L  ŒUVRE    DE   COLBERT  239 

que  nous  avons  commencé  d'en  porter,  et  nous  vendons  les  nôtres 

12  à  15  0/0  de  plus  que  les  autres.'  »  Seignelay  et  Pontchartrain, 

en  achevant  l'œuvre  de  Colbert,  allaient  donner  au  commerce  cette 

sécurité  et  cette  régularité  qui  lui  étaient  nécessaires,  et  ils  devaient 

le  protéger  plus  efficacement  contre  la  concurrence  des  étrangers. 

(i)  Mintoire  de  M.  Magy  (de  la  Compagnie  du  Levant).  Aicb.  Kal.  f*,  64^.  — 
Les  Anglais  portent  2j  à  jo.ooo  pièces  de  draps  et  les  Hollandais  4  à  5000.  — 
Il  faut  remarquer  que  Magy.  tjui  plaide  pour  la  Compagnie,  exagère  les  progrès 
Je  nos  draps  qui  lui  étaient  dûs  en  partie. 


CHAPITRE  V 

LHS   ANNliliS   DE    PROSPIÎRITI-    (1683-I7OI) 

I.  —  Liubèvcmenl  de  r œuvre  de  Colbcrl  par  Seignelay 
et  Ponlcharlrain. 


A  la  mort  de  Colbcrt,  le  commerce  resta  dans  les  attributions  du 
contrôleur  général  des  finances,  mais  les  échelles  du  Levant,  comme 
les  colonies,  firent  partie  du  département  de  la  marine  ;  faute  d'un 
partage  bien  net  d'attributions,  il  pouvait  naître  des  conflits  entre 
les  deux  ministres,  aussi,  apris  la  mort  de  Pontchartrain,  qui  avait 
de  nouveau  réuni  les  deux  charges,  un  règlement  délimita  leurs 
fonctions  et  laissa  définitivement  les  consulats  et  les  affaires  du 
Levant  aux  mains  du  secrétaire  d'Etat  de  la  marine'.  L'administra- 
tion de  Seignelay  et  celle  de  Pontchartrain  furent  également  actives; 
ils  poursuivirent  tous  les  deux  l'œuvre  de  la  centralisation  qui 
devenait  plus  étroite  dans  toutes  les  branches  de  l'administration  ; 
l'action  du  Ministre  et  du  Conseil  s'étendit  jusqu'à  de  minutieux 
détails,  comme  le  montre  la  correspondance  de  plus  en  plus  volu- 
mineuse que  le  secrétaire  d'Etat  entretient  avec  la  Chambre  du 
commerce  et  la  quantité  d'arrêts  du  Conseil,  de  règlements,  d'ordon- 
nances de  l'intendant,  que  celle-ci  consigne  dans   ses  registres*. 

(1)  V.  DE  BoisLiSLK.  Cûiresp.  t.  H,  apptnd.  p.  44i)  :  Projet  de  rirglcmcnt 
(mai  1699).  —  Lettre  de  D.igues.sc.iu  à  Pontcliartrain  père  (20  mai  1699). 
Mémoire  au  roi  par  M.  de  Pontchartrain  père.  —  0  Le  secrétaire  d'Etat  aura  Ln 
conduite  de  tout  ce  qui  regarde  les  échelles  et  consulats  du  Levant,  police  des 
négociants  qui  composent  le  corps  de  la  nation,  nomination  des  consuls,  Chambre 
du  commerce  de  Marseille,  choix  de  l'inspecteur  établi  à  Marseille  pour  la  visite 
et  marque  des  draps  pour  le  Levant.  » 

(2)  V.  BB,  S2.  BB,  2-j,  2S.  —  V.  les  arrêts  et  règlements  insérés  dans  le 
registre  BB,  4. 


ACHEVEMENT   DE   L  ŒU\'RE   DE  COLBERT 


!4I 


Cc-t te  tutelle  étroite  du  pouvoir  central  eut  pour  résultat  de  mettre 

un   ternie  aux  desordres  dont  souffrait  le  commerce,  mais  elle  finit 

par    l*.issu)ettir  à  une  rèt^lemcntatiou  trop  étroite  qui  gêna  son  essor. 

Seignchy,  élevé  à  la  rude  école  paternelle,  avait  fait  un  sérieux 

et  Icitig  apprentissage  des  choses  de  la  marine  et  du  commerce  avant 

Jt-   rernplacer  son  père.  Plus  heureux  que  Colhert  qui  avait  plusieurs 

fois    projeté  un  voyage  :\  Marseille  sans  pouvoir  l'accomplir,  il  avait 

i.iït    trn  1676  un  voyage  d'inspection  des  ports  de  Provence'  ;  il  est 

vrai     <qu'il  avait  séjourné  à  Toulon  beaucoup  plus  qu'à  Marseille. 

I*    Ai«Ja  puis  suppléa  peu  i  peu  son   père  dans  la  direction   de  la 

""•^^  ri  ne  et  des  affaires  du  Levant  ;  à  partir  de  janvier  1 679  la  Chambre 

l>-«i    il  dresse   toutes  ses   lettres  et  n'en  envoie  plus  que  rarement  ù 

^*^lb»ert.  Longuement  formé  par  son  père,  Seignelay  se  conduisit  en 

^**"3.i    disciple,  poursuivant  avec  ardeur  l'achèvement  de  tout  ce  que 

^<^lt>ert  avait  cominencé,  cependant  il  eut  le  mérite  de  s'affranchir 

*;;^    tj nelques-uns  de  ses  préjugés.  Les   trois  premiers  commis  qui 

**^^«^iit  successivement  chargés  de  l'expédition  des  affaires  du  com- 

^"*<i»"ec  Merci,  de  b  Salle,  de  Salaberri,  furent  loin  de  jouer  le  rôle 

*  ^"^ portant  du  concussionnaire  Ikllin/ani.  M.  de  Lagny,  qui  reçut  en 

'  ^556  le  titre  de  directeur  génér.il  du  commerce,  eut  plus  d'intUience 

^^*»"    la  conduite  des  affaires*.   Quant  aux   cinq   commissaires  des 

^''^i  rcs  du  commerce  qui  avaient  été  créés  en  1684  :  M.  de  Rouillé, 


1^ 


pr«^sident  de  Fourci,  prévôt  des  marchands,  les  conseillers  d'Etat 

^^*-»cherat  et  Pussort  et  le  lieutenant  de  police  de  la  Reynie,  ils 

'^  apparaissent  dans  la  correspondance  de  la  Chambre  qu'une  fois, 

P*--*^ir  recevoir  des  félicitations  au  sujet  de  leur  nomination''.  Dagues- 

^^^u,    ancien   intendant  de  Languedoc  devenu  conseiller  d'Etat  en 

*  ^S  5  ^  s'occupa  particulièrement   du  commerce  du  Levant,  et  en 

^S8   Seignelay  l'envoya  en  mission  spéciale  en  Provence  afin  de 

^  *  )    Jjclha  tl  Iiistr.  l.  m,  2^-  partie.  —  Instructions  au  nurquis  de  Scigneby. 
""""    ^^"rit  de  lettres  ;\  son  pcrc  d.itces  Je  Provence,  octobre  1676. 

'^>  Aforel  de  Boistiroux  succède  j  Bcllinzjni  —  de  l.i  S.illc  à  Morcl  eu  1686 
^7  '^'^  Salaberti  ;ipparait  d.ins  h  correspondance  en  1689.  V.  BB,  3-],2S.  —  Lii 
j  **?»ï»brc  félicite  de  Lignv  de  sa  nomination  le  ig  avril  1686.  BB,  37.  — Celui-ci 


^^  ertic  1.1  n-tvigation.  (.■imiiaulé  de  Mars.  Regiihc  dis  Insinunt.  Arch.  Dipart. 
_  '  -fi .~,lt4-Kli  ^.  Le  titre  de  directeur  général  du  commerce  av.iit  été  déj.i  porté 
P^*"    les  premiers  commis  Bellinjani  et  Morcl.  Il  semble  que  les  deux  fonctions 

Sont    «.»..'    A.-    ...    .i*/:  ' 


■    **   au  lieuten;»nt  pénér.il  de  l'amirauié.  le  27  avril,  de  l'informer  de  tout  ce  uuj 

P-">r    j 

'^"«  séparées  en  16S6. 

*î)  iiS  ifpttmhit  16S4.  BB,  2j. —  La  Chambre,  qui  avait  choisi,  pour  la  reprè- 
cn\er  j  Paris,  M.  de  Gumer) ,  ancien  secrétaire  de  M.  de  Rouillé,  eut  toujours 
'*  celui-ci  un  protecteur  dévoué  des  intérêts  du  commerce. 

16 


242  LES   AKNEES   DE    PROSPEKITE 

conférer  avec  la  Chambre  sur  le  rctablissemeut  du  négoce  '. 
Seignclay  fut  donc  entouré  d'une  pléiade  d'hommes  expérimentés 
qui  avaient  été  les  auxiliaires  dévoués  de  Colbert  dans  son  œuvre 
commerciale,  comme  Pussort,  La  Rcynie,  Daguesseau  et  Rouillé. 
Ces  deux  derniers,  par  les  intendances  qu'ils  avaient  remplies  en 
Languedoc  et  en  Provence,  étaient  les  deux  membres  du  Conseil  les 
plus  compétents  pour  les  affaires  du  Levant  et  furent  les  meilleurs 
auxiliaires  du  ministre. 

Le  long  conflit  qui  se  perpétuait  depuis  plus  de  quatre-vingts 
ans  entre  la  Chambre  du  commerce  et  les  ambassadeurs  se  termina 
enfm  à  cette  époque  par  le  triomphe  de  la  Chambre.  Ses  relations, 
après  avoir  été  assez  cordiales  avec  M.  de  Guilleragues,  s'étaient 
aigries  après  l'affaire  de  Chio  qui  fut  l'origine  de  nombreuses  levées 
d'argent  faites  par  l'ambassadeur  sur  les  échelles.  Quoique  M.  de 
Guilleragues  fût  bien  en  cour,  Seignelay  se  crut  obligé  de  lui 
adresser  une  lettre  de  reproches  :  «  Le  roi  a  été  fort  surpris,  lui  disait- 
il,  d'apprendre  par  les  échcvins  et  députés  du  commerce  de  Mar- 
seille la  nouvelle  levée  de  4.000  piastres  que  vous  avez  fait  faire  à 

Smyrne  sur  vos    ordonnances S.  M.  veut  être  absolument 

informée  en  quoi  consistent  les  dépenses  excessives  qui  se  font  en 

Levant  et  les  raisons  que  vous  avez  de  les  faire étant  obligé  de 

vous  dire  que,  les  plaintes  que  fait  le  commerce  de  ces  levées  conti- 
nuant, cela  pourrait  vous  faire  tort  dans  l'esprit  de  S.  M.  *  »  Guil- 
leragues étant  mort  presque  aussitôt,  la  Chambre  essaya  de  nouveau 
de  représenter  qu'un  simple  résident  serait  plus  avantageux  pour  le 
commerce  qu'un  ambassadeur',  puis  elle  remit  des  mémoires  au 
sujet  des  abus  d'autorité  qu'il  faudrait  interdire  au  successeur  de 
Guilleragues,  M.  Girardin. 

Celui-ci,  dans  les  trois  années  qu'il  passa  à  Constantinoplc,  ne  se 
livra  pas  à  des  dépenses  exagérées  et  ne  tira  pas  de  grandes  sommes 

(i)  BU,  4.  fol.  p)6  cl  siu'v.  :  Mlmoirc  donné  d  Ms'  DiigMsu-au,  conseiller  â'Elat, 
commissaire  envoyé  par  S.  M.  en  celle  province  en  août  i(>SS  pour  le  rèlahlissement 
du  commerce  du  Levant.  —  Cf.  un  niimoire  à  Daguesseau  de  i6S^.  lil),  4,  fol.  140. 

(2)  Dkpping,  t.  III,  p.  629.  — V.  iMre  de  la  Clximbre  à  Seignelay,  2;  ocld're 
16S4,  21  mars  i6Sj,  20  avril  lôSj.  BB,  27.  —  La  Cliambre  réclama  des  resti- 
tutions aux  héritiers  de  M.  de  Guilleragues  :  V.  BB,  7,  délibérations  du  <?  juillet, 
22  août  16S6.  —  Mémoire  du  ij  juillet  l6S<j  (donné  à  M.  de  Castaçnères), /o/.  416 
et  suit'.  :  Un  arrêt  du  Conseil  du  28  décembre  1685  avait  donné  1  ordre  de  dresser 
à  Constantinople  un  compte  des  sommes  levées  par  M.  de  Guilleragues  ;  il  fut 
impossible  d'y  obéir  car  il  n'y  avait  aucune  pièce  à  la  chancellerie. 

(3)  27  avril,  2  mai  168$.  BB,  2j. 


AC1lfe\'KMEKT  DE  L'ŒUVRE  DE  COLUEKT 


243 


d'nrgcni  Jcs  échelles,  cependiiin  il  entra  encore  en  querelle  avec  la 
Chambre  au  sujet  Je  ses  pouvoirs.  Les  députés  du  coinmcrce  refu- 
icrcnt  de  payer  ù  son  ordre  les  lettres  de  change  qu'il  délivrait  aux 
capitaines  dci  navires  sur  lesquels  il  prenait  de  l'argent  ;  ils  soute- 
naient qu'il  n'avait  aucune  juridiction  sur  la  Chambre,  que  c'était 
elle  au  contraire  qui  avuit  h  examiner  ses  comptes  et  le  juste  motif 
de  Ses  levées,  afin  d'en  donner  avis  A  l'intendant,  qui  ordonnerait 
alors  le  remboursement  aux  capitaines.  Ils  lui  contestaient  le  droit 
de  se  mêler  aux  querelles  des  consuls  et  de  la  nation  dans  les 
échelles,  que  Girardin  prétendait  régler  par  ses  ordonnances,  et  ils 
l'accusaient  de  Éivoriscr  les  consuls  aux  dépens  des  marchands. 
Même  ils  le  mettaient  au  défi  de  montrer  que  les  rois  eussent 
jamais  attribué  aucune  juridiction  aux  amb.issadcurs,  tandis  que 
l'article  i8  du  titre  9  de  l'ordonnance  de  la  m.irine  spécirtait  que 
les  appellations  des  jugements  de«  consuls  des  échelles  rcssoniraient 
au  Parlement  d'Aix,  c:  l'article  19  attribuait  au  lieutenant  de 
l'amirauté  la  connaissance  des  contestations  entre  les  négociants  et 
les  consuls.  Il  y  avait  loin  de  cette  théorie  ;\  l'autorité  absolue  que 
s'arrogeaient  autrefois  les  ambassadeurs  dans  le  Levant.  Ils  devaient 
être  réduits  au  rôle  de  protecteurs  du  commerce  auprès  de  la  Porte 
et  l'administration  des  échelles  devait  rester  h  la  Chambre  seule, 
sous  le  contrôle  de  l'intendant, 

La  Chambre  profita  de  la  mort  de  Girardin  (1688)  pour  faire 
régler  i  la  cour  toutes  ces  contestations  «  sur  les  prétendus  attributs 
de  l'ambassade  »,  avant  la  nomination  de  son  succesîveur'.  Aucune 
déclaration  roN-ale  n'intervint  à  ce  sujet,  mais  M.  de  Castagnéres  de 
Chàteauneul,  le  nouvel  ambass.»deur,  dut  recevoir  pour  instruction 
de  s'incliner  devant  l'autorité  de  la  Chambre,  car  les  contestations 
ccs.sérent  complètement.  Même  il  y  eut  entre  la  Chambre  et  l'ani- 
bassade  une  cordialité  de  relations  que  l'on  était  peu  accoutumé  \ 
voir.  «  Nous  avons  conféré,  écrivaient  les  députés  du  commerce, 
avec  notre  nouvel  ambassideur.  Il  est  si  content  de  nous  et  nous  de 
lui  qu'on  ne  {K-ut  rien  désirer  davant.igc.  Il  a  écrit  ù  h  cour  d'une 
manière  si  avantageuse  pour  nous,  que  nous  avons  lieu  d'espérer 
d'avoir  auunt  à  nous  louer  de  lui  que  nous  avons  eu  à  nous  plaindre 

(t)  Pour  ces  conflits.  V.  BU,  4  :  MémMrts  du  kbniins  H  dipuUs  du  commerce 
coactrnant  /Va',  '     ordonnatud  de  M .  l'amlHissadeui ,  nj/hritr  t6S,S,  fol.  ]32 

et  suiv.  —  M.  ■'■  il  iVf.  i/r  Casiiipùrti  dt  ChdlfauiunJ  iUr  ton  ùauttge  far 

Marsfille,  U  y  jntmi  loSy,  Joi.  416  el  mh: 


244 


LES  ANNÉES  DE  PROSPÉRITÉ 


de  tous  les  autres'.  »  La  Chnmbrc  se  chargea  de  taire  parvenir  rt'gu- 
licrenicnt  \   Tanibassadeur  la    Ga^'tu  Je  France   et  les  nouvelles 
manuscrites  qui  circulaient  ;  elle  lui  achetait  son  vin  et  lui  envoyait' 
des  provisions  de  toutes  sortes,  elle  servait  d'interm<?diaire  entre  lui 
et  son  frère,  l'ablK^  de  Châteauneuf,  pour   leur  correspondance *.J 
Dès  lors  le  pouvoir  des  ambass;ideurs  n'offrit  plus  de  dangers  pour™ 
le  commerce  et  la  bonne  harmonie  ne  fut  plus  que  rarement  troublée 
entre  eux  et  la  Chambre.  mk 

Celle-ci,  au  départ  de  M.  de  Castagnères,  lui  avait  remis  des™ 
mémoires  remplis  de  plaintes  contre  les  consuls.  En  effet  la  question 
des  consulats  et  de  l'administration  des  échelles  n'était  pas  cncor 
réi;lée  \  la  satisfaction  du  commerce.  En  16S4,  Seigndav,  sani 
consulter  ni  prévenir  la  Chambre',  fit  de  tous  les  consulats  une 
ferme  générale  qu'il  adjugea  ù  la  Compagnie  de  la  Méditerranée 
celle-ci  après  lui  en  avoir  donné  d'abord  environ  22.000  livres  porta 
plus  tard  la  ferme  jusqu'à  40.000*.  Seignclay  ne  fais;iit  qu'appli- 
quer là  le  système  de  Colbert  qui  voulait  mettre  la  Compagnie  \  la  , 
tête  de  tout  le  commerce.  Mais  celle-ci  confia  les  consulats  à  de^H 
sous-fermiers  qui  donnèrent  lieu  A  des  plaintes  aussi  vives,  peut-être,  1 
que  les  commis  des  anciens  consuls  propriétaires^.  Ils  n'eurent,  en 
effet,  comme  ceux-ci^  qu'un  but .  s'enrichir  pendant  le  court  espace 
des  trois  années  du  bail  qu'ils  fais:iient  avec  la  Compagnie.  Ils  n< 
commettaient  plus  ouvertement  des  exactions  comme  autrefois^ 
car  les  plaintes  des  marchands  eussent  été  vivement  soutenues  porj 
la  Chambre,  mais  ils  faisaient  payer  par  la  nation  des  dépenses  qu'ils 
auraient  à\X  supporter,    comme   les  présents   à  faire  aux   pachas,! 


(1)  Il  juilUt  léStj,  à  Vilkntuvt,  agent  à  la  cour.  BB,  3S. 

(2)  BD,  iS.  -  octoht  i6S<f,  3ç  twvcmbre  iCiyi.  Compte  d'envoi  Je  provisions  .1 
M,  l'iimbiissadcut  :  lard,  sucvn,  cspine  vinctte,  nonp.ircille  ambrée,  anis,  coriandre, 
cassonade,  quinaquina.  —  1:11e  adressait  à  M.  Aroiiet,  conseiller  du  tui,  nouire 
au  CliAtelct.  rue  Caknde  prés  le  palais,  les  lettres  de  l'ambassadeur  à  l'jbSi  de 
ChAteauiieuf.  V.  6  aoi'U  lùpi,  17,  /y  avril  linjî,  etc.  BB,  2S. 

(3)  BB,  27.  Lettre  à  M.  de  Bounecorse,  i;  mars  16S4. 

(^)  Arch.  Kation.  F"  64s-  Mémoire  s.ins  titre;  voir  les  mémoires  de  la  note 
(5)  Voir  au  sujet  de  ces  plaintes  :   Mànoirt   sur  Us  comulats  du  LcMiit  rt 

Barbarie  {f/of\).  Bil'l.  Kal.  Mss.  franc,  ifxju^,  fol.  /.  —  Lettre  de  Lebret,  2  ju 
lyoS.  Ibiil.  fol.  riSi-tSS  ;  eUc  est  inspirée  du  niénioire  précédent.  — 
mémoire  ^ur  les  consulat:.  Ihid.  fol.  2ji-i04.  —  L'auteur  du  premier  inèr 
qui  a  inspiré  les  autres,  ni.il  renseigné,  ou  plutôt  voulant  iotluencer  la  cour  , 
il  propose  le  rétablissement  des  oinces  de  consuU  propriétaires,  fait  l'apûlog 
l'administration  des  consulats  avant  Seignelay.  juliiany  et  Marchand  ont 
trompés  par  ce  niénioire.  —  V.  Jclliaw,  1. 1,  p.  66.  —  Marchand,  p.  î}2. 


ACHF.VEMHXT   DH   L  rFin'RE  DK   COLBERT 


!45 


/entretien    des   chapelains,    des  chanceliers  et    des  drogmans  de 

/  c^chellc  ;  même,  aa  lieu  de  donner  l'i  ces  derniers  leur  salaire,  ils  en 

tirnient  de  l'argent,  «  moyennant  quoi  la  conduite  de  ceux-ci  n'était 

p;is  plus  régulière  »  ;  pour  cacher  ces   irrégularités,  ils  parvenaient 

sous    différents  prétextes  à  éluder  l'envoi  des  comptes  qu'ils  devaient 

Ciire   tous  les  trois  mois  ;\  la  Chambre  du  commerce.  Mais  le  plus 

grnnd  abus  c'est  qu'ils  fais;uent  tous  le  commerce,  directement  ou 

ind  î  rcctement,  avec  tout  l'avantage  sur  les  autres  marchands  que 

leur    donnait  leur  situation  et  leurs  relations  avec  la  G:)mpagnie.  Ils 

reccv- Client  des  Juifs  ou  des  étrangers  des  pensions  pour  les  admettre 

sons   la  protection  de  la  France  ;  ils  permettaient,  malgré  les  ordon- 

''•i  ri  ces,  à  des  vaisseaux  étrangers  de  prendre  notre  pavillon  qui  les 

«iïva.îx  jouir  des  avantages  accordés  aux  Français  dans  les  échelles, 

^nrx     d'augmenter  leurs  droits  de  consulats.  En  Egypte  notamment, 

*^"      i^racc  à  la  complicité  du  consul,  ils  ne   payaient  comme  les 

^'■"^ï^çais  que  3  0/0  de  douane  au  lieu  de  30  0/0,  les  étrangers  parvc- 

'^**-'<^iii  ainsi  à  faire  un  grand  commerce. 

^^iïli»cureuscment  ces  consuls  étaient  fortement  appuyés.  Des  deux 

^'-"•'Cs  du  directeur  de  la  Compagnie   de   la  Méditerranée,  Joseph 

^t>«"e,  l'un  fut  consul  de  Smyrne,  l'autre  vit  créer  pour  lui,  malgré 

^^hambre,   le  poste  inutile  d'agent  du  commerce  à  Constanti- 

*-*t*Ie  '  et  fut  en  outre  chargé  de  l'ancien  consulat  non  moins  inutile 

^    Gallipoli.  Jullien,  consul  d'Alep,  était  l'homme  de  confiance  de 

■:*^^^ph   Fabre  ;   Marlot,    consul   du   Caire,    était   parent  de  M.  de 

-     ^*-^-»vré,  intendant  de  la  marine  ;\  Toulon,  et  principal  intéressé  de 

^    ^-^^ m pag nie.  Fabre  de  Smyrne  fut  remplacé  par  Blondcl,  frère  du 

■^'"'^'^lier  commis  de  M.  de  Croissy  et  quand    la  Chambre,   «  après 

*  y*^îr    dissimulé  une  infinité  de  plaintes  »  contre  lui,  par  considéra- 

*^-**^    pour  son  frère,  osa  dévoiler  sa  conduite,  elle  res.sentit  les  effets 

^^   *A  rancune  de  celui-ci*.  L'ambassadeur  Girardin,  frère  de  M.  de 

***JVré,  était  tout  dévoué  à  la  Compagnie  et  défendait  les  consuls 

Commis.  Seignelay  lui-même  avait  annoncé  qu'il  doimerait  ;\  la 

j   *  *  )    1  Knus  ne  s.ivons  qu'il  puisse  arriver  rien  de  pis  dans  le  commerce.  »  L/Ilre 

^     'f  (Chambre  à  M.  île  dumery,  fj  ocloine  i6S$.  BB,  77.  lettres  Je  plaintes  coiilit  lui 

2  ^^^'gmlty,  BB,  27.  21  mai,   ;■•'  octdhe  i6^\.  Scipielay  refuse  de  le  rcvoiiucr, 

•*     'nari,  j6S6.  BB,  S2.   iinfin   l'.imb.issadeur  Castagncrcs  de    Ch;itcaiineut  eut 

P*^***"    instructions  de  supprimer  son  poste  (1689).  La  Chambre  lui  payait  i.oc» 

i^*^*^*"  P-«r.>n;  comme  il  était  le  principl  négociant  de  Constaniinoplc,  cette  charge 

rendait  le  nwitre  de  rédiclle. 

'*)   BB,  iS.  ij  dfc.  j6iVy,  10  mai  t6<^,  6  oct.  ifi^. 


ses 


2^(> 


LES   AXNÈES   DE   PROSPKRIjfe 


Conip;ignic  toute  sorte  de  protection  et  tenait  parole  en  fermant 
souvent  roreillc  aux  plaintes.  «  Les  négociants  de  Smyrne,  écrivait  I 
Ixbrct  ;\  Le  Pcleticr  en  1687,  se  sont  phiinis  de  leur  consul,  le  sieur 
Eibrc,  frère  du  fermier  général  des  consulats.  Il  faudrait  faire  un, 
exemple  :  mais  le  marquis  de  Scignelay  s'y  refuse.  De  plus,  les  amisi 
du  sieur  Habre  se  sont  vantés  d'avoir  vu  dans  les  bureaux  de  M.  de 
Seignelay  ma  lettre  du  4  septembre  spécifiant  tout  ce  qui  est  .\  leur 
désavantage  ;  vous  jugez  de  l'agrément  que  tout  cela  peut  avoir  pour 
un  homme  de  ma  manière,  qui  ne  suis  entré  dans  tous  ces  détailsifl 
que  pour  obéir  A  vos  ordres*.  »  Aussi  les  plaintes  des  marchands,™ 
transmises  par  la  Chambre^  devinrent-elles  plus  vives  dans  les  der- 
nières années  de  l'administration  de  Seignelay  ;  les  députés  du  com- 
merce rappelaient  tous  leurs  griefs  dans  une  longue  lettre  écrite  h 
Lebrct  en  r68S'  et  dans  le  mémoire  qu'ils  remirent  peu  de  temps 
après  au  nouvel  ambassadeur,  M.  de  Castagnère.s,  lors  de  son  départ 
de  Marseille*;  ils  adressaient  aux  consuls  du  Ciire,  de  Smyrne,  de 
Seïdc,  en  1689  et  1690,  des  lettres  de  vifb  reproches*. 

Cependant  il  est  juste  de   reconnaître  que  Seignelay,  s'il  s'était 
laissé  circonvenir  par  la  Compagnie  de  la  Méditerranée,  avait  sincè^ 
rement  l'intention  d'améliorer  les  consulats  et  l'administration  d< 
échelles •\  En  1685  M.  Dortières,  contrcMeur  générai   des  galères 
Marseille,  fut  envoyé  aux  frais  de  la  Chambre",  avec  deux  vaisscaui 
du  roi,  pour  visiter  les  échelles.  Il  avait  de  très  amples  instructions] 
il  devait  d'une  manière  générale  «  se   transporter  partout  où  te 
Français  avaient  leur  commerce  pour  remédier  aux  abus  et  malvcr 
sations,  y  mettre  l'ordre  que  S.  M.  avait  mis  partout  ailleurs  »  ; 
outre  sa  mission  avait  pour  but  de  développer  notre  influence  daii 


(t)  A  U  PtUtier,  22  dkembre  t6Sj.  Cf.  Ltltrt  r)  Stigneluy,  24  Jh<rifr  i68i.- 
Marchand,  p.  jjî. 

(2)  /./  c^tdtre  16SS.  BB,  38. 

(î)  BB,  4.  fol.  ./tô  (I  suiv.  Mémoiifi  dit  (f  juillet  16S1). 

(.j)  .■}  Matlol  du  Caire,  2)  avril,  20  sept.  i(>Si),  20  oci.  i(yi}0.  A  Blondtl  ^ 
Smvriu',  i }  di'c.  i6S^,  6  Jà.  i(><)o.  —  Au  coiisnl  Je  SciJe,  îq  iim'.  i6Sç,  r-A  .  BB,  j  •^;^ 
—  F;<brc,  lemiicr  ^vineral  dos  consulius  cl  les  autres  directeurs  de  l,i  Comp.iKt  ^  . 
se  livrèrent  cux-mùmcs,  gr.kc  A  1.»  cnnnlvciicc  de  I  nnib.i&s.ndcur  L-t  d«  consuls  ,^ 
de  graves  abus.  Voir  un  imimoire  de  Lebrct  do  1708  :  BihI.  NiU.  mis.  /r.  i6<) 
fol.  iSi-iSS. 

(5)  V.  Ullif  <i  Morant,  9x1.  16S4.  Deppisg,  t.  III,  p.  629. —  On  peut  r 
peler  l'arrOt  du  Conseil  du  n  m.irs  1685  cjui  délcndait  de  rccoini.iltrc  pour  coii 
de  la  nation  rr.ini,aise  les  ctringers  ijui  prctcndrjicnt  en  f;iirc  les  fonction*.  11^ 

(6)  A  Morattl,  2^  août  16S9.  Deppisg,  t.  III,  p.  6^- 


ACHFA*EME\T   DE   L  CT.UVRE    DE   COLBERT 


247 


Iti  Levant,  de  «  faire  connaître  aux  pachas  la  grandeur  ctla  puissance 
<4u  roi,  combien  S.  M.  est  au-dessus  de  tous  les  autres  jinnces  chré- 
t:  icns,  ses  forces  par  terre  et  par  mer,  ses  conquêtes;  il  devait  insinuer 
«:|ue  tous  les  princes  de  l'Iiurope  ligués  contre  la  France  avaient  été 
«jbligésde  lui  demander  un  traité  que  S.  M.  leur  avait  accordé  pour 
20  ans.  Etant  arrivé  à  Constantinople,  le  sieur  Dortières  devait  obte- 
nir aussi,  conjointement  avec  notre  ambassadeur,  de  nouveaux  com- 
mandements aux  pachas  pour  empêcher  qu'il  ne  tût  établi  dans 
les  échelles  d'autres  consuls  que  les  Français  et  que  les  étrangers  ne 
pussent  négocier  que  sous  l'aveu  de  la  bannière  de  France  et  en 
obéissant  aux  consuls  de  la  nation  qui  y  résidaient,  comme  il  avait 
été  convenu  par  l'art.  44  des  Capitulations  d'avril  1673,  ù  la  réserve 
toutefois  des  nations  qui  avaient  un  ambassadeur  résident  A  la 
Porte  '.  »  Les  mémoires  sur  la  situation  des  échelles  que  Dortières 
présenta  à  son  retour  en  1686  firent  sans  doute  juger  nécessaire  un 
second  voyage*.  Il  en  accomplit  en  effet  un  second  en  1687,  cette 
fois-ci  avec  pouvoir  d'établir  lui-même  des  règlements.  Dortières 
mit  fin  à  de  nombreux  abus,  mais  il  excita  les  plaintes  des  marchands 
&en  réglant  en  faveur  des  consuls  tous  les  points  qui  étaient  contestés 
au  sujet  de  la  dépense  des  échelles,  particulièrement  de  l'entretien 

ides  chanceliers  et  des  drogmans,  en  haussant  les  droits  de  consulat 
«t  de  chancellerie,  et  surtout  en  dissimulant  les  réclamations  qu'il 
avait  reçues  contre  la  conduite  des  consuls;  aussi  la  Chambre 
s'adressa  à  Seignelay  pour  empêcher  l'exécution  de  différents  articles 
«le  son  règlement\  En  1688,  M.  Daguesseau  fut  envoyé  en  Provence 
poar  faire  une  enquête  au  sujet  de  toutes  ces  plaintes;  il  s'en  revint 
pleinement  édifié  et  réussit  .\  convaincre  le  ministre,  qui  était  décidé 
^  supprimer  la  ferme  des  consulats,  quand  il  mourut. 


(1)  Instructions  du  ij  août  tôSs-  Arch.  des  aJJ.  ilr.  Turquie,  SupftUmetit.  isiy 
«î  i/^S.  Extraits  d.ins  Dfjpinc,  t.  III,  p.  643.  Dortières  reçut  des  conmiande- 
Tiiciiis  du  sultan  pour  faire  mettre  partout  en  vigueur  les  Capitulations  qui  lurent 
jHiur  la  première  fois  appliquées  en  Kgyptc. 

(2)  .Aucun  historien  n'a  parlé  de  ce  second  voy.nge  ;  il  ressort  cependant  de 
plusieurs  lettres  {à  de  Ligvy,  ;•■'  mars  i6S(>  ;  à  Dortihcs,  2S  juin  t6S6.  lili ,  27; 
^ngntlay  à  Morant,  jy  août  lôHô  ;  Dkpping,  t,  III,  p,  63})  que  Dortières  était 
iv>'cnu  de  son  voyage  au  printemi>s  de  1686,  et  de  nombreux  documents  nous  le 
montrent  de  nouveau  parcourant  les  échelles  en  1687, 

(3)  V.  Bli.  4,  fol.  jçç-406.  Mémoire  envoyé  le  10  mai  1688  à  M.  le  m.irquisdc 
Seienclav  contre  le  sieur  Louis  Fabrc,  consul  de  Smyrne,  et  contre  le  prétendu 
Tèglement  provisionnel  fait  par  M.  Dortières  ~-  Voir////,  36.  Règtnnent  fait  pour 
iaicMlts  du  Ln'iwtpar  M.  Dorlihf s.  Smyrne,  SoeUibrt  lôH-j.  ai  articles. 


248  LES   ANNÉES    DE   PROSPÉRITÉ 

Seignclay  se  préoccupa  aussi  de  prévenir  le  retour  des  dettes  dont 
la  liquidation  s'achevait.  En  1688  on  ne  levait  un  cottimo  pour  leur 
paiement  que  dans  les  échelles  de  Scïde  et  d'Alexandrie',  il  ne  fallait 
pas  que  les  avanies  et  les  emprunts  vinssent  les  renouveler.  C'est  ce 
que  Scignelay  voulut  prévenir  par  le  règlement  en  30  articles  du 
25  décembre  1685,  complété  par  l'arrêt  du  conseil  du  29  décembre 
1685.  Tous  les  dcu.K  avaient  été  mûrement  étudiés  par  la  Chambre 
et  le  dernier  ne  faisait  qu'ordonner  l'exécution  d'une  de  ses  délibé- 
rations*. Le  roi  y  interdit  «  de  faire,  pour  et  au  nom  de  Li  nation, 
aucun  emprunt  des  Turcs,  Juifs  et  autres  gens  du  pays,  sous  quelque 
prétexte  que  ce  soit,  si  ce  n'est  dans  les  cas  indispensables  dont  on 
sera  oblige  de  justifier  la  nécessité  et  de  tenir  registre,  lequel  en 
contiendra  les  motifs  »  (art.  /).  Les  avanies  auxquelles  les  particu- 
liers auront  donné  lieu  par  leur  faute  ou  mauvaise  conduite  en  quel- 
que manière  que  ce  soit  seront  supportées  par  eux  (arl.  2).  Au  cas 
où  ils  ne  paieront  pas  ils  seront  retenus  prisonniers  et  au  bout  de  trois 
mois  renvoyés  en  Franco,  où  la  Chambre  du  Commerce  poursuivra 
le  paiement  et  les  contraindra,  tant  en  leurs  biens  que  par  emprison- 
nements de  leurs  personnes.  Ce  sera  à  la  Chambre  du  Commerce  de 
juger,  d'après  les  informations  faites  par  les  consuls,  si  les  avanies 
seront  supportées  par  la  nation  ou  les  particuliers  (iirt.  ]  à  6).  Quand 
la  nation  devra  payer  une  avanie,  l'argent  sera  levé  sur  les  voiles 
qui  aborderont  dans  l'échelle  en  forme  d'avarie  (arl.  7).  Ces  avaries 
payées  par  les  capitaines  seront  remboursées  au  retour  par  le  coq>s 
du  bâtiment  et  les  effets  du  ciiargement,  en  tenant  compte  du 
change  maritime*.  Ces  sommes  demeureront  en  pure  perte  pour  les 
intéressés  au  bâtiment  ou  pour  les  assureurs,  jusqu'i  concurrence 
de  la  valeur  d'un  cottimo  et  demi,  sur  le  pied  qu'il  se  lève  actuclle- 

(i)  Mt'moii,-  diitiiit'c  à  M.  d:  CasUh^turis,  i<.)  pvriei  i6SS.  Bli,  4,  fol.  J32. 

Ul  />W,  ./.  Dt'lihêmlion  ,!ii  ;;  //(///.•/  lOSf.  —  7  Siftfmhe  i6Sf.  Mnnoires  sur  hs^^ 
avuiiis. — Sel  1}  dt'ciinhrt'  loS).  (À^iisiiltiitions d'avocals et dilihcrations de  laCliambri^- 
i(;<  siijtt  dt'S  aviirûi. 

(5)  t^<-'  clumgo  in.iritinii.'  C-tait  ûxc  .\  20  o  o  sauf  à  Alexandrie  où  il  pourrait  ctf'  -^. 
do  50  o  o.  M.ii-i  tous  Ici  particuliers  pcuivaient  offrir  de  f.tire  des  av.irics  i  la  plag-^, 
des  capitaines  à  un  moindre  ciiaufie  et  pour  cette  raison  la  fourniture  devait  ètw-   j 
puWiéc  et  mise  au  rabais  dans  IWsseniWée  publique  du  corps  de  I.1  nation,  (.'/r^^ 
/j-/;).  —  La  Chambre  supplia  d'abais-;er  ce  taux  du  chance  qui  donnait  trop  • 
bé-néùce  ( j  /./■■..',  r.»  <:.K\-iiil'n-  lOoi.  lUi,  2S).  —  L'arrêt  du  2\  novembre  16  .»«^ 
chargea  Lebret  de  le  réijler  à  l'.-.venir  en  tenant  compte  du  cours  du  chani^'  £=-«=; 
la  place  de  .Marseille.  //,  -v>    —  Une  ordonnance  de  Lebret,  du  4  mars  1695, 
fixe  à  I  )  o  i\  —  du  10  mars  100  \,  à  i<S  o  o,  —  du  2  |  novembre  1696,  à  24  0»_ 
a  cause  de  la  guerre.  —  du  !<.••  iiàilet  I^9^i,  .1  iSo  o,  —  etc.,  //.  27. 


ACHEVEMENT    DE    I.  ŒUVRE   DE    COLBERT 


249 


meni'.  Si  les  sommes  levées  excédent  cette  valeur,  les  intéressés 

detin  cureront  créanciers  de  réchclle  pour  le  surplus,  dont  ils  seront 

reixï  L>oursés  avec  intérêt  au  denier  ao,  par  le  moyen  d'un  cottimo 

qui     ïscr.i  levé  sur  les  voiles  qui  y  négocieront  (art.  «V  à  //).  En  cas 

de     <i  cpense  indispens;iblc  et  inopinée,  dans  le  temps  qu'il  ne  se 

frc^ux-v-cra  aucun  bâtiment  dans  l'échelle,  il  sera  procédé  a  une  levée 

sur-    l<;s  particuliers  négociants  de  l'échelle,  sauf  le  consul  et  les  çcdù- 

siiis  tiques  qui  n'exerceront  pas  de  négoce  ;  ils  seront  remboursés  sur 

'•^^    jr>Tcmiêres  voiles  qui  arriveront  Cm  t.  16  à  20).  Pour  assurer  la 

PC>  »^  ne  administration  des  fonds  des  échelles,  le  règlement  s'occupait 

'■'^  fi  »^  de  l'élection  des  députés  des  échelles,  du  maniement  des  fonds 

^^     «-J^  l'envoi  des  comptes  (tirt.  21  à  ^9). 

-'^-î.nsi  l'interdiction  des  emprunts  et  l'établissement  définitif  du 

^'^^t  Or  me  des  avaries  devait  i^arantir  les  échelles  de  l'accumulation  de 

*^'-*  •-■■  '^-elles  dettes,  mais  la  levée  des  avaries  pouvait  à  son  tour  devenir 

*  ■"•  ^5:ereuse  si  les  capitaines  étaient  exposés  ;\  l'arbitraire  des  consuls. 

•'^*-^  ^sii  I4  délibération  de  la  Chambre,  dont  l'exécution  était  ordonnée 

P*-*"    1  'arrêt  du  Conseil  du  29  décembre,  établissait  elle  avec  soin  des 

^■*"  *~^^«-  »ities  contre  les  abus:  aucune  levée  d'avarie  ne  pourrait  être  faite 

*^'~*^      «ne  délibération  en  règle  de  la  nation  ;  les  capitaines  en  rappor- 

^*"^*  ■•  «nt  des  actes  justificatifs  que  la  Cliambre  exan;incrait  et  ce  n'est 

^^    ^'-  V^fés  avoir  mis  son  visa  sur  ces  procédures  qu'elle  permettrait  de 

^^*--^    le  <f  régalement  »  des  sommes  payées  par  les  capitaines  sur  le 

**■  '■^^ement  du  navire. 

"^■'^algré  la  disparition  des  dettes  et  les  efforts  du  ministre  et  de  la 

,    ^^^^^  MTibre  pour  établir  une  bonne  administration  des  finances  des 

^  *^  lies,  les  charges  du  commerce  furent  lourdes  encore.  Il  y  eut 

^ent  des  levées  d'avaries  pour  paver  les  dépenses  ordinaires  ou 

Jitionnelles.  Les  députés  des  échelles  ne  se  montraient  pas  assez 

,   *^  *~*  agers  de  deniers  qui  leurcoùtaient  peu.  Ainsi,  pendant  la  guerre 

.     *-i*  Ligue  d'Augsbourg,  ils  dépensèrent  de  grosses  sommes  pour 

*^t»rcr  les  triomphes  du  roi.  La  Chambre  écrivait  ;t  Pontchartrain 

*^  •-*'on  y  avait  célébré  des  fêtes  pour  la  prise  de  Mons  et  de  Nice 

^    *       avaient  coûté  plus  de  mille  piastres  \  Alcp,  environ  500   à 

'^^^■'rne,  3  ou  400  iSeyde  et  autant  A  Saloiiiq,  où  il  n'y  avait  même 

a^  J  ^    Le  cottimo  l'ut  eu  crtct  diniiinicî  tic  moiii<i  i  pa-tir  Ju  \"  janvier  1686.  —  Un 
j^^^*^*    du  C»)nscil  du  (\  octobre    i6i)S  .idoucit  cette  obligation.  Les  b.itinient.s  ne 
^J*\«iu  sujets  aux  .ivaries  qu'.\  proportion  de  ta  valtur  des  nwrcliaiiJises  dont  ils 
*^î*:ni  charges. 


250  LES   ANNÉES  DE    PROSPÉRITÉ 

aucun  corps  de  nation,  et  tout  cela  était  levé  par  les  consuls  et  dépu- 
tés sur  les  voiles  françaises  qui  venaient  charger.  Une  seule  échelle 
avait  plus  dépensé  que  toutes  les  villes  de  Provence  ensemble'.  » 
L'intendant  dut  ordonner  qu'il  ne  serait  fait  aucune  réjouissance 
dans  les  échelles  que  celles  qui  seraient  ordonnées  par  la  Chambre, 
«  auquel  cas  les  dépenses  de  Smirne  et  d'Alep  ne  pourraient  pas 
dépasser  100  piastres  par  réjouissance,  le  Caire  et  Seyde  200,  Chypres 
et  Alexandrie  100*.  »  Le  commerce  dut  supporter  une  partie  des 
frais  des  armements  contre  les  Barbaresques.  Ainsi,  pour  subvenir  aux 
dépenses  de  la  dernière  guerre  contre  Alger,  l'arrêt  du  Conseil  du 
25  septembre  1687  décida  qu'il  serait  perçu,  pendant  que  la  guerre 
durerait,  trois  livres  par  tonneau  sur  tous  les  bâtiments  qui  revien- 
draient du  Levant.  Cette  imposition  fut  maintenue  bien  longtemps 
après  le  rétablissement  de  la  paix  en  1689,  car  les  besoins  financiers 
de  la  guerre  de  la  ligue  d'Augsbourg  ne  permettaient  d'abandonner 
aucune  ressource,  ce  n'est  qu'en  1699  que  la  chambre  obtint  la  sup- 
pression de  ce  droit  de  tonnelage'. 

Quant  au  cottimo  que  Colbert  espérait  abolir  à  la  fin  de  l'année 
1681,  il  n'était  plus  question  de  le  supprimer;  bien  plus,  le  nouveau 
cottimo  établi  pour  payer  l'avanie  de  Chio  continua  d'être  levé  après 
la  mort  de  Colbert.  Cependant  l'amélioration  de  la  situation  finan- 
cière du  commerce  et  l'augmentation  du  négoce  permirent  de  les 
réduire  tous  les  deux  de  moitié  ;\  partir  du  i"  janvier  1686.  Puis 
deux  ans  après,  le  nouveau  cottimo  fut  supprimé,  ce  qui  diminua 
encore  de  moitié  l'imposition  de  chaque  bâtiment*.  Comme  la  dimi- 
nution du  cottimo  aurait  empêché  la  Chambre  de  subvenir  à  ses 
dépenses,  Seignelay  la  déchargea  des  frais  du  curage  du  port  de  Mar- 
seille*. En  somme,  grâce  à  la  liquidation  des  dettes,  à  l'organisation 
financière  des  échelles,  au  règlement  sur  les  avaries,  à  la  diminution 

(i)  -•/  Poiilchailraiit,  7  novembre  i6t)j.  BB,  2S.  —  Aux  consuls  et  lUpulh.  Circulaire 
du  i  mars  i6t)2.  BB,  2S. 

(2)  //,  27.  10  mars  i6tj.{. 

(3)  //,  2y.  Airèt  du  I)  mai  i6<j(j. 

U)  Ordonnance  de  Moraiil  du  ;;  octobre  16S)  (reiuliK:  en  vertu  d'un  .nrrût  du 
Conseil  du  15  août  1685).  —  Delibéralion  du  ;  juillet  16SS.  BB,  4.  —  Il  fut  aussi 
établi  définitivement  que  les  cliargemenls  de  blé,  de  légumes,  de  fromage,  de  sel, 
en  ser-iicnt  exempts.  BB,  4,  pi.  12,  21,  9;,  ;;2,  600. 

(5)  Seignelay  à  Moranl  1  { mit  i6Ss.  Di:pi'ing,  t.  111,  p.  651  :  «  S.  M.  ayant  été 
informée  que  ce  qui  contribue  à  con\bler  le  port  n'est  autre  chose  que  les  ordures 
et  immondices  de  la  ville  .  a  estimé  à  propos  de  faire  fournir  cette  somme  des 
deniers  d'octroy  de  ladite  villt-  » 


ACHfeVR.N(T.NT   ni-    l'œUVRE   DE   COLBERT  2)1 

du  cottimo,  les  charges  qui  pesaient  sur  le  commerce  éwicnt  beau- 
coup moins  lourdes  à  In  mort  de  Seignelay  que  du  temps  de  Colbcrt'. 
Une  des  plus  graves  préoccup.itJons  de  la  Chambre  était 
J'enipOcher  les  Anglais  et  les  Hollandais  de  fournir  une  grande 
partie  de  la  France  de  marchandises  du  Levant,  en  les  faisant  entrer 
par  les  ports  du  Pon.mt.  Elle  ne  cessait  de  répéter  que  l'édit  de  1669 
n'avait  pas  eu  les  résultats  qu'on  en  attendait.  «  On  se  proposait 
alors,  disait-elle  dans  un  mémoire,  que  cette  imposition  ferait  le 
rtiènie  eftet  que  si  l'on  avait  interdit  tout  i  fait  l'entrée  des  dites 
marcliandises  entreposées  dans  les  pays  étrangers,  où  elles  sont 
apportées  par  les  Anglais  et  les  Hollandais,  qui  de  h'icn  fournissent 
prcsc|ue  toute  la  France  du  cAté  du  Ponant.  Mais  les  fermiers  de 
S.  M.  ont  rendu  cela  inutile  car  ils  craignirent  la  diminution  de 
leurs  droits...  Heureusement  dans  la  Méditerranée  la  Chambre 
entra  en  la  place  desdits  fermiers  et,  en  vertu  d'un  arrêt  du  conseil, 
elle  établit  divers  bureaux,  commis,  gardes  à  Marseille,  Toulon,  la 
Ciornt,  Antibes,  Cette,  Lion,  Pont  de  Bcauvoisin  et  partout  ailleurs 
où  il  fut  besoin. Mais,  comme  la  porte  resta  ouverte  en  Ponant,  ces 
Pféca  VI tions  n'ont  servi  de  rien '.  »  Ces  plaintes  furent  entendues 
^^  l'arrêt  du  conseil  du  i  >  août  i68j  établit  d'une  manière  définitive 
1^*   ïTionopole  de  Marseille*. 

Les  marchandises  du  Levant  ne  pouvaient  plus  entrer  que  par  ce 

P^''^   sans  payer  le  20  0/0,  et,  même  en  lepayant,  seul  leport  de  Rouen 

*^"^  restait  ouvert,  ce  qui   devait   rendre  la   répression  des  fraudes 

^••••-icoup  plus  facile.  Cependant  les  représentations  des  négociants 

C^unkerque*  et  des  pays  conquis  de  la  Flandre  qui,  semb!e-t-il, 


I»  *'*  On  pourrait  rappeler  ki  diverses  ordotinance!>  ou  arrêts  iiui  complétèrent 
j^.  ^'^^t^riancc  de  la  marine  de  1681  p.ir  exemple  au  sujet  de  ladiMivrance  .lux  cani- 
j,^*^*^^  *^t  patrons  desconRcs  de  l'amiral.  (V.  7/,  27  :  arrêt  ilii  Comeil du  141WÙI  16^6, 
ij,^  ■*■*  dfctmbrc  16S6  ;  ontotinaiiff  du  j  ncv^ntbif  i6S-j,  }o  iiï'ril  r/><VA')  ;  ces  prcscrip- 
«,._i^  .av-aient  pour  but  d'cmpccher   les  étrangers  de  se  procurer  des  congés  par 


l'j,^^'"'''^;.  —  Seignelay  opéra  encore  plusieurs  autres  léformes  de  détail.  Rappelons 
j.,ji.  _•-**"> riancc  portant  défense  aux  inlenJ.ints  de  la  marine,  des  galères,  commis- 
gj  ''"^  crt  contrôleurs  généraux  et  ordinaires,  commissaire-i  et  commis  aux  classes 
jjp^'^'«"o*  employés  dans  l.i  marine  et  dans  les  galères  de  l'aire  aucun  commerce 
^y^y^'^ïlKnt  ou  indirectement.  HH.  36.  Sans  date,  —  La  Chambre  s'était  plaint 
cthj.^,  j  Li;brctde  cet  abus  :  à  L.bnl,  14  oftobrx  16SS.  lili,  3S. 

'      )     \Uiiioi»ê  JoHiii'  1)  M.  Diigutsstati  eu  Mût  ifHS.  Uli,  ./,  jo\.  }ç6  tt  siiiv. 
ulm^*     ^I,  ^S-  —  iM  chambre  aJreSie  dt'i  rotutdments  très  vifs  ù  SeU'nelay,  k  ti 

qor  MtniiHrt  ,ifi  ntgiKÎants  de  Duukeraue  (t  avis  Jf  Vinttndaitt,  touchant  Us  co$isi- 

***^*'^  ,lf  TarrH  du  i  ;  twùl  i6Sf,  1 1  juilltt  rt  29  aoit  16S6.  Boislisle,  Corresp.  iç^. 


!)-: 


LES   ANNÉES   DE   PROSPÉRITÉ 


n'avaient  pas  clé  soumis  au  20  0/0  par  l'édit  de  1669  firent  publier 
cil  leur  faveur  l'arrêt  du  22  février  1687  :  «  les  marchandises  servant: 
aux  manufactures  desdits  pays  et  villes  conquises,  mentionnées  dans 
l'état  arivté  au  conseil,  pourraient  entrer  librement  par  le  port   de: 
Dunkerque  et  de  là  passer  dans  les  villes  des  pays  conquis  et  nor 
ailleurs,  en  payant  les  droits  portés  par  le  tirif  de  juin   1671,  ains 
qu'elles  faisaient  avant  le  dit  arrêt  du  15  mars  1685  V»  Ce  fut  au 
tour  des  Marseillais  de  se   plaindre  et,  S  la  suite    d'un  mémoir- 
envoyé  par  la  Chambre  ;\  Ponchartrain  le  16  janvier  1692,  l'arrêt  d 
3  juillet  révoqua  le  privilège  accordé  à  Dunkerque  et  soumit  toute 
les  marchandises  du  Levant  qui  y  entraient  au  droit  de  20   o.'o 
Malheureusement  les  arrêts  de  1685   et  de   1692  ne  furent  guc 
mieux   respectés  que  ledit  de   1669  et  la  concurrence  étranger 
continua,  comme  le  montrent  les  plaintes  répétées  de  la  Chambre  1 
commerce.  «  Les  fermiers  des  droits  du  roi  n'ont  fait  que  sauver 
apparences,    exposait-elle    à    Daguesseau  en    1688,  il  est  noto- 
quc  les  étrangers  ont  presque  autant  de  ftcilités  qu'auparavant  pc  — — -;| 
faire  entrer  les  marchandises  par  fraude.  On  arrange  les  registres  , 

dissimulant  le  poids  et  la  quantité.  Une  preuve  convaincante  c'esczr  < 
voir  par  ces  registres  que  l'on  continue  d'apporter  ces  marchand  ^S^S( 
en  payant  le  droit,  ce  qui  serait  impossible,  si  on  le  payait  en  ent^  ^S.e; 
de  les  fournir  au  même  prix.  »  Pour  remédier  aux  fraudes,  la  chan^-m_  "bn 
demandait  surtout  qu'on  la  chargent  d'établir  des  gardes  et  surv--  -^eil- 

(  I  )  //,  2ù.  —  Dans  l'itat  annexe  à  l'arrêt  figurent  toutes  les  principales    »TKn»r- 
clianJiscs  du  Levant  ;  soies,  cotons,  laines,  cuirs,  toutes  les  matières  w!'ccs-s-=-'«ircs 
aux  teintures  (alun,  pommes,  galles,  cendres,  etc.).—  En  présences  des    con««^=-'>u- 
tions  entre  les  marchands  et  les  fermiers  des  cinq  grosses  fermes,  fut  a-ndu  I  'i.J».rrct 
du  9  novembre  ihSS  en  interprét.ition  de  celui  du  i  >  aoilt  1685.  Il  décidait  c|  »-»  «e/cs 
marchandises  du  Levant  arrivées  à  droiture  i  Marseille  et  p.isi;int   de    laditcr       "^i/Zc 
dans  le  royaume,  soit  par  terre,  soit  par  mer,   par  les  ports  de    Provence    c«:     Ju 
Languedoc,  de  Rouen,  Dunkerque  et  autres  du    Ponant,    seraient  excmpttrs»    du 
droit  de  20  o.'o.  Mais  elles  devraient  avoir  des  ccrtificits  d'origine  délivrés   ps-'*  f  b 
Chambre  du  commerce  de  Marseille.  //,  26. 

(2)  a  Les  négociants  du  royaume  qui  font  le  commerce  du  Levant  par  le  _  l'on 
de   Marseille,   auraient    remontré    à    S.   M.   qu'ils   ne  peuvent  plus  souien  î  »  ce 

commerce .i  cause  de  la  quantité  de   marclsandises    que    les  étfan^jcrs       'on; 

entrer  en  Flandre Les  négociants  de  Dunkerqiie  ne   donn.int  aucun  avanïii^' 

effectif  aux  sujets  du  roi  du  pavs  conquis  pour  leurs  manufactures,  si  ce  n'est    pour 
les  maintenir  dans  l'habitude  de  négocier  avec    les  ennemis  préférablement    Ji'iv 
les  Lranijais.  puisqu'il  leur  est  plus  facile  de  faire  venir  les  dites  niarctundi*«?s  i/e 
Marseille,  du  commerce  des  Frini,"ais,  et  qu'au  moyen  du  transit  qui  leur    ^  àc 
accordé  par  l'arrêt  du  1 5  juin  16S8  ils  peuvent  tirer  les  marchandises  du  Lfvjn/ 
sans  payer  aucun  droit  d'entrée  et   de  sortie  auxquels    les  négociants    des  .'ufrc 
lieux  du  royaume  sont  soumis.  *  //,  2j. 


ACHtVEMENT   DE  L CEUVRE  DE  OOLBERT 


253 


bnts  dans  le  Ponant  ;  m.iis  elle  ne  put  jamais  l'obtenir.  M.ilj?rc  la 
surveillance  active  qu'elle  exer<;ait,  la  contreb.uulc  continuait  i  être 
pratiquée,  même  dans  les  ports  du  Lins^uedoc  et  de  la  Provence. 

Cependant,  malgré  la  possibilité  des  fraudes,  les  Anglais  et  les 
Hollandais,  exposés  i  payer  uw  droit  énorme  en  introduisant  des 
marchandises  du  Levant  en  France  par  Rouen  ou  Dunkerque,  com- 
mencèrent, pour  échapper  au  20  0,0,  aies  taire  entrer  par  Marseille 
en  les  chargeant  sur  des  b:\timents  françiis.  C'était  le  but  qu'avait 
voulu    atteindre   Colbert,   désireux    seulement  de   développer   la 
marine  nationale,  en  établissant  le  20  0,0,   mais  la  Chambre  du 
commerce  voulait  que  tout  le  trafic  se  fit  par  les  marchands  français 
et  elle  se  plaignait  des  facilités  accordées  aux  étrangers.  Scignelav, 
pénétré  d'abord  des  idées  de  Colbert,  demanda  à  ce  sujet  l'avis  de 
l'intendant  ;  «  Je  dois  vous  ùire  observer,  disait-il,  qu'il  est  impor- 
tant de  ne  point  rebuter  lesdits  étrangers  de  charger  sur  des  vais- 
seaux français,  cela  étant  très  utile  pour  le  commerce  et  pouvant 
augmenter  considérablement  le  nombre  des  vaisseaux  et  ta  naviga- 
tion des  sujets  de  S.  M.  '  »  L'année  suivante,  il  changeait  d'avis  : 
«  Je  suis  informé,  écrivait-il,  que,  ne  pouvant  consommer  chez  eux 
les  marchandises  qu'ils  sont  obligés  de  prendre  pour  le  retour  de  ce 
qu'ils  vendent,  ils  Icsenvoient  sur  des  vaisseaux  français  A  Marseille 
où  ils  les  adressent  ;\  des  marchands  de  leur  nation  qui  y  ont  établi 
des  maisons   pour  cet  effet  et  pour  les   débiter  dans  le  royaume. 
L'avanuge  que  les  Anglais  prennent  par  cette  facilité  est  préjudicia- 
ble au  commerce  des  sujets  du  roi*.  »  Les  capitaines,  menacés  d'être 
inquiétés  au  sujet  des  marchandises  qu'ils  transportaient  pour  le 
compte  des  étrangers,  évitèrent  ces  tracas  en  les  chargeant  sous  le 
nom  de  marchands  français  ;  les  Juifs  et  les  Arméniens,  courtiers 
des  soies  de  Perse  sur  les  marchés  du  Levant,  introduisirent  ainsi 
en  France,  quantité  de  soies  et  d'autres  marchandises.  Une  ordon- 
nance royale*  interdit   «  à  tous  marchands  français  résidans  en 
Levaut  et  i  tous  autres  de  prêter  leur  nom  aux  Arméniens,  Juifs  et 
autres  étrangers  directement  ni  indirectement  pour  charger  des  soies 
ni  autres  marchandises  pour  les  apporter  en  France  et  ù  tous  capitai- 
nes de  recevoir  lesditcs  .soies  et  marchandises  dans  leurs  bords,  ni  les 

(1)  aç  ociobrt  iMf,  à  Moraiit,  Q\.ppi\û,  t.  lU,  p.  6}5. 

(i)  1}  cKtobii  t6Sj,  DuTiNC,  t.  Ill,  p.  6$i, 

(j)  OiitonmtM  du  it  ot/i'frfc  i(>Sj,  //,  36  tl  liU,  4.J0L  ))}. 


Mfa 


2)4  LES   ANNÉES   DE    PROSPÉRITÉ 

personnes  desdits  Arméniens  et  Juife  à  peine  de  confiscation  desdits 
vaisseaux  et  marchandises  et  de  3.000  livres  d'amende.  »  Le  préam- 
bule disait  que  les  Arméniens  et  les  Juifs  envoyaient  à  Marseille  des 
soies  inférieures  et  de  rebut  qui  avaient  causé  une  décadence  des 
manufactures  de  Lyon  et  de  Tours,  mais  ce  n'était  là  qu'un  prétexte. 
«  L'ordonnance  de  1687,  écrivait  plus  tard  Pontchartrain,  n'a  point 
eu  pour  motif  de  remédier  aux  fraudes  que  les  Arméniens  font,  mais 
d'empêcher  les  Français  de  leur  prêter  leur  nom  sous  lequel  ils 
étaient  exempts  des  droits  de  douane  et  faisaient  leur  commerce  par 
préférence  aux  sujets  de  S.  M.  »  Quelques  Arméniens  demandaient 
alors  à  s'établir  à  Marseille  pour  y  négocier,  le  ministre  promettait, 
si  on  le  leur  accordait  «  de  leur  imposer  des  conditions  qui  les 
empêcheraient  de  faire  tort  au  commerce  des  sujets  de  S.  M.  '  » 
Ainsi  on  s'écartait  nettement  de  la  politique  de  Colbert  qui  avait  été 
d'attirer  à  Marseille  un  grand  courant  commercial,  sans  s'inquiéter 
de  ceux  qui  faisaient  le  trafic,  pourvu  que  les  transports  fussent 
opérés  sur  des  bâtiments  français.  Il  est  vrai  que  les  circonstances 
n'étaient  plus  les  mêmes  et  que,  vers  1690,  les  négociants  français 
se  sentaient  capables  de  faire  un  grand  commerce  et  de  fournir  à 
nos  bâtiments  le  fret  qu'ils  voulaient  interdire  de  demander  aux 
étrangers. 

Ceux-ci  éludaient  encore  le  paiement  du  20  0/0  en  foisant  navi- 
guer leurs  vaisseaux  sous  pavillon  français  :  ils  simulaient  des  ventes 
de  leurs  navires  ;\  leurs  correspondants  en  France  et  obtenaient  ainsi 
sous  le  nom  de  ceux-ci  des  congés  de  l'amiral,  ou  bien  ils  achetaient 
des  vaisseaux  français  en  conservant  les  capitaines  et  une  partie  des 
équipages  et  ils  gardaient  le  pavillon.  Outre  qu'ils  échappaient  ainsi 
à  la  fois  au  20  0/0  et  au  droit  de  50  sous  par  tonneau,  ils  jouissaient 
dans  leur  navigation  de  la  sécurité  que  les  clforts  de  Louis  XIV 
avaient  donné  ;\  notre  pavillon  dans  les  mers  du  Levant  et  des  avan- 
tages commerciaux  qu'il  avait  acquis  dans  les  échelles.  L'ordonnance 
du  22  mai  1671  qui  faisait  «  très  expresses  défenses  ;\  tous  marchands 
et  propriétaires  de  vaisseaux  français  de  prêter  leur  nom  aux  étran- 
gers à  peine  de  1000  Hvres  damcnde....  et  aux  préposés  :\  la  déli- 
vrance des  passeports  et  congés  de  M.  l'amiral  d'en  donner  qu'aux 
vaisseaux  appartenant  aux  marchands  français  commandés  par  des 
capitaines  de  la  même  nation,  »  était  trop  facile  à  éluder,  elle  fut 

(1)  17  mars  16^4.  BB,S2. 


ACHÈVEMENT   TO  L  OEUVRE   DE   COLBtRT 


255 


précisée  parle  règlement  du  24  octobre  i6St,  contirmé  et  modifié  A 

à    son  tour,  sur  les  plaintes  de  la  Cliambre  du  commerce,  par  les 

rcrglements  ou  ordonnances  des  23  avril,  5  noiit,  8  octobre  et  22 

décembre  1686.  Dorénavant  on   ne  considérait  comme  bAtimenls 

friin*^aiv  que  ceux  appartenant  réellement,  en  toute  propriété,  à  des 

m:ir*^hands  français,  qui  seraient  armés  et  désarmés  dans  les  ports 

frsLr»4^'K,  et  dont  le  capitaine  et  les  2/3  de  l'équipage  seraient  français. 

Seî^nclay  avait  permis,  en  1684  ',  que  les  étrangers  fussent  associés 

potar  un  tiers  à  la  propriété  des  n.ivires,  cette  tolérance  était  révo- 

quitr<r.  Les  vaisseaux  anglais  et  hollandais  qui  seraient  trouvés  navi- 

^tj^ntsous  la  bannière  de  France  seraient  confisqués  et  ceux  qui 

P*"«it:oraicnt  leurs   noms  aux  étrangers  condamnés  à    1.500   livres 

«^'-miende,    les  capit.iines  et  patrons  coupables  de  la  même   faute 

^tiraient  arrêtés  *. 

En  Egypte,  quand  MM.  deGuilleragues  et  Girardin  eurent  obtenu 

***^   r«^cluction  A  3  00  pour  les  Français,  des  droits  d'entrée  de  300/0 

R'^'ciiî  payait  auparavant,  il   fut  dilHcile  d'enipécher  la  contrebande 

^^^^î'v-c  i  laquelle  se  livrèrent  les  étrangers  pour  laire  bénéficier  leurs 

*^**»"c:lian dises  de  cet  énorme  .avantage,  avec  la  complicité   de  nos 

'''*^*r<;hands  qui  leur  prêtaient  leur  nom.  La  Chambre  fit  rendre  une 

^*"*ionnance  royale  du  4  août  1688  qui  défendit  expressément  aux 

*"*"=*  r^çiis  d'Kgypte  «  de  prêter  le  nom  aux  étrangers.  »  Cependant  le 

<^oi^sul,   M.  de  Maillet,  écrivait   en    1692  ;\  la  Chambre*:  «Four 

^*^*^'>  bien  croyez-vous  qu'il  se  soit  fait  de  commerce  d'Italie  en  ce 

ï*^>^s-ci  sous  le  nom  des  Français  depuis  h.  diminution  des  douanes  ; 

'^*^*">"»|itez  des  millions;   il  y  a  ici  des  march.mds  qui  ont  reçu  seuls 

***^*     «ffets  pour  200.000  pi.astres  et  plus,  ajoutez-y  le  retour il  est 

^'"•î^i     qu'on  n'y  a  pas  assez  veillé  et  l'intérêt  particulier  a  prévalu  en 

^  *  i    14  août  166^.  II,  36. 

j_  ^ ^  )    HH,  26.  BrocbuTi  conteihiiil  les  OrJoitiiancfs  tt  ùglcnimls  dt  S.  M.  sur  le  iujet 

*       t^ttaitgers   qui  lie  ptuvfiil  se  servir  du   pai'Hhin  français  (i6jt-i6Sf>).    —  Ces 

'L^5'^«^«inances  furent  mal  obscrvtics  Cûmme  le  montre  la  lettre  suivante  de  Pont- 

1^2**'*  rain  aux  consuls  du  Lcvam  du    }i  dcvembrc  1698:  «  Le  roi  .1  lait  ùirc  un 

5^ *=■«»  sèment   général  des  matelots  des  dép.irtetncnts  de  Provence  et  de  L.inguc- 

.^^*-     |3jr  lequel  S.  M.  a  vu  qu'il  y  en  a  un  nombre  considérable  à  rester  eu  Levant 

^     "'  ^       '      îles  de  rArJnpcl,  qui  s'occupent  uniquement  à  servir  sur  les  bâtiments 

..5'  •  donnent  souvent  occasion  d'abuser  du  pavillon  de  France.  »  —  La 

r..  ■'^  "  «Huc  >e  plaini  encore  du  même  abus  en  1703  ;  à  Pontcharttain,  7  nuti.  BB,  3g. 

**^s.  le  inèMK*  but  l'ordonnance  du   16  févr.  1695  tit  très  expresses  défenses  «  de 

^*^*treaux  ctrajigjrs,  sous  quelque  prétexte  que  ce  fut,  aucun    vaisseau  sans  la 

P^'«v»iision  particulière  de  S.M.  i  JJ,  if. 

*  î  )  iu  ifptfmbrt  i6y3.  AA,  }04. 


256  LES   ANNÈKS   DE    PROSPÉRITÙ 

beaucoup  d'occasions  sur  l'intérêt  général.  »  Les  fraudes  continuèrent 
malgré  les  bonnes  intentions  du  consul,  car  on  voit  en  1699  ^^ 
capitaine  condamné  pour  ce  motif  ;\  10. 000  livres  d'amende,  et  en 
1701  un  patron  qui  avait  introduit  au  Caire  des  quantités  considé- 
rables de  marchandises  pour  les  étrangers,  arrêté,  ramené  en  France, 
et  jugé  suivant  l'ordonnance  de  1688  '. 

Seignelay  se  proposa  aussi  d'enlever  à  la  marine  étrangère  les 
transports  du  Levant  en  Italie  qui  enrichissaient  autrefois  les  Proven- 
çaux. Les  vaisseaux  français,  qui  déchargeaient  une  partie  de  leurs 
marchandises  en  Italie,  étaient  ensuite  assujettis  au  paiement  du 
20  0/0  pour  le  reste  de  leur  chargement,  il  en  résultait  que  ceux  qui 
achevaient  leur  voyage  en  France  ne  prenaient  point  de  fret  pour 
l'Italie.  Seignelay  voulut  y  remédier  par  l'ordonnance  du  3  mars 
1688:  «  S.  M.  a  permis  et  permet,  disait-elle,  à  tous  capitaines  de 
vaisseaux  français  revenant  du  Levant  d'aborder  en  Italie  et  y  déchar- 
ger partie  de  leurs  marchandises  sans  qu'ils  puissent  pour  raison  de 
ce  être  obligés  de  payer  le  droit  de  20  0/0  pour  les  marchandises  qui 
leur  resteront  à  leur  entrée  ;\  Marseille.  »  *  La  Chambre  avait  les  mêmes 
vues  que  Seignelay  quand  elle  demanda  en  1686  qu'on  fit  payer  le 
cottimo  aux  vaisseaux  des  étrangers  qui  se  mettaient  sous  la  protec- 
tion de  la  France  dans  le  Levant  et  arboraient  son  pavillon.  C'était 
frapper  les  Italiens  et  en  particulier  les  Vénitiens,  alors  en  guerre 
avec  les  Turcs,  afin  de  mettre  à  même  les  bâtiments  français  de  leur 
faire  concurrence  pour  les  transports  du  Levant  en  Italie.  Mais  la 
Chambre  se  trompa  en  croyant  atteindre  ce  but  car  les  Italiens,  pour 
éviter  cette  imposition,  se  mirent  sous  la  protection  des  Anglais  et 
des  Hollandais.  Aussi  rencontra- t-elle  une  vive  opposition  de  l'am- 
bassadeur et  des  consuls  qui  craignaient  de  voir  diminuer  leurs 
droits  de  consulat,  si  les  étrangers  abandonnaient  leur  protection. 

(i)  V.  BB,  S2.  26  aoùl  /^vp,  ]/'>  jVvr.  lyoi,  2  fiv.  /6<;/. 

(2)  }  mars  16SS.  Il,  26.  La  mv.-surc  ctait  cflic.icc,  car  les  Jc'UUcs  de  .rôthollc 
de  Constantinople  écrivaient  le  8  juin  1688  :  «  Nous  vous  donnons  avis  que, 
comme  le  droit  de  20  0/0  n'engage  plus  les  bâtiments  venant  du  Levant  d'éviter 
le  commerce  d'Italie,  il  est  constant  qu'il  en  partira  beaucoup  de  ces  quartiers  qui 
passeront  à  Messine  et  à  Livourne.  »  AA,  16S.  —  Cependant  il  était  très  ditîicile 
d'enlever  aux  Anglais  le  transport  et  la  vente  des  marcli.uidisi.s  du  Levant  dans 
les  pavs  étrangers,  car  leurs  ta'ils  de  fret  étaient  de  beaucoup  inférieurs  à  ceux 
des  Marseillais,  ceux-ci  a\ant  a  p.iyer  des  droits  bien  supérieui-s  à  ceux  que  sup- 
portaient les  Anglais.  (V.  le  tableau  comparé  des  droits  que  les  vaisseaux  fran- 
ijais  payaient  en  chargeant  des  marchandises  à  Constantinople  pour  l'Italie  : 
l-r.tnsai's  =  2.(7  piastres,  Anglais  =  5).  Arch.  Xal.  P-',  <'>/;.) 


ACIIHVEMENT    DE   L  CEUVRE   DE   COLBERT 


257 


'ambassadeur  publia  mcmi:  une  ordonnance  interdisant  de  lever  le 
nr  iuio  sur  ces  bâtiments,  mais  la  Chambre  obtint  des  ordres  du  roi 
(U  r  contraindre  l'ambas&ideur  '.  Au  début  de  la  guerre  de  la  Ligue 
'A.  Ligsbourg,  comme  on  espérait  fermer  la  mer  aux  Anglais  et  aux 
[ollandais,  les  Marseillais  crurent   pouvoir  faire  davantage   ci  se 
rîiervcr  le  monopole  du  commerce  en  interdisant;!  tous  les  étran- 
gers   sans  exception  de  se  servir  de  la  bannière  française  dans  le 
Levant,   mais  leur  attente  fut  encore  trompée.  La  nation  de  Cons- 
^Jaiitinoplc  écrivait  à  la  Chambre  en  1690  :  «  Ceux  qui  ont  donné 
^■Ks    Nlcmoires  â  S.  M.  pour  défendre  que  les  bâtiments  étrangers  ne 
^fct-iisscntse  servir  du  pavillon  blanc  n'ont  pas  rendu  un  bon  service 
^B     la    Chambre,   je  veux  dire   du  moins  pour  le  trafic  qu'il  y  a  de 
^M^  «^nisc  ici,  car,  au  moyen  de  l'ordonnance  du  roi,  il  n'est  plus  venu 
aucune  voiJc  du  dit  lieu  avec  pavillon   de  l-rance  et   on  n'a  pas 

*ï^stt-,  en  se  servant  de  ceux  d'Angleterre  et  de  Hollande,  de  conti- 
nuer le  trajet  d'un  négoce  considérable,  sans  que  cela  ait  porté 
aucun  bénéfice  à  nos  bAtiments,  on  voit  au  contraire  que  cette 
"miteuse  est  préjudiciable   aux  français  qui  sont  établis  dans  cette 

I *■'*'" elle,  puisqu'ils  ne  jouissent  pas  des  commissions  qu'ils  pourraient 
*^*oir*)).  La  Chambre  fut  toujours  animée  de  cet  esprit  exclusif 
'^ïroit  qui  ne  s'inspirait  pas  toujours  des  intérêts  bien  entendus  du 
-^«^nitnercc. 

Q.uoiqu'on  puisse  penser  des  rigoureuses  mesures  de  protection 
t*^  elle  inspira  .'i  Seignelay,  l'administration  active  du  ministre  et 
nombreuses  réformes,   la  plupart  bien  conçues,  attestent  qu'il 
••^t  loin,  comme  l'en  ont  accusé  certains  historiens,  d'avoir  négligé 
**^s     affaires  commerciale  s,  pour  s'occuper  de  la  marine  de  guerre. 
-*^  reprociie  le  plus  grave  qu'on  puisse  lui  faire,  c'est  d'avoir  encore 
ItXûgéré  la  confiance  et  la   fiveur  que  Colbert  avait  accordées  ;i  la 
•^O'Tïpagnie  du  Levant  et  d'avoir  laissé  commettre  aux  consuls  qu'elle 
*vait  établis    dans  les   échelles   tous  leurs  abus,  sans  écouter   les 
V'aintes  de  la  Chambre.  Il  avait  consersé  pour  celle-ci  une  partie 
•^^"^  prcvenlions  que  Colbert  avait  eues  contre  elle.  Les  gens  de  son 
"^"lounigc,  jaloux  de  son  autorité  et  de  celle  de  l'intendant  de  Pro- 
^'cnce  sur  le  commerce  du  Levant,  étaient  intéressés  ;ï  les  entretenir 
"^^  i^e  s'en  faisaient  pas  faute,  aussi  la  Chambre  s'en  plaignait-elle 


U)  h)  mai  tôHj. 

U)  il  juilUl  sbijo,  AA,  lôS. 


«7 


258  LES  ANNÉIîS  DE  PROSPÉRITÉ 

parfois  amèrement.  «  Nous  sommes  bien  malheureux,  écrivaient 
les  députés  du  commerce  A  leur  agent  à  Paris,  qu'on  n'ait  nulle 
confiance  au  témoignage  que  nous  donnons,  et  qu'il  faille  qu'une 
funeste  expérience...  justifie  la  justice  et  la  vérité  de  nos  plaintes. 
Nous  sommes  en  possession  de  n'être  écoutés  en  rien  et  ce  sont 
sans  doute  des  mauvais  offices  que  l'on  nous  rend  auprès  du  minis- 
tre, car  nous  ne  pensons  pas  d'avoir  jamais  rien  fait  qui  ait  pu  attirer 
ce  malheur*.  » 

Pontchartrain,  qui  n'avait  pas  le  caractère  autoritaire  de  Sei- 
gnelay,  n'avait  pas  été  non  plus  initié  de  longue  main  aux  affaires 
du  commerce,  aussi  fut-il  tout  naturellement  porté  à  se  guider 
davantage  d'après  les  avis  de  la  Chambre  du  commerce  et  de  l'in- 
tendant de  Provence,  qui,  depuis  1686,  portait  le  titre  d'inspecteur 
du  commerce  du  Levant.  L'importance  toute  nouvelle  de  la  corres- 
pondance du  ministre  avec  la  Chambre,  le  petit  nombre  de  lettres 
adressées  par  les  députés  du  commerce  à  leur  agent  à  la  cour,  pour 
soutenir  leurs  affaires  devant  le  conseil,  montrent  le  rôle  désormais 
prépondérant  que  joue  la  Chambre  dans  la  direction  des  affaires  du 
Levant.  Le  ton  des  lettres  de  Pontchartrain,  sensiblement  différent 
de  celui  de  Seignelay,  dénote  une  confiance  nouvelle  et  parfois  une 
véritable  cordialité  dans  les  relations  du  ministre  avec  les  Marseil- 
lais*. Chaque  année,  la  Chambre  reconnaissante  lui  adressait  un 
présent  considérable,  ce  qu'elle  n'avait  jamais  fait  pour  Colbert,  ni 
pour  Seignelay*.  En  1695,  voulant  imiter  Colbert,  il  envoya  son 
fils  visiter  les  ports  de  Provence,  la  Chambre  le  reçut  avec  de  grands 
témoignages  d'affection  et  conféra  avec  lui  sur  les  affiires  du  com- 

(1)  A  de  Gumery,  ly  octobre  168 ;.  BB,  27. 

(2)  La  curieuse  lettre  qui  suit,  de  l'intciidant  Lebret  à  Daguesseau,  conseiller 
d'état,  montre  qu'au  début  on  avait  inspiré  les  mêmes  préventions  à  Pontchartrain 
qu'à  Seignelay  :  «  M.  de  Pontchartrain  est  bien  résolu  d'arrêter  entièrement 
les  désordres,  mais  j'ai  cru  voir,  je  l'avoue,  un  reste  du  vieux  levain  dans  son 
esprit,  ce  qui  m'a  obligé  non  pas  à  lui  dissimuler  mes  sentiments,  ce  dont  je  ne 
serai  jamais  capable  contre  mon  devoir,  mais  à  les  dire  avec  plus  de  retenue  et  de 
circonspection  que  je  n'aurais  fiiit,  si  on  ne  m'avait  pas  répété  à  plusieurs  reprises, 
qu'il  faut  bien  se  garder  d'entrer  dans  les  passions  des  écnevins  et  négociants  de 
Marseille,  que  leur  humeur  intéressée,  jointe  à  la  chaleur  et  vivacité  des  esprits 
du  pays  les  porte  à  exagérer...  »  2]  juin  16^1. 

(3)  V.  /  janv.  18  liée.  i6ç2,  26  uov.  JÔtj}.  tic.  BB,  4.  —  Le  présent  valait  8  à 
900  livres.  —  Même,  en  1694,  la  Chambre  adressa  à  M"»;  de  Pontchartrain  un 
présent  que  le  ministre  renvoya  (une  boîte  de  dou7.e  lichus  ou  mouchoirs,  ouvrés 
d'or  et  d  argent).  Il  fut  revendu  600  livres  (i  )  mai  16(^4.  BB,  4).  Ces  présents 
furent  envoyés  «  en  reconnaissance  de  la  protection  extraordinaire  que  M.  de 
Pontchartrain  donne  au  commerce  ».  (Délibénition  du  j  janv.  161)3). 


ACHEVKMENT   DU   L  lllUVKi:    Oh   COLBBRT 


259 


J^^erce.  A  partir  de  ce  moment  le  jeune  Pontchartrain  s'occupa  avec 
on  père  des  affaires  du  Levant  comme  l'avait  bit  autrefois  Sei- 
nelay,  pour  se  préparer  ;\  prendre  ensuite  le  secrétariat  de  la 
a-narine  '. 

Ainsi,  l'autorité  de  la  Chambre  du  commerce,   qui   n'avait   fait 

uc  croître  pendant  l'administration  de   Colbert  et  de  Seignelay, 

«Jevini  alors  seulement  toute  puissante  dans  la  direction  des  affaires 

«-iu  Levant*.  Ce  corps  éuit  renouvelé  en  entier  tous  les  deux  ans, 

lais,  comme  chaque  année  la  moitié  seulement  de    ses    membres 

tait  changée,  l'expédition  des  aHaires  se   poursuivait  toujours  sans 

rrêt.   De  plus,  il   se   recruta  toujours  dans  un  petit  nombre  de 

^"tmilles  qui  formaient  l'aristocratie  commerciale  de  Marseille.   Ces 

-tjmilles,  lîères  de  leur  passé  et  de  celui  de  leur  ville,  très  attachées 

■î?»  leurs  vieux  usages  commerciaux  et  à  leurs  privilèges,  auxquels  elles 

•srattribuaicnt  l'antique  prospérité  de  leur  ville,   s'en   transmettaient 

:K~eligieusement  la  tradition  de  père  en  fils.  Aussi  la  Chambre  eut-elle 

"%_-ine  politique  commerciale  bien  nette,  qu'elle  suivit  avec  tous  les 

iiinisires;  elle  avait  pour  la    guider  ses  archives  soigneusement 

enues  en  ordre',   où  ses  membres  pouvaient  suivre  pas  ;\  pas  les 

tfortsde  leurs  prédécesseurs  et  les  vicissitudes  du  commerce.  C'est 

i  ^  qu'ils  trouvaient  les  matériaux  de  ces  nombreux  mémoires  qui 

i   nspirèrent  en  grande  partie  la  législation  commerciale  de  l'époque. 

ij)e    toutes  les  mesures  concernant    spécialement  le  con>mcrce  du 

Xl^evant,  il  en  est  très  peu  qu'elle  n'ait  pas  suscitées  par  sesproposi- 

■*..  ions  et  par  ses  plaintes,  il  en  est  moins  encore  qui  aient  été  résolues 

ontrairement  A  ses  avis,  il  n'en  est  pas  sur  lesquelles  elle  n'ait  pas 

té  consultée.  La  Chambre  montra  parfois  un  esprit  un  peu  routi- 


^ 


(  1  )  Plusieurs  lettre*  adressées  i  la   Cliambrc  et  signées  Phclypcaux  sont  de 
X?ontchjrtr4in  le  fils.  Hli,  ^3. 

(2)  Une  curieuse  lettre  de  Pontchartrain,  que  ni  Coibert,  ni  Seigncli»y  n'aurait 
'^&critc.  montre  la  déférence  qu'il  avflit  pour  la  Chambre.  77  déc.  !6<f6.  Deppivg, 
X .  1,  P    891 .  —  Cf.  une  lettre  de  Pontcnartrain  le  fils  à  Lebret  du  m^ine  jour,  sur 
1«  même  sujet.  Ibid.  t.  I,  p.  913. 

(  j)  Dtlibi'ration  du  f  juin  IJ04  :  «  Li  Chambre  ayant  diîlibën!  depuis  le  7 
Iwilici  1^79  qu'il  serait  procédé  à  un  invent.iire  général  de  tous  les  papiers,  livres, 
titres  et  documents  de  la  Chambre  qui  doivent  être  dans  les  archives,  afin  d'en  être 
fait  un  chargement  dans  les  formes,  cette  délibération  fut  renouvelée  par  une 
aum;  du  20  novembre  1683  et  par  une  troisième  du  15  octobre  1691.  Cependant 
Ïa  volonté  de  l.i  Chambre  se  trouve  éludée  depuis  environ  25  ans  en  une  chose 
«le  la  dernière  importance  ».  —  Elle  décide  de  procéder  A  un  inventaire  général.  — 
Les  .ippointemcnts  du  conmiis  aus  archives  sont  portés  de  240  â  300  livres.  -^ 

m,  s. 


260  LES   ANNÉES   DE    PROSPÉRITÉ 

nier,  un  attachement  étroit  et  aveugle  pour  les  anciennes  coutumes, 
cette  hostilité  pour  les  nouveautés  qui  ne  venaient  pas  d'elle,  dont 
s'était  si  fort  irrité  Colbert,  mais  aussi  une  vigilance  toujours  active 
à  signaler  les  abus.  En  face  de  l'envahissement  progressif  de  la  cen- 
tralisation "et  de  la  menace  de  ses  règlements  multipliés,  elle  eut  le 
mérite  de  revendiquer  hautement  le  principe  de  la  liberté  du  com- 
merce indispensable  à  sa  prospérité. 

De  tout  temps,  elle  avait  été  chargée  de  surveiller  l'administration 
des  échelles,  mais  les  règlements  nombreux  faits  par  Colbert,  Seigne- 
lay  et  Ponchartrain  les  mirent  de  plus  en  plus  étroitement  sous  sa 
dépendance,  et  la  réforme  des  consulats,  faite  par  Pontchartrain, 
augmenta  encore  son  autorité.  L'ambassadeur  à  Constantinople 
recevait  d'elle,  au  départ,  d'amples  mémoires  sur  les  objets  qui 
devaient  attirer  son  attention  et  entretenait  avec  elle  une  correspon- 
dance suivie  pour  l'expédition  des  affaires.  Les  règlements  publiés  sur 
a  navigation  du  Levant  par  Seignelay  et  Pontchartrain  lui  en  attri- 
buèrent aussi  la  direction  et  la  surveillance.  Pour  faire  respecter  son 
autorité,  elle  n'avait  pas  elle-même  de  juridiction,  mais  elle  poursui- 
vait les  délinquants  par  devant  le  tribunal  de  l'amirauté,  le  parlement 
de  Provence  ou  l'intendant'.  En  temps  de  guerre,  la  Chambre  veil- 
lait i  la  sécurité  du  commerce,  elle  recevait  de  partout  des  avis  sur  la 
position  des  corsaires  ou  des  Hottes  ennemies,  elle  envoyait  des  tar- 
tanes rapides  en  avertir  les  bâtiments  français  qui  se  trouvaient  aux 
échelles,  clic  s'entendait  avec  la  cour  pour  l'organisation  des  convois 
ou  des  croisières,  elle  récompensait  les  capitaines  des  bâtiments  mar- 
chands qui  avaient  combattu  vaillamment,  elle  poursuivait  ceux  qui 
montraient  de  la  lâcheté*.  C'était  elle  qui  veillait  au  maintien  de  la 
santé  publique,  et  les  intendants  de  la  santé,  qui  avaient  le  soin  par- 
ticulier des  infirmeries  et  des  quarantaines,  étaient  sous  sa  surveil- 
lance. La  Chambre  fut  en  outre  chargée  â  différentes  époques  de 
services  spéciaux.  Ainsi,  pendant  les  deux  grandes  guerres  de  la  fin 
du  règne  de  Louis  XIV,  elle  dut  s'occuper  d'approvisionner  de  blé  la 
Provence  ;  elle  fit  des  instances  pour  être  chargée  de  porter  les  paquets 
du  roi  à  Constantinople  ou  en  Barbarie,  au  lieu  des  particuliers  qui 
en  profitaient  pour  faire  du  commerce  ;  elle  rapatria  â  ses  frais,  en 


(  1  )  Dans  un  procc.s  délicat,  on  voit  la  Cour  d'Aix  consulter  la  Clianibrc  comme 
une  autorité  en  matière  d'usages.  BB,  4.  24  mars  i6<)S. 
(2)  V.  BB,  4,  fol  14,  ;/,  20,  S4,  S^,  4^^,  4^9'  4}^  4)4,  S4^,  562,  '•'•■• 


ACHEVEMENT   DE   L  ŒUVRE   DE  COLBERT 


261 


ixttendant  d'en  Ctrc  remboursce  par  le  roi,  un  grand  nombre  de  sol- 
«Jats  déserteurs  au  ser\iccde  l'empereur  et  de  Venise,  qui  revenaient 
<:rombatirc  dans  les  armées  du  roi*. 

En  niiïmc  temps  que  grandissait  l'autorité  de  b  Chambre,  croissait 
ra-ussi  celle  de  l'intendant  :  placé  à  côté  d'elle  pour  la  surveiller  et  la 
«contrôler,  il  était  devenu  bientôt  son  meilleur  auxiliaire,  un  colla- 
'fcjoratcur  dévoué  plutôt  qu'un  surveillant  j^ênaut,  un  appui  précieux 
<r:ontre  l'insubordination  des  consuls,  des  marchands  ou  des  capi- 
t^aines,  ou  contre  les  intrigues  et  le  mauvais  vouloir  des  ministres. 
H.CS  relations  de  la  Chambre,  qui  avaient  été  cordiales  avec  l'inten- 
«-iant  Rouillé,  le  devinrent  encore  plus  avec  M.  de  Morant,  son  suc- 
«zesseur,  et  M.  Lebret.  Elles  montrent  que  les  Marseillais  gagnaient 
iTk  être  vus  de  près  et  qu'ils  valaient  beaucoup  mieux   que  la  réputa- 
'K:ation  que  des  critiques  intéressés  leur  faisaient  à  la  cour.  Le  soin 
«Jes  affaires  du  commerce  était  devenu  tellement  important  pourTin- 
"^:endant  de  Provence  que  M.  de  Morant  vint  habiter  .\  Marseille*  et 
*^ue  le  roi  lui  ht  payer,  pour  ce  surcroit  de  frais  et  de  travail, 
^000  livres  de  pension  annuelle  par  la  Chambre  du  commerce,  qui  s'y 
^:sE<nimit  sans  répugnance.  Lebret,  qui  lui  succéda,  en  1687,  n'habita 
Xr>as  ;\    Marseille,   il  continua  cepc-ndant   de  toucher  la  pension  de 
^?ooo  livres  attachée  désormais  au  titre  d'inspecteur  du  commerce 
■«z^ue  porta  l'intendant  de  Provence.  Lebret  était  peu  préparé  i\  ces  fonc- 
tions, comme  il  l'avouait  dans  une  lettre  à  Seignelay  :  «  Je  suis  novice 
^2n  matière  de  commerce,  lui-disait-il,  et  il  faut  tant  de  temps  et  de 
"5:>ratique  pour  bien  distinguer  ce  qui  est  de  conséquence  en  pareille 
mivitière,   de  ce  qui    ne  mérite  aucune  considération,  que   je  ne 
■^uis   point  surpris  que  le    roi  ait  )ugé  de  cette    dernière   qualité 
ïcs  raisons  par  lesquelles  je  croyais  à  propos  de  défendre  au  consul 


(t)  Pour  les  blés,  voir  la  Corrcsp.  p.issim.  —  Pour  les  dt-scrteurs,  ibid,  à  partir 
«du  17  décembre  1692.  BB ,  83.  —  Pour  les  paguets  du  roi.  voir  3n  juillet  lôSç  : 
ia  Chambre  en  est  chargée  pour  la  prcniiire  ibis  sur  la  demande  de  Croissy.  — 
J7  juillet,  20  juillet  16^1.  BU,  2S.  —  /j  juillel  i6ç).  BB.  Si.  —  Le  nMc  de  la 
<Ihaiubre  apparaît  assez  nettement  dans  tout  le  cours  de  cette  histoire  pour  qu'il 
■soit  nécessaire  de  préciser  davantage  ici  ses  aitributions.  —  Pour  son  organisation 
i.ntûn«rurc,  ses  dépenses,  les  recettes  dont  elle  disposait,  voir  à  l'appendice  la  note 
sor  la  Chambre. 

(2)  29  janvier  i6Ss.  BB,  4.  —  Morant  fait  savoir  que.  suivant  une  lettre  de  Sci- 
Enclay  du  14,  S.  M,  a  bien  voulu  lui  accorder  6000  livres  par  an  en  considération 
3c5  dépenses  qu'il  est  obligé  de  faire  pour  les  dépenses  du  commerce,  et  de  l'obli- 
gation dans  laquelle  cela  le  met  de  faire  son  séjour  à  MaiT>eille  et  de  faire  de 
îréquents  voyages  à  Aix,  où  il  tient  maison  et  famille  séparés.  —  Morant  avait 
«Jcjà  S.1  résidence  ordinaire  A  Marseille  depuis  deux  ans. 


262  LES  ANNÉES  DE   PROSPÉRITÉ 

de  Chypre  de  faire  le  commerce'.  »  Mais  c'était  un  homme 
consciencieux,  il  s'appliqua  avec  ardeur  à  la  tâche  qui  lui  incombait, 
et,  dans  le  cours  des  vingt  ans  (1687-1706)  pendant  lesquels 
il  resta  chargé  de  l'inspection  du  commerce,  il  acquit  peu  à  peu 
une  compétence  et  une  autorité  reconnues  de  tous*.  Il  s'honora  dès 
ses  débuts  en  soutenant  auprès  de  Seignelay  les  plaintes  que  lui 
Élisait  la  Chambre  au  sujet  des  consuls,  ce  qui  lui  attira  l'hostilité 
de  l'irascible  ministre.  Il  continua  de  vivre  en  parfaite  communion 
d'idées  avec  la  Chambre  et  il  soutint  toujours  avec  énergie  auprès 
de  Pontchartrain  et  de  Chamillart  la  cause  de  la  liberté  du  com- 
merce qu'elle  défendait.  Lebret,  qui  était  en  même  temps  premier 
président  du  Parlement  d'Aix,  ne  garda  que  cette  dernière  charge  et 
transmit  l'intendance  à  son  fils,  en  1704,  puis  l'inspection  du  com- 
merce, en  1706.  A  sa  mort,  en  1710,  Lebret  fils,  devenu  premier 
président,  céda  l'intendance  du  commerce  i  M.  ArnouP,  intendant 
des  galères  ;  ainsi,  pendant  près  de  vingt-cinq  ans,  les  intérêts  du 
commerce  furent  confiés  aux  mains  des  deux  Lebret  ;  les  Marseillais 
n'eurent  qu'à  s'en  louer. 

Pontchartrain  accomplit  une  réforme  capitale  qui  fut  l'honneur  de 
son  administration  :  ce  fut  l'organisation  définitive  des  consulats. 
Seignelay,  fatigué  des  plaintes  incessantes  auxquelles  donnaient  lieu 
les  commis  de  la  Compagnie  de  la  Méditerranée,  fit  proposer  à  la 
Chambre,  peu  de  temps  avant  sa  mort,  d'acheter  les  consulats  ou  de 
les  prendre  elle-même  à  ferme.  Les  députés  du  commerce  lui  répon- 
dirent en  acceptant  la  proposition  de  la  ferme*,  mais  la  mort  du 
ministre  empêcha  cette  affiiire  d'aboutir.  Pontchartrain  conçut  immé- 
diatement le  projet  de  fiure  nommer  les  consuls  par  le  roi  et  de 

(i)  16  août  1688.  Il  est  vrai  que  Lebret  est  ici  très  ironique,  car  cette  question 
était  précisément  de  la  plus  haute  importance. 

(2)  Sur  la  personne  de  Lebret.  V.  Marchand  :  Un  intendant  sous  Louis  XIJ'. 

(3)  Arnoul,  intendant  des  galères,  avait  intrigué  en  1704  pour  que  l'inspection 
du  commerce  fût  rattachée  à  l'intendance  des  galères,  mais  Lebret,  par  ses  solli- 
cit.itions,  avait  obtenu  que  son  fils  en  fût  chargé.  (Cependant  .^rnoul  triompha 
en  1710,  car  Pontchartrain  s'adresse  à  lui  pour  les  affaires  du  conmierce;  il  l'ap- 
pelle intendant  du  commerce,  intendant  des  galères  et  du  commerce.  (V.  BB,  cS';). 
—  Il  fiiut  remarquer,  à  ce  sujet,  que  la  Chambre  tend  A  perdre  son  caractère 
de  corps  indépendant  pour  devenir  un  corps  administratif,  instrument  du  ministre 
et  de  l'intendant.  Pontchartrain,  le  tïls,  prend  l'habitude  de  ne  plus  correspondre 
directement  avec  elle,  il  s'adresse  toujours  ;\  l'intendant  Arnoul,  et  c'est  sur  la 
communication  de  ses  lettres  que  celle-ci  donne  son  avis  sur  les  questions  qu'on 
lui  soumet;  parfois  même,  Arnoul,  de  171 1  à  1715,  la  fait  délibérer  en  sa  présence. 

(4)  ]  mai  i(hjo.  BB,  2S. 


ACHEVEMENT   DE   L  ŒUVRE   DE   COLBERT 


263 


anemplacer  les  droits  de  consulat  qui  donnaient  lieu  à  tant  de  contes- 
Cations  par  des  appointements  fixes'.  La  Chambre  en  accueillit  h 
^nouvelle  avec  une  joie  (licile  ;\  comprendre,  car  elle  ne  s'y  attendait 
^ucrc.  «  Monseigneur,  écrivait-elle  !c  12  février  1 691,  la  gricc  dont 
"^otreGrandeur  vient  de  nouscorablersurlesujet  des  consulats,  suivant 
la  lettre  dont  elle  a  bien  voulu  nous  Iionorer,  du  5  de  ce  mois,  est 
si  grande  et  si  extraordinaire,  que  nous  ne  saurions,  Monseigneur, 
"«rouver  des  termes  assez  forts  pour  en  témoigner  à  Votre  Grandeur, 
^u  point  que  nous  le  sentons,  h  trùs-respectucuse  reconnaissance 
'«que  nous  en  concevons'.  »   L'arrôt  du  31  juillet  1691  établit,  pour 
jpaj'or  les  consuls,  un  droit  de  tonncbge,  gradué  suivant  les  échelles, 
.il  cause  de  la   différence   de   la    richesse   des  chargements  qui  s'y 
rtfaisaicnt.   La  dépense  totale  des  consulats  était  évaluée  à  100.000 
livres,  savoir  :   «  Les  sommes  employées  pour  les  appointements  et 
"«able  entre  les  mains  desdits  consuls  et  celles  destinées  pour  les 
dépenses  extraordinaires,  présents,  appointements  des  drogmans  et 
sautres,  par  les  mains  desdits    députés  et  sur  les   ordonnances  des 
«consuls,  lesquels  n'en  pourront  rendre  pour  les  dépenses  extraordi- 
:»airesetqui  ne  seront  fixées  qu'ensuite  d'une  délibération  du  corps 
^e  la  nation.  »  L'arrêt  faisait  «  trés-cx presses  défenses  aux  consul.s 
«et  ensemble  Ji  leurs  oflkiers  et  domestiques  de  faire  aucun  commerce 
â  peine  de  privation  de  leurs  consulats  et  de  3000  livres  d'amende.  » 
^1  supprimait  le  consulat  de  Satalie  qui  n'avait  pas  assez  d'impor- 
tance et  le  réunissait  à  celui  d'Altp;  un  nouveau  consulat  était  créé 
■^  Jérusalem  «   pour  donner  aux  1-rançais  et  i  tous  les  catholiques  les 
secours  qu'ils  peuvent  attendre  de  la  protection  de  S.  M."  » 

La  mise  h  exécution  de  ce  nouveau  règlement  souleva  de  nom- 
breuses difficultés,  qui  furent  terminées  par  une  série  d'ordonnances 
ou  d'arrêts.  On  reconnut  vite  que  le  produit  du  droit  de  tonnelagc 
dépasserait  de  beaucoup  les  100.000  livres  dont  on  avait  besoin  et 
que  b  nouvelle  imposition  excédait  les  droits  de  consulat  qu'on  venait 

ide  supprimer;  un  arrêt  du  24  novembre  1(191  réduisit  le  tonnelagc 
(i)  Il  l'annonci  Â  la  Clumbre  par  une  lettre  du  5  février  1691  :  «  J'écris  à 
M.  Le  Bret  de  se  rendre  â  Marseille  pour  fixer  avec  vous  et  les  principaux  négo- 
ciants, les  appointements...  »  l)B,  S2. 
\2)  BB,  iS,  —  Le  lendcn^ain  elle  écrivait  A  l'ambassadeur  :  «  Nous  prenons 
la  liberté  de  vous  envoyer  la  copie  de  sa  lettre  autant  pour  ne  pas  vous  laisser 
t 


rorcr.. .  que  pour  publier  et  porter  le  plus  loin  que  nous  pourrons  la  générosité 
on  illustre  ministre,  w 
(3)  BB,  4,  fol.  4jp,  el  suit'. 


^ 


264  LES   ANNÉES   DE   PROSPÉRITÉ 

d'un  quart.  Il  fut  encore  réduit  pour  les  mûmes  raisons  le  27  janvier 
1694,  t>ien  que  les  dépenses  de  table  des  consuls  fussent  augmentées 
et  enfin,  le  18  septembre  1699,  les  vaisseaux  venant  de  Smyrne  et 
d'Alep  payèrent  définitivement  8  livres  par  tonneau,  ceux  de  Seïde 
et  Tripoli  6,  ceux  d'Egypte,  8  livres  10  sols,  ceux  de  Chypre  et 
Satalie,  5  livres  seulement  et  le  tarif  s'abaissait  au-dessous  de  5 
livres  pour  les  bâtiments  qui  avaient  chargé  à  Candie,  dans  l'Archipel 
ou  en  Morée  '.  Les  bâtiments  qui  terminaient  leurs  voyages  en  pays 
étrangers,  en  Italie  par  exemple,  payaient  environ  la  moitié  de  ces 
droits  parce  que  leurs  chargements  étaient  peu  riches  et  qu'il  impor- 
tait de  soutenir  ce  commerce  en  leur  faisant  supporter  des  charges 
moins  considérables  que  celles  des  étrangers*.  Parmi  ces  derniers, 
ceux  qui  employaient  notre  bannière  dans  le  Levant  ne  payaient  pas 
le  tonnelage  et  restaient  assujettis  aux  anciens  droits  de  consulat,  il 
en  étnit  de  même  des  marchandises  chargées  sur  nos  bâtiments  pour 
leur  compte  *. 

L'arrêt  du  31  juillet  1691  .ivait  alTecté  une  certaine  somme  à  la 
dépense  de  chaque  échelle,  mais  sans  fixer  ce  qui  devait  être  payé 
aux  consuls  et  ce  que  les  députés  de  la  nation  devaient  dépenser 
chaque  année  pour  les  dépenses  ordinaires  de  l'échelle  ;  il  y  avait 
h\  matière  à  d'interminables  contestations.  Sur  les  représentations 
de  la  Chambre,  l'ordonnance  de  Lebret  du  24  octobre  1 69 1  fit  la  sépa- 
ration de  ces  sommes  pour  chaque  échelle  et  fixa  celles  qui  devaient 
revenir  à  chaque  consul  pour  leurs  appointements  et  frais  de  table, 
y  compris  la  nourriture  de  leur  aumônier,  du  chancelier,  du  drog- 
man,  les  gages  de  ses  domestiques,  les  habits  et  ornements  consu- 
laires, ainsi  que  le  loyer  de  sa  maison  '.  Aussitôt  des  plaintes  s'éle- 
vaient de  tous  côtés,  la  plupart  des  consuls  assaillirent  la  Chambre 
et  la  Cour  de  leurs  supplications  au  sujet  de  la  modicité  de  leurs 
traitements.  «  M.  Sorhainde,  écrivait  la  Chambre  à  Le  Bret,  n'est 
pas  le  seul  h.  se  plaindre  de  la  modicité  de  ses  appointements.  Il  n'y 

♦  i)  Lo  droit  oubli  en  1691  était  do  18  livros  p.ir  tonneau  pour  los  naviios  vonant 
do  .Smyrno,  14  pour  coux  d'Alop,  Soïdo  et  Tripoli.  10  pour  ceux  d'Egypte,  8  pour 
ceux  de  Chypre  et  Satalié,  6  pour  ceux  do  la  liarbarie,  5  pour  ceux  de  Candie. 

(2)  Anrt  du  2  f  tioivml're  :(><)t,  2y  jauvicr  i(><)i.  lUi,  4. 

(îi  AiiiH  lin  S  sifti-mhrc  161/1.  BB,  .f. —  Pour  110  payer  que  lo  tonnelage,  les 
étrangers  recommencèrent  à  charger  leurs  marchandises  sous  le  ni)m  de  mar- 
chands français.  L'arrêt  du  27  janvier  169)  lit  do  nouveau  a  très-expresses 
défenses  à  tous  français  de  prêter  leur  nom  aux  étrangers    » 

(})  /)'/)',  ./.  —  Voir  aussi  AA,  1^2. 


ACHfeVEMEST    DE  l'œUVRE   DE  COI.BERT 


265 


a  pas  un  seul  consul  qui  ne  prétende  la  même  chose,  quoique  bien 
bien  loin  d'avoir  été  forcés  A  accepter  le  consulat  sur  le  pied  de  cette 
prétendue  modicité,  ils  n'nicnt  rien  oublié  pour  être  préfères  à  t.int 
d'autres  qui  le  postulaient  '.  >•  On  leur  donn.i  une  dernière  satis- 
faction par  l'arrêt  du  27  janvier  1694  qui  augnientait  les  dépenses  de 
la  table  des  consuls  et  fixait  dértnitiveraent  leurs  appointements'. 
En  retour,  cet  arrêt  leur  renouvelait  la  défense  de  négocier  direc- 
tement ou  indirectement,  défense  confirmée  encore  par  deux  arrêts, 
le  31  mai  et  le  17  juin  1694  '.  Interdiction  leur  avait  été  déji  iaitc 
auparavant  de  lever  aucuns  droits,  tels  que  «  dix  piastres  par  voiles 
ou  autres  droits  particuliers  sous  prétexte  d'ancrage,  ou  sous  quel- 
que prétexte  que  ce  soit  ;\  peine  de  restitution  du  double,  »  ils 
devaient  au  contraire  continuer  la  perception  de  tous  ces  droits 
d'usage  sur  les  bâtiments  étrangers'. 

Les  chancelleries  des  consulats,  placées  jusqucs  là  sous  l'étroite 
dépendance  des  consuls,  furent  rendues  indépendantes  et  complète- 
ment réorganisées  par  l'ordonnance  du  4  décembre  1691  qui  attri- 
buait au  roi  la  nomination  des  ciianccliers.  «  Tous  les  titres  disait- 
elle,  papiers,  argent  et  autres  effets,  qui  seront  consignés  et  mis  en 
dépôt  aux  chancelleries  des  consulats  des  échelles,  seront  remis  dans 
un  lieu  de  la  maison  du  consul  destiné  A  cet  effet  et  fermé  à  trois 
clefs  différentes  dont  une  demeurerait  entre  les  mains  du  chancelier, 
une  autre  dans  celles  du  consul  et  la  troisième  dans  celles  du  premier 
des  deux  députés  de  la  nation,  en  sorte  que  Icsdits  effets  ne  pour- 
raient être  tirés  de  ce  dépôt  qu'en  leur  présence  et  de  leur  consen- 
tement ou  au  moins  du  consul  et  du  député*.  »  A  l'ordonnance 
était  joint  un  état  des  émoluments  qui  devaient  être  pavés  aux  chan- 
celiers pour  chacun  de  leurs  actes  de  chancellerie*.  L'arrêt  du 
31  mai  1694  interdit  aux  chanceliers  de  Hiirc  du  commerce,  mais, 
«  pour  leur  donner  moyen  de  subsister  dans  leur  emploi,  dans  les 
échelles  où  le  casuel  de  la  chancellerie  n'était  pas  considérable,  »  il 
leur  accorda  des  appointements  variant  de    toc  A  200  piastres  ;  les 

II)  7;"'"  K'Çi.  fili,  i''!,  —  V.  j  fiiii'i'itibir  i6t)2.  Ihid.    ' 
(2)  Bft,  v-  —  I.cs  dùpenscs  totales  des  iJclicllcs  ^'élevèrent  alors  A  119.815  liv., 
y  compris  celles  ilo  Barbarie.  Voir  a  l'appendice 
m  BB,  4,/pl.  602. 

I  ))  BB.  ),  fol.  fSf.  Ordi>iui.  de  Lchrct,  10  mars  l^94. 
(>)  Oi'Jonn.  ivyalr  ilii  4  lU'cemb.  16^!.  AA,  tj2. 
{6)  AA,  t}i,  D.11O  du  I  !  juin  169*  dcvnnt  N.icnur,  Voir  à  Tappendicc. 


266  LES  ANNÉES  DE  PROSPÉRITÉ 

chanceliers  devaient  en  outre  continuer  de  toucher  «  les  sommes 
qui  leur  étaient  annuellement  accordées  par  la  nation  esdites  échelles, 
suivant  la  coutume,  sans  qu'elles  puissent  ôtre  augmentées,  ni  dimi- 
nuées, ni  qu'il  en  pût  être  accordé  aucune  à  l'avenir  aux  échelles  où 
les  dits  chanceliers  n'avaient  par  ci-devant  aucune  gratification*.  »  La 
Chambre  qui  avait  pris  une  grande  part  à  la  rédaction  de  ces  divers 
arrêts  ou  ordonnances  avait  envoyé  en  outre  des  lettres  circulaires 
et  des  instructions  aux  députés  des  échelles  pour  leur  en  expliquer  le 
mécanisme  et  leur  éclaircir  les  points  douteux  *. 

Li  nouvelle  organisation  des  consulats  et  les  règles  qui  étaient 
imposées  pour  l'administration  des  échelles  présentaient  toutes  les 
garanties  désirables;  mais  tout  le  fruit  qu'on  en  devait  recueillir 
'dépendait  en  partie  du  bon  choix  qu'on  ferait  pour  le  personnel  des 
consulats.  Il  semble  que  Pontchartrain  ait  tenu  à  s'entourer  à  ce 
sujet  de  toutes  les  garanties  désirables,  en  s'adressant  à  la  fois  à  la 
Chambre  et  à  Lebret  pour  lui  indiquer  les  meilleurs  sujets.  «  Je  ne 
doute  pas,  écrivait-il  aux  échevins  et  députés  du  commerce,  le 
5  février  1691,  que,  dans  la  vue  du  soulagement  de  votre  commerce 
et  de  la  reconnaissance  de  la  remise  que  je  fais  des  droits  de  ma 
charge  en  votre  faveur,  vous  n'avanciez  par  toutes  sortes  de  voies 
l'exécution  de  mon  dessein  et  que  vous  n'ayiez  dans  la  suite  une 
application  particulière  à  ne  me  proposer  que  de  bons  sujets  pour 
remplir  les  consulats  ou  à  me  rendre  compte  sans  partialité  et  sans 
prévention  des  bonnes  ou  mauvaises  qualités  de  ceux  qui  en  deman- 
deront*. »  Le  jour  môme  de  la  publication  de  l'ordonnance  sur  les 
consulats,  Lebret  écrivait  à  Pontchartrain  :  «  Voici  le  précis  de  ce 
que  j'ai  pu  tirer  de  plus  de  vingt  des  principaux  négociants  de  Mar- 
seille que  j'ai  questionnés  séparément  et  en  secret  sur  les  bonnes  et 
mauvaises  qualités  de  ceux  qui  se  sont  présentés  jusqu'A  présent 
pour  remplir  les  consulats  des  échelles  du  Levant  et  dont  vous 
m'avez  fait  l'honneur  de  me  renvoyer  les  placets.  »  Il  donnait  en 
effet  son  sentiment  sur  vingt  et  un  candidats  sur  lesquels  il  croyait 
seulement  pouvoir  en  recommander  cinq  comme  étant  de  bons 
sujets.  Le  même  document  renferme  il  la  suite  les  appréciations  de 
l'intendant  sur  les  consuls  actuels  et  fait  voir  combien  la  Compagnie 

(1)  AA,  1)2  et  BB,  4,  fol.  602. 

(2)  BB,  2S.  if  novembre  16^1,  2}  nmembre  l6pi,  etc. 
(})  f  février  lôç^i.  BB,  82. 


ACHI-VF.MEXT    DH   l.'cTUVRR    DP.   COLBERT  267 

do  la  M<5Jitcrranée  avnit  abusé  de  la  complaisance  de  Scignclay*. 
Quand  Pontcliartratn  dccida  de  reformer  les  chancelleries  il  ordonna 
de  même  i\  Lebrct  de  lui  donner  une  liste  des  sujets  qu'il  estimait 
propres  :\  les  remplir*. 

Il  est  vrai  que  cela  n'empùcha  pas  les  intrigues  de  Cour  de  se 
donner  carrière  et  le  ministre  ne  tint  pas  toujours  compte  des  avis 
de  l'intendant  et  de  la  Cliambre.  Sur  les  six  candidats  que  lui 
proposait  Lebret  pour  les  consulats  importants,  trois  seulement 
furent  pourvus  et  Pontchartrain  nomma  au  consulat  de  Smyrnc  le 
sieur  de  Rians,  qui  était  fortement  appuyé-,  mais  que  Lebret  jugeait 
insurtisant  pour  ce  poste  si  important  ^.  Quelques  mois  après,  la 
Chambre  envoyait  une  liste  de  six  personnes,  qu'elle  regardait 
•  comme  les  plus  capables  de  remplir  le  consulat  du  Caire,  »  aucune 
ne  lut  choisie  ;  le  minbtrc  ne  prit  même  pas  toujours  son  avis  *. 
Pontchartrain  ne  tint  donc  pas  toujours  ce  qu'il  avait  semblé 
promettre  nu  début  et  plus  tard  Lebret  écrivait  à  Chamillart  une 
lettre  pleine  de  désillusion  où  il  déclarait  qu'on  pouvait  sans  danger 
renoncer  au  système  actuel  des  consulats,  car  ils  ne  pouvaient  pas 
être  remplis  par  des  sujets  plus  mal  choisis,  il  est  vrai  que  l'intendant 
parlait  alors  en  mécontent,  sous  l'impression  des  plaintes  très  vives 
auxquelles  donnait  lieu  le  consul  du  Ciire  de  Maillet.  Les  rapports 
des  consuls  avec  la  Chambre,  pendant  cette  période,  montrent  avec 
évidence  que  si  leur  admniistraton  donnait  lieu  parfois  encore  à  des 
plaintes,  le  progrès  était  néanmoins  considérable.  On  en  trouve  une 
autre  preuve  dans  la  longueur  du  séjour  que  les  consuls  firent  alors 
dans  leurs  échelles,  où  il  ne  leur  etit  pas  été  possible  de  se  maintenir, 
s'ils  eussent  été  brouillés  avec  la  nation.  Tandis  qu'auparavant 
beaucoup  n'arrivaient  pas  au  terme  des  trois  ans  de  leur  commission 
ou  ne  la  renouvelaient  pas,  les  nouveaux  consuls  furent  nommés 
pour  cinq  ans  et  plusieurs  furent  ensuite  maintenus  pour  une  même 
durée:   M.   de  Maillet  reste  quinze  ans  au   Caire  (1692-170S); 

II)  //-■/,  Xj';.  —  Lo  consul  Je  Milo  demande  J  h  Cliiimbrc  le  consulat  de 
S.iloniquc  ou  do  Chypre,  t  en  qualité,  dit-il,  de  votre  brebis  et  orphelin,  je  sais 
que,  si  vous  le  voulez  d'un  doigt,  le  ministre  Me  de  Pontclunr.ïin  le  voudra  des 
deux  ni.tins,  se*  lettres  m'en  donnent  jssc/  de  bons  témoignages.  »  A  A,  t4i. 

(2)  2f>  octd'rt  i6çt.  Hli,  S2. 

(})  Les  six  proposés  étaient  les  sieurs  Broqucry,  rFnipercur,  Blanc,  de  Saint 
j.iaïues.  Ripcrt,  Louis  Clumbon.  —  Chambon  fut  noinm»*  à  Alcp,  L'Empereur 
resta  à  SeiJe  où  il  était.  Blanc  rempUsa  Chambon  en  I698. 

(4)  V.  Ltltre  du  ir  janv.  tà^j.  BB,  aS. 


268  LES  ANNÉES   DE  PROSPÉRITÉ 

l'échelle  de  Scïde  n'a  que  deux  consuls  en  vingt  ans,  MM.  L'Empe- 
reur et  Estelle  (1692-1711);  celle  d'Alep  ne  garda  que  cinq  ans 
M.  Chambon,  trop  âgé  pour  y  rester  (1692-97),  mais  conserva  dix 
ans  M.  Blanc  (1698-1707);  il  en  fut  de  même  à  Smyrne  où,  à, 
M.  de  Rians  en  1697,  succéda  pour  dix  ans  M.  Royer.  Cette  stabi- 
lité, qui  permettait  aux  consuls  de  prendre  une  autorité  sérieuse  à 
la  fois  sur  la  nation  et  sur  les  puissances  du  pays,  montre  ;\  elle  seule 
les  bienfaits  du  nouveau  système. 

Li  réforme  de  Pontchartrain,  sans  donner  tous  les  résultats  qu'on 
aurait  pu  en  attendre,  avait  donc  été  féconde  et  couronna  dignement 
les  efforts  commencés  par  Colbert  pour  réformer  les  consulats  et  les 
échelles.  Les  consuls,  autrefois  menaçants  pour  la  nation,  se 
trouvaient  même  maintenant  dans  une  situation  difficile,  vis-à-vis 
des  marchands  soutenus  dans  leurs  réclamations  par  la  Chambre. 
Pontchartrain  lui  reprocha  plusieurs  fois  sa  partialité  pour  les 
résidents  des  échelles  qui  se  montraient  peu  soumis  aux  consuls  à 
cause  de  l'appui  qu'ils  savaient  trouver  à  Marseille,  et  il  ne  cessait  de 
lui  recommander  de  s'appliquer  à  faire  de  la  conciliation.  «J'ai  à 
vous  faire  observer,  écrivait-il,  que  votre  principale  attention  doit 
être  de  vous  mettre  toujours  entre  le  consul  et  la  nation  pour 
accommoder  les  différends,  sans  quoi  les  marchands  cherciieront  à 
en  fiiirc  naître,  excités  par  les  secours  qu'ils  recevront  de  vous  '.  » 
«  S.  M.,  ajoutait-il  ailleurs,  saura,  lorsque  les  consuls  sortiront  des 
bornes  qui  leur  sont  prescrites,  les  y  faire  rentrer,  aussitôt  qu'elle 
aura  été  bien  informée  de  leur  conduite*.  »  En  effet,  Pontchartrain, 
bien  différent  en  cela  de  Seignclay,  montra,  en  présence  des  querelles 
qui  renaissaient  toujours  dans  les  échelles,  une  modération  et  un 
souci  de  la  conciliation  dont  il  est  juste  de  le  féliciter. 

(i)  jo  mars  i6çs,  —  cf.  26  jaiiv.  i6<)),  12  oclohre  16');,  29  août  i6ç6,  BB,  S2, 
—  L.1  Chambre,  il  est  vrai,  protestait  vivement  Je  son  esprit  de  conciliation. 
V.  Litie  à  Li'brel  du  }n  jauv.  i6tjj.  BB,  2S. 

(2)  j6 pvrùr  i6<}).  DEpriNG,  t.  I,  p.  891. 


CHAPITRE  VI 

LES   ANNÉES   DE   PROSPÉRITÉ   (1683-I7OI) 

II.  —  Les  abus  de  la  règh'nientalion  et  les  prohibitions. 

Malheureusement  le  désir  d'introduire  de  l'ordre  dans  le  com- 
merce et  les  heureux  effets  des  règlements  introduits  dans  les  échelles 
entraînèrent  le  gouvernement  dans  une  voie  dangereuse,  en  lui 
faisant  croire  qu'il  fallait  étendre  cette  réglementation  à  tous  les 
détails  du  commerce.  Colbert,  tout  amoureux  qu'il  fût  de  lu  régu- 
larité, n'était  pas  tombé  dans  cette  erreur,  car  il  était  non  moins 
pénétré  de  la  nécessité  de  laisser  la  plus  grande  liberté  aux  marchands 
dans  leur  négoce.  «  H  y  a  dix  ans  entiers,  écrivait-il  le  i"  septembre 
1671,  que  S.  M.  travaille  ;\  établir  dans  son  royaume  une  liberté 
entière  de  commerce...,  la  fin  de  votre  commission  est  d'augmenter 
cette  liberté  en  délivrant  tous  ceux  qui  naviguent  et  qui  font  com- 
merce dans  les  ports  du  royaume,  de  toutes  les  vexations  qu'ils  peu- 
vent souffrir.  »  Il  disait  encore  :  «  Le  commerce  universellement 
consiste  en  la  liberté  ;\  toutes  personnes  d'acheter  et  de  vendre  et  en 
la  multiplicité  des  acheteurs.  Tout  ce  qui  tend  à  restreindre  la  liberté 
et  le  nombre  des  marchands  ne  peut  rien  valoir'.  »  Seignelay  et  sur- 
tout Pontchartrain  ne  s'inspirèrent  pas  toujours  assez  de  ces  sages 
maximes.  En  1685  il  fut  question  d'imposer  un  cautionnement  à 
tous  ceux  qui  voudraient  aller  s'établir  dans  les  échelles.  La  Chambre, 
se  hâta  d'envoyer  des  remontrances  pour  empêcher  la  publication 
d'un  arrêt  qui  eût  été  un  «  coup  mortel  pour  le  commerce  et  cause 

(n  P.  C.iiMiM,  Colhrt,  t.  I,  p.  567.  —  Il  n'avait  pas  toujours  applique  ces 
maximes,  quand  il  voulait  créer  une  Chambre  d'assurances,  quand  il  faisait  visiter 
les  navires  pour  y  saisir  l'arj^ent  [wrté  dans  le  Levant  ;  mais  dans  les  deux  cas,  il 
avait  llni  par  renoncer  û  contraindre  les  marchands. 


270  LES   ANNEES   DE   PROSPERITE 

infaillible  de  l'extinction  entière  du  négoce.  Nul  ne  va  résider,  disait- 
elle,  qu'en  vue  d'aller  foire  une  fortune  qu'il  n'a  pas  encore  faite  et 
de  là  il  s'ensuit  que,  généralement  parlant,  ce  ne  sont  jamais  les 
pères  de  famille  accommodés  dans  leurs  affaires  qui  y  vont,  ni  des  per- 
sonnes qui  aient  déjà  de  solides  établissements*.  »  Ces  représenta- 
tions furent  écoutées  et  l'ordonnance  du  21  octobre  1685  ne  fit  que 
reproduire  les  anciennes  défenses  «  de  s'embarquer  et  s'établir  en 
Levant  qu'après  avoir  été  examiné  et  reçu  par  la  Chambre  et  que  les 
noms  n'aient  été  transcrits  sur  un  registre  à  peine  de  2.000  livres 
d'amende*.  »  Le  but  du  ministre  était  de  restreindre  le  nombre  des 
résidents  dans  les  échelles  et  d'y  laisser  moins  de  concurrents  en  pré- 
sence. Il  était  en  effet  persuadé  que  leur  nombre  était  la  cause  de 
leurs  rivalités  et  de  leurs  querelles  :  les  Français  étaient  obligés  de 
chercher  à  se  nuire  entre  eux  parce  qu'ils  avaient  i  se  partager  les 
bénéfices  d'un  commerce  restreint. 

La  crainte  des  dangers  de  la  concurrence  inspira  une  série  d'autres 
règlements  contre  lesquels  la  Chambre  protesta  inutilement.  Les 
matelots  des  bâtiments  marchands  avaient  l'habitude  d'emporter 
avec  eux  de  petites  pacotilles  qu'ils  échangeaient  à  leur  arrivée  contre 
des  marchandises  du  Levant  ;  les  marchands  des  échelles  s'en  plai- 
gnaient comme  d'un  tort  grave,  prétendant  que,  par  leur  précipita- 
tion :\  Élire  leurs  ventes  et  leurs  achats,  les  matelots  exerçaient  une 
influence  néfastt  sur  le  marché.  A  Alep  ils  avaient  obtenu  du  pacha 
la  défense  singulière  de  venir  d'Alexandrette  à  Alep,  autrement  qu'A 
cheval,  afin  de  les  décourager  d'y  aller,  en  leur  imposant  des  frais 
trop  lourds.  Pour  satisfaire  les  résidents  des  échelles,  l'ordonnance 
du  3  août  1685  défendit  aux  écrivains  des  bâtiments,  matelots  et 
autres,  de  vendre  et  d'acheter  directement  aux  Turcs  et  leur  ordonna 
«  de  passer  par  le  canal  des  marchands  de  la  nation  il  peine  de  500 
livres  d'amende.  »  La  Chambre  qui  soutenait  d'ordinaire  les  mar- 
chands s'opposa  cette  fois  ;\  leurs  prétentions  et  adressa  à  ce  sujet  de 

(i)  BB,  4.  13  septembre  i6S$. 

(2)  BB,  4.  fol.  1/4.  —  On  1.1  consiJcra  plust.ird  comme  insuffisante  et  l'ordon- 
nance  du  3  novembre  1700,  interdit  à  la  Chambre  daccorder  des  certificats  à 
des  jeunes  gens  au-dessous  de  2)  ans.  //,  27.  —  La  Cliambre  envoya  un  mémoire 
pour  remontrer  qu'il  était  nécessaire  de  commencer  l'apprentissage  du  négoce  avant 
25  ans,  mais  le  ministre  répondit  que  cet  apprentissage  pouvait  se  l'aire  â  Marseille 
(ijjiiin  fjoi,  BB,  S}).  Il  est  vrai  que,  devant  la  nécessité,  des  dispenses  d'âge 
furent  accordées,  mais  il  falliiit  en  référer  au  ministre  (S  jiiilld  i/ii,  2  sept.  ijii). 
—  Le  21  novembre  1714,  renouvellement  des  défenses  portées  par  l'ordonn.ance 
de  1700.  BB,  Ss. 


IJas   ABUS   DK   LA   ^fecLEMENTATlON 


«71 


sages  rcQioiitranoes.  «  Ce  serait,  disait-elle,  ôtcr  la  vie  à  de  pauvres 
gc-ns  qui  ne  pourraient  subsister,  s'ils  n'avaient  que  leurs  Siilaires. 
De  plus,  il  y  aurait  un  grave  inconvcnieni  pour  le  commerce,  car 
s'ils  n'avaient  pas  de  fonds  sur  les  bâtiments,  ils  seraient  bien  plus 
ardents  \  les  abandonner  et  il  y  aurait  plus  de  naufrages  et  de 
pertes....  De  plus,  ce  serait  se  priver  d'avoir  de  bons  capitaines  qui 
doivent  entendre  aussi  bien  le  négoce  que  la  navigation.'  •>  Mais  il 
y  avait  A  ce  sujet  malentendu  entre  la  Chambre  et  Seignelay  ;  tandis 
qu'elle  soutenait  .wnc  raison  qu'il  s'.igissait  «  d'un  commerce  imper- 
ceptible et  de  nulle  conséquence  préjudiciable,  »  le  ministre  trompé 
par  les  marchands  écrivait  que  les  «  capitaines,  écrivains  et  passagers 
portaient  des  fonds  considérable  en  Levant,  »  et  la  rappelait  à  l'exé- 
cution de  l'ordonnance. 

L'artluence  trop  considérable  des  bâtiments  Provençaux  aux 
échelles  parut  un  danger  de  même  nature  que  le  trop  grand  nombre 
des  marchands  cl  fit  songer  .î  réduire  la  navigation  du  Levant  \  un 
nombre  déterminé  et  peu  considérable  de  b.\timents,  comme  le 
pratiquaient  les  Anglais  et  les  Hollandais.  Ce  système  fut  inauguré 
par  nécessité  et  provisoirement  pendant  les  guerres  contre  les  Barba- 
re^ques;  il  fallait  organiser  les  convois  d'escorte,  les  composer 
de  quelques  navires  seulement  ;  pour  ne  favoriser  personne  les 
capitaines  durent  prendre  rang  et,  chacun  h  leur  tour,  firent  partie 
des  convois.  Seignelay,  pénétré  des  enseignements  de  Colbert, 
considérait  ce  règlement  comme  désavantageux  pour  le  commerce. 
Il  écrivait*  .\  l'intendant  Morant  après  la  sign.iture  de  la  \mx  avec 
les  Algériens  en  1684  :  «  S.  M.  a  estimé  .i  propos  de  rétablir  entiè- 
rement la  liberté  du  commerce  par  l'ordonnance  que  vous  trouverez 
ci-jointe,  étant  certain  qu'il  ne  peut  être  jamais  en  meilleur  état  que 
lorsque  les  particuliers  ont  permission  de  naviguer  en  tel  temps  et  de 
telle  manière  qu'ils  l'estiment  à  propos.  »  Mais  Pontchartrain, 
pendant  la  guerre  de  la  Ligue  dWugsbourg,  rétablir  ;\  plusieurs  repri- 
ses pour  les  n.ivires  le  règlement  du  tour,  comme  on  l'appelait,  sous 
prétexte  que  la  diminution  du  négoce  ne  permettait  que  d'occuper 
quelques  biUiments.  La  Chambre  devait  alors   veiller  .i  ce  que  tous 


(t)  BU,  .f,fo!.  i^}'t.t4t  f)  stpttmbre  tôSj  :  La  Chambre  dcmaiiiic  qus  l'ordua^ 
nancc  <lu  }  août  soit  r^>vcK)uêc. 

(j)  UUifdt  Stigiulay,  iS /Ai,  1689.  BU,  Si. 
(|)  tfOCldTt  tô'f^.  Depfing,  i.  III,  p.  6»<9. 


272 


LES   ANNEES    DE   PROSPERITE 


les  marchands  pussent,  s'ils  le  voulaient,  participer  au  chargement  il 
un  tiers  de  la  charge  des  navires  qui  bénéficiaient  du  tour  leuréuil" 
réservé  et  les  chargeurs  ordinaires  de  ces  bâtiments  ne  pouvaient  en 
occuper  que  les  deux  tiers  '.  L'idée  de  l'utilité  de  cette  organisation, 
qui  ne  laissait  piusaucune  initiative  aux  marchands  et  aux  capitaines, 
s'impl.tnta  si  bien  dans  l'esprit  du  ministre  que,  le  27  janvier  1700» 
un  règlement  en  quinze  articles  fixa  le  nombre  des  navires  qui  pour-J 
raient  être  employés  au  commerce,  les  assujettit  au  tour,  déterminal 
la  date  des  départs  pour  chaque  échelle  et  établit  un  tarit  des  prixdu' 
fret,  qui  fut   dressé   par  la  Chambre  le  15  février  1700*.  Ainsi  les 
armateurs  se  trouvaient  en  réalité  dépossédés  de  la  libre  disposition 
de  leurs  bâtiments  et  les  capitaines  devenaient  de  véritables  commis.] 
lin  outre  l'exécution  du  règlement  de  1700  était  très  délicate  et  le 
ministre  se  vit  assailli  par  les  plaintes  des  marchands  qui  prétcndaieni 
que  le  tour  des  bùiimcnts  était  réglé  par  la  faveur,  à  Marseille  et 
dans  les  échelles.  Ces  plaintes  firent  publier  l'ordonnance  du  6  juii 
1703  qui  supprimait  le  règlement  du  tour  pour  la  durée  de  la  guerre,] 
«  sur  ce   qui    a   été  représenté  A  S.  M.,  disait  le  préambule,  que  le 


(1)  Lellns   de   PoHicliarlitlin  du    j;   noiil   n-yo,    23  iwiii,  3i>  sfptcmbre   ttt^jl 
2  octchre  lô'jS.  liB,  Si. 

(2)  II,  2y.  lU'glcment  pour  le  dépjn  des  vaisseaus  et  barques  pour  le  coni'' 
mcrcc  du  Levant,  que  S.  M,  vcui  être  observé  jusqu'à  ce  qu'elle  en  .ii:  jutreiiKUlj 
ordonnii  (i>  articles).  Ail.  i  :  Il  ne  sera  employé  au  commerce  de*  échelle 
que  jt  vaisseaux  et  20  barques  par  an,  savoir  :  pour  Coustaniinople  4  vaisscjui 
et  .|  barques,  pour  Smyrne  10  vaisseaux  et  4  barques,  AlcxandreUc  }  vaisseau! 
et  3  barques,  Seyde  et  la  c6te  6  vaisseaux  et  4  barques,  Alexandrie  8  vaivicaui 
et  5  barques.  —  .iil.  2  à  j  :  Dates  de  départ  pour  chaque  échelle.  —  y/r/.  A  \ 
Les  capitaines  et  patrons  qui  voudront  entreprendre  un  voyage  seront  tenus  d'ci 

faire  leurs  déclarations  en  personne  A  l'archivaire  de  la  tfhanibre sans  qu'o* 

puisse  varier  sur  la  destination  qui  aura  été  écrite  dans  le  regi.stre,  qu'en  perd.uil 
le  rang  qui  y  aura  été  donné.  —  Arl.  n  :  Les  capitaines  qui  auront   pris  rar 
seront  tenus  de  faire  enregistrer  aux  archives  et  de  faire  afficher  dans  la  s.dle  dl 
la  Loge,  huitaine  après  le  départ  du  biltiment  qui  les  aura  précédés  pour  le  niéiu& 
voyage,  l'écrit  qu'ils  auront  dressé  pour  le  noli,semcnt  de  leur  bAtimcnt,  conttM 
nant  le  lieu  de  leur  destination  et  le  temps  auquel  il  mettent  à  la  voile.   —  Arlà 
12:  Pendant   la  quinzaine    à  compter  du  jour  de  l'enregistrement  dudit  écrit  «le] 
noliscment,    les   négociants  qui  n  auront  aucun    intérêt  au   corps  du    biiimenl^ 
pourront  prendre  celui  qu'ils  jugeront  i  propos  aux  2/5  de  son  chargement,  l'autrel 
l. }  demeurant  a  la  disposition  des  propriétaires.  —  Art.  j;  :  Il  sera  lait  incc*-l 
samment  par  les  sieurs  Echcvins  et  députés  de  la  Chambre  un  tarif  de  fret  on 
noiis  des  marchandises  chargées  sur  les  navires.  —   An.  if  :  Défcnvc  aux  capj^ 
taines    et    pairoi»s  de  prendre  plus  de  dix   écus  pour    le   passage  des  religieux 
obser\antiiis  qui    iront  à  Jérusalem  ou  rentreront  en  rraiicc....  et  de  re^u^e^  J'cfl 
embarquer  aucuns.  —  L'ordonn.  de  l'intendant  du  i<r  mai  1701  précise  certair 
]X)ints  du  règlement  de  1700.  Elle  ajoute  un  vaisseau  et  deux  barques  pour  0)u»>| 
lantinople. 


Les  abus  de  la  réglementation 


273 


tour  qu'elle  a  établi  par  le  rùi^lement  du  20  janvier  l  700  est  préjudi- 
ciable au  commerce  dans  la  conjoncture  présente,  en  ce  qu'il  Hiit 
passer  dans  les  ports  d'Italie  celui  qui  se  (liisait  ;\  Marseille,  qu'il 
donne  lieu  à  la  perte  d'un  nombre  considérable  de  bâtiments.... 
parce  que  les  corsaires  étant  informés  du  temps  de  leur  départ  sont 
plus  certains  de  les  rencontrer  dans  leur  route  et  qu'enfin  les  matelots 
<iui  trouvent  moins  d'occasions  d'être  employés  se  dissipent  et  en 
"vont  chercher  dans  les  pays  étrangers'.  »  Mais  les  inconvénients 
sii^nalés  avec  netteté  dans  cette  ordonnance  et  ressentis  plus  vivement 
pendant  la  guerre  gén.iient  aussi  le  conin)erce  pendant  la  paix. 

De  même  qu'on  avait  supprimé  la  concurrence  entre  les  armateurs 
et  les  capitaines    on   songea  ;\  la  détruire  entre  les  marchands  des 
échelles.  On   n'osa  pas  publier  d'ordonnance  A  ce  sujet,   mais  la 
Chambre  et  les  consuls  reçurent  l'ordre  d'engager  les  marchands  à 
se  former  en  société  pour  faire  leurs  achats  et  leurs  ventes.  Seignelay 
écrivait  à  l'intendant  Morant,  le  24  novembre  1686;  «  Jecroisqu'après 
avoir  fait  avertir  lesdits  marchands  par  le  consul  de  se  contenir  dans 
le  concert  qui  est  nécessaire  pour  leur  avantage  et  leur  avoir  déclaré 
<jue   l'intention  de  S.  M.  est  que  les  contrevenans  soient  châtiés,  on 
pourniit  obliger  ceux  qui  tomberont  en  faute  à  revenir  en  France, 
alin  d'y  rendre  compte  de  leurs  actions.  Je  vous  prie  d'en  prendre 
le  sentiment  des  députés  du  commerce,  de  leur  ordonner  d'écrire  de 
leur  part...*  »  Ponichartrain  était  i\  ce  sujet  dans  les  mêmes  senti- 
ancnts que  Seignelay,   il  écrivait  A  la  Chambre  le  25    .loùt  1694: 
*  Vous  soufl'rez  que  chacun  donne  des  commissions  et  achète  ;\  sa 
"Volonté  dans  les  échelles,  ce  qui  enchérit  toujours  les  marchandises 
«ju'on  en  tire  et  diminue  le  prix  de  celles  qu'on  y  porte...  ce  que 
"^'ous  pourriez  empêcher  sans  gêner  les  négociants,  en  prenant  de 
«concert  avec  les  consuls  les  précautions  que  les  conjonctures  suggè- 
rent *.  »  Il  fallut  s'incliner  devant  les  volontés  de  la  Cour  et,  bon 
^ré  mal  gré,  la  coutume  s'introduisit  dans  les  échelles  de  former  des 
sociétés  pour  les  ventes  et  les  achats.  Tous  les  ans  à  Seïde,  les 


(il  BB,  S-  Ce)X'ndant  le  règlement  du  tour  rendit  des  services  en  jyoo, à  cause 
«des  circoivslances  p.-irticuliéres  dans  Icstiuelles  il  fut  établi  ivo'ir  plus  bas,  chap.  Vu), 
^'est  ce  <jui  explique  qu'en  i  705  I.1  Chambre,  contrairement  i  1  avis  des  principaux 

"légtxi.-inis  et  de  Lcbret,  s'oppos.1  à  sa  suppression.  Lettres  à  Potttchartrain,  6,  }o 

tvril,  14,  21  mai  l'jo).  BB,  k), 

(2)  24  nov.  16S6.  Depping,  t.  III,  p.  éjj. 

(3)  BB,  82  —  ci'.  )  août  1-01.  BB,  Sj. 

18 


^74 


LES   AKXÈES   DE   PROSPÉKiTh 


niarchaiiJs  s'entendaient  pour  acheter  la  récolte  des  cotons  et,  sui- 
vant les  avis  cnvoyiis  à  Marseille,  sur  l'abondance  de  la  récolte  c 
répoquc  où  elle  se  faisait,  la  Chambre  fixait  le  nombre  et  la  date  de 
départs  de  bâtiments  pour  réchelle.  La  nation  en  usait  de  même  à. 
Alep  pour  l'acliat  des  soies  de  Perse,  au  Caire  pour  celui  des  cuirs 
ou  des  sa rifra lions. 

Cet  ensemble  de  règlements  sur  le  droit  de  résider  dans  le  Levant, 
sur  la  navigation  et  sur  le  négoce  des  échelles,  presque  tous  rendu 
malgré  l'opposition  de  la  Chambre,  ne  s'explique  pas  seulement  par 
les  progrés  de  la  centralisation,  mais  parce  que  les  anciennes  idées 
sur  la  supériorité  du  commerce  des  Compagnies  continuaient  à.  être] 
en  faveur  Ji  la  Cour.  Pontchartrain  avait  songé  en  1698  A  formel 
une  Compagnie  composée  de  tous  les  marchands  de  Marseille,  il 
avait  fini  par  arriver  indirectement  presque  au  même  résulut.  La 
discipline  étroite  imposée  au  commerce  de  16S3  à  1700  se  rapprochait 
fort  des  statuts  de  la  Compagnie  d'Amsterdam.  Comme  elle  avait 
fait  disparaître  certains  abus  et  qu'elle  rendait  des  services  dont  il 
était  facile  de  se  rendre  compte,  les  plaintes  de  la  Chambre  étiicnt 
accueillies  comme  celles  de  gens  à  courte  vue  dont  on  plaignaitA 
l'aveuglement,  et  le  maintien  de  tous  ces  règlements  parut  longtemps™ 
nécessaire  \  la  prospérité  du  commerce;  on  en  établit  même  d'autres 
dans  la  première  moitié  du  xvin"  siècle.  Forbonnais,  dans 
Questions  sur  le  commerce  du  Levant,  publiées  ;\  Marseille  sous 
pseudonyme,  en  1755,  eut  le  premier  le  courage  de  s'insurger  coni 
les  théories  plus  que  jamais  en  honneur  à  la  Cour,  et  il  montra 
avec  une  grande  netteté  les  inconvénients  de  l'organisation  en 
vigueur.  Il  combattait  les  règlements  commerciaux  du  Levant  pai 
des  raisons  souvent  contestables,  mais  son  livre,  qui  n'est  qu( 
l'application  au  commerce  du  Levant  de  la  doctrine  économique  di 
iMtsseï  faire,  laisse:^  passer,  montre  la  fin  du  règne  des  idées  mises 
en  pratique  par  Seignelay,  Pontchartrain  et  leurs  successeurs. 

Des  règlements  non  moins  étroits  furent  appliqués  aux  manu- 
factures. Le  perfectionnement  des  draps  destinés  aux  échelles  fut 
avec  raison,  l'un  des  soucis  constants  de  Ponicluirtrain,  nuis  il  eut  J 
le  tort  de  croire  que  pour  y  parvenir  il  fallait  assujettir  la  fabrica<fl 
lion  à  des  prescriptions  minutieuses,  et  que,  pour  prévenir  la 
négligence  des  ouvriers  et  des  directeurs  et  surtout  leurs  fraudes,  il  1 
était  nécessaire  de  les  soumettre  ;\  une  surveillance  rigoureuse.  Les-j 


très    1, 

uifl 
ure^l 


LES  ABUS   DE    LA    RtcLEMENTATIOS' 


^75 


précautions  déjA  prises  par  Colbcrt  dans  sw   règlements  de  1 669 
parurent  insuffisantes  :  les  gardes-jurés,  tirés  annuellement  du  corps 
des  manufacturiers,  furent  accusés  de  complaisance  et  les  commis 
inspecteurs,  établis  dans  les  manuûctures  pour  visiter  les  draps,  de 
manque  de  vigilance'.  Un  arrêt  du  Conseil  du  i"  septembre  1693 
établit  donc  un  commis  inspecteur  à  Marseille  qui   devait  prêter 
serment   devant  l'intendant,    inspecteur  du   commerce,  et  visiter 
exactement  et  sans  frais  toutes  les  étoffes  de  laine  et  draps  destinés 
pour  le  Levant,  en  présence  de  deux  marchands  de  la  ville,  choisis 
tous  les  six  mois  ou  plus  souvent,  s'il  était  besoin,  par  la  Chambre 
du  commerce  ci  agréés  piir  l'intendant.  Aucune  pièce  de  drap  ne 
pouvait  être  embarquée  sans  porter  le  visa  de  l'inspecteur  de  Mar- 
seille.  Les  étolfes  qui   ne  seraient  pas  conformes  aux  règlements 
devaient  être  saisies  et  l'arrêt  attribuait  en  cette  matière  toute  cour 
et  juridiction  à  la  Chambre  du  commerce,  saul  appel  devant  le  Par- 
lement de  Provence,  au-dessus  de  la  valeur  de  150  livres*.  Le  bureau 
de  l'inspecteur  des  draps  continua  de  fonctionner  au  xviii'  siècle  et 
il  prononça  fréquemment  des  saisies,  quoi  qu'il  lui  fût  fort  ditlicile 
de  bien  remplir  ses  fonctions,  car  il  ne  pouvait  faire  déplier  les  balles 
de  drap  pour  les  visiter,  ce  qui  leur  aurait  fait  perdre  de  leur  lustre  ; 
il  se  bornait  a  foire  t<  la  tàte  de  chaque  pièce  du  côté  de  la  lisière.  » 
Quelques  années  après,  le  roi  fut  informé  que  les  largeurs  prescrites 
en  1669  pour  les  draps  ne  convenaient  pas  pour  le  Levant  et  qu'il 
lallait  aussi  régler  la  qualité  des   laines  employées.  Pontchartrain, 
après  avoir  pris  l'avis  des  principaux  fabricants  et  des  plus  notables 
marchands,  fit  publier  l'arrêt  du  Conseil  du  22  octobre  1697  «  por- 
tant règlement  pour  la  fabrique  des  draperies  qui  se  feront  dans  les 
manutactures  des  provinces  du  Languedoc,  Provence,  Dauphiné  et 
dans   les  autres  manufactures  du  royaume  pour  être  envoyés  en 
Levant'.  >'    Sur    la    demande    de  l'inspecteur  Cauvière,   Lebrei 
rédigea  l'ordonnance  du  i"  décembre  1701,  au  sujet  de  la  teinture 


(t)  l.eurc  d'Atuclot,  conseiller  J'Iîui,  chargii  Je  la  Jircciian  du  commcrte  cl 
dts  manufactures,  aux  in>(>ecteurs  du  Languedoc,  février  i"ot  :  «  ..  ,.  Je  sub 
bien  aise  de  vous  avertir  que  je  ferai  veiller  sur  votre  conduite  et  que  si  je  ne 
>uis  informé  que  vous  nous  donner  tout  le  soin  et  toute  l'application  que  vous 
devei!.....  je  vous  révoquerai  de  votre  emploi.  •  Jrch.  }Jai.  F'',  ;//. 

lH  Voir  le  texte:  //.  27,  Ilfl,  26  et  !ÎB,  4,  fol,  f6.(  et  siiiv.  —  Ponlchanrain 
Lnomma  comme  inspecteur,  le  4  octobre  1695,  le  sieur  Cauvl<:rc  qui  conserva  ces 
^ibnctions  j  u  sq  u  'en  1715. 

())  II ,  ij.  Brochure  de  8  pages. 


276 


LES   ANKÉES   DE  PROSPÉRITÉ 


des  draps  A  Marseille';  en  novembre  1708  le  règlement  de  1697 fut 
renouvelé  cl  rendu  plus  rigoureux. 

Cependant,  nulgré  tant  de  précautions,  on  se  plaignait  encore 
parfois  de  h  mauvaise  qualité  des  draps  envoyés  dans  le  Levant  et 
un  mémoire  adressé  de  Constantinople  le  25  janvier  17 14  à  la  cour 
proposait  des  mesures  radicales  :  «  Le  dépérissement  du  commerce 
vient,  disaii-il,  de  ce  que  les  manufactures  nouvellement  établies 
font  des  draps  qui  ne  sont  pas  de  la  qualité  qu'il  faut....  Il  paraîtrait^ 
nécessaire  d'empêcher  ces  manufacturiers  de  travailler ,  ne  per- 
mettre de  travailler  lei>  draperies  pour  Levant  qu'aux  manufactures 
royales  et  autres  bonnes  fabriques  dont  les  draps  sont  de  bonne ■ 
qualité  de  l'aveu  de  tous  les  néjîociants.  Il  faudrait  encore  que  les 
manufictures  fussent  fixées  au  nombre  de  ao,  que  chaque  manufac- 
ture fût  obligée  de  taire  une  Comp.ignie  et  que  cette  Compagnie 
envoyât  les  draps  à  un  ou  tout  au  plus  i  deux  correspondants  de 
ch.aque  échelle.  »  La  Chambre  eut  le  bon  sens  de  s'élever  contre  ct:s 
exagérations  :  «  Ce  ne  sont  pas  toujours  les  dr.ips  des  fabriques 
nouvelles,  répondit-elle,  qui    contribuent  au    dépérissement,   au 

contraire  elles  ont  intérêt  .\  bien  travailler Quant  au  projet  de 

limiter  le  nombre  des  manufactures,  il  est  mauvais  :  il  doit  être 
permis  ù  chacun  de  faire  valoir  son  industrie  et  talent  sans  être  forcé 
à  tonner  des  sociétés  ni  des  compagnies  qui  ne  sont  jamais  convena- 
bles*. ))  Ces  plaintes  eurent  néanmoins  pour  résultat  l'établissement 
d'une  inspection  et  visite  générale,  à  Montpellier,  des  draps  qui  se 
fab-nquaient  dans  le  Languedoc  pour  le  Levant.  Tous  ces  draps' 
devaient  être  portés  à  Montpellier  et  déposés  dans  un  bureau  «  où' 
leurs  qualités,  matières,  apprêts,  longueurs,  brgeurs  et  teintures 
seraient  examinés  par  l'inspecteur  des  manufactures  conjointement 
avec  deux  négociants  nommés  par  l'intendant  et  changés  tous 
les  ans  s'il  le  jugeait  nécessaire*.  »  L'inspection  de  Marseille 
était  maintenue  pour  les  draps  de  Provence  et  du  Dauphiné.  Sans 
doute  tous  ces  règlements  eurent  des  résultats  utiles  et  nos  draperies 
furent  enfin  en  état  de  rivaliser  avantageusement  avec  celles  de 
Hollande  et  d'Angleterre,  nuis  on  conçoit  aussi  quelle  gêne  et  quels 
ennuie  ces  inspections  causaient  au  commerce. 


(Il  11.37- 

(2)  BB,  6.  fol.  I3f-i26. 

0)  Anit  ia  Coniat  dn  16  mai  1^14.  BB,  6.  JbiJ. 


LES   PROHIBITIONS 


•/  / 


Les  chapeaux  fabriqués  en  Provence,  article  d'exportation  assez 
important  pour  le  Levant,  furent,  comme  les  draps,  soumis  à  une 
marque  par  un  édit  d'avril  1690  :  «  Quelque  soin  que  j'aie  pris, 
écrivait  Lebret  à  Pontchartrain,  d'engager  les  chapeliers  de  la  province 
i  se  charger  comme  ils  ont  fiiit  dans  la  suite  de  la  nouvelle  marque 
des  chapeaux  qui  aurait  porté  un  notable  préjudice  au  commerce  qui 
s'en  lait  A  l'étranger,  ils  n'ont  voulu  entendre  raison  sur  cela  qu'après 
avoir  essuyé  quelque  temps  le  désayrémcnt  des  visites  presque  con- 
tinuelles des  commis  dans  leurs  boutiques  et  dans  leurs  magasins'  ». 
Les  savons,  l'un  des  principaux  produits  de  l'industrie  marseillaise, 
furent  aussi  l'objet  d'un  règlement  analogue  du  5  octobre  1688*; 
il  était  du  moins  bien  conçu  car  l'édit  du  20  février  1760  rappelait 
plus  tard  que  a  la  bonne  fabrication  du  savon  établie  par  le  règle- 
ment du  5  octobre  1688  avait  eu  pour  ces  sortes  de  manufactures 
tout  le  succès  qu'on  en  devait  attendre.  » 

En  même  temps,  le  système  protecteur,  dont  Colbert  avait  su 
éviter  les  exagérations,  entraîna  .Seignelay  et  Pontchartrain  ;*i  des 
prohibitions  qui  causèrent  une  grande  gène  au  commerce  du  Levant. 

Le  30  avril  1686,  fut  imposé  un  droit  de  6  livres  par  pièce  à  l'en- 
trée des  toiles  de  coton  peintes,  teintes  et  blanches,  et  de  4  livres 
par  chaque  livre  pesant  des  ouvrages  de  coton,  dans  le  but  de  favo- 
riser les  manufactures  de  cotonnades  du  royaume.  La  Chambre  s'en 
plaignit  aussitôt  amèrement",  et  la  Compagnie  de  la  Méditerranée, 
qui  échangeait  contre  ces  toiles  de  coton  beaucoup  de  draps  du  Lan- 
guedoc, envoya  aussi  un  mémoire  de  remontrances'.  Mais  Seignelay 
répondit  ;\  l'intendant  Morant  par  un  refus  très  net  de  £iire  droit  à 
ces  supplications^.  La  Chambre  lit  alors  remarquer  «  qu'entre  les 
diverses  sortes  de  toiles  de  coton,  il  s'en  trouvaitd'uncqualitésigros- 
sière...  qu'à  leur  égard,  les  manufactures  de  France  ne  souffraient 
nul  préjudice,  puisque  l'usage  de  ces  toiles  grossières  ne  pouvait 

il)  21  juillet  16^1.  BoiSLisLE,  967.  —  Cette  mesure  fut,  il  est  vrai,  abrogd-c 
(.'Il  tyoi  :  M  D^ïcl.imtion  du  roi  qui  supprime  I3  visite  et  In  marque  A  laquelle  tous 
les  chapeaux  ûbriqués  d.ins  le  royaume  ont  été  assujettis  p.tr  l'art,  i  de  l'édit 
d'avril  1690  ».  //,  27. 

(1)  RfgUminl  en  i]  arlicUs.  Il,  16. —  En  1703,  fut  établi  aussi  un  inspecteur 
dcï  savonneries.  Ij  Chambre  protesta  (V.  BB,  jp.  lo  oclol're  ijoj).  —  Chamillart, 
qui  l'avait  établi  sur  la  proposition  de  Lebret,  lui  ordonna  de  se  retirer.  Cltamillarl 
à  Lebret,  4  décembre  f/Oj.  BU,  S). 

lî)  Lettre  à  Le  Feletier  du  17  mai  16S6.  BB,  2j. 

(4)  34  mai  i6S(i.  Mémoire  des  directeurs.  Arch.  de  la  Mar.  B',  ^i^i,  pi.  2f<S. 

(j)  tû  juin  16S6.  Deppinc,  t.  III,  p.  65t. 


278 


LES   ANNÉES    DE   PROSPÉRITÉ 


ùtre  siipplî-L*  par  les  ouvrages  de  laine  et  de  soie,  bien  loin  de  là'.  • 
Mais  ces  nouvelles  rcpré-senlntions  furent  encore  inutiles  et  le  ministre 
écrivait  encore  Ji  Lebret  le  9  octobre  1687  que  les  arrCts  du 
30  avril  ï(\S6  et  du  8  février  1667  devaient  être  exécutés  sans  restric-  j 
tîon  aucune*.  Comme  il  arrive  toujours  en  pareil  cas,  la  fraude  fut  ■ 
pratiquée  sur  une  grande  échelle;  Lebret, ayant  rei;u  l'ordre  en  1688  ' 
de  détruire  les  toiles  indiennes,  tant  peintes  que  blanches,  entrées  en 
fraude,  répondait  au  contrôleur  général  qu'il  attendrait  de  nouveaux 
ordres,  de  peur  de  ruiner  les  marchands,  chez  qui  on  en  trouverait 
de  nrandes  quantités  :  «  Je  ne  crois  pas,  écrivait-il,  que  l'exécution 
de  cet  arrêt  regarde  aucunement  la  ville  de  Marseille,  car,  au  moyen 
de  son  port  franc,  des  bureaux  établis  aux  environs  de  son  terroir 
et  de  la  domaniale,  que  ses  habitants  paient  actuellement,  elle 
doit  être  considérée  ;\  cet  égard  comme  une  ville  étrangère,  outre  que, 
si  on  ôtait  la  liberté  d'y  foire  entrer  ces  sortes  de  marchandises, 
il  en  arriverait  deux  inconvénients  :  l'un,  que  les  Marseillais  seraient 
privés  d'en  fournir  ;\  l'Espagne  et  autres  pays  étrangers,  d'où  ils  rap- 
portent en  France  les  lingots  d'argent  et  les  piastres  qui  sont  abso- 1 
lument  nécessaires  pour  le  commerce  du  Levant,  et  l'autre,  que 
certaines  manufactures  du  royaume  et  particulièrement  celle  des 
bonnets  qui  se  fabriquent  dans  cette  ville  en  souffriraient  une 
diminution  considérable,  puisqu'elles  n'ont  presque  de  débit  dans 
le  Levant  qu'en  échange  de  ces  toiles  de  coton".  »  On  cntt^i 
momentanément  dans  les  vues  de  l'intendant;  mais,  en  1691*, 
il  re<;ut  des  ■  ordres  très  fulminants  »  à  l'égard  des  toiles  de  coton 
dont  on  interdisait  l'entrée,  même  pour  les  consommer  X  Marseille. 
Découragée  par  lu  peu  d'attention  qu'on  faisait  A  ses  plaintes,  La 
Chambre  adressait  cependant  encore,  le  14  février  169-j,  un  long 
mémoire  très  fortement  motivé  au  sujet  des  prohibitions*.  1 

(1  )  W  lit  Lagny,  j  juillet  16S6.  —  A  de  Gumeri,  it  mai.  —  A  Stigtulay,  22  juin. 
c  Cti  serait  pour  le  commerce  du  L«vant  un  adoudssement  très  grand  au  nul  qu'il 
souiTiv.  •  —  HB,  2j. 

(]>  W  Uhd,  <f  oclobrt  i68j.  —  Aux  fermirrs  ginèran»,  9  upUmbre  ifiSj. 
BoiSLisLE.  290". 

(j)  Lebrit  au  cofittiUfur  gfwrat,  24  mai  16SS.  Boislisle,  579. 

(4^  I.'jrrct  du  conseil  du  10  février  1691  renouvela  exprcwcmeni  Ici  dtifcnso. 

[i)  Ponte hartrjin  et  Lcbrci  se  pl.iignaicnt  alors  ués  vivciticni  des  fraudes.  — 
V.  Ij-h-ei  au  ilirti-tciir  gMnil  dts  Je> nus ,  2)  octobre  161)4.  —  PontfintrUain  A  Ijhttt^ 
Mtflhtr  i(»)4. —  V.  (t  mémoire.  If  H,  4,  fol.  SJ9-S)  :  «  Miiiioirei  pour  l  "  •■:•(/ 
âH  fHtrt  (ram  conjoimcmeni  à  fidit  du  mois  de  mttrs  ]66çf.  •  —  C  est  Li  lit- 

cllc,  qui  »  profiti}  des  pnjhibiiions.  Les  étrangers  vont  y  chercher  et»  ainci  -jui  y 
sont  entreposées,  et  y  portent  les  piastres  d'Espagne, 


LES   PROHIBITIONS 


Li 


files  du  Levant  fur 


cotons  hlcs  du  Levant  turent  aussi  frappés  d'une  imposition 
de  an  livres  par  quintal  par  anût  du  conseil  du  ii  dt!'ccmbrc  1691, 
«  ce  qui  causa  une  diminution  de  plus  de  In  moitié  du  commerce 
qui!>e  laisait  A  Marseille  de  cette  marchandise'.  »  On  voulait  par  l.\ 
favoriser  l'importation  des  cotons  en  laine  d'Amérique,  pour  les 
iiiirc  filer  en  France,  mais  il  n'en  vint  presque  point  et  «  on  expéri- 
mcnu  que,  comme  ceux  du  Levant,  ils  ne  pouvaient  être  filés  que  sur 
les  lieux.  «  Il  en  résulta  que  les  manufactures  «  de  futaines,  bazins 
et  autres  toiles  de  cotons,  tissus  de  coton  filé  venant  du  Levant, 
qui  étaient  considérables  dans  le  royaume,  sans  celles  de  Marseille, 
et  dont  la  consommation  était  presque  toute  destinée  pour  l'Espagne 
et  autres  pays  étrangers,  ne  purent  plus  subsister,  »  et  Gênes, 
Qiiiersdu  Piémont  et  autres  lieux  d'Italie  en  profitèrent*.  Puis  ce 
fut  le  tour  des  bourres  de  soie  et  de  coton  du  Levant  et  des  toiles  de 
lin  d'Egypte  dont  l'entrée  fut  interdite  ù  Marseille  par  l'arrêt  du 
3|  juillet  1692  i  la  Chambre  récl.imalt  encore  contre  cette  interdiction 
en  1700,  en  vertu  de  la  franchise  du  port  ;  «  les  conséquences  que 
vous  lirez  de  vos  privilèges  et  de  la  franchise  du  port,  leur  répon- 
dait Pontchartrain,  sont  trop  grandes,  le  bien  général  du  royaume 
doit  être  préféré  .\  tout  ^  » 

Cette  franchise,  qu'avait  voulu  établir  Colbert,  subissait  sans  cesse 
de  nouvelles  atteintes  ;  l'ordonnance  des  fermes  de  juillet  1681  aug- 
menta les  droits  anciens  qui  pesaient  sur  les  étains  étrangers  et  le 
nouveau  fermier  établit  ses  bureaux  de  perception  dans  Li  ville  de 
Marseille,  contrairement  .\  Tédit  du  port  franc  et  au  grand  dommage 
du  commerce  du  Levant,  car  l'étain  était  un  article  de  vente  im|)or- 
tant  dans  les  échelles.  La  Chambre  obtint  il  est  vrai  un  arrêt  du 
conseil  du  3  mars  1693  qui  ordonnait  au  fermier  d'enlever  ses 
bureaux  de  la  ville  avec  défense  de  les  rétablir,  mais  il  ne  semble 
pas  qu'il  fut  exécuté*.  Pour  favoriser  l'introduction  en  France  des 
sucres  des  Antilles  françaises,  un  arrêt  du  25  avril  1690  imposa  des 
droits  considérables  sur  les  sucres  et  assonades  étrangers  qui 
venaient  surtout  du  Brésil.  Pour  les  sucres  destint-s  à  la  réexporta- 
tion, il  devait  y  avoir  "i  Maisrillf  un  entrepôt  à  deux  clefs  dont  l'une 

(i)  l'ttamhtilf  Je  Varnl  tin  in  jinlltt  ijoj. 
(3)  Mi'mrt  mimoirfi  du  14  février  i6ç4. 
(j)  tn  février,  )  niais  ijoo.  Lettres  di  Pontchartrain.  RB,  H}. 
J4)  Archives  Commun,  de  Mars.  Inventaire  de  Cimmus.  —  Cf.  arrél  du  conseil 
qui  Hal'IU  une  marque  sur  Vilain  de  6  deniers  par  livre,  il  moi'.  l6ya. 


280  LES  ANNÉES  DE  PROSPÉRITÉ 

serait  entre  les  mains  des  commis  du  fermier  et  l'autre  d'un  commis 
préposé  par  les  marchands.  La  Chambre  ne  cessa  de  protester  contre 
ce  système  des  entrepôts,  déjà  appliqué  au  tabac,  «  parce  que  c'était 
la  chose  la  plus  contraire  à  la  liberté  d'une  ville  franche.  Il  y  a, 
disait-elle  dans  un  mémoire  adressé  à  la  cour,  une  infinité  de  mar- 
chandises plus  précieuses  que  les  sucres,  telles  que  sont  toutes  les 
épiceries  et  drogueries,  toiles  de  coton  fines  et  autres  qu'il  serait 
plus  aisé  de  faire  entrer  en  fraude  et  cependant  il  n'y  a  point  d'en- 
trepôt établi  sur  ces  marchandises.  Les  fermiers  ne  se  plaignent 
cependant  point  qu'il  se  commette  des  fraudes  à  cet  égard  et  n'ont 
point  demandé  qu'il  fût  établi  des  entrepôts  pour  toutes  ces  mar- 
chandises*. »  Pour  éviter  les  formalités  et  la  gène  de  l'entrepôt,  les 
marchands  préférèrent  renoncer  à  ce  commerce  des  sucres  qui  était 
cependant  fort  utile  :  «  Les  rebuts  de  toutes  les  marchandises  du 
royaume,  lit-on  dans  un  autre  mémoire  de  la  Chambre,  soit  des 
étoffes  de  soie  ou  de  laine  et  de  toutes  sortes  d'ouvrages  qui  restent 
dans  les  boutiques  quand  la  mode  en  est  passée  en  France  et  qui 
causent  d'ordinaire  une  perte  qui  surpasse  le  profit  qu'on  a  fait  sur 

ce  qui  a  été  vendu tout  cela  était  reçu  ;\  Lisbonne  en  troque  des 

sucres  que  les  Français  y  allaient  prendre....  et  ces  sucres  étaient 
consommés  en  Levant  où  ils  servaient  au  lieu  de  piastres...  Les 
confiseurs  de  Marseille  s'étaient  acquis  tant  de  réputation  qu'on 
envoyait  prendre  leurs  confitures  d'Espagne,  du  Levant  et  même  de 
Perse...  Ils  se  sont  retirés  dans  les  pays  étrangers  depuis  l'imposition 
sur  les  sucres  et  les  cassonades  *.  » 

L'impulsion  une  fois  donnée  les  ministres  eurent  fort  à  faire  pour 
se  défendre  contre  les  prétentions  des  industries  les  plus  diverses 
qui  toutes  voulaient  être  protégées.  On  vit  le  syndic  de  la  pro- 
vince du  Languedoc  solliciter  du  contrôleur  général  une  augmenta- 
tion des  droits  sur  la  barillc  d'Espagne  et  les  cendres  venant  du 
Levant  qui  servaient  à  la  fabrication  du  savon,  parce  que  le  débit  de 
ces  denrées  faisait  tort  ;\  celui  du  salicot  cultivé  dans  le  Languedoc. 
«  Mais,  répondait  au  ministre  l'intendant  Bàville,  dévoué  cependant 
aux  intérêts  de  sa  province,  le  salicot  ne  fournit  pas  le  cinquantième 


(i)  Bibl.Kat.mis.fi.   i6çoç,  fol.  79- J"  :    Miimoirc    présenté  au  conseil   du 
commerce  entre  1701  et  1705. 

(2)  Mémoire  pour  le  ritahlisicmnt  du  port  franc,  14  fév.  i6ç.f.  BB,  4,  fol.  S/p-Sj. 


de  ce  qu'il  Êiut  aux  savonniers'.  »  D'autres  denrées  furent  chargées 
de  lourdes  taxes  et  soumises  il  l'entrepôt,  sans  qu'on  pût  invoquer  le 
prétexte  de  la  protection  ;\  donner  aux  manufactures  du  royaume. 
•    Le  premier  règlement  qui  avait  diminué  la  franchise  du  port  de 
Marseille  et  la  liberté  qui  avait  été  donnée  au  commerce  par  l'édit 
H   de  rrurs  1669  avait  été  l'arrêt  du  Conseil  du  15  janvier  167:,  par 
^   lequel  il  avait  été  imposé  des  droits  sur  le  tabac  à  l'entrée  de  Mar- 
seille, avec  l'établissement  d'un  entrepôt  pour  le  tabac  dont  il  serait 
H    fait  commerce  dans  les  pays  étrangers*.  >>  Puis,  le  30  novembre  1674, 
Colbcrt  \  court  d'argent  donna  à  ferme  la  vente  du  tabac  dans  le 
^    royaume  et  le  fermier  excita  bientôt  les  plaintes  de  la  Chambre.  En 
B    1684  elle  présenta  au  contrôleur  Le  Peletier  un  placct  des  *  inté- 
H    ressés  au  commerce  du  tabac  contre  le  fermier  qui  ne  voulait  pas 
™    leur  laisser  la  liberté  accordée  par  le  roi  de  faire  passer  par  Marseille 

les  tabacs  destinés  aux  pays  étrangers'\  » 
H         Le  café  fut  aussi  l'objet  d'un  monopole  :  la  vente  en  fut  concédée 
exclusivement  i  un  bourgeois  de  Paris  pour  six  années,  h  partir  de 
1692*.  Il  est  vrai  que  son  privilège  fut  révoqué  dès  l'année  suivante, 
H    mais  le  café  destiné  ;\  être  réexporté  fut  soumis  X  l'entrepôt.  Cette  fois 
^^4^  Cliambre  remontra  que  l'exécution  de  l'arrêt  était  impossible  car  les 
^"  tiègociants,  au  moment  où  ils  recevaient  cette  marchandise,  ne  pou- 
vaient savoir  qu'elle  serait  sa  destination  délinitive,  s'ils  la  vendraient 
dans  le  royaume  ou  à  l'étranger,  ils  étaient  donc  mis  dans  l'alterna- 
tive ou  de  payer  les  droits  d'entrée  établis  par  l'arrêt  de  1692  pour 
tous  leurs  cafés,  ou  de  les  mettre  tous  à  l'entrepôt '.  T.andis  qu'on 
prohibait  l'entrée  d'un  certain  nombre  de  marchandises,  Marseille 
se  plaignit  en   1686  de  l'interdiction  de  faire  sortir  du  royaume  les 
plombs  travaillés,  car  elle  recevait  des  Anglais  et  des  Hollandais 

(i  >   ContTélfur  gèntrat  à  Bdvillt,  }0  juin  t6^j.  —  Hé/wnc  lU  BdvilU  iS  juillet.  — 
BoiSLi&LE,  t.  I,  427. 

(2)  PriSambule  do  l'arrdt  du  10  juillet  1705. 

(5)  2j  avril  16S.1   lifi,  f.  —  Cf.  IbiJ.  7  janvier  16S4  :  Mémoire  contre  le  fer- 
lier  çjui,  sous  prétexte  de  se  préc.iutionncr  contre  les  fraudes  qu'on  pourrait  faire 
sa  ferme,  tient  un  bateau  de  gnrde  aux  environs  pour  visiter  tous  les  bâtiments 
ÏU'il  voit  venir.  » 
(.|)   22  janvier  16^2.  Arrtit  du  Conseil  porunt  uue  M.  François  Damame,  bour- 
gs a  Paris,  jouira  pendant  six  années  du  priviléf;c  de  vendre,  faire  vendre  et 
rbitcr  seul...  tous  les  cafés  tant  en  fèves  qu  en  poudre,  le  thé,  les  sorbecs  et  les 
acolats...  ensemble  les  drogues  dont  il  est  composé  comme  le  cacao  et  la  vanille. 

.  ^7- 
ils)  BiM.  liai,  mss.fr.  i6ço^,  foî.  49-so. 


a82  LES  ANNÉES   DE   PROSPÈRIT/- 

beaucoup  de  plomb  qu'ils  tiraient  de  Hambourg,  et  elle  en  fabriquait 
du  plomb  en  grenaille  pour  la  chasse  qu'elle  vendait  en  très-grande 
quantité  :\  l'Italie,  à  l'Espagne  et  dans  le  Levant  ;  la  liberté  de  sortir 
les  plombs  en  grenaille  fut  rendue,  mais  deux  ans  après  les  Marseil- 
lais furent  menacés  de  voir  créer  un  nouveau  monopole  pour  ce 
commerce*. 

Au  début  de  la  guerre  de  la  ligue  d'Augsbourg,  une  série  d'arrêts 
frappèrent  de  droits  prohibitifs  ou  interdirent  complètement  l'entrée 
dans  les  ports  du  royaume  des  marchandises  anglaises  ou  hollan- 
daises, qui  pouvaient  servir  i  la  réexportation  dans  le  Levant.  Le 
22  janvier  1691,  une  ordonnance  royale  interdit  rigoureusement 
d'apporter  dans  les  ports  du  royaume,  sous  quelque  prétexte  que  ce 
fût,  des  marchandises  des  pays  ennemis.  Pontchartrain,  il  est  vrai, 
dans  une  lettre  explicative  du  20  avril  169 1,  modérait  cette  prohibi- 
tion en  autorisant  la  Chambre  à  recevoir  à  Marseille  les  marchandises 
d'Espagne  apportées  par  des  vaisseaux  neutres  et  les  marchandises 
anglaises  et  hollandaises  entreposées  en  Italie,  sauf  celles  défendues 
par  des  arrêts  spéciaux  et  dont  il  donnait  la  liste*.  Des  défenses 
particulières  furent  Hiites  par  l'ordonnance  du  23  avril  1692  de 
transporter  en  Levant  les  draps  d'Angleterre  ou  de  Hollande  que  nos 
bâtiments  pouvaient  charger  à  Livourne.  Pontchartrain  se  plaignit 
bientôt  vivement  qu'elles  ne  fussent  pas  exécutées  ;  une  ordonnance 
du  29  avril  1693  édicta  des  peines  sévères  contre  les  contevenants*. 

La  chambre  demanda  en  vain  qu'on  établit  pour  les  marchandises 
étrangères,  prohibées  seulement  dans  le  royaume  et  destinées  à  la 
réexportation,  un  entrepôt  comme  pour  le  tabac,  les  sucres,  le 
café  et  les  toiles  de  coton  ;  le  ministre  refusa  en  disant  que  ce  n'était 
qu'un  prétexte  pour  chercher  les  moyens  de  les  débiter  en  France*. 
L'entrepôt  n'était  cependant  qu'un  pis  aller  pour  le  commerce  ;  les 
marchands  se  plaignaient  d'être  forcés  d'abandonner  le  négoce  des 

(i)  Mémoire  de  juillet  16S6.  lUi.  4,  fol.  2}.f.  —  ;;  aoiit  16SS,  lettre  à  l'agent  à  la 
cour,  Villeneuve.  BB,  2S. 

(2)  BH,  S2.  —  Voici  les  marchandises  interdites  :  Toute  sorte  de  draps,  de 
toiles  de  coton,  de  peaux  et  cuirs  apprêtés,  de  poissons  salés,  de  chairs  salées, 
d'huiles  de  poissons,  de  fers  blancs,  de  glaces,"  de  toiles  de  Hollande. 

(3)  10  Juillet  i(nf2.  Lettre  à  la  Cl>amhre.  BH,  S2.  —  Orilounance du  29  avril  i6çj. 
Il,  27  et  BH,  4,  fol.  fijS.  —  Cependant  il  fallut  accorder  ensuite  des  penuissions 
de  charger  des  draps  de  Hollande  et  d'Angleterre.  IW,  4.  fol.  6)6.—  Cf.  10  juil- 
let i(»)S  :  Défense  de  porter  en  Levant  des  étotfes  de  soie,  or  et  argent  des  ma- 
nufactures d'Italie.  BB,.S2. 

(4)  Ixllre  du  4  juillet  i6yi ,  )0  janvier  i(i()2.  BB,  S2. 


LES   PROniBtTIONS 


183 


1^ 


I 


marchandises  qui  y  étaient  assujetties,  «  et  de  Élire  tout  porter  A 
ivourne,  par  l'impossibilité  qu'il  y  avait  de  se  garantir  des  pertes  et 
«Il's  chagrins'.  » 

Par  suite  du  régime  des  prohibitions,  la  franchise  du  port  de  Mar- 
seille n'existait  plus  que  de  nom;  les  commis  des  fermiers  avaient 
*lc  nouveau  établi  leurs  bureaux  dans  la  ville  et  recommençiient  à 
inquit'ter  le  commerce.  L'intendant  Morant  rendit  en  1686  une 
«rdonnance  qui  prescrivait  aux  fermiers  du  domaine  de  lui  repré- 
senter «  les  arrêts  ou  édits  en  vertu  desquels  ils  avaient  établi  des 
bureaux  dans  la  ville  de  Marseille*,  n  Cependant  les  fermiers,  qui 
s'étaient  plaints  au  contrôleur  général  Le  Pelctier,  obtinrent  raison. 
En  1694,  la  Chambre  adressa  un  long  mémoire  ;\  la  Cour  pour 
demander  le  rétablissement  de  la  franchise.  Elley  dis.iit  en  rappelant 
h  situation  du  commerce  avant  l'éditdc  1669  :  «On  est  sur  le  point 
de  se  voir  dans  une  bien  plus  pire  situation  que  jamais,  s'il  n'y  est 
promptement  remédié,  car  les  étrangers  s'enrichissent  comme  alors 
du  commerce  que  les  prohibitions  et  nouvelles  impositions  ont 
iloigné  et  éloignent  tous  les  jours  de  ce  royaume  et  une  partie  des 
manufactures  importantes  de  France  sont  déjà  tombées  par  la  cessa- 
tion du  même  commerce  et  une  partie  a  été  transportée  ailleurs  ;\ 
cause  de  l'altération  de  la  tranchi.sc  du  port  de  Marseille.  Les  étran- 
gers ne  veulent  plus  venir  à  Marseille;  les  naturels  même  se  déli- 
vrent volontiers  de  l'iippre.ssion  qu'ils  trouvent  en  entrant  dans  ce 
port,  voyant  leurs  b.itiments  abordés  par  un  nombre  de  bâtiments 
chargés  de  commis  qui  montent  et  entrent  dedans  comme  â  un 
pillage,  pour  trouver,  les  uns  du  café,  les  autres  du  sucre,  du  tabac, 
du  sel,  delà  poudre,  des  glaces  de  miroir,  etc.,  ce  qui  est  insupportable 
surtout  aux  étrangers  et  aux  matelots  en  particulier  qui  pestent  et 
jurent  de  ne  revenir  plus  à  Marseille  où  ils  n'ont  pas  la  liberté  qu'ils 
ont  chez  les  étrangers  d'y  apporter  pour  leur  compte  des  bagatelles 
pour  vendre  aux  endroits  où  ils  abordent,  dans  l'espérance  d'un 
petit  gain...  et  qui  n'est  de  nulle  conséquence...'  » 
Il  fut  alors  question  du  rétablissement  de  la  franchise  du  port  ; 


la  t 

net 


(  I  )  V.  Mhnoh  t  fioiir  le  rélMissfmeiit  du  port  franc,  14  février  16^4.  BB,  4,  fol.  jj^, 
(2)  MoTfifit  iiii  ci>ntr<5ltur,  24  jiiUi  i6Sfi.  Boislisle,  t,  1,  288,  —  Cf.  i^rch.  dr 

lit  miir.  B' ,  iÇ2,  fol.  4i)4-ion.  Lettre  du  sient  de  Louvigny  à  Ge'nes,  34  juin  /6J7, 
(J)  Mémoire  piuir  le  rétablitwneul  du  port  Jraiic,  t4  fêv.  i6ç4,  BB,  4  fol.  fji^-S4. 

•—  Lcbrct  reproduit  les  doU-ances  de  la  Chambre  dans  une  lettre  au  contrôleur 
iénèral.  2  janv.  169$.  Boislisle,  t.  I,  i}92. 


284  LES  ANNÉES   DF.  PROSPÉRITÉ 

le  jeune  Ponichartrain  en  conféra  avec  la  Chambre  et  Lcbret,  lors  de 
son  voyage  en  Provence  dans  l'été  de  1695,  et  il  obtint  de  la  Cour 
après  beaucoup  de  peines  et  de  discussions,  écrivait- il,  qu'on 
accordât  aux  Marseillais  ce  qu'ils  demandaient.  Mais  la  Chambre, 
après  un  nouvel  examen  de  la  question,  changea  de  sentiment  et 
écrivit  à  Pontchartrain  que  les  avantages  que  l'on  promettait  au 
commerce  étaient  insuffisants  et  pouvaient  môme  devenir  dange- 
reux. Celui-ci  ne  put  s'empêcher  d'exhaler  son  dépit  dans  deux 
lettres  curieuses  à  la  Chambre  et  A  l'intendant'.  Lebret,  non  moins 
mécontent,  était  d'avis  de  passer  outre,  mais  le  jeune  Pontchartrain 
découragé  n'osa  pas  montrer  de  résolution  et  ne  fit  que  lui  renou- 
veler ses  plaintes.  Colbert  dans  les  mêmes  circonstances  avait  su 
triompher  des  irrésolutions  ou  des  hostilités  des  Marseillais. 

Les  incertitudes  de  la  Chambre  ne  furent  pas  les  seules  causes  de 
l'échec  du  rétablissement  de  la  franchise  du  port  ;  plus  tard  Lebret, 
dans  une  lettre  à  Chamillart,  l'attribuait  uniquement  «  à  l'opposi- 
tion des  fermiers  du  roi  et  à  la  crainte  d'ouvrir  par  ce  moyen  la  porte 
à  toute  sorte  de  contrebande  et  de  porter  préjudice  au  commerce  des 
îles*.»  En  effet,  les  fermiers  ne  négligeaient  pas  de  répondre  aux 
plaintes  de  la  Chambre  et,  au  moment  où  s'agitait  la  question  du 
rétablissement  de  la  franchise,  plusieurs  volumineux  mémoires' 
envoyés  au  ministre,  concluaient  énergiquement  au  maintien  de 
de  l'état  de  choses  actuel .  «(Les  négociants  de  .Marseille,  lisait-on 
dans  l'un  d'eux,  remis  aux  plénipotentiaires  du  roi  ;Y  Riswick, 
s'étaient  plaints  ci-devant  des  règlements  que  S.  M.  a  été  obligée  de 
fiire,  particulièrement  au  sujet  du  tabac,  des  toiles  de  coton,  des 
sucres,  du  coton  filé  et  du  café,  par  rapport  au  commerce  général 
de  l'Etat  et  ils  ont  essaye  de  remontrer  qu'en  cela  on  a  donné 

(i)  Potitckirtraiii  à  la  Chvnhre,  ij  dêc.  i6(fS-  Depping,  t.  III,  p.  891.  —  A 
Lebirt.  Ibid,  t.  III,  n  913,  17  dtic.  1696.  Cette  date  est  erronée;  la  lettre  est 
du  môme  jour  que  1  autre.  De  plus,  c'est  Pontchartrain  le  (ils  qui  l'a  écrite,  c.ir 
il  parle  de  son  père. 

(2)  11  s'agit  des  .\ntilles.  —  Au  contivhnr  gàiéral,  <)  ivlobrc  i(")9.  (Cité  par 
Marchand,  p.  322.) 

(j)  Arch.  tU  la  Mar.  B',  4t)j,  fol,  .fo6-^(>y  :  Mémoire  par  lequel  on  justifie 
que  la  police  établie  et  les  réglenieuts  donnés  pour  le  commerce  de  I-rance  depuis 
la  paix  des  Pyrénées  ont  produit  l'abondance  de  l'or  et  de  l'arj^ent  dans  le 
royaume  et  que  l'on  n'y  peut  taire  de  changement  sans  remettre  l'Etat  dans 
l'esclavage  des  étrangers.  —  H',  .;<>A',  fol.  266-3tji  :  .Mémoire  pour  justifier  que 
les  principes  sur  lesquels  le  commerce  de  France  a  été  rétabli  depuis  1660  sont 
ceux  sans  lesquels  il  ne  peut  subsister  avec  succès . 


LES   PROHIDiriONS  38 J 

atterintc  au   port  franc  et  qu'on  ruine   le   commerce  du  Levant, 
C|Li^  le  commerce  général  du  royaume  en  souffre  un  «^rarid  préjudice 
ut  trti  particulier  celui  que  Marseille  faisait  avec  l'Italie  et  avec  l'Espa- 
gne;. S.  M.  a  examiné  les  plaintes  aussit{n  qu'elles  sont  venues  à  sa 
coi-inaiss;ince...  et  encore  particulièrement  l'année  1693  on  a  trouvé 
qia'tn  fais;intces  règlements  S.  M.  avait  prévenu  tout  ce  qui  pouvait 
porter  atteinte  au  commerce  Je  Marseille  et  pris  autant  de  précau- 
tions qu'il  était  possible  pour  conserver  la  liberté  du  port  franc... 
C<_- pendant  les  négociants  de  Marseille  viennent  de    renouveler  les 
inôiiies  plaintes   et   ;\   peu    près  sur   les   mêmes   fondements'...» 
Après  le  traité  de  Riswick,  les  fermiers  prétendirent  rendre  exé- 
cutoire à  Marseille  le  tarif  de  1699  établi  par  une  convention  avec 
les      Hollandais  ainsi  que  le  tarif  de  1667  et  tous  les  arrêts  posté- 
rie'  «jrement  rendus  sur  le  même  sujet.  Cette  nouveauté,  directement 
Cor-»  traire  ;\  l'esprit  de  l'édit  du  port  franc,  acheva  de  détourner  de 
^^•i».  rseille  le  peu  de  commerce  que  !cs  étrangers  venaient  y  faire'. 

-^^insi,  vers  1700,  il  ne  restait  presque   rien  de  cette  franchise  du 

po«~t  de  Marseille  queColbert  avait  eu  tant  de  mal  ;\  établir  et  dont  il 

^*^    p>romettait  tant  de  bons  résultats.  En  établissant  toutes  ces  proht- 

*^*ti«ns,   Seignelay  et  Pontchartrain   s'imaginaient  peut-être  rester 

**^x^  s  la  tradition  du  grand  ministre  et  compléter  son  œuvre,  mais  ils 

*-**-*  l^laient  que,  si  Colbert  voulait  favoriser  les  progrès  de  nos  manu- 

'***^  t  ures,  en  les  protégeant  contre  la  concurrence  étrangère,  il  n'était 

P**-^    moins  pénétré  des  besoins  du  commerce,  qu'il  avait  proclamé 

■a    »>écessité  de  laisser  à  celui-ci  la  plus  grande  liberté,   et  d'attirer 

^**^r»s  nos  ports  le  mouvement   de  la  navigation  et  des  échanges  en 

***^*^iiant  aux  étrangers  toutes  sortes  de  facilités. 


<  «  )  .hcb.  de  1,1  \Ltr    H',  ^ijy,  J'ai.  }S6. 
^•*)  PriambiiJe  de  Tanit  du  to  juilltl  i/Uj. 


CHAPITRE  VII 

LES    ANNÉES    DE    PROSPÉRITÉ    (1683-I702) 

III.  —  Les  progrès  du  commerce. 

Quelles  qu'aient  été  les  entraves  mises  au  commerce  par  les 
règlements  ou  les  prohibitions,  elles  ne  rempèchèrent  pas  de  profiter 
des  heureuses  réformes  accomplies  depuis  1683,  surtout  de  la 
cessation  des  ravages  commis  par  les  Barbaresques,  et  de  l'atteinte 
portée  i\  la  concurrence  étrangère  par  l'applicition  plus  rigoureuse 
du  droit  de  20  0/0.  Il  ne  fit  pas  de  progrès  pendant  les  quatre 
années  qui  suivirent  la  mort  de  Gilbert;  c'était  en  effet  l'époque  des 
dernières  luttes  contre  les  Barbaresques,  des  désordres  causés  par 
l'avanie  de  Chio,  des  vexations  des  consuls  fermiers  de  la  Compa- 
gnie de  la  Méditerranée.  Aussi  la  moyenne  des  importations  du 
Levant  des  années  1684-87  fut  de  5.625.000  livres  seulement, 
tandis  que  leur  valeur  avait  dépassé  6  millions  du  temps  de  Colbcrt. 
Mais,  pendant  les  sept  années  qui  suivirent  (1688- 1694),  ^'-^  nioyenne 
s'éleva  i\  près  de  7.700.000  livres.  En  effet,  la  sécurité  des  mers 
avait  été  rétablie  et  les  flottes  françaises  restèrent  maîtresses  de  la 
Méditerranée  pendant  les  premières  années  de  la  guerre  de  la  Ligue 
d'Augsbourg.  De  plus,  le  resserrement  de  l'alliance  avec  les  Turcs 
pendant  cette  guerre  permit  à  notre  ambassadeur  d'engager  avec  le 
Divan  d'intéressantes  négociations,  et  de  se  faire  accorder  des  avan- 
tages considérables'.  Le  plus  important  fut  la  réduction  des  droits 
dédouane  en  Egypte  de  30a  3  0/0  pour  les  Erançais.  L'ambassadeur 

(i)  L'ambassadeur  Girardin,  dans  une  lettre  à  la  Chambre  du  2}  mai  1686, 
cnumère  un  grand  nombre  de  «  Cathechi'iifs  »  ou  commandements  qu  il  Avait 
obtenus.  —  «  t)n  ne  m'a  encore  rien  relusé  de  ce  que  j"ai  demandé,  ajoutait-il. 
Si  les  Consuls  mavaicnt  fait  s.ivoir  ce  qui  peut  leur  être  avantageux,  j'aurais  fait 


LES  PROGRES  DU   COMMERCt 


287 


Ginrdiu  avait  obtenu  en  même  temps  la  permission  pour  les  vais- 
seaux français  de  transporter  les  denrées,  telles  que  k-  blé,  le  riz  et  le 
café,  d'Alexandrie  i  Constantinople,  et  même  d'en  charger  pour  la 
France.  Les  blés  du  Levant,  achetés  surtout  dans  l'Archipel,  furent 
d'un  grand  secours  pendant  la  guerre  de  la  ligue  d'Aujjsbourg  et 
surtout  pendant  les  disettes  de  ta  guerre  de  succession  ;  en  mémt 
temps  ils  fournirent  un  fret  important  i  notre  marine  marchande. 
C'est  aussi  à  partir  de  cette  époque  que  les  cafés  achetés  en  Hgypte 
arrivèrent  pour  la  première  fois  à  Marseille. 

Girardin  reprit  aussi  les  négociations  que  Colbert  avait  fait 
engager  par  M.  de  Nointel  au  sujet  du  commerce  de  la  mer  Rouge  et 
présenta  au  grand  vizir  des  mémoires  où,  pour  la  première  fois,  il 
était  question  d'établir  un  canal  de  jonction  de  la  mer  Rouge  à  la 
Méditerranée.  Il  reçut  une  réponse  favorable,  nuis  le  consul  de 
France  en  Egypte,  qui  agissait  de  son  côté,  rencontra  au  dire  une 
très  grande  hostilité.  Le  pacha  craignait  de  voir  réduire  les  droits  de 
douane  de  10  0/0,  payés  par  les  marchands  turcs  qui  faisaient  le 
commerce  de  la  mer  Rouge,  i  j  0/0,  taux  fixé  pour  les  Français,  ou 
même  à  moins,  car  Girardin  dans  son  mémoire  proposait  un  simple 
droit  de  transit  de  1/2  pour  cent.  De  leur  côté,  les  tîiarchands  du 
Giire  redoutaient  de  voir  sortir  de  leurs  mains  ce  commerce  consi- 
dérable, surtout  les  chefs  des  milices  qui  étaient  devenus  marclunds 
et  avaient  peu  à  peuacaparé  le  commerce  de  la  mer  Rouge.  Mais, 
pour  ne  pas  paraître  intéressés  dans  cette  affaire,  ils  se  retranchèrent 
derrière  la  question  religieuse  et  firent  valoir  l'inconvénient  qu'il  y 
aurait  d'admettre  des  chrétiens  dans  une  mer,  sur  les  bords  de  laquelle 
se  trouvait  le  tombeau  du  Prophète;  Girardin  échoua  donc  connue 
avait  échoué  Nointel  V  II  proposa  aussi  à  la  cour  d'entreprendre  le 
commerce  avec  Tlnde  par  la  voie  de  l'Euphratc,  mais  on  lui  répondit 
que  la  proposition  ne  paraissait  •  pas  être  praticable  et  qu'il  n'était 
même  pasù  propos  d'embrasser  tant  de  choses  à  la  fois.  »  Le  ministre 
attachait  au  contraire  beaucoup  d'importance  à  l'ouverture  de  la 


en  sorte  de  leur  envoyer  tous  \es  cnmnunJcmcnts  qu'ils  auraient  pu  souhAiter. 
Àyl,  14S.  —  La  Clunibre  lut  envoya  de  l'argent  pour  ('.tcilitcr  ees  négoei;itii)n«.° 
Ddnsiet  rc|;isires  de  dispenses  Je  l.i  Chambre  iCC,  2j  tt  suit'.)  fijjurent,  en  168;, 
l.|..Sji  livres  pour  les  citclierifs  d'Egypte  et  d'.Mcxaiidrie,  15.59}  livres  en  1686 
et  994  J  livres  en  1687. 

(il  Voir.  Vanoal,  ouvrage  cité,  —  Nohl,  t.  H,  p,  220-21.  —  V.  UUtt  du  n>i 
du  ji  aotU  16S6.  Deitihc,  t.  III,  p.  6)6. 


288  LES   ANNÉES   DE   PROSPÉRITÉ 

mer  Noire  à  notre  commerce  «  parce  que  ce  négoce  procurait  des 
retours  aux  vaisseaux  qui  allaient  à  Constantinople  ;  afin  d'être 
informé  de  l'utilité  qu'on  en  pourrait  retirer,  écrivait-il,  il  faudrait 
commencer  par  fiiire  en  sorte  d'engager  quelque  jnarchand  à  faire  un 
chargement  de  mâts  et  de  bois  de  construction  pour  les  magasins  de 
Toulon.  »  Le  Divan  eut  la  complaisance  de  permettre  à  M.  Girar- 
din  de  charger  pour  Toulon  deux  navires  de  bois  de  construction 
coupés  sur  les  côtes  de  cette  mer,  mais  à  condition  d'en  faire  l'achat 
à  Constantinople.  De  plus,  il  exigea  que  les  capitaines  promissent  de 
rapporter  un  certificat  de  déchargement  des  marchandises  de  la  mer 
Noire  dans  les  ports  de  France,  ce  à  quoi  l'ambassadeur  eut  ordre  de 
ne  pas  faire  de  difficultés*.  Mais  le  Divan  opposa  un  refus  très-net  à 
l'introduction  du  pavillon  français  dans  la  mer  Noire,  qu'il  regardait 
comme  le  domaine  de  la  marine  turque. 

Tandis  que  des  marchés  nouveaux  s'ouvraient  au  commerce  fran- 
çais, celui-ci  prenait  plus  d'extension  au  fond  de  l'archipel  où  était 
créée  l'échelle  de  Salonique  à  la  fin  de  1685.  Cette  création,  due  à 
l'initiative  du  fermier  général  des  consulats  le  sieur  Fabrc,  directeur 
de  la  Compagnie  de  la  Méditerranée,  parut  au  début  une  dépense 
inutile  à  la  Chambre  «  car,  disait-elle,  il  ne  se  retire  rien  à  droiture 
de  Salonique  que  l'on  ne  puisse  facilement  retirer  par  voie  de  Smyriic 
comme  on  l'avait  toujours  pratiqué*.  »  Pendant  près  de  dix  ans,  le 
consul  fut  en  effet  le  seul  français  de  la  nouvelle  échelle  ;  il  vantait 
cependant  les  avantages  considérables  du  commerce  qu'on  pourrait 
fliirc  en  blés  et  en  laines  et  le  pacha  de  Salonique  lui  avait  permis  de 
faire  arrêter  tous  les  étrangers  qui  venaient  de  Durazzo  et  des  envi- 
rons acheter  des  cires,  ou  de  les  leur  prendre  au  prix  qu'ils  les  auraient 
achetées  ;  ainsi  le  commerce  pouvait  être  mis  entièrement  entre  les 
mains  des  Français*.  Ces  avantages  étaient  réels  ;  deux  marchands 
vinrent  s'établir  :\  Salonique,  d'autres  les  suivirent  et  l'échelle  était 
soHdement  établie  vers  1700. 

(i)  Lettre  du  roi  à  Giiarditt,  }i  août  16S6.  —  Seignday  à  GiranUu,  lômars  16S6. 
—  Depping,  t.  III,  p.  651. 

(2)  S  février  i6tj2,  à  Poiitihir train.  BB,  2S.  —  Cf.  Mémoires  sur  leconsulal  qu'on 
propose  à' établir  à  'l'bessalotiic,  i<}  octobre  inS^.  BB,  4,  fol.  ij2. 

(5)  h'tlre  de  Pontchai  train ,  }o  jauv.  i(np.  BB,  S2.  —  La  chambre  lui  répond  : 
«  Nous  n'oublions  rien  pour  exciter  les  marchands  à  aller  à  Salonique  »,  S  fhricr 
16^2.  BB,  2S.  —  Le  consul  avait  lait  embarquer  pour  la  Lrance,  sous  prétexte  de 
mauvaise  conduite,  le  premier  marchand  qui  était  allé  s'y  établir,  ce  n'était  guère 
encourageant.  La  Chambre  l'accusa  d'avoir  voulu  se  débarrasser  d'un  concurrent 
pour  son  commerce.  {iMlre  à  l'ambassadeur,  6  octobre  ifnjD.) 


LES    PROGRfes   DU   COM.MLRCL 


289 


L'ambassadeur  Girardin  avait  môme  cru  pouvoir  entamer  une 
ncyociation  plus  délicate  et  plus  importante  que  toutes  les  autres; 
il  s'agi-ssait  de  dépouiller  les  Hollandais  des  avantages  dont  ils  jjuis- 
saient,  et  de  les  assujettir  i  ne  naviguer  en  Levant  qu'avec  la  bannière 
française  et  sous  la  protection  de  nos  consuls.  Le  roi  lui  écrivait  à  ce 
sujet  :  «  La  négociation  que  vous  avez  entreprise  pour  exclure  les 
Hollandais  du  commerce  du  Levant  sous  autre  bannière  que  la  fran- 
i;alse  est  très  délicate  et  doit  éirc  traitée  avec  un  fort  grand  secret. . . 
Je  crois  que  vous  pourrez  réussir  aisément  dans  celte  négociation  en 
faisant  bien  connaître  .\  ce  ministre  l'avantage  que  recevraient  les 
douanes  du  Grand  Seigneur...  et  surtout  en  appuyant  bien  sur  le 
désavantage  que  reçoivent  les  Turcs  par  la  distribution  que  lesdits 
Hollandais  font  continuellement  en  Levant  de  piastres  de  mauvais 
aloi  appelées  abouquels.  Et  vous  êtes  assez  informé,  par  ce  qui  vous 
a  été  expliqué  dans  votre  instruction,  de  l'importance  qu'il  y  a  d'ex- 
clure ces  abouquels  pour  ne  pas  douter  que  vous  n'y  donniez,  une 
entière  application'.  »  La  négociation  n'aboutit  pas  et  ne  pouvait  p.is 
aboutir,  mais  le  seul  fait  qu'elle  fut  engagée  montre  assez  l'influence 
dont  notre  ambassadeur  jouissait  auprès  du  divan. 

Malheureusement  l'essor  du  commerce  fut  paralysé  par  la  guerre 
delà  Ligue  d'Augsbourg.  Le  roi  accorda,  il  est  vrai,  aux  Marseillais 
la  liberté  de  recevoir  des  marchandises  d'Espagne  et  mémo  d'Angle- 
terre et  de  Hollande,  nécessaires  à  leur  trafic*;  mais,  malgré  cette 
faveur,  le  commerce  avec  l'Espagne  et  l'Italie  était  bien  gêné,  comme 
le  prouve  la  quantité  de  marchandises  apportées  du  Levant  qui 
restaient  sans  écoulement  dans  les  magasins  de  Marseille*.  D'un 
autre  cùté  les  armements  considérables  faits  pendant  la  guerre  par  la 
marine  royale  enlevèrent  iouvent  les  matelots  a  la  m.irinc  mar- 
chande*. Il  est  vrai  que,  gràcc  .1  ces  armements,  les  flottes  françaises 
se  trouvèrent  maîtresses  de  la  mer  pendant  les  premières  années  de  1 
la  guerre*;  les  convois  anglais  et   hollandais  ne  purent  qu'avec' 


(1)  Ijt  roi  â  Girardin,  ji  aoi'U  t6S6.  Du'PIng,  t.  III,  p.  6j6. 
(î)  Aich.  de  la  Mar.  h* ,  p/j,  fol.  jS-j  :  Mémoire  d^  i6ç6, 

(î)  La  Clumbre  mï  plaignit  vivement  de  h  «.licnc  de»  piastres  Jonl  le  prix 
atteignit  72  soi».  —  Lettre  à  Ubret,  t"  fivr.  i6çj.  BB,  28. 

(  I)  t  f  tiuii  idStf,  à  Je  y'auvri.  iS  mai  t6</>.  BB,  Si, 

(>)  Cependant  on  t.^«;rit  de  ConM.intinopIe  le  2)  o..;  •  que  les  vjisse.iux 

Je  guerre  du  convoi  jn^bis  ont  fait  cinq  prises  sur  le  lU  vue  de  Sinymc, 

un  vaisseau  et  qujtie  turques.  BB,  lOS, 

«9 


2$a 


LES  ANNÉES  DE   PROSPÈRlTt 


difficulté  passer  d.ms  le  Levain  et  Pontch.trirain  pensait,  comme 
Colbert  au  début  de  la  guerre  de  Hollande,  que  les  circonst.iiucs 
étaient   i^ivorables  pour  supplanter  nos   rivaux.  11   promettait  dit 
«  donner  aux  négociants  français  toutes  les  facilités  qui  pourraienr 
contribuer  à  leur   faire  profiter  de  la  conjoncture   présente    d;ins; 
laquelle  ils  pouvaient  se  rendre  maîtres  du  commerce  du  Levant  et 
obliger  les  Anglais  et  les  Hollandais  A  en  tirer  les  marciiandises  dtt 
leurs  mains'.  »  En    169.^  le  convoi  d'Angleterre  et  de  Hollande  fu 
battu  par  une  tempête  .1  la  hauteur  de  Malaga  et  fit  en  panie  luu 
frage  ;  les  autres  bâtiments  durent  aller  se  radouber  à  Gibraltar,  ei 
Pontchartrain  excita  encore  les  marclunds  à  profiter  de  cet  lieureu 
hasard*.  Ce  sont  les  difficultés   du  commerce   de  nos  rivaux  qui 
expliquent  que  celui  des  Français  continua  de  s'élever    jusqu'ea 
1694,  iiniiée  dans  laquelle  leurs  importations  dépassèrent  8.700. 
livres. 

Cependant  les   pertes  que  la  course  lui  faisait  subir  avaient  e;e, 
grandes,  surtout  depuis  1692,  et  elles  s'accrurent  considérablcnien 
pendant  les  dernières  années  de  la  guerre.  Le  capitan  p.icha  Mem 
morto  imagina  en  vain  de  supposer  une  ligne,  entre  la  côte  d'Afriqu 
et  l'île  de  Candie,  à  l'est  de  laquelle   les  corsaires  des  puis&tnceS; 
chrétiennes   belligérantes  ne   pourraient   pénétrer,   sous  peine  de 
châtiment  et  d'illég.ilité  des  prises.  Mais  les  ennemis  de  la  France  n 
tinrent  pas  compte  de  cette  démarcation,  signifiée  aux    cours  euro^ 
péennes,  et  la  Porte  était  alors  trop  occupée  elle-même  pour  ùire 
respecter  ses  défenses  ;  on  vit  môme  les  vaisseaux  français  nienaci 
à  Alexandrette  et  dans  les  ports  de  Syrie,  se  retirer  à  Famagoustô 
pour  y  attendre  l'occasion  de  rentrer  en  France.  Heureusement  le* 
Barbaresques  restaient  en  paix  ;  les  Algériens   renouvelaient  leui 
traité  en  1691,  malgré  les  exciutions  des  Anglais  et  des  Hollandais 
pour  les  soulever  contre  la  France.  Seuls,  les  Tripolins  déclarèrent 
de  nouveau  la  guerre  au  commencement  de  1692.  Les  Anglais  el: 
les  Hollandais  leur  avaient  promis  30.000  pi.istres,  la   fourniture 
des  toiles,  cordages  et   .igrès  nécessaires,  et  leur  avaient   donné 
l'espérance  de  les  secourir  avec  leurs  vais.seaux,  en  cas  d'aruquc  de 
bpart  des  Français'.  De  plus,  ils  étaient  poussés  par  leur  misère. 


I 


(I)  16  irptembrc  i6<j}.  —  Cf.  37  uuù,  ij  juiu.  BB,  S2. 

(s)  t^  ttiril  i6<j)^.  BB,  Hi. 

(j)  Litlr»  ilu  consul  >U  TrifvU,  6  mars,  ao  atnil  i6ç2  :  «  La  nouvelle  qa'il»< 


LES   PROGRliS    OU    COMMEKCE 


1^)1 


m.  Nos  braves  Tripolins,  écrit  le  consul,  de  qui  j'.ù  rcçii  depuis  que  je 

^oiis  ici  toutes  les  honnêtetés  du  monde,  ne  sachant  plus  où  donner 

«Jlc  la  tète  pour  trouver  de  quoi  pour  payer  U  t.iïrte,  se  sont  délibérés 

«J-e  rompre  la  paix'.   »  Un  nouveau  bombardement  qu'ils  subirent 

«■%  u  mois  d'août  1692  ne  décida  pas  les  Tripolins  \  la  paix.  L'influence 

«wi  ont  jouissaient  les  I-ranvais  ;\  Cunst.intinople  les  servit  hciireusc- 

■~~»ient  :  un  capidji  du  Grand  Seigneur  passa  à  Tripoli  au  printemps 

«.:S.  e   1693   tandis  que  Denis  Dusault  allait  négocier;  les  hostilités 

«zr  «ssèrcnt  le  27  mai  1693  et  la  paix  lu:  rétablie*. 

U  était  temps  que  la  guerre  de  Tripoli  prit  tin   car,  en  1693,  les 

«:=:  «jrsaires  ennemis,  encouragés  par  ralFaiblissement  de  notre  marine, 

-=:».  jpparurent  nombreux  dans   la  Méditerranée,  où  jusques   1;\    ils 

^"» 'avaient  fait  que  quelques  prises.  Plusieurs  Flessinguois  et  Anglais 

^^^- "^établirent  dans  le  canal  de  Malte  et  sur  le  cap  lion'.  Faute  de  pré- 

•^^^ -sautions  de  la  p;irt  des  Marseillais,  ils  s'emparèrent  coup  sur  coup  de 

*^^^^  uatre  vaisseaux,  l'un  dont  le  chargement  valait  400,000  livres,  les 

■=^^-  litres  150,000  et  200,000.  Ces  nouvelkb  captures,  ajoutées  aux 

"^r-fcfécédentes,  portaient  les  prises  des  Flessinguois  i  plus  de  1.400.000 

■-  ivres*.  Il  y  avait  alors,  au  nùlieu  de  Tannée  1693,   sept   corsaires 

*^  essinguois  et  un  corsaire  anglais  sur  les  routes  du  Levant   et  on 

=^  étendait  l'arrivée  de  douze  autres,  qui   heureusement    ne  vinrent 

S^âs.  Un  seul  vaisseau  parut  assez  fort  pour  être  excepté  de  la  déten- 

^  îon  générale  des  'rifitiments  que  la  Chambre  décida  le  20  mai,  c'était 

•c^clui  du  capitaine  Guieu,  d'environ  600  tonneaux  de  portée,  armé 

<ic40  pièces  de  canon  et  de  200  liommcs  d'équipage;  on  le  laissa 

partir  en  renforçant  son  équipage  de  25  hommes.  Le  capitaine 

Cjuieu  justifia  cette  faveur,  car  non  seulement  il  revint  sain  et  sauf, 

inais,  au  commencement  de  1694,  il   coula  le  corsaire  anglais  qui 

apprise  Je  1.)  p.iix  «.l'Alger  a  bien  contritiuè  à  la  sotlisc  qu'ils  ont  fuite,  disant  que 

W*  .Atgéricns  ont  f.iit  avec  nous  tout  ce  qu'ils  ont  voulu »  AA,  f4j. 

Il)  6  mars  i6ç2.  AA,  f4/.  Cette  lettre  renferme  des  détails  intéressants.  — 
n  ils  ont  prii  en  tout  11  bâtiments  et  ai$  esclaves,  sans  compter  celui  qui  se  fit 
couler.  »  —  Lfttrf  du  consul,  22  mai  161)2.  AA,  S4J.  —  Le  plus  gros  vaisseau  de 
1.1  tlottc  Marseillaise,  revenant  Je  Snivrnc  ivvc  un  chargement  de  600.CKX)  livres, 
•s'i'tail  fait  couler,  plut<*it  que  de  se  rendre,  .iprés  un  long  et  rade  combat. 

Il)  Ltltrn  lit  PoiiUharlniiit,  4  juin  jbi)2.  BU,  Sj  —  ih-  la  OHivihie  à  l'ainbas- 
iOiUiir,  2}  août  i(n}2.  BB,  2S  —  Je  DinaiiU  à  la  Cliamlirt,  27  oclotuf  169).  A  A, 
;;;  —  de  Paittdiaritain,  //  jnilitl  it'n^}.  BB,  S2.  elc. 

(}|  r  y  etî  avait  aussi  aux  abords  Je  Livourne.  \'oir  la  correspond,  du  consul. 
AA,  ,'y;'.  —  Déji  en  1692  {24  juillet)  il  signale  la  présence  de  dix-liuif  galère» 
J'Iispapic. 
[\)  la  Cliambre  1)  PaHlcharliain,  /  ei  20  mai  tO'j).  BB,  3S. 


2^)1  l.IvS    ANNÛKS   DU   PROSPÉRITÉ 

i.r()i.s.iit.sur  le  c.i|)  Hon  et  reçut  en  récompense  de  la  Chambre  une 
f',iatiliL.ui(»n  de  2<)<)()  livres'. 

l'oiuchartrain  employa  simultanément  le  système  des  escortes  et 
ciliii  des  croisières.  Le  vaisseau  V Aventurier  partit  au  mois  d'août 
avec  un  convoi  et  dut  prendre  à  Smyrne  les  vaisseau.^  du  Levant  qui 
s'y  rasscuïbleraient  pour  les  ramener*,  tandis  que  le  vaisseau  le 
AVV/Vh.v  et  la  tVèj'aie  la  Jalouse  allèrent  croiser  dans  le  canal  de  Malte, 
pi>ur  en  chasser  les  corsaires*.  Les  croisières  furent  maintenues, 
uïème  pendant  l'hiver  :  «  le  roi,  éciit  Pontchartrain  en  décembre 
u»i)î,  euvoie  un  vaisseau  dans  le  canal  de  Malte,  un  autre  sur  le  cap 
S|urnvente,  il  y  en  a  un  sur  le  cap  de  Gatte  et  les  iles  Saint-Pierre. 
La  iVêyaie  la  Mutine  est  destinée  pour  assurer  la  traite  des  blés  de 
Haibaiie  ;  la  Jaù^u^e croisera  le  lonsj  des  côtes  d'Italie  et  sur  le  cap 
(lorse  pourch.isser  les  cors,ùres  Mayorquinsqui  y  ont  paru  et  S.  M. 
tait  .sortir  deux  j;alères  jxnir  assurer  le  commerce  de  Gènes  à  Mar- 
seille. Je  ne  crv»is  pas  qu'on  puisse  ajouter  rien  à  ces  soins,  ni  à  la 
protection  qu'elle  donne  en  cette  occasion  aux  négociants*.  » 

L'année  suivante  neut"  corxitres  l-[essini;uois  se  trouvaient  dans  la 
MêdiîeMaïuv.  mai.N  le  TvM  tit  encore  occuper  les  croisières  importan- 
tes \  l.'asv.vnce  d's".  paNS.is:e  de  l'amiraî  Russe',  dans  L  .Méditerranée 
av^v  .\\  \.r,N.Ne.u:\  de  '.ii;:K\  qui  dev.î:vnt  >e  •oit'ïJre  ù  ceux  qui  étaient 
de'.\  .\  v.\u!;\  et  A  '..v  rloîtc  c>ps\i::K>'e.  -eta  '.'al.:rr.u  <.".  Provtr.ce  c:  tît 
P'.v.uv.e  '..i  P"OC.iv.:'.k"".  Oe  rctv^'.r  .e>  .-Ji:::v.»":>  :r.:"vV.:>  di">  les 
v\.'^>,.»>.  cu',;'.e'.'."»»'""'»"'  -■.  "-^'t;>  >:v':o"i'".  c.  ..'.>..■.: >^":'.  wt.'.~t;rjr  .l'.Mn— 
.". .:"»  »U'"v"'>f  .".f.o"  >.'.r  ..>  »'.";»>  Ci  ..'.  v...iti.."î'r:c.  Pe~- 
.•■>»:,  .'.•.'••■■.'.     !\..v-^.  Cv;.:,."  ■-■.  «iv^    ■ .'.  ■  vv. .".  .'A    ;..   .!;■>  rri-^iitcs 

•:,  .i  :.-.  \  M    ■,-•".:■;  -.v-i-'^  ^.t-^.:^,  c.  i,;-.-  :.-.:>.:.  .:^:^:: 
.-.:  ;.:■.•    .  .^  "  "-  ;.    ■•■--  c.-  :  ".•-  ^o.-"--.  ;.:-  '.z   -^  ,  i_ 


«."  ,.    V. 


LES   PROGRÈS  DU   COMMERCE 


295 


En  1695, 1.1  sitiuirion  devînt  plus  grave  :  douze  vnlsscaux  anglais 
occupùrent  les  croisiùres  des  iles  de  Malte,  Sniiit-Picrre,  Ivici  et  les 
Flcssinguois  purent  faire  la  course  sous  leur  protection,  tandis  que 
six  autres  vaisseaux  anglais  allaient  ù  Smyrne  pour  ramener  le  con- 
voi. Il  f.illut  interdire  complètement  l.i  navigation  du  Levant  i\  par- 
tir du  i^'mai;  les  vaisseaux  qui  étaient  dans  les  cchelles  durent 
attendre  que  la  saison  fût  avancée  et  que  la  flotte  ennemie  se  retirât 
pour  revenir  jusqu'A  Malte  où  des  vaisseaux  du  roi  devaient  aller  les 
prendre  en  conduisant  les  bâtiments  qui  partaient  i  leur  tour  pour  le 
Levant  '.  Mais,  au  début  de  1696,  les  bâtiments  qui  étaient  dans  le 
Levant  n'avaient  pas  encore  été  ramenés  et  des  corsaires  nombreux 
les  attendaient  dans  le  canal  de  Malte,  undis  que  d'autres  allaient 
aux  abords  des  eclielles  pour  les  empêcher  d'en  sortir. 

Pontciiartrain  ne  put  faire  sortir  que  deux  vaisseaux,  le  5mV».v  et  le 
MarcjitiSy  pour  les  chasser  du  canal  et  protéger  l'arrivée  des  Français 
S  Malte.  Ils  escortèrent  neuf  vaisseaux  se  rendant  en  Syrie,  poussèrent 
jusqu'i  Gmdie  et  en  ramenèrent  les  vaisseaux  d'Egypte  et  d'Alep  qui 
avaient  pu  s'y  réfugier  tandis  que  ceux  de  Smyrne  restaient  bloqués 
par  deux  vaisseaux  de  guerre  anglais.  Une  partie  des  bâtiments  du 
Levant  revint  ainsi  à  Marseille,  après  une  longue  attente  et  les  deux 
vaisseaux  du  roi  ramenèrent  en  outre  quelques  prises*.  Le  trésor 
obéré  supportait  avec  peine  la  charge  de  ces  armements  et  Pontchar- 
train  demanda  â  la  Chambre  qu'elle  y  contribuât;  quoique,  depuis 
la  dernière  guerre  d'Alger,  le  commerce  continuât  de  payer  une 
imposition  d'un  écu  par  tonneau  sur  tous  les  bâtiments,  la  Chambre 
offrit  40,000  livres  pour  l'entretien  du  Scriaix.  Les  deux  vaisseaux 
repartirent,  l'un  pour  Candie,  l'autre  pour  Smyrne,  cnlîn  dans  un 
troisième  voyage  ils  s'en  allèrent  â  Malte  pour  ramener  les  bâti- 
ments qui  s'y  trouvaient'.  Ces  faibles  armements  suffirent,  parce 
que  la  flotte  ennemie  n'avait  pas   pénétré  cette   année  là  dans  la 


(i)  y,  16  mit' s,  6  avril,  a^  Juin,  so,  ji  aoùl,  7,  2/  îtpt.,  2}  oU.  t6gj.  BB,  Sa. 

(2)  M.  Je  Pdllas  comtn.iiulait  le  SénetLX  et  M.  de  Furbin  le  Marquis.  M.  tic 
Pulliis  s'empara  d'un  1-leï.singuois  et  rei;ut  une  gratificition  de  U  Clumbte.  M.  de 
Forhin  fe<,'ut  20ûo  livres  pour  jvoir  pris  deux  vjisseaux  corsaires,  de  M.ijori)ue  cl 
détruit  une  barque  napolitaine  de  150  hommes  d'équipage,  tj  avril,  jiy  ooiit 
t6^)6.  BU,  4. 

())  1 1  jtim..  S,  is  fivr.,  }f,  18  mars,  ./.  if  avril,  2,  t  (  iimi,  r,  {$,  31  août 
161/'.  HU,  Sa.  —  Deux  vaisseaux  avaient  été  envoyés  sur  les  cAtcs  de  la  Barbarie 
et  deux  autres  ;i  Livoumc  [Hiur  en  l'aire  sortir  Jes  bâtiments  bloquds  par  les 
Anglais. 


294  LES  AKNfenS   XiV.  PROSPfiRlTfe 

Méditerranée  et  la  navigation  ne  fut  pas  interrompue  comme  l'année 
précédente.  En  1697  la  situation  fut  la  même',  les  flottes  de  guerre 
étaient  occupées  par  le  siège  de  Barcelone  et  le  commerce  n'eut  à  se 
protéger  que  contre  les  corsaires,  dont  le  nombre,  il  est  vrai,  était 
considérable  :  ce  fut  pendant  cette  année  que  le  chiffre  des  prises 
s'éleva  le  plus  haut  *. 

Pendant  cette  malheureuse  guerre,  b  progression  du  commerce 
avait  naturellement  cessé  et  même  les  transactions  avaient  considé- 
rablement diminué  :  en  1695,  l'année  où  la  flotte  anglaise  était 
restée  maîtresse  de  la  mer  et  nos  bâtiments  enfermés  dans  les 
ports,  les  importations  du  Levant  tombèrent  A  2 .  099 ,  000  livres, 
elles  remontèrent  il  est  vrai  à  8. 399.000  livres  en  1696  mais  pour 
fléchir  à  5 .000.000  en  1697  ;  pour  ces  trois  années,  la  moyenne  ne 
fut  que  de  3 .  160.000  livres,  inférieure  de  plus  de  deux  millions  et 
demi  A  celle  des  sept  années  précédentes.  Encore  ces  chiffres  ne 
peuvent-ils  donner  une  idée  de  la  profonde  perturbation  que  la 
guerre  avait  apportée  dans  les  affaires.  Il  est  vrai  que  celle-ci  avait 
été  funeste  aux  coalisés  autant  qu'aux  Français,  les  convois  des 
Anglais  et  des  Hollandais  n'avaient  pas  été  plus  réguliers  que  les 
voyages  des  bâtiments  français.  Les  flottes  royales,  au  début  de  la 
guerre  surtout,  leur  avaient  ;\  plusieurs  reprises  fermé  l'entrée  de  la 
Méditerranée  et  de  nombreux  corsaires  Toulonnais  ou  Marseillais 
leur  avaient  aussi  donné  la  chasse'.  Les  Vénitiens  n'avaient  pas  pu 

(i)  En  août  1697  fut  organisé  un  grand  convoi  et  dos  vaisseaux  furent  cnvoyi-s 
en  croisière.  —  La  course  fut  en  effet  autorisée  après  la  signa'.nre  de  la  paix 
(20  sept.  1697)  jusqu'au  i"  déc.  1697. 

(2)  Le  chiffre  total  des  prises  de  bâiimems  par  les  corsaires,  de  i68g  à  1697,  fut 
de  480  (260  vaisseaux,  182  barques,  58  tartanes.  —  1689  :.-;  30  ;  1690  -  30;  1691 
----  49;  1692  —  59;  1É93  --  56  ;  1694  =  60  ;  1695  —  49  ;  1696  =  62  ;  1697 
rr:  8)).  —  175  bâtiments  (barques  surtout)  furent  pris  par  des  l:spagnols  (de  .Major-  . 
que,  'irapani,  Naples,  Barcelone,  Ostende),  165  par  des  Anglais,  1 5  par  des  Hollan- 
dais (de  Flcssingue  surtout  et  de  Middelbourg),  22  par  des  Algériens  (10  en  1689), 
14  par  des  Tripolins  (10  en  1692),  2  par  des  Saletins.  i  par  des  Tunisiens,  des 
Cîénois  et  des  corsaires  «  ayant  commission  de  Mp"^  l'électeur  de  Brandebourg  », 

3  par  des  corsaires  inconnus.  —  V.  i?i'ji,'i'.i/;-«  des  pertes  de  navires  conservés  aux 
Archives  de  la  Chambre  de  Commerce  à  partir  de  1688.  11  faut  remarquer  que  les 
déclarations  de  pertes  faites  .i  la  Chambre  et  leur  vérification  par  celle-ci  étaient 
des  formalités  nécessaires  pour  le  paiement  des  assurances.  Ces  registres  contiennent 
donc  tous  les  lutiments  perdus,  assurés  A  Marseille;  beaucoup  avaient  été  pris  dans 
la  mer  du  Nord,  la  Manche,  l'Océan,  à  Terre-Neuve  et  aux  Antilles.  ()n  y  voit 
figurer  quelques  bAtiments  étrangers,  même  ennemis,  Anglais,  Danois,  Suédois, 
(iénois,  assurés;!  Marseille  et  pris  par  des  corsaires  français  ou  par  les  Algériens. 
EE,  S,  ifg.  iii-r,  7P  P"g"- 

(3)  Les  Marseillais  avaient  cependant  une  grande  répugnance  A  pratiquer  la 
course;  mais  les  registres  de  l'amirauté  de  Marseille  attestent  que  de  nombreux 


LES   PROORF.S   DU    COMMF.PCU  395 

profiter  davantage  de  ces  conjonctures,  puisqu'ils  étaient  en  guerre 
KAvec  les  Turcs.  Aussi,  la  SL'curiti.' des  mers  une  fois  rétablie,  lesMar- 
"^eillais  n'eiirent-ils  qii'îi  reprendre   leur  négoce  interrompu,   mais 

Testé  sans  atteinte. 
K  Pendant  quatre  ans  (l  698-1 701)  le  commerce  du  Levant  jouit 
^'une  paix  profonde,  qu'une  guerre  avec  les  corsaires  de  Salé  ne 
troubla  guère  '.  Le  rétablissement  des  relations  commerciales  avec 
l'Espagne  rouvrit  au  commerce  du  Levant  son  principal  débouché  et 
]c  traité  de  commerce  conclu  avec  ta  Hollande  A  Riswick,  le  2t  sep- 
tembre 1697,  permit  aux  négociants  français  de  recevoir  avec  plus  de 
facilité  certaines  marchandises  nécessaires  h  la  composition  de  leurs 

I  cargaisons  pour  le  Levant';  le  besoin  qu'avait  le  roi  de  faire  des 
concessions  politiques  et  commerciales  à  ses  ennemis  avait  ainsi,  X 
son  insu,  l'avantage  de  rendre  moins  exclusif  le  règne  des  prohibi- 
tions.  Ces  trois  années  furent  une  époque  de  très  grande  activité 
K    pour  les  Provençaux  dont  le  trafic  atteignit    des    chiffres  inconnus 
"    depuis  70  ans;  les  importations  s'élevèrent  en  effet  tout  d'un  coup 
à  10.300.000,  11.300.000  et  II  .200.000  livres.   Le  naturaliste 
B  Tourncfort,  chargé    d'une    mission    scientifique    dans  le  Levant, 
"    pouvait  écrire   avec  raison,  après  avoir  visité  Marseille  en  1700  : 
n  Le  commerce  des  Français  en  Levant  est  plus  considérable  qu'il 
^  n'a  iam.iis  été".  »  Il  est  vrai  que  ce  mouvement  commercial  était  un 
peu  factice  ;  la  reprise  des  affaires  avait  été  trop  précipitée,  chacun 
avait  voulu  protitcr  des  avantages  de  la  paix  et  du  désarroi  du  négoce 

Lapitaincsdciiiaiidcrciu  cl  obtinrent  l'autorisation  d'armer.  —  On  y  fcliivc  irci/u 
.iiitoris-uions  accordées  en  1689  —  52  en  16911  —  41  en  1691  —  j6  en  1693, 
etc.  —  (Aifbiv.  lUjurlt'meittala  des  H.-dii-Kb.)  —  On  .1  peu  de  renseignenicnis 
*ur  les  exploits  de  ces  corsaires.  —  Le  11  juillet  1697  U  chambre  donne  2.(XX3 
livrer  à  l'un  d'eux,  M.  du  Ligondès,  armateur  de  ['HirotiJcIh,  t]ui  ramène  un  cor- 
s.iire  anglais  armé  à  Livoume.  Dans  sa  navigation  il  a  forcé  deux  corsaires  flessin- 
guQÏs  à  ï'iichouer,  l'un  au  c.ip  Sp.nrtivcnto  de  56  canons  et  200  hommes  d'équi- 
nage,  l'autre  de  jo  canons  et  i6û  hommes  au  cap  Carbotmaire.  —  lili,  4.  — 
V.  autres  récompenses  de  ce  genre.  M\,  4.  paisim.  —  Cf.  Mémoire  de  M.  de 
Vauvré  sur  les  armements  en  course  en  Provence,  <S'  mars  i6çf.  Arch.  d«  la  mar, 
W,  497,  Joi-  1(^0-184. 

(il  Voir  correspondance  de  Ponchartrain.  1697  et  1700.  IW,  S3.  —  En  1698 
il  y  eut  encore  treize  priseii  au  début  de  l'année,  une  seule  en  1699,  deux  en 
1700,  aucune  en  1701.  HE,  S. 

(a)  Voir  Archiva  Je  la  tiinriiie,  R',  4^8,  fol.  lyçet  iuiv.fol.  jjp-fii,  une  série 
de  mémoires  et  documents  au  sujet  de  ce  traité  de  commerce  avec  la  Hollande. 
—  Cf.  R',  4<)j,  J'ol,  3ii-6a  :  Mémoires  de  1696.  —  Un  traité  de  commerce  était 
préparé  avec  l'.\ngleterre.  —  Voir  une  série  de  Mémoires  à  ce  sujet.  Arch.  de  la 
mar.  fl',  4^y  tt  joo.  passim. 

(î)  TOUBMEFORT,  page  5. 


29^ 


LES    AVNÉES    DE   PROSPÉRtTÉ 


des  Anglais  et  des  Hollandais,  si  bien  que,  après  avoir  manqua  de 
marchandises  du  Levant,  on  s'en  trouva  encombré,  elles  s'accumu- 
lèrent dans  les  ni.igasins  de  Marseille  sans  trouver  d'écoulement  et 
l'année  1699  fut  marquée  par  une  série  de  banqueroutes.  Mais  ce 
n'était  l.\  qu'un  malaise  passager  que  le  règlement  du  tour  ctjibli  en 
janvier  1700  guérit  promptement '. 

Si  on  jugeait  d'après  le  commerce  du  Levant  la  situation  de  la 
France  en  1700,  on  ne  se  douterait  pas  que  toutes  les  sources  de  sa 
richesse  étaient  alors  profondément  atteintes,  comme  le  révèle  la 
grande  enquête  faite  au  même  moment  par  les  intendants.  Tandis 
que  les  manufiiciures  créées  par  Gilbert,  à  grands  frais,  étaient  rui- 
nées ou  prés  de  l'être,  les  fltbriques  de  draps  pour  le  Levant  étaient 
en  pleine  activité.  «  Les  soins  que  S.  M.  a  pris  depuis  50  ans  pour 
les  draperies  fines,  lit-on  dans  un  mémoire  de  1697,  ne  commencent 
que  depuis  les  dernières  années  à  répondre  au.\  espérances  que  S.  M. 
a  pu  concevoir  des  grandes  dépenses  qu'elle  a  faites  pour  porter  ces 
draperies  au  point  où  elles  sont.  Ce  n'est  que  depuis  1688  qu'on  a 
ciurcprisla  fabrique  des  Londres  en  Languedoc,  d'abord  pour  en  portei 
en  Levant  600  pièces  et  en  1692  par  laGsmpagnie  de  la  Méditerranée^:»—: 
1 .500  pièces,  dont  elle  a  augmenté  l'envoi  d'un  plus  grand  nombre.  -r_j 
A  son  imitation  les  particuliers  en  ont  fait  dans  la  même  province  ew-  :^ 
dans  les  voisines  qu'on  porte  en  Levant  par  augmentation,  concur-— ^ 
rcmmcnt  pour  le  bénéfice  avec  les  Anglais  qui  en  portaient  ci-dcvan* 
40.000  pièccîi*.  ■  M.  de  Pcnnauiier,  qui,  depuis  la  fondation  de  ce: 
(ahrîques,  a\:ait  éti  chat^  par  Gilbert  de  les  surveiller,  consuuu 
leur  p- ---:-.;  en  1691  :  «  Le  commerce  des  draperies  dans  I- 
Haut  i  ^oc  et  dans  tous  les  lieux  où  il  s'en  tiit  ne  saurait  è 

plus  florissant.  On  trax'aiUe  partout  à  force  et  les  ouvriers  manqu 


(t)  «  Afcis  h  faa  «k  R(»k-idt  les  nfgocùats  firent  de  gnads  achats. 
peàoKr  q«e  k*  toaô^en  aBiioK  rcfncshiic  kur  comaKroe.  Ainsi  b  Compign     ^^  *c 
«■  Le«am  em  An^Mctrc  6t  éamaa  ses  <fciycric»  i  pêne  pour  Êàre  van  me — x-vi 
■Abcs «(  nitaMn- b  t«nte  «les  lewv  Aasà  ks  Mirwilnii  um»iimi  «fificif 
i  AxMkr  k«n  nardMadëes  «{oi  s^McviMlèRM  Job  ks  maeasif  is,  ce  oui  ooc 
skttM  oac  ïiMc  Jo  tiiinaniMUi  •  «MITmiii  é»  élftÉi  it  \*mUt  «n  Comtiil  —_ 
CtmÊmnt^  4  "M^  ty>i.  —  Bcirajsi.r,  t.  U.  Ayyeifce.  p.  4^7^   —  ■  Le      ~ 

mat  è»  IMT  «s'il  ptol  â  S^  M.  d'itatta  n  bob  ée  ianner  1701  ooén  ; 

praapMflMM  ndfct  ^*oa  s'duit  ftofoaé^fai  ctak  priadfMkmcnt  a urter  **^^ 

<OMS  «KS  boM^MtOMCs  Mrinfes  cB  (mhc  1  JBDce  pvfcàknte  par  b  trop 
aviiM  <k&  ■Jndwii.  a  tt.  f.  HMilfl  mki  âa.  ai  >ék-.  17^4. 

U)  >cik  A  h  UÊ^im,  r.  M7.  /W.  #b.  —  La  Loaâtts  tekni  ks  ai«.-#» 


LES   PROGRÈS   DU   COMMERCE  297 

plutôt  que  le  débit.  J'ai  vu  la  manufacture  de  Saptes  qui  n'avait  d'or- 
dinaire, inOme  selon  son  obligation,  que  30  métiers  battans.  Elle 
en  avait  le  20  de  ce  mois  53  et  on  allait  en  établir  d'autres. 
Si  elle  ne  flùt  pas  la  quantité  de  pièces  de  drap  pour  le  Levant  qu'elle 
devrait  fciire,  c'est  parce  que  les  ouvriers  lui  manqueront,  quoique 
depuis  peu  il  lui  soit  venu  di.vscpt  familles  bollandaiscs,  toutes 
catholiques.  Je  n'ai  pas  eu  le  temps  d'aller  à  celle  de  Clermont,  mais 
j'apprends  qu'elle  travaille  aussi  considérablement  '.  » 

En  1694  des  marchands  de  Carcassonne  et  d'autres  manulacturiers 
du  l.auf'uedoc  se  proposaient  d'entreprendre  la  fabrication  des  draps 
pour  le  Levatit  et  demandaient  b.  Pontchartrain  les  mômes  avantages 
que  possédaient  les  manulacturcs  royales  de  Clermont  et  Saptes  ou 
bien  la  réduction  .\  la  nioitié  des  droits  sur  les  transports  du  Lanjjuc- 
doc  i  Marseille.  Pontcliartr.iiii,  qui  demandait  l'avis  de  Lcbret,  en 
était  il  craindre  que  l'envoi  d'une  trop  grande  quantité  de  draps  en 
Levant  ne  détermin.ii  une  baisse  de  prix;  on  était  loiti  du  temps  ou 
Colberi  s'irritait  de  voir  les  .Marseillais  négliger  ce  trafic  *.  Vers  la  fin 
de  la  guerre  on  vit  encore  un  Hollandais  recevoir  l'autorisation  de 
fonder  dans  le  Languedoc  une  nouvelle  manufacture  de  draps  pour  le 
Levant.  Un  autre  industriel  établit  aussi  dans  les  Cévennes  une 
manuCtcture  de  serges  impériales  dont  les  produits  étaient  exportés 
par  Marseille,  et  Pontchartrain  consultait  Lebrct  en  1697,  pour 
sivoir  si  ce  commerce  valait  la  peine  qu'on  l'exempt.'it  des  droits  de 
sortie  du  Lmguedoc^.  Enfin  Pontchartrain  constatait  lui-même  la 
bonne  situation  des  fabriques  de  draps  à  la  fin  de  1697,  quand  il 
écrivait  i  Lebret  ;  «  Je  vois  ;\  présent  que  ces  m.inufacturcs  sont  bien 
établies,  qu'il  se  présente  tous  les  jours  des  gens  qui  demandent  des 
permissions  d'en  établir  de  nouvelleset  que  généralement  la  plupart 
des  marchands  offrent  de  travailler  pour  le  Levant,  pourvu  qu'ils 
puissent  le  faire  à  des  conditions  égales  Ji  celles  qui  ont  été  accordées 
h  quelques  entrepreneurs  par  leurs  privilèges*.  »  D'un  autre  coté  la 
qualité  de  nos  draps  continuait  à  devenir  meilleure.  «  Si  on  continue 
de  perfectionner  les  draps  français  dont  on  vient  de  voir  ici  de  très 


».  I.  çi 


i|  Pdinanlicr,  tiiioiier  Ats  fiiiaiKti,  au  coiitioleiir,    }o  octobn    if»jt,  BoisLtsi.E, 
977". 

(2)  .4  LebrrI,  14  octohrt  i6ç3.  Itli,  Jii. 

(3)  .-<  Lfbrel,  2;  octobre  id^j,  ScKtobn'  i6çS.  RoisusLK,  l.  I,  1671"; 
M»  --/  Lfbr/I,  s  tit'cfmbiê  j6çj.  IIojsusle,  t.  1,  1671. 


398 


LHS   AK\ÉES   nn  PROSPÉRITÉ 


beaux  essais,  écrivait  à  la  Chambre  le  consul  du  Ciire,  le  25  févrîc 
ifi9>),  comme  I.1  montre  Je  ces  essais  n'est  pas  moins  belle  que  celle 
des  plus  beaux  draps  d'Angleterre,  il  demeure  constant  qu'on  peut 
égaler  ce  travail  '.  » 

Les  manufactures  du  Languedoc  étaient  alors  nombreuses  et  se 
divisaient  en  deux  groupes  ;  les  manufactures  royales  de  beaucoup 
les  plus  importantes,  qui  jouissaient  de  grands  privilèges  et  aux- 
quelles les  Elus  du  Languedoc  payaient  une  pistole  par  pièce  de 
drap  de  trente  aunes,  c'est-à-dire  une  demi-pistole  par  pièce  de  drap 
ordinaire,  et  les  manufactures  des  particuliers,  qui  soutenaient  dilli- 
cilement  la  concurrence  contre  les  précédentes.  Pendant  la  guerre 
du  succession  d'Espagne,  la  province  de  Languedoc  essaya  de  s'affran- 
chir de  la  pistole.  mais  on  fit  voir  ;\  la  Cour  que  si  le  commerce  des 
draps  était  utile  \  l'Etat  il  ne  l'était  pas  moins  au  Languedoc.  Les 
manufactures  qui  jouissaient  de  la  pistole  fabriquaient  par  année 
moyenne  5.00Q  pièces  de  draps  fins  qui,  valant  chacune  environ 
200  livres,  rapportaient  i  la  province  i. 000. 000  de  livres,  or  l'achat 
des  laines  et  des  drogues  pour  la  teinture  ne  courait  pas  plus  de 
a 50.000  livres  et  le  paiement  de  la  pistole  25.000  seulement;  c'était 
donc  une  grosse  somme  qui  restait  chaque  année  dans  la  province*. 
Parmi  les  sept  manufactures  jouissant  de  la  pistole,  celle  de  Saptes, 
la  plus  ancienne,  était  dépassée  en  activité  par  celles  de  V'illencuvc- 
les-Clermont  et  de  la  Trivalle;  les  fabriques  de  la  Grange-des-Prés, 
de  Pennautier,  de  la  Terrasse,  dirigée  par  des  Hollandais,  et  de 
Bizan,  prés  Narbonne,  étaient  moins  importantes.  Parmi  les  autres 
manufactun^s,  celles  de  Clcrmont,  de  St-Chinian,  de  Circassonne, 
de  Conques  n'étaient  pas  moins  actives  que  ces  dernières  ;  enfin 
venaient  les  petits  fabriamis  de  Si-Chinian  et  de  St-Pons*. 

Un  mémoire,  remis  aux  plénipotentiaires  du  roi  au  Congrès  de 
Kiswick',  constate  en  1696  l'activité  d'autres  industries  qui  four- 
nissaient des  articles  d'exportation  pour  le  Levant  :  •  Ceux  de  Mar- 
seille ont  encore,   par  dessus  les  autres  provinces  du   royaume, 


(i)  AÀ.  J04  —  Le  consul  di;  livournc  écrivait  au  contraire  le  -i  septembre — ' 
I69^  :  c  li-s  marchandises  du  convoi  Angle- Hollandais  sont  de  très  nuuvaisir — 
qualité.  •  AA.  S 94. 

(2)  Mémoire  de  ijof.  AnAiw  }fat.  F",  64$. 

(j)  Dùpouilk-mem  tiré  de  ViAxx  général  envo\tî  par  le  sieur  Cauvièrc  de  toup- 
ies draps  tins  et  communs  qui  sont  passas  à  Marseille  sous  son  inspection  pendant 
les  années  1700-1705.  —  Artlntws  K'al.  F'*,  64s. 


LES   PROGr/îS   du   commerce 


299 


«liversesmaniiCicturesdans  leur  ville,  de  bonnets  de  laine  et  de  draps 
d'un  mrand  et  singulier  débit  en  Levant,  dont  S.  M.  a  procuré  l'au^- 
meiitation  par  les  règlements  qu'elle  a  fait  expédier,  et  d'autres 
Tnaiiufactures...  On  a  établi  des  papeteries  en  Provence,  dans  tous 
les  endroits  où  il  a  été  possible  d'en  faire;  S,  M.  en  a  même  fliit  éta- 
blir en  Languedoc  pour  aider  au  commerce  de  Marseille  qui  en 
Trouvera  en  Levant  le  débit  autant  qu'on  en  pourrait  porter,  sans 
<^ue  les  papiers  de  Gènes  et  de  Venise  puissent  diminuer  les  nôtres. 
Les  s;ivonnicrs  de  Marseille  travaillent  autant  et  plus  que  pendant 
la  paix.  S.  M.  a  mis  un  droit  exclusif  à  l'entrée  du  savon  des  fabri- 
<jucs  étrangères  qui  assure  la  consommation  du  savon  des  fabriques 
<le  Marseille.  Un  des  plus  considérables  commerces  du  Levant  après 
les  soies  et  des  plus  nécessaires  au  royaume  consiste  dans  les  cuirs  et 
les  peaux  en  poil;  il  y  a  A  Marseille  des  tanneries  d'un  grand  travail 
et  cette  ville  fournit  aux  besoins  des  autres  provinces  les  cuirs  tannés 
et  apprêtés  dont  le  commerce  se  trouvait  beaucoup  diminué  il  y  a 
huit  ans,  parce  que  les  Atiglais,  qui  tiraient  les  peaux  brutes  du 
Levant,  les  apprêtaient  chez  eux  et  les  renvoyaient  tannées  i\  Marseille 
et  dans  les  autres  ports  de  Provence;  S.  M.,  pour  empêcher  ce  mal, 
a  lait  ordonner  par  l'arrêt  du  Conseil  du  8  novembre  1687,  20  0/0 
de  la  valeur  h  l'entrée  de  Marseille  même  et  des  ports  de  Provence 
et  de  Languedoc..,  Les  blanchisseries  de  cire  de  Marseille  ont  aussi 
fort  augmenté  pour  l'emploi  et  le  débit  des  cires  brutes  de  leur  com- 
merce'. »  Les  marchands  étaient  donc  .issurés  de  se  procurer  facile- 
ment les  articles  d'exportation  dont  ils  avaient  besoin  pour  le  négoce 
du  Levant;  d'un  autre  côté  l'appauvrissement  du  royaume  ne  l'em- 
pêchait pas  d'avoir  besoin  des  matières  premières  et  des  denrées 
qu'on  achetait  dans  le  Levant.  La  ruine  de  l'agriculture  profita 
même  aux  armateurs  marseillais  qui  transportèrent  alors  des  quan- 
tités considérables  de  blés  de  l'archipel,  de  Salonique  et  de  Barbarie. 
Au  moment  où  la  France  allait  reprendre  la  lutte  sur  mer  contre 
l'Angleterre  et  la  Hollande,  elle  était  enfin  parvenue  i  rendre  à  son 
commerce  du  Levant  une  importance  A  peu  prés  égale  ;\  celui  de  ses 
deux  rivales.  Ces  progrès  n'avaient  pas  été  réalisés  sans  lutte,  et, 
depuis  quarante  ans,  la  rivalité  d'influence  avait  été  fort  vive  entre 
les  ditî'érentcs  nations  auprès  de  la  Porte  et  dans  les  échelles.  Malgré 
les  relations  en  apparence  cordiales  qu'entretenaient  entre   eux  les 


II)  Arch.  de  la  Marine.  B^,  4<)-,,  fol.  jS/. 


300  LES   ANNÉES   DE  PROSPèRITÉ 

consuls  et  les  marchands,  ils  ne  manquaient  aucune  occasion  de  se 
nuire  les  uns  aux  autres.  Ainsi,  lors  de  l'affaire  de  Chio,  les  Anglais 
avaient  partout  répandu  le  bruit  que  les  Français  avaient  commis  une 
grave  offense  envers  le  sultan  et  qu'une  rupture  allait  en  résulter; 
ils  espéraient  par  li  exciter  contre  eux  des  soulèvements  populaires 
dans  les  échelles*.  Chaque  guerre  européenne  était  une  occasion  pour 
les  résidents  des  échelles  de  faire  valoir  la  puissance  de  leur  nation, 
et  les  Français  ne  manquaient  pas  de  célébrer  par  d'éclatantes  réjouis- 
sances, dans  chaque  échelle,  les  victoires  de  Louis  XIV.  Les  progrès 
du  commerce  français  depuis  1661  semblent  avoir  été  faits  surtout  au 
détriment  des  Hollandais;  c'est  aux  dépens  de  leurs  draperies  que  le 
débit  des  draps  du  Languedoc  prit  des  proportions  considérables 
dans  le  Levant*.  Nos  ouvriers  apprirent  peu  ;\  peu  les  secrets  de  leur 
fabrication,  que  des  transfuges  hollandais  leur  avaient  apportés, 
et  la  gêne  que  firent  subir  à  leur  commerce  les  deux  guerres 
qu'ils  venaient  de  soutenir  contre  la  France,  donna  aux  marchands 
français  les  avantages  de  la  vente*.  D'ailleurs,  les  Hollandais  n'avaient 
pas  cherché  à  étendre  leur  commerce  dans  tout  le  Levant;  fortement 
établis  à  Smyrne,  ils  ne  s'étaient  pas  formés  ailleurs  en  corps  de  nation 
et  n'avaient  pas  de  consuls  dans  les  autres  échelles;  les  quelques 
marchands  qu'ils  y  avaient,  comme  au  Ciire  et  à  Alep,  restaient 
sous  la  protection  des  consuls  français*. 

(i)  D'Arvieux,  t.  VI,  p.  238-244.  «  Les  Anglais  rùsidant  À  Coiistantinople  ne 
manquèrent  pas  d'écrire  à  Alep  la  canonnade  de  Chio,  et  ceux  d'Alep  la  dépeigni- 
rent dans  les  places  et  les  bazars  avec  des  couleurs  si  noires  que,  dans  tout  autre  lieu 
qu'Alcp,  le  peuple  se  serait  soulevé,  nous  aurait  égorgés  et  mis  tous  nos  biens  au 
pillage...  Tous  nos  marchands  en  étaient  alarmés  à  un  point  que,  si  nous  eussions 
été  plus  près  de  la  mer,  ils  seraient  tous  repassés  en  France,  à  l'imitation  de  ceux 
de  Smirue.  » 

(2)  SeigneJayà  Girardin,  4  janv.  16S7.  Df.pping,  t.  III,  p.  648  :  «  La  décadence 
du  débit  des  draperies  de  Hollande  et  la  préférence  de  celles  de  1-landre,  dont  vous 
m'informez,  donnent  des  espérances  pour  l'augmentation  de  notre  commerce  en 
Levant.  —  Cf.  Ành.  Nal.,  F"  645,  Mémoire  de  16S)  :  «  Les  draps  de  Hollande 
n'ont  plus  tant  de  réputation  conmie  autrefois  depuis  que  les  Franç-iis  y  en  por- 
tent. » 

(3)  M.Dortières,  au  retour  de  son  voyage  d'inspection  dans  les  échelles,  exposa 
dans  un  mémoire  du  27  septembre  1686,  que  le  principal  article  d'achat  des  Hol- 
landais en  troc  de  leurs  draps  était  le  fil  ou  poil  de  chvère,  dont  ils  tiraient  des  quan- 
tités prodigieuses  pour  fabriquer  des  camelots.  —  Il  proposa  d'établir  ce  commerce 
en  France;  d'aller  voir  à  Valenciennes  et  dans  les  autres  places  de  Flandre  où  il 
se  Hibriquc  des  camelots  si  on  pourra  le  faire  par  Dunkcrque,  ou  bien  de  faire 
fabriquer  des  camelots  ;'i  Marseille.  —  Arcb.  Nat.,  F",  64^.  Mân.  du  27  sept.  16S6. 

{4)  Le  consul  anglais  d'Alep  disputa  à  d'Arvieux  le  consulat  des  Hollandais 
(t  VI,  p.  483.502).  —  Cependant,  en  1692,  il  semble  qu'il  y  a  un  consul  hollan- 
dais à  Alep. 


LES    PROGRES   DU    COMMERCE 


301 


Tout  autre  cuit  I.1  situation  des  Anglais,  dont  les  progrès  croissants 
"riiquiétaicnt  vivement  les  Marseillais.  C'est  en  Egypte  surtout  cjue 
s'exercèrent  leurs  efforts  pour  enlever  aux  Français  la  situation 
prépondérante  et  presque  le  monopole  du  commerce  qu'ils  avaient 

^kconservé  jusque  là.  Le  négoce  de  l'Egypte  prenait  en  effet  de  jour  en 

^^our  plus  d'importance;  la  permission  que  les  Turcs  commençaient  à 
4lonner  d'exporter  des  denrées  livrait  au  trafic  deux  articles  nouveaux, 

■de  riz  et  surtout  le  cat'é.  De  plus,  les  idées  de  Colbert  et  de  Riche- 
lieu sur  l'importance  de  l'Egypte  et  de  la  mer  Rouge,  considérées 
comme  la  vraie  route  des  Indes,  avaient  tait  leur  chemin  dans  les 
esprits,  et,  tandis  que  nos  diplomates  cherchaient  ;\  ouvrir  la  mer 

^Rouge  i  nos  navires  et  à  nos  marchands,  l'attention  des  Anglais  se 
pona  aussi  de  ce  coté  ;  dès  lors,  la  rivalité  d'influence  entre  les  deux 
nations  en  Egypte  devint  très  vive.  La  réduction  énorme  de>  droits 
et  les  autres  fiiveurs  accordées  aux  Français  de  1 684  à  1 6S7  semblèrent 

Ileur  doimer  définitivement  le  monopole  du  commerce  dans  ce  pavs, 
et  les  Anglais  ne  songèrent  d'abord  à  lutter  qu'en  traliquant  sous 
le  nom  de  marchands  français.  Mais  ils  ne  purent  se  résoudre 
longtemps  i  ne  pénétrer  que  par  fraude  sur  un  marché  aussi 
important,  et  tous  leurs  efforts  tendirent  ù  obtenir  l'établissement 
d'un  consul  anglais  au  Caire  et  la  réduction  des  droits  de 
douane  au  même  taux  que  pour  les  Français.    Leurs  résidents  se 

■  donnèrent  un  consul  en  1696,  et  les  facteurs  hollandais  en  Egypte 
songèrent  aussitôt  à  se  mettre  sous  sa  protection  pour  éviter  les 
droits  considérables  que  leur  fais-iit  p.uer  le  consul  de  France'. 
C'était  un  grave  échec  pour  la  nation  française;  l'ambassadeur, 
M.  de  Castagnères,  réussit  ;\  empêcher  pendant  deux  ans  que 
la  Porte  ne  reconnût  ce  consul,  mais  l'argent  des  Anglais  finit  par 
triompher,  et  ils  obtinrent  en  1698  un  catffecherif  qui  leur  accorda  le 
consulat  duCiire.  Pontchartrain  songea  bien  un  moment  ;\  en  empê- 
cher l'exécution  en  s'appuyant  sur  le  pacha  et  les  puissances  d'Egjpte, 
qui  se  trouvaient  lésés  dans  leurs  intérêts,  si  la  diminution  des  droits 
de  douane  était  étendue  aux  Anglais,  mais  cette  affaire  ne  fut  pas 
poursuivie*. 
Les  Anglais  se  trouvèrent  ainsi  sur  te  pied  d'égalité  pour  disputer 

(r)  Lettres  de  Poiilcimrliaiii,  iiS'  wai,  S  août  i6()6.  BB,  Si. 
(l1  Lettre  de  Ponlcbiir train.  2)  juilU't   i6qS.   BB,  .Va.  —  L/tIre  de  la  Cliamhre, 
6  novembre  i6i)S.  BB,  iS  :  Elle  jutorisc  la  nation  Ju  C.iire  à  dépenser  jusqu'à 


I 


I 


302  LES  ANNÉI-S  DE   PROSPÉRITÉ 

aux  Français  le  commerce  de  l'Egypte,  et  leur  concurrence  fut  immé- 
diatement redoutable.  A  peine  établis,  ils  voulurent  enlever  aux 
Français  le  privilège  des  transports  qu'ils  faisaient,  pour  le  compte  des 
Turcs,  d'Alexandrie  à  Constantinople  et  aux  autres  ports  du  G.  S. 
M.  de  Maillet,  consul  du  Caire,  inquiet  de  les  voir  réussir,  propo- 
sait de  modérer  les  droits  sur  les  effets  des  étrangers  embarqués  sur 
les  bâtiments  français,  pour  amener  les  Turcs  à  les  préférer  à  ceux 
des  Anglais*.  En  même  temps  le  consul  anglais  songeait  à  ravir  à 
celui  de  France  la  protection  des  étrangers  qui  donnait  à  ce  consulat 
une  importance  et  des  revenus  considérables,  c'était  le  but  que  les 
consuls  de  sa  nation  poursuivaient  depuis  longtemps  dans  les  autres 
échelles.  Il  s'agissait  surtout  des  Italiens,  Génois,  Livournais,  Messi- 
nois,  Vénitiens  môme,  quand  ils  étaient  en  guerre  avec  les  Turcs. 
Les  Capitulations  ne  les  obligeant  plus  à  prendre  la  bannière  de 
France,  ils  naviguaient  sous  la  protection  de  celle  qui  leur  accordait 
le  plus  de'  sûreté  et  d'avantages.  Avant  Colbert,  «  l'avilissement  du 
pavillon  français  avait  donné  la  préférence  de  cette  navigation  aux 
Anglais  et  aux  Hollandais  »  ;  Colbert  réussit,  en  relevant  notre  pres- 
tige, à  ramener  les  étrangers  sous  notre  protection  et,  jusqu'en  1694, 
«  il  n'y  avait  que  le  pavillon  français  employé  dans  le  Levant*.  » 
Mais  à  la  suite  de  la  réforme  des  consulats  de  Pontchartrain,  quand 
les  étrangers  se  virent  obligés  de  payer,  outre  les  anciens  droits  de 
consulat  plus  onéreux  que  ceux  des  Anglais  et  des  Hollandais,  les 
avaries  quelquefois  très  lourdes  imposées  dans  les  échelles  pour  les 
dépenses  de  la  nation  française,  lorsque  la  guerre  de  la  ligue  d'Augs- 
bourg  montra  l'aifaiblissemcnt  de  la  marine  française  et  qu'on  vit  la 
Méditerranée  presque  au  pouvoir  des  corsaires  et  des  flottes  des  coa- 
lisés, beaucoup  d'étrangers  abandonnèrent  une  protection  onéreuse 
et  qui  ne  semblait  plus  utile.  Cependant  cette  désertion  ne  prit  des 
proportions  inquiétantes  que  pendant  la  guerre  de  succession 
d'Espagne'. 


dix  bourses  (9000  piastres)  pour  gagner  les  principaux  clicfs  de  la  milice.  —  V. 
Lettre  du  consul  Je  Maillet  :  ij  août  lôçS  :  «  Les  Anglais  ont  déjà  dépensé  douze 
bourses  et  ils  n'établiront  les  choses  sur  le  même  pied  que  nous  qu'il  ne  leur  en 
coûte  beaucoup.  »  AA,  ^04. 

(i)  21  juillet  ijoo.  BB,  S2. 

(2)  Arcb.  de  la  Mar.  B^,  (97,  fol.  jyS-SS. 

(})  Voir,  à  ce  sujet,  la  correspondance  des  consuls,  qui  se  plaignaient  vivement 
car  ils  voyaient  diminuer  les  revenus  de  leur  consulat. 


LtS   PROGRES   DU   COMMUKCE 


303 


Partout,  iliuis  les  grandes  échelles,  les  Anglais  s'étaient  établis  ;\  côté 
des  Français  ;  ainsi,  dès  qu'ils  virent  la  nouvelle  échelle,  que  ceux-ci 
venaient  de  créer  A  Saionique,  prendre  de  l'importance,  ils  songè- 
rent à  y  envoyer  un  consul'.  Pour  mieux  établir  leur  influence,  ils 
fondèrent  alors  A  Oxford  un  collège  pour  élever  de  jeunes  enflints 
des  pays  du  Levant  et  les  instruire  dans  la  religion  anglicane.  Dès 
que  U  nouvelle  en  parvint  .i  la  cour,  on  s'en  émut  et  Pontchartrain 
écrivait  à  la  Chambre  le  3 1  mars  1700  :  «  S.  M.  a  trouvé  important, 
pour  ne  point  laisser  introduire  l'hérésie  parmi  les  nations  :\  la  con- 
version desquelles  un  nombre  de  missionnaires  de  ses  sujets  travail- 
lent, de  tirer  dou/e  enfants  des  iamillcs  les  plus  accréditées  dans  les 
Arméniens,  les  Grec.^,  les  Suricns  et  les  Coptes  pour  les  faire  élever 
dans  un  collège  dans  le  royaume,  leur  apprendre  les  principes  de  la 
vraie  religion  et  les  mettre  en  état  de  la  défendre  dans  leurs  nations 
et  d'empêcher  que  ceux  qui  repasseront  d'Angleterre  y  dissent  aucuns 
progrès.  »  Le  roi  avait  résolu  de  les  faire  élever  dans  le  collège  des 
jésuites  i  Paris  qui  reçut  en  effet  en  1700,  douze  jeunes  gens  dont 
quatre  jeunes  Grecs  et  Arméniens  ci  huit  Syriens  ou  Coptes  qui 
vinrent  du  Caire  et  d'Alep*. 

Les  Juifs  des  pays  chrétiens,  paniculièrcmcnt  de  Livournc,  qui 
venaient  s'établir  dans  les  échelles,  où  ils  se  mettaient  sous  la  pro- 
tection du  consul  de  France,  inspirèrent  aussi  aux  négociants  français 
de  vives  inquiétudes,  surtout  au  Giire  et  ;\  Alep.  Le  consul  d'Alep 
écrivait  à  leur  sujet  en  1692  des  lettres  curieuses'  :  «  De  toutes  les 
tidtions  qui  s'établissent  aux  échelles  du  Levant  pour  négocier, 
disait-il  À  la  Chambre,  il  n'y  en  a  pas  qui  porte  plus  de  préjudice  X 
notre  commerce  que  celle  des  Juifs  de  chrétienté.  Cette  ville  d'Alep 
en  était  délivrée,  mais  depuis  quelques  années  ils  s'y  sont  introduits 
et,  s'étant  mis  sous  la  protection  des  consuls  de  France,  jouissent 
des  mêmes  privilèges  et  avant.iges  que  les  Français...  Depuis  cinq  ou 
six  moi?  ou  ui»  an  seulement,  le  nombre  de  ces  gens  l;l  s'est  rendu 
aussi  grand  que  celui  des  marchands  français  et  comme  il  va  toujours 
en  augmentani,  en  étant   venu  deux  ou  trois  de  Livournc  et  en 


{})  iS  dhriHbre  ijao.  .iÀ,  s 4)-  Lttire  Ju  cmnil. 

(Il  Ponlcharlram  à  la  Chanihrt,  )t  mars.  11  avril  ijoo.  BH,  S}.  —  Deppinc, 
I.  IV,  p.  19J.  —  Sur  le  commerce  Jo  .\ugl;iis  ù  Alcp,  voir  Jcs  dthjils  intéressants 
Jans  U  Arvieux,  t.  VI,  p.  54,  266,  etc. 

(î)  l6  avril  i6>}3,  31  fnift  i6çj.  À  A,  )f>î.  —  Cf.  Délibération  de  \i  Clunibfe 
(lu  î^  «ovembfT  1711  à  la  suite  d'utic  nouvelle  Ictirt  de  consul  d'.AIcp,  BB,  (> 


304  LES   ANNÉES   DE   PROSPÊRITÙ 

devant  venir  encore  d'autres,  il  va  être  incomparativement  plus 
grand  que  le  nôtre  et  il  excédera  sans  doute  celui  des  Anglais  qui 
sont  beaucoup  plus  que  nous.  Ils  vont,  à  la  barbe  près  qu'ils  se 
laissent  croître,  comme  les  Français  et  les  Anglais,  et  pour  se  distin- 
guer des  Juifs  du  pays  et  paraître  comme  s'ils  étaient  chrétiens,  ils 
portent  le  chapeau  et  la  perruque.  Il  y  en  a  quatre  qui  sont  logés 
dans  le  même  camp  que  j'habite....  Ils  se  logent  et  se  nourrissent  à 
petits  frais  ;  ils  sont  toujours  les  premiers  à  recevoir  des  marchandises 
d'avis  et  à  renchérir  le  prix  de  celles  qui  viennent  de  Perse  et  d'autres 
provinces,  à  faire  des  trocs  qui  semblent  leur  être  désavantageux  et 
qui  ne  le  sont  pas  par  les  frauderies  qu'ils  font  à  leurs  marchandises, 
de  sorte  que  notre  nation  et  celle  des  Anglais  et  des  Hollandais 
souffrent  beaucoup  de  ces  gens  h\  dans  leur  négoce  et  seraient  bien 
aises  de  les  faire  retirer  en  ne  leur  accordant  pas  de  protection.... 
mais  il  faudrait  être  assuré  que  le  consul  Hollandais  ne  les  recevra 
pas  sous  la  sienne,  car  pour  celui  d'Angleterre  il  ne  les  recevra 
jamais,  à  cause  des  défenses  rigoureuses  qu'il  a  de  MM.  de  la  grande 
Compagnie.  Il  faudrait  provoquer  une  démarche  des  ambassadeurs 
auprès  du  Grand  vizir  pour  lui  représenter  que  toutes  sortes  de  Juifs, 
dès  qu'ils  sont  dans  les  terres  du  G.  S.,  seront  censés  être  de  ses 

raïas  ou  sujets  et  soumis  h.  toutes  les  charges et  par  conséquent 

obligés  de  quitter  le  chapeau  et  prendre  la  tourtoure,  comme  font 
tous  ceux  de  leur  nation  qui  sont  sujets  de  sa  Hautesse.  » 

Les  mêmes  plaintes  furent  formulées  au  sujet  des  Juifs  établis 
à  Alexandrie  qui  étaient  accusés  dé  se  livrer  ;\  toutes  sortes  de 
fraudes,  et  elles  ne  firent  que  devenir  plus  vives  pendant  la  guerre 
de  succession,  mais  le  projet  de  leur  refuser  toute  protection  n'abou- 
tit jamais,  foute  d'entente  avec  les  Anglais  et  les  Hollandais.  Quant 
aux  Vénitiens,  qui  occupaient  encore  une  place  importante  dans  le 
Levant  au  début  du  xvii'  siècle,  leur  commerce  avait  continué 
de  décliner;  leur  consul  d'Alep,  le  plus  important  de  tous,  ne 
pouvait  plus  subsisrer  à  cause  de  la  pauvreté  de  leurs  affaires,  il 
était  remplacé  par  un  vice-consul  et  d'Arvieux  rapporte  qu'en  1679 
les  marchands  Vénitiens  lui  représentèrent  que  la  république  voulait 
le  retirer  et  mettre  sous  la  protection  de  France  tous  ses  sujets  qui 
voudraient  continuer  le  commerce  en  Syrie  '. 


(0  D'Akviel-x,  t.  VI,  p.  168-72.  V.  lettre  qu'il  écrivit  au  Sénat  de  Venise  le 
10  novembre  1679  pour  dire  qu'il  accepterait  le  consulat  des  Vénitiens.  —  T.  VI, 


LES  PROGRliS   DU   COMMERCE 


305 


Ainsi,   vers   1700,   les  Anglais,  les  Français  et   les  Hollandais 
fAiSiiient  ;\  peu   près  tout  le  commerce  du  Levant  ;   les  premiers 
étaient  de  beaucoup  au  premier  rang,  mais  les  IVançais  se  rappro- 
chaient d'eux  rapidement  et  les  Hollandais  passaient  dctînitivement 
au  troisième  rang'.  Ce  n'étaient  pas  seulement  les  chiffres  du  com- 
merce des  trois  puissances  rivales  qui  s'étaient  modifiés  depuis  166 1, 
mais  les  conditions  dans  lesquelles  elles  le  faisaient  ;  tandis  que  celles- 
ci  étaient  très  ditTérentes  en  1661,  elles  tendaient  de  plus  en  plus  A 
devenir    uniformes.   Les  nations  autrefois  étaient  soumises  à  des 
droits  différents  par  les  Turcs  :  les  Français,  après  avoir  obtenu,  en 
1673,  de  payer  les  mêmes  droits  que  leurs  rivaux,  avaient  acquis  un 
traitement  privilégié  en  Egypte,  en  1685  ;  les  Anglais  se  firent  accor- 
der les  mêmes  faveurs  en    i6^8.  Les  Français  étaient  dispersés  dès 
le  début  du  wii'  siècle  dans  de  nombreuses  échelles,  sur  toutes  les 
côtes  de  l'empire  du  G.  S.  depuis  la  Barbarie  jusqu'A  la  Morée,  tandis 
que  leurs  concurrents  n'étaient  établis  solidement  qu'à  Smyrne  et 
que  les  quelques  marchands  de  leur  nation  résidant  ailleurs  restaient 
sous  la  protection  du  consul  de  France;  en  1700  on  voyait  partout 
dans  les  grandes  échelles  un  consul  et  une  nation  anglaise  à  côté  de 
la  nation  française.  Transformé  par  les  cflbrts  soutenus  du  gouver- 
nement   royal,  le  commerce    français,  ouvert  autrefois  librement 
aux  efforts  de  l'initiative  individuelle,  mais  aussi  abandonné  A  ses 
écarts,   avait    reçu  une  organisation  solide,  mais  un  peu  gênante, 
comme   celle   des   Anglais    et   des  Hollandais;    la   Chambre  du 
commerce   de  Marseille,  par  l'étroite  surveillance  qu'elle  exerçait, 
n'était  pas  sans  analogie  avec  la   Chambre  d'Amsterdam.  Enfin, 
tandis  qu'aupar.ivant  les  Français  portaient  dans  le  Levant  beaucoup 
plus  d'argent  et  les  étrangers  beaucoup  plus  d'objets  manufacturés, 
tous    se  disputaient  maintenant  la  vente  des  draps  et  l'achat  des 
mêmes  marchandises  pour  les  retours. 

Cependant  de  profondes  différences  subsistaient  encore  entre  les 


p.  jio,  «  Le  convoi  Je  Veni-sc  arriva  i  Tripoli  compose  de  trois  vaisseaux  Je  guerre 
et  sept  marchands.  Ils  n'osèrent  venir  ù  Alcxandrettc  .1  cause  des  engagcmcms  du 
wiir  Né^;ri,  leur  consul...  Ce  convoi, extrêmement  pauvre, semblait  ùtrv  venu  plutôt 
pour  charger  des  marchandises  à  fret  que  pour  en  acheter.  » 

(t)  Un  mé'raoire  des  Arch.  de  la  marine  de  i6g6  dit  que  le  commerce  des  Hol- 
landais est  i  peu  prés  sur  le  m£me  pied  que  celui  des  i-'rançais  et  que  les  .\ng|jis 
faisaient  û  eux  seuls  autant  de  «.ommerce  uue  les  iiollarrdais  elles  Tranfais  ensem- 
ble. —  Mais  il  s'appuyait  sans  doute  sur  des  renscignenicnts  datant  de  quelques 
annéci.  J3',  ^i^j,  fol.  jSj. 

30 


306  U.b   ANNLLS   ni:    l'KOSPURlTi: 

Franv-iis  et  L-iirs  voisins.  Leconiincrcc  Jcs  Anglais  et  des  Hollandais 
continuait  d'ctrc  concentré  dans  quelques  mains,  n'occupait  qu'un 
petit  nombre  de  navires,  et  était  limité  aux  grandes  échelles  comme 
Smyrne,  Alep,  le  dire.  Celui  des  Ixinçais  était  soutenu  par  la 
réunion  de  nombreux  petits  capitaux  ;  non  seulement  toute  la  popu- 
lation de  Marseille,  mais  celle  des  autres  villes  de  Provence,  et 
surtout  les  marchands  de  Lyon  y  étaient  intéressés.  Les  Français 
montraient  leur  pavillon  dans  tous  les  ports  du  Levant  et  de  la  Bar- 
barie, dans  les  petite:»  îIcn  de  l'Archipel  et  sur  les  côtes  de  la  Morée  et 
de  la  Macédoine,  comme  dans  les  grandes  échelles,  et  ils  employaient 
à  cause  de  cela  un  grand  nombre  de  bâtiments  de  toute  sorte  :  bar- 
ques et  tartanes  qui  fréquentaient  les  petites  échelles  ou  taisaient  le 
cabotage  dans  le  Levant,  pulacres  et  gros  vaisseaux  destinés  aux 
échelles  de  premier  ordre.  Ainsi  dispersé  et  morcelé,  le  commerce 
français  était  moins  solidement  établi  peut  être  et  donnait  moins  de 
bénéfices  que  celui  des  Anglais  et  dus  Hollandais,  mais  il  manifestait 
plus  d'activité  et  plus  d'efforts  et  il  était  plus  intimement  lié  à  la 
prospérité  du  royaume,  dont  il  faisait  vivre  toute  une  province.  Sans 
le  commerce  du  Levant,  ALirseille  et  le.s  ports  de  Provence  eussent 
été  entièrement  ruinés,  l'industrie-  de  Lyon  et  du  Languedoc  fort 
compromises,  tandis  que  Londres  et  .\msterda:n  eussent  été  atteintes 
sans  doute  dans  leur  richesse,  mais  n'en  seraient  pas  moins  restées 
des  cités  prospères. 


CHAPITRE   VIII 

LA    CRISE    (17OI-I715) 

I.  —  Les  réformes  et  les  projets  de  Cbamillart 
et  de  Jérôme  Pontchar train. 

L'essor  du  commerce  du  Levant  de   1697  i  1701  semble  avoir 
frappé  l'attention  de  Pontchartrain  le  fils,  qui  resta  chargé  jusqu'à  la 
fin  du  règne  des  affaires  du  Levant,  et  de  Ciiamillart  qui  eut  la 
direction    générale   du    commerce,    rattachée    définitivement   au 
contrôle  général  des  finances,  quand  Pontchartrain  le  père  devint 
chancelier  en  1699.  L'importance  de  la  correspondance  des  ministres 
avec  la  Chambre  entre  1701  et  1706,  les  nombreux  arrêts  du  conseil 
éditsou  ordonnances  concernant  le  commerce  du  Levant,  montrent 
que  les  soucis  de  la  guerre  de  succession  ne  firent  pas  négliger  par 
le  gouvernement  les  soins  de  l'administration.   Des  innovations 
importantes   furent    tentées    pour    fiiciliter  le  développement  du 
négoce,  car,  au  début  de  la  guerre,  on  ne  croyait  pas  être  i\  la  veille 
d'une  crise  terrible  et  l'on  nourrissait  encore  l'espoir,  déjà  trompé 
parles  deux  guerres  précédentes,  que  la  lutte  serait  funeste  au  com- 
merce de  nos  rivaux  et  profitable  au  nôtre.  Les  conditions  parais- 
saient particulièrement  favorables  :  l'Espagne  était  devenue  notre 
alliée  ;  il  était  facile,  en  s'appuyant  sur  Gibraltar  et  Ccuta,  de  fermer 
la  Méditerranée  aux  flottes  et  aux  corsaires  ennemis,  qui  n'y  parurent 
pas  en  effet  dans  les  premières  années  de  la  guerre  ;  c'est  ce  qui  fit 
de  l'attaque  et  de  la  prise  de  Gibraltar  par  les  Anglais  la  condition 
nécessaire  du  maintien  de  leur  commerce  dans  la  iMéditcrranée  et  le 
Levant.  De  plus,  l'Hspagnc  et  ses  possessions   italiennes,  dont  le 


308  LA   CRISE 

commerce  nous  était  fermé  pendant  les  guerres  précédentes,  deve- 
naient au  contraire  des  marchés  exclusivement  réservés  aux  Fran- 
çais. Les  succès  militaires  partagés,  dans  les  premières  campagnes, 
permirent  de  garder  quelque  temps  ces  illusions  ;  mais  la  prise  de 
Gibraltar  fut  le  coup  le  plus  funeste  pour  le  commerce  français  du 
Levant  ;  la  porte  fut  ouverte  aux  nombreux  corsaires,  aux  flottes  de 
guerre  et  aux  convois  des  Anglo-Hollandais,  tandis  qu'elle  était 
fermée  à  nos  navires  du  Ponant.  Puis  les  désastres  s'accumulèrent 
sur  tous  les  champs  de  bataille,  toutes  les  richesses  du  royaume 
furent  épuisées  et  la  correspondance  administrative,  toujours  active, 
ne  trahit  plus  que  l'unique  souci  de  faire  foce  à  l'urgence  des  néces- 
sités présentes  et  aux  besoins  de  la  misère  grandissante. 

Les  principales  innovations  de  Pontchartrain  et  de  Chamillart  : 
la  création  du  conseil  de  commerce,  le  rétablissement  de  la  fran- 
chise du  port  et  l'adoucissement  du  régime  des  prohibitions,  la 
visite  des  échelles,  les  missions  envoyées  dans  le  Levant,  ne  furent 
que  des  applications  des  idées  de  Colbert,  parfois  même  le  simple 
rétablissement  de  ce  qu'il  avait  fiiit.  Pontchartrain'  et  Chamillart, 
sans  grande  valeur  personnelle,  mais  lionnètes  et  consciencieux, 
s'honorèrent  en  s'inspirant  d'un  pareil  modèle. 

Le  conseil  de  commerce,  créé  par  arrêt  du  conseil  du  29  juin 
1700,  sur  la  proposition  de  Chamillart,  comprit,  outre  le  contrôleur 
général  et  le  secrétaire  d'Etat  Pontchartrain,  deux  conseillers 
d'Etat,  Dagucsseau  et  Amelot,  deux  maîtres  des  requêtes,  M.  d'Her- 
nothon  et  d'Angervilliers,  et  douze  marchands,  députés  des  principales 
villes  du  royaume  :  Rouen,  Bordeaux,  Lyon,  Marseille,  La  Rochelle, 
Nantes,  Saint-Malo,  Lille,  Bayonne  et  Dunkerque  ;  Paris  avait  deux 
représentants.  Le  conseil  devait  se  réunir  au  moins  une  fois  par 
semaine  et  discuter  «  toutes  les  propositions  et  mémoires  qui  y 
seraient  envoyés,  ensemble  les  affaires  et  difficultés  qui  survien- 
draient concernant  le  commerce,  tant  de  terre  que  de  mer,  et 
concernant  les  flibriques  et  manufactures*.  » 

(i)  Sa  correspondance  avec  la  Chambre  révèle  un  grand  manque  d'initiative. 
Il  s'abrite  toujours  derrière  l'avis  du  conseil  de  commerce  et  accepte  avec  défé- 
rence ceux  de  la  Chambre. 

(2)  L'institution  du  conseil  de  commerce  fut  complétée  par  l'arrêt  du  conseil  du 
30  août  170 1  qui  ordonnait  l'établissement  A  Lyon.  Rouen.  Bordeaux,  Toulouse, 
Montpellier,  La  Rochelle,  Nantes,  Saint-iMalo,  Lille  et  Bayonne  0  de  Clîanibres 
particulières  de  commerce  où  les  marchands  négociants  des  autres  villes  et 
provinces  du  royaume  pourraient  adresser  leurs  mémoires,  contenant  les  proposi- 


FORMES   ET  PROJCTS 


309 


Le  conseil  fonctionna  en  effet  régulièrement  jusqu'en  171  j  et 
discun  toutes  les  mesures  nppliquées  nu  commerce  ;  Pontchnrtrain 
invoque  toujours  son  appui  quand  il  fait  des  propositions  ^  la 
Chambre  de  Marseille,  et  le  nom  de  ses  membres,  surtout  de 
Dagucsscau  et  Amelot,  revient  sans  cesse  dans  la  correspondance  de 
celle-ci.  Le  députe^  de  Marseille  ne  fut  pas  choisi  sans  dillîculté,  la 
Chambre  ne  s'entendait  pas  avec  les  négociants  ;  pour  concilier 
leurs  prétentions  réciproques^  Chamillan  décida  que  ceux-ci  dési- 
gneraient six  ou  douze  d'entre  eux  et  les  présenteraient  à  la  Cham- 
bre, qui  prendrait  l'un  des  plus  capables.  Sim  choix  tomba  sur 
Joseph  Fabrc,  l'ancien  directeur  de  la  Compagnie  de  la  Méditerranée, 
qui  possédait  toute  rexpéricnce  et  l'autorité  auprès  de  la  cour, 
néccss.iires  A  ce  poste  de  confiance.  Il  en  resta  ciiargé  deux  ans  et, 
sans  doute  à  cause  de  ses  infirmités  et  de  son  grand  âge,  qu'il  allé- 
guait déj.i  en  1700  pour  refuser  cet  honneur,  il  fut  remplacé  en 
1702  par  son  frère,  le  banquier  M.athieu  Fabrc, jusqu'en  1714'.  Les 
deux  Fabre  défendirent  avec  habileté  les  intérêts  de  leur  ville  et 
triomphèrent  de  la  coalition  des  représentants  des  ports  du  Ponaut 
dans  la  question  de  la  franchise  du  port. 

Les  mémoires  remis  par  les  villes  .1  leurs  députés  formèrent  les 
cahiers  de  doléances  du  commerce  au  début  du  xvni' siècle  et  .\  cet 
égard  ils  Seraient  curieux  à  étudier.  Cette  consultation  des  princi- 
pales villes  du  royaume,  bien  que  leur  nombre  fût  trop  restreint,  et 
leur  participation  A  la  direction  des  atîiùrcs  du  commerce,  eussent 
pu  produire  un  grand  mouvement  de  réformes.  Malheureusement 


tlons  qu'ils  aur.iient  h  faire,  sur  ce  qui  leur  paraîtrait  te  plus  convenable  de  faciliter 
et  augmenter  leur  coninierce,  ou  leurs  plaintes  de  ce  qui  poiiv.iit  y  être  contraire. .. 
pour  être  les  dites  propositions  ou  sujets  de  plaintes  discutés  et  examinés  par 
celle  desdites  Chambres  pariiculièrcs  de  commerce  .i  laquelle  lesditN  mémoires 
avaient  ùlù  adrcvis  et  ensuite  envoyés  par  Icsditcs  Chambres  avec  leurs  avis 
audit  conseil  de  commerce.  •  Ces  Cliambrc>,  purement  consultatives,  dont  le 
rAlc  se  honiait  a  servir  d'intermédiaires  entre  les  marchands  de  leur  région  et  le 
conseil  du  conjmercc,  n'avaient  aucune  ressemblance  .wcc  la  Chambre  du  com- 
merce de  Marseille 

II)  Littifs  deChamiilail,  )<i  août  ijoo,  2<)  novtmbrt  rjtw,  i}  nmvnilff  tjai  — 
(/*  l'ouIctMtti ain ,  23  oclohit  1704.  —  Il  approuve  U  délibération  de  payer  .nu  sieur 
Habrc  },0(X>  livres  par  extraordinaire  pour  chacune  des  années  de  sa  dépuiation 
pour  le  dédommager  de  ses  dépenses  et  en  considération  des  services  qu'il  a 
rendus  .i  la  ville  de  Marseille.  HH,  S].  —  I.e  ^o  août  1711  le  sieur  F'hilip  arclii- 
vaire  en  second  qui  est  i  Paris  est  désigné  provisoirement  pour  remplacer  Mathieu 
Fabre.  —  Un  arrêt  du  conseil  du  }  janvier  i7ili  décida  uu'a  l'avenu'  la  Chambre 
nommerait  seule  le  député.  —  Les  appointements  des  députés  au  conseil  étaieni 
(!••  <■>  (HK»  livrer. 


rflA 


É^ 


3IO  LA   CRISE 

les  mémoires  remis  par  chacune  d'elles  A  leurs  députés  renfermaient 
peu  d'idées  fécondes.  La  seule  idée,  non  pas  nouvelle,  mais  dont 
l'affirmation  par  tous  avait  alors  une  grande  importance,  était  que  le 
commerce  avait  besoin  de  liberté  pour  prospérer  :  tous  les  mémoires 
étaient  unanimes  i  demander  que  les  marchands  fussent  moins  en 
butte  aux  vexations  des  fermiers  et  des  gens  de  justice.  Ainsi  les 
Marseillais  qui  réclamaient  vivement  depuis  plusieurs  années  contre 
les  atteintes  portées  à  la  franchise  de  leur  port,  en  demandaient  le 
rétablissement  dans  les  volumineux  mémoires  remis  par  la  Chambre 
à  Joseph  Fabre.  Devant  l'unanimité  des  plaintes,  le  conseil  dut 
accorder  quelques  satis&ctions,  et  divers  arrêts  rendus  en  1701  et 
1702  adoucirent  le  régime  des  prohibitions'.  Mais,  si  les  villes  s'en- 
tendaient pour  protester  contre  les  entraves  dont  souffrait  le  négoce, 
chacune  envisageait  surtout  ses  intérêts  particuliers;  leurs  mémoires 
invoquaient  souvent  le  bien  général  de  l'état,  mais  c'était  la  plupart 
du  temps  leur  propre  avantage  qu'elles  prenaient  pour  les  intérêts 
généraux  du  royaume.  Marseille  avait  le  monopole  du  commerce  du 
Levant,  les  villes  du  Ponant,  qui  supportaient  mal  l'obligation  d'aller 
y  acheter  les  produits  dont  elles  avaient  besoin,  demandèrent  de 
pouvoir  aller  les  chercher  elles-mêmes  à  droiture  ;  la  province  du 
Languedoc,  si  intéressée  par  ses  manufiictures  au  commerce  du 
Levant,  et  Toulon,  la  vieille  rivale  de  Marseille,  soutinrent  avec 
énergie  les  mômes  revendications.  Les  Marseillais,  au  contraire,  se 
plaignaient  des  fraudes  commises  dans  les  ports  du  Ponant  qui  flivo- 
risaient  le  commerce  des  Anglais  et  des  Hollandais  en  France,  en 
même  temps  qu'ils  réclamaient  le  retfouvcllement  delà  franchise  de 
leur  port;  ils  insistaient  pour  qu'on  fit  respecter  plus  rigoureusement 
l'interdiction  de  l'entrée  des  marchandises  du  Levant  dans  les  ports 
du  Ponant  et  pour  qu'on  exigeât  régulièrement  le  20  00  dans  ceux 
de  Rouen  et  de  Dunkerquc,  en  vertu  des  arrêts  de  1685  et  de  1692. 
Ce  conflit  des  villes  du  Ponant  et  de  Marseille  occupa,  jusqu'après 
1705,  un  grand  nombre  des  séances  du  conseil  de  commerce  et  leurs 
prétentions  rivales  furent  soutenues  dans  de  volumineux  mémoires. 
Dans  les  premiers  qu'ils  présentèrent  au  conseil,  au  début  de  1701, 
les  députés  de  Rouen,  de  Dunkerque,  de   Nantes,  de  Bordeaux,  de 


(i)  Voir  //,  27  et  Arch.  comiiiuii.  Invent.  Chroiiol  :  Arrcts  du  2|  dcccmbrc 
1701,  12  :ivril  1702,  9  octobre  1702,  2\  juillet  1703,  iS  septembre  170},  16  octo- 
bre 1703,  réglant  les  droits  lie  sortie  de  dilTérentes  marcliaiidises. 


REFORMES    l-T   PROJETS  3H 

Bayonne,  protestaient  vivement  contre  les  privilèges  de  Marseille  ; 
seul  le  mémoire  du  député  de  la  Rochelle  ne  contenait  aucune  allu- 
sion au  commerce  du  Levant.  Le  plus  développé  de  tous  était  celui 
du  sieur  Des  Cazeaux  du  Halley,  député  de  Nantes  ',  et  c'était  aussi 
celui  qui  attaquait  le  plus  violemment  le  monopole  de  Marseille.  Il 
s'attachait  d'abord  à  montrer  que  le  commerce  des  Marseillais  n'était 
pas  prospère,  comme  le  prouvaient  les  banqueroutes  de  1699.  Il  les 
accusait  ensuite  de  survendre  les  marchandises  du  Levant  aux  villes 
du  Ponant  qui  n'avaient  pas  le  droit  d'en  acheter  aux  étrangers, 
même  en  payant  le  20  0/0,  comme  pouvaient  le  foire  ceux  de  Rouen. 
Les  Ponantais  feraient  des  voyages  plus  avantageux  dans  la  Méditer- 
ranée si,  en  portant  leurs  chargements  de  morues  et  leurs  autres 
marchandises,  ils  avaient  la  liberté  de  les  échanger  contre  des  mar- 
chandises du  Levant  et  de  les  rapporter  directement  chez  eux  sans 
toucher  à  Marseille,  en  payant  un  droit  plus  modique  que  le  200/0. 
Si  cela  n'était  pas  possible,  il  demandait  de  pouvoir  au  moins  acheter 
ces  marchandises  aux  étrangers  en  payant  le  20  0/0,  quand  elles 
seraient  trop  chères  à  Marseille.  Il  rappelait  ensuite  que  le  commerce 
des  Marseillais  en  Levant  consommait  beaucoup  d'espèces  et  il  insi- 
nuait «  qu'il  serait  peut-être  plus  à  propos  de  l'interdire  que  de  le 
continuer,  parce  que,  le  foisant,  les  Marseillais  pourraient  s'appliquer 
à  la  navigation  et  à  l'établissement  de  nos  colonies,  qui  nous 
étaient  d'une  plus  grande  utilité  sans  comparaison,  »  Enfin  il  termi- 
nait en  s'attaquant  au  privilège  des  Lyonnais  qui  jouissaient  de 
l'entrée  exclusive  des  soies  du  Levant  par  Marseille  et  de  celles  d'Italie 
parle  Pont  de  Beauvoisin,  au  grand  avantage  de  leurs  manufactures. 
«  Ces  restrictions,  disait-il,  ont  tellement  ruiné  les  fabriques  de 
Tours  que  de  12.000  métiers  d'étoffes  de  soie  qu'il  y  avait  autrefois 
à  Tours,  qui  consommaient  4^5  millions  de  soie  et  produisaient 
pour  trois  fois  autant  d'étoffes  qui  causaient  un  grand  négoce  avec 


(l)  Voir  ces  mémoires.  Bibl.  Nat.  mss  fr.  iS^çy  :  Mémoires...  dressés  et 
envoyés  par  les  députés  des  provinces  en  l'année  1701  à  la  Chambre  du  commerce 
à  Paris.  Regist.  grand  in-4'\  105  fol. —  Mémoire  du  sieur  Ménager,  député  de  la 
ville  de  Rouen,  fol.  /-/,  —  du  sieur  Piécourt,  député  de  Dunkcrque,  fol.  /-2J, 

—  du  sieur  Des  Cazeaux  du  Halley,  fol.  2J-J7,  —  du  député  de  la  Rochelle, 
fol.  f7-66.  —  du  député  de  Bordeaux.  ('6-js.  —  du  député  de  Bayonne,  7S-S6, 

—  des  députés  du  Languedoc,  S6-çS ,  —  du  député  de  Lyon,  9/-Jf)/,  —  du 
député  de  Lille,  /0/-J03.  —  Il  semble  qu'il  y  ait  eu  une  entente  entre  les  députés 
du  Ponant,  car  une  partie  du  mémoire  de  Dunl<erque  reproduit  celui  de  Nantes. — 
Le  mémoire  de  N.mtcs  est  résumé  dans  Boislislk,  t.'  II.  Appendice,  p.  487-93. 


312  LA   CRISE 

les  étrangers,  cela  est  réduit  à  la  dixième  partie  du  tout.  Le  remède 
à  ce  mal  serait  de  permettre  l'entrée  des  soies  par  tous  les  ports  du 
royaume,  ou  du  moins  par  celui  de  Nantes,  en  faveur  des  Touran- 
geaux. » 

Il  y  avait  dans  ce  mémoire,  ;\  côté  de  justes  revendications,  des 
inexactitudes  et  des  exagérations.  Celui  du  député  de  Bordeaux, 
plus  sobre  et  beaucoup  plus  modéré,  avait  une  portée  plus  grande. 
Il  reconnaissait  que  le  commerce  du  Levant  était  utile  à  l'Etat,  parce 
que  nous  y  débitions  nos  denrées  et  qu'il  formait  des  matelots  ; 
qu'il  était  raisonnable  d'empêcher  les  étrangers  de  le  faire  à  notre 
place  et  qu'il  follait  pour  cela  maintenir  l'imposition  du  20  0/0. 
«  II  est  juste  pourtant,  disait-il,  de  la  restreindre  aux  marchan- 
dises qui  appartiennent  aux  étrangers,  ou  qui  seraient  portées  dans 
leurs  vaisseaux,  sans  que  l'entrée  en  soit  limitée  aux  ports  de  Dun- 
kerque  et  de  Rouen,  parce  que  cette  limitation  blesse  l'intérêt  du 
commerce  général  et  toutes  les  villes  maritimes  doivent  jouir  du 
même  avantage,  sans  qu'il  soit  aucunement  considérable  de  dire 
que  le  commerce  de  Marseille  en  recevrait  quelque  préjudice,  puis- 
qu'il est  certain  qu'à  cause  de  sa  situation,  la  prime  des  assurances, 
les  gages  des  matelots  et  les  victuailles  lui  reviennent  ;\  beaucoup 
moins  qu'aux  étrangers  et  si  on  y  ajoute  les  droits  de  20  0/0  cela 
fait  une  différence  de  plus  de  25  0/0  qui  viennent  à  l'avantage  des 
négociants  de  Marseille...  Il  est  certain  et  très  juste  que  les  ports  de 
France  soient  sur  le  pied  de  celui  de  Marseille,  qu'on  y  puisse 
recevoir  toutes  les  marchandises  du  Levant  en  droiture  lorsqu'elles 
viennent  pour  le  compte  des  fermiers  et  dans  les  vaisseaux  de  la 
nation,  puisqu'étant  tous  également  sujets  du  roi,  ils  doivent  jouir 
des  mêmes  griices...  Plusieurs  provinces  ont  des  denrées  surabon- 
dantes qui  sont  propres  pour  le  commerce,  dont  on  doit  flivoriscr  la 
sortie,  et  parce  que  Marseille  est  mieux  située,  ce  n'est  point  une 
raison  valable  pour  exclure  et  interdire  les  autres  villes  du  ro)'aumc; 
au  contraire,  s'il  y  avait  quelque  grâce,  ce  serait  en  flweur  de  celles- 
ci  afin  d'établir  une  concurrence.  Marseille  ne  saurait  avoir  aucune 
bonne  raison  pour  demander  quelque  distinction,  clic  en  a  moins 
encore  pour  demander  une  interdiction.  » 

Il  semblait  difficile  de  répondre  A  une  argumentation  aussi  me- 
surée; cependant  la  Chambre  du  commerce  de  Marseille  ne  resta  pas 
;\  court  de  raisons  et  fit  présenter  par  le  sieur  Fabre  toute  une  série 


REFORMES   ET   PROJETS 


moires  ',  en  réponse  à  ceux  des  députés  du  Ponant  et  aux  rcpli- 
|ues  qu'ils  prti'sentèrcnt  L-nsuitc.  Il  soutint  que  les  villes  du  Ponant 
l'avaient  jamais  tenté  le  commerce  du  Levant,  «  preuve  certaine  que 
e  commerce  ne  leur  était  pas  convenable  ».  Avant  l'édit  de  1669, 
Dûtes  avaient  cependant  la  liberté  de  le  faire  ;  Rouen  et  Dunkerque 
'avaient  conservée  jusqu'en  1685,  mais  elles  n'en  avaient  profité 
ue  pour  remplir  la  France  de  marchandises  du  Levant  tirées  d'An- 
[letcrre  et  de  Hollande,  ce  qu'elles  trouvaient  plus  commode  que 
de  tenter  une  navigation  .\  laquelle  elles  voyaient  beaucoup  de  diffi- 
cultés.  En    ce  moment   même    elles  ne  songeaient  qu'i  pouvoir 

prendre  ce  trafic  préjudiciable  X  l'Etat.  Les  Fonantais  parlaient  de 
"porter  leurs  morues,  leurs  sucres  et  leur  tabac  en  Espagne  et  en 
wlie  et  de  se  procurer  ainsi  des  pi.istres  pour  aller  charger  dans  le 
,cvant,  mais  ils  ne  venaient  qu'une  fois  par  an  apporter  le  produit 
e  leurs  pèches  et  n'en  retiraient  que  des  sommes  insuffisantes  pour 

ire  de  si  lointains  voyages;  quant  au  tabac  et  aux  sucres,  Lisbonne 
fournissait  A  l'Espagne  et  à  l'Italie  plus  qu'il  ne  leur  en  fallait.  Si 

s  Fonantais  allaient  dans  le  Levant,  que  feraient-ils  des  marchan- 
iscs  qu'ils  y  chargeraient?  «  Il  y  a  entre  autres,  disait  Fabre>  quatre 
ualités  qui  font  les  3/4  de  la  charge  des  vaisseaux,  qui  sont  laines 
grosses,  cuirs  en  poil,  cendres  en  grande  quantité  et  lins*,  toutes 

iiarchandiscs  propres  pour  les  manufactures  établies  en  Provence, 
anguedocet  Dauphiné,quc  les  provinces  du  Ponant  n'ont  pas.  »  Si 
n  accordait  aux  villes  du  Ponant  la  permission  qu'elles  demandaient, 
faudrait  la  donner  aussi  à  la  ville  de  Cette  qui  la  réclamait  ;  que 
aeviendrait  le  négoce  avec  cette  atfluence  de  navires  quand,  par  le 
règlement  du  tour  de  1700,  le  ministre  venait  de  réduire  de  moitié 
le  nombre  des  bâtiments  Marseillais  qui  le  pratiquaient. 

Le  député  de  Marseille  s'attachait  ensuite  h.  démontrer  que  les 
ilculs  des   Ponantais  étaient  faux  quand  ils  prétendaient  que  les 

(1)  V.  Bihl.  Xat.  Mis.fr.  lô.çoij  :  Réponse  de  M.  te  dcputé  de  M.uscillc  aux 
lùmoircs  de  MM.  les  députés  des  villes  du  PoiiJiu,  16  juin  1701,/ti/.  26-}  j.  — 
;cp.irtie  du  sieur  Fabre,  député  de  Marseille,  à  la  réplique  de  MM.  du  Ponant  sur  le 
>iiimeri:edu  Levant, /o/.  }6-^). —  Précis  des  raison*  du  sieur  F.ibre...  fol.  .)6-4S. — 
lémoire  Je  quelques  articles  essentiels  que  le  sieur  Fahre  présente...  fol.  Si-!2. — 
ioiifb  qui  ont  décidé  le  roi  en  1669  de  préférer  sa  ville  de  Marseille...  fol.  6i-f-2. 
-  Réponse  du  député  de  Marseille  iï  l'avis  des  députés  des  autres  villes,  fol.  6}- 
}.  —  Mémoire  du  député  de  Marseille  sur  le  tarif  du  2Q0/0,  fol.  66-6ç. 

(2)  Cette  atfirmaiion  é-tait  manifestement  inexacte,  les  soies  et  les  cotons 
iccupaicnt  dans  les  chargements  une  place  autrement  importante  que  les  lins  et 
Cs  cendres. 


Marseillais  leur  vcnd-iicnc  les  ninrcli.indiscs  du  Levant  plus  clicr  que 
les  Anglais,  il  les  mettait  .ni  dclî  de  piouvcr  ce  qu'ils  avançaient,  cl 
il  apportait,  pour  faire  voir  les  véritables  prix  de  vente  A  Marseille. 
des  ccrtificus  des  courtiers  royaux  de  cette  ville.  Enfin  le  dcpulê 
Fabre  tenait  en  réserve  un  dernier  argument  qui  produisit  beaucoup 
d'effet  :  l'article  9  du  traité  de  Riswick  reconnaissait  le  droit  aux 
Hollandais  d'introduire  les  marchandises  du  Levant  en  France, 
avec  les  mêmes  avantages  que  les  sujets  du  roi,  par  conséquent 
les  Hollandais  feraient  tout  le  commerce  par  les  ports  du  Ponant 
si  on  leur  accordait  ce  qu'ils  demandaient.  «  C'est  pourquoi , 
dis.vit  Fahre  ;\  la  fin  d'un  de  ses  mémoires,  ce  députi!:  espère  de 
la  bonté  du  roi,  de  Nosseigneurs  les  Ministres,  et  du  Conseil,  que, 
bien  loin  d'accorder  cette  permission,  qui  serait  inl^iilliblenient 
ouvrir  la  porte  pour  mettre  le  loup  dans  la  bergerie,  on  prendra 
plutôt  soin  de  la  mieux  fermer,  si  elle  ne  l'est  pas  assez,  et  de  faire 
tenir  la  main  pour  éviter  l'abonnement  du  20  00  et  pour  empé^- 
cher  les  contrebandes.   » 

Les  raisons  des  Marseillais  furent  fortement  appuyées  par  le 
député  de  Lyon',  car  la  prospérité  des  soieries  de  cette  ville  étaît 
attachée  au  maintien  du  monopole  de  Marseille.  La  suppression  du 
200/0,  disait-il,  mettrait  les  négociants  du  Languedoc,  du  Dau- 
phiné  cl  de  Lyon  «  dans  la  nécessité  de  se  servir  de  la  commission 
de  MM.  des  ports  du  Ponant  pour  se  fournir  des  marchandises  du 
Levant,  parce  qu'elles  leur  reviendraient  à  meilleur  marché,  ;\  cause 
de  la  modicité  des  droits  du  tarif  de  1664,  car  les  négociants  de  ces 
provinces  paient  pour  les  marchandises  qu'ils  tirent  de  Marseille, 
six  impositions  différentes,  savoir  :  b  table  de  mer,  les  3  o/o 
d'Arles,  les  droits  d'épiceries  et  de  drogueries  qui  se  paient  encore  à 
Arles,  le  droit  domanial  ou  denier  de  Saint-André  les  Avignon,  la 
douane  de  Valence,  la  douane  de  Lyon  et  une  infinité  de  péagw 
sur  le  Rhône.  »  Ces  différents  mémoires  furent  examinés  dans 
plusieurs  séances  importantes  du  conseil  en  présence  de  Chamillart 
et  de  Pontchartrain*.  Le  conseil  fut  surtout  frappé  par  «  l'art.  9  du 
traité  de  commerce  £ùl  à  Riswick  avec  les  Hollandais,  qui  était  un 

(1)  V.  liibl.  XaL  viss.  fi.  fol.  22-3)  :  Mémoire  du  dcputt!  de  Lyon  en  r^poiuc 
du  mémoire  luit  p.ir  MM.  les  dtiputés  des  ville!,  du  Ponant.  —  Fol,  J4-}}  " 
Autre  mémoire. 

(2)  i7  juin,  S  jiiilUl.  9  srf>trmhrt,  i$  sepUmbre  170/.  — Voir,  Arclj.  Nat,  P*. 
}f  :  Registre  du  Conseil  de  commerce,  I70i-i7<>6. 


RÉFORMÉS   PT   PROJETS 


Itî 


obstacle  insurinont.iblc  »  â  la  demande  des  villes  du  Ponnnt.  Puis, 
Pniitch:irtr;iin  fît  observer  «  qu'il  étiiit  à  craindre  que  le  trop  qrnnd 
concoure  des  marchands  n'anicnit  l'avilissement  des  marcbandises 
f<]ii  royaume  portées  dans  le  Levant  et  le  renchérissement  de  celles 
<]u'on  en  rapportait  ;  qu'il  y  avait  même  présentemenr  A  Marseille 
une  si  grande  quantité  de  marchandises  de  Levant  qu'on  ne  savait 
<)u'en  faire  ei  qu'on  avait  été  obligé  de  surseoir  de  trois  mois  le  départ 
<les  vaisseaux  qui  étaient  en  tour  d'aller  en  Levant.  »  Sur  quoi 
Chamillart  renchérit  et  dit  «  qu'il  craignait  que  le  commerce  de 
Levant  ne  fût  déjà  que  trop{,'rand  et  à  charge  au  royaume  par  deux 
endroits,  l'un  par  l'argent  qu'il  y  faut  envoyer,  l'autre  par  la  qualité 
Jes  marchandises  qui  en  viennent,  comme  toiles  peintes  et  autres 
i<iui  se  vendent  dans  le  royaume  en  fraude,  et  qui  ruinent  nos  manu- 
factures. »  C'étaient  deux  pauvres  arguments,  cependant  la  majo- 
rité du  conseil  partageait  encore  les  préjugés  du  ministre,  car  on 
tiécidn  qu'avant  de  passer  outre  on  s'assurerait  d'abord  si  le  commerce 
du  Levant  était  ou  non  utile  et  s'il   fallait  l'encourager;  Poiitchar- 

B  train  fut  chargé  de  demander  A  I.ebret  un  état  exact  «  de  tous  les 
envois  qui  s'étaient  faits  depuis  un  certain  temps  en  Levant,  tant  en 
argent  qu'en  marchandises,  et  de  tous  les   retours  qui  en  étaient 

H  venus*.  »  Comme  il  était  favorable  aux  Marseillais,  Il  s'empressa 
d'avertir  la  Chambre  de  la  disposition  d'esprit  du  conseil.  «  Je 
dois  vous  exhorter,  lui  écrjvait-il,  .\  examiner  les  objections  qui  ont 
été  faites  sur  l'abus  qu'on  prétend  être  dans  votre  commerce  et 
causer  un  préjudice  au  royaume,  qui  est  la  sortie  des  espèces  que 
TOUS  estimez  être  obligés  d'y  employer,  pour  apporter  tous  les  soins 
dont  vous  êtes  capables  pour  y  remédier  en  augmentant  l'envoyée 
Jes  manufactures  et  denrées  du  royaume  et  empêcher  l'abord  des 
tn.irchandises  de  contrebande,  qui  sont  celles  qui  causent  la  consom- 
mation de  l'argent,  non  seulement  sans  utilité,  mais  même  avec 
dommage-  pour  le  royaume*.  » 

L'affaire  traîna  ensuite  en  longueur  .\  cause  d'une  maladie  pro- 
longée de  M.  Amclotqui  devait  en  être  le  rapporteur  au  conseil.  La 
Chambre  de  Marseille  en  fut  fort  chagrinée*,  car  Amelot  lui  était 
favorable,  m.aisles  Ponantaiset  les  fermiers  généraux  en  profilèrent 


I 


(l|  S^aner  du  jeudi  if  upltml-re  ijoi.  Arch.  Mt/.  F",  fi,  fol.  70-J4. 

U)  75»  oclohre  ijor.  BJl,  Sj. 

(5)  Voir  une  série  de   lettres  de  la   Ch.imbrc  à  Fabrc  où  clic  se  pKiint  de  la 


njré  ^^^^^~       LA    CRISE 

pi  /ucr  auprès  du  conseil  où  M.  Rouillé  du  Caaàsm. 

y.  lit,  qui  vetuit  d'y  entrer,  les  appu\'2  et  &t  «aioir  et 

veau  contre  les  Marseilbis  l'argument  de  i'exponatioB 

Ïji  Chambre  y  répondit  en  donnant  un  état  des  chaf 

iàiuient  en  ce  moment  m<ime  à  Marseille.  «  \ous  avons  esûièâ; 

po*,  écrit-elle  ù  Fabrc,  que,  pour  donner  une  juste  idée  i  M*' 

du  commerce  que  nous  faisons  en  Levant,  très  éloîgoé  de  ce 

pouvait  lui  avoir  écrit,  il  fallait  l'informer  des  mirdua&Et 

embarquait  sur  les  bâtiments  qui  doivent  partir  pour  le  Levas 

l'escorte  du  premier  vaisseau  que  nous  avons  bit  armer,  par 

pourra  reconnaître  que  nous  ne  faisons  pas  ce  commerce 

comme  il  l'a  soutenu;  ainsi,  sur  le  vaisseau  du  capiutnc  GtûnL__^«, i t 

a  déj;\  .joo.ooo  livres  de  marclundiscs  cl  on  doit  encore  y 

120. ooo  livres  de  draps'.  « 

Pendant  ce  temps,  les  députés  du  Languedoc  sollicitaient 
pour  que  le  commerce  du  Levant  pût  se  (aire  par  le  pon  de 
Afm  d'inrïuenccr  le  Conseil,  les  états  du  Languedoc  prêtetids^^bitn 
supprimer  l;i  pistolc  que  la  province  donnait  aux  entrepreoctiiid! — 'i  ia 
inanut.ictiircs,  pour  chaque  pic-ce  de  drap  de  30  aunes  qu'ils  ^^Ktthri- 
quaient  pour  le  Levant,  car  si  la  province  ne  pouvait  pas  parti—     riper 
;'ice  commerce,  pourquoi  continuerait-elle  de  s'imposer  des  sacrS^ftccs 
pour  l'encouraf^cr  ?  De  leur  côté,  les  Toulonnais  emplo>~aien^^l  un 
moyen  détourné  pour  faire  venir  les  marchandises  du  Levant 
liiir  ]«)rt,  ils  demandaient  de  nouveau  que  les  navires  vcnan 
I.evatU  pussent  faire  librement  quarantaine  dans   leur  port,  ce 
DU  VI  hait  la  porte  aux  contrebandes,  tandis  que  leurs  savonniers 
citaient   l'autorisation  de  faire  venir  directement   des  cendre^^^  Ju 
Levant\  Toutes  ces  revendications,  contraires  au  monopole  de   3I.Tr- 
seille,  étaient  justes,  mais  il  eût  fallu,  pour  les  satisfaire,  bouleverser 
complètement  l'organisation  du  commerce  du  Levant  et  renoncer  i 

maladie  Je  M.  Amclot  qui  suspend  les  assemblées  .lu  sujet  du  riitablisscmcnt  *icU 
Ir.uicliiie  [4  iwi)t  ijvj,  S  noiit,  ij  aoiU,  4  septembre.  BB,  29).  —  Pontchartraia  K»- 
tenait  vivement  les  Marseillais. 

(1)  3  Jh-r.  lyo}    Itli,  jy. —  Les  Pnnanuis  resta-ii-nirent  alors  leurs  prCii 
Cl  se  l>ot'ni:reni  à  réclamer  h  diminution  do  moitié  ilu  droit  de  20  o.'oei  le  -  - 
lion  de  ce  droit  pour  les  cotons,  les  cires,  les  huiles  et  le  riz.  La  Clumbre  s'y  oppou 
non  njoins  énergit.]uemcnt.  V.  Lettres  du  j;  et  )kiaoi'ic  1702.  UB,  29. 

(î)  Jin/lol  il  /j-/-/.'/,  )  juin  tjot.  Arcb.  .Vu/.,  F'*,  114  ;  Recueil  des  li:itr« 
lïcrittfs  par  M.  .\nielot,  conseiller  d'Etat,  sur  les  .ilîaires  concenum  le  coronitn:' 
el  let  manurjcturcs. 

\\)  b  dkoHbrt  tyoi.  BB,  iç,  —  ao  ii€tmbrt  ijoa,  ^iJ, 


élis 
r  ifs 

qui 

m- 


RàKORMES    ET    PROJETS 


317 


les  principes  qui  l'avaient  inspirée;  il  eût  f.illu  changer  le  sys- 
tème des  fermes  qui  favorisait  la  contrebande  des  étrangers,  et  modi- 
fier nos  relations  coninieicialcs  avec  l'Angleterre,  comme  le  taisait 
Remarquer  le  député  Fabre  dans  un  de  ses  mémoires  :  v  11  est  si  appa- 
HtQt  et  si  vrai,  disnit-ii,  que  Marseille  est  toujours  remplie  de  toutes 
Sortes  de  marchandises  assortissantes,  et  plus  même  que  la  Hollande 
■et  l'Angleterre,  que  Marseille  fournit  souvent  la  première  de  mar- 
chandises qu'elle  n'a  pas  et  en  ferait  autant  A  l'autre  s'il  était  permis 
BéIV  en  porter,  mais  ils  y  ont  mis  bon  ordre  par  une  défense  rigou- 
Rcuse,  et  les  marelKindises  qu'on  y  porterait  seraient  brûlées  et  peut- 
Becre  aussi  les  vaisseaux,  tant  ils  sont  attentifs  à  conserver  ce  commerce 
pour   eux-mêmess,  et  encore  par  une  haine   naturelle  qu'ils  ont 
contre  les  Français.  Kt  par  quel  endroit  de  justice  la  France  permet- 
trait-elle que  les  Français  allassent   prendre  des   marchandises  du 
Levant  chez  euxV  » 
S   Outre  les  arguments  que  Fabre  sut  faire  valoir  et  le  nom  de  Colbert 
qu'il  invoqua  habilement  pour  faire  renouveler  les  privilèges  de  Mar- 
seille, la  Chambre  ne  négligea  pas  les  sollicitations  et  sut  employer 
ITargeat  i  propos.  Les  Ponantais  ayant  présenté  un  grand  mémoire, 
pîi   ils  critiquaient  la  conduite  de  la  Chambre  dans  la  direction  du 
cjmmerce  et  proposaient  l'établissement  d'une  Compagnie,  la  Cham- 
bre intrigua  pour  empêcher  qu'il  ne  fût  produit  dans  le  conseil,  et, 
^^ur  en  détruire  l'effet,  elle  écrivit  des  lettres  pressantes  à  chacun  de 
"ies  membres*.  Jamais  elle  ne  dépensa  autant  en  présents  distribués 
de  divers  côtés.  «  Nous  voyons  de  plus  en  plus,  écrit-elle  A  Fabre,... 
Hes  indispositions  que  M«'  Rouillé  du  Coudray  a  contre  nous,  mais, 
pour  ne  pas  laisser  inutiles  les  offres  qu'il  a  plu  à  M.  le  bailli   de 
Noailles  de  vous  faire,  nous  trouvons  à  propos  que  vous  donniez 
jusqu'à  100  louis  d'or  \  la  personne  qu'il  vous  a  dit  pour  vous  rendre 
JM.   Rouillé    favorable,  mais   avec  cette  condition  expresse  que 

(Il  BiM.  Nal.  mss.fr.  ift/oti),  fol.  21). 

(i\  2î  SfpUwbie  If  02,  à  M.  delà  Vigne,  preinitr  cotiiiiiis.  —  li  Mp  iPOnutou  et 

ljf<-  XftirUtigyi,  titûitrei  dfS  reijiiitfs,  —  à  M»'^  l\mklhirlrain   et   Chamillart.  —  A 

fcW*''»  Diigiiciseau,  AiikIoI,  Diinitenonville,  Kouitlé  du  Coiuhiiv,  coiiieilUrsdii  roi.  lili,  2^. 

Fabre  trouva  l.i lettre  a  Ch.iraill.irt  m.iljJmitc et  l.i  renvoyai  \a  Chambre  pour 

I  corriger.  «  Vous  trouverez  ci-joint,  lui  répond-cllc,  les  deux  lettres  que  vous  .avez 

Rupt'  3  propos  de  «rorriger  :  les  foujnges  de  M.  Colbert  dans  celles  de  Me'  de  Cha- 

tiullart  nous  p.ir.ii5saicnt  bien  placées,  mais  puisque  vous  .ivez  jugé  .i  propos  de  les 

supprimer,  nous  l'avons  l'ait...  nous  y  avons  placé  les  mots  de  Votre  Grandeur 

en  bien  d'endroits.  »  —    Au  R.  P.  Fleuriau,  jésuite  (frère  de   d'Armenon ville), 

Klobre  fjo2.  BB,  29. 


318 


IS    CRISE 


vuus  serez  bien  certain  qu'il  aura  favorablement  opine  pour  nous, 
tant  au  sujet  de  notre  commerce  des  piastres  de  Levant  que  pour  le 
rétablissement  de  notre  franchise'.  »  Par  une  autre  lettre-,  elle  Tauto- 
risait  ;\  promettre  à  d'autres  personnes  jusqu'A  2.000  pistoies'.  Ei"»" 
outre,  elle  multipliait  les  cadeaux  aux  membres  du  conseil.  Enfin 
pour  la  première  fois,  la  Cl-ambre  servit  annuellement  des  peniion.  -^ 
h  ceux  qui  pouvaient  lui  être  utiles  ;  M.  de  Salaberr>',  premier  con."~^^- 
mis  dePontchartrain,  reçut  1000  livres  jusqu'à  la  fin  du  règne,  M.  ■  "^  c 
la  Vigne,  secrétaire  d'Amelot,  eut  aussi  sa  pension. 

Tant  d'etlbrts  et  d'intrigues  furent  couronnés  de    succès  ci  "ïi 

10  juillet  1703  fut  enhn  publié  l'arrêt  du  Conseil',  si  longtcm     ^^^ 
attendu  par  la  Chambre,  portant  rétablissement  de  b  franchise  de  I 

ville,  port  et  territoire  de  Marseille.  Le  préambule,  fort  développ 
rappelait  les  privilèges  accordés  par  l'édit  de  mars  1669  à  Marseille^ 
tous  les  arrêts  qui  les  avaient  confirmés  et  étendus,  il  énutnér  -.— _«it 
ensuite  tous  les  arrêts  subséquents  qui  avaient  altéré  la  franchise^  et 

concluait  ainsi  :  «  Quoique  tous  ces  règlements  semblent  n'av'^dzair 
été  faits  que  pour  favorùser  le  commerce  des  sujets  de  S.  M.  et      'M  vi 
duimer  quelque  avantage  sur  le  commerce  des  étrangers,  ils  n'crr»  ijt 
pas  laissé  cependant  de  produire  un  effet  tout  contraire.  Depuis       X«s 
difficultés  auxquelles  l'cxccution  de  ces  règlements  a  donné  I  »  ^u 
d.ms  Marseille,  les  étrangers  qui  y  avaient  pris  des  habitudes  v*^  »t 
taire  commerce  A  Gènes  et  \  Livourne  qui    sont  devenues  pac~     *^e 
moyen  les  places  les  plus  fréquentées  et  les  plus  considérables  p«_>«Jr 
le  commerce  de  Levant  et  d'Italie.  ■  L'édit  conmiençait  par  décLx  r^r 
que  «  les  habitants  de  la  ville  de  Marseille  et  les  marchands  et  tié^<->- 
ciants,  tint  sujets  de  S.  M.  qu'étrangers  et  autres  personnes  de  to»-!- 
tes  nations  et  qualités,  jouiraient  dans  toute  l'étendue  de  lavill<-, 
port  et  territoire  de  Marseille,   des  exemptions,   privilèges  et  ÙTAti- 
chises  accordés  en  lavtur  du  commerce  et  portés  par  l'édit  du  ii"»oi$ 
de  mars  1669  »  ;  mais  il  renfermait  ensuite  plusieurs  restriction -S. 
Les  prohibitions  subsistaient  en  partie  :  «  les  draps,  étoffes  et  b^» 
de  laine  de  manufactures  étrangères,  les  étoffes  des  Indes  de  toutes 


11)  1;  jam\  tjof.  BB,  29. 

(j)  tS  oclohie  fjoi.  —  «  Si  la  personne  i  laquelle  vous  nous  proposez  de  donr»«.'r 
^000  livres  m:  l'.iis.iil  fort  Je  nous  faire  accorder  le  rctablisscmciit  de  tiotrv  Ux  n- 
chisc  en  cniiirr  ctwirs  resiriciioii,  vous  pouvoi  les  lui  promettre  pour  être  fuy«î'** 
lorsque  vous  auiici  en  m.iin  l'arrêt  en  çonlomiitc.  »  b  nvril  ijof.  UB,  ay. 

(î)  Sut  le  rapport  de  Chaniillart, 


RIilORMES   ET   PROJUTS  319 

sortes,  mùmc  cclles-d'cLorccs  d'arbres,  les  toiles  peintes  des  Indes, 
les  morues  sèches  de  la  pêche  des  étniiigers  et  les  cuirs  tannés  venant 
de  Levant  et  d'aillems  ne  pourraient  entrer  dans  ladite  ville  et  port 
de  Marseille,  ni  en  être  lait  commerce  par  les  marchands  et  négo- 
ciants de  ladite  ville  ii  peine  de  confiscation  des  marchandises  et  de 
3.000  livres  d'amende.  »  Le  roi  permettait,  il  est  vrai,  «  l'entrée,  le 
commerce  et  l'usage  dans  ladite  ville,  port  et  territoire  de  Marseille, 
des  toiles  blanches,  peintes,  teintes  ou  à  carreaux  venant  :\  droiture 
de  Levant.  »  Les  bureaux  des  fermes  étaient  reportés  comme  en 
1669  aux  limites  du  territoire,  mais  «  à  l'exception  néanmoins  du 
bureau  des  chairs  et  poissons  salés  dépendant  de  la  ferme  des  gabelles, 
du  bureau  des  poids  et  casses,  de  celui  de  la  ferme  du  domaine 
d'Occident  et  de  celui  de  la  ferme  du  tabac.  »  Les  entrepôts  établis 
pour  les  cassonades  du  Brésil  et  pour  le  café  n'étaient  supprimés 
que  pour  trois  ans;  il  est  vrai  que  la  liberté  du  commerce  de  ces  deux 
denrées  fut  renouvelée  régulièrement  tous  les  trois  uns',  jusqu  en 
171J. 

L»  fr;inchisc  établie  en  1703  n'était  donc  pas  aussi  complète  que 
celle  de  1669,  mais  elle  était  cependant  un  bienfait  considérable  et 
les  Marseillais  obtenaient  la  liberté  pour  les  trois  marchandises  qui 
avaient  fait  surtout  l'objet  de  leurs  sollicitations  ;  les  toiles  de  coton 
du  Levant,  les  sucres  et  le  café.  En  même  temps  que  l'édit  de  1703 
rétablissait  la  franchise  du  port,  il  maintenait  le  20  0/0  et  le  mono- 
pole de  Marseille  et  déboutait  les  villes  du  Ponant  de  leurs  deman- 
des. La  seule  satisfaction  donnée  aux  villes  du  Ponant,  c'est  que 
toutes  étaient  soumises  au  même  traitement  que  Kouen  et  Dunker- 
que  auparavant  tivorisées;  elles  pourraient,  commes  elle  l'enten- 
draient, tirer  des  marchandises  du  Levant  des  étrangers  ou  venir  les 
chercher  A  Livourne,  en  y  apportant  le  produit  de  leurs  {wches  et 
leurs  autres  marchandises,  moyennant  le  paiement  du  20  0,0.  Li 
Chambre  de  Marseille  obtenait  de  son  côté  des  garanties  contre  les 
contrebandes  :  elle  commettrait  des  receveurs  pour  la  perception  du 
droit  à  Marseille  et  au  bureau  du  pont  de  Beauvoisin,  sur  les  mar- 
chandises entreposées  en  Italie  qui  y  arrivaient  et  des  contrôleurs 
dans  les  autres  ports  du  royaume,  pour  tenir  registre  des  marchan- 
dises du  Levant  apportées  directement  sans  avoir  été  prises  à  Mar- 
seille. 


(i)  im,  fi  -  .i'u't  dit  Civiifil  du  ii>  dicanlirf  tft}.   —  Il  renouvelle  ccu»  du 
}  ;ioù<  1706  et  19  octobre  \~i<y). 


320  LA    CRISE 

L'arrêt  du  Conseil  du  lo  juillet  1703  ne  fit  pas  cesser  la  lutte 
entre  Marseille  et  les  villes  du  Ponant,  ni  les  revendications  des  ports 
de  Cette  et  de  Toulon.  Pour  que  le  20  0/0  fût  efficace,  la  Chambre 
prétendait  qu'il  était  nécessaire  qu'elle  pût  à  son  gré  fixer  le  tarif 
d'après  lequel  il  était  levé,  car  les  étrangers  pourraient  profiter  des 
hausses  de  prix  sur  les  marchandises  pour  les  faire  entrer  en  France 
sans  souffrir  du  20  0/0,  qui  devenait  alors  insuffisant;  mais,  bien 
qu'elle  soutînt  avoir  toujours  joui  de  ce  droit,  Chamillart  ne  lui 
reconnut,  avec  raison,  que  celui  d'envoyer  des  projets  de  tarifs  au 
Conseil  chargé  de  les  dresser,  car,  lui  permettre  de  les  établir  défini- 
tivement, c'eût  été  mettre  entièrement  à  sa  merci  le  commerce  des 
villes  du  Ponant'.  A  peine  l'édit  de  1703  était-il  rendu  qu'un 
député  de  Toulon  sollicitait  vivement  la  permission  de  faire  le 
commerce  du  Levant  A  droiture,  d'être  déchargé  du  paiement  du 
20  0/0  et  de  pouvoir  donner  les  quarantaines  ;  les  marchands  du 
Languedoc  demandaient  les  mêmes  privilèges  pour  Cette.  En  1705, 
les  états  du  Languedoc  demandèrent  dans  leurs  cahiers  que  le  cot- 
timo  fut  supprimé  «  et  que  la  Chambre  rendit  compte  de  l'adminis- 
tration qu'elle  en  avait  fait  depuis  son  établissement  et  de  l'emploi 
des  deniers  qui  en  étaient  provenus.  »  Chamillart,  qui  semble  avoir 
eu  peu  de  bienveillance  pour  la  Chambre,  lui  demanda  en  effet  des 
explications  à  ce  sujet.  Sans  se  décourager  de  leurs  précédents  échecs, 
les  marchands  du  Languedoc  fiiisaient  encore  présenter  en  17 13  A 
Desmarets  par  le  syndic  général  de  la  province  un  placet  où  ils  solli- 
citaient l'affranchissement  du  port  de  Cette  et  le  droit  de  faire  direc- 
tement le  commerce  du  Levant*.  Les  Toulonnais  ne  se  rebutaient 
pas  non  plus  et  finissaient  par  obtenir  en  1709  le  droit  de  donner  la 
quarantaine  aux  navires*.  En  171  r,  les  marchands  de  Normandie  et 
de  Picardie  demandèrent  la  permission  de  pouvoir  faire  venir  des 
cotons  en  laine  et  filés  des  pays  étrangers,  sous  prétexte  que  la  quan- 
tité qui  en  venait  du  Levant  par  Marseille  ne  suffisait  pas  A  la  con- 
sommation ;   les  députés   de  Lyon  et  de  Marseille  s'y  opposèrent 

(i)  Cette  affaire  Ju  tarif  du  20  0/0  occupa  la  Chambre  et  le  Conseil  du  com- 
merce toute  l'année  1704.  Voir,  Lettn-s  de  lyo}  et  171)4.  BU,  25?  et  BB,  S}.  —  V. 
BB,  ;  :  Arrêt  du  Conseil  du  16  janv.  ijof},  fixant  le  tarif  du  20  0/0  :  «  Le  roi,  ouï 
le  rapport  du  sieur  Chamillart...  vu  les  tarifs  dressés  par  la  Chambre  en  1683, 
84,  85,  86,  89,  91,  98,  1700  et  1702 » 

(2)  Lettre  à  Fabre,  ly  août  i/O],  BB,  2p.  —  lettre  de  Chamillart,  16  septembre 
I/O}.  BB,  8j.  —  Délibération  du  29  août  1713.  BB,  6. 

(3)  Ordonnance  royale  du  }i  juillet  lyoi),  Arch.  Commun.  Invent,  de  Courmes. 


RÉFORMES  ET  l»ROJETS 


32t 


^vcment;  Pontchartrain  qui  les  soutint  et  demanda  des  renseigne- 
ments à  la  Chambre  pour  mieux  les  appuyer,  lui  fort  étonné'  d'ap- 
prendre que,  loin  de  manquer  de  coton  à  Marseille,  les  négociants 
avaient  en  magasin  plus  de  looo  balles  de  coton  filé  et  500  de  coton 

ti  laine  '. 
La  Chambre,  de  son  côté,  veillait  jalousement  au  maintien  du 
onopole  de  Marseille  :  la  Compagnie  des  Indes  et  des  particuliers 
apportaient  par  la  route  de  l'Océan  des  cafés  de  Moka,  la  Chambre 
soutint  qu'ils  devaient  être  soumis  au  droit  de  200/0.  «S.  M., 
répondit  le  ministre,  n'a  pas  cru  devoir  assujettir  la  Compagnie  ni 
■es  cessionnaires  au  droit  de  20  0/0  sur  ce  qu'elle  a  reconnu  son 
privilège  antérieur  de  cinq  ans  h  ceux  de  Marseille  par  lesquels  il 

S'y  est  point  dérogé,  et  qu'elle  en  a  joui  pendant  plus  de  40  ans 
u'ellca  fait  venir  des  Indes  de  ces  denrées  pour  son  compte....  On 
a  justifié  d'ailleurs  que  les  cafés  d'Egypte  seront  toujours  incontes- 
tablement supérieurs  en  qualité  :\  ceux  de  la  Compagnie  des  Indes  et 
pourront  se  donner  en  France  à  meilleur  marché,  à  cause  des  frais 
immenses  qui  sont  inévitables  dans  la   longueur  des  voyages  par  le 
Ponant.  Le  débit  des  cafés  du  Levant  est  donc  assuré'.  »  Les  Mar- 
seillais  furent  plus  heureux  dans    leurs    revendications   contre  la 
Compagnie  des  Indes  au  sujet  du  commerce  des  soies.    L'arrêt  du 
Eonseil  du  13  mars  1714,  rendu  .\  la  requête  de  la  Chambre  et  du 
Tj-ndic  général  du  Languedoc,  portait  défense  à  !a  Compagnie  des 
Indes  orientales,  à  celle  de  la  Chine  et  ;\   tous  autres  d'introduire 
■ans  le  royaume  par  mer  ni  par  terre  aucunes  soies,  ni  marchandises 
de  soierie  venant  des  dits  pays,  même  sous  prétexte  d'entrepôt.  «  La 
Jijmpagnie,  disait  le  préambule,  a  si  bien  reconnu  qu'elle  n'a  pas  ce 
■roit,  que  de  1664  à  1685  elle  n'a  pas  apporté  de  soies.  Depuis  1685 
elle  n'en  a  apporté  que  de  6  à  7.000  livres  par  an.  Mais   le  vaisseau 
pie  Grand-Dauphin,  revenu  de  Chine  ;\  Saint-Malo  en  octobre,  en  ayant 
Bpporté  plus  de  30.000  livres  pesant,  il  serait  à  craindre,  si  on  le 
■olératt,  qu'il  n'en  vint  encore  davantage.  Or,   les  règlements  sur 
n'entrée  des  soies  ont  eu    deux   raisons  :  premièrement  assurer  la 
perception  des  droits  dus  à  S.  M.  qu'il  est  impossible  de  frauder.... 
leuxièmcment,  protéger  les  manuflactures  de  Lyon.  Elles   sont  par- 
icnuesàun  si  grand  point  de  perfection  et  le  commerce  en  est  si 


(r)  BB,  Sj.  21  août,  3  septembre,  2j  upUmbrc  tjii, 
il)  iQ  juin  fji},  6  avril  1J12.  BB,  8j. 


31 


322  LA   CRISU 

bien  établi,  tant  dedans  que  dehors  du  royaume,  qu'elles  méritent 
une  faveur  pirticulière.  Elles  ne  pourraient  néanmoins  se  maintenir 
si  les  soies  des  Indes  et  de  la  Chine  étaient  admises  par  les  ports  de 
l'Océan  et  n'y  payaient  que  i6  livres  par  quintal,  pendant  que  les 
droits  qui  se  lèvent  à  Lyon  sur  celles  qui  viennent  d'Italie,  d'Espa- 
gne et  du  Levant  se  montent  à  93  Uvres  19  sols'.  » 

Le  monopole  de  Marseille  fut  donc  maintenu  intact  non  seule- 
ment jusqu'en  171 5,  mais  jusqu'à  la  fin  du  xvin' siècle,  néanmoins 
la  vivacité  des  attaques  dont  il  avait  été  l'objet  depuis  1701  et  le 
crédit  qu'elles  avaient  obtenu  auprès  de  certains  membres  du  Conseil 
semblent  montrer  qu'il  commençait  à  se  produire  un  revirement 
dans  les  esprits  au  sujet  du  système  commercial  du  Levant.  Il  fallut 
cependant  attendre  les  ouvrages  des  économistes  pour  voir  formuler 
de  nouveaux  principes  et  Forbonnais  les  énonçait  clairement  dans 
ses  Questions  sur  le  Commerce  du  Levant,  en  1755  :  n  Tant  que  le 
monopole  de  Marseille  existera,  disait-il,  la  France  n'aura  pas  entre- 
pris tout  le  commerce  qu'elle  peut  faire  au  Levant Il  ne  faut 

pas  croire  que  Marseille  compose  ses  cargaisons  de  tous  les  articles 
que  le  Ponent  essaierait  d'introduire  au  Levant.  Chaque  port  a  pour 
ainsi  dire  sa  destinée  privilégiée   à   laquelle  on  ne  penserait  point 

dans  un  autre  port Si  les  vaisseaux  du  Ponent  fréquentaient  les 

échelles  du  Levant,  ils  rapporteraient  à  meilleur  marché  dans  leurs 
ports,  les  matières  premières  propres  à  nos  manufictures Mar- 
seille sera  toujours  le  siège  principal  du  commerce  du  Levant  par  sa 
situation  qui  lui  ouvre  un  débouché  assuré  dans  nos  provinces 
méridionales,  en  Suisse,  en  divers  cantons  de  l'Allemagne,  Italie, 
Espagne,  Portugal.  Plus  la  concurrence  des  autres  ports  avec  elle 
sera  grande,  plus  elle  s'appliquera  à  conserver  les  branches  de 
réexportation  que  la  nature  semble  lui  avoir  consignées*.  » 

En  même  temps  que  la  grave  question  du  renouvellement  de  la 
franchise  du  port  était  en  discussion,  l'attention  de  la  Chambre  et  du 
gouvernement  fut  attirée  par  les  désordres  qui  renaissaient  sans  cesse 

(i)  BB,  6.  fol.  116.  «  Le  concours  des  soies  d'Orient  qui  peuvent  être  données 
à  très  vil  prix  parce  i]u'cllcs  se  recueillent  sans  aucinic  dépense  au  lieux  d'origine, 
causerait  la  destruction  des  mûriers  plantés  dans  les  provinces  de  Dauphiné,  l'ro- 
vence,  Lan}>uedoc  et  principalement  dans  cette  dernière  province  qui  a  fait  des 
frais  très  considérables  pour  le  succès  de  cette  plantation.  » 

(2)  FoKiuiNNMS.  ihivr.  cile,  p.  112.  —  Cf.  1-'-',  à./).  Anh.  Nut.  ■  Mémoire  du 
xviii=  siècle  (sans  date),  rédigé  par  un  Marseillais. 


RÉFORMES   ET    l'ItOJETS 


323 


;  les  échelles.  Celle  du  Caire  surtout  fut  profondément  troublée  par 
les  graves  querelles  entre  le  consul  M.  de  Maillot  et  les  marchands'. 
Cinq  marchands  du  Ciire  furent  rappelés  en  l'rancc  pour  justifier 
leur  conduite,  et  un  commissaire  du  roi,  M.  de  Gastines,  fut  envoyé 
pour  faire  une  enquête  sur  place,  avec  mission  de  visiter  en  même 
temps  toutes  les  échelles.  Il  partit  en  1706  sur  le  vaisseau  du  roi  La 
/•l^r/H»«,  après  avoir  conféré  avec  la  Chambre  et  rei^u  d'elle  le  recueil 
de  toutes  les  ordonnances  concernant  le  commerce  du  Levant.  La 
Chambre  devait  lui  payer  1000  livres  d'appointements  par  mois. 
Cette  seconde  visite  des  échelles  eut  moins  d'importance  que  celle 
de  Dortiéres;  Gastines,  après  avoir  rétabli  l'ordre  dans  l'échelle  du 
Caire  en  donnant  raison  au  consul  contre  les  marchands*,  termina 
aussi  par  des  règlements  les  dilllcultés  qui  s'étaient  élevées  dans  les 
autres  échelles,  particulièrement  au  sujet  des  appointements  des 
consuls  et  de  la  nomination  des  députés^.  La  Chambre  avait  protesté 
en  t686  contre  certains  règlements  de  Dortiéres,  parce  qu'ils  étaient 
trop  favorables  aux  consuls,  elle  fît  le  même  reproche  à  quelques 
unes  des  décisions  de  M.  de  Gastines,  et  elle  demandait  au  nouvel 
ambass^ideur,  en  17 10,  d'en  suspendre  l'exécution*.  Elle  ne  pouvait 
pas,  en  effet,  considérer  d'un  bon  ail  ces  missions  extraordinaires 
qui  ne  pouvaient  que  diminuer  son  autorité  et  semblaient  constater 
l'insuffisance  de  la  surveillance  qu'elle  exerçait  sur  les  échelles. 
L  La  sollicitude  du  gouvernement  de  Louis  XIV  pour  le  commerce 
"du  Levant  se  manifesta  encore  d'une  manière  remarquable,  au  début 
Je  la  guerre  de  succession,  parles  missions  envoyées  en  Orient  pour 
ouvrir  de  nouvelles  voies  à  nos  niarchands.  En  1697,  le  consul  du 


P 


(i)  V,  pour  toute  celte  nfT^irc  la  corrcsp.  de  1  cchclledu  Caire,  .-(.■!,  jnf  et  jio 
(1704-17O)).  Il  y  eut  à  ce  sujet  des  dissentiments  entre  U  ChAïubre  qui  soutenait 
le.%  marchands  (V.  UB,  2<))  et  Pontcliartraiii  lavorablc  au  consul  (V.  diverses  lettres 
de  1704-1705.  BB,  S}).  Q.ue!qucs-unes  se  trouvent  dans  Dupping,  1. 1,  p.  891-899. 

(2)  Voir  Lellrti  des  lUpulà  du  Caire,  AA,  ;/(j.    /;  mai,  i~  Jéctinhie  f/o6  : 

^lt  M.  de  Gastines  n'a  point  eu  épard  ;i  nos  raisons,  ayant  tout  accordé  à  M.  le 
Consul...  Cependant...  on  nous  lait  pressentir  que  vous  pourrez,  tout  terminer  avec 
ledit  sieur  quand  il  passera  par  Marseille.  —  ullie  du  coinul,  A  A,  J04.  m  aoi'il 
IJ06.  —  Cependant  de  Maillet  fut  révoqué  à  la  lin  de  1708.  (V.  BB,  A';.  Ltttre 
ii  Pou  le  hai  Irai  II,  )o  janv.  ijotj. 

(3)  Voir  pour  ces  réglenienls  :  Lettre  du  consul  du  Caire  du  10  fk'riir  /707, 
AA,  jo;  :  «  M.  l'intendant  de  Gastines  doit  tître  arrivé  en  Provence  étant  parti 
dcChipres  avec  le  convoi,  depuis  le  10  décembre  dernier.  11  est  resté  ici  pendant 
vingt-huit  jours,  etc.  >i  —  11  est  souvent  question,  plus  lard,  dans  la  correspondance 
ÛQs  règlements  de  M.  de  Gastines. 

(4)  Pontcharlrain  s'en  plaint,  i)  janvier  lyiu.  BB.  Sj, 


324  l'A    CRiSb 

Caire,  M.  Je  Maillet,  que  h  Clianibre  elle-nicine,  malgré  ses  dcmèlès 
avec  lui,  reconnaissait  comme  un  liomnie  habile,  adressa  i  Poniclur- 
train  un  mémoire  «  sur  les  vues  que  l'on  avait  Je  pénétrer  en  Ethio- 
pie par  les  routes  du  Nii  ou  de  la  mer  Rouge,  par  rapport  à  Tintro- 
ductiun  du  commerce  des  Indes  orientales.  »  Il  y  mêlait  les  deux 
questions  du  commerce  de  l'InJc  et  de  celui  de  l'Ethiopie  par  la  mer 
Rouge.  Au  sujet  du  premier,  il  ne  laisait  guère  que  reprendre  les  idées 
de  Colbert  et  de  Seignelay  et  il  reproduisait  les  plans  que  Jacqui 
Savary  avait  exposés  en  1679,  dans  son  Parfait  négociant,  pour  b 
jonction  de  la  mer  Rouge  au  >jil  ou  i\  la  mer  Méditerranée  par  un 
canal'.  Il  pressait  le  ministre  d'en  tenter  la  réalisation,  car  il  v 
avait  à  craindre  que  les  Anglais  ne  prissent  les  devants  ;  c'était,  en 
effet,  le  moment  oii  ils  établissaient  un  consulat  en  Egypte  (1698). 
De  Maillet  apprenait  qu'un  agent  anglais  passait  dans  b  mer  Rouge 
«  pour  reconnaître  les  liaisons  qu'on  pourrait  établir  entre  les  lieu 
où  ils  étaient  établis  aux  Indes  et  l'Egypte  où  ils  comptaient  de 
l'être  au  premier  jour,  »  et  il  s'empressait  d'écrire  .\  la  Chambn 
qu'il  paraissiiit  chargé  surtout  de  prendre  à  Moka  «  les  intormatio 
nécessaires  pour  y  fliire  un  établissement  à  la  faveur  duquel  les 
Anglais  pourraient  venir,  tous  les  ans,  charger  les  cafés  qu'ils 
croiraient  pouvoir  se  consommer  dans  l'Europe;  »  il  avait  décidé  un 
marchand  du  Caire  A  faire  à  sa  suite  le  voyage  de  Moka  pour  épier 
ses  démarches  et  il  demandait  à  la  Chambre  si  elle  approuverai:  de 
grosses  donatives  pour  laire  éclioucr  le  dessein  des  Anglais*. 

Ces  projets  n'eurent  aucune  suite,  mais  il  n'en  fut  pas  de  tnème 
de  ceux  qu'il  exposait  au  sujet  de  l'Ethiopie.  Il  informait  la  cour  que 


i 


(I)  Voir  ccj  iiiiimoircs  de  Maillet  d.ms  N'OKi.,  t.  II,  p.  221-25.  M''S  ^'-  Nocl 
rcï»arde  A  tort  les  idées  exposées  par  de  Maillet  comme  étant  origin.iles.  Oairou^vj 
cependant  dans  ces  mémoires  des  vues  nouvelles  et  ingénieuses  sur  les  moyens  de  ] 
faire  réussir  cette  affaire  et  de  triompher  de  lliostilité  des  Turcs.  Il  fallait,  selon 
lui,  user  de  patience  et  s'introduire  peu  à  peu  et  sans  bruit  dans  la  mer   Ruuge. 
Son  avis  était  «  d'entretenir  une  tart.ine  d'avis  pour  taire  passer  à  Surate  ou  ail- 
leurs dés  nouvelles  »  en  donnant  pour  prétexte  de  cette  organisation  l'importance 
du  conmierce  de  la  France  avec  les  Indes  et  le  désir  des  marchands  d'avoir  plus 
prompicment  des  nouvelles  de  leurs  vaisseaux  qui  devaient  passer  le  G\p.  «  On 
éviterait  ainsi,  avec  un  si  f;iiblc  commencement,  les  inconvénients  de  la  jalousie 
des  marchands  d'ici,  et,  entîn,  ce  serait  beaucoup  d'introduire  la  coutume  de  voir 
de  nos  b.Uimcnts  sur  la  mer  Kouge;  cette  coutume  est  toute  puissante  parmi  co    ^ 
gciii  li...  il  n'y  J  qu'à  trouver  les  vt)ies  d'en  faire  naître  de  nouvelles...  »  La  Ur- 
tane  commencerait  par  faire  un  commerce  restreint,  puis  0  deviendrait  barbue  en 
peu  de  temps,  et  la  barque  donnerait  lieu  à  une  seconde.  » 

(a)  LeUieà  la  Chunbrc,  w  mai  i6^S.  AA,  JV4. 


RÉFORMES   ET    PROJETS 


32) 


chaque  année  deux  caravanes  considérables  partaient  du  Ctire  pour 
Scnnaar,  capitale  du  pays  de  Fungi  ou  Nubie,  et  que  des  négociants 
turcs  vêtaient  établis  et  y  trafiquaient  en  toute  sécurité.  Toutefois, 
il  marquait  s;i  prétérence  pour  une  route  partant  de  Suez,  touchant 
i  Djeddah  et  aboutisxint  à  Massaouah.  L'envoi  de  ces  mémoires 
coïncida  avec  l'arrivée  au  Caire  d'un  envoyé  du  roi  d'Ethiopie  qui 
venait  y  chercher  un  médecin  pour  son  maître  ;  de  Maillet  fit 
accompagner  le  médecin  par  un  Jésuite  et  peu  après  deux  mission- 
naires les  suivirent.  Depuis  longtemps,  en  effet,  des  religieux  avaient 
pénétré  en  Ethiopie  et  y  avaient  iait  des  établissements,  car  le  consul 
du  dire  écrivait  déjà  à  lîouthillicr,  le  12  mai  1630,  que  les  pères 
jésuites  partis  pour  l'Ethiopie  avaient  failli  être  mis  ;\  mort  au  Caire 
où  on  les  avait  (Itit  passer  pour  des  espions  du  roi  d'Espagne'.  Ce 
furent  sans  doute  ces  Européens  qui  décidèrent  le  souverain  éthio- 
pien à  envoyer  un  ambassadeur  A  Louis  XIV  en  1701.  Le  roi, 
craignant  d'être  obligé  ."i  des  dépenses  considérables,  donna  pour 
instructions  au  consul  du  Caire  de  le  retenir.  Cependant,  l'envoyé 
fit  parvenir  au  roi  et  au  pape  deu.x^  lettres  de  son  maître  où  il  était 
question  de  s;i  conversion,  et  îc  pape  envoya  en  Ethiopie  deux  reli- 
gieux Italiens  qui  revinrent  sans  avoir  rien  conclu.  Leur  échec 
faisait  douter  de  la  conversion  du  roi,  mais  leur  retour  prouvait  que 
le  voyage  pouvait  s'accomplir  sans  grand  danger. 

Pendant  ce  temps  les  mémoires  du  consul  de  Maillet  avaient 
décidé  la  cour  de  France  X  envoyer  une  mission  en  Ethiopie  pour 
profiter  des  bonnes  dispositions  du  souverain*.  Elle  fut  confiée  au 
sieur  Le  Noir  du  Roule,  ancien  consul  de  Satalie  et  vice-consul 
d'Alexandrie,  qui  avait  lait  un  long  séjour  chez  les  Turcs.  Il  partit 
au  mois  d'août  1703^  mais  dut  attendre  longtemps  en  Egypte  \  cause 
des  obstacles  qu'il  rencontra.  La  nation  du  Caire  devait  lui  avancei 
10.000  livres  pour  préparer  son  voyage  et  il  lui  était  alloué  par  les 
lettres  du  roi  18.000  livres  par  an  d'appointements,  pendant  sa 
mission,  ainsi  que  1060  livres  au  sieur  Poucet  qui  l'accompagnait. 
Mais  les  marchands  regrettaient  ces  dépenses,  pour  un  projet  bien 

t(i)  .•/.•?,  t4j.  — Il  avait  dépense  7  ou  S. 000  piastres  pour  leur  s.iuvcr  ]a  vie. 
(2)  On  avait  commence  par  envoyer  les  Jésuites  s'établir  ,iu  Caire  pour  être 
prêts  ensuite  à  envoyer  des  missionnaires:  «  Le  roi  nous  ayant  ordonné  de  venir 
uire  un  établissement  au  Caire  pour  faciliter  les  desseins  que  nous  avons  avec  le 
lemps  de  passer  en  des  pays  plus  éloignés  pour  porter  l'évangile.  1»  Lettu  du  P. 
Vti^ii,jciitiU,  }0  oeUii<rt'i6')i).  A  A,  }04. 


^26 


LA    CRISE 


hasardeux  et  inspirt'  par  leur  consul  avec  lequel  ils  étaient  en  violenté 
querelle,  aussi  ninutrèrcnt-ils  beaucoup  de  malveillance  pour  la 
mission'.  En  mùnic  lenips,  il  avait  fallu  solliciter  un  passe  pi)  rt  i  la 
Porte,  l'ambassadeur  l'obtint,  non  sans  difficulté,  il  avait  dû  en 
parler  cinq  fois  au  grand  vizir  et  écrivait  qu'il  aurait  obtenu  plus 
facilement  une  grâce  de  grande  considération*.  Du  Roule  ne  partit 
donc  du  dire  qu'en  juillet  1704  et,  tantôt  en  suivant  le  Nil,  tantôt 
en  traversant  les  déserts,  il  parvint  à  la  fin  de  mai  1705  à  Sennaar, 
dont  le  souverain  parut  d'abord  bien  l'accueillir.  Mais  celui-ci  refijsa 
de  le  laisser  continuer  sa  route,  malgré  l'ordre  du  roi  d'Ethiopie  et 
du  Roule  finit  par  être  assassiné  A  Sennaar  avec  toute  sa  suite.  Ce 
désastre  mit  fin  pour  longtemps  aux  relations  entre  les  nations 
chrétiennes  de  l'Europe  et  l'Ethiopie,  l'Abysslnie  d'aujourd'hui. 

Les  efforts  du  gouvernement  de  Louis  XIV  du  c6té  de  la  Perse 
furent  plus  heureux;  depuis  longtemps,  des  marchands  français  y 
étaient  venus  trafiquer  et  même  s'y  étaient  établis.  Tavernier,  en 
1639,  trouva  un  certain  nombre  de  Français  établis  à  Ispahan  et  les 
remplit  de  joie  par  la  nouvelle  de  la  naissance  du  Dauphin,  il  celé- J 
bra  avec  eux  de  grandes  réjouissances,  sans  même  avoir  besoin  de 
demander  la  permission  comme  en  Turquie,  parce  que  les  Français 
«  étaient  tout  à  iait  bien  venus  en  Perse*.  »  Ce  fiimeux  voya- 
geur, après  y  être  retourné  à  plusieurs  reprises  pour  ses  affaires, 
décrivit  la  Perse  dans  des  relations  de  voyage  qui  firent  le  tour  de 
l'Europe  et  plusieurs  autres  voyageurs  français  écrivirent  après  lui 
des  relations  sur  ce  pays.  Mais  la  première  ambassade  ayant  un 
caractère  officiel  fut  celle  envoyée  en   1664  par  la  nouvelle  Com- 


(1)  V.  Lellre  des  DcpuUs  de  lit  nation  du  27  mai  I/04.  AA,  jso. 

(2)  AA,  ifo.  1;  Jtiilltl  1J04.  —  Pour  cette  affaire,  voir  lettres  ,i  de  Maillet, 
consul  du  Caire,  }o  juiUel  lôt^S,  /j  mai  ijoi,  etc.  Depping,  t  IV,  181-187. — 
Lellu-^  de  Poittclutiratii  (BB,  S),  ff  août  tj02,  16  mai  JJO},  1^  iwvrmhre  1^04): 
Hcius  qu'on  a  fait  constamment  au  Caire  de  fournir  aucun  secours  au  sieur  tlu 
Roule  pour  le  voyage  d'Ethiopie.  —  A  son  départ  il  n"a  été  accompngnt  par 
aucun  marchand  français, pendant  que  les  étrangers  et  tous  les  religieux  lui  ont 
fait  tout  l'honneur  qu'il  devait  attendre  des  sujets  du  roi,  —  Pour  la  suite  du 
voyage,  voir  V"'  de  Caix  de  Sain  r-AvMOUR  :  Histoin  d/s  relaliom  de  la  F'ana 
atw  TAbyssinie  cMtitnnt  sous  les  règnes  d<  Louii  XIIJ  et  de  Louis  XIV. 

I;)  TAVERN'itR,  t.  I,  p.  159. —  Cf.  La  Bol'i.laye  le  Goez  :  Il  trouve  a  hpi- 
han  en  1648  deux  capucins  français,  le  procureur  général  des  Jésuites,  très  connu 
dans  la  ville,  un  norm.md,  liorlogeur  du  schah,  un  gentilhomme  normand,  dcu» 
facteurs  anglais  ;  deux  joailliers  huguenots  français  dont  l'un  associé  de  Tavernier^  ' 
—  Il  rencontre  deux  Français  à  Hendcr-.\bbas,  —  p.  ^14-28  et  119. 


RÉFORMES  ET   PROJETS 


^7 


ignie  des  Indes'.  Elle  était  composée  de  trois  marchands  et  deuK 
►eiiiilshoniines  et  portait  une  Ifttre  dt-  Louis  XIV  au  sc!i;\h,  le  priant 
le  bien  accutilir  les  1-rançius.  La  réussite  de  cette  mission  ne  pouvait 
^tre  que  nuisible,  il  est  vrai,  au  commerce  du  Levant,  cir  il  s'agis- 
-lit  de  détourner  vers  le  fjolfe  Persique  et  vers  Surate,  centre  des 
jpérations  de  la  Compagnie,  le  commerce  de  la  Perse  qui  était  fait 
:n  grande  partie  par  les  caravanes  de  Smyrnc  et  d'Alep;  depuis 
longtemps  les  Compagnies  des  Indes  anglaise  et  hollandaise  pour- 
'suîvaient  le  même  but*.  La  mission  arriva  à  Ispahan  en  juillet  1665, 
obtint  un  accueil  favorable  et  conclut  un  traité  par  lequel  le  schah 
iccordait  à  la  Compagnie  la  remise  des  droits  de  douane  de  Bender 
Lbbas  pendant  trois  ans,  ;\  charge  de  lui  donner  un  présent  qui  éga- 
lerait cette  remise.  D'autres  députés  se  firent  accorder  en  1674  la 
même  exemption  sans  limite  de  temps,  après  avoir  toutefois  dépensé 
200.000  écus  en  frais  de  voyages  et  de  présents*. 

Ces  dépenses  furent  inutiles,  car  la  Compagnie  du  Levant  ne  fut 
pas  en  état  de  profiter  de  ce  privilège.  D'ailleurs,  l'édit  de  mars 
^k669  avait  déclaré  que  les  soies,  le  grand  article  d'exportation  de  la 
^B^erse,  ne  pourraient  entrer  dans  le  roy.iumc  que  par  Marseille,  et  en 
^Rnterdisait  par  conséquent  le  commerce  à  la  Compagnie.  Ces  mis- 
^■Kîons  ne  firent  donc  que  consolider  en  Perse  l'influence  française  et 
prorttèrent  ainsi  au  commerce  du  Levant,  bien  que  tel  n'ait  pas  été 

t(t)  Le  voy.igour  Poiillct,  qui  rcsu  dans  le  Luvaiu  Je  1655  A  i66j,  adressa  à  de 
^  Croix,  secrétaire  et  intcrprcte  du  roi,  une  histoire  des  Anglais  et  des  Hollan- 
jis  dans  le  Levant.  C'est  en  grande  partie  une  dissertation  sur  le  commerce  des 
mglais  et  des  Hollandais  en  Perse    —  11  serait  facile,  disail-ii,  d'y  introduire  les 
'r.inçais,  car  les  Anglais  et  les  Hollandais  sont  fort  mal  vus,  surtout  des  .\rmé- 
icns  qui  sont  maîtres  du  commerce  et  qu'ils  ont  écartés  de  leurs  ports.  Le  soplii 
ne  demande  qu";i  empêcher  le  commerce  de  ses  terres  de  passer  par  la  Turquie  et 
attirer  même  le   commerce    de  l'Asic-Mineure  vers    ses  ports.  Les  Arméniens, 
ionl  les  Italiens  se  servent  comme  de  facteurs,  portent  les  soies  à  Livoume  et  à 
^cnise.  Il  faudrait  les  admettre  .lussi  comme  facteurs  et  leur  faire  prendre  le  chemin 
Je  Madagascnr.   —  Poullct  insiste  sur  les  moyens  de   peupler  Madagascar,  de  la 
".Ttiliser.   —  Il  faut  prendre  la  route  des  Indes  par  l'Océan  et  quitter  celle  delà 
'urquie  où  le  commerce   est  désavantageux  par  les  engagements  des  échelles, 
par  l'argent  qu'on  v  porte.  Pouilht,  p.  448.  —  Ces  curieux  mémoires  ont  pu, 
tition  inspirer  la  mission  en  Perse,  du  moins  contribuer  à  la  faire  entreprendre. 

(2)  V.  SavaRY.  Diction,  du  commerce,  ço\.  noo-iioî  :   Les  Anglais  commen- 
cèrent à    faire   le  commerce  de  la   Perse   par  le   golfe  Persique  en  1613.  — Ils 
aident  scluli  Ahbas  à  reprendre  Ormuz  au.x  Portugais  en  1622.  —  Omiuz  démolie 
f«st  remplacée  par  Bender  Abb.is,  n  le  port  de  toute  la  Perse  et  peut-être  de  toute 
M'Amc  où  il  se  tait  le  plus  grand  commerce.  »  —  Les  Hollandais  paraissent  dix  ans 
Y«prts  les   Anglais,  l'emportent  bientôt  sur  eux.  Les  Frans^ais  n'apparaissent  qu'en 
1664. 
())  Savary.  Diclionn.  Ibid. 


328 


LA   CRISB 


leur  but.  C'est  avec  la  mission  de  1664  que  l'Illustre  voyageur  Char- 
din fît  en  Perse  son  premier  voyage*;  le  schah  le  nomma  son  mar- 
chand par  des  lettres  patentes  de  1666,  et,  associé  avec  un  marchand 
lyonnais,  il  entreprit  par  les  caravanes  de  Smyrne  un  commerce] 
important  consistant  surtout  eu  bijoux  et  orfèvrerie.  En  1681,  les! 
chrctiens  de  Perse,  se  sentant  menacés,  pensèrent  que  leur  ruine] 
ne  pouvait  être  conjurée  que  par  l'envoi  d'une  ambassade  du  roi  trùs-j 
chrétien.  Ils  envoyèrent  deux  jacobins  trouver  M.  Piquet,  ancienj 
consul  d'Alep,  entré  dans  les  missions  étrangères  et  devenu  «  évèquc 
de  Césarople,  vicaire  apostolique  de  Babilone  (Bagdad)  et  visiteur 
général  des  missions  en  Orient.  »  L'cvôque  entra  dans  leurs  vues  etfl 
écrivit  à  Colbert  qui  le  fit  envoyer  à  Ispahan  comme  ambassadeur 
du  roi  en  1681.  M.  Piquet  fut  bien  accueilli  h  Ispahan,  où  il  demeura 
plus  d'une  année  en  1682-83,  et,  bien  que  sa  mission  eût  surtout 
un  but  religieux,  il  ne  manqua  pas  de  s'occuper  des  intérêts  JiitM 
commerce  qu'il  connaissait  à  fond  *.  " 

Mais,  pour  la  première  fois,  pendant  la  guerre  de  succession,  il  fut 
question  de  laire  avec  la  Perse  un  traité  de  commerce  et  d'y  établir 
à  demeure  des  maisons  de  commerce  françaises.  En  1704,  Pont- 
chartrain  écrivait  i  la  Chambre  :  «  S.  M.  envoie  le  sieur  J.-B. 
Fabre  en  Perse  pour  examiner  les  moyens  d'y  introduire  les  mar- 
chandises et  manufactures  du  royaume  et  lever  les  obstacles  qui  M 
peuvent  s'y  opposer  pour  entrer,  s'il  est  possible,  en  concurrence' 
avec  le  commerce  qu'y  font  les  Anglais  et  les  Hollandais.  Vous  con- 

fércrez  avec  lui  sur  les  notions  que  vous  pouvez  en  avoir Mandez  ■ 

aux  députés  de  la  nation  d'Alep  de  lui  faire  compter  neuf  mille 
hvres  sur  ses  appointements  quand  il  y  passera  et  six  mille  livres  au 
retour  *.  »  Fabre,  le  frère  de  l'ancien  directeur  de  la  Compagnie  de  ■ 
la  Méditerranée,  qui  représentait  alors  la  ville  de  Marseille  au  conseil 
de  commerce,  fut  sans  doute  chargé  de  cette  mission  à  sa  recom- 
mandation. Il  avait  été  longtemps  le  principal  marchand  de  l'échelle 
de  Constantinople  et  connaiss;ùt  donc  bien  les  affaires  du  Levant. 
Fabre  s'embarqua  pour  ;\lep  avec  une  suite  considér.ible  de  52  per- 
sonnes en  1705,  mais  le  pacha  ne  voulut  pas  le  laisser  continuer 

(i)  Chardis,  t.  I,  p.  I. 

(2)  V.  D'Arvieux,  t.  VI,  p.    J2S-i$î,  sa  correspondance  avec  M.  Piquet 
Ispahan. 

())  13  août  1704.  —  LiUrtdt  ChamiUail,6  ao&t  1704.  BB,  8),  — LaQunib«-« 
adresse  de  très  humbles  .nctions  de  grices  à  Pontchartrain,  ij  nov,  J/04.  BB,  i  p. 


RÉFORMES   ET   PROJETS 


329 


son  voyage  sans  un  ordre  exprès  de  la  Porte,  car  «  il  était  inouï, 
écrivait  le  consul,  que  personne  eût  passé  en  Perse  avec  une 
suite  aussi  considérable  et  des  habits  à  la  Française  '.  »  Parti  enfin 
d'Alep,  il  eut  \  dé-jouer  une  série  d'embûches  qu'il  s'attira  en  partie 
par  sa  maladresse,  et  finit  par  aller  mourir  A  Erivan ,  empoisonné 
dit-on.  Sa  maîtresse,  Marie  Petit,  qui  l'avait  accompagné  vêtue  en 
homme,  se  remit  en  route  avec  son  jeune  fils,  arriva  h  Ispalian  où 
elle  fit  une  entrée  triomphale,  présenta  son  fils  comme  le  successeur 
de  son  père  et  remit  en  son  nom  à  Hussein  schah  les  lettres  et  les 
présents  que  Louis  XIV  lui  destinait  *.  Aprî.'s  des  fêtes  brillantes  et 
des  réceptions  magnifiques  elle  revint  en  France  et  débarqua  à  Mar- 

Pscille  le  8  février  1709. 
Dès  la  mort  de  Fabre,  l'ambassadeur,  M.  de  berriol,  avait  orga- 
nisé une  nouvelle  mission,  afin  d'engager  de  sérieuses  négociations. 
Le  sieur  Michel,  son  envoyé,  partit  aux  frais  de  la  Chambre  de  Mar- 
seille, réussit  très  bien  dans  s;i  mission,  signa  avec  le  schah  un 
traité  de  commerce  en  1708  et  revint  en  France  au  début  de  1710', 
Les  désastres  de  la  guerre  de  succession  empêchèrent  les  marchands 
de  profiter  de  ces  succès,  mais  le  schah  répondit  aux  avances  de 
Louis  XIV  par  l'envoi  de  la  première  ambassade  persane  qu'on  ait 

»v-uc  en  France.  L'envoyé  persan  arriva  A  Marseille  le  23  octobre 
17 14  et  alla  à  Versailles  le  19  février  17 15  offrir  i  Louis  XIV 
les  hommages  de  son  souverain.  Il  était  chargé  d'entamer  des  négo- 
ciations pour  la  conclusion  définitive  d'un  traité  de  commerce. 
•  Vous  êtes  sans  doute  info/"més,  écrivait  Pontchanrain  à  la  Cham- 
bre, par  le  sieur  Philip,  votre  député  au  conseil  du  commerce,  des 
conditions  que  l'on  propose  d'exiger  de  l'ambassadeur  qui  est  \ 
Paris,  muni  des  pouvoirs  indéfinis  du  sophi,  pour  procurer  de  plus 
grands  avantages  aux  négociants  de  Provence  qui  voudront  commer- 
cer en  Perse  par  les  caravanes  de  Turquie  ou  par  la  mer  Noire.... 
Faites  savoir  si  vous  connaissez  encore  quelque  ch<.>se  d'essentiel  à 
demander....  On  va  mettre  incessamment  la  dernière  main  à  l'inter- 
prétation que  l'on  juge  ."i  propos  de  donner  à  quelques  articles  du 
traité  signé  Alspalian  par  le  sieur  Michel  en  1708 On  stipulequ'il 

(t)  S  juin  ijnf.  —  Cf.  i<^'  mai  170}.  AA,  jôj. 

{2)  M.  Noël,  qui  raconte  en  détail  le  voyage  de  Fabre  (t.  II,  p,  215),  ne  par  le 
pas  de  la  mission  de  Micliel. 

(^)  La  Chambre  acquiite  une  lettre  de  change  de  16.000  liv.  tirée  par  l'ambas- 
sadeur, «/>/.  1708.  Bti,  S}.  —  22  jiinv.  tjio.  BB,  tS). 


?30  LA    CRISE 

sera  fourni  du  domaine  du  sophi  des  logements  et  magasins  amples 
et  commodes  dans  les  lieux  de  la  frontière  de  Perse  en  Turquie  où 
les  marchands  voudront  établir  des  comptoirs  avec  un  consul.... 
Toutes  marchandises  d'entrée  et  sortie  sans  exception  pour  compte 
des  sujets  de  sa  Majesté,  attesté  par  le  certificat  d'un  consul,  seront 
exemptes  de  tous  droits,  et  même  de  la  visite  des  officiers  persans'.  » 

Tandis  que  le  conseil  royal  cherchait  à  ouvrir  de  nouvelles  voies 
au  commerce  en  Ethiopie  et  en  Perse  et  réussissait  à  obtenir  de 
l'envoyé  du  schah  des  avantiges  considérables,  Pontchartrain  parve- 
nait au  même  moment  à  établir  définitivement  un  consul  à  Jérusa- 
lem. Deshayes,  l'envoyé  de  Louis  XIII^  y  avait  réussi  en  1621  ; 
depuis  on  y  avait  vainement  songé  ;  Pontchartrain  ne  fut  d'abord 
guère  heureux  dans  sa  tentative;  M.  Brémond,  qu'il  chargea  d'éta- 
blir le  consulat,  fut  à  peine  arrivé  à  Jérusalem,  en  mars  1700,  qu'il 
fut  obligé  d'en  partir  à  la  suite  des  vexations  du  pacha,  encouragé 
par  les  intrigues  des  Pères  de  Terre  Sainte  inquiets  pour  leur 
influence.  Les  soucis  de  la  guerre  de  succession  firent  négliger  cet 
établissement,  mais  dès  17 13,  un  nouveau  consul,  M.  deBlacas,  fut 
envoyé  à  Jérusalem  et  réussit  cette  fois  à  s'y  maintenir  *.  Cjc  n'était 
pas  un  succès  commercial,  le  consul  était  chargé  uniquement  de 
maintenir  l'influence  des  latins  en  Terre  Sainte  et  de  veiller  à 
l'entretien  des  Lieux  Saints,  mais  son  établissement  ne  fut  pas  sans 
affermir  notre  prestige  auprès  des  populations  de  la  Syrie. 

On  ne  voyait  pas  seulement  des  missions  diplomatiques  et  com- 
merciales parcourir  le  Levant  aux  frais  du  roi  et  du  commerce,  mais 
aussi  des  savants,  chargés  de  faire  diverses  études  dans  ces  pays.  En 
1700,  Pontchartrain  chargeait  le  botaniste  Tournefort  d'un  voyage 
en  Levant,  «  pour  travailler  sur  les  plantes  et  sur  les  autres  parties 
de  l'histoire  naturelle  »,  et  ordonnait  ;\  la  Chambre  de  Marseille  de 
lui  donner  des  lettres  de  crédit  sur  les  échelles,  jusqu'à  concurrence 
de  10.000  livres*.  En  1714,  «  le  sieur  Paul  Lucas,  médecin,  passait 

(i)  29  mai  lyi').  BB,  Sj.  —  L'  constil  (Us  di'pi'dvs  l'i  la  Chamhn- ,  79  ixt.  lyij  : 
«  1,0  Conseil  de  régence  ayant  jugé.i  propos  d  établir  A  Marseille  un  consul  per- 
san, suivant  1«  traité  fait  avec  le  sophi,  a  ordonné  au  conseil  du  dedans  du 
royaume  de  vous  mander  de  fournir  au  dit  consul  une  maison  convenable  à  son 
état  et  proportionnée  à  son  équipage.  »  Signé  d'Antin. 

(2)  V.  ^A.  ;>j,  la  correspondance  de  ces  consuls.  —  Récit  très  curieux  de 
Brémond  qui  raconte  ses  mésaventures  ù  Jérus.ilem. 

(3)  j  mars  ijoo.  Bli,  Sj.  —  La  relation  de  Tournefort  est  adressée  à  Pont- 
chartrain. 


RÉFORMES   ET   PROJETS  33  I 

en  Levant  par  ordre  de  S.  M.,  pour  chercher  des  médailles  et  autres 
pièces  rares  pour  les  cabinets  de  S.  M.  ;  la  Chambre  devait  lui  fournir 
sans  retard  des  lettres  de  crédit  jusqu'à  la  concurrence  de  3000  pias- 
tres sur  la  nation  de  Constantinople,  autant  sur  Smyrne  et  2000  sur 
Salonique  et  le  Qire  '.  »  Si  le  commerce  contribuait  pour  des  som- 
mes considérables  aux  frais  de  ces  voyages  c'est  qu'ils  n'étaient  pas 
complètement  étrangers  aux  intérêts  du  négoce  :  «  le  sieur  Lucas, 
écrivait  Pontchartrain,  est  chargé  de  diverses  choses  entre  lesquelles 
il  y  en  a  plusieurs  qui  regardent  le  commerce  *.  »  On  ne  peut  s'em- 
pêcher d'admirer  la  hauteur  de  vues  du  gouvernement  de  Louis  XIV 
qui,  malgré  la  pénurie  des  finances,  ne  ménageait  pas  l'argent  pour 
développer  l'influence  de  la  France  en  Orient  et  en  trouvait  même 
pour  doter  généreusement  des  missions  scientifiques. 

(i)  i"  mai  I-JI4.  BB,  8j. 
(2)  j8  nmi  1714.  BB,  5$. 


CHAPITRE   IX 

LA    CRISE    (17OI-I715) 

II.  —  Les  maux  de  la  guerre  de  succession. 
III.  —  L(i  reprise  des  affaires. 

Malheureusement  les  maux  causes  par  la  nouvelle  guerre  rendirent 
inutiles  les  efforts  du  gouvernement  pour  foire  prospérer  le  com- 
merce. L'alliance  de  la  France  avec  l'Espagne  ne  lui  fut  pas  utile 
autant  qu'on  aurait  pu  l'espérer.  Seul  le  commerce  avec  les  Pays-Bas 
espagnols  prit  un  grand  développement.  L'intendant  de  la  Flandre 
maritime  écrivait  à  Chamillartle  51  octobre  1703  :  «  On  me  mande 
de  Lille  que  l'on  s'y  aperçoit  de  l'interdiction  du  commerce  avec  la 
Hollande  et  que  les  négociants  d'Anvers  et  des  autres  villes  des 
Pays-Bas  espagnols  tirent  de  la  Flandre  française  les  cotons,  soies, 
huiles,  riz,  café  et  autres  marchandises  du  Levant,  qu'ils  tiraient  de 
Hollande.  On  m'ajoute  que  le  change  de  Lille  à  Anvers  est  déj;\ 
diminué  de  4  0/0  et  un  capitaine  de  frégate  de  Dunkerque,  qui  est 
présentement  ;\  Marseille,  mande  que  l'on  s'y  empresse  de  charger 
pour  Dunkerque  i\  100  sols  par  quintal  de  fret,  au  lieu  qu'il  y  a  trois 
semaines,  à  peine  il  trouvait  de  quoi  charger  A  3  livres  10  sols  '.  »  En 
Espagne  Philippe  V  accorda  aux  marchands  français  des  privilèges 
importants  :  deux  décrets  de  1703  défendirent  aux  juges  et  officiers 
de  contrebande  de  visiter  les  bâtiments  français  et  d'exiger  aucun 
droit  sur  les  marchandises  permises  venant  du  ro3'aume,  ou  sur  les 
marchandises  des  prises  foites  par  les  corsaires*.  En  même  temps  la 

(i)  BoisLiSLK.  Corresp.  t.  II,  512.  • 

(2)  Il  juillet  jyo}.  BB,S). 


LES   MAUX    DE   LA   GUERRE 


333 


Chambre,  sur  les  ordres  de  Pontchartrain,  dressa  des  mémoires  sur 
les  moyens  d'c'tablir  le  commerce  de  Marseille  à  Messine.  M.iis  les 
Marseillais  abusèrent  des  privilèges  qu'on  leur  avait  accurdés  pour 
tiirc  une  contrebande  active  ;  le  conseil  d'Aragon,  le  vice-roi  de 
Naples  firent  des  remontrances  ;  des  incidents  ftcheux  se  produisi- 
rent dans  tous  les  ports  entre  les  Français  et  la  population,  l'irriia- 
rion  grandit  peu  à  peu  contre  eux  et  ne  fut  pas  étrangîrre  à  l'accueil 
que  reçut  l'archiduc  Charles  en  lyoé.  Les  deux  principaux  ports, 
Barcelone  et  Valence,  furent  tout  dévoués  ù  s;i  cause:  «  les  habi- 
tants de  Valence  pillèrent  les  effets  des  marchands  français  après  en 
avoir  traité  plusieurs  avec  la  dernière  dureté.  >•  Alicante  tomba  aussi 
entre  les  mains  de  l'archiduc  ;  les  Génois  en  profitèrent  pour  faire 
tout  le  commerce  entre  ces  ports  et  le  Levant.  Carthagène,  reprise 
par  les  troupes  de  Philippe  V  à  la  fin  de  1706,  resta  seule  ouverte 
bu  commerce  français  et  les  Marseillais  furent  désormais  réduits  i 
emprunter  les  b.\timents  des  neutres,  comme  pendant  les  guerres 
précédentes,  pour  ne  pas  renoncer  entièrement  à  leur  négoce.  Pour 
plus  de  sûreté  Louis  XIV  donna  même  des  passeports  A  des  navires 
ennemis  qui  vinrent  charger  il  Marseille  et  Philippe  V  poussa  la 
condescendance  iusqu'.\  détendre  aux  corsaires  espagnols  de  prendre 
aucun  des  bâtiments  qui  en  étaient  munis'. 
^  D'un  autre  côté,  la  misère  de  l'Espagne  arrivée  à  son  comble,  les 
invasions  qu'y  firent  l'archiduc  Charles  et  les  Anglais,  la  guerre  civile 
qui  necessa  de  la  désoler,  diminuèrent  considérablement  lecommerce 
de  ce  pays.  L'argent  monnayé  tiré  d'Amérique  dut  ser\'ir  aux  dé- 
penses de  la  guerre,  au  lieu  d'être  employé  en  achats  de  produits  du 
Levant;  dès  170},  un  décret  du  roi  Catholique  décida  de  se  servir  des 
piastres  de  la  flotte  des  Indes  par  forme  d'emprunt.  «  S'il  est  exécuté, 
écrivait  la  Chambre,  ce  sera  la  ruine  du  commerce  nvtc  l'Espagne  et 
avec  le  Levant*.  »  En  effet  la  rareté  des  piastres  ;\  Marseille  occa- 
sionna une  grande  gène;  en  1703,  au  lieu  de  trois  livres  qu'elles 
■niaient  couramment,  elles  étaient  achetées  quatre  livres.  Bientôt 
rinsécurité  de  la  mer  fit  qu'on  n'en  reçut  plus  par  cette  voie  et  il 
lilut  les  faire  venir  de  Lyon,  où  elles  étaient  envoyées  de  Bayonne 


(i)  Pour  tous  an  f.iits,  voir  une  série  de  lettres  de  Pontclurtrain  de  170}  h 
I708.  BB,  S}  (Il  juillet,  12  septembre  170}  :  4  mars  170J,  12  août  lyoj  ; 
K  avril.  22  décembre  1706;  16  février  1707;  4  janvier  1708,  etc.). 

(2)  2  avril  lyoj.  BB,  2tj. 


3  34  LA    CRISE 

t't  d'Oloron  par  Bordeaux  et  par  Toulouse'.  Le  7  janvier  1706, 
Lebret   rc^iit  Tordro'  du  contrôleur  gémirai  d'en  empêcher  l'cxpor-m 
talion  et  de  diriger  ces  espèces,  soit  sur  Paris,  soit  sur  les  hôtels  des^ 
monnaies.  La  Chambre,  appuyée  par  l'intendant,  demanda  en  vain 
que  Marseille  fut  exemptée  de  l'arrêt  portant  dccri  des  réaux    d'Es- 
pagne, et  de  l'obligation  de  porter  toutes  les  matières  aux  monnaicb 
Chaniill.irt  répondit  «  qu'il  accordait  aux  Marseillais  une  permission' 
spéciale  pour  faire  transporter  en  Levant  les  matières  d'argent  qu'i 
faisaient  venir  par  la  même  voie,  mais  que  la  franchise  de  leur  po 
ne  saurait  aller  jusqu'à  y  attirer  pour  l'exportation  les  matières  intro 
duites  par  d'autres  endroits  dans  le  royaume  *.   »  Aussi   les  piastres 
atteignirent  elles  un  prix  extraordinaire  et  la  Chambre  en  souffrait 
vivement  quand  il  s'agissait  de  faire  des  envois  d'argent  aux  échelles 
pour  payer  leurs  dépenses  et  leurs  dettes". 

A  cause  de  la  fermeture  des  marchés  étrangers  et  de  l'insuffisance; 
croissante  de  la  consommation  française,  diminuée  de  plus  en  plu 
par  les  progrès  de  la  misère  et  de  la  ruine  des   manufactures,  les' 
Marseillais  ne   trouvaient  plus  de  débit  pour  les   marchandises  du 
Levant,  qui  restaient  accumulées  dans  leurs  magasins.  Avant   li 
guerre  mèniej  l'essor  subit  qu'avait  pris  le  commerce  depuis  169 
avait  amené  tout  à  coup  à  Marseille  des  quantités  considérables  de 
marchandises  qui  n'avaient  pu  être  débitées  *.  La  guerre  fit  dégé 
nérer  ce  malaise  en  une  crise  aiguë  ;  cependant  des  arrêts  du  con 
seil  renouvelèrent  à  plusieurs  reprises  avec   une  sévérité  croiss.mtc 
la  défense  de  commercer  avec  les  ennemis  et  de  faire  entrer  leu 
marchandises  dans  le    royaume  et  Chamillart  avertit  la  Chambre 
qu'il  faisait  faire  une  surveillance  extraordinaire  ■'.  11   crut  remédier 
il  l'interruption  de  notre   commerce  avec   les  pays  du  Nord,  en 
attirant  dans  nos  ports  les  Danois  et  les  Suédois  par  l'exemption  du 


u 


(1)  M.  de  Sailli- Maurice,  eommissaire  général  de  la  Cour  dts  nionnaits  à  Lyon,  i  I 
Cfiamilhrl,  22  septembre  fjo}.  —  «  La  plupart  des  courtiers  m'ont  dit  qu'il  v 
avait  djiis  Lyon  pour  plus  de  a.soo.ixx)  livres  de  piastres  et  même  d/ivantjgc.. 
Toutes  les  piastres  sont  renvoyées  à  Marseille,  d'où  le  commerce  trouve  grauJ~ 
profil  à  les  faire  passer  en  Le^'ant.  »  Boislislk,  t.  H,  528  et  note. 

(a)  I"  janvier  i^ob,  Ltbret  à  Chamillart.  —  y  janvier,  Chimillart  à  Lebret,  id.  /•  1 
mars  fjoy.  —  Boislisle,  i.  II,  944,  1208  et  notes. 

(3)  3  juillet  tjii.  BB,  6. 

(4)  Lettre  de  Lebret  à  Chamillart.  Boislisle,  t.  II,  287.  —  Cl.  II,  487,  et  lett» 
Pûtiicharlrain  du  4  août  ijiu.  BB,  29. 

(5)  Arrêts  du  11  avril  tyo2,  3S  aoilt  fpoj,   tj  avril  1704.  BB,  f.  —  Lilsa^ ^ 
du  24  avril  1^114.  BB,  Sj. 


UsS   MAUX    DE    LA    GUKRRE 


33) 


droit  de  )0  sous  par  tonneau  sur  leurs  vaisseaux  qui  viendraient  en 
France  cliarycs  des  marcliandibcs  de  leur  crû  ei  qui  prendraient  en 
retour  des  marcliandises  franç.iises  *,  mais  on  ne  voit  pas  qu'il  soit 
venu  beaucoup  de  ces  navires  à  Marseille.  En  1705,  en  présence 
des  besoins  urgents  du  commerce,  des  arrêts  du  Conseil  permirent 
l'entrée  de  six  espèces  de  marchandises  de  Hollande*,  les  instances 
de  la  Cliambre  firent  munie  accorder  des  passeports  pour  quatre  bâti- 
ments hollandais,  «  dans  la  vue  de  procurer  les  moyens  d'envoyer 
au  dehors  les  marchandises  du  Levant,  dont  les  Marseillais  étaient 
surchargés*  »  ;  la  Chambre  demandait  cette  autorisation  pour  huit 
vaisseaux,  mais  la  Cour,  sous  prétexte  que  pendant  la  paix  il  ne  venait 
pas  autant  de  navires  hollandais  à  Marseille  ne  voulut  pas  l'accorder. 
Le  mauvais  effet  des  expédients  financiers  auxquels  eut  recours 
Chamillart,  aggrava  encore   la  situation  du  commerce.  Les  nom- 
breuses mutations  de  monnaies,  déjà  pratiquées  par  Pontchartrain, 
lui  enlevèrent  toute  sécurité*.  La   déclaration   royale  du    12   avril 
I  707,  ordonnant  que  les  billets  de  monnaie  seraient  re»;us  dans  tout 
Ji^  royaume,  et  qu'à  partir  du  20  mai  les  paiements  seraient  ^lits  un 
tiers  en  billets  de  monnaie  et  le  reste  en  argent  comptant,  suscita 
«Jc^s  plaintes  générales.  Les  marchands  du  Languedoc  écrivaient  que 
<:*^uit  la  plus  terrible  secousse  qu'on   pouvait  donner  au  négoce. 
il> 'après  l'intendant  Bâville,  on  suspendait  de  toutes  parts  les  opéra- 
ci  «:3ns  avec  l'étranger  \    La   Chambre  de  Marseille  rédigea  de  son 
oc^téle   2   mai  de  longues  remontrances  où  elle  atlirniait  que  le 
rars^anque  de  fonds  avait  causé  dans  la  ville,  «  depuis  environ  trois 
i»"a«is,  dix  A  douze  banqueroutes  pour  des  sommes  considérables*.  » 
dl«:Dmme  Chamillart  recevait  de  toutes  parts  des  plaintes  semblables, 
iE     «iécida,  par  un  arrêt  du  ro  mai  1707,  de  surseoir  i  l'exécution  de  la 
*î  «^<laration  du  12  avril,  mais  l'arrêt  du  Conseil  du  29  octobre,  ne  fit 


C  •)  ■■irrfti  du  14  juin,  iv  septembre  ijoj,  4  mats  ijo).  BU,  j. 
K  i)  Ces  marcli.iiuliscs,   comme   les  drogueries  et  épiceries,  èuient  nécessaires 
►  mjr  les    Assonimcins  des  ch.irgements  envoyés  d-ins  le  Levain  —  Lcllres    du 
■^      «s*wi/,  tô  juin  i/oj.  liU,  S}. 

C  Jl  /'  tiùvaiibre  tjo;,  /y  mai,  16  juin  iyo6.  DB,  S).  —  Cf.  Lettre  dt  PontcJxti- 
**"•*■*«  li  DaguciSfau.  27  avril  /707,  4  mai  fjoj.  BB,  S). 

C  4)  V.  Lettre  lie  Ltbrtttlu  20  juin  jjoi.  Boislislk,  t.  II,  287.  —  De  1701  i  1713, 
^1?'*  ne  compte  pas  moins  de  90  éditsou  arrôtsdu  Conseil  conceniatit  les  tiioniuics. 
"^^  '"•c//,  Comm.  (le  Murs.,  liiveiit.  clnonal. 

t  5)  3j  avril  tjoj,  2H  avril,  1;  cl  ;;  rrw»,  Boislisle,  t.  II,  ta}}"- 
»^     C  ^1  2  mai  i/Oj.  lioiSLisui;,  t  II,  IJ37.  —  La  remontrance  est  envoyée  aussi  à 
^*»itchartrain,  u  mai  lyoj.  Bli,  S;, 


33é  LA    CRISE 

qu'en  atténuer  la  gravite,  en  déclarant  que  les  paiements  devraient 
être  dits  un  quart  en  billets  de  monnaie'.  L'effet  fut  désastreux  ; 
Trudaine,  intendant  de  Lyon,  écrivait  au  ministre:  «  Je  rassure 
autant  que  je  puis  sur  la  crainte  qu'on  a  qu'il  ne  se  fasse  un  plus 
grand  nombre  de  billets  de  monnaie  que  ce  qu'il  en  reste  dans  le 
public...  l'argent  est  devenu  ici  si  rare  et  si  cher  que  les  affaires  du 
roi  ni  celles  du  commerce  ne  peuvent  se  soutenir  si  cela  ne  change... 
Enfin  tout  le  monde  est  si  prévenu  contre  les  billets  de  monnaie 
que  l'on  craint  une  cessation  générale  de  tout  le  commerce*.  » 
Malgré  ses  funestes  résultats  la  circulation  des  billets  de  monnaie 
dura  jusqu'à  la  fin  de  17 lo*. 

Le  commerce  de  Marseille  ne  pouvait  être  à  l'abri  des  multiples 
créations  d'offices,  onéreux  autant  qu'inutiles,  dont  la  vente  était 
une  des  ressources  principales  des  contrôleurs  généraux.  En  1704, 
Chamillart  songea  à  faire  des  consulats  des  offices  héréditaires  ; 
Lebret,  consulté  par  lui  sur  cette  innovation,  lui  répondit  ironique- 
ment que  les  effets  de  l'hérédité  ne  seraient  pas  plus  mauvais  que 
ceux  de  la  faveur  qui  présidait  actuellement  au  choix  des  consuls*. 
Chamillart  abandonna  son  idée,  il  écouta  encore  les  avis  contraires 
de  l'intendant  au  sujet  de  la  création  d'une  Chambre  souveraine  à 
Marseille  pour  juger  les  affaires  de  commerce,  et  d'offices  de 
contrôleurs  visiteurs  de  draperies  et  autres  étoffes  de  laine.  «  Les 
inquiétudes  qu'on  donnerait  infailliblement  aux  fabricants  et  mar- 
chands, lui  objecta  Lebret,  dégoûteraient  assez  les  uns  et  les  autres 
pour  porter  beaucoup  plus  de  préjudice  aux  droits  des  fermes  et  au 
commerce  en  général,  que  S.  M.  ne  tirerait  d'utilité  de  ce  nouvel 
établissement*.  Cette  critique  pouvait  s'appliquer  à  la  plupart  de  ces 
offices,  dont  le  trésor  tirait  des  ressources  momentanées  au  détri- 
ment de  ses  vrais  revenus.  Cependant,  en  1705,  furent  créés  des 
jurés  contrôleurs  essayeurs  d'huiles  auxquels  il  était  attribué  50  sols 
par  cent  pesant  ;  la  Chambre  se  plaignit  en  vain  à  Pontchartrain 
de  cette  violation  de  la  franchise  du  port,  qui  allait  ruiner  un  com- 


(1)  .-irch.  Coiinii.  hivettt.  ie  Connues. 

(2)  I s  itcvemhii'  lyoj,  Boislisle,  t.  II,  1510". 

(3)  Déclanuion  du  roi  pour  la  suppression  des  billots  de  monnaio.    —  Arch. 
Comm.  Invent,  chioiidl. 

(4)  I"  novemhie  1704,  BoisusLK,  t.  II,  682. 
())  4  avril  1-J04,  id.  II,  592. 


LI£S   MAUX   DE   LA   GL'ËKRI^ 


337 


merce  important,  nécessaire  aux  manufactures  de  savon'  ;  un  édii 
de  nurs  1709  institua  de  nouveaux  offices  d'inspecteurs  et  visiteurs 
de  routes  sortes  d'huiles,  supprimés  il  est  vrai  en  octobre  1710. 
D'autres  créations  atteignirent  le  commerce  tout  entier  :  il  y  eut 
des  contrôleurs  visiteurs  de  poids  et  mesures,  des  greffiers  des  juri- 
dictions consulaires  auxquelles  on  sentit  le  besoin  un  an  après  de 
donner  des  greffiers  en  chef.  Un  cdit  de  mars  1692  avait  érigé  en 
titre  d'offices  formés  ei  héréditaires  les  46  courtiers  qui  étaient  en 
exercice  il  Marseille,  un  autre  édit  d'août  1709  en  fixa  le  nombre  à 
60  et  leur  accorda  des  augmentations  de  gages*. 

Le  commerce  du  Levant  n'eut  pas  ;\  supporter  du  moins  d'im- 
positions nouvelles  sur  les  marchandises.  En  1705,  la  Chambre 
rc-sista  avec  succès  ù  l'étiblissement  d'une  taxe  sur  les  savons  ;  elle 
écrivait  .\  Chamillart  :  «  L'expérience  a  été  faite  depuis  peu  au  sujet 
de  La  grenaille,  une  simple  interruption  des  fobriques  de  grenaille 
par  une  imposition  qui  fut  peu  après  levée,  en  porta  l'industrie  en 
Cualogne.  Il  en  sortait  de  cette  ville  environ  150.000  livres  par 
année  commune,  il  n'en  sort  à  présent   que   30.000  et   on   va  en 

diminuant Mais  les  grenailles  n'ont  nul  rapport  à  l'importance 

des  savonneries  \»  Le  mauvais  succès  de  ce  premier  essai  et  peut-être 
aussi  le  souvenir  de  la  franchise  qu'on  venait  de  rendre  à  Marseille 
empêchèrent  Chamillart  d'entrer  plus  avant  dans  cette  voie. 

Le  plus  grand  des  maux  de  la  guerre  fut  comme  toujours 
l'insécurité  des  mers  qui,  par  suite  de  la  ruine  de  notre  marine, 
devint  beaucoup  plus  grande  qu'elle  n'avait  été  dans  les  guerres 
précédentes.  La  Chambre,  ignorant  la  pénurie  du  trésor,  s'imaginait 
au  début  pouvoir  profiter  des  hostilités  pour  détruire  le  commerce 
des  Anglais  dans  la  Méditerranée  et  elle  avait  présenté  dans  ce  but 
A  Pontchartrain  tout  un  plan  de  croisières.  La  réponse  du  ministre 
dut  singulièrement  la  décourager  :  «  Les  fonds  destinés  pour  les 
dépenses  de  la  marine  étant  remplis  par  des  objets  plus  pressants 
disait-il....,,  ce  serait  à  vous  à  vous  charger  de  l'armement  de  quel- 


(0  jaoïitijo}.  BB,  Sj. —  24  juillet  ifo},BB,  39., 

(2)  ()n  voulut  (aire  paver  .\  la  Clumbre  en  1705,  20.000  livres  pour  h  sup- 
pression desortkcs  d'iiispcctturs  des  tnanufjcturcs,  clic  fit  voir  que  cela  ne  U  con- 
ccniLiit  pas,  puisqu'elle  entretenait  à  Marseille  le  sieur  Cauvière  inspecteur  des 
draps,  qui  lui  coûtait  5.000  liv.  p.iran.  —  En  1705,  il  fut  au.ssi  question  de  créer 
uti  utiicc  de  comtâlcur  au  grelTe  des  assurances. —  j  aotU  tyo},  u  août  Jjof. 
BB.  jp. 

Ij)  .-<  Chamillart,  3v  juilkt  tjos.  BB,  39. 

aa 


338  LA    CRISE 

ques  vaisseaux  propres  pour  la  course,  que  je  proposerai  volontiers 
au  roi  de  vous  accorder  aux  conditions  les  plus  avantageuses  que 

vous  pourrez  désirer Si  vous  ne  prenez  ce  parti  S.  M.  sera  obligée 

de  rétablir  l'imposition  de  l'écu  par  tonneau  pour  en  employer  le 
produit  à  la  dépense  de  cet  armement  '.  » 

Il  s'agissait  alors  d'attaquer  nos  adversaires,  il  fallut  bientôt  changer 
de  langage  et  songer  uniquement  i,  se  défendre  ;  des  vaisseaux  flessin- 
guois,  nom  sous  lequel  on  désignait  tous  les  corsaires  hollandais, 
furent  armés  en  course  à  Gènes  et  à  Livourne  où  ils  étaient  venus 
pour  charger  des  marchandises.  D'autres  corsaires  anglais  et  flessin- 
guois  entrèrent  dans  la  Méditerranée  en  1702*.  Pour  éviter  le  réta- 
blissement de  l'imposition  d'un  écu  par  tonneau,  qu'elle  avait  eu 
tant  de  peine  à  faire  supprimer  dix  ans  après  la  guerre  d'Alger  pour 
laquelle  elle  avait  été  établie  (1689-99),  ^^  Chambre  promit  de 
subvenir  aux  frais  des  armements;  en  attendant  qu'ils  fussent  orga- 
nisés le  commerce  fut  complètement  suspendu  en  décembre  1702*. 

Pour  l'année  1703  la  Chambre  arma  d'abord  une  frégate  la  Fortune 
wlante  dont  elle  confia  le  commandement  au  lieutenant  de  vaisseau 
du  roi  Sabran  de  Beaudinart*,  puis  deux  vaisseaux,  le  Téméraire  et 
l'Heureux  Retour  destinés  à  servir  d'escortes^  Mais  quand  les  navires 

(1)  37  mai  1702,  26  juillet  1702,  16  août  1702.  BB,  8j, 

(2)  j  mai  1702,  26  juillet  1702.  BB,  Sj.  —  2/  octobre  1702,  }  novenére  1702, 
Il  novembre  1702,  i"  décembre  1702.  —  Les  Flessinguois  sont  huit  à  neuf.  — 
Quatre  vaisseaux  et  de  petits  bâtiments  ont  été  pris.  —  Il  y  a  trois  vaisseaux  en 
route  ;  par  une  sorte  de  moquerie,  les  Anglais  et  les  Hollandais  établis  à  Livourne 
en  ont  déjà  mis  en  vente  les  chargements  dont  la  valeur  pourrait  aller  à  un 
million  et  demi.  —  6  décembre  1702.  BB,  29. 

(3)  6  décembre  1702,  ij  décembre  1702.  BB,  8}. 

(4)  La  Fortune  Volante,  armée  de  40  canons,  à  laquelle  il  y  aura  environ  }oo 
hommes  d'équip.igc,  /  janv.  170}.  BB,  2<).  —  Hlle  a  été  louée  12.500  livres  par 
mois,  nous  serons  encore  obligés  d'ajouter  500  livres,  moyennant  quoi  nous  n'en- 
trons en  aucune  dépense,  2^  janv.  170 j.  BB,  21}.  —  Dans  les  comptes  trésoraires 
de  la  Chambre  {CC,  2j  et  sutv.),  figurent,  aux  dépenses  de  1704,  110.092  livres 
pour  l'armement  du  vaisseau  la  Fortuite  de  la  Mer,  11.355  pour  celui  du  Témé- 
raire, 33.000  pour  le  Toulouse  et  le  Trident.  —  Les  sommes  considérables  fournies 
par  les  deux  droits  de  i  1/2  0/0  établis  en  1703  et  1706  pour  subvenir  aux  arme- 
ments montrent  combien  la  dépense  fut  considérable  dans  les  années  suivantes. 
La  recette  de  ces  droits  fut  en  effet  de  120.000  livres  en  1704,  de  80  à  95  pour 

1705,  1706,  1707,  150.000  en  1708,  etc.  —  En  réalité  les  dépenses  dépassèrent 
ces  sommes  :  En  1705,  armement  du  Ro{endalct  du  Trident,  43.000  livres.  —  En 

1706,  armement  du  Toulouse  et  du  Trident,  57.343  livres,  de  quatre  frégates 
100.000  livres.  ^  En  1707,  armement  de  VHeureux  Retour  41.389  livres,  du 
Fortuné  52.000  livres,  des  quatre  frégates  20.200.  —  Les  dépenses  diminuent  les 
années  suivantes. 

(5)  Voir  une  série  de  lettres  de  1703.  BB,  8}.  —  La  Chambre  avait  demandé 


LES   MAUX  DE  LA   GUERRE 


339 


furent  prêts  X  partir,  en  août  1703,  on  apprit  que  Tarnu^e  ennemie 
forte  de  52  vaisseaux  de  ligne  escortant  le  convoi  anglo-hollandais 
était  entrée  dans  la  Méditerranée,  il  fallut  donc  les  retenir, ï  Marseille. 
11  en  fut  ainsi  les  années  suivantes  chaque  fois  que  la  Botte  ennemie 
se  montra,  les  armements  royaux  ne  pouvant  protéger  le  commerce 
que  contre  les  corsaires.  Le  convoi  attendit  toute  l'année,  ce  nu  fut 
*^u'en  décembre,  quand  la  flotte  ennemie  ramenant  celui  des  Anglais 
et  des  Hollandais  fut  revenue  vers  Gibralt.ir,  qu'on  put  songer  .\  le 
faire  partir,  mais  la  saison  était  mauvaise,  la  tempête  le  dispersa  et 
]çu  un  grand  nombre  de  ses  bâtiments  sur  la  cùte  de  Gitalogne,  ce 
<\m  retarda  le  départ  définitif  au  mois  de  février  1704.  Ainsi,  malgré 
les  dépenses  (liites  par  la  Cluunbrc  en  1703,  aucun  bâtiment  n'avait 
pu  partir.  On  avait  été  plus  heureux  pour  faire  revenir  ceux  qui  se 
trouvaient  dans  le  Levant.  M.  de  Sabran  avec  la  Fortune  les  avait 
lamcnés  jusqu'à  Malte  où  un  vaisseau  du  roi,  le  Fleuron,  fut  envoyé 
|)our  l'aider  i  les  conduire  jusqu'à  Marseille.  La  neutralité  des  ports 
«le  .Malte  et  le  bon  accueil  qu'y  recevaient  nos  n.ivires  furent  pendant 
<ettc  guerre  le  salut  de  notre  commerce.  Malte  fut  le  point  de 
xallicmcnt  de  nos  b.kiments,  qui  s'y  trouvaient  toujours  réunis  en 
a^rand  nombre,  attendant  l'occasion  favorable  de  partir  pour  Marseille 
ou  pour  les  échelles.  Tous  les  convois  y  faisaient  escale,  un  vaisseau 
«lu  roi  les  conduisait  h  Malte  et  ramenait  ceux  qui  s'y  trouvaient,  un 
eiutre  vaisseau  d'escorte  les  prenait  à  Malte  pour  les  conduire  aux 
«jch  elles. 

Le  service  des  convois  fonctionna  régulièrement  en  1704,  mais  la 
CZhambre  se  trouva  gênée  pour  payer  la  dépense  des  vaisseaux  du 
»-oi,  les  marchands  se  plaignaient  de  la  contrainte  des  escortes  qui 
n'étaient  pas  prêtes  au  moment  favorable  pour  le  départ,  on  renonça 
ijux  convois  et,  en  attendant  que  la  Chambre  se  fût  décidée  à  d'autres 
■iTirmements,  Ponichartrain  ordonna  de  nouveau  la  suspension  du 
v^ommercc*.  La  Chambre  finit  par  consentira  fournir  la  moitié  de 
la  dépense  de  l'armement  de  deux  vaisseaux  du  roi,  le  Trident  et  le 


I 


^J'.ux  bons  ViiiMcaux,  l'un  de  60  canons  et  ^50  hommes  d'é-quipage,  l'uutrc  de  40 
«^jnons  et  250  hommes,  gr.uis,  avec  tous  tes  agrès  et  munitions.  —  Li  Chambre 
ï  »e  paierait  que  la  n>oitiê  des  saUires  et  de  l'entretien  des  équipages.  16  avril  ijoj, 

{\\  »9  d^cfiubr,!  IJ04.  UB,  S}.  —  Dêjj  le  iotnmcrcc  .ivali  été  suspendu  par 
V'ordonttAMCc  du  i6  juillet  jusqu'au  16  octobre.  —  Voir  pour  tout  ce  récit  les  lettres 
«Je  Ponichartrain.  lia,  S)  et  les  lettres  de  h  Chambre.  BU,  2y. 


340  LA   CRISE 

Toulouse,  destines  à  donner  la  chasse  aux  corsaires'.  Mais  les  bâti- 
ments partaient  sans  escorte*  et  sept  vaisseaux  marseillais  furent  pris 
par  les  l-lessinguois  en  septembre  et  octobre  1705.  En  même  temps 
l'entrée  de  la  flotte  ennemie  dans  la  Méditerranée  retint  les  bâtiments 
à  Marseille  pendant  plus  de  deux  mois  (août-octobre  1705). 

Cependant  les  négociants  de  Marseille,  assemblés  par  la  Chambre, 
délibérèrent  presque  unanimement  en  1706  «de  supplier  le  ministre 
de  vouloir  les  dispenser  de  faire  leur  commerce  par  convoi,  ce  moyen 
leur  ayant  paru  contraire  et  préjudiciable  au  bien  du  commerce 
auquel  convient  seulement  une  entière  liberté*.  »  L'année  avait  com- 
mencé par  une  suspension  de  la  navigation,  parce  que  le  roi  «  voulait 
s'assurer  de  trouver  un  nombre  suffisant  de  bâtiments  pour  le  trans- 
port des  munitions  en  Catalogne*  »  ;  cette  suspension  fut  mainte- 
nue à  cause  du  grand  nombre  de  corsaires  Flessinguois  et  de  la 
présence  de  l'escadre  du  «  chevalier  Lack  »  dans  la  Méditerranée. 
Pendant  ce  temps  on  avait  longuement  discuté  sur  les  armements 
à  (aire  et  sur  les  avantages  des  convois  ou  des  croisières;  le  ministre 
finit  par  s'entendre  avec  le  commerce  pour  l'armement  de  quatre 
frégates  ^.  Mais  leur  armement  ne  fut  prêt  qu'à  la  fin  d'octobre  1706  ; 
les  départs  pour  le  Levant  se  trouvaient  donc  reculés  à  la  fin  de 
l'arrière  saison*. 

L'armement  des  quatre  frégates  rendit  des  services  :  au  printemps 
de  1707  deux  d'entre  elles  croisaient  â  l'entrée  de  l'archipel,  les 
deux  autres,  après  s'être  montrées  sur  les  côtes  de  Barbarie,  ramenè- 
rent à  Malte  un  convoi  très  riche.  Cependant  plusieurs  pertes 
furent  faites  au  début  de  1707.  «  Ces  nouvelles  pertes  me  touchent 

(i)  La  Clkiwliy  à  PoiilclMiiruiti,  2i)  àkcmhrc  /70./.  Eli,  29. —  Les  deux  vaisseaux 
firent  deux  croisières  sans  s'emparer  d'aucun  corsaire. 

(2)  Cependant  la  frégate  le  Ro^nda]  ramena  plusieurs  bâtiments  du  Levant.  Le 
capitaine  Guieu,  qui  commandait  le  plus  gros  n.ivire  de  Marseille,  conduisit  un 
convoi  dans  l'Archipel  et  le  ramena.  La  Chambre  lui  accorda  5.000  livres  de  gra- 
tification. 

(5)  i  aoûl  j-jo6.  HB,  5. 

(4)  24  février  ijuô.  BB,  <V/. 

(  j)  Le  commerce  s'engaj^eait  à  payer  au  moins  les  deux  tiers  de  la  dépense. — 
Deux  devaient  croiser  dans  le  canal  de  Malte,  les  deux  autres  à  l'entrée  de  l'Archi- 
pel, puis  ramasser  les  bâtiments  des  échelles  et  les  ramener  ;\  Malte.  Lettre  de 
Poiitilvtrtrdiu ,  22  si[Uciubr(  ijnO.  1>B,S}. 

(6)  Pendant  ce  temps  les  galères  étaient  chargées  de  protéger  les  abords  des 
cotes  de  Provence.  Deux  d'entre  elles  se  tenaient  d'ordinaire  à  .Vntibes  pour  faci- 
liter le  passage  des  barqu<>s  des  côtes  de  Provence  à  Gênes  et  écarter  les  «  coralines  » 
d'Oneille.  6  octobre  i/n6,  ij  août  jjoS,  jo  noi-einhre  JJ12.  BB,  S). 


LES    MAUX    DE    LA    GUERRE  34 1 

beaucoup,  écrivait  Pontchartrain  Ji  la  Chambre,  mais quand  il  3- 

aurait  dix  frégates  au  lieu  de  quatre,  elles  n'empocheraient  point 

encore  qu'on  ne  prît  des  bâtiments à  cause  de  l'étendue  delà 

mer  et  parce  que  les  capitaines  ne  s'embarrassent  pas  de  passer  par 
les  endroits  dangereux'.  »  Tout  ce  que  put  faire  le  ministre  en 
juin  1707  ce  fut  d'ordonner  ;\  un  vaisseau  de  guerre  de  prendre 
sous  escorte  les  bâtiments  prêts  à  partir,  pour  les  conduire  â  Malte 
et  ramener  sept  ou  huit  bâtiments  qui  y  étaient.  Pendant  ce  temps  le 
convoi  anglais  traversait  la  Méditerranée  sous  l'escorte  de  huit  vais- 
seaux de  guerre.  Sur  ces  entrefaites  la  flotte  ennemie  se  montra,  la 
Provence  fut  envahie  par  le  duc  de  Savoie,  le  commerce  fut  entière- 
ment suspendu  et  Marseille  se  prépara  â  subir  un  siège.  Permise  un 
moment  à  la  fin  d'octobre  1707,  la  navigation  fut  immédiatement 
interdite  de  nouveau  sur  la  demande  unanime  de  la  Chambre. 

En  1708  on  annonçait  de  Livourne  la  présence  de  vingt-deux 
corsaires  flessinguois;  aux  propositions  d'armement  une  grande 
assemblée  de  marchands  répondait  unanimement  que,  «  comme 
S.  M.  ne  pouvait  point  supporter  présentement  la  dépense  de  l'ar- 
mement nécessaire  pour  escorter  les  bâtiments  destinés  pour  les 
échelles,  ni  même  en  faire  l'avance,  ils  n'étaient  pas  en  état  de  pou- 
voir le  fiiire  par  eux-mêmes*.  »  Cependant  deux  vaisseaux,  le  Duc 
0de  Berri  et  V Entreprenant  furent  demandés  au  roi  et  ramenèrent  de 
<2andie  un  convoi  considérable. 

Le  commerce  fut  continué  ainsi  pendant  les  années  suivantes  par 

<des  convois  irréguliers,  dont  on  ne  savait  jamais  ni  le  départ  précis, 

m  l'arrivée,  car  les  escortes,  composées  d'un  ou  deux  vaisseaux, 

31'étaient  pas  suffisantes   pour  braver  toutes  les  attaques,  il  fallait 

■ssaisir  les  occasions  favorables,  surprendre  l'attention  des  ennemis,  ou 

profiter  de  la  mauvaise  saison,  pour  se  glisser  presque  furtivement  de 

!^arseille  à  Malte,  de  Malte  à  Candie,  et  de  li  dans  l'Archipel  ou 

"^ers  les  échelles.  «  Profitez  des  longues  nuits  où  la  chasse  est  diffi- 

^le,  écrivait  Pontchartrain,  pour   faire  revenir  les  bâtiments  du 

X-evant*.  »  Le  transport  des  blés  de  l'Archipel  était  devenu,  surtout 

depuis  1709,  la  principale  occupation  des  navires,  aussi,  c'était  à 

l'entrée  de  cette  mer  que  se  pressaient  les  corsaires.  En  1710,  une 

(1)  8  juin  IJ07.  BB.  S}. 

(2)  16  juin  1708.  BB,  s. 

(j)  7  décembre  1707.  BB,  Sj. 


342  LA    CRISE 

grosse  escadre  anglaise  vint  attendre  sur  les  côtes  de  Morée  le  convoi 
de  blé,  25  bâtiments  et  deux  vaisseaux  du  roi  qui  en  étaient  chargés 
restèrent  enfermés  dans  le  port  de  Chio.  En  17 12,  un  sieur  Maillet, 
négociant  de  Marseille,  forma  avec  quelques  autres  une  Compagnie 
qui  offrit  d'entretenir  jusqu'à  la  paix  trois  ou  quatre  navires  de  ligne 
bien  armés;  faute  de  s'entendre  avec  elle,  écrivait  Pontchartrain, 
«  le  roi  ne  pourra  s'empêcher  d'interdire  absolument  le  commerce*.  » 
La  Chambre  passa  en  effet  une  convention  avec  le  sieur  Maillet  pour 
l'armement  du  Trident  et  du  Cheval-Marin*.  Pontchartrain  laissa 
toute  latitude  à  la  Chambre  pour  faire  armer  d'autres  vaisseaux  du 
roi  par  des  particuliers,  puisque  ni  le  trésor  royal,  ni  la  Chambre, 
ne  pouvait  s'en  charger.  En  effet,  d'autres  armements  eurent  lieu, 
mais,  par  une  nouveauté  qui  montre  bien  l'impuissance  à  laquelle 
était  réduit  le  commerce,  les  navires  de  guerre  furent  employés  à  la 
fois  à  convoyer  d'autres  bâtiments,  à  faire  des  croisières  et  h  trans- 
porter eux-mêmes  des  marchandises.  Ainsi,  en  1712,  \e  Fleuron  et 
l'Entreprenant  rapportèrent  des  cargaisons  très  riches  ;  en  décembre 
17 12  on  attendait  le  retour  des  vaisseaux  du  roi  le  Sérieux,  le 
Diamant  et  le  Cheval-Marin  venant  de  diverses  échelles  richement 
chargés,  et  le  Trident,  venant  de  Barbarie,  rempli  de  blé.  Deux  autres 
vaisseaux  armés  1  Toulon  se  préparaient  à  prendre  des  cargaisons 
pour  Constantinople,  l'Egypte  et  la  Palestine.  Un  autre  fait  montre  A 
la  fois  l'audace  des  corsaires  et  l'impuissance  de  notre  marine  :  deux 
corsaires,  partis  de  Livourne,  vinrent  faire  en  171 1  et  1712  plusieur.-: 
croisières  sur  les  côtes  de  Provence  entre  les  îles  de  Marseille  et 
l'île  Saintc-M.irguerite  et  capturèrent  de  nombreux  bâtiments*. 
Il  était  temps  que  la  guerre  fût  terminée:  en  17 12  les  hostilités 
avaient  pris  fin  avec  les  Anglais,  le  11  avril  17 13,  elles  cessèrent 
avec  les  Hollandais  et  les  prises  ne  furent  légitimes  que  pendant  un 
délai  de  six  semaines  seulement  après  cette  date. 

(i)  //  mars  ijJ2.  BB ,  8}. 

(2)  V.  ce  c0ntr.1t  BB,  6,  fol.  ]6,  ;o  mai  17/2  ;  Maillet  Hiisait  l'avance  de  tous 
les  frais,  la  Chambre  l'en  rembourserait  avec  intérêts  à  8  o  o  et  4000  livres  de 
}:;ratirication.  —  lîlle  aurait  45  0/0  des  prises,  le  roi  25  0,0,  .Maillet  i/io,  les 
éiiuipages  des  vaisseaux  i/io  et  Monseigneur  l'Amirai  i  10.  —  Dc'jà,  à  la  fin  de 
1707,  deux  vaisseaux  du  roi,  le  Toulouse  et  le  Content,  armés  en  course  pour  le 
compte  de  particuliers,  s'emparèrent  à  l'entrée  du  détroit  de  Gibraltar  de  deux 
Flessinguois  qui  entraient  dans  la  Méditerranée  :  le  Propljète-Elic,  de  42  canons 
et  250  hommes,  et  h-i  Sept  Provinces-Unies,  de  28  canons  et  200  hommes. 
—  2;  janvier  ijoS,  BB,  Sj. 

(3)  Assemblée  extraordinaire  des  marchands,  6  décembre  1712.  BB,  6. 


LES  MAxrx  nr  1-a  guerre 


343 


^: 


Tous  les  armements  fliits  parla  Chambre  avalenrcoi^té  au  com- 
merce lies  sommes  ùnormos  :  deux  droits  de  i  1/2  0/0  avaient  été 
établis,  l'un  en  1703,  l'autre  en  1706,  de  plus  les  navires  decliaque 
convoi  payaient    des  droits  particuliers.   Les  capitaines,  pour  avoir 
l'autorisation  de  faire  les  voyages  du  Levant,  avaient  dû,  en  outre, 
recevoir  sur  leur  bord  25  A  50  soldats  afin  de  renforcer  leurs  équi- 
pages, ce  qui  augmentait  les  frais  de  la  navigation  et  la  cherté  du 
liret.   La  Chambre  payait  encore  des  gratifications  aux  corsaires  et 
aux  vaisseaux  du  roi  pour  chaque  prise  qu'ils  faisaient.  Non  seule-- 
ment  toutes  ces  dépenses  n'avaient  pas  empoché  les  pertes  de  navires 
d'avoir  été  très  nombreuses',  mais,  comme  les  armements  avaient 
tîté   très   insuffisants  pour  assurer  la  sécurité  de  la   navigation,  le 
commerce  avait  souffert  de  maux  de  toutes  sortes  comme  le  renché- 
r-issement  énorme  des  assurances  maritimes  et  du  change,  l'incerti- 
xude  dans  les  opérations  causée  par  les  suspensions  chroniques  du 
«négoce  et  les  détentions  des  navires  dans  les  ports. 

Les  corsaires  de  Toulon  et  les  vaisseaux  du  roi  avaient  sans  doute 
fcit  subir  aussi  de  grandes  pertes  aux  ennemis,  mais  les  prises  qu'ils 
amenaient  étaient  loin  d'être  une  compensation  pour  les  négociants 
rançais,  car  la  concurrence  que  les  armateurs  corsaires  faisaient  au 
«ciommercc,  en  vendant  A  vil  prix  les  marchandises  des  prises,  aggra- 
'^ait  encore  la  crise  que  celui-ci  traversait.  Ces  marchandises  n'étaient 
"^•endues  il  est  vrai  qu'i  la  condition  d'être  transportées  à  l'étranger, 
XTiais  cette  condition  n'était  pas  observée.  Le  commerce  avait  d'autant 
^lus  souffert  que  la  crise  s'était  prolongée  plus  longtemps  :  la  guerre 
«Je  Hollande  ne  l'avait  troublé  que  pendant  cinq  ans,  celle  de  la 
igue  d'Augsbourg  moins  de  temps  encore,  cette  fois  la  désolation 
u  commerce  s'était  prolongée  dix  ans  et  de  plus  les  désastres 
'étaient  accumulés  pendant  cette  guerre. 
Aussi  les  chiffres  des  importations  du  Levant  pendant  cette 
"j^ériodc  indiquent  éloqueramcnt  quel  arrêt  avaient  subi  les  affaires  ; 
«Je  1703  ;\  1711,  pendant  les  années  où  la  guerre  fit  le  plus  soufl'rir 


^^  (i)  D'aprcs  les  Registres  des  pênes  {EE,  9  et  10)  le  nombre  des  prises  de 
L  «702  a  171 5  fut  de  I7;>  vaisseaux  et  barques  (1702  =  15  ;  1703=:  127; 
^HJK704  ::=  159  ;  1705  ^=  187  ;  170e  ^:z  144  ;  1707  :=  170  ;  1708  —  160  ;  1709 
^^p=  318  ;  1710  =  193  ;  1711  :=  160  ;  1712  ^  150  ;  1713  =  56  ;  1714  =  14  ; 
^^  •715  =  a).  Il  fâut  rcmarqui;r  que  tous  cas  navires  iivaient  ùti  assurés  h  Marseille, 
"*T)ais  que  he.iut*OUp  d'entre  eux  n'-ippartcnaient  pas  aux  ports  provençaux  et 
■=»v.-ticnt  été  pris  liors  de  la  Méditerranée.  V.  p.  294,  note  2. 


344  LA    CRISE 

le  négoce,  la  moyenne  s'abaissa  à  près  de  5.000.000  de  livres*, 
malgré  les  prix  très  élevés  qu'atteignirent  alors  les  marchandises  du 
Levant.  Un  seul  commerce,  dont  l'importance  ne  fait  qu'indiquer  la 
profonde  misère  de  l'agriculture  française,  s'accrut  singulièrement 
et  offrit  du  moins  l'avantage  de  donner  du  fret  aux  nombreux  bâti- 
ments de  la  flotte  de  Provence  :  ce  fut  l'achat  des  blés  du  Levant. 
Toute  une  flottille  de  petits  bâtiments  fut  occupée,  pendant  la 
guerre,  à  en  chercher  sur  les  côtes  de  la  Barbarie,  de  la  Morée,  à 
Salonique,  mais  surtout  dans  l'Archipel.  En  1703  la  Chanfibre 
écrivait  qu'il  était  parti  plus  de  cent  Kâtiments  pour  la  traite  des  blés, 
tandis  que  depuis  quatre  mois  aucun  n'avait  fait  voile  pour  les 
grandes  échelles.  En  1709,  le  commerce  fut  à  peu  près  interrompu 
pour  faire  uniquement  le  transport  des  blés.  D'après  les  ordres  du 
ministre,  tous  les  bâtiments  qui  allaient  dans  le  Levant  durent  rap- 
porter au  moins  les  3/4  de  leurs  chargements  en  blés  et  la  Chambre 
fut  chargée  d'y  tenir  la  main  avec  la  plus  grande  sévérité*.  La 
famine,  qui  menaçait  la  Provence,  faisait  passer  par  dessus  les 
dangers  de  la  navigation  et  les  bâtiments  destinés  â  la  traite  des 
blés  étaient  généralement  exemptés  des  interruptions  du  commerce 
et  pouvaient  naviguer  librement  â  leurs  risques  et  périls,  aussi  fut-ce 
parmi  eux  que  les  corsaires  firent  le  plus  de  prises.  Une  autre  cir- 
constance vint  favoriser  ce  commerce  :  «  Le  roi  par  un  édit  de 
septembre  1708  ayant  créé  500.000  livres  de  rentes  au  profit  de 
ceux  qui  voudraient  pour  toujours  s'affranchir  de  la  capitation,  la 
ville  de  Marseille,  continuant  de  donner  au  roi  des  marques  de  son 
zèle  pour  son  service,  offrit  de  donner  20.000  charges  de  blé 
évaluées  à  800.000  livres  pour  r.ifFr.inchissement  de  la  capitation 
pour  tous  les  habitants  de  la  ville  et  du  terroir,  et,  par  arrêt  du 
Conseil  du  22  avril  17 10,  S.  M.  ayant  .iccepté  cette  offre,  la  commu- 
nauté fit  fiiire  l'expédition  desdites  20.000  charges  pour  la  subsis- 
tance de  l'armée  d'Italie  ;  en  conséquence,  la  capitation  cessa  d'être 
levée  à  Marseille  pendant  deux  ans*.  »  Ce  n'était  pas  toujours  chose 
facile  que  de  trouver  des  chargements,  car,  suivant  l'abondance  de 
la  récolte  et  les  besoins  de  l'empire,  les  ministres  du  G.  S.  et  les 


(  I  )  Voir  à  l'appendice  le  tableau  des  importations. 

(2)  12  Jèvr.  1-/10.  lili,  Sj.  —  Cet  ordre  fut  rOvoqué  par  l'intendant  dos  galères 
Arnoul,  m  avril  ijio.  IW.  j. 
(5)  j4rch.  Commun,  de  Mars.  Invent.  de  Coiirmcs,  sac  rpç. 


LES   MAUX   DE   LA   GL^RRE 


345 


* 
» 


pachas  des  provinces  en  autorisaient  ou  en  interdisaient  l'importa- 
tion. Il  till.iit  souvent  employer  h  fraude  ou  distribuer  des  présents 
3U  divan  et  .uix  pachas  pour  pouvoir  continuer  ce  commerce". 

Les  ports  neutres  de  l'Italie  profitèrent  de  cette  crise;  Livourne 
fut  plus  que  jam.iis  l'entrepôt  des  marchandises  anglaises  et  hollan- 
daises qu'un  grand  nombre  de  n.ivires  anglais  et  hollandais,  mais 
surtout  Vénitiens  et  Génois,  transportaient  dans  le  Levant.  «  On 
voit  ici  mieux  que  chez  vous,  écrivait  le  consul  de  Livourne,  le 
nombre  étonnant  de  bâtiments  génois  qui  est  employé  dans  la  Médi- 
terranée*. >)  Gènes  crut  même  le  moment  venu  d'introduire  son 
pavillon  dans  les  échelles  et  d'y  établir  des  comptoirs  :  en  17 12,  la 
République  envoya  i  la  Porte  un  noble  Génois  pour  entamer  des 
négociations  ;\  ce  sujet  :  malgré  les  efforts  de  notre  ambassadeur, 
l'envoyé  génois  obtint  la  permission  pour  un  certain  nombre  de 
bâtiments  de  la  République  de  naviguer  sous  pavillon  anglais  avec 
cert.ains  privilèges  ;  d'autres  ambass;ideurs  furent  chargés  de  négocier 
des  traités  avec  les  Barbaresques'.  Les  négociants  de  Malte  eux- 
mêmes  se  mirent  h  apporter  à  Marseille  des  quantités  considérables 
de  marchandises  du  Levante!  la  Chambre,  inquiète  de  cette  nouvelle 
concurrence,  demanda  que  les  marchandises  venues  de  Malte  fussent 
assujetties  au  20  0/0. 

Le  peu  de  sûreté  que  donnait  notre  pavillon  et  les  droits  considé- 
rables auxquels  il  était  assujetti  le  firent  abandonner  des  bâtiments 
étrangers,  ce  qui  afLiiblit  notre  prestige  et  diminua  les  droits  que 
percevait  la  Chambre  dans  les  échelles.  Les  Vénitiens  surtout,  les 
plus  nombreux  ise  servir  de  notre  pavillon,  prirent  celui  des  Anglais; 
quant  aux  Ragusois,  ils  s'étaient  affranchis  des  droits  qu'ils  nous 
payaient  en  établissant  iu\  consul  à  Smyrne  en  1697,  ^  Tripoli  de 
Syrie  en  1699*.  D'autre  part  les  Italiens  et  surtout  les  Arméniens  c: 
les  Juifs  des  échelles,  qui  avaient  l'habitude  de  noliser  des  bâtiments 
français  pour  faire  le  commerce  du  Levant  en  Italie,  furent  obligés 
par  les  nombreuses  pertes  qu'ils  subissaient  et  la  lourdeur  des  droits 


(i)  La  valeur  de  riniport.ition  dcf  blcs  ne  figure  pas  dans  les  chiffres  Uonnés 
ci  -dessus,  car  le  blé  éi.-iit  exempt  du  paiement  du  cottimo  dont  les  tablcnux  de 
Tecetcc  ont  servi  a  calculer  ces  chiffres.  (V.  à  l'appendice), 

(3)  8  octobre  IJJ3.  AA,  sçj. 

(î)  L'assemblée  des  marchands  de  Marseille  du  3  mai  1712  (BB,  6)  montra 
vivement  la  nécessite  de  combattre  les  projets  des  Génois. 

(4)  AA,  40J.  2^  dtcemhrt  169J,  —  AA,  }SS.  6  avril  tùt)(). 


346  LA    CRISE 

qu'ils  devaient  acquitter  de  prendre  des  navires  anglais.  Môme  le 
consul  d'Egypte  donnait  avis  en  17 13  que  les  marchands  français 
établis  en  Italie  se  servaient  de  «  bâtiments  portant  pavillon  anglais 
ou  hollandais,  pour  Élire  passer  en  Egypte  leurs  marchandises  et 
les  exempter  des  droits  de  consulat  et  avaries,  ainsi  que  de  ceux  qui 
appartenaient  à  la  Chambre  du  Commerce*.  »  En  vain,  à  la  suite  de 
cette  lettre,  l'ordonnance  du  5  mai  1713  défendit-elle  aux  Français 
de  charger  sur  des  bâtiments  étrangers,  le  consul  de  Livourne  écri- 
vait avec  raison  que  «  ce  qu'il  fallait  c'était  alléger  les  droits  qui 
pesaient  sur  notre  bannière,  le  commerce  d'Italie  en  Levant,  qui 
empruntait  avant  la  guerre  un  si  grand  nombre  de  bâtiments  fran- 
çais, leur  reviendrait  et  nous  renverrions  bientôt  dans  l'autre  mer 
les  trois  quarts  des  Anglais  et  des  Hollandais  qui  sont  en  celle-ci*.  » 
En  1713,  peu  après  la  signature  de  la  paix,  la  Chambre  constatait 
qu'il  n'y  avait  pas  un  vaisseau  français  ii  Livourne  et  qu'il  y  en  avait 
cinquante  anglais  destinés  à  faire  les  transports  d'Italie  dans  le  Levant*. 
Aussi  songea-t-elle  à  remédier  à  cette  triste  situation  en  diminuant, 
comme  le  demandait  le  consul  de  Livourne,  les  taxes  que  payaient  les 
bâtiments  français,  afin  de  permettre  de  les  fréter  â  meilleur  marché 
aux  étrangers.  Cependant  ce  ne  fut  pas  sans  peine  qu'elle  consentit 
âla  suppression  des  droits  établis  en  1703  et  1706,  pour  subvenir 
aux  frais  des  armements,  car  elle  avait  besoin  de  payer  ses  dettes. 
Les  revenus  de  la  Chambre  avaient  en  effet  diminué  â  mesure  que 
ses  dépenses  augmentaient.  Tandis  qu'avant  la  guerre  ses  comptes 
accusaient  chaque  année  des  excédents  de  recettes,  elle  ne  suffisait 
plus  à  fiiire  face  aux  dépenses  que  par  des  emprunts  :  «  à  la  fin  de 

(i)  l'r  fèvriet-  lyij  à  Arnotil,  BB,  S). 

(2)  12  mai  i-jij  ;  21  fèv.,  septembre  J714.  AA,  ^çj.  —  Le  consul  faisait  remar- 
quer avec  raison  que  pour  faciliter  le  moyen  aux  étrangers  de  se  servir  de  nos 
navires  il  fallait  abroger  l'ordonnance  qui  défendait  aux  sujets  du  roi  d'intéresser 
les  étrangers  pour  plus  d'un  tiers  dans  les  chargements  de  leurs  navires.  —  Cette 
ordonnance  avait  été  rendue  en  un  temps  où  les  Français  jouissaient  de  grands 
avantages  en  Turquie  et  surtout  en  Egypte,  pour  leur  réseï  ver  les  profits  du  trafic. 
Mais  ces  avantages  étaient  devenus  communs  aux  Anglais  ;  il  était  donc  de  l'intérêt 
de  notre  nation  de  permettre  d'associer  les  étrangers  pour  la  plus  grande  portion 
des  chargements  pour  les  empêcher  de  chajrger  sur  des  navires  anglais  ou  de  se 
servir  de  la  bannière  anglaise.  —  S  octobre  IJ12.  AA,  S97.  —  On  a  la  preuve  de 
la  concurrence  heureuse  que  les  Anglais  firent  i  notre  marine  pendant  la  guerre 
de  succession  pour  les  transports  d'Italie  dans  le  Levant,  par  les  chifTres  des  cotti- 
mos  payés  par  les  navires  français  qui  faisaient  ces  voyages.  Ces  chiffres,  considé- 
rables de  i68j  à  1695,  époque  où  ces  navires  étaient  très  employés,  tombent  à 
presque  rien  en  1696-97  et  h  partir  de  1701.  —  CC,  2]  et  stiiv. 

(î)  20  juillet  lyi}.  BB,  6. 


LES   MAUX   DE   LA   GUERRE  347 

1706,  Pontchartrain  s'étonnaii  d'apprendre  qu'elle  avait  800.000 
livres  do  dettes.  Cependant  elle  avait  dû   négliger  d'envoyer  aux 
L^chellcs  l'argent  nécessaire;  celles-ci,  A  leur  tour,  avaient  été  obli- 
gées d'emprunter  à  des  intérêts  énormes  et  elles  s'endettaient  rapi- 
dement. En  1708  la  Chambre  se  reconnut  impuissante  A  payer  les 
dépenses  du  commerce  et  elle  demanda  la  suppression  des  appointe- 
ments des  consuls  qu'elle  payait,  et  le  réuiblisseracnt  des  anciens 
droits  de  consulat'.  C'eût  été  perdre  le  fruit  d'une  excellente  réforme  ; 
d'un  autre  côté,  il  valait  mieux  contracter  des  dettes  i  Marseille  que 
dans  les  échelles,  Pontchartrain  lui  donna  l'ordre  de  suspendre  tous 
les  paiements,  sauf  ceux  des  appointements  des  consuls  et  autres 
officiers  des  échelles.  Le  ministre  ne  pouvait  pas  croire  qu'il  n'y  eût 
p.is  de  la  négligence  et  du  gaspillage  dans  l'administration  financière 
de  la  Chambre  et,  au  milieu  des  préoccupations  de  l'année  17 10,  il 
décida  de  faire  une  révision  générale  de  ses  comptes.  L'arrêt  du 
Conseil  du  i"  février  1710  commit  pour  ce  travail  M.  de  Harlay, 
conseiller  d'état,  assisté  de  deux  autres  conseillers  et  de  deux  maîtres 
lies  requêtes.  Les  trésoriers  du  commerce  lui  remirent  leurs  comptes 
depuis  l'année  1705  et  les  commissaires  durent  examiner  dans  les 
archives  les  comptes  antérieurs,  de  1669  à  1704.  Cette  enquête  ne  fit 
pas  découvrir  d'irrégularités  dans  la  gestion  de  la  Chambre,  mais 
olle  ne  fut  pas  inutile,  car  les  commissaires  réglèrent  une  série  de 
«JifTcrends   entre   elle  et  ses  créanciers  et  après  le  rétablissement 
«ie  la  paix  ils  travaillèrent  avec  elle  ;'i  délivrer  le  commerce  et  les 
«échelles  de  leurs  engagements*. 

Cependant  le  commerce  ne  fut  pas  aussi  profondément  atteint 

cju'on  pourrait  le  croire;  nos  rivaux  avaient  souffert  cruellenici\t  de 

^la  guerre  ;  les  Génois  et  les  Vénitiens  avaient  pu  profiter  du  droit 

(i)  )  janv.  i/oS.  BB,  j.  —  Il  y  eut  .i  ce  sujci  de  violentes  querelles  p.irmi  les 

*ï^octants  de  Marseille,  les  uns  étant  du  sentiment  de  la  Chambre,  les  autres,  plus 

rfcombreu»,  protestant  contre  le  retour  du  système  du  fermage  des  consulats.  Les 

1     «Ivux  partis  envoyèrent  à  la  cour  une  série  de  mémoires.  Lebret  cssay.i  en  vain  de  les 

I     amener  à  une  entente.  Voir  ces  mémoires.  Rihl.  Nal.  tins.  fr.  t6'/(>i},  fol.  i  })-iSS, 

I  (a)  Un  premier  état  de-;  dettes  de  la  Chambre  fourni  à  M.  de  HarKny  le  Jî  août 

I  -71  I,  s'élève  en  tout  à  746.058  livres.  liibl,  Kal.  mis.  fr,  i6<fix).  fol.  'lij.  —  Les 
ccjrTjmisiaircs  réclament  le  28  octobre  171 1  l'éiaf  détaillé  des  dettes  de  toutes  les 
libelles.  RB,  X}.  —  Le  12  juin  1715  la  Chambre  remet  A  l'intendant  un  nouvel 
eut  Je  sa  situation  :  ses  dettes  étaient  évaluées  à  495.000  livres,  ses  dépenses 
uclles  A  228.000  livres,  ses  recettes  à  568.800  livres.  —  Elle  comptait  donc 
voir  chaque  année  140.8CX3  livres  d'excédent  et  par  conséquent  payer  ses  dettes  en 
quatre  ans  environ.  BB,  6,  fol.  St. 


1        Qlia 


LA   CRISE 


des  neutres  pour  s  emparer  en  pnrtie  des  transports  dans  la  Mcditcr- 
rnnco  pendant  les  hostilités,  mais  ils  ne  pouvaient  en  temps  de  paix 
rivaliser  avec  les  trois  grandes  puissances  commcr«;ante5,  parce  qu'iU 
n'avaient  pas  de  correspondants  dans  les  échelles.  Heureusement  les 
traites  de  commerce,  signés  ;\  Utrccht  avec  l'Angleterre  et  la  Hol- 
lande, ne  continrent  pas  de  clauses  désavantageuses.  Les  Hollandais 
avaient  cru  retirer  de  grands  avantages  de  l'article  9  de  leur  irahé 
ainsi  conçu  :  «  h  l'égard  du  commerce  de  Levant  en  France  et  de 
20  "/o  qui  se  lève  à  cette  occasion,  les  sujets  des  Etats  Généraux  des 
Provinces  Unies  jouiront  aussi  de  la  même  liberté  que  les  sujets  du 
roi  Très  chrétien,  tellement  qu'il  sera  permis  aux  sujets  des  Euts 
Généraux  de  porter  des  marchandises  du  Levant  à  Marseille  et 
autres  places  permises  en  France,  tant  par  leurs  propres  vaisseaux 
que  dans  des  vaisseaux  français;  et  que,  ni  dans  l'un  ni  dans  l'autre 
cas,  lesdits  sujets  ne  seraient  assujettis  au  20  "/o  sinon  dans  les  cas  où 
les  Français  y  sont  sujets....  et  en  ceci  ne  pourra  se  (aire  aucun 
changement  au  préjudice  des  sujets  des  Etats  Généraux  '.  »  Il  y  eut 
.\  ce  sujet  un  moment  d'inquiétude  à  Marseille  :  si  les  Hollandais 
étaient  dispensés  de  payer  le  20  °/o,  grâce  à  l'inférioritc  de  leurs  prix 
de  fret,  ils  seraient  bientôt  les  maîtres  du  commerce  de  b  France 

avec  le  Levant  ;  les  Anglais,  auxquels  l'article  8  de  leur  traité  accor 

dait  les  a\-antages  de  la  nation  la  plus  favorisée,  jouiraient  aussi  d  4 

la  même  exemption.  Pontchartrain  proposa  au  Conseil  decommerc 
de  chercher  les  moyens  d'éluder  l'exécution  de  ces  articles',  mais 
Chambre  put  démontrer  que  les  avantages  accordés  aux  HolLinda^K-is 
étaient  en  grande  partie  illusoires  ;  ils  devaient  en  ctTet  être  trait       «.-.s 
sur  le  même  pied  que  les  Français,  or  ccux<i  ne  pouvaient  ra^K.rr 
entrer  les  marchandises  du  Levant  dans  les  ports  du  Ponant  qu'   -^n 
p.nant  le  20  "s,  à  moins  qu'elles  n'eussent  été  prises  ;\  Marseille,     Mes 
1  lolUndais  ne  seraient  donc  exemptés  du  20  "/«  qu'eu  décbargc=r*nr 
;\  Marseille,  mais  les  Français  ne  pourraient  pas  charger  sur  le  'mjrs 
navires,  car,  d'après  les  ordonnances,  ils  éwient  assujettis  au  2» 
quand  ils  chargeaient  sur  des  navires  étrangers.  Les  autres  natio/is 
et  particulièrement  les  Arméniens  et  les  Juifs  ne  pourraient  pas  ne/,' 
plus  emprunter  les  navires  bollandais,  car  l'ordonnance  du  21  octo- 


(I)  V.  Mémoire  ic  U  Oumlct  an  saiet  des  tnii^  <!c  ctftamcTfX  fiits  avcv  It 


LA    REPRISE   DES  AFFAIRES 


349 


brc  1687,  rendue  exécutoire  pour  toutes  les  échelles,  par  arrêt  du 

i  Conseil  du   27   janvier   1694,  défendait  expressément    l'entrée  en 
J-r.incc   des  marchandises  pour  le  compte  des  Arméniens,  Juifs  et 
autres  étrangers,  à  peine  de  confiscation  et  de  3 .000  livres  d'amende  ; 
l'avantage  accordé  aux  Hollandais  était  donc  limité  à  l'entrée  par 
Marseille  des  marchandises  du  Levant  chargées  sur  leurs  bitiments, 
pour  le  compte  de  ceux  de  leur  nation  «  ce  qui  ne  pouvait  être  que 
d'un  petit  objet,  car  ce  trafic  détournerait  leurs  b;\timcnts  de  leur 
route  de  retour,  et  les  frais  du  retird  ainsi  occasionné  excéderaient 
^^les  bénéfices  du  fret  des  marchandises  qu'ils  déchargeraient  à  Mar- 
^■^eille.  »  La  Chambre  se  montrait  donc  rassurée  sur  les  effets  du  traité, 
^^â  condition  que  dans  l'exécution  on  s'en  tint  ;\  son  interprétation  '. 
Le  commerce  français  avait  conservé  tous  les  avantages  dont  il 
j  ouïssait  auparavant  :  la  nation  française  restait  la  plus  nombreuse 
^bians  la  plupart  des  échelles,  les  revers  de  nos  armées  n'avaient  pas 
^^Itéré  nos  rapports  avec  le  Divan  et  les  réclamations  de  notre  ambas- 
sjdeur  contre  les  tyrannies  de  quelques  pachas  étaient  mieux  écou- 
^btées  que  jamais.  Les  Barbaresques  n'avaient  pas  cherché  à  profiler 
^^ie    nos  embarras  ;  d'ailleurs  la   présence   de    nombreux   corsaires 
crhrctiens  et  de  Hottes  de  guerre  considérables  dans  la  Méditerranée 
Xî'était  pas  favorable  k  leurs  courses.  Bien  que  nos  consuls  n'eussent 
<quc  des  sommes  modestes  à  leur  disposition  pour  détruire  l'effet  des 
^^ntrigues  des  Anglais   et  des  Hollandais  la  paix  fut  donc  mainicnue 
^Ktvcc  eux,  il  fallut  toutefois  fermer  les  yeux  sur  un  certain  nombre 
^ftj'avanies  qu'ils  firent  subir  A  nos  bâtiments.  En  17x4,  il  fut  question 
^^3e  les  en  châtier,  mais  la  Chambre  et  la  Compagnie  d'Afrique  firent 
^^à  la  l'ois  des  représentations  pour  qu'on  eût  recours  à  la  conciliation 
^■KC  M.  Duquesne,  envoyé  ù  Tunis  et  à  Tripoli  avec  le  vaisseau  le 
JDiamant  réussit,  en    distribuant  seulement    pour  1.496   livres  de 
présents,  à  obtenir  des  deux  gouvernements  les  satisfactions  qu'on 
«demandait  *. 
^^     Il  semblait,  pendant  la  guerre,  qu'il   n'y   eût  plus  d'argent  en 
^BFrance  :  «  notre  place  est  si  resserrée  qu'il  n'y  reste  pas  un  sol  », 
^Bécrivait  la  Chambre  dés  17O),  mais  les  capitaux  se  cachaient,  ils  ne 
manquaient  pas  et  il  leur  tardait  de  se   hasarder  après  être  restés 
longtemps  improductifs.  Il  en  était  de  même  des  b;\timents  que  les 


(t)  M^moirt  citi.  BU,  6.  Jol.  13J  et  suiv. 

(lol>r(  rj!.f.  lU!,  Sj.  —  Cf.  [3  fnr.  lyio,  aj/aiiv.  1712.  BB,  S}. 


350  LA    CRISE 

armateurs  étaient  impatients  de  fréter  après  les  avoir  vus  si  souvent 
enfermés  dans  le  port.  Sans  doute  les  prises  avaient  fortement  dimi- 
nué la  flotte  provençale,  d'autres  vaisseaux  avaient  été  vendus  aux 
Génois  ou  aux  Livournais,  mais,  avant  même  la  fin  de  la  guerre,  le 
nombre  des  voyages  faits  dans  le  Levant  prouve  que  le  nombre  des 
bâtiments  était  considérable  et  l'on  dut  se  remettre  activement  à  en 
construire,  car,  en  17 14,  quatre-vingts  vaisseaux  au  moins  sortirent 
des  ports  de  Provence,  sans  compter  les  petits  bâtiments.  On  pour- 
rait croire  aussi  que  la  ruine  des  manufactures  dut  empêcher  les 
négociants  de  trouver  des  marchandises  ;\  porter  en  Levant,  mais  le 
peu  de  trafic  qui  s'était  fait  dans  les  dix  dernières  années  avait  laissé 
s'accumuler  un  stock  considérable  de  marchandises,  et,  après  la  paix, 
les  fabricants  assurés  du  débit  purent  donner  une  nouvelle  activité  ;\ 
leur  production.  Les  manufactures  de  draps  du  Languedoc,  qui 
fournissaient  les  articles  les  plus  importants  d'exportation,  n'avaient 
d'ailleurs  jamais  cessé  leur  fabrication. 

Rien  n'empêchait  donc  les  Provençaux  de  reprendre  leur  com- 
merce que  la  guerre  avait  interrompu,  mais  non  ruiné.  Ils  n'attendi- 
rent même  pas  qu'elle  fût  finie  ;  dès  qu'il  se  produisit  un  ralentisse- 
ment dans  les  hostilités,  il  y  eut  une  véritable  fièvre  parmi  les 
marchands,  les  armateurs  et  les  capitaines,  pour  être  les  premiers  A 
profiter  de  la  reprise  des  affaires.  Dans  les  cinq  années  les  plus 
désastreuses  de  la  guerre,  de  1705  à  17 10,  la  moyenne  des  départs 
pour  le  Levant,  sans  tenir  compte  des  transports  de  blé,  avait  été  de 
69;  on  1710,  il  y  eut  104  départs,  135  en  1711,  120  en  1712  et  ce 
chiffre  i  la  suite  de  la  signature  de  la  paix  s'éleva  à  156  et  à  305  en 
171 5;  on  n'avait  pas  vu  un  pareil  mouvement  dans  les  ports  de 
Provence  depuis  les  débuts  du  xvii"=  siècle.  Les  marchandises  déchar- 
gées à  Marseille,  en  1713  et  17 14,  atteignirent  la  valeur  de 
1 1. 212. 000  et  23.332.000  livres,  et  ces  chiffres  se  maintinrent  aussi 
élevés  les  années  suivantes. 

Il  est  vrai  que  les  marchands  de  Marseille  avaient  montré  trop 
d'empressement  à  faire  des  achats  ;  le  royaume  ne  s'était  pas  remis 
aussi  vite  de  la  crise  qu'il  avait  traversée,  l'argent  ne  circulait  pas, 
la  misère  étiiii  grande,  les  manufactures  tardaient  à  se  remettre  en 
mouvement  et  la  consommation  des  marchandises  du  Levant  était 
donc  beaucoup  moins  considérable.  L'Kspagne,  le  principal  débou- 
ché des  négociants  provençaux,  était   encore   plus   ruinée  que  la 


LA   REPRISE   DES   AFFAIRES 


351 


'nnce  et  il  fallait  du  temps  pour  que  les  transactions  avec  les  autres 
[pays  comme  l'Italie,  la  Hollande  ou  rAllemagnc  fussent  rc'tablies. 
fD'aillcurs,  en  aucun  temps,  pareille  quantité  de  marchandises  n'avait 
tété  déversée  i  la  fois  sur  le  marché  marseillais  et  ce  n'était  pas  seu- 
lement les  anciens  débouchés  qu'il  fallait  retrouver,  l'activité  inusitée 
_du    commerce  rendait  nécessaire   d'en  ouvrir   de  nouveaux  et  ce 
^n'était  pas  chose  facile,  au  lendemain  d'une  guerre  qui  avait  boule- 
versé la  moitié  de  l'Hurope. 

Le  commerce  subit  donc  une  nouvelle  crise  en  1715,  analogue  ;\ 
celle  qu'il  avait  ressentie  de  1697  a  1700,  par  suite  de  la  pléthore  des 
^marchandises  i  Marseille.  Les  magasins  étaient  remplis,  il  n'y  avait 
pas  d'acheteurs,  la  Chambre  se  plaignit  «  du  rabais  presque  incroyable 
des  prix  '.  »  11  s'ensuivit,  dans  les  premiers  mois  de  1715,  environ 
soixante-dix  banqueroutes,  dont  les  unes  avaient  entraîné  les  autres. 
Pour  conjurer  le  danger,  le  ministre  accorda  une  prorogation  de 
plusieurs  mois  pour  les  paiements  de  Pâques  qui  furent  reportes  en 
juillet,  puis,  il  cette  date,  la  Chambre  obtint  encore  du  Parlement 
■  d'Aix  un  sursis  de  deux  mois  pour  l'exécution  des  contraintes  à 
l'égard  des  débiteurs  négociants.  Le  30  juillet,  une  grande  assem- 

Iblée  des  marchands  fut  réunie  par  l'intendant  Arnoul,  pour  concer- 
ter les  moyens  «  d'éviter  la  déroute  presque  générale  du  commerce, 
afin  que  les  négociants  prissent  des  ajustements  entre  eux  pour  se 
soulager  les  uns  les  autres.  »  L'assemblée  jugea  que,  pour  faciliter 
ces  arrangements,   «   il  paraissait  encore  nécessaire  de  mettre   une 

I  surséance  de  six  mois  pour  les  billets  à  ordre  *.  » 
Mais  cette  nouvelle  crise,  quoique  très  grave,  ne  se  prolongea  pas, 
le  chiffre  des  importations,  tombé  au-dessous  de  5.000.000  en  1716, 
remonta  à  plus  de  13.000.000  de  livres  en  1717  et  le  courant  des 
afl;iires  conserva  régulièrement  un  niveau  supérieur  à  celui  qu'il 
avait  atteint  pendant  tout  le  règne  de  Louis  XIV  :  l'année  171 9 
deux  cent  quatre-vingt-dix-sept  navires  rapportèrent  du  Levant  des 


I 


(I)  Lettre  du  consul  du  Ciiirt  y  juin  ijif  :  «  Les  négoci.-ints  de  Marieille  ont 
eu  h  fureur  J'envoycr  une  forait  de  bdtimeats  avec  des  sommes  immenses....  ils 
ont  cru  l'Egypte  in<^puisable,  ils  oat  nclieté  les  piastres  jusqu'à  S  livres  )  sols  ;  ils 
ont  rais  le  feu  aux  marchandises  que  l'on  tire  de  l'Egypte  pour  les  revendre  à  une 
perte  de  50  0/0,  Vous  voulez  la  liberté  du  commerce  et  voili  ce  qui  arrive  ;  il  y  a 
di:i-huit  mois  que  les  négoci.ints  de  votre  place  font  un  commerce  très  désa- 
vantageux dans  toutes  les  échelles  du  Levant  et  vous  n'avez  l'ait  aucune  diligence 
pour  y  mettre  ordre.  »  A  A,  ^04. 

(1}  AtsetnbUt  du  jo  juillet  171  s-  —  BB,  6,  fol.  içy. 


352  LA   CRISE 

marchandises  valant  près  de  vingt-quatre  millions  de  livres.  La 
guerre  de  succession  n'avait  donc  causé  qu'une  crise  très  doulou- 
reuse, mais  passagère,  qui  ne  détruisit  pas  l'heureux  effet  des  longs 
efforts  accomplis  pendant  le  règne  de  Louis  XIV.  La  nation  fran- 
çaise achevait  alors  de  s'établir  dans  les  parties  du  Levant  où  elle 
ne  l'était  pas  encore  :  au  début  de  la  guerre  de  succession  avait  été 
ouverte  l'échelle  de  Larta  en  Epire.  En  171 5,  la  chambre  décida 
d'établir  un  consul  dans  chacune  des  îles  de  l'Archipel,  pour  donner 
la  protection  nécessaire  aux  Français  ;  des  vice-consuLits,  dépen- 
dants de  l'échelle  de  Salonique,  durent  être  créés  sur  la  côte  de 
Macédoine  *.  L'important  commerce  de  blés  qu'on  avait  fait  dans 
ces  pays  pendant  la  guerre  de  succession  avait  attiré  avec  raison 
l'attention  de  la  Chambre.  Les  Français  étaient  enfin  en  état,  au 
début  du  xvin"  siècle,  de  disputer  avec  succès  aux  Anglais  et  aux 
Hollandais  les  bénéfices  d'un  négoce  que  ceux-ci  avaient  pu  espérer 
leur  enlever  en  entier,  au  milieu  du  xvii"  siècle. 

(1)  26  avril  ijiS-  ^ti,  6.  —  Ils  auront  pour  les  faire  subsister  2  0/0  de  la  valeur 
des  marchandises  et  en  outre  un  droit  d'ancrage  de  5  piastres  par  vaisseau,  sur 
ceux  qui  après  avoir  déchargé  ne  chargeraient  pas  |X>ur  le  retour. 


LIVRE  III 


TABLEAU   DU    COMMERCE   DU   LEVANT 


A   LA   FIN   DU   XVIIc  SIÈCLE 


CHAPITRE   PREMIER 

LES   PORTS   FRANÇAIS   ET   LE   COMMERCE   DU    LEVANT 


Depuis  l'édit  de  1669  et  les  arrêts  du  Conseil  de  1685  et  1692, 
confirmés  par  celui  de  1703,  Marseille  avait  définitivement  le 
monopole  du  commerce  du  Levant  qu'elle  faisait  déjà  presque  en 
entier  auparavant,  grâce  aux  avantages  de  sa  position  et  aux  privi- 
lèges dont  elle  avait  toujours  joui  depuis  le  moyen  âge.  Colbert 
pensa  tout  d'abord  à  la  transformer  pour  la  rendre  digne  du  rôle 
«qu'il  lui  assignait.  La  ville  s'étageait  alors  presque  tout  entière  sur 
les  pentes  des  collines  qui  bordaient  son  port  du  côté  du  nord,  avec 
Un  quartier  plus  récent  faisant  face  aux  anciens,  au  pied  de  la  col- 
line escarpée  de  Notre-Dame-de-la-Garde,  près  du  vieux  monastère 
de  Saint-Victor.  Entre  ces  deux  parties  de  la  ville  s'allongeait  le 
port,  prolongé  du  côté  de  l'est  par  les  chantiers  de  construction  du 
plan  Formiguier. 

C'est  de  ce  côté  que  l'intendant  des  galères  Arnoul  proposa  d'éta- 
blir les  nouveaux  quartiers  ;  il  en  avait  conçu  l'idée  et,  de  sa  propre 
initiative,  il  en  adressa  les  plans  â  Colbert'.  Celui-ci  les  approuva 

(1)  /  mars  1666,  à  Arnoul.  Lettres  et  Inst.  t.  II,  p.  434. 


3)4  '  TABLEAU   DU   COMMERCE 

aussitôt  et  en  poursuivit  activement  l'exécution,  malgré  l'opposition 
des  Marseillais,  très  en  garde  contre  tout  ce  qui  venait  de  la  cour, 
mécontents  de  voir  abattre  une  partie  de  leurs  vieilles  murailles, 
«  dont  les  tours,  écrit  Arnoul,  semblaient  menacer  le  ciel  et  la 
terre'  »,  et  avec  lesquelles  paraissaient  tomber  les  derniers  vestiges 
de  leur  indépendance,  inquiets  enfin  de  voir  des  étrangers  venir 
s'établir  dans  leur  ville. 

Les  éclievins  durent  s'entendre  avec  Arnoul,  «  agir  avec  lui  avec 
la  dernière  correspondance,  »  et,  à  partir  de  1669,  les  nouveaux 
quartiers  commencèrent  à  s'élever*.  Dès  qu'il  avait  été  question  de 
les  construire,  «  beaucoup  d'étrangers  bons  négociants,  »  d'après 
Arnoul,  avaient  demandé  des  places  à  acheter  ;  le  privilège  de  bour- 
geoisie, que  l'édit  de  1669  accorda  sur  ses  instances  à  ceux  qui 
bâtiraient  ou  achèteraient  des  maisons  dans  les  nouveaux  quartiers, 
dut  contribuera  les  attirer'.  Les  plans  conçus  par  l'intendant  étaient 
grandioses,  et  la  Cannebière,  malheureusement  séparée  du  port  par 
les  dépendances  de  l'arsenal  des  galères,  le  Cours  qui  la  coupait  à 
angle  droit  avec  ses  belles  constructions  régulières,  à  l'ornementa- 
tion desquelles  avait  présidé  Pierre  Puget*,  excitaient  alors  l'admi- 
ration des  étrangers.  En  même  temps,  au  milieu  de  l'ancienne  ville, 
sur  le  quai  du  port,  l'hôtel  de  ville,  devenu  insuffisant  pour  les 
assemblées  des  marchands,  était  remplacé  par  un  édifice  lourd  et 
disgracieux,  mais  d'aspect  monumental.  Gnke  à  ces  tranformations, 
Marseille  passait  ;\  la  fin  du  xvii"'  siècle  pour  l'une  des  belles  villes 
d'Europe.  Sa  population,  inférieure  ;\  éo.ooo  habitants  avant 
Louis  XIV,  s'était  élevée  à  loo.ooo  en  1700". 

Des  travaux  bien  plus  importants  pour  le  commerce  avaient  été 

(i)  «  Voilà  le  dernier  coup  de  l'autorité  rétablie  de  voir  sauter  ces  tours  qui 
semblaient  menacer  le  ciel  et  la  terre.  »  21  décembre  1666.  Depping,  t.  I,  p.  772  ; 
cf.  lettre  du  22  janvier  1667.  Ibid. 

(2)  «  L'on  fait  les  alignements  pour  l'agrandissement  où  l'on  va  travailler  avec 
diligence.  »  —  Evèque  de  Marseille  à  Colbert,  2j  novembre  xGùi).  Dkpping,  t.  I, 
p.  810. 

(3)  iS  janvier  i66j.  Arnoul  à  Colbert.  Depping,  t.  I,  p.  772. 

(4)  Colbert  expédia  ù  .\rnou!,  le  i"  mai  1671,  un  arrêt  du  Conseil  pour  com- 
mettre le  sieur  Puget  aux  alignements...  et  obliger  les  particuliers  à  ne  faire  aucuns 
bâtiments  sans  sa  participation.  lettres  et  Inst.  t.  III,  i"  partie.  —  Cependant 
l'ornenientation  des  maisons  du  cours  St-Louis,  construites  au  XYiii"-  siècle,  ne 
doit  pas  être  attribuée  à  Puget.  F.'iBRE.  Les  Rues  île  Marseille,  t.  II,  p.  78. 

(5)  Arch.  de  la  Marine.  B',  joo,  fol.  99.  —  Cependant  d'après  les  calculs  de 
M.  Fabre  (Les  Hues  de  Marseille,  t.  I,  p.  388),  la  ville  n'avait  que  75.000  habitants 
eu  1696. 


MARSEILLE  J  5  S 

faits  en  même  temps  dans  le  port,  sous  la  direction  de  l'intendant 
Arnoul.  L'excellent  port  naturel  de  Marseille  si  heureusement  choisi 
par  les  navigateurs  grecs  avait  une  entrée  resserrée  entre  deux  rochers  ; 
en  1380  pour  le  rendre  encore  plus  sûr  et  en  ûciliter  la  défense,  on 
l'avait  encore  rétréci  parla  construction  de  trois  piliers  en  pierres  de 
taille,  entre  lesquels  était  tendue  une  cliaine  pour  le  fermer  pendant 
la  nuit.  Il  n'y  eut  pas  d'autre  travail  fait  avant  que  Marseille  appar- 
tint aux  rois  de  France.  «  Le  roi  Louis  XII,  raconte  l'historien  de 
Marseille  RufR,  fut  le  premier  qui  commanda  d'y  faire  un  quai  du 
coté  delà  ville,  et  parce  qu'on  y  travaillait  fort  lentement,  Préjentde 
Bidoux,  capitaine-général  des  galères,  en  avertit  S.  M.,  qui,  par  sa 
lettre  datée  de  Blois  (9  avril  13  il),  enjoignit  aux  consuls  d'user  de 
diligence;  et,  l'année  suivante,  ce  prince  donna  ordre  .\  Pierre  Filholi, 
archevêque  d'Aix,  de  faire  achever  ce  quai,  qui  fut  alors  construit 
sur  des  paux  et  tout  de  pierre  de  taille  et  n'avait  que  quatre  pans  de 
large...  Q)mme  il  était  encore  trop  étroit,  le  roi  Louis  XIII,  étant  .^ 
Marseille  l'un  1622,  trouva  .i  propos  de  l'agrandir  encore,  de  sorte 
que  la  même  année  on  commença  d'y  travailler,  et  on  continua 
depuis  avec  tant  de  diligence  que,  l'an  1623,  on  le  mit  au  même  état 
où  nous  le  voyons,  aux  dépens  de  la  gabelle  du  port.  »  Du  coté  de 
b  colline  de  N.-D.  de-la-Garde,  le  port  avait  été  bordé  d'une  muraille 
^bcn  1)11,  aux  frais  de  la  communauté,  un  quai  n'y  fut  construit 
^qu'en  ï$f>6,  sur  l'ordre  de  Charles  IX,  qui  visita  la  ville'.  Mais  ce 
^uai  ne  s'étendait  pas  tout  le  long  du  port  dont  le  côté  est,  était 
Kcccupé  par  le  Pbn  Formiguier. 

L'intendant  Arnoul  voulut  créer  dans  le  port  un  grand  arsenal 

|j)0ur  les  galères  ;  «  Il  est  de  nécessité,  écrivait-il,  que  les  choses 
soient  tellement  disposées  à  Marseille  et  à  Toulon  qu'en  cas  d'acci- 
«ient,  de  maladie  contagieuse,  l'un  ou  l'autre  puisse  servir  pour 
'vaisseaux  et  pour  galères.  »  Malheureusement  il  ne  trouva  pas  de 
meilleur  emplacement  pour  l'arsenal  que  le  plan  Formiguier  ;  les 
marchands  et  la    Chambre,    menacés  d'être  dépossédés   de    leur 

■  chantier  de  construction  de  navires,  firent  au  projet  une  vive 
opposition  et  c'est  à  ce  sujet  que  commencèrent  les  démêlés  avec 
l'intendant.  Leurs  arguments  firent  même  impression  sur  Colbert, 
préoccupé  plus  encore  du   développement  du   commerce  que  de 

m    (1)  RL'FFi,  p-  5.  —En  1646,  un  Eindl  avait  été  construit  parla  commuiuutô 
il'cntrdc  du  port.  Wrjy.  Commun.  IMilih-,  du  t)  jtpUmbri  1646. 


356  TABLEAU   DU    COMMERCE 

celui  de  la  marine  de  guerre,  et  l'intendant  fut  obligé  de  se  justifier. 
«  Si  Marseille  avait  tout  le  commerce  du  Levant  à  elle,  écrit-il 
au  ministre,  elle  a  de  quoi  bAtir  commodément  plus  de  vingt  grands 
vaisseaux  ila  fois,  pourvu  que  l'on  donne  du  fonds  en  Rive- Neuve, 
qui  a  été  mon  intention  et  que  j'exécuterai,  pourvu  que  l'on  me  croie 
et  que  l'on  remette  Rive-Neuve'  en  plage.  J'ai  consulté  nos  maîtres 
charpentiers,  ceux  de  la  ville  qui  m'ont  parlé  sans  prévention  ;  j'ai 
vu  bAtir  un  des  plus  grands  vaisseaux  qui  se  soit  bâti  à  Marseille  et 
ce  hors  du  plan  Fournilier  et  en  un  lieu  où  on  en  bâtirait  aisément 
plus  qu'il  n'en  faudra  jamais  et  le  roi  a  un  arsenal  commode  et 

beau Je  vous  prie  d'être  en  repos  pour  le  commerce  et  bâtiment 

des  vaisseaux  de  Marseille.  Je  prends  sur  ma  tête  et  ma  vie  qu'on 
me  laisse  faire,  qu'ils  ne  seront  point  incommodés  de  la  prise 
entière  du  plan  Fournilier,  pourvu  qu'avant  de  prendre  feu,  les 
choses  que  j'ai  toujours  eu  dessein  de  faire  soient  faites*.  » 

La  création  de  l'arsenal  des  galères  ne  semble  pas  en  effet  avoir 
gêné  le  développement  du  commerce  ;  d'Oppède  et  Arnoul,  sur 
l'ordre  du  roi,  firent  avec  la  ville  un  contrat  le  13  septembre  1668, 
par  lequel  on  lui  cédait  un  autre  emplacement  pour  la  construction 
des  vaisseaux'.  Plus  tard  l'intendant  des  galères  ayant  voulu  en 
construire  deux  en  dehors  de  l'arsenal,  dont  les  deux  bassins  se 
trouvaient  occupés  par  la  construction  de  deux  autres,  obtint  de  la 
Chambre  l'autorisation  de  s'établir  provisoirement  sur  le  chantier 
destiné  au  commerce,  mais  il  refusa  de  l'abandonner  quand  celui-ci 
en  eut  besoin,  et,  après  plusieurs  années  de  contestations,  la  Chambre 
dut  encore  chercher  un  nouvel  emplacement,  pour  que  le  commerce 
pût  avoir  son  chantier*. 

Arnoul  se  préoccupa  non  moins  vivement  du  curage  du  port'  qui, 
par  suite  de  la  négligence  des  consuls,    menaçait  de  se  combler 

(1)  Quai  bâti  bous  Charles  IX. 

(2)  10  avril  i66ti.  Dti'PiNG,  t.  I.  p.  772  et  suivants. 

(3)  Il  est  vrai  que  la  ville  dut  acheter  cet  emplacement  des  religieuses  Bernar- 
dines sur  la  rive  neuve  du  port  au  prix  de  50.OCX)  livres.  — (Délibêr.  du  2  août 
1666.  —  Reg.  66  des  Délibêr.,  fol.  ;;;). 

(4)  <;  août  16S1.  Lrltn-  de  la  Chambre,  HB,  26.  —  jo  juillet  16S6,  Seignelay  à 
Morant.  —  Par  acte  du  12  novembre  1689  la  ville  acheta  de  l'C^uvre  de  N.-O. 
de  Miséricorde,  au  prix  de  H -5*^3  libres,  le  terrain  qui  servit  délinitivemcnt  de 
chantier  jusqu'.'i  nos  jours.  —  (.U\h.  Commun.  Reg.  ij2  des  itélibér.,  fol.  i.f.) 

(5)  Puget  avait  dressé  un  plan  de  canaux  pour  augmenter  l'étendue  des  quais 
et  du  port,  mais  l'intendant  en  déconseilla  l'exécution  :  le  port  suffisait  ample- 
ment si  ou  savait  l'utiliser.  —  Lettre  du  4  décembre  tôôS.  —  DtpriNG,  t.  I,  p.  791, 


MARSEILLE  357 

et  devenait  insnffis.int,  au  moment  où  les  navires  augmentaient  de 
dimensions  et  de  tonnage.  Il  y  avait  cependant  chaque  année  pour 
ce  curage  des  travaux  adjuges  ù  un  entrepreneur  et  il  fut  plusieurs 
fois  question  dans  les  délibérations  de  l'assemblée  municipale,  anté- 
rieurement h  la  création  de  la  Chambre  du  commerce,  de  l'expéri- 
mentation de  machines  perfectionnées  pour  opérer  le  dragage  des 
boues  et  de  nouvelles  barques  pour  les  conduire  en  pleine  mer;  mais 
il  y  avait,  sans  doute,  comme  l'écrivait  Arnoul,  une  foule  d'abus,  il 
fallait  empêcher  «  les  pots  de  vin  qu'on  prenait  en  donnant  la  ferme 
qui  était  une  intrigue,  ne  donner  de  la  barcade  de  vase  que  ce 
qu'elle  valait  et  tenir  la  main  que  tous  ces  deniers  fussent  bien 
employés.  Les  deux  intendants  du  port,  disait-il,  ne  peuvent  venir 
à  bout  de  ceux  qui  travaillent  avec    lesdits   engins,   qui    sont  de 

pauvres  misérables  auxquels  on  sous  ferme  la  barcade  de  boue 

Comme  on  leur  donne  le  moins  qu'on  peut  et  que  tout  le  profit 
demeure  au  bourgeois.  ;\  qui  la  machine  appartient....  ces  pauvres 
gens  vont  chercher  dans  le  purt  l'endroit  où   la  bouc   est  la   plus 

molle  sans  s'inquiéter  s'il  manque  de  fond  en  cet  endroit je  les 

fis  tomber  d'accord  que  je  mettrais  moi-même  les  machines  aux 
lieux  nécessaires'.  »  En  ié68,  faute  d'un  fond  suffisant,  il  f.nUut 
attendre  plusieurs  mois  pour  mettre  ù  l'eau  la  galère  capitane  nou- 
vellement construite  et  l'on  dut,  pour  la  garantir  du  soleil  .'i  terre, 
la  recouvrir  de  toiles  sans  cesse  mouillées'. 

Colbert  donna  à  Arnoul  la  direction  du  travail  du  curage  et  le 
pres.sa  vivement  de  le  poursuivre  avec  activité.  «  Je  vous  prie  de 
me  mander  en  détail  tous  les  mois,  lui  écrit-il,  la  quantité  de  pon- 
dons que  vous  emploierez  et  le  n4)mbre  de  batelécs  de  vase  qu'ils 
Jltcront'.  »  Mais  ce  n'était  pas  un  mince  travail  que  de  faire  un 
curage  complet  du  port  ;  fa  Chambre  avait  évalué  la  dépense  en  r662 
A  600.000  livres  et  la  gabelle  du  port,  dont  la  ville  affectait  ch.tque 
année  le  produit  A  cet  usage,  ne  donnait  par  an  que  15.000  livres, 
A  la  suite  de  l'affranchissement  du  port,  la  Chambre  consentit 
à  supporter  cette  charge  et  l'ordonnance  du  premier  président 
l'Oppède  décida   que  tous  les  ans,  préférablement  A  toute  autre 


il)  s  »««'  '66S.  —  Depping,  t.  IV,  p.  54. 
(1)  Même  lettre. 

(j)  tô  août  i6bi).  Lettres  et  fint.,   t.  III,  !'•■■  partu.  —  ;<•'  mai  if>/i,  ihid. — 
*  d'Oppfde,  ;o  mii  1661).  Depping,  i.  III,  p.  .^67. 


5)8  TABLEAU  DU  COMMERCE 

dépense,  elle  verserait  au  trésorier  de  la  ville  23.000  livres  pour 
être  employées  au  curage'.  Plus  tard  la  Chambre  réussit  h  se  faire 
décharger  de  cette  dépense  sous  prétexte  que  le  comblement  du  port 
ne  venait  pas  des  navires,  puisque  leur  déchargement  se  faisait  dans 
les  infirmeries,  mais  des  ordures  et  immondices  de  la  ville  qui  se 
déversaient  dans  le  port.  L'arrêt  du  Conseil  du  16  août  1685  ordonna 
que  la  somme  de  25.000  livres  serait  prise  sur  les  deniers  d'octroi 
ou  fermes  de  Marseille,  et  payée  annuellement  par  trimestre  et 
d'avance,  avec  défense  à  la  Chambre  à  l'avenir  de  plus  rien  imposer 
ou  lever  sur  les  bâtiments  marchands,  sous  prétexte  de  nettoiement  du 
port  en  quelque  forme  et  manière  que  ce  fût,  à  peine  de  concussion  *. 
Pendant  la  guerre  de  succession  d'Espagne,  l'état  extrêmement 
obéré  des  finances  de  la  ville  décida  l'intendant  Lebret  A  proposer  à 
Pontchartrain  de  remettre  de  nouveau  le  curage  du  port  à  la  charge 
de  la  Chambre,  mais  celle-ci,  réussit  à  plusieurs  reprises  à  faire 
écarter  cette  proposition*. 

Les  travaux  d'entretien  avaient  été  mieux  exécutés  depuis  1669, 
car  on  ne  fit  plus  de  plaintes  de  l'insuffisance  de  la  profondeur  du 
port,  mais  il  semble  que  l'augmentation  de  la  marine  marseillaise 
après  le  traité  d'Utrecht  ait  fait  trouver  trop  restreint  l'espace  dont 
disposaient  les  navires.  On  proposa  en  effet  pour  la  première  fois, 
en  171 5,  d'effectuer  des  travaux  pour  faire  disparaître  un  rocher  qui 
occupait  dans  le  bassin  un  espace  considérable*.  Deux  ans  après,  un 
ingénieur  du  roi,  garde  des  plans  de  S.  M.,  M.  Mazin,  présenta  à 
la  Chambre  un  projet,  qu'il  avait  fait  approuver  par  le  Conseil  de 
marine,  pour  la  construction  d'une  darse  «  à  y  pouvoir  placer  les 
galères  du  roi  et  laisser  libre  aux  négociants  l'ancien  port,  en  sorte 
qu'on  puisse  faire  avec  toute  sorte  de  commodité  et  de  liberté  le 
commerce.  »  Lt  Chambre  trouva  sans  doute  que  la  contribution 
de  400.000  livres  qu'on  lui  demandait  était  trop  considérable  et  les 
travaux  n'eurent  pas  lieu. 

(i)  Ordonn.  du  fi  juiUd  i66p,  BB,  2,  fol.  77  j.  —  4  septembre  i66q.  Ordoim. 
explicative.  Ibid.  fol.  ■j]i-)2. —  Dans  les  registres  de  comptes  des  dépenses  de  la 
cL-inibrc,  CC,  2}  et  siiiv.,  la  cure  du  port  (i<^ure  en  1673  pour  87. 5(X)  livres,  en 
1674  pour  37.51)0,  en  167S  pour  18.750,  en  1677  pour  25. ax),  en  1678  pour 
51,250  et  ensuite  régulièrement  pour  25.000  livres. 

(2)  BB,4,fol.  IS4. 

(3)  24  novembre  I/06,  i S  janvier  170S,  21  mai  iji}.  BB,  S}. 

(4)  2i)  mai  ijij.  BB,  S}.  Lettre  do  Pontchartrain  faisant  entendre  à  la  Chambre 
que  c'est  ;\  elle  et  non  à  la  ville  à  supporter  cette  dépense. 


MARSEILLE 


L'insuffisance  de  l'organisation  des  quarantaines,  si  importantes 
'"à  Marseille,  dont  les  navires  revenaient  de  lieux  souvent  ravagés 
par  la  peste,  nécessita  aussi  sous  Louis  XIV  des  travaux  très  impor- 
tants '.  Les  quarantaines  étaient  purgées  ordinairement  aux  îles,  dans 
les  ports  de  Pomègue  et  du  Frioul,  mais  si  un  navire  arrivait  de 
lieux  où  sévissait  la  contiigion,  les  marchandises  pouvaient  être 
envoyées  au  lazaret,  situé  sur  la  terre  ferme,  où  les  passagers  avaient 
la  faculté  de  passer  le  temps  des  quarantaines.  Marseille  avait  eu  un 
premier  lazaret  en  1476;  après  la  peste  de  1557,  il  fi.it  établi  dans 
des  constructions  situées  sur  le  port  St-Lambert  qui  prit  le  nom 
qu'il  conserva  jusqu'au  xix' siècle  de  port  des  Vieilles-Infirmeries', 
Quand  le  roi  fit  construire  le  fort  St-Nicolas  on  trouva  le  lazaret 
trop  rapproché  et  il  fut  transféré  au  nord  de  la  ville,  où  il  resta 
jusqu'à  la  construction  des  bassins  actuels  du  port  de  Marseille,  dont 
l'un  porte  le  nom  de  bassin  du  Laziiret.  Les  Nouvelles  Infirmeries, 
pour  la  construction  desquelles  le  roi  avait  accordé  50.000  livres  h 
h  ville',  occupaient  un  vaste  espace  au  nord  de  la  ville.  «  Le  Lazaret, 
écrit  un  voyageur  allemand  du  xviii*  siècle,  se  trouve  à  une  distance 
de  mille  pieds  des  murs  du  la  ville  et  contient  tous  les  bâtiments 
nécessaires  pour  loger  le  commandant,  l'aumônier,  le  médecin,  le 
chirurgien,  l'économe  et  les  garçons  de  service.  Il  est  entouré  d'une 
double  muraille  de  24  pieds  de  haut;  l'intervalle  est  de  56  de  large 
et  des  soldats  gardent  continuellement  l'extérieur.  A  côté  se  trouve 
un  second  lazaret  dans  les  mêmes  conditions  :  c'est  là  qu'on  décharge 
les  marclian dises  des  navires  suspects  pour  y  être  aérées,  retournées 
et  soumises  aux  fumigations  pendant  cinquante  jours.  Les  travail- 
leurs attachés  à  cette  besogne  sont  rigoureusement  internés  dans  le 
premier  lazaret  où  on  les  nourrit  avec  le  plus  grand  soin  *.  »  Quant 
aux  ports  des  îles,  où  s'arrêtaient  tous  les  navires  pour  subir  la  qua- 

■   (!)  La  peste  avait  en  effet  éclaté  à  Marseille  dix  fois  au  xvi«  siècle  et  deux  fois 
dans  1.1  première  moitié  du  xvn<^  siècle. 

(3)  niles  avaient  àiè  agrandies  par  l'achat  de  plusieurs  maisons  voisines  \  la 
suite  de  la  peste  de  i6jo.  —  V.  Jrcb.  Commun.  Dâibérations,  10  novembre  i6jo, 
i,  iS  aoùl,  4,  6,  7  octobre  i6}i. 

(3)  Mcrariir  à  Colhert,  22  el  5/  mai  tô6i.  Il  le  presse  de  mettre  la  ville  en 
possession  de  la  somme  promise  pour  une  infirmerie.  Deppinc,  t.  I,  p.  525.  — 
Colberl  à  de  la  GuelU,  intcidanl  d<-  la  Marine,  S  septembre  1662.  Lettres,  t.  III. 

(4)  FiscH.  Lettres  sur  le  Midi  de  la  France.  Zurich,  1790.  Trad.par  M.  Barré. 
Bibl.  de  la  ville  de  Marseille,  dans  le  Bull,  de  la  Soc.  de  Gio^.  de  Marseille,  1895, 
p.  20.  —  «  Le  lazaret,  dit  le  voyageur  Lucas  en  1717.  est  un  des  plus  beaux 
Ditimenis  qu'on  puisse  voir.  >< 


360  TABLEAU   DU   COMMERCE 

rantaine,  on  les  avait  laissé  combler  peu  à  peu,  si  bien  qu'à  l'époque 
de  Colbert  ils  ne  furent  plus  accessibles  et  les  navires  furent  obligés 
de  faire  quarantaine  au  port  de  Doumes  (Endoume)  qui  était  très 
petit  et  touchait  à  la  terre  ferme.  Il  était  d'autant  plus  important 
d'approfondir  le  port  de  Pomègue,  que  les  galères  royales  étaient 
souvent  obligées,  à  cause  de  l'état  de  la  mer,  d'y  faire  un  séjour 
considérable*.  Seignelay,  sur  la  plainte  de  la  Chambre,  fit  feire  une 
enquête  pour  savoir  à  combien  reviendrait  la  dépense  de  l'améliora- 
tion de  Pomègue,  pour  le  remettre  en  état  de  recevoir  les  vaisseaux 
et  les  galères,  mais  les  travaux  ne  furent  effectués  qu'au  début  de  la 
guerre  de  la  ligue  d'Augsbourg*.  Grâce  à  ces  travaux  les  navires,  en 
cas  de  besoin,  purent  relâcher  non  seulement  à  Pomègue,  mais  au 
port  du  Frioul  et  au  fort  Tourville  dans  le  petit  îlot  qui  émerge  à 
l'entrée  de  la  rade  d'Endoume,  où  la  Chambre  du  commerce  avait 
soin  d'entretenir  des  amarres  scellées  dans  le  roc.  Enfin,  A  cet 
ensemble  de  travaux  effectués  dans  le  port  de  Marseille  s'ajoutait  la 
construction  des  deux  fortifications,  la  citadelle  St-Nicolas  et  le  fort 
St-Jean,  qui  en  gardaient  l'entrée  ;  peu  de  ports  du  royaume  avaient 
été  l'objet  de  pareilles  dépenses. 

Il  y  avait  aussi  peu  de  villes  où  le  commerce  tînt  une  aussi  grande 
place  dans  la  vie  des  habitants.  En  dehors  des  négociants,  des  ban- 
quiers, des  assureurs  maritimes,  des  courtiers,  des  armateurs,  des 
capitaines  et  patrons  de  bâtiments,  qui  formaient  une  fraction  impor- 
tante de  la  population,  tout  le  reste  de  la  ville  était  intéressé  au 
commerce  du  Levant.  Les  gentilshommes,  nombreux  â  Marseille, 
s'ils  ne  pratiquaient  pas  eux-mêmes  le  négoce,  engageaient  leurs 
capitaux  dans  la  banque  ou  dans  les  assurances;  le  menu  peuple 
risquait  sur  les  navires  le  peu  d'argent  dont  il  disposait  :  «  les  gens 
de  bras,  valets  et  ouvriers,  disaient  les  Lyonnais  dans  un  mémoire 
adressé  à  Colbert,  mettent  ce  qu'ils  ont  d'argent  sur  les  barques  et 
vaisseaux  qui  vont  en  Levant,  jusqu'à  des  sommes  de  20  et  25  écus.  » 
Ce  morcellement  des  capitaux  faisait  à  la  fois  la  force  et  la  fiiblesse 
du  commerce  marseillais.  C'est  ce  qui  lui  permit  de  traverser,  s;ins 
succomber,  de  terribles  crises  :  les  banqueroutes  pouvaient  s'accu- 
muler sans  que  le  commerce  fût  complètement  ruiné,  parce  qu'elles 
n'étaient  pas  considérables. 

{i)  La  Chambre  à  Seignelay,  2S  jiiUM  16S2,  BB,  26. 

(2)  \B  août  16S2,  BB,  S2.  —  Vingt  délibérations  de  la  Chambre,  1688-92.  BB,  4. 


'  MARSEILLE  31»! 

Cette  multiplicitc  d'intérêts  divers  était  la  cause  de  ces  mesquines 
rivalités,  df  cc-s  querelles  violentes  et  de  ces  indécisions  qui  carac- 
térisaient L'S  assemblées  tumultueuses  des  marchands  de  Marseille  et 
provoquaient  chez  Colbert  et  ses  agents  une  irritation  mêlée  de  pitié 
dédaigneuse;  mais  c'est  aussi  pourquoi  la  vie  municipale  avait  encore 
à  Mjrseillc  une  intensité  qu'elle  n'avait  gardée  dans  aucune  autre 
ville  :  dans  les  grandes  assemblées  de  marchands  convoquées  par  la 
Chambre  du  commerce,  le  secrétaire  de  la  Chambre  pouvait  parfois 
relever  les  noms  de  plusieurs  centaines  de  notables  négociants,  sans 
compter  une  foule  d'autres  assistants.  Li  grande  salle  de  la  Loge,  qui 
occupait  tout  le  rez-de-chaussée  de  l'Hôtel  de  Ville,  regorgeait  alors; 
par  SCS  grandes  portes,  l'assemblée  se  répandait  dans  les  rues  voisines 
et  sur  le  large  quai  du  port. 

Le  commerce  du  Levant  avait  en  outre  fait  créer  i\  Marseille  une 
série  d'industries  qui  ne  vivaient  que  par  lui.  La  plus  ancienne  et  la 
plus  prospère  était  celle  de  la  savonnerie,  répandue  autrefois  dans 
toute  la  Provence,  mais  concentrée  de  plus  en  plus  à  Marseille  et  A 
Toulon  ;  même  les  savonniers  de  Toulon,  obligés  de  venir  chercher 
en  partie  ;\  Marseille  les  matières  premières  dont  ils  avaient  besoin, 
luttaient  péniblement  contre  la  concurrence  de  leurs  rivaux  plus  favo- 
risés. On  comptait,  en  1707,  en  Provence,  plus  de  cinquante  manu- 
tictures  de  savon  blanc  et  marbré.  Les  huiles  de  la  province  ne 
suffisaient  pas  i\  alimenter  cette  industrie,  qui  tirait  des  quantités 
considérables  d'huiles  de  l'Archipel  et  surtout  de  Cindie.  Elle 
employait  en  outre  les  cendres  du  Levant  pour  le  savon  blanc,  les 
barilles  ou  bourdes  d'Espagne  pour  le  iivon  marbré.  Les  teinturiers 
en  laine,  en  soie  ou  en  fil,  ne  devaient,  suivant  les  règlements 
de  1664,  employer  que  du  s.ivon  de  Provence. 

Les  manulactures  de  chapeaux  de  Marseille,  expédiés  en  Italie,  en 
Esp.ignc.  en  Savoie,  en  Allemagne  et  dans  le  Levant,  employaient 
plus  de  6000  ouvriers  ou  ouvrières,  soit  *  pour  le  triage  des  laines, 
poil  de  chevron  ou  poil  de  lièvre  ou  de  lapin,  soit  pour  les  ouvriers  qui 
les  mettaient  en  œuvre'.  »  «  Les  manufactures  des  bonnets  de  laine* 
et  celles  des  aulfes  ou  joncs  d'Espagne  établies  i  Marseille,  disant  la 
Chambre  dans  un  mémoire  en  1707,  sont  celles  qui  entretiennent 
et  donnent  de  quoi  subsister  X  toutes  les  pauvres  gens  de  la  ville  ei 


(1)  De  BoisusU!,  i.  II,  ii;;. 

(a)  'rcints  en  rouge  (SavaRV.  Dut.  dn  cotmneru,  cet,  902). 


362  TABLEAU  DU   COMMERCE 

du  terroir,  soit  hommes,  femmes  ou  enfants...  On  peut," sans  exa- 
gération, compter  que  le  nombre  est  de  plus  de  20.000  qui,  sans 
l'occupation  que  leur  donnent  ces  deux  manufactures,  seraient 
réduits  à  la  mendicité.  Pour  la  composition  des  bonnets,  il  faut  des 
laines  du  Levant,  et  pour  les  ouvrages  de  ces  auffes,  il  Éiut  avoir 
recours  à  la  côte  du  royaume  de  Valence*.  Il  y  avait,  à  Marseille  et 
dans  la  Provence,  jusqu'à  soixante  papeteries,  où  se  fabriquaient 
plusieurs  sortes  de  papiers  excellents,  entre  autres,  de  fort  bons 
papiers  à  écrire  ;  ils  se  vendaient  dans  tout  le  Levant  et  jusqu'en 
Perse.  Les  tanneries,  très  nombreuses  à  Marseille  et  dans  son  terroir, 
travaillaient  des  cuirs  verts,  apportés  du  Levant  et  de  Barbarie. 

L'industrie  marseillaise  manufacturait  encore  une  partie  des  cotons 
qui  venaient  du  Levant,  elle  en  faisait  «  des  cotonines  pour  les 
voiles  des  bâtiments  de  mer,  des  bas  de  coton  qui  occupaient  la  plus 
grande  partie  des  forçats  des  galères  de  S.  M.  »,  et  aussi  des  toiles 
de  coton  vendues  dans  le  royaume.  D'une  importance  moindre 
était  la  fabrication  des  «  grenailles  ou  dragées  et  balles  de  plomb  » 
pour  la  chasse,  dont  Marseille  exportait  jusqu'à  150.000  livres  par  an 
en  Espagne  et  dans  le  Levant,  ou  la  taille  «  en  olive  »  du  corail 
dont  la  pêche  occupait  «  le  long  de  la  côte  de  Provence,  de  Mar- 
seille à  Antibes,  un  grand  nombre  de  matelots  invalides.  Il  ne  s'en 
consommait  pas  un  grain  dans  le  royaume  et  tout  passait  ensuite 
aux  Indes  et  en  Levant  pour  la  Perse  et  royaumes  circonvoisins  *.  » 
Neuf  «  blancheries  »  de  cire  établies  à  Marseille  y  travaillaient  les 
cires  brutes  ou  jaunes  importées  du  Levant  pour  les  introduire 
ensuite  dans  le  royaume*. 

A  côté  de  ces  industries  nombreuses  et  pour  la  plupart  anciennes 
deux  autres  furent  créées  vers  le  milieu  du  règne  de  Louis  XIV  :  le 
raffinage  du  sucre  et  la  fabrication  d'étoffes  de  soie  d'or  et  d'argent 
analogues  à  celles  de  Venise  et  de  Gênes*.  Ces  entreprises  sur- 
vécurent heureusement  aux  Compagnies  du  Levant  qui  s'en  étaient 
chargées.  Marseille  était  donc,  alors  comme  aujourd'hui,  une  ville 
aussi  industrielle  que  commerçante,  et  toutes  ces  manufactures  qui, 
sauf  quelques  unes,  ne  subsistaient  que  par  le  commerce  du  Levant, 

(j)  BB,  2S. 

(2)  BoisusLF..  Ihid.  —  Savary,  col.  90 j.  —  Spon.  Voyage,  p.  25. 

(3)  V.  Lettif.  de  Chamillait,  2;  nov.  lyof-  BU,  S}.  Hlk-s  sont  excmptccs  des 
droits  qui  frappent  les  cires  blanches  étrangères  entrant  dans  le  royaume. 

(4)  V.  p.  188  et  195. 


LA   CJOTAT 


363 


d'où  elles  recevaient  leurs  matières  premières,  ne  lui  étaient  pas  moins 
indispensables,  car  elles  fournissaient  aux  négociants  Marseillais  pres- 
que tout  rassortiment  des  marchandises  demandées  aux  Français 
dans  les  échelles. 

Marseille  était  aussi  devenue,  dans  la  deuxième  partie  du  xvii» 
siècle,  le  port  d'armement  de  beaucoup  le  plus  important  pour  le 
Levant.  Sous  Louis  Xllî  ta  iloite  commerciale  du  Levant  était 
répartie  dans  tous  les  ports  de  Provence,  des  Martigues  à  Antibes. 
Deux  petites  villes  venaient  même  en  tête  pour  la  grosseur  et  le 
nombre  des  navires  qu'elles  possédaient,  et  leur  population  n'était 
composée  que  de  marins  :  c'étaient  La  Ciotat,  qui  envoyait  en 
Levant,  en  1633,  soixante  vaisseaux,  polacres  ou  barques  et 
Six-Fours,  qui  réunissait  dans  son  port  de  la  Seyne,  dix  gros 
vaisseaux  et  dix  polacres  ou  grosses  barques.  Toulon  armait  douze 
vaisseaux  et  sept  polacres  ;  Saint-Tropez  sept  vaisseaux,  trois 
polacres  et  dix-neuf  grosses  barques;  Marseille  avec  ses  dix  vais- 
seaux, ses  sept  polacres  et  ses  quatorze  grosses  barques  ne  faisait 
qu'égaler  ces  quatre  autres  ports'.  Cinquante  ans  après,  la  situation 
était  bien  changée,  la  plupart  des  vaisseaux  armés  pour  les  grandes 
échelles  avaient  Marseille  pour  port  d'attache'. 

A  la  tète  des  autres  ports  de  Provence  était  La  Ciotat  qui,  en 
1688,  comptait  plus  de  quarante  bâtiments'.  Mais  les  capitaines  de 
La  Ciotat  ne  pratiquaient  guère  que  la  navigation  d'Italie  dans  le 
Levant  et  ils  nolisaient  surtout  leurs  gros  vaisseaux  aux  Juifs  de 
Livourne  pour  l'échelle  d'Alexandrie.  L'un  d'eux  repré.sentait  à  la 
Chambre  le  5  mai  1670  que  «  le  lieu  de  La  Cieutat  ne  faisait  d'autre 
négoce  que  l'emploi  d'environ  soixante  b.\timents  qu'ils  avaient,  de 
partir  dudit  Cieut.n  pour  aller  chercher  ù.  faire  des  nolis  d'Italie 


I      (1)  Inspcciion  de  M.  de  Seguiran. 

m  (3)  D'aprcs  un  tableau  des  départs  de  navires,  de  1680  à  168^,  conservé  aux 
Arch.  de  la  Chambre  (//,  2).  Sur  154  bâtiments  partis  de  Marseille  pour  le  Levant 
en  1680,  81,  82,  il  y  en  avait  107  de  Marseille,  6  de  Cassis,  7  de  La  Ciotat, 
5  de  Martigues.  }  de  Toulon,  i  de  la  Seyne.  Sanary,  Antibes,  La  Nielle 
(Oncglia),  Manorque  (Minorque),  Amsterdam.  —  Hn  léSj,  il  en  partit  ji  de 
Marseille,  }  de  La  Ciotat,  4  de  Cassis,  2  de  Martigues.  2  de  Bordc.iux.  2  de  Saint- 
Mato,  I  de  Toulon,  1  d'Amsterdam,  4  de  Malte.  —  On  peut  voir  année  par 
année  d.ins  les  registres  de  recette  du  cottimo,  le  port  d'attache  de  tous  les  navi- 
res qui  revenaient  du  Levant  à.  Marseille  (CC,  2}  et  suiv.).  —  Ainsi,  en  1687, 
il  revint  des  cinq  grandes  échelles  à  Marseille  ;  26  vaisseaux,  de  Marseille,  4  de 
Cassis,  3  de  La  Ciotat,  2  de  Toulon,  i  de  Saint-Malo. 

(5)  Mitnoire  des  nésocianls  capitaints  d  patrons  de  La  Ciotat,  Toulon  et  Cassis, 
fhritr  16S8.  Bli,  4,  fol,  JJ4-4S.  —  En  i«5i,  il  n'y  avait  que  ireiic  bâtiments. 


364  TABLEAU   DU   COMMERCE 

en  Levant,  qu'ils  demeuraient  d'ordinaire  deux  trois  ou  quatre 
années  dehors  et  après  ils  venaient  audit  Cieutat  rendre  compte  aux 
participants  et  associés,  tellement  qu'ils  ne  faisaient  pas  autre  com- 
merce depuis  plus  de  deux  siècles*.  »  La  Ciotat  n'était  donc  qu'un 
port  d'armement  et  non  une  ville  de  négoce.  «  On  défie  tous  les 
intéressés  aux  bâtiments  de  Li  Ciotat,  répondait  la  Chambre  à  un 
mémoire  qu'ils  avaient  adressé  il  la  cour,  de  justifier  qu'ils  xient 
jamais  expédié  un  seul  bâtiment  qu'ils  n'aient  eu  besoin  de  réclamer 
le  secours  des  négociants  de  Marseille,  soit  pour  former  les  fonds 
nécessaires  ou  pour  en  faire  les  assurances.  De  là  vient  que  ce  sont 
les  négociants  représentés  par  la  Chambre  qui  font  subsister  la  navi- 
gation de  La  Ciotat...  Les  propriétaires  des  bâtiments  doivent  être 
extrêmement  distingués  des  négociants  en  général,  puisque  les  bâti- 
ments ne  sont,  à  l'égard  du  commerce  sur  mer,  que  ce  que  sont  les' 
charretiers  et  les  mulets  *.  »  Cependant  La  Ciotat  faisait  un  commerce 
particulier  avec  les  échelles  de  Seïde  et  de  Saint- Jean  d'Acre  pour 
l'achat  des  cendres  nécessaires  à  ses  savonneries  et  elle  y  envoyait 
chaque  année  plusieurs  vaisseaux'. 

Parmi  les  autres  ports  de  Provence,  seuls  Cassis  et  Toulon  possé- 
daient de  gros  vaisseaux,  qui  faisaient  par  an  tout  au  plus  deux  ou 
trois  voyages  dans  les  grandes  échelles.  Les  petits  ports  Provençaux 
n'étaient  cependant  pas  déserts,  mais  ils  n'armaient  que  des  bâtiments 
d'un  petit  tonnage,  de  grosses  barques  qui  s'en  allaient  chercher  les 
huiles  et  les  blés  à  Candie  ou  dans  l'Archipel  et  les  produits  de  la 
Barbarie,  et,  en  plus  grand  nombre  encore,  des  barques  plus  petites, 
destinées  au  grand  cabotage  avec  l'Espagne  et  l'Italie.  Dans  cette 
navigation  se  distinguait  au  premier  rang  le  port  des  Martigucs  : 
sous  Louis  XIII,  d'après  M.  deScguiran,  il  vivait  misérablement  de 
la  pèche,  tandisqu'en  r68o  plusieurs  de  ses  grosses  barques  partaient 
pour  le  Levant  et  les  patrons  de  ses  petits  bâtiments  disaient  soixante 
voyages  sur  les  côtes  d'Espagne  et  vingt-sept  sur  celles  d'Italie*. 
Ainsi,  quoique  Marseille  eût  â  elle  seule  une  flotte  commerciale 

(1)  BB,2. 

(2)  Mémoire  cite  (1688),  BB,  4,  fol.  SS4- 

(î)  V.  Archives  de  la  Ciotat.  HH,  iS  :  Etat  des  navires  arrives  à  Marseille,  de 
1660  à  1682  des  échelles  de  Seïdc  et  de  Saint-Jean  d'Acre.  Dans  cet  état  figu- 
rent 82  vaisseaux  de  Marseille,  41  de  la  Ciotat,  15  de  Cassis,  3  do  Toulon,  etc.  — 
Cf.  Archives  de  la  Oximbre,  HH,  26.  Htat  des  bâtiments  venus  du  Levant  en 
1690  :  5  vaisseaux  de  La  Ciotat  viennent  de  Seïde. 

(4)  Même    pour    les   petits    bâtiments,    Marseille    venait   en    tête.   Ainsi    sur 


TOULON  ^^^^V  365 

plus  importante  que  celle  de  tous  les  autrts  ports  de  Provence,  le 
commerce  du  Levant  n'en  continuait  pas  moins  à  donner  la  vie  i 
toute  la  côte  de  cette  province. 

■  Un  seul  des  ports  de  Provence  ne  s'était  pas  résigné  à  laisser  aux 
Marseillais  le  monopole  du  commerce  du  Levant,  c'était  Toulon. 
Simple  bourg  au  moyenne,  petite  ville  au  xv  siècle,  Toulon  avait 
grandi  peu  i  peu  sous  la  domination  franyiise  et  comptait  environ 
5.000  habitants  vers  1550.  Henri  IV  résolut  de  lui  donner  plus 
d'importance;  il  fit  commencer  en  1594  une  belle  enceinte  de 
pierres  de  taille,  fortifiée  de  bastions  et  de  courtines,  et  construire 
deux  grands  môles  qui  enveloppèrent  tout  le  port.  En  1633,  d'après 
le  rapport  de  M.  de  Seguiran,  le  commerce  des  denrées  de  la  Pro- 
vence y  avait  une  certaine  activité  :  «  Le  fonds  de  leur  négoce  mari- 
time, disait-il,  est  de  150.000  livres  ou  environ  et  ce,  non  compris 
le  trafic  et  débit  qui  se  fait  des  huiles,  qui  va  par  commune  année  A 
500.000  livres  et  parfois  jusqu'.l  800.000...  Et,  ayant  mandé  venir  les 
consuls  des  nations  anglaise  et  flamande  qui  résident  à  Toulon  et 
enquis  de  la  condition  des  négoces  que  lesdites  nations  y  font,  il 
nous  aurait  été  dit  que  toutes  les  années  il  aborde  audit  Toulon 
quinze  ou  vingt  et  quelquefois  trente  vaisseaux  flamands,  chargés 
ordinairement  de  harengs,  merluches,  guittran,  graisse,  plomb  et 
autres  charges  semblables  ;  pareil  nombre  y  aborde  aussi  d'Angleterre, 
Irlande  et  Terre-Neuve,  chargés  de  poisson  salé,  plomb,  étain,  peaux 
de  veau  ou  harengs,  et  en  rapportent  des  huiles,  câpres,  amandes, 
sel  et  du  riz  qu'on  apporte  de  la  côte  de  Gènes'.  «  Toulon  venait 
d'enlever  à  Marseille  la  flotte  des  galères  en  1627;  l'importance 
que  prit  la  marine  royale  sous  Louis  XIV  lui  donna  une  prospérité 
et  une  activité  inconnues  jusques  l.\,  elle  comptait  alors  40.000 
habitants*.  Transformée  complètement,  sous  la  direction  de  Vauban 
qui  la  fortifia  puissamment,  la  duta  de  son  magnifique  arsenal  et 
d'une  darse*  bordée  d'un  vaste  quai,  Toulon,  au  fond  de  sa  rade 


ï 


70  barques  p.inies  en  1680  pour  I'IuIk-,  72  étaient  de  M.irsciile,  27  Jes  Martigues, 
6  Je  Sanar)',  3  de  Saint-Tropez,  4  de  Six-Fours,  5  de  la  Ciotat,  2  de  Toulon.  — 
Les  autres  app.inenaient  aux  poris  Italiens,  surtout  de  la  rivi(:re  de  (Jùnés,  ou  aux 
ports  français  du  Ponant.  //,  2.  • 

(i)  Inspection  de  Seguiran,  p.  275. 

2)  Àrch.  de  Toulon.  HH,  nj, 

3)  Les  navires    de    commerce  y  mouillaient  à    côté  des  navires  de  guerre, 
iarés  par  une  simple  panne.  — V.  TeissiiïR,  Hiil.  dii  divers  a^ratuiissemetits,  <z\c. 

de  Toulon  en  1666,  p.  I). 


366  TABLEAU   DU   COMMERCE 

splendide,  pensait  avoir  autant  de  droits  que  Marseille  à  devenir  un 
grand  port  de  commerce.  Elle  aussi  avait  des  industries  qui  ne 
vivaient  que  par  le  commerce  du  Levant  :  «  douze  ou  quinze 
manufactures  pour  les  cuirs  dont  on  Élisait  un  assez  grand  débit, 
quelques-unes  de  chapeaux,  celles  de  pinchinat  sorte  de  gros  drap 
qu'on  travaillait  parfaitement  bien  dans  Toulon....  vingt  fabriques 
de  savon  blanc  et  marbré  dont  on  faisait  un  fort  grand  commerce 
parce  qu'il  était  excellent,  ce  qu'on  attribuait  à  b  qualitédes  eaux*.» 
On  voyait  en  outre  dans  son  terroir  d'autres  tanneries,  d'autres 
fabriques  de  pinchinats  dans  tout  le  voisinage,  à  SoUiers,  à  Cuersdes 
manufactures  de  chapeaux,  de  cotonines,  des  blanchisseries  de  cire. 
Aussi  en  1650*,  en  1664  et  surtout  en  1701,  les  Toulonnais 
avaient  sollicité  vivement  à  la  cour  l'affranchissement  de  leur  port. 
Toulon  dut  se  résigner  à  n'être  pas  à  la  fois  le  grand  port  de  guerre 
et  le  centre  du  commerce  français  de  la  Méditerranée.  D'ailleurs,  à  la 
fin  du  règne  de  Louis  XIV,  la  ville  était  bien  déchue  de  la  situation 
brillante  où  l'avait  élevée  Colbert.  «  Une  infinité  de  familles,  dit  un 
mémoire  de  1715,  l'ont  abandonnée  depuis  les  malheurs  du  temps, 
ne  pouvant  plus  y  subsister,  par  le  défaut  d'armements  et  par  la 
cessation  du  travail  dans  l'arsenal  du  roi.  »  Un  dénombrement 
fait  en  1703,  pour  arrêter  le  rôle  de  la  capitation,  montra  qu'il  y 
avait  2 .  288  maisons  habitées,  outre  les  maisons  du  roi  et  celles  des 
communautés,  et  19.000  habitants,  non  compris  la  garnison,  la 
marine,  les  communautés  d'hommes  et  do  femmes*.  Toulon  comp- 
tait peu  de  négociants  et  possédait  peu  de  capitaux;  à  l'époque 
même  de  sa  plus  grande  activité  commerciale,  ses  navires,  comme  le 
faisait  remarquer  la  Chambre,  n'avaient  guère  été  que  des  «  voitu- 
riers,  »  employés  par  les  négociants  de  Marseille,  comme  ceux  de  La 
Ciotat,  de  Six-Fours  ou  de  Saint-Tropez  ;  ses  prétentions  à  faire  le 
grand  commerce  avaient  toujours  été  bien  au-dessus  de  ses  forces. 
Cependant  les  Toulonnais  n'avaient  pas  encore  renoncé  ;\  leurs 
espérances:   «  il  est  certain,  dit  un  mémoire  de  1715,  que  Toulon 


(i)  Mémoire.  Arch.  de  Toulon.  HH,  /y. 

(2)  LfUrfs  de  l'avocat  Ycard,  /j  octobre,  2  décembre  j(5/o.  —  Arch.  Commun. 

(3)  Mémoires  conservés  aux  Archives  de  Toulon.  HII,  i<).  —  Voir  pour 
toute  cette  histoire  les  documents  de  la  série  HH  des  archives  de  Toulon,  série 
consacrée  au  commerce,  à  l'agriculture  et  à  l'industrie.  HH.  i}.  Mémoires  tendant 
à  obtenir  la  francinse  du  fort  (16^0-^^).  —  HH,  16.  Commerce  du  Levant  (1622- 
j-]6<)).—  HH,  19.  —  V.  l'inventaire  de  M.  Octave  Teissicr. 


LES   PORTS   DU   LANGUEDOC 


3^7 


est  une  des  villes  du  royaume  où  l'on  trouve  de  plus  grands  avan- 
tages pour  y  lliire  fleurir  le  commerce.  Si  situation  qui  est  admirable 
au  milieu  de  trente  petites  villes  ou  bourgs  qui  n'en  sont  éloi*;nés 
que  de  deux  ou  trois  lieues,  la  douceur  du  climat.,.,  son  port  com- 
mode et  assuré  le  mettraient  en  état  de  devenir  une  des  plus  puis- 
santes villes  de  l'Europe  s'il  plaisait  au  roi  de  lui  accorder  un  entrepôt 
ou  des  franchises  capables  d'y  attirer  les  négociants.  » 
If  La  province  de  Languedoc  avait  toujours  songé  aussi  ù  faire  par 
^le-ménie  le  commerce  du  Levant  ;  elle  fournissait  la  plus  grande 
partie  des  draps  qui  s'y  vendaient,  pourquoi  était-elle  obligée  de 
les  expédier  par  l'intermédiaire  des  Marscilbis  ?  Mais,  pour  elle, 
cette  sujétion  était  plus  naturelle  que  pour  les  Toulonnais,  car  elle 
n'avait  pas  de  ports  capables  de  Liire  un  grand  commerce.  Les  trois 
grands  ports  Languedociens  du  moyen  âge,  Narbonne,  Aigues- 
Mortes  et  Montpellier,  étaient  depuis  longtemps  en  décadence  au 
xvii"-'  siècle.  Narbonne  était  même  déji  ruinée  vers  la  fin  du  wv, 
Aigues-Mortes  avait  été  délaissée  parles  rois  de  France,  dès  qu'ils 
avaient  acquis  Montpellier  et  son  port  n'avait  cessé  de  s'ensabler. 
Ces  deux  villes  n'étaient  cependant  pas  encore  résignées  à  leur 
ruine  au  wi"  siècle  et  l'on  y  fit  des  travaux  sous  Louis  XI  et  sous 
François  !"■'  ;  mais  seule  Aigues-Mortes  conservait  quelques  barques 
pour  le  cabotage  au  début  du  xvn*  siècle,  Montpellier  déclinait  déji 
vers  la  fin  du  xiv'  siècle  et  le  commencement  du  xV  ;  sa  chute  fut 
activée  par  la  réunion  de  la  Provence  au  domaine  royal,  elle  subit  une 
effrayante  dépopulation  ;  Charles  VIII  et  Louis  XII  essayèrent  bien 
de  la  favoriser,  mais  les  troubles  des  guerres  de  religion  achevèrent 
de  la  ruiner  et  le  siège  de  1622  porta  le  dernier  coup  à  son  com- 
merce ;  son  port  de  Lattes  n'existait  plus  au  xvu'  siècle  et  la  Rouhine 
qui  l'y  unissait  n'était  plus  entretenue*.  Montpellier  avait  cependant 
encore  quelques  marchands,  mais  ils  devaient  se  servir  des  deux 
seuls  ports  qui  restaient  au  Linguedoc,  Agde  et  Frontignan. 

■  Agde  offrait  le  meilleur  abri  de  la  côte,  Richelieu  le  comprit  et 
décida  en  1632  d'y  créer  un  port  «  en  face  de  l'Ile  de  Briscou,  qui 
devait  être  réunie  à  b  côte  par  une  digue  de  2.000  mètres.  On  voit 

I 

■  (1)  P1GEONNE.W,  t.  II,  p.  113.  —  Cf.  Lenthéric.  Les  villa  mortes...  p,  237  et 
Buiv.  —  PoHT.  Essai  sur  l'msloiie  du  cumm^ra  maritime  de  Narbonne.  Angers,  1854, 

(2|  £lle  n'avait  d'ailleurs  que  6  m.  de  lam:  et  1  m.  de  profoadcur.  Germain, 
|,  II,  p.  Jl-S),  Hist.  du  comtmrce  de  MonlpèUicr. 


368  TABLEAU   DU   COMMERCE 

par  la  correspondance  de  Richelieu  avec  le  maréchal  de  Schomberg, 
gouverneur  du  Languedoc,  quelle  importance  il  attachait  à  ces  tra- 
vaux auxquels  les  états  du  Linguedoc  avaient  promis  leur  concours  '.  » 
Colbert  reprit  en  partie  ses  plans  et  d'Oppède,  son  homme  de  con- 
fiance en  Provence,  lui  écrivait  le  18  juin  1668  :  «  Je  fais  travailler 
sans  perte  de  temps  au  môle  d'Agde  et  ai  donné  au  sieur  Riquet  la 
somme  de  10.000  livres  pour  le  commencer*.  »  Cependant  les  mar- 
chands de  Montpellier  se  servirent  plutôt  au  xvii'  siècle  du  port  de 
Frontignan,  bien  qu'il  ne  communiquât  avec  la  mer  que  par  un  grau 
de  plus  en  plus  ensablé,  aussi  les  barques  de  Frontignan,  d'un  faible 
tonnage,  n'allaient  qu'en  Espagne  et  en  Barbarie''.  Peu  satisfait  sans 
doute  des  résultats  obtenus  à  Agde,  Colbert  conçut  le  projet  de  faire  le 
grand  port  du  Languedoc  sur  un  point  nouveau  de  la  côte  et  il  choisit 
Cette.  La  première  pierre  des  travaux  fut  posée  en  1666  ;  le  cap 
de  Cette  fut  prolongé  par  une  jetée,  à  l'extrémité  de  laquelle  fut  placé 
un  fanal,  une  seconde  jetée  b;\tie  de  l'autre  côté  ferma  le  port  ;  dès  167 1 
les  galères  garde-côtes  y  purent  faire  un  voyage  et  les  officiers  se 
déclarèrent  satisfaits,  mais  les  travaux  ne  furent  achevés  que  plusieurs 
années  plus  tard*.  «  La  nouvelle  ville  avait  déjà  pris  en  1685  assez 
de  consistance  pour  que  l'intendant  de  Basville  ait  cru  devoir  y  jeter 
dès  lors  les  premières  bases  d'une  administration  municipale,  elle 
eut  en  outre  à  partir  de  1692  un  lieutenant  général  d'amirauté".  »La 
seconde  Compagnie  du  Levant  en  fit  le  siège  d'un  de  ses  trois 
bureaux,  qui  commerçaient  indépendamment  l'un  de  l'autre,  mais  le 
bureau  de  Cette,  malgré  la  fiicilité  qu'il  avait  pour  fiiire  le  commerce 
des  draps,  fut  celui  des  trois  qui  réussit  le  plus  mal.  Malgré  ce  début 
peu  heureux.  Cette,  débouclié  d'une  province  riche  comme  le 
Linguedoc,  ne  pouvait  manquer  de  prospérer,  mais  en  171 5  ce 
port  n'avait  pas  encore  envoyé  un  seul  vaisseau  dans  le  Levant". 

(i)  Pigeonneau,  t.  II,  p.  410. 

(2)  Depping,  t.  IV,  p.  54. 

(  3)  Les  proccs-vcrbaux  envoyés  à  Colbert  en  1664  par  les  officiers  de  l'amirauté, 
contenant  le  nombre  des  bâtiments  du  ressort  de  leur  siège,  ne  mentionnent  pour 
Agde,  Frontignan,  Aigues-Mortes  que  des  bateaux  de  pèche  et  de  petits  cabo- 
teurs. —  Pour  Narbonne  on  voit  la  mention  néant,  ^^l■cb.  Mar.  li^,  4S8. 

(4)  Colbert  à  Anwul,  14  août  i(iyi ,  S  tiécembre  16/ j.  Mémoire  sur  le  port  de  Cette, 
travail  des  jetées,  formation  des  ensablements.  Lettres  d  Itist.,  t.  JII,  i>'  partie. 

(5)  Germai.v,  t.  II,  p.  132,  135. 

(6)  Voir  livre  II,  chap.  vni,  les  efforts  inutiles  faits  par  les  Etats  du  Languedoc  de 
1701  à  1715  pour  obtenir  la  permission  de  faire  directement  le  commerce  du  Levant, 


LES  PORTS  DU  POSANT  369 

De  tous  les  ports  français  du  Ponant,  deux  seuls,  au  début  du 
il'siccle,  envoyaient  directement  leurs  vaisseaux  dans  les  éclicUcs: 
ctaicnt  St-Malo  et  Rouen.  Mais  leurs  voyages  y  avaient  toujours 
té  fort  rares  ',  car  les  marchands  du  Ponant  n'avaient  pas  les  assor- 
tncnls  de  marchandises  ni  les  piastres  nécessaires  pour  faire  par 
lix-mèmes  le  commerce  du  Levant,  et  de  plus  ils  n'avaient  pas  de 
rrespondantsdans  les  échelles  où  tous  les  résidents  français  étaient 
s  Provençaux,  commissionnaires  des  négociants  de  Marseille  ou 
;  Lyon.  Li  participation  des  villes  du  Ponant  au  commerce  du 
?vant  fut  seulement  indirecte  :  leurs  vaisseaux  venaient  churclier  à 
arseille  les  matières  premières  nécessaires  :\  leurs  industries.  Les 
alouins  surtout,  qui,  de  tous  les  Ponantais,  possédaient  alors  le 
us  grand  nombre  de  vaisseaux,  venaient  fréquemment  à  Marseille  *. 
Un  document  intéressant  conservé  aux  archives  de  la  Chambre' 
onne  la  liste  de  tous  les  navires  partis  de  Marseille  pour  le  Ponant 
1680  à  1683  avec  leurs  ports  d'attache  et  leurs  chargements;  il 
rmet  de  se  tiirc  une  idée  de  la  part  que  prenaient  les  ports  de 
Océan  au  commerce  du  Levant.  Sur  202  vaisseaux  qui  figurent 
ans  Cette  liste,  S)  se  rendirent  de  Marseille  i  Saint-Malo,  54  au 
avre,  mais  c'étaient  aussi  des  navires  Malouins  et  leurs  marchan- 
ises  étaient  à  destination  de  Rouen,  17  à  Dunkerque,  10  à  Nantes, 
ù  Bordeaux,  5  à  la  Rochelle  et  un  seuli  Rouen.  Les  autres  avaient 
>ur  destination  des  ports  étrangers  :  25  d'entre  eux  déchargèrent 
sur  cargaison  a  Amsterdam,  9  .\  Londres,  9  à  Hambourg  et  .}  s'en 
Jèrent  aux   Antilles  avec  lesquelles  depuis    1670  les  Marseillais 

1 1  )  Voir  les  Mtl-moires  de  Fabre,  député  de  Marseille,  nu  Conseil  du  commerce, 
réponse  aux  récbmations  des  ports  du  Ponant  en  1701.  —  liil'l.  .Vu/,  mis.  ft. 
()()'),  fd.  26  ttfoî.  )6.  —  Il  soutient  que  Rouen,  Dunkerque,  Bordeaux,  n'ont 
Tuis  fait  y  droiture  le  commerce  du  Levant,  quelque  permission  qu'ils  en  aient 
e  avant  l'cdit  de  1669  et  mùmc  Rouen  et  Dunkerque  jusqu'en  1685.  —  Les 
icunients  signalent  cependant  chaque  année  des  voyages  de  quelques  Ponantais 
ns  les  échelles,  mais  c'est  qu'ils  avaient  été  nolisés  par  des  négociants  Marseil- 

iï.  Ainsi  en  1685,  deux  vaisseaux  de  St-Malo  panent  de  Marseille  pour  le  Levant. 

h  1686,  sur  46  bâtiments  qui  reviennent  de  Candie  et  de  l'Archipel  ù  Marseille, 
y  a  qu.Ure  Malouins.  V.  les  registres  de  la  recette  du  cotiimo,  CC,  3}  et  suiv, 

-  La  présence  de  navires  Dunkcrquois  est  signalée  quelquefois  dans  la  corre>- 

pndance  des  échelles.  ^7  mai   lùSj,   ç  fh'ritr  16SS,  jo  iWt'd  i6Sç,  Letlifs  àt 

rifuli  de  Sytif    AA,  }SS. 

{2]  Dans  les  états  de  la  marine  niardi.mde  remis  à  Colbert  en  1664.  on  voit 
e  St-Malo  a  148  b.itinients,  dont  quatre  gros  vaissciux  de  }oo  à  400  tonneaux, 
)is  de  a  50  .i  Joo,  huit  de  200  i  250.  —  Rouen  en  a  94.  dont  un  de  joo  à  40O 

mnciux,  deux  de  200  à  250.  —  Le  Havre  a  un  vaisseau  de  jooi  400  tonneaux, 

lUx  de  200  J  250,  sur  168  b.itimeuis.  —  Arch,  dé  la  tiiar.  B',  48!^. 

24 


370  TABLEAU   DU   COMMERCE 

commençaient  à  entrer  en  relation.  Si  l'on  recherche  quels  étaient 
les  ports  d'attache  de  ces  navires  on  voit  que  près  de  loo,  c'est-à- 
dire  la  moitié,  appartenaient  au  port  de  Saint-Malo,  tandis  que  le 
Havre,  devenu  définitivement  l'avant-port  de  Rouen,  n'avait  envoyé 
à  Marseille  que  5  navires  de  son  port.  Pendant  ces  quatre  années,  il 
n'était  sorti  de  la  Méditerranée  que  13  vaisseaux  Marseillais;  avec 
un  navire  de  Saint-Tropez  et  deux  de  la  Seyne,  ils  avaient  été  les 
seuls  représentants  de  la  flotte  provençale  dans  l'Océan. 

Mais  il  s'en  fallait  que  ce  mouvement  considérable  de  navigation 
intéressât  entièrement  le  commerce  du  Levant,  car  les  chargements 
de  ces  vaisseaux  étaient  composés  en  grande  partie  de  denrées  de 
Provence  ;  il  est  vrai  que  les  Malouins,  en  apportant  à  Marseille  leurs 
morues  et  autres  poissons  salés,  revendus  ensuite  en  Espagne  et  en 
Italie,  favorisaient  les  relations  de  ces  pays  avec  Marseille  et  servaient 
ainsi  indirectement  au  développement  du  commerce  du  Levant.  En 
examinant  les  cargaisons  de  25  des  vaisseaux  partis  en  1681  pour  le 
Ponant,  on  trouve  que  19  portaient  de  l'huile,  18  du  savon,  6  des 
amandes,  5  du  bois  d'olivier,  des  fruits,  du  cumin,  4  des  câpres,  3 
des  noisettes,  2  du  romarin  ;  il  n'y  en  avait  que  4  qui  eussent  quel- 
ques marchandises  du  Levant,  coton,  drogues,  riz;  deux  renfermaient 
de  la  laine  et  du  poil  de  chameau,  un  seul  des  galles,  du  séné,  de 
l'encens,  de  l'alun.  Cette  constatation  aurait  lieu  d'étonner  si  l'on 
ne  remarquait  que  ce  document  est  antérieur  aux  arrêts  du  Conseil 
de  1685  et  1692  qui  rendirent  plus  rigoureuse  la  perception  du  droit 
de  20  0/0.  Les  plaintes  de  la  Chambre  étaient  donc  fondées  :  les 
Ponantais  avaient  besoin  des  produits  du  Levant;  puisqu'ils  ne  les 
achetaient  ni  i  Marseille  ni  dans  les  échelles,  il  fallait  en  conclure 
qu'ils  s'adressaient  aux  Anglais  et  aux  Hollandais'.  Gênés  dans  leur 
commerce  avec  les  étrangers,  par  la  surveillance  devenue  plus  sévère 
à  l'égard  des  contrebandes,  les  Ponantais  firent  en  vain  tous  leurs 
efforts,  de  1701  â  1703,  pour  obtenir  la  liberté  d'entreprendre  «  à 
droiture  »  le  voyage  des  échelles  ;  pendant  tout  le  xvn^  siècle,  ils 
durent  se  résigner  ;\  venir  chercher  à  Marseille  ces  marcliandises  qui 
leur  étaient  nécessaires. 


(i)  Une  intéressante  statistique  conserve-eaux  Archives  nationales  montre  que 
des  quantités  considérables  de  marcluindises  du  Levant,  comme  les  cotons,  les 
poils  de  chèvre,  les  laines,  etc.,  entraient  dans  le  royaume  par  Rouen.  F'*,  i8}4  : 
Htat  ths  marchandise  élrangcrcs  entircs  eu  France  en  iOG<).  —  Mêmes  états  pour 
1671,  1672,  1683. 


CHAPITRE  II 


LES    liCHELLES    DU    LEVANT 


I.  —  La  Syrie. 

C'était  dans  les  échelles  de  Syrie  et  d'Egypte  que  les  Français 
avaient  commencé  à  faire  le  commerce  du  Levant  ;  pendant  le  règne 
de  Louis  XIV,  malgré  l'importance  nouvelle  deSmyrne  et  d'autres 
échelles,  ils  y  conservèrent  la  plus  grande  partie  de  leur  négoce.  De 
plus,  ils  s'y  trouvèrent  longtemps  seuls  avec  les  Vénitiens  et  y 
gardèrent  toujours  la  prépondérance. 

Alep  était,  au  début  du  xvn*  siècle,  la  plus  grande  place  de 
commerce  du  Levant.  «  C'est  une  ville  célèbre  pour  le  grand  trafic 
qui  s'y  fait,  écrit  en  1616  Pietro  délia  Valle,  où,  d'un  côté,  se 
rendent  tous  les  Orientaux  avec  leurs  pierreries,  leurs  soies,  leurs 
épiceries  et  leurs  toiles,  et  de  l'autre  côté  tout  l'Occident,  savoir  la 
France,  Venise,  Hollande  et  l'Angleterre  avec  leurs  vaisseaux 
chargés  de  piastres,  dont  il  y  a  ici  une  si  grande  quantité,  comme 
de  toute  autre  sorte  de  monnaie,  que  dans  le  négoce  et  trafic  qui  s'y 
fait  on  ne  les  compte  point,  on  se  contente  seulement  d'en  emplir 
les  caisses  et  de  les  peser,  et  je  puis  dire  qu'il  ne  s'y  &it  point  de 
marché,  soit  que  l'on  vende  ou  que  l'on  achète,  qui  ne  soit  de  40, 
50,  80  ou  100.000  écus  et  ce  leur  serait  une  chose  honteuse  de 
traiter  avec  eux  autrement.  Leur  plus  grand  commerce  est  de  soie 
qui  vient  de  Perse  et  de  quelques  autres  endroits  nonobstant  la 
guerre*.  »  Alep  recevait  en  effet  par  Bassora  les  marchandises  de 
l'Inde  et  de  l'Extrême-Orient.  Pietro  délia  Valle  se  trouvait  dans 
cette  dernière  ville  en   1625   et  parle  d'une  grande  caravane,  ou 

(i)  Pietro  dhlla  Valle,  1. 1,  p.  }}5. 


372  TABLEAU    DU   COMMERCE 

Cafila,  qui  en  partait  chaque  année  pour  Alep  *.  D'après  le  rouen- 
nais  Fcrmanel,  «  c'était  la  ville  de  Turquie  qui  rapportait  le  plus  de 
profit  au  Grand  Seigneur,  et  on  tenait  que  la  douane  et  le  tribut  des 
chrétiens  qui  y  demeuraient,  y  compris  lé  pays  d'alentour,  rappor- 
taient tous  les  ans  au  Grand  Turc  3  .000.000  de  livres....  On  nous 
dit,  ajoutait-il,  que  les  Français  y  emploient  un  million  et  demi  de 
réaies,  quelquefois  jusqu'A  2  millions  (6  millions  de  livres)*.  »  Dans 
son  voyage  d'inspection  en  Provence,  en  1633,  M.  de  Seguiran 
apprenait  des  Marseillais  que  c'était  l'échelle  la  plus  fréquentée  : 
«  Il  y  allait  tous  les  ans  20  vaisseaux,  polacrcs  ou  barques  qui 
portaient  en  argent  ou  en  marchandises,  l'un  portant  l'autre,  40.000 
écus  et  en  rapportaient  des  soies  dont  la  majeure  partie  venait  de 
Perse,  des  cotons  filés,  toutes  sortes  de  toiles,  galles,  rhubarbe,  scam- 
monée,  opium  et  plusieurs  autres  drogues,  le  musc,  maroquin, 
camelot,  etc'.  » 

Mais  les  tyrannies  des  pachas  et  les  guerres  contre  la  Perse,  du 
temps  du  grand  conquérant  Schah-Abbas  (i  389-1628),  ruinèrent 
peu  à  peu  le  commerce  d'Alep*.  Bagdad,  l'entrepôt  général  des 
marchandises  de  l'Asie  centrale  et  même  de  l'Extrême-Orient,  fut 
disputée  plusieurs  fois  par  les  Turcs  et  les  Perses.  «  Devant  ces 
guerres,  dit  Fermanel,  B.igadet  était  une  des  villes  les  meilleures  et 
les  plus  marchandes  du  Levant;  ceux  du  Mogor,  des  Indes  et  même 
de  la  Chine  y  envoyaient  des  marchandises,  mais  la  guerre  en  a 
banni  tout  le  négoce,  ce  qui  fiit  qu'elle  commence  à  se  ruiner.  » 
En  même  temps  les  nombreux  passages  de  troupes  qui,  pour  s'en 
aller  à  Bagdad,  passaient  par  Alep  étaient  une  cause  d'alarme  pour 


(1)  PlHTRO  DELLA  VaLLK,  t.   II,  p.  45  |. 

(2)  Fermanel,  p.  272,  78,  en  1651. 

(5)  Incpfit'wn  tic  \f.  lU  Sfguban,  p.  226.  —  Los  chitTrcs  de  la  v.ilcur  du  com- 
merce dcb  l-'rançais  donnes  par  Fermanel  sont  bien  supérieurs  à  ceux  de  Seguiran, 
mais  les  marchands  d'Alep,  pour  se  faire  valoir  auprès  du  voyageur,  exagérèrent 
naturellement  les  chiffres,  taudis  que  ceu>;  de  iMarseille  eurent  intérêt  à  les 
diminuer,  pour  dissimuler  au  ministre  l'importance  de  leur  commerce. 

(.()  On  en  sentait  les  effets  déjà  du  temps  d'Henri  IV.  —  V.  liihl.  \al.  nisi. 
fr.  i6j}S,  fol.  ]4<)  :  Réponse  du  roi  aux  remontrances  d'Arsens,  député  de 
MM.  les  lùats  Généraux  des  Provinces,  25  février  1605  (sans  doute  au  sujet  delà 
Compagnie  fondée  par  Henri  I\'  pour  le  commerce  de  l'Inde)  :  «  Ce  royaume 
est  contraint,  à  l'occasion  de  la  guerre  qui  est  entre  le  Grand  Seigneur  et  les 
Persiens  d'aller  prendre  du  côté  des  Indes  Orientales  les  épiceries  qu'ils  avaient 
coutume  de  tirer  du  côté  d'.Mep  et  de  Tripoli  où  il  ne  se  lait  à  présent  aucun 
tralic  ou  négoce.  »  —  Deshayes  remarque  en  1621  que  les  Arméniens  appor- 
tent leurs  soies  à  Smyrne  au  lieu  d'aller  à  Alep. 


LES  ÉCHELLES  :    ALEP  373 

le  commerce.  «  Depuis  que  le  Grand  Turc  est  en  guerre  avec  le 
roi  de  Perse,  écrit  le  même  voyageur,  il  ya  toujours  quantité  de 
janissaires  qui  y  vont  et  viennent,  lesquels...  se  rendent  maîtres  de 
la  ville  et  commettent  mille  pilleries....  Ils  incommodent  aussi 
grandement  les  marchands  du  Ponant  et  ne  leur  permettent  point 
de  sortir  de  leur  caravansaral  sans  être  accompagnés  d'un  janissaire 
auquel  il  faut  qu'ils  donnent  une  réale  de  8  par  jour  (i  piastre); 
s'ils  sortent  de  la  ville,  il  faut  qu'ils  donnent  à  leur  janissaire  dix 
réaies  de  8.  Les  consuls  nous  dirent  qu'ils  avaient  envoyé  leurs 
plaintes  à  Constantinople  et  que,  si  le  Grand  Seigneur  n'y  mettait 
ordre,  ils  étaient  résolus  de  quitter  le  trafic  et  la  ville  '.  » 

Quand  la  paix  fut  rétablie  et  que  les  Turcs  restèrent  définitive- 
ment maîtres  de  Bagdad,  les  pachas  essayèrent  bien,  dans  le  but 
d'accroître  leurs  droits  de  douane,  de  favoriser  le  commerce  avec  la 
Perse,  mais  les  efforts  du.schah,  joints  ;\  ceux  des  Hollandais  et  des 
Anglais,  le  détournèrent  en  partie  vers  l'Océan  Indien.  Les  Hollan- 
dais, établis  à  Ormuz,  vendaient  chaque  année  en  Perse  pour 
1.500.000  à  1.600.000  livres  d'épiceries,  en  paiement  des  soies 
qu'ils  achetaient*.  D'après  le  tableau  des  caravanes  régulières  de 
l'Asie  Occidentale  vers  1640,  donné  par  le  voyageur  La  BouUaye  le 
Gouz,  il  partait  une  caravane  d'Ormuz  pour  Ispahan  tous  les  deux 
jours,  depuis  le  i"  décembre  jusqu'au  mois  de  mars*. 

Une  grande  partie  des  marchandises  de  la  Perse  continuaient 
cependant  d'être  apportées  en  Turquie  par  les  caravanes,  mais  au 
lieu  d'être  vendues  à  Alep,  où  elles  avaient  ;\  payer  des  droits  de 
douane  exorbitants  et  où  les  marchands  redoutaient  des  vexa- 
tions, elles  étaient  conduites  à  Smyrne.  «  Le  commerce  n'est  pas  si 
considérable  à  Alep  qu'il  était  il  y  a  vingt-quatre  ans,  lit-on  dans  un 
mémoire  adressé  en  1671  à  la  Compagnie  du  Levant.  De  sept  à  huit 
caravanes  des  Indes  qui  y  abordaient  tous  les  ans  et  qui  vont  à 
Smyrne,  il  n'y  en  vient  ;\  présent  qu'une,  appelée  la  grande,  chargée 
«le  quantité  de  toiles  et  drogues,  et  de  Perse  ou  Dierbec  il  en  vient 

(1)  Fermanhl,  p.  267,  275.  U^  ne  put  visiter  la  ville  en  163 1,  parce  que  le 
Grand  Vizir  la  tenait  assiégée. 

(2)  TAVERNiER,t.  I,  p.  257.  En  i6)Oun  différend  s'élant  élevé  entre  le  scliahd 
Perse  et  la  Compagnie  Hollandaise  pour  le  prix  des  soies,  le  schah  leur  fit  savo   i 
que  ses  sujets  se  passeraient  aisément  de  leurs  épiceries,  parce  qu'il  avait  dans  s  on 
royaume  une  plante  qui  était  aussi  forte  et  aussi  chaude  que  pouvaient  être  le 
poivre  et  le  clou.  Les  Hollandais  cédèrent. 

(})  P.  62-6^. 


374  TABLEAU   DU   COMMERCE 

trois  ou  quatre  qui  portent  ce  que  la  grande  n'a  pu  porter.  De  Mos- 
soul  et  d'Assanmanzour,  qui  sont  à  douze  journées  d'AIep,  on  y 
porte  des  galles,  la  récolte  s'en  fait  en  octobre  et  les  meilleurs  vien- 
nent de  Mossoul.  Les  caravanes  des  Indes  et  de  Bagdad  emportent 
d'AIep  des  draps,  du  papier,  de  la  cochenille  et  des  réaux'.  » 

Cependant,  tandis  que  le  commerce  des  Français  était  en  déca- 
dence i  Alep,  les  Anglais  s'y  établissaient  de  plus  en  plus  solide- 
ment*. «Il  y  arrive  tous  les  ans,  dit  un  mémoire  de  167 1,  deux 
vaisseaux  anglais  nommés  généraux,  parce  qu'ils  partent  pour  la 
Compagnie,  chargés  de  draps,  d'étain  et  de  plomb  dont  il  se  fait 
grand  débite,  et  trois  ou  quatre  vaisseaux  pour  le  reste  des  retraits 
que  les  vaisseaux  généraux  y  ont  portés.  Il  y  a  vingt  commissaires 
anglais,  qui  n'y  peuvent  être  établis  que  de  l'aveu  de  la  Compa- 
gnie '.  »  D'Arvieux,  consul  d'AIep,  nous  apprend  que,  «  le  26  février 
1681,  le  convoi  d'Angleterre  arriva  à  Alexandrette.  Il  était  composé 
de  deux  vaisseaux  de  guerre  et  de  trois  marchands  avec  une  cargaison 
très  considérable.  Elle  consistait  en  325.000  piastres  de  réaux, 
300.000  livres  en  patagons  ou  lions  d'Hollande,  1.900  balles  de 
drap  valant  un  million  d'or,  cent  sacs  de  poivre,  une  grande  quan- 
tité d'étain,  de  plomb,  de  cochenille  et  d'épiceries.  On  estimait 
cette  cargaison  deux  millions  d'or  ou  6  millions  de  livres  ;  c'en  était 
assez  pour  enrichir  le  consul*.  » 

A  la  môme  époque,  les  Français  n'y  achetaient  jamais  pour  un 
million  de  livres  de  marchandises  ;  Alep  était  passée  au  quatrième 
rang,  parmi  leurs  échelles,  après  Smyrne,  Alexandrie  et  Seïde; 
môme,  de  1700  à  17 15,  elle  fut  dépassée  en  importance  par  Constan- 
tinople  et  resta  la  dernière  des^cinq  grandes  échelles*.  Les  marchan- 

(i)  Aich.  Nat.  F",  64s.  —  Cf.  Lettre  de  la  Nation  à  ramb.nssadeur  :  «Cette 
échelle  n'est  plus  ce  qu'elle  a  été  ;  autrefois  elle  était  la  métropolitaine  pour  le 
négoce,  et  aujourd'hui  elle  n'est  presque  rien...  L'échelle  de  Smyrne  s'est  faite 
du  débris  de  celle-ci.  »  26  juin  i6j4.  AA,  364.—  V.  D'Arvieux,  t.  VI,  p.  419. 

(2)  «  MM.  les  Anglais,  dont  le  négoce  est  incomparativement  plus  grand  que 
le  nôtre  »,  écrit  le  consul  le  50  décembre  1663.  AA.  ^64. 

(3)  Arch.  Nat.  F",  64;.  «  Ils  achètent  soies,  galles,  drogues,  laines  de  chevron, 
coton  filé.  » 

(4)  D'Arvieux,  t.  VI,  p.  54.  —  Cf.  Un  mémoire  .adressé  le  16  septembre  1686  à 
M.  de  Lagny  par  le  consul  Julien,  successeur  de  d'Arvieux,  sur  le  commerce  d'AIep. 
(Arch.  des  aff.  Hrang.  Mémoires  sur  le  commerce  du  Levant.  Carton.  lôSj-iôçp). 

(5)  Sur  104.549.000  livres  d'importations  du  Levant  en  France  de  1671  à 
1700,  21.482.000  vinrent  d'.'Mep  (d'.iprès  les  chiffres  du  cottinio.  CC ,  2j). 
Sur  153.205.000  livres  d'importations,  de  1700  à  1715,  Alep  fournit  10.604.000 
livres  (d'après  JI,  i}). 


LES   ÉCHELLES  :    ALEP  373 

i  dises  qu'on  y  achetaient  étaient  très  variées  :  Alep  était  encore  avec 
Smyrnc  et  Scïde  l'un  des  trois  grands  marchés  de  soie,  dont  elle 
vendit  en  17 14  aux  Français  pour  plus  d'un  million  de  livres;  elle 
était  re.stéc  le  i;rand  centre  d'approvisionnement  des  noix  de  galles, 
dont  elle  exporta  la  même  année  pour  277.000  livres;  les  laines, 
les  toiles,  les  cotons  figuraient  ensuite  pour  les  chiffres  les  plus 
importants  dans  son  trafic;  enfin  on  y  trouvait  des  cendres,  de  la 
cire  et  de  nombreuses  drogues  médicinales*. 

Les  caravanes  de  Perse,  qui  alimentaient  encore  en  grande  partie 
le  commerce  d'Alcp,  suivaient  pour  s'y  rendre  plusieurs  routes, 
toutes  peu  directes  et  dangereuses  :  les  marchands  avaient  beau 
aller  en  nombre  et  prendre  des  escortes,  ils  se  mettaient  ainsi  ;\ 
l'abri  des  coups  de  main  des  pillards  isolés,  mais  ils  étaient  à  la  merci 
des  émirs  arabes  dont  le  passage  des  caravanes  était  la  grande  res- 
source; sous  prétexte  de  droits  de  douane,  ceux-ci  les  rançonnaient 
odieusement.  Pietro  délia  Valîe  donne  de  longs  détails  dans  sa  rela- 
tion sur  la  rencontre  qu'il  fit  de  plusieurs  chefs  pillards  et  sur  leurs 
exigences,  il  cite  quatre  seigneurs  arabes  qui  percevaient  régulière- 
ment des  péages  sur  la  route  du  désert.  En  outre,  il  avait  payé  aux 
Turcs  un  droit  de  sortie  en  partant  de  Bassora,  et  il  dut  leur 
acquitter  d'autres  droits  de  douane  en  passant  i  Anna  (Anah  sur 
'l'Euphrate),  en  arrivant  à  Alep,  enfin  en  embarquant  ses  mar- 
chandises à  Alc.xandrctte.  «  Il  en  est  du  désert  comme  de  la  mer, 
remarque-t-il,  où  la  rencontre  des  ennemis  dépend  de  la  bonne  ou 
de  la  mauvaise  fortune....  ainsi  on  ne  laisse  pas  de  le  traverser,  bien 


(i)  Voici  d'aprùs  un  document  très  pri5cieux  des  Archives  de  la  Chambre  du 
commerce,  l'ctnt  estimatif  des  m.irchandises  qui  vinrent  il  Marseille  de  1700  a 
'  J747  (II,  I }),  le  taMc.iii  des  marchandises  venues  d'Alep  en  171X),  année  de  trafic 
mayeii  :  4  vaisseaux,  2  barques  chargeas  de  :  agobillcs  (30.000  livres),  assa-fœtida 
(6.631  livres),  bedelium  (2.582),  coton  (  50.  ;96),  cendres  (9.839),  cire  (9,000), 
cordouans  ou  maroquins  (4.860),  galb.inuni  (504),  gomme  armoniac  (2,99;), 
noix  de  plie  (1^4.338),    laines   (130. ooo),    musc   (598),    opoponax  (3.042), 

figtions  d'Inde  (1.458),  plumes  d'autruches  (5.000),  pistaches  (7.398),  rhubarbe 
6.840),  séné  (1.236),  spicanardy  (3.168),  scammonOe  (17  388),  semencine 
(7,176),  se!  armoniac  (1.008),  soies  et  bourres  (146.331),  turbit  (4.060), 
loiles  (150.000).—  Total  726.079  livres.  —  L'année  maximum  des  exportations 
d'Alcp  tut  en  1714  =  2.108.0011  livres;  l'année  minimum,  1703  =^' 277.000 
livres. —  On  ne  voit  plus  figurer  dans  les  cargaisons  les  fameux  camelots  d'Alep 
dont  parlent  les  voyageurs  :  n  Ces  admirables  camelots,  particulièrement  couleur 
de  feu,  ondes,  qui  ne  sont  guère  moins  estimés  que  la  moire.  Les  ouvriers  qui 
fabriquent  ces  camelots  et  qui  travaillent  aux  étoffes  de  soie  sont  en  plus  grande 
quantité  qu'aucun  autre  et  occupent  à  Alep  les  principaux  bazars.  »  Savary. 
Dictionn.,  col.  1017-18. 


376  TABLEAU   DU   COMMERCE 

qu'il  y  ait  autant  de  danger  que  des  corsaires  ou  des  ennemis  sur 
mer*.»  Pour  échappera  ces  vexations,  les  caravanes,  suivant  les 
nouvelles  qu'elles  avaient  de  la  marche  des  princes  bédouins,  s'éloi- 
gnaient souvent  des  routes  ordinaires,  jalonnées  par  des  puits,  et  des 
centres  de  ravitaillement,  mais  ce  n'était  pas  sans  danger,  car  elles 
risquaient  alors  de  périr  de  soif*.  C'est  pourquoi  la  durée  du  voyage 
des  caravanes  était  très  incertaine,  autant  que  les  frais  auxquels  elles 
étaient  exposées  :  Tavernier  considère  comme  extraordinaire  d'avoir 
mis  65  jours  dans  un  de  ses  voyages  pour  aller  d'Alep  à  Bassora^ 
cependant  Pietro  délia  Valle  n'y  était  arrivé  qu'en  69  jours. 

Les  caravanes  ne  se  ser\'aient  dans  ce  trajet,  ni  du  Tigre,  ni  de 
l'Euphrate,  comme  voies  navigables,  et  ne  suivaient  même  pas  leurs 
cours.  «  Pour  ce  qui  est  de  l'Euphrate,  écrit  Tavernier,  il  est  cons- 
tant que  la  grande  quantité  de  moulins  qu'on  y  a  bâtis  pour  tirer 
l'eau  afin  d'arroser  les  terres,  en  empêchent  la  navigation  et  la 

rendent  dangereuse Pour  ce  qui  est  du  Tigre,  il  n'est  guère 

navigable  que  depuis  Bagdad  jusqu'à  Balsara  où  on  le  monte  et  on  le 
descend  avec  des  barques.  En  descendant  on  fait  d'ordinaire  le 
chemin  en  9  ou  10  jours.  Il  y  a  cela  d'incommode  qu'au  moindre 
village  ou  pavillon  d'Arabes  que  l'on  trouve  sur  le  bord,  il  faut  aller 
raisonner  et  y  laisser  quelque  argent.  Il  est  vrai  que  les  marchands  de 
Mossoul  et  de  Bagdat  e"t  autres,  qui  viennent  de  la  Chaldée  pour 
négocier  à  Balsara,  font  remonter  leurs  marchandises  jusqu'à  Bagdat, 
mais,  comme  il  n'y  a  que  des  hommes  qui  tirent,  les  barques 
demeurent  quelquefois  en  chemin  jusqu'à  70  jours.  Sur  ce  pied  là 
on  peut  juger  du  temps  et  de  la  dépense  qu'il  fliudrait  foire  pour 
faire  monter  les  marchandises  par  l'Euphrate  jusqu'au  Bir  (Biredjik) 

où  on  les  débarquerait  pour  Alep Enfin  quand  on  aurait  la 

commodité  du  Morat  Sou  (Euphrate)  et  qu'on  pourrait  transporter 
toutes  les  marchandises  par  cette  rivière,  les  marchands  ne  pren- 
draient pas  encore  cette  route  parce  que,  les  caravanes  n'allant 
ordinairement  que  l'été,  elles  pourraient  rencontrer  souvent  des 
princes  Arabes  qui  en  ce  temps  h\  viennent  camper  sur  les  bords  de 

(i)  PiKTRO  DF.i.LA  Vai.i.k,  t.  II.  p.  |)4-49i  (.iniicc  i62)).  —Cf.  Fermaxel. 
p.  290.  Il  revint  de  Baj^dad  à  Alep  harcelé  par  les  troupes  d'.Xrabes.  —  Tavcniicr 
fut  retenu  cinq  semaines  avec  sa  caravane  par  un  prince  arabe  qui  força  les  mar- 
chands d'acheter  les  marchandises  de  ses  sujets.  Hn  cnitre,  il  exigea  .jo  piastres 
par  cliarge  de  chameau,  t.  I,  p.  1.(1. 

(2)  'r.WF.HMiR,  t.  I,  p.  147.  —  la  caravane  avec  laquelle  il  se  trouvait 
comptait  6cx)  chameaux  et   t^>^'  li-nunies. 


LRS   ÉCHELLES  :    ALEP  377 

l'Euphrate  avec  toute  leur  suite  et  tout  leur  bétail,  pour  y  trouver 
l'eau  et  les  herbages  qui  leur  manquent  alors  dans  le  désert'.  » 

Il  y  avait  cinq  routes  principales  pour  aller  d'Alepà  Ispahan  :  l'une 
par  le  Bîr  (Biredjik),  Orfa,  Diarbek  (Diarbekir),  Van  et  Tauris*. 
La  seconde  se  dirigeait  à  peu  près  droit  i  l'Est,  par  Mossoul  et 
Hamadan.  D'Alep,  on  allait  à  cheval  au  Bir^  en  quatre  journées  de 
caravane,  à  travers  un  pays  assez  bien  cultivé.  Le  Bir  était  une  assez 
grande  ville,  où  l'on  trouvait  en  abondance  toutes  les  choses  néces- 
saires; c'était  là  qu'on  passait  l'Euphrate;  la  douane  y  prenait  deux 
piastres  pour  chaque  charge  de  marchandises,  soit  de  cheval  soit  de 
mule,  quoique  les  mules  fussent  beaucoup  plus  chargées,  et  une  demi- 
piastre  pour  chaque  bête  qui  portait  les  provisions  ;  pour  les  chevaux 
ou  mules  de  selle,  le  douanier  ne  prenait  rien.  Deux  jours  après,  on 
arrivait  à  Orfa,  où  la  caravane  s'arrêtait  d'ordinaire  huit  à  dix  jours, 
parce  que  c'était  le  pays  de  ceux  qui  louaient  les  mules  et  les  chevaux 
et  qu'ils  y  avaient  toujours  quelques  affaires.  Orfa,  l'ancienne 
Edesse,  était  la  capitale  de  la  Mésopotamie;  de  h\,  par  Nisibin,  l'an- 
cienne Nisibe,  on  arrivait  i\  Mossoul,  «  ville,  dit  Tavernier,  qui 
paraît  belle  au  dehors  avec  de  hautes  murailles  de  pierre  de  taille, 
mais  au  dedans  elle  est  presque  toute  ruinée  et  n'a  que  de  petits 
bazars  borgnes.  Le  lieu  n'est  considérable  que  parle  grand  abord  des 
négociants,  surtout  des  Arabes  et  des  Kurdes,  dans  le  pays  desquels 
se  fait  une  grande  récolte  et  un  grand  commerce  de  noix  de  galle*.  » 

La  troisième  route  descendait  au  sud-est  par  Anna,  où  l'on  passait 
l'Euphrate,  Bagdad  et  Kengaver;  la  quatrième,  qui  était  la  plus 
suivie,  descendait  de  Bagdad  à  Bassora  pour  gagner  ensuite  Ispahan, 
Enfin,  la  cinquième  traversait  le  grand  désert  pour  atteindre  Bag- 
dad; c'était  une  route  extraordinaire  où  l'on  ne  passait  qu'une  fois 
par  an,  quand  les  marchands  do  Turquie  et  d'Egypte  allaient  acheter 
des  chameaux.  Les  caravanes  qui  prenaient  cette  route  ne  se  met- 
taient en  chemin  que  qu.ind  les  pluies  étaient  tombées,  pour  trouver 
deTeaudansledésert,  c'est-à-dire  vers  la  fin  de  décembre.  Elles  n'em- 
ployaient que  des  chameaux,  cnr  on  restait  souvent  trois  jours  sans 
trouver  de  l'eau,  tandis  que  sur  les  autres  routes  elles  comptaient 


(1)  Tavernier,  t.  I,  p.  138. 

(2)  Voir  sa  description  d.iiis  Poullct  (t.  II),  qui  la  suivit  pour  revenir  de  Perse. 
(})  Taverkier,  t.  I,  p.  162-186.  Il  suivit  cette  route  en  1644  et  1651.  —  Thé- 

venot  la  suivit  aussi  (t.  II,  p.  74). 


578  TABLEAU   DU    COMAIERCÉ 

beaucoup  de  chevaux  et  de  mulets.  DcBassora,  on  descendait  en  une] 
marée  A  l'embouchure  de  l'Huphrate;  de  lA,  en  quarante-huit  heures, 
on  arrivait  au  Bander  Rie  (licnder  Rig)  qui  ne  comptait  que  cinq  à| 
six  huttes  de  pêcheurs;  enfin,  en  six  jours,  on  parvenait  ;ï  Ispahaal 
par  Kazeroun,  Chiraz  et  Ycsdecas  (Yezdikhast)*. 

Alep  comptait,  au  xvn'  siècle,  de  200.000  A  300.000  habitants*.] 
Ville  de  négoce,  elle  était  occupée  en  grande  partie  par  les  bazars' 
dont  les  rues  couvertes  et  voûtées  à  cause  de  la  grande   chaleur 
étaient  en  outre  sans  cesse  arrosées  d'eau  pendant  le  jour,  ce  qui 
entretenait  une  grande  fraîcheur.  On  y  voyait  de  nombreux  artisar 
qui  travaillaient  la  soie,  préparaient  le  camelot  de  poil  de  chèvre,^ 
tissaient  et  teignaient  les  toiles.  Tous  les  habitants,  à  la  réser\'e  d( 
nobles  et  de  ceux  qui  étaient  fort  riches,  s'occupaient  A  quelque' 
métier  ou  au  trafic.  Ils  étaient  divisés  en  soixante-douze  corps  qui 
avaient  chacun  leur  chef.  Pour  le  logement  des  marchands  étranger 
il  y  avait  environ  quarante  ciravansérails,  les  uns  servaient  h  rece 
voir  les  caravanes,  les  autres  pour  la  demeure  des  Francs.  «  Le  pli 
beau  de  tous,  écrit  Fermanel,  est  celui  des  Franç.iis  qui  est  d'une  telle 
étendue  qu'il  fait  tous  les  ans  1500  écus  de  rente  A  La  Mecque.  • 
Tavernier  parle  de  la  «  quaisserie  qui  est  un  lieu  où  les  étrangers  sc< 
mettent  en  pension  A  un  demi-écu  par  jour  et  un  quart  pour  le  valetJ 
et  où  l'on  est  raisonnablement  traité,  »  il  y  avait  donc  des  sorte 
d'hôtelleries*.  Cependant,  elles  ne  pouvaient  guère  recevoir  d'étran- 
gers, car,  quand  la  mission  du  sieur  Fabre  passa  A  Alep  en  1705, 
avec  une  suite  de  cinquante-deux  personnes,  on  ne  put  trouver 
auberge  ni  maison  pour  les  loger,  et  on  les  répartit  chez  le  consul  1 
les  marchands' 

La  nation  française  d'Alep,  qui  comptait  encore  en  1630  quarante 
marchands  environ,  avait  diminué  peu  A  peu  et  souvent  n'atteigni^B 
plus  le  chiffre  de  vingt  membres  :  en  1653  une  lettre  de  la  nation^ 


(1)  Tavernier,  t.  I,  p.  141-1  $9.  —  La  BoulLiye  te  Gouï,  d.nns  son  tabltiu  J«  i 
canvAncs  régulières,  dit  qu'il  y  .1  une  caravane  J'Alep  |K)ur  Bagdad  tous  les  deui-j 
mois  (en  1648),  p.  6^-64. 

(i)  Fcrmiintl  lui  donne  200.000  habitants.   D'Arvicu.t  estime  '  '  'ion 

285.000  dont  ;oi  jj  .000  chrétiens,  .\rmcniens,  Grecs,  Syriens,  '  N'vs 

toricns  cl  environ  2000  juifs.  lille  avait  trois  bonnes  lieues  de  drcuiiii.i<:uL^.  i .  M 
p.  420  et  459- 

(5)  Ferm.vnel,  p.  266-72.  —  Thévenot.  t.  Il,  p.  60.  —  TAXtiLSiER.  t  jy 
p.  154-IJ7.  —  D'.\Hviiïu.>c,  t.  VI,  p.  4>8-457- 

••*  ^À.  |i.'.  .  /70;. 


LES    ECHELl 

porte  quinze  siRiiatures,  en  1693,  le  consul  écrit  qu'il  y  a  seize 
marchands,  mais  que  cinq  sont  sur  le  point  de  partir  '.  Sur  1473 
jeunes  gens  qui,  d'après  les  registres  de  la  Chambre  du  commerce, 
partirent  pour  résider  en  Levant  depuis  l'ordonnance  du  21  octo- 
bre 1685  jusqu'en  1719,86  seulement  allèrent  s'établir  ;\  Alcp.  Les 
Anglais  «étaient  h  peu  près  aussi  nombreux  que  les  Français  *  et 
avaient  déjà  un  consul  au  début  du  xvii'  siècle  ;  les  quelques  mar- 
chands hollandais  qui  résidaient  ii  Atcp  restèrent  sous  la  protection 
du  consul  de  France  jusqu'A  la  guerre  de  la  ligue  d'Augsbourg,  où 
ils  passèrent  sous  celle  des  Anglais.  Quant  aux  Vénitiens,  leurs 
affaires  étaient  tombées  dans  un  tel  désordre  qu'ils  songèrent  i  sup- 
primer vers  1680  leur  consulat  d'Aiep,  autrefois  le  plus  important 
de  ceux  qu'ils  avaient  dans  le  Levant. 

D'Alep  à  son  port  d'Alexandrcttc,  en  traversant  la  plaine  d'Antio- 
che,  il  y  avait  plusieurs  journées  de  marche;  la  route  n'était  pas 
sûre  et  il  fallait  s'armer  contre  les  Arabes  pillards  ;  l'aga  d'Alexan- 
drette  fournissait  des  janissaires  d'escorte  aux  marchands  ou  perce- 
vait vingt  piastres  seulement,  s'ils  ne  les  prenaient  pas.  Tandis 
que  dans  les  autres  échelles  il  était  interdit  aux  Francs  d'aller  :\ 
cheval,  il  ne  leur  était  pas  permis  d'aller  A  pied  d'Alexandrette  à 
Alcp*.  La  distance  entre  le  port  et  la  ville,  qui  demandait  pour  être 
franchie  plus  de  deux  journées  de  cheval,  était  un  grave  inconvénient 
pour  les  marchands  d'Alep  qui  n'étaient  pas  prévenus  immédiate- 
ment de  l'arrivée  et  du  départ  des  navires.  Pour  y  remédier  les 
négociants  se  servaient  depuis  longtemps  de  pigeons  voyageurs, 
sous  l'aile  desquels  étaient  attachés  les  avis  qu'ils  avaient  ù  donner 
ou  à  recevoir,  les  nouvelles  se  transmettaient  ainsi  en  une  heure  et 
demie  ou  une  heure  trois  quarts  *. 

Alexandrette  n'avait  qu'une  rade  foraine,  heureusement  très 
sûre;  on  n'avait  jamais  vu  un  vaisseau  s'y  perdre.  Malheureusement 


(i)  Il  V  av.iit  au  inimc  moment  quatorze  Juifs  sous  la  protection  de  la  Fnncc 
et  cinq  .iflaicM  arriver  sur  un  navire.  —  D'.Xrvieux,  I.  VI,  p.  7},  dit  que,  %-crs  1670, 
soixante  marchands  composaient  la  nation. 

|i|  Dt  iîniyn,  hollandais  <jui  passa  d  Alcp  vers  i68o,  dit  que  les  Français  y  sont 
l«  plus  nombreux  et  au  premier  rang  et  que  les  .Anf^lais  viennent  ensuite.  —  Mais 
d'autres  documents  indiquent  que  dans  cette  période  les  Anglais  furent  souvent 
les  plus  nombreux  et  firent  surtout  plus  de  commerce  —  il  y  avait  alors  deux 
ladcurs  Hollandais  seulement. 

(})  V.  p.  270,  la  raison  de  cette  obligation.  Le  voyage  coûtait  environ  jo  piastres. 

(4I  FERMANtL.  —  Ta\crnier  dit  que  les  pigeons  mettent  quatre  ou  cinq  heures, 
ce  qui  serait  très  exagéré,  car  la  distance  A  vol  d'oiseau  est  de  100  à  103  kilométr. 


jSo 


TABLEAU  DU   COMMERCE 


elle  ne  put  prospérer,  pendant  tout  le  xvii'  siècle,  h  cause  de  deux 
graves  inconvcnienrs  :  l'air  y  était  très  malsain,  parce  que  des 
marécages  s'étendaient  sur  la  plage,  et  les  européens  ne  pouvaient 
guère  y  vivre  que  quelques  années,  encore  ne  se  retiraient-ik  pas 
sans  avoir  contracté  de  fâcheuses  maladies.  Aussi  était-il  ditlicilc  de 
trouver  des  vice-consuls  et  des  commis  pour  y  résider.  Le  consul 
d'Alep  écrivait  le  28  juin  1692  :  «  le  vice-consul  d'Alexandrettc  est 
mort.....  autant  qu'il  en  viendra,  autant  il  en  mourra.  Il  est  mort» 
en  effet,  non  pas  de  la  peste  qui  a  presque  cessé,  mais  des  fièvres  de 
safran  paclia  qui  ne  pardonnent  à  aucun  Français.  Il  est  inutile  d'en 
envoyer  de  nouveau  pour  les  sacrifier'.  »  En  outre,  la  plage  n'chait 
protégée  par  aucune  forteresse,  si  bien  que  les  corsaires  pouvaient 
impunément  venir  att.iquer  les  navires  .lu  mouillage;  on  vit  même 
les  Tripolins.  descendre  ;\  terre  et  piller  les  magasins  et  la  douane  ; 
un  chevalier  de  Malte  français  accomplit  le  même  exploit,  il  en 
coûta  à  la  n.uion  dix  mille  piastres  pour  n'être  pas  rendue  rcs|>on- 
sable;  enfin  le  chevalier  Paul  av.nit  failli  enlever  auprès  d'Alexan- 
drettc la  caravane  qui  port.aît  tous  les  ans  X  Constintinople  le  tribut 
d'Egypte*. 

C'était  le  double  danger  de  la  maladie  et  des  corsaires  qui  .iv.ijt 
fait  abandonner  Alexandrette  au  moyen  âge  et  Tripoli  était  au  débu 
du  xvii*  siècle  le  port  d'Alep,   mais  les  tyrannies  du  pacha  avaien 
obligé  les  Français  A  quitter  l'échelle*;  après  de  difficiles  négociations 
â    la    Porte,   qui    coûtèrent  plus  de    20.000    piastres  \    la   nation 
d'Alep,  l'échelle  avait  été  transportée   en    i6t2  â  Alexandrette* 
Il  n'y  avait  que  cinq  ou  six  maisons  de  Francs,  en  comptant  celles  des 
vice-consuls  français  et  anglais,  .assez  commodément  logés  et  qui 
recevaient  les  voyageurs,  le  logis  de  l'aga  cl  du  douanier  et  une 
douzaine  de  méchantes  huttes  habitées  par  des  Grecs  qui  tenaient 


I 
I 

I 


(i)  .-/..-/,  }6}.  —  n  On  appelle  cette  maladie  s:ifrnn  B.issia  qui  est  une  espèce! 
de  jaunisse.  On  y  trouve  entre  les  facteurs  des  Européens  une  certaine  inconi-l 
modité  qui  les  rend  comme  p.iraiytiques  de  leurs  membres;  outre  cela,  ils  sont] 
fort  jaunes  et  d'un   teint    fort  laid  et  ils  ont  presque  toujours   la  fièvre.  »  Dk 
Bruyn,  p.  372. 

(2)  V.  pour  ces  faits,  AA,  }6}.  A"  Juin  1624,  2}  juin  tôjt  et  d'autres  lettres 
d'.\lep,  ainsi  en  1681.  —  Tavf.rnier,  t.  I.  p.  127. 

(j)  V.  p.  13. —  Fer-masei-,  p.  259,  500. —  Arch.  Nat.  Mimoirt  de  M.  Ma(t. 
de  ibfis.  F",  64s. 

(4)  V.   A  A,  ;6j'.  Leilrts  ik  1611-12,  surtout  la  fhrifr  161 3,  iioiit  1611. 


LES  ÉCHELLES  :    TRIPOLI 


îlots'.  En  1692,  deuxfrc 


fais;ticni.  écrit  le 


ret  pour  des  matel 
tuii.iul  d'Alep,  loutéi.  les  atlaircs  des  ninrclutuls  tt  de  1685  ;\  1719 
les  registres  de  I.1  Chambre  ne  signalent  que  neuf  facteurs  qui 
allèrent  s'y  établir. 

Tripoli  de  Syrie,  bien  qu'elle  possédât  tous  les  avantages  qui 
manquaient  à  Alexandrette,  ne  put  lui  reprendre  la  place  qu'elle 
avait  perdue  :  l'air  y  était  sain,  sur  sa  plage  sept  grosses  tours 
carrées  la  défendaient  contre  l'abord  des  corsaires',  mais  elle 
n'avait  aussi  qu'une  rade  ouverte,  beaucoup  moins  sûre  que  celle 
d'Ale.xandrette',  éloignée  de  cinq  journées  de  marche  d'Alep.  Savary 
de  Brèves  la  vit  en  1605  dans  toute  sa  prospérité  avec  de  beaux  édi- 
fices publics,  bains,  mosquées,  «  fondics  et  caravanseras *.  »  Mais, 
après  le  dcp.irt  des  Franç.iis,  en  1612,  elle  n'eut  plus  de  résidents 
pendant  longtemps.  Fermanel  la  visita  en  1630  :  les  anciens  bazars, 

H  les  caravansérails  et  les  maisons  étaient  en  train  de  se  ruiner.  »  On 
nous  assura,  dit-il,  que,  durant  que  cette  ville  était  florissante,  les 
Turcs  y  étaient  insupportables,  maintenant  qu'ils  sont  dans  la  pau- 

■vreté  ce  sont  les  meilleures  gens  du  monde  et  nous  n'avons  trouvé 
en  aucun  endroit  des  Turcs  si  courtois  et  si  affables*.  » 

Cependant  si  Tripoli  ne  redevint  plus  le  débouché  du  grand 
m.irché  d'Alep,  la  richesse  de  la  région  qui  l'entourait  lui  permit 

Kde  retrouver  la  prospérité  et  suffit  A  y  entretenir  un  assez  grand 
commerce.  «  Cette  ville  est  fort  marchande,  écrit  d'Arvieu.x..,, 
on  y  fait  un  trafic  de  soies  très  considérable,  elles  sont  du  crû  du 
pays,  plus  fortes  et  plus  unies  que  dans  les  autres  endroits  de  la 
^cote,  on  les  emploie  à  cause  décela  aux  ouvrages  d'or  et  d'argent. 

(r)  Fermanel,  p.  258-261.  —  Tavkhnif.b,  t.  I,  p.  120-134.  —  De  Bruyn  ; 
jAlcxanJrcttc  n'a  qu'un  rang  de  maisons  iur  le  bord  de  la  mer,  p.   572. 

(2)  De  plus  au  lieu  d'éire  enferniée  entre  la  mer  et  la  montagne  comme 
Alexandrette,  elle  était  le  diiboucliè  d'un  «  terroir  très  fcrtitc  et  gras,  abondant  en 
{;rains,  vins,  huiles,  fruits,  et  liclie  pour  le  grand  trafic  des  soies,  de  la  manne 
qui  se  trouve  au  Liban,  du  s.ivon  et  des  cendres  à  faire  les  verres.  «  —  «  Elle  est 
entre  deux  plaines,  l'une  plantée  de  mûriers  pour  lu  soie  dont  se  fait  li  grande 
quantité  et  grand  commerce,  l'autre  plantée  d'oliviers.  »  —  De  Brèves.  Relation, 
V-  40,  J3. 

(3)  On  ne  voyait  plus  que  les  ruines  du  beau  port  entouré  de  murailles,  qu'elle 
avait  au  Moyen-Age;  elles  apparaissaient  i;a  et  là  comme  des  écucils.  Ferm.\nel, 
p.  301 .  —  Des  sept  tours,  trois  avaient  été  bdties  du  temps  des  croisades  Les 
Turcs  lei  entretenaient  avec  soin.  D'.^rvielx,  t.  II,  p.  383 

(4)  «  Les  Français  y  ont  aujourd'hui  un  consul  et  deux  maisons  ou  fondiques 
où  les  m.trchands  logent  venant  ici.  Les  Vénitiens  en  ont  aussi  un....  Les  Anglais 
y  ont  un  autre  fondique....  11  —  de  UtAL  veal'  (compagnon  de  de  Brèves),  p.  96. 

(>)  Fekmanel.  p.  299-501. 


I 


382  TABLKAL'    DU   COMMIiRCE 

On  trouve  aussi  quantité  Je  ces  cendres  '  qu'on  transporte  à  Mar- 
seille et  à  Venise  pour  faire  du  verre  et  du  savon,  des  raisins  sea 
qui  viennent  de  Balbec,  des  tapis  et  des  étoffes  du  pays,  de  soie,  de 
laine  et  de  coton.  »  Des  marchands  français  revinrent  y  résider, 
mais  ce  n'est  que  vers  1680  que  la  nation  française  s'y  oi^nisa 
définitivement  avec  un  vice-consul,  dépendant  de  celui  d'Alep.  On 
avait  vu  auparavant  le  consulat  des  français  exercé  par  des  Hollan- 
dais, des  Anglais  et  des  Italiens  *. 

En  1699,  le  vice-consul  français  se  plaignait  à  la  Chambre  de  la 
modicité  des  appointements  qu'on  lui  avait  attribués   :  «  Je  suis 
surpris,  écrivait-il,  qu'on  regarde  ce  lieu  comme  une  petite  échelle, 
étant  une  ville  considérable  où  il  y  a  80.000  habitants,  à  cela   joint 
un  pacha,  un  cadi,  un  caya,  un  aga  des  janissaires,  quantité  d'autres 
officiers....  c'est  tout  ce  qu'il  y  a  i  Alep  et  il  s'en  manque  beaucoup 
qu'il  y  en  ait  autant  à  Seïde*.  »  La  nation  française  n'y  comptait 
cependant  quequelques  marchands  et,  de  1685  à  1719,  il  n'y  vint  que 
quarante-trois  résidents.  L'échelle  n'était  visitée  chaque  année  que 
par  quatre  ou  cinq  bâtiments  qui  généralement  ne  Élisaient  que 
compléter  leur  chargement  commencé  à  Seïde  ou  i\  Alexandrette.  De 
1700  à  17I)  elle  exporta  pour  près  de  sept  millions  de  livres  de 
marchandises  parmi  lesquelles  les  soies,  les  noix  de  galles,  les  cotons, 
les  cendres,  les  huiles  étaient  les  principales.  On  y  trouvait  aussi  le 
café,  le  ri/  et  d'autres  marchandises  d'Egypte  apportées  par  les  bâti- 
ments français,  turcs  ou  grec.-.,  appelés  caravanaires,  qui  faisaient 
un  cabotage  actif  entre  les  côtes  de  Syrie  et  les  ports  d'Egypte*. 

Seïde,  l'ancienne  Sidon,  nétait  qu'une  méchante  bourgade, 
mais  elle  éuil  devenue,  grâce  à  son  heureuse  situation  au  milieu  de 
la  côte  de  Syrie  et  à  ses  communications  faciles  avec  l'intérieur  du 
pays,  surtout  avec  Damas,  la  grande  échelle  de  Syrie  et  la  troisième 

(1)1  l,;i  qu.intitc  Jl-  no^  b.uiments  venus  cctt».  aiince  pour  charger  des  cendres 
les  .1  rendues  si  r-ircs  qu'il  n'y  en  a  plus  jusqu'à  l'arrivée  des  caravanes.  j>  Lettre 
ilu  vUf-i-oiiiul,  10  Jivr.    i-ii.  .iA.   jSç. 

(2)  2j  thK'eml'it-  10S2.  .lA.  ;SS.  l.t'.iy  ,hi  -.icc-comui .  —  AA,  }}6.  20  août  i66j  : 
Le  consul  d'Alep  a  aiVernié  le  consulat  de  Tripoli  au  consul  des  Hollandais. 

(5)  AA,  }$>).   I)   ii:ril  ijiw. 

(4)  En  1714,  .innée  i.>ù  le  commerce  de  Tripoli  atteignit  son  maximum, 
l'échelle  l'ut  visitée  p.ir  un  v.iisse.i;:,  q'.Mtre  b.irqiies.  treize  vaisseaux  venant  de 
Seide  et  .\lexandrette.  —  La  valeur  des  exportations  lut  de  1.025. 281  livres 
(cotons  44.CXX)—  cendres  20..) 2 i  —  cité  2 7. M 7  —  galles  59  737  —  huile 
51 .786  —  soies  77S.1XK)  —  toiles  2o.<nx)i.  — lin  i70i>,  les  exportations  ne 
furent  que  de  28.  i!?6  liw.  imininumii.  —  II,  i;. 


LES  ÉCHELLES  :   SElDE 

en  Importance  de  toutes  les  échelles,  ii  la  fin  du  xvii' siècle.  Elle  dut 
'  en  panie  sa  fortune  i  l'cmir  druse  Fakhreddin  qui  s'en  empara  dans 
les  premières  années  du  xvii'  siècle  et  en  resta  maître  jusqu'en  1633  ; 
il  en  fît  sa  capitale  et  s'efforça  par  tous  les  moyens  d'y  attirer  le 
commerce*.  «  11  n'y  a  point  de  pays  dans  la  Turquie,  écrit  l'envoyé 
de  Louis  Xfll  Deshayes  de  Courmemiii,  en  1621,  où  les  chrétiens 
soient  si  libres  comme  dans  les  terres  de  Facnrdin.  Ils  ne  sont  point 
sujets  aux  avanies  qui  se  pratiquent  dans  l'empire  du  Turc,  chacun 
y  vit  en  repos  et  les  étrangers  y  reçoivent  autant  de  protection  que 
les  naturels  du  pays.  Le  voyage  que  ce  prince  a  fait  en  chrétienté  où 
il  a  demeuré  cinq  ans  a  beaucoup  servi  à  polir  ses  mœurs  et  son 
esprit*.  »  Cependant  Fakhreddiiî  porta  un  grand  tort  aux  bâtiments 
qui  fréquentaient  Seïde  en  fai.s;MU  combler  son  port,  de  crainte  que 
les  galères  turques  ne  pussent  y  entrer  et  venir  l'atuquer  par  mer. 

Le  port  de  Seïde  était  une  rade  ouverte  aux  deux  extrémités,  que 
les  Provençaux  appelaient  un  Frioul,  abritée  par  une  petite  île  de 
rochers.  Elle  était  bien  ;\  couvert  du  vent  du  S.-O.  trés-violcnt  et 
très-dangereux,  mais  ouverte  au  vent  du  Nord,  qui  n'était  pas  moins 
à  craindre.  Le  fond,  partout  rocheux,  y  rendait  le  mouillage  diilicile 
et  il  fallait  prendre  des  précautions,  pour  empêcher  les  câbles  d'être 
Coupée  par  le  frottement.  Ce  port  incommode  avait  l'avantage  d'être 
défendu  par  un  bon  château,  situé  sur  un  rocher  dans  la  mer  vis-à- 
vis  de  la  ville,  et  réuni  X  la  terre  ferme  par  un  pont  de  dix  ou  douze 
arches. 

La  ville,  petite  et  fort  mal  bjitie,  était  habitée  par  des  Turcs,  Maures, 
Maronites  et  Juils  :  il  n'y  avait  pas  en  tout  6,000  habitants*.  Les 
étrangers  vivaient  dans  deux  grands  «  camps'  »  l'un  sur  le  bord  de 
la  mer,  l'autre  plus  grand,  dans  l'intérieur  de  la  ville,  qui  servait 
aux  Français,  Leur  consul  avait  acheté  ù  côté  une  belle  maison  très 
Ornée  que  Facardin  avait  fait  construire  pour  y  loger  ses  femmes. 
La  nation  française  resta  seule  établie  à  Seïde  pendant  les  deux  tiers 
du   xvii'  siècle*.  De   1685  à   1719,  cent  soixante -quinze  résidents 


(  I  )  Les  clirâticns  l'appelaient  Facardin  ou  pL-kerdin.  —  I!  était  maître  de  toute 
•la  côte  depuis  Tripoli  jusqu'au  mont  Carmcl  et  de  l'intérieur  jusque  vers  Damas. 
—  Il  fut  pris  par  les  Turcs  et  mis  à  mort  à  Constantinoplc  en  1633.  Cependant 
^»es  neveux  reprirent  plus  tard  le  pouvoir  à  Sdde. 

(a)  Deshayes,  p.  441. 

(j)  DWrvieux,  t.  I,  p.  joi.  —  CoppiN,  p.  420,  —  Thèvenot,  t.  Il,  p.  20. 

(4)  Les  Français  appelaient  camps,  khans,  cams,  les  caravansérails  qu'ils  habitaient. 

(î)  D'Arvibux,  t.  I,  p.  .^64.  —  Sav.wv  dont  ks  renseignements  sont  un  peu 


384  TABLEAU    DU   COMMERCE 

passèrent  de  Marseille  à  Seïde,  c'est-à-dire  deux  fois  plus  qu'il  n'en 
partit  pour  Alep  dans  la  même  période.  Il  est  vrai  qu'on  séjournait 
peu  à  Seïde  et  \a  nation  n'était  pas  plus  nombreuse  qu'à  Alep  ;  vers 
1670  elle  se  composait  de  14  maisons,  en  1713  de  18,  dont  quelques 
unes  comptaient  plusieurs  associés.  De  1671  à  1714  cette  échelle 
exporta,  d'après  les  chiffres  de  recette  du  cottimo,  pour  53.000.000 
de  marchandises,  ce  qui  était  presque  le  double  des  exportations 
d'Alep'. 

Le  coton  fut  toujours  le  plus  grand  article  du  commerce  de  Seïde  ; 
les  Provençaux  y  achetaient  à  peu  près  en  égale  quantité  les  cotons 
en  laine  et  les  cotons  filés.  Les  premiers  étaient  vendus  en  été 
aussitôt  après  la  récolte,  les  seconds  plutôt  en  hiver,  car  les  habitants 
des  vallées  du  Liban  et  de  la  Cœle  Syrie  filaient  peu  en  été,  occupés 
qu'ils  étaient  aux  récoltes  du  blé,  des  olives  et  de  la  soie.  Tous  les 
lundis  et  les  mardis  se  tenait  à  Seïde  le  marché  des  cotons  filés, 
devant  le  grand  camp  eti  travers  toute  la  ville,  jusqu'au  bord  de  la 
mer.  Les  femmes  y  apportaient  ce  qu'elles  avaient  filé  chaque 
semaine;  pour  en  augmenter  le  poids  elles  vendaient  leurs  écheveaux 
encore  mouillés,  mais  les  marchands  accoutumés  à  ce  subterfuge, 
en  tenaient  compte  dans  leurs  achats  et  faisaient  ensuite  sécher  ces 
écheveaux  sur  des  tringles  en  bois  qui  étaient  scellées  à  cet  effet  dans 
les  galeries  du  grand  camp  *.  Les  cotons  de  Seïde  n'étaient  pas  aussi 
forts  que  ceux  que  l'on  filait  dans  les  autres  endroits  de  la  côte, 
mais  ils  étaient  plus  blancs  et  plus  fins  et  coûtaient  plus  cher. 

postcrieurs  dit  que  les  nations  qui  ont  des  consuls  à  Smyrne  et  à  .\lep  en  ont 
aussi  à  Seïde  à  l'exception  des  Vénitiens  et  des  Génois.  Dict.  du  Coni  ,  col.  1020. 
—  .Après  la  mort  de  Fakhreddin,  Seule  souffrit  be.iucoup  des  avanies  ;  à  deux  repri- 
ses, en  16)6  et  en  1667.  la  nation  abandonna  l'échelle  et  se  retira  h  Acre  et  à 
Tripoli.  V.  liv.  I,  cliap.  i.  —  Lllri'  du  ij  avril  i6b-j.  AA,  _j;6. 

(  I  )  ce,  2}  et  siiiv.  —  V.  à  l'appendice  les  chiffres  des  exportations  pour  chaque 
année  de  1671  à  171 4.  —  Savary,  DicJ.  col.  10 iÇ),  dit  que  les  Français  faisaient 
par  année  niovenne  350.000  piastres  de  commerce  a  Seïde,  chiffe  supérieur  à  celui 
que  donnent  les  tableaux  du  cottimo  vers  1670,  époque  à  laquelle  s'appliquent  les 
chiffres  de  Savary, 

(2)  Lellre  du  confiil,  2}  /Vît.  iji;.  A  A,  jsS  :  On  achète  à  Seïde  les  filés  au 
marché  public  les  lundis  et  mardis  par  l'entremise  des  censaux  (^ui  les  pèsent  avec 
leurs  romaines;  après  quoi  personne  ne  peut  plus  en  acheter  ailleurs  pendant  la 
semaine.  —  Voir  aux  Archives  des  affaires  étrangères  (Mtwoiics  sur  le  commerce  du 
Levanl.  Qirtoti  lôSj-i^'j)  un  intéressant  mémoire  touchant  le  commerce  de 
l'échelle  de  Seïde  et  des  dépendances  envoyé  par  le  consul  Desguisier  le  20  lévrier 
i(,c)i. —  •  Knlin,  Monseigneur,  je  conclus  pour  vous  dire  que  les  l-rançais  n'avaient 
jamais  été  mieux  considérés  à  Seïde  et  toute  sa  dépendance  que  présentement.  Les 
pachas  nous  honorent,  nous  aiment,  et  nous  accordent  tout  oe  que  nous  leur 
demandons  de  juste  et  de  raisonnable.  0  —  Il  compte  vingt  marchands  à  Seïde. 


LES   ECHELLES  :    SEIDE 


385 


Pl 


US 

bre 


Nulle  part  les  rivalités  entre  march.uiJs  français  n'étaient 
ardentes  que  pour  l'achat  des  cotons  dans  cette  échelle  ;  la  Cliam 
du  Commerce  et  les  consuls  s'épuisèrent  en  vain  en  efforts  pour  les 
amener  i  s'entendre,  souvent  ils  achetaient  d'avance  la  récolte  et  se 
mettaient  à  la  merci  des  cheiks  des  villages  pour  la  fixation  des  prix. 
•  En  vain,  écrit  le  consul  le  25  septembre  1714,  une  ordonnance 
de  l'ambassadeur,  autorisée  par  arrêt  du  Conseil,  interdit  aux  mar- 
chands de  prêter  ou  avancer  aucune  somme  aux  cheiks  du  pachalik 
de  Seide  et  autres,  ni  d'avoir  aucun  engagement  avec  uux  ;\  peine 
de  100  livres  d'amende...  11  y  a,  dit-on  publiquement,  plus  de  80,000 
piastres  données  en  avance  aux  cheiks...  Les  villages  du  pays  de 
Saphet  sont  assignés  et  hypothéqués  aux  Français  en  retour  de  ces 
sommes'.  » 

Le  chiffre  des  achats  de  coton,  étant  subordonné  ;\  l'abondance  de 
la  récolle,  variait  beaucoup  suivant  les  années,  mais  il  atteignait 
toujours  au  moins  la  moitié  du  commerce  total  de  réchelle.  En 
1714,  44  bâtiments  français  qui  y  chargèrent  2,588,000  livres  de 
marchandises  emportèrent  i .  150.000  livres  de  cotons. 

Ils  transportèrent  aussi  cette  même  année  pour  540.000  livres 
de  soies;  mais  les  soies  qu'on  achetait  à  Seïde,  récoltées  surtout 
chez  les  Druses  et  appelées  pour  cette  raison  soies  Chouf*,  étaient 
les  plus  grosses  et  les  moins  estimées  du  Levant,  on  les  employait 
pour  faire  les  velours.  Les  cendres  et  les  huiles  figuraient  dans  les 
chargements  de  Seïde  en  quantités  assez  considérables  ;  on  trouvait 
aussi  dans  cette  échelle  du  riz  et  du  café  apportés  d'Egypte  par  les 
navires  «  caravanaires  »'.  Les  cargaisons  des  vaisseaux  français  qui 
y  abordaient  étaient  peu  importantes  :  c'était  l'une  des  échelles 
où  l'on  portait  le  plus  de  piastres    et  les  marchands  de  Marseille 

(11  AA,  jjS. 

(2)  On  appelait  en  clîct  le  pavs  des  Druses,  pays  de  Cliouf.  —  «  Le  pays  de 
Chouf  ou  des  Druses  au  N.-E.  Je  Seïde  est  moiitueux  mais  agréable,  rempli  de 
tiuantité  de  vignes,  oliviers  et  mûriers  à  soie.  Les  Druses  se  irroiciit  issus  des 
Iransiiis  et  les  .accueillent  très  bien.  »  Coppi.n,  p.  459.  —  «  Dès  qu'ils  ont  un  petit 
rjiorccdu  de  rocber,  s'ils  y  peuvent  faire  tenir  deux  doigts  de  terre,  ils  y  plantent 
Un  mûrier.  »  Thèves'ot,  t.  11,  p.  20. 

(3)  En  1700,  année  moyenne  pour  la  valeur  du  commerce  de  Seïde.  l'échelle 
fut  visitée  par  six  vaisseaux  et  quatre  barques.  —  La  valeur  des  exportations  fut  de 
1  -CI 7.000  livres  (Glu,  560.  —  Soies  et  bourres  de  soie,  yj.ooo.  —  Cendres, 
73.500.  —  Casse,  1.080,  —  Cire,  580.  —Cotons,  721  000.  —  Galles,  aa.otx). 
— -  Laines,  9.000.  —  Ri/.,  84.000.  —  Soies,  83.000.  —  Sel  armoniac,  156.  — 
Toiles,  420).  En  1714  (maximum)  10  vaisseaux  et  34  barques  visitèrent  l'échelle. 
—  Leurs  chargements  valurent  2. 388.000  liv.  —  En  170}  (minimum)  les  cxpor- 

2S 


386  TABLEAU   DU   COMMERCE 

faisaient  aussi  remettre  à  leurs  commissionnaires  de  Seïde  des  lettres 
de  change  à  négocier  sur  leurs  correspondants  de  Constantinoplc 
où  l'on  portait  au  contraire  des  marchandises  pour  une  valeur  supé- 
rieure à  celle  des  achats. 

Seïde  faisait  une  partie  de  son  commerce  avec  Damas  ;  de  li, 
venaient  les  cotons  filés  les  plus  beaux,  les  plus  fins  et  les  meilleurs, 
des  toiles  de  coton  blanches  et  bleues,  des  soieries  et  d'autres  étoffes 
que  les  ouvriers  de  Damas  fabriquaient  en  grande  quantité  :  velours, 
satins,  taffetas,  damas,  brocards,  tabis,  moires.  Damas  était  en  effet 
l'une  des  villes  les  plus  riches  et  les  plus  commerçantes  du  Levant.  Les 
caravanes  de  la  Mecque  y  apportaient  des  drogues  de  toutes  sortes, 
des  épiceries,  des  marchandises  de  Perse  et  des  Indes  ;  les  Francs  y 
vendaient  des  draps  de  soie,  de  laine  et  d'or,  du  papier,  des 
bonnets,  de  la  cochenille,  de  l'indigo,  du  sucre  et  quantité  d'autres 
marchandises  transportées  par  caravanes  de  Seïde,  de  Barut  et  de 
Tripoli*.  Mais  ce  commerce  paraît  avoir  diminué  peu  à  peu  dans  le 
courant  du  xvu"  siècle.  A  la  fin  duxvi"-'  siècle  Damas  était  l'échelle  prin- 
cipale et  le  consul  y  résidait,  mais  l'incommodité  et  les  risques  qu'il 
y  avait  pour  le  transport  de  l'argent  pendant  trois  journées,  par  un 
chemin  dangereux  et  souvent  impraticable,  fit  juger  à  propos  de 
transporter  le  consulat  et  le  siège  du  négoce  A  Seïde. 

En  1630,  Fermanel  trouva  encore  i\  Damas  un  consul  des  Français 
et  des  marchands  Vénitiens  qui  y  vivaient  en  grande  liberté.  Les 
ouvriers  de  cette  ville  étaient  encore  habiles  dans  la  trempe  de  l'acier 
et  fournissaient  aux  marchands  de  fort  beaux  coutelas;  le  commerce 
des  raisins  secs  y  était  considérable  h  cette  époque  ;  les  émirs 
propriétaires  des  vignobles  qui  les  produisaient  aux  environs  de 
Damas  en  affermaient  la  vente  à  un  partisan  qui  en  expédiait  chaque 
année  500  quintaux;  malgré  ce  monopole,  on  faisait  ;\  Seïde  de 
grands  profits  sur  cette  marchandise,  mais  on  se  mit  à  cultiver  en 
Italie  les  panses  de  Damas  et  on  apprit  à  y  préparer  aussi  bien  les 
raisins  secs,  aussi  dès  1660  la  vente  en  avait  i\  peu  près  cessé. 
D'après  d'Arvieux,  Damas  à  cette  époque  commerçait  surtout  avec 

Utions  furent  de  83.000  livres.  7/,  ij.  —  Pour  tout  ce  qui  concerne  Seïde, 
Voir  Dkshayks,  p.  441-42,  Fer.manix,  p  526-28,  Copris,  p.  419-23,  D'.\ h viiiux, 
surtout,  qui  y  résida  plusieurs  années  comme  marchand,  t.  1,  p.  262-466;  t.  III, 
p.  341  etsuiv.  —  Cùmspoudatuc  consulaire.  AA,  JSÙ-J42.  —  Savary,  D/V/.  du 
Comm.,  col.  1019-20, 
(i)  D'Arvikux,  t.  II,  p.  462-64. 


LES   ÉCHELLES  :    DAMAS,   BARUT 


387 


Alcp  quoique  le  trajet  fût  plus  long  de  cinq  à  six  journées  et  les 
chemins  peu  sûrs,  parce  que  les  marcliands  de  cette  ville  n'étaient 
pas  a-ssuri^s  de  trouver  à  Setde  les  marchandises  dont  ils  avaient 
besoin,  les  Marseillais  y  port;int  surtout  de  l'argent.  I!  y  r<îsidait 
cependant  encore  des  marchands  français  ainsi  que  des  médecins  et 
des  chirurgiens'.  iMais  le  voyageur  Lucas,  qui  visita  Damas  en 
1715,  ne  signale  la  présence  d'aucun  résident  français,  bien  qu'il 
insiste  sur  la  présence  dans  cette  ville  des  capucins,  des  Pères  de 
Terre  Sainte  et  des  jésuites  *. 

Seïde  était  en  outre  le  magasin  et  l'entrepôt  où  étaient  envoyées 
toutes  les  marchandises  de  la  côte  de  Syrie,  des  échelles  secondaires 
de  Barut,  Acre  et  Rame.  Les  marchands  de  Seïde  eurent  longtemps 
des  commis  qui  y  séjournaient  à  demeure,  y  faisaient  des  achats  en 
leur  nom  et  envoyaient  les  marchandises  i  Seïde  par  les  bateaux  du 
pays.  Dans  la  seconde  moitié  du  xvn'  siècle,  les  résidents  y  for- 
mèrent des  nations  distinctes  avec  des  vice-consuls  dépendant  de 
Seïde;  elles  furent  en  rivalité  constante  d'atl'aircsavec  les  marchanda 
de  l'échelle  principale,  parce  qu'elles  exploitaient  à  peu  près  les 
mêmes  marchés  et  acheuientles  mfimes  marchandises,  ce  qui  donna 
lieu  parfois  à  des  querelles  fort  vives*. 

La  ville  de  Barut  avnit  été  avant  Seïde,  parait-il*,  le  siège  de 
l'échelle  ;  tlk-  était  deux  fois  plus  grande  qu'elle,  entourée  de 
murailles  bien  entretenues  et  beaucoup  mieux  b.ltie.  La  plupart  de 
ses  habitants  étaient  des  chrétiens  et  des  maronites,  ils  passaient 
pour  être  particulièrement  doux  et  polis.  Son  port  avait  été  comblé 
comme  celui  de  Seïde  par  l'émir  l'akhreddin  :  il  avait  fait  .s;iuier 
deux  puissantes  tours  qui  en  détendaient  l'entrée,  leurs  débris 
l'avaient  obstrué  et  les  alluvions  de  la  mer  av.aient  fait  le  reste,  il  n'y 
pouvait  entrer  que  de  petits  bateaux,  mais  il  y  avait  en  dehors  une 
bonne  rade  avec  un  fond  d'excellente  tenue  ;  cependant,  iï  cause  de 

(1)  Voir  sur  k  comnicrcir  Je  Dam.is  ;  pERMANia,  p.  ÎI2-2:,  D'Auvicex,  t.  I, 
p.  Î39-465.  Coi'PiN,  p.  122,  TiiCVENOT,  t.  II,  p.  25-40,  it  diScrit  Damas  en  1663. 

(2)  Liic\s,  p.  Î49. 

(i)  Voir  la  ConrifKivJaiice  d<  r/chelU  deSeidt.  A  A,  )jf>-}.f2.  —  On  relève  dans 
kplus  ancien  des  rejjistres  Je-»  arcliives  du  con*uI;it  de  Beyrouth  (1608-1625)  les 
nom*  d'une  trentaine  de  Français.  —  Je  dois  ce  renseignement  à  l'obligeance  de 
M.  le  consul  général  Jullemier. 

(4)  Anb.  Nat.  P',  ('•./;.  Mémoire  de  i6Sf. —  «  Les  Français  rappellent  Barut, 
les  gens  du  pays  Bcirout.  On  tire  le  nom  de  Beiroutde  Bir  qui  en  arabe  signifie 
puiis,  parce  que  sa  situation  dans  un  lieu  tout  environné  de  montagnes  le  fait 
met  ressemblera  un  puits.  »  D'ArVieux,  t.  II.  p.  337. 


388  TABLEAU    DU   COMMERCE 

la  cniinte  des  corsaires,  les  vaisseaux  français  n'allaient  qu'.\  Scîdc  et 
il  était  rare  qu'on  en  vit  un  A  Barut  dans  une  année.  M 

Cependant  la  richesse  du  territoire  environnant   et  la  soie  qu'il 
produisait  en  quantités  considérables  y  attiraient  un  grand  cotu- 
merce.  «  L'émir  Fekherdin,  rapporte  d'Arvieux,  regardait  le  territoir 
de  Barut  comme  son  jardin  de  plaisance  et,  comme  ses  sujets  étaient 
bien  plus  riches  de  son  temps  qu'ils  ne  le  sont,  depuis   qu'ils  sont 
tombés  sous  la  domination   des  Turcs,  ils  tâchaient  de   l'imiter  eC 
avaient  un  soin  particulier  de  cultiver  un  terrain  si  bon....  On  y  voit 
encore  i\  présent  de  longues  allées  d'orangers  et   de  citronniers  quî^ 
faisaient  les  clôtures  de  leurs  jardins  à  fleurs.  Les  choses  sont  aujour-^ 
d'hui  (i6éo)dans  une  situation  bien  différente  :  accablés  des  vexi-j 
tions  continuelles  des  pachas  et  autres  officiers  aussi  avares,  ils  n< 
songent  qu'a  remplir  l'avidité  de  leurs  tyrans,  leurs  jardins  à  fleui 
sont  complètement  abandonnés,  ils  ne  pensent  qu'à  cultiver  leurs 
mûriers  blancs  et  à  élever  les  vers  à  soie  qui  sont  leur  commerce  et 

leur  meilleur  revenu Il  y  vient  des  caravanes  de  Damas,  d'Alcpj 

et  d'Egypte,  surtout  dans  le  temps  qu'on  Élit  la  récolte  de  la  soie.  UJ 
s'en  (ait  de  grandes  levées  pour  leurs  Éxbriques  de  satin,  de  velours  et 
d'autres  étoffes  dont  il  se  fait  une  grande  consommation  dans  le  pays 
parce  que  les  Turcs  sont  magnifiques  dans  leurs  habillements'. 
Barut  recevait  encore  plus  de  soies  de  la  région  des   montagne 
voisines  :  tandis  qu'A  Seïde  on  était  en  rapport  avec  les   Druscs,  il 
Barut  c'était  avec  les  Maronites,  si  bien  que,  dans  l'intérêt  du  com-j 
merce,  des  cheiks  maronites  furent  chargés  à  deux  reprises,  en  165  J, 
et  en  1702,  du  consulat  de  la  nation  française*.  Les  soies  barutincs»] 
jaunes  et  'olanches,  plus  fortes  que  celles  de  Tripoli,  mais  moins  qu« 
celles  deSetde,  servaient  pour  les  taffetas,  les  tabis  et  les  moires. 
Les  marchands  français  établis   i   Barut*  achetaient  toujours  lo 
meilleur  de  la  récolte  et  ne  laiss.iient  que  des  soies  moins  fines  ai 
caravanes  qui  venaient  y  trafiquer. 


(1)  D'Arvifux,  t.  II,  p.   5 î 7-49- 

(21  V.    d'.\rvieux  :   Hist.  du  chtik  Abou  \a»fej,  t.  II,  p.  }S5  et  suivants. 
Pontwliartrain  dans  une  lettre  à  b  Clunibnc  du  î8  juin  1702  annonce  que  ».t 
livres  d'.ipfXJÎntcnients  sont  accordas  ,1  Hussein  Asin  émir,  prince  des  inaroniTt 
consul  de  I3arut.  ainsi  au 'au  patri.irche  de  cette  n-ition  à  Antioche  qui  resiJt;  juj 
luonastèrc  du  Canobin  (dans  le  Liban).  Ces  sommes  seront  payL'es  par  les  dipvjt6 
de  la  nation  Je  Seide.  HB,  S;.  —  «  Un  chef   des  Maronites  fut  honord  il  v  j 
quelques  annèej  de  la  qualité  de  consul  de  la  nation  française  1  Barut,  aussi  éuir-il 
le  plus  connu  et  le  plus  distingué-  d.ms  sa  famille.  »  Lucas,  p.  joi  (en  1715). 

(3)  D'.\r\icus  en  cite  quatas 


LES   ÉCHELLES  :   ACRE 


389 


Acre,  le  grand  port  de  la  S3'ric  au  Moycn-Agc,  n'ctait  plus  qu'un 
monceau  de  ruines  couvertes  en  partie  par  les  sables  que  le  vent  y 
avait  apportés;  ses  belles  murailles  doubles,  si  fortes,  si  épaisses  et  si 
bien  cimentt-es,  avaient  été  renversées  dans  ses  doubles  fossés  et  les 
avaient  comblés  ;  on  y  voyait  quelques  beaux  restes,  comme  ceux  du 
palais  des  grands  maîtres  et  de  celui  que  l'émir  Fakhreddin  avait  fait 
bâtir.  Une  tour  carrée  sur  le  bord  de  la  mer  défendait  le  port,  auprès 
était  la  demeure  de  Taga  qui  dépendait  du  pacha  de  Sephct  ou  Galilée. 
Le  port  était  encombré  de  ruines,  qui  en  rendaient  Fabord  fort 
dangereux,  aussi  les  vaisseaux  mouillaient  dans  la  vaste  rade  d'Acre, 
nuis  celle-ci  complètement  ouverte  n'offrait  aucune  sûreté,  les  nau- 
frages y  étaient  fréquents,  aussi  les  navires  allaient  souvent  se  réfugier 
en  dice  dans  celle  de  Cailfa,  abritée  par  le  Carmel  ;  malhcureusemem 
c'était  le  point  de  la  côte  le  plus  exposé  aux  corsaires  chrétiens  ou 
turcs,  qui  y  croisaient  perpétuellement. 

Acre  n'était  même  plus  un  bourg,  car  on  n'y  voyait  qu'une  cin- 
quantaine de  maisons  fort  misérables,  presque  des  huttes.  Il  y 
*lemeur.ait  en  outre  en  1630  «  environ  deux  cents  familles  de  Maures 
*Ians  des  voûtes  et  des  caves  qui  se  trouvaient  parmi  les  ruines'.  » 
Les  Français  continuaient  d'y  faire  un  assez  grand  commerce  et 
jusqu'en  1700  ils  furent  seuls  à  y  résider*.  Les  vaisseaux  anglais  et 
hollandais  venaient  cependant  y  faire  chaque  année  des  chargements, 
mais  les  marchands  de  ces  deux  nations,  qui  résidaient  A  Alep,  don- 
naient leurs  ordres  aux  licteurs  français  d'Acre  pour  flùre  les  achats 
à  leur  nom  et  leur  remettaient  pour  cela  2  %  de  commission*.  En 
169^,  le  consul  de  Seïde  empêcha  un  Anglais  de  s'établir  .\  Acre  et  à 
llame  pour  conserver  à  la  nation  le  monopole  du  commerce  et  il 
accepta  l'offre  que  lui  faisaient  les  consuls  anglais  et  hollandais  d'Alep 

(i)  Fermaxel,  p.  334.  —  Thévenot,  d'Arvikux. 

(3)  COPPIN,  p.  432,  parle  cependant  d'un  Hollandais  qui  était  vice-consul  dc$ 
Français. 

(3(  «  Vous  souhaitez  de  savoir  au  sujet  du  niigoce  que  les  n.itions  étrangères 
font  a  la  dépendance  de  cette  éclicllc  :  il  vient  à  Acre  tous  les  ans  un  convoi  Je 
Holl.indt'  qui,  lorsqu'il  est  arrivé,  trouve  tout  son  chiirgeuicnt  prêt  en  cotons,  en 
laines,  consistant  à  3  ù  4cx>  balles  plus  ou  moins  ;  ils  chargent  aussi  quelquefois 
cjuelques  halles  de  filés  à  nolis  pour  nos  messieurs  pour  les  porter  i  Livourne,  et 
lorsque  ledit  convoi  est  entièrement,  il  retourne  à  .Mexandrctte  pour  y  finir  son 
chargement.  Il  vient  aussi  à  Acre  J  à  4  vaisseaux  anglais  une  fois  l'année  pour 
y  charger  aussi  des  cotons  en  laines,  les  uns  en  prennent  200  balles  et  les  autres 
plus  et  quelquefois  seulement  40  à  50  puisqu'ils  ne  vont  au  dit  endroit  que  pour 
commencer  leur  char^cmont  pour  aller  ensuite  à  .'\lexandrette.  »  Uttiedu  <onsul 
tit  Seide  il  lit  ClMitihx,  57  ncvanhii-  16SS.  AA,  fjfi. 


390  TABLEAU   DU  COMMERCE 

de  se  charger  de  la  protection  de  leurs  nationaux  dans  ces  deux 
endroits  afin  de  les  détourner  d'y  établir  des  vice-consuls*.  Cepen- 
dant en  ryoo,  malgré  les  nouveaux  eflPorts  de  notre  consul,  le  sieur 
Maashouk,  hollandais,  fut  établi  à  Acre  comme  vice-consul  de  Hol- 
lande et  d'Angleterre*  et  il  troubla  bientôt  l'échelle  par  ses  intrigues 
et  ses  prétentions.  Malgré  la  violente  querelle  qui  éclata  entre  lui 
et  la  nation  française  d'Acre  et  deSeïde*,  on  vit  en  17 14  le  vice- 
consul  d'Angleterre  et  de  Hollande  chargé  aussi  du  consulat  des 
Français*.  Ceux-ci  étaient  cependant  toujours  aussi  nombreux  et 
leur  nation,  composée  de  dix-sept  ou  dix-huit  marchands,  n'était  pas 
moins  importante  que  celle  deSeïde. 

Elle  habitait  dans  un  petit  «  camp  »  commode  construit  par  l'émir 
Fakhreddin  pour  les  étrangers,  et  dans  quelques  maisons,  semblables 
plutôt  à  des  cabanes,  que  quelques  marchands  s'étaient  fait  cons- 
truire aux  alentours,  dans  le  voisinage  du  port.  Le  commerce  d'Acre 
consistait  surtout  en  cotons  en  laine  et  quelques  cotons  filés  qui 
venaient  de  la  Galilée,  en  cendres  vendues  en  grande  quantité 
h  Marseille  et  à  Venise,  pour  la  fabrication  du  savon  et  du  verre. 
Ces  cendres  provenaient  de  ceruiines  herbes  qui  croissaient  sans 
culture  et  que  les  paysans  fauchaient  et  faisaient  brûler.  Le  territoire 
était  fertile  en  blé  et  en  riz  et  :\  certaines  époques  de  disette  en 
France,  de  nombreux  navires  étaient  venus  charger  ces  deux 
denrées.  Ainsi  le  voyageur  Fermanel  trouva  dans  la  rade  d'Acre, 
en  1630,  trente-deux  vaisseaux  ;\  la  fois  «  dont  le  moindre  était 
de  150  tonneaux  y  en  ayant  de  trois  et  quatre  cents,  jusques  ;\ 
six  cents,  qui  tous  étaient  venus  pour  prendre  du  blé.  »  En  1714  les 
prix  des  ri/  ayant  été  gAtcs  en  Egypte  par  l'arrivée  de  trop  nom- 
breux navires,  un  grand  nombre  vinrent  charger  du  riz  ;\  Acre,  où 
depuis  longtemps  on  n'avait  vu  des  bâtiments  en  aussi  grand  nom- 
bre'. Mais  en  temps  ordinaire  les  vaisseaux  français  venaient  peu  à 
Acre,  dont  on  expédiait  les  marciiandiscs  à  Seïde  sur  des  bateaux  du 


(i)  Lettre,  du  cpiisuI,  2)  décembre  i6ç}}.  AA,  j}6. 
(2)  L-ttre  du  consul,  20  Juin  lyoo. 

(î)  Voir  au  sujet  de  celte  atîairc  :  Ij;llre  du  consul  de  Seide,  ;>  avril  tyn.j.  AA, 
jjj.  —  L'ambassadeur,  mis  au  courant,  ordonne  d'expulser  Maashouk. 

(4)  Lettre  du  consul  de,  Seïde,  12  jhrier  iji.f  :  «  Les  assemblées  d'Acre  no  sont 
que  des  coliucs,  les  marchands  ont  rompu  leurs  pipes  sur  l'estomac  du  vice- 
consul  d'Angleterre  et  de  Hollande  à  qui  j'en  ai  lait  (aire  satisfaction.»  AA,  }jj. 

(5)  12  août  iyi4.  AA,}}S. 


LES   ÉCHELLES  :    KAME ,  JAFFA 


391 


pays,  ou,  s'ils  y  passaient,  c'était  pour  y  prendre  seulement  une 
partie  de  leur  chargement,  qu'ils  coniplijtaicnt  A  Scïde'. 

Kamc,  l'éciielle  de  l:i  Palestine,  ;\  quatre  lieues  de  Jaffa  dans  l'inté- 
rieur des  terres,  n'était  qu'un  mauvais  bourg,  «011  il  y  avait  plus 
de  masures  que  de  maisons  »,  La  seule  habitation  considérable  était 
la  maison  de  Nicodéme,  que  les  rois  de  i'rance  avaient  fait  recons- 
truire :  les  marchands  français  y  demeuraient,  ainsi  que  tous  les  pèle- 
rins qui  scrcndaient  A  Jérusalem.  On  y  faisait  presque  exclusivement 
le  commerce  des  cotons  filés  apportés  de  la  Judée.  Cette  petite 
échelle,  où  résidaient  cependant  huit  marchands  français  en  1670, 
ne  put  jamais  prospéreret  fut  même  abandonnée  :\  plusieurs  reprises, 
:\  cause  de  l'insécurité  croissante  dans  laquelle  vécut  la  nation.  Les 
gouverneurs  s'y  montrèrent  toujours  tréstyranniques,  mais  surtout 
les  Arabes  pillards  étaient  les  vrais  maîtres  de  ce  pays  désolé  et  ran- 
çonnaient sans  cesse  les  indigènes  aussi  bien  que  les  étrangers.  En 
1692  ils  assassinèrent  même  le  gouverneur  et  l'échelle  fut  abandon- 
née plusieurs  années  par  le  vice-consul  français  et  le  seul  marchand 
qui  y  fût  resté  avec  lui  ;  cinq  marchands  revinrent  pourtant  s'y  éta- 
blir en  1700,  le  pays  étant  redevenu  plus  tranquille,  mais  en  I7ri 
le  vice-consul  se  retira  de  nouveau  et  il  fut  question  de  transporter 
définitivement  l'échelle  à  Jaffa  pour  éviter  des  dépenses  inutiles*. 

Jaffa,  le  port  de  Rame,  était  le  plus  misérable  de  toute  la  côte, 
l'ancienne  ville  n'était  plus  que  ruines,  il  nen  restait  debout  que 
deux  tours  où  logeaient  quatre  ou  cinq  Turcs,  que  le  pacha  de  Gaza 
envoyait  pour  garder  le  port.  On  n'y  voyait  pas  même  de  maisous 
et  ceux  qui  abordaient  n'avaient  pour  se  mettre  .1  couvert  que  cinq 
anciennes  voûtes  qui  se  trouvaient  le  long  de  la  marine,  c'est  pour- 
quoi la  nation  s'était  établie  à  Rame.  Vers  la  fin  du  xvii*  siècle,  la 
situation  de  Jafîa  semblait  cependant  s'améliorer  ;  on  y  voyait  quel- 
ques magasins,  des  maisons  et  une   mosquée,  mais  ce  lieu  était 


(1)  Au  «ujet  d'Acre,  voir:DESHAYES,p.  451,  Fermanel.  p.  334,  CoppiN.p.  4^2, 
Thévenot,  p.  422,  d'.'Xkvieux,  t.  I,  p.  270-7^.  DE  FiKUYN'.p.  31)9-14,  qui  uxagôre 
l'importance  de  son  coinmcrce.  —  S\vah\, Dictioiiii.,  col.  101^-20.  —  Coiresfvml. 
4f  làhellt  dt  Seule. 

(2)  V.  Littrt  du  consul  dt  Stidi,  jt  ianv.  1697,6  avril  169^,  AA,  j}y  —du 
consul  de  Jérusalem,  iS  atfil  lyoo,  AA,  jSS  —  df  PotiUharlrain,  1"  mai  lyti. 
BB,  S).  —  Sept  nurclunds  partent  de  .Marseille  pour  aller  résider  à  Rame  de 
1685  â  1719  —  Au  sujet  de  R.inie.  Voir  :  Deshaves,  p.  371.  —  TiifevtS'oT, 
p.  563  —  d'Arvieux,  t.  I,  p,  340  —  Savary.  Dicl.  col.  1019-20.  —  Lfltres  de 
hchelU.  A  A,  36  t. 


392  TABLEAU   DU   COMMERCE 

exposé  sans  défense  aux  pillages  des  Arabes  ainsi  qu'aux  attaques  des 
corsaires'.  Dans  l'ancien  port  il  ne  pouvait  entrer  que  de  petites 
barques,  et  les  vaisseaux  n'étaient  en  sûreté  dans  sa  rade  que  pendant 
l'été,  aussi  les  Français  n'y  venaient-ils  jamais  charger  et  prenaient 
les  marchandises  de  Rame  à  Acre  ou  à  Seïde  *. 

Jérusalem,  où  résidait  un  consul  français  à  la  fin  du  règne  de 
LouisXIV,  n'était  pas  une  échelle  et  on  n'y  voyait  aucun  marchand. 
De  tout  temps  les  pèlerins  et  les  religieux  latins  gardiens  des  Lieux 
Saints,  avaient  été  sous  la  protection  du  roi  de  France  et  de  son 
ambassadeur  à  Constantinoplc.  Ce  rôle  attribué  au  roi  rehaussait 
grandement  le  prestige  de  la  nation  aux  yeux  des  Turcs,  ainsi  que 
le  montre  ce  propos  d'un  pacha  de  Damas  au  consul  de  Seïde  à  qui 
il  disait  «  que  la  grandeur  du  Sultan  consistait  i  avoir  les  clefs  de  la 
Mecque  et  que  l'autorité  du  roi  surpassait  celle  des  autres  rois  et 
provenait  de  la  grâce  que  Sa  Hautessc  avait  faite  à  S.  M.  de  lui 
donner  les  clefs  du  saint  Sépulcre*.  »  Mais  les  chrétiens  de  rite  grec 
ou  autres,  sujets  du  Grand  Seigneur  et  favorisés  par  les  pachas,  ne 
songeaient  qu'à  s'emparer  pour  eux  seuls  des  Lieux  Saints.  En  1690 
les  négociations  de  l'ambassadeur  de  Cistagnères  avaient  eu  raison 
encote  une  fois  des  intrigues  des  Grecs  :  «  L'affaire  de  Terre  Sainte, 
écrivait-il,  m'a  retenu  plus  que  je  ne  croyais.  J'ai  enfin  obtenu  la 
restitution  de  tous  les  Lieux  Saints  pour  les  religieux  francs  dont  les 
Grecs  les  avaient  dépouillés,  c'est-A-dire  qu'ils  ont  ;\  présent  le  Saint 
Sépulcre  qu'ils  avaient  perdu  depuis  quinze  ans  et  même  la  pierre 
de  l'onction,  le  calvaire  et  la  crèche  de  Bethléem  dont  ils  avaient  été 
chassés  depuis  56  ans.  Le  bonheur  que  j'ai  de  satisfaire  aux  ordres 
du  roi  sur  ce  chapitre  satisfera  beaucoup  sa  piété*.  »  D'un  autre  côté 
les  pèlerins  qui  se  rendaient  à  Jérusalem  étaient  exposés  sans  défense 
aux  exigences  du  pacha  et  aux  insultes  de  la  population.  Ce  furent  ces 
raisons  qui  firent  songer  à  l'établissement  d'un  consul  à  Jérusalem. 

(i)  En  1689  trois  corsaires  l'rançiiis  tirùrcnt  plus  de  200  coups  de  canon  sur 
Jaffa.  Lettre  tU  la  nation-  de  Rame,  iS  juin  i6S<)  (vice-consul  et  deux  marchands), 
AA,  361. 

(2)  Sur  Jaffa.  Voir:  df.  Brèvks.  p.  85-87;  Deshayks,  p.  378  ;  Thkvexot, 
p.  416  ;  DK  Bruyn,  p.  500  —  «  .'\  récliellc  de  Rame  qui  est  le  port  de  JalTa, 
dans  la  belle  saison  il  y  va  un  des  vaisseaux  anglais  pour  y  charger  partie  de  trois 
ou  quatre  cents  sacs  savon  et  environ  deux  cents  balles  filets  (cotons  lilés)  de 
R.inie  qu'ils  font  faire  tous  les  ans  à  un  marchand  maronite.  »  —  27  novembre 
16SS.  Jj-ttie  ilti  consul  th-Sàtle.  A  A,  }]y. 

(3)  7  /H/7/i-/  17/.?.  Lellrv  du  consul  Je  Si'ïJe.  AA,  jjS. 
( })  L'tire  du  jo  mai  i{n)o,  à  la  Chambre.  AA,  i./^. 


LES  ÉCHELLES  :    JÉRUSALEM,  CHYPRE 


393 


I 


Les  deux  premiers  consuls  qui  )-  furent  envoj'cs  furent  chassés  au 
bout  de  peu  de  temps,  le  sieur  Lempereur  en  1624',  le  sieur 
lîrémond  en  1700;  une  troisième  tentative  réussit  mieux  en  171 3  et 
le  consulat  resta  délînitivement  établi*.  «  De  tout  le  Levant,  écrivait 
Brémond  .\  la  Chambre  en  1700,  je  ne  crois  pas  qu'il  y  ait  un  consul 
<]ui  vous  soit  plus  inutile  que  moi.  »  Cependant,  les  échelles  de 
Rame  et  de  Jaffa  étaient  de  son  ressort*,  aussi  le  commerce  payait 
ses  appointements  de  5.000  livres,  comme  ceux  de  tous  les  consuls. 
Chypre  doit  être  rattachée  aux  échelles  de  Syrie,  caries  vaisseaux 
qui  fréquentaient  ses  ports  étaient  ceux  qui  allaient  charger  ;\  Alexan- 
drette  ou  \  Seide*.  Conquise  par  Selim  II  en  1570  et  cédée  délîniti- 
>'emeni  par  Venise  en  1578,  la  domination  ottomane  lui  avait  été 
funeste.  Tandis  que,  depuis  les  croisades,  sous  le  gouvernement  des 
Lusignan  et  de  Venise,  elle  était  devenue,  grilce  à  la  fertilité  de  son 
sol,  une  des  terres  les  plus  riches  de  la  Méditerranée  et  l'un  de  ses 
niarchc-s  les  plus  importants,  sa  décadence  lut  rapide  au  xvii'  siècle,  à 
à  cause  du  joug  tyrannique  que  les  Turcs  firent  peser  sur  les  habi- 
tants, les  plus  maltraités  de  l'empire  ottoman.  Les  descriptions  des 
voyageurs  témoignent  encore  de  son  importance  au  début  de  ce 
siècle.  •  Chypre,  dit  de  Brèves,  produit  quantité  de  sucres,  cotons, 
blés  et  vins  exquis,  huile,  térébenthine,  safran,  légumes  de  toutes 


(1)  Le  pacha  Je  Damas  le  fit  prendre  en  1624,  l'enteriua  au  cliiteau  de  Damas 
ot  ne  le  délivra  que  inoycniiatit  5 .000  pi.iitres  ;  mais  il  ne  voulut  p.is  le  laisser 
revenir  i  Jérusalem  malgré  les  commandements  Je  la  Porte.  —  V.  aux  Ajf.  itr. 
Corr.  polit.  CûHStanl.  Ri't;.  },  les  lettres  de  Lempereur,  fol.  ni,  320,  14^. 

(2)  Ct'.  p.  îîo  au  sujet  de  cet  établissement.  L'idée  en  avait  été  donnée  par 
Dortiires,  lors  de  sa  visite  des  échelles  en  i6t46  ct  l'arrêt  du  Conseil  du  31  juillet 
1691  en  avait  décidé  la  création.  liB,  4. 

(3)  Lettrts  dn  iS  mit  /700,  iS  avril  tji}.  AA,  jfS—  Brémond  réclamait, 
pour  qu'il  pûi  jouer  réellement  un  rôle  utile,  qu'on  mît  sous  sa  dépendance 
l'cchclle  d'.\crc.  Aussi  y  eut-il  dés  le  déhui  rivalité  entre  le  consul  de  Jérusalem 
*;t  le  consul  de  Seide  qui  s'intitulait  auparavant  consul  pour  la  Palestine,  Galilée, 
Sam.irie  «l  Judée.  En  effet,  par  une  lettre  du  28  avril  1694,  Pontchartrain  avait 
charcé  celui-ci  de  faire  les  fonctions  de  consul  a  Jérusalem  «  en  attendant  que 

[S.  M.  y  eût  pourNU  (A A,  ]}ô).  Sur  l'ordre  du  ministre,  le  consul  de  Seîde  avait 

Irait  chaque  année  un  voyage  a  Jérusalem  pour  les  fêtes  de  Pâques,  jusqu'en  «699. 

Voir  SCS  lettres  où  il  k*  plaint  des  grandes  dépenses  où  ce  voyage  l'entraîne  : 

wi  stptniibu  i("ff,  jo  juillet  i6'/S.  A  A,  j]/>.  —  Voir  aussi  les  lettres  de  1700  et 

1701  où  il  attribue  l'échec  de  Brémond  ;\  ses  fautes  et  à  son  avarice. 

<4)  Chypre  ne  fut  même,  jusqu'en  1675,  qu'un  vice-consulat  dépendant  d'Alep 
^Mériioir/  iiu  II  septfiiti'rf  i(ii)t. —  Aff.  itiiiugiifs.  Inspection  du  comniiict  lU  Mat- 
eillf,  t.  11!).  —  Avant  que  le  sieur  S.iuvan  res"ùt  le  titre  de  consul,  plusieurs 
^nglais  avaient  pris  h  ferme  ce  vice-consulat  pour  250  piastres  (Voir  aux  Affaires 
j^rangéres.  Inspection  du  camnurc4,  t.  I,  la  volumineuse  procédure  contre  un  mar- 
liand  de  Chypre  ramené  en  France  et  jugé  par  l'intendant.  —  Année  1681). 


394 


TABLEAU    DU   COMMERCE 


sortes.  Cl  encore  des  minéraux.  On  y  compte  huit  cents  villages  cl 
six  ou  sept  villes  de  nom.  »  Les  Français  avaient  un  consul  à  Nicosie, 
les  Vénitiens  avaicin  le  leur  A  Larnaca  et  un  vice-consul  iLimisso, 
où  se  trouvaient  déj:\  des  marchands  hollandais.  Mais,  dès  1630, 
Fermanel  constate  la  ruine  de  l'Ile  :  «  Nicosie  porte  les  marques  de 
toute  désolation,  parce  que  les  Turcs  l'ont  tellement  ruinée  qu'il  n'y 
a  presque  pas  d'habitants  chrétiens,  quoiqu'ils  soient  en  grand  nom- 
bre, qui  aient  moyen  de  manger  du  pain  toute  l'année,  car  il  n'y  a^ 
aucuns  chrétiens  aussi  tyrannisés  dans  tout  l'Etat  du  Grand  Sei- 
gneur... Cyprc  était  autrefois  remplie  de  cotonniers  d'où  on  tirait  le 
meilleur  coton  du  monde,  mais  il  s'en  fait  bien  peu  1  présent...  les 
vins,  qui  étaient  si  bons  et  si  estimés,  y  sont  rares  A  présent.  • 

Les  cultures  .lyant  été  abandonnées,  la  grande  plaine  centrale  d 
l'île  se  remplit  de  marécages  qui  dégageaient  en  été  des  miasm 
pestilentiels,  le  climat  devint  très  insalubre,  et  il  fut  difficile,  à  eau 
des  nombreuses  pestes  qui  la  ravageaient  périodiquement,  de  trouver 
des  marchands  et  des  consuls  qui  voulussent  y  résider.  Un  marchand 
s'olTrait,  en  1694,  pour  remplacer  le  consul  décédé,  •  dans  la  croyanceM 
que  j'ai,  écrit-il,  que  vous  trouverez  peu  de  gens  qui  veuillent  venir 
pour  ce  sujet,  ;\  cause  de  la  peur  qu'on  a  de  ce  pays.  »  «  L'année  1 
été  terrible,  écrit  le  consul  malade  lui-même  en  1699,  et,  de  82  Francs, 
il  y  a  eu  80  malades  dont  34  sont  morts',  » 

Aussi,  tandis  qu'il  y  avait  autrefois  des  consuls  de  chaque  nation 
dans  l'île,  le  consul  français  restait  le  seul  .\  la  fin  du  .Kvir  siècle  et 
servait  h  la  fois  pour  les  Vénitiens,  les  Anglais,  les  Holland.iis,  l 
Ragusois*.  En  outre,  le  commerce  de  Chypre  souffrait  des  ravagi 
des  corsaires  plus  que   celui  d'aucune  autre  échelle.  De  ses  troiS; 
ports,  Limisso,  Larnaca  et  Famagoustc,  ce  dernier  seul  était  fortifii, 
mais  ne  fliisait   p.is  de    commerce.   Les  harbaresques,    les  forban 
chrétiens  ou  turcs,  enlevaient  fréquemment  tes  navires  dans  la  radi 
de  Lirnaca;  plusieurs  fois,  les  Tripolins  ou  les  Algériens  firent  même 
des  descentes  i  terre  et  pillèrent  les  maisons  et  les  niag.isins  des 
marchands.  Chypre  n'était  donc  plus  qu'une  échelle  d'un  petit 
commerce.  Au  début  de  1700,  la  nation  française  comprenait  douze 
marchands;  en  1704,  il  n'y  en  avait  que  dix*.  Ils  résidaient  à  Larnaca 

(1)  ay  fèvrùr  /6j></,  aS  décembre  169c.  A  A,  406  et  407. 

(2)  Du  moins  .i  rL')v>que  du  consul  Sauvan  (1670-1690). 
(})  Q^iairc-vingt-Jix  marclumds  partirent  du  Marseille  pour  y  résider  de 

à  1719. 


les 

i 

d 

r 


LES  ÉCHELLES  :   CHYPRE,  SATALIE 


395 


mauvais  village  à  un  mille  environ  de  la  mer.  Son  port  n'était 
qu'une  plage  an  fond  d'im  golfe  profond  et  spacieux  où  les  navires 
(itaient  en  sûreté.  Il  y  avait  aux  alentours  de  v.astes  s;ilincs  ;  les  Turcs 
en  tiraient,  au  début  du  xvii*  siècle,  de  grandes  quantités  de  sel,  qu'ils 
vendaient  aux  Occidentaux  comme  lest,  surtout  aux  Vénitiens,  qui 
le  revendaient  très  cher  \  Venise,  mais  leur  négligence  les  avait  fait 
abandonner.  Les  achats  de  la  nation  française  s'élevèrent,  de  1700 
A  1715,  à  3.710.000  livres;  auparavant,  ils  consistaient  surtout 
en  cotons,  qui  passaient  pour  les  plus  beaux  et  les  plus  fins  de  tout 
le  Levant;  vers  1700,  les  soies,  beaucoup  moins  fines  que  celles  de 
Perse  et  de  Syrie  et  vendues  bien  meilleur  marché,  restaient  seules 
le  grand  article  d'exportation  *. 

Satalie,  l'Adalia  des  Turcs,  située  en  face  l'île  de  Chypre,  au  fond 

de  son  grand  golfe,  n'avait  été  occupée  par  la  nation  française  qu'au 

début  du  XVII'-'  siècle.  Savary  de  Brèves  écrivait,  le  18  janvier  1600, 

aux  consuls  de  Marseille  :  •<  D'aucuns  de  vos  capitaines  m'ont  fait 

entendre  qu'ils  désiraient  d'aller  trafiquer  en  l'échelle  de  Satalie  et  y 

tenir  quelque  bon  trafic  h  cause  de  la  commodité  des  cuirs,  cordouans, 

tires,  tapis,  storaz  et  autres  menues  marchandises  qui  se  trouvent  en 

ladite  échelle  peu  fréquentée.  C'est  pourquoi  j'ai  fait  faire  de  puissants 

commandements  et  ferai  partir  dans  quinze  ou  vingt  jours  un  des 

miens  avec  une  copie  de  la  Capitulation,  pour  y  résider   comme 

«ronsul  en  attendant  que  S.  M.  y  pourvoie*.  »  Ancienne  possession 

«Jes  chevaliers  de  Kliodes,  puis  des  Génois,  Satalie  était  dans  une 

situation  très  forte,  au  pied  des  montagnes,  et  passa  pendant  tout  le 


(  j  )  Chaque  .inruSc-,  en  été,  les  marduiids  se  rendirent  à  Nicosie  pour  y  régler 
Me  prix  des  siiie^de  la  récolte.  —  Hn  17CX)  (aiiniie  moyenne)  qu.itrc  vaissc;m)i  et 
^cux  biirquei  chargèrent  à  Chypre,  et  en  outre  dix  v.iisseatix  et  deux  barque» 
■Venant  de  Seide  et  d'Alexandreite  y  complétèrent  leurs  clurgement*  La  valeur  de 
^;c5charyenieni>fiii  dc49i.O(xWiv.  (hW  6i).ooo,  cire  689,cuirb45û,  coton  70, ihXj, 
^roloiiuinte  8.142,  drogues  750,  galles  4.279,  graines  de  choux-fleurs  886, 
laines  7.000.  lin  162,  pistaches  1.025,  rir.  70.580,  storax  8.300,  soies  257.000. 
'V'crmillon  405).  —  Hn  1712  (année  maximum)  760.000  livres  furent  chargées  sur 
«dix-huit  bâtiments  venant  de  Seïde  et  d'.Alexandrette  (soies  600.000,  café  54.000). 

Année  1715  (minimum)  :  85 .754  livres   —  Le  café  et  le  riz  étaient  apportés 

*d'Egypte  parles  caravanaircs.  —  //,  i).  —  «  Il  sort  plus  de  1000  barils  par  an 
^'unc  espèce  d'onoians  dont  les  Vénitiens  sont  très  friands.  On  les  prend  au  gluau 
<ît,  après  les  avoir  fait  bouillir  deux  ou  trois  bouillons,  on  les  encaoue  comme  des 
^anchois  ».  Savvry,  col,  1021.  —  Au  sujet  de  Chypre,  voir  :  Dh  Brèves,  p.  29; 

"OE    BE-^UVEAV,    p.    89-96;    PlETRO    DELLA    VaLLE,    t.    11,  p.   512-SI9;    Fek.MANEL, 

Ç).  240-255.  Taverniek.  p.  126;  Savaky,  Did.,  coî.  1021.—  Conesfvmlance cou- 
sulairt,  A  A,  406-40J. 

(2)  AA,  140.  Letlre  aux  consuls  ic  Marseille. 


396  TABLEAU   DU   COMMERCE 

XVII*  siècle  pour  une  des  meilleures  places  des  Turcs  en  Asie;  mais 
son  port  était  très  étroit  et  bon  seulement  pour  les  petits  vaisseaux  ; 
l'entrée,  comblée  en  grande  partie  par  des  ruines  presque  à  fleur 
d'eau,  était  très  périlleuse,  la  rade  qui  le  précédait  était  semée 
d'écueils  et  la  mer  souvent  agitée. 

Aussi,  l'échelle  ne  prospéra  pas,  et,  lors  de  la  réorganisation  des 
consulats  en  1691,  la  Chambre  du  commerce  fit  supprimer  celui  de 
Satalie'.  Cependant,  il  y  resta  quelques  marchands,  et,  des  querelles 
s'étant  élevées  entre  eux  en  1 701,  on  se  demanda  si  on  les  soumet- 
trait à  la  juridiction  du  consul  d'Alep  ou  de  celui  de  Chypre  : 
l'échelle  fut  mise  sous  la  dépendance  de  Chypre  et  le  consul 
chargea  un  des  marchands  de  percevoir  en  son  nom  les  droits  dus  à  la 
Chambre  du  commerce,  sans  cependant  lui  donner  le  nom  de  vice- 
consul  à  cause  du  peu  d'importance  de  cet  établissement.  Depuis  la 
disparition  du  consul,  on  ne  vit  plus  de  navires  français  charger  h 
Satalie,  tandis  qu'auparavant  il  y  venait  chaque  année  régulièrement 
une  ou  deux  barques*. 

En  somme,  les  Français  gardaient  encore  en  Syrie  une  place  prépon- 
dérante à  la  fin  du  xvii*  siècle.  Sans  doute,  les  Anglais  et  Hollandais 
s'étaient  établis  ;\  côté  d'eux  à  Alep,  à  Tripoli,  à  Acre,  à  Chypre,  et 
les  Anglais  faisaient  un  commerce  plus  important  qu'eux  dans  la 
première  de  ces  échelles.  Mais  ils  conservaient  le  monopole  du 
commerce  à  Seïde,  à  Barut,  à  Rame,  et  faisaient  plus  d'affaires  que 
leurs  rivaux  i\  Acre  et  à  Chypre. 

(1)  Le  consul  de  Satalie  ne  partit  cependant  qu'en  169s  (Lettre  de  l'atiibassadeur, 
10  juillet  1696.  AA,  ijo).  —  Pour  cotte  suppression,  il  fallut  faire  des  sollicitations 
et  des  dépenses  à  la  Porte,  comme  pour  obtenir  la  création  d'une  échelle. 

(2)  Voir  les  tableaux  des  recettes  du  cottimo.  CC,  2}  et  siiiv.  —  Au  sujet  de 
Satalie,  voir  de  Brèves,  p,  22;  Beauvi:.\u,  p.  86;  I'f.rmanfx,  p.  253  ;  de  Bruyn, 
p.  391.  —  Lettres  du  rf  avril,  7  décembre  lyoï.  AA,  .foj. 


CHAPITRE    III 


LES     ECHELLES     DU     LEVANT 


II.  —  L'Egypte. 

L'Egypte  avait  perdu  en  partie,  au  début  du  xvn'  siècle,  l'impor- 
tance commerciale  qu'elle  avait  conservée  pendant  tout  le  moyen- 
âge.  L'établissement  des  Portugais,  des  Hollandais  et  des  Anglais 
dans  les  Indes  Orientales  avait  fait  prendre  aux  marchandises  de  ces 
pays  de  nouvelles  routes,  mais  le  gouvernement  tyrannique  établi 
par  les  Turcs  en  Egypte  contribua  aussi  à  en  détourner  le  com- 
merce. «  Ce  royaume,  écrivait  en  1630  le  voyageur  Fermanel,  a 
bien  changé  depuis  qu'il  est  sous  la  domination  du  Turc,  carde  plus 
Je  4000  villes  qu'on  comptait,  à  peine  y  trouverait-on  maintenant 
50  places  qui  méritent  le  nom  de  ville.  Le  Grand  Seigneur  y  envoie 
tous  les  trois  ans  un  pacha,  lequel  doit  envoyer  tous  les  ans  au  trésor 
de  Constantinople,  toutes  les  charges  payées,  600.000  sequins  et, 
outre  cela  il  est  encore  obligé,  sa  commisssion  finie,  de  faire  un  beau 
et  riche  présent  à  son  maître.  Les   bâchas,  pour  fournir  ce  tribut, 
font  tant  de  supercheries  et  exactions  d'argent  qu'ils   ruinent  et 
«iépeuplent  tout  le  pays  :  leur  tyrannie  a  presque  banni  tout  le  trafic 
car  les  Indiens,  qui  y  venaient  par  la  mer  Rouge,  n'osent  plus  venir 
à  cause  que  ces  bâchas  en  ont   souvent  empoisonné  et  saisi   leurs 
"vaisseaux  et   marchandises*.  »  Cependant,    jusqu'en    1630,    les 
Indiens  apportèrent  encore  en  Egypte  des  quantités  considérables  de 
xnarchandises  et,  jusqu'à  la  fin  du  xvn*  siècle,  leur  navigation  ne 
cessa  jamais  complètement.  Malgré  sa  décadence,  l'Egypte  offrait  par 

(i)  Ferhakel,  p.  404.  —  Les   exactions  des  pachas  provenaient  aussi  de  la 
xiécessité  d'entretenir  un  corps  considérable  de  milices  et  de  satisfaire  leur  avidité. 


h.:       .   —.1 


398  TABLEAU  DU   COMMERCE 

elle-môme  assez  de  ressources  pour  alimenter  un  grand  trafic,  enfin 
elle  restait  le  débouché  de  l'Arabie  et  de  l'Ethiopie,  pays  des  dro- 
gues médicinales  et  des  parfums  ;  elle  jouait  un  rôle  d'autant  plus 
considérable  qu'on  y  achetait  des  produits  différents  de  ceux  des 
autres  échelles. 

La  nation  française  fut  d'abord  établie  à  Alexandrie,  mais  c'était 
au  Caire  qu'arrivaient  les  marchandises  de  la  mer  Rouge  et  pour 
cette  ville  que  celles  d'Europe  recevaient  leur  destination,  c'était  là 
que  se  traitaient  les  achats  et  les  ventes  et  que  le  consul  devait  se 
rendre  pour  défendre  les  intérêts  de  la  nation  auprès  du  pacha  et  des 
«  puissances  »,  aussi,  vers  1625,  le  siège  du  consulat  fut  transféré 
au  Caire.  Cette  ville  était  alors  la  plus  peuplée  de  l'Empire  Otto- 
man et  égalait  les  plus  grandes  de  l'Europe.  «  Il  est  certain  premiè- 
rement, dit  Pictro  délia  Valle,  que  la' ville  du  Caire  est  beaucoup 
plus  grande  que  Rome,  que  Constantinople  et  que  quelque  autre 
que  je  sache.  »  Fermanel  lui  donne  neuf  lieues  de  tour  et  la  déclare  la 
ville  de  Turquie  la  plus  peuplée  ;  «  mais  la  plupart  de  ses  habitants 
sont  pauvres  et  misérables,  qui,  ramassés  de  tous  les  endroits 
d'Egypte,  y  viennent  demeurer  pour  vivre  en  oisiveté....  c'est  de  ce 
commun  peuple  que  la  peste  est  si  souvent  au  dire,  car  il  passe 
peu  d'années  qu'il  n'y  en  meure  une  grande  quantité,  mais  l'on  voit 
par  expérience  que  de  trois  ans  en  trois  ans,  elle  est  plus  véhé- 
mente. »  Cependant  Coppin ,  qui  l'habita  deux  ans  en  1638, 
affirme  que  la  ville  était  plus  petite  que  Paris,  moins  peuplée,  et  avait 
moins  de  mouvement.  De  Bruyn,  en  1680,  la  trouve  à  peine 
aussi  grande  que  Constantinople  ou  que  Rome,  mais  pour  le  moins 
aussi  grande  qu'Amsterdam,  «  car  on  en  peut  aisément  Hiire  le  tour 
en  trois  heures  et  la  plus  longue  rue,  qui  va  d'un  bout  de  la  ville  ;\ 
l'autre  et  qu'on  appelle  le  Khalits,  se  peut  foire  en  moins  d'une 
heure.  »  Lucas,  en  171 5,  y  compte  plus  de  300.000  habitants, 
Maures,  Coptes,  Grecs  ou  Turcs,  sans  compter  les  milices  du 
Grand  Seigneur'. 

(i)  Des  auteurs  sérieux,  comme  S.ivary,  acceptaient  de  singulières  exagéra- 
tions :  «  Q.uel<jues  auteurs  disent  qu'il  a  25  ou  30  lieues  de  tour  en  y  compre- 
nant le  vieil  Caire  et  le  Boulac,  mais  on  estime  que  la  nouvelle  ville  n'est  pas 
filus  grande  que  Paris.  —  On  estime  qu'il  v  a  4  ou  5  millions  d'hommes  qui 
'habitent  parmi  lesquelles  il  peut  y  avoir  i  .2ck).0(.xi  Juifs.  Quoiqu'il  en  soit,  il 
faut  que  le  peuple  du  Caire  soit  en  grand  nombre  puisque  quelques  uns  assurent 
qu'en  trois  mois  de  l'année  1618  on  y  enterra  plus  de  600.000  personnes  mortes 
de  peste,  et  que  l'on  ne  s'en  aperçoit  pas  lorsque  cette  maladie  n'en  fait  mourir 
que  200.000.   B  Parfait  négociant,  p.  465. 


LES   ÉCHELLES  :    LE   CAIRE 


399 


Aucune  échelle  n'eut  une  histoire  aussi  troublée  que  celle  du 
Caire;  les  pachas  se  livraient  s;ins  crainte  ;\  toutes  les  tyrannies*, 
l'envoi  des  «  capigis  »  et  des  commandements  du  Grand  Seigneur  les 
effrayait  peu  ;  ils  s'en  soucient,  écrit  un  consul,  comme  d'un  papier 
;\  plier  les  confitures  *.  Les  milices  du  Caire,  les  plus  nombreuses,  les 
mieux  armées  et  les  plus  braves  des  états  du  Grand  Seij;ncur  for- 
maient, au  début  du  wn*^  siècle,  un  corps  de  25  i  30.000  liommes, 
tant  janissaires  que  spahis  et  asaps.  Le  consul  comptait  alors  quinze 
chefs  principaux,  «  bcys  et  sandjacs  »,  qu'il  fallait  acheter,  sans 
compter  les  nombreux  agas  dont  la  protection  n'était  pas  ;\  dédaigner. 
Car  si  les  milices  étaient  un  danger  pour  la  nation  française,  elles 
pouvaient  aussi  la  protéger  contre  les  pachas  ;  bien  des  avanies 
furent  évitées,  beaucoup  de  commandements  des  pachas  ne  reçurent 
pas  d'exécution,  par  suite  de  l'intervention  de  leurs  chefs.  Leur 
puissance  ne  fit  en  effet  que  s'accroître  et  le  gouvernement  de 
l'Egypte  tendit  de  plus  en  plus  à  ressembler  i  celui  des  états  barba- 
roqucs.  Pendant  tout  le  xvu°  siècle,  la  nation  française  s'appuya 
principalement  sur  le  corps  des  janissaires  qui  était  le  plus  puissant. 
En  1623  leur  protection,  achetée  par  les  Français  et  les  Vénitiens 
17.000  piastres,  exempta  les  deux  nations  d'une  contribution 
annuelle  de  20.000  piastres  que  le  pacha  voulait  exiger  d'elles  *;  de 
1700  à  17 15  c'est  grâce  aux  janissaires  que  les  Français  purent  (Itire 
le  commerce  du  café.  En  février  1703,  une  révolution  s'étant 
produite  dans  le  gouvernement  du  Caire  .H  la  suite  de  la  coalition 
des  autres  corps  de  la  milice  contre  les  janissaires,  les  Français  s'en 
ressentirent  aussitôt  par  une  foule  de  mesures  vcxatoiresqui  furent 
prises  contre  eux  :  on  leur  interdit  le  commerce  du  café,  on  fixa 
arbitrairement  le  prix  de  toutes  les  marchandi-jes  qu'ils  vendaient, 
on  les  chicana  sur  leur  habillement  et  leur  coiffure.  En  1715,  une 
guerre  civile  éclata  entre  les  milices,  la  n.ition,  pour  éviter  les  plus 
grands  malheurs,  dut  acheter  ;\  la  fois  la  protection  des  chefs 
des  deux  partis  '. 

Les  Européens  avalent  même,  en  Egypte,  à  redouter  la  population 


(1)  Le  douai>icr  et  plusieurs  otTicicrs    juifs  du    pacha  ■  lui  donnjicnt  tous  les 
jours  de  nouvelles  inventions  pour  taire  des  avanies.  »  ThÉVItnot,  p.  501. 
(I)  JA,  }t^,  10  itf'ttmbre  i63f.  Uiln  dit  Caire. 

<|)  Lucas,  t.  II,  p.  180-2^8,  raconte  en  dihail  cette  guerre  entre  les  Asjps  et 
les  laniuiiires. 


400  .        TABLEAU   DU   COMMERCE 

qui,  contrairement  à  celle  des  autres  échelles,  leur  était  fort  hostile. 
Le  dire,  qui  n'avait  pas  l'industrie  d'Alep  ou  de  Damas  pour  occuper 
ses  nombreux  habitants,  renfermait  un  ramassis  de  gens  misérables, 
capables  de  se  porter  à  tous  les  excès'.  Dans  une  situation  aussi  diffi- 
cile, on  pourrait  croire  que  la  nation  française  eut  à  cœur  d'éviter 
par  une  conduite  sage  et  prudente  et  une  parfaite  entente  avec  son 
consul  de  fournir  aux  Turcs  des  prétextes  d'exercer  leurs  vexations. 
Au  contraire  aucune  nation  ne  se  signala  jusqu'en  17 15  par  une 
conduite  aussi  déréglée  et  par  des  querelles  aussi  violentes.  Aussi  la 
nation  resta  exposée  jusqu'en  17 15  aux  pires  avanies,  et  subit  des 
mauvais  traitements  qu'elle  n'avait  jamais  souffert  ailleurs. 

Au  début  du  xvii«  siècle,  les  Français  et  les  Vénitiens  formaient 
seuls  un  corps  de  nation  en  Egypte  et  y  faisaient  h  peu  près  tout  le 
commerce.  Les  vaisseaux  des  autres  nations  y  venaient  sous  la  ban- 
nière de  France  et  les  droits  qu'ils  payaient  aux  consuls  constituaient 
la  plus  grande  partie  de  leur  revenu.  «  Vous  savez,  écrit  le  consul 
Fernoulxaux  consuls  de  Marseille  en  i6it  que  ceux  des  nations 
étrangères  qui  trafiquent  en  cette  échelle  y  font  beaucoup  plus  de 
négoce  que  les  Français  et  par  conséquent  le  droit  qu'on  en  retire  est 
beaucoup  plus  grand*...  »  Il  s'agissait  ici  des  Messinois,  des  Livour- 
nais,  des  Génois,  des  R.igusois  et  aussi  des  Anglais  et  des  Hollandais. 
Ces  deux  dernières  nations  eurent  cependant  leur  consul  au  Caire 
avant  1630',  mais  elles  n'y  étaient  pas  solidement  établies.  La  guerre 
de  Candie  réduisit  les  Vénitiens  eux-mêmes  à  retirer  leur  consul  et 
A  continuer  leur  commerce  sous  la  bannière  de  France',  et  il  y  eut 
alors  pour  les  consuls  français  une  période  où  leurs  revenus  furent 
très-considérables.  «  Pendant  que  j'étais  au  dire,  écrit  un  voyageur, 
le  consul  fut  très  heureux  et  il  arriva  dans  l'espace  d'un  an  six  vingts 
voiles  dans  son  ressort,  de  Français  ou  de  Messinois  et,  par  l'estime 
que  j'en  fis  à  peu  près,  ces  six  vingts  voiles  ne  valurent  pas  moins  de 

(i)  Le  voyageur  Thévenoi  fait  un  long  tableau  des  outrages  et  des  vexations  de 
toutes  sortes  auxquelles  la  population  du  Caire  soumettait  les  marchands  étran- 
gers. V.  chap.  Lxxvi  :  Des  Francs  qui  deiih'urait  en  EgypU-  d  des  vanies  qu'on  leur  fait, 
p.  )0S. 

(2)  ij  janv.  161 1.  AA,  joj. 

(5)  FiiR.MANKL,  p.  43).  —  Tuilvi  SOT,  p.  )02  :  «  Il  y  a  au  Caire  un  consul 
fraii«;ais,  un  vénitien,  anglais,  flamand.  »  —  En  1658. 

(4)  Klle  commenija  en  juillet  1645.  —  Le  consul  vénitien  demeura  d'abord  au 
dire  avec  la  même  sûreté  et  le  «  signor  Seguessi  vénitien  qui  avait  le  parti  de  la 
casse  et  du  séné  de  toute  l'Lgypte  ne  laissa  pas  de  le  continuer.  »  CopPin,  p.  487. 


LES   ÉCHELLES  :    LE   CAIRE 


401 


f 


aoo.cxxj  livres  à  M.  de  Bermond',  »  Mais  h  longue  querelle  des  de 
Bcrmond  et  des  d'Antlioine,  qui  se  disputèrent  le  consulat  entre 
1650  et  i6)S  discrédita  la  nation,  lut  coûta  des  sommes  énormes  et 
laissa  l'échelle  chargée  de  dettes  ;  de  plus  la  brouille  de  la  France 
avec  les  Turcs  attira  à  cette  même  époque  une  recrudescence  d'ava- 
nies en  Egypte.  Le  commerce  végéta  jusqu'au  moment  où  les 
ambassadeurs  Guilleragues  et  Girardin  obtinrent,  de  16S3  à  1686, 
une  série  de  commandements  de  la  Porte  qui  firent  pour  la  pre- 
mière fois  respecter  les  Capitulations  en  Egypte  et  accordèrent  aux 
Frani^ais  de  grands  privilèges:  l'abaissement  des  droits  d'entrée  à 
3  "/o' et  la  permission  de  faire  des  transports  de  denrées  d'Alexandrie 
à  Constantinople. 

Ils  acquéraient  ainsi  au  Caire  une  situation  tout  a  fait  exception- 
nelle et  devaient  s'emparer  du  monopole  du  commerce  de  cette 
échelle.  Les  Anglais  et  les  Hollandais,  qui,  dans  la  période  précédente, 
leur  avaient  fiiit  une  rude  concurrence  et  avaient  tenté  de  leur  ravir  la 
protection  des  nations  dépourvues  Je  consuls"*,  avaient  au  contraire 
au  même  moment  une  situation  singulièrement  amoindrie  :  ils 
31 'avaient  plus  même  de  consul  de  leur  nation  et  en  1679  ils  étaient 
sous  la  protection  du  consul  vénitien,  tandis  qu'un  Messinois  était 
•chargé  de  leurs  affaires  à  Alexandrie'.  Li  guerre  ayant  repris  entre 
Denise  et  les  Turcs  en  1684,  les  Vénitiens  eux-mêmes  perdirent  leur 
consul  et  revinrent  sous  la  protection  du  consul  de  France  qui  resta 
ainsi  le  seul  établi  au  Caire.  Malheureusement  les, Français  ne  reti- 
lèrent  pas  tous  les  profits  qu'ils  auraient  pu  d'une  pareille  situation 
à  cause  de  la  contrebande  active  que  firent  les  étrangers  pour  parti- 
ciper ù  leurs  avantages.  Toutes  les  ordonnances  faites  en  France  pour 
arrêter  ces  fraudes'',  et  l'établissement  par  la  Chambre  du  Comnjercc 
d'un  contrôleur  à  Alexandrie  pour  les  Élire  observer  n'y  réussirent 


P     (i)  CoppiN,  p.  215  (en  1638-Î9). 

(2)  Les  m.irchandises  payaient  20  0/0  d'cntn5e  à  Alexandrie  et  10  0,0  à  Boulak 

3uand  elles  venaient  au  Cure.  Les  droits  de  sortie  étaient  au  contraire  trés-faibles, 
c  1  1/2  0/0  environ,  ce  qui  facilitait  l'ccoulement  des  produits  de  l'Egypte,  (Par/ail 
ifgociaiit). 

(  j)  En   1643  le  consul  des  Franç.nis  l'emporta  sur  celui  des  Anglais  qui  voulait 
lui  enlever  la  protection  des  Messinois.  La  Boullaye  le  Golz,  p.  368.  —  Mais 
«n  1667  le  pacha  mit  aux  enchères  la  protection  des  nations  étrangères  et,  malgré 
les  capitulations,  l'attribua  au  consul  des  Hollandais,  moyennant  l'offre  de  quin/;« 
bourses.  (Une  bourse  valait  environ  900  piastres). 
t4^  Df  Brlvn,  p.  186  et  J4). 
(5)  V.  p.  255. 
a& 


402  TABLEAU   DU   COMMERCE 

que  bien  imparfaitement.  G;pendant  le  commerce  français  prit  alors 
en  Egypte  un  essor  considérable  :  le  nombre  des  marchands  doubla  '  ; 
les  exportations  d'Egypte  en  Trancc,  qui  atteignaient  très  rarement 
auparavant  la  valeur  de  2.000.000  de  livres,  dépassèrent  plusieurs  fois 
la  somme  de  3.000.000,  de  plus  les  marchands  du  Caire  envoyaient 
de  nombreux  navires  chargés  à  destination  de  l'Italie,  enfin  d'autres 
bAtiments  nolisés  par  les  Turcs  faisaient  pour  eux  les  transports 
d'Alexandrie  à  Constantinople*. 

La  nation  était  alors  plus  nombreuse  qu'elle  n'avait  jamais  été  ; 
undis  que  les  lettres  adressées  à  la  Chambre  à  diverses  époques  du 
xv!!*-"  siècle  ne  portaient  que  15  à  25  signatures,  ce  qui  laisse  sup- 
poser, il  est  vrai,  un  nombre  plus  considérable  de  marchands,  car  ils 
n'assistaient  jamais  tous  aux  assemblées,  les  lettres  de  1702  portent 
29  et  3 1  signatures,  et  la  nation  comptait  cette  année  là  cinquante 
marchands*;  à  Smyrne  seulement  les  Français  étaient  en  plus 
grand  nombre.  Les  marchands  du  Caire  ne  résidaient  pas  dans  un 
camp  fermé  comme  dans  les  échelles  de  Syrie,  ils  habitaient  une 
série  de  maisons  contiguës  formant  un  petit  quartier  qu'on  appelait 
la  contrée  de  la  nation  française;  il  se  trouvait  dans  le  khalis,  la  plus 
belle  rue  du  Caire.  «  Les  maisons  de  la  rue,  écrit  le  voyageur 
Coppin,  sont  assez  belles,  mais  celle  du  consul  surpassait  de  bien 
loin  toutes  les  autres,  l'entrée  en  était  comme  celle  d'un  hôtel,  il 
y  avait  à  la  première  porte  un  lieu  pour  asseoir  ses  six  janissaires, 
car  il  en  a  toujours  ce  nombre  1;\,  qui  reçoivent  de  lui  chacun  six 
piastres  par  mois,  et  il  n'y  manque  point  d'en  rester  toujours  deux 
ou  trois  qui  la  gardent  comme  des  suisses*.  »  Les  Français  vivaient 
ainsi  avec  plus  de  liberté  que  ceux  de  Syrie  dans  leurs  camps,  mais 
ils  étaient  moins  en  sûreté;  la  canaille  pouvait  venir  les  insulter 
dans  leurs  maisons,  des  santons  venaient  dans  la  rue  contrefaire  les 
insensés  et  ameuter  contre  eux  la  foule,  de  faux  témoins  venaient 
affirmer  qu'on  avait  vu  sortir  des  femmes  de  leurs  maisons,  accusa- 


(i)  Lettre  du  consul,  lo  tuai  i6<)S.  AA,  ^04. 

(2)  11  est  vrai  qu'en  1698  les  .\nglais  établirent  un  consul  au  Caire  et  firent 
une  concurrence  plus  redoutable  aux  Français.  V.  p.  501-502. 

(5)  24  mars,  //  mars  iyo2.  AA,  }io.  —  Coppin  donne  une  liste  de  vingt-deux 
marchands  français  habitant  le  C;iire  en  1638. —  De  1685  à  1719,  cent  neuf 
résidents  seulement  vinrent  s'établir  au  Caire.  Dans  la  même  période,  Alexandrie 
qui  commençait  à  se  relever  de  sa  ruine  en  reçut  un  nombre   plus    considérable. 

(,4)  Coppin,  p.  177. 


LES   èCHEI-LES  :    LE   CAIRE 


403 


ion,  il  est  vrai,  qui  n'était  pas  toujours  fausse,  m  Si  vous  me  faisiez 
l'honneur  de  me  croire,  écrivait  le  consul  A  la  Chambre,  ;\  la  suite 

'd'une  ftcheuse affaire vous  prendriez  la  sage  résolution  de  faire 

bitir  un  cunp  qui  ne  reviendrait  pas  A  100.000  francs  en  ùisant 
apporter  le  bois  et  le  fer.  Le  louage  qu'on  en  retirerait  paierait  à 
peu  près  l'intérêt  de  cette  somme'.  » 

Le  Caire  avait  trois  ports  d'importance  très  inégale  avec  lesquels 
il  ne  communiquait  que  par  le  Nil  :  Alexandrie,  Rosette  et 
Damiette.  Les  marchandises  ét;iicnt  transportées  à  dos  de  chameau 
du  Caire  A  Boulak,  son  port  sur  le  Xil  et  son  bureau  de  douane  A 
une  demi  lieue  environ  de  la  ville.  Li  elles  étaient  embarquées  sur 

Kdes  bâtiments  d'une  construction  particulière,  qu'on  appelait  des 
germes,  longs  bateaux  plats,  calant  peu  d'eau  pour  franchir  la  barre, 
non  pontés  et  portant  une  grosse  voile  carrée.  Le  voyage  n'était  pas 

Bsans  inconvénients, car  de  nombreux  larcins  de  marchandises  étaient 
commis  par  ceu.\  qui  les  conduisaient.  Des  pillards  arabes  épiaient 
la  nuit  les  germes  mal  gardés  pour  dérober  des  marchandises. 
«  Durant  notre  navigation  écrit  le  voyageur  Thévenot,  nous  allu- 

Imions  la  nuit  plusieurs  mèches  que  nous  attachions  en  dehors,  A 
l'entrée  de  la  barque,  et  les  Arabes  voyant  toutes  ces  mèches  croient 
Cicilement  que  ce  sont  autant  d'arquebuses  qu'ils  appréhendent  fort, 
n'en  ayant  point  du  tout  l'usage.  Outre  cela  nous  avions  des  armes  à 
feu  que  nous  tirions  souvent,  tant  de  nuit  que  de  jour,  pour  les  leur 
iiiire  entendre*.  »  Il  y  avait  aussi  A  redouter  de  véritables  tempêtes 
sur  le  Nil  quand  les  vents  étésiens  refoulaient  dans  les  terres  les  eaux 

Eu  fleuve  alors  en  crue.  Les  marchandises  descendaient  presque 
xclusivement  par  la  branche  de  Rosette,  mais  la  plus  grande  partie 
'était  chargée  dans  des  vaisseaux  qu'à  Alexandrie,  parce  que  le  port 
de  Rosette  n'était  accessible  A  ceux-ci  que  lors  des  hautes  eaux  du 
"Nil.  A  Rosette  les  grosses  marchandises  étaient  souvent  transbordées 
«dans  des  bateaux  plus  considérables,  quand  les  basses  eaux  du  Nil  ne 
permettaient  d'employer  que  des  germes  de  très  faible  tonnage 
entre  Boulak  et  Rosette.  Les  marchandises  de   valeur  et  les  voya- 

1(1)  /6  aiT/7  >fi>}.  AA,  fv.f. 
{2\  P.  254  (en  1658).  —  «  Tout  le  long  du  Nil  courent  force  voleurs  d.nns  de 
etitts  barques  et  qu.inJ  ils  trouicnt  des  clirt-tiens  à  leur  avantage,  ils  les  pillLiit, 
rcnncm  et  tuent  tiuelquefois.  »  Hkauvkac,  p.  j66  (en  1605).  Le  voyage  durait 
rdinairemcnt  trois  jours  en  naviguant  jour  et  nuit,  du  Caire  à  Alexandrie.  Tmé- 
EMOT,  L.V  BOULLAYE  LE  GOUZ. 


404  TABLEAU    DU   COMMERCE 

geurs  prenaient  la  route  de  terre,  le  long  delà  mer.  Sur  ce  chemin, 
qui  traversait  un  désert,  les  caravanes  étaient  parfois  arrêtées  par  des 
tourmentes  de  sables,  plus  souvent  par  les  pillards  arabes  dont  les 
tribus  insoumises  erraient  dans  le  delta.  Il  y  avait  environ  douze 
heures  de  route  de  Rosette  à  Alexandrie,  le  plus  souvent  le  trajet  se 
faisait  en  deux  jours,  onze  piliers  plantés  en  terre  indiquaient  la  route 
le  long  de  laquelle  on  ne  rencontrait  à  mi-chemin  qu'une  misérable 
hôtellerie,  au  bord  d'une  lagune*  qu'on  franchissait  sur  un  lac. 

Alexandrie  n'était  pas  alors  la  belle  et  grande  ville  qu'on  serait 
tenté  d'imaginer.  La  vieille  ville  du  moyen  âge,  qui  avait  conservé 
intacte  son  enceinte  de  murailles,  était  presque  déserte  et  n'offrait 
qu'un  amas  de  ruines  avec  quelques  misérables  masures.  Mais  les 
apports  de  la  mer  avaient  formé  une  large  plage  sablonneuse  au  nord 
des  murailles,  à  la  base  de  la  digue  des  «  Sept  Stades  »  construite 
par  le  premier  des  Ptolémces,  pour  rattacher  à  la  terre  l'île  de  Pharos, 
qui  se  transformait  peu  à  peu  en  presqu'île.  Au  milieu  du  xvii* 
siècle  l'œuvre  de  la  mer  n'était  pas  encore  achevée  ;  un  pont  en 
pierre  de  quelques  arches,  sous  lequel  l'eau  des  deux  ports  se 
mélangeait,  rattachait  l'île  à  la  plage*.  En  17 15  les  deux  ports  ne 
communiquaient  plus  et  la  plage  de  sable  se  prolongeait  jusqu'à 
l'ancienne  Pharos  mais  on  voyait  encore  les  ruines  de  la  digue 
antique  tout  le  long  de  l'isthme.  C'est  sur  cette  plage  basse,  en  dehors 
des  murailles,  que  fut  construite  peu  ii  peu  l'Alexandrie  turque: 
elle  se  rapprochait  de  la  mer  h  mesure  que  celle-ci  s'en  éloignait. 
En  1600,  elle  était  très  peu  considérable  et  en  dehors  de  la  douane  et 
des  «  fondiques  »,  où  habitaient  les  marchands  français  et  vénitiens, 
elle  comprenait  peu  de  maisons,  mais  elle  s'accrut  rapidement  au 
xvu'^  siècle.  Le  voyageur  Lucas  qui  la  visitait  pour  la  seconde  fois 
en  17 15  dit  d'elle:  la  nouvelle  ville  d'Alexandrie  s'accroît  tous  les 
jours  et  je  trouvai  que  depuis  mon  dernier  voyage  on  y  avait  bâti 
plus  de  vingt  oquclles,  ce  sont  des  auberges  pour  loger  les  voya- 
geurs, sans  parler  de  quelques  bazars  qu'on  a  rétablis  ou  laits  à  neuf.» 


(i)  «  I.e  Maadicli,  cVst-à-dirc,  le  gué  ou  passage,  ;'i  l'issue  du  lac  d'.Vboukir, 
rappelle  le  cours  de  rancienne  branche  canopique  du  Xil.  »  Ricr.us.  AJiù]ue 
sfpUntiioiuih',  p.  59S.  —  Les  Francs  appelaient  cette  hôtellerie  la  Médie.  —  I.c 
consul  de  Maillet,  en  1692,  s'embarque  \  .■\lexandrie  pour  Rosette,  car  la  route 
de  terre  n'est  pas  libre  à  cause  des  Arabes  avec  lesquels  on  est  en  guerre.  — 
I)  juillet  i6ij2.  .1.1,  jo.(. 

(2)  Thévenot,  eu  1658. 


LES    ÉCHELLES  :    ALEXANDRIE 


40) 


:n  dehors  de  la  population  marchande  on  y  voy.iit  un  grand  nombre 
de  «  Maugarbins  »,  gens  sans  aveu  et  vagabonds,  qui  habitaient  les 
masures  de  la  vieille  ville  et  causaient  souvent  de  grands  désordres; 
leur  haine  pour  les  chrétiens  et  surtout  pour  les  Francs  était  très  vive, 
aussi  les  marchands  d'Alexandrie  étaient-ils  plus  exposés  encore 
aux  insultes  et  aux  mauvais  traitements  que  ceux  du  Caire.  Plusieurs 
fois  les  pachas  eux-mêmes  s'inquiétèrent  de  leur  turbulence  et 
donnèrent  ordre  au  bey  de  purger  L\  ville  de  cette  canaille. 

Le  fondique  des  Français,  spacieux  et  commode,  leur  était  fourni 
gratuitement  par  le  Gr.md  Seigneur,  le  consul  recevait  même  ou 
devait  recevoir,  chaque  année  une  somme  d'argent  pour  l'entretien 
des  bâtiments,  Alexandrie  avait  deux  ports,  séparés  par  risthme 
étroit  qui  rattachait  Pharos  à  la  terre  ferme  :  h.  l'Ouest,  le  port 
vieux,  l'Eunostos  des  anciens,  vaste,  bien  abrité  par  l'ancienne  île 
contre  les  vents  du  nord  et  très  profond^  mais  réservé  aux  vaisseaux 
et  aux  galères  du  Grand  Seigneur'  ;  à  l'Est  le  port  neuf,  seul 
ouvert  aux  vaisseaux  marchands,  était  abrité  par  deux  moles  en 
forme  de  croiss;int  qui  portaient  chacun  à  leur  extrémité  une  forte- 
resse. L;i  plus  considérable,  à  la  pointe  X.-E.  de  Pharos,  s'appelait  le 
Pharillon  et  était  bien  armé  de  r  50  pièces  d'artillerie  et  d'environ 
300  hommes  de  garnison.  Le  port  marchand  était  ainsi  bien  garanti 
contre  les  tentatives  des  consaires,  malheureusement,  s'il  était  vaste, 
il  était  ouvert  aux  vents  de  gregal  et  de  tramontane  (N.-E.  et  N.), 
les  plus  dangereux  dans  cette  mer,  et  de  plus  l'entrée  en  était  fort 
dangereuse  A  cause  de  plusieurs  éciieils  qui  s'y  trouvaient,  dont  deux 
étaient  célèbres  sous  le  nom  du  Diamant  et  de  la  GiroHe. 

Aussi,  quand  la  mer  était  mauvaise,  les  navires  allaient  mouiller 
à  quinze  milles  à  t'Est,  i\  la  rade  des  Biquiers*  (Aboukir),  protégée 
des  vents  du  Nord  par  plusieurs  petites  ilcs  basses  :  sur  la  plage  un 
assez  mauvais  château,  avec  une  garnison  d'une  cinquantaine  de 
janissaires  défendait  la  rade.  Les  navires  y  attend.iient  le  moment 
propice  pour  entrer  â  Alexandrie  et  il  arrivait  même  souvent  que, 
pour  éviter  un  détour  inutile,  ou  pour  fuir  les  avanies  aux  moments 
de  troubles,  on  les  déchargeait  là  sur  les  barques  qui  devaient  trans- 


I 


(1)  «  L'n  vaisseau  du  roi  pour  .avoir  voulu  venir  au  Port  vieux  avec  la  permis- 
sion des  puissances  a  excité  une  si  grande  sédition  que  ledit  vaisseau  fut  cbligt!: 
de  s'en  retourner  aux  Biquicrs.  k  Leltie  iln  vict-consul  d'.-Hexiiiuirie,  le  iS  juillel 
'6^S.  AA,  }2o. 

(z)  Que  les  Turcs  appellent  .Mwuchar.  I)'.'\RViEex,  t.  1,  p.  155. 


TABLEAU  nu   COMMERCE 

porteries  marclmndiscs  sur  le  Nil  \  Rosette  et  au  dire.  L'inquiétude 
continuelle  où  vivaient  les  marchands  à  Alexandrie  les  tù  même 
songer  à  charger  ordinairement  aux  Biquiers.  «  Nous  sommes  bien 
aises,  écrivaient  les  députes  de  la  nation  du  Caire  à  la  Chambre  du 
commerce  en  1697,  de  savoir  si  vous  souhaiteriez  que  la  coutume 
de  charger  aux  Biquiers  s'introduisit.  Nous  y  voyons  beaucoup 
d'apparence on  affermira  un  usage  qui  va  .i  la  liberté  des  bâti- 
ments et  qu'il  faudra  peut-être  établir  après  avec  peine,  le  port 
d'Alexandrie  se  remplissant  d'un  jour  A  l'autre  '.  h 

Bien  qu'Alexandrie  ne  fût  qu'une  ville  assez   misérable,  que  son 
port  fût  mauvais  et  son  air  très  malsain,  elle  ne  laissait  pas  de  ûire 
un  commerce  très  actit,  mais  ses  marchands,  pendant  la  plus  grande 
j>artie  du  xvii' siècle,  ne  furent  guère  que  les  commissionnaires  de 
ceux  du  Caire,  chargés  de  présider  au  chargement  et  au  déch-ir- 
gcmcnt  des  marchandises  et  aux  formalités  de  la  douane.  Aussi  la 
nation  Irançiise  y  était-elle  beaucoup  moins  nombreu.se  qu'au  Caire, 
mais,  à  la  fin  du  xvii*  siècle,  le  commerce  tendait  i  se  déplacer;  à 
mesure  que  la  nouvelle  Alexandrie  s'accroissait,  elle  devenait  peu 
à  peu  un  centre  d'achats  et   de  ventes  aussi  important  que  le  dire 
même,  et  les  résidents  français  qui  venaient  en  Egypte  s'établissaicnc:! 
plus  nombreux  i  Alexandrie:  il  yen  eut  i66  de  1685  A  1719.  Aussi] 
les  marchands  d'Alex.mdrie  .s'impatientaient  de  ne  pas  former  un 
corps  de  nation  et  d'être  sous  la  dépendance  de  MM.  du  Caire  pour 
toutes  leurs  affaires*. 

Rosette  '  était  la  vilîe  la  plus  grande  et  la  mieux  bhùc  de  l'Egypte 
après  le  Caire.  Ses  maisons  en  briques  de  couleurs  éclatantes,  Jt  deux 
ou  trois  étages,  surmontées  déterrasses,  les  nombreux  «  oqnellesn  ou 
caravansérails  bien  bùtis  et  bien  entretenus  qu'elle  offrait  aux  étran- 
gers, de  jolies  places,  les  superbes  jardins  dont  elle  était  entourée, 
son  air  qui  passait  pour  le  plus  salubre  d'Egypte,  en  faisaient  une 
ville  très  agréable  ;\  habiter.  Malheureusement,  située  A  cinq  mille* 
de  l'embouchure  du  Nil  fermée  en  partie  par  une  barre,  elle  n'était 
qu'un  port  Huvial  où  ne  pouvaient  remonter  que  les  saïqucs  des 
Grecs,  les  caramonsaux  des  Turcs  qui  faisaient    le   cabotage  «nitr 


(1)  J7  /(u7/W  t6çj.  AA,  J0Ç. 

(a)  V.  Ulhaduf'  juillet  jf>9J,  2.faoiU  tôçS.AA,  j2n,iS  jauvitr  t6çi.  AÀ,ti4' 

{%)  Les  voyageurs  du  xvii<'  s\i:de  l'appellent   Inncicnnc  Canopus.  C'est  uor 

erreur.  Kosette  (en  .irabc  Rcchid),  ne  fut  fondée  qu'.iu  tX"^  5J6clc.  C4Dope  était 

auprès  d'.Mioukir. 


LES   ECHELLHS  :    ROSETTE,  DAMIETTE 

[rEgyptc  et  la  Syrie,  et  les  germes  sur  lesquels  étaient  déchargés  les 

Ivaissenux  des  Francs  â  Alexandrie. 

Rosette  était  donc  surtout  un  port  d'entrepôt,  cependant  il 
exportait  aussi  des  produits  du  delta,  tels  que  le  riz  qui  est  encore 
aujourd'hui  la  production  la  plus  importante  du  pays,  le  lin',  les 
cuirs  et  d'autres  marchandises.  Aussi,  dès  le  début  du  xvii=  siècle,  des 
marchands  français  y  résidaient  et  le  consul  d'Egypte  y  avait  un 

■  vice-consul.  Mais  les  résidents  n'y  furent  jamais  qu'en  petit  nombre  et 
servaient  plutôt  de  commis  aux  marchands  du  Caire  et  d'Alexandrie  ; 
vingt-neuf  seulettient  vinrent  de  Marseille  pour  s'y  établir  de  1685  à 
1719. Le  consul  du  Ciire  écrivait  en  1706  A  la  Chambre  que  la  dépense 
de  l'entretien  d'un  vice-consul  qu'elle  y  fiiisaii  était  fort  superflue  et 
qu'on  pourrait  en  faire  remplir  les  fonctions  par  un  simple  mar- 
chand ;  le  vice-consul  de  Rosette  adressait  lui-même  un  avis  sem- 
blable quelques  années  auparavant  :  «  Le  bruit  court,  écrivait-il  le 
5  décembre  170a,  qu  il  doit  venir  s'établir  ici  sept  \  huit  de  nos 
marchands,  ce  que  je  trouve  bien  particulier  pour  le  peu  d'atfaires 
qui  se  fliit,  que  deux  marchands  qu'il  y  a,  en  a  un  do  trop;  s'il  n'y 

Icn  avait  qu'un  on  ferait  les  alfaires  i  meilleur  compte,  ce  serait  un 
^rand  bénéfice*.  » 
Damictte  était  située  comme  Rosette  à  cinq  milles  environ  de 
l'embouchure  du  Nil.  C'était  une  ville  d'environ  25.000  habitants 
au  début  du  xvii«  siècle,  elle  était  bâtie  sur  la  branche  principale  du 
fleuve  dont  les  rives  étaient  beaucoup  plus  peuplées  que  celles  de  la 

I branche  de  Rosette,  les  villages  et  les  villes  s'y  succédaient  sans 
interruption.  Le  territoire  de  Damiette  même  était  très  fertile  et 
très  bien  cultivé,  avec  des  prairies  et  des  jardins  remplis  d'orangers, 
de  citronniers  et  de  cassicrs.  Aussi  c'était  une  ville  riche  et  d'un 
commerce  actif:  une  partie  des  habitants  travaillait  à  faire  des  toiles 
rayées;  le  reste,  dit  le  voyageur  Coppin,  qui  fut  le  premier  consul 
français  établi  dans  cette  ville,  s'adonne  à  la  marchandise  et  parmi 
^cux  il  y  en  a  de  fort  riches,  l'un  d'eux  n'a  pas  moins  de  quatre-vingts 
H  domestiques.  Malheureusement  Damiette  ne  pouvait  faire  concur- 
rence à  Alexandrie,  parce  que  l'entrée  de  la  bouche  du  Nil,  n'était 
praticable  qu'à    des  bâtiments   plus   petits   encore   que   ceux  qui 


(i)  Av.int  que  le  vicc-consul    eût  des  appointements,  s;t  principale  ressource 
fêtait  «  1.1  cnurtrtisic  du  lin.  »  —  Ltllrf  du  S  fh-rifi  ijoi.  AAy  J04. 
(2)  i;  Jévritr  sjoô.  AA,  J04  ;  AA,  }}}. 


408  TABLEAU   DU   COMMERCE 

entraient  dans  la  bouche  de  Rosette.  Tout  le  commerce  maritime 
de  Damictte  était  donc  fait  par  les  saïques  grecques  ou  d'autres  petits 
bâtiments  qu'il  était  même  nécessaire  de  décharger  en  partie  sur  des 
allèges  pour  le  passage  de  la  barre.  Il  arrivait  parfois  que  les  vents 
du  Nord,  refoulant  les  alluvions  du  Nil,  obstruaient  complètement 
le  passage  et  il  fallait  attendre  que  le  courant  du  fleuve,  reprenant  le 
dessus,  se  frayât  de  nouveau  un  chenal. 

Dans  la  première  partie  du  \vn'  siècle  les  Vénitiens  avaient  un 
consul  â  Damiette,  un  Grec  en  1630  y  exerçait  le  consulat  pour 
quelques  marchands  qui  s'y  trouvaient.  En  1644  ^^^  consuls  français 
et  anglais  du  Caire  s'entendirent  pour  y  établir  un  vice-consul,  mais 
celui-ci  fut  dégoûté  au  bout  de  deux  ans  par  la  modicité  des  revenus 
qu'il  en  tirait  et  les  difficultés  que  lui  suscitaient  les  gens  du  pays 
et  il  abandonna  la  place'.  Cependant  on  continua  d'y  voir  un  ou 
deux  marchands  français  qui  achetaient  principalement  les  riz  pour 
les  transporter  de  là  dans  les  autres  échelles.  Il  sembla  vers  1700  que 
Damiette  allait  devenir  le  siège  d'une  véritable  échelle  :  le  consul 
du  Caire  réclamait  l'établissement  d'un  vice-consul,  en  attendant  il 
envoyait  un  marchand  pour  en  faire  les  fonctions  et  3  5  Kâtiments 
en  1700,  21  en  1701  venaient  prendre  à  Damiette  du  riz  et  d'autres 
marchandises'.  Mais  une  sédition  éclata  à  Damiette  contre  les  Fran- 
çais, l'agent  du  consul  dut  revenir  au  Caire  et  le  trafic  cessa.  En  171 1 
ce  furent  les  habitants  de  Damiette  qui  demandèrent  eux-mêmes 
l'établissement  d'un  vice-consul  et  du  commerce  français  dans  leur 
ville,  mais  la  Chambre  du  commerce  consultée  par  Pontchartrain 
donna  un  avis  défavorable.  Leur  demande,  répondit-elle,  n'avait 
pour  but  que  de  faire  des  avanies  aux  Français.  D'ailleurs  la  sortie 
du  riz  n'étant  pas  permise,  sauf  pour  le  transporter  dans  les  autres 
ports  du  Grand  Seigneur,  le  commerce  de  cette  échelle  était 
réduit  ;\  celui  du  sel  ammoniac,  de  quelques  cuirs  et  de  toileries 
fort  grossières  qui  n'étaient  propres  qu'aux  matelots.  Les  Mores 
de  Damictte  faisaient  transporter  ces  marchandises  au  Caire  ou  ;\ 
Alexandrie,  de  sorte  qu'elles  coûtaient  moins  aux  Français  que  s'ils 
allaient  les  chercher  en  droiture"'. 

(i)  C'était  le  voyageur  Coppiii.  V.  dans  sa  relation  de  voyage,  le  récit  de  son 
consulat,  p.  .168-49}. 

(2)  V.  .-/.-/,  ^04.  Letlresilu  i $  aot'it  i6ç)S,  2;  août  i6çS,  14  août  7699,  20  janvier 
lyoo,  6  jtiilkl,  2  août  lyoo,  i'^'  jaiiv.  I/02. 

(3)  Délibération  du  2  décembre  ijii,  BB,  6. 


ECHELLES  :   COMMERCE  T>E  L  fiCVPTE  4O9 

Alexandrie  et  le  Caire  éciient  en  définitive  les  deux  seuls  grands 
marchés  do  l'Egvpte  au  xvii'  siècle.  Il  est  difficile  d'indiquer  exacte- 
ment quelle  fut  la  valeur  du  commerce  Français,  parce  que,  outre 
les  nurchandises  qu'ils  achetaient  pour  Marseille,  ils  en  expédiùrent 
aussi  .1  certaines  époques  des  quantités  considérables  i  Livourne, 
leurs  navires  taisaient  aussi  des  transports  en  grand  nombre  en  Italie 
pour  le  compte  des  étrangers,  enfin  les  capitaines  «  caravanaires  » 
conduisaient  h  Constanlinopie  et  dans  les  autres  ports  de  Turquie, 
les  riz,  les  blés  qu'il  était  interdit  de  transporter  en  chrétienté,  les 
cafés  et  d'autres  denrées'.  Si  l'on  s'en  tient  au  commerce  fait  par  b 
nation  française,  au  nom  des  marchands  de  Marseille,  le  chiffre  de 
ses  achats  fut  de  près  de  85.000.000  de  livres  de  1671  .\  1714,  et  de 
plus  de  29.000.000  de  1700  A  1714,  chitfres  A  peine  inférieurs  A  ceux 
de  l'cchelle  de  Smyrne.  Cependant  la  nation  avait  beaucoup  souffert 
en  lîgypte  pendant  cette  dernière  période;  le  commerce  avait  été 
troublé  par  les  querelles  entre  les  marchands  et  le  consul  et  surtout 
par  les  désordres  de  la  milice,  qui  avaient  attiré  aux  Français  de 
nombreuses  vexations.  C'étaient  les  quinze  années  précédentes,  de 
1685  à  1700,  qui  a%'aient  été  les  plus  brillantes  pour  leur  commerce'. 

Les  marchandises  qu'ils  tiraient  d'Egypte  étaient  de  nature  et 
d'origine  très  différentes  :  les  unes  étaient  des  produits  du  pays  même, 
les  autres  venaient  de  l'Arabie,  des  Indes  ou  de  l'Ethiopie  et  du 
Soudan \  L'Egypte  fournit  surtout,  pendant  le  xviP  siècle,  des  cuir' 
de  toutes  sortes,  des  cotons  filés,  des  toiles,  des  safranons.  D'autres 

(  I  )  On  appelait  caravanaires  les  capitaines  français  qui  faisaient  les  transports 
de  l'Egypte  à  Constaminople.  aux  ports  de  Syrie  et  de  Chypre  ou  de  Candie,  et 
de  rArchipcl  h  Consiantinople,  en  vertu  d'une  ptrmission  obtenue  par  l'anibas&t- 
dcur  Girardin  en  1686.  La  caravane  fut  autorisée  par  une  ordonnance  du  }c  avril 
i68.S  {liB,  6).  —  Ia*s  caravan.iires  quittaient  la  France  pour  plusieurs  années,  avec 
des  congt^  sjKciaux  de  Tamirauté.  Ils  étaient  nombreux,  cependant  leur  trafic  était 
JX.-U  estimé  en  Provence  car  il  rapportait  peu,  i  cause  de  la  modicité  des  nolis.  Ils 
étaient  ni.it  vus  des  marchands  et  des  consuls  :  «  la  plupart  des  caravanaires  Nont 
de  grandes  canailles,  »  écrit  un  consul  en  1698,  16  mvil  16^8.  AA,  40J. 

(2)  Les  exportations  avaient  dépassé  33.000.000. 

(>)  En  1700  (année  moyenne)  cint)  vaisnaux  emportèrent  d'Egypte  la  valeur  de 
i.Sôj.otx»  livre*  en  marchandises  (assa  fœtida  163,  aloés  427,  café  i.o76.otxj, 
coton  223.900,  caisses  corail  2,000,  cire  4.669,  cot]uedu  Levant  3  864,  cuirs 
2S6.0OC),  dents  d'éléphant  jgi,  encens  8.77S,  tleur  d'esquinancc  72.  gomme  tiiri- 
que  1.^51.  gomme  arabique  966,  hermodattos  2.68i,  lin  16.605.  niirabolan  1386, 
miel  66,  nux  vomica  4.958,  plumes  12.1KX».  salTranum  46.440,  sel  armoniac 
17.128,  semence  de  ben  1.799,  toiles  diverses  155.000,  tamarindy  8.719,  '«-'doria 
7.386).  —  Exfiortations  en  1714  (année  maximum!  sur  16  vaisseaux  et  23  barques, 
^$.378.01»  livre»  (café  3.448.01XJ,  cuirs  487. Otiu,  toiles  306. uoo,  gommes  124.000, 
cotons  213.000.  séné  Ho  000,  ri;  76,000,  etc.)  //,  ;;. 


410  TABLEAU   DU   COMMERCE 

produits  importants  auparavant,  comme  le  lin  et  la  cire,  le  natron 
ou  soude,  ne  figuraient  plus  dans  les  achats  vers  1700  que  pour  des 
sommes  insignifiantes  ;  le  sucre  et  la  cassonade  n'étaient  plus  du  tout 
achetés,  c'était  au  contraire  de  Marseille  qu'on  portait  dans  le  Levant 
des  sucres  du  Brésil.  Le  sel  ammoniac,  la  casse,  produite  par  un 
arbre  assez  semblable  au  noyer,  venaient  aussi  d'Egypte,  le  riz  était 
une  des  principales  productions  du  pays  et,  malgré  l'interdiction 
d'en  exporter  en  chrétienté,  on  obtenait  quelquefois  des  «  puis- 
sances »,  à  prix  d'argent,  la  permission  d'en  charger  pour  la  France 
des  quantités  considérables.  Longtemps  le  séné  dont  les  feuilles 
étaient  récoltées  aussi  dans  le  pays,  mais  dont  la  plus  grande  partie 
était  apportée  à  La  Mecque  par  les  caravanes,  avait  été  un  des  prin- 
cipaux articles  du  commerce  de  l'Egypte.  La  vente  en  appartenait  à 
un  fermier  <\  qui  le  pacha  l'adjugeait.  Le  commerce  du  séné  diminua 
peu  à  peu  d'importance  et,  de  1700  à  171 5,  les  Français  n'en  achetè- 
rent pas  toutes  les  années. 

D'Arabie,  les  marchands  turcs  fusaient  venir  en  Egypte  des 
drogues,  des  parfums  et  surtout  les  gommes  qu'ils  revendaient 
ensuite  aux  Français  pour  la  préparation  des  teintures.  La  plupart 
des  marchandises  de  l'Arabie  arrivaient  du  port  de  Moka,  bien  placé, 
à  l'entrée  de  la  mer  llouge,  pour  être  le  grand  entrepôt  du  commerce 
maritime  des  Arabes.  Ce  port,  qui  passait  alors  pour  être  fort  bon, 
était,  en  outre,  le  débouché  de  l'Yémen,  la  région  la  plus  riche  de 
l'Arabie,  dont  le  prince  s'était  révolté  contre  la  domination  du 
Grand  Seigneur,  en  1640,  et  s'était  rendu  indépendant.  Il  était 
ouvert  à  toutes  les  nations  de  l'Europe,  qui  y  étaient  bien  traitées, 
puisque  les  clirétiens  ne  payaient  que  3  0/0  de  droits  de  douane,  au 
lieu  de  5  0/0  que  payaient  les  Turcs.  C'étaient  cependant  les  mar- 
chands turcs  du  Caire,  qui  fusaient  le  plus  d'échanges  avec  ce  port, 
quoiqu'il  fût  visité  chaque  année  par  trois  ou  quatre  vaisseaux  des 
Portugais  de  Goa,  par  des  Anglais  et  des  Hollandais  qui  y  apportaient 
des  marchandises  des  Indes. 

Les  indigènes  de  l'Ycmen  avaient  dans  le  port  de  Moka  40 
ou  50  germes  ou  grosses  barques  destinées  à  transporter  ;\  Gidda 
(Djedda)  les  marchandises  achetées  par  les  commissionnaires  que 
les  marchands  du  Caire  avaient  à  Moka.  Ces  germes  faisaient  à 
Gidda  deux  ou  trois  voyages  par  an  et  en  rapportaient  des  pro- 
duits d'Egypte,  riz,  légumes,  et  des  marchandises  d'Europe,  draps 


LES   ÉCHELLES  :    COMMERCH   DE    l'ÈG^TTE 

papiers    surtout,   amcnces  à   Gidda   par   des    bâtiments    turcs, 

A  Gidila  ks  cliarf^ements  venus   de  Moka  payaient  des  droits  de 

Buane  CQnsid<^rables  dont  le  produit  revenait   moitic  au   Grand 

seigneur,  moitié  au  grand  cHcrif  de   la  Mecque.  Vingt  \  vingt-cinq 

tîtiments  turcs  venaient  cliaque  année  prendre  ces  marchandises  à 
fjdda  pour  les  transporter  à  Suez  et   parfois   seulement  allaient  les 
[lercher  eux-mêmes  ;\  Moka.  Cc'tait  là  tout   ce  qui  restait   de   la 
avigation  de  la  mer  Rouge,  autrefois  sillonnée  par  tant  de  navires  ; 
encore    s'y   faisait-elle   avec    une    extrême  lenteur.  «  Comme  les 
Arabes  ne  sont  pas  de  grand  navigateurs,  remarque   le  voyageur 
Lucas,  ils  ne  voy.ngent  jamais  que  le  jour,  ayant  toujours  un  homme 
^r  Li  proue  ci  l'autre  sur  le  haut  du  m;\t  pour  observer  la  mer,  ils 
Hlouillent  d'abord  que  le  soleil  est  prêt  à  se  coucher  et  ne  lèvent 
l'ancre  que  quand  ils  ont  le  vent  en  poupe,  employant  ainsi  deux 
ou  trois  mois  à  une  navigation  de  sept  à  huit  jours.  Il  est  bien  vrai 
que  la  mer  Rouge  a  plusieurs  écueils,   mais  il  serait  {;tcile   de  les 
witer  lorsqu'on  les  connaît;  d'ailleurs  cette  mer  est  si  peu  sujette 
^ux  tempêtes  qu'on  est  étonné  que  le  commerce  y  languisse  autant 
qu'il  fait'.  »  Les  bâtiments  turcs  prenaient  aMSsi  ,\  Gidda  des  mar- 
chandises de  toutes  sortes  venues  jusques  des  Indes,  apportées  par 
A^  caravanes  de  la  Mecque.  Tous  déchargeaient  leurs  cargaisons  à 
^ue/,  bourgr  d'environ  200  maisons,  dont  le  port  petit,  peu   profond, 
avec  des  bas  fonds  et  des  rocheri  .\  fleur  d'eau  h.  l'entrée,  n'était  pas 
^cessible  aux  vaisseaux  et  auK  galères,  obligés  de  se  tenir  dans  la 
^dc*.  De  Suez  les  caravanes  de  chatneaux,  chargés  chacun  de  sept  A 
huit  quintaux,  apportaient  enfin  les  marchandises  au  Caire,  en  deux 
■^urs  et  deini,  en  traversant  un  pays  entièrement  désert,  où  cepen- 
dant une  forte  escorte  était  nécessaire,  pour  se  garantir  des  attaques 
Ies  Arabes  pillards. 
Ce  n'éuit  pas  seulement    des  denrées  de  l'Arabie  et    des  côtes 
pi&in^s  de  l'Afrique  comme  le  pays  des  Aromates,  qui  venaient  de 
loka  et  de  Gidda  au  Cuire,  mais  l'Bgypie  continuait  .i  recevoir  par 
I  mer   Rouge  des   marchandises  des   Indes.  Quelques  vais.seau.v 
portugais,  hollandais,  anglais,  en  apportaient  eux-mêmes  ;\  Mi)ka, 
lais  les  indigènes  de  certaines  côtes  de  l'Inde  n'avaient  pas  encore 

(i)  Lucas,  t.  HI,  p.  183. 

{2)  Ausf  ilu  iL-iups  où  de  gros  g.ilion5  faisaient  le  voyngc  des  Indes  ils  atluicni 
jrdinairc  mouiller  .lu  a  Tore  »  petite  ville  i  trois  journées  de  Suez,  dont  le 
■vrc  èuit  grand  et  assuré.  Ferhanel,  p.  444. 


412  TABLEAU   DU  COMMERCE 

cessé  complètement  leur  ancienne  navigation  comme  le  montre  un 
mémoire  remis  à  Colbert,  vers  1670.  «  Les  Hollandais  et  les  Por- 
tugais, dit  ce  mémoire,  n'ont  pu  tellement  assujettir  les  Indiens  qu'il 
n'en  reste  encore  quantité  de  ceux  que  Ton  appelle  Malabares  qui 
sont  dans  le  royaume  de  Bisnagar  ou  Calicut  et  ennemis  jurés  des 
Hollandais  et  des  Portugais  lesquels  font  le  commerce  à  Moka  en 
leur  particulier  et  y  vendent  leurs  toiles,  du  poivre,  de   la  canelle 

sauvage et  plusieurs  autres  sortes  de  drogueries  et  épiceries,  ils 

en  remportent  de  l'argent,  des  draps,  du  papier,  etc.  Il  aborde 
chaque  année  à  Moka  huit  à  dix  navires  de  malabares  de  200  à 
250  tonneaux.  Les  Indiens  de  Surate  y  viennent  aussi  au  nombre 
de  quinze  à  vingt  vaisseaux  des  particuliers  et  deux  du  roi  qui 
portent  les  pèlerins  de  la  Mecque,  de  6  il  700  tonneaux,  lesquels 
portent  de  l'indigo,  de  l'aque  ou  cire  jaune,  toiles,  cocos,  poivre, 

zcdoaria,  benjoin  et  quantité  d'autres  drogueries  et  épiceries 

Deux  à  trois  navires  de  Macilipatam  apportent  quantité  de  toiles 

indiennes  peintes,  toiles  de  coton,  benjoin  et  porcelaines De 

Sumatra  des  bâtiments  apportent  du  poivre,  girofle  et  muscade'...  » 
Dans  le  tableau  fait  par  Savary  dans  son  Parfait  Négociant,  vers  la 
même  année,  des  marchandises  venues  d'Egypte  en  France,  figurent, 
en  effet,  de  nombreux  produits  des  Indes  :  opium,  indigo,  cannelle, 
muscade,  poivre,  girofle,  nacre. 

Mais  avec  les  nombreux  transbordements  que  les  produits  des 
Indes  avaient  ;\  subir  à  Moka,  ;\  Gidda,  i\  Suez,  avant  d'arriver  au 
Giire,  avec  les  droits  considérables  de  douane  payés  dans  ces  trois 
villes,  avec  les  lenteurs  de  la  navigation  des  Arabes  dans  la  mer 
Rouge,  il  était  impossible  que  ce  trafic  prît  de  l'importance.  Il  eût 
fallu  qu'une  nation  chrétienne  obtînt  la  permission  de  faire  entrer 
ses  navires  dans  la  mer  Rouge  et  entreprît  elle-même  d'y  apporter 
les  marchandises  de  l'Inde  pour  que  l'Egypte  en  redevînt  le  grand 
entrepôt.  Le  fait  que  les  Anglais  et  les  Hollandais  vendaient  dans 
tout  le  Levant  et  même  au  Caire  de  grandes  quantités  d'épiceries  à 
la  fin  du  xvn'  siècle,  montre  assez  clairement  combien  le  commerce 
de  l'Inde  par  la  mer  Rouge  avait  peu  d'importance.  D'ailleurs  la 
Compagnie  des  Indes  avait  le  monopole  exclusif  de  la  vente  des 
marchandises  de  ce  pays  en  France,  aussi  ne  figurent-elles  plus  dans 

(i)  Archiv.  Nul.  F",  6./;  :  Mémoire  touchant  le  commerce  de  la  mer  Rouge. 


LES   ÉCHELLES  :    CO.NLMERCE   DE   l'ÙGYPTE 


413 


les  chargements  des  vaisseaux  venus  d'Egypte  i  la  fin  du  xvit'  siècle'. 
^ffiniîti    les  Fninçxis    achetaient    en  Egypte   quelques    produits  des 
^Kontrées  éloignées  de  l'Afrique  :  les  principaux  étaient  l'encens  et 
la  niirrhe  de  l'Abyssin  je  qui  arrivaient  aussi  par  Moka.   Parmi  les 
marchandises  qui  pouvaient  être  apportées  au  Caire  parles  caravanes 
de  l'Ethiopie,  il  n'y  a  guère  que  les  défenses  d'éléphant  et  les  plumes 
d'autruche  qui  paswient  ensuite  en  France, 
^k    Mais,  à  la  fin  du  xvn'  siècle^  les  deux  tiers  environ  de  la  valeur 
des  cargaisons  apportées  d'Egypte  par  les  Français,  étaient  fournis 
^jiar  une  seule  denrée,  le  café,  presque  inconnu  en  Europe  cinquante 
HEins  auparavant,  bien  qu'il  tînt  depuis  longtemps  une  grande  place 
dans  la  vie  des  Orientaux,  Tous  les  voyageurs  du   xvii"  siècle  par- 
lent de  cette  boisson  que  les  Turcs  ne  manquaient  pas  d'offrir  aux 
étrangers  qui  les  visitaient,  et  qui  se  débitait  dans  toutes  les  villes  du 
Levant,  dans  des  «  cavangicrs  «.  Mais  peu  la  trouvaient  agréable, 
car  les  Turcs  prenaient  le  café  mélangé  avec  le  marc  et  sans  sucre; 
ce  ne  fut  qu'à  la  fin  du   wn"  siècle   qu'ils   prirent  l'h.ibitude  de  le 
sucrer  comme  plusieurs  de  leurs  autres  boissons,  ce  qui  donna  une 
importance  toute  nouvelle  A  la  vente  dans  le  Levant  des  sucres  des 
Indes  occidentales.  Cependant  le  goût  du  café  s'introduisit  peu  i\ 
peu  en  Europe  dans  ta  deuxième  moitié  du  xvii' siècle;  Savary  le 
Hj^ic  déj.\  figurer  parmi  les  denrées  apportées  d'Egypte  vers  1670,  et  la 
^Consommation    de  ce  nouveau    produit,   dont   l'exportation    était 
interdite  comme    celle  des  autres  denrées  alimentaires  du  Levant, 
devint  bientôt  si  grande  en  France  que  l'ambassadeur  Girardin,  lors 
des  négociations  engagées  au  sujet  de  l'Egypte  auprès  de  la  Porte  en 
ï  6S6  fut  chargé  de  demander  et  obtint,  pour  les  Français,  la  per- 
rnission  d'apporter  du  café  en  chrétienté. 

Le  café  remplaça  en  partie  les  marchandises  des  Indes  qui  ne 
Venaient  plus  alimenter  le  commerce  d'Egypte.  Mais  ce  nouveau 
négoce  fut  troublé  par  bien  des  contre-temps.  En  1703  une  sédition 
Ues  milices  fit  interdire  l'exportation  du  café  en  chrétienté;  dès 
lors  ce  ne  fut  qu'en  dépensant  chaque  année  de  grosses  sommes 
d'argent  auprès  du  pacha  et  des  chefs  des  janissaires  que  la  nation 
put  obtenir  la  permission  d'en  acheter.  Hn  1706  l'interdiction  du 
>mnierce  des  cafés  fut  rcnouvetée  avec  plus  de  rigueur  et  étendue 

(1)  Voir:  //,  rj,  pour  les  années  1700. 171  j.  —  Le  voyageur  Lucas  se  trompe 
lonc  quand  il  compte  parmi  les  marchandises  qui  venaient  d'Egypte  en  1715, 
^opium,  llndigo,  la  cannelle,  h  muscade,  etc.,  t.  111,  p.  188. 


414  TABLEAU   DU  COMMERCE 

même  aux  marchands  turcs.  «  Nous  ne  parviendrons  plus  à  avoir 
une  permission  générale  pour  la  sortie  des  cafés,  écrit  le  consul  à  Id 
Chambre  en  1708,  à  moins  que  nous  ne  fassions  des  dépenses  im- 
menses ù  la  Porte,  ce  qui  nous  serait  encore  moins  onéreux  que  les 
permissions  particulières  dans  le  goût  desquelles  on  a  mis  le  pacha 
et  les  puissances  de  ce  pays-ci.  »  Cette  année  là  il  avait  fallu  dépenser 
10.000  piastres  pour  obtenir  de  charger  du  café  sur  deux  vaisseaux*. 
Heureusement  que  les  «  puissances  »  du  Caire  étaient  un  peu  rete- 
nues par  la  crainte  de  voir  le  café,  dont  l'entrepôt  général  était  ù 
Moka,  se  détourner  de  l'Egypte  et  prendre  la  route  du  Cap,  si  elles 
apportaient  trop  d'entraves  au  commerce;  pour  entretenir  cette 
crainte  salutaire,  les  Français  d'Egypte  faisaient  de  temps  en  temps 
courir  le  bruit  que  des  Anglais  ou  des  Hollandais  étaient  allés  à 
Moka  f;jire  de  gros  chargements. 

Ce  qui  n'était  d  abord  qu'un  faux  bruit  devint  bientôt  une  réalité, 
les  Français  eux-mêmes  commencèrent  à  envoyer  des  vaisseaux  à 
Moka,  en  passant  par  le  Cap.  Une  compagnie  de  St-Malo,  qui  avait 
reçu  cette  concession  de  la  Compagnie  des  Indes,  y  établit  un 
comptoir  et  le  consul  du  Caire  apprenait  en  171 2,  par  une  lettre  du 
directeur,  qu'il  y  faisait  charger  quatre  vaisseaux  de  café.  Si  ce  com- 
merce continuait  c'était  la  ruine  de  la  nation  d'Egypte  ;  la  Chambre 
du  commerce  prit  l'alarme  et  demanda,  mais  inutilement,  que  ces 
cafés  fussent  assujettis  au  droit  de  20%*.  La  douane  de  Suez  qui 
enrichissait  le  pacha  était  ainsi  menacée  de  perdre  le  meilleur  de  ses 
revenus.  Aussi  les  puissances  du  Caire  changèrent  d'attitude  et 
devinrent-elles  favorables  à  la  sortie  des  cafés.  Mais  dans  l'intervalle 
était  intervenu  un  «  cathcchcrif  »  du  G.  S.  confirmé  par  des  «  ordres 
fulminants  »,qui  l'interdisait  formellement.  Le  pacha  et  les  puis- 
sances étaient  donc  placés  entre  le  désir  de  ménager  leurs  intérêts 
et  la  crainte  de  désobéir  \  la  Porte  et  surtout  de  mécontenter  la  plus 
grande  partie  des  milices  très  hostiles  à  ce  commerce.  En  17141e 
pacha  du  Caire  fut  déposé  et  était  menacé  de  «  perdre  la  tête  »,  en 
partie  pour  avoir  favorisé  la  sortie  des  cafés  et  du  riz.  Aussi  fallut-il 
dépenser  encore  beaucoup  d'argent  pour  obtenir  qu'on  fermât  les 
yeux  sur  ce  commerce  qui  continua  clandestinement  jusqu'en  1715  '. 

(1)  Lettres  du  consul  du  Caire,  2;  juilh't  )/oS,  9  Siplembre  ijoS.  AA.  }o.f. 

(2)  Voir  ;  iMtri's  du  consul  du  Caire,  1}  juin  I/12,  24  noi'enihre  iji S-  ■^''i,  S04. 

(3)  Voir  une  série  de  lettres  du  consul  du  Ciirc  de  1710  à  1715.  .'lA,  )04. 


LES   ÉCHELLES  :    COMMERCE   DE   L'ÉGYPTE 


4IS 


I 


Malgré  toutes  ces  diiHcuités  k-s  achats  de  café  étaient  tort  considt^- 
rablcs,  en  1714  et  en  1715  leur  valeur  s'éleva  pour  chaque  année  à 
près  de  3.500.000  livres.  Mats  ils  revenaient  à  un  prix  exorbitant  ; 
les  donatives  que  l'on  faisait  augmentaient  le  prix  de  une  et  même 
deux  piastres  par  quintal.  De  plus  il  flillait  passer  par  l'intermédiaire 
des  Turcs,  des  Juifs  et  des  Arabes  qui  faisaient  les  achats  et  les 
transports  de  Moka  au  Caire  par  Djedda  et  Suez  ;  or,  écrivait  le 
consul  du  Ciire,  «  les  vendeurs  se  sont  accoutumés  à  la  douce  habi- 
tude de  n'en  vendre  qu'A  ino  "/„  de  profit.  >•  Aussi  le  prix  du  café 
varia  en  ligypte,  entre  1 700  et  1 7  î  5 ,  de  20  à  40  sols  la  livre  ',  chiffre 
très  considérable  pour  l'époque.  C'est  autant  pour  échapper  à  ces 
coûteux  intermédiaires  que  pour  rendre  à  l'Egypte  et  enlever  aux 
Anglais  et  aux  Hollandais  le  commerce  des  Indes  que  l'on  avait  fait 
tant  d'efforts  sous  Louis  XIV,  pour  ouvrir  aux  vaisseaux  français  la 
K  navigation  de  la  mer  Houge. 

^      Au  début  du  xvMi'  siècle  les  Français  gardaient  en  lîgvpte  la  pré- 
pondérance qu'ils  avaient  eue  pendant  tout  le  xvji'  siècle  et  qu'ils 
I  avaient  réussi  ;\  transformer  en  un  véritable  monopole  de  1686  à 
1698.  Cependant  leur  commerce  n'y  était  pas  établi  avec  la  même 
sûreté  que  dans  les  autres  échelles.  La  grande  puissance  des  pachas, 
l'indiscipline  et  l'avidité  des  milices,  l'hostilité  de  la  population 
rendaient  leur  situation  toujours  précaire  et  exposaient  le  négoce  à 
de  grands  troubles.  De  plus  les  Anglais,  établis  de  nouveau  au 
Qiirc  en  corps  de  nation,   depuis  1698,    avaient    fait,    pendant  la 
guerre  de  succession,  les  plus  grands  efforts  pour  amoindrir  l'in- 
fluence  française,  et  menaçaient  les  marchands  français  en  1715 
«i'unc  redoutable  concurrence. 


t 


(il  Voir:  II,  1;.  —  20  sols  en  1 700^  40  sois  en  171U,  îo  iols  en  1714. 


CHAPITRE   IV 


LHS    LCHELLES    DU    LHVANT 


III.  —  Analolic,  Archipel,  Turquie  d'Europe,  Moréc. 

Smyrne  était,  dès  le  début  du  xvii"  siècle,  la  plus  grande  ville  et 
la  principale  place  de  commerce  de  l'Anatolie.  Sa  position  centrale, 
au  débouché  des  principales  vallées,  et  la  commodité  de  sa  rade  lui 
assuraient  déjà  le  premier  rang  dans  ce  pays,  mais  elle  était  loin 
d'avoir,  parmi  les  échelles  du  Levant,  l'importance  qu'elle  devait 
bientôt  acquérir.  Elle  n'était  encore  que  le  marché  des  produits  de 
l'Asie-Mineure  et  le  commerce  de  la  Perse,  qui  devait  plus  tard 
l'enrichir,  passait  en  entier  par  Alep.  Peu  ri  peu  elle  supplanta  cette 
échelle,  car  nulle  part  les  chrétiens  ne  jouissaient  d'une  aussi  grande 
sécurité  et  d'autant  de  fiicilités  pour  leur  commerce.  Ils  pouvaient 
aller  et  venir  librement,  sortir  de  la  ville  sans  aucune  escorte  de 
janissaires,  faire  des  parties  de  plaisir  et  de  chasse  à  la  campagne, 
s'y  promener  à  cheval,  ce  qu'ils  ne  pouvaient  foire  ailleurs,  sauf  à 
Constantinople  ;  A  l'époque  du  carnaval  ils  s'y  permettaient  même 
des  fiintaisies  qu'on  n'aurait  pas  tolérées  en  France. 

Le  développement  de  la  prospérité  de  Smyrne  ne  fut  entravé  que 
par  les  fréquents  tremblements  de  terre  auxquels  elle  était  exposée  ;  il 
ne  se  passait  presque  pas  d'année  qu'elle  n'en  ressentît  des  secousses 
plus  ou  moins  violentes,  et  la  ville  avait  été  plusieurs  fois  détruite 
et  rebâtie,  aussi  les  constructions  étaient-elles  basses  et  l'on  y 
employait  le  bois  et  la  terre  battue  au  lieu  de  pierre.  Ce  sont  sans 
doute  ces  désastres  répétés  qui  expliquent  que,  tandis  que  le  com- 
merce de  l'échelle  augmentait,  la  population  de  la  ville  diminuait  : 
évaluée  à  90.000  habitants  vers  1650,  elle  ne  s'élevait  pas  i  60.000 
en  1675.  En  1688  eut  lieu  le  plus  terrible  tremblement  de  terre 


LES   ECHELLES  :    SMYRNÈ 


4X7 


. 


qu'on  eût  encore  ressenti  et  la  ville  fut  à  peu  près  entièrement  ren- 
versée. On  la  reconstruisit  rapidement  en  prenant  encore  plus  de 
précautions  qu'auparavant.  «  Les  nuisons,  écrit  le  voyageur  Lucas 
en  17 15,  ne  sont  de  pierre  que  depuis  les  fondements  jusqu'à  la 
hauteur  de  dix  ou  quinze  pieds.  Le  reste  est  de  pièces  de  bois  entre- 
lacées dont  les  intervalles  sont  remplis  de  terre  cuite  et  enduits  de 
chaux.  La  précaution  a  été  bonne  car  quoi  qu'il  soit  survenu  depuis 
des  tremblements  même  plus  violents,  il  y  a  eu  peu  de  maisons 
renversées.  »  En  1700,  la  ville  n'avait  encore  que  30.000  habitants 
environ,  mais  en  1715  elle  en  comptait  plus  de  100.000'. 

La  plus  belle  rue  de  la  ville  était  la  rue  des  Francs,  qui  longeait 
toute  la  Marine  ;  les  marchands  avaient  loué  A  très  long  terme  tout 
le  terrain  qui  s'étendait  le  long  de  la  rade  et  s'étaient  construit  leurs 
liahitations  à  leur  guise.  «  Leurs  maisons,  écrit  le  voyageur  Lucas, 
sont  très  belles  et  très  commodes,  elles  ont  des  galeries  construites 
de  bois  pour  s'y  réfugier  dans  les  tremblements  de  terre.  »  Les  façades 
regardaient  du  côté  de  la  ville,  mais  toutes  ces  maisons  avaient  des 
portes  de  derrière  donnant  sur  la  marine,  qui  leur  servaient  à  intro- 
duire furtivement  des  marchandises  dans  leurs  magasins  pendant  la 
nuit,  pour  échapper  au  paiement  des  droits  de  douane.  Ces  portes 
donnaient  sur  une  sorte  de  quai  de  largeur  irréguliére,  construit  par 
les  marchands  eux-mêmes  et  soutenus  par  des  pilotis  ou  des 
murailles.  Le  terrain  en  avait  été  formé  peu  A  peu  par  le  sable  et  le 
gravier  du  lest  que  les  vaisseaux  français  apportaient  en  quantité, 
chargés  qu'ils  étaient  de  piastres  au  lieu  de  marchandises*.  «  Les 
Turcs,  rapporte  Tournefort,  paraissent  rarement  dans  la  rue  des 
Francs  qui  est  de  toute  la  longueur  de  la  ville.  II  semble  quand  on 
est  dans  cette  rue  que  l'on  soit  en  pleine  chrétienté  ;  on  n'y  parle 
qu'Italien,  l-rançais,  Anglais,  Hollandais.  Tout  le  monde  se  découvre 
en  se  saluant  ;  on  y  voit  des  capucins,  des  jésuites,  des  récollets.  La 
langue  provençale  y  brille  sur  toutes  les  autres  parce  qu'il  y  a  beau- 

(1)  Qti.int  i  \.^  composiiion  Je  la  popuLitioii  elle  varia  suivant  les  cpo<]Ucs  : 
Elle  comprenait  60.000  Turcs,  ij.ooo  Grecs  ;  8.000  Arméniens  et  6  ou  7.000 
Juif»  d'après  Tavernier  (i6.|0).  —  60.000  Turci,  7  ou  8.000  Juifs  et  plus  de 
JO.tXV»  autres  personnes  d'après  d'Arvicux  tcn  165. |).  —  30.000  Turcs,  12  ou 
«5- 000  Juifs  et  9  ou  10. ot»  Grecs  d'après  Spon  (en  1675.  —  18.000  Turcs, 
JO.ooo  Grecs,  18.000  Juifs,  200  .Arméniens,  autant  de  Francs  d'après  Tournefort 
(en  17021.  —  20.000  Grecs,  8.(xx)  .\nnéniens  et  70.000  Turcs  d'après  Lucas 
(en  1715). 

(2)  Par  endroits  ce  quai  n'existait  pas,  «  l.\  nier  venait  battre  jusqu'au  derrière  des 
tnaisuns  et  les  bateaux  entraient  pour  ainsi  dire  dans  les  magasins.  »  ToeRXEtORT. 


41 8  TABLEAU    DU   COMMERCE 

coup  plus  de  provençaux  que  d'autres  nations....  On  n'y  garde  pas 
assez  de  mesures  avec  les  Mahomctans,  car  les  cabarets  y  sont  ouverts 
à  toutes  les  heures  du  jour  et  de  la  nuit.  On  y  joue,  on  y  Élit  bonne 
chère,  on  y  danse  à  la  française,  à  la  grecque  à  la  turque*.  » 

A  l'une  des  extrémités  de  la  rue  des  Francs  était  le  port  dont 
l'entrée  était  défendue  par  un  vieux  château,  mais  il  était  réservé  aux 
galères  du  G.  S.  et  aux  bâtiments  turcs,  leur  négligence  le  laissa 
d'ailleurs  ensabler  peu  à  peu  dans  le  courant  du  xvii'  siècle.  Les 
Vaisseaux  des  Francs  mouillaient  dans  h.  rade  *  très  sûre  de  Smyrne, 
assez  profonde  pour  que  les  bâtiments  pussent  approcher  de  très 
près  du  quai  ou  des  maisons  de  la  marine^  ce  qui  facilitait  les  opéra- 
tions des  chargements  et  des  déchargements. 

Les  Français,  bien  avant  1650,  dépassaient  en  nombre,  à  Smyrne, 
les  autres  nations,  mais  ils  étaient  loin  de  faire  un  aussi  grand 
commerce.  Plus  tard  la  situation  changea^  :  la  nation  française 
devint  moins  nombreuse  mais  son  commerce  ne  fit  qu'augmenter  et 
finit  par  rivaliser  avec  celui  des  Anglais  et  des  Hollandais.  «  Elle 
était  composée  en  1702,  dit  le  naturaliste  Tournefort,  d'environ 
trente  marchands  bien  établis  sans  compter  plusieurs  autres  Français 
qui  y  faisaient  un  commerce  moins  considérable.  La  nation  anglaise 
y  était  moins  considérable  et  leur  négoce  était  florissant.  Li  nation 
hollandaise  n'était  composée  que  de  dix-huit  ou  vingt  marchands 
bien  établis  et  fort  estimés;  il  n'y  avait  que  deux  Génois  qui 
négociaient  sous  la  bannière  de  France.  Il  y  résidait  un  consul  de 
Venise  quoiqu'il  n'y  eût  aucun  marchand  de  cette  nation;  c'était  le 
signer  Lupazzolo,  vénérable  vieillard  de  118  ans*.  »  Smyrne  resta 
cependant  l'échelle  où  les  Français  venaient  résider  en  plus  grand 
nombre:  il  en  arriva  313  de  Marseille  entre  1685  et  1719;  c'était 
presque  le  quart  du  nombre  total  des  marchands  qui  partirent  pour 
s'établir  dans  le  Levant.  Leur  commerce  y  fut  aussi  plus  important 

(1)  Tournefort,  i.  I,  p.  197.  —  (lin  1702). 

(2)  Jusque  vers  1650  la  rade  ne  lut  défendue  par  aucune  fortification;  mais 
pendant  la  guerre  contre  les  Vénitiens,  les  Turcs  construisirent  à  l'entrée  un 
ciiâtcau  dont  les  batteries  rasaient  l'eau.  A  partir  de  ce  moment  les  vaisseaux  de 
guerre  qui  escortaient  les  vaisseaux  anglais  et  hollandais  mouillèrent  en  dehors 
de  la  rade,  dans  le  golfe  do  Smyrne. 

(3)  Cependant  le  Hollandais  de  Bruyn  écrit  encore  vers  1680:  Les  Hollan- 
dais et  les  Anglais  sont  à  peu  prés  en  nombre  égal  à  Smyrne.  —  Les  Français 
sont  en  plus  grand  nombre  mais  ne  font  p.is  à  beaucoup  près  un  si  grand  com- 
merce vu  qu'il  y  a  parmi  eux  beaucoup  d'artisans  et  telles  autres  sortes  de  gens. 

(4)  Tournefort,  t.  II,  p.  197. 


LES   ÉCHELLES  :    SMYRNK 


4«9 


que  dans  aucune  autre  échelle,  puisque  leurs  achats  do  1671  ;i 
1714  s'y  (ilcvcreut  presque  i  la  somme  de  90.000.000  de  livres. 
Les  exportations  réunies  de  toutes  les  échelles  de  Syrie  pendant 
cette  même  période  n'atteignirent  pas  cette  valeur,  seule  l'échelle  du 
Caire  rivalisait  d'importance  avec  celle  de  Smyrnc, 

Sniyrne  était  le  débouché  de  l'Asie  mineure,  mais  surtout  de  la 
Perse.  Les  caravanes  de  la  Perse  commençaient  à  arriver  en  janvier, 
c'étaient  celles  qui  apportaient  les  soies  fines,  d'autres  arrivaient 
jusqu'en  automne,  mais  les  plus  nombreuses  étaient  attendues  en 
février,  en  juin  et  en  octobre  ;  passé  ce  temps,  on  cessait  d'en  voir 
jusqu'au  mois  de  janvier  suivant'.  Leur  route  ordinaire  pass-iit  par 
Kachan,  Koum,  Téhéran,  Kazvin,  Tauris,  Erivan,  Kars,  Erzeroum, 
Tokat,  Angora,  Karahissar  ;  elles  se  formaient  à  Ispahan,  centre  du 
commerce  de  toute  la  Perse,  et  s'}  arrêtaient  au  retour;  leur  voyage 
durait  d'ordinaire  environ  sept  mois.  Tout  le  long  de  leur  chemin 
elles  trouvaient  de  beaux  caravansérails  dus,  sur  le  territoire  turc,  à 
la  piété  de  riches  musulmans,  en  Perse,  à  la  sage  politique  des 
souverains.  C'était  sur  cette  route  que  voyagaient  les  plus  belles 
caravanes  :  elles  comptaient  d'ordinaire  600  ;\  800  hommes  A  cheval 
et  un  nombre  plus  considérable  de  chameaux  chargés  de  marchan- 
dises. Les  frais  dont  celles-ci  étaient  grevées,  quand  elles  arrivaient 
à  Smyrne,  étaient  énormes  :  chaque  charge  de  chameau  payait 
seulement  40  piastres  de  transport,  mais  elle  acquittait,  en  divers 
endroits  de  la  route,  122  piastres  de  droits  et  l'entrée  .\  Smyrne 
coûtait  encore  46  piastres.  Aussi  n'est-il  pas  étonnant  que  la  plupart 
des  marchandises  de  la  Perse  prissent  alors  le  chemin  de  Bender 
Abb-Ts,  malgré  l'énonne  détour  que  faisaient  les  vaisseaux  européens 
pour  y  parvenir. 

Les  marchands  des  échelles  ne  faisaient  pas  eux-mêmes  directe- 
ment le  commerce  avec  la  Perse;  il  y  avait  bien  des  facteurs  fran- 
çais, anglais,  hollandais,  établis  à  Lspahan,  mais  c'étiit  pour  le 
compte  des  Compagnies  des  Indes.  Si  l'on  voyait  des  Européens  dans 
les  caravanes  qui  allaient  en  Perse,  c'étaient  des  joailliers,  des  horK' 
gcrs,  des  artisans  divers,  ou  des  curieux;  mais  tout  le  commerce 
passait  par  l'intermédiaire  des  Arméniens,  qui  remplissaient  le  même 


(1)  Parfait  Kègoiianl,  p.  410.  —  Twernjer;  de  Bru^-N.  p.  28.  —  Toumcforl 
csi  en  coQtradictiou  .ivit:  tou<  les  lutres  jutcun  quand  il  Jit  cpjc  lc$  caravanes 
ne  wCsscnt  d'arriver  dcpui;»  b  Ttiussaiut  juitqu'cii  mart. 


420  TABLEAU   DU   COMMERCE 

rôle  àAlcp  et  à  Constantinople.  Ce  petit  peuple,  retombé  depuis 
longtemps  dans  l'obscurité  d'où  il  était  sorti  un  moment  pendant 
l'époque  romaine,  prit  une  importance  toute  nouvelle  au  xvii* 
siècle  ;  les  Arméniens  devinrent  les  courtiers  de  tout  le  commerce 
de  l'Asie  Occidentale  avec  l'Europe.  Ce  fut,  paraît-il,  le  grand  Schah 
Abbas  qui  leur  révéla  leur  vocation  de  marchands  et  commença  leur 
prospérité  en  fondant  près  d'Ispahan  le  faubourg  de  Julfa  qu'il 
peupla  d'Arméniens. 

«  Comme  il  n'avait  d'autres  vues  que  d'enrichir  ses  états  et  qu'il 
était  convaincu  qu'il  ne  pouvait  le  faire  que  par  le  commerce, 
rapporte  le  naturaliste  Tournefort,  il  jeta  les  yeux  sur  la  soie 
comme  la  marchandise  la  plus  précieuse,  et  sur  les  Arméniens, 
comme  gens  les  plus  propres  pour  les  débiter.  La  frugalité  des  Armé- 
niens, leur  économie,  leur  bonne  foi^  leur  vigueur  pour  entre- 
prendre et  pour  soutenir  de  grands  voyages  lui  parurent  des  talents 
propres  pour  ses  desseins.  La  religion  chrétienne  qui  leur  facilitait  la 
communication  avec  toutes  les  nations  de  l'Europe  lui  parut  encore 
une  disposition  assez  fiivorable  pour  parvenir  i  ses  fins.  En  un  mot, 
de  laboureurs  qu'étaient  les  Arméniens,  il  en  fit  des  marchands  et 
ces  marchands  sont  devenus  les  plus  célèbres  commerçants  de  la 
terre....  Le  roi  ne  s'en  mêla  plus,  les  bourgeois  de  Jul&,  parle 
moyen  de  leurs  procureurs  ou  agents,  soutiennent  ce  grand 
commerce....  Ces  procureurs  sont  des  Arméniens  qui  se  chargent 
moyennant  un  certain  profit  d'accompagner  les  marchandises  en 
car.iv.inc  et  de  les  débiter  au  plus  grand  avantage  de  ceux  qui  les 
leur  confient....  Soit  qu'ils  travaillent  pour  eux  ou  pour  les  mar- 
chands de  Julfi,  ils  sont  infatigables  dans  leurs  voyages  et  mépri- 
sent les  rigueurs  dos  saisons....  Quand  ils  séjournent  dans  les  villes 
ils  se  mettent  par  chambrées  et  vivent  à  peu  de  frais.  Ils  ne  vont 
jamais  sans  filets;  ils  pèchent  sur  les  routes  et  ils  nous  ont  £ui 
manger  souvent  d'excellents  poissons....  En  Asie,  ils  débitent  la 
quincaillerie  de  Wnise.  de  France,  d'Allemagne  :  les  petits  miroirs, 
les  bagues,  les  colliers,  les  émaux,  les  petits  couteaux,  les  ciseaux,  les  ^ 
cpingle-i,  les  éguilles,  sont  plus  recherchées  dans  les  villages  que  L^^ 

bonne  monnaie Non  seulement  ils  sont  les  maîtres  du  commerc».c:^ 

dit  l.cv.îîu.  mais  ils  o:u  boaucoijp  de  part  à  celui  des  plus  grand^=~.j. 
villes  J'iùiropo.  On  les  voit  venir  du  fond  de  la    Perse   jusqi»  ^ 
Llvoiirne.  Combien  en  trouvc-t-on  en  Hollande  et  en  Angleterrr. 


LES   ECHELLES  :    SMYRN'E  42 1 

Il  n'y  a  pas  longtemps  qu'ils  étaient  établis  à  Marseille'.  »  Au 
moment  où  ils  fondaient  leur  commerce,  les  Arméniens  vinrent  en 
effet  en  grand  nombre  ;\  Marseille  qui  était  alors,  au  début  du  règne 
de  Louis  XIII,  la  ville  la  plus  connue  dans  tout  le  Levant,  et  ils 
commencèrent  à  s'y  établir.  Mais  les  Marseillais,  inquiets  de  l'acti- 
vité de  ces  nouveaux  concurrents,  firent  interdire  aux  Arméniens 
d'apporter  leurs  soies  à  Marseille.  Ceux-ci  s'établirent  alors  à 
Livourne  qui  devint  le  grand  entrepôt  des  soies  dans  la  Méditer- 
ranée occidentale. 

C'était  en  effet  la  principale  marchandise  que  transportaient  les 
caravanes  de  la  Perse.  D'après  le  Parfait  négociant,  sur  22.000 
balles  de  soie  que  produisait  ce  pays,  il  en  venait  environ  3000  A 
Smyrne  vers  1670.  Chaque  balle  pesait  276  livres  et  il  en  follait  deux 
pour  faire  la  charge  d'un  chameau.  Les  achats  des  Français  étaient 
très  importants  à  la  fin  du  xvii'=  siècle;  en  1714,  ils  s'élevèrent 
exceptionnellement  à  près  de  i .  600 .  000  livres  *.  Les  caravanes 
de  la  Perse  apportaient  aussi  annuellement  400  à  500  balles  de 
poil  de  chameau  que  les  Francs  désignaient  sous  le  nom  de  poil 
de  chevron  ou  testi;  on  en  faisait  des  étamines,  des  droguets  et 
des  camelots.  On  recevait  encore  à  Smyrne  deux  cents  balles 
environ  de  toiles  indiennes  peintes,  mais  les  Français  n'en  achetaient 
pas  car  l'importation  en  était  prohibée  à  la  fin  du  xv!!"-'  siècle. 
Enfin,  toute  une  série  de  drogues,  200  balles  de  galbanum,  100 
balles  desemencine,  de  la  rhubarbe  et  beaucoup  d'autres  en  moindre 
quantité,  complétaient  les  chargements  des  caravanes  de  la  Perse. 

Les  hauts  plateaux  d'Asie  Mineure,  pays  de  pâturages  et  de  trou- 
peaux, fournissaient  à  Smyrne  des  quantités  considérables  de  poils 
de  chèvre  qui  constituaient  avec  la  soie  le  principal  article  de  son 
commerce.  La  plus  grande  quantité  de  ces  poils  et  les  plus  renommés 
pour  leur  finesse  venaient  d'Angora*  et  de  Beibazar  qui  n'en  était 
qu'à  une  journée.  Il  fallait  vingt  journées  de  caravane  ou  douze  de 
cheval  pour  aller  de  Smyrne  à  Angora,  mais  le  transport  ne  coûtait 
que  cinq  piastres  pour  deux  balles,  qui  en  valaient  plus  de  cinq  cents. 

(i)  TouRKEFORT,  t.  I ,  p.  158-159  :  «  Lcs  Ariuciiicns  sont  les  meilleures  gens 
du  monde,  honnûtes,  polis,  pleins  de  bon  sens  el  de  probité.  « 

(2)  Outre  les  soies  de  Perse,  on  achetait  à  Smyrne,  mais  en  petite  quantité,  des 
soies  de  l'Archipel  apportées  sur  leurs  barques  par  des  Grecs  de  Tino,  d'Andro, 
de  Naxo  et  d'autres  îles. 

(})  Dictiontiain  dit  coiiimerce,  cot.  1016.  —  //,  ij. 


422 


TAH-EAU   on   CX3MMERCE 


Au  milieu  du  xvii*  siècle  les  Français,  d'après  le  Parfait  négociant, 
achetaient  plus  de  500  balles  de  poils  de  chèvre,  les  Anglais  un  peu 
moins,  et  les  Hollandais  jusqu'à  1 500,  sans  compter  les  achats  de 
camelors  qui  se  Éibriquaient  à  Angora.  Ce  lut  un  des  commerces  que 
Colbert  et  Seignelay  se  préoccupèrent  le  plus  d'enlever  aux  Hollan* 
dais,  et,  des  fabriques  de  camelots  s'étant  établies  en  France,  les  achats 
des  Hollandais  diminuèrent  considérablement,  tandis  que  ceux  des 
Français  aufjmenuient  :  de  1700  i  171  >  leur  valeur  s'éleva  à  400.000 
ou  500.000  liNTCs  pour  les  poils  de  chè\TC,  à  100.000  ou  200.000 
pour  les  c;tmelots.  Les  Anglais  et  les  Hollandais  avaient  des  mar- 
chands qui  résidaient  i  Angora  pour  faire  leurs  achats  ;  les  Français 
en  eurent  aussi  quelquefois,  mais  le  plus  souvent  ils  les  faisaient 
faire  par  des  commissionnaires  du  pays,  ce  qui  diminuait  leurs  gains'. 
Les  caravanes  de  l'Asie  Mineure  apportaient  aussi  à  Sniyrne  des 
quantités  considérables  de  laines  ;  il  y  avait  des  années  où  les  achats 
des  Français  dépassaient  la  valeur  de  500.000  livres,  d'autres  années 
ils  n'atteignaient  guère  que  la  moitié  de  cette  somme. 

Les  fertiles  \'allées  qui  descendaient  du  plateau  d'Anatolie  vers 
l'Archipel  produisaient  surtout  le  coton.  La  récolte  en  était  si  consi- 
dérable qu'on  pouvait  en  enlever  tous  les  ans  jusqu'A  10.000  balles, 
quoiqu'il  s'en  consomm.it  autant  dans  les  manullictures  du  pavs. 
Cependant  les  Français  achetaient  beaucoup  moins  de  cotons  i 
Smyrne  qu'à  Seïde  ;  leur  trafic  ne  dépass^iit  pas,  dans  les  meilleures 
années,  350.000  li\Tes,  en  coton  blé  pour  la  plus  grande  partie.  Les 
toiles  de  coton,  dont  il  se  débit;iit  jusqu';!^  2.000  balles  par  an,  étaient 
vendues  en  grande  quantité  à  Marseille,  nuis  les  prohibitions  établies 
par  Seignelay  et  Pontchartrain  mirent  fin  à  ce  commerce.  La  cire, 
les  noix  de  galles  récoltées  aux  environs  de  Smyrne ,  mais  moins 
bonnes  qu'i  Alep,  les  cuirs  et  cordouans  ou  maroquins  du  Le\'ant. 
enfin  les  drogues,  comme  l'opium ,  cultivé  déj.H  i  cette  époque 
autour  d'Atioum  Karahissar,  la  scammonée  recueillie  plus  prés  de 
Smj-me,  le  storax,  la  gomme  adragante,  qui  venait  de  Dadalié.  â 
quinze  journées  de  l'échelle,  complétaient  l'ensemble  des  marchan- 
dises dont  le  commerce  avait  quelque  importance  ;\  Smyrne*. 

(t)  n  en  venait  aussi  beaucoup  dos  environs  de  Konieh. 

(2)  En  1700  (inniit:  moyenne)  ii\  vaisseaux  et  trois  barquesiranç.ii'yrscl'-itsJtwjj 
a  Smvrnc  pour  2.a^7.ocxJ  livres  de  man:lundi&es  (agari>:  325   !  :a, 

«mciats  d  Angora  108.2} î,  cotons  files   }i8,ix»,   en  libe  a;  .0, 

pcaus.  de  chagritis  }.4(»,  dcmittes  (toiles  de  coton)  &.000,  Al  de  wii..viv  ^i.éjo. 


I 


LES  àCHELLES  :    CHIO  433 

Le  consul  françnis  eut,  pendant  une  bonne  partie  du  xvii"  siècle» 
deux  vice-consuls  ;\  Echelle  neuve  et  h  Cliio.  Echelle  neuve  avait  un 
fort  bon  port,  mais  le  voisinage  de  Sm^'rne  ne  lui  permettait  que  de 
faire  un  trafic  local  peu  actif,  on  y  chargeait  cependant  des  cotons  en 
grande  quantité.  Mais  le  vice-consul  français  s'étant  entendu  avec  le 
gouverneur  de  la  ville  qui  abaissa  les  droits  d'entrée,  les  Français  se 
mirent  ;\  venir  décharger  leurs  vaisseaux  à  Echelle  neuve  et  à  dire 
transporter  leurs  marchandises  par  terre  à  Smyrne  ;  le  douanier  de 
Smyrnc  se  plaignit  ;\  la  Porte  de  ce  qu'on  le  frustrait  de  ses  droits  et 
l'échelle  fut  supprimée  vers  1650'. 

Chio  avait  une  tout  autre  importance  ;  la  richesse  de  son  sol,  sa 
nombreuse  population,  pouvaient  alimenter  un  grand  commerce. 
Sous  Henri  IV  et  au  début  du  régne  de  Louis  XIII  cette  ville  avait 
même  été  le  siège  principal  du  consulat,  qui  fut  transférée  Smyrnc* 
vers  1620.  Elle  ne  conserva  dés  lors  qu'un  vice-consul  choisi  par 
le  consul  de  Smyrnc  parmi  les  chrétiens  du  pays.  On  y  achetait  par 
an  plus  de  loo.ooo  écus  de  soies  filées,  des  cotons,  des  vins,  de  Li 
térébenthine,  enfin  le  fameux  mastic,  dont  les  officiers  du  G.  S. 
prélevaient  la  meilleure  part  pour  le  harem  de  Sa  Hautesse,  et  ne 
laissaient  que  le  rebut  aux  Européens.  Les  Anglais  jugeaient  ce  trafic 
assez  important  pour  entretenir  aussi  un  consul  ;\  Chio*. 

galles  î).o8i,  g.ilh;inuiu  5.972,  pomme  4.4011,  l.iine  de  chevron  ifxi.ooo,  Liines 
295.000,  moiicayars  ao.cxxi,  opium  600,  orpiment  800,  rhubarbe  56.259,  riz 
4.028,  soie  de  'l'ino  1.752,  de  Perse  590.000,  scmcncine  25.542,  storax  4^7, 
scimmnnée  7.038,  tapis  7.188). —  En  1714  (année  inaximum  )  quinze  vaisseaux  et 
trente-sept  barques  chargèrent  pour  4.  jéo.ooolivres  de  niarcliandises  (on  y  voit  figu- 
rer 50,7 50 livres decafé  venu  d  Ilg^pte.du  mastic  pour  41.000  livres).— Année  1710 
(minimum)  sept  vaisseaux,  une  barque  chargent  pour  707.000  livres  de  marchandises 
(dont  165.000  livres  de  blé,  41.000  d'huile).  —  Le  Parfait  nigocianl  cite  en  outre 
p-irmi  les  marchandises  de  Smvme,  l'avclanède  ou  coque  du  gland  dont  50.000 
quintaux  é-taient  vendus  en  Italie  pour  la  tannerie,  cl  l'alun.  —  Ces  deux  produits  ne 
figurent  pas  dans  les  statistiques  de  la  Chambre. 

(1)  Tavekvier,  p.  77.  —  Parfait  négociant,  p.  4}6. 

(2)  L'éclielle  portait  le  nom  Je  la  petite  ville  de  Foggie  (FokU)  l'ancienne 
Phocéc,  mais  le  consul  ne  semble  pas  y  avoir  faitiais  résidé.  Voici  comment  est 
désignée  cette  échelle  dans  les  lettres  patentes  accordées  à  Claude  Rigon  consul,  le 

19  janvier  1610  :  «  Henri  par  la  gnke  de  Dieu  etc donnons  et  octroyons 

l'omce  de  consul  en  l'Ile  de  Scio  ports  havres  et  échelles  Foggie  neuve  et  vcchie 
Ihisme  ou  passage  Smirne  Souvrassary  Avsole  Monemeu  Firia  les  lies  de  Metelin 
et  Tenedo  et  antres  lieux  de  la  Natolic  voisins  et  dépendants  de  ladite  échelle  de  le 
Foggie  vacant  parla  mort  de....  » —  Ce  consulat  est  désigné  de  la  même  façon  dans 
Jeux  listes  des  consulats  du  Levant  de  1619  qui  se  trouvaient  à  laBibl.  Kat.  mis. 
fr.  t6'j}S,fol.  toi  il  no.  —  Foggie  qui  donnait  son  nom  à  l'échelle  n'était  cepen- 
dant plus  connue  alors  que  comme  un  repaire  de  corsaires  où  les  barbaresqucs  se 
retiraient  souvent.  Flr»unel,  p.  108  (en  i6;o).  —  Du  Loir,  p.  11  (en  io}9). 

(})  S.^VARY.  Dict.  du  commerce,  col,  1020. 


424 


TABLEAU    DU   COMMERCE 


I 

I 

es  J 


Cette  ville  contenait,  en   1650,  environ  30.000  habitants,  dont 
15.000  Grecs,  8.000  Latins  et  6.000  Turcs.  Elle  devait  une  impor- 
tance particulière  à  sa  position  centrale  dans  l'Archipel  qui  en  faisait 
un  port  de  relâche  fréquenté  par  de  nombreux  navires  français  albni 
soit  i  Smyme,  soit  à  Constantinople,  ou  même  ;\  Saloniquc.  Les 
capitaines  venaient  y  chercher  des  renseignements  sur  la  situation 
des  échelles,  sur  les  corsaires,  sur  les  occasions  du  commerce,  et  le 
principal  soin  du  vice-consul  était  de  se  tenir  en  mesure  de  les  éclairer 
sur  tous  CCS  points  et  de  leur  transmettre  les  ordres  et  les  avis  que  h 
l'ambassadeur  lui  envoyait'.  Pour  la  même  raison,  le  port  de  Chio  V 
avait  une  grande  importance  militaire.  Souvent  les  corsaires  barba- 
rcsques  en  firent  leur  place  d'armes,  malgré  les  réclamations  des, 
ambassadeurs  et  c'est  ce  qui  occasionna  la  fameuse  canonnade  de 
Duqucsne  en  1681.  En  1694,  les  Vénitiens  s'en  emparèrent,  aprc 
un  siège  de  cinq  jours,  mais  les  Turcs  la  reprirent  aussi  fecileroent 
l'année  suivante;  cette  guerre  nuisit  ;\  son  commerce,  car  les  Turcs» 
auparavant  très  tolérants,  se  mirent  à  persécuter  les  luuins  jalouser 
par  les  Grecs  du  pays  ;  le  vice-consul  de  France,  chrétien  indigène 
fut  même  embarqué  honteusement, 

A  partir  de  ce  moment,  il  y  eut  un  vice-consul  français  nommé  p; 
le  roi,  mais  on  n'y  vit  qu'un  seul  marchand  français  jusqu'en  1715 
et  les  vaisseaux  français  n'allaient  pas  y  charger,  cat  le  mastic  et  1 
autres  produits  de  Tiie  étaient  portés  A  Smyme.  Chio    ne  gard; 
d'importance  que  comme  port  de  relâche;  dans  la  guerre  de  succc 
sion  d'Espagne,  son  port  rendit  de  grands  services,  surtout  pourl 
b.ltimcntsqui  chargeaient  du  blé  dans  l'Archipel  ;  ils  venaient  y  pren- 
dre des  inûirmations  sur  les  endroits  où  ils  pourraient  faire  leurs 
chargements.  «  J'ai  toujours  à  ma  disposition,  écrivait  le  consu 
une  troupe  de  Grecs,  qui  ont  correspondance  avec  les  pach.is  et  agi 
des  golfes  de  l'Archipel  m.iltrcs  du  commerce  du  blé.  S'il  y  avai^ 
quelques  capitaines  qui  n'eussent  pas  la  pratique  de  ces  endroits,  je 
leur  ferais  embarquer  de  ces  Grecs  pour  faciliter  les  chargcmenlsV 
Les  vaisseaux  venaient  aussi  ;\  Chio  se  menre  A  l'abri  des  corsai 
et  se  former  en  convois  pour  revenir  en  France.  •  La  quantité  de  nos 
bfltiments  passés  ici,  écrivait  ;\  la  même  époque  le  consul,  ont  mU 
la  disette  sur  l'île,  et  le  peuple  en  murmure*. 

(i)  I^ilre  (Iti  ï'ke-ccnsul  Arligut.  AA,  22t. 

(1)  tS  mai  f}0(f.  .4.4,  23}. 

(j)  Voir  Correspondance  des  vict-a>ntuh  de  Chio.  AA,  2ai-22S, 


iirs 

"1 


LES   ÉCHELLES  :    ILES  DE   l' ARCHIPEL  425 

Quant  aux  trois  autres  grandes  îles  qui  forment  avec  Cliio  comme 
le  prolongement  de  l'Asie  Mineure,  Metelin,  Samos  et  Rhodes,  elles 
ne  furent  à  aucun  moment  le  siège  d'une  échelle,  ni  le  séjour  de 
marchands  français.  Au  début  du  xvii*  siècle,  on  voyait  si  peu  sou- 
vent des  marchands  francs  à  Metelin  que  la  foule  s'amassait  autour 
des  voyageurs  que  leur  curiosité  y  amenait,  à  cause  du  spectacle 
inusité  de  leur  costume*.  Samos,  à  la  même  époque,  était  presque 
inhabitée  à  cause  de  la  terreur  qu'inspiraient  les  corsaires;  les  habi- 
tants par  précaution  s'enfuyaient  à  l'intérieur  des  terres,  à  l'approche 
d'un  navire*.  La  situation  de  ces  îles  changea  cependant  peu  à  peu  et 
à  la  fin  du  règne  de  Louis  XIV  elles  fiùsaient,  comme  les  autres  îles 
de  l'Archipel,  un  commerce  dont  l'importance  variait  beaucoup  sui- 
vant les  années,  en  huiles  et  en  blés.  D'après  \é  naturaliste  Tourne- 
fort,  on  chargeait,  par  année  ordinaire,  à  Samos,  vers  l'an  1700, 
trois  barques  de  blé  pour  la  France  et  une  barque  de  laine*.  A  Mete- 
lin, venaient  fréquemment  une  ou  deux  barques  de  Provence  par 
année,  et  deux  marchands  allèrent  même  y  résider  entre  1700 
et  17 1 5  *.  L'île  de  Rhodes,  autrefois  l'un  des  remparts  de  la  chrétienté, 
était  devenue  le  refuge  des  corsaires  dans  la  Méditerranée  orien- 
tale; c'était  dans  son  port,  que  les  Barbaresques  et  les  corsaires  turcs 
se  donnaient  rendez-vous;  ceux-ci  venaient  y  céder  aux  premiers  à 
bas  prix  les  prises  qu'ils  ne  pouvaient  vendre  dans  les  ports  du  Grand 
Seigneur  à  cause  des  Capitulations. 

Aucune  des  îles  de  l'Archipel  ne  forma  d'échelle  pendant  le 
xvn*  siècle;  des  barques  françaises  venaient  y  faire  leurs  chargements, 
mais  aucun  marchand  français  n'y  faisait  résidence,  sauf  de  rares 
exceptions'*.  Cependant,  la  plupart  avaient  un  consul  de  la  nation 
française;  c'étaient  des  habitants  de  ces  îles.  Latins  ou  Grecs,  appar- 
tenant toujours  aux  meilleures  fiimilles,  qui  recherchaient  ce  titre 
comme  un  honneur  et   aussi  comme  une  sauvegarde    contre   la 


(i)  La  Boullaye  Le  Gouz,  p   22. 

(2)  En  1700  encore,  les  parngcs  des  «  Boglias  »  de  Samos  c'taicnt  redoutés  â 
cause  des  bandits  qui  les  infestaient.  — Tocrnefort,  p.  155. 

(3)  Ch.ique  barque  contient  huit  ou  neuf  cents  mesures  faisant  60.000  ou 
67.500  livres  pesant,  car  chaque  mesure  est  deys  livres.  La  mesure  s'appelle  un 
quilot.  TouRNEFORT,  p.  158. 

(4)  BB,  6. 

(j)  Ainsi,  en  1675,  le  Hollandais  Spon  rencontre  un  Français  qui  s'est  établi  au 
Tinc  et  qui  tâche  de  s'y  faire  créer  consul  de  la  nation.  —  p.  169. 


4^6  TABLEAU   DU   COMMERCE 

tyrannie  des  cadis  turcs'.  Souvent  la  fonction  se  transmettait  dans 
la  même  famille,  comme  ;\  Naxo,  où,  pendant  tout  le  xvn"'  siècle, 
elle  appartint  aux  Coroncllo*,  Presque  tous  tenaient  leur  litre  de 
l'ambassadeur  deConstantinoplc,  quelques  uns  seulement,  comme  i 
Naxo  et  à  Milo»  recevaient  des  lettres  patentes  du  roi,  d'autres  pre-| 
naicnt  le  titre  de  consul,  sans  avoir  reçu  aucune  commission. 
En  1700,  Tournefort  vit  il  Patmos  un  Grec  qui  exerçait  ainsi  Icsj 
fonctions  de  consul  de  France.  «  Il  nous  assura,  dit-il,  que  c'était 
pour  rendre  service  A  la  nation  que  depuis  trois  générations,  de  père' 
en  tils,  ils  avaient  pris  cette  qualité  sur  un  ancien  parchemin  qui 
leur  fut  expédié  du  temps  d'un  roi  de  France  dont  il  ne  savait  pas  Ici 
nom  et  que  nous  jupcâmes  ^tre  Henri  IV.  Ce  parchemin  se  trouva] 
égaré  quand  nous  le  priâmes  de  nous  le  fliire  voir.  Ce  consul  est  bon 
iiomme  à  qui  s'adressent  tous  les  étrangers,  et  qui,  en  cas  de  besoin,  ■ 
se  dirait  consul  de  tous  les  étrangers  qui  abordent  en  cette  île'.  «  ■ 
Les  fonctions  de  ces  consuls  étaient  peu  compliquées  :  ils  facili-  " 
taient  les  charocments  des  rares  barques  qui  fréquentaient  IcurSj 
îles,  donnaient  des  renseignements  aux  bâtiments  qui  y  relâchaient, 
hébcrgaient  chez  eux  les  étrangers,  fliisaient  quelques  présents  auxj 
cadis  et,  en  retour,  percevaient  suivant  l'usage  un  droit  d'ancrage 
de  cinq  piastres  par  vaisseau  que,  bien  souvent,  les  patrons  refusaient 
de  leur  payer,  ne  redoutant  pas  d'y  être  contraints  ;  leur  charge  éuiti 
d'un  maigre  profit.  «  C'est  un  consulat  qui  ne  fournit  point  pour  la 
nourriture  seulement  d'un  valet,  écrit  le  consul  de  Milo,  et  la, 
plupart  s'en  vont  insolemment  sans  me  payer.  »  Coronello  de  Naxo, 
adressiiit  les  mêmes  plaintes  à  la  Chambre  :  «  Je  suis  obligé  de 
faire  des  présents  au  c.ipitan  pacha,  quand  il  vient  dans  les  îles,  .m 

bey  et  A  d'autres  Turcs  qui  out  autorité  dans  l'île Je  ne  Êiis  p.nsj 

de  difficulté  de  dépenser  du  mien,  mais,  si  j'avais  quelque  secours, 
cela  m'aiderait  beaucoup  pour  soutenir  mon  rang  avec  distinction... 
Je  ne  demande  que  150  piastres  et  j'entretiendrai  là  dessus  un 
janissaire  pour  relever  le  consulat',  n  Jusque  vers  1670  les  îles  de 
l'Archipel  furent  alfreusement  désolées  par  les  cors;iircs  chrétinjs] 
et  en  particulier  parles  Français,  ce  qui  ne  fit  qu'augmenter  la  haintj 

(i)  C'est  pourquoi  on  voyait  dans  certaines  de  ces  lies  des  consuls  anglais  cti 
hollandais,  bien  que  ces  nations  n'y  fissent  à  peu  prOs  aucun  commerce. 
(z)  Ijelire du  cotisiil  Coronello,  $  février  :6<}9.  AA,2g8. 
(%)  ToURNEFOiO',  t.  I,  p.  169. 
(4)  t6  fèi:  16^4.  AA,  242;  i  fh<.  if>i)g.  AA,  2ç8. 


LES  ÉCHELLES  :    ILES   DE   l'aRCMIPEL 


427 


que  nourrissaient  dqà  pour  les  Latins,  les  Grecs  qui  formnient  l;i 
majorité  de  I.i  population.  Celle-ci  accablée  en  outre  sous  la  tyrannie 
des  officiers  Turcs,  parfois  les  seuls  de  leur  nation  dans  l'île,  ne 
cultivait  la  terre  que  pour  ne  pas  mourir  de  fliim  et  vivait  trOs 
mis<irablemcnt.  La  situation  des  insulaires  s'était  aggravée  pendant 
la  guerre  de  Candie  où  certains  corsaires  français,  encouragés  par 
la  présence  dans  l'Archipel  des  (lottes  vénitiennes,  se  rendirent 
légendaires  parles  exploits  et  les  ravages  qu'ils  y  accomplirent. 

A  la  suite  des  capitulations  de  1673,  Louis  XIV  interdit  aux 
corsaires  français  de  paraître  dans  les  mers  du  Levant,  beaucoup 
cependant  continuèrent  pendant  longtemps,  sous  pavillon  maltais,  A 
désoler  l'Archipel,  et  Tournefort  pouvait  encore  écrire  en  1700  : 
•  Il  est  si  dangereux  de  passer  de  Candie  aux  îles  de  l'Archipel,  sur 
des  bâtiments  du  pays,  que  nous  n'osâmes  pas  l'entreprendre  '.  »> 
Quelques  barques  provençales  vinrent  alors  chaque  année  faire  leur 
chargement,  en  passant  d'île  en  île,  mais  ce  commerce  était  encore 
très  peu  considérable'.  Ce  ne  fut  que  quand  la  paix  de  Qrlowitz 
eût  rétabli  définitivement  la  paix  entre  les  Turcs  et  les  Vénitiens  et 
ramené  plus  de  sécurité  dans  l'Arcliipel  que  la  culture  et  par  suite  le 
trafic,  prirent  une  importance  entièrement  inconnue  auparavant. 
L'Archipel  devint  pour  les  français  un  grand  marché  d'huiles  et  de 
blés,  dont  les  achats  variaient  considérablement  d'une  année  i  l'autre, 
suivant  l'abondance  des  récoltes.  Pendant  la  guerre  de  la  succession 
d'Espagne,  la  disette  dont  souffrirent  la  France  et  l'Espagne  donnèrent 
au  trafic  des  blés  une  activité  extraordinaire.  La  Porte,  après  avoir 
accordé  aux  ambassadeurs  de  France  l'autorisation  d'exporter  des 
blés  de  la  Turquie,  fut  effrayée  de  la  quantité  qu'ils  enlevaient  et, 
craignant  que  la  disette  ne  succédât  à  l'abondance,  elle  renouvela  les 
dépenses  d'embarquer  des  blés  pour  la  chrétienté,  mais  ce  fut  en 
vain.  En  Turquie  on  accommodait  tout  avec  de  l'argent  et,  avec  ta 
connivence  des  officiers  turcs,  on  continua  partout  de  charger  les 

(l)   ToURNnFORT,  t.  I,  p.   5). 

(j)  D'après  les  registres  du  cottimo,  trois  barques  reviennent  de  Milo  en  1669, 
trois  en  1673,  un  vaisseau  en  1676,  une  barque  en  1678,  une  barque  en  1679, 
plusieurs  en  1680,  deux  en  1681,  deux  en  1686.  etc.  —  Des  autres  îles  il  revient 
lieux  barques  en  1672,  un  vaisseau  en  1674,  trois  barques  en  1679,  un  vaisseau 
en  1(180.  une  barque  en  1682,  etc.  —  De  Tino.  une  barque  en  1680.  —  Il  est 
\Tai  que,  le  blé  ne  payant  pas  le  cottimo,  les  bâtiments  chargés  de  blés  ne  figu- 
rent pas  dans  ces  tableaux. —  Quatre  Franyiis  vont  s'établir  dans  l'-Vrclupel  entre 
1685  et  1700,  dont  deux  à  Milo.  —  La  résidence  des  deux  autres  n'est  pas  indi- 
quée. —  M,  4. 


28 


TABLEAU  DU  COMMERCE 


blés,  parfois  ouvertement,  souvent  pendant  h  nuit  ou  dans  des  anses 
rc'tiréesJu  rivage.  De  1700  .\  lyiy.  1215  barques  franaiiscs  revin- 
rent des  lies  de  l'Archipel  et  plusieurs  centaines  avaient  ctc  prises 
cependant  par  les  corsaires  ennemis.  Les  chargements  qu'elles  rap- 
portèrent valaient  20.000.000  de  livres  environ,  les  blés  en  formaient 
plus  des  2/3,  parfois  plus  des  3/4,  et  les  huiles  à  peu  près  tout  le 
reste  :  en  17 10,  l'année  où  ce  commerce  atteignit  le  chiffre  le  plus 
élevé  sur  une  valeur  totale  de  2.779.000  livres,  celle  des  blés  et  d<a 
huiles  fut  de  2.  [44,000  et  620.000  livres*. 

Toutes  les  Iles  prenaient  part  .\  ce  commerce,  suivant  leur  gran- 
deur et  leur  fertilité,  et  la  plupart  avaient  des  ports  suffisants  pour 
que  les  barques  de  l'époque  pussent  y  charger.  Paros  passait  pour 
avoir  l'un  des  plus  beaux,  il  servait  à  la  fois  pour  le  trafic  de  Tile  et 
pour  celui  de  Naxo,  la  plus  grande  des  Cyclades,  dont  le  port  êuit 
mauvais,  c'est  pourquoi  le  consul  de  Xaxo  y  entretenait  un  vice- 
consul  *.  La  beauté  des  ports  de  Nio  y  attiraitsouvent  des  bàtimaits; 
celui  de  Myconos,  très  sûr  et  placé  sur  la  route  de  Constantinople 
et  de  Smyrne,  servait  souvent  de  refuge,  pendant  les  tempêtes 
dangereuses  de  l'hiver.  Mais  l'île  qui  avait  le  plus  d'importance 
pour  les  Hninçais  était  Milo;  elle  était  bien  habitée,  bien  cultivée  et 
comptait  parmi  celles  qui  fournissaient  les  meilleurs  chargements; 
surtout,  son  port  était  l'un  des  meilleurs  de  l'Archipel  et  servait 
de  relAche  A  la  plupart  des  bâtiments  qui  allaient  à  Smyrne  et  A 
Constantinople  ou  en  revenaient  ;  elle  jouait  alors  le  rôle  qu'a  pris 
aujourd'hui  l'île  encore  plus  petite  de  Syra. 

Deux  des  Cyclades  Myconos  et  Tino  restaient  encore  aux  \  eni- 
tiens  à  la  fin  du  xvir  siècle  ;  Tino,  qui  avait  du  à  cette  circonstance 
d'être  épargné  par  les  corsaires  chrétiens,  était  la  mieux  cultivée  des 
Cyclades  et  c'était  la  seule  qui,  en  dehors  des  blés  et  des  huiles, 
fournissait  des  soies  en  quantité  considérable  ;  les  habiunts  allaient 
souvent  les  porter  eux-mêmes  à  Smyrne  pour  les  vendre  aux  Fran- 
çais. Ces  soies  de  l'Archipel  étaient  très  fines  et  convenaient  parti- 


(Il  En  1700  (année  tnininaum),  onze  vaisseaux  et  ircntc-scpt  l'arques  cmptir- 
lèrent  de  l'Arirhipcl  pour  476.000  livres  Je  marcliaiidlses  (blé  2;i.olx>,  cire  1881, 
cotons  filés  684.  éponges  1065,  fromages  14.400,  liuilc  i>o.O(x>.  Uinc  ~f>]i, 
peau  d'agneau  283},  riz  5019.  solo  de  Tino  s8.66o,  suif  221.  savon  j2o.  toile» 
de  coton  22î5).  —  En  1710  (année  maximum)  figurent  les  niCraes  marchandii», 

-  //.  n. 

(l)  lyttrf  du  i  fh:  1699.  AA,  2^S, 


rf^ 


I 


LES  ÉCHELLES  :    CANDIE  429 

culicrctîieiit  pour  faire  des  fils  et  des  rubnns'.  Le  commerce  de 
l'Archiprl  avait  pris  une  lelle  importance  que  la  Chambre  du  com- 
merce de  Marseille  décida,  en  171 5,  d'établir  des  consuls  français 
dans  un  certain  nombre  d'ites  de  l'Archipel.  En  ctfct  un  intéressant 
mémoire  sur  le  commerce  français  du  Levant,  adressé  en  1727  par  It- 
marquis  de  Bonnac,  ancien  ambassadeur,  au  contrôleur  général 
Le  Pelletier,  indique  dans  la  liste  des  échelles  treize  consuls  français, 
dont  trois  seulement  il  est  vrai,  nommés  par  le  roi,  parmi  les  vingt- 
ct-un  consuls  des  iles  de  l'Archipel  ^ 

Sous  la  domination  vénitienne  la  grande  île  de  Candie  laisaît 
au  début  du  xvii''  siècle  un  grand  trafic  «  de  blé,  d'huile  d'olive, 
de  toutes  sortes  de  légumes,  de  fromages,  cire,  cotons,  soies, 
cuirs,  et  particulièrement  de  Malvoisie,  qui  était  son  principal 
négoce*.  »  Li  longue  guerre,  dans  laquelle  les  Turcs  et  les  Vénitiens 
se  disputèrent  sa  possession,  la  dépeupla,  ruina  ses  cultures  et 
interrompit  entièrement  son  commerce.  Quand  l'île  fut  aux  mains 
des  Turcs  il  y  eut  un  consul  français  et  la  n.-iiion  s'y  organisa  comme 
dans  les  autres  échelles.  Le  consul  résidait  A  Li  Canée,  bien  que  la 
ville  la  plus  grande  de  l'ile  et  la  résidence  du  pacha  fût  Candie,  mais 
celle-ci,  depuis  son  fameux  siège,  n'était  plus  que  la  «  carc;isse  d'une 
grande  ville  »  et  son  enceinte  était  occupée  en  partie  par  de  misé- 
rables masures.  La  Canée  était  devenue  le  centre  de  presque  tout  le 
commerce  de  l'île  et  c'était  dans  son  port  que  chargeaient  presque 
tous  les  bâtiments  français'.  Ce  port,  fort  exposé  a  la  tramontane, 
manquait  de  sûreté,  mais  il  pouvait  recevoir  toutes  sortes  de  navires, 
undisque  celui  de  Candie  n'avait  assez  de  profondeur  que  pour  des 

(1)  Une  lettre  du  consul  de  Tino  cite  uu.-ttre  marchands  français  qui  y  résident 
pour  acheter  les  soies,  30  juillet  i(k)ij.  .4 A,  }oo.  Voir  au  sujet  des  iles  de  l'Ar- 
chipel ;  Tavernier,  312-515,  et  surtout  Tournefout  qui  décrit  en  1700  la  plupart 
des  Cyclades,  t.  I.  p.  55-140.  —  Corresp.  Conitil.  île  Milûcl  l'Argcntièrt.  AA,  342. 
(dix  lettres);  de  Naxos,  A  A,  2^S  (trois  lettres);  it  Myanos,  AA,  25)9  (une  lettre 
insignifinntc)  ;  de  Titio.  A  A,  jno. 

(2)  Les  trois  consuls  français  cjui  avaient  des  lettres  patentes  du  roi  étaient  ceux 
de  Cliio,  Naxos,  Milo.  —  Les  dix  autres  avaient  reçu  leurs  commissions  de  l'ani- 
bjsSâdeur  :  c'était  ceux  de  Uhodcs,  Santorin,  Nio,  Sira,  Siffanto,  Scopolv,  Metelin, 
Samos,  Xégrcpont,  StJiichio.  —  Les  consuls  indigènes  étaient  ceux  de  Zia, 
Myconos,  .Athènes,  .'Vniipnros,  .^ndros,  Paros,  Terniia,  Largeniiére  ;  seuls  ceux 
d'.Athènes  tt  de  .Mvconos,  avaient  été  nommés  par  lettres  patentes  du  roi.  —  Arch, 
Xal.  F'»,  rt./s. 

(})  Tavf.kniek,  p.  510. 

(4)  La  Canée  est  habitée  p.tr  1.500  Turcs  environ,  2.000  Grecs,  50  Juifs,  —  \ 
Cindie  il  va  iUx)  Grecs  environ,  i  .o<x>  Juifs,  200  Arméniens.  Tous  les  autres 
habitants  sont  Turcs  enrôlés  dans  les  troupes  suis-antcs  .,—  Tournefort,  p.  8,16. 


430  TABLI-AU   DU   COMMERCE 

kirques  ;  il  est  vrai  qu'il  venait  beaucoup  plus  de  barques  rrnnçaûesj 
que  de  vaisseaux  pour  charger  dans  l'île.  La  nation  française  de  Lil 
Canée  comptait  vers  1700  dix  à  douze  marclunds,  celle  de  Candie] 
trois  ou  quatre  familles'.  Un  Français  remplissait  à  Candie  les  fonc- 
tions de  vice-consul,  un  Grec  du  pays  en  était  chargé  A  Rctlnio,  le] 
troisième  port  de  l'ile,  qui  ne  recevait  que  très  irrégulièrement  la] 
visite  de  quelques  barques  françaises.  Les  Vénitiens  avaient  conservé] 
deux  ports,  La  Sude  et  Espinelongue  (Spinalonga),  de  temps  eti 
temps  on  voyait  une  barque  française  prendre  son  chargement  il 
Espinelongue,  la  Sude  servait  assez  souvent  de  port  de  reliche. 

Après  la  guerre  de  Candie,  le  commerce  des  Français  dans  l'ilc  fut 
d'abord  fort  médiocre,  deux  ou  trois  barques  par  an  y  sutlîsaient, 
mais  il  s'accrut  peu  X  peu  de  1670  à  1685  et  quinze  à  trente  bar- 
ques vinrent  chaque  année  chercher  des  marchandises  A  la  Canécct 
A  Candie.  La  guerre  qui  éclata  de  nouveau  entre  les  Vénitiens  et 
les  Turcs  en  1684  vint  arrêter  cet  essor,  et,  pendant  dix  ans  surtout, 
de  1689  A  1697,  le  trafic  fut  presque  entièrement  suspendu*,  mai 
après  la  paix  de  Carlowit>:(i699)  il  prit  une  activité  qu'il  n'avait 
jamais  eue  :  cinquante-neuf  barques  et  six  vaisseaux  français  entrè- 
rent en  1700  dans  les  ports  de  La  Canée,  Candie  et  Retiûîo. 

Le   commerce  de  l'échelle  de  Oindie  ne  ressemblait  à  celui 
d'aucune  autre,  il  était  alimenté  A  peu  près  entièrement  par  ur 
seul  produit,  l'huile  d'olive  que  les  Marseillais  et  les  Toulonnais 
employaient  à  la  confection  de  leurs  savons.  En  1715,  sur  une  valeur 
totile  de  1.307.000  livres  qu'atteignirent  les  achats  des  Français,! 
l'huile   figurait  pour  1.304.000.   D'autres    fois,  cependant,   on  yj 
achetait  des  quantités  assez  importantes  de  blé,  de  fromages  et  de  cire.  [ 
Aussi  le  négoce  de  Candie  était-il  soumis  à  des  Buctuations  beau- 
coup plus  grandes  que  celui  de  toute  autre  échelle,  car  il  dépendait 
entièrement  de  l'-ibondance  de  la  récolte  des  olives  en  Provence  eti 
dans  l'île;  tandis  que  ses  ports  reçurent  en  1700  soixante-cinq  bûti- 
ments  franç;iis,  ils  n'en  virent  que  deux  en  1708.  De  1700  à.  1715] 
les  achats  des  Franç.ais  atteignirent  7.121.000  livres',  chiffre  moins 

(1)  Vingt-deux  résidents  s'établirent  àCindic  de  1685  à  17x9,  qumnxe^eflxl 
U  Canée.  —  HB,  4,  /,  6. 

(2)  En  169)  it  vint  une  b.irquc  française  ;  aucune  ne  eh;trgca  i  Candie  en  16 
et  1695  ;  une  seule  fit  ce  voyage  en  1696  et  en  1697.  (D'après   les  registres 
recette  du  cottimo.  CC,  2}  A  miv.). 

n)  En  1700  six  vaisseaux   et  cinquantcncuf  b.-uques  fransttlses  cniportcat 


LES  ÉCHELLES  :   CANDIE,  CONSTANTINOPLE 

élevé  que  celui  des  exportations  des  îles  de  l'Archipel  pendant 
la  même  période,  mais  ce  trafic  répondait  :\  des  besoins  permanents 
des  marchands  français,  tandis  que  la  disette  des  blés  en  France 
pendant  la  guerre  de  succession  n'avait  donné  au  commerce  de 
l'Archipel  qu'une  importance  momentanée  :  en  réalité,  l'échelle  Je 
Candie  prenait  rang  immédiatement  après  les  cinq  grandes  échelles. 

Constantinople  semblait  designée,  au  xvii«  siècle  comme  aujour- 
d'hui, par  sa  position  et  sa  population  considérable,  pour  taire  un 
grand  commerce.  Elle  était  avec  Paris  et  Londres  la  vilL-  la  plus 
grande  de  l'Europe'  et  le  débouché  naturel  de-  deux  régions  lertilcs 
et  bien  cultivées  :  d'un  côté  les  plaines  de  la  Roumélie  actuelle, 
dont  les  voyageurs  qui  venaient  de  Vienne  admiraient,  au  sortir  des 
terres  dévastées  de  la  Hongrie  et  des  montagnes  sauvages  de  la 
Serbie,  les  riches  villages  et  les  belles  cultures;  de  l'autre,  les  vallées 
du  nord-ouest  de  l'AnatoIie.  Ici  la  riche  ville  de  Brousse  était  le  lieu 
de  formation  des  caravanes  qui  partaient  pour  l'intérieur  de  l'Asie- 
Mineure  et  même,  cinq  ou  six  fois  par  an,  pour  la  Perse*.  Enfin, 
comme  la  mer  Noire  était  fermée  par  les  Turcs  aux  navires  euro- 
péens, Constantinople  était  l'entrepôt  général  où  les  bâtiments 
grecs  et  turcs  venaient  décliarger  les  marchandises  des  pays  qui 
entouraient  ce  vaste  bassin  ;  particulièrement  les  fourrures  de 
Moscovie,  la  boutargue,  le  caviar  et  autres  produits  des  pêcheries  de 
la  mer  d'Azov,  les  bois  de  construction  des  forêts  de  l'AnatoIie  du 
Nord. 

Cependant,  malgré  tous  ces  avantages,  Constantinople,  pendant 
une  grande  partie  du  xvii'  siècle,  fut  de  beaucoup  ta  moins  impor- 
tante des  cinq  grandes  échelles  et  le  commerce  français  ne  lit  qu'y 
végéter  jusque  vers  1685.  C'est  qu'il  était  exposé,  beaucoup  plus 
qu'ailleurs,   aux  vexations  :    au    lieu   d'un  pacha  et  de  quelques 


Candie  des  chargements  valant  1.330.000  livr.  —  (blé  43.750,  cire  3^.527,  ci(ù 
540,  fromages  37)H8,  casse  525,  huile  1.078. 000,  laine  2.768,  pois  1.400,  riz 
34.870,  soie6.786,selarmoniac  1,080).  —  Exportations  en  171 5  (année  maximum), 
1.307.000  ii%'res  (huile  1.504.400,  cire  2.700),  —  en  1708  (année  minimum), 
78.2CX)  livr.  (huile). 

(1)  Tqlrnefort,  t.  I,  p.  179  et  i8i. 

{2)  Tavemier  dit  qu'elles  p.irtaicnt  de  lA  et  Qu'il  en  partait  très  rarement  de 
Constantinople.  —  «  Celte  ville  (Prousin)  est  u'un  jjrand  abord  et  de  grand 
trafic,  toutes  les  caravanes  qui  vieiinein  de  Smvrnc,  d'ÀIep  et  la  plupart  de  celles 

3 ui  viennent  de  Perse  à  Constantinople  passent  par  U On  y  jwrte  beaucoup 
e  draps  d'Angleterre  et  on  y  fait  beaucoup  de  soie,  Us  plaines  îtant  couvertes  de 
mûriers.  »  Wiieleh,  p.  188' 


432 


TABLEAU   DU   COMMERCE 


officiers  subalternes  comme  dans  les  autres  échelles,  c'était  tout  lu- 
divan  du  Grand  Seigneur  qu'il  fallait  satisfaire  et  les  hauts  ofTicicrs 
de  1.1  milice,  dont  les  exigences  se  mesuraient  A  l'imporunce.  La 
mauvaise  conduite  des  ambassadeurs  qui  spéculaient  sur  cette 
situation  pour  pressurer  eux-mômes  le  commerce  contribuait  à 
accabler  la  nation  de  Constantinople  d'impositions  plus  lourdes  que 
partout  ailleurs.  Quand  la  réconciliation  fut  complète  entre  la 
France  et  les  Turcs  et  qu'il  fm  définitivement  interdit  aux  ambassa- 
deurs Je  foire  des  levées  d'argent  sur  les  vaisseaux,  sous  aucun 
prétexte,  le  commerce  de  l'échelle  entra  dans  une  voie  prospère, 
sans  toutefois  approcher  de  celui  du  Caire  ou  de  Smyrnc. 

Ce  qui  le  distinguait  de  celui  de  toutes  les  autres  échelles,  c'était 
que  les  Français,  les  Anglais  et  les  Hollandais  y  apportaient  beau- 
coup plus  de  marchandises  qu'ils  n'en  retiraient.  Constantinople 
était  surtout  le  grand  marché  de  leurs  draps  ;  outre  ceux  que  les 
vaisseaux  des  Francs  y  déchargeaient,  une  partie  de  ceux  qui  étaient 
débarqués  à  Smyrne  étaient  ensuite  transportés  à  Constantinople 
par  les  caravanes  très  fréquentes  entre  les  deux  villes.  Li  cour  nom- 
breuse du  sultan,  la  milice,  l'aristocratie  turque  ou  grecque  qui 
peuplait  Constantinople  et  la  riche  ville  d'Andrinople,  la  seconde  de 
l'empire,  consommaient  nécessairement  des  quantités  considérables 
non  seulement  de  draps  mais  d'étoffes  précieuses  de  toutes  sones, 
tissus  de  soies,  d'argent  et  d'or  fabriqués  surtout  en  France  et  en 
Italie',  ainsi  qu'une  foule  d'autres  marchandises.  Aussi  tandis  que 
dans  les  autres  échelles  les  marchands  français  étaient  obliges 
d'envoyer  beaucoup  d'argent  pour  pouvoir  payer  leurs  achats,  i 
Constantinople  ils  .avaient  toujours  des  sommes  considérabks  à 
recouvrer  et,  pour  établir  la  balance  de  leur  commerce,  ils  (;its.ticnt 
tirer  des  lettres  de  change  sur  cette  ville,  par  leurs  correspondants 
de  Smyrne  ou  d'Alep. 

On  achetait  surtout  à  Constantinople  des  laines,  des  cuirs  de 
de  diverses  sortes,  de  la  cire,  et  parfois  des  quantités  considérable 


(i)  «  Les  principales  sont  les  satins  de  Florence,  les  tabis,  les  dani.is.uuniv  Je 
Venise  h  fleurs  d'or  et  d'argent  ei  les  velours  de  Gènes  à  fleurs.  Qu  ? 

ces  dtotres  conservent  le  nom  de   leur  ancienne  fabrique,  beaucoup 
sont    de  Lyon,  de  Tours,  d'Amsterdam  et  de  Londres  qu'on  vend  dus  ;  • 
turcs  et  aux  marchands  .irmèniens   pour  vrais   Venise  ou  vrais  Gènes..  ..  ■    . 

des  brocards  d'or  et  d'argent  à  fleurs  qu'il  se  vend  davantage mais  sculeiiu'u: 

de  ceux  faits  exprés  sur  des  patrons  propivs  à  cette  lîchellc l't^cLil  ei  le  " 

niarclié  surtout  plaisent  aux  Turcs.  »  S.w.vuv.  Dùl.  col.  1021-1024. 


LtS    ECHELLES  :    CONSl'ANTrNOPLH 


43^ 


Je  poils  de  chèvre  d'Angora,  de  toiles,  de  colons  ;  quant  aux  soies 
elles  n'y  arrivaient  qu'en  trùs  petites  quantités.  De  1671  i  17I4  la 
valeur  des  chargements  apportés  de  Constantinople  par  les  vaisseaux 
français  s'éleva  à  plus  de  3 1  millions  de  livres'.  Par  l'importance  de 
de  ses  exportations  l'échelle  de  Consiantinople  avait  donc  dépassé 
celle  d'Alep,  et  par  l'ensemble  de  son  négoce  elle  venait  même  avant 
l'échelle  de  Seïde  où  les  Français  n'écoulaient  qu'une  très  petite 
quantité  de  marchandises  et  ne  portaient  guère  que  de  l'argent; 
seules  Smyrne  et  le  Caire  tenaient  une  place  plus  considérable  dans 
le  commerce  français  du  Levant. 

La  nation  française  y  était  nombreuse  à  la  fin  du  xvii"  siècle  et 
175  résidents  vinrent  s'y  établir  de  168 j  ;î  1719.  Les  marchands 
étrangers  vivaient  à  Galata  au  milieu  des  juifs,  des  Grecs,  des  Armé- 
niens et  même  des  Turcs  qui  peuplaient  ce  fliubourg,  et  A  Pera,  où 
s'élevaient  les  palais  des  divers  ambassadeurs.  «  On  goûte  dans 
Galata,  écrit  Tournefort  en  1700,  une  espèce  de  liberté  qui  ne  se 
trouve  guère  ailleurs  dans  l'empire  Ottoman.  Galata  est  comme  une 
ville  chrétienne  au  milieu  de  la  Turquie,  où  les  cabarets  sont  permis 
et  où  les  Turcs  viennent  boire  du  vin  :  il  y  a  des  auberges  à  Galata 
pour  les  Francs,  on  y  fait  bonne  chère.  »  La  nation  de  Constanti- 
nople  n'.ivait  p.is  de  consul  ',  l'ambassadeur  de  France,  qui  en  rem- 
plissait les  fonctions',  h.ibitaii  A  Pera  le  plus  beau  des  palais  des 
ambassadeurs  chrétiens,  vaste  b.\timent  construit  lorsque  de  Brèves 


(1)  Rn  1700  (année  moyenne)  cinq  vaisseaux  et  quatre  barques  chargèrent  pour 
9($.000  livres  de  marclundiscs  (ag.tric  158,  cire  J35.0OO,  bourres  de  soie  S.976, 
chajt-rins  46.000,  coton  en  laine  4  7J9,  file  969,  crin  788,  camelots  96},  cuirs 
198.700,  étûlTcs  de  Perse  4.6CK),  tiis  de  chèvre  J.948,  laine  de  chevron  5.901 
laines  556.000,  toiles  4.500,  opoponax  iSo,  scammonée  60.000,  soie  4.200.) 
—  En  1714  (.innée  maximum)  les  exportations  s'élevèrent  S  2.596.000  livres 
(dont:  alun  54.000,  bois  de  buis  25.000,  coton  J  14.000,  cire  182.000,  cuirs 
185.000,  tils  de  chèvre  810.000,  laines  816.000,  laine  de  chevron  27.000,  soies 
125.000,  toiles  indiennes  et  autres  184.000,  etc.)  —  En  1710  (année  mininium), 
les  exportations  tombèrent  à  25J.000  livres.  —  D'après  Pouqiieville,  les  chiffres 
du  commerce  de  rêchelle  de  Constantinople  éuient  les  suivants  :  Français, 
1,519.000  livres.  —  Anglais,  4.1S4  000.  —  Hollandais,  3,697.000.  —  Vénitiens, 
246.000.  —  Livournais,  898.(.k;io.  —  (Page  61  de  son  mémoire).  —  Mais  il  n'in- 
dique pas  où  il  a  trouvé  ces  cliitTrcs. 

(2)  C'est  ce  qui  avait  servi  de  prétexte  à  la  création  d'un  office  spécial  d'.igent 
(lu  commerce  a  Constantinople  en  faveur  d'un  des  frères  Fabre,  en  1686  ;  cette 
agence  fut  supprimée  en  1690  sur  les  vives  instances  de  la  Chambre,  et,  dès  lors, 
l'ambassadeur  tit  élire  régullèrenient  deux  députés  tous  les  ans  par  la  nation, 
comme  faisaient  les  autres  consuls.  (V.  lettre  des  dffmlrs,  ^octobre,  ;6yo.  A  A,  tùS), 

(5)  Dans  la  liste  des  consulats  remise  ;\  M.  de  Césy  lors  de  son  départ  pour 
Constantinople  en  1619,  l'ambassadeur  est  considéré  comme  titulaire  de  celui  de 

28 


434  TABLEAU    DU   COMMERCE 

ctiit  ambassadeur,  par  ordre  d'Henri  IV,  entièrement  réparé  sous 
Louis  Xni  par  M.  de  Marcheville,  et  successivement  embelli  par  ses 
successeurs,  surtout  par  M.  de  Nointel.  Les  réparations  y  étaient 
fréquentes  car,  comme  toutes  les  maisons  de  Constantinople,  il 
était  construit  en  mauvais  matériaux  et  les  dépenses  qu'elles  néces- 
sitaient, supportées  par  le  commerce,  furent  souvent  un  objet  de 
contestations  entre  la  Chambre  et  les  ambassadeurs.  Ceux-ci,  par 
tradition,  et  pour  faire  honneur  à  leur  roi,  y  entretenaient  un  grand 
train  de  maison  *,  aussi  avec  les  dépenses  qu'ils  étaient  obligés  de 
faire  à  la  Porte  en  toutes  sortes  d'occasions,  il  n'était  pas  étonnant 
qu'ils  fussent  souvent  à  court  d'argent. 

Il  n'y  avait  pas  d'échelle  secondaire  dépendant  de  Constantinople. 
Gallipoli  avait  eu  un  consul  français  sous  Louis  XIII,  mais,  bien  que 
la  ville  fût  grande,  aucun  bâtiment  n'y  chargea  plus  sous  Louis  XIV 
et  le  consulat  fut  aboli  en  1689*.  Ce  port  n'avait  guère  d'autre 
importance  pour  les  Francs  que  de  permettre  de  faire  relâche,  quand 
les  vents  contraires  ou  la  bonace  empêchaient  les  bâtiments  de 
remonter  le  courant  du  détroit.  Tous  les  bâtiments  francs,  au  retour 
de  Constantinople,  devaient  s'arrêter  aux  vieux  châteaux  des  Darda- 
nelles *,  pour  y  être  visités  par  les  Turcs,  qui  s'assuraient  surtout 
s'ils  ne  faisaient  pas  évader  d'esclaves  des  galères  du  Grand  Seigneur; 
sous  Louis  Xin  ils  devaient  y  attendre  trois  jours  afin  qu'on  eût  le 
temps  d'apprendre  de  Constantinople  s'il  y  avait  eu  des  fuites 
d'esclaves.  Aussi  les  diverses  nations  entretenaient  aux  Dardanelles 
un  vice-consul,  généralement  indigène;  cependant,  un  Français  en 
remplit  la  charge  â  partir  de  la  fin  du  xvir  siècle;  son  office  consis- 
tait surtout  â  remettre  aux  capitaines  des  vaisseaux  marchands,  qui 
attendaient  aux  Dardanelles  l'autorisation  de  partir,  les  dépêches 

Constantinople,  avec  la  faculté,  comme  pour  les  autres  propriétaires  de  consulats 
d'alors,  de  commettre  quelqu'un  ;\  sa  place  pour  le  remplir.  Ce  consulat  est  ainsi 
désigné:  «  Constantinople,  Bursia,  Rodosto,  Sinope,  'l'rébisonde,  Kafla  et  autres 
pays  et  lieux  situés  tant  au  long  des  côtes  de  la  mer  Noire  que  d'un  et  d'autre 
Côté  de  la  mer  depuis  Constantinople  jusques  aux  châteaux  de  l'Hellespont.»  Bibl. 
Nat.  Mss.fr.  i6y}S,  fol.  loi. 

(i)  Tournelbrt  admire  beaucoup  le  luxe  de  l'ambassadeur  de  France,  t.  I,  p.  182. 

(2)  PiKiRO  DiXLA  Vai-LE,  p.  17.  —  La  Bolllayi;  li;  (Jouz,  p.  24  :  «  Il  y  a 
une  échelle  dont  le  sieur  de  la  Forest  angevin  est  consul.  »  —  Spds,  p.  ji  i ,  parle 
d'un  consul  vénitien.  —  Abolition  du  consulat  :  Lettre  du  ii  juillet  lOSi).  BB,  28. 

(5)  Les  voyageurs  du  xvii^-  siècle  les  appellent  souvent  châteaux  de  Sestos  et 
d'Abydos  ;  ifs  étaient  cependant  assez  éloignés  de  l'emplacement  de  ces  deux 
anciennes  villes.  —  A  l'entrée  du  détroit,  pendant  la  guerre  de  Candie,  les  Turcs 
lirent  construire  deux  autres  forteresses  qu'on  appelait  les  nouveaux  châteaux. 


LES   tCHELLES  :    DARDANELLES,  SALONlliCE 


435 


que  l'ambassadeur  envoyait  à  la  dur  et  qu'il  expédiait  aux 
Dardanelles  par  des  barques  rapides'.  Quant  A  Andrinople, 
malgré  l'importance  de  sa  popuLition  et  les  séjours  de  plus  en  plus 
fréquents  qu'y  lU  la  cour  du  sultan  dans  la  deuxième  moitié  du 
xvii%  les  nations  franques  n'y  établirent  pas  d'échelle,  un  seul  mar- 
chand français  alla  y  résider  dans  toute  la  période  qui  s'étend  entre 
i68)  et  17 19. 

Depuis  les  Dardanelles  jusqu'à  Athènes,  les  Français  n'eurent 
pendant  longtemps  aucun  établissement;  ils  ne  diisaient  aucun 
commerce  sur  toutes  les  côtes  de  la  Roumélie  et  de  la  Macédoine 
dont  quelques  marchandises  seulement  leur  étaient  apportées  à 
Smyrne  par  les  barques  grecques.  «  De  tout  temps,  cependant, 
disait  la  Chambre  dans  un  mémoire  en  1685,  on  est  allé  clurger  du 
blé  dans  les  ports  déserts  du  golfe  de  Tcssalonic.  Il  est  vrai  que,  c'a 
toujours  été  en  se  tenant  un  peu  au  large,  attendu  qu'il  est  défendu 
en  ces  pays  là  d'en  sortir  les  denrées,  ainsi  que  dans  tout  le  reste  du 
Levant,  mais  cette  difficulté  n\i  jamais  empêché  les  sujets  du  roi  d'y 
négocier  comme  ils  ont  fait,  en  metunt  un  matelot  i  terre,  qui 
convient  du  prix  du  blé,  dont  on  ne  fait  le  paiement  qu'après  qu'il  est 
entièrement  chargé  dans  le  bAtiment  *.  h  L'échelle  de  Saloniquc, 
créée  en  1685,  malgré  la  Chambre  qui  n'en  voyait  pas  l'utilité',  resta 
quinze  ans  sans  aucun  marchand,  mais  trente-un  résidents  vinrent 
s'y  établir  entre  1700  et  1719.  On  ne  voit  pas  bien,  pourtant,  com- 
ment le  maigre  commerce  qu'ils  faisaient  pouvait  les  foire  vivre.  Les 
deux  premiers  marchands  de  l'échelle  avaient  ,issez  heureusement 
débuté,  en  1700,  en  achetant  pour  338,000  livres  de  blés  et  de 
laines,  mais  ce  chiffre  d'aftaires  ne  fit  que  décroître  les  années 
suivantes  pour  tomber  au-dessous  de  50.000  livres  par  an,  de  1709 
à  1712.  Li  peste,  qui  sévit  cruellement  cette  année-là,  enleva  6000 
habitants  de  Salonique  et  cinq  marchands  ou  protégés  français,  et 
força  la  mtion  à  se  tenir  enfermée,  sembla  vouloir  consommer  la 
ruine  de  réchelle.  Cependant,  en  17 14,  les  achats  des  Français 
atteignirent  634.000  livres  en  laines  et  en  cotons.  Ce  relèvement 
devait  être  durable  et  le  x^^^*  siècle  ouvrit  pour  Salonique  une  ère 

(1)  Du  LoiK,  p.  209.  Un  janissaire  fjit  ïa  aiTaircs  des  Français  à  Abvdos.  — 
PlhTKO  UEXJ.A  Vaixe,  p.  17.  —  .-tA,  ijô.  Cûrrufoiidaiu:'  dts  vLt-iMsiiU  jraniais. 
—  QjiJranie-six  kUrw,  de  169}  i  1785. 

(2)  t^  octobre  1685.  BB,  4.  fol.  rj2. 
(î)  V.  p.  2U. 


4^6  Tableau  du  commerce 

de  prospérité  qui  récompensa  les  efforts  faits  par  les  Français  pour  y 
établir  leur  commerce  '. 

Ce  qui  nuisait  en  partie  i  son  développement,  c'est  que  les  capi- 
taines, au  lieu  d'aller  jusqu'au  fond  de  son  golfe  pour  faire  leurs 
chargements,  s'arrêtaient  dans  les  petits  ports  déserts  de  la  côte  de 
Macédoine,  où  ils  faisaient  directement  leurs  achats  aux  gens  du 
pays,  sans  avoir  à  payer  les  frais  des  intermédiaires  et  du  consulat.  Les 
marchands  de  Salonique  et  le  consul  s'en  plaignaient  en  1715  et 
celui-ci  établit  un  vice-consul  à  l'île  de  Skopelos  (une  des  Sporadcs) 
et  un  autre  au  Volou  (Volo)  et  à  Larse  (Larissa),  capitale  de  la 
Macédoine,  prétendant  que  toute  la  côte  était  de  sa  dépendance.  Les 
cipitaines  en  firent  leurs  doléances  à  la  Chambre,  mais  on  avait 
représenté  au  ministre  que  les  marchands,  par  ces  petits  ports, 
introduisaient  de  mauvais  draps  de  France,  et  qu'ils  faisaient  entrer 
des  espèces  malgré  les  règlements  ;  pour  empêcher  ce  trafic  illicite, 
la  Chambre  et  le  ministre  s'accordèrent  pour  établir  deux  consulats 
analogues  i  ceux  de  l'Archipel  aux  deux  extrémités  de  la  côte  de 
Macédoine  dont  un  à  Volo  *.  Ce  port,  débouché  des  riches  plaines 
de  la  Thessalie,  qui  prend  aujourd'hui  une  importance  croissante, 
commença  alors  à  sortir  de  son  obscurité. 

Au  moment  où  la  création  de  l'échelle  de  Salonique  semblait 
promettre  d'heureux  résultats,  le  marquis  de  Ferriol,  ambassadeur, 
eut  l'idée  d'en  créer  une  autre  ;\  la  Civajle  (Kavala)  au  milieu  de 
la  côte  de  Roumélie,  qu'on  appelait  encore  alors  la  Macédoine. 
«  La  Cavalle,  écrit  un  voyageur,  a  été  autrefois  une  grande  ville 
de  Macédoine  dans  une  assiette  qui  la  rendait  imprenable',  »  mais, 
vers  1715,  elle  était  à  peu  près  ruinée.  Le  premier  consul  qui  y  fut 
envoyé  écrivait  à  la  Chambre  en  annonçant  son  arrivée  :  «  Il  y  a  bien 
des  travaux  à  pouvoir  dresser  une  échelle  si  inconnue  pour  le  négoce 


II)  Q,U()ii]u'un  vaisseau  par  an  eût  sulîi  pour  porter  les  chargements  de  Salo- 
nique, 133  J-iAtiments  français  y  passèrent,  de  lyooà  171  j;  c'est  qu'ils  ne  venaient 
seulement  que  pour  commencer  leurs  chargements,  achevés  ensuite  dans  IWr- 
chipel  ou  en  Morée.  —  De  17CK)  ;i  1715.  les  Français  exportèrent  sur  ces  133  bâti- 
ments pour  2.776.(X)0  livres  de  marchandises.  —  (En  1700,  338.934  :  aiicots 
i-tl.  '■'le-  232.260,  cire  3.J 20,  coton  2270,  laine  88.565,  maroquins  159.  peaux 
d'agneaux  2)67,  peaux  de  lapins  225,  riz  272,  soie  i 9(K),  tabac  1080,  toiles  6cco 
—  r.n  1714,  654.755  :  blé  16.000,  coton  228.255,  laine  257.600,  toiles  36.000), 
II,  /;.  Voir  au  sujet  de  Salonique  la  correspondance  consulaire.  .■^.^,  ././;-./^. 

(2)  Dt'lil'i'iaticm  ,lu  1  j  imirs  ijij   W/>',  ^.  —  Ii'//'v  du  ]  avril  171  ).  BB,  S;. 

(5)  Luc.\s,  p.  50. 


LES   ÉCHELLES  :    LA    r.AVALLK,  VfeCîREPOS'T.  ATUfeSES  .j^J 

que  celle-ci,  où  il  ne  s'est  jamais  fait  aucun  commerce'.  »  Le  nou- 
vel c'tabli.sscment  rcnJit  cependant  des  services  et  les  bâtiments 
apprirent  le  chemin  de  la  Cavalle,  i;r.kc  à  la  disette  des  blés  en 
France,  puisque  d'après  un  état  dressé  par  le  consul  et  envoyé  .\  la 
Chambre,  du  25  mai  1703  au  i"  avril  1710,  cinquante-un  bâtiments, 
dont  un  certain  nombre  de  vaisseaux,  chargèrent  du  blé  A  la  Cavalle 
ou  A  ses  dépendances*. 

Tout  le  pays  au  sud  de  la  Macédoine  était  regardé  par  les  Pro- 
vençaux au  wii"^  siècle  comme  appartenant  a  la  Morée;  pour  eux 
Néijrcpont  et  Athènes  tiyuraicnt  parmi  les  ports  de  ce  pays.  Négrc- 
pont  comptait,  en  1675,  sept  à  huit  familles  de  Francs  et  une  maison 
de  Jésuites,  mais  il  n'y  avait  aucun  Français  et  ce  n'était  que  rare- 
ment que  des  barques  provençales  allaient  y  charger.  On  y  établit 
un  consul,  vers  1700,  qui,  lui-même,  créa  aussitôt  un  vice-consul  ^ 
Cliâteau-Rougc,  mais  la  nouvelle  échelle  ne  fut  guère  fréquentée 
et  le  consul  se  plaignait  i  la  Chambre,  en  1709,  de  sa  triste  situa- 
tion*. Le  voyageur  Tavernicr  donne  ;\  Athènes  près  de  22.000 
habitants  dont  1 5.oooGrecs,  5  ou  6.000  Latin.set  i.ooo Turcs*,  mais, 
vingt-cinq  ans  après,  le  Hollandais  Spon  dit  qu'elle  était  moitié 
moins  peuplée  que  Négrepont  et  qu'elle  ne  comptait  que  8  ;\ 
9.000  habitants.  Il  y  avait  alors  un  consul  français  et  les  Anglais 
avaient  profité  de  la  disgr.kc  de  l'un  d'eux  pour  en  faire  leur  consul. 
En  dehors  des  deux  consuls  on  n'y  voyait  d'autres  Francs  qu'un 
père  capucin,  un  arquebusier  fr.ançais  et  quelques  valets,  «  Il  y 
vient,  dit  Spon.  plusieurs  tartanes  de  Marseille  tous  les  ans  qui  y 
chargent  particulièrement  des  huiles  très  excellentes,'»    mais  le 


(1)  3t  janv.  tfot.  AA,  4sy  Fcrriol,  icnt  le  20  juin  1702.  «  Sur  les  pLiintcs 
que  vous  m'avcx  faites  du  consul  de  la  Cavale,  je  le  clungetai  pour  v  mctlre  le 
sieur  Bruni  qui  a  été  plus  de  dix  .in\  consul  a  Andros.  »  AA,  ijo.  En  elTet,  ce 
consulat  était  une  dépendance  de  l'échelle  de  Constantinoplc  et  de  l'amb-issadeur 
qui  y  jouait  le  rôle  de  consul. 

(2)  3  avril  17/1).  AA,  4U- 

(î)  j;  mari  tyo$.  A  A,  3ç6.  —  Lettre  dr  Fertiol,  10  avril  tyoï.  A  A,  lïo, 

(^)   TAVF.R>if(;R.   t.   I.  p.   }|6. 

i))  Il  énutnérc  toute  une  série  d'autre  marchandises  :  anis,  cumin,  laine,  Iro- 
•mages  de  brebis,  miel  e^celle^t,  cire  jaune,  cordouans,  autres  cuirs,  perconoki 
l'tgraine  pour  les  teiniufiers,  guitran  et  poix  résine,  quatre  ou  cinq  sortes  Je  soies, 
Sitvon.  la  velanède  qui  se  cueille  des  chênes  verts  d'Illeusis,  le  sel  qui  vient  du 
cabo  Gilûiiiie  (cap  Sutiium),  —  •  Les  Francs  n'ont  que  la  chapelle  des  capucin» 
qui  est  au  Taiiari  lou  Dimosihcnis.  Les  consuls  de  France  et  d';\ngleterrc  y  ont 
Jeux  prie  Dieu  égaux,  aussi  ont  ils  également  soin  de  l'entretien  de  la  mission.  » 
Spox,  t.  H,  p.  99-2JO. 


438  TABLEAU  DU  COMMERCE 

consul  dut  vanter  au  voyageur  l'importance  de  son  échelle,  car  ce 
n'était  même  pas  régulièrement  chaque  année  qu'une  barque 
française  venait  au  Port-Lion  (Pirce)  chercher  des  huiles.  En 
17 10,  le  consulat  n'était  plus  exercé  que  par  un  Grec  du  pays,  quoi- 
qu'il y  eût  alors  plusieurs  marchands  résidant  à  Athènes*. 

La  Morée  proprement  dite  ne  fut  d'abord  qu'une  dépendance  du 
consulat  de  Zante  créé  en  décembre  1610'.  Au  milieu  du  xvii' 
siècle,  il  y  avait  des  consuls  indigènes  â  Patras,  Coron,  Modon, 
Napoli  de  Romanie  (Nauplie)*  ;  vers  la  fin,  apparurent  dans  ces 
villes  des  consuls  français.  Napoli  de  Romanie  en  eut  un  à  partir  de 
1697,  grâce  à  l'initiative  du  consul  de  Milo  qui  demanda  cette  charge 
pour  un  de  ses  parents,  mais  le  succès  ne  fut  guère  heureux,  car 
pendant  la  guerre  de  succession  le  commerce  de  la  Morée  fut  encore 
inférieur  à  ce  qu'il  était  auparavant  *.  De  Napoli  de  Romanie  il 
fallait  aller  jusqu'à  Cerigo  pour  retrouver  un  port  fréquenté  par  les 
Français  ;  leurs  barques  y  prenaient  assez  rarement  des  marchandises, 
cela  suffisait  pour  qu'un  indigène  y  exerçât  les  fonctions  de  consul 
pour  la  nation  française.  Le  titre  s'en  transmettait  de  père  en  fils, 
mais,  en  1684,  le  titulaire  se  montrait  las  d'une  charge  qui  ne  lui 
rapportait  rien  :  «  Vous  savez,  écrivait-il  à  la  Chambre,  que  le  roi 
me  défend  expressément  d'exiger  aucun  consulat  des  bâtiments  qui 
ne  font  point  de  commerce.  Vous  n'ignorez  pas  qu'il  ne  s'en  fait 
aucun  ici.  On  dit  en  proverbe  :  qui  sert  l'autel  il  faut  qu'il  le 
nourrisse.  Ce  n'est  pas  que  je  ne  fasse  aucune  gloire  de  servir  la 


(i)  /;  ;■(//;/  ijio.  AA,  2ps- 

(2)  Mémoire  des  consulats.  Bihl.  Nal.  Mss.fr.  i6'/}S,fol.  iio-nj  :  «  Zante  en 
Grèce,  Pétrache  (Patras)  et  toute  la  Morée  auquel  n'avait  pas  encore  été  pourvu. 
Claude  Bazillc  de  Marseille  et  son  fils  a  la  survivance.  L'un  et  l'autre  ont  été 
pourvus  dudit  office  le  . .  décembre  16 10.  d 

(3)  Tavernier,  t.  I,  p.  517. 

(4)  Un  Français  vint  résider  à  Nauplie,  entre  1715  et  1719.  —  Litre  du  consul 
de  Naxie  j  fèv.  lôtfp.  AA,  29.Ç.  —  Comme  la  correspondance  des  consuls  de 
Nauplie  conser\'ée  aux  Archives  de  la  Chambre  {A A,  267)  ne  commence  qu'après 
1715,  M.  Teissier  dans  son  inventaire  dit  à  tort  qu'il  n'y  a  pas  eu  de  consul 
auparavant.  Deux  lettres  du  consul  Goujon  de  1697  et  1709  se  trouvent  même  aux 
Archives,  mêlées  à  celles  d'un  autre  consul  dans  la  liasse  AA,  26j.  —  A  la  Biblioth. 
Nat.  {Mss.fr.  lôjjS,  fol.  /j/)  se  trouve  un  curieux  mémoire  d'un  Français  qui 
demande  qu'on  le  nomme  consul  à  Naples  de  Romanie...  il  vante  la  très  grande 
richesse  de  la  .Morée.  —  Naples  en  est  le  seul  bon  port,  car  Modon  Coron  et 
Navarin  sont  exposés  à  la  tramontane  et  les  corsaires  anglais  v  viennent  vendre 
leurs  larcins...  Il  promet  de  rendre,  en  trois  années,  ce  consulat  autant  et  plus 
utile  que  celui  d'iîgypte.  »  (Hntre  1605  et  1610.) 


LK-S   ^irJlÈLLES   DE    MÙHi'.U 


439 


nncion  fran*;aisc,  mais  quitter  ses  affiiires  cl  faire  des  dépenses  sans 
en  avoir  aucune  sorte  de  hénclkc,  c'est  un  cas  bien  sensible'.» 

Coron,  le  port  le  plus  fréquenté  de  la  Moréc  du  Sud,  où  deux  ou 
trois  barques  françaises  allaient  presque  régulièrement  chaque  année 
prendre  leur  cliarj^ement,  ne  semble  pas  avoir  eu  de  consul  français 
avant  le  xvnr  siècle.  En  1717  U  en  vint  un,  qui  établit  aussitôt  un 
vice-consul  A  Modon,  où  de  temps  ;i  autre  on  voyait  une  barque 
française*.  Patras  était  avec  Coron  le  port  le  plus  commerçant  de  h 
Morée  ;  on  y  trouvait  dcj.\  des  raisins  secs,  mais  les  Français  en 
achetaient  peu  et  n'y  prenaient  guère  que  des  blés  et  des  huiles 
comme  dans  le  reste  de  la  Morée.  Cette  échelle  était  de  la  dépen- 
dance du  consulat  d'Athènes,  qui  y  entretenait  un  vice-consul 
français.  Celui-ci  avait  dans  son  ressort  tout  le  golfe  de  Lépantc 
dont  le  port  était  au  milieu  du  xvir  siècle  un  des  refuges  des 
corsaires  barbaresques,  si  bien  qu'on  le  surnommait  le  petit  Alger; 
un  Juif  V  exerçait  ;\  la  fois  le  vice-consulat  des  Français,  des  Véni- 
tiens et  des  Anglais.  On  faisait  dans  le  golfe  de  Lépante  des  achats 
de  cuirs,  huile,  tabac,  blé  ;  mais,  par  crainte  des  corsaires  Maltais,  il 
était  interdit  aux  vaisseaux  chrétiens  d'y  pénétrer  ;  ils  devaient 
s'arrêter  .\  Patras  et  n'envoyer  dans  le  golfe  que  des  embarcations*. 

Le  commerce  de  la  Morée  n'ét.iit  en  somme  que  d'une  impor- 
tance minime.  Le  pays  était  ruiné  par  les  longues  luttes  des  Véni- 
tiens et  des  Turcs  qui  s'en  disputaient  la  possession,  par  les  tyrannies 
de  ceux  qui  en  restaient  détinitivemcnt  les  maîtres,  par  les  brigan- 
dages des  Maïnotes.  De  plus,  les  Provençaux  trouvaient  avec  plus  de 
facilité  i\  Candie  et  dans  l'Archipel  les  cargaisons  qu'ils  auraient  pu 
prendre  en  Morce.  Le  tralîc  de  ce  pays  n'avait  fait  d'ailleurs  que 
décroître  pendant  le  xvii''  siècle,  à  la  suite  des  deux  guerres  de 
Venise  contre  les  Turcs  (1645-1669  et  1684-99).  Les  relations  des 


(1^  fO  juilkt  tôSjf.  A  A,  3g^. 

(2)  V.  Ci^rfjfifliiiiatuy  du  situr  MaHUl,  cmml   dt  Coron,  AA,  2.f6.  —  Tcissicr 

d.imi  îon  invciit.iirc  dit  i\  tort  que  M.  Maillet  p.iralt   .ivoir  ilù  le  preinicr  consul 

I  établi  en  Morce,   piiisip'il  y  .iv.iit  depuis  longtemps  des  consuls  indigènes  dans 

^SC4  ports,  et  un  consul  transais  ii  Napoli  de  Koum.ink  depuis  1697. —  Le  chevalier 

Roze  fut  vice-consul  à  Modon  1717-19. 

{^)  .SpoN,  t.  Il,  p.  24-44  :  ^^'llr:l-^■R,  p-  5«4-26  :  Il  parle  d'un  consul  anglais 
de  Zantc  et  la  Morèc.  —  «f  Le  Turc  a  biti  deux  cli:\te;iux  aux  bouches  du  polie 
de  l.ép.mte,  il  ne  pcnnct  pa»  à  nos  bâtiments  d'y  entrer  de  peur  de  quelque 
surprise....  Nous  y  fûmes  dan>  le  tettip»  qu'un  tnarchand  anglais  y  .nvait  ancr* 
ton  bûtimcnt  pour  le  charger  de  raisuis....  les  Anglais  consomment  pIuN  de  ce 
niisin  dons  leurs  ra^^oûts  que  ni  la  France,  ni  l'Allcnugne  ensemble,  n 


440  TABLEAU   DU   COMMERCE 

voyageurs  antérieures  à  1650  montrent  clairement  que  la  Morée 
avait  conservé  Jusque  là  une  certaine  prospérité*.  Tandis  que,  de 
1669  à  1685,  six  à  sept  barques,  d'après  les  registres  du  cottimo, 
chargeaient  chaque  année  en  Morée  pour  Marseille  et  quelquefois 
jusqu'à  douze;  de  1700  a  1715,  si  ce  dernier  chiffre  fut  atteint  deux 
fois,  on  vit  la  plupart  du  temps  un  ou  deux  bâtiments  seulement 
revenir  de  la  Morée*. 

Les  îles  Ioniennes  de  la  domination  de  Venise  passaient  encore 
pour  des  échelles  du  Levant.  Il  y  avait  un  consul  français  à  Zanteet 
des  vice-consuls  indigènes  à  Céphalonie  et  à  Sainte-Maure.  Un 
certain  nombre  de  barques  venaient  à  Zante  charger  diverses 
denrées  :  en  1669  le  consul  se  plaignit  de  certains  patrons  qui 
refusaient  de  lui  payer  son  consulat  d'un  demi  pour  cent,  et  il 
envoya  à  la  Chambre  un  rôle  de  treize  d'entre  eux  dont  neuf 
n'avaient  pris  que  du  vin,  tandis  que  les  autres  avaient  en  outre  dans 
leurs  cargaisons  du  lin,  des  lentilles,  des  cuirs  et  du  tabac.  Mais  les 
Grecs  de  l'île  détestaient  les  Français  et  les  Vénitiens  étaient  mal 
disposés  à  les  soutenir  ;  en  1690  le  consul  écrivait  qu'il  restait 
enfermé  chez  lui  de  peur  d'ctrc  assassiné.  Pendant  la  guerre  de 
succession,  malgré  les  plaintes  de  la  France  et  les  défenses  du  prové- 
ditcur  général  de  la  République,  Zante,  Céphalonie  et  Corfou  furent 
les  marchés  où  les  corsaires  hollandais  et  anglais  vinrent  vendre 
les  nombreuses  prises  qu'ils  faisaient  à  l'entrée  de  l'Archipel  ;  ils 
éviwient  ainsi  de  les  conduire  jusqu'à  Livournc*.  Le  commerce  des 
Français  à  Corfou  était  bien  moins  important  encore  que  celui  de 
Zante,  malgré  la  grandeur  et  la  richesse  de  l'île,  et  le  consulat  n'y 
était  exercé  que  par  un  Grec  *. 

Sur  la  frontière  de  la  Grèce  actuelle  fut  créé,  en  1701  ou  1702,  le 

(i)  Bcauvcaii,  p.  20.  —  Tavernicr,  p.  317.  —  Un  mémoire  aiitcrieur  à  1610 
attribue  ;i  la  Morée  une  très  grande  ricliessc  et  montre  en  même  temps  qu'à 
cette  époque  les  Français  n'y  commers'aient  pas.  —  Hibl.  Nul.  Mss.  fr.  i6jjS, 
fol.  isj. 

(2)  De  1715  à  1719  il  partit  de  Marseille  un  résident  pour  Naples  de  Roumanie, 
deux  pour  la  Morée,  un  pour  Patras,  un  pour  Athènes.  Hli,  6.  —  De  1700  .n 
171 5  les  exportations  de  la  Morée  sur  quatre-vinj^t-trois  bâtiments  iVanijais  s'éle- 
vèrent à  1.570.000  livres.  Année  171 5  (maximum)  =  255 .759  livres  (blé 
loo.ixio,  huile  88.000,  soie  42.0(Xï,  cire  2.759).  11,  ij. 

(5)  •■/.-/.  29 j.  Cûireapoiulance  du  consul  de  Zanle  (de  i66i)  à  iji))-  —  20  jiiillfl 
IJ12  :  rôle  de  cinq  patrons  qui  n'ont  pas  payé  les  droits.  Ils  ont  à  payer  chacun 
68  liv.  S  sols,  dont  un  .sequin  (27  liv.  3  sols)  pour  le  droit  d'ancrage  au  consul  ; 
le  reste  est  dû  aux  Vénitiens. 

(4)  Voir,-/./,  29;.  Ij'llie  du  sit-in  Dasioli  coiniil. 


LES    èCHELLES  î    ZANTE,  LART\ 


44  r 


consul.it  Je  Lana,  aujourd'hui  Arta,  sur  la  rivière  de  ce  nom.  Les 
navires  venaient  sans  doute  ciiargcr  ^  l'embouchure  de  la  rivière, 
tandis  qu'aujourd'hui  tout  le  commerce  du  grand  golfe  d'Arta  se 
fait  p.irle  port  de  Prcvesa.  situé  à  Tentrcc,  qui  n'était  alors  que  la 
douane  des  Turcs.  Larta  était  surtout  en  relations  avec  Janina,  que 
le  consul  qualifie  de  "  grosse  place  de  négoce  »,  et  dont  elle  était 
distante  de  dou/c  lieues'.  Les  Vénitiens,  jaloux  de  l'établissement 
des  Français  sur  cette  côte,  dont  ils  considéraient  le  commerce 
comme  une  déptndance  de  leurs  îles,  prétendirent  •«  imposer  6  o/o 
sur  toutes  les  marchandises  qu'on  chargerait  en  terre  ferme,  dépen- 
dant du  G.  S.,  depuis  le  Sazino  jusqu'A  Larfanary  »,  et  les  faire 
payer  à  Corfou,  avec  menaces  de  grandes  rigueurs.  Le  consul  reçut 
l'ordre  du  roi  de  faire  connaître  au  provéditeur  de  l'Ile  que  S.  M.  ne 
voulait  pas  que  les  bâtiments  venant  de  terre  ferme  payassent  aucun 
droit,  ni  ù  Corfou,  ni  dans  d'autres  possessions  de  Venise*. 

Les  port  de  la  côte  d'Epire,  entre  autres  Saint-Qiiarante,  (Hagioi 
Saranta),  la  Saillade'  (Sagiada)  où  fut  établi  un  vice-consul, 
Laparguc  (Parga)  qui  appartenait  encore  aux  Vénitiens,  dépendaient 
de  l'échelle  de  Larta.  Parmi  les  articles  du  commerce,  le  tabac 
avilit  une  importance  particulière  en  Epirc  et  le  consul  de  Larta,  qui 
l'appelait  «  un  pain  quotidien  »  pour  l'échelle,  eut  h  lutter  contre 
les  entreprises  d'un  Grec  qui  .avait  pris  ;\  ferme  la  vente  du  tab.ic 
pour  .S.ilonique,  Durazzo  et  Lirta,  II  finit  par  obtenir  en  171 3,  p.ir 
l'entremise  Je  l'ambassadeur,  le  privilège  pour  les  l-'ransais  d'être 
exempts  des  droits  particuliers  mis  sur  La  sortie  des  tabacs  et  de  ne 
p.\ver  que  les  3  00  indiqués  par  les  Capitulations.  Nos  b.^timents, 


(i>  L/tIrf  du  consul,  r«f  jiiiîtel  1714.  .1A,  iSf. 

[2\  Id.  r.f  jnin  f;n),  .-f.-f,  j.S'j.  —  Pendant  la  piicrrc  de  Hollande  dos  b.itimcnts 
fr.inv.iis  vinrent  sur  la  cAtc  de  la  M(iréf  et  de  l'Epire  en  dcc  des  îles  de  Venise 
dierciicr  des  blés  pour  le  ravitaillement  de  Messine.  Le  provéditeur  de  Zante  en- 
voya des  aaléres  en  1678  pour  empêcher  ce  commerce  et  lit  ramener  à  Zante  deux 
barques  ciurgées  de  blé,  qu'il  voulut  faire  décharger.  —  Il  préitndait  que  les  blés 
de  ces  pays  étaient  i  la  réuuisition  des  trois  lies  de  la  République.  —  lyllrf  du 
consul  lie  Xdttle,  itj  uot'il  JÔJf*.  .lA,  iSS. 

(H  «  Vers  la  lin  du  XVH«  siècle,  Garnicr,  vice-consul  de  Say.id«,  instrtiisit  le 
GcHivcmemeni  des  ressources  qu'on  pourrait  tirer  de  l'HpirC.  des  bois,  des  blés 
et  des  s.'ilaisons  de  viande  que  notre  marine  devrait  y  prendre.  •  —  LAVALLiiR, 
p.  ^27.  Il  fait  ensuite  un  tableau  brill.intde  notre  commerce  en  Hpire,  il  parle  de 
cinq  it  six  millions  d'exportations,  d'un  million  de  draps  importés.  De  pareils 
chinfres  sont  puiement  imaginaires.  —  Le  premier  consul  Je  Larta  s'appelait 
(ircnier.  (Voir  A.1,  j.V/.  CoirtsjK)  Ke  serait-ce  pas  le  même  que  le  Garnicr  de 
Uvalléc  ? 


442  TABLEAU   DU   COMMERCE 

écrivait-il,  fournissaient  de  tabac  la  Sicile,  le  royaume  de  Naples,  les 
états  de  l'église  et  du  grand  duc  de  Toscane*. 

Le  consul  de  Larta,  comme  celui  de  Salonique  était  particulière- 
ment chargé  de  rapatrier  en  France,  aux  frais  du  roi,  les  soldats 
français  déserteurs  de  l'armée  vénitienne  et  les  matelots  «  disgra- 
ciés* ».  Ces  désertions  furent  surtout  fréquentes  pendant  la  guerre 
de  succession  d'Espagne,  car  la  guerre  en  Orient  étant  terminée 
depuis  la  paix  de  Carlowitz,  ces  soldats  quittaient  le  service  de 
Venise  pour  venir  combattre  dans  l'armée  française.  Mais  la  préoccu- 
pation du  roi  n'était  pas  tant  de  renforcer  ses  armées  par  des  soldats 
exercés  et  aguerris  que  d'empêcher  ces  déserteurs  de  se  faire  musul- 
mans. Li  Chambre  du  commerce  qui  faisait  les  avances  des  dépen- 
ses de  ces  rapatriements  et  n'en  était  pas  remboursée  régulièrement 
trouva  bientôt  exagérés  les  frais  qu'ils  coûtaient  et  demanda  que 
l'on  se  bornât  h  rapatrier  les  Français,  mais  le  ministre  donna 
l'ordre  aux  consuls  d'accueillir  tous  ceux  qui  se  présenteraient. 
«  Selon  ma  faible  conception,  écrivait  le  consul  de  Larta,  jamais 
charité  ne  fut  plus  juste.  Par  mon  seul  organe  elle  a  garanti  du 
naufrage  plus  de  huit  cents  hommes  et  retiré  pour  le  moins 
cent  qui  étaient  tombés  avant  qu'elle  se  fit,  elle  est  connue  à  tous  les 
potentats  de  l'Europe  et  de  l'empereur,  admirée  dans  ses  effets  et 
dans  sa  grandeur  par  ses  envieux.  Les  déserteurs  risquent  leur  vie 
pour  se  mettre  sous  la  protection  de  la  France....  Le  pacha  et  le 
cadi  qui  sont  Agy  (hadji),  c'cst-A-dire  ont  été  i\  la  Mecque,  donc  des 
plus  zélés  de  leur  loi,  font  tout  ce  qu'ils  peuvent  pour  les  gagner  h  se 
faire  Turcs.  J'ai  déjà  eu  de  grosses  paroles  avec  ces  deux  officiers*.  » 
L'échelle  de  Larta,  fournit  en  outre  pendant  la  guerre  de  succession 
des  chargements  de  blés  assez  importants,  elle  présenta,  dès  sa 
création,  une  certaine  activité  et  le  dut  en  partie  à  son  troisième 
consul  Dubroca,  dont  la  correspondance  permet  de  juger  le  zèle  et 
l'activité  *. 

(i)  ly  septembre  i/ij.  .-lA,  2. S'/. 

(2)  Les  documents  n'indiquent  pas  ce  qu  et.aient  ces  matelots  disgraciés.  Peut- 
être  étaient-cc  les  équipages  des  bâtiments  pris  par  les  Anglais  et  les  Hollandais 
et  abandonnés  à  Corl'ou  ou  ;\  Zante.  Les  Grecs  de  ces  iles  achetaient  les  navires 
et  les  cargaisons  et  laissaient  aller  les  matelots.  —  Le  consul  de  la  Canéc  rapa- 
tria aussi  parfois  des  matelots  disgraciés. 

(})  ij  septembre  ijij.  AA,  2S$. 

(4)  Il  avait  trouvé  l'échelle  en  très  mauvais  état.  —  Il  écrivit  .\  l'ambassadeur 
qu'elle  n'était  plus  tenable  si  les  vexations  ne  cessaient.  L'ambassadeur  Fcrriol 


LES   ÉCHELLES  ï   LARTA ,  DURAZZO 


44Î 


Au  milieu  de  la  côte  d'Albanie  les  Français  avaient  dc).\  depuis 
assez  longtemps  un  consulat  ;\  Durazzo,  la  seule  échelle  qu'il  y  eût 
dans  l'Adriatique.  Mais  ce  n'est  qu'à  la  lin  du  xvir  siècle  que  Pont- 
cliartrnin  voulut  y  éublir  un  consul  français  pour  le  charger  de  faire 
pan'enir  à  notre  ambassadeur  en  Turquie  les  dépêches  de  la  cour, 
quand  on  se  fut  aperçu  que  la  voie  de  Venise  n'était  pas  sûre  ;  la 
création  des  échelles  de  Salonique  et  de  la  Qvalle  avait  été  due  en 
partie  !\  la  môme  préoccupation.  Quant  au  commerce  français  à 
Durazzo  il  fut  toujours  peu  considérable  ;  la  mer  Adriatique  était 
sillonnée  par  les  vaisseaux  vénitiens,  qui  la  considéraient  comme 
leur  domaine,  et  la  navigation  des  autres  nations  n'y  avait  guère 
d'importance'. 

Ainsi,  des  rives  du  Nil  aux  côtes  de  l'Adri-itique,  se  suivaient 
sans  interruption  les  échelles  françaises;  il  n'y  avait  pas  un  port  de 
quelque  importance  dans  les  états  du  Grand  Seigneur,  sauf  dans  la 
mer  Noire*,  où  l'on  ne  trouvit  un  consul  et  des  marchands  français. 
Leurs  établissements,  restreints  d'abord  à  quelques  grandes  échelles, 
s'étaient  multipliés  de  plus  en  plus  dans  le  courant  du  xvn'  siècle. 
La  diminution  du  commerce  de  leurs  vieilles  échelles  d'Alep  et 
d'Alexandrie  qui  occupaient  au  xvi*^  siècle  presque  toute  l'activité 
des  Provençaux,  la  concurrence  des  Anglais  et  des  Hollandais,  qui 
vinrent  s'y  établir  à  coté  d'eux  et  réussirent  en  même  temps  ^ 
détourner  vers  Smyrne  la  plus  grande  partie  du  commerce  de  la 
Pcrbc-,  forcèrent  d'abord  les  Français  A  faire  de  ce  port  leur  princi- 
pale échelle,  puis  ù  chercher  un  nouvel  alimenta  l'activité  de  leurs 
marins,  de  leurs  armateurs,  et  de  leurs  négociants,  dans  des  pays 
dont  le  négoce  leur  avait  paru  jusque  lu  de  peu  d'importance;  c'est 
ainsi  qu'entre  1680  et  ryij  leur  attention  se  porta  vers  les  i les  de 
l'Archipel  et  les  ports  de  la  Turquie  d'Europe  qu'ils  avaient  à  peu 


obiint  lj  déposition  du  cidi  et  une  menace  de  mort  pour  le  vaïvodc.  —  «  On 
.iv.iit  fi,.\ii  ce  pays  cii  faisant  des  dons  mal  i  propos  et  en  endurant  ;  ainsi 
M.  Grenier  (son  prédécesseur  |  fut  mis  aux  fers  (en  1705)  sans  poner  plainte.  — 
Nous  sommes  i  présent  aussi  bien  c]uc  nous  étions  mal,  nos  charges  étant  res- 
treintes i  3  "/..  de  douanes  portées  par  les  Capitulations.  »  Lettrr  d  la  CImnbrt, 
13  aîril  fji)6.  AA,  iSj.  —  Un  mémoire  du  marouis  de  Bonnac,  de  mars  17J7, 
nous  apprend  que  Dubruca  ét.iit  encore  consul  de  l^arta,  tandis  iiuc  son  fils,  était 
ii  Dura/.zo,  et  que  ccm  deux  consul.Us  dépendaient  directement  de  l'ambassadeur 
comme  les  vice-consulats  de»  grandes  é-chclles.  —  Arch.  \'al.  F'*,64j. 
(t)  V.  AA,  jiV.V.  CoirafKiiiclanu  du  (oiuul  ComU  {t6i^-fjo$), 

(3)  r^llc-ci  allait  bicnttM  s'ouvrir  aux  Huropcens.  Hn  1727  il  v  avait  un  consul 
de  France  en  Crimée.  Arch.  Nal.  h",  64 j,  Mémoire  du  marquis  at  Bonnac. 


444  TABLEAU   DU   COMMERCE 

près  délaissés  auparavant.  Les  Anglais,  devenus  leurs  plus  redouta- 
bles rivaux,  avaient  été  les  seuls  ;\  s'établir  à  côté  d'eux  dans  les 
échelles  importantes,  mais  ils  avaient  négligé  de  créer  à  leur  exemple 
une  foule  d'échelles  secondaires  et  leur  négoce  restait  beaucoup 
moins  dispersé.  Tandis  que  les  Français  avaient  réussi  à  leur  dispu- 
ter l'achat  des  soies  de  la  Perse  à  Smyrne  et  la  vente  des  draps  dans 
cette  ville  et  à  Constantinople,  les  Anglais  leur  avaient  pris  la  pre- 
mière place  à  Alep  et  faisaient  tous  leurs  efforts  pour  la  leur  ravir  à 
Alexandrie  et  au  Caire.  Mais  ils  n'avaient  pas  sérieusement  tenté 
de  leur  enlever  le  monopole  qu'ils  conservaient  encore  en  grande 
partie  dans  l'échelle  de  Seïde  et  ses  dépendances,  et  ils  leur  abandon- 
naient la  plus  grande  partie  du  négoce  de  Chypre,  de  Candie,  des 
îles  de  l'Archipel  et  des  ports  de  la  Morée  ;  ces  dernières  échelles 
fournissaient  en  effet  surtout  des  denrées  qui  convenaient  peu  au 
trafic  des  Anglais. 


CHAPITRE   V 

LA   VIE  DANS   LES   ÉCHELLES   A   LA   FIN    DU    XVI1«    SIÈCLE 


La  nation  française,  avait,  dans  toutes  les  échelles,  la  même  orga- 
nisation, réglée  dans  ses  grandes  lignes  par  l'ordonnance  de  la 
marine  de  1681,  le  règlement  du  25  décembre  1685,  l'ordonnance 
sur  les  consulats  de  i69i,et,dans  tous  les  détails, par  une  série  d'or- 
donnances royales,  d'arrêts  du  Conseil,  d'ordonnances  de  l'intendant 
de  Provence  et  de  délibérations  de  la  Chambre  du  commerce 
homologuées  par  lui'.  Elle  formait  une  sorte  de  république  en 
miniature  avec  son  chef,  ses  assemblées,  ses  finances,  sa  dette,  sa 
justice,  mais  elle  était  plus  encore  en  tutelle  que  les  communautés  du 
royaume,  soumise  qu'elle  était  à  l'autorité  de  l'ambassadeur,  de  la 
Chambre  du  commerce,  de  l'intendant  de  Provence  et  du  ministre. 

Le  consul  était  à  la  fois  pour  les  marchands  le  représentant  de 
l'autorité  royale,  un  juge,  un  protecteur,  un  guide.  Il  devait  faire 
exécuter  les  ordonnances  et  règlements,  dont  il  faisait  lecture  à  la 
nation  assemblée,  quand  il  les  recevait  ;  il  les  faisait  afficher  ensuite 
dans  la  chancellerie  du  consulat.  Il  était  aussi  chargé  de  faire  res- 
pecter par  les  capitaines  et  patrons  les  règlements  relatifs  à  la  navi- 
gation. Il  maintenait  la  police  et  le  bon  ordre  parmi  les  marchands  : 
il  pouvait,  en  cas  de  mauvaise  conduite,  leur  intimer  l'ordre  de 
rester  enfermés  dans  leurs  demeures,  leur  infliger  une  admonestation 
en  pleine  assemblée,  les  condamner  à  des  amendes  et,  dans  les  cas 
graves,  avec  l'assentiment  des  députés  de  la  nation,  les  forcer  à  reve- 
nir en  France.  En  ce  cis  tous  les  capitaines  et  les  patrons  étaient 
contraints  par  les  ordonnances  de  les   embarquer  sur  l'ordre  des 

(i)  Voir  pour  les  règlements  concernant  les  t'chellcs  un  recueil  très  complet 
qui  fut  rédigé  et  mis  en  ordre  en  1742  par  un  commis  aux  écritures  de  diverses 
chancelleries  du  Levant.  //,  2},  111-40  de  j)}  ptigfs. 


44^  TABLEAU   DU   COMMERCE 

consuls,  ;\  peine  de  500  livres  d'amende.  Le  consul  était  en  même 
temps  le  juge  des  marchands.  En  matière  civile,  ses  jugements 
étaient  exécutés  par  provision',  sauf  appel  au  Parlement  de  Provence; 
en  matière  criminelle  ils  étaient  sans  appel,  quand  ils  n'entraînaient 
pas  de  peines  atîlictives.  Dans  ce  dernier  cas,  le  consul  instruisait 
seulement  l'affaire  et  faisait  embarquer  le  coupable  sur  le  premier 
vaisseau  qui  se  rencontrait,  pour  le  foire  juger  par  les  officiers  de 
l'amirauté  de  Marseille.  Le  consul  ne  pouvait  juger  qu'assisté  des 
députés  de  la  nation  et  de.  quatre  notables  marchands,  règle  qui 
n'était  applicable  que  dans  les  grandes  échelles.  Il  lui  était  souvent 
difficile  de  trouver  des  marchands  pour  l'assister  dans  ses  juge- 
ments, et  de  fiùre  des  procédures  contre  ceux  qu'il  voulait  pour- 
suivre, car  les  témoins  refusaient  de  lui  donner  des  éclaircisse- 
ments*. En  cas  de  conflit  entre  eux,  les  consuls  et  les  marchands 
devaient  s'adresser  au  tribunal  de  l'amirauté  de  Marseille,  mais  ce 
tribunal  eut  rarement  à  décider,  car  les  adversaires  portaient  leurs 
griefs  par  devant  l'ambassadeur,  la  Chambre  du  commerce,  l'inten- 
dant de  Provence,  ou  le  ministre  lui-même,  si  la  concorde  ne  pou- 
vait être  rétablie.  «  Il  faut  savoir,  écrit  d'Arvieux,  consul  d'Alep,  que 
de  tout  temps  le  curé  de  la  paroisse  a  été  juge  des  différends  qui 
naissaient  ou  qui  pouvaient  naître  entre  le  consul  et  les  marchands'.» 
Mais  de  tels  arbitrages  ne  parx'enaient  que  rarement  à  maintenir  la 
paix  dans  les  échelles. 

Si  l'autorité  du  consul  le  mettait  souvent  en  conflit  avec  les  mar- 
chands, le  besoin  qu'ils  avaient  de  sa  protection  empêchait  souvent 
aussi  les  ruptures,  ou  rétablissait  la  bonne  harmonie.  Le  consul  était 
en  effet  sans  cesse  en  négociations  avec  le  pacha  et  les  «  puis- 
sances »  pour  éviter  les  avanies,  les  extorsions  de  droits  injustes, 
réclamer  la  punition  d'insultes  fiiitcs  aux  marchands,  obtenir  des 
fiicilités  pour  le  commerce.  Il  devait  chercher  à  augmenter  celui  de 
sa  nation  au  détriment  des  nations  rivales,  à  étendre,  s'il  le  pouvait, 
dans  des  pays  nouveaux,  le  cercle  de  ses  relations  commerciales  ou  à 
faire  entrer  dans  son  trafic  des  marchandises  nouvelles  ;  les  mémoires 

■ 

(i)  Il  était  aussi  chargé  de  liquider  les  successions  des  marchands  qui  mouraient 
dans  les  échelles  et  les  banqueroutes  qui  s'y  produisaient  assez  fréquemment. 

(2)  L'ordonnance  du  12  avril  1702  donna  le  droit  aux  consuls  de  condamner  à 
20  livres  d'amende,  «  et  à  100  en  cas  de  contumace  »,  ceux  qui  refuseraient  de 
rendre  témoignage. 

(})  D'Akvux'X,  t.  VI,  p.  4; 


LA    VU-    DANS  LES   ECHELLES 


■417 


cnvoyC'spar  les  consuls  au  secrétaire  d'Etat  de  la  Marine,  leur  cor- 
respondance avec  la  Chambre,  montrent  qu'ils  se  préoccupaient  de 
cette  partie  de  leur  t;lclic.  Enfin  le  consul  devait  jouer  auprès  des 
n^arclunds  le  rolc  non  moins  délicat  de  conseiller  et  de  tuteur. 
Généralement  plus  Agé  que  les  jeunes  commissionnaires  des  échelles, 
plus  au  courant  des  usages  et  du  trafic,  il  devait  les  taire  profiter  de 
son  expérience,  mettre  un  terme  S  leurs  rivalités  ruineuses,  les 
engager  A  former  des  sociétés  pour  les  achats  et  pour  les  ventes.  U  ne 
pouvait  alors  que  donner  des  conseils,  cependant,  quand  il  recevait 
des  instructions  de  la  Chambre  et  de  l'inspecteur  du  commerce,  il 
faisiiit  des  ordonnances  pour  régler  la  h^on  dont  devait  être  pratiqué 
le  négoce  de  l'échelle.  Les  consuls  jouaient  donc  un  rôle  multiple 
qui  exigeait  les  qualités,  difficiles  à  trouver  réunies  chez  un  même 
homme,  d'un  administrateur,  d'un  diplonute,  d'un  marchand 
consommé,  aussi  les  bons  consuls  éuient-ils  rares.  Choisis  la  plu- 
p.irt  d.ms  des  familles  provençales  et  même  marseillaises,  comme  les 
d'Anthoine,  les  de  Bemiond,  les  Magy,  les  Fahre,  les  Lempereur, 
ils  avaient  ainsi  plus  de  chances  d'être  au  courant  des  affaires  com- 
merciales et  des  us.iges.  A  la  fin  du  xvu*  siècle,  des  Parisiens  furent 
quelquefois  envoyés  dans  les  échelles,  mais  ces  choix  ne  furent  pas 
très  heureux,  car  les  marchands  se  brouillèrent  la  plupart  du  temps 
avec  ces  consuls  étrangers  .\  leurs  mœurs  et  la  Chambre  montra  la 
plus  grande  défiance  envers  ces  protégés  du  ministre  qu'elle  ne 
connaissait  pas'. 

Les  dépenses  des  consuls  étaient  considérables;  dans  les  grandes 
échelles,  et  même  dans  les  échelles  secondaires,  ils  avaient  un  train 
de  maison  important.  M.  Beitandié,  consul  de  Seïde  (1655-1659), 
entretenait  deux  secrétaires,  un  valet  de  chambre,  un  cuisinier,  un 
pour\'oy£ur,  deux  aides  de  cuisine,  deux  laquais,  deux  palefreniers, 
un  valet  pour  aller  chercher  de  l'eau,  il  avait  deux  chevaux  et  une 
bourrique'.  Le  consul  fournissait  la  table  au  chancelier,  au  drogman, 
au  chapelain  de  la  nation,  et  recevait  dans  sa  maison  les  voyageurs 


(i)  Se  rappeler  les  querelles  .ivcc  Blonde!,  consul  de  Sniymc,  cl  de  Maillet, 
consul  du  Caire.- 

{a)  D'Abvikux,  t.  I,  p.  ]y\.  —  Le  corwul  J'Alcp,  su  I710,  a  un  Cuisinier  et 
un  sous-cuisinier,  trois  v.ilcts,  un  palefrenier  et  un  soun-palel renier  et  entretient 
quatre  chev.iux.  FI  dépense  4 ,  601  pijsucs  pnur  meubler  U  ni.lison  consulaire,  .-/.-f , 
j6s.  s  mars  ijio.  —  Un  simple  vice-consul  de  Sataliv  i  tn>is  domestiques,  son 
chapelain,  son  ianissaire,  son  drngnijin  et  »on  chinir^ien  .^  payer  et  i  entretenir. 
ÀJ,  J30,  Jo  avril  16*^, 


448 


TABLEAU   DU   COMMERCE 


français  de  passage  dans  l'échellt;.  Il  donnait  des  repas  de  cérémonie 
à  la  nation  pour  la  Saint-Louis  et  d'autres  fctes,  lors  de  l'élection  des 
députes,  et  il  avait  très  souvent  des  marchands  a  sa  table';  il  échan- 
geait en  outre  des  réceptions  avec  les  consuls  des  nations  étrangères' 
et  avec  les  grands  du  pays.  Les  visites  de  ceux-ci  chez  les  consuls 
étaient  presque  journalières,  et,  suivant  les  usages  et  leur  qualité,  il 
lallait  leur  oHVir  le  café  et  le  sorbet  ou  du  vin  et  des  pipes.  «  Le  consul 
d'Angleterre,  écrit  notre  consul  d'Alep,  est  défrayé  tous  les  ans  de 
loo  piastres  pour  le  café  et  le  sorbet  et  de  cent  aussi  pour  le  vin 
qu'il  donne  au.x  gens  du  pays,  et  je  ne  reçois  pour  le  vin  que  cin- 
quante piastres...  Si  on  trouve  des  pipes  et  du  tabac  dans  mes 
comptes,  ce  n'est  pas  pour  moi,  qui  n'ai  jamais  fumé,  par  la  grâce 
de  Dieu,  mais  pour  les  visites  que  je  reçois  des  gens  du  pays  et  pour 
les  étrangers  quand  je  les  traite,  auxquels  je  fais  présenter  la  pipe 
après  le  repas ^  <•  Chaque  consul  devait  encore  poun.'oir  à  l'entretien 
des  janissaires  attachés  à  sa  personne,  qui  se  tenaient  chaque  jour  i 
la  porte  de  la  maison  consulaire  à  sa  disposition  :  le  consul  du  Caire 
en  avait  jusqu'à  six,  qu'il  fallait  nourrir  et  qui  recevaient  en  outre 
jusqu'.l  six  piastres  par  mois.  Ces  soldats  servaient  1  la  fois  à  donner 
du  prestige  au  consul,  A  le  défendre  des  insultes,  à  préserver  des  vols 
la  maison  consulaire,  où  étaient  souvent  enfermés  des  dépens  impor- 
tants d'argent  et  d'objets  précieux,  entin  h  faire  la  police  dans  b 
contrée  ou  dans  le  camp  des  Français,  et  à  assurer  l'exécution  des 
sentences  du  consul.  Les  janissaires  se  disputaient  le  ser^'ice  des 
consuls  francs,  parce  que  c'était  pour  eux  à  la  fois  un  honneur  et  un 
profil'. 

En  dehors  des  dépenses  de  sa  maison,  le  consul  était  obligé  A  de 
coûteux  présents  envers  les  puissances.  Il  lui  fallait  se  montrer  géné- 
reux quand  il  arrivait  dans  l'échelle  et  qu'il   recevait  sa   première 


(  I  )  Il  II  ne  se  passe  pas  de  jour,  écrit  le  consul  du  Caire,  que  je  n'jic  qucltiu'oo 
de  la  n.uton  â  ma  table  le  matin  et  le  soir,  et  régulièrement  un  certain  nombn: 
d'entre  eux  viennent  pour  les  après-souper  à  la  maison  consulaire.  •  j4j1,  114. 

(2)  Les  consuls  ne  se  visitaient  que  rarement,  ntais,  aux  principales  fttci  àe 
Tannée,  ils  s'envovaient  réciproquement  des  marchands  pour  se  complinientcr.  rt 
ces  réceptions  étaient  suivies  de  repas  superbes.  —  D'Akvielx,  t.  I,  p.  ijo,  — 
V.  ToLUSïFOKT,  t.  I,  p.  198. 

(5)  A.4,  }6s.  4  avril  i6<fs. 

Ul  Les  marchands,  par  l'intermédiaire  du  consul,  se  faisaient  aussi  donner  des 
janissaires  pour  leur  sûreté  quand  ils  avaient  à  sortir  en  dehors  des  villes  ou  >c 
se  trouvaient  les  échelles. 


LA    VIE   DANS   LES   ECHELLES 


449 


audience,  ou  quand  il  allait  pour  la  première  fois  chez  les  nouveaux 
pachas,  renouvelés  tous  les  trois  ans,  ou  parfois,  comme  au  Caire, 
tous  les  ans.  Chaque  année,  il  avait  A  distribuer  des  présents  dont  la 
valeur  était  réglée  par  l'usage,  aux  fêtes  du  grand  et  du  petit  baïram'. 
Ces  présents  ordinaires  étaient  entièrement  A  la  charge  du  consul  ; 
seuls  les  présents  extraordinaires,  qu'il  fallait  faire  quand  le  consul 
portait  au  pacha  des  coniniandemcnts  du  Grand  Seigneur  ou  négo- 
ciait au  sujet  de  quelque  affaire,  étaient  supportés  par  la  nation.  Les 
présents  ordinaires  montaient,  dans  les  grandes  échelles,  ù  plusieurs 
milliers  de  livres;  d'Arvieux  estime  la  dépense  pour  le  consul  de 
Seïde  ;ï  près  de  1500  écus;  :\  Alep,  au  début  du  xviT'  siècle,  au  dire, 
jusqu'en  17 15,  elle  dépassait  de  beaucoup  cette  somme.  Les  visites 
aux  pachas  pour  la  remise  de  ces  présents  se  faisaient  en  grande  céré- 
monie par  le  consul,  accompagné  de  toute  la  nation  et  de  ceux  qui 
éuient  sous  la  protection  française. 

Un  voyageur  décrit  ainsi  le  cortège  d'un  consul  du  Qire  rendant 
visite  au  pacha  :  «  Le  consul  étant  prêt  à  sortir,  ses  six  janiss;iires, 
montés  sur  des  ânes,  marchèrent  les  premiers,  deux  i  deux,  ayant  à 
la  main  leur  nabou  qui  est  un  gros  bâton  de  six  pieds  ;  ils  étaient 
proprement  vêtus  à  leur  manière,  les  uns  d'étoffe  rouge,  les  autres 
de  bleue  et  au  lieu  de  turban  ils  avaient  un  grand  bonnet  de  feutre 
enrichi  par  en  bas  de  quelque  broderie  de  fil  d'or  irait  et  sur  le 
devant  de  la  tête  il  s'élevait  un  tuyau  qui  laissait  tomber  un  panache 
fort  long  par  derrière.  Ils  étaient  assez  distants  les  uns  des  autres  et 
faisaient  faire  place  parles  rues  ;  quatre  ou  cinq  pas  après  eux  s'avan- 
çaient deux  Juitsqui  étaient  les  truchements  du  consul,  aussi  montés 
sur  des  ânes  avec  des  tapis  et  huit  ou  dix  pas  plus  loin  paraissait  le 
consul  en  un  équipage  qui  n'est  pas  indigne  de  remarque.  Il  avait 
une  veste  de  velours  couleur  de  feu,  doublée  de  martes  de  grand 

(i)  .'^  Smyrne,  il  devait  en  ofTrir  à  la  visite  annuelle  que  le  capitan-pacha  y 
faisait  avec  les  galères  du  Grand  Seigneur.  —  Le  petit  consul  de  Satalie  dépense 
en  prcsents,  en  1695  :à  trois  cadis,  60  pinstrcs;  au  pacha  et  à  ses  domestiques, 
90  piastres  ;  à  son  mousselcm,  35  piastres  ;  aux  deux  b.iïrams,  31  piastres  ; 
prcsents  particuliers,  25  piastres.  AJ,  )30,  lettre  du  }o  airil  i6')S-  —  Voir  un 
curieux  état  dctaitld'  des  présents  faits  par  M.  de  Marigny,  vice-consul  de  Chic,  • 
dans  les  visites  rendues  au  pacha,  ki.iya,  cadi  et  aea  du  karach,  le  1 5  août  171 3. 
—  Il  distribue  en  tout  12 1  piastres,  dont  35  nu  pacha  (en  café,  sucre,  douze  boites 
de  confitures,  deux  moutons,  deux  tanaux  verre)  les  autres  officiers  reçoivent 
aussi  du  c.ifé  et  du  sucre;  leurs  valets,  de  la  menue  monnaie.  —  Au  grand  bairam, 
il  distribue  29  piastres  pour  ces  v;ilets(aux  six  t.tmboursdu  paclia,  aux  sixcliaoux, 
aux  quatre  chocodars,  aux  quatre  chiatirs.aux  quatre  mararagis,  aux  valctsdu  cadi, 
du  janissaire  aga,  du  kiaya,  du  caragy,  etc.)  AA,  32 j,  S  noi'tinbrt  tj: },  Juillet  iyi.f. 

29 


450 


TABLEAU    DU    COMMERCE 


prix,  soa  habic  par  dessous  était  du  rnème  relours,  nuis  Cnt  i  b 
f  des  boutons  et  Je  larges  bouionnicres  »i'off«fvtrne,  il 

a-<..  ^..  ..^..w;  de  point  de  Gènes  qui  était  le  pluscstiaié  en  ccteo^ 
la  et  ^a  ctstor  garni  d'un  gros  cordon  d'or  irait  rèpomim  i  ta 
rkhcsse  du  reste.  Il  montait  un  cheval  à  longue  queue  parûitemcoi 
b«jiu  lumjchd-  il  la  lurquesque.  sa  selle  de  velours  cnunobi  avait 
cuoune  deux  pommeaux^  l'un  devant  et  l'autre  derrière,  revêtus  ^ 
plaques  d'argent  doré,  ses  ètriers  étaient  de  semblable  Biétal  et  I2 
boussc  de  velours.  —  Deux  estafiers  bien  vêtus  mirchaicot  on  pe« 
derrière  le  consul,  tenant  chacun  une  main  sur  la  cioape  de  soo 
cheval...  Les  marchands  suivaient  ensuite  deux  à  deux,  trais  pas  nn 
n'aurait  voulu  être  le  dernier  pour  le  danger  qu'il  y  a^'aii  de  recevoir 
quelque  coup  de  poing  de  la  part  des  Turcs  qui  se  trouvent  iiKoo- 
modés  de  la  poussière  que  fait  élever  cette  marche  dans  les  rues*...  • 
A  l'issue  de  l'audience,  remplie  par  des  échanges  de  compliments  et 
où  l'on  servait  le  cifé  et  le  sorbet,  le  pacha,  qui  resuii  tou)ouri  assii 
sans  faire  aucun  mouvement,  faisait  remettre  au  consul  quelques 
vestes  pour  lui  et  pour  ceux  qui  raccompagnaient  ;  les  plus  belles 
étaient  données  aux  députés  et  les  autres  atu  marchands  les  plus 
anciens,  pour  éviter  les  jalousies,  bien  que  ces  étodcs  n'eussent 
aucune  valeur. 

Pour  suffire  à  toutes  ces  dépenses  les  consuls  avaient  perçu  jusqu'en 
1691  leurs  droits  de  consulat,  qui  variaient  suivant  les  échelles,  mais 
s'élevaient  en  général  .1  2  0/0  environ.  Les  arrêts  du  G)n»eil  du 
31  juillet  1691  et  du  27  janvier  1694.  leur  donnèrent  des  appointe- 
ments fixes*.  Mais  les  petits  consuls  de  l'Archipel  et  de  la  Morèe 
continuèrent  i  végéter  avec  les  six  piastres  de  droit  d'ancrage  qu'ib 
percevaient  sur  chaque  bâtiment  ;  tandis  que  tout  commerce  était 
rigoureusement  interdit  aux  autres  consuls,  leur  négoce  personnel 
constituait  le  plus  clair  Je  leur  revenu.  Bien  que  les  appointements 
fixés  en  1691  eussent  été  augmentés  en  1694  ^^^-^use  de  leur  notoire 
insuffisance,  les  consuls  pouvaient  tout  juste  vivre  honorablement 
avec  les  sommes  mises  ù  leur  disposition  ;  en  1710  le  consul  d'AJep 

10  Ia>pp1N,  p.  212-314  (en  t6î8).  Seul  le  consul  av.iit  Icdroit  de  >ortir  i  chtral, 
les  ni.irchands  allaient  à  une.  —  Cf.  Ll'cas,  p.  282-8)  ;  il  raconte  une  vbite  «lu 
consul  d'.Mcp  .lu  paclia. 

(2)  Lcf  appointements  personnels  tics  consuls  étaient  de  4.0CX}  livres  i  Sm\TT>eci 
au  Caire,  3.500  ;'i  Alep.  5.000  1  Seidc.  —  Les  fi.iisde  ubje  t't.aicm  fixes  i  6.600 
pour  le  Caire.  $.500  pour  Sinyrne.  J.cxxj  pour  Atep,  4.000  pour  Seîkk,  etc.  — 
V.  à  l'appeudicv  le  tableau  des  dépenses  des  consuluts. 


LA   VIE  DANS  LES   ÉCHELLES 


451 


I 


qui  disposait  de  8.500  livres  pour  les  dépenses  de  s;i  maison  envoyait 
à  l;i  Clianibrc  un  compte  de  dépenses  de  11.742  livres  pour  l'année 
précédente,  dont  9.198  de  dépenses  normales'. 

Pour  l'administration  des  affaires  de  l'éclielle,  le  consul  ne  pouvait 
rien  taire  sans  la  participation  de  l'assemblée  de  la  nation.  11  devait 
y  convoquer  tous  les  marchands  et  les  capitaines  et  patrons  de  navires 
qui  se  trouvaient  sur  l'échelle,  mais  les  artisans  ne  pouvaient  en 
£iire  partie.  Les  marchands  étaient  tenus  d'assister  aux  assemblées 
sous  peine  d'amende,  ils  s'en  dispensaient  cependant,  surtout  quand 
ils  étaient  en  brouille  avec  le  consul.  Le  règlement  fait  par  M.  de 
Gastines  au  Giire,  en  1706,  les  astreignait  encore  .'i  d'autres  obli- 
gations: «  Ils  seront  tenus,  disaient  les  articles  13  et  15,  d'accompa- 
gner le  consul  dans  toutes  les  visites  d'honneur  et  de  nécessité  qu'il 
rendra  au  pacha  et  autres  puissances  du  pays  et  de  le  reconduire 
jusqu'à  la  maison  consulaire,  sans  qu'aucun  s'en  puisse  dispenser, 
à  peine  de  trente  livres  d'amende,  payables  sans  dépôt,  sur  le  seul 
verbal  et  ordonnance  du  consul.  Le  corps  de  l'assemblée  sera  pareil- 
lement obligé  d'accompagner  le  consul  en  habit  de  cérémonie  lors- 
qu'il ira  aux  églises  des  pères  de  la  Terre-Sainte  et  des  Capucins  dans 
les  jours  déterminés  par  l'usage,  qui  sont  les  deux  fêtes  d'après  les 
jours  de  Pâques,  Pentecôte  et  Noël,  et  de  revenir  ensuite  avec  ledit 
iconsul  jusqu'à  la  maison  consulaire  :  et  toute  la  nation  sans  exception 
sera  réunie  dans  la  salle  de  ladite  maison  consulaire  en  habit  décent 
aux  principales  fêtes  de  Tannée,  qui  sont  les  jours  de  l'an,  Piques, 
Pentecôte,  Assomption,  Saint-Louis  et  Noël  et  ceux  où  l'on  chantera 


k 


I)  ;  mars  ilio.  A.4,  }6s.  —  Le  dùuil  de  ces  dépenses  est  curieux.  I]  ne 
compte  que  900  livres  pour  l'entreiieii  de  son  é[>ous«,  deux  tilles  et  quatre  fils  qui  lui 
restent  à  placer.  —  Ci'.  LcUre  da  députa  de  Smyriu,  iS  juin  jôi)2  :  0  Les  consuls 
d'Angleterre  et  de  Holl.ande  ont  chacun  4.000  piastres  de  réaux  du  grand  poids  qui 
reviennent  A  14.400  livres  tournois  et  le  nôtre  ét.int  d'un  plus  haut  degré  et  d'une 
plus  forte  considération  qu'eux,  il  est  obligé  de  faire  de  plus  urandes  dépenses 
pour  assortir  le  rang  de  son  caractère..  Cette  différence  est  d'un  grand  poids 
pamii  des  peuples  de  la  nature  du  niitre  qui  ne  se  paient  <}ue  d'obstentation  et  de 

force La  nation  a  attribué  200  piastres  de  salaire  au  vice-consul  de  Scio  dont 

100  pour  son  entretien  et  le  reste  il  le  donnera  au  chancelier,  drogmans,  janissaires, 
et  payera  les  présents  au  pacha  et  au  cadi,  en  quoi  la  somme  est  visiblement  très 
modique.  »  .-/-■/.  30} .  —  Le  consul  de  France  avait  partout  sans  contestation  même 
à  Sniyrne,  le  pas  sur  tous  les  autres.  «  Tous,  dit  d'Arvieux,  le  lui  cèdent  sans 
hésiter.  Il  n'y  a  que  celui  d'Angleterre  qui  ait  peine  h  le  lui  céder  et  qui  dans 
toutes  les  occasions  tache  d'empiéter  sur  ses  droits.  L'un  ne  va  jamais  à  la  prome- 
nade ordinaire  quand  il  sait  que  l'autre  y  est  .avant  lui...  Un  de  nos  consuls  donna 
un  jour  un  soumet  a  celui  de  l'.Angletcrre  qui  l'avait  prévenu  dans  une  visite  de 
cériimouie  qu'on  rendait  au  capitan  pacha...  qui  lui  donna  raison.  »  t.  I,  p.  127. 


45* 


TABLEAU    DU   COMMERCE 


Jl-s  Tc  Dcuin,  pour  aller  avec  ledit  consul  entendre  la  grand'messc 
ou  le  Te  Deum  d.iiis  l.i  clmpellc  consulaire  et  le  reconduire  ainsi  qu'il 
cit  dit  ci-dessus  dans  ladite  salle,  à  peine  contre  les  contrevenants  de 
dix  livres  d'amende  pour  chaque  contravention.  »  Les  marchands 
prenaient  rang  dans  l'assemblée  après  le  consul  et  les  députés  delà 
nation,  d'après  leur  ancienneté  dans  l'échelle  ;  les  questions  de  pré- 
séance firent  souvent  éclater  des  querelles,  l'on  vil  des  consuls  en 
référer  au  ministre  pour  savoir  dans  quel  ordre  les  marchands  devaient 
signer  les  délibérations  et  il  fut  sagement  décidé  qu'on  se  réglerait 
encore  sur  l'ancienneté  des  marchands. 

Les  assemblées  avaient  surtout  A  discuter  et  à  voter  les  dépenses 
extraordinaires  de  l'échelle,  telles  que  réparations  à  la  maison  ou  à 
la  chnpelle  consulaire,  fêtes  en  l'honneur  du  roi,  et  surtout  présents 
extraordinaires  i  taire  aux  puissances,  suivant  les  circonstances,  ou 
emprunts  nécessaires  pour  payer  les  avanies.  Pour  suffire  i  tous  ces 
besoins,  elles  établissaient  des  .avaries,  c'est-;\-dire  des  droits  sur 
chaque  navire  qui  venait  charger  A  l'échelle.  Mais  ces  levées  ne  deve- 
naient exécutoires  que  quand  les  délibérations  de  la  nation  avaient 
été  approuvées  par  la  Chambre  du  commerce  à  laquelle  le  consul 
devait  régulièrement  les  envoyer.  Pour  administrer  les  finances  de 
l'échelle  l'assemblée  de  la  nation  nommait  chaque  année,  au  mois 
de  décembre,  deux  députés,  parmi  les  marchands  âgés  au  moins  de 
25  ans  et  établis  depuis  deux  ans  dans  l'échelle.  Cette  élection  était 
souvent  le  sujet  d'intrigues  et  de  querelles,  et  souvent  aussi  le  consul 
avait  ses  candidats  qu'il  soutenait,  malgré  la  défense  expresse  que  lui 
faisaient  les  ordonnances  de  s'ingérer  en  aucune  façon  dans  les  élec- 
tions. Aucun  marchand  ne  pouvait  être  réélu  député  que  deux  ans 
après  être  sorti  de  charge,  A  moins  qu'il  n'y  eût  pas  dans  l'échelle 
d'autre  sujet  capable  d'être  élu.  On  vit  encore  des  querelles  de 
préséance  se  produire  entre  les  députes  comme  entre  les  marchands 
des  assemblées  :  le  premier  élu  prétendait  avoir  une  supériorité  sur 
l'autre,  il  fallut  décider  qu'ils  étaient  députés  au  même  titre  et  qu€ 
l'ancienneté  de  résidence  de\-ait  seule  donner  le  pas  à  l'un  sur 
l'autre'. 

Le  consul  dewiit  communiquer  aux  députés  toutes  les  afEiires, 
avant  de  les  soumettre  aux  assemblées,  pour  agir  de  concert  avcff 
eux,  et  ils  devaient  raccompagner  dans  ses  audiences  avec  les  puis- 


(t)  sjmttf  rjoy.  ,4.4,304. 


LA    VIE   DANS    LES    ÉCHELLES 


4)3 


sanccs  cî  «  dans  toutes  les  occasions  nécessaires  pour  le  bien  de  la 
nation.  »  En  outre  les  députés  étaient  chargés  de  percevoir  sur  les 
navires  les  droits  établis  au  profit  de  la  Chambre  du  commerce  qui 
étaient  levés  dans  les  échelles,  c'est-^-dirc  le  cottimo  des  bâtiments 
qui  (itisiaieni  les  voyages  du  Levant  en  Italie  et  les  droits  de  consulat 
sur  les  biîtiraents  des  étrangers  qui  prenaient  la  bannière  française. 
Tous  les  trimestres  ils  devaient  reinettre  au  consul  un  état  sommaire 
des  recettes  et  des  dépenses  qu'ils  avaient  faites,  et,  aussitôt  sortis  de 
charge,  dans  le  mois  de  janvier  qui  suivait,  ils  devaient  déposer  ;\  la 
chancellerie,  dè.s  comptes  complets  de  leur  administration  ;  tous  ces 
comptes  devaient  être  expédiés  à  la  Chambre  par  la  première  voile 
qui  partirait  de  l'échelle  ;  mais  ces  règles  strictes  de  comptabilité  ne 
furent  jamais  observées'.  Primitivement  les  fonctions  de  député, 
quelques  délicates  qu'elles  fussent,  étaient  purement  honorifiques  et 
la  Chambre  refusait  de  ratifier  les  comptes  des  échelles  où  ils  préten- 
daient s'attribuer  quelque  gratification.  Cependant  il  leur  arrivait  de 
tirer  de  grands  bénéfices  de  leur  charge  en  disposant  pour  leur  com- 
merce des  fonds,  considérables  parfois,  qu'ils  avaient  en  caisse.  II  y 
zvah  l\  un  grave  danger  pour  h  sécurité  des  fonds  du  commerce  et 
plusieurs  banqueroutes  de  députés  des  échelles  firent  décider  par 
l'arrêt  du  27  janvier  1694  que  dorénavant  les  fonds  perçus  par  les 
députés  seraient  remis  dans  la  maison  consulaire  dans  une  caisse  A 
trois  clefs  dont  le  consul,  le  chancelier  et  les  députés  auraient  chacun 
une.  Comme  les  marchands  ne  voulaient  plus  accepter  ces  fonctions 
onéreuses  on  leur  accorda  dcu.v  cents  livres  à  chacun  dans  les  grandes 
échelles  et  cent  dans  les  petites.  En  outre  ils  obtinrent  le  droit  de 
prendre  i  0/0  sur  toutes  les  recettes  qu'ils  faisaient  pour  le 
compte  de  la  Chambre  du  commerce*. 

Ch.ique  nation  avait  à  son  service  un  chancelier  et  des  drogmans. 
Le  chancelier'  tenait  un  registre  des  délibérations  des  assemblées. 


(t)  Malgré  l'article  9  du   rcgltmont  de  Dortiéres   du   S  octobre  1687:  m  I.cs 

disputés  de  la  nation  sortant    d'exercice  dont    les  comptes  ne  seront  pas  en   état 

d'iître  rendus  dans  le  temps  prescrit  par  l'ordonnance  de  S.  M,  du  25  octobre  1685 

(art.  27),  seront  privés  de  leurs  appointements  de  toute  l'année  et  seront  en  outre 

, condamnés  il  500  livres  d';iniende. 

(2)  Oui.  du  25  iUrfinbie  16S),  du  10  mars  i6>j/  (de  l'intendant  Lebrct).  —  La 

IChan)brc  eut  parfois  des  exacteurs  de  droits  dans  les  écliellcs,  ainsi  ![  .Mexandrie 

où  les  sommes  à  percevoir  sur  les  étrangers  qui  portaient  notre  pavillon,  et  surtout 

[sur  les  vaisseaux  qui  ûisaient  les  voyages  d'Italie,  étaient  considérables.    (Voir  la 

t  Correspondance  de  ces  exacteurs,  .•i.-l,  ]jo,  }fi. 

(î)  ^-  P-^S*^  265-266,  l'organisation  des  chancelleries  par  PoNTCHARTRAtx. 


454 


TABLEAU  DU   COMMERCE 


des  comptes  déposés  par  les  députés  à  leur  sortie  de  charge,  des 
procédures  faites  par  le  consul  ;  il  recevait  les  manifestes  des  navires 
h  leur  arrivée  et  h  leur  départ  ;  il  enregistrait  toutes  sortes  d'actes  et 
de  contrats  faits  par  les  marchands  ;  il  acceptait  les  dépôts  d'argent 
et  d'effets  des  marchands  ;  il  recueillait  ceux  des  résidents  déoédés 
dans  l'échelle  et  des  banqueroutiers.  Ainsi  il  était  A  la  fois  le  secré- 
taire, l'archiviste,  le  greffier,  le  notaire  de  la  nation. 

Les  drogmans  jouaient  dans  les  échelles  un  double  rôle  ;  ils 
servaient  d'interprètes  au  consul  auprès  des  puissances  et  souvent 
d'ambassadeurs  quand  ceux-ci  voulaient  éviter  des  audiences  trop 
fréquentes  ou  craignaient  de  compromettre  leur  dignité.  Ils  étaient 
aussi  les  intermédiaires  des  marchands  dans  leur  commerce,  mais  il 
fallait  demander  aux  consuls,  sous  les  ordres  directs  desquels  ils 
étaient,  l'autorisation  de  les  employer.  Dans  les  grandes  échelles  il 
y  avait  deux  drogmans  et  même  davantage  ;  le  premier  drograan 
était  alors  plus  particulièrement  attaché  ;\  la  personne  du  consul  et 
mangeait  A  sa  table,  c'était  toujours  un  Français,  tandis  que  les  autres 
étaient  des  gens  du  pays.  Il  fut  plusieurs  fois  question  d'exclure 
complètement  les  sujets  du  G.  S.  des  emplois  de  drogmans,  mais  la 
Chambre,  qui  avait  été  hostile  au  début  ;t  la  création  des  enfants  de 
langue,  répondait  encore  à  une  lettre  de  Pontchartrain  en  171 2: 
«  Il  n'est  pas  possible  de  n'avoir  que  le  drogman  français  qui  est 
dans  l'échelle  car,  outre  ce  drogman,  il  est  d'usage  qu'il  y  en  ait  un 
autre  :\  la  porte  de  la  maison  consulaire  et  même  d'autres  pour  le 
service  des  négociants.  Ainsi  il  est  nécessaire  qu'on  se  serve  des 
Grecs  ou  autres  gens  du  pays,  les  appointements  desquels  sont  fort 
modiques,  parce  que  ces  sortes  de  gens  recherchent  ces  emplois, 
plutôt  pour  s^exempter  de  payer  le  carach'  aux  Turcs  que  pour  la 
rétribution  qu'ils  en  tirent.  S'il  était  possible  que  tous  les  drogmans 
fussent  Français,  la  dépense  serait  excessive*.  A  la  suite  d'un  échange 
de  lettres  entre  Pontcliartr.iin  et  l'intendant  et  d'une  nouvelle  déli- 
bération de  la  Chambre  le  ministre  décida  seulement  «  d'établir  les 
plus  anciens  des  enfants  de  langue  élevés  ;\  Constantinoplc  en  qualité 
de  second  drogman  dans  les  sept  grandes  échelles....  l'excédent  de 
traitement  ;\  leur  accorder  au-delà  de  ce  que  coûtent  les  Turci  « 
les  Grecs  ne  devant  pas  égaler  les  avanies  auxquels  Ils  donnent 

(1)  Capitation  payée  par  tous  les  sujets  du  sultan  non  musulnians. 

(2)  Délibération  du  21  jami.  ijii.  BB,  6. 


mm 


LA    VIE   DANS    LES   ÉCHELLES 


4SS 


lieu'.  »  Malgré  la  modicité  de  leurs  appointements,  nugmentû's  par 
de  légères  rétributions  des  marchands*,  les  drogmans  indigènes 
avaient  rendu  des  services,  ils  étaient  attachés  à  leurs  fonctions  et 
plusieurs  lamilles  avaient  été  employées  par  la  nation  française 
pendant  tout  le  xvil'  siècle.  Les  drogmans  français  coûtaient  beau- 
coup plus,  car  leurs  appointements  variaient  de  500  à  1500  livres*, 
mais    ils   remplissaient  leurs  fonctions  avec  plus  d'autorité  et  de 

Bsécurité,  aussi  la  mesure  prise  par  Pontchartrain  en  1712  fut 
maintenue. 

Les  besoins  de  la  religion  n'étaient  pas  oubliés  dans  les  échelles  et 
partout  où  il  y  avait  un  marchand  français  on  trouvait  établis  un  ou 
plusieurs  religieux.  Tous  les  consuls  avaient  leur  chapelain  qu'ils 
nourrissaient  à  leur  table,  tandis  que  la  nation  française  avait  son 
curé  qu'elle  payait.  Il  était  d'usage  de  choisir  toujours  les  religieux 
qui  remplissaient  les  fonctions  de  chapelain  ou  de  curé  dans  les 
mêmes  communautés,  qui  tenaient  beaucoup  ;\  l'honneur  de  servir 
le  consul  ou  Li  nation  et  considéraient  ces  charges  comme  de  véri- 
ublcs  propriétés.  Parfois,  comme  on  le  vit  un  moment  i  Alep,  les 
deux  fonctions  étaient  remplies  par  le  même  religieux.  Quand 
môme  elles  étaient  sép.irées,  la  chapelle  consulaire  servait  de  paroisse 
pour  la  nation,  car  les  Turcs  ne  permettaient  pas  qu'il  y  eut  des 
églises  dans  les  échelles,  sauf  :\  Smyrne  et  à  Constantinople,  où  les 
jésuites  et  les  capucins  avaient  chacun  la  leur.  Les  jésuites  se 
vantaient  que  leur  église  Saint-Benoit  de  Galata  fût  la  première  que 

■  les  Français  eussent  obtenu  de  construire  dans  le  Levant  :  «  Elle  est 
la  mieux  établie  par  les  Capitulations,  écrivait  leur  supérieur  à 
Constantinople,  c:  par  une  foule  d'édits  du  Grand  Seigneur  qui  nous 
mettent  h  couvert  des  avanies.  C'est  celle  que  les  Turcs  peuvent  le 


(1)  Lettrés  à  Vinttudaitt  .-Irnoul  du  6  janvier  ijti,  16  mars  tji2  :  «  Comme 
îl  y  a  inconcruitcWrciivoycr  chez  un  Turc  uti  garçon  au-dessous  de  vingt  .ins,  il 
doit  être  détendu  .^  l'cnfânt  de  l.inguc  d'y  aller,  ciu'.\  I.i  suite  d'un  m.nrchand 
avancé  endge.  —  27  avril  i-jij.  S  juin  17/3.  BU,  è). 

(2)  Le  consul  du  Giirc  en  i6}8  donnait  six  écus  par  mois  seulement  à  chacun 
de  ses  deux  truchements.  —  Coppin,  p.  215. 

y  ^  )  Liltn  de  l'anibassadfur,  4  juin  1 6^  :  «  Le  sieur  Barbier  était  iroîsifcrae  drogroan 
à  Constantinople  avec  200  «icus  d'appointements  outre  ses  droits  et  il-molumcnts 

de  l'échelle  qui  mont.nient   environ  h   3(X)  piastres  par  an Je  l'ai  envoyé  à 

Smyrne  comme  premier  drogman  et  il  se  plaint  que  ses  appointements  réglés  h 
250  écus  ne  lui  suffisent  pas.  »  —  21  octobre  i6ifû  .  «  J'ai  (m  savoir  au  sieur  Barbier 
que  vous  avez  fixé  ses  appointements  à  5CX3  piastres,  n  —  ..^W,  1.(9. 


4)6 


TABLEAU  DU  COMMERCE 


moins  enlever  aux  chriîrtiens*.  »  A  Alcp  les  Vénitiens  avaient  eu 

une  église  publique  dans  un  grand  magasin  au-dessous  de  leur  camp, 
elle  servait  de  p.Hoi.s.se  ;\  tons  les  catholiques  ;  les  Turci  en  firent 
une  mosquL'C  quand  ils  chassèrent  les  Vénitiens  au  début  de  h 
guerre  de  Candie  et  la  paroisse  fut  transférée  dans  la  chapelle  du 
consul  de  France'. 

Ces  chapelles  consulaires  étaient  d'une  très  grande  simplicité  :  à 
Alcp  elle  tenait  dans  un  coin  de  la  chambre  consulaire  où  s'assem- 
blait la  nation  ;  il  y  avait  juste  place  pour  un  petit  autel  et  le  prie 
Dieu  du  consul  ;  quand  la  messe  avait  été  célébrée  on  fermait  les 
portes  et  le  consul  recevait  les  marchands  dans  la  salle,  pour  l'expé- 
dition des  affaires  ;  au  Caire  l'installation  n'était  pas  moins  rudimen- 
taire.  Comme  cette  chapelle  servait  h  la  fois  au  consul  et  à  la  nation, 
ils  rejetaient  l'un  sur  l'autre  le  soin  de  son  entretien,  qui  souvent 
laissait  fort  à  désirer.  La  fourniture  d'huile  et  de  chandelle  pour  le 
luminaire  était  généralement  à  la  charge  de  la  nation  qui  lésinait  sur 
Cette  mince  dépense;  quant  aux  ornements  on  les  laiss;iit  tomber 
dans  un  honteux  délabrement,  jusqu'à  ce  que  l'urgente  nécessité 
forc.it  de  recourir  ;\  la  Chambre  du  commerce  pour  les  remplacer. 
«  Les  pères  capucins  qui  sont  les  chapelain.s  de  la  chapelle  consulaire, 
écrit  le  consul  de  Seïde,  seront  bientôt  obligés  de  cesser  d'y  &ire  les 
offices  par  le  manquement  d'ornements,  il  n'y  a  ni  un  tabernacle 
propre  pour  conserver  le  saint  Sacrement,  ni  niche  pour  l'exposer, 
ni  un  bouquet  de  ftusses  tleurs,  mais  seulement  quelques  chasubles 
usées  et  des  nappes  d'autel  déchirées'.  »  A  Alep,  au  Caire,  les 
consuls  se  plaignent  aussi  que  la  chapelle  soit  dans  le  délabrement  le 
plus  complet,  et  demandent  A  la  Cliambre  d'y  remédier*.  Tandis 
que  les  échelles  montraient  souvent  une  grande  tiédeur  pour  subvenir 
aux  besoins  du  culte,  la  Chambre,  ordinairement  économe  des 
deniers  du  commerce,  s'empressait  de  fournir  les  étoffes  ou  les 
ornements  nécessaires  qu'on  lui  demandait*. 

Ce  n'était  pas  seulement  le  soin  de  la  chapelle  et  l'entretien  du 
chapelain  et  du  curé  dans  chaque  échelle,  qui  étaient  à  la  charge  du 

(i)  30  août  tôgô.  AA,  166. 

(2)  D'Arvjeux.  t.  VI,  p.  72. 

(3)  16  août  tjo2.  AA,  jj6.  —  6  avril  if>pg.  AA,  j}^>. 

(4)  AA.  J04.  Lfllre  Je  \6^).  —  1"  janvitr  fjij,  AA,  )}S. 
<5)  Li  Chambre  vote  un;inimcment   une  dépense  de  500   livras   pour  \'ic\\»\ 

dVtoffes,  demelles,  ctc pour  la  dupelle  d'Alep.  —  /<;'  ottobre  16^)4   Bli.  1. 


457 

commerce,  mais  il  contribuait  largement  h  l'ét-iblissement  et  ;\  l'en- 
tretien des  maisons  reli.^iciises.  Au  Caire,  en  1699,  la  nation  fourni: 
400  piastres  aux  jésuites  pour  l'achat  du  terrain  destiné  ^  leur 
établissement  et  les  aida  dans  la  construction  de  leur  maison  ;  à 
Smyrne,  A  la  suite  du  grand  tremblement  de  terre  de  1688  et  à 
Constantinoplc,  après  le  grand  incendie  de  Galata  de  1696,  les 
maisons  et  les  églises  des  capucins  et  des  jésuites  ne  se  relevèrent 
que  grâce  ;\  la  générosité  de  la  Chambre'.  Les  jésuites,  reconnais- 
sants de  la  «  magnifique  église  St-Louis  qu'elle  leur  avait  fait 
bàiir  »  ;\  Sniyrnc,  gravèrent  sur  l'édifice  une  inscription  en  son 
honneur.  Les  marchands  de  ces  deux  échelles  ne  contribuèrent  nu 
contraire  qu'à  contre-cœur  à  ces  dépenses.  Outre  ces  occasions 
extraordinaires  la  correspondance  consulaire  montre  que  les  reli- 
gieux avaient  souvent  recours  à  l'assistance  de  la  Chambre  malgré 
celle  qu'ils  recevaient  des  échelles*.  A  Smyrne  le  consul  fournissait 
aux  capucins  deux  plats  garnis,  un  pour  le  matin  et  l'autre  pour  le 
soir,  et  la  nation  leur  allouait  cinq  piastres  par  bâtiment  sur  les 
droits  d'ancrage  ;  après  la  suppression  de  ces  droits,  en  1691,  elle 
leur  vota  d'abord  400,  puis  250  piastres  par  an,  dont  100  pour  le 
luminaire  de  l'église  et  150  pour  l'entretien  des  trois  religieux  et 
du  frère  convers  qui  composaient  la  communauté*.  Les  jésuites  de 
Smyrne,  qui  étaient  cinq  ou  six,  vivaient  du  revenu  de  la  location 
de  mag.asins  que  la  nation  leur  accordait.  Au  Caire,  les  pères  de 
Terre  sainte  jouissaient  par  «ne  concession  royale  de  certains  droits 
sur  les  bâtiments  français  qui  venaient  en  Egypte*. 

Le  développement  des  maisons  religieusesdu  Levant,  encouragé  par 
le  gouvernement  de  Louis  XIV,  fut  considérable  au  xvir"  siècle.  A 
Alcp,  point  de  départ  des  niissionnaires  pour  la  Perse  et  pour  l'Inde, 
il  n'y  avait  vers  1670  qu'un  cordelier,  un  capucin,  un  jésuite  et  un 
carme,  accompagnés  chacun  d'un  frère  laïque,  ce  qui  fais;iiten  tout 
huit  religieux.  «  Il  va  h  présent,  écrit  d'Arvieux  en  1681,  six  cor- 
dcliers  prêtres,  six  jésuites,  quatre  capucins  et  quatre  carmes,  avec 

(i)  «  Les  pères  JiL-suites  ont  pcrJii  dans  l'incendie  de  Galat.i  leur  maison  et 
toutes  celles  qui  fournissaient  à  leur  subsistance;  leur  d-glisc  mùnic  est  fort 
endonimagtïe...  »  Ultif  tU  Vamhassadcm  161)6.  AA.  z./^. 

(2)  lî  ixtobrt  lôcfS  '.  Les  capucins  vous  sont  bien  obligeas  des  2.000  livres  que 
vous  leur  avez  accordées  de  nouveau  ;  je  crois  que  vous  serez  encore  obligiis  de 
leur  donner  quelque  chose  si  vous  voulez  qu'ils  ne  restent  pas  endettés. 

(3)  2S  juin  }6i)2.  A  A,  301. 

(4)  22  fiuù  i-jos.  AA,  j«4. 


>4S8  TABLE,\U  DU   COMMERCE 

deux  frcres  laïques  pour  chaque  maison,  ce  qui  fait  vingt-huit  rcll- 
gicux  de  résidence,  auxquels  si  on  joint  les  passants,  il  s'en  trouve 
parfois  jusqu'à  quarante  qui  demeurent  dans  la  ville  en  attendant 
l'occasion  de  continuer  leurs  voyages,  et  cela  le  plus  souvent  àla  charge  ^Ê 
de  la  nation.  '  »  Au  début  du  xvii'  siècle,  on  ne  voyait  guère  dans  ' 
les  échelles  de  Syrie  et  d'Egypte  que  les  Religieux  de  Terre-Sainte',  ^ 
cordeliers  espagnols  ou  italiens,  dont  la  principale  maison  était  à  ^Ê 
Jérusalem.  Le  père  Joseph  avait  donné  une  très  vive  impulsion  aux 
missions  des  capucins.  Sous  Louis  XIV  ce  furent  les  jésuites  qui, 
grâce  ;\  la  protection  de  la  Cour,  acquirent  une  situation  prépon- 
dérante dans  le  Levant.  Etablis  auparavant  i  Constantinople,  i 
Smyrne,  ."i  Alep  et  ;\  Seïde,  ils  fondèrent  une  série  de  maisons 
nouvelles  et  donnèrent  beaucoup  plus  d'importance  aux  anciennes. 
En  171 5,  le  voyageur  Lucas  les  trouve  établis  h  Damas  et  leur 
«  mission  est  la  plus  belle  qui  soit  dans  le  Levant.  »  Protégés  par 
les  ministres  et  par  !a  Chambre  du  commerce,  qui  tenait  à  plaire  à  La 
Cour,  les  jésuites  enlevèrent  aux  capucins  ;\  Smyrae,  aux  pères  de 
Terre-Sainte  à  Alep  la  fonction  de  chapelain  du  consul.  Ces  progrès 


(r)  D'Arvif.L'X,  t.  VI,  p.  72-74. 

(2)  Au  sujet  des  progrès  des  étahlissements  religieux  dans  le  LevMtit  pendant  le 
XviF  siècle  et  de  leur  nombre  au  milieu  du  règne  de  Louis  XIV,  on  }>eut  consul- 
ter un  intcTcsSiinl  dcKument  conservé  .lux  Archives  des  affaires  étrangères  (Ins- 
pection du  commerce  de  Marseille,  tome  II)  ;  \Umoiri  sur  VétahVissftnent  JesPtrtt 
de  Terri'-Saiiite  et  da  antres  pères  ou  religieux  et  missiounaires  dans  le  ljri<atit.  (7  pages, 
—  Envoyé  par  l'intendant  Morant  le  \"  août  1685)  :  m  Les  Pères  obserxMmim 
de  Terre-Sainte  sont  les  plus  anciens  religieu.x  établis  dans  le  Levant  et  avant 
l'établissement  des  capucins  dans  le  même  pays,  qui  fut  environ  l'année  1626,  ili 
y  ùisaieni  eux  seuls  les  fonctions  curiales,  principalement  dans  l'Eg^-ptc,  la  Pales- 
tine et  la  Syrie  qui  sont  les  trois  provinces  seulement  qui  dépendent  du  gardien 
des  observantins  de  Hierus.ilem.  ..  (suit  le  détail  des  établissements  et  du  nombre 
des  religieux  dans  chaque  échelle).  —  L'on  ne  doit  pas  taire  que  dans  toutes  les 
occasions  de  peste  très-fréquentes  dans  tout  le  Levant,  il  n'y  a  uniquement  que 
les  capucins  qui  s'exposent,  aussi  il  y  en  meurt  quantité  du  mal  contagieux.  Et 
au  contraire  les  observantins  de  la  Terre-Sainte,  non-seulement  ils  ne  s  exposent 
p.is  ordinairement,  mais  même  ils  ne  donnent  pas  tout  le  soin  nécessaire  pour 
apprendre  les  langues  du  pays  coinme  font  les  jésuites  et  les  capucins  oui  y  vkil- 
lisseiit  dans  la  vue  de  se  rendre  parfaits  A  l'instruaion  des  chrétiens  dcsiieun,  i  U  ( 
différence  des  Pères  de  Terre- Sainte  oui  changent  très  souvent  de  religieux  dans 
leurs  couvents,  v  ayant  aussi  i  consiuérer  que  les  missionnaires  franj.us,  [(.'«lites  1 
et  capucins,  sont  plus  studieux  et  de  meilleur  exemple  que  les  relii  :iiol« 

et  italiens  qui  résident  en  Levant,  ainsi  qu'il  est  très-notoire,  1\.  quiu  ile^i 

bien  difficile  et  dangereux  de  remédier,  attendu  que  lesdits  Pères  de  TcrreSaitiK 

sont  non-seulement  plus  anciens  que  nos  missionnaires  français mais  ciicori' 

sans  comparaison  plus  pécunieux  et  ne  manqueraient  pas  avec  l'abandaaa' 
d'.irgent  dans  laquelle  ils  vivent,  de  susciter  de  fâcheuses  alTaircs  à  nos  mi^Ofl- 
naires.,.,  » 


LA   VIE  DAKS  LES  ÉCHELLES 


459 


It  ces  faveurs  suscitèrent  des  jalousies  violentes  contre  eux  '.  A 
Smyrnc,  tandis  que  les  consuls  les  favorisaient,  les  marchands  par 
esprit  d'indépendance  ou  par  attachement  ;\  leurs  usages,  soutenaient 
les  capucins.  A  Alep  surtout,  leurs  querelles  étaient  fréquentes  avec 

^pes  autres  ordres  *.  Les  maisons  religieuses  du  Levant  rendaient  sans 
doute  des  services  A  l'influL-nce  française  et  au  commerce,  par  leur 
prédication,  par  leurs  écoles,  surtout  par  leurs  missions  dans  des 
pays  éloignés  où  elles  ouvraient  la  voie  aux  marchands  en  faisant 
connaicre  le  nom  français  et  en  fournissant  d'utiles  renseignements; 
mais  elles  étaient  pour  les  échelles  une  source  de  dépenses  et 
d'embarras^  par  leur  zèle  mal  réglé,  par  leurs  querelles  et  par  leur 
peu  de  docilité,  dont  les  consuls  avaient  souvent  à  se  plaindre. 

La  nation  française  des  échelles  se  composait  A  la  fois  de  marchands 
et  d'artisans,  qui  tous  avaient  dû  obtenir  l'autorisation  de  la  Chambre 

B^u  commerce  pour  venir  y  résider*.  Mais  cette  prescription  ne  fut 
jamais  exécutée  à  la  lettre  et  des  résidents  parvinrent  toujours  ;\  se 
glisser  dans  les  échelles  sans  autorisation*.  C'étaient  généralement 
des  jeunes  gens  qui  partaient  pour  s'établir  comme  marchands  dans 

Kles  échelles;  depuis  l'ordonn-ance  de    1700,  ils  devaient  avoir  au 

^moins  25  ans,  ils  y  allaient  avec  peu  de  fonds  dans  l'intention  d'y 
faire  leur  fortune  et  servaient  de  commissionnaires  ou  coagis'"  h  de 

Htgros  négociants  de  Marseille  qui  leur  donnaient  2  "^o  sur  toutes  les 
opérations  qu'ils  faisaient  en  leur  nom  ;  .avec   l'argent  qu'ils  pou- 

Ivaient  avoir,  ils  faisaient  en  outre  le  commerce  pour  leur  propre 
(i)  Les  pères  Je  Turri^- Sainte  craignaient  vivement  de  les  voir  venir  à  JéruM* 
lem  à  la  suite  de  la  création  du  consulat  de  France  et  ils  apprirent  avec  grande 
joie  que  le  premier  consul  Brémond  n'en  conduirait  point  avec  lui.  Lettre  du  2S 
aoùl  lô^ij.  AA,  ))6. 

(a)  Voir  un  curieux  récit  de  D'ARVfEUX.  t.  VI,  p.  J2-17.  —  Cf.  lettre  de 
l'ambassadeur,  2/  décembre  tjûf,  AA,  i/o. 

Il    (î)  V.  p.  269-70. 
i    (.1)  Lettre  de  Poitlcl>artraln  âPdmbassiuUur,   t4janv.  ijii  ■  Ordre  de  dresser  un 
,rôle  des  marchands  et  artisans  français  établis  avec  autorisation  à  Constantiiiople 
et  un  -lutre  de  ceux  qui  y  sont  sans  permission,  avec  des  notes  sur  leurs  familles 
et  leurs  ressources. 

K())  Mot  prnvenijal  =  Commissionnaire.  —  V.  Dictionnaire  Fraiifan-Prtrvença} 
de  Vnin.  Mistral  :  \  h  tin  du  xvii"^  siècle  on  trouvait  dans  les  échelles  des  rési- 
[lents  qui  faisaient  parfois  des  affaires  importantes  p<»ur  leur  compte.  Voici  par 
exemple  ce  que  dit  le  consul  de  Seïde  dans  un  mémoire  adressé  A  Pontchartain 
le  20  février  1691  :  «  Il  ya  six  marcliaudïi  i  .\cre  qui  négocient  de  leur  propre 
argent  :  François  Rippert  négocie  tout  de  son  propre,  réside  depuis  environ  vingt 
ans,  c'est  un  homme  riche  i  40,000  livres. —  François  Deydier  réside  aussi  depuis 
longtemps,  a  un  fonds  de  loo.ocw  livres.  —  Joseph  Arnaud  est  établi  depuis  vingt 


4^0 


TABLEAU  DU   COMMERCE 


compte.  A  côté  de  ces  marchands  qui  formaient  seuls  le  corps  dt  l.i 
nation,  on  voyait  dans  les  grandes  L-chellcs  des  artisans  français  de 
tout  niL-tier  :  tailleurs,  liorlogers,  ré-pandus  dans  tout  le  Lcv.înt  et 
jusqu'en  Perse,  boulangers,  cuisiniers,  charpentiers,  calfats,  cabare- 
tiers  surtout,  dont  les  matelots,  les  voyageurs  de  passage  et  les 
résidents  alimentaient  l'industrie.  On  y  trouvait  aussi  des  chirur- 
giens et  des  apothicaires,  mais  leur  métier  était  peu  rémunérateur, 
malgré  les  maladies  contagieuses  fréquentes  et  malgré  les  clients 
qu'ils  trouvaient  parmi  les  indigènes;  aussi,  pour  les  décider  :\  venir 
s'établir  dans  les  échelles,  la  nation  était-elle  obligée  souvent  de  leur 
promettre  des  appointements  fi.xes.  Au  Caire,  en  1686,  M.  Dortiéres 
autorisa  rétablissement  d'un  chirurgien  de  la  nation;  l'échelle  de 
Seïde  avait  son  apothicaire;  en  1703  la  nation  d'Alep  vota  150  pias- 
tres de  pension  viagère  «  ;\  un  maître  chirurgien  pour  qu'il  fût  uni- 
quement attaché  aux  Français  préalablement  :\  tous  autres,  en  temps 
de  peste'  »  ;  cet  cxcniplc  fut  imité  \  Tripoli,  ;\  Salonique  et  il 
Scïde.  Mais  h  Chambre  du  commerce  s'opposa  toujours  vivement 
A  ces  établissements  et  en  fit  rayer  les  frais  des  comptes  des  échelles 
chaque  fois  qu'elle  les  reçut*. 

Très  peu  de  marchands  des  échelles  étaient  mariés  ;  quant  aux 
.artisans,  généralement  plus  âgés  et  qui  allaient  fiiire  un  établisse- 
ment définitif  aux  échelles,  Iccasétait  plus  fréquent,  mats  ils  n'obte- 
naient pas  toujours  l'autorisation  d'emmener  avec  eux  leur  famille; 
la  Chambre  voyait  avec  raison  Je  mauvais  œil  la  présence  dans  l« 
échelles  de  femmes  et  d'enfants  qui  pouvaient  causer  des  embarras 
;\  la  nation  et  tombera  sa  charge.  «  Je  suis  aise  d'apprendre,  écrit 
Lempereur,  consul  de  Seïde,  que  vous  n'avez  pas  désapprouve  les 
ménagements  que  j'ai  gardés  pour  faire  embarquer  la  veuve  d'Antoine 
Deydier  et  sa  sœur...  J'ai  notifié  A  la  femme  et  à  la  fille  du  nommé 


ans,  a  un  fonds  de  ^0.000  livres  ;  Jacques  Aubert  rcsidc  depuis  longtemps,  a  un 
fonds  de  25,000  livres;  Laurent  .\maud,  frère  de  Joseph,  .1  un  fonds  de  20  i 
25.000  livres;  Nicolas  Hydoux,  mon  vice-ûonsul,  a  un  fonds  de  20.000  livres.  — 
Il  y  a  encore  d'autres  messieurs  «^ui  ne  font  que  conimcneer...  (huit  noms)...  Tous 
ces  messieurs  peuvent  avoir  un  londs  de  6.001)  livres  l'un  pour  l'autre...»  Arei. 
des  aff.  élr.  Mémoires  sur  U  commerct  du  Levant . 

(i)  }o  mai  ijnj.  AA,  )6j.  —  S  mars  ijo^.  AA,  )JJ.  —  Jt  octobre  IJ04.  ta 
nation  de  Sniyrne  se  plaiiu  d'être  dénuée  souvent  de  secours  en  temps  de  maladie. 
Hlle  demande  que  la   Chambre  favorise  rembarquement  d'un  apotliicairc  chi- 
rurgien. AA,  lisj. 

(2)  A  A,  )Sç.  6  dtfcemht  sfoi),  pour  Tripoli;  AA.  444.  38  dàifNhmjii,  poBK- 
Salonique  ;  2}  juin  16S1},  BB,  2S,  pour  Seîdc,  etc. 


LA    VIE    DANS   LES    àcil ELLES 


461 


Daupin  l'ordre  que  vous  m'aviez  donné  de  les  f;iire  ixtoitriiLT  et  je 
lui  ai  marqué  qu'elles  avaient  très  mal  fait  de  s'embarquer  en  cachette 
au  préjudice  des  défenses  que  vous  lui  aviez  fait.  Le  mari  qui  est 
un  calfat  invalide  qui  a  ici  son.  père  et  sa  mère  m'est  venu  voir... 
On  craint  que  la  présence  de  ma  famille  ne  trouble  nos  messieurs 
dans  le  Kam;  j'otfre  de  prendre  une  maison  en  ville  où  nous  ne 
recevrons  aucune  visite'.  »  En  17 10  Pontchartrain  chargea  l'inten- 
dant de  Provence  d'examiner  .i  fond  avec  la  Chambre,  s'il  convenait 
d'autoriser  les  résidents  des  échelles  à  avoir  avec  eux  leurs  femines 

■et  leurs  enfants;  l'hostilité  de  la  Chambre  fit  résoudre  la  question 
négativement.  Cependant  en  1 7 1 6  le  Conseil  de  Marine  se  préoccupa 
de  la  situation  anormale  qui  était  faite  aux  marchands  des  échelles 
et  comprit  que  le  meilleur  mo3-en  d'améliorer  leurs  mœurs  était  de 
la  faire  cesser  ;  c'est  dans  ce  but  que  l'ordonnance  du  17  mars  17 16 

Hk«  permit  aux  femmes  et  aux  filles  d'aller  vivre  avec  leurs  maris  et 
leurs  pères.» 

C'est  en  eHet  la  privation  de  la  vie  de  famille  qui  fait  comprendre 
le  dérèglement  des  mœurs  et  les  habitudes  de  débauches  dont  les 
ordonnances  royales  et  les  efforts  de  la  Chambre  et  des  consuls  ne 
purent  jamais  préserver  complètement  les  jeunes  marchands  des 
échelles.    La  crainte  des  avanies  ou  de  traitements    ignominieux 

^In'arrétait  pas  leurs  entreprises  galantes  auprès  des  Grecques  ou 
même  auprès  des  dames  turques,  qui  leur  Hiisatent  souvent  un 
accueil  complaisant,  quoique  la  rigueur  de  la  loi  turque  menaçât 
les  deux  coupables,  en  cas  de  surprise,  d'une  mort  cruelle,  évitée 
toujours,  il  est  vrai,  par  le  paiement  de  grosses  sonniies  d'argent. 
Quelquefois  ils  se  laissaient  prendre  aux  avances  que  leur  faisaient 
les  familles  indigènes  et,  d;ms  certaines  échelles,  les  mariages  avec 
des  Grecques  n'étaient  pas  rares.  La  Chambre  les  voyait  toujours 
de  mauvais  œil  et  parfois  les  consuls  les  empêchaient  absolument, 
car  aux  yeux  des  Turcs  ces  mariages  étaient  pour  un  Français  une 

^■déchéance,  dont  rhuniiliation  retombait  sur  toute  la   nation  ;  on 

^^  redoutait  surtout  de  voir  ces  jeunes  gens  abandonner  leur  religion 
ou  laisser  élever  leurs  entants  dans  la  religion  grecque. 

Un  article  du  règlement  de  Dortières  du  8  octobre  1687,  ordonna 


(i)  jnjiiîlhl  i6i)S.  .1.1,  }s6  —  Cf.  d'Ahvjeox,  t.  VI,  rt.  4» .  —  Pontcliarlrain  à 
\la  Chambre,  j  juin  lyoj.   Hti,  Si.  —   Deux  familles  de  Chypre  ileinandcnt  deux 
I  servantes  franvJÎses  pour  élever  leurs  enfants.  Vous  laisserez  à  celles  qu'on  voui 
présentera  la  liberté-  de  s'embarquer,  après  vous  être  assurés  de  leur  conduite. 


462  TABLEAU   DU   COMMERCE 

pour  toutes  les  échelles  que  les  Français  qui  se  feraient  marier 
par  des  prêtres  du  rit  grec  seraient  renvoyés  eu  France,  ainsi  que 
ceux  qui  mèneraient  une  vie  scandaleuse.  En  1709,  les  plaintes  de  la 
Chambre  amenèrent  Pontchartrain  à  s'occuper  de  la  question  et, 
après  avoir  reçu  l'avis  de  l'intendant  à  ce  sujet,  il  lui  répondait  : 
«  S.  M...  s'est  déterminée  pour  l'expédient  dont  vous  faites 
l'ouverture  et  elle  défendra  aux  fils  de  famille  français  qui  résident 
dans  les  échelles  de  se  marier  avec  des  femmes  du  pays,  sans  le 
consentement  de  leurs  pères  et  mères,  sous  les  peines  portées  par 
les  ordonnances,  et  encore  sous  celle  d'être  renvoyés  en  France... 
ils  seront  tenus  d'envoyer  leurs  enfants  en  France  de  10  à  25  ans*.  » 
En  17 16,  cette  délicate  question  fut  de  nouveau  soulevée  et  le 
Conseil  de  marine  demanda  son  avis  à  la  Chambre  qui  y  répondit 
par  une  intéressante  consultation  nettement  motivée.  «  S'il  était 
possible,  disait-elle,  d'empêcher  les  Français  de  se  marier  en 
Levant,  il  est  certain  qu'il  en  reviendrait  un  avantage  considérable 
aux  sujets  de  S.  M.,  parce  qu'au  lieu  de  s'engager  sur  les  échelles 
avec  les  femmes  du  pays  qui  ne  les  laissent  plus  revenir  en  France, 
il  arriverait  qu'après  avoir  fait  des  fortunes  honnêtes,  ils  revien- 
draient dans  leur  pays  pour  en  jouir  commodément  et  y  épouseraient 
des  filles  de  leur  patrie,  et  outre  que  cela  augmenterait  les  richesses 
du  royaume,  c'est  que  les  marchands  qui  sortent  des  échelles  du 
Levant,  pour  s'en  revenir  chez  eux,  font  place  aux  jeunes  gens  qui 
y  vont  commencer  leur  fortune,  et,  de  cette  façon,  chacun  peut  aller 
i  son  tour  profiter  d'une  industrie  qui  est  commune  à  tous  les  négo- 
ciants. Mais  outre  ces  raisons  générales,  l'expérience  fait  assez  voir 
les  maux  qui  peuvent  arriver  des  mariages  contractés  entre  des 
Français  et  des  Grecques....  Ce  serait  donc  à  la  vérité  chose  très 
convenable  de  défendre  aux  Français  de  se  marier  sans  la  permission 

par  écrit  du  consul mais  il  se  présente  des  inconvénients.  Le 

premier  est  de  donner  carrière  i\  l'arbitraire  des  consuls Puis  les 

prêtres  ne  voudraient  pas  se  soumettre  ;\  l'autorité  des  consuls,  puis- 
que presque  tous  les  mariages  qui  se  font  en  Levant  se  consument 

par  l'entremise  et  négociation  de  ces  prêtres Ainsi  l'avis  de  la 

Chambre  est  de  laisser  subsister  les  choses.  Et  comme  l'ordonnanee 
du  17  mars  dernier  a  permis  aux  femmes  et  aux  filles  d'  «  aller  vivre 
avec  leurs  maris  et  pères,  et  qu'à  l'avenir  il  pourrait  se  faire  des 

(l)  Depping.  Corr.  Adm.,  j  dk.  1708  ij  Jiv.  lyoç,  t.  IV,  p.  7S3. 


LA    VIE   DANS   LES   ÉCHELLES 


4^5 


mariages  avec  des  Françjiises,  il  paraîcrait  néces&iireque  ceux  qui 
contracteraient  mariage  avec  des  filles  de  Français  demeurassent 
exclus  de  toutes  charj^es  et  administration  du  corps  de  la  nation  et, 
si  c'était  avec  des  filles  du  pays,  les  mûmes  Français  fussent,  eux  et 
leurs  enfants  exclus  en  outre  des  assemblées  nationales'.  »  Cette 
délibération  fut  approuvée  par  l'intendant  Arnoul,  inspecteur  du 
commerce  du  Levant  et  l'ordonnance  royale  du  ii  août  1716  fut 
rendue  en  conséquence*. 

Si  la  vie  de  fomille  n'exisuit  guère  aux  échelles  les  marchands 
viv;iient  du  moins  dans  une  étroite  communauté.  Au  Caire,  A 
Smyrne  ils  avaient  chacun  leur  maison,  mais  leurs  habitations 
étaient  contiguës  et  ils  avaient  leur  quartier  réservé  qu'on  appelait 
la  contrée  française.  A  Alexandrie,  à  Rosette  et  dans  toutes  les 
échelles  de  Syrie  :  Acre,  Seïde.  Barut,  Tripoli,  Alep,  ils  vivaient 
réunis  dans  un  raéme  édifice  qu'on  appelait  le  camp*.  Les  camps 
étaient  des  édifices  rectangulaires  fermés  complètement  .1  l'extérieur 
et  dont  les  appartements  étaient  disposés  autour  d'une  grande  cour 
intérieure,  au  centre  de  laquelle  était  généralement  une  fontaine  avec 
un  bassin.  Tous  ces  bâtiments  étaient  à  un  seul  étage  surmonté  d'une 
terrasse  comme  toutes  les  maisons  de  ces  pays.  Au  rez-de-chaussée 
s'étendait  sur  tout  le  pourtour  une  galerie  voûtée,  sur  laquelle  s'ou- 
vraient les  magasins  des  marchands,  les  boutiques  ou  échoppes  des 
artis;ins  et  les  tavernes  des  cabareticrs.  Au  premier  étage  se  trou- 
vaient les  appartements  des  marchands,  disposé-s  le  long  d'une  sem- 
blable galerie.  Dans  les  échelles  de  Syrie  les  religieux  occupaient  une 
partie  du  cimp  à  côté  des  marchands,  et  les  appartements  consulaires 
s'y  trouvaient  aussi  généralement  ;  à  Seïde  le  consul  occupait  un 
(Tctit  palais  construit  par  l'émir  Fakhreddin  pour  son  sérail, 
mais  on   y    pénétrait    par    la    cour   du  camp  ;  à   Tripoli   sculc- 


(I)  Dflilfi'raliùH  du  t6  juHltt  tyi6.  Hli,6. 

{2)  Les  résidents  de»  échelles  ne  pouvant  pas  se  m.iricr   sans  cire  déchus  de 
leurs  droits,  ne  s'établissaient  pas  d^innitivenient  dans  les  échelles  nù  le  corps  de 
•  lanjiionsc  renouvelait  sans  cesse,  et  n'y  restaient  que  le  temps  nécessain:  pour 
jfairc  leur  fortune.    De  (685  à  t7J5,il  partit  de  Abr>eille  1240  résidents,  c'cst-à- 
Wire  en  moyenne  3 1   p.ir  an  ;  comme  le  nombre  des  résidents  ne  s'iiccrul  pas 
ipciid.uU  celte  période,  il  en  revenait  donc  chaque  année  à  peu  prés  aut.im  .1  Mar- 
seille. Les  nations  des  dclielles  ne  l'ormaieiil  donc  pas  de  véritables  colonies  comme 
peuvent  le  taire  .lujùiird'hiii  les  familles  franvaise*  établies  en  Itg^'ptc.  parcxcn)p1c. 
(î)  t  Ondoit  toiii  iJre  par  un  t^rav.msérjil   un  logement  de  voy.i- 

geuri  à  la  campagne,  ilxcs  cl  sans  boutiques;  le  lian  a  ses  boutiques  et 

SCS  chambres  et  le   HeMM.iii  ii'ii-'iif)  est  une  place  runlcrmée  où  il  y  a  des  bouti- 
ques sans  chambres.  »  PoUtxrr,  t.  I.  p.  I}5. 


464 


TABLEAU    DU   COMMKRCE 


ipli 


k 


niarchnnds,  il  occupait  une 
maison  à  part.  Outre  ses  appartements  particuliers,  le  consul  de^'ait 
avoir  deux  s;illes  de  réception,  l'une  meublée  à  l'européenne  pour 
les  visites  des  marchands  français  ou  de  ceux  des  autres  nations, 
l'autre  installée  en  divan  pour  les  visites  des  Turcs,  et  il  était  tenu 
de  meubler  dignement  ces  deux  pièces.  A  côté  se  trouvait  la 
grande  salle  consulaire  où  se  tenaient  les  assemblées  de  la  nation. 
Un  consul  d'Alep,  dans  une  lettre  ù  la  Chambre,  fait  de  la  salle 
consulaire  de  cette  échelle  une  intéressante  de^cription  :  «  Elle  a 
neuf  toises  (18  mètres)  de  long  et  environ  trois  de  large,  ccrit-il,  un 
dôme  au  milieu  et  des  fenêtres  A  chaque  bout,  dont  les  unes  regar- 
dent au  septentrion  et  dans  le  grand  bazar  qui  est  tout  voûté,  les 
autres  au  midi  et  dans  la  cour  du  grand  camp  qui  la  renferme...  Ce 
qui  l'embellit  le  plus,  ce  .sont  les  meubles,  qui  consistent  en  di.\ 
pièces  de  tapisseries  dont  chacune  porte  deux  faisceaux  passés  en 
sautoir  sur  un  champ  d'azur,  surcharges  d'une  croix  blanche  et  can- 
tonnés de  quatre  fleurs  de  lys  d'un  jaune  orangé.  La  bordure  qui 
occupe  la  quatrième  partie  de  la  tapisserie  porte  ù  chaque  coin  une 
fleur  de  lys  de  la  même  couleur  que  les  autres,  sur  un  champ  d'azur 
d'un  pied  en  carré.  Entre  chaque  fleur  de  lys,  il  y  a  un  écu  de 
France  .accompagné  de  part  et  d'autre  de  chiff^res  d'.tzursurun  champ 
de  gueules.  Au  milieu  de  cette  salle...  il  y  est  la  chapelle  ou  plutôt 
l'oratoire...  mais  la  porte  en  demeure  fermée,  ù  la  réserve  des  heures 
des  prières.  Par  dessus  cette  porte  de  l'oratoire,  il  y  a  le  portrait  de 
Louis  Xin  ;\  cheval  dans  un  cadre  rouge,  parsemé  de  fleursde  lys  d'or 
d'environ  sept  pieds  en  carré;  X  côté  droit  de  ce  tableau,  sont  les  .armes 
de  Marseille,  et,  .\  gauche,  celles  d'Alep.  Vis  à  vis  de  Louis  XIII,  est 
notre  roi,  peint  dans  un  cadre  doré  de  tout  son  long,  d'environ  huit 
pieds  de  hauteur  et  cinq  de  largeur,  avec  son  manteau  royal,  la  cou- 
ronne sur  la  tète  et  le  sceptre  X  la  main.  A  côte  droit,  sont  lesarmcsdc 
W'  r.Amiral,  et,  X  gauche,  celles  de  la  maison  Colbert.  Entre  le& 
fenêtres  qui  regardent  à  la  cour  du  Kan,  et  au-dessus,  sont  les  armes 
de  France  dans  un  grand  cidre  octogone  d'environ  six  pieds  et  detni 
de  hauteur  soutenues  de  deux  p.ilmes  de  côté  et  d'autre.  A  l'autre 
bout  de  la  salle,  et  au-dessus  des  fenêtres  qui  regardent  au  grand 
Kizar,  sont  les  annes  de  MM.  les  Etats',  de  sis  pieds  et  demi  de  brgc 


(it  Le  comul  de  Fnncc  avait  ili  pcudiat  tout  le  xw  sièck  consul  «les  Hoi- 
bndiùs  à  .Mcp. 


LA   VIE  DAMS  LES  ÉCHELLES 


465 


Bt  quatre  et  demi  de  hauteur;  à  leur  droite,  celles  de  la  province  de 
Hollande,  cl,  ;\  gauche,  celles  de  la  province  d'Amsterdam.  Au-des- 

Ius  de  la  tapisserie,  de  côté  et  d'autre,  les  armes  de  ceux  qui  ont 
xercé  le  consulat  d'Alep  sont  placés  au  nombre  de  vingt-cinq. 
/i  plus  ancien  des  consuls,  qui  a  commencé  en  1562,  est  Jean  Rei- 
lier,  auquel  succéda,  en  1579,  Jean  Reinier  son  fils,  en  1589, 
ivlathieu  Reinier En  entrant  par  la  niènie  porte  de  l'Occident, 

est,  à  droite,  la  chambre  d'audience...  Vis  i  vis  de  la  fenêtre,  on  voit 
hin  dais  de  damas  cramoisi  avec  des  franges  d'or.  Il  est  accompagné, 
à  droite,  de  Louis  XIII,  et,  \  gauche,  d'Anne  d'Autriche.  Vis  à  vis 
de  ce  portrait  du  roi  et  au-dessus  de  la  fenêtre,  est  encore  Louis  XUl, 
représenté  dans  un  tableau  lorsqu'il  n'était  que  dauphin,  ayant  le 
sceptre  à  la  main.  A  droite,  Catherine  de  Médicis,  et  plus  loin  sur  b 
même  ligne,  Gaston-Jean-Baptiste  de  France,  duc  d'Orléans.  A  gau- 
che, Henri  IV,  et  à  son  côté,  Marie  de  Bourbon,  duchesse  de  Mont- 
■pensier,  femme  du  même  duc  d'Orléans.  Cette  chambre  a  une 
tapisserie  de  cuir  doré,  au-dessus  de  laquelle,  ;\  droite  et  ;\  gauche, 
—Sont  six  tableaux  qui  représentent  divers  paysages...  dans  un  des 
■coins,  un  £iuteuil  de  cuir  rouge  où  le  consul  s'assied  quand  on  tient 
assemblée.  Dans  ce  même  coin,  une  pièce  de  tapisserie  qui  porte  une 
épéc  qui  soutient  une  couronne  royale,  surchargée  d'un  sceptre  et 
d'une  main  de  justice  en  sautoir,  surmontée  d'une  balance,  le  tout 
kur  un  champ  d'azur.  —  Vous  ne  sauriez  croire  combien  de  personnes 
de  cette  ville  et  de  ses  environs  viennent  pour  voir  ces  meubles  et 

(pour  admirer  les  portraits  de  nos  rois  et  surtout  les  deux  de  notre 
grand  monarque''.  » 
Mais  le  camp  d'Alep  passait  pour  le  plus  vaste  et  le  plus  beau  de 
toute  la  Syrie  et,  sans  doute,  aucune  autre  salle  consulaire  n'était 
ornée  avec  tant  d'apparat  et  n'offrait  un  aspect  aussi  imposant. 
■Malgré  les  vastes  dimensions  des  camps,  les  marchands  s'y  trouvaient 
assez  i\  l'étroit  et  il  leur  eût  été  difficile  de  s'y  installer  avec  leurs 
familles.  Dans  le  grand  camp  de  Seide  chaque  marchand  avait  une 
■chambre  grande  et  commode  accompagnée  d'un  cabinet  et  quelques 
pièces  avaient  été  transformées  en  cuisines  et  en  fours.  Les  mar- 
iChands  devaient  s'y  meubler  ;\  leurs  frais,  mais  ne  paj-aient  rien  pour 
;ur  logement  ;  parfois  même,  comme  à  Alexandrie,  la  nation 
levait  recevoir  des   Turcs  une  somme   pour   l'entretien  des  bâti- 


(I)  LcHrt  du  4  avril  i6pj,  AA,  jôj. 


30 


466 


TABLEAU   DU   COMMKUCE 


munis'.  Au  début  du  xvn'^  siècle  les  camps  éuient  fermas  chaque 
soir  et  les  cld's  remises  aux  officiers  Turcs  chez  qui  on  allait  les 
reprendre  le  lendemain  matin  ;  le  vendredi,  pendant  Fa  prière  de 
midi,  les  marchands  trancs  devaient  aussi  rester  L-nlermcs  dans  leurs 
camps,  parce  que,  d'après  une  prophétie  répandue  chez  les  Turcs, 
les  Francs  devaient  profiter  de  ce  moment  pour  s'emparer  de  leurs 
villes. 

Dans  les  échelles  où  les  marchands  avaient  leurs  maisons  iU 
étaient  établis  plus  commodément  et  les  voyageurs  vantent  l'installa- 
tion de  leurs  habitations  du  Caire  ou  de  Smyrne,  la  grandeur  et  la 
beauté  des  maisons  consulaires.  Mais,  au  début  du  xvii'^  siècle 
surtout,  les  camps  offraient  l'avantage  de  tenir  les  l-rançais  i  l'abri 
du  contact  des  Turcs  et  par  conséquent  des  occasions  J'avanies  ;  en 
cas  de  troubles,  ils  étaient  pour  eux  un  asile  sûr,  car  les  camps, 
coumie  les  caravansérails,  étaient  des  édifices  dont  le  revcûu  éuit 
consacré  aux  mosquées  et  les  Turcs  n'osaient  pas  les  violer  ;  enfin, 
pendant  les  pestes  fréquentes  dans  les  échelles,  les  nurchands  y 
restaient  enfermés  pour  se  présers^er  de  la  contagion.  Dans  les 
échelles  où  il  n'y  avait  pas  de  camp  la  maison  consulaire  apjurtenair 
généralement  au  corps  du  commerce,  les  consuls  en  payaient  le 
loyer  et  devaient  pourvoir  .\  son  entretien.  Au  Caire  seulement  leur 
maison  leur  était  fournie  par  la  nation  qui  la  louait  2.300  mcdins'. 
Dans  les  petites  échelles  il  n'y  avait  pas  toujours  une  maison  consu* 
laire  attitrée  et  les  consuls  se  plaignaient  de  cette  situation  qui  les 
forçait  souvent  à  s'établir  dans  des  habitations  insutlisantes  et  indi- 
gnes de  leur  caractère^.  Quant  aux  résidents  ils  achetaient  ordinaife- 
ment,  en  arrivant,  la  maison  d'un  marchand  qui  s'en  allait  et  ils  b 
remettaient  à  d'autres  quand  ils  part;iient  eux-mêmes. 

Malgré  l'installation  quelquefois  assez  sommaire  des  camps,  les 
Français  menaient  dans  les  échelles  une  vie  large  et  facile.  Les  mar- 
chands avaient  ordinairement  des  chevaux,  sauf  en  Ugj'pte  où  les 
Turcs  le  leur  défendaient,  et    plusieurs    domestiques  ;    Li  plupart 


(i)  D'Arviecx,  t.  I,  p.  176. 

(3)  }j  nicJIns  font  .\o  sols  iournots.  —  Cotniuu  clic  éuit  trop  pethc,  1a  aâàcti 
eu  louait  une  .nutrc  pour  loger  le  cha)x-l.iin  et  les  ilrogiiijQS. 

(})  W  Lettics  du  consul  de  la  Catu'c,  20  janvier  sjao,  A  A,  43};  dt  TriftûS, 
tj  lioiil  iffiJS-  AA,  }S,S.  Ils  Ut.'UunJt;iit  l'autorisation  d'jclK-ter  une  nutton  .  b 
Chambre  n'aura  A  l'aire  que  l'avance  des  l'unJs  ;  le  cunsul  leur  p.iicrj  le  tayextottt 
les  ans. 


LA  VIE  DANS  LES  ECHELLES 


467 


cependant  n'.iv;iieiu  p.is  leur  cuisinier  et  mangeaient  au  dehors. 
Dans  certaines  échelles,  comme  au  Ciire,  beaucoup  prenaient  pen- 
sion ;\  la  table  consulaire  ;  ;\  Alep,  en  1695,  un  marchand  pour  sa 
nourriture  et  celle  de  son  valet  payait  au  consul  iSo  piastres  par  an, 
mais  celui-ci  soutenait  qu'il  y  trouvait  plus  de  perte  que  de  profit  et 
le  consul  des  Anglais,  qui  avait  beaucoup  de  marchands  ;\  sa  table, 
recevait  d'eux  200  piastres,  sans  être  tenu  de  nourrir  leurs  valets*, 
Quand  ils  n'étaient  pas  les  pensionnaires  du  consul,  les  marchands 
trouvaient  chez  des  cabareticrs  français  établis  dans  le  camp  ou  dans 
la  contrée  une  table  bien  servie  pour  un  prix  modique*. 

La  vie  en  commun  était  donc  dans  les  échelles  la  règle  ordinaire, 
cependant,  quand  leurs  affaires  prospéraient,  les  marchands  tenaient 
à  avoir  leur  maison  complètement  montée,  parfois  sur  un  grand  pied. 
«  En  moins  de  deux  ans  que  je  fis  ce  commerce,  écrit  d'Arvieux 
alors  négociant  iiSeïde,  je  trouvai  avoir  gagné  une  trèsgrosse  somme 
quoique  je  lisse  une  dépense  considérable  :  car  j'avais  quatre  che- 
vaux, six  domestiques,  une  table  de  six  couverts  et  souvent  de  davan- 
tage, et  bien  servie,  où  mes  amis  de  toutes  sortes  de  nations  venaient 
boire  et  manger  sans  cérémonie.  J'avais  une  maison  fort  agréable", 
dont  la  plupart  des  vues  donnaient  sur  la  mer,  quatre  belles  chambres, 
un  grand  cabinet,  une  salle  .1  manger,  une  cuisine,  un  office,  deux 
grands  m.igasins,  une  écurie,  des  logements  pour  mes  domestiques, 
des  meubles  propres,  toujours  bonne  provision  de  vins  de  plusieurs 
sortes,  aussi  bien  que  d'cau-dc-vie  et  de  liqueurs'.  »  Un  pareil 
train  de  maison,  exceptionnel  pour  un  marchand  français,  était 
fréquent  chez  les  Anglais  qui  avaient  un  très  grand  amour  du 
bien-être  et  possédaient  les  moyens  de  le  satisfaire.  La  dépense  était 
d'ailleurs  moindre  qu'on  pourrait  le  croire,  car  dans  toutes  les 
échelles  on  vivait  à  fort  bon  compte  ;  les  domestiques,  outre  leur 
entrelien,  se  contentaient  de  quelques  piastres,  les  vivres  étaient 
partout  en  grandeabondance  et  h  bon  marché.  «  A  Smyrne,  en  1654, 
U  livre  de  bœuf  ne  se  vendait  qu'un  sol,  celle  de  veau  ou  de  mouton 
deux  sols.  Les  perdrix  rouges  ne  coûtaient  que  cinq  i!k  six  sols  pièce. 


(t)  4  avril  161)).  AA,}ôs.  Ltllre  tlu  cotisuL 

(2)  De  mon  tcmp»  un  cuisinier  fr.inqais  y  tciuit  une  aubt^rge  (à  SelJc),  à  josols 
p.ir  jour,  (Coppix,  p.  421  —  vers  1640). 

())  Dans  un  petit  kjmp  dil-pciidunc  du  grand  qui  5e  trouvait   alors  rempli,  les 
rCiidcius  e'tant  trcs  nombreux. 

(4)  D'Ar^eUX,  t.  IV,  p.  348. 


/ 


468  TABLEAU   DU   COMMERCE 

les  lièvres  dix  sols,  les  becfigues  et  autres  oiseaux  six  sols  la  douzaine.  » 
A  Seïde  le  bœuf  et  le  mouton  revenaient  à  deux  sols  la  livre,  les 
poules  à  dix  sols  pièce,  les  poulets  à  huit  sols  la  paire,  les  perdrix 
rouges  à  quinze  sols  la  paire  '.  Il  en  était  de  môme  en  Egypte,  à  Cons- 
tantinople  et  ailleurs*. 

Dans  toutes  les  échelles  les  Francs  sortaient  revêtus  de  robes  et 
de  pelisses  à  la  Turque  et  portaient  la  barbe  longue  ;  les  Hollandais 
et  les  Anglais,  dit  un  voyageur,  parvenaient  à  prendre  absolument 
l'extérieur  des  gens  du  pays,  mais  on  reconnaissait  toujours  les 
Français  à  leurs  manières.  Les  marchands  pouvaient  ainsi  vaquer 
librement  à  leurs  afîiiires,  sans  attirer  l'attention  et  sans  s'exposer 
aux  insultes  de  quelque  fanatique.  Les  consuls  qui  ne  sortaient 
qu'accompagnés  de  leurs  janissaires  et  pouvaient  mieux  se  faire  res- 
pecter conservèrent  toujours  la  perruque  et  le  chapeau  qui  les 
faisaient  reconnaître.  A  la  fin  du  xvii'  siècle  la  sécurité  étant  devenue 
plus  grande  pour  les  Européens,  les  marchands  reprirent  aussi  la 
coiffure  nationale  ;  et  même,  dans  les  échelles  où  passaient  le  plus 
d'étrangers  comme  à  Smyrne  et  \  Constantinoplc,  les  indigènes 
s'étaient  habitués  à  voir  les  voyageurs  se  promener  habillés  entière- 
ment i  la  franque.  «  Tandis  qu'on  travaillait  à  nos  habits  à  la 
Turquesque,  écrit  en  lyooTournefort,  nous  courions  partout  pour 
vùir  les  beautés  de  la  ville,  vêtus  à  la  française,  l'épée  au  côté,  la 
perruque  poudrée  et  le  chapeau  retroussé,  quoique  rien  ne  choque 
plus  les  Musulmans...  Ceux  de  Constantinople  et  de  Smyrne  se  sont 
mis  ;\  nos  manières  à  force  de  nous  voir  dans  notre  équipage  ordi- 
naire ;  nous  n'eussions  fait  aucune  difficulté  d'aller  dans  les  rues 
sans  janissaires  si  M.  l'ambassadeur...  n'eût  ordonné  qu'ils  nous 
accompagnassent  partout*.   » 

En  Egypte  seulement,  où  la  haine  contre  les  chrétiens  était  plus 
vivace  et  où  l'on  avait  à  redouter  les  insultes  d'une  populace  très 
remuante,  les  Français  tenaient  ;\  conserverie  privilège  qu'ils  avaient 
de  porter  une  sorte  de  chéchia  formée  d'un  bonnet  de  velours  noir 
garni  d'un  léger  turban  de  soie  bigarrée.  C'était  au  turban  qu'on 

(i)  D'Arvieux,  t.  I,  p.  61  et  351. 

{2)  ']"nKVi.xoT  loue  une  fort  jolie  maison  à  Constantinople  et  prend  pension,  le 
tout  ;\  fort  bon  marché,  p.  3.1. 

(5)  ToUKNKrouT,  t  I,  p.  152.  —  «  Presque  tous  les  étr.nngcrs,  de  quelque 
nation  qu'ils  soient,  s'y  habillent  comme  les  Turcs,  ;i  la  coiffure  près.  »  —  LecAS, 
p.  172  (en  171 5). 


t.A  vn?  n.ws  LES  èchelir? 


1^9 


Tcconn.iissait  en  Egypte  b  condition  des  personnes:  les  Turcs  le 
portaient  bl;tnc,  les  chrétiens  bigarre,  les  Juifs  ne  pouvaient  pns  en 
avoir,  mais  portaient  le  cilpas  "  bonnet  violé  fort  haut  de  tcte  et  plat 
pardessus'.  »  Les  rayures  et  la  forme  de  celui  des  Français  les  distin- 
guaient à  la  fois  des  Turcs  et  des  gens  du  pays  et  leur  permettaient 
de  passer  inaperçus  au  dire  ou  il  Alexandrie  dans  la  foule  et  de  se 
faire  respecter  i  l'occasion,  tandis  que  le  consul  qui  portait  le  chapeau 
et  la  perruque  était  souvent  insulté.  Aussi  ce  fut  un  grand  cnioi  dans 
la  nation  quand,  A  l'instigation  du  consul  qui  était  en  querelle  avec 
les  marchands,  Pontchartrain  leur  envoya  l'ordre  de  laisser  leurs 
*  cesses  »  pour  prendre  le  chapeau  ou  le  calpas.  «  Nous  vous  obser- 
vons, écrivirent-ils  .1  la  Chambre,  que,  par  une  preuve  qui  ne  nous  est 
que  trop  sensible,  le  chapeau  ne  saurait  être  porté  dans  le  dire  sans 
y  être  maltraités  à  tout  moment  :  cela  n'est  que  trop  prouvé  par  les 
insultes  qui  arrivent  journellement  aux  capitaines  et  passagers  qui 

viennent  au  Caire  coiH'és  .\  la  française Si  nous  venions  auprès 

du  pacha  pour  lui  demander  justice  on  s'excuserait  sur  ce  qu'on  ne 
nous  connaissait  pas  pour  Français  n'ayant  plus  ces  cesses  qui  nous 
distinguent  des  autres  nations.  Cela  nous  mettrait  dans  Li  nécessité 
de  nous  tenir  en  contrée  et  de  taire  agir  des  ccnsaux  (courtiers),  Juifs 
ou  Mores,  pour  les  achats  des  marchandises  et  recouvrement  de  nos 
dettes....  Fn  adoptant  le  calpas  la  nation  se  trouverait  confondue 
avec  les  Arméniens,  Grecs  et  Juifs  et  par  conséquent  sujette  ;\  tous 
les  outrages  que  ces  nations  esclaves  sont  exposées  journellement  *.  * 
Sur  les  instances  des  marchands  la  Chambre  se  décida  à  demander 
au  ministre,  et  obtint  le  maintien  de  l'ancienne  coiffure'. 

(i)  CoppiN,  p.  2iM  et  312.  —  •  Tiius  IçN  Fr.ini;ais  por{.»ivnt,  quand  j'ct-iis  au 
C.iirc  Ivers  t^îj),  la  barl>e  et  les  cheveux  longs.  Ils  n'en  av.iitnt  ym  meilleure 
mine.  Ils  se  contentent  à  présent  d".ivoir  Jeux  Wellers  et  épaisses  moustaches,  lis 
ont  1.1  tète  couverte  d'un  bonnet  de  velours  noir  dont  on  dit  que  l'inventeur  est 
venu  de  Venise.  Us  environnent  le  bord  de  ce  bonnet  d'une  légère  éc)^.trpe  de 
St^iie  Ou  de  lin  de  diverses  couleurs  pour  les  disiin;;uer  des  'l'urcs  qui  portent  leurs 
turbans  tout  blancs  et  fort  gros.  Leurs  souliers  ne  sont  que  des  espèces  de  chaus- 
sures de  ninroquin  sans  talon  qu'ils  mettent  d.ins  des  pantoufles.  »  D'Arvieux, 
1. 1,  p.  20Î, 

(2)  Lellrt  dt  ijot,  AA,  jio. 

{})  If  mari  ij03,3j  nmn  lynj,  AA.  jin.  —  L'année  suiv;inte  ce  lui  le  p.icha 
qui  leur  interdit  de  pnrter  1.»  (Itmeuse  cesse,  .■>  la  suite  de  la  révolution  d.tos  la 
milice  en  1705,  et  leur  ordonna  de  porter  le  ch:ipeiu  ou  le  chipas.  —  Le  consul 
du  dire  é-crivit  qu'il  éuit  d'une  nécessité  .ibsolne  pour  le  repos  de  la  nation  que 
l'état  des  habillements  IvU  réglé  A  Constantinople  et  suppli.i  l'anibassaJeur  de  voir 
s'il  était  possible  d'obtenir  le  rét.iblissement  de  la  «cesse  «  dont  il  lui  envoyait 
le  modèle...  :i  tt.ir.-nihi^  i-.>:     l  l,}Of. 


470  TABLEAU   DU   COMMERCE 

Sauf  en  Egypte  et  dans  certaines  échelles  de  Syrie,  comme  Acre 
et  Barut,  où  la  campagne  n'était  pas  sûre,  môme  pour  les  habitants 
du  pays,  à  cause  des  incursions  des  Arabes,  les  Francs  sortaient  en 
toute  sécurité  hors  des  villes  pour  s'y  divertir,  y  faire  des  promena- 
des à  cheval,  y  chasser  le  gibier  partout  fort  abondant.  A  Seïde,  les 
marchands  qui  ne  chassaient  pas  avaient  parfois  chez  eux  leur 
chasseur,  qui  pourvoyait  facilement  leur  table'.  En  171 5,  le  consul 
de  France  possédait  même  aux  environs  de  Smyrne  une  fort  jolie 
maison  de  campagne  et  son  beau  père  le  consul  de  Hollande  en 
avait  aussi  une  très  belle*.  En  dehors  des  parties  de  campagne  les 
marchands  ne  laissaient  passer  aucune  occasion  de  se  divertir.  Ils  se 
traitaient  fréquemment  les  uns  les  autres  avec  magnificence,  ils 
recevaient  aussi  les  gens  considérables  de  l'échelle.  Turcs  ou  Grecs. 
«  Les  facteurs  des  Anglais  et  des  Français,  dit  le  voyageur  PouUet, 
font  tous  grande  ciière,  jouent  hardiment  leur  argent,  ont  tous 
leur  cuisinier  chez  eux  et  la  plus  grande  partie  d'entre  eux  entretient 
le  cheval  :\  l'écurie  et  bien  souvent  quelques  autres  galanteries 
ailleurs....  A  tout  prendre  il  ne  faut  pas  s'étonner  si  les  Français  et 
les  Anglais  sont  de  si  belle  humeur  dans  cette  ville,  le  vin  y  est  si 
exquis  qu'il  faut  y  perdre  tout  ce  que  la  mélancolie  a  de  malignité  '.  » 

Si  habitués  qu'ils  tussent  aux  vins  du  pays,  les  résidents  des  échel- 
les ne  laissaient  pas  d'en  sentir  vivement  les  effets  si  l'on  en  juge 
par  le  tableau  suivant  :  «  Quand  ces  divertissements  se  font  à  terre, 
chez  des  marchands  riches  et  généreux  et  surtout  chez  les  Anglais, 
rapporte  d'Arvieux,  on  ne  peut  rien  ajouter  ;\  la  magnificence  des 
festins,  ni  à  la  quantité  de  vin  qui  s'y  boit.  On  casse  et  on  brise 
tout  pour  faire  honneur  ;\  ceux  ;\  qui  on  boit  et  on  pousse  quelque- 
fois la  débauche  si  loin  que,  ne  trouvant  plus  rien  i\  casser,  on  fait 
allumer  un  grand  feu  et  on  y  jette  les  chapeaux,  les  perruques  et  les 
habits  jusqu'aux  chemises,  après  quoi  ces  Messieurs  sont  obligés  de 
demeurer  au  lit  jusqu'à  ce  qu'on  leur  ait  fait  d'autres  habits.  D'autres 

(1)  D'Akvikux,  t.  I,  p.  351. 

(2)  LvcAS,  p.  202.  —  De  Bruyn  (hollandais)  passa  six  mois  à  Smyrne  fort 
agréablement.  «  Vingt-neuf  marchands  de  notre  nation  y  ont  fait  b.itir  une  maison 
à  Haselaer  dans  laquelle  ils  ont  plusieurs  beaux  appartements  et  diverses  cliambrcs 
avec  une  écurie  à  tenir  30  chevaux,  le  tout  environné  d'une  grande  muraille. 
Tous  ces  Messieurs  prenaient  j^rand  plaisir  à  la  chasse  et  .i  la  pêche.  »  —  Il  ne 
fallait  cependant  pas  trop  s'éloigner  des  villes  à  cause  des  voleurs  de  grand  chemin 
qu'on  trouvait  partout.  —  Pour  aller  de  Smyrne  à  lîphèsc  il  fallait  une  escorte. 

{5)  Poi;u.i:r,  t.  Il,  p.  29-30. 


LÀ  VIR  DANS  LKS   fecHFLLES 


47» 


plus  raisonnables  so  tlivcrtissedt  â  jeter  h  la  mer,  du  haut  de  leurs 
gaicriw,  tics  poignées  de  pidccsdccinq  sols,  .ifin  d'avoir  le  plaisir  de 
de  voir  la  populace  plonger  er  se  battre  au  Ibiul  de  la  nier  pour  les 
ramasser*.  »  Les  prétextes  de  banqueter  ne  manquaient  pas;  les 
marchands  célébraient  l'arrivée  des  navires  qu'ils  attendaient,  ou 
bien  tenaient  à  honneur  de  recevoir  dignement  un  voyaf^eur  de 
marque.  Au.x  principales  fêtes  de  Tannée  les  consuls  envo^-aient  leurs 
m;»r\:hands  en  cérémonie  complimenter  les  consuls  des  autres 
nations  et  «  c'étaient  des  repas  superbes  dont  les  meilleures  tétcs 
avaient  peine  i  se  tirer  sans  qu'il  y  parût  beaucoup.  » 

Le  carnaval  était  chaque  année  l'époque  des  plus  grandes  réjouis- 
sances et  l'occasion  de  tourcs  sortes  d'extravagances.  «  Le  carnaval 
de  Smyrne,  de  1657,  raconte  d'Arvicux,  se  passa  dans  les  divertis- 
sements ordinaires,  dans  les  bals  er  dans  les  festins  ;  les  consuls,  tour 
à  tour,  recevaient  chez  eux  les  compagnies  ;  on  jouait,  on  dansait,  on 
portait  des  momons  et  on  faisait  i^rande  chère.  Nous  nous  avis.^mcs 
déjouer  des  comédies....  L;  première  pièce  que  nous  rcprésentAmes 
fur  le  Nicoméde  de  Corneille.  M,  notre  consul  prêta  la  grande 
salle  de  la  maison  consulaire  et  on  y  dressa  un  théAtre;  on  fit  un 
orchestre  et  on  per.;a  quelques  chambres  où  l'on  mit  des  jalousies 
pour  les  dames  du  pays  qui  voudraient  y  venir....  Il  y  eut  symphonie 
dans  les  entnictcs,  on  distribua,  ou  plutôt  on  prodigua  toutes  sortes 
dcdrai;écs,  de  confitures  sèches  et  de  rafraîchissements  et  la  pièce 
fut  suivie  d'un  maj^nifique  repas,  d'où  plusieurs  Anplais  et  Hollan- 
dais ne  purent  pas  se  tirer  eux-mêmes.  On  les  porta  sur  des  lits 
où,  après  un  lon^  sommeil,  ils  se  mirent  X  table  pour  dîner  et 
réparer  leurs  forces  abattues  parle  tr.îvail  de  la  nuit  précédente.... 
Des  Turcs  et  même  leurs  femmes,  déguisées  en  vieillards,  vinrent 
dans  les  chambres  ^  jalousies  A  une  seconde  rcpréiientation....*  » 
Mais  les  bals  et  la  comédie  ne  .suffisaient  pas  aux  jeunes  écervelés  des 
échelles.  »  Quelques  présents  qu'ils  donnaient  au  cadi  de  Smyrne, 
rapporte  le  voyageur  PouUet,  leur  donnaient  une  telle  licence  que 
bien  souvent,  et  principalement  dans  les  jours  du  carnaval,  on  les  y 
vit  aller  L-n  ni.f.oiR.  quelquefois  mis,  sanschemiscs,  noircis  comme 


(I)  D'ARVtKex,  t.  l,  p.  ijî, 

{1)  D'Arvievx.  t.  l,   p.  IÏI-1J7.  —  1  ni  ensuite  Jes  reprisent .itinn'i 

chci  le  consul  .ingl.ii«  Mir   un  îhiJatre  ;  ..   —  V.  .lU-wi  ibns  J'Arvic-u», 

,  1. 1.  p.  loo-to),  la  curieuse  d««cription  Uc  I.1  Itu  Ju  •  papcgni  t  à  Smvmc. 


472  TABLEAU    DU   COMMERCE 

des  Mores  nu  courir  dans  les  maisons  des  grecques,  y  passer  toute 
la  nuit  ;ï  boire,  A  y  danser  avec  des  violons  et  prendre  des  libertés 
qui  nous  seraient  ici  détendues  et  quelquefois  si  extravaganies  qu'un 
Turc  un  jour,  me  voulant  remettre  ce  temps  en  mémoire,  ne  put 
mieux  expliquer  sa  pensée  qu'en  me  le  désignant  par  celui  auquel 
les  Français  étaient  fous,  croyant  que  cette  mascarade  fût  une 
maladie  qui  nous  prît  toutes  les  années  dans  cette  saison  '.  »  La 
tradition  de  ces  folies  se  perpétua,  puisqu'cn  1705  Pontchanrain 
écrivait  l\  un  commis  de  consulat  :  «  La  réflexion  que  vous  faites 
sur  la  conduite  que  tiennent  les  négociants  français  établis  i  Cons- 
tantinople  et  A  Smyrnc  pendant  le  carnaval  est  très-juste  ;  clic 
pourrait  donner  au  nouveau  grand  vizir  qui  aime  la  police  une 
mauvaise  opinion  de  la  nation  et  peut-être  occasion  de  faire  quelque 
règlement  de  rigueur  '.  « 

Pendand  les  guerres  de  Louis  XIV,  les  victoires  du  roi  fournirent 
aux  marchands  des  échelles  de  nombreuses  occasions  de  célébrer  des 
réjouissances  exceptionnelles  où  ils  déplo)'aicnt  d'autant  plus  de 
magnificence  et  d'entrain  que  les  frais  en  étaient  supportés  par  le 
corps  du  commerce  :  aux  festins  s'ajoutaient  alors  les  illuminations 
et  les  détonations  de  boîtes  d'artifices.  Sous  prétexte  de  couvrir  de 
confusion  les  autres  nations,  les  Français  auraient  célébré,  sans 
compter,  le.v  moindres  prises  de  villes,  si  la  Chambre  n'avait  décide 
qu'ils  ne  feraient  de  fêtes  publiques  que  sur  son  ordre,  et  n'avait 
fixé  pour  chaque  échelle  la  somme  qu'elle  pourrait  dépenser.  Il  n'y 
a  plus  à  s'étonner  quand  on  connaît  ces  mœurs,  de  toutes  les 
plaintes  que  les  consuls  t;iis;tient  contre  la  turbulence  et  les  folies  de 
la  jeunesse  des  échelles  et  de  l'insistance  que  mirent  Seignelay  et 
Pontchartrain  X  ne  laisser  aller  dans  les  échelles  que  des  jeunes  gens 
âgés  d'au  moins  25  ans,  moins  susceptibles  de  se  laisser  entraîner  .\ 


(1)  PouLLirr,  I.  Il,  p.  26.  —  Cf.  d'Arvieux.  t.  VI.  p.  48-49.  «  Le  20  février 
168 1,  je  fusaK-crti  des  dCsordrcs  que  notre  jeunesse  av^it  fjits  les  jours  pTécèJeiits 
.TU  sujet  Ju  caraav.il  (à  Alep).  Ils  avaient  donné  selon  la  couuinic  une  vcslc 
au  sous  bachi  pour  avoir  la  |XTniission  de  courir  les  rues  pendant  la  nuit  dégui- 
sas et  it\'aient  lait  tant  de  bruit  et  tant  de  désordres  que  tes  Turcs  en  i.^t.iient 
scandalisés  ou  feignaient  de  l'être  pour  avoir  lieu  de  nous  faire  une  avnnic,  je  lis 
venir  les  chefs  de  ces  coureurs;  je  leur  fis  une  remontrance  paternelle....  Je  le» 
avertis  une  seconde  fois,  ils  promirent  de  se  corriger  et  n'en  firent  rien.  Je  t'w 
arrêter  les  chefs  et  leur  lis  garder  la  prison  24  heures,  après  quoi  je  fis  publier  et 
afficher  une  ordonnance  portant  défense  de  courir  I.1  nuit  déguisés  sous  peine  de 
prison  et  d'amende,  et  cela  mit  lin  aux  désordres  et  aux  craintes  que  j'avais 
de  quelque  mauvaise  atTaire  pour  eux  et  peut-être  pour  la  nation.  » 

(2)  t^  janvier  ijO).  Depping,  l.  IV,  p.  781. 


s^^m 


LA    VIE   DANS   LES   ÉCHELLES  473 

tous  ces  débordements.  Le  consul  de  Seïdc,  Lempercur,  écrivait 
avec  raison,  mais  assez  naïvement  à  la  Chambre  :  La  plus  mau- 
vaise école  du  monde  pour  la  jeunesse  est  le  Levant  qui  ne  gâte  que 
trop  souvent  les  vieilles  gens,  et  plût  il  Dieu  que  je  n'y  eusse  jamais 
été.  *  » 

La  vie  dans  les  échelles  à  la  fin  du  xvii«  siècle  ne  se  présentait  donc 
aux  jeunes  résidents  venant  de  Provence  que  trop  remplie  d'attraits. 
Au  milieu  d'une  population  d'un  commerce  facile  comme  les  Turcs, 
que  tous  les  voyageurs  s'accordent  à  dépeindre  comme  de  bonnes 
gens',  n'ayant  plus  à  craindre  que  rarement  les  avanies  des  pachas 
et  jouissant  d'un  grand  crédit  dans  tous  les  états  du  G.  S.,  les  facteurs 
français  des  échelles  avaient  toute  la  sécurité  et  toutes  les  facilités 
nécessaires  pour  se  consacrer  au  développement  des  affaires  de  leurs 
commettants  et  des  leurs.  Mais  ils  étaient  absorbés  tantôt  par  leurs 
plaisirs,  tantôt  par  leurs  incessantes  rivalités.  Tandis  que  par  leur 
faute  ils  perdaient  l'occasion  de  s'enrichir  et  d'étendre  le  commerce 
de  la  nation,  leurs  excès  ruinaient  leur  santé  et  les  faisaient  rapide- 
ment succomber  aux  atteintes  de  climats  malsains.  Sans  doute  les 
pestes  très  fréquentes  dans  toutes  les  échelles*,  étaient  cause  en  partie 
de  l'énorme  mortalité  qui  sévissait  parmi  les  résidents,  bien  qu'ils 
prissent  la  précaution  de  s'enfermer  chez  eux  pendant  les  contagions  ; 
les  fièvres  paludéennes  emportaient  aussi  beaucoup  de  marchands, 
surtout  i\  Alexandrette,  à  Chypre  et  ;\  Smyrne.  Mais  un  voyageur 
remarque  que  tandis  que  les  Turcs  «  meurent  beaucoup  de  la  peste 
à  cause  de  leur  mauvaise  nourriture  et  du  croupissement  des  eaux 
des  fleuves,  les  Francs  meurent  d'une  fièvre  ardente  qui  enflamme 
les  entrailles  du  malade  parce  qu'ils  s'accoutument  à  un  vin  trop 
violent*.  Un  consul  pouvait  écrire  en  1713  :  «  De  cent  Français  qui 

(i)  1"  août  i6i)S,  A  A,  }6). 

(2)  «  Quant  aux  mœurs  des  liahitants,  Turcs  et  Maures,  ce  sont  de  bonnes  gens 
qui  d'eux-mêmes  ne  sont  pas  capables  de  faire  du  mal  à  leur  prochain,  mais  qui 
s'y  portent  volontiers  quand  ils  y  sont  excités.  Ils  aiment  les  étrangers  et  les  Francs 
plus  que  les  autres.  Ils  sont  adroits  dans  le  commerce,  mais  de  bonne  foi...  On 
dit  que  les  chrétiens  du  pays  sont  un  peu  meilleurs  que  les.  Turcs  ;  la  charité 
m'obligerait  A  le  croire  si  l'expérience  ne  me  prouvait  le  contraire.  Ht  général  ils 
sont  tous  vains  et  superbes,  fourbes,  menteurs  et  ivroj^nes  au  dernier  point.  •  — 
D'Arvieux,  t.  VI,  p.  .140. 

(î)  Voir  la  correspondance  consulaire  et  les  récits  des  voyageurs.  —  Elles  étaient 
d'autant  plus  meurtrières  que  les  Turcs  ne  prenaient  contre  elles  aucune  précaution 
et  subissaient  le  fléau  avec  un  fatalisme  résigné. 

(4)  P0UI.LET,  t.  II,  p.  52. 


474  TABLEAU   nu   COMMERCE 

passent  en  Levant  l'expérience  fait  voir  que  quatre-vingt-dix  y  meu- 
rent, trois  s'en  retournent  aisés,  cinq  plus  pauvres  ou  plus  riches  que 
quand  il  y  sont  venus  et  deux  font  fiiillite*.  Ce  consul  écrivait  sous 
l'impression  d'une  peste  violente  qui  venait  d'enlever  un  grand  nom- 
bre de  marchands  en  Syrie,  et  il  exagérait  la  mortalité  des  Français, 
mais  il  est  certain  qu'il  y  avait  peu  de  marchands  qui  fissent  fortune 
dans  le  Levant  et  les  banqueroutes  y  étaient  très  fréquentes  encore 
à  la  fin  du  xvii*  siècle. 

(  r)  Lettre  du  consul  de  Tripoli  de  Syrie,  i"  janvier  lyij.  AA,  jSS  :  a  A  Scïdc,  à  Acre 
et  A  Rome  dix  Français  sont  morts  Tan  dernier  de  peste  ou  de  fièvres  malignes.  » 


CHAPITRE  VI 

LES   USAGES   DE   LA  NAVIGATION   ET  DU   COMMERCE 


Suivons  un  navire  provençal  dans  un  voyage  de  Marseille  aux 
échelles  jusqu'à  son  retour,  et  essayons  de  noter  les  principaux  usages 
de  la  navigation  et  du  commerce. 

Les  Provençaux  envoyaient  dans  les  échelles  des  bâtiments  de 
tonnage  et  de  construction  très  différents,  dont  les  principaux  étaient 
les  vaisseaux,  les  polacres,  les  barques  et  les  tartanes.  M.  de  Scguiran, 
dans  son  inspection  des  côtes  de  Provence  en  1633,  trouva  des 
vaisseaux  qui  portaient  de  3.000  à  7.000  quintaux*  avec  vingt  ;\ 
cinquante  hommes  d'équipage;  un  seul  vaisseau  marseillais  portait 
10.000  quintaux  et  était  monté  par  soixante-dix  hommes.  A  l'époque 
de  Colbert,  les  vaisseaux  de  Provence  jaugeaient  de  300  A  400  ton- 
neaux, et  leur  grandeur  ne  varia  guère  jusqu'en  171 5.  Les  polacres, 
«  bâtiments  qui  avaient  une  partie  de  leurs  voiles  à  la  Levantine  et 
les  autres  carrées*,  »  portaient  de  1.500  à  2.500  quintaux  et  comp- 
taient quinze  à  vingt  hommes  d'équipage.  Les  grosses  barques  latines 
de  i.ooo  A  2.000  quintaux  et  les  grandes  tartanes  de  i.ooo quintaux 

(i)  La  marine  du  Lcvantctait  toute  différente  de  celle  du  Poniint.  Dans  les  ports 
de  la  Méditerranée,  on  estimait  en  quintaux  la  charge  d'un  navire  ;  dans  le  Ponant, 
on  comptait  par  tonneaux.  Le  langage  maritime  du  Ponant  et  du  Levant  était  si 
diflérent  au  début  du  xvi^-  siècle,  que  le  gouvernement  s'occupa  de  dresser  une 
sorte  de  dictionnaire  pour  que  les  marins  pussent  s'entendre.  —  (V.  d'Avenel. 
t.  in,  p.  162).  —  D'Infrcville.  lors  de  la  même  inspection  de  1633,  trouva  k 
Saint-Malo  quarante  vaisseaux  de  200  à  5CX)  tonneaux. 

(2)  CoPPiN,  p.  417  :  «  Celle-ci  était  du  port  de  200  tonneaux  et  des  plus 
belles  qui  se  fissent  pour  lors  (1638),  avec  quatre  pièces  de  canon  et  plusieurs 

[•ierricrs.  »  —  D'après  Seguiran  (p.  249),  les  vaisseaux  étaient  à  «  deux  gages  », 
es  polacres  à  «  une  gage  ».  —  Gage  était  synonyme  de  hune.  Le  navire  à  deux 
gages  avait  une  hune  au  grand  mât  et  au  mat  de  misaine  avec  des  voiles  carrées, 
le  mât  d'artimon  portait  une  voilure  latine  ;  le  navire  ;\  une  gage,  à  deux  ou 
à  trois  mâts,  n'avait  de  voiles  carrées  qu'au  mât  d'avant  ;  les  barques  avaient  une 
voilure  latine  à  leurs  trois  mâts  ;  les  tartanes,  de  forme  allongée,  n'avaient  qu'un 


47^ 


PABLEAU    nu   COMMERCF. 


faisaient  aussi  les  voyages  du  Levant.  A  h  fin  du  xvii'  sieciëT 
grandes  échelles  L-taient  surtout  fréquentées  par  ks  vaisseaux  et  les' 
polacres,  tandis  que  les  barques  fusaient  les  voyages  de  Candie,  de 
r  Archipel  et  de  la  Morée;  les  tartanes  n'étaient  plus  guère  employée 
dans  le  Levant  que  pour  le  service    des   dépêches  à  cause   de  Icuri 
légèreté  et  de  leur  vitesse. 

Les  vaisseaux   provençaux    n'étaient  pas   construits  d'après  le 
mêmes  principes  que  ceux  des  Anglais  ou  des  Hollandais.  Ceux-ci  se 
préoccupaient  surtout  de  faire  porter  A  leurs  bâtiments  de  lourdesl 
charges  et  de  diminuer  les  équipages  en  simplifiant  la  voilure;  l»'ur 
navigation  était  très  lente,  mais  peu  leur  importait  :  ils  naviguaient 
de    conserve,   arrivaient  ensemble  aux  échelles  et    revenaient   Je 
mC'me;  ils  ne  faisaient  qu'un  convoi  par  an,  s'ils  restaient  quelques 
jours  de  plus  en  mer,  il  n'en  coûtait  que  la  maigre  solde  d'un  équipas 
peu  nombreux.  Tout  autre  était  la  préoccupation  des  Provençaux;] 
entre  les  vaisseaux  toujours  nombreux,  même  aux  plus  mauvaise 
époques,  qui  faisaient  (c  commerce  du  Levant,  la  concurrence  était 
grande;  c'était  à  qui  arriverait  le  plus  vite  dans  les  échelles  poursaisirl 
les  occasions  de  se  débarrasser  de  la  cargaison,  de  profiter  des  prij 
élevés  avant  qu'ils  ne  fussent  avilis  par  l'arrivée  d'autres  marchan- 
dises, de  f^iire  un  chargement  dans  les  meilleures  conditions,  A  qui 
devancerait  les  concurrents  au  retour  pour  revenir  prendre  charge  âj 
Marseille.  Aussi,  dans  la  construction,  tout  était  sacrifié  ;\  la  vitesse,  ( 
les  vaisseaux  provençaux  passaient  avec  raison  pour  les  plus  fins  voi« 
liers  de  tous  ceux  qui  voyageaient  dans  la  Méditerranée;  pour  navi- 
guer de  conserve  avec  un  lourd  vaisseau  hollandais,  un  capitaine^ 
provençal  était  obligé  de  n'employer  que  le  quart  de  sa  voilure.  •  Les! 
Compagnies  des  Anglais  et  des  Hollandais,  dit  le  voyageur  PoulletJ 
peuvent  mettre  en  mer  de  gros  vaisseaux  qui  portent  trois  fois  plus 
de  marchandises  que  ne  font  ceux  des  Français,  sans  qu'ils  aient 
néanmoins  besoin  d'un  plus  grand  nombre  d'hommes  pour  leur  con-l 
duitc.  Leur  construction  et  tellement  faite  qu'ils  sont  fon  larges  par] 
le  milieu  du  corps  et  viennent  en  se  rétrécissant  par  la  partie  d'cni 

seul  mât  h  voilure  l.ntinc.  —  V.  JAL.  Diclionnaire  (Tarcliéol.  nax-alf.  —  Les  docu*] 
nicnts  des  archives  de  la  Ch.iinbre  parlent  encore  de  piiiques  qui  avaient  la  voilure] 
des  barques,  de  quechs,  ■  b.itiments  qui  n'ont  qu'un  arbre  »  et  qui  peuvent  p»>f-/ 
ter  plus  de  5.000  quintaux;  ceux  qui  ne  dépassaient  pas  ce  chilFre  panaient  le] 
cottimo  comme  polacres,  ceux  qui  portaient  moins  de  i .  500  quintaux  étaient  rcgar-j 
dés  comme  barques.  —  Tous  ces  bâtiments  ne  se  distinguaient  pas  seuienicni  [wj 
leur  voilure,  mais  par  leur  forme,  et  d'autres  détails  de  leur  griment. 


LES   USAGES   DE   LA   NAVIGATION   ET   OU   COMMERCE 


477 


I 


haut,  de  f.orte  que  leur  peu  de  largeur  vers  cet  endroit  ne  demande 
qu'une  certaine  étendue  de  voiles  qui  lui  soit  proportionnée,  et,  con- 
séquemnient,  une  petite  quantité  de  personnes  pour  les  gouverner. 
Au  contraire,  nos  vaisseaux  frani;ais,  qui  vont  toujours  en  s'êlargis- 
sani,  depuis  rcxtrémitè  d'en  bas  jusque  vers  les  bords,  veulent  autant 
de  voiles  et  autant  de  mariniers  que  les  autres,  quoiqu'ils  soient  infi- 
niment plus  petits...  toute  l.t  place  qui  est  au-dessus  ne  sert  qu'i  y 
loger  le  canon,  les  personnes,  ou  à  se  promener...  il  est  vrai  que  les 
Français  sont  obligés  de  dresser  leurs  navires  de  la  sorte  pour  se  défen- 
dre plus  facilement  des  corsaires  et  gagner  par  la  fuite'.  » 

Suivant  l'usage  de  l'époque,  tous  les  bâtiments  Provençaux  étaient 
armés  pour  résister  aux  corsaires,  et,  pour  le  service  de  l'artillerie,  le 
Conseil  de  ville  de  Marseille  décida  même,  le  14  octobre  162S,  la 
création  d'une  «  académie  de  canonniers  puur  apprendre  à  tirer  et  à 
charger  les  canons,  attendre  le  besoin,  tant  pour  le  service  de  S.  M. 
que  pour  le  trafic  et  négoce  des  vaisseaux  et  navires  qui  partent  tous 
les  jours  de  ce  port,  ne  se  trouvant  qu'un  petit  nombre  pour  la  con- 
duite des  dits  navires  au  dit  état  de  canonnier*.  » 

Toute  la  côte  de  Provence  était  peuplée  de  marins,  la  pêche 
occupait  de  nombreux  bateaux,  le  ubotage  était  très  actif  avec  les 
cotes  du  Languedoc,  d'Italie  et  d'Espagne,  aussi  les  bâtiments  du 
Levant  recrutaient  facilement  leurs  équipages.  Les  marins  Proven- 
çaux étaient  renommés  dans  toute  la  Méditerranée  pour  leur  habileté. 
Desh.iyes  remarque  que  les  vaisseaux  vénitiens  «  grands,  pesants  et 
mal  faits  ne  sauraient  naviguer  avec  un  petit  vent,  ni  résister  .1  une 
fortune,  de  sorte  que  pendant  leurs  voyages  ils  sont  beaucoup  plus 
dans  les  ports  qu'à  la  mer  et  ne  font  point  de  chemin  par  ce 
moyen-là. . .  Les  vaisseaux  de  Provence  sont  plus  petits  et  beaucoup 
plus  légers  et  sont  faits  d'un  tel  garbe  qu'ils  résistent  aux  plus 
grandes  tempêtes,  les  patrons  tenant  à  grande  lâcheté  de  prendre 
port  ;  aussi,  quelque  temps  qu'il  arrive,  ils  demeurent  toujours  à  la 
mer  et  ne  perdent  point  d'occasion  de  faire  chemin  aussitôt  que  le 
vent  leur  permet,  ce  que  ne  peuvent  faire  les  vaisseaux  qui  prennent 
port  car  le  plus  souvent  le  vent  qui  est  propre  pour  leur  voyage  leur 


(i)  PouLLET,  t.  II,  p.  28-29. 

<2)  .-Irch.  communales,  —  Ki'ghtie  des  Mibhalions.  —  V.  fwur  plus  de  Jctails 
sur  l'armement  iii.:>  navires  du  conmicrce,  p.  26,  et  les  diapitrcs  où  il  est  question 
(ie  la  piraterie. 


478  TABLEAU    DU   COMMERCE 

est  contraire  i\  sortir  du  port  où  ils  sont...  outre  cela  les  mariniers  de 
Marseille  sont  si  adroits  et  ont  une  telle  pratique  de  lu  Méditerranée 
qu'ils  y  sont  en  pareille  considération  que  les  Hollandais  sur  l'Océan . 
Toutes  ces  choses  sont  cause  que  ceux  qui  veulent  aller  présente- 
ment en  Levant  s'embarquent  A  Marseille*.  »  «  Les  matelots  de 
Provence,  dit  d'Arvieux,  ont  la  réputation  d'être  des  matelots  de 
beau  temps  :  ce  sont  les  premiers  hommes  de  cette  espèce  pour 
sauter,  pour  gambader,  pour  voltiger  sur  les   cordages,   mais  ces 
exercices  ne  leur  conviennent  pas  dans  les  tempêtes  et  les  matelots 
du  Ponant  sont  plus  accoutumés  qu'eux  aux  gros  temps  et  aux  tem- 
pêtes et  résistent  bien  plus  longtemps  à  la  fatigue.  Je  dois  cependant 
rendre  justice  aux  nôtres,   ils  se  comportèrent  en  cette  occasion  en 
vrais  Ponantais,  le  danger  était  aussi  pressant  qu'il  le  pouvait  être, 
il  ne  s'agissait  de  rien  moins  que  de  la  vie...  Nos  matelots  de  Pro- 
vence sont  encore   superstitieux  :  on    fait   ce  reproche  ù  tous  les 
matelots  en  général,  les  Provençaux  le  sont  plus  que  les  autres.  Ils 
croient  comme  article  de  foi  que  les  diables  président  aux  tempêtes 
et  on  perdrait  son  temps  si  on  voulait  leur  persuader  le  contraire. 
Ceux  qui  étaient  montés  sur  les  vergues  étaient  tellement  étourdis 
qu'ils  tombaient  sur  le  pont  au  lieu  de  descendre  sur  les  haubans  et 
ils  disaient  que  c'étaient  les  diables  qui  avaient  voulu  les  jeter  à  la 
mer,  ils  assuraient  les  avoir  vus  sur  les  cordages  :  un  nous  disait  fort 
sérieusement  qu'il  s'était  battu  avec  un  qui  avait  une  perruque  blonde 
avec  de  grandes  griffes  dont  il  nous  montrait  les  égratignures,  qu'il 
s'était  faites  en  tombant  *.  » 

Un  autre  voyageur  s'émerveille  de  l'ordre  qui  règne  sur  les  vais- 
seaux provençaux  et  de  la  simplicité  des  mœurs  des  matelots  :  «  Je 
prenais  grand  plaisir,  raconte-t-il,  ;\  observer  le  bon  ordre  dont  l'on 
vit  dans  ces  navires  marchands  ;  toutes  les  heures  y  sont  réglées 
comme  dans  une  maison  religieuse  ;  l'on  y  chante  la  prière  le  soir  et 
le  matin  avec  beaucoup  de  révérence  et  l'on  y  fait  quelque  lecture 
de  piété  pendant  le  jour  et  principalement  les  fêtes...  Il  n'est  pas 
croyable  avec  quelle  discrétion  tous  les  matelots  se  gouvernent  et 
combien  chacun  apporte  d'exactitude  à  s'acquitter  de  son  devoir.  Ils 
ont  entre  eux  de  petits  jeux  de  récréation,  comme  de  dames  et  de 
la  blanque,  et   ils  jouent  quelque   pinte  de  vin  qu'ils  achètent  du 

(i)  D^:bHAYEs,  p.  457. 

(2)  DWhvieun,  t.  IV,  p.  79-80. 


LES   USAGbS  DE   LA    NAVIGATION    ET   DU    COMMliRCIj: 


179 


dépensier.  D'autres  fois  ils  font  danser  les  petits  mousser;  et  comme 
ce  sont  d'ordinaire  des  espiègles  tout  pleins  de  malignité',  quand  ils 
ont  fliii  quelques-uns  de  leurs  traits,  le  capitaine  et  quatre  ou  cinq 
des  principaux  se  revêtent  de  leur  capot  qui  est  une  manière  de  robe 
de  chambre  qui  a  un  capuclion  attaché  et  ils  s'asseyent  avec  gravité 
autour  de  la  table  avec  l'écrivain  qui  sert  de  yrefficr  pour  porter 
sentence  contre  l'accusé,  La  cause  s'agite  avec  mille  plaisanteries  et 
après  ils  condamnent  le  mousse,  selon  la  gravité  de  la  lâute,  i^ 
chanter  ou  danser  et  quelquefois  aussi  à  être  fustigé',   u 

Mais  cet  ordre  qu'admiraient  les  passagers  des  b.itimenis  était 
plutôt  dû  a  la  rigueur  des  règlements  maritimes,  qu'au  caractère 
docile  des  marins  provençau.x  ;  ceux-ci  une  foisatTrAnchis  delà  rude 
discipline  du  bord,  caus;iient  souvent  de  graves  désordres  dans  les 
échelles  où  ils  débarquaient.  Leurs  capitaines  peu  scrupuleux  ne 
cherchaient  qu'à  se  soustraire  au  paiement  des  droits  dus  aux  consuls 
et  aux  officiers  Turcs.  Pour  mettre  un  terme  à  a  leurs  fautes  et 
nunquements  »  dans  les  échelles,  l'ambassudeur  de  la  Haye,  avait 
proposé  en  1665  de  les  faire  cautionner  avant  leur  départ,  mais  la 
Chambre  du  commerce  répondit  qu'il  y  »<  avait  impossibilité  pour 
les  capitaines  et  patroiw  i  trouver  caution,  considéré  que  personne  ne 
voulait  juraiire  participer  .\  la  propriété  des  navires  pour  ne  pas 
répondre  de  leurs  actions,  et  que  toutes  les  participations  ne  parais- 
saient que  par  des  écrits  privés  qu'ils  tenaient  cachés*.   » 

C'étaient  le.s  capitaines  des  navires  qui  traitaient  eux-mêmes  avec 
les  affréteurs  ou  les  chargeurs  les  conditions  du  fret  ou  nolis  des 
nxarchandises  sur  leurs  b.itimcnts.  Souvent  d'ailleurs,  comme  aujour- 
d'hui encore,  ils  avaient  une  pari  dans  la  propriété  du  navire  et 
quelquefois  ils  en  étaient  eux-mêmes  les  propriétaires.  Le  fret  étail 
déj^j  au  .xvu'  siècle,  beaucoup  plus  cher  sur  les  vaisseaux  de  Mar- 
seille que  sur  ceux  de  Hollande  ou  d'Angleterre,  grave  cause  d'infé- 
riorité pour  notre  marine  marchande  qui  permit  à  ses  deux  rivales 
d'enlever  aux  Provençaux  les  transports  du  Levant  en  Italie.  Celte 
cherté  tenait  sans  doute  au  prix  trop  élevé  de  la  construction  des 


(l)  CoFPis,  p.  îi6.  —  Au  »ui«t  des  mousses  on  peut  rappeler  un  arrùi  du 
Conseil  Ju  4  .ivtil  1628,  qui  orJuniuh  i  tout  patron  de  barque  ou  de  navire 
ttiar^'illais  all.uit  d.uis  le  Levant  uu  ver»  Sévillc  el  IJ^bonnc  de  prendre  à  bord 
<omtiK'  ^)lKl^^t  ii)i  J..S  iMiKii.-  lu'  int»  élevés  par  les  hl^piuu.\  de  .Maneitlc  ou  la 
tlonffctie  vK  '  J<t  lusmuutwits  Je  fAmirauiè  dt  Marstillt, 

jd.  Uà.  A' 

(3)  Drlibirutton  Un  j  odoirt  tbù).  BB,  a. 


480  TABUiAU    DU   COMMERCt 

navires,  malgré  les  primes  accordées  par  Colbert  à  la  construction, 
à  b  forme  des  bâtiments  marseillais  qui,  pour  un  tonnage  bien  moins 
considérable,  demandaient  un  équipage  aussi  nombreux,  au  grand 
nombre  de  ces  bâtiments  qui  ne  leur  permettait  pas  d'emporter  des 
chargements  complets  et  de  charger  d'une  manière  régulière,  enhn 
à  la  lourdeur  des  taxes  qui  pesèrent  pendant  tout  le  xvii*  siècls  sur 
la  navigation  du  Levant'.  La  Chambre  s'occupa  i  plusieurs  reprises  ^j 
d'établir  des  règlements  au  sujet  des  nolis,  mais,  pour  la  première  ^M 
fois,  le  règlement  du  tour  du  27  janvier  1700*  établit  un  tarif  uni-  ' 
forme  de  fret  sur  tous  les  navires  pour  chaque  marchandise,  urif 
qui  fut  renouvelé  â  différents  intervalles'.  Dès  lors  les  négociants  ne 
furent  plus  à  la  merci  des  capitaines,  mais  on  enleva  à  ceux-ci  toute 
initiative  et  on  supprima  la  concurrence  qui  à  elle  seule  suffisait  pour 
nuiiUcnir  les  prix  du  fret  â  un  niveau  équitable.  Il  éuit  d'usage  de  ne 
payer  aux  capitaines  aucun  fret  pourles  sommes  d'argent  qu'ils  trans- 
port.iient,  mais,  en  retour  de  cette  complaisance,  les  marchandiM.'s 
qu'elles  servaient  â  acheter  dans  les  échelles  étaient  chargées  sur  leurs 
navires. 

Assez  souvent  les  vaisseaux  qui  partaient  pour  les  grandes  échelles 
emmenaient  des  passagers,  marchands,  arti&ms*  ou  voyageurs,  cepen- 
dant tout  était  sacrifié  sur  ces  bâtiments  au  transport  des  marchan- 
dises qui  encombraient  souvent  jusqu'au  pont  et  empêchaient  toute 
défense  quand  on  était  rencontré  par  des  corsaires.  Malgré  l'inconj- 
modité  de  leur  installation,  les  passagers  payaient  une  somme  asseï 
élevée  pour  l'époque  ;  d'après  Deshayes  de  Courmcnin,  le  voyage 
de  Constantinople  coûtait  en  1621  douze  écus.  Ces  prix  semblent 
avoir  peu  varié  dans  le  courant  du  .wii*  siècle  puisque  l'article  15 
du  règlement  du  27  janvier  1700  «  faisait  défense  au  capitaine  et 
patrons  de  prendre  plus  de  dix  écus  pour  le  passage  des  religieux 
observantins  qui  iraient  ;\  Jérusalem  ou  retourneraient  en  France,  et 
de  refuser  d'en  embarquer  aucun  ni  d'exiger  aucune  chose.  » 

Quand  un  capitaine  se  disposait  à  partir  pour  le  Levant,  il  c*ait 


(  I  )  Mcmc  à  la  fin  du  xvn«;  siècle,  les  cipiiaines  acquituient  i  chaque  vo\'agc  le 
coitimo,  le  tonnclagc  et  ?i0uvcnt  les  avaries  des  échelles,  laxes  qui  pL<iaicni  non 
seulement  sur  les  marchandises  du  chargenieui,  mais  sur  le  corps  du  bJlimeiil. 

(2)  Voir  au  sujet  de  ce  règlement,  p.  272. 

(î)  Voir  f[,  iS.  Tarif  du  fret  ou  nolis  des  marclundises  d'enttOc  et  de  sortie, 
.-irrcté  au  burcm  de  la  Chambre  du  Comniercc  de  Marseille,  le  7  fi-vrier  171$.— 
Tableaux  imprimib. 


LES   USAGES   DE   LA  NAVIGATION   ET  DU   COMMERCE  48 1 

^enu  d'en  avertir  les  négociants  par  un  avis  imprimé  ci  affiche  dans 
''1.1  salle  de  la  loge,  mais  ces  avis  étant  confondus  il  était  diUîcile  aux 
marchands  de  se  renseigner  ;  le  3  mars  17 12,  la  Chambre  délibéra 
H«  que,  de  chaque  côté  des  quatre  portes  de  la  salle  de  la  loge,  dans 
Tintéricur  d'icellcs,  les  capitaines  ou  patrons  feraient  poser  par  la 
garde  ou  concierge  d'icelle  les  billets  d'avertissement  de  leurs  desti- 
nations, et  ce,  chacun  à  l'endroit  où  elle  se  rapporterait,  El,  à  cet 
effet,  le  bureau  délibéra  en  outre  qu'il  serait  mis  des  pièces  de  marbre 
noir  d'environ  deux  pans  de  longueur  aux  susdits  endroits,  oij 
seraient  gravés  en  lettres  dorées  les  noms  de  chaque  échelle  en  par- 
Bliculier  et  d'autres  contiendraient  ces  lieux  en  général  :  Barbarie, 

Italie,  Espagne  et  ports  de  Ponent'.  » 
_^     Au  moment  du  départ  les  armateurs  et  les  chargeurs  pouvaient 
fou  non  assurer  le  corps  du  bâtiment  et  le  chargement  contre  les 
risques  de  la  mer,  Les  assurances  étaient  l'un  des  points  les  plus 
délicats  du  commerce  maritime  ;  pendant  tout  le  xv]!""  siècle  elles  se 
tirent  en  toute  liberté  A  Marseille  sans  que  les  règlements  faits  à  ce 
sujet  par  la  Chambre  vinssent  gêner  l'initiative  de  ceux  qui  voulaient 
se    faire  assureurs,   aussi  ce  genre   de   négoce   avait-il    pris  une 
extension   extraordinaire*.    Les  remontrances  que  la  Chambre  du 
Commerce  adressa  à  Seignelay  au  sujet  de  la  Chambre  des  assurances 
f  qu'il   voulait  créer  à  Marseille  comme  son  père  en  avait  créé  h 
"Paris,  et  qui  lui  firent  abandonner  son  projet,  donnent  sur  le  fonc- 
tionnement des  assurances  ;\  Marseille  et  sur  l'importance  qu'elles  y 
lavaient  les  renseignements  les  plus  complets  et  les  plus  curieux. 

«  En  premier  lieu,  expose  h  Chambre,  presque  tout  !e  commerce 
de  la  côte  de  Provence  se  fait  dans  la  Méditerranée;  comme  les 
naufrages  ne  sont  pas  fréquents,  comme  les  voyages  ne  sont  souvent 
que  de  quinze  jours  à  un  mois  et  comme  on  a  souvent  des  nou- 
velles, les  marchands,  avaiit  que  de  se  faire  assurer,  ont  diverses 
réflexions  ;\  se  fiire,  au  sujet  de  la  saison,  de  la  force  du  bâtiment, 
de  la  bravoure  de  l'équipage,  des  mouvements  des  pirates.  Sur  toutes 
ces  circonstances,  ils  épargnent  la  prime  en  cour.mt  le  risque,  ou 
bien  ils  marchandent  le  plus  avantageusement  qu'ils  peuvent  si  la 


~      U\BB,6. 

(2)  Kn  dehors  des  assurances  il  y  av;iit  toute  une  série  de  façons  de  faire  valoir 

■  son  argent  dans  le  coinnierce  sans  pratiquer  directement  le  négoce.  V.  un  intéres- 
sant mémoire  conservé  aux  Archives  Nation,  f  ",  64}  :  Méiiioire  Je  la  municie  qu'on 
ptui  négixier  l'argent  sur  la  place  île  Marseille.  i6yo. 

î« 


482 


TABLEAU   DU   COMMliRCE 


prudence  les  oblige  de  se  faire  assurer. . .  Les  assurances  dans  Marseille 
et  dans  toute  la  côte  se  font  d'une  manière  qu'elles  ne  souffrent  ni 
délai  ni  retardement.  Quand  un  marchand  revoit  des  nouvelles  dou- 
teuses, il  lait  ses  assurances  dans  une  heure  de  temps;  autrement 
des  secondes  nouvelles  qui  sont  souvent  fréquentes  apprendraient  la 
perte  du  navire...  et  dans  moins  d'un  jour  on  pourrait  se  faire  assu- 
rer pour  plus  de  200.000  livres...    La  prime  n'a  rien  de  fixe,  il  y  a 
autant  de  quotités  qu'il  y  a  de  ports  et  de  sortes  de  bAtimcnts;  elle 
dépend  aussi  des  conjonctures...  Souvent  dans  un   même  jour  le 
assurances  qui  se  font  sur  un  môme  navire  i\  6  %  le  matin  se  feron 
le  jour  suivant  X  dix  et  souvent  h  quinze...  Les  assurances  se  font 
Marseille  de  la  manière  la  plus  avantageuse  qu'on  puisse  imaginer. 
Les  assurés  ne  déboursent  aucun  argent  pour  le  paiement  de  li 
prime;  les  courtiers  qu'on  appelle  vulgairement  censaux  font  Icsi 
polices.  Ils  ont  le  soin  de  chercher  les  assureurs;  ils  prennent  euX' 
niâmes  des  assurances  jusqu'à  la  concurrence  de  la  prime  et  de  leurs 
droits,  ils  la  paient  ensuite  aux  assureurs  en  billets.  Ceux  qui  pren- 
nent des  assurances  en  font  faire  pour  leur  compte  et  il  se  fait  à  la 
fin  de  l'année  des  compensations  des  primes  tant  entre  les  assures, 
les  censauxj  que  les  assureurs;  par  ce  moyen  la  prime  fait  une  partie 
du  trafic  et  le  négoce  en  compensations  apporte  tant  de  facilité  aux 
assurances  que  sans  cette  voie  le  commerce  ne  saurait  subsister... 
Cette  liberté  à  tout  le  monde  d'assurer  et  aux  m-irchands  de  choisir 
les  assureurs  a  engagé  les  gentilhorames,  les  bons  bourgeois  et  les 
artisans  même  dans  le  négoce...  ils  se  rendent  assureurs.  Or  tout 
l'argent  d'une  ville  entre  par  ce  moyen  dans  le  commerce  et  il  est 
Vrai  de  dire  que  d.ms  Marseille  il  n'y  a  personne,  de  quelque  condi- 
tion qu'il  soit,  lequel  par  le  moyen   des  assurances  ne  négocie... 
Quoique  matière  fertile  en  procès  l'expérience  est  si  grande  qu'il 
n'arrive  aucune  contestation  ;  l'usage  même  a  établi  des  règles  pour 
les  terminer  à  l'amiable...  S'il  se  trouve  quelque  assureur  qui  aime 
les  procès,  on  a  sur  les  lieux  le  lieutenant  de  l'amirauté  qui  assigne  du 
jour  au  lendemain.  On  sort  d'alTaire  ordinairement  en  deux  jours, 
sonmiairemcnt  et   sans  frais...  La  facilité  et  la  bonne  foi  qu'on 
trouve  dans  les  assureurs  \  Marseille  est  si  grande  que  les  négociants 
des  îles  de  Maillorque,  ceux  de  la  côte  d'Espagne,  la  plupart  de  ceux 
de  Gènes  et  de  Livourne  y  font  faire  leurs  assurances  et  cela  y  fait 
apporter  des  sommes  très  considérables,  ce  qui   fait  ime  des  parties 


il 


LES   USAGES  DE  LA   NAVIGATION   ET   DU   COMMERCE  483 

fpriiKip.\lcs  du  commerce  de  cette  ville...  Le  commerce  de  M.arseille 
était  autrefois  dans  une  si  grande  rcpuution  qu'il  s'y  est  établi  de 
toutes  sortes  de  nations  de  Tturope',  ce  qui  ne  se  rencontre  pas 
dans  les  autres  ports  de  mer.  Aussi  c'est  cette  ville  laquelle,  après 
Venise,  a  mi,s  la  première  en  usage  les  assurances  et  l'on  peut  dire 
que  les  négociants  et  les  assureurs  y  raffinent  sur  cette  science  qui 
est  plus  difficile  qu'on  ne  croit*.  »  Ce  tableau  présenté  par  la  Chambre 
était,  il  est  vrai,  bien  embelli,  car  les  abus  auxquels  donnaient  lieu 
les  assurances  occasionnèrent  souvent  des  plaintes  et  la  Ckumbrc  dut 
s'occuper  d'y  remédier,  mais  elle  tenait  jalousement  à  conserver  les 
vieux  usages  et  la  liberté  dont  jouissaient  les  Marseillais. 

Les  assurances  maritimes,  comme  toutes  les  autres  opérations 
relatives  au  commerce  maritime,  étaient  t-ùtes  .\  Marseille  par  l'inter- 
médiaire des  courtiers  ou  censaux^,  alin  de  donner  plus  de  sûreté  .\ 
^^ces  opérations.  L'établissement  des  courtiers  maritimes  i  Marseille 
remontait  au  moyen-âge.  Par  un  des  statuts  municipaux  antérieurs 
à  12)7    ''  ^^^  porté  que  les  courtiers  renouvelleront  ieur  serment 

Itous  les  ans,  le  jour  de  N.-D,  de  la  Purification,  dans  l'hôtel  de  ville, 
entre  les  mains  du  viguier  et  des  consuls.  Leur  nombre  varia  suivant 
les  époques;  au  milieu  du  \\i'  siècle  il  y  en  avait  soixante-dix, 
une  délibération  municipale  de  1579  lesréduisitâ  trente  tandis  qu'en 
1)99  ^^  <-■"  1604  on  en  créa  huit  nouveaux  puis  six  autres*; 
pendant  tout  le  xvn"^  siècle  leur  nombre  resta  fixé  à  quarante- 
six.  Quand  l'un  des  courtiers  mourait  ou  abandonnait  sa  charge, 
■  ceux  qui  voulaient  le  remplacer  se  présentaieut  devant  les 
consuls  et  plus  tard  devant  les  échevins  et  en  recevaient  leur  com- 
mission, après  avoir  fait  preuve  de  bonne  vie  et  mœurs  et  de  capa- 
cité; les  courtiers  devaient  en  outre  fournir  une  caution  et  payer  une 
pension  annuelle  de  dix-huit  livres  .\  l'hôpital  de  Marseille  °.  La 
Chambre  eut  souvent  .\  s'occuper  des  abus  commis  par  les  courtiers 


(i)  «  Ces  cirangerji  (GiSnois,  .■\rm(inicns  et  autres  nations)  ne  sont  la  plupart 
établis  d.ins  Marseille  que  nour  y  f.iirc  les  assurances  des  niigociants  de  leurs  p.iys... 
Ils  font  valoir  beaucoup  le  commerce  et  riit-it  les  a  crus  si  niiccssoircs  que  les 
ministres  ont  toujours  favorisé  le  commerce-  .1  leur  occasion.  » 

(2)  fl/ï,  ./,  fol.  i6s-!^2  :  Très  humbles  remontrances  des  négociants  de  la 
ville  de  Marseille  et  de  la  côte  maritime  de  Provence  contre  l'ctablissemcni  d'une 
Chambre  d'assurance  privative  qu'on  médite  dans  Paris.  .V  novembre  lOS)-. 

(J)  Ce  nom  est  encore  empUiyé  en  italien  :  Sensale  marittimo. 

(|)  RuiFi,  II,  p.  230. 

())  Voir  la  série  des  Registres  de  délibér.itions du  Conseil  de  ville  de  Marseillei 
Toutes  les  Commissions  des  censaux  y  sont  enregistrées.  —  .irch.  Commun. 


484 


TABLEAU   DU   COMMERCE 


et  fit  de  uomba'ux  rcylcments  qui  les  concernaient,  principalemcnil 
iiu  sujet   de  la   forme  des   assurances'.   S'ils  donnaient  lieu  à  des 
plaintes,  elle  les  citait  h  comparaître  devant  son  bureau  et  leur  infli- 
geait des  réprimandes,  des  amendes,  des  interdictions  temporaires»! 
ou  leur  interdisait  de  continuer  leurs  fonctions*. 

En  1660  un  édit  royal  créa  cinquante  offices  royaux  de  courtiers,! 
mais,  sur  les  plaintes  de  la  Chambre,  le  roi  rétablit  l'ancien  état  dej 
choses,  par  lettres  patentes  du  14  août  1661  '.  Les  besoins  financier 
du  trésor  lîrcnt  songer  de  nouveau  à  cette  création  et  l'édit  de  mail 
1692*  érigea  les  quarante-six  charges  de  courtiers  en  offices  hérédi-1 
taircs,  ce  qui  n'empêcha  pas  les  quarante-six  titulaires  d'être  rem- 
placés, en  1708,  par  soixante  autres  courtiers,  puis  rétablis  en  1709J 
avec  quatorze  de  leurs  successeurs,  moyennant  le  paiement  au  roi  Je] 
120.000  livres^.  L'édit  royal  leur  accordait  pour  leurs  émoluments, 
dans  les  traités  de  vente  et  d\achatde  marcliandises,  1/2  "/»,  tant  des] 
vendeurs  que  des  acheteurs,  jusqu'à  1.200  livres,  et  au-dessus  1/3  ",'»;! 
pour  les  contrats  d'assurances  ils  percevaient  un  sol  par  écu  surlcs  j 
primes. 

Tous  les  navires  qui  partaient  de  Marseille  ne  chargeaient  pas 
dans  le  port,  beaucoup  prenaient  leur  cargaison  aux  iles  du  Frioul 
distantes  d'environ  trois  kilomètres".  C'était  sans  doute  pour  éviter 

(1)  Ainsi  le  rcgicmcnt  du  1 1  avril  1670  lion)oIogu«S  pjr  le  Parlement,  renouvelé 
le  is  juin  '677.  —  Alcr.  i  :  «  Les  carnets  des  eciisaux  stroin  p.ir.ilL*  par  Its 
celicvliis  et  d(jput«!s  ou  par  l'un  d'eux  à  peine  de  f.iux  et  de  1.000  livi» 
d'.inicnde.  »  —  Cette  rèi;le  est  encore  observée  aujourd'hui  piir  les  courtitn 
maritimes.  —  BB,  j.  —  Cf.  BB,  2,  24  lUumbie  1662. 

(2)  V.  BB,  j,fol.  i)ù,  i)'),  sij,  600,  60s,  ôvj,  j6o,  yo6,  yj/,  etc. 
(3»  Archiva  Commuiutlts  de  Mancille. 

(1)  Rfi^-.tUs  Iiisitiiial.  df  rAmirattlc  de  Mars.,  foK  j/i.  Areh.  dtp.  âa  {f.-ikK^- 
Lebret  s'opposa  en  vain  A  la  crt-ation  de."î  courtiers  rovaux.  V.  lettre  i  PontcliJt* 
train  du  j  mai  1692  ;  «  On  pourrait  établir  des  courtiers  mais  en  autorisant  If» 
échevins  de  Marseille  il  les  déposséder  s'ils  ne  remplissent  pas  consciencieusi.'jncni 
leur  office,  car  ce  serait  un  grand  mal  pour  le  public  si  de  tels  officiers  m  lj 
bonne  foi  desquels  le  commerce  de  iMarseille  doit  rouler  tout  entier,  vouaient  rcît« 
absolument  indépendants  de  la  Chambre  du  commerce.  »  (Citée  par  Marclui'^l. 

(  j)  Edit  du  ;  ûtlolue  rjoç.  —  »  L'édit  de  1709  autorisa  les  courticxs  rovius  i 
tenir  une  caisse  chez  eux  pour  f.»ciliter  les  transactions.  Ils  abusvrent  Je  cette 
faculté  pour  s'emparer  du  monopole  de  la  banque.  Ces  doubles  fonction»  qu'ib 
s'ét.iient  arrogées,  réunirent  dans  leurs  mains  tous  les  capitaux  destines  au  ctm- 
merce,  tous  les  papiers  négociables,  et  ils  devinrent  les  arbitres  absolus  du  uuxJc 
l'intérêt  et  de  l'escompte.  nJl'lLiANV,  1.  I.  p.  jgt). 

(6)  Ce  fait  est  attesté  par  le  rapport  de  M.  de  Scpuiran  de  i6îj:  LcsofiâB 
de  l'amirauté  lui  représentent  (ju'ils  sont  obligés  d'aller  faire  les  visite»  drt  vii*" 
seaux  aux  iles,  éloignées  de  trois  milles,  ou  ils  emploient  le  plus  souvent  t>'>ut<  ^ 
journée»  (p.   JJl).  —  «  Il    est  vrai  que  par   la  disposition  du  négoce  Je  iCBC 


^gl^lll^l^ll 


LES  USAGES   DE   LA   NAVIGATION    HT   Dl'    COMMERCE 


483 


les  longs  retards  ;iuxqiiels  donn.iicm  lieu  les  rigoureuses  quaran- 
tnines  qu'il  fallait  subir  au  retour  du  lAvant,  que  les  navires  au  lieu 
d'en  attendre  la  fui  pour  rentrer  dans  le  port  de  Marseille,  déchar- 
geaient leurs  marchandises  aux  îles,  y  recevaient  leur,  nouveau 
chargement  et  pouvaient  repartir  pour  un  nouveau  voyage  sans 
aucune  perte  de  temps.  Les  ports  de  Pomùgue  et  du  Frioul  étaient 
ainsi  devenus  au  xvir  siècle  comme   les  avant-ports  de  Marseille. 

■  Avant  de  partir,  les  navires  devaient  recevoir  la  visite  des  officiers  de 
l'amirauté  qui  venaient  s'assurer  qu'ils  n'eniporiaicnt  pas  de  mar- 
cliandises  de  contrebande  et  prenaient   des  mains    de  Ttrcrivain  le 

Btnanifeste  du  chargement. 

■  Dans  sa  visite  des  côtes  de  Provence  en   1653,  M.  de  Seguiran 

■  s'informa  auprès  des  officiers  de  l'amirauté  de  la  manière  dont  ils 
élisaient  ces  visites.  «  Ils  nous  ont  dit,  rapporte-t-il,  qu'étant  arrivér, 

^  dans  le  vaisseau,  ils  font  lire  par  le  greffier  l'état  et  rôle  des  mar- 
chandises  chargées,  le  nom  des  mariniers,  les  lieux  de  leur  demeure 
et  voient  leur  artillerie;  et,  ce  fait,  ils  font  prêter  serment  au  capi- 
taine de  leur  déclarer  s'il  y  a  dans  ledit  vaisseau  d'autres  marchan- 
dises que  celles  qui  sont  exprimées  au  manife,';te  ou  police  de  char- 
gement, et  après,  le  procureur  du  roi  et  le  greffier  font    exacte 
recherche  dans  le  vaisseau   pour  voir  s'il  y  a  des  marchandises  de 
fc  contrebande.  Et  cependant  le  lieutenant  fait  entendre  audit  capi- 
tiinc  que  le  chargement  de  telles  robes  lui  est  prohibé  à  peine  de  la 
vie  et  de  confiscation,  ni  de  charger  autres  marchandises  après   la 
visite  sans  la  permission  ;  lui  enjoint  de  porter  les  étendards  du  roi 
et  de  M»^'  le  grand  m.aitre  (Richelieu)  déployés,  de  traiter  ses  gens 
'     en  bon  père  de  f.nnille;  au  retour  qu'il  fera,  l'avertir  des  excès,  lar- 
Bcins  et  malversations  qui  pourraient  être  commis  par  ceux  de  son 
Béquipage  et  de  rapporter  son  artillerie.  Et  là,  présents  tous  les  offi- 
^  cierset  mariniers  du  vaisseau,  il  leur  ordonne  d'obéir  à  leur  capitaine, 
ne  le  quitter,  ni  abandonner  durant  le  voyage,  à  peine  de  punition 
Hcorporelle,  perte  de  leurs  salaires  et  avec  la  rigueur  portée  par  les 

ville,  le  chargement  et  départ  des  navires  pour  le  Levant  ne  se  pouv.mt  faire 
iqu';)ux  ilcs...  »  (p.  24^).  —  CcpcnJam  il  y  .nvait  des  navires  qui  chargeaient  dans 
[le  port  (p.  24s).  —  Contsp.  de  Sou r dis.  Coll.  des  Doc.  In.  —  Dd-s  1621  l'auiorisa- 
1  lion  fut  accordée  .uix  Marseillais  «  de  construire  aux  îles  Poméguc  et  Ratonneau 
[•des  halles  où  ils  puissent  mettre  i  l'abri  les  marchandises  qu'ils  rapportent 
[«d'outre  mer  avant  d'avoir  purj^é  leur  Quarantaine.»  Rtj;islif  di'nhisin.di-  l'Antirautc, 
\t>utri  i(i3t,fol.  ifj.  Arch.  dfs  li.-dii-kh.  —  F,n  1652  la  ville  obtint  la  permission 
pde  construire  d'autres  halles,  i"  ixlchn  tf>}2.  .ircb.  Coinmini.  krgist.  i/«  Dililtii . 


4^6  TABLEAU    DU    COMMl-RΠ

ordonnances.  Et  aprùs  tout  cela,  ils  donnent  congc  aux  susdits  \*3is- 
seaux  ail  nom  de  M"'  le  grand  maître,  scellé"  du  sceau  royal,  signé 
par  le  lieutenant  et  le  greffier'.   » 

En  réalité  les  visites  de  navires,  du  moins  sous  Louis  XIV,  ne  se 
faisaient  pas  avec  tant  de  cérémonie,  les  officiers  de  l'amirauté  en 
laissaient  le  soin  A  leurs  commis  qui  délivraient  aux  capitaines  leurs 
congés  et  passeports  *.  Ces  congés  étaient  accordés  pour  un  temps 
limité,  au  terme  duquel  les  capitaines  devaient  être  de  retour  au 
port;  ils  seiTaicnt  aux  capitaines  i  prouver  qu'ils  naviguaient 
régulièrement  et  à  (liire  reconnaître  leur  qualité  de  français  quand 
ils  rencontraient  des  vaisseaux  du  roi,  des  corsaires  Français  ou 
barbaresqucs,  et  quand  ils  arrivaient  aux  échelles*.  Parfois  des 
capitaines  étnngers,  en  distribuant  de  l'argent  aux  commis  de 
l'nmirauté,  parvinrent  à  obtenir  des  congés  ;  arrivés  en  pleine  mer, 
ils  arboraient  le  pavillon  français  *  pour  se  garder  des  corsaires  et  le 
quittiiient  en  arrivant    aux  écliellcs  pour  ne  pas  payer  les  droits 

(i)  Pnur  le  tarifdes  vacations  des  officiers  de  l'amirauté,  voir  p.  66, —  «  D'aprt» 
le  règlement  de  1599  confirmé  par  celui  de  164 1,  l'amiral  prend  pour  les  congés 
en  Ponant  7  livres  10  sols,  mais  en  cette  ville  il  ne  prend  que  5  livres  par  vais- 
seau, 40  sols  les  polacres,  20  sols  les  barques,  16  sols  les  barques  allant  en  Italie, 
Espajjne,  Barbarie,  8  sols  les  tartanes  et  j  sols  les  bateaux  et  chaloupes.  —  Or, 
par  le  règlement  de  1641  les  ofliciers  de  l'amirauté  sont  réglés  et  ne  peuvent. 
prendre  entre  tous  trois  que  autant  que  h\g'  l'amiral.  »  ùllrf  du  2»  aoiU  lôfi 
J!H,  26.  —  Richelieu  avait  fait  établir  par  M.  de  Séguiran.  en  l6î3,  un  commit 
pour  délivrer  en  son  nom  les  congés  et  passeports;  les  officiers  Je  l'amirauié  après 
leur  visite  devaient  se  bonier  A  délivrer  un  simple  certificat  des  marchanJiw» 
qu'ils  avaient  visitées,  (Inspection,  p.  244).  Mais  ce  commis  ne  fut  pas  maimenu 
car  on  voit  dans  la  suite  la  Chambre  souvent  en  contestation  avec  les  olHciers  de 
l'amirauté  au  sujet  des  droits  qu'ils  percevaient  pour  la  délivrance  des  congés  et 
passeports.  V  la  lettre  ci-dessus.  —  Cf.  //,  3).  Ordonnance  de  ,\f.  de  Stguhaii, 
pri-mier  pri'sident  tn  ht  Cour  des  compiff,  aida  tl  finances  de  Ptvttnef  el  lieutenant 
ginha]  pour  Mi'  le  duc  dt  VendAne  en  h  clmrge  àr  Grand-Maiire,  etc.  16/7. 

(2)  Les  congés  étaient  délivrés  pour  le  capitaine  et  son  navire,  les  passcpom 
pour  les  marchandises  qu'il  portait. 

(5)  PoHicliarIrain  aux  consith  de!  icIteUa,  2j  janvier  16^  :  «  Pnur  distinguer  les 
capitaines  fran<;ais  d'avec  ceux  qui  ne  le  sont  pas,  les  dernier*  doivent  être  munis 
tout  au  plus  d'une  simple  perinission  de  sortir  des  ports  du  royaume  l»nu]u'ils  v 
ont  fini  leurs  alîaires  et  les  consuls  peuvent  avertir  les  corsaires  que  tous  ceux  qui 
ne  leur  représenteront  que  de  semblables  )H.'rmissions  ne  sont  certainement  pas 
fran^'ais,  quelque  pavillon  qu'ils  aient  arboré.  »  —  ReiUieil  des  rès^lenienti ,  H,  2>. 

(4)  La  couleur  et  la  forme  de  ce  pavillon  furent  définitivement  réglée*  par 
l'ordonnance  du  9  décembre  1661  :  ■  Ordonnance  du  roi  interdisant  à  tous  maîtres 
et  panons  des  vaisseaux  de  commerce  d'arborer  d  leur  m:U  le  pavillon  blanc  qui 
est  réservé  aux  vaisseaux  de  S,  M.  et  portant  qu'ils  devront,  comme  auparavant,  se 
bomer  à  porter  l'ancien  pavillon  de  la  nation  française  qui  est  la  croix  blanche 
dans  un  estcnJart  d'estofTe  bleue  avec  l'cscu  des  armes  de  S.  M.  »  Reg.  des  Insin. 
di  VAmirauU,  fol.  1 144 . 


LES  USAGES   DE   LA   NAVFGATrON   lîT  TÎU   COMMERCE 

'auxquels  pouvaient  être  assujettis  les   vaisseaux  français,  mais  la 
Chambre  du  commerce  mit  un  terme  h  cet  abus. 

Les  bâtiments  de  Provence  partaient  généralement  peu  chargés 
pour  le  Levant,  car  ils  emportaient  toujours  de  l'argent  au  moins 
pour  la  valeur  du  tiers  de  leur  chargement  ;  beaucoup  étaient  même 
obligés  de  prendre  du  lest  pour  assurer  leur  stabilité.  La  valeur  des 
cargaisons  variait  considérablement  suivant  les  circonstances,  mais 
un  vaisseau  qui  emportait  de  l'argent  et  des  marchandises  pour  3  A 

^  400,000  livres  passait  pour  être  richement  chargé.  Il  y  avait  parfois 

0  cependant  des  chargements  d'une  valeur  beaucoup  plus  grande  : 
d'Arvieux  cite  un  vaisseau  qui  partit  de  Marseille  en  1653  portant 
200,000  piastres  argent  comptant  et  100. oon  piastres  en  marchan- 
dises ;   mais  ce  n'était  là  qu'une  exception,  il  s'agissait  en  effet  d'un 

^■vaisseau  du  roi  qui,  h  cause  de  l'insécurité  de  la  mer  pendant  la 
guerre  contre  l'Espagne,  était  envoyé  dans  le  Levant  «  en  mar- 
chandise'. »  Il  arrivait  beaucoup  plus  souvent  que  des  vaisseaux 
partiiient  avec  des  chargements  valant  moins   de   ïoo,ooo  livres 

H  et  c'était  une  des  causes  de  la  cherté  du  fret  X  Marseille,  car  les 

^^  bénéfices  des  armateurs  étaient  insuffisants. 

Les  départs  étaient  peu  fréquents  en  hiver,  surtout  dans  le  mois 
de  janvier,  ;\  cause  de  la  fréquence  des  mauvais  temps.  Suivant 
les  vents  qu'ils  rencontraient  et  les  circonstances,  les  navires  suivaient 

^-  deux  routes  pour  aller  dans  le  Levant,  l'une  passant  par  Messine, 

^  l'autre  par  Malte.  Cette  dernière,  quoique  plus  longue,  était  la  plus 
fréquentée,  même  les  convois  Anglais  et  Hollandais  partant  de 
Livourne  y  passaient  quelquefois  '  ;  jusque  vers  Candie  la  route  était 
la  même  pour  toutes  les  échelles.  Candie  servait  de  point  de  repaire 

^P  aux  capitaines  pour  savoir  où  ils  se  trouvaient,  car  la  navig.ation  se 
faisait  encore  avec  certains  t.itonnemcnts  et  les  voyageurs  parlent 
souvent  d'erreurs  de  calculs  faites  par  les  capitaines  qui  les  condui- 
saient. Thévenot  raconte  que  le  sien  attendait  avec  inquiétude  le 
moment  de  passer  devant  l'ilot  de  Sapience  où  se  tenaient  les 
corsaires,  tandis  que  le  vaisseau  avait  déjA  franchi  le  cap  Matapan 
à  plus  de  70  milles  A  l'Est;  plus  loin,  ce  capitaine  passa  contre  son 
intention  entre  Cerigo  et  la  terreau  lieu  de  prendre  entre  Cerigo  et 
Cerigotto.  Une  autre  fois^  en  longeant  Tilede  Candie  pour  aller  A 


(i)  D'Arvieux,  t.  I,  p.  2. 
(2)  Taveusiek,  p.  3. 


488 


TABLEAU  DIT  COMMERCE 


Alexandrie,  le  capitaine  se  trouva  au  bout  de  l'île  A  200  milles  plu5 
loin  qu'il  ne  pensait '.  «  Trois  choses,  dit  le  voyageur  Ferinanel, 
sont  absoUimcnt  nécessaires  pour  naviguer  assurcmcnt  dans  la 
Méditerranée  :  connaître  le  cas,  c'est-;\-dire,  connaître  et  discerner 
les  côtes  ce  qui  ne  se  peut  apprendre  qu'en  les  voyant  souvent,  les 
courants  et  l'estime  de  la  course  du  vaisseau*.  » 

La  vieille  routine  s'était  donc  maintenue  dans  la  navigation  de  la 
Méditerranée  où  elle  pouvait  suffire,  tandis  que  dans  l'Océan  les 
longues  distances  et  l'éloignement  des  terres  obligeaient  X  déter- 
miner la  marche  et  la  position  des  navires  par  des  procédés  plus 
scientifiques.  Aussi,  les  capitaines  provençaux  n'avaient-ils  guère 
besoin  de  connaissances  techniques,  c'était  par  un  long.apprentissagc 
pratique  et  en  passant  par  les  fonctions  d'écrivain  où  ils  s'initiaient 
au  commerce,  qu'ils  parvenaient  :\  leurs  fonctions.  La  durée  de  la 
navigation  était  très-variable  suivant  les  changements  de  vents  qui 
sont  trés-fréquents  dans  la  Méditerranée  et  aussi  suivant  les  nou- 
velles des  corsaires  qui  forçaient  souvent  à  faire  des  détours  pour 
les  éviter.  Le  voyage  de  Marseille  à  Constantinople  demandait  régu- 
lièrement quinze  ou  vingt  jours  quand  on  ne  rencontrait  pas  de 
vents  contraires;  on  arrivait  aux  échelles  de  Syrie  en  moins  d'un 
mois,  mais  parfois  les  traversées  étaient  singulièrement  tourmentées 
en  hiver  :  Chardin,  dans  un  de  ses  voyages,  mit  trois  mois  pour 
arriver  1  Smyrne*. 

Aussitôt  arrive  à.  l'échelle  de  sa  destination,  le  capitaine  devait 
aller  remettre  au  consul  son  maniteste  de  chargement,  son  congé  et 
passeport  et  lui  faire  un  rapport  de  son  voyage.  Le  consul  devait 
venir  visiter  le  navire  pour  s'assurer  qu'il  ne  contenait  pas  de  mar- 
chandises prohibées  par  les  ordonnances  comme  des  draps  étrangers, 
ni  des  monnaies  Je  France  et  c'était  seulement  alors  que  le  déchar- 
gement pouvait  commencer.  Il  s'opérait  généralement  en  présence 

(1)  Thévenot,  t.  I,  p.  23,  t.  II,  p.  8.  —  Il  .-luribuc  ces  deux  cnxnrs  .lux 
courants  de  l'Adriatique  qui  les  av.iicnt  ditourniis  et  poussa. 

(2)  Fi  RMANiiL,  p.  460-46}  ;  Dr  la  navigation  de  la  Mfditerranie. 

(5»  V.  DisHAvn,  p.  458,  Lucas,  t.  1,  p,  t6  :  Nous  arrivâmes  .iSniyrnc  en  dix- 
sept  jours  et  nous  y  serions  arrivés  en  seize,  si  nous  n'avions  cchouc  sur  !c»  ha»- 
foiiJ>  qui  soiil  auprès  du  chiUeau.  —  Les  principaux  vents  connus  des  m.irins 
provcnç-iux  éLiieiit  la  tranioiit.me  (Nord|.  lemistrjl  (ou  maestni.  ni;iistre:»,  Nord- 
Ouest),  Iclcbesche  (Est),  le  grcgal  (N.-l;.),  le  svroch  (Sud),  le  ponant  (Oucsll.  — 
»  Pour  aller  de  Marseille  en  tous  les  susdits  endroits,  t.int  du  Levant  que  du  Midi, 
il  faut  avoir  les  vents  du  ponant  et  mistral  et,  pour  en  revenir,  les  Grecs  et  Icvjuit 
esseroc  et  ^regalis.  m  Insptction  dt  Segiiiian,  p.  32S. 


LES   USAGES   DE   LA   NAVIGATION   ET   DU   COMMERCE  489 

des  commis  de  la  douane,  affermée  parles  Turcs  le  plus  souvent  à 
des  Juifs  ;  les  formalités  de  douane  étaient  remplies  avec  beaucoup 
de  facilité  et  ne  gênaient  pas  les  opérations  d'embarquement  et  de 
débarquement.  Les  commis  se  contentaient  d'inscrire  les  marchan- 
dises à  mesure  de  leur  arrivée  A  terre,  les  estimaient  d'après  le  tarif 
appliqué  à  la  nation  et  écrivaient  le  nom  du  marchand  qui  venait  les 
recevoir  et  la  somme  qu'il  devait  à  la  douane;  ils  n'en  exigeaient  le 
paiement  que  plus  tard  et  s'en  rapportaient  à  la  bonne  foi  des  mar- 
chands '.  Les  exacteurs  des  droits  de  l'échelle  assistaient  aussi  au 
déchargement  quand  il  y  avait  des  avaries  à  payer,  et  le  consul  y 
envoyait  souvent  ses  commis  pour  s'assurer  que  le  manifeste  qu'on 
lui  avait  remis  était  bien  sincère. 

La  plupart  des  marchands  des  échelles  ;\  qui  les  marchandises 
étaient  remises  n'étaient  que  des  commissionnaires  ou  facteurs  des 
marchands  de  Marseille  qu'on  appelait  leurs  majeurs.  Ce  système 
ne  donnait  pas  de  très  bons  résultats  si  l'on  en  juge  par  les  critiques 
de  l'auteur  du  Parfait  Négociant  très  bien  renseigné  sur  le  commerce 
du  Levant.  Les  commissionnaires,  faute  de  pouvoirs  suffisants  de 
la  part  de  leurs  majeurs,  laissaient  souvent  échapper  d'excellentes  ^ 

occasions  de  faire  des  échanges  avantageux  ;  mais  surtout  ils  ne 
s'occupaient  guère  que  de  leur  intérêt  personnel  ;  leur  avantage 
était  de  faire  le  plus  d'achats  et  de  ventes  qu'ils  pourraient  pou . 
toucher  leur  commission  et  c'est  pour  cela  qu'ils  se  disputaient  avec 
tant  d'acharnement  les  marchandises  de  leur  échelle,  s'inquiétant 
peu  de  faire  baisser  les  prix  de  celles  d'Europe  et  de  faire  monter  | 

ceux  des  produits  du  pays,  au  grand  détriment  des  intérêts  de  leurs 
commettants*.  Le  Parfait  Négociant  leur  reproche  surtout  de  réaliser 
des  gains  illégitimes  en  envoyant  ;\  Marseille  des  comptes  faux  pour 
les  frais  de  leurs  ventes  et  de  leurs  achats  ;  ils  faisaient  des  bénéfices 
considérables  en  particulier  sur  les  droits  de  douane  que  les  Turcs 
exigeaient  d'ordinaire  suivant  des  évaluations  modérées  et  qu'ils 
faisaient  figurer  dans  leurs  comptes  suivant  toute  la  rigueur  du  tarit 
officiel'.  «  Non  seulement  les  coagis  trompent  leurs  commettants 

(i)  D'Arvieux,  t.  I,  p.  55,  3ti. 

(2)  La  correspondance  consulaire  est  remplie  de  plaintes  à  ce  sujet. 

(j)  Savary  dans  son  Paifuit  Kègcviaitl  donne  pour  chaque  sorte  de  marchan- 
dises un  compte  vrai  des  frais  de  vente  aux  échelles  et  le  compte  donné  par  le 
coagi.  Pour  une  balle  de  drap  le  compte  exact  des  frais  était  de  57  piastres,  celui 
remis  par  le  coagi  de  127  piastres. 


490 


TABLEAU   nu  COMMERCE 


Je  cette  manière,  ajoute  le  môme  auteur,  mais  encore  dans  la  vente 
dos  111:1! cliandises,  car  bien  souvent  ils  les  vendent  en  troc  en 
d'autres  qu'ils  envoient  \  leurs  commettants  pour  les  retours  de 
celles  qu'ils  leur  ont  envoyées  et  prennent  leur  commission  de  ao/o 
pour  la  vente  et  d'autres  2  o,'o  pour  l'achat  en  troc  qui  est  un  double 
droit  qui  tourne  encore  en  pure  perte  aux  commettants.  «  Aussi 
Savary  conseillait  non  sans  raison  aux  négociants  de  former  des 
sociétés  et  d'envoyer  sur  les  lieux  un  des  associés.  »  On  peut 
prendre  pour  associé,  disait-il,  un  jeune  homme  qui  ne  soit  point 
encore  engagé  dans  le  mariage,  qui  ne  portera  dans  une  société  que 
peu  d'argent  et  beaucoup  d'industrie,  lequel  sera  bien  aise  de  p.isscr 
sept  à  huit  ans  de  temps  que  durera  la  société  dans  le  Levant  pour 
y  faire  sa  fortune*.  » 

Savary  semble  avoir  cependant  beaucoup  exagéré  les  inconvé- 
nients du  système  des  commissionnaires.  En  réalité  beaucoup 
d'entre  eux,  originaires  de  Marseille,  servaient  de  correspondants  A 
leurs  parents  ou  i  des  marchands  avec  qui  leur  famille  était  en 
relation.  Quand  ils  avaient  fait  fortune  dans  le  Levant  ils  s'établis- 
saient à  leur  tour  ,\  Marseille  et  l'on  voyait  parmi  les  négociants  de 
cette  ville,  même  parmi  les  membres  de  la  Chambre  du  commerce 
et  les  échcvins,  d'anciens  résidents  des  échelles.  Les  usages  du  Levant 
étaient  donc  fort  bien  connus  ;\  Marseille  et  il  n'était  guère  possible 
aux  commissionnaires  de  commettre  régulièrement  au  détriment  de 
leurs  majeurs  les  irrégularités  dont  les  accuse  l'auteur  du  Par/ail 
Négociant.  Il  est  vrai  qu'il  leur  était  plus  facile  de  les  faire  admettre 
aux  négociants  de  Lyon,  du  Lmguedoc  ou  même  de  Rouen  dont 
ils  recevaient  aussi  les  commissions  et  ceux  ci  durent  être  les  seules 
victimes  de  leur  malhonnêteté. 

Toutes  les  transactions  dans  les  échelles  se  faisaient  par  ^inlc^ 
médiaire  de  courtiers  ou  censaux  presque  toujours  Juifs  ou  Armé- 
niens. On  vit  quelquefois  des  Français  ^  Smyrne  ser\'ir  de  courtiers 
aux  marchands,  mais  il  fallait  connaître  :\  fond  les  langues  du  pays 
ce  qui  était  fort  rare  parmi  les  l-ran^ais  qui  dédaignaient  en  outre  ce 
métier.  Les  Juifs  se  rencontraient  dans  toutes  les  échelles,  pariois 
au  nombre  de  quelques  milliers  comme  A  Alep  ou  h  Smvrnc. 
Partout  ils  montraient  leur  grande  intelligence  des  affaires  et  la  plus 


(i)  Parfait  Négociant,  p.  ,\o<y  et  397. 


LES  TJSAGF-S  DE   LA   XAVIGATION   ET   DU   COMMERCE 


491 


finindc  partie  du  commerce  passait  entre  leurs  mains'.  Ils  n'étaient 
pas  seulement  les  courtiers  Jl-s  ccholles,  ils  y  faisaient  aussi  la 
banque  et  c'étiiit  à  eux  que  la  nation  avait  recours  quand  il  f.illaii 
emprunter  pour  payer  les  avanies  qu'ils  avaient  souvent  suscitées  ; 
il  fallait  alors  accepter  de  leur  payer  ces  «  changes  lunaires  »  aux 
taux  usuraircs  qui  avaient  tôt  fait  de  doubler  le  capital  emprunté. 
C'étaient  eux  encore  qui  atTermaient  les  douanes  aux  Turcs  dans 
presque  toutes  les  échelles  et  leur  rap.acité  excita  souvent  des  plaintes. 
Les  Juifs  étaient  donc  les  habitants  des  échelles  avec  lesquels  les 
Francs  avaient  le  plus  de  relations,  cependant  ils  les  détestaient, 
tandis  qu'ils  étalent  souvent  en  fort  bons  termes  avec  les  Turcs,  et 
les  Juifs  le  leur  rendaient  bien. 

«  I-cs  Juifs,  dit  d'Arvieux,  sont  les  plus  méchantes  gens  qu'il  y  ait 
nu  monde.  Ils  haïssent  mortellement  les  chrétiens,  sont  toujours 
prêts  il  leur  foire  du  mal,  ils  en  recherchent  avec  soin  les  occasions  ; 
ils  trahissent  sans  honte  ceux  qui  leur  ont  fait  le  plus  de  bien.  La 
plupart  des  avanies  viennent  d'eux,  ils  les  suggèrent  aux  olRcicrs  de 
l'Etat  et,  quoi  qu'il  ne  leur  en  vienne  le  plus  souvent  rien  ou  très  peu 
de  chose,  ils  satisfont  leur   mauvais  naturel  et  leur  rage  et  sont 

contents  de  taire  le  mal  pour  le  mal  même Ceux  qui  s'en  servent 

doivent  être  toujours  sur  leurs  gardes  et  ne  leur  jamais  confier  un 
secret'.  »  Les  Turcs  les  méprisaient  encore  davantage  et  les  forçaient 
dans  beaucoup  d'échelles  à  vivre  dans  des  quartiers  séparés  et 
fermés.  Ces  ghettos  du  Levant  se  distinguaient  par  leur  saleté,  car 
les  Juifs  affectaient  les  dehors  de  la  misère  autant  par  nécessité  que 
par  avarice,  les  Turcs  pr.uiquaient  en  effet  vis-à-vis  d'eux  la  même 
conduite  que  les  rois  de  France  au  Moyen-Age,  ils  les  laissaient 
s'enrichir  pour' les  dépouiller  ensuite'. 

Les  marchands  vivaient  au  contraire  en  bons  termes  avec  les  Armé- 
niens, nombreux  surtout  \  Alep  et  A  Smyrnc  où  ils  servaient  natu- 
rellement d'intermédiaires  avec  les  m.irchands  de  leur  nation  qui 
composaient  les  caravanes  de  Perse.  Quant  aux  négociants  turcs 


(i)  •  Tout  le  commerce  se  fait  p-ir  l'entremise  des  Juifs  et  on  ne  saurait  rien 
vendre  ni  acheter  qui  ne  pnssc  par  leurs  mains.  On  a  beau  les  traiter  de  ciiifous 
et  de  malheureux,  rien  ne  se  meut  que  par  leurs  orgnnes.  Il  faut  leur  rendre 
cette  justice,  ils  ont  plus  d'habileté  que  les  autres  marchands.  »  Tournefort, 
t   II,  p.  197. 

(if  D'.ARVirux,  t  VI,  p.  441. 

(3)  A  Smvrnc.  où  la  liberté  éuit  plus  grande,  les  Juifs  vivaient  d'une  manière 
asscx  aisée.  V.  ToeiiNEi-cwT,  t.  Il,  p.  197. 


492 


TABLEAU  DU   COMMERCE 


avec  lesquels  ils  fliisnient  des  marchés,  les  Provençaux  connaissaient 
leur  bonne  foi  et  leur  attachement  à  leur  parole,  mais  ils  en  abusè- 
rent tellement  pour  les  tromper  qu'ils  les  mirent  sur  leurs  gardes  et 
diminuèrent  par  leur  malhonnêteté  la  facilité  avec  laquelle  ils  trai- 
taient primitivement  lesaffliires.  Les  courtiers  des  échelles  prenaient 
ordinairement  pour  leurs  frais  i  ou  1/2  00  suivant  les  échelles. 
Parfois,  comme  à  Seide,  pour  donner  plus  de  sûreté  aux  transactions 
elles  se  traitaient  A  la  porte  du  camp  devant  un  officier  du  pacha 
qui  prenait  i  o  0  sur  tous  les  marchés  qu'on  concluait  devant  lui  V 

L'emploi  des  monnaies* dont  les  marchands  se  servaient  dans  le 
Levant  fut  l'une  des  choses  les  plus  difficiles  à  régler  et  qui  occupè- 
rent le  plus  l'attention  des  ministres  et  de  la  Chamhre  du  commerce 
pendant  le  xvu'  siècle.  Les  Turcs  frappaient  très  peu  de  monnaies 
et  n'avaient  guère  que  de  menues  pièces  d'arjjent  en  circulation. 
«  C'est  une  chose  bien  surprenante,  dit  Chardin,  que  dans  tout 
l'empire  Ottoman  on  ne  batte  point  de  monnaies  d'argent  que  des 
demi-sols  qu'ils  appellent  accha,  terme  générique  pour  signifier 
l'argent  monnayé,  que  les  Européens  ont  corrompu  en  celui  d'aspres, 
monnaie  si  petite  et  si  mince  qu'elle  se  perd  entre  les  doigts.  C'est 
pourtant  lu  la  monnaie  originaire  et  pour  ainsi  dire  unique  des 
Turcs,  avec  quoi  ils  comptent  et  supputent  au  trésor  et  aux  bureaux 
des  finances  et  à  leurs  Chambres  des  comptes.  Ils  font  de  deux  sortes 
d'aspres,  la  courante  ou  réelle  qui  vaut  demi-sol  ou  i2où  Técu  et 
l'entière  qu'ils  appellent  l'immaculée  qui  vaut  9  deniers.  Je  n'iguore 
p.is  qu'on  b.it  en  Egypte  une  autre  monnaie  d'argent  qui  vaut  18 
deniersqu'on  appelle  para  ou  paré,  terme  qui  signifie  partie  du  tout. 
Mais,  outre  que  ce  n'est  qu'en  Egypte  qu'on  en  bat,  il  y  a  en  si  peu 
qu'on  ne  s'en  aperçoit  pas  dans  le  cours...  Quant  aux  monnaies  d'or 
on  en  bat  en  Fîgypte  et  seulement  li\  »  A  la  fin  du  xvir  siècle  les 
Turcs,  du  moins  en  Syrie  et  en  Egypte  avaient  encore  une  autre 
petite  monnaie  d'argent  le  medin  qui  v.ilait  environ  1 5  deniers. 

Toutes  les  autres  monnaies  étaient  introduites  par  les  étrangers; 


(1)  D'AuviEUX,  t.  II,  p.  341.  —  Le  Parfait  Négociant  compte  i/ï  0,0  de  cou>- 
lage  pour  Sinyrne. 

<2j  Pour  les  poids  et  mesures  dont  on  se  servait  dans  chaque  i-clicllc  voix  le 
Parjait  S'cgocitiiil  de  Savary,  et  un  mémoire  conserve  aux  Arcli.  \at.  /•".  ^^J  : 
Mimoitt  sefi'uiit  iTinitruction  pour  le  Cùittmeiu  du  hvaiit  mr  la  dif/ffitce  dtt  f«ids 
et  nitiures.  —  (Il  en  donne  le  détail  pour  chaque  échelle}. 

[W  Chardin,  t.  I,  p.  5.  —  .\ccha,  dit-il,  signifie  blanc,  comme  aspron  en  Grec. 


LES   USAGES   DE   LA    NAVIGATION   ET    DU   COMMERCE 


493 


ceux-ci,  les  Français  surU)ut,  m.iis  aussi  les  Anglais,  les  Hollandais 
et  les  Vénitiens  acheuictit  beaucoup  plus  qu'ils  ne  vendaient  aux 
Turcs;  ils  apportaient  donc,  en  dehors  de  leurs  marchandises,  de 
grosses  sommes  d'argent  qui  restaient  dans  les  états  du  G.  S.  et  y 
formaient  la  masse  du  numéraire  circulant.  Le  commerce  du  Levant 
fournissait  aussi  aux  Persans  la  plus  grand  partie  de  la  monnaie  dont 
ils  se  servaient,  mais  le  schah  la  faisait  (oiidrcr  et  frappera  son  effigie.,. 
Non  seulement  les  Turcs  ne  prenaient  pas  la  peine  de  frapper  de 
leur  monnaie  mais  ils  connaissaient  très  mal  la  valeur  de  celles  que 
les  Francs  leur  vendaient  ;  les  marchands,  les  soldats  et  le  peuple 
s'engouaient  pour  certaines  pièces  étrangères  qui  leur  plaisaient  par 
leur  forme  ou  leur  aspect,  sans  s'inquiéter  de  leur  titre  et  de  leur 
valeur  exacte.  Au  début  du  xvii'  siècle  ils  ne  connaissaient  guère  que 
les  piastres  d'Esp.igne,  sévillanes  ou  mexicaines  qu'on  appelait 
réaies  d'Espagne  ou  piastres  de  réaux  ;  ces  pièces  leur  étant  apportées 
surtout  par  les  Marseillais  ils  les  nommaient  des  M.irsillies.  La 
guerre  entre  la  France  et  l'Espagne  ayant  produit  la  cherté  des 
piastres,  les  Provençaux  se  mirent  vers  1653  -^  porter  dans  le  Levant 
les  fitmeuses  pièces  de  cinq  sols  qui  eurent  un  succès  énorme'. 

A  la  fiveur  des  pièces  de  cinq  sols  succéda  celle  des  piastres 
abouquels  qui  dura  jusqu'au  xvin*  siècle.  C'étaient  les'  rixdales  des 
Hollandais;  comme  cette  monnaie  portait  sur  chaque  face  des  lions, 
les  Turcs  les  désignèrent  sous  le  nom  d'asiani  c'est-à-dire  piastres 
aux  lions,  mais  ils  les  appelèrent  aussi  aboukelb,  piastres  aux  chiens 
soit  par  dérision,  soit  qu'ils  eussent  pris  les  lions  pour  des  chiens; 
ces  deux  désignations  persistèrent,  mais  surtout  la  seconde.  Les 
asselanis  ou  abouquels,  comme  les  appelaient  les  Français,  valaient 
70  iispres  c'cst-;Vdire  un  peu  moins  que  la  piastre  d'Espagne  ;  c'était 
une  monnaie  de  fort  mauvais  aloi,  ne  contenant  parfois  que  la  moitié 
de  fin  et  si  mêlée  de  cuivre  qu'elle  avait  beaucoup  plus  la  couleur 
rougeâtre  de  ce  métal  que  celle  de  l'argent;  de  plus  les  Hollandais, 
malgré  leur  honnêteté,  ne  se  faisaient  aucun  scrupule  de  l'altérer. 
Cependant  les  Turcs  avaient  si  peu  de  discernement  que  cette 
monnaie  ctait  plus  recherchée  que  les  piastres  d'Espagne*.  Lesabou- 


(1)  V.  p.  17-1R. 

(3)  Les  marclunds  .irniénicns  mieux  avisés  donnaicni  jusqu'à  10  0/0  du  change 
pour  avoir  des  piastres  d'Kspjgnc  et  les  porter  en  Fersc  à  la  niounaic  du  soplii 
Parfait  ufgociaiit,  />.  4;6. 


494 


TABLEAU    DU    COMMERCE 


quels  qui  se  divisaient  en  dcmi-pi.nstres  et  quarts  de  piastres  étaient 
la  monnaie  l;i  plus  courante  de  l'empire  ottoman. 

A  certaines  époques  les  piastres  isolotes,  quittaient  encore  d'un 
plus  bas  aloi,  circulèrent  en  quantité  dans  le  Levant.  Cette  monnaie 
resta  même  la  plus  usitée  dans  l'Archipel  et  les  bâtiments  français 
qui  fais;iient  la  traite  des  blés  dans  lesiles  entre  1700  et  1715  allaient 
toucher  ii  Sniyrne  pour  changer  leurs  piastres  sevillanes'  en  isolotes. 
Il  semble  que  cette  monnaie  se  répandit  dans  le  Levant  h  peu  près ù  la 
même  époque  que  les  pièces  de  cinq  sols  et  qu'elle  commença  à  être 
transportée  en  quantités  considérables  à  Srayrne  par  les  vaisseaux 
de  la  Ciotat.  La  Chambre,  dés  qu'elle  fut  au  courant  de  cette  nou- 
veauté, se  pourvut  devant  le  Parlement  d'Aix  pour  faire  interdire  le 
transport  de  cette  monnaie  et  elle  engagea  une  négociation  avec  le 
prince  de  Monaco  qui  laissait  fabriquer  dant  sa  monnaie  les  isolotes 
ainsi  que  les  pièces  de  cinq  sols  altérées'.  Malgré  ses  défenses  le 
trafic  des  isolotes  fut  continué,  tant  par  les  Français*  que  par  les  Ita- 
liens, cependant  cette  monnaie  ne  joua  qu'un  rôle  secondaire  dans 
les  transactions  et  ne  se  répandit  pas  dans  tout  le  Levant.  Il  en  fut 
autrement  des  sequins  qui,  avec  les  abouquels,  étaient  la  monnaie  la 
plus  en  usage  dans  tout  l'empire  ottoman  au  milieu  du  xvu'  siècle; 
les  plus  connus  étaient  les  sequins  vénitiens  qui  valaient  lâGa-spa-s 
c'est-ù-dire  exactement  deux  piastres  d'Espagne;  les  sequins  hongrois 
étaient  aussi  estimés  et  avaient  ;\  peu  près  la  même  valeur*  on  Icj 
trouvait  surtout  A  Constantinople. 

Telles  étaient  les  monnaies  employées  dans  le  commerce  du  Levant 
au  xvn"  siècle.  Les  Français  tentèrent  de  fabriquer  et  de  transporter 
des  abouquels  et  des  sequins  A  l'époque  même  oii  ils  commençaient 


(1)  SavakY.  Diclionn.  du  Comm.  col.  tôt}. —  A  A,  //;,  UUre  lU  Seidt  du  ttman 
Ijoj  ;  du  1:  août  ijoS:  la  valeur  du  change  des  issclojlcs  aux  abouquels  c»i  ic 
60/0.  —  AA,  IIS,  Compte  d'un  viu-consul  de  Chic  •  44  isolutous  lotit  29  piatirc». 

({)  V.  BB,  t.  Série  de dil'libcratioris  de  la  Chambre  i  et  sujet  (24  nwn,  ti  nui, 
iS  juillet  16s 7)-  —  On  appelle  alors  cette  monnaie  stilots,  stolots,  tsillots,  pilloti, 
pclottcs. 

(î)  Ultu  Ji  Smvnit,  du  14  uclohie  i6Sj  :  «  Nous  ne  manquerons  pa4  d'apporter 
tous  nos  soins  au  sujet  des  assclanis  et  isolotes  que  nos  voiles  apporteront  i Vjvi.-- 
nir.  »  —  AA,  1^4. 

(4)  Le  sequin  hongre  vaut  deux  piastres  un  quart  courantes.  L/ttfr  ■^■^  '"■  ■  lau- 
f(«..  dit  2S  '"'"  tSSS.  AA,  !•]}. —  Il  y  avait  encore  d'autres  sortes  .:  le 

sequin  rouspi  valant  deux  piastres  et  demie  {lettre  du  comul  des  D.  '.A, 

176.  lu  août  té^j)  ;  le  sequin  tourrcli,  monnaie  courante  du  pay»  .  '  (f- 

Vfitr  ijoj.  AA,  SS7)'  le  sequin  clierirqui  valait  deux  piastres  et  i.  xidc 

(«7  H0i>embrt  tSSif.  AA,  Jfo). 


LES   USAGES   DE  LA   NAVIGATION    ET  DU   COMMERCE 


•495 


à  faire  le  trafic  des  pièces  de  cinq  sols  et  des  isolotes.  La  Chambre 

autorisa  d'abord  en  1653  l-*  fiibrication  des  abouqucls  pour  suppléer 

sans  doute  à  la  pénurie  des  réaies'.  Mais  ceux  qui  les  tâbriquaient  les 

altérèrent  malgré  les  préc;iutions  de  la  Chambre,  ù  l'imitation  des 

Hollandais,  et  celle-ci  avertie  par  les  malheurs  qu'avaient  causés 

les.  pièces  de  cinq  sols  interdit  le  trafic  des  abouquels,  elle  se  plaignit 

même  vivement  au  ministre  en   1680  de  ce  que  la  Compagnie  du 

Bl^evant  avait  commencé  d'en  introduire  A  Alep.  Quant  aux  sequins, 

ceux  qu'on    fabriquait  en  France   étaient   plus  ou   moins  faux  et 

altérés;   sans  cela  les  marchands  n'auraient   eu  aucun  bénéfice  .'i 

^■transporter  dans  le  Levant  cette  monnaie  au  lieu  des  réaies,  car  leur 

'     cours  n'y  était  pas  au-dessus  de  leur  véritable  valeur. 

La  Chambre  eut  s;uis  cesse  son  attention  portée  sur  le  commerce 
de  ces  monnaies  de  mauvais  aloi,  pièces  de  cinq^ols,  isolotes,  abou- 
quels,  sequins  faux,  et  nombreuses  sont  les  lettres  où  elle  recommande 
la  vi}i;ilance  aux  consuls  et  leur  ordonne  de  taire  des  visites  à  l'arrivée 
des  navires  pour  s'assurer  qu'ils  n'en  transportaient  pas.  Ces  visites 
et  les  saisies  opérées  de  temps  à  autre  n'arrêtèrent  jamais  complète- 
ment le  transport  des  monnaies  mauvaises.  Il  eût  fallu  que  les  Turcs 
eux-mêmes,  pour  se  détendre  contre  leur  introduction,  prissent  par- 
tout la  précaution  qu'ils  avaient  adoptée  à  Alep;"»  la  lin  du  xvn*^  siècle. 
«  On  ne  peut  que  difïïcilement  introduire  des  fausses  espèces  dans 
cette  échelle,  écrivait  le  consul,  attendu  que  tous  les  argents  employés 
dans  le  commerce  passent  par  les  mains  des  sarrafs  ou  censaux  de 
change,  gens  très-habiles  dans  la  connaissance  des  monnaies,  et,  étant 
d'u5;ige  i\  Alep  de  faire  les  paiements  dans  des  sacs  cachetés  avec  le 
boul  ou  cachet  de  ces  censaux  lesquels  répondant  de  la  qualité  et 
poids  des  espèces  qui  sont  sous  leurs  cachets,  ils  n'auraient  garde  de 
donner  les  mains  ;\  l'introduction  d'une  fausse  monnaie*.  » 

A  la  fin  du  xvii'  siècle  les  Français  ne  pouvaient  donc  plus  trans- 
porter librement  dans  les  échelles  que  des  piastres  sevillanes  ou 
mexicaines,  particulièrement  des  premières*.  Elles  valaient  dans  le 

^r  (')  BB,  1.  7  mars  t6f}  :  «  A  ité  résolu  et  dclibcré  que  Messieurs  les  diputés 
'  du  commerce  rapporteront  que  l'affaire  de  la  fabrique  d'espèces  de  27  sous  csl 
,  tavorablc  pour  le  commerce  du  Lcv.int,  pourvu  qu'elles  soient  fnhiiquées  au  même 
^K  poids  et  titre  que  celles  qui  se  fabriquent  en  Hollande.  »  —  (Les  pièces  de  27  sols 
^f  de  France  avaient  en  etTet  la  mOmc  valeur  que  Us  dcmi-abouqucis  Hollandais.) 

(3)  AA,  )6f.  10  avril  7699. 

{})  En  i6s},  au  moment  de  la  piinuric  des  piastres  Sevillanes,  les  Marseillais 
essayèrent  de  les  remplacer   par  des  piastres  du  Pérou,  mais  il  f;illut  aussitôt 


49^  TABLEAU    DU   COMMERCE 

Levant  80  asprcs  et  étaient  vendues  à  Marseille  aux  négociants 
environ  3  livres  5  sols  en  temps  ordinaire '.  Dans  les  momenti  où 
elles  étaient  rares,  comme  pendant  la  guerre  de  succession  d'Espa- 
gne, leur  prix  sVMeva  jusqu'A  quatre  livres  et  raème  en  1715 
l'afflucncc  des  bâtiments  qui  partaient  pour  le  Levant  et  se  les  dispu- 
taient fut  telle  qu'il  monta  ^  6  livres  3  sols.  Même  en  temps  ordi- 
naire, les  Français  étaient  dans  un  état  d'infériorité  évidente  vis-i-vis 
des  Hollandais  qui  faisaient  recevoir  leurs  abouquels  à  un  prix 
presque  égal  à  celui  des  piastres  sevillanes  tandis  que  leur  valeur 
réelle  était  bien  inférieure.  On  tinit  par  s'émouvoir  de  cette  situation 
et  l'ambassadeur  Girardin  reçut  en  1686  pour  instruction  d'ouvrir 
les  yeux  des  Turcs  sur  le  tort  qu'ils  recevaient  par  l'introduction  de 
cette  monnaie  de  mauvais  aloi*.  Ses  efiorts  ne  furent  pas  inutiles 
car  les  abouquels  subirent  les  années  suivantes  une  forte  déprécLi- 
tion  :  dès  1687  le  change  était  îl  Smyrne  de  13  0/0  entre  les  piastres 
sevillanes  et  les  abouquels,  peu  après  il  s'éleva  jusqu'à  380,0*.  Les 
bénélices  des  Hollandais  sur  leurs  monnaies  diminuèrent  donc 
considérablement  ce  qui,  sans  doute,  ne  fut  pas  s;ins  influence  iur  la 
décadence  sensible  du  commerce  de  cette  nation  dans  le  Lcvam  vers 
la  fin  du  XVII'  siècle. 

Pour  ajouter  aux  difficultés  que  présentait  dans  le  commerce  la 
diversité  des  monnaies  en  us.agc  dans  le  Levant,  les  pi.istres  sevillanes 
n'étaient  même  pas  d'un  type  uniforme,  il  fallait  distinguer  les 
piastres  courtes  et  les  piastres  de  grand   poids  dont  la  valeur  était 

inttrdirc  ce  tr.ific  à  cause  des  troubles  qu'il  c-iusi  dans  les  échelles.  —  V.  Ltttrf 
d'Alfp,  AAy  j6.(.  jy  dà.  lôjj  :  C'est  un  grand  bonheur  |.>our  nous  que  ce» 
voiles  ne  soient  point  venues  chargées  de  ces  piastres  neuves  du  Pérou,  cur 
assurément  nous  serions  tombés  dans  quelque  grande  avanie.  Je  vous  coulure  de 
l'aire  en  sorte  qu'on  ne  recommence  pas  un  si  sale  commerce.  Les  louis  d  ar;;coi 
pussent  ici  fort  librement  au  même  prix  des  piastres  et  si  l'on  ne  peut  avoir  Ja 
sevillanes  ou  mexicaines,  il  faudra  se  résou  Jrc  â  en  envoyer.  »  —  Cf.  jo  dh,  166}. 

(t)  Savary  (Dkl.dii  Connu,  col.  \)}<f)  détaille  .iinsi  les  frais  dont  étaient  prevtSct 
les  piastres  avant  d'arriver  i  Marseille  :  «  Si  un  négiKiant  établi  a  Cadix  veut 
acheter  looo  pi.istrcs  mexicaines,  il  faut  d'abord  qu'il  en  paie  la  prime.  Or, 
suppo54S  que  cette  prime  ne  soit  que  de  2  o  'o  qui  est  le  plus  bas  prix  où  clic  puisse 
être,  les  looo  piastres  font  1020  p. —  i  0,0  pour  l'exlncuon,  cy  10  pias.— 
fret  de  Cadix  en  France  i  i  ;  2  o  o,  cy  i  {  piast.  —  Conmtission  à  «  o/o,  cy  lo  piait. 
—  Les  tiKX)  piastres  reviendront  h  105  j. 
0  V.  ci-dessus,  p.  289. 

(j>  a.V  man  ihS-;.  AA,  1S4  :  592  piastn»  sevillanes  de  grand  poids,  valeur  de 
,|tî  .issclanis.  l'âge  i  ij  0/0  (agc  ou  aagc  est  employé  dans  plusieurs  Jctlfcsdans 
le  sens  de  change)  —  sS  mai  tb'jj,  A  A,  }6j  :  l'âge  des  rcalcs  vaut  niainiciunl 
en  abouquels  }J  .t  j6o''o.  —  /  jattv.  161^4  :  l'agc  vaut  58  0^0. 


LES   USAGES   DE   LA   NAVIGATION'   ET    DU   COMMERCE 


497 


sensiblement  diffcTt-nie  ;  enfin  il  ne  fallait  pas  confondre  ces  mon- 
luics  avec  la  piastre  courante  qui  ét;nt  pour  les  Turcs  des  échelles 
une  monnaie  de  compte  comme  la  livre  tournois  en  France,  d'une 
valeur  bien  inférieure  .'i  celle  de  la  piastre  effective'.  Ces  différences 
dans  la  valeur  de  la  piastre  causèrent  de  fréquentes  discussions  entre 
la  Chambre  du  commerce  et  les  consuls  ou  les  députés  des  échelles 
quand  il  s'agissait  de  régler  les  comptes  ou  de  payer  les  appointe- 
ments exprimés  en  piastres,  sans  qu'on  sût  jamais  de  quelle  sorte  de 
piastres  il  s'agissait.  Les  mêmes  querelles  surj^issaient  entre  les 
consuls  et  les  capitaines  ou  marchands  qui  fournissaient  l'argent  des 
avaries  pour  les  besoins  de  Féchelle.  Ceux-ci  chicanaient  sur  le 
change  en  abouquels,  monnaie  courante  des  Turcs,  des  piastres 
qu'ils  fournissaient,  pour  en  tirer  le  plus  de  profit  possible*. 

Une  autre  cause  de  querelles  entre  les  capitaines  et  les  marchands 
était  la  fixation  du  change  maritime  qu  il  fallait  payer  dans  les 
échelles  pour  l'argent  qu'on  y  recevait.  C'était  la  plus  value  que 
recevait  l'argent  par  suite  des  frais  de  transport  qu'il  avait  supportés 
et  des  risques  qu'il  avait  courus  sur  mer.  Le  change  maritime, 
comme  les  assurances,  avec  le  prix  desquels  il  était  en  rapport,  était 
naturellement  très  variable  suivant  les  circonstances,  mais  sa  valeur 
normale  fut  d'environ  15  o/o  pendant  tout  le  courant  du  xvii'  siècle. 
Elle  n'était  pas  arbitraire  d'ailleurs  et  pour  mettre  les  marchands  des 
échelles  à  l'abri  des  exigences  des  capitaines,  c'était  la  Chambre  qui 
la  fixait  et  la  changeait  suivant  les  circonstances*,  d'accord  avec 
l'intendant,  inspecteur  du  commerce. 

Quand  les  capitaines  avaient  opéré  dans  une  échelle  le  décharge- 
ment de  leur  navire,  ils  devaient  y  attendre  qu'ils  pussent  y  prendre 
une  nouvelle  cargaison,  car  il  leur  était  interdit  d'aller  la  chercher 
ailleurs  ou  même  d'aller  !a  compléter  dans  une  autre  échelle.  Cette 
facilité  n'était  permise  que  pour  certaines  échelles  secondaires  où 
les  navires  ne  pouvaient  jamais  trouver  un  chargement  complet, 
ainsi  les  bâtiments  qui  voulaient  charger  à  Chypre  prenaient  aupa- 


(II  La  pustrc  courante  fut  rt5glée  à  jj  nicdîns  =  40  sols  en  Egypte.  —  Klle 
correspondait  à  peu  prc^  A  la  valeur  de  i'asselani  ou  abotiquel.  —  La  piastre 
ctTectivc  valait  46  medins.  —  Lilie  du  2j  novanbrc  ibSS.  AA,  }jb. 

(2)  Après  la  dépréciation  des  abouqu-ils  les  capitaines  arrivèrent  i  réaliser,  avec 
le  clianj-e  maritime,  un  bénéfice  de  plus  de  50  0/0,  en  continuant  à  donner  104 
abiiuquels  pour  100  piastres  de  grand  poids.  —  (ai'  mai  i(>9}.  AA,  )6j.) 

())  V,  p.  248,  note  3.  —La  Chambre  le  portait  30  O/o  le  8  novembre  1708,  BB.  ;. 

Î2 


498  TABLEAU   DU   COMMERCE 

ravant  une  partie  de  leur  cargaison  »^  Seïde  ou  à  Alcxandrette, 
d'autres  visitaient  à  la  fois  les  échelles  de  Chypre  et  Tripoli  ou  de 
Chypre  et  Satalie  ;  de  même  Barut,  Acre  et  Jaffa  étaient  fréquentées 
par  des  vaisseaux  qui  avaient  touché  à  Seïde  ;  dans  l'Archipel, 
les  barques  ne  pouvaient  trouver  un  chargement  complet  qu'en 
visitant  plusieurs  îles.  Son  chargement  terminé,  le  capitaine,  avant 
de  partir,  devait  aller  trouver  le  consul  et  déposer  à  la  chancellerie 
le  manifeste  des  marchandises  qu'il  emportait,  dont  le  chancelier 
lui  délivrait  une  copie.  Il  était  interdit  au  consul  de  donner  aux 
capitaines  des  congés  ou  passeports  pour  empêcher  des  étrangers, 
par  surprise  ou  de  connivence  avec  eux,  d'en  obtenir  et  de  se  faire 
passer  en  mer  pour  Français. 

Le  voyage  de  retour,  comme  celui  de  l'aller,  pouvait  varier  beau- 
coup de  longueur,  mais  il  était  toujours  beaucoup  moins  rapide,  les 
navires  étant  beaucoup  plus  lourdement  chargés  de  marchandises.  Leur 
arrivée  était  signalée  dès  cette  époque  à  Marseille,  lorsqu'ils  dou- 
blaient le  cap  Croisette,  par  la  vigie  de  N.-D.  de  la  Garde,  au  moyen 
de  pavillons  hissés  au  haut  d'un  mât*.  Si  les  bâtiments  partaient 
souvent  des  îles  de  Marseille  où  ils  avaient  fiiit  leur  chargement,  ils 
s'y  arrêtaient  toujours  au  retour  pour  purger  leur  quarantaine.  La 
rigueur  de  celles-ci  devint  de  plus  en  plus  grande  à  la  suite  des 
pestes  qui  désolèrent  Marseille  et  il  semble  qu'avant  celle  de  1630 
on  laissait  entrer  immédiatement  dans  le  port,  comme  aujourd'hui, 
les  vaisseaux  qui  arrivaient  avec  patente  nette,  ainsi  que  le  montre 
le  procès-verbal  d'une  délibération  du  Conseil  de  ville  du  9  mars 
1620  :  «  Les  consuls  ont  reçu  des  plaintes  de  quelques  personnes 
que  les  surintendants  de  la  santé  ont  donné  entrée  dans  le  port  au 
vaisseau  les  Tivis-Rois,  qui  arriva  hier  d'Alexandrette,  sans  lui  avoir 
fait  faire  aucune  quarantaine,  et  qu'il  est  fort  à  craindre  qu'il  apporte 
quelques  cotons  ou  autres  marchandises  qui  pourraient  avoir  été 
portées  audit  Alexandrette  de  Seïde  ou  St-Jcan-d'Acre,  lieux  conta- 
minés. Sur  quoi  les  surintendants  ont  remontré  qu'ils  ont  accordé 
l'entrée  fort  à  propos  puisque  le  vaisseau  a  apporté  patente  nette  et 
que  le  capitaine  a  fait  serment  n'avoir  négocié  aucune  part  où  il  y  ait 
doute  de  contagion...  Il  a  été  décidé  après  mûr  examen  que  les 
surintendants  n'ont  pas  failli  à  leur  charge,  mais  pour  éviter  la 
conséquence  que  les  vaisseaux  d'Alexandrette  pourraient  tirer,  le 

(i)  V.  BB,  6.  novembre  lyn. 


LES   USAGKS   Dli   LA   NAVIGATION   ET   DU   COMMERCE 


499 


vaisseau  les  Trots-Rois  sera  ramené  ;iux  îles  où  il  dcchargera 
les  cotons  ut  bines  et  autres  niarcluindises,  sauf  les  soies'.  *  La  peste 
de  16^0  tit  établir  des  règlements  plus  sévères  qui  furent  encore 
singulièrement  agi^ravés  après  celle  de  1720. 

Aucun  document  du  xvii*  siècle  ne  permet  de  dire  exactement 
quelles  étaient  alors  les  formalités  des  quarantaines  ;  voici  ce  qu'en 
dit  un  étranger  qui  visiu  Marseille  à  la  lin  du  xviii'^  siècle.  «  Arrivé 
en  rade,  il  faut  jeter  l'ancre  à  Pomègue  :  une  garde  occupe  alors  le 
navire  pour  empêcher  tout  contact  entre  les  nouveaux  venus  et  les 
autres  quarantenaires.  En  cas  de  patente  nette,  une  barque  mène  le 
capitaine  i  la  Consigne';  elle  comporte  deux  galériens  et  des  soldats 
qui  tiennent  toute  embarcation  ci  distance.  A  destination  le  capitaine 
se  placeen  dcliors  de  la  grille  de  fer  et  fait  son  rapport  aux  deux 
intendants  de  service'' ,  non  sans  avoir  tout  d'abord  juré  sur  l'évan- 
gile de  dire  la  vérité  pure,  quelque  question  qu'on  lui  pose.  Il  jette 
ensuite  la  patente  dans  un  vase  plein  de  vinaigre  où  les  valets  du 
Conseil'  la  maintieiment  avec  des  pinces  de  fer;  quand  le  document 
est  sulïisamment  imbibé,  les  intendants  en  prennent  connaissance  et 
le  font  enregistrer.  Suit  un  interrogatoire  circonstancié;  les  réponses 
sont  coucbées  par  écrit  et  comparées  avec  le  dire  des  autres  capi- 
taines. Hntin,  après  avoir  déclaré  s'il  a  des  passagers  et  si  ces 
derniers  entendent  passer  leur  quarantaine  ^  bord  ou  au  lazaret,  le 
nouvel  arrivé  n'a  plus  qu';"»  remettre  le  courrier  en  entaillant 
chaque  lettre  aux  angles  :  on  les  plonge  dans  le  vinaigre,  s.uif  celles 
qui  sont  ;\  l'adresse  de  la  cour  et  des  ministres  ;  pour  ces  dcrnièresj 
fumigation  d.ans  un  poêle.  »  Sur  patente  nette  le  navire  devait  faire 
aux  lies  une  quarantaine  qui  variait  de  vingt  jours  au  minimum,  à 
cinquante  parfois*. 


(0  Arch.  commun,  de  MaisriHi-, 

(2)  Le   b.\tiuicnt  de   l.i  Cohsigue  existe  encore  à  l'cntriîe  du  vieux  port  de 

Marseille  où  il  est  encore  occupé  par  le  service  de  la  yinti,  —  On  y  conser\-e 

les  pinces  de  (et  avec  lesquelles  on  recev.nit  les  p.jtentes  des  mains  des  capitaines  et 

li\  boite  à  parfums  dans  jaiiuelle  on  luniigeait  les  p.ipiers   du  bord  et  les  lettres 

«■«jimises  par  les  capitaines.  La  boite  à  parfums  contenait  du  soufre  vif,  poix,  réiinc, 

grabeau  de  myrrhe,  encens,  sérille  dcstorax,  laudanum,  poivre  noir,  gingembre, 

cumin,   curcuma    dit   cipcrus,    cardamome,     aristoloches    longues,    euphorbes, 

tubèbes,  graine  île  genièvre,  le  tout  miilangé  à  .^9  0/0  de  son. 

(3)  Les  intendants  de  la  santé.  —  V.  ci-dessous. 

{4)  Le  conseil  sanitaire  composé  des  intendants  de  la  santd' 

(5)  Voir  aux  Archives  de  la  santé  les  registres  de  délibérations  du  conseil  sani- 
t£%îre  conserviis  à  partir  de  1713. 


500 


TABLEAU   DU    COMMERCE 


«  Si  1.1  patniîc  p.irlc  d'une  épidémie  au  point  de  départ  ou  danj> 
une  escale,  si  quelqu'un  est  mort  ou  a  été  malade,  ce  n'est  pas  à  la 
Consigne  mnis  bien  au  lazaret  des  pestiférés  qu'est  envoyé  le  capi- 
taine. L'interrogatoire  est  beaucoup  plus  sévère  ;  le  médecin  sanitaire 
rend  une  décision  qui,  concurremment  avec  le  rapport  circonstancié 
du  délégué,  est  examinée  à  la  prochaine  séance  du  conseil...  De  retour 
à  Pomégue,  le  capitaine  voit  son  navire  soumis  à  un  redoublement 
de  surveillance!  tandis  que  des  bateaux  occupés  par  des  gardes  l'en- 
tourent de  toutes  parts.  L'équipage  doit  pendre  ses  effets  au  grand 
air,  décharger  le  navire  dans  un  magasin  spécial,  sortir  tous  les 
ballots  de  marchandises,  les  ouvrir,  les  aérer,  les  retourner,  les 
manipuler;  de  sorte  qucj  si  elles  recelaient  quelque  germe  pestilen- 
tiel, c'est  sur  CCS  hommes  qu'il  produirait  son  meilleur  effet.  S'il 
survient  alors  quelque  cas  dans  l'équipage,  ce  qui,  de  cette  façon, 
doit  toujours  arriver,  le  capitaine  doit  l'annoncer  au  gouverneur  de 
l'île.  Celui-ci  ordonne  d'expédier  toutes  les  marchandises  au  Lazaret 
et  y  envoie  aussi  le  malade  dans  une  barque  avec  un  matelot  et  le 
médecin  du  bord.  On  les  enferme  tous  les  trois  dans  un  appartement 
particulier  :  tous  les  jours  ils  reçoivent  deux  fois  la  visite  du  méde- 
cin et  du  chirurgien  du  lazaret  et  on  les  interroge  à.  une  distance 
déterminée  sur  l'ét-U  du  malade,  avec  toutes  les  précautions  néces- 
saires. SI  ce  dernier  se  rétablit  pendant  la  quarantaine,  il  est  soutuis 
aux  fumigations  avec  le  chirurgien  et  le  matelot  qui  l'ont  accomp.i- 
gné;  on  lave  leurs  vêtements  et  alors  ils  peuvent  retourner  A  bord. 
Mais,  s'il  meurt,  le  cadavre  doit  être  ouvert  par  son  compagnon  de 
captivité^  le  médecin,  qui  fait  l'autopsie  des  entrailles  en  présence  de 
ses  deux  confrères  de  l'administration;  sur  le  moindre  symptôme 
de  peste,  le  corps  est  enfoui  dans  la  chaux,  les  effets  consumés  par 
te  feu  ;  les  vêtements  de  l'opérateur  et  du  matelot  sont  passés  à  l'eau 
bouillante  et  les  instruments  qui  ont  servi  i  l'autopsie  sont  recuits. 
Oi\  redouble  de  surveillance  autour  du  navire  et  la  quarantaine  est 
à  recommencer.  Li  Chambre  qu'occupait  le  mort  est  soumise  à  trois 
désinfections  successives,  par  la  fumée  des  végétaux,  du  soufre  et 
enfin  de  l'arsenic  ;  tous  ceux  qui  se  trouvaient  au  lazaret  en  même 
temps  sont  regardés  comme  suspects  et  doivent  purger  une  quaran- 
taine entière.  La  maladie  qui  a  emporté  le  défunt  n'eût-ellc  aucun 
rapport  avec  la  peste,  le  navire  n'en  doit  pas  moins  recommencer  sx 
période  d'observation La  police  est  d'une  extrèaie  sévérité  au 


dÉ^i 


LES   USAGES    DE   LA    NAVIGATION-    ET   DL'   TOMMERCF. 


SOI 


laznret  '.  Le  commandant,  le  médecin  ci  le  chirurgien  doivent  Lux 
célibataires.  I/intcndant  de  visite  se  fait  apporter  le  compte-rendu  à 
la  grille  de  U  porte.  Toutes  les  provisions  sont  déposées  à  la  pre- 
mière porte  ;  le  concierge  les  remet  A  la  seconde  et  ou  ne  les  intro- 
duit dans  rétablissement  qu'après  qu'il  s'est  retiré.  Le  soir,  tous  les 
habitants  du  lazaret  doivent  être  enfermés  dans  leur  appartement 
particulier  et  toutes  les  clés  sont  apportées  au  commandant.  Celui-ci 
est  encore  astreint  i  une  double  ronde  de  nuit  pour  voir  si  tout  est 
calme  et  tranquille.  Si  une  barque  de  pèche  ou  un  U'itiment  même 
s'approche  du  lazaret  .'i  moins  de  600  pas,  il  est  saisi,  brûlé  sans 
miséricorde  et  l'équipage  retenu  en  captivité  *.   » 

La  sévérité  des  quarantaines ,  un  peu  moins  rigoureuse  au 
XV!!""  siècle  qu'au  xvnr,  n'en  fut  pas  moins  toujours  fort  gênante 
pour  le  commerce  et  l'on  comprend  que  pour  échapper  aux 
prescriptions  minutieuses  autant  qu'aux  retards  qu'elles  impos;iient, 
beaucoup  de  navires  fissent  aux  iles  leurs  déchargements  et  leurs 
chargements.  Fendant  leur  durée  bâtiments  et  marchandises  étaient 
sous  la  surveillance  des  seize  intendants  de  la  santé,  élus  chaque 
année  par  le  conseil  de  ville'  et  soumis  aux  ordres  de  la  Chambre  du 
commerce.  Us  devaient  veiller  non  seulement  ^  ce  que  les  règlements 
sanitaires  fussent  observésj  mais  un  de  leurs  soins  principaux  était 
d'empêcher  les  marchands  de  proliter  du  débarquement  des  mar- 
chandisesaux  îles  ou  au  lazaret  pour  faire  entrer  dans  le  port  sur  de 
petits  bateaux  des  marchandises  proliibces.  Pour  laciliter  leur  t.tchc 
il  était  interdit  i  toutes  personnes  d'entrer  dans  «  les  infirmeries  » 
sauf  aux  membres  de  la  Chambre  du  commerce  et  aux  directeurs  de 
la  Compagnie  du  Levant,  et  aucune  marchandise  ne  devait  sortir 
des  magasins  des  infirmeries  sans  un  billet  signé  par  l'un  des  éche- 


(i)  Les  voyageurs  qui  revenaient  du  Levant  y  «L-taient  du  moins  commodé- 
ment installés.  V.  Lucas  qui  y  subit  une  quar.-intainc  en  1717  :  «  Les  voyageurs 
y  sont  parfailcmcnl  bien  loges  et  il  n'y  manque  rien  de  ce  qui  est  né-cessalrc  pour 
les  commodités  de  la  vie.  On  donne  à  chacun  une  garde  autant  pour  le  service 
que  jiour  empêcher  qu'on  ne  parle  aux  autres  quW  une  certaine  distance.  Lors- 
qu'on a  fait  cette  minutieuse  quarantaine  on  est  narluraé  avec  des  herbes  odorifé- 
rantes et  on  a  la  liberté  de  s'en  aller.  »  Tome  IlJ,  p    85. 

(2)  Ijcltres  sur  It  Midi  de  la  France,  pari.  FiscH.  Zurich,  1790,  in-8f.  —  Tra- 
duites par  M.  H.  Barrk,  bibliothécaire  de  la  ville  de  .Marseille,  dans  le  Biillftin  de 
la  Soc.  Je  Gfogr.  de  Marseille  (tomes  XVI 11  et  XIX.  —  iSyf-gs)- 

()>  Ils  étaient  choisis  parmi  les  négociants,  sauf  un  ou  deux  pris  parmi  L"S  capi- 
taines marins  expérimentés. 


502  TABLEAU  ^  DU   COMMERCE 

vins  OU  des  députés  du  commerce*.  Cependant  la  contrebande  des 
marchandises  prohibées  se  fit  assez  activement  par  la  négligence  ou 
plutôt  la  tolérance  des  intendants  de  la  santé  pour  que  Pontchartrain 
menaçât  à  plusieurs  reprises  la  Chambre  de  les  remplacer  dans  leurs 
fonctions  par  des  officiers  royaux  qui  seraient  plus  attachés  i\  leur 
devoir*. 

Enfin,  la  quarantaine  terminée,  le  capitaine,  avec  son  navire,  pou- 
vait rentrer  dans  le  port  ;  il  devait  aussitôt  se  rendre  au  greffe  de 
l'amirauté  pour  faire  un  rapport  de  son  voyage,  tandis  que  son  écri- 
vain remettait  une  copie  du  manifeste  de  son  chargement  dont  une 
autre  devait  être  donnée  ;\la  Chambre  du  commerce.  Il  n'avait  plus 
alors  qu'à  préparer  son  chargement  pour  un  nouveau  voyage. 

(i)  Il  fallait  aussi  aue  le  capitaine  eût  payé  tous  les  droits  dus  à  la  Chambre, 
comme  le  cottimo  et  le  tonnelage. 

(2)  Les  intendants  de  la  santé  percevaient  de  légers  droits  sur  les  navires,  sans 
doute  pour  l'entretien  des  magasins  des  infirmeries.  L'arrêt  du  conseil  du  7  octo- 
bre 1694  confirma  l'obligation  dans  laquelle  ils  étaient  de  rendre  chaque  année 
leurs  comptes  à  la  Chambre,  et  leur  ordonna  de  déposer  les  registres  de  leur 
comptabilité  aux  Archives  de  la  Chambre.  BB,  4, 


CHAPITRE    VII 

LES    ARTICLES    DU    COMMERCE 


En  parcourant  la  longue  nomenclature  des  marchandises  que  les 
bâtiments  français  chargeaient  dans  les  échelles  ou  de  celles  qu'ils  y 
portaient,  il  semble  que  le  commerce  du  Levant  comprenait  une 
grande  variété  d'articles,  mais  si  l'on  ne  tient  compte  que  de  ceux 
qui  donnaient  lieu  i  un  trafic  de  réelle  importance,  le  nombre  en 
était  très  restreint. 

L'étude  des  échelles  a  déjà  montré  quelles  étaient  les  exportations 
de  chacune  d'elles.  On  a  pu  remarquer  que  quelques  produits  étiient 
communs  à  la  plupart  ou  à  un  certain  nombre  d'entre  elles.  Au  pre- 
mier rang  figuraient  les  matières  brutes  destinées  à  l'industrie  textile 
qui  à  elles  seules  constituaient  près  de  la  moitié  de  la  valeur  de  tout 
ce  qui  venait  du  Levant*.  Les  cotons  venaient  en  tète  suivis  de  près 
par  les  soies,  les  laines  étaient  l'objet  d'achats  un  peu  moins  impor- 
tants, mais  en  y  ajoutant  les  poils  de  chèvre  d'Angora  destinés  à 
fabriquer  les  camelots  et  les  laines  de  chevron  ou  poils  de  chameau 
qui  servaient  au  même  usage  et  s'employaient  aussi  dans  la  chapel- 
lerie, la  valeur  de  leurs  achats  atteignait  ou  dépassait  celle  des  cotons 
et  des  soies*.  Ces  trois  grands  produits  textiles  étaient  charges  en 
plus  ou  moins  grande  quantité  dans  toutes  les  échelles,  bien  que 
Smyrne  fût  le  grand  marché  des  soies,  Seïde  celui  des  cotons,  Cons- 
tantinople  celui  des  laines.  Seule,  parmi  les  grandes  échelles,  l'Egypte 
ne  vendait  ni  soies  ni  laines;  on  en  rapportait  en  revanche  un  peu  de 
lin .  Aux  produits  textiles  il  faut  ajouter  les  tissus  :  camelots  d'Angora, 
toiles  de  coton  et  cotonines  qui  servaient  à  la  confection  des  voiles 

(i)  4,200.000  livres  environ  en  1700  sur  9.1  $2.000  livres. 
(2)  Cotons  1.400.000  livres,  soies  1.035.000,  bourres  de  soies  82.000,  laines 
810.000,  fil  de  chC-%Te  495.000  laines  de  chevron  159.000. 


504 


TABLEAU   DU   COMMERCE 


de  navires  et  dont  les  édits  prohibitifs  de  Pontchartrain  limitèrent 
tnilîc,  tapis  enfin  dont  les  achats  ne  furent  jamais  iniportnnts'. 

D'autres  matières  premières  employées  par  l'industrie  liirati«tatsei 
venaient  en  assez  grande  quantité  du   Levant  :  les   cuirs,  travaillés] 
dans  les  nombreuses  tanneries  de  Provence,  étaient  aciictès  presque 
exclusivement  h  Alexandrie  et  à  Constantinople,  les  peaux  de  chagrin 
se  trouvaient  aussi  dans  cette  dernière  échelle,   les  cordouans  ou 
maroquins,  dont  le  trafic  très  important  au  début  du  xvii' siècle  était 
devenu  presque  insignifiant,  étaient  chargés  surtout  ;\  Alep*.  Les  cires 
étaient  importées   en   petite  quantité  de   toutes  les  échelles;  des 
aclvats  plus  ronsidérables  étaient  faits  à  Constantinople,  à  Candie  et 
i\  Smyrnc.  Les  noix  de  galle  continuaient  à  faire  l'objet  d'échanges 
considérables  à  Alep  et  servaient  en  France  à  la  teinture  des  draps; 
enfin  les  cendres,  achetées  surtout  à  Acre  pour  les  fabriques  de 
savons  de  Provence,  complétaient  la  série  des  matières  premières  que 
l'industrie  française  se  procurait  régulièrement  dans  le  Levant*. 

Après  les  trois  grands  produits  textiles,  c'étaient  trois  denrées  ali- 
mentaires qui  donnaient  Heu  aux  transactions  les  plus  importantes 
dans  les  échelles  :  le  café,  l'huile  et   le  blé.  Le  trafic  ne  s'en  était 
développé  qu'à  la  fin  du  xvu'  siècle,  car  longtemps  rimportation 
des  produits  alimentaires  avait  été  rigoureusement  interdite  dans 
les  échelles.  Ce  commerce  ne  fut  d'ailleurs  jamais  complètcnicnt 
libre,  il  était  plutôt  toléré  qu'autorisé  et  souvent  il  ne  continua 
que  gr.îce  aux  complaisances  chèrement  achetées   des  pachas.  || 
présentait  en  outre  cette  particularité  qu'il  était  spécial  à  certaines 
échelles  :  le  café  venait  exclusivement  d'Egypte,  les  huiles  ctaicnt 
fournies  presque  en  entier  par  Candie  et  le  reste  par  l'Archipel  et  b 
Morée  ;  elles  servaient  en   France  .\   la  fabrication  des  savons  plus 
encore  quW  l'alimentation,  pour  laquelle  les  Provençaux  préféraient 
les  huiles  de  leur  récolte.  Quant  aux  blés  l'importance  doiacluts 


(1)  En  171X)  les  Français  importirent  pour  ;i4.cxx)  livres  de  toile»  ilimwj. 
110.000  livres  de  camelots. 

(2)  Ach.iis  de  cuirs  en  1700  :  485 .000  livres  (dont  ;8)  .000  cil  Kg^ptc,  lajtt 
à  Constantinople l,  chagrins  49.385   livres  (dont  46.(Xxià  Co(ki:iiiI.'.  l.vjou 
4.860  livres.  M  Les  cordouans  sont  des  maroquins  de  I.cv.irit 
(Parfail  Xfgûciaul). —  .^chat  Je   nurdquins  .i  Alcp  ^out  I.1 
d'une  valeur  de  2.000  piastres.  Lettre  du  12  iv 

(3)  Le  natron  ou  soude  cmpIr>\L  J.uis  I.i  fi!  .  '^  rjir.  Ij 
de  Levant,  le  vermillon,  les 
qui  servait  aux  teintures,  tîmr. 


LES  ARTIGI.RS  D  rMT>01lTATI0X 


505 


variait  énormément  d'une  année  à  l'autre,  suivant  l'insnllîsance  tic 
la  production  en  France,  mais  on  les  taisait  dans  l'Archipel  et  à 
Salonique  en  presque  totalité.  Le  trafic  du  riz  aurait  eu  plus  d'ini- 


r 


«erdi 


plusdt 


portitnce  si  1  exportation  n  en  avait 
que  pour  les  autres  denrées  alimentaires.  Les  fromages  de  Chypre, 
de  Cindie  et  de  Pctrache(Pairas),  les  raisins  deCorintlie,  de  Damas 
et  de  Smyrnc,  les  pistaches  d'Alep  étaient  les  seuls  autres  produits 
des  échelles  qui  iouaient  un  r<Me  dans  l'alimentation  française'. 
L'ensemble  de  ces  marchandises,  matières  premières  employées  par 
l'industrie  et  denrées,  constituait  environ  les  neuf  dixièmes  des 
achats  que  les  Français  faisaient  dans  le  Levant.  Ce  n'était  pas  seule- 
ment par  leur  valeur  qu'elles  avaient  de  l'importance  mais  aussi  par 
leur  poids,  toutes,  sauf  le  café,  étant  d'un  prix  modique  sous  un 
petit  volume.  Elles  alimentaient  donc  en  grande  partie  la  navigation 
du  Levant  qui  leur  devait  toute  son  activité. 

Endcliorsde  ces  articles  de  tratic,  le  Levant  continuait  cependant 
à  fournir  de  nombreuses  drogueries  à  l'Europe  occidentale;  la  liste 
eu  est  longue,  mais  beaucoup  ne  comptaient  dans  les  achats  que 
pour  quelques  centaines  de  livres,  ou  ne  figuraient  pas  tous  les  ans 
dans  les  chargements.  Smyrne  et  Alep  qui  les  tiraient  de  la  Perse 
ou  de  l'Asie  Mineure  même,  l'Egypte  qui  les  recevait  d'Arabie, 
étaient  les  trois  échelles  de  provenance  des  drogueries.  La  rluibarbc 
et  la  scammonée,  la  semcncine  de  Smyrneetd'Atcp,leséné  d'Egypte, 
le  siorax  de  Chypre  et  de  Smyrne,  les  gommes  de  diverses  sortes 
étaient  les  principales*.  Les  parfums,  comme  l'encens  d'Egypte, 
ropoponax,  le  musc  d'.Mep,  la  mirrhe,  le  benjoin,  avaient  encore 
beaucoup  moins  d'importance  que  les  drogueries.  Cependant  le 
commerce  de  toutes  ces  denrées,  bien  que  peu  considérable  par  sa 
valeur  ou  par  le  fret  qu'il  procurait,  n'en  avait  pas  moins  son  intérêt, 
car  il  fournissait.'!  la  consommation  du  royaume  des  produits  qu'il 
ne  recevait  pas  par  d'autres  voies  et  qui  lui  étaient  nécessaires. 

Quant  auxépices  qui  fournissaient  encore  au  commerce  du  Levant 
vers  la  tin  du  xvr  siècle  ses  principaux  articles,  on  en  achetait  encore 
vers  le  milieu  du  xvii'  siècle  h  Alep  et  au  Caire,  ainsi  que  le  mon- 
trent les  nomenclatureù  de  marchandises  du  Levant  données  par  les 

(i)  Voici  \ii  valeur  des  ach.us  des  diverses  denriics  en  17O0  :  huiles  i  .250.000 
livres,  café  1.077. 000,  ^^^  séj.oixi,  riz  195.000,  I'roiii.-ip;es  51.988. 

(2)  Achats  de  rhubarbe  en  1700.  6}.ooolivr.  —  Scammonée  25. 000.  — 
Semcncine  ji.ooo.  —  Gommes  10.000  environ.  —  Storax  9.000. 


TARLEAtT  nU   r.OMMFRCP 

voyageurs  de  cette  époque,  et  les  mémoires  dont  s'est  ser\'î  Savarj' 
d;tnsson  Parfait  Ncgiviatil*.  Mais,  après  1700,  aucun  des  documents 
qui  duiinent  la  liste  des  produits  rapportés  du  Levant,  même  de 
ceux  qui  n'en  venaient  que  rarement*,  n'en  fiiit  mention.  Les  pays 
du  Levant  en  recevaient  même  si  peu  pour  leur  usage  par  les  navires 
des  indigènes  de  l'Inde  qui  venaient  décharger  A  Moka,  ou  par  les 
caravanes  qui  arrivaient  A  Alep  de  Bassora,  que  les  Hollandais  et  les 
Anglais  en  (iiisaicnt  un  débit  considérable  dans  les  échelles. 

Les  Trançais  faisaient  aussi  dans  les  éciielles  un  commerce  que  Ici 
statistiques  de  la  Chambre  du  commerce  ne  nous  révèlent  pas,  c'est 
celui  des  «  curiosités  du  Levant.  »  Les  lettrés,  les  savants,  les  collec- 
tionneurs ne  cessèrent  pendant  tout  le  xvii'  siècle  d'y  faire  recher- 
cher des  médailles,  des  manuscrits  et  des  livres  anciens,  des  inscrip- 
tions, des  fleurs  ou  des  plantes  et  même  des  animaux  exotiques.  La 
plupart  des  voyageurs  qui  parcoururent  alors  le  Levant,  à  part 
quelques  marchands  comme  Taveniier  et  Chardin  ou  quelques 
simples  curieux,  étaient  des  chercheurs  et  des  acheteurs  de  »  curio- 
sités ».  Les  ministres  de  Louis  XIV,  Colbert  surtout,  s'intéressèrent 
beaucoup  à  ces  recherches,  dans  l'intérêt  de  la  Bibliothèque  et  du 
Jardin  du  roi,  ou  de  son  Cabinet  des  médailles;  ils  envoyèrent 
même  des  niissiohs  officielles  dans  le  Levant  comme  celle  du  célè- 
bre nuniism.itc  Vaillant  vers  1670,  du  bownistcTournefort  en  1700 
et  du  médecin  Liicis  en  1714.  Le  Hollandais  Vansleb,  envoyé  par 
Colbert  dans  les  échelles  en  1671,  y  résida  plusieurs  années.  «  Le 
principal  dessein  du  roi  pour  les  voyages  qu'il  ordonne  au  sieur 
Vansleb  de  faire  dans  le  I^'vant,  disaient  ses  instructions,  étant  d'y 
rechercher  et  envoyer  ici  la  plus  grande  quantité  qu'il  pourra  de  bons 
manuscrits  et  des  médailles  anciennes  pour  sa  bibliothèque,  il  y 
apportera  un  soin  particulier*.  »  M.  de  Monceaux,  trésorier  de 
France  A  Caen,  qui  se  trouvait  dans  le  Levant  quelques  années 
auparavant  reçut  pour  mission  de  »  rechercher  avec  le  plus  de  soin 
qu'il  pourrait  de  bons  manuscrits  anciens  en  grec,  en  arabe,  cj^ 
persan  et  autres  langues  orientales  excepté  en  hébreu  parce  qu'il 
en  avait  ici  quantité,  et  les  acheter  pour  le  roi...  Pour  ce  qui  étaj^ 

(i)  P'irjiitl  AVx'on'ï"/,  p.  KV  —  ^'-  FF.KMA\'tx,  Théven'OT. 

(2)  Ainsi  les  turih  du  20  0/0  Jressûs  par  ia  Chambre. 

(îl  Lfitre  de  Catlcit,  17  mars  rôjr.  Utlr/j  tl  bntr.  T.  VU.  Siipplim.,  p.  /;    _ 
—  Vansleb  suivit  ses  instructions,  cir  en  1671,  72,  73,  il  envoy.i  pour  U  ^\'^I^~^f' 
tlièquc  du  roi  457  ouvrages.  Ihid.,  p.  />y.  ^»^^^^i^ 


LES  AnTICT.ES  D  IlSfPORTATlOK 


sf>: 


matières  dont  pouvaient  traiter  ces  manuscrits,  celles  de  la  reli- 
gion étaient  les  plus  reclicrchccs,  comme  les  traités  des  Pères  grecs, 
les  anciens  conciles  ou  synodes    et  l'Iiistoire  ecclésiastique  ;  après 
jla  l'histoire  séculière,  la  géographie,  la  philosophie,  la  médecine 
'et  les  mathématiques'.  » 

Les  ambassiidcurs  de  France  A  Constantinoplc  suivaient  Icsinstruc- 
ions  des  ministres  autant  que  leur  propre  goût,  quand,  par  une  tradi- 
tion conscn-éc  jusqu'au  xvni'  siècle,  ils  s'intéressaient  aux  reliques  de 
l'antiquité  si  nombreuses  dans  le  Levant  *.  Colbcrt  s'adressait  môme 
aux  consuls  pour  les  charger  de  faire  des  recherches  et  des  achats  : 
D'Arvieux  lui  envoyait  d'Alep,  en  1683,  «  une  grande  caisse 
de  très  beaux  manuscrits  orientaux  très  bien  choisis  pour  sa  biblio- 
thèque et  celle  du  roi  *  »,  et  Baron,  autre  consul  d'Alep,  lui  écrivait 
le  23  juin  t668  :  «  j'espérais,  Monsieur,  de  vous  régaler  de  qucl- 
jues  curiosités  de  Perse  et  des  Indes  et  je  me  fondais  sur  une  lettre 
que  le  pèce  supérieur  des  capucins  d'Ispahan  m'écrivit  le  mois  de 
novembre  dernier*,  n 
^P  Colbert  et  Seignelay  encouragèrent  aussi  un  autre  trafic  moins 
recommandable,  c'était  celui  des  esclaves  destinés  au  service  des 
galères  royales.  Malgré  les  engagements  formels  pris  lors  du  renou- 
vellement de-s  capitulations  en  1673,  les  capitaines  et  patrons  des 
bâtiments  français  continuèrent  à  acheter  clandestinement  aux  cor- 
saires chrétiens  qui  croisaient  dans  l'Archipel  les  prisonniers  qu'ils 
Caisaicnt  ;  un  postulant  du  consulat  de  la  Canéc  offrait  même  i"!  Sci- 

rnelay  de  lui  fournir  chaque  année  un  nombre  déterminé  de  galériens 
1  on  lui  donnait  cette  charge  *. 
(f)  Lettrt  (/<•  Colbtrt,  jt>  die.  i66j.  —  Lcltrfi  el  Imt.,  t.  VU.  Siipph'meiil p.  ^60. 
{2)    Harlay  de  Sancy,  Marchcville,    ami  du    grand  tl'riidit    et    cnlleciionncur 
r'ciresc,  Nointcl,  Guillcrapues,  s'en  occupèrent  particulièrement, 
(j)  D'Arvikux,  t.  VI,  p.  55). 

(4)  LtttttJ  et  Insl.  de  Collvrl,  l.  l'il.  SiippUiiunt,  t>.  ]S5'S^-  ~  Colbcrt  l'axait 
*^IJ  outre  chargé  d'autres  achats  :  «  J'.ii  bien  du  déplaisir,  écrit  Baron,  de  la  mort 
<Jes  quatre  gazelles  oiic  j'envoyai  en  Alexandrcttc  oour  mettre  sur  le  vaisseau  du 
«^sipitaine    Hugue.    C'étaient  des  animaux    très  jolis    et  qui  vous    auraient  sans 

"^oute  beaucoup  plu Je  ne  me  rebute  point  pour  ce  petit  accident,  nonobstant 

^3  uc  vous  me  témoignez  de  n'en  p.TS  sounniter  davantage...  Quant  aux  ciicvaux 
^Jfabes  qu'on  appelle  de  race,  ils  sont  ici  très  chers  et  très  difficiles  .1  connaître. 
r  *ai  du  monde  en  clierche  pour  cela  et  je  pourrai  vous  en  acheter  deux  ou  trois, 
t- 1  >'  aura  de  la  dilViculté  ù  les  embarquer  en  .\texandrette  avec  ces  embarras  de 
S"*-»<ïra'dc  Candie.  Les  .Anglais  en  ont  envoyé  d'ici  â  Smyme  par  terre,  je  crois 
X  'J*?,  par  là,  l'embarcation  est  permise....  Ils  en  ont  envoyé  en  Angleterre  des 
*  «îMx  et  des  trois  à  la  fois.  » 

<  5)  V.  L/itrfs  d(  Seignelay,  $0  «w.  s68o,  3/  mars  et  14  avril  16S4,  2)  fh:  1681. 
■^^.  6. 


5Ô8  TABLEAU    DU   COMMERCE 

L'industrie  marseillaise,  très  active,  consomniviit  sur  place  une 
partie  importante  des  marchandises  qui  venaient  du  Levant.  Les 
manufactures  analogues  établies  en  Provence  faisaient  aussi  une 
grande  consommation  de  matières  premières.  Beaucoup  de  char- 
gements prenaient  la  direction  de  Lyon;  sur  la  route  qui  unissait  les 
deux  villes  c'était  un  va-et-vient  continuel  de  muletiers  conduisant 
leurs  lourdes  charrettes.  Toutes  les  soies  qui  ii'étaient  pas  travail- 
lées .'i  Marseille  passaient  par  là,  car  Lyon  était  le  marché  général  de 
cette  marchandise  pour  toute  la  France  et  les  soies  ne  pouvaient 
pénétrer  dans  le  royaume  qu'après  avoir  été  visitées  par  la  douane  de 
Lyon.  Mais  les  soies  du  Levant  ne  s'arrêtaient  pas  dans  cette  ville 
car  l'industrie  lyonnaise  employait  surtout  celles  d'Italie  qui  arri- 
vaient par  1.1  route  du  Pont  de  Bcauvoisin,  comme  l'écrivait  en 
1707  l'intendant  du  Lyonnais  à  Chamillart  :  «1  Nos  ouvriers 
n'emploient  presque  que  des  soies  d'Italie,  fort  peu  celles  de  France, 
l'on  peut  compter  que  celles  de  France  ne  fournissent  que  du  1/4 

au    1/5  de  ce  qui  s'emploie  ici Il  nous  vient  encore  des  soies  de 

Messine  et  du  Levant  mais  l'on  s'en  sert  fort  peu  dans  nos  manu- 
factures :  elles  s'envoient  X  Tours  et  s'emploient  pour  les 
rubans'.  »  En  dehors  des  soies  on  transportait  A  Lyon,  mais  en 
moindre  quantité,  des  cotons  filés,  des  toiles  de  coton,  des  laines, 
des  plumes  d'autruche,  des  drogues  de  diverses  sortes,  du  café  *.  Une 
partie  des  marchandises  du  Levant  qui  avaient  cette  destination 
évitait  la  grande  route  qui  suivait  la  v.illce  du  Rhône,  où  il  fallait 
payer  la  douane  de  Valence  et  toute  une  série  de  péages,  et  prenait 
la  route  des  Alpes  à  travers  le  Dauphiné  et  la  Savoie  pour  entrer  en 
France  par  le  Pont  de  Beauvoisin,  comme  les  marchandises  qui 
venaient  d'Italie  '.  Les  négociants  de  Lyon  faisaient  même  directe- 
tcment   des  achats  considérables  dans  le   Levant  sans  passer  par 


(i)  Trudaint,  inttndant  à  Lyon  au  contrôleur  génial,  if  novembre  1707  Bois- 
LiSLE,  tontf  II,  iî40"  —  Savary,  Dk.  col.  8jo:  La  manufacture  de  Tours  con- 
sommait .niitrefois  jusqu'à  2.400  balles  de  soie;  à  présent  7  ou  800  balles  suffi- 
sent... Chaque  balle  pèse  de  160  à  200  livres.  »  —  Col.  Sfn-p  :  «  ïoutci  les  solo 
qui  se  lireni  du  Levant,  de  Perse,  de  Messine,  d'Italie,  d'Espagiie.  etc.  doivent 
être  conduites  i\  Lyon  et  c'est  de  là  qu'elles  sont  envoyées  A  Paris,  à  Tours  et 
dans  les  autres  villes  du  royaume  où  il  y  a  des  manufactures  de  soieries.  » 

{2)  Voir  Hll,  26.  Etal  des  ttuncliatiJius  de  Lmant  ivnuts  de  ManeilU  à  Lyoni» 
t*t  oclobreaii  /^'  dtc.  16S]  :  438  balles  de  soies,  112  balles  d'autres  marclwiidisc*. 

(^1  Voir  l!H,  26.  Etui  des  marclMmlists  iviiues  de  h  ville  Je  Marseille  ftit  le  Pml 
ik  Beauvoisin  an  bureau  gènàal  de  la  douane  à  Lyon,  en  juin  16S6  ;  i\\  balles  de 
soies,   n8  balles  ou  caisses  Je  marchandises  variées,  dont  47  halles  de  cotun  filé. 


LES  DÈBOUCJiès   DES   PRODUITS   DU   LEVANT 


509 


i         '1 

I 


rintcrmédiaire  des  négociants  MarscilUis  ;  «  on  tient,  écrit  Savary, 
qu'ils  sont  intéressés  pour  environ  i .  500.000  livres  par  an  dans  le 
commerce  du  Levant*.  » 

Chaque  année  la  foire  de  Beaucaire  attirait  un  nombre  considé- 
rable de  barques  de  Frovencc,  mais  elles  étaient  chargées  surtout  du 
produit  de  la  pèche  des  marins  provençaux,  de  fruits  du  pays  ou  de 
niarchandiscs  d'Italie,  et  elles  ne  transportaient  que  très  peu  de 
produits  tirés  du  Levant*.  Les  manufactures  de  draps  du  Languedoc 
et  du  Dauphiné  devaient  recevoir  une  grande  partie  des  laines  qui 
venaient  en  si  yrandc  quantité  .\  Marseille  cependant  elles 
employaient  beaucoup  de  laines  du  pavs^.  Enfin  les  navires  ponan- 
taisdc  Saint-Malo  ou  de  Dunkcrque  qui  .apportaient  ;\  Marseille  les 
morues  de  Terre-Neuve,  les  sucres  et  les  cassonades  du  Brésil  et 
des  «  îles  d'Amérique  »  etlesaiiues  produits  des  Indes  occidentales, 
chargeaient  pour  leurs  retours  des  marchandises  du  Levant,  surtout 
depuis  que  les  édits  de  1685,  1692  et  1703  avaient  empêché  les 
Ponantais  de  se  les  procurer  auprès  des  Anglais  et  des  Hollandais. 
es  Malouins  approvisionnaient  Nantes  et  Rouen,  les  Dunkerquois 
transportaient  les  matières  nécessaires  aux  industries  des  Pays  conquis 
du  Nord,  de  l'Artois  et  de  la  Picardie.  Les  laines,  les  cotons,  les  fîlsde 
chèvre,  les  poils  de  chameau,  l'alun,  les  gommes,  les  noix  de  j^alles, 
le  bois  de  fustel,  les  cendres  de  Syrie  et  généralement  toutes  les 
matières  employées  dans  les  teintures,  les  cuirs  et  maroquins,  le  riz, 
^^  étaient  les  principaux  articles  des  cargaisons  des  Ponantais*. 
^P  Malgré  la  grande  consommation  de  produits  du  Levant  dans 
^^  toutes  les  manufactures  du  royaume,  les  Marseillais  en  revendaient 
^_  des  quantités  considérables  dans  les  pays  étrangers,  en  Espagne,  en 

^f    (i)  Savary,  Dkiionu.,  col.  S>i. 

I  (2)  V.  HH.  26,  une  série  de  procès-verhaux  de  visites  des  barques  se  rendant 

I  à  Beaucaire,  faites  à  Arles  par  un  commis  envoyé  par  la  Chambre  pour  faire 
^^L  payer  le  200/0  aux  marchandises  du  Levant  qui  pouvaient  se  trouver  sur  ces 
^VpArquos.  —  90  barques  visitées  en  168),  j8  en  1689,  60  en  1691,  18  en  1692, 
^^  27  en   1693,  51  en  1695,  61  en  1694,  etc....  Ces  procès- verbaux  très  intéressants 

qui  donnent  tout  le  détail  des  cargaisons  des  barques  qui  se  rendaient  à  Beaucaire, 

montrent  l'importance  encore  considérable  de  celte  foire. 

(3)  Sav<\ky.  Dut.  col.  i/iii  :  «  Les  laines  pour  ces  manufactures  (Grenoble, 
Voiron,  Tullins,  Saint-.Marcellin,  Vienne,  Romans,  etc.)...,  sont  presque  toutes 
du  pays.  » 

(4)  L'arrêt  du  22  février  1687  qui  CNcmptait  momentanément  Dunkerque  du 
20  0.0  énumére  ces  niardiandises.  —  Voir  aussi  //,  2  :  EUtt  da  bdlimtnts  partis 
de  MarteilU  pour  h  Ponant  de  16S0  à  i6Sj.  —  Cf.  p.  370. 


510 


TABLEAU    DL'   COMMERCE 


Italie,  en  Suisse  et  même  en  Allemagne.  L'Espagne  surtout  avait  et 
pendant  tout  le  xvii'  siècle,  l'un  des  débouchés  les  plus  importants 
du  commerce  Marseillais.  «  11  y  a  dans  Marseille  et  sur  la  cote  de  I*rc 
vence,  écrit  Savary,  plus  de  80  barques  qui  ne  font  autre  trafic  que 
d'aller  en  Italie,  en  Barbarie,  en  Espagne  porter  et  rapporter  de 
marchandises  et  courir  départ  et  d'autre  avec  une  diligence  incroya* 

ble Ce  sont  proprement  des  postillons  de  mer  qui  ne  mettent 

jamais  plus  de  deux  ou  trois  jours  de  distance  entre  leur  arrivée 

leur  départ Comme  l'Espagne  n'a  point  de  coiTespondance  dani 

le  Levant,  les  Espagnols  n'tn  reçoivent  les  marchandises  que  parle 
moyen  des  Marseillais  qui  leur  envoient  en  droiture  sur  des  taruoc 
une  partie  de  ce  qu'ils  en  ont  apporté...  principalement  des  toilerie 
bleues  de  diverses  qualités,  tant  de  celles  d'Alep  que   du  Cairc,j 
quaiuiié  de  laines  qui  viennent  aussi  de  cette  dernière  ville,  dont  le 
Espagnols  font  des  mouchoirs,  des  drogues  pour  la  médecine  et 
teinture,  etc....  Le  négoce  le  plus  considérable  que  les  Marseillais 
font  en  Esp.agne  est  celui  de  Cadix  '.  »>  En  ert'et  les  barques  ou  tarunc 
de  Marseille  firent  en  quatre  ans,  de  1680  à  1683,  675  voyages  aui 
ports  d'Espagne*,  mais  l'examen  de  leurs  cargaisons  semble  montrvj 
qu'elles  transportaient  beaucoup   moins  de  produits  du  Levant  que 
ne  l'indique  Savary  et  que  leur  trafic  consisiait  surtout  en  denrées  ou 
objets  manufacturés  de  France. 

Les  voyages  de  Marseille  en  Italie  étaient  plus  fréquents  encore 
dans  les  quatre  mêmes  années  on  en   compte  98S,   accomplis  eal 
grande  partie  par  des  tartanes  et  des  bateaux  plus  petits.  Mais  leur 
chargements  étaient  composés  presque  en  entier  de  produits  rran»; 
car  les  vaisseaux  italiens  de  Gènes  et  de  Livourne,  les  Hollandais  1 
les  Anglais  ou  les  Français,  surtout  les  capitaines  de  La  Gotat^j 
transporuient  directement  les  marchandises  du  Levant  eu  It2lic,| 
Cependant   des   laines,    des   cuirs,    des  cotons,    des  dr 
apportées  .i  Marseille  repassaient  en  Italie  sur  les  petit?  n  . 
faisaient  le  cabotage  entre  les  deux  pays*. 


(1)  SwARY.  Dit/,  (-o}.  906.  —  V.  col.  934.5J  où  il  parle  du  comone 
Mibgd,   .Micjnic,   Barcelone  ;  il  cxagùre  b  ruine  de  celle-ci  ;  «  Ln 
tout  peu    lie   commerce,   dit-il,   un  N-aisscau  Je   morue  de  U  pichc 
suffit.  »  —   Cf.  Itstvctùm  Jt  Stfuiran.  p.  2.1& 

(i)  187  en  1680,  174  en  1681,  191  en  1682.  13)  eu  ;      :  1  P^tbaoti 

)i  A  Barcelone.  22  à  .\licantc,  i}  a  lisbcmne,  14  t  d^  .3. 

{})  V.  //,  i.  Sur  tes  270  voyages  ùHu,  en  1680,  le  plu*  gtju4  uuaùn  haat 


LES   DlîBOUCHtS    DES   PRODUITS   DU    LEVANT  5II 

Enfin  la  voie  du  Rhône  servait  à  transporter  les  marchandises  du 
Levant  à  Genève  et  de  là  elles  étaient  vendues  dans  toute  la  Suisse 
et  dans  l'Allemagne  du  sud'.  Mais,  alors  comme  aujourd'hui,  ce 
marché  de  l'Europe  centrale  était  disputé  par  trois  puissances  mari- 
times :  les  Génois  y  envoyaient  leurs  marchandises  par  le  Piémont, 
les  Hollandais  par  la  voie  du  Rhin.  Pour  assurer  l'avantage  au 
commerce  français  le  roi,  par  l'édit  de  septembre  1664,  accorda 
l'exemption  de  tous  droits  pour  les  marchandises  qui  transiteraient 
de  Marseille  à  Genève  par  la  voie  du  Rhône.  Cette  liberté  du  transit 
fut  révoquée  par  arrêt  du  Conseil  du  2  décembre  1673,  sans  doute  à 
la  sollicitation  des  propriétaires  des  péages  sur  le  Rhône,  à  la  tête  u 

desquels  étaient  le  prince  de  Monaco  et  le  duc  de  Ventadour.  Le 
20  septembre  1678  ell^  fut  rétablie,  mais  pour  la  Compagnie  du 
Levant  seulement  ;  cette  fois,  ce  furent  les  Lyonnais  qui  protestè- 
rent contre  ce  privilège,  défavorable  pour  leur  commerce,  et  un  arrêt 
du  26  octobre  1680  limita  le  nombre  des  marchandises  avec  les- 
quelles la  Compagnie  pourrait  faire  le  transit  :  les  noix  de  galles,  les  ' 
cotons,  la  cire  jaune,  le  sucre  de  la  raffinerie  de  Marseille,  le  poivre,  \ 
l'étain  et  l'anis  restaient  les  seuls  produits  exempts  de  tous  droits  ;  U 
d'autres  ne  devaient  payer  que  45  sols  par  quintal,  d'autres  enfin                       \\ 
étaient  assujettis  aux  droits  ordinaires.  ;; 

Cependant  les  Lyonnais  et  les  péagers  du  Rhône  renouvelèrent,  Ij 

chacun  de  leur  côté,  leurs  réclamations  et  le  privilège  du  transit  fut 
supprimé  de  nouveau  en  1688.  La  question  fut  alors  vivement 
débattue  devant  le  Conseil  entre  le  prévôt  des  marchands  et  les  éche- 
vins  de  Lyon,  les  péagers  du  Rhône  et  les  intéressés  de  la  Compagnie  . 
du  Levant.  A  la  suite  de  ces  contestations  la  liberté  du  transit  fut  réta- 
blie en  1692  en  faveur  d'une  Compagnie  particulière,  mais,  quelques 
années  après,  Pontchartrain  se  demandait  de  nouveau  s'il  ne  serait 
pas  bon  de  le  rendre  général*.  Cette  question,  depuis  si  longtemps 


accomplis  dans  les  ports  de  la  rivière  de  Gênes.  —  60  à  Languilla  (Laigueglia  ? 
entre  Oneglia  et  Albonga),  S9  à  Gênes,  25  à  .San-Remo,   18  à  Savonc,   51  à 

Livourne,  12  à  Naplcs.  etc.  ; 

(i)  Dès  le  xvi<:  siècle  des  marchands  des  pays  Rhénans  venaient  chercher  des  « 

marchandises  du  Levant  à  Marseille.  (V.  Reg.  des  fnsin.  de  l'amirauU  de  Marseille,  \ 

Arch.  des  Bouches-du-Rhôtie.  —  Mainlevée  de  la  saisie  de  180  balles  d'alun  qui  avait  | 

été  pratiquée  à  Marseille  sur  Israël  Miquel  marchand  de  Strasbourg  et  ses  associés  > 

Nicolas  Meycr  et  Georges  Obret.  2  septembre  ISSS-  Registre  I,  fol.  31).  S 

(2)  Voir  pour  cette  question   plusieurs  mémoires  des  Archives  de  là  Marine.  | 

B',  49Î,  fol,  ^)2-S>7  ■'  Mémoires  généraux  sur  le  droit  de  transit  de  Marseille  à  Genève  ! 

et  de  Genève  à  Marseille  (sans  date,  mais  postérieur  à  1692).  —  B',  4(^6,  fol.  4j-  1 


SI. 


TABLHAU    DU    COMMERCE 


pendante,  ne  fut  pas  encore  réglée,  on  la  discuta  encore  par  devant 
le  Conseil  de  commerce  en  1704  :  les  Lyonnais  demandèrent  que  le 
privilège  accordé  à  la  compagnie  marseillaise  dirigée  par  le  sieur 
iMagy  fut  étendu  .1  tous  les  négociants,  tandis  que  les  fermiers  géné- 
raux réclamèrent  l'abolition  de  la  franchise.  L'arrêt  du  15  octobre 
1704  ne  satisiit  personne,  en  révoquant  le  privilège  du  transit  et  en 
établissant  un  tarif  particulier  qui  équivalait  à  l'cxemptiou  de  la 
moitié  des  droits  ordinaires'. 

Ces  longues  tergiversations  n'avaient  pas  contribué  à  encourager 
le  commerce  de  Marseille  avec  la  Suisse  et  l'Allemagne;  cependant, 
à  défaut  de  chiffres  précis,  on  peut  affirmer  qu'il  avait  une  réelle 
importance,  comme  suffirait  à  le  montrer  la  longue  rivalité  des 
Marseillais  et  des  Lyonnais  qui  se  le  disputaient.  En  1680,  la  Com- 
pagnie du  Levant  ab.indonna  le  monopole  de  ce  commerce  qu'elle 
possédait  à  une  société  de  marchands  marseillais  moyennant 
une  redevance  annuelle  de  12.000  livres;  ceux-ci,  pour  payer 
cette  somme  sur  leurs  bénéfices,  devaient  faire  un  trafic  assez  consi- 
dérable. Peu  après  la  révocation  du  droit  de  transit,  en  1704,  la 
Chambre  se  préoccupa  d'empêcher  qu'un  voiturier  n'obtint  le  pri- 
vilège des  transports  de  Marseille  .'l  Genève,  et  elle  se  félicita  de  le 
voir  abandonner  sa  prétention;  elle  considérait  comme  un  point 
particulièrement  important  le  transport  des  cafés  «  que  les  voituricrs 
ordinaires  s'obligeaient  de  rendre  à  Genève  moyennant  onze  livres 
du  cent  pesant,  au  lieu  que  le  sieur  xMagy  faisait  payer  treize  livres 
avant  la  révocation  du  transit.  »  En  retour  des  marchandises  qu'elle 
faisiiit  passer  en  Suisse,  Marseille  recevait  de  Genève  «  des  toiles  et 
des  épiceries,  qui  sont,  écrit  la  Chambre,  deux  articles  très  considé- 
rables pour  notre  commerce*.  »   Ces  épiceries,  apportées  des  Indes 


fç  :  ConUsIalion  pour  k  transit  entre  le  pfina  dt  .\Jl>i.<,  ir,  u.ii.  Je  Ventaïk^ui  1.  .ikii.j 
propriètairci  dt's  péage i  ijui  se  Ih'tnt  sur  le  Rlioiie,  tes  iiiléressJa  Je  la  Cotuptigtit  Ju 
l/varil  et  le  pri'viU  des  marchands  et  kisevins  de  Lyon,  i6o<>.  —  Fol.  ti)S-ioo.  —  f<)l. 
2f6-2ôi  :  Mémoiie  Jalsanl  mention  du  prix  des  marcIxinJises  et  des  frais  Jeivtturt  Je 
Hollande  en  Suisse  et  Haute- Allemagne  par  comparaison  dt  celles  d'Italie  et  de  \iafifilU 
Jani  Usdits  pa\s,  tant  parle  RIxiiie  que  parla  voie  de  Nice  et  dit  Piémont,  t6<.>t.  (TablcJU 
détaille  et  intt-ressaiii  des  Irais  de  transport).  —  Fol.  261-62  :  ce  mémoire  ra|>pcllc 
les  arrêts  du  2  décembre  1675,  10  septembre  1678,  ao  octobre  et  22  décembre  1680, 
;i  mai  16S1,  jo  mai  1682. 

m  Arch.  Xulion.,  F",  ji  :  sé.mcc  du  Conseil  de  commerce  du  ;}  janvier  1704 
(fol.  2} s)  ;  —  du  12  juillet  1704  :  rapport  de  M.  Dcriiofl»on  sur  le  dossier  du  trausit 
(fùl,  2^6).  —  BU,  jy.  Lettre  du  1;  octobre  i-;o4  ;  —  BB,  j.  Arr/t  du  ;/  odcbre  1^04 
(fol.  292). 

U)  BB,  21J.  iMlru  du  1)  octobre  i/O.f,  3}  janvier  ijoj. 


LES  DÉBOUCHÉS  DES   PRODUITS  DU   LEVANT  513 

en  Hollande  et  de  là  par  le  Rhin  i  Genève  puis  à  Marseille  et  desti- 
nées en  partie  à  être  réexportées  dans  le  Levant,  suivaient  une  voie 
bien  singulière  pour  parvenir  aux  échelles  qui  les  fournissaient  autre- 
fois à  l'Europe. 

Des  Suisses  s'étaient  même  établis  à  Marseille,  où  ils  étaient 
attirés  par  de  grands  privilèges,  pour  y  pratiquer  le  commerce  du 
Levant.  En  1716,  la  Chambre  délibéra  au  sujet  de  deux  Suisses  qui 
réclamaient  parce  qu'on  avait  fait  payer  à  La  Canée  les  droits  de 
consulat  à  des  marchandises  qui  leur  étaient  adressées,  ils  préten- 
daient être  soumis  au  droit  de  tonnelage  payé  par  les  marchands 
français,  et  non  aux  anciens  droits  de  consulat  conservés  seulement 
pour  les  étrangers.  «  Etant  Suisses,  déclara  la  Chambre,  ils  sont  à 
l'instar  des  Français  jouissant  des  mêmes  privilèges  que  les  véritables 
sujets  de  Sa  Majesté  »,  et  elle  ordonna  que  les  droits  qu'ils  avaient 
payés  leur  fussent  restitués'.  Enfin,  les  Marseillais  vendaient  même 
des  produits  du  Levant  aux  vaisseaux  hollandais  qui  venaient  leur 
apporter  des  métaux,  des  épices,  des  mâts,  des  cordages*,  et  qui 
chargeaient  surtout  pour  leurs  retours  des  huiles,  des  savons  et  des 
fruits  du  Midi*. 

Les  débouchés  du  commerce  français  du  Levant  étaient  donc  nom- 
breux, mais  ils  étaient  néanmoins  insuffis;ints.  Souvent  les  négociants 
souffraient  de  l'encombrement  des  marchandises,  qui  restaient  dans 
les  magasins  sans  acheteurs.  Plusieurs  fois,  il  fallut  avoir  recours  à  |j 

des  suspensions  de  commerce  de  quelques  mois  pour  faciliter  l'écou- 
lement du  stock  accumulé  i  Marseille,  et  chaque  fois  qu'il  se  pro- 
duisit un  redoublement  d'activité  dans  les  échanges  entre  Marseille 
et  le  Levant,  comme  de  1697  à  1701  ou  de  1713  i\  171  S>  il  en  résulta 
une  véritable  crise  et  une  série  de  banqueroutes  parmi  les  négociants 
de  Marseille.  Ce  qu'il  fallait  au  commerce  français  du  Levant,  ce 
n'était  pas  tant  cherciicr  des  débouchés  à  l'étranger  que  s'assurer 

(i)  BB,  6.  Dïlibiralion  du  7  août  iji6. 

(2)  Voir  HH,  2/  :  Etat  des  vaisseaux  arrivés  de  Hollande  à  MarstilU  et  de  leurs  !| 

clMrgtments  en  i6</S,  i6q(},  ijon  (14  vaisseaux  d'Amsterdam  et  2  de  Rotterdam).  1 

—  Le  girofle,  le  poivre,  les  inercerics;  le  fer,  le  plomb,  le  laiton,  le  fer  blanc,  la  ! 

céruse;  les  cibles,  le  chanvre,  les  mâts,  douelles,  poulies  et  de  nombreuses  autres  | 

marchandises  figuraient  d.ins  leurs  cargaisons.  • 

(î)  Vingt-cinq  vaisseaux  (dont  dix  d'Amsterdam)  chargèrent  à  Marseille  pour  ! 

la  Hollande  de  1680  à  1683,  et  neuf  pour  Hambourg.  11  y  avait  à  Marseille  des  1 

marchands  hollandais  établis  et  un  consul  hollandais.  —  V.  Regisl.  des  Insiii.  de  ! 
Vamirautède  Marseille,  i"  octobre  r6/<;,  2}  avril  16S},  2  février  16S6  :  enregistre- 
ment de  la  commission  du  consul. 

îî 


5M 


TABMîAU   qi;  ÇOMMERCp 


cçli)i  des  port:>  français  du  Ponant;  la  s^rveillancs  plus  rigoureuse 
ctabjic  pour  faire  payer  le  20  0/0  força  les  Fonaniais,  ver*  le  com- 
mencement du  xviir  siècle,  à  s'approvisionner  davantage  à  Manieillc, 
et  ce  fut  l'une  des  principales  causes  de  l'essor  plus  grand  que  prit  |c 
commerce  du  Levant  à  cette  cpocjuc. 

La  valeur  des  marchandises  d'exportation  fut  toujours  bien  infé- 
rieure à  celles  des  importations  du  Levant  en  1-rance,  et  de  tout 
temps  les  Marseillais  complétèrent  leurs  cargaisons  par  de  fortes 
sommes  d'argent.  Cependant,  A  la  fin  du  xvii'  siècle,  grâce  aux  efforts 
de  Colbert  et  de  ses  successeurs,  les  marc!iiandises  prirent  dans  les 
chargements  des  bAtiments  français  une  place  qu'elles  n'avaient 
jamais  eue.  Les  articles  que  la  France  fournit  aux  ét^hellçs  p¥ 
varièrent  d'ailleurs  pas  pendant  tout  le  xvii"  siècle  et  le  nombre  en 
était  encore  plus  restreint  que  celui  des  produits  du  Levant  apportù 
en  Ff^nçe,  si  rpn  s&]{i  tient  i\  ceux  qui  donnaient  lieu  A  un  sérieux 
trafic.  Les  draps  .avaient  à  eux  seuls  beaucoup  plus  d'importance  que 
tous  les  autres,  et  après  eux  les  papiers,  les  bonnets,  la  mercerie, 
];\  quincaillerie  étaient  les  seuls  qui  donnaient  lieu  .\  des  veuics 
considérables. 

A  la  tin  du  xvu'  siècle,  les  nombreuses  manufactures  du  Langue- 
doc' fabriquaient  des  draps  fins  et  communs  analogues  à  ceux  dw 
Anglais  et  des  Hollandais;  eUes  les  égalaient  et  parfois mèroe les 
dépassaient  en  beauté  et  en  qualité'.  LesmanuCictures  du  Dauphinc 
et  de  Provence  ne  produisaient  que  des  draps  communs  et  eu  quan- 
tité beaucoup  moindre.  De  1700  ù  ijOj  les  bâtiments  français 
portèrent  61 .831  pièces  de  dr.ap^  dans  les  échelles  et  U  guerre  de 
succession  ne  porta  pas  atteinte  aux  manufactures  puisqu'en  1716 


(1)  Voir  l'énumcratiou,  p.  298. 

(2)  Voir  au  sujet  de  ces  draps,  p.  126,  note  2.  —  Le  tarif  de  fret  dressé  paç  b 
Cliambrc  le  1^  février  i-iX)  distingue  ies  draps  :  iiuhout,  londrine  prcmiétc  et 
seconde,  londres,  Saint-Cliinian,  S.iiiit-Pons  et  abouboucliv,  BB,  ; .  —  I,o  l^r/ail 
Kigxiiiiit  donne  le  détail  des  assortiments  de  pièces  de  difléreotcs  coulcoft  dont 
il  faut  composer  une  lialle  de  draps  pour  les  ditVèrentcs  éclielies. —  Modèle  d'une 
balk  de  draps  londrines  pour  Sniyrne  ;  une  pièce  écarlate  ou  rouge  crantûisj  ; 
deux  pièces  violet,  un  clair  cl  un  foncé;  trois  pièces  vert,  mais  il  n'eu  tAut  point 
dv-  vert  d'herbe;  une  pièce  couleur  de  pourpre  ou  cancllc.  —  Les  coukun  ks 
plus  demandées  pour  \a  l'erse  sont  :  Isabelle,  feuille  morte,  couleur  de  soufrt, 
jaune,  citron,  orange,  couleur  de  chair,  pourpre  clair,  céladon,  rosc^  incaruadin.— 
Les  assortiments  de  draps  londres  destinés  au  peuple  étaient  moins  compliqua. 
Modèle  d'une  balle:  trois  pièces  bleues,  deux  vert  orua,  une  vert  Daissani,  Jctu 
violet  bien  foncé.  —  P.  402  et  suiv. 

0)  Dont  4*.>.095  pièces  de  draps  fuis,  is.l49dL  draps  commuas  du  Langucdoi 


LES  ARTICLES   D  EXPORTATION 


515 


l'exportation  s'éleva  à  15.485  pièces,  chiiïrc  qui  sans  doute  avait 
été  rarement  atteint  auparavant.  Ainsi,  au  commencement  du  xviii" 
siècle,  les  trois  grandes  puissances  qui  se  disputaient  le  marché  du 
Levant  avaient  la  draperie  comme  principal  article  d'éciiange;  elles  y 
portaient  les  mêmes  qualités  et  les  mêmes  assortiments,  ne  cherchant 
qu'à  imiter  réciproquement  leurs  procédés  de  fabrication.  Mais,  en 
dehors  de  cet  article  commun  d'éclianges,  chacune  d'elles  écoulait 
dans  le  Levant  les  produits  particuliers  de  son  industrie  ou  de  son  sol. 

Les  Marseillais  vendaient  dans  les  échelles  diverses  étoffes  gros- 
sières comme  les  pinchinats  fabriqués  en  Provence,  dont  les  plus 
beaux  étaient  achetés  38  A  42  livres  la  pièce  à  Marseille,  et  les 
vigans,  que  les  tisserands  des  Cévennes  apportaient  à  la  foire  de 
Beaucaire.  Ces  draps,  portés  à  Smyrne  surtout'  et  à  Constantinoplc, 
étaient  ensuite  revendus  aux  liabitants  de  l'Archipel  qui  seuls  en  fai- 
saient usage,  aussi  le  débit  n'en  était  pas  grand  ;  il  en  était  de  même 
des  cadis  et  perpctuans  de  Nimes,  mais  les  verdets  de  Montpellier 
avaient  plus  d'importance  puisque  la  vente  de  ces  étofles  à  Smyrne 
atteignait  parfois  5  .1  600.000  livres'.  En  dehors  de  ces  diverses  dra- 
peries, fines  ou  grossières,  la  Provence  exportait  encore  dans  le 
Levant  quelques  toileries  et  des  serges  impériales. 

La  fabrication  des  bonnets  de  laine,  florissante  à  Marseille,  fournis- 
sait un  excellent  article  d'échanges  :  les  Provençaux  vendaient  i 
Smyrne  jusqu'il  150  caisses  de  80  douzaines  de  bonnets  fins  dont  les 
plus  beaux  valaient  3  piastres  la  douzaine  et  200  caisses  de  bonnets 
ordinaires  à  i  pi;istre  1/2;  à  Constantinople  b  consommation  n'était 
que  de  30  ou  40  caisses  de  bonnets  fins\  Un  certain  nombre  de 
vaisseaux  prenaient  chaque  année  des  assortiments  de  «  merces  *, 
c'est-à-dire  de  mercerie  ;  suivant  le  Parfait  Négociant  on  pouvait 
débiter  chaque  année  à  Constantinople  jusqu'.\  un  million  d'aiguil- 
les de  France,  achetées  à  Lyon,  Paris  ou  Rouen  *.  Quant  à  l'indus- 

et  6.488  pièces  Je  draps  commun.s  Je  Marseille  ci  du  Djupliinc  (Joiit  j.tStj  de 
Marseille). —  Ftat  envoyé  par  le  sieur  Cauviùre  inspecteur  des  Jraps. —  Même  ét.it 
pour  l'annte  1716.  Arai  Nul.  f^.ô.f). 

(i)  Lts  vigans  valaient  à  Smyrne  trois  quarts  ou  utte  piastre  le  pic,  tandis  que 
les  lonJrincs  éuient  venJucs  Jcpuis  deux  piastres  fiisqu'i  trois  piastres  un  quart, 
les  draps  iiin-lonJrins  jusqu'à  deux  piastres,  les  draps  londrcs  ou  communs  une 
piastre  un  quart  i  une  piastre  et  «ieiiiie.  —  Neuf  pics  de  Smyrne  faisaient  dnq 
auocs.  {Piiij'uit  Xt'gocitvit .) 

(i)  Parfait  S'ègoàmil,  p.  .|o8.  410.  446-47. 

(5)  /WJ.,p.  408  et  453. 

(4)  ;W.,p.  4SI- 


5  lé  TABLEAU    DU   COMMERCE 

trie  des  chapeaux,  plus  développée  encore  à  Marseille  que  celle  des 
bonnets,  elle  ne  donnait  pas  lieu  à  des  échanges  dans  le  Levant  où 
cette  coiffure  n'était  pas  usitée;  les  chapeaux  de  Marseille  étaient 
vendus  en  Italie  et  en  Espagne. 

Avec  les  tissus  l'article  de  vente  le  plus  important  du  commerce 
français  était  le  papier.  Le  trafic  du  papier  dans  le  Levant  était 
antérieur  au  xvii*'  siècle  et  les  Vénitiens  en  portaient  aussi  des 
quantités  considérables,  mais  celui  de  France  était  plus  renommé. 
Sa  réputation  se  maintint,  même  quand  celle  des  draps  tomba,  et 
quand  Seguiran  visita  les  vaisseaux  de  Marseille  en  1633,  la  plupart 
d'entre  eux  en  étaient  partiellement  charges.  Le  papier  des  manufac- 
tures de  Provence  et  des  autres  pays  du  royaume  était  alors  apprécié 
surtout  à  Alexandrie  et  au  Ciire  où  on  l'acceptait  dans  les  échanges 
comme  une  véritable  monnaie  et  l'un  des  meilleurs  cadeaux  que  les 
consuls  pussent  foire  aux  pachas  et  aux  puissances  était  de  leur  en 
donner  quelques  balles  ;  à  la  fin  du  xvii'  siècle  c'était  plutôt  à 
Smyrne  et  à  Constantinople  qu'on  en  trouvait  le  débit;  d'après 
Savary  les  ventes  s'élevaient  à  7  ou  800  balles  de  24  rames  dans  la 
première  échelle  et  h  900  dans  la  seconde,  et  les  Français  en  reti- 
raient environ  100.000  livres'. 

Les  métaux  bruts  ou  travaillés  donnaient  lieu  à  un  important 
trafic  dans  le  Levant  où  l'industrie  minière  et  métallurgique  n'exis- 
tait guère,  mais  ce  commerce  était  fait  surtout  par  les  Anglais  et  les 
Hollandais  qui  s'approvisionnaient  de  ces  métaux  à  Hambourg  et 
dans  les  villes  de  la  Baltique.  Les  Marseillais  en  transportaient  dans 
les  échelles  de  petites  quantités  qui  leur  étaient  fournies  par  les 
vaisseaux  d'Amsterdam  venus  pour  chercher  des  produits  du  Midi, 
et  plus  rarement  par  les  Anglais.  C'est  ainsi  que  le  fer,  l'acier,  le 
plomb,  l'étain,  le  fer  blanc,  le  fil  de  fer,  le  fil  de  laiton,  la  céruse,  le 
cinabre,  r«  arquifous*  »,  figuraient  chaque  année,  mais  pour  de 
faibles  valeurs  dans  les  chargements  des  Marseillais.  Les  «  quin- 
quailles  »,  fabriquées  spécialement  à  Forest,  étaient  un  article  plus 
courant  du  commerce  des  Français.  «  Dix-huit  i  vingt  milliers  de 
quincaillerie  de  Forest,  dit  le  Parfait  Ni'gociaiil,  se  peuvent  vendre  à 

(  I  )  V.  liiijwlion  tic  Sej;ifiran,  p.  2;./.  —  Parfait  W[i^'ociant, />.  40^  :  les  ballots  Je 
24  rames  se  vendent  de  16  à  18  pùistres  ;  les  bons  papiers,  20  piastres.  —  P.  447  : 
il  y  a  deux  sortes  de  papiers  de  France  ;  le  papier  manuHicturé  en  Provence  s'achète 
36  livres  le  ballon  de  24  rames  et  se  vend  ordinairement  20  piastres  le  ballon. 

(2)  Acheté  en  Angleterre  ou  en  Hollande  pour  écurer. 


LES   ARTICLES  D  EXPORTATION  517 

Constantinoplc,  savoir  :  couteaux  de  nacre  de  perle,  mancliettes 
rondes,  ciseaux  il  barbiers,  ciseaux  h  rose,  petits  ciscaux'damasquinés, 
couteaux  à  la  caudale,  7  ;\  800  douzaines  de  lunettes  *.  »  La  gre- 
naille de  plomb  préparée  ;\  Marseille  pour  la  chasse  foisait  l'objet 
d'échanges  assez  importants  puisque  la  Chambre  en  évaluait  l'expor- 
tation à  150.000  livres  par  an  vers  1700  ;  il  est  vrai  qu'une  partie 
était  vendue  en  Espagne.  Enfin,  le  corail  ouvré  à  Marseille  dans  des 
ateliers  qui  étaient  une  curiosité  pour  les  étrangers,  les  «  rocailles  »  . 
qui  «  s'achetaient  ;\  Rouen  de  plusieurs  couleurs  et  façons  et  dont 
les  unes  vertes  et  jaunes  valaient  environ  23  sols  le  millier  »,  les 
cuirs,  «  buffres,  basanes,  baudriers  »,  les  «  auffes  »,  ouvrages  de 
sparteric  faits  avec  l'alfa  tiré  de  la  province  de  Valence  et  qui  occu- 
paient h  Marseille  quantité  de  pauvres  gens,  faisaient  encore  partie 
des  objets  manuflicturés  portés  par  les  Français  dans  le  Levant. 

Outre  les  produits  de  l'industrie  française  un  grand  nombre  de  den- 
rées, surtout  de  denrées  alimentaires,  soit  des  Indes,  soit  de  Provence, 
fournissaient  des  articles  d'échange  aux  Marseillais.  Les  échelles,  à  la 
fin  du  xvii*^  siècle,  recevaient  leurs  épices  de  l'Occident  au  lieu  de  lui 
en  fournir;  malheureusement,  bien  que  la  Compagnie  des  Indes 
orientales  en  apportât  beaucoup  sur  ses  vaisseaux,  ce  n'était  que  par  les 
Hollandais  que  Marseille  se  les  procurait.  Par  suite  des  monopoles 
et  de  la  bizarrerie  des  règlements  on  voyait  ce  spectacle  singulier  : 
les  Ponantais  s'approvisionnaient  auprès  des  Anglais  et  des  Hollan- 
dais des  marchandises  du  Levant  et  les  Marseillais  demandaient  aux 
étrangers  les  denrées  des  Indes.  Aussi,  tandis  que  les  Anglais 
et  les  Hollandais  portaient  quantité  d'épiceries  dans  les  échelles, 
les  Provençaux  ne  vendaient  qu'un  peu  de  poivre  et  de  girofle  et 
encore  moins  de  cannelle  et  de  muscade.  Du  moins  les  Malouins 
leur  apportaient  avec  leurs  morues  des  produits  des  Indes  occiden- 
tales qui  étaient  ensuite  réexportées  dans  le  Levant,  et  même,  ;\  la 
fin  du  xvn'  siècle,  les  Marseillais,  encouragés  par  les  ministres, 
envoyèrent  des  vaisseaux  eux-mêmes  aux  «  îles  françaises  de  l'Amé- 
rique*. »  Le  sucre,  raffiné  à  Marseille,  et  les  cassonades  du  Brésil 


(i)  Par/ail  Négociant,  p.  .f)i.  —  Forcst-sur-Vcsdrc ,  bourg  de  la  province  de 
Litige,  possède  encore  aujourd'hui  divers  établissements  métallurgiques  et  des 
fabriques  d'aiguilles  (3180  habitants). 

(2)  Autorisation  donnée  au  capitaine  François  Bonnccorse  de  se  rendre  aux  îles 
d'Amérique  avec  son  vaisseau  le  Saint -Charles,  chargé  de  marchandises,  et  de  les 
}•  échanger  contre  d'autres,  moyeniiant  le  5  0/0  de  la  valeur  du  chargement  à  la 


TABl-HAU  nu  COMMERCK 

cwicni  les  denrées  des  Indes  occidentales  de  meilleure  vente  d.ins  le 
Levant  ;  ils  faisaient  concurrence  \  Sniyrnc  et  \  Constantinoplc 
aux  sucres  d'Egypte  et  ces  deux  L^chelles  en  achetaient  de  grindes 
quantités,  surtout  quand  la  récolte  d'Egypte  n'était  pas  bonne.  Un 
voyageur  remarque  qu'i\  la  fin  du  xvu'  siècle  les  besoins  du  Levant 
devinrent  bien  plus  considérables  quand  les  Turcs  prirent  l'habitude 
de  sucrer  leur  café  comme  ils  sucraient  auparavant  déj;\  leurs  autres 
boissons.  La  cochenille,  l'indigo,  le  bois  de  campôche»  le  bois  du 
Brésil,  la  salsepareille,  le  tabac,  la  morue,  étaient  les  autres  produits 
d'Amérique  que  les  MarscilLiis  portaient  aussi  dans  les  échelles. 

Quant  aux  denrées  de  Provence,  elles  n'avaient  qu'un  débit 
restreint  dans  le  Levant  :  les  huiles  étaient  loin  de  suffire  i  la 
consommation  de  la  province  et  de  ses  savonneries'  ;  les  .imandes 
seules  se  vendaient  bien  et  les  Provençaux  en  retiraient  parfois 
jusqu'A  100.000  livres  au  début  du  xvin*^  siècle.  La  vente  des  caux- 
de-vie  atteignit  ccruiines  années  une  valeur  double.  Elles  figuraient 
toujours  parmi  les  présents  que  les  nations  françaises  des  échelles 
élisaient  aux  pachas  et  aux  «  puissances  »  du  pays,  avec  le  vinaigre, 
le  cassis  et  d'autres  liqueurs,  les  eaïux  de  senteur  et  les  confitures, 
deux  produits  renommés  de  l'industrie  marseillaise,  les  prunes  de 
Brignole  et  d'autres  fruits.  Le  miel,  le  cumin,  le  gingembre,  l'anis, 
le  vin  même,  mais  rarement,  entraient  aussi  dans  les  chargements 
des  b.'uiments  de  Provence  '. 


Comp-ignic  des  Indes  occidentales,  jo  septembre  1670.  Registit  det  /mit»,  dt 
l'amiratiti  de  Mttrseillf.jol.  j  j22.  —  Id.  11  janv.  t6jt,Jol.  7/ji.  —  Ai.  10  fitr. 
i6S],Jol.  /;;. 

(i^  Q,u.int  aux  savons  de  Provence  exportés  en  grande  quantité  en  Espagne  et 
en  Italie,  on  en  venJ.iit  très  peu  dans  les  échelles,  car  celles-ci  en  fabriquaient. 

(2>  Cette  liste  des  niarcliandises  d'export.ition  a  été  dressée  d'après  une  siaiiS' 
tique  des  b.Uiments  partis  de  Marseille  en  1680,  81,  82.  83  et  de  leurs  car- 
gaisons (//,  3\,  et  le  tarif  de  fret  dressé  par  l.i  Chambre,  le  IJ  février  1700 
{Bli,  s).  —  D'après  le  premier  de  ces  documents,  sur  97  h.itimcnts  partis  pour  le 
Levant  en  1680  et  1681,  $2  portaient  des  dr^aps,  60  du  papier,  23  du  sucre  et 
TO  de  la  cassonade,  iq  du  poivre  et  7  du  girolle.  i>  de  la  mercerie.  13  des 
bonnets,  7  des  quincailles,  9  des  amandes,  elc,  —  Mais  les  archives  de  la  Chambre 
ne  reiifernienl  iiucun  document  du  XVii>-'  siècle  nous  renseîgn.nnt  snr  l.i  valeur 
des  exportations  pour  le  Levant.  Des  statistiques  très  o>mplètes  ont  été  conscnéo 
au  cnntr.iire  à  partir  de  r7J>  (II,  ij).  —  On  peut  citer  quelques  chilTres  de  ces 
documents  pour  montrer  rimpnrtjiicc  relative  des  divers  aruclcs  d'exportation. 
En  1726  les  exportations  pour  le  Lev.tnt  s'élevèrent  ;'i  5  îSô.cxxi  livres  idrapJ 
2.450.000  —  mercerie  523.000  —  cau-de-vie  207.1V10  —  amandes  t}l.O0D  — 
indigo  136.001) —  quincailles  40.000,  etc.)  —  Le  p.ipier  et  les  bonnets  ne 
figurent  dans  ces  statistiques  que  |v>ur  des  sommes  insi;inifi.intcs  car  la  pcslç  de 
1720  avait  désorganisé  pour  quelques  années  les  industries  niarscilUiscs. 


LES   ARTICLES   D  EXPORTATION  519 

Ainsi  les  Français  tiraient  surtout  des  échelles  des  matières  pre- 
mières nécessaires  aux  industries  du  royaume,  ils  y  vendaient  prin- 
cipalement des  objets  manufacturés  qui  n'étaient  pas  moins  indis- 
pensables aux  Turcs,  et  ce  qui  caractérisait  le  commerce  du  Levant 
au  XVII''  siècle,  c'est  que  Français,  Anglais  et  Hollandais  transpor- 
taient à  peu  près  les  mêmes  articles  et  faisaient  tous  le  même  trafic. 
Pour  tous  la  balance  du  commerce  s'établissait  par  un  apport  plus 
ou  moins  considérable  d'argent  dans  les  échelles.  Mais  le  commerce 
du  Levant  qui  donnait  lieu  à  un  vaste  mouvement  d'échanges, 
entretenait  une  active  marine  marchande,  faisait  vivre  une  nom- 
breuse population  de  marins,  alimentait  de  matières  premières  de 
nombreuses  industries  et  leur  fournissait  en  môme  temps  des 
débouchés  indispensables,  était  un  commerce,  non  seulement  utile, 
mais  nécessaire  au  royaume,  en  dépit  de  l'excédent  des  importations 
qui  avait  longtemps  jeté  le  discrédit  sur  lui  et  l'avait  fait  combattre 
par  les  gens  trop  imbus  de  la  théorie  de  la  balance  du  commerce. 


CONCLUSION 


Dans  'la  seconde  moitié  du  xvi''  siècle  le  commerce  français 
avait  atteint  presque  tout  d'un  coup  dans  le  Levant  le  plus 
grand  développement  qu'il  ait  jamais  eu.  Leur  alliance  étroite 
avec  les  Turcs,  les  concessions  nouvelles  que  ceux-ci  leur 
accordaient  ;\  chaque  renouvellement  des  Capitulations,  avaient 
fliit  aux  Français  une  situation  exceptionnellement  privilégiée  : 
depuis  1381  leur  pavillon  pouvait  seul  flotter  librement  dans 
les  mers  du  Levant  à  côté  de  celui  des  Vénitiens.  G:ux-ci, 
afïliiblis  par  les  longs  efforts  qu'ils  avaient  soutenus  contre 
les  Ottomans,  et  sans  cesse  en  lutte  avec  eux,  n'avaient  pu 
défendre  leur  ancienne  prépondérance. 

Mais  la  situation  avait  grandement  changé  au  début  du  xvii' 
siècle  :  non  seulement  les  Français  ne  furent  plus  les  seuls  alliés 
des  Turcs  et  les  Anglais  et  les  Hollandais  firent  recevoir  leurs 
ambassadeurs  à  la  Porte,  leurs  consuls  et  leurs  résidents  dans 
les  échelles,  mais  l'union  des  lys  et  du  croissant  fut  sur  le  point 
d'être  rompue  et,  au  lieu  d'être  traités  comme  auparavant  avec 
flivcur,  les  Français  se  virent  partout  molestés.  Profitant  de  cette 
nouvelle  situation  et  encouragés  par  la  ruine  de  la  marine  de  la 
France,  les  Barbaresques,  dont  la  course  était  devenue  l'unique 
moyen  d'existence,  s'enrichirent  des  dépouilles  des  Français  :  la 
puiss:ince  d'Alger  au  début  du  xvii''  siècle  grandit  surtout  aux 
dépens  de  Marseille  et  du  commerce  des  Provençaux. 

De  plus  le  commerce  de  ceux-ci  portait  en  lui-même  des 
germes  de  désorganisation  et  de  décadence  :  les  abus  d'autorité 
des  ambassadeurs  de  France  à  Constantinople  et  des  consuls 
des  échelles,  leur  avarice  et  leurs  concussions,  la  mauvaise 
conduite  des  résidents  des  échelles,  le  manque  d'une  autorité 
capable  de  réprimer  tous  les  abus,  contrastaient  singulièrement 
avec    l'ordre    et  la   régularité   que    les  Anglais  et  les  Hollandais 


CONCLUSION-  521 

avaient  su  maintenir  dans  leur  négoce  et  dans  leurs  établisse- 
ments du  Levant.  Tout  semblait  accabler  A  la  fois  les  Français  : 
la  lourdeur  des  impositions  croissantes  qui  frappèrent  leur  com- 
merce et  l'avidité  de  ceux  qui  les  levaient  leur  ôtaient  tous  les 
bénéfices  qu'ils  pouvaient  encore  faire.  Enfin  les  manufactures 
du  royaume  en  décadence  ne  leur  fournissaient  plus  les  riches 
cargaisons  qu'ils  portaient  autrefois  dans  les  échelles  et  ne  con- 
sommaient plus  en  assez  grande  quantité  les  produits  qu'ils  en 
retiraient.  % 

Les  Provençaux  résistèrent  pourtant  X  cette  longue  crise  qui 
dura  plus  de  cinquante  ans  ;  ils  voyaient  leur  ruine  approcher 
tous  les  jours,  mais  ils  luttaient  en  désespérés  parce  que  le 
commerce  du  Levant  était  lié  trop  intimement  depuis  des 
siècles  à  la  vie  de  leur  province  pour  qu'ils  pussent  l'aban- 
donner. Ils  connaissaient  les  causes  de  leurs  maux  ;  les  députés 
du  commerce  de  Marseille,  qui  étaient  A  leur  tête,  ne  cessaient 
de  présenter  à  la  Cour  des  Mémoires  de  leurs  plaintes,  et  de 
réclamer  des  réformes  salutaires  ;  mais  il  fallait  une  intelligence 
puissante  pour  embrasser  d'une  vision  nette  toute  la  gravité 
de  la  situation  du  commerce  et  les  remèdes  qu'on  pouvait  y 
apporter,  et  une  forte  volonté  pour  triompher  des  résistances 
de  ceux  qui  profitaient  des  abus,  ou  même  de  l'hostilité  des 
membres  du  Conseil  qui,  trompés  par  une  théorie  économique 
fausse,  voyaient  dans  le  commerce  du  Levant  un  danger  pour 
l'Etar.  Colbert  eut  i\  la  fois  cette  vision  nette  de  ce  qu'il  y 
avait  A  faire  et  l'énergie  nécessaire  pour  mener  à  bien  l'œuvre 
des  réformes.  Ses  efforts  incessants,  continués  avec  un  grand 
esprit  de  suite  par  Seignelay,  les  Pontchartrain  et  Chamillart, 
arrêtèrent  d'abord  la  décadence  du  commerce  et  le  mirent  peu 
A  peu  en  état  de  lutter  contre  la  concurrence  des  étrangers 
puis  de   reprendre   la   place   qu'il  avait  eue  auparavant. 

Le  relèvement  du  commerce  fut  malheureusement  gêné  A 
deux  reprises,  au  moment  où  il  commençait  A  prendre  un 
grand  essor,  par  les  guerres  de  la  ligue  d'Augsbourg  et  de 
la  succession  d'Espagne  pendant  lesquelles  la  ruine  de  notre 
marine  permit  à  nos  rivaux  de  se  rendre  les  maîtres  de  la 
Méditerranée.  Néanmoins  le  négoce  avait  ressenti  les  bienfaits 
de    la  réorganisation  accomplie  par  les  ministres  de  Louis  XIV: 


522  CONCLUSION 

la  marine  du  Levant  redevenue  nombreuse  et  active,  l'impor- 
tance du  trafic  plus  que  triplée  depuis  t66i,  tels  étaient  les 
résultats  qu'on  avait  pu  constater  pendant  les  courtes  périodes 
de  paix  de  la  fin  du  règne.  En  1715,  le  commerce  français 
n'avait  pas  repris  la  place  prépondérante  qu'il  occupait  cent  ans 
auparavant,  il  le  cédait  même  en  importance  à  celui  des  Anglais, 
mais  il  était  plus  solidement  établi  qu'il  n'avait  jamais  été. 

Bien  vus  à  la  Porte,  en  paix  avec  les  Barbaresques,  forte- 
ment organisés  dans  les  échelles  désormais  préservées  des  désor- 
dres, dirigés  par  la  Chambre  du  commerce  de  Marseille  qui 
avait  inspiré  les  ministres  de  Louis  XIV  dans  leurs  réformes, 
et,  gardienne  des  traditions,  veillait  au  maintien  de  l'ordre  éta- 
bli, les  Français  allaient  pouvoir,  au  xvm'  siècle,  lutter  à  armes 
égales  avec  les  Anglais  restés  leurs  seuls  concurrents  redouta- 
bles. Dans  toutes  les  grandes  échelles  on  voyait  maintenant 
établies  ces  deux  nations  qui,  au  début  du  xvir  siècle  avaient 
borné  leurs  établissements  et  leur  navigation  à  quelques  grands 
marchés  du  Levant.  Français  et  Anglais,  poussés  par  la  néces- 
sité qui  s'imposait  à  eux,  par  suite  de  la  diminution  du  com- 
merce du  Levant  privé  des  marchandises  des  Indes,  et  de  la 
rude  concurrence  qu'ils  se  faisaient,  avaient  cherché  à  regagner 
par  l'extension  de  leur  négoce  à  de  nouveaux  pays,  ce  qu'ils 
perdaient  dans  les  vieux  marchés  du  Levant.  Pour  la  première 
fois,  au  début  du  xviii'  siècle,  les  échelles  françaises  du  Levant 
couvraient  toutes  les  côtes  de  l'empire  du  Grand  Seigneur 
depuis  l'Albanie  jusqu'à  la  Barbarie;  seule  la  mer  Noire  restait 
fermée  aux  Provençaux,  mais  elle  allait  bientôt  leur  être 
ouverte. 

Quel  avenir  le  xviii"-"  siècle  leur  réservait-il,  c'est  ce  qu'il  était 
impossible  de  prévoir  en  1715;  car,  s'ils  avaient  fait  depuis 
depuis  vingt-cinq  ans  des  progrès  rapides  que  la  paix  devait 
encourager,  les  Anglais,  pendant  le  même  temps,  n'avaient 
pas  tait  moins  d'efforts  :  c'est  dans  cette  courte  période  qu'on 
les  avait  vus  s'établir  au  Caire  et  disputer  aux  Français  le  marché 
de  l'Egypte  dont  ceux-ci  avaient  espéré  se  réserver  la  jouissance 
exclusive.  En  face  de  l'activité  de  ces  deux  nations,  seule  la 
ruine  définitive  du  commerce  des  Hollandais,  dont  la  décadence 
en  17 15   était  dcj;\  sensible,    paraissait  se  préparer. 


CONCLUSION 


523 


Il  est  vrai  que   le   dcvcloppcment  du  commerce   français  était 
entravé    par  la    rL-t^lcnu-ntation    trop   étroite    ;\    laquelle    il    avait 
été  soumis.    Colbert,    témoin   attristé   de  la    prospérité    du    com- 
Bmerce  des  Hollandais   et    des    Anglais   qu'il    attribuait  à   l'orga- 
Wriisation   de   leurs  compagnies,  avait  eu  l'esprit  vivement  frappé 
"  des  dangers  de  l'initiative  individuelle,  aux   hasiirds  de   laquelle 
était    abandonné  le  commerce    français  :    elle    n'engendrait    que 
Bdes  abus  et  ruinait  le   négoce  par  la   concurrence  effrénée  que 
se  faisaient  les   marchands,  trop   nombreux  \    s'en   disputer    les 
bénéfices.   Il   avait    donc    créé    la    Compagnie    du    Levant,    sans 
■  cependant  lui  donner  de  monopole  exclusif,  mais  pensant  bien 
qu'elle    aurait    vite    fait    de    s'emparer    de    tout    le    commerce. 
L'événement  avait  trompé  ses  prévisions,  et  Pontcliarirain  avait 
dû  renoncer  définitivement  i\  relever  la  Compagnie  déjà  tombée 
H  plusieurs    fois.   Le    commerce  du   Levant    était  donc    resté    libre 
"  en    France,   sous  la  direction  de   1.1   Chambre  du    commerce  de 
Marseille,   mais  celle-ci    fut  soumise  de    plus   en    plus  ù    l'auto- 
rité de  l'intendant    de  Provence,   inspecteur  du    commerce    du 
Levant,   qui   exerça  sur  lui   une    tutelle    étroite.    Li    centralis;i- 
tion   eut  pour  effet  une  accumulation   de  règlements  de  plus  en 
plus   rigoureux  :    le  départ    des   navires,  les   prix   du  fret,  les 
achats   et   les  ventes   dans    les   échelles,    tout    fut    peu    ;\    peu 
réglementé,  et  le  but  poursuivi  était  de   réduire  presque  à  rien 
la  part  de  l'initiative  individuelle. 
H      De    plus,  dans  la  pensée  que  le   trafic   devait  être  concentré 
dans  un   petit    nombre  de   mains   pour   être    profitable,    Colbert 
en    avait   réservé    le    monopole    au    port   de  Marseille   et,    dans 
celui-ci    même,    il    comptait    que    la    Compagnie    s'en    rendrait 
m.aîtrcsse.     Seignelay    et     Ponte hartrain,    s'inspirant     du     même 
principe,    mais   oublieux   de  la  prudence   que  montrait  toujours 
Colbert    dans   rapplicatioii    de    ses    idées    économiques,    avaient 
Brendu  plus  exclusif  le  monopole  de  Marseille,  et  Pontchartrain 
avait  même  limité,   par  le  lameux  règlement  du   tour  de   1700, 
le    nombre   des  navires  marseillais  qui  pourraient   partir  chaque 
année   pour  chaque   échelle. 

■  Hnfin,  l'aggravation  du  système  protecteur  de  Colbert  empê- 
chait les  négociants  d'acheter  dans  le  Levant  plusieurs  articles 
d'échange   avantageux    et  de    se   procurer    librement  auprès   des 


524  COSCLUSIOX 

Anglais  et  des  Hollandais  un  certain  non-.?re  ie  nnrchi-iise^ 
nécessaires  au  commerce  du  Levant  qui  leur  coùtiii-r.:  reiujoup 
plus  cher  dans  le  royaume  ou  ne  s'y  :rouvjîen:  ri>.  C'e^: 
pour  mieux  l'établir  et  empêcher  plus  ûciiemen:  la  contreranvii- 
des  marchandises  étrangères,  auunt  que  par  cra:r.:c  ces  ciccs 
de  la  concurrence,  que  les  ministres  de  Louis  XIV  jvaier.:  t-ic 
amenés  non  seulement  à  maintenir,  mais  a  aggraver  ce  système 
suranné  de  commerce  qui  faisait  de  l'un  des  ports  du  royaume 
le  centre  privilégié  et  l'entrepôt  exclusif  du  tralic  avec  l'une 
des  parties  du  monde. 

Cependant,  ces  erreurs  économiques  ne  metuient  pas  le 
commerce  français  dans  un  état  d'infériorité  vis  à  vis  des 
étrangers,  car  elles  étaient  alors  acceptées  par  toute  l'Europe 
comme  des  doctrines  salutaires,  et  c'est  en  étudiant  l'organisa- 
tion des  Anglais  et  des  Hollandais  que  Colbert  s'était  pénétré 
des  maximes  qui  avaient  dirigé  sa  conduite.  La  Compagnie  de 
Londres  était  moins  soumise,  il  est  vrai,  à  la  tutelle  de  l'Etat 
et  elle  faisait  elle-même  les  règlements  qu'elle  croyait  utiles  au 
commerce,  mais  la  concurrence  existait  encore  moins  qu'en 
l'rance.  Le  commerce  du  Ixvant  était  concentré  dans  un  plus 
petit  nombre  de  mains,  et  les  marchands  de  la  Compagnie,  tout 
en  opérant  chacun  pour  leur  propre  compte,  étaient  liés  par 
des  règles  étroites  qui  limitaient  leur  initiative.  Comme  le 
remarque  Forbonnais  dans  ses  Questions  sur  k  Commerce  du 
Iji'ant,  la  Compagnie  de  Londres,  qui  en  avait  le  monopole 
en  Angleterre,  était  intéressée  elle-même  à  ne  pas  donner  trop 
d'extension  à  ses  affaires;  elle  préférait  limiter  ses  ventes  et  ses 
achats  pour  vendre  plus  cher  ses  marchandises  en  Angleterre  et 
réaliser  autant  de  bénéfices  en  courant  moins  de  risques. 

Les  théories  des  économistes  comme  Forbonnais,  partisan  de 
la  liberté  du  commerce  et  de  l'industrie,  devaient  transformer 
le  commerce  du  Levant  comme  tous  les  autres,  mais,  en  1715, 
les  anciennes  théories  étaient  encore  en  pleine  faveur  et  c'est 
avec  l'organisation  ;\  peu  près  semblable  qu'ils  avaient  alors,  que 
les  l-rançais  et  les  Anglais  allaient  se  disputer,  au  xviii'^  siècle, 
la    prépondérance   dans   le   Levant. 


TABLE  DES   MATIÈRES 


Avant-Propos j-iij 

BlHLlOGRAPUIE V-X 

iNTKODUcnoN xj-xxxiij 

Rôle  des  Français  dans  le  Levant  au  xv»;  et  au  début  du  xvi>:  siècle.  Les 
Capitulations  de  1535,  1569,  1581  (xj-xiij).  —  Etablissement  des 
Français  dans  les  échelles,  et  des  consulats  (xiij-xv);  progrès  rapides 
de  leur  commerce  (xv-xvj)  ;  causes  de  sa  décadence  sous  Henri  III 
(xvj-xviij).  —  Relèvement  du  commerce  sous  Henri  IV  :  Savary  de 
Brèves  et  le  renouvellement  des  Capitulations  (xviij-xxj)  ;  caractère 
nouveau  de  l'alliance  turque  (xxj-xxiij);  efforts  pour  réprimer  les 
pirateries  des  Barbaresques  (xxiij-xxv)  et  des  Anglais  (xxv-xxviij)  ;  mais 
les  abus  apparaissent  (xxviij-xxxj).  Prospérité  du  commerce  (xxxj- 
xxxiij). 

LIVRE   I 
L'ANARCHIE   COMMERCIALE  (1610-1661) 1-155 

Chapitre  Premier.  —  lf.s  avanies 1-25 

Ce  que  c'était  qu'une  avanie  (1-2).  —  Causes  des  avanies  :  l'amitié  entre 
la  France  et  la  Turquie  se  refroidit  (2-5)  ;  discrédit  croissant  des  am- 
bassadeurs :  de  Sancy,  de  Césy,  de  Marcheville,  de  la  Haye  (j-S); 
progrès  de  la  corruption  et  de  la  vénalité  chez  les  Turcs  (8).  — 
Exemples  variés  d'avanies  (9-13).  —  Elles  n'étaient  parfois  que  des 
représailles  exercées  à  la  suite  des  ravages  des  corsaires  chrétiens  dans 
le  Levant  (13-17),  ou  les  Provençaux  se  les  attiraient  par  leur  mau- 
vaise foi  (17-18).  —  Echelles  qui  supportèrent  le  plus  d'avanies  (19- 
20).  —  Les  Français  eu  souffrirent  beaucoup  plus  que  les  Anglais  et 
les  Hollandais  (20-22).  —  Enormes  dettes  des  échelles  causées  par  les 
avanies  (23). 


52é 


TABLE     DES    MATIKRES 


Chapitre  II.  —  la  piraterie 

Insccuritc  des  mers  et  p;irti<:uliërement  de  ]a  Méditerranée  au  xvir  sîcclc 
(24-28).  —  Los  Barbarcsqucs  :  puissance  d'Alger  cl  iniiX)rtiincc  qu'y 
prend  h  course  (28-jo).  —  Guerre  enlre  les  Algiiriens  et  les  FrJtiyiis 
(i6oy-28)  ;  mission  de  Sunson  Napt)llon  et  paix  de  1628  (50-55).  — 
Les  hostilités  reprennent  .lussitùt  1 1629)  ;  croisières  org.iiiisics  par 
Ricticlieu  (1655-41)  ;  impuissance  de  notre  marine  aprùs  lui  (îj-î>>. 

—  Les  Tunisiens  sont  moins  redoutables  ;  cependant  les  imités  de 
16O),  1617,  sont  s.in5  cesse  violés  (35-58).  —  Politique  particulière 
suivie  par  ks  consuls  de  Marseille  à  l'égard  des  deys  de  Tunis  (58- 
41).  —  Puissance  croissante  des  «  Tripolins  »  ;  ils  ne  sont  jamais  en 
paix  avec  la  France  (41-43).  —  Les  Saletins  :  traités  de  paix  de  1650 
et  1635  avec  le  Maroc  (43).  —Pirateries  des  l'urcs  eux-mêmes  (44J. 

—  Rav.»ges  des  corsaires  chrétiens  :  des  Majorquins  (i63)-j9),  des 
.\ntlais(!6ii-54),  (.^5-47). 

CH.\PITRE   III.   —  LES   IMPOSITIONS 

Impositions  extr.iordinaircs  :  dépenses  supportées  par  le  comuicrce  y>our 
les  armements,  pour  les  négociations  avec  les  Darbausqucs  (48-30). 

—  Coitimos  et  droits  d'emr^e  et  de  sortie  sur  les  marchandises,  éta- 
blis i  Marseille  (1610-1630)  (50-51)  —  Les  impositions  dans  les 
échelles  :  le  2  0/0  des  ambassadeurs  (51-54)  ;  les  dettes  de  Ccsy  (54- 
55),  leur  liquidation  (55-57);  le  5  0/0 constitué pourles  paycrl57-6o) . 
lecottimo  de  1648  et  le  cottimo  dc&.\ngl.iis  de  1655  (60);  exactions 
des  .mibassadcurs,  de  Marchevillcet  de  la  Haye  (60-61);  impositions 
établies  pou:  le  paiement  des  dettes  produites  par  les  av.inies  (62-64). 

Impositions  royales,  établies  malgré  la  franchise  du  port  de  .Marseille 
(64-67).  Les  droits  nombreux  qui  pèsent  sur  les  étrangers  leur  font 
fuir  le  port  de  Marseille  et  causent  U  (ortunc  de  Livourne  [67-70).  — 
Politique  des  Marseillais  vis-à-vis  des  étrangers  (71)  ;  droit  de  2  0/0  du 
duc  de  Savoie  et  du  prince  de  Monaco  (72-74).  —  Droit  d'entnie  Je 
5  0/0  payé  aux  Turcs  d.ms  les  échelles  (74-75).  —  Conclusion  (761 

Chapitre  IV.  —  les  abcs  dans  les  échelles.  77  9 J 

Mauvaise  organisation  des  consulats  :  la  vénalité,  les  consuls  hcmiiers 
(78-80)  ;  leur  mau\-ais  recrutement  (81-85).  —  Nécessité  dans  la- 
quelle ils  se  trouvent  de  vivre  d'expédients  (85-86).  IK  cherchent  a 
s'enrichir  par  toutes  sort"»  de  volcries  I86-89).  —  Au  lieu  de  prot<?- 
léger  les  marchands,  ils  pratiquent  le  négoce  eux-mêmes  (89-91 1.  — 
Plaintes  inutiles  du  commerce  (91-92).  —  Mauvaise  conduite  des 
marchands  des  échelles,  leurs  jalousies  et  leurs  querelles  (92-95). 

Ch.\P1TRE  V.  —  LES  OtfAaL.\N"CES  OE   L'jlt>MlNISTRATION. 'J^  «1" 

Le  bureau  et  les  députés  du  commerce  de  Marseille  (96-97)  ;  lenr 
insutiîsance  ;   suppression  du  bureau  du  commerce,   1631  (98).— 


TABLE    DES    -MATIERES  527 

Piges 

L'administration  di)  commerce  reste  liée  à  celle  de  la  communauté 
de  Marseille  (99);  dangers  qui  en  résultent  (loo-ioi).  —  Respon- 
sabilité du  gouvernement  royal  :  les  députés  du  comrnerce  sont 
obligés  dp  s'adresser  directement  au  Conseil  pour  faire  approuver  leurs 
actes  (ipi-102)  ;  rôle  utile  n>ais  intermittent  du  parlement  de  Provence 
(  102-10})  ;  les  officiers  de  l'amirauté,  par  suite  de  leurs  querelles  avec  les 
députés  du  commerce  ne  leur  sont  pas  d'un  grand  secours  (103-104); 
services  rendus  pur  les  intendants  dés  leur  apparition  (104-105).  — 
Lenteurs  et  incompétence  du  Conseil;  la  corruption  s'y  exerce  (105- 
108).  —  Le  gouvernement  s'occupe  peu  du  commerce  avant  Richelieu 
(108-109).  —  Richelieu  s'intéresse  particulièrement  au  commerce  du 
Levant  (109-110);  rôle  du  père  Joseph  (iicvii  1)  ;  grandes  idées  de 
Richelieu  ( 1 1  i-i  1 3)  ;  mais  il  accomplit  peu  de  réformes  pratiques  (113- 
115).  —  Bienveillance  stérile  de  Mazarin  pour  le  commerce  (115-116). 

Chapitre  VI.  —  la  ruine  du  commerce  français  et  les  progrès 

DES  étrangers. ••■••. 118-135 

Progrès  du  coiiim^r^Ç  des  Anglais  et  des  Hollandais  (ii&-u9);  leur 
organis^tioti  :  les  Compagnies  de  Londres  et  d'Amsterdam  (119- 
123)  ;  les  convois  (123-124);  Livourne,  entrepôt  général  des  Anglais 
et  des  Hollandais  (124-125)  ;  Smyme,  marché  de  leurs  draps  (125- 
126)  ;  commerce  particulier  des  Hollandais  (126-127).  —  Progrès  des 
Italiens  :  les  Vénitiens  (127-128)  ;  efforts  des  Génois  pour  profiter  de 
U  ruine  des  Français  ;  commerce  de  Livourne,  de  Messine  ;  projets 
du  duc  de  Savoie  (128-130).  —  Progrès  de  la  décadence  du  com- 
merce français  à  partir  de  1620  (130-132);  ruine  de  la  marine  pro- 
vençale (133-134).  Conclusion  (135). 


LIVRE  n 

LE  RELÈVEMENT  DU    COMMERCE   (1661-1715) 1.37-352 


Chapitre  Premier.  —  colbert  et  la  réforme  des  abus 1 37-'  59 

Colbert  veiH  domiçr  au  commerce  une  forte  organisation  :  il  s'appuie 
sur  le  Conseil  (Je  commerce  ("138-139),  écoute  les  gens  d'expérience 
(139-140),  et  trouve  des  auxiliaires  habiles  et  dévoués,  d'Oppèdc, 
Arnoul,  les  intendants  Rouillé  et  Moraiit  (141-142).  —  Défiance 
de  Colbert  envers  la  Chambre  du  Commerce  de  Marseille  et  les 
Marseillais  (142-145).  Cependant  influence  croissante  de  la  Chambre 
(145-146). 
Sévères  instructions  données  à  l'ambassadeur  de  Constantinoplc,  cepen- 
dant démêlés  de  la  Chambre  avec  M.  de  Nointel  (146-148).  — 
Réforme  incomplète  des  consulats,  malgré  les  nombreux  arrêts  du 


528  TABLE    DES     MATIERES 

Page* 

Conseil  que  fit  rendre  Colbcrt  (148-15 1).  —  Réforme  de  l'admi- 
nistration des  échelles  r  l'ordonnance  de  la  marine  de  1681  (152-153)  ; 
cependant  les  abus  ne  disparaissent  pas  complètement  (  154-155  ).  — 
Réforme  des  drogmans  :  les  enfants  de  langue  (155-157).  —  Colbert 
tente  en  vain  de  réprimer  les  désordres  des  résidents  des  échelles  et 
d'empêcher  les  fraudes  dans  le  commerce  (157-159). 

Chapitre  II.  —  Le  système  commercial  de  colbert  :  I.  L'affran- 
chissement du  port  de  Marseille  et  la  liquidation  des  dettes 
du  commerce 160-177 

La  franchise  du  port  de  Marseille  n'existe  plus  (i6o-i6i).  —  Projet 
d'afifranchissement,  discussions  qu'il  soulevé  (161-164).  —  L'édit  du 
port  franc  de  mars  1669  favorise  surtout  les  étrangers  (164-165)  ;  le 
droit  de  20  0,0  et  le  monopole  de  Marseille  (165-167);  difficultés 
rencontrées  pour  la  mise  à  exécution  de  l'édit,  surtout  au  sujet  du 
20  0/0  (167-170)  ;  politique  de  Colbert  vis-à-vis  des  étrangers  (170- 
173).  —  La  liquidation  des  dettes  du  commerce  et  des  échelles  :  éta- 
blissement définitif  du  cottimo  (1669)  que  Colbert  regardait  comme 
une  imposition  provisoire  ;  lenteurs  de  la  liquidation,  inachevée  eu 
1683  (173-177)- 

Chapitre  III.  —  Le  systé.me  commercial  de  colbert  :  II.  La  com- 
pagnie du  Levant  et  la  balance  du  commerce 17S-108 

Idées  de  Colbert  sur  la  nécessité  d'une  Compagnie  (178-180).  —  Projet 
de  Compagnie  exclusive  des  Lyonnais  (180-182)  ;  la  Compagnie  de 
Chauvigny  (182)  :  formation  de  la  Compagnie  du  Levant  (1670)  et 
création  de  la  Chambre  des  assurances  de  Paris  (183-185)  ;  opérations 
de  la  Compagnie  :  elle  s'applique  à  développer  les  exportations  de 
produits  de  manufactures  (185-186)  ;  elle  a  besoin  d'un  nou\-eau 
capital  et  il  faut  la  réorganiser  en  1673  ;  découragement  de  ses 
membres  (186-189).  —  Seconde  Compagnie  du  Levant  (1678-84) 
son  organisation  et  ses  privilèges  (189-190);  elle  a  encore  moins 
desuccèsque  la  première  (191-195). —  Compagnie  de  la  Méditerranée 
établie  à  Marseille  (1685-89)  (193-194)  ;  manufactures  de  soieries 
quelle  crée  à  Marseille  (194-196)  ;  mais  diilicultés  qu'elle  éprouve 
(196-197».  —  Nouvelle  Compagnie  de  la  Méditerranée  (1689-94)  ; 
elle  ne  réussit  pas  mieux  (1981.  —  Cependant  projet  de  Compagnie 
générale  présenté  en  1698  (198-199).  —  Causes  des  échecs  des 
Compagnies  (i  09-21x11. 

Idées  de  Colbert  sur  la  balance  du  commerce  et  l'exportation  de  l'argent 
(201-2021;  Colbert  cherche  à  empêcher  le  commerce  des  piastres 
d'I'sp.ignc;  sévérité  regrettable  qu'il  montra  (202-204).  —  Amélio- 
r.ition  des  manulacturcs  de  draps  (204-207)  et  projets  de  manufactures 
des  Prûvcn.,-aux  (207-20S). 


TABLE     DES   MATIERES  529 

Pages 

Chapitre   IV.  —   le   renouvellement   des  capitulations   et  la 

LUTTE  contre  LES  BARBARESaUES 209-2^9 

Changement  de  politique  vis-à-vis  des  Turcs  conseillé  par  Colbert  (209- 
210)  ;  ambassade  de  M.  de  la  Haye  le  fils  (1665)  ;  il  échoue  coniplé- 
tcment  ;  la  brouille  s'aggrave  entre  la  France  la  Porte  ;  mission  de 
Soliman  aga  en  France  (1669)  (210-211)  ;  cependant  ambassade  de 
M.  de  Nointel  (1670)  et  négociations  pour  le  renouvellement  des  Capi- 
tulations (211-215);  les  Capitulations  de  1673  (215-216);  les  relations 
restent  tendues  avec  la  Porte  :  M.  de  Guilleragues  et  l'affaire  de 
Chio  (216-217)  '  elles  s'améliorent  définitivement  après  1683  (217  218). 

Colbert  veut  établir  le  système  des  convois  et  des  escortes  ;  il  est  mal 
accueilli;  on  y  renonce  (219-221)  ;  organisation  des  croisières  (221- 
223).  —  Projets  de  destruction  des  Barbaresques  ;  cependant  négo- 
ciations avec  les  Algériens  et  traité  de  1666  (223-224)  ;  paix  de  1665 
avec  les  Tunisiens,  elle  est  mal  observée  (225);  guerre  contre  Salé, 
contre  Tripoh  (1661-81)  (225-227). —  Nouveaux  projets  de  destruc- 
tion des  Barbaresques  ;  guerre  contre  Alger  (1681-84):  bombarde- 
ments de  1682  et  1683  (227-229)  ;  nouvelle  guerre  contre  Tripoli 
(1682-85),  contre  Tunis  (1681-85)  (229-230).  —  Pai*  générale  en 
1685,  mais  elle  n'est  pas  respectée;  bombardements  de  1688  ;  nou- 
velle paix  avec  Alger  (1689)  (230-232);  nouvelle  politique  vis-à-vis 
des  Barbaresques  (252-233).  —  Ravages  des  corsaires  Majorquins 
pendant  la  guerre  de  Hollande  (233-235). 

Résultats  de  l'oeuvre  de  Colbert  :  progrès  lents  du  commerce  (235-239). 

Chapitre  V.  —  les  .années  ue  prospérité  (1683-1701):  I.  L'achè- 
vement de  l'œuvre  de  Colbert  par  Seignelatj  et  Pontchartrain.  240-268 

Seignelay  et  ses  auxiliaires  (240-242).  —  Dernières  querelles  et  récon- 
ciliation définhive  de  la  Chambre  du  commerce  avec  l'ambassadeur 
à  Constantinople  (242-244).  —  Seignelay  accorde  à  la  Compagnie  de 
la  Méditerranée  la  ferme  des  consulats  :  nouveaux  abus  des  consuls 
soutenus  par  le  ministre  (244-246)  ;  cependant  Seignelay  s'efforça  de 
réformer  l'administration  des  échelles  :  mission  de  Dortières  dans  le 
Levant  (1685-87)  (246-247).  —  Achèvement  de  la  liquidation  des 
dettes  et  règlement  du  25  décembre  1685  pour  en  prévenir  le  retour 
(248-250);  réduction  du  cottimo  en  1686  (250-251).  —  Arrêts  du 
15  août  1685  et  du  3  juillet  1692  pour  empêcher  l'introduction  en 
France  des  marchandises  du  Levant  transportées  par  les  étrangers 
(251-252).  —  Interdition  aux  capitaines  de  transporter  des  marchan- 
dises pour  le  compte  des  étrangers  et  de  prêter  leur  nom  aux  étran- 
gers (253-255);  même  défense  aux  marchands  français  d'Egypte 
(255-256);  mesures  malheureuses  dirigées  contre  les  étrangers  qui 
se  servaient  du  pavillon  français  (256-257). 

Prépondérance  du  rôle  de  la  Chambre  pendant  le  ministère  de  Pontchar- 

34 


530  TABLE    DES     MATIERES 

Pages 

train  (258-261)  ;  en  même  temps  grandit  le  rôle  des  intendants  de 
Provence  :  Lebret  inspecteur  du  commerce  du  Levant  (361-262).  — 
Réforme  définitive  des  consulatïi  par  Pontchartrain  ;  le  droit  de  ton- 
nelage  (262-265)  ;  réforme  des  chancelleries  (265-266)  —  Choix  du 
personnel  des  consulats  (266-268). 

Chapitre  VI.  —  les  années  de  prospérité  :   II.  Les  abus  de  la 

réglementalion  et  les  prohibitions 269-285 

Ordonnances  du  21  octobre  1685  et  du  3  novembre  1700  au  sujet  de  la 
résidence  datis  le  Levant  (269-270)  ;  ordonnance  du  j  août  1685 
interdisant  aux  matelots  de  vendre  et  d'acheter  directement  aux  Turcs 
(270-271)  ;  le  règlement  du  tour  pour  les  navires  (271-273)  ;  contrainte 
exercée  pour  restreindre  la  concurrence  entre  les  marchands  des  échelles 
(273-274)  — Règlements  concernant  les  manufactures:  l'inspection 
des  draps  à  Marseille  et  à  Montpellier  (274-277).  —  Tarifs  prohibitifs 
et  prohibitions  établies  pour  empêcher  l'introduction  de  diverses 
marchandises  étrangères  :  toiles  de  coton,  cotons  filés,  bourres  de 
soie  et  de  coton,  toiles  de  lin  (277-279).  —  Système  des  entrepôts 
(279-282).  —  Nouvelles  prohibitions  pendant  la  guerre  de  la  Ligue 
d'Augsbourg  (282).  —  La  franchise  du  port  de  Marseille  n'existe 
plus.  —  Projet  de  la  rétablir  (283-285). 

Chapitre  VIL  —  les  années  ue  prospérité  :  III.  Les  progrès  du 

commerce 286-306 

Progrès  du  commerce  de  1688  à  1694  (286).  —  Avantages  obtenus  par 
l'ambassadeur  Girardin  pour  le  commerce  avec  l'Egj'ptc  ;  ses  autres 
négociations  pour  l'extension  de  notre  commerce  (286-289). —  L'essor 
du  commerce  est  arrêté  par  la  guerre  de  la  Ligue  d'.-Vugsbourg  qui 
parut  au  début  le  favoriser  (289-290)  ;  elle  suscite  une  nouvelle 
rupture  avec  les  Tripolins  en  1692-93  (290-291)  ;  r.ivages  des  cor- 
saires Plessinguois  et  Anglais;  les  croisières  organisées  par  Pontchar- 
train (291-294).  — Arrêt  dans  la  progression  du  commerce  de  1694  à 
1697  (294),  mais  activité  très  grande  après  la  paix,  de  1698  à  1701 
(295-296)  ;  prospérité  des  manufactures  de  drap  pour  le  Levant 
(296-297)  :  les  manufactures  du  Languedoc  (298)  ;  activité  des  indus- 
tries marseillaises  (298-299).  —  Le  commerce  français  s'est  relevé 
malgré  la  concurrence  ardente  des  Hollandais  et  surtout  des  Anglais 
(300)  ;  efforts  des  Anglais  pour  s'emparer  du  commerce  de  l'Egypte 
(301-302)  ;  concurrence  faite  par  les  Juifs  à  .\lep  et  i  Alexandrie 
(305-304)  ;  situation  comparée  des  Français,  des  Anglais  et  des  Hol- 
landais en  1700  (305-306). 

Chapitre  VIII.  —  la  crise  (1701-1715):   I.  Les  réformes  et  les 

projets  de  Chamillart  et  de  Jérôme  Pontchartrain 307-531 

Idée  générale  sur  la  période  de   1701  à  1715  (307-308).  —  Principales 


TABLE    DES    MATIERES  53 1 

Pages 
innovations  do  Pontchartrain  et  de  Chamillart  :  création  du  conseil 
de  commerce;  les  Fabre  délégués  de  Marseille  (}o8-509)  ;  mémoires 
présentés  par  les  délégués  des  villes  :  les  villes  du  Ponant,  le  Lan- 
guedoc, Toulon,  réclament  l'abolition  du  monopole  de  Marseille  ; 
après  de  longues  contestations,  les  Marseillais  triomphent  de  cette 
coalition  (309-318)  ;  l'arrêt  du  10  juillet  1703  confirme  leurs  privi- 
lèges et  rétablit  la  franchise  du  port  (518-319)  ;  les  entreprises  des 
autres  villes  contre  Marseille  continuent  (320-321)  ;  de  son  côté  la 
Chambre  du  commerce  veille  jalousement  au  maintien  du  monopole 
(321-322)  ;  celui-ci  est  en  effet  maintenu  au  xvjii'  siècle  (322).  — 
Pontchartrain  se  préoccupe  aussi  des  désordres  qui  renaissent  dans  les 
échelles:  mission  (1706)  et  règlements  de  M.  de  Gastines  (322-323), 

Projets  au  sujet  de  la  mer  Rouge  et  de  l'Ethiopie  (323-325)  ;  échec  de 
la  mission  de  du  Roule  (1703-1705  (325-326).  —  Efforts  du  gouver- 
nement de  Louis  XIV  pour  ouvrir  la  Perse  Ha  commerce  français 
(326-328)  ;  mission  deJ.-B.  Fabre  et  de  Michel  en  Perse  (1705-1710) 
(328-529)  ;  ambassade  persane  en  France  (1714-1715)  (329-330). 

—  Etablissement  d'un  consul  à  Jérusalem  (330). —  Missions  scienti- 
fiques envoyées  dans  le  Levant  (330-331). 

Chapitre  IX.  —  la  crise  :  II.  Les  maux  de  la  guerre  de  suc- 
cession   332-352 

Les  faveurs  obtenues  par  les  marchands  français  en  Espagne  ne  profitent 
pas  longtemps  au  commerce  du  Levant  (352-333).  —  Le  commerce 
souffre  de  la  rareté  des  piastres  (333-334).  —  Arrêt  des  transactions 
causé  par  la  guerre  (354-355).  —  Mauvais  effet  des  expédients  finan- 
ciers de  Chamillart  :  édits  sur  les  monnaies,  billets  de  monnaie  (335- 
336)  ;  créations  d'offices  (556-337).  —  Mais  surtout  la  marine 
royale  est  impuissante  à  protéger  la  navigation  contre  les  marines  et 
les  corsaires  ennemis  :  les  convois,  les  croisières,  les  suspensions  de 
la  navigation,  les  transports  faits  parles  navires  de  guerre  (337-343). 

—  Trouble  profond  du  commerce  français  (545-545);  les  Livournais, 
les  Vénitiens,  les  Génois  en  profitent  (345)  ;  les  étrangers  abandon- 
nent la  protection  du  pavillon  français  (345-546)  ;  dettes  de  la 
Chambre  et  des  échelles  (546-547). 

III.  —  La  reprise  des  affaires.  —  Les  traités  d'Utrccht  ne  portent  pas 
atteinte  au  commerce  du  Ix:vant  (547-349).  —  Les  Marseillais 
peuvent  reprendre  immédiatement  leur  trafic  (349-550)  ;  leur  préci- 
pitation cause  une  crise  passagère  en  1715  (550-551)  ,  le  commerce 
du  Levant  reste  ensuite  plus  actif  que  jamais  (551-552). 


532  TABLE    DES    MATIERES 


LIVRE    III 


Page» 


TABLEAU    DU    COMMERCE    DU    LEVANT    A    LA    FIN    DU 

X\'lh  SIÈCLE 355-524 

Chapitre  premier.  —  les  ports  français  et  le  commerce  du  levant  .   5  5  5-370 

Marseille  :  agrandissement  de  la  ville,  amélioration  du  port,  l'arsenal 
des  galères,  curage  du  port  (555-358);  construction  du  Lazaret  et 
travaux  aux  îles  (559-560).  —  Tous  les  Marseillais  participent  au 
commerce  du  Levant  (560-561);  industries  marseillaises  (561-365).  — 
Marseille  était  devenue  aussi  le  grand  port  d'armement  de  la  Pro- 
vence (565-565).  —  Toulon  essaie  en  vain  de  rivaliser  avec  Marseille 
(565-67).  —  Les  ports  du  Languedoc:  Agde  et  Cette  (567-568).  — 
Rôle  des  ports  du  Ponant:  ils  n'ont  jamais  participé  qu'indirectement 
au  commerce  du  Levant;  transports  faits  parles  Malouins  (569-370). 

Chapitre  II.  —  les  échelles  du  lev.wt  :  I.  La  Syrie 371-596 

Alep  :  décadence  de  son  commerce  (571-575)  ;  les  caravanes  de  la  Perse 
et  leurs  routes  (575-378)  ;  la  ville  et  la  nation  française  (578-579)  ; 
.\lexandrette  port  d'.\lep  (579-581).  —  Tripoli  de  Syrie  (581-582).  — 
Scïdc  (382-586)  et  Damas  (586-587).  —  Barut  (387-589)  ;  Acre 
(589-590)  ;  Rame  et  Jaffii  (591-592).  —  Consulat  de  Jérusalem 
(592-393)-  —  Chypre  (595-595)  ;  Satalie  (595-596). 

Chapitre  III.  —  les  échelles  du  lev.wt  :  II.  L'Egypte 397-415 

Décadence  de  l'Egypte  (597).  —  Le  Caire  :  histoire  troublée  de  l'échelle 
(598-40<i)  ;  rivalités  des  nations  européennes  (400-402)  ;  la  nation 
française  en  1700  (402-405).  —  Les  ports  du  Caire  :  Alexandrie  et 
les  Biquiers  (405-406)  ;  Rosette  (406-407)  ;  Damiette  (407-408).  — 
Valeur  du  commerce  français  :  les  caravanaires  (409)  ;  marchandises 
d"Egypte  ;  le  commerce  de  la  mer  Rouge  :  Moka,  Gidda,  Suez 
(409-415)  ;  importance  du  café  (415-415). 

Chapitre  IV.  —  les  échelles  du  lev.\nt  :  III.  Anatolie,  Archipel, 

Tiinpiic  d'Europe,  Morde 416-444 

Sniyrnc  supplante  .\lep  dans  la  première  partie  du  xvin  siècle  (416-417); 
la  rue  des  l'rancs  (417-418)  ;  la  nation  française  (418)  ;  commerce  de 
Smyrne  :  les  caravanes  de  Perse,  rôle  des  Arméniens  (419-421)  ; 
m.xrchandisos  de  l'.Vnatolie  (421-422).  —  F.chelle  neuve,  Chio  (425- 
424).  —  Consulats  de  l'Archipel  et  commerce  des  îles  (425-429).  — 
Candie  (429-451).  —  Constantinople  (451-454);  Gallipoli  et  les  Dar- 
danelles (454).  —  Salonique  et  ses  dépendances  (435-436).  —  La 


TABLE   DES    MATIERES  533 

Pages 

Cavallc  (436).  —  K(igrcpont,  Athènes  (437-438).  —  Echelles  de 
MoriL-e  :  Napoli  de  Romanle,  Cerigo,  Coron,  Modon,  Patras  (438- 
440).  —  Iles  Ioniennes  :  Zante  (440),  —  Consulats  de  Larta  et 
Durazzo  441-443). 

Chapitre  V.  —  la  vie  dans  les  échelles  a  la  fin  du  xvii":  siècle.  .  445-474 

Les  consuls  :  leurs  attributions  (445-447)  ;  leur  train  de  maison  et  leurs 
dépenses  (447-450);  leurs  droits  de  consulat  et  leurs  appointements 
(450-451).  —  Les  assemblées  et  les  députés  de  la  nation  (451-453). 

—  Les  chanceliers  et  les  drogmans  (453-455).  —  Les  religieux,  cha- 
pelains du  consul  et  curés  de  la  nation  ;  leurs  rivalités  ;  progrés  des 
jésuites  (455-459).  —  Les  résidents  des  échelles:  marchands  et  arti- 
sans (459-460);  règlements  au  sujet  de  la  résidence  des  femmes; 
les  mariages  dans  les  échelles  (460-463)  ;  habitations  des  résidents  : 
les  camps  et  les  contrées  (463-467);  vie  large  et  facile  des  échelles 
(467-468)  ;  le  costume  (468-469)  ;  les  divertissements  et  les  fêtes 
(470-473). 

Chapitre  VI.  —  les  usages  de  la  n.wig.^tion  et  du  commerce 475-502 

Différentes  sortes  de  navires  employés  au  commerce  du  Levant  (475- 
477).  —  Les  marins  provençaux  (477-479).  —  Les  affrètements, 
cherté  du  fret  (479-480).  —  Les  assurances  maritimes  (481-483).  — 
Les  courtiers  ou  censaux  (483-484).  —  Visites  des  officiers  de 
l'amirauté  :  congés  et  passeports  (484-486).  —  Valeur  des  cargaisons 
(487).  —  Routes  suivies  par  les  navires  (487-488).  —  Leur  arrivée 
aux  échelles  (488-489).  —  Les  coagis  ou  commissionnaires  français 
(489-490).  —  Les  courtiers  juifs  ou  arméniens  (490-492).  —  Monnaies 
usitées  dans  les  échelles  ;  les  différentes  sortes  de  piastres  (492-497). 

—  Retour  des  navires  :  les  quarantaines  (497-502) 

Chapitre  VII.  —  les  articles  du  co.mmerce 503-524 

Articles  d'importation  :  matières  brutes  destinées  à  l'industrie,  cotons, 
soies,  laines,  cuirs,  cires,  etc.  (503-504)  ;  denrées  alimentaires  :  cafés, 
huiles,  blés  (504-505);  drogueries  (505-506);  curiosités  du  Levant 
(506-507).  —  Les  débouchés  des  produits  du  Levant  :  l'industrie  mar- 
seillaise et  provençale  ;  Lyon,  le  Languedoc,  Nantes,  Rouen,  Dun- 
kerque  (508-509)  ;  l'Espagne,  l'Italie  (509-510)  ;  la  Suisse  et  l'Alle- 
magne :  le  transit  du  Rhône  (51 1-5 13)  ;  insuffisance  de  ces  débouchés 
(513-514).  —  Articles  d'exportation:  les  draps  et  autres  étoff'cs 
(514-516),  les  papiers,  les  métaux  bruts  et  travaillés  (516-517).  — 
Denrées  alimentaires  (517-518). 

Conclusion 520-524 


APPENDICE 


I.  —  Note  sur  l'organisation  et  le  fonctionnement  de  la  Chambre 
du  commerce  de  Marseille 

La  Chambre  du  commerce  fut  crC-ée  par  le  «  Bureau  »  du  24  avril  1650,  mais 
son  organisation  ne  fut  définitivement  réglée  qu'au  Conseil  de  l'authorie  •  »  du  13 
novembre  1650.  Dés  lors  la  Chambre  ne  cessa  de  fonctionner  régulièrement,  sauf 
une  interruption  de  quelques  mois  causée  par  les  troubles  de  Marseille  :  suppri- 
mée par  le  Conseil  de  ville  du  27  octobre  1659,  elle  fut  rétablie  par  des  lettres 
patentes  de  mars  1660  et  réorganisée  le  16  août  1660*. 

Nom.  —  Le  nom  de  Chambre  du  commerce  apparaît  dès  le  début  :  «  Or  et  sera 
la  Chambre  du  commerce  composée  de  douze  personnes  »,  dit  le  règlement  du 
13  novembre  1650.  «  II  a  plu  au  roi,  par  ses  lettres  patentes  données  en  mars 
dernier,  ordonner  le  rétablissement  de  la  Chambre  du  commerce  »,  lit-on  dans  le 
procès-verbal  de  la  séance  de  la  Chambre  du  16  août  1660.  Cependant  on  la 
désigna  plutôt,  pendant  longtemps,  sous  le  nom  de  «  Bureau  du  commerce  n, 
tandis  que  le  nom  de  Chambre  s'appliquait  au  local  où  elle  se  réunissait.  Sur  les 
registres  des  Délibérations  le  secrétaire  écrivait  en  tête  de  chaque  procès-verbal  : 
«  Bureau  tenu  dans  la  Chambre  du  commerce  de  l'hôtel  de  cette  ville  »,  et  ses 
membres  étaient  appelés  «  Messieurs  du  bureau  ^.  »  Ces  deux  termes  n'étaient 
d'ailleurs  employés  qu'à  Marseille  ;  dans  les  lettres  venues  de  la  Cour,  des  échelles, 
dans  les  arrêts  du  Conseil,  les  ordonnances  et  édits  ros'aux,  la  Chambre  est  tou- 
jours désignée  par  ces  mots  :  «  Messieurs  les  échevins  et  députés  du  commerce 
de  Marseille.  »  Les  lettres  patentes  du  13  août  1751  qui  la  réorganisèrent  disent 
encore  :  «  et  continuera  ladite  Chambre  de  s'appeller  et  intituler  :  les  échevins  et 
députés  du   commerce  de  Marseille.  »  —  Cependant   le  nom   de  Chambre  du 

(i)  Le  Ginseil  de  rauthorio  (autoric,  actorie,  .-lutoirc,  authoirie)  se  réunissait  tous  les  ans 
du  to  au  15  novembre,  peu  après  le  Conseil  de  la  Saint-Simon  et  Saint-Jude  (a8  octobre), 
où  l'on  faisait  la  création  du  «  nouvel  ét;it  »,  c'eM-a-dire  l'élection  des  consuls  et  du  conseil 
de  ville.  Sous  la  présidence  des  nouveaux  consuls,  le  conseil  procéd.iit  à  la  nomination  des 
différents  officiers  au  service  de  la  ville.  Ainsi  le  bureau  des  vingt-quatre  qui  expédiait  les 
affaires  courantes,  les  députes  du  commerce,  y  étaient  choisis. 

(2)  V.  BB,  1.  1(1  iioiU  IdliO. 

(})  Pour  la  première  fois  .iu  procès-verbal  du  14  .loût  1653. 


ri 


APPENDICE 


commerce  devint  peu  d  peu  courant.  A  partir  du  quatrième  registre  de  dciik-n- 
tions  '  apparaît  une  nouvelle  formule  du  secrc-taire  :  «  Bureau  tenu  par  la  Ciurn- 
bre  du  commerce  en  rhotcl-de-ville,  »  ou  o  Bureau  de  la  Chambre  du  commerire  ». 
et  le  même  nom  est  employé  fréquemment  dans  les  corrcspttndances  de  la  Cour 
et  des  éclielles  vers  la  même  époque.  Enfin,  à  partir  du  36  septembre  1711  le 
secrétaire  écrit  définitivement  :  Cliambrc  de  Commerce. 

Composition.  —  La  composition  delaOïambre,  réglée  le  ij  novembre  1650, 
ne  changea  plus  jusqu'en  17^0,  sauf  le  remplacement  des  consuls  par  les  échcvins 
qui  furent  mis  à  la  tète  du  corps  de  ville  en  1660.  Les  trois  consuls  Jevaietu  pré- 
sider la  Chambre  et  étaient  chargés  d'.issurer  l'exécution  de  ses  décisions,  mais  ils 
n'en  étaient  pas  considérés  comme  membres  :  le  règlement  du  15  novembre  1650 
déclare  qu'elle  sera  composée  de  douse  personnes,  les  quatre  députes  ci  huit  des 
plus  intéressés  du  commerce  ;  l'article  qui  établit  que,  si  le  partage  des  douze  voit 
se  fait  également,  «  les  consuls  ordonneront  à  leur  volonté,  »  montre  qu'ils  ne 
votaient  pas  avec  les  autres  membres  ;  enfin,  dans  les  réunions,  ce  n'étaient  pas  les 
consuls  qui  prenaient  la  parole  et  dirigeaient  les  délibérations,  mais  les  députés  du 
commerce,  vrais  chefs  du  nouveau  corps.  Après  1660  les  échevins  et  leur  atses- 
seur  remplacent  les  consuls  et  jouent  le  même  rûle.  Hu  1677,  les  échcvins  essayè- 
rent de  prendre  la  direction  effective  de  la  Chambre  :  «  Le  premier  cchcvin  Prai 
représente,  lit-on  dans  le  procès-verbal  du  6  mai  1677,  que,  depuis  Je  longues 
années,  il  s'était  glissé  un  abus  préjudiciable  au  chaperon,  en  ce  que.  au  préjudice 
du  règlement  de  la  Chambre,  les  sieurs  députés  du  commerce  avaient  usurpi  la 
présidence  dans  les  Bureaux  et  Assemblées,  en  telle  sorte  que  les  échcvins  n'étaient, 
il  semble,  que  pour  autoriser  les  bureaux,  et  comme  cela  choquait  le  sens  commun 
ils  firent  représenter  le  règlement  de  ladite  Chambre,  l'un  en  l'année  1650,  â 
l'article  4  duquel,  entre  autres,  il  est  dit  que  Messieurs  les  consuls  y  prcsiJcronl  et 
en  leur  absence  lesdits  députés.  Et  par  le  nouveau  règlement  fait  par  le  roi  ea 
1660  il  est  ordonné  en  l'article  28  que  les  sieurs  échevins  pourront  nommer  et 
proposer  au  conseil  de  ville  tel  nombre  de  personnes  qu'ils  trouveront  a  pmpos 
pour  composer  la  Chambre  du  commerce  lesquelles  seront  approuvées  par  le 
Conseil  et  ne  pourront  s'assembler  et  délibérer  qu'eri  présence  des  nouveaux  et 
anciens  échcvins  et  assesseurs,  si  bien  qu'ayant  voulu  remontrer  aux  dits  députa 
de  vouloir  désister  de  cette  présidence,  puisque  par  les  règlements  elle  «t  attribuât 
aux  sieurs  échevins,  ils  ont  abandonné  les  affaires  du  commerce  et  désisté  détenir 
les  bureaux  nonobstant  qu'ils  les  aient  souvente  fois  envoyé  quérir  par  billets  à  ta 

manière  accoutumée Afin  que  rien  ne  périclite  ils  ont  .issemblé  le   Conseil 

de  ville  le  17  courant,  a  été  résolu  qu'on  signifierait  aux  députés  de  venir,  ûnon 
les  actes  seraient  signés  par  deux  conseillers  et  auraient  même  valeur  ...  »  Mais  les 
députés  ne  voulurent  pas  accepter  ce  qu'ils  considéraient  de  leur  côté  comme  une 
usurp;ition  ;  ils  persistèrent  .i  s'abstenir  de  paraître  aux  séances  jusqu'4  U  lîn  de 
l'année  et  les  nouveaux  échevins  durent  céder*. 

Les  quatre  députés  du  commerce    restaient  en   charge  dcnx  ans   et   étaient 


(1)  BB,  4.  Commencé  le  7  janvier  t6&4. 

(j)  Il  y  «viil  Ai\i  eu  une  coniesution  analogue  en  1657  '°^™  '**  f<'"»uls  «t  lo  4*|>«- 
t^s;ccu»-ci  l'abiiinrent  de  (uraltrc  auK  té<nc«,  (iu  t"  janvier  i6}7  jm  K  juin. —  BB,  I. 


APPENDICE  m 

renouvelés  chaque  année  par  moitié  :  il  y  avait  deux  députés  «  anciens  »  et  deux 
«  modernes,  »  dont  l'autorité  était  d'ailleurs  la  même  ;  on  les  élisait  au  Conseil 
de  l'authorie.  Les  députés  étaient  choisis  parmi  les  meilleures  familles  de  négociants, 
beaucoup  devenaient  ensuite  échevins  :  en  1672,  un  député  en  fonctions  ayant 
été  élu  premier  échevin,  le  Conseil  de  ville  décida,  en  s'appuyant  sur  l'article  xiii 
du  Règlement  du  sort,  qu'il  pouvait  exercer  la  charge  de  député  avec  celle 
d'échevin'.  Mais  un  ancien  échevin  considérait  comme  une  déchéance  d'être  élu 
député,  ainsi  que  le  montre  une  curieuse  lettre  de  l'intendant  Lebret  :  «  J'entre 
dans  les  raisons  que  vous  avez  eues,  Monsieur,  de  ne  pas  accepter  la  charge  de 
second  député  du  commerce  de  votre  ville  après  lavoir  remplie  il  y  a  douze  ou 
quinze  ans  et  avoir  été  élu  depuis  second  échevin  ;  on  n'a  pas  eu  les  égards  qu'on 
vous  devait  en  vous  nommant  une  seconde  fois  pour  le  même  emploi  et  selon 
toute  sorte  de  raison  et  de  justice  vous  ne  pouviez  plus  être  nommé  que  pour  la 
première  charge  ;  néanmoins  comme  je  suis  informé  par  bien  des  endroits  de  votre 
probité,  sagesse  et  expérience,  j'ai  cru  que  pour  rendre  un  bon  office  à  votre  ville, 
je  devais  vous  engager  à  passer  par  dessus  ces  motifs*.  » 

Les  huit  membres  du  bureau  qui  composaient  la  Chambre  avec  les  députés 
devaient  être  élus,  d'après  le  règlement  de  1650  «dans  le  premier  bureau»  qui 
suivrait  le  Conseil  de  l'authorie  ;  »  mais,  à  partir  de  1660,  ils  furent  nommés 
comme  les  députés  eux-mêmes  au  Conseil  de  l'authorie.  Ils  étaient  désignés  au 
choix  du  Conseil  par  les  échevins  et  devaient  étie  pris  parmi  les  «  plus  intéressés 
et  capables  au  fait  du  négoce.  »  On  leur  donnait  le  nom  de  conseillers. 

Séances  de  la  Chambre.  —  Les  séances  de  la  Chambre  se  tinrent  toujours  à 
l'Hôtel  de  Ville  dans  la  «  Chambre  attenant  à  la  grande  salle  de  la  Loge.  »  Le 
règlement  de  1650  décidait  que  «  la  Chambre  s'assemblerait  deux  fois  la  semaine 
et  davantage,  si  besoin  était,  »  mais  il  ne  fut  jamais  appliqué,  sauf  peut-être  au 
début  :  du  20  novembre  1652  au  i«f  janvier  165?  figurent,  en  effet,  huit  séances 
consignées  dans  le  premier  registre  de  délibérations  qui  soit  conservé  aux  archives 
de  la  Chambre.  Mais,  en  165  5,  la  Chambre  ne  se  réunit  que  58  fois,  21  en  1654  ; 
le  nombre  des  séances  s'élève  il  est  vrai  à  60  en  1655.  La  fréquence  des  réunions 
varia  énormément  d'une  année  à  l'autre,  suivant  les  besoins  des  affaires  et  le 
zèle  des  échevins  et  des  députés  qui  convoquaient  la  Chambre,  mais  elles  n'eurent 
jamais  lieu  régulièrement,  bien  qu'.i  plusieurs  reprises  laChambre  eiit  décidé  de  se 
réunir  une  fois  par  semaine  et  plus  s'il  le  fallait.  Cependant,  à  chaque  renouvel- 
lement, elle  fixait,  une  fois  pour  toutes,  un  jour  de  la  semaine  pour  ses  réunions  : 
c'était  ordinairement  le  jeudi  ou  le  vendredi.  Comme  les  séances  n'étaient  pas 
régulières,  les  échevins  prévenaient  les  membres  par  des  billets  de  convocation  ; 
mais,  bien  qu'ils  fussent  avertis,  ceux-ci  ne  montraient  pas  une  bien  grande 
assiduité.  Il  est  rare  que  les  procès-verbaux  mentionnent  la  présence  de  tous  les 
assistants;  presque  toujours  il  manquait  à  Li  lois  l'un  des  consuls,  des  députés  et 
plusieurs  des  conseillers.  Souvent  les  registres  montrent  que  l'assemblée  dut  être 
renvoyée  faute  d"être  en  nombre  pour  délibérer,  car  le  règlement  de  1650   avait 

(i)  BB,  3.  4  noi.emhr;  IGTi. 

(2)  Séance  de  la  Chambre  du  4  mars  1688.  —  Lettre  de  Lebret  du  2S  février. 

(3)  Il  s'agit  du  bureau  des  24,  crée  chaque  année  pour  traiter  les  affaires  courantes  et  éviter 
des  réunions  trop  fréquentes  du  Conseil  de  ville. 


J\  APPETÎDICE 

sagement  t'tnbli  qu'on  «  ne  pourr.iit  faire  écrire  les  diîlîbtnliom  qu'il  n'y  eût  $cpt 
personnes,  a  Les  réunions  ordinaires  Ju  Bureau  servaient  A  rcxpiidition  dc$ 
alTaircs  couranies,  mais  toutes  les  fois  qu'il  se  présentait  une  difficulté  i  résoudre, 
une  afîuirc  importante  à  tranclier,  qu'il  fallait  ilresscr  des  mémoires  pour  l.i  cour, 
créer  des  impositions,  faire  des  règlements  pour  les  échelles  ou  l.i  navigation,  la 
Chambre,  dans  ses  Bureaux,  se  bornait  à  étudier  les  questions  et  en  référait  i  une 
assemblée  pour  les  décider. 

Pour  ces  assemblées  les  échcvins  convoquaient  par  billets  un  certain  tiombrede 
notables  négociants  qui  s'adjoignaient  aux  membres  du  bureau  et  donnaient  plus 
d'autorité  aux  décisions  de  la  Chambre  Enfin,  si  les  circonstances  l'exigeaient,  li 
Chauîbre  renvoyait  la  décision  A  prendre  à  une  assemblée  générale  ou  extraordi- 
naire pour  laquelle  elle  envoyait  aussi  des  billets  de  convocation  aux  principaux 
négociants'  ;  chaque  année  il  y  en  avait  une  ou  plusieurs*  et  les  as&cmblécs 
ordinaires  étaient  fréquences.  Malgré  l'importance  des  affaires  qui  y  étaient  traitéts 
les  négociants  montraient  beaucoup  d'jnJifférence  A  s'y  rendre  et  ces  iisscmbléc* 
étaient  rarement  fort  nombreuses  :  on  en  trouve  où  le  procés-vcrbal  énumtre 
plus  de  loo  assistants  et  renonce  ;\  nommer  tous  les  autres  i  cause  de  la  foule  ; 
mais,  la  plupart  du  temps,  quelques  négociants,  les  plus  considérables  il  est  vr«i, 
répondaient  aux  convocations'*.  En  1662,  pour  une  assemblée  qui  devait  être 
présidée  par  le  duc  de  Mercœur,  gouverneur  de  Provence,  200  billets  avaient  été 
lancés  par  le  secrétaire  de  la  Chambre,  il  vint  16  assistants.  On  constate  donc,  dès 
le  xvii«  siècle,  cet  e.\traordinaire  détachement  des  négociants  pour  les  aHiiircs 
générales  du  commerce  que  l'on  remarque  encore  aujourd'hui  pour  les  élections 
des  Chambres  et  surtout  des  Tribunaux  de  Commerce.  Connaissant  les  dispositions 
des  négociants,  la  Chambre  avait  parfois  recours  &  un  lutre  procédii  quaad  clic 
voulait  avoir  l'avis  d'un  grand  nombre  d'entre  eux,  cite  les  convoquait  par  petits 
groupes  plusieurs  journées  de  suite  comme  on  le  vit  en  1666  et  1669  pour  pré- 
parer des  mémoires  au  roi  sur  la  fameuse  question  delà  franchise  du  port. 

Ainsi  donc,  si  la  Chambre  était  déléguée  pur  le  corps  des  marchands  pour 
diriger  les  affaires  du  commerce,  elle  restait  eu  relation  consbintc  avec  lui,  et 
c'était  endéfinitis-e  r.issen'.blé-c  des  marchands  elle-même  qui  conservait  la  défense 
de  SCS  intérêts.  A  I.1  fui  du  xviii;  siècle  les  bureaux  de  la  Ch.imbrc  et  les  aslcm- 
blées  se  réunirent  de  plus  en  plus  fréquemment  en  présence  de  l'intendant 
chargé  de  l'inspection  du  commerce  qui  devait  «  homologuer  ses  délibératioits 
pour  les  rendre  exécutoires.  Plus  tard  le  règlement  de  17s  l  institua  l'iiupccteur 
du  commerce,  chef  et  président  de  la  Chambre  ;  mais  jusqu'en  1715,  sauf  quand 
l'intendant  était  chargé  par  le  ministre  de  lui  faire  une  communication,  la 
Chambre,  même  en  sa  présence,  tenait  ses  séances  dans  la  forme  ordinaire. 
Q.uant  au  subdélégué,  dont  l'office  avait  été  créé  par  un  édit  d'avril  1704  et  qui 
prétendait  avoir  le  droit  d'assister  i  toutes  les  assemblée»  en  l'absciKc  de  t'inten- 

(t)  Parfois  tous  tes  ncgocijinti  éiaieiii  convoauis  en  bloc.  Souvent  cti  aiscniblrci  ginénlo 
se  tciiiicat  en  Jcliors  Je  l'Hotcl  de  Ville  :  «  ious  négociants  et  iratiqiiants  $00:  cooroogé» 
pour  se  trouver  au  rd'ectoirc  des  Prèclieuri  i  2  beutes  après  midi.  •  1"  m/rU  JC5S,  BB,  i. 

(])  6en  16;],  2  en  i6;4,  1  eu  i6;j,  etc. 

(i)  On  compte  60,  16.  2$,  ti  assistants  aux  assemblées  générales  de  l6();  14,  19  t 
ccllct  de  1654  ;  4)  en  i6sS' —  Plus  (•■rd  ou  y  vint  cucorc  moiiit  :  on  rclivc  t(,  1 J.  7  «tai>' 
tants  en  170^,  Le  ;  j.iMviet  170S  personne  ne  répond  à  I4  convocation.  OH,  5. 


ém 


APPENDICE  V 

dam,  la  Chambre  s'opposa  à  ses  prétentions  et  obtint  gain  de  cause,  tandis  que 
la  communauté  fut  obligée  de  les  subir'. 

Dans  les  réunions  de  la  Chambre  c'était  l'un  des  députés  qui  prenait  la  parole 
et  exposait  les  questions  d  l'ordre  du  jour.  La  discussion  s'engageait  successive- 
ment sur  chaque  question,  mais  les  procés-verbaux  ne  peuvent  nous  en  donner 
une  idée  car,  après  l'exposé  de  chaque  question  fait  par  le  député,  ils  se  bornent 
'a  enregistrer  la  décision  prise  en  indiquant  seulement  si  elle  a  obtenu  la  pluralité 
ou  l'unanimité  des  voix.  L'expérience  fit  établir  peu  à  peu  de  sages  règlements 
pour  la  tenue  des  séances.  Le  12  novembre  1670  on  décida  que,  «  lorsqu'on  pro- 
poserait quelque  affaire  où  ceux  qui  seraient  dans  le  bureau  auraient  intérêt,  ou 
leur  père,  beau-père,  beau-frère,  cousin  germain  ou  venu  de  germain,  ils  s'abstien- 
draient d'opérer  et  feraient  tour  aux  autres  opinants*.  »  Ce  texte  et  d'autres 
montrent  que  chaque  membre  prenait  la  parole  à  son  tour  pour  dire  son  avis,  mais 
dans  les  affaires  délicates,  pour  laisser  aux  conseillers  toute  leur  liberté,  on  votait 
à  la  ballotte,  c'est  A  dire  au  scrutin  secret  *.  Dans  le  même  but  la  Chambre  se 
préoccupa  d'assurer  le  secret  de  ses  délibérations:  «  Il  est  de  la  dernière  impor- 
tance, remontra  l'un  des  députés,  le  15  novembre  1670,  de  tenir  le  secret  du 
Bureau,  parce  que,  le  tenant,  on  a  ses  suffrages  plus  libres;  qu'au  contraire  on  est 
dans  la  crainte  qu'on  n'opine  pas  le  plus  souvent  avec  la  liberté  requise  et  par  ce 

procédé  les  affaires  de  la  Chambre  périclitent  beaucoup a  été  résolu  qu'il  sera 

prêté  présentement  le  serment  de  tenir  secret  tout  ce  qui  se  délibérera  dans  le 
Bureau  sans  le  pouvoir  divulguer  à  personne.  0  Le  serment  fut  prêté  sur  le 
champ,  «  ès-mains  du  h'  échevin,  »  mais  le  secret  ne  fut  guère  gardé,  car,  dès  la 
séance  suivante,  il  y  eut  des  plaintes  et  le  serment  fut  renouvelé  (2  décembre 
1670).  C'est  encore  la  même  préoccupation  qui  dut  faire  renoncer  à  l'usage  de 
faire  signer  les  délibérations  par  les  membres  qui  y  assistaient.  Cette  formalité 
n'avait  d'ailleurs  jamais  été  accomplie  régulièrement;  quelquefois  les  échevins,  les 
députés  et  une  partie  des  conseillers  signaient  ;  souvent  le  secrétaire  signait  seul 
pour  tous;  le  27  novembre  1665,  il  en  fut  chargé  officiellement  :  «  s'il  y  avait 
quelque  bureau  de  très  grande  considération,  les  échevins  et  députés  en  signe- 
raient la  délibération*.  » 

On  s'étonnerait  de  ces  précautions  prises  et  du  peu  de  courage  des  membres  de 
la  Chambre  à  assumer  la  responsabilité  de  leurs  opinions  et  de  leurs  décisions  si 
l'on  ne  savait  quelles  étaient  les  ardentes  ris'alités  des  familles  marseillaises  et 
combien  il  était  difficile  à  la  Chambre  d'agir  avec  indépendance. 

Personnel  an  service  de  la  Chambre.  —  Pour  l'expédition  des  affaires 
qui  nécessitait  une  vaste  correspondance,  pour  l.i  rédaction  des  nombreux  mémoi- 

(i)  «  Nous  commissaires  généraux,  en  vertu  des  pouvoirs  à  nous  attribués  par  les  arrêts 
des  16  et  17  décembre  1710....  Ayant  égard  aux  demandes  de  la  Chambre  du  commerce, 
ensemble  k  leur  opposition  formée  aux  arrêts  des  2;  août  1705  et  12  avril  1707,  avons 
débouté  ledit  Rigord  (subdvlc<;uc)  de  ses  prétentions  concernant  ladite  Chambre  du  com- 
merce, lui  faisant  défenses  de  s'immiscer  en  ladite  qualité  de  subdclégué  i  tout  ce  qui  regarde 
la  Chambre,  examen  et  clôture  de  ses  comptes.  »  3  mai  ITli.  BB,  6. 

(2)  BB,  2. 

(})  DHihiralion  du  1"  Jécembrc  1057.  BB,  1. 

(4)  Depuis  rarcliiv.iirc  Hstricu  (16^?),  les  procoj -verbaux  sont  signés  par  le  I"'  échevin 
et  le  I"  député. 


VI 


APPENDICE 


rcs  qu'elle  envoyait  d'elle-même  A  la  cour  ou  que  les  ministres  lui  réclamaient, 
h  Chambre  n'avait  pas  un  nombreux  personnel  j  son  service:  le  sccriîuirv 
arcbivaire  suffisait  J'abord  à  toute  celle  besogne  et  A  la  garde  des  .irchtvcs.  Cet 
archivaire,  ordinairemenl  choisi  parmi  les  notaires  royaux  de  la  ville,  devait  ctic 
un  homme  rompu  aux  affaires  pour  pouvoir  tenir  dignement  son  emploi'.  Il  ne 
recevait  pourtant  que  1500  livres  d'appointements",  chiffre  il  est  vrai  4>»cz 
important  pour  l'époque,    «  sans  pouvoir  rien    prétendre  par  dessus,  au  cas  qu'il 

arrive  des  affaires  extraordinaires qu'il    fasse  voyage  à  Aix  ou  aillctirs,  sauf 

remboursement  de  ses  dépenses. ..Il  sera  tenu  d'expédier  gratis  au  public  les  extraits 
ou  certificats  dont  les  particuliers  pourront  avoir  besoin  concernant  ladite  l'onc- 
tion d'archivaire,  de  l'aveu  toutefois  de  MM.  les  échevins  cl  députés.  »  L'archi- 
vaire  avait  avec  lui  un  commis  aus  archives  qu'on  désignait  aussi  sous  le  nom  de 
sous  archivaire  ;  il  recevait  îoo  livres  d'appointements  et  en  outre  une  gratifica- 
tion de  50  louis  d'or  à  l'occasion  de  la  reddition  des  comptes  du  trésorier  de  la 
Chambre,  dont  il  faisait  les  écritures'.  Lors  de  la  réforme  des  consulats  de  1691 
qui  compliquait  beaucoup  le  travail  du  .secrétaire  de  la  Chambre,  l'archivaire  obtint 
la  création  d'un  sous  archivaire,  mais  Ponichnrtrain  en  ordonna  la  suppression  •■ 
Le  ser\icc  des  Archives  fut  d'abord  très  secondaire  pour  l'archivairx:  ;  les 
papiers  de  la  Chambre  étaient  simplement  rangés  dans  une  armoire  de  sa  salle 
de  réunion  C/ï<^/iriM/»f/  Jii  ;j  noivmbrf  16  jo).  Cette  installation  fut  bientôt  insuf- 
fisante: «  Le  cabinet  des  archives  du  commerce  est  si  petit  qu'on  ne  peut  ranger 
aucun  papier  et  sont  tous  en  confusion...  »,  dit  le  procès-verbal  du  3  dt-ccmbrt 
1662  et  l'on  décida  d'aménager  pour  les  archives  une  chambre  du  \"  étage  avec 
des  armoires  ^.  En  1679  on  se  plaignit  de  nouveau  de  l'inconimodité  de  l'instaN 
lation  des  archives  et  la  Chambre  décida  d'y  pouivoir  (s  janvirr  i6j<f.  BB,  }). 
Quelques  mois  après,  quand  l'archivaire  Brémond  se  retira,  ion  successeur  fut 
chargé  de  procéder  à  un  c  inventaire  général  de  tous  les  papiers,  livres,  titrw  et 
documents  de  la  Chambre  qui  devaient  être  dans  les  arcliivcs.  »  (j  jvUltt  i6jg. 
BB,  s)-  Cette  déclaration  fut  renouvelée  le  20  novembre  1683  et  le  i  j  octobre 
1691,  cependant  la  Chambre  constatait  encore  le  ;  juin  1704  que  sa  volonté  v.* 

trouvait  éludéx*  depuis  25  ans  «  en  une  chose  de  la  dernière  importance sur 

quoi,  dit  le  procés-verbal,  a  été  déUbéré  qu'il  sera  incessamment  procévié  à  la  per- 
fection d'un  inventaire  général  sur  lequel  il  puisse  être  fait  un  char.  r.i 
les  formes  et  afin  que  ladite  délibération  ait  son  effet,  la  Chambre  ac  ,  m 
commis  le  sieur  Franiçois  Philip  (commis  aux  archives),  pour  procéder  avecl'un 
des  échevins  et  l'un  des  députés  1  la  vérification  et  confrontation  des  minutes 
d'inventaires  qui  se  trouvent  dans  les  archives,  avec  les  pièces    mentionnées  en 


m)  La  Chiuihre  se  lou»  deî  «rchis.iiri.  '  :: 

elle  »ccorJ»  ipris  tj  retrait;  too  livres  d  1;  ' 

Ctrfucit    (i6S}-95),  nomme    pour   Jîx    iu  ,  ^  ;     -  ■■'< 

DcUiiier  (i67<)-8;>,  <  chacun  uchint  que  le  «eut  Oeiimcr  as  pas  tootc  ia  apadtc  <|iie 
son  emploi  revUnie,  • 

(i)  ContfM  fA\ti  avec  Carfucil,  le  ao  novembre  «68».  BiS.  S.  —  EMnen  qui  le  ftm- 
pl«c<:«ti  169Î  n'4  que  1  joo  livret. 

(1)  r  w/vtmh-f  l(iS4.  BB,   4. 

U)  .1  /hm  JOfH,  BB,  4. 

(î)  G>mpie  Jes  dépense^  Je  167»  •.  Biiisse  Jm  Arcl>iv«  du  Commerce  3000  livni. 


APPENDICE 


VU 


icelles  et  à  la  perfection  desdites  minutes  jusqu'au  temps  pniscnt,  et  ceiwnd.»iit 
qu'il  commencera  dans  les  intervalles  à  travailler  au  mis  au  net  dos  minutes  véri- 
fiées sur  le  grand  papier  qui  sera  relié  et  ce  sans  distraction.  »  On  ne  s;iurait  trop 
louer  la  préoccupation  incessante  que  montra  la  Guimbre  pour  le  bon  ordre  de 
SCS  archives;  les  ministres,  qui  ne  l'avaient  pas  aussi  bien  maintenu  dans  les 
leurs,  étaient  souvent  obligés  de  s'adresser  à  la  Oiambrc  elle-même  pour  connaî- 
tre les  anciens  édits  et  ri:glements  sur  le  commerce  du  Levant. 

Pour  administrer  sei  finances  la  Chambre  avait  un  trésorier  qu'elle  dc\"ait  au 
début  choisir  chaque  année  parmi  ses  membres  (n\i;kw(nt  du  i j  uovembre  i6fo). 
Apres  ibéo  le  trésorier  lut  toujours  pris  en  dehors  de  la  Chambre  et  nommé 
pour  plusieurs  années  :  le  sieur  Antoine  Dupuy,  choisi  le  16  août  1660,  garda 
ses  fonctions  jusqu'en  1669.  Mais  quand  on  créa  le  cottimo  cette  année-b,  la 
Chambre  reconnut  que  l'établissement  du  trésorier  était  contraire  aux  formes  et 
usages  adoptés  antérieurement  pour  la  levée  du  cottimo  toujours  administré  par 
des  directeurs.  Elle  créa  donc  trois  directeurs  du  cottimo,  «  lesquels  tiendront  la 
caisse  à  trois  serrures  dans  la  maison  du  premier,  dans  laquelle  ils  remettront  tous 
les  deniers  perçus  jusqu'à  aujourd'luii...  Chacun  desdits  directeurs  en  tiendra 
uac  clef  et  la  distribution  des  deniers,  suivant  leur  destination,  sera  faite  sous  le 
mandement  desdits  échevins  et  députés,  les  uns  en  absence  des  autres.»  Une 
ordonnance  du  5  mars  1670  des  commissaires  royaux  .Amoul  et  d'Oppède,  leur 
ordonna,  «  vu  que  le  commerce  n'a  aucun  trésorier  et  que  les  directeurs  en  font  la 
fonction  »,  de  recevoir  tous  les  deniers  perdus  au  protit  de  la  Chambre.  Antoine 
Dupuy  fut  l'un  des  trois  directeurs  nommés  en  t66g  et  qui  subsistèrent  jusqu'en 
1675  ;  il  redevint  seul  trésorier  du  commerce  de  1676  à  i68o,  année  où  réappa- 
paraissent  trois  directeurs,  dont  l'un  resta  trésorier  en  1684;  dés  lors  cette  charge 
subsista  seule.  La  Chambre  décida  qu'il  donnerait  tous  les  samedis  une  note  de  sa 
recette;  à  la  fin  de  l'année  il  rendait  des  comptes  par  devant  un  contrôleur  désigné 
par  la  Chambre.  Pour  ses  émoluments  il  percevait  sur  sa  recette  une  rétribution 
qui  fut  fixée  à  i  3  0/0  en  1686,  après  lu  réduction  définitive  du  cottimo  (4  avril 
t6S6.  BB,  4).  Pour  la  perception  de  ses  droits  la  Chambre  avait  des  commis  à 
Marseille,  et  parfois  dans  les  échelles.  U  y  avait  à  Marseille  les  exacteurs  du  cot- 
timo ;  pour  les  vaisseaux  de  la  Ciotat  et  de  Toulon  qui  faisaient  le  commerce  du 
Levant  en  Italie,  tantôt  la  Chambre  tint  ses  exacieurs  A  .Mexandrie  où  chargeaient 
surtout  ces  navires,  tantôt  à  Livourne  et  i  Gènes  où  ils  déchargeaient,  ou  â  la 
Ciotat  et  à  Toulon.  De  même  la  Chambre  payait  un  commis  pour  la  levée  du 
20  0/0  à  Toulon,  À  Cette,  au  Pont  de  Beauvoisin,  à  Arles  au  moment  de  la  foire 
de  Beaucaire,  mais  elle  ne  put  jamais  obtenir  d'en  établir  à  Rouen  et  a  Dun- 
kcrquc  où  la  perception  était  faite  par  les  fermiers  des  droits  royaux*. 

Enfin,  pour  la  défense  des  intérêts  du  couinierce,  la  Chambre  avait  auprès  du 
Parlement  d'Ai\  un  avocat  chargé  de  la  représenter;  un  avocat  au  Conseil  jouait 
le  même  rôle  auprès  du  Conseil  d'Etat.  La  correspondance  delà  Chambre  montre 
quel  était  le  rôle  important  et  délicat  de  ce  dernier,  qui  non  seulement  recevait 
les  instructions  de  la  Chambre  pour  poursuivre  les  affaires  du  commerce  pendantes 


(i)  Li  drlibcraiion  du  <,  juin  17U4  parle  de  rctabUsscmerii  d'un  commis  à  li  Rochelle 
•  pour  cinpcclier  l'entrée  des  nurcluiiJiscs  des  pays  de  II  domination  du  Grand  Seigneur  et 
du  roi  de  Perie.  »  BB,  5, 


VII  r 


APPEKDICE 


dovanr  le  Conseil,  mais  lui  donnait  dcb  avis  prCcicux  sur  ce  quî  s'y  pr^pjrait  d 
la  renseignait  sur  les  dispositions  des  ministres.  Les  «  agents  du  cptuiiiercie  »  i 
la  Cour,  comme  on  les  appelait,  futent  les  plus  utiles  auxiliaires  de  la  Cliiimbnr. 

Revenus  piuinciers  cl  dépenses.  —  1-a  Chambre  avait,  A  la  fin  du  x%*ii« 
siècle,  des  ressources  financières  importantes.  C'est  l'èdit  du  Port  franc  de  mars 
1669  qui  lu!  assura  pour  la  première  fois  un  revenu  sérieux  par  l'instituiian  du 
cottimo,  imposition  provisoire  dans  l'esprit  de  Colbett,  mais  qui  fut  maintenue 
jusqu'à  la  fui  du  x\iii«  siècle.  Le  produit  du  cottimo  qui  variait,  non  suivant 
rim|X)ttance  du  commerce,  ni.iis  suiv.int  le  nontbre  des  navires  qui  allaient  dans 
le  Levant,  subissait  de  grandes  fluctuations  d'une  année  à  l'autre  :  en  1684  il 
donna  66.000  livres;  en  j686.  J06.447  livres.  Après  la  r^uction  de  cette  tasic  en 
1686,  on  voit  les  années  1695,  1705,  1709  produire  !9.889,  i6.8$6,  16.482 
livres,  tandis  que  l'année  1714,  tout  d  fait  exceptimmclle.  fit  entrer  1411.061 
livres  dans  la  caisse  de  la  Chambre  '.  Le  cottimo  fut,  jusqu'en  1691,  le  seul  rcvctiu 
de  la  Chimibre  car  le  droit  de  20  00  établi  aussi  en  1669  et  destiné  h  frapper 
le  commerce  des  étrangers  et  à  maintenir  le  monopole  de  Marseille  était  plutôt 
une  charge  qu'une  ressource  :  les  frais  de  perception  l'emportaient  souvent  sur  le 
produit  très  mininie  de  cette  imposition;  jusqu'en  1700  celui-ci  fut  généralement 
inférieur  à  5.000  livres  et  parfois  même  à  i.ooo  tandis  que  les  frais  variaient 
entre  j  et  4.000  livres.  Ce  11c  fut  que  pendant  la  guerre  de  succession  que.  grlcc 
à  la  répression  plus  rigoureuse  des  fraudes,  le  20  0/0  produisit  souvent  plus  de 
20.000  livres  et  même,  eu  1708,  jusqu'à  45.000  livres. 

Avec  les  ressources  du  cottimo  la  Chambre  devait  suffire  aux  dépenses  les  plus 
variées.  Elle  devait,  avant  tout,  prélever  i6.cioo  livres  pour  la  pension  de  l'ambas- 
sadeur, 25.000  pour  le  curage  du  port,  jusqu'à  l'arrêt  du  16  août  1685,  qui  l'en 
déchargea.  4.500  povir  la  ]Knsioi>  des  enfants  de  langue  et  2,500  livres  environ 
pour  les  dépenses  de  son  personnel.  Jusque  vers  1680  il  fallut  en  outre  omoriir 
les  vieilles  dettes  du  commerce  léguées  par  le  règne  de  Louis  XJII.  La  Chambre 
payait  encore  aux  créanciers  des  comtes  de  Césy  et  de  MarchcviMc  107.872 
livres  en  1678,  2^.000  en  1679,  41.479  en  1680.  C'est  l'extinction  de  ces  dctu» 
et  la  suppression  de  la  dépense  du  curage  du  port  qui  permirent  de  diminuer  le 
cottimo  de  moitié  le  i"  janvier  1686.  Si  les  dépenses  ordinaires  étaient  asseï  peu 
nombreuses,  il  n'en  était  pas  de  même  des  dépenses  extraordinaires.  La  Chambre 
envoyait  fréquemment  un  ou  plusieurs  de  ses  membres  en  mission  A  .Mx  ei  À  la 
Cour,  parfois  i  Nice,  à  Gènes.  A  l.ivourne  pour  y  porter  des  réclamations.  Elle 
•tdjoignit   plusieurs    fois   ses    commissaires  h   ceux  du  roi  dans  les  '  i* 

auprès  des  Barbjrcsquex  et  elle  leur  envoya  aussi  des  anibas^adcs  poui  c 

compte;  pour  entretenir  la  paix  avec  eux  elle  racheta  des  esclaves  des  galcn.s 
royales  ou  leur  renvoya  ;!  ses  frais  des  équipages  naufragés  sur  les  côtes  de  France. 
Elle  paya  toujours  l'entretien  i  Marseille  et  les  frais  de  voyage  â  la  Cour  de  toutes 
les  ambassades  envoyées  en  France  par  les  Barbaresques  et  parfois  par  le  sultan  ; 
en  1685  ce  fut  l'évéque  de  Maredin,  envoyé  par  le  roi  de  l'erse,  dont  il  fallut 
paver  les  dépenses  à  Marseille  et  le  voyage  à  Versailles.  On  renvoyait  parfois  des 
sujets  du  Grand  Seigneur,  esclaves  sur  les  galères;  c'était  la  Chambre  qui  sup- 

(1)  Voir  ci-dessoui  Ici  tableaux  de  rec«tt<  du  conimo. 


SM^ 


APPENDICE  IX 

portait  les  frais  de  leur  nourriture.  Pendant  les  guerres  elle  payait  les  frais  des 
escortes  et  des  croisières  organisées  pour  la  protection  du  commerce  et  elle  se 
chargeait  elle-même  de  faire  des  armements  ;  il  est  vrai  qu'elle  percevait  alors  des 
droits  particuliers  pour  suffire  à  ces  dépenses.  Les  gratifications  accordées  aux 
officiers  des  vaisseaux  du  roi  pour  la  prise  ou  la  destruction  de  corsaires,  à  des 
capitaines  marchands  pour  leur  belle  conduite,  l'envoi  de  tartanes  dans  le  Levant 
pour  avertir  les  bâtiments  étaient  d'autres  dépenses  ordinaires  des  temps  de  guerre. 
I!  y  avait  encore  à  distribuer  des  présents  à  divers  personnages  de  la  Cour  dont 
on  avait  besoin  de  s'assurer  la  protection  :  celle  de  Pontchartrain  coûtait  annuel- 
lement 8  à  900  livres;  le  i=f  commis  du  ministre  recevait  la  valeur  d'environ 
trente  louis  d'or;  le  directeur  du  commerce,  du  temps  de  Seignelay  et  de  Pont- 
chartrain, un  cadeau  de  cinquante  louis  d'or.  De  temps  en  temps,  la  Chambre 
envoyait  aussi  des  présents  à  certains  membres  du  Conseil,  surtout  aux  membres 
du  Conseil  de  commerce  après  1701.  Eu  1693  un  personnage  influent  dwit  on 
doit  taire  le  nom  reçoit  un  présent  de  i  .000  livres  ;  les  commis  de  l'intendant  à 
Aix  touchaient  des  gratifications  plus  modestes.  Enfin,  quand  l'occasion  s'en  pré- 
sentait, la  Chambre  savait  faire  à  propos  des  dépenses  utiles  au  commerce  :  en 
169}  elle  donne  30Q  livres  à  Bertelot,  hydrographe  du  roi,  pour  dresser  une  carte 
de  la  Méditerranée  plus  exacte  que  toutes  celles  qui  ont  été  dressées,  à  charge 
d'en  fournir  des  exemplaires  pour  l'hôtel  de  ville  et  les  archives  de  la  Chambre 
que  les  capitaines  marins  pourront  consulter.  En  1700  une  série  de  capitaines  se 
présentent  au  bureau,  «  ils  remontrent  qu'il  n'y  a  pas  d'ouvriers  intelligents  dans 
la  ville  pour  ajuster  les  boussoles,  qu'il  faut  les  envoyer  X  Toulon,  au  sieur 
Brémond,  qui  ajuste  celles  des  vaisseaux  du  roi.  Il  consentirait  à  s'éiablir  à  Marseille 
si  la  Chambre  voulait  lui  donner  une  indemnité  pour  prendre  son  logement  et 
boutique  sur  le  port  »  La  Chambre  décide  de  lui  accorder  100  livres  annuellement. 

La  Chambre  se  chargea  parfois  de  certaines  dépenses  qui  concernaient  le  service 
du  roi  ;  pendant  la  guerre  de  Hollande,  elle  fit  une  série  d'envois  de  blés  pour 
le  ravitaillement  de  Messine;  plus  tard,  elle  noiisa  les  tartanes  qui  portaient  à 
Constantinople  les  dépèches  de  la  cour  et  rapportaient  celles  de  l'ambassadeur, 
mais  c'étaient  là  des  entreprises  pour  lesquelles  elle  faisait  un  contrat  avec  le  minis- 
tre et  qui  pouvaient  se  solder  par  des  bénéfices.  H  n'en  était  pas  de  même  des 
sommes  dépensées  .i  partir  de  1692  pour  le  rapatriementen  France  des  soldats  dé-ser- 
teursde  l'armée  vénitienne  et  des  matelots  «  disgraciés  ».  La  Chambre  devait  en 
être  remboursée,  mais  la  pénurie  du  trésor  royal  fit  longtemps  retarder  ou  même 
négliger  ces  remboursements,  si  bien  que  ces  rapatriements  constituaient  une  nou- 
velle et  lourde  charge  pour  la  Chambre. 

A  partir  de  1691,  la  Chambre  fut  chargée  de  payer  les  appointements  des  con- 
suls et  des  autres  officiers  des  consulats'.  Pour  y  suffire,  elle  leva  le  droit  de 
tonnelage  dont  le  taux,  comme  celui  du  cottimo,  variait  suivant  les  échelles.  Les 
vaisseaux  étrangers  qui  naviguaient  sous  la  bannière  de  France,  au  lieu  de  payer 
le  tonnelage,  continuaient  à  payer,  mais  au  profit  de  la  Chambre,  les  anciens  droits 
de  consulat  :  c'étaient  les  députés  des  échelles  qui  les  jTcrcevaient  au  nom  de  la 
Chambre. 

(i)  Vuir  ci-il<:ssou->  le  tableau  général  Je  la  dépense  des  consulats. 


X  APPENDICE 

La  situation  financière  do  la  Chambre  fut  prospère  à  partir  du  moment  où 
vers  1680,  elle  eutliquidi^  les  anciennes  dettes  du  commerce;  malgré  les  dépenses 
variées  qui  lui  incombaient,  son  budget  se  solda  chaque  année  jusqu'en  1702  par 
des  excédents  de  recettes  quelquefois  considérables'.  Mais  la  guerre  de  succession 
ruina  cette  prospérité;  malgré  le  surcroît  considérable  de  recettes  fourni  par  les  droits 
de  1  1/2  o,'o  établis  en  1703  et  1706  pour  subvenir  aux  armements  contre  les  cor- 
saires, il  fallut  recourir  aux  emprunts  :  on  en  fit  pour  113.954  livres  en  1704. 
548.279  en  1706,  123.188  en  1707,  69.000  en  1708,  6.000  en  1709.  Du  moins, 
grâce  à  CCS  emprunts,  la  Chambre  réussit  à  équilibrer  ses  recettes  et  ses  dépenses 
de  1703  à  1709,  et  même,  non  seulement  les  intérêts  en  furent  payés  régulière- 
ment, mais  une  bonne  partie  du  capital  emprunté  fut  remboursée*.  La  situation, 
telle  que  l'exposait  la  Chambre  en  1 7 1 3  aux  commissaires  du  roi  chargés  de  liqui- 
der ses  dettes,  ainsi  que  celles  de  la  communauté,  n'était  pas  brillante,  mais  n'était 
pas  non  plus  désespérée  3.  Aussi,  les  commissaires  constataient-ils,  dans  leur  rapport 
au  ministre,  qu'il  y  avait  une  profonde  différence  entre  l'administration  financière 
de  la  Chambre  et  celle  de  la  communauté  qui  se  trouvait  alors  dans  le  plus  profond 
désarroi.  L'équiUbre  financier  se  rétablit  même  plus  vite  que  ne  l'espérait  la  Cham- 
bre grâce  au  mouvement  commercial  extraordinaire  qui  se  produisit  de  171 3  à 
1715.  Ses  recettes  furent  en  effet  de  603.335  livres  en  1713,  835.189  en  1714; 
aussi,  l'imposition  extraordinaire  de  i  1/2  0/0  établie  en  1706  put-elle  être  suppri- 
mée avant  la  mort  de  Louis  XIV*. 

(:)  Recettes  annuelles  de  1692  i  1703  :  133.000  livres,  186.000,  195.000,  140.000, 
289.000,  208.000,  269.000,  26}. 000,  285.000,  222  000,  122.000.  —  Dépenses  :  99.000, 
173.000,    179.000,   95.000,    221.000,  174.000,    179.000,   158.000,    189.000,    19;. 000, 

I  16. (XX). 

(2)  481 .000  livres  sur  660.000.  —  Il  est  vrai  que  le  paiement  des  dépenses  des  consu- 
lats avait  été  négligé  et  que  les  échelles  s'étaient  de  nouveau  endettées. 

(5)  Etat  présent  des  afT.iircs  de  la  Chambre  de  commerce  de  Marseille  :  Dettes  diverses, 
495. (XK)  livres.  —  Charges  annuelles  (y  compris  les  intérêts  de  ces  dettes),  228.000  liv. — 
Etat  des  droits  que  la  Chambre  peut  exiger  par  année  commune  en  temps  de  paix, 
568.880  livres  (cottimo  ii9.(XX),  toniiel.ige  108.880.  consulat  payé  par  les  étrangers  pro- 
tégés français  jb.ixw.  —  Droit  de  1  1/2  0/0  de  1706  que  la  Chambre  demande  de  conti- 
nuer à  lever  105.000). —  «11  reste  de  bon  140.880  livres  tous  les  ans,  au  moyen  de  quoi 
il  par.iit  que  dans  environ  quatre  ans  elle  peut  se  libérer  des  dettes  qu'elle  a  contmclées.  > 
Fait  i  Marseille,  le  12  juin  1715.  —  BB.  6",/o/.W. 

(i)  L'autre  droit  de  1  1/2  0/0  établi  en  1703  avait  déjà  été  aboli  avant  1713. 


APPENDICE  XI 


II.  —Dépenses  des  consulats  du  Levant  d'après  l'arrêt  du  conseil 
du  27  janvier  i694  qui  les  régla  détinitivement 

But  des  sommes  que  le  roi  veut  être  payées  pour  les  appointements  des  consuls 
du  Levant  et  les  dépenses  extraordinaires  des  consulats. 

Echelle  du  Caire  :  i"  Appointements  du  Consul 4.000  livres. 

2^  Sa  table  —  avec  la  nourriture  de  l'au- 
mônier, chancelier,  drogman,  domes- 
tiques.—  Habits  consulaires 6.600      » 

50  Frais  et  présents  qu'il  doit  faire  en  pre- 
nant possession  du  consulat 900      » 

40  Loyer  de  sa  maison  —  appointements 
du  chancelier,  drogman  et  autres 
dépenses  extraordinaires 6. 300      » 

50  Pareils  appointements,  table  et  autres 
dépenses  pour  le  vice-consul  d'Alexan- 
drie       7 .000      » 

24.800  livres. 

Echelle  de  Seide  :  12.213  livres  (3.000,  4.000,  300,  4. 113,  800=  rente  due 
au  sieur  de  Vintimille,  ci-devant  propriétaire  du  consulat). 

Echelle  d'.-VIep  :  19.650  livres  (3.500,  5  000,  900,  2.250,  2.300  pour  le  vice- 
consul  d'Alexandrctte,  4.200  pour  celui  de  Tripoli,  1.500  pour  celui  de 
Satalie). 

Echelle  deSmyrne  :  13.300  livres  (4.000,  5.500,  800,  3.000). 

Echelle  de  Chypre  :  6.650  livres  (2.000,  3.500,  400,  750). 

Echelle  de  Salonique  :   3.000  livres. 

Echelle  de  Candie  :  13.500  livres  (2.000,  3.500,  500,  4.000,  3.500  pour  le 
vice-consul  de  Candie). 

Tripoli,  5.oç)o  liv.  —  Tunis,  5.000.  —  Alger,  6.000.  —  Salé,  4.000.  — 
Tetouan,  3.000.—  Jérusalem,  3.600. 

Total  :  119.813  livres. 


m.  —  Arrêt  du  conseil  du  4  décembre  i69i  qui  tixe  les  droits 
de  chancellerie  à  payer  dans  les  échelles 

Etat  des  droits  et  émoluments  que  le  roi  veut  être  attribués  aux  chanceliers 
des  échelles  de  Levant  et  de  Barbarie. 

Pour  les  polices  d'assurance,  4  livres.  —  Pour  les  mariages,  testaments, 
donations,  par  les  marchands,  6  livres,  et  par  les  artisans,  2  livres,  et  autant  pour 
l'expédition. 

Î5 


Xn  APl'KNDICE 

Pour  l'ouverture,  adverntion  et  enregistrement  d'un  testament  solennel 
7  livres  lo  sols  et  autant  pour  l'expédition. 

Pour  la  descente  et  apposition  de  scellés  dans  quelque  maison  ou  magasin 
3  livres,  compris  l'expédition. 

Pour  les  inventaires  et  inquants,  3  livres  pour  chaque  séance  de  deux  heures, 
y  compris  l'expédition. 

Pour  les  dépôts,  2  0,0  des  sommes  déposées. —  Pour  l'acte  de  dépôt,  2  livres, 
la  moitié  pour  la  quittance  et  autant  pour  l'expédition. 

Pour  une  transaction  ou  émancipation  ou  vente  de  biens  immeubles,  4  livres 
et  autant  pour  l'expédition. 

Pour  un  acte  portant  quittance,  attestation,  procuration,  obligation  ou  enregis- 
trement d'une  pièce,  i  livre  10  sols  et  autant  pour  l'expédition. 

Pour  la  patente  de  santé  d'un  bâtiment  de  mer,  5  livres,  pour  celle  d'un 
passager,  i  livre. 

Pour  un  procès-verbal  et  quittance  d'une  levée  de  deniers  sur  un  bâtiment, 
pour  avance  ou  contribution  en  forme  d'avarie le  tout  ensemble,  12  livres. 

Pour  l'état  ou  manifeste  du  chargement  d'un  bâtiment  y  compris  deux  expédi- 
tions, 10  livres. 

Pour  une  requête  aux  fins  d'être  informé,  1  livre. 

Pour  une  requête  et  exploit  de  saisie  faite  en  conséquence,  avec  la  signification 
à  la  partie,  3  livres. 

Pour  une  information  ou  enquête,  à  raison  d'une  livre  pour  cliaque  déposition 
de  témoin,  y  compris  l'expédition. 

Pour  un  acte  de  protêt,  de  lettre  de  change  ou  sommation  avec  signification 
et  réponse,  i  livre  10  sols. 

Pour  un  acte  de  cession  ou  transport  et  autre  de  pareille  qualité,  i  livre 
10  sols. 

Pour  l'advération  des  pièces,  y  compris  l'enregistrement,  i  livre  10  sols. 

Pour  la  minute  d'une  ordonnance  des  contestations  entre  parties,  n'excédant 
pas  une  page  d'écriture,  1  livre,  et  à  proportion  pour  les  plus  longues. 

Pour  l'ouverture  d'un  procès-verbal  appelé  consulat,  savoir  pour  la  requête 
I  livre,  et  autant  pour  la  déposition  de  chaque  témoin,  y  compris  l'expédition. 

Lesquels  droits  seront  payés  en  chaque  échelle  en  telles  cspècts  de  monnaie 
qui  y  ont  cours  avec  proportion  et  supprétation  de  valeur  par  rapport  aux  livres 
de  France,  en  sorte  que,  sous  prétexte  de  la  qualité  des  espèces  et  de  leur  diffé- 
rente valeur,  lesdits  chanceliers  ne  se  puissent  rien  attribuer  au-delà  de  ce  qui 
est  porté  par  le  présent  état  que  S  M.  veut  être  publié  et  enregistré  dans  la 
Chambre  du  commerce  de  Marseille  et  envoyé  à  tous  les  consuls  des  échelles. 

Fait  au  camp  devant  Namur,  le  i>  juin  1692. 

(AA,  na.) 


APPENDICE 


xni 


IV.  —  Tableau  de  la  recette  des  cottimos  de  1610  à  lliS 

D'apris  les  comptes  trésoraires  de  la  Chambre  du  commerce. 
{CC,  23  et  suiv.) 


Candie, 

Anaées 

Alep 

Smyrne 

Seïde 

Alexandrie 

Constanti- 
nople 

Arcllipel, 
Morèe 

et  Barbarie 

1071 

Liv.22.llfHl 

Liv.  24.1.^0 

Liv.  11.1)00 

Liv.  11.800 

Liv.  8. 100 

Liv.  5.. 360 

lti72 

8.8(H1 

2.')..'>00 

6.600 

12. (MW 

6.9(M) 

2.6(M) 

lf.73 

20.00(1 

2.1. 5(H» 

14.8(!0 

16.2(M) 

2.  KM) 

8.31X) 

lli74 

10.000 

24.5(M> 

16.0(M) 

i».200 

G.9(M) 

6.805 

I67ri 

4.80O 

19. (MM) 

24.(K)0 

14.000 

3..3(K) 

7.826 

11)76 

U.(NH) 

20.000 

18.100 

8.800 

1.300 

7.418 

ir.77 

f).4(MI 

24.  (KX) 

19.8(M) 

1G.(M)0 

5.  KM) 

5.836 

1(578 

12.0(KI 

22.5(M> 

14.4(M) 

6.4(H) 

2.769 

4.278 

1(>79 

11.200 

22.n(K) 

7.200 

13.600 

i.8(M.» 

10.544 

l<»«ll 

10.4CMI 

19.. MM) 

8.  (MX) 

6.6(M) 

4.600 

8.147 

KiXl 

9.G00 

13.5(M) 

23,600 

11.2tMJ 

4.8fM.) 

9.579 

l()«-2 

().(R)0 

16.500 

16.  (MM) 

2.400 

4.8(M) 

7.433 

IBX:! 

9.600 

19.500 

24.930 

12.800 

6.6(M) 

7.499 

11)84 

().50O 

19. (MK) 

9.4(M) 

10.649 

4.2(H) 

8.300 

ll'>85 

7.200 

10..W)0 

23.4(M) 

19.200 

5.400 

5.933 

1(>86 

8.4(H) 

12.750 

13.2(H) 

11.200 

6.4(M) 

17.. 534 

1()87 

10.800 

9.000 

13.200 

10.4(M) 

6.2(M) 

15.696 

1()88 

i;i.2(M) 

17.300 

19.2(M) 

20.0(X» 

9.1MM) 

11.672 

H)«9 

9.0OO 

11.2(H) 

24. (MM) 

19.200 

6.4(M) 

5.332 

lt)5X> 

12.(H)0 

19.500 

18. (MM) 

2I.(>00 

6.  (MM) 

8.808 

lt)!n 

().0(H) 

33.000 

26.600 

20.  (MM) 

13.8(H) 

12.806 

1G!« 

7.200 

30.  (MM) 

19.2(M) 

17.600 

3.600 

14.002 

IGtCi 

9.600 

37.4(M) 

12. WM) 

14.400 

5.4(M) 

12.110 

1C)'.M 

7.200 

42.W)0 

13.800 

15.000 

10.800 

12.680 

1(;95 

9.()00 

>) 

2.7(M) 

4.UMJ 

4.8(H) 

732 

16'J(> 

7.200 

28.6(K) 

33.600 

16.800 

7.200 

5.536 

ir.97 

4.8CN1 

15.6(.>0 

15. (MX) 

10.400 

7.2(M) 

l.(M)4 

1()98 

16.800 

61.500 

22.81M) 

8.000 

8.  KM) 

5.884 

lt)9'.) 

14.400 

60. (MK) 

20.41M) 

13.600 

13.2(K) 

14.538 

171  H) 

12.(HHt 

35.200 

24.  (M  H) 

19.200 

14.(MXJ 

21.506 

17(11 

().()(  K) 

18.(MI0 

12.(K)0 

9.6(M) 

4.8(K) 

27.862 

17(12 

8.800 

I3.:)00 

12.4(M) 

11.600 

7.2(M) 

47.(M)6 

17(13 

:».()(  H) 

6.  (KM) 

2.4(MI 

3.8(M) 

2.  KM) 

12.928 

17(14 

7.  (;()() 

21.600 

1.").8(M) 

14.8(M) 

8.8(K) 

13.320 

17(1") 

6.4(M) 

i:).2(M) 

10.8(K) 

20.300 

4.3(H) 

5.758 

170() 

4.0(H) 

24.100 

1I.2(M> 

6.  (MM) 

7.2(M) 

13.  .502 

17(17 

11.2(K) 

21.800 

16.000 

9.2(M) 

9.600 

7.492 

17(18 

4.0110 

10.8(M) 

10.4(M) 

6.8(M) 

4.(MJ0 

7.310 

17<i9 

1.2(M) 

9.600 

.'..(MM) 

7.200 

2.4(M) 

5.892 

1710 

9.()00 

15.8(M) 

19.2(M) 

4.400 

4.300 

6.294 

1711 

6.00O 

10.300 

20.  (MM) 

11.  (KM) 

4.6(M) 

22.. 508 

1712 

r).(MK) 

19..S(M) 

32.4(M) 

14.3(H) 

5.400 

19.274 

I7i:? 

6.000 

48. (KM) 

46.400 

13.61M) 

7.8(M) 

20.800 

171i 

12.800 

94.0(M) 

70.800 

43.000 

22.800 

35.770 

Totaux. 

390.700 

1.047.4(H) 

825.190 

566.549 

266.069 

511.502 

XIV 


APPENDICE 


Ces  chiffres  du  cottimo  ne  peuvent  pas  senùr  à  comparer  la  valeur  du  commerce 
des  différentes  échelles,  parce  que  le  taux  de  cette  imposition  variait  suivant  les 
échelles  ;  mais  ils  indiquent  exactement  les  variations  du  commerce  de  chaque 
échelle  entre  1670  et  1715. 

Pour  avoir  la  valeur  totale  des  cottimos  perçus  par  la  Chambre  du  commerce 
il  faut  ajouter  aux  chiffres  ci-dessus  ceux  des  cottimos  perçus  sur  les  vaisseaux  qui 
terminaient  leur  voyage  à  l'étranger.  Le  tableau  de  ces  cottimos  est  instructif  car 
il  fait  connaître  le  nombre  des  vaisseaux  de  Provence  qui  étaient  nolisés  chaque 
année  par  des  étrangers,  surtout  par  les  négociants  de  Livounie. 

COTn.MOS  DES   VOY.\GES   TERMINÉS   A   l'ÉTR.\KGER 


lti7-2  : 

6.60(1 

16X1  : 

15.S78 

1690  : 

25.100 

1699  : 

2.6O0 

l(i73  : 

7.0-'8 

U>82  : 

11.903 

1691  : 

19.548 

170»  : 

4.0iNt 

1G74  : 

1(1.1)65 

16J<3  : 

12.378 

16!>2  : 

18.102 

1701  : 

2.742 

167.-.  : 

7.G30 

IG."!  : 

10.648 

1693  : 

9.382 

17(t2  : 

932 

ir,7li  : 

14.!»35 

168.5  : 

11.052 

1694  : 

37.1)40 

1703  : 

9(iU 

Iti77  : 

7.  Ml? 

16J<6  : 

11.866 

1«95  : 

14.790 

1704  ; 

2lK> 

1C7X  : 

3.721 

16X7  : 

3:..  848 

1696  : 

1.100 

17(15  : 

200 

107!)  : 

.l.J<(;2 

wm  : 

24.!t84 

1697  : 

200 

17(H)  : 

7(10 

1Cj<(>  : 

1.^.203 

UiSλ  : 

21.724 

1698  : 

26.288 

1707  : 

300 

1708  : 
17(»y  : 
171»  : 

1711  : 

1712  ( 
1713. 
1714/ 


4.878 

1..50(» 

6(N) 

1.308 

Itctmr  mn- 
lïM  l'n  r«( 
bilr  «iiiln 


Deux  faits  sont  frappants  dans  ce  tableau  :  l'importance  prise  par  les  bâtiments 
Provençaux  dans  le  commerce  des  ports  Italiens  entre  1686  et  1693  (à  b  suite 
des  commandements  obtenus  à  la  Pone  qui  réduisaient  les  droits  de  douane  en 
Fgjpte  en  faveur  des  Français.  —  Il  s'agit  ici  en  effet  presque  exclusivement  de 
voyages  dWlexaudrie  à  Livourne)  et  la  cessation  presque  complète  de  ces  affrète- 
ments à  l'étranger  pendant  la  guerre  de  succession. 


T.\BLE.\U   DE  LA   RLCETTE  TOT.\LE   DES  COTT1.MOS 
(D'ipris  ce,  S3  et  suiv.) 


I(i7"  : 

îii').2(>i 

IC,79  : 

7N.69ÎI 

i(;8s 

116..V)«) 

1697  . 

58.810 

1706 

67.744 

I(i7l   : 

6M.270 

ICvSO  • 

77.189 

KWt 

87.  ;•(!() 

1698 

i:i4.(KMl 

(707  . 

~2.!^24 

1672  : 

7.j.ii:i3 

icsi 

••0.(116 

16!K) 

110.080 

169'.> 

l;W..518 

1708 

48.164 

1673  : 

Il  11.., lis 

1(kS2  . 

(".0.788 

1691 

12.-..80(l 

17(10  . 

145.090 

17(*9 

32.9«V» 

I(i74  : 

93.6<'6 

i(;,s3 

1<H!.447 

1092 

109.744 

1701 

8.1.462 

1710 

60.516 

167.-.  : 

8;i.7l2 

US\ 

02.191 

1093 

Hil.l!l2 

1702 

71.988 

1711 

82.152 

li>7('>  : 

81.6i'.t 

l(X". 

NS.419 

1094 

139.216 

1703  . 

33.712 

1712 

95.888 

l(i77  : 

77.9.VI 

11. m; 

8iî.2()0 

1695 

39.778 

17(«4  . 

84.452 

1713 

143. (U) 

l(>7S  : 

72.:t.vs 

16s7 

I"4..-.7i 

UM 

103.218 

1705  : 

64.394 

1714 

28(».122 

.\>-/.i.  —  Coirnic  U  îàux  du  cottinio  fat  diminué  de  moitié  i  partir  de  jatiTier  1686, 
les  cIiiîTrcs  de  !.i  ie;v.tte  ont  été  doubles  Jaiis  cc^  tableaux  1  partir  de  1686,  afin  d'avoir 
une  iji.e  e\.»cte  des  v.ir:at:c:i$  du  comnierce  de   1670  à  1714. 


APPENDICE 


XV 


V.  —  Valeur  des  exportatioas  de  chaque  échelle 
de  1670  à  i715 


Constanti- 

Candie, 

Années 

Alep 

Srayrne 

Seide 

Alex.indric 

noplc 

Archipel, 
Morce 

Totaux 

1671 

1.050.000 

2.040.0(M) 

773.000 

1.770.000 

8tO.0<M) 

208. 0(K) 

7. 311. non 

167-2 

(JOO.OOO 

2.167.(KK) 

440. (KM) 

1.80().(J<M) 

(i'jO.(KK) 

130. (MM) 

5. 887. (KM) 

1673 

1.5(K).000 

2.107.(K)() 

9.53.  (KM) 

2.'280.(MK) 

210. (MM) 

415. (MM) 

7. 525. (MM) 

1674 

750.  OtK) 

2.0.'.().(M)() 

1.(H'>().(KM) 

1.380.(KH) 

690. (MK) 

340. (MM) 

0.270. (KM) 

1675 

350.000 

1.615.(KK) 

1.0(H).(HK) 

2.1(M).(KK) 

3.30.  (KM) 

39I.(M)0 

6.386.(KK) 

1676 

450.000 

1.7(M).(MM) 

1.2(M).(MM) 

1.3-2().(MK) 

I30.(KK) 

370. (KM) 

5.14().(KK) 

1677 

480. UOO 

2.()iO.(KM) 

l.,32().(K)() 

2.4(H).(MM) 

510. (KX) 

290. (MM) 

7.()4().0)K) 

167« 

900.000 

1.912.(MK) 

960.  (K>0 

96().(KK) 

276. 9(K) 

213. (X)0 

5.221.(KK) 

1679 

84U.(MH) 

I.9I2.(MK) 

480.000 

2. 040. (KM) 

180. (KK) 

527, (KK) 

5.979.(MK) 

1680 

780. ( KM» 

1 .620.(KK) 

.5.30. 0(K) 

99)). (KM) 

460.  (MK) 

442. (MM) 

4.8-22.(KK) 

1681 

720.  (H  H» 

1.147. (MM) 

t.. 572. (KM» 

1.680.1K)() 

480.  (MK) 

478.(KK) 

6.077.0(X) 

1682 

450.000 

1.402. (MM) 

l.(MÎ().(KK) 

360.  (KK) 

480. (XH> 

376.000 

4.1-28.(KK) 

1683 

720.000 

1 .6-20.0(M) 

1.602.  (KM) 

1.9-20.  (KM) 

660.(KK) 

379.  (MK) 

6.961.(KX) 

1684 

487.<Jt>0 

1.615. (MM) 

6-20. (KK) 

1.596.(KK) 

4-20.  (XK) 

415. IHX) 

5. 159. OtK) 

1685 

540.  <KH) 

892.(KM) 

1.5.50.(KM) 

2.880.(HK) 

.540. (KK) 

296.  (M)0 

6.698.0(X) 

1686 

030.  (MK) 

1.082. (KM) 

880.  (KM) 

1.680.(M)0 

640. (MX) 

()42.'MM) 

5.554.(KX) 

1687 

810.000 

695. (MK) 

880. 0(K) 

1.500.(MK) 

6-20.(KM) 

5:U).0(K) 

5.095.000 

1688 

990.  (  M  (0 

1.47().(MK) 

l.-280.(KM) 

3.000.(KK1 

9(K).(XK) 

410. 0(K) 

8.050.()(K) 

I68<J 

675.000 

9.52.  (KM) 

1.6(M).(.M)() 

2. 880. (MX) 

640.  (KX) 

168. 0(K) 

6.915.(HX) 

ICîW 

900.000 

l.620.(HK) 

l.-2(X).(MK) 

3.-24().(MK) 

600. 0(M) 

300. 0(K) 

7.860.(KK) 

1091 

450.  (M)0 

2. 805. (KM) 

1 .772.(KK) 

3  (MM). (KM) 

1.380. (MM) 

419. (K)0 

6.826.000 

1692 

540.000 

2..V)0.(KM) 

1. -280. (KM) 

2. 040. (KM) 

300. 0(X) 

399. 0(K) 

7.769.(KK) 

1693 

720.  (H)0 

3.179.(KK) 

8(M).(KK) 

2.10O.(K)O 

540.  (KX) 

310.(XX) 

7.7()9.(KX) 

1694 

540.000 

3..">7().(KM) 

9-20.  (KK) 

2. 250. (KM) 

1.080.(MM) 

37  7.  (MX) 

8.817.(KK) 

1695 

720.000 

néjDt 

18i.(MK) 

715. (KM) 

480. (MM) 

néant 

2.099.000 

1696 

540.000 

2. 431. (KM) 

2.240.(KK) 

2. 522.  (KM) 

7-20.  (MM) 

148. (KK) 

8.399.(KX) 

1607 

350.000 

1.3-26. (KM) 

l.(KK).(K)() 

1.560.(K)() 

720.  (XK) 

.50.2(X» 

5.(MXJ.2(K) 

1698 

1.2(;0.0(tO 

5.219.(KK) 

1.5-20.(KK) 

1.2(M).(KK) 

8I0.(KK) 

294.2(.X) 

10.3()3.2(K) 

1699 

1.080.000 

5.1(K).(KM) 

1.36().(KK) 

2.040.(MK) 

1.3-20.  (KM) 

400. 0(  M) 

11.3(K).(KX) 

1700 

900. OIM) 

2. 992.  (KM) 

1 .0(M).(MK) 

2. 880. (KM) 

1.750.(KK) 

1.075.0(K) 

11.197.(X)0 

1701 

450.000 

1.530. (MM) 

8(M).(KK) 

1.440.0(K) 

6(K).(KM} 

785.000 

5.6()5.0(K) 

1702 

OOO.OOO 

1.147. (KM) 

8-20.(KK) 

1.740.(KK) 

9(X).(KK) 

404.000 

5.737.0(X» 

1703 

270. (KM) 

510. (KM) 

It)O.(KM) 

570. (KM) 

-202. (KK) 

410.0(K) 

2.182.0(K) 

1704 

.")70.<MM) 

1.8.30.0(M) 

1.052. (KM) 

2.2-2().(KK> 

l.KMl.WM) 

374. 0(M) 

7.1.52.000 

1705 

480. (KM) 

1.-292. (MM) 

7-20. (K)0 

3. 045. (KM) 

.537.  (  M  K) 

176.000 

0.-2.5().(MK) 

17(Mi 

.3IM).(HM) 

2.()48.(KK) 

746.  (KK) 

9(M1.0(M) 

9(M).(K)0 

405.  (MK) 

5.299.(XM) 

1707 

840. (MK) 

1. 8.53. (KM) 

1  .()60.(KK) 

1.380.(KK) 

l.-2(M).(KM) 

193.0(M) 

6..526.(KX) 

1708 

3(M).(HM) 

«18. (KM) 

0!)2.(KK) 

1.0-20.(KK) 

.5(K).0(M) 

'231.  (MM) 

3.661.1XK) 

1709 

911. (K):) 

8l(i.(MM) 

3.13. (KM) 

l.()80.(KK) 

3(K).(MK) 

214. 0(M) 

V.883.(KH> 

1710 

720. (MM) 

1.343. (MM) 

1.28()-(MK) 

000. (KM) 

537. (KM) 

162.(KXI 

4.7O2.0(X) 

17)1 

450. (MK) 

875. (KM) 

1.333. (MM) 

1.740.(KK) 

.575.  (KM) 

780.000 

5.733.0(X) 

1712 

375. (MK) 

l.C.')7.(M)() 

2.10().(MK> 

2.H5.(KK) 

675. (KK) 

619. (MK) 

7.661.(K)0 

1713 

451). (MM) 

4.()8().(MK) 

3.O92.01M) 

1 .940. (MM) 

975.  (KM) 

675. 0(M) 

11.212.000 

1714 

90l>.(MK) 

7. 990.  (KM) 

4.7iO.(MK) 

0.450.(MK) 

2. 850. (MX) 

362.000 

23.332.000 

Totaux. 

29. 297.  (M  )0 

8S.7S5.(KM) 

53.282.(MJ() 

84.211.(KK) 

31.331.(HX) 

16.7-25. 4(K) 

303.631.400 

xn 


APPENDICE 


VI.  —  Note  sur  les  chiffres  de  statistique  donnés  dans  le  livre  I 

(1610-1661) 

Il  est  bien  difficile  cTétablir  des  statistiques,  même  ;ipproxim.itivc$,  de  U  valeur 
du  commerce  du  Levant  entre  1610  et  1661.  Aucun  chiffre  officiel  ne  nous  est 
parvenu,  sauf  ceux  qui  furent  recueillis  à  Marseille  par  M.  de  Seguiran.  lors  tic 
son  inspection  des  côtes  de  Provence  en  1633.  On  peut  aussi  regarder  comme 
officiels  les  chiffres  de  Savarj'  dans  son  DicliùtttMiu  Ju  comtnfrc4,  car  il  eut  à  sa 
disposition  les  meilleurs  documents  qu'on  possédait  à  la  fin  du  xvne  siècle. 
Malheureusement  Savary  ne  fournit  qu'un  seul  chiffre  pour  cette  ptïriode,  «lui 
de  ta  valeur  des  exportations  du  Levant  vers  1661.  Nous  possédons  aussi  les 
chiffres  d'un  certain  nombre  d'adjudications  de  fermes  des  inii>OMtions  ihablics  sur 
le  commerce  du  Lcviini  entre  )6io  et  1^61.  Les  baux  de  ces  fermes,  adjugés  tou- 
jours aux  mOmes  conditions,  fournissent  des  termes  de  comparaison  rigoureuse- 
ment exacts  pour  la  valeur  relative  du  commerce  aux  diffé-rcntes  anniics  oit  i\t 
sont  conclus  et  nous  font  voir  d'une  manière  saisissante  les  progrès  de  la  déca- 
dence du  commerce.  Comme  ils  nous  sont  quelquefois  parvenus  avec  le  dt'tail  de 
la  valeur  de  la  ferme  pour  chaque  iJcliclie,  iU  permettent  de  se  faire  une  idée  des 
fluctuations  de  l'importance  des  échelles.  Mais  pour  l'estimation  de  la  valeur  du 
commerce  du  Levant  ils  ne  peuvent  fournir  que  des  évaluations  approximative). 
En  effet,  les  droits  de  1  0/0  ou  de  J  0/0  (V.  Livre  I,  cliap.  iti|  ne  rcpnfscntaicat 
pas  exactement  le  centième  ou  les  trois  centièmes  de  la  valeur  des  r  <:c» 

taxées,  car,  pour  ne  pas  surcharger  les  marchands,  l'évaluation  des  n,  i^t-s 

qui  servait  de  b.ise  .1  la  perception  de  ces  droits,  était  (iiite  à  un  taux  très  bas.  De 
plus,  le  traitant  qui  affermait  ces  impositions  avait  i  compter  avec  des  fra'i*  de 
perception  considérables,  puisqu'il  lui  fallait  établir  des  commis  dans  les  échelles, 
et  avec  les  fraudes  nombreuses  des  capitaines  qui  présentaient  des  nv  Je 

chargement  incomplets  '  ;  il  devait  donc  se  réserver  un  bénéfice  en  .cC 

le  risque  qu'il  courait  dans  une  opération  aussi  aléatoire. 

Mais,  en  tenant  compte  de  ces  deux  causes  d'crncur,  decorobictilâut'U  majorer 
les  estimations  de  la  valeur  du  commerce  fournies  par  les  baux  des  fermes,  c'est 
ce  qu'il  est  impossible  de  calculer  exactement.  On  peut  cepend.int  le  conjecturer 
CM  comparant  ces  estimations  avec  les  chiffres  officiels  de  \f>i}  et  de  t66i  four- 
nis p.ir  Seguiran  ctSavarv,  et  les  résultats  obtenus  ainsi  seraient  même  assci  pro- 
bants s'il  ne  fallait  se  défier  même  des  chiffres  otHcicls.  Colbcrt  accusait  plus  tard 
les  marchands  de  lui  fournir  systématiquement  des  statistiques  inférieun»  à  I.) 
réalité  pour  taire  croire  i  leur  misère  Les  Marseillais  qui  présentaient  leurs 
doléances  .\  Seguiran  et  voulaient  lui  faire  connaître  la  ruine  du  négoce  ne  durent 
pas  manquer  de  dissimuler  la  vraie  valeur  de  leur  commerce.  U   faut  ccmstdètvr 

(1)  r  II  i)c  pouvxit  prctendrc  lucaa  d^domm.igcmcnt  ni  d^clurgc.  soat  ptéicitc  dr 
guerre  on  ioTcriliciion  Ju  commerce,  ni  cuntigion  el  «utrc  ar'ulciii'^,  i  main;  que  quelque 
cr»ni1e  guerre  ciupccliic  entièrement  le  négoce,  ni  i)u''  le  roi  et 

le  Cl.  S.,  ni  que  quelque  prince  ou  puissance  te  Sinitic  vi  ,.  ■  Ter- 

ni» (lu  contrit  de  la  ferme  <iu  }o)o  pd^u:  ivcc  NUry  L>ii^>  kci  [-oui  liui;  jii>.  ut'in.  '^^mm. 
di  3Jars.  Drlihfr,  —  aj  nov.  164t.) 


dHÉ 


APPENDICE 


XVII 


coroniv  absolument  exact  lu  nontbre  annuel  des  voyages  faits  dans  le  Levant 
qu'ils  lui  di'i:l.irèretit.  car  il  (}tJit  facile  Je  le  contrôler  sur  k's  registres  de  r.imirnutt', 
mais  los  cvaUiations  Je  la  valeur  moyenne  des  chargcnjcnts  qu'ils  doimérem  à 
Seguiran  paraissent  bien  faibles  en  comparaison  d'autres  chiffres  que  nous  possé- 
dons. Ils  déclarèrent  120. ooo  livres  pour  l.i  valeur  moyenne  du  fi>nds  porté  par 
les  navires  î\  Alep,  or  ceux  qui  en  revenaient  avaient  fréquemment  des  charge- 
ments d'une  valeur  de  200.  500,  400.000  livres.  Fermanel  qui  se  trouvait  en  16}  i 
à  Alcp,  dit  que  les  Frantjais  y  emploient  chaque  année  1.500.000  réaies  ou  écus, 
quelquefois  2.000.000  ;  c'est  le  double  du  chilTre  de  Soo.ooo  écus  donné  par  les 
Marseillais  à  Seguiran.  En  admettant  que  les  marchands  d'.Mep  se  soient  vanté» 
à  Fermanel,  car  ils  lui  afiirmérent  qu'ils  faisaient  un  commerce  double  de  celui 
des  Anglais  et  des  ^'énitiens,  la  vérité  serait  entre  les  deux  chiffres.  Pour  les 
chargements  destinés  à  Alexandrie  les  .Marseillais  indiquèrent  une  valeur  moyenne 
de 60,000  livres,  or  il  ne  partait  pour  cette  échelle  qt^y  de  gros  vaisseaux  qui 
portaient  toujours  en  argent  ou  en  marchandises  un  fonds  bien  plus  considérable. 
Il  faut  aussi  remarquer  que  les  évaluations  données  par  Seguiran  dans  son  Rap- 
port soBt  celles  des  chargements  destinés  pour  le  Levant,  Cîr  on  sait  que  sur 
l'argent  qu'ils  transportaient  dans  le  Levant  les  Provençaux  faisivient  un  bénéfice 
de  10  0/0  au  moins  et  souvent  de  15  à  17  0/0'  et  qu'ils  employaient  tout  leur 
fonds  ix  faire  des  achats  pour  leur  retour.  Pour  ces  deux  raisons,  en  majorant  les 
chiffres  de  Seguiran  de  la  moitié  de  leur  valeur,  on  obliendr4  une  estimation  des 
chargements  rapportés  du  Levant  assez  rapprochée  de  la  vérité  et  qui  d'après  les 
indications  des  docuinents  de  l'époque  sera  encore  pliiliM  trop  faible  qu'e.\agcrée. 
Si  on  compare  le  chiffre  ainsi  obtenu  pour  la  valeur  des  importations  du  Levant 
en  France,  en  16} 5,  i  ceux  que  donnent  les  adjudications  des  fermes  du  5  0/0 
en  1632  et  163),  on  voit  qu'il  faut  multiplier  ceux-ci  au  moins  par  trois  pour 
approcher  de  la  vraie  valeur  du  commerce.  Les  chiffres  que  donnent  ces  calculs 
correspondent  bien  aux  indications  que  fournissent  les  documents  et  l'étude  des 
faits,  sur  les  progrès  de  la  décadence  du  commerce  de  i6to  a  1661. 


VII.  —  Note  sur  les  chiffres  de  statistique  donnés  dans  le  livre  II 

(1661-1715) 

Comme  pour  la  période  précédente  il  est  impossible  de  fournir  des  statistiques 
exactes  de  la  valeur  des  marchandises  apportées  du  Levant  en  France,  mais  on 
peut  heureiisemeiu  calculer  des  chiffres  approximatifs  d'une  valeur  beaucoup 
plus  siire.  Les  archives  de  la  Chambre  de  Commerce  de  Marseille  possèdent  en 
effet  deux  séries  de  documents  précieux.  Ce  sont  d'abord  les  comptes  de  la 
recette  du  cottimo  remis  chaque  année  .'i  la  Chambre  \;ix  «  les  directeurs  des 
deniers  de  l'exaction  du  cottimo  «  et  il  partir  de  1675  par  le  trésorier  du  com- 
merce. Ces  registres  de  comptes  contiennent  la  liste  de  tous  les  navires  revenus 
des  échelles  de  1670  a  171 5  avec  l'indication  des  sonmies  qu'ils  ont  pyées 
(CC,    3j  tt  suimnls.  —  Registres  reliés  en  parchemin  ;    il  y  en  a  un  par  an  à 


(l)  Parfait  Nigoc'uinl ,  p.  4}-». 


xvni 


APrENDlCE 


partir  de  1675. —  Nous  ne  possd'dons  pas  tes  originaux  mais  des  copies  £sUes 
juin  1716  lors  de  la  r<îvi>ion  des  comptes  de  1a  Chambre  depuis  I.»  créatiofi  rfîT 
cottimo.  On  trouve  en  effet  à  la  tin  des  registres  h  mention  suivante  :  Vu  par 
nous  commissaires  députés  pjr  lettres  pjtcntos  du  S  février  1716  pour  procéder  à 
la  révision  des  comptes  de  la  Ciianibre  de  commerce  depuis  1669  inclusivement.... 
Fait  à  Marseille  le....,,  juin  1716.  Signé,  le  maréchal  de  Villars,  Lchfet, 
llaoussctdt  Bourbon  et  de  Bezieux.  —  Collalionné  à  l'original  par  moi  i"  secré- 
taire de  Mk'  le  duc  de  Villars.  ^  Gally).—  D'autres  registres  (II,  ij)  non  moms 
précieux  contiennent,  pour  les  années  r700-i747,  des  tableaux,  annuels  Je* 
navires  revenus  de  chaque  échelle,  avec  le  détail  complet  des  ni.ircliandiscs  de 
leurs  chargements  et  de  leur  valeur,  article  par  article. 

Il  semble  au  premier  abord  que  ces  registres  tenus  par  les  soins  Je  la  Ownibnc 
nous  donnent  des  cliilfres  absolument  sûrs  pour  la  valeur  du  commerce  a  {urtir 
de  1700.  Malheureusement,  en  comparant  pour  la  périiide  de  1700  .i  1715  les 
registres  II  et  CC,  on  constate  qu'ils  sont  très  loin  de  donner  pour  chaquv  année 
le  même  nombre  de  navires  revenus  du  Levant  ;  c'est  qu'en  effet  les  statistiques 
de  ces  deux  séries  de  registres  sont  incomplètes.  Les  comptes  du  cottimo  ne 
mentionnent  pas  les  navires  qui  revenaient  chargés  de  blé,  fromages,  lé{;umes. 
parce  que  ces  denrées  étaient  exemptes  du  droit.  Les  registres  II  les  complètent 
sur  ce  point  en  nous  donnant  le  détail  des  chargements  de  blés  rapponés  de 
l'Archipel,  de  Salonique  et  d'autres  échelles  entre  1700  et  1715  ;  mais  ils  offrent 
des  lacunes  bien  plus  importantes.  Rédigés  par  les  soins  de  la  Chambre,  mais 
après  1747,  ils  omettent  pour  la  période  1700-1715  un  nombre  assez  convUc- 
rable  de  navires.  Ce  ne  peut  être  par  ignorance  puisqu'il  n'y  avait  qu'a  consulter 
les  registres  CC  pour  connaitro  le  cliitTre  exact  des  navires  revenus  du  Levant  <wut 
ceux  chargés  de  blé).  Comme  ces  statistiques  furent  certainement  dressées  par 
ordre  de  la  Cour  pour  préparer  quelque  arrêt  ou  règlement,  la  Chambre  eut  peut- 
être  à  dissimuler  les  vrais  chiffres  du  commerce.  Quoi  qu'il  en  soit,  les  tableaux  II 
n'indiquent  pour  1700-171  >  que  697  gros  vaisseaux  revenus  du  Levant  i.indis  que 
les  registres  CC  en  comptent  782,  c'est-à-dire  85  de  plus.  En  revanche  sur  les 
premiers  le  nombre  des  petits  bâtiments  est  beaucoup  plus  considérable  2.668  au 
lieu  de  1888  parce  que  c'étaient  les  petits  bâtiments  qui  faisaient  presque  exclusi- 
vement le  commerce  des  blés  et  qu'ils  ne  figuraient  pas  sur  les  n.-gistrcs  du 
cottimo.  Les  deux  séries  de  statistiques  se  complètent  donc  Tune  par  l'autre  pour 
la  période  de  1700-1715. 

Le  tableau  ci-dessus  (p.  xv  ),  de  la  valeur  des  importations  de  marchandises 
du  Levant,  a  été  dressé  d'après  les  chitiVes  du  cottimo,  mais  le  calcul  n'a  pu  être 
qu'approximatif.  En  cfTct  le  cottimo  ne  correspondait  pas  exactement  à  la  valeur 
des  charf^ements,  le  taux  de  ce  droit  dépendait  de  la  catégorie  à  laquelle  les 
navires  appartenaient  (vaisseau,  polacre,  barque,  tartane)  et  de  l'échelle  où  ils 
avaient  chargé.  Or  le  même  vaisseau,  venant  de  la  même  échelle,  pouvait 
rapporter  des  chargements  de  valeur  très  variable  suivant  les  circonstances,  La 
Chambre  estimait  olliciellement  la  valeur  du  cottimo  à  3  0/0  et  après  1686  â 
I  1/2  o/û  ;  quand  un  navire  revenait  avec  un  cliargenicnt  trop  incomplet,  au 
lieu  de  lui  faire  payer  le  cottimo  entier  elle  lui  faisait  payer  î  ou  i  1/2  0/0  de  la 
valeur  de  ses  marchandises.  Mais  on  se  tromperait  fort  en  estimant  le  cottimo  i 


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APPENDICE  XIX 

un  taux  aussi  élevé  ;  en  réalité  il  représentait  une  valeur  bien  inférieure.  Ainsi, 
l'imposition  du  i  i '2  o/o  établie  par  la  Chambre  en  1705  produisit  en  1704 
120.000  livres  pour  46  bdtiments,  en  1705  95.000  pour  45,  en  1706  81.000 
pour  }8,  etc..  .  Il  y  avait  li  des  bâtiments  de  toute  catégorie  et  de  toute  prove- 
nance, mais  à  supposer  même  que  tous  eussent  été  des  vaisseaux  venant  de 
Smyrne  payant  i .  500  livres  de  cottimo  (chiffre  maximum)  ce  droit  perçu  sur 
les  mêmes  bâtiments  aurait  produit  des  sommes  inférieures  presque  de  moitié  ; 
donc  le  cottimo  ne  s'élevait  pas  en  moyenne  à  la  moitié  de  la  valeur  du  i  1/2  0/0. 
Et  cependant  l'on  sait  que,  quand  la  Chambre  établissait  un  droit  ad  vithrem  de 
I  1/2  ou  3  0/0,  les  marchandises  étaient  estimées  à  bas  prix  pour  la  perception  de 
ce  droit  si  bien  qu'il  ne  représentait  pas  le  taux  auquel  il  était  évalué. 

Il  faut  aussi  remarquer  que  la  valeur  du  cottimo  relativement  à  celle  des 
chargements  des  navires  était  bien  différente  suivant  les  échelles.  Un  vaisseau 
venant  de  Smyrne  où  l'on  faisait  les  plus  riches  chargements,  et  où  le  commerce 
avait  la  plus  grande  sécurité,  était  taxé  à  i .  500  livres  :  s'il  venait  d'Alexandrie  il 
n'en  payait  que  800  parce  que  les  chargements  y  étaient  en  1669  de  moindre 
valeur  et  que  les  vaisseaux  y  payaient  souvent  des  droits  d'avaries  élevés  ;  mais, 
à  la  fm  du  xviic  siècle,  le  commerce  du  café  procura  de  riches  chargements  et  la 
sécurité  devint  beaucoup  plus  grand  en  Egypte,  cependant  la  taxe  du  cottimo  resta 
la  même  ;  elle  était  donc  beaucoup  plus  légère  qu'à  Smyrne.  Il  en  fut  de  même 
à  Constantinoplc  dont  les  vaisseaux  ne  payaient  que  600  livres  parce  que  le 
commerce  de  cette  échelle  était  d'abord  assez  misérable  et  que  les  ambassadeurs 
faisaient  des  levées  fréquentes  sur  les  navires  ;  or  ces  levées  leur  furent  complè- 
tement interdites  depuis  1685  environ  et  le  commerce  de  l'échelle  s'améliora. 

Pour  calculer  la  valeur  des  exportations  du  Levant  d'après  les  chiffres  du 
cottimo,  il  fallait  donc  rechercher  d'abord  quel  était  le  taux  exact  de  cette  imposi- 
tion pour  chaque  échelle.  Cette  recherche  a  été  faite  en  comparant  avec  soin  les 
registres  CC  et  le  tableau  II  :  sur  les  uns  se  trouvent  les  chiffres  de  cottimo 
payés  par  les  vaisseaux,  sur  l'autre  la  valeur  des  chargements  des  mêmes  navires. 
Ces  calculs  ont  été  multipliés  autant  que  possible,  afin  d'obtenir  des  chiffres  plus 
sûrs.  Un  autre  document  a  servi  à  établir  la  valeur  relative  des  cottimos  c'est  un 
tableau,  envoyé  par  la  Chambre  au  Ministre,  de  la  valeur  des  marchandises 
apportées  du  Levant  en  1679,  ^°'  ^'  (^fi>  ^^)t  où  sont  mentionnés  à  la  fois  les 
vaisseaux  revenus  de  chaque  échelle  et  la  valeur  de  leurs  chargements.  Ces 
calculs  dont  les  résultats  ont  en  outre  été  comparés  aux  indications  qui  se  trouvent 
dans  différents  documents  sur  la  valeur  des  cargaisons  qui  provenaient  des  diffé- 
rentes échelles,  ont  amené  à  déterminer  les  valeurs  suivantes  pour  les  cottimos  : 
Alep  1/130,  Smyrne  i  170,  Seîdc  3/4  0/0,  Alexandrie  i/)  0/0,  Constantinople 
1/250,  Candie,  Archipel  i  0/0.  —  C'est  d'après  ces  taux  divers  qu'ont  été 
calculés  les  chiffres  des  exportation  de  chaque  échelle  en  France  de  1670  à  171 5. 

Malheureusement  ces  estimations  de  la  valeur  du  cottimo  ne  représentent  que 
des  moyennes,  trompeuses  comme  toutes  moyennes.  Les  chiffres  de  notre  tableau 
sont  exacts  pour  une  période  de  plusieurs  années,  ils  risquent  d'être  sensiblement 
inexacts  pour  une  année  déterminée.  Il  ne  faut  pas  oublier  non  plus  qu'ils  sont 
incomplets,  la  valeur  des  blés  et  autres  denrées  exemptes  du  cottimo  n'y  est  pas 
comptée.  Il  est  facile  pour  la  période  1700-1715  de  compléter  ces  chiffres  en 
prenant  dans  les  registres  II,  13  les  valeurs  de  ces  denrées. 


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XXVI  APPENDICi; 

IX.  —  Tableau  des  marchandises  rapportées  du  Levant  en  France 
avec  de  brèves  indications  au  sujet  de  leur  nature  et  de  leur 
usage'. 

r>  Drogueries. 

Agaric.  —  Ce  nom  est  donné  aujourd'hui  à  des  champignons  très  nombreux. 
—  L'agaric  du  chêne  (Boietus  igniarius  L.)  desséché  et  préparc  devient  l'agaric 
des  chirurgiens  que  l'on  emploie  comme  hémostatique.  —  L'agaric  blanc 
(Polyporus  officinalis  Pries.)  est  un  violent  purgatif  drastique.  —  Il  est  difficile 
de  préciser  quelle  sorte  d'agaric  on  rapportait  autrefois  du  Levant.  Voici  sur 
cette  drogue  les  indications  du  Dictionnaire  du  Commerce  :  «  Excroissance  qui 
naît  comme  un  potiron  ou  comme  un  champignon  sur  le  tronc  et  les  grosses 
branches  de  différents  arbres.  —  L'agaric  mâle,  commun  ou  pesant,  s'emploie 
ordinairement  pour  teindre  en  noir  et  on  le  met  au  nombre  des  drogues  non 
colorantes  dont  les  teinturiers  du  grand  et  bon  teint  doivent  se  servir. —  L'agaric 
femelle  est  le  plus  estimé  parce  qu'il  a  beaucoup  d'usage  dans  la  médecine.  — 
Le  meilleur  agaric  vient  du  Levant  ;  la  plupart  se  tire  par  Smyrne  où  on 
l'envoie  de  Dadalie  qui  en  est  à  plus  de  quinze  journées.  On  en  peut  acheter 
année  commune  jusqu'à  500  ocos  ■*.  » 

Aglu  ou  Glu  du  Levant.  —  Tandis  que  la  glu  ordinaire  se  faisait  avec  la 
seconde  écorce  du  houx,  la  glu  d'Alexandrie  ou  du  Levant  se  préparait  avec 
des  sebestes(voir  ce  mot). 

Aloès.  —  Substance  résineuse  que  l'on  retire  des  feuilles  charnues  de  plusieurs 
aloès.  —  Comme  au  ww  siècle  on  en  distingue  encore  dans  le  commerce  trois 
sortes  :  l'aloès  socotrin  (cicotrin,  BB,  90),  le  meilleur,  qui  venait  autrefois  de 
Socotora.  —  L'aloès  hépatique  (épatic)  moins  pur,  qui  tire  son  nom  de  sa 
couleur  analogue  à  celle  du  foie,  —  l'aloès  caballin,  le  moins  estimé.  —  (Pour 
le  commerce  de  l'aloès  au  moyen  âge  voir  Heyd,  t.  II,  p.  563.) 

Assa  tœtida.  —  Gomme  résine  fétide  qu'on  obtient  par  des  incisions  faites  à  la 
tige  et  au  collet  de  la  racine  du  Ferula  .\ssa  fœtida  L.  —  L'assa  fœtida,  dit 
Savar}',  n'a  plus  guère  d'usage  que  pour  les  maréchaux  qui  en  consomment 
beaucoup.  Il  en  vient  des  Indes,  de  Perse,  de  la  Médie,  de  l'Assyrie  et  de 
l'Arabie.  La  plus  grande  partie  de  celle  qu'on  a  en  France  vient  de  Londres. 
Les  Anglais  l'envoient  dans  de  grands  tonneaux,  ce  qui  la  fait  reconnaître 
d'avec  celle  de  Marseille  qui  est  dans  des  paniers  de  feuilles  de  palmier. 

(i)  Cette  liste  acte  dressée  .lussi  complète  que  possible  d'après  différents  documents  des 
.\rcliivcs  de  1.1  Cluimbrc  :  Etats  des  marchandises  déchargés  à  Marseille  de  1700  à  niô.  |7, 
JS.  —  Tarifs  du  droit  de  SO  O'O  dresses  par  arrêts  du  Conseil  du  10  juillet  1703  tt  du  IG 
janvier  170(1.  If  H,  .'>. —  Tableati  du  prix  des  marchandises  de  IGSO  à  1706.  BB,  00.  — Quant 
aux  rciiscignoniciits  sur  les  niarcli.iiidises  ils  ont  été  tirés  du  Dictionnaire  du  Comweice  de 
S.iv.iry  de  Brusions,  particulièrement  bien  informe  sur  le  commerce  du  Levant.  —  L'idcnti' 
licjtion  scientifique  des  diverses  drogueries  a  été  empruntée  au  Dictionnaire  de  Médecine  de 
LiTiRù  et  Robin. 

(2)  L'oco  ou  ocque,  mesure  de  pdids  la  plus  employée  alors  dans  le  Levant,  valait  400 
c  dragmcs  »  ou  ;  livres  2  onces,  poids  de  Marseille. 


APPENDICE 


XXVII 


Balaustes.  — On  appcltait  aiasi  les  Meurs  du  grenadier  sauvage;  elles  étaient 
réputées  astringentes  et  servaient  dans  la  médecine. 

Baume  blanc  —  «  Espi'cc  de  gomme  en  grande  rcputaiion  en  mt-decine  et  en 
chirurgie  et  qui  est  un  remède  souverain  pour  la  guOrison  des  plaies  et  de 
quantité  de  maladies.  Les  dames  en  font  aussi  un  cas  extraordinaire  parce  que, 
mêlé  avec  un  jaune  d'œuf  et  de  l'esprit  de  vin,  elles  en  composent  un  lard 
excellent.  Les  véritables  baumes,  c'est-à-dire  les  baumes  naturels,  se  réduisent 
presque  au  bauiiic  du  Levant  et  au  baume  du  Pérou.  Le  baume  du  Levant,  que 
l'on  tiein  pour  le  plus  excellent,  coule  de  l'incision  que  l'on  fait  dans  un  arbre 
du  même  nom  qui  croit  en  Egypte  et  en  Judée  et  qui  est  si  précieux  qu'il  fait 
partie  du  donwiwe  particulier  du  Grand  Seigneur...  Peu  de  personnes  peuvent 
se  x'anter  de  l'avoir  pur  et  son  pris  est  cause  qu'on  le  sophistique  presque  au 
sortir  de  l'arbre  d'où  il  distille.  Sa  véritable  couleur  est  de  jaune  doré.  Il  y  a 
encore  le  baume  de  la  Mecque  qui  est  une  gomme  sèche  et  blanclie,  il  ressemble 
assez  à  de  la  couperose  blanche,  surtout  quand  il  est  vieux.  Il  .t  toutes  les  venus 
du  baume  de  Judée  et  il  y  a  bien  de  l'apparence  que  c'est  le  même  qui  s'est 
durci  et  qui  ,i  changé  de  couleur.  »  Savarv.  (Voir  les  intéressants  détails  que 
donne  Heyd  sur  le  commerce  du  baume  au  moyen  âge,  t.  Il,  p.  S/j-ilo.) 
Aujourd'hui  l'ancien  baume  du  Caire,  de  la  Judée,  de  la  Mecque,  est  considéré 
comme  une  térébenthine.  Il  s'obtient  par  l'incision  de  l'écorce  du  B.ilsamo- 
Jendron  nu  .Amycis  opobalsamum  et  gileadcusc  Kunih. 

Bdelliura.  —  Gomme  résine  de  l'.^r.ibie  et  des  Indes  Orientâtes  produite  par 
une  plante  qui  était  inconnue  au  xvii''  siècle  et  l'est  encore  aujourd'hui.  Cette 
gomme  entrait  dans  la  composition  de  l'cmplàtrc  divin,  du  niitliridaie,  etc. 

Benjoin.  —  Baume  qui  découle  d'incisions  f.iites  au  tronc  du  Styr.ix  ben/oin. 
Dryandcr.,  arbre  qui  croît  à  Sumatra,  à  Java  et  dans  le  royaume  de  Siam.  — 
«  On  tire  du  benjoin  des  fleurs  blanches  propres  pour  les  asthmatiques  et  une 
hiiile  qui  est  une  espèce  de  bnunie  pour  ks  plaies.  «  Savakv.  —  (V.  HtYti, 
t.  ll.p.  s8o). 

Bol  armenium.  —  Les  anciens  désignaient  sous  le  nom  de  bols  des  terres 
.tri^ik-uses  qui  servaient  à  différents  usages  en  médecine.  Ils  leur  donnaieiil  des 
formes  particulières  et  leur  imprimaient  uti  cicltet  (stgillum)  d'où  le  nom  de 
terres  sigillées.  —  Le  bol  d'Arménie  ou  bol  oriental  était  une  argile  ocreusc 
rouge  (couleur  due  à  de  l'oxyde  de  fer),  tonique  c»  astringente.  —  «  On  le 
croit  dessicatif  et  cette  qualité  le  lait  employer  pour  plusieurs  maux  intérieurs  et 
extérieurs.  »  Sav.\rv. 

Cardamome.  —  On  donne  ce  nom  aux  fruits  de  plusieurs  espèces  du  f;enrc 
anionie,  en  particulier  à  celui  de  l'amomum  Cardamomum  L.  —  Peut-être 
les  trois  espèces  de  cardamome  connues  autrefois  (grand,  moyen,  petit),  et 
aujourd'hui  encore,  en  droguerie,  ne  sont-elles  que  des  variétés  de  ce  dernier 
fruit.  —  a  Le  petit  se  recueille  au  roj'aume  de  Cinanor  sur  une  montagne  à 
six  ou  sept  lieux  de  la  mer,  c'est  le  seul  endroit  du  monde  oi'i  l'on  en  trouve. 
Presque  tout  ce  cardamome,  le  plus  estimé  et  le  plus  précieux,  se  débite  et  se 
consomme  en  Orient  à  cause  que  les  peuples  ne  trouvent  leur  riz  bien  assai- 
soimé  qu'avec  celte  sorte  de  drogue  ou   épice.  Nos  marchands  droguistes  de 

36 


XXVm  APPENDICE 

France  le  tirent  des  Anglais  et  Hollandais.  Ces  derniers  en  consomment  beau- 
coup parce  qu'ils  se  plaisent  à  le  michcr.  »  Savarv.  — (V.  Heyd,  p.  601-602.) 

Casse.  —  Drogue  qui  purge  doucement  et  qui  était  l'une  des  plus  communément 
ordonnées  par  les  médecins  et  apothicaires.  On  distinguait  la  casse  du  Levant, 
d'Egypte,  du  Brésil  et  des  Antilles.  —  Pulpe  des  fruits  du  canéficier  :  Cassia 
fistula  L.  (Heyd,  t.  II,  p.  602.) 

Colequinte  (Coloquinte).  —  Fruit  du  cucumis  colocynthis  L.,  de  la  grosseur 
d'une  grosse  orange.  Purgatif  des  plus  violents.  La  meilleure  venait  et  vient 
encore  d'Alep. 

Coque  du  Levant.  —  Espèce  de  fruit  de  la  grosseur  d'un  grain  de  chapelet, 
avec  un  noyau  intérieur  qui  est  la  coque.  Elle  servait  à  faire  périr  la  vermine  ; 
on  l'employait  aussi,  alors  comme  aujourd'hui,  pour  enivrer  le  poisson,  surtout 
dans  les  eaux  dormantes. 

Corcome.  (Curcuma).  —  Racine  d'une  plante  des  Indes  Orientales  (Curcuma 
longa  L.).  —  Il  était  employé  comme  stimulant  et  réconfortant. 

Encens.  —  Celui  de  l'Arabie  et  de  l'Abyssinie  est  une  résine  fournie  par  un 
balsaniodendron,  celui  du  Bengale  est  produit  par  une  BoswcIIia.  —  L'encens, 
qui  est  fourni  aujourd'hui  en  grande  partie  par  le  pays  des  Sonuli,  provenait 
surtout  de  l'Arabie  méridionale.  —  (V.  Heyd,  t.  II,  p.  614.) 

Fleur  d'Esquinance.  —  Même  drogue  sans  doute  que  l'esquine ,  dont  le  vrai 
nom  est  squine,  dit  Savarj'.  —  Racine  du  Smilax  China  L.  —  «  Cette  drogue 
dont  on  fait  des  décoctions  et  des  tisanes  sudorifiques  pour  la  guérison  de  ces 
maux  que  la  raison  abhorc  tant  et  que  la  débauche  n'évite  presque  jamais, 
vient  de  la  Chine  et  de  plusieurs  endroits  des  grandes  Indes.  »  Savarv. 

Folium  indy.  —  Feuille  d'un  grand  arbre  des  Indes  qui  pousse  particulièrement 
aux  environs  de  Cambaye.  —  On  ne  l'employait  que  pour  la  com[>osition  de 
la  thériaque. 

Galbanum.  —  Gomme  résine  fétide  qui  découle  du  Ferula  galbanifera  Lobel., 
plante  qui  croit  dans  l'Arabie,  la  Syrie  et  quelques  endroits  des  Indes.  Le 
galbanum  était  d'un  grand  usage  en  médecine  et  entrait  dans  la  composition 
de  plusieurs  emplâtres. 

Gomme.  —  On  recevait  du  Levant  cinq  sortes  principales  de  gommes  dont  les 
usages  étaient  tout  différents. 
Gomme  adragaiit.  —  Elle  sort  spontanément  des  tiges  et  des  rameaux  de  plu- 
sieurs astr.igalus.  —  «  La  meilleure  vient  d'Alep.  —  Les  Marseillais  en  tirent 
aussi  beaucoup  de  Smyrne  où  elle  est  apportée  de  Dadalic  qui  est  à  plus  de 
quinze  journées.  Cette  gomme  a  quelque  usage  dans  la  médecine  où  elle  entre 
dans  la  composition  des  électuaires  pour  les  maladies  des  yeux,  mais  sa  grande 
consommation  se  fait  par  plusieurs  ouvriers  et  artisans  qui  s'en  servent  dans 
divers  ouvrasses.  Les  peaussiers  s'en  servent  beaucoup  dans  la  préparation  de 
leurs  cuirs.  »  Savaky.  —  (V.  Hkyd,  t.  Il,  p.  623.) 
Gomiiif  ammoniac.  —  Gomme  résine  produite  par  une  plante  de  la  Libye  et  de 
la  Perse,  le  Dorenia  ammoniacum  Don.  —  On  en  tirait  un  esprit  et  une  huile 
auxquels  on  attribuait  de  grandes  vertus.  On  l'emploie  encore  dans  la  prépara- 
lion  d'emplâtres  fondants. 


APPENDICE  XXIX 

Gomme  arabique.  —  Fournie  par  plusieurs  plantes  du  genre  acacia.  Elle  venait 
surtout  d'Egypte. 

Gomme  serapine  (serapique  ou  sagapenum).  —  Gomme  résine  provenant  proba- 
blement du  Ferula  persica.  —  Elle  entre  encore  dans  la  préparation  de  plusieurs 
produits  pharmaceutiques. 

Gomme  tnrique.  —  «  Gomme  arabique  tombée  des  acacias  dans  les  temps  de 
pluie  et  qui  s'est  amoncelée  en  grosses  masses.  Elle  est  propre  aux  teinturiers 
en  soie  et  ceux  de  Lyon  on  consomment  beaucoup.  »  —  Savary. 

Graines  de  ben.  —  La  noix  de  ben  est  le  fruit  du  Moringa  aptera  Gœrtner. 
Elle  ressemble  à  nos  noisettes  et  contient  une  am.inde  qui  donne  une  huile 
légère,  inodore  et  purgative  appelée  huile  de  ben.  —  On  s'en  ser\ait  pour 
enlever  les  taches  ou  lentilles  du  visage  ;  elle  était  employée  aussi  par  les  par- 
fumeurs de  gants. 
Il  y  avait  aussi  une  autre  drogue  qu'on  appelait  racine  de  ben,  apportée  des 
montagnes  du  Liban  ;  on  la  mettait  au  nombre  des  cardiaques  et  des  contre- 
poisons. 

Hermodattes  (Hermodacte).  —  «  Il  y  en  a  de  deux  sortes  :  l'une  est  la  racine 
d'une  plante,  l'autre  est  le  fruit  d'un  arbre.  On  fait  venir  celui-ci  d'Egypte  où, 
sur  la  foi  des  Marseillais  qui  l'envoient  à  Paris,  on  dit  qu'il  est  produit  par  des 
grands  arbres  qui  y  croissent  en  quantité.  Ces  derniers  hermodactes  sont  d'usage 
dans  la  médecine.  »  Savary.  —  L'hcrmodacte  officinal  actuel  est  le  bulbe  du 
colchicum  varicgatum  L. 

Ladanum.  —  Substance  gommo  résineuse  qui  exsude  spontanément  sous  la 
forme  de  gouttes  des  feuilles  et  des  rameaux  de  plusieurs  arbrisseaux  de  l'île 
de  Candie,  du  genre  Cistus,  tel  que  le  cistus  ladaniferus  L.  —  On  récoltait 
autrefois  le  ladanum  en  peignant  la  barbe  des  boucs  et  des  chèvres  qui  brou- 
taient les  feuilles  de  ces  arbrisseaux.  La  substance  graisseuse  qu'on  recueillait, 
liquéfiée  et  purifiée  donnait  le  ladanum  liquide  ou  baume  noir  qu'on  enfermait 
dans  de  petites  yessies  très  minces.  Il  entrait  dans  la  composition  des  meilleurs 
parfums.  —  (V.  Heyd,  t.  II,  p.  631.) 

Lignum  alpès  (Bois  d'aioés).  —  On  connaît  sous  ce  nom  des  bois  qui  n'ont 
aucun  rapport  avec  le  suc  d'aloès.  Le  bois  d'aioés  proprement  dit  (lignum  aloès) 
fourni  par  une  légumineuse  de  la  Cochinchine  (Alœxylon  agallochum  Lou- 
rciro)  était  employé  pour  faire  des  fumigations  que  l'on  regardait  comme 
toniques. 

Mastic.  —  Résine  qui  découle  d'incisions,  faites  au  terebinthus  lentiscus  L.  — 
Depuis  le  moyen  âge  le  mastic  était  récolté  surtout  dans  l'île  de  Chio.  Il  en 
venait  aussi  des  autres  parties  du  Levant,  et,  d'après  Savary,  ce  dernier  mastic 
de  qualité  inférieure  était  à  peu  près  le  seul  qui  fût  apporté  à  Marseille.  On 
pouvait  en  acheter  tous  les  ans  à  Smyrne  environ  300  caisses  pesant  chacune 
un  quintal  et  un  tiers.  —  «  Le  mastic  est  de  quelque  usage  en  médecine  où 
on  l'emploie  particulièrement  pour  apaiser  les  maux  de  dents.  On  s'en  sert 
aussi  dans  la  composition  du  vernis  et  les  orfèvres  en  mêlent  avec  de  la  téré- 
benthine et  du  noir  d'ivoire  qu'ils  mettent  sous  les  diamants  pour  leur  donner 
de  l'éclat.  »  Savary.  —  (V.  Heyd,  t.  II,  p.  633.) 


XXX 


APPENDICE 


Mirabolan  (Myrobalan).  —  Petit  fruit  purgatif  ressemblant  à  des  prunes  dessé- 
chées dont  les  droguistes  et  apotliiciires  faisaient  un  grand  commerce.  On  eu 
distinguait  cinq  sortes  qui  toutes  vcnjiein  des  Indes  orientales.  —  Les  piiar- 
maciens  connaissent  encore  aujourd'hui  ces  cinq  variétés  dont  aucune  a"cjt 
beaucoup  employée  (V.  Hevd,  t,  II,  p.  640-42.) 

Mirrhe  (Myrrhe).  —  Gomme  résine  du  balsamodcndron  myrrha  Nccs,  plante 
lérébinlhacée  qui  croit  en  Arabie,  en  Egypte  et  en  .\b\-ssinie.  —  «  Il  faut 
prendre  garde  qu'elle  ne  soit  fourrée  et  mêlée  de  qu.intitc  d'écorccs  d'arbrc> 
et  d'autres  ordures  ou  que  même  elle  n'ait  été  triée,  ce  qui  n'arrive  que 
trop  souvent.  Cette  gomme  entrx;  dans  la  composition  de  plusieurs  !«irtes 
d'onguents  pour  la  guérison  des  plaies  et  c'est  une  des  principales  drogues 
dont  on  se  sert  pour  embaumer  les  corps  morts.  On  tire  de  la  myrrhe,  au 
moyeu  de  la  chimie,  des  huiles,  des  esprits  et  des  teintures,  à  qui  l'on 
.ittribue  de  grandes  vertus.  »  S.w.xRï. 

Momie  (Moumie  ou  Mumie).  —  «  Ces  momies  ne  sont  autre  chose  que  les  cliair^ 
et  graisses  du  corps  humain  qui  ne  font  plus  qu'un  même  tout  et  comme  une 
gomme  de  nouvelle   espèce  avec  les   aromates  dont  on   les    avait   enduites 
pour  les  conserver.  Il  faut  choisir  la  momie    la   moins  kiiv.inte,  bien  noire, 
d'une  bonne  odeur,  et  qui,  brûlée,  ne  sente  point  I.1  poix.  L'on  prétend  que 
toute  celle  que  l'on  vend  présentement  chex  les  marchands  épiciers  droguis- 
tes de  Paris,  soit  qu'elle  leur  soit  apportée  de   Venise  ou  de   Lyon,  soit 
mime  qu'ils  la  tirent  eu  droiture  du   Levant  par  Alexandrie  ou   Marseille. 
n'est  qu'une  momie  pour  ainsi  dire  factice,  et  qu'elle  est  l'ouvrage  de  cer- 
tains juils  qui,  s;ichant  le  cas  que  les  Européens  font  de  la  momie  J'H^ypte, 
la  contrefont  en  faisant  sécher  au  four  des  cadavres   qu'ils  ont    auparavant 
préparés  avec  la  poussière  de  myrrhe,  Taloés  cabulin,  le  bitume   de  Judée, 
de  la  poix  itoire  et  d'autres  gontmcs  ou  communes  ou  mauvaises.  Si  cette 
opinion   est   véritable,  on  devrait  bien  se  désabuser  de  l'usage  d'une  aussi 
misérable  drogue.  »  Savauy.  —  On  attribuait  alors  à  la  momie  des  vertus 
cxtmordinaires.  —  (V.  Heyd,  t.  11,  p.  635.) 
On  donnait  aussi  le  nom  de  inomie  à  une  sonc    de   goudron   nitnéral.  le 
pisasphalte,  qui  venait  de  la  Pêne.  «  C'est  une  liqueur  minérale  qui  découle 
naturellement  d'un  rocher,  dans  la  province  de  Laer,  et  le  lieu  où   elle   se 
recueille  est  une  caverne  que  les  rois  de  Perse  ont  fait  renfermer  d'une  petite 
forteresse  où  il  y  a  garnison,  laquelle  est  commandée  par  un  gouverneur  par- 
ticulier qui  ne  dépend  que  du  roi  de  Perse  et  qui  est   chargé   de   recueillir 
tout  ce  qu'il  peut  de  cette  liqueur.  La  grotte  qui   en    produit  la    mcilleua' 
est  fermée  et  scellée  du  sceau  du  roi.  —  On  n'en  tire  pas  plus  de  huit  ou 
dix  onces  par  an,  en  sorte  qu'elle  est  très  rare.  Comme  cette  momie  appar- 
tient uniquement  nu  roi  et  qu'il  ne  s'en  produit  guère,  il  est  ditficile  d'en  obte- 
nir et  surtout  pour  de  l'argent...  Mchemcd  Be/abeg,  ambassadeur  de  Perse,  cîi 
présenta  au  feu  roi  Louis  XIV  de  la  part  du  roi  sou  maître,  lorsqu'il  vint  en 
France  pour  conclure  un   traité   d'alliance   et  de  commerce  (en   17 >S).  — 
Cette  momie  est  un  cordial  excellent  qui   répare  les  débilités  du  cœur,  le» 
crudités  d'estomac.  —  C'est  un  contrv-pi.>ison  merveilleux.  —    Elle   rêtahlii 
les  forces  abattues   —  Une  de  ses  principales  vertus  est  de  rejoindre  promp- 


d^i^ 


APPENDICE  XXXI 

tement  les  os  casses,  etc..  »  Savary.  (Heyd  parle  déj.'i  de  la  n;rotte  d'où 
s'cxtr.iyait  cette  momie  au  Moycn-.\ge  et  la  place  à  plusieurs  journées  de 
marche  au  S.-Ii.  do  Chiraz,  dans  le  voisinage  de  Darabgerd.) 

Musc.  —  Substance  animale  renfermée  dans  une  poche  velue  que  porte  près  de 
l'ombilic  un  ruminant,  le  Mosclius  moschiferus  L.,  habitant  des  forets  du 
Boutan,  de  la  Cochinchinc  et  du  Tonkin.  —  «  L'usage  du  musc  est  peu  consi- 
dérable en  médecine  surtout  à  cause  des  vapeurs  que  son  odeur  provoque  aux 
femmes,  mais  les  parfumeurs  en  emploient  assez  considérablement,  quoique 
beaucoup  moins  qu'autrefois,  les  parfums  en  général  et  le  musc  en  particulier 
.nyant  bien  perdu  de  leur  réputation.  »  Savary.  —  (V.  Heyb.  t.  II,  p.  656-40.) 

Noix  vomique.  —  Fruit  du  vomiquier,  arbre  qui  croît  en  plusieurs  endroits  de 
l'Egypte.  —  Elle  passait  pour  sudorifiquc  et  fébrifuge  et  était  mise  au  nombre 
"des  remèdes  diurétiques. 

Opium.  —  Suc  épaissi  des  capsules  du  pavot  somnifère  (papaver  somniferumL.) 
—  «  Quand  ce  suc  sort  par  l'incision  qu'on  y  ùit,  il  garde  son  nom  d'opium,  mais 
quand  c'est  par  expression,  il  prend  celui  de  meconium.  L'opium  est  préférable, 
à  toutes  sortes  d'égards,  au  meconium,  aussi  est-il  rare  que  l'on  envoie  en 
France  de  l'opium  de  la  première  sorte,  les  Turcs  qui  en  font  grand  usage 
ne  permettant  pas  qu'on  le  transporte.  C'est  donc  seulement  du  meconium  que 
les  épiciers  droguistes  vendent  ordinairement  pour  opium.  Il  leur  vient  du 
Levant  et  particulièrement  du  Caire  par  voie  de  Marseille  ;  encore  n'est-il  pas 
bien  parfait  ni  bien  pur,  les  Levantins  pour  avoir  plus  t6t  fait  et  pour  multi- 
plier leur  suc  le  tirent  également  des  têtes  et  des  feuilles  de  pavots...  II  se  fait 
une  très  grande  consommation  et  un  commerce  considérable  d'opium  dans 
tout  le  Levant.  De  Smyrnc  seul,  on  en  peut  tirer  jusqu'à  1000  ocos  par  an, 
encore  plus  au  Caire,  et  des  autres  échelles  à  proportion.  »  Savary. 

Opoponax  (Opoponax).  —  Suc  gomnieux  obtenu  par  des  incisions  faites  au  collet 
de  la  racine  du  Pasténaca  opopanax  L.,  plante  qui  croît  en  abondance  en  Grèce 
et  en  Macédoine.  (D'après  le  Dict.  de  Mid.,  il  vient  aujourdliui  de  Syrie).  — 
«  Cette  gomme  a  presque  les  mêmes  vertus  que  le  sagapcnum  pour  la  guérison 
des  plaies,  ce  qui  fait  qu'il  entre  dans  la  composition  de  l'onguent  divin,  avec 
le  galbanum,  l'ammoniac  et  le  bdellium.  »  —  Savary. 

Orpiment  (Sulfure  jaune  d'arsenic  naturel  ).  —  «  Les  peintres,  les  maréchaux  et 
quelques  autres  ouvriers  font  une  assez  grande  consommation  de  ce  minéral. 
Ce  sont  les  Anglais  et  les  Hollandais  qui  l'envoient  aux  marchands  épiciers 
droguistes  de  France,  particulièrement  à  ceux  de  Paris.  »  —  Poison  corrosif 
très  violent. 

Pignons  d'Inde.  —  Semence  du  Jatropha  curcas.  —  Purgatif  très  violent,  d'un 
goût  très  acre. 

Pirèthre.  —  Racine  médicinale  qui  venait  de  Tunis.  On  s'en  servait  pour  apaiser 
les  maux  de  dents  et  les  vinaigriers  l'employaient  aussi  dans  la  composition 
de  leurs  vinaigres. 

Rhapontic.  —  «  Nom  ancien  de  la  rhubarbe  de  France,  originaire  des  bords  du 
Pont  Euxin  et  du  nord  de  la  mer  Caspienne  »  (Dicl.  de  tnéd.).  —  «  Racine  que 
l'on  confond  quelquefois  avec  la  rhubarbe.  Quoique  ceux  qui  envoient  la  rhu- 


XXXII  APPENDICE 

barbe  à  nos  épiciers  et  droguistes  de  Paris  y  mêlent  souvent  de  la  racine  du 
premier,  il  est  aisé  d'en  faire  la  différence.  »  —  Savary. 

Rhubarbe.  —  La  véritable  rhubarbe  est  la  racine  du  Rheuni  ofTicinale  Bâillon 
et  probablement  d'autres  plantes  de  la  même  lamillc.  Hlle  vient  des  monta- 
gnes de  la  Chine  et  particulièrement  des  provinces  de  Chen-si,  Kan-sou  et 
Se-tchouen.—  Au  moyen  âge  et  au  xvii«  siècle  on  ne  savait  pas  exactement 
d'où  elle  venait.  «  Les  uns  disent  qu'elle  vient  dans  le  royaume  de  Boutan, 
les  autres  qu'on  la  trouve  dans  les  provinces  de  Xensi  et  de  Suchen  dans  la 
Chine  d'où  elle  passe  en  Turquie  par  le  moyen  des  marchands  du  Tliibet  et 
du  Mogol  ;  d'autres  la  font  naître  sur  les  contins  de  la  Moscovie  et  d'autres 
seulement  dans  la  l*er.se.  »  Savary.  —  La  Rhubarbe  était  d'un  très  grand 
usage  en  médecine  et  on  lui  attribuait  des  propriétés  extraordinaires.  —  (V. 
Heyd,  t.  II,  p.  665-667.) 

Scammonée.  —  Gomme  résine  dont  on  distingue  encore,  comme  au  xviii  siècle 
deux  sortes  :  la  scammonée  d'Alcp,  la  meilleure,  qui  parait  provenir  d'inci- 
sions faites  au  collet  de  la  racine  du  Convolvulus  scammonia  L.  ;  la  scammonée 
de  Smyrnc  fournie  par  plusieurs  plantes ,  entre  autres  le  periploca  scammone. 
«  II  n'y  a  guère  de  purgatifs  plus  surs,  mais  aussi  plus  violents  que  la 
scammonée  ce  qui  fait  qu'on  ne  s'en  sert  jamais  sans  en  avoir  corrigé  la  trop 
grande  force  par  quelque  préparation  et  alors  on  l'appelle  di.igredc  ou  scam- 
monée diagredé.  On  tire  de  ce  suc  une  résine  qui  a  plus  de  vertu  que  la 
scammonée  même  et  l'on  en  fait  un  sirop  qui  est  un  très  bon  et  très  doux 
purgatif.  »  Savary.  —  (V.  IlKYn.  t.  II,  p.  669.) 

Schine.  —  (China  ou  Chine).  «  Racine  médicinale  qui  vient  d'Orient.  Cette 
racine  est  d'un  rouge  brun  tirant  sur  le  noir  au  dehors  et  blanche  ou  rougeâtre 
en  dedans.  I-!lle  croit  dans  dos  marais  qui  sont  ordinairement  couverts  de  la 
nier  qui,  en  se  retirant,  en  entraine  quantité  sur  la  grève.  On  la  croit  e.xcellente 
pour  guérir  la  goutte  sciatique  et  elle  est  aussi  estimée  souveraine  contre 
l'hydrupisie  et  l'asthme.  »  Savaky. 

Sebestes.  —  Fruits  desséchés  du  CorJia  Sebestena  I,.  qu'on  récollait  aux  envi- 
rons de  Seïde,  adoucissants  et  légèrement  laxatifs.  —  Ils  servaient  à  préparer 
la  glu  du  Levant  ou  d'.Mexandrie. 

Sel  ammoniac.  —  «  L'ammoniac  naturel,  n'est  autre  chose  que  l'urine  de 
chameau  cristallisée.  Il  est  si  rare  en  France  qu'il  ne  s'en  fait  aucun  commerce. 
—  On  tire  le  sel  ammoni.ic  artificiel  par  le  moyen  des  vaisseaux  sublimatoires 
de  toutes  sortes  d'urines  d'honuues  et  d'animaux  où  l'on  a  mêlé  du  sel  commun 
ei  de  la  suie  de  cheminée.  Il  vient  ordinairement  de  Venise  et  de  Hollande. — 
L'usage  de  ce  sel  est  fort  considérable  en  l'raiice,  soit  pour  la  médecine,  soit 
pour  beaucoup  d'ouvriers,  teinturiers,  (ondeurs,  orfèvres,  maréchaux,  etc....  » 
Savahy.     -  Il  s'agit  ici  du  chlorhydrate  d'annnoniaque. 

Semence  de  ben.  —  Plusieurs  drogues  sont  qualifiées  du  nom  de  semences, 
ainsi  la  semence  de  sauge,  la  senience  de  ben.  V.  Graines  de  ben. 

Semencine  ou  semen  contra.  —  On  le  recevait  dWlep  et  de  Smyrnc.  — 
Vermifuge  bien  connu. 


APPENDICE 


XXXlIll 


Setnea  cartami.  —  Cette  drogue  devait  ctrc  an.ilogue  ^u  icmcn  contra. 
Savary  pUcc  ce  nioti  l'article  Scmcnciiic  sans  aucune  explication. 

Séné.  —  l'urjjaiif  des  plus  einplo)ès,  encore  aujourd'liui.  —  L'arbrisseau  (plu- 
sieurs espèces  du  genre  Cissia)  qui  porte  les  feuilles  de  séné  est  cullivé  en 
plusieurs  endroits  du  Levant.  —  «  M.  Binndel  qui  a  été  longtemps  consul  di. 
la  nation  française  dans  plusieurs  échelles  du  Levant,  nous  assure  que  le  vrai 
séné  ne  croit  que  dans  les  bois  d'k'tbiopie  et  en  Arabie  aux  environs  de  Moca, 
qu'on  ne  l'achetait  autrefois  qu'au  Ciire  et  que  celui  qu'on  tire  de  Seide,  de 
Tripoli,  etc.,  y  est  apporté  du  Caire  ou  d'Arabie  par  des  caravanes,  ou 
d'Alexandrie  par  mer.  —  Les  épicicrs-droguisics  de  Paris  distinguent  trois 
sortes  de  séné.  —  La  première  espèce  est  le  séné  qui  vient  de  Scîdc  qu'on 
nomme  séné  de  l'appaltc,  du  mot  appalto  qui,  en  langue  franque  et  Italienne, 
si|j;nilîe  ferme  ou  gabelle,  les  douaniers  du  G.  S.  faisant  payer  un  droit  assez 
considérable  pour  en  permettre  le  transport.  —  La  seconde  espèce  est  te  séné 
de  Tripoli  ou  d'Alexandrie.  —  La  troisième  espèce  est  le  séné  de  Moca  ou  A  la 
pique.  —  Les  marchands  épiciers  et  droguistes  vendent  encore  le  grabeau  ou 
poussière  qui  se  trouve  au  fond  des  balles,  ce  qui  est  une  assez  nnauvaisc 
marchandise.  »  Savary. 

Spica  celtica.  —  Le  nard  celtique.  —  •  Se  trouve  sur  les  montagnes  des  Alpes 
et  en  d'autres  endroits.  Les  marchands  de  Paris  le  reçoivent  par  la  voie  de 
Marseille  et  de  Rouen.  »  Il  était  moins  estimé  que  le  nard  indien,  spicanarJi. 

Spicanardi.  —  Racine  de  l'andropogon  nardus  L.  qui  venait  des  Indes.  —  Elle 
entrait  dans  la  composition  de  la  thcriaque. 

Stia  marin  (ou  stinc).  —  <  Espèce  de  petit  lé/ard  amphibie,  assez  semblable  au 
crocodile  pour  la  figure,  mais  si  petit  que  les  plus  grands  ne  passent  guère 
quinze  pouces  de  longueur.  Il  s'en  trouve  quantité  en  Egypte  le  long  du 
Nil  et  c'est  de  \i  qu'on  les  apporte  en  France.  —  On  croit  leur  chair  bonne 
contre  les  poisons  et  propre  .i  ranimer  la  chaleur  des  vieillards.  —  Le  stinc 
entre  dans  la  composition  du  mlthridate.  u  Savary. 

Storax.  —  Baume  d'odeur  très  agréable  qui  provient  du  styrax  oflîcinalc.a  II  y 

a  de  trois  sortes  de   storax,  le  storax  rouge,  le  calamité  et  le  liquide.  —  Le 

storax  liquide  est  une  espèce  de  résine  factice  de  couleur  grise  composée  de 

vrai  storax,  de  galipot,  d'huile  et  de  vin  battus  avec  de  l'eau  pour  le  rendre  en 

consistance   d'onguent.    Il   vient   assez  grande  quantité  de  storax  liquide  de 

plusieurs  échelles  du  Levant,  particulièrement  de  Smyrne,  on  en  lire,  année 

connnunc,   de  cette   ville  jusqu'à  2.000  ocos.  —  Le  storax  calamité  est  une 

composition    de  plusieurs  drogues  excellentes.  —    Du  storax  et  du  benjoin 

auxquels  on  ajoute  du  musc,  de  la  civette  ou  de  l'ambre,  suivant  qu'on  aime 

[ces  odeurs,  on  fait  d'excellentes  pastilles  dont  on  brûle  au  lieu  d'encens  ordi- 

In.iire  dans  les  principales  églises  des  catholiques.  —  On  compose  aussi  du  lait 

LJiginal  avec  ces  deux  gommes  que  l'on  fait  dissoudre  dans  de  l'esprit  de  vin; 

Lite  drogue  que  les  dames  emploient  pour  leur  teint,  et  dont  se  servent  aussi 

L-s  barbiers  étuvistes,  doit  être  d'un  beau  rouge,  claire,  odorante,   et  qui  ne 

te  point  l'esprit  de  vin.  »  SavarV. 

irindy  (Tamarin).  —    Fruit  du   Limarindus   indica,   arbre  des  Indes,  de 
Lsic  occidentale  et  de  l'Egypte.  —  Purgatif  d'un  goût  aigre  et  assez  agréable. 


XXXn'  APPENDICE 

Turbit  (Turbithl.  —  «  Racine  médicinale  (convolvulusturpethum)  qui  vient  Jes 
grandes  Indes,  surtout  de  Cimbaye,  Surate  et  Goa  :  d'autres  prétendeat  néan- 
moins que  le  \'éritahle  turbit  vient  particulièrement  de  l'ilc  de  CeyUn.  Le 
turbit  des  modernes  a  si  peu  de  ressemblance  avec  celui  des  anciens  qu'il  c=>i 
ditHcile  de  croire  que  ce  soit  le  même.  »  Savary.  —  Pargatif  drastique  antre- 
lois  très-employé. 

TuUe.  (Tuthie).  —  Suie  métallique  (oxyde  de  zinc)  qui  resuit  attachée  a  des 
rouleaux  de  terre  qu'on  suspendait  exprès  en  haut  des  fourneaux  des  tbadenn 
en  bronze.  —  On  la  recevait  d'abord  d'Alexandrie  et  plus  tard  d'AIIcmaçce. 
—  «  La  tutie  est  propre  pour  les  maladies  de»  yeux,  délayée  dans  de  l'eic  ie 
rose  ou  de  l'eau  de  plar.tin  et  incorporé  dans  du  beurre  irais.  Elle  est  aossi  -:: 
excellent  remède  pour  les  hémorroïdes.»  Savary.  (V.  Hevd.  t.  IL  p.  &;^--j.i 

Zedoaire.  —  On  distinguait  et  on  distingue  oncore  la  zedoaire(Curcunia  2e-S:u- 
nia  Rt.>%coc)  qui  vient  des  Indes  et  des  Moluques  et  la  zedoaire  ro-auje  o*. 
zenimbet.  —  Sorte  de  gingembre  sauvage  qui  passait  pour  un  excellent  cctr.ii2. 
iV.  Hevd.  t.  II.  p.  676.1 

2-"  Bfatières  premières  employées  par  rindustrie  firançaise. 

Alun.  —  Au  moyen  igc  l'alun  employé  en  Occident  venait  jotcc::  .:  As* 
Mineure.  tV.  Hlvd,  î.  IL  p.  )t>)-J7i.»  Au  xvii^  siècle  tia  en  ---—- -»-*<î-  — :»3 
sortes  principales  :  ceux  dî  Rome.  d'.\a£:cterre,  de  Liège.  ♦  L'il.:-  i-  Lc-irt 
n'es:  gatre  dincrent  de  ces  trois  sortes  et  sen  aux  mêmes  csag^f.  — g^  Z  is 
moir.s  commun  en  France  à  cause  de  la  facilité  qu'il  y  a  d'ep.  iT-rir  i  a^rrre-. 
On  peut  acÎK-îtr  à  Smyrrc  é.ooo  quirîîa-jx  d'alun  tous  les  aas.  Le  5=^  n;  rs: 
la  mine  e>:  éloigné  de  6  ou  7  jourr.évs  de  Smyme  et.  ccz^rss  -s  -r:--ti  es: 
a~err.:éc  t:  q-'i!  (21:1  nccesîviireaiw-n:  passer  par  les  îaa:=î  zz  ierrrutr.  I  es 
augmente  et  diminue  k-  prix  a  son  jrré.  0:3  tire  aussi  î'al^jn  ic  Cocs:a3i:ar>r«<i_ 
qui  es:  p'.-s  pras  et  mtiileur  qi:e  celui  de  Sm\Tne.  »  S.^vaIT.  —  c  L'£J;:r  isac 
ra^rer.:  iniispensabit:  po;:r  b  nxan^r.  des  couleurs  str  }es  éti>5ts  :  .ir  iii.-  anr- 
huii:  de  pi-s  'j  pr>-^prié:é  de  leur  donner  fais  d'éclat  «.-:  de  "rr-Z.i3:  .  juss-  n: 
ne  :ci jn-i:  tu  une  pièce  de  drap  o-  de  soie  sans  employer  !'a'=r .  Lts  ifi-Turu-T-.. 
!e*  <.r.'.un-;ineurs.  k-s  peinrrcs,  ies  doreurs,  en  ùiiiien:  zriod  -.sasc.  ■sars  cimmir 
les  tanneurs  eu:  ^'en  scr-.aien:  pr^ur  a  préparation  de  IcuîS  c-i-Sv.  »■  Hr^T . 

Bois  de  buis.  —  <  Lt  nî;.il]cur  vicr.:  d'E«-parnc  ci  de  Sn:\T2i  CiLii.— c  s— »-t 
â  Rc^uen  o_  ics  H.V.IaniAi>  i'apporten:  par  k-  retour  de  jCZTb  i-slssajiiiz  Jt 
Lf.an:.  C"e>:  de  cette  espèce  de  buis  que  son:  laits  presc ji  ::»U5  i^  peurm:- 
c..:  «s.-  r'i.-ric  j^r.:  i  Parij.  ,  S.-.varv. 

Buffles.  —  «  Li-i  '?ufr!js  >on:  trej-coainjuns  dans  k  Le^-ait.  pa-rvaiiiir-mnen: 
ii-x  en-.ircir.s  dé  Snr.me  e:  Ol  C^^nst.miiniT'plc.  —  De  la  peau  ra»ei  s.t  uuiic 
.-■n  fi.:  J^->  espèces  dj  'usuaci-'rpi^  ^ppck-s  des  ^uiîk.•s  çu'o;  iana£  ..  is  .ijva- 
;.r;^  .:  _  ii  ^i.n^rTT.i.-r'ii..  <.>n  en  ûi:  aus^î  des  bandoulières,  de^  ccitciir.itîi.  aci- 
^;Sc-c.e%<-.  c^--  ^ir.ts    ►  —  Sav-.j.ï. 

Cendres.  —  <  Lo  cend-es  d;.  la  r.-v:je::e.  quoa  appeUe  iiùçaL-emsn:  cciuires 
uu  Le-  ir.:.  p:;rcc  eue  ce::c  bê■r^é  se  rrùJe  à  Saini-Jcaa-d"Acre  e:  i  Tripoi;  àt 


APPENDICE 


XXXV 


Svrie,  servent  à  foire  le  savon  et  le  cristal.  Celle  de  Saiiu-Jean-d*Acre  vient 
dans  des  sacs  gris  et  est  U  plus  estimée,  celle  de  Tripoli  dans  des  sacs  bleus.  » 
—  Savarv. 

Cire.  Crins'. 

Corail.  —  Le  corail  qui  était  travaillé  à  Marseille  venait  du  bastion  de  France. 
{V.  Hevd,  t.  II,  p.  609.) 

Cotons  en  laine  et  cotons  tiïés.  —  (V.  Heyd,  t.  II,  p.  61 1  pour  le  commerce 
du  coton  au  moyen  Jgc)  —  Voir  p.  xxi  les  différentes  variétés  de  cotons 
qui  venaient  du  Levant. 

Cuirs.  —  llsvcniiient  ordinairement  en  poil,  sans  avoir  été  préparés.  —  (V. 
p.  XXI  les  diverses  v.iriétés  de  cuirs). 

Dents  d'éléphant.  —  (V.  Heyd,  t.  H,  p.  629.  pour  le  commerce  de  l'ivoire  i\x 
movcn-ilgc.) 

Eponges.  —  •  Les  Français  tirent  les  éponges  du  Levant.  Les  plus  petites  qui 
sont  les  plus  lincs  et  les  plus  estimées  viennent  de  Constaniinople  et  les  plus 
grosses  sont  cnvoj'ées  de  B.irbaric.  »  Savary. 

Fil  de  chèvre. 

Fustet  (au  Fustel).  —  Bois  propre  i  la  teinture,  pour  teindre  en  feuille  morte  et 
en  couleur  cifc.  Les  feuilles  et  les  branches  ét.iient  employées  par  les  cor- 
roycurs.  —  Les  tourneurs  cl  les  ébénistes  se  servaient  aussi  du  bois.  —  «  Celui 
de  Provence  est  le  meilleur. — Cependant,  quoiqu'il  y  soit  abondant,  les  Fran- 
çais aiment  mieux  le  tirer  d'Angleterre  et  de  Hollande  ;  c'est  que  le  fustel  de 
Provence  revient  plus  cher.  •  —  Savahy. 

Galles  (Noix  de  galle).  —  excroissance  qui  se  développe  sur  les  feuilles  de  cer- 
tains chênes.  Elle  est  produite  par  la  piqûre  d'un  insecte  (Cynips  gallae  tinc- 
tori£  L.)  <(  Les  meilleures  noix  de  galle  sont  celles  du  Levant,  surtout  celles 
qui  viennent  de  Smyrne,  .\lcp,  Tripoli.  Les  noix  Je  («ailes  du  Levant  sont  de  trois 
sortes,  les  unes  noiritres,  les  autres  tirant  sur  le  vert  et  les  troisièmes  i  demi- 
blanches,  —  Les  vertes  et  les  noires  servent  a  teindre  en  noir  et  les  blanches 
pour  teindre  les  toiles.  —  L'encre  se  Hiit  aussi  avec  des  galles  noires  ou  vertes. 
Ce  sont  encore  ces  sortes  de  galles  qui  entrent  dans  la  composition  du  noir 
des  corroyeurs  et  autres  ouvriers  en  cuir.  —  La  noix  de  galle  d'.VIep  l'emporte 
sur  celle  de  Tripoli  ;  les  meilleures  sont  celles  qui  viennent  do  Mossoul  sur  le 
Tigre.  —  Les  noix  de  galle  sont  du  nombre  des  drogues  qui  sont  communes 
aux  teinturiers  du  grand  et  du  petit  teint  ;  cependant  les  premiers  ne  doivent 
s'en  servir  que  lorsqu'ils  en  ont  besoin  pour  quelque  légère  bruniture  et  quand 
il  leur  est  difficile  d'assonir  autrement  leurs  nuances.  »  Savary.  —  (Heyd, 
I.  11,  p.  6.\%.} 

Gomme  adragant,  turique.  —  Voir  ces  mots  parmi  les  drt^eries. 

Laines.  —  V.  p.  xxii-xxiii  les  dilTérentes  sortes  de  laines  du  Levant  —  Lin. 

Nacre.  —  La  nacre  venait  surtout  du  golfe  Persique  et  de  la  mer  Rouge.  — 


(t)  On  ne  donne  pAS  de  détails  ici  sur  tes  arlicla  dont  l'usjge  est  asscx  connn  et  dont  la 
provenance  et  l'importance  ont  été  suffisamment  indiquées  dans  le  corps  de  l'ouvrage.  (Liv.  III. 
Chapitres  sur  les  échelles  du  Levant  cl  les  articles  du  commerce.) 


XXXVI  APPENDICE 

«  Les  nacres  entrent  dans  les  ouvrages  Je  marqueterie  et  de  vernis  de  la  Chine. 
On  en  fait  aussi  divers  bijoux,  entre  autres  de  très-belles  tabatières.  »  S.*v.\ry. 

Natrum.  —  (Natron).  —  «  Espèce  de  sel  noir  et  grisâtre  qu'on  tire  d'un  lac  d'eau 
morte  dans  le  territoire  de  Terrana  en  Egjpte.  Il  y  a  aussi  du  natron  blanc 
(carbonate  de  soude.  Dict.  de  Me'J.)  qui  n'est  guère  différent  de  la  soude  blan- 
cjie  ou  du  salpêtre.  »  —  Savary  donne  plus  de  détails  sur  ce  natron  blanc  à 
l'article  Salpêtre  :  «  L'eau  du  Nil,  aidée  de  l'ardeur  du  soleil  et  ménagée  à  peu 
près  de  même  que  l'eau  de  la  mer  dans  les  marais  salants  de  Brouagc,  fournit 
une  troisième  espèce  de  salpêtre  naturel  connu  des  anciens  sous  le  nom  de 
natrum  que  les  droguistes  appellent  conimunément  natron.  C'est  proprement 
ce  qu'on  appelle  de  la  soude  blanche.  Autrefois  il  se  faisait  en  France  an  si 
grand  commerce  de  ce  salpêtre  qu'il  s'en  consommait  dans  la  ville  de  Paris 
le  poids  de  plus  de  lo.ooo.ooo  de  livres.  Depuis  qu'il  a  été  défendu  aux  mar- 
chands d'en  faire  venir  ni  d'en  vendre,  il  y  est  devenu  si  rare  qu'on  peut 
presque  assurer  qu'il  ne  s'y  en  trouve  point  du  tout.  »  Ce  natron  blanc  servait 
au  blanchiment  des  toiles. 

Plumes  d'Autruche.  —  Elles  étaient  apportées  à  Marseille  en  grande  quantité 
de  Barbarie,  d'Egypte,  de  Scïde  et  d'.\lep. 

Satfraaum.  —  Espè-cc  de  safran  bâtard  qu'on  apportait  du  Levant.  C'était  la 
fleur  d'une  petite  plante  qui  croit  sur  les  bords  du  Nil  aux  environs  du  Caire. 
Les  teinturiers  en  soie  de  Lyon  et  de  Tours  en  consommaient  beaucoup  pour 
les  couleurs  rouges  vives  comme  les  incarnadins  d'Espagne,  les  incarnats,  la 
couleur  de  feu,  les  couleurs  de  rose,  etc.  (V.  Heyd,  t.  II,  p.  668.) 

Soies.  —  (V.  Heyd.  t.  II,  p.  670.)  —  V.  ci-dessus  pour  les  nombreuses  variétés 
de  soies. 

Suif. 

Vermillon.  —  «  Couleur  rouge  très  vive  et  très  belle.  Il  y  en  a  de  deux  sortes, 
de  naturel  et  d'artificiel.  Le  naturel  se  trouve  dans  quelques  mines  d'argent  en 
forme  de  sable  rouge  qu'on  prépare  par  plusieurs  lotions  et  coctions. —  L'arti- 
ficiel se  fait  avec  le  cinabre  minéral  broyé  avec  de  l'eau-de-vie  et  de  l'urine  et 
ensuite  séché.  On  en  fait  aussi  avec  du  plomb  brûlé  et  lavé  ou  de  la  cérusc 
poussée  au  feu.  »  Savary.  —  Le  vermillon  venait  surtout  de  Hollande. 

Vitriol  de  Chypre  ou  Vitriol  bleu.  —  Sulfate  de  cuivre. 

3"  Denrées. 

Cannelle.  —  C'est  la  seule  épice  qui  figure  encore  parmi  les  marchandises  venant 
du  Levant  à  la  fin  du  wii'^  siècle.  (V.  Heyd,  t  II,  p.  S95.) 

Blé.  Café.  Dattes.  Fèves  (.\rchipel).  Fromages  {.\rchipel  et  Moréc). 

Graines  de  choux-fleurs  (Chypre).  Huile.  Pois.  Riz. 

Panses  ou  raisins  de  Corinthe,  Damas,  Smyrne. 

Pistaches.  —  Elles  venaient  particulièrement  d'.Mcp  et  de  la  Perse.  «  Les  pis- 
taches entrent  dans  quantité  de  ragoûts  et  l'on  en  fait  ces  excellentes  dragé'es 
qui  n'en  ont  guère  de  pareilles  pour  la  bonté.  Les  pistaches  d'Asie  sont  les 
seules  dont  les  marchands  épiciers  fassent  commerce  en  France.  »  Savary. 


APPENDICE  XXXVII 

4°  Produits  manufacttirés. 

Bourre.  —  «  Bourre  de  Marseille.  Nom  que  l'otï  donne  à  une  sorte  d'étoflfe 
nioherée  dont  la  chaîne  est  toute  de  soie  et  la  trcme  entièrement  de  bourre  de 
soie.  On  en  a  d'abord  fabriqué  à  Marseille.  On  en  fait  présentement  à  Mont- 
pellier, à  Nismes,  à  Avignon,  à  Lyon  et  niénic  à  Paris.  »  Savary.  —  Le  mot 
bourre  désignait  plus  ordinairemctt  le  poil  de  bœuf,  cheval,  buffle,  etc.,  dont 
on  garnissait  les  selles,  les  bâts,  les  chaises,  les  banquettes,  etc.  Mais  dans  le 
tarif  du  prix  des  marchandises  du  Levant  dressé  par  la  Chambre  (V.  le  tableau 
ci-dessus)  les  bourres  sont  estimées  par  pièces  et  non  au  poids,  il  s'agit  donc 
bien  d'étoffes. 

Camelot.  —  «  Etoffe  non  croisée  composée  d'une  chaîne  et  d'une  trème  qui  se 
fabrique  avec  la  navette  sur  un  métier  à  deux  marches^  de  même  que  la  toile 
et  l'étamine.  Il  s'en  fabrique  de  toutes  sortes  de  couleurs,  les  uns  de  poil  de 
chèvre,  tant  en  chaîne  qu'en  trème,  les  autres  dont  la  trème  est  de  poil  et  la 
chaîne  moitié  poil  et  moitié  soie,  d'autres  dont  la  chaîne  et  la  trème  sont 
entièrement  de  laine,  d'autres  laine  et  fil.  Les  uns  s'emploient  à  faire  des 
habits  tant  pour  liommes  que  pour  femmes,  les  autres  servent  à  faire  des  tours 
de  lits  et  autres  meubles  et  d'autres  sont  destinés  pour  faire  des  chasuUes  et 
autres  ornements  d'église.  —  D'après  Ménage,  camelot  viendrait  de  Zambelot, 
mot  levantin  qui  se  dit  des  étoffes  fabriquées  d'une  sorte  de  poil  délié  qui  pro- 
vient de  certaines  chèvres  qui  naissent  en  quelques  lieux  de  Turquie.  —  Zam- 
belot serait  dérivé  de  Giamal,  chameau.  —  Aussi  a  t-on  proprement  appelé 
camelot  les  étoffes  qui  se  font  du  poil  de  chameau.  »  Savary.  —  Les  camelots 
de  l'Asie-Mineure  et  particulièrement  d'Angora  donnaient  lieu  à  un  très  grand 
commerce.—  Au  début  du  xviii'  siècle  on  fabriquait  des  camelots  en  Artois, 
en  Flandre  et  en  Picardie,  particulièrement  à  Arras,  Lille,  Amiens.  —  (D'après 
Heyd,  t.  II,  p.  703.  Camelot  vient  de  l'arabe  khaml,  khamlab  :  étoffe  à  longs 
poils.) 

Chagrin.  —  «  Fîspèce  de  peau  ou  cuir  très  dur,  couvert  et  parsemé  de  petits  grains 
ronds.  Les  auteurs  ne  conviennent  pas  de  la  peau  de  quel  animal  se  fait  le 
chagrin  ;  les  uns  assurent  que  ce  n'est  que  de  peaux  de  cheval,  d'âne  ou  de 
mulet  préparées  de  certaine  façon  ;  d'autres  assurent  que  le  chagrin  est  un 
animal  chez  les  Turcs  et  les  Polonais.  —  Tout  le  monde  est  d'accord  sur  la 
préparation.  Après  l'avoir  étendue  à  l'air  toute  fraîche,  on  y  sème  et  on  y 
écrase  de  la  semence  de  moutarde,  on  la  laisse  ainsi  exposée  quelques  jours 
et  ensuite  on  la  tanne.  —  Cette  peau  très  dure,  sèche,  devient  extrêmement 
molle  trempée  dans  l'eau  ;  elle  est  employée  par  les  gaîniers  et  les  relieurs.  — 
Elle  vient  de  Tauris,  Constantinople,  Alger,  et  de  la  Pologne.  —  Celle  de 
Constantinople  est  la  plus  estimée.  »  —  Savary. 

Cordouans.  —  «  Les  cordouans  sont  des  espèces  de  maroquins  avec  cette 
différence  que  les  cordouans  sont  apprêtés  avec  le  tan  et  que  les  véritables 
maroquins  sont  apprêtes  en  sumac  ou  en  galle.  Plusieurs  veulent  que  les 
cordouans  aient  pris  leur  nom  de  Cordoue.  —  11  se  fait  à  Smyrne  un  très 
grand  commerce  de  cordouans  ou    maroquins  de  toutes  les  couleurs  qui  y 


xxxvnt 


APPEXDICE 


sont  covofés  de  la  Djdalie  dont  ceux  d'Orutut  Mot  çgimM  le%  meilleBis  et 
les  mieux  colorée.  Les  bUncs,  qui  ne  sont  guère  connos  en  Ftxhcc.  le  mm 
beaucoup  dans  toute  l'Italie  où  il  s'en  fait  des  envois  cooïidcrablcs  do  port 

de  SniNTHC.  »  —  Savary. 

Moocayars  (Moncahiard,  Mocayjr).  —  Etoiîc  très  iinc.  ontioaimncnt  ooirr. 
qu'on  employait  surtout  pour  Ctirc  des  v£tenients  aux  gens  d'alise  et  âe 

robe.  —  On  en  fabriquait  en  Flandre. 

Pellissonnes  (l'ciissoos),  —    Jupes  ou   jupons  faits  de  pcaox  et  Je   Tourrurr» 
communes. 

Sucre.  —  V.  Hkyd,  t.  II,  p.  68069},  sur  le  commerce  du   iucrt 

.\ge.  —  Les  aciuts  de  sucre  dans  le  Levant  avaient  presque  t    '...v:  .-: 
cessai  au  xvik  siècle.  —  On  y  ponait   au  contraire   du  sucre  d'Amcriqoe 

raffiné  i  Marseille. 

Tabac. 

Tapis.  —  «I  Les  upis  qui  viennent  en  France  des  pa)'S  étrangers  sont  ks  upis 
de  Perse  et  de  Turquie,  ceux-ci  velus  ou  ris.  Les  uns  et  les  autres  se  tirent 
le  plus  ordinairement  par  la  voie  de  Smyme  où  il  y  en  a  de  trois  sortes^.  Les 
uns  qu'on  .ippclle  mosquets  se  vendent  à  I.1  pièce,  depuis  sis  piastres  (usqu'à 
trente  piastres  le  upis  -  ils  sont  les  plus  beaux  et  les  plus  tins  do  tous.  —  Les 
autres  se  nomment  tapis  de  pic  parce  qu'on  les  achète  au  pic  quatre.  Ce  sont 
les  plus  grands  de  ceux  qui  s'apportent  du  Levant.  Leur  prix  est  communé- 
ment de  demi  piastre  le  pic'.  Les  moindres  de  tous  sont  ceux  qu'on  appelle 
cadénc,  ils  peuvent  valoir  depuis  une  piastre  jusqu'à  deux  piastre  le  tapis.  » 
—  Savary. 

Toiles.  —  V.  ci-dessus  (p.  x.xv  et  note)  la  longue  nomenclature  des  diverses 
sortes  de  toiles  qui  venaient  du  Levant. 

V.  dans  Hevd,  t.  II,  p.  693-711,  la  nomenclature  des  divers  tissus  qui  \-enaient 
du  Levant  au  Moyeu- .\ge,  —  Sauf  les  tapis,  les  camelots,  les  boucassins 
(toiles  de  lin)  leurs  noms  ne  se  retrouvent  plus  dans  les  documents  du  xvii« 
siècle.  Les  riches  tissus  de  soie  achetés  autrefois  dans  le  Levant  étaient  alors 
fabriqués  dans  les  piiys  de  l'Occident  qui  en  vendaient  à  leur  tour  aux 
Orientaux.  —  Heyd  (p.  699)  parle  de  divers  tissus  ;  samit,  (exaraitum) 
amita,  dimita,  trimita,  dont  les  noms  se  retrouvent  dans  la  liste  des  toiles  du 
Levant  au  xvii«  siècle  :  toiles  de  mites,  de  mitons,  escamites.  —  Mais,  d'après 
Heyd,  ces  tissus  du  Moyen- Age  étaient  des  soieries  ;  les  samits  étaient  une 
étoffe  de  soie  lourde  et  èp.aissc  et  très  dière,  elle  se  fabriquait  notamment  à 
Chyprcs.  Les  toiles  escaniites,  au  contraire,  étaient  grossières  et  de  bas  prix, 
elles  venaient  aussi  de  Chypre.  (Ce  nom  d'cscamite  est  encore  usité  à  Mar- 
seille)*. 


(t)  Le  pic  itiit  la  mesure  dont  on  se  semit  en  Turquie  pour  mesurer  les  étoffes 
jmine  lie  l'âuiie  en  France.  —  Il  vaUit  \'%  d'aune  de  Paris  (j  pieds,  2  pouce»,  1  ligncx). 

(j)  La  lulure  Je  quelques  nurcbuiidises  du  I.cviiui  mentionnées  par  les  documents 
n'»  pu  *ue  déterminée.  —  Ce  sont  les  suivantes:  .•\gobilles,  slayars,  alicou,  vhacaiiilou», 
peaux  de  chicâlis,  escailtoles. 


XIV 


APPENDICE 


Ces  chiffres  du  cottimo  ne  peuvent  pas  scr\'ir  à  comparer  la  valeur  du  commerce 
des  différentes  échelles,  parce  que  le  taux  de  cette  imposition  variait  suivant  les 
échelles  ;  mais  ils  indiquent  exactement  les  variations  du  commerce  de  chaque 
échelle  entre  1670  et  1715. 

Pour  avoir  la  valeur  totale  des  cottimos  perçus  par  la  Chambre  du  commerce 
il  faut  ajouter  aux  chiffres  ci-dessus  ceux  des  cottimos  perçus  sur  les  vaisseaux  qui 
terminaient  leur  voyage  à  l'étranger.  Le  tableau  de  ces  cottimos  est  instructif  car 
il  fait  connaître  le  nombre  des  vaisseaux  de  Provence  qui  étaient  nolisés  chaque 
année  par  des  étrangers,  surtout  par  les  négociants  de  Livourne. 


COTTIMOS  DES   VOYAGES  TERMINÉS   A  L'ih'RANGER 


lf>72  : 

6.600 

1681  : 

15.878 

1690  : 

25.100 

1699 

2.600 

1708  :      4.878 

1l'.7:<  : 

7.028 

1(»2  : 

11.903 

1691  : 

19.548 

17«» 

4.00(1 

1709  :       \.M)0 

1074  : 

10.665 

1683  : 

12.378 

1692  : 

18.102 

1701 

2.742 

1710  :          filK» 

167.")  : 

7.630 

1684  : 

10.648 

16!»3  : 

9.382 

1702 

932 

1711  :       I.30X 

H>7t>  ; 

14.!»35 

1685  : 

11.052 

1694  : 

37.640 

1703 

900 

17121  »«••'■"- 

1(>77  : 

7.r.02 

1686  : 

11.866 

1H95  : 

14.790 

1704 

2(W 

7  s)!":'""' 

1678  : 

3.721 

1687  : 

35.848 

1696  : 

1.100 

1705 

200 

1714  ^r 

1679  : 

4.  «62 

1688  : 

24.984 

1697  : 

200 

1706 

71K1 

16«0  : 

15.203 

1G80  : 

21.724 

1698  : 

26.288 

1707 

300 

Deux  fiiits  sont  frappants  dans  ce  tableau  :  l'importance  prise  par  les  bâtiments 
Provençaux  dans  le  commerce  des  ports  Italiens  entre  1686  et  1693  (à  la  suite 
des  commandements  obtenus  à  la  Porte  qui  réduisaient  les  droits  de  douane  en 
Egypte  en  faveur  des  Français.  —  Il  s'agit  ici  en  effet  presque  exclusivement  de 
voyages  d'Alexandrie  à  Livourne)  et  la  cessation  presque  complète  de  ces  affrète- 
ments â  l'étranger  pendant  la  guerre  de  succession. 

TABLEAU    DE   LA    RECETTE  TOT.\LE   DES   COTTIMOS 
(D'apros  CC,  S3  et  suiv.) 


1670  : 

10"). 260 

1679 

1671  • 

68.270 

lt)80 

1672  : 

75.033 

1681 

1673  : 

loi.JOX 

1682 

11)74 

93.6<i6 

Ili83 

1675  . 

83.712 

1684 

1676 

81.619 

1685 

1677 

77.954 

11,86 

1678 

72.388 

1687 

78.699 

IWS  : 

77.189 

lt>89  : 

90.016 

16!K)  . 

66.788 

1691  : 

KH5.447 

1692  : 

62.191 

1693  : 

88.419 

1694  : 

86.20fi 

1695  : 

l(t4.:)74 

1696  : 

116..').')6 

1697 

.58.810 

1706  . 

67.744 

87.906 

1698 

l:i4.(K)0 

1707  : 

72.924 

110.080 

16<.»9 

i:«.518 

1708  : 

48.164 

I25.8!I0 

1700 

145.090 

1709  : 

32.964 

109.744 

1701 

84.462 

1710  : 

60.516 

101.192 

1702 

71.988 

1711  : 

82.152 

139.216 

1703 

33.712 

1712 

95.888 

39.778 

1704 

84.452 

1713  ■ 

143.«)44 

103.218 

1705 

tu.  394 

1714  ■ 

2W.1-22 

.V,V.i.  —  Comme  le  taux  du  cottimo  fut  diiiiiiiuc  de  moitié  à  partir  de  janvier  1686, 
les  chiffres  de  I.1  recette  ont  été  doubles  dans  ces  t.ibleaux  1  partir  de  1686,  afin  d'avoir 
une  idée  exacte  des  v.iriations  du  commerce  de  1670  à  1714. 


APPEXDICF, 


XV 


V.  —  Valeur  des  exportations  de  chaque  échelle 
de  1610  à  ilî5 


Constanti- 

(^ndie, 

Annies 

Alep 

Smyrne 

Seïde 

Alexandrie 

nople 

Archipel, 

Totaux 

Morce 

1671 

1.650.000 

2.040.000 

773.000 

1.770.0(X) 

810.000 

268.000 

7.311.000 

167-2 

GIW.OOO 

2.167.(XM) 

440.  (XX) 

1.800.  (MX) 

6!i0.(KX) 

130.(M)0 

5.887.(XK) 

1673 

1.500.000 

2.167.000 

953.  (XX) 

2.280.(XM) 

210. (MM) 

415.0(M) 

7. 525. (MM) 

1674 

750.000 

2.050.000 

1. 060. 000 

1.380.(XM) 

6iM).(MX) 

340.  (H  M) 

6. -270.  (M  K» 

1675 

350.000 

I.OIÔ.IKX) 

1.6(X).(X.X) 

2.I(X).(MM) 

3.30. 0(X) 

391.000 

6. 386. (MM) 

1676 

•i.'.0.000 

1.700. (MM) 

1.21X5.  (XX) 

1.320.(XM) 

t30.(KX) 

370.  (MM) 

5. 140. (MM) 

1677 

480.000 

2.0iO.(KM) 

1.320.(KX) 

2.4(X).(XX) 

510. (MX) 

290.  (MM) 

7.040.000 

1678 

900.000 

1.9r2.(XM) 

960.  (X)0 

960.  (KM) 

276. 9(X) 

213. (K)0 

5. 221. (MM) 

1679 

840.000 

1.912. (KM) 

480.000 

2.040.(XM) 

180. (M)0 

527. (KX) 

5. 979.  (MX) 

1680 

780.000 

1.620.  (MM) 

•■).30.(MX) 

990. (XX) 

460. (MX) 

442.  (X)0 

4.8-22.(KX) 

1681 

7-20. 0(Xl 

1.147. (KM) 

1..572.(KX) 

1.680.  (MX) 

480. (MX) 

478.000 

6.()77.0(K) 

1682 

450.000 

1.402. (MX) 

1.060.000 

360.  (XX) 

48O.0(X) 

376.000 

4.128.0(X) 

1683 

720. 0(K) 

1.620.  (XX) 

1.662.  (XX) 

1.9-20.(XM) 

660.000 

379.  (MX) 

6. 961.  (XX) 

1684 

487.000 

1.615.0(X) 

6-26.(XM) 

1.596.  (XX) 

4-20.(XX) 

415.000 

5.159.000 

1685 

.540.000 

892. (MX) 

1.. 5.50.  (XX) 

2. 880. 000 

540. (XM) 

296. 0(X) 

6.698.000 

1686 

630.  (KK) 

1.082.(MX) 

880.(XM) 

1.68().(MM) 

640. (XX) 

642. 0(M) 

5.554.0(H) 

1687 

810.000 

695.  (MM) 

880. 0(X) 

1.56().(XM) 

620.  (KX) 

530.  (XM) 

5.095.000 

1688 

990.  IKK) 

1.470.  (MX) 

1.-280.1XM) 

3.(.XX).(KM) 

9(M).0(X) 

410. 0(M) 

8. 050.000 

168'J 

675.000 

952.000 

l.6(M).(XM) 

2. 880. (XX) 

640. 0(X) 

168.0(X) 

6.915.(KX) 

1690 

900.000 

1.620. (MM) 

1.'20().(XM) 

3. -240. (MM) 

6(X).(XM) 

300. 0(M) 

7.86().(XK) 

1691 

450.  (H)0 

2. 81 15. (MM) 

1.772.000 

3  (MM).(XM) 

1.380.  (MX) 

419.000 

6.8-26.000 

1692 

540.000 

2..5.".0.(MK) 

1.280. (XX) 

2.640. (XX) 

3(iO.O(X) 

399.000 

7.769.(KX) 

1693 

7-20.  IXM) 

3.179.0(H) 

8(X).)MX) 

2.1(>0.(XX) 

540.(MK) 

310.000 

7. 709.  (XX) 

1694 

540.000 

3. 570.  (MX) 

920.  (XX) 

2.25().(XM) 

1.080.  (XX) 

377.(KX) 

8.817.(KK) 

1695 

7-21  >.  000 

néant 

184.1XN) 

715. (XX) 

480.(XK) 

néant 

2.099.0(M) 

1696 

540.000 

2.431.IM)0 

2.240.(X)0 

2. 522.  (XX) 

7-20. (XX) 

148.  (KM) 

8.399.(KX) 

1697 

3.^0.000 

1.3-26.(XJ() 

1.(XX).(.XM) 

1.56().(H)0 

720. (XK) 

.50.200 

5.0(X;.2(X) 

1698 

1.2C>0.0()0 

5.219.fXM) 

1.520.  (MX) 

1.200.  (MX) 

810.000 

294. 2iX) 

10.303.200 

1699 

1.080.000 

5.1(X).(MM) 

1.360.  (MX) 

2. 040.  (MX) 

1.3-20.0(M) 

400. 0(K) 

11.3(K).0(X) 

1700 

900.0(Mt 

2.992.(M)0 

1.6(X).(MM) 

2.8«0.(XM) 

1.750.(XX) 

1.075.0(X) 

11.197.000 

1701 

450. 01  H) 

1.530. (MX) 

8(X).(M)() 

1 .440.  (MX) 

6(M).(XK) 

785.000 

5.6()5.0(X» 

170-2 

660.000 

1.147. (MX) 

826.  (X  M) 

1.740. (MM) 

900.  (MX) 

464.000 

5.737. 0(HI 

1703 

■270.000 

510. (XM) 

16O.(K)0 

570.  (XX) 

-262. 0!X) 

410.0(K) 

2.182.{KX) 

1704 

.570. (HMl 

1.8.%.()(X) 

1.052.  (MM) 

2. 2-20.  (MX) 

1.1(M).(MK) 

374. 0(M) 

7.1.52.000 

1705 

480.  (H  10 

1. -292.  (MM) 

7'2().(XX) 

3. 045.  (MM) 

537.  (MM) 

176.000 

6. -250. (MX) 

1700 

3lM).t.MH) 

2. 048. (MX) 

746.  (MX) 

9(M).(XM) 

9(M).(XH) 

405.000 

5.299.000 

1707 

840. (MM) 

1.853. (MM) 

1 .060. (MX) 

1.380.  (MX) 

l.-2(M).(MM) 

193.000 

6..5-26.(XK) 

1708 

3(M).0(M) 

018. (MM) 

692. (MM) 

l.()-2().(MX) 

.5(M).0(M) 

231. (KM) 

3.()61.(MK) 

1709 

90.(Mt:i 

810. ()(X) 

333. (MM) 

1.080. (MM) 

3(M).(MX) 

214.000 

'2.883.(MK) 

1710 

7-20. (MM) 

1.343. (MM) 

1.280-(MM) 

660. (MM) 

537.  (XKI 

162.  (MX) 

4.702.0(X) 

1711 

450. (MM) 

875. (MM) 

l.333.0(M) 

1.740.  (MX) 

.575. (MM) 

780.000 

5.733.0(X) 

1712 

375. (MK) 

1.657.  (MM) 

2. 160. (MM) 

2.H5.(XM) 

675. (MX) 

6 19.  (XX) 

7.661.(XM) 

1713 

450. (MM) 

4.!)8li.(MM) 

3.oy2.0(M) 

1.940.  (MX) 

975. (MM) 

675. 0(  M) 

11.212.000 

1714 

960. (MM) 

7. 990.  (M  M) 

4.7iO.(MX) 

6. 450.  (XX) 

2.850.000 

362.000 

23.332.000 

Totaux. 

29.297.000 

88. 785.  (MX) 

53.282.(M)0 

84. 211. (MX) 

31.331.0(X) 

16.7-23. 400 

303.631.400 

XVI 


APPENDICE 


VI.  —  Note  sur  les  cbiftres  de  statistique  doaoés  dans  le  livre  l 

(1610-1661) 


H  est  bïen  difficile  d'établir  des  statistiques,  même  approximilivcs,  di*  b  rilear 
du  commerce  du  Levant  entre  1610  et  1661.  Aucun  cliitTre  officiel  ne  oooscit 
pan'cnu,  sauf  ceux  qui  furent  recueillis  à  Marseille  par  M.  de  Scguiran,  Ion  de 
son  inspection  des  cAtes  de  Provence  en  163^.  On  peut  aussi  rvgarder  comme 
officiels  les  chiffres  de  Savar^'  dans  son  Dittionnaiu  Ju  commeru,  car  U  eut  i  sa 
disposition  les  meilleurs  documents  qu'on  possédait  à  la  fin  du  xvn«  si6<:le. 
Malheureusement  Savarv'  ne  fournit  qu'un  seul  chitfre  pour  cette  p^ode.  celui 
de  la  valeur  des  exportations  du  Levant  vers  1661.  NouJ  poMcdons  aDS${  les 
chilTrcs  d'un  certain  noniba-  d'adjudications  d<  J'crtnes  des  imposition»  établies  sur 
le  commerce  du  Levant  entre  t6tO  et  1661.  Les  baux  de  ces  fermes,  adjugés  ton* 
jours  aux  mêmes  conditions,  founussent  des  termes  de  comparaison  tigourcosc' 
ment  exacts  pour  b  valeur  relative  du  commerce  aux  difTcrentcs  années  oâ  Qs 
sont  conclus  cl  nous  font  voir  d'une  nunii're  saisissante  les  progré*  d<  U  déca- 
dence du  commerce.  Q»rame  ils  nous  sont  quelquefois  par\cnus  avec  le  t}élail  tic 
h  valeur  de  h  ferme  pour  chaque  échelle,  ils  perar.etient  de  se  faire  un*  i«kc  de» 
fluctuations  de  llmportance  des  échelles.  Mais  pour  l'estimation  de  la  râleur  Ai 
commerce  du  Levant  ils  ne  peuvent  fournir  que  des  évaluations  approiioutives. 
En  ctfct,  les  droits  de  i  00  ou  de  ;  00  (V.  Livre  I.  clup.  mf  ne  itpr<«ent^cnt 
pas  cxaacraent  le  centième  ou  les  trois  centièmes  de  la  valeur  des  marchxnfiscs 
taxées,  car.  pour  ne  pas  surcharger  les  marchands,  réraJuatkn  des  marchandises 
qui  servait  de  base  à  ta  perception  de  ces  droits,  étah  faite  â  na  tau»  trt»  hts.  De 
plus,  le  iraîtant  qui  afTcmuit  ces  impositions  avait  k  compfcr  avec  do  fr^  de 
perception  considérables,  puiv^u'il  lui  fallait  cublir  des  commit  dans  les  ■'«■kH'ff, 
et  avec  les  fraudes  nombrcst  entaient  des  ntaiMiracs  de 

chargement  incomplets  '  :  1  .    ua  bénéâcc  en  rapport  arce 

le  risque  qu'il  courah  dans  une  opération  aussi  aléatoin;. 

Mais,  en  tciunt  compte  Je  ces  deux  causes  d'erreur,  de  cfiOibicB&M-il  majonr 
les  estimations  de  U  valeur  du  cumn^erce  fournies  par  les  baoi  des  feroKS^  c*cs 
c.  'TtposstUe  de  calculer  eiictcmert.  On  peut  cependant  fc  ctiofecnDcr 

c^i  tt  co  estimations  a\tc  les  chiJres  officieb  Je  i6)}  et  de  1661  foa- 

nts  par  Scjruiran  et  Savar>-.  et  les  rtsaltats  obtenus  ainsi  seraâent  mtflsc  assez  mo- 
haats  s'il  ne  (albh  se  défier  cnéme  des  chifres  officiels.  O!^  '*  '  '  •-•  -'35  tati 
les  nurchanJs  de  loi  fournir  s^téRUoquement   des  statis'  -s  l  b 

rcariic  pour  (aire  croire  k  Icnr  miscre  Les  Marseilliis  ^oi  ftcK-ntjygî  }tw% 
doléances  à  Scguiran  et  voukiett  loi  £ttie  cmoiy tre  la  raine  da  négoce  oc  daftnt 
pas  manquer  de  dissimiiler  la  vraie  valeur  de  kur  commerce.  U  faut  nwiiidtn 

(t)  •  :it  pcCfain   aoaa  Méomangeacat  «i   iiàiatfi.  tom   fr"-'-  «c 

guerr*  va  la  oamnercc,  ai  COWtgiqB  et  atm  »ttiitMtM.  i  Marw  f  «e  ^ 

nt»ie  (ucrr<  capècltk  anûènmtmt  k  mign-  .  ai  ^a'S  y  cAi  cacr»«  ii\tUih'  raxn  le 
H  G.  S..  &<  i(«c  {acl^ar  priaoe  om  fini»  rt  t:  %ttâ.i  Az  fadii*  «ac  4ss4lic*  ««Mlei.  •  T 
Mes  <ia  c««cr  it  ii<  U  (crac  4*  a  <M>  fMiaé  ««ec  Uuy  LaaQEirei  pour  ••<:  aaa.  (Jreè.  O»» 
et  Km.  WJw .  —  «5  mem.  1^1. > 


APPENDICE 


XVII 


comme  absolument  ciact  le  nombre  annuel  des  voyages  faits  J.ms  le  Levant 
qu'ils  lui  déclarèrent,  cir  il  était  facile  de  le  contrtiler  sur  les  registres  de  r.imir.iuté, 
mais  les  évaluations  de  la  valeur  moyenne  des  chargements  qu'ils  donnèrent  à 
Seguiran  paraissent  bien  faibles  en  comparaison  d'autres  chiffres  que  nous  possé- 
dons. Ils  déclarèrent  120.000  livres  pour  la  valeur  moyenne  du  fonds  porté  par 
les  navires  à  Alep,  or  ceux  qui  en  revenaient  avaient  fréquemment  des  charge- 
ments d'une  v.nleiir  de  20c),  300,  400. coo  livres.  Fermanel  qui  se  trouvait  en  1631 
à  .\lep,  dit  que  les  Français  y  emploient  chaque  année  1.500.000  réaics  ou  écus, 
quelquefois  2.000.000  ;  c'est  le  double  du  chiffre  de  800.000  écus  donné  par  les 
Marseillais  à  Seguiran.  En  admettant  que  les  marchands  d'Alep  se  soient  vantés 
il  Fermanel,  car  ils  lui  allirmérent  qu'ils  faisaient  un  commerce  double  de  celui 
des  .Anglais  et  des  \'énitieiis,  la  vérité  serait  entre  les  deux  chiffres.  Pour  les 
chargements  destinés  à  Alexandrie  les  Marseillais  indiquèrent  une  valeur  moyenne 
de 60.000  livres,  or  il  ne  partait  pour  cette  échelle  qqt  de  gros  vaisseaux  qui 
portaient  toujours  en  argent  ou  en  marchandises  un  fonds  bien  plus  considérable. 
Il  faut  aussi  remarquer  que  les  évaluations  données  par  Seguiran  dans  son  Rap- 
port sont  celles  des  ch.irgemcnts  destinés  pour  le  Lev.int.  Or  on  sait  que  sur 
l'argent  qu'ils  transportaient  dans  le  Levant  tes  Provcn<;aux  faisaient  un  bénéfice 
de  10  0/0  au  moins  et  souvent  de  15  à  17  0/0'  et  qu'ils  employaient  tout  leur 
fonds  à  faire  des  achats  pour  leur  retour.  Pour  ces  deux  raisons,  en  majorant  les 
chiffres  de  Seguiran  de  la  moitié  de  leur  valeur,  on  obtiendra  une  estimation  des 
chargements  rapportés  du  Levant  .assez  rapprochée  de  la  vérité  et  qui  d'après  les 
indications  des  documents  de  l'époque  sera  encore  plul<M  trop  faible  qu'exagérée. 
Si  on  compare  le  chiffre  ainsi  obtenu  |H)ur  la  valeur  des  imponations  du  Levant 
en  France,  en  1653,  â  ceux  que  donnent  les  adjudications  des  fermes  du  j  0/0 
en  i6}2  et  1633,  on  v"'^  ^"  >'  ^^^^  multiplier  ceux-ci  au  moins  par  trois  pour 
approcher  de  la  vraie  valeur  du  commerce.  Les  chiffres  que  donnent  c;s  calculs 
correspondent  bien  aux  indications  que  fournissent  les  documents  et  l'étude  des 
faits,  sur  les  progrés  de  la  décadence  du  commerce  de  1610  À  l66t. 


VU.  —  Note  sur  les  chiffres  de  statistique  donnés  dans  le  livre  II 

(1661-1715) 

Comme  pour  la  période  précédente  il  est  impossible  de  fournir  des  statistiques 
exactes  de  la  valeur  des  marchandises  apportées  du  Levant  en  France,  mais  on 
peut  heureusement  calculer  des  chiffres  approxim.itifs  d'une  valeur  bciucoup 
plus  sûre.  Les  archives  de  la  Chambre  de  Commerce  de  Marseille  possèdent  en 
effet  deux  séries  de  documents  précieux.  Ce  sont  d'abord  les  comptes  de  la 
recette  du  cottimo  remis  chaque  année  à  la  Chambre  par  «  les  directeurs  des 
deniers  de  l'exaction  du  cottimo  «  et  à  partir  de  1675  par  le  trésorier  du  com- 
merce. Ces  registres  de  comptes  contiennent  la  liste  de  tous  les  navires  revenus 
des  échelles  de  1670  h  1715  avec  l'indication  des  sommes  qu'ils  ont  payées 
(CC,   2j  ft  suivants.  —  Registres  reliés  en  parchentin  ;   il  y  en  a  un  par  an  à 


(j)  Parfait  Négariaul ,  p.  454. 


XVIIl 


APPENDICE 


partir  de  1675.  —  Nous  ne  possédons  pas  les  originaux  mais  des  copits  faites  en 
juin  1716  lors  de  la  riH'ision  des  comptes  de  la  Cliambrc  depuis  la  crtiation  du 
cottimo.  On  trouve  en  effet  à  la  fin  des  registres  la  mention  suivante  :  Vu  par 
nous  commissaires  députés  par  lettres  patentes  du  8  février  17 16  pour  procéder  à 
la  révision  des  comptes  de  la  Chambre  de  commerce  depuis  1669  inclusivement, ... 

Fait   à  Marseille   le juin    1716.    Signé,   le    maréchal  de  Villars,    Lcbret, 

Raoussetde  Bourbon  et  de  Bezicux.  —  CoUationné  à  l'original  par  moi  i"  secré- 
taire de  Mk'^  le  duc  de  Vilbrs.  — Gally). —  D'autres  registres  (IJ.  tj)  non  moiii* 
précieux  contiennent,  pour  les  années  1700-1747,  des  tablcau\  anuuch  des 
navires  revenus  de  chaque  échelle,  avec  le  détail  complet  des  marchandises  de 
leurs  chargements  et  de  leur  valeur,  article  par  article. 

Il  semble  au  premier  abord  que  ces  registres  tenus  par  les  soins  de  la  Chambre 
nous  donnent  des  chiffres  absolument  sûrs  pour  la  valeur  du  commerce  i  partir 
de  1700.  Malheureusement,  en  comparant  pour  la  période  de  J700  a  Jjlj  les 
registres  II  et  CC,  on  consi.ntc  qu'ils  sont  très  loin  de  donner  pour  chaque  année 
le  même  nombre  de  navires  revenus  du  Levant  ;  c'est  qu'en  effet  les  statistiques 
de  ces  deux  séries  de  registres  sont  incomplètes.  Les  comptes  du  cottimo  ne 
mentionnent  pas  les  navires  qui  revenaient  chargés  de  blé,  fromages,  Ié>;ume4, 
parce  que  ces  denrées  étaient  exemptes  du  droit.  Les  registres  II  les  complètent 
sur  ce  point  en  nous  donnant  le  détail  des  chargements  de  blés  rapportés  de 
l'Archipel,  de  .Salonique  et  d'autres  échelles  entre  1700  et  171  j  ;  mais  ils  offrent 
des  lacunes  bien  plus  importantes.  Rédigés  par  les  soins  de  la  Charabne,  mais 
après  1747,  ils  omettent  pour  la  période  1700-J715  un  nombre  assez  considé- 
rable de  navires.  Ce  ne  peut  être  par  ignorance  puisqu'il  n'y  avait  qu'A  consulter 
les  registres  CC  pour  connaître  le  chiffre  exact  des  navires  revenus  du  Levant  (saui 
ceux  chargés  de  blé).  Comme  ces  statistiques  furent  certainement  dressées  par 
ordre  de  la  Cour  pour  préparer  quelque  arrêt  ou  règlement,  la  Chambre  eut  peut- 
être  A  dissimuler  les  vrais  chiffres  Ju  commerce.  Quoi  qu'il  en  soit,  les  tableaux  II 
n'indiquent  pour  1700-1715  que  697  gros  vaisseaux  revenus  du  Levant  tandis  que 
les  registres  CC  en  comptent  782,  c'est-à-dire  85  de  plus.  En  revanche  sur  les 
premiers  le  nombre  des  petits  b.himcnts  est  beaucoup  plus  considérable  3.668  au 
lieu  de  1888  parce  que  c'étaient  les  petits  bâtiments  qui  faisaient  presque  exclusi- 
vement le  commerce  des  blés  et  qu'ils  ne  figuraient  pas  sur  les  registres  du 
cottimo.  Les  deux  séries  de  statistiques  se  complètent  donc  l'une  par  l'autre  pour 
la  péricKle  de  1700-1715, 

Le  tableau  ci-dessus  (p.  xv  ),  de  la  valeur  des  importations  de  m,ir\:lianiliscs 
du  Levant,  a  été  dressé  d'après  les  chiffres  du  cottimo,  mais  le  calcul  n'a  pu  être 
qu'approximatif.  En  effet  le  cottimo  ne  corres(X)ndait  pas  exactement  à  la  valevr 
des  chargements,  le  taux  de  ce  droit  dépendait  de  la  catégorie  à  Liqucllc  les 
navires  appartenaient  (vaisseau,  polacrc,  barque,  tartane)  et  de  l'échelle  où  ils 
avaient  chargé.  Or  le  même  vaisseau,  venant  de  la  même  échelle,  pouvah 
rapporter  des  chargements  de  valeur  très  variable  suivant  les  circonstances.  La 
Chambre  estimait  officiellement  la  vsdeur  du  cottimo  à  î  0/0  et  après  1686  a 
I  1/2  0/0  ;  quand  un  navire  revenait  avec  un  chargement  trop  incomplet,  au 
lieu  de  lui  faire  payer  le  cottimo  entier  elle  lui  faisait  p.iver  }  ou  t  i/i  0/0  de  la 
valeur  de  ses  marchandises.  Mais  on  se  tromperait  fort  en  estimant  le  cottimo  i 


APPENDICE  XIX 

un  taux  aussi  élevé  ;  en  rcalitc  il  représentait  une  valeur  bien  inférieure.  Ainsi, 
l'imposition  du  i  1/2  0/0  établie  par  la  Chambre  en  1705  produisit  en  1704 
120.000  livres  pour  46  bâtiments,  en  1705  95.000  pour  45,  en  1706  81.000 
pour  58,  etc..  .  Il  y  avait  là  des  bâtiments  de  toute  catégorie  et  de  toute  prove- 
nance, mais  à  supposer  même  que  tous  eussent  été  des  vaisseaux  venant  de 
Smyrne  payant  i .  500  livres  de  cottimo  (chiffre  maximum)  ce  droit  perçu  sur 
les  mêmes  bâtiments  aurait  produit  des  sommes  inférieures  presque  de  moitié  ; 
donc  le  cottimo  ne  s'élevait  pas  en  mo\'enne  à  la  moitié  de  la  valeur  du  i  12  0/0. 
Et  cependant  l'on  sait  que,  quand  la  Chambre  établissait  un  droit  ad  vuloiem  de 
I  I  /2  ou  5  0/0,  les  marchandises  étaient  estimées  h  bas  prix  pour  la  perception  de 
ce  droit  si  bien  qu'il  ne  représentait  pas  le  taux  auquel  il  était  évalué. 

Il  faut  aussi  remarquer  que  la  valeur  du  cottimo  relativement  à  celle  des 
chargements  des  navires  était  bien  différente  suivant  les  échelles.  Un  vaisseau 
venant  de  Smyrne  où  l'on  faisait  les  plus  riches  chargements,  et  où  le  commerce 
avait  la  plus  grande  sécurité,  était  taxé  à  i .  500  livres  :  s'il  venait  d'Alexandrie  il 
n'en  payait  que  800  parce  que  les  chargements  y  ét.iient  en  1669  de  moindre 
valeur  et  que  les  vaisseaux  y  payaient  souvent  des  droits  d'avaries  élevés  ;  mais, 
i  la  fin  du  xviie  siècle,  le  commerce  du  café  procura  de  riches  chargements  et  la 
sécurité  devint  beaucoup  plus  grand  en  Egypte,  cependant  la  taxe  du  cottimo  resta 
la  même  ;  elle  était  donc  beaucoup  plus  légère  qu'à  Smyrne.  II  en  fut  de  même 
à  Constantinople  dont  les  vaisseaux  ne  payaient  que  600  livres  parce  que  le 
commerce  de  cette  échelle  était  d'abord  assez  misérable  et  que  les  ambassadeurs 
faisaient  des  levées  fréquentes  sur  les  navires  ;  or  ces  levées  leur  furent  complè- 
tement interdites  depuis  1685  environ  et  le  commerce  de  l'échelle  s'améliora. 

Pour  calculer  la  valeur  des  exportations  du  Levant  d'après  les  chiffres  du 
cottimo,  il  fallait  donc  rechercher  d'abord  quel  était  le  taux  exact  de  cette  imposi- 
tion pour  chaque  échelle.  Cette  recherche  a  été  faite  en  comparant  avec  soin  les 
registres  CC  et  le  tableau  II  :  sur  les  uns  se  trouvent  les  chiffres  de  cottimo 
payés  par  les  vaisseaux,  sur  l'autre  la  valeur  des  chargements  des  mêmes  navires. 
Ces  calculs  ont  été  multipliés  autant  que  possible,  afin  d'obtenir  des  chiffres  plus 
sûrs.  Un  autre  document  a  servi  à  établir  la  valeur  relative  des  cottimos  c'est  un 
tableau,  envoyé  par  la  Chambre  au  Ministre,  de  la  valeur  des  marchandises 
apportées  du  Levant  en  1679,  So,  81  (HH,  26),  où  sont  mentionnés  à  la  fois  les 
vaisseaux  revenus  de  chaque  échelle  et  la  valeur  de  leurs  chargements.  Ces 
calculs  dont  les  résultats  ont  en  outre  été  comparés  aux  indications  qui  se  trouvent 
dans  différents  documents  sur  la  valeur  des  cargaisons  qui  provenaient  des  diffé- 
rentes échelles,  ont  amené  à  déterminer  les  valeurs  suivantes  pour  les  cottimos  : 
Alep  1/150,  Smyrne  i  170,  Seide  3/40/0,  Alexandrie  1/3  0/0,  Constantinople 
1/250,  Candie,  Archipel  i  0/0.  —  C'est  d'après  ces  taux  divers  qu'ont  été 
calculés  les  chiffres  des  exportation  de  chaque  échelle  en  France  de  1670  à  171 5. 

Malheureusement  ces  estimations  de  la  valeur  du  cottimo  ne  représentent  que 
des  moyennes,  trompeuses  comme  toutes  moyennes.  Les  chiffres  de  notre  tableau 
sont  exacts  pour  une  période  de  plusieurs  années,  ils  risquent  d'être  sensiblement 
inexacts  pour  une  année  déterminée.  Il  ne  faut  pas  oublier  non  plus  qu'ils  sont 
incomplets,  la  valeur  des  blés  et  autres  denrées  exemptes  du  cottimo  n'v  est  pas 
comptée.  Il  est  facile  pour  la  période  1700-1715  de  compléter  ces  chiffres  en 
pren.int  dans  les  registres  II,  1 5  les  valeurs  de  ces  denrées. 


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