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Full text of "Histoire du consulat et de l'empire, faisant suite à l'Histoire de la révolution française"

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L'auteur  (It'clarc  rcscrv er  ses  droits  a  l'e^aid  tic  la  traduction 
en  Langues  étrangères,  notamment  pour  les  Lan}iues  Allemande, 
Anglaise,  Kspa<inole  et  Italienne. 

Ce  Nolunie  a  été  déposé  au  Ministère  de  l'Intérieur  (Direction  de 
la  Librairie  ,  le  2.>  juin  18ôl. 


H\iiis.   iMi'iiiMK   i'\it   l'ioN   nii-.iir-;     iti  K   nr   v\i  <;ii; \iii>     ^f, 


HISTOIRE 


l)L 


COXSU.Al 


Kl      I)  K 


L'EMPIRI 


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FAISANT    SllTK 

A    I.HISTOIHI'    DE    I.A    HÉVOLUTION    inANCAISK 


PAK  M.  A.  TIIIKIIS 


TOME  DIXIÈME 


/^V- 


PARIS 


PAl UN,  IJBKAir.E-EDITElH 

60  .  RVF.  niciiF.LiF.r 


\h:\\ 


//  V 


-t.  10 


HISTOIRE 


DU  CONSULAT 


ET 


DE  L'EMPIRE. 

LIVRE  TREATE-QUATRIÈIIK. 

RATISBONNE. 


Arrivée  de  Napoléon  à  Paris  dans  la  nuit  du  22  au  23  janvier  1809.  — 
Motifs  de  son  brusque  retour.  —  Profonde  altération  de  l'opinion 
publique.  —  Iniprobation  croissante  à  l'égard  de  la  guerre  d'Espagne, 
surtout  depuis  que  cette  guerre  semble  devoir  entraîner  une  nouvelle 
mpture  avec  l'Autriche.  —  Disgrâce  de  M.  de  Talloyrand,  et  danger 
de  M.  Fouché.  —  Attitude  de  Napoléon  envers  la  diplomatie  euro- 
péenne. — 11  se  tait  avec  l'ambassadeur  d'Autriche,  et  s'explique 
franchement  avec  les  ministres  des  autres  puissances.  —  Ses  efforts 
pour  empêcher  la  guerre,  mais  sa  résolution  de  la  faire  terrible,  s'il 
est  obligé  de  reprendre  les  armes.  —  Son  intimité  avec  M.  de  Ro- 
manzoff ,  resté  à  Paris  pour  l'attendre.  —  Demande  de  concours  à 
la  Russie.  — Vastes  préparatifs  militaires.  —  Conscription  de  1810, 
et  nouveaux  appels  sur  les  conscriptions  antérieures.  —  Formation 
des  quatrième  et  cinquième  bataillons  dans  tous  les  régiments. 
—  Développement  donné  à  la  garde  impériale.  —  Composition  des 
armées  d'Allemagne  et  d'Italie.  —  Invitation  aux  princes  de  la 
Confédération  de  préparer  leurs  contingents.  —  Premiers  mouve- 
ments de  troupes  vers  le  Haut-Palatinat,  la  Bavière  et  le  Frioul, 
destinés  à  servir  d'avertissement  à  l'Autriche.  —  Moyens  financiers 
mis  en  i apport  avec  les  moyens  militaires.  —  Effet  sur  l'Europe  des 
manifestations  de  Napoléon.  —  Dispositions  de  la  cour  d'Autridie-. 

TOM.   X.  1 


I.IVHE   XXXIV. 

—  I  \.iN|H  ration  ri  iiit|iMttuili-  (iirtllf  f|in>ii\r  par  suite  dos  é\é- 
n•■ln^nt^  <rrN|'.i^ii('.  -  \a>  niili.ni.is  (|iic  (dtc  {^iicrif  cause  à  Napo- 
l«W>n  lui  S('nil>iiiit  une  orcasion  qu'il  ne  faut  pas  laisser  ikhapper, 
apre^  avoir  ncitlinc  de  s;iisir  celle  qu'ullVail  la  murre  «le  l'olofine.  — 
Eni  oiiragruHiits  «pi'elle  IrouM'  <lau-<  rinitalii>ii  di-  PAll<'inaj;nc  el 
l'opinion  île  l'Kurope.  —  Ses  arinenients  extraordinaires  entrepris  de- 
puis lonn-leihps ,  (t  maintenant  poussés  à  ternir.  —  Nécessité  pour 
elle  de  prendre  um-  resohitiou  ,  et  de  choisir  entre  le  désarmement 
OH  la  guerre.  —  Elle  opte  pour  la  {juerre.  —  Union  de  l'Autriclie  avec 
r  Viijilflerre.  —  KiTorts  du  cabinet  autrichien  à  Constantinoi)le  pour 
aiiuiiir  la  |)ai\  entre  les  An;;lais  et  les  Turcs.  — Tentatives  à  Saint- 
Pélersbouri;  pour  détacher  la  lUissie  de  la  France.  —  Refroidissement 
d'Alexandre  à  re;;ard  de  Napoléon.  —  Causes  de  ce  reTroidissement. 

—  Alexandre  redoute  fort  une  nouvelle  guerre  de  la  France  avec 
l'Autriche,  et  s'efforce  de  l'empêcher.  —  >'y  pouvant  réussir,  et  ne 
voulant  point  encore  abandonner  l'alliance  de  la  France,  il  adopte 
une  conduite  and)i<;ué,  calcidée  dans  l'intérêt  «le  son  em|>ire.  — 
(Jrands  i)réparatil's  pour  finir  la  guerre  de  Finlande  et  recommencer 
celle  de  Tunpiie.  —  Envoi  d'une  armée  d'observation  en  Gallif  re  sous 
prétexte  de  coo|»erer  avec  la  France.  — L'.Vutriche,  quoique  trompée 
dans  ses  espérances  à  l'égard  de  la  Russie,  se  flatte  de  l'enlrainer  par 
un  premier  succès,  et  se  décide  à  commencer  la  guerre  en  avril.  — 
Déclaration  de  M.  de  Metternich  a  Paris.  —  Napoléon  ne  doutant 
plus  de  la  guerre,  accélère  ses  préparatifs.  —  Départ  anticipé  de 
tous  les  renforts.  —  Distribution  de  l'armée  d'Allemagne  en  trois 
corps  principaux.  —  Rôles  assignés  aux  maréchaux  Davout,  Lannes 
et  Masséna.  —  Le  prince  Bcrthier  part  pour  l'.Allemagne  avec  des  in- 
structions éventuelles,  et  Napoléon  reste  à  l'aiis  lioui'  achever  ses 
préparatifs.  —  Passage  de  l'inn  le  tO  avril  jiar  les  Autrichiens,  et 
marche  de  l'arcbiduc  Charles  sur  l'Isar.  —  Passage  de  l'Isar  et  prise 
de  I,andvhiit.  —  Projet  de  l'archiduc  Charles  de  surprendre  les  F'ran- 
rais  avant  leur  concentration,  en  traversant  le  Danube  entre  Ratis- 
bonne  et  Donauvverth.  —  Ses  dispositions  \unir  accabler  le  maréchal 
Davout  il  Ratisbonne.  —  Soudaine  et  heureuse  arrivée  de  Napoléon 
sur  le  théâtre  des  opérations.  —  Projet  hardi  de  concentration,  con- 
.«istant  h  amener  au  point  commun  d'Ahensberg  les  marée  baux  Da- 
vout et  Masséna,  l'un  y>artan;  de  Ratisbonne,   l'autre  d'Augsbourg. 

—  Difficultés  de  la  man  hc  du  n»arec  bal  Davout ,  cxjiosé  à  rencontrer 
la  niasse  presque  entière  de  l'armée  autrichienne.  — Conduite  habile 
et  ferme  de  ce  maréchal  placé  entre  le  Danube  et  l'an  hiduc  Charles. 

—  Sa  rencontre  avec  les  Autrichiens  entre  Tengen  et  Hausen.  —  Reau 
rnnilwt  cle  Tengen  le  19  avril.  —  Réimion  du  corps  du  maréchal 
Davout  avec  Na|>olc*on.  —  Napolc-on  prend  la  moitié  de  ce  corps, 
avec  les  Ravarois  et  les  \Vurtendiergeois ,  et  perce  la  ligne  de  l'ar- 
chiduc Charli-s,  qui  s'étend  de  Mimic  h  à  Ratisbonne.  —  Rataille 
d'AlHu-berg  livrée  le  50.  —  Napoléon  i)onrsuit  cette  ope-ration  en 
inaicliant  sur  l'isar  et  en  prenant  Landshut  le  21  — Il  enlève  ainsi 
la  ligne  d'c.pé.al on  de  r.ircliiduc,  et  rejette  son  aile  gauche  en  Ra- 
vièrc.  —  Apprenant  chns  la  nuit  du  1\  au  22  que  le  maréchal  Davout 


RATISBONNE.  3 

a  eu  de  nouveau  ranhuluc  à  comlmttre  vois  Leuchling,  il  se  rabat  à  - 

gauche  sur  Eckmiihl ,  où  il  an i\o  à  midi  le  22.  —  Bataille  d'Eckmulil.     Janv.  I>^09. 

—  L'archiduc,  battu,  se  rejette  en  Bohême.  —  Prise  de  Ratisbonne. 

—  Caractère  des  opérations  exécutées  par  Napoléon  pendant  ces  cinq 
journées.  —  Leurs  grands  résultats  militaires  et  politiques. 

Napoléon,  parti  à  cheval   de  Yalladolid  le  17      Airaco 

j  orvn  •     '     I        ta  Tt  \       if\     ^      de  Napoléon 

janvier  1 809 ,  arrive  le  1 8  a  Burgos ,  le  1 9  a  à  Paris. 
Bayonne,  était  monté  en  voiture  dans  cette  dcr-  ^'^  "iT'^ 
nière  ville,  après  avoir  pris  à  peine  le  temps  d'ex-  ^°"  '^*''°"''- 
pédier  quelques  ordres,  et  se  trouvait  aux  Tuile- 
ries le  22  au  milieu  de  la  nuit,  surprenant  tout  le 
monde  par  la  promptitude  de  son  apparition.  On  ne 
s'attendait  pas  à  le  revoir  sitôt,  et,  soit  en  France, 
soit  en  Europe,  on  en  devait  ressentir  quelque 
trouble.  Les  motifs  de  ce  trouble  s'expliquent  par 
les  motifs  mêmes  de  son  brusque  retour.  Il  était 
parti  de  Valladolid,  laissant  à  ses  généraux  mal- 
heureusement divisés ,  et  faiblement  rapprochés 
par  le  timide  commandement  de  Joseph,  le  soin 
d'achever  la  conquête  de  l'Espagne;  il  était  parti, 
parce  que  de  toutes  parts  lui  était  arrivée  la  nou- 
velle que  l'Autriche  poursuivait  avec  plus  de  ^i- 
vacité  que  jamais  ses  armements  tant  de  fois  ra- 
lentis, tant  de  fois  repris  depuis  deux  ans;  parce 
qu'on  lui  faisait  parvenir  de  Vienne,  de  Munich, 
de  Dresde,  de  Milan,  le  détail  précis  de  ces  arme- 
ments, de  manière  a  ne  laisser  aucun  doute  sur 
rimminence  du  danger;  parce  que  de  Constanti- 
nople  on  lui  racontait  les  etforts  inouïs  de  l'Au- 
triche pour  brouiller  les  Turcs  avec  la  France,  et 
pour  les  réconcilier  avec  l'Angleterre;  parce  que 
de  Paris  entin  on  lui  mandait  qu'une  agitation  in- 
connue se  manifestait  dans  les  esprits,  qu'on  intri- 

i. 


4  Liviu:  XXXIV. 

lîiiait  liinitleinent  nuiis  \isiljl('iiient  à  la  cour,  qu'on 

Jinv.  «809.  .....  .    ,         .,, 

parlail  liardiinenl  a  la  \ille,  et  que  partout  en  un 

mot  on  était  incpiicl,  niécontont,  aussi  mal  pensant 
(pie  mal  di.^ant.  L'n  mouvement  (rirritation  s'était 
tout  à  coup  |)ro(luit  dans  son  àme  ardente,  et  il 
n'avait  pu  s'empêcher  de  revenir  immédiatement 
(Ml  France.  Ceux  (|ui,  tant  au  dehors  qu'au  dedans, 
as  aient  provoqué  son  retour,  devaient  s'en  ressen- 
tir, et  ils  en  étaient  aj^'ités  à  laNance.  La  diplomatie 
européenne  s'attendait  à  un  éclat.  La  cour  effrayée 
craiiinait  (}uelque  rigueur. 
tiat  Napoléon,   en   effet,   de  retour   à  Paris,   allait 

des  cspriU  ■      t-  -i  i'  •. 

en  Franw     troin  cr  latrauce  comme  il  ne  lavait  pas  encore 
''*^Xnr*^    Nue.  liien  que  depuis  dix  ans  de  règne  il  eut  pu 
.i<-«so9      discerner,  à  travers  l'admiration  qu'il  lui  inspirait, 
des  défiances,  des  improbations  même,  il  ne  l'avait 
jamais  coiuuie  telle  que  la  lui  peignaient  en  ce  mo- 
ment (|iirl(pit's  ser\iteurs  fidèles,  telle  enfin  qu'il 
allait   I  apcrcevoii-  lui-même.  Ce  changement  était 
dû  tout  entier  à  la  guerre  d'Espagne,  qui  commen- 
(;ail  à  produire  ses  funestes  conséquences, 
jugcnui.i         I)  abord  on  avait  blâmé  l'entreprise  elle-même, 
•uî''u"puc"rre  M"'  Semblait  devoir  ajouter  de  nouveaux  poids  au 
dEspagnc     |onrd  fardcau  dont  l'Empire  était  déià  chargé.  On 

et  les   consc-  i  j  o 

(jucnces      a\ ait  blâmé  la  forme,  qui  n'était  qu'une  perfidie en- 

qu  elle  peut  .  i    -i    -    . 

avoir  vers  de  malheureux  princes  hebetes  et  impuissants. 
•Maison  avait  compté  sur  le  génie  de  Napoléon,  tou- 
jours heureux,  pour  \aincre  ces  nouvelles  difficul- 
tés; on  a\ail  été  ébloui  et  fier  des  hommages  dont 
il  a\ait  été  entouré  à  Erfurt,  et  on  avait  flotté  ainsi 
entre  la  crainte,  l'espérance,  et  l'orgueil  satisfait, 
('.ei)endant  cette  campagne  même,  où  il  n'avait  eu 


RATISBONNE.  3 

({u'à  paraître  pour  dissiper  les  levées  en  masse  des 
Espagnols,  avait  inspiré  de  tristes  réflexions.  On 
Pavait  vu  obligé  de  transporter  ses  vaillantes  ar- 
mées du  Nord,  où  elles  étaient  toujours  nécessaires, 
au  Midi,  où  aucun  danger  sérieux  ne  menaçait  la 
France;  de  les  disperser  sur  un  sol  dévorant,  où 
elles  s'épuisaient  à  détruire  des  rassemblements 
qui  ne  tenaient  nulle  part,  mais  qui  revivaient  sans 
cesse  en  guérillas  quand  ils  ne  pouvaient  plus 
combattre  en  corps  d'armée;  de  faire  rembarquer 
les  Anglais,  qui  se  retiraient  en  se  défendant  éner- 
giquement,  pour  reparaître  bientôt  sur  d'autres 
points  du  littoral,  aussi  mobiles  avec  leurs  vais- 
seaux que  les  Espagnols  avec  leurs  jambes.  De 
toutes  parts  on  se  disait  qu'il  y  avait  là  un  gouffre, 
où  viendraient  s'enfouir  beaucoup  d'argent,  beau- 
coup d'hommes,  pour  un  résultat  fort  incertain , 
désirable  sans  doute  si  on  se  reportait  au  siècle 
de  Louis  XIV,  infiniment  moins  important  à  une 
époque  où  la  France  dominait  le  continent,  résul- 
tat d'ailleurs  qu'on  aurait  bien  pu  ajourner  en  pré- 
sence de  tant  d'autres  entreprises  à  terminer,  et 
qui  devait  rendre  plus  difficile  cette  paix  générale, 
déjà  si  difficile  et  si  justement  désirée.  Mais  ce  qui 
mettait  le  comble  à  la  désapprobation  publique, 
c'était  la  conviction  très-répandue  que  l'Autriche, 
profitant  du  départ  des  armées  françaises  pour  la 
Péninsule,  allait  saisir  cette  occasion  de  recom- 
mencer la  guerre  avec  plus  de  chances  de  succès. 
A  cette  certitude  s'ajoutait  la  crainte  de  voir  d'au- 
tres puissances  se  joindre  à  elle,  et  la  coalition 
redevenir  générale.  Dans  une  faute  on  voyait  ainsi 


.lanv.  I«0Î). 


8  LIVHK   XXXIV. 

niillt)  faiitf's,  scncliaiiwmt  les  unes  aux  autres,  et 

entraînant  une  nïlernunahie  suite  de  funestes  con- 
scMjueuces.  En  nu'^ine  teni|)s,  tles  appels  réitérés, 
s'adressant  non-seulenienl  à  la  classe  de  1809,  mais 
à  celle  de  ISIO,  levée  un  an  à  l'avance,  et  même 
aux  classes  antérieures  de  I80G,  1807,  1808,  1809, 
(|ui  a\ aient  ()u  se  croire  libérées,  ces  ai)pels  com- 
ineneaienl  a  produire  un  niécontontement  universel 
dans  les  familles,  et  à  y  faire  sentir  comme  une 
soulliance  liès-vive,  cette  guerre  qui  n'avait  été 
jus(jne-là  quune  occasion  de  triomplie,  un  sujet 
dor.uueil,  un  moyen  de  faire  descendre  dans  les 
cam|)airnes  les  plus  reculées  les  preuves  de  la  nui- 
nilieence  impériale  envers  de  vieux  soldats.  Les 
anciens  royalistes,  en  partie  ramenés,  s'étaient  tus 
jusipiici,  et  le  cleri;é  avec  eux.  Mais  aujourd'hui  les 
moins  cornuililes  trouvaient  dans  les  événements 
d  Espagne  et  d  Autriche,  dans  la  souiVrance  des  fa- 
milles, un  motif  pour  tenir  des  discours  pleins  de 
fiel.  Le  clergé,  ordinairement  uni  à  eux  d'intérêt  et 
de  sentiment,  avait,  dans  les  mauvais  traitements 
qu'on  faisait  essuyer  au  jiape  à  Rome ,  une  cause 
de  déplaisir  tout  aussi  grande  que  celle  que  les  an- 
ciens royalistes  pouvaient  trouver  dans  les  renon- 
ciations forcées  de  Bayonne.  Aussi  bien  des  curés 
se  |)ermettaient-ils  un  langage  fort  é([uivoque  dans 
certaines  chaires  soit  de  la  ville,  soit  de  la  cani- 
pagne ,  et .  sous  prétexte  de  prêcher  la  soumission 
chretit'inie,  on  conunrncait  à  parler  aux  peuples 
comme  l'Eglise  a  coutume  de  le  faire  dans  les  temps 
de  persécution. 

(hi  s'exprimait  dans  les  lieux  publics  avec  une 


Jaiiv.  1809. 


RATISBONNE.  7 

élraiiiïe  liberté ,  et  ce  Paris  si  mol)ile ,  tour  à  tour 
si  turbulent  ou  si  docile,  si  déniiïrant  ou  si  enthou- 
siaste, jamais  soumis  ou  insoumis  tout  à  fait,  et 
qu'on  peut  toujours  s'attendre  à  revoir  sage  au  mo- 
ment des  plus  grands  égarements,  ou  insensé  dans 
les  temps  de  la  plus  parfaite  sagesse,  Paris  presque 
ennuyé  d'admirer  son  Empereur,  oubliant  même 
la  reconnaissance  qu'il  lui  devait  pour  avoir  al)attu 
l'échafaud  et  rétabli  les  autels,  pour  avoir  ramené 
le  calme,  le  luxe,  les  plaisirs,  Paris  aimait  à  rele- 
ver ses  torts,  à  commenter  ses  fautes,  et,  à  travers 
la  satisfaction  de  fronder,  commençait  à  éprouver 
pour  l'avenir  des  craintes  sérieuses,  qu'il  traduisait 
en  un  langage  triste  et  souvent  amer.  Les  fonds  pu- 
blics, malgré  les  achats  obstinés  du  Trésor,  bais- 
saient au-dessous  du  taux  de  80  francs,  déclaré 
normal  par  l'Empereur  pour  la  rente  cinq  pour  cent, 
et  seraient  tombés  bien  au-dessous,  sans  les  etïorts 
qu'on  faisait  pour  les  soutenir. 

Autour  du  gouvernement  on  ne  montrait  pas  commence- 
moins  d'inquiétude  et  d'indiscipline  d'esprit.  Le  d'opposition 
Corps  Léc;islatif  était  demeuré  assemblé  pendant  '^l"!  !®,*^°JP^ 

t^  ~  i  Législatif. 

tout  le  temps  qu'avait  duré  la  courte  campagne 
de  Napoléon  au  delà  des  Pyrénées.  On  l'avait  oc- 
cupé, comme  c'était  l'usage  à  cette  époque,  non 
de  politique,  mais  d'atTaires  financières,  et  sur- 
tout de  matières  législatives.  Il  avait  eu  à  discuter 
le  Code  d'instruction  criminelle,  œuvre  difficile, 
et  qui  pouvait  réveiller  })lus  d'un  ancien  dissenti- 
ment. Les  opposants,  bien  peu  nombreux  alors, 
qui  n'arrivaient  jamais  à  donner  plus  de  10  ou  15 
sufliages  négatifs  aux  projets  qu'on  leur  soumet- 


8  LIVRE  XXXIV 

liiil,  ;i\ai('iil  cello  fois  lonii  uMe  au  goiivernemenl, 

t'I  iH'iiMi  jusqii  a  80  et  100  snllraiios  noi^'atiis,  sur 
i'i'yO  à  280  volauls,  »lans  la  délibération  des  divers 
titres  do  ce  (^ode.  1/areliiehaneelier  (^ambacérès, 
i|ui,  a\ee  sa  perspicacité  ordinaire,  a\ait  discerné 
c^'lle  renaissance  de  l'esprit  de  contra(Hction  ,  et  qui 
aAait  craint  de  l'exciter  en  livrant  à  la  discussion  un 
(k)de  ({ui  mettait  si  fort  en  présence  les  anciens 
|)enchanls  des  uns  pour  la  liberté,  des  autres  pour 
Tautorile,  rarchichancelier  Cambacérès  avait  pré- 
venu lEnipereur  de  ce  danger,  et  avait  cherché  à 
le  dissuader  de  terminer  cette  année  le  Code  d'in- 
struction criminelle.  Il  aurait  préféré  choisir  un  mo- 
ment où  l'on  aurait  été  plus  enclin  à  l'approbation, 
et  où  l'Empereur  aurait  été  présent,  car,  lui  ab- 
sent, tout  le  monde  était  plus  hardi.  Mais  Napo- 
léon, ne  connaissant  pas  d'obstacle,  avait  \oulu 
que  le  Code  d'instruction  criminelle  fut  mis  en  déli- 
bération cette  année  môme,  et  de  vives  discussions, 
sui\ies  de  votes  plus  partagés  que  de  coutume, 
aN aient  étonné  les  esprits  réfléchis,  et  contribué  à 
indisposer  un  maître  attentif,  quoi(}uc  absent,  à 
tout  ce  (pii  se  passait  en  France. 
Conduite  Encouragés  par  cette  absence ,  certains  person- 

ie  MM.  (lo    nyrros  avalcut  aussi  donné  un  libre  cours  à  leur  lan- 

Talleyrand    et         •- 

Fourhr.  gue  et  à  leur  penchant  pour  l'intrigue.  Deux  surtout 
avaient  poussé  jusqu'à  l'imprudence  l'oubli  d'une 
soumission  à  latjuelle  ils  send)laient  habitués  depuis 
bientôt  dix  années,  c'étaient  .M.M.  Fouché  et  de  Tal- 
leyrand.  Nous  avons  fait  connaître  ailleurs  le  ca- 
ractère, et  le  rôle  })endanl  les  premières  années  du 
(Consulat,  de  ccstbîux  personnages  si  divers,  si  hos- 


HATISBONNE.  y 

tiles  l'un  à  l'autre ,  et  les  plus  importants  de  l'épo- 
que après  rarcliieliancelier  Cambacérès.  L'arelii- 
chancelier  Cambacérès,  quoique  moins  consulté  que 
jadis,  s'efibrçait  toujours  en  secret,  et  sans  osten- 
lation,  de  faire  prévaloir  dans  l'esprit  de  Napoléon 
des  pensées  de  modération  et  de  prudence ,  à  (pioi 
il  réussissait  beaucoup  plus  rarement  qu'autrefois. 
Du  reste,  les  événements  commençaient  à  le  fati- 
guer et  à  l'attrister,  et  il  tendait  chaque  jour  à  s'ef- 
facer davantage,  ce  qui  est  facile  en  tout  temps,  car 
les  acteurs  pressés  sur  la  scène  du  monde  ne  sont 
jamais  fâchés  qu'on  leur  laisse  la  place  vide.  Napo- 
léon seul  s'en  apercevait  avec  regret,  appréciant  sa 
rare  sagesse,  quoiqu'il  en  fut  souvent  importuné. 
On  songeait  donc  beaucoup  moins  au  prince  archi- 
chancelier.  Mx^r.  Fouchéetde  Talleyrand,  au  con- 
traire, aimaient  fort  qu'on  s'occupât  d'eux,  et  atti- 
raient volontiers  sur  eux-mêmes  tout  ce  qui  restait 
d'attention  à  un  public  dont  Napoléon  occupait 
presque  seul  la  pensée.  M.  Fouché,  excellent  mi- 
nistre de  la  police  dans  les  premiers  temps  du 
Consulat,  par  son  indifférence  indulgente  envers  les 
partis  qui  le  portait  à  ménager  tout  le  monde ,  avait 
cependant  deux  inconvénients  graves  pour  un  mi- 
nistre de  la  police,  c'était  le  soin  de  se  faire  valoir 
aux  dépens  du  gouvernement,  et  le  besoin  de  se 
mêler  de  toutes  choses.  Ménageait-il  celui-ci  ou 
celui-là,  prévenait-il  un  acte  de  rigueur,  il  s'en  at- 
tribuait le  mérite  auprès  des  intéressés,  leur  don- 
nant à  entendre  que  sans  lui  on  aurait  bien  autre- 
ment souffert  de  la  tyrannie  d'un  maître  impétueux. 
Il  affectait  de  contenir  le  zèle  emporté  du  préfet  de 


Janv. 1809, 


Janv.  «809 


II)  l.INHF.    XWIV. 

|)()lici'  Duhois,  fonclioinuiirc  pcrsonnellciiienl  tlé- 
\()uo;t  rKiii(UMV«ir,  le  r;iilliiit  des  dccoiiverles  (juil 
pn'tt'inliiit  l'airr,  vi  liailail  de  coihijIoIs  cliinuMicjues 
lous  ceux  (|iii  (Maiciil  (Icnoiiccs  |)ar  rot  aident.  En 
cela  .M.  IoirIk;  j)()ii\ail  a\(>ir  raison,  mais  il  avait 
liii-inèiiiu  ses  excès  de  zcle.  Il  \oiilait  se  mêler  dv 
tout,  pour  paraître  inlliicnt  en  tout.  Récemment, 
dan>  le  désir  de  se  donnei-  de  l'importance,  il  avait 
pris  sur  Ini  de  conseiller  le  di\orce  à  Timpératrice 
Jox'pliine,  croyant  qu'il  ]i!airait  ainsi  à  Napoléon, 
en  amenant  un  sacritice  (jiie  cehii-ci  n'osait  pas 
demander,  mais  (piil  souhaitait  ardemment.  Ces 
vues  trop  personnelles,  cette  indiscrète  inter\ention 
dans  ce  qui  ne  le  regardait  pas,  avaient  déjà  failli 
perdre  M.  Fouclié  auprès  de  Napoléon ,  qui  ne  vou- 
lait i)as  natnrellement  qu'on  se  fît  valoir  à  ses  dé- 
pens; ([non  le  peignît  aux  partis  comme  dur  el 
cruel ,  en  se  réservant  pour  soi  les  honneurs  de 
l'indnlgence;  (fu'on  allectàt  l'incrédnlité  en  fait  de 
complots  pouvant  compromettre  la  sûreté  de  son 
gf)uvernement  ;  qu'on  se  permît  enfin  de  prendre 
I  initiative  dans  de  graves  affaires  d'État  ou  de  fa- 
mille, (pu  ne  conceriuiient  que  lui  seul,  et  dont  seul 
il  pou\ait  et  \onlait  juger  la  maturité. 

Une  circonstance  toute  récente  lui  a\ail  donné 
occasion  df  leuioigrier  à  cet  égard  son  sentiment,  et 
il  Taxait  fait  duiu'  manière  fâcheuse  pour  M.  Fou- 
chè.  l  11  ancien  uiililaire,  le  général  .Malet ,  conspi- 
rateur incorrigible,  Servan,  autrefois  ministre  delà 
guerre,  un  ex-conventionnel,  Florent  -  Gux  ot ,  un 
em|)loyé  peu  connu  du  département  de  l'instruction 
pulili(iue,  étaient  compromis  dans  une  trame  peu 


RATISBONNE.  Il 

sérieuse,  mais  qui  aunonçait  déjà  un  commeuce- 
meiit  de  résistance  au  pouvoir  absolu.  Il  ny  avait 
là  qu'une  chose  i^rave,  et  personne  ne  s'en  aperçut 
alors,  c'était  la  manie  du  général  Malet  de  penser 
que,  Napoléon  étant  souvent  absent  pour  la  guerre, 
il  fallait  profiter  de  l'une  de  ses  absences  pour  le 
dire  mort,  et  provoquer  un  soulèvement.  Le  projet 
du  général  Malet ,  réalisé  plus  tard ,  était-il  seule- 
ment en  germe  alors,  ou  déjà  fort  miui  dans  la 
prétendue  trame  que  31.  Dubois  croyait  avoir  dé- 
couverte, c'est  ce  qu'il  est  impossible  de  décider. 
M.  Fouché  railla  beaucoup  M.  Dubois,  et  celui-ci, 
se  sentant  soutenu,  traita  son  ministre  avec  peu  de 
respect.  Napoléon  a\erli  en  Espagne  de  ce  diffé- 
rend, et  n'aimant  pas  que  son  ministre  de  la  police 
jouât  l'esprit  fort  en  matière  de  complots,  ou  peut- 
être  se  fit  valoir  auprès  des  corps  de  l'État  en  étouf- 
fant une  affaire  dans  laquelle  plusieurs  de  leurs 
membres  étaient  compromis,  prêta  tout  appui  à 
M.  Dubois,  et  voulut  que  la  question  fut  examinée 
dans  un  conseil  présidé  par  le  prince  Cambacérès. 
Le  prudent  archichancelier  pacifia  la  querelle  en  dé- 
cidant que  s  il  n'y  avait  pas  lieu  à  suivre,  il  y  avait 
du  moins  grande  attention  à  donner  à  ces  premiers 
symptômes  de  l'esprit  de  révolte.  M.  Fouché  fut 
^ertement  réprimandé  par  ordre  de  TEmpereur.  1! 
venait  de  l'être  plus  durement  encore  au  sujet  de 
sa  proposition  de  divorce.  Cette  proposition  faite 
spontanément  à  l'impératrice  Joséphine  par  le  mi- 
nistre de  la  police ,  avait  paru  à  celle-ci  dictée  par 
l'Empereur  lui-même,  car  elle  n'avait  pu  supposer 
qu'un  ministre  prît  sur  lui  de  hasaixler  une  telle 


Jaav.  1809. 


:U\.    I80i». 


12  I.IVUi:    W.MV. 

ilciiiairlie  >  i\  i\'\  a\iiil  v\v  autorisé,  et  il  en  était 
résulté  «les  agitations  iulériiuiros  qui  avaient  vive- 
ment alV('ct(''  Napoléon.  Cherchant  la  stabilité  (|ui 
lui  rcha|)|»ait ,  il  désirait  un  héritier,  et  sentait 
|)('u  à  |)rM  n»ùrir  en  lui  la  résolution  du  divorce. 
Mais  |»lu>  il  a|>|)rociiait  du  moment  de  cette  réso- 
lution, moins  il  voulait  s'infliu;er  à  l'avance  une 
douleur  (jiii  de\ait  lui  être  très-sensible,  ^f.  Fouché 
lut  donc  désavoué  ponr  cette  démarche,  et  con- 
danme  auprès  de  Timpératrice  à  des  excnses  humi- 
liantes. >[.  (]ambacérès  fut  encore  l'intermédiaire, 
le  pacificateur  de  ce  dilVérend.  Mais  M.  Fouché  put 
dès  lors  s'apercevoir  élu  déclin  rapide  de  son  crédit. 
Quant  à  M.  de  Talleyrand,  sa  situation  était  aussi 
fort  compromise,  et  également  par  sa  faute.  Il  avait 
déjà  donné  plus  d'un  sujet  de  défiance  et  de  dé- 
plaisir à  Napoléon,  surtout  en  quittant  le  ministère 
«les  affaires  étrangères  en  1807,  pour  le  vain  motif 
«le  devenir  grand  dignitaire  de  l'Empire.  Il  avait 
regagné  la  faveur  impériale  en  se  faisant  l'instru- 
ment actif  de  la  politique  qui  avait  amené  la  guerre 
d  Es|)agne,  et  Napoléon  l'avait  tour  à  tour  conduit 
à  Erfurt,  ou  laissé  à  Paris,  afin  de  pallier  auprès 
«le  la  diplomatie  européenne  ce  que  cette  politique 
|>ouvait  a\  oir  d'odieux  et  d'inquiétant  pour  les  cours 
(■'Irannères.  Mais  M.  «le  Tallevrand  était  de  tous  les 
liounnes  le  moins  ca|)able  de  résister  à  l'opinion  du 
jour,  et  la  guerre  d'Espagne,  ayant  fini  par  encou- 
rii-  la  réj)robation  uni\ei  selle,  n'était  plus  bonne  à 
ses  yeux  qu'à  désasouer.  Aussi  ne  man(piait-ii  pas 
dédire  (luil  ne  l'aNiiit  jxjint  conseillée,  se  fondant 
sans  doute   sur  ce   (|ii  il    a\ait  préféré,   entre  les 


RATISBOxNNE.  13 

projets  proposés,  le  démeml)rement  de  rEspai^ne 
à  l'usurpation  de  la  couronne.  Les  désa^  eux  com- 
mencés, il  remontait  jusqu'à  l'affaire  du  duc  d"En- 
gliien,  car  dans  ce  moment  de  défa\cur  on  reve- 
nait sur  toutes  les  fautes  que  Napoléon  avait  pu 
commettre,  et  M.  de  Tallevrand  voulait  n'avoir  été 
complice  d'aucune.  Son  imprudence  était  grande, 
car  si  tout  se  redit  vite  à  Paris,  tout  se  redisait 
bien  plus  vite  alors,  à  l'indiscrétion  se  joignant 
plus  qu'à  aucune  autre  époque  le  goût  perfide  de 
plaire.  jM.  de  ïalleyrand  ne  pouvait  donc  manquei 
d'être  bientôt  dénoncé  à  l'Empereur. 

Ses  torts  ne  s'étaient  pas  bornés  à  quelques  dés- 
aveux peu  fondés,  il  s'était  réconcilié  avec  M.  Tou- 
ché, après  dix  ans  de  haine  et  de  dénigrement  ré- 
ciproques. Ils  se  traitaient  l'un  l'autre  d'intrigant 
frivole,  affectant  de  diriger  une  diplomatie  qui, 
aidée  par  la  victoire,  allait  toute  seule;  d'intrigant 
subalterne  agitant  l'Empereur  de  vulgaires  dénon- 
ciations, et  faisant  étalage  d'une  police  que  la  sou- 
mission générale  rendait  facile ,  môme  inutile.  M.  de 
Talleyrand  méprisait  la  vulgarité  de  M.  Fouché, 
celui-ci  la  frivolité  de  M.  de  Talleyrand.  Cependant, 
comme  si  une  situation  grave  avait  paru  exiger  de 
leur  part  l'oubli  d'anciens  ressentiments,  MM.  de 
Talleyrand  et  Fouché ,  rapprochés  par  des  officieux , 
s'étaient  réconciliés,  et  publiquement  visités,  ce  qui 
avait  produit  une  surprise  générale.  Le  motif  vrai 
de  leur  réconciliation,  c'est  que  des  circonstances 
pouvaient  se  présenter  prochainement  où  leur  union 
serait  nécessaire  à  tous  deux.  On  se  persuadait,  en 
effet,  que  Napoléon  finirait  par  rencontrer  en  Espa- 


Janv.  ISO'l. 


Janv    ttiO'J. 


n  LIVRE  XXXIV. 

irne  lo  jxiiirimnl  d  un  raualiijiic,  on  en  Autriche  un 
ItDiik'l  de  caiioi».  MM.  Koiii-lu'  et  di;  rallevrand, 
plus  enclins  il  cioirc  a  la  clnilc  d  nn  ordre  de  choses 
(jui  n Clail  phis  de  leur  i^oùt,  semblaient  partager 
I Opinion  (pie  la  personne  de  Napoléon  succombe- 
rait infailliblement  à  un  péril  trop  souvent  bravé. 
Ouc  de\iendrons-nous?  (jue  ferons-nous?  étaient 
les  «piestions  (juils  s'étaient  adressées,  et  que  cer- 
tainement ils  na\  aient  pas  résolues.  Mais  les  inter- 
médiaires, exagérant  comme  de  coutume  les  demi- 
confidences  que  ces  deux  personnages  avaient  pu 
se  faire,  prétendaient  que  tout  un  plan  de  gou- 
vernement avait  été  préparé  par  eux  pour  le  cas 
où  Napoléon  serait  rra|)pé.  On  leur  prêtait  même 
ridée  de  transmettre  la  couronne  impériale  à  Mu- 
rat,  (pii  a\ait  poité  à  Paris,  avant  de  se  rendre 
à  Naples,  le  mécontentement  de  n'être  pas  roi 
«TE  pagne. 

Ces  vains  bruits  ne  mériteraient  pas  d'occuper 
1  histoire,  s'ils  n'attestaient  un  commencement  d'al- 
tération dans  les  esprits,  résultat  des  fautes  de  Na- 
jioléon,  et  surtout  s'ils  n'avaient  pas  eu  le  fâcheux 
(^iVet  de  tenir  les  étrangers  en  éveil  sur  ce  qui  se 
passait  à  Paris,  de  leur  persuader  que  l'autorité  de 
Na|)oléon  était  fort  alVaihlie,  que  la  nation  était  dé- 
goûtée de  sa  p()liti(jue,  (pic  ses  moyens  daction 
étaient  très-diminués,  et  que  le  moment  enfin  était 
venu  de  lui  déclarer  de  nouveau  la  guerre.  Il  est 
certain  que  létat  des  esprits  à  Paris  '   agit  alors 

'  Ce  fait  c-it  tristement  prouvé  par  toutes  les  (îorresponclances  diplo- 
matique-; «le  IVpoque.  On  e>t  étonn»'-  d'y  voir  à  quel  i»oint  tout  ce  qui 
.se  disait  à  Paris  se  rcdi.sait  à  Vienne,  à  B<^rlin,  à  Saint-Pétersbourg, 


HATISBONXE.  15 

beaucoup  sur  l'état  des  esprits  en  Europe ,  et  eon- 
Irilnia  extrêmement  à  rallumer  la  i;uerre,  connues 
on  va  bientôt  le  voii'. 

Napoléon  connaissait,  avant  de  quitter  Yal'adolid, 
une  grande  partie  de  ce  que  nous  venons  de  rap- 
porter, et  il  en  éprouvait  une  irritation  dont  il  ne 
sut  pas  contenir  les  éclats.  La  veille  de  son  départ, 
apprenant  ([ue  les  grenadiei's  de  la  vieille  garde 
murmuraient  parce  qu'on  les  laissait  en  Espagne,  du 
moins  momentanément;  apprenant  aussi  que  le  gé- 
néral Legendre ,  Tun  des  signataires  de  la  capitu- 
lation de  Baylen,  devait  se  présenter  à  lui  dans 
une  revue  qu'il  allait  passer,  Napoléon  se  livra  à 
des  mouvements  de  colère  qui  aflligèrent  profon- 
dément ceux  qui  en  furent  témoins.  Parcourant  à 
pied  les  rangs  de  ses  grenadiers  qui  lui  présentaient 
les  armes,  soit  qu'il  eut  entendu  quelque  murmure, 
soit  qu'il  eut  reconnu  l'un  des  mécontents,  il  lui 
arracha  son  fusil  des  mains,  et  le  tirant  à  lui  :  Mal- 
heureux, lui  dit-il,  tu  mériterais  que  je  te  fisse  fu- 
siller! et  peu  s'en  faut  que  je  ne  le  fasse.  —  Puis, 
le  rejetant  dans  les  rangs ,  et  s'adressant  à  ses  ca- 
marades :  Ah!  je  le  sais,  leur  dit-il,  vous  voulez 
retourner  à  Paris  pour  y  retrouver  vos  habitudes 
et  vos  maîtresses,  eh  bien,  je  vous  retiendrai  en- 
core sous  les  armes  à  quatre-vingts  ans!  —  Ayant 
ensuite  aperçu  le  général  Legendre ,  il  lui  saisit  la 
main  et  lui  dit  :  Cette  main,  général,  cette  main, 
comment  ne  s'est-elle  pas  séchée  en  signant  la  ca- 
pitulation de  Baylen?  -  L'infortuné  général,  fou- 
droyé par  ces  paroles,  sembla  s'abîmer  dans  sa 
honte,    et   chacun  s'inclina  devant  le  visage  en- 


laiiv.  1809. 


-•anv    »SOy 


ir.  I.IVIIK   X.WIV. 

Ihiiiiiiic  (II-  Niipoli'oii,  loiil  (-11  hlàinanl  secrètement 
ces  iiupialitiahlcs  violences. 

Il  partit  ensiiiti'  pour  Paris,  ou  il  arri\a,  coninjc 
nous  l'avons  dit,  a\('c  une  lapidité  ép:ale  à  ses 
passions.  On  lui  a\ail  beaucoup  écrit  en  Espagne; 
car  indc-jx-ndainnicnt  de  ses  ministres  il  avait  de 
iioinhiTux  coircspoudants,  qui  lui  communiquaient 
tout  ce  ipi  ils  pensaient  et  tout  ce  qu'ils  recueil- 
laient ';  il  avait  heaucoup  ap[)ris  en  route,  quoicpic 
en  courant;  il  a\ait  donné  un  iïrand  n()m])re  dOr- 
dres,  prescrit  notamment  l'arrestation  d'un  ahhé 
AniLdade  (jui,  dans  la  flironde,  a^ait  mal  parlé  en 
ciiaire  de  la  conscription,  et  mandé  à  Paris  Tarclie- 
vé(|ue  de  Bordeaux,  qui  avait  soulVert  les  sermons 
de  lablté  Ani.datle.  A  peine  entré  aux  Tuileries,  il 
avait  été  assailli  par  des  milliers  de  rapports  sur 
ce  qui  s'était  passé  en  son  absence.  Ces  rapports 
fort  exaiiérés  ne  pouvaient  tromper  un  esprit  aussi 
sai;ace  (pie  le  sien ,  mais  on  accueille  volontiers 
ce  (pii  (latte  l'irritation  (pi'on  éprouve,  et  Napoléon 
crut,  ou  ])arut  croire  beaucoup  de  choses  invrai- 
semblables. Il  appela  auprès  de  lui  rarchichancelier 
(lambacérès,  auquel  il  redit  avec  une  extrême  ani- 
mation tout  ce  qu'on  lui  avait  raconté,  s'emportani 
surtout  contre  ]\IM.  Fouclié  et  de  Talleyrand,  qui, 
selon  lui,  n'avaient  pu  se  réconcilier  que  dans  de 
irès-mauvaises  intentions.  Larchichancelier  Cam- 

'  Parmi  cfs  rorrespondants  se  trouvaient  MM.  Fiévée,  de  Monllosier, 
madame  de  Genlis,  qui  n'écrivaient  pas  pour  dénoncer,  mais  i)our  dire 
Ifur  opinion  sur  et-  qu'ils  voyaient,  et  sur  ce  qui  se  passait  tous  les 
jours  sous  leurs  yeux.  Les  correspondances  de  M.  Fiévée  ont  été  im- 
primées, et  prouvent  que  Napoléon  se  laissait  dire  beaucoup  de  choses, 
<l  dis  plus  liardies. 


Janv. 1809. 


RATISBONNE.  17 

bacérès  essava  de  le  calmer,  mais  il  iiv  réussit 
qirimparfaitement.  Ce  qui  blessait  Napoléon,  c'était 
qu'on  disposât  de  sa  succession  comme  si  sa  mort 
eut  été  certaine;  ce  qui  le  blessait  plus  encore, 
c'était  le  désaveu  de  sa  politique,  fait  par  un  homme 
qui  en  avait  été  le  complice ,  et  qui  avait  été  con- 
duit à  Erfurt  et  laissé  à  Paris  pour  en  être  l'apolo- 
giste. Aussi  le  principal  orage  devait-il  fondre  sur 
la  tète  de  M.  de  Talleyrand,  M.  Fouclié  ayant  déjà 
reçu  par  écrit  de  vertes  réprimandes,  et  bien  que 
commençant  à  déplaire,  n'ayant  pas  encore  assez 
comblé  la  mesure  pour  être  sacrifié. 

Napoléon,  dans  un  conseil  de  ministres  auquel      Disgrâce 

.        .  ,      .  ,       ,.       .     .  ,         ^      ,        de  M.  de 

assistaient  plusieurs  grands  dignitaires  présents  a  laiieyrand. 
Paris,  se  plaignit  de  toutes  choses  et  de  tout  le 
monde,  car  il  n'était  rien  dont  il  ne  fut  mécontent. 
On  avait  perdu  à  cette  époque,  au  milieu  du  calme 
de  l'Empire,  la  connaissance  de  l'opinion  publique 
et  de  ses  brusques  revirements  ;  on  croyait  qu'un 
gouvernement  pouvait  la  diriger  à  volonté,  et  on 
avait  à  cet  égard  une  foi  puérile  dans  linfluence 
de  la  police,  parce  qu'elle  avait  une  autorité  absolue 
sur  les  journaux.  Napoléon  se  plaignit  de  ce  qu'on 
avait  laissé  les  esprits  s'égarer  sur  les  événements 
du  jour,  de  ce  qu'on  avait  laissé  interpréter  sa 
dernière  campagne,  toute  marquée  par  des  suc- 
cès, comme  une  campagne  féconde  en  revers; 
lança  plusieurs  traits  acérés  contre  ceux  qui  avaient 
parlé  et  agi  comme  en  présence  d'une  succession 
déjà  ouverte,  comme  en  présence  d'un  règne  près  de 
finir.  Il  se  plaignit  surtout  avec  une  extrême  amer- 
tume de  ceux  qui,  pour  le  désavouer,  ne   crai- 

TOM.  X.  2 


Jaiiv    180U. 


48  LlVHli  WXIV. 

jïuaitMif  pas  de  so  dôsavonor  on\ -nirmes;  enfin 
ne  se  coiilcuanf  [)liis,  j)aix-oiiraiit  ii  irrands  pas  la 
salle  du  conseil,  et  sadressant  à  M.  de  Talloyrand, 
(|iii  éliiit  ininioliile,  debout,  adossé  à  une  chemi- 
née, il  lui  (lil  en  ii;esticulant  de  la  manière  la  plus 
\ive  :  —  Kl  NOUS  osez  prétendre,  Monsieur,  que 
vous  avez  été  étraniîer  à  la  mort  du  duc  d'Eu- 
ii;liien!  Et  vous  osez  prétendre  que  vous  avez  été 
étranii;er  à  la  t^uerre  d'Espai,Mie!  — Etranp:er,  répé- 
tait Napoléon,  à  la  mort  du  duc  d'Eni^hien!  mais 
oublie/- vous  donc  que  vous  me  Tavez  conseillée 
par  écrit?  Étranger  à  la  ifuerre  d'Espai^ne!  mais  ou- 
hliez-vous  donc  que  vous  m'avez  conseillé  dans  vos 
lettres  de  recommencer  la  politique  de  Louis  XIY? 
ouhliez-vous  que  vous  avez  été  l'intermédiaire  de 
toutes  les  néj^ociations  qui  ont  abouti  à  la  guerre 
actuelle?  — Puis  passant  et  repassant  devant  M.  de 
Talleyrand,  lui  adressant  chaque  fois  les  paroles 
les  plus  blessantes,  accompagnées  de  gestes  mena- 
çants, il  glaça  d'effroi  tous  les  assistants,  et  laissa 
ceux  qui  l'aimaient  pleins  de  douleur  de  voir  abais- 
sée dans  cette  scène  la  double  dignité  du  trône  et 
du  génie'.  Napoléon  congédia  ensuite  le  conseil, 
fâché  de  ce  qu'il  avait  fait,  et  ajoutant  au  mécon- 
tentement qu'il  avait  des  autres  le  juste  méconten- 
tement qu'il  devait  avoir  de  lui-même. 

iM.  de  Talleyrand  rentré  chez  lui  éprouva  une 
sorte  de  saisissement.  Les  médecins  furent  inquiets 
pour  sa  vie,  car  il  n'avait  nullement  le  courage  de 

'  Le  véridique  et  honnéle  duc  de  Gaëte,  témoin  oculaire  de  cette 
scène,  me  l'a  racontée  avec  les  moindres  détails  quelques  jours  arant 
sa  mort. 


RaTISBONNK.  -rg 

la  disijràce,  quoiqu'il  la  soutint  avec  une  impassi- 
bilité apparente.  Cependant  Napoléon  était  trop  ir- 
rité pour  s'en  tenir  à  des  paroles.  Il  voulut  qu'une 
manifestation  oiïicielle  apprît  au  public  que  M.  de 
Talleyrand  avait  encouru  sa  défaveur.  Ce  person- 
nage, qui  aimait  tous  les  genres  d'honneur,  avait 
aspiré  à  être  grand  cliaml)ellan  lorsqu'il  occu[)ait 
les  fonctions  si  sérieuses  de  ministre  des  affaires 
étrangères.  Devenu  grand  dignitaire,  il  était  resté 
grand  chambellan,  et  en  cumulait  les  avantages  pé- 
cuniaires avec  ceux  de  sa  nouvelle  dignité.  Le  len- 
demain même  de  la  séance  orageuse  qui  avait  eu 
lieu  au  conseil  des  ministres.  Napoléon  lui  fit  rede- 
mander la  clef  de  grand  chambellan,  et  la  transmit 
à  M.  de  Montesquiou,  l'un  des  membres  du  Corps 
Législatif  les  plus  justement  honorés,  qui  joignait 
à  ses  titres  actuels  des  titres  anciens,  fort  appré- 
ciés par  Napoléon  quand  ils  s'ajoutaient  à  un 
mérite  réel.  Toutefois  M.  de  Talleyrand,  s'aper- 
ce vant  qu'il  s'était  trop  hâté' de  se  conduire  avec  le 
gouvernement  impérial  comme  avec  un  gouverne- 
ment perdu,  chercha  à  racheter  par  une  extrême 
soumission  les  propos  imprudents  qu'on  lui  repro- 
chait. Deux  ou  trois  jours  après  il  se  rendit  à  une 
grande  fête  aux  Tuileries,  dans  le  plus  brillant  cos- 
tume, s'inclinant  profondément  devant  le  maître 
dont  il  avait  essuyé  les  outrages,  voulant  presque 
le  faire  douter  lui-même  et  surtout  faire  douter  le 
public  de  ce  qui  s'était  passé.  Il  y  réussit  dans  une 
certaine  mesure ,  car  Napoléon ,  désarmé  par  cette 
soumission  calculée ,  découvrit  le  calcul ,  mais  agréa 
l'humilité. 

2. 


Junv.  1S09. 


Janv.  1809. 


-20  l.IVHiî   XXXIV. 

Après  avoir  réprimé  les  lanijues  autour  de  lui, 

sans  les  ré|)riiii('r  dans  le  publie,  qu'on  ne  pouvait 

siunos       pas  (lisijraeier,  Napoléon  s'occupa  sur-lc-ehamp  des 

rcurs        graves  aliaues  qui  1  avaient  amené  a  Fans.  Les  al- 

<* une  guerre   {-^,1,.^.^  étaient  la  diplomatie  et  la  guerre  qu'il  fallait 

prochaine.  i  '  i 

conduire  de  front,  car  on  se  trouvait  à  la  veille  dune 
ruptuie  a\ec  rAutrielie.  Cette  puissance,  que  nous 
avons  vue  si  agitée  depuis  trois  ans,  flottant  tour 
à  tour  entre  le  désir  de  venger  ses  humiliations  et 
la  crainte  de  nouveaux  revers;  cherchant  sans  cesse 
une  occasion  opportune,  ayant  cru  en  découvrir 
une  dans  le-  hardi  mouvement  de  Napoléon  vers  le 
Nord  en  1807,  l'ayant  laissée  passer  sans  la  saisir, 
et  regrettant  amèrement  de  l'avoir  manquée  ;  croyant 
en  apercevoir  une  nouvelle  dans  la  guerre  dEspa- 
gne,  hésitant  depuis  six  mois  si  elle  en  protiterait 
ou  non,  et  au  milieu  de  ces  hésitations  armant  avec 
une  aeti\ité  toujours  croissante,  cette  puissance 
semblait  eniin  près  d'éclater.  Tout  ce  qu'elle  fai- 
sait dans  l'étendue  de  son  empire  comme  préparatifs 
militaires,  auprès  des  cabinets  européens  comme 
intrigue  politique,  décelait  une  résolution  presque 
arrêtée.  Rapproche  du  printemps  d'ailleurs  donnait 
lieu  de  penser  qu'on  aurait  tout  au  plus  deux  ou 
trois  mois  pour  se  préparer  à  lui  tenir  tète.  Il  fallait 
donc  se  hâter  si  on  ne  voulait  être  pris  au  dé- 
pourvu; mais  c'est  dans  l'art  de  bien  employer  le 
temps  et  de  créer  par  miracle  ce  qui  n'existait  pas 
que  Napoléon  excellait,  et  il  en  fournit  ici  une 
nouvelle  et  éclatante  preuve. 

Avec  les  préparatifs  militaires,  il  avait  à  conduire 
simultanément  les   négociations   qui   devaient  ou 


RÂTISBONNE. 


21 


prévenir  la  2:iierre,  ou  en  rendre  le  résultat  plus 
certain  au  moven  (Talliances  bien  ména£;ées.  Il 
avait  eu  quelques  mois  auparavant,  à  son  premier 
retour  d'Espagne,  avec  l'ambassadeur  d'Autriche, 
des  explications  si  franches,  si  développées,  et  ce- 
pendant suivies  de  si  peu  d'effet,  que  recommencer 
semblait  superflu,  et  aussi  peu  digne  que  peu  ef- 
ficace. Napoléon  jugea  qu'une  extrême  réserve  à 
l'égard  de  cet  ambassadeur,  une  extrême  franchise 
à  l'égard  des  autres,  et  le  déploiement  d'une  grande 
activité  administrative,  étaient  la  véritable  conduite 
à  tenir  et  la  seule  manière  de  provoquer  d'utiles  ré- 
flexions à  Vienne,  si  on  y  était  encore  capable  d'en 
faire  de  pareilles.  Il  se  montra  donc  poli,  mais 
froid  et  sobre  de  paroles  envers  M.  de  Metternich. 
Il  enjoignit  à  toute  la  famille  impériale,  dans  le 
sein  de  laquelle  M.  de  Metternich  était  ordinaire- 
ment bien  accueilli,  d'imiter  cette  réserve.  Il  se 
montra  au  contraire  beaucoup  plus  ouvert  avec  les 
autres  ambassadeurs,  leur  avoua  le  motif  de  son 
retour  à  Paris,  leur  déclara  que  c'était  l'Autriche 
et  ses  armements  qui  le  ramenaient  si  vite,  et  qu'il 
allait  y  répondre  par  des  armements  formidables. 
—  Il  parait,  leur  dit-il  à  tous,  que  ce  sont  les 
eaux  du  Léthé  et  non  celles  du  Danube  qui  coulent 
à  Vienne,  et  qu'on  y  a  oublié  les  leçons  de  l'expé- 
rience. Il  en  faut  de  nouvelles;  on  les  aura,  et  cette 
fois  terribles,  j'en  réponds.  Je  ne  veux  pas  la 
guerre,  je  n'y  ai  pas  d'intérêt,  et  l'Europe  entière 
est  témoin  que  tous  mes  efforts,  toute  mon  atten- 
tion étaient  dirigés  vers  le  champ  de  bataille  que 
l'Angleterre  a  choisi,  c'est-à-dire  l'Espagne.  L'Au- 


Janv. 1809 

Attitude 
de  Napoléon 

envers 
la  légation 
d'Autriche 
et  envers 
les  autres 
légations 
étrangères. 


J.inv    1809. 


Effet 
laiii: 
de' 


du  langage 


22  1.1  \UK   XXXIV. 

Iriclio,  (|iii  a  .saiiM-  les  Anglais  en  IHOo,  an  iiio- 
raont  ou  j  allai.s  traiicliii-  le  dclioil  de  Calais,  les 
sauve  encore  une  lois  eu  ui  airèlant  au  moment 
où  j'allais  les  poursui\re  jus(ju"à  la  Corogne  :  elle 
payera  cher  celle  nouvelle  (li\(Tsion.  Ou  elle  dés- 
armera sur-le-champ,  ou  elle  aura  à  soutenir  une 
yuerre  de  destruction.  Si  elle  désarme  de  manière 
à  ne  nie  laisser  aucun  doule  sur  ses  intentions  fu- 
tures, je  remettrai  moi-même  Tépée  dans  le  four- 
reau, car  je  n'ai  envie  de  la  tirer  qu'en  Espagne, 
et  contre  les  Anglais.  Sinon  la  lutte  sera  immédiate 
et  décisive,  et  telle  que  1" Angleterre  n'aura  plus  à 
lavenir  d'alliés  sur  le  continent,  — 

L'Empereur  produisit  sur  tous  ceux  qui  l'enten- 
dirent l'etfet  qu'il  désirait,  car  il  était  sincère  dans 
Napoléon  sur  ^^^  lanijage,  et  il  disait  ^Tai  en  assurant  qu'il  ne 

les  cours  r?    o    7  i 

européennes,  voulait  pas  la  guerre,  mais  qu'il  la  ferait  terrible 
si  on  l'obligeait  à  la  recommencer.  Tout  en  pensant 
qu'il  se  l'était  attirée  par  sa  conduite  en  Espagne, 
chacun  jugea  que  l'Autiiche  commettait  une  grande 
imprudence,  et  s'effraya  pour  l'Europe  des  consé- 
quences auxquelles  cette  cour  allait  s'exposer. 

On  avait,  tantôt  par  un  motif,  tantôt  par  un  au- 
tre, retenu  en  France,  depuis  l'entrevue  d'Erfurt, 
M.  de  Romanzolf,  le  ministre  des  atfaires  étrangères 
de  Russie.  Comme  il  a  été  dit  plus  haut,  ce  minis- 
tre s'était  rendu  à  Paris  à  la  suite  de  Napoléon  pour 
veiller  lui-même  aux  négociations  qui  allaient  s'en- 
tamer avec  l'Angleterre,  et  hâter  autant  que  pos- 
sible l'acquisition  des  provinces  du  Danube.  La 
négociation  avec  l'Angleterre  ayant  échoué,  M.  de 
Romanzotf  aurait  pu  repartir  pour  Saint -Péters- 


Séjour 

prolongé 

(le  M.  de  Ro 

manzoff  à 

Paris. 


RATISBONNE.  H 

bourg,  atin  de  rejoindre  son  jeune  maître,  qui 
I "attendait  avec  une  vive  ini|)alience.  Mais  un  mo- 
tif, tiré  de  leurs  désirs  communs,  avait  retenu 
M.  de  RomanzolT.  Il  ne  fallait  pas  plus  de  deux 
mois,  lui  avait-on  dit  à  Paris,  pour  terminer  les 
atTaires  d'Espaii;ue,  pour  ramener  le  roi  Josepli  à 
Madrid,  pour  l'y  couronner  de  nouveau,  pour  jeter 
les  Anglais  à  la  mer,  et  inspirer  à  l'Europe  des 
pensées  de  résignation  au  lieu  de  pensées  de  ré- 
sistance à  l'égard  des  desseins  conçus  à  Erfurt.  Il 
pouvait  donc  y  a^  oir  un  intérêt  véritable  à  ditîérer 
encore  les  ouvertures  qu'il  s'agissait  de  faire  à 
Constantinople  relativement  à  la  Moldavie  et  à  la 
Valachie;  car  si  Napoléon  était  complètement  vic- 
torieux, rAutriche  n'oserait  pas  entreprendre  une 
nouvelle  lutte,  l'Angleterre  ne  trouverait  pas  d'al- 
liés sur  le  continent,  les  Turcs  n'en  trouveraient 
ni  sur  terre,  ni' sur  mer,  et,  sans  conflagration 
européenne,  la  Russie  acquerrait  les  provinces  du 
Danube,  comme  elle  était  près  d'acquérir  la  Fin- 
lande, au  moyen  d'une  guerre  toute  locale  et  d'une 
importance  très -limitée.  Ce  motif  valait  la  peine 
d'un  nouvel  effort  de  patience,  car  ce  n'était  après 
tout  qu'un  retard  de  deux  mois,  et  ces  deux  mois 
M.  de  RomanzofT  avait  jugé  utile  de  les  passer  près 
des  événements  dont  il  attendait  l'issue.  Dans  l'in- 
tervalle il  observait  soigneusement  le  colosse  dont 
la  Russie  était  pour  un  temps  la  complice  plutôt 
que  l'alliée  ;  il  en  étudiait  la  force  passagère  ou 
durable  ;  il  cherchait  à  apprécier  la  valeur  des  mille 
propos  répétés  à  Saint-Pétersbourg  par  les  échos 
de  la  diplomatie  européenne,  et  il  vivait  en  atten- 


Janv.  IS09. 


Janv.  1809. 


24  1  IVIiK    \\\IV. 

(lant  an  milieu  diiii  mm.^c  d  encens,  cai'  la  cour 
iiniR'rialt^  a\ait  ieç,ii  lOnlre  de  combler  de  caresses 
laïuien  ministre  de  (^allierine,  le  ministre  actuel 
d  Alexandre,  ordre  de  tons  le  plus  facilement  obéi 
à  Paris,  où  Ion  aime  lant  à  i)Iaire  fpiand  on  ne  met 
pas  son  oriïueil  à  l)lesser. 

M.  de  RomanzolT  avait  passé  d'abord  deux  mois, 
puis  trois  à  Paris,  ne  s'apercevant  pas  du  temps  qui 
s'écoulait,  et  cy»erchant  à  calmer  Fimpatience  de  son 
souverain,  (pii  le  pressait  sans  cesse  de  revenir.  Na- 
poléon avait  tenu  parole,  et  en  deux  mois  il  avait 
dispersé  les  armées  espagnoles  comme  de  la  pous- 
sière, chassé  les  Anglais  du  continent  espagnol, 
ramené  son  frère  à  Madrid,  sans  donner  cependant 
à  personne  l'idée  que  la  guerre  d'Espagne  fut  une 
guerre  finie.  Ce  n'était  pas  là  ce  qu'il  avait  espéré, 
ni  surtout  ce  qu'il  avait  promis,  car  on  ne  pouvait 
plus  se  flatter  de  réaliser  les  grandes  acquisitions 
projetées  en  Orient  par  un  simple  acte  de  volonté. 
Napoléon,  à  peine  arrivé,  vit  ^l.  de  RomanzolT, 
exerça  sur  lui  sa  puissance  ordinaire  de  fascina- 
tion, fit  par  son  esprit  tout  ce  qu'il  n'avait  pas  fait 
par  ses  armes,  exprima  sa  colère  de  voir  l'Autriche 
intervenir  encore  au  moment  décisif  pour  lui  arra- 
cher les  Anglais  des  mains,  car,  s'il  les  avait  pour- 
snivis  lui-même  ,  il  ne  s'en  serait  pas  sauvé  un 
seul,  disait-il,  et  enfin  il  se  montra  résolu  à  tirer 
dun  tel  manque  de  foi  (il  rappelait  toujours  les 
promesses  qu'on  lui  avait  faites  au  bivouac  d'Ur- 
schitz)  une  vengeance  éclatante.  Confiant  comme  il 
l'était  dans  les  immenses  moyens  qui  lui  restaient, 
il  ne  se  montra  envers  le  représentant  de  la  Russie 


RATISBONNE.  25 

ni  fanfaron  ni  obséquieux,  mais  ferme  el  positif, 
et  exigea  de  lui  raccom})lissement  des  engagements 
pris  à  Erfurt,  en  homme  qui  était  prêt  à  se  l)attre 
encore  avec  tout  le  monde,  avec  ceux  qui  lui  man- 
queraient de  parole  en  l'attaquant,  comme  avec 
ceux  qui  lui  manqueraient  de  parole  en  ne  l'aidant 
pas  après  s'y  être  engagés.  —  Si  votre  empereur 
avait  suivi  mon  conseil  à  Erfurt,  dit-il  à  31.  de 
Romanzoff,  nous  ne  serions  pas  aujourd'hui  où 
nous  en  sommes.  Au  lieu  de  simples  exhortations, 
nous  aurions  fait  des  menaces  sérieuses,  et  l'Au- 
triche aurait  désarmé.  Mais  nous  avons  parlé  au 
lieu  d'agir,  et  nous  allons  peut-être  avoir  la  guerre, 
moi  pour  ce  que  je  veux  achever  en  Espagne,  vous 
pour  ce  que  vous  voulez  terminer  en  Finlande  et 
commencer  en  Turquie.  En  tout  cas,  je  compte  sur 
la  parole  de  votre  maître.  Il  m'a  promis  que,  si  le 
cabinet  de  Vienne  devenait  l'agresseur,  il  mettrait 
une  armée  à  ma  disposition.  Qu'il  remplisse  ses 
promesses;  qu'il  conduise  phis  activement  la  guerre 
de  Finlande,  de  manière  à  en  finir  avec  cette  petite 
puissance  qui  le  tient  en  échec;  qu'il  ait  une  armée 
suffisante  sur  le  Danube  pour  déjouer  auj)rès  des 
Turcs  toutes  les  intrigues  des  Anglais  et  des  Autri- 
chiens coalisés;  qu'enfin  il  ait  une  armée  imposante 
sur  la  Haute-Yistule  pour  faire  comprendre  à  l'Au- 
triche que  le  jeu  est  sérieux  avec  nous.  Quant  à 
moi,  je  vais  réunir  sur  le  Danube  et  le  Pô  trois 
cent  mille  Français  et  cent  mille  Allemands,  et  pro- 
bablement leur  présence  obligera  T Autriche  à  nous 
laisser  en  paix,  ce  que  j'aime  mieux  pour  vous 
et  pour  moi,  car  dans  ce  cas  vous  aurez  la  Mol- 


Janv.  1809. 


JatiT.  1809. 


U  I.IVHK   XWIV. 

da\ic  cl  lit  NalacliR-  |tn'S(|iio  .sans  coup  lerir,  et 
moi  je  poiMiiii  sans  nouvelles  dépenses  achever  la 
soumission  dt^  la  Péninsule.  Si  ces  démonstrations 
ne  suflisent  pas,  s'il  faut  employer  la  force,  eh 
bien!  nous  (Miaserons  pour  jamais  les  résistances 
qui  s  o|)pos('iit  à  nos  comuuins  |)rojets.  Mais,  al- 
liance pour  la  paix  comme  poin-  la  iîuerre,  alliance 
franche,  etl'cctive,  voilà  ce  que  j  ai  promis,  ce  qu'on 
ma  promis,  et  ce  que  jattends.  —  A  ce  langage 
d'un  hoiniue  qui  n'était  rien  moins  qu'intimidé, 
Napoléon  ajouta  ce  qu  il  fallait  de  caresses  pour 
compléter  lelfct  qu'il  voulait  produire,  et  il  obtint 
de  M.  de  Komanzotî  les  déclarations  les  plus  satis- 
faisantes. Celui-ci  ne  dissimula  pas  le  chagrin  qu'il 
éprouvait  à  voir  la  Russie  exposée  à  une  collision 
avec  l'Autriche,  la  dilliculté  des  acquisitions  pro- 
jetées en  Orient  augmentée  de  toutes  les  dillicultés 
que  rencontrait  la  politique  française  en  Occident, 
en  un  mot  le  cercle  de  la  lutte  setendant  au  heu 
de  se  restreindre;  mais  il  reconnut  la  nécessité  de 
parler  énergiquement  à  Vienne  pour  j)révenir  la 
nécessité  dagir;  il  consint  qu'aux  paroles  il  fau- 
drait joindre  certaines  démonstrations,  si  on  vou- 
lait que  les  ])aroles  fussent  ellicaces,  et  promit  en 
conséquence  rpic  la  Russie  aurait  une  armée  en  Gal- 
licie  prête  à  prendre  ou  la  route  de  Prague,  ou  celle 
dOlmutz,  qui  I  une  et  Pautre  mènent  à  Vienne. 

Na|)oléon,  satisfait  de  M.  de  Romanzolî,  et  vou- 
lant lui  prouver  à  quel  point  c'était  la  paix  qu'il 
désirait,  et  non  la  guerre,  émit  l'idée  d'oHrir  à 
l'Autriche  la  double  garantie  de  la  France  et  de  la 
Russie  pour  la  conservation  de  ses  États  actuels, 


Janv.  1809. 


RATISBONNE.  27 

ii;arantic  qui  devait  la  rassurer  complètement,  si 
elle  était  sincère  dans  les  craintes  qu'elle  disait 
avoir  conçues  pour  elle-même  à  la  suite  des  évé- 
nements de  Bayonne.  L'idée  de  cette  garantie,  en 
effet,  s'il  n'y  avait  eu  que  des  craintes  personnelles 
dans  les  motifs  qui  déterminaient  l'Autriche,  au- 
rait eu  de  quoi  la  contenter,  et  peut-être  aurait  pu 
prévenir  la  guerre.  M.  de  Romanzoff  l'accueillit 
pour  en  faire  le  sujet  d'une  prompte  communica- 
tion tant  à  sa  cour  qu'à  celle  de  Vienne. 

A  ses  entretiens  avec  M.  de  Romanzotf  Napo- 
léon ajouta  mille  attentions  délicates,  comme  de  le 
conduire  lui-même  aux  manufactures  des  Gobelins, 
de  Sèvres,  de  Versailles,  montrant  partout  à  ce  mi- 
nistre les  merveilles  de  son  empire ,  et  voulant  à 
chaque  instant  lui  en  donner  des  échantillons,  à 
ce  point,  disait  lui-même  31.  de  Romanzotf,  qu'il 
n'osait  plus  rien  louer  devant  un  souverain  si  ma- 
gnifique, de  peur  de  s'attirer  de  nouveaux  présents 
en  tapisseries,  en  porcelaines,  en  armes  de  luxe. 

Après   avoir   fait   ce   qui   convenait   auprès   de    Expications 

.       .  .  /  fie 

l'ambassadeur   de    son   principal    allié,  Napoléon  Napoiconavcc 

,.     .  ,  ^       ^  •       .-i  •    •   .  1        les  ministres 

tint  un  langage  tout  aussi  utile  aux  ministres  de  des  princes 
la  Confédération  du  Rhin,  Il  leur  dit,  et  il  écrivit 
à  leurs  maîtres,  les  rois  de  Bavière,  de  Saxe,  de 
Wurtemberg,  de  Westphalie,  les  ducs  de  Bade,  de 
Hesse,  de  Wurtzbourg,  qu'il  ne  voulait  pas  les  ex- 
poser à  des  dépenses  prématurées  en  exigeant  la 
réunion  immédiate  de  leurs  troupes,  mais  qu'il  les 
invitait  à  la  préparer,  vu  qu'il  s'attendait  à  des 
hostilités  prochaines;  qu'il  fallait,  soit  pour  préve- 
nir la  guerre,  s'il  en  était  temps  encore,  soit  pour 


allemands 
ses  alliés. 


Janv.  1809. 


28  I.IVHE   XXXIV. 

la  rendre  heureuse,  si  elle  était  iné\ital)le,  se  met- 
tre en  mesure  d'opposer  la  force  à  la  force;  qu'il 
allait,  (piaut  à  lui,  réunir  1  ijO  mille  Français  et 
Italiens  sur  le  Pô,  I.'iO  mille  Français  sur  le  Haut- 
l)anul)e,  quil  com|)tait  >nr  100  mille  Allemands, 
{|u"a\ee  ces  iOO  mille  hommes  il  préviendrait  la 
guerre,  ou  la  rendrait  décisive,  et  garantirait  à 
jamais  ses  alliés  des  répétitions  que  l'Autriche  pré- 
tendait exercer  sur  les  puissances  allemandes,  au- 
trefois dépendantes  ou  sujettes  de  son  empire.  Il 
ivemièrc^  écrivit  cn  particulier  au  roi  de  Bavière  et  au  roi  de 
réquisitions    Saxc ,  pour  Icur  demander  formellement  la  réunion 

adressées  aux  '    ^ 

rois  de  Saxe  d'une  première  partie  de  leurs  forces  autour  de 
de  Bavière.  Municli ,  de  Drcsdc,  de  Varsovie.  Se  défiant  de  la 
Prusse,  qui  pouvait  être  tentée  d'imiter  l'Autriche 
et  de  chercher  la  réparation  de  ses  malheurs  dans 
un  acte  de  désespoir,  il  lui  notifia  que,  si  elle  le- 
vait un  seul  liomme  au  delà  des  42  mille  que  ses 
conventions  secrètes  l'autorisaient  à  réunir,  il  lui 
déclarerait  sur-le-champ  la  i^uerre.  Il  chargea  la 
Kussie  de  faire  savoir  à  Kœnigsberg  que  le  moin- 
dre acte  d'hostilité  serait  l'occasion  d'une  nouvelle 
lutte  qui  deviendrait  mortelle  pour  les  uns  on  pour 
les  autres,  si  on  faisait  mine  de  se  joindre  à  l'Au- 
triche. 

A  ces  manifestations,  qui  devaient  être  d'autant 

plus  significatives  qu'elles  reposaient  sur  des  pré- 

l'réparatifs    cautious  nou  moius  réelles  qu'apparentes ,  Napoléon 

militaires  .        .       ,  .       , 

de  Napoléon,  ajouta  dcs  mouvcmcnts  de  ses  propres  troupes,  qui 
n'étaient  (pie  la  suite  de  combinaisons  déjà  conçues 
et  ordonnées  à  Yalladolid  même.  Ces  combinaisons 
furent  aussi  vastes  que  le  commandaient  la  situa- 


Janv.  1809. 


RATISBONNE.  29 

tion  et  la  masse  trennemis,  tant  connus  quincon- 
nus,  auxquels  il  devait  bientôt  avoir  atlaire. 

Pendant  qu'il  se  t^ou^  ait  en  Es[)agne,  Napoléon, 
prévoyant  que  rAutiiche,  bien  quelle  eût  été  inti- 
midée par  la  présence  des  deux  empereurs  à  Er- 
furt,  bien  qu'elle  ne  fut  pas  entièrement  préparée, 
et  qu'elle  ne  fut  pas  enfin  assez  excitée  pour  per- 
dre toute  prudence,  finirait  cependant  par  éclater 
au  printemps,  avait  veillé  avec  une  extrême  solli- 
citude à  l'exécution  de  ses  ordres.  Les  principaux 
de  ces  ordres  avaient  trait  à  la  levée  des  deux  con- 
scriptions autorisées  en  septembre  1 808  par  le  Sé- 
nat. L'une  comprenait  les  conscrits  de  1810,  levés 
suivant  l'usage  une  année  à  l'avance,  mais  ne  pou- 
vant être  appelés  avant  le  1"  janvier  1809,  et  ne 
devant  pendant  cette  même  année  ser^  ir  que  dans 
l'intérieur.  C'était  une  levée  de  80  mille  hommes. 
Mais  comme  cet  appel,  d'après  ses  projets  d'orga- 
nisation, ne  suffisait  pas  à  Napoléon,  il  avait  songé  Levée 
à  Te\  enir  sur  les  classes  antérieures  de  i  800,  1 807,  conschption 
1808  et  1809,  qui  n'avaient  jamais  fourni  au  delà    /^eisio, 

'    T^  •'  et  rt'appel  sur 

de  80  mille  hommes  chacune.  Les  cent  quinze  dé-         les 

,    ^     .  conscriptions 

parlements  de  cette  époque  n  otiraient  pas  une  po-    antérieures 
pulation  de  beaucoup  supérieure  à  celle  des  quatre-    ^^o?,  iso's 
vingt-six  départements  d'aujourd'hui,  car,  tandis      *^^  '^'^^• 
que  la  classe  présente  actuellement  320  mille  jeunes 
gens  ayant  acquis  l'âge  du  service,  les  cent  quinze 
en   fournissaient  377  mille.    Napoléon  prétendait 
que  c'était  peu  que  d'appeler  80  mille  hommes  sur 
377  mille,  et  qu'il  en  pouvait  lever  1 00  mille,  c'est- 
à-dire  un  peu  plus  du  quart.  On  le  pouvait  assu- 
rément, mais  à  condition  de  ne  pas  recommencer 


Jaiiv.  1801». 


30  i.lVKI-    \\.\IV. 

souvent;  car  il  n'est  [»as  de  p()f)ulation  qui  ne  pérît 
hienlot,  si  on  lui  ciilcvail  ('lia(|U('  année  le  (jiiart 
des  niàles  panenus  à  Viii^o,  viril. 

Il  voulut  donc  j)()rter  à  100  mille  la  contrihution 
annuelle  de  la  |)()j)ulation,  ce  qui  en  revenant  en 
arrière  Tautorisail  ii  dciiiaiider  un  supj)léinent  de 
20  mille  liommes  à  chacune  des  classes  antérieures. 
Cet  appel  avait  Tavantai^e  de  lui  procurer  des  jeunes 
gens  bien  plus  robustes  que  ceux  ipi'il  levait  or- 
dinairement, puisqu'ils  devaient  avoir  20,  21,  22, 
23  ans,  tandis  ([ue  ceux  de  1810  ne  comptaient 
qu'environ  18  ans.  Mais  c'était  un  grave  inconvé- 
nient que  d'arraclier  à  leurs  foyers  des  hommes  qui 
avaient  pu  se  croire  exempts  de  tout  service,  la 
classe  à  laquelle  ils  appartenaient  ayant  déjà  fourni 
son  contingent.  Aussi,  pour  diminuer  le  fâcheux  ef- 
fet de  cette  mesure,  ne  manqua-t-on  pas  d'ajoutei- 
à  la  décision  du  Sénat  que  les  classes  antérieures  à 
Tan  1806  seraient  définitivement  libérées,  ce  qui 
laissait  sous  le  coup  de  nouveaux  appels  les  mal- 
heureuses classes  de  180G,  1807,  1808  et  1809. 
Pour  adoucir  davantage  encore  le  mécontentement, 
on  renonça  à  tirer  de  leurs  foyers  les  hommes  qui 
s'étaient  mariés  dans  l'intervalle  ;  mais  cette  atténua- 
tion de  la  nouvelle  mesure  calma  peu  le  déplaisir 
de  la  population,  (|ui  voyait  les  remplacements 
renchérir  tous  les  joui-s,  et  les  appels  se  succéder 
sans  interruption.  Du  reste,  excepté  dans  quelques 
départements  de  l'Ouest,  où  un  petit  nombre  de 
réfractaires  recommença  la  vie  des  chouans,  et  où 
la  répression  fut  aussi  pronq)te  que  sévère,  l'obéis- 
sance était  générale,  et  une  fois  au  corps  les  hom- 


Janv.  1809. 


RATISBONNE.  U 

mes  prenaient  sur-le-champ  l'énergique  esprit  de 
l'armée  française. 

Il  fallait  employer  cette  vaste  levée  de  jeunes    organisation 
eens,  et  en  fait  d'orsanisation  personne,  on  le  sait,     '^^,  i^.™*^'' 

c         ^  '  _  '  7         destinée 

n'a  jamais  égalé  Napoléon.  Il  avait  depuis  deux     à  agir  en 

1  -       ,    ,    V       «  .  I  ,    ■  >        Allemagne. 

ans  décrète  la  formation  de  tous  les  régiments  a 
cinq  bataillons.  Diverses  causes  avaient  empêché 
jusqu'alors  la  complète  exécution  de  cette  mesure  : 
d'abord  le  nombre  des  conscrits  qui  n'était  pas  en- 
core suffisant,  et  qui  n'allait  le  devenir  que  par 
l'arrivée  aux  corps  des  160,000  hommes  récem- 
ment appelés;  ensuite  la  dépense,  qui  ne  pouvait 
manquer  d'être  grande;  enfin  le  mouvement  des  ré- 
giments qui  se  déplaçaient  sans  cesse,  et  em- 
ployaient leur  temps,  quand  ils  ne  combattaient 
pas,  à  se  rendre  de  la  Yistule  sur  le  Tage,  ou  du 
Pô  sur  l'Ebre.  Par  ces  motifs,  la  plupart  des  régi- 
ments en  étaient  à  s'occuper  de  la  création  du 
quatrième  bataillon,  et  presque  aucun  n'avait  formé 
le  cinquième. 

Après  avoir  envoyé  en  Espagne  trois  corps  de  la 
gi'ande  armée  :  ceux  du  maréchal  Victor  (autrefois 
premier  corps),  du  maréchal  Mortier  (autrefois  cin- 
quième corps),  du  maréchal  Ney  (autrefois  sixième 
corps),  et  les  troupes  qui  avaient  formé  le  corps  du 
maréchal  Lefebvre,  plus  tous  les  dragons;  après 
avoir  détaché  de  l'armée  d'Italie  de  quoi  tripler  l'ar- 
mée de  Catalogne,  Napoléon  s'était  fort  aflaibli  du 
coté  de  l'Allemagne,  surtout  en  vieux  soldats.  Il  lui 
restait  sous  le  titre  d'armée  du  Rhin,  et  sous  les  or- 
dres du  maréclial  Davout,  six  divisions  d'infanterie, 
les  belles  divisions  Morand,  Priant,  Gudin   (qui 


Jauv.  1809. 


32  I.1\UK   WXIV. 

avaient  jadis  composr  1»^  troisiônic  corps);  l'excel- 
lente (li\isi{)n  Saiiit-llilaire,  qui  a\ait  fait  j)arlie  du 
cor[)s  dii  iiiaréclial  Soiilt;  la  (aineiise  division  des 
i^renadiers  et  vollitïeiirs  dOiidiiiot,  acliiclienient  à 
Ilanau  ;  la  di\  ision  Dupas,  celle-ci  de  deux  réi^iinents 
seulement,  composant  avec  les  Hollandais  la  garde 
des  ^illes  anséalicpies  ;  (juatorze  régiments  de  cui- 
rassiers, troupe  incomparable  devant  hupielle  au- 
cune infanterie  européenne  n'avait  pu  tenir;  enfin 
dix- sept  régiments  de  ca^alerie  légère  la  mieux 
exercée  qu'il  y  eut  au  monde,  et  une  formidable 
artillerie.  H  fallait  ajouter  à  ces  forces  les  deux  di- 
visions Carra  Saint-Gyr  et  Legrand  ayant  ai)partenu 
au  corps  du  maréchal  Soult,  et  actuellement  diri- 
gées sur  Paris  pour  faire  une  démonstration  vers  le 
camp  de  Boulogne;  les  deux  divisions  Coudet  et 
.Molitor,  long-temps  laissées  sur  l'Elbe  comme  noyau 
de  l'armée  de  réserve  en  1 807,  et  depuis  ramenées 
sur  Lyon  dans  la  supposition  d'une  expédition  tou- 
jours projetée,  jamais  accomplie,  contre  la  Sicile. 
Ces  belles  troupes,  les  meilleures  de  l'Europe,  ne 
formaient  pas  toutefois  une  masse  de  plus  de  i  1 0 
mille  hommes,  après  en  avoir  défalqué  tous  les  sol- 
dats que  leur  âge  ou  leurs  blessures  rendaient  im- 
propres au  service.  Ce  n'était  pas  avec  de  telles 
forces  que  Napoléon  pouvait  réduire  la  maison  d'Au- 
triche, quelque  bons  que  fussent  les  soldats  dont 
elles  se  composaient.  Voici  comment  il  a\ait  ré- 
solu de  les  étendre. 

L'armée  du  Rhin  comprenait  \ingt  et  un  régi- 
ments d'infanterie,  (jui  avaient  reçu  leurs  trois  ba- 
taillons de  guerre,  depuis  qu'on  avait  commencé 


s- 
s 


BATISUOXNK.  33 

à  former  les  quatrièmes  l)ataill()ns.  Lorsqu'ils   en 
auraient  quatre,  ce  qui  allait  résulter  de  la  créa- 
tion des  cin([uièmes,   cette  armée  du  Rhin  devait 
présenter  quatre-vinii;t-qiiatre  bataillons  et  70  mille 
hommes  d'infanterie.  Le  corps  d'Oudinot,  composé 
de  compagnies  de  i»;renadiers  et  de  voltigeurs,  déta- 
chées originairement  des  régiments  qui  ne  faisaient 
point  partie  de  l'armée  active,  n'avait  plus  actuel- 
lement  les   mêmes   raisons   d'exister.    Il   devenait 
difficile  en  effet,  maintenant  que  les  régiments  agis- 
saient si  loin  de  leurs  dépôts,  qu'ils  avaient  à  la 
fois  des  bataillons  en  Allemagne,  en  Italie,  en  Es 
pagne ,  de  détacher  les  compagnies  d'élite  pour  le 
envover  à  de  si  grandes  distances.  Avant  en  outre 
dans  la  garde  impériale  une  troupe  de  choix,  qui 
se  développait  tous  les  jours  davantage.  Napoléon 
n'était  plus  réduit  comme  autrefois  à  en  chercher 
une  dans  la  réunion  des  compagnies  de  grenadiers 
et  de  voltigeurs.  Il  imagina  donc  tout  simplement 
de  convertir  le  corps  d'Oudinot  en  une  réunion  de 
({uatrièmes  bataillons  qui  seraient  détachés  des  ré- 
giments auxquels  ils  appartenaient.  D'abord,  comme 
ce  corps  renfermait  vingt-deux  compagnies  de  vol- 
tigeurs et  de  grenadiers  appartenant  à  l'armée  du  ma- 
réchal Davout,  il  les  lui  envoya  pour  servir  de  noyau 
à  la  formation  des  quatrièmes  bataillons  dans  cette 
armée.  Les  compagnies  de  fusiliers  devaient  partir 
le  plus  tôt  possible  des  dépôts  répandus  en  Alsace, 
en  Lorraine,  en  Flandre,  pour  compléter  ces  qua- 
trièmes bataillons.  Les  autres  compagnies  d'élite  du 
corps   d'Oudinot  appartenaient  à  trente -six  régi- 
ments qui  avaient  passé  d'Allemagne  en  Espagne. 

TOil.   X.  3 


Janv. 1809 


JJBV     IXIlil. 


:U  LiN  HK   \\\1V. 

.NapoU'Dii  io>(jliil  ciriilciiiciil  df  laiic  de  <t's  coiii- 
pciiriiies  le  noxaii  Ac  trcule-six  quatiii'iiics  Ijalail- 
lons,  qui,  pour  le  iiionieiil,  soin  iraient  en  Alie- 
inaii:ne,  où  ils  élaicni  tout  transportés,  sauf  à  les 
ra|)proeliei'  plus  tard  de  lEspai^ne,  si  leurs  réii:!- 
Mients  eoulinuaient  a  \  sei\ir.  Les  compagnies  de 
rii>iliers  allaient  leur  être  successivement  euvovées 
des  dej)ots  répandus  dans  le  nord  et  lest  de  la 
IVanee.  Ils  de\  aient  être  distribués  en  trois  di\isions 
lie  douze  halaillons  chacune,  et  après  leur  forma- 
lion  présenter  30  mille  hommes  dinfanterie. 

Les  quatre  di\isions  (^arra  Saint-Cyr,  Legranil, 
lioudet,  .Molitor,  comprenaient  douze  régiments, 
actuellemeul  à  trois  bataillons  de  guerre,  de^anl 
bientôt  en  a\oir  quatre,  ce  qui  ferait  encore  quit- 
rante-huit  bataillons,  et  procurerait  en^iron30  mille 
hommes.  L'armée  du  Kliin  })Ouvait  ainsi  s'élever  à 
130  mille  hommes  diidanterie,  sans  compter  les  5 
mille  de  la  division  Dupas.  Sur  le  vaste  recrutement 
ordonné,  Napoléon  \oulut  })rendre  de  quoi  portei- 
a  I  I  cents  hommes  tous  les  régiments  de  cavalerie, 
ce  qui  ne  pouvait  manquer  de  leur  assurer  9  cents 
t-ond)altants.  Les  quatorze  régiments  de  cuirassiers 
comptaient  I  I  ou  12  mille  cavaliers  dans  le  rang  ; 
il  esj)érait  en  prenant  dans  les  déjxMs  tout  ce  (pii 
était  disponible  les  porter  a  13  ou  I  i  mille  pré- 
sents sous  les  armes.  Il  se  proposait  d'étencb*e  jus- 
q»rà  14  ou  \'6  mille  cavaliers  Teffectif  des  dix-sept 
régiments  de  cavalerie  légère.  Il  résolut  aussi  de 
tirer  parti  des  \ingt-quatre  régiments  de  dragons 
<'mployés  en  Espagne.  Une  pareille  force  était  plus 
que  sufiisante  pour  les  besoins  de  cette  guerre,  eu 


RATISBONNE.  ^^ 

oîiard  surtout  aux  Ijcsoins  des  autres  i;uoiTes  qui  se 
préparaient  au  nord  de  l'Europe.  Les  dépôts  en  outre 
regorgeaient  de  dragons  tout  formés,  que  Napoléon 
dans  le  moment  eroyait  plus  utiles  en  Allemagne 
qu'en  Espagne.   Il  ordonna  donc  à  rétat-ma)\)r  de 
Madrid  de  renvoyer  au  dépôt  le  cadre  du  troisième 
«îscadion  de  guerre,  en  versant  dans  les  deux  pre- 
miers escadrons  les  hommes  capables  de  ser\  ir,  ce 
{pu  de\ait  laisser  à  peu  près  au  même  cffectifla 
lorce  active  en  Espagne,  et  fournir  des  cadres  pour 
utiliser  les  cavaliers  déjà  formés  dans  les  dépots. 
Son  projet  était  de  tirer  successivement  des  dépots 
pour  les  verser  dans  le  cadre  des  troisièmes  et  qua- 
trièmes escadrons,  tous  les  hommes  instruits,  et  de 
Jes  envoyer  ensuite  en  Allemagne,  en  composant 
avec  ces  quarante-huit  escadrons  douze  régiments 
provisoires  de  di'agons  de  quatre  escadrons  cha- 
cun. Les  dépôts  de  dragons  étaient  répandus  dans 
le  Languedoc,  la  Guyenne,  le  Poitou,  l'Anjou.  Na- 
jjoléon  espérait  ainsi  avoir  d'abord  trois  mille,  pni^ 
six,  et  jusqu'à  douze  mille  dragons,  dès  que  la  con- 
scription aurait  fourni  le  personnel  nécessaire.    Il 
pouvait  en  conséquence  compter  avant  deux  mois 
sur  13  ou   14  mille  cuirassiers,  sur  li  mille  hus- 
sards et  chasseurs,  sur  3  mille  dragons,  j)res({ue. 
tous  vieux  soldats,  c'est-à-dire  sur  30  mille  hommes 
de  cavalerie.  iVvec  130  mille  hommes  d  infanterie, 
30  mille  de  cavalerie,  20  mille  d'artillerie,  o  mille 
de  la  division  Dupas,  15  ou  20  mille  de  la  garde, 
il  se  promettait  de  réunir  200  mille  Français  en  Alle- 
iwagne,  lesquels,  avec  100  mille  Allemands  et  Po- 
lonais auxiliaires,  devaient  lui  assurer  300  mille 

3. 


.I;in\.  ISt'J 


Jativ.  180V». 


i.uiii|>osition 

•les  forces 

•ÎMlinccs  à 

"pércr 

«u  Itnl:.'. 


36  L1VIU-;    X.WIV. 

roiiihallaiils  sur  le  Daniihc.   Le  iiu'^nio  système  de 
fV)riiiation  allait  lui  en  proc-iirer  100  mille  en  Ilalie. 
Napoléon  axait  en  Italie  douze  réi^imcnts  d'in- 
fanterie doul  la  foinialiou  à  (juatre  bataillons  était 
presque  achevée,  et  dont  la  formation  à  cin([  était 
eommencée.  Ils  étaient  partai;és  en  ({uatre  divisions 
de  trois  réiiiments,  et  de  9  à  10  mille  hommes  cha- 
cune, en  \  comprenant  l'artillerie.  La  première  de 
ces  dixisions  était  à  L'diue,  la  seconde  à  Trévise. 
la  tioisième  à  Mantoue,  la  quatrième  à  Boloifne. 
On  avait  rappelé  de  l'armée  de  Dalmatie  les  troisiè- 
mes bataillons  des  huit  réiriments  coniposant  cette 
armée,  en  \ersant  les  honnnes  valides  dans  les  deux 
premiers  bataillons,  et  en  ne  ramenant  que  le  ca- 
dre du  troisième,  ce  qui  n"a\ait  pas  sensiblement 
alYaibli   la  force  effective  préposée  à  la  garde  de 
cette  province  éloip;née.  Au  moyen  de  ces  huit  ca- 
dres de  troisièmes  ])ataillons,  et  de  la  création  de 
liuit  autres  résultant  de  la  nouvelle  organisation, 
on  a\ait  réuni  seize  bataillons  d'infanterie,  qui  for- 
maient à  Padoue  une  cinquième  di\ision  forte  de 
12  mille  honunes  au  moins.  Le  repos  dont  jouissait 
l'armée  d  Italie,  et  le  soin  que  Napoléon  avait  mis 
à   lui   assurer  sa   part    dans  chacpie  conscription, 
a^  aient  été  cause  que  les  nouvelles  formations  v 
étaient  |)his  avancées  qu'ailleurs.  Enfin  avec  quel- 
ques troisièmes  et  quatrièmes  bataillons  de  l'armée 
de  Naples,  et  deux  régiments  entiers  tirés  de  Naples 
même,  on  avait  composé  une  belle  division,  qui, 
sous  le  général  ^liollis,  gardait  les  États  romains. 
Naj)oléon  a\ait  ordonné  à  Murât,  devenu  roi  des 
Deux-Siciles,  de  distiibuer  son  armée  en  deux  di- 


RATISBONNH.  37 

\isions,  lune  placée  entre  Naples  et  Reiij^'io,  lantrc 
entre  Naples  et  Rome,  de  manière  que  celle-ci  pou- 
\ant  au  besoin  détacher  une  briiiade  sur  Rome, 
rendit  la  division  Miollis  disponible.  Les  Aniïlais 
étaient  assez  occupés  en  Espagne,  et  devaient  lètre 
assez  sur  le  littoral  germanique  si  la  guerre  se  ral- 
lumait dans  le  nord,  pour  qu'on  n'eût  pas  à  sin- 
(juiéter  beaucoup  de  leurs  tentatives  contre  le  midi 
lie  l'Italie.  On  pouvait  donc  réunir  six  divisions, 
comprenant  en\iron  58  mille  hommes  d'infanterie, 
la  plupart  vieux  soldats  qui  ne  s'étaient  pas  battus 
tlepuis  long-temps,  et  qui  avaient  grand  désir  de 
recommencer  leur  ancien  métier.  Cinq  régiments  de 
dragons,  cinq  de  hussards  et  chasseurs,  ce  (pii 
suffisait  en  Italie,  olVraient,  en  puisant  dans  les 
•  lépôts,  une  nouvelle  ressource  de  8  mille  hommes 
lie  cavalerie.  Avec  G  mille  d'artillerie,  on  était  cer- 
tain d'avoir  une  armée  de  72  mille  Français.  En  y 
ajoutant  18  à  2.0  mille  Italiens,  et  dans  le  cas  où 
I  on  marcherait  en  avant,  10  mille  Français  de  la 
Dalmatie,  on  pouvait  compter  sur  100  mille  hom- 
mes environ  en  Italie,  qu'il  était  facile  de  transpor- 
ter en  Allemagne.  Ces  forces  réunies  permettaient 
d'accabler  la  maison  d'Autriche  avec  400  mille 
combattants. 

Ces  formations  ordonnées  pendant  que  Napo- 
léon commandait  en  Espagne,  c'est-à-dire  en  no- 
vembre et  décembre  1808,  accélérées  en  jamier 
1809  pendant  quïl  s'était  établi  à  Yalladolid,  fu- 
rent poussées  avec  plus  d'activité  que  jamais  de- 
puis son  retour  à  Paris.  Mais  si  l'arrivée  des  hom- 
mes dans  les  dépots  s'elTectuait  rapidement,  d'autres 


l-inv.  IS09. 


Jauv.  ISD'J. 


38  I.IVHI-;    XXXIV. 

pailios  de  lOriranisation  aNunraicnl  moins  \ite.  f.c 
malrricl  (IhaliilliMiicnl,  toujours  lent  à  conftM'tion- 
ner,  rinstruction  (|iii  ne  sinij)rovise  pas,  la  fonna- 
tion  des  nous  eaux  cailres  qui  exiireait  une  friande 
quantité  d'oflieicrs  el  de  sous-olliciers  capaljles, 
laissaient  l)eauc()U|)  à  désirer,  il  est  Mai  que  sous 
ce  dernier  rapport  nos  \ieiiles  armées  offraient  ;i 
Napoléon  de  ijrandes  ressources.  Mais  il  fallait  réu- 
nir les  éléments  épais  de  ces  diverses  créations, 
et  même  pour  le  génie  la  nature  des  choses,  ([uoi- 
que  moins  rebelle,  ne  se  soumet  pas  absolument. 
On  peut  employer  le  temps  mieux  que  d'autres,  on 
ne  saurait  jamais  s'en  passer.  Deux  à  trois  mois 
qu Ou  espérait  avoir  encore  ne  suffisaient  pas,  et  il 
était  à  craindre  qu'on  ne  fût  pas  prêt,  si  la  guerre 
édatait  trop  tôt. 
sjins  Les  dépôts  avaient  versé  aux  di\ irions  de  lar- 

(Ic  Napoléoti  '^     1       1»!  •  •       •  '  à.  !•     •    •  r-' 

pouracreiinr  "'^'^  *'"  Hlun ,  amsi  (pi  aux  quatre  dnisions  Larra 
iorgamsaiie>n  Saint-Cvr, Lcgraud, Boudct  et  Molitor,  tout  ce  quils 
ses  nouveaux  avaient  de  disponible,  de  manière  que  ces  di^i- 

corps. 

sions  avaient  leurs  trois  bataillons  de  guerre  bien 
complets,  tant  en  vieux  soldats  aguerris  (pieii 
jeunes  soldats  sullisamment  instruits.  Les  choses  ne 
marchaient  |)as  aussi  bien  |)our  l  organisation  des 
(piatriènics  bataillons,  (^est  dans  cette  occasion  (pie 
Na[>oléon  tira  un  grand  parti  de  la  garde  impériale. 
Il  s  était  décide  à  lui  contier  10  mille  conscrits  de 
1810,  cl  G  a  7  mille  des  classes  antérieures,  pour 
(piClle  employât  ses  loisirs  à  les  former,  ce  qui 
a\ait  le  double  axanlage  de  prévenir  chez  elle  une 
oisiveté  dangereuse,  et  de  propager  Texcellent  es- 
prit dont  elle  était  animée,  (^est  à  Versailles,  à  Paris 


RAÏISIJONNE.  39 

et  dans  les  lieux  environiianls  {(irello  se  consacrait 
à  cette  œuvre  si  utile,  pendant  que  les  moins  âiijés 
des  soldats  dont  elle  était  composée,  servaient  en 
Espajïno  sons  les  yeux  de  l'Empereur.  Une  parti(î 
des  conscrits  tpron  lui  destinait  étant  arri\és,  elle 
on  avait  fait  en  quelques  mois  des  soldats  qui  éga- 
laient les  vieux  sous  le  rapport  de  l'instruction  et 
de  la  tenue.  Napoléon  prit  dans  ces  recrues  les 
hommes  les  plus  rolnistes,  les  plus  a\  ancés  dans 
leur  éducation  militaire,  pour  les  convertir  en  com- 
pagnies de  grenadiers  et  de  voltigeurs,  qu'il  envoya 
au  corps  d'Ondinot,  afm  d'y  concourir  à  la  formation 
des  trente-six  quatrièmes  bataillons  (|iii  devaient 
le  composer,  en  remplacement  des  vingt-deux  com- 
pagnies déjà  restituées  à  larmée  du  Rhin.  Il  envoya 
pareillement  de  ces  grenadiers  et  ^oltigeurs  aux 
dépôts  de  larmée,  du  Rhin,  pour  y  faciliter  l'orga- 
nisation des  quatrièmes  l)ataiilons  dans  cette  ar- 
mée. Il  pressa  en  même  temps  l'arrivée  et  l'instruc- 
tion des  conscrits  encore  dus  à  la  garde,  afin  de  s'en 
servir  pour  recruter  les  corps  qui  ne  trom  eraient 
pas  dans  leurs  dépôts  des  ressources  suffisantes.  Il 
expédia  en  poste  le  général  Mathieu  Dumas,  offi- 
cier d'état-major  intelligent,  exact,  actif,  pour  par- 
courir tous  les  dépôts  du  midi,  de  l'est,  du  nord, 
depuis  Marseille,  Grenoble,  Lyon,  Strasbourg,  jus- 
qu'à Mayence  et  Cologne,  avec  mission  d'en  faire 
partir,  sans  attendre  les  ordres  du  ministre  de  la 
guerre ,  les  compagnies  de  fusiliers  qui  étaient  déijà 
prêtes,  et  qui  de\ aient  servir  à  compléter  les  qua- 
trièmes bataillons.  Il  ordonna  de  plus  que ,  dès  que 
les  80  mille  conscrits  de   1810  commenceraient  à 


Janv.  f8»'i. 


Jinv. 1809. 


iO  I.IVRK    XWIV. 

arriver  dans  les  depuis,  les  régiments  qui  avaient  do 
lavanee  sur  les  autres  pioeédassenl  ii  la  formation 
des  oinciuiènies  hataillons,  afin  de  préparer  les  élé- 
ments d'une  forte  réserve  dans  l'intérieur  et  sur  les 
cotes. 

Les  dépôts  de  casalerie  étaient  fort  riches  on 
liomnies  et  en  chevaux,  car  Napoléon  n'avait  cessé 
de  s'en  occuper  et  de  consacrer  des  fonds  à  la  re- 
monte. 11  fit  |)artir  j)lus  de  trois  mille  cuirassiers, 
chasseurs  et  hussards,  et  prescrivit  les  dis[)Osi- 
lions  nécessaires  pour  qu'il  en  partît  bientôt  im 
un  nondjre  égal.  Il  fit  acheter  12  mille  chevaux 
d'artillerie,  et  préparer  tous  les  attelages  de  cette 
arme.  Il  ordonna  au  général  Lauriston  d'ajouter  à 
l'artillerie  de  la  garde  une  réserve  de  48  bouches  à 
feu,  et  pour  cela  d'acheter  1,800  chevaux  en  Al- 
sace, où  la  garde  les  prendrait  en  passant  avec  le 
matériel  de  cette  réserve.  Enfin,  connue  s'il  avait 
deviné  les  grands  travaux  qu'il  aurait  à  exécuter 
dans  les  îles  du  Danube,  et  prévoyant  certaine- 
ment le  rôle  que  ce  fleuve  immense  jouerait  dans 
la  prochaine  guerre,  il  ordonna  de  réunir,  outre  les 
outils  (jui  suivaient  ordinairement  le  corps  du  gé- 
nie, un  approvisionnement  extraordinaire  de  oO 
mille  pioches  et  pelles,  qui  devaient  être  transpor- 
tées à  la  suite  de  l'armée  sin-  des  chariots  du  train. 
Il  tira  en  outre  de  Boulogne  un  bataillon  de  1,200 
marins  (jui  fui  joint  à  la  garde.  Comme  il  aNait 
surtout  besoin  d'ofiiciers  et  de  sous-oflîciers  pour 
les  nouveaux  cadres,  indépendamment  des  ofliciers 
pris  dans  la  garde,  il  en  demanda  300  à  Saint- 
Cyr.  Il  voulut  morne  choisir  dans  chaque  lycée,  où 


RATISBONNE.  H 

lie  se  trouvaient  que  des  adoleseeuts,  dont  les  i)liis 
Agés  avaient  de  seize  à  dix-sept  ans,  ceux  ([ifim 
développement  précoce  rendait  propres  à  la  gueire, 
au  nombre  de  dix  par  établissement.  Il  ne  s'en  tint 
pas  à  cette  mesure,  et  ordonna  à  M.  Fouché  do 
faire  le  recensement  des  anciennes  familles  nobles, 
tpii  vivaient  retirées  dans  leurs  (erres  sans  relations 
avec  le  gouvernement,  afin  d'enrôler  leurs  fils  mal- 
gré elles,  et  de  les  envover  dans  les  écoles  mili- 
laires.  Si  on  se  plaint ,  écrivit-il ,  vous  direz  (]iie 
tel  est  mon  bon  plaisir,  et  il  ajouta  une  raison  un  peu 
moins  folle,  c'est  qu'il  ne  fallait  pas  que,  grâce  à 
de  fâcheuses  divisions,  une  partie  des  familles  pût 
se  soustraire  aux  efforts  que  faisait  la  génération 
présente  pour  la  gloii-e  et  la  grandeur  de  la  géné- 
ration future  '.  Il  prit  encore  quelques  sous-ofliciers 

'  Nous  citons  celte  lettre  extraordinaire,  qui  est  du  nombre  de  celles 
t[u'il  écrivit  loisqu'il  (oniniençait  à  ordonner  en  Espagne  môme  ses 
premiers  préparatifs. 

Au  ministre  de  la  pulice. 

..  Bunavente  ,  le  31  décembre  1808. 

»  Je  suis  instruit  que  des  familles  d'émigrés  soustraient  leurs  enfants 
»  à  la  conscription,  et  les  retiennent  dans  une  fâcheuse  et  coupable  oi- 
»  sivelé.  Jl  est  de  fait  que  les  familles  anciennes  et  riches  qui  ne  sont 
»  pas  da>is  le  système,  sont  évidemment  contre.  Je  désire  que  vous  fas- 
»  siez  dresser  une  liste  de  dix  de  ces  principales  familles  par  départt- 
»  ment,  et  de  cinquante  pour  Paris,  en  faisant  connaître  l'âge,  la  for- 
»  tune,  et  la  qualité  de  chaque  membre.  Mon  intention  est  de  prendre 
»  un  décret  pour  envoyer  à  l'école  militaire  de  Saint-Cyr  les  jeunes  gens 
»  appartenant  à  ces  familles,  âgés  de  plus  de  seize  ans  et  de  moins  do 
»  dix-huit,  si  l'on  fait  quelque  objection  il  n'y  a  pas  d'autre  réponse  à 
»  faire,  sinon  que  cela  est  mon  bon  plaisir.  La  génération  future  ne  doit 
')  point  souffrir  des  haines  et  des  petites  passions  de  la  génération  pré- 
>  sente.  Si  vous  demandez  aux  préfets  des  renseignements,  faites-le 
»  dans  ce  sens.  » 


laiiv.  IRnO. 


Itiiv.  ISOV. 


4»  i.ivni-  \\\i\'. 

(I;in>  li's  Vf'lites  ot  lnsiliff.s  de  \n  irjiidc,  li-<)ii[)('  (Icjji 
fort  ;ii:ii('!fi(',  (|iioi(jiit'  plus  jcimc  (pic  le  reste  du 
iiKMiK'  coips.  .\\;ii»t  heaiicoiip  île  ('a\alerio,  et  se 
proposant  (Ifii  taire  un  iiiaïul  iisa.ye  contre  I  infan- 
terie autrichienne,  il  rappela  d  Ksj)a.irne  les  den\ 
otiiciers  de  cette  arme  (pi  il  estimait  le  plus,  les  e:é- 
néraux  Monthrun  et  Lasalle.  Il  rappela  de  i'Aragon 
le  maréchal  Lannes,  (pii  \enait  de  terminer  le  sici?e 
de  Saragosse,  et  manda  aiipiès  de  lui  le  maréchal 
Masséna. 
Premier^  Sans  \  ouloir  commettre  encore  aucun  acte  d'hos- 

mouvcnients    tjiité,  car  iuscMiici  l'Autriche  ne  s'en  était  point  per- 

d.-  troupes.  .        . 

mis,  il  crut  cependant  utile  de  rapprocher  ses  trou- 
pes du  théâtre  supposé  de  la  guerre,  ce  qui  devait 
avoir  le  double  avantage  de  les  conduire  sans  fati- 
gue vers  les  points  de  concentration ,  et  de  donner 
à  l'Autriclie  un  avertissement  significatif,  qui  peut- 
être  la  ferait  rentrer  en  elle-même,  et  lui  inspire- 
lait  de  sages  réflexions.  En  conséquence  il  ordonna 
à  la  division  l)u[)as  d(;  ([uitter  les  bords  i\o  la  mer 
Balticpie,  pour  se  rapprocher  de  ^fagdebourg.  Il  fil 
remplacer  par  les  trouj)es  saxo-polonaises  tout  ce 
qu'il  avait  encore  de  détachements  français  à  Dant- 
zig,  Stettin,  (lustrin,  (llogaii.  Il  prescrivit  au  ma- 
réchal l)a\out  de  s'acheminer  de  la  Saxe  vers  l;i 
Franconie,  de  fixer  son  (piartier  général  à  Wurlz- 
bourg,  et  de  dii'iger  sur  lîaxreulli  lune  de  ses  di- 
visions. 1!  enjoignit  au  général  Oudinot  de  se  trans- 
porter avec  le  consentement  du  loi  de  Bavière,  de 
Ilanau  à  Auiïsbouri::,  aux  di\isions  Carra  Saint-Cvr 
et  Legrand  de  se  rendre  des  en^  irons  de  Paris  aux 
environs  de  Mel/,  aux  dixisions  Boudet  et  Molitor 


liiiiv.  1S09. 


RATISBONNE.  iS 

do  savancer   de  Lyon   sur  Slrashouii;.    i.vs  trois 
points  do  rasseniblrmonl,  \\'iirlzboiirii,  Augsbouiii. 
Slrasbouri<,   devaient    être  pour  rAiitriclio    iVuur 
haute  signification.  Il  recommanda  au  [)rince  Eu- 
i2;ène,  non  de  faire  camper  ses  troupes,  ce  que  la 
saison  ne  comportait  pas  encore,  mais  de  réunii- 
successivement  ^ ers  le  Frioul  ses  quatre  premières 
divisions,  son  matériel  d'artillerie,  sa  cavalerie, 
de  manière  à  pouvoir  présenter  en  vingt-quatre 
heures  une  cinquantaine  de  mille  hommes  en  ba- 
taille. H  renouvela  Tordre  à  Murât  de  reporter  ses 
forces  vers  Rome,  alin  de  rendre  disponible  la  di- 
vision Miollis.  Il  décida  rarmenient  de  toutes  les 
places  d'Italie,  et  l'achèvement  des  travaux  les  plus 
urgents  à  Osopo,  Palma-Nova,  Venise,  Mantcme, 
Alexandrie.  Enfin  il  envoya  au  général  jMarmont,  qui 
commandait  en  Dalmatie,  Tordre  de  concentrer  son 
armée  sur  Zara,  en  ne  laissant  aux  bouches  du  ilul- 
taro  et  dans  quelques  postes  intéressants  que  les 
garnisons  indispensables;  de  construire  à  Zara  un 
camp  retranché  qui  serait  appro\  isionné  ])0ur  un 
an,  de  s'y  préparer  ainsi  ou  à  tenir  tète  pendant 
plusieurs  mois  à  des  forces  considérables,   ou   a 
marcher  en  avant  pour  se  joindre  à  Tannée  d'Italie 
A  ces  manifestations  militaires  qui   ne  consti- 
tuaient pas  encore  des  actes  offensifs.  Napoléon 
ajouta  une  manifestation  diplouiati([ue  :  il  ordonna        ord 
au  gênerai  Andreossy,  ambassadeur  a  \ienne,  de     Andréossy 
quitter  cette  capitale,  non  point  en  demandant  ses     'yi^nn,'" 
passe-ports,  ce  qui  eut  ressemblé  à  une  déclaration 
de  guerre,  mais  en  alléguant  un  congé  ancienne- 
ment sollicité,  et  récemment  oi)tenu.  Napoléon  trou- 


uu  sencrui 


Janv.  4K09. 


<i  I.IVHK    X.WIV. 

\ail  dans  ce  ia|)|H'l  dissiiniilô,  ontro  Tavantai^e  de 
l('in<>ijj:n('r  son  im'CoiUcMlciiKMit ,  celui  de  siippriFiier 
imc  cause  d  iirilalion  cuire  l(^s  deux.  cal)iuets,  car 
l(^  iiéiicral  Andi(''oss\  éprouvait  pour  la  cour  do 
Vienne  une  liaine  (jue  cette  cour  lui  rendait.  Il  axait 
fii'dre  de  pai'courir  en  r<'\enant  tous  les  cantonne- 
ments autri'vhiens,  pour  t^tre  à  même  de  donner  à 
son  retour  des  renseii^nements  précis  sur  les  moyens 
militaires  de  rennemi.  Ces  dispositions  si  actives, 
si  prcvo\antes,  prouvent  du  reste  que  Napoléon 
mettait  à  prévenir  la  i^uerrc  autant  de  soin  qu'à  la 
préj)arer.  Mallieureusemont  sa  politi(juc  and)itieuse 
lui  a\ait  fait  de  la  ijuerre  une  nécessité  fatale, 
(piand  ses  goûts  ne  lui  en  faisaient  plus  un  plaisir. 
Moyens  A  ces  vastes   pré|)aratifs,    il  fallait  adapter  les 

î'réc^s^par      Hiovens  financiers.  On  a  déjà  présenté  raflliiTcante 
Napoléon      remarque  (lue  la  guerre  d'Espaizne,  en  diminuant 

pour  suffire  à  *  '  '  i     •         ' 

)a  -lépcnse     désastrcusement  les  forces  militaires  de  la  France 

lie  SOS 

;.réparaiiN  ])ar  Icur  (lispcrsion,  diminuait  à  un  degré  égal  ses 
"'  ''^""''^-  res.sources  financières,  par  la  multiplication  exces- 
sive des  causes  de  dépense.  Bien  que  la  double  créa- 
lion  de  la  caisse  de  service  et  du  trésor  de  Tar- 
mée  mît  Napoléon  à  l'abri  de  toute  gène  actuelle, 
les  ressources  commençaient  pourtant  à  être  moins 
abondantes,  et  il  était  facile  d'en  prévoirie  terme, 
comme  celui  de  la  puissance  de  la  France,  si  on 
ne  s'arrêtait  bientôt  dans  cette  carrière  dentrepri- 
ses  exorbitantes. 
Èiai  Les  budgets  maintenus  rigoureusement  dans  les 

bornes  assignées,  ce  qui  était  facile,  puisque  les 
seuls  excédants  possibles  provenant  do  l'état  de 
guerre  étaient  couverts  par  des  prélèvements  sur 


■  \e-^  budgi-ls 


RATISBONNE.  '45 

le  trésor  de  raiiiiée,  tendaient  à  se  licjuider  sans 
déticit.  Les  exercices  antérieurs  à  1800,  soldés 
au  moyen  des  bons  de  la  caisse  d'amortissement 
(lesquels  n'étaient,  comme  on  s'en  souvient,  qu'ime 
lente  aliénation  de  biens  nationaux),  marchaient 
vers  leur  apurement  définitif.  Ceux  de  1800  el 
1807,  fixés  à  730  millions  pour  les  dépenses  gé- 
nérales, à  40  pour  les  dépenses  départementales, 
ce  qui  formait  a^ec  les  \'Z0  des  frais  de  percep- 
tion, un  total  de  890  ou  900  millions,  n'inspi- 
raient aucune  inquiétude  pour  leur  liquidation, 
surtout  les  armées  au  delà  du  Rbin  continuant  à 
être  payées  sur  les  contributions  de  la  Prusse.  Il 
n'en  était  pas  de  même  pour  l'exercice  1808.  Il 
avait  été  fixé  comme  les  autres  à  730  millions  de 
dépenses  générales,  40  de  dépenses  spéciales,  l'ar- 
mée du  Rhin  étant  toujours  payée  jusqu'au  31  dé- 
cembre par  les  contributions  de  guerre.  Mais  si 
l'équilibre  entre  les  besoins  et  les  ressources  n'était 
pas  rompu  par  l'élévation  de  la  dépense,  il  allait 
l'être  par  nn  mouvement  rétrograde  dans  les  re- 
cettes ,  jusque  alors  inconnu  sous  le  règne  de  Na- 
poléon. Ce  mouvement  ne  se  faisait  remarquer  ni 
dans  les  contributions  indirectes,  ni  dans  l'enre- 
gistrement, ce  qui  aurait  accusé  une  diminution  de 
prospérité  intérieure,  mais  dans  les  douanes,  et  le 
aliénations  de  domaines  nationaux.  L'importation 
des  denrées  exotiques  avait  été  singulièrement  ré- 
duite par  les  décrets  de  3Iilan,  et  on  était  fondé  à 
craindre  une  diminution  de  25  millions  dans  cette 
branche  des  revenus  publics.  Les  à-compte  dus  el 
non  acquittés  par  les  acquéreurs  de  domaines  natio- 


.I.KIV.  1X09. 


s 


U;  LIVHK   XXXIV. 

iiiiiiN.  les  \  élites  (Icccs  (lonuiinos  sonsibicinont  ra- 

Jniiv   1S09       ,         .  ,.„.,■ 

l(Mili('s,  a\  aient  encore  |»n\('  le  Iresor  a  nnc  (|inn- 
zaino  de  millions.  Lu  excédant  espéré  et  non  ol)teiin 
snr  le  l)nd.i;el  de  IH()7,  leipiel  cependant  avait  été 
porle  en  reeelle  jjoiir  :i  ;i  i-  millions  en  1 80.S  ,  nne 
inMillisance  d(?  (pieUpies  millions  sur  les  postes,  sur 
les  j)oudres  et  salpèlro,  sur  les  recettes  extérieures 
tl  Italie,  élevaienl  le  delicit  total  à  i7  ou  48  millions 
|inui  Tannée  ISOS.  cpii  \enait  de  se  terminer. 

Ce  n'était  là  cpi  une  partie  de  la  diflieulté.  Les 
exercices  antérieurs  de  1807,  1800,  1805,  pou- 
\  aient  être  considères  connue  en  équilibre  à  la 
«•ondilion  de  compter  comme  \aleurs  eflectives  des 
\aleurs  bonnes  sans  doute,  mais  d  une  réalisation 
eloiiiuée,  telles,  par  exemple,  que  le  débet  des 
néiîociants  réunis  (jui  était  encore  de  18  ou  19  mil- 
lions, l'emprunt  pour  I  Espaiine,  qu'on  avait  sup- 
posé de  io  millions,  et  (pii  n'avait  ])as  été  poussé 
au  delà  de  7  ou  8 ,  les  encaisses  à  Bayonne  qui 
n'avaient  dû  être  que  pro\  isoires  et  devenaient  per- 
manents comme  la  guerre  au  delà  des  Pvrénées, 
enfin  les  a^ances  pour  les  troupes  russes  et  napo- 
litaines, qui  montaient  de  2  à  3  millions  et  n'aA  aient 
pas  été  remboursées.  Lensemble  de  ces  sommes 
faisait  un  total  de  rentrées  arriérées  d'une  qua- 
ixiicii  lantaine  de  millions,  et  constituait  avec  les  47  à 
1,3  90  million,    ^.^  millions  d'insuilisance  de  recettes  sur  1808,  un 

«iir  1808.  _  ' 

•  léOcil  jL!;énéral  d'environ  90  millions.  Nous  devon.s 
ajouter  ([ue  pour  mettre  les  corps  en  état  d'exécu- 
ler  leurs  ])réparatirs  de  izuerre,  il  avait  fallu  leui- 
payer  plus  tôt  ({ue  de  coutume  les  sommes  restant 
V     dues  sui-  1808,  d'où  il  lésultait  que  cet  exercice 


Janv.  t«0{t. 


H  ATISHONNK.  17 

('(ait  à  Ja  fois  en  aniiMC  sur  les  recettes,  et  en 
axance  sur  les  dépenses,  ce  (jui  «loulilait  la  diffi- 
culté du  moment. 

L'eml)arras  du  reste  n'avait  rien  de  sérieux  pour 
le  présent,  car  la  caisse  de  service  et  la  caisse  d(^ 
1  armée  étaient  parfaitement  ca])al)les  d'y  suffire. 
On  se  souvient  sans  doute  de  la  création  (ie  la  caisse 
de  service  imaiiinée  par  31.  iMollien,  et  du  principe 
<le  cette  création.  Au  lieu  de  charger  ou  la  Bancpie, 
ou  une  com})aiinie  de  financiers,  d'escompter  les 
obligations  des  receveurs  généraux,  le  Trésor  avait  itessoui.et. 
institué  une  caisse,  dans  laquelle  les  receveurs  aé-      T.!^f'L 

'  A  *  -■  lu     (  Il  I  SStr 

néraux  étaient  obligés  de  verser  leurs  fonds  dés  '•'  s'^'^'Cf"- 
(juils  les  recevaient,  alors  même  que  d'après  les 
l'èglements  ils  ne  les  devaient  pas  encore  '.  On  leui* 
en  payait  l'intérêt  jusqu'au  jour  où  l'impôt  que  re- 
présentaient ces  fonds  était  dii ,  et  on  les  rembour- 
sait avec  leurs  obligations  échues.  Celte  opération 
avait  dispensé  d'escompter  les  obligations.  Toute- 

'  Ceci  pourra  jiaïaUie  obscur  aux  lecteurs  qui  ne  se  rappellent  pas 
<e  qui  a  été  dit  dans  les  volumes  ]»récédents,  ou  qui  sont  étrangers  à  la 
connaissance  des  finances.  Us  se  demanderont  comment  les  receveuis 
peuvent  a\oir  à  verser  des  fonds  qu'ils  ne  doivent  pas  encore.  Voi<i 
l'explication  de  cette  apparente  sini;ularit(^.  Les  conirihutions  directes, 
qui  constituent  en  France  la  principale  branche  du  revenu  i)ublic,  sont 
dues  par  mois,  c'est-à-dire  par  douzièmes.  Or  certains  contribuables 
])ayent  six.  mois,  un  an  à  l'avance,  tandis  que  d'autres  demeurent  en 
retard.  Les  receveurs  de  l'État  balancent  l'arriéré  des  uns  ]iar  les  avan- 
ces des  autres,  et  de  plus  on  les  intéresse  à  l'exactitude  des  rentrées  en 
leur  donnant  à  eux-mêmes ,  sous  le  nom  de  bonifications ,  deux  v>\\  trois 
mois  de  délai,  ce  qui  constitue  pour  eux  une  jouissance  d'intérêts.  C'est 
ce  qui  explique  comment  ils  pouvaient  avoir  en  caisse  des  fonds  qu'ils 
ne  devaient  pas  encore.  Ce  sont  ces  fonds  qu'ils  furent  obligés  de  ver- 
ser à  la  caisse  des  services,  moyennant  l'intérêt  jusqu'au  jour  où  il»; 
les  devraient. 


latw    «sn'i 


loi.s  coiniiic  il  \  en  a\ait  U)ii>  K'.s  ans  [joiir  plus  de 
1  i-i  millions,  uni  notaient  |)ayai)h's  que  dans  les 
(|na(i('  on  cinii  picnjiers  mois  do  l'année  suivante, 
on  n  aurait  pas  pn  é\il('r  d'en  escompter  une  pai- 
lir,  si  Napoléon  n'a\ail  prêté  au  Trésor,  au  nom 
de  la  caisse  de  Tannée,  Si  millions  qui  s'y  tron- 
\ aient  déposés.  De  la  sorte,  la  caisse  avec  les  avan- 
ces qn  elle  obtenait  des  receveurs  û;énéraux,  avec 
les  Si  millions  (piOn  lui  avait  prêtés,  avait  pu  s'abs- 
tenir d'escompter  les  1 2o  millions  d'()bliij;ations, 
échéant  Tannée  sni\aide,  et  celles-ci  conservées  en 
portefeuille  avaient  cessé  de  fii^nrer  sur  la  place.  Les 
capitalistes  n'ayant  plus  la  ressource  de  ces  oblii^a- 
lions  j)our  cmi)loyer  leurs  capitaux,  venaient  pren- 
dre les  billets  de  la  caisse  de  service,  qui  rempla- 
çaient ainsi  les  obliirations,  à  beaucoup  meilleur 
marché  pour  le  Trésor,  avec  plus  d'ordre,  avec 
l'avantage  surtout  d'avoir  amené  les  comptables  a 
\erser  les  fonds  de  Timpot  à  l'instant  même  où  ils 
les  recevaient.  Cette  caisse  était  par\enue  à  se  pro- 
curer par  là  des  ressources  considérables,  et  n'é- 
tait pas  end)arrassée  de  faire  face  à  une  insuffisance 
actuelle  d'une  cinquantaine,  et  même  d'une  cen- 
taine de.  millions.  S'il  y  avait,  par  exemple,  poui- 
U)  millions  de  ^aleurs  dune  rentrée  différée  sur 
les  l)udgets  antérieurs,  la  caisse  y  pou\ait  suppléer 
moyennant  uu  intérêt  pendant  la  durée  de  cette 
avance.  S'il  \  a\ait  48  à  oO  millions  d'insuffisance 
de  iccclle  sur  ISOS,  elle  pouvait  encore  y  pour- 
voir, moyennant  (pie  Ton  créât  bientôt  une  valeur 
correspondante.  Napoléon  n'y  manqua  pas  en  ef- 
fet, et  il  fit  chercher,  soit  dans  les  domaines  na- 


lanv.  )S09. 


RATISBONNE.  49 

tionaux  de  France,  soit  dans  les  domaines  natio- 
naux de  Piémont  et  de  Toscane,  des  biens  pour 
une  cinquantaine  de  millions ,  dont  Talicnation , 
confiée  à  la  caisse  d'amortissement,  et  exécutée 
avec  lenteur,  devait  couvrir  la  somme  pour  la- 
quelle les  recettes  de  1 808  restaient  en  arrière  des 
prévisions.  Ainsi  la  caisse  de  service  fournissait  la 
ressource  immédiate ,  les  biens  nationaux  de  France 
et  d'Italie  la  ressource  définitive,  pour  combler  le 
déficit  du  budget  de  1808. 

Le  budget  de  1 809  fut  fixé  au  même  cliitfre  que       Budget 
ceux  de  1808  et  1807,  c'est-à-dire  à  730  millions     '''^  '«'^^^• 
de  dépenses  générales,   40  de  dépenses  départe-    • 
mentales,  ce  qui  faisait  890  avec  les  frais  de  per- 
ception. Mais,  en  1807  et  1808,  les  troupes  au- 
delà  du  Rhin  avaient  été  payées  par  le  trésor  de 
l'armée.  Il  fallait  qu'il  en  fût  de  même  en  1809. 
Nous  avons  déjà  dit  que  toutes  les  dépenses  de  nos      situation 
armées  d'Allemagne  étant  soldées  jusqu'au  31  dé-    de^am^J. 
cembre  1808,  il  restait  environ  300   millions  au 
trésor  de  l'armée ,  dont  20  millions  provenant  de 
la  guerre  d'Autriche,  280  delà  guerre  de  Prusse. 
Depuis,  Napoléon  avait  réduit  la  contribution  de  la 
Prusse  de  20  millions,  à  la  demande  de  l'empereur 
Alexandre  :  diverses   rectifications  avaient  relevé 
d'autres  produits,  et  l'actif  total  du  trésor  de  l'ar- 
mée se  trouvait  fixé  définitivement  en  janvier  1 809, 
à  292  millions,  dont  84  prêtés  au  Trésor  et  repré- 
sentés par  pareille  somme  de  rentes,  1 0  millions  en 
excellents  immeubles  provenant  de  la  liquidation 
des  négociants  réunis,  24  en  espèces  ou  en  recou- 
vrement, 64  échéant  dans  l'année  1809,  10G  dans 

TOM.   X.  i 


Jaiu     I80y. 


50  LIVRE   XXXIV. 

les  années  )8I0  il  ISII,  et  3  ou  i  pivlés  à  di- 
verses personnes  que  Napoléon  avait  désiré  secou- 
rir. C'étaient  donc  des  valeurs,  ou  bien  placées, 
ou  liquides,  ou  prochainement  recouvrables.  Les 
24  millions  en  es{)èces  ou  en  recouvrement ,  joints 
aux  Gi  millions  échéant  en  1809,  constituaient 
une  ressource  immédiate  de  88  millions,  sur  la- 
quelle Napoléon  avait  déjà  fait  certaines  disposi- 
tions. Il  avait  donné  récemment  i  millions  en  £.Ma- 
tiPications  à  certains  corps,  payé  I  million  aux  villes 
qui  avaient  fêté  l'armée,  prêté  800,000  francs  à 
la  ville  de  Bordeaux,  2,500,000  aux  pro{)riétaires 
de  vignobles  de  la  Gironde,  8  millions  à  la  ville 
de  Paris,  1  million  à  l'Université.  Il  avait  en  outre 
consacré  1  million  à  seconder  les  expéditions  ma- 
ritimes, U)  millions  à  acquérir  le  canal  du  Midi, 
12  millions  à  racheter  des  rentes  pour  soutenir  les 
cours,  enfin  (juelques  centaines  de  mille  francs  à 
créer  des  bourses  dans  les  lycées.  La  plupart  de 
ces  emplois  constituaient  de  très-bons  placements, 
qui ,  tout  en  rendant  ser\  ice  aux  établissements 
sur  lesquels  on  avait  placé,  ou  au  crédit  du  Trésor, 
permettaient  de  doter  les  membres  de  l'armée  que 
Napoléon  voulait  récompenser.  Néanmoins  ils  ré- 
duisaient à  une  cinquantaine  de  millions  les  res- 
sources de  Tannée.  Il  n'en  fallait  pas  davanta.ee,  il 
est  vrai ,  pour  les  besoins  immédiats  de  la  i^uerre. 
En  continuant  à  solder  sur  le  trésor  de  l'armée  les 
trou[)es  (pii  se  trouvaient  en  Ailema.une,  il  aurait 
fallu  à  Napoléon,  pour  ne  pas  constituer  en  déficit 
le  budget  de  I80'J  qui  avait  bien  assez  à  faire  de 
payer  les  armées  d'Espagne  et  d'Italie,  77  millions 


HATISBONNE.  51 

pour  l'année,  dont  2i  à  prélover  sur  les  vastes  ma- 
gasins qui  nous  étaient  restés,  3o  sur  les  valeurs 
en  argent.  Napoléon  se  contenta  de  prendre  de  quoi 
entretenir  trois  mois  Tannée  du  Rhin,  ce  qui  exi- 
geait environ  20  millions.  Il  se  borna  donc  à  tirer 
immédiatement  du  trésor  de  Tarméc  ces  20  mil- 
lions, qui,  avec  les  sommes  avancées  aux  divers 
corps  sur  le  budget  ordinaire ,  devaient  les  mettre 
tous  à  leur  aise.  Napoléon  pensait  que  dans  les 
premiers  mois  de  1 809  ses  troupes  seraient  sur  le 
territoire  ennemi ,  où  elles  vivraient  grassement  et 
gratuitement,  que  la  victoire  rouvrirait  la  source 
des  contributions  de  guerre ,  et  dédommagerait  am- 
plement le  trésor  de  l'armée  des  sacrifices  qu'il 
était  obligé  de  lui  imposer.  Sur  les  1 2  millions  de 
rentes  (en  capital ,  bien  entendu)  récemment  ache- 
tés, il  distribua  sur-le-champ  7  millions  à  ses  gé- 
néraux, voulant  leur  procurer  quelques  satisfac- 
tions avant  de  les  mener  de  nouveau  à  la  mort. 

Ainsi,  comme  nous  venons  de  le  dire,  le  budget 
de  i  808  allait  trouver  dans  une  aliénation  de  l)iens 
nationaux  le  dédommagement  de  la  réduction  des 
recettes;  le  budget  de  1809  allait,  comme  les  bud- 
gets précédents,  se  décharger  sur  le  trésor  de  Tar- 
mée  de  la  dépense  des  troupes  d'Allemagne;  et 
quant  aux  facilités  courantes ,  en  attendant  que  les 
valeurs  créées  fussent  réalisées,  la  caisse  de  ser- 
vice, qui  jouissait  du  plus  grand  crédit ,  la  caisse 
de  l'armée,  dans  laquelle  coulait  incessamment  le 
produit  des  contributions  de  guerre,  allaient  y 
pourvoir  immédiatement.  Mais  si  la  gène  ne  se  fai- 
sait pas  encore  sentir,  le  terme  des  ressources  se 


Janr.  1SÎÎ> 


Janv.  <80<i. 


52  LIVIΠ  XXXIV. 

lai.N>ail  déjà  entrevoir,  cl  il  l'iail  Iciiips  du  sarréter, 
si  on  ne  voulait  ruiner  les  finances  aussi  l)ien  que 
rarniée.  Napoléon  en  jugeait  ainsi  lui-même ,  car, 
tandis  (|u'il  suspendait  l'emprunt  consenti  envers 
l'Espagne,  et  donnait  à  son  frère  pour  unique  res- 
source le  produit  des  laines  prises  en  Caslille,  et 
quelques  centaines  de  mille  francs  d'argenterie  con- 
vertie en  monnaie,  il  interrompait  les  achats  <le 
rentes,  {[ui  avaient  été  effectués,  depuis  août  jusqu'à 
décend)rc  ISO<S,  dans  l'intention  de  soutenir  les 
cours.  On  en  avait  acheté  4G  millions,  dont  10  pour 
le  compte  de  la  Banque,  H  pour  celui  de  la  caisse 
de  service,  25  pour  celui  de  la  caisse  d'amortisse- 
ment (celle-ci  agissant  tant  pour  elle  que  pour  Tar- 
mée).  Indépendamment  de  ces  sommes,  la  Banque 
en  a\ait  déjà  acquis  1G  pour  elle-même,  ce  qui 
portait  à  62  millions  les  achats  de  cette  année, 
somme  énorme,  si  on  la  conqiare  à  la  masse  de 
rentes  inscrites  au  grand  livre ,  qui  était  de  56  mil- 
lions en  1809,  au  capital  de  900  millions.  Il  avait 
fallu  cet  elfort  pour  soutenir  contre  l'influence  des 
événements  d'Espagne  la  rente  au  taux  de  80,  que 
Napoléon  appelait  le  taux  normal  sous  son  règne, 
aveu  pénilde  à  faire,  car  après  Tilsit  et  avant  Bayonne 
ce  taux  était  à  94.  En  janvier  1 809,  les  événements 
d'Autriche  portant  un  nouveau  coup  au  crédit,  et 
la  tendance  à  la  baisse  se  produisant  encore  avec 
force ,  Napoléon  ne  voulut  pas  amoindrir  ses  res- 
sources disponibles  pour  arrêter  un  discrédit  qui 
n'était  plus  imputable  à  la  guerre  d'Espagne ,  mais 
à  celle  d'Autriche.  Le  mauvais  effet,  suivant  lui, 
devait  retomber  sur  des  puissances  parjures,  (jui 


Janv.  IS09. 


RATISBOXNE.  53 

vaincues  lui  promettaient  la  paix,  et  à  peine  re- 
mises de  leur  défaite  recommençaient  la  guerre. 
Il  se  trompait ,  car  tout  le  monde  rattachait  la 
guerre  d'Autriche  à  la  guerre  d'Espagne,  et  il  de- 
venait responsable  du  discrédit  actuel  quil  ne 
voulait  plus  combattre,  comme  de  l'ancien  qu'il 
avait  su  arrêter  à  force  d'argent.  Sa  meilleure  jus- 
tification au  surplus  devait  se  trouver  dans  la  vic- 
toire, et  il  ne  négligeait  rien  en  effet  pour  la  ren- 
dre certaine,  car,  ainsi  qu'on  vient  de  le  voir,  les 
conscrits  affluaient  dans  les  dépôts,  les  nouveaux 
cadres  s'organisaient,  les  principales  armées  s'a- 
vançaient elles-mêmes  vers  le  Haut-Palatinat,  la 
Bavière  et  le  Frioul,  pour  obliger  l'Autriche  à  ré- 
fléchir, ou  pour  l'accabler,  si  des  menaces  elle 
passait  à  l'action. 

Malheureuseme-nl  cette  puissance  était  bien  en-     Agitations 
ea^ée  pour  reculer.  Jamais  elle  n'avait  pu  se  con-      ^i  cspnt 

•     '-        A  i  a  \ienne, 

soler   d'avoir  perdu   en   quinze    ans  (de  1792  à    't motifs  qm 

portent 

1806)  les  Pays-Bas,  les  possessions  impériales  de  lAutriche  a 
Souabe,  le  Milanais,  les  États  vénitiens,  le  Tyrol,  ^ -"^rre. 
la  Dalmatie,  et  enfin  la  couronne  impériale  elle- 
même  !  Peut-être  si  le  monde  avait  pris  une  assiette 
fixe,  comme  en  1713  après  le  traité  d'Utrecht, 
comme  en  1 81 5  après  le  traité  de  Vienne,  peut-être 
se  serait-elle  soumise  à  la  nécessité  devant  l'im- 
mobilité générale.  Mais  Napoléon  exposant  tous 
les  jours  le  sort  de  l'Europe  et  le  sien  à  de  nou- 
veaux hasards ,  elle  ne  pouvait  s'empêcher  de  tres- 
saillir à  chaque  chance  qui  s'offrait,  et  quoique  ce 
fut  une  cour  oligarchique,  peu  en  communication 
avec  ses  peuples,  elle  n'éprouvait  pas  une  émo- 


Janv.  iSOfl. 


S4  II  Vin-   XXXIV. 

(ion  (fiio  la  nation  anlricliionnc  ne  réi)rouvàt  avec 
elle,  car  jamais  les  nations,  (nidle  que  soit  la  forme 
(le  leurs  institutions,  ne  demeurent  indilférentes  au 
sort  do  leur  p:ouvernemenl.  Il  nest  pas  nécessaire 
(ju'elles  possèdent  des  institutions  libres  pour  avoir 
de  lOri^ueil  et  de  landjition.  Aussi,  lorsque  passant 
sur  le  corps  de  la  Prusse  pour  s'élancer  en  Pologne, 
Napoléon  avait  laissé  une  moitié  du  continent  der- 
rière lui,  l'Autriche  avait  songé  à  profiter  de  Toc- 
casion  pour  Fassaillir  à  revers.  Mais  cette  résolution 
<)tait  si  grave,  il  restait  tant  à  faire  avant  d'avoir  re- 
<;onstitué  les  armées  autrichiennes,  Napoléon  avait 
été  si  prompt,  que  l'occasion  à  peine  entrevue  s'était 
aussitôt  évanouie ,  et  on  en  avait  ressenti  à  V^ienne 
un  dépit ,  presque  un  désespoir  qui  avait  éclaté 
dans  les  actes  comme  dans  le  langage.  Cette  pre- 
mière occasion,  montrée  par  la  fortune,  perdue  par 
les  hésitations  de  la  prudence,  avait  amené  un  dé- 
chaînement universel  contre  les  hommes  sages  qui 
faisaient  manquer,  disait-on,  toutes  les  occasions 
(l'agir.  Il  avait  fallu  alors  (pie  Napoléon  rendît 
Braunau  à  rAutriche  pour  qu'elle  se  calmât  un  in- 
stant. Elle  s'était  en  etîet  calmée  durant  (pielques 
mois,  de  la  fin  de  1807  au  commencement  de 
1 808 ,  en  voyant  Napoléon  porter  ailleurs  son  ac- 
li\ité  incessante,  la  Russie  s'unir  à  lui,  l'Angleterre 
donner  des  griefs  à  toute  l'Europe  par  la  barbare 
expédition  de  Copenhague,  et  elle  avait  même  si- 
gnifié à  cette  dernière  puissance  (piil  fallait  se  tenir 
tranquille,  du  moins  pour  un  temps.  Mais  cette 
lésignation  avait  été  de  courte  durée.  L'attentat 
-commis  sur  la  couronne  d  Espagne  avait  réveillé 


RATISBONNE.  55 

toutes  ses  passions.  Elle  avait  été  sincèrement  in- 
dignée, et  elle  le  montrait  (l'autant  plus  volontiers 
que  Napoléon  pour  la  première  fois  semblait  em- 
barrassé. Le  brusque  retour  de  celui-ci  en  août  der- 
nier après  les  événements  de  Bayonne,  ses  vertes 
allocutions  à  M.  de  Metternich ,  son  intimité  avec 
l'empereur  de  Russie  à  Erfurt,  avaient  contenu 
mais  non  calmé  rAutriche,  qui  avait  au  contraire 
ressenti  du  mystère  gardé  à  son  égard  un  redou- 
blement de  dépit  et  d'inquiétude.  Sans  en  être  in- 
struite ,  elle  avait  deviné  que  les  provinces  du  Da- 
nube étaient  le  sacrifice  dont  Napoléon  avait  dû 
payer  à  Erfurt  l'alliance  russe ,  ce  qui  n'avait  pas 
contribué  à  la  ramener.  Enfin  la  campagne  que 
Napoléon  venait  de  faire  eu  Espagne  avait  plutôt 
échautïé  que  refroidi  son  ardeur.  Sans  doute  il 
avait  battu  les  arniées  espagnoles,  ce  qui  n'était 
pas  un  miracle,  ayant  opposé  à  des  paysans  in- 
<lisciplinés  ses  meilleures  armées;  mais  ces  paysans 
étaient  plutôt  dispersés  que  vaincus,  et  n'étaient 
certainement  pas  soumis.  Quant  aux  Anglais,  Na- 
poléon les  avait  forcés  à  se  rembarquer  sans  les 
détruire;  et  si  la  capitulation  de  Baylen  avait  fait 
grand  tort  au  prestige  de  la  France,  la  faible  pour- 
suite des  Anglais  par  le  maréchal  Soult  ne  lui  en 
causait  pas  moins  dans  le  moment.  On  vantait  les 
Anglais  avec  une  exagération  étrange,  et  on  ré- 
pétait à  Vienne  avec  autant  de  satisfaction  qu'on 
aurait  pu  le  faire  à  Londres ,  qu'enfin  les  Français 
avaient  trouvé  sur  le  continent  une  armée  capable 
de  leur  tenir  tète.  A  ces  raisons  qu'on  se  donnait  à 
Vienne  pour  s'encourager  s'en  joignaient  d'autres 


Janv.  1809. 


Jain.  «SOI». 


contre 
les    França 


r>6  LIVRI-:  xxxiv. 

d'une   éiialc  inlliieiice,    c'était  l'esprit  général  de 
l'AUeinairno  exaspérée  contre   les  Français,   qui, 
non  contents  de  l'avoir  battue  et  humiliée  tant  de 
fois,  l'occupaient  et  la  dévoraient  depuis  trop  long- 
Exuspiration    tcmps.  11  cst  Certain  (pie  la  présence  de  nos  trou- 
rAiicma-nc    P^^  ^'^^^  ^^^  P^i^  \aincus,  s'ajoutanf  aux  souvenirs 
amers  des  dernières  années,  produisait  un  senti- 
ment d'iriitation  extraordinaire.  L'acte  odieux  de 
liayonne,  les  diflicultés  rencontrées  en  Espagne, 
avaient  tout  à   la  fois,   en  Allemagne  comme  en 
Autriche ,  excité  l'indignation  et  rendu  l'espérance. 
On  ne  détestait  pas  seulement,  on  méprisait  une 
perfidie  qui  n'avait  pas  réussi,  et  il  fallait,  disait- 
on,  que  rEuroi)e  en  tirât  vengeance.  La  Prusse, 
l)rivée  de  son  roi,  qui,  depuis  léna,  vivait  obscu- 
rément à  Kœnigsl)erg,  n'osant  pas  se  faire  voir  à 
ses  sujets  auxcpiels  il  n'avait  rien  à  annoncer  que 
la  nécessité  de  payer  encore  1 20  millions  de  contri- 
butions, la  Prusse  était  prête  à  se  révolter  tout  en- 
tière, depuis  le  paysan  jusqu'au  grand  seigneur, 
depuis  Kœnigsberg  jusqu'à  Magdebourg,  La  retraite 
des  Français ,  qu'on  regardait  non  comme  la  fidèle 
exécution  d'un  traité,  mais  comme  une  suite  de 
leurs  revers  en  Espagne,  leur  valait  des  mépris  aussi 
injustes  qu'imprudents.  Les  derniers  détachements 
de  nos  troupes  sortis  des  places  de  l'Oder,  en  escor- 
tant nos  magasins  qu'on  réunissait  à  Magdebourg, 
avaient  été  partout  insultés,  et  n'avaient  pu  tra- 
verser les  villages  sans  y  recevoir  de  la  boue  et  des 
pierres.  Les  Français  osaient  à  peine  se  montrer  à 
Berlin,  tandis  qu'un  chef  de  partisans,  le  major 
Schill ,  qui  en  1 807  a^  ait  gêné  par  quelques  ma- 


Janv,  1809. 


RATISBONNE.  57 

raiides  le  siège  de  Daiitzig,  était  reçu,  fêté  avec 
transport ,  comme  si  un  chef  de  partisans  pouvait 
arracher  l'Allemagne  des  mains  de  Napoléon. 

Dans  les  pays  alliés  de  la  France  on  ne  manifestait  Disposition 
pas  des  dispositions  beaucoup  meilleures.  En  Saxe,  '^^^emamlr 
bien  que  nous  eussions  rendu  à  la  maison  régnante       ai'i'^'s 

,      „    ,  .  1-      •  ""i  .    de  la  France. 

la  Pologne  et  un  titre  royal,  on  disait  que  le  roi 
pour  ses  intérêts  personnels  trahissait  la  cause  de 
rAllemagne,  et  écrasait  ses  sujets  d'impôts  et  de 
levées  de  troupes,  car  la  conscription  était  déjà 
une  plaie  européenne  qu'on  imputait  partout  à  Na- 
poléon. En  Westphalie,  où  un  jeune  prince  de  la 
maison  Bonaparte  avait  remplacé  la  vieille  maison 
de  Hesse,  et  faisait  par  l'éclat  de  son  luxe  bien 
plus  que  par  la  sagesse  de  son  gouvernement  un 
contraste  singulier  avec  cette  maison  de  tout  temps 
fort  avare,  on  éprouvait  la  haine  la  plus  vive.  En 
Bavière,  en  Wurtemberg,  dans  le  pays  deBaden, 
où  les  princes  avaient  gagné  des  agrandissements 
de  titres  et  de  territoires  que  les  peuples  payaient 
en  logements  de  troupes,  en  conscriptions  et  en 
impôts,  on  se  plaignait  tout  haut  de  souverains 
qui  sacrifiaient  leur  pays  à  leur  ambition  person- 
nelle. Chez  tous  ces  peuples  le  sentiment  de  l'in- 
dépendance nationale  éveillait  le  sentiment  de  la 
liberté,  et  on  parlait  de  s'affranchir  de  princes  qui 
ne  savaient  pas  s'atlranchir  de  Napoléon.  On  allait 
plus  loin,  et  déjà  quelques  esprits  plus  ardents  for- 
maient des  sociétés  secrètes  pour  délivrer  l'Europe 
de  son  oppresseur,  les  nations  de  leurs  gouverne- 
ments absolus.  Un  phénomène  effrayant  commençait 
même  à  se  produire  :  certains  esprits  s'enflammant 


58  l.l\  HK   XXXIV. 
;i  lit  llainiiu;  iiciiôralc,    uoiinissaient  secrôtcmcnt, 

Janv    IR09.         .       .  .  ,'  i  •         .         i-    ,v  -       i 

ainsi  (jii  on  le  Ncna  hiciilot,  I  alirciise  pensée  de 
Tassassiiiat  contre  Napoléon,  (pio  I  admiration  et  la 
haine  du  monde  dépeignaient  à  tons  les  veux  comme 
la  cause  unicpie  des  événements  dn  siècle. 

EnTvrol,  où  subsistait  ini\ieil  altachement  lié- 

iiisurrection  «         " 

longuement    réditairc  pour  la  maison  d  Autriche,  on  sup|)ortait 

préparée  . , 

on  Tyroi.  avec  impatience  le  joua:  de  la  Jia\  iere.  On  montrait 
hardiment  cette  impatience,  on  sassemblait  chez  les 
auberii;istes,  princi])aux  personnaiïes  de  ces  monta- 
i^nes  comme  de  celles  de  Suisse,  et  on  y  préparait 
une  insurrection  iiénérale  pour  le  jour  des  premières 
hostilités.  De  nomlueux  émissaires,  sans  se  cacher 
des  autorités  bavaroises  qui  étaient  trop  faibles  pour 
se  faire  respecter,  allaient  chaque  jour  annoncer 
ces  dispositions  à  Vienne.  Ce  n'était  là,  il  est  vrai, 
qu'un  premier  élan  de  cœur  cliez  tous  les  peuples 
allemands.  Il  fallait  encore  pour  eux  bien  des  souf- 
frances, et  pour  les  Français  bien  des  revers,  avant 
qu'ils  osassent  s'insurger  contre  le  prétendu  Attila. 
Mais  si  l'Autriche  levait  son  étendard,  et  si  elle 
avait  un  })remier  succès,  nul  doute  que  l'insurrec- 
tion ne  put  bientôt  devenir  générale  en  Allemagne, 
et  que  nos  alliés  eux-mêmes  ne  fissent  une  éclatante 
défection. 

Ces  faits,  transmis  et  exagérés  naturellement  à 
Vienne,  y  avaient  porté  l'exaltation  au  comble.  On 
se  disait  (pie  le  temps  était  enfin  venu  d'agir,  et  de 
ne  plus  laisser  passer  les  occasions  comme  on  l'avait 
fait  en  1807;  (pic  la  circonstance  de  l'insurrection 
espagnole  négligée,  on  ne  la  retrouverait  plus;  que 
le  moment  était  d'autant  plus  fa\orablc  que  Napo- 


RATISBOXNE.                                    99 
léon  n'avait  pas  80  luillo  hoinmcs  elo  Irouiies  en 

'         .  .     „  .  ,.  \        ,  Innv.  1809. 

Allemagne  (ce  qui  était  fort  inexact),  disperses  de- 
puis la  Baltique  jusque  sur  le  haut  Danube;  que 
ritalie  elle-même  s'était  dégarnie  pour  la  Catalo- 
gne;   que  la  conscription  se  levait  avec  la  plus 
grande  difficulté;  que  le  tyran  de  TEurope  Tétait 
aussi  de  la  France,  car  il  était  obligé  pour  conte- 
nir ses  concitoyens,  devenus  d'abord  ses  sujets, 
puis  ses  esclaves,  de  frapper  jusqu'à  ses  meilleurs 
serviteurs  (allusion  à  MM.  de  Talleyrand  et  Fouché 
qu'on  disait  disgraciés).  On  ajoutait  que  Napoléon    Encourage- 
ne  pourrait  pas  remplacer  les  vieilles  troupes  en-  que  l'Autriche 
voyées  au  delà  des  Pyrénées,  qu'on  le  saisirait  au     jans7e°at 
dépourvu,  qu'au  premier  siiinal  les  États  allemands    ,,  „  '^^ 

i  ^    i  i  '  ,  1  Allemagne. 

ses  alliés  se  détacheraient  de  lui,  que  les  Etats  alle- 
mands ses  ennemis  se  soulèveraient  avec  enthou- 
siasme, que  la  Prusse  s'ébranlerait  jusqu'au  dernier 
homme;  que  l'empereur  Alexandre  lui-même,  en- 
gagé dans  une  politique  condamnée  par  la  nation 
russe,  abandonnerait  au  premier  revers  une  al- 
liance qu'il  avait  adoptée  parce  qu'elle  était  puis- 
sante, non  parce  qu'elle  lui  était  agréable;  qu'en 
un  mot  il  fallait  seulement  donner  le  signal,  que  ce 
signal  donné  le  monde  entier  le  suivrait,  et  qu'on 
serait  ainsi  les  auteurs  du  salut  universel. 

A  ces  raisons  fort  plausibles  on  ajoutait  pour 
s'exciter  des  raisons  beaucoup  moins  sérieuses.  On 
prétendait  que  ce  n'était  pas  seulement  pour  se  re- 
lever, mais  pour  se  sauver,  qu'il  fallait  agir  au  plus 
tôt,  car  la  ruine  de  la  maison  de  Habsbourg  était 
résolue,  après  celle  de  la  maison  de  Bourbon.  L'Em- 
pereur des  Français  voulait,  disait-on,  renouveler 


Janv.  4  80y. 


GU  L1V1U-:   X.WIV. 

toutes  les  dynasties,  et  placer  sur  les  trônes  de 
lEiirope  (les  dynasties  de  sa  création.  On  citait 
avec  une  sinirulièrc  insistance  iii\  propos  insii^'ni- 
liant  que  Napoléon,  sous  les  murs  de  Madrid,  avait 
tenu  aii\  Esj)aij:nols,  lorscpi'il  avait  mis  une  sorte 
dallcclation  à  leur  faire  attendre  le  retour  de  son 
frère  Joseph.  —  Si  vous  ne  le  voulez  pas  pour  roi, 
leur  a\  ait-il  dit,  je  n'entends  pas  vous  iiniposer, 
jai  un  autre  troue  à  lui  donner;  et,  quant  à  vous, 
je  vous  traiterai  en  pays  conquis.  —  C'était  là  un 
propos  de  circonstance  tenu  pour  produire  un  etTct 
dun  moment;  et  si  Napoléon  songeait  vraiment  à 
un  autre  tronc  que  celui  dEspa.^ne  en  proférant 
ces  paroles,  il  songeait  tout  au  plus  au  trône  de 
Naples,  que  Joseph  lui  avait  redemandé  avec  de 
vives  instances,  et  dont  3Iurat,  malade  alors,  n'a- 
Nait  pas  encore  pris  possession.  Mais  cet  autre 
trône  n'était,  à  en  croire  la  haute  société  de  Vienne, 
que  le  trône  d'Autriche.  Il  fallait  donc,  ou  périr 
honteusement  en  se  soumettant,  ou  périr  glorieu- 
sement en  résistant,  avec  chance  au  moins  de  se 
sauver.  11  n'y  avait  pas,  assurait-on,  d'autre  alter- 
native, et  il  fallait  prendre  son  parti,  le  prendre 
surtout  au  plus  tôt.  Vienne  enfin  offrait  en  1800 
limai^c  de  Berlin  en  I80G. 
l'itparaiif-i  ^^  Cette  iuipulsiou  uaissaut  de  ressentiments  ac- 
miiitaires     cumulés,  s'cu  joii^uait  une  autre  qui  naissait  des 

i!c  1  Aulncho,  7  j      •  t 

cl  innucncc    armements  eux-mêmes,  poussés  si  loin  depuis  la 
deccs       fin  de  1808,  qu'il  fallait  absolument  ou  s'en  servir 

pn'-paratif-  t  ^  »     .    •    1  '  -i- 

OU  y  renoncer.  L  Autriche,  après  ses  revers  mili- 
taires, avait  naturellement  songé  à  en  rechercher  la 
cause  et  à  y  porter  remède.  En  conséquence,  elle 


RATISBUNNE.  Gl 

avait  confié  le  ministère  de  la  guerre  à  l'arcliiduc 
Charles,  avec  mission  de  réorganiser  Tarmée  au- 
trichienne ,  de  telle  sorte  qu'à  la  première  occasion 
favorable  on  put  recommencer  la  lutte  contre  la 
France  avec  plus  de  chance  de  succès.  Ce  prince, 
s'appliquant  consciencieusement  à  remplir  sa  tache, 
avait  d'abord  accru  les  cadres  en  complétant  les 
troisièmes  bataillons  de  chaque  régiment,  de  ma- 
nière à  les  rendre  propres  à  devenir  bataillons  de 
guerre.  Il  avait  ensuite  imaginé  la  landwehr,  es- 
pèce de  milice  imitée  de  nos  gardes  nationales,  qui 
était  composée  de  la  noblesse  et  du  peuple ,  Tune 
servant  de  cadre  à  l'autre ,  et  appelée  à  se.  réunir 
dans  certains  points  déterminés  pour  y  former  des 
corps  de  réserve.  On  instruisait  cette  milice  fort 
activement,  et  chaque  dimanche  des  jeunes  gens  de 
toutes  les  classes,  portant  l'uniforme  et  les  mous- 
taches, atTectant  les  allures  militaires  que  Napoléon 
obligeait  toute  l'Europe  à  se  donner,  manœuvraient 
dans  les  villes  d'Autriche,  sous  la  direction  de  vieux 
nobles  retirés  depuis  long-temps  des  armées,  mais 
prêts  à  y  rentrer  pour  le  service  d'une  dynastie  à 
laquelle  ils  étaient  dévoués.  Les  étrangers  qui 
avaient  connu  autrefois  rAutriche  si  tranquille,  si 
mécontente  de  la  guerre,  en  la  voyant  aujourd'hui 
si  agitée,  si  belliqueuse,  ne  pouvaient  plus  la  re- 
connaître. On  venait  de  tenir  la  diète  de  Hongrie, 
et  de  lui  demander  ce  qu'on  appelait  l'insurrec- 
tion, espèce  de  levée  en  masse,  composée  sur- 
tout de  cavalerie,  et  indépendante  des  régiments 
réguliers  qui  se  recrutent  avec  des  soldats  hon- 
grois. La  diète  avait  voté  cette  insurrection,  et  en 


Janv.  1809. 


Création 

de 

la  landwehr. 


Jjnv. 1800. 


C2  LIVRE  XXXIV. 

outro  (les  fonds  exlraonliiiaires  pour  on  payer  la 

ilépcnso.  On  ne  picnait  donc  plus  la  peine  de  dis- 

sinndcr  ees  prépaiatifs,  et  on  les  aceélérait  inènie, 

coiunie  pour  une  irnerre  qui  devait  éclater  au  i)rin- 

Forces       temps,  c'esl-ii-dirc  sous  deux  ou  trois  mois.  On 

^'-'  '  ^"Js'^'""'  comj)tait  sur  en\  iron  300  nulle  hommes  de  troupes 

a  entrer  en    activcs,  (lue  larchidue  Charles  avait  mis  trois  an- 

ligne.  '     ' 

nées  à  orû;aniser,  sur  200  mille  hommes  de  troupes 
de  réserve,  comprenant  ce  que  la  lanchvehr  conte- 
nait de  plus  militaire,  et  enfin  sur  une  force  qu'il 
était  impossible  d'évaluer,  celle  de  l'insurrection 
lioni,Toise.  Déjà  on  avait  commencé  à  réunir  les 
réirimejits  en  Carinthie ,  en  Haute-Autriche,  en 
Bohème,  pour  jjrocéder  à  la  formation  des  corps 
d'armée.  On  attelait  rarlillerie,  et  on  la  faisait  pas- 
ser en  plein  jour  à  travers  la  ville  de  Vienne,  pré- 
cédée ou  suivie  des  réajiments  d'infanterie,  au  mi- 
lieu des  acclamations  du  peuple  de  la  caj)itale.  On 
exécutait  des  travaux  considérables  dans  trois  pla- 
ces qui  devaient  entrer  dans  le  ])lan  des  opérations. 
Ces  places  étaient  celle  d'Enns,  au  coniluent  du 
Danube  et  de  lEns ,  a\ec  un  pont  à  [Mauthau- 
sen ,  pour  couvrir  Vienne  contre  une  invasion  ve- 
nue de  la  Bavière  :  celle  de  Bruck  sur  la  Muhr, 
pour  couvrir  Vienne  contre  une  invasion  venue 
d'Italie  :  euliu ,  celle  de  Comorn,  pour  préparer 
une  irrande  place  de  dépôt  on  cas  de  retraite  en 
Honirrie,  iudicpuuit  par  là  qu'on  voulait  pousser  la 
iruerre  à  outrance,  et  ne  pas  regarder  la  lutte 
couunc  linio  après  la  perte  de  Vienne.  On  armait 
publiquement  cette  dernière  ville,  et  on  hissait  les 
canons  sur  ses  remparts. 


Janv.  1809. 


llATlSBOxNNE.  03 

Le  langage  adopté  pour  expliquer  à  soi  et  aux 
autres  une  telle  conduite  tenue  en  pleine  paix, 
c'est  que  la  destruction  de  la  maison  d'Espagne 
présageait  une  tentative  prochaine  contre  la  mai- 
son d'Autriche  ;  quon  devait  donc  être  prêt  pour  le 
mois  de  mars  ou  d'avril  ;  qu'on  allait  être  attacpié 
infailliltlement ,  et  (pi'avec  une  telle  certitude  il 
ne  fallait  pas  se  laisser  prévenir,  mais  prévenir  un 
ennemi  perfide;  ({ue  peu  importait  quel  serait  celui 
qui  tirerait  le  premier  coup  de  canon,  que  le  véri- 
tal)le  agresseur  serait  aux  veux  des  honnêtes  cens 
l'auteur  de  l'attentat  de  Bavonne.  Le  2;ros  de  la 
population  croyait  à  ces  discours  avec  une  bonne 
foi  parfaite;  la  cour  y  croyait  peu  ou  pas  du  tout, 
bien  que  le  détrônement  des  Bourbons  l'eut  sérieu- 
sement alarmée;  mais  elle  était  surtout  exaspérée 
de  ses  revers,  et  après  l'occasion  manquée  de  la 
guerre  de  Pologne,  elle  craignait  de  laisser  échap- 
per celle  de  la  guerre  d'Espagne.  Toute  la  noblesse 
était  de  cet  avis,  mue  à  la. fois  par  de  justes  res- 
sentiments nationaux  et  par  les  mauvaises  passions 
de  l'aristocratie  allemande.  D'ailleurs  les  nombreux 
agents  de  l'Angleterre,  réintroduits  oliicieusement  à 
Vienne,  l'excitaient  à  qui  mieux  mieux.  Les  archi- 
ducs n'étaient  pas  les  moins  vifs  dans  cette  sorte  de    Disposiii(ns 

,  ,  f.   •     1  ••III  porsonncllcs 

croisade,  excepte  toutefois  le  principal,  le  plus  res-  de  la  famiiie 
pensable  d'entre  eux,  l'archiduc  Charles,  qui,  des-  '"^P'^^'"'^'^- 
tiné  à  commander  en  chef,  frémissait  non  à  l'idée 
des  boulets,  car  il  n'y  avait  pas  un  soldat  plus 
brave  que  lui ,  mais  à  l'idée  de  se  retrouver  en- 
core en  face  du  vainqueur  du  Tagliamento ,  jouant 
contre  lui  le  sort  de   la  monarchie  autrichienne. 


Janv.  «809. 


Ci  LIVRI'    XXXIV. 

Sui\;iiil  son  ii.sa.uo,  il  |)i(''|)arail  la  i^nierre  sans  la 
(lôsirrr.  Pour  piijiicr  son  coiiraire,  on  l'appelait  dun 
nom  cnipiiintc  aii\  ('véncincnls  (rKsj)ai:;ne ,  celui 
(le  Prince  de  la  paix,  l/cinpereur  François,  ton- 
j(nirs  sensé,  mais  peu  éiierizicpie,  s'abandonnait  à 
un  entraînenienl  «piil  hlàinail,  so  contentant  de 
lancer  (jndcpies  tiaits  satiii([ues  contre  les  fautes 
(piil  laissait  commettre,  surtout  quand  ces  fautes 
étaient  l'œuvre  de  ses  frères.  Récemment  uni,  de- 
puis son  \  eu\  aiïe ,  à  une  princesse  de  la  maison 
de  Modène,  laquelle  était  la  plus  imbue  des  préju- 
gés autrichiens,  il  avait  l'avantage,  commode  pour 
sa  faiblesse,  de  trouver  son  intérieur  de  famille 
d'accord  tout  entier  avec  la  tendance  à  laquelle  il 
cédait,  et  de  voir  ainsi  tous  ses  proches,  excepté 
lui-même,  approuvant  ce  qui  allait  prévaloir.  Cela 
suliisait  à  son  repos  et  à  son  caractère. 

Ainsi,  toujours  armant,  parlant,  s'exaltant  les 
uns  les  autres  depuis  })lusieurs  mois,  les  princes  et 
i;rands  seii^neurs  (|ui  itouvernaient  TAutriche  en 
étaient  venus  à  un  état  d'hostilité  ouverte,  et  il  leur 
fallait  absolument  prendre  une  résolution.  Au  sur- 
plus, le  brusque  retour  de  ^Napoléon  à  Paris,  ra})pel 
adressé  aux  princes  de  la  Confédération  du  Rhin, 
les  mouN  ements  de  troupes  françaises  vers  le  Haut- 
Palatinat  et  la  Bavière,  donnaient  à  penser  que  la 
France  elle-même  se  préparait  à  la  guerre  par  la- 
(piellc  on  avait  espéré  la  surprendre.  Ainsi,  en  vou- 
lant se  prémunir  contre  un  danger  (pii  n'existait  pas, 
on  l'avait  créé.  On  aurait  pu  sans  doute  s'expli({uer 
avecNai)oléon,  et  on  en  aurait  trouvé  le  moyen  dans 
lotlVe  de  garantie  faite  à  Paris  par  la  diplomatie  russe 


HVTISRONXE.  65 

et  française.  iMais  ce  Licme  de  dénoùmoiit  était  usé, 

car  il  a^  ait  (léja  servi  après  Tilsit  a  se  tirer  (lun  seni- 
l>lal)Ie  mauvais  pas.  Il  était  didicile  de  sortir  encore 
une  fois  dune  pareille  position  par  un  iioun eau  si- 
niidacre  de  réconciliation.  Il  fallait  donc  prendre 
ou  le  parti  de  la  .guerre  ou  celui  du  désarineinent 
immédiat;  car,  outre  qu'on  ne  pouvait  plus  trouver 
d'explications  spécieuses  pour  des  préparatifs  aussi 
a^ancés,  il  devenait  impossible  d'en  supporter  la 
dépense.  ^lais  en  face  de  TAllemaiine,  de  l'Ani^le- 
terre.,  de  soi-même,  se  diie  tout  à  coup  rassuré 
après  avoir  paru  si  alarmé,  abandonner  ceux  qu'on 
nommait  les  héroïques  Espagnols,  laisser  perdre 
encore  ce  qu'on  était  convenu  d'appeler  la  plus 
belle  des  occasions,  était  impossible.  Il  fallait  vain- 
cre ou  périr  les  armes  à  la  main,  et  d'ailleurs  on 
avait,  disait-on,  bien  des  chances  pour  soi  :  l'ar- 
mée autrichienne  réorganisée  et  plus  florissante 
que  jamais;  l'Allemagne  exaspérée  faisant  des  vœux 
ardents,  et  au  premier  succès  prête  à  passer  de» 
vœux  au  concours  le  plus  actif;  l'Angleterre  offrant 
ses  subsides;  la  Russie  chancelante;  la  France  com- 
mençant à  penser  ce  que  pensait  l'Europe,  et  de- 
vant donner  moins  d'appui  au  con([uérant  ([ui  pour 
ravager  le  monde  lépuisait  elle-même*;  l'armée  fran- 
çaise enfin  dispersée  de  l'Oder  au  Tage,  des  mon- 
tagnes de  la  Bohème  à  celles  de  la  Sierra-^Iorena, 
décimée  par  dix-huit  ans  de  guerres  incessantes, 
et  faiblement  recrutée  par  de  jeunes  soldats  (ju'on 
arrachait  au  désespoir  de  leurs  familles,  dans  un 
âge  qui  était  à  peine  celui  de  l'adolescence.  Sous 
l'empire  de  ces  mille  raisons,  un  jour,  sans  savoir 

TOM.    \.  5 


66  LIVHR   \\\IV. 

comment,  on  se  IrouNa  onlraîné  avec  tout  le  monde 

par  la  |)assion  .générale,  ri  la  ^nerie  lut  (iecioee.  On 
urour       ordonna  «le  réunir  <in(|  corps  d  armée  en  lioiiéme, 

d  Aulritlip,  '  ' 

dominée  iiar    dsux  CH  liaute-Autrlciie ,  deux  en  Garinlllie,  un  en 

'^pénc'raT,  "   Gallicie.  Larchidiu-  (Charles  devait  en  être  le  géné- 

scdecuiepour  ralissiuie.  Les  ellorts  de  la  diplomatie  se  ioii^nirent 

la  guerre.  '  •' 

à  ceux  de  raduùnistralion  militaire,  pour  préparer 

un  autre  moyen  de  guerre,  celui  des  alliances. 

Efforts  On  renoua  avec  l'Angleterre  des  relations   qui 

1.1  dipiomatu   na\ aient  été  que  fictivement  rompues;  on  accepta 

autrichienne    j^^^  sul)sides  qu'elle  oliVait  à  i)leines  mains,  et  on 

auprès  *  »  ' 

des  cours     contiuua  l'œuvre  déjà  commencée  de  sa  réconci- 

del  Europe  .  . 

pour  les      nation  avec  les  lurcs;  on  imairina  enhn  d  essayer 

'la'^uéTre.^    unc  tentati^  c  auprès  de  l'empereur  Alexandre  pour 

le  ramener  à  ce  qu'on  appelait  l'intérêt  de  lEu- 

rope,  et  son  intérêt  bien  entendu  à  lui. 

Situation  ^*'  diplomatie  autrichienne  avait  heaucouj)  à  faire 

des  choses  à  y  Constanlinople  :  éloii2;ner  les  Turcs  de  la  France, 

Constanli- 

Bopie.  les  rapprocher  de  lAnirleterre,  les  disposer  à  se 
jeter  sur  la  Russie  si  celle-ci  continuait  à  marcher 
avecNapoléon ,  ou  à  la  laisser  en  paix  si  elle  rom- 
pait avec  lui,  de  manière  qu'on  n'eût  affaire  qua 
lennenn  commun  de  l'Europe ,  était  une  politique 
fort  bien  calculée,  et  qui  méritait  d'être  suivie  a\ec 
acli>ité.  Du  reste,  les  révolutions  continuelles  de 
la  cour  de  Tunpiie  prêtaient  à  toutes  les  intrijiues 
extérieures. 

Depuis  la  chute  du  sultan  Sélini,  de  nouvelles 
catastrophes  avaient  ensanglanté  le  sérail,  et  donné 
à  la  Turquie  l'apparence  d'un  empire  qui,  au  mi- 
lieu de  ses  convulsions  intérieures,  s'affaisse  sur 
lui-même.  Le  fameux  paclia  de  Rutschuk,  Musta- 


RATISBONNE.  0 

phti-Baraïiiar,  soit  qu'il  fiil,  coninio  il  le  prélen —      

(lait  y  attache  a  son  maitio  beliin,  soil  qu  il  fut  of- 
fensé qu'une  faction  fanatique,  composée  de  janis-  •  " 
saires  et  d'ulémas,  eut  donné  le  sceptre  sans  le 
consulter,  était  venu  se  placer  à  Andrinople  à  la 
tète  d'une  armée  dévouée.  De  là  il  avait  paru  gou- 
verner l'empire ,  car  tous  les  pachas  lui  avaient 
adressé  des  députés,  ou  s'étaient  rendus  auprès  de 
lui  en  personne,  pour  s'informer  de  ses  volontés, 
et  le  nouveau  sultan  lui-même,  Mustapha,  avait 
envoyé  des  ambassadeurs  à  son  camp,  comme  pour 
se  mettre  à  sa  discrétion.  Ainsi,  sous  prétexte  de 
conférer  sur  le  sort  de  l'empire ,  Mustapha-Baraïc- 
tar  en  disposait.  Bientôt  il  était  venu  camper  sous  Mu.^iapii;i- 
les  murs  de  Gonstantinople,  et  un  jour  enfin  il  a\ait    S'y"" '-^r  en 

*       '  •'  voulant  replii- 

inarché  sur  le  sérail  pour  replacer  sur  le  trône  Se-     c<?r  sciim 

..  .       .       .  ,  sur  le  tr.-.iie. 

Iim,  qui  vivait  entérine  avec  les  lemmes  et  i^arde      entraîne 
par  les  eunuques.  IMais,  au  moment  où  il  allait  de  ce'pHnce, 
exécuter  ce  projet ,  on  a\ait  jeté  à  ses  pieds  la  tète    «^'provoque 

r      •'       '  •'  r  une  nouvelle 

de  son  maître  infortuné,  prince  le  meilleur  qui  de-     révolution 

^  ,     ,     ,,  .  'Ji"'S  1«^  sérail. 

puis  long-temps  eut  règne  a  Lonstantniople.   Ba- 
raïctar,  pour  venger  Sélini,  a^ait  déposé  IMustapha 
après  un  règne   de  courte  durée.  A  défaut  d'au-     Éiévaiio.t. 
tre,  il  avait  été  obligé  de  prendre  le  frère  de  Mus-      a"f'^"'e 

'^  '  du  jeune 

tapha  lui-même,  Mahmoud,  âgé  de  vingt-quatre  ^""a" 
ans,  prince  qui  ne  man([uait  pas  de  qualités,  et 
qui  avait  contracté  auprès  de  Sélim  prisonnier  le 
goût  de  la  civilisation  européenne.  Cette  révolution 
opérée,  IMustapha-Baraïctar  avait  gouverné  l'em- 
pire pendant  quelques  mois,  avec  une  autorité  ab- 
solue, sons  le  nom  du  jeune  sultan.  Mais  une  nou- 
velle révolte   de  janissaires   avait   fait   cesser  ce 

5. 


Janv.  1809. 


68  I.IVHK   XWIV. 

(lospotismc  en  ajonlant  cataf^trophcs  sur  ratastio- 
plit'S.   lîaraïclar,   suipris  ])ar  les  janissaires  axant 
Mort        (|iril  cùl  pu  reizaiiner  le  sérail,  s'était  caelié  dans 

Je  Mustapha-  .       '      '  , 

Baraïctai.  nii  soiileiHun  (le  son  palais  en  llainines,  et  il  y 
avait  péri  sous  les  eendrcs  et  les  ruines. 

Malinioiul,  (pii  jf)ip;nail  à  de  l'esprit  (piehpie  liar- 
diesse,  une  certaine  astnee,  n'avait  pas  été  étran- 
e:er  à  cette  dernière  révohition.  Délivré  diin  maître 
insolent,  il  avait  entrepris  de  gouverner  lui-même 
son  (Miipirc  chancelant,  et  il  l'essayait  au  moment 
même  où  la  France  et  rAutriche  allaient  se  mesu- 
rer encore  une  fois  sur  les  bords  du  Danube.  Attirer 
les  Turcs  à  elle  pour  en  disposer  à  sa  convenance, 
était,  comme  nous  venons  de  le  dire,  d'une  grande 
importance  pour  l'Aiitriclie,  car  elle  })ouvait  ou 
jeter  un  ennemi  de  plus  sur  les  bras  des  Russes  si 
ceux-ci  continuaient  à  rester  alliés  fie  la  France, 
ou  les  débarrasser  de  cet  ennemi  incommode  s'ils 
consentaient  à  s'unir  à  ce  qu'on  appelait  la  cause 
européenne. 

La  chose  devenait  facile  depuis  la  nouvelle  posi- 
tion de  la  France  à  l'égard  des  Turcs.  Il  lui  était 
en  effet  impossible,  unie  comme  elle  l'était  avecla 
Russie,  de  rester  en  confiance  avec  eux.  Pour  colo- 
rer le  changement  survenu  après  Tilsit,  elle  avait 
d'abord  pris  pour  excuse  la  chute  de  son  excellent 
ami  Sélim.  A  cela  le  sultan  Mustapha  avait  répondu 
(pie  ce  changement  ne  de^ait  en  rien  refroidir  la 
Fiance,  car  la  Porte  restait  sa  meilleure  amie.  Na- 
poléon avait  alors  répliipié  que,  puisqu'il  en  était 
ainsi,  il  s'occuperait  de  ménager  une  bonne  paix 
entre  les  Russes  et  les  Turcs,  mais  il  n'avait  pas  osé 


Janv. 1809. 


RATISBONNE.  69 

])arlc;r  des  conditions.  Pourtant  les  Russes,  insistant 
soit  avant,  soit  après  Erl'url,  pour  (pi'on  terminât 
avec  les  Turcs,  et  qu'on  leur  demandât  les  pro^in- 
ces  du  Danube;  les  Turcs,  de  leur  coté,  se  plai- 
gnant auprès  de  la  France  de  ce  qu'elle  ne  leur 
procurait  point  la  paix  promise.  Napoléon,  toujours 
courant  de  Bayonne  à  Paris,  de  Paris  à  Erfurt, 
d'Erfurt  à  Madrid,  avait,  pour  occuper  un  peu  les 
uns  et  les  autres,  fini  par  insinuer  aux  Turcs,  avec 
les  démonstrations  du  regret  le  plus  vif,  qu'ils  n'é- 
taient plus  capables  de  défendre  la  Valachie  et  la 
Moldavie,  qu'ils  feraient  bien  d'y  renoncer,  de  s'as- 
surer à  ce  prix  une  paix  solide,  et  de  concentrer 
toutes  leurs  l'cssources  dans  les  provinces  qui  te- 
naient fortement  à  l'empire;  que  si  à  ce  prix  ils 
voulaient  terminer  une  guerre  qui  menaçait  de  leur 
devenir  funeste,  il  promettait  de  leur  procurer  un 
arrangement  immédiat,  et  de  garantir  au  nom  de 
la  France  l'intégrité  de  l'empire  ottoman.  Rien  ne  l^  g^^ig 
neuf  donner  une  idée  de  la  révolution  qui  se  lit  dans     i>'si"uatioii 

i  T  de  cedor 

les  esprits  à  cette  ouverture  de  la  diplomatie  fran-  les  provinces 

-Tk-  ,  A  •        1  1  '  ^^  Danube 

çaise.  Bien  qu  on  y  eut  mis  de  grands  ménage-  soulève  tous 
ments,  et  qu'on  n'eût  dit  que  ce  qu'on  ne  pouvait 
pas  s'empêcher  de  dire  après  les  engagements  con- 
tractés avec  la  Russie,  le  courroux  du  sultan  3Iali- 
moud,  du  divan,  des  ulémas,  des  janissaires,  fut 
au  comble,  et  cette  simple  insinuation  avait  agité  si 
fort  le  ministère  turc,  que  l'émotion  se  communiqua 
comme  l'éclair  à  la  nation  tout  entière.  Sur-le-champ 
on  parla  d'armer  300  mille  hommes,  de  lever  même 
le  peuple  ottoman  en  masse,  et  de  sacrifier  jus- 
qu'au dernier  disciple  du  prophète  plutôt  que  de 


70  1.1  VUE   .\.\\l\. 
céder.  On  no  \oiiImI  noinl  voir  dans  la  Franco  nno 

Jniiv.  1X09.  Il 

annc,  (jui,  a  son  cdMir  (Iclciidanl,  faisait  connaitro 
a  dos  allies  (inCllc,  aimait  nno  nécessite  donloii- 
reuso;  on  sdiislina  à  iif  voir  en  elle  (pTuno  amie 
|)oiiido  (|iii  trahissait  ses  anciens  alliés  ])onr  les  li- 
Avaiiugos     \ror  a  nn  \oisin  insatial»lc.  L  Aiitriclio,  qui  assistait 

H"*"  Il  •       •  ■  I  A 

la  iiipionwiic  «1"  spoctaclo  (Ic  ocs  Mcissilndcs  avoc  nno  extrême 
''reTicsTi-  i«»ip«"'^"<'<^  <''^n  profiler,  rAntriche,  ayant  iiitor- 
verturcs faites  prêté  l'ontrovno  d'Erliirt  connue  elle  devait  l'être, 

par  '  ' 

la  Krance  à  allimia  HHX  TniTs  (jnc  le  secret  de  cette  fameuse 
nopip.  entrevue  nétait  antre  que  le  sacrifice  des  bouches 
du  Dan n  1)0,  promis  aux  Russes  par  les  Français; 
que  pour  s'assurer  I  indulgence  de  la  Russie  dans 
les  all'aires  <rEs|)ai;ne,  la  Franco  lui  livrait  la  Porte, 
et  (ju'ainsi,  après  avoir  trahi  sos  amis  les  Espa- 
iiuols,  elle  cherchait  à  se  le  faire  pardonner  en  tra- 
tiissant  sos  amis  les  Turcs,  et  se  tirait  d'embarras 
en  accumidant  trahison  sur  trahison.  A  ces  noires 
peintures  rAntriche  ajouta  le  -écit  fort  inexact  de 
<'e  qui  se  passait  en  Flspagne,  v  montra  les  Fran- 
çais battus  par  des  paysans  insurcîés,  surtout  par 
les  armées  de  F  Angleterre;  et  comme  les  Musul- 
mans ont  pour  la  victoire  un  respect  superstitieux, 
elle  [)ro(lMisit  sur  en\  la  plus  décisive  des  impres- 
sions on  représentant  Najïoléon  jugé  par  le  résultat , 
c/est-à-dire  condanmé  par  Dieu  morne.  De  toutes 
<'es  allégatif»ns  rAntriche  tira  auprès  des  Turcs  la 
conclusion  (pie  la  Porto  devait  s'éloigner  de  la 
France,  se  ra|)[)rocher  de  1" Angleterre,  effacer  le 
souvenir  du  passage  récent  des  Dardanelles  par 
Faniiral  Duckworth,  s'a|)puyer  enfin  sur  les  armées 
autrichiennes  et  anglaises  pour  résister  à  l'andùtion 


Janv.  <809. 


ment  avec 
li's  Anglais. 


HATISBUNNE.  74 

(11111  voisin  foiiîiidaljle,  et  a  la  Iraliisou  d'un  ami 
perfide. 

Os  discours  adressés  à  des  cœurs  exaspérés  y 
pénétrèrent  avec  une  incroyable  promptitude,  et 
en  peu  de  temps  on  amena  à  Constantinople  une  ■ 

révolution  dans  la  politique  extérieure,  tout  aussi 
(Hrange  que  celles  qui  avaient  eu  lieu  dans  la  po- 
litique intérieure.  Tandis  qu'un  an  auparavant  les    Révolution 
Pures,  entourant  les  Français  de  leurs  acclama-    ,    '^•]"^ 

'  ^  _  _  la  politique 

fions,  élevaient  sous  leur  direction  de  formidables      turque: 
hatteries  contre  les  Anglais,  et  lançaient  a  ces  der-        pour 
niers  des  boulets  rouges  et  des  cris  de  haine,  on  e? rapproche^ 
les  voyait  maintenant  prodiguer  Toutrage  aux  Fran- 
çais, au  point  que  ceux-ci  ne  pouvaient  se  montrer 
dans  les  rues  de  Constantinople  sans  y  être  insul- 
tés, et  que  les  Anglais  y  étaient  appelés  par  les 
^  œux  de  la  population  entière.  L'Autriche,  attentive      La  paix 
à  tous  ces  mouvements  d'un  peuple  ardent  et  fa-  entre  la  Porte 
natique,  avertit  les  Anglais  du  succès  de  ses  me-    i  xn^-^terre 
nées,  et  fit  venir  M.  Adair  aux  Dardanelles.   Il  v  p"""  '°s  soins 

"     de  l'Aulrichp, 

mouilla  sur  une  frégate  anglaise,  et  n'eut  pas  long-     la  Turquie 

,.11  •       •  1  \.  ^     r^  se  troirv-e  à 

temps  a  attendre  la  permission  de  paraître  a  Con-  la  disposition 
slantinople.  L'invitation  de  s'y  rendre  lui  ayant  été  ''^^p'oaîJ^n'jf"*' 
adi'essée  sur  les  instances  de  la  diplomatie  autri- 
<'hieimc,  il  y  vint,  et,  après  quelques  pourparlers, 
la  paix  conclue  avec  l'Angleterre  fut  signée  dans 
les  premiers  jours  de  janvier  1809.  Dès  cet  instant 
la  Porte  fut  à  la  disposition  de  la  nouvelle  coalition, 
prête  à  faire  tout  ce  que  lui  inspireraient  pour  leur 
cause  commune  l'Autriche  et  l'Angleterre. 

Les  menées  de  TAutriche  n'étaient  pas  moins  ac- 
tives à  Saint-Pétersbourg  ({u'à  Constantinople,  mai^s 


J.iiiv.  IHU'.». 


7i  I.IVRI-;   \\\IV 

elles  ne  jioiix iiiciil  pjis  y  iisoir  1<*  luèiiie  succès.  La 
cdiii-  (le  \ieniie  a\;iil  clioisi  jxmr  1;»  représenter  en 
cutle.  circonstance  le  piiiicc  de  S(li\v.'irzenl)eriz. 
I)rave  mililaiic,  peu  cxcicc  aux  jinesses  de  la  diplo- 


Eiïcirts 
iiM>iii>hoiircu\ 

1.1    di(iloniali('  .  i  i        i ••  -  i 

auiruiiR-nn.-    niatic,  inais  eapahle  d  nnposer  par  sa  loyauté,  et  de 

irr-.'î'our'      douner  le  eliaii^t'  sur  les  véritables  intentions  de 

sa  cour,   (jui  lui  étaient  à  peine  connues.  Il  avait 

<jr I  Autriche    luissioii   (1  alHiiuer  (|uc  les  intentions  de  rAutriche 

(  rZ?f.„     étaient  droites  et  désintéressées,  (urelle  ne  voulait 

ilr  1  eni|iiMeiir  '     i 

Ai.Aaii.iic.  rienentiepr(Midre,  ([ue  son  unique  préoccupation  au 
contraire  était  de  se  défendre  contre  des  entreprises 
seiuhlablcs  à  celles  de  Bayonne;  que  si  l'enipereur 
Alexandre  voulait  revenir  à  une  meilleure  a|){)ré- 
ciation  des  intérêts  européens  et  russes,  il  trou^e- 
rait  en  elle  une  amie  sûre,  nullement  jalouse,  et  ne 
prétendant  lui  disputer  aucun  agrandissement  com- 
patible avec  ré(|uilil)re  du  monde.  M.  de  Sclnvar- 
zenheri:;  était  chargé  surtout  de  faire  valoir  le  grand 
argument  du  moment,  la  perfidie  connnisc  envers 
l'Espagne,  lacpielle  ne  permettait  plus  à  personne  de 
rester  allié  du  cabinet  français  sans  un  ^rai  dés- 
honneui-.  A  cet  égard,  M.  de  Scliwarzenberg,  qui 
était  un  parfait  honnête  homme,  devait  cherchera 
éveiller  tout  ce  qu'il  y  avait  d'honorable  suscepti- 
bilité dans  le  cœur  de  Tempereur  Alexandre.  Enfm, 
s'il  parvenait  à  se  faire  écouter,  il  devait,  assure- 
t-on  ',  oITiir  la  main  de  l'héritier  de  l'empire  d'Au- 
triche pour  la  grande-duchesse  Anne,  ce  qui  ne 
pouvait  rencontrer  aucun   obstacle  de  la  part  de 

'  La  luis-iion  du  prince  de  Scliwarzenberg,  qui  eut  à  cette  époque 
une  grande  iniportanre,  fut  entièrement  connue  du  cabinet  français  par 
les  cuufiilcnces  de  l'empereur  Alexandre  à  M.  de  Caulaincourt. 


RATISBONNE.                                    73 
l'iiiipératrice  mère,  et  ce  qui  aurait  ivlahli  l'iiiliuiitô 

,  ,  .  .    ,  Janv.1809. 

entre  les  deux  cours  impériales. 

L'empereur  Alexandre,  à  cette  époque,  n'était 
déjà  plus  sincère  dans  ses  relations  avec  Napoléon, 
bien  qu'il  l'eût  été  dans  les  premiers  temps,  lorscjue 
l'enthousiasme  de  projets  chimériques  le  portait  à 
tout  approuver  chez  son  allié.  Alors  il  avait  sincè-  Nouvelles 
rement  admiré  le  sénie  et  la  personne  de  Napoléon,    dispositions 

'-'  1  r  7    jg  1  empereur 

qui  valaient  la  peine  d'être  admirés,  et  l'intérêt  ai-     Alexandre 

.  .il  l'égard 

dant  l'enthousiasme,  il  était  devenu  un  allié  tout  à  de  Napoléon. 
fait  cordial.  L'illusion  des  i^rands  projets  avait  dis- 
paru depuis  qu'il  ne  s'agissait  plus  de  Conslantino- 
ple,  mais  seulement  de  Bucharest  et  de  Jassy.  C'était 
sans  doute  un  intérêt  bien  suliisant  pour  la  Russie 
que  la  conquête  des  provinces  du  Danube,  laquelle 
n'est  pas  même  encore  accomplie  aujourd'hui  ;  toute- 
fois cet  intérêt  plus  positif,  moins  éblouissant,  lais- 
sait Alexandre  plus  calme,  et  le  rendait  soucieux 
sur  les  moyens  d'exécution.  Il  avait  semblé  dans 
l'origine  qu'il  suffirait  du  consentement  de  Napoléon 
pour  obtenir  les  provinces  du  Daiiul)e;  mais  au  mo- 
ment de  réaliser  ce  vœu,  les  difficultés  pratiques  se 
montraient  beaucoup  plus  sérieuses  qu'on  ne  l'avait 
imaginé  d'abord.  Si  Napoléon  soumettant  rapide- 
ment l'Espagne,  faisant  sul)ir  aux  Anglais  quelque 
éclatant  désastre,  avait  empêché  l'Autriche  de  con- 
cevoir même  une  pensée  de  résistance  ;  si  les  Turcs 
dès  lors  n'avaient  eu  qu'à  souscrire  à  ce  qu'oiraurait 
décidé  de  leurs  provinces,  l'empereur  Alexandre  au- 
rait pu  conserver,  à  défaut  de  l'enthousiasme  inspiré 
par  ses  premiers  projets,  la  ferveur  d'une  alliance 
qui  lui  rapportait  de  si  surs  et  si  prompts  avantages. 


J.mv.  <809. 


n  I.IVHK   WXIV. 

.Mais  <jii('I(jn«^  iciaml  (|ii<'  lui   le  i:;('Miie  de  Naj)()léon, 
(|ii('l(|ii(i  i-'iandcs  (|ii(>  fussent  ses  ressources,  il  s'é- 
l;iil  cicc  (le  idli-s  (liHiciillcs.  (lu'il  avait  fait  naître 
chez  ses  ennemis  de  toute  sorte  le  roujaiïe  de  l'atta- 
(juer  de  nouveau.  I)(;  son  eoté  la  Russie  n'avait  pas 
eu  en  Kinlande  tous  les  sucrés  sur  lesquels  on  avait 
conipté,    tant   à  Saint-Pélershonrc;  quà  Paris.  Ce 
\aste  emjiire,  dont  l'avenir  est  immense,  mais  dont 
le  présent  est  loin  deuaier  l'avenir,  MTilahle  Her- 
cule ail  iKMccau,  n'avait  jamais  ])u  envoyer  plus 
il  Une  ([uaranlaine  de  mille  hommes  effectifs  en  Fin- 
lande, pendant  la  campajj^ne  (rété,  et  il  avait  em- 
ployé la  belle  saison  à  y  faire  contre  les  Suédois  un 
genre  de  guerre  qui  convenait  peu  à  sa  grandeur. 
Cette  guerre  de  Suède,  en  un  mot,  pas  plus  mo- 
rale dans  son  principe  (jue  celle  d'Espagne,  n'avait 
pas  eu  de  succès  plus  décisifs,  et  les  deux  empe- 
reurs, ([uoique  fort   supérieurs  à  leurs   ennemis, 
n  avaient  cependant  pas  obtenu  de  la  fortune  de 
faveurs  enivrantes.  Aussi  l'empereur  Alexandre  né- 
lait-il  nullement  enivré.  Il  trouvait  que  ce  que  Na- 
poléon lui  abandonnait  il  fallait  encore  le  conqué- 
rir par  de  pénibles  efforts,  et  le  désenchantement 
toujours  si  prompt  chez  lui  le  gagnait  déjà  sensi- 
blement. Il  jugeait  Napoléon  encore  assez  puissant 
pour  (piil  n'y  eût  aucune  sûreté  à  so  brouiller  avec 
lui;  mais  il  ne  le  jugeait  |)lus  assez  victorieux  pour 
(pi  il  y  eut  le  même  a\  antage  à  être  son  allié,  ni  sur- 
tout assez  pur  {xuir  qu'il  y  eût  le  même  honneur.  Et 
comme  d'ailleurs  il  u  aurait  j)robablement  pas  ob- 
tenu de  rAutrichc  et  de  l'Angleterre  les  concpiétes 
(pii  continuaient  à  être  sa  passion  dominante,  c'est- 


RATISbONNE. 


t^ 


à-(lire  les  provinces  du  Danube,  comme  une  nou- 
velle ré^olution  dans  ses  amitiés  Taurait  déshonoré, 
il  était  résolu  à  persister  dans  Talliance  française, 
mais  en  tirant  de  cette  alliance  le  plus  grand  profit 
pavé  par  le  moindre  retour  possible  '. 

Dans  une  telle  disposition  cette  guerre  de  la  France 
avec  l'Autriche  devait  être  pour  Alexandre  la  cir- 
constance la  plus  inopportune  et  la  plus  inquié- 
tante, car  elle  allait  rendre  plus  ditlicile  la  concpiète 
des  provinces  turques,  exiger  un  effort  coûteux 
s'il  fallait  aider  Napoléon  par  1  envoi  d'une  armée 
en  Gallicie,  ajouter  une  nouvelle  guerre  aux  quatre 
({u'on  avait  déjà,  contre  les  Suédois,  les  Anglais,  les 
Persans,  les  Turcs.  Cette  guerre  allait  en  outre  pla- 
cer la  Russie  en  contradiction  encore  plus  choquante 
avec  ses  antécédents,  car  elle  pouvait  l'exposer  à 
(.'ombattre,  dans  les  champs  d'Austerlilz,  pour  les 
Français  contre  les  Autrichiens,  et  fournir  de  nou- 


Kév.  1809. 


Di'-plaisir 

que  cause 

à  l'empereur 

Alexandre 

une  nouvelle 

guerre 
(le  la  France 

avec 
l'Autriche. 


*  Ceux  qui  ont  dépeint  Alexandre  comme  toujours  faux  avec  Xapo- 
léon ,  se  sont  trompés  autant  que  ceux  qui  Pont  représenté  comme  tou- 
jours sincère.  H  fut  sincère  tant  que  durèrent  son  engouement  et  la  for- 
tune prodigieuse  de  Xapoléon.  Il  le  fut  moins  quand  à  la  conquête  de 
l'empire  turc  succéda  dans  ses  rêves  la  conquête  de  la  Valachie  et  de 
la  Moldavie,  quand  surtout  Napoléon  lui  apparut  moins  irrésistible  et 
moins  constamment  heureux.  Le  calcul  remplaça  alors  l'enthousiasme, 
pour  faire  place  plus  tard  à  un  sentiment  pire  encore.  Mais,  il  faut  l'a- 
vouer, Napoléon  s'était  attiré  ce  changement ,  et  il  est  difficile  de  pro- 
noncer une  condamnation  morale  contre  l'un  ou  contre  l'autre.  Les 
entretiens  secrets  d'Alexandre  avec  M-  de  Caulaincourt,  que  celui-ci 
mettait  une  scrupuleuse  exactitude  à  rapporter,  révèlent  ces  changements 
successifs  avec  une  vérité  frappante,  même  à  travers  toutes  les  flatteries 
dont  Alexandre  accompagnait  ses  discours.  Le  changement  se  produisait 
avec  une  naïveté  qui  prouve  (jue  riiomme  le  plus  fin  (et  Alexandre 
l'était  beaucoup)  a  bien  de  la  peine  à  cacher  la  vérité.  Napoléon  lui- 
même,  quoique  de  loin,  ne  pouvait  pas  s'y  tromper,  et  tout  prouve  en 
effet  qu'il  ne  s'y  trompa  guère. 


76 


I.INIU':  .WXIN 


VC'\.  4  809. 


Résolution 
adoptée  l'ar 

Alexamlri,' 

de  tout  faire 

pour 

empéclicr 
cette  guerre. 


Langage 

d'.\lexaii'lrc 

a  M.  lie  C;iu- 

laincourt. 


veaux  griefs  à  raristoeratit^  russe  (lui  hhnuait  Tiu- 
liniilé  a\ec  la  Kraïu-e.  Knlin,  heureuse  ou  uial- 
lieureuse,  elle  dcx  iiit  auiener  un  résultat  égale- 
ment fâcheux  :  car  heureuse,  ellepouvait  inspirera 
Napoléon  iii  lunestc  pensée  de  détruire  l'Autriche, 
et  (le  su|)|)iiuier  ainsi  toute  puissance  intermédiaire 
entre  le  i\liiu  et  le  Niémen;  malheureuse,  elle  de- 
vait rendre  ridicule,  dani^ereuse,  et  iidructueuse 
au  moins,  l'alliance  contractée  avec  la  France,  au 
i^rand  scandale  d<;  toute  la  vieille  Europe.  Il  n\  a 
])as  de  pire  position  que  celle  de  ne  pouvoir  sou- 
haiter ni  le  succès  ni  Tinsuccès  dune  guerre,  et  ce 
tjn'ou  a  de  mieux  à  faire  alors  c'est  de  chercher  à 
rempéclier.  (Tétait  en  effet  ce  qu'Alexandre  était 
résolu  à  essaver  par  tous  les  movens  imaginables. 
M.  de  Romanzollétait revenu  à  Sainl-Pétersbouru 
séduit  par  les  procédés  de  Napoléon,  autant  que 
M.  de  Caulaincourt  Tétait  par  ceux  d'Alexandre. 
Mais  les  deux  souverains  étaient  assez  supérieurs  à 
leurs  ministres  pour  échapper  aux  séductions  qui 
trompaient  ces  derniers,  Alexandre  se  laissa  ra- 
conter les  merveilles  de  Paris  et  les  attentions  dont 
Napoléon  ,'i\  ait  cond>lé>î.  deRomanzotî,  tout  comme 
Napoléon  se  laissait  raconter  les  aimables  préve- 
nances dont  M.  de  Caulaincourt  était  chacpie  jour 
l'objet;  mais  il  ne  dévia  d'aucune  de  ses  résolu- 
tions. 11  ;iirèt;i  d'accord  avec  M.  de  Romanzoff  son 
langage  et  sa  conduite  envers  la  France,  et  eut 
avec  ^f.  de  Caulaincourt  plusieurs  entretiens  fort 
imj)ortants.  11  ne  lui  dissinnda  presque  rien  de  ce 
qu'il  pensai!  de  la  situation;  il  en  parla  impartiale- 
ment pour  Napoléon,  modestement  pour  lui-même. 


T^ATISRONXE.  Tï 

Il  convint  que  la  guerre  de  la  Finlande  n"a\ait  pas 
été  bien  conduite,  mais  il  exprima  le  regret  que  Na- 
poléon de  son  côté  n'eût  pas  obtenu  contre  les  An- 
glais de  succès  plus  décisifs;  il  parut  même  penser 
que  les  Anglais  après  tout  avaient  seuls  gagné  quel- 
que chose  à  Tentreprise  sur  l'Espagne,  puisqu'ils 
allaient  avoir  les  colonies  espagnoles  à  leur  disposi- 
tion, ce  qui  valait  bien  la  conquête,  fort  douteuse 
ilu  reste,  de  Lisbonne  et  de  Cadix  pour  les  Français. 
Il  exprima  tout  le  chagrin  qu'il  éprouverait  d'avoir 
à  combattre  les  anciens  alliés  à  coté  desquels  il  se 
trou\ait  à  Austerlitz,  les  embarras  que  cette  sin- 
gulière situation  lui  causerait  à  Saint-Pétersbourg, 
dans  la  haute  société  et  même  dans  la  nation;  il 
avoua  la  diiliculté  qu'il  aurait  de  réunir,  outre  une 
nouvelle  armée  en  Finlande ,  des  troupes  d'ol^ser- 
Aation  le  long  de  la  Baltique,  une  grande  armée 
conquérante  contre  la  Turquie,  et  une  armée  auxi- 
liaire des  Français  contre  l'Autriche,  difficulté  non- 
seulement  militaire  mais  surtout  financière.  Il  alla 
enfin  dans  ses  confidences  jusqu'à  déclarer  que  le 
succès  même  de  la  nouvelle  guerre  lui  inspiiait  des 
soucis,  car  il  verrait  avec  alarme  disparaître  FAu- 
triche,  et  ne  se  prêterait  pas  à  ce  qu'on  la  rempla- 
çât par  une  Pologne.  Il  déclara  que  la  paix  lui  était 
nécessaire  à  lui ,  mais  qu'il  la  croyait  nécessaire 
aussi  à  Napoléon;  car,  disait-il,  il  ne  lui  échappait 
pas  que  la  France  commençait  à  la  désirer,  et  à 
changer  de  sentiment  envers  son  glorieux  souve- 
rain. C'étaient  là  tout  autant  de  raisons  pour  qu'on 
le  laissât  agir  en  liberté  envers  l'Autriche,  et  faire 
tout  ce  qu'il  pourrait  pour  empêcher  une  guerre 


Fcv.  1809. 


Véy    tSOD, 


78  LIVRE   XXXIV. 

(loni  l;i  |)('Iis('m'  sctilf  lui  cliiit  >()ii\ eraineinent  dés- 
airrcalilc.  .Malheurciiscmriii .  ajoiilait-il,  il  clail  loin 
Ho  (Toirc  avec  Napolé»)!»  qn  il  siilVil  de  menacer, 
(le  rcmoftre  des  itllimatum  an  nom  des  dcnx  |)lns 
i:rand<'s  pnissanres  de  I  tmi>ers,  \nniv  arrêter  des 
irons  olVaics,  dominés  ])ar  la  l\nine  et  la  terreur, 
clic/  les(|iicls  il  V  a\ail.  a\<'c  l»('aii(()ii[)  d'exairéra- 
tion  de  lani^aiie,  nnc  part  de  crainte  sincère  dont  il 
fallait  tenir  compte.  Kn  consé«|ncnce  il  demandait 
qn'on  Ini  j)erinît  de  les  rassnrer  et  <le  les  intimider 
tout  à  la  fois,  de  les  rassnrer  en  nianl  piVemptoi- 
renie!\t  le  projet  prétendn  de  les  traiter  comnn^ 
I  Espap:ne,  do  les  intimider  en  lenr  montrant  les 
suites  funestes  quentrainerait  pour  enx  nne  nou- 
velle i^uerre.  Alexandre  se  refusa  en  outre,  couunc 
l'aurait  ^oulu  Napoléon,  à  confier  la  conduite  de 
cette  alVaire  aux  deux  minisires  de  Russie  et  de 
France  à  Vienne.  Napoléon,  tout  en  sovdiaitant  la 
paix,  croyait  que  ces  deux  nnnistres  seraient  pins 
péremj)toires,  et  dès  lors  plus  écoutés.  Alexandre 
au  contraire  croyait  (|u'ils  iraient  droit  à  la  i^uerre. 
—  Nos  ministres  brouilleront  tout,  dit-il  à  M.  de 
(]anIaincourt.  Qu'on  me  laisse  aiïir  et  parler,  et  si 
la  guerre  peut  être  évitée,  je  ^é^  itérai  :  si  elle  ne  le 
peut  pas,  ja.iïirai  (juand  elle  sera  devenue  inévita- 
ble, lovalement  et  franchen»ent. — 

Il  n'y  avait  donc  qu'à  le  laisser  agir,  puiscju  en 
détinitive  ses  vues  étant  toutes  pacifiques,  concor- 
daient exactement  avec  celles  de  Napoléon,  qui  dé- 
sirait ardemment  éviter  la  guerre.  Il  le  désirait  à  tel 
point  (pi'il  avait  secrèteniont  autorisé  Alexandre  à 
promettre  non-seulemcnl  la  douMe  garantie  de  la 


RATISBONNE.  7ft 

Russie  et  de  la  France  pour  rintéiirilé  des  Etats  au-  • 

Iriehieiis,  mais  I  évacuation  coiiqjlele  du  territoire 
de  la  Coiifédéralion  du  Uliiu,  ce  ([iii  sii:iiitiail  quil 
n\  aurait  plus  un  .soldat  fran(;ais  en  Alleniainie. 

Alexandre,  tenant  sa  j)arole,  s'exprima  avec  la       ,,;ff^,rts 
plus  entière  franchise  <le\ant   ^I.   de  Scliwarzen-  ''c  lempereur 

'  Alexanclro 

l>erg.  Peu  maître  de  son  embarras  quand  le  ministre       auprès 
autrichien  '  lui  reprocha  de  se  faire  le  complice  de        pom 

1--      !•  1     'i     1  '    T>  "1  1    •  la  détourner 

l  indii2:ne  conduite  tenue  a  Bayonne,  il  ne  se  laissa  défaire 
point  toucher  par  lappel  fait  à  ses  sentiments  en  ''^  ?"erre. 
faveur  de  la  cause  européenne ,  et  opj)osant  à  la 
politique  autrichienne  tous  les  mensonijes,  toutes 
les  dis.simulations  dont  elle  s'était  rendue  coupable 
depuis  deux  ans,  car  elle  n'avait  cessé  de  parler 
de  paix  quand  elle  préparait  la  i2;uerre,  il  lînil  par 
déclarer  qu'il  avait  des  ene;agemeuts  formels,  pris 
dans  le  seul  intérêt  de  son  empire ,  et  auxquels  il 
n'entendait  pas  manquer;  que  si  on  avait  la  folie  de 
rompre  on  serait  écrasé  par  Napoléon ,  mais  qu'on 
obligerait  aussi  la  Russie  à  intervenir,  parce  que 
lavant  promis,  elle  tiendrait  parole,  et  unirait  ses 
troupes  aux  troupes  françaises;  que  cet  aflranchis- 
sèment  de  l'Europe  dont  on  parlait  sans  cesse,  on  ne 
l'amènerait  pas;  qu'on  ne  ferait  en  déterminant  un 
nouvel  elfort  de  celui  qu'on  appelait  un  colosse  écra- 
sant, que  de  le  rendre  plus  écrasant  encore;  que 
l'unique  résultat  qu'on  obtiendrait  serait  de  donner 
à  l'Angleterre,  autre  colosse  écrasant  sur  les  mers, 
le  moyen  d'éloigner  la  paix  dont  on  avait  un  si  ur- 

1  M.  de  Sdmarzt  iiberg  se  vantait  d'avoir  fait  baisser  les  yeux  à 
Alexandre  lorsqu'il  lui  avait  rappelé  ([u'il  se  rendait  le  con)pIi(e  d'une 
odieuse  spoliation  en  secondant  l'auteur  de  la  guerre  d'Espagne. 


80  I  IVhK  \XXIV. 
iioui  liosoin;  (\nc  (jnaiil  à  lui  l;i  |iai\  ctail  tout  ce 

Fév.  iHO'J.      '      ...  ■    •.  /i  •  I  1  • 

(|ii  il  \  oiilait  '  Ips  |)r<>\  iiicos  (iamihicmics  (•om|)risos, 
aiirail-il  pu  ajouter  ;  ({u  il  l'allail  cnliM  ({u'oii  \  ar- 
ii\àl;  (|u  il  liciidrait  |)()ui- ciincnii  (luicoiujue  cn  éloi- 
jiiicrail  le  nioiuciit,  et  (ju  il  ciuploierait  contre  celui- 
là.  (|U(I  (juil  lïil,  Idulcs  les  forces  (le  son  empire. 
Alexanilic  écarta  toute  insinuation  relativement  à 
nne  alliance  de  lainille  a\cc  lAulriclie,  car  il  n'au- 
rait pas  connnis  l'inconvenance  de  donner  à  un  ar- 
cliiduc  une  princc>se  ([u  il  a\ait  pres([ue  pron^ise  à 
Napoléon. 
Surprise  Le  ministre  autricliien  fut  atterré  par  ces  franches 

sl:'hv?lrz*en-    déclarations.  La  société  de  Saint-Pétersbourii,  moins 
berg        ardente  assurément  (nie  celle  de  Vienne,  lui  a\ait 

en  entendant  ^ 

le langa-o     cependant  fait  espérer  un  autre  résultat.   Il  a\ait 

de  Tempereur  -    .       .   i  i       i  ,  •  -  «         i 

Alexandre,  trouxc  tout  Ic  moudc  (lu  parti  européen  contre  la 
France,  I)ien  (pi'on  nosàt  ])oint  j^arler  ouverte- 
ment ,  par  crainte  de  contrarier  remjK^reur.  Il  a\ait 
de  plus  acquis  la  certitude  que  dans  la  famille  im- 
périale on  éprouvait  les  mêmes  sentiments,  et  il  s"é- 
tait  flatté  de  rencontrer  un  meilleur  accueil  auprès 
de  l'empereur.  In  ambassadeur  plus  expériinent<^ 
aurait  vu  (pie  sous  des  sentiments  très-réels,  par- 
tagés à  un  certain  deiiié  par  Alexandre  lui-même, 
il  y  avait  les  intérêts,  qui  étaient  liés  en  ce  moment 
à  ceux  de  la  France;  (pie  si  raristocratie  russe  et 
la  famille  impériale  pouvaient  obéir  à  leur  caprice 
en  se  permettant  le  lantraiic  (pii  allait  le  mieux  à 
leurs  préjuiïés,  l'empereur  et  son  cabinet  avaient 
une  autre  conduite  à  tenir,  et  tpie  s'ils  pouvaient 
accjuérir  un  beau  territoire  tandis  qm;  Napoléon  dé- 
truirait les  Bourbons,  leur  nMe  était  naturellement 


Fév.  4  809. 


RATISBONNE.  84 

indiqué,  c'était  de  laisser  dire  les  gens  de  cour  et 
les  femmes,  et  de  faire  les  affaires  de  l'Empire,  en 
tâchant  de  gagner  dans  ce  bouleversement  les  bords 
si  désirés  du  Danube. 

L'excellent  prince  de  Schwarzenberg,  ne  com- 
prenant rien  à  ces  contradictions  apparentes ,  rem- 
plissait Saint-Pétersbourg  de  ses  lamentations.  Il 
écrivit  à  sa  cour  des  dépêches  qui  auraient  dû  la 
retenir,  si  elle  avait  pu  être  arrêtée  encore  sur  la 
pente  qui  l'entraînait.  Alexandre,  voyant  qu'il  avait  Armements 
produit  une  certaine  impression  sur  le  représentant  '^^  '^  '^^^'^ 

1  1  i  en  vue 

de  l'Autriche,  se  plut  à  espérer  que  celui-ci  ga-  Je  \a  gucm 

t  ,       ,  "^  prochaine. 

gnerait  peut-être  quelque  chose  auprès  de  sa  cour, 
mais  sans  toutefois  y  compter,  et  il  fit  ses  prépa- 
ratifs pour  une  guerre  prochaine.  Il  avait  à  cœur 
de  terminer  au  plus  tôt  la  guerre  de  Finlande.  Il 
envoya  un  renfort  qui  portait  à  60  mille  hommes 
environ  les  forces  agissantes  dans  cette  province. 
Il  ordonna  de  marcher  sur  le  centre  de  la  Suède  à 
travers  la  mer  gelée.  Une  colonne  devait  contourner 
le  golfe  de  Bothnie  pour  se  diriger  parUleaborg  sur 
Tornea  et  Umea.  Une  seconde  devait  traverser  sur 
la  glace  le  golfe  de  Bothnie,  en  partant  de  Wasa 
pour  donner  la  main  à  la  première  sous  Umea.  La 
troisième,  qui  était  la  principale,  devait  cheminer 
aussi  sur  la  glace ,  et  marcher  par  les  îles  d'Aland 
sur  Stockholm.  La  garde  et  deux  divisions  étaient 
destinées  à  rester  entre  Saint-Pétersbourg,  Revel  et 
Riga ,  pour  y  veiller  aux  tentatives  des  Anglais  con- 
tre le  littoral  de  la  Baltique.  Quatre  divisions  d'in- 
fanterie et  une  de  cavalerie,  formant  GO  mille 
hommes,  avaient  mission  d'entrer  en  Gallicie  pour 

TOM.   X.  ^ 


82  1.1VIU-:   XXXIV. 

V  teiiii'  la  lialance  dos  éNe'ncineiils,  bien   i)liis  que 

poiii-  y  seconder  les  armées  Iraneaises.  hnliii  il 
élait  naliirel  que  les  plus  iijrands  ellbrts  de  la  Russie 
se  diriizeassent  vers  la  Turtjuie,  car  si  Alexandre 
voulait  èive  modéraleur  en  Occident ,  il  voulait  être 
conquérant  en  Orient,  et  il  avait  envoyé  huit  di- 
visions sur  le  bas  J)anul)e,  dont  une  de  réserve 
formée  de  troisièmes  l)ataill()Ms.  (Jelle-ci  devait  sui- 
vre une  direction  movenne  entre  la  Transvivanie  et 
la  Yalachie,  de  façon  à  pouvoir,  ou  seconder  Tar- 
mée  d'invasion  qui  marchait  contre  les  Turcs,  ou 
se  rabattre  sur  rarniée  de  Gallicie,  afin  d'v  concou- 
rir  d'une  manière  quelconque  aux  événements  qui 
surtîiraient  de  ce  côté.  Cette  division  était  comptée 
à  M.  de  Caulaincourt  comme  une  de  celles  qui 
étaient  consacrées  au  service  de  ralliance.  L'en- 
semble des  troupes  agissant  dans  cette  direction 
s'élevait  à  120  mille  hommes  environ.  Ainsi,  ter- 
miner la  conquête  de  la  Finlande,  tenir  tête  aux 
Anglais,  conquérir  les  l)ouches  du  Danube,  mo- 
dérer les  événements  d'Allemagne,  furent  les  divers 
emplois  auxquels  Alexandre  consacra  les  280  mille 
hommes  de  troupes  actives  dont  il  pouvait  dispo- 
ser. S'il  ne  faisait  pas  davantage,  il  l'imputait  à  ses 
finances,  de  l'état  desquelles  il  se  i)laignait  con- 
stamment à  M.  de  Caulaincourt,  parlant  sans  cesse 
<les  cinq  guerres  qu'il  allait  avoir  sur  les  bras,  et 
(}uoique  toujours  fier  dans  son  attitude,  devenant 
prescjne  humble  cpiand  il  s'agissait  d'argent,  et  de- 
mandant qu'on  l'aidât  à  contracter  des  emprunts 
soit  en  France  soit  en  Hollande. 
Liatiiiude         La  conduitc  de  la  lUissie  déconcerta  beaucoup  le 


RATISBONNE. 


83 


Of-îbinet  de  Vienne,  qui  s'était  altciiidu  à  la  trouver 
moins  contraire  à  ses  vues,  parce  qu'il  avait  juii;c 
du  cabinet  par  le  lani^age  de  la  noblesse  russe 
dans  les  cercles  de  Saint-Pétersbourg,  Toutefois, 
bien  qu'il  regardât  la  mission  du  prince  de  Scliwar- 
zenberg  comme  avortée ,  il  se  flatta  que  ce  cabinet 
ne  résisterait  pas  long-temps  à  l'opinion  de  la  na- 
tion, et  surtout  à  un  premier  succès  des  armées 
autrichiennes;  il  se  persuada  que  ce  premier  suc- 
cès qui  devait,  disait-on,  entraîner  l'Allemagne, 
entraînerait  aussi  le  continent  tout  entier,  et  qu'il 
suflirait  de  donner  le  signal ,  de  le  donner  heureu- 
sement, pour  être  suivi.  Les  60  mille  hommes  des- 
tinés à  la  Gallicie  furent  considérés  comme  un  sim- 
ple corps  d'observation,  auquel  il  suffirait  d'opposer 
des  forces  très  -  inférieures ,  chargées  également 
d'observer  plutôt  que  d'agir.  On  ne  prit  donc  ni  le 
langage ,  ni  les,  démonstrations  armées  de  la  Russie 
comme  un  argument  contre  la  guerre ,  et  on  se  dé- 
cida au  contraire  à  tout  précipiter,  de  manière  à 
remporter  sur  les  troupes  françaises,  encore  dissé- 
minées de  Magdebourg  à  Ulm,  ce  premier  succès 
qui  devait  entraîner  toutes  les  puissances.  On  était 
dans  une  de  ces  situations  où,  ne  pouvant  plus  re- 
culer, on  prend  chaque  circonstance,  même  dé- 
courageante ,  pour  une  raison  d'avancer. 

Les  préparatifs  de  guerre ,  les  allées  et  venues  de 
la  diplomatie,  ayant  rempli  le  mois  de  février  et  une 
partie  du  mois  de  mars ,  on  voulait  être  sur  le  théâ- 
tre des  opérations  au  commencement  d'avril ,  c'est- 
à-dire  aux  premiers  jours  où  la  guerre  est  possible 
en  Autriche ,  car  c'est  à  peine  s'il  devait  y  avoir 

6. 


Fév.  4809. 

lie  la  Russie , 

loin 

de  déccmrager 

l'Autriche, 

ne  sert  qu'à 

précipiter 

les 

cvénemcnts. 


Époque 

choisie  et  plan 

de    campagne 

adopté  pour 

la  prochaine 

guerre. 


8i  LIVRE  XXXI V. 

alors  de  riiLMbe  sur  le  sol.  On  se  û\a  donc  à  Vienne 

sur  le  plan  de  campagne  à  adopter.  D'abord  il  fut 
établi  qu'on  ne  ferait  ai;ir  vers  l'Italie  et  vers  la 
(jallieic  que  les  moindres  forces  de  l'Empire.  On  ré- 
solut d'envoyer  sous  l'archiduc  Jean  une  cinquan- 
taine de  mille  hommes,  pour  seconder  l'insurrection 
du  Tyrol,  et  occuper  par  leur  présence  les  forces 
des  Français  en  Italie.  On  y  ajouta  huit  à  dix  mille 
honunes  pour  batailler  avec  le  général  Marmont 
en  Dalmatie.  On  destina  l'archiduc  Ferdinand  avec 
iO  mille  hommes  à  contenir  Farmée  saxo-polonaise, 
léunie  sous  Varsovie,  et  à  observer  les  Russes  qui 
s'avançaient  en  Gallicie. 

ruinposiiion  La  principale  masse,  celle  qui  contenait  les  trou- 
ve '"    pes  les  meilleures,  les  plus  nombreuses,  devait 

''^  "^Tcc?^'^    a2;ir  en  Allemaane ,  par  le  haut  Danube ,  et  tenter 

masse  •-  •"        7   1  7 

des  forces  au-  lentrci^rise  hardie  de  surprendre  les  Français  a^  ani 

tiichionncs,  * 

leur  concentration.  C'était  l'archiduc  Charles  qui 
«levait  la  commander  comme  généralissime,  et  qui 
l'avait  organisée  comme  ministre  de  la  guerre.  Il  n'y 
a\ait  par  conséquent  rien  négligé.  Elle  était  d'en- 
viron 200  mille  hommes,  forte  surtout  en  infanterie, 
(|ue  l'archiduc  s'était  appliqué  à  rendre  excellente, 
forte  aussi  en  artillerie,  qui  avait  toujours  été  très- 
bonne  en  Autriche,  mais  moins  bien  pourvue  en 
cavalerie ,  que  l'archiduc  Charles  n'avait  point  aug- 
mentée, et  qui  au  surplus  sans  être  nombreuse  était 
aussi  brave  que  bien  exercée.  Elle  était  divisée  en 
six  corps  d'armée  et  en  deux  corps  de  réserve,  ré- 
partis en  Bohème  et  Haute-Autriche.  C'était  un  total 
de  300  mille  hommes  de  troupes  actives,  en  y  com- 
prenant les  troupes  destinées  à  opérer  en  Italie  et 


Mars  1809. 


RATISBONNE.  85 

on  Gallicic.  Derrière  cette  masse  principale,  la  ré- 
serve ainsi  ([ue  l'insurrection  hongroise  devaient 
couvrir  Vienne,  et  Vienne  perdue,  s'enfoncer  en 
Hongrie,  pour  y  recueillir  les  restes  de  l'armée  ac- 
tive, et  y  prolonger  la  guerre.  Cette  seconde  por- 
tion, forte  de  plus  de  200  mille  hommes  de  milices 
peu  aguerries,  mais  déjà  passablement  instruites, 
portait  au  delà  de  500  mille  hommes  les  ressources 
<le  l'Autriche,  qui  n'avait  jamais  fait  un  pareil  dé- 
ploiement de  forces. 

Il  s'agissait  de  savoir  comment  on  emploierait 
les  200  mille  hommes ,  composant  la  masse  prin- 
cipale, destinés  à  agir  en  Allemagne,  et  à  frapper 
les  premiers  coups.  Le  Conseil  aulique,  réputé  la 
cause  ordinaire  des  revers  de  rAutriche,  parce 
qu'il  paralysait,  disait-on,  l'autorité  des  généraux, 
avait  été  privé  de  son  influence  au  profit  du  géné- 
ralissime, sans  qu'il  dût  en  résulter  beaucoup  plus 
d'unité  dans  le  commandement,  car  il  n'y  a  d'unité 
(jue  là  où  règne  une  volonté  énergique  dirigée  par 
un  esprit  ferme.  L'archiduc,  quoique  un  prince 
sage,  éclairé,  brave,  et  le  meilleur  capitaine  de 
l'Autriche,  n'avait  pas  la  force  d'esprit  et  de  carac- 
tère nécessaire  pour  assurer  l'unité  du  commande- 
ment, et  le  tiraillement  qui  n'allait  plus  se  trouver 
dans  le  Conseil  aulique  devait  se  produire  autour 
de  lui,  entre  les  officiers  influents  de  son  état-ma- 
jor. Restait,  il  est  vrai,  l'avantage  d'établir  ce  ti- 
raillement, quel  qu'il  fiU,  plus  près  du  champ  de 
bataille,  et  cet  avantage  n'était  certainement  pas  à 
dédaigner. 

Deux  avis  partageaient  en  ce  moment  l'état-major    Deux  pians 


Mars  4809. 


86  LIVHK   XXXIV. 

<lc  rartliidiic  Charles  au  sujet  du  meilleur  ]»lau  à 
suivre.  L'un  consistait  à  prendre  la  Bohème  pour 

^"  '^d'ans'''""  '^^'"^  ^^  départ  voir  la  carte  n"  28),  et,  supposant 
lYiat-major  los  Français  encore  dispersés  en  Saxe,  en  Franco- 
nie,  dans  le  Haut-Palatnuit,  a  dehoucher  sur  liay- 
reulh,  c'est-à-dire  sur  le  centre  de  i'Allemai^ne,  à 
les  battre  en  détail,  et  à  soulever  les  populations 
trermanicpies  par  cette  apparition  subite  et  ce  prompt 
succès.  Ce  plan  hardi,  qui  conduisait  les  Autrichiens 
par  Bayreuth  et  Wurzhouriï  jusqu'aux  portes  même 
de  Mayence,  avait  l'avantage  de  les  mener  sur  le 
Rhin  par  la  route  la  plus  courte,  de  porter  le  dés- 
ordre dans  les  cantonnements  des  Français,  et  la 
plus  vive  émotion  en  Allemagne.  Mais  par  cela 
même  qu'il  était  hardi,  il  supposait  dans  l'exécu- 
tion un  caractère  que  n'ont  en  général  que  les  ca- 
pitaines supérieurs,  ordinairement  heureux,  et  con- 
fiants parce  qu'ils  sont  heureux.  Il  n'y  en  avait 
alors  aucun  de  ce  genre  ni  en  Allemagne ,  ni  ail- 
leurs, excepté  en  France.  Ce  plan  supposait  en  outre 
un  degré  d'avancement  dans  les  préparatifs  militai- 
res de  l'Autriche,  que  son  administration,  plus  la- 
borieuse qu'expéditive,  n'était  pas  encore  parvenue 
à  leur  donner.  C'est  tout  au  plus  si  les  corps  qui 
devaient  se  rassembler  en  Bohème,  y  étaient  con- 
centrés dans  les  premiers  jours  de  mars.  Les  troi- 
sièmes bataillons  manquaient  à  beaucoup  de  régi- 
ments, et  les  charrois  d'artillerie  n'étaient  point 
arrivés.  Ce  plan,  destiné  à  surprendre  les  Français, 
eût  été  bon  sans  doute  si  on  les  eut  surpris  en 
effet,  et  si  la  hardiesse  d'exécution  eut  répondu  à 
la  hardiesse  de  conce|)tion;  mais  dans  le  cas  où 


UATISlîONiNE.  87 

on  ne  les  aurait  pas  surpris  assez  complètement,  il 
pouvait  devenir  funeste ,  car  s'ils  avaient  eu  le  temps 
de  se  transporter  de  l'Elbe  au  Danube,  de  se  ras- 
sembler entre  Ulm  et  Ratisbonne,  l'armée  autri- 
chienne était  exposée  à  les  avoir  dans  son  flanc 
gauche,  gagnant  Vienne  par  le  Danube,  dispersant 
tous  les  détachements  qu'elle  avait  laissés  en  Ba- 
vière, et  peut-être  même  coupant  sa  ligne  d'opéra- 
tion. Avec  un  général  si  fécond  en  manœuvres  im- 
prévues que  l'était  Napoléon,  cette  dernière  chance 
était  fort  à  redouter. 

Le  second  plan,  plus  modeste,  plur  sur,  consis- 
tait à  prendre  la  route  ordinaire,  celle  du  Danube, 
par  laquelle  les  Français  devaient  naturellement  ar- 
river, à  cause  de  la  facilité  des  communications  le 
long  de  ce  grand  fleuve ,  à  leur  faire  face  sur  cette 
route  avec  la  masse  énorme  de  deux  cent  mille  hom- 
mes, et  à  profiter  de  ce  qu'on  était  plus  préparé 
qu'eux,  non  pour  les  surprendre,  mais  pour  les 
battre,  avant  qu'ils  fussent  en  nombre  suffisant  pour 
disputer  la  victoire.  Ce  plan  ne  donnait  lieu  à  au- 
cune de  ces  combinaisons  soudaines  de  Napoléon , 
qui  ordinairement  déjouaient  tous  les  calculs ,  et 
n'exposait  à  aucune  chance  que  celle  du  champ  de 
bataille,  toujours  assez  périlleuse  contre  un  tel  ca- 
pitaine et  de  tels  soldats. 

Les  deux  plans  dont  il  s'agit  furent  long-temps 
débattus  entre  deux  ofliciers  de  l'état-major  de  l'ar- 
chiduc Charles ,  le  général  Meyer  et  le  général 
Griinn,  et  divisèrent  les  militaires  les  plus  éclairés 
de  l'Autriche.  Mais,  comme  il  advient  toujours  en 
pareille  circonstance,  on  laissa  à  l'événement  le  soin 


Mars<8&9. 


Motif 

qui  décide 

la    préférence 

en  faveur 

du  second 

plan. 


Mars»  809. 


vers 
la  Bavière. 


88  LIVRE  XXXIV. 

(le  (U'cider  la  question,  et  on  prit  son  parti  quand 
les  espions  répandus  au  milieu  des  troupes  fran- 
çaises curent  révélé  la  ukutIic  du  irénéral  Oudinol 
sur  Ulni.  du  umreelial  l)a\out  sur  Wurzhouri^.  On 
comprit  alors  qu'on  arriverait  trop  tard  pour  que 
la  bonne  chance  se  réalisât  au  lieu  de  la  mauvaise, 
et  qu'en  débouchant  par  la  Bohème  sur  Bayreuth 
on  aurait  les  Français  dans  son  liane  gauche ,  ga- 
gnant Vienne  par  le  Danube.  On  prit  donc  brusque- 
ment la  résolution  de  reporter  vers  la  Haute-Autri- 
che les  corps  qui  devaient  dans  Torigine  se  réunir 
Les  corps     en  Bohème.  Seulement,  on  lit  encore  ce  qu'on  fait 

autrichiens  i   i        i-  •  -  i- 

brusquement  quaud  la  du'cctiou  cst  mcdiocrc,  on  conserva  quei- 
.jc b'^ BohLe  ^I"^  cliosc  du  premier  plan,  et  le  second  ne  fut 
adopté  qu'en  réduisant  la  masse  principale  des  for- 
ces qui  aurait  dû  être  consacrée  à  son  exécution. 
Ainsi  une  cinquantaine  de  mille  hommes  fut  laissée 
en  Bohème  sous  les  généraux  Bellegarde  et  Kollo- 
wratli,  et  environ  1 50  mille  furent  portés  en  Haute- 
Autriche,  pour  être  dirigés  à  travers  la  Ba\ière  sur 
Ratisbonne,  à  la  rencontre  des  Français.  Le  premier 
de  ces  rassemblements  devait  déboucher  par  le 
Haut-Palatinat  sur  Bamberg,  en  étendant  sa  gau- 
che vers  Ratisbonne.  (Voir  la  carte  n°  28.)  Le  se- 
cond devait  envahir  la  Bavière,  remonter  le  Danube 
en  étendant  sa  droite  sur  Ratisbonne,  de  manière 
que  les  deux  masses,  mises  en  communication  le 
long  du  fleuve,  pussent  se  réunir  au  besoin,  mais 
avec  beaucoup  de  chances  aussi  d'échouer  dans  cette 
réunion.  On  s'avança  de  la  sorte  à  cheval  sur  le  Da- 
nube, suspendu  pour  ainsi  dire  entre  deux  plans, 
toujours  avec  l'espérance  d'agir  avant  les  Français, 


RATISBONNE.  89 

et  de  se  garantir  contre  leur  marche  de  flanc  par  le 
\  ersement  d'une  partie  des  forces  autrichiennes  de 
la  Bohême  dans  la  Bavière.  Le  général  Meyer,  qui 
avait,  dit-on,  soutenu  le  premier  plan,  fut  envoyé 
de  l'état-major  de  Tarchiduc  Charles  à  celui  de  l'ar- 
chiduc Jean ,  pour  y  employer  en  Italie  les  talents 
dont  on  n'avait  pas  voulu  en  Allemagne,  et  le  gé- 
néral Griinn ,  qui  avait  soutenu  le  second,  resta 
seul  auprès  de  l'archiduc  Charles,  comme  son  prin- 
cipal conseiller. 

En  conséquence  de  ce  nouveau  système,  le  pre- 
mier corps  qui  s'était  formé  à  Saatz  sous  le  lieu- 
tenant général  Bellegarde ,  le  second  corps  qui 
s'était  formé  à  Pilsen  sous  le  général  d'artillerie 
Kollowrath,  conservèrent  les  mêmes  points  de  ras- 
semblement, et  eurent  ordre  de  déboucher  avec 
cinquante  mille  hommes  par  l'extrême  frontière  de 
la  Bohême  sur  Bayreuth,  vers  les  premiers  jours 
d'avril  (voir  la  carte  n°  14).  Les  corps  de  Hohenzol- 
lern,  deRosenberg,  de  l'archiduc  Louis,  qui  s'étaient 
formés  à  Prague,  Piseck,  Budweis,  le  premier  corps 
de  réserve  du  prince  Jean  de  Liechtenstein  qui  s'était 
formé  à  Iglau,  et  qui  était  composé  de  grenadiers 
et  de  cuirassiers ,  reçurent  ordre  de  passer  de  Bo- 
hême en  Autriche,  par  la  route  de  Budweis  à  Lintz, 
de  franchir  le  Danube  sur  le  pont  de  cette  dernière 
ville,  et  d'être  rendus  devant  l'Inn,  frontière  de  la 
Bavière,  vers  les  premiers  jours  d'avril.  Ils  devaient 
s'y  trouver  réunis  au  corps  du  lieutenant  général 
Hiller,  formé  à  Wels  sur  la  Traun,  et  au  second 
corps  de  réserve  du  général  Kienmayer,  formé  à 
Enns  sur  l'Ens.  Ces  six  corps  devaient  marcher  en- 


Slars  1 809. 


Mars  1809. 


90  I.IVIU-:  xxxiv. 

semble  sur  la  lJa\  icre,  la  droite  au  Dauuhe,  tendaut 
ainsi  à  renconlriT  Ners  Kali.slxjnne  la  j^auche  de 
Bell(;i;arde  et  de  KoUoNViatii.  Le  sii2;nal  des  premières 
liostilités  était  éii;alenient  donné  pour  le  commence- 
ment d'avril  en  Italie  et  en  Pologne,  aussi  bien  qu'en 
Bavière  et  en  Bohème. 

Toutefois  on  ne  pouvait  pas,  sans  pousser  la  dis- 
simulation fort  au  delà  des  bornes  permises,  conti- 
nuer à  parler  de  paix  lorsqu'on  mettait  les  armées 
en  marche ,  et  qu'on  leur  expédiait  l'ordre  de  fran- 
chir les  frontières  sous  une  quinzaine  de  jours.  C'eut 
été  trop  imiter  sur  terre  la  conduite  des  Anglais  sur 
mer,  lesquels  enle\  aient  ordinairement  le  commerce 
de  l'ennemi  sans  aucune  déclaration  préalable. 
Communica-    D'aillcurs  OU  n'était  pas  tellement  assuré  de  la  vic- 

tion  ordoniue    ,    .  ,  .     ^  •       •  i  <     i         i       i       •. 

à  M.  de  tone  qu  on  osât  transgresser  amsi  les  règles  du  droit 
poîrtenTHkju  ^^^  S^"^?  ^^'^^^  l'espérancc  de  les  violer  impuné- 
de  déclaration  ment.  Eu  conséqucuce,  on  ordonna  à  M.  de  Metter- 

de  guerre. 

nich  de  faire  au  cabinet  français  une  déclaration 
préalable,  (jui  servît  de  transition  entre  le  langage 
de  la  paix  et  le  fait  même  de  la  guerre. 

Le  2  mars,  elïectivement ,  3L  de  Metternich  se 
présenta  à  Paris  chez  le  ministre  des  affaires  étran- 
gères, M.  de  Champagn\ ,  et  lui  déclara  au  nom  de 
sa  cour,  que  l'arrivée  subite  de  l'empereur  Napo- 
léon à  Paris,  linvilation  adressée  aux  princes  de  la 
Confédération  de  réunir  leurs  contingents,  certains 
articles  de  journaux,  divers  mouvements  des  trou- 
pes françaises,  la  décidaient  à  faire  sortir  ses  ar- 
mées du  pie<l  de  paix  où  elles  avaient  été  tenues 
jusque-là,  mais  qu'elle  n'adoptait  cette  résolution 
que  parce  (pi'elle  y  était  forcée  par  la  conduite  du 


Mars  1809. 


HATISBOXNE.  91 

gouvernement  français,  et  que  du  reste  elle  prenait 
ces  précautions  indispensables  sans  se  départir  en- 
core de  ses  intentions  pacilnpies, 

M.  de  Champagny  répondit  à  cette  conununica-      Réponse 
tion  avec  froideur  et  incrédulité,  disant  que  ce  pas-  cham^^ify  a 
sage  du  pied  de  paix  au  pied  de  guerre  datait  de  six    '^  communi- 

^  *  *  cationdeM.de 

mois,  que  depuis  six  mois  en  effet  on  se  préparait  Mcttemicii. 
en  Autriche  pour  de  prochaines  hostilités,  que  l'em- 
pereur Napoléon  ne  s'y  était  pas  trompé,  et  que  de 
son  côté  il  s'était  mis  en  mesure;  que  les  alarmes 
qu'on  affectait  aujourdhui  ne  pouvaient  être  sin- 
cères, car  lorsque  les  Français  occupaient  la  Silésie 
avec  des  armées  formidables,  l'Autriche  ne  s'était 
pas  crue  menacée,  tandis  qu'à  présent  que  la  plus 
grande  partie  des  troupes  françaises  avaient  passé 
en  Espagne ,  elle  aifectait  les  plus  vives  inquié- 
tudes ;  que  ce  ne  pouvait  être  là  un  langage  de 
bonne  foi  ;  qu'évidemment  la  politique  anglaise 
l'avait  emporté  à  Vienne;  qu'on  s'y  croyait  prêt, 
et  qu'on  agissait  parce  qu'on  supposait  le  moment 
favorable  pour  agir,  mais  qu'on  ne  surprendrait  pas 
la  France,  et  qu'on  n'aurait  à  imputer  qu'à  soi  les 
conséquences  de  la  guerre,  si  ces  conséquences 
étaient  désastreuses, 

M.  de  Metternich ,  amené  à  s'expliquer  davan- 
tage, se  plaignit  alors  et  du  silence  observé  à  son 
égard  par  l'empereur  Napoléon,  et  de  l'ignorance 
dans  laquelle  on  avait  laissé  l'Autriche  pendant 
les  négociations  d'Erfurt.  Il  sembla  attribuer  uni- 
quement à  un  défaut  d'explications  amicales  le  mal- 
entendu qui  menaçait  d'aboutir  à  la  guerre.  M.  de 
Champagny  répliqua  avec  hauteur  que  l'Empereur 


Mars  1809, 


92  LIVRE  XXXIV. 

ne  parlait  jtlus  à  nn  amliassadoiir  (\\\o,  la  cour 
(rAiitriclic  Iroinpail,  ou  (jiii  trompait  la  cour  de 
Franco,  car  rien  de  ce  cpiil  a\ail  promis  n'avait 
été  tenu,  ni  la  suspension  des  j)réparalirs  militai- 
res, ni  la  reconnaissance  du  roi  Josej)!!,  ni  le  re- 
tour à  des  dispositions  pacifiques;  ([ue  les  ex|)li- 
cations  étaient  donc  inutiles  avec  le  représentant 
d'une  cour  sur  les  paroles  de  laquelle  on  ne  pou- 
vait plus  compter;  que  ce  n'était  pas  la  personne 
de  M.  de  Metlernich  qu'on  traitait  aussi  froide- 
ment, mais  le  représentant  d'un  |:2;ouvernement  in- 
fidèle à  toutes  ses  promesses;  cpie  l'Autriche  avait 
sauvé  les  Anglais  en  passant  l'Inn  en  1805,  lors- 
que Napoléon  s'apprêtait  à  franchir  le  détroit  de 
Calais;  qu'elle  venait  de  les  sauver  encore  une 
fois  en  empêchant  Napoléon  de  les  poursui\Te  en 
personne  jusqu'à  la  Coroene;  qu'elle  avait  ainsi  à 
deux  reprises  empêché  le  triomphe  de  la  France 
sur  sa  rivale,  et  le  rétablissement  d'une  paix  so- 
lide, nécessaire  à  l'univers;  qu'elle  en  porterait  la 
peine,  et  qu'elle  ne  trouverait  cette  fois  Napoléon 
ni  moins  prompt,  ni  moins  préparé,  ni  moins  ter- 
rible que  jadis. 

Après  (piclques  autres  plaintes  de  la  même  na- 
ture, les  deux  ministres  se  quittèrent  sans  aucune 
ouverture  qui  permît  d'espérer  une  chance  de  paix, 
M.  de  Metlernich  paraissant  déplorer  la  guerre,  car 
son  esprit  lui  en  faisait  prévoir  les  conséquences 
funestes,  et  sa  situation  à  Paris  lui  faisait  regret- 
ter le  séjour  de  cette  capitale;  M.  de  Champagny 
ne  paraissant  pas  craindre  une  nouvelle  lutte, 
montrant   de  plus   l'irritation    d'un   sujet   dévoué 


Mars  1809. 


mciliatc. 


RATISBON'NE.  93 

qui  ne  trouvait  jamais  aucun  toit  à  son  maître  \ 
Napoléon,  quoique  porté  à  croire  à  la  paix  par 
le  désir  qu'il  avait  de  la  conserver,  ne  put  désor-     Napoléon 

,  .  ^        ,  .       , .  désabusé ,    et 

mais  plus  y  cron-e  après   la  communication  que     ncspérant 
M.  de  Metternich  venait  de  faire  au  ministre  des  p'"*  '^  p^'^' 

fait  toutes  ses 

relations  extérieures.  Aussi  fut-il  saisi  de  cette  ar-    tiispositions 

pour 

deur  extraordinaire  qui  s'emparait  de  lui  quand  uncguerrcim- 
les  événements  s'aggravaient ,  et  dans  les  journées 
des  3  et  4  mars  il  donna  ses  ordres  avec  une  acti- 
vité sans  égale.  Le  désir  et  l'espérance  de  la  paix 
n'avaient  point  agi  sur  lui  comme  sur  les  âmes  fai- 
bles, et  ne  l'avaient  point  induit  à  ralentir  ou  à 
négliger  ses  préparatifs.  Il  s'était  comporté  au  con- 
traire comme  les  âmes  fortes,  qui  tout  en  se  li- 
vrant au  plaisir  d'espérer  ce  qui  leur  plaît,  se 
conduisent  en  vue  de  ce  qui  leur  déplaît.  Dans  la 
persuasion  où  il  était  d'abord  que  l'Autriche  ne 
pourrait  pas  agir  avant  la  fin  d'avril  ou  le  com- 
mencement de  mai ,  il  avait  assigné  comme  points 
de  rassemblement  :  Augsbourg  pour  le  général  Ou- 
dinot,  Metz  pour  les  divisions  Carra  Sainl-Cyr  et 
Legrand,  Strasbourg  pour  les  divisions  Boudet  et 
Molitor,  Wurzbourg  pour  le  maréchal  Davout.  Il 
avait  choisi  ces  points  parce  que  dans  ses  profondes 
comlîinaisons  ils  convenaient  mieux  pour  la  réu- 
nion de  tous  les  éléments  qui  devaient  concourir  à 
ses  nouvelles  créations.  Sur-le-champ  il  en  choisit 
d'autres  plus  rapprochés  de  l'ennemi,  et  il  accéléra 

'  Ce  n'est  point  sans  des  documents  positifs  que  nous  retraçons  cet 
entretien,  car  il  fut  transcrit  à  l'instant  même  sous  forme  de  demandes 
et  réponses  par  M.  de  Champagny,  et  communiqué  à  l'Empereur.  Il 
existe  aux  archives  des  affaires  étrangères. 


Mars  1809. 


9i  I.IVHE   XXXIV. 

tous  les  envois  <rii()iiiiiies  et  de  nmteriel  vers  ces 
nouveaux  points.  l'Ini  fut  désigné  pour  le  rassem- 
l)lement  des  quatre  divisions  Boudel,  Molilor,  Carra 
Saint-Cyr  et  Lettrand.  Les  deux  premières,  déjà  en 
route  de  Lvon  sur  Strasl)ourij;,  eurent  ordre  de  se 
détourner  vers  Béfort,  et  de  se  rendre  droit  à  Ulm, 
en  traversant  la  foret  Noire  par  la  route  la  plus 
courte.  Les  divisions  Carra  Saint -Cvr  et  Lep;rand 
eurent  ordre  de  ne  point  s  arrêter  à  Metz,  et  de 
marcher  par  Strasbourg;  à  Ulm,  sans  perdre  un  in- 
stant. Les  renforts,  les  envois  de  matériel,  furent 
immédiatement  dirigés  sur  la  liirne  quelles  devaient 
suivre,  de  manière  à  les  joindre  en  route,  et  à  les 
compléter  chemin  faisant.  Très-heureusement  ces 
troupes  étaient  assez  vieilles  pour  que  leur  orga- 
nisation n'eût  pas  à  souffrir  d'une  semblable  pré- 
cipitation. Le  corps  dOudinot,  en  marche  déjà  sur 
Augsbourg,  n'était  pas  dans  des  conditions  aussi 
l)onnes.  D'une  réunion  accidentelle  de  grenadiers 
et  de  voltigeurs,  il  avait  du  passer  à  une  formation 
de  quatrièmes  bataillons,  L'Empereur  fit  partir  dix 
jours  plus  tôt  les  grenadiers  et  voltigeurs  sortis  de 
la  garde  pour  fournir  les  deux  compagnies  d'élite 
de  ces  quatrièmes  bataillons,  et  les  fusiliers  tirés 
des  dépôts  pour  en  fournir  les  quatre  compagnies 
du  centre.  Mais  c'est  tout  au  plus  si  on  pouvait  es- 
pérer qu'à  l'ouverture  des  hostilités  ce  corps  aurait 
ses  bataillons  à  quatre  compagnies  au  lieu  de  six, 
qu'il  serait  de  deux  divisions  au  lieu  de  trois,  de 
20  mille  hommes  au  lieu  de  30  mille.  De  plus  il 
devait  se  former  presque  en  présence  de  l'ennemi. 
Mais  l'esprit  militaire  du  temps,  l'expérience  des 


RATISBONNE.  95 

ofiiciers,  des  soldats,  des  t^énéraux,  la  chalour 
qui  animait  et  soutenait  tout  le  monde  devait  sup- 
pléer à  ce  qui  mantiuait. 

Pour  le  corps  du  maréchal  Davout,  appelé  en- 
core armée  du  Rhin ,  Napoléon  ne  changea  pas  le 
point  de  rassemblement.  Il  y  dirigea  en  toute  hâte 
les  renforts  destinés  à  compléter  les  trois  pre- 
miers bataillons  de  guerre,  et  les  détachements 
qui  devaient  servir  de  premiers  éléments  à  la  com- 
position des  quatrièmes  bataillons.  Chacune  des 
divisions  de  cavalerie  et  d'infanterie  ayant  à  passer 
par  Wurzbourg  devait  y  trouver  le  matériel  et  le 
personnel  qui  lui  appartenaient.  Il  ordonna  seule- 
ment au  maréchal  Davout,  dont  le  quartier  géné- 
ral était  à  Wurzbourg,  de  porter  sur-le-champ  ses 
divisions  dans  le  Haut-Palatinat,  de  manière  à  en 
avoir  bientôt  une  à  Bayreuth ,  une  à  Bamberg,  une 
à  Nuremberg ,  une  à  Ratisbonne ,  afin  de  faire  face 
aux  troupes  autrichiennes  de  Bohême.  Napoléon 
était  si  pressé  que  pour  hâter  le  départ  des  re- 
crues, il  eut  recours  à  une  mesure  fort  irrégulière, 
et  qui ,  sous  une  autre  administration  que  la  sienne, 
aurait  eu  de  graves  inconvénients,  et  amené  de  sin- 
gulières confusions.  Certains  dépots  abondaient  en 
conscrits  instruits  et  habillés,  tandis  que  d'autres 
en  manquaient.  Il  ordonna  de  faire  partir  les  con- 
scrits déjà  prêts  pour  les  régiments  qui  en  avaient 
besoin ,  qu'ils  appartinssent  ou  non  à  ces  régi- 
ments. On  devait  seulement  avoir  soin  quand  ils 
seraient  arrivés  au  corps  de  changer  les  boutons  de 
leurs  habits,  pour  qu'ils  portassent  les  numéros  des 
régiments  dans  lesquels  on  les  versait.  Napoléon  em- 


Mar8<809. 


Mara  «809. 


96  LIVRE  XXXIV. 

ploya  en  outre  la  précaution  de  ne  pas  faire  connaî- 
tre aux  chefs  des  dépôts  la  destination  des  conscrits 
qu'on  leur  demandait,  de  peur  que,  ne  s'intéressant 
plus  à  eux,  ils  ne  leur  donnassent  des  équipements 
de  rebut.  Il  prescrivit  la  même  disposition  pour  la 
cavalerie  légère.  Il  fit  partir  tout  ce  qu'il  y  avait 
de  chasseurs  et  de  hussards  déjà  formés,  sans  s'in- 
quiéter davantage  de  les  envoyer  aux  régiments 
auxquels  ils  appartenaient,  ordonnant  seulement 
d'observer  le  plus  possible  dans  l'incorporation  les 
ressemblances  d'uniforme.  Cependant  comme  on  ne 
pouvait  pas  mêler  des  hussards  à  des  chasseurs,  à 
cause  de  l'extrême  différence  de  l'équipement,  et 
qu'il  y  avait  plus  de  hussards  qu'on  ne  pouvait  en 
employer,  il  en  composa  des  escadrons  de  guides, 
destinés  à  servir  dans  l'état-major  de  chaque  corps 
darmée,  afin  d'épargner  à  la  cavalerie  légère  le  ser- 
vice des  escortes,  qui  la  condamne  à  de  nombreux 
détachements  et  à  une  fâcheuse  dissémination. 

Nous  donnons  ces  détails  dans  l'intention  de  faire 
comprendre  à  quels  expédients  Napoléon  était  réduit 
pour  avoir  envoyé  ses  principales  ressources  en  Es- 
pagne. Après  avoir  vaqué  à  ces  divers  soins,  il  s'oc- 
cupa dorganiser  les  cinquièmes  bataillons.  Il  desti- 
nait ces  derniers,  comme  nous  l'avons  dit,  outre 
leur  rôle  naturel  de  dépôts ,  à  former  des  réserves , 
soit  pour  garantir  les  côtes  des  tentatives  de  l'Angle- 
terre ,  soit  pour  rendre  disponibles  un  certain  nom- 
bre de  quatrièmes  bataillons  actuellement  employés 
au  camp  de  Boulogne,  soit  enfin  pour  parer  aux 
diverses  éventualités  de  la  guerre.  Ayant  déjà  de- 
mandé 80  mille  hommes  sur  la  conscription  de  1 81 0, 


RATISBONNE.  97 

il  en  voulut  lever  encore  30  mille,  [)()ur  porter  l'ef- 
fectif des  cinquièmes  bataillons  à  1 ,200  hommes  au 
moins,  et  de  plus  il  résolut  de  prendre  sur  les  con- 
scriptions passées,  malgré  les  appels  réitérés  qu'on 
venait  de  leur  faire,  1 0  mille  hommes  robustes  pour 
sa  garde.  Il  prescrivit  que  ceux  des  cinquièmes 
bataillons  qui  seraient  formés  les  premiers  fussent 
réunis  en  demi-brigades  pro^ isoires,  de  deux,  trois 
ou  quatre  bataillons  chacune,  àPontivy,  Paris,  Bou- 
logne, Gand,  Metz,  Mayence,  Strasbourg,  Milan. 
Quant  aux  1 0  mille  conscrits  appelés  sur  les  classes 
antérieures ,  il  voulut  les  employer  à  donner  un  dé- 
veloppement tout  nouveau  à  la  garde  impériale.  Il 
avait  aux  régiments  de  grenadiers  et  de  chasseurs 
composant  la  vieille  garde,  ajouté  en  1807  deux 
régiments  de  fusiliers,  qui  avaient  très-bien  servi. 
Il  venait  d'imaginer  les  tirailleurs,  il  imagina  en- 
core les  conscrits,  en  variant  les  noms  suivant  les 
circonstances  de  chaque  création.  Il  se  décida  donc 
à  créer  quatre  régiments  de  tirailleurs,  quatre  de 
conscrits ,  ce  qui  devait  porter  à  20  mille  hommes  au 
moins  l'infanterie  de  la  garde,  et  à  23  mille  le  corps 
tout  entier,  en  y  comprenant  sa  magnifique  cava- 
lerie, et  son  artillerie  accrue  de  48  bouches  à  feu. 
Bientôt  les  jeunes  soldats  devaient  y  égaler  les  vieux 
en  esprit  mihtaire,  et  avoir  de  plus  la  supériorité  de 
la  force  physique,  apanage  ordinaire  de  la  jeunesse. 
Aucune  conception  n'attestait  mieux  la  profonde 
connaissance  que  Napoléon  avait  des  armées,  et  l'in- 
épuisable fécondité  de  son  génie  organisateur.  En 
outre  il  disposa  tout  pour  faire  venir  en  poste  la  vieille 
garde  de  Bayonne  à  Paris,  de  Paris  à  Strasbourg. 

TOM.  X.  7 


Mars  1809. 


'»S  I  IVHE   \\\IV. 
Il  11  civail  atlrossô  (iniiii  avis  aux  piincos  de  la 

Mars  I  «09.         ,         .     ,  •  , 

(.onlcdc'ialioii  ilii  Uliiii.  A  partir  du  2  mars  li  leur 
uéunion       intima  des  ordres,  comme  chef  de  celte  Confédéra- 

des 

..iitingents     fioii.  Il  demanda  ;i  la  liaxière  AO  mille  hommes,  afin 

de  ,  .  .  .. 

laconfédcra-  <l  ciî  avoir  30  mille,  (|u  il  plaça  sons  le  eommande- 
lion  du  luiin.  j^^^.j„  ^,j,  ^j^.,|^  maréchal  l.efebvre,  qui  savait  l'alle- 
mand, et  (jiii  au  leii  était  toujours  ditrne  de  la 
lîrande  armée,  i.e  loi  de  Bavière  aurait  désiré  que 
son  iils'  commandât  les  troupes  bavaroises,  Napo- 
léon ne  le  voulut  jias. —  Il  faut,  lui  dit-il,  que  vo- 
ire armée  se  batte  sérieusement  dans  cette  campa- 
ijne,  car  il  s'agit  de  conserver  et  d'étendre  même 
les  a.erandissements  que  la  Bavière  a  reçus.  Votre 
Iils,  (juand  il  aura  fait  avec  nous  six  ou  sept  cam- 
|)ac;nes,  pourra  commander.  En  attendant,  quil 
\ienne  à  mon  état-major;  il  v  sera  accueilli  avec 
tous  les  égards  cpii  lui  sont  dus,  et  il  y  apprendra 
notre  métier. —  Par  transaction.  Napoléon  accorda 
à  ce  jeune  prince  le  commandement  de  Tune  des 
disisions  bavaroises.  Napoléon  fixa  Munich,  Lands- 
hut,  Straubing,  comme  j^oints  de  rassemblement 
<le  ces  trois  di\isions,  assez  en  arrière  de  llnu 
pour  (juellcs  ne  fussent  pas  surprises  par  les  Au- 
trichiens, assez  en  avant  du  Lech  et  du  Danube 
pour  couvrir  nos  rassemblements.  (Voir  la  carte 
II"  I  i.  ,  Il  demanda  au  roi  de  Wurtemberg  12  mille 
hommes,  qui  devaient  se  léunir  àNeresheim,  et 
servir  sous  les  ordres  du  général  A'andamme,  au 
choix  duquel  le  roi  de  Wurtemberg  résistait,  mais 

'  Coliii  que  nous  avons  vu  roi  de  nos  jours,  et  amené  j^ar  les  événe- 
ments à  alxIiquL'r  la  conmnne  pour  ^^e  vouor  au  culte  des  arts,  aux- 
«liiclà  il  a  rendu  dans  son  pays  do  grands  services. 


HATISBONNE.  99 

(|ue  Napoléon  Ivii  imposa  en  écrivanl  ces  propres 
paroles  : —  Je  connais  les  défauts  du  général  Van- 
lianime ,  mais  c'est  un  véritable  honmie  de  guerre, 
et  dans  ce  difricile  métier  il  faut  savoir  pardonne!" 
beaucoup  aux  grandes  qualités.  —  Napoléon  ré- 
clama du  grand-duc  de  Baden  une  di\ision  de  8  à 
10  mille  hommes,  et  une  de  pareille  force  du  duc  de 
Hesse-Darmstadt.  Elles  de\aient  se  réunir  vers  la 
tin  de  mars  à  Pforziieim  et  à  Mergenlheim.  Quant 
aux  moindres  princes,  les  ducs  de  Wurzbourg, 
de  Nassau,  de  Saxe,  il  en  exigea  une  division  coni- 
posée'[de  leurs  contingents  agglomérés,  laquelle 
«levait  rejoindre  à  Wurzbourg  le  quartier  général 
du  maréchal  Davout.  Il  demanda  au  roi  de  Saxe  -20 
mille  Saxons  en  avant  de  Dresde,  23  mille  Polonais 
en  avant  de  Varsovie.  Ces  contingents  formaieni 
ensemble  I  10  à  1  15  mille  hommes,  en  réalité  100, 
dont  80  mille  Allemands  et  20  mille  Polonais.  Le 
maréchal  Bernadotte,  venant  des  villes  anséatiques 
avec  la  division  française  Dupas,  était  chargé  de 
|)renih'e  les  Saxons  sous  son  commandement,  et  de 
lejoindre  ensuite  la  grande  armée  sur  le  Danube, 
Les  Polonais  couverts  par  le  voisinage  des  Russes 
suftîsaientpour^garder  Varsovie.  Les  événements  de 
la  guerre  pouvant  amener  l'abandon  momentané  de 
Dresde  et  de  Munich,  Napoléon  fit  dire  aux  deux 
souverains  qui  régnaient  dans  ces  deux  capitales,  de 
se  tenir  prêts  à  quitter  leur  résidence,  pour  se  por- 
ter au  centre  de  la  Confédération,  leur  offrant,  si  un 
court  voyage  en  France  leur  plaisait,  de  mettre  à  leur 
•  lisposition  toutes  les  habitations  impériales  magni- 
fiquement desservies.  Il  fit  ordonner  en  outre  à  son 

7. 


MarsiKOf). 


Mars  1800. 


100  1.1  \  ht:  x.\.\iv. 

fivre  Jérôme  de  réunir  il)  mille  Ilossois,  et  à  son 
frère  Louis  20  mille  IIoIIjiikIjus,  double  force  sur 
la(|uelle  il  compUiit  j)eu,  parce  que  le  premier  ;i(I- 
ministriiit  sans  économie  son  nouveau  royaume,  et 
que  le  second  au  contraire  admiiiistiait  le  sien  avec 
toute  la  parcimonie  liollandaise. 
Distribution        Ces  forces  ainsi  préparées,  voici  rori^anisalion 

do  larméc  ,  ,  x-  i  '  n       ■  •»  i 

d  Aïkma-n.^  quc  Icur  (lomu»  INapolcon.  Il  n  avait  sous  la  maiu 
^pnncipa*uT^  (pi'une  partie  de  ses  marécliaux,  puisque  quatre 
d'entre  eux,  Ney,  Soult,  Victor,  Mortier,  servaient 
en  Espa£;ne.  Parmi  ceux  dont  il  pouvait  disposer, 
il  y  en  avait  trois  qu'il  appréciait  plus  que  tous  les 
autres,  c'étaient  les  maréchaux  Davout,  Lannes, 
Mas.séna.  Il  résolut  de  partager  entre  eux  la  masse 
de  l'armée  française,  en  agrandissant  leur  rôle  et 
leur  commandement ,  et  en  leur  confiant  cinquante 
mille  hommes  à  chacun.  Masséna  avait  déjà  com- 
mandé des  forces  plus  considérables,  mais  Davout 
et  Lannes  n'avaient  pas  encore  eu  cet  honneur, 
Corps  dont  ils  étaient  d'ailleurs  fort  dignes.  Le  maréchal 
*^"Davou?^'  Davout  dut  conscrvcr  de  l'armée  du  Rhin  ses  trois 
anciennes  divisions,  Morand,  Friant,  Gudin,  les 
cuirassiers  Saint-Sulpice ,  une  division  de  cavalerie 
légère ,  une  quatrième  division  d'infanterie  sous  le 
général  Demont ,  composée  des  quatrièmes  batail- 
lons de  ce  corps,  le  tout  formant  cinquante  mille 
soldats  aguerris,  les  premiers,  sans  aucune  compa- 
raison, que  possédât  la  France  à  cette  époque.  Ce 
coJi)s  |)lacé  entre  Bayreuth,  Amberg,  Ratisbonne, 
a\ait  cette  dernière  ville  pour  point  de  réunion.  La 
Corps        division  Sainl-Hihiire,  détachée  de  l'armée  du  Rhin, 

du  maréchal  .  i      •      i        > 

Laïui.-s.      avec  une  portion  de  cavalerie  légère  et  les  cuiras- 


Mars  i  809. 


Corps 


HATISBONNE.  401 

siers  du  général  Espagne,  jointe  aux  trois  divisions 
d'Oudinot ,  devait  composer  un  autre  corps  d'une 
cinquantaine  de  mille  hommes,  sous  l'illustre  marc- 
«hal  Lannes,  et  se  concentrer  à  Augsbourg.  Napo- 
léon y  ajouta  une  brigade  de  !  ,500  à  2  mille  Por- 
tugais, choisis  dans  ce  qu'il  y  avait  de  mieux  parmi 
les  troupes  de  cette  nation  cantonnées  en  France, 
ennuyées  de  ne  rien  faire ,  et  mieux  placées  à  l'ar- 
mée que  dans  l'intérieur.  Il  y  joignit  aussi  les  chas- 
seurs corses  et  les  chasseurs  du  Pô,  troupe  brave 
et  éprouvée.  Les  quatre  divisions  Carra  Saint-Cyr, 
Legrand ,  Boudet ,  Molitor,  avec  une  belle  division    ^"  mar.cbai 

^  ^  '  '  Masséna. 

de  cavalerie  légère,  avec  les  Hessois,  les  Badois, 
devaient  composer  un  autre  corps  de  même  force,  et 
se  réunir  à  Ulm  sous  l'héroïque  Masséna.  Les  cui- 
rassiers et  les  carabiniers  sous  le  général  Nansouty, 
une  nombreuse  division  de  cavalerie  légère,  les 
<lragons  organisés  comme  nous  l'avons  dit  ailleurs, 
devaient  composer  sous  le  maréchal  Bessières,  en 
l'absence  de  Murât,  une  réserve  de  14  à  15  mille 
cavaliers.  La  garde,  forte  d'une  vingtaine  de  mille 
hommes,  devait  porter  à  190  mille  Français,  les 
])arcs  compris,  cette  masse  principale  concentrée 
entre  Ulm,  Augsbourg  et  Ratisbonne.  Les  Bavarois, 
sous  le  maréchal  Lefebvre,  formaient  en  avant  un 
excellent  corps  auxiliaire  d'une  trentaine  de  mille 
hommes.  Le  maréchal  Augereau  en  formait  un  en 
arrière  avec  les  Wurtembergeois ,  les  Badois  et  les 
Hessois.  Enfin,  plus  en  arrière,  le  prince  Berna- 
dotte,  comme  on  l'a  vu,  devait  commander  les 
Saxons.  C'étaient,  par  conséquent,  cinq  corps  fran- 
çais ,  dont  deux  de  réserve ,  ayant  un  corps  auxi- 


Mars  1 80». 


102  I.IVHK    \\\l\  . 

liaire  en  a\ant.  deux  en  arrière,  le  tout  mêlé  de 
\ieiix  et  jeunes  soldats,  animés  du  souOle  de  Na- 
poléon ,  ne  laissant  rien  à  désirer  sous  le  rapport  de 
la  bra\oure,  laissant  l)oaucoupà  désirer  sous  le  rap- 
port de  l'expérience  et  de  I  ùire,  mais,  tels  quels, 
parfaitement  propres  à  maintenir  à  sa  hauteur  pré- 
sente la  iïloire  de  la  France.  Le  prince  Bertliier  fut 
nonnné  niajor  ijénéral,  et  M.  Daru  intendant  de  cette 
armée.  Napoléon  s'en  constitua  le  conmiandant  en 
chef.  Elle  reçut  le  titre  darmée  d  Alleniagne,  et  non 
plus  celui  de  iïrande  armée,  la  jurande  armée  mal- 
heureusement nétant  plus  en  Allemap;ne  ni  en  Italie. 
mais  en  Espaiïne. 
piuii  Le  projet  de  Napoléon  était  de  marcher  droit  de 

campagne  [{^tj^j^Qj^j^g  «^^P  Vienne ,  par  la  grande  route  du  Da- 
?>japoicon.  nube,  et  de  confier  à  ce  fleuve  son  matériel,  ses 
malades,  ses  écloppés,  toute  la  partie  pesante  entin 
de  son  armée,  ce  qui  supposait  dès  le  début  quelque 
terrible  coup  porté  aux  Autrichiens.  Gest  dans  cette 
vue  qu'il  avait  fait  acheter  quantité  de  bateaux  sur 
tous  les  fleuves  de  la  Bavière,  pour  les  faire  succes- 
sivement descendre  dans  le  DanuJje,  à  mesure  quil 
franchirait  les  affluents  de  ce  p:rand  lleuve.  C'est  en- 
core dans  cette  vue  qu'il  avait  tiré  de  Bouloirne 
1,200  des  meilleurs  marins  de  la  flottille,  pour  les. 
ajouter  à  la  û;arde. 

C'était  donc  à  Ratisbonne  qu'il  avait  l'intention 
de  concentrer  ses  forces,  en  néij:liii:eant  le  Tvrol  et 
laissant  les  Autrichiens  s'v  enfi;atî;er  tant  qu'il  leur 
plairait ,  certain  de  les  envelopper  et  de  les  prendre 
entre  son  armée  d'Allemaijne  et  celle  d'Italie,  s'ils 
ne  se  hâtaient  pas  de  rétroirrader.  (Voir  la  carte 


RATISBONNH.  403 

n"  14.)  Toutefois  il  a\ait  ordonne  d'exécuter  des 
travaux  à  Augsbourtï,  de  creuser  et  de  rempli!- 
deau  les  fossés,  de  palissader  lenceinte,  de  con- 
struire des  tètes  de  pont  sur  le  Lecli ,  de  manière  à 
couvrir  son  flanc  droit  par  un  poste  fortifié ,  tandis 
qu'il  marcherait  la  gaucho  en  avant.  C'était  sa  seule 
précaution  projetée  du  côté  du  Tyrol,  et  elle  suf- 
fisait parfaitement. 

Le  point  de  départ  de  Ratisbonne  était  adopté 
dans  la  supposition  que  les  Autrichiens  ne  pren- 
draient pas  l'offensive  avant  la  fin  d'avril.  S  il  en 
était  autrement,  et  s'ils  agissaient  pjus  tôt,  Napo- 
léon avait  fixé  les  yeux  sur  un  point  de  départ  moins 
avancé  en  Bavière,  et,  au  lieu  d'amener  d'Augs- 
bourg  à  Ratisbonne  les  troupes  qui  se  seraient  for- 
mées sur  ce  premier  point ,  pour  les  joindre  avec 
celles  qui  seraient  arrivées  de  ^^'urzbourg  sous  le 
maréchal  Davoiit ,  il  se  proposait  de  choisir  un 
point  intermédiaire,  tel  que  Donauwerth  ou  Jn- 
golstadt  (voir  la  carte  n"  14),  pour  y  faire  des- 
cendre le  rassemblement  d'Aussbourû;,  et  \  faire 
remonter  celui  de  Ratisbonne.  Aussi  voulut-il  avoir 
des  ma2;asins  délivres  et  de  munitions,  non-seu- 
lement  à  Augsbourg,  mais  à  Donauwerth  et  à  In- 
golstadt,  qui  pouvaient  devenir  éventuellement  le 
lieu  de  la  concentration  générale,  et  le  point  de  dé- 
part de  la  marche  sur  Vienne.  Ainsi  Ratisbonne, 
dans  le  cas  d'hostihtés  ditlerées,  Donauwerth  ou 
Ingolstadt,  en  cas  d'hostilités  immédiates,  devaient 
être  ses  premiers  quartiers  généraux.  Le  major  gé- 
néral Berthier,  dépéché  à  l'avance ,  partit  avec  ces 
instructions.  M.  Daru  en  reçut  de  pareilles  pour  les 


Mars  1809. 


<04  LIVRE  \X\1V. 

nioiiNonionls  du  lïKih'iicl.   Dos  sorviVos  (roslarclle 

Mars  <  809. 

fiirciil  ('lal)lis  ciilio  Aiii^shomi;  cl  Slrasl)ourii;  il  un 
cote,  entrer  Winzboiir:;;  cl  Mayentc  de  l'autre,  pour 
joindre  l<'s  lii^nes  lclé|L;ra|)lii(jucs  de  la  frontière,  et 
expédier  elKupic  jour  ii  Paris  des  nouvelles  du 
théâtre  do  la  guerre.  Des  relais  de  poste  furent  ex- 
traordiuaireuienl  disposés  pour  que  Napoléon  put 
franchir  rapidement  la  distance  de  la  Seine  au  Da- 
nube. Ainsi  préparé  il  attendit  les  mouvements  des 
Autrichiens,  voulant  rester  à  Paris  le  plus  long- 
temps possible,  alîndauimer  de  sa  volonté  l'adminis- 
tration de  la  guerre,  avant  d'aller  animer  de  sa  pré- 
sence l'armée  destinée  à  cond)altre  sous  ses  ordres. 
Ordres  relatifs  A  CCS  dispositions  s'eu  joignirent  quelques  autres 
arEspagnect  relatives  à  l'Italie,  à  l'Espagne  et  à  la  marine.  Na- 
à  la  manne.  p^jf^Qi^  réitéra  à  Murat  l'ordre  d'acheminer  une 
brigade  sur  Rome,  j)Our  rendre  disponible  la  di- 
vision Miollis.  Il  traça  au  prince  Eugène  la  direction 
selon  laquelle  il  devait  attaquer  les  Autrichiens, 
lui  ordonna  de  masquer  par  quelques  troupes  lé- 
gères la  route  de  la  Carniole  par  Laybach ,  et  de 
porter  les  cinq  divisions  françaises ,  Seras ,  Brous- 
sier.  Grenier,  Lamarque ,  Barbou,  d'Udine  à  la 
Ponteba,  pour  déboucher  par  Tarvis  sur  Klagen- 
furth,  dans  la  Carinlhie,  route  directe  de  la  Lombar- 
die  à  Vienne.  Il  avait  fait  partir  de  Toulon  quelques 
bâtiments  pour  l'Adriatique,  avec  l'instruction  de 
garder  les  meilleurs  sous  voiles,  et  de  désarmer  les 
autres,  afin  de  se  procurer  à  Venise  12  ou  i,oOO 
matelots  français,  qui  seraient  fort  utiles  à  la  dé- 
fense de  la  place.  Il  enjoignit  à  sa  sœur  Élisa , 
gouvernante  de  la  Toscane,  de  veiller  sur  la  tran- 


RATISBONNE.  105 

(jiiillité  de  cette  contrée,  car  le  mécontentement, 
se  répandant  des  pays  ennemis  dans  les  pays  amis, 
agitait  déjà  l'Italie.  Napoléon  y  envoya  une  colonne 
de  gendarmes  français,  pour  y  organiser  une  gen- 
darmerie italienne,  prescrivit  de  mettre  en  état  de 
défense  les  châteaux  de  Florence,  de  Sienne,  de 
I.ivourne,  afin  d'avoir  des  refuges  contre  de  nou- 
velles vêpres  siciliennes,  tant  sa  prévoyance  re- 
«'onnaissait  elle-même  les  dangers  de  son  impru- 
dente politique. 

Quant  à  l'Espagne,  il  ordonna  à  Joseph  de  conti- 
nuer les  préparatifs  de  l'expédition  de  Portugal,  que 
le  maréchal  Soult  devait  exécuter  avec  quatre  di- 
visions, et  de  n'acheminer  le  maréchal  Victor  sur 
l'Andalousie  que  lorsque  le  maréchal  Soult  aurait 
dépassé  Oporto.  Il  recommanda  de  bien  soigner  les 
divisions  Valence,  Levai,  Dessoles,  Sebastiani,  res- 
tées à  Madrid  comme  ressource  principale  de  la 
monarchie  espagnole,  et  surtout  de  veiller  à  ce 
que  le  maréchal  Ney  avec  ses  deux  divisions  con- 
tînt vigoureusement  le  nord  de  la  Péninsule.  Il  con- 
fia au  général  Suchet  l'ancien  corps  de  Moncey, 
qui  venait  d'achever  le  siège  de  Sarragosse ,  avec 
ordre  de  se  préparer  à  marcher  sur  Valence ,  dès 
que  le  général  Saint-Cyr  aurait  terminé  ses  opéra- 
tions en  Catalogne.  Il  reporta  le  5'  corps  commandé 
par  le  maréchal  Mortier,  de  Sarragosse  sur  Burgos, 
pour  qu'il  put  au  besoin,  ou  donner  la  main  au 
maréchal  Ney  contre  le  nord  de  l'Espagne  si  cette 
région  devenait  inquiétante ,  ou  repasser  en  France 
si  la  guerre  d'Allemagne  exigeait  de  nouvelles  res- 
sources. 


Mars  1 809. 


Mars  1801t. 


406  IJVIU-:   \\\1\. 

S'ocrupanl  onfin  de  fairo  ronrouiir  In  marine  à 
ses  opérations,  Napoléon  ordonna  à  I  aniiial  Wuil- 
launiez  de  partir-  de  Brest  avec  deux  vaisseaux 
de  120,  et  six  de  7i;  de  se  rendre  devant  Lo- 
rient  et  RochoTort,  où  les  contre-aniiranx  Troude  et 
Lhennitte  se  trouvaient  chacun  avec  une  division  ; 
de  les  dél)lo(picr,  de  les  conduire  jusqu'aux  An- 
tilles, ou  ceux-ci  devaient  porter  des  vivres,  des 
munitions,  des  recrues,  et  recevoir  en  échange  des 
denrées  coloniales;  de  revenir  ensuite  en  Europe, 
et  de  rallier  l'amiral  Ganteaume  à  Toulon,  pour  \ 
prendre  part  à  diverses  expéditions  dans  la  Médi- 
terranée. Tandis  que  lamiralWuillaumez  allait  exé- 
cuter cette  course,  l'amiral  Ganteaume  devait  sortir 
de  Toulon  avec  son  escadre,  et  porter  à  Barcelone 
un  approvisionnement  considérable  en  poudres, 
projectiles  et  grains.  Dans  lEscaut  le  contre-amiral 
.AJlemand  eut  ordre  de  faire  sortir  l'escadre  de  Fles- 
singue,  de  la  tenir  en  rivière,  toujours  prête  à  met- 
tre à  la  voile,  ce  qui  ne  pouvait  manquer  d'offus- 
quer les  Anglais,  et  d'occuper  une  notable  partie 
de  leurs  forces.  Napoléon  enjoignit,  en  outre,  à  l'ad- 
ministration de  la  marine  de  réunir  une  certaine 
quantité  de  chaloupes  canonnières  aux  bouches  de 
l'Escaut  et  de  la  Charente,  pour  y  garder  toutes  les 
passes,  et  y  veiller  aux  tentatives  de  destruction 
que  les  Anglais  allaient  probablement  essayer  con- 
tre les  escadres  mouillées  dans  ces  parages.  Il  or- 
donna au  ministre  Decrès  de  partir  pour  les  côtes, 
le  jour  où  il  partirait  lui-même  pour  l'Allemagne, 
afin  de  présider  à  la  ponctuelle  exécution  de  ces  di- 
verses instructions. 


Avril  1809. 


RATISBONNE.  lOT 

Tout  à  coup,  pendant  (pie  Napoléon  faisait  ainsi 
ses  dernières  dispositions,  on  apprit  que  les  Autri- 
cliiens  avaient  poussé  la  hardiesse  iusquà  saisir  à    ,  a  restât  iou 

^  o         1  (I  „„   courrier 

Braunau  un  courrier  français  porteur  de  dépêches      français, 

de  la  légation  de  Arienne  à  la  légation  de  Munich.  repVéTai'ifes 

Ce  courrier  était  un  ancien  otiicier  français ,  établi  i  arrcîation 

à  Vienne,  et  qui  abandonnant  cette  capitale  au  mo-  '-^^^  courriers 

^  ^  autrichiens. 

ment  de  la  guerre,  s'était  chargé  de  divers  plis 
pour  les  ministres  de  sa  nation.  L'enlèvement  des 
dépêches  qui  lui  étaient  confiées,  malgré  ses  vives 
protestations,  malgré  le  cachet  des  deux  ambas- 
sades qui  aurait  dû  les  faire  respecter,  parut  à  Na- 
poléon l'équivalent  dune  rupture.  11  se  li\ra  à  la 
plus  violente  colère,  fit  adresser  de  véhémentes 
interpellations  à  M.  de  Metternich,  et  prescrivit,  à 
titre  de  représailles,  l'arrestation  immédiate  des 
courriers  autrichiens  sur  toutes  les  routes.  Ses  or- 
dres exécutés  à- la  rigueur,  et  sans  délai,  lui  pro- 
curèrent sur  le  chemin  de  Strasbourg  l'enlèvement 
de  dépêches  fort  importantes.  Il  les  lut  avec  grande  imminence 
attention,  et  en  conclut  que  les  hostilités  commen-  "^J'.-éiéepaf 
ceraient  à  la  mi-avril.   La  demande  de  ses  passe-    'es  dépêches 

^  _  de  1  un 

ports  faite  par  M.    de  Metternich  acheva  de   lui  des  courriers 

(irrêtôs 

révéler  1" imminence  du  danger,  et  il  ordonna  au 
major  général  Berthier  de  se  rendre  à  Donauwerth, 
soit  pour  réunir  Tarmée  à  Ratisbonne  si  on  en 
avait  le  temps ,  soit  pour  la  replier  derrière  le  Lech 
vers  Donauwerth  si  le  temps  manquait,  sauf  à 
occuper  Ratisbonne  par  une  division  du  maréchal 
Davout.  Du  reste,  toujours  lœil  sur  le  télégraphe, 
Napoléon  se  tint  prêt  à  partir  au  premier  signal. 

Les  hostilités  dont  il  assignait  le  commencement      Premiers 


«08  LIVHE  XWIV. 
(lu   I")  au  ;20  a\nl,  coininciuèTt'nt  un  peu  plus  tôt 

Avril  1809.  '  '  ' 

(piil  nr  1  ;i\ail  nu.  I/onlrc,  en  eliet,  elait  donné  eu 
mouvomcnts    \\h\\q   (jq  Bavière,  en  Bohème,  trouviir  la  cainnai^ne 

des  '  '  '  1     •  ' 

Aiiirichicnsen  <l(i  9  au  1 0  aM'il.  Lc  lieutenant  i^ènèral  lîellei^arile, 

Bohême  et  .  ....  -ni  i 

en  Haviorc.  <pH  coinmaudait  les  cin(piante  mille  Jujinmes  des- 
tinés à  déboucher  par  la  liolième,  passa  la  fionlière 
du  Ilaul-Palatinat  sur  deux  points,  Tirschenreit  et 
Wernherir.  Les  quatre  corps  des  lieutenants  f^éné- 
raux  Hohenzollcrn,  Rosenherg,  archiduc  Louis, 
Ililler,  et  les  deux  corps  de  réserve  Jean  de  Liech- 
tenstein et  Kienmaver,  formant  avec  l'artillerie  une 
masse  d'environ  1  40  mille  liommes ,  se  trouvaient 
le  r*"  avril  le  long  de  la  Traun,  et  le  9  avril  le 
long  de  rinn,  iVonlière  franco-bavaroise,  dont  la 
violation  allait  décider  la  guerre,  et  amener  Tune 

Signification    Jes  plus  saui^laules  cami)agnes  du  siècle.  Le  9  au 

de    1  archiduc         .  '  .  ..,,,, 

Charles  au  roi  SOU',  l'aichiduc  Cliarlcs,  qui  s'était  mis  a  la  tête  de 

de  Bavière,  ,  .  -'t-i         --ii' 

et  passage  SCS  ti'oupes,  et  qui  était  suivi  de  1  empereur,  venu 
à  Lintz  pour  être  plus  près  du  théâtre  de  la  guerre, 
envoya  l'un  de  ses  aides  de  camp  au  roi  de  Ba- 
vière, avec  une  lettre  annonçant  qu'il  avait  ordre 
de  se  porter  en  avant,  et  de  traiter  en  ennemies 
toutes  les  troupes  qui  lui  résisteraient.  Il  aimait, 
disait-il,  à  croire  qu'aucune  troupe  allemande  ne 
ferait  obstacle  à  l'armée  libératrice  qui  venait  dé- 
livrer rAllemagne  de  ses  oppresseurs.  Cette  lettre 
fut  la  seule  déclaration  de  guerre  adressée  à  la 
France  et  à  ses  alliés.  Pour  toute  réponse  le  roi  de 
Bavière  quitta  sa  capitale  afin  de  se  rendre  à  Augs- 
bourg,  et  les  troupes  bavaroises,  campées  sur 
risar,  à  Munich  et  Landshut,  eurent  ordre  de  ré- 
sister. Le  maréchal   Lefebvre  en   avait  déjà  pris 


le  l'Inn  le  10 
avril  1809. 


RATISBONNE.  409 

le  commandoment  pour  les  conduire  à  l'ennemi. 
Le  1 0  avril  au  matin  larmée  autrichienne  s'é- 
branla tout  entière  pour  franchir  Tlnn  et  conunen- 
cer  la  guerre.  Elle  ne  savait  pas  bien  exactement 
où  étaient  les  ï'rançais,  mais  elle  était  inlbrmée 
qu'il  y  en  avait  à  Ulm,  à  Augsbourg,  surtout  à 
Ratisbonne,  où  se  dirigeait  le  maréchal  Davout  ; 
elle  espérait  les  surprendre  dans  cet  état  de  dis- 
persion ,  atteindre  le  Danube  avant  leur  concentra- 
tion définitive,  le  passer  entre  Donauwerth  et  Ra- 
tisbonne, se  joindre  par  sa  droite  avec  le  corps  de 
Bellegarde,  et  envahir  victorieusement  le  Haut-Pa- 
latinat,  la  Souabe,  le  Wurtemberg.  Le  corps  de 
Hiller,  celui  de  l'arcliiduc  Louis,  le  deuxième  de 
réserve,  formant  une  masse  de  58  mille  hommes, 
et  ayant  le  prince  généralissime  à  leur  tête,  fran- 
chirent l'hin  à  Braunau  môme,  le  1 0  a^ril  au  matin. 
(Voir  la  carte  nM  4.)  Le  corps  de  Hohenzollern, 
fort  de  27  ou  28  mille  hommes,  le  passa  au  même 
instant  au-dessous  de  Mnhiheim.  Enfin  le  quatrième 
corps  avec  le  premier  de  réserve,  présentant  une 
masse  de  40  mille  hommes,  exécuta  son  passage 
à  Scharding,  assez  près  du  point  où  l'Inn  se  jette 
dans  le  Danube.  A  l'extrême  gauche  la  division  Jel- 
lachich,  d'environ  iO  mille  hommes,  après  avoir 
passé  la  Salza,  fut  dirigea  sur  Wasserbourg,  pour 
y  traverser  l'Inn  et  marcher  sur  Munich.  A  l'extrême 
droite  la  brigade  Vecsay,  qui  comptait  o  mille  hom- 
mes, et  se  composait  de  troupes  légères,  dut  lon- 
ger le  Danube  pour  éclairer  l'armée  sur  sa  droite  et 
occuper  Passau ,  place  importante  à  la  jonction  de 
l'Inn  et  du  Danube.  Sentant  l'importance  de  ce  point, 


Avril  1809. 


Avril  1809. 


lit)  I.IVHE   XWIV. 

Napoléon  iia\aiL  cessé  (ra(lii'>.sei'  aux  lia\aiois(lc 
pressantes  reconniiandations  pour  qu'on  mît  la  place 
lie  Passau  en  éUil  de  défense,  et  a%ait  môme  envoyé 
des  oOkiers  français  avec  les  fonds  nécessaires  à 
l'exécution  des  travaux.  .Aïais  rien  n'avait  été  fait  à 
temps,  et  le  commandant  bavarois  ne  put  que  se 
rendre  aux  Autrichiens,  (tétait  un  regrettable  point 
d"a|)|»ui  (juon  leur  avait  livré  par  négligence,  et 
dont  ils  pouvaient  tirer  plus  taid  un  ])arli  très-avan- 
tageux. 
Direction         L  luu  franchi,  les  Autrichiens  marchèrent  sur  trois 
.]uesujven    (.^Iqj^j^çj^  pour  se  rapprocher  de  llsar,  où  ils  «le- 
Autrichiens    yaignt,  rcucontrcr  les  troupes  bav  aroises  et  tirer  les 

après  ' 

le  passage  premiers  coups  de  fusil.  Quoi{}u"ils  se  fussent  ap- 
plicjués  à  rendre  leur  armée  plus  mobile,  ils  s'avan- 
cèrent lentement,  par  habitude  d'al)ord,  par  le 
mauvais  temps  ensuite,  et  enfin  par  reml)arras  de 
leurs  magasins.  Songeant  à  faire  la  guerre  d'inva- 
sion, et  ne  sachant  pas  vivre  partout  comme  les 
Français,  ils  avaient  imaginé  de  substituer  à  leurs 
immenses  dépots  de  demées  alimentaires  des  maga- 
sins ambulants,  qui  devaient  les  suivre  dans  leurs 
mouv  ements.  Ils  espéraient  de  la  sorte  pouvoir  imi- 
ter plus  facilement  les  concentrations  sul)ites  et  or- 
dinairement décisives  de  Napoléon.  A  ces  magasins 
s(;  joiguaieul  un  fort  bel  équipage  de  pont  et  un 
ijiuuens(i  matériel  daitillerie.  Ils  restèrent  donc  em- 
bourbés pendant  j)lusieurs  jours  entre  l'Inn  et  Tlsar, 
et  n'arrivèrent  que  le  15  devant  ce  dernier  fleuve. 
Jusque-là  ils  navaient  aperçu  (pie  des  patrouilles 
de  cavalerie  bavaroises,  qu'ils  avaient  afl'ecté  de  ne 
pas  attacjuer,  pour  ])rolonger  une  illusion  qui  leur 


Avril  isno. 


le  J6  avril. 


RATISBONNE.  Ilf 

plaisait,  et  qui  leur  persuadait  qu'ils  ne  rencontre- 
raient pas  d'hostilités  de  la  part  des  Allemands. 
L'archiduc  s'apprêta  à  passer  l'isar  devant  Landshul 
le  lendemain  16  (voir  la  carte  n°  46),  et  cette  fois 
il  ne  pouvait  plus  ni  se  faire  illusion,  ni  en  faire  à 
personne,  car  les  Bavarois  liordaient  le  fleuve  avec 
toutes  les  apparences  de  ii;ens  résolus  à  se  défendre. 

Il  changea  un  peu  la  disposition  de  ses  colonnes      Passage 

.    ,      .     ,  de  risar  dc- 

l)0ur  cette  opération  importante,  qui  était  la  pre-  vantLandshut 

mière  de  la  a;uerre ,  et  que  pour  ce  motif  il  fallait 

rendre  prompte  et  décisive.  Il  détacha  de  sa  gauche 

le  corps  de  Hiller  vers  Moosbourg,  afin  de  préserver 

l'opération  qui  allait  se  faire  devant  Landshut  de 

toute  opposition  du  côté  de  Munich.  Il  rapprocha 

du  corps  de  l'archiduc  Louis,  qui  restait  seul  par 

la  séparation  du  corps  de  Hiller,  celui  de  Hohen- 

zollern,  et  leur  prescrivit  à  tous  deux  de  forcer  le 

|)assage  de  l'Isar  devant  Landshut  même.  Il  plaça 

en  colonne  en  arrière  les  deux  corps  de  réserve. 

H  ordonna  au  corps  du  prince  de  Rosenberg,  qui 

tenait  la  droite,  de  passer  Tlsar  ^ers  Dingolfmg, 

point  où  l'on  n'avait  à  craindre  aucune  résistance, 

et  d'envoyer  ses  troupes  légères  à  Ebelsbach,  pour 

oter  à  l'ennemi  le  courage  de  tenir  à  Landshut  en 

voyant  l'Isar  passé  au-dessous.  Enfin  la  brigade 

Vecsay,   déjà  lancée  le  long  du  Danube,  devait 

pousser  ses  courses  jusqu'à   Straubing,  fort  près 

])ar  conséquent  de  Ratisbonne ,  afin  de  se  procurer 

des  nouvelles  des  Français. 

Le  16  au  matin,  l'archiduc  Charles,  dirigeant 
lui-même  le  corps  de  l'archiduc  Louis,  dont  le  gé- 
néral Radetzki  commandait  l'avant-garde,  s'avança 


112  LIVRE  \XXIV. 

sur  Luudsliiit  pour  \  franchullsar.  Quand  ou  vient 

Avril  t809.  ,  .       ,      i>       '  ".    -,  I 

par  la  roule  de  Braunau,  comme  c  était  le  cas  pour 
les  Autrichiens,  on  descend  par  des  coteaux  boisés 
sur  les  bords  de  Tlsar,  qui  traverse  la  jolie  ville 
de  Landshut,  et  se  répand  ensuite  dans  des  prairiev'i 
verdoyantes.  La  ville  est  moitié  sur  le  penchant 
des  coteaux,  moitié  sur  le  bord  du  fleuve,  qui,  en 
In  traversant ,  se  sépare  en  deux  bras.  La  division 
bavaroise  Deroy  occupait  Landshut,  et  avait  mis- 
Difcnsc      sion  de  ilisputer  le  passage.  Après  avoir  évacué  la 

de  l.anJshut         -ii       i         ,  ^    i       .       i  »•  •         i  i 

parla  division  Ville  liautc  ct  toute  la  partie  qui  est  sur  la  rive 


r>eroy!et'pàs-  ^^''0^^*^  ♦^'^i  fleuvc,  cUc  avait  coupé  le  pont  du  grand 
sage  de  Usa r  ^pas,  rempli  de  nombreux  tirailleurs  le  faubouri: 

par  les  '  .  ' 

Autrichiens,  dc  wScligcnthal ,  et  s'était  rangée  en  bataille  de  l'autre 
coté  des  prairies,  sur  les  hauteurs  boisées  dAltdorf, 
qui  font  face  à  celles  par  lesquelles  on  débouche 
sur  Landshut.  Le  général  Radelzki,  se  portant  de 
la  ville  haute  sur  le  bord  du  grand  bras  et  de\ant 
le  pont  coupé,  fut  accueilli  par  un  feu  très-vif  de 
tirailleurs,  auquel  il  répondit  par  celui  des  tirail- 
leurs du  réaiment  des  Gradiscans.  De  son  côté  lar- 
chiduc,  profilant  des  hauteurs  pour  faire  jouer  sa 
formidable  artillerie,  en  accabla  le  faubourg  de  Se- 
ligenlhai ,  situé  sur  Tautre  rive  de  Tlsar,  mil  en 
ruine  cette  partie  de  la  ville  de  Landshut,  et  la  ren- 
dit intenable  pour  les  Bavarois  qui  s'y  étaient  em- 
busqués. Il  fil  ensuite  rétablir  le  tahlier  du  {)onl 
sur  ses  appuis  encore  debout,  et  le  franchit  sans 
trouver  dc  résistance  dans  le  faubourg  évacué.  Vers 
midi  le  corps  de  l'archiduc  Louis  déboucha  avec 
une  nombreuse  cavalerie,  suivi  à  peu  de  distance 
du  corps  de  Hohenzollern,  et  vint  se  déployer  de- 


RATISBONNE.  413 

vant  la  division  bavaroise  Deroy,  qui  était  en  ba-  ■ 
taille  vis-à-vis,  sur  les  hauteurs  d'Altdorf.  Une  vive 
canonnade  s'engagea  entre  les  Autrichiens  et  les 
Bavarois;  mais  ceux-ci,  recevant  la  nouvelle  que 
risar  était  passé  au-dessus  vers  Moosbourg,  au- 
dessous  vers  Dingolfing,  se  retirèrent  en  bon  ordre, 
à  travers  les  bois,  par  la  chaussée  de  Landshut  à 
Neustadt  sur  le  Danube.  (Voir  la  carte  n°  46.)  On 
avait  perdu  de  part  et  d'autre  une  centaine  d'hom- 
mes. Les  Bavarois,  partagés  entre  deux  sentiments, 
le  déplaisir  de  se  battre  pour  des  Français  contre 
des  Allemands,  et  leur  vieille  jalousie  à  Tégard 
des  Autrichiens  qui  voulaient  leur  oter  le  Tyrol,  se 
conduisirent  néanmoins  très-bien.  Ils  se  replièrent 
sur  le  Danube,  dans  la  foret  de  Dùrnbach,  où  déjà 
s'étaient  retirées  la  division  du  prince  royal  venant 
de  Munich ,  et  la  division  du  général  de  Wrède  ve- 
nant de  Straubing.  Ils  étaient  là  près  des  Français, 
les  attendant  avec  une  extrême  impatience. 

L'archiduc  Charles  avait  franchi  l'Isar  à  Landshut 
avec  deux  corps,  ceux  de  l'archiduc  Louis  et  du 
prince  de  Hohenzollern.  Il  était  immédiatement  suivi 
de  ses  deux  corps  de  réserve,  Jean  de  Liechten- 
stein et  Kiemnayer.  Il  avait  de  plus  à  sa  gauche 
occupé  Moosbourg  avec  le  corps  du  général  Hiller. 
et  à  sa  droite  occupé  Dingolfing  avec  le  corps  de  Ro- 
senberg.  11  se  trouvait  donc  au  delà  de  l'Isar  a^e(• 
les  six  corps  d'armée  destinés  à  opérer  en  Ba\  ière, 
et  avec  une  masse  d'environ  I  40  mille  hommes.  Il 
n'avait  plus  que  quelques  pas  à  faire  pour  rencon- 
trer les  Français,  car  il  n'y  a  de  l'Isar  au  Danube 
qu'une  douzaine  de  lieues,  et  aucun  cours  d'eau 

TOM.  X.  8 


Avril  1W>. 


Avril  4809. 


441  LIVRE   XWIV. 

considéniMc.  Mais  poiu'  franchir  cos  (loiizo  lieues 
il  avait  à  traverser  de  petites  ri\irr('s.  telles  que 
TAheiis  à  eauchc,  la  t^rosse  et  la  petite  Laher  à 
droite,  (les  coteaux,  des  bois,  des  marais,  pays 
fourré,  obscur,  dillieilc  11  fallait  beaucoup  y  pen- 
ser a\ant  de  s'enirairer  dans  cette  réizion  dange- 
reuse, avec  la  chance  de  se  heurter  à  chaque  in- 
stant contre  larniée  française,  toujours  fort  re- 
doutable (juoique  n'ayant  pas  encore  Napoléon  à 
sa  tête.  A  gauche,  l'archiduc  Charles  avait  Augs- 
boiirg  et  l'Im,  à  droite  Ratisbonne.  Tout  ce  qu'il 
savait ,  c'est  qu'il  y  avait  des  Français  à  Augsbourg 
et  à  Ulm,  sans  pouvoir  dire  quels  et  combien,  et 
d'autres  Français  à  Ratisbonne,  ceux-ci  mieux  con- 
nus, car  c'était  le  corps  du  maréchal  Davout,  dont 
l'arrivée  dans  cette  direction  était  depuis  long-temps 
Projets  aiuuuicée.  Le  généralissime  autrichien  forma  le 
charies"^3prcs  Projet  de  s'avauccr  droit  devant  lui,  à  travers  le 
le  passaga     p^^j.  ^.^^•^  ^'éteud  de  l'Isar  au  Danube ,  et  d'aboutir  a 

(le  1  Isur.         1      V      T  7 

ce  dernier  fleuve  vers  Neusladt  et  Kelheim,  en  sui- 
vant la  double  chaussée  cpii  de  Landshut  conduit 
à  ces  deux  points.  (Voir  la  carte  n"  46.)  Arrivé  à 
Neustadt  et  Kelheim,  il  devait  se  trouver  entre  les 
deux  rassemblements  connus  des  Français,  celui 
d'Augsbourg  et  celui  de  Ratisbonne  :  il  pouvait  se 
rabattre  sur  ce  dernier  point,  accabler  le  maréchal 
Davout,  enlever  Ratisbonne,  et  donner  la  main  au 
général  Bellegarde.  Disposant  alors  de  près  de  200 
mille  honuues,  il  lui  devenait  facile  de  marcher  sur 
le  Rhin  à  travers  le  Wurtemberg,  en  balavant  de- 
vaut  lui  les  Français  surpris,  battus  avant  d'avoir 
pu  se  réunir.  Mais  il  fallait  franchir  ce  pays  près- 


Avril  ISOil. 


RATISBONNE.  415 

que  impénétrable,  avant  la  concentration  des  Fran- 
çais et  Tarrivée  de  Napoléon,  et  il  était  déjà  un  peu 
tard  pour  réaliser  ce  piojet  ambitieux,  Ibrt  ap- 
prouvable  du  reste,  s'il  était  aussi  bien  exécuté 
qu'il  était  bien  conçu. 

En  entiant  dans  cette  région,  Tarchiduc  Cliai-  Dinicuiiés 
les  trouvait  à  sa  gauche  l'iVliens,  courant  directe-  le^pays'^^entn. 
ment  vers  le  l)anui)e,  et  s'y  jetant  près  deNeustadt,  gt^aSônno 
après  avoir  traversé  Siegenbourg,  Bibourg,  Abens  • 
berg.  (Voir  la  carte  n"  46.)  A  droite  coulaient  en 
passant  sur  son  front  la  petite  et  la  grosse  Laber, 
qu'il  devait  franchir  vers  leur  source,  car  elles 
naissent  dans  les  environs  pour  aller  se  jeter  dans 
le  Danube.  Il  devait  s'avancer  ainsi  entre  l'Abens 
qu'il  côtoierait  par  sa  gauche,  et  les  deux  Laljer 
qu'il  franchirait  par  sa  droite,  marchant  à  travers 
des  bois,  des  marécages,  pour  aboutir  au  Danube 
par  deux  chaussées,  celle  de  Landshut  à  NeustadI, 
et  celle  de  Landshut  à  Kelheim.  S'il  ne  voulait  pas 
pousser  jusqu'à  Kelheim  et  Neustadt,  il  pouvait  se 
rendre  à  Ratisbonne  par  un  chemin  plus  court,  en 
prenant  à  droite  la  chaussée  dite  d'Eckmiihl ,  la- 
quelle après  avoir  franchi  le  lit  marécageux  de  la 
grosse  Laber  à  Eckmùhl  même,  s'élève  à  travers 
des  gorges  boisées,  puis  descend  dans  la  plaine  de 
Ratisbonne,  au  milieu  de  laquelle  on  voit  le  Danube 
se  déployer  et  changer  sa  direction,  car  on  sait 
qu'après  avoir  couru  depuis  sa  source  au  nord- 
est,  il  se  dirige  constamment  à  l'est  après  Ratisbonne. 

L'archiduc  Charles  résolut  de  suivre  le  17  les 
deux  chaussées  qui  de  Landshut  mènent  à  Neu- 
stadt et  à  Kelheim.  Il  assigna  au  général  liiller  la    Dispo^iticn.^ 

8. 


Avril  1800. 


116  LIVRE   XXXIV. 

mission  de  iiiarclier  du  Moosljoiiii^  à  Maiiihourg  sur 
lAbons,  pour  se  garder  contre  les  Français  qu'on 
dcniarthe     suvalt  c'tre  à  Aui^sboum,   tandis  que  la  division 

do    l'archiduc  *  '  / 

Charles       Jcllacliieli,  placée  plus  à  gauche,  viendrait  de  Mu- 

pour  s'avancer       •    i     •    , i  »  i      ii-ii         i       , 

do  iisar  UK'h  a  treisiui;;  joindre  ce  même  corps  de  Hiller  dont 
au  Danube.  ^^^  dépendait.  Un  peu  moins  à  gauche,  l'archiduc 
Louis  dut  s'avancer  par  la  chaussée  de  Neustadt, 
traverser  PfcfVenhausen,  et  côtoyer  également  lA- 
bens,  afin  de  veiller  sur  les  Bavarois  amoncelés 
dans  la  forêt  de  Diirnbach.  Au  centre,  et  en  sui- 
vant la  chaussée  de  Lansdhut  à  Kelheim  ])ar  Rot- 
tenbourg,  le  corps  de  Hohenzollern,  après  avoir 
passé  les  deux  Laber,  devait  se  diriger  sur  Kelheim 
suivi  des  deux  corps  de  réserve,  tandis  qu'à  droite 
le  corps  de  Rosenberg  et  la  brigade  Vecsay  essaye- 
raient, par  la  route  transversale  dEckmuhl,  une 
reconnaissance  sur  Ratisbonne. 

Ainsi,  avec  deux  corps  à  gauche,  trois  au  cen- 
tre, un  sixième  à  droite,  et  à  des  distances  de 
vingt  lieues,  l'archiduc  Charles  s'avança  de  i'Isar 
au  Danube,  à  travers  le  pays  accidenté  que  nous 
venons  de  décrire,  et  qui  est  compris  entre  les 
points  de  Landshut,  Neustadt,  Kelheim,  Ratis- 
bonne, Straubing.  Il  ordonna  au  lieutenant  géné- 
ral Bellegarde,  qui  avait  débouché  dans  le  Haut-Pa- 
latinat,  de  pousser  vivement  la  queue  du  maréchal 
Davout  sur  Ratisbonne,  afin  de  préparer  la  jone- 
tion  générale  de  toutes  les  forces  autrichiennes. 

L'archiduc  marcha  le  17  avec  mesure,  et  moins 
de  lenteur  que  de  coutume,  mais  encore  trop  len- 
tement pour  les  circonstances.  Il  s'achemina  sur 
Pfelfenhauscn  d'un  côté,  sur  Rotlenbourg  de  l'au- 


RATISBONNE.  \\1 

tre.  Le  mauvais  temps,  les  nuii^asins  ambulants 
qu'il  attendait,  son  grand  é(iuipagc  de  pont,  son 
matériel  (rartillerie,  traînés  sur  des  routes  défon- 
cées par  les  pluies,  expliquaient  cette  lenteur,  si 
elles  ne  la  justifiaient.  On  n'eut  alTaire  pendant  le 
trajet  qu'à  la  cavalerie  légère  bavaroise,  avec  la- 
quelle on  faisait  le  coup  de  sabre,  n'ayant  plus  à 
la  ménager  depuis  qu'à  Landshut  on  s'était  battu 
contre  les  Allemands  de  la  Confédération  du  Rhin. 
Le  i8,  l'archiduc  Charles,  toujours  mal  renseigné 
sur  sa  gauche,  ayant  appris  seulement  que  de  ce 
côté  il  V  avait  des  Bavarois  derrière  l' Abens ,  et  des 
Français  vers  Augsbourg,  mais  mieux  informé  sur 
sa  droite ,  où  il  savait  que  le  maréchal  Davout  ap- 
prochait de  Ratisbonne,  acquit  ainsi  la  conviction 
que  les  Français  étaient  divisés  en  deux  masses, 
et  se  confirma  dans  la  pensée  de  se  jeter  d'abord 
sur  le  maréchal  Davout,  Incertain  encore  s'il  irait 
droit  à  Kelheim  au  bord  du  Danube,  pour  descen- 
dre ensuite  le  long  de  ce  fleuve  vers  Ratisbonne, 
ou  s'il  irait  tout  de  suite  à  Ratisbonne  en  prenant 
la  route  transversale  d'Eckmiihl,  il  fit  un  pas  de 
plus,  les  corps  de  Hiller  et  de  l'archiduc  Louis 
formant  sa  gauche  le  long  de  l'Abens,  Hohenzol- 
lern  et  les  deux  corps  de  réserve  formant  son  cen- 
tre autour  de  Rohr,  Rosenberg  formant  sa  droite 
vers  Lancq\vaid,  sur  la  grosse  Laber,  enfin  la  bri- 
gade Vecsay  à  l'extrémité  de  sa  ligne  poussant  des 
reconnaissances  par  Eckmiihl  et  Egglofsheim  sur 
Ratisbonne.  Le  moment  des  événements  les  plus  dé- 
cisifs approchait ,  car  de  toutes  parts  l'archiduc  était 
entouré  de  Français  et  de  Bavarois,  dans  un  pays 


Avril  1809. 


118  LIVHE   \X\1V. 

d'une  obsniiitt»  pres(jiio  inipénétrahlo,  où  Ton  pou- 
Avril  1809.  .  .  '  '  ' 

vait  tout  a  coup  se  Iroiix  cr  face  à  face  avec  I  enuenii. 

Trois  ou  (piatre  C(mt  u»ille  houuues,  Autrichiens, 
Français,  liaxarois,  Wuilemberiieois,  Badois,  Hes- 
sois,  allaient  se  heurter  dans  cet  espace  resserré, 
se  heurter  cin(j  jours  de  suite,  avec  un  acharne- 
ment inouï,  ravantaiîc  devant  rester  non  pas  seu- 
lement au  plus  brave,  car  on  était  brave  de  part  et 
d'autre,  mais  à  celui  qui  saurait  le  mieux  se  diriger 
au  milieu  de  ce  chaos  de  bois,  de  marécages,  de 
coteaux  et  de  vallées! 
Situation  Taudis  que  les  Autrichiens,  ayant  ainsi  Tavance 

aîj^momenr    ^^^  ^®^  Français,   s'apprêtaient  à  les  surprendre, 
ip  rapproche  ccux-ci  heureusemeut  avec   leur  habitude  de   la 

des 

Aiiiiirhiens.  guerre,  avec  leur  assurance  dans  le  danger,  n'é- 
taient pas  gens  à  se  laisser  déconcerter,  même  avant 
détre  en  possession  de  tous  leurs  avantages.  Le 
champ  de  bataille  sur  lequel  ils  arrivaient  par  le  côté 
opposé,  leur  apparaissait  en  sens  contraire,  mais 
loul  aussi  confus.  A  notre  droite,  et  à  la  gauche  des 
Autrichiens,  le  maréchal  Masséna  concentré  surUlm 
avec  les  divisions  Boudet,  3Iolitor,  (^arra  Saint-Cyr, 
Legrand,^  marchait  sur  Augsbourg,  pour  y  rejoin- 
dre le  corps  d"Ou(hnot.  Le  maréchal  Masséna,  par 
ordre  du  major  général  Berthier,  avait  pris  le  com- 
mandement de  toutes  ces  troupes-,  qui  ne  s'élevaient 
guère  au  delà  de  55  à  60  mille  hommes,  les  ren- 
forts n'étant  point  arrivés.  A  vingt-cin({  lieues  de 
là,  vers  Ratisbonne,  par  conséquent  à  notre  gau- 
che et  à  la  droite  des  Autrichiens,  le  maréchal  Da- 
vout  débouchait  avec  l'armée  du  Rhin,  composée 
des  (.Uvisions  Morand  ,  Friant,  Gudin,  Saint-Hilaire, 


Avril  1809. 


RATISBONNE.  II'J 

des  cuirassiers  Saint-Sulpice,  de  la  cavalerie  lé- 
gère de  Monlbrun,  comptant  environ  50  mille  sol- 
dats, les  meillem's  de  l'armée,  La  grosse  cavalerie 
du  général  Espagne  et  celle  du  général  Nansouly 
l'avaient  déjà  quittée,  la  première  pour  joindre  le 
corps  d'Oudinot,  la  seconde  pour  venir  former  la 
réserve  de  cavalerie.  On  voit  que  la  distribution  en 
trois  corps  n'était  pas  encore  effectuée,  car  la  divi- 
sion Saint-Hilaire  aurait  dû  se  trouver  en  ce  mo- 
ment avec  le  général  Oudinot,  pour  compléter  le 
corps  du  maréchal  Lannes,  et  le  maréchal  Masséna 
n'aurait  dii  avoir  que  ses  quatre  divisions,  avec 
les  Hessois  et  les  Badois. 

Enfin ,  entre  ces  deux  masses ,  mais  plus  près  de 
Ratisbonne  que  d'Augsbourg,  vers  Kelheim  et  Neu- 
stadt,  se  trouvaient  les  Bavarois  couverts  par  TA- 
bens,  et  réfugiés  dans  la  foret  de  Diirnbach,  au 
nombre  de  27  mille  hommes.  Les  Wurtembergeois 
y  arrivaient  par  Ingolstadt  au  nombre  de  i  2  mille. 
C'était  donc  une  masse  dispersée  de  i  40  à  1 30  mille 
hommes,  dont  100  mille  Français,  et  environ  10  à 
50  mille  Allemands.  La  garde  impériale  n'était  pas 
encore  rendue  sur  les  lieux  :  les  renforts  présen- 
taient sur  les  routes  de  la  Souabe  et  de  Wurtem- 
berg de  longues  colonnes  d'hommes,  de  chevaux 
et  de  matériel. 

Le  major  général  Berthier  était  resté  long-temps 
à  Strasbourg  pour  veiller  à  l'organisation  de  l'ar-         ''" 

'-    '^  major  général 

mée ,  ne  croyant  pas  que  le  moment  fût  venu  de  la      Berthier 
faire  entrer  en  action.  Le  11  avril,  averti  à  Stras- 
bourg de  la  marche  des  Autrichiens  vers  l'Inn,  il 
était  parti  pour  se  rendre  sur  les  bords  du  Danube, 


Embarras 


en  arrivant 
sur 

es  lieux. 


Avril  t809. 


120  LIVIΠ XWIV. 

et  était  arrivô  le  13  au  matin  à  r.nifind,  lu  13  au 
soir  à  Doiiaiiworth.  En  route,  au  milieu  des  nou- 
\  elles  contradictoires  qu'il  recevait,  il  avait  donné 
des   ordres  souvent  contraires,  s'applirpiant  tou- 
jours à  ramener  les  événements  au  plan  de  Napo- 
léon, (pii   consistait,   comme  nous   Tavons  dit,   à 
réunir  d"al)ord  l'armée  sur  Ratisbonne  si  on  en  avait 
lo  temps,  ou  sur  Donauwerlh  si  les  hostilités  com- 
mençaient plus  tôt  qu'on  ne  l'avait  supposé.  Par- 
venu le  soir  à  Donauwerth,  le  major  i2:énéral  avait 
appris  que  le  maréchal  Davout  occupait  Ratisbonne, 
que  le  maréchal  Masséna   et  le   général  Oudinol 
étaient  à  Augsbourp;,  que  les  Autrichiens  avaient 
marché  lentement,  que  le  plan  de  Napoléon  par 
conséquent  était  toujours  exécutable,  et  alors  pla- 
çant sous  les  ordres  du  maréchal  Davout  tout  ce 
qui  était  autour  de  Ratisbonne,  sous  ceux  du  ma- 
réchal Masséna  tout  ce  qui  était  autour  d'Augs- 
bourg,  il  avait  cru  devoir  opérer  la  concentration 
de  l'armée  sur  Ratisbonne,  et  il  avait  ordonné  au 
ii;énéral  Oudinot  de  s'y  acheminer.  Mais  recevant 
tout  à  coup  le  1  4  une  dépêche  de  Paris,  dépêche 
fort  ambiguë,  dans  laquelle  Napoléon,  prévoyant  le 
mouvement  anticipé  des  Autrichiens,  lui  recom- 
mandait de  tout  réunir  à  Augsbourg,  en  laissant 
toutefois  le  maréchal  Davout  sur  Ratisbonne  avec 
une  partie  de  ses  forces ,  il  contremanda  le  mouve- 
ment prescrit  au  général  Oudinot,  et  il  demeura  en 
présence   de  l'ennemi  jusqu'au  17,  avec  l'armée 
partagée  en  deux  masses,  l'une  à  Ratisbonne,  l'au- 
tre à  Augsbourg,  les  Bavarois  entre  deux.  Dans 
l'intervalle  il  s'occupa  de  mettre  les  corps  en  ordre, 


RATISBONNE. 


421 


mais  n'osa  pas  prendre  un  parti  avant  Tarrivée  de 
l'Empereur  \ 

Heureusement  que  Napoléon  fut  averti  en  temps 
utile  de  ce  qui  se  passait ,  grâce  aux  moyens  de 
communication  qu'il  avait  préparés  à  l'avance.  Le 
12  au  soir,  en  effet,  il  avait  appris  le  passage  de 
rinn ,  était  monté  en  voiture  dans  la  nuit,  avait  sé- 
journé le  15  quelques  heures  à  Strasbourg,  le  1 G 
quelques  heures  à  Stuttgard ,  avait  vu  et  rassuré , 
chemin  faisant,  les  rois  allemands  ses  alliés,  et  était 
arrivé  le  17  au  matin  h  Donauwerth,  assez  à  temps 
pour  tout  réparer. 

Quoiqu'il  ne  lui  fut  pas  moins  difficile  qu'à  l'ar- 

'  Certains  historiens  ont  fort  maltraité  le  major  général  Bertliier 
pour  les  ordres  donnés  pendant  ces  quelques  jours.  J'ai  lu  ces  ordres 
avec  beaucoup  de  soin ,  je  les  ai  comparés  avec  ceux  de  Napoléon ,  jour 
par  jour  et  heure  par  heure,  et  je  n'ai  pu  reconnaître  la  justice  du 
blâme  adressé  au  niajot  général.  Parti  de  Paris  avec  la  confidence  du 
plan  de  ÎN'apoléon  qui  consistait  à  se  concentrer  sur  Ratisbonne,  il 
voulut  y  procéder  en  ordonnant  le  13  au  général  Oudinot  de  marcher 
sur  cette  ville;  mais  recevant  en  route  une  dépêche  télégraphique  de 
Napoléon,  qui  lui  ordonnait  de  tout  reployev  sur  le  Lech  et  sur  Augs- 
bourg,  en  cas  d'hostilités  prématurées,  et  de  laisser  dans  tous  les  cas 
le  maréchal  Davout  à  Ratisbonne,  il  resta  dans  cette  position  jusqu'à 
l'arrivée  de  l'Empereur.  Cela  prouve  une  seule  chose,  la  difficulté  de 
diriger  de  loin  les  opérations  militaires ,  car  de  près  Napoléon  aurait 
ordonné  à  Berthier  ce  qu'il  ordonna  lui-même  en  arrivant  sur  les 
lieux.  Mais  Berthier  pouvait-il  prendre  sur  lui  de  donner  l'ordre  si 
hardi  de  concentrer  l'armée,  par  un  double  mouvement  de  flanc  exé- 
cuté en  présence  de  l'ennemi?  On  ne  saurait  guère  l'imaginer.  Napo- 
léon lui-même,  simple  chef  d'état-major  au  lieu  d'être  commandant  en 
chef,  ne  l'aurait  probablement  pas  osé.  Tout  ce  qu'on  peut  dire  ici  de 
l'un  et  de  l'autre,  c'est  que  Berthier  avait  des  ordres  dont  il  n'osa  pas 
s'écarter,  et  que  Napoléon  était  trop  loin  pour  les  modifier  d'après  les 
faits  qui  étaient  survenus.  On  fut  surpris  par  les  événements ,  ce  qui 
était  la  faute  de  la  politique ,  bien  plus  que  de  la  direction  imprimée 
aux  opérations  militaires. 


Avril  1809. 


Heureuse 
et  soudaine 

arrivée 

de  Napoléon 

sur  le  théâtre 

de 

la  guerre. 


Ses  promptes 
détermina- 
tions 
au  premier 

aspect 
des  lieux. 


Avril  1809, 


122  I.IVRK   XWIV. 

flndiic  (lliailt's  lui-iucMiic  do  pénétrer  la  \éritc,  au 
ïuilioii  (le  beaucoup  de  rappoils  eoutradietoires,  et 
dans  un  pays  aussi  eouverl  que  celui  où  Ton  opé- 
rait, il  avait  appris  par  les  Bavarois  le  j)assage  des 
Autrichiens  à  Landsliut,  et  il  devina  avec  sa 
perspicacité  accoutumée  que  la  })rin(ipale  armée 
autrichienne  venait  donner  contre  le  Danube,  dans 
Tespérauce  de  passer  entre  les  Français  réunis  à 
Auiïsbourii  et  les  Français  réunis  à  Ratisbonne. 
Quelques  instants  lui  ayant  sutïi  pour  démêler  cette 
vérité ,  il  prit  sa  détermination  avec  une  incroyable 
|)rom})titude. 

Deux  plans  s'olVraient  en  ce  moment  à  lui.  S'il 
avait  pu  tout  savoir  très-exactement,  ce  qui  n'ar- 
rive jamais  à  la  guerre,  s'il  avait  pu  deviner  par 
exemple  que  Tarchiduc  allait  se  porter  sur  Ratis- 
bonne avec  plusieurs  corps  mal  liés  entre  eux,  il 
n'aurait  eu  qu'à  le  laisser  marcher  sur  Ratisbonne, 
où  le  maréchal  Davout  avec  50  mille  soldats  1  au- 
rait arrêté  pendant  tout  le  temps  nécessaire,  et  puis 
avec  la  masse  des  forces  réunies  autour  d'Augs- 
bourg,  avec  Oudinot,  Molitor,  Boudet ,  les  Bava- 
rois, les  Wurtembergeois,  c'est-à-dire  avec  90  raille 
combattants,  se  jeter  sur  les  derrières  du  généra- 
lissime autrichien,  le  mettre  entre  deux  feux,  et 
prendre  son  armée  jusqu'au  dernier  homme.  Tou- 
tefois c'eut  été  braver  bien  des  chances,  car  Napo- 
léon aurait  laissé  à  Farchiduc  l'avantage  de  la  po- 
sition concentrique,  ce  qui  était  contraire  aux  vrais 
principes  de  la  guerre,  (pi'il  avait  plus  qu'aucun 
Capitaine  professés,  illustrés  par  d'immortels  exem- 
ples. L'archiduc,  en  effet,  placé  entre  les  deux  masses 


RATISBON^E.  *t$ 

de  rarmée  française,  aurait  pu  les  l)atlre  lune 
après  TautrCy  et  leur  faire  essuyer  à  toutes  deux 
ce  que  Napoléon  fit  essuyer  tant  de  fois  à  tant 
(Vennemis  divers.  D'ailleurs,  pour  un  tel  plan,  il 
aurait  fallu  en  savoir  plus  que  n'en  savait  Napoléon 
sur  la  situation  des  choses ,  sur  l'état  moral  et  ma- 
tériel des  deux  armées  autrichienne  et  française, 
sur  ce  qu'on  pouvait  craindre  de  l'une,  attendre  de 
l'autre,  enfin  sur  la  marche  de  l'ennemi,  car  plus 
on  veut  être  hardi ,  plus  il  faut  connaître  à  qui  et 
à  quoi  on  a  affaire.  Aussi  après  avoir  pensé  un 
moment  à  ce  plan  ' ,  préféra-t-il  le  second,  qui  était 
le  plus  sûr,  c'était  de  profiter  du  temps  qui  lui  res- 
tait pour  concentrer  l'armée,  en  amenant  le  ma- 
réchal Davout  de  Ratisbonne  vers  Neustadt,  et  en 
amenant  d'Augsbourg  vers  le  même  point  le  maré- 
chal Masséna,  Alors  avec  1 40  à  1 50  mille  hommes 
dans  la  main.  Napoléon  était  certain  de  tout  acca- 
bler, quelles  que  fussent  les  chances,  car  il  n'y  en 
a  jamais  de  très-redoutables  pour  une  armée  bien 
concentrée ,  qui  peut  opposer  sa  masse  tout  entière 
de  quelque  côté  qu'on  l'aborde.  Il  préféra  donc, 
dans  l'ii^norance  où  il  était  de  toutes  choses,  l'ap- 
plication des  vrais  principes  aux  éventuaHtés  plus 
brillantes  qui  s'offraient  à  lui.  Mais  cette  sul)ite  con- 
centration devant  s'opérer  par  une  double  marche 
des  maréchaux  Davout  et  Masséna,  en  face  de  l'en- 
nemi, présentait  aussi  de  graves  dangers.  C'est  à 
les  surmonter  que  Napoléon  appliqua  tout  son  gé- 

'  Ce  fait  ressort  d'une  conversation  avec  le  duc  de  Rovigo ,  qui  la 
rapporte  sans  en  pouvoir  juger  la  portée,  ne  sachant  ni  les  événements 
qui  se  passaient,  ni  les  ordres  que  Napoléon  avait  donnés. 


Avril  1809. 


Avril  1809. 


Ordres 

dp  Napoléon 

au  maréchal 

Masséna. 


Ordres 
de  Napoléon 
au  maréchal 

Davout. 


<2i  LIVIIH   XXXIV. 

nie,  en  exécutant  Tune  des  plus  l)elles  opérations 
de  sa  longue  et  piodigieuse  carrière. 

Arrivé  le  17  à  Donauwerth,  sans  garde,  sans 
maison  militaire,  sans  chevaux,  sans  état-major, 
il  doiuia  immédiatement  ses  ordres,  prenant  pour 
les  transmettre  les  premiers  ofliciers  venus  qu'il 
lr()u\a  sous  sa  main  ,  car  le  major  général  Bertliier 
était  en  ce  moment  à  Augsbourg. 

Il  ordonna  d'abord  au  maréchal  Masséna  de  quit- 
ter Augsbourg  le  lendemain  matin  1 8,  pour  descen- 
dre par  la  route  de  PfafTenhofen  sur  l'Abens  dans 
le  flanc  gauche  des  Autrichiens,  se  réservant  en- 
suite de  diriger  la  marche  de  ce  maréchal  vers 
le  Danulje  ou  vers  l'Isar,  vers  Neustadt  ou  vers 
Landshut,  suivant  la  position  que  Tarmée  occupe- 
rait à  son  arrivée.  (Voir  la  carte  n°  46.)  Il  lui  en- 
joignit de  laisser  à  Augsbourg  un  bon  comman- 
dant, deux  régiments  allemands,  tous  les  hommes 
malingres  ou  fatigués,  des  vivres,  des  munitions, 
enfin  de  quoi  tenir  quinze  jours;  de  partir  en  se- 
mant le  bruit  d'une  marche  en  Tyrol,  et  puis  de 
descendre  vers  le  Danube  en  toute  hâte,  car  jamais, 
ajoutait  l'Empereur,  je  n'ai  eu  plus  besoin  de  votre 
dévouement.  La  dépèche  se  terminait  par  ces  mots  : 
Activité  et  vitesse.  Au  même  instant  il  ordonna  au 
maréchal  Davout  de  quitter  immédiatement  Ratis- 
bonne  en  y  laissant  un  régiment  pour  garder  cette 
ville ,  de  remonter  le  Danube  avec  son  corps  d'ar- 
mée, de  cheminer  avec  prudence  mais  avec  réso- 
lution entre  le  fleuve  et  la  masse  des  Autrichiens, 
et  de  venir  le  joindre  par  Abacli  et  Ober-Saal ,  aux 
cn^  irons  d'Abensberg,  par  où  l'Abens  se  jette  dans 


RATISBONNE.  -IgS 

le  Danube.  Le  maréchal  Da\  ont,  après  ce  qu'il  avait   

déjà  détaché  de  ses  troupes  pour  composer  les  autres 
corps,  pouvait  conserver  environ  cinquante  mille 
hommes,  heureusement  très-capables  de  se  battre 
contre  un  nondne  quelconque  d'Autrichiens.  En  les 
rapprochant  de  l'Abens  derrière  lequel  étaient  can- 
tonnés les  Bavarois,  et  où  Ton  venait  de  diriger  les 
Wurtembergeois,  les  cuirassiers  Nansouty  et  Espa- 
gne, la  division  Deraont  composée  des  quatrièmes 
bataillons  du  corps  de  Davout ,  le  grand  parc  d'ar- 
tillerie ,  Napoléon  allait  avoir  sous  sa  main  environ 
90  mille  hommes,  bien  sutïisants  pour  attendre  Mas- 
séna  qui  devait  arriver  avec  quarante  ou  cinquante 
mille.  Cette  dernière  réunion  opérée,  il  était  en 
mesure  de  détruire  la  grande  armée  autrichienne , 
quelque  position  qu'elle  eut  prise ,  quelque  man- 
œuvre qu'elle  eut  faite. 

Ces  dispositions  une  fois  arrêtées  et  communi- 
quées à  ceux  qui  devaient  les  exécuter.  Napoléon 
quitta  Donauwerth  pour  Ingolstadt ,  afin  de  se  rap- 
procher du  point  de  concentration  qu'il  venait  de 
choisir.  Ses  ordres  expédiés  à  l'instant  même  n'a- 
vaient pas  grand  chemin  à  faire  pour  parvenir  à 
Augsbourg,  et  Masséna  put  immédiatement  s'oc- 
cuper de  ses  préparatifs  dans  la  seconde  moitié  de 
la  même  journée,  afin  de  partir  le  lendemain  i  8  au 
matin.  Mais  la  distance  était  plus  que  double  de  Do- 
nauwerth à  Ratisbonne,  et  ce  n'est  que  fort  avant 
dans  la  soirée  que  le  maréchal  Davout  reçut  les 
ordres  qui  le  concernaient.  Ce  maréchal  était  dans      situation 

le  moment  aux  environs  de  Ratisbonne  avec  quatre    J;^  maréchal 

'■  _  Davout  lors- 

divisions  d'infanterie,  une  division  de  cuirassiers,     qu'il  reçoit 


12f>  I.IVHE  XXXIV. 
iiiH^  (Ii\isi(>n  de  caxalerie  lôiic-re,  le  tout,   coiimic 

A%ril4  809.  ,       ,        ,•  r      '  .     ■  '  • 

nous  venons  de  le  due ,  lorniant  a  peu  près  cin- 
les  ordres  .(ui  ,iu;nii(î  mille  lioinuies.  Les  iîénéraux  Nansoutv  et 
concernent.  EspaiTue  avec  la  irrosse  cavalerie  et  une  portion 
de  ca^ale^ie  léîzère ,  le  Lrenéial  Deniont  avec  les 
quatrièmes  bataillons  et  le  irrand  parc  avaient  pris 
la  tranche  du  Dauuhe. 

Pour  se  concentrer  autour  de  Halishonne ,  le 
maréchal  Davout  avait  eu  plus  d  une  dilliculté  a 
vaincre.  La  division  Friant ,  en  etlèt,  dans  son  tra- 
jet de  Bayreuth  à  Andjerg,  s'ét-ait  trouvée  un  in- 
stant aux  prises  avec  les  cinquante  mille  hommes 
du  lieulenanî-général  Belleirarde.  Elle  avait  brave- 
ment tenu  tète  à  lorage,  en  repoussant  énerjzique- 
ment  les  avant-gardes  des  Autrichiens;  et  tandis 
qu'elle  leur  résistait,  le  reste  du  corps,  précédé  de 
la  division  Saint-Hilaire,  s'était  écoulé  vers  Ratis- 
bonne,  le  loni?  de  la  Wils  et  de  la  Rei^en.  La  jour- 
née du  i7,  pendant  laquelle  Napoléon  avait  expé- 
dié ses  ordres,  avait  été  employée  tout  entière  à 
échanc;er  une  ^ive  canonnade  avec  les  Autrichiens 
sous  les  murs  mêmes  de  Ratisbonne,  pour  donner 
au  général  Friant  le  temps  de  rejoindre.  La  division 
Morand,  occupant  Stiidt-am-hof  au  delà  du  Danube, 
au  conlluent  de  la  Regen ,  les  avait  arrêtés  par  sa 
superbe  contenance,  et  leur  avait  rendu  force  bou- 
lets. Les  projectiles  lancés  des  hauteurs,  enfdaul 
les  rues  de  Ratisbonne,  nous  avaient  tué  quelques 
liouunes  parmi  les  troupes  qui  traversaient  la  ville 
pour  passer  le  Danube.  Un  obus  était  même  venu 
éclater  entre  les  jand)es  du  cheval  du  maréchal 
Davout,  luaul  ou  blessant  autour  de  lui  les  che- 


HATISBONNE.  427 

vaux  de  ses  aides  de  camp.  Les  vieux  soldats  des 

divisions  3ïoran(l,  Gudin  ,  Fiiant ,  Saint -llilaiic,  ^"■'' '*'^^- 
éprouvaient  au  plus  liaul  dei;ré  les  passions  de  Tar- 
Dîée  française,  et  ils  étaient  exaspérés.  Un  tirail- 
leur français  avait,  sous  les  yeux  mêmes  du  maré- 
chal, couru  sur  un  tirailleur  autrichien ,  et  après 
avoir  hravé  son  coup  de  feu  lui  avait  plongé  son 
sabre  dans  la  poitrine. 

Il  fallait  au  maréchal  Da\()ut  toute  la  journée  du 
I H  pour  achever  le  ralliement  de  la  division  Priant , 
pour  porter  la  totalité  de  ses  troupes  sur  la  droite 
du  Danube,  pendant  que  la  division  Morand,  con- 
tinuant de  rester  en  bataille  sous  les  murs  de  Ra- 
tisbonne,  contiendrait  les  Autrichiens  de  Bellegarde 
et  couvrirait  le  passage  du  fleure.  Les  divisions  Mouvements 
Saint-Hilaire  et  Gudin  passèrent  dans  cette  journée  DaloTu' Tira- 
de la  rive  gauche  sur  la  rive  droite  du  Danube,     ^ersiaviiie 

^  (le 

La  grosse  cavalerie  Saint -Sulpice  en  fit  autant,  et  Ratishonne. 
la  cavalerie  légère,  sous  le  brave  et  intelligent 
Montbrun,  exécuta  des  reconnaissances  dans  tous 
les  sens ,  sur  Straubing ,  sur  Eckmiihl ,  sur  Abach . 
pour  avoir  des  nouvelles  de  l'archiduc ,  car  le  ma- 
réchal Davout  se  trouvait  entre  les  cinquante  mille 
hommes  venus  de  Bohême ,  et  la  principale  masse 
autrichienne  venant  de  Landshut  par  Eckmiihl.  Ces 
reconnaissances  avaient  pour  objet  d'explorer  toutes 
les  routes  de  la  rive  droite,  par  lesquelles  le  ma- 
réchal Davout  se  proposait  de  remonter  le  Danube. 
Il  aurait  pu  sans  doute  le  remonter  par  la  rive 
gauche ,  sur  laquelle  les  Autrichiens  n'avaient  pas 
encore  pénétré,  et  qui  était  couverte  de  nos  dé- 
tachements et  de  nos  convois;  mais  les  chemins 


Avril  180y. 


Savantes 
dispositions 
du  maréchal 
Davout  pour 
la  marche 
qu'il  devait 
exécuterentre 

les 

Autrichiens  ot 

le  Danube, 


128  LIVRE  XXXIV. 

V  ('laionl  iinpraliLables,  et  ils  tonihiisaient  assez 
loin  (lu  point  de  conccniralion  désigné  par  Napo- 
léon ,  entre  01)er-Saal  cl  Abensberg.  Le  maréchal 
Davout  préféra  suiMc  la  ri\e  droite,  quoique  ex- 
posée à  Icnneini,  parce  que  les  communications  y 
étaient  pralical)les  cl  nicnaicnl  plus  directement  au 
liiil.  Il  savait  bien  (pie  larchiduc  allait  le  côtoyer 
pendant  cette  marche,  mais  il  avait  des  troupes  si 
fermes  qu'il  ne  craignait  pas  d'être  abordé,  encore 
moins  délre  jeté  au  Danube  ;  et  il  était  certain  que 
si  on  venait  se  heurter  contre  elles,  elles  rendraient 
choc  pour  choc,  et  n'en  rejoindraient  pas  moins 
l'Empereur  au  rendez-vous  indiqué. 

Il  fallait  prendre  à  revers  les  hauteurs  boisées 
qui  séparent  du  Danube  les  vallées  de  la  grosse 
et  de  la  petite  Laber,  les  francliir,  descendre  en 
\ue  des  Autrichiens  sur  la  pente  opposée,  ce  qui 
conduisait  sur  le  plateau  de  TAbens  à  Abensberg, 
où  Napoléon  s'efforçait  d'amener  les  parties  disper- 
sées de  son  armée.  (Voir  la  carte  n°  46.)  Diverses 
routes  s'offraient  pour  exécuter  ce  trajet.  A  droite 
du  maréclial  Davout  se  présentait  la  grande  chaussée 
de  Ratisbonne  à  Ingolstadt,  longeant  constamment 
le  bord  du  Danube,  et  aboutissant  par  Abach  et 
Ober-Saalà  Abensberg.  Elle  était  large  et  belle,  mais 
resserrée  entre  les  hauteurs  et  le  Danube.  Le  maré- 
chal Davout  aiu'ait  pu  la  suivre ,  mais  s'il  avait  été 
surpris  par  l'ennemi  dans  le  défdé  qu'elle  formait, 
il  eut  été  exposé  à  un  désastre.  Il  la  réserva  pour 
ses  bagages  et  ses  gros  charrois  d'artillerie ,  en 
la  faisant  garder  par  un  bataillon  d'infanterie  qui 
d'avance  était  allé  occuper  les  passages  principaux. 


RATISBONNE.  120 

A  gauche  se  présentait  la  chaussée  traus\ersale  de 
Uatisljonne  à  Landshut,  passant  la  grosse  Laber  à 
Eckmiilil.  C'était  encore  une  large  et  belle  route, 
mais  elle  doiuiait  en  plein  au  milieu  de  Tennemi.  Il 
n'eût  fallu  la  prendre  que  si  on  avait  désiré  une 
grande  bataille,  ce  qu'on  ne  voulait  pas,  puisqu'on 
n'avait  que  la  concentration  pour  but.  Le  maréchal 
Davout  y  envoya  son  avant- garde,  composée  de 
quatre  régiments  de  chasseurs  et  hussards,  de  deux 
bataillons  du  7*  léger,  commandés  par  le  général 
JMontbrun,  pour  observer  les  Autrichiens,  et  les 
occuper  pendant  la  marche  qu'on  allait  exécuter. 
Entre  ces  deux  grandes  chaussées ,  des  chemins  de 
village,  passant  d'un  revers  à  l'autre  des  hauteurs, 
furent  réservés  au  gros  de  l'armée.  Les  deux  divi- 
sions Friant  et  Gudin,  formant  une  première  co- 
lonne, précédées  et  suivies  par  les  cuirassiers 
Saint-Sulpice,  durent  marcher  par  Burg-^yeinting, 
Wolkering,  Saaihaupt,  Ober-Feking.  Les  deux  divi- 
sions Saint-Hilaire  et  Morand,  formant  une  seconde 
colonne,  précédées  et  suivies  par  les  chasseurs  de 
Jacquinot,  durent  marcher  par  Ober-Isling,  Ge- 
braching,  Peising,  Tengen,  Unter-Feking.  Ces  deux 
colonnes,  cheminant  ainsi  à  côté  l'une  de  l'autre, 
devaient  parvenir  sur  le  revers  des  hauteurs  qui 
séparent  la  grosse  Laber  du  Danube,  rejoindre  à  la 
sortie  du  défilé  d'Abach,  vers  Ober-Saal,  la  colonne 
des  bagages,  et  déboucher  vis-à-vis  d'Abensberg, 
près  des  Bavarois,  avec  chance  même  de  n'être  pas 
aperçues  des  Autrichiens,  tant  le  pays  était  boisé, 
montueux  et  obscur.  L'avant-garde,  engagée  sur  la 
grande  route  d'Eckmùhl  à  Landshut ,  exposée  par 

TOM.    X.  9 


Avril  I80i». 


Avril  «809. 


130  I.IVFΠ  X.WIV. 

conséquent  à  donner  de  Iront  sur  la  niasse  des 
Autrichiens,  qui  \enaient<le  Landshut ,  devait  s'a- 
vancer avec  prudence  et,  après  avoir  servi  de  ri- 
deau aux  deux  colonnes  (rinfanterie,  se  rabattre 
à  droite,  pour  rei:agner  le  point  de  rendez-vous 
assigné  à  tout  le  cor])s  darniée. 

Ces  dispositions  arrêtées  avec  autant  de  fermeté 
que  de  prudence,  le  maréchal  Davout  ordonna  hi 
marche  pour  le  19  avril  au  matin.  Dans  la  journée 
du  1 8  on  acheva  de  traverser  Ralishonne,  et  le  soir 
la  division  Friant  elle-même,  ayant  franchi  les  ponts 
de  cette  ville,  passa  la  nuit  avec  le  reste  de  l'ar- 
mée sur  la  rive  droite.  Le  maréchal  Davout  avait 
réservé  au  65^  de  ligne  le  rôle  périlleux  de  garder 
Ratisbonne  contre  les  armées  nombreuses  qui  al- 
laient l'attaquer  par  la  rive  gauche  et  par  la  rive 
droite.  Il  lui  avait  prescrit  de  fermer  les  portes, 
de  barricader  les  rues,  et  de  se  défendre  à  outrance 
jusqu'à  ce  qu'on  le  dégageât,  ce  qui  ne  pouvait 
inan(pier  d'arriver  bientôt. 
Le  rr.arédini  Lo  1 9  au  point  du  jour,  Ics  quatrc  colonnes  de 
dc^Raiilb^'n^  1  i*>'i"^'e  Commencèrent  la  marche  diÛicile  qui  leur 
le  19  avril     ^{^jj  ordounéc ,  les  bagages  à  droite  le  long  du  Da- 

au  matin.  7  o    o  es 

nube,  deux  colonnes  d'infanterie  au  centre  par  des 
chemins  de  village,  l'avant-garde  à  gauche  sur  la 
grande  route  de  Rati.<;bonne  à  Landshut  par  Eck- 
niiihl.  Les  Français,  partis  ainsi  de  grand  matin  ,  et 
traversant  des  coteaux  boisés,  n'aperçurent  d'abord 
aucun  ennemi.  Cependant  la  rencontre  ne  pouvait 
larder,  car  il  était  impossible  que,  manœuvrant  à 
trois  ou  quatre  lieues  les  uns  des  autres,  des  cen- 
taines de  mille  hommes  ne  finissent  point  par  se 


KATISBONNE. 


131 


joindre  et  par  se  battre. Dans  ce  moment,  en  eflel, 
rarchidiic  Charles,  ayant  passé  la  joiirncc  au  camp 
de  Rolir,  sur  le  plateau  qui  sépare  l'Ahens  de  la 
grosse  Laber,  au  revers  même  des  hauteurs  que 
les  Français  étaient  occupés  à  franchir,  avait  enliu 
arrêté  ses  résolutions.  Apprenant  à  chaque  pas, 
d'une  manière  toujours  plus  positive,  que  le  maré- 
chal Davout  était  à  Ratisbonne,  il  avait  pris  le  parti 
dV  marcher  le  19  en  faisant  les  dispositions  sui- 
\antes  :  le  général  Ililler,  formant  l'extrême  gau- 
che avec  son  corps  et  la  division  Jellachich,  avait 
ordre  de  venir  de  IMainbourg  sur  Siegenbourg  (voir 
la  carte  n"  40),  rejoindre  l'archiduc  Louis,  qui  avait 
été  laissé  devant  Abensberg  avec  son  corps  et  le 
deuxième  corps  de  réserv^e  pour  garder  l'Abens. 
L'archiduc  Charles,  suivi  du  corps  de  Hohenzol- 
lern,  moins  quelques  bataillons  placés  en  observa- 
tion à  Kirchdorf  sous  le  général  Thierry,  du  corps 
de  Rosenberg ,  du  premier  corps  de  réserve  et  de 
la  brigade  Yecsay,  ce  qui  présentait  une  masse  de 
70  mille  honmies,  devait  se  diriger  sur  Ratisl)onne, 
après  en  avoir  laissé  à  sa  gauche  sous  le  général 
Hitler  et  l'archiduc  Louis  plus  de  GO  mille.  Ainsi, 
tandis  que  Napoléon  faisait  les  plus  grands  efibrts 
pour  concentrer  son  armée ,  le  généralissime  autri- 
chien dispersait  la  sienne  de  3Iunich  à  Ratisbonne , 
sur  plus  de  trente  lieues. 

Il  se  mit  en  mouvement  le  i  9  au  matin,  en  même 
temps  que  le  maréchal  Davout,  et  dans  un  ordre  de 
marche  à  peu  près  semblable.  Deux  colonnes  d'in- 
fanterie, l'une  composée  du  corps  de  Hohenzollcrn, 
l'autre  du  corps  de  Rosenberg  et  des  grenadiers  de 

9. 


Avril  1809. 


Mouvement 
de  larcliiduc 
Charles  vers 
Ratisbonne, 
tandis  que 
le  maréchal 

Davout 
marche  vers 
Abensbers- 


Avril  IS09. 


I.$2  Liviu:  WXIV. 

la  résenc,  devaii'iit  (|uilk'r  le  caiii])  de  Rolir,  cl 
sa\anci'r  à  tra\(îrs  les  haulours  que  fraïuhissaieiil 
les  Français,  la  |)n'init're  ])ar  Gross-Miiss,  llauscii, 
Ton.iion ,  la  seconde  par  Lancqwaid,  Sclineidart, 
Saaihanpt.  La  l)riiïade  Vecsay,  une  brigade  em- 
pruntée à  rarcliiduc  Louis,  la  cavalerie  légère,  la 
grosse  cavalerie  détachée  de  la  réserve,  devaient, 
par  la  route  de  Landshut  à  Ratisbonne,  c'est-à- 
dire  parEckniiilil,  marclier  sur  Ratisbonne,  et  pro- 
bablement avoir  allaire  à  ra\ant-garde  du  général 
Montbrun. 

Nous  étions  partis  dès  la  pointe  du  jour.  De  nos 
{juatre  colonnes,  celle  des  bagages  sui\ant  le  bord 
du  Danube,  abritée  par  les  hauteurs  et  la  masse  de 
nos  divisions  dinfanterie,  ne  pouvait  rencontrer 
aucun  ennemi.  Les  deux  colonnes  d'infanterie, 
Tune  à  gauche  composée  de  Gudin  et  de  Friant, 
l'autre  à  droite  composée  de  ^lorand  et  de  Saint- 
Hilaire,  toutes  deux  précédées  et  suivies  de  la  ca- 
\alerie,  cheminèrent  assez  long-temps  sans  rien 
découvrir.  \  neuf  heures  du  malin,  la  tète  des 
deux  colonnes  franchit  les  hauteurs,  descendit  sur 
leur  revers,  et  entrevit  à  peine  quelques  tirailleurs 
autrichiens.  La  division  Gudin,  (jui  formait  la  této 
de  notre  colonne  de  gauche,  et  qui  avait  répandu 
au  loin  les  tirailleurs  du  7*  léger,  fut  seule  aux 
prises  avec  les  tirailleurs  autrichiens  du  prince  do 
Rosenberg.  On  se  disputa  le  village  de  Schneidart 
assez  Ni\ement.  Mais  nos  troupes,  ayant  ordre  de 
marcher,  ne  sarrétèrenl  point,  et,  tandis  que  les 
diJi^onriû-  tirailleurs  du  7^  léger  s'obstinaient  à  faire  le  coup 
randei  Gudin  jg  fp^j  ^  Morand  et  Gudin,  qui  formaient  avec  une 


|{A  TISBONNE. 


i:i:} 


portion  de  cavalerie  la  tète  des  deux  colonnes,  (1(>- 
(ilèrent,  par  ordre  du  maréchal  Davoul,  accouru 
au  galop  pour  accélérer  la  marche  de  ses  troupes. 
Ces  divisions  se  liàlèrent  de  c;a2;ner  Ober-Fekini;  et 
Unter-Feking,  ce  qui  devait  les  réunir  à  la  colonne 
des  bagages  sortie  du  défdé  d'Ahach,  très-près  du 
rendez-vous  général  assigné  à  Tannée.  Les  tirail- 
leurs du  7'' suivirent  Gudin  après  s'être  vaillamment 
battus,  et  cédèrent  Schneidart  aux  Autrichiens,  fini 
crurent  l'avoir  conquis  '.  Mais  les  Autrichiens  con- 
tinuant à  s'avancer,  les  divisions  Saint-IIilaire  et 
Frianl,  qui  formaient  la  queue  de  nos  deux  co- 
lonnes d'infanterie,  ne  pouvaient  manquer  de  les 
rencontrer.  Tandis  que  le  corps  de  Rosenberg,  après 
avoir  eu  aflaire  au  1"  léger,  traversait  Schneidart 
et  se  portait  sur  Dinzling,  le  corps  de  Hohenzol- 
lem  s'approchait  de  Hausen  que  les  dernières  com- 
pagnies du  7*  léger  venaient  d'évacuer,  y  entrait, 
et  allait  occuper  une  masse  de  bois  qui  se  dessinait 
en  fer  à  cheval  vis-à-vis  de  Tengen.  (Voir  la  carte 
n»  47.) 

Dans  ce  moment,  le  général  Saint-PIilaire  tra- 
versant Tengen  avec  sa  division,  aperçut  vis-à-vis 
de  lui,  à  la  lisière  des  bois,  les  masses  autrichien- 
nes de  Hohenzollern,  précédées  d'une  nuée  de  ti- 
railleurs. Le  10''  léger  ayant  replié  les  tirailleurs 
ennemis,  le  maréchal  Davout,  qui  se  trouvait  dans 
linstant  près  du  général  Saint-Hilaire ,  dirigea  le 
3"  de  ligne  à  droite,  le  57'  à  gauche,  pour  enlever 


Avril  l«(m. 

exécutent 
leur  trnj'-l 

sans 

rencontrer 

l'ennemi. 


Combat 

de  TengiM 

entre  le  cor()> 

de 
Holienzollern 

el 

les  divisions 

Siint-Hilairc 

et  Priant. 


'  C'est  ainsi  que  le  raconte  le  général  Stuttcrlicim  dans  son  excel- 
lent récit  lie  la  campagne  de  1809. 11  semble  croire  que  Schneidart  nous 
fut  enlevé. 


Avril  1809. 


134  LIVU1-:   WXIV. 

ces  hauleurs  boiscos  (|iii  «IccriN aient  devant  lui  un 
demi-cercle,  au  centre  du(juel  se  \ oyait  la  fcruie 
de  UoitI».  Le  ir  s"a\an(^'a  rapidement,  en  cliariicant 
ses  armes  sous  le  feu.  Mais  ayant  atta(iué  avec  trop 
de  précipitation,  et  avant  d'avoir  eu  le  temps  de 
se  former,  il  ne  réussit  point,  et  fut  obligé  sous 
une  pluie  de  mitraille  et  de  balles  d'opérer  un 
mouvement  rétroi^nade.  Sur  ces  entrefaites,  le  57"^ 
ayant  formé  ses  colonnes  d'attaque,  vint  se  met- 
tre à  la  ijçauclie  du  3%  et  repoussa  l'ennemi  des 
mamelons  qu'il  occupait  en  avant  des  bois.  Le  3% 
bientôt  ramené  en  ligne,  appuya  ce  mouvement,  et 
ces  deux  régiments  parvinrent  ainsi  à  refouler  les 
Autrichiens  dans  les  bois ,  et  à  s'établir  solidement 
sur  le  terrain  disputé.  Pendant  ce  temps,  les  trois 
autres  régiments  de  la  division,  les  10%  72"  et  lOo" 
étaient  rangés  à  droite,  à  gauche,  en  arrière  de 
Tengen,  prêts  à  soutenir  les  deux  premiers.  Mal- 
heureusement l'artillerie,  à  cause  des  mauvais  che- 
mins ,  était  en  retard ,  et  on  n'avait  que  6  pièces  à 
opposer  à  la  masse  de  l'artillerie  ennemie.  Le  maré- 
chal DavoutL  voyant  le  combat  bien  établi  sur  ce 
point,  courut  aux  divisions  Gudin  et  Morand,  qui 
avaient  déjà  défilé,  pour  s'assurer  qu'elles  étaient 
parvenues  sans  accident  à  Untcr  et  Ober-Feking, 


'  J'ai  eu  souvent  lieaucoup  de  peine  pour  déniôler  la  vérité  entre  les 
assertions  contradirloires  dos  témoins  ([ui  rapiiortcnt  les  événements 
inililaircs  ;  je  n'en  ai  jamais  eu  autant  «lu'en  cette  occasion,  et  notam- 
ment pour  le  combat  de  Tengen.  Nous  avons  le  récit  sage,  clair,  mo- 
deste ilu  général  Stuttcrlieini ,  et  en  outre  beaucoup  de  relations  alle- 
mandes. Nous  avons,  du  coté  des  Français,  le  général  Pelct  et  les 
relations  manuscrites  des  généraux  Saint-Hilaire,  Friant,  Montbrun, 
et  ce  qui  vaut  mieux,  un  récit  du  marécbal  Davout  lui-même.  Toutes 


RATISBONNE.  135 

pour  les  placer  à  sou  extrême  droite,  et  empêcher 
ainsi  que  Tennemi,  dont  il  ignorait  la  position,  ne 
vînt  par  cette  extrême  droite  percer  jusqu'au  Da- 
nube. 

A  l'extrémité  opposée,  c'est-à-dire  à  gauche,  le 
général  Priant,  ralenti  dans  sa  marche  par  les 
mauvais  chemins,  avait  à  son  tour  débouché  sur 
Saalhaupt  entre  midi  et  une  heure,  et  entendant 
un  feu  violent  vers  Tengen ,  s'était  hâté  de  venir 
prendre  position  à  la  gauche  de  la  division  Saint- 
Hilaire,  dans  l'intention  de  la  soutenir.  Il  fit  avancer 
le  15^  léger  et  le  48^  de  ligne  sous  les  ordres  du 
général  Gilly ,  pour  pénétrer  dans  les  bois ,  et  dé- 
gager le  flanc  de  la  division  Sainl-Hilaire.  Il  plaça 
dans  la  plaine ,  entre  Saalhaupt  et  Tengen ,  la 
deuxième  brigade  des  cuirassiers  Saint-Sulpice , 
avec  les  33%  1 08"  et  1 1 1%  pour  garantir  l'extrémité 
de  sa  ligne.  Le  général  Pire,  qui  commandait  un 
régiment  de  cavalerie  légère ,  fut  chargé  de  lier  la 
division  avec  l'avant-garde  du  général  Monthriin 
vers  Dinzliug. 

A  peine  à  portée  du  feu,  le  général  Gilly  voulut 
faire  évacuer  les  bois  à  la  gauche  de  la  division 
Saint-Hilaire.  Le  chef  de  bataillon  Sarraire  y  péné- 
tra avec  quatre  compagnies  du  i  5%  et  en  délogea 

ces  relations  se  coatiedisent,  quant  aux  lieux,  aux  heures,  et  aux  corps 
engagés.  Après  les  avoir  lues  et  relues  jusqu'à  cinq  et  six  fois  chacune, 
je  suis  parvenu  à  établir  les  laits  tels  que  je  les  rapporte,  et  je  crois  le 
récit  que  j'en  donne  aussi  rapproché  de  la  vérité  que  possible.  Ce  dont 
je  suis  certain,  c'est  d'avoir  conservé  à  révénemcnt  son  vrai  caractère, 
et  c'est  ce  qui  importe  surtout  en  histoire.  Les  notes  que  j'ai  réunies  à 
cet  égard  composeraient  à  elles  seules  un  mémoire  comme  ceux  qu'on 
rédige  pour  l'Académie  des  inscriptions. 


AvriM809. 


Avril  1800. 


\Mi  \.\\\\V    \\\IV. 

les  Aiilricliicns.  I.c  1")'  et  le  48*"  prirent  ainsi  po- 
sition sur  le  llitnc  de  lii  dixision  Sainl-llilaire,  et 
on  fit  sortir  des  réirinicnls  toutes  les  compagnies 
de  voltigeurs,  (pii  se  jnirent  à  échanger  avec  les 
tiraillems  autrichiens  nn  feu  épou\antal)lc. 

Tandis  (pie  ces  mouvements  sojjéraient  sur  les 
ailes  de  la  division  Saint-lfilaire,  le  com])at  sur  le 
front  de  la  division  elle-même  avait  plusieurs  fois 
changé  de  face.  Le  ^3"  à  droite,  le  57''  à  gauche  du 
fer  à  cheval,  au  fond  ducpiel  on  ^ oyait  la  ferme  de 
Roith,  avaient  perdu  beaucoup  de  monde,  et  épuisé 
leurs  munitions,  qu'il  n'était  pas  facile  de  renou- 
veler, les  transports  de  l'artillerie  n'étant  pas  encore 
arrivés.  Le  général  Saint-Hilaire  fit  remplacer  en 
ligne  le  33'  par  le  72%  le  57-^  par  le  4  05%  et  le 
feu  recommença  dès  lors  avec  une  extrême  vio- 
lence. Le  prince  de  Hohenzollern  porta  en  avant 
les  régiments  de  Manfredini  et  de  Wurzbourg, 
conduits  par  le  prince  Louis  de  Liechtenstein.  Ces 
régiments  firent,  povu'  déboucher  par  les  extré- 
mités du  fer  à  cheval  dont  les  Français  occupaient 
le  milieu,  des  efforts  inouïs.  Tous  les  chefs  furent 
blessés  dans  ces  tentatives.  Le  maréchal  Davout, 
revenu  à  la  di\ision  Saint-Hilaire,  s'était  placé  au 
centre  avec  nn  bataillon  du  33%  et  se  jetait  sur 
tout  ce  qui  essayait  de  déboucher  par  les  extrémi- 
tés, ramassant  des  prisonniers  à  chaque  nouvelle 
pointe  des  Autiichiens. 

Les  généraux  ennemis  voulurent  alors  faire  un 
effort  sur  la  gauche  de  Saint-Ililaire,  vers  le  point 
de  jonction  avec  la  division  Friant.  Le  prince  Louis 
de  Liechtenstein  se  mettant  à  la  tête  du  réii;iment  de 


RATISBONNE.  13T 

Wurzboiirg,  et  saisissant  iiu  drapeau,  déhoucha 
en  colonne,  marchant  droit  aux  Français.  Le  û;é- 
néral  Gillv  avec  les  grenadiers  du  15"  et  un  ha- 
taillon  du  1  !  1  "  se  porta  à  la  rencontre  du  prince. 
Louis,  l'attaqua  à  la  baïonnette,  et  le  repoussa.  Le 
prince  Louis  de  Liechtenstein  revint  à  la  charge , 
reçut  plusieurs  coups  de  feu ,  et  fut  mis  liors  de 
combat.  Les  Autrichiens  furent  ramenés.  Sur  le  front 
de  la  division  Saint-Hilaire  le  prince  Holienzollern 
essaya  un  nouvel  ertbrt  ;  mais  notre  artillerie,  ar- 
rivée en  ce  moment ,  accal^la  les  Autrichiens  de 
mitraille  et  parvint  à  les  contenir.  Le  1 0*  léger,  char- 
geant alors  à  la  baïonnette ,  pénétra  dans  les  hois 
qui  se  dessinaient  en  cercle  devant  nous,  poussa 
les  Autrichiens  sur  Hausen,  et  les  obligea  à  s'y  re- 
plier. Notre  ligne  tout  entière  appuya  ce  mouve- 
ment ,  et  les  Autrichiens  allaient  être  jetés  sur  Hau- 
sen quand  le  prince  ^laurice  de  Liechtenstein,  à  la 
tête  du  régiment  de  Kaunilz ,  arrêta  la  poursuite 
furieuse  des  Français.  Ce  prince  fut  l)lessé  en  sau- 
vant son  corps  d'armée. 

La  journée  tendait  vers  sa  fin ,  et  au  milieu  de 
la  confusion  de  cette  rencontre,  les  Français  pas 
plus  que  les  Autrichiens  ne  voulaient  s'engager  tout 
à  fait.  Le  maréchal  Davout,  à  qui  il  suflisait  d'avoir 
accompli  sa  mission  en  gagnant  sain  et  sauf  les 
environs  d'Abensberg,  et  qui  avait  déjà  sa  droite, 
formée  par  les  divisions  Gudin  et  Morand,  arrivée 
au  rendez-vous,  et  sa  gauche,  formée  par  Sainl-Hi- 
laire  et  Friant,  maîtresse  du  champ  de  bataille  de 
Tengen,  se  contenta  d'y  coucher  en  vainqueur,  at- 
tendant pour  les  mouvements  ultérieurs  les  ordres 


Avril  180Î). 


138 


I.IVHE   XWIV. 


Avril  I80'J. 


l'ertes 

rccipro(|ucs 
au  combat 
de  Tcngen. 


lie  Napoléon,  l'ailotil  sa  maiclic  sciait  opciée  avec 
siiccùs;  car  le  brave  Montbriin,  rencontrant  le  corps 
de  Rosenbcrg,  lui  avait  résisté  vaillamment,  et  se 
repliait  à  la  fin  du  jour  sur  le  corps  darmce  sans 
avoir  essuyé  déchec. 

De  son  coté  l'archiduc  Charles,  spectateur  de  ce 
combat,  était  resté  immobile  sur  les  hauteurs  de 
Grub  avec  douze  bataillons  de  grenadiers,  lesquels 
ap[)artenaient  au  premier  corps  de  réserve.  Voyant 
un  combat  à  sa  gauche  avec  Hohenzollern ,  à  sa 
droite  avec  Rosenberg,  il  avait  craint  davoir  de- 
vant lui  la  principale  masse  des  Français,  et  voulant 
rallier  toutes  ses  troupes  avant  d'engager  une  ba- 
taille générale,  il  avait  laissé  battre  sans  le  secou- 
rir le  corps  de  Hohenzollern.  Son  intention  était 
de  recommencer  la  lutte  le  lendemain,  après  avon* 
amené  à  lui  l'archiduc  Louis  posté  devant  l'Abens, 
et  fait  prendre  au  général  lliller  la  position  que 
laisserait  \acante  rarchiduc  Louis. 

Cette  journée  avait  été  fort  sanglante,  car  on  s'é- 
tait battu  non-seulement  à  Dinzling  entre  Montbrun 
et  Rosenberg,  à  Tengen  entre  Saint-llilaire,  triant 
et  lIoh(;nzollern,  mais  entre  les  postes  intermé- 
diaires laissés  par  les  Autrichiens  et  les  Français  pour 
lier  les  deux  extrémités  de  leur  ligne.  Nous  avions 
perdu  200  hommes  àl'avant-garde  du  général  3Iont- 
brun,  300  à  la  division  Friant,  1,700  à  la  division 
Saint-Hilaire,  quelques  hommes  seulement  à  la 
division  Morand,  une  ou  deux  centaines  de  cava- 
liers du  coté  des  Bavarois,  en  tout  2,500  hommes. 
Les  Autrichiens  en  avaient  per<lu  300  à  Dinzling, 
environ    i-,.'>00   à  Tengen,   (jnelques   centaines   à 


UATISBONNE. 


13!) 


BiK'li  et  Ariiliolon,  on  tout  près  do  G  iiiillo'.  IJi 
nombre  considérable  de  leurs  soldats  s'étaient  dis- 
persés. Le  résultat  général,  pour  la  position  dos 
deux  armées,  était  bien  autrement  important,  car 
le  maréchal  Davout,  ([ii'on  aurait  pu  arrêter  dans 
sa  marche  de  Ratisbonne  vers  Abonsberg,  et  peut- 
être  jeter  dans  le  Danul)e,  s'était  heureusement 
glissé  entre  le  fleuve  et  la  masse  des  Autrichiens, 
avait  rejoint  par  sa  droite  les  environs  d'Abensloerg, 
et  heurté  victorieusement  par  sa  gauche  le  centre 
des  Autrichiens.  Larchiduc  Charles,  s'il  avait  mar- 
ché en  masse  plus  serrée,  s'il  avait  moins  hésité, 
par  crainte  des  lieux  et  de  Napoléon,  aurait  pu,  en 
portant  sa  réserve  de  grenadiers  sur  Friant  et  Sainl- 
Hilaire,  les  accabler,  ou  du  moins,  leur  fermeté 
rendant  un  tel  succès  diflicile,  leur  causer  un  gra\  e 
échec.  Mais  il  vit  uniquement  dans  toute  cette  mê- 
lée des  raisons  d'attendre  que  les  choses  se  fussent 
édaircies,  et  que  sa  gauche  se  fut  rapprochée  de  lui. 


Avril  1809. 

Résulints 

du  combat 

de  TeriL'cn  par 

rapport 

à    hi    position 

des  deux 

armées. 


'  Ici  encore  je  renouvelle  l'avertissement  que  ces  chiffres  ne  peuvent 
être  qu'approximatifs.  Les  bulletins,  et  les  historiens  qui  ont  copié 
ces  bulletins,  parlent  avec  une  assurance  singulière  de  chiffres  bien 
autrement  élevés,  mais  je  les  crois  tous  inexacts.  J'ai  pour  les  divi- 
sions Friant  et  Saint-Hilairc  un  état  authentique  des  pertes.  Quant 
aux  Autrichiens,  les  chiffres  donnés  par  le  général  Stutterheini  sont 
démentis  par  les  pertes  totales  avouées  à  la  fin  des  opérations  qui  di- 
rent lieu  autour  de  Ratisbonne.  C'est  après  de  nombreuses  comparai- 
sons que  je  suis  arrivé  à  déterminer  les  nombres  que  je  présente  ici, 
et  je  les  crois  aussi  rapprochés  que  possible  de  la  vérité.  Je  ne  re- 
viendrai plus  sur  un  tel  avertissement,  qui  devra  servir  pour  toute 
la  suite  de  cette  histoire.  Je  me  borne  à  répéter  que  dans  les  récifs 
de  guerre,  surtout  quand  il  s'agit  des  nombres,  on  ne  i)eut  jamais 
obtenir  que  la  vérité  approximative,  et  que  je  n'ai  pas  la  prétention 
d'en  donner  une  autre.  Mais  j'ajoute  que  je  n'ai  rien  négligé  pour  ra- 
mener le  plu5  possible  celte  vérité  approximative  à  la  vérité  absolue. 


lirt  LIVHK   XXXIV. 

7 Napoléon  usa  aiiliTiiiont  dos  a\  antaiïes  o])tenus 

par  lo  liiarôchal  I)a\oiit.  Descendu  dlni^olstadt  à 

Vohhoiiriî  pendant   la  nuit  du    19  au  20  (voir  la 

Anivôe       carte  n°  46),  il  api)rit  les  évcnenionts  de  la  journée, 

lie  Nupok-un  '  •    ,     .      ,  ,     -,  ^     .  ,'  , 

sur  le  plateau  cl,  montant  aussitot  a  cheval,  il  courut  a  AI)ensberc: 

ou  vieumnt    pour  uuro  Ctt  pcrsonno  la  reconnaissance  des  lieux. 

tie  debouciHi    d^  \y^x\\\  111(4110  de  co  iilatcau  où  il  avait  appelé  les 

les  troupes  l  J  i 

.In  ir.amh.ii    |i()ui)(>s  (lu  inaréclud  Davont ,  il  reconnut  ciue  les 
iKivom.  '  1     V         1 

Autrichiens  n'avaient  qu'une  cliauic  de  postes  pen 

nombreux,  mal  disposés,  pour  nnir  les  masses  qui 
avaient  combattu  à  Tengen  avec  celles  qui  étaient 
répandues  le  long  de  TAbens.  Il  ne  savait  pas  pré- 
cisément où  se  trouvait  l'archiduc  Charles  avec  son 
corps  d'armée  principal,  s'il  était  devant  Tengen 
contre  les  divisions  Saint-Hilaire  et  Priant,  ou  le 
long  de  l'Aliens  devant  les  Bavarois  :  mais  il  voyait 
clairement  que  le  généralissime  avait  singulière- 
ment étendu  sa  ligne,  et,  profitant  des  avantages 
de  la  concentration  qui  commençaient  à  être  de 
son  côté  depuis  riieuiciix  mouvement  du  maréchal 
Davout,  il  sonc;ea  à  faire  essuver  aux  Autrichiens 
les  consé((iiences  de  la  dispersion  auxquelles  ils 
s'étaient  imprudemment  exposés.  Il  arrêta  donc 
uispositions    sur-lc-cliamp  les  dispositions  sui^antes.  Il  prit  mo- 

orJonnées  ,  -    i      i    i-i  •        i 

par  Napoléon  mentancinent  au  maréchal  Davout  une  partie  de 

"  ^po'if'^'^^    son  corps,  et  lui  laissant  les  di\isions  victorieuses 

la  jou-iicc     (le  Saint-Hilaire  et  Friant,  avec  les  troupes  légères 

du  20.  '■  *-" 

de  .Montbrun  (en  tout  24  mille  hommes),  il  s'em- 
para des  divisions  Morau<l  et  Giidin  bivouaquées 
entre  l  nter  et  Ober-Feking,  des  cuirassiers  Saint- 
Sulpice,  des  chasseurs  de  Jactiuinot,  pour  les  placer 
leni[)orairement  sous  les  ordres  du  maréchal  Lan- 


IlATISnONNE.  Ui 

lies,  qui  venait  (FairiN er.  Il  recoiiiniaiula  au  maré- 
chal Davout  de  tenir  ferme  à  Tengen ,  d'y  résister 
à  toute  nouvelle  attaque,  quelle  qu'elle  fut,  car 
l'armée  allait  pivoter  sur  ce  point  pour  enfoncer  le 
centre  ennemi,  et  le  pousser  sur  Landsluil.  11  or- 
donna au  maréchal  Lannes  de  marcher  droit  de^  ant 
lui  avec  les  vingt-cinq  ou  vingt-six  mille  hommes 
mis  à  sa  disposition,  et  d'enlever  Rohr,  qui  sem- 
blait former  le  centre  de  la  position  des  Autrichiens. 
Ayant  lui-même  sous  la  main  les  Wurtembergeois 
({ui  débouchaient  en  ce  moment  sur  le  champ  de 
bataille,  il  les  plaça  vers  Ainhofen,  entre  Lannes 
et  les  Bavarois.  Il  prescri\it  à  ces  derniers  de 
passer  l'Abens  à  Abensberg,  et  de  venir  cnle\cr 
Arnhofen.  La  division  de  Wrède  notamment,  établie 
derrière  l'Abens  de  Bibourg  à  Siegenbourg,  devait 
attendre  que  la  ligne  ennemie  fut  ébranlée  pour 
passer  l'Abens  de  vive  force,  et  déboucher  à  notre 
droite  sur  le  flanc  gauche  des  Autrichiens.  Chacune 
de  ces  attaques  était  dirigée  sur  l'un  des  postes 
détachés  des  Autrichiens,  qui  formaient  une  longue 
chaîne  de  l'Abens  à  la  Laber.  Napoléon,  tous  ces 
postes  forcés,  voulait  pousser  jusqu'à  Landshul, 
s'y  emparer  de  la  ligne  d'opération  de  l'archiduc, 
soit  en  se  jetant  sur  son  arrière-garde,  soit  en  se 
jetant  sur  ce  j)rince  lui-même  s'il  se  repliait  en  per- 
sonne vers  Landshul.  Aussi,  pour  rendre  l'opéra- 
tion plus  sûre,  il  se  hâta  de  modifier  la  marche  de 
Masséna.  Il  l'avait  fait  descendre  sur  PfalTenhofen, 
perpendiculairement  dans  le  flanc  gauche  des  Au- 
trichiens, se  réservant  de  ployer  sa  marche  ou  sur 
l'Isar,  ou  sur  le  Danube,  suivant  les  circonstances. 


Avril  If;09. 


Avril  1809. 


\{î  LIVHF.   XXMV. 

Pensant  qu'il  avait  aiiprôs  de  lui  assez  de  forces, 
pniscju'il  avait  le  maréchal  Davont  qui  iranlait  Ten- 
iren  avec  24  mille  hommes,  le  maréchal  Lannes  qui 
allait  enlever  Rohr  avec  25  mille,  le  maréchal  Lefeh- 
\re  qui  se  préparait  à  attaquer  Arnhofen  et  Offenste- 
ten  avec  40  mille  Wurtembergeois  et  Bavarois,  et 
enfin  la  division  Deniont  et  les  cuirassiers  Nansoutv 
(jui  arrivaient  sur  les  derrières,  il  dirigea  .Masséna  sur 
Landsliut  par  Freising  et  Mooshourg,  lui  ordonnant 
d'v  être  le  lendemain  2 1  de  bonne  heure,  afin  d'inter- 
dire  aux  Autrichiens  le  retour  sur  Landshut.  Il  pou- 
vait se  faire,  si  Masséna  arrivait  à  temps,  (ju'on  en- 
levât tout  ce  qui  était  entre  le  Danube  et  Tlsar. 

Pendant  que  Napoléon  se  disposait  à  employer 
ainsi  la  journée  du  20,  l'archiduc  Charles,  arrêté 
dans  son  mouvement  sur  Ratisbonne  par  la  rencon- 
tre des  deux  divisions  Saint-îlilaire  et  Priant,  aussi 
peu  renseigné  que  son  adversaire  sur  la  marche 
de  l'ennemi,  mais  ne  devinant  pas  aussi  bien  que 
lui  ce  qu'il  avait  à  craindre,  s'était  imaginé  que 
la  violente  résistance  qu'il  venait  d'essuyer  déce- 
lait la  présence  à  Tengen  de  l'empereur  Napoléon 
avec  toutes  ses  forces,  et  avait  résolu  d'attirer  à  lui 
le  corps  de  l'archiduc  Louis,  resté  devant  l'Abens, 
en  chargeant  le  général  llillci-,  (pii  avait  du  marcher 
toute  la  journée  du  19,  d'occuper  la  position  aban- 
donnée de  l'archiduc  Louis.  11  prit  donc  la  résolution 
d'attendre  le  20,  entre  Grub  et  Dinziing,  la  jonction  de 
sa  gauche,  pour  renouveler  le  combat  avec  la  der- 
nière vigueur.  Toutefois,  il  laissa  à  l'archiduc  Louis 
la  liberté  d'interpréter  cet  ordre,  et  de  combattre  où 
il  se  trouverait,  s'il  était  attaqué  du  côté  de  l'Al^ens. 


Avril  1809. 


RATISBONNE.  143 

Ce  fut  en  effet  cette  prévision  qui  se  réalisa.  Dès 
le  20  au  matin  laiThiduc  Louis  aperçut  des  masses 
qui  débouchaient ,  les  unes  de  l'Abens  par  Ahens- 
berg  et  Arnhofen  :  c'étaient  les  Wurtembergeois, 
les  Bavarois,  Demont  et  Nansoutv;  les  autres  de 
la  route  de  Ratisbonne  par  Reising  et  Buchhofen  : 
c'étaient  Morand,  Gudin,  Jacquinot,  Saint-Sulpice. 
Il  vit  qu'il  allait  être  fort  sérieusement  attaqué,  et 
au  lieu  de  manœuvrer  pour  rejoindre  son  frère  le 
généralissime,  il  songea  à  se  défendre  là  où  il  était, 
pendant  que  le  corps  de  Hiller,  amené  de  Main- 
boure;  sur  l'Abens,  viendrait  à  son  secours. 

En  ce  moment.  Napoléon,  placé  sur  le  plateau      xapoiéon 

,,.,  ,  .        ,,nt  1  ,     1     •    1  harangue  lui- 

en  avant  dAbensberg,  vit  denier  devant  lui  les        même 
Wurtembergeois ,    les   Bavarois,    qui   allaient    se  eUciwur'tem. 
mettre  en  li2:ne,   et  que   ror2;ueil    de   combattre      ^ergcois 

'1  '^  sur  le  cliamp 

SOUS  ce  grand  homme  remplissait  de  sentiments  de  bataille. 
tout  français.  Il  les  harangua  les  uns  après  les  au- 
tres (des  officiers  wurtembergeois  et  bavarois  tra- 
duisant ses  paroles  ) ,  et  leur  dit  qu'il  ne  les  faisait 
pas  combattre  pour  lui,  mais  pour  eux,  contre 
l'ambition  de  la  maison  d'Autriche  désolée  de  ne 
les  plus  avoir  sous  son  joug;  que  cette  fois  il  leur 
rendrait  bientôt  et  pour  toujours  la  paix,  avec  un 
tel  accroissement  de  puissance,  qu'à  l'avenir  ils 
pourraient  se  défendre  eux-mêmes  contre  les  pré- 
tentions de  leurs  anciens  dominateurs.  Sa  présence 
et  ses  paroles  électrisèrent  ces  Allemands  alliés, 
qui  étaient  flattés  de  le  voir  au  milieu  d'eux,  en- 
tièrement livré  à  leur  lovante,  car  en  cet  instant  il 
n'avait  pour  escorte  que  des  détachements  de  ca- 
valerie bavaroise. 


Wiil  1809. 

Mataille 
<1  Al)ensbpri;. 


l'ii  LIVRE  XXXIV. 

Entro  huit  cl   iiciil   lu'iiros,   toute  la   lii-nie  s'é- 
branla  il(>  la  liaiiclio  il  la   dioilc,   dOber -Fi'kiiig 
et  BiuhlioIVn,  à  Ariiholcn  cl  Pnick.  (Voir  la  carte 
n"  4G.)  Laimes  à  la  gauche  s'avança  résolument 
in.n'enSutc   '^^^^  ^^^  20  dùIIc  fautassins  de  .Alorand  et  Gudin, 
lesgémra.x    gy^^,  j^^g  i  'jOq  cliasscurs  dc  Jacuuinot ,  avec  les 

Ihicrry  '  ^ 

■t  schuste.  k.  3,o00  cuirassiers  de  Saint-Sulpice,  sur  Bachel,  route 
de  Rohr,  à  travers  un  pays  semé  de  bois  et  coupé 
de  nombreux  défilés,  il  rencontra  le  général  autri- 
chien Thierry  suivi  de  son  infanterie  seule,  parce 
que  sa  cavalerie  marchant  plus  \ite  était  déjà  près 
de  Rohr.  Il  le  fit  charger  par  les  chasseurs  de  Jac- 
quinot ,  qui  se  précipitèrent  sur  lui  bride  abattue. 
L'infanterie  autrichienne  chercha  au  plus  vite  un 
abri  dans  les  bois.  Mais  abordée  avant  de  les  at- 
teindre, et  sabrée  avant  d'avoir  pu  se  former  en 
carré,  elle  laissa  dans  nos  mains  beaucoup  d'hom- 
mes tués  ou  prisonniers.  Elle  se  retira  en  désordre 
sur  Rohr,  se  réfugiant  d'un  bouquet  de  bois  à  l'au- 
tre. C'était  pitié  qu'une  telle  déroute,  la  masse  des 
assaillants  étant  si  disproportionnée  avec  celle  des 
assaillis. 

A  Rohr,  les  généraux  Thierry  et  Schusteck  s'étanl 
réunis  cherchèrent  à  s'enlraider.  Les  deux  divi- 
sions d'infanterie  de  Lannes  marchaient  vivement 
sur  eux,  ayant  les  chasseurs  et  les  cuirassiers  en 
tête.  Les  hussards  de  Kienmayer  chargèrent  avec 
Nigueur  les  chasseurs  de  Jacquinot;  mais  un  régi- 
ment de  cuirassiers  français  lancé  sur  ces  hussards 
les  renversa  pèle-nuMe,  et  les  obligea  à  se  replier 
sur  le  village  de  Rohr.  En  ce  moment  l'infanterie 
dc  Morand  al)orda  ce  village.  Le  30%  soutenu  par 


KATISBONNE.  1  i« 

les  cuirassiers,  l'attaqua  de  front,  pendant  que 
les  13"  et  17"  manœuvraient  pour  le  déborder.  A 
cette  vue,  les  généraux  Schusteck  et  Thierry  se 
mirent  de  nouveau  en  retraite,  et  après  une  fusil- 
lade sans  effet  se  replièrent  de  Rohr  sur  Rotten- 
bourg,  par  l'une  des  deux  chaussées  qui  mènent  du 
Danube  à  Tlsar,  celle  de  Kelheim  à  Landshut.  Au 
delà  de  Rohr,  le  pays  étant  plus  découvert  et  la 
retraite  devenant  plus  difficile,  la  cavalerie  autri- 
chienne fit  de  nobles  efforts  pour  couvrir  son  in- 
fanterie. Les  hussards  de  Kienmayer  venaient  d'être 
rejoints  par  quatre  escadrons  des  dragons  de  Le- 
venehr  détachés  du  deuxième  corps  de  réserve.  Les 
uns  et  les  autres  chargeaient  à  chaque  rencontre 
avec  la  plus  brillante  bravoure.  Mais  s'ils  avaient 
([uelque  avantage  sur  nos  hussards,  nos  cuiras- 
siers, fondant  sur  eux,  les  sabraient  impitoyable- 
ment. Tout  ce  qu'on  trouvait  d'infanterie  en  route 
était  pris.  On  arriva  ainsi  vers  la  chute  du  jour  à 
Rottenbourg,  le  désordre  allant  toujours  croissant 
du  côté  des  Autrichiens.  Le  général  Thierry,  des- 
cendu de  cheval  pour  rallier  ses  troupes,  fut  sur- 
pris par  de  nouvelles  charges  et  enlevé  avec  trois 
bataillons  entiers.  Les  hussards  de  Kienmayer  et 
les  dragons  de  Levenehr  payèrent  leur  dévouement 
par  une  destruction  presque  complète.  Les  géné- 
raux Schusteck  et  Thierry,  après  avoir  perdu  en 
morts,  blessés  ou  prisonniers,  environ  quatre  à  cin(| 
mille  hommes,  auraient  péri  en  totalité,  si  heureu- 
sement pour  eux  le  général  Hiller,  rapproché  de 
l'archiduc  Louis  par  les  ordres  qu'il  avait  reçus, 
n'avait  fait  un  mouvement  qui  l'amena  fort  à  pro- 

TOM.  X.  ^^ 


Avril  1809. 


Ii6 


l.l\  RK   \\\1\. 


Wril  1809. 


Combat 
dus  Havarois 
et  des  Wur- 
tembcrgeois 

contre 
l'anliiduc 

Louis. 


-  )K)s  à  leur  s('i()iir>.  Au  lieu  de  descendre  1  Alicns 
jii>(|ii  il  Siciienhoiiii:  et  Bihoiirir,  où  eoiiiljwItHil 
riireliiduc  Louis  \(>ir  lu  carte  n"  U)  ,  le  .général 
lliller,  apereevaiit  «le  loin  l;i  déroule  des  i;énérau\ 
riwenv  elSehusteek,  s'était  détourne  à  droite,  a\ait 
coupé  perpendicidairenient  la  chaussée  de  ^Seustadt 
à  Landshut  par  PlelVenliausen,  et,  continuant  à  niar- 
<her  dans  le  même  sens  sur  celle  de  Kelheim  a 
Landshut,  il  avait  pris  position  à  Kottenhouri;. 

Lannes  pouxait,  avec  les  forces  dont  il  dis|)osail, 
attacjuer  le  corps  de  Hiller  et  en  avoir  raison.  Mais 
il  avait  exécuté  ime  lonp:ue  marche  sans  être  ro- 
joint  encore  par  la  droite,  composée  des  Wurlem- 
her^eois  et  des  Bavarois,  et  il  s'arrêta,  la  journée 
étant  fort  avancée,  dans  latlente  de  nouveaux  or- 
dres. 11  avait  à  ptMne  perdu   deux  cents  honunes 
pour  cpiatre  ou  cinq  mille  tués  ou  pris  à  lennemi. 
Il  avait  lie  plus  ramassé  du  canon,  du  baGfaize,  et 
presque  tous  les  blessés  du  condial  de  Tengen, 
répandus  dans  les  villajies  (ju  il  venait  de  parcourir. 
Pendant  que  Lannes  poussait  ainsi  en  désordre 
sur  l'une  des  deux  chaussées  du  Danube  à  Tlsar 
les  généraux  autrichiens  Thierry  et  Schusteck,  les 
Wintembergeois  et  les  Bavarois  abordaient   a\ec 
une  extrême  vigueur  la  position  de  Kirchdorf,  dé- 
fendue énergiquement  par  les  troupes  des  généraux 
Reuss  et  Blanchi  sous  l'archiduc  Louis.  (Voir  la 
carte  n"  4G. ;  Le  combat  ici  devait  être  plus  disputé, 
car  les  troupes  autrichiennes  étaient  plus  nombreu- 
ses, dans  une  position  très-forte,  et,  quoique  bien 
attaquées,  ne  létaienl  |)as  cependant  connue  elles 
auraient  pu  lêtre  par  les  dix  isions  Morand  et  Gudin. 


RATISBONNE.  H7 

Les  WiirU'iiihcrueois  a\aiciit   inaivlu'  ;^u^  Ollcji-   

,.  ,  ,  ,  Avril  IKOλ. 

stetten,  se  iiaiil  par  leur  .gauche  avec  le  maréclial 
Laiines,  parleur  droite  avee  les  Bavarois,  Ceux-ci 
avaient  marché  par  Pnick  sur  Kirclidorf.  Le  géné- 
rai aulrichicn  Biaiichi  sétail  replié  de  Bibourg  sur 
Kirchdoif ,  afin  de  se  joindre  aux  troupes  du  prince 
de  Keuss,  pendant  que  l'archiduc  Louis  faisait  ca- 
nonner  Siegenhourg  pour  euipècher  la  division  ba- 
varoise de  Wrède  de  déi)ouciier  au  delà  de  TAhens- 
J>e  combat  devint  fort  \  if  autour  de  Kirclidorf,  où 
les  Autrichiens  se  défendirent  avec  une  grande 
énergie.  Plusieurs  fois  les  Bavarois  furent  repous- 
sés, tantôt  par  la  fusillade,  tantôt  à  la  baïonnette 
(fuand  ils  s'approchaient  de  trop  près.  Mais  dans 
I  après-midi  les  Wurteml)ergeois  ayant  enlevé  un 
^illage  qui  cou^rait  la  droite  des  Autrichiens,  le 
général  de  Wrède  ayant  en  môme  temps  passé  TA- 
bens  sur  leur  gauche,  Tarchiduc  Louis  fut  contra iul 
de  se  retirer  par  la  chaussée  de  Neustadt  à  Lands- 
hut,  passant  à  Pfetl'enhausen.  Les  divisions  bava- 
roises le  poursuivirent  vivement,  et  ne  s'arrêtèrent  Retraite 
que  fort  tard,  aux  environs  de  PfetTenhausen,  de-  ''"  \ZS'^'"' 
vaut  les  grenadiers  d'Aspre,  (lui  formaient  le  reste  surPfeffen- 
du  deuxième  corps  de  réserve,  et  qui  rendirent  aux 
généraux  Reuss  et  Bianchi  le  service  que  le  général 
Hiller  venait  de  rendre  aux  généraux  Thierry  et 
Schusteck.  De  ce  côté  les  Autrichiens  avaient  perdu 
environ  3  mille  honuues  en  morts  ou  prisonniers,  les 
Bavarois  et  les  Wurtembergeois  environ  un  millier. 

Cette  journée  du  20,  que  Napoléon  a  qualifiée     Résultats 
de  bataille  dAbensberg,  quoiqu'elle  eût  été  beau-    d'Abenîbcrg. 
<'0up  moins  disputée  que  celle  du  10,  avait  coûté 

10. 


lis  l.lVlUi    XWIV. 

"  ;in\  Aiiti  icIiitMis ,  on  coinptjint  les  [)ertes  essu\ée> 

A\ril  ISOl».  .        '  .       ' 

dans   1('>  deux    diicctions  ,    cm  iron   7   ou  H  mille 
lioinmos,  ('(Miiii  fjiisail  dcj;!  \'^  ou  II  iiiilie  pour  les 
deux  journées.  Mais  elle  a^ail  connue  nuniœuNie 
une  iuunensc  ini|)ortance,  et  décidait  du  sort  de  cette 
|)reniièi"C  partie  de  la  canipaii:ne,  car  elle  séparait 
rarchiduc  Cliarles  de  sa  i^auche,  en  rejetant  celle- 
ci  sur  risar,  tandis  (jue  lui-niènie  allait  être  acculé 
sur  le  Danube  vers  Hatishonne.  Envisagée  sous  ce 
rapport,  elle  méritait  tous  les  titres  qu'on  pouvait 
lui  décerner.  Napoléon,  arrivé  le  soir  à  Uottenhouri;, 
était  dans  Tivresse  de  la  joie.  Il  voyait  son  adver- 
saire rejeté  sur  l'Isar  dès  le  début  des  o})érations, 
et  les  Autrichiens  démoralisés  comme  les  Prussiens 
Résolution     après  léua.  Il  ne  savait  pas  clairement  encore  tout 
car  Napoléon  t*c  quc  la  fortunc  lui  réservait,  car  il  n'a\ait  pu 
^^^^  ^V7    discerner  dans  les  réponses  des  prisonniers  interro- 
lour  enlèvera  gés  OU  étaient  les  divers  archiducs  :  mais  supposant 

i'archiduc       ''  .  . 

Charles  que  larcliiduc  (Charles  pouvait  être  devant  lui  sur  la 
^^  'r""k.r,°'"  route  dc  Landshilt ,  il  résolut  de  marcher  sur  Lands- 
hut  même,  pour  le  surprendre  au  passage  de  l'Isai-, 
et  l'y  accabler,  si  ^lasséna  dirigé  sur  ce  point  arri- 
vait à  temps.  Il  se  décida  donc  à  s'y  porterie  lende- 
main 21 ,  et  à  y  pousser  les  Autrichiens  à  outrance. 
De  ce  (juil  avait  vu  dans  la  journée,  il  devait  être 
induit  à  conclure  (]ue  tout  s'enfuyait  vers  Ilsar,  et 
(|ue  le  maréchal  Da^out,  devenu  son  pivot  de  gau- 
che, n'aurait  (pi'à  marcher  devant  lui  pour  ramas- 
ser des  débris.  Dans  cette  croyance  il  lui  enjoignit 
de  refouler  les  qiiehjues  troupes  qu'il  sui)posait  [)la- 
cées  devant  Tengen ,  de  manière  à  suivre  le  mou- 
vement de  toute  la  ligne  française  sur  l'Isar,  sauf  à 


HATISBONNE.                                  U9 
se  lahattrcullericiircinonl  sur  Ratislxnmc.  pourécra-  ^^ 

1»    ..  II  '  •     o     •  1,         .  •        Avril  1809. 

serBelloiîanle,  lorsqu  on  en  aurait  uni  avec  1  archi- 
duc Charles.  Une  soupçonnait  pas  ([ue  ces  quehjuos 
troupes  ([ui  paraissaient  être  devant  Tenjïcn,  ctaienl 
l'archiduc  Charles  lui-même  avec  la  principale  masse 
des  forces  autrichiennes. 

(]elui-ci,  en  effet,  a\ait  attendu  toute  la  journée    Disposiiioiu-^ 
du  20  le  renouvellement  du  combat  de  Ten^en  et  "If  '/"■e.^ndi.c 

Charles  âpre.-. 

la  jonction  de  Tarchiduc  Louis,  Mais  le  condjatne     lïjourm? 

,  .  d'Abonsberii. 

S  étant  pas  renouvelé,  larcluduc  Lmus  ne  I  ayant 
pas  rejoint,  beaucoup  de  Français  au  contraire  se 
jnontrant  sur  les  deux  chaussées  qui  conduisent  du 
Danube  à  llsar,  il  commença  à  éprouver  des  crain- 
tes pour  sa  iiauche,  et  il  prit  une  position  d'attente, 
afin  d'essayer  de  la  rallier  si  elle  n'a\ait  pas  essuyé 
un  désastre.  Il  imagina  donc  de  s'établir  sur  les 
hauteurs  boisées  qui  séparent  la  grosse  et  la  pe- 
tite Laber  de  la  vallée  du  Danube,  en  travers  de 
la  route  qui  de  Landshut  mène  à  Ratisbonne  par 
Eckmiihl,  fVoir  les  cartes  n"'  46  et  47.)  Toute  la 
réserve  de  cuirassiers  eut  ordre  de  se  placer  sur 
le  revers  de  ces  hauteurs,  à  l'entrée  de  la  plaine 
de  Ratisbonne,  les  grenadiers  au  sommet,  les  corps 
de  HohenzoUern  et  de  Rosenberg  sur  le  penchant 
du  côté  de  la  Laber,  îi  droite  et  à  gauche  (LEck- 
miihl.  Dans  cette  position,  l'archiduc  allait  être 
adossé  à  Ratisbonne,  faisant  front  vers  Landshut, 
prêt  à  changer  de  ligne  d'opération  si  sa  gauche 
était  définitivement  séparée  de  lui,  et  à  se  renfor- 
cer du  corps  de  Bellegarde  s'il  était  privé  du  corps 
de  Hillcr,  De  son  côté,  le  lieutenant  général  Hiller, 
qui  commandait,  outre  son  corps,  celui  de  Tarchiduc 


Avril  180'J. 


i:iO  |.l\  HE    WMV. 

Lotiis  j);ir  raison  (ranci<Minrté,  se  >()yant  poussé  à 
outraiR-e  sur  les  cliansscc^  do  Nousladt  et  de  Kel- 
hcim  (|ui  ahoutissout  à  I.andsliut,  ne  erul  pas  ])om- 
\oir  atteindre  tiop  lot  c'  dernier  point,  car  il  dés- 
espérait avec  raison  de  rejoindre  larcltiduc  (lliaries, 
et  il  craiiiuait  (pie  Landshid  niénu-,  où  Ion  \enait  de 
réunir  tout  le  matériel  de  I  aiiuée  avec  une  ininiense 
(piantilé  de  blessés,  ne  fût  enlevé.  En  conséquence, 
il  ordonna  aux  colonnes  (jui  suivaient  ces  deux 
chaussées  de  s'y  trans|)oiter  j)endant  la  nuit,  de  fa- 
çon à  \  arriver  de  i^rand  matin. 
Marche  Dans  la  iiuit  du   20  au   21,  les  Aufiicluens  af- 

Aiitrichicns et  Anèreut   sur  Laiulslmt  par  cette  double  conuuuni- 
dcsFrançais    (.j^tjo,^    f  p^  Fraucais ,  (le  leur  côté,  i)res(iue  aussi 

sur  Landshut  ^7  'il 

maliueux    (pie    les  Autrichiens,    s'y  précipitèrent 
connue  deux  torrents. 

Napoléon  n'axant  pas  quitté  ses  vêtements,  cl 
ayant  à  peint»  dormi  (piebpies  heures  sin*  un  siéirc 
elail  à  chcNal  dès  la  pointe  du  jour  du  21,  afin 
de  diriger  lui-même  la  poursuite  sur  la  route  de 
Landshut. Qu()i(ju'il  ii>;norât  toujours  la  présence  de 
l'archiduc  Charles  vers  Eckmiihl,  il  avait  fait  de 
nouvelles  réflexions  sur  ce  sujet,  et  [)ar  suite  de  ces 
réflexions  il  avait  détaché  la  division  Demont,  les 
cuirassiers  Nansouty,  les  di\isions  bavaroises  du 
iténéral  Deroy  et  du  prince  roval  sur  sa  gauche, 
\ers  la  grosse  Laber,  ne  voulant  pas,  dans  une  si- 
tuation aussi  incertaine,  laisser  le  maiécha!  ï)a\ou( 
réduit  à  :24  mille  hommes.  Avec  les  25  mille  de 
Laimes,  il  continua  de  poursuivre  les  corj)s  de 
Hiller  et  de  rarchiduc  Louis  sur  la  route  de  Hotten- 
bourg  à  Landshut,  tandis  que  le  général  bavarois 


RATISBONNE.                                  loi 
de  Wrcdo  les  |joiissail  par  la  routo  do  PfetleiiliaiisL'u. 

,         .  Avril  1800. 

H  comptait  sur  l'année  fie  Masséna  à  Landslnil 
avec  au  moins  'M)  mille  hommes. 

Marcliaul  aNec  rinfanleiie   de  Morand,  les  cui-        lintréc 

r<    •     .    o     I     •  il  I       •      I  '     ^  -11'        '''^^  Françai? 

rassiers  Samt-huJ[)iee  el  la  ea\  alêne  légère,  il  de-        dans 
boucha  de  fort  i)onne  lieu  re  sur  Land.shiit.  A  chaque  .,i',suftfd'une 
pas  on  ramassait  des  fiivaids,  des  blessés,  du  ea-       attaque 

de  vive  forc<». 

non ,  de  ii;ros  hagaiies.  Eu  arrivant  à  Altdoiî  au 
débouelié  des  liois,  d'où  fou  dominait  la  ])laine 
verdoyante  de  l'Isar  et  la  ^ille  de  Landshut,  ou  aper- 
çut une  confusion  indicible.  La  cavalerie  des  Au- 
trichiens se  pressait  vers  les  ponts  avec  leur  infan- 
terie ,  l'une  et  l'autre  alïluant  par  les  deux  chaussées 
que  suivaient  les  corps  de  Hiller  et  de  l'archiduc 
Louis.  L'encombrement  était  encore  augmente'  par 
le  matériel  de  l'armée,  et  notamment  par  un  su- 
perbe train  de  pontons  amené  sur  des  chariots 
pour  passer  le  Danube  et  le  Rhin  même ,  si  le  ciel 
avait  favorisé  cette  le\ée  de  boucliers  contre  la 
France.  Bessières,  comme  Lannes,  comme  l'Em- 
pereur lui-même,  aiTi\é  à  rimî)ro\iste ,  et  ayant 
à  peine  un  ou  deux  aides  de  camp  à  sa  dis|)osi- 
lion ,  conduisait  les  cuirassiers  Saint-Sulpice,  les 
chasseurs  de  Jacquinot,  et  le  13''  léger  de  la  divi- 
sion Morand.  En  apercevant  le  spectacle  (|iii  s'of- 
frait à  lui,  il  fit  charger  par  ses  chasseurs  la  cava- 
lerie autrichienne.  Celle-ci,  malgré  le  désordre, 
l'encombrement,  le  terrain  qui  était  marécageux 
et  glissant ,  se  défendit  av  ec  valeur.  Mais  les  cui- 
rassiers français,  la  cliargeant  en  masse,  l'obligè- 
rent à  se  replier.  Alors  les  généraux  autrichiens 
se  hâtèrent  de  lui  faire  passer  les  ponts,  en  avant 


Avril  1809. 


I5i  LIVHI-    X.WIV. 

(Ies(|iu'ls  ils  nous  opposeront  leur  infanlcrio,  pour 
iloiiner  aux  l)ai;ai;es  le.lemi)s  de  déHIer.  Ils  |)lacè- 
iciil  les  i^rcnadiors  d'Aspre  dans  Landsliul  nuMue, 
et  surloni  dans  (\q^  (piartiers  élevés  de  la  \illc. 
Mais  la  di\ision  .Moiand  arri\a  hicnlot  tout  en- 
lière.  Le  \'-V  léi'er  et  le  11"  de  lit-nc  abordèrent 
rinranterie  aulrichienne,  tandis  (pie  la  cavalerie 
fianraisc  la  charijçeait  de  nouveau.  Elle  ne  put  ré- 
sister à  ces  atla({ues  réitérées,  et  fut  obligée  de  se 
rej)lier  en  toute  liàte  sur  les  ponts  de  Landslmt  pour 
les  repasser  à  temps.  Elle  les  repassa  en  effet,  lais- 
sant dans  les  prairies  l)caucoup  de  prisonniers,  une 
quantité  considérable  de  voitures  d'artillerie,  et  le 
train  de  pontons  dont  il  vient  d'être  parlé.  Le  13° 
<'t  un  bataillon  du  17"  se  jetèrent  dans  le  faubourg 
<le  Selii^enthal,  qu'ils  enle\èrent  sous  la  plus  vive 
fusillade.  Il  restait  à  franchir  le  grand  pont  con- 
struit sur  le  principal  bras  de  l'Isar.  Les  Autrichiens 
y  avaient  mis  le  feu.  Le  général  Mouton,  aide  de 
camp  de  l'Empereur,  àlatcte  des  grenadiers  du  17*, 
qu'il  animait  du  geste  et  de  la  voix,  les  conduisit 
l'épée  à  la  main  sur  le  pont  en  flammes,  le  tra- 
versa sous  une  grêle  de  balles,  et  gravit  avec  eux 
les  rues  escarpées  de  Landshut  situées  sur  l'autre 
rive  de  l'Isar.  En  ce  moment  arrivait  Masséna  avec 
les  divisions Molitor et  lîoudet,  avec  l'une  des  deux 
di\isions  d'Oudinot,  cl  la  cavalerie  légère  du  géné- 
jal  .Marulaz,  trop  tard  pour  empêcher  la  retraite 
des  Autrichiens,  mais  assez  tôt  j)our  la  précipiter. 
A  la  vue  de  cette  réunion  accablante  de  forces  les 
Auliichiens  évacuèrent  Landshut,  en  nous  aban- 
donnant, outre  un  matériel  inunense,  (3  à  7  mille 


HATISBONNE. 


i.ji 


prisonniers,  ol  quelques  morts  ou  l)lessés.  Leur  li2;no 
d'opération  leur  était  donc  ravie,  et  ils  a\ aient 
|)eidu  avec  elle  tout  ce  qu'on  perd  de  richesses  mi- 
litaires, quand  on  se  laisse  enlever  la  principale 
loute  par  laquelle  on  a  marché  à  l'ennemi. 

Tandis  que  Napoléon  exécutait  celte  i)oursuile 
ti'iomphante  avec  son  centre  accru  d'une  partie  des 
forces  de  Masséna,  le  canon  se  faisait  entendre  à 
sa  gauche,  du  coté  du  maréchal  Davout,  auquel  il 
avait  ordonné  de  pousser  ce  qui  était  devanl  lui,  et 
()ui  venait  de  rencontrer  encore  une  fois  les  masses 
de  l'archiduc  Charles.  La  canonnade,  en  elVet,  était 
des  plus  retentissantes,  quoiqu'on  fut  à  huit  ou 
neuf  lieues  de  Landshut,  et  elle  avait  de  quoi  in- 
quiéter Napoléon,  qui,  tout  en  croyant  poursuivre 
le  gros  de  l'armée  autrichienne,  n'était  pas  bien 
assuré  de  n'en  avoir  pas  laissé  à  cond)attre  une  forte 
partie  au  marécjial  Davout.  Celui-ci  n'aurait-il  eu 
atVaire  qu'à  l'armée  de  Bohème,  que  c'était  déjà 
beaucoiqD  pour  les  deux  divisions  dont  il  pouvait 
disposer.  Voici  du  reste  ce  qui  lui  était  arrivé. 

Ayant  reçu  la  veille  au  soir,  comme  on  l'a  vu, 
Tordre  de  balayer  en  quelque  sorte  les  faibles 
troupes  qu'on  supposait  être  restées  sur  la  Laber 
après  la  bataille  d'Abensberg,  il  s'était  mis  en 
mouvement  dès  le  matin,  au  moment  même  où 
Napoléon  marchait  sur  Landshut.  Les  deux  divi- 
sions Saint-Hilaire  et  Friant,  après  s'être  reposées 
le  20  du  combat  du  19,  avaient  quitté  Tengen 
le  21  à  cinq  heures  du  matin,  suivant  les  corps  de 
Hohenzollern  et  de  Rosenberg,  qui  allaient  prendre 
les  positions  que  Tarchiduc  Charles  leur  avait  as- 


Avril  1809. 


Combat 

(le    Schierliiig 

livré  par 

le  maréchal 

Davout 

aux  troupes 

de  l'archiduc 

Charles. 


Avril  I80y. 


I.ii  I  IVHK    \\XI\. 

siiïiKM's  SIM-  le  |)('iicli;inl  (l('>  liaiilcurs,  ciitro  la  val- 
lée (\r  la  uiossc  i.alx'i'  cl  la  plaine  de  KalishoiiiH'. 
l/avanl-iranio  de  nos  deux  dixisions,  en  déjjon- 
chant  du  xallon  de  Tenij;en  dans  la  vallée  de  la 
i^rosse  Laber,  rencontra  rairi(re-p:ar(le  des  Anlri- 
eliiens  sur  lin  ])la(eaii  hoisé  enlreSclineidart  et  Pà- 
rini;.  (Voir  la  carte  n"  17.)  Les  tirailleurs  dn  1  O*"  se 
répandirent  en  a\ant  pour  repousser  ceux  de  ren- 
nenii,  tandis  (pie  nos  hussards  ehari;eaient  sa  ca- 
valerie léizère.  On  força  les  Autrichiens  de  rétro- 
irrader,  et  bientôt  une  batterie  attelée,  amenée  an 
i^aloj),  les  couvrit  de  mitraille,  et  les  oblii2;ea  de 
se  retirer  en  toute  hâte.  Les  corps  de  Rosenberp;  et 
de  Hohenzollern,  craiiinant  d'avoir  afl'aire  à  une 
partie  considérable  de  l'armée  Iraneaise,  crurent 
devoir  se  replier  immédiatement,  pour  ne  perdre 
ni  le  temps,  ni  le  moyen  d'occuper  les  postes  (pii 
leur  étaient  désii^nés  sur  la  chaussée  de  Landslmt 
à  Ratisbonne,  à  droite  et  à  irauche  d'Eckinilhl.  Nos 
deux  dixisions  s'avancèrent  donc,  celle  de  Saint- 
Hilaire  à  droite  côtoyant  les  bords  de  la  ijrosse  La- 
ber, celle  de  Friant  à  i^auche  loniïeant  le  pied  des 
hauteurs  boisées  qui  forment  run  des  côtés  de  la 
vallée.  La  division  Friant,  en  lontîeant  ces  hauteurs 
remplies  des  tirailleurs  de  Rosenberi;,  a\ait  l)eau- 
coup  plus  de  peine  que  la  division  Saint-llilaire  en 
parcourant  le  vallon  ouvert  de  la  grosse  Laber.  Le 
général  Friant,  voulant  se  débarrasser  de  ces  tirail- 
leurs, fit  sortir  des  régiments  une  masse  considérable 
de  voltigeurs,  lesquels,  conduits  par  le  brave  capi- 
taine du  génie  Henratz,  délogèrent  les  Autrichiens  et 
firent  évacuer  les  bois  (pii  menaçaient  notre  gauche. 


RATISBOXNK.  liilj 

On  coiitiiHia  do  marcher  ainsi,  Kiianl  le  joiii»  des  eo- 
teaux,  Saint-Hilaire  au  bord  <le  la  ri\ière.  En  aNan- 
çanl,  deux  villaiîes  se  présentèrent,  celui  de  Paiini: 
au  pied  des  rochers,  celui  de  Schierlini;  au  bord  de 
l'eau.  Il  fallait  les  emporter  Tun  et  l'autre.  Tandis 
que  nos  tirailleuis  pénétraient  dans  les  bois,  le  i^é- 
néral  Friant  poussa  le  iS*"  sur  le  village  de  Paring. 
Au  moment  où  il  donnait  ses  ordres  avec  sa  réso- 
lution et  son  habileté  accontumées ,  ayant  à  ses 
côtés  le  maréchal  Davout,  un  i)oul('l  renversa  son 
cheval.  Remonté  aussitôt  sur  un  aude.  il  fit  enlever 
sous  ses  yeux  le  village  de  Pâring  à  la  baïonnette, 
et  V  recueillit  400  nrisonniers.  Au  mémo  instant  !o 
général  Saiiif-Hilaire,  dirigeant  une  semblable  at- 
taque sur  le  village  de  Schierling,  le  lit  enlever 
avec  une  égale  >igueur,  et  y  prit  aussi  quelques 
centaines  d'hommes.  On  aperçut  alors  les  Bavarois, 
la  division  Demont ,  les  cuirassiers  Nansouty,  arri- 
vant du  côté  de  Landsliut,  |)ar  les  ordres  fort  pré- 
voyants de  Napoléon.  On  se  hâta  de  rétablir  les 
ponts  de  la  grosse  Laber  pour  comniuni({uer  avec 
ces  utiles  renforts.  Il  était  midi,  et  cétait  l'heuie 
même  où  Napoléon  venait  d'entrer  dans  Landshul. 
Pendant  que  Friant  et  Saint-Hilaire  s'avançaient 
ainsi,  les  corps  de  Rosenberg  et  de  Hohenzolleiii 
étaient  allés  prendre  position  sur  les  hauteurs  qui 
bordent  la  grosse  Laber,  au  point  même  où  la  chaus- 
sée transversale  de  Landshut  à  Ratisl)onne  cou))»' 
ces  hauteurs.  Cette  chaussée,  franchissant  ici  la 
gross€  Laber  devant  le  château  dEcknùihl,  séle- 
vait  en  fornumt  des  rampes  à  travers  les  bois,  et 
débouchait  ensuite  par  Egglofsheim  dans  la  plaine 


Avril  180'J. 


.Avril  1809. 


i:i(j  LIVRE   \.\X1V. 

lie  Ralislxmne.  (Voir  les  farlos  ii""  40  o(  i-7.)  A 
uaiichc  do  celle  cliaiissiM',  aii-dcssiis  d  Kckniiilil,  se 
Iroinaient  deux  \illap;es,  ceux  d()l)er-Leuchlini<  el 
(rriilcr-rciiclilint:,  a|)|)uyés  lim  à  Taiilre,  et  do- 
minant un  petit  ra\in  (jiii  déhouelie  dans  la  i^rosse 
Laher.  Le  corps  de  Rosenherii  était  venu  s'étal)lip 
dans  ces  deux  villages.  Le  corps  de  Holienzollern, 
ayant  une  a\ant-iiarde  au  delà  de  la  i^rosse  Laber 
flans  la  direction  de  Landsluit,  était  accumulé  sur  la 
chaussée  même,  le  lonj;  des  rampes  (pii  s'élèvent 
au-dessus  d'Eckmiihl.  On  le  voyait  très-distincte- 
ment  dans  cette  forte  ])osition,  l)arrant  la  route 
(pi'il  était  cliargé  de  défendre. 

Le  maréclud  Davout  s'approclui,  et  vint  se  dé- 
ployer en  face  des  Autrichiens,  à  portée  de  canon, 
a\anl  1  riant  à  gauche,  devant  les  villages  d'Oher 
et  d'Unter-Leuchiing,  Saint-Hilaire  et  les  Bavarois 
à  droite,  dans  les  terrains  lias  cpie  baigne  la  grosse 
Laber.  Tandis  qu'on  se  déployait  devant  cette  po- 
sition, une  colonne  de  Hongrois  s'avança  comme 
pour  faire  une  sortie  contre  nous.  Le  maréchal 
Davout,  placé  à  la  tète  de  son  avant-garde,  avait 
sous  la  main  une  l)atlerie  attelée.  Il  la  fit  tirer 
sur-le-champ  avec  tant  d'à -propos  (pie  la  co- 
lonne autrichienne,  renversée  -sous  un  Ilot  de  mi- 
tiaille,  se  replia  en  désordre  sur  la  position  d'où 
elle  avait  \oiilu  (U^boucher.  On  s'établit  alors  en 
face  des  Autrichiens  ;i  petite  portée  de  canon,  et 
on  commença  ii  échani.^er  avec  eux  une  effrovable 
canonnade.  Cette  canonnade  (Uira  plusieurs  heures 
sans  résultat,  car  les  Autrichiens,  n'ayant  d'autre 
mission  (pie  celle  de  couvrir  les  approches  de  la 


RATISBOXNE.  i:>7 

|)liune  de  Ratisl)Oiuie,  n'éluionl  pas  p;ens  à  prendre 
l'offeiLsive;  et  de  son  côté  le  maréclial  Davout,  se 
doutant  qu'il  avait  devant  lui  i\os  forces  considé- 
ral)les,  probablement  l'areliiduc  lui-même  à  la  tète 
de  sa  principale  armée,  ne  voulait  pas  enicaiicr  une 
l)ataille  décisive  sans  les  ordres  de  rEmi)ereur,  ei 
sans  des  moyens  sullisants.  Il  se  contenta  donc  de 
réiiulariser  sa  position,  de  la  rendre  siire  pour  la 
nuit,  commode  pour  l'attaque  du  lendemain,  si, 
comme  il  en  était  persuadé,  Napoléon  ordonnai! 
l'offensive  avec  des  moyens  proportionnés  à  la  dif- 
ficulté. A  la  nuit,  il  fit  cesser  un  feu  inutile,  et  les 
Autrichiens  se  hâtèrent  de  sui\re  cet  exemple  pour 
prendre  un  repos  dont  ils  a\  aient  grand  besoin.  Le 
général  Priant  s'établit  en  face  d'Ober-Leuchling, 
la  gauche  appuyée  aux  sommets  boisés  qui  nous 
séparaient  de  la  plaine  de  Ratisbonne.  Le  général 
Saint-Hilaire,  appuyant  légèrement  à  gauche,  s'é- 
tablit devant  Unter-Leuchling,  séparé  des  Autri- 
chiens par  le  petit  ra^  in  ((ui  allait  se  jeter  dans  la 
grosse  Laber.  Les  Bavarois  et  la  cavalerie  s'éten- 
dirent dans  la  plaine  au  l)ord  de  la  ri^ière.  Cette 
journée,  mêlée  de  combats  d'arrière-garde,  d'en- 
lèvements de  diverses  positions,  et  d'une  longue 
canonnade,  avait  encore  coûté  1,100  honunes  à  la 
division  Priant,  300  à  la  division  Saint-Hilaire,  to- 
tal 1 ,400,  et  au  moins  3  mille  aux  Autrichiens.  En 
N  joignant  pour  la  prise  de  Landshut  300  honunes 
de  notre  côté,  7  mille  environ  du  côté  des  Autri- 
chiens, c'était,  dans  cette  journée  du  21  a\ril,. 
1,700  pour  nous,  10  mille  pour  les  Autricluens, 
en  morts,  blessés  ou  prisonniers.  Les  hommes  que 


Avril  ISOf». 


I.is  I.IVHK   \  \  \IV. 
celle  siiiu-  <U'  i«'\cis  tloioiirai^cail,  cl  portait  ii  so 

Avril  1809.  ,      .  .        .        ■         ,  ,  ,     ,     , 

(Ichandor,  claionl  aussi  (rcs-nouinroiix  nii  «oie  «le. 

rciiMcmi. 

l'rcmieics  La  jouinée  lîuio,  \o  manVhal  Davoiit  en>oya  sur- 

(le  Napoléon    •«'-cluimp  le  i^oncral  Vur  a  I  hniporoiir,  pour  le  reii- 

^eMmbat"'   "^^''r"^'"  exaclouionl  MIT  ((>  (jiii  s'était  passé,  v\  lui 

JeLcurhiing,   maudor  cc  (ju'on  apeneNait  do  la  positiou  et  d<' la 

et  la  prosonce 

déferas      toive  dcs  Autricliious ,  dans  ce  dédale  de  bois,  de 

considérables        .    .<  ,  ^  i    i      .        i    11    »•    i 

du  côté  riMores,  roinpiis  cutic  Laudshut  et  Katishonne. 
d'Eckmuiii.  L'Empereur,  soucieux  de  la  canoiuiade  entendue 
sur  sa  i^auche  \ers  Eckmiihl,  ne  s'était  pas  cou- 
ché, afin  de  rece\oir  les  avis  (|ui  ne  pouvaient 
uiancpier  de  lui  parvenir  de  toutes  parts.  Avec  sa 
|)roiliii;ieuse  pénétration,  il  avait  déjà  découvert 
en  partie  létat  des  choses,  et  il  commençait  à  ne 
|)lus  douter  de  la  position  prise  par  l'ennenu.  En 
effet,  Masséna  venant  d'Augsbouri?  par  Pfall'enho- 
l'en  sur  Landsliut,  n'avait  rencontré  ([u'un  corps 
lie  quekpies  mille  llancpieurs,  qu'il  a\ajt  poussé 
devant  lui,  cl  jeté  en  dt'^ordre  au  delà  de  l'Isar. 
J.es  masses  de  l'archiduc  Louis  et  du  itcnéral  Hiller, 
(pi'on  avait  poursui\ies  à  tra\ers  la  ville  de  Lands- 
liut, i»c  dénotaient  ni  par  leur  nombre,  ni  par  au- 
cun autre  siiïue,  la  j)résence  de  l'armée  principale. 
Le  dernier  combat  du  maréchal  J)a\out,  dont  la 
nouvelle  venait  darrixcr  dans  la  nuit,  achevait 
d'édaircir  cette  situation.  Napoléon  entrevoyait 
clairement  qu'il  avait  sur  sa  ttauche,  le  loniç  de  la 
chaussée  «le  Landsliut  à  Ratisbonnc  par  Eckmiihl, 
ou  l'archiduc  Charles  lui-même  a\cc  la  masse  prin- 
cipale de  ses  forces,  ou  tout  au  moins  l'armée  de 
Jiohéme,  Iransporh'c  par  le  pont  de  Ratisbonne  de 


IIATISBONNE.  159 

ia  gauche  à  la  droilo  du  l)aiuil)(\  Dans  lo  premier 
cas,  il  fallait  se  porter  à  EcUniiilil  avec  toutes  ses 
forces;  ilans  le  second,  il  fallait  renforcer  considé- 
rablement le  maréclial  Davout.  Les  esprits  fermes 
mettent  dans  leurs  résoliUions  toute  la  décision  de 
leurs  pensées.  Napoléon,  sur  ce  qu'il  apprit  du 
combat  de  Lenchlinî^,  lit  partir  à  deux  heures  après 
minuit  les  cuirassiers  Saint-Sulpice  et  les  Wurtem- 
heri^eois  sous  le  général  Vandanmie,  les  uns  et  les 
autres  restés  un  peu  en  arrière  de  Landshut,  et 
ayant  par  conséquent  moins  de  chemin  à  faire  pour 
rétrograder  vers  EckmiihI.  il  ren\oya  sur-le-champ 
le  général  Pire  au  maréchal  l)a\oul,  axcc  lan- 
iionce  de  ce  renfort,  et  la  promesse  de  renforts 
plus  considérables  lorsque  la  situation  serait  déti- 
nitivement  éclaircie. 

En  etiet,  les  indices  qui  pour  tout  autre  que  lui 
auraient  été  chose  confuse,  se  multi})liaient  d'in- 
stant en  instant,  et  achevaient  de  former  sa  con- 
\iction'.  Entre  autres  il  lui  en  arriva  un  qui  dis- 
sipa tous  ses  doutes,  c'était  la  prise  de  Ratisbonne 
par  l'armée  aiUrichienne.  On  se  souvient  que  Xa- 
|)oléon  avait  ordonné  au  maréchal  Davout  de  lais- 
.ser  à  Ratisbonne  un  régiment  })Our  garder  cette 
^ille,   ce  qui  eût  été  une  faute,  un  régiment  ne 

'  Sa  correspondance  ,  qui  i)endant  ceUe  nuit  se  compose  d'une 
longue  suite  de  lettres,  et  qui  est  restée  ignorée  des  historiens,  lait 
connaître  avec  la  plus  grande  précision  la  série  d'idées  par  laquelle  il 
passa  avant  de  prendre  son  parti ,  et  de  donner  ses  ordres  définitifs 
pour  la  bataille  d'Eckniuhl.  C'est  un  spectacle  des  plus  curieux  et  des 
plus  instructifs  pour  l'étude  de  l'esprit  iuimain,  que  cette  correspon- 
dance de  quelques  heures.  Je  l'ai  lue  plusieurs  fois  a\ec  soin ,  et  j'en 
ai  déduit  les  faits  que  je  rapporte. 


Avril  IS09. 


AvnH809. 


S 


<60  LIVRE   \.\\1\. 

poiixiuil  \  siiflirc,  s'il  ii'iiNjiil  (''(('  iirffoiU  de  nuii- 
cher  \ers  Aljoiisbcr.u  axcc  l;i  plus  p;rtUi(le  niasse 
possible  (le  foires.  I.e  iiiareclial  l)a^Ollt  a\ait  done 
laissé  le  Go*",  excellent  réi^iinent,  commandé  par  le 
colonel  Coutard,  a^  ec  ordre  de  barricader  les  porte 
et  les  rues  de  la  \ilie,  car  Ratishonne  n'avait  (piune 
simple  chemise  pour  toute  fortification,  et  de  s'y 
défendre  à  onirance.  Le  colonel  Coutard  a\ait  eu 
affaire  le  19  à  l'armée  de  Bohême,  et  lui  avait  ré- 
sisté à  coups  de  fusil  avec  une  extrême  vigueur, 
si  bien  cpi'il  avait  abattu  plus  de  800  honimes  à 
rennemi.  ]\[ais  le  lendemain  20,  il  a^ait  vu  paraître 
sur  la  rive  droite  Tarmée  de  l'archiduc  Charles 
venant  de  Landshut,  et  il  s'était  trouvé  sans  car- 
touches, ayant  usé  toutes  les  siennes  dans  le  com- 
bat de  la  veille.  Le  maréchal  Davout  averti  lui 
avait  envoyé  par  la  route  d'Abach  deux  caissons 
de  munitions  conduits  par  son  brave  aide  de  canij» 
Trobriant,  lesquels  avaient  été  pris  sans  qu'il  put 
entrer  un  seul  paquet  de  cartouches  dans  Ratis- 
honne. Le  colonel  Coutard,  pressé  entre  deu\  ar- 
mées, n'ayant  plus  un  coup  de  fusil  à  tirer,  et  ne 
pou^  ant  du  haut  des  murs  ou  des  rues  barricadées 
se  défendre  avec  ses  baïonnettes,  avait  été  con- 
traint de  se  rendre.  L'archiduc  Charles  était  donc 
maître  de  Ratishonne,  des  deux  rives  du  Danube, 
et  du  point  de  jonction  avec  les  troupes  de  Bohème, 
ce  qui  le  dédoiumap;eait  en  partie  d'avoir  été  sé- 
paré de  l'archiduc  Louis  et  du  p;énéral  Hiller,  mais 
ce  qui  ne  le  dédommageait  ni  des  vingt -(juatre 
mille  hommes  déjà  perdus  en  trois  jours,  ni  de  sa 
ligne   d'opération  enle\ée,  ni  surtout  de  l'ascen- 


RATISBOXNE.  ICI 

tlant  moral  détruit  en  entier  et  passé  complètement 

du  côté  de  son  adversaire.  Dès  que  Napoléon  eut  ' 
appris  la  mésaventure  du  65'',  il  fut  à  la  fois  plein 
du  désir  de  se  venger,  et  convaincu  que  Tarchiduc 
Charles  était  à  sa  gauche,  entre  Landshut  et  Ra- 
tisbonne,  puisque  le  65"  avait  été  pris  entre  deux 
armées;  que  le  maréchal  Davout  avait  devant  lui 
à  Eckmiihl  la  plus  grande  partie  des  forces  autii- 
chiennes,  et  qu'il  fallait  à  l'instant  môme  se  rabat- 
tre à  gauche,  avec  tout  ce  dont  on  pourrait  dispo- 
ser, pour  appuyer  le  maréchal  Davout  et  accabler 
l'archiduc  Charles.  Napoléon  avait  expédié  dans  la  ^a  nouvelle 
nuit,  comme  on  vient  de  le  voir,  le  général  Saint-     ,     '^.^  , 

'  '    _  la  prise  de 

Sulpice  avec  quatre  régiments  de  cuirassiers,   le     Raiisbonr.e 

on  ni»  \"p 

général  Yandamme  avec  les  Wurtembergeois.  Il  fit     d  éclairer 
partir  immédiatement  le  maréchal  Lannes  avec  les  «tKécTdeà 
six  régiments  de  cuirassiers  du  général  Nansoutv,      marcher 

^  -  '      sur  Eckmuhl 

avec  les  deux  belles  divisions  des  généraux  Mo-  avec  toutes 
rand  et  Gudin,  lui  ordonnant  de  marcher  toute  la 
nuit,  de  manière  à  être  rendu  à  Eckmiihl  vers  midi, 
et  à  pouvoir  donner  une  heure  de  repos  aux  trou- 
pes avant  de  combattre.  Napoléon  ne  faisant  rien 
à  demi,  parce  qu'il  ne  saisissait  pas  la  vérité  à 
demi,  voulut  faire  plus  encore,  il  voulut  partir  lui- 
même  avec  le  maréchal  Masséna,  et  les  trois  divi- 
sions que  commandait  ce  maréchal.  Il  y  joignit  de 
plus  la  superbe  division  des  cuirassiers  du  général 
Espagne.  Le  maréchal  Davout  avec  les  divisions 
Friant  et  Saint-Hilaire  fort  réduites  par  les  combats 
du  1 9  et  du  21 ,  avec  les  Bavarois  et  la  division  De- 
mont,  comptait  32  ou  34  mille  hommes.  Les  géné- 
raux Yandamme  et  Saint-Sulpice  lui  en  amenaient 

TOM.  X.  11 


A\ril  <809. 


102  LIVRE  XXXIV. 

13  ou  li  iiiillc.  !.<'  nuirôchal  I.nnnos  avoc  les  divi- 
sions Moraïul  cl  (iiidiii,  aNOC  les  cuirassi(M"s  Naii- 
souly,  lui  en  anienail  2")  mille,  ce  qui  iorniait  un 
total  de  7^  mille  honunes.  Napoléon,  sui\i  du  ma- 
réchal Masséna  et  des  cuirassiers  d"Esj)ai;ne,  allait 
[)orter  à  90  mille  le  total  des  comijaltants  devant 
Eckmiihl.  (]"élait  plus  (pj'il  n'en  fallait  pour  acca- 
bler Tarchiduc  Charles,  fùt-il  déjà  réuni  à  larmée 
de  liohéme.  Napoléon  lit  dire  au  maréchal  Davout 
qu'il  arriverait  avec  toutes  ses  forces  entre  midi  et 
une  heure,  qu'il  sitinalerait  sa  présence  par  plu- 
sieurs salves  d'artillerie,  et  qu'il  faudrait  à  ce  si- 
gnal attaquer  sur-le-champ. 

Avant  de  partir  de  sa  personne,  Naj)oléon  prit 
encore  quelques  dispositions.  Il  donna  au  maréchal 
Bessières ,  chargé  de  poursuivre  au  delà  de  Tlsar 
les  deux  corps  de  Hiller  et  de  l'archiduc  Louis, 
outre  la  cavalerie  légère  de  Marulaz  et  une  portion 
de  la  cavalerie  allemande ,  la  division  bavaroise 
de  Wrède,  et  la  belle  division  française  Molitor. 
Il  ne  borna  pas  là  ses  précautions.  La  division  Bou- 
det,  l'une  des  quatre  de  Masséna,  et  la  division 
Tharreau ,  la  seconde  d'Oudinot ,  restaient  disponi- 
bles. Napoléon  les  échelonna  entre  le  Danube  et 
risar,  de  Neustadt  à  Landshut,  pour  veiller  à  tout 
ce  qui  pourrait  survenir  entre  les  deux  fleuves,  et 
se  porter  ou  à  Neustadt  sur  le  Danube,  si  une 
partie  de  l'armée  de  Bohème  essayait  de  menacer 
notre  ligne  d'opération,  ou  à  Landshut  sur  l'Isar, 
si  l'aichiduc  Louis  et  le  général  Ilillor,  séparés  du 
généraUssime ,  voulaient  réparer  leur  échec  par  un 
retour  offensif  contre  le  maréchal  Bessières. 


Avril  tSO» 


RATISBONNE.  163 

Ces  ordres  expédiés,  Napoléon  pailil  au  i^alop, 
acconipai^né  du  maréchal  Masséna,  pour  se  porter 
à  Eckmiilil,  Tuii  des  champs  de  bataille  immorta- 
lisés par  son  génie.  Il  partit  à  la  pointe  du  jour 
du  22.  Depuis  le  19  on  n'avait  cessé  de  combattre. 
On  allait  le  faire  dans  cette  journée  mémorable, 
avec  bien  plus  de  vigueur  et  en  pkis  grand  nombre 
que  les  jours  précédents. 

De  part  et  d'autre,  en  effet,  tout  se  préparait  pour      position 
une  action  décisive.  L'archiduc  Charles  ne  pouvait  ^'^  i archiduc 

'  Charles  autour 

plus  conserver  aucun  espoir  de  ramener  à  lui  sa  d  Eckmiihi. 
gauche ,  rejetée  au  delà  de  l'Isar.  Il  ne  devait 
plus  avoir  tju'un  désir,  celui  de  se  réunir  à  l'armée 
de  Bohême,  ce  qui  devenait  facile  depuis  la  prise 
de  Ratisbonne.  Mais  il  voulut,  à  son  tour,  tenter 
quelque  chose  qui,  en  cas  de  succès,  aurait  ré- 
tabli les  chances,  et  rendu  à  Napoléon  ce  qu'il 
avait  fait  aux  Autrichiens,  en  lui  enlevant  sa  ligne 
d'opération.  Il  conçut  donc  le  projet  singulier  d'es- 
sayer une  attaque  en  trois  colonnes  sur  Abach, 
dans  la  direction  même  que  le  maréchal  Davoul 
avait  suivie  pour  remonter  de  Ratisbonne  sur  Abens- 
berg.  (Voir  la  carte  n°  46.)  Ayant  maintenant  le  dos 
tourné  vers  Ratisbonne  et  la  face  vers  Landshut,  il 
n'avait  qu'à  faire  un  mouvement  par  sa  droite  sur 
Abach,  pour  exécuter  ce  projet  qui  le  plaçait  sur 
la  ligne  de  communication  des  Français;  et  comme 
il  n'y  avait  d'ailleurs  vers  Abach  que  l'avant-gardt^ 
du  général  ^lontbrun ,  laquelle ,  après  avoir  com- 
battu le  1 9  à  Dinzling  contre  le  corps  de  Roserberg, 
ne  cessait  d'escarmoucher  avec  les  troupes  légL'res 
autrichiennes,  il  eût  été  possible  de  percer,  et  de 

41. 


Avril  180D. 


164  I.IVIU-    XX\1\. 

ilôbouclior  sur  nos  dcnières.  Mais  l'arcliidiic  tou- 
jours hésitiiut,  soit  |)ar  la  crainte  de  ce  qui  pou- 
\ait  ariiver  de  toute  entreprise  hardie  devant  un 
adversaire  connue  Napoléon  ,  soit  par  la  crainte 
de  compromet  Ire  une  armée  sur  laquelle  reposait 
le  salut  de  la  nu>narcliie,  Tarcliiduc  apporta  dans 
rexécution  de  cette  nouvelle  entreprise  des  tâton- 
nements (jiii  devaient  en  rendre  le  succès  impos- 
sible. Dahord,  j)()ur  donner  au  général  Koliowratli, 
détaché  de  l'armée  de  Bohème,  le  temps  de  passer 
le  Danube,  il  décida  que  l'attaque  n'aurait  lieu 
qu'entre  raidi  et  une  heure,  moment  choisi  par  Na- 
poléon pour  forcer  le  passage  d'Eckmiihl.  Il  distri- 
bua ses  troupes  en  trois  colonnes.  La  première,  com- 
posée du  corps  de  KoUowrath,  ayant  une  partie  de 
la  brigade  Vecsay  pour  avant-garde,  devait  marcher 
de  Burg-Weinting  sur  Aliach.  (Voir  la  carte  n°  46.) 
Elle  était  de  24  mille  hommes.  La  seconde,  com- 
posée de  la  division  Lindenau  et  du  reste  de  la 
brigade  Vecsay,  devait,  sous  le  prince  Jean  de 
Liechtenstein,  marcher  par  Weilhoe  sur  Peising. 
Elle  était  de  1  2  mille  hommes ,  et  avait  l'archiduc 
généralissime  à  sa  léte.  La  troisième  enlin,  forte 
de  près  de  40  mille  honunes,  comj)osée  du  corps 
de  Rosenberg  qui  était  placé  aux  villages  d'Ober 
et  d'Unler-Leuchling,  en  face  du  maréclial  Davout, 
du  corps  de  Hohenzollern  (jui  barrait  la  chaussée 
d'Eckmiihl,  des  grenadiers  de  la  réserve  et  des 
cuirassiers  qui  gardaient  l'entrée  de  la  plaine  de 
Ralisbonne  vers  Egglofsheim ,  devait  rester  im- 
mobile et  défendre  contre  les  Français  la  route  de 
Landshut  à  Ratisbonne,  tandis  que  les  deux  prc- 


RATISBONNE.  165 

niières colonnes  feraient  leur  etVorl  sur  Ahacli.  Lar-  

1  •  ,  ■  -,  «  ,,.,..  Avril  1809. 

chiduc  se  préparait  donc  a  prendre  1  oliensive  par 
sa  droite,  forte  de  3G  mille  hommes,  tandis  que  sa 
gauche,  forte  de  40  mille,  se  tiendrait  sur  la  défen- 
sive, à  mi-côte  des  hauteurs  qui  séparent  la  grosse 
Laber  de  la  vallée  du  Danube.  Napoléon  ,  de  son 
côté,  marchant  au  secours  du  maréchal  Davout  sur 
Eckmiihl,  allait  se  ruer  sur  cette  gauche  avec  toutes 
ses  forces ,  les  deux  généraux  ennemis  agissant 
ainsi  sur  les  communications  l'un  de  l'autre,  mais 
le  premier  avec  hésitation,  le  second  avec  une  irré- 
sistible vigueur.  Cette  gauche  de  l'archiduc,  qui 
devait  nous  disputer  la  route  de  Ratisbonne  aux  en- 
virons d'Eckmiihl,  était  disposée  comme  il  suit.  Le 
corps  de  Rosenberg  était  établi  à  mi-côte  sur  les 
hauteurs  qui  bordent  la  Laber,  derrière  les  deux 
villages  d'Ober-Leuchling  et  d'Unter-Leuchling , 
flanquant  la  chaussée  de  Ratisbonne.  Un  peu  plus 
loin  et  plus  bas  se  trouvait  le  corps  de  Hohenzol- 
lern,  occupant  les  bords  de  la  grosse  Laber,  le 
château  d'Eckmiihl ,  les  rampes  que  la  chaussée  de 
Ratisbonne  forme  au-dessus  de  ce  château.  Sur  le 
revers  au  milieu  de  la  plaine  de  Ratisbonne,  se  te- 
nait toute  la  masse  des  cuirassiers  et  des  grena-  - 
diers,  en  avant  et  en  arrière  d'Egglofsheim.  C'était 
donc  en  face  des  deux  villages  d'Ober  et  d'Unter- 
Leuchling,  puis  sur  la  chaussée  d'Eckmiihl,  et  en- 
fin dans  la  plaine  de  Ratisbonne ,  que  l'action  devait 
se  passer. 

Jusqu'à  huit  heures  un  épais  brouillard  enve-  j^imiihi, 
loppa  ce  champ  de  bataille,  de  l'aspect  le  plus  jj^'^avrii 
agreste,  et  où  allait  couler  le  sang  de  tant  de  mil-       isos). 


^66  LIVHE   XXXIV 


liers  d'hommes.  Dos  (iiio  lo  hronilliinl  disnanit,  on 

se  prépara  de  pari  cl  d'antre,  les  uns  ii  la  déleiise , 
les  autres  à  ratlacpie.  \a-  maréchal  Davout  disp(3sa 
vers  sa  i^auche  la  di\  isioii  Friant  {joiir  la  «lirii^er  sur 
les  sommets  boises  auxquels  s'appuyaient  les  deux 
villai^es  d'Ober  et  d'Unter-Leuclilinir,  vers  sa  droite 
ia  division  Saint-Hilaire  pour  atlatpier  de  front  les 
deux  \illae;es  que  les  Autrichiens  occupaient  en 
l'.éparatifs    forcc.  Plus  à  droite  et  plus  bas,  sur  le  bord  de  la 

f'riix  armées,  grosse  Labcr ,  il  avait  rangé  les  cavaleries  bava- 
roise et  wurtembergeoise,  et  en  arrière  les  divi- 
sions de  cuirassiers  français  qui  étaient  déjà  arri- 
vées. Les  Autrichiens  de  leur  côté  s'établissaient 
de  leur  mieux  sur  les  hauteurs  qu'ils  avaient  à  dé- 
fendre. Le  prince  de  Rosenberg  avait  fait  barricader 
le  village  d'Unter-Leuchling,  le  plus  menacé  des 
deux,  placé  une  partie  de  ses  forces  dans  l'intérieur 
de  ces  deux  villages,  et  le  reste  au-dessus  sur  un 
plateau  boisé  qui  les  dominait.  Pour  se  relier  avec 
la  chaussée  d'Eckmiihl,  qui  passait  derrière  lui,  il 
avait  déployé  sur  un  coteau  le  régiment  de  Czar- 
toryski,  avec  beaucoup  d'artillerie,  de  manière  à 
labourer  de  ses  boulets  toute  la  vallée  par  laquelle 
devaient  se  présenter  les  Français.  La  brigade  Bi- 
ber,  du  corps  de  HohenzoUern,  était  en  masse  pro- 
fonde le  long  de  la  chaussée  au-dessus  dEckmùhl, 
tandis  que  Wukassovich  occupait  avec  plusieurs  dé- 
tachements l'autre  rive  de  la  grosse  Laber,  attendant 
les  Français  (pii  venaient  de  Landshul.  A\ant  midi 
pas  un  coup  de  fusil  ou  de  canon  ne  troubla  les  airs. 
Ou  discernait  seulement  de  nombreux  mouvements 
d'hommes  et  de  che\an\,  et  sur  ces  coteaux  cou- 


RATISBONNE.  %^ 

verts  de  bois,  au  milieu  de  ces  prairies  humides  et • 

.  ,         .  ,  ,.  Avril  1809. 

verdoyantes ,  on  voyait  se  dessmer  en  lon2;ues  hunes 
blanches  les  masses  de  l'armée  autrichienne. 

Vers  midi  d'épaisses  colonnes  de  troupes  paru- 
rent dans  la  direction  de  Landshut  :  c'étaient  les 
divisions  Morand  et  Gudin  précédées  des  Wurteni- 
bergeois,  suivies  des  maréchaux  Lannes  et  Mas- 
séna,  et  de  Napoléon  lui-même,  qui  accouraient  tous 
au  galop.  Les  troupes  françaises  arrivant  de  Lands-  ucncontre 
hut  débouchaient  par  Buchhausen,  d'une  chaîne  de  av;mt-£'!rrdL  à 
coteaux  placée  vis-à-\is  d'Eckmiihl ,  et  formant  la  Buchhausen. 
berge  opposée  de  la  vallée  de  la  grosse  Laber. 
(Voir  la  carte  n"  47.)  Sans  qu'on  eut  à  donner  le 
signal  convenu,  la  rencontre  des  avant- gardes  an- 
nonça le  cornmencement  du  combat.  Les  Wurtem- 
bergeois,  en  débouchant  de  Buchhausen,  furent 
accueillis  par  la  mitraille  partant  d'une  batterie 
de  Wukassovich ,  et  par  les  charges  de  sa  cavale- 
rie légère.  Repoussés  d'abord,  mais  ramenés  bien- 
tôt en  avant  par  le  brave  Vandamme,  soutenus 
par  les  divisions  Morand  et  Gudin,  ils  enlevèrent 
Lintach,  bordèrent  la  grosse  Laber  devant  Eck- 
miihl,  et  se  lièrent  par  leur  gauche  avec  la  divi- 
sion Demont  et  les  Bavarois,  A  leur  droite,  les 
avant-postes  de  la  division  Gudin  vinrent  se  ré- 
pandre entre  Deckenbach  et  Zaitzkofen,  vis-à-vis 
d'Eckmiihl  et  de  Roking. 

Au  premier  coup  de  canon  tiré  à  l'avant- garde,       combat 
l'intrépide  Davout  ébranla  ses  deux  divisif  (is.  1/ar-  Da^ou^TOnfre 
tillerie  française  vomit  d'abord  une  grêle  de  pro-    '^jîjnier^' 
jectiles  sur  tout  le  front  des  Autrichiens,   et  les     etdober- 
obligea  à  se  renfermer  dans  les  villages  d'Unter  et 


Avril  1809. 


468  LIVHK   XXXIV. 

(r()l)er-LLMit'lilinf,'.  Les  divisions  Friaiit  (3l  Saiut-Hi- 
lairc  s'avancèrent  en  ordre,  la  première  à  û;auche 
sur  les  bois  au\(|iiels  s'aj)j)uyait  la  droite  du  corps 
de  Rosenber.::;; ,  la  seconde  à  droite  sur  les  Nillaii;es 
d'Ober- Leucliiini;  et  d'Unler  -  Leuchlini^;,  situés 
tous  deux  à  une  portée  de  fusil.  Une  mousqueterie 
des  plus  meurtrières  assaillit  la  division  Saint-Hi- 
laire  dans  son  mouvement  contre  les  deux  vil- 
lai^es,  mais  n'ébranla  point  cette  vieille  troupe ,  qui 
était  conduite  parle  brave  Saint-Hilaire,  surnonnné 
dans  l'armée  le  chevalier  sans  peur  et  sans  reproche. 
Le  villai^e  d'Ober-Leuchlinij;,  plus  enfoncé  dans 
le  ravin  et  d'un  abord  moins  diflicile,  fut  emporté 
le  premier.  Celui  d'Unter-Leucliling,  plus  en  de- 
iiors,  plus  escarpé,  et  l^arricadé  intérieurement, 
fut  énert!;iquement  défendu  par  les  Autrichiens.  Le 
iO"  léger,  qui  était  chargé  de  l'attaque,  exposé  au 
double  feu  du  village  et  du  bois  en  dessus,  per- 
dit en  un  instant  500  hommes  morts  ou  blessés.  Il 
ne  se  troubla  point,  pénétra  dans  le  \illagc  barri- 
cadé, y  tua  à  coups  de  baïonnette  tout  ce  qui  ré- 
sistait, et  y  fit  plusieurs  centaines  de  prisonniers. 
Les. régiments  de  Bellegarde  et  de  Reuss-Graitz  qui 
nous  avaient  disputé  les  deux  villages,  se  retirè- 
rent alors  en  arrière  sur  le  plateau  boisé,  et  s'y 
défendirent  avec  une  nouvelle  vigueur.  Pendant 
ce  temps  la  division  Kriant  avait  attaqué  à  gau- 
che les  bois  auxquels  se  liaient  les  deux  villages, 
et  y  avait  refoulé  les  régiments  de  Chasteler,  ar- 
ciiiduc  Louis  et  Cobourg,  formant  la  droite  du 
prince  de  Rosenberg.  Après  un  feu  de  tirailleurs 
très-meurtrier,  le  48"  et  le  HT,  conduits  par  le 


Avril  1809. 


IIATISBOXNE.  m9 

général  BarbaiièiJjre ,  se  jetèrent  baïonnette  baissée 
dans  toutes  les  éclaircies  des  bois  occupées  par  les 
masses  autrieliiennes,  et  renversèrent  celles-ci.  Le 
corps  de  Rosenberg  poussé  ainsi  d'un  coté  vers  les 
bois  qui  couronnaient  la  chaîne ,  de  l'autre  au  delà 
des  deux  villages,  sur  le  plateau  boisé  qui  les  do- 
minait, fut  acculé  vers  la  coupure  à  travers  laquelle 
passait  la  chaussée  d'Ecknuihl.  Retiré  sur  ce  point , 
il  essava  de  s'v  maintenir.  En  ce  moment,  dans  le 
bas  à  droite,  devant  Eckmiihl,  les  attaques  com- 
mençaient avec  une  égale  vigueur.  Tandis  que  la  prjsg 
cavalerie  des  Bavarois ,  appuyée  par  nos  cuiras-  ,1",^^''!?" 
siers ,  chargeait  dans  la  i)rairie  la  cavalerie  des  '«s  wurtem- 
Autrichiens ,  les  fantassins  wurtembergeois  s'é- 
taient élancés  sur  Eckniiihl  poiu'  l'enlever  à  l'in- 
fanterie de  Wukassovich.  Assaillis  par  une  grêle 
de  balles  parties  des  muiailles  du  château,  ils  ne 
se  découragèrent  pas,  et  revenant  à  la  charge,  ils 
l'emportèrent.  On  aperçut  alors  la  chaussée  dont 
les  rampes  s'élevaient  dans  la  montagne,  couverte 
de  masses  profondes  d'infanterie  et  de  cavalerie. 
D'un  côté  à  gauche  se  vovaient  les  restes  de  Ro- 
senberg  défendant  le  plateau  situé  au-dessus  des 
villages  d'Ober  et  d'Untor-Leuchling,  de  l'autre 
côté  à  droite  les  hauteurs  boisées  de  Roking,  où 
était  établie  une  partie  de  la  brigade  Biber.  Il  fallait 
donc  enlever  ces  points,  et  enfoncer  entre  deux 
les  masses  qui  barraient  la  chaussée. 

Napoléon,  accompagné  de  Lannes  et  de  3Iasséna,       Attaque 
ordonna  l'attaque  décisive,  pendant  que  le  général    J^'^Jàu^^^e 
Cervoni,  brave  officier,  dé{)l()yant  une  carte  sous    dE.kmuhi. 
leurs  yeux,  était  emporté  par  un  boulet.  Lannes 


Avril  «K09. 


170  I.IVHH    XWIV. 

(■(ludiiisit  à  droite  la  (li\ision  diidin  sur  les  hau- 
lems  boisées  de  Uokiiii;.  Celte  tli\ision  ])assa  la 
4?rosse  l.aIxM'  an  poiiU  de  Slaiiirlmiihic,  d'un  côté 
t:ra\il  direeleinent  les  hauteurs  «le  Uokinp;,  do  l'au- 
tre, proloujL'eant  son  mouvement  à  droite,  déhorrla 
ces  hauteurs,  et  les  enleva  successivement  à  la 
hriirade  Biher,  (jui  les  disputa  pied  à  pied.  Sur  la 
chaussée,  la  cavalerie  à  son  tour  s'élança  sur  ce 
terrain,  (jui  présentait  une  montée  assez  roide,  et 
qui  était  couvert  d'une  épaisse  colonne.  Ce  furent 
les  cavaliers  bavarois  et  wurlemhergeois  qui  char- 
i^èrent  les  j)remiers  et  qui  rencontrèrent  la  cava- 
lerie léiïère  des  Autrichiens.  Celle-ci  se  préci|)itant 
avec  bravoure  sur  un  terrain  en  pente,  culbuta  nos 
alliés  jusqu'au  bord  de  la  grosse  Laber.  Les  cui- 
rassiers français,  venant  à  leur  secours,  gravirent 
la  pente  au  galop,  renversèrent  les  cavaliers  autri- 
chiens, et  par\inrent  au  sommet  de  la  chaussée  à 
l'instant  même  où  l'infanterie  de  Gudin,  maîtresse 
de  la  hauteur  de  lloking,  apparaissait  sur  leur  tête. 
Cette  infanterie,  à  l'aspect  des  cuirassiers  français 
gravissant  la  chaussée  au  galop  et  enfonçant  les 
Autrichiens  malgré  le  désavantage  du  terrain,  se 
mit  à  battre  des  mains  en  criant  :  Vivent  les  cui- 
rassiers ! 

A  gauche  la  lutte  continuait  entre  Saint-Hilaire 
et  les  réiîiments  de  Belleearde  et  de  Reuss-Graitz, 
(fui  disputaient  le  plateau  boisé  au-dessus  de  Leuch- 
ling.  Saint-Hilaire  y  pénétra  enfin,  en  chassa  les 
deux  régiments  et  les  refoula  sur  la  chaussée.  A 
cette  vue  les  braves  généraux  Stutterheim  et  Som- 
mariva  s'élancèrent  avec  les  chevaux -légers   de 


RATISBONNE.  171 

Vincent  et  les  hussards  de  Stipsicz  sur  rinfanleric ■ 

,       ,^    .,,,.,     •  ^1     •  Il  -1  A  ,  Avril  1809. 

de  Sauit-Hilaue.  Mais  celle-ci  les  arrêta  en  leur 
présentant  ses  baïonneUes,  les  ramena  sur  le  bord 
de  la  chaussée  de  Ratisbonne,  et  la  couronna  d'un 
côté,  tandis  que  Tinfanterie  de  Gudin  la  couronnait 
de  l'autre.  La  cavalerie  autrichienne,  accumulée 
alors  sur  la  chaussée,  fit  de  nouveaux  efforts  contre 
la  masse  de  nos  cavaliers,  chargea,  fut  chargée  à 
son  tour,  et  finit  par  céder  le  terrain. 

A  cette  heure  l'obstacle   était  forcé  de  toutes    La  chanssée 
parts ,  et  la  chaussée  de  Ratisbonne  nous  appar-     '^c^îevTè^' 

tenait,  car  à  gauche  Priant  traversant  le  bois  qui  l'armép  fran- 
çaise 
surmontait  la  chaîne   descendait  déjà  sur  le  re-     débouche 

vers  des  hauteurs,  et  à  droite  Gudin  franchissant  ^"^  de''^'"^ 
aussi  cette  chaîne,  commençait  à  déboucher  dans  ^^''^''"""^'• 
la  plaine  de  Ratisbonne  vers  Gaiisbach.  Les  troupes 
de  Rosenberg  et  de  Hohenzollern  débordées  de 
droite  et  de  gauche,  vinrent  chercher  un  abri  der- 
rière la  masse  des  cuirassiers  autrichiens  qui  était 
rangée  en  bataille  à  E2:2:lofsheim.  Notre  cavalerie 
les  suivit  au  erand  trot,  avant  à  eauche  l'infanterie 
Priant  et  Saint-Hilaire ,  à  droite  l'infanterie  Gudin. 
Il  était  sept  heures  du  soir,  la  nuit  approchait,  et       Furieux 

,        . ,         ,  1-1  •  1  •  combat 

derrière  les  cavaliers  bavarois  et  wurtembergeois  de  cavaiene 
nos  alliés,  débouchaient  en  masse,  faisant  retentir  '^"Xfshetm.^" 
la  terre  sous  le  pas  de  leurs  chevaux ,  les  dix  régi- 
ments de  cuirassiers  de  Nansouty  et  de  Saint-Sulpice. 
Un  terrible  choc  était  inévitable  entre  les  deux  ca- 
valeries, l'une  voulant  couvrir  la  plaine  dans  la- 
quelle en  ce  moment  se  repliait  l'archiduc  Charles, 
et  l'autre  voulant  conquérir  cette  plaine  pour  y 
terminer  sa  victoire  sous  les  murs  mêmes  de  Ratis- 


A\ri)  1809. 


Mi  IJVHK   XXX  IV. 

bonne.  Pendant  que  nos  cuirassiers  s'avancent  sur 
la  chaussée  flan((nés  (h;  la  cavalerie  alliée,  contre 
les  cuirassiers  autrichiens  |)lacés  aussi  sur  la  chaus- 
sée, et  llaiHjués  de  leur  cavalerie  léi^ère,  la  masse 
des  cavaliers  ennemis  s'ébranle  la  première  à  la 
lueur  du  crépuscule.  Les  cuirassiers  de  Gottesheim 
fondent  au  iralop  sur  les  cuirassiers  français.  (]eux- 
ci,  attendant  avec  sanij;-froid  leurs  adversaires,  font 
une  déchariïc  de  toutes  leurs  armes  à  feu,  puis 
une  partie  d'entre  eux,  s'élançant  à  leur  tour, 
prennent  en  flanc  les  cuirassiers  ennemis ,  les  ren- 
versent, et  les  poursuivent  à  outrance.  Alors  les 
cuirassiers  autrichiens,  dits  de  l'empereur,  vien- 
nent au  secours  de  ceux  de  Gottesheim.  Les  nôtres 
les  reçoivent  et  les  repoussent.  Les  braves  hussards 
de  Stipsicz  veulent  prêter  appui  à  leur  grosse  ca- 
valerie, et  ne  craignent  pas  de  se  jeter  sur  nos  cui- 
rassiers. Après  un  honorable  effort  ils  sont  culbutés 
connue  les  autres,  et  toute  la  masse  de  la  cavalerie 
autrichienne  dispersée  s'enfuit  au  delà  d'Egglofs- 
heim  sur  Kofering.  Tandis  que  nos  cavaliers  sui- 
vent la  chaussée  au  galop,  ceux  des  Autrichiens, 
trouvant  la  plaine  marécageuse,  veulent  regagner 
la  chaussée,  se  mêlent  ainsi  au  torrent  des  nôtres, 
et  tombent  dans  nos  rangs.  Une  foule  de  combats 
singuliers  s'engagent  alors  aux  douteuses  clartés 
de  la  lune,  et  au  milieu  de  l'obscurité  qui  com- 
mence, on  n'entend  que  le  cliquetis  des  sabres  sur 
les  cuirasses,  le  cri  des  combattants,  le  pas  des 
chevaux.  Nos  cuirassiers  portant  la  double  cuirasse, 
couverts  par  conséquent  dans  tous  les  sens,  ont 
moins  de  peine  à  se  défendre  (jue  les  Autrichiens, 


Avril  1809. 


RATISBONNE.  173 

([iii  ne  porlanl  de  cuirasse  que  sur  la  poitrine, 
loml)ent  en  grand  ncnnhie  sous  les  coups  de  pointe 
qu'ils  reçoivent  par  derrière.  Une  foule  de  ces  mal- 
heureux sont  ainsi  blessés  à  mort.  Jamais  depuis 
vingt  ans  on  n'a  vu  une  pareille  scène  de  désolation. 

Cependant  la  nuit  étant  faite,  il  devient  prudent 
d'arrêter  le  coml)at.  En  s'avançant  on  peut  rencon- 
trer en  désordre  l'armée  de  l'archiduc  se  repliant 
sur  Ratisbonne ,  et  la  jeter  dans  le  Danube  ;  mais 
on  peut  aussi  la  trouver  rangée  en  ordre,  et  en 
masse,  sous  les  murs  de  cette  ville,  et  capable 
d'arrêter  des  vainqueurs  qui  débouchent  sans  en- 
semble, à  travers  plusieurs  issues,  de  la  vallée  de 
la  grosse  Laber.  Napoléon  arrive  en  ce  moment  avec 
Masséna  et  Lannes  à  Egglofsheim.  Après  quelques 
instants  de  délibération ,  le  parti  le  plus  sage  l'em- 
porte, et  il  remet  au  lendemain  à  livrer  une  seconde 
bataille,  si  l'archiduc  tient  devant  Ratisbonne,  ou 
à  le  poursuivre  au  delà  du  Danube,  s'il  se  retire 
derrière  ce  fleuve.  Il  donne  donc  l'ordre  de  l)i- 
vouaquer  surplace.  C'était  agir  sagement,  car  les 
troupes  expiraient  de  fatigue,  celles  surtout  (pii 
venaient  de  Landshut.  Il  n'y  avait  même  d'airivés 
que  les  Wurtembergeois,  Morand  et  Gudin.  Les 
trois  divisions  de  Masséna  se  trouvaient  encore  en 
arrière. 

Cette  journée  du  %%,  dite  bataille  d'Eckmiihl,  et  Résnitais 
méritant  le  titre  de  bataille  par  le  nombre  des  troupes 
engagées,  par  Timportance  décisive  de  l'événe- 
ment, nous  avait  coûté  environ  2,500  honnnes  hors 
de  combat,  la  plus  grande  partie  api)artenant  aux 
divisions  Friant  et  Saint-Hilaire,  lesquelles  par  leir 


(le   la  bataille 
d  Eckmtihl. 


Avril  4  809. 


474  LIMU"    WXIV. 

conduite  dans  ces  (jualrc  jours,  ohliiucnl  pour  leur 
chef  le  titre  de  prince  dEckmiihl,  titre  glorieux 
l)ien  justeinenl  ac(pus.  KIU^  avait  coûté  aux  Autri- 
cliiens  en\iron  (i  niilh^  morts  ou  blessés,  un  irrand 
nombre  de  bouches  ii  feu,  et  3  ou  4  mille  prison- 
niers, recueillis  à  la  nuit  dans  les  \illaires  que  Ton 
traversait  à  mesurer  (pie  l'armée  autrichienne  bat- 
tait en  retraites  (^ette  bataille  avait  déiinitivement 
séparé  Tarchiduc  Charles  des  corps  de  Hiller  et  de 
1  archiduc  Louis,  et  Tavait  rejeté  en  désordre  sur 
la  liohèmc,  a|)rès  lui  avoir  enlevé  sa  lii^ne  d'opé- 
ration, la  Bavière,  et  la  iïrande  route  de  Vienne. 

Napoléon,  ])our  la  première  fois  depuis  quatre 
jours,  put  prendre  un  instant  de  repos,  et  le  prit 
bien  court,  car  il  voulait  achever  le  lendemain  la 
série  de  ces  grandes  et  belles  opérations.  Il  se  dou- 
tait bien  du  reste  qu'il  n'aurait  pas  de  bataille  à  li- 
vrer, et  que  Tarchiduc  Charles  passerait  le  Danube 
en  toute  hâte,  mais  il  prétendait  lui  rendre  ce  pas- 
sage dillicile  et  même  funeste,  s'il  était  possible. 

De  son  coté  l'archiduc  Charles,  qui  s'était  arrêté 
dans  son  mouvement  sur  Abach  en  apprenant  le 
malheur  de  sa  gauche,  et  qui  n'avait  rien  fait  pour 
le  prévenir  à  temps,  l'archiduc  consterné,  et  se 
reprochant  vivement  alors  de  n'avoir  pas  persé- 
véré davantage  dans  sa  résistance  à  la  politique  de 
la  guerre,  n'avait  pas  autre  chose  à  faire  qu'à 
traverser  promptement  le  Danube  pour  rejoindre 
l'armée  de  Bohème,  dont  il  avait  déjà  rallié  la  moi- 
tié sous  Kollowrath,  et  de  descendre  ensuite  le 
grand  fleuve  autrichien  sur  une  rive,  tandis  que 
Napoléon  le  descendrait  sur  l'autre.  Livrer  une  ])a- 


RATISBONNE.  1i75, 

taille  avec  le  Danube  à  dos,  eùl  été  une  faute  cou-  

,-,,,,  „  Avril  1809. 

tre  les  rci^les  de  la  ii:uerre,  et  une  taute  tou(  a  lait 
inexcusable  dans   l'état  de  Tarmée  autrichienne, 
qui,  quoiqu'elle  se  fut  bien  conduite,  était  revenue 
au  sentiment  de  son  infériorité  à  l'égard  de  l'armée 
française.  La  cavalerie  de  l'archiduc  Charles  d'ail- 
leurs était  trop  peu  nombreuse  pour  disputer  à  la 
cavalerie  française  la  vaste  plaine  dans  laquelle  on 
se  trouvait.  L'archiduc  résolut  donc  de  passer  sans     l  archiduc 
délai  le  Danube,  soit  sur  le  pont  de  pierre  de  Ra-  ckfj'r passer 
tisbonne,  soit  sur  un  pont  de  bateaux  jeté  un  peu    le  Danube  à 
au-dessous  de  cette  ville ,  au  moyen  d'un  matériel        afin 

1  n  '        1       T»    1    A  ■  •  /     de  so  rcfuijicr 

de  passage  que  1  armée  de  Bohême  avait  amené  en  Bohême 
avec  elle.  Il  fut  décidé  que  le  corps  de  Kollowrath, 
dirigé  sur  Abacli  le  matin ,  et  ramené  le  soir  d'A- 
bach  sur  Burg-Weinting,  couvrirait  la  retraite,  car 
n'ayant  pas  donné  encore  il  était  moins  fatigué  que 
les  autres.  Le  gros  de  l'armée  devait  traverser  Ra- 
tisbonne,  franchir  le  Danube  sur  le  pont  de  cette 
ville,  pendant  que  le  corps  de  réserve  passerait 
sur  le  pont  de  bateaux  jeté  au-dessous,  et  que  la 
cavalerie  évoluerait  dans  la  plaine,  pour  occuper 
les  Français  en  faisant  le  coup  de  sabre  avec  eux. 
Le  lendemain  23  les  dispositions  de  l'archiduc 
furent  exécutées  avec  assez  d'ordre  et  de  succès. 
Bien  avant  le  jour  les  divers  corps  de  l'armée  tra- 
versèrent Ratisbonne,  tandis  que  le  général  Kollo- 
wrath, se  retirant  avec  lenteur  vers  la  ville,  donnait 
aux  troupes  de  l'archiduc  le  temps  de  dealer.  Les 
grenadiers  s'étaient  agglomérés  au-dessous  de  Ra- 
tisbonne pour  opérer  leur  passage.  La  cavalerie  ma- 
nœuvrait entre  Ober-Traul)ling  et  Burg-Weinting. 


176  i.ivui:  WXIV. 
Les  Français  do  leur  côté  se  mirent  en  mouvement 

AvriM899.        ,       „  ,  ,  ..... 

(le  fort  l)onnc  heure,  tenus  en  éveil  par  la  victoire 
Les  Français    presuue  aulaut  (lue  les  Autrichiens  par  la  défaite. 

poursuivent      i  i  i  » 

les  Dès  qu'on  put  discerner  les  objets,  la  ca\alerie  lé- 

Autrichiens  ,  1  1      TV'  1  '  • 

SOUS  les  murs  i^crc ,  par  onlrc  de  Napoléon,  s  avança  en  recon- 
Ratisbonnc  naissauce  sur  la  cavalerie  autricliienne,  pour  savoir 
si  c'était  une  bataille  qu'on  aurait  à  livrer,  ou  des 
fuyards  qu'on  aurait  à  poursuivre.  La  cavalerie 
autrichienne,  qui,  dans  ces  circonstances,  n'avait 
cessé  de  se  conduire  avec  le  plus  grand  dévoue- 
ment, se  précipita  sur  la  notre,  et  il  s'engagea  entre 
les  deux  une  nouvelle  mêlée  où  toutes  les  armes 
tombèrent  dans  une  affreuse  confusion.  Les  cava- 
liers autrichiens  perdirent  par  ce  noble  dévouement 
près  d'un  millier  dhonunes;  mais  se  retirant  tou- 
jours sur  la  ville,  à  travers  laquelle  ils  détilaient  au 
galop,  ils  attirèrent  notre  attention  de  ce  coté,  et 
réussirent  ainsi  à  nous  dérober  la  vue  du  pont  de 
bateaux  par  lequel  passaient  les  grenadiers.  Un  dé- 
tachement de  cavalerie  légère  s'en  aperçut  enfin, 
signala  le  fait  à  l'artillerie  de  Lannes,  qui,  accou- 
rue au  galop,  se  mit  à  foudroyer  les  Autrichiens. 
On  y  tua  grand  nombre  de  grenadiers,  on  en  noya 
beaucoup  d'autres,  et  on  détruisit  même  le  pont, 
dont  les  bateaux  désunis  et  enflanuués  furent  bien- 
tôt emportés  par  le  Danube.  Mais  le  gros  des  troupes 
put  se  retirer,  sauf  une  perte  de  quelques  centaines 
dhonunes.  Le  maréchal  Davout  à  gauche,  avec  Jes 
divisions  Frianl  et  Saint-Hilaire,  le  maréchal  Lannes 
à  droite,  avec  les  divi.<ions  Morand  et  Gudin,  la  ca- 
valerie au  centre,  ne  débouchèrent  sur  la  ville  qu'au 
moment  où  les  derniers  bataillons  autrichiens  la 


RATISBONNE.  457 


Avril  1809. 


traversaient.  Les  portes  en  furent  inunédiatenienl 
fermées  sur  nos  voltigeurs. 

Napoléon  y  voulait  entrer  dans  la  journée  mémo,  Attaiiue 
soit  pour  vénérer  récliec  du  Go'=  de  liiiue,  soit  pour  ,  1* 
avoir  le  pont  du  Danube,  et  s'assurer  ainsi  le  moyen 
de  suivre  rarcliiduc  Charles  en  Bohême.  La  ville 
était  enveloppée  d'une  simple  muraille,  avec  des 
tours  de  distance  en  distance,  et  un  large  fossé.  Elle 
ne  pouvait  pas  donner  lieu  à  un  siège  régulier;  mais 
défendue  par  beaucoup  de  monde,  elle  pouvait  te- 
nir quelques  heures,  même  quelques  jours,  et  sin- 
gulièrement ralentir  notre  poursuite.  Napoléon  or- 
donna que  Tartillerie  des  maréchaux  Davout  et 
Lannes,  tirée  des  rangs,  fut  mise  en  ligne  tout 
entière,  pour  abattre  les  murs  de  cette  malheureuse 
cité.  Sur-le-champ  un  grand  nombre  de  pièces  com- 
mencèrent à  vomir  les  boulets  et  les  obus,  et  le  feu 
éclata  en  plusieurs  quartiers. 

Napoléon,  impatient  de  venir  à  bout  de  cette 
résistance,  s'était  approché  de  Ratisbonne,  au  mi- 
lieu d'un  feu  de  tirailleurs  que  soutenaient  les  Au- 
trichiens du  haut  des  murs,  et  les  Français  du  bord 
du  fossé.  Tandis  qu'avec  une  lunette  il  observait  Napoléon 
les  lieux,  il  reçut  une  balle  au  cou-de-pied,  et  ai/pS. 
dit  avec  le  sang-froid  d'un  vieux  soldat  :  Je  suis 
touché  !  —  Il  l'était  effectivement,  et  d'une  manière 
qui  aurait  pu  être  dangereuse ,  car  si  la  balle  eût 
porté  plus  haut,  il  avait  le  pied  fracassé,  et  l'ampu- 
tation eût  été  inévitable.  Les  chirurgiens  de  la  garde 
accourus  auprès  de  lui  enlevèrent  sa  botte  et  placè- 
rent un  léger  appareil  sur  la  blessure,  qui  était  peu 
grave.  A  la  nouvelle  que  l'Empereur  était  blessé, 

TOM.  X.  '12 


Avril  IS09. 


178  LIVRE  XXXIV. 

les  soldais  des  corps  los  plus  voisins  ronipiront  spon- 
taiiéiuonl  leurs  nni.i:>,  jjoiir  lui  jidrusser  de  i)liis  près 
les  bruyants  ti'ni(iii:iiai:es  de  leuraflection.  lln'v  en 
avait  pas  un  cpii  ne  crût  son  existence  attachée  à  la 
sienne.  Napoléon,  tlonnanl  la  main  aux  plus  rap- 
prochés, leur  aflirnia  cpie  ce  n'était  rien,  remonta 
immédiatement  à  cheval ,  et  parcourut  le  front  de 
larmée  pour  la  rassurer.  Ce  fut  un  délire  de  joie  et 
d'enthousiasme.  On  saluait  en  lui  Iheureux  vain- 
(jueur  dKckmiilil,  (jue  la  mort  venait  delïleurer  à 
peine,  pour  apprendre  à  tous  que  le  danger  lui  était 
commun  avec  eux,  et  que  s'il  prodiguait  leur  vie, 
il  ne  ménageait  guère  la  sienne.  Il  passa  devant  les 
corps  qui  s'étaient  le  mieux  conduits,  fit  sortir  des 
rangs  les  olliciers  et  même  les  soldats  signalés  par 
leur  bravoure,  et  leur  donna  à  tous  des  récompen- 
ses. 11  y  eut  de  simples  soldats  qui  reçurent  des 
dotations  de  quinze  cents  francs  de  rente. 

Cependant  ce  n'était  pas  tout  à  ses  yeux  que  d'é- 
changer ces  joyeuses  félicitations,  il  fallait  achever 
de  vaincre,  et  il  envoyait  aide  de  camp  sur  aide 
l'nse  de  Ra-  Je  camp  auprès  du  maréchal  Lannes,  pour  accélé- 

lisbcjuio.  .  ^  * 

rer  la  prise  de  Ratisbonne.  Cet  intrépide  maréchal 
s'était  approché  de  la  porte  de  Straubing,  et  avait 
fait  diriger  tous  les  coups  de  son  artillerie  sur  une 
maison  saillante  (pii  dominait  l'enceinte.  Bientôt 
celte  maison,  abattue  par  les  boulets,  s'écroula 
dans  le  fossé,  et  le  combla  en  partie.  L'obstacle  n'é- 
tait dès  lors  plus  aussi  diiUcile  à  vaincre,  mais  il 
restait  toujours  un  double  escarpement  à  franchir 
•soit  pour  descendre  dans  le  fossé,  soit  pour  remon- 
ter sur  le  mur  vis-à-vis,  qui  n'était  qu'à  moitié  ren- 


RATISBONXE.  179 

versé.  On  s'était  procuré  quelques  échelles.  Des  gre- 
nadiers du  S'6^  s'en  saisirent ,  et  les  placèrent  au  bord 
du  fossé.  Mais  chaque  fois  qu'un  d'entre  eux  pa- 
raissait, des  balles  tirées  avec  une  grande  justesse 
rabattaient  à  l'instant.  Après  que  quelques  hom- 
mes eurent  été  frappés  de  la  sorte,  les  autres  sem- 
blèrent hésiter.  Alors  Lannes  s'avançant  tout  cou 
vert  de  ses  décorations,  s'empara  de  l'une  de  ces 
échelles,  en  s'écriant  :  Vous  allez  voir  que  votre 
maréchal,  tout  maréchal  qu'il  est,  n'a  pas  cessé 
d'être  un  grenadier.  —  A  cette  vue  ses  aides  de 
camp,  Marbot  et  Labédoyère,  s'élancent,  et  lui  ar- 
rachent l'échelle  des  mains.  Les  grenadiers  les  sui- 
vent, prennent  les  échelles,  se  précipitent  en  foule 
sur  le  bord  du  fossé,  et  y  descendent.  Les  coups  de 
l'ennemi,  tirés  sur  un  plus  grand  nombre  d'hommes 
à  la  fois,  et  avec  plus  de  précipitation,  n'ont  plus 
la  même  justesse. -On  franchit  le  fossé,  on  escalade 
le  mur  à  moitié  renversé  par  nos  boulets.  Les  gre- 
nadiers du  8'6%  suivant  MM.  Labédoyère  etMarbot, 
pénètrent  ainsi  dans  la  ville,  se  dirigent  vers  l'une 
des  portes  et  l'ouvrent  au  85",  qui  entre  en  colonne 
dans  Ratisbonne.  La  ^ille  est  à  nous.  On  court  de 
rues  en  rues  sous  la  fusillade,  ramassant  partout 
des  prisonniers.  Mais  tout  à  coup  on  est  arrêté  par 
un  cri  de  terreur  parti  du  milieu  des  Autrichiens  : 
—  Prenez  garde  à  vous,  nous  allons  tous  sauter  en 
lair!  s'écrie  un  officier.  —  Il  y  avait  en  effet  des 
barils  de  poudre  qu'on  avait  laissés  dans  une  rue, 
et  que  le  feu  échangé  des  deux  côtés  pouvait  faire 
sauter.  D'un  commun  accord  on  s'arrête;  on  roule 
ces  barils  de  manière  à  les  mettre  à  Tabri  de  l'in- 

12. 


AvriM809. 


Avril  ISOli. 


<80  LIVRi:   XWIV. 

cendie,  et  à  s'épari^ner  aux  uns  comme  aux  autres 
un  |)('ril  mortel.  Les  Autrieliiens  se  retirent  ensuite, 
et  abandonnent  la  \ille  à  nus  lioupes. 

Cette  journée  coûta  encore  à  l'ennemi  environ 

deux  n)ille  hommes  hors  de  combat,  et  six  à  sept 

mille  prisonniers.  C'était  la  cincjuième  depuis  Tou- 

Késuiiuts      verture  de  la  campairne.  Jetons  un  regard  sur  ces 

«le  celte  .  .  ,  .  ,.  T        I  f\  -Il 

brillante      <-"i'iM  joumecs  SI  remplies.  Le   lu  avril,  le  mare- 
«amyagnc       j^^j  j)aYout,  rcmoutant  le  Danuljc  de  Ratisbonne 

ce  cinq  jours.  ' 

à  Abensberg ,  avait  rencontré  l'archiduc  Charles 
à  Tengen,  lui  avait  tenu  tète,  et  l'avait  arrêté  sur 
place.  Le  20,  Napoléon,  réunissant  la  moitié  du 
corps  du  maréchal  Davout  aux  Bavarois  et  aux 
Wurtembergeois,  tandis  qu'il  attirait  le  maréchal 
Masséna  sur  le  point  commun  d'Abensberg,  avait 
percé  vers  Rohr  la  ligne  des  Autrichiens,  et  séparé 
l'archiduc  Charles  du  général  Hiller  et  de  l'archiduc 
Louis.  Le  21,  il  avait  continué  ce  mouvement,  et 
détiniti\ ement  séparé  les  deux  masses  ennemies, 
en  prenant  Landshut  et  la  ligne  d'opération  des 
Autrichiens,  pendant  que  le  même  jour  le  maréchal 
Davout,  formant  à  gauche  le  pivot  de  ses  mouve- 
ments, rencontrait  encore,  et  contenait  l'arclnduc 
Charles  à  Leuchling.  Le  22,  averti  que  l'archiduc 
Charles  ne  s'était  pas  retiré  par  Landshut,  mais  se 
trouvait  à  sa  gauche  vers  Eckmiihl ,  devant  le  corps 
du  maréchal  Davout,  il  avait  subitement  pris  sa  dé- 
termination, s'était  rabattu  sur  Eckmiihl,  et,  dans 
c€tte  bataille,  livrée  sur  l'extrémité  de  la  ligne  en- 
nemie, avait  accablé  et  acculé  les  Autrichiens  vers 
Ratisbonne.  Le  23  enfin,  il  terminait  cette  lutte  de 
cinq  jours  en  prenant  Ratisl)onne,  et  en  refoulant  en 


RATISBONNE.  181 

Holiéme  rarcliidiic  Cliarles  réuni  à  rarniée  de  Bcllo- 
j5'arde,  mais  séparé  de  celle  de  Hiller  el  de  rarcliiduc 
Louis.  Outre  Tavantage  de  s'ouvrir  la  route  de 
Vienne  que  défendaient  tout  au  plus  3G  ou  40  mille 
hommes  démoralisés,  d'avoir  pris  l'immense  ma- 
tériel qui  se  trouvait  sur  la  principale  ligne  d'opéra- 
tion de  l'ennemi,  d'avoir  rejeté  l'archiduc  Charles 
dans  les  défilés  de  la  Bohème,  où  celui-ci  devait 
être  paralysé  pour  long-temps,  d'avoir  rendu  enfin 
à  ses  armes  tout  leur  ascendant.  Napoléon  avait 
détruit  ou  pris  environ  GO  mille  hommes,  et  plus 
de  cent  pièces  de  canon.  Sur  ces  GO  mille  hommes 
près  de  40  mille  avaient  été  atteints  par  le  feu  de 
nos  fantassins,  ou  le  sabre  de  nos  cavaliers'.  El 
tout  cela  Napoléon  l'avait  obtenu  en  se  dirigeant, 
au  milieu  d'une  confusion  inouïe  de  lieux  et  d'hom- 
mes, d'après  les  vrais  principes  de  la  guerre.  Sans 
doute  en  donnant  davantage  au  hasard,  en  lais- 
sant l'archiduc  courir  sur  Ratisbonne,  sans  amener 
à  lui  le  maréchal  Davout,  Napoléon  aurait  pu  se 
jeter  sur  les  derrières  de  l'ennemi  par  Lancqwaid 
et  Eckmiihl,  et  peut-être  prendre  en  un  jour  l'armée 
autrichienne  tout  entière.  ]Mais,  outre  qu'il  aurait 
fallu  deviner  le  secret  de  cette  situation,  ce  qui 
n'est  donné  à  personne,  Napoléon  aurait  manqué 
aux  vrais  principes  en  restant  divisé  en  présence 
d'un  ennemi  concentré,  et  lui  aurait  livré  ainsi  la 
possibilité  d'un  grand  triomphe.  Au  contraire ,  en 
amenant  à  un  point  commun  le  maréchal  Davout 
par  sa  gauche,  le  maréchal  Masséna  par  sa  droite, 

*  Je  n'énonce  ces  chiffres  qu'après  avoir  réduit  toutes  les  exagérations 
des  bulletins. 


Avril  1S'>'J. 


Avril  1809 


l«i  I.IVRi:    XXXIV. 

il  se  mit  en  mesure  de  faire  face  à  tout,  quelles  que 
fussent  les  chances  des  événements,  et  il  |)ut  cou- 
per devant  lui  la  lii^nic  ennemie,  percer  sur  Lands- 
hut,  puis  se  rahaltie  à  puiclie,  et  accabler  detiniti- 
vemcnt  à  Ratishonne  la  prande  armée  aulrichienne. 
Si  nous  l'osions,  nous  ajouterions  qu'il  vaut  pres- 
que mieux  avoir  triomplié  un  peu  moins  en  se  con- 
formant aux  vérital)les  principes  de  la  jjjuerre,  qui 
ne  sont  après  tout  que  les  rèiiles  du  l)on  sens,  avoir 
triomphé  un  peu  moins,  disons-nous,  mais  sans 
courir  aucune  chance  périlleuse,  que  d'avoir  triom- 
phé davantage  en  donnant  trop  au  hasard.  Napoléon 
n'eût  jamais  succombé,  s'il  avait  diri2;é  la  politique 
comme  en  cette  occasion  il  dirigea  la  guerre.  Du 
reste,  l'Autriche,  sous  ces  coups  terribles,  allait  être 
abattue,  l'Allemagne  comprimée,  l'Europe  conte- 
nue :  Napoléon  n'avait  jamais  mieux  mérité  les  fa- 
veurs de  la  fortune,  qui,  dans  ces  cinq  journées, 
sembla  de  nouveau  tout  à  fait  séduite  et  ramenée. 


FIN    DU    LIVRE    TREME-QUATRFÈME. 


LIVRE  TRENTE-CINQUIEME. 

WAGRAM. 


Comnicncemenl  des  lïostilités  on  Italie.  —  Entrée  imprévue  des  Autri- 
chiens par  la  Ponteba,  Cividale  et  Gorice.  — Surprise  du  prince  Eu- 
gène, qui  ne  s'attendait  pas  à  être  attaqué  avant  la  lin  d'avril.  — Il 
se  replie  sur  la  Livenza  avec;  les  deux  divisions  qu'il  avait  sous  la 
main ,  et  parvient  à  y  réunir  une  partie  de  son  armée.  —  L'avant- 
garde  du  général  Sahvic  est  enlevée  à  Pordenone.  —  L'armée  de- 
mande la  bataille  à  grands  cris.  —  Le  prince  Eugène  entraîné  par 
ses  soldats,  se  décide  à  combattre  avant  d'avoir  rallié  toutes  ses  for- 
ces, et  sur  un  terrain  mal  choisi.  —  Bataille  de  Sacile  perdue  le  16 
avril.  —  Retraite  sur  l'Adige.  —  Soulèvement  du  Tyrol.  —  L'armée 
française  concentrée  derrière  l'Adige ,  s'y  réorganise  sous  la  direction 
du  général  Macdonald  donné  pour  conseiller  au  prince  Eugène.  — 
La  nouvelle  des  événements  de  Ratisbonne  oblige  l'archiduc  Jean  à 
battre  en  retraite.  —  Le  prince  Eugène  le  poursuit  l'épée  dans  les 
reins.  —  Passage  de  la  Piave  de  vive  force,  et  pertes  considérables 
des  Autrichiens.  — Événements  en  Pologne.  —  Hostilités  imprévues 
en  Pologne  comme  en  .Bavière  et  en  Italie  — Joseph  Ponlatowski  livre 
sous  les  murs  de  Varsovie  un  combat  opiniâtre  aux  Autrichiens.  — 
Il  abandonne  cette  capitale  par  suite  d'une  convention,  porte  la 
guerre  sur  la  droite  de  la  Vistule,  et  fait  essuyer  aux  Autrichiens  de 
nombreux  échecs.  —  Mouvements  insurrectionnels  en  Allemagne. 
—  Désertion  du  major  Schill.  —  Conduite  de  Napoléon  après  les 
événements  de  Ratisbonne.  —  Son  inquiétude  en  apprenant  les  nou- 
velles d'Italie,  que  le  prince  Eugène  tarde  trop  long-temps  à  lui  faire 
connaître.  —  Il  s'avance  néanmoins  en  Bavière,  certain  de  tout  ré- 
parer par  une  marche  rapide  sur  Vienne.  —  Ses  motifs  de  ne  pas 
poursuivre  l'archiduc  Charles  en  Bohème ,  et  de  se  porter  an  con- 
traire sur  la  capitale  de  l'Autriche  par  la  ligne  du  Danube.  — Marche 
admirablement  combinée.  —  Passage  de  l'Inn,  de  la  Traun  et  de 
l'Ens.  —  L'archiduc  Cliarles,  voulant  repasser  de  la  Bohème  en 
Autriche,  et  rejoindre  le  général  Ililler  et  l'archiduc  Louis  derrière 
la  Traun,  est  prévenu  à  Lintz  par  Masséna.  — Épouvantable  combat 
d'Ébersberg.  — L'archiduc  Charles  n'ayant  pu  arriver  à  temps  ni  à 
Lintz,  ni  à  Krems,  les  corps  autrichiens  qui  défendaient  la  haute 
Autriche  sont  obligés  de  repasser  le  Danube  à  Krems,  et  de  dé- 
couvrir Vienne.  —  Arrivée  de  Napoléon  sous  cette  capitale  le  10 
mai,  un  mois  après  l'ouverture  des  hostilités.  —  Entrée  des  Fran- 
çais à  Vienne  à  la  suite  d'une  résistance  fort  courte  de  la  part 
des  Autrichiens.  —  Effet  de  cet  événement  en  Europe.  —  Vues 


I«l  Ll\  HI-:  xxxv 

«le  Najioltiiii  pour  atliCMT  la  doslnulion  des  armées  ennemies. — 
Manière  <l(>nt  il  édielonnt!  ses  corps  pour  tiiiiièdier  niie  tentali\o 
des  ardiidues  sur  ses  derrières,  et  pour  pr(^[)arer  une  coneenlra- 
tion  subite  de  ses  forces  dans  la  ^ue  de  livrer  \me  bataille  dé- 
cisive. —  Nécessité  de  pas^er  le  Danube  pour  joindre  rar(  liiduc 
riiarles,  qui  est  c<impé  vis-à-vis  de  Vienne.  —  Préparatifs  de  ce  dif- 
litile  passage.  —  Dans  cet  intervalle  l'armée  d'Italie  dégaj^éc  par 
les  progrès  de  l'armée  d'Allema^^ne  a  rejiris  l'offensi\e,  et  mardié 
en  avant.  —  L'ardiiduc  Jean  repasse  les  Alpes  Noriques  et  Juliennes 
aflaibli  de  moitié,  et  dirige  les  forces  qui  lui  restent  vers  la  Hongrie 
et  la  Croatie.  —  Evacuation  du  Tyrol  et  soumission  momentanée  de 
cette  province.  —  iS'apoléon  prend  la  résolution  définitive  de  passer 
le  Danulie,  et  d'acliever  la  destruction  de  rardiiduc  Charles.  — 
DiKirulté  de  cette  oi»ération  en  i)résence  d'une  armée  ennemie  de 
cent  mille  hommes.  —  Choix  de  l'ile  de  Lobau ,  située  au  milieu 
du  Danube,  pour  diminuer  la  difficulté  du  i>assage.  —  Ponts  jetés 
sur  le  grand  bras  du  Danube  les  19  et  20  mai.  —  Pont  jeté  sur  le 
petit  bras  le  20.  —  L'armée  commence  à  passer.  —  A  peine  est-elle 
en  mouvement,  que  l'archiduc  Charles  vient  à  sa  rencontre.  —  Ba- 
taille d'Essling,  l'une  des  plus  terribles  du  siècle.  —  Le  passage 
plusieurs  fois  interrompu  par  une  crue  subite  du  Danube,  est  dé- 
finitivement rendu  impossible  par  la  rupture  totale  du  grand  pont. 

—  L'armée  française  privée  d'une  moitié  de  ses  forces  et  dépourvue 
de  munitions,  soutient  le  21  et  le  22  mai  une  lutte  héroïque,  pour 
n'èlre  pas  jetée  dans  le  Danube.  —  Mort"  de  Lannes  et  de  Saint- 
llilaire.  —  Conduite  mémorable  de  Masséna.  —  Après  quarante 
heures  d'efforts  impuissants,  rarchiduc  Charles  désespérant  de  jeter 
l'armée  française  dans  le  Danube ,  la  laisse  rentrer  paisiblement 
dans  l'île  de  Lobau.   —  Caractère  de  cette  épouvantable  bataille. 

—  Inertie  de  l'archiduc  Charles,  et  prodigieuse  activité  de  Napoléon 
pendant  les  jours  rpii  suivirent  la  bataille  d'Essling.  —  Efforts  de 
ce  dernier  pour  rétablir  les  ponts  et  faire  repasser  l'armée  française 
sur  la  rive  droite  du  Danube.  —  Heureux  emploi  des  marins  de  la 
garde.  —  Napoléon  s'occupe  de  créer  de  nouveaux  moyens  de  pas- 
sage, et  d'attirer  à  lui  les  armées  d'Italie  et  de  Dalmatie,  pour  ter- 
miner la  guerre  par  une  bataille  générale.  —  Marche  heureuse  du 
Iirince  Eugène  ,  de  Macdoiiald  et  de  Marmont  ])Our  rejoindre  la  grande 
armée  sur  le  Danube.  —  Position  que  Napoléon  lait  prendre  au  prince 
Eugène  sur  la  Piaab  ,  dans  le  double  but  de  l'attirer  à  lui  et  d'éloigner 
l'archiduc  Jean.  —  Ren<;ontre  du  prince  Eugène  avec  l'archiduc  Jean 
sous  les  nmrs  de  Raab,  et  victoire  de  Raab  remportée  le  14  juin.  — 
Prise  de  Raab.  —  Jonction  définitive  du  prince  Eugène,  de  Macdonald 
et  de  .Marmont  avec  la  grande  armée.  —  Alternatives  en  Tyrol,  en 
Allemagne  et  en  Pologne.  —  Précautions  de  Napoléon  relati\ement  » 
ces  diverses  contré-es.  —  Inaction  des  Russes.—  Napoléon  ,  en  posses- 
sion des  armées  d'Italie  et  de  Dalmatie,  et  pouvant  compter  sur  les 
ponts  du  Danube  qu'il  a  fait  construire,  songe  enfin  à  livrer  la  ba- 
taille générale  qu'il  i)rojette  depuis  long-temps.  —  Prodigieux  travaux 
exécutés  dans  l'ile  de  Lobau  pendant  le  mois  de  juin.  —  Ponts  fixes 


WAGRAM.  ^8c 


sur  le  grand  bras  du  Danube;  ponts  volants  sur  le  in'tit  bras. —    

Vastes  approvisionnrnients  cl  puissantes  foitifications  qui  convertis-  Avril  1809. 
sent  l'ilc  de  Lobau  en  une  véritable  forteresse.  —  Scène  extraordi- 
naire du  passage  dans  la  nuit  du  5  au  6  juillet.  —  Déboucbé  subit 
de  Tarmée  française  au  delà  du  Danube,  avant  que  l'arcbiduc  Cbarles 
ait  pu  s'y  opposer. —  L'armée  autri(  iiienne  repliée  sur  la  position  de 
Wagram ,  s'y  défend  contre  luie  attaque  de  l'armée  d'Italie.  — 
Écliauffourée  d'un  moment  dans  la  soirée  du  5.  —  IMans  des  deux 
généraux  pour  la  bataille  du  lendemain.  —  .Journée  du  6  juillet,  et 
bataille  mémorable  de  Wagram,  la  plus  grande  qui  eût  encore  été 
livrée  dans  les  temps  anciens  et  modernes.  —  Attaq\ie  redoutable 
contre  la  gaucbe  de  l'armée  française.  —  Promptitude  de  Napoléon 
à  reporter  ses  forces  de  droite  à  gauche,  malgré  la  vaste  étendue  du 
champ  de  bataille.  —  Le  centre  des  Autricbiens ,  attaqué  avec  cent 
bouches  à  feu  et  deux  divisions  de  l'armée  d'Italie  sous  le  général 
Macdonald ,  est  enfoncé.  —  Enlèvement  du  plateau  de  Wagram  par 
le  maréchal  Davout.  —  Pertes  presque  égales  des  deux  côtés,  mais 
résultats  décisifs  en  faveur  des  I-'rançais.  —  Retraite  décousue  des 
Autrichiens.  —  Poursuite  jusqu'à  Znaim  et  combat  sous  les  murs  de 
cette  ville.  — Les  Autricbiens  ne  pouvant  continuer  la  guerre,  de- 
mandent une  suspension  d'armes.  —  Armistice  de  Znaim  et  ouverture 
à  Altenbourg  de  négociations  pour  la  paix.  —  Nouveaux  préparatifs 
militaires  de  Napoléon  pour  appuyer  les  négociations  d'Altenbourg. 
—  Beau  campement  de  ses  armées  au  centre  de  la  monarchie  autri- 
chienne. —  Caractère  de  la  campagne  de  1809. 


Les  Autrichiens  avaient  eu  Tintention  d'assaillir     Premières 

,  ,/.  .  1-  '11111       opérations  en 

les  armées  françaises  dispersées  des  bords  de  la  itaiie. 
Vistule  aux  bords  du  Tage,  et  malgré  leurs  len- 
teurs ordinaires  ils  auraient  réussi  peut-être,  si 
Napoléon,  arrivant  à  l'improviste,  n'avait  déjoué 
par  sa  présence,  sa  promptitude  et  sa  vigueur  ce 
dangereux  projet  de  surprise.  En  cinq  jours  de 
combat  il  a\  ait  frappé  leur  principal  rassemble- 
ment, et  en  avait  rejeté  les  fragments  désunis  sur 
les  deux  rives  du  Danube.  IMais  s'il  avait  suppléé  à 
tout  ce  qui  manquait  encore  à  ses  armées  par  son 
activité,  son  énergie,  son  coup  d'œil  supérieur,  il 
ne  pouvait  en  être  ainsi  là  où  il  ne  se  trouvait  pas, 
et  il  ne  se  trouvait  ni  en  Italie .  où  marchait  l'archi- 


Avril  «809. 


186  J.IVRI-    XXXY. 

«lue  Joan  avec  l(\s  luiilicMiio  et  neiivicme  corps,  ni 
on  P()Ioi:;iio,  où  marchait  rarchidiic  l'cidiiuintl  avec 
le  scptii'ino. 

En  Italie  lu  (U'hiit  de  la  tainj)a.:L;aL'  n'a\ait  pas 
été  heureux,  et  ce  (lél)ut  aurait  certainement  exercé 
une  fiicheuse  inlluence  sur  l'ensemble  des  événe- 
ments, si  nos  succès  avaient  été  moins  c;rands  en- 
tre Landshut  et  Ralishonne.  Là,  en  eflet,  l'esprit 
téméraire  et  inconséquent  de  l'archiduc  Jean  op- 
posé à  l'esprit  sa2;e  mais  inexpérimenté  du  prince 
Eugène,  avait  triomphé  un  moment  de  la  bravoure 
de  nos  soldats.  L'archiduc  Jean,  suivant  la  coutume 
de  ceux  qui  commandent  dans  une  contrée,  aurait 
voulu  tout  y  attirer,  et  convertir  l'Italie  en  théâtre 
principal  de  la  guerre.  Mais  comme  il  ne  pouvait  pas 
faire  que  le  Danube  cessât  d'être  pour  Napoléon  la 
route  directe  de  Vienne,  il  ne  pouvait  pas  faire  non 
plus  que  le  gros  des  forces  autrichiennes  fût  sur  le 
Tagliamento,  au  lieu  dètre  sur  le  Danube.  Jaloux 
de  son  frère  l'archiduc  Charles,  entouré  d'un  étal- 
major  jaloux  de  l'état-major  général,  il  avait  élevé 

Plan        plus  d'une  contestation  sur  le  plan  à  suivre.  Il  vou- 
de  faSdu^  ^^'^  d  a])ord  entrer  directement  dans  le  Tyrol  par  le 

Jean.  Pusllicr-Thal  en  passant  des  sources  de  la  Drave 
aux  sources  de  l'Adige  (voir  la  carte  n"  31),  descen- 
dre j)ar  Brixen  et  Trente  sur  Vérone,  et  faire  tom- 
ber ainsi  toutes  les  défenses  avancées  des  Français, 
en  se  portant  d'un  trait  sur  la  ligne  de  l'Adige  par  la 
route  des  montagnes,  que  lui  ouvrait  l'insurrection 
des  Tyroliens.  N'ayant  pas  la  crainte  de  trouver 
sur  le  plateau  de  Rivoli  le  général  Bonaparte  on 
l'intrépide  Masséna,  pouvant  compter  sur  le  con- 


WAGRAM.  187 

cours  ardent  des  Tyroliens,  il  avait  d'excellents 
motifs  pour  a(l(){)ter  un  tel  projet,  cpii  entre  autres 
avanta2:es  avait  celui  de  le  tenir  à  portée  de  la  Iki- 
vière ,  et  en  mesure  de  prendre  part  aux  opérations 
sur  le  Danube.  Mais  comme  il  arrive  toujours  des 
plans  débattus  entre  autorités  rivales,  celui-ci  fit 
place  à  un  plan  moyen ,  qui  consistait  à  envahir  le 
Tyrol  par  un  corps  détaché,  et  la  haute  Italie  par 
le  gros  de  l'armée.  C'est  d'après  ces  vues  que  fu- 
rent distribuées  les  forces  destinées  à  opérer  en 
Italie.  Le  huitième  corps  se  réunit  à  Yillacli  en 
Carinthie,  sous  les  ordres  du  général  Chasteler  au- 
quel il  était  d'abord  destiné;  le  neuvième  à  Laybach 
en  Carniole,  sous  le  comte  Ignace  Giulay,  ban  de 
Croatie.  Le  c:énéral  Chasteler,  connaissant  bien  le 
Tyrol ,  fut  détaché  du  huitième  corps  avec  une 
douzaine  de  mille  hommes,  et  chargé  d'opérer  par 
le  Pusther-Thal ,  en  s'avançant  par  les  montagnes 
de  l'Est  à  l'Ouest ,  pendant  que  le  gros  de  l'armée 
suivrait  dans  la  plaine  la  même  direction.  Le  géné- 
ral Chasteler  avec  une  douzaine  de  mille  hommes 
et  le  concours  des  Tyroliens  avait  assez  de  forces 
contre  les  Bavarois,  qui  étaient  à  peine  cinq  ou 
six  mille  dans  le  Tyrol.  Tandis  qu'il  cheminerait 
par  Lienz  et  Brunecken  sur  Brixen ,  les  huitième  et 
neuvième  corps,  partant  Tun  de  Yillach,  l'autre  de 
Lavbach,  devaient  déboucher  sur  Udinc.  Ces  deux 
corps  présentaient,  en  y  comprenant  l'artillerie,  une 
masse  d'environ  48  mille  hommes  de  troupes  excel- 
lentes. Une  vingtaine  de  mille  hommes  de  Land- 
wehr,  bien  habillés,  animés  d'un  bon  esprit,  mais 
peu  instruits,  devaient  rester  à  la  frontière ,  la  gar- 


Avril  ISO'J. 


Avril  ISOli. 


188  IJVRE   XXXV. 

(lor,  la  coiiMii-  (1  ouMaiics  do  liiiiipa^ne ,  ol  former 
avec  leurs  Ijataillons  les  meilleurs  une  réserve  à  la 
(lisj)osition  tle  l'armée  agissante.  Un  détacliement 
(le  7  à  8  mille  hommes,  auquel  devait  se  réunir 
rinsurrection  de  (Croatie,  était  chargé  d'ohserver  la 
Dalmatie,  d'où  Ton  craignait  que  le  général  Mar- 
nionl  no  parvînt  à  déboucher.  Toutefois  comme  on 
espérait  surprendre  les  Français  en  Frioul  aussi  bien 
(pi'cn  lîa\ière,  et  comme  on  savait  également  que 
la  complaisance  de  faniilh^,  non  moins  grande  dans 
la  cour  do  Napoléon  (jue  dans  les  cours  les  plus 
\ieilles  de  l'Europe,  avait  valu  au  prince  Eugène  le 
commandement  de  l'armée  d'Italie,  à  l'exclusion  de 
Masséna  le  chef  naturel  de  cette  armée,  on  se  flat- 
tait détre  bientôt  sur  l'Adige,  même  sur  le  Pô,  et 
de  tenir  le  général  Marmont  enfermé  en  Dalmatie. 
Une  sommation  était  déjà  préjKU"ée  pour  ce  dernier, 
et  on  croyait  n'avoir  d'autre  ditliculté  avec  lui  que 
celle  de  débattre  et  de  signer  une  capitulation. 
intciiij;cnccs       Ce  n'était  pas  seulement  sur  la  force  des  armes 

secrètes  .  ,  . 

i.rcparces  en  ({ue  1  on  sc  liait  pour  S  avauccr  victorieusement  en 

j'^^côndcMes  It^lJG,  mais  aussi  sur  des  menées  secrètes,  prati- 

mouvcments    quécs  dcpuis  Ics  niontaKues  du  Tvrol  iusciu'au  dé- 

des  armet's       *■  *  '  ^  j        i 

autrichiennes,  troit  dc  Messine.  Les  Autrichiens  étaient  soutenus 
dans  leur  téméraire  tentative  par  la  persuasion 
que  l'Europe  entière,  comme  la  France,  était  déjà 
lasse  du  pouvoir  de  Napoléon,  opinion  qu'ils 
avaient  puisée  dans  les  événements  d'Espagne,  et 
ils  avaient  compté  non-seulement  sur  le  Tyrol ,  dé- 
voué de  tout  temps  à  l'Autriche ,  mais  sur  les  an- 
ciens États  vénitiens  qui  gémissaient  encore  de  leur 
ruine  récente,  sur  le  Piémont  devenu  malgré  lui 


WAGRAM.  189 

province  française,  sur  les  Etals  de  l'Ei;lise,  les  uns 
convertis  en  départements  de  l'Empire,  les  autres 
témoins  de  l'esclavage  du  pape,  enfln  sur  le  royaume 
de  Naples  privé  de  ses  antiques  souverains,  séparé 
de  la  Sicile,  et  désirant  recouvrer  sa  dynastie  et  son 
territoire.  De  nondjreuses  intelligences  avaient  été 
préparées  dans  tous  ces  pays,  soit  auprès  des  no- 
bles mécontents  du  régime  d'égalité  introduit  par 
les  Français,  soit  auprès  des  prêtres  regrettant  la 
suprématie  de  l'Église,  ou  déplorant  l'outrageante 
oppression  du  Saint-Père.  Cependant,  bien  que  la 
domination  française  fut  désagréable  aux  Italiens  à 
titre  de  domination  étrangère,  bien  qu'elle  leur 
coûtât  beaucoup  de  sang  et  d'argent,  elle  avait 
pour  le  plus  grand  noml)re  d'entre  eux  des  mé- 
rites qu'ils  ne  méconnaissaient  pas ,  et  que  les 
souffrances  de  la  guerre  ne  leur  avaient  pas  fait 
oublier  entièreinent.  On  ne  pouvait  donc  pas  re- 
muer les  Italiens  aussi  facilement  que  les  Tyroliens, 
mais  quant  à  ceux-ci  leur  impatience  de  voir  repa- 
raître le  drapeau  autrichien  était  extrême.  Rien  ne 
peut  donner  une  idée  de  l'attachement  qu'ils  por- 
taient alors  à  l'Autriche.  Ces  simples  montagnards, 
habitués  au  gouvernement  tout  paternel  de  la  mai- 
son de  Habsbourg,  avaient  en  1800  passé  avec 
horreur  sous  le  joug  de  la  Bavière,  qui  était  pour 
eux  un  voisin  détesté.  Celle-ci  ne  se  sentant  pas 
aimée  de  ses  nouveaux  sujets,  leur  avait  rendu 
haine  pour  haine ,  et  les  avait  traités  avec  une  du- 
reté qui  n'avait  fait  qu'exalter  leur  ressentiment. 
Aussi  n'avaient-ils  cessé  d'envoyer  à  A'ienne  de 
nombreux  émissaires,  promettant  de  se  soulever 


Avril  tSOii. 


190 


I.IVHK  XXXV 


Avril  IS09. 


Commence- 
ment 
des  hostilités 

en  Tyrol 
et  en  Frioul. 


au  premier  siirnal ,  cl  ollraiit  par  leurs  relations 
avec  les  Grisons  et  les  Suisses  dopérer  un  mou- 
vement, qui  se  comnnmiquerait  bientôt  à  laSouabe 
«lun  côté,  au  Piémont  de  laut're.  Ils  avaient  même 
contribué  j)ar  leur  ardeur  à  tromper  la  cour  de 
Vienne,  et  à  lui  persuader  qui!  n'existait  dans 
toute  IKurope  ([uc  des  Tyroliens  ou  des  Espairnols 
im|)atients  de  secouer  le  jouir  du  nouvel  Attila. 
Lii  em|)lo\é  fort  actil'  du  département  des  affaires 
étrani,H'res  à  tienne,  31.  de  Hormayer,  tenant  dans 
ses  mains  le  fil  de  ces  intrigues  tvroliennes,  aile- 
mandes  et  italiennes,  avait  été  chargé  d'accomj)a- 
gner  larchiduc  Jean,  pour  faire  iouer  à  côté  de 
lui  les  ressorts  secrets  de  la  polili([ue,  taudis  que 
le  prince  ferait  jouer  les  ressorts  découverts  de  la 
guerre.  On  avait  naturellement  mis  les  Anglais  de 
moitié  dans  ces  espérances  et  ces  menées,  et  ils 
avaient  promis  de  coopérer  activement  avec  les 
Autrichiens,  dès  que  ceux-ci,  envahissant  la  Lom- 
bardie  jusqu'à  Pavie,  auraient  ouvert  le  littoral  de 
I  Adriatiiiue  de  Trieste  à  Ancône. 

Tout  était  prêt  pour  agir  en  Carinthie  le  même 
jour  qu'en  Bavière,  c'est-à-dire  le  1 0  avril.  Ce  jour, 
en  eU'et,  tandis  que  les  avant-gardes  de  l'archiduc 
Charles  franchissaient  l'Inn ,  les  avant-gardes  de 
Tarchiduc  Jean  se  présentaient  aux  débouchés  des 
Alpes  Carniques  et  Juliennes,  sans  aucune  décla- 
ration préalable  de  guerre.  On  avait  cru  y  suppléer 
en  envoyant  aux  avant -postes  français,  vers  la 
Ponteba,  un  trompette  porteur  d'une  déclaration 
de  l'archiduc  Jean,  dans  laquelle  ce  prince  disait 
(]u'il  entrait  en  Italie,  et  qu'on  eut  à  le  laisser  pas- 


.     WAGRAM.                                     4911 
ser,  sans  quoi  il  emploierait  la  force.  Une  demi-  

,  ^  1  1-         1  ,  ,       .  Avril  1809. 

heure  après,  des  détachements  de  cavalerie  et 
d'infanterie  légère  s'étaient  précipités  sur  nos  avant- 
postes,  et  en  avaient  même  enlevé  quelques-uns. 
Apportant  encore  moins  de  forme  à  l'égard  des  Ba- 
varois, possesseurs  du  Tyrol,  le  général  Chasteler 
avait  dès  la  veille,  c'est-à-dire  le  9  avril,  envahi  la 
contrée  montagneuse  qu'on  appelle  le  Pusther- 
Thal,  et  qui  sépare  la  Garinthie  du  ïyrol  italien. 

Deux  grandes  routes  (voir  la  carte  n°  31)  s'ou-      Routes 
vraient   devant    les   Autrichiens  pour  envahir   le  ^'^^  lesquelles 
Frioul  :  celle  qui ,  venant  de  Vienne  à  travers  la    autrichiens 

débouchent 

Larinthie,  descend  des  Alpes  Carniques  sur  le  Taglia-  en  Italie. 
mento,  et  conduit  par  Yillach,  Tarvis,  laPonteha,  sur 
Osopo;  celle  qui,  venant  de  la  Carniole,  descend 
des  Alpes  Juliennes  sur  l'Izonzo ,  qu'elle  franchit 
entre  Gorice  et  Gradisca,  et  tombe  sur  Palma-Nova 
ou  Udine.  Napoléon  s'était  précautionné  sur  l'une 
et  l'autre  route  contre  les  invasions  autrichiennes, 
en  construisant  sur  la  première  le  fort  d'Osopo ,  sur 
la  seconde  l'importante  place  de  Palma-Nova.  3Iais 
ce  fort  et  cette  place,  très -suffisants  pour  servir 
<rappuis  à  une  armée,  ne  pouvaient  pas  la  sup- 
pléer, et  n'étaient  qu'une  difficulté,  mais  point  un 
obstacle  invincible.  Les  troupes  du  prince  Eugène 
n'étant  pas  encore  rassemblées,  il  était  facile  de 
<léfiler  sous  le  canon  d'Osopo  et  de  Palma-Nova, 
de  les  bloquer  et  de  passer  outre. 

Néanmoins  l'archiduc  Jean  ne  voulut  se  servir 
ni  de  l'une  ni  de  l'autre  de  ces  deux  routes ,  bien 
que,  dans  son  espérance  de  surprendre  l'armée 
française,  il  ne  dût  craindre  de  sérieux  obstacle 


Avril  I80y. 


492  I.IVH1-:   XXXV. 

sur  auciiiic  des  deux.  Il  prclcra  une  roule  inter- 
médiaire, celle  qui,  passant  |)ar  les  sources  de 
rizonzo,  déboucliail  |)ar  (]i\idale  sur  Udine.  Elle 
était  dillicile  surtout  pour  une  armée  nombreuse, 
chari^ée  d'un  irros  matériel,  mais  à  cause  de  cela 
elle  lui  send)iait  devoir  être  moins  défendue  que 
les  deux  autres.  Il  s'y  euiraïu'oa  donc  avec  le  |j;ros 
de  son  armée,  composée  des  huitième  et  neuvième 
corps,  et  n'envoya  que  deux  avant-iîardes  sur  les 
routes  de  Carinthie  et  de  Carniole.  Un  habile  offi- 
cier, le  colonel  Wockmann,  dut  avec  quelques  ba- 
taillons et  quelques  escadrons  s'ouvrir  la  Ponteba, 
en  y  faisant  la  guerre  de  montagnes  contre  nos 
avant-postes,  tandis  que  le  général  Gavassini,  pas- 
sant rizonzo  avec  un  détachement  au-dessus  de 
Gradisca,  marcherait  sur  Udine,  point  commun  où 
allaient  converger  les  diverses  parties  de  l'armée 
autrichienne. 

Toutes  ces  combinaisons  étaient  superflues,  car 
le  prince  Eugène ,  ne  s'attendant  pas  à  être  atta- 
qué avant  la  fin  d'avril,  n'avait  sous  la  main  que  la 
division  Seras  devant  Udine ,  et  la  division  Brous- 
sier  devant  la  Ponteba,  Quant  à  lui,  il  était  occupé 
à  faire  de  sa  personne  la  revue  de  ses  avant-pos- 
tes, obéissant  en  cela  à  un  conseil  de  Napoléon, 
qui  lui  avait  recommandé  de  visiter  les  lieux  où 
bientôt  il  aurait  à  livrer  des  batailles.  Les  Autrichiens 
n'eurent  donc  que  de  simples  avant-postes  à  re- 
fouler, sur  toutes  les  routes  où  ils  se  présentèrent. 
Le  10,  le  colonel  Wockmann  replia  jusqu'à  Port4>8 
les  avant-gardes  de  la  division  Broussier  ;  le  géné- 
ral Gavassini  franchit  l'Izonzo  sans  difllculté',  et  le 


Avril  1809, 


WAGRAM.  4»a 

corps  principal  déboucha  avec  moins  de  difricuitc 
encore  sur  Udine,  où  se  trouvait  une  seule  division 
française. 

Le  prince  Eugène,  surpris  par  celte  soudaine  conduite 
apparition,  et  peu  habitué  au  commandement,  prince  Eugène 
(fuoique  déjà  très-habitué  à  la  guerre  sous  son  père  ?"  soudaine 
adoptif,  fut  vivement  ému  d'une  situation  si  nou-  appa''t'on 
velle  pour  lui.  Des  huit  divisions  qui  composaient  Autrich  cns. 
son  armée,  il  n'avait  auprès  de  lui  que  les  deux 
divisions  françaises  Seras  et  Broussier.  Il  avait 
un  peu  en  arrière ,  entre  la  Livenza  et  le  Taglia- 
mento,  les  divisions  françaises  Grenier  et  Barbou, 
ainsi  que  la  division  italienne  Severoli,  et  plus  loin, 
près  de  i'Adige,  la  division  française  Lamarque, 
la  division  italienne  Rusca,  plus  les  dragons  qui 
constituaient  le  fonds  de  sa  cavalerie.  Quant  à  sa 
sixième  division  française,  celle  de  Miollis,  elle 
se  trouvait  encore  fort  en  arrière,  retenue  qu'elle 
était  par  la  situation  de  Rome  et  de  Florence. 
Dans  une  telle  occurrence  le  prince  Eugène  n'avait 
qu'une  détermination  à  prendre,  c'était  de  se  con- 
centrer rapidement,  en  rétrogradant  vers  la  masse 
de  ses  forces.  Quelque  désagréable  que  fiit  au  dé- 
but un  mouvement  rétrograde,  il  fallait  s'y  ré- 
soudre avec  promptitude ,  ne  devant  jamais  être 
tenue  pour  déplaisante  la  résolution  qui  vous  mène 
à  un  bon  résultat.  Il  est  vrai  que  pour  braver  cer- 
taines apparences  passagères,  il  faut  un  général 
renommé,  tandis  que  le  prince  Eugène  était  jeune, 
et  sans  autre  gloire  que  l'amour  mérité  de  son 
père  adoptif.  Il  se  décida  donc  à  rétrograder,  mais    „ 

*  i  ^  Mouvement 

avec  un  regret  qui  devait  bientôt  lui  être  fatal,  en     rctrogiade 

TOM.    X.  13 


191  IJVHK    \\\\  . 

r(.'in|)rfli;inl  de  |)(>iisst'r  jiis(iir(iii  il  t';ill;iil  ><»ii  mou- 
Avril  «80«».  '  •  .'I 

veincnl  de  concenlralion.  Il  ordonna  aux  divisions 
du  prince  Seias  (t  BroiissicM'  d»'  ivpasscr  le  Tairliamento,  de 
se  porter  jusqu'à  la  Mvenza,  où  deMiicnl  arriver, 
en  hâtant  le  pas,  les  divisions  (ircnicr,  Barbou, 
Severoli,  Laniarque  et  Grouchy.  i.e  iïénéral  Seras 
n'eut  qu'à  rétrograder  sans  condjaltre.  Le  général 
Broussier  eut  à  livrer  des  cond)ats  fort  vifs  au  co- 
lonel Woekniann,  qui  lui  disputa  très-habilement 
les  vallées  du  haut  Tagliaraento;  mais  il  se  retira 
en  joncliant  de  morts  le  terrain  qu'il  al)andonnait. 
Heureusement  les  Autrichiens,  quoiqu'ils  voulus- 
sent nous  surprendre,  ne  marchaient  pas  avec  toute 
la  vitesse  possible.  Ils  mirent  cpiatre  jours  à  se 
rendre  de  la  frontière  au  Tagliamento,  ce  qui  nous 
laissait,  pour  opérer  notre  concentration,  un  temps 
dont  un  général  expérimenté  aurait  pu  mieux  pro- 
fiter que  ne  le  fit  le  prince  Eugène. 
Surprise  En   rcpassant   le   Tagliamento  pour  gagner   la 

ei  enlèvement     »•  -,  n-i  ^•    •   ■  n  •  r^ 

de  l.ivenza,  \\  rallia  les  divisions  françaises  Grenier 

lavant-garde   ^j  Baibou,  aiusi  quc  la  division  italienne  Severoli, 

commandée  '  t  ' 

r«r  le  u'^nôrai  puis  il  s'aiTCta  cutrc  Pordenone  et  Sacile ,  n'étant 
que  tres-mollement  poursuivi  par  les  Autrichiens. 
Arrivé  là  il  eut  le  tort  de  laisser  à  Pordenone ,  trop 
loin  de  lui  et  de  tout  soutien,  une  forte  arrière- 
garde,  composée  de  deux  bataillons  du  35%  et  d'un 
régiment  de  cavalerie  légère ,  sous  les  ordres  du 
général  Sahuc.  Ce  général,  qui  ne  montra  pas  ici 
la  vigilance  qu'il  faut  à  l'avant-garde  quand  on 
marche  en  avant,  à  l'arrière-garde  (piand  on  se 
retire,  ce  général  eut  le  tort,  au  lieu  de  battre  la 
campagne  pour  éclairer  l'armée,  de  ne  pas  même 


.    WAGnA.M.  itm 

éclairer  sa  propre  troupe,  et  de  s'enfermer  avec  elle 
dans  Pordenonc  *.  Les  Autrichiens,  avertis  de  la 
[)résence  d'une  arrière-iîarde  française  à  Poidenone, 
se  portèrent  en  avant  avec  un  détachement  d'infan- 
terie et  une  troupe  considérable  de  cavalerie,  sous  la 
conduite  du  chef  d'étal-major  Nugent,  officier  fort 
inteUigent,  et  membre  fort  exalté  du  parti  de  la 
guerre.  Avec  sa  cavalerie  il  enveloppa  complète- 
ment Pordenone,  coupant  toutes  les  communica- 
tions entre  ce  point  et  Sacile;  avec  son  infanterie 
il  attaqua  Pordenone  même,  et  y  surprit  les  troupes 
françaises  endormies  et  mal  gardées.  Celles-ci,  at- 
taquées avant  d'avoir  pu  se  mettre  en  défense,  fu- 
rent obligées  de  se  retirer  en  toute  hâte,  et  de  cher- 
cher leur  salut  dans  une  fuite  précipitée.  Mais  au 
lieu  de  trouver  le  chemin  ouvert  en  quittant  Por- 
denone, elles  V  rencontrèrent  une  nombreuse  ca- 
Valérie  qui  les  assaillit  dans  tous  les  sens.  Nos  hus- 
sards essayèrent  de  se  faire  jour  en  chargeant  au 
galop;  quelques-uns  s'échappèrent,  les  autres  fu- 
rent sabrés  ou  pris.  Quant  à  l'infanterie,  elle  ne 
chercha  son  salut  que  dans  une  vaillante  résistance. 
Les  deux  bataillons  du  35%  vieux  régiment  d'Ita- 
lie, se  formèrent  en  carré,  et  reçurent  les  cavaliers 
autrichiens  de  manière  à  les  rebuter,  si  leur  nom- 
bre eût  été  moins  grand.  Ils  en  abattirent  plusieurs 
centaines  à  coups  de  fusil,  et  jonchèrent  la  terre 

'  L'irritation  de  >apoléon  dans  cette  circonstance  fut  telle  qu'il 
écrivit  plusieurs  lettres  au  prince  Eugène,  et  voulut  faire  poursuivre 
le  général  Sahuc;  il  le  voulut  surtout  après  la  bataille  de  Raab,  où  ce 
général  ne  racheta  pas  la  faute  de  Pordenone.  Le  général  Saiuic,  écri- 
vit-il, est  de  ceux  qui  ont  assez  de  la  guerre.  Malheureusement  le 
nombre  s'en  augmentait  tous  les  jours  par  la  faute  de  Napoléon. 

43. 


Avril  tftOS». 


Avril  4  809. 


196  Ll\  KK  XXW. 

lie  cadavres  dhoiiimcs  cl  de  chevaux.  Mais  IjieiUôt, 
les  cartouches  leur  manquaut,  ils  n'eurent  plus  que 
la  pointe  de  leurs  baïonnettes  contre  une  cavalerie 
(jui  était  la  meilleure  de  l'Autriche.  Cinq  cents  de 
nos  malheureux  soldats  expièrent  en  tond)ant  sous 
le  sabre  des  Autrichiens  lincurie  de  leur  général. 
IvCs  autres  furent  faits  prisonniers. 

Cette  fâcheuse  aventure  irrita  beaucoup  l'armée 
française,  et  diminua  sa  conhance  dans  le  général 
en  chef.  Par  contre,  elle  augmenta  l'ardeur  des 
troupes  autrichiennes,  qui,  pour  la  première  fois 
depuis  long-temps,  voyaient  les  Français  reculer 
devant  elles,  et  commençaient  à  n'être  pas  sans  es- 
pérance de  les  vaincre. 

Ce  que  le  prince  Eugène  aurait  eu  de  mieux  à 
faire  en  celte  circonstance,  puisqu'il  avait  pris  le 
parti  de  la  retraite,  c'eût  été  de  persister  à  se  re- 
tirer, jusqu  à  ce  qu'il  trouvât  une  ligne  solide  à 
défendre,  et  toutes  ses  forces  réunies  derrière  celte 
hgne.  Alors  il  aurait  obtenu  le  dédommagement  de 
quelques  jours  dune  attitude  fâcheuse,  et  donné 
un  sens  fort  honorable  à  son  mouvement  rétro- 
grade. Mais  il  était  jeune,  plein  d'honneur  et  de 
susceptibilité.  Les  propos  des  soldats  qui  avaient 
conservé  tout  l'orgueil  de  la  \i('ille  armée  d'Ita- 
lie, lui  déchiraient  le  cœur.  Bien  qu'ils  aimassent 
le  jeune  prince,  fils  de  leur  ancien  général,  ils  ju- 
geaient ,  discernaient  son  inexpérience ,  s'en  plai- 
gnaient tout  haut,  ne  ménageaient  pas  davantage 
les  généraux  placés  sous  lui,  et  demandaient  qu'on 
les  menât  à  un  ennemi  qui  avait  l'insolence  de  les 
poursuivre,  et  devant  lequel  ils  n'étaient  pas  accou- 


W  A  G  RAM.  497 

turaés  à  fuir.  Aux  propos  des  soldats  se  joignaif     — ; 

le  désespoir  des  haliilants,  qui  étaient  d'anciens  su- 
jets vénitiens  rattacliés  pour  la  plupart  à  la  France, 
effrayés  de  l'approche  de  Tarmée  autrichienne,  et 
suppliant  qu'on  ne  les  livrât  pas  à  sa  vengeance. 
Eugène  assembla  ses  généraux  qu'il  trouva  décon- 
certés comme  lui,  car  ils  avaient  pris  sous  Napo- 
léon l'habitude  de  se  battre  héroïquement,  mais 
non  celle  de  commander.  Ils  étaient  prêts  à  se  faire 
tuer,  mais  point  à  donner  un  avis  sur  une  question 
aussi  grave  que  celle  de  savoir  s'il  fallait  livrer 
bataille.  Ce  qu'il  y  avait  de  plus  sage  évidenunent, 
c'était  de  continuer  à  se  retirer  jusqu'à  ce  qu  on 
eût  rallié  ses  forces,  et  trouvé  un  terrain  avanta- 
geux pour  combattre.  En  allant  jusqu'à  la  Piave, 
on  aurait  rallié  successivement  cinq  divisions  d'in- 
fanterie française  et  une  d'infanterie  italienne , 
plus  deux  belles  divisions  de  dragons,  et  la  garde 
royale  lombarde  qui  était  une  bonne  troupe.  Enfin 
on  aurait  rencontré  dans  la  Piave  même  une  ligne 
excellente  à  défendre.  Mais  Eugène  n'avait  ni  assez 
d'expérience ,  ni  assez  de  réputation  pour  braver 
patiemment  les  propos  de  l'armée.  Piqué  du  si- 
lence de  ses  généraux  et  de  l'indiscrétion  de  ses 
soldats,  il  résolut  de  s'arrêter  en  avant  de  la  Li- 
venza,  entre  Sacile  et  Pordenone,  sur  un  terrain 
qu'il  ne  connaissait  pas,  qui  ne  présentait  au- 
cune circonstance  avantageuse,  et  sur  lequel  ses 
troupes  n'avaient  pas  eu  encore  le  temps  de  se 
concentrer. 

Le  15  au  soir,  après  l'échec  de  Pordenone,  il      Le  prince 

'      "^  ^  Eugène,. 

ordonna  de  faire  halte,  et  de  reprendre  l'offensive  sur     excité  par 


Avril  1809. 

les  jiropos 

fie  l'armée , 

se  décide  à 

livrer  bataille 

divant  Sacile. 


Description 
du 

lorrain  entre 
Pordenone 
et  Sarjle. 


19K  I.IVHK    \\\\. 

'ous  les  poinis.  Il  a\iiil .  iii  n'Mroiïradanl  jusque-là, 
rcimi  aux  dixisioiis  liroussior  cl  Seras  les  divisions 
(irenier,  liarhoii,  Scxcroii,  (ju'il  avait  rencontrées 
en  avant  de  la  l.ivenza.  Ces  cinq  di\isions  pouvaient 
présenter  une  force  d'environ  36  mille  hommes  : 
les  uns,  vieux  soldats  de  larmée  d  Italie;  les  autres, 
soldats  jeunes  mais  instruits,  et  comj)Osant  les  qua- 
trièmes bataillons  des  armées  de  Naples  et  de  Dal- 
matie.  La  force  des  Autiicliiens  au  contraire  s'éle- 
vait à  45  mille  hommes  environ  de  leurs  meilleures 
trou|)es.  La  disproportion  était  donc  très-grande.  Il 
est  vrai  ([ue  le  prince  Eugène  comptait  sur  un  ren- 
fort de  dix  mille  fantassins  et  cavaliers,  que  devaient 
lui  amener  les  irénéraux  Lamarque  et  Grouchy , 
actuellement  en  route  pour  le  rejoindre.  Mais  cette 
adjonction  n'était  pas  certaine,  et  de  plus  le  terrain 
était  fort  peu  favorable.  A  notre  droite  nous  avions, 
entre  Tamai,  Palse,  Porcia,  des  villaizes,  des  clô- 
tures, un  sol  inondé,  de  nombreux  canaux,  foi- 
temenl  occupés  par  les  Autrichiens.  Au  centre, 
le  terrain  se  relevant  formait  une  aréle  qui  courait 
droit  devant  nous,  et  sur  laquelle  avait  été  prati- 
(juée  la  route  de  Sacile  à  Pordenone.  Nous  possé- 
dions sur  cette  route  le  villap:e  de  Fontana-Fredda, 
vis-à-vis  celui  de  Pordenone,  enlevé  le  matin  par 
les  Autrichiens.  Enfin  à  notre  gauche,  au  versant 
de  cette  arête,  le  terrain  s'étendait  en  plaine  jus- 
qu'au pied  des  Alpes.  Deux  villages  s'y  apercevaient, 
celui  de  Roveredo,  occupé  par  les  Français,  celui 
de  (^ordenons,  où  bivoua([uaient  les  Autrichiens. 
Ainsi  à  droite  un  sol  coupé  et  hérissé  d'obstacles, 
au  centre  une  grande  route  allant  perpendiculaire- 


Avril  1809. 


-     WAGRAM.  199 

ment  de  notre  ligne  à  celle  de  l'ennemi,  à  gauche 
une  plaine  :  tel  était  le  terrain  à  disputer.  Il  s'of- 
frait à  la  vérité  une  circonstance  favorable,  qu'il 
aurait  fallu  deviner,  comme  Napoléon  savait  le  faire 
d'après  les  moindres  indices,  c'était  la  séparation 
des  Autrichiens  en  deux  masses,  l'une  formée  du 
huitième  corps,  et  placée  dans  les  villages  de  Tamai, 
de  Porcia,  de  Palse,  derrière  les  obstacles  de  ter- 
rain qui  étaient  à  notre  droite;  l'autre  formée  du 
neuvième  corps  et  de  la  cavalerie  établie  dans  la 
plaine  à  gauche ,  à  Cordenons.  Or,  de  Cordenons  à 
Pordenone  il  y  avait  plus  d'une  lieue  d'un  espace 
mal  gardé  et  mal  défendu.  Cette  circonstance  aper- 
çue, il  aurait  fallu  laisser  les  divisions  Seras  et  Sevo 
roli,  attaquer  à  notre  droite  Tamai,  Palse,  Porcia, 
et  y  attirer  les  Autrichiens  ;  puis  avec  les  divisions 
Grenier  et  Barbou,  qui  étaient  au  centre  sur  la 
grande  route,  avec  la  division  Broussier,  qui  était 
à  gauche  dans  la  plaine,  former  une  masse  de  24 
mille  hommes,  marchei-  par  la  grande  route  de  Fon- 
tana-Fredda  sur  Pordenone,  investir  ce  dernier 
bourg,  le  séparer  de  Cordenons  où  était  le  neu- 
vième corps,  et  couper  ainsi  l'armée  autrichicnn(î 
en  deux  :  une  fois  cela  fait ,  on  aurait  eu  bon  mar- 
ché du  huitième  corps  engagé  avec  notre  droite,  et 
d'autant  mieux  qu'il  se  serait  enfoncé  plus  avant 
dans  les  terrains  ditïiciles  qui  composaient  cette 
partie  du  champ  de  bataille. 

jMalheureusement  le  prince  Eugène  avec  son  chef      Baiaiiie 
détat-major  Vignolle,  mettant  autant  d'irréflexion  saciiejivrée 
à  arrêter  le  plan  de  la  bataille  qu'à  la  résoudre,  or-    '^^  '^ 
donnèrent  tout  le  contraire  de  ce  que  conseillaient 


nvril 


Avril  l8oy 

l'an  de  cette 
hntaille. 


200  i.iviu:  \\\v. 

le  leirain  cl  l;i  position  de  rcniiciiii.  Sans  iiu^me  f'G- 
roniiaîln;  ni  l'un  ni  l'antre,  ils  décidèrent  ({ne  ïo. 
lendemain  10  avril,  à  la  pointe  du  jour ,  les  iïéné- 
ran\  Seras  et  Severoli  partiraient  de  Taniai  ponr- 
se  porter  sur  Palse  et  Porcia,  qu'ils  chercheraient 
à  enlever  à  tout  prix  ;  qu'au  centre,  sur  la  ijrande 
route,  la  division  Grenier  s'établirait  en  avant  de 
Fontana-Fredda,  mais  sans  agir  oiTensivement,  jus- 
qu'au moment  où  les  généraux  Seras  et  Severoli 
auraient  emporté  les  nombreux  et  difficiles  obsta- 
cles qu'ils  avaient  à  vaincre;  qu'à  gauche  le  géné- 
ral Broussier,  venant  se  serrer  au  général  Greniei- 
à  travers  la  plaine  de  Roveredo ,  garderait  la  même 
expectative  ;  qu'enfin  en  arrière  le  général  Barbon 
appuierait  la  ligne  française  :  plan  vicieux,  qui 
laissait  aux  Autrichiens  le  loisir  de  rectifier  leur 
position ,  pendant  que  notre  droite  s'épuiserait  con- 
tre des  obstacles  tout  matériels,  et  que  notre  cen- 
tre, notre  gauche,  notre  arrière-garde,  perdraient 
leur  temps  à  ne  rien  faire.  C'est  ainsi,  et  avec  cette 
intelligence,  qu'on  prodigue  bien  souvent  le  sang 
si  précieux  des  soldats,  et  qu'on  joue  le  sort  des 
empires!  C'est  ainsi  que  rois  et  républitjues  con- 
tient, les  uns  à  des  fils  ou  à  des  frères  incapables, 
les  autres  à  des  favoris  de  la  multilude  tout  aussi 
incapables,  la  vie  des  hommes  et  le  salut  des  États! 
Le  prince  Eugène  était  un  brave  officier,  plein  de 
modestie  et  de  dévouement,  propre  un  jour  à  bien 
conduire  une  division,  mais  non  à  commander  une 
armée,  ni  surtout  à  diriger  une  campagne. 

Nos  soldats  ne  sachant  pas  où  on  les  menait , 
mais  satisfaits  de  combattre  un  ennemi  qu'ils  n'a- 


Avril  IS09. 


WAGRAM.  201 

vaientpasriialjitiule  de  craindre,  marchèrent  résolu- 
ment au  feu  le  1 6  avril  au  matin ,  jour  de  dimanche. 
Les  Français  sous  Seras,  les  Italiens  sous  Severoli , 
se  jetèrent  bravement  sur  Palse  et  Porcia,  et  enle- 
vèrent les  premiers  obstacles  qui  leur  étaient  op- 
posés. L'archiduc  Jean  était  en  ce  moment  à  la 
messe  avec  tout  son  état-major.  Ce  prince,  quoi- 
qu'il eût  à  la  fois  plus  d'expérience  et  plus  de  pré- 
tentions que  le  modeste  prince  Euiïène,  ne  montra 
pas  ici  plus  de  juiiement  que  son  adversaire,  car 
après  avoir  surpris  les  Français  la  veille  à  Porde- 
none,  il  s'exposait  à  être  surpris  au  même  endroit. 
Il  monta  immédiatement  à  cheval  avec  son  étal- 
major  ,  courut  en  avant  de  Pordenone ,  et  voyant 
devant  lui ,  sur  la  route  de  Fontana-Fredda ,  le  gé- 
néral Grenier  à  notre  centre ,  le  général  Broussiei" 
à  notre  gauche ,  former  des  masses  que  le  terrain 
découvert  rendait  plus  apparentes,  s'imagina  que 
nous  allions  replier  notre  gauche  sur  notre  centre , 
notre  centre  sur  notre  droite,  ne  tira  de  ce  qu'il 
croyait  voir  que  l'inspiration  de  rabattre  le  neu- 
vième corps  de  Cordenons  sur  Fontana-Fredda, 
pour  nous  empêcher  d'exécuter  le  mouvement  qu'il 
supposait,  laissa  du  reste  l'espace  toujours  ouverl 
entre  Cordenons  et  Pordenone,  et  ne  parut  point 
s'inquiéter  de  son  huitième  corps,  occupé  à  se  dé- 
battre avec  les  généraux  Seras  et  Severoli ,  au  mi- 
lieu des  terrains  accidentés  qui  étaient  entre  Tamai, 
Palse  et  Porcia. 

C'est  là  en  effet  qu'eut  lieu  sous  la  direction  de        ,  ,, 
deux  généraux  en  chef  peu  clairvoyants,  et  entre      acharnée 
des  soldats  d'une  extrême  vaillance,  une  lutte  san-    les  viiia:j:os 


2{M 


\.\\  IU-:  \\\\. 


i 


Avril»  R09. 

.le  Palsc  et 
le  Porcia. 


tïlaiik':  et  achaiiKM'.  \a'  liiiilioinc  ('or|)s  aulricliien, 
l»L'au('()U|)  plus  ii()iiil)i('ii\  (jiic  les  (li\  isions  Seras  et 
Severoli,  irentcndail  pas  leur  aWamIonner  le  terrain 
dont  elles  a\ aient  eoiicpiis  une  parlio.  Le  général 
Colloredo  se  jeta  sur  elles  avee  une  (li\isi()ii  aiitri- 
rjiienne,  leur  enleva  sons  un  feu  meurtrier  Porcia 
et  Palse,  et  rétablit  ainsi  le  coinbat.  L(;  irénéral 
Seras,  (pii  s'était  ménap;é  une  réserve,  se  mit  à 
sa  tète,  la  porta  en  avant,  et  rentra  dans  les  viU 
lai!;(;s  perdus,  en  y  ramenant  à  la  fois  les  Français 
et  les  Italiens.  On  s'établit  dans  ces  malheureux  vil- 
laijes,  théâtre  de  tant  de  fureurs.  Alors  les  Autri- 
chiens, prolilant  des  nioinilres  ol)stacles,  se  dé- 
fendant de  maison  à  maison,  de  clôture  à  clôture, 
o|»posèienl  à  nos  soldats  une  résistance  dont  ils 
n  avaient  pas  donné  l'exemple  depuis  Mareni^o.  Le 
général  Grenier,  condamné  à  l'inaction  sur  la  i;rande 
route  de  Fontana-Fiedda  àPordenone,  détacha  deux 
bataillons  à  sa  droite,  pour  aider  à  la  conquête  défi- 
nitive de  Porcia.  Le  £:énéral  Barbou  en  envova  deux 
de  l'arrière-garde  sur  les  mêmes  points.  Ces  renforts 
compensaient  sans  doute  l'infériorité  de  notre  droite 
par  ra[)port  au  huitième  corps  qu'elle  avait  à  com- 
battre; mais  sur  ce  terrain  semé  d'obstacles  qu'il 
était  aussi  dillieile  de  perdre  que  de  conquérir,  ils 
ne  décidaient  lien,  notre  irauche  et  notre  centre 
demeurant  immobiles.  De  part  et  d'autre  on  com- 
battait avec  acharnement ,  lorsque  le  neu\  ième 
corps,  en  s"a\ançant  obliquement  de  Cordenons 
notre  gaudic.  ^yp  Foutana-Ficdda ,  joiij;nit  la  di\ision  Broussier, 
(pii  formait  notre  iïauche.  Le  brave  sjénéral  Brous- 
sier a\ait  disposé  en  échelons  les  9%  84*'  et  92* 


Attaque 

repoussce 

du  9' corps 

autrichien 

sur 


WAGRAM. 


20: 


de  lii^ne,  superbes  réiiiments  à  quatre  balai  lions, 
dont  sa  division  était  composée.  Il  attendit  avec 
sang-froid  l'infanterie  ennemie,  et  la  fusillant  de 
très-près  avec  une  extrême  justesse,  renversa  pres- 
que une  ligne  entière;  puis  la  superbe  cavalerie 
autrichienne  ayant  profité  de  la  plaine  pour  le  chaî- 
ner, il  la  reçut  en  carré,  couviit  la  terre  de  ses 
morts,  et  toute  brave  qu'elle  était,  la  renvoya  dé- 
goûtée de  pareilles  tentatives.  Cependant  le  neu- 
vième corps ,  fort  nombreux ,  débordait  notre 
gauche,  et  semblait  menacer  en  arrière  de  Fon- 
tana-Fredda  le  bourg  de  Sacile,  où  se  trouvait  le 
principal  pont  sur  la  Livenza.  Ce  pont  occupé,  notre 
communication  la  plus  importante  était  perdue,  et 
il  ne  nous  restait  pins  pour  nous  retirer  que  de 
mauvais  ponts  sur  la  partie  inférieure  de  la  Li- 
venza. Le  prince  Eugène,  qui  n'était  résolu  qu'au 
feu,  s'alarma  pour  ses  communications,  et,  bien 
que  la  lutte  fut  encore  incertaine,  ordonna  la  re- 
traite, avec  aussi  peu  de  motifs  qu'il  en  avait  eu 
pour  ordonner  la  bataille. 

Nos  soldats,  après  avoir  tué  autant  de  monde 
qu'ils  en  avaient  perdu,  se  retirèrent  vers  la  Li- 
venza, désolés  du  rôle  humiliant  qu'on  leur  faisait 
jouer.  Notre  droite  se  dirigea  sur  le  pont  de  Bru- 
gnera,  qu'elle  put  gagner  sans  désordre,  le  sol 
fort  ditiicile  de  ce  côté  ne  se  prêtant  guère  à  la 
poui'suite,  et  les  Autrichiens  étant  épuisés  par  la 
terrible  lutte  qu'ils  y  avaient  soutenue.  Tout  l'ef- 
fort de  l'ennemi  pendant  ce  mouvement  rétrograde 
porta  sur  notre  gauche,  qui  se  retirait  sur  un  ter- 
rain découvert.  La  division  Broussier  par  sa  su- 


Avri  (809. 


Une  menace 

des 

Autrichiens 

sur  Sacile 

détermine 

la  retraite 

des  Français. 


Avril»  809. 


20i  LIVHK   XXXV. 

perbe  attitude  sauva  Tarmée,  tantôt  attendant  l'in- 
fanlerie  onnoinie  |)()iir  l;i  fiisill(»r  à  l)ont  portant, 
tantôt  i'('ee\ant  en  carre  la  caNalciic  (jirclli'  nnvtail 
avec  SCS  baïonnettes.  Lorscpie  notre  centre  et  notre 
arrière-iiarde  ciment  détilé  par  Sacile,  elle  y  entra 
la  dernière,  laissant  les  ennemis  eux-mc^ines  rem- 
plis d'admiration  pour  sa  belle  conduite. 
Désordre  Jus(pie-là  uous  n'avious  pcrdu  que  des  morts, 

.If  la  retraiic.  çj^g  ^lessés,  dc  rartillcric  démontée,  et  peu  de  pri- 
sonniers. 3Iais  dans  la  nuit  le  prince  Eugène  ayant 
cru  devoir  pousser  la  retraite  jusqu'à  Conei2;Iiano, 
pour  se  couvrir  le  plus  tôt  possible  de  la  Piave,  le 
mauvais  temps,  rencond)rement  des  voitures  d'ar- 
tillerie et  des  bagages,  leur  croisement  avec  les 
troupes ,  {uoduisirent  un  désordre  fâcheux.  Les  sol- 
dats, peu  surveillés  par  leurs  chefs  au  milieu  de 
cette  confusion,  se  répandirent  dans  les  maisons, 
au  risque  d'y  être  faits  prisonniers.  L'armée  qui  sur 
le  champ  de  bataille  avait  perdu  environ  trois  mille 
et  quelques  cents  hommes,  perte  à  peu  près  égale 
à  celle  des  Autrichiens,  perdit  encore  trois  mille 
hommes  en  soldats  pris  ou  égarés.  Bientôt  le  désor- 
dre s'augmentant  par  suite  d'un  temps  effroyable 
({ui  fit  déborder  les  rivières  et  rendit  les  routes 
impraticables,  on  arriva  derrière  la  Piave  dans  un 
élat  (pii  n'honorait  point  cette  armée  d'Italie,  jadis 
si  admiiable.  Heureusement  les  Autrichiens,  peu 
accoutumés  à  la  vaincre,  pressés  de  jouir  de  leui- 
\ictoire,  et  retardés  par  le  temps  qui  rendait  leur 
poursuite  aussi  difficile  que  notre  retraite,  restè- 
rent plusieurs  jours  sans  attaquer  le  prince  Eugène. 
Ils  lui  laissèrent  ainsi  le  loisir  de  se  remettre  de  sa 


Avril  1R(t9. 


WACHA.M.  20.') 

•  léfailo,  cl  (1011  arrêter  les  conséquences.  II  avail 
été  rejoint  en  route,  mais  trop  tard,  i)ar  la  di\ision 
(rinfanlerie  Laniarque  et  par  la  division  de  ca\a- 
lerie  Grouchy.  H  lui  arriva  en  outre,  ce  qui  dans  le 
moment  \alait  mieux  qu'un  rcnf(^rt,  c'est-à-dire 
un  général,  et  ce  fut  Tilluslre  Macdonald,  Tun  des 
meilleurs  oilicicrs  de  la  révolution,  bien  qu'il  eût 
perdu  la  bataille  de  la  Trebbia.  Ses  liaisons  avec  Arrivée 
Moreau  l'avaient  condamné  à  vivre  pendant  plu-     'i^' ?«"«•;'' 

A  I  Macdonald 

sieurs  années  dans  une  sorte  de  disgrâce,  et  à  lan-  "  i  urmo.' 
gun-  dans  Imaction,  tandis  que  ses  pareus  d  âge 
ou  de  services,  quelques-uns  même  ses  inférieurs, 
obtenaient  des  fortunes  brillantes.  Le  grand  besoin 
qu'on  avait  de  généraux  el  d'officiers,  par  suite  de 
guerres  continues,  obligeait  de  revenir  à  beaucoup 
de  ceux  qu'on  avait  négligés.  N'ayant  pas  voulu 
envoyer  Masséna  en  Italie  à  cause  du  prince  Eu- 
gène, qu'il  craignait  de  réduire  à  un  rôle  secon- 
daire. Napoléon  s'était  prêté  à  ce  qu'on  lui  envoyât 
le  général  Macdonald,  pour  lui  servir  de  guide  et 
de  soutien.  Le  général  Macdonald,  l'un  des  hom- 
mes les  plus  intrépides  qui  aient  paru  dans  nos  ar- 
mées, expérimenté,  manœuvrier,  froid,  sachant 
se  faire  obéir,  fut  reçu  avec  confiance  par  les  sol- 
dats, avec  déplaisir  par  quelques  généraux,  qui 
voyaient  à  regret  une  main  ferme  prêto  à  s'appe- 
santir sur  eux,  et  qui  de  plus,  le  croyant  dans  la 
disgrâce,  craignaient  qu'il  n'y  eut  peu  d'avantage 
à  rendre  des  services  sous  ses  ordres.  Le  général 
Laniarque  notamment,  qui  se  distinguait  à  l'ar- 
mée par  un  esprit  remuant,  murmura  tout  haut,  e?i 
disant  que  l'Empereur  n'envoyait  le  général  Mac- 


AvriHSO?. 


206  1.1  VRL    \\\\. 

(lonald  on  Italie  que  pour  le  perdre,  et  que  ceux 
qui  siM\  iraient  sous  lui  seraient  exposés  à  parta£?er 
son  sort.  Il  n'y  eut  pas  jus(|u  a  la  tenue  militaire  du 
irénéral  Maedonald,  fidèle  au  costume  des  premiers 
temps  de  la  révolution,  ipii  ne  devînt  un  sujet  de 
railleries  inconvenantes  de  la  j)art  de  jeunes  ofiiciers 
sur  lesquels  la  mode  avait  déjà  repris  son  empire. 
Mais  il  n'y  avait  pas  à  railler  avec  un  homme  du  ca- 
ractère du  iîénéral  Macdonald,  et  il  ramena  bientôt  à 
la  soumission  ceux  qui  étaient  tentés  de  s'en  écar- 

Disiribution  ter.  Toutcfois  le  priucc  Eugène  ne  voulant  pas  se 
d'^itar[e°en     douuer  un  tuteur  trop  visible  dans  la  personne  de 

troiscomman-  çq^  olKcier,  n'en  fit  point  son  chef  d'état-major,  et 

démenti.  '  ^  -^      ' 

se  contenta  pour  lui  créer  une  place  convenable,  de 
distribuer  son  armée  en  trois  commandements ,  un 
de  gauche,  un  du  centre,  un  de  droite.  Celui  de 
droite,  le  plus  considérable  et  le  plus  important  des 
trois  ,  composé  des  divisions  Broussier  et  Lamarque 
et  des  dragons  de  Pully,  l'ut  confié  au  général  Mac- 
donald. Celui  du  centre  fut  attribué  au  général  Gre- 
nier. Il  comprenait  la  division  Grenier,  qui  passa 
sous  le  commandement  du  général  Pacthod,  et  la 
division  Durutte ,  qui  contenait  une  partie  de  la  di- 
vision Barbou.  Le  reste  de  cette  dernière  division 
avait  été  jeté  comme  garnison  dans  Venise.  Le  com- 
mandement de  gauche  fut  conféré  au  général  Ba- 
raguey-d  Hilliers  :  il  se  composait  des  Italiens  et  de 
quelques  Français  mêlés  à  eux  pour  leur  donner 
l'exemple.  Avec  la  division  Seras,  la  garde  ita- 
lienne, les  dragons  de  Grouchy,  le  prince  Eugène 
se  forma  une  réserve  dune  dizaine  de  mille  hom- 
mes. Le  total  de  son  armée  séleva  à  60  mille  hom- 


Avril  1809. 


WAGKAM.  207 

mes,  dont  \v  i^énéral  Macdonald  (uil  a  lui  seul  17 
mille.  Celui-ci  put  ainsi  exercer  une  véritable  in- 
fluence sur  les  événements,  sans  aucune  apparence 
de  commandement  en  chef.  Mais  le  prince  Eugène, 
qui  était  aussi  modeste  que  sage ,  ne  manqua  pas 
de  le  consulter  dans  toutes  les  occasions  importan- 
tes, et  n'eut  qu'à  se  louer  de  ses  conseils  ^  Le  gé- 
néral Macdonald  fit  prévaloir  la  résolution  de  se 
retirer  lentement,  et,  en  marchant  vers  l'Adige  où 
l'on  devait  trouver  la  force  de  reprendre  l'oflensive, 
de  s'y  transporter  avec  une  meilleure  tenue.  On  se 
rendit  en  effet  sur  l'Adige,  on  s'y  reposa,  on  s'y 
remit  en  ordre,  et  on  y  devint  bientôt  plus  digne  de 
l'armée  d'Italie  dont  on  avait  un  instant  compro- 
mis le  nom  glorieux. 

Les  choses  se  passaient  plus  mal  encore  dans  la  insurrection 
région  montagneuse  qui  dominait  les  plaines  de  la  '  ^  * 
haute  Italie ,  et  les  Autrichiens  obtenaient  dans  le 
Tyrol  des  avantages  encore  plus  marqués  que  dans 
le  Frioul.  Le  général  Chasteler  avait  franchi  la  fron- 
tière un  jour  plus  tôt,  c'est-à-dire  le  9  avril,  et 
passant  de  Carinthie  en  Tyrol  s'était  porté  à  Lientz. 
(Voir  la  carte  n"  31 .)  Quoiqu'il  fut  convenu  avec  les 
secrets  meneurs  de  l'insurrection  tyrolienne  qu'ils 
attendraient  le  12  ou  le  13  avril  pour  agir,  ils  n'a- 
vaient pu  se  contenir,  et  avaient  éclaté  dès  le  1 1 . 
Le  motif,  il  est  vrai,  de  cette  explosion  prématurée 


'  C'est  d'après  des  documents  autliontiques  que  je  donne  ces  d(''tails, 
et  pleinement  assuré  de  leur  rigoureuse  Térité.  La  correspondance  du 
prince  Eugène ,  celle  de  Napoléon ,  des  mémoires  manuscrits  fort  pré- 
cieux du  maréchal  Macdonald,  révèlent  d'une  manière  encore  plus  cir- 
constanciée tout  ce  que  je  rapporte  ici  de  la  campagne  d'Italie  en  1809. 


A\nl 1809. 


i08  Ll\  Uii    \\\V. 

('tait  fort  naturel.  Les  Bavarois,  dans  I'iiiip()ssil)ilité 
(le  ilispuler  le  Tyrol  aux  forées  aiilrichiennes, 
avaienl  elieiehé  à  s'aider  des  obslaeles  locaux  en 
détruisant  les  pouls,  ce  que  les  habitants  n'avaient 
|ias  \()ulu  soulVrir,  afin  de  conserver  à  leurs  mon- 
taiiues  ces  indispensables  moyens  de  conniumica- 
lion.  Ils  sétaient  donc  tous  insuri^és  à  la  fois,  avec 
une  spontanéiti'  qui  irapj)artienl  qu'à  la  passion  la 
plus  vive.  Dans  toutes  les  vallées  du  Tyrol  italien, 
de  Lientz  à  lîrixen ,  de  3Ieran  à  Brixen ,  enfin  de- 
puis Brixen  jusqu'à  Rivoli,  ce  n'avait  été  qu'un 
élan,  (ju'un  cri,  au  milieu  de  ces  hautes  et  belles 
montaiiues.  Au  revers  de  la  i^rande  chaîne  du 
Brenner,  dans  le  Tyrol  allemand,  le  soulèvement 
avait  été  aussi  prompt  que  général.  Dans  cette 
contrée  comme  en  Suisse,  les  aubergistes  qui  vi- 
vent des  relations  avec  les  étrangers,  étant  les 
plus  riches  et  les  plus  éclairés,  un  personnage 
de  cette  profession ,  le  nommé  André  Hofer,  avait 
pris  sur  ses  compatriotes  un  ascendant  irrésistible. 
Quelques  anciens  militaires  du  pays,  formés  au 
service  d'Autriche,  étaient  également  les  agents 
les  plus  actifs  de  la  révolte.  Parmi  eux  un  major 
Teimer  s'était  particulièrement  distingué.  La  France 
ayant  exigé  la  réunion  sur  l'Isar  de  toute  l'armée 
bavaroise,  il  n'était  resté  en  Tyrol  qu'environ  o 
mille  Bavarois,  répajidus  sur  les  deux  versants  du 
Brenner,  de  Brixen  à  Inspruck.  En  fait  de  troiq)es 
françaises,  il  s  y  trouvait,  en  deux  colonnes,  un  ras- 
semblement d"en\iron  4  mille  conscrits,  allant  d'Ita- 
lie en  Allemagne  recruter  les  divisions  Boudet  et 
Molitor,  les  cuirassiers  Espagne,  et  les  chasseurs 


-    WAGRAM.  ^       '  209 

de  .Mariilaz.  C'étaient  des  soldats  qui  uavaieiit  ja- 
mais vu  le  feu,  qui  étaient  renfermés  dans  des  ca- 
dres provisoires  de  marche,  et  commandés  par  des 
ofticiers  de  dépôt,  la  plupart  vieux  ou  fatigués.  Plus 
de  20  mille  montagnards  intrépides,  enthousiastes, 
tireurs  redoutables,  joints  à  12  mille  Autrichiens, 
ayant  à  combattre  4  à  5  mille  Bavarois  et  3  à  4  mille 
conscrits  français ,  ne  pouvaient  pas  rencontrer  une 
résistance  bien  longue. 

En  effet,  à  l'approche  du  général  autrichien  Chas- 
teler  tous  les  postes  bavarois  furent  enlevés  de 
Lientz  à  Brunecken.  Ceux  qui  avaient  pu  se  sauver 
s'étant  réunis  dans  la  plaine  humide  de  Sterzing,  à 
l'extrémité  du  Tyrol  ilalienj  vers  le  pied  du  Brenner, 
y  furent  assaillis  par  André  Hofer  et  un  nombreux 
rassemblement  du  ^Feran.  Enveloppés  de  tous  cô- 
tés, attaqués  avec  fureur,  ils  finirent  par  mettre 
bas  les  armes  ,  -  et  la  guerre  étant  une  guerre  na- 
tionale ,  presque  une  guerre  de  race,  les  excès  con- 
traires au  droit  des  gens  se  multiplièrent  bientôt 
d'une  manière  affligeante.  De  part  et  d'autre  on 
égorgea  des  prisonniers,  sans  qu'on  sût  d'où  était 
venu  le  premier  tort.  Les  Tyroliens  pour  s"" excuser 
disaient  qu'on  avait  brûlé  leurs  chaumières,  tué  dCvS 
femmes,  des  vieillards,  des  enfants.  Les  Bavarois 
répondaient  qu'on  avait  assassiné  leurs  prisonniers, 
et  qu'ils  n'avaient  fait  que  se  défendre.  Quoi  qu'il 
en  soit,  d'atroces  vengeances  furent  exercées  après 
la  défaite  de  Sterzine:.  Dès  lors  le  Tvrol  italien  fut 
entièrement  délivré  jusqu'à  Roveredo ,  où  se  trou- 
vait le  général  français  Baraguey-d'Hilliers  aveo 
une  division  italienne. 

TOM.    X.  <4 


Avril  1800. 


A\ril  J8Û9. 


210  I.IVKK    XWV. 

Dans  ce  niriiic  mofucut  la  loiiiino  lilc  des  recrues 
IVanvaises ,  s'clciidaiil  de  Vérone  a  Inspniek,  se  vit 
eoLipée  en  i\cu\  \rdv  I  insurreetion.  Partie  se  replia 
sur  Vérone  où  elle  fui  hors  de  loiil  danirer,  partie 
se  jeta  au  delà  du  Urenner,  se  flaltant  de  rencontrer 
à  Fiis[)rii(k  les  a\ anl-j)ostes  français.  Klle  marcha 
suivie  en  (pieue  par  Chasleler  cl  André  llofer,  tjui 
passaient  le  lîrenner  |)our  venir  opérer  la  déli- 
\rance  du  Tvrol  allemand.  Mais  au  nord  comme  au 
midi  du  Brenner,  sur  llnn  comme  sur  TAdige,  le 
soulèvement  était  violent  et  général.  Les  postes  ba- 
\  arois,  assaillis  partout  en  même  temps,  furent  les 
uns  pris  ou  égorgés,  les  autres  refoulés  dans  Ins- 
pruck,  contraints  de  se  rendre,  et  de  livrer  Ins- 
pruck,  le  vieux  centre  de  la  domination  autrichienne. 
Les  Français  arrivant  sous  Inspruck  à  l'instant  où 
la  ville  passait  à  l'ennemi,  poursuivis  parles  bandes 
\  ictorieuses  du  Tyrol  italien  et  par  la  petite  armée 
du  général  Chasteler,  ne  pouvaient  pas  se  défendre, 
formés  surtout  et  commandés  comme  ils  l'étaient. 
Ils  furent  donc  forcés  de  capituler,  au  nombre 
fl'environ  trois  mille,  ce  qui  était  doublement  fâ- 
cheux; car  outre  l'échec  moral  pour  nos  armes,  il 
y  avait  privation  pour  plusieurs  corps  d'un  recru- 
tement indispensable.  Nous  eûmes  de  plus  à  dé- 
plorer, à  l'égard  de  quelques-uns  de  ces  malheu- 
reux Français  confondus  avec  les  Bavarois,  des 
traitements  barbares,  qui  attirèrent  de  la  part  de 
Napoléon  tle  terribles  représailles  sur  le  général 
Chasteler. 

Olui-ci  trouvant  le  Tvrol  allemand  délivré,  crut 
devoir  retourner  avec  André  Hofer  vers  le  Tvrol  ita- 


.   WAGRAM.  iHi 

lieu ,  pour  concourir  aux  opérations  de  l'archiduc - 

T  T»  1     T.  rwi  •!  ,        Avril  1^09. 

Jean.  Revenu  par  le  Brenner  sur  Trente,  u  se  pré- 
senta avec  toute  la  levée  en  masse  du  Tyrol  et  sept 
ou  huit  mille  Autrichiens  devant  la  position  du  gé- 
néral Baraguey-d'Hilliers.  Le  général  français  tourné 
par  les  vallées  latérales  ne  put  garder  Trente,  et 
se  repha  sur  Roveredo.  Tourné  de  nouveau,  il  fut 
obligé  de  se  replier  sur  Rivoli,  où  appuyé  à  l'armée 
d'Italie,  qui  était  occupée  à  se  réorganiser,  il  n'a-  4 

\ait  plus  d'entreprises  sérieuses  à  craindre.  Ainsi 
en  une  vingtaine  de  jours  les  deux  Tvrols  comme 
le  Frioul  avaient  passé  aux  mains  de  l'ennemi. 

Ce  n'était  pas  seulement  en  Italie,  en  Tyrol,  en  Mouvements 
Bavière,  que  l'on  combattait  dans  ce  moment,  c'é-  '"  neisen 
tait  dans  tout  le  nord  de  l'Europe,  où  la  déclaration  ^"^"^'^snc- 
de  guerre  de  l'Autriche  avait  remué  tous  les  cœurs, 
inspiré  de  folles  espérances,  et  fait  éclater  des  vœux 
prématurés;  car  bien  que  Napoléon  eut  déjà  com- 
mis de  grandes  fautes,  il  n'avait  pas  commis  encore 
celles  qui  devaient  le  perdre,  et  jusqu'ici  son  puis- 
sant génie  était  plus  fort  que  la  haine  des  peuples 
soulevés  contre  son  ambition. Dans  l'Allemagne  en- 
tière on  était,  comme  on  l'a  vu,  indigné  contre  les 
princes  attachés  à  son  char  par  la  crainte  ou  par 
l'intérêt,  et,  quoique  la  domination  française  por- 
tât cachée  dans  ses  flancs  la  civilisation  moderne, 
on  repoussait  des  biens  qui  se  présentaient  sous  la 
forme  de  l'invasion  étrangère. 

En  Bavière,  une  vieille  antipathie  de  voisinage  à 
l'égard  de  l'Autriche  avait  beaucoup  atténué  ces  sen- 
timents. Mais  en  Souabe,  dans  les  provinces  ancien- 
nement autrichiennes,  en  Franconie,  dans  les  petits 

U. 


AvriHHOi). 


212  l.lNili;    \.\\V. 

Élats  airacliés  à  la  douce  autorité  des  princes  ec- 
clésiastiques, en  Saxe  même,  où  l'adjonction  d'une 
couronne  polonaise  ne  flattait  que  la  famille  ré- 
gnante, en  Hesse  où  relouait  Jérôme  Napoléon,  la 
haine,  contenue  d'abord,  commençait  à  éclater  à 
la  nou\elle  de  l'audacieuse  entreprise  de  l'Autri- 
che. A  mesure  qu'on  s'éloignait  du  Rhin  et  de  la 
main  de  la  France ,  la  hardiesse  devenait  plus 
grande,  et  se  changeait  en  manifestations  hostiles. 
Déjà  des  handes  d'insurgés  étaient  descendues  des 
montagnes  de  la  Hesse  sur  les  bords  de  l'Elbe,  et 
s'étaient  montrées  jusqu'aux  portes  de  Magde- 
bourg,  semblant  attendre  une  soudaine  apparition 
du  côté  de  la  Prusse,  de  laquelle  on  espérait  un 
patriotique  et  vigoureux  eflort. 

Dans  toute  la  Prusse,  en  effet,  l'exaspération  était 
au  comble.  Aux  souffrances  générales  des  Allemands 
se  joignaient  dans  ce  pays  des  souffrances  toutes 
personnelles  à  la  nation  prussienne.  Ces  fameuses 
batailles  où  avait  péri  l'indépendance  de  l'Allema- 
gne, c'était  elle  qui  les  avait  perdues.  Elle  avait  vu 
démembrer  la  monarchie  du  grand  Frédéric,  et  pour 
un  moment  éclipser  sa  gloire;  et,  si  elle  était  sen- 
sible aux  peines  matérielles  autant  qu'aux  peines 
morales,  elle  avait,  dans  d'écrasantes  contributions 
militaires  à  payer,  la  preuve  cuisante  de  la  domina- 
tion étrangère.  Aussi  l'audace  avait-elle  été  pous- 
sée en  Prusse  plus  loin  que  partout  ailleurs.  L'n 
convoi  français  d'artillerie,  venant  des  bords  de  la 
Yistule  pour  se  renfermer  dans  Magdebourg,  avait 
été  assailli,  insulté,  accablé  de  traitements  indi- 
gnes. A  Berlin,  on  avait  annoncé  tout  haut  la  guerre 


Avril  180-». 


.    WAGRAM.  213 

d'Autriche  avant  qu'elle  fut  déelarée  ;  on  avait  éi»;a- 
lement  annoncé  dès  ses  débuts  (ju'elle  serait  heu- 
reuse, que  le  monde  entier  s'y  joindrait,  (\\\e  si  le 
roi  Frédéric-Guillaume,  abattu,  démoralisé,  refu- 
sait de  s'y  associer,  on  courrait  malii;ré  lui  au  de- 
vant des  armées  autrichiennes.  L'audace  avait  mémo 
été  poussée  à  ce  point  que  lors  des  premières  opé- 
rations, sans  en  attendre  le  résultat,  le  comman- 
dant de  Berlin  avait  donné  pour  mot  d'ordre  à  la 
garnison  :  Charles  et  Ralishonne. 

Il  y  avait  à  Berlin  un  officier  fort  connu  sous  le  Révolte 
nom  de  major  Schill,  qui  en  1806  et  1807  avait  ûtdéserUoa 
heureusement  fait  la  guerre  de  partisans  contre  major  schiii. 
nous  pendant  les  sièges  de  Dantzig,  de  Colberg, 
de  Stralsund.  Il  était  à  la  tête  de  quelque  ca- 
valerie, et  faisait  partie  de  la  garnison  de  Berlin. 
Sa  vaillance  trcs-vantée ,  sa  haine  publique  contre 
les  Français,  l'avaient  renchi  l'idole  du  peuple. 
C'était  lui  qui  devait,  disait-on,  lever  l'étendard  de 
la  révolte,  au  nom  du  patriotisme  allemand,  et 
donner  la  main  à  un  prince  de  la  maison  de  Bruns- 
wick, au  duc  de  Brunswick-OEls ,  qui  en  ce  mo- 
ment courait  la  Saxe  et  la  Silésie,  embauchant  par- 
tout les  officiers  prussiens  oisifs,  et  les  attirant  en 
Bohème  pour  y  former  des  guérillas  germaniques. 
Le  fanatisme  des  Espagnols  s'était  ainsi  communi- 
qué à  toutes  les  têtes,  et  on  croyait  pouvoir  faire 
des  lents  et  paisibles  Allemands  des  coureurs  d'a- 
ventures, agiles  comme  les  contrebandiers  de  la 
Péninsule.  Un  soir,  au  milieu  de  cette  exaltation 
universelle,  on  apprit  tout  à  coup  que  le  major 
Schill,  qui  depuis  quelques  jours  passait  des  revues 


Avril  I80'.t. 


2H  1.1  VIU:  XX  \v. 

(le  son  corps,  et  los  coiiliniuiil  iiiscinii  une  licure 
(brl  avancéo,  avail  dispai  ii  a  l;i  trtc  do  oOO  chevaux 
couiposant  la  cavalerie  de  la  i^arnison.  On  le  disait 
en  marche  sur  rKllie,  pour  se  joindre  à  un  vaste 
soulèvonient  de  la  liesse,  et  se  porter  ensuite  au 
devant  des  Autrichiens  cpii  s'avançaient  sur  la 
Saxe.  Cet  événement ,  conmie  il  fallait  s'y  atten- 
dre, produisit  une  sensation  extraordinaire,  tout 
le  monde  s'obstinant  à  croire  que  le  gouvernement 
prussien  en  était  complice.  On  se  trompait  cepen- 
dant, et  c'était  tout  simplement  la  passion  nationale 
qui  éclatait  malgré  lui.  Les  ministres  éperdus  ac- 
coururent chez  l'ambassadeur  de  France,  protestant 
de  leurs  sincères  regrets,  déclarant  qu'ils  étaient 
étrangers  à  une  conduite  aussi  folle  que  criminelle, 
aHirmant  avec  vérité  que  le  roi  n'y  était  pour  rien , 
et  annonçant  que  la  plus  grande  rigueur  allait  être 
déployée  envers  les  hommes  qui  compromettaient 
contre  son  grêle  gouvernement  de  leur  patrie.  Mais 
tandis  qu'ils  parlaient  ainsi,  1" infanterie  elle-même, 
imitant  la  conduite  de  la  cavalerie,  donna  de  sem- 
blables preuves  d'insu])ordination ,  et  des  compa- 
gnies entières  s'échappèrent  à  la  suite  du  major 
Schill.  Malheureusement  on  ne  pouvait  courir  après 
ces  insurgés  qu'avec  de  la  cavalerie,  et  le  major 
Schill  avait  emmené  toute  celle  qu'on  avait  à  Ber- 
lin. Il  fallait  donc  attendre  qu'on  eut  des  troupes 
assez  sages,  assez  bien  commandées,  pour  obéir 
aux  ordres  de  leur  gouvernement ,  quels  qu'ils  fus- 
sent, car  ce  n'est  pas  à  l'armée  à  décider  de  la 
politique  extérieure  d'un  pays,  pas  plus  que  de  sa 
politique  intérieure.  Mais,  en  attendant,  ces  actes 


Avril  1809. 


étranges  allaient  produire  en  Allemagne  une  sen- 
sation générale,  que  les  éclatants  succès  de  Napo- 
léon pouvaient  seuls  apaiser. 

Sur  la  Yistule  se  passaient  des  événements  qui  Événements 
n'avaient  pas  moins  de  gravité.  Le  septième  corps  "^'poî'o^ne.'^" 
autrichien,  commandé  ])ar  l'archiduc  Ferdinand,  et 
fort  de  37  à  38  mille  hommes,  marchait  sur  Varsovie 
en  descendant  la  Alstule.  Formé  dans  la  Gallicie,  il 
n'avait  que  peu  de  chemin  à  faire  pour  envahir  la 
Pologne,  étant  dailleurs  parti  de  très-bonne  heure, 
ainsi  que  tous  les  corps  autrichiens.  Ses  opérations 
comme  celles  d  Allemagne  et  d'Italie,  avaient  com- 
mencé le  10  avril.  Le  prince  Joseph  Ponialowski, 
ce  héros  long-temps  endormi  dans  la  mollesse,  et 
à  l'exemple  de  beaucoup  de  ses  compatriotes,  re- 
tenu inactif  aux  pieds  des  belles  femmes  de  son 
pays,  venait  de  se  réveiller  au  bruit  des  armes 
françaises,  et  avait  embrassé,  comme  on  s'en  sou- 
vient, la  cause  de  la  France,  qu'il  croyait  avec 
raison  celle  de  la  Pologne,  si  la  Pologne  pouvait 
renaître.  Il  commandait  l'armée  polonaise.  Napo- 
léon, tout  occupé  de  préparer  les  grands  coups 
qu'il  voulait  porter  lui-même  à  la  maison  d'Autri- 
che ,  avait  eu  peu  de  temps  à  consacrer  à  cette 
armée.  Tout  ce  qu'on  avait  pu  réunir  de  troupes  Force 
régulières  se  bornait  à  une  quinzaine  de  mille  p^oiona^e.^ 
hommes,  et  à  un  petit  détachement  saxon  resté  à 
Varsovie.  Napoléon  ne  s'était  guère  inquiété  de 
cette  infériorité  de  forces  en  Pologne,  comptant 
tout  décider  lui-même  à  Vienne,  et,  bien  qu'il 
ne  se  fît  pas  grande  illusion  sur  le  concours  des 
Russes,   croyant  toutefois  que  leur  présence  sur 


!I6  LIVRE   XXXV. 


AvriM809. 


les  froiiliiTCs  du  irrand-diu-lié  sullirail  i»our  païa- 
l\>er  lo  corps  aiilricliicn  de  I  aichidiic  Ferdinand. 
Nullité      ;>lais  le  concours  des  Russes  élait  encore  plus  nul 

du  concours  .  ,,  •  »        »  i  i  ■  , 

des  Russes,  qu  il  ne  lavait  suj)pose.  L  empereur  Alexandre 
a\ail  eu  soin,  en  observant  autant  que  la  décence 
l'exigeait  le  traité  d'alliance,  d'envoyer  ses  prin- 
cipales forces  en  Finlande  et  en  Moldavie,  pour 
linir  la  conquête  de  Tune,  et  commencer  la  con- 
quête de  Faulre.  Il  n'avait  donc  destiné  à  la  guerre 
dAutriclio  (ju'une  soixantaine  de  mille  hommes, 
qui  en  ce  moincnt  étaient  à  peine  réunis,  par  di- 
verses raisons,  la  plupart  assez  fondées,  mais  fa- 
ciles à  mal  interpréter.  D'abord  la  Russie,  comme 
Napoléon  lui-même,  n'avait  pas  cru  à  des  hosti- 
lités aussi  prochaines,  et  elle  ne  s'était  pas  assez 
hàlée  dans  ses  préparatifs.  Ensuite  son  adminis- 
tration qui  avait  eu  tant  de  peine  à  faire  arriver 
en  Finlande,  et  dans  un  intérêt  éminemment  russe, 
des  forces  suffisantes,  n'avait  pas  eu  le  secret  d'être 
plus  active  pour  un  intérêt  exclusivement  fran- 
çais. La  saison,  en  outre,  avait  été  affreuse,  et 
des  pluies  diluviennes  avaient  rendu  presque  im- 
praticables les  vastes  espaces  qui  séparaient  le 
Niémen  de  la  Vistule.  Enfin  l'Empereur  et  M.  de 
Romanzof,  déjà  refroidis  à  l'égard  de  l'alliance 
française,  étaient  néanmoins  les  seuls  à  la  vouloir, 
et  ils  avaient  toutes  les  volontés  à  vaincre  pour  se 
faire  obéir,  lorsqu'il  s'agissait  de  prêter  secours  à 
Napoléon.  Il  s'était  même  établi  des  correspondan- 
ces entre  les  officiers  russes  et  autrichiens,  pour 
exprimer  à  ceux-ci  toutes  sortes  de  sympathie,  et 
le  vœu  le  plus  a  if  de  marcher  non  pas  contre  eux, 


WAGRAM.  217 

mais  avec  eux.   Il  était  en  etVet  tliiïicile  (rol)tcnir  

1        T.  I  1         i  •    1  •  Avril  1809. 

que  des  Russes  marchassent  contre  des  Autrichiens, 
et  avec  les  Français,  afin  de  contribuer  au  rétablis- 
sement de  la  Pologne.  Il  est  vrai  que  le  prix  de  ce 
concours  c'était  la  Finlande,  la  Moldavie  et  la  Yala- 
chie,  et  que  si  le  sacrifice  était  grand,  la  récom- 
pense était  grande  aussi  !  Au  surplus,  le  secours  des 
Russes  ne  pressait  pas,  tant  que  Napoléon  restait 
vainqueur  sur  le  Danube;  et  le  plus  fâcheux  in- 
convénient de  cette  insuflisance  de  concours  c'était 
la  défiance  qui  en  devait  résulter,  entre  les  deux 
empereurs  et  les  deux  empires. 

C'est  ce  qui  explique  comment  le  prince  Ponia-    Mouvement 

•  des 

towski ,  qui  était  fondé  à  espérer,  sinon  l'assistance  Autrichiens 
directe  de  60  mille  Russes,  au  moins  leur  assis-  sur  Varsovie. 
tance  indirecte  (et  il  est  certain  que  s'ils  se  fussent 
portés  sur  la  Gallicie ,  ils  y  auraient  retenu  les  Au- 
trichiens), se  trouva,  le  10  avril,  avoir  sur  les 
bras  l'archiduc  Ferdinand,  comme  Napoléon  avait 
l'archiduc  Charles,  et  le  prince  Eugène  l'archiduc 
Jean.  L'archiduc  Ferdinand,  descendant  en  effet 
la  Yistule,  dont  les  sources  sont  placées  entre  la 
Silésie  et  la  Gallicie,  au  revers  de  la  Moravie, 
s'avança  par  la  rive  gauche  de  ce  fleuve  sur  Var- 
sovie, en  prodiguant  aux  habitants  les  protesta- 
tions les  plus  amicales.  Conformément  au  langage 
adopté,  on  venait,  disait-il,  délivrer  tous  les  peu- 
ples, les  Polonais  comme  les  autres,  d'une  domi- 
nation presque  aussi  onéreuse  à  ses  amis  qu'à  ses 
ennemis. 

Ce  n'étaient  pas  les  Polonais  qu'il  était  facile  de 
tromper  avec  de  pareils  discours.  Ils  sentaient  trop 


Avril  180'.». 


?I8  I.IVHR   XXW. 

ijiu'  los  anciens C'Oj)artai;<'ants  (le  h'iir|)aliie  ne  pou- 
vaient pas  en  être  les  libérateurs,  (pie  la  France  seule 
pou\ait  être  une  amie,  amie  plus  ou  moins  secou- 
rable  sans  doute,  mais  sincère,  parce  qu'il  était  im- 
possible qu'elle  ne  le  fût  pas.  Aussi  le  prince  Ponia- 
towski  s'avança-t-il  résolument  avec  une  douzaine 
de  mille  honunes  au-devant  de  l'archiduc  Ferdinand. 
C'étaient  ces  mêmes  Polonais,  qui  avaient  fait  leurs 
premières  armes  avec  nous  en  1807,  et  qui  joi- 
gnant à  leur  bravoure  naturelle,  à  leur  patriotisme 
ardent,  un  conmiencement  d'éducation  militaire  re- 
çue à  notre  école,  composaient  déjà  une  troupe 
excellente  à  opposer  aux  Autrichiens.  Malheureu- 
sement ils  étaient  par  rapport  à  ceux-ci  en  nombre 
tellement  disproportionné,  qu'on  ne  pouvait  guère 
espérer  de  leur  part  qu'une  défensive  honorable  et 
énergique,  mais  point  victorieuse.  Le  prince  Ponia- 
tOAVski,  après  quelques  escarmouches  de  cavalerie, 
résolut  de  disputer  les  approches  de  Varsovie  avec 
Combat  ^^  P'^^  ^^  SCS  troupcs.  Le  1 9,  jour  même  où  le  ma- 
opiniàtre      réclial  Davout  livrait  le  combat  de  Teneen ,  le  prince 

aux    environs  '         '        ^ 

de  Varsovie,  polouais  s'arrêta  à  la  position  de  Raszyn,  position 
formée,  comme  toutes  celles  qu'on  peut  défendre 
avantageusement  dans  son  pays,  de  bois  entre- 
coupés de  marécages.  Pendant  huit  heures  il  dis- 
puta ces  bois  et  ces  marécages,  avec  douze  mille 
Polonais  contre  trente  mille  Autrichiens,  perdit 
environ  douze  ou  quinze  cents  hommes  morts  ou 
blessés,  mais  en  détruisit  beaucoup  plus  à  l'ennemi, 
et  craignant  d'être  devancé  sur  A'ar.sovie,  il  rétro- 
grada vers  cette  capitale. 

Fallait-il   la  défendre,  privée    qu'elle  était   de 


Avril  1809. 


WAGRAM.  210 

moyens  de  résistance,  et  Texposer  ainsi  à  nne  in- 
faillible destruction?  ou  ])ien  valail-il  mieux  l'éva- 
cuer à  la  suite  d'une  convention  qui  adoucirait  les 
conditions  de  l'occupation  ennemie,  et  qui  per- 
mettrait de  se  retirer  intact  dans  des  positions  plus 
faciles  à  conserver?  Telle  était  la  grave  et  doulou- 
reuse question  que  le  prince  Poniatowski  eut  à  ré- 
soudre, après  le  combat  de  Raszyn.  Les  Polonais 
les  plus  énergiques  voulaient  une  défense  opiniâtre, 
sans  tenir  aucun  compte  des  conséquences.  Les 
masses  inoffensives  avaient  peur  d'un  bouleverse- 
ment. Les  patriotes  les  plus  éclairés,  et  pas  les 
moins  braves,  voulaient  qu'on  allât,  entre  Modlin 
et  Sierock,  dans  le  triangle  de  la  Narew  et  de  la 
Vistule,  derrière  de  forts  ouvrages  construits  par 
ordre  de  Napoléon,  chercher  un  point  d'appui  in- 
vincible, avec  la  retraite  assurée  des  marécages  de 
Pultusk ,  et  qu'on  sauvât  ainsi  la  capitale  en  la  re- 
mettant temporairement  dans  les  mains  de  l'en- 
nemi. Il  est  rare  qu'un  pareil  sacrifice  soit  sage  :  il 
l'était  cette  fois,  et  le  résultat  le  prouva  depuis.  Le 
prince  Poniatowski,  plein  de  douleur,  livra  Yarso-  cfeTaTsoïi'e 
vie,  après  avoir  stiindé  des  conditions  honorables,      par  suite 

'      r  i  ^  (j  une    capitu- 

II  se  porta  sur  la  rive  droite  de  la  Alstule  entre  jMod-    lation  avec 

.  les 

lin  et  Sierock,  avec  le  projet  de  se  jeter  sur  tous  Autrichiens. 
les  corps  qui  oseraient  passer  le  fleuve  devant  lui, 
et  la  ferme  résolution  de  défendre  par  des  combats 
de  détail  la  patrie  infortunée  qu'il  ne  pouvait  plus 
défendre  par  des  batailles  rangées.  Son  attitude, 
son  noble  langage  en  faisant  ce  sacrifice,  étaient 
de  nature  à  exalter  plutôt  qu'à  refroidir  le  zèle  des 
Polonais.  Aussi  ne  manquèrent-ils  pas  d'accourir 


Avril  1809, 


220  LIVRE   XXXV. 

auprès  (le   lui,  pour   l'aider  à  leeouMer  la  capi- 
tale qu'il  venait  de  eeder  monicntanénient  aux  Au- 
tricliiens. 
comment         Aiiîsi  eii  Italie,  nous  étions  repliés  sur  l'Adige; 
''\"°n"u'es"^^   enTyrol,  ik.us  étions  assaillis  de  toutes  parts;  en 
des  diverses   Alleinai;ne,  nous  étions  menacés,  outragés  par  des 

parties  '  '  ■         i 

du  théâtre     j)euples  irrités;  en  Pologne,  nos  alliés  perdaient  la 
aiïecient  '  Capitale,  (jue  leur  avait  rendue  le  traité  de  Tilsit. 

Napoléon.  jo^,teg  ^pg  nouvelles  vinrent  surprendre,  et  mé- 
diocrement émouvoir  Napoléon  triomphant  à  Ra- 
tisbonne.  Il  avait  peu  compté  sur  le  concours  des 
Russes,  et  tenait  seulement  à  prouver  à  l'Europe 
qu'ils  étaient  avec  lui  et  non  avec  les  Autrichiens, 
ce  que  la  marche  de  leur  armée,  si  lente  qu'elle 
fut ,  ne  permettait  pas  de  révoquer  en  doute. 
Quant  au  grand-duché  de  Varsovie,  il  savait  qu'à 
Vienne  il  ferait  ou  déferait  de  nouveau  tous  les 
États  de  sa  dernière  création,  et  que  peu  importait 
<|u"ils  restassent  debout,  ou  fussent  renversés  pen- 
<lant  sa  marche  victorieuse  sur  cette  capitale.  Mais 
les  événements  d'Italie  l'avaient  un  peu  plus  af- 
fecté, parce  qu'ils  découvraient  son  flanc  droit, 
parce  qu'ils  exposaient  ses  Etats  d'Italie  aux  souf- 
frances de  la  guerre,  parce  qu'enfin  ils  portaient  at- 
teinte à  la  jeune  renommée  de  son  fils  adoptif,  qu'il 
chérissait  tendrement.  Une  circonstance  particulière 
avait  presque  converti  son  déplaisir  en  irritation.  Le 
prince  Eugène,  redoutant  plus  son  père  adoptif  que 
l'opinion  du  monde,  avait  à  peine  osé  lui  rendre 
compte  de  ses  revers,  et  s'était  borné  à  lui  écrire  : 
Mo?i  phre^  j'ai  besoin  de  votre  indulgence.  Craignant 
votre  blâme  si  je  reculais,  j'ai  accepté  la  bataille,  et  Je 


WAGRAM.  221 

l'ai  perdue.  —  Pas  une  explicalion  n'avait  suivi  ces 
courtes  paroles  pour  dire  où  en  étaient  les  choses,  el 
ce  silence  s'était  prolongé  pendant  plusieurs  jours, 
ce  qui  avait  fort  embarrassé  Napoléon  qui  ne  sa- 
vait quelles  étaient  ses  pertes,   quels  étaient  lés 
progrès  de  l'ennemi  en  Italie,  quels  dangers  pou- 
vaient menacer  son  tlanc  droit  pendant  sa  marche 
sur  Vienne.  —  Soyez  vaincu,  avait  répondu  Na- 
poléon dans  plusieurs  lettres,  soyez  vaincu,  soit; 
j'aurais  du  m'y  attendre  en  nommant  général  un 
jeune  homme  sans  expérience,  tandis  que  je  n'ai 
pas  voulu  que  des  princes  de  Bavière,  de  Saxe,  et 
de  Wurtemberg,  commandassent  les  soldats  de  leur 
nation!  Vos  pertes,  je  vous  enverrai  de  quoi  les 
réparer;  les  avantages  de  l'ennemi,  je  saurai  les 
neutraliser;  mais  pour  cela  il  faudrait  que  je  fusse 
instruit,  et  je  ne  sais  rien.  Je  suis  réduit  à  chercher 
dans  les  bulletins  étrangers  la  vérité  que  vous  de- 
vriez m'apprendre.    Je  fais  ce  que  je  n'ai  jamais 
fait,  ce  qui  doit  répugner  par-dessus  tout  à  un 
sage  capitaine,  je  marche  mes  ailes  en  l'air,  ne 
sachant  ce  qui  se  passe  sur  mes  flancs.  Heureuse- 
ment je  puis  tout  braver,  grâce  aux  coups  que  j'ai 
frappés;  mais  il  est  cruel  d'être  tenu  dans  une  telle 
ignorance  !  — Napoléon  ajoutait  ces  belles  paroles, 
que  nous  citons  textuellement  parce  qu'elles  im- 
portent à  la  gloire  du  plus  grand  de  ses  lieutenants, 
à  Masséna  :  «  La  guerre  est  un  jeu  sérieux  dans 
»  lequel  on  compromet  sa  réputation ,  ses  troupes 
»  et  son  pays.  Quand  on  est  raisonnable,  on  doit  se 
»  sentir,  et  connaître  si  l'on  est  fait  ou  non  pour  le 
»  métier.  Je  sais  qu'en  Italie  vous  affectez  de  beau- 


Avril  1809. 


Avril  1809. 


lli  LIVHK   XWV. 

»  coup  iiR'|)ris(M"  Masscna '.  Si  je  l'eusse  envoyé, 
»  cela  lie  serait  |)()inl  aiTi\é.  Masséna  a  des  talents 
»  militaires  (levant  lescjucls  il  faut  nous  j)rosterner 
»  tous,  et  s'il  a  des  défauts  il  faut  les  oublier,  car 
»)"t()us  les  liuuiuies  en  ont.  Kn  vous  confiant  mon 
»  armée  d  Italie,  j  ai  fait  une  faute.  J  aurais  du  en- 
»  vover  Masséna  et  vous  donner  le  commandement 
»  de  la  cavalerie  sous  ses  ordres.  Le  prince  royal  de 
»  Bavière  commande  bien  une  division  sous  le  duc 
»  de  Dantzii.'! ...  Je  pense  que  si  les  circonstances 
»  deviennent  pressantes ,  vous  devez  écrire  au  roi 
»  de  Naples  de  venir  à  Tannée;  vous  lui  remettrez 
»  le  commandement,  et  vous  vous  rangerez  sous  ses 
«  ordres.  Il  est  tout  simple  que  vous  ayez  moins 
»  d'expérience  de  la  tïuerre  qu'un  homme  qui  la 
»  fait  depuis  dix-huit  ans!  (Burghausen,  le  30  avril 
»  1809.))^ 

Napoléon,  sachant  bien  que  toutes  les  illusions 
de  ses  ennemis,  tout  leur  courage  tomberaient  à 
la  foudroyante  nouvelle  des  événements  de  Ratis- 
bonne,  résolut,  en  se  portant  vigoureusement  en 
avant,  d'arrêter  d'abord,  puis  d'obliger  à  rétro- 
grader les  forces  qui  agissaient  sur  ses  flancs  ou 
sur  ses  derrières.  Alors  comme  en  1803,  fondre 

'  Cps  paroles  sont  une  allusion  aux  propos  habituels  que  tenait  à 
eettc  cporine  une  jeunesse,  brillante  mais  b-gèrc,  acrourue,  à  la  suite 
de  la  restauration  du  trône,  sur  les  champs  de  bataille  et  dans  les 
antichambres  de  Napoléon  ,  se  montrant  aussi  brave  sur  les  uns ,  qu'é- 
légante dans  les  autres,  et  médisant  volontiers  des  vieux  généraux  de 
la  révolution ,  et  de  Masséna  en  particulier.  Ce  dernier  joignait  à  beau- 
coup d'esprit  naturel  un  caractère  simple  mais  rude,  et  peu  facile.  L« 
jeune  cour  de  Milan,  craignant  qu'on  ne  IVnvoyàt  commander  l'armée 
d'Ualie,  s'exprimait  très-défavorablement  sur  son  compte.  La  même 
chose  s'était  passée  à  la  cour  de  Xapics,  où  il  n'avait  pu  rester. 


WAGRAM.  223 

sur  Vienne  était  la  manière  la  plus  sure  de  briser " 

^  AvriH809. 

toutes  les  coalitions,  nées  ou  à  naître. 

Cependant  il  se  présentait  l'une  de  ces  iïra\es      Grande 

,  III'  II  I  •  <iuestion  qui 

questions,  desquelles  dépend  le  sort  des  empires,  se  présente 
et  qui  ne  sont  faites  que  pour  les  grands  liommes,  *  ^aprlf^ 
à  la  façon  d'AnnihaL   de  César,  de  Frédéric,  de  q^e  Napoléon 

'  '  '  est  devenu 

Napoléon  :  fallait-il  suivre  impétueusement  la  laige  maître  de  lu- 
voie  qui  mène  sur  Vienne,  celle  du  Danube  (voir    et  du  cours 
la  carte  n"  !4  ,  laissant  sur  sa  gauche  l'archiduc 
Charles  en  Bohème,  poursuivant  devant  soi  les  dé- 
})ris  du  eénéral  Hiller  et  de  l'archiduc  Louis,   ra- 
menant  enfin  sur  sa  droite  l'archiduc  Jean  en  ar- 
rière, par  l'impulsion  d'une  marche  victorieuse  sur 
la  capitale?  ou  bien  fallait-il  laisser  à  Bessières  le 
soin  de  refouler  avec  sa  cavalerie  et  l'infanterie  de 
^[olitor  les  restes  du  général  Hiller  et  de  l'archiduc 
Louis  sur  l'Inn,  en  se  jetant  soi  en  Bohème  à  la  suite 
du  prince  Charles,  en  s'acharnant  à  le  poursuivre, 
et  en  tachant  de  frapper  dans  sa  personne,  et  non 
dans  Vienne,  la  monarchie  autrichienne  '  ?  Napoléon       j^y^^-^^^ 
\  pensa  fsa  correspondance  en  fait  foi);  mais  s'il   qu»  décident 

"    '  _  ""•  ^  ^  '  Napoléon  à 

était  d'un  grand  capitaine  comme  lui  de  peser  toutes  ne  pas  suivre 

,  ,  "  .  .,     ,      .  •     I  ^  1  •      •  l'archiduc 

jes  alternatives,  il  était  aussi  d  un  grand  capitaine      charics 
comme  lui  de  ne  pas  hésiter  après  avoir  réfléchi,  et  etVmar'î^hér 
de  marcher  au  véritable  but,  qui  était  Vienne.  En       "^[°,'^ 

'     ^  sur  VK-iine 

effet  il  avait  bien,  en  s'attachant  à  poursuivre  immé-  par  '^s  bords 

1-  n         i  •  ï        /-Il        1        ^  1     T-.    1    *  1        du  Danube. 

diatement  1  archiduc  Charles  a  travers  la  Bohême,  la 

'  Le  général  Griinn,  iniiicipal  officier  d'état-major  de  rarchiduc 
Charles,  et  officier  de  beaucoup  d'esprit,  a  plusieurs  fois  traité  cette 
thèse,  dans  des  lettres  et  des  écrits  anonymes  publiés  en  Allemagne,  mais 
toujours  au  profit  de  son  chef,  et  dans  l'intention  de  placer  sa  conduite 
bien  au-dessus  de  celle  de  >'apoléon.  Nous  croyons  ses  raisons  extrême- 
ment faibles,  et  détruites  par  celles  que  nous  présentons  dans  ce  récit. 


AvriHSO'J. 


m  LIVKK   WXV. 

cliaiico  (raiiuinonlci-  la  dc.soriîanisalion  de  la  priu- 
cipalo  aniicf  aiili  icliieiine,  cren  amener  plus  vite 
la  (lissoliilion,  et  ireinp'jcliercjue,  reconstituée  plus 
taid,  elle  ne  vînt,  couverte  par  le  Danube,  lui 
disputer  reinpirc  dAutriclie,  dans  les  sanglantes 
journées  d'EssIing  et  de  Wagram.  Cela  est  certain, 
et  les  panégyristes  de  l'arcliiduc  Charles  en  ont  con- 
clu que  Napoléon  sacrifia  tout  à  la  vanité  d'entrer 
à  Vienne.  Mais  c'est  là  un  faux  jugement  porté  sans 
tenir  compte  de  la  réalité  des  choses.  Il  est  bien 
vrai  que  la  principale  armée  autrichienne,  rejetée 
par  Ratisbonne  au  delà  du  Danube,  était  profon- 
dément ébranlée,  et  qu'un  nouveau  coup  pouvait 
en  achever  la  destruction.  Mais  la  jeune  armée 
de  Napoléon,  quoique  exaltée  par  le  succès,  était 
harassée  de  cinq  jours  de  combats.  Il  n'y  avait 
de  capable  de  supporter  cette  prolongation  de  fa- 
tigue que  le  corps  du  maréchal  Davout,  et  il  était 
épuisé  lui-même,  car  c'est  sur  lui  qu'avait  pesé  le 
poids  de  ces  cinq  journées.  Le  reste  était  exténué. 
Il  fallait  donc  avec  50  mille  hommes  environ  pour- 
suivre les  80  mille  hommes  de  l'archiduc  Charles, 
qui  ([uoi  qu'on  fit  aurait  deux  jours  au  moins  d'a- 
vance, qui  trouverait  quelques  vivres  sur  les  routes 
déjà  épuisées  de  la  Bohème,  tandis  que  les  Fran- 
çais n'y  trouveraient  plus  une  miette  de  pain,  qui 
perdrait  sans  doute  dans  sa  retraite  précipitée  des 
traînards  cf  (\o>^  malades,  mais  qui  n'en  sauverait 
pas  moins  les  deux  tiers  de  son  monde,  et  après 
avoir  entraîné  Napoléon  à  sa  suite,  reviendrait  in- 
failliblement par  Lintz  sur  le  Danulje ,  repasserait 
ce  fleuve,  rallierait  à  lui  les  40  mille  hommes  du 


WAGRAM.  22 


D 


corps  (le  Hiller  et  de  rarcliiduc  Louis,  les  10  ou  l^ 
mille  de  Ghasteler,  les  40  mille  de  rarcliiduc  Jean, 
et  aurait  ainsi  sur  la  véritable  ligne  de  communi- 
cation les  1 40  mille  hommes  les  meilleurs  de  l'ar- 
mée autrichienne  :  supposition  qui  n'a  rien  de  chi- 
mérique, puisque  plus  tard  les  archiducs,  quoique 
séparés  par  Napoléon  resté  sur  le  Danube,  ne  ces- 
sèrent de  rêver  leur  réunion,  l'un  devant  venir  de 
la  Bohême  par  Lintz,  l'autre  de  l'Italie  par  Inspruck 
et  Salzbourg.  Il  est  donc  évident  que  si  Napoléon 
avait  voulu  poursuivre  l'archiduc  en  Bohême  il  au- 
rait laissé  vacante  la  route  du  milieu ,  c'est-à-dire 
celle  du  Danube,  que  dès  lors  la  réunion  des  ar- 
chiducs eût  été  certaine,  et  que  ces  princes  en  agis- 
sant avec  un  peu  de  hardiesse  auraient  pu  revenir 
sur  l'Isar,  même  sur  le  haut  Danube,  couper  la  re- 
traite des  Français  en  opposant  1 40  mille  hommes 
réunis  à  Napoléon  qui  n'avait  déjà  plus  ce  nom- 
bre de  soldats  après  les  cinq  jours  de  combats 
qu'il  venait  de  livrer.  Longer  les  bords  du  Danube, 
suivre  ainsi  la  ligne  la  plus  courte  pour  aller  à 
Vienne ,  car  les  routes  de  la  Bohême  décrivent  par 
Ratisbonne,  Pilsen,  Budweis,  Lintz,  un  grand  arc 
dont  le  Danube  est  la  corde  ;  se  tenir  sur  cette  route 
qui  était  non-seulement  la  plus  courte,  mais  la  plus 
centrale;  séparer  en  l'occupant  l'archiduc  qui  était 
en  Bohême  des  archiducs  qui  étaient  en  Bavière  et 
en  Italie  ;  bien  garder  enfin  en  restant  sur  cette  route 
ce  qu'un  général  a  de  plus  précieux,  c'est-à-dire 
sa  ligne  de  communication,  celle  où  il  a  ses  ma- 
lades, ses  munhions,  ses  vivres,  ses  recrues,  la 
possibihté  de  se  retirer  en  cas  de  revers,  était  donc 

TOM.  X.  ^o 


AvriH809. 


2*6  I.IVHI-    XXXV. 

la  seule  résolution  saj^e ,  la  seule  diifne  du  génie 

Avnl  1809.      ,       -,  ,  .  ,,  ',.  -i        , 

(le  Aa|)oleon,  celle  enlin  (ju  il  adopla  sans  aucune 

hésilalion. 
Pricauiions        Soii  paili  uue  fols  piis  de  sui\re  le  l)aiud)e  et  de 
enroarrhem    uiaiclicr  droit  siu    Vi('(uje,  Napoleou  employa  les 
survienne,    j||(^,^ j^>,j^  [^.^  plns  coHN euahles  |)our  l'exéeution  de 

entre  ^  '  '  . 

plusieurs     ses  desseins.  Le  plan  {\e>^  Autrichiens  ne  lui  était  pas 

armées  autri-  ...  •.         '      .  i 

.hieiincs.  conuu;  tout  ce  qu  il  eu  sa>ait,  c  est  que  la  majeure 
partie  d'entre  eux,  sous  la  conduite  de  rarchiduc 
Charles,  se  trom  aient  rejelés  sur  la  ii;auche  du  Da- 
nube par  Ratisbonne  (voir  la  carte  n"  1 4),  et  que  la 
moindre  partie,  sous  le  général  Hiller  et  Tarchiduc 
Louis,  étaient  par  Landshnt  refoulés  sur  la  droite 
du  IkMne  au  delà  de  llsai-.  Il  en  conclut  dès  lors 
que  tout  en  marchant  en  a\ant,  et  en  poursuivant 
lépée  dans  les  reins  la  portion  qui  se  retirait  par 
Landshut  sur  la  ri\e  droite  du  Danube,  il  fallait 
piendre  de  grandes  précautions  à  Tégard  de  celle 
(|iii  se  retirait  sur  la  riNe  gauche,  c'est-à-dire  en 
Bohème,  qui  était  de  beaucoup  la  plus  considéra- 
ble, et  qu'on  allait  a\oir  toujours  sur  son  flanc  ou 
sur  ses  derrières.  Il  fallait  en  veillant  sur  tout  ce 
qu'elle  pourrait  tenter  contre  la  sûreté  de  l'armée, 
|)orter  en  avant  une  masse  assez  puissante  pour 
accabler  le  général  Hiller  et  l'archiduc  Louis,  assez 
ra|)ido  pour  les  pre\enir  aux  divers  passages  du 
Danube,  et  empêcher  ainsi  les  deux  armées  enne- 
mies de  se  réunir  en  avant  de  Vienne  pour  la  couvrir. 
C'est  d'après  cette  flouble  condition  que  Napoléon 
calcula  tous  ses  mouvements,  a\ec  une  prévoyance 
admirable,  et  un  art  dont  aucun  capitaine  ni  ancien 
ai  moderne  n'a  jamais  donné  l'exemple. 


WAGRAM.  22 


li 


Avril  1800. 


C'est  le  23  au  soir  qu'on  pénétra  dans  Ratisbonne  : 
c'est  dans  le  cours  de  cette  même  journée,  et  dans 
la  journée  du  lendemain  24,  <iue  Napoléon  arrêta 
toutes  ses  dispositions.  D'ahord  le  22,  en  (piittant       Marche 
Landshut  pour  se  porter  à  Eckmiihl ,  il  avait  déjà  paVï^centre 
dirieé  le  maréchal  Bessières  avec  la  cavalerie  lé-  ''<' '^  Bavière, 

o  a  la  suite 

eère  du  général  Marulaz  et  une  portion  de  la  ca-    ''"  générai 
Valérie  allemande  au  delà  de  Landshut,   atin  de  otdei'archi- 
poursuivre  à  outrance  les  deu\  corps  battus  {\\\ 
général  Hiller  et  de  l'archiduc  Louis.   Il  y  avait 
ajouté  la  division  de  Wrède ,  et,  pour  plus  de  sû- 
reté encore,  la  division  Molitor,   l'une  des  meil- 
leures et  des  mieux  commandées  de  l'armée  fran- 
çaise. Grâce  à  ce  dernier  appui,  il  était  assuré  (pie 
tout  retour  offensif  de  l'ennemi  serait  énergique- 
ment  repoussé.  Le  lendemain  23,  pendant  que  l'on       Marche 
canonnait  Ratisbonne  pour  y  entrer  de  vive  force,     ''"^ifro^!"^ 
il  avait  voulu  que  la  ligne  du  Danube  fut  occupée    Ju  Danube 

f-  '^  ^  pour  prévenir 

j)ar  l'un  de  ses  plus  intrépides  lieutenants,  par  Mas-   ics  archiducs 

,     .         4  ,-,  ,  .  .    ^  .  sur  tous  les 

sena  lui-même,  ahn  que  ce  dernier  suivit  toujours  points 
le  bord  du  fleuve,  et  put  empêcher  toute  réunion  '- P'^'^^se- 
des  archiducs,  qu'ils  cherchassent  à  passeï-  de 
Bohême  en  Bavière,  ou  de  Bavière  en  Bohême. 
(Voir  la  carte  n"  14.)  Napoléon  ordonna  au  maré- 
chal Masséna  de  descendre  sur  Straubing  avec  les 
divisions  Boudet,  Legrand  et  Carra  Saint-(]yr,  o\ 
pour  le  dédommager  du  détournement  de  celle  de 
Molitor,  il  lui  adjoignit  l'une  des  divisions  d'Oii- 
dinot,  la  division  Claparède.  Ainsi  deux  colonnes 
devaient  poursuivre  les  Autrichiens  sur  la  droite 
du  Danube  :  celle  du  maréchal  Bessières,  chargée 
de  marcher  par  le  centre  de  la  Bavière  et  de  ta- 
is. 


i28  LIVHE   \\\V. 

lonner   fortement  le   général    Hillcr   cl  Tarchiduc 

Louis  au  passage  de  tous  les  allluents  du  Danube  ; 
celle  du  maréchal  Masséna,  chargée  de  longer  ce 
fleuve  et  d'occuper  avant  les  archiducs  les  pas- 
sages importants  de  Straubing,  Passau,  Lintz,  qui 
formaient  les  points  de  conununication  entre  la  Ba- 
\ière  et  la  Bohême. 

Mouvement  Ccs  précautious  priscs  sur  son  front  et  sur  sa 
au  co"rps      droite,  Napoléon  disposa  du  corps  du  maréchal 

''"oTyorn'"'^'    ^^ii^oiit  poiii"  garder  sa  gauche  et  ses  derrières, 

pour  observer  contrc  uu  rctour  offensif  de  l'archiduc  Charles,  au 

I  archiduc 

Charles  cas  quc  ce  princc  fut  tenté  de  nous  attaquer  en 
o  ime.  ii^j^^  Qy  gj^  queue.  Napoléon  rendit  à  ce  maréchal 
les  belles  divisions  Gudin  et  Morand,  qu'il  lui  avait 
empruntées  momentanément  pour  l'affaire  d'A- 
l)ensberg,  et  lui  ota  la  division  Saint-Hilaire,  des- 
tinée avec  les  deux  divisions  du  général  Oudinol 
à  former  le  corps  du  maréchal  Lannes.  Les  trois 
di\isions  Friant,  Morand,  Gudin,  habituées  à  servir 
a\  ec  le  maréchal  Davout  depuis  le  camp  de  Boulo- 
gne, toujours  restées  hors  de  France  depuis  cette 
époque,  composaient  une  véritable  famille  sous  les 
yeux  d'un  père,  inflexible  mais  dévoué  à  ses  en- 
fants, et  offraient  le  modèle  accompli  de  l'infanterie 
propre  à  la  grande  guerre.  Elles  ne  pillaient  pas, 
ne  manquaient  de  rien  parce  qu'elles  ne  pillaient 
pas,  n'avaient  jamais  un  homme  en  arrière,  ne 
reculaient  jamais  non  plus,  et  enfonçaient  tout  en-- 
ncmi,  quel  qu'il  fut,  qui  se  rencontrait  sur  leur 
passage.  Avec  la  cavalerie  légère  du  général  3Iont- 
brun,  et  malgré  leurs  pertes,  elles  comptaient  en- 
core 29  ou  30  mille  hommes.  Napoléon  ordonna 


WAGRAM.                                     229 
au  maréclial  Davoiit  de  quitter  Ratisl)onne  le  24,  

,  .  Avril  1809. 

(le  marcher  sur  les  traces  de  l'arcliiduc  Charles 
jusqu'aux  frontières  de  la  Bohême,  de  chercher  à 
savoir  s'il  les  avait  franchies,  puis  cette  certitude 
acquise,  de  rejoindre  le  Danube,  d'en  descendre 
le  cours  sur  la  rive  droite,  tandis  que  le  général 
Montbrun  descendrait  par  la  rive  gauche  avec  sa 
cavalerie  légère,  furetant  sans  cesse  le  Bohmer- 
Wald,  longue  chaîne  de  montagnes  boisées,  qui 
sépare  la  Bohème  de  la  Bavière.  Le  maréchal  Da- 
vout  devait  donc,  une  fois  bien  renseigné  sur  les 
mouvements.de  l'archiduc  Charles,  suivre  la  mar- 
che générale  de  l'armée  en  longeant  le  Danube 
derrière  le  maréchal  Masséna,  occuper  Straubing 
(|uand  le  maréchal  Masséna  marcherait  sur  Pas- 
sau,  occuper  Passau  quand  celui-ci  se  porterait 
sur  Lintz.  Le  général  Dupas  avec  une  division  fran-  uùie  assigné 
çaise  de  4  à  o  mille  hommes,  et  les  contingents  des  Dupas'eràu" 
petits  princes,  en  tout  1 0  mille  hommes,  eut  ordre  jans'^y^n5ar_ 
de  se  rendre  immédiatement  à  Ratisbonne,  afin  d'y    ohe  générale 

.  .  lie  l'armée.  . 

remplacer  le  maréchal  Davout,  quand  celui-ci  quit- 
terait cette  ville  pour  descendre  le  Danube.  Il  de- 
vait le  suivre  à  son  tour,  et  le  remplacer  à  Strau- 
bing, à  Passau,  à  Lintz,  là  même  où  le  maréchal 
Davout  aurait  remplacé  le  maréchal  Masséna. 
Enfin  le  prince  Bernadotte  avec  les  Saxons  avait 
ordre  de  quitter  Dresde,  que  ne  menaçait  aucun 
ennemi,  de  remonter  la  Saxe,  de  traverser  le  Haut- 
Palatinat,  d'entrer  à  Ratisbonne,  pour  y  remplacer 
la  division  Dupas.  Le  Danube  ne  pouvait  ainsi  man- 
quer d'être  bien  gardé,  puisque  les  deux  meilleurs 
corps  de  l'armée,  ceux  des  maréchaux  Masséna 


Avril  ISO!>. 


HessiiTcs  et 
Mass(['na. 


230  i,i\  nv:  XXXV. 

ri  |);i\<)iil,  cscorltVs  <lo<kMi\  (•or|)s  alliôs,  (lovaient 
(Il  miImc  le  coins,  tamlis  (|iie  par  le  centre  de  la 
l{a\ière,  iiiir  Ibrte  a\ant-iîarde  sous  le  njaiécha! 
Uessières  talonnerait  les  corps  de  Hiller  et  de  l'ar- 
Napoiéon      cliiduc   Louis.    ÔSapolcon   résolut    de  inarcliei'  lui- 

iiiarchf  avec  ,  i      i      1 1        i  •    ■    ■         e    •    .    1 1  ■  i    •  i 

i.mnes  entre  incHie  a^  cc  la  Ix'lle  diMsioii  Sainl-liilaue ,  a\  ec  la 
division  Deniont,  a\ec  la  moitié  disponible  du  cor|)s 
d'Oudinot,  avec  la  ij:arde  qui  \enait  d'arri\er,  avec 
les  (juatorze  réi?in»ents  de  cuirassiers,  et  d'escorter 
Uessières  par  Landshut,  pour  appuyer  ce  dernier 
s'il   rencontrait   quelque  difficulté  de  la  part  des^ 
corps  de  Hiller  et  de  l'archiduc  Louis,  ou  pour  se 
rabattre  sur  le  bord  du  tleuve  si  l'archiduc  Charles 
tentait  <le  le  repasser  sur  notre  flanc  ou  nos  der- 
rières. Pour  compléter  cet  ensemble  de  précau- 
tions, Napoléon  jeta  les  Bavarois  sur  sa  droite, 
avec  mission  d'occuper  Munich,  d'y  ramener  leur 
roi,  de  refouler  la  division  Jellachich,  (pii,  connue 
on  s'en  souvient,  avait  été  détachée  du  corps  de 
Hiller,  de  la  pousser  de  Munich  sur  Salzbourg,  de 
pénétrer  ensuite  dans  le  Tyrol,  pour  replacer  ce 
pays  sous  la  domination  de  la  maison  de  Bavière. 
Cette  dernière  mesure,  en  rappelant  les  Bavarois 
chez  eux,  avait  l'avantage  d'éclairer  la  marche  de 
l'année  du  côté  de  l'Italie,  et  de  la  mettre  en  garde 
contre  toute  tentative  de  l'archiduc  Jean.  Les  corps 
loniieant  le  Danul)e  eurent  l'ordre  d'arrêter  les  ba- 
teaux, de  les  amener  à  la  rive  droite,  d'en  com- 
poser des  con\ois  pour  transporter  les  vivres,  les 
munitions,  les  malades,  les  recrues,  de  préparer 
sur  tous  les  points  des  fours,  des  farines,  du  bis- 
cuit, de  mettre  enfin  en  état  de  défense  Siraubing, 


Avril  1809. 


WAGRA.M.  231 

Passaii,  Lintz,  de  manière  à  pouvoir  garder  le 
fleuve  avec  peu  de  forces  quand  on  en  aurait  fran- 
chi les  divers  échelons. 

Napoléon  s'occupa  ensuite  de  procurer  à  ses 
corps  les  renforts  dont  ils  avaient  l)esoin,  soit  pour 
réparer  leurs  pertes,  soit  pour  compléter  leur  ef- 
fectif projeté.  D'une  |)arl,  ils  s'étaient  fort  affai- 
blis par  les  combats  de  cette  première  période, 
car  si  nous  avions  enlevé  50  ou  60  mille  hommes 
aux  Autrichiens,  nous  en  avions  bien  perdu  12  ou 
15  mille,  dont  un  tiers  seulement  devait  reparaître 
dans  les  rangs;  d'autre  part,  les  corps  étaient  entrés 
en  action  avant  d'avoir  reçu  le  complément  de  leur 
effectif.  Les  vieilles  divisions,  depuis  long-temps  som* 
organisées,  comme  celles  du  maréclial  l)a\out,  pour  répare" 
comme  les  quatre  moins  anciennes   du  maréchal     '^*  p*'"'*^® 

*  (|ue  SCS  corps 

Masséna,  comme  la  division  Saint -Hilaire,  n'a-  avaient 
valent  pas  reçu  de  leurs  dépots  les  conscrits  qui 
leur  étaient  dus;  et  les  nouveaux  corps,  comme 
celui  d'Oudinot,  formé  de  quatrièmes  bataillons, 
étaient  loin  de  posséder  tous  leurs  cadres.  Beau- 
coup de  ces  quatrièmes  batailhms  n'avaient  effec- 
tivement que  deux,  trois  ou  quatre  compagnies, 
sur  six  qui  leur  étaient  destinées.  Enfin  les  recrues 
venant  d'Italie  pour  les  corps  qui  avaient  leurs 
dépôts  dans  cette  contrée,  avaient  été  arrêtées  en 
Tyrol ,  et  il  fallait  les  remplacer  par  d'autres.  Na- 
poléon donna  les  ordres  nécessaires  pour  que  les 
conscrits  tirés  des  dépôts,  les  compagnies  qui 
manquaient  encore  aux  quatrièmes  bataillons, 
fussent  promptement  acheminés  sur  cette  route  si 
bien  jalonnée  de  la  Bavière,  et  pour  que  la  cavalerie 


essuyées. 


232  LIVRE  XXXV. 
re(;iit  les  clicvaux  dont  elle  avait  surtout  l)esoin. 

AvriH809. 

Napoléon  venait  dètrc  rejoint  par  les  grenadiers, 
cliasseurs,  fusiliers  et  tirailleurs  de  sa  i^arde.  Il 
reitéra  ses  ordres  pour  la  prompte  ortçanisation  des 
(piaire  réi^inients  île  conscrits  de  cette  iiarde,  et 
du  nouveau  détachement  d'artillerie  qui  devait  en 
porter  les  bouches  à  feu  au  nond)re  de  soixante. 
Il  écri\it  en  même  temps  aux  rois  de  Bavière,  de 
Saxe,  de  Wurtemberg,  pour  leur  annoncer  ses 
éclatants  succès,  et  faire  appel  à  leur  zèle  dans  le 
lecrutement  de  leurs  corps.  Il  écrixit  à  son  frère 
Jérôme,  à  son  frère  Louis,  pour  presser  la  réunion 
de  leurs  troupes,  afin  de  pourvoir  à  la  sûreté  de 
l'Allemagne  contre  les  mouvements  insurrection- 
nels qui  éclataient  de  toute  part.  Il  ordonna  qu'on 
fit  expliquer  le  roi  de  Prusse  sur  la  singulière  aven- 
ture du  major  Schill,  et  en  annonçant  ses  \ictoires 
à  M.  de  Caulaincourt,  il  ne  lui  envoya  pas  de  let- 
tre pour  l'empereur  Alexandre,  désirant  marquer 
à  ce  prince,  par  un  pareil  silence,  ce  qu'il  pensait 
de  la  sincérité  de  son  concours.  Il  défendit  en  ou- 
tre à  notre  ambassadeur  d'écouter  aucune  parole 
relative  au  sort  futur  de  l'Autriche,  et  aux  condi- 
tions de  paix  qui  pourraient  être  la  suite  de  succès 
si  rapides. 
Départ  Tandis  que  ses  corps  cheminaient  devant  lui,  Na- 

dc  Napoléon  i  •  • .    • .  «  '    ^    r»    ,  •   i  <  i  •        i 

pour  poleon  était  reste  a  Hatisbonne  pour  expédier  les 
i.andshut.  oidrcs  nouibrcux  (pi'exigeaient  la  conduite  de  si 
grandes  opérations  et  le  gouvernement  de  l'em- 
pire, ([u'il  ne  négligeait  pas  quoiipie  absent.  Entré 
le  23  avril  au  soir  dans  Ratisbonne,  il  y  passa  les 
journées  du  21  et  du  25,  et  il  partit  le  26  pour 


Avril  1809. 


WAGRAM.  233 

Lcindslnit,  afin  de  rejoindre  l'année  et  de  la  diriij;er 
en  personne.  Ayant  trouvé  sur  la  route  la  piarde  et 
les  cuirassiers,  il  marcha  avec  ces  belles  troupes 
à  la  suite  de  Bessières  et  de  Lannes,  cpii  s'avan- 
çaient, conune  nous  l'avons  dit,  par  le  centre  de  la 
Bavière,  tandis  qu'à  droite  les  Bavarois  loui^eaient 
le  pied  des  Alpes  tyroliennes,  et  qu'à  gauche  Mas- 
séna  en  tête,  Davout  en  queue,  suivis  de  Dupas  et 
<le  Bernadotte,  descendaient  le  Danube. 

Pendant  ce  temps,  les  généraux  autrichiens  adop-       Marche 

,    •       .    ^  V      1         ,     ""    ,  .      •.  1  .des  pcncraux 

laient  a  peu  près  le  plan  de  retraite  que  leur  avait    autrichiens 
l)rété  Napoléon.   L'archiduc  Charles,  rejeté  avec  "'''nJmentT*^" 
environ  quatre-vingt  mille  hommes  dans  le  Haut-         'l^ 

^  "-  Ratisbonne. 

Palatinat,  n'avait,  dans  le  fait,  d'autre  parti  à  pren- 
dre que  de  se  retirer  par  la  Bohème,  de  traverser 
cette  province  le  plus  vite  possible,  de  repasser  le 
Danube  soit  à  Lintz,  soit  à  Krems,  de  s'y  rallier  au 
général  Hiller  et  à  l'archiduc  Louis,  et  même,  s'il 
le  pouvait,  d'y  amener  l'archiduc  Jean  par  le  Tyrol 
insurgé.  Le  général  Hiller  et  l'archiduc  Louis ,  re- 
jetés par  Landshut  au  delà  de  l'Isar  en  Bavière, 
avec  environ  40  mille  hommes,  n'avaient,  de  leur 
côté,  pas  mieux  à  faire  que  de  disputer  les  lignes 
de  l'Inn,  de  la  Traun,  de  l'Eus,  affluents  du  Da- 
nube, de  retarder  ainsi  la  marche  de  Napoléon ,  et 
de  donner  aux  archiducs  Charles  et  Jean  le  temps 
de  se  réunir  à  eux,  pour  couvrir  Vienne  avec  toutes 
les  forces  de  la  monarchie.  C'est  en  effet  le  plan 
(ju' adopta  l'archiduc  Charles,  et  qu'il  prescrivit  à 
ses  frères,  ce  qui  achevait  de  justifier  complète- 
ment la  marche  de  Napoléon  le  long  du  Danube, 
puisqu'elle  le  plaçait  sur  le  chemin  direct  de  Vienne, 


Avril  1809. 


Î34  I.IVRR   XXXV. 

eiUi-e  lous  les  arcliiducs,  de  mani«'ie  à  les  isoler  les 
lins  des  autres,  el  à  les  devanc<'r  >iir  tous  les  points 
de  concentrai  ion. 
Le  prince  ConfornuMncnt  au  plan  arrtMe,  1  arcliidiic  Charles 

Charles  .  '  . 

sarréteà      sc  liala   cu   (julttaiil   Balishoune  de  \  enir  prendre 
iie'^aam"     P<>^ili<»u  à  (iiiani,  à  l'entrée  des  détiles  tle  la  Bo- 
''rëfù-ler''^    lièuie.  Il  S  etal)lit  entre  les  deux  routes  de  Furlh  et 
n  Bohème,     de  Roetz,  (pii  uu"  noul  à  Pilsen,  ayant  le  corps  de 
Rosenheri:    à    irauelie,    celui   de    Hohenzollern   à 
droite,  celui  de  Kollovrath  au  milieu,  le  prince  Jean 
de  Liechtenstein  en  arnère  a^  ec  les  grenadiers  et 
les  cuirassiers,  et  enfin  le  corps  de  Bellegarde  dé- 
taché au  couvent  de  Schœnthal.  Cette  position  de 
Cham  était  très-forte ,  et  a  alait  la  peine  d'être  dis- 
putée, si  on  était  vivement  j)Oursiiivi.   Le  prince 
Charles  y  attendit  son  matériel,  ses  traînards,  ses 
égarés,  résolu  à  se  défendre  avec  les  qualre-^ingt 
mille  hommes  qui  lui  restaient,  s'il  était  de  nou- 
veau attaqué  par  les  Français.  Le  maréchal  Davout 
l'y  suivit  par  Nittenau,  non  point  dans  l'intention 
de  lui  livrer  bataille,  mais  dans  celle  d'observer 
sa  marche   et  de  connaître  ses  projets.  Voulant 
toutefois,  sans  engager  le  combat,  conserver  l'as- 
cendant  des  armes,    il   refoula   brusquement   les 
avant-postes  autrichiens  jusque  près  de  Cham,  et 
se  présenta  dans  l'attitude  d'un  ennemi  prêt  à  en 
Retraite      venir  aux  mains.  Soit  que  l'archiduc  ne  voulût  pas 

définitive 

de  l'archiduc  counr  la  cliauce  d'une  nouvelle  bataille,  soit  qu'il 
en  Bohême.    ^^"^  avoir  asscz  attendu,  il  décampa,  laissant  au 
maréchal  Davout  bien  des  vohures,  bien  des  mala- 
des, bien  des  traînards  que  celui-ci  ht  prisonniers. 
Le  projet  étant  de  se  retirer,  il  eût  mieux  valu  le 


WACiKAM.     ^  235 

faire  plus  tôt,  car,  parti  le  24  au  matin  dos  envi-  ' 
rons  de  Ratisbonne,   le   i^énéralissime  autrichien 
resta  en  position  à  Cliam  jusqu'au  28,  et  perdit 
ainsi  deux  jours  sur  quatre ,  ce  qui  était  fâcheux , 
puisque  son  premier  intérêt  était  d'atteindre  le  pont 
de  Lintz,  par  lequel  il  pou\ait  se  réunir  aux  corps 
de  Hiller  et  de  l'archiduc  Louis.  La  route  intérieure 
de  Bohême  formant  un  arc,  par  Pilsen,  Budweis, 
Lintz  (voir  la  carte  n"  1  4),  il  avait  à  décrire  un  lone 
circuit,  tandis  que  Napoléon,  suivant  les  bords  du 
Danube ,  marchait  directement  au  point  si  important 
de  Lintz,  par  une  roule  superbe,  et  avec  le  secours 
du  fleuve  qui  transportait  une  partie  de  ses  plus 
lourds  fardeaux.  Le  prince  autrichien  aurait  donc 
bien  fait  de  se  hâter,  au  risque  de  laisser  beaucoup 
de  monde  en  arrière ,  car  il  valait  encore  mieux  ar- 
river moins  fort  au  rendez-vous  de  Lintz,  que  de 
ne  pas  y  arriver  du  tout. 

Quoi  qu'il  en  soit,  l'archiduc  Charles  se  retira  en 
Bohême,  décidé  à  ramasser  en  chemin  tout  ce  qu'il 
trou\  erait  de  renforts,  et  à  regagner  la  rive  droite 
du  Danube  le  plus  tôt  possible.  Se  doutant  néan- 
moins qu'il  ne  réussirait  pas  à  marcher  assez  vite, 
il  envoya  le  général  Klenau  avec  neuf  bataillons,  le 
général  Stutterheim  avec  quelques  troupes  légères , 
pour  aller,  par  les  chemins  les  plus  courts,  dé- 
truire, si  on  ne  pouvait  les  occuper,  les  ponts  de 
Passau  et  de  Lintz  sur  le  Danube.  Ces  précautions 
prises,  ne  pouvant  s'empêcher  de  céder  au  décou- 
ragement à  la  vue  d'une  guerre  qui  commençait  si 
mal,  il  proposa  à  l'empereur  d'Autriche  de  faire, 
sous  prétexte  d'un  échange  de  prisonniers,  une  dé- 


AvnHSO?. 


AvriH809. 


236  LIVRE   XXXV. 

inarclic  paciluiue  auprès  de  iSapoléon.  I.'empcreur 
François,  (jui  avait  consenli  à  la  i^iicrre  sans  y 
t^tre  condiiil  par  une  couNiclion  bien  arrêtée,  et 
tjui  voyait  à  quel  |)oint  son  frère  le  irénéralissime 
était  déjà  déeouraiié,  ne  se  refusa  point  à  cette  dé- 
marche pacifique,  pas  plus  (ju'il  ne  s'était  refusé  à 
la  iîuerre,  mais  en  demandant  toutefois  (pi'on  ne 
montrât  pas  trop  de  fail)lesse  au  déhut  même  des 
iiostilités.  En  conséquence,  Tarcliiduc  Charles  fit 
rédiger  par  son  chef  d'état-major,  Griinn,  une  let- 
tre dans  laquelle,  félicitant  l'empereur  Napoléon 
de  son  arrivée  au  quartier  général  français,  ce  dont 
il  avait  pu  s'apercevoir,  disait-il  avec  modestie,  à 
la  tournure  des  événements,  il  lui  proposait  un 
échange  de  prisonniers,  pour  adoucir  les  maux  de 
la  guerre,  heureux,  ajoutait-il,  si  dès  le  commen- 
cement des  hostilités  on  pouvait  leur  im|irimer  un 
caractère  moins  violent  et  moins  acerbe.  Il  conti- 
nua ensuite  sa  marche  à  travers  la  Bohème,  après 
avoir  enjoint  à  son  frère  Jean  de  passer  en  Bavière, 
et  à  son  frère  Louis  et  à  son  lieutenant  Hiller  de 
disputer  fortement  cette  contrée  aux  Français,  pour 
donner  le  temps  à  toutes  les  forces  autrichiennes 
d'opérer  leur  jonction  derrière  la  Traun,  aux  en- 
^  irons  de  Lintz. 

Le  maréchal  Davout ,  dès  qu'il  vit  l'archiduc 
(Jiarles  s'enfoncer  en  Bohème ,  rebroussa  aussitôt 
chemin,  revint  sur  Ratisbonne,  repassa  le  Danube, 
et  conunença  de  descendre  ce  fleuve  par  la  rive 
droite,  en  se  faisant  éclairer  sur  la  r\^'e  gauche  par 
le  général  .Monlbrun.  Il  s'achemina  sur  Passau  à  la 
.suite  du  maréchal  .Massena,  qui  devait  s'acheminer 


WAGRAM.  23T 

sur  Lintz,  et  se  fit  remplacer  à  Ratisbonne  par  le 
général  Dupas  avec  dix  mille  hommes,  moitié  Alle- 
mands, moitié  Français. 

Tandis  que  l'archiduc  Charles  donnait  à  sa  re- 
traite la  direction  que  nous  venons  d'indiquer,  le 
général  Hiller  et  l'archiduc  Louis,  même  avant 
d'avoir  reçu  l'ordre  de  disputer  pas  à  pas  le  sol  de 
la  Bavière,  s'y  étaient  décidés,  et  croyant  que  Na- 
poléon s'attachait  à  poursuivre  l'archiduc  Charles, 
ils  avaient  résolu  un  mouvement  olïensif  contre 
l'avant-garde  du  maréchal  Bessières,  afin  d'attirer 
l'ennemi  à  eux  et  de  dégager  le  généralissime.  La 
résolution  était  honorable  et  bien  entendue,  car  ils 
pouvaient  surprendre  Bessières  avant  qu'il  fut  joint 
par  le  renfort  que  lui  envoyait  Napoléon,  et  dans 
cet  état  de  confiance  imprudente  qu'inspire  sou- 
vent la  victoire. 

Les  deux  généraux  autrichiens  avaient  encore, 
en  comprenant  dans  leur  effectif  les  restes  de  la 
réserve  de  Kienmaver  et  la  division  Jellaciiich,  en- 
viron  50  mille  hommes.  Le  général  Jellaciiich  était 
vers  Munich,  a^  ec  ordre  de  se  retirer  sur  Salzbourg. 
Privés  de  son  concours,  et  rejoints  par  un  régiment 
de  3Iitro^vski  et  quelques  hussards  de  Stipcitz,  ils 
devaient  posséder  de  38  à  40  mille  soldats.  3Iar- 
chant  sur  le  maréchal  Bessières  qui  en  avait  à  peine 
1 3  ou  1 4,  et  qui  s'avançait  avec  une  extrême  témé- 
rité, ils  pouvaient  l'accabler.  En  effet,  le  24  au 
matin,  avant  que  l'archiduc  Charles  eût  définiti- 
vement opéré  son  mouvement  de  retraite  vers  la 
Bohème ,  et  pendant  que  le  maréchal  Bessières  pé- 
nétrait au  delà  de  l'Isar,  avant  la  cavalerie  légère 


Avril  1809. 


Retour 

offensif 

(lu  général 

Hitler  cl 

de   l'archiduc 

Louis  contre 

le  maréchal 

Bessières. 


Combat 

de   Neumaïkt 
et  fermeté 


Avril  «809. 


orrasion. 


238  I  IVRR   XXXV. 

(le  Marulazeu  ItMc  de  sa  colonne,  les  Bavarois  du 
liénôral  (IcWmlc  au  cenlrc,  1  inlanlorie  de  Molilor 
du  général     j,  l'aiTière-ixaitlc .  les  deux,  liénéraux  autricliiens 

Molitor  dans  '  ' 

celle  se  reporlèrent  en  avant,  a\ec  l'inlention  de  rejeter 
l'aNanl  irarde  des  Français  dans  les  marérases  de 
la  Kulh,  |)rès  de  Ncuniarkt.  Ils  se  présentèrent  en 
trois  colonnes,  et  rencontrèrent  d'abord  la  cava- 
lerie de  Marulaz,  qui  les  c}jarîa;ea  plusieurs  fois 
avec  une  rare  bra^  oure ,  mais  qui  ne  j)0uvait  ob- 
tenir de  succès  sérieux  contre  une  masse  de  30 
mille  hommes  marchant  résolument.  La  cavalerie 
de  Marulaz  refoulée,  le  général  de  Wrède  eut  son 
tour,  et  dut  résister  avec  six  ou  sept  mille  hommes 
d'infanterie  à  plus  de  trente  mille.  Les  Bavarois 
n'étaient  pas  indignes  de  se  mesurer  avec  les  Au- 
trichiens, quoi(prils  leur  fussent  inférieurs,  et  ils 
se  montraient  assez  animés  dans  cette  guerre.  Mais 
il  leur  était  impossible  de  tenir  contre  la  masse  qui 
allait  les  presser  en  tète  et  sur  les  flancs.  Ils  n'avaient 
j)0ur  unique  retraite,  à  travers  le  pays  humide  et 
boisé  qui  borde  la  petite  rivière  de  la  Roth ,  qu'un 
pont  de  chevalets  faible  et  tremblant,  incapable 
de  porter  les  fortes  masses  qui  le  traversaient  à 
pas  précipités.  Derrière  était  située  la  ville  de  Neu- 
markl,  où  Bessières  était  à  table,  pendant  que 
son  avant-garde,  refoulée  sur  son  centre,  courait 
le  danger  d'être  culbutée.  Heureusement  le  général 
Molitor,  oflicier  d'infanterie  formé  à  l'école  du  Rhin 
et  le  premier  des  lieutenants  généraux  de  ce  temps, 
arrivait  suivi  de  sa  division.  Il  avait  reconnu  le  dan- 
ger et  en  avait  fait  part  au  maréchal  Bessières,  qui, 
voyant  là  une  affaire  d'infanterie,  eut  la  sage  mo- 


WA(iRAM.  239 


destie  de  le  laisser  ae;ir.  Le  i^éneral  Molitor  passa ^ 

sur-le-champ  le  pont  de  la  Rof h  avec  ses  quatre  ré- 
ijçiments,  et  apercevant  sur  la  i2;auche  une  hauteur 
boisée  d'où  l'on  pouvait  proté2:er  la  retraite,  il  se 
hâta  (le  l'occuper  avec  le  2°  de  ligne,  en  précipitant 
du  haut  en  bas  une  troupe  autrichienne  qui  la  défen- 
dait. Puis  il  rangea  à. droite  les  16"  et  37*^  régiments 
«lansune  position  a\antageuse  pour  se  servir  de  leur 
l'eu.  En  ce  moment ,  la  cavaleiie  légère  refoulée  re- 
passait la  Roth  après  avoir  essuyé  des  pertes,  et  le 
général  ba\  arois  de  Wrèdc  était  aux  prises  avec  l'en- 
nemi acharné  à  détruire  un  de  ses  bataillons.  Mais 
tout  à  coup  l'attitude  de  la  division  Molitor  calma 
Tardeur  des  Autrichiens.  Les  feux  roulants  et  bien 
ajustés  des  16"  et  37"  de  ligne,  la  forte  position  du 
2%  les  arrêtèrent,  et  bon  gré,  mal  gré,  ils  laissèrent 
les  Bavarois  repasser,  tranquillement  la  Roth.  Les 
1 6"  et  37*"  régiments  défilèrent  ensuite,  protégés  par 
le  2^  qui  eut  avec  les  Autrichiens  un  engagement 
terrible.  Ce  brave  régiment  était  si  obstiné  à  lutter 
que  le  général  Molitor  eut  grand'peine  à  le  ramener 
en  arrière.  Avant  de  repasser  le  pont,  il  chargea 
plusieurs  fois  à  la  baïonnette,  et  força  ainsi  les  Au- 
trichiens à  lui  laisser  opérer  sa  retraite,  qu'il  exé- 
cuta le  dernier  avec  un  aplomb  admiré  des  enne- 
mis eux-mêmes. 

Cette  affaire  coûta  quelques  centaines  d'hommes 
aux  Bavarois,  et  quelques  chevaux  au  général 
Marulaz.  Elle  eût  pu  devenir  fâcheuse  pour  l'avant- 
garde  tout  entière,  sans  la  prévoyance  de  Napo- 
léon, qui  avait  ménagé  au  maréchal  Bessières 
l'appui  du  général  Molitor.  Toutefois  bien  qu'ar- 


AvriH809. 


Marche 

générale 

de  l'armée 

sur  riun. 


iiO  LIVRE  XXXV. 

riMi's  sur  les  bords  de  la  Kolli,  le  général  llilhîr 
et  rarciiiduc  Louis  n'auraient  pas  renoncé  à  leur 
mouvement  olîensif ,  s'ils  n'avaient  a|)pris  dans  la 
nuit  toute  l'étendue  des  désastres  du  généralis- 
sime, ainsi  que  sa  retraite  en  Bohême,  et  s'ils  n'a- 
vaient reconnu  la  nécessité  de  se  retirer  de  leur 
côté,  car  Napoléon  ne  pouvait  manquer  de  fondre 
bientôt  sur  eux  avec  des  masses  écrasantes.  Ils  ré- 
solurent donc  de  se  replier  sur  l'Inn,  et  de  l'Inn 
sur  la  Traun,  qu'ils  avaient  l'espérance  de  défendre 
mieux  que  l'Inn,  parce  (ju'ils  devaient  avoir  plus 
de  temps  pour  s'y  asseoir,  et  que  d'ailleurs  ils 
avaient  quelque  chance  d'y  trouver  l'un  des  ar- 
chiducs, ou  Charles  ou  Jean. 

Napoléon  arriva  sur  ces  entrefaites ,  suivi  de  la 
garde  et  des  cuirassiers,  précédé  par  Lannes  avec 
les  troupes  des  généraux  Sainl-Ililaire,  Demont, 
Oudinot.  Il  reporta  en  avant  le  maréchal  Bessières, 
et  imprima  à  la  poursuite  la  vigueur  d'un  torrent 
qui  a  rompu  ses  digues.  Tout  le  monde  de  la  droite 
à  la  gauche  marcha  sur  l'înn  (voir  la  carte  n**  1  4), 
les  Ba^  arois  se  dirigeant  par  Munich  et  Wasser- 
bourg  sur  Salzbourg,  le  maréchal  Lannes  par 
Miihldorf  sur  Burgliausen,  le  maréchal  Bessières 
par  Neumarkt  sur  Braunau.  Appuyant  ce  mouve- 
ment le  long  du  Danube,  le  maréchal  Masséna  pé- 
nétrait dans  Passau,  qu'il  enlevait  brusquement  aux 
Autrichiens,  lesquels  n'avaient  pas  eu  plus  que  les 
Bavarois  la  prévoyance  de  s'y  établir  solidement. 

Le  28  et  le  29  avril,  dix  jours  après  les  pre- 
mières hostilités,  on  était  parxenu  sur  tous  les 
points  à  la  ligne  de  l'Inn,  et  on  était  occupé  sur 


WAGRAM.  2M 

cliaqiio  route  à  ivlal)lir  les  noiits,  (lue   les  Aiitri-   

,  .  .  ,  .         .  ,      M  -       ■  ,  .  ^^'i'  '809. 

chiens  a\aienl  (lelniils  ou  Itiiiles  jusquau  nneau 
des  eaux,  ([uand  ils  en  avaient  eu  le  temps.  Napo- 
léon entrée  le  28  à  Buiiiliausen  fut  obligé  d'y  atten- 
dre pendant  deux  jours  le  rétablissement  du  pont 
qui  était  dune  grande  importance,  et  cpii  axait  été 
complètement  incendié.  Ayant  reçu  la  lettre  paci- 
fique de  l'archiduc  Charles,  il  la  renvoya  h  "SI.  de 
Champagny,  qui  suivait  le  quartier  général ,  et  lui 
ordonna  de  n'y  pas  répondre.  Plein  de  confiance 
dans  le  résultat  de  la  campagne,  ne  i)ré\oyant  pas 
toutes  les  dillicultés  qu'il  pourrait  rencontrer  plus 
tard,  il  croyait  tenir  dans  ses  mains  le  destin  de  la 
maison  d'Autriche,  et  ne  voulait  pas  se  laisser  arrê- 
ter dans  ses  ambitieuses  pensées  [)ar  un  mouvement 
de  générosité  irréfléchie.  Il  prescriA  it  donc  le  si- 
lence, du  moins  pour  le  moment,  se  réservant  de 
répondre  plus  tard  sui\  ant  les  circonstances. 

Le  maréchal  Masséna  étant  entré  à  Passau,  et  le  Trajet 
maréchal  Davout  le  sui\ant  de  près,  tandis  (pic  tiTr'aun! 
l'armée  entière  était  sur  l'inn  de  Biaunau  à  Salz- 
bourg,  il  fallait  marcher  sur  la  Traun  sans  retard, 
(rétait  la  ligne  essentielle  à  conquérir,  car  elle  cor- 
respondait avec  le  débouché  de  Linlz,  par  lequel 
l'archiduc  Charles  pou\ait  rejoindre  le  général  Mil- 
ler et  l'archiduc  Louis.  Cette  ligne  conquise  a\ant 
que  le  généralissime  autrichien  y  fut  arrivé,  il  res- 
tait à  celui-ci  une  seconde  et  dernière  chance  de 
jonction  en  avant  de  Vienne,  c'était  d'atteindre  à 
temps  le  pont  de  Krems,  et  de  venir  se  placer  à 
Saint- Polten  pour  couvrir  la  capitale.  Napoléon 
résolut  de  lui  enlever  tout  de  suite  la  première  de 

TOM.   X.  16 


i.iviu-;  \\\\ 


Mai  180ît. 


Ordre 
à  M asséna 
tie  marcher 

sur 
la  Traun. 


Formidable 

position 

d'Éberfber.iî 

au  conilucnt 

de  la  Traun  et 

du  Danube, 


Marche 

de  toutes 

les  colonnes 

de  l'arnico 

pour  seconder 

le  mouvement 

de  Masséna 
sur  la  Traun. 


cos  (l('ii\  cliaiico,  (Ml  >('  portant  sur  Uni/,  (riiiic 
manière  iinptMnciisc.  Ktant  parvcnn  a\pc  Ions  ses 
corps  sur  llnn.  cl  en  a\aiil  rctalili  les  ponts  le 
.'Ul  a\iil,  il  ordonna  le  iiion\cmciit  iiéncral  pour  le 
1"  niai.  Il  |)rev(  ri\  il  à  .MasstMia  de  niaiclier  ra|)i(le- 
inent  de  l'assau  >iir  KlTerdini; .  (rKlTcidini:  >nr  Liniz, 
arri\c  la  de  s'emparer  daiiord  de  la  \ille  de  Ijrilz. 
puis  (In  |)onl  sur  le  l)aiinl)(>  s'il  n'(^ait  pas  détruit, 
cl,  Uni/  0(cuj)(',  d'aller  droit  à  la  Tranu  ([ui  coule 
à  deux  lieues  au-dessous.  La  Traun,  (pii  est  pour 
les  Autrichiens  Tune  des  iienes  les  plus  ini|)ortantes 
à  défendre  quand  ils  veulent  arrêter  une  année  en 
raarclie  sur  Vienne,  descend  des  Alpes  Noriques 
comme  TEns,  et  \a  toml)er  dans  leDanuhe  un  peu 
après  Liniz.  Elle  lonire  le  pied  d'un  plateau  qui 
s'étend  jusqu'au  Dannhe,  et  sui-  le(piel  une  armée 
|)(nt  se  poster  avanta2;eusement,  pour  s'opposer 
aux  progrès  d'une  ùnasion.  Aussi  le  pont  sur  le 
Danube,  celui  qui  servait  de  comnumication  mili- 
taire entre  la  Bohème  et  la  Haute-Autriche,  était-il 
placé  non  pas  à  Linlz  même,  mais  au-dessous  du 
confinent  delà  Traun  dans  le  Dannhe.  c'est-à-dire 
à  -Manthausen.  Il  était  ainsi  couvert  par  la  Traun, 
el  par  le  plateau  dont  nous  venons  de  parler,  au 
sonmiet  duquel  s'apercevaient  la  ville  et  le  château 
d'Ehersherc:. 

Masséna  eut  donc  le  T'  mai  l'ordre  de  se  portei- 
vivement  de  Passau  à  Lintz,  de  Lintz  à  Ébersberg. 
Mais  comme  la  dilliculté  pouN  ait  être  grande  si  les 
3G  mille  hommes  restant  aux  deux  généraux  au- 
trichiens Ncnaient  se  poster  à  Ehersberg,  Napoléon 
\onlait  al)order  la  Trann  sni-  plusieurs  points  à  la 


WAGRA.M.  213 

fois,  à  ÉI)('rsl)orii,  à  AVels  et  à  Laïuhacli.  En  consô-   ' 
quence,  il  dirii^ca  toutes  ses  colonnes  de  llnn  sur 
la  Traun,  de  manière  à  y  arriver  le  3  mai  au  matin. 
Le  général  de  Wrède,  ayant  avec  sa  di\ision  tra- 
versé Salzbourg,  devait,  après  y  avoir  été  remplacé 
par  le  reste  des  Ba\  arois,  s'acheminer  par  Stras^^  al- 
chen  sur  Lambach  au  bord  de  la  Traun.  (Voir  la 
carte  n"  14.)  Le  maréchal  Lannes  avec  les  troupes 
des  généraux  Oudinot,  Saint-Hilaire,  Demont  de- 
vait se  rendre  à  Wels,  pour  y  passer  la  Traun,  im- 
médiatement au-dessus  d'Ébersberg.  Enfin  le  ma- 
réchal Bessières  avec  la  garde,  les  cuirassiers  et  la 
cavalerie  légère,  devait,  ou  passer  à  Wels,  ou  se 
rabattre  sur  Ebersberg,  si  on  entendait  sur  ce  point 
une  canonnade  qui  fît  supposer  une  sérieuse  résis- 
tance. Le  major  général  Berthier  eut  ordre  de  faire 
savoir,  et  fit  savoir  en  effet  à  Masséna,  qu(î  si  les 
obstacles  étaient  trop  grands  de  son  côté,  il  trou- 
verait dans  le  passage  de  la  Traun  opéré  au-dessus 
de  lui,  soit  à  Wels,  soit  à  Lambach,  un  secours 
pour  l'aider  à  les  vaincre.  11  lui  fut  toutefois  re- 
commandé dans  ces  nouveaux  ordres  connue  dans 
les  précédents,  de  ne  rien  négliger  pour  enle\er 
promptement,  non-seulement  la  ville  de  Lintz  et  le 
pont  qu'elle  avait  sur  le  Danube,  mais  encore  le 
pont  de  Mauthausen,  placé,  comme  nous  venons 
de  le  dire,  au  confluent  de  la  Traun,  sous  la  pro- 
tection du  château  d'Ébersberg'. 


M;ii   180». 


'  J'analyse  ici  fidèlement  les  lettres  de  Napoléon  et  du  prince  Berthier, 
au  maréchal  Masséna,  pour  qu'on  puisse  bien  apprécier  à  quel  point  était 
motivé  le  combat  crj':hersberg ,  l'un  des  plus  terribles  de  nos  longues 
guerres ,  et  qui  tout  en  faisant  ressortir  la  prodigieuse  énergie  de  .Mas- 
séna, lui  fut  cependant  reproché  comme  une  inutile  effusion  de  sang. 

16. 


211  LIVIU-:  \.\\\. 

Nos  roUmnos  s'jivanrôront  dniis  Toidrc  indiciué. 

Mai  ISO'.t.        ^  '    ^ 

Elles  rluiciit  loiilcs  le  I"  niai  an  (Icliulc  1  liiii,  après 

01»  a\()ir  rclaltli  les  ponts,  .Masséna  se  dirii2;eanl  de 
Passau  sur  Kirerdint;;,  Lannes  et  IJessières  de  Biirg- 
liausen  et  liiannan  sniHicd.  Ils  recueillirent  sur  les 
routes  un  n(Mni)re  considérable  de  voitures  et  envi- 
ron deux  à  trois  mille  prisonniers.  Masséna  qui  mar- 
chait la  p:auclie  au  Danube  rencontra  partout  sur 
son  cliemin  larrière-garde  des  corps  de  Ililler  et  de 
rarcliiduc  Louis,  et  put  apercevoir,  de  l'autre  côté 
du  fleuve,  les  troupes  de  l'arcliiiliic  (lliarles,  (pii 
\  enaient  à  travers  les  défilés  de  la  Bohème  occuper 
ou  détruire  le  pont  de  Lintz.  11  sentait  donc  à  cha- 
que pas  l'importance  de  devancer  le  généralissime 
soit  à  Lintz,  soit  àEhersherg,  bien  moins  pour  con- 
(juérir  ces  points  de  passage  que  pour  les  enlever 
à  l'ennemi,  et  pour  empêcher  derrière  la  Traun  la 
réunion  de  toutes  les  forces  de  la  monarchie  autri- 
chienne. (Voir  la  carte  n"  I  4.) 
Arrivée  Le  2  u)ii'\  au  soir  Masséna  échangea  en  avant  d"Ef- 

■  le  Masscna      /.       i-  •  i      i»      -i  n        •<  i 

à  i.iniz.  lerdmg  quelques  coups  de  fusil  avec  1  arriere-garde 
du  général  Hiller,  fit  des  prisonniers,  et  s'apprêta 
à  marcher  le  lendemain  sur  Lintz.  Le  3  au  matin  il 
partit,  précédé  par  la  cavalerie  légère  de  3Iarulaz, 
et  suivi  de  la  division  Claparède  du  corps  d'Oudinot. 
Il  parut  devant  Lintz  à  la  pointe  du  jour.  Y  entrer, 
culbuter  quelques  postes  qui  se  retiraient  en  liàte, 
s'emparer  de  la  \'\\\e,  ne  fut  que  Talfaire  d'un  in- 
stant. Les  détachements  de  Klenau  et  de  Stutter- 
heim,  dépêchés  par  l'archiduc  Charles  pour  occu- 
per le  passage,  n'avaient  pu  que  détruire  le  pont 
de  Lintz  et  en  amener  les  bateaux  à  la  rive  gauche. 


Mai  1809. 


Son 


W.\(.H\M.  245 

Masséna  en  possession  de  Lintz  était  donc  assuré  que 
ce  pont  du  I)anul)e  ne  pouvait  plus  servir  à  la  jonc- 
tion des  archiducs.  Mais  le  pont  véritablement  pro- 
pre à  la  jonction  était  celui  de  Mauthausen,  situé 
à  deux  lieues  au-dessous,  et  couvert,  comme  nous 
lavons  dit,  par  la  Traiiu.  Tant  qu'on  n'était  pas 
maître  de  celui-là,  il  était  possible  que  l'archiduc 
Cliarles  s'en  servît  jiour  se  réunir  au  général  Hillcr 
et  à  Tarchiduc  Louis,  et  on  ne  savait  pas  en  ellet 
si  les  détachements  qu'on  ai)ercevait  au  delà  du 
Danube  étaient  les  avant-gardes  de  la  grande  ar- 
mée autrichienne,  ou  de  sim|)les  détachements  sans  impressemeni 

à  courir 

soutien.  Il  était  dix  heures  du  matin.  Masséna  n'hé-  sur  Ébersheri: 
sita  pas,  traversa  Lintz  au  [)as  de  course,  et  se  porta      .,f,  maTin. 
sur  la  Traun,    c'est-à-dire  devant  Ébersberg.    La 
position  s'offrit  tout  à  coup  avec  de  formidables 
apparences. 

On  voyait  devant  soi  la  Traun  coulant  de  droite  à       ^speft 
eauche  pour  se  jeter  à  travers  des  îles  boisées  dans  'l^lf  position 

o  i  j  ,1  tbersberg. 

l'immense  lit  du  Danube.  On  apercevait  sur  cette  ri- 
vière un  pont  d'une  longueur  de  plus  de  200  toises, 
puis  au  delà  un  plateau  escarpé,  au-dessus  duquel 
s'élevait  la  petite  ville  d'Ébersberg,  plus  haut  encore 
le  château  fort  d'Ébersberg,  hérissé  d'artillerie,  et 
enfin  soit  en  avant  du  pont,  soit  sur  l'escarpement  du 
plateau,  une  masse  de  troupes  qu'on  pouvait  éva- 
luer de  3G  à  40  mille  hommes.  Il  y  avait  là  de  quoi 
modérer  tout  autre  caractère  que  celui  de  Masséna 
et  lui  inspirer  l'idée  d'attendre,  surtout  s'il  faisait  la 
réflexion  fort  simple  qu'à  quelques  lieues  au-dessus 
d'Ebersberg  plusieurs  colonnes  françaises  devaient, 
dans  la  journée  ou  le  lendemain,  opérer  leur  pas- 


246 


I.IVKK  XXXV 


Mai  IKi>>t. 


'>:onibat 
J  tbersborg. 


sage,  et  toiinicr  hi  posilior».  Mais  cotte  certiliido 
n'eniprcliiiil  |)iis  (jue  |H'iil-('tr(;  dans  la  journée  les 
arcliidncs  ne  se  réunissent  par  le  pont  de  Mauthau- 
sen,  si  on  h»  laissait  en  l('uri)ou\()ir.  Il  y  avait  donc 
un  intérêt  \erital)le  à  \o  leur  enlever  sur-le-champ, 
en  emportant  la  ^ille  et  le  château  d'Ébersberg. 
Du  reste,  c'est  avec  son  caractère,  encore  plus 
qu'avec  sa  raison,  qu'on  se  décide  à  la  guerre,  et 
Masséna  rencontrant  l'ennemi  qu'il  n'avait  pas  eu 
•encore  l'occasion  de  saisir  corps  à  corps  dans  cette 
^•ampagne,  n'épiouva  qu'un  désir,  celui  de  se  je- 
ter sur  lui,  |)our  s'emparer  d'une  position  jugée 
décisive.  Par  ces  motifs  il  ordonna  1  attaque  sur-le- 
champ. 

En  a\ant  du  pont  d'Éhersherg,  se  trouvaient  au- 
tour du  \illage  de  Klein-Munchen  des  tirailleurs 
autrichiens,  et  quelques  postes  de  cavalerie  légère. 
Le  général  Marulaz  lit  charger,  et  disperser  à  coups 
de  sabre,  les  uns  et  les  autres.  Les  cavaliers  repas- 
sèrent le  pont,  les  tirailleurs  se  logèrent  dans  les 
jardins  et  les  maisons  de  Klein-Munchen.  La  pre- 
mière brigade  de  Claparède,  conmiandée  par  l'in- 
trépide Cohorn,  marchait  à  la  suite  delà  cavalerie 
légère  de  Marulaz.  Le  général  Cohorn,  dont  nous 
avons  eu  occasion  de  parler  déjà,  descendant  du 
célèbre  ingénieur  hollandais   Cohorn,    renfermait 
dans  un  corps  grêle  et  i)etit,  l'une  des  âmes  les  plus 
fougueuses  et  les  plus  énergi(pies  que  Dieu  ait  ja- 
mais données  à  un  homme  de  guerre.  Il  était  digne 
d'être  l'exécuteur  des  impétueuses  volontés  de  Mas- 
sur  le  poni  et  séua.  A  peine  arrivé  sur  les  lieux  il  court  à  la  tête 

la  ville  '■ 

dÉbersiKi-.   (les  voltigcurs  de  sa  brigarle  sur  le  village  de  Klein- 


Auilaciouse 
ntlaque 

>lii  général 
Cohorn 


.Mai  1809. 


^\  AtiUA.M.  2t7 

Miinclion,  s'empare  d'ahonl  des  janliiis,  puis  se 
jette  dans  les  maisons,  prend  ou  passe  par  les  ar- 
mes tout  ce  qui  les  oceu[)ait,  pousse  au  delà  du 
\  iliai^'e,  se  porte  à  rentrée  du  pont,  qui  était  long, 
avons-nous  dit,  de  deux  cents  toises  au  moins, 
chargé  de  fascines  incendiaires,  et  criblé  des  feux 
de  l'ennemi.  Tout  autre  que  le  général  Cohorn  se 
serait  arrêté,  pour  attendre  les  ordres  du  maréchal 
Masséna;  mais  l'audacieux  général,  l'épée  à  la 
nuiin,  s'^engage  le  premier  sur  le  pont,  le  traverse 
au  pas  de  course,  fait  tuer  ou  prendre  ceux  cpii 
essaient  de  lui  en  disputer  le  passage,  laisse,  il  est 
\rai,  sur  les  planches  du  pont,  beaucoup  des  siens, 
morts  ou  mourants,  mais  axance  toujours,  et,  le 
défilé  franchi,  lance  ses  colonnes  d'attaque  sur  le 
plateau,  qui  était  couvert  des  masses  de  l'infante- 
rie autrichienne.  Cohorn,  sous  une  grêle  de  balles, 
gravit  avec  le  même  emportement  la  rampe  escar- 
pée qui  conduit  à  Ébersberg,  pénètre  dans  la  \ille, 
débouche  sur  une  grande  place  que  le  château 
domine,  et  oblige  enfin  les  Autrichiens  à  se  replier 
sur  les  hauteurs  en  arrière.  Malheureusement  ils 
conservent  le  château  et  font  pleuvoir  du  haut  de 
ses  murs  un  feu  destructeur  sur  la  petite  ville  de- 
venue notre  conquête. 

Pendant  cette  suite  d'actes  téméraires,  Masséna,     Dispositions 
reste  au  pied  de  la  position,  prend  ses  mesures  pour    j.y,.  ^assena 
appuyer  (Cohorn,   ([ui  n'avait   eu   affaire  jusqu'ici   ''"ig^nTrai"^ 
({u'à  l'avant-garde  des  Autrichiens,  et  qui  bientôt       coiiom. 
devait  les  avoir  tous  sur  les  bras.  Pour  tenir  tête  à 
la  formidable  artillerie  du  plateau,   il  amène  les 
bouches  à  feu  de  tout  le  corps  d'armée,  elles  poste 


2i«  i.i\in;  \\\\. 
le  plus  a\  aiiliiLrciiscnKMil  i)()ssil)l('.  Non  ollicicrs  d'ar- 

S!ai  ISO;).  .  .        '  ' 

lillciic  toujours  aussi  intclli.m'iils  (jii'inhvpides,  es- 
saiciil  (le  compenser  par  la  justesse  <lii  lir  et  le 
l)on  clioix  (les  emplaeemeiils  le  (lésa\autaiïe  do  hi 
position,  l  lie  elTroNahle  eanonnade  s'enp;ai!;e  ainsi 
d'iiiie  ri\e  a  1  autre  de  la  Tiaun.  (^ela  lait,  Masséna 
lance  a  tiavers  le  lonp:  délilé  du  pont,  les  deux  au- 
tres briiïades  de  Claparède,  celles  de  Lesuire  et  de 
Ficatier,  leur  ordonnant  de  ij;ra\  ir  le  plateau  pour 
aller  «lansEhersberi;  au  secours  du  général  Cohorn. 
Puis  il  dépéciie  une  foule  d'aides  de  camp  afin  de 
liAter  l'arrivée  des  divisions  Lei2;rand,  Carra  Sainl- 
Cyr  et  Boudet,  dont  on  a  irrand  besoin  i)our  sortir 
de  cette  redoutal)le  aventure.  I.ui-mènie  il  se  tient 
au  milieu  des  balles  et  des  i)oulets  pour  donner  ses 
ordres  et  pourvoir  à  tout. 
Lutte  Les  deux  briiiades  Lesuire  et  Ficatier  arrh  aient  à 

achanicc  dans  ,  ,     ,      ,    ir-ii  i         » 

lintoripur  pi'opos,  car  le  général  IIiIum-  reniareliant  en  avant, 
s'était  jeté  avec  des  forces  considérables  sur  Coliorn, 
et  l'avait  obligé  de  rentrer  dans  Ebersberg,  puis 
d'évacuer  la  grande  place.  Les  Français  la  repren- 
nent, en  chassent  les  Autrichiens  de  nouveau,  et 
tentent  de  s'emparer  du  château,  dont  ils  appro- 
chent sans  pouvoir  y  pénétrer.  Mais  les  Autrichiens 
(pii  sentaient  rimportance  du  poste  re\iennent  plus 
nombreux,  ce  qui  leur  était  facile,  puiscju'ils  étaient 
trente-six  mille  contre  sept  ou  huit  mille,  fondent 
en  masse  sur  le  château,  en  éloignent  les  Fran- 
çais, s'inlioduisent  dans  la  ^iIle,  la  tra>ersent,  et 
débouchent  encore  une  fois  siu*  la  grande  |)laee. 
Le  brave  Claparède  a^  oc  ses  lieutenants  se  réfugie 
alors  dans  les  maisons  (jui  la  bordent  de  trois  cô- 


d'Kbersbcri;. 


Mai  1809. 


■     WACUAM.  2i9 

lés,  s'y  (Mai)lit,  ot  des  f(Mièti(>s  liiil  j)l(Miv()ir  sur 
reimeiui  une  i^rèh^  de  l)alles.  On  se  disj)u((*  ces 
maisons  a\ec  fureur,  sous  rartilUnie  du  ehàteau, 
qui  tire  siu"  les  Aulrieiiiens  comme  sur  les  Fran- 
çais. Des  ol)us  mettent  le  feu  à  cette  malheureuse 
petite  ville,  ([ui  bientôt  devient  si  brûlante  qu'on  a 
peine  à  y  respirer. 

Cet  atîreux  massacre  continue,  et  la  fureur  axant 
égalisé  les  courages,  l'avantage  va  rester  au  nom- 
bre. Les  Français  vont  être  précipités  dans  la  Traun,       Arrive* 

,  •      1     I  1  1  II  ,       I  •    •      de  la  division 

et  punis  de  leur  audace,  quand  par  boidieur  la  divi-      Le^rand, 
sion  Le2;rand  commence  à  paraîlrt^  précédée  de     «*' conquête 

~  17    1  définitive 

son  intrépide  général.  (]elui-ci,  touiours  calme  et  de  la  position 
lier  dans  le  danger,  et  portant  sur  sa  belle  et  maie 
figure  l'expression  de  ses  qualités  guerrières,  ar- 
rive à  la  tête  de  deux  vieux  régiments,  le  26*  d'in- 
fanterie légère  et  le  18"  de  ligne.  Il  s'engage  sur 
le  pont  encombré  de  morts  et  de  blessés.  Pour  y 
passer,  il  faut  jeter  dans  la  Traun  une  foule  de  ca- 
davres, peut-être  des  blessés  respirant  encore.  En- 
fin on  le  traverse,  et  au  delà  on  rencontre  un  nou- 
vel encombrement  de  combattants  refoulés  qui  se 
retirent,  ou  de  blessés  qu'on  emporte.  Un  officier, 
cherchant  à  expliquer  la  position  au  général  Le- 
grand  ,  celui-ci  l'interrompt  brusquement  :  Je  n'ai 
pas  besoin  de  conseils,  lui  dit-il,  mais  de  place  pour 
ma  division.  —  On  se  range,  et  il  s'avance,  l'un  de 
ses  régiments  à  droite,  pour  déborder  les  Autri- 
chiens qui  avaient  enveloppé  Ébersberg  extérieu- 
rement, un  autre  au  centre,  par  la  grande  rue  de 
la  ville.  Tandis  (pie  plusieurs  de  ses  l)ataillons, 
formés  en  colonnes  d'attaque,  refoulent  les  Autri- 


Mai  1S01». 


250  l.l\  Kl.    \  \  \\  . 

cliicn.s  (jiii  ('iiloiiii'nl  hi  wWr ,  les  aulros  la  Iraver- 
>aiil  |»ar  le  iiiilii'ii.  |»iii\  iciiiiciil  a  (K'Ijoiiclicr  sur 
la  ifrandc  place,  la  foui  (na<iicr  axccionrs  haïon- 
iw'llcs,  cl  (ictrai^ciit  ainsi  (ilaparcdc  (pii  ii  en  pou- 
\ail  plu>.  Lcirrand  s'attaque  ensuite  au  château, 
cl  \  nioiilc  s()u>  un  Icu  meurtrier.  Les  portes  étant 
leriuccs,  il  les  iait  abattre  à  couj)s  de  iiaclie  par 
ses  sapeurs.  ])énètre  dans  l'intérieur,  et  passe  par 
les  aiiucs  tout  ce  (|M()n  \  trouve.  Dès  ce  moment 
Kbersi)eri!;  est  a  nous,  mais  c'est  un  monceau  de 
ruines  fumantes,  d'où  s'échappe  une  odeur  insup- 
portable, celle  des  cada\  res  consumés  par  les  llam- 
mes.  On  se  hâte  de  dépasser  ce  lieu  aussi  atireux 
à  \oir  que  difficile  à  concpiérir.  On  marche  aux 
Autrichiens  établis  en  bataille  sur  une  ligne  de 
hauteurs  en  arriére.  Ceux-ci,  \oyant  de  loin  dans 
la  plaine,  entre  Lintz  et  Ebersbere;,  ariixer  les 
longues  tiles  des  di\  isions  Carra  Saint-Cyr  et  Bou- 
det,  voyant  de  plus  à  leur  i^auche  une  masse  de 
ca\alerie  française  qui  a\ait  franchi  la  ïraun  à 
Wels,  ne  crurent  pas  devoir  prolonger  cette  lutte 
furieuse,  et  se  letiiérent,  nous  abandonnant  ainsi 
le  confluent  de  la  ïraun,  et  le  débouché  important 
de  Mauthausen.  Du  reste  le  pont  établi  en  cet  en- 
droit a\ait  disparu  connue  à  Lintz,  les  coureurs  de 
l'archiduc  (Charles  l'aNant  détruit,  et  en  avant  en- 
vové  les  bateaux  sur  Krems. 

Cette  ca\alerie  qu'on  avait  aperçue  était  un 
millier  de  che\au\,  que  Lannes,  après  avoir  passé 
la  Traun  a  Wels  sans  difficulté,  avait  dépéchés  sous 
le  général  IJurosnel,  pour  déborder  la  position 
des  Autrichiens.   Il  est  donc  certain  que  si  Mas- 


W  AC.R  \M. 


354 


séna  axait  pu  tlcNiiiei-  ([iic  I  arcliidiu-  (^liarles  ne 
serait  point  à  .Afaiilliausen  avec  sou  arnico,  et  qu'un 
peu  au-dessus  des  passages  déjà  exécutés  feraient 
lonil)er  aussi  \  ite  la  position  d'EJ)ersberi;,  il  aurait 
dû  épargner  le  sang  versé  dans  cette  terrible  at- 
taque. Le  champ  de  carnage  était  alVreux,  et  la 
\  ille  d'Ebersberg  tellornent  en  llainmes,  qu'on  ne 
pouvait  en  retirer  les  blessés.  Il  axait  même  fallu, 
pour  empêcher  l'incendie  de  gagner  le  pont,  en- 
lever la  partie  du  tablier  qui  était  aux  deux  extré- 
mités, de  sorte  ([ue  la  communication  se  trouva 
interrompue  pendant  quelques  heures,  entre  les 
troupes  qui  avaient  passé  la  Traun  et  celles  qui 
arrivaient  à  leur  secours.  Cette  échaufTourée  nous 
coûta  1 7  cents  hommes  tués,  noyés,  brûlés  ou  bles- 
sés. Les  Autrichiens  perdirent  3  mille  hommes  mis 
hors  de  combat,  4  mille  prisonniers,  beaucoup  de 
<irapeaux  et  de  canons.  Ils  s'en  allèrent  terrifiés  par 
tant  d'audace.  Nous  avions  donc  de  grands  dé- 
<lommagements  de  cette  cruelle  journée,  et  l'efl'et 
moral  en  devait  égaler  l'effet  matériel. 

Napoléon  était  accouru  au  galop,  attiré  par  la 
violence  de  la  canonnade.  Quoique  fort  habitué 
aux  horreurs  de  la  guerre ,  tous  ses  sens  furent 
révoltés  à  la  fois  par  cet  abominable  spectacle,  que 
ne  justifiait  point  assez  la  nécessité  de  combattre , 
et  sans  l'admiration  qu'il  avait  pour  le  génie  guer- 
rier de  Masséna,  sans  le  cas  qu'il  faisait  toujours 
de  l'énergie,  il  aurait  peut-être  exprimé  un  blâme 
contre  ce  qui  venait  de  se  passer.  Il  n'en  lit  rien, 
mais  ne  voulut  point  séjourner  dans  Éber.sberg,  et 
s'établit  en  dehors  au  milieu  de  sa  sarde. 


Mai  IH09. 


Résultats 

(lu  combat 

d'Ébersberg. 


Jugement 
de  Napoléon 
sur  l'affaire 
d'Ébersberg. 


252  II  Vin-;  \\\\. 

"         "  I.  iiicliiiliic  (!liail('s,  Muilmt'  le  projet  fort  arrèlé 

Mai  1 801».  '  ^  . . 

(le  se  rciiriii-  à   ses   frrres,   dcrrièro  la  Traiin,  par 
Marche       \\\\\/,  on  .Maiitliauscii ,  n'avait  ni  marché  assez  vite, 

tardive  '  ' 

de  1  archiduc   ni  asscz  bien  caUiilé  st's   nionMMnents,  pour  ar- 

Charles  ...  .  ,, 

sur  i.imz.  ri\(M-  a  Lintz  en  temps  utile.  Il  n'était  qu'à  Budweis 
en  Bohème  ("voir  la  earle  n°14),  cpiand  Ma.sséna 
dépassait  si  impétueusement  Lintz  et  Ehersherc:,  et 
il  ne  lui  restait  plus  que  le  débouché  de  Krems  au- 
quel il  put  atteindre.  Le  ijénéral  Hiller  et  l'archi- 
duc Louis  allaient  s'y  rendre  par  Enns,  Amstelten, 
Saint -Polten,  en  continuant  de  détruire  tous  les 
ponts  sur  les  rivières  qui  coulent  des  Alpes  Nori- 
ques  dans  le  Danube.  Quant  à  l'archiduc  Jean,  il 
était  encore  moins  probable  qu'il  put  arriver  assez 
tôt,  qu'il  osât  même  s'engager  dans  les  Alpes,  en 
laissant  à  sa  gauche  le  prince  Eugène ,  et  en  s'ex- 
posant  à  rencontrer  à  sa  droite  la  grande  armée  de 
Napoléon,  dans  la(juelle  il  serait  tombé  connue 
dans  un  abùue.  Il  ne  fallait  donc  guère  compter 
sur  lui.  IMais  il  sullisait  pour  ramener  quelque 
chance  heureuse,  que  l'archiduc  Charles  donnât 
la  main  par  Krems  au  général  Hiller  et  à  l'archi- 
duc Louis,  qui  opéraient  leur  retraite  le  long  du 
Danube,  car  après  avoir  employé  beaucoup  de 
temps  à  rallier  des  traùiards,  à  ramasser  des  land- 
wehr,  à  incorporer  les  troisièmes  bataillons  des 
régiments  galliciens,  il  arrivait  avec  plus  de  80 
mille  hommes,  et  pouvait,  réuni  à  ses  deux  lieu- 
tenants qui  en  avaient  au  moins  30  mille,  se  trou- 
ver avec  110  mille  combattants  à  Saint-Polten.  Il 
était  alors  possible  d'y  disputer  la  victoire  à  Na- 
poléon, et,  si  on  la  gagnait,  l'empire  français,  au 


WACRAM.  253 

lieu  (rôlre  renversé  en  1814,  l'eût  été  en  1809. 

Napoléon,  enchanté  d'avoir  enle\é  au\  arelii- 
(lucs  la  principale  chance  de  réunion  en  occupant 
LintzetMauthansen,  se  hâta  de  marcher  surKrems, 
pour  leur  ôter  cette  dernière  ressource,  et  atteindre 
Vienne,  avant  qu'aucun  obstacle  put  lui  en  inter- 
dire l'entrée. 

Après  la  Traun  s'otliait  l'Eus,  (jui  coule  parallè- 
lement à  cette  livière,  haiiinaut  dans  son  cours 
l'autre  coté  du  plateau  (ju'on  venait  de  franchir. 
Mais  tous  les  ponts  étaient  radicalement  détruits 
sur  l'Ens,  et  il  ne  fallait  pas  moins  de  vingt-quatre 
ou  de  quarante-lmit  heures  pour  les  réla])lir.  C'é- 
tait une  contrariété  fâcheuse ,  mais  inévitable. 
Quoique  le  4  mai  au  matin  Lannes  se  trouvât  à 
Stever  sur  l'Eus  avec  les  divisions  Demont  et  Saint- 
Hilaire,  que  Bessières  occupât  la  ville  d'Enns  avec 
la  cavalerie  légère,  le  corps  d'Oudinot  et  une  di- 
vision de  Masséna,  il  fallut  attendre  toute  la  jour- 
née du  o,  forcé  qu'on  était  de  reconstruire  les  ponts 
briilésjusqu'à  fleur  d'eau.  On  ne  put  traverser  l'Ens 
que  le  6  au  matin ,  pour  se  porter  sur  Amsteîten. 
Bessières,  avec  la  cavalerie  et  l'infanterie  d'Oudi- 
not, passa  le  premier,  bientôt  suivi  de  Masséna,  et 
rejoint  par  Lannes  qui  \  int  se  fondre  a^  ec  la  co- 
lonne principale,  une  seule  route  restant  désormais 
à  l'armée  entre  le  pied  des  Alpes  et  le  Danube. 
On  entra  le  soir  dans  Amstetten  sans  coup  férir. 
Le  lendemain  l'armée  continua  sa  marche  sur  Ahilk, 
belle  position  sur  le  Danube,  que  couronne  la  ma- 
gnifique abbaye  de  3Iulk.  Xapoléon  y  établit  son 
quartier  général.  11  ne  restait  plus  qu'une  journée 


Mai  1809. 

La  Traun 
enlevée , 
Napoléon 
marche 
sur  IKns. 


L'armée 
traverse 

Amstetten 
sans 

coup  férir. 


Mai  ISOO. 


2:ii  I  i\iu;  \\\\. 

|)()iir  ;ini\(.'i"  a  Kifiiis,  (m  x'  lrtjii\c'  le  puni  de 
.Mautcni,  le  dcinier  |)ai-  U'(|ii(l  rarcliidiic  (Charles 
put  se  réunir  an  ^cnoial  liillfr  et  a  larcliiduc 
Louis.  On  était  ilcja  certain  d'\  par>  enir  sans  obsta- 
cle, car  rien  nannonçail  la  présence  d'une  iïrande 
armée  devant  soi.  Le  8  notre  a\  anl-p;arde  se  porta 
à  Sainl-Polten ,  position  importante  et  très-connue 
sur  les  lianes  du  Kalilenberi;,  ({ui  est  un  contre- 
fort des  Alpes,  |)rojeté  jusqu'au  Danube,  et  der- 
rière letpiel  est  située  Vienne.  i^Yoir  les  cartes 
Arrivée  ^"^  ' '^  ^^  '^2!.)  C'esl  là  (ju'aurait  dû  se  former  le 
de  1  armée     qjjjj^^i  rassemblement  des  Autrichiens ,  si  les  ar- 

irançaise        ^  " 

devant       cliiducs  a\ aient  eu  le  temi)s  de  se  rejoindre,  car 

Saint- Pollen.  '      .  , 

a  Saint-Polten  se  trouvent,  a  l'abii  d'une  excel- 
lente position  militaire,  la  réunion  des  routes  de 
BoliènK!,  d'Italie,  de  Haute  et  Basse-Autriche,  et 
entin  le  débouché  sur  Vienne,  (pii  j)asse  à  travers 
les  gorges  du  Kahleuberg.  Mais  on  n'apercevait 
que  des  arrière-gardes  en  retraite,  les  unes  à  notre 
gauche  se  repliant  vers  le  pont  de  Krems  pour  se 
mettre  à  couvert  derrière  le  Danube,  les  autres 
devant  nous  se  repliant  à  tra\  ers  le  Kahlenberg  sur 
Vienne.  Il  était  donc  évident  qu'on  ne  rencontre- 
rait pas  une  grande  bataille  à  livrer  en  avant  de  la 
capitale,  et  qu'on  n'aurait  plus  qu'à  braver  les  dii- 
iicultés  d'une  attaque  de  vive  force,  si  Vienne  était 
défendue.  Ces  difticultés  pouvaient  à  la  vérité  de- 
venir fort  embarrassantes ,  si  l'archiduc  Charles 
continuant  à  descendre  le  Danube  par  la  rive  gau- 
che, arrivait  avant  nous  à  la  hauteur  de  Vienne,  y 
franchissait  le  Danube  par  le  pont  du  Thabor,  et 
venait  nous  olhir  la  bataille  adossé  à  cette  grande 


WAGRAM.  255 

ville.  Heureusement  ce  qui  s'était  passé  ne  le  fai-  

.,  ,  .      ,  Mai  1809. 

sait  guère  craindre. 

En  etFet  l'arcliiduc  ("luules  ayant  perdu  au  moins  Marche 
deux  jours  à  Chani,  (juolques  autres  jours  encore  ''aut^X'^""'' 
sur  la  route  de  Cham  à  Budweis,  par  le  désir,  il  est  surKrems. 
A  rai,  de  rallier  Tannée  et  de  la  renforcer,  n'avait 
atteint  que  le  3  mai  au  matin  les  environs  de  Bud- 
weis, au  moment  même  où  Masséna  enlevait  Ébers- 
berg.  Dans  l'espoir  vague  d'une  jonction  à  Lintz  qui 
était  cependant  peu  présumable,  il  s'était  avancé  de 
Budweis  sur  Freystadt  près  du  Danube  (voir  la  carte 
n"  32)  au  lieu  de  marcher  droit  sur  Krems,  ce  qui 
lui  aurait  épargné  un  nouveau  détour  et  une  nou- 
Aelle  perte  de  temps.  En  s'approchant  du  Danube 
il  avait  appris  l'occupation  de  Lintz  et  de  la  Traun, 
reconnu  dès  lors  l'impossibilité  de  faire  sa  jonction 
par  ce  débouché,  et  avait  repris  la  route  de  l'inté- 
rieur de  la  Bohême  |)ar  Zwoettel ,  en  conservant 
encore  la  faussé  espérance  d'arri\er  à  Krems  et 
à  Saint-Polten  avant  nous.  Prévoyant  toutefois  le 
cas  où  il  n'y  arriverait  pas,  il  avait  autorisé  les 
deux  généraux  qui  défendaient  la  ri\  e  droite  à  re- 
passer sur  la  rive  gauche  quand  ils  se  sentiraient 
trop  pressés,  sauf  à  détacher  sur  Vienne  les  forces 
nécessaires  pour  mettre  cette  capitale  à  l'abri  d'un 
coup  de  main.  C'est  effectivement  ce  que  venaient     i-c  générai 

Ililler 

d'exécuter  le  général  Hiller  et  l'archiduc  Louis  par-  et larchiduc 

venus  à  Saint-Polten.  Craignant  d'être  attaqués  par  '°uHrrhe"^ 

des  forces  supérieures  avant  d'avoir  atteint  Vienne,  ^^  "^^^^l^  ^ 
et  d'essuyer  un  nouvel  échec  semblable  à  celui       Krems, 

"^  rt  ••  '  1        abandonnant 

d'Ebersberg ,  ils  avaient  comme  en  1 80 o  repasse  le      vienne  ;. 
Danube  au  pont  de  Krems,  détruit  ce  pont,  replié 


tous  lc>  l»;ilciiii\  Mil  la  lise  uaiulic,  cl  ciiNové  .seu- 

Mai  4809.  "  . 

Iciiu'iil  par  la  loiilf  (liicctc  de  Saint-l'ollcn  iiii  fort 
(k'tariieiuciil  sur  Nicimc,  aliii  de  concourir  à  sa 
(lûlenso  a\cc  la  population  cl  (juchjucs  (JcjxMs. 

Toiles  a\ aient  été  les  lésoUilions  des  généraux 
aulrieliiens,  que  le  simple  as|)ecl  i\('s  choses  sulli- 
sail  pour  ré\  éler,  car,  ainsi  (jue  nous  venons  de  le 
dire,  on  \o\ait  à  i^auelie  de  grosses  niasses  de 
li'oupes  achever  le  passage  du  Danube  vers  Krenis, 
et  de\anl  soi  des  colonnes  s'enfoncer  dans  les  gor- 
ges du  Kahlenhergpour  prendre  la  route  de  Vienne. 
Nai)oléon,  conséquent  dans  son  plan  d'être  sous  les 
murs  de  Vienne  a\ant  les  archiducs,  et  d'ajouter 
à  leffel  uioial  de  son  entrée  dans  cette  capitale, 
l'ellet  matériel  de  l'occupation  de  ce  grand  dépôt, 
arrêta  toutes  les  dispositions  nécessaires  pour  y 
arriser  inunédialement.  De  l'abhave  de  Môlk  où  se 
trouvait  son  quartier  général,  il  ordonna  les  mesu- 
res suivantes. 
Dispositions  Ce  n'était  pas  avec  de  la  cavalerie  qu'on  pou- 
par  Napoléon   ^ «^it  prendre  Vienne,  et  il  lallail  par  conséquent  y 

-  ,  P^'"".        amener  de  l'infanterie.  Le  maréchal  Laimes  dut  v 

s  approcher  J 

de  Vienne,  marcher  dès  le  9  mai  avec  l'infanterie  des  géné- 
raux Oudinot  et  Demont.  Le  maréchal  3Iasséna 
dut  les  stiixie  inunédiatement ,  tandis  que  le  gros 
de  la  cavalerie  longerait  le  Daiudje,  pour  en  ob- 
sei\  er  les  bords,  déjouer  toute  lenlati\e  de  l)as- 
sage  de  la  part  de  rennemi,  et  se  garder  enfin  con- 
tre la  masse  de  troupes  réunie  sur  l'autre  rive.  La 
cavalerie  légère  fut  répandue  entre  ^laulern,  Tulln, 
Klosterneuhourg,  conformément  aux  sinuosités  du 
fleu\e  autour  du  pied  du  Kahlenberg.  Les  cuiras- 


WAGRAM.  9S7 

siors  fiiront  cantonnés  en  arrière  entre  Saint-Polten 
et  Sieirhardskirclien,  Ces  précautions  prises  à  notre 
tranche,  le  général  Bruyère  à  notre  droite  dut  avec 
sa  cavalerie  légère,  et  un  millier  d'hommes  de  l'in- 
fanterie allemande.  riMUonter  ])ar  Lilienfeld  sur  la 
route  d'Italie,  pour  désarmer  les  montagnes  de  la 
Styrie,  et  veiller  sur  les  UKun  ements  de  l'archiduc 
Jean.  Napoléon  suivit  Lannes  et  Masséna,  avec  la 
garde  et  une  partie  des  cuirassiers.  Le  maréchal 
Davout,  déjà  rendu  de  Passau  à  Lintz,  eut  ordre 
de  se  transporter  de  Lintz  à  !Molk,  de  ^I{3lk  à  Saint- 
Polten,  afin  de  résister  devant  Krems  aux  tentati- 
\  es  de  passage  qui  pourraient  être  essayées  sur  nos 
derrières,  ou  bien  de  marcher  sur  A'ienne,  si  nous 
avions  une  gi'ande  bataille  à  livrer  sous  les  murs 
de  cette  capitale.  Pourtant  comme  Passau  et  Lintz 
im|)ortaient  prescpie  autant  cpie  Krems,  le  général 
Dujias  dut  rester  à  Passau,  en  attendant  l'arrivée 
du  maréchal  Bérnadotte,  et  le  général  A'andamme, 
avec  les  Wurtembergeois ,  fut  chargé  de  garder 
l.intz.  Napoléon  prit  en  même  temps  les  plus  grands 
soins  pour  l'arrivée  de  ses  convois  par  le  Danu])e. 
fl  leur  ménagea  partout,  sur  la  rive  que  uous  oc- 
«•u])ions,  des  ports  pour  s'y  reposer,  s'y  abriter,  \ 
|)rendre  langue.  Ces  convois,  composés  des  ba- 
teaux recueillis  sur  le  Danube  et  ses  affluents,  por- 
taient du  biscuit,  des  munitions,  des  honuues  fa- 
tigués. Outre  les  points  de  Passau,  de  Lintz,  déjà 
militairement  occupés.  Napoléon  fit  établir  des  pos- 
tes fortifiés  à  Ips,  Waldsee,  Molk  et  .Maulern.  L;i 
ses  convois  devaient  reprendre  la  route  de  terre 
par  Saint-Polten  ,  parce  qu'elle  était  la  plus  courte 

TOM.    X.  <~ 


Mai  1809. 


Mai  1809. 


258  1.1VU1-:   XXXV. 

et  la  seule  sure,  le  Danuhe  au  delà  coulant  Irop 
près  de.s  Aiilricliien.set  trop  loin  des  Français.  Enfin 
ne  pensant  pas  qu'il  sullil,  pouisei^arder,  d'interdire 
le  passajze  du  Danube,  mais  juj^eant  au  contraire 
que  le  meilleur  moyen  d'assurer  ses  derrières  c'é- 
tait d'axoir  la  faculté  de  passer  le  fleuve,  afin  de 
donner  a  l'ennemi  les  inquiétudes  que  nous  avions 
pour  nous-mêmes,  et  de  l'obliger  ain.si  à  disséminer 
ses  forces.  Napoléon  prescrivit  l'établissement  de 
deux  ponts  de  bateaux,  l'un  à  Lintz,  l'autre  à  Krems, 
avec  les  matériaux  qu'on  parviendrait  à  se  procurer. 
Après  avoir  vaqué  à  ces  soins,  Napoléon,  arrivé 
le  8  à  Saint-Polten,  fit  marcher  le  9  sur  Vienne  par 
Sie2;har(l.skirclien  et  Scliœnbrunn.  Lannes  et  Bessiè- 
res  s'avançaient  en  première  ligne ,  Ma.^séna  en  se- 
conde, la  garde  et  les  cuirassiers  en  troisième.  Le 
maréchal  Davout  venait  après  eux,  laissant  der- 
rière lui  les  postes  que  nous  avons  indicjués  à  gau- 
che sur  le  Danube,  à  droite  sur  les  routes  d'Italie. 
Le  9  au  soir  le  général  Oudinot  coucha  à  Sieg- 
hardskirchen.  Le  10  mai  au  matin  la  brigade  Con- 
roux  du  corps  d'Oudmot  déboucha  par  la  route  de 
Scliœnbrunn  devant  le  faubourg  de  Maria-Hilf,  un 
mois  juste  après  l'ouverture  des  hostilités.  Cette 
marche  offensive,  à  la  fois  si  savante  et  si  rapide, 
était  digne  de  celle  de  i  805  dans  les  mêmes  lieux, 
de  celle  de  1806  à  travers  la  Prusse,  et  n'avait 
rien  dans  l'histoire  qui  lui  fut  supérieur.  Il  était 
Apparition     dix  hcurcs  du  matin.  Napoléon  était  accouru  à  che- 

de   l'armée  ,  ,.   .  i    •        ^  i  '      i.-  .        i 

française      val  pour  diriger  lui-même  les  opérations  contre  la 

^^de^x^enne"  Capitale  de  l'Autriche,  quil  voulait  prendre  tout  de 

suite,  mais  prendre  sans  la  détruire.  Ici  comme  à 


liai  1800. 


WAGRAM.  2o9 

Madrid,  il  tuait  mille  raisons  de  se  faire  ouvrir  les 
portes  de  la  ville,  sans  les  enfoncer  par  le  fer  et  la 
llanime. 

Larchidiic  Charles  ayant  perdu  du  temps  en  dé-  Description 
tours  inutiles,  n'était  pas  le  10  au  matin  à  portée  capS 
de  secourir  Vienne.  Néanmoins  cette  capitale  pou- 
vait être  défendue.  Nous  a\ons  décrit  ailleurs  sa 
forme  et  ses  fortifications.  Nous  ne  ferons  que  les 
rappeler  ici.  Le  centre  de  A'ienne,  c'est-à-dire  l'an- 
cienne ville,  est  revêtue  d'une  belle  et  régulière 
fortification,  celle  qui  en  1083  résista  aux  Turcs. 
Depuis,  l'augmentation  non  interrompue  de  la  po- 
pulation a  donné  naissance  à  plusieurs  magnifiques 
faubourgs,  dont  chacun  est  aussi  grand  que  la  ville 
principale.  Ces  faubourgs  sont  couverts  eux-mêmes 
par  un  mur  terrassé,  de  peu  de  relief,  en  zigzag, 
dépourvu  d'ouvrages  avancés,  mais  capalile  de  te- 
nir plusieurs  jours.  Enfin  il  y  avait  à  Vienne  ce 
que  Napoléon  avait  toujours  considéré  comme  le 
moyen  le  plus  puissant  de  défense,  des  bois,  que 
les  Alpes  et  le  Danube  y  versent  en  prodigieuse 
quantité.  On  pouvait  donc  s'y  retrancher,  et  avec 
un  peuple  fort  animé  contre  l'étranger,  comme  les 
Viennois  l'étaient  dans  le  moment,  trouver  facile- 
ment de  nombreux  travailleurs.  L'arsenal  de  Vienne 
contenait  oOO  bouches  à  feu.  La  Hongrie  pouvait 
y  faire  refluer  des  quantités  immenses  de  vivres, 
et  grâce  à  cet  ensemble  de  moyens,  il  était  possible 
de  rendre  la  résistance  assez  longue  pour  que  les 
archiducs  arrivassent  avant  la  reddition.  On  ne 
comprend  donc  pas  qu'ayant  afl'aire  à  Napoléon, 

ce  conquérant  de  capitales  si  redoutable,  les  Au- 

47, 


Mal  ISOî». 


i60  LIVHK   \\\V 

Irichicns  neussenl  pas  sonuc'  à   di-feiulre  Vienne. 
On  a  heaucoiij)  j)aiK'  des  failles  de  raiehiduc 
•il aride  failli'    Charles  dans  celte  campagne,  (^elle  de  n'a\oir  pas 

do    l'archiduc  _  i      •  i 

Charles       niis  Vienne  en  état  de  défense  est  certainement  la 

de  n'avoir  pas        ,  _  ■'iti-h  h  i-i  r 

mis  Vienne    P'us  i^rave.  Lc  gcncral  Hdier  et  I  arcliiduc  Louis. 

d/d.fcn'-^.  t?nfennés  dans  l'enceinte  de  cette  capitale,  derrière 
tous  les  ouvrages  qu'on  eût  pu  réparer  ou  élever, 
auraient  rendu  Vienne  imprenable.  Les  armées  d'Ita- 
lie et  de  Bohême,  ralliées  ensuite  sous  ses  murs, 
n'y  auraient  pas  été  faciles  à  battre.  Gagner  en  rase 
campagne  une  grande  bataille  contre  Napoléon  était 
sans  doute  une  prétention  téméraire,  surtout  s'il 
fallait  arriver  à  cette  action  décisive  par  de  hardies 
et  savantes  manœu^Tes.  Mais  accepter  à  la  tête  de 
toutes  les  forces  de  la  monarcliie  autriciiionne,  et 
adossé  aux  murs  de  la  capitale,  une  bataille  dé- 
fensive, c'était  préparer  à  Napoléon  Je  seul  échec 
contre  lequel  pût  échouer  alors  sa  fortune  toute- 
puissante. 

Au  lieu  de  cela ,  on  n'avait  rien  préparé  à  Vienne 
pour  s'y  défendre,  soit  imprévoyance,  soit  répu- 
gnance de  recourir  à  de  telles  précautions,  ou 
crainte  de  convertir  la  capitale  en  un  champ  de  ba- 
taille. On  n'avait  pas  songé  à  garantir  les  faubourgs 
au  moyen  de  la  muraille  terrassée  qui  les  em  ironne. 
et  on  s'était  contenté  d'armer  de  ses  canons  la  vieille 
place  forte,  qui  ne  pouvait  s'en  servir  qu'en  tirani 
sur  les  faubourgs.  Pour  tous  défenseurs  on  avait 
ameuté  quelques  gens  du  bas  peuple,  aux  mains 
desquels  on  avait  mis  des  fusils,  et  qui  ajoutaienî 
tout  au  plus  deux  à  trois  mille  forcenés  à  la  garni- 
son. Celle-ci  commandée  par  l'archiduc  Maximilieii 


WAGRAM. 


261 


se  composait  de  quelques  l)alaillons  de  landweiii-, 
de  quelques  dépôts,  d'un  détachement  du  corps 
de  Hiller,  faisant  ensemble  1 1  ou  12  mille  hommes. 
Le  jeune  chef  de  cette  garnison,  ardent  mais  inex- 
périmenté, n'avait  point  étudié  les  côtés  forts  ou 
faibles  du  poste  important  qu'il  avait  à  i^arder,  et 
tout  son  patriotisme  s'était  épuisé  en  proclamations 
aussi  ^  iolentes  que  stériles. 

A  peine  la  cavalerie  de  Colbert  et  l'infanterie  du 
irénéral  Conroux  ("division  Tharreau)  eurent-elles 
paru  à  la  porte  du  faubourg  de  Maria-Hilf,  fermée 
par  une  grille,  qu'une  sorte  de  tumulte  populaire 
éclata  dans  les  rues  environnantes.  (Voir  la  carte 
n°  48.)  On  avait  trompé  cette  population  en  lui  di- 
sant que  les  Français  étaient  battus,  que  l'archiduc 
Charles  était  vainqueur,  que  si  ce  dernier  se  trou- 
vait encore  en  Bohême,  c'était  par  suite  de  ma- 
nœuvres habiles;  que  sans  doute  Napoléon  pourrait 
<létacher  une  division  sur  Vienne  pour  menacer  la 
capitale,  mais  que  cette  division  serait  bientôt  ac- 
cablée par  le  retour  de  l'archiduc  Charles  victo- 
rieux, qu'il  fallait  donc  résister  à  une  tentative  de 
ce  genre,  si  elle  avait  lieu,  car  elle  ne  pourrait  être 
qu'une  témérité  et  une  insolence  de  l'ennemi.  Aussi 
la  populace  se  mit-elle  à  courir  les  rues  en  poussant 
des  cris  de  fureur,  plus  effrayants  du  reste  pour 
les  habitants  paisibles  que  pour  les  Français  eux- 
mêmes.  Les  maisons,  les  boutiques  furent  fermées 
immédiatement.  Un  parlementaire  avant  été  envo\é 
à  l'état-major  de  la  place,  il  fut  assailli  et  blessé. 
Son  cheval  fut  pris,  et  employé  à  promener  en 
triomphe  un  garçon  Ijoucher,  qui   avait  commis 


M;ii   1809 


Arrivée 

(le  la  cavalerie 

de  Colbert 

et 

de  rinfanterie 

de  Conroux 

devant 

le  faubouri: 

de.Maria-Hiir. 


262  i.i\  UK   wxv. 


;  cette  violation  du  droit  dos  ûjens.  PendanI  ce  temps 

Mai  1S0H.  ^  ' 

la  colonne  du  général  Thaticau  était  arrêtée  aux 
Enlèvement    gpilles  du  fauhouri,',   attendant   (mon  les  ouvrît. 

du  faubouFL'  ~  ■  1 

(le Maria  Hiif.  Tout  à  couj)  uu  oflic'ier  français,  le  capitaine  Roi- 
dot,  escalade  la  grille,  et  le  sabre  à  la  main  oblige 
le  gardien  à  livrer  les  clefs.  Nos  colonnes  entrent 
alors,  la  cavalerie  Colbert  au  galop,  l'infanterie  de 
Conroux  au  pas  de  charge.  On  arrive  ainsi  en  re- 
foulant la  garnison  jusqu'à  la  vieille  ville,  dont  l'en- 
ceinte est  reti'anchée  et  armée.  A  peine  est-on  par- 
venu à  l'esplanade  qui  sépare  les  faubourgs  de  la 
ville,  que  l'artillerie  des  remparts  vomit  la  mitraille. 
Quelques-uns  de  nos  hommes  sont  blessés,  et  parmi 
eux  le  général  Tharreau.  On  investit  la  place  sur 
tous  les  points,  on  la  somme,  et  pour  unique  ré- 
ponse on  reçoit  une  gréJe  de  boulets  qui  ne  cau- 
sent de  dommages  qu'aux  belles  habitations  des 
faubourgs. 

Établissement       Cependant  Napoléon  vovant  que,  même  en  brus- 

du  quartier 

général  quant  1  attaque,  on  n'en  nnn'ait  pas  en  un  jour,  alla 
s'chœnbrunn.  s'établir  à  Scliœnbrunn ,  pour  y  attendre  l'arrivée 
du  gros  de  l'armée.  11  nomma  gouverneur  de  Vienne 
le  général  Andréossy,  qui  avait  été  son  ambassa- 
deur en  Autriche,  et  qui  connaissait  cette  capitale 
autant  (ju'il  en  était  connu.  Napoléon  voulait  indi- 
quer par  là  que  son  intention  n'était  pas  de  recou- 
rir à  la  rigueur,  car  on  n'aurait  pas  choisi  pour  ce 
rôle  un  homme  qui  avait  vécu  plusieurs  années  au 
milieu  de  la  population  viennoise.  Napoléon  ajouta 
à  cette  nomination  une  proclamation  rassurante, 
pour  rappeler  l'excellente  conduite  de  l'armée  fran- 
çaise en  1805,  et  promettre  d'aussi  bons  traitements 


.     WAGRA.M.  20.-^ 

si  on  se  conduisait  envers  les  Français  de  manière 
à  les  mériter. 

Sur-le-champ  le  général  Andréossy  se  trans|)orta 
dans  les  faiibourii;s ,  organisa  dans  chacun  d'eux 
des  municipalités  composées  des  principaux  habi- 
tants, forma  une  garde  bourgeoise  chargée  de 
maintenir  l'ordre,  et  cherclia  à  établir  des  commu- 
nications avec  la  vieille  ville,  dans  l'intention  de 
mettre  un  terme  à  une  défense  qui  ne  pouvait  être 
désastreuse  que  pour  les  Viennois  eux-mêmes.  Le 
feu  ayant  continué  et  causé  quelques  donunages, 
une  députation  des  faubourgs  proposa  de  se  rendre 
auprès  de  l'archiduc  Maximilien,  pour  réclamer  la 
cessation  d'une  résistance  imprudente.  Avant  de 
tenter  une  pareille  démarche,  cette  députation  alla 
voir  Napoléon,  et  recueillir  de  sa  bouche  les  pa- 
roles rassurantes  qu'il  importait  de  faire  parvenir 
aux  habitants  de  la  ville  fortifiée.  Elle  pénétra  en- 
suite dans  l'intérieur  de  Vienne  le  1 1  mai  au  matin. 
La  réponse  à  cette  démarche  conciliante  fut  une 
nouvelle  canonnade.  Napoléon  ne  se  contenant  plus, 
résolut  d'employer  le  fer  et  le  feu,  de  façon  toute- 
fois à  épargner  autant  que  possible  aux  malheureux 
faubourgs  les  suites  d'un  combat  qui  allait  se  pas- 
ser entre  l'ancienne  et  la  nouvelle  ville. 

Nos  troupes  étaient  arrivées  par  Sieghardskirchen 
et  Schœnbrunn  devant  le  faubourg  de  Maria-Hilf. 
(Voir  les  cartes  n°'  48  et  49.)  Napoléon  chercha  un 
autre  point  d'attaque.  Il  fit  à  cheval  avec  Masséna 
le  tour  de  la  place,  par  le  midi,  et  se  porta  du  côté 
de  l'est  à  l'endroit  où  elle  se  joint  au  Danube.  Là 
un  bras  secondaire,   détaché   du  graud   bras  du 


Mai  1809. 


Le 

gouvernement 
de  Vienne 

confié 
au    général 
Andréossy. 


Nécessité 

d'enlever 

Vienne 

de  vive  force, 

et  choi.x 

du  point 

d'attaque. 


Mai  180^. 


iU  I  IVHK   \\\V. 

Ilciut  ,  la  l(nii;(j  en  fournissant  de  l'eau  à  ses  fos- 
sés, cl  la  s('j)art'  de  la  l'aniciisc  pioiiictiade  du  Fra- 
Icr.  De  ce  cole  on  |)()Li\ail  élahlir  des  ballciies  qui, 
rn  aci  ahlanl  la  \ille  forliliée,  ne  devaient  attirer  le 
feu  que  sur  des  habitations  très-clair-seniées,  et  sur 
les  îlc^  du  lU'iiNc.  De  plus,  en  opérant  le  |)assago 
de  ce  hras,  on  s'emparait  dii  Prater,  et  en  remon- 
tant un  |)eu  au  nord-est  (voir  plus  particulièrement 
la  carte  n°  49),  on  isolait  Vienne  du  grand  pont  dn 
Thabor,  (pd  conduit  à  la  rive  gauche.  On  la  sépa- 
lait  ainsi  de  tout  secours  extérieur;  on  enlevait  à 
l'archiduc  (Charles  la  possibilité  d'y  rentrei';  on 
(Mail  enfui  à  ses  défenseurs  le  courage  de  s'y  ren- 
fermer, car  ils  avaient  la  certitude  d'y  être  pris  jus- 
qu'au dernier.  L'archiduc  Maximilien  en  particulier 
ne  pouvait  se  résigner  à  y  rester,  étant  sur  de  de- 
^enir  notre  prisonnier  sous  quarante-huit  heures. 

Napoléon  ordonna  sur-le-champ  à  des  nageurs 
de  la  dix  ision  Boudet  de  se  jeter  dans  le  bras  du 
Danube  qu'il  s'agissait  de  franchir,  et  d'aller  cher- 
cher quelques  nacelles  à  la  rive  gauche.  Ils  le  tirent 
sous  la  conduite  d'un  brave  aide  de  camp  du  gé- 
néral Boudet,  le  nommé  Sigaldi,  qui  fut  des  pre- 
miers à  se  précipiter  dans  le  fleuve.  Ils  lamenèrent 
ces  nacelles  sous  les  coups  de  fusil  des  avant-postes 
ennemis,  et  fournirent  ainsi  à  deux  compagnies  de 
voltigeurs  le  moyen  de  se  transporter  sur  l'autre 
rive.  Elles  s'emparèrent  du  petit  pavillon  de  Lus- 
thaus,  situé  dans  le  Prater,  et  dont  on  pouvait  se 
servir  comme  d'un  poste  retranché.  Elles  en  chas- 
sèrent les  grenadiers  autrichiens,  et  s'y  établirent, 
de  façon  que  ce  pavillon  devint  la  tète  du  pont 


Mai    i.SOO. 


contre  la  ville 
fortifiée. 


WAGRAM.  -2G3 

qu'on  se  hâta  do  jeter  a\ee  des  bateaux  recueillis 
dans  les  en\iions.  En  même  temps  Napoléon  lit 
mettre  en  batterie  sur  le  bord  que  nous  occupions 
quinze  bouches  à  feu,  qui  battaient  la  ii\  e  opj)osée, 
et  prenaient  en  échai'pe  l'avenue  par  laijiiclle  on 
aboutissait  au  pavillon  de  Lusthaus.  On  a\  ait  ainsi  Etabiissomont 
le  moyen  de  secourir  les  deux  compagnies  de  vol-  t^c^ires 
tigeurs,  en  attendant  que  le  pont  achevé  permît  à 
des  forces  plus  nombreuses  d'aller  les  rejoindre.  On 
construisit  aussi,  et  simultanément,  une  batterie 
de  vingt  obusiers,  à  l'extrémité  du  faubouig  de 
Landstrass,  près  du  bras  que  l'on  venait  de  fran- 
chir. (Voir  encore  la  carte  n"  49.) 

A  neuf  heures  du  soir,  après  une  nouvelle  som- 
mation ,  et  tandis  que  le  tra\  ail  du  passage  conti- 
nuait, on  commença  sur  la  ville  fortifiée  un  feu  dé- 
vastateur. En  quelques  heures  1,800  obus  furent 
lancés  sur  cette  malheureuse  ville.  Les  rues  y  sont 
étroites,  les  maisons  hautes,  la  population  accumu- 
lée, comme  dans  toutes  les  enceintes  fortifiées  où 
l'espace  manque ,  et  bientôt  l'incendie  éclata  de 
toutes  parts.  Le  bas  peuple  vociférait  dans  les  rues; 
la  classe  aisée  et  paisible,  partagée  entre  deux  ter- 
reurs, celle  de  l'étranger  et  celle  de  la  multitude, 
ne  savait  que  désirer.  Au  même  instant  on  appre- 
nait à  l'état-major  de  la  place  le  passage  commencé 
du  petit  bras  du  Danul)e.  11  fallait  empêcher  cette 
tentative,  dont  le  succès  rendait  tout  secours  im- 
possible ,  et  condamnait  à  de\  enir  prisonniers  tous 
ceux  qui  défendraient  Vienne.  Deux  bataillons  de 
grenadiers  furent  pendant  la  nuit  dirigés  sur  le  pa- 
villon de  Lusthaus,  pour  enlever  ce  point  d'appui 


^26f) 


I.IVKK   XXXV. 


Mai  180'.». 


L'archiduc 

MaximilicD, 

craignant 

d'être  fait 

prisonnier, 

évacue 

Vienne 

et  la  livre  aux 

Français. 


au  |)()nt  picjKirc  |>;ir  1rs  Kianriiis.  Mai.s  le.s  \olli- 
geurs  (lo  Boinlel  se  tenaient  .sur  leurs  i^ardes.  Éta- 
blis dan.s  ce  pa\  illon  de  Lusihaus,  couverts  par  des 
aliatis,  ils  attendirent  les  deux  bataillons,  et  les 
accueillircnl  par  des  décharires  meurtrières  exé- 
cutées à  l)()ul  portant.  En  même  temps  l'artillerie, 
placée  sur  la  rive  (jue  nous  occupions,  ouvrit  un 
feu  de  mil  raille  sur  le  flanc  de  ces  deux  bataillons, 
et  les  mit  en  déroute.  Ils  rebrous.sèrent  chemin  vers 
le  haut  du  Prater. 

Dès  ce  moment  le  passage  du  bras  et  l'investis- 
sement de  Vienne  étaient  a.ssurés.  L'archiduc  Maxi- 
milion,  effrayé  par  la  perspective  de  devenir  pri- 
sonnier, sortit  le  12  au  matin  de  cette  capitale  si 
maladroitement  compromise.  Il  emmena  en  se  reti- 
rant la  meilleure  partie  de  la  garnison,  et  ne  laissa 
au  général  Oreilly,  chargé  de  le  remplacer,  qu'un 
ramassis  de  mauvaises  troupes,  avec  quelques  gens 
du  peuple  (fu'on  avait  eu  l'imprudence  d'armer. 
Après  avoir  passé  le  Danube  il  détruisit  le  pont  du 
Thabor.  Le  général  Oreilly  n'avait  plus  qu'une  con- 
duite à  tenir,  s'il  ne  voulait  pas  faire  inutilemenl 
incendier  la  ville,  c'était  de  capituler.  Dans  la  ma- 
tinée du  12,  il  demanda  la  suspension  du  feu,  qui 
fut  accordée,  et  il  signa  la  reddition,  qui  garantis- 
sait pour  les  personnes  et  les  propriétés  un  respect 
que  Napoléon  se  piquait  d'observer  et  dont  il  ne 
se  fut  point  écarté,  la  ville  n'eiit-elle  fait  aucune 
condition.  Il  fut  convenu  que  le  lendemain  18 
mai  les  Français  entreraient  dans  Vienne.  Ils  y  en- 
trèrent effectivement  au  milieu  de  la  soumission 
générale,  et  des  derniers  frémissements  d'un  peu- 


WAGRAM. 


2GT 


pie  qu'on  avait  vainement  agité,  sans  prendre  les 
moyens  véritables  (ruliliser  son  patriotisme. 

Ainsi  en  trente-trois  jours,  Napoléon,  surpris  par 
des  hostilités  soudaines,  avait  d'un  premier  coup 
de  sa  redoutable  épée  coupé  en  deux  la  masse  des 
armées  autrichiennes  àRatisbonne,  et  enfoncé  d'un 
second  coup  les  portes  de  Vienne.  Il  était  établi 
maintenant  au  sein  de  cette  capitale,  maître  des 
principales  ressources  de  la  monarchie.  3Iais  tout 
n'était  pas  fini,  il  s'en  fallait,  ni  en  Autriche  ni  en 
Allemagne,  et  il  avait  encore  à  déployer  beaucoup 
de  vigueur  et  de  génie  pour  écraser  les  ennemis 
de  tout  genre  qu'il  avait  suscités  contre  lui.  Sans 
doute  les  archiducs  ne  pouvaient  plus  lui  présenter 
à  la  tète  de  1  40  mille  hommes  une  bataille  défensive 
sous  Vienne,  et  c'était  certainement  un  important 
résultat  que  d'avoir  empêché  une  telle  concentra- 
tion de  forces  sur  un  tel  point  d'appui.  Mais  il  res- 
tait une  grande  et  décisive  difficulté  à  vaincre, 
Tune  des  plus  grandes  qui  se  puissent  rencontrei' 
à  la  guerre,  c'était  de  passer  un  fleuve  immense 
devant  l'ennemi,  et  de  livrer  bataille  ce  fleuve  à 
dos.  Cette  difficulté.  Napoléon  n'avait  pu  la  préve- 
nir, et  elle  résultait  forcément  de  la  nature  des  cho- 
ses. Il  avait  dû  prendre,  en  effet,  en  quittant  Ratis- 
bonne,  la  route  qui  était  la  plus  courte,  qui  tenait 
les  archiducs  isolés  les  uns  des  autres,  et  qui  le 
rapprochait  lui-même  du  prince  Eugène  en  cas  de 
nouveaux  malheurs  en  Italie.  Il  avait  dû  par  con- 
séquent suivre  la  rive  droite  du  Danube  (voir  la 
carte  n°  14)  en  abandonnant  la  rive  gauche  aux 
Autrichiens,  sauf  à  leur  ôter,  pour  se  les  assurer  à 


Mai  1800. 


Situation 

de  Napoléon , 

maître 

de  Vienne. 


Nécessité 
de  passer 
le  Danube 

devant 

l'ennemi , 

résultant 

de 

l'occupation 

de  Vienne. 


Mai  IKOO. 


iM  I.IVHI-    XXXV. 

lui-iiiome,  les  iiiouins  do  passer  (l'un  bord  à  J  autre. 
MainlenaiU  i)arvoiui  à  Vi(3nne,  en  descendant  ce 
fleuve,  il  allait  a\oir  devant  lui  l'arrliiduc  Charles, 
renforcé  des  restes  du  j^énéral  Hiller  et  de  l'archi- 
duc Loui<,  mais  alVaihli  par  la  nécessité  de  laisser 
des  forces  sur  ses  derrières,  et  j)ouvant  néanmoins 
présenter  1 00  mille  honunes  en  ligne  lorsqu'on  tra- 
verserait le  Danube  pour  aller  le  combattre.  En 
180*3,  les  Autrichiens,  par  suite  des  événements 
d'L'lm,  n'étaient  arrivés  à  Vienne  qu'avec  des  dé- 
bris, et  ils  avaient  àOlmutz  la  grande  armée  russe. 
11  était  dès  lors  naturel  qu'ils  s'éloignassent,  et  qu'ils 
allassent  à  quarante  lieues  de  la  capitale  se  réunir  à 
l'armée  russe,  pour  tenter  à  Austerlitz  la  fortune  des 
armes.  Mais  cette  fois  avant  vis-à-vis  de  Vienne  le 
gros  de  leurs  forces,  sans  aucun  secours  à  espé- 
rer plus  loin,  ils  n'avaient  qu'une  conduite  à  tenir, 
c'était  de  constituer  Napoléon  en  violation  des  rè- 
gles de  la  guerre,  en  le  réduisant  à  passer  le 
l)anid)c  devant  eux,  et  à  livrer  bataille  ce  fleuve  à 
dos.  (]e  n'était  plus  à  Austerlitz,  c'était  là,  vis-à- 
vis  devienne,  sur  la  rive  gauche  du  Danube,  entre 
Essling,  Aspern,  Wagram,  noms  à  jamais  immor- 
tels, que  devait  se  décider  le  destin  de  l'une  des 
plus  grandes  guerres  des  temps  modernes.  On  verra 
plus  tard  tout  ce  que  fit  Napoléon  pour  conjurer 
les  dillicultés  de  cette  opération  gigantesque,  car 
les  règles  qu'il  s'agissait  de  violer  avaient  été  po- 
sées à  des  épo(jues  où  l'on  avait  eu  à  franchir  i\c<i 
fleuves  de  100  ou  150  toises,  avec  des  armées  de 
30  à  40  mille  hommes.  Celte  fois  il  s'agissait  d'un 
cours  d'eau  de  oOO  toises,  et  d'armées  de  1  oO  mille 


WAGKA.M.  2(i<) 

hommes  t'iiacuiie,  passant  avec  3  ou  600  I)oiiclies  à 

„  ...  .  ,  Mai  1809. 

feu,  devant  des  forces  paredles  qui  les  adendaienl 
poiH"  les  précipiter  dans  un  abîme.  Mais  le  génie 
qui  avait  \aincu  les  iVlpes,  savait  comment  vaincre 
le  Danul)e,  quelque  large  et  impétueux  que  fût  ce 
fleuve.  Cependant,  avant  de  s'occuper  d'une  pa- 
reille opération,  il  avait  beaucoup  de  soins  préala- 
bles à  prendre,  et  non  moins  urgents  que  cekii 
d'aller  sur  l'autre  rive  du  Danid)e  achever  la  des- 
truction de  ses  ennemis. 

D'abord  il  fallait  s'établir  solidement  à  Vienne,        ^'^'"^^ 

auxquels 

s'y  étaldir  de  manière  à  profiter  des  grandes  res-      xapoiéoi. 
sources  de  cette  capitale,  de  manière  à  n'avoir  pas    dc^e  livrer 
d'inquiétude  pour  ses  communications,  de  manière  'Yo"àt^issei~ 
surtout  à  rallier  le  prince  Eugène,  en  empochant     le Danube. 
l'archiduc  Jean  de  rejoindre  l'archiduc  Charles.  Il 
importait  en  effet  que  les  deux  armées  belligérantes 
d'Italie  étant  amenées  sous  Vienne  par  le  mouve- 
ment imprimé  aitx  opérations ,  la  jonction  de  l'une 
fut  ménagée  à  Napoléon,  sans  procurer  la  jonction 
de  l'autre  à  l'archiduc  Charles.  C'était  là  un  difficile 
problème  qui  fut  admirablement  résolu,  après  des 
alternatives  dont  bientôt  on  verra  la  suite  sanglante. 

Napoléon  était  entré  à  Vienne  avec  les  troupes  Distributions 
dos  généraux  Saint -Hilah^e,  Demont  et  Oudinot,     ^<^*  ^o^ces 

~  "  '       françaises 

sous  le  maréchal  Lannes,  avec  les  quatre  divisions  '■'^P"'''  •^^'■s- 

boniie  jusqu  a 

Boudet,  Carra  Saint-CjT,  Molitor,  Legrand,  sous  vienne. 
le  maréchal  Masséna,  avec  la  garde  et  la  réserve 
de  cavalerie.  Obligé  de  faire  face  à  l'ennemi,  soif 
devant  Vienne ,  au  moment  où  il  faudrait  passer  le 
Danube,  soit  plus  haut,  à  Krems  par  exemple,  si 
l'archiduc  s'y  présentait  pour  essayer  une  tentative 


Mai  «809. 


270  LIVRE  XXXV. 

sur  nos  derrières  (\()ir  la  carte  n"  1  4),  il  disposa  le 
corps  du  inaicclial  Daxoiil  de  façon  que  celui-ci  pùl 
en  nne  journoe  se  porler  (oui  enlier  ou  sur  Krems, 
ou  sur  Vienne.  Dans  ce  l)ul,  il  lui  assigna  Saint- 
Polten  pour  (juarlier  général,  une  division  devant 
être  répandue  de  Mautern  à  Miilk,  les  deux  autres 
concentrées  à  Saint-Polten  même.  Les  30  mille 
hommes  du  maréchal  Davout  pouvaient  ainsi,  en 
se  réunissant  sur  le  Danidie  vers  Mautern  ou  Môlk , 
résister  à  cpielque  tentative  de  passage  que  ce  fut, 
et  si  cette  tentative  était  faite  avec  des  moyens  con- 
sidérables, donner  le  temps  à  l'armée  de  revenir 
de  Vienne  sur  le  point  menacé.  Ils  pouvaient  éga- 
lement, rendus  en  une  journée  à  Vienne,  porter 
l'armée  principale  à  90  mille  hommes  au  moins, 
force  suflisante  pour  livrer  à  l'archiduc  Charles  une 
bataille  décisive  au  delà  du  Danube. 
Position  Cependant  il  était  possible  que  le  danger  se  pré- 

à  L^ntr^Tr  sentât  plus  loin  en  arrière,  c'est-à-dire  à  Lintz  et 
de  Kornadoiti^  même  à  Passau.  Quoiqu'il  fut  moins  probable  de  voir 

il  Passau.  .   . 

l'archiduc  Charles  s'y  diriger,  à  cause  de  la  distance, 
Napoléon  laissa  le  général  Vandamme  à  Lintz,  avec 
10  mille  Wurtembergeois,  en  lui  donnant  la  mission 
de  rétablir  le  pont  de  cette  ville,  d'y  créer  des  têtes 
de  pont,  et  de  faire  de  continuelles  reconnaissances 
en  Bohême.  Il  plaça  en  outre  au  point  si  important 
de  Passau  le  maréchal  Bernadotte,  qui  arrivait  avec 
les  Saxons.  Ce  maréchal,  devenu  prince  de  Ponte- 
Corvo,  à  titre  de  parent  de  l'Empereur  (il  avait 
épousé  une  sœur  de  la  reine  d'Espagne),  était  pour- 
tant mécontent  de  son  sort,  ne  se  trouvait  pas  à  la 
tête  des  Saxons  placé  d'une  manière  digne  de  lui,  et 


WAGI{A:M.  271 

envoyait  sur  ces  troupes  des  renseignements  extrê- 
mement défavorables,  même  injustes,  car  si  elles 
ne  valaient  pas  des  troupes  françaises,  et  si  elles 
éprouvaient  surtout  les  sentiments  qui  travaillaient 
déjà  le  cœur  des  Allemands,  il  n'en  était  pas  moins 
vrai  que  devant  des  Autrichiens  elles  pouvaient  se 
tenir  en  bataille,  et  remplir  leur  devoir  aussi  bien 
que  les  Bavarois  et  les  Wurtembergeois.  Avec 
quelques  Français  pour  les  soutenir  et  leur  donner 
l'exemple ,  elles  devaient  presque  valoir  ces  Fran- 
çais eux-mêmes.  Aussi  pour  satisfaire  le  prince  Ber- 
nadotte,  dont  les  plaintes  l'importunaient,  Napoléon 
fit-il  deux  parts  de  la  division  Dupas,  et  laissant  les 
troupes  allemandes  des  petits  princes  à  Ratisbonne 
sous  le  général  Rouyer,  il  dirigea  sur  Passau  la  bri- 
gade française  sous  le  général  Dupas  lui-même.  Le 
maréchal  Bernadotte  avait  donc  sur  ce  point  4  mille 
Français,  15  à  16  mille  Saxons,  ce  qui  lui  compo- 
sait un  corps  excellent  de  20  mille  hommes  envi- 
ron. Ainsi  avec  6  mille  Allemands  à  Ratisbonne,  20 
mille  Saxons  et  Français  à  Passau ,  i  0  mille  Wur- 
tembergeois à  Lintz,  et  30  mille  Français,  vieux 
soldats,  à  Saint-Polten ,  Napoléon  était  gardé  d'une 
manière  infaillible  sur  ses  derrières,  en  conservant 
les  moyens  de  livrer  bataille  sur  son  front.  (Voir  la 
carte  n°  1  4.) 

Il  n'entendait  pas  du  reste  consacrer  toujours 
autant  de  troupes  à  la  garde  de  ses  communica- 
tions, et  il  se  proposait,  lorsque  les  Bavarois  au- 
raient soumis  le  Tyrol,  et  que  les  Autrichiens  au- 
raient évacué  l'Italie,  d'amener  encore  plus  de  forces 
au  point  décisif,  c'est-à-dire  sous  Vienne.  C'est  par 


Mai  1809. 


Mai   180'.». 

(îrantls 

travaux 


liotlweil. 


■112  i.i\  in-:  wxv. 

ce  inolif  (jii'il  prosrrivil  à  Halisboniie,  à  Passau,  à 
Lintz,  à  Molk,  à  l'aljhaye  de  Gottweit  près  Maii- 
lorn,  des  travaux  immenses,  et  tels  qu'un  très-faible 
ordonnes  a  coqjs  Bvec  bcaucoup  d'artillerie  put  s'y  défendre 
i.intz,  Moik,  plusieurs  jours  de  suite,  A  Ratisbonne  il  y  avait 
peu  à  faire,  puisqu'il  existait  un  pont  de  pierre,  ef 
qu'il  sudisait  de  rendre  la  muraille  qui  enveloppai! 
la  place  fie  meilleure  défense.  Mais  à  Passau,  situé 
au  contluent  du  Danube  et  de  l'Inn,  il  ordonna  des 
travaux  fort  importants,  qui  devaient  être  le  com- 
mencement de  ceux  qu'il  voulait  exiijer  plus  tard 
de  la  Bavière,  afin  qu'elle  eût  en  cet  endroit  une 
place  de  premier  ordre  contre  l'Autriche.  Il  décida 
qu'on  y  construirait  des  ponts  sur  le  Danube  et  sur 
rinn,  avec  double  tête  de  pont  sur  l'un  et  l'autre 
fleuve,  avec  un  camp  retranché  pour  80  mille  hom- 
mes, avec  des  fours  pour  100  mille  rations  par 
jour,  avec  un  approvisionnement  considérable  de 
i<rains  et  de  munitions,  et  des  hôpitaux  fort  vastes. 
Ce  surcroh.  de  précautions  autour  de  Passau  avait 
pour  oI)jet  de  procurer,  en  cas  de  mouvement 
rétrograde,  un  appui  solide  à  l'armée,  derrière  les 
deux  lignes  du  Danube  et  de  l'Inn,  car  ce  capi- 
taine, qui,  dans  la  politiciue,  avait  l'imprudence 
de  ne  jamais  supposer  la  mauvaise  fortune,  la  sup- 
posait toujours  à  la  guerre,  et  se  précautionnail 
admirablement  contre  elle.  A  Lintz,  autre  débouché 
de  la  Bohème,  il  ordonna  également  un  pont  avec 
double  tète  de  pont,  des  fours,  des  amas  de  vi- 
vres, des  hôpitaux.  A  la  belle  abbaye  de  Molk, 
qui  n'était  pas  l'un  des  débouchés  de  la  Bohème , 
mais  qui  dominait  avantageusement  le  Danube,  et 


WAGRAM.  273 

contenait  dévastes  bâtiments,  il  prescrivit  de  con- 
struire, avec  du  bois  et  des  ouvrages  en  terre,  une 
petite  place  armée  de  seize  bouches  à  feu,  et  que 
1,200  hommes  pouvaient  très-bien  défendre.  Elle 
devait  aussi  contenir  un  hôpital  pour  plusieurs  mil- 
liers de  malades.   Il  décida   l'établissement   d'un 
semblable  poste  à  l'abbaye  de  Gottweit,  vis-à-vis 
de  Krems,  dans  une  position  élevée,  d'où  l'on  dé- 
couvrait tout  ce  qui  se  passait  à  plusieurs  lieues 
sur  l'une  et  l'autre  rive  du  Danulje.  Enfin  à  Krems 
même,  un  pont  dut  être  établi  au  moyen  de  ba- 
teaux ramassés  le  long  du  fleuve,  avec  double  tête 
de  pont,  de  façon  à  pouvoir  interdire  le  passage  à 
l'ennemi  en  le  conservant  libre  pour  notre  propre 
usage.   Par  ce   système  de  savantes  précautions, 
Napoléon  avait  tous  les  bords  du  Danube  gardés  de 
la  meilleure  manière,  puisqu'ils  l'étaient  à  la  fois 
défensivement  et  oCTensivement,  puisqu'en  inter- 
disant à  l'ennemi  de  passer  on  pouvait  passer  soi- 
même  ,  et  le  tenir  ainsi  dans  de  continuelles  inquié- 
tudes.  De  plus  on  avait,  en  cas  de  retraite,  une 
suite  d'échelons,  sur  une  route  jalonnée  de  maga- 
sins et  d'hôpitaux,  vers  lesquels  auraient  été  di- 
rigés d'avance  les  blessés  et  les  malades.  On  avait 
enfin  une  suite  de  ports  pour  les  convois  par  eau , 
et  un  ensemble  d'ouvrages  sur  la  ligne  de  commu- 
nication, que  peu  d'hommes  suffisaient  à  défendre, 
ce  qui  permettait  d'amener  de  sa  queue  à  sa  tête, 
ou  de  sa  tête  à  sa  queue,  une  rapide  concentration 
pour  les  jours  de  grandes  batailles.  Voilà  ce  que 
peut  la  vigilance  du  génie  pour  assurer  les  opéra- 
tions les  plus  difticiles  et  les  plus  délicates. 

TOM.  \.  18 


Mil!   1809. 


Mai  <800. 


274  I  IVIM.    W.W. 

Il  fallait  à  ces  pretautious  sur  lu  llcuve,  c'ost-à- 

(lire  à  i^auche,  ajouter  quelques  précautions  dans 

Précautions    {gg  montaffnes ,  c'est-à-dire  à  droite,  contre  rapi- 
de Napoléon 

du  rôti'  tation  qui  s'étendait  depuis  le  Tyrol  jusqu'à  la  Sty- 
P'^s  rie.  (Voir  la  carte  n"  31.)  Napoléon  avait  d'abord 
chargé  le  maréchal  Lefebvre  de  soumettre  le  Tyrol 
avec  2i  mille  Bavarois,  après  en  avoir  laissé  6  mille 
à  Munich.  Cette  œuvre  terminée,  les  Bavarois  de- 
vaient se  porter  à  Passau ,  et  y  remplacer  les  Saxons, 
qui  pourraient  dès  lors  se  rendre  à  Vienne.  Plus 
près  de  lui  en  Styrie ,  Napoléon  avait  déjà  envoyé 
le  général  Bruyère  avec  un  millier  de  chevaux  sur 
la  route  d'Italie,  par  Lilienfeld.  Il  confia  la  mission 
d'observer  cette  route  à  son  aide  de  camp  Lauris- 
ton ,  en  lui  donnant ,  outre  ces  mille  chevaux  du 
général  Bruyère ,  deux  à  trois  mille  fantassins  ba- 
dois,  bons  soldats,  lesquels  parlant  allemand,  étaient 
propres  à  persuader  le  pays  autant  qu'à  l'intimider, 
et  à  le  ramener  au  calme  par  la  promesse  de  bons 
traitements.  Le  général  Lauriston  devait  remonter 
jusqu'à  Mariazell,  et  regagner  Vienne  parNeustadt. 
Mesures  Un  autrc  avantage  de  ce  mouvement  était  d'é- 

Ta'jonTti'or    clairer  les  routes  d'Italie  par  lesquelles  il   fallait 
du  prince     g'atteudre  à  voir  bientôt  paraître  l'archiduc  Jean. 

Eugène  avec  i 

Napoléon ,     Qq  prince  n'étant  venu  se  réunir  à  l'archiduc  Char- 

et  empêcher  .     ,         . 

celle  de  lar-  les,  ni  à  Liutz ,  ni  à  Krems,  ne  pouvait  le  re- 
joindre qu'aux  environs  de  Vienne,  à  travers  la  Ca- 
rinthie,  la  Styrie  et  la  Hongrie,  par  Klagenfurlh , 
Gràtz  et  Œdenbourg.  (Voir  la  carte  n°  31 .)  Napo- 
léon avait  deux  choses  à  faire  à  son  égard  :  la  pre- 
mière, de  l'empêcher  de  tomber  à  l'improviste  sur 
Vienne,  en  débouchant  brusquement  par  la  route 


chiduc  Jean 

avec 

l'archiduc 

Charles. 


Mai  1S09. 


WAGRAM.  275 

de  Léoben  et  Neustadt  (voir  la  carte  n"  3;^);  la 
seconde,  de  le  contraindre  à  décrire  le  plus  i^rand 
détour  possible  pour  se  réunir  à  l'archiduc  Charles, 
de  rol)lii2:er,  par  exemple,  à  passer  par  (Jiins, 
Raab  et  Komorn,  plutôt  que  par  OEdenbouri^  et 
Presbourg,  car  plus  le  cercle  qu'il  ])arcourrait  se- 
rait grand,  plus  Napoléon  aurait  de  chances  de 
rallier  à  lui  son  année  d  Italie,  et  d'empêcher  l'ar- 
chiduc Charles  de  rallier  la  sienne,  le  jour  de  la 
bataille  décisive.  C'est  en  étendant  habilement  ses 
postes  autour  de  lui,  au  moyen  de  sa  nombreuse 
cavalerie,  que  Napoléon  atteignit  ce  double  but. 

Ainsi  tandis  que  le  général  Lauriston  devait  venir    Disuibution 
par  Mariazell  s'étabhr  à  Neustadt,  route  directe  <'<^i=^^"^ainne 

i  'en  réseau 

d'Italie,  le  général  Montbrun,  enlevé  au  maréchal       a"^»"' 
Davout  qui  n  en  avait  plus  besoin ,  fut  place  en  re-        pour 

1  1     •         1  1  1       •      1  '  empocher 

connaissance  avec  deux  brigades  de  cavalerie  le-  la  iônction 
gère  à  Bruck,  plusieurs  marches  au  delà  de  Neu- 
stadt, sur  la  même  route.  (Voir  la  carte  n"  32.)  Le 
général  Colbert,  avec  des  troupes  de  la  même  arme, 
fut  cantonné  de  Neustadt  à  OEdenbourg,  le  géné- 
ral Marulaz  le  long  du  Danube  jusqu'à  Presbourg 
et  au-dessous,  les  uns  et  les  autres  ayant  ordre  d'être 
toujours  en  reconnaissance  autour  du  lac  de  Neusie- 
del,  pour  s'éclairer  du  côté  de  la  Hongrie.  Derrière 
eux  la  grosse  cavalerie  fut  cantonnée  depuis  Haim- 
bourg  jusqu'à  Baaden,  avec  ordre  de  les  soutenir 
au  besoin.  Grâce  à  ce  réseau  si  bien  tendu,  rien  ne 
pouvait  paraître  sans  qu'on  en  fut  immédiatement 
averti,  et  en  même  temps  l'archiduc  Jean  était  forcé 
de  décrire  un  très-grand  cercle,  et  de  joindre  le 
Danube  plutôt  à  Komorn  qu'à  Presbourg,  ce  qui 

18. 


dcsarchidurs. 


Mai  180'.». 


276  I.IVHK   \\\V. 

(liuiiiuiait  ses  fluuices  de  cuoiicrei-  à  la  i^randu  l)a- 
taillo  préparée  sous  les  murs  de  Vienne. 
Suite  des  ivé-       Pendant  que  Napoléon,  impatient  de  la  livrer, 

nements  ,.  -,  ,        .  i  '         i 

en  Italie  et  en   disposait  tout  pour  eu  assurer  le  succès ,  les  armées 
Pologne       ^^i^jj^  ^,j^  Italie  et  en  Pologne,  devaient  de  près  ou 

de  loin  concourir  à  ses  combinaisons ,  étaient , 
comme  lui,  occupées  à  marcher  et  à  combattre. 
Les  Autrichiens  arri\  es  si  fièrement ,  quoique  si 
lentement,  jusqu'à  l'Adige,  s'étaient  arrêtés  devant 
cette  limite,  n'osant  pas  l'attaquer,  d'abord  à  cause 
de  sa  force  naturelle,  puis  à  cause  de  l'armée  d'Ita- 
lie qui  s'était  réorganisée  et  renforcée,  et  entin  à 
cause  de  l'incertitude  qui  régnait  à  cette  époque 
sur  les  événements  d'Allemagne.  Il  était  tout  simple 
qu'avant  d'essayer  au  delà  de  l'Adige  une  opération 
extrêmement  hasardeuse,  l'archiduc  Jean  voulût 
savoir  si  son  frère  le  généralissime  avait  été  heu- 
Situation  reux  ou  malheureux  sur  le  Danube.  Le  prince  Eu- 
VitaUe^^  gène,  inspiré  par  le  général  Macdonald,  avait  pro- 
après        fité  de  ce  retard  pour  reprendre  haleine,  et  pour 

^a  retraite  et  _  *  *  '  ^ 

saréorsani-    familiariser  avec  la  vue  de  l'ennemi,  non  pas  ses 

sation  ,  ,  .      ,  .  ,  .  .     ,     .         ^ 

<ur  lA.iige.  soldats,  qui  n  en  avaient  pas  besom,  mais  lui-même 
et  ses  lieutenants,  intimidés  par  la  défaite  de  Sacile. 
Il  s'était  appliqué,  dans  ce  but,  à  faire  sur  le  haut 
Adige  de  fréquentes  reconnaissances,  qui  avaient 
souvent  tourné  en  véritables  combats.  Ce  prince 
commençait  effectivement  à  se  remettre,  lorsque  le 
1"  mai,  dans  l'une  de  ces  reconnaissances,  le  gé- 
néral Macdonald  aperçut  à  l'horizon  une  immense 
(|uantité  de  charrois  paraissant  rétrograder  vers  le 
Fiioul.  A  cette  date  on  ne  savait  rien  encore  au 
quartier  général  du  prince  Eugène  des  événements 


Mai  1800. 


W  AGI?  A  M.  277 

de  Ratisbonne,  et  on  était  iiKjiiiel  pour  l'Alleina- 
gne  autant  que  pour  l'Italie.  Mais  le  général  Mac- 
donald  ne  pouvant  attril)uer  un  pareil  mouvement 
qu'à  des  défaites  que  les  Autrichiens  auraient  es- 
suyées en  Bavière ,  poussa  son  cheval  au  galop 
vers  le  prince  Eugène,  et  lui  prenant  la  main  : 
Victoire  en  Allemagne,  lui  dit-il,  c'est  le  moment 
de  marcher  en  avant!  — Le  prince,  charmé,  lui 
serra  la  main  à  son  tour.  Tous  deux  coururent 
aux  avant-postes,  reconnurent  de  leurs  yeux,  et 
apprirent  bientôt  par  tous  les  rapports  que  les  Au- 
trichiens battaient  en  retraite.  Ainsi  se  faisait  sen- 
tir à  distance  la  puissante  impulsion  de  Napoléon. 
Sa  marche  victorieuse  en  Bavière  obligeait  l'archi- 
duc Jean  à  rebrousser  chemin,  et  à  retourner  en 
Frioul.  Le  prince  autrichien  aurait  bien  voulu  tra-  i\,iraite 
verser  les  Alpes,  pour  porter  secours  à  ses  frères,  d/'i'archrduc 
en  se  rendant  sur  le  Danube ,  mais  '  il  n'osa  point       J^»"  ^ 

_      ^      '  l;i  nouvelle 

tenter  une  telle  hardiesse ,  car  s'il  pouvait  à  la  vé-         <ics 
rite  tomber  dans  le  flanc  de  Napoléon,  ce  qui  eut      ^'^"^^^^"s 
été  un  çrand  avantage  dans  le  cas  où  tous  les  ar-     'Ratisbonne. 

'  Le  géntiral  Mayer,  ofli^icr  attatlié  à  rétat-inajor  de  l'aidiidiic  Jean, 
dévoué  comme  de  juste  à  sa  gloire,  et  beaucoup  moins  à  celle  de  l'ar- 
chiduc Charles ,  a  prétendu ,  dans  un  récit  dont  nous  avons  déjà  parlé , 
que  l'archiduc  Jean  voulait  passer  à  travers  les  Alpes,  et  se  jeter  en 
Bavière,  mais  qu'il  en  fut  empêché  par  la  précipitation  du  général 
Chasteler  à  abandonner  le  Tyrol  italien.  D'après  ce  récit,  le  général 
Chastelcr,  se  hâtant  trop  de  courir  dans  le  Tyrol  allemand  pour  y  tenir 
tôte  aux  Bavarois,  aurait  livré  à  l'armée  française  d'Italie  la  route 
des  Alpes,  et  rendu  impossible  le  mouvement  de  l'archiduc  Jean  vers 
l'archiduc  Charles.  Je  dois  dire  que  rien  ne  justifie  cette  assertion,  in- 
spirée par  le  zèle  d'un  lieutenant  pour  la  renommée  de  son  chef,  et  (pie 
tout  prouve  au  contraire  que  l'archidiic  Jean,  en  apprenant  les  é\éne- 
ments  de  Ratisbonne,  ne  songea  qu'à  se  retirer  vers  la  Hongrie,  pour 
n'être  pas  débordé  par  le  mouvement  de  Napoléon  sur  Vienne. 


278  I.IVUK  WXV. 
fliidiK's  auiaieiil  fonNci^é  \  fis  le  iiiùmo  point,  il 

Mai  «KOO.  ■  .  , 

s'exposait  aussi  à  lomijer  seul  dans  ses  mains,  et  a 
V  être  éloulVé.  Dans  cetto  situation,  l'archiduc  Jean 
se  liAin  do  rétroiïrader,  a\ec  la  pensée  tout  au 
plus  do  paraître  à  ten)|)s  sous  les  murs  do  Vienne, 
et  plus  probablement  avec  celle  de  rejoindre  son 
frère  au-dessous  de  cette  capitale,  par  la  Styrie  et 
la  Iloniïrie.  Quoi  qu'il  en  soit,  l'armée  autrichienne 
hallil  en  retraite  à  partir  du  1"  mai,  et  le  prince 
Euû:ène,  qui  n'avait  pas  autre  chose  à  faire  qu'à 
la  suivre,  se  mil  aussitôt  à  ses  trousses,  pour  lui 
causer  le  plus  de  mal  possible.  Mais  à  l'instant 
même  le  moral  des  Autrichiens  allait  perdre  tout 
ce  qu'allait  gagner  celui  des  Français.  Les  Autri- 
chiens n'ayant  désormais  d'autre  but  en  définitive 
que  d'évacuer  le  pays,  devaient  le  disputer  avec 
peu  d'énergie,  et  les  Français,  voulant  se  venger 
de  leurs  échecs,  devaient  au  contraire  attaquer 
avec  plus  de  hardiesse  et  de  vivacité.  Dès  les  pre- 
mières marches,  en  effet,  on  vit  ceux-ci  se  battre 
mieux  que  ceux-là,  et  chaque  soir  de  nombreux 
prisonniers,  des  bagages  considérables  étaient  ame- 
nés dans  les  hgnes  des  Français,  tandis  qu'on  n'en 
amenait  aucuns  dans  celles  des  Autrichiens. 

Poursuite  Le  prince  Eugène ,  conservant  l'organisation  que 

•les  ,,.,,,.  .  ''  , 

Autrichiens    uous  avous  deja  dccrite,  en  trois  corps  et  une  reserve, 

'^•ritan'e. ^  marcha,  Macdonald  à  droite  dans  la  plaine.  Gre- 
nier au  centre  sur  la  grande  route  du  Frioul,  Ba- 
raguey-dllilliers  à  gauche  le  long  des  montagnes, 
la  réserve  en  arrière,  le  tout  formant  environ  60 
mille  hommes.  Les  dragons  de  Grouchy  et  de  Pully 
galopaient  en  tète,  pour  prendre  les  détachements 


Mai  4  809. 


W  AT.  RAM.  279 

OU  les  convois  mal  gardés.  Les  roules  étaient  encore 
mauvaises,  les  ponts  détruits,  et  la  marche  moins 
rapide  qu'on  ne  Taurait  désiré. 

On  s'avança  sur  le  revers  méridional  des  Alpes 
(voir  la  carte  n°  31),  de  l'Adige  à  la  Brenta,  de  la 
Brenta  à  la  Piave,  comme  Napoléon  sur  le  revers 
septentrional,  de  Tlsar  à  Tlnn,  de  llnn  à  la  Traun, 
et  à  peu  près  dans  le  même  temps.  Le  7  mai  au      lo  prince 

,         ,      ,      ,      T-.  ,  ,,  .    Eimone  passe 

soir,  on  était  an  bord  de  la  Piave,  dont  1  ennemi      la  Piave 
avait  coupé  tous  les  ponts.  On  résolut  de  la  traverser  ^^  ^'^'^  ^°^^' 
à  gué,  et  de  se  précipiter  sur  les  Autrichiens,  qui 
semblaient  faire  une  halte,  apparemment  pour  don- 
ner à  leurs  bagages  le  temps  de  défiler.  Le  lende- 
main, les  dragons  de  Grouchy  et  de  PuUy  passèrent 

vec  une  avant-garde  d'infanterie ,  et  fondirent  sur 
les  Autrichiens.  Ceux-ci  furent  d'abord  repoussés, 
mais,  comme  ils  avaient  leurs  bagages  à  défendre, 
ils  résolurent  de  résister,  et  se  reportèrent  en  masse 
sur  l'avant-garde  du  prince  Eugène,  qui,  se  trou- 
vant de  sa  personne  aux  avant-postes,  vit  bientôt 
avec  effroi  sa  cavalerie  et  son  infanterie  refoulées 
■en  désordre  sur  la  Piave.  L'armée  n'avait  pas  en- 
core franchi  la  rivière ,  et  celles  de  nos  troupes  qui 
avaient  passé  les  premières  pouvaient  essuyer  un 
grave  échec.  Heureusement  la  droite,  sous  le  gé- 
néral Macdonald,  arrivait  en  toute  hâte.  Celui-ci 
la  fit  entrer  hardiment  dans  le  fleuve,   et  prendre 

osition  au  delà.  Puis  vint  le  général  Grenier,  et 
on  marcha  tous  ensemble  sur  les  Autrichiens,  qui 
furent  promptement  culbutés,  et  laissèrent  dans 
nos  mains  beaucoup  de  canons,  de  bagages,  2,300 
morts  ou  blessés,  plus  un  nombre  à  peu  près  égal 


Uni  IHO'.i. 


2«0  I.IVIil.    X  \\V. 

(le  prisontiiers.  On  en  avait  déjà  ramassé  2  mille  de 
i'Adii;e  à  la  Piave.  (tétait  donc  près  de  7  mille  sol- 
dats enlevés  en  quelques  jours  à  l'archiduc  Jean. 
L^-  Le  9  mai  on  entra  dans  Conegliano  ;  le  1 0  on  ar- 

Aulricliicns        .  i     r,,       i-  i         o  i  ■ 

repassent  Hva  dcvaut  le  lagliamcnlo,  qu  on  franchit  au  gué  de 
rlnùqJTii  Valvassone.  La  cavalerie  fut  envoyée  à  droite  vers 
Juliennes,  (j^jne  pour  débloquer  Palma-Nova;  le  gros  de  l'ar- 
mée marcha  à  gauche,  en  remontant  le  ïagliamento 
vers  San-Daniele  et  Osopo.  Les  Autrichiens,  parve- 
nus aux  gorges  des  Alpes  Carniques  par  lesquelles 
ils  avaient  débouché,  furent  contraints  de  disputer 
encore  le  terrain  pour  sauver  leurs  bagages,  et  firent 
une  nou\elle  perte  de  1 ,500  hommes  tués,  blessés 
ou  prisonniers.  Les  11  et  1 2  mai,  au  moment  où  Na- 
poléon occupait  Vienne,  il  ne  restait  plus  d'ennemis 
en  Italie.  L'archiduc  Jean,  qui  avait  pénétré  dans 
cette  contrée  avec  environ  48  mille  hommes,  en  sor- 
tait avec  30  mille  tout  au  plus.  La  confiance  qu'il 
avait  éprouvée  en  débutant  l'avait  abandonné,  pour 
passer  tout  entière  au  cœur  de  son  jeune  adversaire. 
Distribution        Le  princc  autrichien,  rejeté  au  delà  des  Alpes, 

que  l'archiduc  ,,         .  •   •  i  /•  n    i  ^        i 

Jean  fait      uf  uue  nouvclle  répartition  de  ses  forces.  Il  détacha 

en^quithmr  dc  N'illacli  sur  Laybach ,  par  la  route  transversale 

iityiic       ,j,,j  yg  jg  jg  Carinlhie  à  la  Carniole,   le  ban  de 

Croatie,  Ignace  Giulay,  avec  quelques  bataillons  de 
ligne,  dix-huit  escadrons,  plusieurs  batteries,  en  lui 
donnant  mission  de  lever  l'insurrection  croate,  d'ap- 
puyer ensuite  le  général  Stoïchevich,  qui  était  opposé 
au  général  Marmont ,  et  de  couvrir  ainsi  Laybach 
contre  les  armées  françaises  d'Italie  et  de  Dalmatie. 
(le  détachement  fait,  l'archiduc  Jean  ne  conservai! 
(ju'environ  20  mille  hommes.   Sa  résolution  était 


WACRAM. 


281 


OU  de  se  porter  par  Villach  .sur  Lilienf^'Id  el  Saint- 
Poltcn,  alin  de  coopérer  à  la  jonction  tant  projetée 
des  arcliiducs,  on,  s'il  n'en  était  plus  temps,  de 
rallier  à  lui  les  généraux  Chasteler  et  Jellachich  par 
Léoben,  de  se  diriger  avec  eux  de  Léoben  sur  Griitz, 
pour  se  réunir  en  Hongrie  à  la  grande  armée  au- 
trichienne, et  concourir  à  la  défense  de  la  monai- 
chie,  suivant  des  vues  qu'il  devait  concerter  avec 
le  généralissime.  Mais  il  était  ^ivement  poursuivi 
par  le  prince  Eugène  victorieux,  et  il  allait  rencon- 
trer le  réseau  de  cavalerie  tendu  par  Napoléon  de 
Bruck  à  Presbourii. 

La  marche  de  l'archiduc  Jean  commandait  en 
quelque  sorte  celle  du  prince  Eugène.  Celui-ci  était 
obligé  de  veiller  à  la  fois  sur  les  mouvements  de 
l'archiduc  Jean  et  sur  ceux  du  ban  de  Croatie, 
pour  que  le  premier  se  joignît  le  plus  tard  possible 
et  avec  le  moins  de  forces  à  l'archiduc  Charles, 
pour  que  le  second  n'empêchât  pas  la  jonction  du 
général  IMarmont  avec  l'armée  française  d'Italie.  Il 
était  difficile  de  pourvoir  aux  diverses  exigences 
de  cette  situation,  si  on  continuait  de  marcher  en 
une  seule  masse ,  car,  quelque  vite  et  bien  qu'on 
manœuvrât,  il  se  pouvait  que,  si  l'on  se  dirigeait 
immédiatement  sur  Vienne  pour  renforcer  Napo- 
léon, l'archiduc  Jean  et  Giulay  réunis  accablassent 
le  général  3Iarmont,  et  que  si,  au  contraire,  on 
faisait  un  détour  vers  Laybach  pour  appuyer  le  gé- 
néral Marmont,  l'archiduc  Jean  libre  de  courir  sur 
Presbourg,  vhit  jeter  dans  la  balance  le  poids  dé- 
cisif de  l'armée  autrichienne  dltalie.  Dans  ce 
doute,  le  prince  Eugène  prit  un  parti  moyen  qui 


Afai  180'J. 


Le  prince 

Eugène  , 

imitant 

l'archiduc 

Jean,sedivise 

en 

deux  massos  , 

l'une 

marchant 

par  Laybach , 

l'autre  par 

Klaaenfurtli. 


Mni  1800. 


•282  LIVUK  XXXV. 

coiuciiail  assez  aux  cirronstances.  Il  donna  au  i;é- 
néral  Macdonald  1")  on  1(5  mille  hommes  de  trou- 
pes excellentes,  (jui  dcN aient  suivre  la  roule  de 
Laybach,  déhkxiucr  Palma-Xova,  occuper  ïrieste, 
rallier  le  général  Marmont,  former  avec  celui-ci 
26  à  27  mille  hommes,  et  avec  cette  force  très-res- 
pectable rejoindre  par  Gnitz  Tarmée  d'Italie  sur  la 
route  de  Vienne.  Quant  à  lui,  il  s'en  réserva  30  à 
32  mille ,  et  prit  la  route  qui  devait  le  conduire  le 
plus  directement  vers  Napoléon.  Ce  plan  olVrait  néan- 
moins des  inconvénients,  car  l'archiduc  Jean,  s'il 
eût  été  un  vrai  général,  aurait  pu,  en  manœuvrant 
entre  ces  divers  corps,  les  battre  les  uns  après  les 
autres.  Mais  ce  prince  spirituel  concevait  à  la  guerre 
une  foule  d'idées,  et  n'en  suivait  aucune  résolu- 
ment. De  plus,  il  avait  des  troupes  démoralisées, 
et  peu  capables  de  ces  mouvements  rapides,  qui 
supposent  de  la  part  des  soldats  autant  de  confiance 
dans  le  général,  que  de  dévouement  à  ses  des- 
seins. Le  plan  du  prince  Eugène  ne  présentait  donc 
pas  les  inconvénients  qu'il  aurait  pu  avoir  en  face 
'un  autre  advereaire.  Ces  deux  portions  de  l'ar- 
mée d  Italie  se  séparèrent  le  1  4  mai ,  pour  ne  plus 
se  revoir  que  dans  les  plaines  de  Wagram. 
Marche  Daus  cc  momcut,  le  général  Marmont,  avec  10 

MamTonipôur  OU  1 1  mille  hommcs  de  vieilles  troupes,  envoyées 
"^îîrmù/  ^^  Illyrie  après  Austerlitz,  traversait  les  pays  mon- 
d Italie.  tueux  de  la  Croatie,  pour  se  rendre  par  la  Car- 
niole  dans  la  Styrie,  et  rejoindre  la  grande  armée 
d'Allemagne.  Il  conduisait  entre  ses  colonnes  un 
convoi  de  vivres  porté  sur  des  chevaux  du  pays, 
qui  devaient  se  charger  de  ses  malades  et  de  ses 


Mai  1809. 


le  Tyrol. 


WAGRAM.  2S3 

blessés,  quand  ils  se  seraient  décharc;és  des  grains 
consommés  par  l'armée.  Après  avoir  dispersé  les 
bandes  du  général  Stoïchevicli ,  ii  s'avançait  pru- 
demment à  travers  une  sorte  d'obscurité,  ne  sa- 
chant quelle  rencontre  il  allait  faire  entre  les  armées 
françaises  et  autrichiennes,  qui  pouvaient  les  unes 
et  les  autres  s'olfrir  à  lui  à  l'improviste,  en  amies 
ou  ennemies,  et  en  nombre  bien  supérieur.  Il  se 
comportait  dans  cette  marche  difïicile  avec  sagesse 
et  fermeté,  cherchant  à  avoir  des  nouvelles  du  gé- 
néral Macdonald ,  qui  de  son  côté  cherchait  à  avoir 
des  siennes,  sans  qu'ils  parA  inssent  ni  l'un  ni  l'autre 
à  s'en  procurer. 

Ces  événements  survenus  en  Italie  en  aA  aient  Événements 
amené  de  semblables  dans  le  Tyrol.  Le  général  i^t^.!, 
Chasteler,  attiré  du  Tyrol  italien  dans  le  Tyrol  alle- 
mand par  le  danger  des  Autrichiens  sur  le  Danube , 
avait  couru  à  Inspruck,  et  d'Inspruck  à  Kufstein. 
Il  avait  poussé  quelques  avant-postes  sur  la  route 
de  Salzbourg  par  Lofen  et  Reichenthal.  Un  autre 
corps  autrichien,  celui  du  général  Jellachich,  qu'on 
a  vu  au  début  de  la  campagne  marcher  latérale- 
ment au  corps  de  Hiller,  avait  suivi,  en  se  retirant 
comme  en  avançant,  la  route  qui  longe  le  pied 
des  montagnes.  Il  s'était  replié  sur  Salzbourg,  de 
Salzbourg  sur  Léoben ,  après  avoir  défendu  contre 
la  division  de  Wrède  les  postes  de  Luegpass  et 
d'Obtenau.  Les  troupes  réunies  de  Jellachich  et  de 
Chasteler  s'élevaient  de  1  6  à  1 7  mille  hommes  sans 
les  Tyroliens,  et,  bien  commandées,  résolues  à 
s'enfermer  dans  les  montagnes,  elles  auraient  pu 
créer  sur  notre  droite  et  sur  nos  derrières  une  fâ- 


M:ii  ISO. 


i<i  I.IVKI-;    \\\V. 

(lieuse  (li\  (M>ii)ii.  .Miiis  elles  a\aieiil  n;eu  j)ULir  iii- 
slruclioii  tlo  se  joindre  aux  masses  agissantes; 
elles  étaient  di\isées  en  plusieurs  corps  indéi)en- 
dants  les  uns  des  autres,  s'entendaient  mal  avee 
les  Tyroliens,  et  ne  pouvaient  pas  dès  lors  se  ren- 
dre fort  redoutables.  Le  maréchal  T.efebvre,  après 
avoir  refoulé  dans  la  vallée  de  l'Ens  supérieur  'voir 
la  carte  n"  31  }  le  corps  de  Jellachich ,  en  lui  op- 
posant la  division  de  Wrède,  ramena  cette  division 
à  lui,  revint  sur  le  fort  de  Kufstein  qui  était  bien 
défendu  par  une  garnison  bavaroise,  le  débloqua, 
et,  faisant  remonter  de  Rosenheim  sur  Kufstein  la 
division  Deroy,  s'enfonça  avec  ces  deux  di\  isions 
dans  le  Tyrol  allemand,  qu'il  avait  mission  de  sou- 
mettre, ('e  vieil  olïicier,  peu  capable  de  conduire 
une  grande  opération,  était  excellent  pour  livrer 
avec  vigueur  et  intelligence  une  suite  de  petits 
combats.  Il  repoussa  partout  les  avant-postes  au- 
trichiens, et  enfin  le  13  mai,  rencontra  le  général 
Cliasteler  dans  la  position  de  Worgel.  Celui-ci  s'était 
retranché  sur  des  hauteurs,  avant  derrière  des  ou- 
vrages  les  troupes  autrichiennes,  et  au  loin  sur  ses 
ailes  les  Tyroliens  insurgés,  qui  tiraillaient  a\ec  une 
grande  justesse,  et  roulaient  d'énormes  rochers.  Le 
vieux  Lefebvre,  après  avoir  essayé  vers  ses  deux 
ailes  d'un  combat  de  tirailleurs  désavantageux  pour 
ses  troupes,  aborda  de  front  l'ennemi,  enleva  sous 
un  feu  terrible  les  positions  de  Cliasteler,  prit  environ 
trois  mille  hommes,  dispersa  la  nuée  des  insurgés, 
et  mit  les  Autrichiens  dans  une  déroute  complète. 
Puis  brûlant  quelques  villages  tyroliens,  sur  son 
j)assage,  il  se  porta  sous  Inspruck,  qu'on  offrit  de 


Mai  IS09. 


WAfiHAM.  iK) 

lui  livrer  moyennant  certaines  conditions,  li  \ydi\  inl 
à  y  entrer  sans  rien  accorder,  grâce  au  désaccord 
des  Tyroliens,  qui  voulaient,  les  uns  se  rendre,  les 
autres  résister  à  outrance.  Maître  dTnspruck,  il  pou- 
vait se  croire  assuré  de  lasoumission  du  Tvrol,  Mais 
Taubergiste  Hofer  et  le  major  Teimer  se  retirèrent 
vers  les  cimes  inaccessibles  qui  séparent  le  Tyrol 
allemand  du  Tyrol  italien,  prêts  à  en  descendre  de 
nouveau  si  l'occasion  redevenait  favorable.  Le  gé- 
néral Chasleler  avec  sa  troupe  fort  réduite,  le  gé- 
néral Jellachich  avec  la  sienne,  fort  réduite  aussi, 
se  mirent  en  marcIie  pour  se  retirer  fuilivement 
vers  la  Hongrie,  en  coupant  transversalement  la 
route  qui  mène  du  Frioul  à  Vienne,  exposés  à  veii- 
contrer  dans  ce  périlleux  trajet  ou  la  tète  ou  la 
queue  de  l'armée  du  prince  Eugène. 

Ainsi,  après  un  premier  revers  en  Italie  cl  une 
vive  commotion  en  Tyrol ,  tout  réussissait  au  gre 
(Ju  conquérant,  dont  la  fortune,  un  moment  ébran- 
lée, se  relevait  par  la  puissance  de  son  génie. 
T.a  situation  ne  s'était  pas  moins  améliorée  en  Polo- 
gne. Le  prince  Joseph  Poniatowski  venait  de  te-  livéncmcnts 
nir  dans  ces  contrées  une  conduite  aussi  habile 
qu'heureuse.  Ayant  livré  avec  Varsovie  la  ri\  e  gau- 
che de  la  Vistule  aux  Autrichiens,  il  s'était  prom.is 
de  leur  faire  expier  cet  avantage  dès  ({uils  vou- 
draient passer  sur  la  rive  droite,  dont  il  s'était  ré- 
servé la  possession.  Quelques  corps  autrichiens 
ayant  en  effet  voulu  franchir  la  Vistule,  il  les  aAait 
surpris  et  détruits.  Puis,  tandis  que  l'archiduc  Fer- 
dinand, pressé  de  recueillir  des  triomphes  faciles, 
continuait  à  descendre  la  gauche  de  la  Vistule,  de 


en 
Pologne. 


Mai  1800. 


286  I.IVIii:    \\\V. 

Varsovie  à  Thorn,  et  sommait  inutilement  cette 
dernière  place,  le  prince  Poniatowski  remontait  la 
droite  du  lk■u^e,  se  portait  sur  Cracovie  pour  con- 
quérir cette  vieille  métropole  de  la  nationalité  po- 
lonaise, et  venait  lever  en  Gallicie  l'étendard  de 
l'insurrection.  Là  aussi  les  cœurs  battaient  secrè- 
tement pour  l'indépendance  de  la  Pologne,  et  une 
vive  émotion  avait  éclaté  à  l'aspect  du  héros  po- 
lonais. Si  les  Russes,  plus  zélés  ou  plus  expéditifs, 
avaient  secondé  le  brave  Poniatowski,  en  traver- 
sant la  Yistule  à  Sandomir  ou  à  Cracovie,  ils  au- 
raient coupé  la  retraite  à  larcliiduc  Ferdinand,  et 
celui-ci  n'eût  jamais  repassé  la  frontière,  qu'il  avait 
si  témérairement  franchie. 
Satisfait  Xcls  étaient  en  Italie,  en  Autriche,  en  Polo£:ne, 

de  la  marche  "^ 

des  choses,    Ics  événements  jusqu'au  i  3  ou  1 8  mai.  L'occupation 

songeTpaTser  ^^  Vienne,  à  la  suite  des  foudroyantes  opérations 

le  Danube,    j^  Ratisboune,  avait  rendu  à  la  fortune  de  Napoléon 

pour  terminer  '  i 

la  guerre  par  (out  SOU  asccudant.  L'Allemagne,  quoique  en  se-. 

une  bataille 

décisive,  crct  frémissaute,  se  contenait  mieux  qu  au  début 
de  la  guerre  :  le  major  Schill,  obligé  d'abandonner 
le  haut  Elbe  et  de  se  réfugier  vers  le  littoral  de  la 
Baltique,  trouvait  partout  des  cœurs  amis,  mais 
nulle  part  des  bras  prêts  à  le  seconder  :  la  Prusse, 
intimidée  par  les  nouvelles  du  Danube,  d'abord 
niées,  puis  admises,  faisait  courir  après  le  major 
Scliill,  et  adressait  au  cabinet  français  des  protes- 
tations d'amitié  et  de  dévouement.  Napoléon  ayant 
bien  assuré  son  établissement  à  Vienne,  habilement 
jalonné  sa  route  par  la  présence  des  Allemands  des 
petits  princes  à  Ralisbonne,  des  Saxons  à  Passau, 
des  Wurtembergeois  à  Lintz ,  du  corps  de  Davout 


WAGRAM.  287 

à  Saint-Polten ,  voulait  en  fiiiii-  en  passant  le  Da-  

nube  pour  se  jeter  sur  1  archiduc  Cliarles,  qui  était 
venu  se  placer  en  face  de  lui  avec  sa  principale 
armée.  Pouvant  s'adjoindre  le  maréclial  Davout , 
et  se  procurer  ainsi  90  mille  comhatlanls,  il  avait 
le  moyen  de  terminer  la  guerre,  sans  attendre  ni 
le  prince  Eugène,  ni  le  général  Macdonald,  ni  le 
général  Marmont.  L'archiduc  Charles  renforcé  de 
quelques  bataillons  recueillis  à  travers  la  Bohême , 
des  restes  du  général  Hiller  et  de  l'archiduc  Louis, 
ne  pouvait  pas  lui  opposer  plus  de  1 00  mille  hom- 
mes. Il  n'y  avait  pas  là  de  quoi  l'intimider.  Franchir 
le  Danube  devant  cette  armée  était  donc  toujours 
la  difiiculté  à  vaincre  pour  terminer  la  guerre. 

Mais  comment  franchir  un  tel  fleuve,  en  pareille 
saison,  avec  de  si  grandes  masses,  et  contre  d'au- 
tres masses  non  moins  considérables?  C'est  sur  quoi 
Napoléon  méditait  sans  cesse.  D'abord  fallait-il  pas- 
ser sous  Vienne?  Cette  première  question  était  ré-  Raisons 
solue  dans  son  esprit.  (Voir  la  carte  n"  32.)  Revenir  j^f  oJ^ube' à 
en  arrière,  à  Krems  par  exemple,  pour  dérober  à  vienneméme, 

ni  au-dessus. 

l'ennemi  l'opération  du  passage,  était  impossible,  ni  au-dessous 
car  Vienne,  frémissante  et  dévouée  à  la  maison  im-  cette  capitale. 
périale,  eût  appelé  à  l'instant  l'archiduc  Charles, 
à  moins  d'être  contenue  par  une  force  qui  aurait 
manqué  le  jour  de  la  bataille  décisive.  Napo- 
léon eût  donc  couru  la  chance  de  perdre  à  la  fois 
la  capitale,  les  ressources  qu'elle  contenait,  ses 
moyens  de  communication  avec  le  prince  Eugène, 
et  l'ascendant  moral  des  armes.  Descendre  plus  bas 
était  moins  praticable  encore,  car  au  danger  de  s'ab- 
senter de  Vienne  s'en  serait  joint  un  plus  grave, 


288  I.IVRi:    \\\V. 

celui  d'allonger  sa  limic  (roix'ralion,  de  se  créer 

Mai  l«Oît.  "  '.  '  . 

par  conséquent  un  poiiil  de  plus  a  garder,  et  de  se 

priver  de  2.'i  ii  ){()  mille  hommes,  indispensal)les 
pour  li\rer  hataille.  Vienne  était  doue  le  point  forcé 
du  passage.  Les  deux  adversaires  y  étaient  attachés, 
Napoléon  par  les  raisons  que  nous  venons  de  dire, 
larchiduc  Charles  par  la  présence  de  Napoléon. 

Mais  on  pouvait  passer  une  lieue  au-dessus,  ou 
une  lieue  au-dessous,  sans  manquer  aux  graves 
considérations  qui  précèdent.  Les  officiers  du  gé- 
nie avaient  reconnu  le  Danube  depuis  Klosterneu- 
bonrg,  point  où  ce  fleuve  sort  des  montagnes  pour 
s'épancher  dans  la  magnifique  plaine  de  Vienne, 
jusqu'aux  en\  irons  de  Presbourg.  (Voir  les  cartes 
n"'  32  et  48.)  Ils  avaient  constaté  une  grande  diver- 
sité dans  les  difficultés  du  passage.  Devant  Vienne 
et  un  peu  au-dessous  le  Danube  s'étendait,  se  di- 
visait en  une  multitude  de  bras,  devenait  dès  lors 
plus  large,  mais  moins  rapide  et  moins  profond. 
Plus  bas  qu'Ébersdorf,  en  approchant  de  Pres- 
bourg, il  s'encaissait  de  nouveau  ,  devenait  moins 
large ,  moins  coupé ,  mais  plus  profond  et  plus  ra- 
pide, et  bordé  de  rives  escarpées,  ce  qui  était  un 
sérieux  inconvénient  pour  l'établissement  des  ponts. 
Kaisons  Napoléon  choisit  pour  son  opération  la  partie  du 

iiui  décident  *  i  i  i 

Napoléonpour  Dauubc  la  plus  voisiue  de  Vienne,  aimant  mieux 

le  passage  ,  i       n  i  •  i  i-        i 

à  travers iiie  rencoutrcr  le  tleuve  large  que  rapide  et  profond, 
de  Lobau.  ^^^  surtout  le  rcncontcr  partagé  en  plusieurs  bras  et 
semé  d'îles,  car  il  trou\ait  ainsi  la  difficulté  amoin- 
drie ,  comme  il  arri\e  d'un  fardeau  qu'on  rend  ma- 
niable en  le  divisant.  Napoléon  songea  particuliè- 
rement à  se  servir  des  îles  qui  forment  la  séparation 


WAGRAM.  2Sj9 

des  bras,  pour  s'aider  à  passer.  Si,  par  exemple, 
il  s'en  présentait  une  assez  considérable  pour  con- 
tenir une  nombreuse  armée,  dans  laquelle  on  pour- 
rait descendre  en  sûreté  à  l'abri  des  regards  et 
des  boulets  des  Autrichiens,  et  après  laquelle  il  n'y 
aurait  plus  qu'un  faible  bras  à  traverser  pour  dé- 
boucher devant  l'ennemi,  la  dilliculté  du  passage 
devait  en  être  fort  diminuée.  Falliit-il  [)our  y  abor- 
der franchir  la  plus  forte  masse  des  eaux  du  Da- 
nube, ce  qui  était  inévitable,  si  on  voulait  n'avoir 
plus  qu'un  faible  bras  à  passer  devant  l'ennemi,  il 
valait  la  peine  de  le  tenter,  puisque  la  partie  la 
plus  périlleuse  de  l'opération  s'exécuterait  sous  la 
protection  de  cette  île,  de  ses  bois  et  de  sa  profon- 
deur. Il  y  en  avait  deux  dans  ces  conditions,  celle 
de  Schwarze-Laken,  vis-à-vis  de  Nussdorf,  au- 
dessus  de  Vienne,  et  celle  de  Lobau,  à  deux  lieues 
au-dessous,  vis-à-vis  d'Enzersdorf.  (Voir  la  carte 
n°  48.)  Napoléon  jeta  les  yeux  sur  l'une  et  l'autre, 
et  voulut  doubler  ses  chances,  en  essayant  de  se 
servir  de  toutes  les  deux.  Mais  la  tentative  faite  sur 
la  première,  plutôt  à  titre  de  démonstration  que 
d'entreprise  sérieuse,  échoua,  parce  qu'elle  fut  exé- 
cutée avec  trop  peu  de  moyens  et  trop  peu  de  vi- 
gilance. Le  général  Saint-Hilaire  y  envoya  oOO 
hommes  et  un  chef  de  bataillon,  sans  avoir  pris 
garde  à  une  jetée  qui  liait  cette  île  de  Schwarze- 
Laken  avec  la  rive  gauche  qu'occupaient  les  Autri- 
chiens. Nos  300  hommes,  transportés  à  l'aide  de 
barques,  et  se  croyant  couverts  par  le  petit  bras 
qui  restait  à  traverser,  tinrent  bon  contre  la  fusil- 
lade et  la  canonnade,  mais  furent  bientôt  assaillis 

TOM.  X.  '•S 


Mai  If) OU. 


LIVRE  XXXV. 
inopiiK'inont   par   plusieurs  hataillons  nui  avaient 

Mai  4800.  '   .  ,...*. 

passe  sur  la  petite  jetée.  Apres  une  résistance  hé- 
roïque, ne  pouvant  repasser  le  grand  bras,  ils  fu- 
rent tués  ou  pris.  Il  y  avait  à  cet  érliec  une  com- 
pensation, c'était  daltirer  l'attention  de  l'ennemi 
sur  le  point  de  Nussdorf,  et  de  l'éloiiîner  de  l'île 
de  Lobau,  par  laquelle  Napoléon  était  résolu  de 
faire  sa  principale  tentative  de  passage. 
Description        L'ilc  dc  Lobau  dont  il  s'agit,  île  à  jamais  ce- 

de  1  îIg  • 

de  Lobau.  lèbrc  par  les  événements  prodigieux  dont  elle  de- 
vint le  théâtre ,  était  on  ne  peut  pas  plus  heureu- 
sement conformée  pour  les  projets  de  Napoléon. 
(Voir  les  cartes  n"'  48  et  49.)  Elle  était  en  partie 
boisée,  et  présentait  dans  sa  longueur  un  rideau 
contiuu  de  beaux  arbres  entre  l'ennemi  et  nous. 
Elle  était  fort  vaste,  car  elle  avait  une  lieue  de 
longueur  et  une  lieue  et  demie  de  largeur,  d'où  il 
résultait  que,  même  en  se  trouvant  dans  le  milieu, 
on  était  garanti  des  boulets  autrichiens.  Une  fois 
arrivé  dans  l'île  de  Lobau,  on  n'avait  plus  à  fran- 
chir qu'un  bras  de  GO  toises,  difficulté  grande  en- 
core ,  qui  ne  dépassait  pas  toutefois  les  propor- 
tions ordinaires.  Mais  il  fallait  se  transporter  dans 
cette  île  avec  une  nombreuse  armée,  et  pour  cela 
traverser  le  grand  Danube,  composé  de  deux  bras 
immenses,  l'un  de  240  toises,  l'autre  de  120,  sé- 
parés par  un  banc  de  sable.  Un  pont  à  jeter  sur 
une  telle  masse  d'eau  courante  était  une  opération 
des  plus  difficiles;  mais  comme  on  devait  l'entre- 
prendre à  limproviste ,  avant  que  les  Autrichiens 
pussent  s'en  apercevoir,  en  faisant  avec  des  bar- 
ques une  brusque  invasion  dans  l'île  de  Lobau, 


•WAGRAM.  $91 

l'établissement  de  ce  pont  devenait  praticable,  puis- 
qu'il ne  devait  pas  avoir  lieu  devant  rennemi.  Il  ne 
s'agissait  de  construire  de\  ant  l'ennemi  que  le  der- 
nier pont,  sur  le  bras  de  60  toises,  qui  séparait  la 
Lobau  de  la  rive  gauche.  L'opération  ainsi  divisée 
avait  chance  de  réussir.  Il  restait  une  seule  diOiculté 
vraiment  grave ,  celle  de  la  réunion  des  matériaux. 
Il  fallait  en  effet  soixante-dix  à  quatre-vingts  ba- 
teaux de  forte  dimension,  plusieurs  milliers  de  ma- 
driers, et  surtout  de  puissantes  amarres,  pour  re- 
tenir le  pont  contre  un  courant  extrêmement  rapide. 
Or  les  Autrichiens  auxquels  il  était  facile  de  prévoir 
que  le  passage  du  Danube  serait  l'opération  im- 
portante de  la  guerre ,  n'avaient  en  quittant  Vienne 
montré  de  la  prévoyance  que  relativement  à  cet 
objet.  Ils  avaient  brûlé  ou  coulé  à  fond  la  plupart 
des  gros  bateaux,  et  fait  descendre  sur  Presbourg 
ceux  qu'ils  n'avaient  pas  détruits.  Les  bois  abon- 
daient, mais  les  gros  cordages  étaient  rares.  En  un 
mot,  on  manquait  presque  absolument  des  moyens 
de  s'amarrer.  Les  ponts  qui  existaient  auparavant 
devant   Vienne,  étaient  des   ponts   de   pilotis,  et 
n'avaient  par  conséquent  jamais  exigé  d'amarres, 
comme  les  ponts  de  bateaux.  Il  eut  fallu  ou  plan- 
ter des  pilotis  pour  y  attacher  les  bateaux,  ce  qui 
aurait  été  long,  et  ce  que  l'ennemi  aurait  aperçu, 
ou  se  procurer  de  fortes  ancres.  Or  sur  cette  partie 
du  Danube  les  fortes  ancres  n'étaient  pas  à  l'usage 
de  la  navigation ,  et  on  ne  pouvait  en  obtenir  que 
très-difficilement.  Ce  n'était  qu'à  Presbourg  ou  Ko- 
morn  qu'on  en  aurait  trouvé  un  noml^re  suffisant. 
Néanmoins  Napoléon  s'eflbrça  de  suppléer  par  di- 

19. 


Mai  1800. 


Mai  <KO'J. 


lui 
manquent. 


292  I.IVRK   XX  \V. 

vers  moyens  au  matériel  (jui  lui  nuuKiuail,  et  fut 
foit  aidé  dans  ses  elVorts  par  les  généraux  Bertrand 
et  Pernetli,  lun  du  génie,  l'autre  de  l'artillerie. 
Efforts  Quant  aux  bateaux,  on  en  découvrit  quelques- 

de  Napoléon  i  i-  •      i  i    •       »    i 

pour suppioer  uus  daus  Vienne,  car  ceux  qui  descendaient  le 
.ic^ssagequi  l^ii^ubc  cn  couvois  étaient  en  général  d'un  échan- 
tillon qui  ne  convenait  pas,  ou  bien  avaient  été 
retenus  pour  les  ponts  de  Passau,  de  Lintz  et  de 
Krems.  On  en  retira  un  certain  nombre  de  dessous 
l'eau,  qu'on  eut  soin  de  relever  et  de  réparer.  On 
s'en  procura  de  cette  manière  environ  quatre-vingt- 
dix,  les  uns  destinés  à  porter  le  pont,  les  autres  à 
conduire  les  matériaux  jusqu'au  lieu  où  ils  devaient 
être  employés.  A  force  de  recherches  dans  cette 
grande  ville,  on  découvrit  des  cordages,  car  la  na- 
vigation d'un  fleuve  comme  le  Danube  devait  tou- 
jours en  exiger  un  approvisionnement  assez  consi- 
dérable. On  se  procura  des  madriers  par  le  sciage 
des  bois,  dont  la  contrée  abondait,  Enûn  quant  aux 
ancres  on  aurait  pu  en  faire  fabriquer  dans  les  for- 
ges de  Styrie,  non  loin  de  Vienne;  mais  cette  fa- 
brication eût  entraîné  une  assez  grande  perte  de 
Raisons      temps,  et  Napoléon  crovant  avoir  sous  la  main  les 

qui  décident  ,  .  "  n         i  •  i  /-n        i 

Napoléon  lorces  ncccssaires  pour  battre  1  archiduc  Charles, 
"le'^passàge'^  voulait  en  finir  aussi  vite  que  la  prudence  le  per- 
du  Danube,  mettrait.  En  conséquence  il  imagina  de  suppléer 
aux  ancres  en  jetant  dans  le  fleuve  des  poids  très- 
lourds  ,  comme  des  canons  de  gros  calibre  trouvés 
dans  l'Arsenal  de  Vienne ,  ou  bien  des  caisses  rem- 
plies de  boulets.  Si  le  fleuve  ne  venait  pas  à  croître 
subitement,  ainsi  qu'il  arrive  quand  les  chaleurs 
sont  précoces,  ce  moyen  pouvait  suffire.  On  s'y  fia, 


WAGRAM. 


293 


Mai  180'.) 


et  on  disposa  à  l'avance  les  poids  qui  devaient  rem- 
placer les  ancres  pour  n'avoir  plus  au  dernier  mo- 
ment que  la  peine  de  les  jeter  dans  le  fleuve. 

Tout  étant  prêt  vers  les  1 6  et  1 7  mai  à  Vienne ,  on  concentration 
fit  descendre  les  matériaux  à  la  hauteur  de  l'île  ^unçaises 
de  Lobau  vis-à-vis  d'Ébersdorf.  (Voir  les  cartes  sur\ienne. 
48  et  49.;  En  même  temps  les  ordres  de  concen- 
tration furent  donnés  aux  troupes  qui  allaient  com- 
battre au  delà  du  Danube.  Toute  la  cavalerie,  sauf 
une  division  de  chasseurs  laissée  en  observation  sur 
la  frontière  de  Hongrie ,  fut  ramenée  de  Presbourg 
et  d'OEdenbourg  sur  Vienne.  Dans  le  nombre  des 
régiments  rappelés  se  trouvaient  les  quatorze  régi- 
ments de  cuirassiers.  Le  maréchal  Davout,  qui  de- 
vait d'abord  venir  avec  son  corps  tout  entier  sur 
Vienne,  reçut  ordre  d'y  conduire  deux  divisions 
seulement ,  celles  de  Friant  et  Gudin ,  et  de  répartir 
la  division  Morand  entre  Molk,  Mautern  et  Saint- 
Polten,  pour  s'opposer  aux  tentatives  du  corps  de 
Kollovrath  que  l'archiduc  Charles  avait  placé  à 
Lintz.  Avec  les  corps  de  Lannes  et  de  Masséna, 
avec  la  garde ,  la  réserve  de  cavalerie ,  et  les  deux 
tiers  du  corps  du  maréchal  Davout,  Napoléon  pou- 
vait mettre  environ  80  mille  hommes  en  ligne  con- 
tre les  Autrichiens,  et  c'était  assez,  car  l'archiduc 
Charles  était  hors  d'état  d'en  réunir  plus  de  90 
mille. 

Le  matériel  de  passage  et  les  troupes  destinées 
à  combattre  furent  amenés  du  1 8  au  1 9  mai  vers 
la  petite  ville  d'Ébersdorf.  Le  corps  de  Masséna 
avait  été  acheminé  le  premier  sur  ce  point,  et  no- 
tamment la  meilleure  de  ses  divisions ,  celle  de  Mo- 


Cornmence- 

raent 
du  passage 
le  18  mai 
au  mntin. 


Mai  4809. 


294  I  IVUF   XXXY. 

litor.  Dès  \c  IS  ropcralion  coniiiienra  sons  les  veux 
de  Napoléon,  (jiii  avait  (jiiilté  Schœnhrunn  pour 
étal)lir  son  (|iiartier  iiénéral  à  Ébersdorf.  La  divi- 
sion Molitor  fut  placée  dans  des  barques,  et  trans- 
portée successivement  à  travers  les  deux  grancls 
bras  tlu  l)anul)C  dans  l'Ile  de  Lobau.  (Voir  la  carte 
n"  49.  ;  Ouekiues  avant-postes  autrichiens  en  oc- 
cupaient la  partie  qui  fait  face  à  Ébersdorf.  Le 
général  ^lolitor  les  refoula,  et  ne  dépassa  point  le 
milieu  de  l'île,  afin  de  ne  pas  donner  à  l'ennemi 
l'idée  d'une  entreprise  sérieuse.  Il  se  contenta  de 
disposer  ses  troupes  derrière  un  petit  canal,  large 
à  peine  de  douze  à  quinze  toises,  facile  à  passer  à 
gué ,  et  qui  ne  coule  à  travers  l'ile  de  Lobau  que 
dans  le  cas  de  très-hautes  eaux.  Pendant  qu'il  opé- 
rait ainsi,  le  général  d'artillerie  Pernetti  travaillait 
à  l'établissement  du  grand  pont.  On  y  employa  près 
de  soixante-dix  bateaux  de  fort  échantillon,  pour 
franchir  les  deux  grands  bras,  qui,  sur  ce  point, 
Construction    fcjrmcut  la  prcsquc  totalité  du  fleuve.  Il  fallut  s'y 

du  grand  pont  ^ 

sur  le  bras  prendre  à  plusieurs  fois  pour  amarrer  les  bateaux 
dv^Danube.  ^uc  Ic  couraut  entraînait  sans  cesse.  Malheureu- 
sement ce  courant  devenait  à  chaque  instant  plus 
rapide,  par  suite  d'une  crue  dont  les  progrès 
étaient  menaçants.  Entin  à  force  de  plonger,  à 
défaut  d'ancres,  d'énormes  poids  dans  le  fleuve, 
on  finit  par  fixer  les  bateaux,  et  on  put  établir  avec 
des  madriers  le  tablier  du  pont.  Toute  la  journée 
du  1 9  et  la  moitié  de  celle  du  20  furent  employées 
à  terminer  ce  vaste  ou\Tage.  Ceci  fait,  le  passage 
dans  l'île  de  Lobau  était  assuré,  à  moins  d'acci- 
dents extraordinaires.  On  se  hâta  de  jeter  un  pont 


Mai  1809. 


WAGRAM.  295 

de  chevalets  sur  le  petit  canal  de  douze  ou  quinze 
toises  qui  traverse  par  le  milieu  la  i^rande  île  de 
Lobau,  et  qui,  bien  qu'il  fiit  habituellement  à  sec, 
se  remplissait  déjà  sous  l'influence  de  la  crue  des 
eaux.  La  division  Boudet,  l'une  des  quatre  de  Mas- 
séna ,  passa  sur-le-champ ,  et  alla  rejoindre  celle 
de  Molitor.  Puis  vinrent  la  division  de  cavalerie 
légère  de  Lasalle,  et  plusieurs  trains  d'artillerie. 
C'était  assez  pour  balayer  l'île  de  Lobau,  ce  que  le 
général  Molitor  exécuta  promptement.  Il  ramassa 
quelques  prisonniers.  On  traversa  l'île  dans  toute  Établissement 
sa  largeur,  et  on  arriva  au  dernier  bras,  qui  avait  ^"o^t'^^s^u"'^ 
GO  toises,  à  peu  près  comme  la  Seine  sous  Paris    le  petit  bras 

'^  *  ^  du  Danube. 

en  temps  ordinaire.  Ce  n'était  plus  des  lors  qu'une 
opération  praticable,  même  en  face  de  l'ennemi,  si 
toutefois  il  ne  se  jetait  pas  en  masse  sur  les  troupes 
qui  l'exécuteraient.  Mais  évidemment  l'archiduc 
Charles  n'était  pas  encore  prévenu,  et  jusqu'ici  on 
n'avait  affaire  qu'à  une  avant-garde.  Le  général 
Molitor  avait  trouvé  un  point  des  plus  favorables  au 
passage,  et  le  signala  à  l'Empereur,  qui  en  approuva 
complètement  le  choix  :  c'était  un  rentrant  que  for- 
mait vers  nous  le  bras  à  traverser  (voir  la  carte 
n"  49),  de  manière  qu'en  plaçant  de  l'artillerie  à 
droite  et  à  gauche,  on  pouvait  couvrir  de  tant  de 
mitraille  le  terrain  sur  lequel  on  devait  descendre, 
que  l'ennemi  serait  dans  l'impossibilité  d'y  rester. 
C'est  ce  qui  fut  fait  sur-le-champ,  et  ce  qui  d'ailleurs 
n'était  pas  même  nécessaire,  car  il  n'y  avait  sur  le 
rentrant,  dont  on  allait  se  servir  pour  déboucher, 
que  quelques  tirailleurs.  Le  lieutenant-colonel  Au- 
bry,  appartenant  à  l'artillerie,  fut  chargé  d'entre- 


Mai  ISO;». 


296  LlVni-    XXXV 

prendre  dans  celle  après-midi  du  20  rétabiissemenl 
du  dernier  pont.  Pour  celui-ci  on  avait  réservé 
l'équipage  de  pontons  pris  à  Landshut,  et  transporté 
sur  des  lia(piets.  Un  aide  de  camp  du  maréchal 
Masséna,  M.  de  Sainto-Croix,  un  aide  de  camp  du 
maréchal  Bessières,M.  Baudru,  se  jetèrent  dans  des 
hanpies  avec  deux  cents  voltii2;eurs,  refoulèrent  les 
tirailleurs  autrichiens,  et  attachèrent  le  câble  sur 
lequel  le  pont  devait  s'appuyer.  Quinze  pontons  suf- 
firent, la  largeur  de  l'eau  n'étant  sur  ce  point  que 
de  54  toises;  et  en  trois  heures  la  communication 
fut  établie.  Immédiatement  après  le  général  Lasallc 
passa  sur  la  rive  gauche  avec  quatre  régiments  de 
cavalerie,  et  il  fut  suivi  par  les  voltigeurs  des  divi- 
sions Molitor  et  Boudel.  Le  pont  franchi,  on  trouvait 
un  petit  bois  qui  s'étendait  de  gauche  à  droite,  cl 
venait  aboutir  aux  deux  côtés  du  rentrant  formé 
par  le  fleuve.  On  fouilla  ce  bois,  et  on  en  chassa 

Description    quclqucs  détacliemcnts  autrichiens  qui  l'occupaient. 

de  bataille  Au  delà  du  bois  Ic  terrain  s'élargissait ,  et  on  ren- 
''^  '"^'  contrait  à  gauche  le  village  d'Aspern ,  à  droite  ce- 
lui d'Essling,  lieux  immortels  dans  l'histoire  des 
hommes,  qui  rappellent  sans  doute  pour  l'huma- 
nité des  souvenirs  lugubres,  mais  qui  rappellent 
aussi  pour  les  deux  nations  française  et  autri- 
chienne des  souvenirs  à  jamais  glorieux.  Une  sorte 
de  fossé  peu  profond,  rempli  d'eau  seulement 
quand  le  fleuve  déborde,  s'étendait  de  l'un  à  l'au- 
tre de  ces  deux  villages.  La  cavalerie  pouvait  le 
traverser,  car  c'était  plutôt  une  dépression  du  ter- 
rain qu'un  fossé  véritable.  Le  général  Lasalle  le 
franchit  au  galop  avec  sa  cavalerie,   dispersa  les 


Mai  1800. 


.  WAGRAM.  297 

avant-postes  ennemis,  et  balaya  cette  plaine  dite  le 
Marchfeld,  qui,  par  une  pente  douce  de  deux  à 
trois  lieues,  s'élève  insensiblement  jusqu'à  des  hau- 
teurs portant  d'autres  noms  immortels ,  ceux  de 
Neusiedel  et  de  Wap;ram. 

Par  cette  journée  de  printemps,  chaude  et  pure.       Passage 
mais  tu'ant  sur  sa  un,  on  ne  pouvait  apercevoir  dans    avant-garde 
l'obscurité  qu'une  forte  avant-garde  de  cavalerie,    lapr^s'-midi 
Cette  avant-garde  fit  mine  de  se  jeter  sur  le  général    '^"  ^^  '"*'"• 
Lasalle,  qui  se  retira,  repassa  l'espèce  de  fossé  que 
nous  venons  de  décrire,  et  évita  ainsi  un  engage- 
ment inutile.  Quelques  centaines  de  nos  voltigeurs 
embusqués  dans  le  pli  du  terrain  reçurent  la  cava- 
lerie autrichienne  par  un  feu  à  bout  portant,  cou- 
vrirent le  sol  de  ses  blessés ,  et  l'obligèrent  à  se 
retirer.  Ainsi  commença  le  20  mai  au  soir  la  san- 
glante bataille  d'Essling  ! 

Le  Danube  était  franchi,  et  si  les  Autrichiens      Quelques 
dont  on  avait  Vu  les  avant-gardes  se  présentaient  "''/"sTret?"' 
le  lendemain,  on  avait,  à  moins  de  mécomptes  im-    du  passage. 
prévus,  la  certitude  de  déboucher  et  de  se  déployer, 
avant  qu'ils  pussent  faire  effort  pour  culbuter  l'ar- 
mée française  dans  le  fleuve.  Un  accident  toutefois 
n'était  pas  impossible.  En  effet,  dans  cette  après- 
midi  du  20,  pendant  qu'on  passait  le  petit  bras  de- 
vant l'ennemi,  le  grand  pont  établi  sur  les  deux 
bras  principaux  venait  d'être  rompu  par  l'enlève- 
ment de  quelques  bateaux,  qui  attachés  non  à  des 
ancres,  mais  à  de  grands  poids,  avaient  cédé  à  la 
violence  du  courant.  Une  crue  subite  de  trois  pieds, 
provenant  de  la  fonte  précoce  des  neiges  dans  les 
Alpes,  avait  produit  cet  accident ,  et  pouvait  le  pro- 


Mai  I80<J. 


du  grand 
pont. 


298  I.IVRK  XXXV. 

(luire  encore.  La  cavalerie  lé.nère  du  ifénéral  Ma- 
rulaz  s'élait  vue  coupée  en  deux  par  la  rupture  du 
pont.  Une  portion  était  parvenue  jusque  dans  Tîle 
de  Lobau,  tandis  que  l'autre  était  restée  à  Ebers- 
dorf.  Heureusement  les  généraux  Bertrand  et  Per- 
uetti  s'étant  mis  à  l'ouvrage  avec  une  extrême  ac- 
tivité, le  grand  pont  fut  rétabli  dans  la  nuit. 
Incertitudes        gaus  être  bien  résolu  à  livrer  bataille,  avec  des 

de  Napoléon 

produites  movcns  de  passage  aussi  incertains  que  ceux  dont 
pîu^rassu^rant  il  clisposait,  Napoléon  cependant  ne  voulait  pas 
abandonner  le  résultat  de  l'opération  commencée, 
et  il  était  décidé  à  garder  cette  importante  com- 
munication, sauf  à  la  perfectionner  plus  tard,  à 
la  rendre  plus  sure  et  moins  intermittente.  On 
avait  dans  le  rentrant  que  formait  le  petit  bras,  et 
qu'une  forte  artillerie  de  droite  et  de  gauche  cou- 
vrait de  ses  feux,  un  terrain  excellent  pour  dé- 
boucher. Les  deux  villages  d'Aspern  à  gauche, 
dEssling  à  droite,  liés  par  une  sorte  de  fossé, 
étaient  de  précieux  appuis  pour  le  déploiement 
de  l'armée.  Une  telle  position  valait  donc  la  peine 
d'être  conservée ,  que  la  bataille  fut  ou  ne  fut  pas 
ditîérée.  En  conséquence  la  division  Molitor  alla 
coucher  à  Aspern,  la  division  Boudet  à  Essling. 
La  cavalerie  du  général  Lasalle  bivouaqua  entre 
les  deux  villages  en  avant  du  petit  bois.  Napoléon 
avec  un  détachement  de  sa  garde  s'établit  au  même 
lieu,  et,  suivant  sa  coutume,  dormit  tranquillement 
et  tout  habillé.  Plusieurs  ofiiciers  envoyés  en  re- 
connaissance  pendant  la  nuit  rapportèrent  des  ren- 
seignements contradictoires.  Les  uns  prétenrlaient 
que  les  Autrichiens  étaient  dans  le  Marchfeld  tout 


Mai  1809. 


.    AVAGRAM. 

prêts  à  combattre,  les  autres  soutenaient  qu'on  n'a- 
vait pas  devant  soi  d'armée  ennemie,  et  que  ce  qui 
s'apercevait  équivalait  tout  au  plus  à  une  forte 
avant- garde  de  cavalerie.  Au  milieu  de  ces  asser- 
tions si  diverses,  on  attendit  le  lendemain,  tout 
étant  préparé  pour  la  bataille  si  l'armée  parvenait 
à  passer,  ou  pour  la  retraite  dans  l'île  de  Lobau,  si 
on  ne  pouvait  franchir  le  Danube  avec  des  forces 
suffisantes. 

Le  grand  pont  ayant  été  réparé  dans  la  nuit,  la  une  moitié 
cavalerie  du  général  Marulaz,  les  cuirassiers  du  '^fran^a^ir 
général  Espagne,  la  division  d'infanterie  Les^and,     f''^^^  *^^"^ 

^  r    o       7  -  '        la  journée 

et  une  partie  de  l'artillerie,  purent  passer  le  21  au  du  21. 
matin.  Mais  l'existence  d'un  seul  pont,  tant  sur  le 
grand  bras  que  sur  le  petit,  la  largeur  de  l'île  de 
Lobau  qu'il  fallait  traverser  tout  entière,  rendaient 
le  défilé  très-lent.  Vers  midi  le  major  général  Ber- 
thier  étant  monté  sur  le  clocher  d'Essling,  discerna 
clairement  l'armée  du  prince  Charles  descendant 
la  plaine  inclinée  du  Marchfeld,  et  décrivant  au- 
tour d'Aspern  et  d'Essling  un  vaste  demi-cercle. 
Le  major  général  Berthier  était  l'homme  de  son 
temps  qui  appréciait  le  mieux  à  l'œil  l'étendue  d'un 
terrain,  et  le  nombre  d'hommes  qui  le  couvraient. 
Il  évalua  à  90  mille  hommes  environ  l'armée  au- 
trichienne, et  vit  bien  qu'elle  venait  pour  accabler 
l'armée  française  au  moment  du  passage.  L'archi- 
duc Charles,  en  effet,  averti  le  19  de  l'apparition 
des  Français  dans  l'île  de  Lobau,  n'avait  songé  à 
ks  reconnaître  que  le  lendemain  20  à  la  tête  de  sa 
cavalerie,  et  convaincu  de  leur  intention  après  les 
avoir  observés  de  près ,  il  n'avait  ébranlé  ses  trou- 


300  LIVRE   XXXV. 

pes  que  le  matin  du  il ,  de  manière  à  être  en  ligne 

dans  1  aprcs-midi  du  même  jour.  S  d  eut  paru  le 
20  au  soir,  ou  le  matin  du  21 ,  entre  Aspern  et  Ess- 
ling,  la  portion  de  l'armée  française  déjà  transpor- 
tée au  delà  du  fleuve  se  serait  trouvée  dans  un  im- 
mense péril. 

Le  major  général  adressa  sur-le-champ  son  rap- 
port à  l'Empereur,  qui  ne  vit  dans  ce  qu'on  lui 
apprenait  que  ce  qu'il  avait  souhaité  lui-même, 
c'est-à-dire  l'occasion  de  battre  une  fois  de  plus 
l'armée  autrichienne  et  d'en  finir  avec  elle.  Mais 
tout  à  coup  on  vint  lui  annoncer  une  nouvelle 
rupture  du  grand  pont,  produite  par  la  crue  des 
eaux  qui  augmentait  d'heure  en  heure.  Le  Da- 
Napoiéon.     nubc ,  qui   s'était   élevé  de  trois  pieds  depuis  la 

en    apprenant  .  .  i         »  n  i  rr» 

la  rupture  veiUe,  vcnait  encore  de  s  élever  de  quatre,  loutes 
l"euu abord'  '^^  amarres  cédaient  au  courant.  Napoléon,  en  ce 

se  retirer  moment  i  a|)rès-midi  du  21),  n'avait  avec  lui  que  les 
trois  divisions  d'infanterie  Molitor,  Boudet,  Legrand, 
les  divisions  de  cavalerie  légère  Lasalle  et  Marulaz, 
la  division  de  cuirassiers  du  général  Espagne,  et 
une  partie  de  l'artillerie,  ce  qui  représentait  une 
force  d'environ  ^2  à  23  mille  hommes  ',  consistant, 

'  J'ai  fait  pour  évaluer  les  forces  employées  dans  ces  deux  grandes 
journées  (lu  9.1  et  du  2?.  mai,  et  qu'on  appelle  bataille  d'Essling  en 
France,  bataille  d'Aspcrn  en  .\lleinagne,  des  efforts  consciencieux, 
ainsi  que  jtour  toutes  les  autres  grandes  journées  de  cette  époque.  On 
possède  à  leur  sujet,  comme  documents,  des  ouvrages  imprimés  tant 
en  France  qu'à  l'étranger,  et  qui  contiennent  les  assertions  les  plus 
exagérées  dans  un  sens  comme  dans  l'aulre.  Ou  possède  en  outre  les 
états  du  dépôt  de  la  guerre,  qui  sont  rédigés  trop  loin  des  faits,  puis- 
qu'on les  dressait  à  Paris,  pour  qu'ils  puissent  ê'.re  exacts  :  on  possède 
enfin  les  propres  livrets  de  l'Empereur,  dressés  à  l'état-major  général 
par  les  bureaux  de  Bertbier,  et  qui  par  ce  motif  sont  plus  rapprochés 


WACiRAM.  301 

il  est  \Tai,  en  troupes  excellentes,  mais  trop  peu 
nombreuses  pour  qu'il  fut  possible  avec  elles  de  li- 
vrer bataille  à  une  armée  de  90  mille  hommes.  Il 
donna  donc  Tordre  d'abandonner  Asrern  et  Esslinp;, 
de  repasser  le  pont  du  petit  bras,  sans  toutefois 
le  détruire,  car  il  était  facile,  grâce  au  rentrant  du 
tleuve,  de  le  protéger  contre  l'ennemi  par  une  masse 
formidable  d'artillerie.  On  pouvait  attendre  là,  sous 
la  protection  d'un  cours  d'eau  de  60  toises,  devenu 
très-rapide  et  très-profond,  que  la  consolidation 
du  grand  pont  et  la  baisse  des  eaux  permissent 
de  préparer  une  opération  siire  et  décisive.  Cet  or- 
dre commençait  à  s'exécuter,  lorsque  les  généraux 
de  division  élevèrent  des  objections  fort  naturelles 
contre  l'abandon  de  points  tels  qu'Essling  et  Aspern. 

(le  la  vërili'.  Toutefois  ces  derniers  eux-mêmes  sont  conslitu<''s  en  erreur 
par  les  assertions  des  généraux  qui  ne  s'attribuent  pas  toujours  dans 
leurs  récits  les  nombres  de  combattants  que  leur  attribuaient  les  bu- 
reaux de  Berthier.  En  comparant  ces  documents  on  voit  que  les  Autri- 
chiens ont  supposé  <iiie  toute  l'armée  française  avait  passé  le  Danube , 
et  se  sont  donné  70  mille  hommes,  contre  80  ou  100.  Les  historiens 
français,  au  contraire,  ont  parlé  de  40  mille  Français  luttant  deux 
jours  contre  100  mille  Autrichiens.  La  vérité  est  entre  ces  extrêmes. 
La  voici,  reproduite  aussi  exactement  que  possible. 

Les  forces  passées  le  20  et  dans  la  matinée  du  21  furent  : 

La  division  Molitor 6,500  hommes. 

La  division  Boudet 5,000 

La  division  Legrand 4,500 

Les  divisions  de  cavalerie  légère  Marulaz  et  Lasalle.       4,500 
Les  cuirassiers  Espagne 2,000 

22,500  hommes. 
Cest-à-dire  22  ou  23  mille  hommes.  Les  états  donnent  des  chiffres  plus 
élevés ,  mais  ces  chiffres  sont  évidemment  inexacts. 
Dans  la  soirée  du  21  il  passa  : 

La  division  Carra  Saint-Cyr 6,000  hommes. 

Les  cuirassiers  Saint-Germain 1,500 

7,500  hommes. 


Mai  ISOit. 


302  [.IV RF   XXXV. 

Le  iîénéral  Molitor  lit  observer  à  rEiii|)oreiir  que 

Mai  1809.  '  ,  .  ^ 

Je  \illai;e  aAs|>eni,  dans  lecpiel  sa  division  avait 

Sur  l'avis     coiiclié ,  avait  une  importance  immense,  que  pour 

ses  généraux  Je  reprendre  il  en  coûterait  des  torrents  de  sang, 

et  sur  ,  .  •  1  '      1  1  /,.    *"• 

la  nouvelle    qu  au  contiaue  une  lorce  peu  considérable  sunirait 

'^^  "^mcn'r*'''  ^  '^  défendre  lon2;-temps  contre  de  grands  efforts, 

des  ponts,     ^^  q^jj  [\i\\n[{  y  bien  réfléchir  avant  de  se  résoudre 

Napoléon  *  " 

révoque      à  uu  tel  sacriûce  \  La  chose  était  tout  aussi  vraie 

l'ordre  ,^     ,.  _.  ,         ,  .  , 

de  la  retraite  pour  Lssliug.  Si  on  aJjandounait  ces  deux  points, 
fcombaure^.  ^^  devait  renoucer  à  passer  par  cet  endroit  pourtant 
si  favorable ,  ajourner  pour  on  ne  sait  combien  de 
temps  l'opération  si  urgente  du  passage,  délaisser 
les  travaux  exécutés,  s'exposer  en  un  mot  aux  plus 
graves  inconvénients.  Tandis  que  Napoléon  pesait 
ces  observations,  on  vint  lui  apprendre  que  le  grand 
pont,  était  définitivement  rétabli,  que  les  eaux  bais- 

Ce  qui  porte  les  forces  pour  le  premier  jour  à  un  total 


de 

22,500  passés  le  matin  du  21 

7, .500  passés  le  soir  du  21. 

30,000  hommes. 

Le  lendemain  22  il  passa  : 

Les  deux  divisions  Oudinot.     . 

.     11  ou  12,000  hommes. 

La  division  Saint-Hilaire.     .     , 

8,000 

La  garde 

6  ou     7,000 

La    division  Demont.     .     . 

.•5,000 

Total.     .     , 

60,000  hommes. 

Ainsi,  en  réalité,  la  première  journée  d'Essling,  celle  du  21,  com- 
mença avec  22  ou  23  mille  hommes,  et  s'acheva  avec  30  mille.  La  se- 
conde, et  la  plus  terrible,  celle  du  22,  fut  livrée  avec  60  mille  hommes 
contre  environ  90  mille.  Mais,  (omnie  on  le  verra  jjIus  tard,  ce  ne  fu- 
rent pas  les  forces  qui  manquèrent ,  ce  furent  les  munitions.  Avec  ces 
60  mille  hommes  Napoléon  aurait  gagné  la  bataille,  si  les  convois 
d'artillerie  avaient  pu  lui  arriver. 

'  Je  tiens  ces  détails  de  la  bouche  même  de  M.  le  maréchal  Molitor, 
sous  la  dictée  duquel  je  les  ai  écrits  le  jonr  où  il  me  les  donnait,  pour 
ne  pas  en  perdre  le  6ou\enir. 


WAGRAM.  303 

saient,  que  les  convois  d'artillerie  chargés  de  mu- 
nitions commençaient  à  défiler,  qu'il  pouvait  donc 
se  regarder  comme  assuré  d'avoir  en  quelques 
heures  toutes  ses  ressources.  Pourvu  qu'il  eût  une 
vingtaine  de  mille  hommes  de  plus,  notanmient  les 
cuirassiers,  et  surtout  ses  caissons  bien  approvi- 
sionnés en  munitions,  Napoléon  ne  craignait  rien, 
et  il  ressaisit  avec  joie  l'occasion ,  qu'il  avait  vu  lui 
échapper  un  moment ,  de  joindre  et  d'accabler  la 
gi^ande  armée  autrichienne.  En  conséquence,  il  or- 
donna au  général  Boudet,  qui  n'avait  pas  quitté 
Essling,  de  le  défendre  énergiquement  (voir  la 
carte  n"  49);  il  autorisa  le  général  Molitor,  dont  la 
division  avait  déjà  quitté  Aspern,  d'y  rentrer  de 
vive  force,  avant  que  l'ennemi  eût  le  temps  de  s'y 
établir.  Le  maréchal  Lannes,  quoique  son  corps  Lanncs  établi 
n'eût  point  encore  franchi  le  Danube,  voulut  être  ^Ma^séna 
là  môme  où  ses  soldats  n'étaient  pas  encore,  et  il  ^  Aspem. 
prit  le  commandement  de  l'aile  droite,  c'est-à-dire 
d'Essling  et  des  troupes  qui  devaient  y  arriver  suc- 
cessivement. La  cavalerie  fut  placée  sous  ses  or- 
dres, ce  qui  lui  subordonnait  le  maréchal  Bes- 
sières,  qui  la  commandait.  Masséna  fut  chargé  de 
la  gauche,  c'est-à-dire  d'Aspern,  que  la  division 
Molitor  allait  réoccuper.  La  division  Legrand  dut 
être  placée  en  arrière  d'Aspern,  avec  la  cavalerie 
légère  de  Marulaz.  La  division  de  cavalerie  légère 
de  Lasalle  et  la  division  des  cuirassiers  Espagne 
remplirent  l'espace  entre  Aspern  et  Essling.  Tout 
ce  qu'on  avait  d'artillerie  fut  disposé  dans  les  in- 
tervalles. Une  nuée  de  tirailleurs  fut  répandue  dans 
cette  espèce  de  fossé  dont  il  a  été  parlé,  et  qui 


Mai  1809. 


DiepositioD 
de  l'armce 
autrichienne. 


304  LIVRE   XXXV. 

était  le  lit  (lesséché  d'un  bras  d'eau  coulant  autre- 
fois d'Aspern  à  Essliui;.  Ces  tirailleurs  attendaient 
l'arme  charijée  que  les  Autrichiens  fussent  à  portée 
de  fusil.  Ainsi  ti  à  23  mille  hommes  allaient  en 
combattre  environ  90  mille. 

L'archiduc  Charles  avait  divisé  son  armée  en 
cinq  colonnes.  La  première,  sous  le  général  Hiller, 
devait  s'avancer  le  long  du  Danube  parSladlau, 
attaquer  Aspern ,  et  tâcher  de  l'enlever  de  concert 
avec  la  seconde  colonne.  Celle-ci,  commandée  par 
le  lieutenant  général  Beîlegarde,  devait  marcher 
par  Kagran  et  Hirschslatten  sur  ce  même  village 
d'Aspern,  qui,  appuyé  au  Danube,  semblait  cou- 
vrir le  pont  de  l'armée  française.  La  troisième, 
commandée  par  Hohenzollern,  marchant  par  Brei- 
tenlée  sur  le  même  point,  devait  l'attaquer  aussi 
pour  plus  de  certitude  de  l'emporter.  Les  qua- 
trième et  cinquième  colonnes,  formées  du  corps  de 
Rosenberg,  devaient  compléter  le  demi-cercle  tracé 
autour  de  l'armée  française,  et  alUujuer  l'une  Ess- 
ling,  l'autre  la  petite  ville  d'Enzersdorf,  située  au 
delà  d'Essling.  Comme  Enzersdorf,  faiblement  oc- 
cupé par  les  Français,  ne  paraissait  pas  offrir  de 
grands  obstacles  à  vaincre,  les  deux  colonnes  avaient 
ordre  de  réunir  leur  effort  sur  Essiing.  Pour  lier 
ses  trois  colonnes  de  droite  avec  ses  deux  co- 
lonnes de  gauche,  l'archiduc  avait  placé  en  bataille 
entre  ces  deux  masses  la  réserve  de  cavalerie  du 
prince  de  Liechtenstein.  Beaucoup  plus  en  arrière, 
à  Breitenlée,  se  trouvaient  comme  seconde  réserve 
les  grenadiers  d'élite.  Les  restes  du  corps  de  l'ar- 
chiduc Louis,  fort  affaibli  par  les  détachements  lais- 


WAGRAM.  305 

ses  sur  le  Haiit-Damibe,  étaient  en  ol).servation  vers 
Stamersdorf,  vis-à-^is  de  Vienne.  Le  corps  de 
K()Ilo\rath,  ainsi  qu'on  l'a  mi,  était  à  Lintz.  Les 
cinq  colonnes  agissantes,  a^  ec  la  cavalerie  de  Liech- 
tenstein et  les  grenadiers,  pou^aient  présenter  en- 
viron 90  mille  combattants  ',  et  près  de  300  bou- 
ches à  feu. 

Bien  (jue  l'arcliiduc  eût  réuni  de  grandes  forces 
contre  Aspeni ,  ([ui  était  le  point  essentiel  à  em- 
porter, j)uisqu'il  couvrait  le  petit  pont ,  néanmoins 
le  demi-cercle  tracé  autour  d'Aspern,  d'Essling, 
et  d'Enzersdorf,  était  faible  dans  le  milieu,  et  pou- 
vait être  brisé  par  une  charge  de  nos  cuirassiers. 
L'armée  autrichienne,  coupée  alors  en  deux,  au- 
rait vu  tourner  contre  elle  la  chance  d'abord  si 
menaçante  pour  nous.  Napoléon  s'en  aperçut  au 

'  Il  est  encore  plus  difficile  d'approcher  de  la  vérité  pour  l'évaluation 
des  forces  autrichieiinos  que  pour  l'évaluation  dos  forces  françaises. 
Pourtant  un  récit  d'Essling,  fourni  par  l'archiduc  Charles,  donne  en 
bataillons  et  escadrons,  pour 

Ililler,  l'«  colonne.     .     . 
Bellegarde^  2«  colonne.    . 
Hohcnzollern ,  3«  colonne. 
Rosenherg,  4=  colonne.    . 
Piosenbcrg,  5«  colonne.    . 

Grenadiers 

Réserve  de  cavalerie. 

Total.     .     . 

La  difficulté  consiste  à  évaluer  la  force  des  bataillons,  force  qu'on 
ignorait  probablement  à  Télat-major  autrichien  le  jour  de  la  bataille, 
qui  était  de  1,000  ou  1,200  hommes  à  l'ouverture  de  la  campagne,  et 
qui  devait  être  au  moins  de  G  ou  700  hommes  les  21  et  22  mai.  Kn  sup- 
posant 6.50  hommes  par  bataillon,  120  à  130  jiar  escadron,  on  obtient 
environ  6.5  mille  hommes  d'infanterie,  20  mille  de  cavalerie,  et  en  en 
supposant  .5  mille  d'artillerie  pour  288  bouches  à  feu,  évaluation  fort 
modérée,  on  arri\  e  à  environ  00  mille  hommes.  Les  bulletins  français  re- 
TOM.  X.  20 


Mai  180'J. 


19  bataillons. 

22  escadrons. 

20         — 

16 

— 

22         — 

8 

— 

13         — 

8 

— 

13         — 

IG 

— 

IG          — 

)» 

— 

>.           — 

78 

— 

103  bataillons, 

li8  escadrons. 

Mai  1809. 


ilEssling, 

commencée 

le  21   mai , 

a  trois  heures 


30G  IJVHK  XXXV. 

premier  coup  doeil,  et  résolut  dcn  profiter  dè.s 
que  ses  i)rineipalcs  forces  auraient  franclii  le  Da- 
nube. Pour  le  nioniciil,  il  ne  soui^ea  qu'à  l)ien 
garder  son  débouché,  en  delendant  vigoureuse- 
ment Aspern  à  sa  gauche,  Essling  à  sa  droite,  et 
en  protégeant  l'espace  entre  deux,  au  moyen  de 
sa  cavalerie. 
Hataiiie  A  pcinc  Napoléou   avait -il  autorisé  le  général 

]Molitor  à  réoccuper  Aspern,  le  général  Boudet  à 
conserver  Essling,  que  la  lutte  s'engagea  vers  trois 
de  l'aprôs-  heurcs  de  l'après-midi  avec  une  extrême  violence. 
L'avant-garde  de  Hiller,  sous  les  ordres  du  général 
Nordmann,  avait  marché  sur  Aspern,  et,  profi- 
tant du  mouvement  de  retraite  de  la  division  Mo- 
litor,  y  avait  pénétré.  Ce  (|ui  était  plus  grave ,  elle 

latent  une  force  plus  considérable,  mais  ils  sont  évidemment  inexacts. 
Quatre-vingt-dix  mille  hommes  me  semblent  l'assertion  la  plus  vrai- 
semblable. La  vérité  absolue  en  ce  genre  est  impossible  à  obtenir, 
comme  je  l'ai  dit  bien  des  fois.  Il  faut  exiger  de  l'historien  qu'il  s'en 
approche  le  plus  possible,  et  ne  pas  lui  demander  ce  que  ne  savaient 
pas  môme  les  chefs  des  armées  combattantes.  Mais  deux  ou  trois  mille 
hommes  importent  peu,  et  ne  changent  pas  le  caractère  de  l'événement. 
Aucun  gouvernement,  même  le  mieux  servi,  celui  qui  a  la  meilleure 
comptabilité,  ne  sait,  quand  il  paye  cent  mille  hommes,  qui  sont  vrai- 
ment dans  le  rang,  cond)ien  il  y  en  a  qui  servent  utilement  le  jour 
d'une  bataille,  car  il  y  a  les  détachés,  les  malades  de  la  route,  les 
malades  de  la  veille,  ceux  du  matin,  ceux  du  soir.  L'histoire  ne  peut 
donc  prétendre  en  savoir  plus  que  les  gou\ ornements  eux-mêmes,  qui 
Ijayent  les  armées.  L'important  est  de  conserver  le  caractère  de  ces 
grands  événements,  et  c'est  à  quoi  on  arrive  en  s'efforçant  de  se  tenir, 
pour  les  nombres,  les  distances,  les  durées,  les  circonstances  de  détail, 
le  plus  prés  possible  de  la  vérité.  J'ai  la  conscience  de  n'avoir  rien  né- 
gligé à  cet  égard,  et  je  crois  avoir  réuni  plus  de  documents,  plus  tra- 
vaillé sur  ces  documents,  qu'on  ne  l'avait  fait  a%ant  moi.  Je  ne  suis 
jamais  en  repos ,  je  l'affirme ,  quand  il  reste  quelque  part  un  document 
•que  je  n'ai  pas  possédé,  et  je  ne  me  tiens  pour  satisfait  que  lorsque  j'ai 
pu  le  consulter. 


WAGRAM.                                     307 
avait  pénétré  aussi  dans  une  prairie  boisée,  à  ^aii- 

1         ri  1  11        "f        1    •*    1  -n      '  Mai  4809. 

c'he  dAspern,  laquelle  s  étendait  de  ce  village  au 
Danube,  et,  entourée  d'un  petit  bras  du  ileuve, 
présentait  une  espèce  d'îlot.  (Voir  la  carte  n"  49.) 
En  s'emparant  de  cet  îlot,  l'ennemi  pouvait  pas-     Napoléon 
ser  entre  Aspern  et  le  Danube,  tourner  notre  gau-    '^j^'g; ''°","*^ 
clie,  et  courir  au  petit  pont,  seule  issue  que  nous     le  générai 

'  II'  l  Molitor 

eussions  pour  déboucher  ou  nous  retirer.  Le  gé-  rcoccupe 
néral  Molitor,  à  la  tète  des  16*  et  67"  de  ligne,  VviUage^ 
régiments  accomplis,  commandés  par  deux  des  d' Aspern. 
meilleurs  colonels  de  l'armée,  Marin  et  Petit,  en- 
tra au  pas  de  charge  dans  la  rue  qui  formait  le 
milieu  d'Aspern  afin  d'en  déloger  les  Autrichiens. 
Ces  deux  régiments  pénétrèrent  baïonnette  bais- 
sée dans  cette  rue  fort  large,  car  les  villages 
d'Autriche  sont  vastes  et  construits  très -solide- 
ment :  ils  repoussèrent  tout  ce  qui  s'opposait  à 
eux,  se  portèrent  au  delà,  et  firent  évacuer  les 
environs  de  l'église,  située  à  l'extrémité  de  la  rue. 
Le  général  Molitor  plaça  ensuite  ses  deux  régi- 
ments derrière  un  gros  épaulement  en  terre  qui 
entourait  Aspern,  et  attendit  la  colonne  de  Hiller, 
qui  venait  au  secours  de  son  avant -garde.  Il  la 
laissa  approcher,  puis  commença  de  très-près  un 
feu  meurtrier,  qui  abattit  dans  ses  rangs  un  nombre 
d'hommes  considérable.  Après  a^oir  entretenu  ce 
feu  quelque  temps,  le  brave  général  ]\folitor  fit 
sortir  ses  soldats  de  l'épaulement  qui  les  couvrait, 
les  lança  à  la  baïonnette  sur  la  colonne  autrichienne, 
et  la  culbuta  au  loin.  En  un  instant  le  terrain  fut 
évacué,  et  la  première  attaque  chaudement  re- 
poussée. Cet  acte  de  vigueur  exécuté,  le  général 

20. 


30S 


i.ivnr:  xxxv 


Mai  180'J. 


Nouvelle 

et  vigoureuse 

attaque 

du  général 

Hiller  contre 

Aspcrn. 


Molilor,  cni])l()\aiit.  Iiubileiueiil  lus  deux  autres 
rc'ii:imcnls  de  sa  di\isioii,  diriiïea  le  37*"  à  iiauche 
sur  l'îlot  dont  il  \ionl  d'être  parlé,  le  reprit,  et, 
proiilant  de  t()u>  les  acciileuls  de  terrain,  s'étudia 
;i  le  rendre  inaccessible.  Il  plaça  le  t"  à  droite  de 
l'entrée  du  villa.ue,  alui  d'emj)ècher  (pron  ne  fut 
tourné.  3Iasséna,  assistant  à  ces  dispositions,  avait 
rangé  à  droite  et  en  arrière  d'Aspern  la  di^  isi'on 
Legrand  ,  pour  la  lancer  cpiand  il  serait  nécessaire. 
La  cavalerie  du  général  Marulaz,  composée  de 
quatre  régiments  français  et  de  deux  allemands, 
foiniait  la  liaison  avec  la  ca^aleric  des  généraux 
Lasalle  et  Espagne  vers  Essling.  Du  côté  d'Essling, 
la  division  Boudet  n'avait  encore  aCfaire  qu'aux 
avant-gardes  de  Rosenberg,  qui  étaient  en  marche 
vers  Enzersdorf. 

Mais  ce  n'était  là  que  le  prélude  de  cette  ef- 
froyable journée.  Hiller  repoussé  revint  bientôt 
la  charge,  appuyé  de  la  colonne  de  Bellegarde. 
Celle-ci,  arrivée  en  ligne,  se  serra  à  la  colonne  de 
Hiller,  et  toutes  deux  abordèrent  en  masse  le  vil- 
lage d'Aspern,  par  le  côté  voisin  du  Danube  et  par 
le  centre.  Les  16^  et  67^  de  ligne  placés  en  avant 
d'Aspern ,  faisant  à  très-petite  distance  un  feu  non 
interrompu,  immolèrent  au  pied  de  Tépaulement 
des  milliers  d'ennemis.  Mais  les  colonnes  autri- 
chiennes, réparant  sans  cesse  leurs  pertes,  avancè- 
rent jusqu'à  cet  épaulemcnt,  et  s'y  élancèrent  mal- 
gré les  deux  régiments  du  général  Molitor  ([u'elles 
obligèrent  à  se  replier  dans  l'intérieur  du  village. 
Le  général  Vaccpuuit  parvint  môme  à  s'emparer  de 
l'extrémité  de  la  grande  rue  où  se  trouvait  située 


Mai  1S00. 


W  A  nu  A  M.  309 

l'église.  A  cet  aspect  rinlréi)i(le  ]\ro]itor,  avec  le 
2^  qui  était  en  réserve,  se  précipite  sur  le  général 
Vacquant.  Une  horrible  mêlée  s'engage.  Un  llnx:  et      Horrible 
reiliix  s  établit  entre  les  Aiilrichiens  et  les  français,     ic  générai 
qui,  tantôt  vaincus,  tantôt  vainqueurs,  vont  etvien-  et  ics  forces 
nentd'un  bout  à  l'autre  de  la  longue  rue  d'Asnern.    ,''^„"',1'*^''  ^, 

•~  i  00  Bcllegarfle 

De  nouvelles  troupes  s'approchent  au  dehors,  car        '^^"s 

l'intérieur 

les  colonnes  de  Hiller  et  Bellegarde  comptent  à  elles  (lAspem. 
deux  au  moins  3G  mille  hommes,  contre  lesquels  la 
division  ^lolitor  lutte  avec  7  mille.  Masséna,  pour 
les  tenir  à  distance,  jette  sur  elles  les  six  régiments 
de  cavalerie  légère  du  général  Marulaz.  Celui-ci  était 
l'un  des  plus  vaillants  et  des  plus  habiles  olTiciers 
de  cavalerie  formés  par  nos  longues  guerres.  Il  s'é- 
lance au  galop  sur  les  lignes  de  l'infanterie  autri- 
chienne qui  se  rangent  en  carrés  pour  le  recevoir. 
Il  enfonce  plusieurs  de  ces  carrés,  mais  il  est  arrêté 
par  des  masses  profondes  qui  se  trouvent  au  delà. 
Obligé  de  revenir,  il  ramène  quelques  pièces  de  ca- 
non qu'il  a  prises,  et,  quoiqu'il  ne  puisse  pas  faire 
évacuer  le  terrain ,  il  le  dispute  cependant  à  l'en- 
nemi qu'il  empêche  de  porter  toutes  ses  forces  sur 
Aspern.  A  Tintérieur  du  village  le  général  Moiitor, 
l)arricadé  dans  les  maisons  avec  trois  de  ses  régi- 
ments, se  sert  pour  résister  de  tous  les  objets  qui 
tombent  sous  sa  main ,  voitures ,  charrues ,  instru- 
ments de  labourage,  et  défend  le  poste  qui  lui  est 
confié  avec  une  fureur  égale  à  celle  que  les  Autri- 
chiens mettent  à  l'assaillir. 

Pendant  ce  combat  acharné  soit  au  dedans,  soit      Défense 
au  dehors  d' Aspern,  Lannes,  à  Essling,  prenait  les   *^°e^^,"J]^®  ^ 
plus  habiles  dispositions  pour  conserver  ce  ^  illage, 


Mai  180'.). 


310  LIVRE   XXXV. 

(jiii,  d'ahord  moins  forlonioiit  allafiuo,  avait  lini  par 
lètre  ^iolomnle^t  aussi,  lorsque  les  qualrième  et 
cimjuième  colonnes,  composées  du  corj)S  de  Rosen- 
Jjerp:,  étaient  pan  enues  à  se  réunir.  f.a  cinquième, 
formant  l'extrême  gauche  des  Autrichiens,  et  faisant 
face  à  notre  extrême  droite  vers  Enzersdorf,  après 
avoir  enlevé  ce  poste  peu  défendu,  en  avait  débou- 
ché pour  se  jeter  sur  Essling.  Alors  la  quatrième 
s'était  mise  en  mouvement,  et  toutes  deux  avaient 
commencé  leur  attaque  contre  notre  second  point 
d'appui.  Lannes  les  avait  reçues  comme  on  lavait 
faità  Aspern,  en  se  couvrant  d'un  épaulementen  terre 
dont  Essling  était  entouré,  et  en  cril)lant  de  mou.s- 
queterie  et  de  mitraille  les  assaillants,  qui  s'étaient 
arrêtés  au  pied  de  cet  oljstacle  sans  oser  le  franchir. 
Charge  Mais  le  combat  allait  devenir  plus  terrible,  parce 

ordorfnée*'    quc  la  colonue  de  Hohenzollern,  qui  était  la  troi- 
par  Lannes    gi^me ,  ct  Constituait  le  milieu  de  la  ligne  autri- 

pour  dcfcnilrc  '  '^ 

le  centre      chicune ,  entrait  enfin  en  action,  soutenue  par  la 

de  notre  liTic 

entre  Essitng  féserve  de  cavalerie  du  prince  Jean  de  Liechtenstein. 
et  Aspern.  |.jj^  marchait  sur  notre  centre ,  et  pouvait  en  per- 
çant entre  Aspern  et  Essling,  isoler  ces  deux  points 
l'un  de  l'autre,  assurer  leur  conquête,  et  rendre 
notre  perte  infaillible.  A  cette  vue  Lannes,  qui  était 
en  dehors  dEssling,  observant  les  mouvements  de 
l'ennemi,  se  décide  à  ordonner  un  jouissant  etl'ort 
de  cavalerie.  Il  avait  à  sa  disposition  les  quatre  ré- 
giments de  cuirassiers  du  général  Espagne,  et  les 
.  quatre  régiments  de  chasseurs  du  général  Lasalle, 
placés  tous  les  huit  sous  les  ordres  du  maréchal 
Bessières.  Sans  tenir  compte  du  grade  de  ce  der- 
nier, il  lui  fait  ordonner  impérieusement  de  char- 


WAGRAM.  3lt 

ger  à  la  tête  des  cuirassiers ,  et  de  charger  à  fond. 
Quoique  blessé  de  cette  dernière  expression,  car, 
disait-il,  il  n'avait  pas  riiabitiide  de  charger  au- 
trement, Bessières  s'ébranle  avec  le  général  Espa- 
gne, le  premier  officier  de  grosse  cavalerie  de  l'ar- 
mée, et  laisse  Lasalle  en  réserve  pour  lui  servir 
d'appui.  Bessières  et  Espagne  s'élancent  au  galop 
à  la  tête  de  seize  escadrons  de  cuirassiers,  enlè- 
vent d'abord  l'artillerie  ennemie  dont  ils  sabrent  les 
canonniers,  et  se  préci{)itent  ensuite  sur  l'infanterie 
dont  ils  enfoncent  plusieurs  carrés.  jMais  après  avoir 
fait  reculer  la  première  ligne,  ils  en  trouvent  une 
seconde  qu'ils  ne  peuvent  atteindre.  Tout  à  coup 
ils  voient  paraître  la  masse  de  la  cavalerie  autri- 
chienne, que  l'archiduc  Charles  a  lancée  sur  eux. 
Nos  cuirassiers ,  surpris  pendant  le  désordre  de 
la  charge  qu'ils  viennent  d'exécuter,  sont  violem- 
ment assaillis,  et  ramenés.  Lasalle,  avec  ce  coup 
d'œil  et  cette  vigueur  qui  le  distinguent ,  vole  à 
leur  secours.  Il  engage  le  16"  de  chasseurs  si  à 
propos,  si  vigoureusement,  que  ce  régiment  cul- 
bute les  cavaliers  autrichiens  acharnés  à  la  pour- 
suite de  nos  cuirassiers,  et  en  sabre  un  bon  nom- 
bre. Au  milieu  du  tumulte,  le  brave  Espagne  est 
tué  d'un  biscaïen.  Bessières  est  enveloppé  avec  son 
aide  de  camp  Baudru  par  les  hulans,  fait  feu  de 
ses  deux  pistolets ,  et  met  le  sabre  à  la  main  pour 
se  défendre,  lorsque  les  chasseurs  de  Lasalle  s'aper- 
cevant  du  péril  viennent  le  dégager.  Les  cuirassiers 
se  rallient,  chargent  de  nouveau,  toujours  aj)puyés 
par  Lasalle.  On  aborde  ainsi  plusieurs  fois  l'infan- 
terie autrichienne,  on  l'arrête,  et  on  empêche  Ho- 


Mai  1809. 


312  I.1VHI-:  xxxv. 
lienz(3lleni  de  percer  notre  centre  entre  Essliuû;  et 

Mai  IR09.       .  ,, 

Aspern,  et  d  envoyer  un  lonlorl  aux  deux  colonnes 

de  lliller  et  de  Bellei^arde,  (|ui  n  oui  pas  cessé  de 

s'acliarner  sur  Aspern. 

Mas50Da         Mais  ces  deux  colonnes  sont  suffisantes  à  elles 

Aspefnrqui    sculcs  pour  accahlcr  dans  Aspern  les  7  mille  liom- 

aiiait  otrc     ^^Qg  Jq  ]jj   divisiou  -Molïtor.  Celte  division,   dont 

enlevé  i  .   . 

en  faisant  une  la  moilié  cst  déjà  liors  de  combat,  ne  se  soutient 

rhargeàiatéte  m    »  i  i  i      t%     •  -«r      • 

Je  que  par  1  héroïsme  des  colonels  Petit  et  Mann,  et 
'le-Tànd"  ^^^  général  Molitor  lui-même,  qui  donnant  sans 
cesse  l'exemple  à  leurs  soldats,  se  montrent  à  la 
tétc  de  toutes  les  attaques.  Enfin  le  général  Vac- 
quant,  bien  secondé,  parvient  à  pénétrer  dans  As- 
pern, et  à  s'en  emparer  presque  entièrement,  après 
une  lutte  de  cinq  heures.  Le  général  .Alolitor  va 
être  rejeté  de  l'intérieur  de  ce  village,  si  précieux 
à  conserver,  car  si  on  le  perd,  on  est  refoulé  sur 
le  pont  du  petit  bras,  et  peut-être  jeté  dans  le  Da- 
nube. Heureusement  que  le  grand  pont  rétabli  a 
permis  à  une  brigade  des  cuirassiers  de  Nansouty, 
celle  de  Saint-Germain,  de  passer  vers  la  fin  du 
jour,  ainsi  qu'à  la  division  d'infanterie  Carra  Saint- 
Cyr,  la  quatrième  de  Masséna.  Il  reste  donc  des  res- 
sources pour  parer  aux  accidents  imprévus,  et 
^lasséna  peut  disposer  de  la  division  Legrand  qu'il 
avait  rangée  derrière  Aspern  en  qualité  de  ré- 
serve. 11  place  Carra  Saint-Cyr  en  arrière  avec  or- 
dre de  veiller  au  pont ,  et  à  la  tète  de  la  division 
Legrand  il  entre  dans  Aspern.  L'héroïque  Legrand 
suivi  du  W  d'infanterie  légère  et  du  18"  de  ligne, 
ces  mêmes  régiments  avec  lesquels  il  avait  enlevé 
Ébersberg,  vient  au  secours  de  Molitor  épuisé,  tra- 


Mai  ISOO. 


WAGRAM.  313 

verse  au  pas  de  charge  la  grande  rue  d'Aspern,  re- 
foule les  troupes  de  Bollegarde  à  l'autre  extrémité 
du  village,  et  oblige  le  général  Vacqiiant  à  s'enfer- 
mer dans  l'église.  Au  centre,  Lannes,  voulant  en-     Nouvelles 
core  dégager  le  milieu  de  la  ligne,  ordonne  de  nou-    de*^rav!?ene 
velles  charges  à  Bessières.  La  division  Kspanne  a     ordonnées 

'     '  par  Lannes 

perdu  un  quart  de  son  ellectif  ;  mais  Nansoutv,  avec  sur  le  centre 

I      1     •        1       1  •  •  -    •        /.  "il        de  l'ennemi. 

la  brigade  des  cun-assiers  Saint-Germam,  prend  la 
place  des  cuirassiers  Espagne,  charge  vigoureuse- 
ment l'infanterie  autrichienne,  et  prolonge  la  résis- 
tance, qui  n'est  possible  sur  ce  point  qu'avec  de 
la  cavalerie.  On  renverse  de  nouveau  l'infanterie 
«les  Autrichiens,  mais  on  attire  encore  leur  cavale- 
rie, qui  se  jette  sur  nos  cuirassiers,  etMarulaz, 
remplaçant  Lasalle accablé  de  fatigue,  recommence 
avec  le  23"  de  chasseurs  ce  que  Lasalle  a  exécuté 
deux  heures  auparavant  avec  le  1  G".  Il  secourt  nos 
cuirassiers ,  repousse  ceux  de  l'ennemi ,  et  fond  en- 
suite sur  plusieurs  carrés.  Entré  dans  l'un  de  ces 
carrés,  il  y  est  démonté,  et  va  être  pris  ou  tué, 
(piandses  chasseurs,  rappelés  par  ses  cris,  le  déga- 
gent, lui  donnent  un  cheval,  et  reviennent  en  pas- 
sant sur  le  corps  d'une  ligne  d'infanterie. 

Il  y  avait  six  heures  que  durait  cette  lutte  opi- 
niâtre :  à  Aspern ,  à  Esshng ,  des  fantassins  achar- 
nés se  disputaient  des  ruines  en  flammes  ;  entre  ces 
deux  villages  des  masses  de  cavaliers  se  dispu- 
taient la  plaine  à  coups  de  sabre.  L'archiduc  Charles     Larohiduc 

f,   .,  ^L       1.    ^1  '       r       ,  Charles, 

croyant  avou'  assez  tait  en  arrêtant  1  armée  Iran-      remettant 
çaise  au  débouché  du  pont,  et  se  flattant  de  la  pré-  f"j'j^"f^";f^;; 
cipiter  le  lendemain  dans  le  Danube,  prit  le  parti     deiarmce 

*  ^  française, 

de  suspendre  le  feu,  pour  procurer  a  ses  troupes  le      ordonne 


314  LIVRE  XXXV. 


— ,.      —  temps  de  se  reposer,  |)()ur  lapproclier  ses  masses, 

et  surtout  pour  amener  en  liizne  la  réserve  de 
'du^fe^u^rà*!"  grenadiers  qui  était  restée  à  Breiteniée. 
au  soir.  Napoléon  de  son  coté  ayant  assisté  de  sa  per- 

sonne à  cette  première  bataille,  sous  les  boulets  qui 
se  croisaient  entre  Aspern  et  Essling,  avait  conservé 
Disposition    toute  sa  confiance.  Quoique  la  moitié  de  la  division 
dc^N^poiéon    -^I^^'it^'"  ^^'t  couchée  par  terre  dans  les  rues  et  les 
à  la  suite  do  maisons  d'Aspern,  (luoique  un  quart  dos  cuirassiers 

cette  première  i  /    i  i  i 

journée.  d'Espac;ne,  des  chasseurs  de  Lasaile  et  de  Marulaz. 
eût  péri  sous  la  mitraille,  il  ne  doutait  pas  du  résul- 
tat, s'il  pouvait  faire  venir  encore  par  les  ponts 
du  Danul)e  une  viniz:taine  de  mille  hommes,  et  prin- 
cipalement ses  parcs  de  munitions.  On  passait  sur 
le  grand  pont,  malgré  la  crue  toujours  plus  forte, 
malgré  les  corps  flottants  que  le  Danube  débordé 
entraînait  dans  son  cours.  C'étaient  tantôt  des  troncs 
d'arbres  énormes  déracinés  par  les  eaux,  tantôt  des 
bateaux  mis  à  sec  sur  ses  rives  que  le  fleuve  re- 
mettait à  flot  en  s'élevant,  tantôt  enfin  de  gros 
moulins  enflammés,  que  l'ennemi  lançait  avec  in- 
tention de  détruire  notre  unique  communication. 
A  cliaque  instant  il  fallait  ou  détourner  ces  masses 
flottantes,  ou  réparer  les  brèches  qu'elles  occa- 
sionnaient à  nos  ponts,  en  y  employant  des  ba- 
teaux de  rechange.  Le  passage  continuel  contribuait 
aussi  à  fatiguer  ces  ponts,  et  on  voyait  parfois  les 
bateaux  presque  submergés  sous  le  poids  des  cais- 
sons d'artillerie,  et  nos  soldats  traverser  le  fleuve 
les  pieds  dans  l'eau,  ce  qui  ajoutait  à  la  lenteur 
du  défilé.  Cependant  les  généraux  Pernetti  et  Ber- 
trand assuraient  toujours  qu'ils  maintiencbaient  le 


WAGRAM.  31 


o 


Mai  IR09, 


passage,  et  qu'au  jour  on  aurait  le  corps  de  Lannes, 
la  garde,  peut-être  les  deux  divisions  du  maréchal 
Davout  descendues  sur  Ebcrsdorf,  et  surtout  le 
parc  d'artillerie  chargé  de  munitions.  Napoléon 
n'eùt-il  qu'une  partie  de  ces  troupes,  s'il  avait  ses 
parcs,  était  certain  d'en  finir  avec  l'ennemi,  et  de 
décider  entre  Essling  et  Aspern  les  destins  de  la 
maison  d'Autriche.  Il  ordonna  donc  de  profiter  du 
répit  que  l'ennemi  nous  laissait,  pour  accorder  aux 
troupes  qui  s'étaient  battues  un  repos  dont  elles 
avaient  besoin.  Il  bivoua(jua  en  arrière  du  bois,  en 
avant  du  petit  pont,  pour  assister  en  personne 
au  passage  de  ses  corps  d'armée,  qui  devaient  em- 
ployer toute  la  nuit  à  défiler.  Au  moment  où  il  al- 
lait lui-même  prendre  un  peu  de  repos,  il  en  fut 
détourné  par  une  vive  altercation  qui  s'engagea 
entre  deux  de  ses  principaux  lieutenants.  C'était 
Bessières  qui  se  plaignait  du  langage  dans  lequel 
Lannes  lui  avait  fait  parvenir  ses  ordres.  Masséna, 
présent  sur  les  lieux,  fut  obligé  d'arrêter  ces  braves 
gens,  qui,  après  avoir  supporté  toute  une  journée 
le  feu  croisé  de  trois  cents  pièces  de  canon,  étaient 
prêts  à  mettre  l'épée  à  la  main  pour  l'intérêt  de 
leur  orgueil  blessé.  Napoléon  apaisa  leur  différend, 
que  l'ennemi  devait  terminer  le  lendemain  de  la 
manière  la  plus  cruelle  pour  eux  et  pour  l'armée. 

Le  défilé  souvent  interrompu  continua  pendant      passage 
une  partie  de  la  nuit.  Mais  vers  minuit  le  grand  j^  2'^Ju'^2i 
pont  se  rompit  de  nouveau.  C'était  la  troisième  fois.    „  ^u  22, 

ri  d  une  nouvelle 

Le  Danube  élevé  d'abord  de  sept  pieds  venait  en-       partie 

.      .  de   l'armée 

core  de  s  élever  de  sept ,  ce  qui  taisait  une  crue     française. 
totale  de  quatorze  pieds.  La  fortune  donnait  donc 


Mai  IS09. 


316  IJVRl-    XWV. 

(le  n()U\eaii\  sliincs  (rincoiislance  à  Na[)()léon,  ou 
pour  mieux  dire  la  nature  «les  choses,  qui  ne  se  plie 
pas  il  la  Aolontc  des  conquérants,  lui  donnait  de 
nouveaux  a\is!  >[ais  si  c'était  une  faute  d'avoir 
voulu  passer  le  Danube  dans  la  saison  des  crues 
subites,  et  avec  un  matériel  insuflisant ,  il  n'y  avait 
plus  à  reculer  maintenant,  et  une  portion  de  l'armée 
étant  ])assée,  il  fallait  la  soutenir,  et  sortir  de  ce 
mauvais  pas  à  force  d'énergie.  Les  généraux  Ber- 
trand et  Pernctti  se  remirent  à  l'ouvrage  pour  ré- 
parer le  grand  pont,  et  allirmèrent  itérativement 
qu'ils  maintiendraient  le  passage.  Avant  la  pointe 
du  jour,  en  effet,  le  pont  fut  réparé,  la  commu- 
nication rétablie.  La  belle  division  Saint-Iïilaire, 
les  deux  divisions  d'Oudinot  (composant  à  elles 
trois  le  corps  de  Lannes),  la  garde  à  pied,  une 
seconde  brigade  des  cuirassiers  Nansouty,  toute 
l'artillerie  des  corps  de  Masséna  et  de  Lannes,  une 
réserve  d'artillerie  attachée  aux  cuirassiers,  deux 
divisions  de  cavalerie  légère,  et  enfin  la  petite  di- 
vision Demont,  formée  des  quatrièmes  bataillons 
du  corps  de  Davout,  passèrent  à  la  fin  de  la  nuit 
et  vers  le  point  du  jour.  Les  parcs  continuèrent  à 
défiler  entre  les  intervalles  de  chacjue  corps.  Ainsi 
les  23  mille  hommes  avec  les({uels  la  bataille  avait 
commencé  la  veille  au  milieu  du  jour,  ayant  été 
portés  le  soir  à  30  mille,  par  l'arrivée  de  la  division 
Carra  Saint-Cvr  et  des  cuirassiers  Saint-Germain,  fu* 
rent  portés  à  environ  GO  mille  par  ce  dernier  passage 
exécuté  le  22  au  matin.  C'était  assez  pour  vaincre. 
Malheureusement  l'artillerie  était  insuffisante,  car 
Lannes,  Masséna  et  la  grosse  cavalerie  ne  comp- 


WACUAM.  317 

laient  pas  plus  de  1  il  pièces  de  canon,  et  il  fallait 
soutenir  l'effort  de  300  bouches  à  feu  que  les  Au- 
trichiens pouvaient  mettre  en  batterie.  Toutefois 
si,  avec  30  mille  hommes  et  50  i)ièces  de  canon, 
on  avait  la  veille  arrêté  les  Autrichiens,  on  devait 
les  battre  aujourd'hui  avec  60  mille  et  150  bou- 
ches à  feu.  La  chose  était  certaine  si  les  munitions 
ne  manquaient  pas.  Du  reste  le  pont  était  maintenu, 
et  elles  continuaient  à  arrivei'. 

A  la  pointe  du  jour  tout  le  monde  était  cU.'bout 
dans  les  deux  armées,  et  les  tirailleurs  échangeaient 
des  coups  de  fusil  dès  quatre  heures  du  matin.  Na- 
poléon, qui  n'avait  presque  pas  pris  de  repos,  était 
achevai,  entouré  de  ses  maréchaux,  et  leur  don- 
nant ses  ordres  avec  la  plus  grande  confiance.  En 
voyant  tout  ce  qui  avait  passé,  il  ne  doutait  pas  de 
finir  la  guerre  dans  la  journée.  Masséna  devait  ré- 
occuper Aspern  en  entier,  et  reconquérir  l'église 
restée  au  général  Yacquant.  Lannes  était  chargé  de 
repousser  toutes  les  attaques  qui  allaient  se  renou- 
veler contre  Essling,  et  puis,  profitant  de  la  disposi- 
tion de  l'ennemi  qui  consistait  toujours  en  un  vaste 
demi-cercle,  devait  le  percer  dans  le  milieu  par  un 
effort  vigoureux  de  notre  droite  portée  brusquement 
en  avant.  Le  maréchal  Davout,  dont  deux  divisions 
étaient  à  Ébersdorf,  de  l'autre  côté  du  Danube, 
étant  attendu  dans  peu  d'instants,  devait,  en  se 
portant  derrière  Lannes,  le  couvrir  par  la  droite 
pendant  le  mouvement  que  celui-ci  allait  opérer. 

D'après  ces  vues,  Masséna  et  Lannes  coururent , 
l'un  à  Aspern,  l'autre  à  Essling.  Ai)préciant  la  néces- 
sité de  bien  lier  Aspern  au  Danube,  Masséna  a\ait 


Mai  1809. 


L'armée 

française 
étant  fort  ac- 
crue par 
les  forces 
arrivées 

dans  la  nuit, 
Napoléon 

rccomnnenco 
la  bataille 

avec  la  plus 

grande 

confiance. 

Plan 
de  Napoléon 

pour 
la  seconde 

journée 
d  Essling. 


Mai  I80'.i. 


318  LIVRE  XXXV. 

placé  la  di\ision  xMolilor  loiil  entière  dans  le  petit 
Ilot  à  gaucho.  (Voir  la  carte  n"  iO.)  Les  faibles  dé- 
Disposiiions  foDScs  dc  CG  postc,  coiivcrt  i)ar  un  petit  canal,  par 
1  Aspern  par  dcs  arbres,  et  par  un  épaulenient  en  terre  (}ue  Tin- 
asscna  or(inieur  Lazowski  avait  élevé  dans  la  nuit,  sullisaient 
à  l'énergie  de  la  di\ision  Molilor,  quoiqu'elle  fût 
réduite  de  7  mille  hommes  à  4.  La  division  Legrand 
s'était  battue  vers  la  fin  du  jour  précédent  dans  As- 
pern, et  s'y  était  maintenue.  Masséna  lui  donna  l'ap- 
pui de  la  division  Carra  Saint-Cyr,  laquelle  fut  rem- 
placée dans  la  garde  du  petit  pont  par  la  division  De- 
mont.  Napoléon  dirigea  encore  sur  Aspern  les  ti- 
railleurs de  la  garde  impériale,  avec  quatre  pièces 
de  canon,  afin  que  cette  jeune  troupe,  récemment 
formée,  fît  ses  premières  armes  sous  l'intrépide 
Masséna. 
Dispositions  A  Essling,  Lanncs,  laissant  au  général  Boudet  le 
à  Essling  par  soin  de  garder  l'intérieur  du  village,  plaça  à  gau- 
.annes.  ^j^^  ^^  ^^  avaut,  daus  lintervalle  qui  séparait  Ess- 
ling d'Aspern ,  la  division  Saint-IIilaire  d'abord, 
puis  plus  à  gauche,  vers  le  centre,  les  deux  divi- 
sions Oudinot,  les  cuirassiers,  les  hussards  et  les 
chasseurs.  Ces  derniers  servirent  de  liaison  avec 
le  corps  de  IMasséna  sous  Aspern.  En  arrière  au 
centre,  les  fusiliers  de  la  garde  et  la  vieille  garde 
elle-même  restèrent  en  réserve.  Toutefois  cette 
belle  troupe  forma  un  crochet  vers  Essling,  pour 
fermer  l'espace  qui  séparait  Essling  du  Danube, 
espace  ouvert,  par  lequel  l'ennemi  pouvait  être 
tenté  de  pénétrer,  depuis  qu'il  était  maître  de  la  pe- 
tite ville  d'Enzersdorf.  (Voir  la  carte  n"  40.)  D'ail- 
leurs, il  fut  encore  pourvu  à  ce  danger  par  une 


Mai  1809. 


WAC.RA.M.  ni9 

forte  batterie  de  12,  qui,  placée  de  Tautre  côté  du 
petit  bras,  prenait  en  écliarpe  le  terrain  dont  il 
s'agit.  L'artillerie  fut  disposée  dans  les  intervalles 
de  cette  ligne  de  bataille,  pour  seconder  Tetîortde 
toutes  les  armes. 

C'est  dans  cet  ordj'e  que  la  lutte  recommença  dès  -vasscna 
le  matin.  Masséna  résolu  à  chasser  le  général  Vac-  Tu  générar 
quant  de  l'église,  située  à  l'extrémité  occidentale  Je'^îéSe 
d'x\spern,  où  celui-ci  s'était  retranché,  avait  en-  dAspem. 
voyé  au  général  Legrand  le  secours  de  deux  régi- 
ments de  la  division  Carra  Saint-Cvr.  Ces  régiments 
étaient  le  24'=  léger  et  le  4''  de  ligne,  habitués  à  servir 
ensemble.  Le  colonel  Pourailly,  oflicicr  excellent, 
marcha  aussi  vite  que  le  permettaient  les  cadavres 
entassés  dans  la  grande  rue  d'Aspern,  et  se  jjorta 
sur  l'éghse.  Les  généraux  Hiller  et  Bellegarde, 
chargés  toujours  d'agir  contre  Aspern,  s'y  étaient 
entassés  de  bonne  heure.  Tandis  que  le  24*  était 
aux  prises  avec  eux,  il  se  vit  débordé  le  long  d'une 
rue  latérale  par  une  colonne  autrichienne,  qui  tra- 
versait le  village  en  sens  contraire.  Le  4",  com- 
mandé par  le  brave  colonel  Boyeldieu,  faisant  un 
détour  à  droite,  coupa  la  colonne  qui  s'était  avan- 
cée parallèlement ,  et  s'empara  des  deux  bataillons 
qui  la  composaient.  Puis  le  24"  et  le  4^,  conduits 
par  Legrand,  s'élancèrent  sur  l'église  et  le  cime- 
tière, et  en  expulsèrent  les  Autrichiens.  De  son 
côté,  la  division  Molitor,  placée  dans  l'îlot  à  gau- 
che, et  couverte  par  des  abalis,  tuait  à  coups  de 
fusil  tous  les  tirailleurs  aulricliiens  assez  hardis 
pour  se  montrer  à  portée  de  sa  mousqueterie. 

Le  moment  était  venu  d'exécuter  le  mouvement    Mouvement 


320  LIVRE  XXXV. 

olVensif  projeté  sur  le  contre  dos  Autrichiens,  car 

Mai  180','.  '        •*  . 

taudis  que  les  généraux  Hiller  et  lîolloiïarde  étaient 
offensif      repoussés   d'Asporu  ,   l{()soul)ori: ,   toujours   formé 

de  Laniics  »  '  '  .    ^  j 

sur  le  centre  eu  dcuN.  colouues ,  étiiit  liMiii  il  distauco  d'Essliui; 

des 

Autrichiens,    par  los  fcux  dc  la  division  Boudet,  et  au  milieu  du 
domi-cerclo  de  Tarmée  autrichionno  on  ne  voyait 
que  le  corps  de  llohenzoUern  faiblement  lié  à  ce- 
lui de  Rosenberg  par  la  cavalerie  de  Liechtenstein, 
et  appuyé  de  très-loin  par  la  réserve  de  grenadiers. 
Il  était  douteux  que  le  centre  des  Autrichiens  pût 
résister  à  une  masse  de  vingt  mille  fantassins  et  de 
six  mille  cavaliers,  que  Lannes  allait  jeter  sur  lui. 
Lannes,  en  effet,  au  signal  donné  par  Napoléon 
s'ébranle  pour  exécuter  l'attaque  dont  il  est  chargé. 
Laissant  Boudet  dans  Essling,  il  s'avance,  la  droite 
en  tète,  sur  le  centre  des  Autrichiens.  C'est  la  divi- 
sion Saint-IIilaire  qui  marche  la  première,  rangée 
en  colonnes  serrées  par  régiment ,  disposition  qui 
donne  prise  au  boulet,  mais  qui  présente  une  soli- 
dité à  l'abri  de  tous  les  chocs.  Plus  à  gauche,  et 
un  peu  en  arrière,  les  deux  divisions  Claparèdo  et 
Tharrcau  s'avancent  ensuite  dans  le  même  ordre, 
en  présentant  des  échelons  successifs.  Plus  à  gau- 
che encore  et  i)lus  en  arrière,  la  cavalerie  forme  le 
dernier  de  ces  échelons  dirigés  sur  le  centre  de 
l'ennemi. 

Lannes  les  met  en  momement  avec  cette  vigueur 
qu'il  apporte  dans  toutes  ses  attaciues.  Le  57"  de  ligne 
dc  la  division  Sainl-llilaire,  régiment  redoutable  en- 
tre tous,  placé  à  notre  extrême  droite,  marche  au  pas 
de  charge  sous  la  mitraille  et  la  fusillade,  et  oblige 
r infanterie  autrichienne  à  plier.  Toute  la  division 


WACRAM.  321 

appuie  le  oT,  et  à  mesure  que  les  autres  réginicnls  ■ 
formés  en  autant  de  colonnes  serrées  arrivent  à 
portée  de  l'ennemi,  ils  s'arrêtent  pour  faire  feu, 
puis  s'avancent  de  nouveau ,  gagnant  du  terrain 
sur  les  troupes  qui  leur  sont  opposées.  Les  deux 
di\isions  d'Oudinot   prennent  place    à   leur   tour 
dans  ce  mouvement  otlensif,  et  bientôt  l'impulsion 
se  communiquant  à  toute  la  ligne,  les  Autrichiens 
vivement  pressés  commencent  à  se  retirer  en  dés- 
ordre. A  ce  spectacle,  l'archiduc  Charles,  comme 
tous  les  capitaines  indécis  dans  le  conseil,  mais 
braves  sur  le  champ  de  bataille,  montre  le  dévoue- 
ment d'un  prince  héroïque.  Il  accourt  de  sa  per- 
sonne pour  prévenir  la  catastrophe  dont  son  centre 
est  menacé.  D'une  part  il  ordonne  aux  grenadiers 
qui  étaient  à  Breitenlée  de  s'approcher  ;  de  l'autre 
il  prescrit  à  Bellegarde  de  se  reporter  d'Aspern  vers 
Esshng,  pour  renforcer  le  milieu  de  sa  ligne.  En 
attendant  l'exécution  de  ces   ordres,  il  prend  en 
main  le  drapeau  du  régiment  de  Zach  qu'il  ramène 
en  avant.  Ses  plus  braves  officiers  sont  frappés  à 
côté  de  lui,  notamment  le  comte  (]olIoredo,  qu'il 
voit  tomber  sous  ce  feu  épouvantable,  et  dont  il 
serre  la  main  avec  douleur. 

Lannes,  qui  comme  lui  est  à  la  tête  de  ses  sol- 
dats, continue  sa  marche  offensive,  et  voyant  l'in- 
fanterie autrichienne  ébranlée,  lance  sur  elle  Bes- 
sières  avec  les  cuirassiers.  Ceux-ci  se  précipitent 
sur  le  corps  de  Hohenzollern,  enfoncent  plusieurs 
carrés,  et  enlèvent  des  prisonniers,  des  canons, 
des  drapeaux.  Déjà  nous  touchons  à  Breitenlée, 
point  où  l'archiduc  avait  placé  sa  réserve  de  gre- 

TOM.   X.  21 


Mai   IH09. 


Mai  1809. 


322  LIVRE  XXW. 

nadiors.  Laimcs,  ne  (loiiljmt  plus  du  succès,  en- 
voie à  Napoléon  l'oflicier  d'clat-major  César  do  La- 
ville,  pour  l'informer  de  ses  proj^rcs,  et  lui  deman- 
der de  couvrir  ses  derrières,  pendant  que,  s'élevant 
dans  cette  plaine ,  il  va  laisser  un  si  vaste  espace 
entre  son  corps  et  le  village  d'EssIinp:. 

M.  César  de  Laville  court  en  toute  hâte  pour 
porter  à  TEmpereur  cette  communication ,  et  le 
trouve  à  un  endroit  dit  la  Tuilerie  ',  entre  Essiing 
et  Aspern,  assistant  froidement  à  ce  grand  specta- 
cle, dont  il  dirigeait  la  formidable  ordonnance.  Na- 
poléon ne  témoigne  pas  au  récit  que  lui  fait  M.  César 
de  Laville  la  satisfaction  qu'il  aurait  dû  éprouver. 
En  effet  un  sinistre  accident  venait  de  se  produire. 
Une  nouvelle  Aorès  des  cfforts  inouïs  de  la  part  des  généraux 

rupture  '  _       *  ' 

des  ponts     Bertrand  et  Pernetti  pour  maintenir  la  communica- 

décide  .  ,  ,  •  i       r\  i  i 

Napoléon  à    tion  cutrc  Ics  dcux  Hvcs  du  DanuDc,  la  crue  tou- 

le mouvement  .j<^urs  plus  fortc ,  Ics  arbrcs  déracinés,  les  bateaux 

offensif      rcufloués  par  l'élévation  des  eaux,  les  moulins  en- 

de  Lanncs.  * 

flammés  lancés  par  l'ennemi,  avaient  enfin  déter- 

'  Le  fif^iiéral  Côsar  de  Laville ,  excellent  officier  originaire  du  Pi«'- 
mont ,  aussi  énergique  que  spirituel ,  digne  sous  tous  les  rapports  de  sa 
brave  nation,  est  mort  récemment  en  France,  où  il  s'était  établi.  C'est 
de  sa  propre  bouche  que  j'ai  recueilli  tous  les  détails  rapportés  ici,  et 
pour  être  plus  sftr  de  ma  mémoire .  je  le  priai  de  me  les  écrire ,  ce  qu'il 
fit  de  Saint-Sauveur  en  184*,  dans  une  lettre  curieuse  de  vingt-quatre 
pages,  que  j'ai  conservée  comme  un  monument  historique  des  plus 
intéressants.  Je  me  suis  servi  d'un  document  non  moins  curieux  de 
M.  Ba<idru,  aide  de  camp  du  maréchal  Ressiéres,  qui  a  bien  voulu 
m'écrire  aussi  tout  ce  qu'il  avait  vu.  J'ai  recueilli  encore  d'autres  dé- 
tails de  la  bouche  du  maréchal  Molitor,  du  général  duc  de  Mortemart, 
du  général  Petit,  du  général  Marbot ,  du  maréchal  Reilie,  tous  présents 
à  Essiing  et  à  W.ngram ,  et  j'ai  comiilété  avec  leurs  renseignements  la 
foule  de  documents  écrits  contenus  au  dépôt  de  la  guerre.  Je  me  suis 
du  reste  toujours  bonié  aux  détails  qui  étaient  d'une  authenticité  in- 
contestable. 


WAGRAM.  323 

miné  une  rupture  complète  du  i;rand  pont,  étal)li 
entre  Ébersdorf  et  l'île  de  Loljau.  Cette  rupture  était 
survenue  au  moment  où  six  beaux  régiments  de  cui- 
rassiers, les  deux  divisions  du  maréclial  Davout  et 
les  caissons  de  l'artillerie  se  préparaient  à  défiler. 
On  avait  vu  un  escadron  de  cuirassiers  coupé  en 
deux  s'en  aller  à  la  dérive,  partie  à  droite,  partie 
à  gauche,  sur  les  bateaux  entraînés  par  le  courant. 
Pourtant  ce  n'était  pas  la  privation  de  troupes  qu'il 
fallait  le  plus  regretter,  car  les  60  mille  hommes 
passés  dans  les  deux  jours  précédents,  sufTisaient, 
surtout  avec  l'élan  donné,  pour  culbuter  l'armée 
autrichienne  :  c'était  la  privation  des  munitions, 
dont  une  prodigieuse  quantité  avait  déjà  été  con- 
sommée ,  et  dont  on  devait  bientôt  manquer. 

A  cette  triste  nouvelle,  portée  par  M.  de  Mor- 
temart ,  Napoléon ,  devenu  trop  prudent  peut-être 
après  avoir  été  trop  téméraire,  craint  d'être  tout  à 
coup  privé  de  munitions  sur  ce  vaste  champ  de 
bataille,  et  de  n'avoir  plus  que  des  baïonnettes  et 
des  sabres  à  opposer  à  l'ennemi.  Il  craint  aussi, 
ayant  engagé  toutes  ses  troupes,  et  n'ayant  plus 
que  la  garde  à  pied  et  les  fusiliers  pour  couvrir  les 
derrières  du  maréchal  Lannes,  d'être  sans  ressource 
contre  un  retour  subit  de  fortune,  retour  qui  serait 
désastreux  sur  le  bord  de  l'abîme  auquel  on  est 
adossé.  Il  se  résout  donc  à  un  sacrifice  douloureux, 
et  il  renonce  à  une  victoire  presque  certaine  poui- 
ne  pas  s'exposer  à  des  risques  que  la  sagesse  ne 
permet  pas  de  braver.  Ce  parti  si  cruel  pris  en  un 
instant  avec  la  résolution  d'un  véritable  homme 
de  guerre,  Napoléon  ordonne  à  M.  de  Laville  de 

21. 


Mai  1809. 


Mai  IS09. 


32 i  l.l\  Ml-    XXXV. 

iL'toiirner  aussi  vite  qu'il  est  venu  auprès  du  iiiaré- 
ciial  Lanncs  pour  lui  dire  de  suspendre  son  mou- 
vement et  de  se  replier  peu  à  peu,  sans  trop  en- 
liartlir  Tennemi,  sur  la  ligne  d  Essling  et  d'Aspern, 
Il  lui  fait  recommander  aussi  de  ménager  ses  muni- 
tions, qui  ne  tarderont  pas  à  faire  faute  '. 
iieirnitc  Launes  et  Bessières,  en  recevant  cet  ordre,  sont 

a-i  milieu^     obligés,  malgré  de  vifs  regrets,  de  s'arrêter  au  mi- 
dc  la  plaine    jjg^  j|g  celle  imiueuse  plaine  du  Marchfeld,  inondée 
sur  le  viiidge  (je  feux.  L'arclliduc,  si  vivement  pressé  vers  Brei- 

d'Essiing.  .  .  . 

tentée,  voit  nos  colonnes  devenir  subitement  im- 
mobiles, sans  pouvoir  s'en  expliquer  la  cause.  Il 
profite  de  ce  moment  de  répit  pour  reporter  de  sa 
droite  à  sa  gauche  une  partie  du  corps  de  Belle- 
garde,  et  pour  ranger  en  ligne  derrière  le  corps  de 

'  Dans  une  lettre  curieuse  adressée  au  maréchal  Davout,  au  milieu  de 
la  bataille,  le  major  général  Berthier  écrit  que  dès  di\  heures  du  matin 
les  munition^  manquèrent.  Xous  citons  celte  lettre,  qui  donne  à  la 
journée  son  vrai  et  sinistre  caractère. 

Le  major  général  au  duc  d'Awerslœdt ,  à  Vienne. 

a  Rive  go.uche  f^u  Dmube,  à  la  tête  du  pont, 
le  22  mai  1809,  à  midi  et  demi. 

»  L'interruption  du  pont  nous  a  empêchés  de  nous  approvisionner. 
A  dix.  heures  nous  n'avions  plus  de  munitions;  l'ennemi  s'en  est  aperçu, 
et  a  remarché  sur  nous.  200  bouches  à  feu,  auxquelles  depuis  dix 
li;'iires  nous  ne  pouvions  répondre,  nous  ont  fait  beaucoup  de  mal. 

»  Dans  cette  situation  de  choses,  raccommoder  les  ponts,  nous  en- 
voyer des  munitions  et  des  vivres,  faire  surveiller  Vienne,  est  exlrè- 
mement  important.  Écrivez  au  prince  de  Ponte-Corvo  pour  qu'il  ne 
s'engage  pas  dans  la  Bohême,  et  au  général  Lauris'on  pour  qu'il  soit 
prêt  à  se  rapprocher  de  nous.  Voyez  M.  Daru  pour  qu'il  nous  envoie  des 
effets  d'ambulance  et  des  vivres  de  toute  espèce. 

»  Aussitôt  que  le  pont  sera  prêt,  ou  dans  la  nuit,  venez  vous  abou- 
cher avec  l'Empereur. 

»  Signée  :  Alf.x.vndre.  » 


WAGRAM.  2r.\ 

liohenzollern  les  seize  bataillons  de  i^renadier^  (iiii • 

Ma;   IS09 

formaient  sa  réserve,  plus  une  masse  énorme  d'ar- 
tillerie,  car  il  possédait  près  de  300  bouclies  à 
feu,  et  pouvait  en  réunir  200  sur  ce  point  si  me- 
nacé. Remis  ainsi  de  son  premier  trouble,  il  fait 
diriger  sur  Lannes  une  canonnade  elVrovable.  La 
division  Saint-Hilaire ,  la  plus  avancée  des  trois, 
placée  en  l'air  pour  ainsi  dire,  reçoit  de  front  et  de 
flanc  un  feu  de  mitraille  continuel.  Elle  rétrograde 
lentement,  avec  l'aplomb  qui  convient,  et  aux  vieux 
régiments  dont  elle  est  composée ,  et  au  chevale- 
resque Saint-Hilaire  qu'elle  a  pour  chef.  Par  mal- 
heur ce  brave  officier,  ancien  ami  de  Napoléon, 
tombe  frappé  à  mort  d'un  biscaïen.  Sa  di\ision, 
saisie  de  douleur,  se  maintient  cependant.  Lannes 
accourt  pour  remplacer  Saint-Hilaire,  et  ramener 
sa  division  sur  un  terrain  moins  exposé.  Il  rétro- 
grade, mais  comme  un  lion  qu'il  est  dangereux 
de  poursuivre.  Les  corps  qui  veulent  le  serrer  de 
trop  près  essuient  de  rudes  charges  à  la  l)aïon- 
nette,  et  sont  violemment  repoussés.  Passant  de 
la  division  Saint-Hilaire  aux  deux  divisions  d'Ou- 
dinot,  Lannes  les  conduit  avec  la  môme  vigueur 
devant  un  adversaire  que  notre  retraite  a  rempli 
de  confiance.  Malheureusement  les  soldats  d'Ou- 
dinot  souffrent  plus  que  les  autres,  parce  qu'on  n'a 
pas  osé  déployer  en  face  de  l'ennemi  des  troupes 
aussi  jeunes.  Rangés  en  colonnes  profondes,  ils 
perdent  par  le  boulet  des  files  entières. 

Peu  à  peu  Lannes  ramène  sa  ligne  à  la  hauteur  du  ^^""f  ^^"'^ 

r  '-  ^      SCS  troupes 

fossé  qui  s'étend  d'Essling  jusqu'à  Aspern,  et  qui      derrière 
présente  une  sorte  d'abri  derrière  lequel  son  in-    qui  s'étend 


liai  4  8Û<J. 

dEssIing  à 
Aspern. 


326  LIVHE   XXXV. 

faiilerio  peut  se  mettre  h  couvert.  Son  artillerie, 
quoique  infétienre  en  nonibie  et  en  approvision- 
nements à  celle  de  l'ennemi,  reste  seule  sur  la 
parti(^  saillante  de  ce  fossé,  afin  d'arrêter  le  mou- 
vement des  colonnes  autrichiennes  qui  s'avancent 
pour  faire  une  tentative  désespérée.  En  elTet,  on 
voit  le  corps  de  Hiller  et  une  partie  de  celui  de 
Belleirarde  se  reporter  sur  Aspern,  les  deux  co- 
lonnes de  Rosenberg  s'approcher  de  nouveau 
d'EssIing,  enfin  le  corps  de  Hohenzollern  rallié, 
renforcé  d'une  partie  de  celui  de  Bellegarde,  des 
grenadiers,  de  la  cavalerie  de  Liechtenstein,  pré- 
parer contre  notre  centre  un  effort  semblable  à 
celui  que  Napoléon  a  tenté  sur  le  centre  des  Au- 
trichiens. 

C'est  .en  efTet  sur  notre  centre  que  l'orage  paraît 
Autrichiens  d'abonl  se  diriger,  car  le  corps  de  Hohenzollern, 
les  grenadiers,  la  cavalerie  de  Liechtenstein  s'avan- 
cent en  formant  une  masse  compacte.  Napoléon  s'en 
aperçoit,  prévient  Lannes,  qui  s'en  est  également 
aperçu,  et  ils  demandent  à  la  division  Saint-Hilaire, 
aux  divisions  Oudinot,  à  la  cavalerie,  de  se  dévouer 
encore  une  fois  au  salut  de  l'armée.  Lannes,  dispo- 
sant en  première  ligne  les  divisions  Saint-Hilaire, 
Claparède  et  Tharreau,  en  seconde  ligne  les  cuiras- 
siers, en  troisième  la  vieille  garde,  laisse  approcher 
la  masse  épaisse  du  corps  de  Hohenzollern  et  des 
grenadiers  à  demi-portée  de  fusil.  Puis  il  ordonne 
un  feu  de  mousqueterie  et  de  mitraille,  exécuté  de 
si  près  et  avec  tant  de  justesse,  qu'on  voit  bientôt 
les  lignes  de  l'ennemi  s'éclaircir.  Il  lance  ensuite 
les  cuirassiers  à  bride  abattue  sur  l'infanterie  au- 


EfTort 
des 


sur 

notre  centre 

entre    Essling 

et  Aspern. 


Mat  1809. 


WAGRAM.  327 

tricliieiine,  qui,  cédant  en  plusieurs  points,  est 
entr'ouverle  comme  une  muraille  dans  laquelle  on 
a  fait  brèche.  Le  brave  prince  Jean  de  Liechtenstein 
se  précipite  à  son  tour  avec  sa  cavalerie  sur  celle 
de  Bessières.  Mais  Lasalle,  Marulaz  viennent  avec 
leurs  chasseurs  et  leurs  hussards  au  secours  de  nos 
cuirassiers,  et  ce  vaste  terrain  ne  présente  bientôt 
plus  qu'une  immense  confusion  de  quinze  mille  ca- 
valiers français  et  autrichiens,  se  chargeant  les  uns 
les  autres  avec  fureur,  unis  quand  ils  s'élancent, 
désunis  quand  ils  reviennent,  et  se  ralliant  sans 
cesse  pour  charger  de  nouveau. 

Après  cette  longue  mêlée,  le  mouvement  de  l'en-       L'effort 

,  I  1  des 

nemi  sur  notre  centre  parait  suspendu,  et  le  corps    Autrichiens 
de  Ilohenzollern,  comme  paralysé,  s'arrête  en  face  étlnt^rrêté*^ 
de  l'épaulement  qui  s'étend   d'Essling  à  Aspern.   ^   y^Tmée 

'  '  -  j  française  reste 

Notre  artillerie,  en  partie  démontée,  reste  sur  le  immobiiesous 
rebord  du  fossé,   tii'ant  avec  justesse   mais  avec     canonnade. 
lenteur,  à  cause  de  la  rareté  des  munitions,  et  ex- 
posée au  feu  de  plus  de  deux  cents  pièces  de  ca- 
non. Nos  fantassins  s'abritent  dans  le  fossé;  notre 
cavalerie ,  formant  un  rideau  en  arrière ,  et  rem- 
plissant l'espace  d'Essling  à  Aspern,  essuie  avec 
une  admirable  impassibilité  une  canonnade  inces- 
sante. Ainsi  l'exige  une  impérieuse  nécessité.   Il 
faut  tenir  jusqu'à  la  fin  du  jour,  si  on  ne  veut  être 
précipité  dans  le  Danube  qui  continue  de  grossir. 
En  ce  moment  un  affreux  malheur  vient  frapper 
l'armée.  Tandis  que  Lannes  galope  d'un  corps  à       Lannes 
l'autre  pour  soutenir  le  courage  de  ses  soldats,     est  frappé 

i  ^  '     mortellement 

un  officier,  effrayé  de  le  voir  en  butte  à  tant  de  par  uu  boulet 

V  ]  qui 

périls,  le  supplie  de  mettre  pied  a  terre,  pour  de-    lui fracasse 


328 


LIVUI-:  \.\\v 


■  nicnrcr  moins  pxnosé  aux  coiiiis.  Il  suit  co,  conseil, 

Mai  18011.  '  ....  . 

(|ii()i(iii('  hiciî   |)rii   lial)iliK'  à  iiiciuiircr  sa  vie,  et, 
les  deux      coidiik;  sj   If  (Icstiii  (Mail   im   iiiailrc  aïKiuel  on  ne 

genoux.  1 

saillait  (''('lia|)|)('r,  il  ol  ;i  I  inslaul  iiirinc  atteint  par 
un  i)()iil(i  (]iii  lui  liacasso  les  daux  genoux.  Le 
maréchal  Ik's.sjères  et  le  clief  d'escadron  César  de 
Laviile  le  recueillent  noyé  dans  son  sang  et  pres- 
(pie  évanoui,  lîessières,  qu'il  avait  fort  maltraité  la 
\ cille,  serre  sa  main  défaillante,  mais  en  détour- 
nant la  tcte  de  peur  de  l'olfenser  par  sa  présence. 
Ou  retend  sur  le  manteau  d'un  cuirassier,  et  on 
le  transporte  pendant  une  demi-lieuc  jiisiprau  j)etil 
pont  où  se  trouvait  une  and)ulance.  (^ette  nouvelle, 
connue  l)ientol  dans  toute  Tannée,  y  répand  une 
profonde  tristesse.  Mais  ce  n'est  pas  le  temps  de 
pleurer,  car  le  danger  s'accroît  à  chaque  minute. 
Nouveaux         f^os  elforts  de  l'ennemi,  arrêtés  au   centre,  se 

efforts  ,  -,  4 

de  l'ennenn    loiiniciil  a\ ce  liiicur  sur  k'S  ailes,  contre  Aspern 

sur  les  villa-       t   ■f     ^•  i  >  v,  -     n  a  i  '     '  tt-u 

ges  d'Asporn  ct  lissung.  i)u  cotc  (l  Aspcm ,  ics  geueraux  Hiller 
et  d  Essiin-.  p{  Yacquaut  dirigent  des  attaques  réitérées  sur  ce 
malheureux  village,  qui  n'est  plus  qu'un  amas  de 
ruines  et  de  cadavres.  On  n'y  marche  que  sur  des 
décombres,  sur  des  poutres  hrùlantes,  ou  sur  des 
mourants,  dont  les  souffrances  n'importent  plus  en 
présence  du  danger  (pii  luenacc  tout  le  monde.  Les 
tirailleurs  de  la  garde,  i\\]o  Napoléon  avait  confiés 
à  ^las.séna,  malgré  leur  jeune  ardeur,  malgré  les 
vieux  officiers  (pii  les  commandent,  sont  eux- 
mêmes  poussés  en  dehors  du  village.  Aussitôt  Le- 
erand  avec  les  débris  de  sa  division,  Carra  Saint-Cvr 
avec  la  moitié  de  la  sieime,  reprennent  ce  tas  de 
ruines  fumantes  sous  les  yeux  delMasséna,  qui  est 


WAGRAM.  329 

au  milieu  d'eux  brisé  parla  fatigue,  mais  élevé  au-  

dessus  des  faiblesses  de  la  nature  [)ar  la  force  de  ' 
son  âme.  Legrand,  chargé  d'exécuter  ses  ordres, 
se  montre  partout,  la  pointe  de  son  chapeau 
coupée  par  un  boulet,  et  obligé  souvent  de  recou- 
rir à  son  épée  pour  éloigner  les  baïonnettes  enne- 
mies de  sa  poitrine,  A  gauche,  Molitor  jette  dans 
le  bras  d'eau  derrière  lequel  il  est  posté  les  Autri- 
chiens qui  veulent  envahir  l'îlot.  Grâce  à  cette  hé- 
roïque résistance  Aspern  nous  reste.  Mais  l'archi- 
duc nourrit  un  dernier  espoir,  c'est  d'emporter 
Essling,  Il  fait  envelopper  cette  position  par  les 
deux  colonnes  de  Rosenberg,  et  dirige  avec  les 
grenadiers  qu'il  conduit  en  personne  une  attaque 
furieuse  sur  le  centre  même  du  village.  Bessières, 
qui  a  remplacé  Lannes ,  voit  ce  nouveau  péril ,  et 
s'occupe  d'y  parer.  Napoléon,  pour  le  secourir,  lui 
envoie  les  fusiliers  de  la  garde,  troupe  superbe, 
formée  pendant  les  campagnes  de  Pologne  et  d"Es- 
pagne,  et  près  d'atteindre  à  cette  perfection,  qui  se 
rencontre  entre  l'extrême  jeunesse  et  l'extrême 
vieillesse  du  soldat.  C'est  le  général  Mouton  qui  est  LesfusiHcr- 
chargé  de  les  commander.  — Brave  Mouton,  lui  dit  '^•^  ^'^  S"'''^*^ 

~  '  sous 

l'Empereur,  faites  encore  un  effort  pour  sauverl'ar-     les  ordres 

.  ,  „       ....  du    général 

mée;  mais  finissez-en,  car  après  ces  lusiliers  je  Mouton, 

n'ai  plus  que  les  grenadiers  et  les  chasseurs  de  la  unTdemlùrc 

vieille  garde,  dernière  ressource  qu'il  ne  faut  dé-  '""jes'^*" 

penser  que  dans  un  désastre.  —  Mouton  part,  et  grenadiers 

.  ,  autrichiens 

se  dirige  sur  la  gauche  d'Essling,  ou  1  attaque  des       contre 

1-  ,    •    1  •  •         •,       1  '  •     j  Esslins;. 

grenadiers  autrichiens  paraissait  plus  a  craindre. 
Bessières,  placé  plus  près  des  lieux,  voit  le  danger  à 
droite,  entre  Essling  et  le  Danube,  et  il  n'hésite  pas 


Mai  1809. 


330  I.IVHE  XXXV. 

à  changer  la  direction  indiquée  par  rEin|)ereur.  Il 
envoie  partie  de  ces  quatre  l)ataillons  dans  Essling 
môme,  partie  à  droite  entre  le  \illai^e  et  le  fleuve. 
Ce  secours  était  urinent,  car  de  front  Essling  était 
menacé  par  les  grenadiers,  et  à  droite  par  les  co- 
lonnes de  Rosenberg,  prêtes  à  passer  entre  Ess- 
ling et  le  Danube.  C'était  le  général  Boudet  qui 
détendait  encore  Essling  depuis  la  veille.  Cinq  fois 
les  grenadiers  conduits  par  le  feld-maréclial  d'As- 
pre  étaient  revenus  à  l'attaque,  et  cinq  fois  ils 
avaient  été  repoussés  tantôt  par  la  fusillade,  tantôt 
par  des  charges  à  la  baïonnette.  Néanmoins  sur  la 
droite  du  village,  que  peu  de  monde  défendait,  Bou- 
det tourné,  enveloppé  par  l'une  des  deux  colonnes 
de  Rosenberg,  avait  été  obligé  de  se  retirer  dans 
un  grenier,  vaste  édifice,  crénelé  comme  une  forte- 
resse. Il  s'y  maintenait  avec  une  ténacité  indomp- 
table; mais  assailli  de  toutes  parts,  il  allait  suc- 
comber quand  Mouton  arrive  avec  les  fusiliers  de 
la  garde.  Cette  belle  jeunesse  arrache  aux  grena- 
diers d'Aspre  une  partie  du  village,  et  arrête  les 
soldats  de  Rosenberg  le  long  de  l'espace  qui  s'é- 
tendjusqu'au  Danube.  Pourtant  ce  premier  acte  d'é- 
nergie ne  suffit  pas  contre  un  ennemi  quatre  fois  plus 
nombreux,  et  résolu  à  tenter  les  derniers  eil'orts 
pour  réussir.  Mais  Rapp  survient  avec  deux  nou- 
veaux bataillons  de  ces  mêmes  fusiliers,  et  propose 
au  général  Mouton  de  faire  une  charge  générale  à  la 
baïonnette.  Tous  deux  en  se  serrant  la  main  adop- 
tent cette  manière  d'en  finir,  et  fondent  tête  baissée 
sur  les  Autrichiens.  Ils  leur  portent  un  tel  choc  qu'ils 
les  refoulent  à  l'instant  d'un  bout   du  village  à 


Mai  1809. 


WAGRAM.  334 

l'aiitre ,  culbutent  les  soldats  d'Asprc  sur  ceux 
de  Rosenberg,  et  les  rejettent  tous  au  delà  d'Ess- 
ling.  Au  même  moment  l'artillerie  de  la  Lobau 
prenant  en  écharpe  les  masses  qui  avaient  passé 
entre  le  fleuve  et  le  village,  les  couvre  de  mi- 
traille. Essling  se  trouve  ainsi  délivré. 

Il  y  avait  trente  heures  que  cette  lutte  durait.     Larchïduc 
L'archiduc  Charles  épuisé,  désespérant  de  nous  je-    désespérant 
ter  dans  le  Danube,  commençant  lui  aussi  à  man-    -eteriarmée 
quer  de  munitions,  prend  enfui  le  parti  de  sus-  franç^'s^e dans 

^  .  .  's  Danube, 

pendre  cette  sanglante  bataille,  Tune  des  plus  renonce  a  ses 
affreuses  du  siècle,  et  se  décide  à  clore  la  jour-  et  termine 
née  en  envoyant  ce  qui  lui  reste  d'obus  et  de  '^J°"^-^^^P^'' 
boulets  sur  les  corps  placés  entre  Aspern  et  Ess-  canonnade. 
ling.  Aussi  tandis  que  dans  Aspern  les  généraux 
Hiller  et  Bellegarde  s'acharnent  encore  à  disputer 
quelques  débris  de  ce  malheureux  village ,  vers 
le  centre  et  vers  Essling,  l'archiduc  Charles  fait 
discontinuer  les  attaques,  et  se  borne  à  porter 
son  artillerie  en  avafit  pour  tirer  à  outrance  sur 
nos  hgnes.  A  un  péril  de  ce  genre  il  n'y  avait 
à  opposer  qu'une  froide  immobilité.  Notre  artille- 
rie, démontée  en  grande  partie,  s'arrête  comme 
elle  avait  déjà  fait  sur  le  bord  du  fossé  qui  nous 
couvrait,  tirant  d'intervalle  en  intervalle  pour  ga- 
gner la  fin  du  jour.  L'infanterie  s'établit  en  ar- 
rière à  moitié  couverte  par  le  terrain,  et  plus  en 
arrière  encore  se  déploie  notre  belle  cavalerie, 
présentant  deux  fronts,  l'un  d'Essling  à  Aspern, 
pour  couvrir  le  centre  de  la  position,  l'autre  en 
retour,  pour  couvrir  l'espace  entre  Essling  et  le 
fleuve.  Enfin  la  garde  impériale,  présentant  deux 


Mai  1S09. 


332  II  Vin-    XXXV. 

fronts  parallèles  à  ceux  de  la  cavalerie,  demeure 
ini|)assil)le  sous  les  boulets,  et  on  n'entend  au 
milieu  de  la  canonnade,  que  ce  cri  des  officiers  : 
Serrez  les  raniïs!  Il  n'y  a  plus  en  effet  que  cette 
manœuvre  à  exécuter  jus(|u'à  la  nuit,  car  il  est 
im|)()ssil)le,  soit  d'éloiLrner  l'ennemi,  soit  de  le  fuir 
par  le  pont  qui  conduit  à  la  Lobau.  Cette  retraite 
par  une  seule  issue  ne  peut  s'opérer  qu'à  la  faveur 
de  l'obscurité,  et  dans  le  mois  de  mai  il  faut  at- 
tendre plusieurs  heures  encore  les  ténèbres  salu- 
taires qui  doivent  favoriser  notre  départ. 

Napoléon  n'avait  cessé  pendant  la  journée  de  se 

tenir  dans  l'angle  que  décrivait  notre  ligne  d'As- 

pern  à  Essiing,  d'Essling  au  fleuve,  et  où  passaient 

tant  de  boulets.  On  l'avait  pressé  plusieurs  fois  de 

mettre  à  l'abri  une  vie  de  laquelle  dépendait  la  vie 

de  tous.  Il  ne  l'avait  pas  a  oulu  tant  qu'il  avait  pu 

Napoléon      Craindre    une   nouvelle    attaque.  Maintenant  que 

le'champ      l'ennemi  épuisé  se  bornait  à  une  canonnade,  il  ré- 

de  bataille  a    solut  dc  reconnaître  de  ses  veux  l'île  de  Lobau, 

la  chute  ...  " 

du  jour,  pour  d'v  clioisir  le  meilleur  emplacement  pour  l'armée, 

aller  préparer     i,"^.  ii-  ••  i 

la  retraite     Q  v  faiTC  cn  uu  uiot  toutcs  Ics  dispositious  de  retraite. 

deTobàu  Certain  de  la  possession  d'Essling  que  les  débris  de 
la  division  Boudet  et  les  fusiliers  occupaient,  il  fit 
demanfler  à  Masséna  s'il  pouvait  compter  sur  la 
possession  d'Aspern ,  car  tant  que  ces  deux  points 
d'appui  nous  restaient,  la  retraite  de  l'armée  était 
assurée.  L'ofïicier  d'état-major  César  de  Laville, 
envové  à  Masséna,  le  trouva  assis  sur  des  décom- 
bres,  harassé  de  fatigue,  les  yeux  enflammés, 
mais  toujours  plein  de  la  même  énergie.  Il  lui 
transmit  son  message,  et  Masséna,  se  levant,  lui 


WAGRAM. 


333 


Mai  1809. 


répondit  a\  ec  un  accent  extraordinaire  :  Allez  dire 
à  TEmpereur  que  je  tiendrai  deux  heures,  six, 
vingt-quatre,  s'il  le  faut,  tant  que  cela  sera  néces- 
saire au  salut  de  Tarmee.  — 

Napoléon,  tranquillisé  pour  ces  deux  points,  se 
dirigea  sur-le-champ  vers  Tîle  de  Lobau,  en  faisant 
dire  à  Masséna,  à  Bessières,  à  Berthier,  de  le  venir 
joindre,  dès  qu'ils  pourraient  quitter  le  poste  confié 
à  leur  garde,  afin  de  concerter  la  retraite  qui  de- 
vait s'opérer  dans  la  nuit.  Il  courut  au  petit  bras, 
lequel  coulait  entre  la  rive  gauche  et  l'ile  de  Lobau. 
Ce  petit  bras  était  devenu  lui-même  une  grande 
rivière,  et  des  moulins  lancés  par  Tennemi  avaient 
plusieurs  fois  mis  en  péril  le  pont  qui  servait  à  le 
traverser.  L'aspect  de  ses  bords  avait  de  quoi  na- 
vrer le  cœur.  De  longues  files  de  blessés,  les  uns  se  spectacle 
traînant  comme  ils  pouvaient,  les  autres  placés  sur  présenfaiem 
les  bras  des  soldats ,  ou  déposés  à  terre  en  atten-  du'^^îr'^ont 
dant  qu'on  les  transportât  dans  l'île  de  Lobau,  des  qui  condmsaii 
cavaliers  démontés  jetant  leurs  cuirasses  pour  mar- 
cher plus  aisément,  une  foule  de  chevaux  blessés 
se  portant  instinctivement  vers  le  fleuve  pour  se 
désaltérer  dans  ses  eaux,  et  s'embarrassant  dans 
les  cordages  du  pont  jusqu'à  devenir  un  danger, 
des  centaines  de  voitures  d'artillerie  à  moitié  bri- 
sées, une  indicible  confusion  et  de  douloureux  gé- 
missements, telle  était  la  scène  qui  s'offrait,  et  qui 
saisit  Napoléon.  Il  descendit  de  cheval,  prit  de 
l'eau  dans  ses  mains  pour  se  rafraîchir  le  visage,  et 
puis  apercevant  une  litière  faite  de  branches  d'ar- 
bres ,  sur  laquelle  gisait  Lannes  qu'on  venait  d'am- 
puter, il  courut  à  lui,  le  serra  dans  ses  bras,  lui 


à  l'ile 
de  Lobau. 


Mai  1809. 


Napoléon. 


:i:V4  I.IVIU,   WW. 

exprima  rosporance  do  le  ron.c.orver,  et  le  trouva , 
(fuoi(|iie  toujours  li(''r()ï(|iio ,  \i\(Mn('nt  afTecté  de  se 
voir  arrêter  sitôt  dans  cette  carrière  de  tjloire.  — 
Entrevue      Yqus   allcz  ix'rdro.   lui   dit  Lannes ,  celui   qui   fui 

de  Lannes  et  '  '  '  ' 

de  votre  uieilleur  auii  et  Notre  fidèle  conii)ai!;non  d'ar- 

mes. Vivez  et  sauvez  l'armée.  —  La  malveillance 
(jui  couunençait  à  se  déchaîner  contre  Napoléon, 
et  qu'il  n'avait,  hélas!  que  trop  provoquée,  ré- 
pandit alors  le  bruit  de  prétendus  reproches,  que 
J.annes  lui  aurait  adressés  en  mourant.  Il  n'en  fut 
rien  cependant.  Lannes  reçut  avec  une  sorte  de 
satisfaction  convulsive  les  étreintes  de  son  maître, 
et  exprima  sa  douleur  sans  y  mêler  aucune  parole 
amère.  H  n'en  était  pas  besoin  :  un  seul  de  ses  re- 
i5'ards  rappelant  ce  qu'il  avait  dit  tant  de  fois  sur  le 
danger  de  .guerres  incessantes,  le  spectacle  de  ses 
deux  jambes  brisées ,  la  mort  d'un  autre  héros 
d  Italie,  Saint-Uilaire,  frappé  dans  la  journée,  l'hor- 
rible hécatombe  de  quarante  à  cinquante  mille  hom- 
mes couchés  à  terre,  n'étaient-ce  pas  là  autant  de 
reproches  assez  cruels,  assez  faciles  à  comprendre? 
Napoléon,  après  avoir  serré  Lannes  dans  ses  bras, 
et  se  disant  certainement  à  lui-même  ce  que  le  héros 
mourant  ne  lui  avait  pas  dit,  car  le  génie  qui  a  com- 
mis des  fautes  est  son  juge  le  plus  sévère,  Napoléon 
remonta  à  cheval,  et  voulut  profiter  de  ce  qui  lui 
restait  de  jour  pour  visiter  l'île  de  Lobau,  et  arrêter 
.Napoléon      ses  dispositious  de  retraite.  Après  avoir  parcouru 

visitG  rUô 

de  Lobau      l'île  dans  tous  les  sens,  avoir  examiné  de  ses  pro- 

*  d""jou?.""^  près  yeux  les  divers  bras  du  Danube  qui,  changés 

en  véritables  bras  de  mer,  roulaient  les  débris  des 

rives  supérieures,  il  acquit  la  conviction  que  l'armée 


Mai  1809. 


WAGRAM.  3»5 

trouverait  dans  ÏWc  deLobau  un  camp  retranché  où 
elle  serait  inexpugnable,  et  où  elle  pourrait  s'abriter 
deux  ou  trois  jours,  en  attendant  que  le  pont  sur  le 
grand  bras  fût  rétabli.  Le  petit  bras  qui  la  séparait 
des  Autrichiens  était  impossible  à  franchir  en  pré- 
sence de  Masséna,  qui  serait  là  pour  en  disputer  le 
passage.  La  largeur  de  File  ne  permettait  pas  qu'en 
l'accablant  de  boulets  on  la  rendît  inhabitable  pour 
nos  soldats.  Enfin  en  em[)loyant  tout  ce  qu'il  y  avait 
de  bateaux  sur  la  rive  droite,  on  parviendrait  à  ap- 
porter des  vivres,  des  munitions,  de  manière  (jue 
l'armée  eût  de  quoi  subsister  et  se  défendre.  Ces  vues 
promptement  conçues  et  arrêtées.  Napoléon  revint 
à  la  nuit  vers  le  petit  bras.  Le  maréchal  Masséna  s'y 
était  transporté  dès  qu'il  avait  cru  pouvoir  confier  la 
garde  d'Aspern  à  ses  lieutenants.  Le  maréchal  Bes- 
sières,  le  major  général  Berthier,  quelques  chefs 
de  corps,  le  maréchal  Davout  venu  en  bateau  de 
la  rive  droite,  étaient  réunis  à  ce  rendez-vous  assigné 
au  bord  du  Danube,  au  milieu  des  débris  de  cette 
sinistre  journée.  Là  on  tint  un  conseil  de  guerre.  conseil 
Napoléon  n'avait  pas  pour  habitude  d'assembler  de  de  guerre  tenu 

^  *^         ^  .au  bord 

ces  sortes  de  conseils,  dans  lesquels  un  esprit  in-    du  Danube 
certain  cherche,  sans  les  trouver,  des  résolutions    xapoiéon  et 
qu'il  ne  sait  pas  prendre  lui-même.   Cette  fois  il    n^aréchaux. 
avait  besoin,  non  pas  de  demander  un  avis  à  ses 
lieutenants,  mais  de  leur  en  donner  un,  de  les  rem- 
plir de  sa  pensée,  de  relever  l'âme  de  ceux  qui 
étaient  ébranlés ,  et  il  est  certain  que ,  quoique  leur 
courage   de  soldat  fût    inébranlable,   leur  esprit 
n'embrassait  pas  assez  les  difficultés  et  les  ressour- 
ces de  la  situation ,  pour  n'être  pas  à  quelques  de- 


Mai  1809. 


336  LIVRE  XXXV. 

grés  surpris,  Irouhlé,  aballu.  Le  caracttMC  qui  fait 
supporter  les  revers  est  plus  rare  que  l'héroïsme 
(jui  fait  l)ra\er  la  mort.  Napoléon,  calme,  confiant, 
ciir  il  Noyjiil  dans  ce  (pii  était  ani\é  un  pur  acci- 
«icnt  (|ui  n'avait  rien  d'irréparable,  [provoqua  les 
ofliciers  présents  à  dire  leur  avis.  En  écoutant  les 
discours  tenus  devant  lui.  il  put  se  con\aincre 
que  ces  deux  journées  avaient  produit  une  forte 
inipression,  et  que  quelques-uns  de  ses  lieutenants 
étaient  partisans  de  la  résolution  de  repasser  tout 
de  suite,  non-seulement  le  petit  bras  afin  de  se  re- 
tirer dans  l'île  de  Lobau,  mais  aussi  le  grand  bras, 
afin  de  se  réunir  le  plus  tôt  possible  au  reste  de 
l'armée,  au  risque  de  perdre  tous  les  canons,  tous 
les  chevaux  de  l'artillerie  et  de  la  cavalerie,  douze 
ou  quinze  mille  blessés,  enfin  l'honneur  des  armes. 
oxpnmée°par  A  peine  uue  telle  pensée  s'était-elle  laissée  entrevoir 
,1  ^T°'onscii  ^"^  Napoléon,  prenant  la  parole  avec  l'autorité  qui 
assemblé     lui  appartenait,  et  avec  la  confiance  non  pas  feinte, 

au  bord  .  '  '.       ,  ,     •    •  •       •     ,,  -  ,  , 

du  Danube,  mais  smcerc ,  que  lui  inspirait  1  étendue  de  ses  res- 
sources, exposa  ainsi  la  situation.  La  journée  avait 
été  rude,  disait-il,  mais  elle  ne  pouvait  pas  être 
considérée  comme  une  défaite,  puisqu'on  avait 
conservé  le  champ  de  bataille,  et  c'était  une  mer- 
veille de  se  retirer  sains  et  saufs  après  une  pareille 
lutte,  soutenue  avec  un  immense  fleuve  à  dos,  et 
avec  ses  ponts  détruits.  Quant  aux  blessés  et  aux 
morts,  la  perte  était  grande,  plus  grande  qu'aucune 
de  celles  que  nous  avions  essuyées  dans  nos  lon- 
gues guerres,  mais  celle  de  l'ennemi  avait  dû  être 
d'un  tiers  plus  forte;  on  pouvait  donc  être  certain, 
assurait  Napoléon,  que  les  Autrichiens  se  tiendraient 


.    WAGRAM.  337 

tran([i)illes  pour  long-temps,  et  (piOn  aurait  le 
loisir  de  rallier  l'armée  d'Italie  qui  arrivait  victo- 
rieuse à  travers  la  Styrie,  de  ramener  dans  les 
rangs  les  trois  quarts  des  blessés,  de  tirer  de  France 
les  nombreux  renforts  qui  étaient  en  marche,  d'é- 
tablir sur  le  Danube  des  ponts  de  charpente  aussi 
solides  que  des  ponts  de  pierre,  et  qui  feraient  du 
passage  du  fleuve  une  opération  ordinaire.  Napo- 
léon ajoutait  qu'après  tout,  lorsque  les  blessés  se- 
raient rentrés  dans  les  rangs,  ce  ne  seraient  que 
dix  mille  hommes  de  moins  de  notre  coté,  pour 
quinze  mille  du  côté  de  l'adversaire,  et  deux  mois 
de  plus  dans  la  durée  de  la  campagne;  qu'à  cinq 
cents  lieues  de  Paris,  soutenant  une  grande  guerre 
au  sein  d'une  monarchie  conquise ,  au  milieu  même 
de  sa  capitale,  un  accident  de  cette  espèce  n'a- 
vait rien  qui  dut  étonner  des  gens  de  courage, 
rien  que  de  très -naturel,  rien  même  que  d'heu- 
reux, si  on  songeait  aux  dillicultés  de  l'entreprise, 
qui  consistait  à  passer  devant  une  armée  ennemie 
le  plus  grand  fleuve  de  l'Europe  pour  aller  livrer 
bataille  au  delà.  Il  ne  fallait  donc,  suivant  lui, 
ni  s'alarmer,  ni  se  décourager.  H  y  avait  un  mou- 
vement rétrograde  qui  était  convenable  et  néces- 
saire, c'était  de  repasser  le  petit  bras  du  Danube, 
pour  se  renfermer  dans  l'île  de  Lobau ,  pour  y 
attendre  l'abaissement  des  eaux  et  le  rétablisse- 
ment des  ponts  sur  le  grand  bras;  mouvement  fa- 
cile, qui  se  ferait  la  nuit,  sans  inconvénient,  sans 
perdre  ni  un  blessé,  ni  un  cheval,  ni  un  canon, 
sans  perdre  surtout  l'honneur  des  armes.  Mais  il  y 

avait  un  autre  mouvement  rétrograde  à  la  fois  dés- 
ion.  X.  22 


Mai  180*.). 


Mai  1809. 


338  1.1  VKK   XWV. 

honorant  et  désastnnix,  ce  serait  de  repasser  non- 
seulement  le  petit  bras,  mais  le  grand,  en  repas- 
sant celui-ci  tant  hien  que  mal,  avec  des  barques 
qui  ne  pourraient  transporter  que  les  hommes  vali- 
des, sans  un  canon,  ni  un  cheval,  ni  un  blessé, 
en  renonçant  surtout  à  iile  de  Lobau,  qui  était 
une  con(iuète  précieuse,  et  le  vrai  terrain  d'un  pas- 
sage ultérieur.  Si  on  agissait  de  la  sorte,  si  au  lieu 
de  soixante  mille  qu'on  était  au  départ  on  repassait 
au  nombre  de  quarante  mille,  sans  artillerie,  sans 
chevaux,  en  abandonnant  au  moins  dix  mille  bles- 
sés capables  de  servir  dans  un  mois,  on  ferait 
bien  en  revenant  de  ne  pas  se  montrer  aux  Vien- 
nois, qui  accableraient  de  mépris  leurs  vainqueurs, 
et  appelleraient  bientôt  l'archiduc  Charles  pour 
chasser  les  Français  d'une  capitale  où  ils  n'étaient 
plus  dignes  de  rester.  Et  dans  ce  cas  ce  n'était 
pas  à  une  retraite  sur  Vienne,  mais  à  une  re- 
traite sur  Strasbourg  qu'il  fallait  se  préparer.  Le 
prince  Eugène,  en  marche  sur  Vienne,  y  trouve- 
rait l'ennemi,  au  lieu  de  l'armée  française,  et  pé- 
rirait dans  ce  coupe-gorge;  les  alliés  effrayés,  de- 
venus traîtres  par  faiblesse,  se  retourneraient  contre 
nous;  la  fortune  de  l'Empire  serait  anéantie,  et  la 
grandeur  de  la  France  détruite  en  quelques  se- 
maines. En  un  mot  Napoléon  prévit,  annonça  avec 
précision,  comme  devant  se  réaliser  sous  quinze 
jours,  tout  ce  que  sa  politique  lui  a  valu  cinq  ans 
plus  tai'd,  si  au  lieu  de  se  retirer  fièrement  dans  la 
Lobau,  on  avait  la  faiblesse  de  traverser  précipi- 
tamment le  grand  Danube,  laissant  à  l'autre  bord 
ses  camarades  blessés,  son  matériel,  son  honneur. 


WAGRAM.  339 

Pour  agir  d'ailleurs  comme  il  le  conseillait,  il  ne 
fallait  que  peu  d'etlbrts.  Masséna  tiendrait  à  Aspern 
jusqu'à  minuit,  défderait  ensuite  avec  l'armée  sur 
le  petit  pont,  défendrait  la  Lobau  le  lendemain 
contre  les  entreprises  de  l'ennemi,  et  attendrait 
derrière  le  petit  bras  du  Danube  les  vivres  et  les 
munitions  qu'on  allait  lui  envoyer  en  bateaux.  Pen- 
dant ce  temps  on  rétablirait  le  grand  pont,  et  si, 
contre  toute  vraisemblance,  l'archiduc  Charles  osait 
faire  une  tentative,  en  descendant  sur  Presbourg 
ou  en  remontant  jusqu'à  Krems,  pour  se  transporter 
sur  la  rive  droite,  et  venir  nous  disputer  Vienne,  le 
maréchal  Davout  lui  tiendrait  tête  avec  ses  30 
mille  hommes,  qui  valaient  60  mille  Autrichiens, 
avec  le  reste  des  cuirassiers,  avec  la  cavalerie  de  la 
garde  qui  n'avaient  point  passé,  avec  les  Wurtem- 
bergeois,  les  Bavarois,  les  Saxons.  Ainsi  ^[asséna, 
Davout,  leur  dit-il,  vous  vivez,  et  vous  sauverez 
l'armée,  en  vous  montrant  dignes  de  ce  que  vous 
avez  déjà  fait.  —  Masséna,  souvent  mécontent,  blâ- 
mant même  avec  amertune  la  précipitation  qu'on 
avait  mise  à  passer  le  Danube,  Masséna,  transporté 
de  tant  de  raison  et  de  fermeté,  saisit  la  main  de 
Napoléon  et  lui  dit  :  —  Vous  êtes,  sire,  un  homme 
de  cœur,  et  digne  de  nous  commander!  Non,  il  ne 
faut  pas  fuir  comme  des  lâches,  qui  auraient  été 
vaincus.  La  fortune  nous  a  mal  servis,  mais  nous 
sommes  victorieux  néanmoins,  car  l'ennemi  qui 
aurait  dû  nous  précipiter  dans  le  Danube  a  mordu 
la  poussière  devant  nos  positions.  Ne  perdons  pas 
notre  attitude  de  vainqueurs,  ])ornons-nous  à  re- 
passer le  petit  bras  du  Danube,  et  je  vous  jure  d'v 


Mai  1800. 


Vif 
assentiment 

donné 

par  Masséna 

aux  paroles 

de  Napoléon. 


-)9 


:U0  I.IVHK   XXXV. 
noyer  luiil  Aulriciiieu  (iiii  Noiidrail   le  IVaiicliii'  à 

Mai   1809.  *^  .  -^  .        ,  ^     .       , 

notre  .suite.  —  Davout  proniil  de  son  cote  de 
ij'arder  Vienne,  et  de  repousser  toute;  attaque  qui 
viendrait  |)ar  Presijourii;  ou  par  Krenis,  pendant 
l'opération  du  rétablissement  des  ponts,  oj)éra- 
tion  après  laquelle  Tarniée  réunie  sur  une  seule 
rive  n'aurait  plus  rien  à  craindre  de  l'archiduc 
(iharlcs. 

Tous  les  cœurs  se  trouvèrent  raffermis  à  la  suite 

Haffermisse-    ^^^  ^^  conseil  teuu  au   bord  du  Danube,  sous  les 

ment        demicrs  boulets  lancés  par  les  Autrichiens.  Il  fut 

des  cœurs  '■ 

a  la  suite     couvcnu  que  Masséua  prendrait  le  conunandement 

du  conseil  ./.in  ^  i    •         •     i  •     < 

deguerretenu  en  chef  dc  1  armcG ,  emploierait  la  nuit  a  traverser 
^"du  22°"^*^'^  le  petit  bras,  tandis  que  Napoléon  repa.ssant  de  sa 
personne  le  i^rand  bras  avec  Berthier  et  Da^out, 
irait  diriger  lui-même  les  deux  opérations  qui  pres- 
saient le  plus,  l'envoi  dans  la  Lobau  de  munitions 
de  guerre  et  de  bouche,  et  le  rétablissement  du 
grand  pont.  On  se  quitta  consolés,  résolus,  cou- 
Apres  avoir    liants  les  uns  dans  les  autres.  Pendant  que  Mas- 
u  retraite     ^^"^  Fetoumait  à  Aspern,  Napoléon  se  rendit  à 
dans        travers  la  Lobau  sur  le  bord  du  bras  principal  du 

1  île  de  Lobau,  , 

et  en  avoir  Danube ,  aprcs  avoir  donné  tous  ses  ordres.  Il 
la  dh-ection  ^ut  de  la  peine  à  franchir  plusieurs  gros  ruis- 
.1  Massena,    gg^u;^  quj  s'étaient  formés  dans  l'intérieur  de  l'île 

Napoléon  i 

repasse  le  Da-  pjjp  suitc  de  la  crue  des  eaux.  Il  arriva  entre  onze 

nube  dans  .  .       . 

lo  nuit.  heures  du  soir  et  minuit  au  bord  du  grand  Da- 
nube, et  voulut  le  passer  immédiatement.  Le  péril 
était  grave,  car  outre  une  obscurité  profonde  il 
fallait  braver  les  énormes  corps  flottants  que  le 
courant  entraînait,  et  qui  heurtant  la  frêle  barque 
dans  laquelle  Napoléon  allait  monter,  pouvaient  la 


WAGKA.M. 


341 


submerger.  Mais  il  n'y  avait  pas  à  liosiler  en  pré- 
sence des  grands  devoirs  qui  restaient  à  re!n|)Iir, 
et  avec  la  confiance  de  César  au  milieu  des  flots 
de  l'Épire,  Napoléon  sY-mbarqua  sur  un  es(iiiif, 
accompagné  de  Berlliier  et  de  Savary,  conduit  |)ar 
quelques  pontonniers  intrépides,  qui  le  transpor- 
tèrent sain  et  sauf  sur  l'autre  rive.  A  peine  dé- 
l)arqué  à  Ehersdorf  il  donna  ses  premiers  ordres 
pour  attirer  sur  ce  point  toutes  les  barcpics  dis- 
ponibles, les  remj)lir  de  biscuit,  de  vin,  d'eau- 
de-vie,  de  gargousses,  de  cartouches,  d'objets  de 
pansement,  et  les  diriger  sur  l'île  de  Lobau.  Les 
bateaux  détachés  du  grand  pont  détruit  suffisaient 
dans  le  moment,  [)our  porter  le  nécessaire  à  l'ar- 
mée de  l'autre  coté  du  fleuve.  On  commença  cette 
opération  dans  la  nuit  même,  ou  plutôt  on  la  con- 
tinua plus  activement,  car  après  la  rupture  du  pont, 
on  avait  déjà  eu  recours  à  ce  moyen  dans  le  cou- 
rant de  la  journée. 

Pendant  ce  temps  Masséna,  investi  du  conunan- 
dement  en  chef,  avait  couru  à  Essling  et  Aspern 
pour  préparer  la  retraite.  Les  attaques  directes 
contre  ces  deux  points  avaient  cessé.  Les  Autri- 
chiens s'en  tenaient  à  une  canonnade,  toujours  plus 
lente  à  mesure  que  la  nuit  avançait,  et  qui  de 
loin  en  loin,  ici  ou  là,  faisait  quelques  victimes 
dans  l'ombre.  Nos  adversaires  épuisés  se  laissaient 
tomber  de  lassitude  sur  ce  champ  de  carnage, 
tandis  que  la  vigilance,  indispensable  dans  notre 
position  critique,  nous  obligeait  à  nous  tenir  de- 
bout, bien  que  notre  fatigue  fut  égale  à  celle  des 
Autrichiens.  Vers  minuit,  Masséna  fit  commencer 


Mai  ISu: 


Mesures 

de  Masséna 

pour  assurer 

la  retraite 

de  l'armée 

dans 

l'île  de  Lobau. 


Mai  «80y. 


342  LIVRE  XXXV. 

la  retraite  par  la  tiarde  impériale,  qui  était  la  plus 
rapprochée  du  lleuve.  Chaque  corps  devait  défiler 
Défilé       parle  petit  |)ont,  euiportant  ses  blessés,  emmenant 

de  l'armée  par    »  »  »  '  »  ^ 

le  petit  pont,  ses  canons ,  laissant  seulement  ses  morts,  dont, 
la  Duit  du  2-2  hélas  !  le  nond)re  n'était  que  trop  considérable. 
au  23  mai.  \p,,\s  [y  garde  vint  la  grosse  cavalerie,  et  comme 
beaucoup  de  soldats  avaient  jeté  leurs  cuirasses, 
Masséna  les  fit  ramasser  par  les  cavaliers  démon- 
tés, ne  voulant  abandonner  à  l'ennemi  que  le  moins 
de  trophées  possible.  Une  partie  de  la  cavalerie  lé- 
gère demeura  en  ligne  avec  les  voltigeurs  pour  faire 
devant  Aspern  et  Essling  un  semblant  de  résistance. 
Puis  les  divisions  Saint-Hilaire  et  Oudinot  défilèrent 
à  leur  tour,  chacune  emportant  ce  qui  lui  restait 
encore  de  blessés  sur  le  terrain.  Les  divisions  Le- 
grand.  Carra  Saint-Cyr  suivirent,  et  enfin,  à  la 
pointe  du  jour  du  23,  les  généraux  Boudet  et  Mo- 
litor,  quittant  Essling  et  Aspern,  s'enfoncèrent  dans 
le  bois  qui  couvrait  le  rentrant  du  fleuve,  escortés 
par  une  nuée  de  leurs  tirailleurs.  L'ennemi  harassé 
ne  s'aperçut  pas  du  mouvement  rétrograde  de  nos 
troupes.  Ce  ne  fut  que  vers  cinq  ou  six  heures  du 
matin  que,  voyant  nos  postes  avancés  disparaître 
peu  à  peu,  il  conçut  le  soupçon  de  notre  retraite, 
et  songea  à  nous  suivre.  11  le  fit  lentement  sans 
nous  inquiéter  beaucoup.  Entré  toutefois  dans 
Essling  et  parvenu  au  bord  du  fleuve ,  il  put  décou- 
vrir le  petit  pont  sur  lequel  passaient  nos  dernières 
colonnes.  Il  dirigea  aussitôt  ses  boulets  de  ce  côté, 
tandis  que  ses  tirailleurs  débouchant  à  travers  le 
bois  nous  décochaient  des  balles.  Masséna,  avec 
quelques  ofliciers  de  son  état-major,  était  resté  sur 


WAGRAM. 


343 


la  ri\e  gauche,  résolu  à  passer  le  dernier.  On  lui 
fit  remarquer  que  nos  postes  commençaient  à  être 
vivement  pressés,  qu'il  pouvait  être  subitement  as- 
sailli, que  le  moment  était  venu  de  replier  le  pont, 
et  de  mettre  fin  à  cette  résistance  sans  exemple. 
Il  ne  voulut  rien  entendre  tant  qu'il  aperçut  sur 
la  rive  gauche  quelque  débris  à  sauver.  Courant 
en  tout  sens,  il  s'assura  par  lui-même  qu'on  ne 
laissait  pas  un  blessé,  pas  un  canon,  pas  un  objet 
de  quelque  valeur  dont  l'ennemi  eût  à  s'enorgueil- 
lir. Il  fit  ramasser  encore  ce  qu'il  put  de  fusils, 
de  cuirasses  jetés  le  long  du  Danube,  et  comme  çà 
et  là  des  chevaux  blessés  et  sans  maîtres  erraient 
au  bord  de  l'eau,  il  les  fit  chasser  vers  le  fleuve 
pour  les  obliger  à  le  traverser  à  la  nage.  Enfin  ne 
voyant  plus  aucun  devoir  à  remplir  sur  cette  rive 
devenue  un  sol  ennemi ,  et  les  balles  des  tirailleurs 
pleuvant  déjà  autour  de  lui,  il  s'embarqua  le  der- 
nier, aussi  fier  que  lorsqu'il  sortait  de  Gênes  dans 
une  simple  embarcation  sous  le  feu  de  l'escadre 
anglaise.  Il  fit  couper  les  amarres  du  pont  que  le 
courant  du  fleuve  reporta  bientôt  vers  l'autre  bord, 
et  en  quelques  minutes  il  fut  dans  la  Lobau,  les 
Autrichiens  se  contentant  d'assister  à  la  retraite  vo- 
lontaire de  leurs  adversaires. 

Ainsi  se  termina  cette  bataille  de  deux  jours, 
l'une  des  plus  sanglantes  du  siècle,  et  qui  commença 
la  série  de  ces  abominables  carnages  des  derniers 
temps  de  l'Empire,  où  l'on  détruisait  en  une  journée 
l'équivalent  de  la  population  d'une  grande  ville. 
Le  nombre  des  morts  et  des  blessés,  pour  celle-ci 
comme  pour  les  autres,  ne  saurait  être  que  diffici- 


Mai   1809. 


Embarque- 
ment 
de  Masscria, 
qui  se  retire 
le  dernier 
dans 
l'Ile  de  Lobau. 


Résultats 
et  caractères 
de  la  bataille 

d'Essling. 


Mai  1809. 


îîi  LIVRE   XXXV. 

Icniont  précisé.  On  peut  évaluer  la  perle  des  Au- 
trichiens à  2G  ou  27  mille  '  morts  et  blessés,  à  1  o 
ou  IG  mille  celle  des  Français,  De  notre  coté,  la 
pénurie  des  ressources  dans  Tile  de  Lobau,  pen- 
dant les  premiers  moments,  devait  rendre  les  bles- 
sures exlréuiement  dangereuses.  Ce  qui  expliquait 
l'énorme  dillerence  des  pertes,  c'est  que  les  Autri- 
chiens avaient  combattu  toujours  à  découvert,  et 
que  nous  au  contraire  avions  été  abrités  durant 
une  partie  de  ces  journées  par  quelques  obstacles  de 
terrain.  Quant  aux  prisonniers,  il  n'en  avait  été  fait 
d'aucun  côté,  sauf  quelques  centaines  enlevés  dans 
Aspern  et  Essling,  et  envoyés  dans  la  Lobau.  C'était 
une  bataille  sans  autre  résultat  qu'une  abominable 
effusion  de  sang,  effusion,  comme  on  vient  de  le 
voir,  plus  grande  pour  l'ennemi  que  pour  nous,  et 
qui  nous  laissait  tous  nos  moyens  de  passage,  puis- 
conscqucnces    que  l'île  de  Lobau  nous  restait.  La  plus  grave  con- 

morales  ,  .  .,,-.      i-  -        '• 

de  la  bauiiic  so([uence  de  ces  journées  d  Esslmg,  c  était  ce  qu  on 
^*'°^'  allait  en  dire,  c'étaient  les  exagérations  de  nos  en- 
nemis prompts  à  publier  en  Allemagne  et  dans  toute 
l'Europe,  que  les  Français  étaient  vaincus,  acca- 
blés, en  pleine  retraite.  Or  Napoléon,  combattant 
au  milieu  du  continent  prêt  à  s'insurger  contre  lui, 
obligé  de  se  maintenir  au  sein  de  la  capitale  en- 
nemie, où  quatre  cent  mille  habitants  n'attendaient 
qu'un  signal  pour  se  soulever,  ayant  besoin  sur  ses 
derrières  de  routes  sûres  pour  amener  ses  renforts, 

'  Loiir  hiillotin  officiel  avouait  50  mille,  et  quand  on  sait  à  quel  point 
ils  y  déli^uraient  la  vérité  à  leur  avanta}i;e,  on  doit  supposer  un  nomlirc 
infiniment  plus  considérable.  C'est  d'après  divers  documents  contenus 
au  dépôt  de  la  guerre,  et  émanés  des  Autrichiens  eux-mêmes,  que  je 
m'arrête  au  chiffre  indiqué  ici. 


Mai  1809. 


WAGRAM.  345 

ne  pouvait  se  passer  du  prestige  de  son  invincibilité. 
Matériellement  il  était   plus   fort,   puisqu'il  avait 
moins  perdu  que  son  adversaire,  et  qu'il  avait  re- 
trempé le  cœur  de  sa  jeune  armée  dans  une  épreuve 
formidable;  moralement  il  était  plus  faible,  parce 
que  ses  ennemis  allaient  triompher  d'une  prétendue 
défaite,  qui  en  réalité  était  une  victoire,  car  c'était 
vaincre  que  de  soutenir  une  telle  lutte  avec  ses 
ponts  détruits.  Quant  à  sa  conduite  comme  gêné-        Ouei 
rai,  on  ne  pouvait  qu  adnnrer  le  choix  de  1  île  de  on  peut  porter 
Lobau,  choix  qui  avait  rendu  possible  une  o[)ération    ^^  conduite 
dans  tout  autre  cas  impraticable,  et  qui  permettait      militaire 

,     ,  ,  •        »     "^^  Napoléon. 

qu'une  position  désastreuse ,  d'où  l'on  n'aurait  dû 
sortir  que  noyés  ou  prisonniers,  finît  par  la  plus  fa- 
cile, la  moins  troublée  des  retraites.  Mais  on  devait 
blâmer  la  précipitation  que  Napoléon  avait  mise  à 
traverser  le  fleuve  dans  une  telle  saison,  avant  d'a- 
voir réuni  des  moyens  suffisants  de  passage.  En  cela 
il  était  reprochable  assurément,  mais  tant  de  motifs 
excusaient  son  impatience  d'occuper  les  deux  rives 
du  Danube,  qu'on  peut  lui  pardonner  d'avoir  trop 
compté  sur  la  fortune,  dans  le  désir  d'épargner  le 
temps.  Son  tort  véritable,  son  tort  éternel,  c'était 
cette  politique  sans  frein,  qui,  après  l'avoir  porté 
sur  le  Niémen  d'où  il  était  revenu  à  force  de  mi- 
racles, l'avait  porté  ensuite  sur  l'Èbre  et  le  Tage 
d'où  il  était  revenu  de  sa  personne  en  y  laissant 
ses  plus  belles  armées,  l'entraînait  maintenant  de 
nouveau  sur  le  Danube  où  il  ne  parvenait  à  se  sou- 
tenir que  par  d'autres  miracles,  miracles  dont  la 
suite  pouvait  à  tout  moment  s'interrompre,  et  abou- 
tir à  des  désastres.  C'est  là,  disons-nous,  qu'était 


Mai  1809. 


3.i6  LIVRE  XXXV. 

son  tort,  car  le  p;énéral  ne  commettait  de  fautes 

que  sous  la  contrainte  ({u'exerçait  sur  lui  le  plus 

imprudent  des  politiques. 

Divers  Quant  à  rarcliiduc  Charles,  fort  critiqué  depuis, 

^"p«"tés^     surtout  par  ses  compatriotes,  car  c'est  ordinaire- 

^"n^uuire  "^  uieut  chcz  SCS  concitoycns  qu'on  recueille  le  plus 

de  l'archiduc  d'amortume,  il  deplova  une  grande  éneriiie,  quoi 

Charles.  ,  .  "      .  ,         ^  , 

qu  ou  ait  pu  dire  ;  et  si  on  trouve  étonnant  qu  il 
n'ait  pas  précipité  l'armée  française  dans  le  Da- 
nube ,  c'est  qu'on  oublie  la  puissance  des  positions 
choisies  par  son  adversaire,  l'impossibilité  d'arra- 
cher Essling  et  Aspern  à  soixante  mille  Français, 
commandés  par  Lannes  et  Masséna,  et  réduits  à 
vaincre  ou  à  périr;  c'est  qu'on  oublie  les  avantages 
de  l'ile  de  Lobau,  qui,  Essling  et  Aspern  nous  res- 
tant ,  était  facile  à  regagner,  et  devenait  alors  un 
asile  inviolable.  Chercher  à  forcer  le  petit  bras  de- 
vant Masséna,  sans  avoir  de  pont,  ou  même  en 
ayant  un ,  c'eut  été  de  la  part  du  généralissime  au- 
trichien une  entreprise  folle,  que  lui  ont  fort  repro- 
ché de  n'avoir  pas  tentée  des  gens  qui  auraient  été 
incapables  de  l'exécuter.  Ce  qu'ont  dit  avec  plus 
de  raison  certains  juges  impartiaux,  c'est  que  pen- 
dant la  bataille  il  étendit  beaucoup  trop  le  demi- 
cercle  tracé  autour  des  Français,  et  l'étendit  au 
point  de  s'exposer  à  être  coupé  par  le  milieu;  c'est 
qu'en  se  concentrant  davantage  à  sa  droite,  et  en 
employant  toutes  ses  forces  à  faire  une  percée  vers 
Aspern,  il  aurait  eu  plus  de  chance  peut-être  de  nous 
couper  du  Danube.  En  répétant  ces  critiques,  il 
faut  ajouter  aussi  que  s'il  eut  agi  de  la  sorte,  il  eût 
probablement  trouvé  à  Aspern  les  forces  qu'il  n'au- 


Mai  4  809. 


WAGRAM.  347 

rait  pas  attirées  ailleurs ,  et  qui  se  seraient  repor- 
tées sur  le  point  qu'il  aurait  exclusivement  at- 
taqué. Après  une  si  affreuse  lutte,  après  de  si 
héroïques  efforts ,  il  faut  savoir  admirer  le  dévoue- 
ment, et  se  taire,  quel  qu'ait  été  le  résultat,  devant 
des  actes  d'énergie  que  les  hommes  ont  rarement 
égalés. 

C'est  pendant  les  jours  qui  suivirent  que  l'archi-      cequc 
duc  Charles  eût  pu  exécuter  des  choses  qu'il  n'es-  chartes  aurait 
saya  même  pas.  L'armée  française,  en  effet,  partie  ^"J^i^tam?^ 
dans  l'île  de  Lohau,  partie  sur  la  rive  droite  du     dEssiing. 
Danube,  coupée  en  deux  par  la  principale  masse 
des  eaux  du  fleuve,  se  trouvait  dans  une  position 
critique.  Certes  Napoléon,  dans  sa  jeune  ardeur, 
quand  général  d'Italie  il  poursuivait  si  activement 
ses  succès,  n'aurait  pas  laissé  échapper  l'occasion 
qui  s'offrait  en  cet  instant.  Si,   effectivement,  il 
était  impossible  à  l'archiduc  Charles  de  forcer  le 
petit  bras  du  fleuve  qui  le  séparait  de  la  Lohau, 
de  le  forcer  devant  Masséna  et  les  quarante-cinq 
mille  hommes  qui  restaient  à  ce  dernier,  il  n'était 
pas  à  beaucoup  près  aussi  impossible  de  tenter  au- 
dessus  ou  au-dessous  de  Vienne,  l'un  de  ces  pas- 
sages que  Napoléon  redoutait  si  fort,  et  contre  la 
réalisation  desquels  il  avait  employé  tant  et  de  si 
ingénieuses  précautions. 

Si  en  effet  l'archiduc  Charles  eût  marché  sur 
Presbourg,  qu'il  y  eût  traversé  le  Danube,  et  que, 
remontant  la  rive  droite,  il  fût  venu  attaquer  le  ma- 
réchal Davout,  qui  n'aurait  pas  eu  quarante  mille 
hommes  à  lui  opposer,  il  se  serait  donné  sans  doute 
de  belles  chances  de  nous  faire  essuver  un  désastre. 


M;ii    ISU'.l. 


348  I.IVHK  XXXV. 

■Miiis  il  aurait  eu  quelque  chance  aussi  d'en  essuyer 
un  lui-même,  car  il  ne  lui  aurait  |)as  fallu  moins  de 
deux  jours  pour  descendre  le  Danube,  deux  pour 
le  remonter,  et  dans  ces  (juatre  jours,  il  y  avait 
beaucoup  de  probabilité  (|ue  le  grand  pont  rétabli 
momentanément  permettrait  à  l'armée  française  de 
repasser  sur  la  rive  droite.  Dans  ce  cas  l'archiduc 
Charles  aurait  trouvé  80  mille  hommes  à  com- 
battre, n'en  pouvant  amener  que  70  mille  tout  au 
plus,  car  la  bataille  d'EssIing  lui  en  avait  coûté  26 
ou  27  mille.  Il  pouvait  donc  être  refoulé,  détruit, 
rejeté  en  pièces  sur  la  Hongrie.  Il  restait  à  tenter 
une  autre  opération,  aussi  hasardeuse,  mais  plus 
décisive  encore,  si  elle  eût  réussi.  C'était,  au  lieu 
de  descendre  le  Danube,  de  le  remonter  au  con- 
traire, de  rallier  les  25  mille  hommes  de  Kollo- 
vrath ,  ce  qui  eût  reporté  l'armée  autrichienne  à 
95  mille  combattants ,  de  franchir  le  tleuve  à  l'un 
des  points  qui  se  trouvent  entre  Krems  et  Lintz, 
d'y  surprendre  le  passage  contre  les  Saxons  de 
Bernadotte  ou  les  Wurtembergeois  de  Vandamme, 
et  de  déboucher  sur  les  derrières  de  Napoléon.  Ici 
le  passage  était  moins  certain,  puisqu'il  fallait  le 
disputer,  mais  il  olfrait  de  grandes  chances  de  réus- 
site contre  les  troupes  qui  gardaient  le  fleuve,  il  se 
faisait  avec  25  mille  hommes  déplus,  il  amenait 
une  concentration  de  forces  supérieure  à  toutes 
celles  que  Napoléon  pouvait  exécuter  dans  le  mo- 
ment, il  n'exigeait  que  deux  ou  trois  jours;  il  pro- 
curait le  moven  de  battre  en  détail  avant  leur  réu- 
nion,  les  Saxons,  les  Wurtembergeois,  les  divisions 
du  maréchal  Davout  dispersées  entre  Saint-Polten, 


WAGRAM.  349 

Vienne,  Ebersdorf;  enfin,  en  cas  de  succès  il  pla- 
çait Napoléon  dans  la  position  du  général  Mêlas 
après  la  bataille  de  Marengo.  31ais  aussi  en  pla- 
çant un  tel  adversaire,  une  telle  armée,  dans  de 
telles  extrémités,  il  provoquait  de  leur  part  des 
elTorts  extraordinaires ,  un  dévouement  dont  il  fal- 
lait peu  se  flatter  de  triompher,  et  par  conséquent 
des  périls  immenses.  Plus  décisif  encore,  mais  plus 
hasardeux,  ce  plan  était  donc  moins  présumable 
de  la  part  de  l'archiduc. 

Quoi  qu'il  en  soit  de  ces  diverses  combinaisons, 
l'archiduc  Charles  raisonna  autrement,  ou,  pour 
mieux  dire,  il  agit  autrement,  car  dans  ces  occa- 
sions on  ne  raisonne  pas ,  on  agit  instinctive- 
ment, d'après  son  caractère;  et  ce  n'eût  pas  été 
un  tort,  si  en  suivant  le  plan  le  plus  conforme 
à  son  caractère,  le  généralissime  autrichien  avait 
fait  tout  ce  qui  était  possible  et  convenable  dans 
le  système  qu'il  adoptait.  Il  n'avait  su  que  le 
23  mai,  c'est-à-dire  le  lendemain  des  deux  jour- 
nées du  21  et  du  22,  s'il  était  vainqueur  ou  non, 
et  bien  qu'il  écrivît  partout  qu'il  l'était,  il  n'en 
avait  pas  la  conviction  sincère,  car  tout  en  ayant 
empêché  Napoléon  de  déboucher  au  delà  du  Da- 
nube, il  n'avait  pu  l'empêcher  de  se  retirer  paisi- 
blement dans  la  Lobau,  de  garder  son  champ  de 
bataille,  et  surtout  de  conserver  des  movens  ulté- 
rieurs  de  passage.  Outre  que  sa  victoire  pouvait 
être  considérée  comme  douteuse ,  l'archiduc  se  res- 
sentait cruellement  de  ces  deux  jours  de  combats 
acharnés.  Son  armée  diminuée  de  près  d'un  tiers 
était  épuisée,  et  dans  un  état  d'accablement  dont 


Mai  1809. 


Mai  1809. 


350  LIVRE   XXXV. 

ne  se  lendenlpas  complc  ceux  (jui  jii|2;eant  les  p:é- 
néraux  après  l'événement,  leur  reprochent  de  n'a- 
voir pas  suivi  des  plans  aux(juels  il  n'y  avait  pas 
même  à  penser  en  face  de  la  réalité  des  choses.  Il 

Dispositions    était  personnellement  peu  disposé  à  recommencer. 

charieTÏjfrès  ^^^^  *^^  première  fois  il  se  trouvait  devant  Napoléon 
la  bataille     g^ns  avoir  succombé ,  et  tout  étonné  de  ce  triom- 

d'Essling. 

plie  inusité ,  il  voulait  en  jouir  avant  de  courir  de 
nouvelles  chances.  11  avait  dans  ses  pertes,  dans 
l'insufiisance  des  forces  qui  lui  restaient ,  dans  la 
destruction  de  ses  munitions  qui  étaient  entière- 
ment consommées,  il  avait  des  motifs  d'attendre, 
et  de  goûter  en  repos  le  plaisir  d'un  succès  ines- 
péré. Et  il  y  avait  bien,  il  faut  le  reconnaître,  quel- 
ques considérations  sensées  à  faire  valoir  en  faveur 
de  cette  manière  de  se  conduire.  Il  pouvait  se  dire, 
en  effet,  que  le  temps  était  à  son  avantage,  que  ne 
pas  périr  était  beaucoup  quand  on  se  battait  dans 
son  pays,  à  portée  de  ses  ressources,  entouré  de 
toutes  les  sympathies  de  l'Allemagne,  qui  ne  de- 
mandait qu'une  occasion  pour  éclater.  Il  pouvait 
se  dire  que  Napoléon  au  contraire,  à  plusieurs  cen- 
taines de  lieues  de  sa  frontière,  vivant  au  milieu 
de  populations  ennemies,  au  sein  d'une  capitale 
conquise  et  frémissante,  ne  s'y  maintenant  que  par 
le  prestige  de  son  invincibilité,  avait  besoin  pour 
se  soutenir  de  coups  d'éclat  continuels,  et  surtout 
d'en  finir  vite  pour  en  finira  son  honneur;  que  pour 
le  général  français,  passer  le  Danube  était  la  condi- 
tion indispensable  de  tout  succès  définitif,  et  qu'a- 
voir échoué  dans  ce  passage  était  un  échec  moral 
autant  qu'un  échec  matériel;  qu'il  valait  mieux  par 


WAGRAM.  ■  351 

conséquent  persister  à  lui  opposer  un  genre  d'ob- 
stacle qui  seul  l'avait  arrêté  jusqu'alors,  et  persévérer 
dans  une  tactique  qui  avait  réussi,  que  d'aller  soi- 
même  s'offrir  à  ses  coups,  et  risquer  des  batailles 
douteuses  en  essayant  un  passage  hasardeux ,  au- 
dessous  ou  au-dessus  de  Vienne.  L'archiduc  Charles 
pouvait  se  faire,  et  se  fit  ces  raisonnements,  qui 
étaient  sages ,  qui  méritaient  même  d'être  approu- 
vés, si,  adoptant  un  pareil  plan,  il  le  suivait  dans 
toutes  ses  conséquences,  s'il  employait  le  temps  qui 
allait  s'écouler  à  renforcer  l'armée  autrichienne ,  à 
rendre  le  Danube  de  plus  en  plus  difllcile  à  fran- 
chir, et  à  soulever  autour  de  Napoléon  les  résis- 
tances de  toute  nature ,  qu'un  avantage  obtenu 
sur  lui  devait  naturellement  provoquer.  C'est  au 
moins  ce  qu'il  parut  faire  dans  les  premiers  mo- 
ments, s'attachant  à  garder  plus  fortement  que  ja- 
mais sa  position  vis-à-vis  de  Vienne,  s'étudiant  à 
augmenter  les  difficultés  de  tout  passage  ultérieur 
du  Danube,  concentrant  sur  ce  point  le  plus  de 
forces  possible,  donnant  à  l'archiduc  Jean  l'ordre 
de  l'y  rejoindre  au  plus  tôt,  et  surtout  chantant 
victoire  en  Allemagne ,  écrivant  partout  que  les 
Français  avaient  été  battus,  presque  détruits,  par- 
lant de  trente  à  quarante  mille  morts  ou  blessés, 
d'autant  de  prisonniers,  de  façon  que  si  ces  bruits 
avaient  été  vrais  il  ne  serait  pas  resté  un  soldat  à 
Napoléon;  parlant  en  outre  d'une  retraite  inévitable 
et  prochaine  des  Français  sur  Lintz,  Passau  et  Stras- 
bourg même,  promettant  enfin  à  tous  leur  déli- 
vrance générale  et  certaine,  si  l'Europe,  et  particu- 
lièrement l'Allemagne ,  voulait  seconder  l'Autriche 


Mai  1809. 


Mai  1809. 


3:).'  Liviti-:  xxxv. 

par  un  seul  elVort.  Houreusomont  pour  Napoléon, 
ce  que  l'archiduc  sut  faire  do.  mieux  j)Our  user  de 
sa  victoire,  ce  fut  de  se  vanter  du  succès  obtenu, 
et  vanité  à  part,  c'était  quelque  chose  d'utile,  on 
le  verra  bientôt,  que  de  se  vanter  beaucoup,  morne 
au  delà  de  toute  vérité  et  de  toute  mesure. 

En  efl'et.  Napoléon  avait  bien  moins  à  redouter  la 
conséquence  matérielle  de  la  bataille  d'EssIing  que 
ses  conséquences  morales.  En  réalité,  bien  qu'il  eut, 
comme  nous  l'avons  déjà  dit ,  échoué  dans  un  pas- 
sage du  Danube  tenté  prématurément,  il  conservait 
en  gardant  l'île  de  Lobau  la  base  de  tout  passage 
ultérieur,  et  il  avait  beaucoup  plus  alfaibli  l'en- 
nemi en  soldats  qu'il  ne  s'était  affaibli  lui-mérne. 
Mais  ce  qu'on  allait  dire  en  Allemagne,  en  France, 
en  Europe  de  ces  deux  grandes  journées ,  pouvait 
provoquer  des  résistances  imprévues,  diminuer 
l'ascendant  moral  dont  il  avait  besoin  pour  être 
obéi,  et  pour  attirer  à  lui  toutes  les  ressources  de 
son  empire.  Cependant  il  ne  s'inquiéta  pas  plus 
qu'il  ne  fallait  de  l'avantage  qu'on  allait  tirer  des 
derniers  événements  ;  il  écrivit  en  tous  lieux  pour 
redresser  l'opinion ,  pour  que  les  deux  journées 
d'EssIing  fussent  envisagées  comme  elles  devaient 
l'être,  et  par-dessus  tout,  il  prit  des  mesures  vi- 
goureuses afin  de  réparer  cet  échec  apparent  ou 
réel,  afin  d'en  tirer  môme  dans  un  avenir  prochain 
des  résultats  inattendus  et  décisifs. 
Le  premier  Lc  premier  danger  auquel  il  fallait  pourvoir,  c'é- 
de  Na7oiéon,  tait  unc  tcntativc  de  l'archiduc  Charles  pour  passer 
la  batifiie  '^  P^^^^  ^^^^^  ^^^  Dauubc,  ct  cuvahir  l'île  de  Lobau, 
d'Kssiing.     Napoléon  ne  le  craignait  guère,  moyennant  que  les 


WAGRAM.  3:33 

quarante-cinq  mille  hommes  demeurés  sous  Mas- 

sena  dans  cette  île  mimense  eussent  des  vivres, 
des  munitions,  des  effets  de  pansement.  Son  pre-  ^^^  denvoyer 
mier  soin,  comme  on  vient  de  le  voir,  fut  de  leur  nie  de  Lobau 
en  envoyer  dans  la  nuit  même  du  22  et  dans  la      "^etTes^* 
journée  qui  suivit.  Ce  qui  restait  de  bateaux  du     '""'"^"'"*- 
grand  pont  détruit  fut  employé  à  cet  usage ,  et  en 
trente-six  heures  Masséna  eut  assez  de  gargousses 
et  de  cartouches  pour  arrêter  tout  essai  de  pas- 
sage, assez  de  biscuit  pour  préserver  ses  soldats 
de  la  faim.  Les  cerfs  et  les  chevreuils,  qui  exis- 
taient abondamment  dans  Tile  de  Lobau,  devaient 
fournir  la  viande  à  celte  troupe  de  quarante-cinq 
mille  chasseurs.  Ainsi,  grâce  au  dévouement  des 
pontonniers,   qui,   malgré  la  crue  extraordinaire 
du  Danube ,  malgré  les  énormes  corps  flottants  dont 
il  fallait  braver  le  choc,  ne  cessèrent  d'opérer  au 
milieu  des  plus  grands  périls  un  trajet  extrêmement 
pénible,  l'armée  eut  le  nécessaire  pour  se  défendre 
et  pour  vivre. 

Le  second  danger  dont  on  devait  s'occuper  sur-     l^  ^^^^^^ 
le-champ,  c'était  la  possibilité  d'un  passage  vers    ^  xa'"iéon 
Presbourg  ,  le    seul    auquel    Napoléon    accordât  est  de  rétablir 

,  ,,.,...  les  ponts 

quelque  créance,  parce  que  c  était  celui  qui  exi-    du  Danube. 

•  ,,  -iiT  HT*  "     pour  ramener 

geait  le  moins  de  hardiesse.   Mais  pour  parer  a     larméesur 
celui-là,  il  fallait  avoir  vaincu  une  grave  difliculté,   '^  nve  droite, 

'  o  7         et  parer 

c'était  de  rétablir  le  pont  sur  le  grand  bras,   ne  à  un  passage 

*  •  "^  des 

ut-ce  que  temporairement,  car,   sans  ce  pont,  le    Autrichiens 
maréchal  Davout  était  exposé  à  se  trouver  seul     p,csbourg. 
avec  deux  de  ses  divisions,  et  avec  ce  qui  n'avait 
point  passé  de  la  garde  et  de  la  grosse  cavalerie, 
pour  résister  à  l'archiduc  Charles.  La  troisième  di- 

TOM.  X.  23 


3:i4  I.IVHK   WXV. 

vision  (kl  inarôclial  Davoul,  celle  de  Morand,  restée 

Mai  '809.  .    •         r^    ,  .-•  ■  ■  , 

entre  bainl-Pollen  el  N  lenne,  serait  évidemment  in- 
<lisponsal)le  pour  (.-ontcnir  la  eapitale  pendant  que 
les  deux  autres  comliaUraient.  11  est  Mai  que  ce  vi- 
i^oureux  lieutenant  de  1  Eni|)ereur  avait  répondu  sur 
sa  tète  d'ariéler  avec  2o  ou  30  mille  houunes  lout 
ce  (pii  viendrait  du  coté  de  Presboure:,  et  on  pouvait 
attendre  de  Topiniàtre  vain([ueur  d'Awerstaedt  la 
réalisation  de  celte  promesse.  Mais  c'était  là  une 
position  foit  criti(|ue,  et  il  importait  au  plus  haut 
point  d'avoir  rétabli  promptement  les  communi- 
cations entre  la  rive  droite  et  File  de  Lobau,  poui- 
que  larmée  put  au  besoin  se  réunir  tout  entière 
sur  cette  rive.  Napoléon  s'y  appliqua  sans  relâ- 
che, bien  qu'il  sût  dans  quel  état  il  avait  laissé 
l'armée  autrichiemie  en  repassant  dans  l'ile  de  Lo- 
bau, et  que  la  double  expérience  qu'il  avait  de  la 
guerre  et  du  caractère  de  son  adversaire,  suHit 
pour  lui  apprendre  qu'après  deux  journées  comme 
celles  d'Essling,  il  n'était  pas  à  craindre  d'en  avoir 
immédiatement  une  troisième.  Les  marins  de  la 
garde,  mandés  de  Boulogne  à  Strasbourg,  de  Stras- 
bourg à  Vienne,  venaient  heureusement  d'arriver. 
Services  ^^  s'cn  servit  pour  accélérer  le  rétablissement  des 
rendus       communications.    Ils   s'y   consacrèrent  avec   leur 

parles  marins  J 

de  la  garde    zèle  et  leur  habileté  accoutumés.  Toujours  en  croi- 

pour  le  réta- 
blissement    sière  sur  le  Danube,  soit  pour  transporter  des  mu- 
cations  entre    nitions,  soit  pour  arrêter  les  corps  tlotlants  lancés 
'^du^Danubr^  par  l'ennemi,  ils  aidèrent  à  dominer  l'obstacle  que 
présentait  ce  llewve  immense,  rapide  comme  un  tor- 
rent et  vaste  comme  un  bras  de  mer.  En  attendant 
la  reconstruction  du  pont,  on  commença  à  faire  re- 


Mai  1809. 


WAGRAM.  355 

passer  dans  des  bateaux  une  partie  de  l'infanterie 

de  la  garde,  de  l'île  de  Loijau  à  Ébersdorf.  Le  25, 

au  moyen  des  pontons  qui  avaient  servi  pour  le 

passage  du  petit  bras,  et  des  l)ateaux  ramassés  sur 

le  lleuve,  on  parvint  à  établir  un  pont,  sur  lequel    Réubiisse- 

il  neiit  pas  fallu  compter  pour  entreprendre  une  descommuni- 

opération  olfensive,  mais  bien  assez  solide  pour  une    caiions  entre 

^       .  ,.  .  ^  l  île  de  Lobau 

retraite ,  qu'il  suffisait  d'opérer  à  intervalles  suc-   etÉbersdorf. 
cessifs.  Chaque  détachement  transporté  sur  la  rive 
droite  mettait  le  maréchal  Davout  en  état  de  mieux 
résister  à  une  attaque  vers  Presbourg,  et,  quant  à  " 

celle  qui  aurait  pu  être  dirigée  contre  l'île  de  Lo- 
bau ,  elle  n'était  visiblement  plus  à  craindre  dès 
qu'elle  n'avait  pas  été  tentée  le  23  ou  le  24. 

Après  la  garde  on  fit  repasser  la  division  De- 
mont,  ensuite  la  cavalerie  légère,  qu'il  importait  ' 
d'envoyer  en  reconnaissance  autour  de  Presbourg, 
puis  la  grosse  cavalerie,  et  enfin  le  corps  de  Lannes 
tout  entier,  qui  depuis  la  blessure  mortelle  de  ce 
dernier  avait  été  mis  sous  les  ordres  du  général  Ou- 
dinot,  et  ne  pouvait  pas  être  en  meilleures  mains. 
Ces  passages  de  troupes  achevés,  et  ils  le  furent 
dans  la  journée  du  27  mai ,  on  n'avait  plus  rien  à 
redouter,  car  le  maréchal  Davout  avait  au  moins 
60  mille  hommes  à  sa  disposition,  et  aucune  ten- 
tative de  l'archiduc  Charles  sur  la  rive  droite  ne 
présentait  dès  lors  de  chance  de  succès.  Napoléon 
dirigea  Lasalle  et  Marulaz  sur  Haimbourg,  pour 
surveiller  et  contenir,  avec  neuf  régiments  de  ca- 
valerie légère,  ce  qui  pourrait  venir  de  Presbourg, 
que  ce  fut  l'armée  de  l'archiduc  Charles ,  ou  sim- 
plement l'insurrection  de  Hongrie,  qui  commençait 

23. 


Mjd  LIVU1-:  xwv. 

— — à  se  réunir.  (Voir  la  caito  n"  32.)  Il  dirii^'oa  Mont- 

tfai  4809.        ,  ,., „  ,       ,  ,       ,,  ^    -     i        i  • 

l)!iiii  sur  Œdenbourg,  de  I  autre  cote  du  lac  de 
Neusiedol,  pour  ol)server  les  routes  de  la  Hongrie 
et  de  ritalic,  par  où  pouvait  se  montrer  Tarcliiduc 
Jean,  en  retraite  devant  le  prince  Eugène.  Le  gé- 
néral Lauriston  n'avait  pas  cessé  de  se  tenir  à  Bruck 
avec  les  Badois  et  la  cavalerie  du  général  Hruvère, 
pour  tendre  la  main  au  prince  Eugène  engagé  dans 
Distribution    les  routcs  de  la  Stvrie.  Napoléon  plaça,  comme  il 

de  l'armée  .,,.,,..,*'  ,      .  . ,  ^ 

autour  avait  dcja  lail,  la  grosse  cavalerie  en  arrière  atin 
de  soutenir  la  cavalerie  légère.  Enfin  le  maréchal 
Davout ,  avec  les  deux  divisions  Friant  et  Gudin , 
avec  la  division  Demont ,  avec  tout  le  corps  d'Ou- 
dinot  et  la  garde ,  c'est-à-dire  avec  50  ou  60  mille 
hommes,  était  à  Ébersdorf,  prêt  à  se  jeter  sur  l'ar- 
"  chiduc  Charles,  de  quelque  côté  qu'il  se  montrât. 
Napoléon  résolut  d'amener  encore  quelques  for- 
ces sur  Vienne.  Pensant  que  les  Bavarois  suffiraient 
à  défendre  leur  pays,  non-seulement  du  côté  des 
montagnes  du  Tyrol ,  mais  vers  le  Danube ,  il  or- 
donna au  maréchal  Lefebvre  d'envoyer  une  divi- 
sion  bavaroise  à  Lintz ,  pour  y  remplacer  la  divi- 
sion Dupas  et  les  Saxons  qui ,  sous  les  ordres  du 
maréchal  Bernadotte,  gardaient  ce  point.  Le  géné- 
ral Vandamme  dut  rester  avec  les  Wurtembergeois 
à  Krems,  tandis  que  le  maréchal  Bernadotte,  avec 
ses  18  mille  hommes,  eut  ordre  de  s'avancer  sur 
Vienne,  pour  y  augmenter  l'accumulation  des  for- 
ces. Le  corps  de  Masséna ,  dont  nous  n'avons  pas 
parlé  dans  cette  énumération,  fut  laissé  tout  en- 
tier dans  l'île  de  Lobau,  alin  de  garder  cette  île, 
qui,  malgré  l'usage  qu'on  venait  d'en  faire,  était 


WAGRAM.  3:n 

encore  le  lieu  le  plus  propre  au  passai^e  du  Da-   ■ 

nube.  Napoléon,  dans  la  profondeur  de  sa  pensée, 
avait  déjà  cherché  et  trouvé  le  moyen  de  s'en  ser- 
vir d'une  manière  si  nouvelle,  que  l'ennemi,  bien 
qu'averti  par  une  tentative  antérieure,  y  fut  sûre- 
ment trompé.  Il  avait  calculé  que  soit  pour  réunir 
et  employer  le  matériel  nécessaire,  soit  pour  lais- 
ser venir  la  saison  des  basses  eaux,  il  lui  faudrait 
tout  un  mois,  et  (|u'il  ne  serait  prêt  à  porter  le  coup 
qui  devait  terminer  la  guerre,  que  vers  la  fin  de 
juin,  ou  le  commencement  de  juillet.  C'était  aussi  le 
temps  qu'il  lui  fallait  pour  recevoir  ses  renforts,  or- 
ganiser plus  complètement  sa  ligne  d'opération,  et 
amener  sous  Vienne  l'armée  du  prince  Eugène.  11 
se  mit  donc  à  préparer  l'accomplissement  de  ces 
divers  desseins,  avec  un  imperturbable  sang-froid, 
une  incroyable  activité,  et  une  attitude  aussi  fière 
qu'il  aurait  pu  l'avoir  le  lendemain  d'une  grande 
victoire. 

D'abord  il  s'occupa   de   préparer  partout    des 
matières.  Vienne  était  remplie  de  bois  :  il  en  or- 
donna la  recherche ,   le  choix ,  le  transport  sous 
Ébersdorf.   Les  ouvriers    de   Vienne    manciuaient     Préparatifs 
d'ouvrage  :  il  résolut  de  les  employer,  en  les  payant  ''''",  passage 

o  i       j       7  i     j  ultérieur,  et 

avec  le  papier-monnaie  autrichien ,  dont  regor-  mesures  pour 
geaient  les  caisses  publiques  qu'on  avait  saisies.  Il  ics  pertes 
attira  dans  l'île  de  Lobau  des  constructeurs,  et  en 
fit  même  venir  de  France,  qui  durent  être  transpor- 
tés en  poste.  Il  commanda  des  bateaux  de  toute 
forme,  de  toute  dimension,  d'après  un  plan  que 
nous  ferons  connaître,  quand  le  moment  en  sera 
venu.  Enfin,  sans  perdre  un  seul  jour,  il  donna 


de  l'armée. 


358  I.lVni-    XXXV. 

les  ordres  siii\anls  pour  le  recrulemont  de  l'armée. 

Mai  180D.  ' 

Comme  il  aviiil  m  soin  de  remplir  les  dépôts,  soit 
à  l'aide  d'une  anticipation  sur  la  conscrij)lion  de 
1810,  soit  à  l'aide  d'un  nouvel  appel  sur  les  clas- 
ses antérieures,  il  pouvait  en  tirer  aujourd'hui  les 
hommes  levés  précédemment,  certain  qu'ils  se- 
raient remplacés  par  les  derniers  appelés.  En  con- 
séquence il  fit  acheminer  sur  Slrasbourc;  tous  les 
conscrits  déjà  instruits,  en  les  réunissant  en  ba- 
taillons de  marche  qui  devaient  porter  les  numéros 
des  divisions  militaires  où  étaient  situés  les  dépôts. 
Mais  il  avait  un  moyen  plus  sûr  encore  de  se  pro- 
curer immédiatement  des  hommes  tout  formés, 
c'était  de  les  prendre  dans  les  demi-brigades  pro- 
visoires, qu'il  avait  organisées  dans  le  Nord,  sur 
les  frontières  du  Rhin,  et  môme  en  Italie,  en  les 
composant  de  quatrièmes  et  cinquièmes  bataillons. 
Il  ordonna  d'y  puiser,  pour  les  corps  de  Masséna , 
d'Oudinot,  de  Davout,  de  nombreuses  recrues,  en 
envoyant  les  unes  directement  à  leur  régiment ,  en 
incorporant  les  autres  dans  les  régiments  auxquels 
elles  n'appartenaient  pas  d'origine.  Napoléon  avait 
déjà  eu  recours  à  ce  dernier  moyen;  il  persista  à 
l'employer,  vu  l'urgence  des  circonstances,  et  il 
l'appliqua  à  trois  régiments  revenus  depuis  une 
année  du  Portugal ,  et  restés  sur  les  côtes  de  Bre- 
tagne, où  ils  avaient  été  largement  pourvus  de 
jeunes  soldats.  Il  en  tira  trois  à  quatre  mille  hommes 
parfaitement  instruits,  et  qui,  moyennant  leur  in- 
corporation dans  d'autres  régiments,  pouvaient  ser- 
vir à  recruter  ceux  dont  les  dépôts  manquaient  de 
conscrits.  Il  désigna  ainsi  vingt  à  vingt-cinq  mille 


WAGRA^I  ■  359 

ftintassins  qui  devaient  être  fournis  par  les  dépôts 
de  France,  et  six  à  huit  mille  par  ceux  d'Italie.  Il 
adopta  les  mêmes  mesures  pour  la  cavalerie  qui 
avait  dans  ses  dépôts  des  ressources  considé- 
rables ,  vu  qu'on  n'y  avait  pas  beaucoup  puisé 
jusqu'alors,  et  il  fit  dirip:er  de  nombreux  esca- 
drons de  marche  du  Rhin  au  Danube.  Il  travailla 
surtout  à  la  remonter,  car  elle  avait  perdu  des 
chevaux,  plus  encore  que  des  hommes.  Napoléon 
prescrivit  la  formation  de  deux  dépôts,  un  en  Ba- 
vière, pour  acheter  des  chevaux  allemands  de 
grosse  et  moyenne  cavalerie  ;  un  en  Hongrie ,  pour 
se  procurer  des  chevaux  de  cavalerie  légère.  Il  s'oc- 
cupa enfin ,  avec  un  soin  tout  particulier,  d'aug- 
menter son  artillerie.  Celle  de  l'ennemi  lui  avait  tant 
fait  de  mal  à  Essling,  que  pour  renforcer  la  sienne 
il  eut  recours  à  un  essai  que  l'expérience  ne  justifia 
pas,  c'était  de  donner  aux  régiments  d'infanterie 
des  canons  servis  par  les  régiments  eux-mêmes, 
au  moyen  de  fantassins  exceptionnellement  dressés 
à  ce  service.  La  diiïiculté  de  tirer  des  canonniers 
des  dépôts,  en  nombre  suffisant,  en  temps  utile, 
l'avait  décidé  à  cet  essai,  que  son  tact  supérieur 
l'aurait  conduit  à  repousser  dans  toute  autre  circon- 
stance, car  il  était  facile  de  prévoir  qu'en  fait  d'ar- 
mes spéciales ,  rien  ne  pouvait  remplacer  chez  les 
hommes  une  éducation  prolongée,  et  surtout  que 
l'infanterie  ne  saurait  jamais  soigner  le  matériel 
comme  un  corps  exclusivement  destiné  à  ce  ser- 
vice était  capable  de  le  faire.  Napoléon  résolut  de 
donner  deux  cents  bouches  à  feu  à  Tinfanterie ,  sur 
le  pied  de  quatre  par  régiment,  en  consacrant  à 


Mai  1809. 


Mai  1809. 


360  LIVR1-:  XXXV. 

cet  usai;c  les  pièces  de  calibre  inférieur,  celles  de 
3  et  de  4,  par  exemple.  Il  voulut,  en  outre,  porter 
de  soixante  pièces  de  canon  à  quatrc-viniit-quatre, 
la  réserve  d'artillerie  de  la  garde,  en  tirant  d'Italie 
et  de  Strasbourg  les  compagnies  d'artilleurs  dont 
il  aurait  besoin.  Il  comptait  se  procurer  ainsi  sept 
cents  pièces  de  canon,  masse  de  feux  accablante, 
qui  supposait  environ  quatre  pièces  par  mille  hom- 
mes, et  dépassait  toutes  les  proportions  admises 
juscju'à  ce  jour.  Ces  divers  appels  devaient  amener 
de  France  et  d'Italie  environ  quarante  mille  honmies, 
sous  un  mois  ou  deux.  C'était  un  renfort  qui  com- 
pensait et  au  delà  toutes  les  pertes  de  la  campagne, 
dont  on  pouvait  se  passer  à  la  rigueur  pour  livrer 
une  bataille  décisive,  car  on  recevait  en  ce  mo- 
ment le  recrutement  demandé  après  Ratisbonne, 
mais  qui  dans  tous  les  cas  mettrait  Napoléon  en 
état  de  continuer  la  guerre,  quelles  qu'en  fussent 
les  alternatives. 

Indépendamment  de  ces  soins  accordés  aux  di- 
vers corps  de  l'armée ,  Napoléon  s'occupa  aussi  de 
la  garde  impériale.  Il  avait  avec  lui  les  grenadiers 
et  les  chasseurs  composant  la  vieille  garde ,  les  fu- 
siliers et  les  tirailleurs  composant  la  nouvelle.  Il 
avait  ordonné  l'organisation  des  conscrits,  formés, 
comme  nous  l'avons  dit ,  non  pas  en  prenant  des 
hommes  d'élite  dans  l'armée,  mais  en  choisissant 
de  bons  sujets  dans  la  conscription.  Deux  régi- 
ments de  ces  conscrits,  l'un  de  grenadiers,  l'autre 
de  chasseurs,  se  trouvaient  à  Augsbourg,  y  rem- 
plissant une  double  tache,  celle  de  s'instruire,  et 
celle  de  servir  de  réserve  contre  les  mouvements 


WAGRAM.  3GI 

«lu  Tyrol  et  de  la  Soiiabe.  Napoléon  fit  diriger  siii- 
Vienne  les  deux  régiments  qui  étaient  à  Augsbourg, 
et  sur  Augsbourg  les  deux  ([ui  étaient  en  formation 
à  Strasbourg.  La  réserve  d' Augsbourg  devait  ainsi 
n'être  pas  diminuée.  Cette  réserve  intéressait  beau- 
coup Napoléon,  dans  la  prévision  de  ce  qui  pou- 
vait se  passer  sur  ses  derrières,  à  la  suite  de  la 
commotion  produite  par  les  journées  d'Essling.  Elle 
se  composait  des  détachements  envoyés  pour  recru- 
ter l'armée,  et  qui  faisaient  des  séjours  successifs  à 
Augsbourg;  du  65''  réorganisé,  depuis  sa  mésaven- 
ture de  Ratisbonne ,  tant  avec  des  conscrits  ({u'avec 
des  prisonniers  de  ce  corps  qu'on  avait  recouvrés 
moyennant  échange;  enfin  de  six  régiments  provi- 
soires de  dragons ,  formés  avec  les  troisièmes  esca- 
drons des  régiments  servant  en  Espagne.  Celles  des 
demi-brigades  provisoires,  qu'on  ne  devait  pas  dis- 
soudre pour  le  recrutement  de  l'armée,  se  réunis- 
saient dans  le  même  but  à  Wurzbourg,  à  Hanau, 
à  Mayence.  Le  soin  que  Napoléon  se  donnait  pour 
la  recomposition  du  65''  à  Augsbourg,  il  se  le  don- 
nait en  Italie  pour  la  recomposition  du  35"  surpris 
à  Pordenone,  et  illustré  par  son  dévouement  dans 
cette  circonstance  malheureuse.  Comptant  tirer  des 
dépôts  d'Italie,  grâce  aux  mesures  qu'il  avait  pres- 
crites, sept  ou  huit  mille  hommes  avec  leur  ma- 
tériel ,  il  envoya  le  général  Lemarois  à  Osopo,  pour 
s'occuper  de  tous  ces  mouvements  d'hommes  et  de 
choses ,  sachant  que  sans  un  chef  spécial  chargé  d'y 
veiller  particulièrement,  l'attention  nécessaire  man- 
que souvent  aux  objets  les  plus  essentiels,  et  qu'un 
détail  négligé  entraîne  parfois  des  catastrophes.  Une 


Miii  1809. 


:i62 


l.IVRK   \\\V. 


Mai  1800. 


Opérations 

militaires 

en  Italie 

pendant  les 

événements 

survenus 

en  Allemagne. 


Le  prince 
Eugène   force 
les  gorges 
des  Alpes 
Carniques. 


colonne  de  conscrits  ayant  déjà  cté  prise  dans  le 
Tyrol,  il  prescrivit  de  diriirer  les  nouvelles  colon- 
nes en  force  de  (pialre  mille  hommes  au  moins, 
sous  un  irénéral  de  hriirade,  et  par  la  route  de  Ca- 
rinthie,  (jue  le  prince  Euirène  devait  suivre  dans  sa 
marche  sur  Vienne. 

Le  prince  Eup:ène  venait  etîectivement  d'arriver 
sur  cette  route,  et  l'elTet  moral  de  sa  jonction  avec 
Napoléon  allait  compenser  l'impression  produite  par 
les  journées  d'EssIing  sur  des  esprits  prévenus,  qui 
croyaient  à  nos  revers  parce  qu'ils  les  désiraient. 

Le  vice -roi  avait  pris  la  route  de  Carinthie  à 
la  suite  de  l'archiduc  Jean,  et  le  général  Macdo- 
nald  avait  pris  celle  de  la  Carniole  à  la  suite  d'I- 
gnace Giulay,  ban  de  Croatie.  Cette  poursuite  s'était 
continuée  pendant  les  journées  qui  s'étaient  écou- 
lées avant  et  après  la  bataille  d'Essling,  avec  le 
même  avantage  pour  les  Français ,  les  mêmes  pertes 
pour  les  Autrichiens.  Le  16  mai  le  prince  Eugène 
parvint  à  l'entrée  des  gorges  des  Alpes  Carniques, 
devant  le  fort  de  Malborghetto  ,  qui  interdisait  tout 
passage  à  l'artillerie,  tandis  que  l'archiduc  Jean 
campait  de  l'autre  côté,  sur  la  position  de  Tarvis. 
On  entra  baïonnette  baissée  dans  le  village  de  >ïal- 
borghetto,  et  on  se  contenta  de  bloquer  le  fort  qui 
l)arrait  la  grande  route.  L'infanterie  et  la  cavalerie 
dépassèrent  Malborghetto,  pour  se  porter  devant 
Tarvis,  où  ils  arrivèrent  sans  artillerie  en  présence 
des  Autrichiens  qui  en  avaient  beaucoup.  Il  fallait 
sortir  d'une  telle  situation  ({ui  aurait  pu  devenir 
critique  :  le  prince  Eugène  s'en  tira  par  un  coup 
de  vigueur.  A  force  de  tourner  autour  du  fort  de 


•  WAGRAM.  363 

Malborghetto,  on  finit  par  découvrir  une  position,  — : — — 
sur  laquelle  on  parvint  à  élever  une  hatterie  com- 
posée de  plusieurs  bouches  à  feu.  Après  avoir  bien 
battu  le  fort,  on  résolut  de  l'enlever  mairie  le  re- 
lief des  ouvrages.  On  y  réussit  grâce  à  l'audace  des 
troupes,  qui  escaladèrent  des  fortifications  régu- 
lières sous  la  mitraille,  en  perdant  tout  au  plus  cent 
Ou  deux  cents  hommes.  Nos  soldats  animés  par  la 
difficulté  passèrent  au  fil  de  l'épée  une  partie  des 
malheureux  défenseurs  du  fort,  prirent  le  reste,  et  ar- 
borèrent le  drapeau  français  sur  le  sommet  des  Alpes 
Carniques.  Cet  acte  audacieux  eut  lieu  le  1 7  mai.  On 
marcha  dans  la  même  journée  sur  Tarvis  avec  l'ar- 
tillerie qu'aucun  obstacle  n'arrêtait  plus.  Les  Autri- 
chiens qui  nous  croyaient  sans  canons  voulurent 
défendre  les  bords  escarpés  de  la  Schlitza.  Mais  ils 
furent  bientôt  détrompés  par  la  mitraille  qui  pleuvait 
sur  eux ,  et  abordés  vivement  par  les  troupes  que  les 
avantages  obtenus  remplissaient  d'élan.  Ils  perdi- 
rent 3  mille  hommes  et  15  pièces  de  canon.  Dans 
le  même  moment  le  général  Seras,  détaché  sur  la 
route  de  Cividale,  enlevait  le  fort  de  Predel  avec 
la  même  vi2:ueur  et  le  même  succès. 

L'archiduc  Jean  ainsi  poursuivi  ne  pouvait  plus      Retraite 
se  jeter  dans  la  Haute-Autriche ,  comme  il  en  avait  ^^  l'archiduc 

J  '  Jean 

eu  d'abord  la  pensée,  et  même  reçu  l'ordre,  quand  surGratz. 
on  s'était  flatté  de  réunir  les  archiducs  sur  Lintz 
ou  sur  Saint-Polten,  en  avant  de  Vienne.  La  mar- 
che rapide  de  l'armée  française  la  portant  sur  les 
routes  du  Tyrol  et  de  la  Haute -Autriche  (voir  la 
carte  n°  31),  ne  laissait  au  prince  autrichien  d'autre 
parti  à  prendre  que  celui  de  se  diriger  vers  laHon- 


Mai  1809. 


364  i.lVHK   XXXV. 

iirie,  où  il  avait  chance  de  renelrc  encore  d'utiles 
services,  soit  en  renforçant  larchidiic  Charles,  soit 
en  empêchant  la  joncti(jn  de  l'armée  d'Allemai^ne 
avec  le  prince  Eu.^ène,  avec  les  i^énéraux  Macdo- 
nald  et  Marmont.  Ce  dernier  rôle  était  celui  qui 
convenait  le  plus  au  lïoùt  qu'il  avait  de  s'isoler, 
et  de  s'accpiérir  une  gloire  à  part  dans  cette  guerre. 
Mais  son  frère  le  généralissime,  par  désir  de  tout 
fciire  concourir  à  l'action  principale,  était  d'un  avis 
diil'érent,  et  voulait  qu'il  vînt  se  ranger  derrière  le 
Danube  à  Presbourg,  en  remettant  à  l'insurrection 
liongroise  et  au  ban  Giulay  le  soin  d'occuper  le 
prince  Eugène,  les  généraux  Macdonald  et  Mar- 
mont. Larchiduc  Jean,  placé  entre  ses  désirs  per- 
sonnels et  les  instructions  de  son  frère,  se  retira  sur 
Griitz,  pour  y  attendre  les  nouveaux  ordres  qu'il 
avait  sollicités.  Ayant  perdu  près  de  quinze  mille 
hommes  dans  cette  campagne,  en  ayant  donné  en- 
viron dix  ou  douze  au  ban  Giulav,  il  ne  lui  en  restait 
guère  que  quinze  mille  en  marchant  sur  Griitz.  Mais 
il  comptait  sur  diverses  jonctions  pour  se  refaire  une 
Vues        armée.  Ne  pensant  plus  qu'il  y  eut  grand'  chose 

personnelles      ,  i       rr<         i-  i  •     i  i     .     i 

de  larchiduc  <i  sc  promettre  des  lyroliens,  depuis  le  combat  de 
une^'cam^pagne  ^^'orgel,  il  avait  cru  dcvoir  retirer  du  Tyrol  le  gé- 
cn  Hongrie,  néral  Chastcler,  qui  s'y  était  enfermé  avec  environ 
9  à  10  mille  hommes,  le  général  Jellachich  qui  s'y 
était  réfugié  avec  8  à  9  mille.  11  avait  ordonné  à 
tous  les  deux  de  se  faire  jour  à  travers  l'armée  du 
prince  Eugène,  en  se  jetant  à  Timproviste  ou  sur 
son  avant-garde,  ou  sur  son  arrière-garde,  de  ma- 
nière à  débouclier  par  Léolien  sur  Griitz.  (Voir  la 
carte  n°  31 .)  En  supposant  que  ces  deux  généraux 


WAGRAM. 


365 


Mai  1809. 


laissassent  quelques  détachements  en  Tyrol ,  pour 
servir  d'appui  aux  insurgés,  ils  pouvaient  amener 
une  quinzaine  de  mille  hommes  en  Hongrie,  qui, 
ajoutés  à  ce  qu'il  conservait,  lui  formeraient  un  ex- 
cellent corps  d'environ  trente  mille  combattants. 
Avec  les  1 0  ou  1 2  mille  de  Giulav,  avec  l'insurrec- 
tion  hongroise  et  croate,  avec  quelques  bataillons 
de  landwehr,  il  espérait  se  procurer  encore  un  ras- 
semblement de  50  à  60  mille  hommes,  et  tenir  la 
campagne,  en  occupant  toutes  les  forces  françaises 
de  l'Italie  et  de  la  Dalmatie. 

C'était  là  un  rêve  comme  n'avait  cessé  d'en  faire 
l'archiduc  Jean  pendant  cette  campagne,  et  ce  rêve 
supposait  vaincues  toutes  les  difficultés  qui  restaient 
à  surmonter  pour  opérer  tant  de  jonctions  diverses, 
en  présence  des  forces  du  prince  Eugène,  du  gé- 
néral Macdonald,  du  général  Marmont.  En  effet, 
tandis  que  le  prince  autrichien  s'était  retiré  sur 
Griitz,  envovant  aux  généraux  Jellachich  et  Chas- 
teler  l'ordre  de  le  rejoindre,  le  prince  Eugène,  pressé 
de  se  réunir  à  Napoléon  sous  Vienne,  avait  marché 
sur  Léoben,  en  suivant  la  grande  route  qui  du 
Frioul  débouche  par  la  Carinthie  et  la  Styrie  sur 
la  Basse-Autriche.  (Voir  la  carte  n°  31 .)  Le  général 
Jellachich,  se  conformant  aux  ordres  qu'il  avait  re- 
çus, avait  quitté  le  T^toI  en  toute  hâte,  et  avait 
essavé  de  se  clisser  à  travers  l'armée  française  qu"'' fa'^  pour 

'^  ■  rejoindre 

d'Italie,  en  se  cachant  dans  les  gorges  des  monta- 
gnes, pour  épier  l'occasion  favorable.  ^lenant  9 
mille  hommes  avec  lui,  il  pouvait  passer  sur  le 
corps  d'une  avant-garde,  ou  d'une  arrière-garde, 
et  descendre  ensuite  sur  Grâtz.  Il  parvint  ainsi  le 


Défaite 

du   général 

Jellachich 

dans 
la  tentative 


l'arrhiduG 

Jean 
en  Stvrie. 


Mai  1809. 


366  I.IVKK   XXXV. 

25  mai,  Uois  jours  jipri's  hi  Ijalaillc,  d  Ksslini^,  à  la 
position  (l(!  Saiiil-.Micliel,  en  avant  de Léoben,  tan- 
dis qiiu  lo  juincc  Euiiène  se  trouvait  un  peu  à  droite 
du  coté  de  Griilz,  où  il  s\'*tait  p(»rté  pour  observer 
la  niarc'iie  de  l'arcbiduc  Jean  vers  la  lloni^rie.  Les 
patrouilles  de  cavalerie  eurent  bientôt  ai)j)ris  aux 
uns  et  aux  autres  la  rencontre  (|u"ils  venaient  de 
faire,  et  Jellacliich,  séparé  de  Tarchiduc  Jean  par 
lo  piince  Kuiïéne,  neul  aucun  moyen  d'éviter  le 
conibaL  II  |)rit  position  sur  les  hauteurs  de  Saint- 
Michel  près  de  Léoben,  se  llallant,  grâce  aux  lieux, 
de  résister  à  des  forces  intininient  supérieures. 
Mais  Tarniée  du  prince  Euii;ène,  qui  après  avoir 
détaché  le  général  ,AIacdonald  n'était  pas  de  moins 
de  trente-deux  à  trente-trois  mille  hommes,  qui 
était  d'ailleurs  en  veine  de  succès  et  de  témérités 
heureuses,  ne  pouvait  guère  s'arrêter  devant  un 
corps  trois  fois  moins  nombreux  qu'elle,  il  fallait 
franchir  une  rivière,  puis  gravir  des  montagnes 
pour  aborder  les  9  mille  hommes  de  Jellachich. 
Tout  cela  fut  exécuté  avec  une  hardiesse  extraor- 
dinaire, malgré  la  fusillade  et  la  mitraille,  et  Jel- 
lachich enfoncé  perdit  en  quelques  heures  environ 
2  mille  morts  ou  blessés,  et  4  mille  prisonniers.  Il 
eut  beaucoup  de  peine,  en  se  dispersant  dans  tous 
les  sens,  et  à  la  faveur  d'un  pays  tout  dévoué  à 
l'Autriche,  à  sauver  trois  mille  hommes  qu'il  con- 
duisit vers  Grâtz  à  l'archiduc  Jean. 

Il  y  avait  bien  moins  de  chances  encore  pour  la 
jonction  du  général  Cliastcler,  qui  ne  pouvait  pas 
amener  plus  de  o  à  0  mille  hommes,  après  les  dé- 
tachements laissés  dans  le  Tyrol,  et  qui  devait  trou- 


A\'Ar.  HAM.  •  367 

ver  la  route  de  Carintliie  et  de  Styrie  déiiiiiti\ement 
occupée  par  les  Français.  L'archidiif  Jean  \ oyait 
donc  ses  forces  portées  tout  au  plus  à  18  mille 
liomnies  par  la  jonction  des  débris  du  G;énéral  Jel- 
lachiclî,  et  ne  savait  encore  ce  que  deviendrait  le 
ban  Giulay,  qui,  avec  son  détachement  et  les  le- 
vées croates,  avait  afVaire  aux  généraux  Macdonald 
€t  -Marmont.  Croyant  prudent  de  se  rapprocher  de 
la  Hongrie,  il  mit  une  garnison  dans  la  forteresse  de 
<jrâtz,  et  se  dirigea  sur  la  Raab,  attendant  toujours 
les  ordres  de  son  frère  le  généralissime,  et  laissant 
le  prince  Eugène  victorieux  marcher  sur  Vienne, 
où  aucun  obstacle  ne  pouvait  l'empêcher  d'arriver, 
puisque  le  détachement  du  général  Lauriston  était 
à  Bruckpour  lui  donner  la  main.  Les  avant-gardes 
françaises  se  reconnurent  en  effet  aux  environs  de 
Bruck,  s'embrassèrent,  et  le  fait  si  important  de  la 
réunion  des  armées  d'Italie  et  d'Allemagne  fut  dès 
lors  consommé. 

Le  général  Macdonald,  avec  les  16  ou  17  mille 
hommes  qui  lui  avaient  été  confiés,  n'avait  pas 
marché  moins  heureusement,  sur  la  route  d'Udine 
à  Laybach.  Il  avait  passé  l'Izonzo,  tourné  le  fort 
de  Prévald  qu'il  avait  fait  tomber  en  le  tournant, 
et  avait  débouché  sur  Laybach,  enlevant  tout  en- 
tier un  bataillon  rencontré  sur  la  route.  Pendant  ce 
temps  l'un  de  ses  détachements  occupait  ïriesle. 
Parvenu  devant  Laybach,  après  avoir  recueilli 
beaucoup  de  prisonniers ,  le  général  3Iacdonald  y 
avait  trouvé  un  vaste  camp  retranché,  construit  à 
grands  frais ,  et  défendu  par  une  forte  colonne  de 
troupes  qui  en  rendait  la  prise  presque  impossible. 


Mai  1809. 

Retraite 

de  l'archiduc 

Jean  derrière 

la  Raab , 

et  jonction 

du  prince 

Eugène  avec 

Napoléon. 


Marche 

du  général 

Macdonald 

à  travers 

laCarniole. 


Mai  iKO'.t 


3GS  i.ivin-   XXXV. 

-  Le  ijénôral  Macdonald  lu'silait  à  raltaquor  avec  ce 
(ju'il  avait  de  forces,  craii.'nant  de  s'atïaiitlir  par  une 
tentative  infructueuse,  et  de  n'ètrr  plus  ensuite  ca- 
pal)le  de  tenir  la  canipa.irne.  Il  allait  donc  passer 
outre,  pressé  qu'il  était  de  rejoindre  le  prince  Eu- 
gène, lorsqu'il  avait  reçu  du  commandant  éperdu 
lotfre  de  traiter.  Le  général  Macdonald  avant  ac- 
cepté  cette  offre,  avait  fait  ainsi  en  passant  quatre 
à  cinq  mille  prisonniers,  occupé  les  beaux  ouvra- 
ges de  Layhach,  et  regagné  la  route  de  Griitz,  où 
il  espérait  retrouver  le  gros  de  l'armée  d'It-alie.  Il  y 
était  arrivé  le  30  mai,  ayant  heureusement  traversé 
une  vaste  étendue  de  pays,  et  menant  devant  lui 
sept  à  huit  mille  prisonniers  recueillis  à  Prévald,  à 
Layhach,  et  sur  la  route.  Il  s'arrêta  à  Gratz,  pour 
y  attendre  les  ordres  du  vice-roi,  et  il  envoya  des 
Macdonald  patrouilIcs  sur  Ics  TOutcs  dc  la  Carniole,  pour  avoir 
des  nouvelles  du  général  Marmont,  qui  du  reste, 
avant  dix  mille  soldats  avec  lui  et  des  meilleurs, 
n'avait  rien  à  craindre  des  troupes  du  ban  Giulay, 
et  des  rassemblements  d'insurgés  épars  sur  son 
chemin. 

Napoléon  avait,  dans  cette  jonction,  qui  lui  procu- 
rait, à  lui,  environ  45  à  50  mille  hommes  de  ren- 
fort, et  tout  au  plus  1 5  à  1 8  mille  à  l'ennemi ,  un  sûr 
moyen  de  se  venger  des  journées  d'Essling.  Vou- 
lant dédommager  son  fils  adoptif  du  tort  qu'avait 
pu  lui  faire  la  journée  de  Sacile,  prenant  plaisir  à 
le  récompenser  de  ses  succès  pendant  sa  marche 
de  Vérone  à  Léoben,  attachant  surtout  une  2;rande 
importance  à  publier  les  précieux  avantages  qui 
devaient  résulter  de  la  réunion  de  toutes  les  ar- 


Heureiise 

arrivée 

du  général 


et  sa  réunion 

avec  la  droite 

du  prince 

Eugène. 


Mm  1R09. 


WAGRAM.  369 

niées  françaises,  il  rédigea  un  ordre  du  jour  bril- 
lant, où  il  paya  à  l'armée  d'Italie  un  juste  tribut 
d'éloges,  et  exposa  ses  hauts  faits  avec  une  certaine 
exagération  qui  n'était  pas,  d'ailleurs,  fort  éloignée 
de  la  vérité,  car,  depuis  Vérone,  le  prince  Eugène 
et  le  général  Macdonald  n'avaient  pas  enlevé  en 
morts,  blessés  ou  prisonniers,  moins  de  20  mille 
hommes  à  l'ennemi',  contre  4  à  5  mille  hommes, 
fatigués  ou  blessés ,  qu'ils  avaient  laissés  en  route. 

En  supposant  que  le  prince  Eugène  put  fournir        rorcc 
en  présents  sous  les  armes  30  mille  hommes,  le  que  procurait 
général  Macdonald  15  mille,  c'était,  sans  compter    ']a^on°[^o"n 
le  général  Marmont,  qu'on  pouvait  au  besoin  lais-    avec  larmce 

^  .  ?   n  r  d' Italie. 

ser  en  Styrie  ou  en  Hongrie ,  une  force  de  43  mille 
hommes,  et  de  40  mille  au  moins,  ajoutée  à  l'ar- 
mée française  sous  Vienne.  En  les  joignant  aux  1 00 
mille  que  devait  procurer  la  réunion  du  maréchal 
Davout,  du  maréchal  Masséna,  du  général  Oudinot, 
de  la  réserve  de  cavalerie,  de  la  garde  impériale, 
et  des  Saxons,  Napoléon  allait  avoir  sous  la  main, 
même  avant  l'arrivée  de  ses  renforts,  la  masse 
énorme  de  140  mille  hommes,  bien  suffisante  pour 
livrer  une  bataille  décisive  au  delà  du  Danube. 
L'archiduc  Charles  n'était  pas  en  mesure  d'en  ré- 

1  II  faut  bien  qu'il  en  soit  ainsi  pour  expliquer  et  justifier  rasseition 
des  narrateurs  autrichiens,  qui  ne  donnent  pas  plus  de  12  mille  hommes 
à  l'archiduc  Jean  arrivé  à  Gràtz,  tandis  qu'il  en  avait  certainement 
quarante  et  quelques  mille  sous  Vérone.  Avec  le  détachement  du  ban 
Giulay  il  ne  lui  en  restait  pas  plus  de  20  à  24  mille  en  tout.  Il  n'y  a 
donc  pas  exagération  dans  l'évaluation  de  ses  pertes,  que  nous  donnons 
ici,  après  avoir  beaucoup  atténué  les  rapports  du  prince  Eugène  et  du 
général  Macdonald ,  rapports  qui  sont  pleins  au  reste  d'une  remarquable 
modestie,  et  forment  un  singulier  contraste  avec  les  récils  fastueux  des 


généraux  autrichiens. 

TOM.  X. 


24 


370  I.1VRI-:  x\xv. 
unir  autant ,  ni  «l'une  aussi  bonne  (lualile,  eût-il  l'art 

Juin  «809.  ..,  ^.   ,,    .  ,  ,  /     ,     •       , 

(]ii  il  ne  lallait  guère  présumer  de  lui,  «le  concen- 
trer ses  forces  le  jour  «le  la  bataille,  comme  il  était 
certain  que  Napoléon  saurait  le  faire,  qiian«l  le  mo- 
ment serait  venu.  Napoléon  avait  «Jonc  le  moyen  de 
finir  la  guerre,  dès  que  ses  immenses  préparatifs 
pour  passer  le  Danube  seraient  achevés.  Cependant 
résolu  cette  fois  à  jouer  à  coup  sûr,  il  ne  voulait 
li\Ter  celte  action  dernière  et  décisive,  que  lors- 
que d'une  part  le  Danube  serait  vaincu  par  des  tra- 
vaux d'une  solidité  infaillible,  et  lorsque  de  l'autre 
le  prince  Eugène,  les  généraux  Macdonald  et  alar- 
ment, seraient  prêts  à  concourir  directement  ou 
indirectement  aux  opérations  devant  Vienne. 
Instructions        C'cst  vcrs  cctte  fin  quc  furent  dirigées  toutes  les 

au  prince        .  .  ,^        ,  ,.  "  i     •    ••      i< 

Eugonepour    mstruclions  au  prmce  Lugene,  qu  il  conduisit  des 

'*^uitéSres°^  qu'il  l'cut  à  sa  portée,  comme  un  fils,  comme  un 

dont  il  est     éiève,  dont  il  était  aussi  jaloux  de  faire  briller  les  ta- 

chargé.  ^  '' 

lents,  qu'impatient  de  s'assurer  la  coopération  dans 
les  grands  événements  qui  se  préparaient.  Vous  avez 
maintenant,  lui  écrivit-il  dans  une  suite  de  lettres 
admirables,  divers  buts  à  vous  proposer  :  le  premier, 
d'achever  la  poursuite  de  l'archiduc  Jean,  afin  qu'il 
ne  reste  sur  la  droite  du  Danube  et  à  la  frontière 
de  Hongrie  aucun  rassemblement  capable  de  nous 
inquiéter,  pendant  que  nous  manœuvrerons  autour 
de  Vienne;  le  second,  en  acculant  ce  prince  au 
Danube,  de  le  réduire  à  passer  le  fleuve  à  Ko- 
morn  plutôt  qu'à  Presbourg  (voir  la  carte  n°  i4), 
de  manière  que  l'arc  qu'il  décrira  étant  le  plus 
étendu  possible ,  il  ait  moins  de  chances  que  vous 
d'être  présent  à  la  prochaine  bataille;  le  troisième. 


WAGRAM.  371 

de  séparer  l'archiduc  Jean  de  Chasleler,  deGiulay, 
de  tous  ceux  qui  pourraient  i^'rossir  son  rasseml)le- 
ment,  tandis  que  vous  au  contraire  vous  rallierez 
Macdonald  et  Marmonl;  le  quatrième  enlin ,  d'oc- 
cuper la  rivière  de  la  Raal),  qui  tombant  dans  le 
Danube  près  de  Komorn ,  forme  une  barrière  dont 
on  peut  se  couvrir  contre  la  Honiirie,  de  s'emparer 
pour  cela  de  la  place  de  Raab,  qui  commande  cette 
rivière  vers  son  embouchure ,  et  de  la  citadelle  de 
Griitz  qui  la  domine  près  de  sa  source ,  de  façon 
que  quelques  détachements  laissés  sur  cette  ligne 
puissent  la  défendre,  pendant  que  l'armée  d'Italie, 
dérobant  sa  marche ,  viendra  former  sous  Vienne 
l'une  des  ailes  de  la  grande  armée.  —  Tels  étaient 
les  buts  principaux  que  Napoléon  assignait  au  prince 
Eugène.  Il  lui  assignait,  comme  buts  accessoires, 
de  profiter  lui-même ,  et  de  faire  profiter  la  grande 
armée  des  vastes  ressources  de  la  Hongrie,  en  grains, 
fourrages,  bétail,  chevaux,  matériel  de  navigation. 
Pour  l'exécution  de  ces  desseins ,  Napoléon  lui 
recommanda,  après  avoir  accordé  quelque  repos  à 
ses  troupes,  de  laisser  des  détachements  à  Klagen- 
furth  et  à  Léoben  afin  de  jalonner  sa  route ,  puis 
de  se  diriger  sur  OEdenbourg  à  l'ouest  du  lac  de 
Neusiedel,  où  il  devait  trouver  le  général  Lauris- 
ton  avec  les  Badois,  la  cavalerie  de  Golbert  et  de 
]Montbrun,  ce  qui  allait  lui  procurer  un  renfort  de 
3  mille  fantassins  et  de  4  mille  chevaux;  de  se 
porter  ensuite  sur  la  Raab,  de  pousser  ses  recon- 
naissances au  delà  de  cette  rivière,  pour  savoir  au 
juste  quelle  marche  suivrait  l'archiduc  Jean,  et  une 

fois  bien  éclairé  de  manœuvrer  toujours  de  ma- 

24. 


Juin  ISO'J. 


Juin  1809. 


372  I.1VKI-:   \\.\V. 

nière  à  placer  ce  prince  enlre  l(!  iiiaréclial  Davout 
(]iii  ('(ait  vers  Presbouriï  et  rannôe  dlttilie,  j)our 
empocher  cpi'il  ne  se  jetât  sur  .Macdonald  ou  sur 
Mannont;  de  tenir  ses  forces  réunies  afin  d'avoir 
30  mille  hommes  sous  la  main,  et  30  mille  avec 
Laurislon,  lors(ju'il  rencontrerait  encore  une  fois 
l'arcliiduc  Jean;  de  presser  la  prise  de  la  citadelle 
de  Giiilz,  la  réunion  de  Macdonald  et  de  Marmont; 
de  veiller  soigneusement  sur  ses  derrières ,  afin  de 
prendre  Chasteler  comme  on  avait  pris  Jellachich  à 
la  sortie  du  Tyrol;  de  diriger  sur  Vienne,  ou  de 
renvoyer  sur  Osopo,  tout  ce  qui  était  malade  ou 
blessé,  et  incapable  de  rentrer  dans  les  rangs;  de 
former  de  vastes  amas  de  vivres,  d'expédier  à  mi- 
chemin  devienne  les  caissons  de  l'armée  d'Italie  qui 
étaient  vides,  pour  que  le  parc  général  les  remplît 
de  munitions;  enfin  d'être  toujours  prêt,  soit  à  livrer 
une  nouvelle  bataille  à  l'archiduc  Jean ,  soit  à  con- 
courir avec  les  généraux  Macdonald  et  Marmont  à 
la  grande  et  dernière  bataille,  qui  allait  se  livrer  sur 
les  bords  du  Danube,  contre  toutes  les  forces  de  la 
monarchie  autrichienne.  Napoléon  prescrivait  de 
plus  au  prince  Eugène  de  ménager  les  Hongrois  s'ils 
se  montraient  pacifiques  et  bienveillants  envers  les 
Français,  sinon  de  leur  faire  subir  les  conséquences 
ordinaires  de  la  guerre,  c'est-à-dire  de  vivre  à  leurs 
dépens,  mais  en  les  traitant  dans  tous  les  cas  avec 

Conduite  plus  dc  ménagements  que  les  Autrichiens.  Les  Hon- 
parSpoi^on  Srois,  en  effet,  méritaient  cette  différence  de  trai- 

à  l'égard     (cment ,  car  ils  ne  manifestaient  pas  à  l'égard  des 

des  Hongrois.  '  .  . 

Français  la  même  animosité  que  les  autres  sujets 
dc  la  maison  d'Autriche.  Quoiqu'ils  eussent  plus 


WAGRAM.  373 

d'une  fois  fait  preuve  de  dévouement  envers  cette 
maison,  ils  étaient  cependant  contraires  à  l'exercice 
direct  de  son  autorité,  et  ils  voyaient  dans  Napo- 
léon le  représentant  de  la  Révolution  française, 
révolution  ({ui  avait  éveillé  chez  eux  beaucoup  de 
sympathie.  Il  y  avait  dans  tout  le  pays  on  ne  sait  quel 
bruit  répandu,  que  Napoléon  songeait  à  raiïranchis- 
sement  de  la  Hongrie  comme  à  celui  de  la  Pologne, 
et  les  esprits  portés  vers  les  idées  nouvelles  avaient 
témoigné  pour  lui  une  sorte  de  penchant,  indé- 
pendant de  Tadmiration  qu'inspirait  au  monde  sa 
prodigieuse  carrière.  Néanmoins  les  instances  de 
l'archiduc  Palatin,  la  présence  de  la  cour,  l'action 
qu'elle  exerçait  sur  la  haute  noblesse,  avaient  con- 
tre-balancé les  influences  opposées,  et  la  Hongrie 
s'était  levée  à  la  voix  des  archiducs,  mais,  selon 
beaucoup  de  rapports,  moins  par  enthousiasme 
que  par  calcul.  Elle  avait  voulu,  disaient  ces  rap- 
ports, sous  prétexte  de  la  levée  en  masse,  s'exemp- 
ter des  charges  régulières  en  hommes  et  en  ar- 
gent qui  auraient  pesé  sur  elle,  si  elle  avait  été 
traitée  comme  les  autres  provinces  de  la  monar- 
chie. Il  faut  reconnaître  qu'elle  n'avait  pas  fourni 
par  la  levée  en  masse  plus  d'une  vingtaine  de  mille 
hommes,  dont  7  ou  8  mille  de  cavalerie  noble,  et 
12  mille  de  mauvaise  infanterie,  celle-ci  composée 
d'Allemands  que  les  nobles  payaient  pour  les  rem- 
placer dans  le  contingent  de  l'insurrection. 

Connaissant  ces  dispositions  douteuses,  Napoléon 
avait  adressé  aux  Hongrois  des  proclamations  ami- 
cales, pour  leur  promettre  à  la  paix  l'indépendance, 
et  pendant  la  guerre  l'exemption  de  toute  espèce 


Juin  1809. 


Juin  1809. 


371  LIVRE   XXXV. 

(le  charp;es,  s'ils  renonçaient  à  prendre  les  armes 
contre  lui.  L'efTet  de  ces  proclamations  n'avait  pas 
été  de  les  détacher  de  la  maison  d'Autriche,  mais 
d'attiédir  leur  zèle  pour  le  gouvernement  autri- 
chien ,  et  de  les  disposer  à  accueillir  les  Français 
avec  moins  d'hostilité. 

C'est  à  cet  état  de  choses  que  se  rapportaient  les 
instructions  données  par  Napoléon  au  prince  Eu- 
gène concernant  la  Hongrie.  Elles  étaient  parfaite- 
ment sages,  de  même  que  toutes  les  instructions 
militaires  qu'il  adressait  presque  chaque  jour  à  ce 
jeune  prince,  (^elui-ci,  comme  on  va  le  voir,  les 
suivit  de  son  mieux  dans  la  mesure  de  sa  capacité, 
et  à  peu  près  aussi  bien  que  Napoléon  pouvait  le 
désirer  pour  le  résultat  général  de  la  campagne. 
Efforts  Établi  à  Neustadt,  puis  à  Œdenbourg  (voir  les 

du  prince 

Eugène      cartcs  31  et  32)  dans  les  premiers  jours  de  juin ,  à 

^TarchuJuc'^^  qucIques  marches  de  Vienne,  et  sur  la  frontière  de 

,,^^.^"'        Hongrie,  le  prince  Eugène  avait  fait  reposer  son 

et  lui  livrer  -^         7  i  e^  i 

une  dernière  armée,  rapproché  les  divers  corps  qui  la  compo- 
saient, et  rejoint  les  généraux  Lauriston,  Colbert 
et  Monlbrun.  Fidèle  au  plan  que  Napoléon  lui  avait 
tracé,  il  se  mit  à  la  recherche  de  l'archiduc  Jean, 
tachant  de  le  placer  entre  le  maréchal  Davout  et 
l'armée  d'Italie,  toujours  pour  l'empêcher  de  se 
jeter  sur  les  généraux  IMacdonald  et  .Alarmont. 
Ayant  appris  que  l'archiduc  Jean  était  à  Kormond 
sur  la  haute  Raab,  où  devaient  lui  parvenir  les 
nouveaux  ordres  du  généralissime,  il  marcha  sur 
Guns ,  puis  sur  Stein-am-Anger,  afin  de  l'atteindre 
et  de  le  combattre.  Il  fit  part  en  même  temps  de 
sa  position  et  de  ses  projets  au  général  Macdo- 


WAGKAM.  375 

naUl,  pour  que  celui-ci  le  rejoignît  le  plus  lot  pos- 
sible. Le  i^énéral  Macdonald  s'était  arrêté  à  Gratz, 
attendant  le  général  Marmont,  et  tâchant  de  s'em- 
parer du  fort  de  Griitz,  qui  dominait  la  ville,  et  par  la 
ville  la  contrée.  Mais  ce  fort,  bien  armé,  situé  d'une 
manière  qui  en  rendait  Tattaque  très-difficile,  ne 
pouvait  être  assiégé  qu'avec  de  la  grosse  artillerie, 
dont  le  général  Macdonald  manquait  absolument. 
Il  avait  essavé  de  battre  les  murailles  avec  des  obus, 
puis  d'effrayer  le  commandant  par  ses  menaces, 
mais  le  tout  était  resté  sans  succès.  On  était  donc 
maître  de  la  ville  de  Griitz,  et  réduit  à  bloquer  la 
citadelle  qui  en  faisait  la  principale  force.  Le  géné- 
ral Macdonald,  en  recevant  les  communications  du 
prince  Eugène,  se  hâta,  dans  l'espérance  de  parti- 
ciper aux  opérations  qui  se  préparaient,  de  se  met- 
tre en  route  avec  la  division  Lamarque,  les  dragons 
de  Pully,  deux  bataillons  de  la  division  Broussier, 
et  la  plus  grande  partie  de  l'artillerie.  Il  laissa  le 
général  Broussier  devant  Grâtz,  avec  huit  bataillons 
seulement,  deux  régiments  de  cavalerie  légère,  et 
dix  pièces  de  campagne,  lui  abandonnant  le  soin 
d'accomplir  la  mission  qu'aurait  du  accomplir  le 
corps  tout  entier,  celle  de  prendre  la  citadelle  de 
Grâtz,  de  rallier  l'armée  de  Dalmatie,  et  d'empêcher 
l'Autrichien  Chasteler  de  passer  du  Tyrol  en  Hon- 
grie. Heureusement  que  les  troupes  étaient  excel- 
lentes, et  pouvaient,  comme  elles  le  prouvèrent 
bientôt,  résister  à  des  forces  infiniment  supérieures. 
Le  général  Macdonald,  parti  pour  Kormond  le 
9  juin,  y  rejoignit  le  prince  Eugène  sur  la  Raab, 
où  tous  deux  furent  charmés  de  se  revoir  sains  et 


Juin  1809. 


Juin  1809. 


:n()  LivuH  xxxv. 

saufs,  après  un  mois  de  mouvcmonts  divergents  et 
piMilleiix,  au  milieu  de  contrées  ennemies.  Le  plus 
simple  eût  été  de  marclier  désormais  ensemiile  pour 
conibattre  rarchiduc  Jean,  et,  en  lui  faisant  es- 
suyer un  dernier  revers,  d'apporter  aux  généraux 
Broussier  et  Marmont  le  secours  puissant  quoirpie 
indirect  d'une  bataille  gagnée  à  côté  d'eux.  Mais  le 
prince  Eugène,  sentant  confusément  l'inconvénient 
de  laisser  le  général  Broussier  seul  à  Gratz,  crut  y 
parer  en  laissant  le  général  Macdonald  seul  à  Papa, 
pour  que  celui-ci  fut  à  portée  des  généraux  Brous- 
sier et  Marmont,  ce  qui,  loin  d'être  une  atténua- 
tion, était  une  aggravation  de  la  faute  commise, 
puisqu'on  allait  être  partagé  en  quatre  détache- 
ments, le  général  Marmont  avec  dix  mille  hommes, 
le  général  Broussier  avec  sept,  le  générald  Macdo- 
nald avec  huit,  le  prince  Eugène  avec  trente.  Le 
général  Macdonald  fut  donc  renvoyé  vers  Papa, 
tandis  que  le  prince  Eugène,  revenu  de  Stein-am- 
Anger  sur  Sarvar,  descendit  la  Raab  à  la  suite  de 
l'archiduc  Jean,  avec  29  ou  30  mille  hommes  de 
son  armée,  et  6  à  7  mille  du  détachement  de  Lau- 
riston. 
Mouvements        Pendant  ces  marches  du    vice -roi,    l'archiduc 

(le    l'archiduc  ,  .  ,  i      a»    i  i      t>       i 

Jean  autour  Jcau,  aprcs  avoir  erre  entre  la  Muhr  et  la  Kaab, 
de  la  Raab.  ^^  mettant  dans  ses  mouvements  encore  moins  de 
précision  et  de  justesse  que  son  adversaire ,  avait 
fini  par  céder  aux  ordres  réitérés  du  généralissime, 
et  par  se  rapprocher  du  Danube.  Son  désir,  comme 
on  Ta  vu,  eût  été  d'obtenir  la  faculté  d'opérer  iso- 
lément sur  la  frontière  de  Hongrie,  de  rallier  les 
généraux  Chasteler  et  Giulay,  de  se  composer  ainsi 


WAGRAM.  377 

un  rassemblement  de  50  à  00  mille  liommes,  l'in- 
surrection hongroise  comprise,  de  battre  alterna- 
tivement le  corps  d'Eugène,  de  Macdonald  et  de 
Marmont,   de  venir  enfin  se  placer  sur  la  droite 
découverte  de  Napoléon,  pour  lui  faire  sentir  dans 
le  flanc  la  pointe  de  son  é[>ée.  Sans  doute,  si  une 
telle  série  de  succès  avait  été  certaine,  ou  seule- 
ment probable,  il  eût  valu  la  peine  de  s'imposer  des 
sacrifices  pour  se  la  ménager,  car  en  privant  Napo- 
léon des  cinquante  mille  bons  soldats  qui  lui  arri- 
vaient d'Italie  et  de  Dalmatie,  en  menaçant  en  outre 
sa  droite  et  ses  derrières,  on  le  réduisait  à  l'im- 
possibilité de  rien  tenter  de  décisif  autour  de  Vienne, 
et  de  réparer  le  premier  passage  du  Danube  par  un 
second  plus  heureux.  Mais,  pour  agir  comme  le 
projetait  l'archiduc  Jean,  il  fallait   un  à-propos, 
une  rapidité  de  manœuvres,  qu'on  ne  devait  at- 
tendre que  du  plus  habile  capitaine,  que  des  trou- 
pes les  meilleures,  et,  puisqu'on  ne  pouvait  guère 
y  compter,  il  valait  mieux  se  borner  à  harceler  la 
droite  de  Napoléon   avec   les   insurrections   hon- 
groises et  croates,  et  disposer  des  18  ou  20  mille 
hommes  qui  restaient  à  l'archiduc  Jean,  pour  être 
en  mesure  au  premier  appel  de  se  porter  sur  Vienne. 
L'ordre  avait  donc  été  donné  itérativement  au  prince 
autrichien  de  laisser  au  général  Stoïchevich,  au  ban 
Giulay,  à  Chasteler,  le  soin  de  harceler  les  Français 
vers  la  Hongrie ,  de  jeter  une  garnison  dans  Pres- 
bourg,  et  de  se  placer  ensuite  avec  la  meilleure 
partie  des  troupes  d'Italie  derrière  le  Danube,  pour 
concourir  à  la  lutte,  qui  tôt  ou  tard  devait  s'enga- 
ger encore  une  fois  sur  les  bords  de  ce  grand  fleuve. 


Juin  1819. 


378  II  VUE   WXV. 

Vaincu  par  des  ordres  aussi  positifs,  rairliiduc 

Juin  1809.  .    ■  '  ' 

Jean  avait  été  conlraiut  de  se  rapprocher  <lu  Danube, 
ce  qu'il  avait  fait  eu  suivant  les  l)ords  de  la  Haab 
par  Korniond,  Sarvar,  Papa  et  la  ville  de  Raab  elle- 
uiènie.  Cette  ville  fortitîée,  mais  néglii^ée  depuis 
loni^-lcnips,  et  eu  ce  moment  médiocrement  armée, 
était  située  sur  la  rivière  du  même  nom,  pas  loin 
de  son  embouchure  dans  le  Danube,  entre  Pres- 
bourg  et  Komorn.  (Voir  la  carte  n°  32.)  Un  camp 
retranché  était  lié  à  la  place ,  et  otïrait  une  bonne 
L archiduc    positiou  sur  la  Raab.  L'archiduc  Jean  y  avait  été 

Jeanetl'archi-        .    .  ,  n         i  •  i  t\    i    l-  i 

duc  Palatin    Tcjomt  par  son   frère  1  archiduc  Palatin  avec  les 

'urerbltaine  ^orccs  dc  l'insurrcction  hongroise.  Les  deux  princes 

avant       pouvaicnt   présenter  aux  Français   environ   qua- 

de  se  replier  r  r  ai 

derrière      rautc  mille  hommcs ,  dont  moitié  de  troupes  régu- 
le Danube.     ,.,  i^.     i-  i      m        i  ,  -i-  '      i 

lieres  venues  d  Italie  et  du  Tvrol,  et  moitié  de 
troupes  à  peine  formées  de  l'insurrection  liongroise. 
Celles-ci  se  divisaient  en  douze  mille  hommes  d'in- 
fanterie, espèce  de  ramassis  de  toutes  les  popula- 
tions magyares  ou  allemandes  du  pays ,  et  en  huit 
mille  hommes  de  cavalerie  noble,  peu  habituée 
aux  rudes  guerres  de  cette  époque.  C'est  avea  ces 
40  mille  hommes,  de  qualité  si  inégale,  que  les 
deux  archiducs  voulurent  tenir  tète  encore  une  fois 
au  prince  Eugène,  avant  de  lui  abandonner  la  rive 
droite  du  Danube,  et  de  se  reléguer  sur  la  rive 
gauche. 

Déjà  les  12  et  13  juin  ils  avaient  été  talonnés 

par  les  avant-gardes  du  prince  Eugène ,  et  le  1 3  au 

soir  ils  s'étaient  postés  autour  de  Raab ,  certains 

d'avoir  une  affaire  fort  chaude  le  lendemain,  s'ils 

Disposition    ne  Consentaient  à  battre  en  retraite.  La  position 


WAGHA.M.  379 

leur  paraissant  avantageuse ,  ils  s'étal)lirent  sur  un  

plateau,  leur  droite  appuyée  à  la  Raab,  leur  dos 

tourné  au  Danube  qui  coulait  quelques  lieues  en     de  l'armée 

'■  '  ^  autrichienne 

arrière,  leur  gauche  à  des  marécages  qui  s'éten-  sur  la  uaab 
daient  au  loin.  Ils  employèrent  la  soirée  du  13  juin 
et  la  matinée  du  i  4  à  rectifier  leur  position,  et  sur- 
tout à  mêler  ensemble,  pour  donner  aux  unes  la 
consistance  des  autres,  les  troupes  régulières  et  les 
troupes  de  l'insurrection.  Ils  suivaient  en  cela  un 
ordre  formel  de  Farcliiduc  Charles ,  ordre  fort  sage, 
mais  qui  en  cette  occasion  leur  fit  perdre  beaucoup 
de  temps.  Ils  ne  furent  pas  prêts  à  combattre  avant 
onze  heures  du  matin,  le  1  4. 

Heureusement  pour  eux,  le  prince  Eugène,  quoi- 
qu'il eût  marché  avec  une  grande  bonne  volonté  de 
les  atteindre,  n'était  pas  lui  même  en  mesure  de  les 
aborder  avant  onze  heures  ou  midi. 

Il  avait  longé,  comme  les  deux  princes  autri- 
chiens, les  bords  de  la  Raab,  laquelle  coule  presque 
perpendiculairement  au  Danube  (voir  la  carte  n"  32), 
et  n'en  est  plus  qu'à  quelques  lieues  à  la  hauteur 
de  la  ville  de  Raab.  Il  s'avançait  la  gauche  à  la 
rivière,  où  les  Autrichiens  avaient  leur  droite,  et  la 
droite  dans  la  plaine  marécageuse  où  les  Autrichiens 
avaient  leur  gauche.  Il  marchait  en  plusieurs  éche- 
lons, la  division  Seras  formant  le  premier  à  droite, 
la  division  Durutte  le  second  au  centre ,  la  division 
italienne  Severoli  le  troisième  à  gauche.  La  division 
Pacthod  et  la  garde  italienne  placées  en  arrière 
composaient  une  double  réserve.  La  cavalerie  était 
répartie  sur  les  ailes.  Cette  disposition  était  com-     ^,  ^J^" 

^  .       .         .  d  attaque 

mandée  par  la  nature  des  lieux  et  la  distribution  des     arrôié  par 


380  I.IVHK   XXXV. 

forces  ennemies  sur  le  plateau  qu'on  allait  atta- 

Juin  1809.  ,^  ,  ,    .  ,  ,  ,  ,      . 

quer.  Dans  la  plaine  niarecai^euse  a  notre  droite 
les  généraux    q^^  aperccvait  la  masse  de  la  cavalerie  hongroise , 

français.  '■ 

présentant  sept  à  huit  mille  cavaliers  environ,  fort 
hrillants  d'aspect,  mais  pas  aussi  redoutables  que 
heaux  à  voir.  Ils  étaient  soutenus  par  des  hussards 
réiruliers,  moins  brillants  mais  éprouvés  dans  la 
campap:ne  dltalie,  le  tout  sous  les  ordres  du  gé- 
néral Mecszery.  Un  peu  moins  à  droite,  et  tirant 
vers  le  centre,  derrière  un  ruisseau  fangeux,  on 
voyait  Tinfanterie  de  Jellacliich  et  de  CoUoredo, 
occupant  les  bâtiments  fort  solides  d'une  grosse 
ferme  dite  de  Kismegyer,  et  le  village  de  Szabad- 
hegy.  Enfin,  de  ce  dernier  village  à  la  Raab,  c'est- 
à-dire  vers  notre  gauche,  on  découvrait  l'infanterie 
de  Frimont ,  qui  formait  vers  la  rivière  et  le  camp 
retranché  la  droite  des  Autrichiens.  Quatre  à  cinq 
mille  hommes  des  moins  bonnes  troupes  défen- 
daient ce  camp  retranché  que  bloquait  le  général 
Lauriston  avec  les  Badois. 

Le  prince  Eugène,  après  s'être  concerté  avec  les 
généraux  Grouchy,  Montbrun,  Grenier,  Seras,  Du- 
rutte,  convint  des  dispositions  suivantes.  Tandis  que 
la  cavalerie  déployée  de  Montbrun  masquerait  les 
mouvements  de  notre  infanterie,  les  trois  divisions 
Seras,  Durutte,  Severoli,  s'avançant  en  échelons, 
devaient  attaquer  successivement  la  ferme  de  Kis- 
megyer, et  le  village  de  Szabadhegy,  par  l'un  et  l'au- 
tre côté.  La  division  Pacthod  et  la  garde  italienne, 
restées  en  réserve,  étaient  chargées  d'appuyer  celui 
des  trois  échelons  qui  aurait  besoin  de  secours. 
Grouchy  et  Montbrun  à  droite  devaient  se  jeter  sur 


WAGRAM.                                     384 
la  cavalerie  ennemie,  pendant  que  Sahuc  à  eauche  

'  *  ^  '^  Juin   1809. 

lierait  Tarmée  avec  le  détachement  de  Lauriston.  Le 
prince  Eugène,  sentant  alors  mais  un  peu  tard  la  sa- 
gesse des  principes  de  Napoléon,  dépécha  aides.de 
camp  sur  aides  de  camp  auprès  du  général  Macdo- 
nald,  pour  qu'il  lui  amenai  de  Papales  8  mille  hom- 
mes qui  l'auraient  complété  si  à  propos  dans  le  mo- 
ment, car  il  n'en  avait  que  36  mille  contre  40  mille 
établis  dans  une  forte  position.  Napoléon  cependant 
lui  avait  répété  sans  cesse,  que  même  avec  les 
troupes  les  meilleures  il  fallait,  pour  ne  rien  donner 
au  hasard,  manœuvrer  de  manière  à  être  plus  nom- 
breux que  l'ennemi  sur  le  terrain  où  se  livraient  les 
batailles.  Heureusement  que  Macdonald  prévoyant 
qu'il  pourrait  être  utile  à  Raab,  tandis  qu'à  Papa  il 
ne  faisait  rien  ni  pour  Broussier  ni  pour  Marmont, 
s'était  mis  spontanément  en  route,  et  déjà  se  mon- 
trait dans  le  lointain  précédé  par  les  dragons  de 
Pully.  Il  V  avait  donc  là  une  ressource  contre  un 
accident  peu  probable,  mais  possible. 

Vers  midi  on  s'ébranla  pour  attaquer  la  position      ,®^|f'"^ 
ennemie.  La   division  Seras,    chargée   de  former    livrée  le  u 
l'échelon  le  plus  avancé  à  droite,  n'étant  pas  en-     ^' 
core  en  ligne,  Monlbrun  étala  ses  quatre  régiments 
de  cavalerie  légère ,  et  fit  sous  un  feu  violent  d'ar- 
tillerie, et  avec  un  admirable  sang- froid,  les  évo- 
lutions qu'on  aurait  pu  exécuter  sur  un  champ  de 
manœuvre.  Puis  lorsque  l'infanterie  de  Seras  fut 
en  ligne,  et  qu'il  lui  sembla  opportun  d'aborder 
la  cavalerie  hongroise,   il  mit  ses  régiments  au 
galop,  et  fondit  sur  la  brillante  noblesse  venue  en 
hésitant  au  secours  de  la  maison  d'Autriche.  Quel- 


Juin  4809. 

Montbrun 

disperse 

la  cavalerie 

hongroise. 


Attaque 

de  notre 

infanterie 

sur  le  plateau 

occupé 

par  l'armée 

autrichienne. 


382  LIVKI-    XX  \V. 

que  brave  que  soit  une  nation,  rien  ne  .saurait  rem- 
placer chez  elle  Ihahitiide  et  lexpérience  de  la 
gueiTC.  En  un  in.stant  cette  troupe  se  dispersa  de- 
vant les  lé2;ers  cavaliers  de  Mt)nll)run,  habitués  à 
faire  le  coup  de  sabre  niènie  avec  les  cuirassiers, 
et  laissa  à  découvert  la  gauche  des  Autrichiens. 
Restaient  les  hussards  réguliers  de  l'archiduc  Jean, 
(jui  étaient  dignes  de  se  mesurer  avec  les  nôtres. 
Us  chargèrent  Montbrun ,  qui  le  leur  rendit  sur-le- 
champ,  et  les  obligea  à  se  replier  sur  leur  corps 
de  bataille. 

Pendant  ce  temps  Tinfanterie  de  Seras,  rangée 
sur  deux  lignes,  avait  abordé  le  plateau  occupé  par 
les  Autrichiens,  en  se  dirigeant  sur  la  ferme  de 
Kismegyer,  Avant  d'y  atteindre  elle  rencontra  le 
ruisseau  fangeux  qui  couvrait  la  position  de  l'en- 
nemi, et  le  trouva  plus  dillicile  à  franchir  qu'on  ne 
Tavait  supposé  d'abord.  Ce  ruisseau  était  profond, 
présentait  peu  d'accès,  et  était  défendu  par  de  bra- 
^  es  et  adroits  tirailleurs.  On  parvint  cependant  à  le 
traverser,  et  on  marcha  sur  le  vaste  bâtiment  carré 
composant  la  ferme  de  Kismeg\'er,  dont  les  murs 
étaient  crénelés  et  défendus  par  douze  cents  hom- 
mes de  la  meilleure  infanterie.  Tandis  que  Seras 
allait  se  heurter  contre  cet  obstacle  redoutable, 
Durutte  avec  son  infanterie ,  formant  le  second 
échelon ,  arrivait  aussi  devant  le  ruisseau ,  le  pas- 
sait, gravissait  le  plateau  sous  une  grêle  de  pro- 
jectiles, et  abordait  j)ar  la  droite  le  village  de  Sza- 
badheg\',  que  la  division  italienne  Severoli  abordait 
également  par  la  gauche.  En  cet  instant  on  était 
engagé  sur  toute  la  ligue,  et  larlillerie  des  Au- 


WAGRAM.  383 

tricliiens,  jointe  à  leur  mousqueterie ,  faisait  sur 
nos  ti'oupes  un  feu  plonj^eant  des  plus  meurtriers. 
Le  prince  Eugène,  courant  d'un  bout  à  l'autre  du 
champ  de  bataille ,  })ro(liguait  sa  vie  en  vaillant  of- 
ficier, jaloux  de  compenser  par  sa  bravoure  ce  qui 
lui  manquait  encore  sous  le  rapport  du  comman- 
dement. 

Le  général  Seras,  après  s'être  fort  approché  de 
la  ferme  de  KismegA,'er,  essuya  par  toutes  les  ou- 
vertures un  si  terrible  feu  de  mousqueterie,  qu'en 
quelques  minutes  il  eut  7  à  800  hommes  couchés 
par  terre ,  dont  une  soixantaine  d'officiers ,  à  tel 
point  que  ses  troupes,  sinon  ébranlées,  du  moins 
un  peu  étonnées,  eurent  besoin  d'un  secours  qui 
remontât  leur  ardeur  et  leur  confiance.  Le  général 
Seras  replia  la  première  ligne  sur  la  seconde ,  puis, 
quand  ses  braves  soldats  eurent  repris  haleine,  il  les 
ramena,  l'épée  à  la  main,  sur  le  formidable  obsta- 
cle d'où  partaient  des  feux  si  destructeurs.  Malgré 
les  décharges  redoublées  de  la  mousqueterie  enne- 
mie, il  vint  porter  la  hache  des  sapeurs  contre  les 
portes  du  bâtiment ,  les  enfonça ,  et  entrant  baïon- 
nette baissée,  vengea,  sur  les  malheureux  défen- 
seurs de  la  ferme  de  Kismegyer,  la  mort  des  7  ou 
800  hommes  qui  avaient  péri  sous  ses  murs.  Après 
avoir  passé  au  fil  de  l'épée  quelques  centaines  d'en- 
nemis et  pris  les  autres,  il  marcha  sur  la  gauche 
de  la  ligne  autrichienne,  qpii,  en  se  repliant  sur  le 
haut  du  plateau,  faisait  encore  bonne  contenance. 
Dans  ce  temps,  Durutte  avait  gravi  le  plateau,  et 
attaqué  Szabadhegy  de  concert  avec  linfanterie  ita- 
lienne de  Severoli.  Ici  le  combat  ne  fut  pas  moins 


Juin  1809. 


38i  LIVRE  XXXV. 

oi)iniàtre  (iiic  devanl  la  fcnno  du  Kismeever,  Les 

Juin  IS09.        .  .    ,  .  ,  -P        ,•  •  ,         .«        , 

Autrichiens  se  defendirenl  a\  ce  Miruciir  derrière  les 
maisons  du  \illai;e,  et  nous  en  liicnt  [)ayer  cher  la 
conquête.  Ils  se  rei)lièrent  un  iiislanl ,  mais  pour 
revenir  à  hi  charire.  Le  gros  des  trouj)es  comj)osant 
leur  contre  et  leur  droite,  ramené  j>ar  larchiduc 
Jean  sur  ce  village,  y  rentra  au  pas  de  charge,  et 
culbuta  vers  le  ruisseau,  d'un  côté  Durutte,  de 
l'autre  les  Italiens  de  Severoli.  La  première  ligne  de 
ces  deux  divisions  se  repliant ,  passa  dans  les  in- 
tervalles de  leur  seconde  ligne,  sans  que  celle-ci 
Prise        s'ébranlât  ou  se  laissât  entraîner.  Loin  de  là,  elle 

du  village  .  ,  ,  ,  . ,        , . 

de  se  porta  en  avant,  ramenant  la  première  ligne  avec 
szabadhegy.  ^^g^  £gg  généraux  Durutte  et  Severoli  conduisirent 
leurs  divisions  sur  le  \illage  tant  disputé,  et  rem- 
portèrent de  concert  avec  la  première  brigade  de 
la  division  Pactliod,  accourue  à  leur  secours.  Dès 
lors,  on  s'avança  de  droite  et  de  gauche,  au  delà 
des  deux  points  d'appui  de  la  ligne  ennemie  qui  ve- 
naient d'être  enlevés.  C'était  pour  la  caAalerie  le 
moment  dagir.  Montbrun,  Grouchy,  Colbert,  s'é- 
lancèrent pour  couper  la  retraite  aux  Autrichiens, 
qui  cherchaient  à  gagner  le  Danube.  Montbrun  en- 
fonça plusieurs  carrés ,  et  fit  de  nombreux  prison- 
niers. Cependant  il  fut  arrêté  par  l'attitude  de  l'ar- 
mée autrichienne,  qui  se  retirait  en  masse  et  en  bon 
ordre.  A  gauche,  le  8"  de  chasseurs  de  la  division 
Sahuc,  se  trouvant  plus  avancé  que  le  reste  de  sa 
division,  se  précipita  avec  une  ardeur  extraordi- 
naire sur  la  dioile  des  Autrichiens  au  moment  où 
elle  s'éloignait  de  Raab,  et  enfonça  tout  ce  qu'il 
rencontra  sur  son  chemin.  Déjà  il  avait  fait  mettre 


Juin  4  80'.). 


.  WAGRAM.  385^. 

I)as  les  armes  à  plusieurs  milliers  de  fantassins  en- 
nemis, pris  une  nombreuse  artillerie,  lorsque  les 
Autrichiens,  s'apercevant  qu'il  n'était  [)as  soutenu, 
revinrent  de  leur  trouble,  firent  feu  sur  lui,  et  ils  ' 

allaient  le  maltraiter  gravement,  si  le  reste  de  la 
division  Saliuc ,  taidivement  amenée  par  son  géné- 
ral, n'était  venu  le  dégager.  Ce  brave  régiment 
conserva  néanmoins  1,500  prisonniers,  quelques 
canons  et  des  drapeaux. 

Les  archiducs  voyant  que  la  bataille  était  totale-  Retraite 
ment  perdue,  ordonnèrent  enfin  la  retraite,  qui,  au^ricWenno. 
grâce  au  terrain  et  à  la  nuit,  ne  fut  pas  aussi  désas- 
treuse qu'ils  auraient  pu  le  craindre,  et  s'effectua 
par  Saint- Yrany,  vers  les  terrains  inondés  du  Da- 
nube. Cette  journée  qui,  pour  le  prince  Eugène 
et  l'armée  d'Italie,  réparait  glorieusement  la  dé- 
faite de  Sacile,  nous  coûta  à  nous  2,000  morts  ou 
blessés,  et  aux  Autrichiens  environ  3  mille  hommes 
hors  de  combat,  2,500  prisonniers,  2  mille  soldats 
égarés.  Elle  mettait  l'archiduc  Jean  et  l'archiduc 
Palatin  hors  de  cause,  assurait  la  jonction  des  gé- 
néraux Broussier  et  Marmont,  et  ne  nous  laissait 
plus  exposés  sur  la  rive  droite  qu'à  des  courses 
de  hussards,  courses  peu  redoutables,  auxquelles 
il  devait  suffire  d'opposer  quelques  détachements 
de  cavalerie.  Le  général  Macdonald  arriva  vers  la 
chute  du  jour,  pour  embrasser  sur  le  champ  de 
bataille  le  jeune  prince  aux  succès  duquel  il  s'in- 
téressait vivement. 

Tandis  que  sur  ce  point  le  plan  de  Napoléon 
s'exécutait,  sauf  de  légères  fautes  de  détail,  d'une  'ies  généraux 
manière  si  conforme  à  sa  pensée,  le  ralliement  des    et  Mermont 

TOM.  X.  25 


386  LIVRE  XXXV. 

généraux  ^farmont   et   Broussier  s'opérait  aussi. 

Juin  <-809.      ^     ,       ,  ,  .  ,  ,  .'  ,  .   ' 

maliLTO  queuiucs  accKtonts,  les  uns  naissant  des  cir- 
aveciarmée    constanccs,  Ics  autrcs  (le  mauvaises  conil)inaisons 

d  Italie.  ^  ' 

que  Napoléon,  à  la  distance  où  il  était,  ne  pouvait 
pas  toujours  rectifier  à  temps.  Le  général  lîroussier, 
lai.ssé  seul  à  Gnitz,  eût  été  fort  compromis  si  ses 
troupes  n'avaient  pas  été  des  plus  solides.  Après 
avoir  commencé  par  canonner  avec  des  obusiers  la 
citadelle  de  Griitz,  sans  réussir  à  la  soumettre,  le 
commandant  s'étant  montré  résolu  à  ne  céder  que 
devant  une  attaque  sérieuse,  il  avait  pris  ses  dispo- 
sitions pour  rester  maître  de  la  ville,  indépendam- 
ment de  la  citadelle,  et  pour  tenir  la  campagne  au 
loin,  afin  de  tendre  la  main  au  général  Marmont  qui 
s'approchait.  Il  avait  fait  plusieurs  excursions  vers 
la  Croatie,  dans  la  direction  que  suivait  le  général 
Marmont,  jusqu'à  des  distances  de  douze  ou  quinze 
lieues;  et  chaque  fois,  avec  cinq  à  six  mille  hom- 
mes, il  avait  livré  au  ban  Giulay  de  petites  batailles^ 
dans  lesquelles  il  l'avait  complètement  battu.  Mais, 
en  s'éloignant  toujours  ainsi  de  Griitz,  il  n'avait 
pu  garder  suffisamment  les  routes  du  T\toI  ,  et  le 
général  Chasteler,  traversant  les  postes  de  l'armée 
d'Italie,  avait  gagné  la  Hongrie,  avec  quatre  ou 
cinq  mille  hommes,  beaucoup  plus  heureusement 
que  le  général  Jellachich.  Sur  ces  entrefaites,  le  gé- 
néral Marmont,  qui  s'était  arrêté  quelques  jours  en 
apprenant  les  revers  de  l'armée  d'Italie,  avait  bien- 
tôt repris  sa  marche,  s'était  avancé  jusque  près  de 
Gratz,  avec  autant  de  prudence  que  de  hardiesse, 
et  il  venait  de  donner  avis  de  son  approche  au  gé- 
néral Broussier.  Celui-ci,  à  cette  nouvelle,  se  hâta 


WAGRAM. 


387 


de  descendre  la  Muhr,  dans  l'espoir  de  joindre  le  • 
général  Marmont  à  Kalsdorf,  laissant  deux  batail- 
lons du  Si*"  dans  un  faubourg  de  Griitz  pour  i^arder 
la  ville.  Mais  pendant  qu'il  descendait  la  rive  droite 
de  la  Muhr,  le  ban  Giulay  en  remontait  la  gauche  à 
la  tète  de  quinze  mille  hommes,  moitié  de  troupes 
rép;ulières,  moitié  de  Tinsurrection  croate,  et  venait 
assaillir  à  l'improviste  les  deux  bataillons  chargés 
de  défendre  Griitz,  Ces  deux  bataillons,  attaqués  par 
toute  une  armée,  résistèrent  dix-neuf  heures  de  suite 
avec  un  courage  héroïque,  sous  les  ordres  du  colo- 
nel Gambin.  Ils  tuèrent  1 ,200  hommes  à  l'ennemi,  en 
prirent  4  ou  500,  et  donnèrent  le  temps  au  général 
Broussier  de  venir  à  leur  secours.  Ce  général,  en 
effet ,  averti  du  mouvement  du  ban  Giulay,  remonta 
précipitamment  la  Muhr,  tomba  sur  les  troupes  de 
Giulay,  les  dispersa,  et  dégagea  les  deux  bataillons 
du  84^  Les  avant-gardes  du  général  3Iarmont  se 
montrèrent  enfm  à  une  ou  deux  marches.  Ainsi  ce 
corps  de  dix  mille  hommes ,  le  meilleur  de  l'armée 
après  celui  du  maréchal  Davout,  rejoignit  les  mas- 
ses belligérantes,  et  les  généraux  Marmont,  Brous- 
sier, Macdonald,  réunis  au  prince  Eugène,  furent 
dès  lors  en  mesure  de  fournir  à  Napoléon  le  concours 
de  toutes  les  forces  de  l'Italie  et  de  la  Dalmatie.  Les 
corps  de  Stoïchevich  et  Giulay  étaient  de  plus  en- 
tièrement dispersés,  et  les  deux  archiducs  (Jean  et 
le  Palatin)  rejetés  définitivement  au  delà  du  Danube. 
Il  y  avait  là  de  quoi  dédommager  Napoléon  des 
journées  d'Essling,  et  il  en  avait  besoin,  car  en- 
couragés par  ces  journées  fameuses,  ses  ennemis 

s'agitaient  plus  que  jamais,  et  essayaient  encore  de 

25. 


Juin  4  309. 


Nouveau 
soulèvement 

du 
Tyrol  sous 
l'influence 
des  événc- 


Juin   ISOi", 

inents 
d'iîsslmL'. 


Agitations 

dans 

le  Vorariberg 

et 

'.1  Soiiabe. 


388  LIVRE   XXXV. 

soulever  le  ïyroi,  la  Soiiai)e,  la  Saxe,  la  Wesl[)lia- 
lie,  la  !*russe.  Au  hi'uit  de  la  prétendue  défaite  des 
Franrais  à  Esslin:;,  le  Tyrolien  Hofer  et  le  major 
Teimer  étaient  descendus  des  cimes  du  Brenner, 
([uoi(|irils  lussent  l'oit  irrités  contre  le  gouverne- 
ment aiilricliien  qui  leur  avait  retiré  les  deux  corps 
de  Jellacliicli  et  de  Cliasteler.  Leur  haine  contre  la 
maison  de  Bavière  suppléait  à  leur  amour  refroidi 
pour  la  maison  d'Autriche.  Le  général  bavarois 
Deroy,  laissé  seul  à  la  défense  d'Inspruck,  s'était 
vu  assailli  de  toutes  les  hauteurs  voisines  par  une 
nuée  de  montagnards,  mauvais  soldats  en  plaine, 
mais  très-bons  tirailleurs  dans  les  montagnes,  et 
adversaires  très-redoutables  quand  on  était  réduit 
à  battre  en  retraite.  Obligé  de  leur  tenir  tête  pen- 
dant plusieurs  jours,  le  général  Deroy  avait  épuisé 
presque  toutes  ses  munitions,  et  craignant  d'en 
manquer,  craignant  surtout  dV'tre  privé  de  vivres 
par  suite  de  l'étroit  blocus  établi  autour  d'Ins- 
pruck, il  s'était  retiré  avec  sa  division  sur  le  fort 
de  Kufstein,  abandonnant  une  seconde  fois  la  capi- 
tale du  ïyrol.  Cet  événement  de  peu  d'importance 
en  lui-même  avait  produit  néanmoins  une  profonde 
impression  dans  toute  la  Bavière,  et  surtout  à  la 
cour,  ([ui  redoutait  fort  d'être  contrainte  encore  à 
évacuer  Munich.  Les  habitants  du  Vorariberg  se 
montraient  aussi  fort  remuants.  Sur  les  bords  du 
lac  de  Constance,  sur  le  haut  Danube,  dans  toute 
la  Souabe  enfin,  l'agitation  était  sensible,  et  il  était 
évident  que  si  nous  éprouvions  un  revers  plus  réel 
(jue  celui  d'Essling,  nos  derrières  seraient  sérieu- 
sement menacés. 


WAGRAM.  389 

Les  Autricliiens,  qui  connaissaient  cel  élat  de  

choses  puisqu'ils  en  étaient  les  auteurs,  venaient 
de  l'aggraver  par  une  disposition  très-dangereuse      invasion 

pour  nous.  Us  avaient  donné  au  duc  de  Brunswick-  la  Fmnronie 

Gels,  fils  du  fameux  duc  de  Brunswick,  les  moyens  °    ^par 

de  lever  un  corps  composé  de  réfugiés  de  toutes  ^pf  "surgés, 

1  A  o  allemands 

les  provinces  allemandes,  particulièrement  de  Prus-       -«"ivis 

T,     ,     .  .  ,.    .  ,  ^c  quelques 

siens.  Ils  lui  avaient  en  outre  adjoint  quelques  trou-  troupes 
pes  régulières  et  quelques  landwehr,  le  tout  formant  "^'trichiennes! 
à  peu  près  8  mille  hommes,  et  Tavaient  dirigé  de 
la  Bohême  vers  la  Saxe,  en  le  faisant  précéder  des 
l)ruits  les  plus  mensongers  sur  la  prétendue  victoire 
remportée  sur  les  Français  à  Essling.  Us  avaient  en 
même  temps  dirigé  un  autre  corps  de  quatre  mille 
hommes  environ,  moitié  troupes  régulières,  moitié 
landwehr,  de  la  Bohême  vers  la  Franconie,  en  se- 
mant les  mêmes  bruits  sur  son  chemin.  Le  premier 
corps  s'était  avancé  de  Prague  sur  Dresde ,  où  il  était 
entré  sans  coup,  férir,  après  avoir  forcé  par  sa  seule 
approche  la  cour  de  Dresde  à  se  réfugier  à  Leip- 
sick.  Le  second  avait  marché  d'Egra  sur  Bayreuth, 
en  profitant  du  dénûment  où  la  guerre  du  Danube 
avait  laissé  nos  alliés  de  la  Bavière  et  du  Wurtem- 
berg. Leur  plan  était  de  pousser  sur  la  Thuringe, 
de  s'y  réunir  en  une  seule  masse,  sous  les  ordres 
du  général  Kienmayer,  et  d'entrer  en  Westphalie 
pour  en  expulser  le  roi  Jérôme.  Celui-ci,  elTrayé  du  f 

danger  qui  le  menaçait,  s'était  hâté  de  demander 
à  Paris  des  ressources  qui  n'existaient  pas,  et  ses 
cris  de  détresse  avaient  fini  par  y  produire  une 
sorte  d'alarme. 

L'apparition  de  ces  diverses  colonnes  avait  excité         rin 


390  LIVRE   XXXV. 
une  \i\e  auilation  en  Allcmai^no,  mais  sans  v  pro- 

Juin  1809.  ■  .  . 

vcxiiier  copendanl  aucun  niouNonient  insurreclion- 
des  aventures  y^i']    nialm'é  lout  ce  (luc  s'cu  étaient  promis  les  Au- 

du  major  "  '  ' 

schiii.  trichions,  parc(ï  tpie  le  prcstiiîc  de  Napoléon  était 
encore  entier,  parce  (|u'onrei:;ardait  comme  dillicile 
d'abattre  sa  puissance,  et  que  lout  en  répandant  (piil 
était  vaincu,  on  n'en  était  pas  assez  persuadé  pour 
oser  prendre  les  armes.  L'exemple  de  ce  qui  venait 
d'arriver  au  major  Schill  n'avait  de  quoi  tenter  per- 
sonne. Ce  hardi  partisan,  croyant  obéir  à  la  pensée 
secrète  de  son  gouvernement  en  désobéissant  à  ses 
ordres  patents,  était,  comme  on  l'a  vu,  sorti  de 
Berlin  avec  un  corps  de  cavalerie  prussienne,  et 
s'était  mis  à  courir  la  campagne,  dans  l'espoir 
qu'il  entraînerait  à  sa  suite  l'armée  et  les  popula- 
tions. Bien  accueilli  de  tout  le  monde,  sans  être 
suivi  de  personne,  et  même  déconcerté  par  les  dé- 
clarations sévères  parties  de  Kœnigsberg,  il  s'était 
enfui  en  Mecklembourg ,  puis  en  Poméranie,  et 
avait  surpris  la  place  mal  gardée  de  Stralsund,  avec 
l'intention  d'y  soutenir  un  siège.  Assailli  bientôt  par 
un  corps  hollandais ,  et  même  par  un  corps  danois 
qui  avait  voulu  donner  à  Napoléon  cette  preuve  de 
dévouement,  il  n'avait  pu  défendre  une  place  forte 
avec  de  la  cavalerie,  et  tachant  de  se  sauver  par 
une  porte  tandis  que  les  troupes  hollandaises  en- 
,  traient  par  l'autre,  il  était  tombé  sous  le  sabre  d'un 

cavalier  hollandais.  Le  malheureux,  victime  de  son 
patriotisme  désordonné,  avait  vu  en  expirant  sa 
troupe  prise,  détruite  ou  dispersée.  C'était  jusqu'a- 
lors le  seul  fruit  des  insurrections  allemandes.  Les 
cœurs  n'en   étaient  pas  moins  exaspérés  contre 


WAGRAM.                                     394 
nous,  et  il  ne  fallait  qu'un  revers,  non  pas  sup-  — 

/  .         ,    .  .  ,  .  Juin  1809. 

pose,  mais  réel,  pour  que  les  peuples  encore  in- 
timidés tissent  explosion  d'un  bout  du  continent  à 
laulie. 

En  Pologne,  la  campagne  habilement  conduite  suite 
par  le  prince  Poniatowski,  avait  eu  des  résultats  Jne'du'^pHÏcê 
inespérés,  quoique  peu  décisifs.  Livrant  la  rive  gau-  Poniatowski 
che  de  la  Yistule  à  l'impatience  des  Autrichiens, 
qui  non  contents  d'occuper  Varsovie,  avaient  eu 
l'imprudence  de  descendre  jusqu'à  Thorn,  ce 
prince  s'était  réservé  la  rive  droite,  les  avait  re- 
poussés toutes  les  fois  qu'ils  avaient  voulu  la  fran- 
chir, puis  l'avait  remontée  jusqu'en  Gallicie,  pour 
réveiller  l'esprit  insurrectionnel  des  Polonais  cou- 
vant sourdement  dans  cette  province.  A  son  appa- 
rition, en  effet,  une  partie  des  Galliciens  s'était 
levée ,  et  lui  avait  offert  des  vivres ,  des  munitions 
et  des  hommes.  Il  était  entré  à  Sandomir,  et 
menaçait  même  Cracovie.  L'archiduc  Ferdinand, 
ramené  en  arrière  par  les  opérations  du  prince 
Poniatowski,  avait  été  obligé  de  faire  une  retraite 
rapide,  qu'on  aurait  pu  interrompre,  et  rendre  dé- 
sastreuse en  passant  de  la  rive  droite  sur  la  rive 
g;auche,  pour  l'arrêter  dans  son  mouvement  rétro- 
grade. Un  corps  polonais  de  3  mille  hommes  sous 
le  général  Dombrowski  s'était  proposé  ce  plan, 
mais  il  était  incapable  à  lui  seul  de  l'accomplir,  et 
courait  la  chance  de  se  faire  écraser,  sans  avoir 
celle  d'arrêter  l'ennemi.  Les  Russes,  sous  le  prince 
Gallitzin,  arrivés  en  ligne  vers  les  derniers  jours 
de  juin,  tandis  qu'ils  auraient  dû  y  être  en  avril, 
pouvaient  exécuter  cette  manœuvre,  et  ne  pas  lais- 


Jtiin   ISOO. 


392  LIVRE  XXXV. 

ser  revenir  en  Gallicio  un  seul  Aiilricliicn.  Le  prince 
Ponialowski  les  suppliant  daiiir  ainsi,  avait  trouvr 
chez  eux  une  mauvaise  volonté  évidente,  que  n'ex- 
pliquaient plus  la  saison,  le  débordement  des  ri- 
vières, riujperleclion  de  ladminislralion  russe. 
Hofus  Le  vrai  motif  de  leur  inaction,  c'est  qu'ils  éprou- 
daider  '  vaicut  à  détruire  les  Autiichiens  au  piofil  des  Po- 
'"î-oiîtîï^rcT  loïisiis,  une  répugnance  Icliu  qu'ils  désobéissaient 
Auirichiens.  g^^x  ordrcs  mémcs  de  leur  gouvernement.  Le  prince 
Gallitzin,  fortement  réprimandé  par  Alexandre, 
avait  montré  un  peu  moins  de  froideur  au  prince 
Poniatowski,  mais  il  n'avait  rien  fait  pour  vaincre 
la  résistance  de  ses  lieutenants,  et  l'un  d'eux,  Je 
prince  Gortschakoff,  avait  même  écrit  qu'il  arrivait 
dans  l'espérance  de  se  joindre  aux  Autrichiens  et 
non  aux  Polonais.  Ceux-ci  ayant  intercepté  la  let- 
tre l'avaient  envoyée  avec  beaucoup  d'autres  à 
Saint-Pétersbourg.  Partout  où  les  avant-postes  rus- 
ses et  autrichiens  se  rencontraient,  ils  se  tendaient 
la  main  en  se  promettant  de  servir  bientôt  ensem- 
ble. En  un  mot,  les  divisions  russes  parvenues  enfin 
sur  le  territoire  de  la  Gallicie  ne  semblaient  y  être 
venues  que  pour  comprimer  l'insurrection  galli- 
cienne.  Sous  prétexte  de  prendre  possession  du 
pays,  elles  supprimaient  partout  les  nouvelles  au- 
torités polonaises,  et  rétablissaient  les  anciennes 
autorités  autrichiennes. 

Tandis  que  les  Russes  manquaient  ainsi  à  leur 
parole,  probablement  contre  le  gré  de  leur  souve- 
rain, les  Polonais  manquaient  de  leur  côté,  contre 
le  gré  également  de  Napoléon,  à  celle  qu'on  avait 
donnée  aux  Russes,   et  annonçaient  dans  toutes 


WAGRAM.  393 

leurs  proclamations  lu  prochain  rétablissement  de 
la  Pologne.  Napoléon  leur  avait  néanmoins  bien 
recommandé  de  ne  parler  que  du  grand-duché  de 
Varsovie,  et  de  ne  pas  lui  aliéner  la  Russie  par  un 
langage  imprudent.  ïl  n'avait  cessé  de  leur  dire 
que  le  jour  viendrait  où  ,  sans  faillir  à  ses  enga- 
gements, sans  s'attirer  plus  d'ennemis  qu'il  n'en 
pouvait  combattre  à  la  fois,  il  achèverait  leur  i-e- 
constitution  en  agrandissant  peu  à  peu  le  duché  de 
Varsovie  ;  qu'il  ne  pouvait  pas  tout  faire  d'un  seul 
coup;  qu'il  lui  fallait  pour  achever  son  œuvre  du 
temps  et  des  occasions;  qu'en  ce  moment  nuuîi- 
fester  des  espérances,  exprimer  des  vœux  préma- 
turés, c'était  le  mettre  inutilement  en  péril,  et  s'y 
mettre  soi-même.  Napoléon,  en  donnant  ces  con- 
seils, n'avait  pas  été  plus  écouté  par  les  Polonais 
qu'Alexandre  par  les  Russes.  Toutefois  il  faut  re- 
connaître qu'Alexandre,  s'il  s'y  était  appliqué  sin- 
cèrement, aurait  pu  sur  les  Russes  beaucoup  plus 
que  Napoléon  sur  les  Polonais.  Mais  il  était  Russe 
aussi,  et  travailler  au  rétablissement  de  la  Pologne 
en  aidant  les  Polonais  contre  les  Autrichiens  lui 
coûtait  presque  autant  qu'à  ses  soldats.  Lui-même, 
sans  s'en  douter,  était  le  premier  en  révolte  contre 
sa  propre  politique. 

Telles  étaient  les  perplexités  de  l'Europe  entière, 
pendant  que  T archiduc  Charles  et  Napoléon  luttaient 
l'un  contre  l'autre,  sous  les  murs  de  Vienne.  Bien 
qu'il  y  eut  là  des  symptômes  graves,  qui  auraient 
du  servir  d'avertissements  à  un  politique  sage,  il 
n'y  avait  rien  qui  pût  alarmer,  ni  détourner  de  son 
but  essentiel,  un  aussi  grand  capitaine  que  Napo- 


Juin   1800. 


Juin  4809. 


394  LIVRE  XXXV. 

Icon.  Qiiehjiics  proiïivs  ou  qiiehjiios  revers  en  Po- 
loi^ne,  quelfiiies  courses  do  partisans  en  Saxe  et 
en  Poniéranie,  une  nouvelle  retraite  des  Ba\arois 
en  Tyrol,  étaient  peu  de  chose.  Passer  le  Danube, 
itattre  l'aichiduc  Charles,  était  l'opération  décisive, 
qui  devait  faire  tomber  toutes  les  dispositions  hosti- 
les, fussent-elles  suivies  de  commencements  dinsur- 
Queiques     rection  plus  ou  moins  inquiétants.  Aussi  Napoléon 

'^"^pHse's""^  n'en  était-il  que  médiocrement  ému,  et  n'attachait- 
'^^coSnèr"  ^'  d'importance  qu'à  ce  qui  se  passait  autour  de  lui 

mouvements    entre  Liutz,  Léoben,  Raab,  Presbours  et  l'île  de 

insurrection- 

neis  de  l'Aile-  Lobau.  Il  s'était  donc  borné  à  un  petit  nombre  de 
°  précautions  fort  sages,  fort  bien  conçues,  et  surtout 
très-suffisantes  dans  le  cas  où  il  réussirait  à  frapper 
à  Vienne  le  coup  principal  et  définitif.  Il  avait  en- 
voyé à  ]Milan  le  général  Cafarclli,  ministre  de  la 
guerre  du  royaume  d'Italie,  pour  remplacer  par 
une  autorité  élevée  le  prince  Eugène.  Il  lui  ordonna 
de  réunir  tout  ce  qu'il  y  avait  de  détachements  dis- 
ponibles pour  bloquer  le  Tyrol  italien,  en  occupant 
les  débouchés  des  montagnes.  Il  prescrivit  au  prince 
Eugène  de  laisser  la  division  Rusca  à  Klagenfurth, 
pour  opérer  le  même  blocus  du  côté  de  la  Garinthie. 
Lé  général  bavarois  Deroy  dut  en  faire  autant  du 
côté  de  la  Bavière,  en  occupant  Rosenheim  et 
Kufstein,  de  manière  à  renfermer  cette  espèce  d'in- 
cendie dans  des  limites  qu'il  ne  put  franchir,  sauf 
à  sévir  plus  activement  contre  les  Tyroliens,  lors- 
qu'on en  aurait  fini  avec  la  grande  armée  autri- 
chienne. Quant  à  la  Souabe  et  au  Vorariberg, 
Napoléon  avait  de  quoi  les  contenir  dans  le  rassem- 
blement formé  à  Augsbourg,  rassemblement  qui  se 


WAGRAM.  395 

composait  (les  dragons  provisoires,  du  Go'^dc  lii^ne, 
des  régimenls  de  conscrits  de  la  garde,  enfin  des 
nombreuses  troupes  de  passage.  11  prescrivit  au  gé- 
néral Beaumont  de  s'établir,  avec  quelques-unes 
de  ces  troupes,  à  Kempten,  à  Lindau,  le  long  du  lac 
de  Constance,  afin  de  refouler  tout  ce  qui  voudrait 
déboucher  des  montagnes. 

Le  général  Bourcier  commandait  à  Passau  le  dé- 
pôt général  de  la  cavalerie.  Il  avait  là  tous  les 
hommes  à  pied,  les  détachements  de  recrues, 
les  ateliers  de  sellerie,  un  marché  ouvert  pour  les 
achats  de  chevaux,  et  il  remettait  en  état  de  servir 
les  hommes  démontés,  fatigués  ou  malades.  Napo- 
léon lui  ordonna  de  se  détourner  un  moment  de 
ce  dépôt,  d'y  laisser  un  remplaçant  capable  de  le 
suppléer,  puis  de  prendre  avec  lui  deux  régiments 
de  dragons  formant  2  mille  chevaux,  le  régiment 
à  cheval  de  Berg,  plus  21  à  3  mille  Bavarois  tirés 
des  places  du  Palatiuat,  et  de  s'avancer  sur  Bay- 
reuth.  De  son  côté,  le  général  Rivaud,  établi  à 
Wurzbourg  à  la  tête  de  deux  demi-brigades  provi- 
soires, devait  se  diriger  de  Wurzbourg  surBayreuth, 
s'y  réunir  au  général  Bourcier,  et  marcher  avec 
lui  contre  le  petit  corps  qui  venait  de  sortir  de  la 
Bohême,  Cette  courte  expédition  terminée,  le  général 
Bourcier  avait  ordre  de  retourner  à  Passau  pour  y 
reprendre  le  commandement  de  son  dépôt  de  cava- 
lerie. Le  général  Rivaud  devait  se  joindre  à  quatre 
demi-brigades  rassemblées  à  Hanau  sous  le  maré- 
chal Kellermann,  et  se  porter  vers  la  Saxe  contre 
les  Autrichiens  entrés  à  Dresde.  Napoléon  écrivit  à 
Paris,  soit  au  ministre  de  la  guerre  Clarke,  soit  au 


Juin  1809. 


396  LIVIU-    XXXV. 

■"  ~T^_     iniiiistro  de  la  iiolice  Foiiclié,  pour  leur  reprocher 

Juin  1809.  ,  '  '   '  ' 

sévèrement  les  craintes  (ju'ils  avaient  trop  facilement 
conçues  à  l'occasion  des  événements  de  Dresde  et 
de  Bayrenlli.  [.es  ministres  restés  à  Paris  avaient 
été  fort  émus  en  effet  des  cris  de  détresse  poussés 
par  le  roi  Jérôme,  et  ils  étaient  allés  jusiju'à  croire 
que  la  Prusse  se  préparait  à  déclarer  la  guerre.  — 
Si  quelques  courses  insiiïnifiantes  vous  alarment  à  ce 
point,  leur  écrivit  Napoléon,  que  feriez-vous  donc 
si  des  événements  graves  survenaient,  de  ces  évé- 
nements de  guerre  qui  peuvent  cependant  arriver 
sans  qu'on  succombe?  Je  suis  l)ien  peu  satisfait, 
ajoutait-il ,  de  voir  les  hommes  attachés  à  mon  ser- 
vice montrer  si  peu  de  caractère,  et  donner  eux- 
mêmes  le  signal  des  plus  ridicules  terreurs.  Il  ne 
peut  y  avoir  d'événements  sérieux  que  sur  le  théâ- 
tre où  j'opère,  et  là  je  suis  présent  pour  tout  do- 
miner. — 

Les  alarmes  que  l'on  concevait  si  facilement  à 
Paris  étaient  pour  la  politique  de  Napoléon  une  cri- 
tique involontaire  dont  il  s'irritait,  et  qu'il  ne  par- 
donnait pas  même  à  ses  serviteurs  les  plus  dévoués. 
Du  reste,  il  avait  raison  de  dire  que  tout  était  de 
peu  d'importance  ailleurs  que  sur  le  théâtre  où  il 
opérait,  cjue  victorieux  sur  ce  théâtre  il  le  serait 
partout.  Aussi  ne  négligeait-il  rien  pour  l'être  pro- 
chainement et  complètement. 
Soins  Une  fois  le  prince  Eugène  vainqueur  à  Raab ,  l'ar- 

poui^pr%arer  chiduc  Jcan  et  l'archiduc  Palatin  rejetés  au  delà  du 
'"  ..      Danube ,  et  la  jonction  des  armées  d'Italie  et  de  Dal- 

ronccnlration  '  •' 

rie  von  armée,  niatic  assuréc,  Napoléou  n'avait  plus  à  s'occuper  que 

p{  cnipéchcr 

colle       d'un  seul  objet ,  avant  de  livrer  sa  dernière  bataille, 


Juin   180» 


auincliiennfi. 


WACHAM.  397 

c'était  d'empêcher  que  les  deux  archiduc»  repassant 
le  Danube  à  Presbourg  ou  à  Koniorn ,  ne  suivissent 
les  armées  françaises  d'Italie  et  de  Dalmatie,  quand  ''"^  l'armco 
celles-ci  viendraient  combattre  sous  les  murs  de 
Vienne.  i;^Voir  la  carte  n"  32.)  Il  fallait  pour  cela 
interdire  aux  Autrichiens  l'usage  du  pont  de  Pres- 
bourg, et  de  plus  occuper  la  ligne  de  la  Raab,  des- 
tinée à  nous  couvrir  du  coté  de  la  Hongrie,  de 
manière  qu'elle  put  arrêter  les  Autrichiens  pendant 
trois  ou  quatre  jours,  temps  fort  suflisant  pour  exé- 
cuter le  mouvement  des  armées  d'IlaUe  et  de  Dal- 
matie sur  Vienne.  Les  Autrichiens  avaient  un  pont 
à  Presbourg,  et  une  tête  de  pont  au  village  dEn- 
gerau.  Ils  avaient  en  outre  conservé  la  place  de 
Raab,  après  la  victoire  remportée  sur  la  rivière  de 
ce  nom  par  le  prince  Eugène. 

Napoléon  qui  avait  porté  le  maréchal  Davout  avec 
une  de  ses  divisions  jusque  devant  Presbourg,  lui 
assigna  la  tache  d'enlever  Engerau,  de  détruire  le 
pont  de  Presbourg,  et  môme,  s'il  le  pouvait,  celui 
de  Komorn ,  situé  beaucoup  plus  bas.  Il  assigna  au 
prince  Eugène  la  tâche  de  prendre  la  place  de  Raab , 
ne  tenant  sa  récente  victoire  pour  véritablement 
fructueuse  qu'autant  qu'elle  procurerait  cette  con- 
quête. Il  fit  échelonner  tous  les  chevaux  d'artillerie, 
qui  n'étaient  pas  employés  aux  travaux  de  l'île  de 
Lobau,  sur  la  route  de  Presbourg  et  de  Raab  pour 
y  amener  du  gros  canon ,  et  en  tirer  en  retour  les 
grains  dont  la  Hongrie  abondait.  Quoique  aucun 
général  ne  fût  moins  cruel  que  Napoléon,  il  était 
inexorable  toutefois  dans  l'accomplissement  de  ses 
desseins,   et  il  ordonna  de  pousser  l'emploi  des 


398  I.IVHK   XX W. 

moyens  de  cuerrc,  à  IY'a;ard  de  Presbourer  et  de 

Juin  1809.  '  ,,,.,'.  <.        ,       , 

Raiil),  jns(|ii  a  la  dcrnuMc!  n.mieur,  alm  de  s  enij)a- 
rer  de  ces  deux  points.  Les  moyens  prescrits  étaient 
terribles,  mais  ainsi  le  voulait  le  salut  de  l'armée 
et  de  Tempire. 
Attaque  Le  maréchal  Davout ,  placé  sous  les  murs  de 

du  maréchal     rv        ,  i  <      i         i         •         •  i 

Davout  contre  Prcsbourp;  dcs  les  derniers  jours  de  mai,  commença 
latéte^dupout  pa,.  atta(iuer  avec  la  division  Gudin  les  retranche- 
Presbourg.    nicuts  (lEui^erau,  qui  servaient  à  couvrir  un  pont 
de  bateaux  jeté  devant  Presbourg,  et  appuyé  sur 
plusieurs  îles.  Ces  retranchements  se  composaient 
d'épaulcments  en  terre,  liés  au  ^illali:e  dEniïerau. 
et  défendus  par  une  nombreuse  artillerie.  Le  ma- 
réchal Davout  les  fit  aborder  avec  la  vigueur  que 
ses  soldats  déployaient  en  toute  occasion.  Mais  les 
Autrichiens,  qui  appréciaient  l'importance  de  la  po- 
sition qu'ils  défendaient ,  la  disputèrent  avec  une 
égale  énergie.  Ils  perdirent  \'ô  ou  i,800  hommes, 
et  nous  800  devant  cette  simple  tête  de  pont.  Les 
ouvrages  enlevés,  le  maréchal  Davout  se  trouvait 
au  bord  du  fleuve.  La  partie  du  pont  qui  aboutis- 
sait de  notre  côté  avait  été  repliée,  mais  les  portions 
restantes  étaient  établies  entre  des  îles  retranchées, 
qu'il  eût  fallu  conquérir  l'une  après  l'autre,  ce  qui 
aurait  exigé  une  opération  des  plus  difliciles  et  des 
Efforts       plus  longues.  On  employa  pour  détruire  ces  autres 
''°"[eponT'^  portions  du  pont  tous  les  moyens  imaginables.  On 
de  Presbourg.  ]ança  dcs  batcaux  chargés  de  pierres,  des  moulins 
en  feu,  comme  avaient  fait  les  Autrichiens  pour  rom- 
pre notre  grand  pont,  lors  des  journées  d'Essling. 
Mais  celui  qu'ils  avaient  à  Presbourg,   œuvre  du 
temps ,  gardé  d'ailleurs  par  des  bateliers  qui  anè- 


Juin  1809. 


WAGRAM.  399 

talent  les  corps  flottants  entraînés  par  le  fleuve,  ré- 
sistait à  toutes  ces  tentatives,  et  n'en  était  nullement 
ébranlé.  l,e  maréchal  Davout  alors,  par  l'ordre  de 
l'Empereur,  disposa  des  batteries  de  picrriers,  d'o- 
busiers,  de  mortiers,  sur  le  bord  du  Danube,  et  fit 
tomber  sur  les  îles  une  horrible  pluie  de  feu  et  de 
fer.  Les  soldats  autrichiens  supportèrent  ce  genre 
d'attaque  avec  une  rare  résignation,  et  n'en  demeu- 
rèrent pas  moins  dans  les  îles  qu'ils  avaient  mission 
de  défendre.  Poussé  à  bout  par  cette  résistance, 
Napoléon  ordonna  de  sommer  la  ville  de  Presbourg 
elle-même,  et  si  elle  refusait  ou  de  se  rendre,  ou  au 
moins  de  détruire  son  pont,  de  la  ruiner  jusque  dans 
ses  fondements.  Le  maréchal  Davout ,  qui  était  un  inuuie 
parfait  honnête  homme ,  mais  un  militaire  impitoya-  ^°  men't''^ 
ble ,  commença  sans  hésiter  cette  cruelle  exécution.  ^^  Presbourg. 
Après  avoir  sommé  le  général  Blanchi,  commandant 
de  Presbourg,  il  donna  le  signal  du  feu,  et  en  quel- 
ques heures  il  jeta  une  innombrable  quantité  de 
bombes  sur  la  malheureuse  ville  condamnée  à  subir 
toutes  les  horreurs  de  la  guerre.  Après  avoir  allumé 
un  incendie  dans  plusieurs  quartiers,  il  somma  de 
nouveau  le  commandant,  ne  demandant  tp.ie  ce 
dont  il  ne  pouvait  pas  se  départir,  la  destruction 
du  pont.  Le  général  Blanchi  répondit  que  la  con- 
servation du  pont  étant  nécessaire  à  la  défense  de 
la  monarchie  autrichienne,  la  ville  de  Presbourg 
supporterait  les  dernières  extrémités  plutôt  que 
de  consentir  aux  conditions  qu'on  mettait  à  son  sa- 
lut. Le  maréchal  Davout  recommença  ses  rigueurs. 


Moyens 

ar  lesqui 

.j  maréch 

général  autrichien  s'obstinait  dans  sa  résistance,  il      Davout 


Mais  vovant  qu'elles  resteraient  sans  résultat ,  car  le    P^r  lesquels 

^  le  maréchal 


400  L1VKI-:  XXXV. 

" céda  onlin  à  un  nioiivonictil  (riiiiiiiaiiilé,  et  eut  re- 

J..iii   ISO'J. 

cours  a  (les  moyens  dillcrcnls  pour  annuler  les  coni- 
suppiéo      municalions  d'une   i'i\ f   à    l'aiilre.  Oue   fullait-il , 

a  lu  prihc 

.!«' Prcs.i)ouri;.  appcs  tout ,  |)()ur  altciudru  le  !)ut  (ju'on  se  propo- 
sait? Arrêter  pendant  trois  ou  (|uali(!  joins  le  corps 
aufrichien  (pii  se  présenterait  de  ce  côté,  temps  qui 
suilisail  à  la  concentration  des  troupes  françaises 
sous  les  murs  de  Vienne.  Le  maréchal  établit  donc 
une  suite  de  retranchements  qui  se  liaient  au  châ- 
teau fortifié  de  Kittsée,  à  Tîle  fort  étendue  de  la 
Schutt,  à  la  ri\ière  et  à  la  place  de  Raab.  (Voir  la 
carte  n"  32.)  Quelques  mille  hommes  s'éclairant  le 
long  de  l'île  de  la  Schutt  et  de  la  rivière  de  la  Raab 
par  de  la  cavalerie  légère,  défendant  les  retran- 
chements d'Engerau,  se  repliant,  s'ils  étaient  for- 
cés, sur  le  château  de  Kittsée,  tandis  que  la  place 
de  Raab  se  défendrait  de  son  côté,  pouvaient  re- 
tenir l'ennemi  pendant  le  nombre  de  jours  néces- 
saire, et  ralentir  son  arrivée  jusqu'au  moment  où 
tout  serait  décidé  sous  les  murs  de  Vienne.  Ces 
dispositions  convenues  avec  Napoléon  furent  défi- 
nitivement exécutées ,  et  dispensèrent  de  continuel' 
plus  long-temps  la  destruction  de  Presbourg. 

siéi;e  et  irise  Sur  CCS  entrefaites  le  général  Lauriston,  secondé 
'^deRa'a'r^  par  Ic  général  Lasalle,  avait  entamé  le  siège  de 
Raab,  laissant  à  l'armée  d'Italie  le  soin  de  le  cou- 
vrir, ce  qui  permettait  à  celle-ci  de  se  reposer  de 
ses  fatigues.  On  manquait  de  gros  canons;  mais 
Napoléon  en  avait  envoyé  quehiues-uns  de  Vienne 
avec  des  obusiers  et  des  pièces  de  12.  Heureuse- 
ment la  place,  mal  réparée,  encore  plus  mal  armée, 
occupée  tout  au  plus  par  deux  mille  hommes ,  ne 


Juin  180'J. 


WAGRAM.  iOI 

pouvait  pas  tenir  lonii;-t(3inps.  Inimédialement  après 
la  hataille  du  14,  les  travaux  furent  entrepris.  On 
avait  ouvert  la  tranchée,  construit  des  batteries  de 
siège,  et  commencé  le  feu  de  brèche.  Après  quel- 
ques jours  de  cette  attaque  improvisée  et  bien  con- 
duite par  les  2;énéraux  Lauriston  et  Lasalle,  la  place 
offrit  de  capituler.  Gomme  on  tenait  médiocrement 
à  la  manière  de  la  conquérir,  mais  grandement  à 
la  rapidité  de  la  conquête,  on  fut  facile  sur  les  con- 
ditions demandées  par  la  garnison.  On  entra  dans 
Uaab  le  22  juin,  sans  en  avoir  endommagé  les  ou- 
vrages, et  sans  y  avoir  dépensé  ni  beaucoup  de 
munitions,  ni  beaucoup  d'iiommes. 

D'après  les  ordres  précis  et  fort  détaillés  de  Na- 
poléon, la  place  de  Raab  fut  armée  de  nouveau,  et 
mise  en  meilleur  état  de  défense  qu'auparavant.  On 
y  introduisit  des  munitions  de  guerre  et  de  bouche; 
on  lui  composa  une  garnison  formée  de  tous  les 
hommes  fatigués  ou  malades  de  l'armée  d'Italie; 
on  fit  aux  ouvrages  les  réparations  indispensables; 
entin  Napoléon  lui  donna  un  illustre  commandant  : 
ce  fut  le  comte  de  Narbonne,  jadis  ministre  de  la 
guerre  sous  Louis  XVI ,  l'un  des  derniers  survi- 
vants de  l'ancienne  noblesse  française,  remarqua- 
ble à  la  fois  par  le  courage,  l'esprit  et  l'élégance 
des  mœurs.  Il  venait  de  se  rattacher  à  l'Empereur, 
qui,  avant  de  l'employer  dans  des  postes  éminents, 
voulait  lui  faire  acheter  son  entrée  au  service  par 
une  mission  peu  élevée,  mais  qui  supposait  une 
véritable  confiance. 

Napoléon  fit  ramener  sur  Vienne  toute  rartillerie      Napo'ron 
inutile  à  Presbourg  et  à  Raab,  replier  sur  les  hô- 

TOM.  X.  26 


échelonne 
ses   corps 


Juin  l»00. 


102  LIVRE    XXXV. 

pitaux  (le  la  Lonihardic  et  de  la  llaiito-Autriclie  les 
blessés  des  armées  dllalie  et  de  Dalinatie,  ne  vou- 
«larmée      1q,^(  laisser  en  |)rise  à  l'ennenii  ni  un  canon,  ni  un 

survienne.  ' 

homme.  Il  ordonna  an  j)rimc  Euiïène,  aux  géné- 
laux  .Macdonald,  Broussier  et  MarmonI,  de  se  pré- 
parer à  marcher  au  premier  si.unal,  de  ne  conserver 
dans  le  rantï  ni  un  écloppé,  ni  un  malade,  d'avoir 
leur  artillerie  bien  attelée  et  bien  approvisionnée, 
de  confectionner  du  biscuit  pour  nourrir  leurs  trou- 
pes pendant  une  semaine,  de  se  procurer  de  la 
viande  sur  pied  prête  à  suivre,  de  tout  disposer 
enfin  pour  être  rendus  à  Vienne  en  trois  jours  au 
plus.  Le  prince  Eugène,  cantonné  à  Raab,  pouvait 
franchir  en  trois  jours  la  distance  qui  le  séparait 
de  Vienne.  Les  généraux  Marmont,  Broussier,  Mac- 
donald  furent  échelonnés  de  façon  à  exécuter  le 
trajet  dans  le  même  espace  de  temps.  Le  maréchal 
Davout  n'avait,  lui,  que  deux  marches  à  faire.  Il 
fut  convenu  que  le  prince  Eugène  laisserait  le  gé- 
néral Baraguey-d'Hilliers  avec  une  division  italieime 
devant  Engerau,  pour  garder  les  approches  de  Pres- 
bourg,  tandis  que  l'armée  d'Italie  se  porterait  tout 
entière  sur  Vienne.  Napoléon,  ne  voulant  pas  con- 
sacrer à  une  simple  surveillance  de  postes  éloignés 
des  troupes  telles  que  celles  de  Montbrun  et  Lasalle, 
les  échelonna  de  manière  à  pouvoir  les  attirer  à  lui 
en  quarante-huit  heures,  et  les  remplaça  sur  la  li- 
gne de  la  Raab  par  douze  ou  quinze  cents  chevaux 
provenant  des  régiments  de  marche  récemment  ar- 
rivés. Le  général  Lasalle,  qui,  pendant  le  mois  de 
juin,  n'avait  cessé  de  parcourir  la  ligne  de  Pres- 
bourg  à  Raab ,  et  qui  en  connaissait  les  moindres 


WAGRAM.  403 

particularités,  eut  ordre  avant  de  se  replier  de  pla- 
cer lui-même  les  postes,  et  de  donner  aux  com- 
mandants de  ces  postes  les  instructions  dont  ilîs  au- 
raient l)esoin  alin  de  se  bien  garder. 

Tout  étant  ainsi  préparé  sur  cette  ligne  pour  qu  on 
pût  s'y  dérober  rapidement,  en  se  couvrant  par  de 
simples  arrière-gardes ,  Napoléon  prit  ses  mesures 
sur  le  haut  Danube  pour  que  de  ce  côté  on  put  des- 
cendre sur  Vienne  avec  une  égale  vitesse ,  et  ac- 
croître dès  qu'il  le  faudi'ait  la  masse  des  troupes 
destinées  à  livrer  bataille.  Il  avait  déjà  attiré  à  lui 
le  corps  du  maréchal  Davout  répandu  en  ce  mo- 
ment de  Vienne  à  Presbourg,  le  corps  saxon  du 
prince  Bernadotte,  et  la  division  fiançaise  Dupas. 
11  n'avait  laissé  sur  le  haut  Danube  pour  occuper 
Saint-Polten,  Mautern,  Molk,  Amsletten,  Enns, 
Lintz  (voir  la  carte  n"  32),  que  les  Wurtembergeois 
et  les  Bavarois,  fort  réduits  les  uns  et  les  autres 
par  cette  campagne,  si  courte  mais  si  active.  Les 
Wui'tembergeois  sous  Vandamme  étaient  distribués 
entre  Tulln,  Mautern,  Saint-Polten ,  Molk.  Les  Ba- 
varois chargés  de  défendre  la  Bavière  étaient,  la 
flivision  du  général  Deroy  à  Munich,  Rosenheim 
•et  Kufstein,  les  deux  divisions  du  général  de 
Wrède  et  du  prince  royal  à  Lintz.  Quoique  ce  ne 
fiit  pas  trop  pour  garder  la  Bavière  dans  les  cir- 
constances actuelles,  c'était  beaucoup  sur  le  point 
particulier  de  Lintz,  depuis  que  l'archiduc  Charles, 
voulant  de  son  côté  concentrer  ses  troupes,  avait 
amené  le  comte  KoUovrath  devant  Vienne,  en  ne 
laissant  que  6  à  7  mille  hommes  disséminés  sur 
le  Danube  entre  Passau,  Lintz,  Krcms,  Tulln  et 

26. 


Juin   IS09. 


Jiiiii  1809. 


40i  l.IVHE   XXXV. 

Klo.storneuhoiirg.  Se  doiMîml  de  cette  circonstance 
d'aprè.s  plusieurs  reconnaissances  exécutées  au 
delà  (lu  Danuhe  par  le  iiénéral  Vandaninie,  Napo- 
léon ordonna  au  marécliai  Lefeinre  de  teniipivte  à 
march(M-  Pexcellente  division  de  Wréde  a\ec  viniil- 
cpiatre  houches  à  feu.  Les  disisions  du  i^énéral  De- 
roy  et  du  prince  royal,  les  ^^  uiteml)eri2;eois  suffi- 
saient avec  tout  ce  qui  était  en  route,  avec  tont  ce 
qui  restait  à  Auirshouiu,  à  Passaii,  à  Uatishonne. 
pour  maintenir  pendant  quelqnesjours  la  .sécurité  sur 
nos  derrières.  A  Ratishonne  se  trouvait  la  division 
Rouyer,  composée  des  contingents  des  petits  prin- 
ces allemands.  Il  n'v  avait  évidemment  rien  à  crain- 
dre  de  ce  coté,  si  la  d'^r.nièiv»  bataille  était  gagnée. 
Si  contre  toute  vraisemblance  elle  était  pei-due,  les 
précautions  étaient  assez  bien  prises  à  Saint-Polten. 
à  Molk,  à  Amstettcn,  à  Lintz ,  à  Passau ,  pour  que 
nos  blessés,  nos  malades  ne  fussent  pas  com|)romis. 
p,our  que  l'armée  en  se  retirant  trouvât  partout  des 
vivres,  des  munitions,  et  des  points  d'appui  par- 
faitement solides. 

Napoléon  avait  ainsi  consacré  le  mois  de  juin  à 

préparer  la  concentration  de  ses  troupes  sur  Vienne. 

Il  l'avait  employé  aussi,  comme  nous  l'avons  dit. 

à  préparer  le  passage  du  Danube,  et  à  le  rendre 

tellement  sûr  cette  fois,  que  l'accident  ani\é  à  ses 

ponts  pendant  les  journées  d'Essling  ne  put  pas  se 

Travaux      rcproduirc.  C'est  le  moment  de  faire  connaître  par 

niedc"Lobau  qncls  travaux  gigantesfpies  il  a\ait  aplani,  presque 

pour  assurer    a,^,^ulé  la  difficulté  dc  fianchir  un  vaste  cours  d'eau. 

Il'  passage 

du  Dunube.    en  présencc  de  l'ennemi,  avec  des  masses  d'hom- 
mes que  jamais  jusqu'alors  aucun  capitaine,  an- 


Juin   ISii'.i. 


WAliRA.M.  405 

cien  ni  moderne,  n'avail  on  à  moinoii-.  On  a  déjà 
vu  par  ([uelles  raisons  décisi\os  il  était  obligé  de 
passer  Je  Danul)e  devant  rarcliidnc  Charles,  pour 
aller  lui  livrer  bataille  au  delà  de  ce  grand  lleuve. 
Kester  en  efï'et  sur  la  rive  droite,  en  laissant  les 
Autrichiens  tranquilles  sur  la  rive  gauche,  c'était 
prolonger  indéfiniment  la  guerre,  perdre  son  pres- 
tige, multiplier  les  chances  d'accident,  accroître 
enfin  l'ébranlement  général  des  esprits  en  Europe, 
et  même  en  France.  A  passer  le  lleuve,  c'était  à 
Vienne,  comme  nous  l'avons  encore  dit,  non  au- 
dessus,  non  au-dessous,  qu'il  fallait  le  faire  :  car 
au-dessus  c'était  rétrograder  en  arrière  de  Vienne, 
abandonner  les  immenses  ressources  de  cette  capi- 
tale, l'eflet  moral  de  sa  possession,  le  point  prinei- 
{)al  d'intersection  des  routes  d'Autriche,  d'Italie  et 
de  Hongrie  :  au-dessous  c'était  allonger  inutilement 
notre  ligne  d'opération ,  c'était  se  donner  un  point 
de  plus  à  garder  sur  le  Danube,  et  se  priver  d'i:n 
corps  d'armée  nécessaire  le  jour  de  la  bataille.  Il 
fallait  donc  passer  à  Vienne  même.  Une  lieue  de 
plus  ou  de  moins  n'y  faisait  rien,  mais  il  fallait 
absolument  passer  en  vue  du  clocher  de  Saint- 
Ktienne. 

On  connaît  également  les  propriétés  de  l'île  de      £„  q„oi 
Lobau ,  si  heureusement  choisie  par  Napoléon  pour    |-o"J|.attin 
faciliter  l'exécution  de  ses  projets.  Cette  île  spa-    '•"  passage 

•^       **  *^  du  Danube 

cieuse,  située  au  delà  du  grand  bras,  et  séparée  de      pariue 

,         .  .  ,  1,  ,  ,.  ,  de  Lobau. 

la  rive  ennemie  par  un  bras  d  une  médiocre  lar- 
geur, réduisait  l'opération  du  passage  à  l'entreprise 
de  franchir  un  fleuve  large  comme  la  Seine  sous 
Paiis,  au  lieu  d'un  lleuve  large  comme  le  Uhin  de- 


Juin   ISO!). 


406  LIVRE  XXXV. 

vaut  Coloi^ne.  L'entreprise,  en  restant  diflk'ile, 
devenait  praticaMe.  Mais  pour  y  réussir,  il  fallait 
d'ahord  rendre  infaillible  le  passaû:e  du  bras  prin- 
cipal, qui  conduisait  dans  1  île,  puis  convertir  l'île 
elle-même  en  un  vaste  camp  retranché  pourvu  d'a- 
bondantes ressources,  et  y  tout  disposera  l'avance 
pour  qu'on  put  franchir  sans  danger  le  petit  bras 
en  présence  de  l'ennemi.  C'est  à  quoi  Napoléon 
employa  les  quarante  jours  qui  s'écoulèrent  du  2^^ 
mai  au  2  juillet  avec  une  activité ,  une  fécondité 
d'esprit  incroyables,  et  ditmes  du  grand  capitaine 
qui  avait  passé  le  Saint-Bernard,  et  rendu  possible 
la  traversée  du  Pas-de-Calais. 
Établissement  Le  pout  de  batcaux  sur  le  bras  principal ,  servant 
vastes %nts  ^  communiqucr  avec  l'île  de  Lobau,  avait  été  ré- 
en  pilotis      jjjIjIj   (niekiues  jours  après  la  bataille   d'Esslin», 

&ur  le  grand  i  i  j  i  •    7 

bras        comme  on  l'a  vu  ci-dessus,  et  avait  fourni  le  moven 

du  Danube.  1        •         1      •  /»  1  "^ 

de  reporter  1  armée  sur  la  rive  droite,  sauf  le  corps 
de  Masséna,  laissé  dans  l'île  pour  nous  en  assu- 
rer la  possession.  De  nouveaux  bateaux  ramassés 
sur  les  bords  du  fleuve  par  les  marins  de  la  garde, 
fixés  avec  de  meilleures  amarres,  avaient  conso- 
lidé ce  pont  de  manière  à  inspirer  confiance.  Il 
avait  pourtant  été  coupé  encore  deux  ou  trois  fois, 
par  suite  des  crues  du  mois  de  juin,  et  ce  n'était 
pas  avec  des  communications  incertaines,  quoique 
beaucoup  mieux  établies,  que  Napoléon  voulait 
s'engager  au  delà  du  Danube.  Il  résolut  donc  de 
lier  l'île  de  Lobau  au  continent  de  la  rive  droite, 
de  telle  façon  qu'elle  ne  fit  qu'un  avec  cette  rive 
qui  devait  être  notre  point  de  départ.  Pour  cela  il 
y  avait  un  seul  moyen,  c'était  de  jeter  un  pont  sur 


WAGRAM. 


407 


pilotis.  Napoléon  s'y  décida,   quelque  laborieuse 
que  fut  cette  opération  sur  un  fleuve  comme  le  Da- 
nube au-dessous  de  Vienne.   César  a\ait  exécuté 
une  semblaJjle  entreprise  dix-huit  cents  ans  aupar- 
avant sur  le  Rhin.  Elle  était  plus  diflicile  aujourd'hui 
à  cause  des  moyens  de  destruction  dont  Tennemi 
disposait.  C'est  l'arme  du  génie  qui  fut  chargée  de 
cet  ouvrage,  tandis  que  l'artillerie  eut  la  construc- 
tion  de  tous  les  ponts  de  bateaux.  Il  y  avait  à 
Vienne  des  approvisionnements  considérables  de 
bois,  descendus  des  cimes  des  Alpes  parles  ailluents 
du  Danube.  Tous  les  soldats  du  génie,  tous  les 
charpentiers  oisifs  qui  avaient  besoin  de  gagner  leur 
vie,  tous  les  chevaux  de  l'artillerie  devenus  dispo- 
nibles par  l'interruption  des  combats ,  furent  occu- 
pés soit  à  préparer  ces  bois,  soit  à  les  transporter. 
Amenés  de  Vienne  par  un  petit  bras  qui  commu- 
nique  avec  le  grand,  descendus  ensuite  jusqu'à 
Ébersdorf  (voir  la  carte  n"  48),  ils  y  étaient  arrêtés 
pour  être  employés  à  l'œuvre  immense  qu'on  avait 
entreprise.   De   nom])reuses   sonnettes   existant   à 
Vienne,  où  l'on  exécute  beaucoup  de  travaux  en 
rivière,  avaient  été  réunies  devant  Ébersdorf  pour 
renfoncement  des  pilotis.  Après  une  vingtaine  de 
jours  on  avait  vu  soixante  piles  en  bois  s'élever 
au-dessus  des  plus  hautes  eaux,  et  sur  ces  piles 
s'appuyer  un  large  tablier,  qui  pouvait  donner  pas- 
sage à  n'importe  quelle  quantité  d'artillerie  et  de 
cavalerie.  A  vingt  toises  au-dessous  de  ce  pont  fixe, 
on  conserva,  en  le  consolidant,  l'ancien  pont  de 
bateaux,  qu'on  voulut  faire  servir  à  l'infanterie,  de 
manière  que  le  défilé  des  diverses  armes  put  s'o- 


Juiii  tSOl». 


Usage 
habilement 

fait 

de  la  grande 

quantité 

de  bois 

existant  i» 

Vienne. 


i08  IIVRK   \X\V. 

pérer  siimillancuicnt ,   et  que  les  coimnuiiicalions 

Juin  !80!».      *  ,^  '  ^ 

avec  l'île  de  Lohaii  en  fussent  plus  promptes.  On 
s'était  |)rocuré  un  .mand  nombre  de  bateaux,  on 
avait  trouNc  n  Kaah  de  fortes  ancres,  et  i^'ràce  à  ces 
nouvelles  ressources,  les  amarres  devenues  parfai- 
tement sûres  ne  laissaient  |)lus  craindre  les  acci- 
dents qui  avaient  failli  perdre  l'armée  a  la  lin  de 
mai. 
Moyens      '     Quoi((ue  CCS  dcux  ouvragcs  sc  protégeassent  l'un 

employés        i>       .  •  i  .  i     .•        i        '  . 

pour  garantir  1  iintre,  puisquc  Ic  poul  sur  [)ilotis  place  en  amont 

)ODts°du"choc  garantissait  le  pont  de  bateaux,  Napoléon  cepen- 

des  corps     dant  avait  voulu  les  mettre  tout  à  fait  à  l'abri  du 

flottants. 

choc  des  corps  flottants,  et  pour  y  parvenir  il  avait 
essayé  des  moyens  de  toute  sorte.  Le  premier  avait 
été  de  tirer  de  l'arsenal  de  Vienne  une  chaîne  i-'i- 
gantesque,  dont  les  Turcs  s'étaient  servis  dans  le 
siège  de  1683,  et  qui  était  restée  comme  une  <lc 
Jeurs  dépouilles  triomjjhales.  Aujourd'hui  que  nos 
vaisseaux  possèdent  de  ces  chaînes  énormes,  on 
serait  moins  étonné  des  dimensions  de  celle  que  les 
Turcs  avaient  laissée  à  Vienne.  Mais  alors  elle  était 
regardée  comme  un  des  plus  merveilleux  ouvrages 
de  ce  genre.  On  résolut  donc  de  la  tendre  sur  le 
grand  bras,  pour  qu'elle  put  arrêter  les  corps  lan- 
cés par  l'ennemi  contre  nos  ponts.  Mais  il  fallut  y 
renoncer,  les  machines  manquant  pour  la  tendre  à 
une  hauteur  sulUsamment  égale  au-dessus  de  l'eau. 
Napoléon  imagina  de  construire  une  vaste  esta- 
cade,  consistant  en  une  suite  de  gros  pilotis  pro- 
fondément enfoncés,  (lui  au  lieu  de  couper  per- 
pendiculairement le  cours  du  fleuve,  le  coupaient 
obliquement ,  pour  donner  moins  de  prise  à  la  force 


WAGHAM.  -m 

(lu  courant.  (]ette  œuvre  non  moins  exlraoïdinaire 
({ue  le  pont  sur  pilotis  fut  achevée  presque  aussi 
vile.  Mais  elle  ne  parut  pas  d'une  eflicacité  cer- 
taine, car  on  vit  plus  d'une  fois  la  ligne  des  pilotis 
forcée  par  des  bateaux  chargés  de  matériaux  qui 
s'étaient  échappés  des  mains  des  ouvrieis.  Napo- 
léon s'y  prit  alors  autrement,  il  établit  une  sur- 
veillance continuelle  au  moyen  des  marins  de  la 
garde ,  lesquels  circulant  sans  cesse  dans  des  bar- 
ques au-dessus  de  Testacade,  harponnaient  les  ba- 
teaux qui  descendaient ,  et  les  amenaient  sur  les 
rives.  De  la  sorte  ,  si  l'estacade  ne  sulUsait  pas  ab- 
solument à  les  retenir,  les  marins  accourant  à  force 
de  rames  devaient  les  arrêter,  et  les  détourner  de 
leur  marche.  Avec  cet  ensemble  de  précautions, 
les  communications  établies  entre  la  rive  droite 
et  l'ile  de  Lobau  avaient  acquis  une  certitude  in- 
faillible. 

Mais  ce  n'était  pas  assez,  aux  yeux  de  Napoléon, 
(jue  d'avoir  mis  ses  ponts  à  l'abri  de  tout  danger  de 
la  part  du  fleuve.  Une  surprise  de  l'ennemi ,  une 
invasion  subite  dans  l'île  de  Lobau,  peut-être  une 
retraite  en  désordre  après  une  bataille  perdue ,  pou- 
vaient les  exposer  à  une  destruction  imprévue  et 


Juin  IS09. 


inévitable.  Napoléon  voulut  les  protéger  par  une       v^sic 

tote  de  pont 

en  avant 

du  graïKl 

Ijras. 


vaste  tète  de  pont,  élevée  dans  l'île  de  Lol)au,  de 
manière  que  cette  île  venant  à  nous  être  enlevée, 
quelques  bataillons  pussent  les  défendre,  et  que 
l'armée  conservât  ainsi  le  moven  de  se  retirer  en 
sûreté  de  l'autre  côté  du  fleuve. 

Cette  suite  d'ouvrages  liait  d'une  manière  in- 
dissoluble l'île  de  Lobau  tant  à  la  rive  droite  qu'à  la 


Juin  180',i. 


ilO  I  IVRE   XWV. 

pelilo  \illo  d'Kbcrsdorf,  devenue  notre  base  d'opi'- 
ration.  Il  fallait  s'occii|)or  encore  des  travaux  à 
exécuter  dans  l'île  ellc-nicme,  pour  en  faire  un 
camp  retranché,  spacieux,  sûr,  commode,  salubre, 
pourvu  de  tout  ce  (jui  serait  nécessaire  pour  y  vi- 
vre fpîel(|ues  jours.  Napoléon  satisfit  à  ce  besoin 
avec  autant  de  prévoyance  qu'à  tous  les  autres. 
Travaux  ||  y  avait  dans  l'ile  de  ij)i)au  des  terrains  Ijas  et 

dans  "^  ,      ,.  . 

1  intérieur  marécagcux ,  souveiit  exposés  à  1  inondation.  On  \ 
doLobau.  vovait  Bussi  de  petits  canaux,  desséchés  quand  les 
eaux  étaient  basses,  et  qui  devenaient  de  vérita- 
bles rivières  pendant  les  hautes  eaux.  On  en  avait 
eu  l'exemple  lors  des  grandes  crues  des  21 ,  22  et 
23  mai.  Napoléon  fit  élever  des  chaussées  sur  les 
parties  basses  de  l'île,  pour  servir  au  passage  des 
troupes  en  tout  temps.  Il  fit  jeter  sur  chaque  petit 
canal  desséché  plusieurs  ponts  de  chevalets,  de 
façon  à  assurer  et  à  multiplier  les  communica- 
tions, quelle  que  fut  la  hauteur  des  eaux.  Voulant 
que  l'ile  devînt  un  grand  dépôt  qui  pût  se  suffire  à 
lui-même,  quoi  qu'il  arrivât,  il  y  fit  construire  un 
magasin  à  poudre ,  lequel  reçut  des  arsenaux  de 
A'ienne  une  quantité  considérable  de  munitions  con- 
fectionnées. Il  y  fit  construire  des  fours,  transporter 
des  farines  tirées  de  Hongrie ,  et  parquer  plusieurs 
milliers  de  bœufs  amenés  vivants  de  la  même  con- 
trée. Enfin  il  y  envoya  des  vins  en  abondance,  et 
de  qualité  telle ,  que  l'armée  française ,  excepté  en 
Espagne,  n'en  avait  jamais  bu  de  pareils.  L'aristo- 
cratie autricliienne  et  les  couvents  de  Vienne,  qui 
possédaient  les  plus  riches  caves  de  l'Europe,  four- 
nirent la  matière  de  ce  précieux  approvisionne- 


Juin  1809. 


WAGRAM.  ''m 

ment.  Ainsi  rien  ne  devait  manquer  aux  troupes 
dans  ce  vaste  camp  retranché,  ni  en  pain,  ni  en 
viande,  ni  en  liquides.  Voulant  rendre  l'île  de  Lo- 
bau  aussi  fiicile  à  traverser  la  nuit  que  le  jour. 
Napoléon  en  fil  éclairer  toutes  les  routes  par  des 
lanternes  suspen<lues  à  des  poteaux ,  absolument 
comme  on  aurait  pu  le  faire  pour  les  rues  d'une 
grande  ville. 

Restait  la  dernière  et  la  plus  ditficile  opération  à      Moyens 


préparer,  celle  du  })assai2:e  du  petit  bras,  qui  devait 


employés 
pour  assurer 

s'exécuter  de  Vwq  force  en  face  d'un  ennemi  nom-    ,  '^^  p^sso^p 

du   petit  bras 

breux,  averti,  et  tenu  touiours  en  éveil  par  notre       en  face 

de  l'ennemi. 

présence  dans  l'île  de  Lobau.  Quel([ue  avantage 
qu'offrit  le  lieu  choisi  pour  l'ancien  passage,  puis- 
qu'il formait  un  rentrant  (voir  la  carte  n°  49)  qui 
permettait  de  couvrir  de  feu\  le  point  du  débar- 
quement, il  n'était  guère  présumable  (pi'on  put 
s'en  servir  encore,  l'ennemi  devant  avoir  pris  toutes 
ses  précautions  pour  nous  en  interdire  l'usage.  Les 
Autrichiens  en  efïet,  se  souvenant  de  ce  qui  leur 
était  arri^  é  un  mois  auparavant,  avaient  en  quelque 
sorte  muré  cette  porte,  en  élevant  d'Essling  à  As- 
pern  une  ligne  de  retranchements  hérissés  d'artil- 
lerie. Une  dernière  raison  enfin  obligeait  de  renon- 
cer à  ce  débouché,  c'était  le  défaut  d'espace  pour 
le  déploiement  d'une  armée  considérable.  L'ennemi 
était  si  averti  que  ce  serait  par  l'île  de  Lobau  qu'on 
ferait  irruption  sur  la  rive  gauche ,  qu'on  devait 
s'attendre  à  le  trouver  rangé  en  bataille  vis-à-vis 
de  soi,  tandis  que  la  première  fois  on  avait  eu  le 
temps  de  défiler  par  le  pont  du  petit  bras,  de  tra- 
verser le  bois,  et  de  se  mettre  en  ligne,  un  corps 


Juin  IS09. 


«le  passna 


il 2  I.I\  HI-:    XWV. 

après  Taiitre ,  sans  roiicorilrcr  aucun  olislaclo  au 
(léploicineiil.  Il  ii  y  avait  plus  à  ospércr  (jue  les 
c'iioses  se  passassent  de  la  sorte,  et  dès  lors  il  fal- 
lait se  [)réparer  à  déboucher  presque  en  nuisse,  pov;r 
combattre  au  moment  même  où  l'on  toucherait  à  la 
rive  gauche. 
Choix  Par  ces  divers  motifs  le  premier  point  de  passade 

ij  un   nouxeau  . 

point  ne  convenait  plus.  Napoléon  songea  à  en  chercher 
un  autre,  tout  en  feignant  de  persévérer  dans  la 
préférence  donnée  à  l'ancien.  Le  petit  bras  de 
soixante  toises  qui  restait  à  franchir,  parvenu  à  l'ex- 
trémité de  l'île,  se  détournait  brusquement  pour 
se  diriger  perpendiculairement  vers  le  grand  bras. 
Voir  les  cartes  n"'  48  et  49.)  Il  décrivait  ainsi  sui- 
le  flanc  droit  de  l'île  de  Lobau  une  ligne  droite, 
longue  de  deux  mille  toises.  Si  pour  le  traverser 
on  choisissait  l'un  des  points  de  cette  ligne  ,  on 
descendait  dans  une  plaine  unie,  fort  commode 
pour  le  déploiement  d'une  armée  nombreuse.  C'est 
en  elfet  par  cette  plaine  que  Napoléon  résolut  de 
déboucher.  Il  est  vrai  qu'on  ne  devait  y  être  pro- 
tégé par  aucun  obstacle  de  terrain  ;  mais,  en  pas- 
sant en  une  seule  masse,  on  devait  être  protégé  par 
cette  masse  même,  et  d'ailleurs  il  n'était  pas  impos- 
sible de  suppléer  à  la  protection  du  terrain ,  par 
des  moyens  d'artillerie  habilement  disposés. 

Sur  la  rive  gauche,  au  point  même  où  le  petit 
bras  se  détournait  bruscjuement  pour  rejoindre  le 
grand  bras,  se  trouvait  située  la  ville  peu  considé- 
rable d'Enzersdorf  i  voir  la  carte  \f  19),  cou^  erte 
d'ouvrages  défensifs  et  d'artillerie,  comme  Essiing 
et  Aspern  :  puis,  un  peu  au-dessous,  s'étendaient 


WAGRAM.  4*3 

au  loin  la  j)laiiic  ou\erl(3  dont  il  vient  d'être  ques-  — 

,  ^  Juin  isoo. 

tion  et  enfin  des  bois  lonlliis,  (pu  couvraient  le  sol 
jusqu'au  confluent  des  deux  bras  du  lleiive.  Ces! 
entre  Enzcrsdorf  et  ces  bois  que  Napoléon  résolut 
d'opérer  le  passage. 

Dabord  il  fit  tout  pour  persuadera  l'ennemi  qu'il 
passerait  ])ar  l'ancien  endroit,  c'est-à-dire  ])ar  la 
gauche  do  l'île,  et,  dans  cette  vue,  il  y  multiplia 
les  travaux,  jugeant  utile  d'ailleurs  d'avoir  des 
ponts  partout,  à  gauche  comme  à  droite,  car  [)lus 
ii  aurait  de  communications  ,  plus  il  aurait  de 
chances  de  franchir  le  fleuve  et  de  se  déployer  ra- 
pidement après  ra\oir  franchi.  Mais  les  travaux 
les  plus  importants  furent  accumulés  sur  la  droite 
de  rile,  le  long  de  la  ligne  qui  s'étend  d'Enzersdorf 
à  l'emliouchure  du  petit  bras  dans  le  grand.  Quel-  Établissement 
ques  îles  semées  au  milieu  de  ce  petit  bras,  et  que  „omi!rcuses 
l'armée  avait  qualifiées  de  noms  de  circonstance ,      batteries 

(le  gros  calibre 

tels  que  ceux  d'</e  Masséna,  Ile  des  Moulins,  île  Es-  vom  protéger 

Al      i\  ,     A,      T  Al       i  1  1  />  ■       le  nouveau 

paync,  de  Fouzet^  île  ÏMimes,  de  Alexandre,  turent  point 
jointes  au  continent  de  la  Lobau  par  des  ponts  fixes,  ''''  f''"'*^^"*'- 
et  hérissées  de  batteries  de  gros  calil)re.  Ces  bat- 
teries armées  de  cent  neuf  bouches  à  feu,  tant  pièces 
de  24  qu'obusiers  ou  mortiers,  étaient  destinées  à 
couvrir  de  projectiles  lancés  à  une  grande  distance, 
tous  les  points  où  Ton  se  présenterait.  Celles  de 
VUe  Masséna,  de  VVe  des  Moulins,  de  VUe  Espagne, 
devaient  accabler  de  feu  Aspern,  Essling  et  les  ou- 
vrages élevés  de  ce  côté.  Celles  de  1'//^  Pouzet  de- 
vaient en  deux  heures  réduire  en  cendres  la  mal- 
heureuse ville  d'Enzersdorf.  Celles  enfin  de  Vile 
Alexandre  devaient  battre  la  plaine  choisie  pour  le 


Juin  1800. 


déploiement,  et  y  vomir  une  telle  masse  de  mitraille 
(liraucunc  troupe  emiemie  ne  put  y  tenir.  Le  temps 
ne  nuuuiuanl  pas,  elles  furent  établies  avec  un  soin 
infini,  pourvues  dépaulements  en  terre,  de  plates- 
formes,  de  petits  magasins  à  poudre.  Les  pièces  de 
.içros  calibre,  qu'une  armée  ne  traîne  jamais  avec 
elle,  avaient  été  prises  dans  Tarsenal  de  Vienne. 
Quant  aux  aifùts ,  on  les  avait  fait  construire  par 
les  ouvriers  de  l'arsenal. 

Indépendanunent  de  ces  moyens  d'artillerie  ima- 
ginés pour  protéger  le  passage ,  Napoléon  eut  re- 
cours, pour  le  rendre  rapide,  simultané,  foudroyant, 
à  des  combinaisons  inconnues  jusqu'à  lui.  Il  voulait 
qu'en  quelques  minutes  plusieurs  milliers  d'hom- 
mes, jetés  au  delà  du  petit  bras,  eussent  fondu  sur 
les  avant-postes  autrichiens  pour  les  surprendie  et 
les  enlever;  qu'en  deux  heures  cinquante  mille  au- 
tres fussent  déployés  sur  la  rive  ennemie  pour  y  li- 
vrer une  première  bataille;  qu'enfin  en  quatre  ou 
cinq  heures  cent  cinquante  mille  soldats,  quarante 
mille  chevaux,  six  cents  bouches  à  feu  eussent 
passé  pour  décider  du  sort  de  la  monarchie  autri- 
chienne. Jamais  de  telles  opérations  n'avaient  été 
ni  projetées,  ni  exécutées  sur  une  pareille  échelle. 

Lorsqu'on  veut  franchir  un  fleuve,  on  commence 
par  transporter  inopinément  quelques  soldats  ré- 
solus dans  des  barques.  Ces  soldats,  bien  choisis  et 
bien  commandés,  vont  désarmer  ou  tuer  les  avant- 
postes  ennemis,  puis  tixer  des  amarres  auxquelles 
on  attache  les  bateaux  qui  doivent  porter  le  pont. 
Ensuite  l'armée  elle-même  passe  aussi  vite  que  pos- 
sible, car  un  pont  est  un  défilé  long  et  étroit,  que 


Juin  ISOλ. 


WAGRAM.  41» 

(les  masses  irinfanterie,  de  cavalerie  el  d'arlillerie 
ne  peuvent  traverser  qu'en  s'allongeant  beaucoup. 
La  première  de  ces  opérations  était  la  plus  dilli- 
cile  en  présence  d'un  ennemi  aussi  nombreux,  aussi 
préparé  que  l'étaient  les  Autrichiens.  Napoléon  pour 
la  faciliter  fit  construire  de  grands  bacs ,  capables 
de  porter  300  hommes  chacun ,  devant  être  con- 
duits à  la  rame  sur  l'autre  rive,  et  ayant,  pour  met- 
tre les  hommes  à  l'abri  de  la  mousqueterie ,  un 
mantelet  mobile  qui  en  s'abattant  servait  à  descendre 
à  terre.  Chaque  corps  d'armée  fut  pourvu  de  cinq  de 
ces  bacs,  ce  qui  faisait  une  avant-garde  de  quinze 
cents  hommes  transportés  à  la  fois,  et  à  Fimpro- 
viste,  sur  chaque  point  de  passage.  Or  il  était  peu 
présumable  que  l'ennemi  n'étant  pas  exactement 
informé  du  lieu  où  l'opération  s'exécuterait,  put 
nous  opposer  des  avant-postes  aussi  considérables. 
A  l'instant  une  dnquenelle  (cable  auquel  les  bacs 
sont  attachés ,  et  le  long  duquel  ils  coulent  dans 
leur  mouvement  de  va-et-vient),  une  cinquenellc 
fixée  à  un  arbre  devait  fournir  le  moyen  de  com- 
mencer les  allées  et  venues,  et  de  transporter  suc- 
cessivement les  troupes.  Immédiatement  après , 
l'établissement  des  ponts  devait  commencer.  Tous 
les  bateaux  étant  préparés,  tous  les  agrès  disposés, 
les  lieux  choisis,  les  hommes  instruits  de  ce  qu'ils 
avaient  à  faire,  on  était  fondé  à  croire  que  deux 
heures  suffiraient  pour  jeter  un  pont  de  soixante 
toises,  opération  qui  exigeait  autrefois  douze  ou 
(|uinze  heures,  si  on  était  prêt,  vingt-quatre  et  qua- 
rante-huit, si  on  ne  l'était  pas.  Napoléon  décida  Projetde jeter 

'  *  *  quatre  ponts 

que  quatre  ponts  au  moins,  deux  de  bateaux,  un     àiafois. 


Juin  180'.>. 

cl  de  fjitc 
déboucher  si- 
niultdnénient 

trois   corps 
d'armée. 


Pour 
accélérer 

rétablisse- 
ment 

dcô  ponts. 


iUl  LIVHi;    \\\V. 

de  pontons,  un  de  iivos  radeaux  celui-ci  pour  la 
cavalerie  et  rarfillerie),  seraient  jetés  sur  le  petit 
b:as,  de  manière  à  faire  déboucher  trois  corps  d'ar- 
mée à  la  fois,  ceux  du  niaréciial  Masséna,  du  gé- 
néral Oudinot  et  du  maréchal  Davout.  Ainsi  plu- 
sieurs milliers  d'hommes,  transportés  dans  des  bacs 
en  quehpies  minutes,  suffiraient  pour  accabler  les 
avant-postes  ennemis.  Cincjuante  à  soixante  mille 
honuues,  débouchant  en  deux  heures  sous  la  pro- 
tection de  batteries  formidal)les ,  tiendraient  tète 
au\  forces  que  l'ennemi  aurait  le  temps  de  réunir 
en  apprenant  le  point  du  passage.  Enfm,  en  quatre 
ou  cinq  heures,  l'armée  aurait  débouché  tout  en- 
tière, prête  à  livrer  bataille,  et  pourvue  de  moyens 
de  retraite  aussi  assurés  que  si  elle  n'avait  pas  eu 
un  grand  fleuve  sur  ses  derrières.  Il  était  même 
probable  que  l'opération  serait  terminée  avant  que 
l'ennemi  eût  pu  la  troubler,  car  la  nuit ,  le  feu  de 
batteries  puissantes,  la  simultanéité  des  passages, 
devaient  le  plonger  dans  une  extrême  confusion. 

Cependant,  aux  yeux  de  Napoléon,  ce  n'était 
pas  assez  que  d'avoir  réduit  à  deux  heures  l'éta- 
blissement d'un  pont  de  60  toises,  qui  en  exigeait 
quelquefois  douze,  vingt-quatre,  quarante-huit  :  il 
voulait  qu'une  colonne  d'infanterie  put  déboucher 
à  l'instant  même,  et  aussi  \ite  que  les  avant-gardes 
transportées  dans  les  bacs.  Pour  y  parvenir,  il  in- 
venta un  pont  d'un  genre  tout  nouveau,  dont  il 
confia  l'exécution  à  un  officier  fort  intelligent,  le 
capitaine  Dessales.  Ordinairement  c'est  en  amarrant 
l'un  à  côté  de  l'autre  une  suite  de  bateaux  qu'on 
réussit  à  établir  un  pont.   Il  imagina  d'en  jeter  un 


WALiUAM.  in 


Juin   180<J. 


(l'une  seule  pièce,  composé  de  bateaux  liés  d'a- 
\ance  entre  eux  avec  de  fortes  poutrelles,  qu'on 
descendrait  le  loni^  de  la  rive  où  Ton  désirait  l'é-     Napoléon 

"-^  ^  _  invente  un 

lahlir,  qu'on  attacherait  par  un  l)out  à  cette  rive,     pom  dune 

,         ,.  .  .  ■    I  ,         •.      seule  pièce, 

(ju  on  livrerait  ensuite  au  courant  qui  le  porterait      ,iui  peut 
lui-mcme  à  la  rive  opposée,  où  des  hommes  iraient    .^fq^jqifos 
le  fixer  en  le  traversant  au  pas  de  course.  Cela  fait,      niin"ips- 
il  ne  resterait  plus  qu'à  jeter  quelques  ancres  pour 
lui  servir  de  points  d'appiii  dans  sa  longueur.  On 
avait  calculé,  et  le  résultat  le  prouva  depuis,  que 
(|uelqucs  minutes   sufTiraient   à  celte  prodigieuse 
opération. 

L'inconvénient  de  ce  pont  construit  à  l'avance 
était  d'indiquer,  parle  lieu  où  on  le  préparait,  le 
lieu  où  il  serait  jeté.  On  remédia  à  cet  inconvénient 
par  le  moyen  que  voici.  L'île  de  Lobau  avait  été 
couverte  de  chantiers,  comme  aurait  pu  l'être  un 
des  grands  ports  de  France.  Ces  chantiers  étaient 
placés  au  bord  de  plusieurs  flaques  d'eau,  aboutis- 
sant par  des  canaux  intérieurs  au  petit  bras.  C'était 
là  que  l'on  construisait  les  nombreux  bateaux, 
jiontons,  radeaux,  destinés  à  l'établissement  des 
|)onts,  sans  indication  du  lieu  où  s'opérerait  le  pas- 
sage. Il  y  avait  derrière  Vile  Alexandre,  sur  le  flanc 
droit  de  la  grande  île  Lobau,  au-dessous  d'Enzers- 
dorf,  vis-à-vis  de  la  plaine  où  l'on  avait  le  projet 
de  déboucher,  un  canal  intérieur,  large,  long,  assez 
profond,  et  où  devaient  s'achever  les  derniers  ajus- 
tements de  chaque  ouvrage.  C'est  là  qu'on  disposa 
le  pont  d'une  seule  pièce,  avec  projet  de  le  faire 
sortir  au  dernier  moment,  pour  l'introduire  dans 
le  petit  bras.  Cependant,  comme  ce  canal  préscn- 

TOM.   X.  27 


Juin  1809. 


418  M\  |{K    XX  \V. 

tait  un  coude  à  son  extrémité,  Napoléon  poussa  la 
prévoyance  jusqu'à  faire  adapter  [)lusicurs  articu- 
lations au  pont  d'une  seule  pièce,  afin  qu'il  [)ùl 
tour  à  tour  se  courber  et  se  redresser,  suivant  les 
inflexions  du  canal  dans  lequel  il  avait  été  préj)aré. 
Pensant  bien  qu'au  moment  même  de  l'opération 
le  besoin  de  communications  rapides  entre  les  deux 
rives  se  ferait  nvement  sentir,  Napoléon  voulant 
réparer  jusqu'à  l'excès  l'imprudence  de  son  pre- 
mier passage,  fit  réunir  dans  ces  canaux  intérieurs, 
des  bois,   des  radeaux,  des  pontons  tout  prêts, 
pour  jeter  au  besoin  (piafre  ou  cinq  ponts  de  plus, 
pour  hâter  ainsi  autant  que  possible  le  déploiement 
de  son  armée,  et  rendre,  en  cas  de  revers,  la  re- 
traite aussi  facile  que  sur  un  champ  de   bataille 
ordinaire. 

Il  avait  fait  venir,  outre  les  marins  de  la  garde, 

des  constructeurs  de  France.  Il  en  avait  recueilli 

sur  les  bords  du  Danube,  qui  sous  la  direction  des 

ingénieurs  français  concouraient  à  construire  cette 

Aspect  de  liio  flottille  d'uu  nouvcau  genre.  Des  milliers  d'ouvriers 

de  Lobau         i       .        ,  •    •  »        '    -ii    •       ^       •       • 

et  de  la  ville  de  toutc  origHic  travaillaient  ainsi  avec  une  m- 

'^peldTnT     croyable  activité,  dans  cette  île  devenue  semblable 

lemoisdejuin  gux  chantlcrs  d'Auvers,  de  Brest  ou  de  Toulon.  Des 

1809.  ' 

courbes  provenant  des  Alpes  ou  trouvées  à  Vienne, 
d'énormes  poutrellos,  d'innombrables  madriers, 
transportés  par  les  chevaux  de  rarlillcrie,  venaient 
de  tous  les  points  s'embarquer  sur  le  Danube,  qui 
les  amenait  jusquà  Kbersdorf,  de  là  étaient  intro- 
duits dans  les  canaux  intérieurs  de  la  Lol)au ,  et 
saisis  par  la  hache  des  charpentiers  prenaient  la 
forme  qui  convenait  à  leur  destination.  Les  marins 


WAGUAM.                                     410 
de  la  garde  dans  des  chaloupes  armées  d'obusiers  — 

.     '.       ,  -11  •  Juin  '809. 

croisaient  sans  cesse  pour  surveiller  ces  immenses 
travaux,  pour  fouiller  les  îles  et  les  replis  cachés  du 
fleuve ,  pour  acquérir  ainsi  une  connaissance  des 
lieux  qui  serait  fort  utile  le  jour  de  la  grande  opé- 
ration. Napoléon  avait  recouvré  un  précieux  débris 
de  l'armée  du  général  Dupont ,  c'était  le  brave  ca- 
pitaine Baste,  commandant  des  marins  de  la  garde 
dans  la  campagne  d'Andalousie,  aussi  bon  officier 
d'infanterie  qu'habile  oflicier  de  mer,  et  le  seul 
auquel  Napoléon  eut  pardonné  la  catastrophe  de 
Baylen,  car  il  l'avait  élevé  en  grade  tandis  qu'il 
poursuivait  sans  pitié  ses  compagnons  d'infortune. 
Le  capitaine  Baste,  devenu  colonel,  commandait 
encore  les  marins  de  la  garde,  et  devait  être  pré- 
sent partout  à  l'heure  du  péril. 

Napoléon  partant  pres(jue  tous  les  jours  de  Schœn- 
brunn  à  cheval,  traversait  au  galop  l'espace  qui  le 
séparait  d'Ébersdorf,  venait  surveiller,  diriger,  per- 
fectionner les  ouvrages  qu'il  avait  ordonnés ,  et  à 
chaque  visite  concevait  une  idée  ou  une  combi- 
naison nouvelle,  pour  arriver  à  une  réalisation 
plus  certaine  de  ses  projets.  Les  Viennois,  sous  les  Moyens 
veux,  quelquefois  môme  avec  le  concours  desquels     employés 

•)  '  ^         i  i  par  Napoléon 

s'exécutait  cette  prodigieuse  entreprise,  frémissaient  pour  contenir, 

.  occuper 

en  secret,  et,  sans  la  puissante  armée  qui  les  c^n-  et  nourrir 

tenait,  auraient  fini  par  se  soulever,  car  s'ils  étaient  uc  ^?êmle 

doux,  ils  étaient  patriotes,  et  animés  des  sentiments  1^^"^^ 

qui  conviennent  à  un  grand  peuple.  Mais  Napoléon  ''*'  son  armée 

avait  pris  des  soins  extrêmes  pour  les  calmer.  La  capitale. 
discipline  avait  été  rigoureusement  observée.  Pas 

un  propos,  pas  un  acte  offensant  n'étaient  permis; 

27. 


i20  IIVRF  XXXV. 
toute  infraction  était  réprimée  à  l'instant  même.  Les 

Juillet    1809.       .  V  ,  .  •       •    .     ,      TT 

vivres  manfuiant,  .Napoléon  avait  tire  de  Honiïrie 
des  quantités  considérables  de  i^rains  et  de  nom- 
breiix  convois  de  bestiaux,  de  telle  sorte  qu'on 
vivait  à  Vienne  sans  payer  les  subsistances  trop 
clier.  Il  avait  consenti  à  employer  la  bouri^eoisic 
pour  le  maintien  de  Tordre,  parce  que  nos  troupes 
ne  parlant  pas  la  lanjsue  du  pays ,  étant  d'ailleurs 
étrangères  et  ennemies,  étaient  moins  propres 
qu'une  milice  nationale  à  se  faire  écouter  quand  il 
y  avait  du  tumulte.  Mais  il  avait  limité  à  six  mille 
les  bourgeois  employés  à  cet  usage,  et  ne  leur  avait 
laissé  que  1,500  fusils,  nombre  égal  à  celui  des 
hommes  qui  étaient  de  garde  chaque  jour.  Napo- 
léon en  outre  exerçait  une  surveillance  sévère  sur 
les  halùtants.  Sachant  que  beauceup  de  soldats  de 
l'ancienne  irarnison  s'étaient  cachés  dans  la  ville, 
sous  l'habit  civil,  prêts  à  seconder  la  première  ré- 
volte populaire,  il  avait  ordonné  quelques  actes  de 
rigueur,  en  se  bornant  toutefois  à  ce  qui  était  in- 
dispensable. Quant  aux  gens  du  peuple,  qui  avaient 
besoin  de  travail,  il  leur  en  fournissait  à  un  taux 
raisonnable,  et  pas  toujours  pour  le  service  de 
l'armée,  souvent  au  contraire  pour  l'utilité  ou 
l'embellissement  de  Vienne,  afin  que  le  pain  qu'il 
leur  procurait  ne  leur  parût  pas  trop  amer. 
Fixation  Tel  fut  l'aspcct  de  l'île  de  Lobau  et  de  la  ville  de 

''aù\"jl!i!ict^  Vienne  pendant  le  mois  de  juin.  Au  1"  juillet  tout 
FO"""        étant  prêt,  et  1rs  corps  d'armée  dont  on  pouvait  dis- 

Ic  passage  .  .  . 

du  Danube,  poscr étant arrivésou  surlc point  d'aniver, NapoléoH 
donna  ses  ordres  pour  que  les  troupes  commenças- 
sent à  se  réunir  dans  l'île  de  Lobau  dès  le  3  juillet, 


WAGRAM.  421 


Juiret    <80a. 


juillet. 


qu'elles  y  fussent  rendues  le  ï,  qu'elles  passassent 

le  petit  bras  dans  la  nuit  du  4  au  5,  pour  combattre 

le  5  si  on  rencontrait  l'ennemi  en  dcboucliant,  le  6 

s'il  ne  se  présentait  pas  innnédiatement.  Le  r""  juil-      Réunior; 

let  il  quitta  Schœnbrunn,  et  alla  établir  son  quar-     deTarméff 

tier  général  dansl'ile  de  Lobau,  laissant  voir  ainsi      ^lansiiie 

*-  '  do  Lobau 

ce  qu'on  ne  pouvait  plus  ic;norer,  que  cette  île  se-      pendant 

.   ^  .    ^  '  ^  '1  les  journées 

rait  son  point  de  départ,  mais  ne  laissant  soupçon-  dos  i",  2  et  3 
ner  à  personne  quelle  serait  la  partie  de  cette  île 
vers  laquelle  s'exécuterait  le  passage.  Le  corps  du 
maréchal  Masséna  s'y  trouvant  déjà,  Napoléon  y  fit 
venir  successivement  le  corps  du  général  Oudinot, 
la  garde,  le  corps  du  maréchal  Davout,  la  cavale- 
rie légère,  la  grosse  cavalerie,  enfin  l'immense  ar- 
tillerie de  campagne  qu'il  avait  préparée.  La  cava- 
lerie et  l'artillerie  passaient  le  grand  bras  sur  le  pont 
de  pilotis,  l'infanterie  sur  le  pont  de  bateaux.  Le 
général  Mathieu  Dumas  avait  été  chargé  de  veiller 
lui-même  au  défilé,  afin  d'éviter  les  encombrements. 
Des  poteaux  indiquaient  l'emplacement  de  chaque 
corps  d'armée.  D'après  les  ordres  expédiés,  l'armée 
d'Italie  devait  arriver  le  4  au  matin ,  l'armée  de 
Dalmatie  et  les  Bavarois  le  5  au  plus  tard.  Les 
Saxons  rendus  à  Vienne  depuis  quelques  jours , 
ainsi  que  la  division  française  Dupas,  passèrent 
avec  les  premières  troupes  dans  l'île  de  Lobau.  Les 
corps  étaient  reposés,  bien  nourris,  et  animés  des 
meilleures  dispositions.  Quelques  bataillons  et  es- 
cadrons de  marche ,  arrivés  en  juin ,  beaucoup 
d'hommes  sortis  des  hôpitaux,  avaient  servi  à  répa- 
rer, non  pas  la  totalité  mais  une  partie  des  pertes. 
La  garde  était  superbe,  complète  en  toutes  armes, 


Juillet    1809. 


i^i  LIVRE  XXXV. 

mais  surloul  en  arlillcrie.  En  additionnant  les 
troupes  do  Masséna,  dOudinot,  de  Davout,  de  Ber- 
nadotte ,  du  prince  Eutjène ,  de  Macdonald  ,  de 
Mannont,  du  Bavarois  de  Wrède  et  de  la  garde,  on 
pouvait  supposer  un  total  de  150  mille  lionmies, 
dont  20  mille  cavaliers  et  12  mille  artilleurs  ser- 
vant 550  bouches  à  feu ,  force  énorme  que  Napo- 
léon n'avait  pas  encore  réunie  sur  un  même  champ 
de  bataille,  et  qui,  si  on  consulte  bien  l'histoire  du 
monde,  n'avait  encore  figuré  sur  aucun  ^  Outre 
cette  force  si  considérable ,  Napoléon  avait  auprès 
de  lui  l'invincible  Masséna,  meurtri  d'une  chute  de 
cheval ,  mais  capable  de  dominer  un  jour  de  ba- 
taille toutes  les  douleurs  physiques;  l'opiniâtre  Da- 
vout, le  bouillant  Oudinot,  l'intrépide  Macdonald, 
et  une  foule  d'autres  qui  étaient  prêts  à  payer  de 
leur  sang  le  triomphe  de  nos  armes.  L'héroïque 
Lannes,  mort  des  suites  de  ses  blessures,  à  Ébers- 
dorf ,  entre  les  bras  de  Napoléon  et  au  milieu  des 
regrets  de  toute  l'armée,  y  manquait  seul.  La  des- 
tinée le  privait  d'assister  à  une  victoire  à  laquelle  il 
avait  puissamment  contribué  par  sa  conduite  dans 
cette  campagne,  mais  elle  le  dispensait  aussi  de 
voir  les  affreux  revers  qui  nous  frappèrent  plus 
tard  :  il  mourait  heureux,  puisqu'il  mourait  dans 
le  cours  du  dernier  de  nos  triomphes. 

'  Les  historiens  anciens ,  et  ceux  du  moyen  Age ,  ont  allt^gué  en  quel- 
ques occasions  des  nombres  de  combattants  beaucoup  plus  considé- 
rables, mais  uni'  foule  de  raisons,  inutiles  à  rappoiter  ici,  prouvent 
que  ces  aIl(5gations  sont  tout  à  fait  exagérées.  Je  crois  donc  vrai  de 
dire  qu'il  ne  s'était  pas  rencontré  encore  autant  d'hommes ,  armés 
d'aussi  puissants  moyens  de  dtstruct'on,  sur  un  môme  champ  de  ba- 
taille. 


WAGRAM. 


423 


Napoléon  transporté  dans  Tilo  de  Lobau  fut  saisi 
d'une  inquiétude  subite  :  il  craignit,  d'après  quel- 
ques indices ,  que  l'arcliiduc  Charles  ne  lui  eût 
échappé  en  descendant  le  Danube  jusqu'à  Pres- 
bourg.  Il  est  certain  que  l'archiduc  aurait  pu  re- 
courir à  cette  manœuvre,  et  la  preuve  qu'elle  eût 
été  bien  conçue  de  sa  part ,  c'est  que  son  adver- 
saire la  redoutait  singulièrement.  En  quittant  la 
position  qu'il  occupait  vis-à-vis  de  Vienne,  sur  les 
hauteurs  deWagram,  il  aurait,  il  est  vrai,  livré  sans 
combat  le  passage  du  Danul)e  ;  mais  avec  les  moyens 
imaginés  par  Napoléon ,  il  y  avait  peu  de  chances 
d'empêcher  ce  passage,  et  en  s'enfonçant  en  Hon- 
grie, il  obligeait  les  Français  à  s'atïïiiblir  par  l'al- 
longement de  leur  ligne  d'opération,  à  laisser  un 
corps  pour  garder  Vienne  ,  tandis  que  les  Autri- 
chiens se  renforçaient  de  l'archiduc  Jean  et  de  l'in- 
surrection hongroise.  Il  aurait  donc  pu  concevoir 
ce  plan  sans  commettre  une  faute ,  et  on  pouvait 
avec  quelque  fondement  lui  en  prêter  la  pensée. 
Napoléon ,  pour  dissiper  ses  doutes ,  fit  une  ten- 
tative hardie,  qui,  tout  en  l'éclairant  sur  les  pro- 
jets du  généralissime  autrichien,  était  destinée  à 
tromper  ce  dernier  sur  le  véritable  point  du  pas- 
sage. 

La  division  Legrand  du  corps  de  Masséna  avait 
été  placée  près  du  rentrant  qui  avait  servi  au  pre- 
mier passage.  Un  brave  et  habile  officier  de  pon- 
tonniers,  le  capitaine  Baillot,  avait  été  chargé  de 
jeter  de  ce  côté  un  pont  de  bateaux.  Vers  la  nuit 
l'artillerie  fut  répartie  à  droite  et  à  gauche  du  ren- 
trant; les  voltigeurs  de  la  division  Legrand  s'em- 


Juillct    4  809. 

Inquiétude 

conçue 

par  Napoléon 

à  l'occasion 

du  départ 

supposé 

de   l'archiduc 

(Iharles  pour 

Presbour?. 


Reconnais- 
sance pour 
s'assurer 
de  la  présence 
de  l'armée 
autrichienne 
entre   Essiing 
et  Wagrara. 


Juillet    1809. 


424  LIVRE  XWV. 

l)ar(iiiiMonl  dans  des  nacelles,  sous  la  direction  de 
l'aide  de  camp  de  Masséna,  Saiiilc-Croix,  franclii- 
rcnl  le  petit  bras,  et  s'emparèrent  du  déljouclié, 
malj^ré  les  avant-postes  autrichiens,  qu'ils  repous- 
sèrent. En  moins  de  deux  heures  le  capitaine  Bail- 
lot ,  opérant  avec  de^  matériaux  [)réparés  à  l'a- 
vance, sur  un  terrain  bien  étudié,  réussit  à  établir 
un  pont  de  bateaux,  et  la  division  Legrand  passant 
sur  ce  pont  en  toute  hâte  ,  puis  traversant  le  petit 
bois  qui  s'étend  au  delà,  vint  déboucher  entre  Ess- 
ling  et  Aspern.  Après  avoir  ramassé  quelques  pri- 
sonniers et  tué  quelques  hommes,  la  division  attira, 
en  se  montrant,  une  vive  canonnade  de  la  part  des 
redoutes  ennemies ,  et  quand  le  jour  fut  venu  elle 
aperçut  un  déploiement  de  forces  qui  ne  laissait 
aucun  doute  sur  la  présence  en  ces  lieux  de  la  prin- 
cipale armée  autrichienne.  Dès  ce  moment  Napo- 
léon n'avait  plus  à  craindre  que  l'ennemi  eût  dis- 
paru; il  était  certain  au  contraire  de  l'avoir  devant 
lui,  et  de  pouvoir  bientôt  finir  la  guerre  dans  la 
vaste  plaine  du  3Iarchfeld. 
Késoiuiions        L'archiduc  Charles  se  trouvait  en  effet  vis-à-vis, 
'^%ww'^'''"  sur  les  hauteurs  de  AVagram ,  flottant  entre  mille 
projets,  ne  sachant  auquel  s'arrêter,  et,  comme 
d'usage,  ne  s'attachant  à  en  exécuter  aucun.  Il  avait 
employé  les  premiers  jours  qui  avaient  suivi  la  ba- 
taille d'Essling  à  se  laisser  féliciter  de  sa  victoire, 
à  se  prêter  même  à  des  exagérations  ridicules,  qui 
pouvaient  toutefois  avoir  un  côté  sérieux,   celui 
d'agir  utilement  sur  les  esprits.  Mais  il  n'avait  rien 
fait  pour  se  procurer,  après  un  succès  douteux,  un 
succès  incontestable.  Ce  n'est  pas  assurément  de 


Juillet   «80'J. 


WAGRAM.  fôS 

n'avoir  point  envahi  la  Lobau,  comme  nous  l'avons 
dit  ailleurs,  qu'on  pouvait  l'accuser;  ce  n'est  pas 
non  plus  Je  n'avoir  point  essayé,  au-dessus  ou  au- 
dessous  de  Vienne,  un  passage  qui  aurait  pu  ame- 
ner la  délivrance  de  l'Autriclie,  mais  aussi  sa  ruine 
totale;  mais  sans  imposer  au  généralissime  des 
plans  compliqués  et  hasardeux,  pourquoi,  puisque 
la  bataille  dEssling  lui  avait  paru  une  merveille, 
pourquoi  ne  pas  profiter  de  la  leçon ,  et  ne  pas  en 
tirer  une  autre  bataille  d'Essling  plus  complète  et 
.plus  décisive?  Cet  événement  tant  vanté  par  les 
Autrichiens  était  l'expression  de  la  difficulté  mili- 
taire que  Napoléon  avait  à  vaincre,  et  qui  consistait 
à  passer  un  grand  fleuve,  pour  livrer  bataille  avec 
ce  fleuve  à  dos.  Il  fallait  dès  lors  ne  rien  négliger 
pour  accroître  cette  difficulté,  et  la  rendre  même 
insurmontable,  si  on  le  pouvait.  C'était  là  un  jeu 
simple,  sûr,  éprouvé,  et  sans  y  faire  de  prodige,  il 
suffisait  qu'on  eût  encore  une  fois  arrêté  Napoléon 
au  bord  du  Danube,  pour  le  chasser  bientôt  de 
l'Autriche.  Il  y  avait  pour  cela  deux  mesures  fort 
simples  à  prendre,  c'était  d'abord  d'ajouter  au  ter- 
rain du  combat,  qui  était  connu  d'avance,  toute  la 
force  qu'une  position  défensive  peut  recevoir  des 
efforts  de  l'art;  c'était  ensuite  d'employer  la  res- 
source des  grandes  manœuvres  pour  y  concentrer 
toutes  les  armées  de  la  monarchie.  De  ces  deux 
mesures,  l'archiduc,  heureusement,  n'en  avait  pris 
aucune. 

Ainsi  Napoléon  avait  accumulé  les  redoutes  sur    Négligence 
tout  le  pourtour  de  l'île  de  Lobau  pour  déboucher  ^^^\?°'^^^^^,^^ 
sous  la  protection  d'une  puissante  artillerie  de  gros    à  défeadre 


Juillet   I)t0<.). 


iiO  I.1VIU-:   XXXV. 

calihrc  :  n'élail-il  pas  d(\s  lors  naluicl  d'élever  vis- 
à-vis  des  redoutes  qui  rendissent  la  rive  opposée 
)os abords     inabordable?  La  grosse  artillerie  ne  mantiuait  pas  à 

de  la  rive  •  i  ' 

sauchc.  une  puissance  qui  se  battait  chez  elle,  et  qui  était 
l'une  des  mieux  fournies  de  l'Europe  en  matériel. 
Or  Tarcliiduc  avait  retranché  Esslinp;,  Aspern,  En- 
zersdorf,  parce  qu'on  s'était  battu  sur  ces  trois 
points;  mais  d'Enzorsdorf  au  confluent  des  deux 
bras,  sur  toute  la  droite  de  la  Lobau,  dans  la  plaine 
unie  que  Napoléon  avait  choisie  pour  déboucher, 
il  s'était  borné  à  construire  une  redoute,  près  d'un  . 
endroit  dit  la  Maùon-Blanche,  armée  de  six  canons, 
et  à  loijjer  quelques  troupes  dans  le  petit  château 
de  Sachsengang,  situé  au  milieu  des  bois.  La  pos- 
sibilité du  débouché  par  notre  droite,  qui  était  la 
combinaison  sur  laquelle  Napoléon  avait  médité 
quarante  jours,  n'avait  pas  un  moment  frappé  l'ar- 
chiduc Charles,  et  il  n'avait  construit  de  véritables 
ouvrages  que  d' Aspern  àEssling,  d'Essling  à  En- 
zersdorf,  (Voir  la  carte  n"  49.)  Encore  ces  ouvrages 
n'étaient-ils  pas  de  force  à  résister  à  des  soldats 
aussi  impétueux  que  les  soldats  français. 

Après  avoir  rendu  le  passage  du  Danube  aussi  dif- 
ficile que  possible,  en  couvrant  d'ouvrages  puissants 
la  rive  o[)posée  à  l'ile  de  Lobau,  il  restait  à  se  créer 
en  arrière,  dans  la  plaine  du  ]Marchfeld,  qui  était  le 
champ  de  bataille  inévitable  des  deux  armées,  une 
position  défensive  telle,  qu'on  eût  pour  soi  toutes  les 
chances.  Or,  en  supposant  que  l'ennemi  fut  parvenu 
à  franchir  le  Danube,  si  on  gagnait  sur  lui  une  ba- 
taille défensive,  on  pouvait,  le  lendemain  ou  le  jour 
nvjme,  passer  de  la  défensive  à  l'olfensive,  et  es- 


WAGRAM. 


Juillet    «809. 


de  Lobau  et 
Wasiram. 


sayer,  avec  grande  probabilité  d'y  réussir,  de  le 
jeter  dans  le  fleuve.  Le  terrain  offrait  pour  cela  des 
ressources  nombreuses.  La  plaine  du  Marchfeld  Nature 
allait  en  s'élevant  doucement  pendant  deux  lieues  ;  cntreTn" 
puis  surgissait  une  petite  chaîne  de  hauteurs,  de 
Neusiedel  à  Wagram,  dont  le  pied  était  baigné  par 
un  gros  ruisseau,  profond  et  marécageux,  le  Russ- 
bacli.  (Voir  les  cartes  n"'  48  et  49.)  C'était  derrière 
ce  ruisseau  que  l'archiduc  avait  campé  ses  prin- 
cipales forces.  Il  y  avait  placé  trois  de  ses  corps 
«l'armée,  le  premier  sous  Bellegarde,  le  deuxième 
sous  Hohenzollern',  le  quatrième  sous  Rosenberg, 
c'est-à-dire  75  mille  hommes  environ.  Il  eût  été 
facile,  en  profitant  des  hauteurs  et  du  ruisseau 
(jui  circulait  à  leur  pied,  d'y  élever  des  ouvrages 
formidables,  qu'aucune  impétuosité,  même  fran- 
çaise, n'aurait  pu  vaincre.  Cette  position  venait 
se  relier  au  Danube  par  une  seconde  ligne  de  hau- 
teurs en  forme  de  demi-cercle,  passant  pas  Ader- 
klaa,  Gerarsdorf  et  Stamersdorf,  dont  l'accès  n'é- 
tait pas  interdit  par  un  ruisseau  profond,  mais 
qui  n'en  avait  pas  besoin,  car  c'est  le  côté  par 
lequel  on  aurait  du  prendre  l'offensive,  pendant 
qu'on  aurait  opposé  sur  l'autre  une  défensive  ob- 
stinée et  invincible.  L'archiduc  avait  là  encore  65 
ou  70  mille  hommes ,  se  composant  du  troisième 
corps  sous  KoUovrath",  du  cinquième  sous  le  prince 
de  Reuss*,  du  sixième  sous  Klenau''.  Ce  dernier 

'  C'était  KoUovrath  qui  le  commandait  au  début  de  la  guerre. 
*  Commandé  auparavant  par  Hohenzollern. 
^  Commandé  auparavant  par  le  prince  Louis. 
■•  Commandé  auparavant  par  le  général  Ililler. 


Juillet    4 son. 


Néglii-'ence 
de  I  archiduc  il 

concentrer 

ses  forces 
entre   Esslinî: 

et  Wagrnn^.. 


428  LIVRE   XXXV. 

îAunlail  le  bord  du  fleuve,  La  (loul)le  réserve  de  cava- 
lerie et  de  grenadiers,  cantonnée  entre  Waû;ram  et 
Gerarsdorf,  liait  les  deux  masses  de  l'armée  autri- 
chienne. Celle  de  ijauclie,  ijui  campait  entre  Neu- 
siedel  et  Wai^rani,  aurait  pu  défendre  les  hauteurs 
opiniâtrement,  et,  pendant  ce  temps,  celle  de  droite 
qui  s'étendait  de  Gerarsdorf  à  Stamersdorf,  aurait 
dii  prendre  l'offensive,  se  porter  dans  le  flanc  des 
Français,  les  séparer  du  Danuhe,  ou  les  jeter  dans 
ce  fleuve.  L'archiduc  pensait  effectivement  à  se 
conduire  de  la  sorte,  comme  on  le  verra  bientôt, 
mais  sans  avoir  construit  aucun  des  ouvrages  qui 
auraient  rendu  inabordable  la  position  entre  Wagram 
et  Neusiedel. 

Enfin  la  dernière  précaution  à  prendre  eût  été  de 
concentrer  ses  forces,  de  façon  à  être  sur  le  champ 
de  bataille  supérieur  en  nombre  à  son  adversaire. 
Le  mouvement  successif  de  concentration  qui  ame- 
nait, les  uns  après  les  autres,  les  corps  français 
sous  Vienne,  était  en  partie  connu  du  généralissime 
autrichien,  bien  que  la  manœuvre  principale,  celle 
qui  devait  faire  participer  l'armée  d'Italie  à  la 
grande  bataille,  lui  fut  habilement  dérobée.  Cette 
manière  d'agir  aurait  du  lui  servir  de  leçon,  et  le 
porter  à  réunir  entre  la  Lobau  et  Wagram  toutes 
les  troupes  qui  n'étaient  pas  indispensables  ailleurs. 
Cependant,  comme  tous  les  esprits  indécis,  il  n'avait 
que  très-imparfaitement  suivi  l'exemple  si  instructif 
de  son  adversaire.  Il  avait  en  effet  appelé  de  Lintz 
à  Wagram  le  corps  de  Kollovrath ,  ce  qui  l'avait 
renforcé  d'une  vingtaine  de  mille  hommes.  Mais  il 
en  avait  laissé  sur  le  haut  Danube  au  moins  une 


WAGRAM.  429 

douzaine  de  mille,  dont  il  aurait  pu  attirer  encore 
une  partie ,  les  Français  n'ayant  cvidenunent  aucun 
projet  de  ce  côté.  Il  songeait  à  faire  venir  Tarchi- 
duc  Jean,  tandis  qu'il  aurait  déjà  dii  l'avoir  auprès 
de  lui,  la  ville  de  Presbourg  pouvant  se  défendre 
avec  3  ou  4  mille  hommes  de  garnison.  Il  aurait 
pu  lui  adjoindre  le  général  Chasteler  avec  7  ou 
8  mille  hommes,  car  pour  batailler  en  Hongrie  avec 
les  postes  français  restés  sur  la  Raab,  le  ban  Giulay 
suffisait,  ce  qui  aurait  élevé  de  12  à  20  mille  le 
renfort  que  lui  eut  amené  Tarchiduc  Jean.  Enfin 
l'archiduc  Ferdinand  faisait  en  Pologne  une  cam- 
pagne inutile,  et  employait  30  à  35  mille  hommes 
d'excellentes  troupes  en  courses  ridicules  de  Thorn 
à  Sandomir.  En  conservant  dans  cette  partie  du 
théâtre  de  la  guerre  une  quinzaine  de  mille  hom- 
mes pour  contenir  non  les  Russes,  qui  étaient  peu  à 
craindre,  mais  les  Polonais,  qui  se  montraient  assez 
entreprenants ,  on  aurait  eu  encore  une  vingtaine 
de  mille  hommes  qui  eussent  pu  concourir  à  sauver 
la  monarchie  sous  les  murs  de  Vienne. 

Ainsi  en  manœuvrant  comme  Napoléon,  avec  cet 
art  qui  consiste  à  ne  laisser  en  chaque  lieu  que 
l'indispensable,  pour  porter  sur  le  point  décisif  tout 
ce  qui  peut  y  être  réuni  sans  faire  faute  ailleurs, 
l'archiduc  Charles  aurait  eu  le  moyen  d'amener 
20  mille  hommes  de  Presbourg,  9  à  10  mille  de 
Lintz,  et  20  de  Cracovie,  ce  qui  eût  ajouté  50  mille 
hommes  à  ses  forces,  et  peut-être  décidé  la  question 
en  sa  faveur.  Que  serait-il  arrivé,  en  effet,  si  les 
Français  débouchant  avec  i  40  ou  1 50  mille  hom- 
mes, en  eussent  rencontré  200  mille,  dont  80  dans 


.luillct    1S00. 


i30  LIVRE  XXXV. 

une  posilion  inex|)UL,Mialjle  el  1 20  leur  toml)anl  dans 

Juillet    1809.    ,      ^^  ,  .,    '  ,  ■•-,,, 

le  liane  pendant  I  atlaciue  de  cette  position.''  11  est 
probable  que,  mali.!;ré  tout  son  génie,  Napoléon, 
dans  cette  plaine  du  Marchfcld,  eut  trouvé  trois 
ou  quatre  ans  plus  tôt  le  terme  de  sa  prodii^ieuse 
grandeur. 

L'archiduc,  entrevoyant  mais  ne  voyant  pas  sû- 
rement que  tout  se  déciderait  entre  Wai^ram  et  l'île 
de  Lobau,  n'avait  rien  exécuté  de  ce  que  nous 
venons  de  dire.  Il  a\ait  campé  ses  troupes  sur  les 
hauteurs  de  Neusiedel  à  Wagram,  les  y  avait  ba- 
raquées, les  faisait  manœuvrer  pour  instruire  ses 
recrues,  les  nourrissait  assez  abondamment  avec 
du  pain  et  de  la  viande  fournis  par  les  juifs,  mais 
les  laissait  manquer  de  paille,  de  fourrage,  d'eau 
I  excepté  pour  les  corps  placés  près  du  Russbach), 
et  par  conséquent  ne  les  avait  pas  môme  mises  à 
l'abri  des  privations,  bien  qu'il  fût  dans  son  pays, 
et  secondé  par  le  patriotisme  de  toutes  les  popula- 
tions. Il  n'avait  presque  rien  fait  pour  remonter  la 
cavalerie,  quoique  l'Autriche  abondât  en  chevaux, 
et  il  n'obtenait  pas  d'un  pays  dévoué,  tout  ce  qu'en 
tirait  Napoléon,  qui  en  était  abhorré  à  titre  de  con- 
quérant étranger  ' .  On  pouvait  évaluer  les  six  corps 

'  Les  Autrichiens,  après  la  bataille  de  Wagiani,  ont  chercbé  à  r<?- 
•Inire  le  chiffre  des  troupes  dont  ils  pouvaient  disposer  dans  celte  ba- 
taille. Les  récits  par  eux  publiés  ont  évalué  leur  armée  à  115  niilU^ 
hommes,  sans  y  compter  le  prince  de  Reuss,  qui  était  à  Stamersdorf, 
vis-à-vis  de  Vienne,  et  <iu'ils  ont  omis  parce  qu'il  n'agit  pas  dans  cette 
journée.  S'il  n'agit  pas  ce  fut  la  faute  du  général  en  chef,  mais  il  n'en 
»'tait  pas  moins  sur  le  terrain.  En  évaluant  son  corps  ù  14  ou  I5  mille 
hommes,  ce  serait  un  total  de  près  de  130  mille  hommes,  sans  l'ar- 
(hiduc  Jean.  Mais  ces  évaluations  sont  au-dessous  de  toute  vraisem- 
blance. Le  i"  et  le  2«  corps  (Dcllcgarde  et  Kollovrath)  avaient  pris  peu 


WAGUAM.  Î3I 

dont  il  disposait,  en  y  ajoutant  les  deux  réserves  de  — - 

grenadiers  et  de  cuirassiers,  à  140  mille  hommes 
environ,  suivis  de  400  bouches  à  feu;  et  il  comptait 
en  outre  sur  12  mille  de  Tarchiduc  Jean,  ce  qui 
faisait  à  peu  près  150  mille,  tandis  qu'il  aurait 
pu  en  réunir  près  de  200  mille.  Ses  troupes  lui 
étaient  fort  attachées;  mais  en  estimant  sa  bravoure 
et  son  savoir,  en  le  préférant  à  son  frère,  elles 
n'avaient  pas  dans  son  génie  une  suffisante  con- 
fiance. Elles  craignaient  de  le  voir  en  présence  de 
Napoléon  presque  autant  qu'il  craignait  lui-même 
de  s'y  trouver. 

Comme   l'accumulation  successive   des  troupes    Rcconnais- 
françaises  vers  Ébersdorf  annonçait  des  événements  parTarXduc 
prochains,  l'archiduc  Charles,  déjà  tenu  en  éveil  par      c/'a'"'«s 

•  '  '        j  i  a  la  suite 

cette  accumulation,  prit  l'alarme  en  entendant  la    ^^  passage 

,  ,  1        1 •    •    •         T  1  exécuté  par 

canonnade  provoquée  par  la  division  Legrand ,  et     la  division 
mit  ses  troupes  en  mouvement  dans  la  persuasion 
que  le  passage  allait  recommencer  sur  le  même 
point.  Déjà  une  avant-garde  sous  le  général  Nord- 
mann  occupait  Enzersdorf,  la  plaine  à  droite  de  l'île, 

de  part  aux  principaux  combats  de  la  campagne,  et  ne  devaient  pas 
compter  beaucoup  moins  de  50  ni'Ue  bommes.  Les  3"^  et  4''  avaient 
souffert,  mais  ils  avaient  été  considérablement  recrutés.  En  les  portant 
à  20  mille  bommes  cbacun,  on  trouve  déjà  un  total  de  90  mille.  Res- 
taient le  G'  sous  Klenau ,  le  .'>*  sous  le  prince  de  Reuss  ,  enfin  la  double 
réserve  dont  le  chiffre  avoué  était  de  8  mille  bonunes  d'infanteiie,  et  de 
8  mille  de  cavalerie.  On  ne  peut  pas  évaluer  ces  trois  corps  à  moins 
de  cinquante  mille  hommes,  en  supposant  le  corps  de  Klenau  de  20 
mille,  celui  de  Reuss  de  \'t  mille,  la  double  réserve  de  10  mille, 
ce  qui  produit  un  total  de  liO  mille  sans  l'archiduc  Jean,  et  de  I52 
mille  avec  lui.  On  peut  donc  avancer  avec  la  plus  grande  vraisemblance 
que  les  deux  armées  étaient  de  même  force.  Les  calculs  les  plus  rigou- 
reux donnent  en  effet  environ  l 'lO  à  150  mille  bommes  pour  l'évalua- 
tion des  forces  de  l'armée  française. 


Legrand. 


432  I.lVItl-    \\\V. 

la  polilc  redoute,  «lu  lu  !\I(ih(,u-lUanchc,  et  les  bois 

Juillet  480'J.      .    ',  ,-  ,         ,  ,  1      IV  I        rr        1- 

situes  au  conlliicul  [W>  deux  hrasdu  Danuhe.  landis 
que  ce  point  le  j)lns  menacé  était  irardé  par  une 
simple  a^anl-ira^de,  le  général  Klenau,  avec  le 
sixième  C()r[)s  tout  eut  ici",  occupait  les  ouvratïes 
entre  Aspern  et  Esslinii;,  de^ant  Icstpiels  on  suppo- 
sait que  l'année  française  se  présenterait  de  nouveau 
pour  combattre.  L'archiduc  Charles  descendit  des 
hauteurs  de  Wagram  dans  la  plaine  du  Marchfeld, 
avec  les  corps  de  Bellcgarde,  HohenzoUern,  Ro- 
senberg  (les  l""",  2%  i*),  pour  appuyer  Nordmann  et 
Klenau.  Il  lit  descendre  aussi  du  demi-cercle  de 
hauteurs  qui  formait  sa  droite  de  Wagram  au  Da- 
nube, le  corps  de  Kollovralh  (le  3*),  laissant  en 
position  le  prince  de  Reuss  à  Stamersdorf,  vis-à- 
vis  de  Vienne,  afin  d'observer  si  les  Français  ne 
tenteraient  rien  de  ce  côté.  La  double  réserve  d'in- 
fanterie et  de  cavalerie  resta  en  arrière,  aux  envi- 
ions de  Gerarsdorf.  Il  demeura  ainsi  en  position  le 
1"  et  le  2  juillet,  puis  ne  voyant  point  paraître  les 
Français,  imaginant  que  le  passage  ne  serait  pas 
immédiat,  et  répugnant  à  tenir  dans  cette  plaine, 
au  milieu  d'une  chaleur  étouffante,  son  armée  ex- 
posée à  toutes  les  privations,  il  la  ramena  sur  les 
hauteurs  où  elle  était  habituée  à  camper.  Il  main- 
tint l'avant-garde  de  Nordmann  entre  Enzersdorf  et 
la  Maison- Blanche ,  le  corps  de  Klenau  dans  les 
ouvrages  d'Essling  et  d'Aspern,  attendant  une  dé- 
monstration plus  sérieuse,  pour  descendre  de  nou- 
veau dans  la  plaine,  et  livrer  bataille. 
L archiduc  Je  3  juillet  Napoléou  ne  fit  rien  que  préparer 
fait  tirer     définitivement,  et  secrètement,  derrière  le  rideau 


WAGRÂM.  i33 

(les  bois,  le  matériel  de  passage,  et  attendre  les 
troupes  qui  ne  cessaient  de  franchir  les  grands 
ponts  pour  se  rendre  dans  la  Lobau.  L'agglomé- 
ration toujours  croissante  des  troupes  pouvait  môme 
se  discerner  au  loin,  et  l'archiduc  Charles  averti 
ordonna  le  4  à  l'artillerie  d'Aspern,  d'Essling  et 
d'Enzersdorf,  de  tirer  sur  l'île  de  Lobau,  pour  y 
envoyer  des  boulets  dont  aucun  ne  devait  être  perdu, 
en  tombant  au  milieu  d'une  telle  accumulation 
d'hommes.  Jamais  en  effet  on  n'avait  vu  dans  un  es- 
pace d'une  lieue  de  largeur,  de  trois  lieues  de  tour, 
150  mille  soldats,  550  bouches  à  feu,  et  40  mille 
chevaux,  entassés  les  uns  sur  les  autres.  Heureu- 
sement l'île  était  trop  profonde  pour  que  les  pro- 
jectiles lancés  d'Essling  et  d'Aspern  pussent  avoir 
un  effet  meurtrier.  Il  aurait  fallu  pour  cela  de  gros 
calibres,  comme  ceux  dont  Napoléon  avait  eu  la 
prévoyance  d'armer  ses  batteries,  tandis  que  l'ar- 
chiduc n'avait  dans  ses  ouvrages  que  des  pièces  de 
campagne.  Cependant  les  troupes  de  Masséna  les 
plus  voisines  de  l'ennemi  perdirent  quelques  hom- 
mes par  le  boulet. 

Le  4  à  la  chute  du  jour,  Masséna,  Davout,  Ou- 
dinot,  couverts  par  le  rideau  des  bois,  s'approchè- 
rent de  la  droite  de  l'île,  et  se  placèrent  Masséna 
vis-à-vis  d'Enzersdorf  (voir  la  carte  n"  49),  Davout 
un  peu  plus  bas,  vis-à-vis  de  la  Mamn-Blanche , 
Oudinot  en  dessous,  en  face  des  bois  touffus  du 
confluent.  Le  colonel  des  marins  Baste  mouilla  près 
de  ce  dernier  endroit  avec  ses  barques  armées, 
prêt  à  convoyer  les  troupes  de  débarquement.  A 
neuf  heures,  le  corps  d'Oudinot  commença  son  pas- 

TOM.  X.  28 


Juillet    1809. 

sur  l'Ile 

de  Lobau , 

espérant  quo 

l'aocumulation 

des  hommes 

oITrira  une 

grande  prise 

au  boulet. 


Commence- 
ment 
du  passage 
dans  la  nuit 
du  4  au  .'> 
juillet. 


Passagn 

du  corps 

d'OudiiiH. 


Juillet   4  809. 


iM  IJVUK   X.XXV. 

saj^e.  La  brigade  Conruiix,  do  la  division  Tharrcaii, 
enil)ar(iuôe  sur  les  gros  bacs  dont  nous  avons  parlé, 
et  escortée  par  la  lloUilic  du  colonel  Baste,  sortit 
des  golfes  intérieurs  de  l'île  de  Lobau,  et  se  porta 
vers  les  bois  du  conlluent.  La  nuit  était  profonde, 
et  le  ciel,  chargé  d'épais  nuages,  annonçait  un 
violent  orage  dété,  ce  qui  ne  pouvait  que  favo- 
riser notre  entreprise.  Le  petit  bras  fut  traversé  en 
peu  de  minutes,  quoiqu'il  s'élargit  en  se  rappro- 
chant (kl  grand.  Après  avoir  débarqué  sur  la  rive 
opposée,  on  enleva  les  sentinelles  ennemies  qui 
appartenaient  à  l'avant -garde  du  général  Nord- 
mann,  on  s'empara  ensuite  de  la  redoute  de  la 
Maison- Blanche ,  et  tout  cela ,  exécuté  en  un  quart 
d'heure,  coûta  tout  au  plus  quelques  hommes.  La 
cinquenelle  fut  aussitôt  attachée  à  un  arbre  désigné 
d'avance,  et  les  bacs,  commençant  leur  va-et-vient, 
transportèrent  rapidement  le  reste  de  la  division 
Tharreau.  Au  même  instant  le  capitaine  Larue,  tou- 
jours secondé  par  le  colonel  Baste,  amena  en  posi- 
tion les  matériaux  du  pont  qui  devait  être  établi  à 
l'embouchure  du  petit  bras  dans  le  grand,  et  con- 
duisit son  travail  de  manière  à  le  terminer  en  moins 
de  deux  heures.  Pendant  ce  temps  la  division  Thar- 
reau tiraillait  sur  l'autre  rive ,  et  à  travers  l'obscu- 
rité, contre  les  avant-gardes  autrichiennes  qu'elle 
n'avait  pas  de  peine  à  repousser,  et  les  divisions 
Grandjoau  (autrefois  Saint-Hilaire),  Frère  i^autrefois 
Claparède),  qui  complétaient  le  corps  d'Oudinot, 
se  rangeaient  en  colonnes  serrées,  attendant  que 
le  pont  fut  jeté,  pour  passer  à  leur  tour  et  rejoin- 
dre la  division  Tharreau. 


WAGRAM. 


43fi 


Le  maréchal  Masséna  avait  reçu  ordre  de  ne  com- 
mencer son  passage  que  lorsque  le  général  Oudinot 
aurait  fort  avancé  le  sien ,  et  pris  pied  sur  la  rive 
ennemie.  A  onze  heures  il  se  mit  en  mouvement 
avec  les  trois  divisions,  Boudet,  Carra  Saint- Cyr, 
Molitor,  celle  de  Legrand  ayant  déjà  franchi  le 
lleuve  entre  Essling  et  Aspern.  Quinze  cents  volti- 
geurs embarqués  sur  cinq  gros  bacs,  escortés  par 
le  colonel  Baste,  et  conduits  par  le  brave  aide  de 
camp  Sainte-Croix,  débouchèrent  du  canal  inté- 
rieur de  Vile  Alexandre^  et  traversèrent  le  petit 
bras,  sous  le  feu  des  avant-postes  autrichiens,  que 
la  fusillade  d'Oudinot  avait  attirés.  Ils  bravèrent 
ce  feu,  et  touchèrent  bientôt  à  la  rive  opposée. 
Les  bacs  ayant  de  la  peine  à  y  aborder,  les  soldats 
se  jetèrent  dans  l'eau  jusqu'à  la  ceinture,  les  uns 
pour  combattre  corps  à  corps  les  tirailleurs  en- 
nemis, les  autres  pour  tirer  les  bacs  à  terre.  La 
cinquenelle  ayant  été  attachée  à  un  arbre ,  on  com- 
mença les  trajets  successifs,  et  on  porta  secours 
aux  voltigeurs  engagés  avec  l'avant-garde  de  Nord- 
inann.  Sur  ces  entrefaites  le  pont  d'une  seule  pièce, 
dirigé  par  le  commandant  Dessalles,  sortait  du 
canal  de  Vîle  Alexandre,  s'infléchissait  pour  suivre 
les  sinuosités  de  ce  canal ,  se  redressait  après  les 
avoir  franchies,  puis  livré  au  courant  allait  s'ar- 
rêter à  une  cinquantaine  de  toises  au-dessous,  afin 
de  laisser  le  passage  libre  aux  matériaux  des  au- 
tres ponts.  Quelques  pontonniers  intrépides  s'a- 
vançant  dans  une  nacelle,  sous  la  mousqueterie 
ennemie,  vinrent  jeter  une  ancre  sur  laquelle  ils 
halèrent  le  pont  pour  le  redresser  et  le  placer  ti'ans- 

28. 


Juillet    4  809. 

Passage 

du  corps 

de  Masséna. 


Placemont 

on  quelques 

minutes 

du  pont 

d'une  seule 

pièr^». 


Juillet   4  809. 


43G  UMΠ  XX  \V. 

versalement.  Tandis  qu'on  le  fixait  fortement  de 
notre  côté,  les  troiij)es  de  la  (li\ision  Boudet  s'é- 
lancèrent dessus  pour  aller  le  fixer  à  Tautre  bord. 
Ouinze  ou  vingt  minutes  suffirent  à  raclièvement 
de  cette  belle  opération.  Le  reste  des  tioupes  de 
Masséna  défila  aussitôt  pour  prendre  possession  de 
la  rive  gauche,  avant  que  les  Autrichiens  eussent 
le  temps  d'opposer  des  masses  au  déploiement  de 
l'armée  française. 

Le  pont  de  pontons,  puis  celui  de  radeaux  sor- 
tirent successivement  du  canal  de  VUe  Alexandre , 
juais  en  pièces  détachées,  et  furent  disposés  au- 
dessus  du  pont  d'une  seule  pièce,  à  cent  toises  les 
uns  des  autres.  Le  pont  de  pontons  était  destiné  à 
l'infanterie  du  maréchal  Davout,  le  pont  de  radeaux 
à  l'artillerie  et  à  la  cavalerie  des  maréchaux  Da- 
vout et  Masséna.  Le  premier  devait  être  achevé  en 
moins  de  deux  heures  et  demie,  le  second  en 
quatre  ou  cinq.  Les  pontonniers  travaillaient  sous 
un  feu  continuel,  sans  se  trou])ler  ni  se  rebuter. 
Feu  Son  projet  étant  démasqué,  Napoléon  avait  or- 

effroyabie     donné  à  l'artillerie  des  redoutes  de  commencer  à 

de  toutes 

les  batteries  tirer,  pour  démoHr  d'abord  la  petite  ville  d'En- 
de  Lobru.  zersdorf ,  de  manière  qu'elle  ne  pût  servir  de  point 
d'appui  à  l'ennemi,  et  ensuite  pour  couvrir  la  plaine 
au-dessous  de  tant  de  mitraille  que  les  troupes  de 
Nordmann  fussent  dans  l'inipossibilité  d'y  tenir.  Il 
(ionna  le  même  ordre  non-seulement  aux  batte- 
ries placées  à  la  droite  de  lîle,  mais  à  celles  qui 
étaient  placées  à  gauche,  vers  l'ancien  passage, 
afin  d'étourdir  les  Autrichiens  par  la  simultanéité 
de  ces  attaques.  Tout  à  coup  cent  neuf  bouches  à 


AVAC.RAM.  437 

feu  du  plus  gros  calibre  remplirent  l'air  de  leurs 
détonations.  Le  colonel  Basle  parcourant  le  Da- 
nube avec  ses  barques  armées,  tant  au-dessus 
qu'au-dessous  de  Tile  de  Lobau ,  se  mit  à  canonner 
partout  où  Ton  apercevait  des  feux,  au  point  de 
faire  perdre  l'esprit  à  Tenncmi  le  plus  calme  et  le 
plus  résolu.  Bientôt  le  ciel  lui-même  joignit  son 
tonnerre  à  celui  de  Napoléon,  et  l'orage,  qui  char- 
geait l'atmosphère,  fondit  en  torrents  de  pluie  et 
de  grêle  sur  la  tête  des  deux  armées.  La  foudre  sil- 
lonnait les  airs,  et  quand  elle  avait  cessé  d'y  briller, 
des  milliers  de  bombes  et  d'obus  les  sillonnant  à 
leur  tour,  se  précipitaient  sur  la  malheureuse  ville 
d'Enzersdorf.  Jamais  la  guerre  dans  ses  plus  gran- 
des fureurs  n'avait  présenté  un  spectacle  aussi 
épouvantable.  Napoléon  courant  à  cheval,  d'un 
bout  à  l'autre  de  la  rive  où  s'exécutait  cette  prodi- 
gieuse entreprise,  dirigeait  tout  avec  le  calme,  avec 
la  sûreté  qui  accompagnent  des  projets  longuement 
médités.  Ses  officiers,  aussi  préparés  que  lui,  ne 
ressentaient  au  milieu  de  cette  nuit,  ni  trouble,  ni 
embarras.  Tout  marchait  avec  une  régularité  par- 
faite, malgré  la  grêle,  la  pluie,  les  balles,  les  bou- 
lets, le  roulement  du  tonnerre  et  de  la  canonnade. 
Vienne,  éveillée  par  ces  sinistres  bruits,  apprenait 
enfin  que  son  sort  se  décidait,  et  que  la  pensée  de 
Napoléon,  si  longtemps  menaçante,  était  près  de 
s'accomplir. 

A  deux  heures  après  minuit,  l'armée  avait  déjà 
trois  ponts,  celui  du  confluent,  celui  d'une  seule 
pièce  au-dessous  de  Ytle  Alexandre,  celui  de  pontons 
en  face  de  cette  île.  Oudinot  passa  sur  le  premier. 


Juillet    1809. 


Juillet    «Sdi». 


i-J8  LIVRE  XXXV. 

Masséna  sur  le  second,  et  en  li\ra  ininiédiatenjenl 
l'usage  au  maréchal  Davout.  Les  troupes  défilèrent 
avec  rapidité  et  en  colonnes  serrées.  Bientôt  à  droite 
le  général  Oudinot  enleva  les  bois  du  confluent,  re- 
poussa (lueUjues  postes  de  Nordm;inn.  (rjuichit  un 
petit  bras,  celui  de  Steip:biec:hl,  sur  des  chevalets, 
et  porta  sa  gauche  à  la  Maison- Blanche,  sa  droite 
au  petit  hameau  de  Muhlleiten.  Dans  ces  divers 
engagements  il  prit  trois  pièces  de  canon  et  quel- 
ques centaines  d'hommes.  Un  peu  à  sa  droite  se 
trouvait  le  château  fortifié  de  Sachsengang,  dans 
lequel  s'était  jeté  un  bataillon  autrichien.  Il  le  fit 
cerner,  et  cribler  d'obus.  Pendant  ce  temps  Mas- 
séna avait  défilé  avec  toute  son  infanterie;  mais 
n'ayant  pas  encore  ses  canons,  il  s'était  rapproché 
de  la  rive  du  fleuve,  afin  d'être  couvert  par  l'ar- 
tillerie des  redoutes.  Sous  cette  artillerie  à  grande 
portée  la  plaine  étant  devenue  inhabitable,  les 
troupes  de  Nordmann  se  retirèrent  peu  à  peu.  Le 
corps  du  maréchal  Davout  traversa  ensuite  sur  le 
pont  qui  avait  servi  aux  troupes  de  Masséna.  Une 
horrible  canonnade  continua  d'accabler  Enzers- 
dorf,  dont  les  maisons  s'écroulaient  au  milieu  des 
flammes. 

Le  passage  Quand  le  jour  vint  éclairer  les  bords  du  fleuve, 
te7S      ^^^^  quatre  heures  du  matin ,  un  spectacle  des  plus 

à  la  pointe    imposants  se  présenta  aux  veux  surpris  des  deux 

du  jour  du  5 ,  *  ^  «J  * 

sans  avoir     armécs.  L'oragc  était  dissipé.  Le  soleil  se  levant  ra- 
par  les  Autri-  dieux  faisait  reluire  des  milliers  de  baïonnettes  et 
de  casques.  A  droite  le  général  Oudinot  s'élevait 
dans  la  plaine ,  tandis  que  son  arrière-garde  fou- 
droyait le  château  de  Sachsengang.  (Voir  les  cartes 


chiens. 


WAGRAM.  439 

n*"  48  et  49.)  A  gauche  Masséna  s'appuyait  à  la 
ville  d'Enzersdorf,  qui  brûlait  encore  sans  pou- 
voir rendre  les  feux  dont  elle  était  criblée,  car 
son  artillerie  avait  été  éteinte  en  quelques  in- 
stants. Entre  ces  deux  corps,  celui  de  Davout, 
passé  tout  entier,  remplissait  l'intervalle.  Une  partie 
de  l'artillerie  et  de  la  cavalerie  avait  défilé  sur  le 
pont  de  pontons  ;  le  reste  se  pressait  sur  le  pont  de 
radeaux,  La  garde  impériale  suivait,  pour  passer 
à  son  tour.  Soixante-dix  mille  hommes  étaient  déjà 
en  bataille  sur  la  rive  ennemie,  capables  à  eux 
seuls  de  tenir  tête  aux  forces  de  l'archiduc  Charles. 
Bernadotte ,  avec  les  Saxons ,  s'apprêtait  à  défiler 
après  la  garde  impériale.  Les  armées  d'Italie  et  de 
Dalmatie,  la  division  bavaroise,  transportées  pen- 
dant la  nuit  dans  la  Lobau,  s'avançaient  de  leur 
côté.  Tout  marchait  avec  un  ensemble  merveilleux 
et  irrésistible.  Les  soldats  à  qui  on  avait  défendu 
d'allumer  des  feux  pendant  la  nuit,  pour  ne  pas 
offrir  un  but  aux  projectiles  de  l'ennemi,  et  qui 
étaient  tout  mouillés  parla  pluie,  se  réchaufîaienl 
aux  premières  ardeurs  d'un  soleil  de  juillet.  Quel- 
ques-uns sortaient  des  rangs  pour  embrasser  des 
parents,  des  amis,  qu'ils  n'avaient  pas  vus  depuis 
des  années,  car  des  corps  venus,  les  uns  du  fond 
de  la  Dalmatie,  les  autres  des  confins  de  la  Pologne 
et  de  l'Espagne,  se  rencontraient  sur  ce  nouveau 
champ  de  bataille,  après  s'être  séparés  à  Austerlitz, 
pour  se  rendre  aux  extrémités  opposées  du  conti- 
nent. Des  Bavarois,  des  Badois,  des  Saxons,  des 
Polonais,  des  Portugais,  des  Italiens,  mêlés  à  des 
Français,  se  trouvaient  à  ce  rendez- vous  des  ua- 


Juillet    4801). 


440  LIVRE  XXXV. 

lions,  prêts  à  se  battre  pour  une  politique  qui  leur 

Juillet    1809.     .      .      ,  ,  '   ,  ,,.,•, 

était  étrangère.  La  joie  de  nos  soldats  éclatait  de 
toutes  parts,  bien  que  le  soir  mc^ie  un  grand  nom- 
bre d'entre  eux  ne  dussent  plus  exister.  Le  soleil, 
la  confiance  dans  la  victoire,  Tamour  du  succès, 
Tespoir  de  récompenses  éclatantes  les  animaient.  Ils 
étaient  enchantés  surtout  de  voir  le  Danube  vaincu, 
et  ils  admiraient  les  ressources  du  génie  qui  les 
avait  transportés  si  ^  ite,  et  en  masse  si  imposante, 
d'une  rive  à  l'autre  de  ce  grand  fleuve.  Aperce- 
vant Napoléon  qui  courait  à  cheval  sur  le  front  des 
lignes,  ils  mettaient  leurs  schakos  au  bout  de 
leurs  baïonnettes,  et  le  saluaient  des  cris  de  vive 
l'Empereur  '  ! 
Prise  D'après  l'ordre  de  Napoléon,  on  dut  s'emparer  à 

■^^  ';,Pf '''    gauche  de  la  ville  d'Enzersdorf,  à  droite  du  château 
d'Enzersdorf   jg  Sachscugang,  afin  de  ne  pas  laisser  d'ennemis 

•et  du  château  005  r 

deSachscn-    sur  scs  derrières,  en  se  déployant  dans  la  plaine. 

oancr 

°  "'  Quelques  ouvrages  de  campagne  d'un  très-faible 
relief  couvraient  les  portes  de  cette  petite  ville,  à 
moitié  réduite  en  cendres.  Un  bataillon  autrichien  la 
défendait,  mais  il  avait  presque  épuisé  ses  munitions, 
et  il  allait  être  remplacé  par  un  autre,  lorsque  Mas- 
séna  ordonna  Tattaque.  Ses  deux  aides  de  camp, 
Sainte-Croix  et  Pelet,  assaillirent  l'une  des  portes 
d'Enzersdorf  avec  le  46",  tandis  que  Lasalle ,  enve- 
loppant la  ville  avec  sa  cavalerie  légère ,  empêcha 
qu'on  ne  lui  portât  secours.  L'infanterie  enleva  à 

'  Je  ne  donne  point  ici  des  détails  de  fantaisie,  qui  m'ont  toujours 
semblé  indignes  de  l'histoire.  Je  puise  ceux-ci  dans  une  foule  de  mé- 
moires contemporains,  publiés  ou  inédits,  ceux  notamment  des  maré- 
chaux Macdonald,  Marmont,  Davout,  etc. 


Juillet    1809. 


WAGRAM.  444 

la  baïonnette  les  ouvrages  élevés  aux  portes ,  entra 
dans  les  rues  en  flammes,  et  prit  du  bataillon  en- 
nemi tout  ce  qui  ne  fut  pas  tué.  Les  hommes  (jui 
essayèrent  de  sortir  furent  sabrés  par  la  cavalerie 
du  général  Lasalle. 

De  son  côté,  le  général  Oudinot,  après  avoir  ca- 
nonné  le  château  de  Sachsengang,  le  fit  sommer. 
Le  commandant  de  ce  château  se  voyant  comme 
noyé  au  milieu  de  cent  cinquante  mille  hommes,  se 
rendit  sans  résistance.  Dès  lors,  l'armée  n'avait 
plus  rien  sur  ses  ailes  qui  dût  l'inquiéter  ou  la  gê- 
ner. Elle  pouvait  se  déployer  dans  la  plaine,  vis-à- 
vis  de  l'archiduc  Charles,  et  lui  offrir  la  bataille  au 
pied  des  hauteurs  de  Wagram.  Ce  prince  voyait  en  Larchiduc 
ce  moment  toutes  ses  prévisions  cruellement  trom-  '^i^aries  rcph« 

i  ses 

pées.  Croyant  que  les  Français  passeraient  comme   avant-gardes 

. ,  .     V  .  .  sur  le  corps 

la  première  fois  à  la  gauche  de  l'île,  il  n'avait  placé  do  bataille. 
à  la  droite  que  Nordmann ,  sans  l'appui  d'aucun 
ouvrage,  et  avait  rangé  le  corps  de  Klenau  tout 
entier  derrière  les  retranchements  d'Essling  et  d'As- 
pern,  devant  lesquels  nous  ne  devions  pas  débou- 
cher. Après  une  telle  méprise  il  ne  restait  à  ses 
avant-gardes  d'autre  ressource  que  celle  de  se  re- 
tirer, car  si  elles  s'obstinaient  Klenau  allait  être  pris 
à  revers  dans  les  redoutes  d'Essling  et  d'Aspern.  Au 
surplus  l'archiduc  généralissime,  ne  jugeant  pas 
encore  la  situation  aussi  grave  qu'elle  l'était  véri- 
tablement, crut  que  le  passage  n'était  effectué  qu'en 
partie,  que  l'armée  française  emploierait  au  moins 
vingt-quatre  heures  pour  franchir  le  fleuve  et  se 
déployer,  et  qu'il  aurait  le  temps  de  l'assaillir  avant 
qu'elle  fut  en  mesure  de  se  défendre.  Placé  sur  une 


442 


LIVRE  XXXV. 


Juillet    4  80'J. 


Journée 
du  3  juillet. 


Dernières 

précautions 

de  Napoléon 

pour    assurer 

ses    derrières 

avant 

de  se  déployer 

dans  !a  plaine 

Je  Wagram. 


hauteur,  à  côté  de  son  frère  roiiipereur,  qui  lui  de- 
mandait compte  des  événements,  il  lui  dit  qu'à  la 
vérité  les  Français  avaient  forcé  le  Danube,  mais 
qu'il  les  laissait  passer  pour  les  jeter  dans  le  fleuve. 
—  Soit,  répondit  l'empereur  avec  finesse,  mais 
nen  laissez  pas  passer  un  trop  grand  nombre  '.  — 
L'archiduc  Charles,  qui  n'avait  plus  le  choix,  fit 
ordonner  à  Klenau  de  ne  pas  se  compromettre,  et 
de  se  replier  avec  ordre  sur  le  eros  de  l'armée. 

Napoléon,  ayant  les  trois  quarts  de  son  armée 
au  delà  du  fleuve,  ne  songea  plus  qu'à  gagner  du 
terrain  afin  de  pouvoir  se  mettre  en  bataille.  Mar- 
chant toujours  avec  une  extrême  prudence,  il  or- 
donna diverses  précautions  avant  de  s'avancer  davan- 
tage. Quoiqu'il  eût  assez  de  ponts  pour  transporter 
ses  troupes  d'une  rive  à  l'autre,  il  voulait  recevoir 
son  matériel  plus  vite,  et  surtout  en  cas  de  mal- 
heur avoir  de  nombreux  movens  de  retraite.  En 
conséquence,  il  fit  jeter  encore  trois  ponts,  qui, 
ajoutés  aux  quatre  qu'on  avait  établis  dans  la  nuit, 
faisaient  sept.  Tous  les  matériaux  étant  prêts,  il 
allait  être  obéi  en  quelques  heures.  Il  prescrivit  en 
outre  d'élever  un  nombre  égal  de  têtes  de  ponts, 
les  unes  en  fascines ,  les  autres  en  sacs  à  terre  pré- 
parés à  l'avance,  afin  que  l'armée  en  s'éloignant  ne 
put  pas  être  privée  de  ses  communications  par  une 
brusque  invasion  sur  ses  derrières.  Enfin  il  confia 
à  un  excellent  officier,  déjà  fort  connu,  et  très- 
propre  à  la  guerre  défensive,  au  général  Régnier, 
la  garde  de  l'île  de  Lobau.  11  lui  laissa  septbatail- 

'  Ce  mot  remarquable  est  resté  traditionnel  parmi  les  militaires  du 
temps. 


Juillet  1809. 


WAGRAM.  4Ï3 

Ions,  dont  deux  devaient  garderies  grands  ponts, 
un  le  pont  du  confluent,  un  les  ponts  du  petit  bras, 
trois  former  une  réserve  au  centre  de  l'île  de  Lo- 
bau.  Ordre  était  donné  de  ne  laisser  passer  personne 
de  l'autre  côté  du  fleuve,  si  ce  n'est  les  blessés. 

Ces  précautions  prises,  Napoléon  commença  à  se       ordre 
déployer  dans  la  plaine,  sa  gauche  immobile  près      ^varmér 
d'Enzersdorf  et  du  Danube,  sa  droite  en  marche  siivance dans 

'  la  plaine 

pour  s'approcher  des  hauteurs  de  Wagram ,  opé-  Je  wain-am. 
rant  par  conséquent  un  mouvement  de  conversion. 
Il  était  formé  sur  deux  lignes  :  en  première  ligne 
on  voyait  Masséna  à  gauche,  Oudinot  au  centre, 
Davout  à  droite;  en  seconde  ligne  on  voyait  Berna- 
dotte  à  gauche,  Marmont  et  de  ^yrède  au  centre, 
l'armée  d'Italie  à  droite.  La  garde  et  les  cuirassiers 
présentaient  en  arrière  une  superbe  réserve.  L'ar- 
tillerie s'avançait  sur  le  front  des  corps ,  entremêlée 
de  quelques  détachements  de  cavalerie.  Le  gros  de 
la  cavalerie,  hussards,  chasseurs  et  dragons,  était 
répandu  sur  les  ailes.  Napoléon  était  au  centre, 
calme ,  mais  naturellement  un  peu  enivré  de  sa 
puissance,  comptant  sur  une  victoire  certaine  et 
décisive. 

On  continua  de  gagner  du  terrain,  en  pivotant 
toujours  sur  sa  gauche,  les  corps  qui  étaient  en 
première  ligne  s'écartant  les  uns  des  autres  pour 
faire  place  successivement  à  ceux  qui  étaient  en 
seconde,  et  l'armée  entière  se  déployant  ainsi  en 
éventail  devant  l'ennemi  qui  se  repliait  sur  les 
hauteurs  de  Wagram.  Notre  artillerie  tirait  en  mar- 
chant; notre  cavalerie  chargeait  la  cavalerie  au- 
trichienne quand  elle  pouvait  l'atteindre,  ou  en- 


Juillet   1809. 


441  LIVRE  XXXV. 

levait  les  arrière-ij;ardes  (riiifanterie  quand  il  en 
restait  à  sa  portée.  Le  corps  de  Davout  trou\antsur 
son  chemin  le  village  de  Rutzendorf ,  contre  lequel 
on  ne  pouvait  se  servir  de  la  cavalerie,  le  fit  atta- 
(pier  et  emporter  par  de  Tinfanterie.  (Voir  les  cartes 
48  et  49.)  On  y  recueillit  quelques  centaines  d'hom- 
mes. La  division  française  Dupas,  marchant  avec  les 
Saxons  de  Bernadotte,  enleva  de  même  le  village  de 
Raschdorf.  Sur  ce  point  la  cavalerie  autrichienne, 
avant  voulu  soutenir  son  infanterie,  fut  vivement  re- 

Kl  f 

poussée  par  les  cuirassiers  saxons,  qui,  sous  Taide 
de  camp  Gérard  (depuis  maréchal),  se  comportè- 
rent vaillamment.  Masséna,  remontant  avec  len- 
teur les  bords  du  Danube,  rencontra  dans  son  mou- 
vement Essling,  puis  Aspern,  les  prit  à  revers,  et 
y  entra  sans  résistance.  Le  sixième  corps  de  Kle- 
nau  se  retira  par  Leopoldau  sur  Stamersdorf  et 
Gerarsdorf-  Ainsi  l'audace  de  notre  débouché  sur 
la  droite  avait  fait  tomber  toutes  les  défenses  de 
l'ennemi  sur  la  gauche,  et  il  ne  lui  restait  d'autre 
ressource  que  de  nous  disputer  la  plaine  du  March- 
feld  en  nous  livrant  le  lendemain  une  bataille  san- 
glante. Le  5  à  six  heures  du  soir,  nous  bordions 
dans  toute  son  étendue  la  ligne  des  hauteurs  de 
Wagram,  après  avoir  perdu  pour  exécuter  cette 
opération  magnifique  quelques  centaines  au  plus 
de  nos  soldats,  mis  hors  de  combat  près  de  deux 
mille  Autrichiens,  et  fait  à  Sachsengang ,  à  Enzers- 
dorf,  à  Raschdorf,  à  Rutzendorf,  environ  trois 
mille  prisonniers  '. 

'   Los   biillelins  de  (  i>tfo  journée  pailent  de  prisonniers  bien  plus 
nombreux,  mais  ce  sont  là  évidemment  des  exagérations  calculées. 


WAGRAM.  445 

L'armée  française,  qui  s'élait  déployée  en  mar- 


,         .  P  .,     ,  ,  ,  ,.  ,,  .  Juillet   1800. 

chant,  ne  lormait  plus  qu  une  longue  ligne  d  envu'on 

trois  lieues,  parallèle  à  celle  des  Autrichiens,  laquelle     RescripUon 

1       .  1     T\T         •     1    1    ^    i.r  •       '^^  '^  position 

était  presque  droite  de  Neusiedel  a  Wagram,  mais    de  wagram, 
courbe  au  centre  vers  Aderklaa ,  et  se  continuait  éuienlTtabUs 
demi-circulairement  par  Gerarsdorf  et  Stamersdorf    .  .  .'"f. 

1  Autrichiens. 

jusqu'au  bord  du  Danube,  (Voir  la  carte  n°  49.)  De 
Neusiedel,  village  dominé  par  une  tour  carrée,  à 
Wagram,  s'étendaient  en  pente  douce  les  hauteurs 
sur  lesquelles  était  campée  l'aile  gauche  de  l'ar- 
mée autrichienne,  au  nombre  de  75  mille  hommes 
environ,  et  sous  la  protection  d'un  ruisseau  bour- 
beux, celui  du  Russbacli.  C'est  là  qu'avec  le  se- - 
cours  de  l'art  on  aurait  pu,  comme  nous  l'avons 
déjà  dit,  élever  des  retranchements  invincibles, 
mais  on  n'y  voyait  heureusement  que  les  baraques 
du  camp.  A  Neusiedel,  c'est-à-dire  à  l'extrême  gau- 
che des  Autrichiens,  se  trouvait  le  prince  de  Ro- 
senberg  avec  l'avant-garde  de  Nordmann  et  une 
nombreuse  cavalerie  :  moins  à  gauche,  vers  Bau- 
mersdorf,  était  établi  le  corps  de  Hohenzollern,  et 
en  approchant  du  centre,  à  Wagram,  le  corps  de 
Bellegarde  avec  le  quartier  général  de  l'archiduc 
Charles.  C'est  vers  ce  point  que  la  ligne  de  bataille 
commençait  à  se  recourber  pour  joindre  le  Danube, 
et  que  cessait  1" utile  protection  du  Russbach.  Les 
Autrichiens  avaient  à  leur  centre  même  la  réserve 
de  grenadiers  et  de  cuirassiers,  s'étendant  en  demi- 
cercle  de  Wagram  à  Gerarsdorf.  Ils  avaient  à  leur 
droite  le  troisième  corps  sous  le  général  Kollovrath, 
le  sixième  sous  le  général  Klenau ,  lequel  venait  de 
se  retirer  d'Essling  et  d'Aspern ,  enfin  le  cinquième 


Juillet    4  809. 


i46  LIVRE  XXXV. 

SOUS  \c  prince  de  Reuss,  entre  Gerarsdorf,  Stamers- 
(lorf  et  le  Danube. 

l.a  li|;;nu  française  suivait  exactement  les  con- 
tours (le  la  lii^ne  ennemie.  Devant  l'aile  gauche  des 
Autrichiens  nous  avions  notre  aile  droite,  c'est- 
à-dire  Davout  établi  au  \illage  de  Glinzendorf, 
Taisant  face  au  corps  de  Rosenberaç,  et  Oudinot 
l'tabli  au  village  de  Grosshofen ,  faisant  face  au 
corps  de  IlohenzoUern.  Au  centre  se  trouvait  l'ar- 
mée d'Italie  opposée  au  corps  de  Bellegarde.  En 
tournant  à  gauche,  vis-à-vis  de  Wagram,  on 
voyait  au  village  d'Aderklaa,  Bernadotte  avec  les 
Saxons  chargé  de  tenir  tête  à  la  double  réserve 
des  grenadiers  et  des  cuirassiers ,  enfin  tout  à  fait 
à  gauche,  de  Siissenbrunn  à  Kagran,  les  quatre 
divisions  de  3Iasséna  destinées  à  contenir  les  corps 
de  KoUovrath,  de  Klenau  et  de  Reuss,  Au  cen- 
tre, en  arrière  de  l'armée  d'Italie  et  des  Saxons, 
Napoléon  avait  gardé  en  réserve  le  corps  de  Mar- 
mont,  la  garde  impériale,  les  Bavarois  et  les  cui- 
lassiers.  Ainsi  sur  cette  vaste  ligne  de  bataille, 
droite,  comme  nous  venons  de  le  dire,  de  Neusie- 
del  à  Wagram,  courbe  de  Wagram  à  Stamersdorf, 
les  Autrichiens  avaient  leur  plus  grande  force  sur 
leurs  ailes,  et  leur  moindre  au  centre,  puisque  la 
réser\  e  de  grenadiers  et  de  cuirassiers  formait  seule 
la  liaison  des  deux  masses  principales.  Nous  possé- 
«Uons  au  contraire  une  force  suffisante  à  notre  aile 
droite  de  Glinzendorf  à  Grosshofen,  où  étaient  Da- 
vout et  Oudinot,  une  très-modique  à  notre  aile  gau- 
cJie  de  Siissenbrunn  à  Kagran,  où  était  Masséna 
seul ,  mais  une  considérable  au  centre  entre  Gross- 


Juillet    4  809. 


WAGRAM.  iiT 

hofen  et  Adcrklaa,  puisqu'en  cet  endroit,  outre 
l'armée  d'Italie  et  les  Saxons,  il  y  avait  l'armée  de 
Dalmatie,  la  garde  impériale,  les  Bavarois,  toute 
la  grosse  cavalerie.  Cette  disposition  était  assuré- 
ment la  meilleure,  celle  qui  permettait  de  pourvoir 
le  plus  vite  aux  chances  diverses  de  la  bataille, 
en  se  jetant  rapidement  ou  à  droite  ou  à  gauche 
suivant  le  besoin,  celle  aussi  qui  permettait  de 
frapper  l'armée  autrichienne  à  son  endi'oit  faible, 
c'est-à-dire  au  milieu  de  la  ligne.  En  effet,  ici 
comme  à  Essling,  l'archiduc  Charles  voulant  enve- 
lopper l'armée  française  pour  l'empêcher  de  débou- 
cher, s'était  affaibli  au  centre,  et  donnait  prise  sur 
ce  point  à  la  puissante  épée  de  son  adversaire. 

Cet  état  de  choses,  qui  ne  pouvait  échapper  à  un 
œil  aussi  exercé  que  celui  de  Napoléon,  lui  inspira    i  espérance 
la  tentation  d  en  tinu'  le  son-  même  par  un  acte  de-  ic  soir  même 
cisif,   qui  l'aurait  dispensé  de  verser  le  lendemain    léon'ôrdOTnê 
des  torrents  de  sang.  Tous  les  rapports  indiquaient  ^"''  '*r  ^^"^'■'' 
([ne   l'ennemi   ne  tenait  nulle  part,  et  se  retirait    Autrichiens 
avec  une  étrange   facilité.  L'archiduc  Charles  en  qui  ne  réussit 
effet,  surpris  par  la  soudaine  apparition  de  l'armée        "^^^^ 
française,  n'axait  pas  fait  de  dispositions  d'attaque, 
et  remettant  la  bataille  au  lendemain,  n'avait  donné 
à  ses  avant-gardes  que  Tinstruction  de  se  replier. 
Napoléon  espéra  donc,  sur  le  rapport  trop  légère- 
ment accueilli  de  quelques  olliciers,  qu'en  exécu- 
tant à  la  chute  du  jour  une  attaque  brusque  sur  le 
plateau  de  Wagram,  on  enlèverait  le  centre   de 
l'ennemi  avant  qu'il  eut  suffisamment  pourvu  à  sa 
défense,  et  que  l'armée  autrichienne,  coupée  en 
deux,  se  retirerait  d'elle-même,  ce  qui  réduirait 


Juillet    1809. 


448  L1\HE  XXXV. 

la  fm  (le  la  camj)ap;n(».  à  la  poursuite  active  el  des- 
tructive des  deux  fractions  dr.  cette  armée.  Ici  se 
faisait  sentir  l'inconvénient  dapr  avec  des  mas- 
ses d'hommes  énormes,  et  sur  des  espaces  im- 
menses. Le  général  en  chef  ne  pouvant  plus  ni  tout 
voir,  ni  tout  diriger  en  personne,  était  réduit  à 
s'en  fier  à  des  lieutenants  qui  observaient  médio- 
crement, et  qui  souvent  môme,  comme  on  va  en 
juger,  agissaient  sans  ensemble. 

Napoléon  ordonna  donc ,  avec  une  imprudence 
qui  ne  répondait  pas  à  l'admirable  prévoyance  dé- 
ployée dans  ces  journées,  d'enlever  le  plateau  de 
Wagram,  contre  lequel  pouvaient  agir  Oudinot, 
en  attaquant  Baumersdorf,  Tarmée  d'Italie  en  pas- 
sant le  Russbach  entre  Baumersdorf  et  Wagram, 
Bernadotte  en  se  jetant  par  Aderklaa  sur  Wagram 
même.  En  effet,  d'après  l'ordre  qu'ils  en  reçurent, 
Bernadotte  avec  les  Saxons  et  la  division  Dupas, 
Macdonald  et  Grenier  avec  deux  divisions  de  l'ar- 
mée d'Italie,  Oudinot  avec  son  corps  tout  entier, 
s'avancèrent  à  la  nuit  tombante  sur  la  position  des 
Autrichiens.  (Voir  les  cartes  n"'  48  et  49.)  Oudinot 
marcha  sur  Baumersdorf,  le  canonna ,  y  mit  le  feu 
avec  des  obus,  et  s'efforça  de  l'enlever  aux  avant- 
gardes  de  Hohenzollern,  qui  avaient  dans  le  Russbach 
un  puissant  moyen  de  résistance.  Au  côté  opposé, 
Bernadotte  avec  les  Saxons  se  précipita  sur  Wa- 
gram, que  défendait  un  détachement  deBellegarde, 
en  devint  presque  le  maître,  mais  pas  assez  com- 
plètement pour  se  porter  au  delà.  Pendant  (pi'Oudi- 
not  et  Bernadotte  luttaient  ainsi  aux  deux  extrémi- 
tés de  cette  attaque  pour  s'emparer  des  deux  points 


WAGRAM.  U9 

d'appui  (le  rcnnemi,  au  uiilicu  Dupas  et  Macdonald  — 

•      »      1        1  •    I      i>        Il  I      /.  ,  •       ..      ■'"'"et   <809. 

avaient  aborde  le  Russl)acli  pour  le  franchu*.  Ce 
ruisseau  peu  large,  mais  profond,  otlVait  un  assez 
grand  obstacle  à  vaincre.  Dupas  avec  le  3"  léger 
et  le  19^  de  ligne,  s'y  jeta  au  cri  de  :  Vive  l'Em- 
pereur! Dans  leur  empressement  quelques  soldats, 
([ui   avaient   rencontré   la  partie  de  l'eau  la  plus 
profonde,  se  noyèrent.  Les  autres  triomphèrent  de 
l'obstacle,  se  rallièrent  après  l'avoir  surmonté,  et 
gravirent  les  pentes  du  plateau  sous  les  balles  et 
la  mitraille.  Les  corps  autrichiens  à  cette  brusque 
attaque  s'étaient  formés  en  ariière  des  baraques 
du  camp,  et  en  carré.  Des  tirailleurs  blottis  der- 
rière cet  abri  s'en  servaient  pour  faire  un  feu  très- 
vif.  Les  deux  braves  régiments  français  de  Dupas 
débus(pièrent  les  tirailleurs  ennemis,  dont  ils  prirent 
environ  trois  cents,  dépassèrent  la  ligne  des  ba- 
raques,   et   se    précipitèrent   sur   les    carrés.    Le 
5^  léger,  qui  était  en  tête,  enfonça  l'un  de  ces  car- 
rés, lui  prit  son  drapeau,  et  le  fit  prisonnier.  Le 
lO""  appuya  cette  action  vigoureuse.  Deux  batail- 
lons saxons  attachés  à  Dupas,  les  grenadiers  de 
Rudiof  et   de  Meiscli   la  secondèrent  également. 
Déjà  la  ligne  autiichienne  était  près  d'être  coupée,      surprise 
(juand  on  reçut  par  derrière  un  feu  qui  causa  une    ^llie  .Jc^vu^ 
extrême  surprise,  et  beaucoup  d'inquiétude.  Les     ,  p^'™' 

A  '  ^  ^  los  corps 

deux  colonnes  de  l'armée  d'Italie,  l'une  comman-      charges 

1  '  AI        1  I  1     1'       »  n         •  <        '^»  fl'auaqcer 

dee  par  3Iacdonald,  1  autre  par  Grenier,  après  s  être      \vagr„m. 
élancées  dans  le  Russbach  et  l'avoir  franchi,  mon- 
taient sur  le  plateau  l'arme  au  bras,   et   allaient 
joindre  Dupas,  lorsque  apercevant  les  Saxons  de 
celui-ci,  et  les  prenant  pour  ennemis,  elles  firent 

TOM.    X.  29 


ju.ilet   1S0U. 


450  livhl;  \\x\. 

feu  sur  eux.  Celte  atta(|iH'  innllendue  sur  leurs 
derrières  ébraula  les  Saxons.  Ils  se  replièrent  en 
tirant  sur  les  troupes  de  Macdonald  et  de  Grenier. 
(Celles-ci  se  crovaiU  chargées  de  front,  et  essuvant 
en  même  temps  du  mie  de  Baumersdorf,  (jiic  le 
corps  de  Hohenzoliern  n"a\ail  pas  quitté,  une  at- 
ta(}ue  de  flanc,  éprouvèrent  un  (rouble,  que  la 
nuit  convertit  bientôt  en  panicpie.  Elles  se  précipi- 
tèrent vers  le  bas  du  plateau,  suivies  par  les  Saxons 
épouvantés,  et  se  mirent  à  fuir  dans  un  incroyable 
désordre.  Dupas  resté  seul  en  pointe  avec  ses  deux 
réfîiments  français,  assailli  de  tout  côté  par  le 
corps  de  Bellegarde  que  l'archiduc  Charles  avait 
rallié  lui-même,  fut  obligé  de  céder  le  terrain,  et 
d'évacuer  le  plateau  sous  des  charges  réitérées 
d'infanterie  et  de  cavalerie.  Oudinot  interrompit 
latlacpie  de  Baumersdorf:  Bernadotte  abandonna 
Wagram  quil  avait  presque  conquis,  pour  se  rap- 
[>rocher  dAderklaa. 

Cette  échauffourée  coûta  à  la  division  Dupas  un 
millier  d'hommes,  la  dispersion  de  ses  deux  batail- 
lons saxons,  qui  s'étaient  rendus  aux  Autrichiens 
avec  trop  d'empressement,  et  quelque  mille  liom- 
mes  égarés  à  l'armée  d'Italie.  Heureusement  que 
la  cavalerie,  lancée  dans  toutes  les  directions,  eut 
bientôt  ramené  à  leurs  corps  les  soldats  isolés.  Notre 
armée,  toujours  aussi  bra\e,  était  cependant  moins 
expérimentée  que  celle  d'Austerlitz  ou  de  Fricdland, 
et  trop  nombreuse,  mêlée  d'éléments  trop  divers, 
pour  être  ferme,  solide,  manœuvrière  autant  qu'au- 
trefois. Du  reste,  c'était  là  un  échec  de  peu  de 
conséquence  entre  le  merveilleux  passage  qui  ve- 


WAGRAM.  4ft' 

nait  de  s'accomplir,  et  réclatanlc   victoire  qu'on 
était  fondé  à  espérer  pour  le  lendemain. 


Juillet    1$0;». 


Napoléon  prescrivit  à  tous  ses  corps  de  bivoua-        nuu 


du  5  au  6 

juillet. 


quer  dans  les  positions  prises  à  la  fin  de  la  jour- 
née, son  centre  étant  toujours  dune  grande  force, 
et  capable  de  porter  secours  à  celle  de  ses  ailes 
qui  en  aurait  besoin.  Il  n'y  avait  aucun  bois  dans 
la  plaine,  et  on  ne  pouvait  faire  de  feu,  ce  qui 
était  une  pénible  privation,  car,  quoiqu'on  fût  en 
juillet,  la  nuit  était  froide.  Chacun  coucha  dans  son 
manteau.  Les  soldats  se  nourrirent  de  biscuit  et 
d'eau-de-vie.  Napoléon  n'eut  que  le  feu  de  quelques 
bottes  de  paille  pour  se  chautfer  à  son  bivouac.  Il 
employa  plusieurs  heures  à  conférer  avec  ses  ma- 
réchaux pour  leur  faire  bien  connaître  ses  inten- 
tions. Il  les  renvoya  avant  le  jour,  excepté  Davout, 
qu'il  garda  jusqu'à  l'aurore.  C'était  la  troisième 
nuit  qu'il  passait  debout  ou  à  cheval. 

Pendant  ce  temps  l'archiduc  Charles  avait  enfin        pian 
arrêté  de  sérieuses  dispositions  de  bataille,  car  il  de^i^aSIhK- 
fallait  dès  le  lendemain  culbuter  l'armée  française    f^haripspour 

le  lendemain , 

dans  le  Danube,  ou  rendre  son  épée  au  vainqueur  6  juillet. 
de  Marengo  et  d'Austerlitz.  Le  généralissime  autri- 
chien avait  toujours  eu  la  pensée ,  inspirée  par 
l'étude  très-ancienne  de  ce  champ  de  bataille,  d'op- 
poser au  mouvement  offensif  des  Français  sa  gauche 
campée  sur  les  hauteurs  de  Neusiedel  à  Wagram, 
puis,  tandis  que  les  Français  seraient  occupés  de- 
vant cette  espèce  de  camp  retranché,  de  prendre 
à  son  tour  l'offensive  contre  eux  avec  sa  droite 
ployée  en  avant,  de  se  jeter  ainsi  dans  leur  flanc, 

de  les  séparer  du  Danube,  et  une  fois  qu'il  les  au- 

29. 


J.iiiiot    1809. 


152  LIVRE  XXXV. 

rail  réduits  à  In  «Icfensive,  de  faire  descendre  des 
hauteurs  de  Wagrani  sa  gauche  cllc-mcmc,  afin  de 
les  pousser  dans  le  fleuve  avec  toutes  ses  forces 
réunies.  Il  espérait  en  outre  cpie  pendant  (jue  sa 
gauche  défendrait  les  bords  du  Russhach,  que  sa 
droite  attaquerait  les  Français  en  flanc,  Tarchiduc 
Jean,  remontant  de  Preshourg,  viendrait  les  as- 
saillir par  derrière,  et  qu'ils  ne  tiendraient  point 
contre  un  tel  concours  d'elTorts.  Tout  cela  eut  été 
possible,  probable  même,  si,  manœuvrant  comme 
Napoléon,  l'archiduc  eût  amené  sur  le  champ  de 
bataille  30  ou  40  mille  hommes  de  plus  qu'il  au- 
rait pu  y  avou';  s'il  eût  averti  en  temps  utile  son 
frère  l'archiduc  Jean;  si  enfin  profitant  de  cette 
circonstance  que  le  champ  de  bataille  était  connu 
d'avance ,  il  eiit  accumulé  entre  Neusiedel  et  Wa- 
gram  des  travaux  qui  auraient  rendu  ce  camp  re- 
tranché mexpugnable.  Alors  une  attaque  de  flanc 
sur  les  Français,  déjà  épuisés  par  une  tentative  in- 
fructueuse, aurait  produit  des  résultats  infaillibles. 
Mais  Tarchiduc  Charles  n'avait  rien  fait  de  tout 
cela,  comme  on  l'a  vu;  il  s'était  borné  à  élever  sur 
le  terrain  qu'il  fallait  défendre  des  bai'aques  pour 
ses  troupes,  et  il  n'avait  expédié  à  son  frère  l'ar- 
chiduc Jean  l'ordre  de  le  joindre  que  la  veille  au 
soir,  cest-à-dire  le  4.  L'obstacle  que  ces  baraques 
avaient  présenté  dans  l'échautTourée  de  la  nuit,  et 
(ju'elles  présentèrent  le  lendemain,  sufllt  pour  prou- 
Ter  ce  qui  aurait  pu  arriver,  si  des  ouvrages  con- 
sidérables avaient  été  ajoutés  à  la  configuration 
des  lieux. 
Quoi  qu'il  en  soit,  dans  Tune  des  mai.sons  à  moi- 


WAGRÂM.  455 

lié  incendiées  du  village  de  Wagram,  évacué  par 
Bernadotte,  l'archiduc  Charles  dicta  ses  ordres.  Il 
prescrivit  à  sa  gauche  de  n'entrer  en  action  que 
lorsque  sa  droite,  mise  en  mouvement  des  la  nuit 
même,  aurait  abordé  les  Français,  et  commencé  à 
les  ébranler  par  l'attaque  de  liane  dont  elle  était 
chargée.  Cette  aile,  composée  des  corps  de  Klenau  ei 
de  Kollovrath,  devait  se  mettre  en  marche  tout  do 
suite,  c'est-à-dire  à  une  ou  deux  heures  du  matin, 
se  précipiter  sur  notre  gauche  qui  nétait  composée 
(jue  du  corps  de  Masséna,  la  repousser  de  Kagian 
sur  Aspern,  de  Sussenbrunn  sur  Breitenlée.  Inuné- 
diatement  après,  les  réserves  de  grenadiers  et  de 
cuirassiers,  formant  entre  Gerarsdorf  et  Wagram  la 
liaison  de  la  droite  avec  le  centre,  devaient  s'avan- 
cer sur  Aderkiaa,  et  s'y  joindre  avec  une  partie  du 
corps  de  Bellegarde,  descendu  à  cet  effet  du  pla- 
teau de  Wagram.  Ce  mouvement  une  fois  prononcé, 
la  gauche,  composée  des  corps  de  Holienzollern  et 
de  Rosenberg,  avait  ordre  de  descendre  à  son  tour 
sur  Baumersdorf  et  sur  Neusiedel,  de  franchir  le 
Russbach,  d'enlever  les  villages  de  Grosshofen  et 
de  Glinzendorf  qu'occupait  le  maréchal  Davout,  et 
de  compléter  ainsi  cette  double  manœuvre  de  flanc 
et  de  front,  qui  d'après  le  généralissime  devait  ame- 
ner le  refoulement  des  Français  dans  le  Danube. 

Dans  ce  plan,  on  ne  sait  pourquoi  le  corps  du 
prince  de  Reuss,  qui  était  contre  le  Danube  môme, 
plus  près  de  ce  fleuve  que  le  corps  de  Klenau,  et 
((ui  terminait  près  de  Stamersdorf  l'aile  droite  des 
Autrichiens,  n'avait  pas  ordre  de  concourir  aux 
opérations  de  cette  aile,  et  de  rendre  ainsi  plus 


Juillrl    <80'.i. 


m  LIVRE  XXXV. 
inV'si.stihle  rattiKiiie  (ni'ellc  était  ehareée  d'exécu- 

juillet    1809.  •        ,'   ,  I        I  -I  1   '    j      ir- 

lor.  Le  besoin  u  observer  le  uebouclie  de  Vienne 
nY'tait  pas  assez  p;rand  pour  paralyser  un  corps 
tout  entier,  car  il  était  évident  par  le  passage  des 
Français  à  travers  Tile  de  Loi)au  ([u'ils  n'en  médi- 
taient pas  un  autre  ailleurs.  Enfin  il  aurait  fallu 
que  les  ordres  fussent  calculés  sous  le  rapport  de 
la  distance  et  du  temps,  de  manière  à  faire  agir 
chaque  corps  au  moment  opportun,  et  que  la  gau- 
che, par  exemple,  qui  à  cause  de  sa  proximité 
allait  recevoir  les  ordres  du  généralissime  bien 
avant  la  droite,  ne  se  mît  en  mouvement  que  lors- 
que celle-ci  aurait  produit  parmi  les  Français  l'é- 
branlement de  flanc  qui  permettrait  de  les  attaquer 
de  front  avec  succès.  Mais  il  n'y  a  que  les  esprits 
nets  qui,  en  toutes  choses,  guerre,  administration 
ou  gouvernement,  sachent  se  faire  comprendre  et 
obéir. 
Df  faut  Les  ordres  du  généralissime  expédiés  de  Wagram 

*^* ''dans '°"    ^^^^  1^  ""^*'  parvinrent  en  moins  d'une  heure  à  la 
les  ordres     o;auche,  c'cst-à-dirc  aux  corps  de  Hohenzollern  et  de 

Je   1  archiduc    <-'  '  a        _ 

Charles,      Roseubcrg,  qui  étaient  à  une  lieue,  entre  Wagram 

(lui  amène  _.         •     i    i  •     ^         .      i         i       i  i 

un  et  ]\eusiedel,  et  exigèrent  plus  de  deux  heures  pour 
7ànfi"  être  transmis  à  la  droite,  c'est-à-dire  aux  corps  de 
exécution.  KoUovrath  et  de  Klenau,  qui  étaient  à  plus  de  deux 
lieues  entre  Gerarsdorf  et  Stamersdorf,  et  qu'il  fal- 
lut chercher  au  milieu  d'une  extrême  confusion.  Par 
surcroît  de  malheur,  dans  la  retraite  opérée  le  soir, 
le  corps  de  Klenau  s'était  trop  rapproché  de  Gerars- 
dorf, et  était  venu  occuper  la  place  qui  était  des- 
tinée à  celui  de  KoUovrath.  II  fallut  donc,  soit  pour 
joindre  dans  rol)scurité   les  corps   composant  la 


Juillet   »80'.) 


WAGKA.M.  iij.i 

droite,  soil  pour  leur  l'aire  prendre  leur  position 
de  bataille,  plus  de  temps  qu'on  ne  l'avait  supposé 
au  quartier  général,  et  il  était  déjà  près  de  quatre 
heures  qu'ils  commençaient  à  peine  à  entrer  en 
mouvement.  Au  conliaire,  à  ce  même  moment  la 
içauche,  avertie  plus  vite,  n'étant  pas  exposée  à 
perdre  du  temps  pour  chercher  sa  position,  allait 
agir  la  première,  tandis  qu'elle  n'aurait  dn  agir 
<jue  la  seconile,  et  bien  après  la  droite. 

Pendant  que  tout  était  en  mouvement  dans  le  Profotui  repos 
camp  autricliien,  et  que  les  troupes,  pour  rectifier      ,J^^^^ 
des  positions  mal  prises,  se  fatiguaient  au  lieu  de  tics  Fran(,ais. 

'■  '  '"      ,  tandis  qu'on 

se  reposer,  un  calme  profond  régnait  chez  les  Fran-     so  fatigue 
<,^ais.    Couchés  sur  le  terrain  occupé  la  veille   ils    ''"^çg"^"''' 
dormaient,  grâce  à  Napoléon,  qui,  ayant  bien  ren-    -^"'■'"^^•i"'"» 
forcé  sa  droite,  à  cause  de  l'arrivée  possible  de 
l'archiduc  Jean,  mais  plus  encore  son  centre,  où 
il  avait  accumulé  des  forces  considérables,  n'avait 
qu'à  se  tenir  .tranquille,  en  attendant  que   l'en- 
nemi prît  le  soin  de  démasquer  ses  desseins.   11 
avait  donc  ordonné  à  ses  maréchaux  d'être  sous      Napoléon 
les  armes  à  la  pointe  du  jour,  mais  de  laisser  les  av^a*nr(îadop- 
Autrichiens  se  prononcer  avant  d'agir,  pour  saisir    ''^'^,'^"1'''^° 

*  o      7    1  dotinitif, 

avec  certitude  le  point  où  l'on  pourrait  les  frapper      à  laisser 

Ti    •       I-       •  n   •      ^     c   ■  l'onncmi  ma- 

mortellement.  11  mclmait  toutetois  a  tau-e  enlever  nifesterses 
par  Davout  et  Oudinot  les  hauteurs  de  Neusiedel  à 
Wagram,  à  exécuter  en  même  temps  une  percée 
au  centre  avec  l'armée  d'Italie,  les  Saxons,  et  le 
corps  de  Marmont,  taudis  que  Afasséna  se  borne- 
rait à  contenir  avec  ses  quatre  divisions  la  droite 
des  Autrichiens  d'Aderklaa  au  Danube.  Napoléon 
se  réservait  les  Bavarois,  la  garde  impériale,  et  la 


desseins. 


4;if>  LIVRE  XXXIV. 
grosse  cavalerie,  pour  parer  aux  cas  imprévus.  Ces 

Juillet    4809.     "  .  .    '         /   .  ,         ,,,.., 

desseins  eux-nieiiies  etaienl  suliordonnos  a  1  évé- 
nement. 
Mémorable         A  quatre  heures  du  matin,  le  0  juillet,  journée 
(le wa^!<ra^m,    ^*  jamais  mémorable,  le  feu  Cwiiunença  d'abord  à 
'■17t^.oAn     'ii  p;auche  des  Autrichiens,  et  à  la  droite  des  Fran- 

juillet  1809.  •  ' 

çais.  Le  prince  de  Rosenbere:,  sur  l'indication  mal 

donnée  qui  lui  désii^^nait  quatre  heures  comme  le 

moment  d'entrer  en  action,  descendit  des  hauteurs 

de  Neusiedel,  signalées  au  loin  par  une  grosse  toui 

carrée,  traversa  le  Russbach  au  village  même  de 

Neusiedel,  et  se  porta  en  deux  colonnes  sur  Gross- 

hofen  etGlinzendorf,  qu'il  attaqua  avec  une  extrême 

Commence-    \  igueur.  Le  maréchal  Davout  avait  à  sa  disposition 

de  laction     SCS  trois  divisious  Ordinaires,  Morand,  Friant,  Gu- 

enTreTepi-Tncé  ^^°  '  ^^  petite  division  Puthod,  composée  des  qua- 

(ie  Roscnbcrg  trièmcs  bataillous',  six  réi?iments  de  cavalerie  lé- 

et  le  corps 

du  maréchal  gère  SOUS  le  général  Montbrun,  trois  de  dragons  sous 
Je  général  Grouchy,  les  quatre  régiments  de  cuiras- 
siers Espagne  sous  le  général  Arrighi  (depuis  duc  de 
Padoue).  La  gauche  du  général  Friant,  la  droite 
du  général  Gudin  envoyèrent  des  détachements  à  la 
défense  du  village  de  Glinzendorf,  tandis  que  la 
division  Puthod  se  chargea  de  disputer  à  l'ennemi 
le  village  de  Grosshofen,  derrière  lequel  elle  avait 
bivouaqué.  De  fortes  levées  de  terre  s'étendaient 

i...  maréchal  dc  l'uu  dc  CCS  villagcs  à  l'autre.  Nos  soldats,  pla- 
repousse  cés  Bvec  mteiligence  derrière  ce  retranchement  na- 
dupîinct-     turel,  firent  un  feu  de  mouscpieterie  bien  nourri, 

d.'  Koscnbcrg       •  çQ^gjj  infiniment  de  mal  aux  Autrichiens,  sans 

sur  1 

Glinzendorf  et 
Giosshofon.         '  E"«'  a^»''  P''**'sô  des  ordres  du  général  Doniont  aux  ordres  du  gé- 
néral l'ulhud. 


WAGIIAM.  i57 

que  ceux-ci  nous  en  fissent  essuyer  beaucoup.  Au 
bruit  de  ces  détonations ,  Napoléon  envoya  le  gé- 
néral 3Iatliieu  Dumas  porter  à  ses  lieutenants  l'or- 
dre de  ne  risquer  aucun  mouvement  offensif,  de  se 
l>orner  à  bien  disputer  le  terrain  qu'ils  occupaient , 
jusqu'à  ce  qu'il  leur  eut  adressé  ses  instructions 
définitives,  et  il  courut  à  droite  où  se  trouvait  le 
maréchal  Davout.  En  chemin  il  aperçut  très-dis- 
tinctement les  deux  colonnes  autrichiennes,  qui, 
débouchant  au  delà  du  Russbach,  attaquaient  les 
villages  de  Glinzendorf  et  de  Grosshofen.  Il  était 
suivi  par  une  brigade  des  cuirassiers  de  Nansouty, 
|)Ourvue  de  quelques  batteries  d'artillerie  légère. 
Napoléon  les  fit  diriger  sur  le  flanc  de  la  colonne 
({ui  attaquait  Grosshofen,  ce  qui  exécuté  instan- 
tanément vint  fort  à  propos,  car  cette  colonne  fati- 
guée d'essuyer  inutilement  une  mousqueterie  meur- 
trière, avait  assailli  ce  village  et  l'avait  emporté  à 
la  baïonnette.  iMais  le  général  Piithod,  résolu  à  le 
reprendre,  s'y  jeta  à  son  tour  à  la  tète  d'une  ré- 
serve, et,  secondé  par  l'artillerie  légère  de  Nan- 
souty,  réussit  à  s'en  rendre  maître.  Les  Autri- 
chiens, repoussés  ainsi  de  front,  mitraillés  en  flanc, 
furent  obligés  de  rétrograder  jusqu'au  Russbach. 
Même  chose  arri\a  à  la  colonne  qui,  ayant  dé- 
bouché de  Neusiedel  sur  Glinzendorf,  trouva  en 
face  la  droite  de  Giidin,  la  gauche  de  Priant,  et  en 
flanc  l'artillerie  légère  des  cuirassiers  du  général 
Arrighi.  Elle  fut  obligée  de  se  replier  également 
sur  le  Russbach.  Celte  première  tentative  allait 
être  renouvelée  avec  une  plus  grande  énergie  par 
le  prince  de  Rosenberg,  lorsque  l'archiduc  Cliar- 


Juillet    1809. 


458  LIVRE  XXXV. 

les,  ponsaiil  axec  raison  (iiio  sa  itaiiclie  com- 
iiKMirait  la  batailles  pivinaliirénient ,  lui  ordonna 
lie  ralenlir  son  aciion,  et  de  ne  pas  trop  s'engager 
encore.  Le  prince  de  Rosenberg  reprit  alors  sa  po- 
sition snr  les  pentes  de  Neusiedel,  en  arrière  du 
Kiisshach. 

En  ce  nionienf  le  l)iuit  de  la  fusillade  et  de  la 
canonnade  était  devenu  général  sur  ce  front  immense 
de  trois  lieues,  le  long  duquel  trois  cent  mille 
hommes  et  onze  cents  pièces  de  canon  étaient  en 
présence.  Napoléon,  qui  voyait  partout  une  sorte 
d'attaque  simultanée  de  la  part  de  l'ennemi,  sans 
projet  clairement  dessiné,  jugea  néanmoins  qu'il 
fallait,  dans  tous  les  cas,  enlever  les  hauteurs  de  Neu- 
siedel, aûn  d'occuper  le  point  vers  lequel  l'archiduc 
(Charles  et  l'archiduc  Jean  pouvaient  se  rejoindre. 
Dispositions    L'inspection  des  lieux  indiquait  comment  il  fallait 

projetées  ,  ,  i    •  i  i  ...  ^  i 

par  Napoléon  S  y  prendre  pour  triompher  de  cette  espèce  de  camp 
"deThaSrs^  retranché.  Jusqu'à  Neusiedel  les  hauteurs  compo- 
Je  Neusiedel  gant  le  platcau  de  Wasram  longeaient  les  bords  du 

et  de  ^  ''  ^ 

wagram.  Russbach.  A  Ncusiedcl  et  à  la  tour  carrée,  elles  fai- 
saient un  détour  en  arrière,  et  s'éloignant  du  Russ- 
bach, elles  ne  présentaient  qu'une  pente  infiniment 
adoucie,  d'accès  très-facile.  Il  suffisait  donc  de  passer 
le  Russbach  un  peu  plus  à  droite  et  loin  du  feu  de 
l'ennemi ,  puis  de  se  ployer  pour  embrasser  la  ligne 
des  hauteurs,  et  prendre  en  liane  la  position  des 
Autrichiens.  La  cavalerie  légère  de  IMontbrun,  les 
dragons  de  Grouchy  furent  chargés  de  préparer 
rapidement  les  moyens  de  passage.  Ensuite  les  di- 
visions iMorand  et  Friant  eurent  ordre  de  franchir 
le  Russbach ,  de  s'avancer  en  formant  un  angle 


WAGRAM.  ib9 

droit  avec  les  divisions  Gudin  et  Putliod,  et  non- 

1       ^  11  •      ..  •       «   I         .  ,      î-  Juillet    1809. 

dant  que  celles-ci  attaqueraient  le  plateau  de  front 
de  l'attaquer  par  côté  et  à  revers.  Une  fois  Tanijjle, 
dont  la  tour  carrée  marquait  le  sommet,  enlevé, 
Napoléon  se  promettait  de  faire  assaillir  Baumers- 
tlorfpar  Oudinol,  Wai^ram  par  Tarmée  d'Italie.  (]es 
divers  points  emportés,  l'archiduc  Jean  pouvait  j)a- 
raître  sur  le  cliamp  de  bataille  :  il  n'y  viendrait  qiio 
pour  assister  à  un  désastre. 

Ces  dispositions  étaient  à  peine  arrêtées  avec  le       Tandis 

'11I-W  1  1-in-i        1  '1"6  NapolOon 

maréchal  Davout,  qu  une  multilude  d  aides  de  camp,      préparait 
dépêchés  par  ^lasséna  et  Bernadotte,  venaient  an-    dés^2eurs 
noncer  à  Napoléon  un  mauvais  commencement  de     lewa-ram, 

i  on  1  appelle 

journée  tant  à  cauche  qu'au  centre,  et  réclamer  à     au  centre 

■  ,  pour  y  porter 

la  lois  sa  présence  et  ses  secours.  secours. 

De  graves  événements,  mais  très -réparables, 
s'étaient  passés  en  effet  au  centre  et  à  gauche, 
comme  on  doit  le  deviner  d'après  les  (hsposilions 
qui  ont  été  précédemment  indiquées.  Le  maréchal 
Bernadotte,  qui  avait  été  la  veille  obligé  d'évacuer 
Wagram,  et  de  se  retirer  sur  Aderklaa  (voir  la  carte 
n"  49),  se  trouvait  encore  le  matin  dans  cette  posi- 
tion, présentant  une  pointe  au  sein  de  la  ligne 
courbe  que  décrivaient  les  Autrichiens.  Il  voyait  à  Renaiie 
sa  droite  Bellegarde,  obéissant  aux  instructions  de  'B^ernadotte 
l'archiduc  Charles,  descendre  des  hauteurs  de  Wa- 
gram sur  Aderklaa  avec  la  partie  la  plus  considé- 
rable de  son  corps  :  il  voyait  à  sa  gauche  la  ré- 
serve des  cuirassiers  et  des  grenadiers  s'avancer  sur 
Sussenbrunn.  Il  résolut  donc  de  se  replier  sur  un 
petit  plateau  situé  en  arrière  d' Aderklaa,  pour  se 
rapprocher  de  l'armée  d'Italie  d'un  côté,  et  du  corps 


en  arrit-re 
d'AderkIaa. 


Juiii>-t     ISO'.t. 


460  LIVHH  XXXV. 

(le  3Iasséna  de  rautro.  Il  n'avait  pas  plutôt  achevé 
ce  mouvement,  que  les  avant-i^ardes  de  IJellegarde 
s'étaient  jetées  sur  lui,  et  qu'un  combat  acharné 
s'était  enii;ap;é  avec  les  Saxons,  incapables  de  tenir 
loniî-temps  contre  une  telle  attaque.  Il  a\ait  donc 
été  ramené  fort  en  arrière. 

Au  même  instant  les  quatre  faibles  divisions  de 
Masséna ,  présentant  tout  au  plus  dix-huit  mille 
hommes  contre  les  soixante  mille  de  Klenau ,  de 
kollovrath  et  de  Liechtenstein ,  avaient  été  obligées 
de  rétrograder  pour  prendre  sur  notre  gauche  une 
position  moins  étendue.  Masséna,  meurtri  encore 
de  la  chute  de  cheval  qu'il  avait  faite  quelques  jours 
auparavant,  assistait  à  la  bataille,  comme  il  l'avait 
ju'omis  à  Napoléon,  et,  tout  enveloppé  de  com- 
presses, commandait  dans  une  calèche  ouverte. 
Brillante  3Iasséna  jugeant  que  si  on  n'opposait  pas  une 

.1.'  h  division  résistance  énergi(jue  sur  le  point  que  Bernadotte 
Carra  Saint-    ygj^^j^  d'abandonner,  on  serait  bientôt  refoulé,  et 
surAderkiaa,  q^g  non-seulemeut  la  gauche  serait  compromise, 

•iiiivie  bientôt     '  ''       ^  .    . 

diin  mais  même  le  centre,  se  hâta  de  diriger  la  division 
rétrograde.  Carra  Saint-Cvr  sur  Aderklaa.  Cette  division,  com- 
posée de  deux  braves  régiments,  y  entra  tête  bais- 
sée. Malgré  l'obstacle  des  murs  de  jardin  et  des 
maisons,  le  2i'  léger  et  le  4*  de  ligne,  conduits  avec 
une  rare  vigueur,  enlevèrent  le  village.  Au  lieu  de 
s'v  arrêter,  et  de  s'v  établir  solidement,  ces  deux 
régiments,  n'écoulant  que  leur  ardeur,  débouchè- 
rent au  delà,  et  vinrent  se  placer  à  découvert, 
dans  la  position  où  Bernadotte  avec  raison  n'avait 
pas  voulu  rester,  recevant  par  leur  droite  et  de  front 
le  feu  de  Bellegarde,  à  gauche  le  feu  de  la  réserve 


WAGRAM.  161 

(le  grenadiers.  Après  une  héroïque  obstination,  ils  

,.       '   ,  .      •    .       1         '  1  1  1  Juillet    ISO'.). 

lurent  contranits  de  céder  au  nombre,  et  de  se  re- 
plier sur  Aderklaa,  privés  de  leurs  deux  colonels. 
Alors  le  général  Molitor  vint  se  serrer  au  général 
Carra  Saint-Cyr,  pour  le  soutenir;  mais  Legrand  et 
Boudet  restés  seuls  devant  Klenau  et  KoUovrath, 
formant  tout  au  plus  10  mille  hommes  contre  io 
mille,  furent  contraints  de  se  retirer  sur  la  gauche, 
et  d'abandonner  une  grande  étendue  de  terrain. 

Tel  était  à  neuf  heures  du  matin  l'état  de  choses 
qu'on  vint  annoncer  à  Napoléon.  Rassuré  sur  sa 
droite,  où  il  laissait  le  maréchal  Davout  bien  in- 
struit de  ce  qu'il  avait  à  faire,  il  partit  au  galop, 
suivi  de  son  état-major,  pour  aller  à  une  distance 
de  près  de  deux  lieues,  réparer  l'accident  dont  les 
conséquences  pouvaient  compromettre  son  centre. 
Il  trouva  Bernadotte  fort  agité,  le  rassura,  et  cou- 
rut ensuite  à  la  calèche  de  Masséna,  autour  de  la- 
quelle pleuvaienl  les  boulets.  Dans  ce  moment  les 
grenadiers  dAspre,  excités  par  la  présence  de  l'ar- 
chiduc Charles  qui  s'était  mis  à  leur  tête,  traver- 
saient Aderklaa  après  l'avoir  enlevé  à  la  division 
Carra  Saint-Cyr,  et  s'avançaient  victorieux.  Le  gé- 
néral Molitor  se  déployant  devant  eux  pour  arrêter 
la  trouée,  avait  été  obligé  de  se  former  un  flanc 
avec  sa  droite  repliée ,  pour  n'être  pas  débordé. 

Napoléon  peu  troublé  par  ce  spectacle,  et  comp-    Dispositions 
tant  sur  les  vastes  ressources  dont  il  disposait,  s'en-  pai'"\apoii^n 
(retint  quelques  instants  avec  Masséna,  et  arrêta  **'o|;^'^p,f^"r' 
avec  lui  son  plan  de  conduite.  Déjà  on  pouvait  ju-    ic  dommn^e 

^  ,      .  eprou\e 

ger  d'après  la  direction  des  feux  que  Boudet  était  au  cenue  et  ;• 
ramené  fort  en  arrière,  et  que  l'arcliiduc  touchait      ^""'  **■ 


Juillcl    laot». 


I6î  LIVRE  XXXV. 

par  sa  droito  an  Danube.  Dus  olliciois  nirnie  ve- 
naient dire  que  Boudet  était  refoulé  jusque  dans 
Aspern,  après  avoir  perdu  toute  son  artillerie.  On 
aurait  pu  avec  des  troupes  aussi  fermes  que  celles 
d.Vusterlitz,  qui  surtout  n'auraient  pas  eu  le  sou- 
venir trop  présent  encore  de  la  journée  d'Essling, 
se  laisser  dé!)order  par  sa  gauche,  pourvu  qu'on 
tînt  bon  au  centre,  et  qu'on  prît  à  droite  une  of- 
fensive victorieuse.  Le  maréchal  Davout  devant 
bientôt  enlever  le  plateau  de  Wagram,  Aderklaa  ne 
pouvant  manquer  d'être  reconquis,  nous  aurions  eu 
tout  avantage  à  trouver  la  droite  des  Autrichiens 
entre  nous  et  le  Danube.  Nous  l'aurions  prise  tout 
entière,  et  la  maison  d'Autriche  aurait  peut-être 
succombé  dans  cette  journée.  Napoléon  en  eut  la 
pensée,  qu'il  fit  connaître  queicpies  jours  après'. 
Mais  avec  des  troupes  jeunes,  préoccupées  du  sou- 
venir d'Essling,  c'était  courir  un  gros  risque.  La 
seule  nouvelle  que  l'ennemi  était  aux  ponts  pouvait 
les  trou1)ler  profondément.  Il  repoussa  donc  une 
combinaison  qui  eût  été  féconde,  mais  que  les  cir- 
constances rendaient  périlleuse,  et  ne  songea  qu'à 
arrêter  sur-le-champ  le  progrès  des  Autrichiens  vers 

'  Quelque  temps  après,  Napoléon  allant  visiter  les  troupes  qui  cam- 
jiaient  aux  environs  de  Brunn ,  et  les  faisant  manœuvrer  sur  le  chami» 
lie  bataille  d'Austerlitz,  parlait  de  la  qualité  des  troupes  en  général, 
de>  armées  qu'il  avait  commandées,  des  batailles  qu'il  avait  livrées, 
et  revenante  la  dernièie,  celle  de  Wagram,  qu'il  comparait  à  celle 
d'Austerlitz,  il  dit  qu'il  avait  bien  songé  à  employer  la  manœuvre  dont 
il  est  question  ici ,  et  qu'il  l'aurait  fait  s'il  avait  eu  les  troupes  du 
camp  de  Boulogne;  mais  qu'avec  des  troupes  dont  une  partie  était  fort 
jeune  et  fort  impressionnable,  il  n'avait  pas  osé  risquer  une  combinai- 
son féconde,  qui  aurait  exigé  chez  ses  soldats  un  sang-froid  fort  rare, 
celui  de  se  laisser  tourner  sans  être  ébranlés. 


WA(;R\M.                                       163 
le  centre  et  \ers  la  eauclie,  par  une  t)r()iii|)l('  dis- 

...  "       ,.,  .  ,  '  Juillet    1809. 

position  des  troupes  qu  il  avait  en  reserve. 

C'est  ici  qu'il  recueillit  le  prix  de  sa  profonde  pré-      Napoléon 

,,  ..  •       •  ...    -.  amène  an  ceii- 

voyance.  Il  avait  pour  principe  que  c  était  en  con-  ne  laruiieru 
centrant  sur  un  même  point   laction  de  certaines    ''V  ^'"^^^' 

I  le  corps 

armes  spéciales,  qu'on   parvenait   à   produire   de   fi<^  Macdonaid 

.  .  '  ,  et  la  grosse 

grands  effets,  et  c'est  pour  ce  motif  qu'il  avait  voulu  ovaicri. . 
procurer  à  la  garde  une  immense  réserve  d'artil- 
lerie, et  ccmserver  sous  la  main  une  réserve  de 
quatorze  régiments  de  cuirassiers.  Il  ordonna  donc 
(ju'on  fît  avcincer  au  galop  toute  l'artillerie  de  la 
garde,  en  y  ajoutant  celle  dont  on  pourrait  dispo- 
ser dans  les  corps.  Précisément  le  général  de  Wrède 
arrivait  sur  le  terrain  avec  vingt-cinq  pièces  d'une 
excellente  artillerie,  et  demandait  l'honneur  de  con- 
courir à  ce  mouvement  décisif.  Napoléon  y  con- 
sentit, et  voulut  qu'on  amenât  toute  celte  artillerie 
au  pas  de  course.  Il  fit  mander  en  outre  le  géné- 
ral Macdonald  avec  trois  divisions  de  l'armée  d'Ita- 
lie, les  fusiliers  et  les  grenadiers  à  cheval  de  la 
garde,  et  les  six  régiments  de  cuirassiers  du  géné- 
ral Nansouty.  Son  projet  était  d'ébranler  le  centre 
des  Autrichiens  avec  cent  bouches  à  feu,  puis  de  le 
percer  avec  les  baïonnettes  de  Macdonald  et  les 
sabres  de  Nansouty.  Il  décida  en  même  temps  que 
Masséna,  avec  les  divisions  Carra  Saint-Cyr,  Moli- 
tor  et  Legrand,  formées  en  colonnes  serrées,  ferait 
un  à  droite,  puis  se  dirigerait  perpendiculairement 
vers  le  Danube  au  secours  de  Boudet,  exécutant 
ainsi  une  marche  de  flanc  sous  le  feu  des  corps  de 
Kollovrath  et  de  Klenau.  Du  reste  les  têtes  de  pont 
qu'il  avait  fait  construire  partout  le  rassuraient  suf- 


Juillet    1809. 


464  LIVHI-    WXV. 

lisammcnt,  «H  il  recueillait  encore  en  cela  le  pri\ 
de  sa  prévoyance.  Mais  il  ne   voulait  pas  que  ses 
jeunes  troupes  pussent  entendre  le  canon  sur  leurs 
derrières,  et  avoir  des  inquiétudes  sur  les  commu- 
nications de  Tarmée  avec  le  Danube. 
Mouvement        A  peine  donnés,  ces  ordres  sont  obéis  à  l'instant 
■les  divisions  mcme.  Les  divisions  Carra  Saint-Gyr,  Molitor  et 
«Jt" Mentor  Legrand  sous  la  conduite  de  Masséna,  se  formeni 
.•tLo-rand,    çj^  colouncs  scrrécs  par  division,  font  demi-tour  à 

pour  ^ 

■se  rapprocher  droîte ,  puis  défilcut  cn  Une  longue  colonne  pour  se 
rapprocher  du  Danube,  recevant  avec  une  impas- 
sibilité héroïque  et  en  liane,  le  feu  de  Klenau  et  de 
Kollovrath.  Les  généraux  Lasalle  et  Marulaz,  les 
couvrant  pendant  cette  marche,  chargent  et  repous- 
sent la  cavalerie  autrichienne.  Tandis  que  ce  mou- 
vement s'exécute  vers  la  gauche.  Napoléon,  au 
centre,  impatient  d'être  rejoint  par  Laurislon  et 
Macdonald,  leur  envoie  ofliciers  sur  officiers  pour 
les  presser  de  hâter  le  pas,  et  monté  sur  un  cheval 
persan  d'une  éclatante  blancheur,  parcourt  sous 
une  grêle  de  boulets  ce  terrain  abandonné  par  Mas- 
séna. La  canonnade  en  ce  moment  a  acquis  la  fré- 
(fuence  de  la  fusillade  ',  et  tout  le  monde  frémit  à 
ridée  de  voir  Thomme  sur  qui  reposent  tant  de  des- 
tinées emporté  par  l'un  de  ces  aveugles  projectiles 
Bditerie      (pu  traversent  l'espace.  Enfin  arrivent  au  galop,  et 

louchera  feu  ^u  faisant  trembler  la  terre,  les  soixante  bouches  à 
feu  de  la  garde,  suivies  de  (juarante  bouches  à  feu 
(les         françaises  et  bavaroises.  L'illustre  Drouot,  sur  une 

Auirichicns.      .      ,.         .  ,      .-t^  .    ,  , 

indication  de  1  Lrapereur,  se  pose  en  jalon,  et  les 
cent  pièces  de  canon  qu'il  dirige  viennent  s'aligner 

'  Expression  textuoHe  «lu  marédial  Molitor. 


cirigce 
sur  le  cciilrc 


sur  son  épée.  En  un  inslanl  commence  la  plus  af- 

e  1  •     •.     •         1  '  I  Juillet   <809. 

freuso  canonnade  qui  ait  sii^uale  nos  Ioniques  guer- 
res. La  ligne  aulrichienne  présente  de  Wagram  à 
Aderkiaa,  d'AderkIaa  à  Sussenbrunn  (voir  la  carte 
n"  49),  un  angle  ouvert,  dout  les  deux  côtés  sont 
formés  par  Bellegarde  d'une  part,  par  les  grena- 
diers et  les  cuirassiers  de  rautre.  Les  cent  Ijouclies 
à  feu  de  Lauriston  tirant  incessamment  sur  cette 
double  ligne,  la  criblent  de  boulets,  et  démontent 
bientôt  rarlillcrie  ennemie.  Napoléon  regarde  à  la 
lunette  l'effet  de  cette  batterie  formidable,  et  s'ap- 
plaudit de  la  justesse  de  ses  conceptions.  Mais  il 
Be  suffit  pas  de  l'artillerie  ponr  briser  le  centre  de 
l'armée  autrichienne,  il  faut  des  baïonnettes,  et  il 
demande  avec  un  redoublement  d'impatience  celles 
de  l'armée  dltalie,  qui  accourent  au  pas  accéléré. 
L'intrépide  Macdonald,  récemment  tiré  de  la  dis-  Muidie 
grâce,  marche  à  la  tête  de  son  corps,  étonnant  '^'^ ^^nfre '"'' ^ 
ceux  qui  ne  le  connaissent  point  encore  par  son      '^  '''^""'^ 

,         .  '  .  ^  de  l'armée 

costume  d'ancien  général  de  la  République,  et  s'ap-  autrichicnac> 
prêtant  à  les  étonner  bien  davantage  par  sa  ma- 
nière de  se  comporter  au  feu.  Il  déploie  sur  une 
seule  ligne  une  partie  de  la  division  Broussier,  et 
une  brigade  de  la  division  Seras.  Il  range  en  co- 
lonne serrée  sur  les  ailes  de  cette  ligne ,  à  gauche 
le  reste  de  la  division  Broussier,  à  droite  la  division 
Lamarque ,  et  présente  ainsi  à  l'ennemi  un  carré 
long,  qu'il  ferme  avec  les  vingt-quatre  escadrons 
des  cuirassiers  Nansouty.  Napoléon  voulant  lui  don- 
ner un  appui,  place  sur  ses  derrières,  sous  le  gé- 
néral Reille,  les  fusiliers  et  les  tirailleurs  de  la 
garde  impériale,  au  nombre  de  huit  bataillons.  Il 

TOM.  X.  30 


Juillet    1809. 


466  LIVRE  XXXV. 

y  ajoute  la  ca\alerie  de  la  ij:anle  pour  foudre  au 
moment  oppoiluii  sur  linfanterie  ennemie,  puis  il 
attend,  les  yeux  fixés  sur  ce  grand  spectacle,  le 
succès  des  manœuvres  qu'il  a  ordonnées. 

Macdonald ,  dépassant  bientôt  la  ligne  de  notre 
artillerie  pour  joindre  les  Autrichiens,  s'avance  sous 
une  pluie  de  feu,  laissant  à  chaque  pas  le  terrain 
couvert  de  ses  morts  et  de  ses  blessés,  serrant  ses 
rangs  sans  s'ébranler,  et  communiquant  à  ses  sol- 
dats la  fière  attitude  qu'il  conserve  lui-même.  — 
Quel  brave  homme  !  s'écrie  plusieurs  fois  Napo- 
léon en  le  vovant  marcher  ainsi  sous  la  mitraille 
et  les  boulets.  —  Tout  à  coup  le  prince  Jean  de 
Liechtenstein  s'ébranle  avec  sa  grosse  cavalerie, 
pour  essayer  un  effort  contre  cette  infanterie  qui 
s'avance  si  résolument  sur  le  centre  de  l'armée  au- 
trichienne. Macdonald  arrête  alors  son  carré  long, 
ordonne  aux  deux  colonnes  qui  en  formaient  les 
côtés  de  faire  front,  et  oppose  ainsi  à  l'ennemi  trois 
lignes  de  feu.  Le  sol  retentit  sous  le  galop  des 
cuirassiers  autrichiens,  mais  ils  sont  accueillis  par 
de  telles  décharges  de  mousqueterie  qu'ils  sont  for- 
cés de  s'arrêter,  et  de  rétrograder  sur  leur  infan- 
terie que  leur  fuite  jette  dans  un  véritable  dés- 
inicfjnn      ordrc.  Lc  momcut  de  charger  est  venu  pour  notre 

•le  la  cavalerie  ...  <->  i  • 

françai:e  cavalcric ,  qui  pcut ,  cu  prohtaut  de  cet  mstant  do 
la  îj"rDée  coufusiou,  recueillir  des  milliers  de  prisonniers. 
.leWagram.  ;>[acdonald  en  donne  l'ordre  à  Nansoutv;  mais  ce 
général,  obligé  d'amener  sa  troupe  sur  le  front  du 
carré  dont  elle  occupait  la  dernière  face,  perd  mal- 
gré lui  un  temps  précieux.  Lorsqu'il  est  prêt  à  s'é- 
lancer, le  désordre  de  l'infanterie  autrichienne  est 


•     WAGRAM.  i67 

en  partie  réparé.  Toutefois  il  charge  et  enfonce 
plusieurs  carrés.  Macdonald ,  élans  son  impatience, 
s'adresse  à  la  cavalerie  de  la  garde  qui  était  |)rès 
de  lui,  et  que  commandait  le  général  Waltlier.  Mais 
celui-ci  ne  doit  recevoir  d'ordre  que  du  maréchal 
Bessières,  et  ce  niaréclial  vient  d'être  renversé  par 
un  boulet.  Macdonald  se  dépile  en  voyant  ainsi  lui 
échapper  le  fruit  de  la  victoire  :  cependant,  s'il  n'a 
pas  beaucoup  de  prisonniers,  il  a  du  moins  fait 
rétrograder  l'armée  autrichienne ,  et  rendu  vaine 
l'entreprise  tentée  sur  le  centre  et  la  gauche  de  no- 
tre ligne.  L'archiduc,  désespérant  de  nous  refouler 
vers  le  Danube,  commence  à  se  décourager,  et  se 
dédommage  en  prodiguant  sa  vie  au  milieu  du  feu. 
Ses  troupes  évacuent  peu  à  peu  Aderklaa  d'un  côté, 
Siissenbrunn  de  l'autre. 

En  ce  moment  le  grave  danger  qui  menaçait  l'ar- 
mée est  conjuré.  Masséna,  se  dirigeant  en  colonne 
sur  le  Danube,  et  recevant  le  feu  de  Tennemi  en 
flanc,  est  arrivé  près  du  fleuve,  vers  Aspern,  a  fait 
front  à  droite,  et  précédé  de  sa  cavalerie  a  repris 
l'otFensive  contre  Kollovrath  etKIcnau.  Boudet  s'est 
remis  en  ligne,  et  tous,  marchant  en  avant,  ramè- 
nent les  Autrichiens  sur  Breitenlée  et  sur  Ilirsch- 
statten.  En  tète  de  leur  infanterie ,  Lasalle  et  IMaru- 
laz  exécutent  des  charges  brillantes;  mais  Lasalle", 
atteint  d'une  balle,  termine  sa  glorieuse  carrière  en 
voyant  fuir  l'ennemi. 

Ainsi  le  centre  de  l'archiduc  ébranlé  par  cent 
bouches  à  feu,  arrêté  par  Macdonald,  bat  en  re- 
traite. Sa  droite  suit  ce  mouvement  rétrograde.  Si 
le  maréchal  Davout,  comme  il  en  a  reçu  l'ordre, 

30. 


Juin.t    1809. 


Le 

mouvement 

offensif 

dos 

Autricbiens 

ilélinilivp- 

mcnt  arrolé. 


408  i.iVHr:  \.\\\. 

^~77Z.'  <''ïlt;vc  à  la  i^aïu-lie  des  Aulricliions  la  position  de 

Juillet    1809.       ^         .  ■  '  _  , 

Xeusiedel,  c'en  est  fait  deux.  Cette  position  enle- 
\t3e,  la  lii::ne  des  hauteurs  de  Neusiedel  à  Wai^rani 
ne  peut  [)lus  tenir,  et  rarchiihie  Charles,  privé  de 
ce  dernier  appui,  va  être  coupe  de  la  route  de  Hon- 
j^rie,  sé})aré  de  l'archiduc  Jean,  et  rejeté  en  Bo- 
hème. Aussi  Naj)ol('on,  rassuré  sur  son  centre  et  sa 
i^auche,  a-t-il  Toeil  toujours  tourné  sur  sa  droite, 
vers  la  tour  carrée  qui  domine  le  village  de  Neu- 
siedel. II  n'attend  que  le  proiirès  des  feux  de  ce 
coté  pour  lancer  le  corps  d'Oudinot  sur  \\'ai<ram. 
Il  lui  reste,  dans  le  cas  où  surviendrait  l'aichiduc 
Jean,  une  moitié  de  l'armée  dltalie,  le  corps  de 
iMarmonl,  la  vieille  garde,  les  Bavarois.  Il  a  donc, 
(juoi  qu'il  arrive,  des  ressources  pour  parer  à  toutes 
les  chances  de  celte  journée. 
Davout  La  confiance  que  Napoléon  a  mise  dans  le  raa- 

le/baXurs  réchal  Davout  cst  ici,  comme  toujours,  pleinement 
"^îeSêv?''  justifiée.  Les  généraux  Monthrun  et  Grouchy,  l'un 
.t  décide  ainsi  avec  la  cavalcrie  léiière,  l'autre  avec  les  drainons 

lin  .sort  de  la        ,         .  t--         / 

kitaiiie.  d'Italie,  ont  préparé  le  passage  du  Russbach  sur 
notre  extrême  droite,  soit  })our  eux,  soit  pour  l'in- 
fanterie. Les  divisions  ^lorand  et  Friant  franchis- 
sent ce  ruisseau  à  la  suite  de  la  cavalerie,  et 
ployées  par  un  mouvement  de  conversion  sur  le 
liane  de  la  positicn  de  Neusiedel,  forment  un  angle 
droit  avec  Gudin  et  Puthod,  qui  sont  restés  de- 
vant leRuss])ach,  de  Neusiedel  à  Baumersdorf.  Le 
moment  d'attaquer  étant  venu,  ces  braves  trou- 
pes, dignes  de  leur  chef,  gravissent  le  revers  de  la 
position  de  Neusiedel  avec  une  rare  intrépidité. 
Morand,  placé  à  l'extrême  droite,  s'avance  lèpre- 


WACRVM.  169 

mier,  parce  que  la  pente  plus  douce  de  S(3n  cAté 
oiVrc  un  abord  plus  facile.  Priant,  placé  entre  [Mo- 
rand et  Neusicdel,  où  il  forme  le  sommet  de  Tan- 
gle,  attend  que  3[orand  ait  ir;agné  du  terrain  sur 
l'extrémité  de  la  liii:ne  ennemie,  pour  attacjuer  la 
hauteur  à  son  tour.  Il  se  borne  (piant  à  présent 
à  im  \i()leut  fou  (rartillerie,  qu'il  soutient  avec 
soixante  pièces  détachées  de  plusieurs  divisions. 
Morand,  secondé  à  içauche  par  cette  canonnade,  à 
droite  par  les  charges  de  cavalerie  de  ^lontbrun, 
gravit  froidement  le  terrain  qui  s'élève  devant  lui. 
Rosenberg,  pour  faire  face  à  cette  attaque  de  liane, 
replie  sa  ligne  en  arrière.  La  mousqnelerie  de 
toute  cette  partie  de  la  ligne  autrichienne  n'ar- 
rête point  Morand.  Il  continue  à  monter  sous  un 
feu  plongeant ,  et  puis  aborde  l'ennemi  en  colonne 
d'attaque.  Le  prince  de  Rosenberg  dirige  alors  un 
effort  sur  la  gauche  de  Morand,  formée  par  le  17" 
régiment  de  ligne,  et  l'oblige  un  instant  à  céder. 
A  cette  vue  Friant  envoie  au  secours  du  ]T  la  bri- 
gade Tiilly,  composée  du  1 5"  léger  et  du  33"  de  li- 
gne, lesquels  s'élancent  à  la  baïonnette  sur  la 
hauteur,  et  refoulent  les  troupes  de  Rosenberg. 
Les  divisions  Puthod  et  Gudin,  restées  en  face  du 
Russbach,  entrent  à  leur  tour  en  action  sous  la 
conduite  du  maréchal  Davout.  Puthod  se  jette  dans 
Neusiedel  avec  ses  quatrièmes  bataillons,  pénètre 
dans  les  rues  de  ce  village,  et  les  dispute  aux  trou- 
pes autrichiennes,  qu'il  contraint  après  de  grands 
efforts  à  se  retirer  sur  la  hauteur  en  arrière.  Au 
même  instant,  Gudin,  qui  a  franchi  le  Russbach, 
escalade  audacieusement  sous  un  feu  meurtrier  le 


Juillet    180». 


Juillet    180'.'. 


470  I  IVRE  XXXV. 

plateau  de  Neusiedol,  tandis  que  Priant  a  déjà  ga- 
frné  du  terrain  sur  les  derrières  de  Roscnberg.  La 
tour  carrée  est  en  ce  moment  dépassée  par  le  double 
mouvement  de  Kriant  et  de  Gudin.  Tout  n'est  pas  fini 
cependant.  Jusqu'ici  on  n'a  eu  à  combattre  que  Ro- 
senberg  favorisé  par  la  position.  Mais  Ilohenzollorn, 
demeuré  immobile  au-dessus  de  Baumersdorf  en 
face  d'Oudinot  qui  n'agit  pas  encore,   porte  une 
moitié  de  ses  troupes  vers  la  tour  carrée,  et  les 
dirige  sur  la  droite  de  Gudin  pour  la  précipiter  dans 
le  Russbach.  Vainement  à  travers  les  baraques  du 
camp   essaye-l-on  de   faire   défiler  les  cuirassiers 
d'Arrighi,  pour  les  lancer  sur  la  hauteur  qui  se 
termine  en  plateau.   Ces  cuirassiers,  assaillis  par 
un  feu  des  plus  vifs  à  travers  les  routes  étroites  du 
camp,  ne  peuvent  pas  charger  avec  avantage,  et 
sont  ramenés  en  désordre.  Le  80*  de  ligne  de  la 
division  Gudin  accueilli  par  la  plus  violente  fusil- 
lade est  presque  arrêté  dans  son  mouvement.  Les 
autres  régiments  de  Gudin  se  hâtent  de  venir  à  son 
secours.  La  division  tout  entière  lutte  avec  Hohen- 
zollern,  qui  est  peu  à  peu  repoussé,  tandis  queFriant 
et  Morand  gagnent  du  terrain  sur  le  derrière  du  pla- 
teau,   en  poursuivant  les  troupes  de   Rosenberg 
l'épée  dans  les  reins. 
Napoléon         Pendant  que  le  maréchal  Davout  accomplit  ainsi 

fait  enlever  *    i  ^t         i  -  n  i  '  i 

paroudinot  sa  tachc,  Napolcou  voyant  ses  leux  dépasser  la 
lieNv!i"'r*aT  ^^^^  carréc,  ne  doute  plus  du  succès  de  la  journée. 
La  bataille  est  gagnée,  s'écrie-t-il,  et  il  en  fait  por- 
ter la  nouvelle  au  maréchal  Masséna,  au  prince 
Eugène,  au  général  Macdonaid.  Mais  il  ne  se  borne 
pas  à  pousser  un  cri  de  victoire,  il  ordonne  au 


WAGRAM.  m 

corps  d'Oiidinot,  de  marcher  sur  Bauniersdorf  et 
Wai^M\im,  et  d'enlever  cette  partie  des  hauteurs.  Les 
troupes  d'Oudinot  s'élancent  sur  le  \  illai,'e  de  Bau- 
mcrsdorf,  qu'elles  n'avaient  pas  pu  em])orter  la 
veille,  le  traversent,  et  s'élèvent  sur  le  plateau,  ve- 
nant se  joindre  à  la  division  Gudin  par  leur  droite. 
L'élan  devient  alors  général.  On  refoule  partout  la 
ligne  autrichienne,  et  en  ce  moment  la  division 
Gudin  s'alignant  sur  celles  de  Priant  et  de  Morand, 
on  voit  le  corps  entier  de  Davout  ne  plus  former 
qu'une  longue  ligne  oblique,  qui  balaye  dans  toute 
son  étendue  le  plateau  de  Wagram.  (Voir  la  carte 
n"  48.) 

La  division  Tharreau  du  corps  d'Oudinot  se  di- 
rige sur  Wagram,  charge  à  la  baïonnette  plusieurs 
bataillons,  en  prend  deux,  enlève  le  village,  et  y 
recueille  de  nombreux  prisonniers.  La  di>ision 
Frère  (seconde  d'Oudinot)  passe  à  droite  du  vil- 
lage. La  division  Grandjean,  autrefois  Saint-lli- 
laire,  suit  ce  mouvement,  repousse  l'infanterie  au- 
trichienne, et  l'aborde  vivement  dès  qu'elle  essaye 
de  résister.  Le  10^  d'infanterie  légère  se  jette  sur 
un  bataillon  qui  s'était  formé  en  carré,  et  le  fait 
prisonnier.  Napoléon  voyant  l'armée  autrichienne 
partout  en  retraite  et  notre  ligne  s'étendre,  s'aflai- 
blir  même  en  quelques  points,  à  mesure  qu'elle  s'a- 
vance, envoie  des  secours  là  où  ils  sont  nécessai- 
res, et  en  particulier  au  général  Macdonald,  qui  se 
trouve  isolé  de  Masséna  à  gauche,  de  Bernadolte 
au  centre.  Il  dirige  vers  lui  l'infanterie  bavaroise 
du  généra!  de  Wrède  et  la  cavalerie  de  la  garde. 
Macdonald,  en  s'approchant  de  Siissenbrunn,  ren- 


Juillct    «809. 


Juillet    1809. 


472  LIVRE  XXXV. 

conti'C  (le  linfanleric  ennemie  (jni  lient  encore.  Il 
enn)()rte  ce  villap;e,  et  faisant  cliari^er  par  sa  cava- 
lerie légère,  enlève  d'un  .seul  coup  (juatre  à  cinq 
mille  prisonniers. 
La  ligne  Sur  uu  frout  clc  trois  à  quatre  lieues,  à  l'extrême 

autrichienne  ,         ,  mr         .  ^  ^f        i 

.!st  partout  gauche  devant  Massena,  au  centre  devant  .Macdo- 
l'ois heures  ï^'^'''?  <'  droite  (Icvaut  Oudinot  et  I)a\out,  l'armée 
»'i  la  bataille   aulrichicnnc  uc  pouvaut  tenir  nulle  part,  se  retire 

Siagnce,  *  ' 

en  flottant  sous  la  poursuite  plus  ou  moins  vive 
des  Français.  Il  est  trois  heures  :  notre  gauche  a 
refoulé  KIcnau  sur  Jedlersdorf,  Kollovrath  sur  Ge- 
rarsdoif;  notre  centre  a  poussé  Bellegarde  sur 
Ileluiliof,  notre  droite  a  rejeté  Hohenzollern  et  Uo- 
senherg  sur  Bockfliiss.  L'archiduc  Charles  crai- 
gnant de  perdre  la  route  de  la  Mora^ie,  et  d'être 
entraîné  loin  du  centre  de  la  monarchie  vers  la 
Bohème,  donne  alors  l'ordre  de  la  retraite.  Cent 
vingt  mille  Français  poursuivent  cent  vingt  mille 
Autrichiens,  livrant  çà  et  là  une  foule  de  combats 
de  détail ,  et  recueillant  à  chaque  pas  des  prison- 
niers, des  canons,  des  drapeaux. 
tardive  Telle  cst  Cette  célèbre  bataille  de  Wagi'am,  com- 

.te  l'archuiuc  Hicncée  à  quatre  heures  du  matin,  terminée  à  (juatre 
/^""        heures  de  l'après-midi.  Napoléon  avait  encore  en 

sur  le  champ  ï  » 

i<^  bataille  réserve  le  corps  de  Marmont,  une  portion  de  l'ar- 
mée (Fltalie,  la  vieille  garde,  c'est-à-dire  trente 
mille  hommes,  au  cas  où  l'archiduc  Jean  arrive- 
rait pour  prendre  part  à  la  bataille.  (]e  prince  ap- 
prochait cntin  de  la  plaine  du  Marchfeld,  et  venait 
se  montrer  à  droite  sur  nos  derrières,  vers  Sieben- 
brunn.  Ses  coureurs,  lencontrant  les  nôtres,  pro- 
duisirent une  sorte  de  panique.  En  un  clin  d'œil 


lie  Wagram 


WAClîAM.  1:3 

les  vivandières,  les  Ioniques  files  do  soldats  0111- 
portant  les  blessés,  crurent  qu'une  seconde  ar- 
mée se  prcscnlait  pour  recommencer  le  combat. 
Ils  se  mirent  à  courir  en  poussant  des  cris  de  ter- 
reur. Parmi  ces  fuyards  se  trouvaient  beaucoup 
de  jeunes  soldats  épuisés  par  la  chaleur  du  jour , 
et  qui,  selon  l'usage,  quittaient  le  terrain  sous  pré- 
texte de  ramasser  les  blessés.  Le  tumulte  fut  tel 
que  les  corps  restés  en  réserve  durent  prendre 
les  armes,  et  que  Napoléon,  ipii  iwiùl  mis  pied 
à  terre  pour  se  reposer  à  lombre  d'une  pyramide 
formée  avec  des  tambours,  fut  obligé  de  remonter 
à  cheval.  Il  crut  sérieusement  que  l'aiehiiiuc  Jean 
débouchait,  et  il  s'apprêtait  à  l'arrêter  avec  les 
forces  qu'il  avait  gardées  intactes,  lorsqu'on  \\\ 
le  danger  s'éloigner,  et  les  têtes  de  colonne  qui 
s'étaient  montrées  un  instant  disparaître  à  l'horizon. 
L'archiduc  Jean,  en  eflet,  averti  le  o  au  matin  par 
un  ordre  expédié  le  4  au  soir  de  se  rendre  à  Wa- 
gram,  était  parti  le  o  à  midi  seulement,  avait  cou- 
ché à  Marchegg,  était  reparti  un  peu  tard  le  6  an 
matin,  et  arrivait  (juand  la  bataille  était  Unie,  li 
n'a\ail  pas  voulu  trahir  son  frère  assurément,  mais 
il  avait  marché  comme  les  caractères  indécis,  qui  \u) 
connaissent  pas  le  prix  du  temps.  Serait-il  survenu 
plus  lot,  il  aurait  ajouté  à  Telfusion  du  sang,  sans 
changer  les  destinées  de  la  journée,  puisqu'aux 
douze  mille  hommes  qu'il  amenait,  on  pouvait  oj)- 
poser  les  dix  mille  hommes  de  ]\Iarmont,  les  dix 
mille  qui  restaient  au  prince  Eugène,  et  au  besoin 
la  \ieille  garde.  Il  avait  mal  obéi,  à  la\oi\  d  un 
chef  qui  avait  mal  commandé. 


Juillei    IsOîi. 


Juillet   180'.). 


Mi  LIVRE  XXXV. 

Les  résultats  do  la  halaillc  do  Wagrara,  sans  être 
aussi  extraordinaires  que  ceux  (TAustcrlitz,  d'Icna 
RL'suiiats      ou  de  Friedland,  étaient  fort  irrands  néanmoins.  On 

de  la  bataille 

deWagram.  a\  ait  tué  OU  blessé  aux  Autrichiens  environ  24 
mille  lionnues,  parmi  lesquels  se  trouvaient  les  gé- 
néraux Nordmann,  d'Aspre,  Wukassovich,  Yec- 
say,  Uouvroy,  Nostiz,  Hesse-Hombourg,  Yacquant, 
Molzen,  Stuttcrheim,  Homljcrg,  Merville.  On  leur 
avait  fait  0  mille  prisonniers ,  lesquels  avec  ceux  de 
la  \  cille  formaient  un  total  de  12  mille  '  au  moins. 
On  avait  ramassé  une  vingtaine  de  pièces  de  canon. 
On  avait  ainsi  allaibli  les  Autrichiens  de  36  mille 
soldats.  Nous  avions  perdu  en  morts  ou  blessés  de 
do  à  18  mille  hommes,  dont  sept  à  huit  mille  ne 
devaient  pas  se  relever.  C'était  donc  une  mémo- 
rable bataille,  la  plus  grande  que  Napoléon  eut 
livrée,  par  le  nombre  des  combattants,  et  l'une 
des  plus  importantes  par  les  conséquences.  Ce 
qu'elle  avait  de  merveilleux,  ce  n'était  pas  comme 
autrefois  la  quantité  prodigieuse  des  prisonniers, 
des  drapeaux  et  des  canons  conquis  dans  la  jour- 
née :  c'était  l'un  des  plus  larges  fleuves  de  l'Eu- 
rope franchi  devant  l'ennemi  avec  une  précision, 
un  ensemble,  une  sûreté  admirables  :  c'étaient 
vingt-quatre  heures  de  combats  livrés  sur  une  li- 
gne de  trois  lieues  avec  ce  lleuve  à  dos,  en  con- 
jurant tout  ce  qu'avait  de  périlleux  une  telle  situa- 
tion :  c'était  la  position  par  laquelle  le  généralissime 
tenait  les  Français  en  échec  emportée,  l'armée  qui 
défendait  la  monarchie  autrichienne  vaincue,  mise 

'  Les  bulletins  ont  supposé  beaucoup  plus  de  prisonniers,  mais  ils 
ont  exagéré  au  delà  de  toute  vérité. 


WAGRAM.  475 

hors  d'état  de  tenir  la  caïupai^me  !    ('es   résiillals 
étaient  immenses,  puisqu'ils  terminaient  la  guerre! 
Du  point  de  vue  de  l'art,  Napoléon  avait  dans  le 
passage  du  Danube  surpassé  tout  ce  qu'on  avait  ja- 
mais exécuté  en  ce  genre.  Sur  le  champ  de  bataille 
il  avait,  avec  une  rare  promptitude,  reporté  du  cen- 
tre à  la  gauche  la  réserve  qu'il  s'était  habilement 
ménagée,  et  résolu  la  question  par  un  de  ces  mou- 
A  ements  décisifs,  qui  n'appartiennent  qu'aux  grands 
capitaines  :  et,  s'il  s'était  [)rivé  d'un  important  résul- 
tat en  arrêtant  trop  tôt  les  Autrichiens  prêts  à  s'en- 
gager entre  lui  et  le  Danube,  il  l'avait  fait  par  l'in- 
spiration d'une  prudence  profonde,  et  digne  d'être 
admirée.  Si  dans  ces  pro(Hgieux  événements  on  peut 
reprendre  quelque  chose ,  ce  sont  les  conséquences 
dérivant  déjà  de  la  politique  de  Napoléon,  telles  que 
l'extrême  jeunesse  des  troupes,  l'étendue  démesu- 
rée des  opérations ,  les  méprises  naissant  de  la  ré- 
union de  nations  ,de  toute  origine,  enfin  un  com- 
mencement de  confusion,  imputable  non  à  l'esprit 
de  celui  qui  commandait ,  mais  à  la  diversité  et  à  la 
quantité  des  éléments  dont  il  était  ol)ligé  de  se  ser- 
yir,  pour  sufilre  à  l'immensité  de  satàclic.  Son  génie 
était  toujours  extraordinaire,  d'autant  plus  extra- 
ordinaire qu'il  luttait  contre  la  nature  des  choses; 
mais  on  pouvait  voir  déjà  que  si  cette  lutte  se  pro- 
longeait, ce  n'était  pas  la  nature  des  choses  qui 
serait  vaincue. 

Quant  à  l'adversaire,  il  avait  été  brave,  dévoué 
à  sa  cause,  ingénieux,  mais  indécis.  Sans  recourir 
pour  le  juger  à  tous  les  plans ,  plus  ou  moins  spé- 
cieux, qu'on  lui  a  reproché  de  n'avoir  pas  suivis, 


Juillet    1809. 


Jiiillot    IS09. 


iîG  I.IVIÎI-     WXV. 

tels  que  irassaillir  Tlh;  (I(ï  Lol)aii  aprc's  Essliiii^,  de 
passer  le  I)aniil)o  au-dossiis  ou  au-dessous  (le  Vienne, 
il  est  incontestaltle  (ju'il  y  avait  à  faire  certaines 
clioses,  simples,  d'un  elVet  iininainpiahle,  et  qu'il  ne 
fit  pas,  lieureusenient  pour  nous,  eonime  de  multi- 
plier les  obstacles  au  passaije  du  fleuve  sur  tout  le 
pourtour  de  Tîle  de  l.obau  ,  comme  de  retrancher  le 
camp  ({ui  devait  servir  de  champ  de  bataille,  ce  qui 
lui  aurait  permis,  après  avoir  tenu  tète  aux  Français, 
de  les  prendre  en  flanc  et  de  les  acculer  au  fleuve 
qu'ils  avaient  franchi ,  comme  de  donner  ses  ordres 
avec  assez  de  précision  pour  que  l'action  de  la 
gauche  ne  devançât  pas  celle  de  la  droite,  comme 
de  réunir  enfui  pour  cette  journée  décisive  toutes 
les  forces  disponibles  de  la  monarchie,  dont  qua- 
rante mille  hommes  au  moins  demeurèrent  inutiles 
en  Hongrie,  en  Bohème  et  en  Gallicie.  (]e  sont  or- 
dinairement des  choses  simples,  dictées  par  le  bon 
sens,  et  imprudenmient  omises,  qui  décident  des 
plus  importantes  opérations,  surtout  à  la  guerre. 
On  serait  fondé  à  dire  aussi  que  le  prince  autrichien 
donna  un  peu  trop  tôt  l'ordre  de  la  retraite,  car  il 
pouvait  tenir  tête  encore  à  l'armée  française,  et  il 
se  serait  assuré  en  persistant  l'apparition  en  temps 
opportun  de  l'archiduc  Jean  sur  le  champ  de  bataille. 
Il  faut  reconnaître  qu'une  plus  longue  obstination 
pouvait  rendre  la  défaite  si  complète,  qu'il  ne  serait 
plus  rien  resté  d'une  armée  à  la  conservation  de 
la(iuclle  était  attaché  le  salut  de  la  monarchie.  En 
s'obstinant  on  se  ménageait,  il  est  vrai,  plus  de 
chances  de  victoire,  mais  beaucoup  plus  de  chances 
aussi  de  périr  sans  ressources.  Quoi  qu'il  en  soit 


Juillet    1809. 


WACRAAI.  477 

(le  ces  divers  jugeiiionls,  (jui,  (Ifjjuis  uii  dtiiii- 
siècle,  ont  été  portés  par  tous  les  historiens  sur 
ces  mémorables  opérations,  il  n'en  reste  pas  moins 
\rai  qu'il  y  a  i^loirc  même  à  se  tromper  (juand  on 
se  bat  si  héroïquement  pour  son  pays,  et  qu'on 
prend  pari  à  de  si  i^randes  choses.  La  guerre  d'ail- 
leurs touchait  à  son  terme,  car  ce  n'était  pas  avec  les 
douze  mille  hommes  de  l'archiduc  Jean,  et  les  qua-  ' 
tre-vingt  mille  qui  restaient  à  l'archiduc  Charles, 
(|u'il  était  possible  de  sauver  la  monarchie.  Si,  en 
effet,  ce  dernier  n'en  avait  perdu  que  trente  et 
quelques  mille,  tués  ou  [)risonniers,  il  en  a^ait  vu 
ilisparaître  des  rangs  de  la  huuhvehr  un  nombre  au 
uioins  égal,  qui  couraient  la  campagne  pour  rejoin- 
dre leurs  foyers.  Se  retirer  dans  lune  des  pro\inces       ce  (im 

II  ,  .  ,  •,    1  •  1      •    •  1  restait  ;i  l'diiv 

de  la  monarchie  qu  on  aurait  bien  choisie,  s  y  re-        après 
faire  le  mieux  possible,   et  |)ar  la  menace  d'une 
guerre  indéfiniment  prolongée  améliorer  les  con- 
ditions de  la  paix,  était  la  seule  espérance  qu'on 
put  conserver  encore. 

Napoléon  appréciait  ainsi  le  résultat  de  la  bataille 
de  Wagram,  et  tout  en  regardant  la  fin  des  hosti- 
lités comme  prochaine,  il  voulait  (pie  cette  fin  fût 
telle  que  la  paix  dépendît  absolument  de  lui.  Si  au 
lieu  d'envoyer  en  Espagne ,  pour  y  périr  inutile- 
ment contre  des  obstacles  naturels,  la  vieille  armée 
de  Boulogne,  il  l'eût  gardée  entre  le  Rhin  et  le 
Danube,  pour  en  accabler  l'Autriche,  il  aurait  pu 
effacer  cette  puissance  de  la  carte  de  l'Europe, 
pendant  la  durée  de  son  règne  ,  bien  entendu.  IMais 
obligé  de  lutter  avec  des  forces  réunies  à  la  hâte 
contre  les  immenses  armements  de  l'Autriche,   il 


la  liataii'e 
(le  Wa^iajH. 


Juillet   4809. 


478  I.IVRH  XX \V. 

avait  fait  miracle  de  la  soumettre  en  trois  mois,  et, 
s'il  parvenait  à  lui  imposer  la  paix,  et  à  la  punir  de 
cette  (pialrième  guerre  par  de  nouveaux  sacrifices 
de  territoire,  de  poj)ulalion  et  d'argent,  c'était  assez 
pour  sa  gloire  personnelle  et  pour  le  maintien  de 
sa  grandeur.  Aussi  avait-il  déjà  renoncé  à  l'idée  de 
détrôner  la  maison  de  Habsbourg,  idée  qu'il  avait 
conçue  dans  le  premier  mouvement  de  sa  colère, 
et  après  les  prodigieux  triomphes  de  Ratisbonne. 
Punir  cette  maison  en  l'abaissant  encore,  et  faire 
tomber  du  même  coup  les  résistances  qui  avaient 
menacé  d'éclater  en  Europe,  était  désormais  le  prix 
unique,  mais  assez  grand,  assez  éclatant,  de  cette 
dernière  campagne,  laquelle  ne  devait  pas  paraître 
moins  extraordinaire  que  toutes  les  autres,  surtout 
en  comparant  les  moyens  aux  résultats  obtenus. 

Napoléon  ne  songea  donc  à  poursuivre  les  Au- 
trichiens que  pour  les  amener  à  se  soumettre  dé- 
finitivement. Mais  il  ne  lui  était  plus  possible  d'agir 
comme  il  le  faisait  autrefois,  c'est-à-dire,  après 
avoir  combattu  une  journée  entière,  de  se  remet- 
tre à  marcher  immédiatement,  de  manière  à  tirer 
toutes  les  conséquences  de  la  victoire.  Son  armée 
était  trop  nombreuse ,  il  avait  trop  de  points  à  sur- 
veiller, il  avait  trop  de  cadres  nouveaux,  et  dans 
les  cadres  vieux  trop  de  jeunes  soldats,  iwur  pou- 
voir repartir  le  soir  même,  ou  le  lendemain  matin, 
sans  s'inquiéter  de  ce  qu'il  laissait  derrière  lui.  Il  y 
avait  en  effet  des  régiments  dans  lesquels  une  foule 
de  soldats  étaient,  ou  livrés  à  la  maraude,  ou  oc- 
cupés à  transporter  des  blessés.  Tel  régiment  de 
2,o00  honmies,  avait  oOO  hommes  hors  de  corn- 


WAGRAM. 


iT'J 


bat,  i  ,000  détachés,  et  se  trouvait  ainsi  réduit  à 
mille  présents  sous  les  armes.  La  chaleur  était  ex- 
cessive, les  vins  abondaient  dans  les  villages,  le 
soldat  jouissait  de  la  victoire  avec  un  certain  dés- 
ordre, et  il  fallait  Timmense  ascendant  de  Napoléon 
pour  maintenir  la  soumission,  la  présence  au  dra- 
peau, l'attachement  au  devoir.  Déjà  tout  était  de- 
venu plus  difficile  à  cette  époque,  et  Napoléon  le 
savait  sans  le  dire. 

Le  lendemain ,  7  juillet ,  il  se  rendit  de  sa  per- 
sonne à  la  résidence  de  Wolkersdorf,  de  laquelle 
Tempereur  François  avait  assisté  à  la  Ijataillo  de 
Wagram,  et  il  y  établit  son  quartier  général.  Il  ac- 
corda cette  journée  à  chaque  corps  pour  porter  les 
blessés  aux  ambulances  de  Tile  de  Lobau,  rallier  les 
soldats  détachés  ou  égarés,  refaire  les  vivres,  rem- 
placer les  munitions,  se  mettre,  enfin,  en  mesure 
d'exécuter  une  marche  longue  et  rapide.  En  at- 
tendant ,  il  achemina  les  corps  demeurés  intacts  sur 
la  route  où  il  était  vraiscmbla!)le  qu'on  trouverait 
l'ennemi.  La  route  de  la  jMoravie  était  celle  où  il 
paraissait  raisonnable  de  le  chercher,  car  la  3Io- 
ravie  étant  placée  entre  la  Bohême  et  la  Hongrie, 
permettant  de  rester  en  conuuunication  avec  l'une 
et  avec  l'autre  de  ces  grandes  provinces,  dY^n 
tirer  les  ressources  qu'elles  pouvaient  contenir,  d'a- 
dopter l'une  ou  l'autre  pour  une  résistance  pro- 
longée, semblait  devoir  s'offrir  au  généralissime 
vaincu  comme  le  lieu  de  retraite  le  mieux  choisi. 
Napoléon  dirigea  d'abord  la  cavalerie  du  général 
Montbrun  sur  la  route  de  Nikolsbourg  (voir  la 
carte  n"  32),  et  la  lit  suivre  dès  le  7  au  soir  par 


Juillet    <80a. 


Translation 

du  quartier 

général  à 

Wolkersdorf. 


Napoléon 

dirige 

la  poursuite 

sur  dcïix 


'.Hit  l.l\  H1-;   \\\\. 

— —         le  licau  corps  (le  Mariiiout,  (iiii.  n'avunt  pas  com- 
MiUet   1800.  .  ,  '       .        "^  '  , 

hallu  dans  la  journée  du  (5,  elait  en  ctat  de  inar- 

n.iiies,  coOcs   ^.\^^,y  iunnédiatenienl .  Il  lui  adjoignit  les  Bavarois 

de  Moravio  •' 

.'t  .w Bohème,  du  |^(»n(''ral  de  Wrède,  dont  rartillerie  seule  a>  ail 
été  enuaiïée ,  et  en  leur  assii^nanl  à  tous  la  route 
de  Moravie,  il  leur  laissa  la  faculté  de  se  jeter  à 
droile  ou  à  i^auche,  sur  la  Honj^Mie  ou  sur  la  lio- 
JK'nie,  suivant  que  les  reconnaissances  du  général 
Monthrun  révéleraient  l'une  ou  Faulre  direction 
dans  la  relraile  de  Icnnemi.  11  enjoiiinit  à  Masséna 
de  rallier  ses  troupes  le  plus  tôt  possible,  et  avec 
celles  de  ses  divisions  qui  avaient  le  moins  souiVert, 
notamment  celles  de  Legrand  et  de  Molitor,  de  lon- 
ger le  Danube,  pour  observer  la  route  de  Bohème 
j)ar  Korneubourg,  Stockerau  et  Znaïm.  Il  lui  laissa 
la  cavalerie  Lasalle,  qui  après  la  mort  de  celui-ci 
avait  été  commandée  par  Marulaz,  et,  ce  dernier 
ayant  été  blessé,  par  le  général  Bruyère.  Il  y  ajouta 
les  cuirassiers  Saint-Sulpice. 

Le  lendemain  8,  Napoléon,  n'étant  encore  que 
très-imparfaitement  renseigné  sur  la  marche  des 
Autrichiens,  que  la  ca^alerie  légère  signalait  à  la 
fois  sur  les  routes  de  Moravie  et  de  Bohême,  et  ju- 
geant toujours  celle  de  Moravie  comme  la  plus  na- 
turellement indi([uée,  envoya  le  maréchal  Davout, 
dont  le  corps  d" armée  était  tout  à  fait  remis  de  la 
journée  du  G,  vers  Nikolsbourg,  à  la  suite  du  géné- 
ral Marmont.  Il  lui  avait  laissé  les  dragons  dcGrou- 
cliy  et  les  cuirassiers  du  général  Arrighi.  Ces  troupes 
avec  celles  du  général  Marmont  présentaient  un  total 
d'au  moins  4o  mille  hommes,  capables  de  tenir  tôte  à 
toute  larmée  de  rarchiduc  Charles.  Napoléon  dirigea 


Juillet    1809. 


WAGRAM.  i8t 

en  même  temps  les  Saxons  sur  la  Mardi,  pour  sur- 
veiller rarchiduc  Jean ,  et  le  contraindre  à  se  tenir  au 
delà  de  cette  ligne.  Il  laissa  le  piince  Eugène  avec 
une  portion  de  son  armée  sous  Vienne,  soit  pour 
contenir  la  capitale  si  elle  remuait,  soit  pour  arrêter 
Tarchiduc  Jean,  si,  abandonnant  la  rive  gauche  du 
Danube  que  nous  venions  de  conquérir,  il  faisait  sur 
la  rive  droite  dégarnie  une  tentative,  à  laquelle  les 
généraux  Chasteler  et  Giulay  auraient  pu  prêter  la 
main.  Le  général  Vandamme  fut  de  plus  amené  à 
Vienne  avec  les  Wurtembergeois.  Napoléon  ache- 
mina le  général  Macdonald  à  la  suite  de  Masséna, 
et  resta  de  sa  personne  encore  vingt-quatre  heures 
à  Wolkersdorf,  avec  la  garde  tout  entière,  avec  les 
cuirassiers  de  Nansouty,  avec  les  jeunes  troupes 
d'Oudinot,  pour  savoir,  entre  les  deux  routes  de 
JMoravie  et  de  Bohême,  quelle  serait  celle  où  on 
aurait  la  certitude  de  trouver  l'ennemi. 

Bien  qu'il  ne  crut  pas  à  la  possibilité  d'une  ré-    précautions 
sistance  prolongée  de  la  part  des  Autrichiens ,  néan-  par^KaHéon 
moins ,  ne  voulant   rien  livrer  au  hasard  pendant       p°"''  '^ 

^  conservation 

qu'il  allait  s'éloigner  de  Vienne,  Napoléon  ne  se    devienne, 

X  .•       j  f>  ^    1       pendant   qu'il 

borna  pas  a  consacrer  une  partie  de  ses  forces  a  la  va  roursuivrc 

garde  de  cette  capitale ,  il  prit  les  mesures  néces-    AutriSiens. 

saires  pour  la  mettre  en  état  de  défense.  Il  ordonna 

d'y  transporter  les  cent  neuf  bouches  à  feu  de  gros 

calibre  qui  avaient  protégé  le  passage  de  l'armée, 

de  les  répartir  sur  les  murs  de  la  ville,  de  fermer 

tous  les  bastions  à  la  gorge,  afin  que  la  garnison 

fut  doublement  garantie  contre  le  dedans  et  contre 

le  dehors,  d'y  réunir  des  vivres  et  des  munitions 

pour  dix  mille  hommes  et  pour  trois  mois,  d'y  faire 

TOM.  X.  31 


Juillet    1809. 


182  LIVRE   XXXV. 

roinonler  les  nonihieiix  I)ateaux  qui  avaient  servi 
aux  diverses  opérations  de  l'île  de  Lobau,  de  re- 
construire le  pont  du  Tliabor,  de  l'établir  sur  des 
bateaux  en  attendant  qu'il  le  fut  sur  j)ilolis,  de  le 
couvrir  en  outre  sur  les  deux  rives  de  deux  vastes 
tètes  de  ponts.  L'ilc  de  Lobau  pouvait  désormais  se 
sutïire  avec  les  ponts  en  pilotis  jetés  sur  le  grand 
et  sur  le  petit  bras,  puisqu'elle  n'était  plus  qu'un 
lieu  de  dépôt,  dans  lequel  on  avait  entassé  les  pri- 
sonniers et  les  blessés.  Avec  une  communication 
assurée  devant  Vienne,  et  une  autre  à  la  hauteur 
de  l'île  de  Lobau ,  Napoléon  avait  des  moyens  de 
passage  sufîisants  pour  toutes  les  éventualités  de 
guerre  imaginables.  Il  ordonna  en  même  temps  de 
compléter  l'armement  de  Raab ,  d'achever  les  tra- 
vaux de  Molk,  de  Lintz,  de  Passau,  toujours  des- 
tinés à  assurer  sa  ligne  d'opération.  Enlin  toutes 
ces  précautions  prises  pour  le  cas  d'une  lutte  pro- 
longée, il  résolut  de  tirer  de  la  victoire  de  Wagram 
l'une  de  ses  conséquences  les  plus  essentielles,  celle 
qui  devait  lui  procurer  immédiatement  des  ressour- 
coiiuibuiion  CCS  financières,  et  il  frappa  sur  les  provinces  de  la 
lions  frapiM  0  iBOuarchie  qu  il  occupait  une  contribution  de  guerre 
sur  rAutnche  Je  dcux  ccnts  millions,  laquelle  étant  une  fois  dé- 

après  '         1 

i.T  bataille     crétéc  ne  pourrait  plus  être  mise  en  question  dans 

.!o  Wagram.  '  ^  ^ 

une  négociation  ultérieure  de  paix,  si,  comme  il  le 
croyait,  une  négociation  de  ce  genre  venait  bientôt 
à  s'ouvrir.  11  employa  ainsi  à  Wolkersdorf  les 
journées  du  7,  du  8,  et  une  partie  de  celle  du  9, 
attendant  le  résultat  des  reconnaissances  envoyées 
dans  toutes  les  directions. 
Retraite  L'arcliiduc  Cliailes  avait,  on  ne  sait  pourquoi, 


WAGIIAM.                                     18* 
adopté  la  Bohème  pour  lieu  de  retraite.  Soit  que,  ' 

,.  .  ,••,,.,■        ,  Juillet    1809. 

par  la  direction  qu  avait  prise  la  bataille  de  A\  a- 

a;raiïî,  il  craisnit  de  ne  pouvoir  aa2;ner  à  temps  la  '^^  l'archiduc 

•~  '  ^  _       '      ,  Charles 

route  de  Moravie,  soit  qu'il  voulût  conserver  lim-    en  Bohême. 
portante  province  de  Bohême  à  la  monarchie,  et 
demeurer  en  rapport  avec  le  centre  de  l'Allemagne, 
([u'on  avait  toujours  la  prétention  d'insurger,  il  s'é- 
tait retiré  sur  la  route  de  Znaïm ,  qui  mène  à  Pra- 
gue par  Iglau.  (Voir  les  cartes  n*"*  28  et  32.)  C'était 
(le  sa  part  une  étrange  résolution,  car,  sauf  la  satis- 
faction de  se  séparer  de  son  frère  l'archiduc  Jean, 
en  lui  laissant  le  soin  de  soulever  la  Hongrie,  tandis 
(ju'il  irait  lui-même  mettre  en  valeur  toutes  les  res- 
sources de  la  Bohême,  on  ne  voit  pas  trop  quels 
avantages  il  espérait  en  recueillir.  En  se  portant 
en  Bohême,  il  s'enfermait  dans  une  sorte  de  champ 
clos,  que   son  adversaire  pourrait   traverser  tout 
entier  en  quelques  marches  et  sans  s'éloigner  beau- 
coup du  Danube,  ce  qui  faisait  tout  dépendre  d'une 
prochaine  et  dernière  rencontre,  dont  l'issue  n'é- 
tait pas  douteuse.  Au  contraire,  en  s'enfonçant  en 
Hongrie,  il  aurait  rallié  tout  ce  qui  restait  de  forces 
à  la  maison  d'Autriche,  attiré  son  adversaire  dans 
les  profondeurs  de  la  monarchie,  où  l'armée  autri- 
chienne devait  toujours  aller  en  augmentant  et  l'ar- 
mée française  en  diminuant,  où  il  auriait  lotrouvé 
peut-être  l'occasion  d'une  nouvelle  bataille  moins 
malheureuse  que  celle  de  Wagram,  et  créé  enfin  à 
Napoléon  la  seule  difîiculté  avec  laquelle  on  pût  le 
battre,  la  seule  avec  laquelle  on  l'ait  battu  depuis, 
celle  des  distances.  L'inconvénient  de  perdre  les  res- 
sources de  la  Bohême  n'était  pas  bien  considérable, 

3i. 


Juillet   «809. 


484  ]A\]\V.  XXXV. 

car  d'une  part  cette  province  n'avait  presque  plus 
rien  à  fournir,  et  do  l'autre  Napoléon  n'avait  pas 
de  forces  à  consacrer  à  son  occupation.  On  ne  peut 
donc  s'expliquer  un  tel  choix  que  par  ce  trouble 
de  la  défaite,  qui  presque  toujours  amène  les  ré- 
solutions les  plus  fâcheuses,  et  fait  souvent  qu'un 
malheur  en  entraîne  bientôt  de  plus  grands  et  de 
plus  irréparables. 
Distribution        Au  surplus,  quoi  qu'on  puisse  penser  de  ses  mo- 
autrTchïnnes   ^^^^  i  l'arcliiduc  Charles  avait  pris  la  route  de  Pra- 
dans        o-yg  pgp  2naïm.  Sur  cette  route,  qu'il  avait  eagnée 

leur  retraite.    ~        i  '   t  ^   cj 

par  Korneubourg  et  Stockerau ,  il  marcha  avec  les 
corps  de  Bellegarde ,  de  Kollovrath  et  de  Klenau , 
avec  la  réserve  de  grenadiers  et  celle  de  cavalerie, 
le  tout  ne  formant  pas  plus  de  60  mille  hommes. 
Le  corps  du  prince  de  Reuss,  qui  avait  perdu  la 
journée  du  G  à  observer  le  débouché  de  Vienne, 
n'ayant  pas  souffert  dans  la  bataille,  était  chargé  de 
l'arrière-garde.  Sur  la  route  de  jMora\ie,  par  Wil- 
fersdorf  et  Nikolsbourg,  l'archiduc  Charles  laissa 
se  retirer  les  corps  de  Rosenberg  et  de  Hohenzol- 
lern,  pour  flanquer  l'armée  principale,  ce  qui  per- 
met de  supposer  qu'il  y  eut  en  cette  circonstance 
quelque  chose  de  pis  qu'une  mauvaise  résolution, 
c'est-à-dire  absence  même  de  résolution ,  et  que 
chaque  corps  prit  le  chemin  sur  lequel  le  jeta  la 
bataille  qu'on  venait  de  perdre.  La  gauche,  en 
effet,  composée  de  llohenzollern  et  de  Rosenberg, 
a\  ait  été  poussée  sur  la  route  de  Moravie  ;  le  cen- 
tre et  la  droite,  composés  de  Bellegarde,  des  ré- 
serves d'infanterie  et  de  cavalerie,  de  Kollovrath, 
de  Reuss  et  de  Klenau  (3f,  5' et  6' corps),  avaient  été 


WAGRAM.  48o 

poussés  sur  celle  de  Bohême.  C'est  ainsi  que  sou-  

vent  il  n  y  a  pas  eu  de  motifs,  la  même  ou  1  histoire 
s'épuise  à  en  chercher,  et  qu'au  lieu  de  faux  calcul, 
il  y  a  tout  simplement  défaut  de  calcul. 

Pourtant  cette  double  marche,  qui  plaçait  loin 
de  l'archiduc  Charles  peut-être  20  ou  2o  mille 
hommes  de  ses  forces  les  meilleures,  eut  un  avan- 
tage momentané  :  elle  laissa  Napoléon  dans  une 
incertitude  complète  sur  la  route  que  l'ennemi  sui- 
vait, et  elle  l'exposa  à  se  tromper  dans  la  direction 
à  donner  à  ses  colonnes.  Ainsi,  sur  la  route  de 
Moravie,  par  Wolkersdorf  et  Nikolsbouri^,  il  avait 
envoyé  Montbrun,  ^farmont,  de  Wrcde',  Davout, 
c'est-à-dire  45  mille  hommes  contre  2-3  mille,  et 
sur  la  route  de  Znaïm,  Masséna,  Macdonald,  Ma- 
rulaz,  Saint-Sulpice,  c'est-à-dire  28  mille  hommes 
contre  GO  mille.  Il  est  vrai  que  placé  entre  deux 
avec  la  garde,  Nansouty  et  Oudinot,  il  pouvait 
apporter  en  quelques  heures  le  secours  de  30  mille 
combattants  à  celui  de  ses  lieutenants  qui  en  aurait 
besoin. 

Masséna  d'un  côté,  Marmont  de  l'autre  suivirent 
chacun  l'itinéraire  qui  leur  avait  été  tracé.  Le  8 
juillet,  Marmont  talonna  l'arrière-garde  de  Rosen- 
berg,  ramassant  partout  des  traînards,  des  bles- 
sés, principalement  des  hommes  de  la  landwehr,  ' 
qui  abandonnaient  les  rangs  de  l'armée.  Arrivé  le  0     i-c  générai 
à  Wilfersdorf,  il  apprit  par  les  reconnaissances  de     à  la  suite 
Montbrun,  toujours  exécutées  avec  autant  d'intel-  de Rosenbcr" 

quitte  la  route 

'  Le  général  de  Wiède  avait  été  blessé.  C'était  sa  division  qui  suivait        ,    ''® 
1  j    ir  1      1    1    <  1  •   •  -.       Nikolsbouf" 

le  corps  de  Marmont,  et  c'est  pour  cela  que  nous  lui  t-n  conservons  le      p^^p  colle 

nom.  Le  général  Miiniti  l'avait  remplacé  dans  le  commandement.  de  Znaïm. 


Juillet   4809. 


486  LIVRE  XXXV. 

liiïonce  ([ue  d'audace,  que  le  prince  de  Rosenberi^ 
avait  lail  un  à  gauche,  et  qu'il  ahaudoiinail  la  route 
de  M()ra\  ie  pour  celle  de  Bohème.  En  ellet  les  deux 
lieutenants  de  Tarchiduc  (Charles,  [)Owr  rejoindre 
le  gros  de  larniée  autrichienne,  se  reportaient  de 
la  route  de  Moravie  sur  celle  de  Bohème,  obéis- 
sant eu  cela  à  une  volonté  dont  bientôt  on  va  voii- 
les  étranges  incertitudes.  Le  général  3Iarmont,  que 
Napoléon  avait  laissé  libre  de  suivre  la  route  sur 
laquelle  il  croirait  trouver  Tennemi,  adopta  le  vrai 
parti  qui  convenait  aux  circonstances.  Se  détour- 
nant de  la  Moravie,  à  l'imitation  du  corps  qu'il 
poursuivait,  il  prit,  par  Mistelbach  et  Laa,  la  di- 
rection de  Znaïm.  Seulement  ayant  à  faire  part  au 
maréchal  Davout  de  sa  nouvelle  marche,  il  n'osa 
pas  l'attirer  à  lui,  ne  sachant  pas  si  le  détachement 
dont  il  suivait  les  traces  était  le  gros  de  l'ennemi. 
Il  l'informa  de  son  détour  à  gauche,  sans  rien  faire 
pour  l'empêcher  de  continuer  sur  Nikolsbourg  et 
sur  la  Moravie. 

Le  9,  à  moitié  chemin  de  Laa,  il  rencontra  i  ,200 
chevaux  et  deux  bataillons  de  Rosenberg,  les  cul- 
buta, et  leur  enleva  quelques  centaines  de  prison- 
niers. Il  arriva  le  9  au  soir  à  Laa,  sur  la  Taya, 
rivière  qui  passe  successivement  à  Znaïm,  à  Laa, 
et  vient,  en  traversant  le  milieu  de  la  Moravie,  se 
jeter  dans  la  Morava.  La  chaleur  était  étouffante, 
dans  celte  province  abritée  au  nord  par  les  mon- 
tagnes de  la  Bohème,  de  la  Ilaute-Silésie  et  de  la 
Hongrie.  Les  caves  du  pays  étaient  richement  four- 
nies, et  malgré  le  soin  avec  lequel  les  troupes  du 
général  Marmont  étaient  tenues,  elles  se  débandé- 


WAGRAM.  487 

rent,  entraînées  par  la  fatigue,  la  chaleur,  le  goût 
du  vin,  et  aussi  par  la  confiance  excessive  que  leur 
inspirait  la  victoire.  Le  général  Marmont  parvenu 
à  Laa  n'avait  pas  le  quart  de  son  effectif  dans  les 
rangs.  Il  assembla  les  officiers,  leur  exposa  le  danger 
de  compromettre  par  une  négligence  coupable  le 
résultat  d'une  grande  campagne,  fit  exécuter  deux 
soldats  pour  l'exemple,  et  à  la  pointe  du  jour  il 
put  rallier  son  monde  afin  de  marcher  sur  Znaïm. 
Prêt  à  partir,  un  nouveau  détour  de  l'ennemi  faillit 
le  rejeter  dans  de  fâcheuses  incertitudes.  Le  corps 
de  Rosenberg,  qui  avait  pris  à  gauche  pour  gagner 
la  route  de  Znaïm,  prenait  maintenant  à  droite  pour 
regagner  celle  de  Briinn.  Le  généralissime  autri- 
chien continuant  d'attirer  à  lui  le  corps  de  llohen- 
zoUern,  renvoyait  au  contraire  celui  de  Rosenberg 
sur  la  IMoravie,  on  ne  sait  en  vérité  pourquoi,  car 
ce  corps  n'était  guère  de  force  à  défendre  cette 
province  si  les, Français  mettaient  du  prix  à  l'oc- 
cuper. C'était  une  preuve  de  plus  que  les  deux 
corps  de  Hohenzollern  et  de  Rosenberg  avaient  été 
laissés  sans  réflexion  sur  la  route  de  Moravie,  et 
qu'ils  étaient,  sans  réflexion  encore,  portés  tantôt 
sur  la  route  de  Znaïm,  tantôt  sur  celle  de  Rriinn. 
Du  reste  il  y  avait  dans  ces  divagations  des  corps 
autrichiens  de  quoi  troubler  l'esprit  du  général  fran- 
çais, qui  était  en  tète  de  la  poursuite.  Néanmoins  le 
général  Marmont,  avec  une  remarquable  sagacité 
militaire,  persista  dans  sa  marche  sur  Znaïm,  lais- 
sant Rosenberg  faire  un  nouveau  détour  à  droite, 
et  continuant  lui  dans  la  direction  où  il  croyait  trou- 
ver l'ennemi,  et  où  il  le  trouva  en  effet. 


Juillet    <80». 


188  II  VUE   XXW. 

Vers  1(3  milieu  du  iruMiic  jour,  le  vénérai  Mar- 

Juillet    <809.  ,  .     . 

mont,  parvenu  à  une  position  où  il  avait  à  sa  gauche 
,  ^'■'■,'^^?'' ,     la  Tava,  et  sur  son  front  un  ravin  profond  qui  allait 

du  gênerai  «^     '  '  * 

Marmont  a  aboutir  à  la  Taya ,  aperçut  au  delà  de  ce  ravin  le 
bassin  dans  lecjuel  s'élevait  en  anii)liilliéàtre  la  \  ille 
de  Znaïm.  En  ce  moment  les  Autrichiens  se  pres- 
saient sur  le  pont  do  la  Taya,  et  traversaient  en 
toute  hâte  la  ville  elle-même  de  Znaïm,  pour  ga- 
gner à  temps  la  route  de  Bohème.  Loin  d'être  en 
mesure  de  se  placer  en  travers  de  cette  route  afin 
de  la  barrer,  le  général  Marmont  ayant  10  mille 
hommes  à  opposer  à  60  mille,  courait  au  con- 
traire de  grands  dangers.  Mais  il  était  séparé  du 
bassin  de  Znaïm  par  le  ravin  sur  lequel  il  venait 
d'arriver,  et  dont  les  Autrichiens  occupaient  les 
bords.  Il  les  leur  enleva  par  une  attaque  \igoureuse 
du  8''  et  du  23'  de  ligne,  s'empara  en  outre  du  vil- 
lage de  TesNvitz  situé  au-dessous,  et  d'où  il  avait 
la  possibilité  de  canonner  le  pont  de  la  Taya.   Il 

„  . .  s'empara  vers  sa  droite  de  deux  fermes  propres  à 

Position  prise  ^  ^       ^^ 

par         lui  servir  d'appui,   et  plus  à  droite  encore  d'un 

le  général  .  ,  i-        i  •      -n  l  •       • 

Marmont  bois  qu  il  remplit  de  ses  tirailleurs.  Ayant  ainsi 
dTzna^m.  ^^^  frout  couvcrt  par  le  ra\in  dont  il  était  maî- 
tre, sa  gauche  par  la  Taya,  et  sa  droite  par  des 
fermes  et  un  bois  fortement  occupés,  il  pouvait 
gêner  avec  son  canon  le  passage  des  Autrichiens  sur 
le  pont  de  la  Taya,  sans  être  trop  exposé  à  leurs 
représailles.  Il  se  mit  donc  à  canonner  ce  pont,  fai- 
sant partir  aides  de  camp  sur  aides  de  camp  pour 
informer  Napoléon  de  la  position  singulière  où  il  se 
trouvait. 

Cette  canonnade  incommode  et  périlleuse  inquié- 


WAGRAM.  Jm 

tant  les  Autrichiens,  ils  firent  une  tentative  i)our  

s  en  débarrasser,  en  attaquant  sérieusement  le  vil- 
lage de  Teswitz.  A  la  vue  des  préparatifs  de  cette 
attaque,  le  général  Marmont  y  envoya  des  troupes 
bavaroises  pour  la  déjouer.  Les  assaillants  redou- 
blant d'efforts,  il  fallut  soutenir  les  premières  trou- 
pes par  la  division  de  Wrède  tout  entière,  et  l'at- 
taque n'ayant  pas  cessé,  par  Tenvoi  sur  ce  nicine 
point  du  8r  de  ligne.  Il  suffit  de  ce  régiment  fran- 
çais pour  mettre  un  terme  aux  entreprises  de  Fen- 
nemi,  et  tenir  les  Autrichiens  à  grande  distance.  La 
journée  s'acheva  sans  autre  événement.  Vers  la 
chute  du  jour  une  canonnade,  entendue  dans  le 
lointain  à  gauche,  annonça  la  marche  de  ^lasséna 
sur  la  route  de  Bohème,  à  la  suite  de  la  principale 
armée  autrichienne.  Napoléon  averti  ne  pouvait 
manquer  non  plus  d'arriver  par  la  droite.  Le  gé- 
néral Marmont  passa  donc  la  nuit  tranquillement, 
avec  la  confiance  d'un  homme  qui  n'avait  rien  né- 
gligé pour  garantir  sa  position ,  et  qui  participait 
du  reste  à  la  témérité  que  la  victoire  inspirait  alors 
à  tout  le  monde.  Un  fait  d'ailleurs  était  de  nature  à 
le  rassurer.  Un  Français  resté  au  service  d'Autriche, 
M.  de  Fresnel,  venait  de  se  présenter  de  la  part  du 
général  comte  de  Bellegarde,  pour  demander  un 
armistice.  Le  général  Marmont  n'ayant  pas  de  pou- 
voirs pour  conclure  un  tel  acte,  et  espérant  de  plus 
qu'on  pourrait  encore  envelopper  le  lendemain 
l'armée  autrichienne,  dépêcha  cet  envoyé  au  quar- 
tier général  de  l'Empereur,  sans  prendre  sur  lui  de 
suspendre  les  hostilités. 

Dans  le  moment,  les  Français  arrivaient  par  la       Arrivée 


Juillet    <801t. 


i90  LIVRE   XXXV. 

gauche  et  par  la  droite,  par  la  route  de  Bohême 
et  par  la  route  de  Moravie,  sur  la  trace  des  Aulri- 
iic  Masséna    cliicus.  Masséua ,  parti  le  8  de  Stockerau  avec  les 

lo  1  I  au  matin     ,...  i,-n  -t  i/-.  o-         ^^ 

au  pont  divisions  d  infanterie  Legrand,  Carra  Saint -Lyr, 
^devant ^'  Molitor,  avcc  une  division  de  grosse  cavalerie, 
znaim.  avait  talonné  sans  cesse  Tarrière-garde  du  prince  de 
Reuss,  et  lui  avait  enlevé  de  nombreux  prisonniers. 
Il  avait  joint  cette  arrière-garde  le  9  au  pied  des 
hauteurs  de  Mallebern,  et  le  10  à  Hollabriinn,  où 
il  combattait ,  tandis  que  le  général  Marmont  était 
occupé  à  s'établir  devant  Znaïm.  L'archiduc  Char- 
les instruit  de  la  présence  d'un  corps  français  à  Laa, 
avait  envoyé  les  grenadiers  et  la  réserve  de  cava- 
lerie pour  s'emparer  du  pont  de  la  Taya,  les  avait 
suivis  lui-même  avec  les  corps  de  Bellegarde,  de 
KoUovralh  et  de  Klenau,  abandonnant  au  prince  de 
Reuss  le  soin  de  disputer  Hollabriinn  le  plus  long- 
temps qu'il  pourrait.  C'était  donc  lui  qui  avec  les 
corps  que  nous  venons  de  désigner,  traversait,  sous 
les  yeux  du  général  Marmont,  le  pont  de  la  Taya 
devant  Znaïm,  appelé  pont  deSchaliersdorf.  Tandis 
que  les  choses  se  passaient  de  la  sorte  à  gauche , 
Napoléon  à  droite,  prévenu  le  9  de  la  marche  de 
Marmont  vers  Znaïm,  s'était  mis  en  mouvement 
par  Wiifersdorf  avec  la  garde,  le  corps  d'Oudinot, 
et  les  cuirassiers  de  Nansouty.  Il  s'était  rendu  le  1 0 
de  Wiifersdorf  à  Laa,  espérant  amener  la  garde  à 
Znaïm  dans  la  journée  du  11.  Devançant  ses  trou- 
pes de  sa  personne,  il  s'était  mis  immédiatement 
en  route  pour  arriver,  le  11  au  milieu  du  jour,  au 
quartier  général  de  Marmont. 

Le  1 1  au  matin ,  en  elfet ,  les  Autrichiens  conti- 


WAGRAM.  i91 

nucrent  à  défiler  sous  les  yeux  du  général  Mar- 
mont,  qui,  du  village  de  Teswitz,  les  canonnail 
au  passage  de  la  rivière,  et  Masséna,  suivant  en 
queue  le  prince  de  Reuss,  les  culbuta  au  milieu 
du  jour  sur  la  Taya,  après  un  engagement  vigou- 
reux. Parvenu  jusqu'au  pont  de  Schallersdorf,  qui 
était  barricadé,  Masséna  le  fit  attaquer  parla  vail- 
lante division  Legrand.  Le  chef  de  cette  division, 
conduisant  ses  soldats  au  feu  avec  sa  valeur  accou- 
tumée, et  abordant  l'obstacle  de  front  pendant  que 
l'artillerie  de  Masséna  le  prenait  en  enfilade,  réussit 
à  s'approcher  du  pont,  en  escalada  les  barricades, 
et  s'en  rendit  maître.  Après  cet  acte  d'audace,  le 
général  Legrand  porta  sa  division  dans  la  petite 
plaine  qui  formait  le  bassin  de  la  Taya,  en  pré- 
sence des  troupes  du  prince  de  Reuss  et  des  gre- 
nadiers autrichiens  adossés  à  la  ville  de  Znaïm.  Le 
général  Marmont ,  du  sommet  des  hauteurs  situées 
à  droite,  de  l'autre  côté  de  la  Taya,  assistait  à  ce 
spectacle,  impatient  de  seconder  utilement  le  ma- 
réchal Masséna. 

Ce  dernier  ne  voulant  pas  s'en  tenir  à  un  pre- 
mier acte  de  hardiesse,  résolut  d'attaquer  les  Au- 
trichiens, de  les  culbuter  sur  Znaïm,  d'y  entrer  à 
leur  suite,  et  de  les  jeter  au  delà,  dans  l'espoir  que 
les  troupes  de  Marmont  leur  barreraient  la  route 
de  Bohême.  Mais  il  n'avait  auprès  de  lui  que  la 
division  Legrand,  et  devait  être  rejoint  par  la  di- 
vision Carra  Saint-Cyr,  celle  qui  avait  été  si  im- 
prudemment héroïque  à  Aderklaa.  Il  n'en  aborda 
pas  moins  les  troupes  du  prince  de  Reuss  et  les  gre- 
nadiers avec  la  seule  division  Legrand,  se  faisant 


Juillet    I80î>. 


Attaque 

vigoureuse 

exécutée 

par  Masséna 

sur  le  pont 

de  la  Taya. 


Combat 
de  Znaïm. 


Juillet    1809. 


S02  I.IVRF    XXXV. 

seconder  par  son  artillerie  resiée  en  deçà  de  la 
Taya.  Le  pont  franclii,  il  s'engagea  dans  le  village 
allongé  de  Schallorsdorf,  Tenleva,  s'empara  à  gan- 
che  d'un  gros  couvent  appelé  KIoster-Bruck,  et  dans 
la  plaine  à  droite  lança  ses  cuirassiers,  qui  exécu- 
tèrent plusieurs  charges  vigoureuses  sur  les  Autri- 
chiens. Masséna  luttait  en  cet  endroit,  avec  7  ou  8 
mille  hommes  contre  plus  de  30  mille,  sans  comp- 
ter 30  mille  autres  rangés  par  delà  Znaïm,  dans  les 
plaines  que  traversait  la  route  de  Bohême.  Un  épou- 
vantable orage  étant  survenu,  le  combat  fut  pres- 
que suspendu  par  l'impossibilité  de  faire  feu.  Les 
grenadiers  autrichiens,  profitant  de  cette  circon- 
stance, s'avancèrent  silencieusement  à  travers  le 
village  de  Schallersdorf ,  surprirent  nos  soldats  qui 
ne  pouvaient  se  servir  de  leurs  fusils,  et  pour  un 
moment  se  rendirent  maîtres  du  pont.  Masséna  vou- 
lut jeter  sur  eux  les  cuirassiers,   mais  le  terrain 
devenu  glissant  ne  pouvait  les  porter.  Un  grave  ac- 
cident était  à  craindre,  quand  par  bonheur  arriva 
la  division  Carra  Saint-Cvr.  Celle-ci,  lancée  sur  le 
pont,  le  reprit,  traversa  dans  sa  longueur  la  co- 
lonne des  grenadiers,  en  fit  800  prisonniers,  et  dé- 
boucha victorieuse  dans  la  plaine  de  Znaïm.  En  ce 
moment,  le  général  Marmont,  ne  voulant  pas  laisser 
le  maréchal  Masséna  lutter  tout  seul,  avait  débou- 
ché de  Teswitz,  et,  de  moitié  avec  lui,  poussait  les 
Autrichiens  sur  Znaïm.  On  les  avait  acculés,  on 
leur  avait  enlevé  une  masse  considérable  d'hommes, 
tué  ou  blessé  beaucoup  de  monde,  et  on  allait,  en 
forçant  Znaïm ,  les  contraindre  à  une  retraite  dés- 
ordonnée. Mais  la  garde  n'étant  pas  encore  arrivée, 


WAGRAM.  i!»3 

il  n'y  avait  aucun  espoir  de  les  envelopper.  Il  est  

....        ;  ,  '  ',  .  Juillet   1809. 

vrai  que  trois  mille  chevaux  du  cette  i^arde  avaient 
déjà  paru ,  et  que ,  joints  à  la  cavalerie  de  Mont- 
hrun,  aux  cuirassiers  de  Saint-Sulpice,  ils  pouvaient 
rendre  la  retraite  des  Autrichiens  singulièrement 
meurtrière. 

Mais  Napoléon,  survenu  au  milieu  de  ces  entre-      Arrivée 
faites,  avait  rencontré  l'envoyé  du  général  Belle-    ^  znaïm°"" 
garde ,  et  reçu  le  prince  Jean  de  Liechtenstein  lui-    ^'  entrevue 

•-^  '  s  r  avec  le  prince 

même,  qui  venait  demander  une  suspension  d'armes,   JoandeLicch- 

tcnstein. 

et  promettre  au  nom  de  1  honneur  militaire  l  ouver- 
ture d'une  négociation  pour  la  conclusion  immé- 
diate delà  paix.  Napoléon,  avec  le  major  général 
Berlhier,  M.  Maret ,  duc  de  Bassano,  et  le  grand 
maréchal  Duroc,  conféra  un  instant  sur  le  parti  à 
prendre.    Il  pouvait,  en  occupant  les  Autrichiens   Délibération 
quelques  heures  de  plus  par  un  combat  opiniâtre,     la  demande 
gagner  peut-être  assez  de  temps  pour  les  tourner,    ''armistice 
et  tout  au  moins  lancer  à  leur  suite  dix  mille  che-         les 

.  ,  •       ,  •    i  '      1  1  '  1         '  Autrichiens. 

vaux,  qui  les  auraient  jetés  dans  un  désordre  épou- 
vantable. 3lais  sans  recourir  à  ce  moyen  il  avait 
la  certitude  d'obtenir  les  conditions  de  paix  les  plus 
avantageuses,  et  son  orgueil  étant  satisfait  de  voir 
le  plus  brillant,  le  plus  noble  ofllcier  de  l'armée 
autrichienne,  venir  implorer  humblement  la  fin  de 
la  guerre ,  il  inclinait  à  s'arrêter  dans  sa  marche 
victorieuse.  Il  y  eut  plusieurs  avis  sur  ce  sujet.  Les 
uns  disaient  qu'il  fallait  en  finir  avec  la  maison 
d'Autriche ,  et  briser  sur  sa  tête  le  nœud  de  toutes 
les  coalitions,  pour  qu'on  ne  les  vît  pas  renaître 
quand  on  retournerait  en  Espagne  pour  y  terminer 
la  guerre.  Les  autres  alléguaient  le  danger  de  pro- 


Juillet    180'.». 


i94  LlVUl-    WXV. 

lt)ni;or  une  lutte  cnircpri.so  avec  des  moyens  im- 
provisés, Hnio  en  trois  mois  par  un  miracle  de 
.nénie,  mais  (pii ,  en  durant,  pourrait  provoquer 
le  soulèvement  de  l'Allemai^ne,  entraîner  môme  les 
Russes  peu  disposés  à  laisser  détruire  la  maison 
d'Ail  (riche,  et  embraser  ainsi  le  continent  tout  en- 
tier. Napoléon,  sentant  confusément  (pfil  a\ail 
déjà  fort  abusé  de  la  fortune,  es[)érant  que  cette 
nou\elle  leçon  empêcherait  désormais  l'Autriche 
de  le  troubler  dans  sa  lutte  avec  l'Espagne  et  l'An- 
gleterre, voyant  après  l'Autriche  vaincue  l'E.spa- 
gne  facile  à  soumettre ,  et  la  paix  générale  cou- 
ronnant ses  immenses  travaux,  tandis  que  si  au 
contraire  il  poussait  les  hostilités  à  outrance,  jus- 
([u'à  la  destruction  par  exemple  de  la  maison 
d'Autriche,  il  amènerait  probablement  les  Russes 
à  se  mêler  de  la  querelle,  et  s'attirerait  une  guerre 
universelle,  qui  pourrait  devenir  le  terme  de  sa 
grandeur.  Napoléon ,  tout  à  la  fois  satisfait  et  fa- 
tigué, s'écria,  après  avoir  entendu  ceux  que  pour 
la  première  fois  il  admettait  à  donner  un  avis  de- 
vant lui  :  Il  y  a  assez  de  sang  répandu!...  faisons 
ia  ])aix!  — 
^°'"  il  exigea  du  prince  Jean  de  Liechtenstein  la  pro- 

conlié  à  M.  lio       .  '^  '  ^ 

wimpffcnct  messe  que  des  plénipotentiaires  seraient  envoyés 

nérai'BeîthkT  sur-lc-champ  pour  négocier,  et  laissa  Berthier  pour 

lefconduions  latVance,  iM.  de  Winïpffen  pour  l'Autriche,  stipu- 

.le  l'armistice  ],3r  sur  le  terrain  du  condjat  les  conditions  dun 

demandé. 

armistice. 

Tandis  que  les  chefs  d'état-major  des  deux  ar- 
mées discutaient  ces  conditions,  on  dépêcha  le  co- 
lonel Marbot  et  le  général  d'Aspre  aux  avant-poi- 


WAGUAM. 


495 


les,  pour  faire  cesser  les  hostilités.  Ils  arrivèrent 
entre  Schallersdorf  et  Znaïm  au  moment  où  les 
troupes  de  Masséna  étaient  aux  prises  avec  les  gre- 
nadiois  autrichiens.  L'acharnement  était  tel  que  les 
cris  mille  fois  répétés  de  Paix!  Paix!  Ne  tirez  plus! 
ne  suffirent  point  pour  séparer  les  combattants.  Le 
colonel  jMarbot  et  le  général  d'Aspre  furent  même 
légèrement  blessés  dans  leurs  efforts  pour  arrêter  le 
combat.  Ils  y  parvinrent  enfin,  et  un  profond  si- 
lence, interrompu  seulement  par  la  joie  des  vain- 
queurs, succéda  à  une  affreuse  canonnade.  Cette 
journée  nous  coûta,  tant  au  corps  du  général  Mar- 
mont  qu'à   celui  du    maréchal  Masséna,   environ 

2  mille  morts  et  blessés;  mais  elle  en  coûta  plus  de 

3  mille  aux  Autrichiens,  avec  5  à  G  mille  prison- 
niers. C'était  une  dernière  victoire  qui  couronnait 
dignement  cette  grande  et  belle  campagne. 

Entré  en  action  à  la  fin  d'avril  avec  des  troupes 
formées  à  peine  et  encore  éparses,  contre  l'ar- 
chiduc Charles  qui  marchait  avec  une  armée  or- 
ganisée de  longue  main  et  déjà  réunie.  Napo- 
léon avait  réussi  en  quelques  jours  à  compléter  la 
sienne,  à  la  rallier,  à  la  concentrer  devant  l'ennemi, 
à  couper  en  deux  celle  de  l'archiduc  Charles,  et  à 
la  jeter  partie  en  Bohême,  partie  en  Basse-Au- 
triche. Tel  avait  été  le  premier  acte  de  la  cam- 
pagne, terminé,  comme  on  s'en  souvient,  devant 
Ratisbonne.  Poursuivant  ensuite  jusqu'à  Vienne  les 
Autrichiens  dispersés  sur  les  deux  rives  du  Danube, 
Napoléon  avait  marché  si  vite,  et  si  sûrement,  qu'il 
n'avait  jamais  permis  leur  ralliement  avant  Vienne, 
et  était  entré  dans  cette  capitale  un  mois  après  l'ou- 


Juillet   ISû'.t. 


Résumé 

de 

la  campagne 

de  1800 
en  Autriche. 


i9G  LIVRE   XWV. 

\ (Ml lire  (le  la  cani[)ai!;ne,  rcM)aranl  ainsi  les  revers 

Juillet   180».      ,     ,,  ,,.,,.  ,  >    , 

tle  1  armée  d  Italie,  et  arrêtant  a  leur  origine  tous 
les  projets  d'insurger  le  continent  eonti'e  la  France. 
Voulant  franchir  le  Danube  pour  terminer  la  guerre 
par  une  bataille  décisive,  et  ayant  été  interrompu 
dans  son  o[)ération  par  une  crue  subite  du  fleuve, 
il  avait,  dans  les  deux  journées  d'Essling,  soutenu 
par  dvs  prodiges  d'énergie  l'entreprise  si  dange- 
reuse de  combattre  avec  un  fleuve  à  dos,  grâce  à  la 
pensée  admirable  de  choisir  l'île  de  Lobau  comme 
terrain  de  passage.  Repassé  sur  la  rive  droite,  il 
avait  imaginé  de  magnifiques  travaux  pour  annuler 
presque  entièrement  l'obstacle  qui  le  séparait  des 
Autrichiens,  amené  à  lui  les  armées  d'Italie  et  de 
Dalmatie,  concentré  ainsi  toutes  ses  forces  pour  une 
lutte  décisive,  et  alors,  opérant  en  quelques  heures 
le  miracle  de  traverser  en  présence  de  l'ennemi  un 
large  fleuve  avec  150  mille  hommes  et  500  bou- 
ches à  feu ,  il  venait ,  dans  l'une  des  plus  grandes 
batailles  des  siècles,  de  terminer  cette  quatrième 
guerre  d'Autriche,  guerre  non  moins  mémorable 
que  toutes  celles  qu'il  avait  dirigées,  et  dans  la- 
(pielle  le  génie  surmontant  ses  propres  fautes  avait 
suppléé  par  des  merveilles  d'industrie  et  de  per- 
sévérance à  toutes  les  ressources  qu'une  politique 
insensée  faisait  défaillir  autour  de  lui  :  guerre  pen- 
dant laquelle  les  avertissements  de  la  fortune  s'é- 
taient renouvelés  encore  une  fois,  comme  pour 
])rémunir  le  grand  capitaine  contre  les  erreurs  du 
politique  imprudent  et  follement  ambitieux! 

Soin  Napoléon,  dans  la  stipulation  des  termes  de  Tar- 

de Napoléon         ... 

pour  assurer    misticc ,  vcilla  surtout  à  bien  assurer  sa  position 


wagra:\i.  '.!( 


Juillet    I80<J. 


hostilités. 


militairo  pour  le  cas  (rime  reprise  dhostilités,  si 
cette  reprise  devait  résulter  de  riinj)ossil)ilité  de 
s'entendre  sur  les  conditions  de  la  paix.   Il  exii^ea     sa  position 

'  niilitairi' 

d'abord  qu'on  lui  laissât  occuper  d'une  manière    dans  le  cas 

...  •  ...  .,  ,         dune  reprise 

permanente  toutes  les  provmces  qu  il  avait  seule-  dos 
ment  traversées  avec  ses  troupes  :  c'étaient  la  Haute 
et  la  Basse-Autriche ,  la  moitié  de  la  Moravie  con- 
sistant dans  les  districts  de  Znaïm  et  de  Bninn, 
la  partie  de  la  Hongrie  qui  s'étend  de  la  Haab  à 
Vienne,  la  Styrie,  la  Carinthie,  une  portion  de  la 
Carniole  nécessaire  pour  comnuinicjuer  avec  la  Dal- 
matie  et  l'Italie.  De  la  sorte  la  ligne  de  séparation 
entre  les  armées  belligérantes  devait  passer  par 
Lintz,  Krems,  Znaïm,  Briinn,  Godiug,  Presbourg, 
Raah,  Gratz,  Laybach  et  Trieste.  (Voir  la  carte 
n"  28.)  En  outre,  comme  appui  de  cette  ligne,  la 
citadelle  de  Briinn,  la  ville  de  Presbourg,  les  pla- 
ces de  Raab,  de  Gratz  et  de  Laybach,  durent  lui 
être  ou  laissées,  ou  livrées  immédiatement.  Na- 
poléon occupait  ainsi  plus  d'un  tiers  de  l'empire 
d'Autriche.  Etabli  au  centre  de  cet  empire,  appuyé 
sur  la  capitale  et  les  principales  places,  il  pouvait, 
dans  le  cas  d'hostilités  prolongées,  partir  de  Vienne, 
comme  base  d'opération,  et  pousser  ses  conquê- 
tes jusqu'au  fond  des  provinces  les  plus  reculées. 
W  accorda  un  mois  pour  la  durée  de  l'armistice,  et 
stipula  l'obligation,  en  cas  de  rupture,  de  se  pré- 
venir quinze  jours  d'avance.  Un  mois  suffisait,  pour 
les  négociations  si  véritablement  on  voulait  s'en- 
tendre, et  pour  l'arrivée  des  renforts  mandés  de 
France  si  on  ne  le  voulait  pas.  Quelque  dures  que 
fussent  les  conditions  de  cet  armistice,  les  troupes 

TOM.  X.  32 


4<<H 


LIVRE   XWV. 


Juillet    1809. 


Signature 

lie  l'armistico 

«le  Znaïm  le  1 2 

juillet. 


Kotoui 

de  Napoléon  ù 

.Schœnbrunn  , 

et  ses  efforts 

jwur  renforcer 

SCS  armées 

pendant 
l'armistice. 


do  I  iiiiliiduc  étaient  dans  une  .situalion  trop  fâ- 
cheuse, pour  (pron  ne  proférât  pas  (oui  à  la  eonli- 
nuation  des  hostilités.  L"a\is  unanime  dans  létat- 
niajor  autrieliien  fut  de  céder,  et  on  céda.  ^I.  de 
Wiuipllen,  au  nom  du  i<énérahssime,  le  major  gé- 
néral Bcrtliier,  au  nom  de  Napoléon,  donnèrent 
leur  siirnature.  La  iïiande  armée  autrichienne  avait 
l)ravemenl  comi)altu,  et,  maiizré  ses  malheurs,  elle 
pouvait  se  dire  quelle  avait  plutôt  relevé  que  laissé 
déchoir  la  puissance  autrichienne,  bien  quil  fallût 
s'attendre  à  de  cruels  sacrifices,  si  on  voulait  obte- 
nir la  paix  d'un  vainqueur  justement  enortïiieilli  de 
ses  avantages. 

Larmistice  fut  signe  à  Znaïm  le  11  à  minuit,  et 
dut  porter  la  date  du  12  juillet.  Napoléon,  après 
avoir  reçu  les  compliments  de  larchiduc  Charles 
et  lui  avoir  fait  porter  les  siens,  après  s'être  fait 
promettre  par  le  vaillant  prince  Jean  de  Liechten- 
stein qu'on  imposerait  silence  en  Autriche  au  parti 
de  la  guerre,  et  qu'on  enverrait  promptement  des 
négociateurs  à  Vienne,  partit  pour  Schœnbrunn, 
afin  d'employer  toutes  ses  ressources  soit  pour 
avoir  la  paix,  soit  pour  terminer  la  guerre  par  un 
dernier  eflort ,  court  et  décisif.  On  pouvait  dans  le 
courant  du  mois  d'août ,  avoir  ou  fini  de  négocier, 
ou  réuni  tous  les  moyens  de  recommencer  en  sep- 
tendjre  une  dernière  camj)agne,  qui  mettrait  fin  à 
l'existence  de  la  maison  d'Autriche.  Napoléon  or- 
donna donc  de  nouveaux  préparatifs,  comme  s'il 
n'avait  rien  fait  encore,  et  comme  s'il  avait  eu,  non 
pas  des  victoires  à  exploiter  diplomatiquement,  mais 
des  échecs  à  réparer. 


Juilkl    «g'tO. 


(le  l'armislira 
lie  Znatm. 


WAGRAM.  499 

D'abord  il  répartit  ses  troupes  entre  Vienne  et  le 
cercle  tracé  par  l'armistice,  de  manière  à  y  \ivre 
largement,  et  à  pouvoir  se  concentrer  rapidement    nistribuUuu 
sur  iim  des  points  quelconques  de  ce  cercle.  Il    (iesiroup,s 
plaça  le  général  Marniont  à  Krems,  ce  (pii  devait      laTurél 
le  ramener  en  Carinthie  par  Sainl-Polten,  (juand  il 
faudrait  rentrer  en  Dalmatie;  le  maréchal  Masséna  à 
Znaïm,  pays  qu'il  venait  de  conquérir-,  le  maréchal 
Davout  à  Briinn,  point  vers  lequel  il  se  dirigeait;  les 
Saxons  entre  iMarcliegg  et  Presbourg,  ligne  où  ils 
étaient  déjà;  le  prince  Eugène  sur  la  Raab,  où  il 
avait  été  victorieux.  Le  général  Grenier  devait  aussi 
occuper  la  Raab;  le  général  Macdonald,  Griitz  et 
Laybach.  Le  général  Oudinot,  avec  son  corps  et  la 
jeune  garde,  dut  s'établir  dans  la  plaine  de  Vienne. 
La  vieille  garde  vint  bivouaquer  dans  la  belle  rési- 
dence de  Schœnbrunn.  Comme  l'un  des  avantages 
de  l'armistice  était  de  pouvoir  employer  juillet  et 
août  à  la  soumission  du  Tyrol,  les  Bavarois  furent 
reportés  en  entier  vers  le  Tyrol  allemand,  tandis 
que  les  troupes  italiennes  du  prince  Eugène  mar- 
chèrent sur  le  Tyrol  italien.  Uc  nouvelles  forces  fu- 
rent envoyées  dans  le  Vorarlberg  et  la  Franconie. 

Napoléon  sachant  qu'il  avait  beaucoup  de  jeunes 
soldats  dans  les  cadres,  craignant  pour  leur  santé 
le  séjour  des  villes,  pour  leur  esprit  militaire  le 
repos  d'un  armistice,  ordonna  de  les  camper  sous 
des  baraques.  La  saison,  le  pays,  tout  était  beau. 
Le  vin,  la  viande,  le  pain  abondaient.  Les  contri- 
butions levées  sur  les  provinces  autrichiennes,  et 
payables  soit  en  papier,  soit  en  denrées,  étaient  un 

moyen  d'acquitter  la  valeur  de  tout  ce  qu'on  pren- 

32. 


SOO  I  IVHK   \X\V. 

(Irait,  sans  ruiner  personne,  en  posant  seulement 

Juillet   1800.  ,'       .  ,      ,-,%  r  ,  .       ,. 

sur  les  iinances  de  IhtnI.   l.n  solde   fut  mise  au 

courant,  et  des  ateliers  furent  établis  à  Vienne,  à 

Lintz,  à  Znaïm,  à  Briinn,  à  Preshourp:,  à  Griilz, 

pour  confectionner  des   habits,  des  souliers,   du 

linge,  du  harnachement,   toujours  en   payant  les 

Soins        matières  premières  et  la  main-d'œuvre.  En  un  mois 

■Je  Napoléon     ,,  ,  .  ,  '        •      ,      -,  i         •» 

pour  nourrir,  1  amiee  noumc,  vêtue,  reposée,  instruite,  devait 
*^T''^L!'     reparaître  florissante  et  terrible.  Ce  n'était  pas  tout  : 

organiser  X  i 

l'armée  pen-    [\  fallait  la  rendre  aussi  nombreuse  qu'elle  serait 

daiit  les  mois  ^ 

de  juillet  et  disciplinée  et  bien  pourvue.  En  vertu  des  ordres 
qu'il  avait  expédiés  en  juin.  Napoléon  allait  re- 
cevoir, dès  les  premiers  jours  de  juillet,  30  mille 
hommes  de  renfort,  tous  partis  déjà  de  Strasbourg. 
C'était  plus  que  les  pertes  de  la  campagne ,  surtout 
après  la  rentrée  dans  les  rangs  des  petits  blessés, 
qualification  réservée  à  tous  ceux  dont  on  espé- 
rait la  guéiison  sous  trois  ou  quatre  semaines.  Il 
donna  de  nouveaux  ordres  pour  ajouter  au  moins 
50  mille  hommes  aux  30  mille  qui  lui  arrivaient,  ce 
qui  devait  porter  à  250  mille  Français,  et  à  50  mille 
alliés,  l'armée  agissante  au  centre  de  la  monarchie 
autrichienne.  C'était  une  force  double  de  celle  que 
pouvait  réunir  l'Autriche,  dans  l'hypothèse  la  plus 
Renvoi      faNorablc.  Pour  y  parvenir  Napoléon  imagina  un 

lies  cadres  •  i-x  ,  ^r-i-i        i 

deg         mo^en  singulièrement  propre  a  faciliter  le  recru- 

ba'ta'iiion^s^à    ^^"^^'^^  dcs  corps.  A  l'armée,  par  suite  des  pertes, 

la  frontière,    les  cadrcs  étaient  loin  d'être  remplis,  tandis  que  dans 

y  chercher    Ics  dépôts  il  y  avait  abondance  de  conscrits,  au  delà 

les  conscrits  ai  i  i  •       .  .       ■         i 

déjà  formés.  Hiemc  de  cc  que  les  cadres  pouvaient  contenir,  de 
manière  que,  très-ordinairement,  on  manquait  de 
soldats  à  l'extérieur,  et  de  cadres  dans  l'intérieur. 


WAGRAM.  501 

Napoléon  fil  verser  tous  les  soldats  de  la  division 
Puthod,  qui  comprenait  les  quatrièmes  bataillons  du 
corps  du  maréchal  Davout,  dans  les  trois  premiers 
bataillons  de  ce  corps,  ce  qui  devait  les  reporter  à 
un  etTectif  considérable, .surtout  après  la  rentrée  des 
petits  blessés.  Il  en  fit  de  même  pour  rancieiuie  di- 
vision Barbou  de  l'armée  d'Italie,  laquelle  contenait 
les  troisièmes  et  quatrièmes  bataillons  du  corps  de 
Marmont.  Elle  eut  ordre  de  verser  ses  soldats  dans 
le  corps  du  général  Marmont,  qui  se  trouva  re- 
porté de  même  à  un  elTectif  très-élevé.  Les  qua- 
trièmes bataillons  composant  le  corps  du  général 
Oudinot  appartenaient  à  plusieurs  des  régiments  du 
maréchal  Masséna,  Ils  fournirent  leurs  soldats  à 
ces  régiments,  et  restèrent  vides  comme  ceux  des 
divisions  Puthod  et  Barbou.  Après  avoir  vidé  ces 
cadres,  par  le  versement  de  leurs  soldats  dans  les 
corps  dont  ils  dépendaient.  Napoléon  les  expédia 
aussitôt  sur  Strasbourg,  afin  d'aller  y  chercher  des 
conscrits  tout  formés,  et  revenir  ensuite  prendre 
rang  dans  l'aimée  active.  Ils  devaient,  chemin  fai- 
sant, rendre  un  autre  service,  c'était  de  conduire 
à  Strasbourg  vingt  mille  prisonniers,  qu'on  avait 
déposés  dans  lîle  de  Lobau,  et  qu'on  ne  voulait  pas 
y  laisser,  dans  le  cas,  qu'il  fallait  pré\oir,  d'un 
renouvellement  d'hostilités. 

Napoléon  ,  comme  nous  l'avons  dit  bien  des  fois, 
avait  créé  des  demi-brigades  provisoires,  avec  les 
cinquièmes  et  quatrièmes  bataillons  de  certains  ré- 
giments plus  avancés  que  les  autres  dans  leur  or- 
ganisation. Il  fit  dissoudre  onze  de  ces  demi-bri- 
gades, comprenant  au  moins  20  mille  hommes, 


Juillet    1800. 


502 


LIVRE  XXXV. 


Juillet    1809. 


Transports 

des  recrues 

sur  le  Danube 

rie  Ratisbonnc 

j  Vienne. 


Nouvelle 

augmentation 

de 

l'artillerie. 


lesquels  eurent  ordre  de  se  rendre  à  Strasbourg  où 
les  cadres  des  quatrièmes  hataillons  devaient  les 
recevoir.  Il  fit  une  nouvelle  revue  des  dépôts  qui 
ne  s'étaient  pas  épuisés  pour  former  des  demi-bri- 
gades, et  leur  demanda  à  ious  des  bataillons  de 
marche,  distingués  entre  eux  par  les  numéros  des 
divisions  militaires  auxquelles  ils  appartiendraient. 
Une  fois  arrivés  à  Ratisbonne,  ils  auraient  en  quel- 
que sorte  achevé  leur  voyage,  car  des  moyens  de 
transport  étaient  préparés  dans  cette  ville  pour  les 
conduire  à  Vienne  par  le  Danube.  Napoléon  exigea 
en  outre  une  dizaine  de  mille  hommes  de  Tltalie. 
Quant  à  la  cavalerie  il  n'avait  presque  pas  d'hom- 
mes à  demander,  car,  suivant  l'usage,  il  avait  perdu 
peu  de  cavaliers  et  beaucoup  de  chevaux.  Pour  ré- 
parer ces  pertes  il  établit  de  nouveaux  marchés  de 
chevaux  à  Passau,  à  TJntz,  à  Vienne,  à  Raab.  En- 
fin, satisfait  du  service  de  l'artillerie,  il  voulut  la 
renforcer  encore,  et  de  550  bouches  à  feu  la  por- 
ter à  700,  non  pas  en  augmentant  l'artillerie  des 
régiments,  ce  qui  était  un  retour  à  d'anciennes  cou- 
tumes peu  justifié  jusqu'ici,  mais  en  augmentant 
l'artillerie  des  corps,  et  particulièrement  celle  de 
la  garde  impériale.  Cette  artillerie  de  la  garde  avait 
admirablement  servi  à  Wagram,  où  elle  comptait 
GO  pièces.  Il  décida  qu'elle  serait  portée  à  1^0. 
Dix-huit  compagnies  d'artillerie  tirées  des  dépôts, 
et  en  particulier  des  dépôts  d'Italie,  fournirent  le 
personnel  de  cette  augmentation.  Le  matériel   en 
fut  tiré  de  Strasbourg  et  des  places  fortes  d'Italie. 
Tous  les  calibres  furent  élevés.  L'artillerie  de  ma- 
rine dut  remplacer  l'artillerie  de  terre  dans  la  garde 


Juillet    1809. 


WAGHAM.  509 

des  côtes,  et  les  compai^nies  des  côtes  remplacer 
au  dépôt  des  régimcnls  les  compagnies  en^  oyées  à 
l'armée  active. 

C'est  ainsi  que  dans  le  courant  du  mois  d'août 
50  mille  hommes  allaient  suivre  les  30  mille  cpii 
étaient  actuellement  en  marche  vers  les  camps  de 
l'armée  dWllemagne.  Les  travaux  de  défense  à 
Raal),  Vienne,  ^lolk ,  Lintz,  Passau  furent  poussés 
avec  une  nouvelle  activité.  Les  blessés  furent  di- 
visés en  trois  catégories  :  les  amputés  furent  ex- 
pédiés sur  Strasbourg;  les  hommes  gravement  at- 
teints furent  répartis  entre  Molk,  Lintz,  Passau, 
de  manière  qu'ils  pussent  rejoindre  leurs  régiments 
dans  deux  ou  trois  mois.  Les  petits  blessés  furent 
dirigés  sur  chaque  camp.  De  la  sorte  aucun  embar- 
ras ne  générait  les  mouvements  de  l'armée,  si  elle 
reprenait  les  hostilités.  Tandis  que  tout  se  préparait 
jiour  la  renforcer,  elle  devait  faire  succéder  à  ses 
moments  de  repos  des  exercices  fréquents,  mener 
ainsi  une  vie  mêlée  d'activité,  de  jouissances  et  de 
loisirs ,  car  il  régnait  une  abondance  générale  dans 
les  camps.  Afin  de  donner  à  tous  l'exemple  du  dé- 
vouement, la  jeune  garde  eut  ordre  de  camper 
sous  Vienne  avec  ses  olTiciers,  jusqu'au  grade  de 
colonel.  Fusiliers,  tirailleurs,  conscrits,  au  nombre 
de  huit  régiments,  furent  baraqués  entre  Vienne  et 
Wagram.  Les  grenadiers  et  chasseurs  de  la  vieille 
garde,  qui  n'avaient  rien  à  apprendre,  furent  seuls 
dispensés  de  cette  tâche,  et  vécurent  dans  la  paisi- 
ble retraite  de  Schœnbriinn  autour  du  maître  qu'ils 
aimaient  et  dont  ils  étaient  aimés. 

A  tant  de  travaux  se  joignirent  les  récompen-  Récompenses 


Jiiillel    4$0'.). 

ilcn;i'néi.'S 
auxiîéncraux, 


501  LIVRE  XXXV. 

ses,  en  coinmcnrant  coimnc  d  usaiïe  par  les  chefs 
de  raiiiiée.  Le  général  Oiidinot  (jui  avait  bien  rem- 
placé le  maréchal  Lannes  à  la  léte  du  deuxième 
officiers       corps,  le  général  .Maniioiil  (iiii  avait  fait  du  fond 

et  soldats.  "       ,      7  .  .  . 

la  fin  de  la  (Ic  la  Dalniatic  jusipiaii  milieu  de  la  3Ioravie  une 
doTso"'  marche  hardie  et  prudente,  le  général  Macdonald 
({ui  a\ait  montré  dans  toute  la  campagne  d'Ilalie 
une  profonde  expérience  de  la  guerre,  et  à  Wa- 
gram  la  plus  rare  inlivpidilé,  fiu'ont  nommés  ma- 
réchaux. Des  gratifications  fuient  accordées  aux 
corps,  et  surtout  aux  blessés.  Un  acte  de  sévérité 
vint  se  mêler  à  ces  actes  de  gratitude  et  de  muni- 
ficence. Le  maréchal  Bernadolte,  qui,  par  sa  faute 
ou  celle  de  son  corps,  n'avait  pas  su  garder  le 
poste  qui  lui  était  assigné  entre  Wagram  et  Ader- 
klaa,  n'en  avait  pas  moins  publié  un  ordre  du  jour 
adressé  aux  Saxons ,  dans  lequel  il  les  remerciait 
de  leur  conduite  dans  les  journées  des  5  et  6  juil-, 
let ,  et  leur  attribuait  pour  ainsi  dire  le  gain  de  la 
bataille.  Cette  manière  de  distribuer  à  lui-même  et 
à  ses  soldats  des  louanges  qu'il  aurait  du  attendre 
de  Napoléon,  blessa  vivement  celui-ci,  parce  qu'elle 
l)lessait  l'armée  tout  entière  et  ses  chefs.  Napoléon 
rédigea ,  pour  len  punir,  un  ordre  du  jour  des  plus 
sévères,  qui  fut  communiqué  circulairement  aux 
maréchaux  seuls,  mais  qui  était  suffisant  pour  répri- 
mer un  tel  emportement  de  vanité,  car  adressé  à  des 
rivaux  il  n'était  pas  probable  (piil  restât  secret'. 

oRDHi:  Di'  jorn. 

11  Srliœnbniiin,  le  5  août  1809. 

'•S.  M.  léinoigne  son  iiK^contPuteniont  an  marc^clial  jnince  de  Ponle- 
Cuivo  pour  son  ordre  du  jour  daté  dr  Liopoidau,  le  7  juillet,  qui  a  été 


WAGUAM.        ,  505 

Enfin  Napoléon  alla  lui-nicnie  ^isitcrses  camps  de 
la  Haute-Autriche,  de  la  Moravie  et  de  la  Hongrie, 
sachant  que  par  cette  vigilance  menaçante  il  assu- 
rait mieux  la  conclusion  de  la  paix,  que  par  tous 
les  efforts  de  ses  négociateurs.  La  ville  d'Alten- 
bourg  venait  d'être  désignée  pour  les  réunir.  Cest 

inséré  à  une  même  époque  dans  presque  tous  les  journaux  dans  les 
termes  suivants  : 

«  Saxons,  dans  la  journée  du  5  juillet,  7  à  8  mille  d'entre  nous  ont 
»  percé  le  centre  de  l'armée  ennemie  et  se  sont  portée  à  Deutsch-NVa- 
«  gram ,  malgré  les  efforts  de  40  mille  hommes  soutenus  par  cinquante 
"  bouches  i\  feu.  Vous  avez  combattu  jusqu'à  minuit  et  bivouaqué  au 
»  milieu  des  ligues  autrichiennes.  Le  6,  dès  la  pointe  du  jour,  vous 
»  a\ez  recommencé  le  combat  a\ec  la  mèuie  persévérance  et  au  milieu 
»  des  ravages  de  l'artillerie  ennemie.  Vos  colonnes  vivantes  sont  res- 
»  tées  immobiles  comme  l'airain.  Le  grand  INapoléon  a  \u  votre  di- 
»  vouement  :  il  vous  com|)te  parmi  ses  braves. 

»  Saxons,  la  fortune  d'un  soldat  consiste  à  remplir  .ses  devoirs;  vous 
»  avez  dignement  fait  le  votre. 

»  Au  bivouac  de  Léopoldau,  le  7  juillet  1809. 

»  Le  maréchal  d'empire  coitnnandanl  le  9=  corps, 

»  Signe  :  J.  Bernadotte.  » 

>'  Indépendamment  de  ce  que  S.  M.  commande  son  armée  en  per- 
sonne, c'est  à  elle  seule  qu'il  appartient  de  distribuer  le  degré  de  gloire 
que  chacun  mérite. 

»  S.  M.  doit  le  succès  de  ses  armes  aux  troupes  françaises  et  non  à 
aucim  étranger.  L'ordre  du  jour  du  prince  de  Ponte-Corvo,  tendant  à 
donner  de  fausses  prétentions  à  des  troupes  au  moins  médiocres,  est 
contraire  à  la  vérité,  à  la  politiciue,  à  1  "h  aincin  national.  S.  M.  doit  le 
succès  de  ses  armes  aux  maréchaux  duc  de  Rivoli  et  Oudinof ,  qui  ont 
percé  le  centre  de  l'ennemi  en  même  temps  que  le  duc  d'.\werstaedt  le 
tournait  par  sa  gauche. 

»  Le  village  de  neutsch-Wagram  n'a  pas  été  en  notre  pouvoir  dans 
la  journée  du  5.  Ce  village  a  été  pris  ;  mais  il  ne  l'a  été  que  le  6,  à  midi, 
par  le  corps  du  maréchal  Oudinot. 

>'  Le  corps  du  prince  de  Ponte-Corvo  n'est  pas  resté  immobile  comme 
l'airain.  l\  a  battu  le  premier  en  retraite.  S.  M.  a  été  obligée  de  le  faire 
couvrir  par  le  corps  du  vice-roi ,  par  les  divisions  Broussier  et  Lamarque 
commandées  par  le  maréchal  Macdonald ,  par  la  division  de  grosse  ca- 
valerie aux  ordres  du  général  Nansouty,  et  j-ar  une  partie  de  la  cava- 


Juillet  1809. 


Itéuiiion 
des  plénipo- 
tentiaires il 
.\Uenbourg. 
pour  la  négo- 
ciation 
do  la  paix. 


Jiillet    IS09. 


506  LIVRE   XXXV. 

ainsi  ([iio  cet  inraliiral)le  ironie  employait  le  temps 
(le  Tarniislice  de  Znaïin ,  inrali.uahic  i^énic,  disons- 
nous,  (pii  comprenait  tout,  excepté  cette  vérité  si 
•-impie,  que  le  monde  n'élait  pas  aussi  infatigahlo 
que  lui. 

Icric  (le  la  garde.  C'est  à  ce  maié»  liai  et  à  ces  troupes  qu'est  dû  l'éloge 
que  le  prince  de  Ponte-Corvo  s'attribue. 

»  S.  -M.  désire  (jne  ce  tciiioi};riam'  de  son  mécontentement  serM- 
d'exemple  pour  qu'aucun  maréchal  ne  s'attribue  la  gloire  qui  appartient 
aux  autres.  S.  M.,  cependant,  ordonne  que  le  présent  ordre  du  jour, 
qui  pourrait  affliger  l'armée  saxonni",  qnoi(]iie  les  soldats  satliont  bien 
qu'ils  ne  méritent  jtas  les  éloges  qu'on  K  iir  donne,  restera  spcret  et  sera 
seulement  envoyé  aux  maréchaux  commandant  les  corps  d'armée  et  au 
ministre  secrétaire  d'État.  » 

Au  major  général. 

«Schœnbrunn,  le  5  août  1809. 

»  Vous  trouverez  ci-joint  un  ordre  du  jour  que  vous  enverrez  aux 
maréchaux ,  en  leur  faisant  connaître  que  c'est  pour  eux  seuls.  Vou>^ 
ne  l'enverrez  pas  au  général  Rejnier.  Vous  l'enverrez  aux  deux  mi- 
nistres de  la  guerre.  A'ous  l'euvcrrcz  également  au  roi  de  ^VestphaIil'. 

»  Napolkox.  » 

Au  ministre  de  la  cjwrre. 

u  Schœnbrumi ,  le  29  juillet  1809. 

»  Si  vous  avez  occasion  de  voir  le  prince  de  Ponte-Corvo,  témoignez- 
lui  mon  mécontentement  du  ridicule  ordre  du  jour  qu'il  a  fait  imprimer 
dans  tous  les  journaux ,  d'autant  plus  déplacé  qu'il  m'a  porté  pendant 
toute  la  journée  des  plaintes  sur  Jis  Saxons.  Cet  ordre  du  jour  contient 
d'ailleurs  des  faussetés.  C'est  le  général  Oudinot  qui  a  pris  Wagram 
le  G  à  midi.  Le  prince  de  Ponte-Corvo  n'a  donc  pas  pu  le  prendre.  U 
n'est  pas  plus  vrai  que  les  Saxons  aient  enfoncé  le  centre  de  l'ennemi 
le  5;  ils  n'ont  pas  tiré  un  coup  de  fusil.  l'2n  général,  je  suis  bien  aise 
que  vous  sachiez  que  le  prince  de  Ponte-Corvo  n'a  pas  toujours  bien 
lait  dans  cette  campagne La  vérité  est  que  cette  colonne 

de  granit  a  constanmient  été  en  déroute. 

»  Napolkon.  » 

FIN  DU  LIVRE  TRENTE-CINQUIÈME 
ET   Dt"    DIXIÈME   VOLUME. 


TABLE   DES   MATIÈRES 


CONTENUES 


DANS  LE  TOME  DIXIÈME. 


LIVRE  tiiexte-ouatiui::mt:. 

RATISBONNE. 

Arrivée  de  Napoléon  à  Paris  dans  la  nuit  du  22  au  23  janvier  1800.  — 
Motifs  de  son  brusque  rclour.  —  Profonde  altération  de  Popinion 
publique.  —  Iniprobation  c  roissante  à  l'égard  de  la  j^uerre  d'Espagne, 
surtout  depuis  que  cette  guerre  semble  devoir  entraîner  une  nouvelle 
rupture  avec  l'Autriche.  —  Disgrâce  de  M.  de  Tallcyrand,  et  danger 
de  M.  Fouclié. — ^.Attitude  de  Napoléon  envers  la  diploinalie  euro- 
péenne. —  11  se  tait  avec  l'ambassadeur  d'Autriche,  et  s'explique 
franchtMuent  avec  les  ministres  des  autres  puissances.  —  Si'S  efforts 
pour  empêcher  la  guerre,  mais  sa  résolution  de  la  faire  terrible,  s'il 
est  obligé  de  reprendre  les  armes.  —  Son  intimité  avec  M.  de  Ro- 
manzoff,  resté  à  Paris  pour  l'attendre.  —  Demande  de  concours  à 
la  Russie.  — Vastes  préparatifs  militaires.  —Conscription  de  1810, 
et  nouveaux  ajipels  sur  les  conscriptions  antérieures.  —  Formation 
des  quatrième   et   cinquième  bataillons  dans   tous    les   régiments. 

—  Développement  donné  à  la  garde  impériale.  —  Composition  des 
arnrjées  d'Allemagne  et  d'Italie.  —  Invitation  aux  princes  de  la 
Confédération  de  préparer  leurs  contingents.  —  Premiers  mouve- 
ments de  troupes  vers  le  Haut-Palatinat ,  la  Bavière  et  le  Frioul, 
destinés  à  servir  d'avertissement  à  l'Autriche.  —  Mo>ens  financiers 
mis  en  lapport  avec  les  moyens  militaires.  —  Effet  sur  l'Europe  des 
manifestations  de  Napoléon.  —  Dis])ositions  de  la  cour  d'Autriche. 

—  Exaspération  et  inquiétude  qu'elle  éprouve  par  suite  des  évé- 
nements d'Espagne.  — Les  embarras  que  celle  guerre  cause  à  Napo- 
léon lui  scud)lent  une  occasion  qu'il  ne  faut  pas  laisser  échapper, 
après  avoir  négligé  de  saisir  celle  qu'offrait  la  guerre  de  Pologne.  — 
Encouragements  qu'elle  trouve  dans  l'irritation  de  l'Allemagne   et 


Îi08  TABLE    DES   MATIÈRES 

l'o|>ini()n  de  l'Kiiropc.  —  Ses  aimoincnls  fxtraonlinaiies  entiopris  de- 
puis luiij^-tt'iiips,  «t  inaintt'iiant  pousses  à  tonne.  —  Nécessité  pour 
elle  <le  prendre  une  résolntiun ,  et  de  tiioisir  entre  le  désarmement 
ou  la  ••uerro.  —  Elle  opte  pour  la  j;uerre.  —  Union  de  l'Autriclie  avec 
l'Angleterre.  —  lilïorts  du  cabinet  autricliien  à  Conslantinople  pour 
amener  la  paix  entre  les  Anglais  et  les  Turcs.  — Tentatives  à  Saint- 
Pétersbourg  jiour  détacber  la  Russie  de  la  France.  —  Refroidissement 
d'Alexandre  à  l'égard  de  Napoléon.  —  Causes  de  ce  refroidissenjenl. 

—  Alexandre  redoute  fort  une  nouvelle  guerre  de  la  France  avec 
l'Autri<lie,  et  s'efforce  de  l'empôcber.  —  N'y  pouvant  réussir,  et  ne 
voulant  point  encore  abandonner  l'alliance  de  la  France,  il  adopte 
une  conduite  ambiguë,  cabuléc  dans  l'intérêt  de  son  empire.  — 
Grands  préparatifs  pour  finir  la  guerre  de  Finlande  et  recommencer 
celle  de  Turcpiie.  —  l'nvoi  d'une  armée  d'observation  en  Gallicic  sous 
prétexte  de  coopérer  avec  la  France.  —  L'Autriebe,  quoique  trompée 
dans  ses  espérances  à  l'égard  de  la  Russie,  se  flatte  de  l'entraîner  par 
un  premier  succès,  et  se  décide  à  commencer  la  guerre  en  avril.  — 
Déclaration  de  M.  de  Metternicli  à  Paris.  —  Napoléon  ne  doutant 
plus  de  la  guerre,  accélère  ses  préparatifs.  —  Déjmrt  anticipé  de 
tous  les  renforts.  —  Distribution  de  l'armée  d'Allemagne  en  trois 
corps  principaux.  —  Rôles  assignés  aux  marécbaux  Davout ,  Lannes 
et  Masséna.  —  Le  prince  Bertbier  part  pour  l'Allemagne  avec  des  in- 
structions éventuelles,  et  Napoléon  reste  à  Paris  pour  adieverscs 
préj)aralifs.  —  Passage  de  l'Inn  le  10  avril  jtar  les  Autricbiens,  et 
inarclie  de  l'arcbiduc  Cbarles  sur  l'Isar.  —  Passage  de  l'Isar  et  prise 
de  Landsbut.  —  Projet  de  l'arcbiduc  Cbarles  de  surprendre  les  Fran- 
çais avant  leur  concentration ,  en  traversant  le  Danube  entre  Ratis- 
bonne  et  Donauvverlb.  —  Ses  dispositions  pour  accabler  le  marécbal 
Davout  à  P.atisbonne.  —  Soudaine  et  beureuse  arrivée  de  Napoléon 
sur  le  tbéàtre  des  opérations.  —  Projet  bardi  de  concentration,  con- 
sistant à  amener  au  point  commun  d'Abensberg  les  marécbaux  Da- 
vout et  Masséna,  l'un  partant  de  Ratisbonne,   l'autre  d'Augf bourg. 

—  Difficultés  de  la  marcbe  du  marécbal  Davout,  exposé  à  rencontrer 
la  masse  presque  entière  de  l'armée  autricbienne.  — Conduite  babile 
et  ferme  de  ce  marécbal  placé  entre  le  Danube  et  l'arc  biduc  Cbarles. 

—  Sa  rencontre  avec  les  Autricbiens  entre  Tengen  et  Hausen. —  Beau 
combat  de  Tengen  le  19  avril.  —  Réunion  du  corps  du  marécbal 
Davout  avec  Napoléon.  —  Napoléon  prend  la  moitié  de  ce  corps, 
avec  les  Bavarois  et  les  Wurtcmbergeois,  et  perce  la  ligne  de  l'ar- 
chiduc Charles,  qui  s'étend  de  Munich  à  Ratisbonne.  —  Bataille 
d'Abensberg  livrée  le  20.  —  Napoléon  poursuit  cette  opération  en 
marchant  sur  l'Isar  et  en  prenant  Landsbut  le  21  —  Il  enlève  ainsi 
la  ligne  d'opération  de  l'arcbiduc,  et  rejette  son  aile  gauche  en  Ba- 
vière. —  Apprenant  dans  la  nuit  <lu  21  au  T>.  (pie  le  marécbal  Da\out 
a  eu  de  nouveau  l'arcbiduc  à  combattre  vers  Leucbling,  il  se  rabat  à 
gauche  sur  Lckmiibl ,  où  il  arrive  à  midi  le  22.  —  Bataille  d'Fckmùhl. 

—  L'arcbiduc,  battu,  se  rejette  en  Bobêine.  —  Prise  de  Ratisbonne. 

—  Caractère  des  opérations  exécuté»  s  par  Napoléim  pendant  ces  cinq 
journées.  —  Leurs  grands  résultats  militaires  et  politiques.    1  à  1S2 


Dr    DIXIÈME    VOLIMK.  o09 

LIVRK  TRENTE-CINQUIÈME. 

WAGUAM . 

Commencement  des  hostilités  en  Italie.  —  Entrée  imprévue  des  Autri- 
chiens parla  Ponteba,  Cividale  et  Gorice.  — Surprise  du  jirince  Kn- 
gène,  qui  ne  s'attendait  pas  à  être  attaqué  avant  la  fin  d'a\ril.  —  11 
se  replie  sur  la  Livenza  avec  les  deux  divisions  qu'il  avait  sous  la 
main ,  et  parvient  à  y  réunir  ime  jiartie  de  son  armée.  —  L'avanf- 
garde  du  };énéral  Saluic  est  enle\ée  à  Pordenone.  —  L'armée  de- 
mande la  bataille  à  grands  cris.  —  Le  prince  Eugène ,  entraîné  par 
ses  soldats ,  se  décide  à  coudiattre  avant  d'avoir  rallié  toutes  ses  l'or- 
ces,  et  sur  un  terrain  mal  choisi.  —  Bataille  de  Sacile  perdue  le  16 
avril.  —  Retraite  sur  l'Adige.  —  Soulèvement  du  Tyrol.  —  L'armée 
française  concentrée  derrière  l'Adige,  s'y  réorj^anise  sous  la  direction 
du  général  Macdonald  donné  pour  conseiller  au  prince  Eugène.  — 
La  nouvelle  des  événements  de  Ratisbonnc  oblige  l'archiduc  Jean  à 
battre  en  retraite.  —  Le  jnince  Eugène  le  poursuit  l'épée  dans  les 
reins.  —  Passage  de  la  Piave  de  vive  force,  et  pertes  considérables 
des  Autrichiens.  —  Événements  en  Pologne.  —  Hostilités  imprévues 
en  Pologne  comme  en  Bavière  et  en  Italie  — Joseph  Poniatowski  livre 
sous  les  murs  de  Varsovie  un  combat  opiniûtrc  aux  Autrichiens.  — 
Il  abandonne  cette  capitale  par  suite  d'une  convention,  porte  la 
guerre  sur  la  droite  de  la  Vistule,  et  fait  essuyer  aux  Autrichiens  de 
nombreux  échecs.  —  Mouvements  insurrectionnels  en  Allemagne. 
—  Désertion  du  major  Schill.  —  Conduite  de  Napoléon  après  les 
événements  de  Ratisbonne.  —  Son  inquiétude  en  apprenant  les  nou- 
velles d'Italie,  que  le  prince  Eugène  tarde  trop  long-temi)S  à  lui  faire 
connaître.  —  Il  s'avance  néanmoins  en  Bavière ,  certain  de  tout  ré- 
parer par  une  mardie  rajiide  sur  Vienne.  —  Ses  motifs  de  ne  pas 
poursuivre  l'archiduc  Charles  en  Bohême,  et  de  se  porter  au  con- 
traire sur  la  capitale  de  l'Autriche  par  la  ligne  du  Danube.  — Marche 
admirablement  combinée.  —  Passage  de  l'inn,  de  la  Traun  et  de 
l'Ens.  —  L'archiduc  Charles,  voulant  repasser  de  la  Dohêmc  en 
Autriche,  et  rejoindre  le  général  Hiller  et  l'archiduc  Louis  derrière 
la  Traun,  est  prévenu  à  Lintz  par  Masséna.  — Épouvantable  combat 
d'Ébersberg.  —  L'archiduc  Cliarles  n'ayant  pu  arriver  à  temps  ni  à 
Lintz,  ni  à  Krems,  les  corps  autrichiens  qui  défendaient  la  haute 
Autriche  sont  obligés  de  repasser  le  Danube  à  Krems ,  et  de  dé- 
couvrir Vienne.  —  Arrivée  de  Napoléon  sous  cette  capitale  le  10 
mai,  un  mois  après  l'ouverture  des  hostiliiés.  —  Entrée  des  Fran- 
çais à  Vienne  à  la  suite  d'une  résistance  fort  courte  de  la  part 
des  Autrichiens.  —  Effet  de  cet  événement  en  Europe.  —  Vues 
de  Napoléon  pour  achever  la  destruction  des  armées  ennemies.  — 
Manière  dont  il  échelonne  ses  corps  pour  empêcher  une  tentative 
des  archiducs  sur  ses  derrières,  et  pour  préparer  une  concentra- 
tion subite  de  ses  forces  dans  la  vue  de  livrer  une  bataille  dé- 


o\0  TABLE  DES   MATIERES 

cisiM'.  —  Nécessite  de  passer  If  Danube  pour  joindre  i'arcliidur 
C'iiarles,  qui  est  c<iinpé  vis-à-vis  de  Vienne.  —  IM/'paralifs  de  ce  dif- 
(iiile  passaî^e.  —  Dtins  cet  inler\alle  l'armée  d'Italie  déga-'éc  par 
les  progrés  de  rarmée  d'AlleiMUf^nc  a  repris  l'ofrensi\e,  et  marche 
en  a>ant.  —  L'arcliiduc  Jeau  repasse  les  Alpes  Noriques  et  Juliennes 
affaibli  de  moitié,  et  dirige  les  forces  (jui  lui  restent  vers  la  Hongrie 
et  la  Croatie  —  Évacuation  du  Tyrol  et  soumission  momentanée  de 
cette  province.  —  Napoléon  prend  la  résolution  définitive  de  pas.ser 
le  Danube,  et  d'adiexer  la  destruction  de  l'archiduc  Charles.  — 
Difficulté  de  cette  opération  en  présence  d'une  armée  ennemie  de 
cent  mille  hommes.  —  Choix  de  l'ile  de  Lobau,  située  au  milieu 
du  Danube,  poiu-  diminuer  la  dilTiculté  du  passage.  —  Ponts  jetés 
.xur  le  grand  bras  du  Danube  les  l'J  et  20  mai.  —  Pont  jeté  sur  le 
petit  bras  le  20.  —  L'armée  commence  à  passer.  —  A  peine  est-elle 
en  mouvement,  que  l'archiduc  Charles  vient  à  sa  rencontre.  —  Ba- 
taille d'Essling,  l'une  des  plus  terribles  du  siècle.  —  Le  passage 
plusieurs  fois  interrompu  par  une  crue  subite  du  Danube,  est  dé- 
linitivfnient  rendu  impossible  par  la  rujtture  totale  du  grand  pont. 

—  L'armée  française  privée  d'une  moitié  de  ses  forces  et  dépourvue 
de  munitions,  soutient  le  21  et  le  22  mai  une  lutte  héroïque,  pour 
n'être  pas  jetée  dans  le  Danube.  —  Mort  de  Lannes  et  de  Saint- 
lliiaire.  —  Conduite  mémorable  de  Masséna.  • —  Après  quarante 
heures  d'efforts  impuissants,  l'archiduc  Charles  désespérant  de  jeter 
l'armée  française  dans  le  Danube,  la  laisse  rentrer  paisiblement 
dans  l'île  de  Lobau.   —  Caractère  de  cette  épouvantable  bataille. 

—  Inertie  de  l'archiduc  Charles,  et  jirodigieuse  activité  de  Napoléon 
jiendant  les  jours  qui  suivirent  la  bataille  d'Essling.  —  Efforts  de 
ce  dernier  pour  rétablir  les  ponts  et  faire  repasser  l'armée  française 
sur  la  rive  droite  du  Danube.  —  Heureux  emploi  des  marins  de  la 
garde.  —  Napoléon  s'occupe  de  créer  de  nouveaux  moyens  de  pas- 
sage, et  d'attirer  à  lui  les  armées  d'Italie  et  de  Dalmatic,  pour  ter- 
miner la  guerre  par  une  bataille  générale.  —  Marche  heureuse  du 
prince  Eugène,  de  Macdonald  et  de  Marmont  pour  rejoindre  la  grande 
armée  sur  le  Danube.  —  Position  que  Napoléon  fait  prendre  au  prince 
Eugène  sur  la  Raab,  dans  le  double  but  de  l'attirer  à  lui  et  d'éloigner 
l'archiduc  Jean.  —  Rencontre  du  prince  Eugène  avec  l'archiduc  Jean 
sous  les  murs  de  Raab,  et  victoire  de  Raab  remportée  le  14  juin.  — 
Prise  de  Raab.  — Jonction  définitive  du  prince  Eugène,  de  Macdonald 
et  de  Marmont  avec  la  grande  armée.  — Alternatives  en  Tjrol,  en 
Allemagne  et  en  Pologne.  —  Précautions  de  Napoléon  relativement  à 
ces  diverses  contrées.  —  Inaction  des  Russes.—  Napoléon,  en  posses- 
sion des  armées  d'Italie  et  de  Dalmatie ,  et  pouvant  compter  sur  les 
ponts  du  Danube  qu'il  a  fait  construire,  songe  enfin  à  livrer  la  ba- 
taille générale  qu'il  projette  depuis  long-temps.  —  Prodigieux  travaux 
exécutés  dans  l'île  de  Lobau  pendant  le  mois  de  juin.  —  Ponts  fixes 
sur  le  grand  bras  du  Danube;  ponts  volants  sur  le  petit  bras.  — 
Vastes  approvisionnements  et  puissantes  fortifications  qui  convertis- 
sent l'île  de  Lobau  en  une  véritable  forteresse.  —  Scène  extraordi- 
naire du  passage  dans  la  nuit  du  5  au  6  juillet.  —  Débouché  subit 


Dl'    DIMKME    VOIA'Mi:.  "i  I  I 

(lo  l'armée  française  au  delà  du  nanul)o,  avant  que  l'archiduc  Charles 
ait  pu  s'y  opposer. —  L'armée  autricliicnnc  replii'e  sur  la  pdsition  de 
Wagram ,  s'y  défend  contre  une  attapie  de  l'armée  d'Ilalii'.  — 
Échaulfourée  d'un  moment  dans  la  soirée  du  5.  —  Plans  des  deux 
généraux  pom-  la  bataille  du  lendemain.  —  Journée  du  0  juillet,  et 
bataille  mémorable  de  Wagram ,  la  plus  grande  qui  ei"it  encore  été 
livrée  dans  les  temps  anciens  et  modernes.  —  Attaquer  redoutable 
contre  la  gaucho  de  l'aïuii-e  française.  —  Promptitude  de  >iipiil('0!i 
à  reporter  ses  forces  de  droite  à  gauche,  malgré  la  vaste  étendue  du 
champ  de  bataille.  —  Le  centre  des  .\utrichiens ,  attaqué  avec  cent 
bouches  à  feu  et  deux  divisions  de  l'armée  d'Italie  sous  le  général 
Macdonald,  est  enfoncé.  — l.nlèvement  du  plateau  de  Wagram  par 
le  maréchal  Davout.  —  Pertes  presque  égales  des  deux  côtés,  mais 
résultats  décisifs  en  faveur  des  Français.  —  Retraite  dé(ousue  des 
Autrichiens.  —  Poursuite  jusqu'à  Znaun  et  cond)at  sous  les  murs  de 
cette  ville.  —  Les  Autrichiens  ne  pouvant  continuer  la  guerre,  de- 
mandent une  suspension  d'armes.  —  Armistice  de  Znaim  et  ouverture 
à  Altcnbourg  de  négociations  pour  la  paix.  —  Nouveaux  |)réparatifs 
militaires  de  Napoléon  pour  appuyer  les  négociations  d'Alteiibourg. 
—  Beau  campement  de  ses  armées  au  centre  de  la  monarchie  aulri- 
<  liienne.  —  Caractère  de  la  campagne  de  1809.  183  à  .JOC 


l-I.N    DE    LA   TABLK   DU   DIXIE.ME   VOIAME. 


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UNIVERSITY  OF  TORONTO  LIBRARY 


ÛC 

201 

T38 

1845 
1. 10 


Thiers,  Adolphe 

Histoire  du  consulat  et  de 
1 ' empire 


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