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GUSTIN RODRIGUEZ.
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THE UNIVERSITY LIBRARY
UNIVERSITY OF CALIFORNIA, SAN DIEGO
LA JOLLA, CALIFORNIA
Il PROFESSOR JOSE MIRANDA ^ t
COLLECTION K
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HISTOIRE
DROIT FRANÇAIS.
I.
\ SANWEGT
OUVRAGES DU MÊME AUTEUR.
COURS nimm et mwm
DE DROIT PUBLIC
Eï ADMINISTRATIF
MIS EN UAPPOUT
ATEC Î.A eOM§»TITIJTIOM DK 1N48
VA .i\ec' la L(';;isl;i(i()ii cl la .liiiispiiulence nouvelles sur le (Conseil d'Klal ,
la Cour des Comptes, les Élei'tions, l'Enseignement, les Impôts,
le Contentieux, i.e TRittOAT, r.ES Conflits, eir.
TROISIÈME ÉDITION.
2 forls volume» in-8 . — Prix : 16 fr.
.Y. B. ("ne OL.^TRIÙME KDITlOiX de ici ouvrage, RKVie , coniîUiKK
i-,T NOTAHLE>!ENT AMÉLIORÉE , csl cn couis d'impiession.
Celle Ql'ATRiÊME EDITION sera publiée aussi prochainement que possible ,
avec les changements que les circonstances pourront introduire dans la partie
du Droit public.
HISTOIRE DES PRH\C1PES
DES INSTITUTIONS ET DES LOIS
PENDAMT LA RÉVOLUTION FRAÏJÇAÏSE
liepuis 1780 jusqu'à 1804
DKniÉE A l,A JEIIKESSE FRAKÇAISF.
Jieiiiiniie rililinn , reri/c, corrigée et aiiijiiii'nti'c.
1 vol. in 18. — Prix : h Ir.
rOlJIS TRIPIER.
LES CONSTITUTIONS FRANÇAISES DEPUIS 1789
y compris les l'ecrels du (Touvernement provisoire
ET LA CONSTITCTION RÉPdBLICAlME DU 4 NOVEMBHE 1848
suivies de
i/% 4'o.\NViTi'Tio:v DES! ét.vtm-i^ivis d'améhiqi k
DEUXIEME ÉUrnON
aiif/nii'iiU'e de toutes les Lois jusqu'à ce jour, eAc.
I vol. ln-18. — Prix ; k fr.
l'snv ^- Imprimé far F,. TllliVOT H V, rue n.icine. 2r..
)l
HISTOIRE
DROIT FRANÇAIS
Dll\iî INTRODUCTION SUR LE DROIT CIVIL DE ROME
PAR
M. F. LAFERRIERE,
PROFESSKOR HONORAIRE , ANCIEN CONSEILLER D'ÉTAT
INSPECTEIR GÉNÉRAL DES FACULTÉS DE DROIT.
X L'bistuire interne du Droit contient la substance
» même du droit. ( Illa ipsam Jurisprudenllse sub-
» stantiam ingreditur. ) •
{ Leibmtz. (A'oi'O melhodusj
« La science explique les lois par l'bisloire . et la
» philosophie travaille a les épurer par la morale.
» source première des lois »
FoRTALis. (/)e Pusage et de labus
de l'esprit philosophique.)
TOME PREMIER.
I\TFiODLCTIO\. DROIT DES XII TABLES;
DROIT PBÉTORIEV: PHILOSOPHIE DL DROIT
PARIS.
LIBRAIRIE DE .URISPRUDENCE DE COTILLOiN
rue «les Grès, J6, près de l'École «le l>roit.
«$^59-53
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in 2009 witii funding from
University of Ottawa
Iittp://www.archive.org/details/histoiredudroitf01lafe
A MONSIEUR DUPIN AÎNÉ,
PROCUREUR-GÉNÉRAL ALA COUR DE CASSATION,
ANCIEN PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS.
MONSIEUR LE PROCUREUR-GENERAL ,
Les Jurisconsultes qui représentent y dans l'histoire du
Droit français y aux XV II" et XV IW siècles, la philo-
sophie du droit , la science du droit romain et du droit
coutumier , Domat , Furgole , Pothier , ont trouvé un
appui et les conseils d'une haute intelligence dans les ma-
gistrats les plus éminents de leur siècle. Faible dis-
ciple de cette Ecole nationale qui , à l^ exemple des Juris-
consultes romains y alliait profondément la pratique et la
théorie , j'ai reçu de vous , Monsieur le procureur gé-
néral , encouragement , appui , et les conseils de la véri-
table science. Je n'ai point le droit , par mes ouvrages ,
T, I.
de rappeler le souvenir des Jurisconsultes si noblement
encouragés par les Talon et les Daguesseau ; mais
ma reconnaissance personnelle se rend l'interprète de la
conscience publique en rapprochant votre nom de celui de
ces illustres protecteurs. Cest à moi de travailler sans
cesse , par mon culte envers l'histoire du Droit , à faire
oublier mon infériorité. En ce moment , je suis heureux ,
du moins , de rappeler un patronage qui honore la Ma-
gistrature française , et de produire le témoignage public
de ma gratitude , en vous dédiant le fruit des travaux
que vous avez soutenus de votre suffrage et éclairés de vos
conseils.
Veuillez agréer,
Monsieur le Procureur-Générai.
Mes profonds sentiments de respect et de
reconnaissance.
^j^. C7. .^liiÀ^^&te.
Rennes, le It mai 18/15.
AVAM-PROPOS.
En 1836 , j'ai publié un volume sous le titre d'HiSTOiRE
DU Droit français. Ce titre dépassait la portée de l'ouvrage
et l'intention de son auteur, qui , de loin , avait indiqué un
litre plus modeste et plus convenable au sujet : Essai phi-
losophique sur V Histoire du Droit français ' . Ce volume
conduisait le mouvement historique jusqu'à la révolution de
4789. C'était mon début d'auteur. J'attendais avec anxiété
l'expression de l'opinion publique. Le premier jugement pu-
blié sur mon livre fut celui de Klimrath , dont la fin pré-
maturée a été si douloureusement sentie. Les idées germa-
niques du jeune et savant docteur en droit de Strasbourg s'in-
surgèrent vivement contre les traditions romaines. Le juge-
ment fut rigoureux; l'auteur du compte-rendu, inséré dans
la Revue de Législation, en convenait lui-même : « Une grande
dissidence d'opinions , disait-il , nous a dicté une critique
sévère. » — La plume me tomba des mains quand je lus ,
dans ce premier article , qu'on me reprochait « de présenter
») l'histoire du droit français sous un jour contraire à la vérité
1 Les mots dressai reparaissent plusieurs fois dans le corps de l'ou-
\rage et dans les notes.
IV AVANT-PROPOS.
» historique, et de m'égarer dans mes recherches. » — L'Al-
lemagne elle-même frappa moins fort sur mon essai ; le
savant M. Mittermaier , en souscrivant aux principales cri-
tiques de Rlimrath, qui touchaient à l'influence du droit
germanique, versait le baume de l'éloge sur la blessure faite
par la main d'un disciple; et récemment encore , M. War-
NCHOENiG a même atteint la dernière limite de la générosité ,
dans la préface du Recueil qui rassemble si heureusement
les divers fragments des travaux de Klimrath.
Des appréciations et des jugements , qui ne m'étaient point
transmis par les organes de la presse, me soutinrent contre
l'atteinte que j'avais reçue. Je me permettrai de citer ici deux
noms parmi les magistrats et les professeurs en droit qui
encouragèrent mes efforts : — celui de M. le procureur gé-
néral DupiN , qui , par une lettre chaleureuse , me donna
l'élan, décida ma vocation nouvelle, et qui, dans une au-
dience solennelle de la Cour de cassation, signala honorable-
ment à la piemière magistrature du royaume l'œuvre d'un
auteur inconnu; — celui de M. Boncenne, qui m'écrivait le
30 mars 1836 : « Personne ne donijeraà votre livre une
approbation plus franche et mieux sentie. »
Je compris d'où venaient la sévérité de la presse t)ériodi-
que, l'indulgence de la magistrature et du barreau'. Le blâme
2 La presse du Midi m'a donné des conseils et des encouragements
que je ne puis oublier. Le journal de Toulouse a publié deux articles
approfondis , dus à un magistrat qui a pris rang , depuis, parmi les
membres distingués de la Faculté de Toulouse (M. Victor Molinier).
AVANT-PROPOS. V
s'adressait surtout à l'omission des origines et des doc-
trines germaniques : l'indulgence s'appliquait à la méthode
qui associait l'histoire à la doctrine , et qui cherchait , même
dans un livre historique , l'alliance de la pratique et de la
théorie. Mais je ne me dissimulais pas le caractère incomplet
de mon travail. J'avais voulu faire, au milieu des occupa-
tions du Barreau , un Essai d'Histoire, à une époque où nulle
production moderne n'avait embrassé l'ensemble de l'Histoire
du Droit français 3, Je n'avais eu ni l'intention, ni la possi-
bilité de porter sur toutes les divisions du sujet un travail ap-
profondi. Mon livre était comme une esquisse qui, sur quel-
ques parties , se dessinait en traits saillants , et qui se per-
dait sur d'autres en traces incomplètes. Cet essai fut , en
définitive, favorablement accueilli; et je résolus de poursui-
vre mon travail, mais en donnant à l'Epoque moderne des
proportions plus étendues.
J'aurais pu, en 1838, publier une seconde édition de
mon Essai sur l'Histoire de l'ancien Droit ; je me contentai
d'en donner au public un second tirage avec quelques cor-
rections, dont je ne fis même aucune mention. J indiquai
cet Essai comme un tome premier, et je publiai, en 1838,
sous le titre de tome deuxième , l'Histoire du Droit pendant
la Révolution et jusqu'à la Codification consulaire. Les deux
volumes, associés ainsi l'un à l'autre, ont, par l'enchaî-
3 Le savant mémoire de M. Pardessus, sur l'origine du Droit cou-
tumier, fut publié en 1834; mais il s'arrêtait au xiiie siècle-
Vj AVANT-PROPOS.
nement des époques historiques, formé un corps d'ouvrage;
mais il est facile de voir que la dernière composition dif-
fère de la précédente par le plan et la mise en œuvre. Le
livre sur l'Epoque révolutionnaire ne se borne pas à présen-
ter une esquisse ; il offre lés résultats d'une élude attentive
à pénétrer dans les diverses parties de celte immense Ré-
forme, qui avait renversé ou ébranlé toutes les institutions
et remué toutes les idées. Aussi , malgré certaines taches qui
disparaîtront , ce second volume n'a pas soulevé les mêmes
critiques que le premier Essai ; et l'écrivain qui a recueilli
avec tant de succès l'héritage de Klimralh, M. Ed. Labou-
LAYE , disait, dans son Introduction à l'Histoire du Droit de
propriété : « C'est un livre indispensable à qui veut con-
naître l'esprit des Lois révolutionnaires. »
Aujourd'hui, et après dix ans d'études spéciales, je viens,
offrir un nouveau tribut à l'Histoire du Droit.
Je n'ai point entrepris de faire une seconde édition de
mon Livre de 1836. C'eût été me condamner à suivre uu plan
utile, peut-être, pour appeler l'attention sur une branche
négligée de la science du droit , mais trop resserré pour une
publicati( n postérieure aux grands travaux qui cnt enrichi,
dans ces dernières années, le domaine de l'histoire juridique.
J'ai donc résolu de recommencer mon travail , et d'écrire
un livre qui put porter le titre d'HiSTOiRE du Droit civil de
Rome et du Droit français, comme si mon premier essai,
AVANT-PROPOS. VIJ
sur le Droit antérieur à 1789, n'existait pas, ou s'il n'était
pour moi qu'un travail préparatoire. Dans les deux volumes
que je. publie d'abord sur l'Epoque romaine et sur les Epoques
celtique et gallo-romaine, il n'y a pas une seule page de l'essai
primitif qui soit complètement reproduite. J'ai tâché d'em-
brasser mon sujet d'une manière plus large , et de l'appuyer
sur de solides fondements. On pourra s'étonner du grand
nombre de not^ qui accompagnent mon œuvre ; mais je ne
chercherai pas à m'en excuser. Ce sont des textes que j'ai re-
cueillis ou discutés, et qui servent de base nécessaire à toute
production lentement préparée sur l'Histoire du Droit; genre
de composition où l'intelligence de l'auteur ne peut prendre
J'essor, qu'à la condition de ne jamais perdre de vue le texte
des lois et l'autorité des doctrines.
J'ai expliqué, dans l'Introduction, mon plan général, mes
vues sur l'Histoire du Droit et sur la place qui lui doit être
assignée dans le domaine de la science. Par cet Avant-Propos,
j'ai voulu seulement indiquer comment j'étais entré dans la
carrière historique, et pourquoi j'y reparaissais. — Si j'offre
aux amis du droit , de l'histoire et de la philosophie , non
une seconde édition de l'Essai d'un jeune homme, mais un
ouvrage nouveau , du aux méditations d'un âge plus sévère
et plus librement consacré aux travaux d'érudition , ce n'est
pas pour renier un passé , que la reconnaissance me rendra
toujours présent , mais pour tâcher de payer un plus digne
tribut à la science que je cultive et à l'enseignement du droit.
LÏÏRODlCTIOi
NÉCESSITÉ DE L'HISTOIRE «L DROIT ROMAO ÎT DE L'ANCIE?! DROIT FRASÇâlS,
POl'R L•I^TELLIGE\CE ET L'APPLICAT10\ DU DROIT CIVIL MODERNE.
PLAN, MÉTHODE ET BUT GÉi>É8AL DE L'OUVRAGE.
L'histoire interne du droit contient
la substance même du droit. — Illa
IPSAM JCRISPBCDENTIiE SUBSTAINTIAM IN-
GKEDITUB.
( Leibisitz , Ifova Methodus. )
Le science du droit est la science sociale par ex-
cellence , la science antique et toujours nouvelle.
Au milieu des inquiétudes morales qui travaillent
aujourd'hui la société , elle présente un corps de
doctrine qui unit le présent au passé , et nous ga-
rantit l'avenir. Sans être immobile , au milieu des
X INTRODUCTION.
changements de la société , elle est stable ; sans être
un accident passager de la vie et de l'histoire des
nations , elle s'unit aux grandes révolutions , et se
transforme avec les destinées de la société. — Elle
est stable , parce qu'elle a des principes fondés sur
la nature des choses. — Elle se transforme avec les
révolutions sociales , parce que celles-ci tiennent à
la nature de l'humanité , qui est perfectible , mais
qui rétrograde quelquefois et s'arrête dans de lon-
gues réactions.
Le Droit , considéré dans son développement
historique et scientifique , est l'association laborieuse
et progressive de la liberté humaine et de la vie
sociale avec la justice et la raison.
Dans toutes les sociétés il y a des mœurs , des
lois, des institutions; qui pourrait le nier? — Mais
toutes les sociétés ne portent pas en elles le droit ,
qui représente à la fois la science et la législation ,
le mouvement des faits et le progrès des idées.
Le droit , conforme à cette notion , ne peut se
développer où l'homme n'est rien , où sa nature ,
INTRODUCTION. XI
domptée par une puissance supérieure , s'enchaîne à
l'immobilité des Castes , s'anéantit devant les hau-
teurs infinies et mystérieuses de la Théocratie. Aussi
le droit n'a pas d'histoire dans l'Inde , dans l'Asie,
dans l'Egypte. Des usages , des institutions et des
lois ont existé , depuis un grand nombre de siècles , sur
cette terre d'Orient , qui se laisse arracher , même de
nos jours, des témoignages si imposants de son an-
tique civilisation ; mais on n'a pas encore trouvé, dans
les traditions, ces différences d'âges, cette succession
d'époques qui marquent , pour les peuples comme pour
les individus , tous les développements de la vie.
Les Lois Mosaïques elles-mêmes, qui forment un si
admirable monument , ne peuvent être opposées
comme une exception à cette vue générale sur l'O-
rient : l'empreinte divine dont elles furent marquées
était pour elles le sceau de l'immutabilité. — Non
que rOrient ne puisse un jour offrir à l'histoire du
droit , en général , une grande et magnifique Epoque !
— Si le rayon divin , qui entourait le berceau des peu-
ples primitifs , pouvait sortir des ombres qui le retien-
nent loin de nous et se répandre sur l'histoire, il éclai-
Xlj INTRODUCTION.
rerait vivement des origines que nous subissons
comme des nécessités historiques , et au-delà des-
quelles nous sentons qu'il doit y avoir une clarté
qui manque à l'intelligence des faits. L'homme ne
peut voir pleinement la vérité que dans les causes
premières ; et l'Orient , inconnu dans son âge pri-
mitif, est pour nous une cause première qui reste
dans l'obscurité. Le berceau du monde grec et ro-
main , du monde celtique et germanique , est oriental ;
les flots qui l'ont déposé sur les rivages de l'Occi-
dent ont laissé quelques traces indicatives de leur
passage ; mais la lumière qui l'entourait est comme
remontée vers sa source. Si elle pouvait redescendre
encore et se projeter sur les origines , comme elle
commence à se répandre sur .les formes antiques et la
filiation du langage, elle changerait peut-être les voies
de la science historique ; elle nous ferait assister au
spectacle d'une imposante harmonie ; elle nous rap-
procherait sans doute de l'unité , qui est le point de
départ, et qui sera le dernier terme du genre hu-
main.
Mais jusqu'à cette manifestation des choses obscu-
INTRODUCTION. xiij
res , l'histoire du Droit français est obligée de se
détourner des régions inconnues , et de chercher la
lumière où elle brille *.
C'est sous '\e ciel de la !Grèce que l'homme et
les sociétés de I'Occident font leurs premiers pas
à la clarté du jour. Là , nous voyons les Cités
naître , grandir , vivre , mourir ; là , nous trouvons
les quatre âges de l'homme et des peuples ; là ,
nous trouvons des lois ou des institutions qui réflé-
chissent le mouvement de l'homme et de la société.
Dans la Grèce , l'homme est une puissance libre
et personnelle qui s'appartient , qui a des droits.
Les hommes réunis , dans cette jeunesse de la Cité
grecque , paraissent même comme enivrés de leur ré-
* M. Ledeu-Rollin , dans son Introduction au Journal du Palais,
qui a suscité une vive polémique , a entendu quelques expressions de
ma préface de 1836 dans un sens absolu, qui va au-delà de ma véritable
pensée. J'ai n'ai point voulu dire que le droit de l'Orient n'ofiïirait pas
une époque digne d'être étudiée; je disais (p. iv) en parlant de l'his-
toire du droit : « La Grèce et Rome ont pour antécédents , dans l'his-
toire , l'Inde et l'Orient; » et dans mon compte-rendu des Okigines
DE M. MicHELET (1837, Revue de Législation) , j'ai cherché à préci-
ser, avec la riche Introduction de l'auteur, le caractère du droit
oriental. La récente publication de M. Obianne sur le Droit hindou
est un document très-utile [1844] , et l'on doit désirer que l'auteur,
conseiller à la Cour royale de Pondichéry, continue ses iulérejsantes
communications ; il facilitera beaucoup le tableau du Dboit oriental.
Xiv IXTRODUCTION.
cente émancipation. Chaque République , chaque ville
du Péloponèse veut avoir sa vie politique , sa consti-
tution propre ; et les lois civiles suivent l'esprit po-
litique de la cité. La diversité est partout, en ap-
parence , dans la famille , la propriété , les succes-
sions ; mais les systèmes opposés ont cependant leur
type supérieur dans les lois de Lycurgue et de So-
lon , qui les résument et leur impriment une sorte
d'unité. — Les lois de la Grèce ont leur naissance ,
leurs progrès , leurs révolutions : elles ont donc une
histoire possible; la savante Allemagne l'a prouvé de
nos jours avec éclat. * Mais , chose bien remarquable !
en Grèce , il y a des poètes , des orateurs , des phi-
losophes , des utopistes , des législateurs ; il n'y a pas
de JURISCONSULTES !
C'est à Rome que naît la science du droit ; c'est
à Rome que se fait l'intime alliance d'une pratique
austère et d'une sévère théorie ; là se produisent et
se soutiennent les grands législateurs, les grands ma-
gistrats et les grands jurisconsultes.
* Voir le Mémoire plein d'intérêt et d'érudition que M. Gikaud a lu
à l'Académie des sciences morales sur le droit de succession chez les
Athéniens. (Revue de législation , xvi 97. )
INTRODUCTION. XV
L'histoire spéciale des lois de la Grèce, si intéressante
dans ses aspects divers et la soudaineté de ses révolu-
tions, serait cependant pour nous, en la considérant
dans ses rapports avec le droit qui fait le fond de notre
société moderne , une étude à peu près stérile. —
Au contraire , l'histoire du droit romain est une né-
cessité que nous ne pouvons écarter, et une source
inépuisable , soit pour la science du droit en géné-
ral , soit pour l'intelligence de l'histoire et de la théo-
rie du droit français. Le Droit civil de notre ancienne
et nouvelle Monarchie est fils du droit romain et des
coutumes nationales : nous avons donc , même avant
d'étudier et de suivre les transformations de nos cou-
tumes , un grand intérêt à connaître le principe fon-
damental et le développement du droit romain.
A la vérité , le Droit français du xix^ siècle
paraît avoir une vie à lui ; il s'est concentré dans
un Code ; il s'est mis en harmonie avec les consé-
quences de la révolution sociale de 1789. Puisant ses
principes dans l'ordre rationnel et dans l'état de la
société actuelle , il semble , au premier coup-d'œil ,
n'avoir pas besoin d'être mis en regard du passé.
XVI INTRODUCTION.
C'est encore là ropinion d'esprits et d'écrivains dis-
tingués ; c'est le prétexte aussi d'une pratique inin-
telligente. Mais l'erreur serait fatale à la théorie de
notre Code , à la philosophie , à la pratique éclairée
du droit ; et cette erreur a été condamnée d'avance
par les rédacteurs de nos Lois.
Le jurisconsulte-philosophe qui a si puissamment
concouru au projet et à la rédaction définitive de no-
tre Législation civile, Portalis a dit, avec toute l'au-
torité de son expérience : « La science du droit four-
» nit tous les matériaux à la Législation. La Légis-
» lation choisit dans la science tout ce qui peut in-
» téresser directement la société. Ce ne sera pas con-
» naître nos Codes que de les étudier seulement en
» eux-mêmes. Il faut , pour comprendre le droit
» français , remonter au droit romain. Le Légis-
» lateur fi:'ançais a rassemblé un certain nombre de
» principes , leur a donné force de loi ; mais c'est
» dans le Droit romain que se trouve le développe-
»,ment de ces principes, et que la loi est reconnue
» l'OEUVRE ET LE PRODUIT DE LA RAISON. »
INTRODUCTION. XVij
Ainsi Portalis , après avoir parlé comme législa-
teur , voulait , comme jurisconsulte , remettre la gé-
nération nouvelle dans les véritables voies de la
science.
Le Droit , il faut le reconnaître sous l'inspiration
de Portalis lui-même , ne peut grandir de nos jours
que pcir les moyens et la puissance qui l'ont fait
si grand autrefois en France, et principalement au
XVI® siècle. Le génie de Cujas , inspiré par les
jurisconsultes romains et une connaissance appro-
fondie de l'antiquité , avait renouvelé le droit par
l'histoire. C'est le mouvement interrompu de cette
glorieuse École, qui a été repris et heureusement
continué par l'Allemagne contemporaine. G. Hugo
et Savigny , malgré la distance des siècles , sont des
disciples de Cujas et de Doneau. La France, ren-
fermée d'abord , par sa récente Codification , dans
les nécessités de l'exégèse, n'a retrouvé l'ardeur de
ses élans vers la science qu'en remontant aux sources
vives du Droit, à l'étude des textes déjà connus ou
nouvellement découverts. — La publication du ma-
nuscrit de Gains a constitué pour nous une ère
Xviij INTRODUCTION.
nouvelle. Ce livre a ranimé une foi qui était près de
s'éteindre. Il a dissipé les ténèbres dans lesquelles
combattaient quelquefois encore les jurisconsultes du
XVI® siècle. Notre âge ne peut prétendre, sans doute,
à reproduire les immortels travaux du siècle de la
Jurisprudence; mais il peut aspirer, du moins, à
marquer , à suivre la filiation des idées , avec les
précieux débris de l'antiquité romaine, et à conquérir
sur plusieurs points une théorie plus précise et plus
complète. C'est à l'histoire du Droit à favoriser ce ré-
sultat, et à mettre en lumière les principes de jus-
tice, de raison, de spiritualisme social, qui se sont
développés avec les lois romaines.
« La plupart des auteurs qui censurent le Droit
» romain avec autant d'amertume que de légèreté
» ( disaient les rédacteurs du Code dans le Dis-
» cours préliminaire) blasphèment ce qu'ils ignorent.
» On en sera bientôt convaincu si, dans les Collec-
» tions qui nous ont transmis ce droit, on sait dis-
» tinguer les lois qui ont mérité d'être appelées la
» RAISON ÉCRITE, d'avcc cclles qui tenaient à des in-
» stitutions particulières, étrangères à notre situation
INTRODUCTION. xix
» et à nos usages. » — La distinction faite par Tron-
chet et Portalis est le trait de lumière jeté sur
l'étude du droit romain. Les institutions particulières
des Romains , formes périssables d'une société qui
est loin de nous, resteront comme ensevelies dans
l'histoire; mais les principes généraux et la philo-
sophie même du droit romain seront toujours l'objet
de la science, et l'une des bases de la société civile.
— « Jeunes gens ((Usait, en 1820, le savant Mer-
» lin ) Jeunes gens , qui voulez parcourir la carrière
» de la Jurisprudence, étudiez, étudiez sans relâche
» les Lois Romaines , et familiarisez-vous avec leur
» langage, qui a souvent un caractère tout particu-
» lier : sans cela, vous ne serez jamais que des
» Praticiens , toujours exposés à prendre les erreurs les
» plus graves pour les vérités les plus constantes *. »
Nous prenons donc Rome pour point de départ.
— Toutefois , nous n'avons pas l'intention de pré-
senter l'histoire externe du droit romain , à laquelle
* Meblin, Questions de Droit, v» héritier, § m, 3^ édit. (1820),
p. 340, note. 1.
XX INTRODUCTION.
ont été consacrés, de nos jours, des travaux appro-
fondis, et notamment en Allemagne ceux de Ch. Hau-
bold , en France ceux de MM. Berriat-Saint-Prix et
Giraud, sur les collections de Droit et les institu-
tions romaines. Leurs recherches et leurs tableaux se
soutiennent , se complètent réciproquement : dans son
ensemble, l'œuvre paraît accomplie. — On ne peut
en dire autant de l'histoire interne du droit romain ,
de cette œuvre magnifique pour laquelle il faudrait
le génie d'un jurisconsulte qui planerait sur le droit
et ses développements à travers les siècles , comme
le génie de Bossuet sur l'histoire universelle et le
Christianisme , comme le génie de Montesquieu sur
les révolutions du Droit politique. — L'histoire de
G. Hugo n'est qu'une savante ébauche où viennent
se réunir de patientes recherches, des aperçus pro-
fonds, mais où manque le souffle divin du génie qui
crée et vivifie. — Savigny, dans la tranquille ma-
jesté de sa gloire historique, a entrevu la théorie
épurée des Lois romaines ; mais il a conçu son Traité
du droit romain en vue de l'Allemagne, qui suit le
droit romain comme législation positive, au Heu de
INTRODUCTION. XXI
l'écrire pour l'Europe ou pour la France, la patrie
de ses pères. Il était digne de réaliser la pensée de
Leibnitz , qui disait , à vingt ans , dans sa Nova
Methodus : « L'histoire interne du droit contient la
substance même du droit. » Mais , pour cette grande
création, ce n'était pas trop peut-être de la vie et
du génie tout entier de celui qui fut, dans le Traité
de la possession, l'émule de Doneau, cet autre ré-
fugié français de l'école de Bourges, qui n'eut pas,
dans les troubles religieux du xvi® siècle, la pru-
dente réserve de Cujas.
Les travaux exécutés en France sur les Institutes,
par l'Ecole contemporaine , sont d'un puissant se-
cours. Il y aurait injustice à ne pas reconnaître les
services successivement rendus , de nos jours , à la
science du droit romain par MM. Dupin aîné , Blon-
deau et Ducaurroi ; — par MM. Giraud , Pellat , Or-
tolan , Etienne et Bonjean. M. Troplong a jeté aussi
ui> VI intérêt sur une époque de l'histoire, en re-
dierchant l'influence du christianisme sur le droit privé
des Romains. Nous voudrions pouvoir dire qu'il suffit,
en ce moment , de résumer l'œuvre d'un grand histo-
XXIJ INTRODUCTION.
rien du Droit , pour arriver aux origines de notre
Droit national ; mais , nous le confessons à regret ,
cet historien , ce Montesquieu du droit civil nous
manque. Heureusement, du moins, nous avons pour
nous guider le flambeau de Gains , qui , placé entre
la Loi des XII Tables et le droit des Jurisconsultes ,
nous montre le lien des deux époques , et jette sur
elles une égale lumière.
Dans l'histoire du droit , l'époque de la Républi-
que romaine , depuis les premiers temps jusqu'à l'a-
vènement d'Auguste , est représentée par le droit
CIVIL DE ROME ; l'époquc de l'Empire est représentée
par LE DROIT ROMAIN proprement dit.
Le Droit civil , sous la République , comprend
deux périodes : la Loi des XII Tables , le Droit
prétorien.
Le Droit romain , sous l'Empire , en comprend
deux aussi : le droit romain de l'Ëcole Stoïcienne,
à partir du jurisconsulte Labéon , sous Auguste; le
droit romain sous l'Influence Chrétienne, à partir
de l'empereur Constantin.
INTRODUCTION. XXÎlj
Mais nous ne pouvons suivre ici l'ordre rigoureux de
ces diverses phases. Nous ne faisons pas isolément
l'histoire générale du Droit romain; et en exposant
le droit de la République et de l'Empire, nous ne
devons pas perdre de vue notre but principal, qui
est l'histoire du Droit français.
L'Époque romaine pure , dégagée de tout autre
élément , comprend , dans notre livre , les deux pre-
mières périodes seulement, ou le Droit des XII Ta-
bles et le Droit prétorien. Nous avons cherché à con-
centrer, dans cette ère de la République, l'esprit des
lois et des mœurs romaines, de manière à nous bien
assurer des principes qui se répandront sur le monde,
et se modifieront, sous l'influence successive du Stoï-
cisme et du Christianisme. Déjà même, avant de
clore cette époque , nous aurons reconnu le principe
qui servira de base à la grande École des Juris-
consultes : Cicéron aura puisé dans le sein du stoï-
cisme et produit dans ses beaux traités, à l'expira-
tion de la République, la philosophie du Droit.
Au terme de cet Age, que nous qualifions spécia-
lement d'Époque romaine , nous sortons de Rome et
Xxiv INTRODUCTION.
du monde soumis à ses lois ; nous entrons dans
les Gaules ; nous y suivons Jules César. Sur cette
terre féconde , où s'est agité le monde Celtique , nous
rechercherons avec Jules César lui-même , en com-
plétant les données juridiques et les observations de
ses Commentaires par les Coutumes galloises et bre-
tonnes qui ont vécu du même esprit , nous recherche-
rons l'esprit général des lois et des mœurs galliques.
En plaçant ainsi l'Époque celtique entre l'Époque ro-
maine et l'Époque gallo-romaine , nous obtenons le
grand avantage de ne pas intervertir , dans l'histoire
du Droit, l'ordre chronologique, et de représenter avec
vérité l'ensemble des institutions qui auront à subir,
plus tard, l'action incessante de la civihsation ro-
maine. — La conquête de César met en présence
Rome antique et la Gaule barbare. Rome , pour la
première fois , entre en communication directe avec
les peuples de l'intérieur des Gaules ; et la Gaule
Chevelue, dernière conquête vraiment incorporée au
territoire romain , subira l'influence du Droit civil de
Rome , même avant qu'il se soit modifié sous l'action
des jurisconsultes stoïciens et des empereurs chrétiens.
i:ntroduction, xxv
Le tableau du Droit celtique se plaçait donc natu-
rellement entre le Droit civil de la République et le
Droit romain de l'Empire. Les recherches des Ori-
gines gauloises , qui n'ont pas été jusqu'à présent cu-
rieusement explorées au point de vue du Droit ,
devenaient , dans notre Histoire , l'un des préhmi-
naires indispensables ; car les vaincus n'ont pas en-
tièrement dépouillé leurs coutumes primitives devant
les lois du peuple vainqueur : et si l'assimilation a
été facile et puissante sur un grand nombre de points,
il y a eu constante résistance , au moins sur un
point capital. Il était nécessaire de chercher, de saisir
l'entière raison de l'assimilation et de la résistance,
dans le parallèle des mœurs ou des institutions de la
Cité romaine et de la Gaule barbare.
Quand ce rapprochement est fait , et que l'esprit
du lecteur peut entrevoir déjà les conséquences qui
seront données par la force des choses , alors doit
apparaître le droit romain de l'Empire ; alors la phi-
losophie du droit, considérée au point de vue de la
doctrine stoïcienne et de l'idée chrétienne, doit pren-
dre sa place dans l'histoire , et marquer pour nous la
XXVi INTRODUCTION.
troisième Époque, qui s'étend jusqu'au vi^ siècle,
jusqu'à l'établissement des peuples Germaniques sur le
sol gallo-romain. — Le Droit romain de l'Empire ,
non avec l'immensité de ses détails , mais avec la
grandeur de ses principes , visiblement unis à ceux
du Chistianisme, devait logiquement après le Droit
civil de Rome , après le Droit celtique , se placer à
à l'entrée de notre histoire , et ouvrir l'Époque gallo-
romaine. C'est en effet le droit romain de l'école des
jurisconsultes qui a développpé les germes déposés
dans les mœurs galliques, et c'est surtout l'alliance
du droit romain et du christianisme qui a fait le ca-
ractère distinctif , le fonds inépuisable de la civilisa-
tion des Gaules et de la France.
Au surplus , nous le déclarons ouvertement , l'al-
liance du droit romain et du christianisme, soit dans la
nature intime de leur principe , soit dans leur action
sur la société , c'est là une pensée fondamentale dans
notre livre ; c'est le principe d'unité qui en soutient
toutes les parties , et le point de vue , nouveau peut-
être dans l'histoire du droit, auquel nous nous sommes
principalement attaché , sans jamais y sacrifier la vérité
INTRODUCTION. XXVlj
des faits. Après les travaux accomplis jusqu'à ce jour, il
nous a paru qu'il restait encore à manifester par l'histoire
le rapport essentiel et philosophique du droit romain
avec le christianisme , agissant d'abord l'un et l'autre
dans des sphères séparées , et s'associant ensuite dans
le monde moderne comme éléments civilisateurs.
Cependant , et nous nous empressons de le recon-
naître , le droit romain et le christianisme ne contien-
nent pas toute l'histoire de l'ancien Droit français ,
toute la substance de notre Droit moderne. La divi-
sion de la France en pays coutumiers et paijft de droit
écrit est un fait continué par la Jurisprudence parle-
mentaire , mais bien plus ancien que nos Parlements ;
car nous en retrouverons la racine jusque dans nos
origines gallicanes. Malgré ses nombreuses diversités ,
le Droit coutumier avait, à sa base, des principes uni-
formes , un entre autres , qui avait une grande va-
4eur morale, l'esprit de famille. L'École coutumière,
en France , a été illustrée par les noms d'éminents
jurisconsultes ; elle se sentit même assez forte , au
milieu du xvu^ siècle, pour déclarer, contre la maxi-
XXVUJ INTRODUCTION.
me jusqu'alors reçue , que la Coutume de Paris , et
non le Droit romain, était le droit commun de la
France *. 11 faut donc nécessairement tenir grand
compte et faire une étude approfondie des Coutumes
nationales.
Les Coutumes , dont le développement s'épanouis-
sait avec un légitime orgueil après l'âge des Dumou-
lin , des Guy - Coquille , des Loyseau et des d'Ar-
gentré , s'étaient lentement formées sous l'influence
de races et de conquêtes , de mœurs et d'institutions ,
de lois et de civilisations diverses ; elles avaient subi
sur plusieurs points de complètes transformations.
Pour faire l'histoire de l'ancien Droit français , il faut
par conséquent suivre les Coutumes dans ce long
travail des siècles.
Droit Gallique , recueilli principalement dans les
Commentaires de Jules César, le Code de Howeldda,
les très-anciennes coutumes de Bretagne;
Droit Gallo-Romain , depuis l'Edit provincial jus-
ques et y compris le Code d'Alaric;
* Bbodeau , Comm. sur la Coût, de Paris, in principio. — De Lau-
EiÈRE, Établissements de Saint-Louis (Ordonnances , t. i. aux notes).
INTRODUCTION. XXIX
Droit Germanique , implanté sur le sol conquis , et
dont M. Pardessus a profondément suivi et mis à
découvert les racines, dans ses dissertations sur la Loi
Salique ;
Droit Mixte des Époques Mérovingienne et Car-
lovingienne, où viennent se réunir les antiques Con-
ciles des Gaules , les Formules de Marculfe , les Chartes
mérovingiennes , les Décrets des rois de la première
race , les Capitulaires de la race de Charlemagne ;
Droit Canonique , principalement au moyen-âge , et
Renaissance du Droit Romain aux xii® et xiii^ siècles ;
Droit Féodal, dont le Livre des Fiefs, les Assises
de Jérusalem retrouvées et renouvelées de nos jours,
ies Coutumes de Beaumanoir et les Établissements de
Saint -Louis , réfléchissent, sous différents aspects,
l'image primitive et les grandes modifications;
Droit Coutumier , considéré d'un point de vue gé-
néral , par rapport à la topographie de la France ,
à la diversité des races qui ont occupé le territoire ,
aux caractères distincts et permanents des principales
Provinces; et considéré d'un point de vue plus spécial ,
XXX INTRODUCTION,
par rapport aux sources originales et traditionnelles ,
telles que les Cartulaires , le Polyptique d'Irminon
auquel se rattache aujourd'hui un si beau monument
d'érudition \ les Chartes d'affranchissements des serfs
et villages , les Chartes des communes , les Statuts
des villes méridionales , les Monuments de la Renais-
sance romaine et du Droit ecclésiastique , les Olim ,
les Vieux Coutumiers des xiii'' , xiv^ et xv^ siècles ,
la Rédaction officielle et la Réformation du xvi® :
Telles sont les couches successives , telle est la géo-
logie morale, par l'étude desquelles nous devrons ar-
river à LA THÉORIE GÉNÉRALE DU DrOIT CoUTUMIER ,
en marquant les grandes diversités qui distinguent
les pays de Coutumes et les pays de Droit écrit.
Nous étudierons ensuite laction de la Royauté sur
le droit civil par les ordonnances, et l'action bien
supérieure des Jurisconsultes français dans nos écoles
scientifiques du Droit Romain et du Droit coutumier.
* Polyptique de l'abbé Irminon, avec Prolégomènes, Commen-
taire et iiclaircissements , par M. B. Guéraed, de l'Institut (183(:-r
1844).
INTRODUCTION. XXXI
Et dans cette vaste exposition des âges et des
monuments, des coutumes et des révolutions socia-
les ou juridiques, nous ne perdrons point de vue
l'intervention, tantôt manifeste, tantôt cachée, mais
continue, mais toujours active, du droit romain et
du christianisme, représentée par les Évêques et les
Papes, par les Légistes et les Rois. Nous suivrons
le droit romain et le catholicisme dans leurs luttes
laborieuses avec les autres éléments de la société ,
pour les conquérir et les assimiler à leur principe
civiUsateur. — Fidèle ainsi à l'objet principal de no-
tre Livre, nous tâcherons de saisir et de suivre dans
sa marche, ses interruptions, ses alliances et ses
transformations, la pensée civilisatrice qui , des Con-
ciles de la Gaule et des Capitulaires de Charlema-
gne, qui de l'école d'Irnerius et de Pierre De Fon-
taines, des Étabhssements de saint Louis et du Livre
de Beaumanoir, a conduit nos lois civiles, à travers
les âges de la Féodalité et de la Monarchie française ,
jusqu'à la Révolution de 1789.
Là un monde nouveau nous apparaît.
Dans l'œuvre divine de la création , lorsque le
XXxij INTRODUCTION.
chaos n'est plus , la lumière est faite : dans la révo-
lution française, œuvre de Dieu et de l'homme, la
lumière a précédé le désordre. — La lumière de 89,
c'est celle du Droit et du Christianisme ; puis vient
le chaos de 93, de l'an II, et s'étendent ces ténèbres
visibles où toute une société se précipite sur ses in-
stitutions religieuses, politiques et civiles; sur Dieîi,
la Cité , la Famille!.... Puis encore la clarté reparaît
avec le pouvoir organisateur du Consulat; et le divin
rayon , qui vivifie la société sauvée , c'est toujours la
lumière du Catholicisme et la lumière du Droit!
L'histoire du droit, pendant la révolution, doit
donc, d'abord, recueillir et manifester les grands
principes qui étaient dans la science des jurisconsul-
tes, des philosophes chrétiens, et dans la conscience
nationale, mais auxquels les faits de l'ancienne so-
ciété opposaient obstacle et faisaient violence. —
Elle doit représenter ensuite l'oubh, la négation, la
corruption de ces principes, ou l'irruption du maté-
rialisme dans la société religieuse, poU tique et civile.
L'histoire du droit s'anime nécessairement du ca-
INTRODUCTION. XXXllj
ractère dramatique de ces deux périodes de la révolu-
tion; elle réfléchit les idées et les crimes, les faits et
les discours qui renversent l'ancienne sqciété ou qui
ébranlent la nouvelle; elle reproduit les principes, les
institutions, les essais qui se jettent dans le moule
révolutionnaire , au nom des théories sociales ou reli-
gieuses. Pour ne pas être historien infidèle, nous avons
dû conserver, à cette Époque complexe, son caractère
mixte, tantôt politique ou religieux, tantôt administratif
ou civil. — Et cette époque de l'histoire est d'une
haute importance pour la moralité nationale et pour
le droit français. Elle apprend à faire la séparation
du bien et du mal ; et , dans la diversité de ses pério-
des, elle porte et prépare l'Époque nouvelle où le gou-
vernement français^ sous les auspices du Premier Con-
sul , voudra fonder la liberté civile *, reconstituer
LA FAMILLE **, réaliser les bons principes , répudier les
mauvais, et accomplir enfin la promesse faite à la
France , par la Révolution de 89 , d'un code de lois
CIVILES COMMUNES A TOUT LE ROYAUME***. «
* Paroles de Bonaparte dans sa proclamation après le 9 brumaire.
** Paroles de Portails dans le discours préliminaire du projet de Code.
*** Constitution de 1791 , tit. le»", dispositions fondamentales.
XXxiv INTRODUCTION.
Sur le lien indissoluble du droit moderne avec le
droit romain , nous avons textuellement reproduit, plus
haut, la pensée de Portalis et des auteurs du Code
civil. — Nous allons aussi rappeler leurs vues sur les
Coutumes, les Ordonnances des Rois , les Décrets des
Assemblées nationales dans leur rapport avec le Code
du xix*' siècle. Tronchet et Portalis , en rendant
compte de leurs idées et de leur méthode , avaient ,
pour ainsi dire , tracé d'avance le plan général de
l'histoire du Droit civil français.
« Dans le nombre de nos Coutumes , disaient-ils ,
» il en est sans doute qui portent l'empreinte de no-
» tre première barbarie ; mais il en est aussi qui
» font honneur à la sagesse de nos pères , qui ont
» formé le caractère national , et qui sont dignes des
» meilleurs temps. Nous n'avons renoncé qu'à celles
» dont l'esprit a disparu devant un autre esprit...
» En examinant les dernières Ordonnances royales ,
» nous en avons conservé tout ce qui tient à l'ordre
» essentiel des sociétés , au maintien de la décence
» publique , à la sûreté des patrimoines , à la prospé-
» rite générale.
INTRODUCTION. XXXV
» Nous avons respecté^ dans les Lois publiées par
» nos Assemblées nationales sur les matières civiles,
» toutes celles qui sont liées aux grands changements
» opérés dans l'ordre politique , et qui par elles-mê-
» mes nous ont paru évidemment préférables à des
» institutions usées et défectueuses. Il faut chan-
» ger , quand la plus funeste de toutes les innova-
» tions serait, pour ainsi dire, de ne pas innover...
» L'essentiel est d'imprimer aux institutions nouvelles
» ce caractère de permanence et de stabilité qui puisse
» leur garantir le droit de devenir anciennes.
» Nous avons fait , s'il est permis de parler ainsi ,
» u.NE TRANSACTION entre le Droit écrit et les Cou-
» tûmes , toutes les fois qu'il nous a été possible de
» concilier leurs dispositions , ou de les modifier les
» unes par les autres , sans rompre I'unité du système ,
» et sans choquer Tesprit général. »
Ainsi, les fondateurs du Code moderne nous ont
expliqué la pensée d'histoire et de philosophie du
droit qui a présidé à leurs travaux. Ils veulent que
leur système de législation repose sur I'Unité, et,
pour en former l'esprit général, ils impriment à nos
XXXVl INTRODUCTION.
Lois civiles trois caractères qui résument l'expérience
de tous les temps :
V Caractère de Tradition romaine et coutumière;
2* Caractère de Transaction entre les pays de
Droit écrit et de Coutumes;
3" Caractère d'ORiGiNALiTÉ , né de l'esprit et des
innovations légitimes de la Révolution française.
L'unité de législation est leur principe philosophique,
la diversité d'éléments est le résultat historique qui
s'impose à leurs travaux.
Comme législateurs , ils le disent eux-mêmes , « ils
» ont observé avec soin les rapports naturels qui
» lient toujours, plus ou moins, le présent au passé
» et l'avenir au présent. »
L'histoire du Droit est donc , de leur aveu , la
compagne nécessaire d'une Législation qui a jeté ses
racines ou dans les profondeurs du passé le plus
antique , ou dans les champs du passé qui nous tou-
che , et que sillonnait , tout récemment encore , le
soc des révolutions.
Depuis le Consulat jusqu'à la chute de l'ancienne
Dynastie , en 1 830 , bien des changements de gouver-
INTRODUCTION. XXXVIJ
nement se sont succédé ; mais la révolution sociale
était faite, et les secousses politiques n'ont pas péné-
tré bien avant dans nos Lois civiles.
L'Empire et la Restauration tentèrent de renouve-
ler des institutions vieillies qui tenaient au système
politique renversé par le principe de 89. L'Empire,
puissance militaire, avait établi des Majorais, avait
même rétrogradé jusqu'aux inféodations transmissibles
de mâle en mâle, et réversibles en cas d'extinction de
la race masculine*. La Restauration avait maintenu les
majorats dans l'intérêt politique de la Pairie constitu-
tionnelle, et voulu" replacer l'inégalité des partages
dans le droit privé des successions. — La chute de
l'Empire entraîna les fiefs militaires de 1810; — le
souffle de 89 emporta les propositions de 1825 contre
l'égalité des partages ; — la révolution de 1 830 anéantit
les majorats , en respectant les droits acquis. ■
Une grave innovation en faveur des Étrangers, sur
le droit de succéder et de tester en France , s'est
seule introduite dans nos lois civiles ; et c'est un
* Senatus-consulte du 30 janvier 1810, sur le domaine extraordinaire.
XXXVllj INTRODUCTION.
Décret de l'Assemblée constituante qui , repoussé d'a-
bord par le Consulat en guerre avec l'Europe , réclama'
sa place dans le Code de la France» en 1819, au
moment où la France , délivrée de la présence et des
armes de l'étranger, pouvait accueillir avec sympathie
un principe de 89, et reconnaître librement l'autorité
morale de son origine.
Nous observerons , dans l'histoire du Droit jus-
qu'à nos jours , ces divers efforts de la société po-
litique contre la société civile; mais, surtout, nous
aurons à suivre l'histoire de la science depuis la Co-
dification , et à caractériser le mouvement de l'É-
cole contemporaine dans les sphères parallèles du
Droit romain et du Droit français.
L'histoire du Droit , telle que nous la concevons ,
n'est pas seulement une oeuvre d'érudition; elle doit
être en même temps une œuvre de science , et il
n'y a pas de science sans théorie , sans résultats. Il
faut, sans doute, que les esprits curieux des traditions
nationales en retrouvent l'origine , les progrès , les
transformati!)ns dans l'histoire du Droit; mais il faut
aussi que le Jurisconsulte, dans les différentes pha-
INTRODUCTION, XXXIX
ses de sa carrière , puisse s'aider et s'éclairer des
travaux de l'historien.
Pour l'homme de la science juridique , le. Droit ,
élevé à toute sa hauteur , présente trois points de
vue distincts et non opposés : l'histoire , la philo-
sophie du droit , la législation. — L'Histoire con-
tient les faits, leur enchaînement progressif et le
long enfantement de I'idée. — La Philosophie du
Droit détermine les principes immuables, pris dans
la nature des choses, et les rapports moralement né-
cessaires de l'homme et de la société. — La Légis-
lation , à une époque de civilisation avancée , choi-
sit avec discernement dans l'héritage du passé, for-
mule en Loi positive Tidée qui est sortie victorieuse
des faits , ou sanctionne les principes proclamés par
la philosophie du droit. — C'est sur les résultats
combinés qui viennent de ces différentes causes plus
ou moins anciennes , plus ou moins accessibles , que
la science du Jurisconsulte , véritable science alors
DES CHOSES divines ET HUMAINES, foudc la théoric
ou la dogmatique du Droit.
Ces divers résultats , dépourvus des preuves de
Xl INTRODUCTION.
leur origine ou de leur filiation , dépourvus de la
lumière historique, manqueraient d'une condition né-
cessaire à leur pleine intelligence. — L'étude appro-
fondie du droit réclame donc impérieusement fhis-
toire ; et l'histoire du droit , en s'appuyant sur féru-
dition, doit principalement être faite en vue de la
science des jurisconsultes.
Tel est le but que nous avons eu devant les yeux;
telle est falliance que nous avons voulu cimenter en-
tre le droit , l'histoire et la philosophie.
Ce but si élevé , si difficile , il avait apparu , un
jour , au milieu des méditations sur TEsprit des
Lois , à l'homme qui seul par son génie était ca-
pable de l'atteindre. Malheureusement, il était trop
tard ! Montesquieu , après vingt ans de travaux , ar-
rivait à la fin du xxviii^ livre sur l'Origixe et les
Révolutions des Lois civiles chez les Français :
« Il aurait fallu , dit-il , que je m'étendisse davantage
» à la fin de ce livre , et qu'entrant dans de plus
» grands détails , j'eusse suivi tous les changements
» insensibles qui , depuis fouverture des Appels , ont
» formé le grand corps de notre Jurisprudence fran-
INTRODUCTION. xlî
» çaise; mais j'aurais mis un grand ouvrage dans
» UN grand ou\rage. »
Voilà une pensée bien propre sans doute à exciter
l'ardeur, à féconder le génie de l'historien du droit,
qui pourrait redire avec Montesquieu : « Et moi aussi
» je suis peintre î »
Mais elle est de nature à jeter la terreur dans
l'âme de l'écrivain qui ne trouve pas en lui ce se-
cret témoignage. Mon premier travail arrivait à son
terme , lorsque le passage décourageant de l'Esprit
des Lois a vivement attiré mon attention. C'est là
mon excuse.
Frappé plutôt de ce rapprochement , qui me con-
damne à l'exécution imprévue d'une pensée de Mon-
tesquieu , je me serais arrêté soudain , et n'aurais
jamais entrepris d'écrire l'Histoire du Droit français.
Peut-être cette histoire sera-t-elle encore à faire
Ce n'est pas à nous qu'il appartient d'en juger. ?(ous
aurons , du moins , le mérite d'avoir repris ouver-
tement les traditions de l'École historique du droit
français , glorieusement fondée , au xvi® siècle , par
les Pithou , les Bignon , les Brisson , les Dumou-
Xlij INTRODUCTION.
lin^ enrichie, aux xvii^ et xviii^ siècles, des savants
travaux de tant d'auteurs coutumiers , curieux inves-
tigateurs de nos origines, et principalement illustrée
par Caseneuve, Lathaumassière , Hévin, Bouhier, de
Laurière et Montesquieu. — Eusèbe de Lalrière et
Montesquieu , voilà surtout les deux noms qui do-
minent l'École française, l'un par la science des ori-
gines , l'autre par le génie. — Le génie n'a pas d'hé-
ritiers ; mais la science lègue à la postérité des travaux
interrompus qui demandent à être repris et continués.
Il y a dix ans à peine , l'École germanique , dont
j'admire la vaste érudition , mais dont je ne partage
pas toutes les tendances , manaçait d'envahir le do-
maine de nos traditions , d'obscurcir nos origines ,
et de troubler le cours de la science juridique en
France , en nous séparant des traditions , des théo-
ries romaines et de l'esprit vital de nos institutions.
Je n'ai pas hésité , jeune encore et tout-à-fait in-
connu dans les lettres , à reprendre le mouvement ,
à reproduire la pensée de l'école française , de l'é-
cole nationale. — Un homme jeune aussi , enlevé
INTRODUCTION. xliij
trop jeune aux travaux historiques , Rlimrath , dans
son enthousiasme germanique , a quaUtié mon livre
de chaleureux plaidoyer en faveur du Droit romain ; il
m'a représenté comme Y homme du Midi , qui se levait
encore, au xix^ siècle, pour crier anathème contre
V homme du Nord. — Il n'y avait , de ma part , ni
plaidoyer, ni anathème; mais le sentiment du droit
protestait contre l'usurpation du germanisme contem-
porain , qui , prétendant renouveler nos origines , et
se substituer à notre passé , oubliait que pendant trois
siècles une Ëcole de Jurisconsultes français avait inter-
rogé sur tous les points les sources et les transforma-
tions de notre droit , au nord et au midi de la France.
Toutefois , et j'en ferai facilement l'aveu , emporté
par ce besoin de résistance , j'ai exprimé dans ma
première publication , sur l'histoire du Droit , des pro-
positions trop exclusives. J'ai même écarté entière^
ment de mon esquisse , et avec intention , le Droit
Barbare : c'est une lacune qu'on m'a justement re-
prochée ; mais tout en avouant mes torts , je pour-
rais à mon tour reprocher à la critique de n'avoir
pas fait attention à la grande influence , à l'influence
xliv INTRODUCTION.
même excessive que j'attribuais à l'élément germani-
que sur notre Droit coutumier, puisque je regardais
l'élément germanique comme ayant produit en France
la féodalité , et que je regardais la féodalité comme
une des principales sources de nos coutumes.
Ces débats de 1836 seraient aujourd'hui sans inté-
rêt; la réaction est faite contre l'invasion absolue des
idées germaniques. Grâces à des études plus sévères, à
la découverte de précieux monuments , à l'influence des
travaux accomplis , en plusieurs directions , durant
les dix dernières années , on a reconnu dans les let-
tres , dans l'histoire , dans les usages , les institu-
tions et les lois, la profondeur de la couche romaine.
Augustin Thierry , écrivant ses Considérations sur
l'histoire de France , a constaté ce grand résultat en
des termes qu'on doit reproduire pour ne pas en af-
faibUr l'autorité : « En résumé ( dit l'admirable his-
» torien), le nouveau caractère, le cachet d'originaUté
» que la théorie de l'histoire de France a reçu des
» études contemporaines , consiste pour elle, à être une
» comme l'est maintenant la nation , à ne plus con-
» tenir deux systèmes se niant l'un l'autre, et répon-
INTRODUCTION. . x!v
» dant à deux traditions de nature et d'origine impo-
» sées , la tradition romaine et la tradition germanique.
» La plus large part a été donnée à la tradition ro-
» maine ; elle lui appartient désormais , et un retour
» en sens contraire est impossible. » — Le progrès et
l'activité des recherches liistoriques , le zèle du Gou-
vernement français pour les grandes publications , le
concours des Académies , et les généreux efforts de
plusieurs hommes sans titre académique , ont ouvert
des sources nouvelles ou ranimé des sources presque
taries. L'histoire du Droit français peut puiser libre-
ment aux sources nationales ; elle peut , sans danger
désormais , faire aussi la part aux origines étrangères.
Le moment est donc venu de dépouiller l'armure du
combat , et de rendre à l'histoire du Droit son vrai
caractère , I'impartialité.
Nous avons fait connaître notre plan général; en
quelques mots, nous indiquerons notre méthode.
Elle a pour objet de mettre en évidence le Droit
public et le Droit privé. Toutefois, le droit public
xlvi INTRODUCTION.
ne reçoit pas dans cet ouvrage les mêmes développe-
ments que le droit civil proprement dit. « Le droit
privé , selon l'expression du chancelier Bacon , est
placé sous la tutelle du droit public : jus privatum
SUE TUTELA juRis PUBLici LATET. » On uc pcut sé-
parer, par conséquent, l'histoire du droit privé des
révolutions du droit public. Mais notre but principal
est le Droit civil, dans le sens restreint attaché à ce
dernier mot depuis Domat; et le Droit public sera
représenté par nous dans ses principes et ses résul-
tats, plutôt que dans l'ensemble de ses origines et de ses
institutions. — Deux branches importantes, le Droit
commercial et le Droit criminel, sont à peu près absentes
de nos recherches. Elles ont leur caractère propre et
doivent avoir leur histoire spéciale comme elles ont
leur monographie. — Le Droit criminel a trouvé de
nos jours son historien ; et la collection des Lois mari-
times de M. Pardessus a posé une base large et pro-
fonde pour l'histoire du Droit commercial. .
Trois idées principales dominent la matière que
nous traitons.
INTRODUCTION. xlvij
Il fallait marquer, premièrement, les faits exté-
rieurs, les causes politiques, morales, religieuses, qui
caractérisent les grandes Époques de l'histoire du droit ;
Secondement, faire connaître les monuments des
lois, des coutumes, des jurisconsultes influents de
chaque période;
Troisièmement , déterminer pour chaque Époque
les résultats acquis à l'histoire , à la théorie du
droit.
Ainsi ,
Faits extérieurs et causes de l'ordre politique ou
moral ;
Monuments du droit et de la doctrine ;
Résultats :
Telle est la loi apparente ou cachée, mais invaria-
ble , de notre méthode.
Les RÉSULTATS auxqucls concourent toutes les par-
ties de ce livre ont été distribués , pour les grandes
périodes de l'histoire du droit, depuis les XII Tables
et le droit Prétorien jusqu'au Code civil et au Droit
du xix^ siècle , sous les dénominations et dans l'or-
dre suivant :
xlviij INTRODUCTION.
I. La Cité, sous le point de vue politique et privé,
et, par conséquent, les institutions de droit public et
la division des personnes ;
II. La Famille , considérée dans sa constitution
PERSONNELLE , et daus sa constitution réelle ou re-
lative aux transmissions de biens;
III. La Propriété, les moyens d'acquérir;
IV. Les Obligations ;
Y. Les Institutions et Actions judiciaires ;
VI. La Culture et l'Enseignement du Droit ;
VIL La Philosophie du Droit.
Cette classification , avec la liberté de mouvement
que doit se réserver l'écrivain , embrasse toutes les
sphères du droit public et privé , et permet , par l'é-
tendue des idées qui se rattachent à la constitution
de la Cité , de lier aux révolutions de l'ordre civil ,
quand l'histoire le réclame, les révolutions de l'ordre
social , politique ou religieux.
FIN DE l'introduction.
HISTOIRE
DROIT CIVIL DE ROME
ET
DU DROIT FRANÇAIS.
LIVRE PREMIER.
ÉPOQUE ROMAINE,
OU
DROIT CIVIL DE ROME.
DIVISION GÉNÉRALE DE l'ÉPOQUE ROMAINE.
L'histoire politique de Rome se divise en deux grandes
parties : la République et I'Empire.
L'histoire générale du Droit romain se divise aussi en
deux grandes parties : le Droit sous la République , ou
le Droit civil de Rome ; le Droit sous les Empereurs ,
ou le Droit Romain proprement dit.
Le Droit civil de Rome comprend deux périodes : la
Loi des XII Tables, le Droit Prétorien.
Le Droit, sous l'Empire, comprend également deux pé-
2 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
riocles notables : le Droit romain de l'Ecole stoïcienne,
à partir de Labéon , sous Auguste; le Droit romain,
sous l'influence chrétienne, à partir de Constantin.
Ainsi ,
Droit des XII Tables ;
Droit Prétorien (avec ses annexes, savoir, plébiscites,
lois spéciales , droit non écrit , droit provincial ) ;
Droit romain , de l'Ecole stoïcienne ;
Droit romain, sous l'influence chrétienne;
Tels sont les objets et les quatre grandes périodes que
renferme I'Èpoque romaine.
Notre but n'est pas de présenter ici une histoire com-
plète du Droit Romain. Mais nous voulons déterminer
les caractères de chaque période , en nous attachant plus
spécialement aux deux premières. Nous voulons suivre le
mouvement qui part de l'unité romaine, marquer le pro-
grès qui s'accomplit dans les faits et les idées , et recon-
naître cette philosophie du Droit romain et du Christia-
nisme , qui , après avoir contribué à la civilisation du
monde , conservera toujours une légitime influence sur
les législations modernes.
Le Droit civil de Rome se divise théoriquement en
droit public et droit privé.
L'histoire des institutions politiques , jusqu'aux temps
de la confusion et des déchirements causés par les guer-,
res civdes du vii^ siècle, est pour nous une préparation
nécessaire à l'histoire du Droit privé sous la République.
Ce sera l'objet de notre premier chapitre. Trop d'om-
bre resterait sur la suite de nos idées, sans cet exposé ou
ce résumé préliminaire des institutions et dos faits de l'or-
dre politique.
INSTITUTIONS DE L ORDRE POLITIQUE.
CHAPITRE r.
TABLEAU DES INSTITUTIONS DE L'ORDRE POLITIQUE , JUSQU'A
L'ÉPOQUE DES GUERRES CIVILES.
SECTION r\
.DEPUIS LA. FONDATIOS DE ROME JUSQUES AU IV' SIECLE [305].
I. — L'antique Italie renfermait dans son sein une
multitude de peuples et de races. Les uns, indigènes,
habitaient les plaines et les montagnes ; les autres , d'o-
rigine étrangère, occupaient les bords de la Méditerra-
née et de l'Adriatique , et formaient des colonies grec-
ques , des cités pélasgiques , indépendantes des peuples
qui les avaient envoyées. La race pélasgique , dispersée
après le siège de Troie , était originaire de l'Orient ; elle
était sortie de l'Indostan * . Les rapports découverts de
nos jours, par la philologie, entre les mots primordiaux
du Sanscrit, dont les Pélasges étaient les propagateurs,
et les mots primitifs du grec et du latin , prouvent tout
à la fois l'origine de leur race voyageuse et la réalité de
1 Les anciennes traditions représentaient les Pélasges comme une
race persécutée par les puissances célestes, et livrée à des maux infi-
nis. {Denys d'Halic.^ liv. i. ch. 17.)
Ceux qui regardent les Pélasges du centre de l'Italie comme origi-
naires de l'Orient , les font arriver de la Thessalie ; Strabon ( liv. v )
dit indifféremment Pélasges ou Thessaliens. {JNiebuhr, l. 42-43. )
4 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
leurs établissements. Cette race persécutée avait fondé
Tyr , et y avait déposé les caractères de l'écriture. Elle
s'était reposée sur les côtes de la Grèce, et l'écriture grec-
que fut identique à l'écriture phénicienne. Elle avait pé-
nétré dans l'Etrurie ^ , et les caractères étrusques re-
produisirent les signes de l'écriture grecque. La lan-
gue latine, plus encore que les autres , a puisé ses raci-
nes dans la langue sanscrite, dont les monuments recon-
nus remontent à 1500 ans avant l'ère chrétienne, et par
conséquent , à 700 ans avant la fondation de Rome. Ce
rapport d'identité, que la science des orientalistes vient
de révéler avec éclat ^ , atteste une antique fraternité
2 Une foule de témoignages atteste que sur la côte d'Étrurie iî y
avait des Pélasges. Il y a unanimité aussi pour représenter Cœré comme
ayant été , sous le nom ài'AgyUa, une ville des Pélasges ; depuis , elle
fut une ville étrusque , la ville de Cœré , où les vestales portèrent les
choses saintes à l'approche des Gaulois.
L'Enéide a contribué surtout à établir l'opinion de l'identité des
Grecs et des Pélasges. — Niebuhr, qui démontre l'erreur de cette opi-
nion , n'admet pas cependant la tradition qui regarde les Pélasges
comme des peuples errants. A ses yeux, les Pélasges composaient des
nations assises sur leur territoire , puissantes et glorieuses , habitant
depuis le Pô et l'Arno jusqu'au Bosphore , à une époque qui précède
l'histoire des Hellènes (t. 1. p. 75) ; et cependant il rapporte d'abord
(p. 41), sans la combattre , l'ancienne tradition qui représente la race
pélasgique comme errante et persécutée. — M. Michelet suit les traces
de Niebuhr ; mais il reconnaît le caractère de colonisalion qui appar-
tient aux industrieux Pélasges , et leurs courses aventureuses. « L'o-
rigine de Rome était pélasgique , dit-il ; après la ruine de Troie , Énée
avait apporté dans leLatium les pénates et le feu de Vesta. Rome ho-
norait l'îlede Samothrace comme sa mère. « {Rrp. rom., 1. 21. )M. Gi-
raud admet le rapport de l'Etrurie avec l'Orient. ( Recherches sur le
droit de propriété , t. 1. p. 106. )
3 Voir les tableaux de M. Eichoff , et un tableau fort restreint dressé
par M. Burnouf et reproduit par M. Michelet , t. t , aux notes.
CHAP, I. INSTIT. DE LORDRE POLITIQUE. SECT. I. 5
des peuples de l'Italie avec les peuples émigrés des Indes- '
Orientales ; et d'antiques traditions , que nous aurons à
signaler plus tard, indiquaient aussi les rapports de plu-
sieurs peuples établis en Italie, des Oiiibriens, par exem-
ple, avec les nations de race celtique.
La race romaine s'est formée de plusieurs éléments
combinés :
1** Les Latins, habitants du vieux Latium , appelés
Ramnenses, qui, de Ramnès ouRomulus, leur chef , don-
nèrent le nom de Rome à la vdle fondée sur le mont Pa-
latin ;
2" Les Sabins , appelés Titlemes , de Tatius , roi des Sa-
bins, lesquels habitaient le mont Quirinal ;
3^ Les Etrusques, appelés aussi Lucerenses , du nom de
leur principale magistrature, selon Cicéron * ;
4" Les fugitifs des diverses parties de l'Italie , les pâ-
tres, les débiteurs, les esclaves, qui avaient cherché un
refuge dans la ville nouvelle, où Romulus avait consacré
un heu au droit (fasyle ^.
La race latine et sabine est représentée, dans l'his-
toire, par le patriciat guerrier ; la race étrusque par le pa-
triciat sacerdotal 6, De leur association est sortie la classe
primitive des patriciens.
4 Luceres, Lucerences..., de nomine Lucumonis. Rep., 11.8. 20.
Selon Niebuhr (1. 419), cette dénomination vient d'un nom de
lieu, Lucer, sur le montCœlius, où furent postérieurement établis les
Albains.
Il faut se rappeler, quand on lit les Origines dans Niebuhr , que l'i-
magination , avec ses créations hardies , vient souvent chez lui en aide
à l'érudition.
5 Tit. Liv., lib. i. cap. 8. Denys d'Halic, liv. ii. ch. 6.
6 n Les pontifes , tant qu'on les prit dans les grandes familles pa-
6 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
Les réfugiés , qui ont profité de l'asyle ouvert par Ro-
mulus , sont placés sous la protection , sous le patronage
des patriciens, et deviennent leurs clients. Leur classe in-
férieure , grossie d'émigrations nouvelles et des peuples
vaincus que Rome, dans les premiers temps, incorporait
à la cité ' , forme la classe nombreuse des plébéiens. —
Là se trouve à sa source la grande division des patriciens
et des plébéiens , des patrons et des clients. Il ne serait pas
exact d'en conclure que tous les plébéiens , cependant ,
furent confondus dans la classe des clients. Plusieurs fa-
milles plébéiennes, d'origine latine, sabine ou étrusque,
gardèrent sans doute leur position indépendante , quoi-
que inférieure ; et c'est autour d'elles que se rangèrent les
plébéiens dans les luttes qui éclatèrent par la suite.
IL — A cette origine de Rome, à cette distinction des
races primitives, au partage de Vager romanus en trois
parties, se rapporte la première division du peuple en trois
TRIBUS, ceWes des Ramnenses ^ des Titienses , des Luceres,
» triciennes ( c'est-à-dire jusqu'à l'an 453 , où les plébéiens furent ad-
» mis au pontificat ) , étaient sans doute le plus souvent , en qualité de
» chefs de la religion, originaires de l'Étrurie, comme peut-être Numa
«lui-même, comme les institutions pieuses qu'il avait apportées à
"Rome.
u On trouve le caractère étrusque dans un grand nombre deç anti-
« ques récits ( sur les premiers temps de Piome). Tullus Hostilius ,
» Servius, les Tarquins, sont Étrusques. Tite-Live, quoiqu'il n'indi-
» que pas ses sources , puise évidemment dans les Annales des ponti-
)) fes , à la fois étrusques et pontificales , tout ce qui répand sur sa nar-
» ration un air vénérable d'antiquité religieuse, de tradition sainte. »
{Mémoire sur les Annales des Ponlifes,par M. V. Leclcrc, de l'Inslilul,
p. 37.)
7 Tit. Liv., lib. i. cap. 10 et 11.
CHAP. I. INSTIT. DE LORDRE POLITIQUE. SECT. 1. 7
dont Varron , Cicéron et Tite-Llye nous ont transmis le
souvenir ^. Les réfugiés furent d'abord incorporés dans
les trois tribus et attachés par les liens de la clientelle aux
familles patriciennes.
Chaque tribu eut son augure. Les trois tribus furent
divisées en trente curies , lesquelles avaient chacune leur
quartier dans Rome , leur temple , leurs sacrifices , leur
prêtre ou curion (^magisler curiœ.)
. Le sénat romain , composé d'abord de cent sénateurs ,
le fut de deux cents , après la réunion des Sabins de Ta-
tius ; de trois cents , sous le règne de Tarquin-l'Ancien ,
qui choisit , au rapport de Tite-Live , cent sénateurs nou-
veaux parmi les principaux plébéiens^. Les sénateurs
s'appelaient patres, et leurs descendants patricii. Les sé-
nateurs étaient les fondateurs ou les soutiens de leur race
patricienne, gentis palriciœ. Mais les descendants des pre-
miers sénateurs s'appelaient patricii majorum geniium , et
les descendants des cent sénateurs créés par Tarquin s'ap-
pelaient patricii minorum gentium. Les patriciens majorum
geniium avaient le privilège de donner à Rome les vesta-
les , les augures , les féciaux , les collèges des prêtres , le
grand-pontife et ses quatre collègues , chargés d'écrire les
annales de la Cité ; privilège qui maintint long-temps la
8 Varro, de Ling. lat. , lib. iv. 9. 'Cicer. , de Republ. , lib. ii. nis 8
et 20. Tit. Liv., lib. x. 6 : Quum inter augures constet imparem nu-
merum debere esse, ut très antiquae tribus, Ranines, Titienses ,
Luceres, suuni quaeque augurera habeant.
9 Tite-Live (i. cap. 35).
Il est difficile de concilier ce choix avec rélection de dix sénateurs
par chacune des trente curies , selon l'opinion de Niebuhr.
8 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
distinction primitive *o. Le patriciat était héréditaire.
— Les plébéiens qui furent, dans la suite, appelés au
sénat devenaient nobles et non patriciens ^ * .
Dans les premiers temps, les patriciens avaient-ils seuls
la GENS? — C'est une question controversée. Les gentiles
sont placés, dans les fragments de la Loi des XII Tables,
immédiatement après les agnats ; et nulle distinction en-
tre les droits, soit des agnats, soit des gentils, n'existait
par rapport aux familles patriciennes et plébéiennes. La
loi suppose des gentils comme elle admet des agnats tant
dans les unes que dans les autres. C'est l'ingénuité {comme
on le verra dans notre chapitre sur la famille romaine),
et non l'origine patricienne , qui était la condition essen-
tielle de la gens. La définition des gentiles , donnée par
10 Cic, de Divinat., lib. il.
Jusqu'à l'an 453, il n'y eut que quatre pontifes et le pontife Maximus.
Par la loi Ogulnia , on ajouta quatre nouveaux pontifes , pour partager
le pontificat avec les plébéiens. — Les Grandes Annales , Maximi An-
nales , Annales publici , ponlificiim Commentarii, étaient ainsi appelées
du grand-pontife , qui en était le rédacteur officiel. Elles paraissent
avoir été rédigées régulièrement à partir de Tan 350 ; mais elles exis-
taient auparavant, ainsi qu'il résulte de plusieurs documents. (^^■<. -Lit).,
4. 3. fait de VanSlO.) Les faits et la tradition enregistrés par le grand-
pontife remontaient à la fondation de Rome : Polybe les cite pour la
dote de la fondation. L'usage de leur exposition publique cessa vers
l'an 623 de la République. {Mémoire sur les Annales, par M. V. Le-
clerc, p. 101-110.)
11 Cic, de Rep., lib. ii. n° 20.
Aulu-Gell.,x. 20.
Niebuhr, 1. 421.
Ce sont les sénateurs nommés après l'expulsion des rois , sous le
consulat de J. Brutus , qui furent appelés conscripli , d'où vint la déno-
mination générale de patres conscripli.
CHAP. I. INSTIT. DE LORDRE POLITIQUE. SECT. 1. 9
Cicéron, en est la complète démonstration*^. Mais les
genfes patriciennes étaient les plus nombreuses et les plus
influentes. La gentilité formait un lien politique, reli-
gieux et civil , entre tous les hommes sortis d'une même
origine* 5. — Chaque gens avait ses sacrifices en com-
mun (sacra gentUitia ) , ses tombeaux ; et vers la fin de la
République , Cicéron disait encore, en parlant de lui et de
son frère, et en montrant les bords du Fibrène : «■ Nous
sommes né,?» sur ces bords d'une souche très-antique; là
sont pour nous les sacrifices , la race et les nombreux ves-
tiges de nos ancêtres : Hinc orti stirpe antiquissima su-
mus; hic sacra, hic genus, hic majorum multa vesti-
gia*'». »
m. — Les trente curies des premiers âges se compo-
saient , selon Niebuhr, d'un certain nombre de gentes ou
familles politiques. Les votes des curies auraient eu lieu,
dans ce système , non par citoyen , mais par chef de fa-
mille politique. L'opinion de Niebuhr est contraire aux
faits et à l'opinion consignés dans Tite-Live : elle peut donc
12 Cic, Top. 6. Gentiles qui inter se eodem nomine sunt, qui ah in-
genuis oriundi sunt
13 Varro , de Ling. lat., vu. 2. Ab ^milio homines orti vEniilii ac
genliles.
14. Cic, de Rep., i. 6. — DeLegibus, ii. 1. Genus est employé sou-
vent pour gens. — Niebuhr considère la gens comme la famille politi-
que; et la gens pour lui est exclusivement patricienne. Son système a
été combattu par M. Ortolan ( /ns(. comment, m. 49, et Revue de légis-
lation , t. 2. p. 263 ) , qui en a montré le côté vulnérable. M. Ortolan
propose un système nouveau qui réduit le droit de gentilité à la famille
affranchissante dans ses rapports avec la famille affranchie. Nous trai-
terons ce sujet dans le chapitre sur la famille romaine.
10 LIV. 1, — ÉPOQUE ROMAINE.
rester seulement comme un objet de controverse*^.
Mais ce qui est au dessus de toute contradiction, c'est l'in-
fluence prédominante exercée par les patriciens dans les
comices par curies. — En laissant à l'écart la question
du vote par tête ou par gens, on voit que les patriciens
avaient une grande supériorité d'influence : 1° par les
auspices, qui dépendaient d'eux seuls en vertu de leur
qualité d'augures; 21" par l'examen préalable des proposi-
tions et le droit de sanction qui appartenaient au sénat *6.
IV. — Dès les premiers temps, la misère des plébéiens
fut grande. L'agriculture et la guerre étaient les deux seules
occupations permises aux citoyens. Les arts mécaniques ,
les travaux mercantiles, les métiers sédentaires, étaient
abandonnés aux esclaves et aux derniers de la classe du
peuple. Cicéron rappelle , dans sa République, que pour
soulager la misère des citoyens, Numa fit une distribution
des terres conquises et des terres publiques ^ '^ ; son exem-
ple fut suivi. Mais les terres revenaient bientôt aux riches,
par suite des dettes que contractait le pauvre; et la classe
15 Tite-Live dit que les suffrages étaient pris par tête ; ce qui don-
nait à tous les mêmes droits. (Lib. i. cap. 43. )
M. Giraud, Histoire du Droit rom., a suivi le système de Niebuhr ,
sur la composition des curies ( p. 50. )
16Tit. Liv., lib. i. cap. 17-22-23. Kieburh , t. 2. p. 46.
17 Cic, de Rep., lib. ii. 11. Denys d'Halic, liv. ii. ch. 16. Plutar-
que. — Vie de ]\uma.
Des terres du domaine royal furent aussi distribuées au peuple par
Tullus Hostilius. {Denys d'Halic, liv. m. ch. 1. )
— Une autre distribution de tetres eut lieu sous Ancus. ( Cic, Ref^,
lib. II. no 18. )
Ancus enferma l'Aventin dans l'enceinte de Rome, et y plaça les
Latins incorporés à la cité , comme plébéiens. ( Niebuhr , t. 2. p. 145.)
CHAP. I. INSTIT. DE LORDRE POLITIQUE. SECT. I. 11
plébéienne eut sa partie infime et nombreuse, qui se com-
posa des prolétaires.
V. — Servius Tullius frappa la classe prolétaire d'im-
puissance politique , et modifia profondément la constitu-
tion de la Cité.
L'établissement du Cens [176], registre public dans le-
quel chaque chef de famille faisait inscrire, tous les cinq
ans , les personnes de sa famille et la quotité de ses biens
meubles et immeubles, la division du peuple en 1 93 Centu-
ries et en six Classes qui les comprenaient, enfin la création
des Comices ^âr centuries, apportèrent dans la Constitution
politique un grand changement. Le cens mit en évidence,
dans la société romaine , un nouvel élément , la richesse.
L'aristocratie de la richesse fut associée par Servius Tul-
lius à faristocratie du patriciat; la division par centuries
et par classes fut fondée sur l'inégalité des patrimoines. —
Les Assemblées par centuries enlevèrent le pouvoir légis-
latif aux Curies; mais les comices par curies, cependant, ne
furent pas abolis. C'est par eux que les pontifes faisaient
statuer sur les matières religieuses; ces comices étaient
convoqués , deux fois par an , pour les solennités des
adrogations ou des testaments , actes civils et politiques
des citoyens; ïimperium était aussi conféré aux Généraux
par une loi Curiate.
La pensée créatrice des comices par centuries résidait
dans la distribution des centuries et des classes.
La 1""^ classe, composée de 98 centuries, supposait un
cens ou patrimoine de 100,000 as.
La T classe 21 centuries . 75,000
La 3^ classe 21 centuries . 30,000
La 4^ classe 21 centuries . 23,000
12 LIV. 1. — ÉPOQUE ROMAINE.
La 5^ classe 31 centuries . 11,000 as.
La 6*^ classe se composait des prolétaires , des capite
ceïisi^ qui n'avaient pas de patrimoine appréciable* s.
Les comices par centuries eurent trois grands objets :
la nomination des magistrats qualifiés majores, le vote des
lois , les jugements en matière criminelle par suite de l'ap-
pel au peuple. On consultait les auspices avant les opé-
rations, et si même les augures déclaraient que les auspices
étaient vicieux , les actes de l'assemblée étaient annulés.
Pendant la tenue des comices , on recueillait d'abord
les suffrages dans chaque centurie , en suivant l'ordre des
classes; et, pour déterminer le résultat définitif des votes,
on ne donnait qu'une voix à chacune des centuries vo-
tantes. La première classe, qui comprenait, selon la tra-
dition commune , quatre-vingt-dix-huit centuries , c'est-
à-dire plus que la majorité, ou quatre-vingt-huit, selon
Cicéron, c'est-à-dire un peu moins que la majorité, vo-
tait avant les autres classes. Celles-ci n'étaient successi-
vement appelées à voter qu'en cas de division dans les
18 II y a divergence sur quelques points entre Denys d'Halicarnasse ,
Tite-Live, Cicéron. {Rep., ii. 22.)
Nous avons suivi la tradition commune donnée par Denys. — Selon
Cicéron , qui devrait avoir le plus d'autorité , la première classe ne com-
prenait que 88 centuries; ce qui nécessitait le concours de 8 centuries
des classes suivantes pour la majorité. Selon Tite-Live , il y avait 194
centuries.
Niebuhr croit devoir même en compter 195. Les prolétaires et les
capile censi, dans son système, ne formaient pas une, mais deux cen-
turies. En cela , il est contraire à N Grucchius , qui admet aussi une
distinction entre les prolétaires et les capile censi , mais en les compre-
nant en une seule centurie. (De Comil.Rom. i. — In Sigonio. Hislor.,
de rébus Bononiens. , p. 685 , édit. 1604. )
CHAP. 1. I>'STIT. DE l'oRDRE POLITIQUE. SECT. 1. 13
centuries de la première ou des premières classes. La
sixième, qui embrassait la populeuse, mais unique cen-
turie des prolétaires , n'avait point de participation active
au résultat des délibérations. — Dans la suite , le mode
d'opération fut moins aristocratique. Le sort indiquait la
centurie qui devait voter la première , et qui recevait de
cette priorité la qualification de prerogativa.
Les classes de citoyens établies au cens payaient les
impôts publics proportionnellement à leurs richesses :
la surveillance du Trésor était confiée à des questeurs ,
institués sous les rois, dit Tacite, comme on le voit par
la loi Curiate que Brutus renouvela*-'. La classe des
prolétaires fut exempte de tributs; de là le nom de ca-
pite censi. Elle fut même exemptée ou privée du droit de
milice jusqu'au temps de Marins , qui, le premier, enrôla
les prolétaires dans les légions romaines.
Le mont Esquilin fut compris dans l'enceinte de la ville,
et livré au petit peuple, qui forma la tribu esqniline. Les
tribus urbaines furent ainsi portées au nombre de qua-
tre, qui correspondaient à la division de Rome en cer-
tains quartiers 20. Mais, de plus, le territoire romain fut
partagé en vingt-six tribus rustiques selon diverses cir-
conscriptions établies dans la campagne de Rome , à me-
sure que \ager romanus s'étendait par la conquête ; ces
tribus rurales , qui furent depuis au nombre de trente et
une , étaient désignées d'après la dénomination du lieu ou
19 Quœstores regibus etiam tum imperantibus instituti sunt; quod
Lex Curiata ostendit ab L. Bruto repetita. ( Tac, Annal., xi. 22. )
20 Les quatre tribus s'appelaient Subnrrana, Palalina, Collina, Es-
quilina. ( Gravina , de Ortii et Progr., cap. 9. )
14 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
les noms de quelque grande famille'^*. Les citoyens dis-
tingués, répandus dans la campagne de Rome, se trou-
vaient toutefois inscrits dans les tribus de la ville , alors
réputées les plus honorables. — Les curies ne devinrent
point, comme les tribus, une division qui s'appliquât au
territoire rural de la cité. Elles furent toujours concen-
trées dans les murs de Rome; et lorsqu'à une époque pos-
térieure , le régime municipal se généralisera dans le
monde romain , c'est le nom antique de curie qui repré-
sentera l'organisation intérieure des Cités.
La richesse du patrimoine, en devenant un avantage po-
litique, d'après la constitution de Servius ïullius, ne mit
pas les patriciens hors de la première Classe , car ils pos-
sédaient la plus grande masse de propriétés territoriales;
mais elle fit surgir dans l'État , avec une nouvelle impor-
tance, l'Ordre des ChevaUers. La possession d'une fortune
déterminée devint une condition indispensable pour en-
trer dans cet Ordre honorable, lequel se développa de plus
en plus comme un Ordre intermédiaire entre les patriciens
et les plébéiens. Le taux de fortune nécessaire s'éleva pro-
gressivement à 400,000 sesterces, ce qui paraît corres-
pondre au cens de la 2* classe -2.
Entre la réforme de Servius Tullius , à Rome , et celle
de Solon , à Athènes , il y a une relation de temps et de
21 Par exemple , les tribus Romilie, Cruslumine , d'après des noms
de lieu ; les tribus Fabienne, Horaiienne, d'après des noms de famille.
22 Les 400,000 sesterces valaient 77,496 fr. de notre monnaie; ce
qui représente à peu près la valeur des 75,000 as de poids , taux de la
2« classe des centuries. (L'as de cuivi'e , d'airain ou de bronze pesait
une livre entière ). {Nicbuhr, t. 2. p. 210. ) D. Delamalle , 1. ch. 3.
CHAP. I. INSTIT. DE l'oRDRE POLITIQUE. SECT. I. 15
choses qui frappe vivement l'esprit par les rapports et les
différences, — La réforme de Solon est de l'an 1 60 de
Rome [594 ans avant J.-C] ; la réforme de Servius
commence vers l'an 1 80 ; elle s'accomplit dans les vingt
années qui suivent.
Solon abolit ou réduit les dettes des citoyens , en chan-
geant la valeur du signe monétaire ; — Servius fait mieux :
il paie , avec les ressources du trésor royal , les dettes des
débiteurs obérés ou menacés d'esclavage, et il institue le
signe monétaire , en faisant frapper Vas romain d'une em-
preinte publique^'.
Solon maintient la division en curies et en quatre tri-
bus; Servius porte au nombre de quatre, les tribus de la
ville.
Solon partage les citoyens en quatre classes , d'après
l'importance des revenus ; dans la dernière il renferme
fes citoyens qui avaient un revenu très-faible, et qui
étaient désignés sous le nom de Thètes (vivant de leur tra-
vail ) ; il déclare les citoyens des trois premières classes
éligibles à toutes les magistratures ; à ceux de la qua-
trième il accorde le droit de voter dans les assemblées du
peuple et de siéger comme juges dans les tribunaux. C'est
la constitution d'une Cité commerçante et démocrati-
que 2^», — Servius Tullius prend aussi pour règle de
sa distribution en six Classes le recensement de toutes les
23 C'est sons Servius Tullius que l'a* fut frappé d'une empreinte re-
présentant une tête de bétail (nota pccudum , d'où pecunia). Aupara-
vant on usait de Vœs rude. ( Plin., Hisl. nat., lib. xxxiii. cap. 3. )
24 Voir Plutarque , Vie de Solon, § 30-32.
Pastoret, Hist. de la Législation , t. 6. p. 171 et suiv.
16 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
fortunes; mais, réformateur dans une Cité non commer-
çante , il ne s'attache pas aux revenus , élément mobile
et variable , il prend pour base la valeur capitale du pa-
trimoine : législateur dans une Cité aristocratique , il
attribue le droit d'élection à tous les citoyens , en le pa-
ralysant dans la Classe dernière , et il réserve exclusive-
ment à l'Ordre des patriciens, soit l'admissibilité aux char-
ges publiques , soit l'exercice des fonctions judiciaires. —
Entre les deux républiques de la Grèce et de l'Italie il y a
reflet d'institutions analogues et peut-être imitation de la
part de Servius ïullius ; mais au sein des deux constitu-
tions politiques vit un esprit profondément distinct, qui se
révélera aussi , par des différences caractéristiques , dans
les mœurs, les institutions et les principes de la société
civile.
VI. — L'institution des Consuls remplaça un roi électif
et à vie par deux rois annuels [2i3]. Les Consuls , éligi-
bles à 43 ans, exerçaient les pouvoirs généraux, en con-
sultant le sénat. Ils étaient investis de la juridiction civile
et criminelle : toutefois , l'appel au peuple contre les sen-
tences du magistrat , rendues en matière criminelle, fut
renouvelé des premiers temps , par le consul Yalerius Pu-
blicola, en faveur des citoyens condamnés à des peines af-
flictives, la mort ou les verges^^ : c'était le jus iiberlalis
[245].
25 Ne quis maqislralus civcm romanum adversus provocalionem ne-
caret , neve verbcrarel. — Cic. , de Rep. , 11. 31.
Cicéron prend à témoin les livres ou rituels des pontifes , libri pon-
lificii (différents des Grandes Annales), pour constater l'usage de
l'appel au peuple sous les rbis.— Concernant les lois Yaleriœ, voir les
savants ouvrages sur les lois criminelles de Rome, par M. Laboulaye,
ch.2;~sur l'histoire de la procédure criminelle, par M. F. Hélie (184.5).
CHAP. I. INSTIT. DE l'oRDRE POLITIQUE. SECT. I, 17
La condition de la classe plébéienne n'avait pas chan-
gé : elle était toujours assujettie aux patriciens, qui ré-
gnaient par le sénat et les consuls , qui dominaient par
l'influence de la richesse et des auspices dans l'Assemblée
des centuries , qui seuls composaient les tribunaux et re-
présentaient leurs clients en justice.
YII. — Un débiteur parut sur la place publique, por-
tant l'empreinte des fers et de la cruauté d'un créancier;
le peuple s'émut et_^se retira sur le Mont-Sacré [260]. —
La retraite sur le Mont-Sacré est le premier symptôme et
le symptôme éclatant du déchirement des deux Ordres.
Les Tribuns sont créés dans les Assemblées par curies, où
les seuls habitants de Rome avaient droit de suffrage;
leur personne est déclarée inviolable; le peuple est né
à la vie politique.
Un grand fait s'est donc produit dans la Cité romaine:
la base de l'aristocratie est ébranlée. Le Patriciat , désor-
mais, rencontrera partout l'opposition tribunitienne, l'in-
flexible VETO. Les comices par Tribus sont institués en
vertu de la loi Publilia [282], pour contrebalancer les co-
mices par Centuries '^. Sur la proposition du tribun
Yolero , les Tribus de la campagne , exclues des comices
par curies, furent autorisées à donner leurs voix. dans
les comices par tribus. Ces comices sont créés en opposi-
tion à l'influence du patriciat et des riches citoyens "2^. La
26 II y avait alors 30 tribus , qui furent portées à 35 en l'année 512.
27 Gaius, 1. § 3 , dit plebis appellalione sine palriciis cœleri cives
signi(îcantur.—l\ semblerait résulter de ces termes que les patriciens
n'assistaient même pas comme simples citoyens aux comices par tri-
bus. Mais ce serait , nous le pensons , donner à ce passage un sens
T. I. 2
L
18 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
PLEBS, les prolétaires même y dominent d'abord : les
suffrages sont recueillis par tête dans chaque tribu. Le
suffrage de chaque tribu se forme à la majorité des voix,
et la décision des comices à la majorité des tribus vo-
tantes 28. Les comices par tribus étaient affranchis de
l'examen préalable et de la confirmation du sénat : ils le
furent aussi des auspices ; les augures n'étaient point con-
sultés avant la convocation -'^ ; le tonnerre seul faisait
remettre le jour de l'assemblée : Jove fidgente, cum populo
agi nefas. Toute chance paraissait donc enlevée d'avance
au calcul, à l'influence du patriciat; et l'esprit démo-
cratique s'exerçait en maître dans les nouveaux co-
mices.
Institués d'abord pour la nomination des Tribuns et des
Édiles plébéiens , ils furent convoqués bientôt pour déli-
bérer sur toutes les affaires concernant le peuple , c'est-
à-dire sur toutes les résolutions que les tribuns voulaient
faire appuyer de ses suffrages ; mais , dans ces premiers
trop absolu. Les plébiscites étaient faits sine auclorilate eorum, puis-
que le sénat n'avait à leur égard ni droit d'examen préalable , ni droit
de sanction. IMais les patriciens n'étaient pas exclus des comices par
tribus. Il était libre aux patriciens de donner leur suffrage dans la
tribu où ils étaient inscrits. ( Gravina, de Orlu et Progressa, cap. 28.)
28Tit. Liv.,lib. xxx. cap. 43. Uti rogassent omne* tribus jusserunt.
— Lib. xxxiii. Omnes V et XXX tribus uti rogatse jusserunt.
N. Gruccli., de comit. Rom., ii. cap. 4. Omnia de renunciatione
ad hsec comitia, si tantum pro Centuriis Tribus ponas.
Gravina, de Ortu et Progressu , ch. 30. Ut ea tribus aut centurise
renunciaretur sententia.
29 Cependant , vers l'an 402 , sous la dictature de Publius Pbilo , il
fut ordonné que les comices par curies, qui avaient les auspices , rati-
fieraient à l'avenir les décisions prises dans les comices par tribus.
( Cic, de Lecje agr. oral., cap. ii. 2. — Aulu-Gell, xiil. cb. li.
CHAP. 1. IXSTIT. DE LORDRE POLITIQUE, SECT. I. 19
temps , les décisions des comices par tribus , appelées plé-
biscites, n'étaient obligatoires que pour les plébéiens.
VIII. — L'esprit nouveau s'attaqua même aux comices
par Centuries , afin de diminuer à leur égard l'influence
patricienne. Le Sénat, à l'approbation duquel les résolu-
tions des comices par centuries devaient être soumises, fut
obligé, par la loi Terentilia, d'approuver d'avance ces résolu-
tions ^^^ Un sénatus-consulte , dans ce cas, déterminait
les matières qui seraient soumises à l'assemblée du peu-
ple, et les comices étaient remis , si les tribuns usaient de
leur veto.
IX. — Pour la première fois aussi, les usurpations de
\ager publicus par les patriciens devinrent l'objet de vives
réclamations. La proposition de la loi agraire, pour le
partage de ces terres, fut jetée sur la place publique. Les
divisions entre les patriciens et les plébéiens pouvaient
renaître de ce grand débat : le sénat, obéissant à une sage
politique, détourna la question -en faisant des distributions
de terres , en fondant des colonies ; il se laissa ainsi arra-
cher, au profit du peuple, la cession complète du Mont-
Aventin [297], dont une partie avait été affectée déjà par
le roi Ancus aux Latins , incorporés comme plébéiens à
la Cité 5*. Les citoyens cependant ne se prêtaient pas à
toutes ses vues sur ce sujet ; et lorsque le sénat voulut en-
voyer à Antium une colonie de citoyens pauvres [286],
30 Le sénat trouva le moyen de retenir encore , pendant un siècle ,
sa prérogative , qui lui fut enlevée définitivement par la dictature de
Publius Philo , vers l'au 402.
31 Cic. , de Rep., lib. ii. no 18.
Niebuhr, Hist. rom., 2. p. 145.
W LIV. ï. — ÉPOQUE ROMAINE.
les^itoyens refusèrent : ils aimaient mieux, dit Tite-Live,
demeurer à Rome , pour demander des terres, que de se
transporter à Antium pour en recevoir ^2^
X. — Par suite de la révolution du Mont-Sacré , la
Cité politique se trouvait constituée sur une double base ,
sans perdre son unité : d'une part, les comices par centu-
ries, ou d'institution aristocratique, et, pour contre-poids,
les comices /jar ;n6M5, ou d'institution populaire; d'autre
part, le sénat et les consuls de l'ordre patricien, et, pour
contre-poids , les édiles plébéiens et les tribuns du peu-
ple, avec l'inviolabilité de leur personne sacrée et la
puissance du veto; au dessus de toutes les magistratu-
res , pour les moments de crise où le salut du peuple est
la suprême loi , la dictature : mais à côté du dictateur,
le tribunat, et, au dessus de la aictature elle-même, l'Ap-
pel au peuple ^•'^. La constitution politique avait donc re-
connu les deux éléments qui vivaient dans la Cité, et con-
trebalancé leur puissance d'action.
Mais la société civile n'avait pas encore ressenti le con-
trecoup de la révolution politique. Le droit privé, comme
cbose mystérieuse, était abandonné à l'influence exclusive
des pontifes et des patriciens. Les plébéiens, une fois re-
connus dans la société politique, voulurent agir sur la
société civile. Ils réclamèrent des lois écrites et livrées à
32 Antium , chez les Volsques , ne fut soumis définitivement qu'en
l'année 378; ce qui peut bien aussi expliquer la répugnance des ci-
toyens à recevoir des terres en 286 , chez un peuple belliqueux et en-
nemi de Rome.
33 Les tribuns alors n'avaient pas le veto; mais ils pouvaient provo-
quer l'assemblée du peuple. {Til. Liv., lib. vu. Hugo, Hisl. du dr.
roMJ., 1. 218.)
CHAP. I. INSTIT. DE L ORDRE POLITIQUE. SECT. II. 2i
ia publicité. Ces lois, vivement sollicitées par les tribuns,
se firent long-temps attendre; mais enfin des décemvirs
furent élus parmi les patriciens , dans les comices par cen-
turies, pour travailler à leur rédaction. L'Assemblée les
investit de toutes les magistratures , les exempta même
de l'appel au peuple , prérogative que n'avait pas à Rome
le dictateur ^'^. La Loi des XII Tables, exposée d'abord
aux regards et aux observations des citoyens , fut accep-
tée par le sénat et les comices [303].
L'organisation delà République, suspendue par la créa-
tion passagère du Décemvirat et menacée par la tyrannie
du décemvir Appius Claudius, reprit son caractère mixte;
le tribunat et fappel au peuple furent rétablis. La retraite
sur le Mont-Aventin consolida la révolution du Mont-
Sacré [305].
SECTION IL
DEPUIS LE IV' SIÈCLE JUSQTJES AVX GUERRES CIVILES.
Durant la première période que nous venons de par-
courir, la rivalité des deux Ordres patricien et plébéien
est constituée ; leur pouvoir se balance.
Pendant la deuxième période qui s'ouvre devant nous ,
la lutte, quelque temps assoupie , reprend une force nou-
velle ; la victoire des plébéiens sur les patriciens se dé-
clare dans l'ordre politique et civil ; Rome marche à la
conquête du monde, et les anciennes institutions s'altè-
rent profondément, dans l'ardeur des conquêtes et l'anar-
chie des guerres civiles.
34 Cic, de Rep., lib. ii. cap. 31. Tit. Liv., lib. \n. cap. 32 et 33,
22 LIV. I. — ÉPOOLE ROMAIINE.
§ l«r. — PARTAGE DES DIGNITÉS ENTRE LES DEUX ORDRES. — IN-
STITUTION DE LA CENSURE ET DE LA PRÉTURE.
Les tribuns, en demandant le partage du Consulat, pour
l'Ordre des plébéiens, déterminèrent d'abord le sénat à
suspendre l'institution elle-même , et à remplacer les deux
Consuls par six ou dix Tribuns militaires [309], dont la
moitié pouvait être élue parmi les plébéiens ^ . Mais en fai-
sant cette concession , le sénat institua les censeurs ,
pour protéger ses droits contre les excès de la démocra-
tie , et maintenir les mœurs au sein de la République
[31 0]. — Les Censeurs, qui exerçaient une action directe
sur la composition de l'Ordre des sénateurs et des cheva-
liers , étaient , en outre , investis du droit de composer
les Tribus , de faire passer des citoyens d'une tribu dans
une autre , et même de priver des tribus entières de l'exer-
cice du droit de suffrage ; prérogative importante qui mo-
difiait dans ses éléments l'institution des comices par tri-
bus2. — C'est aussi par suite des concessions arrachées
au sénat en faveur des plébéiens que fut instituée la pré-
TURE. Le consulat est partagé avec les plébéiens , en
387; et en même temps Camille, dictateur, propose la
1 Les plébéiens n'usèrent pas d'abord du droit de nommer parmi eux
les tribuns militaires ; mais ils usèrent du droit de nommer un consul
plébéien , et dès Tannée de Tinnovalion, Scxtus, l'un des tribuns au'
teurs de la réclamation , fut consul en 388.
2 Si les censeurs se conduisaient avec passion , on pouvait les tra-
duire en justice ; ce que firent souvent les tribuns du peuple.
CHAP. 1. INSTIT. DE L ORDRE POLITIOLE. SECT. II. 23
division des fonctions consulaires. Le droit de juridic-
tion est alors séparé des fonctions de consuls ; la charge
de Préteur de la Ville est créée, et placée au rang des ma-
gistratures majores; plus tard , celle de Préteur des Étran-
gers [507]. La condition stipulée par le sénat fut que le
Préteur serait toujours pris dans les familles nobles ; mais
cette réserve tardive et impuissante s'évanouit bientôt.
Les tribuns , à force de combats , de menaces , d'en-
vahissements , firent participer successivement les plé-
béiens, d'abord aux fonctions qui entraînaient un pou-
voir politique, ensuite à celles qui eniraininent juridiction
ou autorité morale : ainsi , les plébéiens furent admis d'a-
bord aux charges de Questeurs [333], de Consuls [387],
d'Édiles curules [388] % de Dictateurs [397];
Et puis aux charges de Censeurs [402] , de Sénateurs
[402], de Préteurs [416], de Pontifes [453], de Grand-
Pontife [502].
Le premier Préteur plébéien fut Publius Philo , qui
déjà avait exercé les charges de consul et de dictateur.
— Le premier plébéien élevé à la dignité de Grand-Pon-
tife fut Tib. Coruncanius. — Le tribunat resta exclusi-
vement attaché à l'ordre des plébéiens ; et les patriciens
qui voulurent participer à l'immense pouvoir du tribunat,
furent obligés de se faire adopter par une famille plé-
béienne : Clodius , au vii^ siècle, donna encore l'exemple
de cette adoption spéciale pour parvenir au tribunat.
Quand la Cité politique sera ouverte à toutes les classes
3 Les fonctions ii' édiles curules conféraient la noblesse aux descen-
dauts des édiles, tandis que les édiles plébéiens n'avaient aucun privi-
lège de ce genre.
24 LIVRE I. — ÉPOQUE ROMAINE.
de citoyens, que l'accès aux Charges consulaires sera éga-
lement permis à tous , et qu'un temple aura été voué à la
Concorde, les plébéiens, réunis aux patriciens, s'élance-
ront avec ardeur à la conquête de l'Italie et du monde
connu.
§ 2. — AGRANDISSEMENT DE EOME PAR LES GUERRES d'ITALIE.
Dans les premiers siècles , Rome avait lutté contre les
Latins, les Sabins , les Etrusques, qui dans leur ensem-
ble constituaient ce qu'on appelait le Latium vêtus. Les
anciens Latins, vaincus près du lac Régille, avaient con-
servé leur liberté civile et perdu leur indépendance poli-
tique. Ils s'étaient engagés à suivre la fortune de Rome.
Sur le Mont-Albain , un temple avait été élevé à Jupiter
Latialis , pour célébrer par des sacrifices communs les
Fériés latines; et le traité de l'an 26 1 avec les Latins fut re-
produit sur une colonne d'airain et replacé encore, sous le
consulat de Cicéron, derrière la tribune aux harangues'*.
Mais les Etrusques , aux douze villes , avaient conservé
d'abord leur indépendance , et Yeies , au iv^ siècle , était
une Cité rivale de Rome. La politique du sénat résolut
sa ruine. L'ardeur plébéienne, qui combattait les patri-
ciens à l'intérieur de Rome, fut dirigée à l'extérieur con-
tre la principale cité des Etrusques, souche primitive du
patriciat sacerdotal. Après un siège de dix ans, Yeies fut
détruite [358]. Sept arpents de son territoire furent con-
cédés à chaque père de famille indigent et à chacun de
4 Cic, pro Balbo, 23. Cum latiuis omnibus fœdus ictum Sp. Cassio,
Postuniio Cominio , consulibus Quod quidem Duper in columna
œnea memininius post rostra incisuni et prescriptum fuisse.
CHAP. I. INSTIT. DE L ORDRE POLITIQUE. SECT. II. 25
ses enfants mâles , pour empêcher le peuple de se diviser
entre Veies et Rome , et de porter atteinte à l'unité de la
Cité. Le danger était imminent. La proposition des tri-
buns de partager le peuple romain en deux Cités fut re-
jetée dans les comices par tribus , à la majorité d'une
seule tribu !
Bientôt après , les Gaulois cisalpins de Brennus sont
au pied du Capitole [364]; leur invasion est repoussée;
toutefois , Rome est affaiblie : les Latins nouveaux (no-
vum Latium) , qui comprenaient les Yolsques, les Herni-
ques, les Aurunces, les Ausonnes, se soulèvent ; les Sam-
nites , presque inexpugnables dans les Apennins , et les
peuples de l'Italie centrale, veulent profiter de l'ébranle-
ment du Capitole pour assurer leur avenir. Mais la cité
des Yolsques, Antium, est définitivement soumise aux
Romains [378] ; les Samnites sont domptés, après une
une guerre de 77 ans et 24 triomphes [481] ; et la vic-
toire , digne des grandes destinées de Rome , entraîne
la soumission des peuples de l'Italie centrale , les Salen-
tins, les Eques , les Ombriens d'origine gallique, qui
avaient embrassé la cause de l'indépendance. — Des Co-
lonies romaines vont, dans l'Italie, remplacer les peuples
absents que la guerre et la servitude ont enlevés de leur
territoire, ou maintenir, par les mœurs guerrières et leurs
relations avec la mère-patrie , l'obéissance des peuples al-
liés (fœderati). De l'an 244 à l'an 574, Sigonius a compté
soixante-seize colonies fondées seulement en Italie^ !
Après la guerre contre les Samnites, Rome étendait sa
5 ïit. Liv., lib. xxxii, xxiv, etc. Le relevé a été fait par Sigonius,
dans son traité de Jure ilalico.
26 LIV. I. — ÉPOQUE ROMALNE.
domination dans l'Italie centrale. — Après la guerre con-
tre Pyrrhus et les Tarentins , Rome l'étendait au sud ,
jusqu'aux rivages de la Grande-Grèce.
§ 3. — PROVIiNCES CONQUISES.
I. — Cartilage avait porté secours aux Tarentins. Vain-
queurs de Tarente , les Romains tentent la mer. La Sicile
les reçoit et leur révèle toute la puissance de Carthage.
Long-temps avant cette époque , les Carthaginois étaient
.connus des Romains. Polybe donne un traité fait en 244,
à l'origine du Consulat, entre les Romains et les Cartha-
ginois, dans lequel on règle l'éteTidue de la navigation
des Romains , et l'on établit des garanties contre les Car-
thaginois en faveur des Latins, alliés ou même alors su-
jets de Rome 6. Mais la rivalité entre les deux peuples ne
se déclara que vers la fin du v^ siècle. — Les Carthaginois
sont chassés de la Corse et de la Sardaigne en 492, La
partie de la Sicile qui leur avait appartenu ^ moins Syra-
cuse, est soumise et réduite en province , en 51 1 . C'est la
première province qu'ait possédée le Peuple romain. Plus
6 Polyb., Hist., m. 22. 24, édit. de Folard , t. 4. p. 26. M. Leclerc,
dans ses Annales des pontifes , donne à ce sujet des renseignements
curieux , p. 39 : « Les traités de Rome avec Cra'thage , dès l'origine
» du gouvernement consulaire , ont été traduits en entier par Polybe ,
« qui les avait lus sur bronze , dans les archives des édiles , au temple
>) de Jupitcr-Capitolin. Il en résulte que Pvome , avant la révolution
«consulaire qui l'affaiblit, était maîtresse d'Ardée, d'Antium , de
« Circéi , de ïerracine , dont les peuples , dans le texte , sont appelés
vscs sujets. »
CHAP. I. iNSTiT. DE l'oRDRE POLITIQUE. SECT. II. 27
tard , Syracuse est enlevée à la domination des Carthagi-
nois, et la Sicile entière est province R03iai>e [540]'.
IL — L'Espagne, où Carthage puise ses richesses, at-
tire aussi le génie belliqueux des Romains : là , ils trou-
vent dans les Celtibériens de nouveaux Samnites à com-
battre. Enfin, ils descendent sur le rivage de l'Afiuque;
ils voient les murs de Carthage. La république commer-
çante et la république guerrière sont en présence^. Aux
soldats de Rome, citoyens romains, seront opposés des
soldats mercenaires , venus de tous les points où Rome
aura fait haïr ou craindre sa domination. Un fils de Car-
thage, élevé au milieu de ces camps d'étrangers, et animé
autant par son mépris des marchands du sénat carthagi-
nois, que par sa haine contre Rome, Hannibal, à lui seul,
balancera la fortune du Capitole. — De l'Espagne , il s'é-
lancera vers l'Italie ; il se fera jour au milieu des peuples de
la Gaule; il traversera le Rhône; il emploiera cinq mois
à franchir les Alpes , perdra trente mille de ses merce-
naires; et un jour, debout sur les hauteurs du versant
méridional des Alpes , à la tête de vingt-six mille soldats ,
il jetera sur les plaines de l'Italie un œil victorieux. Il
appellera à lui tous ces peuples vaincus , qui subissent à
regret le joug des Romains; et, pendant quinze ans, à
partir de ce passage héroïque , son génie fera trembler le
génie de la Yille éternelle.
Mais le sénat , au milieu des désastres publics , soutien-
7 Provincia , provinciales , de provincere , provictus , provicta.— La
Corse et la Sardaigne ont été réduites en provinces en 520.
8 Voir dans Tnistoire de la Républ. roni. , de M. Michelet , cette
lutte de Rome et de Carthage; elle y est admirablement décrite.
28 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
dra dignement la destinée de Rome , et la fortune du Ca-
pitole tient en réserve la famille des Scipions : deux grands
hommes en sortiront pour triompher de la gloire d'Han-
nibal. — Les ruines de Carthage et de Numance atteste-
ront, à peu d'intervalle [606-619], la conquête de l'Afri-
que et de l'Espagne : l'Afrique est réduite en province
ROMAINE.
IIÏ. — Dans la guerre de Pyrrhus et de Carthage, Rome
avait rencontré la Grèce. La civilisation grecque et le gé-
nie romain ne s'étaient qu'entrevus avant cette époque :
ils apprennent à se bien connaître dans cette période, mar-
quée par la guerre contre Philippe , Antiochus et Persée ,
par la guerre contre la Ligue achaïque , et par la destruc-
tion de Corinthe [de 552 à 606].
L'action réciproque de Rome et d'Athènes s'exerce et
se poursuivra désormais dans l'empire des faits et des idées.
— Le siècle de Périclès était déjàloin^. L'École de Socrate
avait enfanté ses sectes diverses, et, dans la philosophie
morale, ses branches extrêmes, Epicure et Zenon. La li-
berté de la Grèce s'était épuisée de démocratie à Athènes,
d'aristocratie à Sparte, de vie républicaine dans la guerre
du Péloponèse et la lutte éloquente de Démosthènes
contre Philippe. La Grèce avait réagi par Alexandre sur
le monde oriental. Alexandre avait fondé sur les rivages
de l'Egypte la ville où l'Orient et l'Occident devaient ten-
ter un jour l'alliance de leurs destinées et même de leurs
9 Le commencement de la guerre du Péloponèse est de l'an 431
avant J.-C. ; ce qui correspond à Tan 32 1 de Rome. II y a donc près de
trois siècles de distance entre les beaux temps de la Grèce et l'époque
de la destruction de Corinthe par les Romains (606).
CHAP. 1. INSTIT. DE L ORDRE POLITIQUE. SECT. II. 29
doctrines ^<^. Après lui, rois sans gloire, les Chefs macé-
doniens voulaient aussi dominer sur les villes de la Grèce.
La Ligue achaïque luttait pour l'indépendance des villes
républicaines. Rome intervient alors comme libératrice.
Vainqueur des successeurs d'Alexandre, le Consul romain
proclame aux Jeux ithsmiques [556] , la liberté de la
Grèce.... et la Grèce, enivrée de cette proclamation inat-
tendue , embrasse les mains victorieuses du consul Fla-
mininus : elle se croit libre en effet ! — Mais la polftique
du sénat se jouera de cet enivrement ; elle détruira la Li-
gue achaïque, dernier rempart de la liberté grecque; et
bientôt, sous le nom d'Achaïe, la Grèce aussi sera réduite
EN PROVINCE romaine! [609]
L'Italie, la Sicile, l'Espagne , l'Afrique, la Grèce, sont
conquises; l'Occident est romain. Rome élève sa tête or-
gueilleuse : tout lui est soumis, moins le monde barbare,
le Nord, qu'elle ne connaît encore que par les incursions
des Gaulois; moins l'ancien monde civilisé, l'Asie, la plus
belle proie de l'Univers , que se disputeront bientôt les
promoteurs des guerres civiles, La vocation de Rome à
l'empire des nations s'accomplit :
« Tu regere imperio populos. Romane , mémento. »
§ 4. — MODIFICATIONS DANS LA CONSTITUTION ET LES MŒUBS DE LA
CITÉ PAR SUITE DES CONQUÊTES.
Que se passe-t-il, cependant, à l'intérieur de Rome?
L — Le sénat , durant cette ère de guerres continuel-
les , avait acquis dans l'administration de la République
10 Voir la belle production de M. Jules Simon, sur l'École d'Alexan-
drie (1844).
30 LIV. 1. ÉPOQUE ROMAINE.
et des possessions romaines une grande autorité. Il n'était
plus une assemblée ouverte seulement à la noblesse patri-
cienne; il était formé de divers éléments : les Censeurs,
à partir de la loi Ovinia et du v* siècle [402] , y admet-
taient les plébéiens riches et honorés par leurs servi-
ces **. L'aristocratie patricienne avait perdu une partie de
sa puissance, mais non le sénat. Maître du Gouverne-
ment pendant la guerre , le Sénat s'était habitué à se re-
garder comme le maître de la République et des pays ré-
duits en provinces romaines.
II. — Les Censeurs avaient secondé la politique sénato-
riale par leur action sur les tribus de la République. Les
tribus, qui s'élevèrent successivement au nombre de
trente-cinq , étaient , comme on Je sait , divisées en ur-
baines et rustiques. Par une antique tradition, les ci-
toyens riches et considérés se trouvaient inscrits dans les
tribus urbaines. Le censeur Fabius Maximus, pour don-
ner aux citoyens riches et puissants une influence réelle,
même dans les comices par tribus , les classa , en 449 ,
dans les tribus rusliijues , et ne laissa que le petit peuple
dans les tribus urbaines. Les quatre tribus urbaines, sur
lesquelles les magistrats populaires exerçaient le plus d'in-
fluence, n'avaient que quatre voix dans les comices où
pouvaient figurer les trente-cinq tribus , et dont les déci-
sions se formaient à la majorité des tribus votantes. L'in-
fluence tribunitienne était donc profondément affaiblie
par cette mesure du censeur Fabius , qui reçut de la re-
11 Le cens sénatorial était de 800 seslcrlia, ou 800,000 seslerlii
( 131,000 fr. ) La questure et les services militaires donnaient le droit
d'éligibilité.
CHAP. I. INSTIT. DE L ORDRE POLITIQUE. SECT. II. 31
connaissance des principaux citoyens le titre de Maximus.
Peu de temps après cette époque, par la loi Hortensia,
rendue en 468, les plébiscites furent déclarés obligatoires
pour tous les citoyens, sans distinction de patriciens et de
plébéiens. Ce rapprochement fait comprendre facilement
la soumission des patriciens aux plébiscites. Pourquoi
auraient-ils refusé leur obéissance? Après la mesure cen-
soriale de Fabius , les citoyens considérés et tous les pa-
triciens, par leur influence dans les tribus rustiques, pou-
vaient prendre une participation très-effective au vote
des plébiscites.
III. — Les affranchis répandus dans les quatre tribus
de la ville furent inscrits, eïi 584, pour le recensement des
suffrages, dans la seule tribu Esquiline ; ils excitaient des
troubles par leur présence dans-les quatre tribus; renfer-
més dans une seule, ils furent frappés d'impuissance. C'est
le père des Gracches, le censeur Tib. Sempronius Grac-
chus , qui opéra cette grave réforme d'un seul mot, nutu
at(]ue verbo : et Cicéron fait dire au grand-pontife Scevola,
dans le traité de oratore : « Depuis long-temps , sans cette
mesure , nous n'aurions plus de République ^^ ! »
Le grand nombre des affranchis imposait la nécessité
de cette concentration. Les plébéiens, d'origine vraiment
romaine, avaient vu leurs masses s'éclaircir et par l'envoi
des Colonies, et par la continuité des guerres lointaines.
Le nombre des esclaves , au contraire, et celui des affran-
chis s'accroissaient sans cesse. Les vides que les guerres
12 Quod nisi fecisset, rempublicam quani nunc vix tenemus, jamdiu
nuUam haberemus. — C'est en 662 que Scevola est censé prononcer
cette parole. ( Cic, de Oral. , i. 9. ) — Fabius avait agi aussi ne humil-
limorum in manu comilia essenl. Tit. Liv., ix. 46.
32 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
faisaient dans les rangs des plébéiens, se remplissaient au
forum par les affranchis. La tribu Esquiline recevait de
nouveaux citoyens , amenés naguère esclaves de l'Espa-
gne , de l'Afrique , de l'Illyrie , de l'Epire*'' ; et c'était à
ce peuple nouveau , qui l'interrompait par ses murmures,
que le second Africain (Scipion Emilien), disait du haut
de la tribune, avec la fierté d'une origine toute romaine :
Taisez-vous , faux fils de l'Italie** î
IV. — Les Chevaliers, fermiers des revenus de l'État
(publicani), avaient grossi leUrs richesses ; ils possédaient,
soit à titre de redevances, soit par usurpation, une partie
des terres conquises sur les peuples vaincus. Ils étaient
ainsi détenteurs de vastes domaines dans l'Italie, la Grèce,
l'Afrique*^. Ils achetaient des milliers d'esclaves qui cul-
tivaient ou gardaient leurs possessions^^ . Leur aristocratie
d'argent pesait donc également sur les terres et sur les
hommes.
Y. — Les mœurs se modifiaient; l'antique esprit de
Rome républicaine se corrompait. Les arts de la Grèce,
dont le consul Mummius, après la prise de Corinthe, avait
transporté à Rome les chefs-d'œuvre , agissaient sur les
13 Par ordre du sénat, les villes de l'Epire furent rasées en 584 , et
150,000 de leurs habitants furent réduits en esclavage.
14 Publius Cornélius Scipio Africanus, ^Emilianus, consul en 605
et G18. ( Fastes consulaires. )
15 Pline l'Ancien parle de six citoyens qui possédaient la moitié de
l'Afrique. (Liv. xviii. ch. 6. ) Sex domini semissem Afric^ posside-
banl....
16 L'abus s'est continué.
Tacite parle de domaines infinis où l'on comptait des nations d'es-
claves. {Annal., liv. ni. n» 53; — et xiv. 44. Nulionesin familiis ha'
hemvs.
CHAP. I. INSTIT. DE L ORDRE POLITIQUE. SECT. II. 33
imaginations. Les idées philosophiques étaient entrées
dans la cité à la suite des rhéteurs et des philosophes de
la Grèce. En vain le préteur Pomponius lit expulser de
Rome les rhéteurs, par décret du sénat [592]; en vain Ca-
ton le censeur demandait le renvoi immédiat de Carnéade
et des autres philosophes , députés d'Athènes [598] : la
jeunesse romaine écoutait avec avidité les sophistes, avant
de connaître encore les sources élevées de la philosophie.
La famille même des Scipions donna l'exemple du cortège
des esclaves grecs , grammairiens , poètes ou sophistes ;
elle eut d'illustres amitiés parmi les étrangers attirés par
la gloire de Rome ; elle usa noblement de son influence
en faveur de l'historien Polybe , auquel elle ouvrit les ar-
chives de laRépubUque*^. La première, elle reçut le re-
flet de la civilisation grecque; la première, eUe mêla l'at-
ticisme à la sévérité romaine.
Athènes, soumise aux Romains, soumettait à son tour
les vainqueurs à l'influence de son génie , en répandant au
sein de Rome le goût des lettres et des arts , et les semen-
ces diverses de ses écoles philosophiques^^. La doctrine
épicurienne pénétra profondément dans des mœurs qui
se corrompaient, et hâta la corruption. Le stoïcisme, cette
religion philosophique des grandes âmes, éclaira les intel-
ligences supérieures, et fortifia le courage des grands ci-
toyens, qui, en luttant contre leur siècle, trouvaient dans
17 Grâces à cette protection , Polybe paraît avoir connu des traités
et des documents que Tite-Live lui-même et Denys d'Halicarnasse
n'ont pas consultés. (Voir le Mém. de M. V. Leclerc, sur les Annalrs
des pontifes , p. 98-104 , 153 et passim. )
18 « Graecia capta ferum victorem cœpit, et artes
a Intulit agresti Latio. » iHorat., Episf. ad Àug. )
T. I. 3
34 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
l'inflexibilité de la doctrine de Zenon un rapport sublime
avec l'inflexibilité de leur culte pour la République.
Le moment approche où ce courage civil et ce culte de
l'antique Cité seront livrés à de rudes épreuves.
§ 5. — DISSOLUTION DE LA CITE PAfi LES GUERRES CIVILES. — TRANS-
FORMATION DE LA RÉPUBLIQUE EN EMPIRE.
l. — Carthage et Numance détruites, la Macédoine
vaincue , la guerre n'avait plus son aliment accoutumé.
L'activité romaine se reporta sur elle-même. Les Factions
qui s'étaient ralliées sous l'Aigle consulaire , se retrouvè-
rent face à face au Forum ; leurs débats se ranimèrent.
Les Gracches s'emparèrent de la tribune , et avec eux un
nouveau pouvoir y monta, l'éloquence, don généreux de
la liberté et de la patrie de Périclès, La proposition des
lois agraires, qui sommeillait depuis trois siècles, fut
jetée de nouveau par Tiberius Gracchus sur la place pu-
blique [620]. Elle n'attaquait point les propriétés pri-
vées; mais elle avait pour objet le partage du domaine
de la République, fruit de la conquête : elle avait cer-
tainement son principe de justice. Le peuple la soutint
d'abord avec emportement; les riches la regardaient
comme subversive. Intéressés à conserver les possessions
usurpées sur Yager piiblicus, les Chevaliers s'unirent aux
sénateurs pour repousser le partage. Caius Gracchus, afin
de les attacher à sa cause, les fit investir, à l'exclusion
des patriciens , du droit de siéger comme juges dans les
tribunaux [631]; mais ils acceptèrent ce bénéfice pour
leur Ordre, sans prêter appui à ses projets. Ils se servirent
de leur nouvelle prérogative, d'être seuls choisis comme
CHAP. I. INSTIT. DE l'ordre POLITIQUE. SECT. IL 33
juges, pour défendre leurs usurpations, — Le peuple,
que les Gracches avaient voulu favoriser, ne retira aucun
soulagement de la promulgation des Lois agraires. La
mesure fut paralysée par l'impossibilité ou la grande dif-
ficulté de son exécution. Les anciennes limites des pos-
sessions publiques et privées avaient disparu. On ne pou-
vait les retrouver sous l'uniformité des pâturages, des
latifundia, qui avaient couvert l'Italie, et qui perdirent
l'Italie d'abord , puis les provinces, selon les expressions
de Pline l'ancien*^. Les Gracches, délaissés par les che-
valiers, qui avaient tremblé à l'idée de la loi agraire,
abandonnés par les plébéiens , qui en avaient espéré vai-
nement le bien-être , tombèrent frappés , ïibérius par la
main des sénateurs, au pied du Capitole ; Gains par la
main d'un esclave fidèle , dans un refuge consacré à la
vengeance"^,
II. — La révolution démocratique , reprise et continuée
par les fils de Gornélie, avait remué de grandes passions :
ces passions ne s'éteignirent point dans le sang des Grac-
ches ; elles s'y retrempèrent ; elles y prirent une nouvelle
vie pour enfanter un vengeur, Marius.
En ce moment , deux vastes régions s'offraient à Rome
conquérante, l'une dont les riches dépouilles devaient dé-
sormais alimenter les promoteurs de la guerre civile , les
candidats à la dictature, et qui aura son héros dans Mi-
19 Latifundia perdidere Italiam jam vero et provincias. {Plin. ,
lib. XVIII. cap. 6.)
20 II se fit tu€r dans le bois consacré aux Furies ; il dévoua à leur
vengeance l'ingratitude du peuple (620-631).
36 LlV. I. — ÉPOgUE ROMAINE.
thridate"^*; l'autre, dont la redoutable existence, annon-
cée déjà par les incursions et la guerre des Gaulois, se
montrait de loin , plus effrayante encore , par ses débor-
dements de Cimbres et de Teutons.
Le consul plébéien Marins est le représentant du parti
démocratique ; c'est à lui qu'est échue la lutte contre les
Barbares, — Du Nord viendra un jour le danger pour
Rome ; mais les envahissements du monde germanique
sont alors prématm'és, et ces multitudes, qui avaient in-
ondé la Gaule et fait trembler l'Italie, s'abîment, des deux
côtés des Alpes, sous la main terrible de Marius.
A côté de l'homme des plébéiens, le principe aristocra-
tique suscite et place son Représentant, pour la lutte d'ex-
termination qui approche. Sylla paraît : à lui est échue la
guerre de l'Asie, la guerre dans le vieux Monde , comme
si la Providence avait voulu distinguer les deux champions
de l'avenir et du passé, même par le théâtre de leurs ex-
ploits!— Les deux rivaux, parleurs guerres lointaines et
leurs victoires, obtiennent le même résultat personnel : ils
se font des armées à eux. Redoutables par leur gloire et
leurs forces matérielles, ils sont en état d'opprimer alter-
nativement le parti qui leur est contraire. Marius eritre, le
premier, dans la carrière sanglante de la tyrannie du vain-
queur; mais, impétueux dans sa fureur, il s'aliène même
ses partisans; il n'apporte pas dans la cruauté le génie du
calcul politique. — L'Homme des représailles vient à son
tour: il a la conscience de sa mission impitoyable de ven-
geur du patriciat; il répand ses vétérans dans l'Italie, et
21 C'est uu roi de Syrie , Antiochus , qui de la Grèce a nioutré la
route de l'Asie aux Romains.
4
CHAP. 1. INSTIT. DE l'ordre POLITIQUE, SECT. 11. 37
'es attache , comme possesseurs , à la terre dont il a dé-
pouillé les anciens propriétaires. La loi Valeria a déclaré
que le Dictateur pourrait faire tuer impunément le ci-
toyen qu'il lui plairait désigner , sans lui faire son procès ,
indictà causa" : les Tables de proscription annoncent cha-
que jour qui doit mourir, qui doit vivre ; et le sacrifice
à l'antique Aristocratie se continue avec la cruauté froide
de la réflexion. Les institutions démocratiques sont ren-
versées dans le sang ; les tribuns sont exclus du sénat , et
perdent le droit de parler; les comices par tribus sont
abolis ; les chevaliers sont expulsés des tribunaux ; aux
sénateurs seuls reviennent les jugements : le nombre des
s<''nateurs est porté à quatre cents. — Et quand il a tout
glacé d'épouvante , quand il a fait ruissefer le sang à son
gré dans Rome , dans l'Italie , dans les provinces, le Dic-
tateur s'arrête; il descend de son tribunal, protégé par
l'image terrible de la dictature, qu'il abdique, et la ter-
reur des Vétérans , maîtres du sol romain [674].
Mais, avant de se mêler à cette foule qu'il épouvante,
il aurait voulu frapper encore une tête, celle de Jules
César : dans le jeune homme de dix-sept ans, qui avait
résisté à son ordre de répudiation, il avait vu plusieurs
Marius-^. Ainsi, le représentant du passé, qui avait of-
fert tant de victimes humaines à l'aristocratie, voyait,
après l'accomplissement du sanglant holocauste , renaitre
dans l'avenir, plus fort, plus indomptable, le principe
qu'il croyait avoir abattu.
22 Rendue sur la proposition de Finterroi Valerius. (C«c., de Letfib.,
Vib. I. no 15.)
23 Suétone, .7. Csesar. Vita, 1. Nam Cœsari multos^Iarios iuesse.
38 LIV. 1. — ÉPOQUE ROMAINE.
III. — Le jeune Jules César avait compris son épo-
que : après une tentative d'extermination , qui n'avait pu
anéantir aucun des partis, il jugea que la fusion des par-
tis et la transformation de la République en Empire
étaient nécessaires à la vie, à la grandeur romaines; que
sa destinée , à lui , était de fonder cette ère nouvelle , en
se rendant , à force de gloire , maître de Rome et de l'U-
nivers.
Nous retrouverons Jules César dans la Gaule , quand
sa glorieuse épée tracera profondément , à travers les fo-
rêts druidiques , le passage à la civilisation romaine.
Mais nous devons arrêter là l'esquisse des institutions
qui se rattachent au Droit public de Rome. — Sous
les guerres civiles de César et de Pompée, d'Octave et
d'Antoine, comme sous les divisions de Marins et de
Sylla, de Cicéron et de Clodius , il y avait bien encore un
combat de principes et d'institutions , une lutte de dé-
mocratie et d'aristocratie ; mais les passions de l'homme
et l'ambition individuelle dominaient ces luttes acharnées
où s'épuisait la vie de la République. — Jules César et
Auguste (quand il a du triumvir dépouillé tout, jusqu'à
son nom) restent seuls, dans l'histoire, comme la person-
nification glorieuse du principe vainqueur.
Nous avons indiqué le mouvement des faits et des idées
dans l'ordre politique ; il faut en étudier plus lentement
le progrès et les résultats dans l'ordre purement civil , ou
dans le droit privé.
PRINCIPE FONDAMENTAL. . 39
CHAPITRE II.
PRINCIPE FONDAMENTAL DU DROIT CIVIL DES XII TABLES , DU DROIT
PRÉTORIEN , DE LA PHILOSOPHIE DU DROIT,
I. — Une idée absolue, celle de la cité, domine le
Droit civil de Rome à son origine.
Le droit civil de Rome, c'est le droit spécial de la Cité,
le droit exclusivement attribué aux citoyens romains.
Dans l'unité de la Cité, il y a deux éléments, le patri-
ciat et le peuple , dont l'un d'abord s'élève au dessus de
l'autre. Mais la distance entre les deux classes patricienne
et plébéienne établissait une division dans les personnes,
et non une division dans I'unité du droit civil , choses
qu'il ne faut pas confondre'.
L'unité de la Cité romaine donne son empreinte à la
famille, à la propriété, bases de l'organisation civile; à
l'olîligation personnelle, à l'intervention delà justice, lien
et garantie nécessaires de cette organisation-
La famille et la puissance paternelle , qui en concentre
tous les droits, reposent sur le mariage entre citoyens
romains , ou sur l'adoption et l'adrogation , dans l'accom-
plissement desquelles intervient la Cité.
1 L'hypothèse de Niebuhr sur les deux cilès, à l'origine de Rome ,
a entraîné l'auteur d'un Essai sur le droit privé des Romains (1840),
(M. Guérard), quia mis au service de cette hypothèse archéologique
un vrai talent d'exposition. Cette fausse idée a entraîné aussi plusieurs
de nos auteurs contemporains dans des erreurs d'application.
40 LIV. 1. — ÉPOQUE ROMAINE.
La propriété {domininm ex jure Quiriiium) repose sur la
qualité romaine de la terre et de la personne , et sur le
caractère romain des moyens d'acquisition et de transmis-
sion, tels que la mancipation, le testament, l'hérédité
légitime.
L'obligation repose sur le lien personnel , le nexum du
débiteur envers le créancier romain (jus nexi).
L'intervention de la justice {vocatio in jus , legis actio-
nés) repose sur le droit du citoyen de traduire son adver-
saire devant le magistrat de la Cité (injure), pour obte-
nir des juges qui prononcent sur le différend (injudicio).
Tous les droits qui composent l'ensemble du Droit civil
réfléchissent l'idée romaine et portent le caractère unique
du droit de la cité. « Qu'est-ce, en effet, que la Cité, dit
» ériergiquement Cicéron , si ce n'est la société du droit?
» Quid est enim Civilas, nisijuris societas'^ »
« Sans le droit civil , dit encore l'orateur philosophe et
» jurisconsulte, il n'y a rien qui puisse être égal entre
» tous , qui puisse être un pour tous^. »
L'unité romaine appliquée-aux éléments de la société ci-
vile, tel est donc le fondement du droit antique ; telle est
l'idée qui éclaire tous les débris du premier âge, en re-
montant jusqu'aux Lois royales , et en s'attachant surtout
aux fragments de la Loi des XII Tables.
IL — Les XII Tables furent promulguées après une ré-
volution politique, qui avait mis en présence et contre-
2 De Rep., t. .32. S. Aug., de Civitate Dei , xv. 8 : Civitas nihil
nliiid est quam hominum multitudo societatis vinculo colligata.
3 Cic, pro Cœcina , cap. 25 :
« Hoc sublato, nihil est.... quod aequabile inter omnes atque uniim
» omnibus esse possit. »
PRINCIPE FONDAMENTAL. 41
balancé l'une par l'autre l'aristocratie et la démocratie
romaines. Mais le caractère du droit civil n'en fut pas
changé. L'unité de la cité romaine , avec une distinction
aristocratique entre les deux Ordres , resta le fondement
de la Loi des XII Tables.
Toutefois , le passage d'un droit mystérieux à un droit
fixé par écrit , la promulgation exigée et obtenue par les
efforts des tribuns du peuple : c'est là un fait grave et si-
gnificatif dans la Cité. La subordination des plébéiens aux
patriciens n'est plus entière. Les relations de Rome avec
les peuples étrangers s'étendent ; le Préteur de la vdle , le
Préteur des étrangers sont institués et investis du pouvoir
de publier un Édit. Le mouvement commence dans la so-
ciété civile. L'unité primitive , tout en conservant un ca-
ractère de supériorité, s'ouvre à des éléments nouveaux.
Bientôt au jus civile , à l'idée absolue de l'unité romaine
se joindra, avec une influence progressive, le caractère
flexible d'un Droit réglementaire, pour aider, expliquer
et tempérer le droit antique: ce sera le droit prétorien
[jus houorarium).
Dans la première période, depuis la fondation de Rome
jusques et y compris la Loi des XII Tables et sa pleine do-
mination , l'idée fondamentale de I'unité s'applique aux
objets constitutifs du droit civil.
Dans la deuxième période, depuis l'institution des Pré-
teurs jusqu'à l'école de Labéon, sous Auguste, l'unité se
divise ; elle perd son caractère exclusif; elle n'est plus
qu'une idée de prééminence sur les éléments nouveaux qui
apparaissent et se développent.
A l'idée fondamentale de I'unité se joint, dans l'his-
toire du droit civil, le caractère de dualisme, ou l'éta-
42 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
blissement d'un Droit fondé sur l'équité, qui se développe
parallèlement au Droit primitif.
C'est là ce qui distingue les deux périodes du Droit des
XII Tables et du Droit prétorien.
III. — Ce n'est pas tout : un élément supérieur au
droit civil et au droit prétorien se dégage de l'enveloppe
extérieure des faits, et sort du sein des révolutions. Les
mœurs, les lois, les communications étrangères, les mou-
vements et les déchirements même de la société , appel-
lent l'esprit de l'homme à la réflexion. L'intelligence, en
se rephant sur les faits qui ont éveillé son activité , les
pénètre de sa lumière, les rattache à leurs causes d'abord
obscures ou inconnues; et la raison humairfe éprouve, un
jour, le besoin sublime de chercher les rapports des faits
sociaux avec la nature de I'homme , la nature de la so-
ciété, la nature de dieu. — Alors naît la philosophie
DU DROIT. — C'est à la limite extrême de la République
de Rome , quand les anciennes institutions de l'ordre po-
litique s'épuisent dans l'anarchie des guerres civiles , et
vont se transformer ou se perdre sous la dictature des
Césars, que la philosophie du droit est subitement élevée
à toute sa grandeur par le génie de Cicéron. La philo-
sophie du droit , dans les traités de la Répiihlique et des
Lois, est le testament social de la République expirante.
Nous renfermerons donc dans ce livre, sur le Droit
civil de Rome, trois objets :
La Loi des XII Tables ;
Le Droit prétorien ;
La Philosophie du droit, considérée comme la base
d'une École nouvelle.
ORIGINES HISTORIQUES. 43
CHAPITRE III.
ORIGINES HISTORIQUES, ET CARACTÈRE GÉNÉRAL DE LA LOI DES
XII TABLES, PAR RAPPORT AUX LOIS GRECQUES
ET AUX MŒURS ROMAINES.
Gaics ad leg* XII Tabularum :
Sed qiiod in omnibus rébus animadverto id pcrfec-
tum esse, qnod ex suis partibus constaret : etcertè,
CUJUSQUE REI POTISSIMA PABS PRINCIPIUM EST.
ObservalioDS prélimiuaires el bibliographiques sur les travaux modernes concernart les
XII TABLES.
Bien des travaux ont été faits sur la Loi des XII Ta-
bles, depuis le xvi^ siècle jusqu'à nos jours. — Les ju-
risconsultes , à cet égard , se divisent en deux classes :
1° les collecteurs de texte; 2" les commentateurs.
Dans la première classe sont principalement :
1 • Aymar Rivallius (du Rivail) ; il paraît être le premier en
France qui se soit occupé de la Loi des XII Tables dans son
Histoire du droit civil et pontifical de l'an 1 51 5 > ; il recher-
che les institutions des rois, les résultats de la révolution con-
1 Aymari Rivalli allobrogis jurisconsulti ac oratoris libri de historia
juris civilis et pontiflci. — Valence , 1515. Imprimé aussi à Mayence ,
en 1527.
44 LIV. l. — ÉPOQUE ROMAINE.
sulaire, le caractère de la Loi des XII Tables; il rassemble
des fragments, les dispose dans un ordre arbitraire, et les
accompagne quelquefois d'une assez heureuse interprétation.
Une chose intéressante pour l'école historique , c'est que son
histoire du droit est inspirée par l'exemple du jurisconsulte
Gains , et qu'à l'entrée de cexvi^ siècle , qui produira Cujas,
Aymar du Rivail dit , comme Montesquieu , il faut éclairer
les lois par l'histoire, « historia evidentiorem juris prœstat
intellectum ; »
2° Lesueur , JusTE-LiPSE , François Pithou ; ils ont réuni
en plus grand nombre des fragments de textes et des passages
d'auteurs de l'antiquité , se rapportant au souvenir des XII
Tables. — Mais dans leurs collections, il y a beaucoup de
choses conjecturales ;
3° Jacques Godefroy; les textes épurés par sa critique et
accompagnés des indications de sources , ont été adoptés et
suivis par tous ceux qui sont venus après lui , et notamment
par Heineiccius , Hoffmann , Bach , Terrasson , etc. ;
4« DiRKSEN etZELL (Léipzig , 1824); leur judicieuse com-
pilation , avec les notes relatives aux sources , a été re-
produite par M. Giraud , en appendice à son Histoire du droit
romain, et par M. Blondeau, %' vol. des Institutes [jus ante
Justinianeum]. C'est la plus complète et celle qui doit être
suivie.
Dans la deuxième classe (les commentateurs) sont prin-
cipalement :
1° F. Beacdoin ad kg es Romuli et xn Tabularum ( 1" édi-
tion, 1550; 2% 1554; 3% 1559 : Balduinus, dans le2^ vol. de
la Collectio Romana et Attica d'Heineiccius); il y aune grande
différence entre les première et dernière éditions; ce sont
deux œuvres qui semblent à peine appartenir au même au-
teur. L'une est une esquisse , l'autre une œuvre approfondie;
.NOTIONS BIBLIOGRAPHIQUES. 45
2° P. DuPRAT [Pardulphus Pratems d'Aubusson) , XII Ta-
bularum leges; — jurisprudentia vêtus (in-12, 1559). Son
ouvrage , comme il l'indiqule ui-même , fut inspiré par celui
de Beaudoin , qui n'avait pas encore publié sa troisième édi-
dion , et pour combler les lacunes laissées par ce dernier ;
Quia mullas ab eo prœtermissas deprœhendi (p. 202) ;
3° Jacques R^evard ( de Bruges) , disciple de Cujas et pro-
fesseur à Douai; il a déployé dans son commentaire ad le<j .
XII Tab. une grande connaissance de l'antiquité, Lipse l'ap-
pelait le Pajomî'en des Pays-Bas; il est mort comme le ju-
risconsulte de Rome à trente-quatre ans (1568);
4° Charo.ndas , CATALOGLS leguiii antiquarum d'Ulrique
Zasius , avec notes (1567 — 1578). L'auteur français a joint
aux notes sur les XII Tables et les lois postérieures un livre
d' antiquités romaines , où se trouvent de judicieuses obser-
vations , notamment sur les Centumvirs ;
5° Crispi.nus; juris civilis Rom. initia et proyressus ad
leges XIITabul. (1578). Ce n'est pas un commentaire nou-
veau, mais un résumé des travaux antérieurs; il reproduit
notamment ceux de J. Oldendorpius , de Hambourg (mort en
1 567) , dont le commentaire avait de la réputation ;
6" Jaq. Godefroy {legem Tabularum fragmenta, nunc pri-
mum tabulis restitutaj; ses commentaires, comme sa collection
de textes, ont effacé les travaux de ses devanciers et préparé
ceux de Gravina , de Pothier , de Bouchaud , qui clôt la liste
des commentateurs modernes par une œuvre non proportion-
née aux travaux antérieurs , aux besoins de la science du
xviii* siècle, et peut-être au sujet lui-même, malgré toute
son importance.
Nous ferons ici une remarque qui se rapporte aux indica-
tions précédentes :
1 ° Le travail d'Aymar du Rivail a servi de point de départ
aux travaux du xvi" siècle sur la Loi des XII Tables;
46 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAIINE.
2" L'œuvre de Jacques Godefroy a servi de base à tous les
historiens et commentateurs des xvn* et xvni* siècles ;
3" La compilation de Dirksen , qui s'est enrichie des frag-
ments révélés par la découverte de Gains et de la République
de Cicéron, servira de point de départ aux travaux du xix* siè-
cle sur la Loi que J. Godefroy appelait « le fondement de tout
le droit romain , la source de tout le droit public et privé 2. »
Nous reprenons cette série nouvelle d'explications du droit
des XII Tables, mais sous une forme toute différente des
commentaires , sous la forme d'une exposition historique et
théorique , la seule qui puisse convenir à la nature de notre
livre.
Avant la Loi des XII Tables , les mœurs de Rome, les
lois , les traditions , composaient dans leur ensemble
un droit obscur , incertain , mystérieux , soumis à l'in-
fluence exclusive des pontifes et des patriciens {jus pon-
tificium).
Il existait, à la vérité, un recueil de Lois royales, fait
par Sext. Papirius , que Pomponius place sous le règne
de Tarquin le Superbe. Ce recueil , appelé Jus papirla-
num ^, renfermait les lois de Romulus , les lois sacrées de
Numa, et les lois Curiates ou rendues par les Curies de
Rome sur la proposition des rois. Mais ces lois avaient
perdu leur autorité après rex})ulsion des ïarquins, et
d'ailleurs elles devaient concerner principalement les cho-
2 Lex XII Tabularum fondaraentum totius juris romani, fonsque
omnis juris publici privatique. {Jac. Golhof.,Hist. Jur. Rom., ch. 2.)
3 Vel Jus civile papirianum. (Pomponius. , de Orig. J., § 2. )
Paul dit : de Jure papiriano. ( D. de Yerb. Sifinif., 1. 144. )
M. Daunou a fait une dissertation sur le Jus papirianum , quiest
insérée au 7^ vol. de la Thémis.
CHAP. III. ORIGINES HIST. DES XII TABLES. 47
ses du culte *. Le droit privé restait donc livré à l'incerti-
tude de règles obscures (jus in latenti).
Les Plébéiens , qui avaient pris, avec les Tribuns, une
grande place au forum après la révolution du Mont-Sacré,
et qui se voyaient exposés cependant à l'arbitraire des
Patriciens, seuls interprètes de la coutume, réclamèrent
vivement la fixité , la publicité de lois écrites. Les récla-
mations incessantes du tribun Terentilius furent long-
temps ajournées par la force d'inertie du sénat. La loi
Terentilia, de l'an 292, pour la formation d'une Commis-
sion législative, ne fut exécutée qu'après huit ans de
combats contre la résistance passive que lui opposaient les
patriciens. — DesCommisaires cependant furent choisis,
dans leur Ordre, vers l'année 300, pour les travaux pré-
paratoires. Selon Tite-Live et Denys d'Halicarnasse , une
députation fut envoyée en Grèce, au nom du Sénat, pour
s'instruire des lois célèbres d'Athènes et de Lacédémone ,
et s'informer des mœurs de diverses républiques , soit de
la Grèce, soit des parties de l'Italie appelées la Grande-
Grèce. Yico a révoqué en doute le fait de la députation ,
et s'est fondé principalement sur ce que Rome ne con-
naissait pas encore la Grèce. Il suppose que la guerre avec
Pyrrhus et les Tarentins , à la fin du v^ siècle , a révélé
la Grèce à Rome , et lui a permis de voir au delà de l'Ita-
4 Paul nous apprend (de Verb. Signif. , Dig., l. 144 ), que Granius
Flaccus avait fait un livre de Jiire papiriano : et l'on trouve ce Granius
Flaccus compris dans les attaques dirigées par Arnobe contre le paga-
nisme {adversus Génies , lib. m. ) Ce qui peut prouver que l'œuvre de
Jure papiriano se rattachait au Culte païen. Au xvie siècle, Baudouin
a voulu reconstruire les lois de Romulus, travail qui a peu de valeur.
^Jurisp. Au. et Rom., t. 3. ) •
48 LIV. I. EPOQUE ROMAINE.
lie^. Cette opinion est complètement détruite par la cer-
titude d'un traité fait , au milieu du iii^ siècle , entre les
Romains et les Carthaginois, et rapporté par Polybe^.
Rome , qui connaissait déjà , en 244 , la Sicile et Carthage ,
ne devait pas ignorer, vers l'année 300 , l'importance po-
litique de la Grèce , ni la renommée des lois de Lycurgue,
qui existaient depuis quatre cents ans , ou celle des lois
de Dracon et de Solon , qui existaient depuis environ cent
cinquante ans^. — La députation du sénat est donc une
mesure très-vraisemblable.
Toutefois, un rapprochement omis par Vico, et qui
touche au fond du Droit civil, repousse l'idée d'emprunts
faits aux lois de la Grèce sur les points les plus essentiels :
ce rapprochement est relatif à la constitution de la cité et
de la famille. •
A Rome , le droit de cité appartenait exclusivement
aux citoyens romains , et les étrangers étaient exclus de
toute participation au droit civil : Adversus hostem œterna
auctoritas esto. — Athènes, au contraire, offrait le droit
de cité aux étrangers : une loi voulait que les étrangers
5 M. Michelet regarde l'opinion comme douteuse ; mais il ne la re-
pousse pas entièrement dans son Histoire de la Rép. rom., 1. 304.
6 Polybe , III. 23-24. t. 4. p. 26 (éd. Folard). Nous en avons parlé
dans notre chap. l^r.
7 La législation de Lycurgue remonte à l'an 84.5 avant J.-C. , ou
92 ans avant la fondation de Rome.
Les lois de Dracon sont de l'an 624 avant .T.-C, ou de l'an 128 ou
130 de Rome.
Les lois de Solon sont de l'an 594 avant J.-C, ou de l'an 158 ou 160
de Rome.
Servius TuUius avait connu certainement les lois de Solon sur la
Constitution athénienne .J Voir notre chap. le^.)
CHAP. III. ORIGINES HIST. DES Xli TABLES. 49
venus à Athènes pour y habiter fussent compris , après
un court délai , parmi les citoyens : Intra brève tem-
pus in cives cooptantor. — C'est là certainement , dans la
constitution de la Cité romaine et de la Cité grecque ,
une différence caractéristique ^ . — A Athènes, le jeune
homme de vingt ans était inscrit parmi les citoyens et
devenait chef de famille, indépendant de son père. La
femme apportait une dot à son mari, et conservait une
certaine indépendance; le divorce était facile et réci-
proque : la femme pouvait accuser le mari, aussi bien
que le mari accuser la femme^. A Athènes, enfin, le
père famille ne pouvait pas tester au préjudice de ses
enfants. Liberté pour la femme et les enfants, négation
ou enchaînement de la puissance paternelle , tel était l'es-
prit de la famille grecque. — La famille romaine, au con-
traire, avait pour loi fondamentale la soumission à la
puissance de l'aïeul, du père, du mari; et le droit absolu
de tester se liait à l'exercice de l'autorité paternelle.
Ce contraste sur l'esprit de la cité et de la famille, sur
l'organisation de la puissance paternelle ou maritale , et
8 Samuel Petit, in Leges atticas , lib. ii. t. 3 :
« Advenae qui Athenas habitandi causa commigrarunt , intra brève
» tempus in cives cooptantor. »
Aristophane rappelle cette loi, Guêpes , v. 716.
La loi de Solon sur l'acquisition du droit de cité modifla l'ancien
droit, d'après lequel aucune condition n'était imposée pour être ci-
toyen; il suffisait de s'établir en Attique {Thucyd., 1. § 2); d'après la
loi de Solon, il fallait se fixer à Athènes avec toute sa famille , et y
exercer au moins un métier. {Paslorel,Hisl. delaLégisl.,t. 6. p. 177).
9 Le mari rendait la dot ou payait une pension ( Loi de Solon. ) La
femme était obhgée de comparaître elle-même devant les juges , et de
présenter sa requête. {Plularque , vie d'Alcib. — Monlesquieu, xvi. 16.)
T. I. U
50 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
sur le droit de succession , prouve évidemment que l'ori-
gine des XII Tables a été vraiment romaine. Des lois grec-
ques furent connues et employées ; car le Sénat éleva une
statue au grec Hermodore, qui en avait traduit dans l'i-
diôme latin. Mais le droit civil des XII Tables, fidèle au
caractère originel de Rome, a dû nécessairement repro-
duire la vie intime et les mœurs de la cité, la constitution
préexistante de la famille, de la propriété, de l'hérédité,
des obligations et conventions entre citoyens. C'est d'elle-
même , de ses éléments natifs, de son origine étrusque et
latine , de ses traditions pélasgiques ou orientales ,
que Rome, renfermée dans un étroit territoire, pouvait
tirer la racine et les principes de son droit civil. L'origi-
nalité et la supériorité du droit civil de Rome étaient si
bien reconnues par Cicéron, qu'il disait aux Romains, avec
une sorte d'orgueil national : « Vous comprendrez très-
» facilement combien nos ancêtres l'ont emporté en sa-
» gesse sur les autres nations, si vous voulez comparer nos
«lois avec les lois de Lycurgue, de Dracon et de Solon :
»la distance entre elles est infinie*^.»
Les Décemvirs, chargés de rédiger la loi des XII Ta-
bles, furent élus, la première fois, parmi les patriciens.
Dix Tables de loi furent gravées et exposées aux regards
des citoyens dans la première année du Décemvirat; elles
furent approuvées par un décret du Sénat et par tout le
10 « Quantum prsestiterint nostri majores prudentia ceteris genti-
bus , facillime intelligetis , si cum illorum Lycurgo, et Dracone , et So-
lone nostras leges conferre volueritis. — Incredibile est enim , quam sit
omne jus civile , prœter lïoc uostrum , incondilum ac pœne ridiculum.
{Cic. , de Oral., i. 44.)
CHAP. m. ORIGINES HIST. DES XII TABLES. 51
peuple assemblé en centuries [302]. L'année suivante ,
Appius Claudius , le principal rédacteur de la loi , pro-
posa et fit accepter deux Tables nouvelles , où se trou-
vait profondément marquée , dans l'ordre civil , la sépa-
ration des classes patricienne et plébéienne par la pro-
hibition des mariages entre les membres des deux Or-
dres ; et cependant Appius Claudius , réélu décemvir ,
était alors entouré de collègues plébéiens ^ * !
La Loi fut promulguée l'an 303 de Rome ; le vœu pri-
mitif du peuple et des tribuns fut accompli. — La Loi
des XII Tables , publiée quarante ans après la révolution
plébéienne du Mont-Sacré, n'était pas et ne pouvait pas
être le Code absolu du patriciat. L'esprit patricien s'y
révèle par la prohibition des mariages mixtes, par des
dispositions rigoureuses contre les débiteurs , contre les
étrangers : mais les citoyens y trouvaient leurs garanties
générales ; et long-temps après l'affaiblissement du pa-
triciat, les XII Tables étaient regardées par les juris-
consultes romains comme la source du droit public et
privé ; « source bien supérieure , disait Cicéron , dût-on
en frémir autour de lui , fremant omnes licet , source bien
supérieure par l'autorité, l'utiUté, la fécondité, à tous les
livres de philosophie*^. »
11 Cic, de K,ep., ii. 37. Duabus Tabulis iniquarum legum additis.
— Appius avait usé de son ascendant sur le peuple romain , pour se
faire nommer des collègues plébéiens, soumis à son influence. — Tit.
Liv., III. 32. 33
12 Fremant omnes licet, dicam quod sentio. Bibliothecas me Hercule
omnium philosophorum unus mihi videtur XII Tabularum libellus , si
quis legum fontes et capila videret, et auctoritatis pondère et utilitatis
ubertate superare ! ( Cic, de Oral., i. 44. — Dtjf., i. 2. § 5. G. )
52 LIV. 1. — ÉPOQUE ROMAINE.
CHAPITRE IV.
LE DROIT DES XII TABLES DANS SON APPLICATION AUX OBJETS
GÉNÉRAUX DU DROIT PRIVÉ.
(1" PÉRIODE DE l'Époque romaine.)
En exposant le droit des XÏI Tables , on ne doit pas
limiter le sujet à la Loi elle-même, aux fragments qui en
ont été recueillis; mais on doit l'étendre aux éléments ac-
cessoires qui sont nés directement de l'application de la
loi fondamentale , c'est-à-dire au droit kon-écrit résul-
tant de l'interprétation des Prudents , et aux actions de
LA LOI , qui furent composées vers la même époque. Ces
trois parties réunies formèrent le droit civil des XII Ta-
bles , et eodem tempore^ dit Pomponius , tria hœcjura naia
snnt. Aussi , le premier jurisconsulte romain qui ait écrit
un livre sur le droit civil , Sextus ^ëlius , l'avait-il inti-
tulé Tripertita , parce qu'il avait ce triple objet : la Loi ,
l'Interprétation, les Actions de la loi. C'est aux trois sour-
ces primitives que nous puiserons notre exposition.
Le Droit des XII Tables embrasse cinq éléments :
La cité ;
La famille ;
La propriété et les moyens d'acquérir ;
Les OBLIGATIONS ;
L'institution judiciaire et les actions.
Il comprend ainsi , dans la puissance de son unité ,
CHAP. IV. DROIT DES XII TABLES. SECT. I. 53
l'ensemble des objets qui constituent la matière du droit
public et privé chez toutes les nations civilisées ; car la
Cité , comme nous l'avons dit dans notre Introduction ,
est une notion complexe à laquelle se rattache l'ordre
politique , religieux et civil.
Nous avons , dans le premier chapitre , exposé les in-
stitutions pohtiques de la Cité romaine ; nous la consi-
dérerons maintenant , dans le droit des XII Tables , au
point de vue du Droit privé.
SECTION ^^
LA CITÉ.
SOMMAIRE.
ï. — Eléments constitutifs de l'état des citoyens.
II. — Ingénus. — Affranchis. — Étrangers.
ÏII. — Clients. — Patrons.
TV. — Perte des droits de citoyen. — imerdictio aquje et ignis.
— Exil avant le jugement; ses effets sur le droit de cité.
V. — Roynain prisonnier de guerre. — Jus postliminii.
VI. — Personnes sui juris et alieni juris. — Transition.
I. — Dans l'état de citoyen romain se trouvaient réu-
nis trois éléments : la Liberté , la Cité , la Famille.
La Liberté était le fondement nécessaire de tous les au-
tres droits : si le citoyen perdait la liberté par son crime,
il perdait nécessairement tous les droits qui constituaient
son état civil ; c'était , en langage technique , la grande
diminution de tète * .
1 Maxima vel magna capitis deminutio.
54 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
Mais la Cité aussi était le fondement de tous les droits
du citoyen romain : s'il perdait la cité , il perdait donc
tous ses droits, même ceux de père de famille, de fils
de famille, car il n'était plus Romain^. C'était encore un
grand changement d'état.
Si le Romain , au contraire , conservait la qualité de
citoyen , et que seulement il s'opérât un changement
dans ses droits de famille par l'adoption, l'adrogation , l'é-
mancipation , il n'y avait en lui qu'un petit changement
d'état. Cette modification était assez grave pour entraî-
ner un renouvellement de personne civile , de famille ,
de propriété. Ainsi, l'adopté sortait de sa famille natu-
relle et tombait sous la puissance paternelle du père adop-
tif; ainsi, l'adrogé, sui juris, sa femme, ses enfants,
tombaient sous la puissance de l'adrogeant ; ses biens
changeaient de maître, ses obligations personnelles étaient
éteintes , d'après le droit des XII Tables , et son testa-
ment infirmé. Ainsi , l'émancipé , mis hors de la puis-
sance paternelle, était placé en dehors de la famille, il
perdait ses droits d'agnation , de gentilité , d'hérédité lé-
gitime; il devenait le chef d'une famille nouvelle, le
maître d'une nouvelle propriété. Mais ces graves modi-
fications dans l'état de la famille ne touchaient pas à la
qualité essentielle , celle de Citoyen. Le Romain , en con-
servant sa qualité de citoyen , conservait son état fonda-
mental {caput , status); car la cité supposait nécessaire-
ment la liberté; et, dans ce sens, Ulpien disait : La
petite diminutien de tête a lieu sans que l'état des per-
sonnes se perde, salvo statut. Aussi les jurisconsultes ne
2 Gaius , I. § 128. Ex numéro civium Romanorum tollitur.
3D. xxxvui.— 17-1. § 1.
CHAP. IV. DROIT DES XII TABLES. SECT. I. 55
considéraient souvent la deminutio capitis que sous deux
rapports, magna etminor*. Cependant la division tripar-
tite (mdxima, média, minima) avait été le plus générale-
ment adoptée comme répondant aux trois éléments de
l'État des personnes , la liberté , la cité , la famille , et
comme renfermant en elle toutes les questions d'état : c'est
celle de Gains et de Paul , qui a passé dans les Institutes
de Justinien ^.
II. — Dans les premiers temps , le droit civil de Rome
ne connaissait pas de situation intermédiaire entre la con-
dition de citoyen et celle d'esclave. Tous les affranchis
étaient citoyens : les affranchis déditices et latins-juniens
sont du siècle d'Auguste et de Tibère. Cependant , parmi
les citoyens on distinguait les ingénus et les affranchis. La
distinction entraînait des conséquences non seulement
dans l'ordre politique, comme on l'a vu par la classification
des Tribus , mais dans l'ordre purement civil , pour les
prohibitions de mariage et les droits de gentilité.
Les peuples vaincus que Rome transportait dans son
enceinte , ou dans les limites du territoire composant
Yager romanus , étaient faits citoyens romains par une na-
turalisation collective; mais on ne pratiquait pas encore
la naturalisation comme concession individuelle.
L'Étranger, qualifié d'abord comme l'ennemi (liostis)^
n'avait pas de droit propre et reconnu ; il ne pouvait en
obtenir qu'en se plaçant, comme cUent, sous le patronage
d'un patricien.
III, — Le patronage formait dans la cité romaine une
4 D. XXXVIII. — 16-1. § 4. UIp.
5 Gaius I. § 159.
Paul, D. VI. -r-5-ll last. I.-16.
56 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
institution surtout politique ; mais il produisait aussi des
effets importants dans Tordre civil.
Chaque plébéien avait le choix de son patron parmi
les patriciens. Les clientelles étaient héréditaires , carac-
tère très-remarquable. Le droit attaché aux descendants
du Patron s'étendait sur la famille du Client ; celui-ci ne
pouvait changer de patronage, que dans le cas où le pa-
tron mourait sans enfants ni descendants.
Des obligations mutuelles dérivaient de cette belle
institution , dont l'origine se confond avec celle de Ro-
me , et qui dura plus de six cents ans sans aucune alté-
ration. Le patron devait faire connaître à ses clients
leurs droits, et les représenter en justice; il devait pren-
dre soin des intérêts du client présent ou absent, l'aider
de son argent , si le client était pauvre , et pourvoir à
l'éducation des enfants. Le patron , possesseur de terres
dépendant de la République , les donnait à cultiver à des
clients , à charge de redevance*^. — Les clients , de leur
côté , devaient concourir à payer la rançon du patron et
de ses fils tombés en captivité , à le libérer de ses dettes
et des peines pécuniaires prononcées contre lui. Ils de-
vaient soutenir le patron de leurs suffrages dans les co-
mices , de leur argent pendant l'exercice des charges dont
il était revêtu. L'obligation mutuelle entre le patron et
le client était si étroite et si sacrée , que dans le respect
du client , le patron occupait , disait Caton , le premier
6 Cic, de Off., II. 24. Rem publicam augeant agris, vectigalibus.
Tit. Liv., IV. 36. Et vectigali possessoribus agrorum imposito.
F. Baudouin, dans son Essai sur les Lois de Romulus, en avait tiré
cette loi , agros plebei colunlo : l'expression de la loi était imaginée par
le collecteur; mais l'usage existait. ( Collecl. leg. ÂUic. et Rom. , t. 2. )
CHAP. IV. DROIT DES XII TABLES. SECT. I. 57
rang après le père''. Aussi le patron et le client ne pou-
vaient-ils s'accuser ni rendre témoignage l'un contre l'au-
tre , et la Loi des XII Tables vouait à l'exécration publique
et aux Dieux infernaux le patron qui aurait trompé son
client : Patronus si clienti fraudem facit, sacer esto *.
L'institution du patronage avait , de plus , dans les
premiers siècles , ce caractère essentiel en droit civil ,
qu'elle était propre à servir de lien entre les citoyens et
les étrangers : ceux-ci pouvaient être reçus parmi les
clients. Membres de la clientelle , ils se produisaient dans
la Cité sous le nom du patron , et ils pouvaient indirec-
tement , à la faveur de ce nom , exercer certains droits
et obtenir justice ; la création du Préteur des étrangers
[en 507] , rendit superflu devant les tribunaux cet em-
prunt du patronage®. — Au reste, lorsque l'étranger ,
placé dans la clientelle d'un citoyen , résidait et mou-
rait à Rome , il y avait sur ses biens , au profit de son
patron , un droit d'application , jus applicationis , dont
Cicéron nous a conservé la trace positive , et qui pour-
rait présenter quelque analogie avec le droit d'aubaine
de la féodalité ^°.
IV. — La condition d'homme libre et celle de citoyen
7 Aulu-Gell. V. 13. Palrem primum, poslea patronum proximum
nomen habere.
8 Tab. VIII. 21. (Éditions de MM. Dirkseri, Giraud et Blondeau.)
La formule sacer esto est la mise hors la loi.
Du temps de Virgile , la réprobation n'avait rien perdu de sa force
contre le patron.... Si frans inexa clienli. {Encid., vi. 80. )
9 IViebuhr, Hist. rom., 11. <101, note 502 :
La clientèle italique devenant redoutable, on créa le Préteur des
étrangers.
10 Cic, deOrat., i. 39.
Quod item in centumvirali judicio certatum esse accepimus qui Ro-
58 LIV. 1. — ÉPOQUE ROMAINE.
se confondaient dans l'intérieur delà Cité. La Loi pénale,
dans certains cas , prononçait la peine de mort contre un
citoyen jugé par l'Assemblée du peuple ; ou d'un citoyen
coupable , et condamné à une peine perpétuelle {metallis)^
la Loi faisait un esclave , servus pœnœ. Elle ne pouvait pas
faire directement d'un citoyen un homme libre non-citoyen;
car cette condition intermédiaire entre l'esclave et le ci-
toyen n'existait pas dans le droit primitif de la Cité. Elle
ne pouvait pas , d'un autre côté , transformer un citoyen
romain en étranger ; car Xextranéité est un fait naturel de
naissance, ou d'existence volontaire en dehors d'une cité.
Que pouvait donc la loi ? — Déterminer par ses mesures un
citoyen à renoncer à sa patrie , à se rendre lui-même étran-
ger pour conserver sa vie : de là l'interdiction du toit, de
l'eau et du feu, interdictio tecti, aquœ et ignis. L'ordre du
peuple n'enlevait pas au citoyen sa qualité , son droit de
cité , inséparable de sa personne civile; mais l'interdiction
de l'eau et du feu lui rendait la vie impossible dans la
Cité* * . Privé des moyens d'existence physique dans Rome,
le citoyen s'exilait pour vivre, et devenait membre d'une
autre Cité. Or, nul ne pouvait, selon le droit civil, être
citoyen de deux cités : Ex noslrojure duarum civitatum nemo
esse potest^^. Le Romain devenait donc étranger à laso-
mam in exilium venisset, cui Romae exsulare jus esset, si se ad ali-
quem quasi palronum appiicuisset , intestatoque esset mortuus , nonne
in ea causa jus appUcalionis , obscurum sane et ignotum, patefactum
in judicio atque illustratum est a patrono?
11 Civitatem nemo unquam ullo populi jussu amittit invitus; id au-
tem, ut esset faciendum, non ademptione civitatis, sed tecti , aquae et
ignis interdictione faciebant. ( Cic, pro domo sua, cap. 29. 30. )
12 Cic, pro Caecina 34.
II ajoute : « Aniittitur hinc civitas, quuin is qui profugit recep-
tus est in exilium , hoc est , in alîamcivitatem. >
CHAP. IV. DROIT DES XII TABLES. SECT. I. 59
ciété romaine par son propre fait; il perdait son état, sa
tête de citoyen ; et , par ce motif, l'exil , quoique laissant
la vie et la liberté à l'individu, était considéré dans ses ef-
fets civils, par Labéon, comme la condamnation capi-
tale *^
Lïi mort, l'interdiction de l'eau et du feu étaient pro-
noncées parle jugement du peuple; mais l'exil n'était pas
une peine infligée par sentence. Il s'offrait , dans les
mœurs romaines, comme une ressource, comme un asyle
contre un châtiment imminent. Les citoyens, après l'accu-
sation et pendant le procès, étaient libres de s'exiler, afin
d'éviter les cachots, la mort, l'ignominie. C'était un re-
fuge nécessaire dans une république, où les condamna-
tions pouvaient être arrachées aux juges par les passions
populaires, par la vengeance des partis. L'exil était alors
vraiment l'autel du salut, confugiuxt m exilium quasi ad
ARAM, disait Cicéron, qui avait eu besoin aussi de l'autel
protecteur **. — Cet exil volontaire, qu'une loi seule pou-
vait faire cesser, produisait pendant sa durée les effets ci-
vils de Vinterdictio aguœ et ignis après jugement. Cicéron,
rappelé de l'exil par le vœu formel des Comices, fut obligé
de plaider à son retour pro domo sua [696], et pour la re-
stitution de ses biens incorporés au domaine public*^.
V. — Le Romain prisonnier de guerre était immédia-
tement privé, non de sa qualité de citoyen, mais de l'exer-
cice de ses droits; sa capacité était suspendue. En ren-
trant dans la Cité, il était censé n'en avoir pas été séparé;
13 Labeo existiraat capitis accusationem eam esse cujus psena mors
aut exilium esset. ( 2)., xxxviii. — 14.-10. )
14 Cic, pro Caecina, 34. Maleficiutn nullum exilio multatum.
15 Cic, pro dorao sua, cap. 18, et Epist. ad Attic, iv. 1.
60 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
il reprenait tous ses droits par le Jus Postliminii. Mais s'il
mourait prisonnier de guerre , il mourait incapable : le
jour où il avait perdu la liberté , il était présumé avoir
perdu tous les droits de la Cité. Régulus, captif, n'est plus
sénateur, époux ou père, même quand il reparaît à Rome,
libre sur parole [303]; de retour à Carthage, il meurt in-
capable, capitis minor , disait Horace'^ : c'était là le droit
des XII Tables , sévère , mais conséquent au principe qui
attachait tous les droits à l'existence dans la Cité.
A la fm du YIP siècle, en 686, la loi Cornelia créa une
fiction généreuse : le citoyen mort prisonnier de guerre
fut réputé mort dans la Cité*^. — Le temps de la capti-
vité s'effaçait; le jour du combat et le jour de la mort ne
faisaient qu'un ; le citoyen mourait integri status , comme
sur le champ de bataille; son testament antérieur était
valable : expirant loin de Rome, il savait qu'à Rome sa
volonté serait sacrée pour la Cité , pour la famille.
YI. — Toutes les distinctions qui viennent d'être suc-
cessivement marquées concernent principalement la Cité.
Il en est une qui tenait directement à la famille , à la si-
tuation personnelle et respective de ses membres : les uns
étaient sui juris , les autres alieni juris ; ce qui nous con-
duit historiquement et théoriquement à la constitution
de la famille romaine et de la gens , d'après la loi des
XII Tables.
16 « Fertur pudicse conjugis osculum
« Parvosque natos ut capilis minor
« A se removisse. » { Od. Horal. )
Crc, Off. III. 27. Non esse se senatorem.
17 Ex lege Cornelia quac perinde successionem ejus conflrmat, atque
si in civitate decessisset. ( Ulp., Reg. 23. § 5. )
CHAP. IV. DROIT DES XII TABLES. SECT. II. 61
SECTION IL
CONSTITUTION DE LA FAMILLE ROMAINE ET DE LA GE.\S.
SOMMAIRE.
I. — Principe de la famille romaine dans son rapport avec la Cilé.
II. — Juste mariage (justae nuptise).
III. — Puissance paternelle. — Pouvoir de tester.
IV. — Agnation. — Cognation.
V. — Gens. — Gentilité.
VI. — Fille ou Femme romaine (civis romana).
VII. — Subordination des rapports réels aux rapports personnels.
— Principes relatifs à f hérédité ab intestat des trois ordres
d'iiériliers. — Supériorité de l'hérédité testamentaire.
VIII. — Eléments accessoires de la famille. — Esclaves , enfants in
mancipio , émancipés , affranchis.
IX. — Distinction des familles patriciennes et plébéiennes.
X. — Résumé.
C'était vraiment la famille romalne , et l'on ne peut
bien l'expliquer qu'en remontant jusqu'à la notion de la
Cité.
Le mariage , à Rome , n'est pas l'unique cause de la fa-
mille. L'adoption fait passer un fils de famille de la puis-
sance du père naturel sous la puissance du père adoptif ;
l'adrogation fait passer un citoyen maître de ses droits,
avec ses propres enfants , sous la puissance paternelle de
l'adrogeant. Trois causes concourent donc à la formation
delà famille romaine; mais la puissance paternelle est le
principe uniforme qui s'y rattache. Cette puissance , à la-
62 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
quelle s'unissent les divers éléments de la famille , n'est
pas seulement celle qui dérive de la nature ou du Droit
des gens , elle est déclarée un droit propre aux citoyens
ROMAINS, JU3 PROPRIUM CIVIUM ROMANORUM ; et c'cst la
Cité elle-même qui intervient dans l'adoption , par l'auto-
rité du magistrat ; dans l'adrogation , par la solennité des
comices , pour opérer, en faveur d'un citoyen , le trans-
port ou la création de la puissance paternelle \ La Cité,
par conséquent , domine la puissance paternelle , et par le
caractère absolu qu'elle lui imprime en dehors du droit
naturel , et par l'attribution qui en est faite à des citoyens,
en dehors du mariage^.
Ainsi , le mariage n'est pas , dans le droit des XII Ta-
bles , le fondement de la famille ; c'est la puissance pa-
ternelle ; — mais la puissance paternelle ne devient la
base de la famille romaine que parce qu'elle se lie au droit
spécial et à la puissance de la Cité.
II. — Le consentement fait le mariage entre un citoyen
et une femme romaine : enfants de la même Cité, ils ont
\ejus connnbiP, sauf les empêchements tirés de la parenté
naturelle ou adoptive, et de l'inégalité des conditions de
1 Imperio magistratus. — Populi auctoritate.
Gaius,i. §§98,99, 134.
2 Fere enim nulli alii sunt homines qui talem in lilios suos habent
potestatem qualem nos habemus. Gains, i. § 55.
La restriction fere est à remarquer pour l'histoire du droit. Il nous
sera facile d'en faire l'appbcation au Droit Celtique {infra, liv. ii. ch. 2.)
3 II fallait que le connubium existât entre le mari et la femme ; au-
trement le fils suivait la condition de sa mère : par exemple , si un ci-
toyen avait épousé une étrangère. ( Gains , i. § 67.)
CHAP. IV. DROIT DES XII TABLES. SECT. 11. 65
patriciens et de plébéiens, peut-être d'ingénus et d'af-
franchis^. — Par le consentement, il y avait engagement
pour toute la vie (consortium omnls vitœ); mais il n'y avait
pas nécessairement participation de la femme à la reli-
gion du foyer domestique de l'époux et aux droits de la
famille : cette participation résultait des modes de célé-
bration ou d'exécution du mariage.
Des rites symboliques pouvaient accompagner le con-
trat, en lui-même purement consensueP. La confarréa-
lion faite avec plusieurs cérémonies et des paroles solen-
4 Cette prohibition de mariage entre les ingénus et les affranchis ,
si elle existait, résultait du droit non-écrit. Elle paraît à quelques-uns
prouvée, 1° par le sénatus-consulte sur les Bacchanales [an 568], où le
sénat, pour récompense, permit à l'affranchie Fecetia Hispala d'épou-
ser un ingénu, ut ei I>'GENU0NUBEBELICEBET(ri7.I,Ù\, XXXIX. 19 ):
mais Hispala n'était pas seulement affranchie ; elle était courtisane , et
l'exemple doit s'appliquer à l'empêchement d'honnêteté publique;
2» Par la loi Julia, de marilandis ordinibiis , qui restreint la prohibi-
tion ancienne aux sénateurs età leurs descendants (Z)«g.xxYiii.2.44),
et surtout par la loi Pappia Poppaea, qui permet le mariage omnibus
ingenuis. — (V. infrà, p. 213, not. 1.)
5 La tradition de la femme , qui résulte, soit de la translation de la
femme dans la maison du mari , dcduclio nxoris , soit de la présence
nécessaire de la femme pour exprimer son consentement, in prœsenli,
a paru au savant auteur du Commentaire historique des Instîtutes
(M. Ortolan) une raison suffisante pour donner au mariage le caractère
d'un contrat réel (t. 1 , tit. de nupliis); mais la déduction de la femme
au domicile n'est qu'un mode d'exécution ou un mode de preuve du
mariage , que les lois exigèrent en certains cas déterminés, comme le
fait observer très-justement J. Godefroy , à l'occasion d'une loi qui
exige cette condition dans le Code théodosien.
« Il faut, dit-il, noter cela comme singulier, savoir, qu'ici la loi re-
» garde comme épouse celle seulement qui a été introduite ou conduite
» dans la maison du mari. Certes, cette déduction dans la maison de
» l'époux n'était pas requise pour constituer le mariage, uœoris in
» domum mariti deductioad constiluendum matrimonium.... non requi-
64 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
nelles, en présence de dix témoins, exprimait symboli-
quement, par le gâteau sacré de fleur de froment, de
sel et d'eau , l'union de la sagesse et de la pureté ; elle
était suivie dans les familles patriciennes, destinées à don-
ner aux autels une postérité sacerdotale , et s'observait
>) rebalur. Cela est assez prouvé par la loi 22 , au Code Just. , de nup-
» lîis; la loi pénultième au Dig. de donat inl. vir. et uxor.; par la règle
«vulgaire solo honore marilali el affeclu nuptias consiitui ( L. il,
» Cad. Jusl., de repudiis, Nov. 22. cap. 3. — 74. cap. 4.), cet honneur
» marital qu'une loi qualifie de plenus honor ( Dig. de his guœ ul in-
« dignis , L. 16 § 1. ) Cependant il arrivait plusieurs fois que la vo-
» lonté de l'un et de l'autre épou.x n'était bien connue que par cette
» action du mari de conduire la femme au domicile conjugal ; et cela
«était même requis en cerlains cas., de peur, ou que la preuve ne
» manquât autrement, ou qu'il ne se fit quelque fraude ; par exemple,
» dans l'espèce de la présente loi ( Cod. Th., vu. 12. 6 ) et de la loi 5 ,
» au Dig. de ripiu nupt.., qui parlent du mariage comme d'une condition
» qui devait être accomplie. Dans ces cas et d'autres , où l'intérêt public
» est engagé , il ne suffit pas d'alléguer l'intention seule ( nudus affec-
» lus ) que quelques-uns pourraient facilement feindre par le men-
» songe ; mais la preuve complète est requise ( plena probalio requi-
» rilur); preuve qui ne peut résulter d'un fait autre ou plus certain
» que cette circonstance, savoir, que l'épouse a été conduite dans le
« domicile de son mari. » {Cod. Th. Comm. vu. 12. 6. Tom. 2, p. 378,
édit. Ritter. )
Quant à la présence de la femme pour exprimer son consentement,
elle tient à la nature même du contrat, et à la situation de la femme
dans la cité romaine. Pour la femme toujours placée, d'après l'ancien
droit civil, sous la puissance du père et la tutelle testamentaire ou lé-
gitime , il fallait , dans un acte aussi essentiel que le mariage , l'ex-
pression du consentement personnel de la future. Le père et le tuteur
ne pouvaient exprimer que leur consentement propre ; mais ce n'était
qu'une adhésion au contrat, et non le contrat. Xe consentement même
des époux faisait le mariage, à ce point qu'en droit romain le père ne
pouvait faire annuler le mariage contracté sans son aveu. Il fallait
donc la certitude du consentement, de la part de la personne placée
sous l'autorité d'autrui , et de là l'indispensable présence de la femme.
CHAP. IV. DROIT DES XII TABLES. SECT. II. 65
encore, du temps de Gaius, pour les Flamines majeurs. ®
— La Coemption représentait l'achat de la femme romaine
par le citoyen qui voulait l'acquérir pour épouse, et qui
employait la forme solennelle de la mancipation ''. — Sous
la solennité de ces deux formes symboliques qui indiquent
la supériorité de la sagesse ou du pouvoir de l'homme ,
le mari obtenait sur sa femme la puissance absolue , ma-
Nus. L'épouse alors était qualifiée mater-familias. —
Un troisième mode, le plus simple et peut-être le plus
ancien , c'était l'habitation de la femme au domicile du
mari, Usns, en exécution du contrat^. Si la première
année s'était écoulée sans interruption de co-demeurance,
il y avait puissance absolue du mari , manus : la femme
était comme usucapée , par la possession annale^. Si, cha-
que année , elle interrompait l'usucapion par une absence
de trois nuits , elle ne tombait pas in manu mariti ; la Loi
des XII Tables lui donnait le droit d'interruption**^. Il y
6 Gaius, I. § 112.— Tacit., Ann., iv. l«i.— Plin., Hist. uat. , xviii.
cap. 3.
7 Présents , cinq témoins , citoyens romains , le libripens , I'homme
et la FEMME entre lesquels se fait la coemption. ( Gaius , i. § 113. ) —
La coemptio était une coutume que l'on retrouve dans les plus anciens
usages des Indes. iSlrabon, lib. .\v. )
8 Gaius indique ce mode avant les deux autres : Olim usu , far-
reo, coemptione, i. § 410.
9 Velut annua possessione usucapiebatur. ( Gaius , i. § 3.)
La possession annale a joué un grand rôle aussi dans notre droit
coutumier. En beaucoup de coutumes , la communauté n'existait
qu'après l'an et jour du mariage.
10 Lege duodecim Tabularum cautum erat , si qua nollet eo modo
in manum mariti convenire , ut quotannis trinoctio abesset , atque ita
usum cujusque anni interrumperet. ( Gaius , i. § 3. )
T. I. 5
66 LIV. I. — ÉPOQUE ROiMALNE.
avait alors mariage libre. L'épouse était appelée UXOR ou
MATROiNA ** : les enfants étaient également légitimes.
La femme , d'après les anciens modes de célébration ou
d'exécution, et conformément à la sévérité des mœurs ro-
maines, dans les premiers siècles, tombait le plus souvent
in manu ^^. Par l'effet de cette puissance, elle passait dans
la famille du mari , elle partageait le culte des dieux do-
mestiques, sacra domùs ; elle avait, par rapport au mari,
le rang et les droits de sa fille *^ : il y avait communica-
tion du droit divin et humain*^; et c'était là encore, dit
Gains, un droit propre aux citoyens romains [i. § 108].
La femme romaine , qui avait interrompu la cohabitation
annale, restait dans sa famille originaire, sous la puissance
paternelle ou sous la tutelle des agnats.
Pour l'un et l'autre cas, il n'y a , dans les fragments de
la loi des Xll Tables, aucune trace de la dot; mais cela
s'explique facilement. La situation la plus générale était
11 Cic, Topic. — 3. Aulu-Gell. , xyiii. 16.
12 Quintilien { Inslituliones , lib. i. cap. 7) attribue la loi à Roniu-
lus. — Denys d'Halicarnasse dit que , dans les premiers temps , la
femme était toujours soumise à la manus. ( Liv. ii. ch. 25.)
13 La femme pouvait être in manu , seulement pour les sacra do-
mus , et non sous un autre rapport : Quod vero ad caetera perinde
habeatur atque si in manum non convenisset. ( Gains , i. § 136. )
Filiœ locum obtinebat.... placuit eam filiœ jus nancisci. {Gains , i.
§115.)
14 Cette admirable définition de Modestinus : « Nuptiœ sunt con-
» junctio maris et feminae , consortium omnis vitae , divini alque hu-
» mani juris communicatio [D. xxiii, 2. 1.), » suppose la communi-
cation du culte domestique qui résultait du mariage , dans les pre-
miers temps , et qui s'était encore maintenue au iii* siècle de l'Em-
pire, comme tradition du passé ; mais elle a , de plus, un sens très-
clevé pour la philosophie du droit romain.
CHAP. IV. DROIT DE^ XII TABLES. SECT. H. 67
celle de la femme placée in manu mariti : ce qui apparte-
nait à la femme était alors acquis au mari ou au père de
celui-ci, par droit de puissance et à titre universel, permii-
versitatem^^ . — Dans les plus anciennes mœurs de Rome,
l'usage des fiançailles (sponsalia) était connu , et le futur
mari stipulait ordinairement du père un don pécmiiaire
qui lui était acquis au jour du mariage; mais la dot, pro-
prement dite , ne s'introduisit que plus tard , sous l'in-
fluence des mœurs grecques , et lorsque le mariage libre
devint à Rome le mode le plus usueP®.
Par le mariage romain , par l'adoption et l'adrogation,
la famille est créée dans la Cité. — Pénétrons maintenant
dans l'ensemble de sa constitution , dans l'unité de puis-
sance qui va en retenir et concenter tous les éléments.
Cette unité de puissance , c'est la puissance paternelle.
III. — Le père ou i'aïeul, considéré comme chef de fa-
mille, a sous sa puissance :
1" Ses enfants des deux sexes nés de ses justes noces ,
quel que soit d'ailleurs leur âge; les enfants des deux
sexes introduits dans la famille par V adoption, et les ci-
toyens adrogés , avec leurs propres enfants , qui sont au
nombre des petits-fds ;
2° Les enfants ou petits-enfants nés du mariage de ses
fds ou petits- fils (nepotes, pronepotes)-,
3" Les brus mariées en justes noces et placées in manu :
15 Quam in manum, ut uxoreiii , receperimus, ejus res ad nos
transeunt. {Gains , ii. § 98. )
16 Voir infra le ch. 5. sect. 2. § 1 , où nous traitons la question de
la dot et des origines du réeinie dotal.
68 LIV. I. — EPOQUE ROMAIiNE.
filles de leur mari , elles sont au rang de petites-tîlles à
l'égard de leur beau-père. Le fils de famille ne peut
avoir sous sa propre puissance ni ses enfants, ni son
épouse , parce qu'il faut être maître de soi pour exercer
puissance sur un autre *^.
La puissance du chef de famille (aïeul ou père) est pres-
que absolue ; elle renferme le droit de souveraine juri-
diction, ou le droit de vie et de mort, le droit de vendre
trois fois les fils , une fois les filles et les petits-enfants ^^;
mais elle s'arrête devant le principe de la liberté romaine :
« Il a été tant accordé à la liberté par nos ancêtres, dit
» Constantin , que les pères de famille, qui avaient autre-
» fois le droit de vie et de mort sur leurs enfants, n'au-
» raient pas pu leur enlever la liberté*^.»
Le père acquiert par ses fils ; les enfants en puissance
sont censés , pendant la vie du père , associés à la pro-
priété de ses biens ^'^. — Le père de famille acquiert par
ses fils, même la gloire. La Loi des XII Tables veut que la
couronne gagnée par le fils de famille soit portée aux fu-
nérailles du père comme aux funérailles du fils^*.
Le chef de famille est père à l'égard des uns, aïeul à l'é-
IJ Dig. xLvni. 5. 21. In sua potestale non videtur habere qui non
est suae potestatis. ( Ulp. )
18 Tabul. IV. 2. Jus vit.e, necis, vendendique eos jus esto. Paul
dit:... Licet eos exheredarequod et occidere licebat. (Z). xxxiii. 2. 11.)
19 Cod. VIII. 47. lO.Libertati a Majoribus tantum impensum est, ut
patribus , quibus jus vitae in libères necisque potestas olim erat per-
missa , libertatem eripere non liceret.
20 Gains, ii. 157. — D. xxxviii. 9. 1. § 12. — Quasi olim hi domini
essent.
21 Cic, de Leg., ii. 24. « Coronain virtute partani , » et ei qui pe-
perisset et eius parent! , sine fraude esse Lex impositam jubet.
CHAP. IV. DROIT DES XII TABLES. SECT. II. 69
gard des autres ; mais il tient toute la puissance concen-
trée dans ses mains; il est, par excellence, le citoyen sui
juris; ses fils non émancipés sont tous également alieni
juris. C'est seulement à la mort du père que les fils succé-
deront à la puissance sous laquelle ils seront restés tou-
jours placés. Les fils continueront la personne , la puis-
sance, le domaine du père, et les sacrifices privés dont
la loi veut la perpétuité ^^.
» Héritiers ab intestat , les enfants en puissance sont héri-
tiers siens et nécessaires; mais le citoyen, Chef de famille,
peut en ordonner autrement par acte solennel de dernière
volonté. Il dicte la Loi à sa famille , par son testament ,
pour le temps où il ne sera plus. Il dispose librement
de son patrimoine et de la tutelle des enfants impubè-
res. La Loi des XII Tables, qui l'a investi pendant sa vie
de la souveraine juridiction sur la personne de ses en-
fants, l'investit encore, au moment suprême, de la toute-
puissance ; et il l'exerce sur la personne , par la nomina-
tion du tuteur testamentaire; sur les biens, par la liberté
absolue de distribution ou d^ disposition : uti legassit
s UPER PECUNIA TUTELAVE SU^ REl , ITA JUS ESTO ^^.
La puissance paternelle réunit, par conséquent, tous les
attributs de la souyeraineté domestique sur les personnes et
sur les biens pendant la vie et même après la mort du père.
Le chef de famille , qui a le droit d'instituer un ou plu-
22 Sacra privata perpétua manento (Cic, deLeg., ii. 9, 19. ) — Et
statim morte parentis quasi continuatio dominii. {Inst., m. lit. 3.) —
ffœres vient de herus : veteres enim hœredes pro dominis appellabant,
(/ns<., II. 19. 7. )
23 Tabul. v. 3. — Res comprend la famille; les enfants, en ce sens,
sont res palris.
70 LIVRE I. — ÉPOQUE ROMAINE.
sieurs héritiers autres que les héritiers siens , peut insti-
tuer même son esclave , en le déclarant expressément li-
bre par son testament, cum liber tate^^. L'esclave institué
par le testament devient héritier nécessaire , et subit en
son nom seul l'ignominie de la vente des biens du testateur
qui serait mort insolvable : aussi l'institution de l'esclave
peut être faite au premier, au second degré , à un rang
ultérieur, par substitution, au gré du testateur qui veut
protéger sa mémoire contre la poursuite de ses créanciers.
Le père de famille peut passer ses enfants sous silence
dans son testament ; il n'est pas encore obligé de les ex-
héréder expressément ; il peut instituer à son choix un ou
plusieurs de ses enfants , qui sont , dans ce cas encore ,
héritiers siens et nécessaires^^.
Ce testament est un acte souverain qui met une loi
particulière au dessus de la loi générale de succession ab
intestat ; aussi le testament romain , dans sa forme primi-
tive, était-il revêtu des solennités de la loi elle-même; le
citoyen testait dans les Comices. Les Comices par curie
étaient convoqués , deux fois l'an , pour cet acte de sou-
veraineté.
Si le citoyen romain est sous les armes , prêt h com-
battre pour la République , il trouve dans l'armée, compo-
sée de citoyens, l'image des Comices ; il teste devant ses
compagnons d'armes et ses concitoyens , in procinctu.
Le testament est une Loi ; de là plusieurs conditions
nécessaires :
24 Gaius, II. 153. Post mortem teslaloris prolinus liber et hœres esl.
25 Sui heredes.... necessarii vero ideo dicuntur quia omnimodo,
velint nolintve, tam ab inteslalo quam ex lestamenlo haeredes fiunt.
(Gaius, II. 157.)
CHAP. I. DROIT DES XII TABLES. SECT. II. 71
1° Le testament est écrit, et doit être fait uno contextu;
car ce qui est fait par des comices interrompus est non
avenu';
2° Le testateur doit être capable au moment du testa-
ment, puisque c'est dans ce moment solennel qu'une loi
est faite , et que la confection de la loi suppose la plus
grande capacité, celle du législateur ou du souverain :
nulle dans ce moment , elle ne pourrait valoir par aucun
événement postérieur ; c'est la règle Catonienne , ou la
règle de nullité radicale à laquelle s'est attaché le nom de
Caton ;
3" Le testateur doit être capable au moment de la
mort , puisque la loi n'est exécutoire qu'après son décès ,
et que le législateur doit avoir persévéré dans sa volonté
pour qu'il y ait exécution ; mais , pour persévérer dans
une volonté législative , il faut être capable de volonté
jusqu'au moment suprême;
4° L'héritier institué doit exister, doit être une per-
sonne certaine et capable, ou participer au droit de la
Cité au moment du testament, afin que les Comices
puissent apprécier et confirmer la volonté du testateur^^ ;
5" L'héritier doit être capable au moment du décès ,
parce que la loi faite pour les citoyens romains ne peut
être réclamée ou exécutée que par des citoyens capables ;
6** Le testament doit commencer par l'institution d'hé-
26 Les trois premières règles sont restées dans le droit romain
comme essentielles; la première, uno contexlu, n'est pas suivie dans
le Droit français pour le testament notarié , mais pour la suscription du
testament mystique. {Arl. 971. 72. 76.)
La quatrième règle a été modifiée , en droit romain , quant aux pos'
Ihumes, après la désuétude du testament calatis comiliis.
72 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
ritier, qui en est le fondement (caput et fundamentum) ; les
dispositions, les affranchissements, les legs particuliers
en tirent leur force ^^.
7" Le citoyen a le choix ou de laisser le règlement de
sa succession ab intestat à la loi générale de la Cité , ou de
dicter sa loi particulière ( legem condere. ) Mais ces deux
lois ne peuvent s'exécuter en même temps : l'une exclut
l'autre ; de là venait la règle que le citoyen ne peut mou-
rir testât et intestat : l'unité est imposée à l'hérédité testa-
mentaire ou légitime , qui est le grand moyen d'acquérir
per universitatem ^^.
Les testaments calatis Comitiiset inprocinctu sont les plus
anciennes formes de tester , en temps de paix et en temps
de guerre. Le droit civil des XII Tables a trouvé une au-
tre forme en faveur du citoyen qui, hors des murs de
Rome, ou pendant l'intervalle des Comices par curies,
était pressé par la crainte d'une mort prochaine^®. Le
27 Cette sixième règle a conservé toute sa valeur, sauf la place de
l'institution dans le testament. La priorité de l'institution , caput lesta-
menli, était encore le droit au temps de Gains (ii. § 229. ) Celle de
l'institution de l'esclave , cum libertale, a été modifiée. La liberté a
été supposée dans l'institution même. {Inst. Jusl.) Elle n'a plus eu
besoin d'être exprimée formellement.
28 La règle fondamentale qu'on ne peut mourir partie testât et partie
intestat, a cessé positivement dans le testament militaire, sous l'Empire.
Elle peut aussi cesser d'être applicable , ex post facto, par l'effet de la
sentence du juge, quand il y a eu exercice de la plainte d'inofficiosité,
et que l'héritier n'a réussi qu'à l'égard de l'un des institués.— Celui qu'
a intenté la'plaintejvient à l'hérédité jure sanguinis. {D. V.-2-I5, 24.
29 Gains, ii. § 102. Si jubila morte urgebatur.
G. Hugo ( Histoire du D. R. ) pense que ce mode fut introduit en fa-
veur des affranchis, auxquels l'accès des anciens comices par curies
était très-difficile. Selon lui, les affranchis , quoique citoyens romains,
n'auraient pas^eu, dans les premiers temps , la faculté de tester. Les
CHAP. IV. DROIT DES XII TABLES. SECT. II. 73
Romain peut tester, par ce troisième mode , en employant
la forme solennelle de la mancipation. Alors il agit comme
père ou comme maître : il vend son patrimoine solennel-
lement à Xemplor familiœ , qui est son héritier institué ,
et auquel il impose ses volontés, soit en les exprimant
oralement (nuncupatio) , soit en lui remettant des tablet-
tes qui les contiennent , en présence de cinq témoins ,
citoyens romains , et du libripens qui , dans les premiers
temps , était peut-être pontife ou patricien. Cette forme
contractuelle de tester, plus libre et plus facilement à la
disposition de tous les citoyens , ingénus ou affranchis ,
fut employée d'abord , de préférence , par la classe plé-
béienne; elle ne gênait en rien la faculté de révocation ,
malgré son apparence de contrat et d'institution contrac-
tuelle ; elle devint la forme générale de tester selon le
Droit civil. Elle trouvait sa sanction dans la Loi des
XII Tables , laquelle déclarait improbes et indignes du droit
de témoigner et de tester les témoins , le libripens refusant
leur témoignage ^", et condamnait le faux témoin à être
précipité du haut de la Roche Tarpéienne ^'.
comices par curies , placés sous l'influence des pontifes , ne s'ouvraient
pas aux affranchis, comme aux autres citoyens, pour changer la loi
civile d'hérédité ab intestat , favorable aux droits des patrons. Le tes-
tament per CBS et libram aurait été trouvé en vue des affranchis , à qui
la Loi des XII Tables aurait enfin accordé le droit de tester , tant dé-
siré par eux. — Ce sont là des conjectures auxquelles les textes man-
quent complètement. — M. Guérard ( 1840) (Essai sur VHist. du droit
privé des Rom. ), suppose que le testament per œs et libram a eu deux
âges , l'un avant, l'autre après la Loi des XII Tables; mais sa supposi-
tion tient à l'idée fondamentale de son livre , qu'il y avait deux espèces
de droit civil, deux cités dans Rome. (Essai, p. 465. )
30 Tab. VIII. 22. Improbus et intestabilis.
31 Aulu-Gell., XX. I. e Saxo Tarpeio. Cic, Off. m. 29. Fidem in
Capitolio.
74 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
Montesquieu rattache l'origine du testament romain à
la Loi des XII Tables. Les historiens qui regardent cette
Loi comme une transaction entre les deux Classes riva-
les, indiquent aussi le testament comme une conquête de
la révolution plébéienne ^^. G. Hugo rapporte aux temps
primitifs de Rome le testament calatis Comitiis et in pro-
cinctu. — La distinction d'origine clairement marquée par
Gaius entre les testaments calatis Comitiis, in procinctu ,
et le testament per aes et libram , résout à nos yeux toute
la difficulté dans le sens de cette dernière opinion. « Deux
espèces de testament, dit le Jurisconsulte, existaient au
commencement, imtio ; une troisième espèce s'y joignit
ensuite, accessit deinde tertium genus Ces deux pre-
mières formes tombèrent en désuétude : le testament per
œset libram fut seul conservé dans Tusage des citoyens : »
Telles sont ses expressions. [Il — § i02]. — Or, le tes-
tament per 3es et libram, tous les historiens le consta-
tent, est né du Droit des XII Tables : les testaments anté-
rieurs , les formes connues ab initia , devaient donc exis-
ter avant les XII Tables, et remontaient aux Comices par
curies, les seuls Comices des premiers siècles de Rome.
IV. — Nous avons vu les enfants ou petits -fils, na-
turels et adoptifs, soumis à la puissance du père ou de
l'aïeul. C'est la famille immédiate, en ce sens que tous
ces descendants sont placés sous la puissance directe ou
immédiate du chef de famille. — Là se trouve aussi , à son
origine , l'agnation romaine. Tant que l'auteur commun
existe, tous, pères et enfants, frères, oncles et neveux
32 Montesq., liv. xxvii,ch. uniq. — M, Michelet , Hist. rom., 1.
123. 128. — Gans, traduit td., p. 335.
CHAP. IV. DROIT DES XII TABLES. SECT. II. 75
sont soumis à la puissance de l'aïeul qui ne les aura pas
émancipés. Nés auprès du père commun ou pour le père,
adcnati ^^, ils sont étroitement unis par ce lien de soumis-
sion à la puissance paternelle : entr'eux ils sont Agxats ;
ils portent le même nom ; et tous les membres de la famille
qui, si le chef était encore vivant, seraient soumis à sa puis-
sance , conserveront dans la suite le caractère d agnats.
Ainsi , l'aïeul et le père étant morts , les enfants devien-
nent sui juris^ et les fds peuvent devenir souches de nou-
velles familles ; mais agnats d'origine , et selon le Droit
civil, ils conservent le caractère d'agnation tant qu'ils
restent dans la famille ^^. Ils sont agnats entr'eux, et par
rapport aux frères de leur père , c'est-à-dire à leurs on-
cles paternels (patrui) ; leurs enfants , fils de frères ou
cousins (^[ratres pafriieles), sont agnats entr'eux et par
rapport aux enfants et descendants de leurs oncles pa-
ternels^^. Tous sont parents par les mâles du côté de
33 On les appelait adgnali, adcnati , par contraction des mots ad euin
nali. Les parents maternels étaient appelés cognali{cuin ea nali. ) Quasi
commune nascendi inilium habuerint, dit Labéon (D. xxxviii. 8. 1.
§ 1.) — Quod quasi una communiterve nali, vel ab eodem orti, pro-
geniti sint, dit Modestinus ;.D. xxxviii. 10. 4. § 1.) Ces étymologies
rendent bien sensible la différence primitive des agnats et des cognats »
puisque l'agnation reposait sur la puissance du père, et la cognation,
sur le rapport purement naturel de la naissance par la mère ou du côté
de la mère.
34 Patre-familias mortuo , singuli singulas familias habent ; tamen
omnes qui sub unius potestate fuerunt, recte ejusdem familiœ appel-
'abuDtur. ( Ulp., de Verb. Sig. D., l. 195. Gains, m. § 10. )
35 Les cousins du côté de la mère , les tils de ses sœurs , étaient ap-
pelés consobrini : « Qui quaeve ex duabus sororibus, consobrini , con-
sobrineeque, quasi consororini... sed fere vulgus omnes istoscommuni
appellatione consobrinos vocant. (Gains, D. xxxviii. 10. 1. § 6. )
76 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
l'aïeul paternel qui originairement avait la puissance et
qui l'aurait encore s'il vivait ; tous portent son nom.
L'agnation est par conséquent un lien naturel et civil ,
qui rattache la famille romaine à un chef commun et au
principe de la puissance paternelle.
La famille romaine, considérée au double point de vue
de la puissance paternelle et de l'agnation, se divise en
deux lignes , la ligne directe et la ligne transver-
sale , sur l'étendue desquelles chaque génération forme
un degré. L'aïeul et le père sont la base commune de la-
quelle partent les deux hgnes. Mais la ligne transversale
est double , en ce sens qu'à chacun des Chefs directs
de la famille , l'aïeul , le père , se rattache une série
transversale de générations qui représente l'agnation. La
Loi des XII Tables comptait l'agnation jusqu'au dixième
degré ^^; le tableau suivant figure la famille jusqu'au
sixième.
2
AVUS. "
1
PATEB.
i
3.
Patruus.
4.
Patruelis. 2.
Frater.
1.
Filius.
5.
Patruelis filius. 3.
Fratris filius.
2.
Nepos.
6.
Patruelis nepos. 4.
5.
6.
Fratris nepos.
Fratris pronepos.
Fratris abnepos.
3.
4.
5.
6.
Pronepos.
Abnepos.
Atnepos.
Trinepos.
La puissance paternelle s'exerce sur la ligne directe
36 Instit. m. 6. 5. « Adgnationis quidem jure , admitti aliquem ad
» haereditatem etsi decimo gradu sit, sive de Lege XII Tab., sive de
» Edicto quœramus. »
CHAP. IV. DROIT DES XII TABLES. FECT. II. 77
dont les degrés successifs constituent la famille , dans le
présent et dans l'avenir; l'agnation s'exerce sur la ligne
transversale des oncles paternels et de leurs descendants,
et sur la ligne transversale des frères et descendants de
frères.
La puissance paternelle fonde, comme on l'a vu, l'hé-
rédité du premier ordre, ou des héritiers siens; l'agnation
fonde le second ordre d'hérédité , celui des agnats. Quand
le citoyen meurt intestat et sans héritiers siens, l'agnat
le plus proche est l'héritier appelé par la loi des XII Ta-
bles ^^; il est aussi le tuteur légitime, à défaut de tuteur
testamentaire, si le chef de famille a laissé des enfants ou
petits-enfants impubères.
Le citoyen pubère , sui juris , ayant la capacité natu-
relle et civile de se marier, est investi par cette raison de
l'exercice de tous ses droits ; et d'après la Loi des XII Ta-
bles, le mineur pubère n'a pas de curateur, à moins
qu'il ne soit prodigue ou furieux, L'agnat le plus proche
est le curateur légitime (custos) du furieux ou du prodi-
gue. Il a la garde de sa personne et la pleine adminis-
tration du patrimoine^*. Le curateur est légitime ou ho-
noraire, c'est-à-dire donné par la loi ou le magistrat; il
ne peut pas être imposé , comme le tuteur, par le testa-
ment du père de famille ^^.
37 Proximus adcnatus familiam habeto. — ( Tab. V. 4. Gaius,
III. §11.)
38 Tab. V. 7. Gaius , i. 209. Ulp. , Frag. xii.
39 Les interprètes en ont donné pour raison que le testament romain
a pour objet essentiel de créer un droit relatif à la personne, un droit
tout personnel , VinstiluUon dliérilier. Or, le tuteur est donné princi-
palement à la personne du pupille; mais le curateur est donné surtout
78 LIV. 1. — ÉPOQUE ROMAINE.
La Cognation, c'est-à-dire la parenté par la mère
ou les personnes du sexe féminin , formait une parenté
purement naturelle, qui n'avait rien de commun avec
l'agnation ou la parenté civile. Le fils de la sœur n'était
pas censé naître dans la famille à laquelle appartenait ou
avait appartenu sa mère; l'oncle maternel (avunculiis)
n'était donc pas un agnat par rapport au fils de la sœur.
Entre l'oncle maternel et ses neveux, ou leurs descendants,
il y a seulement la cognation ; et la Loi des XII Tables ne
reconnaît aucun droit d'hérédité dans la ligne transver-
sale des cognats. Ceux qui naissaient suivaient la famille
de leur père et non celle de la mère ; c'était là le principe
constitutif de la famille civile : « Qui nascuntur, patris non
y>matris famiiiam sequuntur^^. »
Passons à la Gens et aux Gentiles.
Y. — La famille n'est pas constituée seulement dans
le présent et en vue de l'avenir ; elle existe aussi ou peut
exister dans ,1e passé. L'aïeul , le père , qui sont devenus
la souche d'une famille, pouvaient tenir eux-mêmes à
une race, c'est-à-dire, en droit civil, à une Gen^ plus ou
moins ancienne dont ils portaient le nom. La gens est la
famille antique, primitive, toujours ingéime ou pure de
servitude , qui a donné son nom générique aux familles
particulières issues d'elle, lesquelles, en se multipliant,
aux biens , et la nomination du curateur devait être confirmée par le
magistrat. Il serait plus simple de dire , avec les jurisconsultes romains,
en semblable occurrence : Non enim de omnium quœ a majoribus con-
slilula sunl ratio reddi potest. ( Julianus.)
40 Gains, i. § 156.— Plus tard, le mot cognalio fut appliqué à toute
parenté paternelle ou maternelle.
CHAP. IV. DROIT DES XII TABLES. SECTION II. 79
se sont distinguées de la race génératrice , par un sur-
nom de famille ou de branche.
L'agnation , comme on l'a déjà dit, est fondée sur la
puissance paternelle; elle unit tous ceux qui seraient
placés sous la puissance du même chef de famille, s'il vi-
vait encore, et par conséquent tous ceux qui, dans le Ta-
bleau généalogique de la famille romaine , sont placés en
ligne transversale au dessous de ce chef de famille,
I'aïeul , que nous prenons pour point de départ.
Au dessus de l'aïeul, sont le bisaïeul (proavus), le tri-
saïeul (abavus), le quadrisaïeul (atavus), etc. , qui ont pu
avoir plusieurs enfants, lesquels, en se mariant, ont pu
devenir des souches de nouvelles familles , et constituer
des lignes transversales absolument semblables à celles
que nous avons vues partir de l'aïeul et du père, et repré-
ter l'agnation. Mais ceux dont les lignes transversales se
rattachent au bisaïeul, au trisaïeul , etc., n'ont jamais été
certainement, et n'ont jamais pu être sous la puissance de
l'aïeul , qui appartient aux générations subséquentes. Ils
ne sont donc pas des agnats , par rapport aux parents des
degrés inférieurs , mais ils font partie de la race antique,
delà GENS; ils sont des ge>tile>.
Ainsi , le Tableau généalogique doit se diviser en deux
parties. Au dessus du tableau qui commence à l'aïeul, on
peut en tracer un autre , qui partira de V Atavus ou Trl-
tavus (sixième dans la ligne ascendante) , et qui aura des
séries transversales de même étendue. Eh bien! l'aïeul,
dans ces tableaux superposés , formera le point de par-
tage entre l'agnation et la gentilité : tout ce qui sera au
dessous de lui , il l'aurait sous ,sa puissance (sub unius
potestale) , s'il vivait encore ; tout ce qui sera au des»us
80 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
de lui serait évidemment en dehors de sa puissance. Or,
c'est la possibilité ou l'impossibilité de soumission à la
puissance du même chef de famille qui est le caractère
distinctif donné par Ulpien , et qui fait la véritable sépa-
ration de l'agnation et de la gentilité. Tous les parents
qui formeront ligne transversale à partir de /'aïeul, repré-
senteront Xagnation; tous ceux qui formeront ligne trans-
versale au dessus de /'aïeul , représenteront la gentilité.
Ce partage dans l'arbre généalogique de la famille ro-
maine est fondé sur les textes de Cicéron , de Gaius ,
d'Ulpien et de Paul, Le texte de Paul est tellement pré-
cis, qu'il ne peut même laisser aucun doute : « Agnati autem
sunt cognati virilissexus, pervirilem sexum descendentes , sicut
filius fratris, et patruus , DEINCEPS ET TOTA succESSio*' ».
Prenomen sera le nom de l'individu , JSomen le nom de
41 Paul , Sent. iv. 8. § 13. Collât, leg. Mosaïc. et Roman., tit. 15.
C. 3. § 13.
Cicéron définit les Gentiles : « Qui inter se eodem nomine sunt ; qui
ab ingenuis oriundi sunt; quorum majorum nemo servitutem servi-
vit ; qui capite non sunt deminuti. ( Topic. 6. )
Il ne parle pas de la soumission à la puissance paternelle comme élé-
ment de la Gentilité, caractère marqué par Paul, Gaius , Ulpien, quand
il s'agit de l'agnation. — L'Agnation et la gentilité ne peuvent donc
pas être confondues comme elles l'ont été par l'ingénieux auteur d'un
Système nouveau ( M. Obtolan, dans ses Insliluls.)
Gaius I. § 156 : Sunt autem agnati per virilis sexus personas ce.
gnatione juncti, quasi a pâtre cognati, velutifrater eodem paire natus,
fratris filius, neposve ex eo; item patruus et patrui filius et nepos ex
eo. (id. III. § 10.)
Ulpien, D, l. 16. 195. § 2, de Verb. Signif. : Communi jurefamiliam
dicimus omnium agnatorum ; nam etsi , patre-familias mortuo , sin-
guli singulas familiam habent, tamen omnes qui sub umls potestate
FUEEUNT, recte ejusdem familise appellabuntur, qui ex eadem domo et
genlc proditi sunt.
CHAP. IV. DROIT DES XII TABLES. SECT, II. 81
la race, Agnomen le nom ou surnom de -la branche, de la
famille spéciale, CognomenXe snvnom possible de l'individu.
Dans Publius Cornélius Scipio Africanus, Publlus sera le
prénom de l'individu , Cornélius le nom de la race , Scipio
le nom de famille , Africanus le surnom héroïque de l'in-
dividu. Le vainqueur de Carthage sera donc indiqué
comme appartenant à la famille des Scipions et à la race
Cornélia, qui, outre la famille des Scipions, contenait
celles des Lentullus, des Dolabella, des Rufinus et plu-
sieurs autres. La gexs sera , par rapport aux diverses fa
milles, ce que le genre est par rapport aux espèces ; aussi
le mot genus est-il employé souvent pour gens , notam-
ment par Cicéron , par Festus *- ; et Cicéron , qui em-
ployait indifféremment l'une ou l'autre expression , a
donné du genre une définition également applicable à la
notion de la ge>s, telle que nous venons de la détermi-
ner : « Le genre est ce qui embrasse deux ou plusieurs
» parties semblables entre elles par un caractère commun,
» mais différentes par quelque chose de particulier. » La
GENS^ la race, est aussi ce qui embrasse plusieurs familles,
toujours ingénues , semblables entre elles par l'origine ,
le nom , la communauté des sacrifices {sui si miles commu-
nione quadam ) , mais différentes par le nom et l'agnation
de chaque famille spéciale (speci^ autem différentes)*^,
42 Cic. de Leg. 1.8. — Festus , « Genîilis dicitur et ex eodeni gc-
» nere ortus, et is, qui simili nomine appellatiir, ut ait Cincius : Gen-
» tiles mihi sunt, qui meo nomine appellantur. » (Lib. vu , éd. IMul-
LER, 1839.)
43 Gcnus autem est quod sui similes communione quadam , specie
autem différentes , duas aut plures complectitur partes. (De Oral. 1.
42. ) — Il faut remarquer que c'est en parlant du droit civil, pour eu
déterminer la méthode , que Cicéron donne cette définition ; et la dé-
T. I. (i
82 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
De là il résulte que les membres de la race , les gen-
tiles , dont l'ancienne généalogie s'est continuée par les
parents mâles et paternels , doivent venir dans l'ordre des
droits de famille et de succession après les agnats ; c'est
ce que veut la Loi des XII Tables : « Sei adcnatos nec
ESciT , GeiNTiliS familiam nancitor**. » — Par hypo-
thèse, dans la famille de P. Cornehus Scipion l'Africain ,
ce n'est qu'à défaut d'agnats dans la famille des Sci-
pions*^, que les gentils, les Cornélius Dolabella ouLen-
tulus*®, viendront à la succession selon leur degré de pa-
renté et de proximité. — A défaut d'agnats, les Gentils
auront aussi la tutelle des impubères et la curatelle des
furieux et des prodigues^''.
finition spéciale qu'il a présentée ( dans ses Topiques ) sur les gentiles
rentre parfaitement dans cette notion : le nom commun de plusietirs fa-
milles , Vorigine toujours ingcnue , le mainlien dans la famille civile ,
sont des caractères généraux, et forment le genj-e^ par rapport aux fa-
milles diverses qui tiennent de loin à la même souche. Cette notion est
celle suivie et développée sur la gens par Sigonius , dans ses Annota-
tions sur Tite-Live, iv. 1. note 4. ( Til. Liv. cum perpeluis Sigon. et
Gronovii. nolis, BoUerd., 1679, Elzev. )
44 Tab. V. 5. Cic, de Invent., ii. 50. Gains, Inst., m. 17.
Paraphrasis : Si agnatus non erit , tum gentilis hères esto.
4r» C'est-à-dire à défaut de frères ( ou sœui-s ) , d'oncles paternels ,
de fils de frères ou d'oncles.
46 C'est-à-dire les descendants mâles des grands-oncles , des propa-
Irui , des palrui maximi.
47 Tab. V. 7. — Pour la curatelle , le fragment de la Loi des XII Ta-
bles s'explique formellement. Quant à la lulelle, elle se prouve par une
induction certaine , fondée , 1» sur l'argument a majori : si les gentils
sont curateurs, à défaut d'agnats, à plus forte raison doivent-ils être
tuteurs ; 2» sur le principe en vertu duquel ceux qui ont la succession
doivent avoir la charge de la tutelle ; 3" sur l'ordre dans lequel Gaius
'i'occupait des gentils La lacune existe précisément dans la partie où
i! Iraite de la tutelPe légitime. (1. 164. 16-5.)
CHAP. IV. DROIT DES XII TABLES. SECT. II. 83
Ainsi donc , chaque père de famille , qui laisse des en-
fants, fait souche (stirps) par rapport à ceux-ci , héritiers
siens et nécessaires^^; chaque père de famille qui laisse
plusieurs enfants laisse des agnats dont la ramification à
venir sera plus ou moins étendue ; mais chaque père de
famille ne fonde pas une Gens qui lui est antérieure et qui
ne peut avoir de racine que dans le passé. — Ce ne se-
rait , du moins, qu'après un long temps et lorsqu'il serait
devenu par l'écoulement des âges une souche très-an-
cienne , stirps antiquissima ^® , qu'il pourrait être regardé
comme l'origine d'une race.
iNous avons considéré les enfants et petits-enfants en
puissance, les agnats, les gentils; il faut aussi- détermi-
ner spécialement le rang que la femme occupait dans la
constitution de la famille.
YI. — La fille ou femme romaine, civis romana , était
toujours en puissance ou en tutelle.
Elle était placée sous la puissance du père, ou sous la
puissance du mari.
Non mariée, et sous la puissance du père ou de l'aïeul,
elle était au même rang que ses frères; mariée, mais non
placée in manu , d'après le mode exceptionnel de mariage
reconnu par la Loi des XII Tables, elle restait dans la
famille de son père et sous sa puissance. Dans l'un et
l'autre cas, si le père mourait intestat ^ elle était, comme
48 C'est dans ce sens quMl est dit qu'entre héritiers siens, nepotes vel
pronepotes, qui succèdent au lieu de leur père, l'hérédité se partage ,
non in capila , sed in stirpes.
49 Cicéron se sert de cette expression , en parlant de la souche de sa
famille. (Z)efiep.,i. 6.)
Si LTV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
ses frères, au nombre des héritiers siens, et au nombre
des héritiers siens et nécessaires, si elle était instituée
par le testament paternel.
Elle était aussi placée parmi les agnats; toutefois, elle
avait cette qualité par rapport seulement aux agnats con-
sanguins, c'est-à-dire aux autres frères et sœurs ^^ : elle
partageait leur droit de succession ; il y avait égalité;
mais au-delà du degré des consanijtiins ^ l'hérédité ne lui
appartenait plus , bien que sa propre succession fût dé-
férée aux agnats jusqu'au dixième degré ^*.
Mariée avec le consentement du chef de famille, elle
entrait, selon le droit commun , dans la famille du mari.
Elle ne pouvait plus compter alors parmi les héritiers
siens de son père; elle était sous la puissance du mari,
50 Gains , m. § 10 : Qui eodem pâtre nati sunt fratres, agnali sibi
sunt, qui etiam consanguinei vocantur.
51 Gaius, III. §§ 14. 18. 23.— Paul , Sentent., iv. § 22 , dit : « Fe-
» minœ ad hereditates légitimas ultra consanguineas successiones non
» admittuntur. Idque jure civili, Voconiana ratione, videtur effectum. »
De là naît la question de savoir si c'est par application de la loi Voco-
nia [585] que le droit civil fut fixé sur ce point. M. Blondeau (t. 2 ,
Inst., p. 297) rapporte un passage, d'après unMS. (B. R.Paris, 4403)
qui prouve que le texte plus haut cité des Sentences de Paul n'est pas
une base invariable sur laquelle on puisse bien fonder une opinion.
Mais nos arguments viennent d'une autre source, de Gaius lui-même :
1» Le passage de Gaius, m. § 14, dit : Noslrœ vero her éditâtes ad fc-
minas ultra consanguinearum gradum non perlinenl. Il ne fait nulle
mention de la loi Voconia. Il la cite ailleurs sur d'autres points : pour-
quoi ne l'aurait-il pas citée à ce sujet, si le droit relatif aux femmes
était venu de cette loi ou de son interprétation ? — Au surplus , une
preuve péremptoire résulte des §§ 18 et 23 : dans ce dernier, c'est
directement à la Loi des XII Tables que se rapporte la succession au
degré de consanguinité : NiMljuris ex lege habent. (Voir ci-dessous
noire exposition de la loi Voconia, ch. v, sect. 2, § 1.)
CHAP. IV. DROIT DES XII TABLES. SECT. II. 85
qui avait sur elle la puissance paternelle; qui pouvait,
devant ses proches , prononcer sur sa vie et son hon-
neur , et même la vendre comme son enfant ou son es-
clave ^^. — Le mari, père de famille, suijuris, se don-
nait-il en adrogation? — Le mari, fils de famille, alieni
juris , était-il donné par son père en adoption? — La
femme suivait la condition du mari ; elle entrait dans la
nouvelle famille; l'union était indivisible^^.
Mais l'union n'était pas indissoluble , sauf dans le ma-
riage des Flamines majeurs^*. La puissance, à laquelle
la femme était soumise , contenait en elle le droit de
répudiation : elle aurait pu , sous forme de vente , pro-
duire indirectement une répudiation tout arbitraire,
L'Histoire cependant n'en a conservé aucune trace ; et la
pureté des mœurs antiques devait y résister^^. Mais le
52 Tacite : Prisco instituto , propinquis coram de capite famaque
conjugis cognovit. [Annal., xiii. 32, anno U. R. 811.)
Gaius, I. §§ 117-118 : « Omnes liberorum personae, sive masculini,
» sive feminini sexus , si in potestate parentis sunt , mancipari ab lioc
» eodem modo possunt , quo etiam servi mancipari possunt : idem ju-
» ris est in earum ptrsonis quae in manu sunt. »
53 Individuam vitae consuetudinem continens. {Inslit., de Nupt.)
54 Plutarch., in Quaest. rom., n» 49.
C'est Domilien qui le premier a permis le divorce en ce cas. ( Diele-
rie. Trechell, sur Brisso?j , de Rilu nup. , Briss. Op. min. p. 297. )
55 Gaius, i. § 118. — Savigny , Traité du droit romain, i. p. 255.
La pratique de cette faculté de répudiation s'est , au contraire , con-
servée dans les mœurs de la basse classe en Angleterre ; l'homme du
peuple , récemment encore , comme on le sait , conduisait sa femme
au marché et la mettait en vente ; c'était un mode de divorce toléré
parles magistrats. On en attribue l'origine à des usages transmis par
les anciens Bretons. (V. V Angleterre ^ par M. Pillel, ch. 34. ) Or, dans
le droit celtique (comme je le ferai voir au ne livre ) , il y avait puis-
sance abffolue du mari.
86 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
mari pouvait exercer la répudiation ou le divorce pour
cause déterminée, savoir : l'adultère, l'intempérance, la
tentative d'empoisonnement à l'égard des enfants, la substi-
tution de part ^^ , et même la stérilité de l'épouse , comme
le prouve le divorce de Carvilius Ruga , vers l'an 320 ,
le premier dont l'histoire ait transmis le souvenir^'''.
Le divorce, dans ces anciens temps , pouvait être ré-
clamé par le mari seuP^. La cause alléguée était exa-
minée dans un Conseil de parents ou d'amis qui consti-
tuait le Tribunal domestique {jndicinm de morikis) . Le mari,
en cas d'adultère, jugeait seul sa femme, en présence des
parents de celle-ci ; pour les autres causes déterminées ,
il la jugeait avec sept d'entr'eux : distinction fondée sur
la nature du sentiment qu'inspire l'adultère au cœur du
mari. Nul que lui ne peut être vraiment juge de la gran-
deur de l'outrage et de la jiécessité de rompre le lien
profané ^^.
56 Denys d'Halic. , liv. ii. ch. 2G. Cic.,Orat. 1. 40 ; Philipp. ii. 28.
Dig. 24. 2. 1. (Gaius) : La fornmle était : Tuas res libi habelo.
Pothier (ad Leg. Tab. ) pense que le mari pouvait répudier pro lu-
bilu. Il serait possible que la détermination de cause vînt des Lois
royales ou de l'usage.
57 Aulu-Gell. , liv. iv. ch. 3. Valère-Maxime, ii. 1, n» 4.
Montesquieu blâme l'exagération des auteurs qui disent que pen-
dant 500 ans il n'y eut pas dé divorce, xvi. 16.
58 Gravina, liv. ii. ch. 29, de divortiis, fragment de la Loi des
XII Tables : « Si mulieri repudium mittere volet , causam dicito , ha-
» rumce unam » ( source douteuse). ( OUo., Thés, jur., t. iv. p. 10.)
59 Les parents étaient au nombre de sept, pubères, citoyens ro-
mains, suivant la loi Julia. — Brisson, ad legem Juliam, de adult.,
cap. 28. — Tacit. , Ann., xiii. 32. — D. xxiii. 4. 5 : « Judicio de
» moribus quod anteaquidem in autiquis legibus posituni erat.... » —
CHAP. IV. DROIT DEi XII T.IBLES. SECT. II. 87
La femme, placée sous la puissance maritale, était, en
«as de survie, au nombre des enfants ou des héritiers
siens du mari. Si le mari intestat ne laissait pas d'enfants,
la femme encore avait la qualité d'héritier sien. La qualité
légale de fille du mari, étendait ses effets sur la succes-
sion des enfants communs et même sur la succession des
enfants du mari seul. Ainsi, la mère prenait part, comme
sœur , à la succession de ses fils prédécédés; et, consé-
quence rigoureuse , la seconde femme du mari , noverca ,
prenait aussi la part de sœur dans la succession des fils
du premier lit^^.
La mère , soumise pendant le mariage à la puissance
paternelle ou maritale , assimilée, après la mort du mari,
à ses propres enfants, ne pouvait évidemment, à aucune
époque de sa vie , participer à la puissance paternelle , soit
à fégard des personnes , soit à l'égard des choses. — Elle
ne pouvait adopter, précisément parce qu'elle ne pouvait
avoir la puissance paternelle.
Le Législateur des XII Tables tenait toujours la fille
ou la femme romaine en état de subordination et d'infé-
riorité. Quand elle n'était plus en puissance , elle était en
D. XXIV. 3. 15 , § 1. — Id. 1. 39. — Cod., v. 17. 11. § 2 : Judicio de
moribus sublato. — Montesq. , yii. 10.
D'après Tite-Live (39. 18) les femmes convaincues d'avoir pris part
aux crimes des Bacchanales furent livrées à leurs parents ou à leurs
maris, cognalis , aut in quorum manu essenl, pour qu'ils les fissent
exécuter en particulier : Ut ipsi in privalo animadverlerenl in cas.
(An. 566.)
60 Gaius , lîi. § 14 : Sororis autem nobis loco est etiam mater , aut
noverca quœ per in manum conventionem apud patrem uostrum jura
filiae consecuta est.
88 LIV. I. — EPOQUE ROMALNE.
tutelle. La tutelle des femmes était perpétuelle, à cause
de la faiblesse de leur sexe, propter levlfafem animi. Les
Vestales seules en étaient exemptes. — La tutelle était tes-
tamentaire ou légitime.
Le père de famille ou le mari avait le droit de pourvoir,
par testament, à la défense de la fdle ou de la femme, soit
en nommant le tuteur testamentaire, soit en laissant à la
femme le choix de son tuteur, appelé alors tuteur optif^\
A défaut de tutelle testamentaire , ou à son expiration ,
la fdle ou la veuve était soumise , par la Loi des XIÏ Ta-
bles, à la tutelle de son agnat le plus proche ^^.
Il était permis aux agnats , tuteurs légitimes des fem-
mes , aux frères , par exemple, tuteurs de leurs sœurs, de
céder à d'autres la tutelle devant le magistrat. Si le tu-
teur cession naire venait à changer d'état ou à mourir, la
tutelle revenait au cédant; si ce dernier mourait ou subis-
sait la petite diminution de tète, la tutelle se retirait du ces-
sionnaire, et revenait à l'agnat qui occupait le degré sub-
séquent^^.
La femme esclave, affranchie par son maître, était
soumise à la tutelle légitime du patron. — La fdle ingé-
nue, émancipée par son père, était soumise à la tutelle lé-
gitime du parent émancipateur. La tutelle légitime des pa-
61 Gaius , I. §§ 148. 154. La faculté laissée à la femme était absolue
ou restreinte. Dans le premier cas , la femme avait le droit de se choi-
sir un nouveau tuteur pour chaque circonstance ; dans le second , elle
pouvait faire cette option une ou deux fois , selon la volonté exprimée
par le testateur.
62 Gaius , I. §§ 144. 14.5. 157 : Quantum ad Legem XII Tabularum
attinet, etiam feminae agnatos habebant tutores.
63 Gaius, I. §§ 169. 171 : In jure cedere — tutor Cessicius.
CHAP. IV. DROIT DES XII TABLES. SECT. 11. 89
trons et des parents émancipa teurs n'était pas moins forte
que celle des agnats; elle a même conservé plus long-temps
sa force. Ainsi , à l'époque où la tutelle testamentaire et
celle des agnats étaient affaiblies par les mœurs, les patrons
et les parents émancipateurs ne pouvaient être contraints,
par le magistrat, à autoriser les filles affranchies ou éman-
cipées à faire un testament ; ils ne pouvaient être con-
traints à autoriser l'aliénation des res mancipi , ou l'obli-
gation personnelle de la femme, à moins d'une cause
très-grave , soit d'aliénation , soit d'obligation. Cette
autorité avait été accordée et maintenue en faveur des paî-
trons et des émancipateurs , afin que l'hérédité des fem-
mes , soumises à leur tutelle , ne leur fût pas enlevée di-
rectement, ou ne leur revînt pas grevée de dettes et ap-
pauvrie des choses les plus précieuses^*,
La femme pouvait éviter la tutelle légitime par une
coemption fiduciaire , imitée de la coemption pour ma-
riage. Avec le consentement et sous l'autorité des tuteurs
qu'elle voulait éviter , elle faisait coemption, vente d'elle-
même ; l'acheteur la revendait sous certaines conditions
au citoyen qu'elle indiquait, et , affranchie par ce dernier,
elle l'avait pour tuteur fiduciaire ^^ , conformément aux
conditions stipulées. — Pour échapper à la tutelle des
agnats , la femme mariée, mais non encore in manu, pou-
64 Gaius, I. § 192 : Eaque onmiaipsorum causa, constituta sunt.
65 Gains, I. §§114. 115 : « lis auctoribus coemptionera facit; deinde
» a coemptionatore remancipata ei /rwi ipsa velif ; et ab eo vindicta
» manumissa , incipit eum habere tutoreni , quo manumissa est : qui
^) tutor fiduciarius dicitur. » — Ce sont ces tuteurs que Cicéron dit avoir
été inventés pour être placés sous la puissance des femmes, (pro Mur. 12.)
90 LIV. 1. — ÉPOQUE ROMAINE,
vait faire la coemption fiduciaire avec son mari : alors
elle prenait auprès de lui sa place de fille de famille.
La femme étant toujours soit en puissance, soit en tu-
telle, ne pouvait avoir le droit de tester. C'est au citoyen
suijuris et pubère (par conséquent affranchi de la tutelle),
que les XII Tables accordaient le droit de dicter la loi tes-
tamentaire, uti legassit , ita jus esto. Mais, au moyen de
la coemption faite sous l'autorité des tuteurs légitimes,
et par l'effet de l'affranchissement conditionnel et de la
tutelle fiduciaire , qui en était la suite , la femme pubère
acquérait la faculté de faire testament. N'étant plus sou-
mise à la tutelle des agnats , elle n'était plus en état de
pupiliarilé. Vendue sous la condition d'un complet affran-
chissement , avec la seule réserve d'une tutelle fiduciaire ,
qui n'était ni la tutelle légitime des agnats , ni la tutelle
légitime des patrons, la femme vraiment sui juris n'était
plus incapable de tester^*^. «Autrefois, dit Gaius, te moyen
était le seul qui put conférer à la femme la capacité de tes-
ter ; et cette forme d'affranchissement n'a cessé que sous
Adrien®"^. » Les intérêts de fagnat le plus proche, tuteur
et en même temps héritier présomptif de la femme, étaient
66 Si l'affranchissant avait été regardé comme ayant le droit de pa-
tronage , la femme n'y aurait rien gagné , car le patron , tuteur légi-
time , ne pouvait être contraint , même par le Préteur, a consentir à ce
que la femme fit soii testament, comme on l'a dit avec Gaius, i. § 192 :
« Sane patronorum et parentum légitimée tutelse vim aliquam habere
» intelliguntur , eo quod hi neque ad testamenlum faciendum, neque...
» auctores ûeri coguntur »
67 Gaius, I. 115. a. Sed hanc necessitatem coemptionis faciendse
ex auctoritate divi Hadriani senatus reraisit.
CHAP. IV. DROIT DES XII TABLES. SECT. II. 91
garantis par la nécessité de son consentement. Il ne de-
vait pas consentir facilement à être dépouillé, par un tes-
tament, des droits que la loi lui assurait sur la succession
future de la femme soumise à sa tutelle. Dans tous les
cas, il ne pouvait se plaindre de la disposition; car on au-
rait fait, à son égard, une saine application de la règle,
qui deviendrait fausse par trop d'extension, volenli non
fit injuria. — La forme à^ affranchissement étant tombée en
désuétude, la règle fondamentale resta , que la femme en
tutelle ne pouvait tester qu'avec l'autorisation du tu-
teur *^^
VII. — Nous avons considéré les éléments personnels
de la famille ; il faut constater maintenant une grande loi
dans la constitution de la famille romaine , savoir , la su-
bordination des rapports réels aux rapports pef sonnets , en
matière d'hérédité légitime.
Les rapports i-éels, c'est-à-dire ceux qui concernent la
transmission légitime des biens, sont toujours subordon-
nées aux rapports personnels , c'est-à-dire au maintien de
la personne dans la famille civile.
I** La qualité de fds de famille, alieni jiiris , est fondée
sur la puissance paternelle; et, par conséquent, si le fils
est mis , par fémancipation , hors de la puissance du chef
de famille , il n'a plus sa qualité première ; il devient père
68 Gaius, II. § 113. Elle pouvai tester après douze ans. Plusieurs
Coutumes de France ne permettaient à la femme mariée de lester
qu'avec l'autorisation du mari. Bourgogne (tit. 4, art. 1); Tsivernais
(ch. 23, art. 1) ; Bourbonnais (art. 216); TSormandie (art. 4, 7); Bre-
tagne (art. 619); Cambrai (tit. 7, art. 13); Tournay (tit. 14, art. 6, 7);
Arras(86).
V. Obs. sur la Coût, de Bourgogne. Bouhïer , i. ch. 19.
92 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
de famille , sui juris ^'^; ou s'il est donné en adoption , il
passe sous la puissance du père adoptif. N'étant plus dans
la famille , il ne peut plus être au nombre des héritiers
siens. Le droit des XII Tables défère l'hérédité ab intestat
aux héritiers siens , c'est-à-dire aux enfants en puissance
qui viennent de leur chef, per capita, et aux petits-enfants
ou descendants d'un fils prédécédé ou émancipé, qui vien-
nent par représentation de leur père*^^. Sont réputés hé-
ritiers siens les enfants seulement qui se trouvent sous la
puissance du défunt, au temps de sa mort, et les des-
cendants qui ne doivent pas , à la mort du chef de fa-
mille, retomber sous la puissance de leur propre père''.
Le petit changement d'état qui résulte de l'adoption ou
de l'émancipation , suffît donc pour rompre , à l'égard de^
l'adopté ou de l'émancipé , le lien de la famille civile et
de la succession des sui et necessarii. Les enfants de l'é-
mancipé , restés en puissance , sont héritiers siens à la
place de leur père. Les enfants du fds de famille ne sont
pas héritiers siens de l'aïeul : ils sont exclus par la pré-
sence de leur père , sous la puissance duquel ils doivent re-
69 Pater-familias appellatur qui in domo dominiuni habet , recteque
hoc nomine appellatur , quamvis filium uon habeat ; nou enini solam
personam ejus , sed et jus demonstramus. Denique et pupilluin pa-
trem-familias appellamus ; et cum pater-familias moritur , quotquot
capita ei subjecta fuerunt singulas familias incipiunt habere ; singuli
patrum-familiarura nomen subeunt; idemque evenil in eo qui emanci-
palus est ; nam et hic sui juris effectus propriam familiam habet.
(Ulp., D., de Verb. Sig. 195.)
70 Gaius, III. §§7.8. Non in capita , sed in stirpes hereditates di-
vidi.
71 Instit. Just. , III. 1. § 2. Ita démuni nepos neptisve , pronepos ,
proneptisve suorum heredum numéro sunt, si prœcedens persona
desierit in potestate parentis esse.
CHAP. IV. DROIT DES XII TABLES. SECT. II. 93
tomber. Si le fils en puissance est institué par son père, il
est héritier sien et nécessaire; mais si l'émancipé est institué
héritier , il est compté au nombre des héritiers externes.
Il a, par conséquent, le droit de faire ou de ne pas faire
adition d'hérédité, car il n'est plus héritier sien et né-
cessaire'^.
2" L'agnation est fondée , comme on l'a vu , sur le
principe de la puissance paternelle. Lorsque un agnat
subi' la petite diminution de tête, par adoption ou par
émancipation , le lien de fagnation est rompu ; car si le
chef de famille vivait , cet agnat ne serait plus sous sa
puissance. Ce dernier a donc cessé d'être agnat; il est
hors de k famille; il n'a plus droit à l'hérédité légitime
et à la tutelic des agnats. — Cette hérédité est déférée
aux agnats du degré le plus proche , par tête et non par
souches. Il n'y a pas lieu à représentation entre ceux du
même degré, par exemple, entre les enfants de plusieurs
frères '^^. Si l'agnat ne veut pas accepter l'hérédité, il n'y
'■a pas dévolution au degré subséquent '"^.
3" La gentilité est fondée sur les rapports entre la race
A première et les familles qui en sont successivement is-
sues ; elle a aussi pour appui , dans son origine lointaine ,
72 Gaius , II. §§ 161. 162. Liberi nostri qui in potestate non sunt
heredes a nobis institut! sicut extranei videutur.
73 Gaius , i. § 158. 163. Id. m. § 16 : « Quod si defuncti nullus frater
exstet, sed sint liberi fratrum , ad omnes quidem hœreditas pertiuet ;
sed quaesitum est si dispari forte numéro sint nati , ut ex uno unus vel
duo, ex altero très vel quatuor, utrum in slirpes dividenda sit hereditas,
sicut inlcr suos heredes juris est, an potius in capila; jamdudum ta-
men placuit in capita dividendam esse hereditatem. »
74 Plus tard , le préteur accorda la possession de biens , unde cognali.
( Voir cil. V , deuxième période : Droit prétorien. )
94 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
le lien civil de l'agnation, qui doit se maintenir à travers
les âges. Le lien est rompu si un citoyen passe dans une
famille de race différente , ou s'il sort de la famille par
l'émancipation. La petite diminution de tête suffit pour
faire perdre les droits de gentilité "^^ , comme dans les au-
tres rapports de la famille romaine , parce que la raison
civile peut rompre les liens civils"^®. Pour la gentilité,
comme pour l'agnation , c'est au degré le plus proche ,
sans représentation ni dévolution au degré subséquent ,
que l'hérédité est déférée.
Ainsi tout se tient dans l'organisation de la famille
romaine et de l'hérédité légitime. Les rapports réels
sont subordonnés aux rapports personnels ; en sortant de
la famille civile , par quelque cause que ce soit , on rompt
en même temps les rapports personnels et réels.
Mais la volonté du citoyen, Chef de famille, investi de
la puissance absolue de tester , peut troubler , dans ses
effets , la corrélation établie entre l'hérédité et l'état
des personnes. Le droit du citoyen , dans la liberté de
tester reconnue par les XII Tables , l'emporte sur le
droit de la famille , tel qu'il est constitué par là loi. L'hé-
rédité testamentaire est préférée à l'hérédité légitime.
Le citoyen , membre de la souveraineté dans la Cité ,
75 Cicéroa le dit expressément dans sa définition , Topic. 6 : « Gen-
tiles suut : qui eodem inter s'e sunt nomine.... qui capile non sunt de-
minuli. »
76 Gains , i. § 158 : Quia civilis ratio civilia qiiidem jura corrum-
perepolesl, naluralia vcro non potest. Gains dit dans ce § 158 que la
cognatiou n'est pas changée par la diminution de t(Ue , mais Yognalion;
il ne parle pas de la gentilité. La lacune relative à la gentilité est entre
les ^^ 164 et 165.
CHAP. DROIT DES Xll TABLES. SECTION II. 95
est souverain absolu dans sa famille. Le droit individuel
de l'homme l'emporte sur le droit collectif de la famille
civile ou naturelle ; et ce principe de liberté testamen-
taire , de pouvoir individuel , forme l'un des caractères
distinctifs du Droit romain , dans l'histoire du Droit des
nations.
L'hérédité , testamentaire ou légitime , est la conti-
nuation de la personne ; c'est un moyen aussi de conti-
nuer le culte domestique, les sacra domùs ; mais si les hé-
ritiers siens, les agnats, les gentils, ou les héritiers in-
stitués négligent l'exercice de leurs droits , l'hérédité
elle-même et les choses héré;litaires peuvent être usuca-
pées pro lieredé par le possesseur, qui s'en |empare , soit
avant l'immixtion des héritiers siens ou nécessaires , soit
avant l'adition d'hérédité des héritiers externes. L'usu-
capion est acquise au possesseur , par une grande et pri-
mitive apphcation de la possessiOxN annale chez les Ro-
mains. Cette règle du droit antique était établie pour
rendre promptes les aditions d'hérédité , prévenir l'inter-
ruption des sacrifices privés, et donner aux créanciers une
personne contre laquelle ils pussent poursuivre leurs
droits"'^; elle était, aussi, favorable aux agnats et aux
gentils du second degré, qui pouvaient trouver dansl'usu-
capion pro herede un remède contre le défaut de dévolu-
tion du degré le plus proche au degré subséquent , et qui
n'étaient pas ainsi totalement privés du secours de la
loi , avant l'institution prétorienne de la succession widè
cognaii.
77 Gaius , II. §§ 54. 55. 56. Adrieu a supprime ceUe usucapion , sauf
quand il y avait des héritiers nécessaires.
96 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
VIII. — Les héritiers siens, les agnats, les gentils,
c'est là ce qui constitue la famille romaine , considérée ,
selon la Loi des XII Tables, dans ses éléments fonda-
mentaux.
Mais la famille comprenait aussi des éléments acces-
soires : c'étaient les esclaves , les enfants in mancipio , les
affranchis , les enfants émancipés ; et si la puissance pa-
ternelle formait l'unité de principe dans l'ordre fonda-
mental , la puissance dominicale formait aussi l'unité de
principe dans l'ordre accessoire de la famille romaine.
Il y avait unité de puissance pour faire sortir de la
servitude les esclaves , les enfants placés in mancipio, et
de la famille, les enfants soumis au pouvoir du père ou
de l'aïeul ;
Il y avait identité de moyens pour l'action de cette
puissance dominicale ;
Il y avait identité de droits sur la personne des esclaves
affranchis et des enfants émancipés.
Les esclaves sont compris sous le nom générique de
famille''^. Ce que le père pouvait envers les esclaves, il
le pouvait envers ses enfants , patri licebat in fiUos quod
in servos. Il avait également le droit de vendre les uns
et les autres , et le droit de les revendiquer comme
sa chose "^^ ; les enfants pouvaient être mancipés par le
même mode que les esclaves ^*^, — Si le père avait le
78 Servitutem quoque solemus appellare fainilias.
Familiœ appellatio omncs servos comprehendit, sedet^/» contiaen-
tur. ( Ulp., 1. 195. D. de Verb. Signif.)
79 D. VI. I. 1. § 2 : Filium.... ex lege Quiritium vindicareposse.
80 Eodem modo quo etiani servi maucipari possunt. {Gains, i. § 117.)
Eodem modo serviles et liberœ personae maucipautur. {Gains ^i. § 120.)
CHAP, IV. DROIT DES XII TABLES. SECT. II. 97
droit de vendre ses fils, de les livrer in mancipio , il avait
aussi le droit de les affranchir ; et l'émancipation du fds
n'était, en définitive, qu'un affranchissement. Vendu
par son père une première fois , le fils affranchi par l'a-
cheteur rentrait sous la puissance paternelle ; vendu une
seconde fois et affranchi de nouveau, il retombait sous
cette puissance; vendu une troisième fois, il était libre
du pouvoir paterneP* . Il ne pouvait plus être in potestate,
mais il était in mancipio. Celui qui l'avait acheté du père
le possédait in causa mancipii ^^ ; il avait sur lui le droit
du maître , quoique le fils mancipé ne fût pas entière-
ment assimilé à l'esclave aux yeux de la Cité. — Le man-
cipé pouvait, en effet, obtenir sa liberté par le Cens,
malgré le possesseur ^^ ; et , dégagé d'une servitude pas-
sagère , il reprenait les droits d'ingénuité. Hors ce cas
d'affranchissement par l'intervention directe du magis-
trat , le fils placé in causa mancipii était affranchi comme
l'esclave, par les modes ordinaires , la Vindicte, le Cens,
le Testament^*, et celui qui l'avait affranchi devenait son
patron. Si donc le père voulait se réserver le droit d'af-
franchir son fils , et d'exercer le patronage , à la troisième
vente il imposait la condition de fiducie à l'acheteur, qui
81 « Sr PATER FILIUM TER VENUM DUIT , FIDIUS A PATRE LIBER ES-
TO. « {Tah. IV. 3. — Vlp., Frag. x. 1. Gains, 1. §§ 132. 141. iv. 79.)
82 Gaius, II. § 160. S'il était institué liéritier, il était, comme l'es-
clave, héritier nécessaire.
83 Gaius, 1. § 140 : Invito eo, cujus in mancipio sunt libertatem
Censu consequi possunt.
§ 141. Adversus eos, quos in mancipio habemus , nihil nobis contu-
meliose facere licet.
84 Gaius, I. § 138 : li qui in causa mancipii sunt, quia servorumloco
habcnlur, vindicta, censu, testamento mauumissi, sui juris fmnt.
T. 1. 7
98 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE,
s'obligeait à lui faire la rémancipation du fils^''. Par la
rémancipation , le père possédait lui-même son fils in
mancipio , et alors il pouvait , par la Vindicte , l'affranchir,
comme son esclave et devenir son patron. De ce droit pri-
mitif de ventes successives, et de cette institution du
rnancipium à l'égard des enfants vendus en vertu de la
puissance paternelle , est venue l'émancipation qui se fai-
sait par trois ventes fictives et non interrompues, par la
rémancipation et par laffranchissement devant le magis-
trat*^. Le fils sortait par ce dernier affranchissement de
l'état de mancipation , ex mancipio ; il était enfin émancipé.
L'Emancipation, dans sa forme symbohque, avait ainsi
conservé l'identité de la puissance paternelle et de la puis-
sance dominicale.
Elle était employée pour rendre le fils de famille sa»
juris; elle était employée aussi comme préalable néces-
saire dans l'adoption, pour faire passer le fils, alieni ju-
ris, d'une famille dans une autre. L'adoption se compo-
sait de deux actes essentiels : la triple mancipation, qui
éteignait la puissance dans le père naturel , et la vindica-
tion , faite devant le magistrat par l'acheteur, c'est-à-dire
par le père adoptif réclamant le fils contre le père natu-
rel, qui le détenait encore après la troisième mancipa-
tion*''. Cette vindication fictive devant le magistrat s'ap-
pelait injure cessio, et les formes de l'adoption se compo-
85 « Quem pater ea Icge mancipio dédit ut sibi remancipelur. »
( Gaius, I. § 140.)
86 S'il s'agissait d'une fille ou d'un petit-fils, une vente seule suffi-
sait, avec la rémancipation et l'affranchissement.
87 Aut jure mancipatur patri adoptivo vindicanti filium ab eo apud
quem in tertia maucipatione est. ( Gains , i. 133. )
CHAP. IV, DROIT DES XII TABLE^. SECT. II. 99
siient ainsi des formes combinées de l'émancipation et de
la cessio injure. — Le père adoptif ne pouvait ensuite faire
sortir de sa puissance l'enfant adopté que par l'émanci-
pation dans les formes ordinaires , ou par une seconde
adoption réunissant les solennités combinées®*.
L'unité de puissance , à l'égard des esclaves affranchis
et des enfants émancipés, produit deux corollaires im-
portants, quant aux droits de succession et de tutelle.
i^" COROLLAIRE : Le maître qui affranchit son esclave
a le droit de patronage. La Loi des XIÏ Tables accordait
au patron le droit d'hérédité à l'égard des affranchis morts
sans hériliers siens ou sans héritiers testamentaires*^. Les
enfants du patron ou ses descendants succédaient à son
droit d'hérédité légitime. Le patron et ses descendants
avaient aussi la Tutelle légitime de faffi'anchi impubère
ou de l'enfant impubère qui lui avait survécu ^^ ; les fils
du patron étaient dits tuteurs légitimes , car si le père
n'avait pas affranchi l'esclave , celui-ci , à la mort du
maître , aurait été sous la puissance de ses enfants , hé-
ritiers siens.
88 Gaius, I. § 61 : Quum vero per emancîpatioaem adoptio disso-
lutasit
89 Gaius, I. § 165 : Ad patronos liberosve eorum pertinere. — m.
§ 40 : Ita demum Lex XII Tabularuni ad hereditatem liberti vocabat
patronum , si m(esfa(MS raortuus esset libertus, nullo sao haeredere-
licto.
Ulp., Frag., tit. xxvii. § 1 : Libertorum intestatorum hœreditas pri-
mum ad suos bseredes pertinet ; deinde ad eos quorum liberti sunt ,
velut patronum, patronam, liberosve patroni. » (id., tit. xxix. § 1. )
90 La tutelle était dite légilime, bien qu'elle ne fut pas formellement
établie par la loi des XII Tables, mais parce qu'elle en était descendue
par inlerprétalion et comme si elle avait été introduite par la loi elle-
même. (Inst. JusL I. 17.)
'ÏOO LIV, 1. — ÉPOQUE ROMAINE,
2° COROLLAIRE : Le droit de patronage , par interpré-
tation de la Loi des XIÏ Tables, appartenait également,
pour la tutelle et X hérédité légitimes , au parent émancipa-
teur (manumissor) et à ses fils , sur la personne et les biens
de l'émancipé ®^ ; seulement , les fils du parent émancipa-
teur étaient nommés, en droit, iuienvs fiduciaires^^. Les
enfants impubères, émancipés, ne pouvaient directement
retomber sous la tutelle légitime de leurs frères , consi-
dérés en qualité d'agnats , puisque l'émancipation, petite
diminution de tête, rompait fagnation. Les frères étaient
donc appelés à la tutelle de leurs frères émancipés par
suite d'une réserve ou d'une clause dé fiducie que l'on pré-
sumait avoir eu lieu au moment de l'émancipation ; de
là leur nom de tuteurs fiduciaires.
Le. droit de patronage sur la personne des affranchis
et sur leurs successions était identique au droit d'agna-
tion dans la constitution de la famille. Les patrons et leurs
enfants occupaient la place des agnats à l'égard de l'af-
91 « Et tune, exedicto prœloris, in hujus filii vel filiae, vel nepotis,
vel neptis bonis, qui qiiaeve a parente manumissus, vel manumissa
fuerit , eadem jura prœstantur parenti quœ Iribuunlur patrono in bonis
liberti. Et prœterea si impubes sit fîlius, vel filia, vel cœteri, ipse pa-
rens ex manuraissione lulclam ejiis nanciscilur. {Inst. Jtcst. i. 12. 6. )
Ad legitimam successionem vocaturetiam parens qui contracta fiducia
filiuin , vel filiam , nepotem , vel neptem ac deinceps émancipât. ^{Id.,
III. 2. 8.)
92 Gaius, I. §§ 172. 175. Le jurisconsulte dit(§ 166) : Exemplopa-
tronorum quoque fiduciaria tulela rcperta est ; ce qui semblerait s'ap-
pliquer au titre même du paient émancipateur , qui serait appelé alors
tuteur fiduciaire. Cependant on voit (§§ î72. 175) que le père éman-
cipateur est regardé comme tuteur légitime, et au surplus, quel que
soit son titre , non minus huic quam palronis honor prœslandus est.
(172.)
CHAP. IV. DROIT DE^ XII TABLEE. SECT. II. iO\
franchi, qui, né récemment à la vie civile, ne pouvait
pas avoir encore d'agnats par le sang. C'était une agna-
tion secondaire , créée à l'image de la grande agnation
fondée sur les droits de consanguinité °^.
Cette assimilation était toute logique, car l'affranchi
était vraiment associé à la famille du patron. L'affranchi
prenait les noms du patron , en y ajoutant son nom indi-
viduel. Les droits d'hérédité des patrons et de ses en-
fants étaient, comme ceux des agnats, suhordonnés à la
condition que l'affranchi n'aurait pas laissé àliéritiers siens
ou serait mort sans testament. — Les affranchis formaient
ainsi une partie accessoire à la famille , qui existait dans
le présent et s'étendait vers l'avenir.
Mais pouvaient-ils faire partie de la race, de la gens?
Evidemment non, puisqu'ils n'avaient pas de famille dans
le passé. Ils naissaient à la vie de citoyen , à la vie de
famille par l'affranchissement; ils n'avaient de racine que
dans la famille civile et l'agnation représentée par le pa-
tron et ses enfants. Leur souche unique était dans le pa-
tron qui les avait affranchis ^* ; ils ne pouvaient pas re-
monter plus haut : car plus haut , il n'y avait pour eux
que la servitude , que la négation même de l'existence
93 Vinnius, Inst., lib. m. tit. 8. Legem XII Tab. non alio jure pa-
tronum censuisse , quain agnatorum. (Comment. 1.)
94 L'affranchi qui avait appartenu à deux maîtres et qui avait deux
patrons , ne pouvait pas avoir deux souches; aussi sa succession ne se
dirisait pas entre les enfants des deux patrons in stirpes , mais par tête
in capila. — C'est ce que nous apprennent Ulpien , Frag., tit. xxvii.
§ 4 , et Paul , Reg., sent, m 2. § 3 : « Libertorum hœreditas in capila
non in slirpcs dividetur ; et ideo si unius patroni duo sunt liberi , al-
terius quatuor, singuli viriles, id est , aequales portiones habebunt. »
102 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAIKE,
civile. N'ayant point de passé dans la famille, ils n'avaient
pas de race, ils étaient sine gente, selon l'expression
d'Horace ^^. — « Sont Gentiles , ceux qui sont nés de
parents ingénus , dit Cicéron , et dont les ancêtres n'ont
jamais subi la servitude. »
Les affranchis ne pouvant avoir cette qualité de gen-
tils , ne pouvaient participer , dans l'ordre civil , au droit
de gentilité : ce qui composait le Gentilicium jus de la Loi
des XII Tables leur restait nécessairement étranger®^.
Ils ne pouvaient exercer ce droit ni en subir les effets,
car ce droit était fondé sur des liens de famille, qui ont
pour caractère la réciprocité. Il n'y avait donc, par rap-
port à eux, ni hérédité , ni tutelle ou curatelle des gen-
tils. Il y avait à leur égard droit de patronage et conti-
nuation du droit de patronage dans la ligne directe et
descendante, soit du patron , soit de l'affranchi ; il y avait
droit de souche et d'agnation , mais il ne pouvait y avoir,
ni activement ni passivement, droit de gentilité.
Cicéron rappelle, précisément à l'égard d'un affran-
chi, la différence ancienne du droit de souche et du droit
de gentilité , stirpis ac gentilitatis^^. — Dans l'ingé-
nieux système d'un savant professeur, les affranchis n'ont
95 Horat., Sat. ii. 5. v. 15. Ailleurs il ait generosus et non libertinus ,
et l'on sait que les écrivains latins employaient indifféremment gens
ou gcnus.
96 Gaius, m. 17, emploie cette expression de gentilicium j:ts, pré-
cisément après avoir dit que la Loi des XII Tables appelait les gentils
à l'hérédité , à défaut d'agnats : preuve certaine que la loi ne confon-
dait pas les uns et les autres dans la même notion.
97 Cic, de Orat., i. 39 : Quid? Qua de re inter Marcellos et Clau-
dios patricios Centumviri judicaruut , quum Marcelli ab liberti fllio
stirpe , Claudii patricii ejusdem hominis hereditatem , gente ad se re-
CHAP. IV. DROIT DES XII TABLES. SECT. II. 103
jamais la qualité de Gentiles , mais les membres de la
famille affranchissante , les descendants du patron , sont
Gentiles à l'égard des descendants d'affranchis, malgré
l'absence de toute réciprocité dans le lien civil. La con-
tinuation du droit de patronage^ dans les lignes directes et
descendantes du patron et de l'affranchi, est ainsi trans-
formée en droit de gentilité. — Nous ne pouvons pas
présenter ici une dissertation spéciale à ce sujet; mais
une raison nous paraît péremptoire pour écarter l'idée
nouvelle.
D'après la Loi des XIÏ Tables , les gentils ne sont ap-
pelés à l'hérédité qu'à défaut d'agnafs. — Il n'est donc
pas possible de les confondre en un seul ordre d'héri-
tiers : ils forment deux ordres distincts de succession;
et ces deux ordres d'héritiers sont distincts , parce que
les lignes de parenté sont différentes , ainsi qu'on l'a vu
dans l'organisation de la famille romaine. Or, dans le sys-
tème de M. Ortolan , le droit de succession , qui s'appelle
Droit de Patronage, à l'égard du patron et de ses des-
cendants succédant à l'affranchi , s'appelle Droit de Gen-
tilité quand les descendants du patron succèdent à ceux
de l'affranchi. Mais comment l'ordre d'hérédité aurait-il
pu changer , puisqu'il n'y a pas eu changement de ligne^
et seulement de degrés? Cette transformation , dans la
même ligne, est contraiiVà la nature des choses^^.
diisse dicerent ; nonne in ea causa fuit oratoribus de tolo stiepis ac
GENTILITATIS jure dicendum?
Ernesti , dans son Index latinitatis ad Cicer. , dit très-bien : Siirps ,
seu familia , pars genlis.
98. Sur les deux systèmes de Niebuhr et de M. Ortolan , nous avons
fait une dissertation spéciale dans la Revue bretonne, t. m, p. 83.
loi LIV. I. — ÉPOQUE R03IAINE.
IX. — Nous avons analysé la famille romaine sui ge-
neris ; nous n'avons encore tenu aucun compte de la dis-
tinction des familles patriciennes et plébéiennes.
Il faut, cependant, apprécier les effets de cette distinc-
tion aristocratique, consacrée par la Loi des XII Tables.
La Loi des XII Tables avait prohibé le mariage , ou le
connubium entre patriciens et plébéiens ; elle avait main-
tenu la barrière élevée par les moeurs et par l'aristocratie
des temps antérieurs ^^.
Cette prohibition empêchait les droits de famille de se
communiquer entre patriciens et plébéiens.
En effet, leyMsco/i»w6«7 entraînait, 1^ la puissance pa-
ternelle ; %^ l'agnation ; 3" la gentilité ; 4° l'hérédité légi-
time ou ab intestat ; 5" la tutelle et curatelle légitimes. —
Par cela même que le connubium n'existait pas entre les
deux classes , il y avait entre elles séparation dans l'ordre
civil , puisque les patriciens à l'égard des plébéiens ,
comme les plébéiens à l'égard des patriciens , ne pou-
vaient avoir ni la puissance paternelle , ni les droits d'a-
gnation ou de gentilité , ni les droits d'hérédité ou de
tutelle légitimes , résultant des justes noces. *
Toutefois , cette séparation n'était pas absolue entre
les deux classes : il y avait entre elles des liens possibles
et légitimes, par l'institution du patronage et des clien-
tèles , par le droit d'adoption et d'adrogation , et enfin
par le droit de testament.
L'institution du patronage patricien était , comme on
l'a vu plus haut , un lien à la fois politique et civil entre
les deux classes de citoyens.
99 Tab. XI. 1. Ne connubium patribus cum plebe. {Cic. , de Rcp. ,
IT. 37. ) Gains , ad Legem XÎI. ïab. D., de Vcrb. Sig., L. 238.
CHAP. IV. DROIT DES XII TABLES. SECT. II. 105
L'adoption pourait forjner un lien civil entre une fa-
mille patricienne et une personne d'une autre origine.
L'adrogation établissait le lien de famille entre l'adro-
geant , l'adrogé et les enfants de l'adrogé. C'est par l'effet
de cette institution , civile et politique à la fois, que les
Gentes patriciennes purent comprendre dans leur sein des
familles ou des branches d'origine plébéienne, mais in-
génue. La GENS Claudia, par exemple, comprenait les
Marcellus d'origine plébéienne et les Claudius d'origine
patricienne ^^^.
Le droit de tester pouvait étendre aussi ses effets d'une
classe sur l'autre : l'héritier institué représentait la per-
sonne du défunt. Titre de transmission héréditaire , pr
unîversitatem , le testament.était un moyen de rapproche-
ment , de communication , de transmission de patrimoi-
nes entre les familles des deux Ordres.
Ainsi , la barrière posée entre les patriciens et les plé-
béiens , par la prohibition du connubium , n'était pas telle-
ment élevée qu'il n'y eût encore entre les deux classes
des liens possibles et reconnus par le Droit des XII Ta-
bles :
Relativement aux personnes , par le patronage et l'a-
doption ;
Relativement aux familles , par l'adrogation ;
Relativement à la transmission des patrimoines , par
le testament.
Mais la distinction aristocratique , consacrée par la Loi
100 Cic, de Orat., i. 39. — Niebuhr, voulant que les Gentes soient
patriciennes , a expliqué par des mésalliances ce qui était le résultat
de Yadrogalion.
i06 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
des XII Tables , était en opposition directe avec l'esprit
de la révolution plébéienne qui avait institué les tri-
buns et réclamé des lois écrites : aussi elle n'eut pas une
longue existence dans la loi. Le principe de la révolu-
tion politique s'efforça de pénétrer promptement dans la
société civile , et la prohibition du mariage entre les pa-
triciens et les plébéiens fut abolie, en 309 , sur la propo-
sition d'un tribun, par la loi Canuleia, six ans seulement
après la promulgation des XII Tables*^'.
A la vérité, cette loi était un plébiscite, et les plébis-
cites alors n'étaient obligatoires que pour les plébéiens.
Mais après l'habile classement des citoyens dans les tri-
bus par le censeur Fabius Maximus , les plébiscites de-
vinrent , en vertu de la loi Hortensia , exécutoires pour
tous les citoyens [468]. Les rapprochements des deux
classes , favorisés par les mœurs et le partage des dignités
de la république , n'eurent plus dès lors aucun obstacle
dans la loi civile de Rome ; et Cicéron met dans la bou-
che de Scipion un hngage qui montre combien les hom-
mes éminents de l'aristocratie romaine étaient opposés
au vieil orgueil des Castes : il qualifie l'ancienne prohi-
bition de loi inique et très-inhumaine*^^.
101 Tit. Liv., IV. 1 : Anni principio et de connubio patrum et pie-
bis C. Canuleius tribunus plebis rogationem promulgavit , qua con-
taminari sanguinem suum patres , confundique jura genlium reban-
tur. (L'expression confundi jura genlium prouve, contre Niebubr,
que déjà les plébéiens avaient le jus gentis , mais séparé des gentes
pair ici œ. )
102 Cic, de Rep. , II. 39 : Duabus Tabulis iniquarum legum ad-
ditis quibus connubia ut ne Plebei cum patribus essent , inhumanis-
sima lege sanxerunt.
CHAP. IV. DROIT DES XII TABLES. SECT. II. 107
X. — Nous avons déterminé la constitution de la fa-
mille romaine :
Par son principe, la puissance paternelle et la cité, la
puissance paternelle dérivant du mariage légitime et d'in-
stitutions purement civiles;
Par ses éléjients fondamentaux , les Héritiers siens ,
les Agnats, les Gentils, la condition civile de la Femme
romaine selon ses diverses situations, — la subordina-
tion des droits d'hérédité légitime au maintien de la
personne dans la famille civile , et la supériorité de l'hé-
rédité testamentaire sur la quahté d'héritier du sang ;
Nous l'avons déterminée aussi ,
Par ses éléments accessoires , les esclaves , les en-
fants,2» mancipio, les enfants émancipés, les affranchis;
Par son élément politique , la prohibition du Connu-
bium entre les familles patriciennes et plébéiennes , ou la
distinction , maintenue par la Loi des XII Tables , entre
les deux Ordres de Citoyens , sans atteinte portée , ce-
pendant, à l'unité du droit de la Famille et de la Cité.
Passons maintenant au droit de propriété.
108 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
SECTION III.
PROPRIÉTÉ ROiMAINE (DOMINIUM EX JURE QIJIRITIIJM).
SOMMAIRE.
§ 1. — Division de VAger Romanus. — Principe du droit de propriété.
§ 2. — Division des Choses d'après le Droit civil de Rome.
I. — Res nullius, divini juris ( res sacrae, sanctae, reli-
giosse).
II. — Res nullius, humani juris (res publicse et ager pu-
blicus ).
III. — Res singulorum , vel privali juris (ager privatus, res
quse in nostro patrimonio habentur ).
IV. — Res mancipi et non raancipi.
§ 3. — Modes d'acquérir la propriété romaine , à titre singulier.
§ 4. — Modes d'acquérir per uuiversatem.
§ 5. — Propriété des Etrangers. — Dislinciion correspondante entre les
choses et les personnes .
§ l<r. DIVISION PRIMITIVE DE L'AGER ROMANUS. — PBINCiPE DD
DROIT DE PROPRIÉTÉ.
L'idée de la Cité romaine qui avait dominé la famille
s'est imposée à la propriété. Il ne peut y avoir qu'une
propriété à Rome , la propriété romaine , laquelle est
concentrée d'abord dans un étroit territoire , l'.ager ro-
manus.
Une division de l'ager romanus fut opérée dans les
temps voisins de la fondation de Rome. Une première
partie avait été consacrée au culte divin et avait formé
CHAP. IV. DROIT DES XII TABLES. SECTION III. 109
la distinction des choses divini juris , qui s'est retrouvée
dans la Loi des XII Tables et dans le Droit postérieur.
— Une seconde partie fut attribuée à la Cité , tant pour
les lieux publics , les édifices et leurs dépendances , que
comme source de revenus. Elle est le principe et des Res
pubticœ et de fAger publlcus. Les terres confisquées sur les
peuples déditices faisaient partie de ce domaine du peuple
romain * . — Enfin une troisième partie fut attribuée aux
citoyens en particulier ; et Cicéron nous apprend , au
Traité de la République , que la division fut faite par tète
entre les citoyens : Romulus... dividit viritim civibus^.
Ce mode de distribution , attesté par un écrivain aussi
grave, qui avait pu consulter les annales des pontifes^,
renverse tout le système de Yico et de Niebuhr sur l'assi-
milation du droit civil de Rome au droit féodal , sur la
distinction supposée d'une propriété patricienne et d'une
propriété plébéienne , analogue à notre division coutu-
mière des fiefs nobles et des héritages roturiers. De cette
répartition , à titre singulier, s'était formé VAgerprivatus,
qui , distribué par l'Autorité publique entre les citoyens
originaires appelés Quirites , est devenu dans la langue
du droit le dOiMinium ex jure Quiritium.
Toutefois, il faut bien le remarquer, cette source his-
1 DOMINIDM POPULI EOMANI. {GaÙtS , II. § 2.)
La formule des déditices a été conservée. {Tile-Live, i. 8. — viii. 31.
— Voir aussi les Recherches sur le droit de propriété , par
M. Giraud , i. 162.)
2 De Rep., ii. 14. (Partie découverte de nos jours par M. Angelo
Mai , traduite par M. Villemain , et précédée d'une savante Introduc-
tion.)
3 M. Leclerc a prouvé , dans son livre sur les Annales , combien
cette preuve était précieuse pour les antiquités romaines.
1 \ 0 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
torique indiquée par Cicéron ne peut porter aucune at-
teinte au principe naturel de la propriété privée , dans la
doctrine du droit romain. Un Etat, à son origine, peut
répartir, dans des vues d'intérêt public , le territoire qu'il
occupe , entre les membres qui vont former la société
nouvelle; mais l'occupation générale n'a pu constituer
un droit, que parce qu'elle était la somme, le symbole ou
la garantie des occupations particulières. L'occupation
particulière du sol par les individus , avec l'intention de
le posséder en maîtres, est la racine primitive du droit
de propriété ; c'est le droit d'occupation primordiale , le
moyen naturel d'acquérir. La libre volonté de l'homme
se mettant en rapport de puissance avec la terre , avec
les objets extérieurs , imprime à la chose le moi humain,
la fait CHOSE mienne , et dès lors sacrée comme la li-
berté elle-même : tel est le principe fondamental que le
droit civil de Rome a emprunté au droit naturel; et
Cicéron ne craignait pas d'affirmer que si les hommes
étaient conduits par la nature même à l'état de société,
les villes étaient établies, cependant , les cités et les ré-
publiques constituées pour garantir la propriété , et dans
le but surtout que chacun con. erverait sa chose , ut
SUA tenerent^.
La division première de VAger romarus , indiquée par
Cicéron, est donc une origine historique utile à recueil-
lir, mais qui ne doit pas être transportée dans la théo-
rie fondamentale du droit de propriété, comme si la
4. Cic , de Off., ii. 21 : Hanc enim ob causam maxime ut sua te-
nerent, respublicae civitatesque constitutae sunt. Nam etsi duce na-
tura , congregabantur homines , tamen spe custodiœ rerum suaruin
urbium precsidia quœrebant.
CHAP. IV. DROIT DES XII TABLES. SECT. III. 1 1 1
propriété n'avait pour principe que la volonté du corps
social.
§ 2. — DIYISION DES CHOSES , D' APRÈS LE DROIT CIVIL DE ROME. ]
La division originaire du territoire romain en trois par-
ties avait conduit à une division des choses en trois gran-
des classes : en res nullius , de droit divin ; res nul-
Lius, de droit humain, et choses de notre patrimoine.
I. — Les choses de droit divin , consacrées aux Dieux
supérieurs par l'autorité du peuple romain , res sacrée ;
à la Cité elle-même par la sanction pénale de la loi , comme
les portes , les murs de Rome , res sanct^e ; aux Dieux
Mânes par le propriétaire, qui imprimait au sol un carac-
tère religieux , en y déposant la dépouillle mortelle de
l'homme libre ou esclave, res religios^ : — toutes ces
choses étaient en dehors de la propriété des citoyens, du
jus commerça ; elles étaient imprescriptibles, et ne pou-
vaient être aliénées qu'en vertu d'une loi^.
IL — Les choses dépendant du domaine public , dont
l'usage est à tous les citoyens , comme les fleuves , les
ports , les voies publiques , res publics , sont enlevées
également au commerce , soit par leur nature , soit par
leur destination sociale.
Vager fubliciis qui , par sa nature , était susceptible de
culture , de revenus , de propriété privée , mais qui de-
5 Gaius, II. 48: Libères homines et res sacras et religiosas usucapi
non posse manifestum est.
i \ % LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
vait , par la destination de ses produits, subvenir aux dé-
penses de la République , était placé aussi en dehors de
la propriété des citoyens ; il ne pouvait être acquis par
usucapion ^ ; il était réputé inaliénable ; ii ne pouvait se
confondre dans le domaine des citoyens que de l'autorité du
peuple romain et en vertu d'une loi"^. — La possession
de l'ager publions , non converti par une loi en domaine
privé , était livrée cependant à des citoyens qui payaient
à la Cité une redevance (vecligal). Ces champs , ainsi dé-
tenus , et quelquefois usurpés par les citoyens riches , pa-
triciens ou chevaliers , sont appelés possessiones. Dès les
premiers siècles de Rome, l'équivoque et fructueuse pos-
session est reprochée aux patriciens. Tite-Live dit, en
parlant de la première proposition d'une loi agraire , faite
par Sp. Cassius : « Elle effrayait beaucoup les sénateurs,
» possesseurs eux-mêmes de ces terres , et menacés dans
» leur jouissance^. » Les puissants détenteurs des do-
maines de la République en concédaient à leurs clients
la culture précaire^; et c'est à cette concession secon-
daire, faite par les patrons en faveur de leurs clients
plébéiens , mais révocable à volonté , que Niebuhr et
Savigny ont rapporté , avec toute vraisemblance , l'ori-
gine du PRÉCAIRE , et de l'interdit de precario , destiné
6 Aggenus de Controv. agr. : Quod solum populi R. esse cœpit
nullomodo usucapi a quoquani mortaliumposse. {Ed. Goesii, p. 69.)
7 Publica res in privatim deduci potest. (Insl.^ m. 19. 2.)
8 Id multos quidem patrum ipsos possessores periculo rerum sua-
rum terrebat. {Tite-Live , ii. 41.)
Les détenteurs étaient dits avoir Vusus cl possessio.
9 Ii Patres dicti sont quia agroruni partes adtribuerant lenuioribus
perindc ac liberis. {Fesii Frag. Cod. Farn., lib. xvi, cd. Muller, p. 24G.)
CHAP. IV. DROIT DES XH TABLES. SECT. III. 1 13
d'abord à faire déguerpir le client de mauvaise volonté *°.
III. — La propriété privée , ager privatus, reposait sur
la qualité romaine , tant du fonds que du propriétaire , et
sur le caractère romain des moyens d'aliénation et de
transmission. Il faut être citoyen romain pour être pro-
priétaire, et chaque citoyen est propriétaire selon le droit
de la Cité, ou il n'est pas propriétaire. L'unité primitive
a été formellement établie par Gains : « AiU enini ex jure
» QUIRITIUM unusqiiisque dominus erat, aut non inielligebatur
» dominus. » (ii. § 40). La propriété privée a donc, à Rome,
dans la première, période du droit , un caractère unique ,
celui du DO.IIAINE QUIRITAIRE.
Et non seulement le droit de propriété , mais les droits
analogues ou accessoires , savoir, l'usufruit et les servitu-
des prédiales, sont aussi constitués ou acquis ex jure Qui-
ritium * * .
IV. — La division des choses de droit divin, de droit
10 Traité du Droit de possession, sect. l^e. § 12. 3. et § 42.
Niebuhr, Hist. rom., m. p. 199. « Par rapport aux patrons , la pos-
session des clients n'était pas moins précaire que ne l'était celle des
détenteurs envers l'Etat ; car les patrons , pour prix de leur soumis-
sion, leur concédaient une petite partie du domaine de l'État. — Ils le
concédaient, est-il dit (dans le Fragment de Festus), comme à leurs
propres enfants ( lenuioribus perinde ac libcris propriis. ) Or , la durée
de la possession que le fils tenait du père dépendait uniquement de
celui-ci. »
En droit primitif , les termes de posscssio , possessiones , possessor ,
esse inpossessione, et de precarmm , étaient relatifs à Vager publicus.
11 Le droit de superficie est une institution prétorienne , et l'emphy-
théose est une institution impériale. — Il n'en est pas question dans
le droit primitif. Vico s'est mépris sur l'emphy théose , qu'il a regardée
comme un contrat primitif.
T. I. 8
114 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE,
public , de droit privé, était générale, et pouvait embras-
ser toutes les choses , d'après leur nature ou leur desti-
nation ; mais une autre division concernait plus spéciale-
ment les biens dans leur rapport avec le domaine privé
des citoyens.
Toutes les choses immobilières, mobilières ou incorpo-
relles étaient comprises sous la division antique des res
Mancipi aut nec Mancipi^^.
Cette seconde division , consacrée par la Loi des XII
Tables ^^, a pris son origine dans l'idée de la propriété,
considérée par les Romains, d'après l'une de ses causes
primitives, la victoire ou la prise sur l'ennemi -.«Aucune
» chose , dit Cicéron , n'est dans le domaine privé par la
» nature, mais par une ancienne occupation ou par la ffc-
toire^^.y^ — MA^■CIPIUM, quod 3IANU capitur, disait Var-
ron ; mancipia vero dicta quod ab hostibus manu capiuntur,
disait le jurisconsulte Florentinus, en parlant des escla-
ves*^. Cette idée primitive, l'un des fondements du droit
de propriété , est restée dans le droit civil. « Les choses
» que nous avons prises sur l'ennemi deviennent nôtres ,
» par la raison naturelle , dit Gains : le Romain regar-
i2 Frag. Ulp., XIX. 1 : Oinnes res aut mancipi sunt , aut nec man-
cipi. (id., II. 27.)
13 Gains, ii. 47. M. Blondeau, s'appuyant sur l'opinion «l'un Savant
étranger , a cru pouvoir regarder cette doctrine comme douteuse ;
mais c'était trop de condescendance pour une opinion, et la distinc-
tion des res mancipi et non , qui est dans le texte de Gains , est mise ,
par M. Blondeau, au rang des fragments restitués des XII Tables.
^ V. Chbestomathie, p. 209,— et Jus anle Juslinianeum, Tabula v. 2^
14 II ajoute : Lege, pactione, conditio^je, sobte. ( O/f., i. 7. )
15 Varro, de Ling. lat., 85. § vi. Tlorent., D. i. 4, § 3. )
CHAP. IV. DROIT DES XII TABLES. SECT. III. 115
» dait surtout comme sienne la chose qu'il avait prise
» sur l'ennemi *^. » — De là l'antique usage de la lance,
comme symbole du droit de propriété ^^. La lance était
dressée devant le tribunal des Centumws, juges des
questions de propriété. Dans la revendication réelle ou
fictive d'une chose ou d'un esclave , on se servait d'une
baguette, image de la pique guerrière*^. L'idée de con-
quête, de prise sur l'ennemi, se retrouvait sans cesse
dans le droit de propriété romaine. Aussi le mot man-
ciPiUM a d'abord exprimé la propriété elle-même, par
l'indication de sa cause principale ; il a exprimé ensuite
le caractère supérieur , attaché aux objets les plus im-
portants, compris dans le domaine du citoyen ; et il a fini
par indiquer le moyen civil employé pour faire passer ,
d'un citoyen à un autre , le droit de propriété sur cer-
tains objets. Dans cette dernière signification , manci-
pium fijt employé pour mancipatio *^. C'est le sens qui s'at-
tache définitivement à la division des choses mancipi et
non : les res mancipi sont celles dont la propriété est
transférée d'un citoyen à un autre par la mancipation ;
les res nec mancipi celles dont la propriété est transférée
par la simple tradition. *
16 Ea quae ex hostibus capiuntur naturali ratione nostra fîunt.
{Gains, ii. 69.) — Maxime enira sua esse credebant quae ex hostibus
cepissent. ( Gains , iv. § 16. )
17 La dénomination de quiriles et de domaine ex jure quirilium tire
sa racine du vieux mot latin qnir, qniris, qui veut dire lance, selon
Vico ( Scienza nuova. )
18 Festuca autem utebantur quasi hast.e loco , signo quodam
JOSTi DOMi>-ii. {Gains, iv. § 16.)
19 Gaius, II. § 121 : Mancipalio dicitur, quia res manu capitur.
116 LIVRE I. — ÉPOQUE ROMAINE.
Le caractère des Res Mancipi s'applique aux choses
qui étaient connues des premiers Romains , et qui , par
leur nature immuable et renfermée dans un étroit ter-
ritoire, ou par leur individualité facile à reconnaître,
devenaient entre les citoyens la base d'une propriété du-
rable. — Nous devons constater ce caractère ou son ab-
sence , à l'égard des choses immobilières , mobilières et
incorporelles.
1** Les immeubles, c'est-à-dire les maisons et les fonds
de terre, compris dans l'Ager romanus, avaient seuls,
dans les premiers temps , et sous l'empire de la Loi des
XII Tables , la qualité de Res Mancipi : les autres ter-
res , situées hors de ces étroites limites , étaient Res non
Mancipi.
2° Parmi les choses mobilières {se moventes vel mobiles),
les esclaves et les animaux qui servaient à l'exploitation
des terres ou aux transports , et sur lesquels chacun
exerce, à raison de leur individualité, une propriété per-
manente, sont Res Mancipi ^°; mais les animaux sau-
vages , dont la propriété se perd dès qu'ils se sont déro-
bés à notre garde , et les animaux d'origine étrangère
inconnus aux premiers Romains, comme les éléphants,
qui étonnèrent l'armée romaine lors de la guerre de
Pyrrhus, sont Res non Mancipi. — De même, les choses
qui ne forment pas un corps certain, une individuaUté ,
mais qui peuvent se remplacer les unes par les autres, qui
se pèsent, se mesurent, se comptent, comme l'huile, le
blé , le vin , les étoffes , le numéraire , sont Res nec
Mancipi.
20 Servi et quadrupèdes qui dorso , collo domantur , velut boves ,
uiiili, equi, asini. ( Ulp., Frag. xix. )
CHAP. IV. DROIT DES XII TABLES. SECT. III. 117
Et ici l'on doit remarquer combien était judicieuse la
classification des choses mobilières parmi les Res Mancipi
aut nec Mancipi , faite par les Romains des premiers siè-
cles. Au mouvement libre et naturel de la tradition , ils
avaient laissé les objets de consommation et les signes
de valeur, ce qui constituait le commerce primitif; et,
dans la suite, par Teffet de leur division, les choses de
luxe, matière du commerce de terre et de mer, les mé-
taux, l'or, les pierreries, les diamants, les objets de tout
genre les plus précieux , se trouvèrent confondus dans la
classe illimitée des choses non Mancipi ; de sorte que la
division des Res Mancipi vel non y appliquée aux choses
mobilières, ne pouvait nullement entraver le commerce
et l'industrie des âges postérieurs , ni comprimer les be-
soins d'une. civilisation plus avancée ou plus exigeante.
3" Les choses incorporelles , en général (Jura) , comme
les droits de servitude prédiale , le droit d'usufruit , le
droit d'hérédité , les obligations ou créances , étaient con-
sidérées comme Res nec Mancipi. — Toutefois, il exis-
tait, à ce sujet, une grande distinction entre les servi-
tudes rustiques et les servitudes urbaines. Les servitudes
rustiques^*, presque aussi anciennes que la propriété des
champs , furent assimilées aux fonds de terre pour l'uti-
lité desquels elles étaient créées, et réputées Res Man-
cipi , comme les héritages eux-mêmes. — Les servitudes
urbaines , au contraire , sont considérées comme Res
non Mancipi; et cette différence, qui paraît d'abord
<lifficile à expliquer, trouve sa raison dans l'un des carac-
21. Iter, actus, via, aquse-ductus ; — aquas haustura, Jus paseendi,
arenœ fodiendae, etc.... {Inst, ii. 3.)
118 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
tères que nous avons assignés aux choses Mancipi. En
effet, les servitudes urbaines n'ont été connues à Rome
que tardivement. D'après la Loi des XII Tables , on de-
vait laisser entre les maisons un espace libre de deux
pieds et demi, ambitus^^, précaution légale qui prévenait
la plupart des servitudes urbaines ^^; et par cela même
que les servitudes urbaines n'avaient pas été connues
dès les premiers temps , elles n'avaient pas été classées ,
comme les servitudes rurales, parmi les res mancipi. On
peut en dire autant de l'usufruit , qui n'a été définitive-
ment établi dans le droit civil , comme servitude per-
sonnelle, qu'après la Loi des XII Tables^*. — Ces droits
de servitudes urbaines ou d'usufruit , ne constituant pas
des Res Mancipi, ne pouvaient être transférés par la
mancipation , comme les servitudes rustiques , mais seu-
lement par la Cession injure introduite après la Loi des
XII Tables , et applicable tout à la fois aux res mancipi
et aux choses incorporelles nec mancipi.
La Cession injure était une forme symbolique, d'après
laquelle un citoyen paraissait revendiquer contre un au-
tre , devant le magistrat , des droits de propriété , d'usu-
fruit, de servitude; l'autre citoyen ne contredisant pas,
le magistrat attribuait les droits réclamés ^^. — Le droit
22 Ambitus. — later vicinorum aedificia locus duorum pedum et se-
mipedis ad circumeundi facultaterii relictus. (Feslus.)
23 Par exemple : Le Jus ligni immillendi ; h Jus slillicidii; mêm^
le Jus luminum pris dans un sens restreint. — Gravina paraît avoir
entrevu cette raison de différence, sans la donner positivement. {De
Or t. et Prog., ii. cap. 44. )
24 G. Hugo , I. § 85. — M. Ortolan , Inst., ii. p. 294.
25 Elle était employée aussi dans l'adopfion , dans la revendication
de liberté {causa liberalis).
CHAP. IV. DROIT DES XII TABLES. SECT. III. 119
d'hérédité , chose incorporelle , pouvait être ainsi trans-
féré par la Cession injure^^. Mais les créances {obligationes)^
bien que classées par les jurisconsultes parmi les choses
incorporelles, ne pouvaient être cédées in jure : elles ne
passaient sur la tète d'un tiers que si le tiers stipulait di-
rectement du débiteur, par Tordre du créancier; ce qui
opérait novation d'obligation^''.
§ 3. — MODES D'ACQUÉRIK Là PEOPEIÉTÉ , A TITBE PABTICULIEB.
En résumant les résultats que donne l'histoire du droit,
sur la distinction générale des choses mancipi aut nec man-
cipi , et sur les moyens du droit civil d'acquérir ou d'alié-
ner la propriété, à titre singulier, on trouve, sous le Droit
des XII Tables , les six modes rappelés dans un précieux
fragment dXlpien : « La mancipation, la tradition , l'usu-
capion , la cession injure, l'adjudication, la loi^*.»
I. — La MANCIPATION s'appliquait aux immeubles ro-
mains, aux servitudes rustiques, aux choses mobilières
classées parmi les res mancipi; et la mancipation était la
forme suivie pour la transmission de propriété, par acte
entre-vifs, soit à titre onéreux, soit à titre gratuit. Dans
ce dernier cas , la mancipation se faisait causa donationis ,
et la donation entre vifs , sous cette forme symbolique ,
26 Gaius , II. § 34 : Haereditas quoque in jure cessionem tantum re-
cipit.
27 Gaius, II. §§ 38. 39 : Sine hac vero novatioae non poteristuo no-
mine agere. — Voir infra, dans ce chapitre, la sect. iv. §§ 4 et 5.
28 Singularum rerum dominia nobis acquiruntur mancipatione ,
traditione , usucapione, in jure cessione, adjudicatione , lege. xix. 2.
120 LIV. 1. — ÉPOQUE ROMAINE.
ne connaissait pas d'abord de limite légale à l'égard des
personnes. La Loi Cincia [de l'an 550] défendit, la pre-
mière , de donner au-delà d'une valeur déterminée , sauf
exception en faveur de certaines personnes ^^. Bien que le
contrat de vente, du droit des gens (emptio-venditio), se
soit introduit dans le droit romain postérieurement à la
Loi des XII Tables, il ne faut pas croire cependant que
I'emptio fût un mot inconnu à la Loi civile. Emptio était
employé par les XII Tables dans le sens générique d'alié-
nation , soit à titre onéreux , soit à titre gratuit : Lex
XII Tabularum emptioims vereo omnem alienationem
COMPLEXA VIDETUR^^.
II. — La TRADITION précédée d'une juste cause, d'un
titre onéreux ou gratuit , était applicable aux choses cor-
porelles et mobilières nec mancipi ; mais , bien que ce fût
un moyen d'acquérir du droit naturel , le citoyen romain
acquérait sur les choses mobilières, ainsi transmises, le
domaine ex jure quiritium , parce que le moyen na-
turel était sanctionné par le droit de la Cité.
III. — L'usucAPiON était applicable aux seuls immeu-
bles romains et aux choses mobilières mancipi vehion man-^
cipi. Le domaine était acquis, entre citoyens seulement,
par l'usucapion de deux ans sur un immeuble romain :
4 ** si la tradition avait été faite par le véritable proprié-
29 Frag. Vaticana ad legem Cinciam. — Voyez infra, sur la loi
Cincia, ch. v. sect. 2. § 2. n» 1.
30 D., XL. 7. 29. § 1. — Frag. Pomp.
Merlin , Questions de droit, v» Héritier, § 3. p. 337 (3» édit. ) , dit :
« Le mot EMPTOR, pris dans le sens le plus large, s'entend de l'ac-
» quéreur à titre gratuit et à titre onéreux. »
CHAP. IV. DROIT DES XII TABLES. SECT. III. 121
taire , sans emploi des formes solennelles de la manci-
pation ; 2** s'il y avait mancipation et tradition faite par
un non propriétaire en faveur d'un acquéreur de bonne
foi^*. — Les choses mobilières, mancipi aut nec mancipi ^
étaient acquises entre citoyens par l'usucapion d'un an ,
quand la tradition avait une juste cause , et le domaine
était toujours acquis ex jure Quiritium.
Les servitudes , dans les premiers temps , n'étaient pas
regardées comme susceptibles même de quasi-possession :
elles ne pouvaient donc s'acquérir par usucapion; mais el-
les se perdaient par le non-usage de deux ans; toutefois,
la servitude d'aqueduc , éteinte d'abord par non-usage ,
revivait par un nouvel exercice de deux années ^^.
IV. — La Cessio in Jure était applicable , comme la
Mancipation , aux édifices et aux fonds de l'ager roma-
nus; mais elle était seule et exclusivement employée pour
ia constitution ou la transmission , par acte entre vifs ,
des servitudes urbaines, des servitudes personnelles, et
31 Gaius, II. § 204 : Si mancipi rem tantum tradiderit , nec manci-
paverit, usucapione... pleno jure fit.
Usucapione domiaia adipiscimur tam mancipi rerum quam non
mancipi. ( Ulp. Frag., xix. § 8. — Gaius, ii. §§ 41. 43. 65. ) — Cette
règle, malgré sa généralité, ne s'applique pas aux choses immobilières
non mancipi , comme les fonds provinciaux ou étrangers.
32 D. VIII. 2. 20. 32. Ulpien.
Labéon établissait encore la règle sur la non-possession ou quasi-
possession en matière de servitude ; mais les jurisconsultes posté-
rieurs ( comme on le voit au Digeste, liv. xliii. tit. 18; liv. viii ,
tit. 2 1 reconnurent une quasi-tradition ou possession par Yusagc de la
servitude. — De là des règles différentes et très-compliquées sur la
prescription des servitudes. ( On peut consulter le savant ouvrage de
J. D'Avezan ; Servitulum liber ^ pars nona et ullima. Aureliee , 1650.
122 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
pour la cession des droits d'hérédité ou des autres droits
incorporels , sauf les créances.
V. — L'adjudication , sous la Loi des XII Tables ,
avait pour objet de faire cesser l'indivision des patri-
moines entre cohéritiers, l'indivision de la chose com-
mune entre plusieurs citoyens , volontairement associés
ou simples communistes , et l'incertitude ou les discus-
sions sur les limites des héritages limitrophes.
Les trois actions qui tendaient à ce but dérivaient
des XII Tables ^^. Gaius le dit d'abord pour l'action fa-
mi tiœ erciscundœ ^*; de plus, la Loi s'occupait expressé-
ment des consortes ou copropriétaires, entre lesquels
il fallait opérer la division (communi dividundo) ^^ ; enfin ,
elle employait le terme de jurgare pour indiquer la con-
testation des limites entre voisins. — La Loi , du reste,
avait abrogé la rigueur du Droit Pontifical sur les limites
des héritages. Selon une tradition Étrusque , celui qui
violait la hmite sacrée des héritages , impie envers le
Dieu TERME {Jupiter Terminalis) était dévoué aux Dieux,
lui et les bœufs attelés à la charrue ^^. La Loi des XII
Tables, pour prévenir le sacrilège , voulait qu'on laissât
33 Ce sont les actions : 1° Familiœ erciscundœ ; 2° Communi divi-
dundo ; 3° Finium regundorum, qui ont été qualifiées d'actions mixtes,
parce qu'elles ont pour objet la propriété et des prestations possibles;
théorie d'aclîons mixtes fort contestable ; l'action mixte est plutôt
celle qualifiée en D. R. actio personnlis in rem scripta.
34Hœc actio proficisciture legeXII Tabularum. F. Gaii. D.,x. 2. 1.
35 Festus : Ebctum , Citumque , fit inter coxsortes , ut in li-
bris legum romanarum legitur-, erctuni a coercendo dictuni.
36 Numa Pompilius statuit eum qui terminum exarasset , et ipsum
et boves sacres esse (Festus, vo Term. p 388); — etRech. sur le
droit de prop. , M. Giraud, p. 52, 119.
CHAP. IV. DROIT DES XII TABLES. SECT. III. 123
entre les propriétés rurales un espace libre de cinq pieds,
espace imprescriptible ; et quand il y avait discussion sur
les limites (jurgatio) , trois Arbitres prononçaient. Cette
disposition passait , dans l'opinion des jurisconsultes ,
pour avoir été empruntée par les Décemvirs aux lois de
Selon ^''.
VI. La LOI est indiquée comme dernier mode d'acqui-
sition. Ulpien désignait principalement ainsi le legs,
exécutoire en vertu de la Loi des XII Tables , legatum ex
Lege duodecim Tabularum^^ . C'est le legs per vindicationem
qui se plaçait sous ce mode d'acquisition. La chose du
testateur, léguée sous forme impérative et directe (do,
lego) devenait, immédiatement après l'adition d'hé-
rédité, la propriété du légataire, qui la réclamait de
l'héritier comme sienne , ex jure Quirltium^^ . — Le Legs
n'était pas cependant la seule application du mode d'ac-
quérir par la Loi. Ulpien désigne , comme exemple ,
la loi Pappia Poppaea, sur l'attribution des choses cadu-
ques et de celles enlevées aux héritiers indignes *°. Mais
37 Gaius, ad Legem XII Tabularum. — D., x. 1. 13. Scienduni est
in actione finium regundorum illud observandum esse, quod ad exem-
p!um quodammodo legis , scriptum est , quam Athenis Solonem dici-
tur tulisse.
Vid. Tabul. xii, et Tabul. vu. 2. 4.
38 UIp. Frag., tit. xix.
39. Gaius, II. § 194. Vindicare débet , id est, intendere rem suam
ex jure Quiritium esse. Sane hcte ita est ex jure civili.
§ 197. Il fallait que la chose, si elle formait un corps cerlnin, ap-
partînt au testateur au temps du testament et du décès. — Si c'était
une chose de quantité (ou chose fongible ), il suffisait que le testateur
en fut propriétaire ex jure Quirilium au jour du décès. (§ 196.
40 Lege nobis acquiritur velut caducum vel erep torium , ex lege
Pappia Poppœa. ( Ulp. Frag., xix. § 17. )
^24 LIV. ï. — ÉPOQUE ROMAINE.
l'acquisition par la Loi , moyen d'acquérir mentionné par
Cicéron ^* , antérieurement à l'existence de la loi Pappia
Poppœa, avait aussi, dans les premiers siècles de Rome,
un rapport direct à la Loi agraire , en vertu de laquelle
des terres inaliénables et imprescriptibles, dépendant du
domaine public , étaient aliénées au profit du Trésor ou
même distribuées gratuitement aux citoyens , et incorpo-
rées à la propriété privée. Les preuves de ces aliénations
et distributions sont certaines dans l'histoire de la Répu-
blique. Nous résumerons ici quelques faits, dont plusieurs
ont été déjà mentionnés plus haut :
V Des terres situées auprès du Capitole, et concédées
d'abord au Collège des prêtres , à titre de possession , fu-
rent aliénées, en vertu de la loi , dans un pressant besoin
de la cité "^^5 2° sous le consulat de Sp. Cassius [265] , fut
promulguée la première Loi agraire pour le partage de l'a-
ger publicus possédé par les patriciens "^^j 3" après la con-
quête de Véies , réunie au territoire romain [3u8] , une loi
ordonna que chaque citoyen pauvre aurait une certaine
portion de la terre conquise ; 4*" la Loi agraire fut reprise
en 377 par le tribun C. Licinius Stolon, qui fit ordon-
ner par un plébiscite , la loi licima , que nul ne pourrait
posséder plus de cinq cents jugères de terrain, et que
41 Veteri occupaiione , Victoria, Lege. (Cic, Off., i. 7.)
42 Orosius, v. 18, add. 661.
Namque eodem anno loca publica quœ in circuitu Capitolii pon-
tificibus , auguribus, decemviris et flaminibus in possessionem tradita
erant, cogente iuopia , vendita sunt. (Voir Savigny, Passes. , sect. 1.
§12.)
43 Sp. Cassius.... tune primum lex agraria promulgata est. {Tit.
Liv., II. 41. )
CHAP. IV. DROIT DES XII TABLES. SECT. III. 125
dans le partage des domaines de la République , en fa-
veur du peuple, chaque citoyen recevrait l'étendue de
sept jugères^*; 5*^ un plébiscite porté par le tribun C.
Flaminius [52 1 ] , et malgré l'opposition du Sénat , dis-
tribua aux soldats, par tète (viritim) , les terres gallo-
ROMAiiNES situées entre Rimini et le Picenum *^ ; 6** au
VII* siècle, la loi sempronia agraria, portée par T. Grac-
chus , ordonna le partage des terres publiques possédées
par les patriciens et les chevaliers , au-delà des quanti-
tés fixées par la loi Licinia; et 7" enfin J. César, pendant
son premier consulat, fit rendre une loi pour que les terres
de la Campanie fussent distribuées au peuple ^^ : Vingt
mille plébéiens participèrent au partage.
44 Varro , de Re rustica, i. 2, mentionne les deux dispositions :
seulement il pourrait y avoir doute si elles doivent être rapportées
toutes les deux au même Licinius et à la même époque.
On peut voir aussi Columella , lib. i. cap. 3.
l.ejugcrum, long de 240 pieds, large de 120, équivalait à 25 ares
28 centiares. Quatre jugères formaient 1 hectare , plus 1 are 14 cen-
tiares. (Voir les Tables de conversion de M. Bureau de la Malle , Eco-
nomie politique des Romains , t. i. p. 434. 440.)
Le jugère valait à peu près l'arpent des Gaulois. — Selon Goësius ,
l'arpent romain [arepennis] valait un demi-jugère ; il était égal à
Vaclus dwplicalus , (\m. avait 120 pieds de long et 60 pieds de large. —
AVil. Goësii Index in rei agrariae scriptores , verbis Aclus, Arepennis
jugerum.) — Mais il y a divergence d'opinion à ce sujet.
Dans les Tables qui accompagnent le Varron (édit. Panckoucke),
\o Jugerum, on dit que le jugère valait un peu moins que le demi-
arpent romain, ce qui paraît conforme à l'opinion de M. De la Malle.
45 Varro , de Re rust. , i. 2. C'est d'après les Origines de M. Caton
que Varron appelle ces terres ager gallicus-romanus. On voit par là
que l'expression de gallo-romain , que nous emploierons si souvent au
livre me, n'est pas nouvelle.
46 Caesar , in consulatu legem tulit ut ager Campanus plebi divide-
retur , suasore legis Ponipeio. iVcU. Pal. — Varro^ de Re rusl., i. 2. )
126 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
La LOI était donc , soit directement , soit indirecte-
ment , un moyen d'acquérir , dont l'application était fré-
quente sous l'empire du droit des XII Tables.
G. Hugo ajoute qu'il faut comprendre sous cette ex-
pression, LEGE, tout ce que les auteurs appellent manière
romaine d'acquérir , et dont Ulpien ne parle pas. Nous
pensons également qu'il faut donner ce sens un peu large
au mode d'acquérir par la Loi. Ainsi , dans Yarron , se
trouve énoncé un mode d'acquisition , que Cicéron pou-
vait avoir aussi en vue ; il dit : Aut si e prœda sub Corona
emil^'' . En vertu de la loi politique et par ordre du chef
d'armée, Consul, Dictateur, Proconsul, les ennemis pris
sur le champ de bataille ou après l'assaut d'une ville et
faisant partie du butin , étaient vendus à l'enchère , une
couronne sur la tête , au profit du Trésor de la Répu-
blique*^. C'était l'effet de la victoire, sanctionné par la
Loi qui ordonnait la vente et le versement du prix dans
XMrarium du peuple romain.
§ 4. — MODES d'acquérir per universitatem.
En étudiant la constitution de la famille romaine ,
47 Varro, de Rerust., ii. 10. L'acheteur était qualifié dominus
legilhnus.
48 Tite-Live, en parlant de la vente faite par le dictateur Camille ,
après la prise de Véies , dit : « Libéra corpora dictator sub corona
vendidit; ea sola pecunia in publicum redigitur. « ( v. 22. ) — César
dit aussi , dans ses Commentaires , après la défaite des Vcneli insur-
gés (les habitants du pays de Vannes) : « Omni senatu necato , reli-
quos sub corona vendidit. » ( Comm. m. ) On vendait aussi sub hasla.
Les peuples dédilices (ou rendus à discrétion) étaient à l'abri de la
vente et de la servitude.
CHAP. IV. DROIT DES XII TABLES. SECT. III. 127
nous avons indiqué les moyens de transmission qui s y
rattachent, et qu'on appelle, en dfoit, modes d'acquérir
à titre universel. Ils sont tous relatifs à la personne civile
qui passe d^ans une autre famille, ou qui continue dans
la Cité la personne du citoyen qui n'est plus. Quatre
moyens de transmission se sont présentés successivement:
I'aDROGATIOM , la MA^XS , I'hÉRÉDITÉ TESTAME^TAIRE ,
I'hérédité ab iktestat. — Nous voulons ici caractériser
seulement le principe commun sur lequel est fondée
cette transmission universelle.
1** Lorsque l'adrogé passe avec ses enfants sous la
puissance de l'adrogeant , c'est sa personne, et sa famille
immédiate qui entrent dans une famille nouvelle ; les
biens de l'adrogé ne suivent que comme conséquence.
Les biens et les charges réelles sont un accessoire qui
suit la condition du principal; et la loi sur l'adrogation
a principalement en vue les personnes.
2" Lorsque la femme , par suite du mariage , et en
vertu des modes légitimes de célébration , est placée in
manu mariti , les biens de la femme suivent comme acces-
soire ; ils sont acquis au mari per universilatem , comme
ceux de l'adrogé sont acquis à l'adrogeant : l'établissement
de la puissance absolue du mari a encore principalement
en vue la personne. — Postérieurement, lorsque la manus
étant tombée en désuétude , la femme donnait tous ses
biens en dot à son mari , ce n'était plus une transmission
de même nature, per universilatem ; elle ne regardait que
les biens ; il n'y avait pas confusion de personne civile ,
et le mari n'était tenu des dettes que jusqu'à concur-
rence de l'émolument. — Cela marque très-nettement la
i 28 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
distinction Je la succession aux biens et de la succession
à la personne ^^.
3** Quand le testateur institue un héritier et transmet
sa personne civile à l'héritier institué , il n'y a pas de
vide ou d'interruption dans l'ordre de la société civile;
la personne de l'héritier continue celle qui existait dans
le testateur ; et si l'institué n'est pas du nombre des hé-
ritiers siens ou nécessaires , mais du nombre des héritiers
externes , qui ont le droit de faire ou de ne pas faire
adition d'hérédité , I'hérédité jacente représente le dé-
funt jusqu'à l'adition ; ce que les esclaves héréditaires
peuvent acquérir est acquis à l'hérédité; celle-ci est une
personne morale qui continue la personne civile du dé-
funt. — Dans la continuation de la personne du tes-
tateur par l'héritier institué, les biens, les dettes et les
charges suivent la personne comme un accessoire. La.
personne est l'objet principal que le testateur avait en
vue dans cette grande création de sa volonté.
4" Enfin, lorsque la loi civile a reconnu l'hérédité fon-
dée sur les liens du sang , de l'agnation , de la gentilité ,
c'est encore la continuation de la personne civile que la
toute-puissance de la loi s'est proposé d'admettre , afin
qu'il n'y eût pas dans la famille et dans la société solution
de continuité. L'héritier continue ou soutient la personne
du défunt; or, la continuation de la personne étant l'objet
principal , le patrimoine , avec les charges et toutes les
dettes, repose comme un accessoire sur la personne elle-
49 D., xxiii. 23 , de Jure dotium, 72 (Paul) : « Mulier bona sua
omnia in dotem dédit , quero an maritus qucui hercs oneribus respon-
dere cogatur. Respondit a creditoribus conveniri qui non posse. »
CHAP. IV. DROIT DES XII TABLES. SECT. III. 129
même ; et comme il ne peut pas y avoir deux personnes
civiles et distinctes en une seule , il en résulte que les
biens et les charges du testateur ou de l'auteur décédé ne
font qu'uN avec les biens et charges de l'héritier institué
ou légitime.
Cette UNITÉ de personne et cette unité de patrimoine
constituent un principe essentiel, dont les conséquences
logiques et nécessaires ne pourront être arrêtées que par
des exceptions formelles, par des bénéfices résultant de
lois purement positives : le bénéfice de séparation en faveur
de Tesclave ou de l'enfant in mancipio , héritier nécessaire,
qui n'avait retiré aucun fruit des biens de Thérédité , et
en avait séparé son pécule ^^; le bénéfice A' abstention en
faveur de fhéritier sien et nécessaire^'; la séparation des
patrimoines en faveur des créanciers de l'hérédité; plus
tard , le bénéfice d* inventaire en faveur des héritiers insti-
tués ou légitimes. Mais ces exceptions et bénéfices n'ap-
partiennent pas au droit des XII Tables ; ils se sont lente-
ment produits dans la législation romaine, à des époques
plus ou moins éloignées de la période où l'unité était la
base du droit civil de Rome.
50 Gaius, II. § 160, l'appelle aussi bénéfice d'abstention, en l'appli-
quant aux enfants in mancipio qui, institués comme les eî^claves par
testament, se trouvaient héritiers nécessaires : Quum ncccssarius ,
non eliam suus hœres sit, tanquam scrvus.
51 Gaius, II. §§ 158. 160. Le préteur pouvait leur permettre de s'abf-
tenir; en ne recueillant pas les avantages de l'hérédité , ils n'en sup-
portaient pas les charges; mais ils avaient toujours la qualité d'héritier.
ZO LIV. î. — El'OnUE I1031A1M:.
§ 5. — PROPBIÉTÉ DES ÉTHANGEBS. — DISTINCTION CORRESPONDANTE
ENTRE LES CHOSES ET LES PERSONNES.
La distinction des choses mancipi mit nec mancipi, que
nous avons précédemment déterminée , ne se rapporte
pas exactement à la distinction des personnes considé-
rées en qualité de citoyens ou d'étrangers : on ne peut
pas dire , d'une manière absolue , les i^es mancipi cor-
respondent à la propriété des Romains ; les res non man-
cipi correspondent à la propriété des Etrangers. Il est
certain que le citoyen romain avait également le domaine
civil ou quiritaire sur les choses mancipi et sur les choses
mobilières non mancipi. Mais quand il s'agissait des immeu-
bles , la propriété Quiritaire était limitée aux fonds clas-
sés parmi les res mancipi, c'est-à-dire anciennement aux
immeubles compris dans l'étroite limite de I'ager roma-
isvs, qui ne s'étendit progressivement qu'à cinq Milles
de Rome. — Les fonds , situés au-delà , n'étaient plus
susceptibles de la propriété romaine, mais de la pro-
priété naturelle des étrangers. Ces terres étrangères
étaient confondues dans la classe générale des res non
mancipi , comme leurs possesseurs étaient confondus dans
la classe générale des peregrini. Quand il s'agissait des im-
meubles , la distinction des res mancipi et non mancipi cor-
respondait donc exactement à la distinction des citoyens
et des étrangers. Les res mancipi s'identifiaient, sous ce
rapport , avec la propriété romaine ; et les fonds de terre
ne pouvaient devenir susceptibles du domaine ex jure
Qîiirilium , que par une participation au droit de la Cité , ^
CHAP. IV. DROIT DES XII TABLES. SECT. III. 131
par une incorporation, au moins fictive, à \ Ager romanus ,
par une introduction réelle dans la classe des Res mancipi.
Devenir res mancipi ou terre susceptible de propriété ro-
maine , c'était un caractère identique pour les immeubles.
Ainsi , quand l'Italie , après la guerre sociale , fut admise
au partage du droit de Cité , le sol italique devint res
mancipi ou partie du territoire romain , comme les ha-
bitants de l'Italie devenaient citoyens ou membres de la
cité romaine.
Là se trouve l'application d'une grande loi sociale en
matière de propriété foncière , la condition correspoiX-
DANTE des personnes et DES PROPRIÉTÉS. jNous la rcu-
contrerons à toutes les époques de l'histoire du droit.
Elle tient à forigine , à la nature même du droit de pro-
priété. — La propriété est le résultat d'un acte de la li-
berté , du pouvoir de l'homme , qui se porte en dehors
de lui-même , qui imprime aux objets extérieurs sa vo-
lonté, son MOI. Dans ce sens, la propriété, c'est Thomme,
c'est l'homme maître des choses : elle le réfléchit tel qu'il
est, et par conséquent dans ses situations diverses, dans
ses états successifs.
Le rapport de fhomme à la terre qu'il habite est la
première loi de son existence physique ; le rapport de
l'homme à la terre comme objet de possession , est aussi
dans la société un rapport nécessaire. Dans l'histoire de
la société et de la propriété , l'un des termes révèle l'au-
tre ; un état donné de la société appelle ou suppose dans
la propriété un état correspondant. Ce rapport entre l'état
de la société et de la propriété se manifeste de lui-même
dans l'ordre politique , et fonde les grandes distinctions
de l'aristocratie et de la démocratie par la concentration
132 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAIPsE.
OU la division des terres. Mais il se produit sous des for-
mes plus nombreuses et avec des applications plus va-
riées dans Tordre civil : là, une classe de personnes appelle
presque toujours une classe correspondanle de propriétés. —
Le moyen-âge est la plus ample démonstration de cette
loi sociale.
Rome, dans la première période, ne reconnaît, dans
l'intérieur de la Cité, que des citoyens, et elle ne recon-
naît dans son territoire qu'un seul genre de propriété
foncière , la propriété romaine. — H y a unité dans la
condition civile du propriétaire et de la propriété terri-
toriale.
Nous rechercherons plus tard comment le droit de
propriété sortira de l'étroite enceinte dans laquelle se
trouve renfermé le domaine Quiritaire.
Nous avons vu le Romain propriétaire, à Rome et
dans l'Ager romanus ; il faut le voir débiteur ou créan-
cier : ce qui nous conduit à l'obligation civile.
CHAP. IV. DROIT DES XII TABLES. SECT. IV. 133
SECTION lY.
OBLIGATIONS.
SOMMAIRE.
§ t. — Principe de l'obligation civile. ,
§ 2. — Formes de l'obligation contractuelle.
I. — Mancipalion. — Différence du jus nexi et du jus man-
cipii.
II. — Serment volontaire ou promissoire.
III. — Stipulation. — Son extension.
IV. — Contrat littéral. — Expensilatio. — Son application
au prêt à intérêt. — Taux de l'intérêt suivant la Loi
des XII Tables^ fsenus unciarium.
V. — Contrats réels.
VI. — Transaction. — Son caractère mixte.
§ 3. — Moyens de rescision sous le droit des XII Tables. — Contrat:^
stricti juris efbonse fîdei.
§ 4. — Transport des obligations et des droits.
§ 5. — Libération des obligations.
§ 6. — Délits com,me principe d'obligation civile. — Classification de?
faitsi — Action noxale.
§ 1er. _ PBINCIPE DE l'OBLÎGATION CIVILE.
Le grand principe de l'unité, qui s'est appliqué succes-
sivement à la cité , à la famille , à la propriété , s'appli-^
quera-t-il aussi à l'obligation?
Sous la Loi des XIÏ Tables, avant l'institution du Pré-
teur, on ne connaissait en droit qu'une seule nature dV
134 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
bligation , I'obligation civile , laquelle naissait d'un con-
trat ou d'un délit ^ .
Par l'obligation, le citoyen engageait sa foi envers un
autre citoyen ; il s'obligeait à donner , à faire , à ne pas
faire; il diminuait sa liberté antérieure par rapport à celui
qui devenait son créancier. En engageant sa foi , en res-
treignant sa liberté première à l'égard d'un citoyen , c'é-
tait sa personne même qu'il engageait. Il cessait de s'ap-
' partenir complètement à lui-même ; il n'était plus sien ,
necsms, racine des mots nexus, nexum, selon l'étymolo-
gie, du moins, donnée par Yarron^. Le débiteur lié en-
vers le créancier est appelé nexus , et son obligation , qui
est un lien personnel, est appelée nexiim^. hejiis nexi con-
tient donc le droit du créancier et l'obligation corrélative
du débiteur, ce qui constitue le lien de droit dans sa force
morale et obligatoire, \ejus in personam.
De cette notion fondamentale de l'obligation civile , la
logique des premiers temps tire directement d'inexora-
bles conclusions : c'est que la personne tout entière du
débiteur est affectée à la sûreté de son engagement ; que
si le débiteur ne remplit pas son obligation, s'il n'est
pas dégagé de son lien (solulus), il est le gage naturel de
son créancier; que, faute de paiement, le débiteur ap-
partient au créancier , et que non seulement il lui appar-
tient comme individu, mais dans sa personne civile,
c'est-k-dire dans sa qualité de père de famille et avec les
1 Omnis obligatio vel ex contractu nascitur , vel ex delicto. ( Gaius,
m. §8.)
2 De Ling. lat., vi. 5. G. Hugo critique, sans donner aucun motif,
l'étymologie de Varron , qui fut qualifié le plus docte des Romains.
3 Quelquefois aussi ncxus.
CHAP. IV. DROIT DES XII TABLES. eECT. IV. 135
enfants qui sont sa chose. C'est par cette logique du droit
primitif que la servitude s'appesantit sur la classe des dé-
biteurs, des iiexl, des addicti'\ Bien que citoyens et in-
génus, ils sont , après jugement, livrés au créancier, qui
peut d'abord les retenir chez lui pendant soixante jours,
dans une prison particulière , les lier d'une chaîne en fer,
du poids de quinze livres , les conduire sur la place pu-
blique pendant trois jours de marché , en proclamant la
dette et le jugement, puis les vendre au-delà du Tibre ^;
et même, d'après le témoignage d'Aulu-Gelle, de Quin-
tillien , de Tertullien , le débiteur, qui avait plusieurs
créanciers, pouvait être mis à. mort, et les créanciers
avaient la faculté de se partager le corps du débiteur qui
leur était livré, addicti sibi homlms. Mais ce droit, qui
ne peut être révoqué en doute , n'était que comminatoire
contre les débiteurs®. L'histoire ne dit pas que la menace
ait jamais été réalisée; et cependant Tite-Live enregistre
4 Les addicli sont les nexi livrés, après jugement, à leurs créan-
ciers. Au temps delà réforme des lois grecques, faite par Solon, les
pauvres, accablés de dettes , donnaient aux riclies le sixième du pro-
duit de la terre qu'il labouraient , ou empruntaient en donnant leur
•personne ■pour sûreté du prêt.
Il en était de même en Egypte. ( Pastobet , Hist. de la Législ., t. ii.
p. 240. ) — S'ils ne payaient pas, ils étaient adjugés au créancier , qui
les retenait comme esclaves , ou les envoyait vendre en pays étranger.
Plusieurs trafiquaient de leurs enfants. (. Plutarqiic , Vie de Solon ,
§ XXIII. Paslorel, Hisl. de la Législ., t. vi. p. 171. ) — Solon défendit
de donner son corps pour gage. ( Plularque, Solon , § xx. )
5 Tab. m. 4. 5. 6. — D. de Verb. Sig. ccxxxiv. § 2 (Gaius.) —
Aulu-Gell. , XX. 1 : Trans Tiberim venum ibant.
6 CaPITE P.ENAS DABAT SECARE SI YELLE>"T , ATQUE PAÎ5Tir.I
CORPUS ADDICTI SIBI HOMINIS. [Aulu-Gell. , XX. 1.
Sur cette question , plus curieuse qu'utile , on peut consulter, eu on-
136 LIV. 1. — ÉPOQUE romaine/
avec une sorte de complaisance les plaintes des débiteurs
et les rigueurs des créanciers. Au surplus, et en écartant
même le droit de vie et de mort , jamais le principe que
robligation est un lien personnel n'a été plus énergique-
ment traduit par les faits et par les lois.
La conséquence matérielle est tombée dans la suite ;
mais le principe de l'obligation , comme lien de droit et
personnel , vinculum juris , est resté le fondement des
obligations dans le droit civil de Rome et des nations"^.
De ce principe , que l'obligation était essentiellement
un lien civil de la personne , dérivaient des effets juridi-
ques que l'on ne saurait comprendre aujourd'hui , qu'en
tre, Quintill., Instit. Orat. , m. 6. — Tertull., Apologet., c. 4, pour
les textes. — Quant aux opinions des auteurs contemporains : G. Hu-
go , Hist. D. R. I. § 149; — Kiebubr , t. ii. p. 379. no 490; — M. Mi-
chelet, Hist. Rom., t. i;— M. Blondeau (Instit.) Appendice, i. p. 431;
— M. Giraud , Hist. du D. R. — L. XII Tab. Append., p. 472, se ren-
dent tous à l'autorité des textes. — Des auteurs aussi très-recomman-
dables dans la science du droit s'y refusent cependant ; mais il nous
semble qu'en regardant la disposition ou la peine comme commina-
toire , on peut tout concilier.
7 Un publiciste célèbre de notre époque , 1\I. le duc de Broglie , a
représenté la Conlrainte par corps comme une des dernières formes de
la torture : « La Contrainte par corps , a-t-il dit, n'est à bien prendre
« que la question, conservée en matière civile, après qu'elle a dis-
» paru en matière criminelle. La souffrance qui résuite de la première
» e.st moins poignante, moins amère , moins déchirante, que celle qui
» caractérisait autrefois la Question ; mais, en revanche , elle est plus
» longue , et ce qui se perd en intensité se regagne en durée. » (Revue
FRANÇAISE, 1828, et à la Ch. des Pairs. )
N'est-il pas plus exact, en droit, de reconnaître que la Contrainte
par corps est la conséquence personnelle et rigoureuse du principe
n^.?me de l'obligation civile?
CHAP. IV. DROIT DES XII TABLES. SECT. IV. i37
les rapprochant du principe lui-même appliqué avec
une logique rigoureuse :
Ainsi, r aucune obligation ne pouvait être valable-
ment contractée par l'esclave et par le fils de famille en
leur propre nom ; car l'esclave n'a pas de personne civile
de laquelle puisse partir l'obligation^, et le fils de famille
n'est censé faire avec le père qu'une seule personne ci-
vile : l'un et l'autre ne pouvaient donc contracter, comme
ils ne pouvaient acquérir, que pour le maître et le chef
de famille;
Ainsi , 2** l'obligation , toute personnelle en principe ,
s'éteignait par l'adrogation dans la personne de l'adrogé ,
qui cessait d'être civilement capable , et ne pouvait pas-
ser sur la tête de l'adrogeant, qui ne favait pas contrac-
tée personnellement; principe tellement impérieux qu'il
limitait dans ses effets le mode d'acquérir , per universi-
tatem, résultant de l'adrogation ;
Ainsi, 3** les obligations ne pouvaient être l'objet de
la CESSio IN JURE, comme les autres droits incorporels,
tels que l'usufruit, les servitudes, le droit d'hérédité;
car la cessio in jure supposait une vindication fictive
de la propriété. Il aurait fallu que le tiers revendiquant
pût dire fictivement devant le Magistrat qu'il avait un
droit sur le débiteur ; mais comment la fiction juridique,
qui doit être l'image de la vérité, aurait-elle été possible,
puisque la personne du débiteur s'était engagée envers
tel citoyen et non envers tel autre? — Il fallait donc né-'
cessairement qu'il intervînt, par l'ordre du créancier et
8 la personaiu servilem nulla cadit obligatio (D. de Ueg. Jur., l.
22. Vlp. )
438 LIV. I. -— ÉPOQUE ROMAINE.
avec le consentement du débiteur , une obligation nouvelle
entre le débiteur et le nouveau créancier ^ ;
Ainsi , 4" on ne pouvait contracter une obligation pour
les derniers temps de sa vie, in novissimum vitœ tempus,
ou stipuler une chose pour son héritier ; car Tobligation
devait reposer sur la personne même du débiteur ou
celle du créancier ; elle ne pouvait pas partir de la per-
sonne de l'héritier, ex heredis fersona incipere^^ : de là
vinrent, dans le droit antique, les adstipulatores et
les ADPROMissoRES , qui étaient adjoints aux contractants
principaux , afin que les effets de l'obligation pussent pas-
ser aux héritiers par l'action de mandat ^^
Ainsi, ^6^ du même principe, il résultait encore que la
personne du citoyen ne pouvait être représentée par une
autre, dans les actes de la vie civile. Le citoyen devait
agir par lui-même, pour son propre compte, dans les so-
9 Nam quod mutui ab aliquo debetur , id si velim tibi deberi , nullo
eorum modo quibus res corporales ad aliani trausferuntur id efficere
possuni, sedopus est ut jubenle me tu ab eo slipulcris , quae res eflicit
ut a me liberetur et incipiat tibi teneri ; quae dicitur novatio obliga-
tionis ( Gaius , u. § 38 ) : D'après l'édition très-correcte de Gaius ,
faite sur les notes de Goeschen , par Lachmann. Berlin ,1842.
lONam inelegansessevisum est ex heredis persona incipere obli-
gationem. ( Gains, m. § 10. )
11 Gaius, III. § 117. — Voir la dissertation de M. Ortolan sur les
adstipulores, Revue bbetonne de Droit et de Jurisprudence , t. ii.
p. 459.
Les jurisconsultes postérieurs à Gaius reconnurent le droit direct de
ceux qui succédaient aux stipulants, quand la clause générale eive ad-
que cas res periinebil était ajoutée : « Cum generaliter adjicimus eive
adque eas res pertinebit, et adrogati et eorum qui jure nohis succe-
dunt personas conipreheudimus. ( D. xliv. 7. îyZ. § 1. Modcslinus. ;
CHAP. IV. DROIT DES XII TABLES. SECT. IV. 139
lennités du droit civil, les contrats, les obligations, les
actions de la loi. Il ne pouvait être question , dans le
droit primitif, de mandataire , de procureur comme re-
présentant la personne , comme acquérant obligation ,
propriété ou possession pour un commettant : le tuteur
lui-même* (sauf le cas où le pupille était tout-à-fait
en bas âge, infans) , le tuteur ne représentait pas la
personne du pupille; il complétait sa capacité par son
assistance , auclor erat. Le principe absolu était celui rap-
pelé par Lllpien : nemo alieno nomine lege agere po-
TEST*^. — Dans la pratique de la vie, Tinconvénient dis-
paraissait ou s'amoindrissait par le droit du maître et du
chef de famille d'acquérir et de contracter par ceux qu'il
avait sous sa puissance*^.
§ 2. — FORMES DE l'OBLÎGATION CONTRACTUELLE.
Il y avait unité dans le principe tout personnel de l'o-
bligation, quel qu'en fut l'objet, de donner ou de faire.
Quant à la manière de contracter l'obligation, le Droit
des XII Tables connaissait bien une forme géinérale ,
mais sans unité exclusive et absolue.
12 D., L. 17. 123,deReg. jur.
Le principe a été modifié par une constitution de Sévère et d'An-
tonin, quant à la possession. [Inst. Jusl., ii. 9. 5. C. Jusl., de Acq.
poss.,i.)
13 « Acquiritur vobis non'solum per vosmet ipsos, sed etiam per
eos quos in potestate habetis. » [Insl. Jusl., ii. 9. Prœm. )
« Et hoc est quod dicitur per extraneam personam nihil acquiri
posse ... » ( Gains , ii. § 95. )
140 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
I. — La forme primitive et générale de l'obligation
civile était celle même de la mancipation. Les autorités
à ce sujet ne laissent aucun doute. Varron et Festus,
qui citent textuellement les plus anciens jurisconsultes
( Manilius, Scœvola , Gallus OElius) s'accordent à repré-
senter le NEXUM comme accompli per ^s et libram*^.
Nous en retrouvons aussi la trace dans Gains : si ouid eo
NOMINE DEBEATUR OUOD per JES et LIBRAM GESTUM SIT*^.
Ainsi, la balance et l'airain, le citoyen libripens, les
cinq témoins citoyens romains, les paroles solennelles,
tels étaient les éléments dont la réunion constituait la
forme de l'obligation civile , sous le droit des XII Tables.
De cette identité de forme , il ne faut pas conclure à
l'identité absolue du jus nexi et du jus mancipii ^^. Les
écrits des anciens jurisconsultes peuvent faire supposer
que nexus ou nexum était pris quelque fois dans le sens
général et applicable à l'aliénation des choses mancipi.
— Gains en laisse apercevoir la trace dans un passage
mutilé des Institutes , où nexum est relatif à la trans-
mission du soP*^. Mais des monuments certains, à par-
14Varro, vi. 5. INexum Manilius scribit omne quod per ^s et
LiBBAM geritur.,..
Festus, yo Neclere. Nexum est ut ait Gallls OElius, quodcumque
per œs et libram geritur. Idque necti dicitur. Quo in génère sunthsec:
Testamenti faclio, nexi dando, nexi libérante. {Ed. Mullcr, p. 165,
no 20. )
15 Gains, m , § 173. — Gravina , de Ortu et Prog. , cap. 80 , disait
d'une manière générale , mancipatio fons est ommum ctvilium
OBLTGATIONUM.
16 Gravina a fait cette confusion. (De Orig., cop. lxxx; —
cap. XLTV. )
17 Esse provincialis soli nexum non ( V. passage resliluèdans Vc-
dilion de Lachmann , p. 104. 105. ]
CHAP. IV. DROIT DES Xll TABLES. SECT. IV. 141
tir des fragments de la Loi des XII Tables, jusqu'aux
textes des Pandectes et du Code, prouvent qu'il y avait
une distinction à faire entre le jus nexi et le jus man-
CIPI.
La Loi des XII Tables disait : « quum necsom
FAXIT, MAÎNCIPIUMOUE, UTI LI^GUA INUiXCUP ASSIT , ITA JUS
esto *^. » S'il y avait eu identité dans le fond des cho-
ses , la loi n'aurait pas dit aexum , mancipiumoue ; elle
aurait employé l'une ou l'autre expression , et non les
deux à la fois. Le grand pontife M. Scaevola , au rap-
port de Yarron , enseignait que nexum indiquait l'obliga-
tion, et non ce qui est donné à titre de mancipation ''*.
Cicéron confond souvent le nexum et le mancipium ; mais
il les a distingués avec précision dans une occasion so-
lennelle où il s'agissait de déterminer à quel titre on
pouvait posséder des maisons à Rome. « On les possé-
»dait, dit-il, en général, par droit héréditaire, par droit
» d'usucapion , par droit de mancipation , jure mancipi, par
» droit à! obligation , jure nexi'^. » — Il s'agissait , cans
ce dernier cas, de maisons affectées, comme ga^je , à
la sûreté d'une obligation , et attribuées au créancier à
18 Tab. Vf. 1. Festus, v» nuncupala pecunia, ajoute : lia uti nomi-
narel loculusveeril , ilajus eslo (p. 173. )
19 Nexum scribit M. Scaevola quae per aes et libram fiant ut obligenlur,
praeter quain quae mancipio dentur. { Varro., de Ling. lat., vi. 5. )
Festus applique aussi le nexum à la somme prêtée solennellement
nimcupala pecunia. Certes, l'argent n'est pas resmanc/pi; mais il peut
être l'objet du nexum.
20 Cic, orat. de arusp. responsis , cap. vu : « Multae sunt domus
in hac urbe, atque haud scio an poene cuncta? jure optimo ; sed tamen
jure privato, jure hereditario , jure auctoritatis , jure mancipi, jure
nexi. ( EdiL F. Lcclcrc , t. ii. p. 362. )
142 LIV. 1. — EPOOLE ROMAINE.
défaut de paiement. En constituant le gage dans l'ancien
droit civil , on convenait que si le créancier n'était pas
payé à l'époque fixée , il deviendrait propriétaire de la
chose engagée-'. Le jus nexi appliqué aux maisons était
une extension du jus nexi appliqué aux personnes ; et
c'est dans le sens d'obligation et de gage que le terme
de nexum et de jus nexi s'est conservé dans la langue du
droit romain--.
II. — La forme la plus générale de l'obligation civile
était la forme per œs et libram; mais elle n'était pas la seule.
Les Offices .de Cicéron nous apprennent que , d'après la
Loi des XII Tables , nul lien n'était plus étroit que le
lien du serment : kullum vinculum ad astringendam
FIDEM JUREJURANDO MAJORES ARCTIUS ESSE VOLUERUIST ;
ID iNDiCAîNT LEGES IN XII TABULis ; et Cicéron rappelle
« que les notes et les condamnations des Censeurs prou-
» vaient que rien, plus que le serment, n'attirait leur sé-
» vère diligence '^^. » — « Le serment, dit-il encore, est
» une affirmation religieuse : ce que vous avez promis af-
» firmativement, et comme prenant Dieu même à témoin,
2t Cic, ad Famil., lib. xiii. Ep. 56. Fragm. Vatic, i. § 9.
C'était ce qu'on appelait lex commissoria , autorisée par le droit des
Paudec'tes. ( D. xx. 1 . 16. § 9. — xx. 6. 12.) — Constantin prohiba cetts
clause commissoire. [Cod. Theod., m. 2. Cod. Jusl., viii. 35. 3. )
22 Ab nexu absolutio; nexu venditi liberatio. ( D. XLVi. 4. 1. — xii.
6. 26. ) — Prœdium pignori ncxinn ( D. ii. 14. 52. ). — Ne.xus pigno-
ris. ( D. X. 2. 23. ) — Vid. Beisson , de Verb. Sig., v» nexum.
23 Off. III. ch, 22. Indicant notiones animadversionesque Cen-
soruni , qui nulla de re diligentius quam de jurejuraivdo judica-
BAXT.
CHAP. IV. DROIT DES XII TABLE. SECT. IV. 143
» doit être tenu, et appartient à la Justice et à la Foi^*. »
— Les Censeurs , ' et probablement aussi les Pontifes ,
étaient les magistrats devant lesquels se contractaient les
obligations par serment volontaire. L'obligation par ser-
ment volontaire et promissoire, en dehors de tout litige,
résultait d'un contrat verbal ou parfait par la parole. Ul-
pien mentionnait avec ce caractère l'obligation par ser-
ment, contractée encore de son temps par l'affranchi en-
vers le patron, en vue de la liberté ^^.
Une observation est essentielle à l'égard de l'obligation
par serment : c'est qu'à l'époque même où l'étranger était
qualifié hostis par la Loi des XIÏ Tables, le serment pou-
vait devenir un lien de droit entre les Romains et les
Étrangers , spécialement les Latins. La forme solennelle
24 Ad justitiametadfidempertinet. [Off. m. ch. 29. t. 27. p. 618.
Les fi'agmeuts de la Loi des XII Tables, édition de Dirksen, se
taisent sur le serment. — Godefroy, dans la Xe Table , ne rapportait
point le passage de Cicéron; il donnait seulement un titre dejureju-
rando. — Pothier l'a suivi. — Hotman avait été plus bardi : il avait
supposé que la Loi des XII Tables sanctionnait l'obligation par ser-
ment dans les termes même rapportés par Cicéron. Evidemment, il
allait trop loin.
Gravina ajoute que la peine divine du parjure est la mort, la peine
humaine le déshonneur.
Le passage de Cicéron est important, surtout quand on le rappro-
che des Lois du Digeste [lib. xlvi. 4. 13. et lib. xxxviii. 1. 7. c< 8. ) ,
où Ton voit Vobligalion par serment appliquée aux engagements de
l'affranchi envers le patron : « Vt jurisjurandi obligalio conirahalur
« libertum esse oportet, qui juret et libertatis causa. »
25 Per jusjurandum interpositam obligationem libertatis cau^a.
(P., XLVI. 4. 13.)
La glose de Godefroy dit très-bien : Jurejurando vcrbis obligatio
contrahitur.
144 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
de la mancipation ne pouvait avoir lieu qu'entre citoyens;
mais le serment , par sa nature , s'offrait comme un lien
obligatoire entre les membres de diverses cités, parce que
Rome et les différentes cités du Latium reconnaissaient
une souveraineté commune , celle d'un Dieu suprême.
Dans les Fériés latines , depuis l'an 222 , c'est le Jupi-
ter-Latialis qu'on invoquait sur le Mont Albain ; et les
anciens Romains , ainsi que le rappelait Caton , avaient
placé dans le Capitole , à côté du Jupiter optimus maxi-
Mus, la statue de la Foi-*^.
111. — Dans la forme obligatoire de la mancipation et
du serment, une chose était commune, la solennité des
paroles : Uti lingua nuîncup assit, ita jus esto. C'était
une règle fondamentale dans la Loi des XII Tables. Cette
solennité de la parole, dans l'obligation civile, a tout na-
turellement donné naissance à un contrat qui, dégagé de
l'appareil extérieur de la mancipation ou du serment , a
produit le lien de droit , par la parole même des contrac-
tants, par la solennité de l'interrogation et de la réponse :
c'est la stipulation , contrat solennel et de droit strict^'.
26 Ciceron rappelle le discours où Catoa marquait ce souvenir
d'autiquité romaine : Qui jusjurandum violât is fidem violât.... quam
in Capitolio vicinam .Tovis Optinii IMaximi , ut in Gatonis oratione est],
Majores nostri esse voluerunt. (Off. lu. 29. T. xxvii. p. 618. )
27 Cette origine est bien marquée dans le savant traité de .T. D'Ave-
zan , de ConlraçUbus , lib. i. p. 58. — D'Avezan, professeur en droit à
l'Université d'Orléans, au xyii* siècle, a été, par son livre des Con-
trais, le digne précurseur de Polhier , dans son traité des Obliga-
tions.
Les origines étymologiques sont nombreuses sur la slipulalion.
CHAP. IV. DROIT DES XII TABLES. SECT. IV. 145
La Stipulation , forme abrégée et dérivée de la Manci-
pation , est profondément marquée d'abord du caractère
romain. Elle a lieu entre citoyens , et les mots sacramen-
tels, — DARi spo?sDES? — SPO^DEO , ne pcuvcnt être em-
ployés qu'entre citoyens présents, et dans la langue même
de la Cité^^. Mais avec la stipulation , les Romains pos-
sèdent une forme de contracter grave et précise qui
pourra , comme la mancipation et plus facilement , s'ap-
pliquer à toute espèce de convention de donner, de faire ,
de ne pas faire, ou s'ajouter à tout autre contrat, afin d'en
fortifier les effets par. Faction ex stipnlalu ^^.
Et la stipulation ne donne pas seulement la force aux
obligations principales ; elle s'applique aussi aux obliga-
tions ACCESSOIRES, à la fidéjussion : sous cette forme, le
cautionnement ou la fidéjussion peut se joindre à toute
espèce d'obligation; et s'il y a plusieurs fidéjusseurs, cha-
cun , d'après la Loi des XII Tables , est obligé pour le
tout; chaque fidéjusseur tient lieu du débiteur principal,
BI. Ortolan a fait une dissertation très-intéressante à ce sujet. {Revue
bretonne de droit , t. li. p. 46. )
L'étyniologiedonnéepar le jurisconsulte Paul, Sent. v. 7. § 1, et re-
produite par les lustitutes de Justinien , slipulum et slips , pour indi-
quer que la stipulation donne force à la convention, nous paraît la plus
naturelle et la plus juridique.
28 Gains , m. § 93 : Sed lisec quidem verborum obligatio dari
spondes? — Spondée, propi'ia civium romanorum est.
29 Deux actions sont attachées , eu droit romain , à la stipulation :
condictio ccrti^ pour obligation de corps certain, et aclio ex slipu-
lalu , pour quantité incertaine , pour chose désignée en espèce (in gé-
nère) ou pour obligation de faire. Toutefois , la dénomination d'action
ex stipulalu est aussi employée généralement. (D. xxxv. 2. 32. § 2.
Cod. III. 18. 1.)
T. .. 10
4 46 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
sans aucun bénéfice de division, de discussion ou de ces-
sion d'actions^''.
Généralisation de la forme des contrats , quel
qu'en soit l'objet : tel est le grand et vrai caractère de la
stipulation , dans le droit primitif.
Ce caractère a pris , par la suite , une nouvelle exten-
sion : au temps de Cicéron, et par l'influence du Pré-
teur Aquilius , la stipulation aquilienne s'introduisit
comme moyen de faire novation à tous les engagements,
et de transformer en stipulation tout contrat antérieur^'.
Bien plus encore : la stipulation , par interrogation et ré-
ponse, devint le lien général des engagements entre les
citoyens et les étrangers , et par conséquent la forme de
contracter commune à tous les hommes, à mesure que
les relations s'étendaient entre les romains et les autres
30 Le bénéfice de division , d'après lequel le fidéjusseur pouvait
repousser le créancier par exce[^tion, en le forçant à agir d'abord
contre le débiteur principal , fut introduit par Adrien. {Insl. Jusl. ,
m. 21 , § 4 , e( D., XVII. 27. 7. Papin. )
Ce moyen fut abandonné ensuite , d'après l'opinion de Papinien ,
parce qu'il entraînait des lenteurs, et fut rétabli seulement par Tustt-
nien, sous le titre de bénétice de discussion , par la Novelle iv, cap. i.
Les fidéjusseurs solidaires eurent aussi , par rescrit d'Adrien ,
le bénétice de division, pour que l'obligation fût divisée entre les
fidéjusseurs solvables. Ce bénéfice resta dans le droit, et fut confirmé
par Sévère et Antonin. ( C. de Fidej. el Mand.,\\i. 43. )
Le bénéfice cedendarum actionum était fondé sur l'équité , et avait
pour objet d'obtenir du créancier la cession de ses actions , soit con-
tre le débiteur , soit contre les autres fidéjusseurs. {D. , xlvi. 1. 13.
17. 39.)
31 Quodquod mibi debes , ex quacumque causa, idein mihi promit-
tis La formule , très-développée , est dans les Institutes de Justi-
nien , m. 39. 2.
CHAP. IV . DROIT DES XII TABLES. SECT. H' . 1 47
peuples. Seulement la formule sacramentelle , spondes ?
spo^DEO , resta pour la stipulation entre citoyens ; les
Étrangers stipulant entr'eux ou avec les Romains, em-
ployaient l'interrogation et la réponse promittis? - pro-
MiTTO, libres d'ailleurs de les exprimer, soit en latin, soit
en langue étrangère. — La stipulation avait un mode
d'extinction tout-à-fait analogue, l'acceptilation, qui passa
aussi du droit civil dans le droit des gen î, et put s'ap-
pliquer même à l'obligation par serment ^^.
Ainsi le Contrât verbal n'est pas seulement une forme
générale d'obligation ou de libération entre citoyens : né
du droit civil de Rome, il devient une forme générale
de contracter, et de se libérer, du droit des gens^^ :
admirable formule, qui dans sa simplicité peut compren-
dre toutes les relations des citoyens entr'eux, des citoyens
avec les étrangers, des nations entr'elles , et de Rome
avec le Monde qui la reconnaît pour Capitale ^^!
IV. — Sous l'empire de la Loi des XII Tables est né
aussi le contrat littéral , spécialement relatif au prêt
d'argent.
Le prêt d'argent avec intérêt se distinguait, dans le
32 Gaius, III. § 170. D., XLVI. 4. 8. § 4. Idem, 4. 13 : Per jusjuran-
■dum obligationem interpositam per acceplilalionem tolli verius est.
33 Caeterae verborum obligationes juris gentium sunt. {Gaius, m.
§93.)
34 Gaius, m. § 94 : Velut si imperator noster principem alicujus
peregrini populi de pace ita interroges?— Pacem futur am spondes?
Vel ipse eodem modo interrogetur.
Dans notre acte le plus solennel de droit français , l'acte civil
du mariage, nous avons conservé la forme de la slipuladon; seule-
ment, l'interrogation est faite par l'intermédiaire de l'officier public.
1 48 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAIINE.
droit, du prêt gratuit, même par sa dénomination^^ :
le prêt gratuit s'appelait mutuuim ; le prêt à mtérêt, foe-
isus. Cette distinction était entrée dans le langage vul-
gaire, ainsi que le prouve une locution de Plante : « Si
je ne puis emprunter gratuitement, mutuo , j'emprunterai
avec intérêt, fœnore^^. » Ce prêt à intérêt, si important
dans les relations des premiers Romains , ne devait pas
s'accomplir par la seule tradition , à cause des conven-
tions accessoires sur les intérêts ; et nous trouvons dans
Ïite-Live, dans Gains, deux documents qui rattachent
le prêt avec intérêt à la forme générale de s'obliger par la
mancipation. Dans Tite-Live on voit M. Manlius , le sau-
veur du Capitole, qui paie pour un débiteur conduit en
servitude par son créancier, et qui le libère, devant
le peuple , par la forme de la mancipation , ltbraque et
^RE L1BERATUM E3I1TTIT ^^. Ce fait sc passc soixautc ans
après la Loi des Xll Tables, en l'année 369. — Dans
Gaius, on remarque encore l'antique formule de la libé-
ration du prêt d'argent per ^s et libram ; et la libé-
ration se faisait sous cette forme , parce que l'obligation
35 Nonnius Marcellus , grammairien du me siècle de l'ère chré-
tienne, qui nous a conservé des fragments d'auteurs bien plus anciens,
a nettement marqué la différence : Muluum a fœnore hoc clistal quod
iMuTUUM SINE usuRis , FcKNUS CUM iisDRTS sumilur. ( Tract, de Pro-
prielate sermonum , edil. 1614 ; et Brissonn., v» Fœnus. )
36 Nam si muluo non polero , cerlum est sumam fœnore.
( Plaut. , Asin.., act. i. se. 3. v. ult. )
37 Tit. Liv-, vi. 14 : Centuriouem judicatum pecuniae quum duel
niedio foro videretur, manum injecit vociferatusque de super-
bia patrum ac crudelitate fœneratorum et miseriis plebis inderem
creditori palam populo solvit Vbraque et œrc liberatum emittit.
CHAP. IV. DROIT DES XII TABLES. SECT. IV. H 9
était née de la même manière, en la personne du dé-
biteur ^^.
Mais le. prêt d'argent , et spécialement le prêt à intérêt,
avait donné lieu très-anciennement à une forme parti-
culière de s'obliger, au contrat littéral ou parfait par l'écri-
ture (lifferis). Les anciens Romains avaient des regis-
tres domestiques sur lesquels ils inscrivaient l'argent
qu'ils payaient et celui qu'ils recevaient, expensi et ac-
CEPTi coDiCES, ratio^es. Lcs Ccuscurs (institués en
l'an 310) étaient chargés de recevoir, tous les cinq ans,
le serment des citoyens sur la fidélité de leurs registres ,
de fide takdarum'^^ . Quand un citoyen prêtait une somme
à un autre , il la portait à la colonne de sortie ou de dé-
pense : c'était expensum ferre , expe>si-latio ; quand
elle lui était rendue , il la portait à la colonne de rentrée
ou de recette : c'était acceptum referre ^'^. — L'em-
prunteur portait en même temps sur son livre la somme
reçue comme emprunt , et quand il s'acquittait , il la por-
38 Gaius, III. § 174 : « Quod ego tibi tôt millibus eo nominede quo
agitur , nexus sum , id tibi hoc asse solvo , liberoque hoc œre œnmque
libra. »
La règle rappelée par Ulplen, « nihil tam naturale est quam quidquid
dissolvere eo génère quo colligalum est , » se trouve , en droit romain ,
une règle de tous les temps. — Gaius , dans la formule ci-dessus , dit
le débiteur nexus notnine , lié par la créance ; or, le ncxum se faisait
per œs et libram.
39 Denys d'Halic, lib. iv.
Fr. Hottm., Inst. comm., m. 9 : De earuni tabularum fide censores
quinto quoque anno jusjurandura a civibus exigebant.
40 Cic, in Verr., iv. — Pro Q. Roscio : Per tabulas hominis bonesti
pecuniam expensam ferre.... in codicem referre.
Varro , v. 183 , de Ling. lat., in labulis expensum ferre.
D., XX. 4. 12. § 5 : Ut pecuniam expensam ferat. (Pap.)
Ï50 LIV. 1. — ÉPOQUE ROMAIKE.
tait comme payée. Les registres faisaient foi. — Le mot
expensum , expensi-tatio remontait , par son étymologie ,
au temps où les Romains ne connaissaient pas l'argent
monnayé et pesaient l'airain. Pline ne laisse aucun doute
à ce sujet , et constate ainsi la haute antiquité de Vexpensi-
latio, puisque l'usage de la monnaie d'argent ne com-
mença qu'en l'année 485''*. L'expeS^si-latio était donc
un contrat littéral et solennel qui, sous la foi du serment
relatif aux registres domestiques, faisait preuve du prêt
d'argent et du taux accessoire de l'intérêt. — Aulu-Gelle
met l'expensi-latio au premier rang, dans l'énumération
des moyens propres à établir le prêt d'argent ^^.
Gains nous a donné, sur l'application du contrat lit-
téral , une lumière toute nouvelle. L'obligation littérale
était un moyen général de faire notation à la cause d'une
créance ou à la personne du créancier.
1** Je portais sur mon livre domestique , comme comp-
tée et prêtée en argent, une somme qui m'était due
antérieurement à titre de vente, de louage, ou tout au-
tre ; mon débiteur faisait sur son registre la même men-
tion : la somme, dès lors, était réputée m'être due à
titre de prêt; la novation s'opérait par la substitutic n
d'une nouvelle dette à l'ancienne ; il y avait transcriptio
a re in personam ;
41 Plin. , Hist. nat., fib. xxxin. cai^ 3.
Populus romanus ne argento quidem signato ante regem Pyrrhum
devictum usus est. Libralis unde etiam nunc libella dicitur, et du-
pondius appendcbatur assis : quare aeris gravis pœna dicta , et adhuc
EXPENSA IN BATioîViBUS DicuNTUR ; item impendia et dependere.
42 Clamitabat probari apud me debere pecuniam datam consuetis
modis , expcnsilalione , mensae rationibus , cbirograpbi exbibitione ,
tabularum obsignatione , testium intercessione. {Àulu-GelL, xiv. 2.)'
CHAP. IV. DROIT DES Xil TABLES. SECT. IV. 151
2° J'avais Titius pour débiteur et je voulais vous trans-
mettre ma créance sur lui : je portais sur mon livre,
comme payée par vos mains, la soffme que me de-
vait Titius; — Titius, de son côté, vous mettait à ma
place sur son livre domestique. Il y avait délégation de
mon droit en votre faveur , changement de créancier ou
choix d'un autre créancier, transcriptio a persona in perso-
Au surplus , dans le contrat littéral résultant des in-
scriptions de créance , l'un oblige par l'indication de sor-
tie sur son livre, l'autre est obligé par l'indication de
recette. Ce contrat peut se former même entre citoyens
absents, à la différence de l'obligation verbale, qui ne
peut être contractée qu'entre personnes présentes**.
Le contrat littéral ne dérivait pas seulement de l'insti-
tution des registres domestiques. — A Rome , et dès le
temps de Tarquin-l' Ancien, on connaissait les Banquiers,
43. Gaius , III. §§ 128. 129. 130.— Ces deux cas répondent à l'article
1271 de notre Code , 1», S». — Pour le second ca.«, Gaius dit : « Si id
quod mihi Titius débet tibi id expensum tulero , id est , si Titius le
delegavcrit mihi.
Délégation ici ne veut pas dire délégation d'un droit , mais choix de
la personne du débiteur. C'est dans le même sens que l'art. 1275 a
e "nployé le mot délégation. — Le sens le plus naturel est celui qui a
pré.alu dans le droit public, où la cité délègue un droit, un pou-
voir. 7>ans ce sens , le mot serait bien plus clair aussi pour la lan-
gue du droit civil.
44 Gaius, III. § 137 : Innorainibus alius expensum ferendo obliget,
alius.... obligetur. — Sed absenti expensum ferre potest, etsi verbis
obligatio cum absente contrahi non possit. — Id. § 138. — Nos obli-
gations commerciales par Compte-courant ont quelque chose du con-
trat littéral.
152 LIV. 1. ^ ÉPOQUE ROMAINE.
Mensarii, Argentarii,, qui avaient leurs comptoirs, Mensœ,
autour du Forum ^■'. Ils étaient les intermédiaires par
lesquels souvent les Romains prêtaient à usure et rece-
vaient les intérêts. L'emprunteur signait ordinairement
sur le registre la somme prêtée; c'était la Mensœ scripfiira
vel ratio, leXivre du Banquier. Cicéron témoigne que,
de son temps, l'argent était prêté plus fréquemment au
Forum et sur les écritures des Banquiers, que dans la
maison des citoyens ^^. Les registres des banquiers fai-
saient preuve en justice.
L'obligation littérale résultant des livres domestiques
ou du livre des banquiers , s'appliquait le plus générale-
ment au prêt avec intérêt. Cela nous conduit à examiner
l'état de l'ancienne législation sur le foenus unciarium ,
ou le taux de l'intérêt dans le prêt d'argent.
La loi des XII Tables, selon le témoignage bien certain
de Caton et de Tacite, avait des dispositions sur le prêt
à intérêt. Elle punissait de la condamna'tion au quadru-
ple l'usurier, le foenerator qui dépassait le taux pejt'-
mis'*'^. L'intérêt, d'abord illimité et livré à l'arbitraire des
45 Sigonuis , de Antiq J. Civ. roni., ii. 11.
« Tabernas argentarias in foro construxit Tarquinius priscus rex ,
teste Dyonisio , ex qno intelligere possumus, jam tum negotiationem
argentariorum nummariam Roinœ esse factitatam. (Cap. de argcnlariis
et fœneratoribus. ) — Les argenlarii vendaient aussi toutes les choses
précieuses. {Sueton., lib. vi. — Vila Ncr., cap. 5, et nolœ Vario-
rum. )
46 In foro et de mensœ scriptura magis quam ex arca domoque pe-,
cunia numerabatur. ( Cic, pro Cœcina , vi. )
47 Si quis unciario fœnore amplius fœnerassit, quadruplione luito.
Tab. iii (/inGolho). — Cato, deRe rustica. Fœneratorem quadruplo.
LflAP. IV. DROIT DES Xll TABLES. ECt. IV. 153
riches , fut fixé par les Décemvirs à douze pour cent par
an, selon ropinion la plus probable ^^. Les Romains, en
effet, divisaient le capital prêté en cent parties; fusure
permise était d'un pour cent par mois, usura centesima; de
manière que, dans fespace de cent mois, la somme des
intérêts devînt égale au principal ^^ : l'intérêt, au cen-
tième denier, Wisui-a centesima , représentait donc le taux
de douze pour cent par an. Une opinion, généralement
répandue chez les Romains, plaçait dans le nombre douze
la solidité des choses ou la raison du tout. Ils regardaient
comme un entier, as, ce qui était composé de douze par-
ties, et ils déduisaient de ce nombre la raison d'une di-
vision quelconque : tincia était le douzième de Yas et de
toute unité. De là est venu I'as héréditaire, ou l'hérédité
qui se divisait en douze parties (iinciœ) ; de là encore est
venu I'as usuraire , parce qu'il avait ses douze unciœ pour
chaque année. Cette explication , donnée par Sigonius et
Gravina, s'appuie sur de nombreux textes de droit ^^; elle
48 Tacit. , Ann. , vi. 16 : Vêtus urbi fœnebre raalum.... Primo duo-
decim Tabulis sanctum , ne quis unciario fœnore amplius exerceret ,
quiini antea ex libidine locupletium agitaretur.
49 C'est ce qu'on appelait cenlcsimas computare. {Plinius Jun.,
Epit. IX. 28. )
L'année était d'abord de dix mois ( 304 jours ) ; mais Numa adopta
l'année lunaire de douze mois {355 jours). C'est Jules César qui réforma
le calendrier romain, en adoptant l'année solaire de 365 jours.
50 Sigonius, de Jure ant. civ. Rom., ii. cap. 11. — Gravina, de
Ortu et Prog., C. xlaii. — Montesquieu, xxii. 22.
M. Burnouf, dans sa traduction et ses notes de Tacite (t. ii. p. 473),
adopte implicitement cette théorie. « Il est évident , dit-il , que asses
usïtrœ, ou fœnus ex asse, est synonyme de centesima, c'est-à-dire de
1 p. 100 par mois, 12 p. 100 par an. » — Mais M. Burnouf ajoute que
fœnus unciarium signiOe le douzième de la centésime par mois ; ce qui
io4 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
prévient la contradiction choquante qui existerait, sans
elle, entre Tite-Live et Tacite; Tite-Live, qui représente,
au iv^ siècle de Rome, une partie de la Cité comme écra-
sée et ensevelie sous l'usure , mersam et obrutam fœnore;
qui reproduit les murmures des débiteurs se plaignant
d'avoir payé plusieurs fois le capital par l'énormité des in-
térêts^*; et Tacite, à qui l'on ferait dire que le taux de la
donne seulement la centésime pntière pour douze mois , ou 1 p. 100
par an. — Cette interprétation du savant traducteur (qui est aussi don-
née par Pothier, Comm. xii., Tab. m c. 2. et par Adam, Ânliq. rom.,
t. II. p. 361 , ne nous paraît pas admissible. Comme on le voit dans
les nombreux exemples rappelés par le président Brissou (de Verb.
Sig., \o fœnus), fœnus veut dire revenu; uncia veut dire once ou dou-
zième d'as , et d'après la division d'un capital en cent parties ( usura
centesima ), uncia veut dire un centième de capital par un douzième
d'année , et , par conséquent , 1 p. 100 par mois , ou 12 p. 100 par an.
Fœnus unciarium est pour fœnus unciarum; il signifie le revenu des
douze parties à prendre annuellement sur les cent parties primitiv( s
du capital. Dans le Digeste , il est question de deux héritiers , dont
l'un est institué ex uncia ^ l'autre ex undecim unciis , et ce dernier est
qualifié de unciarum heredem. ( D., xxx. 1. 34. § 12, ) Dans le mène
sens , on dirait le revenu des onces , unciarum fœnus.
Jacques Godefroy a fait une profonde dissertation sur l'intérêt re-
présenté par les fruits et par l'argent , dans son Commentaire sur le
Code Théodosien (ii. 33. 1. ) Il dit : « Centesimam scilicet uiuram le-
» gitimam pecuniœ usuram olim fuisse , ut aliunde notissimum est
» ( et inter alias ex leg. 4. § 1. D. de Naul. Fœn. — L. xxvi., Cod. Just.
» usur. ) Exploratum et illud, centesimam usuram fuisse quœ in
» nummos centenos , singulos niimmos singulis mensibus prœstaret. » —
Le sens est ici bien clair : L'intérêt, centesima usura, sur un capital
de cent écus , représente un écu par mois ; c'est bien douze écus par
an, ou les douze centièmes du capital. ( Voir t. 1. p. 270, cdit. Rilter)
51 Propter ingentem vim aeris alieni. — Cum jam ex re nihil dari
posset, fama et corpore judicati atque addicti, creditoribus satisfacie-
bant. ( Til. Liv. , yi. cap. 34. ) — On peut consulter aussi les ch. 14.
18. 31. 32. 35. — Tacit., vi. 16. dit : Seditionum creberrima causa.
CHAP. IV. DROIT DES XII TABLES. SECT. IV. 155
Loi des XII Tables était d'un pour cent par an , et bien-
tôt après d'un demi pour cent ! Pour concilier Tacite , non
seulement avec Tite-Live, mais avec toute l'histoire de la
République , depuis la Loi des XII Tables , il faut enten-
dre le Fœmis unciarium dans le sens indiqué par Sigrnius,
J. Godefroy, Gravina , Montesquieu , de la division du
capital en cent parties, et de la division annuelle de Vas
usuraire en douze unciœ, qui représentent les douze pour
cent par an. Du reste, ce taux légal, abaissé quelquefois
par des lois de circonstances , s'est maintenu sous l'Em-
pire, et notamment depuis Constantin, qui l'a confirmé,
jusqu'à Justinien, qui l'a réduit à quatre pour cent^^.
V. — Les contrats accomplis sous la forme de la man-
cipation , du serment , de la stipulation , de l'obligation
littérale , sont-ils les seuls qui dérivent de la Loi des XII
Tables, pour produire le lien du débiteur et l'action
du créancier ? — Cela n'est pas vraisemblable. Les con-
trats connus , en droit romain , sous le nom de contrats
réels, le prêt de consommation , le prêt à usage , le gage ,
le dépôt , sont , dans toute société , des contrats usuels
et primitifs^^ : ils s'accomplissent naturellement par la tra-
dition de la chose , re perficiuntur , et il est impossible de
52 C. Th., II. 23. 1. — IV. 19. — C. Just., IV. 32. 26. De usur. rei
jud.
53 En mots techniques : Mutuum ; — commodatum ; — pigniis; —
depositum.
Le mutuum, dans le droit des Institutes , comprend, avec les choses
qui se consomment par le premier usage , le prêt de num^i^ire; mais
sous la Loi des XII Tables , le prêt d'argent était distingué du simple
mutuum , comme on l'a vu plus haut, par l'application de la mancipa-
tion et de Vexpemilalio.
156 . LIV. 1. — ÉPOQUE KOMAI^'E.
les comprendre sans cette tradition qui est de leur es-
sence. Que serait un dépôts un gage , un prêt , sans
chose déposée , engagée , prêtée? — Il est donc fort lo-
gique de rapporter ces quatre contrats, réels et nommés,
à la Loi des XII Tables, ou à l'interprétation des Pru-
dents qui en était le complément légitime. Un texte pré-
cis place au surplus , dans la loi elle-même , la mention
expresse du dépôt : le jurisconsulte Paul rappelle à ce
sujet l'action m duplum, que la Loi des XII Tables, en
cas de non restitution , donnait contre le dépositaire ,
et que l'Édit du Préteur , par une sanction moins rigou-
j reuse , réduisit à l'action in simplum '
54
VI. — Mais la classe des contrats purement consen-
suels et de bonne fol (la vente, le louage, le mandat,
la société ) , n'existait pas dans les XII Tables , et n'a-
vait pas encore passé du droit des gens dans le droit
civil. — Toutefois , nous trouvons , dans les fragments
des XII Tables , une convention fort importante , la trans-
action , qui , par sa nature complexe , nous donne le
germe des contrats nommés et consensuels , des contrats
innommés et de^ pactes nus ou légitimes.
La transaction, en effet , d'après la Loi des XII Tables,
a trois caractères :
1 ** Elle est un pacte reconnu par la loi , si l'on a traité
54 Paul, Sent. ii. 12. § 11 : Ex causa depositi Lex duodecira Tabu-
larum , in duplum actio datur , edicto prœtoris in simplum.
L'édit flu préteur réduisit l'action au simple pour le dépôt volontaire,
et la laissa au double en cas de dépôt nécessaire , ou fortuit, par suite
de naufrage , d'incendie , de sédition.
L'édit est au Digeste , xvï. 3. l. § 1.
CHAP, IV. DROIT DES XII TABLES. SECT. IV. 157
sur un vol , par exemple , ou sur un membre rompu , de
furlo facto ^ de membro rupto; c'est alors un pacte légi-
time qui produit obligation et action directe , comme le
contrat consensuel et nommé ^^;
2" Ou la transaction produit effet, seulement si quel-
que cbose a été donné ou retenu ^'^ : — c'est alors le
contrat innommé qui existe , dans le droit romain des
temps postérieurs , quand il y a une cause, c'est-à-dire ,
une chose donnée ou un fait accompli par Tune des
parties ;
3" Ou la transaction n'a été suivie d'aucun effet ; —
et alors elle est restée comme un simple pacte , un
pacte nu , privé d'action , laissé à la bonne foi des par-
ties , et qui recevra un jour du Préteur la garantie du
droit d'exception ^'^.
55 Tab. VIII. 2 : Sei membkum bupit ni clm eo pacit, Talio es
TOD. ( D. II. 14. 6. 17. ) — ( Colomhel, ParaliU. , ii. 14. de paclis. )
La différence est seulement que le contrat consensuel et nommé pro-
duit une action du même nom que le contrat, tandis que la transaction,
comme pacte légitime, produit l'action directe ex lege.
56 Àliquo data aul retenlo. — Le Fragment , Tab. i. 6. porte : Rem
UBEi PAicoNT ORATOD. — Ici le Caractère de la chose donnée est in-
diqué par le mot même de rem ; obatod est pour ralum cslo. — Gaius,
ad Leg xii Tab., dit : In Iradilionibus rerum quocumque pactum sit,
id valere manifestissimum est. (D. ii. 14. 48.)
La Table m. 5. reconnaissait à l'égard des débiteurs, au moment
de l'incarcération , le droit de transiger : « Ac nisi pacti forent , habe-
banlur in vinculis. ( Aulu-GcU.^ xx. 1. ) ~ Le créancier ne se conten-
tait pas certainement alors de la ■parole du débiteur.
57 Tab. 1.6: IN'Ei pagunt lis comitio aut in foeo , ante me-
BIDIEM CAUSAM COXJICITO , QUOM PERORANT AMBO PR.ESENTES.
— Par ces distinctions seules , on peut concilier les lois dans lesquel-
les la transaction est appelée tantôt un contrat, tantôt un pacte
158 LÏV. I. — ÉPOQUE ROMAL\E.
. Et ainsi , le système des obligations conventionnel-
les du droit romain , qui se résume 1 " dans les distinc-
tions des contrats nommés, des contrats innommés et
des pactes ; 2° dans la distinction des actions certaines ,
des actions incertaines ou innommées, des condictions ex
lege , des exceptions ; tout ce vaste système qui se déve-
loppera, dans la suite, sous Tinfluence des Préteurs et
des Jurisconsultes de la grande époque, est déjà compris
implicitement dans la sagesse féconde des XII Tables ;
et pour posséder, d'une manière complète, la théorie
des obligations, le jurisconsulte devra nécessairement re-
monter à la source du droit public et privé des Romains.
§ 3. — MOYENS DE RESCISION. — CONTBATS STBICTI JUBIS ET BON^
FIDEI.
Les contrats ou les obligations , dont l'origine est dans
le Droit civil des XII Tables , seront qualifiés postérieu-
rement contrats ou obligations de droit strict , par op-
position aux contrats de bonne foi, venant du droit
des gens. La distinction des contrats stricti juris et bonœ
fidei tenait bien plus à cette différence d'origine qu'à des
idées de l'ordre moral. La bonne foi était également
l'âme des contrats du droit civil et du droit des gens :
nu. {D. n. 15. 2. 6. 15. Cod. de Transacl.) — Il est remarquable ,
au surplus , que , dans le plan des Pandectes , les deux titres de pac-
tis et transacl. viennent immédiatement après le titre de edendo . cela
rappelle bien l'origine des pactes et des transactions, nés d'abord du
besoin de traiter sur les actions judiciaires. — Les pactes, ensuite,
ont pris, par le droit prétorien, une bien plus grande extension.
CHAP. IV. DROIT DES Xll TABLES. SECT. IV. 159
seulement, dans les premiers , la loi protégeait avec aus-
térité la foi explicite des contractants, et n'admettait pas
les interprétations ou les suites que l'usage et l'équité
avaient introduites dans les autres , en les faisant passer
dans le droit primitif de la Cité. — Un jurisconsulte
moderne a plusieurs fois exprimé cette pensée « que
» d'après la Loi des XII Tables , ce- qui oblige l'homme
» ce n'est pas la conscience, ce n'est pas la nature du
«juste et de l'injuste; c'est la parole, c'est la religion
» de la lettre » ^^. Ce jugement sur l'ancien droit civil
de Rome n'est-il pas trop sévère? La solennité des pa-
roles n'est point par elle-même en opposition avec la
conscience : elle est employée précisément pour prévenir
ou empêcher les erreurs d'interprétation ou les détours
de la mauvaise foi. — Les anciens prudeints pouvaient
donner, dans leurs formules, trop d'importance aux mots
sacramentels , ce qui était plutôt l'abus que l'effet naturel
de la solennité; mais le droit primitif de Rome n'était
point désarmé contre la fraude. Cicéron nous enseigne ,
d'abord , que le dol était expressément réprouvé par la
Loi des XII Tables , dans les engagements ou l'exercice
des tutelles, et par la Loi Laetoria , de l'an 497, qui con-
cernait les mineurs de vingt-cinq ans , et les protégeait
contre les fraudes employées pour les circonvenir^'-^. De
plus , il nous a transmis les formules de bonne foi , d'é-
58 M. Troplong. ( Voir Trailé de la vmle , p. 200, et Mém. de l'In-
fluence du Christianisme sur le Droit romain. )
59 La date de la loi Lsetoria [497], est donnée par J. Godefroy. ( C.
Th., viii. 12. 2. ) — La loi était appelée Quina Vicennaria par Plante
{in Pseudolo, act. i. se. 3. v. 69), parce qu'elle regardait les mineurs
de vingt-cinq ans.
160 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
quité, de fiducie, ex bona fide, melius ^ouius, l\ter
BONOS , qui s'ajoutaient aux contrats, et les garantissaient
contre le dol et les manœuvres frauduleuses^". Une belle
et antique formule portait spécialement : « afin que de
» vous NI DE VOTRE FOI JE n'ÉPROUVE AUCUNE FRAUDE :
» UTI NE PROPTER TE FIDEMVE TUAM CAPTUS FRAUDA-
» TUSOUE siEM*'*. » Si donc, d'après les Xll Tables, il
suffisait, dans la mancipation ou la stipulation, d'exé-
cuter ce qui avait été formellement promis, les Pru-
dents y avaient bientôt ajouté la garantie même des ré-
ticences. Les jugements concernant la mauvaise foi , de
FIDE MALA, étaient nombreux ^'^. C'est après avoir cité
beaucoup de faits que Cicéron exprime cette conclusion :
« Pourquoi tous ces exemples? — Pour faire comprendre
» que NOS ANCÊTRE, n'out jamais favorisé l'artifice®^. »
Ainsi , le Droit des XII Tables n'avait pas étouffé la
justice et féquité sous la forme et la parole solennelle
du droit strict. L'interprétation des Prudents , qui était
une partie du droit des XII Tables, avait écarté les plus
granâs abus. L'Édit du préteur , en suivant cet exemple ,
a élargi plus tard la voie des rescisions par les restitu-
tions en entier*^'.
GO Cic, de Oiu, m. 14. 15. IG.
61 Cic, de Off., m. 17. — Academ., iv. 47.
62 Inde tôt judicia de fide mala. [Cic, de Nal. Deor., m. 30. )
63 Quorsuin hue ? Ut illud intelligas non placuisse majobibus nos-
TBIS ASTCTOS. ( Off., lU. 16. )
64 Quidem plcraque jure prœtorio liberanlur , nonnulla legibus.
(D. IV. 1. 2. Pfiul. Scni., I. 7. § 1. )
CHAP. IV. DROIT DES XII TABLES. SECT. IV. 161
§ 4. — TBANSPOET DES OBLIGATIONS ET DES DROITS D'hÉRÉDITÉ
COMPRENANT DES CRÉANCES.
Le droit civil avait ses règles spéciales sur le transport
des créances (nomina). Les obligations ou créances ne
pouvaient, à la différence des autres choses incorporelles,
être transportées par la cessio in jure. Le moyen principal
de transporter l'obligation était la novatioin , qui faisait
passer la créance d'une personne sur une autre. La no-
vation s'accomplissait , verbis , au moyen de la stipula-
tion. Par l'ordre du créancier intervenant, le tiers stipu-
lait directement du débiteur, lequel était libéré à l'égard
du premier créancier®^. — Le transport de la créance
se faisait aussi, litteris, par délégation écrite sur les
registres domestiques plus haut mentionnés. Lorsque la
créance inscrite en faveur d'une personne , était portée
sur les registres comme devant être acquittée en faveur
d'une autre personne , choisie par le créancier et déléguée
à cet effet, le transfert était accompU^^.
Le principe sur le transport des obligations était suivi
dans toute sa rigueur, et la logique du droit civil aimait
mieux laisser périr la créance que manquer au principe
lui-même. On en trouve la preuve bien manifeste à l'oc-
casion des cessions d'hérédité légitime ou testamentaire.
65 Jubente me ut a me liberetur et incipiat tibi teneri. {Gains ,
II. §§ 38. 39. )
66 In nominibus transcriptitiis a persona in personam transcriptio.
{Gains, m. § 138.)
Plus tard, la délégation put n'être qu'une indication de paiement
solutionis causa.
T. 1. 11
162 LlV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
Le droit d'hérédité , comme chose incorporelle, pou-
vait être transféré par Cessio in jure. Si la Cession d'une
hérédité légitime était faite avant l'adition , celui qui l'ac-
ceptait devant le magistrat était héritier comme si la loi
l'avait appelé lui-même à l'hérédité ab intestat ^"^ . Il pro-
fitait dès lors des créances comme des autres droits ou
hiens de la succession, — Mais si la cession était faite
après l'adition d'hérédité , les corps certains de l'héré-
dité passaient ' au cessionnaire comme si chaque objet
avait été particuUèrement cédé; les créances, au con-
traire, {nomina) restaient en dehors : elles n'apparte-
naient plus à l'héritier qui avait transporté ses droits à
un autre ; et elles n'avaient pu passer sur la tête du ces-
sionnaire , parce qu'elles n'étaient pas susceptibles de ces-
sion injure : elles périssaient donc au profit des débi-
teurs eux-mêmes ^^. — L'héritier cédant, qui ne pou-
vait réclamer activement les créances , restait cependant
SQumis aux dettes de la succession, non en vertu du
principe, se3iel hères semper hères, mais par une
raison toute spéciale : c'est qu'il avait contracté, par
l'adition d'hérédité, une obligation personnelle envers
les créanciers héréditaires ; et de cette obligation , nais-
sant comme d'un contrat i^quasier contractu), il ne pou-
vait s'affranchir par la cession d'hérédité : un débiteur
67 Gaius , II. §§ 34. 35 : Hereditas quoque in jurecessionem tantum
recipit. — Nam si is ad quem ab inleslalo., legitimo jure, pertinet , in
jure eam alii anle adilionem ccdal , \à est antequam hères extiterit ;
perinde fit hères is cui in jure cessent , ac si ipse per legem ad heredi-
tatem vocatus esset.
68 Débita vero pereunt ; eoque modo débiteras hereditarii lucrum
faciunt. {Gains, ii. 35,)
CHAP. IV. DROIT DES XII TABLES. SECT. IV. 163
n'est , en effet , libéré d'une obligation que par le paie-
ment ou par l'extinction des droits du créancier, et l'hé-
ritier ne se trouvait , ici , ni dans l'un ni dans l'autre
cas.
L'hérédité testamentaire ne pouvait être l'objet de la
cession devant le magistrat qu'après l'adition d'hérédité.
Alors se produisaient tous les effets de la cession in jure y
relative à l'hérédité légitime préalablement acceptée; les
créances n'étaient point, par conséquent, transportées sur
la tête du cessionnaire, et les débiteurs héréditaires se
trouvaient libérés , non par le paiement , mais par l'ex-
tinction des droits du créancier®^.
§ 5, — PAIEMENT ET LIBÉRATION DES OBLIGATIONS.
Dans l'obligation , c'est le lien de droit et personnel
qui est le principe ; dans le paiement , c'est la libération
ou la dissolution du lien , solutio "^. Le paiement ,
comme le dit excellemment le jurisconsulte -Paul , se
rapporte plus à la substance de l'obligation qu'à la nu-
mération même des espèces : magis ad substantiam
OBLIGATIOMS REFERTUR OUAM AD NUMMORUM SOLUTIO-
NEM. Il se rapporte donc , dans le sens général , à tous
les modes par lesquels le lien d'une obligation peut être
69 Gaius , II. § 36 : Postea quam adierit , si cedat, ea accidunt quae
proxime diximus de eo ad queni ab intestato , legitimo jure , pertinet
hereditas , si post obligationem ( aditionem ) in jure cedat.
70 Gaius, m. § 168 ; Obligatio tollitur solutione.
164 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
dissous^*. Ainsi, dans le droit des XII Tables, l'obliga-
tion des débiteurs héréditaires s'éteignait en certains cas,
comme on vient de le voir, par la cession du droit d'hé-
rédité. Ainsi encore, l'obligation s'éteignait par un sim-
ple changement opéré dans la personne civile , par la
petite diminution de tète, lorsque la femme suijiiris et
débitrice, passait en se mariant sous la puissance mari-
tale, ou lorsque le père de famille débiteur se donnait en
adrogation. — S'il y avait unité dans le principe de
l'obligation , le lien personnel , il y avait donc aussi unité
dans le principe de la libération, la dissolution du Hen.
Un autre rapport existe : nous avons reconnu , sous
la Loi des XII Tables , plusieurs formes d'obligation ;
nous allons reconnaître aussi plusieurs formes de libéra-
tion qui leur étaient corrélatives, car les obligations s'étei-
71 Le Prés. Brisson a fait un savant traité, de Solutionibus et de Li-
beralionibus , en trois livres ; il s'attache à la pensée de Paul , ainsi
exprimée (Z> xlvi. 3. 54.) : « Solutionis verbuni pertinet ad omnem
liberationem quoquo modo factam ; magisque ad substantiam obliga-
tionis refertur quam ad nummorum solutionem. » — Brisson dit à ce
sujet : « Quod sic plerique omnes accipiunt , quasi eamdem cum num-
morum solutione caeteras liberationes habere potestatem significet.
Nam et qui acceptilatione, delegatione , compensatione, confusione et
his similibus modis liberati sunt , velut solvisse intelliguntur. Mihi
propius adspicienti , aliud sensisse Paulus visus est , nec tam effec-
tum rei quam verborum vim potestatemque spectasse : quœ si origini
suse reddantur, perspicuum fiet , liberationem et solutionem solo nonii-
nis sono differre , vim utriusque verbi eamdem plane esse , ad eaque
omnia gênera pertinere quibus obligationis vinculum quoquomodo
dissolvilur. Quod ipsum si solutionis nomen obligationi applices ,
planum erit. Quid enim aliud liberatio est , quam obligationis solutio ?
Et hoc nimirum est quod Paulus ait : Magisque ad obligationis sub-
stantiam quam ad nummorum solutionem. (Z/arn. Brissonii opéra mi-
nora, Èdil. Dielric. TrckellJ. C. Lugdun. Balavor. 1747. p. 113.)
CHAP. IV. DROIT DES XII TABLES. SECT. IV. 165
gnent comme elles naissent , se dissolvent comme elles se
contractent ; et c'est dans le droit civil des XII Tables ,
non moins que dans la raison de l'homme , qu'Ulpien a
puisé la règle générale : « Rien n'est si naturel que de
dissoudre un engagement, selon la manière même dont
il a été formé ? Nihil tam naiurale est quant eo génère quid-
que dissolvere quo coUigatum est » '*.
Il faut donc marquer les corrélations de formes entre
les modes de paiement et les modes d'obligation.
I. — A la forme générale de l'obligation civile , par
les solennités de la mancipation, répondait la forme gé-
nérale de la libération per œs et Jibram, que déjà nous
avons précédemment indiquée. Cette forme de paiement
était employée toutes les fois que le Nexitm avait eu lieu
per œs et libram; alors il y avait nexu liberatio, absoiiitio.
Elle était appliquée encore lorsque la dette résultait , soit
de la sentence du juge , soit du legs de quantité, sous la
forme de legs per damnationem qui, dans le testament,
imitait la sentence de condamnation contre l'héritier :
Hères meus damnas esto"^^.
II. — A la forme de l'obligation verbale, la Stipulation,
répondait l'Acceptilation , qui consistait aussi dans la so~
72 D. , de Reg. Jur. , 1. xxxv. Fere quibuscumque modis obliga-
mur , iisdem in contrarium actis liberamur. (i)., l. 17. 153. )
73 Gaius, m. § 173: Si quid eo nomine debeatur quod per ces et li-
bram geslum est^ sive quod ex judicati causa debitum sit. — Similiter
Jegatarius hœredem eo modo libérât de legato quod per damnationem
relictum est De eo tanien tantum potest hoc modo liberari quod
pondère , numéro constet ; et ita si certum sit : quidam et de eo quod
mensura constat , idem existimant. ( Gaius, ni. 175. )
i66 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAIKE.
lennité de l'interrogation et de la réponse'''*. C'était une
forme qui pouvait également s'appliquer à un paiement
réel et à un paiement fictif'^; et toute espèce d'obligation,
ramenée à la forme de la stipulation, pouvait être dissoute
par l'acceptilation"'*^. Elle éteignait par la parole l'obliga-
tion contractée par la parole. — De là naissait naturelle-
ment la conséquence que l'acceptilation pouvait être ap-
pliquée à l'extinction des obligations par serment , doc-
trine enseignée par Ulpien'''. — Et quand la stipulation a
été admise entre citoyens et étrangers, l'acceptilation a
suivi , comme mode de libération commun au droit des
gens. C'est encore Ulpien qui l'enseigne : Hoc jure uti-
MUR UT JURIS GENTIUM SIT ACCEPTILATIO '*.
III. — A la forme de l'obligation littérale, contractée
par l'inscription sur les registres domestiques et les livres
des banquiers, répondait une forme littérale de libération
qui résultait d'une mention sur ces mêmes livres et re-
gistres. A I'expensum ou EXPENSiLATio répondait peut-
74 QUOD EGO TIBI PBOMISI , HABES NE ACCEPTUM ? — HABEO. {Gaius,
III. § 169. )
Acceptilatio est liberatio per mutuam interrogationem qua utrius-
que contingit ab eodem nexu absolutio. — Acceptilatio verboruiii obli-
gationein tollit, quia et ipsa vcrbis fit. (D. xlvi. 4. 1. Vlp. )
75 Acceptilatione omni modo liberatio contingit, licel pecunia solula
WGn«î7. (D. XLYI. 4. 19. § t.)
76 Sed et id quod ex alia causa debeatur potest in stipulationem de-
duci et per acceptilatiouem, imaginariasolutione, dissolvi. {Gaius,\n.
170. )
77 Et per jusjurandum liberti operarum interpositam obligationem
per acceptilatiouem tolli verius est. (Z). xlvi. 4, 13.)
78 D. XLVI. 4. 8. §4.
CHAP. IV. DROIT DES XII TABLES. SECT. IV. 167
être, en langage technique, le dispendium dont Varron a
présenté le rapprochement^'^.
IV. — La novation, que nous avons déjà mentionnée
comme moyen de transporter les créances , était aussi un
mode de libération applicable aux obligations verbales et
littérales. — Lorsque, dans le contrat littéral, il y avait
changement apporté à la cause de l'obligation première ,
laquelle était transformée en prêt d'argent , l'obligation
première était éteinte ou transportée dans la seconde, et
confondue avec elle^". — Lorsque, dans le contrat ver-
bal, il y avait stipulation d'un nouveau débiteur à la place
du premier, une nouvelle obligation naissait , et la pre-
mière était éteinte^*.
L'extinction des obligations était favorable , sous la Loi
des XII Tables , et la faveur de la novation s'étendit pro-
gressivement. Si la seconde stipulation était inutile en
elle-même, comme si l'on stipulait d'une femme, d'un
pupille non autorisés par leur tuteur, elle produisait ce-
79 Varro, de L. Lat., v. § 183 : Ab eodem œre pendendo dispensator;
et in tabulis scribimus expensum et dispendium ideo quod in
dispendendo solet minus fieri. — Il est remarquable que Varron, en
rapprochant ainsi expensum et dispendium, dit : Et in tabulis scri-
Mus. — C'était donc bien une mention opposée faite sur les livres
domestiques. — Au surplus , l'expression expensum ferre , — expen-
sum referre ^ est bien certaine pour exprimer les deux choses. {Gaius,
m. §§ 128. 137.)
80 Veluti si id , quod ex emptionis causa, aut conductionis , aut so-
cietatis mihi debeas , id expensum tibi tulero. ( Gaius, m. § 129. )
81 Novatione toUitur obligatio , veluti si quod tu mihi debeas a Titio
dari stipulatus sim : nam interventu novae personœ, nova nascitur obli-
gatio, et prima tollitur translata in posteriorem. ( Gaius ^ m. § 176.)
] 68 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
pendant l'effet d'éteindre la première obligation*^. Les
anciens jurisconsultes ajoutèrent qu'en stipulant de la
personne obligée quelque chose de nouveau , comme une
condition, un terme, un garant (sponsor), il y avait no-
vation. Servius Sulpicius, contemporain de Cicéron, vou-
lait qu'il y eût novation, même lorsque l'événement de la
condition était encore incertain (pendente conditione), même
lorsqu'on avait stipulé d'un esclave ; esprit de concession
excessive , qui succédait à l'ancien système de rigueur en-
vers les débiteurs , mais dont l'exagération ne fut point
acceptée par les jurisconsultes de l'Empire : dans l'un et
l'autre cas, dit Gains, nous usons d'un autre droit*"'. —
La Jurisprudence postérieure admit la novation seulement
lorsque les parties auraient expressément déclaré leur in-
tention à cet égard , et laissa subsister conjointement les
première et dernière obligations**. Les rigueurs Décem-
virales contre les débiteurs avaient cessé depuis long-
temps ; et Justinien , en déclarant ainsi valables, simulta-
nément, deux obligations successives, effaçait complète-
ment le caractère originel de la Novation du droit civil ,
qui avait eu pour objet de protéger le débiteur contre les
conséquences de l'obligation primitive , dans les liens de
laquelle sa personne tout entière était engagée.
V. — La litiscontestation et le jugement étaient aussi
une manière d'éteindre l'obligation qui se rattachait à la
82 Adeo ut interdum , licet posterior stipulatio inutilis sit , tamen
prima novationis jure tollatur. l Gains , m. § 176. )
83 Gaius, III. § 179. — Il dit, § 178, à l'égard du sponsor: Quodde
sponsore dixi non constat, nam diversœ scholœ auctoribus placuit nihil
ad novationem proficere adjectionem aut detractionem.
84 Inst. Just. III. 29. — C'est aussi l'esprit de notre art. 1273 C. C.
CHAP. IV. DROIT DES XII TABLES. SECT. IV. 169
novation. — II y avait novation dans la cause de l'obli-
gation. « Chez les anciens , dit Gains, apud veteres ,
» il est écrit qu'avant la contestation en cause , le débi-
» teur doit donner ou faire ; après la contestation , il doit
» être condamné ; après la condamnation , il doit faire
» ce qui est jugé^^. » L'obligation primitive est enlevée
et transportée dans la litiscontestation et dans la chose
jugée. Après le jugement , le débiteur est tenu ex causa
judicati. Le jugement légitime à Rome, sauf pour la com-
pensation de plein droit, n'a pas le caractère purement
déclaratif; il éteint une obligation , pour en créer une
nouvelle.
VL — Dans le système de la Loi des XII Tables , les
obligations naissent d'un contrat ou d'un délit : c'est la
division fondamentale qui est restée dans le droit avec
une subdivision accessoire des obligations , quasi ex con-
tractu, quasi ex delicto. Les obligations, qui naissent comme
d'un déUt ou comme d'un contrat , supposent toujours
qu'elles ont pour principe un fait, et non une conven-
tion**'.
L'adition d'hérédité , l'acceptation d'une tutelle , la
gestion des affaires d'un absent, étaient des sources d'o-
bUgations qui naissaient comme d'un contrat. — Dans
85 Gaius , m. §§ 180. 181. Cela avait lieu in legilimis judiciis ; les
autres jugements quœ imperio contineantur produisaient seulement
l'exception de chose jugée. (V. infra, chap. v, sect. 5, § 5.)
86 M. Ducauroy a démontré par quel vice de langage et par quelle
confusion d'idées on avait rais quasi-conlraclus , quasi-deliclum, à la
place de quasi ex conlraclu , quasi ex delicto. ( Insl., lib. m. ttt. 27.
t. m. p. 201 et suiv. ) ,
170 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
les textes de Gaius, on trouve le mot obligation de l'héri-
tier, employé pom^ signifier l'adition d'hérédité ^'^.
Sous l'expression générique de délits étaient ren-
fermés tous les faits criminels ou dommageables ; il y
avait par conséquent différentes classes de faits :
1° Les faits, auxquels la Loi des XII Tables attachait
une peine publique , comme le faux témoignage , ou le
refus du libripens d'attester la mâncipation ^^ ;
2" Les faits, auxquels la loi attachait à la fois une peine
publique et une réparation privée, comme l'incendie*^;
3° Les faits , dont le caractère emportait simplement
action en réparation d'injure ou de dommage , injuriœ vel
damni : ainsi l'action d'injure contre celui qui ayant fait,
en acte ou en parole , une injure légère à autrui , était
soumis à la peine pécuniaire de 25 as : ainsi l'action en
dommage contre celui qui , ayant coupé des arbres sur
la propriété d'autrui , était condamné à raison de 25 as
par pied d'arbre ^^ ;
4" Les faits , dont le caractère emportait réparation au
double , au quadruple , avec déshonneur : ainsi , l'action
in ijuadrupium contre l'usurier^* ; l'action in duplum contre
le voleur , le tuteur suspect , le dépositaire infidèle ; ac-
tions qui entraînaient la note d'infamie, famosœ actiones^^.
87 Gaius, ii. § 36 : Si is anle adilionem cedat posl obligalionem
vero si cesserit....
88 Tab. vui. Cic, Off. m. 31. 23. 22. Instit. de test, ordin., § 6 ,
improbus, inleslabilis.
89 Tab. VIII. 10. D. xlvii. 9. 9. (Gaius, adLeg. xii Tab. )
90 Tab. VIII. 11. 4. Coll. Leg. Mosaic. et Roman., ii. 5.
91 Tab. viii. 18. Furem dupli condemnari, fœneratorem quadrupli.
92 D . i II . 2 . 1 . 2 . Dp /us qui notanlur infamia . L . 7 . Licel famosœ sint.
CHAP. IV. DROIT DES XII TABLE-. SECT. IV. 171
5" Les faits ou actes préjudiciables, dont la responsa-
bilité civile retombait sur un citoyen, formaient une
dernière classe pour laquelle la loi avait créé une action
en dommage, qualifiée généralement d'aclion noxale ,
soit que le dommage fût causé par un être inintelligent ,
si quadrupes pauperiem fecerit '^^ , soit qu'il résultât des
maléfices de l'esclave ou du fils de famille. La consé-
quence de l'action noxale était l'abandon de l'animal qui
avait nui , de l'esclave ou du fils de famille qui avait fait
injure , à moins que le maître ou le père n'aimât mieux
payer l'estimation du litige. — La chose et l'esclave
abandonnés devenaient la propriété du plaignant; le
fils de famille , livré pour cause noxale , tombait in man-
cipio, sous la puissance dominicale de ce dernier^*.
SECTION V.
INSTITUTIONS ET ACTIONS JUDICIAIRES.
SOMMAIRE.
Caractère primitif. — Renvoi à la 2^ 'période.
Du temps des Rois, jusqu'à Servius Tullius, tout le
pouvoir judiciaire, en matière civile, était concentré dans
les mains du chef de l'Etat. Il prononçait sur le droit et
93 Si quadrupes pauperiem fecisse dicetur, actio ex Lege XII Tabu-
larum descendit , quœ lex voluit aut dari id quod nocuit , id est , id
animal quod noxiam commisit ; aut œstimationem noxiae offerre.
(Z). IX. 1. prœm. Ulp. )
94 Gains , iv. §§ 75. 79 : Ex malellciis, veluti si furlum, aut inju-
Wam commiserunt.... — Filius familias ex noxali causa in mancipio
datur.
172 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
sur le fait. « Nul particulier, dit Cicéron , n'était le juge
ou l'arbitre du litige, mais toutes choses étaient sou-
mises au jugement royal * . » Servius TuUius institua des
juges, qui prirent plus tard le nom célèbre de Centum-
virs.
Sous la République, les Consuls, alternativement^, et
depuis l'institution prétorienne, le Préteur de la Ville,
plus tard celui des Étrangers , furent investis de la ju-
ridiction^ : la jURiSDiCTio était le pouvoir du magis-
trat de dire le droit et de donner le juge aux parties,
selon la nature de la cause '^.
Les fragments de la Loi des XII Tables et plusieurs
passages de Cicéron ne laissent pas de doute sur cette
séparation fondamentale du magistrat et du juge , du
JUS et du jUDiciUM. La Loi ordonnait de remettre le jour
du jugement en cas de maladie grave dn juge, de Y arbitre
ou du défendeur^. — Cicéron dit : « Nos ancêtres ont
» VOULU que , non seulement pour les questions qui tou-
» chent à la considération du citoyen , mais même pour
» les moindres questions d'intérêt pécuniaire , nul ne fût
1 Nec vero quisquam privatus erat disceptator aut arbiter litis , sed
omnia conficiebantur judiciis regiis. ( De Rep., v. 2. )
2 Sigonius , parlant des consuls , dit : Sane intelligi potest duo eo-
rum fuisse imperia , unum civile , alterum mililare. ( De usu legis Cu-
rialœ , Hislor. Bononiensis , p. 877. )
SPomponius, Orig., §27 : Quumque consules avocarentur bellis
finitimis , neque esset qui in civilate jus reddere posset , factum est
ut prœtor quoque crearetur, qui urbanus appellatus est, quod in urbe
jus dicebat.
4 Jus dicere , judicium dare.
5 Morbus sonticus , status dies cum hoste , quid horum fuit unum ,
jDDici ABBiTBOVE REOVE, dies diffisus esto. {Cic, Off., I. 12.— Aulu-
GelL, XX. 1.)
CHAP. IV. DROIT DES XII TABLES. SECT. IV. 173
» juge s'il n'avait été agréé par les parties adverses^. » —
C'est donc sans aucun fondement que deux historiens du
droit, Bach et G. Hugo, ont allégué que, sous la Loi
des XII Tables , on ne connaissait pas les pouvoirs dis-
tincts de diriger la conduite de l'action et d'apprécier les
faits ou les moyens".
Tout système judiciaire comprend trois parties essen-
tielles :
L'organisation ,
La compétence ,
La procédure.
Le système établi en vertu des XII Tables satisfait à
cette triple condition. — Le principe d'uNiTÉ que nous
avons constaté dans la Cité, la famille, la propriété,
l'obligation, se retrouvait encore dans la sphère judi-
ciaire; là, toutefois, il s'associait nécessairement avec la
diversité, qui tient à la nature des choses ; il y avait unité
dans le pouvoir du Magistrat; mais il y avait diversité
dans les actions, selon leur objet , et diversité dans la com-
pétence des tribunaux ou des juges, selon la nature des
actions. — Il y avait unité dans le principe de droit public
qui fondait la séparation du jus et du judicium, et con-
stituait les jugements ordinaires ; mais à ce principe géné-
ral venait se joindre l'exception des jugements exiraordi-
6 Neminem volueruut majores nostri non modo de existimatione cu-
jusquam, sed ne pecuniaria quidem de re minima esse judicem, nisi
qui inler adversarios convenisset. {Pro Cluentio, cap. 43.) — C'était
ce qu'on appelait sumere judicem. {Pro Flacco, 21. )
7 Aug. Bachius , Hist. jurisp. rom., lib. ii. cap. 1. § 25 , cite le ju-
gement de Virginie sous les décemvirs. — G. Hugo, Hist. D.R.,§ 146,
adopte l'avis, rejette l'exemple et ne met rien à la place.
-174 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAIINE.
naires , où le magistrat statuait directement sur le tout**.
— La procédure des actions de la loi reposait générale-
ment sur la distinction des formes à suivre injure et in
judicio ; mais à cette procédure d'un caractère définitif
venait aussi se joindre celle sur la possession '^, qui avait
besoin d'une solution immédiate, provisionnelle, et qui
la recevait du Magistrat.
Les institutions judiciaires et les actions, sous le Droit
des XII Tables, formaient un système complet. Des ju-
risconsultes historiens n'y ont vu long-temps , et même
de nos jours, qu'obscurité et confusion. En coordonnant
avec soin les textes nouvellement découverts et les frag-
ments épars dans les monuments et les écrivains de l'an-
tiquité, on peut retrouver la lumière. Mais le lien entre
le Droit prétorien et le Droit des XII Tables , surtout à
l'égard des formules et de certains interdits possessoires y
est trop intime , pour que l'histoire du droit puisse scin-
der en deux périodes l'exposition du système judiciaire.
C'est une vue d'ensemble que nous devons renvoyer à la
fin de la deuxième Période, ou du Droit prétorien.
La rigueur de la chronologie doit céder, ici, à la néces-
sité de l'ordre logique. Il faut placer, en regard des an-
ciennes formules et des actions de la Loi , les modifica-
tions et les développements apportés par l'usage et par
les Édits du Préteur. La Loi des XII Tables , à la vérité,
est le fonds sur lequel s'est élevée la procédure préto-
rienne ; mais l'institution accessoire ou dérivée est tel-
lement grande qu'on doit ajourner, au temps où elle
apparaît, l'exposition même de l'institution primitive.
8 Judicia ordinaria , Judicia extraordinaria.
9 Lis Vindiciaruni. (Voir infra , chap. v. sect. v. § 2. n» 3.)
CHAPITRE V.
DROIT PRÉTOPaEN.
( 2e PÉRIODE DE l'Époque romaine. )
Jus praetoriurn pars est Joris civilis geueraliler
sumpti. (ViNNius, Iiiât. Coinui., m. ili. § 1.)
OBSEllVATlOKS PRÉLIMINAIRES.
î. — UNION DU DROIT PRÉTORIEN, DU DROIT NON-ÉCRIT ET DES LOIS
SPÉCIALES VERS UN BUT COMMUN,
Nous réunissons ici trois éléments distincts : le Droit
non-écrit , les Lois spéciales , le Droit prétorien * .
L'interprétation des Prudents avait , dès l'origine , ac-
compagné la Loi des XII Tables. — Mais , dans cette se-
conde période , le Droit non-écrit a reçu une nouvelle
impulsion de l'institution même du Préteur , et surtout
du Préteur des étrangers. Les rapports fréquents qui s'é-
tablirent , aux v^ et vi^ siècles , entre les Romains et les
autres nations , ainsi que l'affluence des étrangers à Ro-
me , ouvrirent de nouvelles sources d'idées , de relations,
de droits et d'obligations. Le droit non-écrit devint, dans
le droit civil, un élément actif. C'est lui, par exemple, qui
1 En langage technique. — Jus non scriptum, vel interpretatio pru-
dentum, vel disputatio fori. — Leges, et plébiscita. — Jus prœtorium,
vel Jus honorarium , vel Edicta magistratuum.
176 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
introduisit la classe des contrats consensuels et des ac-
tions directes qui en dérivent. — De même, plusieurs
lois émanées des Comices par centuries et des Comices par
tribus portèrent sur des objets du droit civil. Les Tribuns
surtout provoquèrent des plébiscites pour abroger, mo-
difier ou étendre certaines dispositions des XII Tables.
Depuis la loi Hortensia , sur le caractère généralement
obligatoire des Plébiscites , ces lois prirent dans le droit
civil une place importante ; elles furent nombreuses ; et
Cicéron , admirateur de la Loi des XII Tables, faisait
dire à Antoine , peu favorable au droit civil : « Ne
» voyez-vous pas que les anciennes lois ou sont affaiblies
» par leur vétusté , ou sont abrogées par des lois nou-
» velles - ? » Ainsi , à côté du droit des XII Tables , et
concurremment avec le Droit prétorien, se dévelop-
paient le Droit non-écrit et les Lois spéciales. Mais c'est le
DROIT PRÉTORIEN qui a domiué le mouvement général de
cette seconde Période et marqué principalement son but.
Il se faisait alors , dans le droit de la République , un
travail fécond , dont Cicéron a déterminé le caractère
avec un ' précision bien remarquable. On peut dire que la
pensée de la Période nouvelle , qui s'ouvre devant nous ,
' est tout entière dans ce passage des offices : « Il est une
» société , la plus vaste de toutes , celle qui unit généra-
» lement les hommes entre eux ; il est une société plus
» restreinte qui unit les hommes de la même nation ; il
» en est une plus restreinte encore qui unit les membres
2 Cic, DE ORA.T. I. 58 : « Non vides, veteres leges aut ipsa sua ve-
tustate consenuisse , aut novis legibus esse sublatas? »
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. OBSERV. PRÉLIM. I. 177
» d'une même cité. Aussi nos ancêtres ont voulu qu'autre
» chose fût le droit des gens , autre chose le droit civil.
» Ce qui est droit civil ne doit pas devenir aussitôt droit
» des gens ; mais ce qui est du droit des gens doit de-
» venir droit civil : Quod Civile non idem continuo Gen-
» fium; quod autem gentium, idem CIVILE esse débet ^. »
Tel , en effet, dans Rome, s'est accompU le mouvement
historique. Le droit civil et le droit des gens ont été com-
plètement distincts dans la première période de la cité
romaine; mais les relations de Rome se sont étendues et
multipliées au dehors ; les coutumes , les mœurs géné-
rales des nations étrangères ont passé, du moins en par-
tie, dans le droit de la cité pendant la seconde période
de la République; et réciproquement, des institutions du
droit civil sont devenues du droit des gens , c'est-à-dire
sont devenues communes aux nations. Le droit non-écrit
sous l'influence des Jurisconsultes, les lois et les plébis-
cites sous l'influence des Consuls et des Tribuns, et sur-
tout les édits du Préteur de la ville et du Préteur des
étrangers , ont concouru à ce grand résultat : l'introduc-
tion du DROIT DES gens daus le droit civil de Rome*.
3 Cic, Off. III. 17. éd. Leclerc , t. xxvii. p. 584 : « Societas enim est
» latissime quidem quae pateat horninum inter homines : interior eo-
»rum, qui ejusdem gentis sunt;propior eorum, qui ejusdem civi-
» tatis. Itaque Majores aliud jus gentium, aliud jus civile esse volue-
» runt. Quod civile , non idem continuo gentium ; quod autem gen-
» tium , idem civile esse débet. »
La fin du passage appartient à un autre ordre d'idées , et nous la
rappellerons au chapitre sur la Philosophie du droit. [Infra., ch. vn.
4 Ulpien a dit : Cum aliquid addimus , detrahimus juri communi ,
jus proprium , id est civile efficimus. ( D. i. 1. 6. )
Le droit civil de Rome , par réciprocité , s'est étendu , en certains
T. I. 12
478 LIV. 1. — ÉPOQUE ROMAINE.
IL _ ORIGINE ET CONSTITLTION DU DROIT PRÉTORIEN,
Quelle est la source du Droit prétorien? Est -il né
d'un pouvoir légitime? — En quel temps devint-il un
droit distinct et reconnu dans la cité? — Ces questions
sont à résoudre, avant de suivre l'action du droit préto-
rien sur le droit des XII Tables.
I. — Le Préteur est le gardien du droit civil, disait
Cicéron. — Le Droit honoraire est la vive voix du droit
civil, disait un jurisconsulte des Pandectes^.
«Le Droit prétorien, dit Papinien, est celui que les
«Préteurs ont introduit pour aider, suppléer et corriger
»le Droit civil , en vue de l'utilité publique : Adjuvandi ,
TDvel supplendi , vel corrigendi juris civilis gratia^ .
»Le Préteur, disaient Paul et Ulpien , ne protège per-
» sonne contre une prohibition expresse ou une disposi-
»tion formelle de la loi '^. »
cas , au droit des gens ; nous citerons pour exemples : la stipulation
et l'acceptilation , qui , parties du droit civil , ont été applicables aux
étrangers , et sont devenues du droit des gens ; les fidéicommis , qui
furent d'abord un moyen du droit civil de faire passer des successions
aux étrangers. — Théophile , suivant cette idée , va jusqu'à dire que
les testaments sont devenus du droit des gens : Ut contractus, ut dona-
liones fiant...., ut lestamenta conscribanlur. {Théoph. , Inslit., éd. Dou-
jat., I. 2.)
5 Juris civilis custos. ( Cic., de Leg. m. 3. — Viva vox juris civilis.
(D. I. 1. 8. Marcianus.)
6 Jus prœtorium est quod prsetores introduxerunt adjuvandi , vel
supplendi, vel corrigendi juris civilis gratia , propter utilitatem publi-
cam. (D. I. 1. 7.)
7 Si res talis sit ut eam Lex aut Constitutio alienari prohibeat , eo
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. OBSERV. PRÉLIM. 11. 179
Être le Gardien et l'organe du droit civil , suppléer à
son silence et corriger la rigueur de la Loi , sans pou-
voir abroger une disposition ou une prohibition for-
melle : tel était donc le double objet du droit prétorien.
Il alliait le respect de la Loi fondamentale avec la né-
cessité de pourvoir aux besoins nouveaux de la société ;
en lui se réalisait l'union des deux principes qui font la
vie des sociétés, savoir, la conservation et le progrès.
a Cette législation annuelle, dit très-bien M. Ducaurroi,
«avait l'immense avantage de suivre facilement les pro-
»grès de la civilisation , et de s'adapter aux mœurs qui,
«ens'éloignant peu à peu de l'ancienne rigidité, contrai-
»gnaient les magistrats à n'appliquer l'ancien droit qu'a-
»vec les modifications nécessitées par des besoins et des
«rapports nouveaux^. »
Le droit des Préteurs venait-il de l'usurpation , comme
l'a dit CuJAS? — Si cela était vrai, en soi, il faudrait du
moins reconnaître, avec Vinnius, que l'usurpation a été
confirmée par le consentement tacite du peuple^. Mais
le fait même de l'usurpation répugne à l'idée d'une ma-
gistrature née dans les beaux jours de la République et
constamment honorée.
Le peuple romain avait la souveraineté , le pouvoir de
casu Publiciana non competit; quia his casibus neniinem prsetor tuetur
ne contra leges facial. ( D. vi. 2. 12. § 4. ) ( Paul. )
Ubicumque lex , vel senatus , vel constitutio capere haereditatem
prohibet , et bonorum possessio cessai. {D. xxxvii. 1. 12- § 1.) {Ulpien.)
8 Institutes de Justinien nouvellement expliquées. ( Tom. i. p. 52. )
9 Cujas ad Instit. — Vinnius , Insiii. i. 2. § 7.
« Progressu autem temporis , non obnilenle populo , hoc simul usur-
« passe , ut edicendo etiam jus constituèrent. »
480 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
faire la loi et d'ordonner, qualifié potestas, imperium.
Il déléguait annuellement une partie de son pouvoir aux
Préteurs et à d'autres magistrats majores , nommés dans
les Comices par centuries , et qui recevaient d'eux le pou-
voir, POTESTAS. — Le Sénat , qui avait le gouvernement
politique , la haute administration , et qui ne tenait pas
son existence des suffrages du peuple , n'avait point po-
testas , mais AUCTORITAS ^^.
Les mots potestas, imperium sont attachés , dans la
langue du droit public romain , à la souveraineté exercée
ou déléguée ; le mot auctoritas se rapporte à l'exécu-
tion , à l'administration (distinction qui devrait être con-
servée dans la langue du droit moderne.)
Le Préteur, par le pouvoir à lui délégué dans les comi-
ces,-avait le Droit et le devoir, à l'entrée de sa magistra-
ture , de faire un Edit ou de déclarer les règles qu'il sui-
vrait et auxquelles devraient se conformer les citoyens".
En exerçant cette prérogative , il participait à la souverai-
10 Le savant président Brisson , dans son ouvrage de Formulis
pop. rom. (lib. ii. art. 2. p. 120, édil. Leipsick, 1731 ) a fait la dis-
tinction, avec Cicéron et Tite-Live : « Etquidem auctoritas erat in se-
natu, et po<e*<as in populo. » — Cicéron (de Leg., ii. 12) présente
de fréquentes applications de summum imperium, summa potestas,
d'une part ; et , d'autre part , il dit : Auctoritas optimatura , auctori-
tas augurum.
Cuj as a fait une dissertation approfondie sur V imperium. {Quœst.
papin., ad leg. i, de Off. oui mand.)
11 Les Édiles Curuies avaient le droit de proposer aussi des édits à
l'entrée de leurs fonctions , mais des édits spéciaux à leur charge.
{Inst., I. 2. § 1.)
Et magistratus jura reddebant, et ut scirent cives quod jus de qua-
que re quisque dicturus esset, seque prœmuniret , Edicta proponebant.
(D. , I. 2. 10. Pomp. )
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. OBSERV. PRÉLIM. II. 181
neté. Il n'avait pas le pouvoir de faire une loi proprement
dite , condere legem , mais de faire un édit ayant , aux yeux
du peuple, force de loi, vlm legis^^. Dire qu'il a usurpé
son action sur le droit civil , ce serait dire qu'il n'avait
pas le droit de faire des Edits, et nier les textes les plus
positifs. « Au début de sa magistrature , dit Cicéron , le
» Préteur montait à la tribune aux harangues pour déclarer
» le droit qu'il observerait en rendant la justice*^. » C'est
dans ce moment solennel qu'il avait le pouvoir, potestas,
pour un but d'utilité publique. Ensuite le préteur, dans
l'exercice ordinaire de sa charge annuelle, avait seule-
ment imperium mixlum , c'est-à-dire , selon la remarque
de Cujas, l'empire mêlé à la juridiction**.
Cette participation à la souveraineté , par la confection
de l'Édit, était si bien le vrai caractère du pouvoir du Pré-
teur, que l'Edit, considéré dans ses effets par rapport à la
société, était généralement appelé, du temps de Cicéron,
Loi ANNUELLE, etqu'Ulpien lui donnait encore la quali-
fication de Loi*^. Mais si l'édit a force de loi, c'est sans
12 Dans l'ancienne école de nos jurisconsultes , Paul de Castres
disait très-bien : Praetor non habet potestatem legem condendi
PEE PBius ( a priori ) , licet ejus edicta habebant vim legis , quia
recipiebantur a populo. — FachinjEUS, Controv. ,lib.xiii. cap. 29, a
présenté le résumé de toute l'ancienne école sur ce point de controverse.
13 Cic, de Finibus, lib. ii. 22 : Quum magistratum inieris et in
concionem ascenderis, est tibi edicendum qusesis observaturus injure
dicendo. — Il distingue ensuite ce qui se fait injudicio.
14 Cujas, Quaest. papin., ad legem i , de Off. oui mand. — Impe-
rium mixtum , id est , juridictioni immixtum.
15 Qui plurinium tribuunt edicto legem annuam dicunt esse. {Cic, in
Verr. , i. cap. 42. ) Ulpien, ad edicl. , sur la possession unde cognati^
dit : Pertinet autem h^ec lex ad cognationes non serviles. (D. xxxviii .
8. 1. §2.)
182 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
doute parce que celui qui le fait et le promulgue repré-
sente, en ce moment, la souveraineté du peuple romain ;
c'est parce que le pouvoir du Préteur, selon la juste ob-
servation de G. Hugo , est alors une des branches du
pouvoir souverain*^.
L'Edit de chaque Préteur , à la vérité , n'était qu'une
Loi annuelle, temporaire, et ne durait pas plus, comme
loi obligatoire, que le pouvoir du magistrat; mais l'in-
stitution subsistait toujours, et quelque chose restait par ^
la force même de l'institution prétorienne : c'étaient les
principes traditionnels. La Loi qui expirait chaque année
transmettait à la Loi subséquente les principes reçus des
Èdits antérieurs; et c'est ainsi que les Édits des magis-
trats , sous le nom de Droit honoraire ou prétorien, sont
devenus une partie du Droit romain.
Mais quand ce résultat s'est-il produit dans l'histoire?
IL — Les Edits prétoriens n'ont pu constituer un
droit distinct de la Loi des XII Tables , que par un en-
semble de principes et de dispositions , que par une tradi-
tion continuée assez long-temps pour former un corps de
doctrine. La Préture , créée en 387, et d'abord exclusi-
vement exercée par les patriciens , devint commune aux
deux Ordres, au commencement du v^ siècle [446]. Le
16 Hugo n'en parle cependant que per transennam : « Ce droit, dit-
» il , était considéré comme une des branches principales du pouvoir
» suprême , de Vimperitim. » { Hist. du D. R. i. § 146. )
M. Touiller ( t. vu. p. 523), dit , incidemment à la question des nul-
lilés de droit et des reslUulions : « Les préteurs exerçaient la puis-
» sance judiciaire , et même la puissance législative, au moyen des èdits
» qu'ils publiaient en entrant dans les fonctions de leur magistrature. »
— La doctrine sur la puissance législative du préteur est donc formel-
lement reconnue par notre savant Jurisconsulte.
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. OBSERV. PRÉLIM. II. 183
Préteur des étrangers , qui eut le droit de publier un
édit comme le Préteur urbain, fut institué l'an 507, se-
lon la date donnée par Lydus , de magistratibus ^"^ . Au
vi^ siècle, le Droit prétorien avait déjà puissamment ma-
nifesté son influence. Plante , qui écrivait pendant ce
siècle , disait ouvertement que les Préteurs avaient sou-
mis les lois à leur pouvoir ^^. -7- Dans les édits annuels,
il y avait des dispositions qui passaient toujours de l'Edit
ancien à l'Edit nouveau. Cette partie était appelée Edic-
tiim translatitium. C'est ce fonds commun à tous les édits
qui constituait vraiment le Droit prétorien ; et pour dé-
terminer à quelle époque ce résultat apparaît dans l'his-
toire , Cicéron doit nous servir principalement de guide.
Dans sa seconde Action contre Verres , qui remonte à
l'an 682 , l'orateur dit : « Depuis que le Droit prétorien
»a été constitué, nous avons toujours usé de ce droit,
» savoir.... » Et bientôt il ajoute : « Dans une chose si
» usitée , il suflît de montrer que tous les préteurs ont
» ainsi dit le droit, que c'est là l'Edit ancien et tradition-
» nel^^. » — Le Droit prétorien , d'après ce langage, était
donc constitué ; il avait une existence à part et reconnue,
même avant cette époque. Pomponius nous apprend que
17 De Magistratibus Reipublic^ romande, grec.-lat., 1812, et
Fragm. ex Codd. reg., 1823. Jusqu'à cette publication, la date de l'an
488 était reçue dans l'histoire. Lydus , officier du palais impérial, vi-
vait au v« siècle de l'ère chrétienne. — Surl'édit du préteur des étran-
gers, Cic, Ep. famil. xiii. 59. — Théoph. , Instit. i. tit. 2.
18 Perduxerunt leges in potestatem suam. (Plaute mourut en 569.)
19. Cic. in Verr. , actio 11. lib. 1. cap. 44.
« Posteaquam jH.? prœfor non constilutum est , semper hoc jure usi
sumus sed inre tam usitata, satis est ostendere omnes, antea jus
itadixisse et hoc vêtus edictum translatUiumque esse.
184 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAL\E.
le jurisconsulte Servius avait écrit et adressé à Brutus
deux livres très-brefs sur l'édit , et que le jurisconsulte
Ofilius , l'ami intime de Jules César , avait , le premier ,
méthodiquement disposé l'édit du préteur ^^. — D'un
autre côté , Cicéron rappelle , dans le traité de legibus
écrit vers l'an 70-1 , « qu'au temps de son enfance ( il
était né en 647 ), les jeunes Romains apprenaient de
mémoire la Loi des XII Tables comme chose indispen-
sable; que, depuis, nul ne l'apprenait; et que si les an-
ciens puisaient le droit dans les XII Tables , les contem-
porains , pour la plupart , le tiraient de I'édit du pré-
teur ^* . » — L'époque où le Droit prétorien est constitué
comme corps de doctrine et de droit distinct, est bien
marquée par ces documents : c'est dans l'intervalle écoulé
entre l'enfance de Cicéron et son âge mur , c'est-à-dire
de l'an 650 à l'an 700, que le Droit prétorien s'affermit,
s'étend , se coordonne , et qu'il devient , soit dans l'in-
struction de la jeunesse , soit dans la pratique du bar-
reau , l'émule et presque le rival du droit des XII Tables,
m. — Toutefois, un vice s'était glissé dans l'exercice
de la charge de préteur , un vice propre à donner au droit
prétorien une atteinte mortelle. — Les Préteurs, dans
l'exercice de leur juridiction , s'arrogeaient le droit de
20 Ofilius, Caesari familiarissimus.... , edictum praetoris primas
diligenter composuit , nam ante eum Servius duos libros ad Brutum
perquam brevissimos ad ediclum subscriptos reliquit. {Pomp. de
Orig. J. § 44. )
21 « Discebamus pueri XII Tabulas, ut carmen necessarium, quas
» nemo jam discit. » ( De Legib. ii. c. 23. )
« Non ergo a prœloris ediclo , ut plerique nunc , neque a XII Ta-
bulas, ut suPERiOBES, sed penitus ox intima pliilosophia hauriendaro
juris disciplinam putas. » {De Legib. ^ i. 5 )
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. OBSERV. PRÉLIM. II. 185
s'écarter de l'Édit, promulgué par eux à l'entrée de leur
charge ; et il n'y avait de ressource efficace contre les va"
riations et l'injustice d'un préteur, que dans I'inter-
CESSioN de son collègue ou des tribuns. Ainsi Verres,
préteur de la ville , s'écartant de son édit , trouvait ob-
stacle dans son collègue L. Pison , préteur des étrangers ;
les citoyens, irrités des injustices de Verres, se réfu-
giaient et s'empressaient autour du tribunal de son grave
collègue*^. — Il fallut une loi impérative pour enchaî-
ner à jamais l'abus ; et la loi Cornélia, plébiscite de l'an
686 , ordonna que les Préteurs jugeraient toute l'année
d'après leurs Édits , qualifiés de perpétuels ^^.
L'Édit fut dès lors une règle fixe pour tous, magistrats,
juges, citoyens; et la fixité de l'édit annuel, jointe aux
principes traditionnels qui faisaient le fonds commun de
tous les édits, assura, de plus en plus, la constitution et
la force du Droit prétorien, qui, selon l'expression de
Vinnius , devint une partie du Droit civil de Rome,
considéré dans un sens général**.
IV. — Les faits et les caractères constitutifs du Droit
22 InVerr. , i. c. 46. t. 6. p. 560. éd. Lecl.
« L. Piso multos codices implevit earum rerum , in quibus ita in-
» tercessit , quod isle aliter , atque ut edixerat , decrevisset. Quod vos
» oblitos esse non arbitrer, quse multitudo , qui Ordo ad Pisonis sellara
» isto prsetore solitus sit convenire ; quem iste collegam nisi habuisset
» lapidibus coopertus esset in Foro. »
23 Ut Edictis suis perpetuis judicarent. — Loi proposée par C. Cor-
nélius, tribun du peuple, en 686. — Asconius in argum. oral, pro Cor-
nelio ( discours dont nous n'avons que des fragments.) — Ernesti,
Indices Ciceroniani. Index legura , \° Corneliœ.
24 Vinnius, Inst. ni. 14. § 1. Comm. : Pars Juris civilis generaliter
sumpti.
1 86 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
Honoraire étant ainsi reconnus , nous allons suivre l'ac-
tion combinée du Droit non-écrit, — des Lois spéciales,
— du Droit Prétorien sur le Droit civil de Rome ; et pour
rendre manifeste le parallélisme qui existe entre le Droit
des XII Tables et le Droit Prétorien , nous allons con-
sidérer, au point de vue nouveau , la Cité , la famille , la
propriété, les obligations, les institutions judiciaires, que
nous avons étudiées d'abord , au point de vue de l'unité ,
sous l'empire du Droit des XII Tables. — C'est la pre-
mière fois , peut-être, que l'on considère le Droit Pré-
torien sous ces rapports multipliés dans la société ro-
maine; et c'est le moyen, cependant, de constater toute
l'importance de la révolution qui s'accomplit dans le
droit civil. Sur cette double base , la Loi des XII
Tables et l'Édit du Préteur , s'est élevé l'édifice de la
Jurisprudence romaine. Les plus grands jurisconsultes
de l'Empire ont produit leurs œuvres capitales , en les
rattachant , sous la forme de commentaires , au Droit
des XII Tables , au Droit prétorien ; et la lumière de la
philosophie du droit romain , qui a pénétré si profondé-
ment dans la nature de l'homme et des choses, s'est le
plus souvent réunie et confondue avec ces sources pri-
mitives du droit civil de Rome.
Dans le développement de la Cité et des autres objets
essentiels de la société civile , nous verrons naître avec
le Droit Prétorien et subsister, à côté de lui, le Droit
Provincial, qui conservera toujours une part, plus ou
moins grande , de vivante originalité , sous l'uniformité
apparente du Droit Romain : cette persistance du Droit
Provincial expliquera ou justifiera d'avance nos recher-
ches sur le Droit Gallique , objet du deuxième Livre.
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. I. 187
SECTION P^
LA CITE.
SOMMAIRE.
§ 1 , — Division générale du Latium , de Tltalie , des Provinces , com-
prenant comme éléments particuliers , savoir :
1. — Alliés (socii, fœderati , dedititii) ;
IL — Préfectures ;
III. — Colonies ;
IV. — Villes municipales ;
Y. — Peuples fundi facti ;
"VI. — Naturalisation individuelle.
§ 2. — Condition du Latium (jus Latii).
§ 3. — Condition de l'Italie (jus Italicum).
§ 4. — Condition des Provinces. — Décret de soumission; éléments de
VÈdit fait pour chaque province.
§ 5. — Résumé. — Division des personnes. — Extension du Droit Ro-
main comme droit réel et territorial sous le nom de Droit du
Latium et de Droit Italique.
Au milieu du quatrième siècle, la Cité, c'est Rome.
Vers la fin du septième siècle, la Cité, c'est l'Italie;
— et bientôt le Droit Italique se transporte au delà de
l'Italie elle-même.
Observons ce mouvement, qui se fait hors de Rome,
et les résultats juridiques qu'il entraîne avec lui.
188 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
§ 1. —DIVISION GÉNÉRALE DU LATIUM, DE l'iTALIE, DES PROVINCES.
— ÉLÉMENTS PARTICULIERS.
Les peuples se divisent en trois classes, relativement
aux droits communiqués ou imposés par la Cité romaine :
Les Latins,
Les Italiens ,
Les Provinciaux * .
Mais dans ces trois régions du Latium, de l'Italie, des
Provinces, étaient des peuples , des cités, des individus
de condition différente, comme les alliés, les préfectu-
res , les colonies , les villes municipales , les peuples fundi
facti, les individus étrangers et ceux qui obtenaient la
Naturalisation romaine. Nous devons donc déterminer
les différences qui les caractérisent , et marquer ainsi les
éléments particuliers, avant de développer la division
plus générale qui les embrasse tous.
I. — Sous le nom d'Alliés (Socii) étaient compris les
peuples unis avec Rome par des traités, et les peuples
qui avaient été soumis à sa puissance {Fœderati — Dedi"
titii. ) Ils n'avaient que les droits stipulés dans les traités
ou concédés au moment de la soumission. L'objet du
traité, ordinairement, était politique : une alliance plaçait
une Cité sous la protection romaine, en lui imposant
soit la charge d'un tribut, soit l'obligation de mettre
une partie de ses forces au service de Rome : le célè-
1 Neque alii populi fuerunt qui jura a populo romano acceperint
quam Latini, Italici , Provinciales.
SiGONii Dispulalionum Patavinarum , lib. I. (P. 544 , éd. 1604.)
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. I. 1 89
bre traité de l'an 261 , avec les Latins, établissait leur
contingent dans l'armée romaine. Mais les Alliés con-
servaient leurs lois, leurs usages civils, leur gouver-
nement intérieur. La politique du Sénat imposait quel-
quefois le titre d'allié ou d'ami du peuple romain à
des peuples étrangers , dans des pays libres de la domi-
nation romaine; ainsi le Sénat, avant la conquête des
Gaules, avait donné le titre d'ALLiÉ à la nation des
Eduens , puissante parmi les nations gauloises ; et Jules
César nous apprend, dans ses Commentaires, que, sous
son consulat, il avait fait donner le titre d'AMi du peuple
ROMAIN à un Chef germain , Arioviste , qu'il a trouvé
ensuite dans la Gaule comme un redoutable adversaire.
Les peuples Déditices , soumis à la volonté du Sénat et
du peuple romain , étaient le plus souvent exclus de la
Cité et du droit de Latinité pour le présent et l'avenir.
Les Campaniens, par exemple, après la prise de Capoue
[542], furent frappés d'une loi et d'un sénatus-consulte
ordonnant qu'aucun d'eux ne serait citoyen Romain , ni
allié du nom Latin ^.
IL — Les Préfectures étaient les villes de l'Italie dont
les habitants n'étaient régis ni par leurs propres lois , ni
2 Tit. Liv., XXVI. 34. Ut nemo civis Romanus aut Latini nominis
esset. Dans le ch. 33 se trouve l'énumération de tous les caractères de
la soumission des déditices • « Omnes Campani , Attellani , Calatini ,
» Sabatini, qui se dediderunt in arbitrium ditionemque populi rora. Ful-
» vio pro consuli quaeque una secum dediderunt, agrum urbemque,
» divina, humanaque , utensiliaque , sivequid aliud dediderunt; de lis
» rébus quid fieri velitis , vos rogo , Quiritcs. » — Plebs sic jussit :
« Quod senatus juratus , maxima pars , censeat , qui assidetis , id vo-
»> lumus jubemusque. »
^90 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
par leurs propres magistrats, mais qui recevaient de Rome
leurs magistrats, et de ces derniers leurs lois. Le magis-
trat principal , étant appelé Prœfectus , avait donné la qua-
lification de Prœfedura à la ville ainsi régie, sans sénat
et sans assemblée de citoyens. C'était la condition qui
succédait à celle des Déditices , et qui fut aussi celle des
Campaniens : elle ne cessa pour eux que lorsque , sous le
consulat de Jules César, Vager campanus fut distribué à
vingt mille citoyens de la plèbe romaine^.
III. — La politique de Rome établissait des Colonies
sur le territoire des peuples qu'elle avait plus ou moins
soumis.
Polybe dit que c'est dans la Gaule cisalpine, sur le ter-
ritoire des Gaulois Sénonais , près du lac Vadimon (en
Etrurie), que les Romains envoyèrent leur première colo-
nie, et bâtirent une ville nommée Séna*. Cette colonie
et celle d'AnniA (au bord de la mer Adriatique) rempla-
cèrent la ligne la plus avancée des Gaulois cisalpins^. —
Plus tard , et après la guerre contre les Roiens et les Insu-
briens, autres Colonies gauloises établies depuis long-
3 Velleius Patekculus II. cap. 46 : In hoc consulatu Csesar legem
tulit ut agcr Campanus plebei divideretur suasore legis Pompeio. Ita
circiter XX millia civium eo deducta, et jus ab his restitutuni post
annos circiter centum quinquaginta duos, quam bello punico ab ro-
manis Capua in formam Pra;fecturœ redacta erat.
4 Polybe, lib. ii. cap. 4. — Silius Italicus , lib. ix, dit : Senonum
ex nomine Sena.
5 Ces Gaulois, de la tribu ou nation des Sénonais {Senonenses),
étaient en Italie vers l'an 163 de Rome. ( Tit. Liv., v. cap. 34. 35. )—
On peut , sur ces émigrations , voir le Précis historique de l'ancienne
Gaule, par le C. Berlier (ancien conseiller d'Etat), ch. iv. p. 90 et suiv.
(Bruxelles, 1822.)
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. I. 191
temps sur les bords du Pô , les Romains envoyèrent des
colonies latines sur leur territoire , et fondèrent, en-deçà
et au-delà du fleuve, c'est-à-dire, dans la Gaule Cispadane
et Transpadane, les villes de Plaisance et de Crémone^.
Les colonies furent répandues dans l'Italie en très-grand
nombre; et la première, conduite par les Romains sur le
sol même des Gaulois , dans la Gaule Transalpine , en
631 , fut celle d'Aix, aqvm sextile , du nom de son fon-
dateur le proconsul Sextius''. — Les colonies ne vivaient
pas de leur propre vie ; elles tiraient leur force de la
Cité ; elles avaient les droits et les institutions qu'elles
tenaient de la volonté du Peuple Romain , et non de leur
volonté propre ; elles recevaient des droits inégaux , des
concessions plus ou moins étendues de droits apparte-
nant en plénitude aux citoyens romains : le Jus Commercii
ordinairement ou droit de propriété romaine , quelque-
fois le Jus Connubii. Elles nommaient leurs magistrats ,
mais elles n'avaient point le droit de suffrage à Rome^.
IV. — Les Villes municipales conservaient leurs lois
particulières, leur droit civil, leurs magistrats. Les ci-
toyens des municipes avaient la qualité de Citoyens Ro-
mains et des droits politiques à Rome, par l'aptitude à
être revêtus des charges militaires et des magistratures
6 IMilan était la capitale des Insubriens , et avait été bâti par eux.
7 Tit. Liv., Epitome, lib. lxi : Sextius proconsul victa Salvioruin
gente coloniam Âquas Sexlias condidit : aquarum copia et calidis et
frigidis fontibus, atque a nomine suo, ita appellata.
8 SiGON., de Jure Italie, lib. ii, in Disputât, patav. (p. 546), dit :
« Eodem loco ais colonias jus habuisse suffragii ferendi in comitiis
niagistratuum romanorum : — Quod est plane falsum. Nulla enim co-
lonia, qualenus colonia, jus unquam habuit suffragii. »
4 92 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
de la République^. Ils appartenaient ainsi à deux patries,
à deux cités, maxime tout à fait contraire à celle que Rome
appliquait à ses propres citoyens, qui ne pouvaient ap-
partenir qu'à la cité romaine *^. Les municipes n'avaient
pas généralement à Rome le droit de suffrage. Le premier
municipe , la ville de Cœre , qui avait rendu de grands
services à la République [365], n'avait point reçu ce droit;
et le Jus Cœritum était appliqué souvent aux autres muni-
cipes. Les citoyens romains , auxquels les Censeurs enle-
vaient le droit de suffrage par peine censoriale , étaient
inscrits in Cœritum tabulis^^. Le droit de suffrage était
accordé aux citoyens des municipes qui avaient exercé
des charges publiques dans leur ville municipale, et trans-
porté ensuite leur domicile à Rome. Quelques villes mu-
nici}>ales , seulement , avaient reçu le droit de suffrage
avec la qualité de municipes , comme Tusculum [273] ,
Lanuvium et les villes des Sabins. Du reste, les muni-
cipes , dans leur organisation intérieure , prenaient or-
dinairement pour modèle l'organisation de la grande
9 «Munus.... officium. Igitur municipes dici,quod munera civilia
capiant, » dit Paul ( D. de Verb. Sig. L. xviii. )
Municipes sunt cives romani ex raunicipiis , legibus suis et suo jure
utentes , muneris tantum cum populo romano honorarii participes , a
quo munere capessando appellati videntur. ( Aulu-GelL-, xvi. 13. )
Milon , dictateur à Lanuvium , sollicitait à Rome le consulat.
10 Cic, de Legib., ii. 2 : Numquid duas habetis patrias? — .... Omr
nibus municipibus duas esse censeo patrias , unam naturœ , alteram
çivitatis. — Sed necesse est, caritate eam , prœstare qua reipublicse no-
men universae çivitatis est ; pro qua mori, et cui nos totos dedere, et in
qua nostra omnia ponere et quasi consecrare debemus.
11 Nie. Grucch., de Com. Rom. , i. in Sigonio. , de Rébus Bonon.,
p. 648.
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. I. 193
Cité. Ils avaient un sénat, des comices, des duumvirs
qu'ils qualifiaient de Consuls *^.
Y. — La participation la plus grande au droit de cité
romaine appartenait aux peuples qui étaient dits fundi
FACTi. — Les villes municipales qui renonçaient à leurs
propres lois pour suivre le droit civil de Rome étaient
comme incorporées au territoire de la République. Si les
peuples avaient manifesté cette volonté d'assimilation ,
ou comme disait la formule, si fundi facti essent, la cité
municipa4e était censée faire partie de la cité romaine*^.
VL — La communication du droit de cité, qui se fai-
sait dans les premiers temps de Rome par naturalisation
12. Voir de nombreux exemples dans les Antiq. d'Heinecc, i. 5.
123, et dans Beaufort , Rép. rom., t. ii. p. 231, et infra notre liv. m.
13 Cic, pro Balbo , viii : Postremo hsec vis est istius juris et verbi ,
ut fundi populi beneficio nosfro non suojure fiant. » — Aulu-Gell., xvi.
13. XIX. 8. Legis fundus subscriptorque. — Festus : Fundus dicitur
populus esse rei, quam aliénât, hoc est auctor. — Sigonius, Ant. jure
Ital., I. 4. — M. Giraud, Rech. sur le droit de prop. , p. 95-106, a
suivi l'indication de FesHs et de Sigonius; il a pris le mot de fundus
dans le sens de souscription , d'auclor. — Mais , malgré plusieurs des
autorités ci-dessus indiquées , nous pensons que le mot fundus ne
doit pas être ici complètement séparé du sens qu'il a dans la loi 60 ,
de Verb. Signif., etlocus possit fundus dici si fundi animo eum habui-
mus. (Paul.) — Vager romanus était le sol de la cité, et quand une
autre cité devenait partie de la cité romaine , son territoire était com-
pris dans le fonds romain ; les peuples des municipes devenaient ci-
toyens romains et sujets de la loi romaine , en faisant partie du fonds,
du territoire de la république. C'était l'extension de Vager romanus et
le développement naturel d'une institution et d'une idée toute romaine.
Varron donne cet unique sens : Age».... fundus di'ctus ( de jLmgf.
lai. , V. § 35); et Cicéron (loc. cil. ) dit que la loi romaine réside alors
IN POPULO ALiQUO tauquam in fundo.
T. I. 13
194 LIV. 1. — ÉPOQUE ROMAINE.
collective, se fit aussi, dans la seconde période, par na-
turalisation individuelle en faveur des étrangers. D'après
la Loi des XII Tables, les privilèges, c'est-à-dire les lois
faites pour les personnes prises individuellement, étaient
prohibés ; la naturalisation romaine en faveur des étran-
gers ne pouvait donc être que collective. La loi Apuleia
de Cotoniis [653] s'écarta la première de cette règle. Le
tribun Apuleius Saturninus fit autoriser Marins à confé-
rer, dans chacune des colonies, à trois personnes, la qua-
lité de citoyen romain**. La loi Julia de civitate [663],
dont nous parlerons bientôt , communiquait collective-
ment le droit de cité aux Latins et aux alliés de l'Italie ;
mais dans les villes de l'Italie se trouvaient des étran-
gers auxquels ces villes avaient accordé par honneur le
droit de cité (ou, comme on aurait dit au moyen-âge,
le droit de bourgeoisie) : étrangers, ils ne profitaient pas
de plein droit du bénéfice de la loi Julia. La loi Plautia
Papiria [664] donna le droit de cité romaine à tous ceux
qui étaient inscrits dans les villes alliées et qui avaient
leur domicile en Italie au moment de la loi , à la charge
par eux de faire, dans les soixante jours, entre les mains
du préteur, la déclaration de leur intention de devenir
citoyens romains. C'est le plébiscite dont Cicéron faisait
l'application au poète Archias , qui avait été précédem-
ment inscrit comme citoyen d'Héraclée*^. Ce plébiscite
s'occupait de certaines personnes , et cependant il conte-
nait encore une mesure d'un caractère général.
14 Cic, pro Balbo, cap. 21 : Ut in singulas colonias ternos cives
romanos facere posset.
15 Cic, pro Archia , cap. 3 : Quae cum esset civitas aequissimo jure
ac fœdere, adscribi se in eam civitatem voluit idque impetravit.
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. I. 195
Cn. Pompée, par la loi Gellia Cornelia [681], fut au-
torisé à accorder le droit de cité dans la province d'Es-
pagne , de l'avis de son Conseil , à ceux qui avaient bien
mérité de Rome , dans la guerre contre Sertorius. Il en
fit usage spécialement en faveur du gaulois Trogus , ap-
pelé Trogue-Pompée , aïeul de| l'historien dont le grand
ouvrage a été résumé par Justin *^. Là encore il y avait
une loi préalable , et seulement un choix laissé au général
romain *'. Mais Jules César alla plus loin : il s'attribua
le droit de conférer à des individus nommément dési-
gnés le bénéfice direct du droit de cité, et il permit d'in-
scrire sur des Tables, exposées aux regards du public,
les noms des nouveaux citoyens. Il s'aperçut que sa fa-
cilité était surprise et sa faveur, pour les concessions
individuelles, vendue par ceux qui l'entouraient**. Il or-
donna que les Tables fussent brisées ; mais il maintint le
bénéfice du droit de cité à l'égard de quelques individus ;
et de là est venu le droit des Empereurs romains d'accor-
der spécialement le droit de cité à des personnes dési-
gnées *^. La naturaUsation , à partir de cette époque, a
pu s'exercer d'une manière collective ou individuelle : c'é-
tait une modification importante dans le mode de com-
munication du droit de cité romaine.
16 Justin xLiii. 5. Trogus majores a Yocontiis originom ducere,
avum suum cititatem a Cn. Pompeio percepisse dicit.
17 Cic. , pro Balbo. En vertu de cette loi, Balbus fut reconnu ci-
toyen romain, sur la plaidoirie de Cicéron. Il fut depuis consul.
18 Cic, Epist. famil., xii. 36. T. xvii. p. 190 , éd. Leclerc.
19 Epist. famiï., id. ibid. : « Ei (Demetrio Mega) Dolabella , rogatu
» meo , civitatem a Cœsare impelravil. Qua in re ego interfui... Eidem
» Dolabellse , me audiente , Caesar dicit nihil esse quo de Mega vere-
» retur ; beneficium suum in eo manere [ an. 707]. »
1 96 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
Toutes ces diversités de peuples , de villes , de condi-
tions, de droits, étaient répandues dans le Latium, l'I-
talie et les provinces de la République. La division qui a
dominé tout le reste , et qui a le plus long-temps sub-
sisté, c'est la triple division du Latium, de l'Italie, des
Provinces, avec la division correspondante du Jus Latii,
du Jus lialicum , du Jus Provinciale. — C'est celle qui doit
désormais nous occuper.
§ 2. — CONDITION DU LATIUM (JUS LATII )•
La plus ancienne distinction , parmi les trois classes de
nations et de droits, fut celle des Latins et du Jus Latii.
Une concession partielle du droit de Cité Romaine eut
lieu en faveur des Latins , qui formèrent une classe inter-
médiaire entre les Citoyens et les Etrangers.
L'époque très-probable de cette concession résulte d'un
ensemble de faits historiques exposés dans notre premier
chapitre (sect. ii , § 2), et dont nous devons résumer ici
quelques traits.
Les Latins, après le traité de l'an 261 avec Rome,
avaient conservé leur liberté civile et perdu leur indé-
pendance nationale ; ils fournissaient des troupes, et for-
maient une partie imposante de l'armée romaine. Après
la conquête de Véies en 358, tout l'ancien Latium (La-
tins, Sabins, Etrusques) reconnaissait la puissance de
Rome. — Les Latins nouveaux (Volsques, Herniques,
Aurunces , Ausonnes ) , après des guerres de fortune di-
verse , étaient entrés aussi dans l'alliance des Romains.
Mais la fidélité des alliés de Rome fut soumise à une
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. I. 197
grande épreuve pendant la guerre des Samnites : la foi
des anciens Latins, les premiers dans l'alliance, ne se
démentit point. Les Latins nouveaux , au contraire , ainsi
que les peuples de l'Italie centrale , suivirent avec ardeur
le parti des Samnites, pour reconquérir leur propre in-
dépendance. Rome, humiliée d'abord sous les Fourches-
Caudines [433], réduisit sous sa puissance, vers la fin
du v^ siècle, les Latins nouveaux, les Samnites et les
peuples de l'Italie centrale [481]. Eclairée par l'expé-
rience de la foi de ses alliés , et assez forte pour récom-
penser ou punir, Rome, à cette époque, fit une conces-
sion de droits en faveur des Latins , mais seulement des
anciens Latins, ses fidèles alliés; elle leur accorda une
partie du droit de cité romaine , qui fut dénommé Droit
de Latinité , Droit des Latins, ou jus latii.
Les Latins exerçaient une partie des droits politiques
du Citoyen romain. Ils avaient le droit de Milice ; ils
étaient admissibles aux grades de l'Armée , à la dignité
du Sénat , aux diverses Magistratures -°. Lorsqu'ils se
trouvaient à Rome , ils pouvaient être invités par le ma-
gistrat à donner leurs suffrages dans les Comices , et l'on
tirait au sort le nom de la Tribu dans laquelle ils vote-
raient^*.
Quant aux droits purement civils , les Latins avaient
la propriété romaine, ou le Jus Commercii, avec toutes les
conséquences attachées au Domaine Quiritaire , tels que
20 Tacit., Anna!., ii. 24 : « Plebei magistratus post patricios , La-
TTNi post plebeios , cseterarum Italiae gentium post Latinos. »
Î2l En 566 , on fit sortir de Rome 12,000 Latins qui avaient voulu s'y
établir définitivement. (Annal. Rom.J
198 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
le droit de mancipation et d'usucapion. Le droit de tes-
ter fer œs et libram fut une conséquence du droit de pro-
priété et de mancipation. Gaïus en fait foi^^.
Les Latins n'avaient pas le Jus Connubii et les droits de
famille attachés au mariage des citoyens romains : ils n'a-
vaient donc pas le droit de Cité dans sa plénitude, mais
dans une certaine proportion.
Le droit de Latinité fut appliqué dans la suite, pour ca-
ractériser une certaine classe de droits, intermédiaire
entre la condition des citoyens et celle des étrangers. Il
fut communiqué , à titre de récompense , à des Cités ita-
liques situées hors du vieux Latium ; il fut appliqué aussi
aux habitants de plusieurs Colonies.
Vers l'an 531, après la retraite d'Hannibal, le dicta-
teur P. Sulpicius Galba parcourut les villes et les colonies
de l'Italie qui , pendant la deuxième guerre punique ,
avaient soutenu ou déserté les intérêts de Rome. Il
régla leur sort suivant leur témoignage de fidéUté ou la
gravité de leurs fautes. Plusieurs des Cités italiques
perdirent alors leurs anciens droits. Quelques peuples,
comme les Bruttiens , les Picentins , les Lucaniens , fu-
rent réduits à une condition presque servile^'. — Dix-
huit Colonies qui , sur trente dont le contingent était ré-
22 Gaius, III. § 56. Il déclare que les affranchis Latins- Juniens au-
raient eu le droit de transmettre leurs biens , s'ils avaient été complè-
tement assimilés aux Latins, mais qu'à cet égard, les choses restè-
rent comme si la loi n'avait pas été portée, ac si Lex lala non esset.
La loi I. Cod. J. vu. 6., de Latin, lib. , s'applique aux affranchis.
23 Tit. Liv. , xxx. 24. — Reliquum anni circumeundis Italiae ur-
bibus,quae bello alienatae fuerant, noscendisque singularum causis
consumpsit. — Aulu-Gell. x. 3 fin fine). Nec pro sociis habebant , sed
servorum vicem — Beaufort, Rep. Rom.j vu. ch. 2.
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. I. 499
clamé par le sénat en 544 , avaient secondé activement
le peuple romain , et dont le noble dévouement , selon
Tite-Live , avait sauvé la République , reçurent le droit
de latinité ou le jus latii, d'où vint la dénomination de
LATiNi coLONARii OU COLOM, donnée aux membres de ces
colonies et de celles qui , par la suite , furent investies
des mêmes droits^*.
Plus tard, et sous les premiers empereurs, les escla-
ves affranchis par les modes non solennels , en vertu de
la loi Junia [772], furent aussi placés dans la condition
des Latins , mais avec cette différence essentielle , qu'ils
n'avaient pas comme les Latini coloni le droit de tester ^^.
§ 3. — CONDITION DE l'ITALIE ( JUS ITALICUM).
Au vii^ siècle , l'Italie renfermait un grand nombre de
peuples et de colonies , dont la condition politique et
civile , dans ses diversités , avait , relativement à Rome ,
un caractère d'infériorité. Mais tous ces peuples étaient
animés d'une même intention. Ils voulaient participer
également au droit de Cité romaine. Alliés, Municipes,
Colonies , Préfectures , réclamaient leur place au Forum
et la jouissance de tous les droits civils et politiques des
citoyens romains. Rome s'efforçait de maintenir contre
24 Douze des trente colonies qui devaient , dans l'année 544 , four-
nir leur contingent, refusèrent : Negaverunt consuUbus esse unde mi-
liles pecuniamque durent. Les dix-huit autres offrirent plus que leur
contingent. Tite-Live a transmis leur nom à la postérité. ( Tit. Liv.,
xxvii. 9. 10. )
25 Gains, m. § 56 : Ne beneficium istis datura, in injuriam patro-
norum converteretur; itaque jure quodamraodo peculi bona latinorura
ad raanumissores pertinent.
200 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
l'Italie l'infériorité et l'inégalité des conditions. La lutte
primitive, qui avait existé entre les patriciens et les plé-
béiens, se produisit, sur un plus vaste théâtre, entre
Rome et l'Italie. La Cité-Reine ne voulut répandre , sur
le sol italique , que des concessions de droits partiels :
de là vint la Guerre Sociale ou Marsique de l'an 662 , à
laquelle les anciens alliés de Rome , les Latins , ne prirent
aucune part. Le droit de cité fut accordé immédiatement
aux Latins fidèles et à quelques peuples de l'Etrurie par
la loi JuLiA DE civiTATE [663] , qualifiée ainsi du nom de
Lucius Julius César, consul, et qu'il ne faut pas confondre
avec les lois de Jule> César.
Après la guerre sociale, en 665, Rome, cruellement
avertie , accorda le droit de Cité aux peuples alliés de
l'Italie, à fexception des Samnites et des Lucaniens. La
Loi fut étendue alors à l'Italie, et prit la dénomination,
qu'elle a conservée, de loi Julia sur la communication du
droit de cité aux alliés et aux Latins ^^. Cette communi-
cation complète du droit de cité n'avait lieu toutefois
qu'envers les peuples qui déclaraient accepter le bénéfice
de la loi, sous la formule si fadi fundi essent^"^ . Ces peu-
ples furent classés dans huit nouvelles Tribus; mais cette
addition aux Tribus de Rome eut peu de durée. Auguste
établit que les suffrages ne seraient plus donnés à Rome,
qu'ils seraient envoyés des Villes où ils auraient été re-
cueiUis : la classification devint inutile; et bientôt l'ap-
parence même du droit de suffrage cessa d'exister.
26 Lex Julia, de civitate cum sociiset latiuiscommunicanda. {Cic,
prn Balbo, viii. Deny.<} d'Halic, iv. G2. )
27 ïpsa denique Julia , qua lege civitas est sociis etlatinis data , qui
fundi popuH non esscnt , civitatein non haberent. (Cic. id. ibid.J
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. I. 201
De l'admission de l'Italie au droit de cité naquit le jus
ITALICUM. Il était appliqué aux villes de l'Italie, à leur ter-
ritoire, et il emportait, pour la masse des habitants, le
droit de cité romaine. La ville et les habitants, investis
du droit italique, étaient unis à la grande Cité; le sol
était incorporé au territoire de la République. Le Jus ita-
LicuM constituait un droit ou un statut réel. Le Sol ita-
lique eut donc les mêmes avantages que l'Ager romanus.
Les terres de l'Italie furent marquées d'un caractère pri-
vilégié à l'égard des terres provinciales. Elles furent mises
dans la classe des Resviancipi, dont les citoyens seuls pou-
vaient être légitimes propriétaires, selon les formes et les
conditions de la propriété ex Jure Quiritium; elles étaient
nommément comprises dans le Cens romain; elles avaient,
à proprement parler, le droit de la Cité, Jus Civile ^^.
La loi JuUa de civitate, s'apphquait au Latium, à l'Italie
centrale, à l'Italie du sud ou la Grande-Grèce. — Qua-
rante ans après cette loi , Jules César, revenant vainqueur
de la Gaule Celtique, voulut récompenser l'Italie du nord,
qui l'avait si puissamment secondé pendant ses dix an-
nées de gouvernement et de conquête. Le droit de cité
fut en conséquence étendu à toute la Gaule Cisalpine "^^.
Pour elle aussi fut promulguée, vers la même époque ,
la LEX GALLL^ CISALPINE , dout les fragments sont prin-
cipalement relatifs aux jugements en matière de dom-
mage, de prêt d'argent , de partage d'hérédité. La loi
28 Cic, pro Flacco, n» 32 : Illud qusero, sint-ne prsedia censuicen-
sendn? habeant jus civile (Tom x. p. 506.)
29 Cela même se fit graduellement. Il accorda le droit de cité d'a-
bord à la Gaule cispadane , ensuite à la Gaule transpadane ; ce qui
constituait Tensemble de la Gaule cisalpine.
202 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
donne une énumération de toutes les divisions qui con-
stituaient le pays, villes, municipes, colonies, préfec-
tures, bourgs, châteaux ^^. Un monument de la même
époque, les Tables d'Héraclée, relatives aux élections
dans les villes de l'Italie , prouve que Rome , après la
loi Julia , s'efforçait de régulariser les municipes selon
des règles uniformes. Les cités les plus importantes pos-
sédèrent par écrit leur loi municipale ; il n'existait pas ,
comme on l'a supposé, de Loi municipale unique pour
toutes les cités ^\ On tendait à l'uniformité du régime
municipal, mais en l'appropriant à l'esprit particulier
des nations et des coutumes locales. — Sous le Trium-
virat d'Antoine, Octave et Lépide, les noms distinctifs
des contrées italiques furent effacés , en vue de l'unité
politique et administrative; le nom uniforme d'Italie fut
appliqué à toute la péninsule ; et son étendue, reculée jus-
qu'aux Alpes, fut divisée par Auguste en onze Régions ^^.
Le JUS iTALicuM fut , par la suite , un moyen de pro-
pager le droit de cité en dehors de l'Italie ; il fut accordé
à des villes, à des colonies, dans toutes les parties du
monde romain. La colonie de Tyr, l'antique et glorieuse
30 In eorum quo oppido , municipio , colonia , praefectura , foro ,
vico , conciliabulo , castellove , quae sunt , eruntve in Gallia cisalpina.
{Lex Gall. cis. Blondeau , ii. p. 79.)
31 Les Tables d'Héraclée ont été retrouvées en 1732. — On a sup-
posé que le titre du Digeste , ad municipalem , devait sous-entendre
legem. On a même attribué à Jules César une loi uniforme , sous le nom
de Lex municipalis. Savigny croit trouver cette loi dans les Tables
d'Héraclée. Nous discuterons ces questions, liv. m, époque Gallo-
Romaine. — Voir le Mém. de M. Améd. Thierry, sur l'organisation
communale des Romains. ( Acad. des Se. mor. )
32 Dion. , XLvin. 12. — Le sénat ratifia généralement les actes des
triumvirs en l'an 715.
CHAP. V. DROIT PRETORIEN. SECT. I. 203
patrie d'UIpien , reçut de l'empereur Sévère le Droit de
l'Italie ^^
Les domaines, placés dans les pays qui avaient le Droit
italique , étaient réputés in Solo Italico; et les habitants
des villes ou colonies, auxquelles était concédé le droit
de l'Italie , avaient toujours le droit de Cité romaine ou
la qualification de Citoyens romains.
Nous avons vu successivement le Latium et I'Italie,
par rapport à la Cité romaine; passons aux provinces.
§ 4. •— CONDITION DES PROVINCES. — DÉCRET DE SOUMISSION. —
ÉLÉMENTS DE l'ÉDIT FAIT POUR CHAQUE PROVINCE.
L'établissement des provinces romaines naquit de la
lutte entre Rome et Carthage , et suivit tous les déve-
loppements de la conquête^*.
Rome appliqua aux provinces , dès le principe , le ré-
gime varié des préfectures, des municipes, des colonies,
du droit de latinité, du droit italique. La Sardaigne, par
exemple , et l'Espagne , réduite en province après la prise
de Numance [619] , eurent des municipes, des villes fé-
dérées ^^; le droit de latinité fut accordé à la Sicile ^^; et
33 Sciendum est quasdam colonias Juris italici , ut est in Syria
splendidissima Tiriorum Colonia, unde mihi origo est. (D.,iv. 15. 1.)
34 Voir notre ch. ler, sect, 2. § 3. supra, p. 26 et suiv.
35 Cic, pro Balbo. Plin., Hist. nat., m. 2.
36 Pline , dans la description de la Sicile , indique les cités, les co-
lonies; puis il nomme cinquante peuples de l'intérieur de l'île, qui sont
de condition latine : Inlus Lalinœ conditionù. (m. 8. )
204 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
même, sous Vespasien, à l'Espagne tout entière^'. Dans
la Gaule méridionale , devenue province romaine [634],
entre le Rhône , les Cévennes , les Pyrénées, Arles , Nar-
bonne, Vienne furent fondées comme Colonies romaines;
Nîmes fut dotée du jus Latiiy Aix du jus Italicum.
Les privilèges locaux ainsi répandus dans les provin-
ces, à côté du régime sévère des Préfectures, avaient
pour objet de rattacher plus étroitement à la Cité ro-
maine des villes , des territoires heureusement situés.
Ces concessions formaient un Droit spécial dans quelques
parties des provinces.
Mais il y avait, de plus, un Régime général, dont le
but était de consolider la domination du peuple romain
dans les pays de conquête. Une seule province en fut
assez promptement exceptée , la Grèce , déclarée libre
parla loi Julia deprovinciis [694]; exception qui honore
les Romains , et qui ayant , dès la conquête , commencé
par la ville d'Athènes, était un hommage rendu à la gloire
et à la civilisation ^^.
Le régime général des provinces, sous la République,
se manifeste par la création de Préteurs et de Procon-
suls , et par la double institution du Décret de soumis-
sion et de l'Edit provincial.
Après les conquêtes successives de la Sicile , de la
Sardaigne , de l'Espagne , de la Gaule Narbonnaise , on
créa autant de préteurs qu'il y avait de provinces sou-
mises. Chaque préteur gouvernait sa province pendant
37 Universse Hispaniae Vespasianus Latii jus tribuit. {Pline, m. 3.)
38 Sigonius , de Anl. Jur prov., i. 9.
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. I. 205
une année ^''. C'était là le régime ordinaire. Mais le sé-
nat était libre de prendre une mesure extraordinaire et
de confier aux consuls deux provinces , qui étaient dites
alors Provinces Consulaires '^°. — Le Préteur pouvait
être prorogé dans son pouvoir sur la province , ou un
ancien Préteur de Rome être appelé à ce pouvoir. Il
prenait alors le nom de pro-préteur : ainsi Caton fut
pro-préteur en Sicile, quelques années après sa pré-
ture de Rome; et Yerrès avait été préteur en cette
même province au sortir de sa préture urbaine. — De
même, le Consul pouvait être prorogé dans son pou-
voir sur la province qui lui était tombée en partage , ou
un personnage consulaire être appelé à cette haute ad-
ministration : ils prenaient alors le titre de proconsuls.
Cicéron fut Proconsul en Cilicie , plusieurs années après
39 Pompon., de Orig. Jur., § 32 : « Totidem praetores , quotprovin-
ciae in ditionem vénérant, creati sunt , partim qui urbanis rébus , par-
tira qui provincialibus praeissent. » — Les préteurs provinciaux rem-
plissaient, pcncianf un an, à Rome y avant de partir pour leur province,
les fonctions de quœslores parricidii ,depuis l'institution des questions
perpétuelles. ( Cic. , in Verr. , 1. 13. )
40 Si quid extra ordinem senatus decernebat, duae (provinciae ) Con-
sulibus mandarentur quse consulares dictœ ; reliquas praetores sorti-
rentur. ( Sigonius, Disp., ii. p. 579. ) — Cic.,deProv. Consul., cap. 7 :
Faciam illas praetorias. — Selon P. Manuce, ad Cic, epist. famil. i.
n» 7, le tribun C. Sempr. Gracchus porta une loi observée, par la suite ,
savoir , que le sénat , avant les Comices , décernerait deux provinces
consulaires et six prétoriennes jpour les magistrats qui seraient nom-
més , et dont ceux-ci feraient , en tirant au sort , le partage entre eux.
Ces provinces n'étaient point déterminées comme consulaires ou préto-
riennes d'une manière fixe. La même était , suivant l'avis du sénat, tan-
tôt consulaire , tantôt prétorienne. (Nieuport^Cout. des Rom., ii. 14.
p. 109. ) — Tit.-Liv., XL. 1 : Sortiti provincias sunt.
206 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
son consulat [690-702]; et quand Jules César, avant l'ex-
piration du pouvoir de cinq ans qu'il s'était fait attribuer,
pendant son consulat, sur la province des deux Gaules,
obtint la prorogation de son commandement pour cinq
autres années , ce fut aussi sous le titre de Proconsul.
Le Préteur provincial et le Proconsul n'avaient pas
seulement le pouvoir civil , ils avaient le pouvoir mili-
taire. A Ja différence du Préteur de la ville , qui avait
pendant l'exercice de sa charge le pouvoir civil , impe-
rium mixtum , le Préteur des provinces avait le pouvoir
militaire , summum imper ium. Le pouvoir qui tenait à la
magistrature civile résultait de la déclaration des Centu-
ries qui nommaient le magistrat ; mais , pour le pouvoir
militaire , il fallait de plus au préteur provincial une loi
de imperio portée par les Curies , Lex Curiata ** .
Après la victoire qui avait soumis un pays à la puis-
sance de Rome , le sénat déclarait le pays province ro-
maine, et il envoyait dix commissaires (Legati) au général
vainqueur {Imperator), pour établir les conditions de la
41 II en était des préteurs et des proconsuls comme des consuls .
o Consuli , si legem Curiatam non habet, attingere rem militarem non
» licet. M ( Cic, in Sec. Agr. ) — a Appius Claudius dixit in senatu ,
sese, si licitum esset legem Curiatam ferre , sortiturum esse cum col-
lega provinciam. » {Cic, Epist. ad Lentul.) — Caesar, de Bello civili,
lib. I , atteste pour les préteurs de province la nécessité « ut de eorum,
imperio ad populum referalur. » — Sigonius a fait une dissertation
spéciale sur cette distinction nécessaire , entre la manière dont était
attribué le pouvoir civil ou le pouvoir militaire : De usu legis Curiatœ ,
de imperio. ( Loc. cil., p. 876. ) — Ce n'est que dans les troubles de la
guerre civile que l'on vit des préteurs ne pas attendre la loi de imperio.
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. I. 207
soumission. Le vainqueur, de l'avis des dix députés, ren-
dait un Décret qui devenait une loi générale du pays ;
c'était le Décret de soumission à l'état de Province ^^.
L'Édit provincial était le moyen par lequel les Préteurs
et les Proconsuls exerçaient ensuite , sur les provinces ,
leur puissance législative , et déterminaient le mode d'ad-
ministration : c'est par son influence progressive que le
Droit civil de Rome pouvait pénétrer dans les provinces.
L'Édit fait pour chaque province en prenait le nom
particulier. On disait : Ex edicto Siciliense, ex edicto Asia-
tico , etc. La qualification d'Edictum provinciale^ employée
quelquefois dans Cicéron ^"^^ n'avait point encore une si-
gnification générale pour annoncer un Êdit fait en vue de
toutes les provinces.
Pour chaque province, l'Èdit avait, sous le rapport du
droit, trois éléments : 1" des dispositions empruntées
aux édits précédents qui formaient Vedictum translatitiwm,
le droit traditionnel; 2** des dispositions nouvelles établies
par le préteur ou proconsul dans l'édit publié à son en-
trée dans la province; dispositions ordinairement confor-
mes à l'édit du préteur de Rome ; 3° des dispositions qui
maintenaient sur certaines matières les coutumes ou les
lois anciennes du pays. — La plus grande part était faite,
42 Cic, in Verr., xvii. 13.
Après la guerre des esclaves , P. Rupilius était vainqueur en Sicile
[ 620 ] , et Cicéron cite le décret rendu par lui , et appelé par les Sici-
liens lex Rupilia : « Ex P. Rupilii decreto , quod is de decem legatorum
» sententia statuit , quam legem il!i Rupiliam vocant. »
Pour la Macédoine , le décret fut rendu de la même manière. Tite-
Live dit : « Decem legati , more majobum , quorum ex cousilio
» T. Quinetius iraperator leges pacis Philippo daret , deoreti. «
43 In Verr., i. 46 : Cur ea capita in edictum provinciale....
208 LIVRE I. — ÉPOQUE ROMAINE.
dans l'édit des préteurs provinciaux ou des proconsuls ,
au droit prétorien promulgué dans Rome'^*; mais les
usages des provinces étaient maintenus sur beaucoup de
points : Multa esse in provinciis aliter edicenda*^.
Il y avait aussi dans les édits une partie qui était spé-
cialement appelée provinciale, et qui était relative aux
comptes des Cités, à leurs dettes, à leurs obligations, et
aux traités avec les Publicains : c'était la partie adminis-
trative de l'édit , celle qui offrait aux exactions des Pro-
consuls et des Publicains le plus de ressource; exactions
qui entraînaient souvent l'épuisement des provinces, et
qui faisaient dire à Cicéron, d'Appius son prédécesseur
dans le gouvernement de la Cilicie , « qu'il la lui avait
livrée ruinée , épuisée de sang , expirante ^^.
Sous la République , il faut le reconnaître , le régime
des provinces était désastreux; et pour quelques rares
préteurs ou proconsuls , comme Caton dans la Sicile et
Scévola dans l'Asie , S. Sulpicius dans la Grèce ou Cicé-
ron dans la Cilicie, on avait en foule des Yerrès et des
Appius. Trois parts étaient faites par les proconsuls dans
44 L'épître de Cicéron à Appius, m. 8, et surtout son épître à
Atticus , VI. 1 , où il parle de son édit en Cilicie (t. xix. p. 126. 123),
contiennent des détails précieux sur les éléments de l'édit provin-
cial ; c'est dans cette dernière qu'il dit : » Tertium — de reliquo jure
dicundo Dixi me de eo génère mea décréta ad edida urôanaaccom-
modaturum. »
45 In Verr..., i. 46. Les choses qui paraissaient toucher à Véquilé,
fondement du droit prétorien , étaient réglées par l'édit : An aliud
Romœ œquum est, aliud in Sicilia? — Non enim hoc potest hoc loco
dici , multa esse in provinciis aliter edicenda.
46 « lllo imperante , exhaustam esse sumptibus et jacturis provin-
ciam.... quid dicam de illis praefectis , comitibus , legatis ? Etiam de
rapiuis , de Hbidinibus , de contumeliis ? » ( Ep. ad Atlic, vi. 1. )
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. I. 209
leurs dilapidations : la première, pour eux; la seconde,
pour payer des témoins lors des accusations qui seraient
peut-être portées contre les proconsuls , dans les trente
jours qui suivraient Texpiration de leur charge ; la troi-
sième, pour les juges qu'il fallait corrompre. — C'est
par les blessures toujours saignantes des provinces que
s'écoulèrent les vertus et les forces de la République.
§ 5. — RÉSUMÉ. — DIVISION DES PERSONNES. — EXTENSION DU DROIT
ROMAIN , COMME DROIT RÉEL OU TERRITORIAL , SOUS LE NOM
DE DROIT DU LATIUM ET DE DROIT ITALIQUE.
En résumé, pendant cette seconde période de l'his-
toire, la Cité romaine, dans ses rapports avec l'extérieur,
a d'abord distribué des fractions du Jus civitatis aux ha-
bitants des colonies et des municipes , et à la classe gé-
nérale des anciens Latins ; — après la guerre sociale elle
a donné, sous le nom de Jus Italicum, le droit de cité à
l'Italie centrale et méridionale 5 — après la conquête de ^
Gaules , à l'Italie du nord ou la Gaule cisalpine. Le jus
ïTALicoi a remplacé dans l'Italie, comme droit réel et
territorial , le jus latii , qui est resté encore applicable
à des Cités , à des Colonies et même à des contrées en-
tières , situées hors de l'Italie. — De plus , le droit per-
sonnel de cité, qui ne s'accordait que par une loi et
par une disposition collective en faveur d'une classe de
personnes, s'est modifié sous l'influence successive de
Marins, de Pompée, de Jules César surtout, et a pu
devenir, depuis la dictature de ce dernier, un droit de
naturalisation individuelle. — Enfin, par le Décret de
rimperator et des dix Commissaires députés par le sénat,
T. I. \lx
210 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
et principalement par l'Edit des préteurs et proconsuls ,
Rome a pu propager le droit prétorien dans les provinces;
elle a fait pénétrer, à travers les ruines des pays vaincus,
quelques rayons de son droit civil et de l'édit du préteur
de la Yille. Mais les habitants des provinces, en général,
sont restés avec leur condition d'Etrangers (peregrini) ,
relativement à la Cité romaine.
Au terme de cette seconde période du Droit civil , et
sans parler ici des esclaves , la division des personnes ,
par rapport à l'intérieur et à l'extérieur de la cité , com-
prenait donc trois grandes classes :
1" Les Citoyens,
2** Les Latins ,
3** Les Étrangers :
Les Citoyens de Rome ou de l'Italie, y compris les
étrangers naturalisés par bénéfice individuel ;
Les Latins des colonies ou de certaines provinces ,
un peu plus tard les affranchis Latins-Jiiniens ;
Les Étrangers appelés provinciales ou peregrini, c'est-à-
dire les habitants des provinces non gratifiées du Droit du
Latium ou de l'Italie, et les membres des nations non
encore soumises à la puissance de Rome.
Nous sommes déjà loin, comme on le voit, de l'épo-
que où Rome ne connaissait , à l'intérieur de la cité, que
des citoyens ou des esclaves; —à l'extérieur, que des
étrangers, qualifiés ennemis!
La Cité romaine , dans l'origine, c'était Rome et l'étroit
Ager romamis; la Cité , à la fin de la seconde période , ce
sont les villes de l'Italie et le sol italique; — et de plus,
toutes les villes , toutes les colonies , tous les territoires
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. I. 211
qui recevront le droit de lltalie , et seront dès lors consi-
dérés comme incorporés au sol italique.
Admirable conquête de VAger romanusl tandis que ses
limites antiques, posées à cinq ou six milles de Rome,
étaient honorées chaque année par les cérémonies reli-
gieuses des ambarvalia^'' , en mémoire de Romulus, les
limites réelles et progressives s'avançaient jusqu'aux con-
fins de l'Italie et sur plusieurs points des provinces, en
attendant le jour où elles devaient se confondre avec les
limites mêmes de l'Empire, de I'Orbis roma^us, proclamé
à son tour la cité romaine. — Et le Droit romain , en
même temps, s'étendait sur les nations, non seulement
par l'influence de sa doctrine et des édits prétoriens,
mais par l'extension et la communication du Jus Latii et
du Jus Ilalicum. — Sous ce nom de Droit du Latium , de
Droit Italique , il s'établissait sur divers points de l'Em-
pire et sur les territoires les plus éloignés , avec le carac-
tère d'un droit réel et territorial; il prenait possession
des Provinces.
De la Cité telle qu'elle se développe dans la période du
Droit prétorien , portons nos regards sur la Famille.
47 M. Michelet, qui a mis en lumière, dans son Histoire de la Répu-
blique romaine , l'importance de Yager romanus , dit, t. i. p. 115.
291 : « Ce champ sacré était fort circonscrit ; selon Strabon , on voyait
à cinq ou six milles de Rome un lieu appelé Festi ; c'était là l'ancienne
limite du territoire primitif. Le5 prêtres faisaient à cet endroit,
comme en plusieurs autres , la cérémonie des amhartalia. »
Les ambarvalia ou larenlalia étaient des sacrifices publics pour la
fertilité des campagnes; ils se faisaient au mois d'avril , par le prêtre
du dieu Mars. {Plut., Vie de Rom. ) — Varro, de Ling. lat., vi. § 32.
Larenlinal quem diem quidam in scribendo ^aren(a/m appellant
quia sacerdotes nostri publiée parentant festo die qui ab Acca Larentia
dicitur
212 LIT. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
SECTION IL
LA FAMILLE ; CONSTITCTIOH PERSONNELLE ET REELLE.
SOMMAIRE.
1 . — Changements par rapport aux époux.
I. — Résultats produits par les lois Canuleia, Julia, Men-
sia. — Mariage libre. — Réciprocité de divorce et
de répudiation.
II. — Origines de la Dot et du Régime dotal.
m. — Donations ante nuptias. — Donations entre vifs d'un
époux à l'autre pendant le mariage. — Donations
mutuelles.
IV. — Institutions testamentaires et legs en faveur des fem-
mes : Loi Voconia.
2. ■— Changements par rapport au père, aux enfants, à V ensemble
de la famille romaine.
I. — Limite imposée à la faculté de disposer par donation
entre vifs ; Loi Cincia.
II. — Limite imposée à la disposition par testament ; Loi
Furia testamentaria ; Loi Voconia (disposition
toute spécirt/e^; Loi Falcidia.
III. — Abolition de l'exhérédation tacite.
IV. — Plainte en testament inofficieux (querela testamenti
inofficiosi).
V. — Possession de biens en faveur du fils émancipé.
VI. — Système des possessions de biens ou successions pré-
toriennes. — Parallélisme du Droit prétorien et du
Droit civil.
VII. — Caractère du droit conféré par les successions préto-
riciennes.
VIII. — Caractère de la possession de biens purement confir-
niative de l'hérédité testamentaire ou légitime.
IX. — Différence essentielle entre le principe de l'Mrédité
eivile et le principe de la succession prétorienne.
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. II. 213
§ 1er. _ CHAj>JGEMENTS PAK RAPPORT AUX ÉPOUX.
I. — Les obstacles existants entre les classes patricienne
et plébéienne, relativement au mariage, furent attaqués ,
dès les premiers temps de la Loi des XII Tables , par un
plébiscite qui entra, quoiqu'avec lenteur, dans les moeurs
de Taristocratie romaine. — A la fm de la deuxième pé-
riode [757], la Loi Julia, de maritandis ordinibus, alla
plus loin : elle permit le mariage entre les patriciens et
les affranchis * ; elle maintint toutefois la barrière, d'une
part, entre les femmes affranchies et les sénateurs ou
leurs descendants, jusqu'au troisième degré ; d'autre part,
entre les affranchis et les fdles des sénateurs, jusqu'au
même degré de descendance ^.
L'ancienne prohibition du Connubium entre les Ci-
1 Sur la Loi Canuleia, voir suprà, p. 106. — Hottraann rapporte la
loi à Jules César, Haubold larapporte à Auguste[757].Ut patriciis liceret
libertinas uxores , praelerquam si senatores senatorurave liberi essent.
{Hotom., Index legum. ) — Dans la loi Pappia-Poppaea , qui a remplacé
la loi Julia , de Marit. ordin., il est dit omnibus ingenuis , au lieu des
mots ul patriciis [ Z)., xxiii. 2. 23. ) ; ce qui appuie l'opinion , cepen-
dant douteuse , qu'avant cette loi le mariage était prohibé entre les
ingénus et les affranchis. (D. Trekel , sur Brisson, de Rit. nupt. op.
min., p. 342. ) L'exemple de l'affranchie Hispala , qui dénonça les Bac-
chanales et à qui le sénat permit le mariage avec un ingénu, n'est pas
applicable ; car elle était en même temps courtisane, et il y avait l'em-
pêchement d'honnêteté, levé par le sénat en 568. {Til. Liv., xxxix. 18.)
2 La même prohibition était exprimée pour le mariage avec des
femmes livrées aux jeux de la scène , ou filles de père ou mère de con-
dition scénique.
D., XXIII. 2. 44 , de Ritu nupt. (Paul. ) : Lege Julia ita cavetur :
« Qui senator est , quive filius neposve ex filio , pronepos ex filio nato ,
u cujus eorum est , erit : ne quis eorum sponsara uxoremve sciens dolo
an LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
toyens romains et les Étrangers conserva sa force. La
Loi Mensia^, de Civitate [735], statuait que les enfants
nés de deux époux, dont l'un était étranger, suivraient
la condition la plus défavorable ^ ; cependant ,. si le ma-
riage était contracté de bonne foi avec une étrangère par
un citoyen romain , l'enfant né de cette union était lé-
gitime : cela passait même pour une ancienne exception*.
Le Droit prétorien ne toucha point à la constitution
personnelle de la famille ; mais l'altération des mœurs et
l'influence des relations de Rome avec la Grèce y por-
tèrent une profonde atteinte. Déjà , vers le milieu du
vi^ siècle, la situation de l'épouse s'était gravement mo-
difiée dans la maison conjugale. Impatientes du joug,
les femmes tendaient à l'indépendance. La richesse des
institutions testamentaires ou des legs faits à leur profit ,
le luxe qui en dérivait, l'orgueil qu'elles puisaient dans
la supériorité de leur fortune sur celle de leurs maris,
corrompaient les mœurs antiques de la famille. Porcins
Caton, du haut de la tribune, en 558, reprochait avec
» malo habetô libertinam aut eam quae ipsa , cujusve pater materve
^ artem ludicrani facit , fecerit. Neve senatoris filia , neptisve ex lilio ,
» proneptis ex nepote nata , filio nato, nata : libertino eive qui ipse
» cujusve pater, materve artem ludicram facit , fecerit : spousa , nup-
» tave sciens, dolo malo esto, si neve quis eorura dolo malo sciens spon-
» sam , uxorerave eam habeto.»— La prohibition pour les personnes de
condition scénique fut confirmée par Valentinieu en 454 , et fut abolie
par Justinien en 534. » {Cod. Jusl. , v. 5. 7. — v. 4. 23. 28.)
3 Deterioris parentis conditionem sequi jubet. ( Vlp- Frag. v. § 68.)
4 Gains , ii. §§ 142. 143 : Simile jus olim fuit in ejus persona cujus
nomine ex senatus consulte erroris causa probatur, quia forte ex pere-
grina , vel Latina quse per errorem quasi civis romana uxor ducta es-
set , natus esset.
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. II. 215
force aux femmes romaines d'envier la liberté et même
la licence de toutes choses , et aux citoyens romains de
n'avoir pas conservé le droit et la majesté de l'homme ,
JUS 3IAJESTATEM0LE viRi^. Mais ces rcprochcs sévères
du Censeur ne pouvaient enchaîner le mal. L'influence
de la Grèce se répandait de plus en plus dans Rome,
cette influence dont Pline l'ancien a sévèrement caracté-
risé les tristes résultats , deux siècles après Caton, quand
il a dit « que les Grecs étaient les pères de tous les vi-
ces^. » La femme, d'origine grecque, hautaine dans son
attitude et sa parole, demandait fièrement au chevaUer
romain « si elle n'était qu'une étrangère dans sa mai-
son '^. » — Aussi l'imitation de la Grèce et l'amour des
femmes pour la liberté domestique apportèrent un grand
changement dans la constitution de la famille romaine.
Le mariage 'per usum qui ne produisait plus la puissance
maritale ou la manus , par l'habitude facile de l'interrup-
tion annale, devint le mode le plus fréquent dans l'usage.
On l'a qualifié de mariage libre ; et pour la femme , af-
franchie de l'autorité maritale , c'était vraiment le libre
mariage, comparativement à l'union, plus rare désormais,
qui se contractait par la Coemption ou la Confarréation.
Le mariage libre entraînait à sa suite la facilité du di-
vorce. Le divorce, que le mari seul , selon les anciennes
5 Omnium rerum libertatem , imo licentiam desiderant. {TU. Liv.^
XXXIV. 2. )
6 Grœci , vitiorum omnium genitores. {Flin., Hist. nal., xv. 5. )
7 Cicéron , en parlant de la femme de son frère Quintus, sœur du
grec Atticus , écrivait à celui-ci : « INihil meo fratre lenius, nihil aspe-
»rius tua sorore.... Ula, audientibus nobis : Ego sum, inquit, hic
» HospiTA ? » ( Episl. ad AU., v. 1.)
216 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
lois , pouvait exercer, devint un droit égal en faveur de
la femme ; et la répudiation de la part des époux , comme
de la part des fiancés, devint aussi une faculté réci-
proque ^.
II. — Ce changement dans la constitution personnelle
de la famille en produisit un très-important dans la con-
stitution réelle j ou les rapports des époux quant aux
biens.
Dans les mœurs primitives de Rome , comme on l'a
vu, la femme était presque toujours placée in manu ma-
riti, sous une puissance absolue ,. identique à la puis-
sance paternelle, applicable à la fois à la personne et aux
biens. Si la future épouse était sui juris , et propriétaire
de certaines choses avant son mariage , ses biens , par
l'effet de son union , étaient acquis au mari à titre uni-
versel. — Si , avant son mariage , la fille romaine était
sous la puissance de son père ou de son aïeul, alieni juris,
elle n'avait rien en propre et ne pouvait ainsi rien ap-
porter à son mari ; mais, d'après un ancien usage, at-
testé par S. Sulpicius et Varron , le futur époux, au jour
des fiançailles, stipulait du père que sa iille lui serait don-
née en mariage, avec une somme déterminée''. Le père
promettait solennellement, spondebat; et, selon Yar-
ron , la somme promise était qualifiée sponsa , comme
8 D., XXV. 2. 3, de Div. et Rep. — xxiii. 3. 38 , de Solut. niatr. , et
Brissonn., de Verb. signif., v» Repudium : Repudium non uuptiarum
tantum diremptionem, renimciationemve, sed et sponsalium signiflcat.
9 S. Sulpicius in libro quem scripsit de dolibus : qui uxorem ductu-
rus erat,.... slipulnbalur eam in matrimonium ductum iri. Cui da-
turus eratitidem , spo^debat daturum. (De là vint le mot sponsalia,
fiançailles. ) {Aulu-GelL, iv. 4. — Brisson., de Rit. nupt., p. 207.)
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. il. 217
la fiancée, et quelquefois spo\sio*°. Le mot dos, qui
est d'origine grecque , n'existait pas encore dans la lan-
gue du droit**; mais l'expression datio, rapprochée de
l'idée de mariage , se trouve dans un monument précieux
de l'an 568 , le sénatus-consulte sur les Bacchanales; et
Plante disait, déjà, que la dot c'est de l'argent, dos pe-
cuxiA EST*^. La somme promise par le père au jour des
fiançailles était déposée quelquefois , en attendant les no-
ces, entre les mains des Aruspices , ou donnée le jour du
mariage : elle était vraiment un don acquis au mari par
la tradition de la somme, donum, datio, dos.
Dans le premier cas , où la future était sui juris , où
le mari devenait propriétaire à titre universel des biens
apportés par la femme, le mari était certainement, dans
toute la force de fexpression , le maître des biens ou de
la dot, dominus dotis. — Dans le second cas, et en ap-
pliquant la qualification de dot à la somme versée par le
père de famille entre les mains de son gendre , le mari
donataire était encore, dans le sens propre, le maître
de la dot.
10 « Spondcbatur pecunia aut filia nuptiarum causa.... Appellabatur
» et pecunia, et quse desponsa erat, sponsa....-, « quae pecunia inter se
contra sponsum rogata erat , dicta sponsio ; cui desponsa quae erat ,
sponsus. [ Varro, de Ling. lat., vi. § 70. )
11 Vabbo , V. § 175 : Pecunia vocabulum mutât. Dos, si nuptiarum
causa data, haec graece 5wt£v>3 , ita enim hoc Siculi. — Festus : do-
tera manifestum est ex graeco esse.
12 Utique Feceniae Hispalae datio Utique ei ingemio niibere lice-
rct. {TU. Liv., xxxix. 19.) Pulchra dos pecunia est. (Plaul., Epid., ii.
se. I. V. 11. ) — CicÉBON applique le nom de dot même aux biens de
de la femme en puissance : « Quem mulier viro in manum convenit,
omnia quœ mulieris fuerunt viri fiunt dotis nomke, » — Topic. iv.
218 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
Droit absolu sur les biens ayant appartenu à la femme
avant son mariage, ou sur les valeurs données en vue
des justes noces; tel était le résultat nécessaire du ma-
riage qui entraînait la manus.
Si donc l'on croit devoir , avec Plante et Cicéron ,
appliquer le nom de dot aux biens apportés par la femme
ou à la somme fournie par le père , on trouve ici l'ori-
gine de la dot; mais il est évident qu'aucun régime
DOTAL ne pouvait exister dans ce système de propriété
absolue et irrévocable ; et c'est seulement à mesure qu'on
s'éloignera de l'idée de puissance , de propriété absolue ,
que l'on pourra trouver l'origine du régime dotal et de
la dotalité des biens.
Le divorce était permis au mari seul sous le droit des
XII Tables ; et la femme , dont le lien était brisé , ne pou-
vait avoir, selon la sévère application des principes , au-
cun droit de reprise sur les biens apportés ou donnés. La
confusion de ces biens avec ceux de son mari était un fait
irrévocablement accompli. Sp. Carvilius Ruga, homme
de noble race , ayant répudié sa femme vers l'an 520, ne
fit aucune restitution. « Il est de tradition, dit Aulu-
» Celle , que , pendant près de cinq cents ans , il n'y eut
» dans la Yille, ni dans le Latium , aucune caution , au-
» cune action relative aux biens de la femme mariée. Le
» besoin , sans doute, ne s'en était pas fait sentir , parce
» que l'on ne voyait pas alors de mariage dissous par le
» divorce. Aussi Servius Sulpicius, dans son Traité de
» dotibus , a écrit que pour la première fois , après le di-
» vorce de Carvilius Ruga , on a regardé comme néces-
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. II. 219
» saire la caution des biens de la femme, m uxoriœ*^. »
— Cicéron nous apprend , dans les Offices , que l'action
rei iixoriœ était une action de bonne foi, portée devant les
arbitres*^. — Ainsi l'exercice du divorce introduisit, au
commencement du yf siècle , dans la confusion primitive
des patrimoines de la femme et du mari , une distinction
possible , un cas de restitution de la res uxoria , malgré la
force de la manus et l'acquisition à titre universel.
Mais c'est à la pratique fréquente du mariage fer tisum
(avec l'interruption annuelle de cohabitation) , c'est au
mariage libre que se rapporte le premier régime de la dot.
Caton, en se plaignant de l'entraînement général des
femmes romaines vers la liberté et de l'affaiblissement du
pouvoir marital , dépose du changement opéré dans les
mœurs. — Par son discours sur la loi Yoconia , en 585 ,
il constate en même temps , et l'usage de la dot apportée
par la femme, et l'usage des biens réservés par elle ou ex-
ceptés de la dot. Il nous montre la femme recevant par
testament des sommes considérables , et prêtant , à titre
demutuum, son argent au mari; puis, lorsque la femme,
créancière et capable d'agir , était mécontente ou irritée
contre le mari débiteur, elle le fatiguait de ses exigen-
ces ; elle ordonnait à un esclave , excepté des biens dotaux,
de poursuivre son mari , de le persécuter de ses récla-
mations^^.
13 NuUas rei uxoriœ neque actiones , neque cautiones iu urbe Ro-
mana aut in Latio fuisse.... S. Sulpicius, tuin primum cautiones rei
uxorise necessarias esse visas, scripsit. {Aulu-GelL, iv. 3. )
14 Haec verba excellunt in arbitrio rei uxoriae , melius .eqdius. (0/f.,
III. i5.1
15 Principio nobis juulier mag>'AM dotem adtulit ; tum raagnam pe-
220 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
Vers la fin duvi*' siècle, deux résultats sont donc mis
en évidence : 1" l'usage très-fréquent du mariage fer
MSîm , devenu le mariage libre; T l'usage correspondant
de la dot , sous son nom propre , d'origine grecque , avec
la distinction des biens réservés et non dotaux , qui pren-
dront plus tard aussi leur nom grec de paraphernaux^^.
Tel est le point de départ du régime de la dot. —
Voyons maintenant quels sont les premiers rapports qui
naissent de ce régime nouveau.
Si la future était sous la puissance de son père , elle
ne pouvait , dans cette seconde période de l'histoire du
droit , pas plus que dans les temps antérieurs , constituer
par elle-même aucune dot à son mari. Celui-ci recevait
du père, et à titre de propriétaire,, causa (io/î5, le don
stipulé au moment des fiançailles : mais sa propriété était
résoluble en cas de divorce ; elle l'était aussi en cas de
prédécès de la femme , lorsque le père avait stipulé la
condition de retour. Plus tard, le retour de la dot, au
cuniam recipit quam in viri potestate non committit. Eam pecuniam
viro dat mutuam. Postea ubi irata facta est servum eeceptitium sec-
tari atque flagitare virum jubet. {Aulu-Gell.^ xvii. 6. )
Les comédies de Plante parlent de Vesclave dolal ( Dolalem servum,
act. I. se. 1. V. 71), attaquent souvent le mariage rfo(é, et prouvent que
l'usage nouveau s'était rapidement propagé. Ainsi , dans YAsinaria
(act. V. se. 3. V. 49) la hauteur de la femme dotée est peinte par ces
vers :
.... Venias modo domum , faxo ut scias
Quid pericli sit dolalœ uxori convicium diccre:
16 Le point de vue tiré de l'influence des mœurs grecques et du ma-
riage libre a été parfaitement traité , en premier lieu ( Revue de légis-
lation ) par M. D'hauthuille , dont la perte est si regrettable , et plus ré-
cemment par M. Ginoullîiac. ( Hisl. du Rêg. dotal , p. 85 et suiv. )
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. II. 221
cas de prédécès , exista de plein droit en faveur du père,
qui reprenait la dot, appelée profectice*"^.
Si la femme était sui jiiris , et avait une fortune per-
sonnelle, ses biens lui restaient propres. Seulement elle
donnait, sous l'autorité de son tuteur, ou promettait so-
lennellement une dot à son mari , dicebat dotem. Le
mari qui avait reçu la dot , directement ou en vertu de
l'action attachée à la dictio dotis, en devenait proprié-
taire. S'agissait-il d'un immeuble situé en Italie et com-
pris dès lors parmi les res mancipi? Il en acquérait la
propriété romaine par la mancipation , la cession in jure,
faites causa dotis, ou par l'usucapion, s'il y avait eu sim-
ple tradition. — La dot fournie par la femme était qua-
lifiée d'ADVEXTiCE; elle était acquise au mari, et n'était
point résoluble par le prédécès de la femme; elle était
sujette à résolution, seulement en cas de divorce, sauf
des droits particuliers de retenue , et , spécialement , la
retenue d'un sixième par chaque enfant né du mariage,
de manière cependant à laisser intacte la moitié de la
dot*^. — La loi Julia (de maritandis ordinibus) condamna
la femme qui avait , par sa faute , provoqué le divorce ,
à perdre sa dot en totalité.
Enfin, une dot pouvait être promise ou donnée par
un tiers en faveur de la future , fille de famille , ou sui
juris; et le donateur était libre de stipuler le retour à son
profit, au cas du prédécès de la femme. La dot soumise
17 D. XXIII. 3. 6. de jure dotium : Jure succursum estpatri, ut filia
amissa solatii loco cederet , si redderetur dos ab ipso profecta : ne et
filiœ amisssse et pecunise damnum sentiret. (Pomp.)
18 Propter impensas ; — propter mores; — propter liberos.
222 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
au retour conventionnel était appelée dos receptitia *^.
Quant aux objets non compris dans la dot , il était
d'usage général à Rome que le mari en signât l'état ou
inventaire ^^. Ces objets et les biens qui advenaient à la
femme, pendant le mariage, étaient en dehors du pou-
voir et de l'administration du mari. La femme sui juris
les gérait , et pouvait même les aliéner sans l'autorité de
son tuteur, à moins qu'ils ne fissent partie des choses
mancipi.
En résumé.
Dans le mariage primitif qui produisait la manus sous
la Loi des XII Tables, le principe, à l'égard des biens,
c'était la confusion du patrimoine de la femme avec celui
du mari, sauf, à partir du vi* siècle, le cas d'action ou
de caution relative à la res uxoria pour cause de divorce.
— Le mari était propriétaire à titre universel.
Dans le mariage libre, et sous l'influence des mœurs
nouvelles, le principe était, au contraire, la distinction
des patrimoines de la femme et du mari. Les biens don-
nés ou apportés par la femme l'étaient exclusivement ,
pour cause de dot et à titre singulier , lors même que
la dot embrassait la totalité des biens existants^*. Tous
19 II y avait alors promissiô dolis, dalio doits. — La dictio dolis,
acte solennel, n'était applicable qu'à la femme, au père, à l'aïeul.
{ Ulp. Frag. vi. de Dolibus. )
20 D. XXIII. 3. 9. § 3 . Plane, si rerum libellas marito detur, ut
Romœ vulgo fieri videmus ; nam mulieres res , quas solet in usu ha-
bei*e in domo mariti , neque in dotem dat , in libellum solet conferre ,
eumque libellum marito offerre, ut is subscribat, quasi res acceperit ;
et velut chirograpbum ejus uxor retinet res quae libello continentur in
domum ejus contulisse. [Ulp.)
21 D. XXIII. 3. 72. De jure dotium. (Paul. )
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. II. 223
les biens non compris dans la dot étaient de plein droit
extra-dotaux ou parapliernaux.
Sous l'empire des XII Tables, il y avait une dot pos-
sible, en ce sens seulement que des biens étaient ap-
portés ou donnés au mari; mais il n'y avait pas, pour
les biens venant de la femme , de régime particulier ou
distinct de l'administration maritale. Une seule personne
civile existait, le mari, investi de la puissance paternelle
et unique propriétaire.
Sous l'influence du Droit prétorien ou du Droit non-
écrit delà seconde période, il y avait dot expressément
constituée, et, de plus, régime à part des biens person-
nels de la femme. Pendant le mariage, deux personnes
civiles existaient à l'égard des biens : le mari , proprié-
taire de la dot , dominus dotis , sauf résolution de droit en
certains cas ; — la femme , propriétaire de ses biens ex-
tradotaux , et libre de les gérer.
Jusqu'alors , cependant , le droit du mari sur les biens
de la dot n'est pas altéré ; c'est le droit du vrai proprié-
taire. Pour la première fois, il sera limité par Auguste,
dans la loi Julia, de fuxdo dotali^-. Le mari sera
toujours réputé maître de la dot, mais il ne pourra alié-
ner le fonds dotal situé en Italie , sans le consentement
de la femme ; il ne pourra l'hypothéquer, même avec le
consentement de celle-ci, qui se déciderait plus facilement
à une obligation sans dessaisissement qu'à une vente avec
tradition , et que le législateur veut protéger contre sa
22 Elle est ainsi désignée ; mais elle était comprise comme une dis-
position de la loi Julia , de marilandis ordinibus. ( Paul , Sentenl. )
224 LïV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
faiblesse présumée. La prohibition de la loi Julia est une
limitation imposée au pouvoir du mari sur la chose don-
née; c'est un élément nouveau qui s'introduit dans le droit
civil. Avant la loi Julia, il y avait dot, mobilière ou im-
mobilière, transmise au mari en toute propriété; il y
avait administration distincte des biens du mari , quelle
qu'en fut l'origine, et des biens de la femme non dotaux
ou réservés ; — après la loi Julia , il y aura dotalité des
biens immobiliers apportés en dot par la femme pour
soutenir les charges de la vie commune; alors, mais
alors seulement, le régime dotal, appliqué d'abord aux
fonds italiques et puis aux fonds provinciaux faisant partie
de la dot , prendra vraiment naissance.
A partir de cette époque, la dot est considérée comme
chose d'intérêt public. C'est une pensée poUtique qui en-
tre dans le Droit civil et qui lui impose une modification.
L'Italie était dépeuplée par suite des guerres civiles; à
Rome , le mariage était déserté par les Chevaliers et par
les simples citoyens '^^. Il fallait repeupler la République
et favoriser les seconds mariages ; aussi les jurisconsultes,
s'associant à l'esprit de la loi Julia , disaient expressé-
ment : « Il importe à la République que les femmes con-
» servent leurs dots pour qu'elles puissent se remarier-^. »
A mesure que le germe déposé par la loi Julia s'enra-
cinera dans les mœurs , le Piégime dotal rendra plus ri-
goureuses , 1 ** la conservation de la dot ; 2" l'inaliénabi-
23 Dion a conservé le discours d'Auguste aux chevaliers contre le cé-
libat. Liv. LVI, in piHncip. Montesquieu, Esprit des lois, xxiii. ch. 21.
24 Reipublicae interest mulieres dotes salvas habere , propter quas
nubere possunt. (D., xxiii. 3. 2. {Paul. )
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. II. 223
lité du fonds dotal, comme droit réel, opposable aux tiers.
— Déjà Gaius disait que de son temps les Jurisconsultes
doutaient si la loi Julia , de fundo dotait, ne devait pas
être étendue des terres de Fltalie aux fonds dotaux situés
dans les provinces.
L'intérêt de la femme et des enfants , et à défaut de
ceux-ci , l'intérêt des parents de la femme se substituera,
dans le cours des siècles , à l'intérêt politique de la loi
Julia, à ses vues d'encouTagement pour les secondes no-
ces. La dot sera purement et simplement , du côté de la
femme, un moyen de concourir aux charges du ma-
riage ^^, et le régime dotal sera, pour la famille, la ga-
rantie de son intérêt collectif. Le mari cessera d'être ré-
puté le maître de la dot, selon l'ancienne tradition : la
femme sera censée en être restée propriétaire , à moins
que l'époux, par l'estimation des objets, ne soit réputé
acquéreur, débiteur du prix des choses dotales , et sou-
mis aux risques de leur perte ^®. La dot sera toujours
considérée, sans doute, comme une institution d'ordre
social; mais l'intérêt des enfants et de la famille con-
stituer^Plintérêt d'ordre public, et la maxime des juris-
25 Dotis fructum ad maritiim pertinere debere œquitas suggerit.
Cum enim ipse ouera matrimonii subeat, aequum est etiam fructus
percipere. (Z)., xxni. 3. 7. L'Ip. )
Pro oneribus matrimonii mariti lucro fructus totius dotis esse
manitestissimi juris est. {Cod. Just., v. 12. 20 Diocl., an, 293.)
26 Plerumque interest viri res non esse îestimatas , ne periculum
rerum ad eum pertineat Si prœdiis inœstimatis aliquid accessit
hoc ad compendium mulieris pertinet Si aliquid decessit mulieris
damnum est. (Z)., xxiii. 3. 10. Llp.)
Quotiens res sestimalae in dotem dantur, maritus dominium conse-
cutus , summœ f cZm< prelii débiter efficitur. {Cod. Jusl., v. 12 5.
Ale^., an 221 . )
T. t. 15
226 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
consultes de l'Empire sera conservée seulement dans sa
première partie , en devenant un principe absolu : Rei-
PUBLIC^ INTEREST MULIERES DOTES SALVAS HABERE^'.
Ainsi les institutions se développent , se fortifient en s'é-
loignant de leur origine et des motifs qui les avaient fait
naître. — Ainsi les principes nouveaux qu'elles s'appro-
prient leur communiquent un redoublement de vie , de
durée, et une puissance inépuisable de transformations.
m. — La distinction du patrimoine des époux, qui
se liait directement au mariage libre et à la dot , entraî-
nait la possibilité des donations entre mari et femme.
Les donations anle nupUas étaient permises de la part
du futur époux ou de la future : le plus souvent elles
étaient faites par le futur, en récompense ou en vue de
la dot , mais sans aucune condition d'égalité. La dona-
tion ante nuptlas était une donation entre vifs , irrévoca-
ble ^«.
Le danger des donations entre vifs , pendant le mariage^
les fit exclure; la prohibition fut établie par le droit non-
écrit. « Il est reçu chez nous, par la coutume, dil^Llpien,
que les donations entre mari et femme ne sont pas va-
lables : MORiBUS apud nos receptum est, ne inter virum et
uxorem donationes valermit^^ . » On voulait éviter que les
27 C'est la maxime qui a survécu dans les pays de droit écrit , et qui
revit dans notre Code sur le régime dolal. -
28. D. xxili. 3. 7. § l. 9. § 1. — D. XXTV. 1. 66. — Cod. v. 3. 1.
29 D. XXTV. 1 : Ne mutuato a more invicem spoliarentur. ( L. i. )
Ne.concordia pretio conciliari videretur. ( L. 3. Ulp. )
Quia sœpe futurum esset ut discuterentur matrimonia si non dona-
ret is qui posset, atque ea ratione eventurum ut venalia essent matri-
monia. ( L. 2, Vaul. )
CHAP, V. DROIT PRÉTOTIIEN. SECT. II. 227
époux ne se dépouillassent l'un l'autre par entraînement
d'affection mutuelle , ou que les mariages ne fussent
troublés par des refus de donation ; on voulait garantir
l'époux le plus délicat contre les sollicitations intéressées
de son conjoint, garantir le mariage lui-même de l'at-
teinte des divorces, inspirés par le ressentiment des
âmes vénales ; on voulait enfin, en cas de divorce, faci-
liter les seconds mariages par la conservation de la for-
tune de chaque époux.
Les donations entre vifs, même mutuelles, étaient pro-
hibées par ces motifs, à moins qu'il n'y eût entre elles
une parfaite égalité : dans ce cas , la donation prenait le
caractère d'un échange^''. Or, la donation entre vifs
était prohibée, à raison des motifs d'ordre public qui
viennent d'être rappelés; mais les autres contrats, tels
que la vente, l'échange, le prêt, le mandat, n'étaient
point interdits d'un époux à lautre : la règle, à ce sujet,
c'était la capacité.
La prohibition des avantages entre -vifs n'était éta-
blie, au surplus, qu'en vue du mariage et de la personne
même des époux. Elle n'était point fondée sur l'intérêt des
familles respectives , et sur la conservation des biens dans
ces familles. Aussi les époux, en général , étaient libres
de s'instituer héritiers et de se léguer par testament, ou
de se donner par donation à cause de mort : entre mari et
femme, les donations à cause de mort étaient permises
30 D. xxïT. 1. 7. § 2 : Placuit compensationerti fieri donationiiin.
Cette loi a eu de l'influence sur notre ancienne jurisprudei c '. Nos ju-
risconsultes appliquaient la loi 7 au don mutuel. La Glose de Godefroy
renvoie au comment, de Pyrrhus sur la Coul. d'Orléans. {Aurelinn. con-
sueUidines a Pyrrhoenuclealœ. Disp. de donal. muL, édit. 1547, f« 170}
%%S LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
parce que l'événement delà donation , dit Gains , se pro-
duit dans un temps où il n'y a plus ni mari ni femme ^*.
IV. — Les femmes non seulement pouvaient, selon
l'ancien droit, être gratifiées de dons et legs, ou se voir
instituer héritières par le testament de leur mari; elles
pouvaient aussi recevoir de parents ou même d'étrangers
des legs et des institutions testamentaires. Cette faculté
illimitée d'accepter des libéralités engendra de graves
désordres dans la cité et dans la famille. Ce fut pour y
remédier et pour arrêter l'affaiblissement des mœurs an-
tiques que M. P. Caton fit porter, par le tribun Yoconius,
et soutint avec énergie, en 585, la Loi Yoconia, dont
les prohibitions , dirigées contre les femmes , s'appliquè-
rent aux testaments des pères , des maris et de tous les
citoyens étrangers à la parenté ^'^.
Bien des systèmes se sont produits à l'occasion de cette
Loi célèbre ; les circonstances dans lesquelles elle a été
rendue peuvent concourir à en éclairer l'esprit politique
et civil ^^.
31 D. XXIV. 1. 9. § 2. 10 § 1 : Quo vir et uxor esse desinunt.
Sous l'Empire [211], les donations eutre vifs restèrent prohibées à
ce titre , mais elles furent assimilées à des donations à cause de mort,
révocables par l'époux donateur, et subordonnées à la survie de l'époux
donataire.
32 Quum ego quideni (Cato) V etLX annos ûatus legem Voconiani
magna voce et bonis lateribus suasissem. Cic. de Senect., v
33 On peut consulter Aymar Rivail, Historia Juris [1515J; le pré-
sident Bbisson , de Verh. signif. ; Hottmann , Index legum ; Pekizo-
Nius, de lege Voconia [ 1G79 J , qui a éclairci beaucoup de difllcultés ;
ViNNius, Inst,, 11. 23 , no 5; Gravina, de Leg. et SNC, cap. 7G ;
Heinecctus , Ant. rom. , annotées par Humbold et Muihenbruk , ii.
44. § 2 ; iMoNTESQi'iEU , XXVII , cbap. unique ; Savigny, Comm. sur
la loi Voconia; M. Giuaud, Mém. à l'Acad. des sciences, nior. [1841].
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. II. 229
Depuis l'agrandissement de Rome par des conquêtes
lointaines, le sénat avait acquis, dans l'administration de
l'Etat, une immense autorité. Mais la noblesse patri-
cienne, comme aristocratie, voyait tous les jours dimi-
nuer sa puissance ; l'équilibre entre les deux Ordres qui
avaient fait la force de la République, subissait une pro-
fonde altération. Les Chevaliers et même les Plébéiens
assez riches pour payer le cens sénatorial , étaient intro-
duits en grand nombre dans le sénat '^. Le censeur Ap-
pius Claudius avait donné , au v^ siècle , l'exemple de fils
d'affranchis créés sénateurs"'^. Les plébéiens acquéraient
des richesses et par l'effet des victoires de la Républi-
que , et par leur union avec des femmes de race noble ou
patricienne, qui apportaient de grands biens en dot, et
qui recevaient, en outre, pendant le mariage, des legs
et même des hérédités. La République était donc entraî-
née, en même temps, sur le penchant de la démocratie et
vers la- corruption des mœurs publiques et privées, con-
séquence presque nécessaire des richesses et du luxe. —
Quelques grands personnages avaient fait effort, vers la
fin du VI* siècle , contre ce double entraînement : le Cen-
seur Simpronius Gracchus, par son action sur les Tribus
[584]; les Censeurs Fulvius etPosthumius, par leur ac-
Ce Mémoire rappelle les productions de la science allemande sur la loi
Voconia ; et Tun des érudits d'outre-Rhin a méconnu son vrai carac-
tère , qui est d'offrir une analyse critique des travaux contemporains.
34 Le cens sénatorial était de 800 sesterlia ou 800,000 seslerlii
( 131,000 fr. ) — L'ordre des chevaliers fut appelé vers cette époque le
séminaire du sénat : seminnrium senalifs. ( Tilc-Live , xlii. Ot. )
35 Ap. Claudii censura vires nacta , qui'senatum primus libertino-
rum filiis lectis inquinaverat. ( TU. Liv., \x. 46.)
INiebuhr, v. p. 407, place la censure d'Appius Claudius à l'an 4S6.
230 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
tien sur le Sénat qui put voir parmi les sénateurs dégradés
l'indigne fils du grand Scipion [579] ; le tribun G. Op-
pius y par la loi Oppia, contre le luxe des Matrones [540],
loi qui fut abrogée vingt ans après sa date , malgré la
véhémence de P. Caton, et aux applaudissements des
femmes romaines; enfin le tribun G. Furius, par les
premières tentatives de la loi Furia, jpour réprimer la
valeur excessive des legs [571]. — Gaton le Genseur,
quoiqu'il ne fût pas de race patricienne, et qu'il eût
trouvé même les patriciens opposés à sa Gensure, l'aus-
tère Gaton s'associa fortement à l'espril de résistance, et
embrassa dans ses vues l'ordre politique et civil.
Par la loi Voconia, dont la pensée lui appartient, il
éleva une barrière contre les déplacements des grandes
fortunes. Il entreprit de raffermir l'aristocratie patri-
cienne, en faisant une Loi prohibitive, toute favorable
aux citoyens de la première classe, et en empêchant les
plus opulentes successions de passer, par les femmes y
dans des familles étrangères. Le principe de la loi Yo--
conia ,. dans l'ordre politique, état k conservation des
biens dans les familles les plus riches et les plus illus-
tres^'^. — Dans l'ordre civil, Gaton eut pour objet de
fortifier le gouvernement domestique : il voulait relever
la puissance maritale, atteinte dans sa force et sa dignité
par les institutions testamentaires et la grandeur des legs
qui se multipliaient en faveur des femmes; il voulait
36. Tit. Liv., xli. 34. Hactenus feminas non minus qiiam viros ad
hereditates admitti jus fuerat. Inde fiebat ut illuslrissimarum sœpe
familiarum bona in aliénas domos transfundcFentur , magno cuni rei-
publicœ danino, cujus iuterest claroruin nominum lieredibu.s suppe-
t«re opes. ..
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. II, 231
réfréner le luxe des matrones, l'esprit d'orgueil et de
domination qu'elles puisaient dans le sentiment de leurs
richesses, et prévenir la dépendance humiliante dans la-
quelle, impérieuses créancières, elles maintenaient leurs
maris débiteurs , toujours menacés des poursuites d'un
esclave , ou des volontés d'une épouse irritée^'.
Conserver les forces respectives et l'équilibre des Or-
dres de l'Etat; — maintenir ou fortifier les mœurs de la
famille : tel fut donc l'esprit général de la loi Yoconia.
Pour retrouver l'ensemble de ses dispositions, on ne
peut aujourd'hui que rassembler et comparer différents
passages de Cicéron, de Tite-Live , de Gains, d'Aulu-
Gelle, de Quintilien , de Pline, de Saint-Augustin. Une
première remarque est essentielle : le but principal des
dispositions de la loi était relatif aux hérédités et ^ux
legs qui concernaient les femmes. Mais ce n'était pas son
seul objet ; elle en avait un autre d'une importance se-
condaire , et cependant d'une application plus générale :
c'était de réduire les legs, sans distinction du sexe des
légataires, à une portion égale à celle de l'héritier, et
d'ajouter ainsi, en faveur des héritiers institués, une ga-
rantie vainement cherchée par la loi Furia , antérieure
de quelques années ^^. Nous n'avons pas à nous occuper
ici de cette seconde partie de la loi Yoconia ; nous vou-
lons seulement nous attacher au but principal de la loi ,
37 Peouniam viro dat mutuaiii : postea uhi irala fada est servum
receptitium sectari atque flagilare vîrum jubel. [Aulu-Gell. , xvii. 6. )
38 Ideo postea lata est lex Yoconia , qiia cautum est ne cui plus le-
gatorum noniine niortisve causa capere liceret , quam heredes cape-
rent. {Gains, ii..§ 226.)
232 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE,
aux résultats qui concernent les femmes romaines , et à
ceux de ces résultats cfui paraissent les mieux soutenus
par la combinaison des textes anciens ou nouveaux.
La loi Voconia, dans ses rapports avec le sujet qui
nous occupe, avait deux dispositions fondamentales :
L'une prohibait Tinstitution d'héritier en faveur
d'une femme romaine, mariée ou non mariée;
L'autre limitait à une certaine portion la faculté de dis-
poser en faveur des femmes, a titre de legs.
Quant aux successions ab intestat, la loi Yoconia y
était restée complètement étrangère.
Nous devons considérer rapidement ces divers points
de vue.
I'* La prohibition relative à l'institution d'héritier n'é-
tait pas absolue; elle concernait seulement les citoyens,
hommes ou femmes , qui étaient inscrits au Cens , dans
la première classe, établie d'après l'ancienne distribu-
tion de Servius Tullius; c'est-à-dire dans la classe de ceux
qui possédaient un patrimoine de cent mille as et au
dessus ^^. — Ceux-là ne pouvaient pas instituer une fem-
39 Annius Asellus.... quum haberet iinicam filiam , neque census
ESSET, quod eum natura liortabatur, lex nuHa prohibebat, fecit ut
filiam bonis suis heredem institueret. ( Cic, in Verrem., i. 41. \
Voconius.... sanxit in posterum qui post eos censores census
ESSET, NE QUIS HEREDEM VIUGINEM NEVE MULIEKEM faCCret. {M. 42.)
Item mulier, quœ abeo qui centdm millia .^ris census est, per
Jegem Voconiam beres institui non potest... {Gains , ii. § 274. )
Les cenliim millia œris se rapportent aux cent mille as de Servius
Tullius; car Varron dit formellement que ^s était pris pour l'ancien
mot AS, [De Ling. lai., v» ms. ) Aulu-Gelle , vu. 13 , dit aussi ccnlum
millia œris. Le mémoire de M. Giraud réfute victorieusement les ar-
guments contraires (p. 27.) Long-temps avant la découverte du ma-
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. IL 233
me comme héritière, même leur fille ou leur épouse,
même leur fille unique ^'^ : sur ce dernier point on pos-
sède le témoignage de Tite-Live et celui de Saint-Au-
gustin qui dit, dans la Cité de Dieu , nec unica3I filiam;
ce qui exclut les conjectures contraires de Savigny.
Les citoyens inscrits au Cens, dans une classe infé-
rieure à la première, ou ceux qui n'auraient atteint la for-
tune des cent mille as que dans l'intervalle des cinq ans ,
d'un recensement à un autre, pouvaient librement con-
férer à une femme romaine , mariée ou non mariée , l'in-
stitution d'héritier ; l'incapacité ne les frappait nullement
ou ne les frappait point encore^*.
nuscrit de Gaius , ce point avait été comme deviné par notre plus an-
cien historien de droit , Aymar Rivail : Ise quis census , hoc est
pecuniosus, heredem nec uniouni filiam, rehnqueret. Erat autem cen-
sus ille qui centinn millia.... detulisset. (Il se trompait seulement sur
la valeur de l'as, auquel il substitue cenlum millia sesleriitim.)
40 jN'llli ncqiie virgini , neque mulieri.... ( Cic, in Verr., v. 42. )
« ?se quis , qui census esset , heredem virginem , neve mulierem fa-
ceret. » ( lit. Liv., xli. 34. )
Lata est etiam illa lex Voconia ne quis heredem feminam faceret ,
nec UNicAM FILIAM. ( S. AuGUST., de Civil, dci., m. 21. )
41 Classici dicebantur non omnes qui in classibus erant , sed primœ
tantum classis homines Infra classem autem appellantur secundae
classis , caeterarumque omnium classium , qui minore summa seris
censebantur. Hoc eo strictim notavi quoniam in M. Catonis oratione,
qua Voconiam legem suasit , quaeri solet quid sit classicus , quid infra
classem. {Aulu-Gell., vu. 1.3. )
Voconia le.x te videlicet delectabat? — Imitatus esses ipsum Voco-
nium qui lege sua hereditatem ademit nulli neque virgini, neque
mulieri. Sanxit in posteruin qui iposl cos censorcs census csscl —
Post te prœtorem multi testamento eodem modo feceruut : in his
nuper Annia. Ea, de multorum propinquorum sententia, pecuniosa
mulier , quod censa non crat , testamento fecit heredem filiam. ( Cic,
in Ferr., I. 42. 43. )
234 LIV. I. — ÉPOQUE ROMALNE.
2" A l'égard des simples legs , c'était aux citoyens, in-
scrits dans la première Classe , que s'adressait aussi la Loi
Voconia'^^ : elle leur défendait de léguer à une femme
au-delà de la portion légalement déterminée. Cette por-
tion paraissait être, règle générale, du quart de leurs
biens. On peut opposer les expressions de Tite-Live qui
fixe en sesterces la valeur disponible. Mais au vi* siè-
cle;, le Sesterce, dans ^on rapport avec le denier d'ar-
gent , unité monétaire , représentait le Quadrans dans son
rapport avec l'ancien As d'airain , unité monétaire de Ser-
vius Tullius; c'était la nième quotité, le quart, expri-
mée différemment; et le legs permis était vraisemblable-
ment un legs partiaire, ex (luadranie^^ . Dion Cassius , en
marquant l'usage pratiqué du temps d'Auguste , nous
42 Quid , si plus legaril quam ad heredem , heredesve perveniat ,
quod per legein Voconiam ei qui census sit non licel?(Cic., in
Verr., i. 43. ) Tite-Live n'offre pas un texte aussi précis.
43 Tit. Liv., xLi. 34 : Ne liceat..... percipere ultra centum miilia
sestertium. On sait que le livre xli de Tite-Live n'a pas été parfaite-
ment conservé ; mais on peut expliquer le texte de Tite-Live par le pas-
sage de Pline sur la transformation des monnaies à Rome (liv. xxxiii.
cap. 3.) L'as originaire, valeur de poids et valeur intrinsèque, équi-
valait à une livre de douze onces d'airain. Pendant la première guerre
punique , l'as est diminué de dix onces quant au poids, et conserve sa
valeur première, comme signe représentatif. U'œs (pesant deux
onces) est frappé comme unité monétaire, et avec lui des monnaies
représentant le tiers et le quart, de l'as , et appelées l'une triens ,
Vautre quadrans. Pendant la deuxième guerre punique, l'as fut ré-
duit au poids d'une once. — Mais le denier d'argent , unité nouvelle ,
représenta seize as ou seize onces, et le sesterce représenta quatre
as ou quatre onces. Ainsi le sesterce , dans son rapport avec le de-
nier, représenta le quadrans , dans son rapport avec l'as d'airain ;
c'était toujours le quart par rapport à l'unité monétaire , et le signe
du quart considéré comme quotité {quadrans).
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. II. 235
apprend que pour laisser un tiers de ses biens à Livie
(ex iriente), Auguste fut obligé de demander au sénat
l'autorisation de léguer au-delà de la portion permise
par la Loi^* : donc la portion ordinaire et légale était
inférieure aux tiers.
Mais il y avait, à l'égard des legs, une exception en
faveur de la fille unique du testateur. Cicéron a tou-
jours expressément distingué la fille unique à l'égard des
autres femmes. Dans le Traité de la République , où il
représente la loi Voconia comme s'appliquant tout à la
fois aux legs et aux hérédités concernant les femmes, il se
demande pourquoi , s'il s'agissait d'imposer une mesure
à la fortune des femmes , la fille de Crassus pourrait avoir
millies œris , 100 millions de sesterces (ou 21 millions de
francs), si elle était fille unique, tandis que sa fdle
à lui, qui avait alors un fils, n'en pouvait avoir que tri-
cies , 3 millions de sesterces (ou 630,000 francs). — Cette
différence entre la situation des deux filles de Crassus et
de Cicéron ne peut être expliquée par la différence entre
l'hérédité ab inlestat et l'hérédité testamentaire ; car Cicé-
ron aurait pu , comme Crassus , ne pas faire de testa-
ment ; mais elle s'explique, tout naturellement, et par
la différence de fortune entre Crassus et Cicéron dispo-
sant Fun et l'autre en faveur de leur fille, et jxir la dif-
férence de qualité entre les deux filles : cella de Crassus
était supposée fille unique^ tandis que la fille de Cicéron,
à l'époque où il écrivait son Traité , en 70 i , avait un
frère. La portion disponible en faveur de la fille unique
44 Ex tricnle Livia a senatu petierat ut tantum etiam prœter
legum prœscripta legare ei posset.... {Dion., lvi. — Xyland. inlerp.)
236 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
était probablement de la moitié des biens. Crassus pou-
vait donner à sa fille unique mUlies œris , disait Cicéron;
or, il était de notoriété publique, à Rome, que Crassus
avait une fortune territoriale évaluée à bis millies : le
fait est attesté par Pline l'ancien ^^. C'était donc à la
moitié de la fortune de Crassus que Cicéron faisait allu-
sion , en parlant de son droit de disposer , s'il avait une
fille unique. — Le titre et le texte d'une déclamation de
Quintilien, sur la fraude à la loi Yoconia, ne permettant
de donner à une femme que la moitié des biens , ne liceat
mulieri , nisi dimidiam partem bonorum dare , ne peuvent
se rapporter qu'à ce cas particulier d'une fille unique.
Le témoignage de Dion, sur les autres cas, détermine à
moins du tiers la quotité disponible ^^\
Quoi qu'il en soit, sur l'exacte quotité, la différence
45 Cic, de Rep. , m. 7 : Cur aiitem si peciinise modus statuendus
fuit feminis , Crassi filia posset liabere , si nnica patri «sset , œres mil-
lies salva lege; mea tricies non posset? — Plin., Hist. nat., xxxiii.
10 : M. Crassus negabat locupletem esse, nisi qui redditu annuo le-
giouem tueri posset. — In agris suis sestertium mm. possedit,
Quiritium post Syllam diditissimus. {Elzèvyr, 1635.)
46 Quintil. , Déelam., n» 264 (m fine) : Satis hoc quacsitum ne uni
plus quani dimidia pars patrimonii relinqueretur. — La quotité ordi-
naire du quart est conforme à l'opinion d'Hottmann , de Cujas , de
Vinnius (ii.- c. 23), de Gronovius, de Gravina (c. 76.) — Nous n'avons
pas trouvé de motif sufflsaut pour la rejeter. M. Giraud a supposé que
la portion ordinaire était de la moilié. Il nous semble que l'erreur vient
de ce que M. Giraud n'a pas fait une distinction qui naît des textes,
entre la tille unique et les autres femmes.
D'après la proportion de la demie et du quart, indiquée dans notre
texte , il résulterait que Crassus avait une fortune territoriale évaluée
à 200 millions de sesterces, ou 42 millions de francs, et que Ci-
céron avait une fortune de la valeur de 12 millions de sesterces , ou
2 millions 520,000 francs.
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. II. 237
entre les libéralités autorisées n'allait pas certainement
jusqu'à permettre de donner à la fdle unique la totalité
des biens : on ne l'aurait pu que par l'institution d'héri-
tier; et saint Augustin, dans la Cité de Dieu, a dit po-
sitivement que la loi Yoconia ne permettait point d'in-
stituer une femme pour héritière , pas même une fille
unique.
3° Le passage de Cicéron, que nous avons interprété
plus haut, sur la position de la fille unique de Crassus,
et le témoignage de Saint-Augustin , qui confirme celui
de Tite-Live , repoussent la doctrine professée par Savi-
gny, savoir, que la loi Yoconia autorisait l'institution
d'héritier en faveur de la femme romaine, lorsque l'in-
stituée aurait pu recueillir l'hérédité ab intestat ^'. La
loi Yoconia prohibait formellement l'institution d'héritier
en faveur de la femme, de la part des citoyens de la
première classe, sans aucune distinction : « Ne quis
(CEiSSUS) HEREDEM VIRGINEM NEVE MULIEREM FACIAT. *^ »
Mais elle restait complètement étrangère aux successions
ab intestat. Quelques déplacements de fortune étaient
sans doute possibles en ce cas , par l'effet des mariages ;
mai^ en statuant sur les hérédités testamentaires des ci-
toyens de la première Classe , la loi protégeait la plupart
des riches patrimoines contre l'influence des femmes ; car
les citoyens, et surtout les citoyens notables, répu-
47 Savigny, Coram. ùber die lex Voconia; vorgelesen in der Berlin.
Akad. (1820.) — Mùhlembruch , in Heinecc. , Antiq. Piom., p. 432.
48 Cic, in Verr., 1. 42. Tite-Live répète les mêmes expressions de
la loi : Virginem neve mulierem ; Gaïus dit sans distinction aucune :
MuLiER ab eo qui census est per legem Voconiam i?\Stitui non
POTEST. (il. § 274. )
238 LIV. I. — EPOQUE ROMAINE.
gnaient à mourir «6 intestat. Tous , au contraire, étaient
jaloux d'exercer leur puissance de tester. — En portant
ses prohibitions sur les hérédités testamentaires , la loi
statuait donc pour les cas les plus ordinaires. L'hérédité
légitime ou ab intestat n'était que l'exception dans les
mœurs de Rome et des patriciens.
La loi Vo^onia , qui restreignait la fortune des fem-
mes, en gênant la liberté testamentaire des hommes,
rencontra de vives oppositions dans les esprits, et con-
tribua à l'introduction de l'usage des fidéicommis. Ci-
céron lui-même la critique ouvertement dans le Traité
de la République. Il dit qu'elle avait été portée pour
l'utilité des hommes, et qu'elle était pleine d'injustice
outre les femmes. — « Pourquoi donc, ajoute-t-it, la fem-
» me n'aurait-elle pas une grande fortune? — Pourquoi
» la mère d'une Yestale ne pourrait-elle pas avoir sa fdle
» pour héritière, lorsque la Vestale peut, par testament,
.» se donner un héritier? » L'objection était faite par le
jurisconsulte philosophe de Rome ; mais le philosophe
était le père qui , plus tard , éleva un temple à la mé-
moire de sa chère Tullie. L'objection , tirée d'un cas
singulier, prouvait peu, du reste, contre l'esprit général
de la loi de Caton. Et cependant Auguste en fut frappé;
car Dion Cassius nous apprend qu'il affranchit de la loi
Yoconia les femmes qui se vouaient à une virginité per-
pétuelle^^.
Pour vaincre la résistance que la loi trouvait dans les
mœurs, d parait qu'en certaines circonstances, peut-
49 Ea quoque Lege quasdam solvit, quae perpetuam virginem ser-
vareut. (Dio Cass., lib. lvi. Xyland. inlerp.)
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. II. 239
être au moment de rinscription au Cens, on' faisait jurer
aux citoyens l'observation de la loi ^". Mais ils éludaient
la loi et le serment par les fidéicommis ; et du temps
de Cicéron, où les fidéicommis n'avaient pas encore la
force obligatoire, l'estime s'attachait au nom du citoyen
qui avait accompli le vœu du défunt, et le blâme frap-
pait celui qui préférait ses intérêts et l'observation de la
loi \ oconia au respect des intentions du testateur.
La Loi prohibitive avait sa sanction dans des dis-
positions pénales, qui faisaient une part au Trésor pu-
blic^', et dans le principe général du droit, qui défen-
dait aux citoyens de faire fraude à ta loi, selon l'expres-
sion du jurisconsulte Julien ^'^. — Toutefois, la défense
de faire fraude à la loi n'empêcha pas, à une époque où
les fidéicommis furent reconnus obligatoires , l'effet des
fidéicommis expressément portés dans les testaments en
faveur des femmes. Gains atteste que , de son temps ,
la femme pouvait recueillir ainsi, par fidéicommis, l'hé-
rédité qu'elle n'aurait pu recevoir directement, en rai-
son de la loi Yoconia^^'. Le fidéicommis tacite était seul
50 Addebat (Sextilius Rufus) se iii legem Y oconiam juralum , con-
tra eam facere non audere, nisi aliter amicis videretur. ( Cic, de Fi-
nibus , II. 17. )
51 « Locupletabant et fiscum et aerarium non tam Voconice et Juliœ
leges^ q'.iam majestatis singulare et unicum crimen eoruni qui cri-
mine vacarent. » (Plin. Jim., Panegyr. Trajani. )
Les mots penilus sustulisti , qui sont dans le passage qui suit ianné-
diatement, ne s'appliquent qu'à l'accusation du crime de lèze-majesté,
et non aux lois JuUa et Voconia.
52 D. xLix. 14. 3. Fraus legi fieri videtur.
53 Gaius , II. § 274 : Tanien fideicoraraisso relictam sibi haeredita-
teni capere potest.
240 HV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
puni; et les Lois romaines, sur les droits du Fisc, por-
taient que celui-là n'était pas censé avoir fait fraude à
la loi, qui avait été ouvertement prié de restituer l'hé-
rédité^* : tant il est difficile qu'une loi contraire aux
mœurs d'une société puisse exercer un véritable empire!
§ 2. — changements par rapport au père , aux enfants , a
l'ensemble de la famille.
Nous avons marqué , relativement aux époux , et il
faut suivre , relativement au père , aux enfants , et à l'en-
semble de la famille , les changements qui se font dans la
constitution personnelle et réelle de la Famille romaine.
Le Droit prétorien et le Droit non-écrit ne modifièrent
point la puissance paternelle , en ce qui concerne les
rapports des personnes. Le pouvoir du père avait con-
servé , au temps de Cicéron , tout son caractère de sévé-
rité ^^. Salluste cite l'exemple de Fulvius, fils d'un sé-
nateur , que son père fit mettre à mort , parce qu'il
avait trempé dans la conjuration de Catilina ; et Valère
Maxime , entr'autres exemples , cite celui d'Atilius Phi-
liscus , homme de mauvaises mœurs , qui tua impuné-
ment sa fille , coupable d'impudicité ^^.
54 Non intelligiUir fraudem legi fccisse qui rogatus est palam resti-
tuere.... ( D. xltx. 14. 3. ) Ceci explique le passage du Panégyrique.
55 Cic, de luvent., ii. 17, rapporte l'exemple du tribun Caius Fla-
niinius, que son père arracha de la tribune aux harangues [an 521],
sans quH le peuple réclamât; mais la puissance paternelle ordinaire
ne touchait pas aux choses de droit public.
56. Sa'lust. Catil., xxxix. Val. Max., vi. 1. § 7. Filiam suam , eo
quod stupri se crimine coinquinaverat , interemit.
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. II. 241
Mais les Lois spéciales , le Droit non-écrit , le Droit
prétorien , apportèrent de grandes modifications au pou-
voir du chef de famille de disposer de ses biens de la
manière la plus absolue , soit par donation entre vifs ,
soit par testament.
1. — Les donations entre vifs, sous le Droit des XII
Tables, étaient assujetties aux formes générales de l'alié-
nation des choses mancipi vel non; mais elles ne subis-
saient aucune limite de quotité. La loi Cincia , plébiscite
du vi^ siècle , posa une borne à la valeur des donations.
Selon les conjectures de Savigny , adoptées par G. Hugo,
la même restriction avait été apportée par la loi Cincia
aux donations [530] , et par la loi Cornélia [673] aux
cautionnements ^"^ : or , celle-ci défendait de cautionner
pour une valeur supérieure à vingt mille sesterces (envi-
ron 4,000 fr. de notre monnaie). — Cette opinion nous
paraît très-difficile à admettre à cause du long intervalle
qui sépare ces deux lois ; et la limitation de somme, mille
as, fixée dans le même siècle, vingt ans plus tard seu-
57 INDI. Savigny, W^arkœmg , Mulhembruch , Marezoll , ont résumé
les résultats de leurs travaux sur la loi Cincia : le premier, dans un com-
mentaire qui a servi de guide ( inséré au recueil intitulé Zeilschrisl ,
t. IV); — le deuxième , Institut. Juris romani, § 951 [1834]; — le troi-
sième, Doctrina Pandect. ( m. 10. §§ 417. 422 ), et Annotations sur
les Antiq. d'Heineccius (ii. 7. § 13 [1841], p. 396); — le quatrième,
Droit privé des Romains , 2e partie, liv. m. § 127, traduction du sa-
vant professeur de Pandectes , M. Pellat.
G. Hugo , 1. § 280 , renvoie à Savigny pour la fixation de quotité.
Les fragments du Vatican contiennent un titre de donalionibus ad
legem Cinciam. — Ils furent découverts en 1821 par M. Maï, publiés
en 1823, bur un manuscrit du v« siècle. — Ils se trouvent dans le Jus
nnlejuslinianeum de M. Blondeau (p. 374.)
T. 1. 16
2!42' LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
lemeiit, par la loi Furia sur la valeur des legs, nous
semble bien plus applicable à la loi Cincia : ce qui est
certain, c'est que les donations entre vifs ne pouvaient
dépasser une valeur déterminée.
La Loi Cincia était une garantie en faveur de la famille
contre les libéralités inconsidérées du citoyen. La restric-
tion n'existait pas pour les donations au profit de certai-
nes personnes formant une classe exceptionnelle (exceptœ
■personœ). Paul, od legem Cinciam, a désigné cette classe
qui comprenait les parents jusqu'au sixième degré et
ceux qui se trouvaient sous leur puissance, les alliés au
premier degré , les fiancés , le tuteur disposant en faveur
de son pupille , l'affranchi en faveur du patron ou de ses
enfants"*. Le nombre et la qualité des personnes excep-
tées prouvent que le plébiscite ne voulait nullement en-
traver, entre parents , entre futurs époux, les sentiments
de libéralité; mais que la loi Cincia, favorable à la fa-
mille, élevait sa barrière ou ses restrictions contre les
personnes étrangères au donateur.
Cette loi avait une sanction imparfaite , en ce sens que
la donation excessive n'était pas nulle de plein droit ^^;
mais si le donateur avait payé ou livré contre le vœu du
Plébiscite, il avait le droit de répétition pendant toute sa
vie; et non seulement le donateur lui-même, mais tout
citoyen pouvait agir , car \ exception de la loi Cincia était
58 Frag. Vat., §§ 266. 298. 299. 300. 301. 302.
59 Ulp., Frag., § 1. de Legibus, dit : Iniperfectalex.... Veluli Cin-
cia quœ supra cerlum modum donari.... prohibet , exceptis quibusdam
cognatis, et s[ plusdonatum sit, non kescindit. (Les mots en ita-
lique snut pris de la restitution de texte faite par Cujas et générale-
ment adoptée).
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. II. 243
d'intérêt public et réputée populaire : Etiam quivis, dit
Ulpien, quasi fopularis sif excepfio^^. Si l'exception n'avait
pas été exercée pendant la vie du donateur, elle était pé-
rimée , et la donation assimilée à une disposition à cause
de mort^\
Au surplus , la loi Cincia ne regardait d'aucune ma-
nière les donations fait^ par le chef de famille aux
enfants placés sous sa puissance : celles-ci ne consti-
tuaient que des donations provisionnelles en avancement
d'hoirie y comme on dirait aujourd'hui, une sorte de pé-
cule profectice, toujours rappor table, sauf les fruits,
à l'hérédité du père. Servius Sulpicius, dit Papinien ,
ne voulait pas que ce fût même un titre à l'usucapion ,
si le frère avait laissé son frère en possession de l'objet
donné, non compris, par erreur de droit, dans le partage
de l'hérédité^'-.
II. — Dans le même siècle où la loi Cincia limitait les
donations entre vifs , un autre plébiscite , la Loi Furia
TESTA3IENTARIA , vcrs o7l, interdisait aux citoyens la
faculté de faire des legs ou donations , à cause de mort ,
de plus de mille as^^, sauf exception en faveur des pa-
60 Frag. Vat. , §§ 266. 294. Seraper exceptione Cinciae uti potuit
non solura ipse.... Verum etiam quivis....
61 Frag. Vat., §§ 294. 312. — La persévérance de volonté, disait
Papinien , périmait l'exception.
' 62 Frag. Vat., § ult. 296. Si possessionem errore juris reliquit.
63 Suivant le tableau de conversion des monaaies , donné par M. Bu-
reau de la Malle , dans son savant traité de VEconomie politique dis
Romains,Vas, X^ et puis XVI^ partie àndenarius d'argent, aurait valu
7 centimes [après l'an 513 ], et raille as environ 150 fr. Ce résultat ne
nous semble pas applicable à la loi Furia. Il n'est pas probable qu'on ait
voulu réduire les legs à une si modique valeur; et nous pensons que,
244 LIV. I. — ÎÉPOQUE ROMAINE.
rents jusqu'au sixième degré®*; mais le testateur pou-
vait épuiser ses biens en legs de cette valeur , et ne
laisser à ses enfants ou autres héritiers institués , qu'une
qualité presque illusoire. — Un€ disposition particulière
de la loi Yoconia, peu de temps après [080], eut pour
objet de suppléer à l'insuffisance de la loi Furia : elle ré-
duisit l'étendue des legs à une portion égale à celle de
l'héritier ou des héritiers institués. Cette restriction de
la faculté de léguer , cette subordination de la quotité
des legs à la part de l'institué, était un moyen d'arrêter
la trop grande division des héritages , et de conserver
une partie des biens dans les familles; mais les Romains,
jaloux de leur liberté testamentaire , et fidèles au prin-
cipe de la Loi des XII Tables , UTi legassit suiE rei ita
JUS ESTO, se jouaient de l'obstacle apporté par la loi Yo-
conia ; ils épuisaient leur patrimoine en une multitude
de legs modiques, et ne laissaient ainsi à l'héritier institué
qu'une minime portion de leur héritage, sans violer la
lettre de la loi , salva lege.
dans les lois qui étaient rendues sous l'empire du droit des XII Tables,
on indiquait la monnaie et les valeurs conformément à celles expri-
mées par la loi fondamentale. Ainsi, la loi Furia disait mille assibus ,
comme la loi des XII Tables (tab. viii. 4. 1 1), disait : Si injuriam faxit
alteri XXV œris pœnae sunto. Et, par conséquent, as ou œs était toujours
la livre d'airain dans le langage légal, valeur de poids et valeur intrin-
sèque. Au Vie siècle, où l'on avait adopté l'unité monétaire du denier
d'argen! , valant 16 as ou 16 onces de cuivre , les mille as , valeur de
S. Tullius , auraient répondu à seize mille as, valeur au VI^ siècle ;
un peu moins de mille francs de notre monnaie.
G4 Gains , ii. § 225, iv. § 23. Ulp. Frag. xxviii. 7. Frag. Vat., § 301 .
Cette exception , en faveur dos parents , analogue à celle de la loi
Cincia, doit faire penser comme on l'a vu ci-dessus, que la même
limit' de quotité existait pour les donations entre vifs et les legs.
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. II. 245
La Loi , faite pour empêcher la division des fortunes ,
produisait un effet contraire , l'extrême division. Un ma-
gistrat du peuple, Philippe, proclamait à la tribune , en
661 , qu'il n'y avait pas à Rome deux mille citoyens qui
eussent une fortune vraiment indépendante. Cicéron
blâme l'imprudent Tribun , qui visait à la popularité par
son discours; mais il ne dément pas le fait ou l'asser-
tion ®^. La liberté indéfinie de tester devait nécessaire-
ment produire l'extrême division des patrimoines.
Enfin, plus d'un siècle après les tentatives infruc-
tueuses des lois Furia et Voconia, fut porté, en 714 ,
par le tribun Falcidius , le Plébiscite qui établit sur les
legs testamentaires la retenue du quart : c'est la création
célèbre de la ouarte-falcidie , en faveur des héritiers
institués, et dont l'influence s'étendit, par la suite, sur
toutes les dispositions à cause de mort.
Le quart des biens était donc affecté à l'hérédité tes-
tamentaire ; et ainsi , lorsque le père de famille instituait
héritiers ses enfants ou quelques-uns d'eux, une part était
réservée aux institués : la ouarte-falcidie devenait une
sorte de Légitime ou de Réserve en leur faveur.
IIL — Mais le père était libre, d'après la Loi des XII
Tables , de passer sous silence , dans son testament , l'un
ou plusieurs de ses enfants, et son silence valait exhéré-
dation. Une modification nécessaire fut introduite sur ce
point, vers le temps de Cicéron, par le droit non-écrit,
65 Cic, de Off., II. 21 : « Tson esse in civitate duo n.niii liorainum
qui rem haberenl Quum in agendo multa populaiiter, uira illud
maie. »
246 LIV. I. — ÉPOQUE R031AÏNE.
contre l'exercice de la puissance paternelle ®*^. — La Ju-
risprudence exigea , pour la validité du testament, que
l'exhérédation fut expresse. A l'égard des fils de famille,
naturels ou adoptifs, elle devait être spéciale et nomina-
tive ; à l'égard des filles , des petits-fils , elle pouvait être
collective (inter cœteros). Il fallait le témoignage formel
que le testateur avait pensé à ses enfants , et prononcé
avec réflexion sa sentence sur leur mérite ou démérite.
La prétérltion (ïun héritier sien, même posthume, ou né
depuis l'institution , entraînait la rupture du testament®^.
— Toutefois, l'exhérédation expresse, comme aupara-
vant l'exhérédation tacite , était , selon l'esprit des XIÏ
Tables, un acte inviolable de la puissance paternelle;
le testament qui la contenait restait la suprême Loi; les
enfants exhérédés devaient respectueusement la subir.
Bientôt apparut en leur faveur une garantie plus efficace,
une institution nouvelle, la plainte d'inofficiosité^^.
IV. — L'exhérédation expresse cessa d^être une ex-
clusion souveraine , une sentence irréfragable. Le fils
déshérité put se plaindre de ce que le père ou l'aïeul ,
66 Cic, de Orat., i. 38. Quccsitum est de jure civili, posset ne ex-
heres esse filius, quem pater testamento neque lieredem, neque ex-
heredem scripsisset ndniinatim.
67 II y avait alors rupture par l'agnation d'un hérilicr sien. La loi
Julia Velleia donna la même force à la quasi-^ig nation des enfants d'un
fils institué, mort avant le testateur {Insl., ii. 13. 3.)
68 Querela inofficiosi testamenti , vel inofficiositatis.
Cic, inVerr., i. 42 : Testamentum Aunius fecerat non impro-
bum, non inofficiosum.... — Le jurisconsulte Marcellus (antérieur à
Gaius) disait : Inofficiosum testamentum dicere , hoc est allegare quare
exheredari (vel praeteriri) non debuerit. (D., v. 2. 2.)
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. II. 247
dans l'exercice absolu de son pouvoir de tester, n'avait
pas rempli , à son égard , le devoir de la piété paterneOe,
OFFiciui\i PATERNE piETATis. La plainte d'inofficiosité
est une institution d'origine prétorienne , qui permet au
fils de lutter contre le testament du chef de famille. On
ne peut marquer avec une rigoureuse exactitude la date
de cette innovation dans le droit ; mais , du temps de
Cicéron, on connaissait le testament inofticieux. Une
barrière était posée devant l'absolue volonté du père.
L'inofficiosité protégeait le droit de la famille contre la
souveraineté du citoyen. — La légitime ou la réserve en
faveur des enfants n'était pas écrite dans une loi ; mais le
droit de plainte contre le testament inoffîcieux préve-
nait , dans le père de famille , les écarts d'une volonté
arbitraire, ou réprimait son exercice abusif, en faisant
briser l'exbérédation et le testament lui-même. Ce n'est
pas la Loi, égale pour tous et inflexible dans son unifor-
mité, qui se place alors au sein du foyer domestique,
pour faire, au nom de la société, la part nécessaire du
fils dans l'hérédité du père. Un tribunal, à Rome , pro-
noncera entre le fils et le testament paternel ; il jugera la
conduite du fils et la sentence du chef de famille ; il
rendra ses droits au fils qui n avait pas démérité ^'■^. C'est
un acte de souverain Pouvoir , qui sera ainsi exercé sur
le testament,, sur la Loi particulière que tout citoyen peut
dicter à sa famillle. Il faut donc un Tribunal qui repré-
sente vraiment la souveraineté du Peuple Romain , pour
anéantir l'acte émané de la souveraineté individuelle du
69 Necenini minus is qui de ino/feioso cognitmus est , mérita nepo-
tis, quam paU'is ejus delicla perpendit. (D., xxvii. 4. 3. § 5. L'ip.)
248 LIV. I. -^ ÉPOQUE ROMAINE.
testateur ; et c'est le tribunal des Centumvirs , nommé
par l'élection des Tribus , qui est juge de la plainte d'in-
officiosité : Querela inofficiosi testamenti judicium est Ceiir-
tumviraW^ .
Le motif sur lequel sont fondées la plainte et l'entière
rescision du testament, pour cause d'inofficiosité , n'est
pas, comme on l'a dit souvent, l'injurieuse fiction de la
démence ou de la fureur du testateur'^*. Mais les Cen-
tumvirs, représentant les Tribus de la Cité, apprécient
la conduite du fils déshérité, et s'ils jugent qu'il n'a pas
mérité l'exhérédation, ils prononcent que le père a man-
qué de sagesse, et testé contre le devoir de la piété pa-
ternelle. La formule de l'inofficiosité est bien digne d'être
recueillie : Parum sain^ mentis fuisse testatorem cum
TESTAMENTUM ORDINARET , OUOD IM3IERENTEM CONTRA
OFFICIUM PIETATIS EXHEREDASSET ^^.
Ainsi, les droits du sang avaient une garantie dans
Tinstitution du Jugement centumviral, en matière d'in-
officiosité. La légitime des enfants était subordonnée à
leur conduite envers le père : règle profondément mo^
raie, qui devait contribuer à maintenir le respect des-
enfants envers le chef de famille.
70 D., V. 2. 13. 17. — XXXIV. 3. 30, et de Legatis (ii) L. 76. —
Cod. Just.,in. 31. 12.Briss.,deYerb. signiL,voCentumvîrim/ràsect.v.
71 Si le testateur avait été réellement en démence ou en fureur , \\
n'y aurait pas eu de testament même apparent , et il n'y a de fiction
en droit que celle qui peut représenter le vrai.
Hoc colore inofficioso testamento agitur, quasi non sanae mentis
fuerunt , ut testamentum ordinarent , et hoc dicitur non quasi vere
furiosus vel démens leslatus sit, sedi*ecte quidem fecit testamentum ^
%ed non ex o/ficio pictatis; nam si vere furiosus esset vel démens ,
-AuUum essel teslamenlum. ( D., v. 2. 2. {Marcianus. )
72 Brisson., de Formulis , lib. v. form. 37.
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. II. 249
Pour écarter la plainte d'iiiofficiosité , les institués
étaient libres d'offrir la quatrième portion de l'héré-
dité "^. C'était la Quarte-Falcidie , étendue aux enfants
non institués. La même réserve se trouvait par consé-
quent établie, et en faveur des enfants injustement exhé-
rédés, et en faveur des enfants institués héritiers pour
une portion insuffisante. Le fds exhérédé n'aurait pas pu
renoncer d'avance à la plainte d'inofficiosité. La constitu-
tion de la famille et l'intérêt public demandaient que les
enfants fussent jugés selon leur mérite , et non selon
des pactes privés '^^. « Il ne faut pas, dit Gains, donner
» un assentiment facile aux pères dont le testament fait
» injure à leurs enfants, et qui, corrompus par les sé-
» ductions et les artifices des secondes femmes, s'élè-
» vent et portent un jugement injuste contre leur pro-
» pre sang '^^. » — Voilà le droit qui est établi à Rome,
et porté dans les provinces par l'Édit des préteurs et des
proconsuls.
V. — La puissance paternelle, qui trouve dans le tri-
bunal des Centumvirs un juge de son exercice testa-
is Paul, Sent., iv. 5. § 6 : Quarta portio liberis , deducto œre
alieno , et funeris impensa, preestanda est, ut ab inofficiosi querela
excludautur.
74 Meritis enim liberos magis quam pactionibus adstringi placuit.
{Senl., IV. 5. §8.)
75 Non est enim consentiendum parentibus qui injuriam adversus
liberos suos testamento inducunt : quod plerumque faciunt maligne
circa sanguinem suum , inferentes judicium novercalibus delenimentis
instigationibusque corrupti. (D., v. 2. 4. Gains , ad legem Gliliam.)
— Cette citation , d'un ouvrage de Gains , ad legem GHtiam , d'après le
Digeste, ferait croire qu'une loi Glitia avait quelque rapport avec
l'inofficiosité. Mais on ne trouve nulle mention de cette loi dans le
droit romain. Hottman (Index legum ) a proposé de lire ad legem Ti-
âSO LlV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
mentaire, va recevoir une limitation plus directe, plus
immédiate encore , par institution des possessions de
BIENS ou successions PRÉTORIENNES ; et la constitution
de la famille romaine sera profondément modifiée sous
plusieurs rapports.
Dans l'esprit des XIÏ Tables, la famille repose sur la
puissance du père. L'enfant qui est hors de la puissance
ou émancipé, est hors de la famille; il ne fait plus par-
tie des héritiers siens. Les rapports personnels de puis-
sance et de sujétion n'existant plus, les rapports réels
concernant la transmission des biens ont cessé égale-
ment d'exister. Telle est la règle inflexible de la Loi-
primitive.
Le Droit prétorien, par la puissance de l'Édit, corrige
la rigueur de l'ancien droit ^^ ; il rescinde l'émancipa-
tion après la mort du père ; il appelle le fils émancipé à
partager les biens du père mort ab intestat , ou il lui ac-
corde la possession de biens contre le testament, comme si
l'émancipation n'avait pas eu lieu. Et ce droit n'est pas
exclusivement attaché à sa personne : la possession de
biens peut être exercée en son nom par un créancier , si
le fils émancipé ne l'exerce pas lui-même '^''.
tiam , Loi qui était de l'an 723 , et protégeait les intérêts des pupilles ,
en accordant aux présidents des provinces le droit de nommer les tu-
teurs. C'est aux intérêts des pupilles que se rapporte en effet le frag-
ment de Gains. — Le Calalogus legum de Charondas ne mentionne
pas de loi Glitia.
7G Jus bonorum possessionis introductum est a praetore emendandi
veteris juris gralia. {Insl., m. 10. 1. )
77 Emancipato omitteute bonorum possessionem , non inique pos-
tulabit creditor restitui sibi actionem adversus scriptum heredem.
(D. XLEV. 7. 15 Ulp.)
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. II. 25f
L'émancipation est rescindée , dans ses effets réels ,
par l'intervention du Préteur. Le fils est censé n'être
pas sorti de la famille; il participe à l'hérédité comme
s'il avait été en puissance au temps du décès de son père.
De là une grave conséquence : les biens qu'il a pu ac-
quérir ou recevoir pendant son émancipation doivent
être rapportés et confondus dans le patrimoine commun.
S'il était resté membre de la famille civile, il n'aurait
pas acquis pour lui , mais pour le chef; lorsque , par la
fiction prétorienne , il rentre dans la famille , comme s'il
n'y avait pas eu d'émancipation, il faut qu'il subisse les
conséquences de la fiction , et qu'il rapporte les biens à
l'hérédité. C'est la coUatio bonorum et l'origine du rapport
aux successions. — Pour retenir les biens qu'il a pu ac-
quérir ou recevoir du père lui-même , à titre gratuit , le
fils émancipé doit s'abstenir du bénéfice de la succession
prétorienne. Là se trouve aussi , à son origine , le droit
de rétention en faveur des enfants donataires qui s'abstien-
nent de la succession du donateur ''*.
"VL — Mais l'institution prétorienne des POSSESSIONS de
BIENS n'apportait pas seulement une grave modification
à la puissance paternelle et aux effets de l'émancipation;
elle modifiait profondément , sous d'autres rapports , la
constitution de la famille civile, en reconnaissant des
droits aux parents du côté maternel , aux cognats , et en
78 C'est le droit consacré par notre art. 924 du Code, sauf la diffé-
rence d'étendue dans les donations qui , en droit français , ne peuvent
excéder la réserve légale; c'est une exception au principe romain et
français que la légitime est une portion de l'hérédité , ou qu'elle est
prise , selon l'expression de Papinien , jure heredilario.
LIV. I. — EPOQUE ROMAINE.
établissant un système de succession parallèle à celui
des XII Tables.
Le Préteur, par des principes de progrès et d'équité , a
dilaté, comme disent les Institutes, le droit d'hérédité
renfermé par la Loi Décemvirale dans les plus étroites
limites; et Gains, plus sévère dans l'expression , avait
dit : « Les iniquités du droit civil ont été corrigées par
l'Édit du préteur
79
Le Droit prétorien , dans son parallélisme systémati-
que , a suivi l'ordre de la Loi des XII Tables.
Et d'abord, la Loi divisait l'hérédité civile en hérédité
testamentaire et en hérédité ab intestat; — de même la
succession prétorienne s'est divisée en possession de
biens ex testamento , et en possession de biens ab intestato.
Le Droit civil voulait que les héritiers externes fissent
l'adition d'hérédité avec une formule solennelle, cretio,
dans un délai déterminé par le testament ou par la loi ;
de même, l'Édit voulait que dans le délait d'un an, pour
les parents en ligne directe , de cent jours pour les au-
tres , le successeur se présentât devant le préteur, et fît
la demande (agnitio possessionis) , selon la formule con-
servée par les Institutes de Théophile : da mihi hanc
BONORUM POSSESSIOiNEM *^.
Quant au fond des choses , le système prétorien cor-
respondait exactement au système du droit civil ; et ses
79 Inst. Just., III. 10. 20 : Angustissimis finibus constitutum per
legetn XII Tabularum jus percipiendarum hœreditatum pr^tor rono
ET ;equo dilatavit. — Gaius : Sed h^ juris iniquitâtes edicto
prœtoris emendatae sunt.
80 Inst. Theoph., m. 9. § 7,
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. 11. 253
principes , étendus aux provinces par l'Édit des Préteurs
et des proconsuls , devinrent une des parties ordinaires
du Droit provincial ^*.
La Loi des XII Tables , dans la constitution de la Fa-
mille et de la Gens, divisait l'hérédité en trois ordres , les
héritiers siens , les agnats , les gentils , et faisait une dis-
tinction relative à l'hérédité des femmes : de plus , elle
rattachait des droits de succession aux éléments acces-
soires de la famille , comme les affranchis , les émancipés.
— Le Droit prétorien s'applique aux trois branches de
l'hérédité civile, et aux autres droits de succession. Sui-
vons ce parallélisme curieux :
1 ° Par RAPPORT AUX HÉRITIERS-SIENS. — Les enfants
émancipés, qu'il s'agisse d'une hérédité testamentaire ou
légitime, sont appelés, comme on l'a vu, parle préteur
et la rescision de l'émancipation , au partage avec les hé-
ritiers-siens ; mais, ainsi que les enfants en puissance,
ils pouvaient être régulièrement exhérédés par le père.
Dans ce cas, ils devaient agir par la plainte d'inofficio-
sité , après avoir reçu la possession contra Tabulas , né-
cessaire pour engager le litige [ordinatoriœ litis causa).
— Les posthumes externes , c'est-à-dire ceux qui en nais-
sant ne seraient pas sous la puissance du testateur, par
exemple, les enfants à naître d'un fds émancipé, n'étaient
pas héritiers-siens par le droit civil , et ne pouvaient ,
comme personnes incertaines , être valablement institués
héritiers : le Droit prétorien corrigea la rigueur du
droit et leur accorda la possession secundum Tabulas.
Dans l'ordre des héritiers-siens, il y avait donc mo-
. 81 Cic, iu Verr., i. -11. Epist. ad Allie, vi. 1.
254 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
dification par la possession prétorienne : c'est la posses-
sion unde liberi:
â" Par RAPPORT AUX AGNATs. — L'hérédité, selon la
Loi des XII Tables, était dévolue au premier degré ; elle
ne passait point aux agnats du second degré , s'il y avait
abstention ou refus du premier. De plus , les agnats qui
avaient subi la petite diminution de tête , par l'adoption
ou l'émancipation , ne faisant plus partie de la famille ci-
vile, n'avaient plus droit à l'hérédité. — Le Droit prétorien
accorda la possession aux agnats du deuxième degré ou
des degrés subséquents : c'est la possession unde Legitimi.
Les agnats qui ont subi le petit changement d'état sont
appelés aussi par le préteur, mais seulement à défaut d'ag-
nats d'un degré plus éloigné , et par conséquent au troi-
sième rang, undè cognati.^^. — Les femmes n'avaient le
droit d'agnation qu'au degré de consanguinité ; mais au-
delà des consanguins , elles sont placées aussi par l'Edit
au troisième rang^^. Les possessions de biens unde legi-
timi, unde cognali, concourent donc à modifier l'hérédité
des agnats de l'un et de l'autre sexe.
3" Par rapport aux gentils. — Les Gentils , comme
on le sait, étaient reconnus héritiers par la loi des XII
Tables, au défaut des agnats; mais ce droit n'appartenait
qu'aux hommes d'une race toujours ingénue, qui, par
lignes transversales, remontaient à un ancêtre commun
aux gentils et aux agnats. Le droit prétorien renverse la
barrière établie entre les deux familles paternelle et ma-
ternelle; il appelle les parents du côté des femmes : c'est la
S2 Gaius, m. §§ 18. 27 : Tertio proximitatis nomine.
8) Gaius, m. §§23. 29 : Tertio gradu vocautur.
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. II. 255
possession générale undè cognati , qui s'applique à tous les
parents qui étaient en dehors du droit civil. — Même les
enfants , placés dans une famille adoptive , étaient appelés
pour recueillir, à ce troisième rang, la succession de
leurs parents naturels ^^.
4** Après cet ordre dans les successions prétorieiTnes ,
et à son défaut , venait la possession undè vir et uxor ,
qui occupait dans la famille le quatrième et dernier rang,
en faveur de Tépouse non placée in manu , non comprise
comme tille de son mari, dans l'ordre des héritiers-siens.
— Nous savons déjà que sous l'influence des mœurs
et du mariage libre , la condition de la femme s'était le
plus souvent séparée de l'antique coutume : il en résultait
que l'épouse n'étant plus assimilée à une fille de son mari,
à une sœur de ses enfants, n'avait aucun droit sur les biens
de ses enfants prédécédés , ni les enfants sur les biens de
leur mère. C'est pour combler cette lacune que , d'abord ,
l'Édit les appela respectivement comme Cognats , et que
furent rendus, un peu plus tard, les sénatus-consultes
Orphitien et Tertullien , lesquels se rapprochaient
de l'ancien droit des XII Tables, mais en restituant à la
mère et aux enfants leur véritable qualité ^^. La mère, à
ce titre , recueillit les successions qui lui étaient ancien-
nement déférées comme sœur, et les enfants recevaient ,
en cette qualité , la succession maternelle à eux dévolue
comme frères , sous l'empire des XII Tables : l'ordre na-
84 Gaius, m. §§ 30. 31 : Etiani ea^ personae quœ per feminini sexus
personas copulatœ sunt. — Qui in adoptiva familia sunt , ad natura-
Hum parentum hereditatem tertio gradu vocantur.
S.J lust. , m. 3 : Prœtores ,. eas personas ad successionem , bonorum
possessions undc cognait accommodala, vocabaut.
256 LIV. 1. — ÉPOQUE ROMAINE,
turel reprenait ainsi sa place et son nom dans l'ordre
civil, résultat conforme à Tesprit du Droit prétorien.
S*' L'Édit du Préteur s'était attaché aux diverses bran-
ches de la famille civile , pour y adapter son système de
succession ; et , après avoir suivi la famille dans sa con-
stitution principale , il la suivait dans ses éléments acces-
soires, les affranchis, les émancipés, les enfants inman-
cipio. Les deux ordres de succession , selon le droit civil
et le droit prétorien, pourraient, dans cette seconde di-
vision de la famille, être placés encore sur deux lignes pa-
rallèles ; mais il nous suffira de rappeler ici ce qui con-
cernait LES AFFRAxNCHIS.
La Loi des XII Tables respectait , dans les affranchis ,
le droit absolu de tester; et les patrons ou leurs descen-
dants , assimilés par elle à des agnats , ne venaient à
l'hérédité légitime des affranchis qu'à défaut d'héritiers
testamentaires et d'héritiers-siens. — L'Édit prétorien
restreignit, en faveur des patrons, la liberté testamentaire
des affranchis et le droit illimité des héritiers-siens. Il
accorda la possession contra tabulas au patron , omis dans
le testament de son affranchi , ou inscrit pour une por-
tion moindre que la moitié; et il accorda la possession
ab intestat, aussi pour la moitié, si l'affranchi ne laissait
comme héritier-sien qu'un enfant adoptif ou l'épouse pla-
cée sous sa puissance , in manu ^^.
Selon la Loi des XII Tables , le droit de patronage ,
comme droit de succession , appartenait seulement au pa-
tron et à ses descendants. — L'Édit du Préteur étendit ce
86 Insc. m. 7 : Aperte iniquum erat nihiljuris patrono superesse...
De même , par analogie , pour le parent émancipateur. D. xxxvii. 12,
1- 2.
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. II. 257
droit de patronage aux agnats et aux cognats du patron;
il régla par conséquent la succession des affranchis sur
le modèle de l'Édit relatif aux successions des ingénus*'.
Le droit de patronage , développé de cette manière ,
devait favoriser les affranchissements; car la liberté don-
née devenait féconde pour la famille affranchissante. La
loiPappia-Poppaea, sous Auguste, vint ajouter encore à
l'action du droit prétorien et l'exagérer : elle donna aux
patrons une part virile dans l'hérédité des affranchis qui
laissaient moins de trois enfants et une fortune de cent
mille sesterces (21,000 fr.)^*. Ainsi, au double point de
vue de cette Loi, née des désastres de la guerre civile,
la République épuisée aspirait à se repeupler , dans l'ave-
nir, même par les enfants d'affranchis; et la famille des
patrons, enrichie par des prélèvements de succession,
pouvait racheter de nouveaux esclavee, et se préparer de
nouvelles familles d'affranchis et de tributaires! — Rome,
si grande jadis par la liberté de ses citoyens , se recrutait
dans l'esclavage; et ses citoyens, jadis si fiers de leur
vertueuse pauvreté , s'abaissaient à spéculer sur la liberté
comme sur la servitude de leurs esclaves. — Rientôt
même , la loi Junia-Norbana protégera les patrons contre
l'éventualité des testaments d'affranchis ou des parts vi-
riles subordonnées au nombre des enfants; la loi Junia-
Norbana , rendue sous Tibère , inventera les affranchis
Latins-Juniens qui ne pourront tester, dont les biens
appartiendront aux patrons par droit de pécule , et qui
87 iQst. ni. 10. 1.2.— Bacchovius avait émis , à ce sujet, une con-
jecture qui fut approuvée par Vinnius. {Insl., p. 678. )
88 Gains, m. § 42 : Si très reliquerat repeilebatur patronus. — Inst.,
III. 7. 2. Si pauciores quam très liberos... virilis pars patrono.
T. I. 17
258 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
réuniront dans leur personne ces deux conditions con-
tradictoires de VIVRE LIBRES et de mourir esclaves !
Nous avons vu comment le préteur, par les possessions
de biens, modifiait le système de l'hérédité des XII Ta-
bles ; il faut déterminer le caractère du droit conféré par
les successions prétoriennes.
YII. — La Loi seule , ou le testament romain , par la
force qu il tient de la loi , a la puissance de faire un hé-
ritier , en déclarant ou créant cette qualité.
Le Préteur, avec son pouvoir temporaire, ne peut
créer un héritier dans la plénitude de sa qualité légale.
Quel est donc , en droit , le caractère des possessions de
biens ou des successions prétoriennes, question qui divi-
sait les interprètes des lois romaines, notamment Cujas
et Vinnius? *®
La Bonorum possessio est un moyen d'acquérir per uni-
versitatem. Elle ne doit pas être confondue, disait le ju-
risconsulte Labéon, avec la possession des choses; elle
est plus de droit que de fait ; elle peut avoir lieu lors
même que , dans l'hérédité , il n'y aurait aucune chose
susceptible de possession corporelle : elle est le droit de
poursuivre et de retenir le patrimoine du défunt ®''.
« Le Bcnoriim possessor succède à la place du défunt ,
dit Gains; — le Préteur le met, en toute cause, au Ueu
même de fhéritier , dit Paul , et sous le titre d'hérédité
89 Cujas , ad Afr., tr. ix. L. Cum postulassem. — Vinnius, Inst. m.
10. Prœm. — L'ancienne école avait été aussi divisée. ( Coni.rov. Fa-
chinœi^ lib. xiii. cap. 29.)
90 D. XXXVII. 1. 3. § 1. 2 : .Tus persequendi relinendique patrimonii,
sive rei quEc cujusque cum moritur fuit. fUlp-J
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEiV. SECT. II. 259
est comprise la possession de biens ^* . » Ulpien déclare
même expressément que la possession de biens emporte
tous les avantages , toutes les charges héréditaires , ainsi
que le domaine des choses qui sont dans la succession ,
iTEMQUE DOMiNiUM RERUM^^. OÙ douc se trouvc la diffé-
rence entre l'héritier et le successeur prétorien ? — Elle
se borne à ce point important , que le possesseur n'a pas
les actions directes de l'héritier. En demandant la pos-
session de biens ex edicto , il ne peut pas soutenir directe-
ment que « ce qui fut au défunt est à lui » , que « ce qui
était dû au défunt doit lui être donné » . Il ne peut agir
que par des actions fictives (actionibus fictitiis). II agit en
se supposant héritier, fido se hœrede, et sous la formule
si hœres esset. Mais , à l'aide de cette fiction , qui modifie
la compétence judiciaire, il arrive en réalité au même
but; il se fait attribuer les immeubles, les droits et
créances de l'hérédité , comme s'il avait la qualité d'hé-
ritier, ou celle de propriétaire ex jure quiritium^^.
91 Gaius, IV. § 34. — D. de Reg. Jur. 117. — Inst. m. 10. prœm.
— D, de Verb. Sig. 138. Hsereditatis appellatione bonorum quoque
possessio continetur. (Paul.)
92 Bonorum possessio admissa commoda et incommoda hœreditaria,
itemque dominium rerum quse in bonis sunt tribuit , nam hœc omnia
bonis sunt conjuncta. {D., xxxvn. 1. 1. ) Cujas (loc. cil.) dit veluti
dominium. C'est faire fléchir le texte en vue d'une opinion.
93 Gaius iv. § 34 : Judex esto Si haeres esset Si bis fundus
de quo agitur ex jure quiritium ejus esset. — Le texte de Gaius ren-
verse l'opinion de Cujas, savoir, que la possession de biens ne donne
pas la propriété , mais une occasion d'acquérir le domaine par usuca-
pion. {Ad Afric. Tracl., ix. t. l. p. 1199, et Oôs., lib. xxi. cap. 36. )
Cette opinion, adoptée par A. Costa , dans ses Institutes (p. 309), avait
été combattue par Doujat ( Notes sur Théoph., t. ii. p. 78), par
yinnius (/ns(., m. 10. prœm., no 4), et par Pothier {Pand., lib. 37.)
260 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
VIII. — Les possessions de biens, que nous avons mises
en parallèle avec le système de la Loi des XII Tables ,
étaient destinées à suppléer le droit civil ; mais les pos-
sessions de biens étaient aussi données pour le confir-
mer : c'est là une distinction essentielle. — Les pos-
sessions prétoriennes, destinées à confirmer le droit
civil , ajoutaient à ses effets, en s'appliquant à l'hérédité
testamentaire ou légitime ^'^. L'héritier , régulièrement
institué , pouvait faire adition d'hérédité par la voie ci-
vile ; mais le préteur pouvait lui donner aussi la posses-
sion de biens secundum tabulas. — De même , les hé-
ritiers-siens étaient saisis de fhérédité civile , et les hé-
ritiers légitimes faisaient adition; mais le préteur pro-
mettait aux uns et aux autres la possession unde Liberi ,
unde Legilimi. L'édit du préteur alors concourait avec le
droit civil. Si l'héritier ne demandait pas la possession
de biens , il n'en était pas moins héritier , en vertu du
testament ou de la Loi des XII Tables ; mais la posses-
sion prétorienne , en concours avec l'hérédité , lui pro-
curait le bénéfice de l'interdit quorum ronorum ; c'est-
à-dire un moyen prompt et facile d'obtenir, par l'auto-
rité prétorienne , de celui qui possédait à titre d'héritier
ou de possesseur, la restitution de toutes les choses qui
dépendaient de la succession^''. En l'absence de cet in-
96 Cicéron donnait une qualification très-exacte en ce cas : Heredi-
tatum possessiones. (in Verr. , i. 45. 46. — Episl. ad Allie, vi. 6. )
97 Gaius, III. § 34. tv. § 144 : « Adipiscendae possessionis causa in-
terdictum ; ejusque vis ac potestas haec est ut quod quisque ex bis
bonis quorum possessio alicui data est pro berede , aut pro possessore
possideret, id ei cui bonorum possessio data est, restituatur. »
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. II. 26 ^
terdit , l'héritier était obligé d'agir par la pétition d'héré-
dité contre les détenteurs des choses héréditaires , et de
subir les lenteurs d'une procédure devant le tribunal
des Centumvirs. — Ce n'était donc qu'une voie d'agir ,
ou un envoi en possession qui résultait alors de l'Édit
du préteur et de sa disposition confirmative.
La possession de biens établie pour suppléer aux omis-
sions de la loi civile et pour en corriger la rigueur , con-
tenait le véritable caractère de la succession prétorienne.
C'est là que se trouvait tout un système , qui avait ses
différents ordres d'héritiers , qui avait dans chaque ordre
ses différents degrés ;, avec droit d'accroissement en cas
de renonciation de quelques-uns des successibles , et
avec dévolution d'un degré à l'autre , à défaut de récla-
mation opportune.
IX. — La succession prétorienne était parallèle à l'hé-
rédité déférée par la Loi des XII Tables ; mais elle repo-
sait sur un principe tout différent. L'hérédité , selon la
Loi des XII Tables , avait pour principe et la puissance
du père ou de l'aïeul et le lien civil de la famille dans ses
rapports avec la puissance paternelle , avec l'agnation ,
avec la gentilité , appuyées sur la prééminence du sexe
masculin. — La succession prétorienne avait pour prin-
cipe la parenté naturelle , le lien du sang , l'affinité des
époux. C'est un élément nouveau qui vient se placer dans
tous les vides qu'avait laissés la constitution civile et po-
litique de la famille romaine , et qui a pour effet de dé-
tourner, de repousser certaines conséquences de cette
constitution primitive, mais non d'abroger les disposi-
tions expresses de la Loi, et de s'élever contre des prohibi-
262 LîV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
tions formelles ^*. — Il en résulte que les deux principes
de la famille civile et de la famille naturelle, de la parenté
par le père , de la parenté par la mère , vivent l'un à côté
de l'autre, se limitent, se soutiennent mutuellement.
Le Droit prétorien a mis dans le domaine des succes-
sions un germe qui se développera sous les empereurs
par les Sénatus-consultes et les Constitutions^^ , jusqu'au
moment oii Justinien, arrachant, par la Novelle 118, les
vieilles racines de la famille romaine et de l'agnation ,
donnera une nouvelle force aux liens du sang , un seul
titre , la cognation , à là parenté de quelque côté qu'elle
vienne , et rattachera directement aux deux tiges et aux
différentes branches de la famille naturelle le système des
successions légitimes , divisé désormais en trois ordres ,
les ascendants , les descendants , les collatéraux paternels
et maternels.
98 D., de Bon. poss., xxxvii, 1. 12. § 1. ( Ulp. ) — Ubicumque Lex,
vel Senatus, vel Constitulio capere hereditatem prohibet ; et bonorum
possessio cessât.
99 Nous rappellerons ici principalement : 1" Les sénatus-consultes
Tertullien et Orphitieu, relatifs auxdroits de succession respective de
la mère et des enfants (sous Marc Aurèle); 2° la constitution de Théo-
dose et de Valentinien , par laquelle les enfants de la fille furent ad-
mis en premier ordre et concurremment avec les héritier S'siens, à re-
cueillir, dans la succession de l'aïeul maternel , les deux tiers de ce que
leur mère aurait personnellement recueilli jusqu'alors. — La fille pré-
décédée n'était représentée ni dans la famille , ni dans l'hérédité de
son père, non plus que dans la possession de biens contra tabulas, unde
liberi. Les petits-enfants n'étaient pour l'aïeul maternel que de sim-
ples cognats , admis au troisième ordre par le droit prétorien. —
C. Theod., V. l. 4. de Legit. hœred. (an 389) {Inst., m, 5. § 1. M. Du-
cauroi, t. ii. p. 327. ) Voir infra notre liv. m, époque gallo-eomaine.
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT, III. 263
SECTION III.
LA. PROPRIETE.
SOMMAIRE.
§ 1. — Etal de la propriété et des possessions , à Rome, lors de lA Cori'
quête des provinces.
§ 2. — Droit de propriété dans les provinces. — Moyens d'acquérir.
I. — Ager publicus, en province.
IL — Ager provincialis , wZ privatus, dîsH'ncï de r^gfcr
publicus et du Sol Italique.
III. — Moyen d'acquérir : Tradition pour juste came. —
Introduction de reniptio-venditio ; son caractère
distinctif de la Mancipation , né du caractère ju-
ridique des fonds provinciaux.
IV. — Parallélisme du Droit des Gens et du Droit Civil
quant aux modes d'acquérir les immeubles , de
prescrire par la possession, d'établir des servi-
tudes et de créer des droits de jouissance.
% i*'. — ÉTAT DE LA iPBOPRIÉTÉ ET DES POSSESSIONS , A BOME, LORS
DE LA CONQUÊTE DES PROVINCES.
Sous la Loi des XII Tables , il n'y a d'abord qu'un do-
maine à Rome, le domaine Quiritaire. Les immeubles
romains, formant l'ager privatus, s'identifient avec les
Res Mancipi. Mais les terres du Latium, de ITtalie, de la
Gaule Cisalpine, sont devenues successivement des terres
romaines , susceptibles de la Mancipation , de la Cession
264 LIV. L — ÉPOQUE ROMAINE.
in Jure, de l'Usucapion , à mesure que ces contrées ont
été admises à participer au droit de la Cité.
L'ager publicus , réputé imprescriptible , avait été li-
vré, dès l'origine, sous charge de redevances, à la pos-
session des Patriciens et des Chevaliers. Les possesseurs
avaient ensuite tâché de se rapprocher, de plus en plus ,
du droit de propriété , en faisant des constructions sur
le sol, en transportant à d'autres, par la tradition, les
biens possédés. Ils les transmettaient ainsi à leurs héri-
tiers , libres souvent des redevances originaires , et
comme à titre d'hérédité, disait Florus, quasi jure hère-
ditario^. Les lois Licinia et Sempronia [377-620], pour
empêcher ou dissoudre l'accumulation des grandes for-
tunes territoriales, avaient limité à cinq cents jugères
l'étendue des propriétés et des possessions d'un citoyen ;
mais ces tentatives étaient restées impuissantes. Les
vastes possessions, les latifundia, couvrirent progressi-
vement le territoire.du Latium et les champs de la fertile
Italie. Les discordes civiles , les distributions de terres
faites aux soldats par Sylla et ses imitateurs, les usur-
pations des chevaliers, protégées par leur nouveau privi-
lège de siéger exclusivement dans les tribunaux, au
temps même des lois agraires de C, Gracchus, les
ventes ordonnées par des lois spéciales et exécutées au
profit du Trésor public , par l'intermédiaire des Censeurs
et des Questeurs ; enfin les assignations de terre éta-
blies en faveur des Vétérans ou des Prolétaires , firent
disparaître successivement du domaine de la République
1 Relictas sibi a majoribus sedes œtate , quasi jure hereditario, pos-
sidebant. [Florus , ii. 12. Niebtihr, m. p. 199. )
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. 111. 265
l'ancien ager publions de Rome et de l'Italie ; et dans le
livre sur les Devoirs, après la tourmente des lois agraires
et des guerres civiles , Cicéron réclamait pour les lon-
gues possessions la même inviolabilité que pour la pro-
priété ordinaire^.
Mais aux vi^ et vii^ siècles de Rome , lorsque la con-
quête vint ajouter de vastes provinces au territoire et à
l'empire de la République , l'ager publicus existait en-
core. Les terres qui en dépendaient, et qui étaient pos-
sédées par les particuliers ou les Collèges des augures et
des prêtres, étaient qualifiées de possessiones , et garanties
contre les voies de fait par les Interdits Prétoriens , qui
maintenaient ou rétablissaient en possession ceux qui se
plaignaient d'avoir été troublés dans leur jouissance'.
2 Cic, de Off., ii. 22. 23 : « Qui vero esse populares volunt, ob
eamque causam , agrariam rem tentant , ut possessores suis sedibus
pellantur.,... ii labefactant fundamenta Reipublicae. Concordiam pri-
muni tollunt.... deinde cequilatem quae tollitur oranis , si habere suum
cuique non licet.... quam autem habet œquitatem, ut agrum mullis
annis, aut etiam ante seculis possessum , qui nullum habuit, habeat :
qui autem habuit, amittat? » (Cap. 22.)
« Habitent gratis in alieno ? — Quid ita? Ut cùm ego emerim , aedi-
ficaverim , tuear, impendam : tu me invito , fruare meo ? Quid est
aliud quam aliis sua eripere , aliis dare aliéna. » (Cap. 23. )
C'est certainement la doctrine chère aux Chevaliers qui est ici ex-
posée par Cicéron, en 707.
3 L'interdit uli possidetis qui , dans les textes du Digeste , s'appli-
que aux maisons , uti possidetis eas œdes , contenait , d'après Festus ,
dans le droit ancien, les mots eum fundum. Voici la formule telle que
Festus la donne : « Uti nunc possidetis eum fundum , quod nec vi , nec
clam , nec precarfo alter ab altero possidetis , ita possideatis , adver-
sus ea vim fieri veto. » {Festus^ v^ Possess., et Fest. Frag. e Cod. Farn.,
èdit. Muller, p. 232. 233.)
266 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
Ces Interdits tenaient lieu , à l'égard des détenteurs , de la
Vindicatio et des autres actions réelles qu'ils ne pouvaient
exercer , parce qu'ils n'avaient ni ne pouvaient avoir ,
en leur qualité de détenteurs , la pleine propriété de la
chose possédée.
Propriété romaine, de Droit civil, et possession seu-
lement des fonds dépendant de l'ager publicus : — tel
était donc à Rome le double caractère de la propriété
far faite et imparfaite, quand la conquête vint soumettre
de nombreuses provinces au pouvoir de la République.
§ 2. — droit de propkiété dans les provinces. — moyens
d'acquérir.
Quel fut le droit de propriété dans les provinces ? — •
Quelle influence le Droit des Provinces a-t-il exercée sur
le Droit civil de Rome , en matière de propriété ?
La solution de ces questions est nécessaire pour ex-
pliquer le passage de la propriété et des modes d'acqui-
sition du Droit Civil à la propriété et aux modes d'ac-
quérir du Droit des Gens. Dans leur examen se ren-
contre aussi la théorie de Niebuhr et de Savigny , sur
le rapport supposé entre Vager publicus et les possessions
de Vager provincialis ^ .
Dès les premiers siècles où Rome eut des provinces ,
il se fit , dans l'étendue des terres provinciales , une divi-
sion qui réfléchissait la distinction romaine du domaine
4 La théorie des savants de l'Allemagne a été adoptée , développée
et peut-être dépassée par M. Giraud , Recherches sur la propriété ,
p. 197. 204.
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. m. 267
public et du domaine privé. Les vainqueurs s'attri-
buaient, dans chaque province, des terres qui étaient
affectées à la République, et qui étaient comprises sous
la qualification propre à'ager publicus : c'était le plus sou-
vent le territoire des cités qui , ayant opposé une vive ré-
sistance, avaient été complètement vaincues ou avaient
fini par se rendre à discrétion, comme déditices^. Les
autres terres, laissées aux habitants, aux anciens pro-
priétaires , sous la charge de la Dîme des fruits , ou d'un
tribut fixe , formaient le domaine privé , le domaine pro-
vincial ou tributaire , ager privalus , ager provincialis vel
tribularius , prœdia provincialia^.
l. — L'ager publicus des provinces était incor-
poré au domaine de la République. — Sous le con-
sulat de Cicéron, le tribun Servilius Rullus fit adop-
ter une loi agraire applicable à l'ager publicus situé
dans l'Italie et hors de l'Italie''^. La loi désignait les terres
5 Cicéron dit : Perpaucse Sicilise civitates sunt bello a Majoribus nos-
tris subactae : quarum ager qiium esset piibHcus populi romani factus,
tamen illis est redditus.... Fœderatse civitates duae sunt quarum de-
cumse venire non soleant.... quinque sine fœdere immunes civitates
ac liberae.... Praeterea omnis ager Sicilise civitatum decumanus est.
In Verr.^ de Re Frument., m. c. 6.)
6 In diversis provinciis.... omnes etiam privati agbi tributa atque
vectigalia persolvunt. ( Rei agrariœ auclores , Aggenus , édit. Goesii ,
p. 47.) — Cicéron avait dit : Impositum vectigal certum, quod stipen-
diarium dicitur. {In Verr., m. 6.) — Gains, ii. 21, dit : Prœdia pro-
vincialia , alia stipendiaria , alia tributaria.
7 Rei agrariœ Leges variœ (Goesius, p. 357) : « Qui agri, quœ loca ,
quœ œdificia aliudve quid , quod publicum populi romani factura
est; fuitve in Italia atque extra Italiam, L. Sylla, Q. Pompeio
Coss., aut postea ; id Decemviri vendento.
268 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
publiques, quod publicum populi romani, situées :
En Italie,
En Sicile,
En Asie ,
En Macédoine,
Dans la Chersonèse ,
En Grèce,
En Espagne,
En Afrique.
La Loi voulait aussi que « les édifices , les champs , les
étangs, les marais, les possessions, les lieux publique-
ment assignés, vendus, concédés, possédés depuis le consu-
lat de C. Marius et de Carbon, fussent placés sous le droit
le plus favorable à la propriété privée^. »
Trois siècles plus tard , le jurisconsulte Paul indique
des terres, des possessions achetées dans la Germanie
Trans-rhénane , et il décide que le prix en était dû par
l'acquéreur, bien que depuis l'acquisition elles eussent été
vendues par l'ordre du Prince ou assignées aux Vété-
rans^. — Le même jurisconsulte dit que les terres publi-
8 Ea omnia jure sint ut quae oplimo jure privata sunt. ( Goesius ,
Leg. var., n» 13. 14. )
9 D. , XXI. 2. 11. Le mot possessiones indique, dans cette loi , qu'il
s'agissait de Vager publicus : « L. Titius prœdia in Germania trans-
» Rhenum émit et partem pretii intulit. Cum in residuam quantitatem
» hères emptoris conveniretur, quaestionem retulit, dicens : Has pos-
»SESsiONES EX PRvECEPTO PRiNciPALi partini dislraclas , partira
» veteranis in praemio adsignatas. Quaero an hujus rei periculum ad
» venditorem pertinere possit? Et ideo secundum ea quae proponuntur
» pretium prœdiorum peti posse.» — C'était le (ail du Prince, appliqué
à ce que le Prince avait le droit de faire , comme représentant le
peuple Romain , propriétaire d'un domaine imprescriptible.
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. III. 269
ques, AGRi PUBLici, qui ont été louées à perpétuité, ne
peuvent être retirées sans l'autorité du Prince*".
Il est donc bien certain qu'il y avait dans les pro-
vinces un ager publicus , dont le domaine appartenait à
l'Etat, et dont la possession était concédée aux parti-
culiers , qui pouvaient vendre , acheter , succéder , mais
sous la condition d'une révocabilité perpétuelle ". —
\Jager publicus , dans les provinces comme à Rome , était
imprescriptible, inaliénable à titre définitif, sauf l'in-
tervention de la loi ou de la puissance souveraine. Lors-
que des terres du domaine public étaient assignées, en
vertu de la souveraineté, aux Vétérans ou aux Colons,
avec arpentage et délimitation par les agrimensores ,
les terres étaient censées faire partie du sol italique ;
elles devenaient propriété romaine , Res mancipi^^. Les
vétérans, les citoyens de la colonie, en avaient le do-
maine ex Jure Quiritium , qui s'appliquait alors à des
terres situées à une grande distance de Rome, comm.e il
s'appliquait , dans les premiers temps , au sol des colo-
nies fondées en Italie, et investies du Droit de Latinité. —
En résumé, l'ager publicus des Provinces était la repré-
sentation fidèle de l'ager publicus de l'Italie , soit dans sa
condition première , soit dans ses concessions possibles.
10 Agbi PUBLICI qui in perpetuum locantur a curatore , sine auc-
toritate principali revocari non possunt. ( D., xxxix. 4. 11. )
11 Condition analogue aux domaines de la Couronne, qui, dans
l'ancien Droit français, étaient dits domaines engagés et révocables.
12 Le rôle de Vagrimensor était d'une haute importance pour l'as-
signation des terres. (Voir Goesius, Antiquit. agrar., cap. xxiv,
p. 27.)
270 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
IL — L'ager privatus des provinces, au contraire, ne
devenait jamais terre romaine , Res mancipi, à moins que
la cité elle-même, par une faveur toute spéciale, n'eût
été gratifiée du jus ïtalicum. Mais (à part ce privilège
politique), que l'ager privatus fut possédé par un habi-
tant du pays ou par un citoyen romain, il restait tou-
jours terre provinciale , ager provincialis , Res nec man-
cipi. La qualité du possesseur n'influait îpas sur la con-
dition de la terre. Le domaine Quiritaire sur le sol pro-
vincial ne pouvait appartenir à personne en particulier.
Il appartenait au Peuple Romain , mais comme domaine
général, comme domaine éminent et de souveraineté,
qualifié par Gains dominium populi romani , plus tard
iMPERiUM *^, et représenté soit par la dime des fruits
établie sur les terres provinciales, soit par les impôts
fonciers (^tributum vel stipendium) ^ dont le sol italique
resta long-temps affranchi.
Les terres des provinces , ainsi possédées sous la sou-
veraineté du peuple romain , étaient quelquefois quali-
fiées possESSiONES , comme celles de l'ager publicus.
Festus dit en effet : « On appelait possessions, les champs
soit publics, soit privés, qui n'étaient pas acquis par
mancipation, mais par usage ou tradition **. » Là se
trouve le rapport entre l'ager publicus et l'ager provin-
13 Gaius , II. § 7. Les Institutes de Justinien disent imperium.
14 Possessiones appellantur agri late patentes publici pbivatique
qui non mancipalione, sed usu tenebantur... {Fest. Frag. e Cod. Far.,
édil. Muller, p. 241.)
Niebuhr, pour étayer son système sur la prétendue identité de
Vager publicus et de Yager provincialis , propose tout simplement de
retrancher les mots privalique , qui renversent toutes ses idées. C'est
se mettre un peu à Taise avec les textes. {Hisl. rom. , m. p. 193.)
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. III. 2*71
«ialis. Il est dans la qualification respective de posses-
sion; il est principalement en cette circonstance que la
terre , dans l'un et l'autre cas , était transmise par la
tradition , et non par la mancipation. Mais là s'arrête la
ressemblance. Le caractère du droit de propriété, le
plein pouvoir sur la chose, n'existait point en faveur des
particuliers , relativement aux terres de Vager publicus ,
puisqu'il y avait toujours révocabilité, imprescriptibilité.
— Au contraire, il existait relativement aux terres de
Vager provincialis-, les particuliers en avaient la libre dis-
position , sans aucune condition expresse ou tacite de ré-
vocabilité. Ils exerçaient, à leur égard, tous les droits
utiles du domaine; ils transmettaient leurs droits, avec
toute sécurité, à leurs héritiers ou représentants. —
Les terres provinciales, en principe, étaient donc bien
distinctes de l'ager publicus.
D'un autre côté, ces terres se distinguaient essentiel-
lement du sol Italique. Elles n'étaient pas dans la pro-
priété Quiritaire , elles étaient in Bonis; elles n'étaient
pas du domaine selon le Droit civil, mais du domaine
selon le Droit des gens; et c'est là le point fondamental.
Après la conquête des provinces, et sous l'influence
du Droit provincial, le domaine, selon l'expression de
Gains , le domaine est double dans te Droit romain :
DUPLEX DOMiNiUM *^. Si Romo a sur la province le do-
maine de souveraineté , ex jure ouiritium , les habi-
tants de la province ont le droit sur leurs biens , le
véritable pouvoir sur la chose, la propriété qualifiée în
15 Apud cives romanos duplex dominium, nam vel in bonis, vel
exjure Quirilium. {Gains , i. § 54.) Théop., Inst. i. 5. § 3. ii. 1. § 40.
272 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
BONIS. Une apparente suprématie était pour Rome; la
réalité du droit était pour la Province. Ainsi, la pro-
vince n'avait pas, à proprement parler, les choses sa-
crées, parce que la terre n'avait pas été consacrée de
l'autorité du peuple romain ; mais le sol destiné au culte
était tenu pro sacro. De même, le lieu qui recevait la
dépouille de l'homme libre ou esclave, n'était pas dit
religieux, mais il était tenu pro religioso*®. — Cette
doctrine sur la distinction à faire entre le domaine qui-
ritaire et la propriété in bonis , a passé même du Droit
provincial dans le Droit privé des citoyens romains.
Deux citoyens peuvent avoir sur le même objet, l'un,
le domaine in bonis, l'autre, le domaine ex jure Quiri-
tium; mais celui qui a seulement le droit Quiritaire
n'est pas censé avoir le domaine réel. La chose est vrai-
ment sous le pouvoir du maître qui la tient dans ses
biens, in potestate domini, si sit in bonis*'.
16 Sed sacrum quidem solum existimatur auctoritate populi ro-
mani fieri ; consecratur enim lege de ea re lata , eut senatusconsulto
facto. Religiosum vero nostra voluntate facimus mortuum inferentes
in locum nostrum , si modo ejus mortui funus ad nos pertineat. Sed
in provinciali solo placet plerisque sotum religiosum non fieri , quia
in eo solo dominium populi romani est vel Cœsaris ; nos aiilem posses-
sionem tanlum et usumfructum habere videmuf : utique tamen ejui-
modi locus, licet non bit religiosus, pro religioso habetur; quia
etiam quod in provinciis non ex auctoritate populi romani consecra-
tuin est , quamquam proprie sacrum non .est, pro sacro habe-
tur. {Gains , ti. §§5. 6. 7. )
17 Caeterum quod apud cives romanos duplex sit dominium, nam
vel in bonis , vel ex jure Quiritium , vel ex utroque jure cujusque ser-
vus esse intelligitur, ità demum servum in potestate domini esse dlce-
mus, si in bonis ejus sit, etiamsi simul ex jure Quiritium ejusdem non
sit , nam qui nudumjus Quiritium in servo habet , is potestatem ha-
bere non intelligitur. ( Gains, i. § 54.)
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. III. 273
Ainsi, nulle confusion n'est possible : la propriété
provinciale ne peut être confondue ni avec la possession
précaire ou révocable des terres composant le domaine
de la république , ni avec la propriété du sol Italique
devenu res Mancipi. — La distinction du sol italique
et du sol provincial, dans le droit privé des Romains,
servira de base désormais à deux espèces de tîomaine :
le PR^muM iTALicuM, c'est la propriété selon le Droit
Civil; le pr^dium provinciale, c'est la propriété se-
lon le Droit des Gens. — « Et nous devons avertir,
» dit Gains , que , chez les étrangers (ou les provin-
» ciaux), il n'y a qu'un seul domaine. Ainsi un homme,
» dans les provinces, est propriétaire ou il n'est pas pro-
» priétaire. C'était aussi l'ancien droit du peuple romain :
» ou quelqu'un, en effet, était propriétaire ex jure Quiri-
» tium, ou il n'était pas propriétaire- Mais , depuis , le
» domaine a reçu la division d'après laquelle l'un peut
» avoir le domaine quiritaire , et l'autre avoir la chose in
» bonis *^. » Le sol italique sera susceptible de ces deux
espèces de propriété; il pourra être l'objet du domaine
quiritaire, ou seulement du domaine in bonis ^ d'après la
qualité du possesseur, citoyen romain ou non citoyen, et
d'après la nature du moyen d'acquérir, conforme ou non
conforme au droit civil. — Le sol provincial sera suscep-
tible de la propriété unique selon le droit des Gens, c'e§t-
à-dire selon le droit naturel ^^.
18Gaius,ii. §40 : Sequitur, ut aJmoneamus apud peregrinos-
UNUM ESSE DOMINIUM.
19 Quod... tatnen recte dicitur et jure gentium, id est jure natu
BALi, id efflci. ( Insl. Jusl., tt. i. 41. De Divis. Rerum. )
T. I. • 18
274 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE,
lïl. — Quand Rome connaît la propriété du droit des
gens relative aux fonds de terre , le Droit civil non-écrit
admet , comme corollaire , le moyen d'acquérir du Droit
des gens, la tradition. — Précédée de la vente , la tra-
dition est le moyen d'acquérir les immeubles provinciaux
à titre onéreux ; précédée de la volonté de donner entre
vifs , la tradition est le moyen de les acquérir à titre gra-
tuit et singulier ^°.
Le contrat de vente, Emptio-VendUio , applicable aux
immeubles , s'est introduit par l'usage dans le droit civil,
lorsque les rapports des Romains avec les nations étran-
gères étaient devenus fréquents , lorsque les provinces
d« la République embrassaient une partie du monde
connu, vers le vif siècle. II était certainement pratiqué
à Rome, du temps de Cicéron, comme un contrat
nommé, produisant obligation et action; car Cicéron
mentionne les actions correspondantes ex emplo mit ven-
dito ^' . — Admise dans le droit civil au rang des contrats
et munie de deux actions directes, la vente y a conservé,
cependant , son titre originel et sa nature comme con-
trat du droit des gens et de bonne foi. C'est un point
remarquable.
Un autre l'est plus encore.
Dans l'Emptio-venditio , le vendeur ne s'oblige pas à
rendre l'acbeteur propriétaire, mais seulement à lui li-
vrer une possession paisible, à lui faire avoir la cbose à
20 Fragm. Vaticana , de Donalionibiis : In donatione rei tributarise....
In his quidem quse solo Iributario consistunt.... , in vacuam inductos
possessioneni ostendi conveuit. (§ 293. )
21 Cic, de Nat. deorum, m. 30 : Quae ex empto , aut vendito, con-
ducto aut locato fiunt .
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. III. 275
titre de propriétaire et à le garantir des évictions ^^. D'où
-naît ce caractère spécial , qui distingue la simple vente
de la mancipation , laquelle avait pour objet la transmis-
sion du droit de propriété? — 11 nous semble venir du
caractère même des immeubles sur lesquels portait origi-
nairement la vente.
Qu'on y réfléchisse , en effet :
L'Emptio-venditio et la tradition, en prenant place
dans le droit civil, à côté de la Mancipation, s'appli-
quaient aux fonds de terre qui n'étaient pas susceptibles
d'une propriété parfaite. La mancipation restait le moyen
solennel, du droit civil, pour effectuer le transport de
propriété des immeubles de Rome et de l'Italie, sur les-
quels les citoyens pouvaient avoir le domaine parfait, ex
optimo jure QuirUiim. Mais dans la vente et la tradition
des immeubles provinciaux , au contraire , le vendeur ne
pouvait jamais transmettre, selon l'acception de la Loi
civile , le droit de pleine propriété , puisque le domaine
Quiritaire ou éminent de ces immeubles était attaché à
l'empire du Peuple Romain. Toutefois, comme ce ven-
deur avait le domaine utile ou la chose in bonis, il pouvait
transmettre la possession paisible, dont il jouissait, et
garantir de l'éviction. Il possédait le sol provincial comme
à lui, PRO suo; et par la vente, par la tradition , il trans-
22 Paul , aâ Edictum , disait en termes bien précis : « Venditori
sufficit ob evictionem se obligare,possessioneni tradere, et purgari
dolo ma!o. Itaque si evicta res nonsil, nihil débet.» (/)., xix. 4. 1.)
J. Pacius, centur.^ m. p. 273 , a très-bien développé la doctrine de
cette loi , qu'il résume ainsi : « Eam traditionem modo sequitur , modo
non sequitur Iranslatio dominii; heec igitur consideratio non est à£
milura contractus , sed de implemcnlo. »
â76 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
mettait les mêmes droits à l'acquéreur, qui possédait pro»
EiMPTORE et PRO suo^'. — La vente, dans la suite, s'est
généralisée en droit romain par son application aux
fonds de terre, quelle que fût leur situation dans les
provinces ou dans l'Italie ; mais elle a retenu son carac-
tère originaire et distinctif.
Elle est restée , comme nous l'avons dit d'abord , un
contrat du droit des gens et de bonne foi; elle est restée
aussi un contrat parfait par le seul consentement sur la
cbose et sur le prix, confirmé ou sanctionné par le droit
civil comme produisant obligation et action personnelle ,
mais non transformé , ainsi que la Mancipation ou la Ces-
sion injure, en moyen d'acquérir ^^.
C'est la Tradition précédée d'une juste cause, moyen
déjà reçu. , dans l'ancien droit civil , d'acquérir les choses
mobilières nec mancipi, qui devient, dans la deuxième
période du droit romain , le moyen d'acquérir les im-
meubles, en général, selon le droit des gens ou le droit
naturel. Et alors le citoyen a vraiment deux domaines
possibles : le domaine civil ou Qiiirilaire sur les fonds du
territoire italique, le domaine naturel ou Bonitaire (selon
l'expression de Théophile) soit sur les terres italiques, soit
23 Peo suo possessio talis est , cum doniiniuni nobis- adquiri puta-
mus et ex ea causa possidemus , ex qua adquiritur , et prœterea pro
suo : ut puta, ex causa emptionîs et pro emptore et pro suo possidet.
(D., xLi. 10. 1. Ul-p. ) — J. Godefroy dit très-bien à ce sujet : « Pbo
y> suo possidet ex causis quibus Jure Gentium dominium adquiritur. »
24 Dans la théorie de notre Code civil , la vente des immeubles est ,
quant à la forme , du droit des gens commQ V em-plio-vendilio , et quant
au fond, pour la transmission ipso jure de la propriété, elle est une
création du droit civil comme la mancipation.
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. III. 277
sur les biens du territoire provincial. — Mais l'habitant
des provinces , qui n'est pas investi par naturalisation
individuelle de la qualité de citoyen romain , ou qui n'est
pas membre d'une cité, d'une colonie gratifiée du. Jus
Latii ou du Jus ludicmn , ne peut avoir qu'une seule es-
pèce de domaine, le domaine selon le Droit des gens.
La même distinction que nous venons de reconnaître,
dans l'aliénation à titre onéreux , entre la propriété pro-
vinciale et la propriété romaine , se retrouve par rap-
port à la donation entre vifs. I^ dualisme, qui s'est ma-
nifesté par la mancipation du droit civil et l'emptio-
venditio du droit des gens, existe aussi dans l'aliéna-
tion à titre gratuit. Dans le système de la loi Cincia , sur
laquelle les fragments du Vatican nous ont fourni une
lumière nouvelle , la distinction entre les immeubles de
propriété romaine, res mancipi , et les immeubles pro-
vinciaux , res tribufaiiœ, est fondamentale. Les terres ro-
maines ou italiques étaient transmises , pour cause de
donation entre vifs, par 'la mancipation, et la donation
devait être renfermée dans les limites de la Loi; — mais
les terres provinciales ou tributaires étaient transmises
par la seule tradition, émanée d'un majeur de vingt-cinq
ans , et pouvaient être données sans aucune restriction^^.
Or, cette Loi, du yf siècle de Rome, n'a pas eu une
25 In donatione rei tributariae circa exceptam et non exeeptam per-
sonam legis Cincise nulla differentia est, quum et vacuae possessionis
inductioue celebrata in utriusque persona perficiatur quapropter
in liis quidem quae solo tributario consistunt , a majore v et xx annis
in vacuam inductos posseàsionem ostendi convenit. ( § 293. Frag.
Vatic. ) — Cette Loi avait plus d'un rapport avec l'ordre politique.
278 LIV. I. — ÉPOQUE ROMALNE.
existence éphémère : on retrouve en effet sa distinctioïî
essentielle rappelée et confirmée, en l'an 296 de l'ère
chrétienne, par un rescrit de Dioclétien*^.
iV. — Tout un ordre de propriété, de modes d'ac-
quérir, de moyens d'établir les servitudes et de créer des
droits de jouissance , se rattachait au sol provincial ; la
propriété du droit des gens s'organisait et marchait de
front avec la propriété du droit civil. — Le parallélisme ,
est complet.
Aux moyens civils d'acquérir les immeubles, de con-
stituer les servitudes personnelles et réelles et de créer
des droits à la simple jouissance des fruits , la mancipa-
tion , l'usucapion, la cession in jure, le précaire, corres-
pondaient j selon le droit des gens, la tradition pour
cause de vente ou de donation , la prescription de long-
temps , les pactes et stipulations , le louage.
1 ** La Tradition , pour cause de vente ou de donation
entre vifs, répon ait à la mancipation, comme on l'a vu,
pour le transport des immeubles. L'Emptio-venditio du
droit des gens, acceptée par le droit non-écrit, avec ga-
rantie en cas d'éviction , se substituait progressivement
à la Mancipation civile ; elle finira par l'effacer et par
être seule employée à fégard des immeubles romains. Et
cependant, elle gardera toujours son caractère primi-
tif, de ne pas obliger le vendeur à transférer par la tra-
dition le droit de pleine propriété, et de pouvoir, par
26 Donatio praedii qUod mancipi est , inter non exceptas personas
traditione atque mancipatione perGcitur; ejus veroquod-nec mancipi
esttraditionesola. (§ 313 Frag. Yalk.—Dioclet. et Constant., an 296.)
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. III. 279
conséquent , s'appliquer à la vente de la chose d'au-
trui, c'est-à-dire à l'obligation du vendeur de faire avoir
la chose à Tacquéreur ou de lui payer des dommages et
intérêts, en cas de non tradition.
2" La Prescription de long-temps, pour les fonds pro-
vinciaux, dix ans entre présents ou habitants de la même
province et vingt ans entre absents , introduite par les
mœurs et le droit prétorien , était corrélative à l'usuca-
pion de deux ans pour les fonds d'Italie; elle ne conférait
pas directement la propriété, elle produisait une excep-
lion pérempioire pour repousser l'action du propriétaire ;
elle n'avait pas lieu en matière mobilière. L'ancienne
usucapion du droit civil, applicable dès l'origine aux
meubles mancipi vel non, conservait sa généralité entre
citoyens romains ; mais pour ceux qui n'étaient pas ci-
toyens , la possession non précaire , non violente ou fur-
tive des objets mobiliers, valait prescription pu titre ^'^.
3" Les pactes, ajoutés à la vente, ou les stipulations
correspondaient à la mancipation et à la cession injure,
pour l'établissement et le transport des servitudes rurales
et urbaines , et pour la constitution de l'usufruit con-
ventionnel. Gaius en fait la déclaration expresse"*.
27 Doneau, de Jurecivili, v. 4. tom. 1. p. 946 (édit. de Naples) : Prae-
scriptio longi teniporis in rébus mobilibus locuni non habuit.
28 Sed liaec scilicet in italicis praediis ita sunt, quia et ipsa prsedia
niancipationem et in jure cessionem recipiunt ; alioquin in provincia-
libus prœdiis , sive quis usumfructum , sive jus eundi, agendi , aquam-
ve ducendi , vel altius tollendi , ne luminibus vicini officiatur , cœtera-
que similia jura constituere velit, paclionibus et sltpulalionibus /id
efficere potest, quia ne ipsa quidem prdsdidi mancipalionem aulinjure
cessionem recipiunt, {Gaius , ii. § 31. )
280 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
4° Quant au mode de jouissance des immeubles, le
droit des gens apportait au droit civil le louage, locatio
conducMo , contrat consensuel et de bonne foi , produisant
obligation et droit personnel^ relativement à la perception
des fruits. Ce contrat, accepté par le droit non-écrit,
était venu se placer à côté du precarium des temps an-
ciens , et améliorer la condition des détenteurs et culti-
vateurs, en imposant des obligations réciproques au
propriétaire et au fermier ^^.
Ainsi , le Droit civil de la deuxième Période, sous l'in-
fluence du Droit prétorien et du Droit provincial , con-
naissait vraiment deux espèces de propriété , duplex do-
minium , avec tous les corollaires de ce dualisme nouveau.
Ce n'est pas une exception apportée au droit de l'époque
primitive, qui connaissait un seul domaine, ex jure qui-
RiTiUM ; c'est un système nouveau qui se développe à
côté de l'ancien et qui tend à l'absorber, pour se répan-
dre librement sur l'univers romain.
29 L'action conduclo aul localo est mentionnée par Cicéron. ( De
Nal. deor., ni. 30.)
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. IV. 281
SECTION IV.
OBLIGATIONS.
SOMMAIRE.
1. — Extension de l'obligation civile. — Sources nouvelles. — Trois
classes d'obligations.
I. — Obligation emïe appliquée à des éléments nouveaux,
et communicable aux Etrangers. — Restriction
relative à l'obligation littérale. — Chirographa,
syngraphae , arcaria uoniina. — Exception non
numeratse pecuniae.
II, _ Obligation honoraire ou prétorienne. — Parallé-
lisme du Droit prétorien et du Droit civil par
rapport aux obligations.
III. — Obligation naturelle.
2. — Influence du Droit nouveau sur l exécution et l'extinction des
Obligations. — Restitutions in integrura.
I. — Modifications par des lois ou des formes nouvelles :
— Loi Papyria. — Emptio bonoruni. — Fosses"
sio bonorum.
— Loi Julia , de bonis cedendis.
II. — Modifications par le Droit prétorien :
— Restitutions en entier à l'égard des Majeurs.
— Restitutions en entier à l'égard des Mineurs de
vingt-cinq ans.
— Vue d'ensemble sur Vincapacilé des impubères et
des pubères. — Loi Lsetoria. — Transition de
celle loi aux Restitutions in integrum.
282 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
§ 1er, — EXTENSION DE l' OBLIGATION CIVILE. — SOURCES NOUVELLES.
— TBOIS CLASSES D'OBLIGATIONS.
I. — L'obligation civile , fondée sur la Loi des XII
Tables, s'étend et reçoit des éléments nouveaux. Elle
embrasse certaines conventions du droit des gens , éle-
vées par le droit non-écrit au rang des contrats nom-
més. Par obligations civiles, on entend désormais celles
qui sont constituées par les Lois , ou confirmées d'une
manière certaine par le Droit civil ' .
Le Droit romain a sa classification définitive des con-
trats nommés en contrats réels, verbaux, littéraux, con-
sensuels , ou contrats parfaits , re , verbis , litteris et
CON SENSU.
Les quatre Contrats consensuels et de bonne foi , la
vente , le louage , le mandat , la société , sont indiqués
ensemble dans les écrits de Cicéron comme contrats obli-
gatoires , et désignés par les actions même qui en déri-
vent'^. Ils n'ont point de caractère exclusif à l'égard des
Étrangers qui peuvent s'obliger, entre eux ou avec les ci-
toyens , par des contrats dont l'origine se puise dans le
droit des gens et dont le principe est la bonne foi.
Les Contrats réels, dont trois, le dépôt, le gage, le
commodat , sont de bonne foi , n'ayant besoin pour leur
perfection que du consentement des personnes et de la
1 Civiles suntquse autlegibus constitutœ , aut cerle '}ure civili com-
probatae sunt {alias certo). {Insl. Jusl., lu. 13. 1.)
2 Inde tôt judicia de fide mala , tutelse , mandati, pbo socio , fidu-
ciœ, reliqua quœ ex empto aut vendtto, ex locato aut con-
DUCTO, contra fidem fiuut. {Cic, de Nal. Ueor., m. 30.)
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. IV. 283
tradition des choses, sont communs aux citoyens et aux
étrangers.
Le Contrat verbal lui-même , la stipulation , malgré
sa civile origine , prend une grande extension , et de-
vient, par la puissance du droit non-écrit, une forme
générale de contracter entre personnes étrangères et un
lien possible d'engagement, un vincuium jitris entre les
étrangers et les citoyens. Le droit civil de Rome, qui
s'enrichit des éléments du droit des nations , reporte au
droit des gens , par une sorte de réciprocité , des insti-
tutions nées dans, le sein même de la Cité : le Préteur
des Étrangers, dont le pouvoir égale celui du Préteur
delà Yille, assure, au profit des personnes étrangères
et contre elles, l'exercice des droits, l'exécution des obli-
gations qui les concernent, et protège, par sa haute in-
fluence, cet échange de mœurs et de relations qui s'éta-
blit entre Rome et les diverses nations du Monde.
L'Obligation littérale du droit civil, celle, du moins,
qui naissait des inscriptions ou transcriptions sur les
registres domestiques , ne pouvait pas s'étendre aux
. Étrangers , car ces registres , sur la fidélité desquels les
Censeurs faisaient prêter serment , étaient ceux des ci-
toyens de Rome ; donc l'obligation transcriptiis nomlnibus
restait purement de droit civil ^. Mais les billets sous
3 Gaius,iii. § 133 : Transcriptiis vero nominibus an obligentur
peregrini merito quœritur, quia quodammodo juris civilis est talis
obligatio. — Il y avait controverse entre les jurisconsultes pour savoir
si la novation a causa in personam pouvait se faire sur le registre en-
vers un étranger. Nerva et Sabinus n'étaient pas du même avis. — Il
est probable que , dans ce cas , il s'agissait d'une novation faite sur
le livre des argenlarii; car les registres domestiques, comme moyen
légal de preuve judiciaire , étaient tombés en désuétude sous l'empire,
parce qu'il n'y avait plus de censeurs pour les surveiller.
284 LIV. 1. — ÉPOOUÉ ROM AINE.
seing-privé, Chirographa , portant que le souscripteur
doit; et les écrits, signés de deux personnes, Syngra-
phœ , portant que l'une des parties promet de donner
à l'autre , constituaient une obligation littérale propre
aux étrangers'*. — Au reste, les citoyens et les étran-
gers connaissaient des créances par écrit , arcaria nomina
(effets de Caisse) , qui étaient à leur usage commun.
Ces titres, appelés aussi cautiones , n'obligeaient pas par
eux-mêmes, ipso nomine ^ mais seulement par la nu-
mération des espèces qui devait être prouvée. Les ar-
caria nomina ne créaient aucune obligation ; ils étaient
un témoignage, un instrument de l'obligation qui pou-
vait être combattu par des preuves contraires ; l'obli-
gation en elle-même était plutôt réelle que littérale^ :
on pouvait opposer au porteur du titre l'exception non
numeratœ pecimiœ. — Cette exception était d'abord an-
nale; mais le délai dans lequel elle devait être opposée
fut ensuite prorogé à cinq années par une Constitution
de Marc-Aurèle ; plus tard , et selon le droit de Justi-
nien, le délai de l'exception fut de deux ans. Le délai
4 Gaius, III. § 134 : Prœterea litterarum obligatio fieri videtur
chirografis et syngraphis, id est si quis debere se, aut daturum se scri-
bat ; ita scilicet si eo nomine stipulatio non fiât : quod genus obliga-
tionis proprium peregriuorum est.
5 Gaius, m. §§ 131, 132 : In his enim, rei non litterarum obligatio
consistit ; quippe non aliter valeat quam si numerata sit pecunia
Qua de causa recte dicemus arcaria nomina nullam facere obligatio-
nem , sed obligationis factœ testimonium prœbere. — Unde proprie
dicitur arcariis noniinibus etiam peregrinos obîigari , quia non ipso
nomine , sed numeralione pccuniœ obligantur : quod genus obliga-
tionis juris gentium est.
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. IV. 285
étant expiré , le titre devenait vraiment une obligation
littérale et se prouvant par elle-même^.
II. — A l'obligation civile . agrandie par le droit des
gens et le droit non-écrit , l'édit des Préteurs ajouta une
seconde source , l'obligation Honoraire ; et alors s'établit
dans le droit romain une division essentielle entre les
obligations civiles et les obligations prétoriennes'^.
Dans cette division se retrouvait encore la corrélation
du droit civil et du droit prétorien, comme on l'a vu pour
les successio;is et pour la propriété. Le Préteur par I'édit,
émané de son pouvoir, par le décret, émané de sa juri-
diction , sanctionne ou impose des obligations qui pren-
nent , dans l'ensemble du droit , une place régulière et
correspondante à des contrats du droit civil^. Si le Droit
6 La constitution de Marc-Aurèle est dans le premier fragment du
Code Hermogenien : Ex caiilione, exceptionem non numeratse pecuniae
nonanni, sed quinquennii spaûo deficere nuper censuimus. (Règle
suivie dans le droit romain de la Gaule méridionale, comme le prouve
l'interprétation qui accompagne le fragment. )
Inst. Just., III. 2» . (de Liller. oblig. ) : Plane si quîs debere se scrip-
serit quod ei numeratum non est , de pecunia minime numerata post
multum lemporis exceptionem opponere non potest, hoc enim saepis-
sime constitutum est. Sic fit ut hodie , dum queri non potest , scrip-
lura obligelur et ex ea nascitur condictio.
7 D. XLiv. 7. 52. Obligamur aut Lége, aut Jure Honorario
( Modesl. )
Omnium autem obligationum summa divisio in duo gênera dedu-
citur; namque aut civiles sunt aut prœtoriœ.... quœ etiam honorariœ
vocantur. {Inst. Just., m. 13. 1. )
8 Videtur enim et debitum et quod jure praetorio debetur. (D. xiii.
3.1.§8. L7p. )
Jure honorario obUgamur ex bis , quae edicto perpetuo , vel màgis-
tratu fieri prœcipiuntur , vel fieri prohibentur. (Z)., xliv. 7. 52. § 6.
Modesl. )
286 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
civil a ses contrats nommés, le Droit honoraire a aussi ses
pactes prétoriens , nommés dans l'édit ou désignés par
l'action qu'ils produisent. Nous allons suivre quelques in-
stants, ici, le parallèle à l'égard des contrats parfaits,
RE , VERBIS et CONSENSU.
1 " Il y a des pactes prétoriens parfaits par la chose ( re
perfecta) :
Ainsi , les conventions du fils en puissance ou de l'es-
clave produisent obligation et action de peculio contre le
père et le maître qui ont accordé un pécule; mais il faut
qu'il y ait une chose dans le pécule, au moins au jour de la
sentence , et que le père ou le maître en soit le détenteur
réel pour être obligé. Le lien préexistant entre le père et
le fils , le maître et l'esclave, ne pouvait pas donner force
contre le père ou le maître à l'engagement du fils et de
l'esclave. Levinculum juris naît de l'édit; le père et le
maître sont obhgés, non par le droit civil, mais parle
droit honoraire ^; et l'obligation est subordonnée à la dé-
tention d'une chose dépendant du pécule *°.
On retrouve encore ce caractère réel dans l'action pré-
torienne de in rem verso ^ qui existe même en l'absence de
tout pécule, contre le père et le maître, mais seulement
pour la valeur des choses versées dans leur patrimoine ,
9 Verba autem edicti talia sunt : « Quod cum eo qui in alterius
» POTESTATE ESSET NEGOTIUM, ERÏT. >> (D., XV. 1. )
Le père et le maître , de peculio obstricli , sont dits par Ulpieu , lio-
noraria actioae, non jure.civili obligati. {D., xiii. 5. i. § 8. )
10 Filius-familias promittendo patrem civiliter non obligat. (Z).,
XLYI. 4. 8. §4. )
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. IV. 287
par suite des conventions du fils et de l'esclave avec des
tiers
11
2° Il y a des pactes prétoriens parfaits par la parole
(yerbis perfecta) :
Ce sont les stipulations prétoriennes , qui ont lieu en
vertu d'un décret du préteur*^.
Le décret du préteur, rendu en connaissance de cause,
impose des obligations sous la forme de stipulations ou
de promesses, qualifiées de stipulations prétoriennes,
parce qu'elles partent de l'office même du préteur : telle
est principalement la stipulation pour cause de dommage
imminent, damni infecli^^. Les stipulations prétoriennes
doivent être demandées au magistrat, in jure*'*. Tro's
décrets interviennent dans la cause du dommage immi-
nent : le preiiiier ordonne que le propriétaire de l'édi-
fice PROMETTE à son voisiu , à titre de garantie, de ré-
parer le dommage futur , et la promesse doit revêtir la
forme de la stipulation. Si le propriétaire n'obéit pas ,
et refuse la promesse exigée, un second décret envoie le
réclamant en possession provisoire des bâtiments qui me-
nacent ruine, non pour lui donner les droits d'un pos-
sesseur, mais afin que la présence importune d'un gar-
11 D. XV. 3. 1....: Si in rem eoruni , quod acceptum est conversum
sit , quasi cum ipsis contractum videatur; ( Ulp. )
L'action de peculio était purement annale ; l'action de in rem verso
était perpétuelle. (Jd., i. § 1. )
12 Cum ]^tsetorutprom,iUeres deerevisset. ( D.,xxxix. 2. 44. A fric.)
13 Pra'torise ( stipulationes) sunt quae a mero prœtoris officio profi-
ciscuntur, valut damni in fecli vel legatorum. {Insl., m. 18.)
14 Sous ce rapport, elles sont assimilées à des actions. (Cujas , ad
A fric., Tract, ix. in § cum poslulassem. )
288 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
dien détermine le propriétaire à répondre du dommage.
— Si le propriétaire résiste toujours , alors un troisième
et dernier décret constitue le demandeur possesseur ju-
ridique (facit possessorem) ; le propriétaire est expulsé
de sa maison : le Préteur a rendu le voisin possesseur, à
titre de maître, et lui a fourni l'occasion d'acquérir la
propriété par vsiicapion ; l'usucapion ajoute la propriété
civile à la possession prétorienne*^.
La stipulation prétorienne s'exerce aussi en faveur
des légataires à terme ou sous condition ; l'héritier est
obligé , sous forme de stipulation , de garantir l'acquitte-
ment du legs à l'échéance du terme , à l'événement de la
condition.
Elle a lieu encore pour obliger le tuteur qui n'a pas été
nommé par testament ou après enquête, et le curateur,
quel qu'il soit, à donner caution de la bonne gestion des
affaires du pupille , du mineur ou du furieux. Si le pu-
pille ne pouvait pas lui-même stipuler de son tuteur, l'un
de ses esclaves ou un esclave public stipulait de ce tu-
teur le cautionnement, en présence du Préteur*^.
Elle pouvait être admise dans d'autres cas prévus ; et
l'on retrouve toujours, dans les applications diverses , le
15 Occasio usucapionis est a magistratu vel a privato,yMs a legibus,
(CujAS, ad A fric, ibid. j
16 D., XLVi. 7 : Rem pupilli vel adolescentis salvam fore.
Si pupillus absens sit, vel fari non possit, servus ejus stipulabitur ,
si servum non habeat emendus ei servus est. Sed si non sit unde ema-
tur aut non sit expedita emplio , profecto dicenms Servum publicum
apud prœlorem stipulari debere. [L. ii. )
Pertinet autem hsec stipulatio ad omnes curatores. (L. iv. § 8. Ulp.)
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. IV. 289
caractère inhérent à la stipulation prétorienne , savoir, le
principe de garantie*'.
3** Il y a des pactes prétoriens parfaits par le seul con-
sentement (consensu perfeda).
Ainsi, le père ou le maître qui a donné l'ordre verbal ,
écrit , ou par message , de contracter soit spécialement
soit généralement avec son fils en puissance ou son es-
clave, est obligé par son consentement à exécuter la
convention faite, et se trouve soumis à l'action préto-
rienne, quod jussu*^.
Ainsi , le pacte de constitut (de pecunia constiiutd), par
lequel un simple citoyen a promis de payer pour lui ou
pour un autre , est suivi d'une action honoraire et per-
sonnelle du même nom ; elle correspond à l'action civile
contre les banquiers du forum qui s'étaient chargés de
payer pour quelqu'un ^^.
Ainsi , le pacte de gage et d'hypothèque {de pignore vel
kijpothecœ) , simple convention qui oblige la chose du dé-
biteur, sans tradition et sans l'intermédiaire de la fiducie,
produit, par le droit prétorien, l'action quasi-servienne
17 Et scienduin est omnes stipulationes natura sui cautionales
ESSE. (D., XLVI. 5. 1. § 4. Ulp.)
Cujas ajoute aux stipulations prétoriennes damni infecli , legalorum,
tutelœ , les stipulations au double , en cas d'éviction , et les stipulations
de ralo, vel rem ralam habere. — Le Digeste contient encore d'autres
exemples. {Liv. xlv. lit. 5. 6. 7. 8. )
18 Merito exjussu domini in solidum adversus euni judicium datur :
nam quodammodo cum eo contrahitur qui jubet. Jussum autem ac-
cipiendum est, sive testato quis, sive per epistolam, sive verbis, aut
per nuncium, sive specialiter in uno contractu jusserit, sive genera-
liter. (Z)., XV. 4. 1. Ulp.)
19 Action civile receplilia, qui s'exerçait contre les argenlarii. {In$t.
Just ,iy. 6. §8. )
T I. 19
290 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
OU hypothécaire^^. La convention d'hypothèque- ne con-
stitue ni un contrat du droit civil , ni un pacte légitime
ou sanctionné par une loi spéciale : c'est un pacte pré-
torien tout à fait analogue au contrat consensuel^*. —
Et ce pacte, relativement à son effet obligatoire, a, de
plus, un rapport très-important avec l'obligation civile
des premiers temps. L'hypothèque, droit réel créé par le
pacte prétorien , oblige immédiatement et suit la chose
du débiteur, comme le contrat originaire du droit civil
obligeait immédiatement et suivait la personne du débi-
teur. Le JUS NEXi avait passé, par l'imitation et l'applica-
tion prétorienne, de la personne sur la chose ; et de même
que l'obligation primitive, produisant l'action person-
nelle , s'attachait à la personne engagée /«re nexi^ et con-
duisait à la vente du débiteur ou au droit de propriété sur
sa personne; de même l'hypothèque, produisant l'action
réelle , s'attachait à la chose directement obligée , nexu
obligata, et emportait le droit de suivre, de vendre^ et,
par clause commissoire , de s'approprier la chose hypo-
théquée.
20 De pignore jure honorario nascitur pacto actio. (D., ii. 14. 17. § 2.)
— Proprie pignus dicimus quod ad creditorem transit , hypothecam
cum non transit , nec possessio , ad creditorem. ( D., xiii. 7. 9. ) —
Item et quasi serviana quœ etiam hypotliecaria vocatur, ex ipsius prae-
loris jurisdictione substantiam capit. ( Insl. , iv. §§ 7. 31. )
La qualiGcation formula hypolhecaria était appliquée , soit à la con-
vention, soit à l'action, par Gaius et Mabcien, qui avaient fait des
commentaires particuliers ad formulant hypothecariam. — Selon le pré-
sident Brisson , formula est pris pour actio. {De Form., iv. 44. p. 365.)
— Sur le gage et l'hypothèque , voir stipra , p. 141, et infra, liv. ni.
21 Id scilicet est pignus quod traditione constituitur...,nam hypo-
theca quse nudo pacto consistit, instituitur de jure prsetorio... et nomen
civile nonhabetaut legitimum, seàprœlorium. {Cujas, Cod._ \v. c. 24.)
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. IV. 291
C'est donc ici l'un des plus grands effets de la corréla-
tion qui s'est établie entre le droit civil et le droit pré-
torien. L'obligation civile, avec tous ses caractères, a été
transportée, ainsi qu'on l'a dit, de la personne sur la
chose ; et quand l'idée du droit de propriété sur la per-
sonne du débiteur s'est effacée complètement des lois et
des mœurs romaines, le droit d'appropriation sur le gage,
par la clause commissoire , a été aboli et prohibé pour
l'avenir. La fin de l'hypothèque n'a plus été la propriété
de la chose pour le créancier , mais le paiement sur le
prix; c'est-à-dire la libération de la chose obligée.
Ainsi , la convention , comme source première de l'obli-
gation qui affecte la chose ; — la réalité et l'indivisibilité
du droit, comme principe de l'hypothèque ; — le droit
de suite sur la chose, comme moyen; — le paiement,
comme fm de l'obligation ; — en un mot , tous les carac-
tères du droit hypothécaire tiennent à cette origine du
pacte prétorien, mis en parallèle avec l'obligation primi-
tive qui affectait la personne dans le droit civil de Rome.
Par là s'explique la création d'un droit réel par le seul
consentement. Cette anomalie, qui paraît si choquante
dans la théorie du droit romain , disparaît complètement
sous l'influence de l'histoire du droit et de la doctrine,
par la corrélation qui existe entre le Droit civil et le Droit
prétorien, au sujet des obligations, comme au sujet de
Ja propriété et des successions.
riL — Mais tous les pactes ne sont pas élevés au rang
de pactes prétoriens , qui produisent par leur assimilation
à des contrats réels , verbaux et consensuels , l'obligation
et l'action honoraire. Le droit prétorien a fait son choix
292 LIV. 1. — liPOQUE ROMALNE.
parmi les conventions les plus utiles , les plus usuelles ,
et laissé les autres dans le vaste domaine du droit naturel
et des gens. Ce sont ces conventions, non sanctionnées
par le droit civil ou par le droit prétorien, qui forment la
classe indéfinie des pactes nus (nuda pacta , nudœ pactio-
nes), lesquels ne produisent ni action civile, ni action
honoraire , mais une obligation purement naturelle.
Toutefois, le droit prétorien veut donner encore une
garantie à la bonne foi, et il attache une exception à
cette obligation naturelle. Le préteur dit : « Je protégerai
les pactes convenus : pacta conventa servabo. » —
Dès lors celui qui a exécuté le pacte, et qui veut revenir
contre son exécution par l'action civile en répétition (con^
dictio indebitt) , est repoussé par une exception ; ou celui
qui a promis de ne pas réclamer une chose, une valeur
(pacium de non petendo) , est repoussé dans son action, à
moins que le pacte ne soit entaché de dol, ou contraire
aux lois, aux moeurs, à l'équité naturelle ^^.
L'obligation naturelle , dérivant de conventions non
classées parmi les obligations civiles ou honoraires, a
donc, sous un premier rapport , une existence reconnue
dans le droit, et les jurisconsultes romains ne l'ont ja-
mais confondue avec les devoirs de l'ordre purement
moral ^^. Accompagnée du droit d'exception, elle peut
devenir la base légitime d'une novation, d'une com-
22 Ait praetor : « Pacta conventa qu^ neque dolo malo , neque
ADVEBSUS LEGES, PLEBISCITA, SENATUS CONSULTA , EDICTA PRINCI-
PUM , NEQUE QUO FRAUS GUI FIAT , FACTA ERUNT SERVABO. ( D. , II.
14. 7. § 7.) De Reg. jur., lxvi : Desinit débiter esse is qui nanctus
est exceptionem justam.
23 Is uatura débet, quein jure gentium dare oportet, cujus lidem
geculi sumus. {De Reg. jur., lxxxiv. § 1.)
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. IV. 293
pensation, d'un cautionnement, d'une hypothèque^*.
Les obhgations naturelles ne naissent pas seulement
des simples pactes ; elles embrassent aussi , en second
lieu, les conventions des personnes qui, à raison de leur
âge, de leur sexe ou de leur qualité (les impubères, les
femmes placées sous la puissance du père , du mari ou
du tuteur) sont incapables de s'engager civilement.
Leurs conventions restent dans Tordre des obligations
naturelles , destituées d'action civile ou honoraire , bien
que l'engagement des personnes capables qui ont con-
tracté avec elles ait toute la force du lien civil ^^ ; mais elles
peuvent , comme obligations naturelles , servir de base à
une novation, à un cautionnement, à une hypothèque,
qui seront consentis par des personnes capables de s'o-
bliger.
Ainsi , par les combinaisons successives du droit civil ,
du droit prétorien , du droit des gens , se forment trois
classes d'obligations conventionnelles : l'obhgation civile
24 Pour la novation {Dig., xlvi. 2. 1. ( Ulp. ) : Novatio est prioris
debiti in aliam obligationeni , vel civilem , vel naturaiem transfusio
atque transi atio.
Pour la compensation (D., xvi. 2. 6. ( Ulp.) : Etiam quod natura
debetur venit in compensationem.
Pour le cautionnement { Gains, m. % 119 , et Inst. Just., m. 21.
§ 1 . ) : Ac nec illud quidem interest utrum civilis an naturalis sit obli-
gatio cui adjicitur fidejussor.
Pour le gage et l'hypothèque (D., xx. 1, 5.) : Res hypothecse dari
posse sciendum est pro quacumque obligatione... vel tantum naturali.
25 Inst., I. 21 : Ipsi quidem qui cum his contrahunt obligantur , at
invicem pupilli non obligantur.
Il était reconnu que le pupille qui recevait de l'argent à titre de
prêt , muluam pecuniam , n'était pas obligé même jure naturali.
294 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
par la Loi des XII Tables ; l'obligation honoraire par
le droit prétorien ; l'obligation naturelle par le droit
des gens, le droit prétorien et le droit civil réunis. —
La triple division des obligations, désormais acquise
à la science des jurisconsultes , sera fondamentale dans
la théorie des obligations j elle est reconnue par Ulpien^^.
§ 2. ~ INFLUENCE DU DROIT NOUVEAU SUR l'eXÉCUTION ET l'eX-
TINCTION DES OBLIGATIONS. — RESTITUTIONS IN INTEGRUM.
Le droit nouveau n'agit pas seulement sur les obliga-
tions elles-mêmes , il agit puissamment sur leur exécu-
tion et leur extinction. — Les modifications sont pro-
duites., et par des Lois ou formes spéciales, et par le
Droit prétorien,
I. — La servitude personnelle du débiteur, qui était
le gage primitif et le rigoureux accessoire de l'obligation
civile à défaut de paiement , fut abolie par la loi p^eti-
L1A PAPIRIA DENEXU, ccut vingt aus après la promulga-
tion des XII Tables, en l'année 427. Cette loi, comme
toutes celles qui sont contraires aux mœurs d'un pajs,
éprouva des obstacles dans son exécution; mais son prin-
cipe pénétra dans le droit civil.
L'obligation resta toujours uii lien personnel , un lien
de droit, mais elle cessa d'être un lien corporel. « Cette
26 D., XLVi. 2. 1. § 1. (Ulp. ) : « Illud non interest qualis processit
obligatio : utrum naturalis , an civilis , an honobaria. »
D,, XX. I. 5. (Marcianus) : Et velpro civili obligatione , vel hono-
baria , vel tantum naturali.
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. IV. 295
» année, dit Tite-Live, le peuple fut en quelque sorte
» initié à une liberté nouvelle , par l'abolition de l'asser-
» vissement pour dettes. L'impudicité et la cruauté de
» l'usurier L. Papirius produisirent cette révolution dans
» le droit ^'. » Le peuple s'émut aux plaintes du jeune
Publilius, qui s'était livré aux mains du créancier de
son père. Le Sénat ordonna aux consuls de proposer au
peuple « que nul, hors le cas de crime, ne serait re-
» tenu dans les chaînes ; et que les biens , et non le corps
» du débiteur, seraient assujettis à ses dettes^*. » —
Alors fut brisé , dit l'historien romain , ce lien puissant
de la foi des contrats, ingExNS vinculum fidei. Les dé-
biteurs enchaînés furent mis en liberté ^^; et il fut éta-
bli qu'à l'avenir il n'y aurait plus d'emprisonnement
pour dettes. « Le crime de Sextus, a dit Montesquieu,
» donna à Rome la liberté politique ; celui de Papirius y
«donna la liberté civile^''. »
27 Eo anno plebi romanœ veîut aliud initîum libertatis factum est
quod ligari nexi desierunt : mulalumautemjus ob iiniusfœneratoris
simul libidinem , simul crudelitatem insignem. L. Papirius is fuit,
{TU. Liv., YMi. 28.)
28 Lex Pœlilia Papiria , de Nexu : Jussi consules ferre ad popu-
lum , « ne quis , nisi qui noxam meruisset, donec pœnani lueret , in
compedibus aut in nervo teneretur. Pecunise creditae bona débitons
non coBPUS obnoxium esset. » ( TU. Liv.., viii 28. )
29 Ita NEXI soLUTi : cauturaque in posterum ne necterentur. ( Id.
ibid. )
30 Esprit des lois , xii, ch. 21 : La loi ne vainquit pas de suite les
habitudes : en 465 , Veturius était contraint de se donner en servitude
à C. Plotius , nexum se dare. Déchiré de coups par la main des escla-
ves , parce qu'il avait résisté à l'impudicité , il porta plainte aux con-
suls , et le sénat unanime ordonna que le créancier serait conduit en
prison : Hoc universi paires censuerunl. ( Val. Max., liv. 6. no 10. )
296 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
Les poursuites des créanciers s'adressèrent aux biens
des débiteurs. Le mode le plus ancien d'exécution était
celui attribué au préteur Rutilius, ÏEmplio bonorum. Un
des créanciers ou même un étranger se rendait acqué-
reur de l'universalité des biens du débiteur, à la charge
de payer les divers créanciers intégralement, ou dans
une proportion convenue d'avance avec eux; il pouvait
agir comme l'héritier du débiteur ^^
Un autre mode fut l'envoi en possession, Posaessio
bononim^^. Les créanciers pouvaient directement obtenir
du magistrat la possession des biens du débiteur. Des
syndics (Magisfri) étaient nommés pour en poursuivre
la vente publique. L'édit du préteur ou du proconsul
autorisait ces envois en possession , même dans les pro-
vinces. Cicéron nous apprend expressément qu'il avait
établi dans son édit de Cilicie , comme disposition habi-
tuelle, la règle des envois en possessions^. La vente
publique, faite sous le nom du débiteur, s'il n'avait pas
institué, en mourant, un esclave héritier nécessaire,
emportait contre le débiteur insolvable la ivote d'in-
famie.
Malgré la loi Papiria l'emprisonnement des débiteurs.
31 Gaius, IV. § 35 : Sîmiliter et bonorum emptor fîcto se hœrede
agit. Les Institutes de Justinien , m. 12 , emploient la qualifîcatiou
de bonorum vendilioncs. P. Rutilius Rufus fut consul en 645.
32 La possessio bonorum et la bonorum possessio ne doivent pas être
confondues ; cette dernière inversion s'appliquait exclusivement à la
succession prétorienne.
33 Regulae de bonisl'possidendis , magistris faciendis , vendendis ,
quse ex edicto et postulari et lieri soient. {Episl. ad AlL, vi. 1. Cic,
edil. Leclerc , xix. p. 128.)
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. IV. 297
les rigueurs contre leur personne n'avaient pas complè-
tement disparu, et par le décret du Préteur, sur Tenvoi
en possession des biens du débiteur, la honte s'atta-
chait à la personne de l'insolvable. Jules César vint au
secours des débiteurs de bonne foi, en portant la loi Ju-
LiA DE BONIS CEDENDis [706]; loi d'abord faite pour Rome
seulement, et puis étendue aux provinces^*. Le débiteur
faisait la cession de ses biens devant le préteur, en em-
ployant des paroles solennelles , et en protestant de son
malheur ou de sa bonne foi, qui était appréciée par le
magistrat ^^ : plus tard , sous Théodose , les solennités
furent aboUes^^. Les biens étaient vendus par l'ordre du
préteur et l'intermédiaire des syndics nommés par les
créanciers^"'. Si les biens ne suffisaient pas à l'acquitte-
ment des dettes , le débiteur n'était pas entièrement li-
34 « Leges Juliœ de bonis cedendis beneficium ad provincias por-
rectum est constitutionibus divorum nostrorum parentum , » disait
l'empereur Dioclétien. ( Cod. JusL, viii. 71. 4. ) — Une loi de Gratien
et de Valentinien [ 379 ] excepta du bénéfice les débiteurs du fisc qui
pouvaient être contraints dans leurs personnes. (C. Theod., iv. 20. 11.)
De même , dans les Elablissements de Saint-Louis , la contrainte par
corps est autorisée pour les dettes du roi. Le ch. xxi cite la loi 3 au
Code, si adversus fiscum. ( Collect. des Ord., i. p. 272. )
35 Justiuien a conservé sans doute quelque chose de l'ancienne for-
mule quand il a dit : « Cum solito more a nostra Maj estais petitur ,
ut ad miserabile cessionis bonorum homines venianl auxilium, » {C.
Just., VII. 71. 8. )
36 In omni cessione sufficit solse voluntatis sola professio [ann. 386].
(C. T/ieod.,iv. 20. 2.)
37 On suivait les formes de Vemplio bonorum. Les biens seulement
étaient considérés comme biens d'homme vivant : Ilem eorum qui
ex Lege Julia bonis cedunt, dit Gains, qui ne parle pas ailleurs, dans ses
Commentaires , de la loi Julia. ( Gains , m. § 78. )
298 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
béré^®; le bénéfice de la cession était de l'affranchir de
l'emprisonnement et de la note d'infamie. Jules César,
par cette institution , avait donc fait plus que l'ancienne
Loi Papiria, puisqu'il protégeait non seulement la liberté,
mais l'honneur du débiteur malheureux et de bonne foi.
II. — Les modifications apportées par le Droit préto-
rien à l'exécution des obligations formaient la branche
importante des restitutiojNS en entier, par rapport aux
Majeurs et aux Mineurs de vingt-cinq ans.
Les causes générales de restitutions à l'égard des ma-
jeurs tenaient aux vices qui avaient affecté le consente-
ment , principe essentiel de l'obligation, savoir, le dol, la
violence, et ce que Paul appelait une juste erreur'^ elles te-
naient aussi aux effets du changement d'état et de l'ab-
sence^^.
1° Le préteur Aquilius, que Cicéron appelle son collè-
gue et son ami, établit la formule du dol rescisoire, de dolo
malo. Il y avait dol, selon sa définition, lorsqu'une chose
était faite en apparence et une autre en réalité *°; mais
cette notion convenait à la simulation plus qu'au dol ;
aussi fut-elle critiquée et repoussée bientôt par l'esprit
sévère de Labéon , qui marqua le vrai caractère du dol
en le définissant : « Toute finesse, tromperie, machina-
38 Cod. Just., Yiii. 71. 1. [an 324] : Beneficium eis prodest tantum-
modo, ne judicati detrahantur in carcerem. (Ce qui suppose que l'usage
de l'emprisonnement s'était maintenu , en fait, malgré la loi Papiria. )
39 Sive metu , sive calliditate , sive absentia , sive per status muta-
tionem aut justum errorem. (D., iv. 2. 1. 2. Ulp. et Paul.)
40 Quum esset aliud simulatum, aliud actum. {Cic, Off., m. 14.
15. ) — C'était aussi à peu près la définition de Servius Sulpicius.
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. IV. 299
3 tion employée pour circonvenir, entraîner dans l'erreur
» et tromper une autre personne^*.» L'édit prétorien ren-
dit , au surplus , la restitution pour cause de dol appli-
cable à tous les cas de fraude, et reçut un caractère de gé-
néralité qui n'existait pas dans le droit primitif ^'^. Il pour-
suivit le dol jusque dans l'intention frauduleuse qui fai-
sait aliéner une chose en litige, pour rendre plus difficile
la demande ou même la position de l'adversaire. Si , par
exemple , pendant le litige, l'objet était vendu à un habi-
tant d'une autre province , si l'esclave réclamé venait à
être affranchi par le défendeur, si un héritage était vendu
pour échapper à une action en partage; en un mot, toute
innovation faite pendant le litige dans une intention de
fraude , était prohibée et rescindée par le préteur*^. L'état
de la chose doit être fixé par le procès ; c'est un principe
de tous les temps. En cas d'infraction , il y avait action
personnelle en dommages et intérêts contre l'auteur de
l'aliénation, et, de plus, action pour la poursuite de la
chose**.
41 Omnis calliditas , fallacia , machinatio ad circumvenienduni , fal-
lendum , decipiendum alterum adhibita. — Labeonis definitio vera est,
ditUlpien. (Z)., IV. 3. 1.)
42 Verbo Edicti talia sunt : « Qu^ dolo malo fa<:ta esse dicen-
TUB , SI DE HIS BEBUS ALIO ACTIO NON EBIT ET JUSTA CAUSA ESSB
VIDEBITUB , JUDICIUM DABO. (D., IV. 3. 1. Ulp. )
43 D. IV. 7. 1 : De alienatione,judiciimulandi causa, fada. (L. 3.
$l.el L.6. Paul.) "
Ait prœtor : Qu^ve alienatio judicii mdtandi causa facta ebix.
Id est si futuri judicii causa, non ejus quod jam sit.
44 Tanti nobis in factum actione teneatur quantum nobis interest
alium adversarium nos non habuisse. — Haec actio non est pœnalis ,
sed rei perseculionem , arbitrio judicis , continet , quam et hseredi da-
bitur et in heredem. ( D., iv. 7. 1. 4. § 2. )
300 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
2" Les plus anciens édits du Préteur portaient qu'il
ne tiendrait point pour ratifié ce qui serait déterminé par
la violence ou la crainte , quod vi metusve causa. Dans
la suite, l'édit prétorien mentionna seulement ce qui
serait fait par crainte, quod metus causa, mais sans
changer la nature de cette^cause de restitution : il fallait
que la crainte, faite pour agir sur un homme ferme, fût
excitée ou par un acte de violence exercé ou par un acte
de violence imminent contre la personne elle-même ou
celle des enfants , et de nature à compromettre la vie , la
pudicité , la liberté : la menace de servitude par la des-
truction, immédiatement possible, des titres de l'état libre
était propre à inspirer une crainte suffisante ^^. La resti-
tution , fondée sur la violence ou la crainte , pouvait être
exercée, soit par action, soit par exception, lorsque les
choses étaient accomplies ou lorsqu'elles étaient encore
imparfaites, comme si la stipulation arrachée par violence
n'avait pas été suivie de la numération des espèces.
L'action pouvait n'être pas seulement personnelle^*^ : elle
était mixte, quand il y avait eu corps certain livré par
crainte; elle était in rem scripta : elle suivait la chose
dans toutes les mains; le vice de la violence s'y était
45 D. IV. 2 : Postea detracta est vis mentio , quia quodcumque vi
atroci fit id metu quoque fieri videatur [L. 1]... Si quis vi compulsas
aliquid fecit [2].... Vini atrocem accipimus. Metum, non quemqueti-
morem , sed majoris malitatis [Labeo 5]... Metum qui merito et in ho-
minem constantissimum cadat[6].... Ne stuprum patiatur vir seumu-
lier. Nihil interest in se quis veritus sit an , in liberis suis [8].... Si qui
in carcerem quem detrusitut aliquid ei extorqueret [22] Ego puto
etiam servitutis timorem accipiendum [4].... Si qui instrumenta status
mei interversurus est, nisi dem [8].
46Sive perfecta, sive imperfecta sit et actio et exceptio detur. (X. 9.
§3.)
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. IV. 301
comme incorporé et ne se purgeait que par le retour de
la chose même entre les mains du propriétaire'^'.
3" La juste erreur était une troisième cause de resti-
tution : on entendait par cette expression l'erreur de
droit ou de fait que les circonstances rendaient comme
inévitable pour l'homme même le plus prudent; par
exemple, la délivrance d'un legs porté par un testament,
dans l'ignorance d'une autre disposition qui l'annulait
ou le révoquait partiellement , ou l'obligation de donner
une chose pour en tenir heu *^. — L'erreur qui tombait
sur une qualité, sur un accident, même sur la valeur de
la chose convenue , ou l'erreur accidentelle , n'était point
une cause de restitution en faveur des majeurs de vingt-
cinq ans ^^. Cette erreur ne portait point atteinte à la
réalité du consentement donné au contrat en lui-même.
Quant à l'erreur sur la substance du contrat, comme la
vente d'une chose qui n'existait plus au moment de la
convention, elle n'était pas une cause de rescision, mais
de nullité. Dans les cas de dol , de violence, de juste er-
reur, il y avait un contrat apparent , un objet sur lequel il
reposait; dans le cas d'erreur substantielle, il n'y avait
47 Volenti auteni datur et in rem actio et in personam Cum au-
tem hsec actio in rem sil scripla , nec per personam vini fncieutis
coerceat, sed adversus omnes reslllui vclit (D., iv. 2. 9. §§ 4. 8.
Ulp.J
48 Paul., Sent., i. 7, et Cujacii Interpret. ad Sent.— lustit. Just. iv.
6. 33 : Si tam magna causa justi erroris interveniebat ut etiam constan-
tissimus quisque labi possit — D. , iv. 1 1 • prsetor hominibus vel lap-
sis, vel circumscriptis subvenit.
49 La lésion d'outre-moitié dans la vente , en faveur du vendeur ,
n'a été admise ^dans le droit romain que par une loi de Dicclétien.
( Cod. Jusl. IV. 44. 2. )
302 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
pas d'objet sur lequel pût porter l'accord des volontés ou
le consentement. Ceux qui se trompent de cette manière
ne paraissent pas consentir : non videntur consextire
QUI errant ( de R. J. i 1 6 ). Il n'y avait pas un consente-
ment , un lien apparent , dont le secours du préteur put
seul affranchir ou dégager; le contrat était non existant,
il était nul ou non avenu.
Alors s'établit, dans la jurisprudence romaine, une dis-
tinction radicale entre les nullités de droit et les an •
nulations par voie de rescision ou de restitution, — Les
nullités qui tenaient , soit à la forme extrinsèque des
actes soumis aux solennités de la Loi , soit à l'erreur sur
la substance des contrats , avaient lieu de plein droit
et sans être prononcées par le juge : la stipulation était
réputée inutile. La partie intéressée pouvait revendiquer
coinme sienne la chose livrée ou la somme payée en vertu
de ce titre nul ; et si elle ne l'avait pas livrée , elle
pouvait opposer perpétuellement la nullité ^^. — La
rescision , au contraire, ou la restitution en entier, était
demandée au préteur , et n'intervenait jamais que par
le pouvoir du magistrat^'. Le préteur accordait, en con-
naissance de cause , et en présence de l'adversaire , le
droit de se faire restituer au même état que s'il n'y avait
pas eu de convention. Mais il ne prononçait pas la res-
titution, et il renvoyait devant le juge l'appréciation du
50 Cujas, Obs., sur la loi 7, dolo malo. — Furgole, testameat, m.
no 116. — Touiller, t vu. 11° 479. — M. Durauton, t. xii. n" 520. —
M. Troploug , Vente , 1. 11. n» 685.
51 Ex hoc edicto , nuUa proprie actio vel cautio proficiscitur. To-
tuin enim pendet ex praetoria cognitione. (D., iv. 4. 24.)
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. IV. 303
dol , de la violence , ou des autres faits qui fondaient la
demande ou l'exception en restitution. — Le magistrat
auquel le pouvoir , potestas , était délégué , le préteur
à Rome , dans les provinces le proconsul ou le président,
pouvait seul accorder la restitution, dans l'année utile ^^.
Le juge qui aurait eu seulement la juridiction, et non
Yimperium, comme le Juge Municipal dans les cités, ne
pouvait prononcer de lui-même, et sans autorisation ,
la restitution en entier^'.
Cette différence , toutefois , entre les moyens de res-
cision et les nullités de plein droit , cessait d'exister à
l'égard de certains contrats. Le dol, la violence, la juste
erreur étaient, par rapport aux contrats du Droit civil,
des exceptions du Droit prétorien : il fallait le pouvoir
du préteur, pour rescinder les contrats formés selon la
loi. Les contrats du droit des gens, la vente, le louage,
le mandat , la société , avaient passé dans le droit civil ,
mais en conservant leur caractère de contrats consen-
suels et de bonne foi. Le dol , la violence, furent consi-
dérés , par rapport à ces contrats du droit des gens ,
comme des nullités de plein droit, parce que rien nVst
plus contraire à la bonne foi , au vrai consentement , fjiic
le dol ou la crainte. L'intervention directe du piticur
52 Depuis Constantin , le temps utile de la restitution fut à Rome
de cinq ans , de quatre ans en Italie, de trois ans dans la province. —
Justinien établit le délai uniforme de quatre ans , sauf pour le cas d3
dol, qui devait être poursuivi dans les deux ans.
53 Cujas , in iv lib. Codicis (lib. ii. cap. 35 ), t. x. p. 633 [cdilion
Fabrot.).T>e là est venu en France l'usage des lettres de rescision,
que l'on obtenait de la Chancellerie et qui n'ont été abolies qu'en
1790.
304 LiV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
n'était pas nécessaire ; la convention manquait par son
principe. Il y avait nullité immédiate, merojure ; et par
conséquent , le vendeur , le locateur , etc. , pouvaient
revendiquer la chose livrée, ou s'il n'y avait pas en-
core eu tradition , ils pouvaient opposer perpétuelle-
ment la nullité devant le juge, qui alors seulement ap-
préciait la vérité des faits et des moyens^*.
4" Le droit prétorien , qui restituait les débiteurs ap-
parents contre les effets d'une obligation purement civile
viciée dans son principe , le consentement , étendit aussi
sa protection sur les créanciers, dont les droits péris-
saient par le changement d'état de leur débiteur et une
application trop rigoureuse de la Loi des XII Tables. On
a vu plus haut que l'obligation attachée à la personne
civile du débiteur s'éteignait même par là petite di-
minution de tète. La femme sui jiiris qui passait sous
la puissance maritale, le père de famille qui était reçu
en adrogation , cessaient d'être obligés par leur en-
gagement préexistant, et l'obligation réputée toute per-
sonnelle ne retombait ni sur le mari , ni sur l'adrogeant :
elle était anéantie. Le préteur restituait les créanciers
contre l'injuste effet d'une situation nouvelle dans la fa-
mille , et maintenait équitablement le lien de l'obligation
comme lien personnel et supérieur à la volonté du débi-
teurs^. L'action utile qu'il accordait donnait le droit d'agir
54 Cujas dit : « Régula est certissima , quia niliil est tam conlra-
rium bonœ fîdei quam dolus aut metus. » ( Cujas, in kg. 36 , de verb.
Obligal. )
55 Gaius , ix. § 38 : Ne in potestate ejus sit jus nostrum corrum-
pere , introducta est contra euin eanive actio utilis rescissa capitis de-
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. IV. 305
comme s'il n'y avait pas eu modification dans l'état de la
personne; et, sous ce rapport, la petite diminution de tête
était rescindée. Le grand et le moyen changement d'état
éteignaient seuls l'obligation civile dans la personne du
débiteur, parce qu'ils effaçaient la qualité d'homme libre
ou de citoyen : le créancier ne pouvait exercer ses pour-
suites contre la personne , qui n'était plus aux yeux de la
cité ; mais il avait action contre ceux aux mains desquels
parvenaient les biens de l'ancien débiteur ^^,
'6° Le droit prétorien étendit aussi sa protection sur
ceux qui avaient l'excuse d'une absence légitime ou né-
cessaire. Ils pouvaient , dans l'année de leur retour, se
faire restituer contre la perte de leurs droits ou de leurs
biens. Ainsi, celui qui était absent pour le service de la
République ou au pouvoir de l'ennemi , pouvait faire res-
cinder l'usucapion acquise à son préjudice; et récipro-
quement le citoyen présent, au préjudice duquel s'était
accomplie une usucapion commencée avant et achevée
pendant l'absence d'un autre citoyen , qui n'avait laissé
personne pour le représenter, pouvait se faire restituer,
dans l'année du retour, contre l'accompUssement de l'usu-
capion. Dans l'un et l'autre cas, l'usucapion était égale-
minutione , id est in qua fingitur eapitis deminutionem non esse. —
Ait praetor : Qui qu^eve pqsteaquam quid cum his actum, cox-
TBACTUMVE SIT , CAPITE DEMINUTl DEMIXDT^YE ESSE DICENTUR ,
I:N EOS EASYE PERIISDE quasi id FACTLM non SIT , JUDICIUM DABO.
(Z).,iv. 5. 2.)
56 CcCterum sive amissioue civitatis , sive libertatîs amissione con-
tingat eapitis deminutio, cessabit edictum : neque possunt bi conve-
niri : dabitur plane in eos ad quos bona pervenerunt eorum. ( D., iv,
5. 2. Ulp. )
T. I. 20
306 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
ment rescindée, et l'ancien maître rétabli dans l'exercice
des actions et des droits de propriété^^.
En résumé, la restitution in integrum, en faveur des
majeurs, agit sur les obligations apparentes et de droit
civil pour les annuler; sur les obligations éteintes en droit
civil , pour leur rendre la force ; sur le domaine acquis
par un moyen de droit civil , pour le rendre à l'ancien
propriétaire.
II. — Mais la restitution en entier avait encore , à
l'égard des Mineurs, une plus vaste application.
Le préteur accordait aux Mineurs de vingt-cinq ans
la restitution en entier, pour cause de lésion.
Ici se présente naturellement le tableau des phases
successives du droit civil , relativement aux engagements
des mineurs impubères et pubères ; les présenter séparé-
ment serait les obscurcir.
La Loi des XII Tables avait constitué la tutelle des
impubères. L'état de pupillarité finissait à l'âge de pu-
berté , qui dépendait d'abord du progrès de la nature
en chaque individu , et qui fut ensuite fixé à douze ans
pour les femmes, à quatorze ans pour les hommes. Pen-
dant la durée de la tutelle , le pupille de la première en-
fance , qui n'avait pas encore le discernement des choses
utiles , était absolument incapable de contracter par lui-
même. Il était représenté par son tuteur, qui alors gé-
rait l'affaire. Mais le pupille qui avait le discernement
des choses, affedumrei, selon l'expression de Papinien ,
57 D. IV. 6. 1. 21. — Ait prsetor.:... Quam clausulam praetor inse-
ruit ut quemadmodum succurrit supra scriptis personis, ne capiantur,
ita et adversus ipsas succurrit ne capiant. ( (Jlp. — Jnsl. Just. de ac-
tionibus ^ly. 6. 5. )
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. IV, 307
était capable de tous les actes, avec rintervention de son
tuteur ^^. Le tuteur ne stipulait pas pour le pupille, ne
gérait pas l'affaire; il assistait le pupille , auctor erat ; il
complétait sa capacité , véritable sens des mots tutoris
AUCTomTAS^^. — Le pupille pouvait, cependant, figurer
dans un contrat sans Tassistance de son tuteur, et ren-
dre sa condition meilleure. Alors il ne s'obligeait pas ci-
vilement par le contrat , mais il obligeait les autres envers
lui ; et l'obligation , quant à sa personne , restait dans
îes termes d'une obligation naturelle , qui pouvait donner
lieu à fidéjussion et autres obligations accessoires'^'^. Il
était libre de regarder la convention comme non ave-
nue , et il avait l'action en revendication , pour ressaisir
la chose qu'il aurait livrée en vertu de la convention.
Si cependant il était prouvé que le prix ou la chose
reçue avait tourné à son avantage , il ne pouvait s'enri-
chir aux dépens d'autrui ; et quand il revenait contre
l'exécution du contrat , il était obligé de rendre ce qui
n'était pas consommé , ce qui avait tourné à son profit.
58 L'enfance proprement dite s'étendait jusqu'à sept ans. — L'âge
voisin ( infanliœ proximus ) s'étendait , selon les interprètes , jusqu'à
dix ans. — L'âge voisin de la puberté s'étendait de dix ans jusqu'à
quatorze.
L'enfance et Fâge voisin de l'enfance étaient sur la même ligne,
quant au droit. — Le pupille, pubertalis proximus, de dix ans à qua-
torze ans , avait capacité d'agir sous certaines conditions-
59 Augere, auclor, auctoritas, selon les interprètes. ( Voir Vinnius ,
MM. Ducaurroy et Ortolan, lit. de Tut. )
60 Inst., 1. 21 : Placuit meliorem suam eonditionem licere eis facere.
— Nascitur enim obligatio naturalis ex fîde quam minor prsestitit nec
efficere potest praetor , ut sit infectum quod factum est , aut non con-
venisse de eo quod convenerit. ( iveramu^, Interpr. Juris , ii. 9. tO.)
308 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
De plus , si sa conduite avait été marquée par le dol , si ,
dans le dépôt , le commodat ou d'autres contrats , il
avait manqué à la bonne foi , il aurait inutilement invo-
qué le secours du préteur : il pouvait bien faire sa con-
dition meilleure, mais non au mépris de la morale et de
l'équité, IN DELiCTis MiNORiBUS NON suBVEiMRi^'. Le pu-
pille ne pouvait entreprendre aussi de faire sa condition
meilleure, au mépris de la prudence; et, bien qu'une
hérédité se présentât comme avantageuse, il n'était pas
admis à réclamer une hérédité testamentau*e ou légi-
time, une possession prétorienne (plus tard un fidéicom-
mis universel), sans l'autorisation de son tuteur. En
succédant à un défunt, il aurait pris la continuation de
sa personne, et se serait soumis à des charges incon-
nues*
G2
La tutelle finissait par l'âge de puberté; il n'y avait
plus alors de pupille , et la Loi des XII Tables laissait
au citoyen pubère toute sa liberté d'action. — S'il en
abusait, s'il devenait prodigue, il tombait sous la cura-
telle des agnats ou des gentils, et la disposition de ses
biens lui était interdite par cette formule solennelle qui
s'appliquait aussi aux majeurs prodigues : « Quando tua
BONA PATERNA , AVITAQUE NEOUITIA TUA DISPERDIS , LI-
61 D-, IV. 4. 9. § 2 : Nunc videndum, minoribus utrum caplis dun-
taxat subveniatur an etiam delinquenlibus : ut puta dolo aliquid minor
fecit in re deposita, vel commodata , vel alias in contractu ; an ei sub-
veniatur, si nihil ad eum pervenit? Et placet in deliclis minoribus non
subveniri-; nec hic itaque subvenietur. ( Ulp. )
62Quamvisi!Iislucrosa sit ,neculluin damnuni liabeat. {fnsl. Jusl.,
I. 21. 1.)
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. IV. 309
BEROSOUE TUOS AD EGESTATEM PERDUCIS , OB EAM REM
TIBI EA RE C031I\1ERCI0QUE INTERDICO ^^.
Mais cette interdiction du prodigue, mesure rigoureuse,
n'était pas applicable aux jeunes hommes qui pouvaient
être imprudents ou inexpérimentés sans être dissipateurs.
La loi L^TORiA, vers la fin du v® siècle [497], vint sup-
pléer au silence de la Loi des XII Tables : 1 ** elle donna
aux pubères, qui n'avaient pas vingt-cinq ans, la qualité
de mineurs , en faisant succéder ainsi l'état de minorité
à celui de pupillarité; 2" elle imposa des curateurs aux
mineurs, à raison de leur inconduite ou de leur démence^^-,
3° elle défendit à tous les mineurs de vingt-cinq ans de
s'obliger par stipulation, et les protégea contre les fraudes
qui les auraient circonvenus; 4° enfin, elle interdit au
créancier, qui avait prêté son argent au mineur, toute ac-
tion contre lui^^. — Tels sont les résultats de la loi Laeto-
ria®^. Le dernier point, relatif aux prêteurs d'argent, a
été développé depuis par le sénatus-consulte macédonien,
qui, en haine des usuriers, refusait toute action, soit
contre les pères, soit contre les fils, pour prêts d'argent
faits aux fils de famille, quels que fussent leur âge,^
leurs dignités. Ce sénatus-consulte du temps de Claude
G3 Pauli Sent., de Teslam. m. 4. 7. Brisson., de forraulis, v. p. 388.
64 Vel propter lasciviam, vel propter dementiam. L'empereur An-
tonin établit des curaleurs pour tous les adultes. (Spart. Capitol, in
vila Ânt. p/»., c. x. )
65 Perii ! An non tum lex me perdit quina vicenaria ?
Metuunt credere omnes. — Eadem mihi lex; metuo credere.
{Plaut., in Pseud., i. se. 3. v. 69. :0.) Y o\r supra , p. 159.
66 Ils ont été mis en lumière par Bbisson et J. Godefboy. {Bris-
son.., Select. exJur. civil, antiq., lib. m. cap. 2. p. 66. {cdit. 1747).
— J. Golhof., Cod. Thcod., viii. 12. 2. (t. ii. p. 645. édit. Hitler.)
310 LIV. ï. — ÉPOQUE ROMAINE.
OU de Vespasien reposait sur le terrible motif que soiï-
vent les fils, chargés de dettes, se préparaient secrète-
ment au parricide^'^!
Le Droit prétorien prit pour limite de la minorité l'âge
de vingt-cinq ans, fixé par la loi Lsetoria, et il accorda
un nouveau secours aux mineurs pubères, la Restitution
en entier : elle était accordée par le Préteur en connais-
sance de cause, lorsque le mineur était lésé. Là s'appli-
que avec justesse la règle que le mineur est restitué, non
comme mineur, mais comme lésé : Restituitur minor non
tanquam minor, sed tanqnam lœsus. La loi Lsetoria n'avait
accordé secours qu'en certaines circonstances : le Droit
prétorien accordait la restitution dans tous les cas où il
y avait lésion, ou même erreur sur des qualités purement
accidentelles de l'objet du contrat*^^. Le bénéfice de resti-
tution s'étendait à tout, vente, donation, usucapion ,
paiement, transaction, adition ou abstention d'hérédité^®.
67 Verba senatusconsulti hœc sunt : Cum inter citeras scele-
BIS CAUSAS.... ^S ALIENUM... ET S^PE MATEBIAM PECCANDI MALIS
MORIBUS PB.î:STARET. (Z>., XIV. 6. 1. )
Les Institutes de Justinien disaient avec Ulpien : Quse ideo senatus
prospexit , quia sœpe onerati aère alieno creditarum pecuniarum quas
in luxuriam consumebant vit^e PARENTUMi>sir!iABA>TUR.(iv. 7. §'7.)
68 Cum dé bonis eorum aliquid minuitur si émit, vendidit.... et
caplus est. (D., tv. 4. 6. 7.)
69 Cujas retend même au cas d'exclusion d'hérédité pour cause
d'indignité, pour n'avoir pas vengé la mort du défunt. {Recilal. ad
IV. lib. Cod., éd. Fabrol. , lom. uU.). Mais cela est douteux, car il
s'agissait d'une sorte de délit. — Ce qui est certain , c'est que l'inter-
prétation de Cujas n'était pas conforme à l'histoire du droit romain
dans les Gaules : l'exclusion prononcée contre les enfants de Sadrage-
rit, comte de Bordeaux , en vertu de la loi romaine , en est la preuve
(Voir notre livre III.)
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. IV. 311
La restitution in integrum, qui d'abord n'était instituée
qu'en vue des mineurs pubères , fut dans la suite éten-
due aux impubères. — Originairement , les contrats des
pupilles, consentis avec les formes légales, et sous l'au-
torité du tuteur, étaient inattaquables. Le pupille , lésé
par la convention , n'avait point d'action contre les tiers;
il avait seulement action contre son tuteur, judicium tu-
telœ; mais si le tuteur était insolvable, le droit prétorien
accordait la restitution in integrum au pupille contre la
partie contractante'^'^.
Le droit civil de la République , y compris le droit
prétorien , laissait aux tuteurs et curateurs la faculté
d'aliéner et d'hypothéquer les biens des pupilles et des
interdits, sous leur propre responsabilité; mais s'il y avait
insolvabilité, et par conséquent responsabilité illusoire,
le bénéfice de la restitution prétorienne protégeait en-
core le pupille ou le mineur, en autorisant son action
contre les tiers détenteurs.
Le droit postérieur, sous l'Empire, défendit aux tu-
teurs et curateurs l'aliénation des fonds de terre apparte-
nant aux pupilles et mineurs, prœdia rustica et suburbana,
ce qui ne comprenait pas les maisons situées dans les
villes. L'aliénation ou l'hypothèque ne fut permise que
de l'autorité du préteur ou du magistrat, et seulement
dans le cas de nécessité , quand il s'agissait de payer les
70 Si tes pupillaris vel adolescentis distracta fuerit quam lex dis-
trahi non prohibet , venditio quidera valet : verumtamen si grande
damnum pupilli vel adolescentis versatur, etiamsi collusio non inter-
cessit , distractio per in integrum restitutionem revocatur. ( D. iv,
4. 49. — Vinnius, Insl., ii. 8. Com. — Ducaurroy, tom. i. p. 413.)
312 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
dettes du pupille ou du mineur'^*. Si le préteur avait
été trompé, si l'autorisation lui avait été surprise, le pu-
pille ou le mineur avait l'action personnelle contre le tu-
teur ou curateur, et l'action réelle pour revendiquer la
chose ^'^. — Sous Justinien , la garantie contre la restitu-
tion fut étendue en faveur de ceux qui avaient payé leurs
dettes aux pupilles assistés de leur tuteur ; mais il fallait
qu'une sentence du juge eût autorisé le paiement : dans
ce cas seulement, il y avait parfaite sécurité '^.
De cet ensemble de vues résulte, dans le droit romain,
une théorie qui a été reproduite par les lois et les juris-
consultes modernes , et qui peut se ramener aux résul-
tats suivants :
Ex\ PREMIER LIEU, Ics mincurs soumis à la tutelle (les
impubères), avaient contre leurs engagements deux voies
d'annulation formellement reconnues par les anciens ju-
risconsultes Ofilius, Labéon, et confirmées par la doc-
trine d'Ulpien ^* : 1" la nullité de plein droit, mero jitre^
71 Constitution de Sévère. {Oraiio. ) D., xxvii. 9. 1. et L. 3. § 1 :
Non ex tutoris vel ciiratoris voluntate id fit , sed ex magistratuum
auctoritate.
72 Manet actio pupillo , si postea poterit probare obreptum esse
prœtori; sed videiidum est utruni in rem an in personam dabinius ei
actioneni , et niagis est ut in rem delur, non tantum in personam ad-
versus tutores , sive curatores. (D., xxvii. 9. 5. § 15. )
73 Sed judex pronuutiaverit et debitor solverit; sequatur hujus-
modi solutionem plenissima securitas. {Cod. Just., v. 37. 2o.Insl., ii.
8. §2.)
74 In causée cognitione etiam hoc versabitur, num forte alia actio
possit corapetere citra in iutegrum restilutionem. INam si communi
Ai'xiLio F.T MEBO JURE munitus sit , non débet ei tribui extraordina-
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. IV. 313
si le pupille, clans ses divers engagements, n'était pas
autorisé de son tuteur, ou s'il y avait nullité pour d'au-
tres vices intrinsèques ou extrinsèques , ubi contractns non
valet; g** la voie de restitution en entier devant le ma-
gistrat, causa cognifa, si le pupille avait légalement con-
tracté avec l'assistance de son tuteur, mais éprouvé une
lésion, par l'effet du contrat et par suite de l'insolvabilité
du tuteur.
En second lieu, le mineur de vingt-cinq ans , pubère
et non furieux ou prodigue, possède" généralement la ca-
pacité civile de contracter : il peut agir aussi par voie de
nullité , s'il se trouve dans un cas de droit commun , et
par voie de rescision ou restitution , s'il a éprouvé une
lésion ; mais il ne peut , comme le pupille , demander la
nullité pour le seul défaut d'autorisation d'un curateur
(qu'il en soit ou non pourvu). C'est dans ce sens, et par
rapport à lui , qu'il faut entendre la maxime Non tam-
OUAM MiNOR, SED TAMQUAM L^sus. Cette maxiiuc se-
rait absolument fausse en droit romain , si on l'appliquait
à l'impubère , au pupille , et si l'on disait : Non tam-
QUAM PUPILLUS, SED TAMQUAM L^SUS. C'cst de la COU-
fusion des deux époques bien distinctes de la minorité
riuni auxilium : ut puta , cum pupillo contractum est sine tutoris
AUCTORiTATE , nec locupletior factus est. — §1. Item relatuni est
apud Labeonem, si minor circumscriptus societatem coierit, vel etiam
doDationis causa nec inter majores quidem, et ideo cessare partes prae-
toris; idem et Ofilius respondit : Satis enim ipso jure munitus est.
Pomponius quoque refert.... § 3 : Et generaliter probandum est ubi
contraclus non valet , pro certo prœlorem se non debere interponere.
(D.,iv. 4. 16. Ulp.)
314 LIV. I. -^ ÉPOQUE ROMAINE.
romaine qu'est venue l'obscurité , dont une pratique in-
intelligente a quelquefois entouré l'axiome de droit que
nous avons rappelé.
En troisième lieu , le magistrat étant intervenu pour
accorder une autorisation légale au fond , et non surprise
par fraude , toute voie de recours était fermée aux pu-
pilles et aux mineurs de vingt-cinq ans'^.
75 Cujas a très-neUement marqué la théorie des nullités et des res-
cisions, dans ses Recitaliones in quatuor libros codicis : « Si adolescens
ipso jure munitus sit, si conXractus que jure non valeat, ut puta si sine
lutoris aucloritale celebratus sit, ubi ea exigilur Evidentissimum
est in his causis non esse necessariam reslilulionem in integrum. (Edit.
Fabrol. tom. ult., p. 633.)
M. TouLLiER s'est rattaché à la doctrine romaine dans sa Théorie
des nullités , sans lui donner peut-être une démonstration suffisante.
Les développements de Cujas sont le complément naturel de sa disser-
tation.
Merlin ( Questions de droit, vo hypoth., § iv. t. 3. p. 414), dit que
notre Code civil a établi , à l'égard de la nullité et de la rescision des
actes des mineurs , une législation toute nouvelle. C'est une erreur
péniblement soutenue par les termes de l'art. 1305, combiné avec
l'art. 484 du Code. — M. Pkoudhon (de l'Etat des personnes), et son
savant annotateur M. Valette ( 3e édit., t. ii. p. 473-489 et suiv.J,
M. Tboplong {Htjpolh., t. u. n» 492. — Vente, nos 566-685), ont
adopté la doctrine du droit romain. MM. Duranton etDemante, après
s'en être écartés , s'en sont de plus en plus rapprochés. La Cour de
cassation ( arrêt 18 juin 1844 ) a récemment adopté une doctrine inter-
médiaire : elle admet la distinction entre les actions en nullité et en
rescision , mais elle n'admet pas l'action en nullité , quand il y a seu-
lement absence de l'autorisation du tuteur. En statuant dans une es-
pèce très-favorable , où il s'agissait d'un contrat pour remplacement
à l'armée , fait par un mineur non autorisé , elle a repoussé la de-
mande en nullité fondée par le mineur sur le défaut d'autorisation.
Mais, sans rejeter ou modifier la doctrine si rationnelle du droit ro-
main , la Cour ne pouvait-elle pas appliquer à la cause un autre priu-
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. IV. 315
Tel est le système des Restitutions en entier, par rap-
port aux majeurs, et par rapport aux mineurs de vingt-
cinq ans, soit impubères, soit pubères.
L'équité du préteur a pénétré dans tous les replis du
droit civil et dans toute la profondeur des intentions de
l'homme, pour porter secours où le sentiment de la jus-
tice pouvait être blessé ; mais dans la crainte religieuse
que quelque cause de restitution n'eût échappé à son
analyse , à ses investigations , le Préteur couronne toute
sa théorie en déclarant , à la fm de l'Édit , que s'il se pré-
sentait , en dehors des causes mentionnées , une juste
cause de rescision , il accorderait la restitution en entier :
« Item si qua alia mihi justa causa videbitur , m in-
TEGRUM RESTITUAM
76
cipe de ce droit ; savoir, que le mineur peut faire sa condition meilleure
sans autorisation de son tuteur? — Il nous semble que c'était le prin-
cipe vraiment applicable.
Quelle que soit la solution sur cette question spéciale , on doit re-
connaître que le Code civil a adopté les points fondamentaux de la
théorie romaine :
1» La nullité, à défaut d'autorisation du tuteur, ou à défaut des
solennités spéciales réclamées pour certains actes. (Art. 1304).
2° La rescision pour lésion ( sans qu'il y ait toutefois aucune condi-
tion d'insolvabilité de la part du tuteur. ) {Art. 1305. )
30 L'effet définitif des actes concernant les mineurs , quand il y a
intervention de la justice. ( Art. 1314. )
40 Le droit du mineur de faire sa condition meilleure , sans l'inter-
vention de son tuteur, à moins qu'il ne s'agisse d'acquisitions per uni-
versitatem, qui entraînent l'obligation d'acquitter des dettes et charges
ultra vires. (En France, l'acceptation serait toujours censée sous bé-
néfice d'inventaire. )
76 D., IV. 6. 26. § 9. Et Ulpien ajoute : Hœc clausula edicto inserto
est necessaria : multi enim casus evenire potueruntut quotieus ^equi-
XAS restitutionem suggerit , ad hanc clausulam erit descendendum.
316 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
SECTION V.
INSTITUTIONS ET ACTIONS JUDICIAIRES,
SOUS LA LOI DES XII TABLES ET LE DROIT PRÉTORIEN.
SOMMAIRE.
§ 1. — Organisation judiciaire, et Compétence des Tribunaux ou des
Juges de l'ordre civil.
I. — Tribunal des Cenlumvirs.
II. — Juge (judex privatus).
III. — Arbitre (arbiter honorarius).
IV. — Récupérateurs à Rome et dans les Provinces.
V. — Voies de recours ou d'opposition. — Droit d'inter-
cession des Magistrats. — Différence des juge-
ments légitimes et des jugements soumis à la durée
de la magistrature (judicia légitima et judicia
quœ in iniperio coulinentur).
§ 2. — Procédure ordinaire sous la Loi des XII Tables et sous le Droit
Prétorien.
I. — Actions de la Loi (legis actiones). — Appel en Justice
et engagement de comparaître devant le magistrat
(vocatio in jus. — Vadimoniuin).
II. — Procédure formulaire ; lois OEbutia , Juliœ judicia-
riae. — Liens entre les deux systènles.
§ 3. — Procédure au possessoire sous la Loi des XII Tables et le Droit
Prétorien.
I. — Possession provisionnelle (lis Vindiciarum ).
II. — Interdits possessoires.
§ 4. — Distinction des jugements ordinaires et des jugements extraor-'
dinaires.
§ 5. — Chose jugée ; son autorité. — Litis-contestatio. — Action judi-
cati; Exception rei judicatœ. — Moyens d'exécution.
CHAP. V, DROIT PRÉTORIEN. SECT. V. 317
§ 1er. _ ORGAMSATION JUDICIAIRE ET COMPÉTENCE DES TRIBUNAUX
ET DES JUGES DE L'OBDRE CIVIL.
Le système judiciaire , né de la Loi des XII Tables ,
modifié par des lois spéciales , développé et perfectionné
par l'intervention Prétorienne, s'est maintenu jusqu'à
l'empereur Dioclétien ; il a régné pendant plus de six
siècles; il a traversé toute la Période florissante des Ju-
risconsuUes, — Et lorsque l'institution , fondée sur la
séparation du Magistrat et du Juge , de la procédure
L\ JURE et de la procédure ix judicio, a cessé d'être,
tout n'a pas été entraîné dans cette révolution.
L'institution judiciaire;, considérée dans l'organisation
et la compétence de ses branches diverses, a disparu en
grande partie; mais elle a laissé une trace précieuse
dans les juridictions des Cités provinciales, qui ont re-
tenu les Judices Pedanei. — Et les distinctions qui s'é-
taient établies entre le droit et le fait, entre les actions
réelles et personnelles , directes et utiles , de droit strict
et de bonne foi , en nullité ou en rescision , ont sur-
vécu aux formes juridiques , et sont entrées dans le
droit commun des nations sorties du démembrement
de l'Empire romain.
Il faut donc revenir sur cette antique institution , qui
embrassait l'Organisation judiciaire, la Compétence , la
Procédure , et qui contenait en elle des formes , périssa-
bles sans doute, mais profondément combinées avec les
principes dérivés de la nature des choses. — Il faut tâ-
cher de la ressaisir et de la représenter dans son en-
semble, en nous plaçant d'abord au point de vue de l'or-
318 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
ganisation et de la compétence, deux choses qui s'unis-
sent intimement dans les idées romaines.
Le Préteur de la Yille était le magistrat investi de la
juridiction , depuis l'an de Rome 387. La juridiction se
caractérisait par ces trois mots , do , dico , addico , qui
exprimaient le droit de donner le Juge, de dire la For-
mule , d'adjuger, en certains cas, les biens*. La ju-
ridiction du magistrat n'était point limitée par la na-
ture des affaires ; mais les attributions de sa charge
étaient fixées par des principes de droit pubhc , et il ne
pouvait les méconnaître ou les dépasser par des excès
de pouvoir, sans encourir la responsabilité imposée aux
magistrats qui violaient la majesté du peuple romain ;
responsabilité qui fut sanctionnée successivement par les
lois CoRNELiA et JuLiA MAJESTATis^. Si douc le Pré-
teur avait la plénitude de juridiction , par rapport à la
nature des affaires, il exerçait cependant une juridic-
tion mesurée par certaines attributions; et par consé-
quent , il n'avait pas , sous ce rapport , la plénitude de
compétence^.
1 Cujas, adtit. xix. Ulp. : Tribus verbis omne officium prsetoris con~
tinetur, do, dico, addico. Dat judices, dicit jus, addicit, exempli
gratia, in cessiouibus. Addicitbona libertatum conservandarum causa.
(Inst., III. 12. )
2 Hoc in illo majestatis judicio si licuisse sibi ostenderit , ego con-
cedam. ( Cic, in Verr., i. 5. ) — Voir YEssai sur les lois criminelles
des Romains , par M. Ed. Laboulaye , liv. ii. ch. 16. p. 266.
3 Zimmern, dont l'opinion, sous un autre aspect de la compétence,
nous paraît très-contestable, dit très-bien, au sujet du magistrat :
« D'après l'esprit de la constitution romaine, ce n'était pas par la na-
» lure des affaires qu'était déterminé le cercle dans lequel s'exerçait la
«compétence des magistrats.» {Théorie dcsAct., § xxvi. Trad. de
M. Etienne. )
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. V. 319
Le Préteur peregrhius, institué depuis l'an 507 pour
administrer la justice entre les citoyens et les étrangers,
était , dans le cercle plus étroit de ses fonctions et de sa
compétence, investi des mêmes prérogatives que le Pré-
teur Urbain : égal en pouvoir pour publier l'édit à l'en-
trée de sa charge, il était égal aussi en droit de juridic-
tion. Le même pouvoir, la même juridiction, apparte-
naient au Propréteur, au Proconsul , au Président dans
les provinces , quand Rome s'étendit au loin par ses con-
quêtes.
A Rome, le Préteur de la Ville était le représentant des
Consuls absents, le président du Sénat et des Comices,
le chef de l'administration de la Justice ; mais il pouvait
être suppléé par son collègue, le Préteur des étrangers.
Au dessous d'eux étaient les Tribunaux ou les Juges
qui concouraient à la distribution des jugements, et for-
maient les divers éléments de l'Institution^judiciaire.
Les tribunaux et les juges se divisaient en quatre bran-
ches :
Les CEMTLMVIRS ;
Le JUDEX ;
L'arbiter ;
Les récupérateurs.
Nous devons examiner séparément ces branches diffé-
rentes, en déterminant leur organisation et leur compé-
tence , ainsi que leurs rapports avec la nature et la di-
versité des actions.
L — Tribunal des centumvirs. — Denys d'Halicar-
nasse rapporte que Servius Tullius créa des juges pour
320 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
décider les procès des particuliers. « Je ne doute pas, dit
» Niebuhr, qu'il ne soit question ici de la création des
» centumvirs*. » Il y avait trois juges par chaque tribu.
Quand les tribus furent portées , en 512, au nombre de
trente-cinq , il y eut cent cinq juges : de là, selon Fes-
tus, le nom de centumvirs^. Cette représentation de
chaque tribu par trois juges, qui indique une égale pro-
portion du nombre des juges avec le nombre des tribus
primitives ; de plus , le symbole de la lance dressée de-
vant le tribunal et qui donnait son nom au tribunal
même , Centumviralis hasta , annoncent certainement
une institution d'une très-ancienne origine^.
Les centumvirs étaient élus annuellement par les tri-
bus, mais dans l'ordre sénatorial. L'institution était plé-
béienne par le principe d'élection , et aristocratique par
le principe d'éligibilité. Les patriciens avaient voulu con-
server leur supériorité par la connaissance et l'applica-
tion exclusive du droit civil "'. Caius Gracchus, dans ses
4 Denys d'Halic, iv 25 Niebuhr., Hist. roni., ii. p. 168. Zhnmern,
§ 14. note 12. M. Bonjean, Traité des Actions, t. 1. § 84.
5 Festus, vo cenlumviralia judicia : « Nam quum essent Rornse tri-
ginta et quinque tribus quœ et curiae sunt dictae, terni ex singulis tri-
bubus sunt electi ad judicandum , qui centumviri appeilati sunt : et ,
licet quinque amplius quani centum fuerint , tamen quo facilius no-
minarentur, centumviri sunt dicti. {Edil. MuUer, p. 54. )
6 Pomponius, Orig. Jur., § 29 : « Magistratus qui hast^ prœesset. »
Quintilien dit aussi , pour indiquer deux sections : duce haslœ. {Insl.
Oral., \. 2.)
Suétone dit : Cenlumviralis hasla. [ Lib. ii. n» 37. )
7 Cic, de Orat., i. 41 : Quia veteres illi, qui huic scientiœ praefue-
runt, Oà)tinendae atque augendœ potentia? suse causa pervulgari artem
suan! nokierunt.
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. V. 321
plans de réforme, investit les chevaliers seuls du droit
de siéger comme juges dans les tribunaux [631] ; Sylla
rétablit les sénateurs dans leur antique prérogative [674].
La loi Aurélia judiciaria^ proposée par le préteur Cotta,
partagea le droit de juger entre les sénateurs, les cheva-
liers, les tribuns du Trésor [687].
Jules César, à son retour des Gaules, enleva ce droit
aux tribuns du Trésor et le laissa aux chevaliers , ainsi
qu'aux sénateurs , pris par lui dans toutes les classes et
portés au nombre de neuf cents [708] ^.
Le tribunal des Centumvirs était permanent. Il se di-
visait en quatre Sections, qui jugeaient tantôt séparé-
ment, tantôt au nombre de deux, et quelquefois sec-
tions RÉUNIES. Le jugement, selon la diversité des cas,
était qualifié de cenlumvirale judicium , duplicia judicia,
quadruplex judicium ^. Les Sections furent présidées par
les Décemvirs institués comme magistrats, vers le
vi^ siècle de Rome, pour présider et juger, et appelés
Decemviri in litibus judicandis^^.
8 Suet., I. D. Julius Cœsar , cap. 41 . Senatum supplevit, patricios ad-
legit. Picetorum , sedilium, quaestorum , minorum etiam magistratuum
nunierum ampliavit Judicia ad duo gênera judicumredegit,eques-
tris ordinis ac senatorii : tribunos aerarios quod erat tertium sustulit.
9 Quintil., Inst. orat., v. 2. § 1. — xii, 18.
Plin. junior., Epist., i. 18. — iv. 24. — vi. 33.
10 Pomp., Orig., § 29 : « Deinde quuni esset magistbatus neces-
sarius qui hast^ pb^eesset , Decemviri in litibus judicandis sunt
constituti. » — Le récit de Pomponius ne permet pas de placer sous
Auguste la création des décemvirs , comme on Ta fait souvent par in-
terprétation de'Suétone. ( Vit. Oclav., c. 37. ) L'institution est placée
par le jurisconsulte dans le même temps que les Iriumviri capitales
[§ 30] , et après la préture des étrangers, ce qui remonte au \i^ siècle.
{Niebuhr, vi. p. 317.)
T. 1. 21
322 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
Les attributions ou la Compétence du tribunal des
Centumvirs étaient de l'ordre le plus élevé. Cicéron nous
a transmis à cet égard des renseignements qui permet-
tent d'en indiquer avec précision la nature.
Dans le traité rfe Oratore [cbap. 38], il exige de l'ora-
teur la connaissance du droit civil , et il condamne celui
qui va se jeter, ignorant le droit, dans les causes cen-
TUMViRALES, OÙ s'agitcut , dit-il, «les questions d'usuca-
»pion, de tutelle, de gentilité, d'agnation, d'alluvion,
»d'attérissements , des nexa, des mancipations , des servi-
»tudes, des testaments rompus ou confirniés , et une mul-
»titude d'autres points *^ » Aux cbapitres 38 et 39, il in-
dique aussi, comme plaidées devant les Centumvirs , la
cause d'un soldat qui avait passé pour mort et qui récla-
mait la succession paternelle contre le testament inspiré
par cette fausse nouvelle; celle d'un citoyen qui deman-
dait, jure applicationis , la succession d'un étranger exilé
qui l'avait cboisià Rome pour patron. Il indique aussi une
cause où le jurisconsulte Scévola et l'orateur Crassus,
discutant sur une condition attachée à une institution
d'héritier, fm^ent obligés d'invoquer des autorités, des
exemples, des formules de testaments, et de se plonger,
dit-il, dans le sein du droit civil (m mediojure civili versa-
11 De Orat., i. cap. 38 : Jactare se in causis centumviralibus in
quibus usucapionum , tutelarum , geutilitatum , agnationum , allu-
vionum, circumluvionum , ncxorum, niaDcipiorum , parietum, lumi-
num , stillicidiorum , testamentorum ruptorum aut ratorum , caetera-
rumque rerum innumerabilium versentur.
On trouve dans Graevius, Antiq. rom., t. ii, une dissertation sur
les centumvirs , pnr Siccama ( Cenlumvirale judicium).
CHAP, V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. V. 323
ri.) — Il ajoute immédiatement, au chapitre 40 :« J'omets
«d'innombrables exemples de causes très-graves : sou-
» vent il peut arriver que notre état, dans la cité ou la
«famille, soit mis en question et dépende d'un point de
» droit *^; » il rappelle des causes où les questions tou-
chaient directement à l'état de liberté, de cité, de ma-
riage, de divorce, de filiation légitime. — Au chapi-
tre 56 , l'orateur Antoine , qui va entreprendre de réfuter
Crassus , reconnaît que les causes indiquées sont de la
compétence des Centumvirs, maximas centumvirales
CAUSAS IN JURE posiTAS pROTULisTi , et il ïûe Seulement
que l'orateur ait besoin d'être jurisconsulte.
Que l'on interroge attentivement ces textes précieux,
que l'on se rende compte des éléments renfermés dans
ces diverses indications, et Ton y trouvera les grands
intérêts de la cité, les grandes questions de droit, tout
ce qui constituait les bases du droit civil, précédemment
établies par nous sous la division de la Cité , de la Fa-
mille, de la Propriété romaine.
En coordonnant et résumant les faits, les exemples,
les points de droit indiqués par Cicéron , et en les rap-
prochant des textes de Gains et des Pandectes, nous trou-
vons que la compétence des Centumvirs, déterminée par
l'usage ou le droit non-écrit, embrassait les questions
relatives :
12 « Capilis nostri ssepe potesl accîdere ut causœ versentur in
jure. » — Le caput, en droit civil , se rapporte à la cité et à la famille.
— Dans une collection moderne , ce passage est traduit : « Souvent
une affaire capitale peut dépendre d'un point de droit. » Nouvelle
preuve que îa langue du droit est nécessaire aux littérateurs qui tra-
duisent l'antiquité.
324 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
.1** A Tétat des personnes, c'est-à-dire aux qualités
d'homme libre ou d'ingénu, d'étranger, de citoyen*^;
questions d'état qui sont toujours préjudicielles et doi-
vent être décidées avant le litige à l'occasion duquel elles
se présentent;
2** Aux droits de famille, c'est-à-dire aux droits de
gentilité, d'agnation, de tutelle, de filiation , de mariage,
de divorce ;
3" A la pétition d'hérédité , soit testamentaire , soit lé-
gitime; àlaquahté d'héritier, qui ne pouvait même in-
cidemment être fixée par les autres juges ; à la plainte
d'inofficiosité qui attaquait la sentence testamentaire du
chef de famille ou l'exhérédation des héritiers-siens**;
4° A la propriété romaine ou quiritaire et aux acces-
soires, comme les servitudes réelles.
13 Dans le plaidoyer pour Cœcina, Cicéron attribue positivement
aux centumvirs les questions de Libertale.
Sigonius , sur Suétone , en avait fait la remarque. ( Suet. , cum No-
lis Variorum, lib. ii. c. 37. )
14 II ne pouvait, en aucun cas, être prononcé par d'autres juges
sur la qualité d'hèriiier, quand elle était contestée , avant que les cen-
tumvirs ne l'eussent reconnue par jugement. De là était née l'excep-
tion quod prœjudicium hœredilati non fiât , qu'on opposait , comme
exception préjudicielle , au demandeur ou au défendeur en pétition
d'hérédité.
An exceptione non repellatur, quod pb^ejudicium h^ebedi-
TÀTI NON FIAT INTEK ACTOREM ET EUM QUI VENUM DEDIT. ( D. , V.
3. 25. § 17. ( Ulp.) — Eorum judiciorum quae de hœredilatis petitione
sunt ea auctoritas est, ut nihil in prœjudicium ejus judicii fieri de-
beat. (Z).,v. 3. 5. §2.(Z7ip.)
Merlin a fait une savante dissertation sur l'exception prœjudicium
hœreditati non fiât. {Questions de droit, v» héritier, § 3. )
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. V. 325
Que reste-t-il donc en dehors de la compétence civile
des Centumvirs?
Il reste les possessions de biens ou successions préto-
riennes; — les actions fictives, qui ne se rapprochent des
actions civiles que par des assimilations faites par le pré-
teur, comme l'action pubhcienne*^; — les obligations
qui naissent des contrats ou comme des contrats; — les
obligations qui naissent des délits ou autres faits dom-
mageables *^ ; — les questions qui concernent les per-
15 Gaius, IV. § 36 : Fiugitur rem usucepisse et ita ^asi ex jure
Quirilium do rai nus factus esset intendit.
16 Sur la compétence relative aux obligations , nous recueillons ici
les opinions diverses des principaux auteurs modernes :
1» G. Hugo ( Hist. du Droit rom. , i. § 264 ), dit : « Ce qui est re-
marquable dans ce passage de Cicéron (ch. 38), c'est qu'à l'exception
tout au plus du mot nexorum , il n'est fait aucune mention des con-
trats dans cette longue énumération. »
2° NiEBUBH est plus positif (Hù(. rom., vi. p. 320) : « Le tribunal
des centumvirs , dit-il , ne jugeait pas plus les conventions que les pro-
cès criminels. »
30 Heffter, qui a publié , en 1827, son Commentaire de Actionibus ,
ne fait pas difficulté , au contraire , de comprendre les obligations en
général dans la compétence des centumvirs : Nulla ratio est cur jura
obligalionum a cenlumviris aliéna fuisse statuatnus. ( Observ. liber. ,
ch. IX. p. 33.)
40 ZiMMERN , qui a publié , en 1829 , son ouvrage approfondi sur les
actions , pense que les actions in personam étaient en dehors des cau-
ses centumvirales ; ce qui met en dehors de la compétence centumvi-
rale toutes les obligations. Mulhembruch approuve cette opinion avec
quelque timidité : Qui non sine veri specie conjicit. (Heinecc., Antiq ,
p. 645. )
5° Walteb {Hist. de la Procéd. civ. chez les Romains), ne discute
pas la question spéciale , mais il dit que l'objet principal de la compé-
tence des centumvirs concernait la propriété quiritaire et les succes-
sions. (Ch. 1. p. 10, Irad. de M. Ed. Laboulaye , 1841. )
60 Enfin, M. Bonjean , dans son savant Traité sur les actions, fait
326 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
sonnes, les biens, les conventions des étrangers, dont ïa
qualité n'est pas contestée; — les questions possessoires ,
et les actions in factum d'un nombre indéfini.
Ce point reconnu, nous tenons la clef de l'organisation
judiciaire et de la compétence, d'après les institutions
romaines.
La République était fondée sur la souveraineté du peu-
ple romain. En matière criminelle, le peuple en corps,
par l'appel j)orté devant les Comices , statuait sur la vie
du citoyen, sur le droit de liberté et de cité : « Populus
» romanus de jure libertatis et civitatis suum esse
» judicium putat, et recte putat, » disait Cicéron^'. — -
En matière civile, il fallait une institution conforme à ce
principe de souveraineté, pour statuer définitivement sur
la condition et sur la propriété des citoyens. Cette institu-
observer qu'il serait singulier que Cicéron , qui énumère avec tant de
complaisance les diverses espèces de questions de propriété , ne con-
sacrât qu'un seul mot à une matière aussi considérable que l'est celle
des obligations, et qu'il eut placé ce mot au milieu de l'énumération
relative à la propriété , entre circumluvionum et mancipiorum. ( i.
p. 201. ) Il pense donc qu'il n'a pas indiqué les obligations , mais que
le mot nexorum pourrait , tout au plus , se rapporter aux débiteurs
donnés en gage ; ce qui n'est pas admissible , car long-temps avant Ci-
céron , la loi Papiria de neccu avait aboli la servitude du débiteur, et
celui qui, depuis , se donnait en gage temporaire n'était pas esclave.
— Il faut donc entendre ici le mot nexorum dans le même sens que
celui employé par Cicéron , en son discours sur les aruspices, oià Jus
nexi est formellement appliqué aux maisons possédées à Rome Jure
nexi. {Supra, p. 141. )
17 Cic, in Verr., m. — De Legibus, m. 3. — De Repub., ii. 36 .
« Ke de capite civis , nisi in comitiis centuriatis statueretur. »
Cicéron dit même que les Lois des XII Tables permettaient d'appe-
ler de tout jugement pénal : « Ab omnijudicio pœnaqiie provocari licere
indicanl. »
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. V. 327
tion, c'était le tribunal des Centiimyirs : directement élus
par les Tribus , les Centumvirs représentaient la souve-
raineté même du peuple romain. — Dans les affaires civi-
les, le peuple assemblé ne pouvait décider par lui-même ;
il avait été contraint par la nature, la difficulté, le grand
nombre des questions à juger, de déléguer sa souverai-
neté. Les Centumvirs , délégués par le peuple , étaient
donc les juges naturels de la qualité des citoyens, de leurs
droits de famille , du domaine quiritaire et de l'hérédité ;
en un mot, de ce qui tenait le plus étroitement à la con-
stitution de la cité. La Lance romaine, placée devant le
tribunal des Centumvirs, était le signe permanent du do-
maine Quiritaire et de la souveraineté**.
Toutes les actions in rem, mobilières ou immobilières,
appliquées soit à la propriété romaine, entre citoyens,
soit à des droits de servitude sur la chose , soit à la ré-
clamation des droits d'hérédité , soit même à la question
d'état la plus importante, celle de l'état d'homme libre,
étaient originairement qualifiées de vindicationes , et
c'était de la Lance souveraine, hasta, festuca, vindicta
que venait la dénomination deYindicatio *^. Dans le prin-
cipe, où l'on ne pouvait agir au nom d'autrui que pour
le peuple et pour cause de liberté ^'^ , celui qui agissait
18 Hasta signum jusli dominii.... unde in centumviralibus judiciis
hasta prœponitur. {Gaius , iv. § 16.) — Dans les ventes faites au nom
du peuple romain {Seclio bonorum), on vendait sub hasta.
19 Qui vindicabat feslucam tenebat et dieebat Ecce tibi vin-
dictani imposui. — Festuca autem ulebantur quasi hastae loco
signo quodam justi dominii. ( Gaius , iv. § 16. ) — Appellantur autem
in rem quidem actiones , vIïsdicatiojvES (§ 5. )
20 Gaius, IV. § 82 : Olim, quanidiu solœ Legis actiones in usu fuissent,
aàterius noniine agere non liceret, nisi pro populo et liberlalis causa.
328 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
au nom d'un autre comme défenseur de la liberté , adser-
tor liberlatis, vendiquait en liberté l'homme injustement
retenu en esclavage ^^ Ces vendications, que leur nature
et leur dénomination primitive rattachaient à la compé-
tence des Centumvirs, furent ensuite comprises, comme
actions réelles, sous le nom dePETiTiONES : de là, dans
le langage du droit, l'action pétitoire, la pétition d'hé-
rédité. Le mot ACTïo restait plus spécialement propre aux
obligations personnelles^^. — Mais le changement de
dénomination dans les actions réelles, qui tenaient au
juste domaine et à l'hérédité , ne changea point la com-
pétence du tribunal des Centumvirs; et long- temps
après la révolution judiciaire de Dioclétien, l'empereur
Justinien rendait à l'antique Tribunal du peuple romain
et à sa compétence ce témoignage solennel : « La gran-
» deur et l'autorité du jugement Centumviral ne per-
» mettaient pas que la pétition d'hérédité fût entraînée
» dans d'autres voies de juridiction, magnitudo et auc-
» TOPJTAS CENTUMVIRALIS JUDICII NON PATIEBANTUR PER
» ALIOS TRAMITES VIAM HEREDITATIS PETITIONIS IN-
23 „
» FRINGI.
L'organisation et la compétence du tribunal des Cen-
tumvirs se liaient donc étroitement l'une à l'autre et avec
la nature des actions. La compétence a pu , avec le temps
21 D., de causa liberali, xl. 1. 2. {Ulp.): Amplius puto naturali-
bus quoque hoc idem prsestandum , ut parens filiuin in servitute quae-
situm et inauumissum possit in libektatem vindicabe.
22 Petitio in bem infertur, ut actio in pebsonam ( D., de Ohlig.
(7.'<r^,xLiv.7.28.) petitionis- verbo in rem actiones.(De V.S L. 178.)
23 Cod. .lust., ni. 31. 12. Prœm. [An. 530.]
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. V. 329
et les changements de législation ou de procédure, subir
quelques modifications dans son application , dans son
étendue; mais sous la République, et pendant les pre-
miers siècles de l'Empire , du temps de Cicéron et de
Gaius, les rapports de l'institution du tribunal des Ceri-
tumvirs se trouvent déterminés par des textes irrécu-
sables : i** avec les questions d'état et de famille, tou-
jours préjudicielles; 2** avec les actions réelles, soit pour
le domaine Quiritaire , soit pour les servitudes ; 3" avec
les pétitions d'hérédité et les questions de testament in-
officieux.
Passons aux autres branches de l'institution judi-
ciaire.
II. — lîï. — Le JUDEX ; I'arbiter.
Le juge était unique pour chaque cause ; on l'appelait
juge privé (jiidex privatus). Il était choisi par les parties,
et , à défaut d'accord entre elles , donné par le magis-
trat^*. — Il en était de même pour la nomination de l'ar-
bitre ; mais celui-ci n'était pas toujours unique ; les ar-
24 Cic. , pro Cluentio , c. 8. 9. 43 ; — pro Flacco , c. 21; — in Ver-
rem., ii. 12. C'est ce qu'on appelait sumeré judiccm. — Le Digeste
contient à ce sujet le témoignage de Servius Sulpicius : « Si in judicis
nomine , prœnomine erratum est , Servius respondit : Si ex conven-
tione litigalorum is judex addiclus esset , eum esse judicem de quo
iitigatores sensissent. « ( Z)., v. 1. 80. {Pomp.) — Un fragment de la
loi Julia Judiciorum , conservé dans un texte d'Ulpien , portait :
QuoMiNUs iNTER PRivATOS CONVENIAT ; et Ulpieu ajoutc : SufOcit
ergo privatorum consensus. (D., v. 1. 2. § 1. )Mais s'il n'y a pas ac-
cord des parties , il y désignation par le magistrat. — Voir les frag-
ments de la loi Julia , dont Heffter a tenté la restitution, quoiqu'il
n'y ait d'authentiques que les quatre mots indiqués. (De'.4c<. 06*., p. 28.)
330 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
bitres pouvaient être donnés au nombre de trois, et la
Loi des XII Tables exigeait ce nombre en certains cas "^.
Ces juges et arbitres étaient pris parmi les sénateurs
et patriciens, et, depuis C. Gracchus, dans l'ordre des
cbevaliers. Le Préteur de la Ville fut ensuite chargé de
dresser une liste de juges qui étaient choisis pour l'an-
née (Judices seledi), et dont le nom était publié par I'al-
BUM du Préteur. Cette liste comprit d'abord trois cents
noms, qui furent portés à huit cent cinquante du temps
de Cicéron , à quatre mille sous Auguste , et qui furent
divisés successivement en trois , quatre et cinq Décu-
ries ^^.
Le juge et l'arbitre étaient spécialement chargés de
l'examen du fait et de l'application de la formule (dont
nous parlerons bientôt); leurs jugements étaient quali-
fiés JUDiciA PRiVATA. Daus l'cxamen des faits pouvaient
se rencontrer souvent des questions de droit. « Les ju-
» gements privés, disait Cicéron, portent sur de grands
» intérêts, et l'on y discute souvent non sur le fait, mais
» sur l'équité , mais sur le droit ^'. » Ces jugements sup-
25Festus, vo vindicia : « Si vindiciani îalsam tulit arbitres
très dato , eoruin arbitrio fructus duplione damnum decidito. Muller,
p. 376, rapporte les sens divers donnés à lal^oi sur la Yindicia.
26 Cic, ad Fam., viii. 8 ; — ad Attic, viii. 16.
Plin,, Hist. nat., xxxiii. 7.
Walter, Procéd. civ., ch. 1. p. 4. {Trad. de M. Laboulaye. )
27 Judicia privata magnarum reruni in quibus sœpe non de facto,
sed de sequitate ac jure certatur. {Cic, de Oral., i. 38.)
Au chap. 39 , il cite une cause plaidée devant le judex : « Quum
ergo C. Sergii contra hune nostrum Antonium judido privalo defen-
derem , nonne omnis nostra injure versata defensio est ? » — AValter
a donc commis une erreur quand il a dit que les questions de droit ne
se discutaient pas devant le judex.
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. V. 334
posaient donc la connaissance du droit : de !à vint l'usage
des jurisconsultes assesseurs, choisis par le juge et sié-
geant derrière lui, pour le conseiller sur les questions
juridiques ^^.
Mais ces jugements pouvaient-ils porter sur toute es-
pèce de questions ou de procès? En d'autres termes , les
parties qui avaient le droit de convenir de leur juge ,
avaient-elles ce droit absolu , sans aucune limite , sans
aucune règle de compétence à raison de la matière? —
La solution affirmative se trouve dans l'ouvrage de Zim-
mern. Il dit : « C'était devant le magistrat {injure),
y> que les parties convenaient du juge qui devait décider
» le litige, et Y investissaient delà compétence nécessaire pour
» rendre la sentence ^^. » Il résulterait de cette théorie,
que les parties auraient pu porter devant le juge privé
même les causes d'hérédité, de plainte en testament
inofficieux, et toutes les causes centumvirales. Mais alors
pourquoi les jurisconsultes romains auraient-ils men-
tionné les causes centumvirales comme distinctes des au-
tres litigps? — Pourquoi Cicéron aurait-il séparé les ju-
gements des centumvirs des jugements privés? — Pour-
quoi Gains aurait-il distingué les centumvirs des juges
privés , même par la différence des formes de procéder?
— Pourquoi Festus , qui vivait au v® siècle de l'ère chré-
tienne, mais qui était, dans son livre, l'abréviateur de
28 Le préteur lui-même avait quelquefois des assesseurs ; ainsi ,
dans le traité de Oral. , i. 37, Crassus dit qu'il a été l'assesseur de
Q. Pompée , préteur de la ville. — Plus tard , les préfets du Prétoire
eurent aussi leurs assesseurs.
29 Théorie de la procédure privée chez les Romains (§1. avant-
propos , p. 4 , traduction de M. Etienne. )
332 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
Verrius Flaccus , contemporain d'Auguste , pourquoi
Festus aurait-il défini les actions centumvirales , celles
que jugeaient les centumvirs, centumviralia judicia
ou^ CENTUMViRi JUDiCABANT^^? — Pourquoî enfin Justi-
nien lui-même aurait-il dit que la grandeur et l'autorité
du tribunal des Centumvirs n'auraient pas souffert que les-
questions d'hérédité fussent déférées à d'autres juges?
— Il y avait donc évidemment des règles de Compétence
qui se confondaient avec les attributions et avec l'exi-
stence même des différentes parties de l'Organisation ju-
diciaire : ces règles étaient de droit public , et il était de
principe immuable, sous le droit des XII Tables comme
sous le droit postérieur , qu'il n'est pas permis aux par-
ticuliers de déroger, par leurs conventions, aux règles
du droit public. Ce n'était donc que dans la mesure de
ces attributions préexistantes et reconnues , que les ci-
toyens pouvaient choisir leur juge; et le Préteur, sous
sa responsabilité, ne nommait le juge privé ou l'arbitre
que dans le cercle de sa compétence.
En dehors de la compétence des Centumvirs , comme
nous l'avons remarqué plus haut, se trouvaient notam-
ment les successions et les actions réelles prétoriennes dis-
tinctes de la propriété quiritaire ; les obligations ou les
actions personnelles , et par conséquent la vaste matière
des contrats et des engagements sans contrats. — Nous
laisserons à l'écart en ce moment les autres objets; nous
les retrouverons plus tard. — Ce sont tous les procès
SO Festus a donné deux articles sur hscenlumvir alla judicia. Notre
citation est empruntée au second article. ( Muller. p. 64. )
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. V. 333
relatifs aux matières que nous venons de rappeler , qui
tombaient, par le renvoi du Préteur, sous l'appréciation
du juge et des arbitres, et qui formaient la matière même
de leur Compétence.
Les sentences du juge et des arbitres , et les actions
soumises à leur jugement , étaient renfermées, comme
nous l'avons dit, sous la qualification générale de judi-
ciA PRiVATA; on distinguait cependant le judiciitm etl'ar-
bitrium. C'est qu'en effet le juge et l'arbitre avaient bien
une compétence commune, qui s'alimentait à la source
que nous avons indiquée, savoir : les actions réelles,
de création prétorienne, et les actions personnelles de
création civile ou prétorienne, comprises sous la dé-
nomination générale de condictiones^^ ; mais le juge et
l'arbitre avaient dans cette source commune leur compé-
tence distincte, qui en formait comme deux dérivations.
Toute dette d'une chose certaine, condictio certi, était
de la compétence du juge. — Toute obligation de faire
ou de donner en espèce (condictio incerli), ou de fournir
une prestation de valeur incertaine, comme la soulte
dans les actions de partage , qui avaient sous ce rapport
un caractère mixte, était de la compétence de l'arbitre ^^.
31 Gaius, IV. §§ 2. 5, Condictiones : Quum intendimus dare, fa-
cere, praestare, oportere.
32 Cic. , pro Cœcina , vu : Nomine heredis arbitrum familise ercis-
cundae postulavit.
I). XX. 5. 11 : Arbiter dividendae hereditatis cuni corpora heredi-
taria divisisset , nomina quoque communium debitorum separatim
singulis in solidum assignavit. {Scœvol.) — x. 2. 30 : Quaero an recte
arbitrum communi dividundo ad hune fundum partiendum petani ; an
etiam is arbiler qui familiae erciscundae datur. (Modesl.) — Insl.
Just.,l\. 6. 20."^
334 ' LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
De là , comme le disait Cicéron dans une discussion
spéciale, « autre chose est le jugement, autre chose est
» l'arbitrage : le jugement se donne pour une chose cer-
» taine; l'arbitrage pour une chose incertaine ^^. » Dans
lejudicium, la sentence était rigoureuse : il fallait accorder
tout ou rien; dans Xarbitrium , il y avait plus de latitude,
et la formule appelait la sentence la plus équitable^*.
La division des actions de droit strict et de bonne
FOI vint se rattacher, tout naturellement, à la distinction
du juge et de l'arbitre. Les actions de droit strict étaient
portées devant le juge : telles, les actions qui naissaient
de l'obligation verbale ou de la stipulation, du serment
promissoire, de la dictio dotis , et celles qui naissaient de
l'obligation littérale, du mutuum , du prêt à intérêt ^^. —
Les actions de bonne foi étaient portées devant les ar-
bitres : telles, les actions provenant des contrats nommés
et consensuels , la vente , le louage , le mandat , la so-
33 Aliud est judicium , aliud est arbitrium : Judicium est pecunise
certae, arbitrium est incertœ. ( Cic, pro Roscio Comœd., iv. )
34 Quantum ^quius et melius id dake. {Feslus , \o arbiter. Cic,
Topica XVII. De Off., m. 15. 17. Walter, Procéd. civ. des Romains ,
p. 32.)
35 Gains, IV. §62, et Inst. Just., iv. 6. § 28, indiquent les actions
5ir^ct^■ jMîù indirectement, par leur absence dans l'énumération des
actions de bonne foi. — Les deux éuumérations sont concordantes,
sauf que les Institutes mentionnent de plus, comme actions de bonne
foi , les actions familiœ erciscundœ , communi dividundo , et l'action
prœscriptis verbis en deux cas : quand elle est donnée à l'occasion des
contrats de œsiimalo et de permulaiione. Pour le système formulaire,
il est plus sûr de suivre la nomenclature plus restreinte de Gains , à
l'égard des actions de bonne foi : Ex empto, vendito , localo, conduclo ,
negolhrum geslorum , mandali, deposili, fiduciœ , pro socio , tutelœ,
comviodali.
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. V. 335
ciété ^® ; ou des contrats réels de bonne foi , le dépôt , le
gage, le commodat; l'action rei uxoriœ, relative aux re-
prises de la femme , et mentionnée par Cicéron , par
Ulpien , comme action de bonne foi. — Les actions en
garantie ou indemnité , pour cause de réticence dans les
ventes , bien que les immeubles vendus fissent partie du
territoire romain, étaient portées, non devant les Cen-
tumvirs, mais en jugement privé et devant l'arbitre,
parce qu'elles se rattachaient aux obligations. Cicéron
nous en fournit deux exemples remarquables : le pre-
mier est l'exemple du vendeur d'une maison , qui n'avait
pas déclaré l'existence d'une servitude. On soutint con-
tre lui, in judicio privato, l'obligation des dommages
et intérêts. — Dans le second exemple, Calpurnius,
contraint par l'ordre des Augures de démolir sa mai-
son , ayant appris que son vendeur avait reçu déjà et
caché l'ordre de démolition avant la mise en vente , ac-
tionna le vendeur devant l'arbitre , pour qu'il fût tenu de
donner ou faire tout ce qu'exigeait la bonne foi^*^.
Les actions naissant des obhgations qua-n ex contractu,
notamment dans les cas de gestion d'affaires, de tutelle
ou curatelle , d'adition d'hérédité à l'égard des légataires
et des créanciers, de réception de la chose non due qui
donnait lieu à la conditio indebiti, toutes les actions de ce
36 Pro socio arbiter prospicere débet cautionibus in future damno,
vel lucro pendente ex eo societate. (D., xvii. 2. 38. ) {Paul. )
37 Cic, 1» de Orat., r. 39 : Quidquid fuisset incommodi; — 2° De
Off., m. 16 : Arbitrum illum adegit quidquid sibi dare , facere, opor-
teret ex bona fide. — Ce second exemple est remarquable ; car on v voit
des Augures faire démolir une maison, sans qu'on rencontre l'indem-
nité préalable ou postérieure pour V expropriation d'intérêt public.
336 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
genre étaient portées devant le juge ou l'arbitre, selon
que leur objet était certain ou incertain ; et peut-être
même celles qui tenaient à l'administration de la tu-
telle et à la gestion d'affaires tombaient-elles exclusive-
ment sous la compétence de l'arbitre, à raison du carac-
tère d'actions de bonne foi qui leur était spécialement
imprimé^*.
D'autres actions, celles appelées arbitrariœ, exprimaient,
par leur qualification même, qu'elles dépendaient de l'ar-
bitrage du juge; et ce juge, ordinairement, c'était farbi-
tre, qui laissait à une partie la faculté de donner ou de
faire certaine chose pour satisfaire à la demande , et ne la
condamnait qu'à défaut d'exécution : c'est ce qui avait lieu
dans les restitutions prétoriennes, pour cause de crainte
ou de doP^, et dans les actions prétoriennes qui avaient
un caractère de réalité , comme les actions publicienne ,
servienne, hypothécaire, et l'action pauUenne dirigée
contre l es actes faits en fraude des droits d'un créan-
38 L'action de tutelle est encore qualifiée arbilrium lulelœ, dans un
titre du Code de Justinien , v. 51.
39 D., IV. 1. Quod metus causa , xiv. § 4. {Ulp.) : Hsec autem actio
cum ASBiTBARiA siT, liahct reus licentiam usque ad sententiam ab
ARBiTEO datam , restitutionem , secundum quod supra diximus , rei
facere ; quod si non fecerit , jure meritoque quadrupli. condemnatio-
nem patietur. — D., iv. 3, de Dolo malo , xyiii. {Paul) : Arbitrio
judicis in hac quoque actione restitutio coinprehenditur, et nisi fiât
restituiio, sequitur condemnatio quanti ea res est. Ideo autem et hic
et în metus causa actione certa quantitas non adjicitur ; ut possit per
coutumaciam suam tanti reus coudemnari quanti actor in litem jura-
verit : sed officio judicis débet in utraque actione, taxatione jusju-
randum refrenari.
On voit , dans ces deux lois , qu'Ulpien appelle nrbiirc celui que
Paul qualifie de juge.
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. V. 337
cier^®. — Mais les actions arbitraires pouvaient se réu-
nii' à des actions de droit strict, en ce sens que l'arbitrage
ou la faculté laissée à la partie pouvait précéder une con-
damnation de droit strict, et en ce cas le juge devenait
arbitre sans cesser d'être juge. Aussi dans le discours
pour Muréna, où Cicéron entraîné par un intérêt poli-
tique poursuivait les Prudents de sa mordante ironie ,
l'orateur disait: « Une chose qui me surprend toujours,
» c'est que tant d'hommes si ingénieux ;i'aient pas pu ,
» depuis tant d'années , et ne puissent pas même encore
» aujourd'hui, décider si l'on doit dire un juge ou un
«ARBITRE**.» — Il est certain que les limites sur la
compétence respective du juge et de l'arbitre restaient
quelquefois indécises en théorie ; mais cela n'avait aucun
inconvénient dans la pratique , soit à raison de la délé-
gation faite par le Préteur, qui levait toutes les difficul-
tés , soit à raison de l'intime analogie qui existait dans
le caractère du juge et de l'arbitre, les formes de pro-
céder et l'effet des jugements, qui constituaient égale-
ment des Judicia privata.
Les actions ou les instances devant un seul juge ou
devant un arbitre , lorsqu'elles étaient suivies entre Ci-
toyens, dans la ville de Rome ou dans le rayon d'un
40 Inst. Just., IV. 6. 31 : In bis enim actionibus et cseteris simili-
bus perraittitur judici ex aequo et bono secundum cujusque rei de qua
actum est , naturam sestimare quemadmodum actori satisfieri opor-
teat. ( Voir Perezius et Donellus , ad Inst., de actionibus arbitrariis. )
41 Cic, pro Murena, xii : « Jain illud mihi quidern mirum videri
solet , tôt homines , tara ingeniosos , per tôt annos , etiam nunc , sta-
tuere non potuisse utrum judicem an abbitbum dici opop.
tere ? »
22
338 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
mille autour de Rome, étaient appelées judicia légitima:
c'est-à-dire qu'elles prenaient leur force dans la Loi ,
qu'elles étaient perpétuelles ou ne tombaient pas en pé-
remption, faute d'être suivies d'une sentence, dans un
certain délai. La loi Julia Judiciaria exigea que le litige
fût terminé dans le délai de dix-huit mois, autrement il
était réputé mort légalement ou éteint de plein droit '*'^.
Il nous reste à faire connaître l'organisation et la com-
pétence des RÉCUPÉRATEURS.
IV. — Un fragment de Gallus iEIius, jurisconsulte
sous la République et contemporain de Cicéron, nous
apprend que, dans l'origine, il y avait reciperatio,
lorsque après une guerre une Loi prescrivait comment
se feraient , par Récupérateurs , entre le Peuple romain
et les Cités étrangères , les restitutions et réceptions des
choses publiques ; et comment aussi les réclamations re-
latives aux choses privées se poursuivraient entre les in-
dividus des deux nations'*^. Cette coutume , née du droit
de la guerre, avait pour objet la réparation des faits qui
en sont la suite , la restitution des choses prises et pos-
42 Gaius , IV. § 104 : Légitima sunt judicia quœ in urbe Roma vel
întra primum urbis Romœ milliarium inter omnes cives romanos,
sub UNO JUDiCE accipiuntur ; eaque lege Julia judicia , nisi in anno et
sex mensibus judicata fuerint , expirant : et hoc est quod vulgo dici-
tur, e lege Julia, litem anno et sex mensibus mori.
43 Reciperatio est, ut ait Gallus OElius, cum inter populum et re-
ges nationesque et civitates peregrinasLex convenit quomodo per re-
ciperatores reddantur res reciperenturque , resque privatas inter se
persequantur. ( Fesli Frag. e Cod. Farn. Muller, p. 274. )
Gallus OElius avait fait un livre sur la signification des mots dans
le droit civil.
Tacite disait encore Reciperatores. {Annal., i. 74. )
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. V. 339
sédées pendant l'état d'hostilité. Elle passa du droit pu-
blic, entre Rome et les nations, dans le droit privé de la
Cité , en conservant l'empreinte de son origine.
Elle fit partie des institutions judiciaires de Rome ,
pour la poursuite et le jugement des choses privées en-
tre Citoyens et Etrangers; et de plus, ello s'appliqua,
entre citoyens romains, aux faits possessoires , aux obli-
gations naissant des délits, à la réparation du dommage
et des injures, aux faits de concussion, et aux actions
utiles ou prétoriennes, in factum, qui suppléaient au dé-
faut des autres , et pouvaient être exercées même par les
fils de famille.
Les monuments antiques nous ont laissé des preuves
de cette compétence spéciale des Récupérateurs :
\ " Pour les choses privées concernant les étrangers ,
ie témoignage est dans le fragment de Gallus iî^lius con-
servé par Festus ;
2" Pour les faits de possession, l'autorité principale
est dans le plaidoyer en faveur de Cécina, prononcé par
Cicéron devant les Récupérateurs, et confirmé par un pas-
sage de Gains , qui se rapporte à la prohibition de toute
violence contre la possession *^ ;
3" Pour la réparation du dommage naissant d'un délit,
d'une injure, d'un fait (damnum factum) j la compétence
44 Gaius, IV. § 141 : Ad judicem Recuperaloresve itur, et tum ibi
edictis formulis quaeritur an aliquid adversus praetoris edictum factum
sit, vel factum non sit quod is Oeri jusserit. — Gaius dit au juge ou aux
récupcraleurs : Ce qui se rapporte à deux espèces d'interdit dont il est
question (§§ 140. 141 ); l'un ordonne qu'une chose soit faite et impose
ainsi une obligation prétorienne ; l'autre défend ou prohibe. C'est à l'in-
terdit prohibitoire que se rapportent les mots ad recuperalores itur.
340 LIV. ï. — ÉPOQUE ROMAINE.
est prouvée par Gaius et par le plaidoyer pro Tullio, dont
quelques fragments ont été recueillis de nos jours ^^ ;
4" Pour les actions in factum , l'autorité principale est
Gaius , au lY^ livre de ses Commentaires*®.
Les matières de la compétence civile des Récupérateurs
se rattachaient ainsi à l'origine de leur établissement.
Dans le droit public , le but que l'on se proposait était de
réparer les dommages causés par le fait de la guerre; dans
le droit privé, le but principal était de terminer les dis-
cussions entre les étrangers et les Romains, et de réparer
les dommages causés par les voies de fait et les troubles
45 Cic, pro Tullio, il : « Judicium vestrum est, recuperatores ,
quantae pecuniœ paret.... damnum factum esse Tullio. » ( Cic, Frag.^
éd. Leclerc, t. xxix. p 4. )
Pour l'action d'injure qualifiée par la loi et punie de la peine de
XXV as, c'était le judex qui seul , sous la Loi des XII Tables , avait
compétence. Il y avait obligation, certi, ex deliclo; mais après l'abo-
lition de la peine des XXV as, les préteurs attribuèrent l'estimation de
l'injure et du délit aux récupérateurs : Injurïisque .estimandts re-
CCPERATOBES SE DATUROS EDIXERUNT. ( Guius , III §§ 223. 224. 225.)
L'affranchi qui avait commis le délit d'injure envers son patron , en
le citant en justice, était renvoyé devant les récupérateurs. Il y avait
même une formule rédigée d'avance à ce sujet; ce qui confirme bien
notre doctrine qu'il y avait des règles de compétence reconnues et
pratiquées. ( Gaius, iv. § 46. )
De pecuniis repetundis ad recuperatores itur. ( TU. Liv., lib. xliii.
cap. 2. Tacit., Annal., i. 74.)
46 Le principe sur les actions in factum est ainsi posé : In omnibus
casibus in quibus neque ad exhibendum, neque in rem locum habet,
in factum actio necesse est. ( D., vi. 1. 23. § 5. ) Les exemples sont
nombreux dans Goius et dans le Digeste, (xx. 1. 11. § 1. — vi. 1. 52.
— IX. 4. 10.) — In factum actiones etiam filii-familiarum possunt
exercere. (D., xliv. 7. 13.)
Gaius, IV. § 46 : Recuperatores sunto. .. et innumerabiles ejus-
modi (in factum) aliae formulœ in albo proponuntur.
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. V. 341
de possession. L'institution, dans le droit privé, réflé-
chissait donc l'institution primitive, comme les luttes d'iîi-
térêt privé représentent quelquefois la guerre des Cités.
Les résultats de ces luttes, de ces voies de fait, étaient
le sujet des litiges qu'il fallait terminer; et l'affecta-
tion de ces litiges à la compétence des Récupérateurs
remplissait le vide laissé dans la compétence des autres
juges.
Les matières des jugements récupératoires étaient tou-
jours urgentes. Aussi les formalités étaient simples, la
nomination prompte et presque instantanée. Le Préteur
donnait les récupérateurs; le choix se faisait ou parmi les
sénateurs et chevaliers , ou parmi les juges inscrits sur
l'Album , et quelquefois parmi les citoyens présents. Ils
étaient choisis au nombre de Trois ou de Cinq , selon les
circonstances*^.
Les poursuites devant les récupérateurs n'étaient pas
dites légitimes ou soutenues par la Loi ; elles étaient sou-
tenues seulement par le pouvoir du magistrat {imperio
continebantur) : c'est-à-dire qu'elles devaient s'accomplir,
sous peine de péremption, pendant l'année assignée au
pouvoir du magistrat qui avait donné le Judicium *^.
47 Tit. Liv., xiiii. 2 : L. Canuleio prsetori qui Hispaniam sortitus
erat , negotiurn datum est ut in singulos a quibus Hispani pecuniam
répétèrent, quinos recuperalores exordine senatorio daret, patronosque
quos vellent sumendi potestatem faceret. {Ad an. 582.)
. Plinius Junior., Epist. m. 20 : Nam ut in recuperatoriis judiciis sic
nos in bis comitiis, quasi repente apprehensi sinceri judices fuinius.
48 GaiuSjiv. §§ 103. 105 : iegf/dma ,quselegitimojure consistunt...
imperio conlineri judicia dicuntur, quia tamdiu valent quamdiu is qui
ea preecepit iraperium babebit. — ( Les poursuites ou les instances
devant les récupérateurs étaient qnaMMsJudicia recuperaloria.) {Plin.)
342 LlV. I. — ÉPOQtE ROMAINE.
La création des Récupérateurs fut de la plus haute im*
portance dans les provinces. Elle se rattachait à l'établis-
sement du coNVENTUs ou dcs ASSISES, quc le préteur ou
le proconsul tenait tous les ans, pour rendre la justice, k
une ou plusieurs époques fixées d'avance, dans les princi-
pales villes de la province confiée à son gouvernement ^^.
Il y avait des décuries déjuges et de récupérateurs.
Pour ceux des provinciaux qui avaient obtenu de
vivre selon leurs lois, les récupérateurs étaient pris ex-
clusivement parmi les hommes du pays ou les compa-
triotes qui avaient répondu à la convocation du magis-
trat : c'était un privilège vivement ambitionné par les
habitants des provinces , et maintenu ordinairement en
faveur des Grecs répandus dans les provinces d'Orient ^^.
Pour les citoyens romains fixés dans la province , les
récupérateurs étaient choisis parmi les citoyens du Con-
ventus; et si les litiges existaient entre les provinciaux
seulement, ou entre les citoyens et les indigènes, le Pré-
teur était libre de donner les récupérateurs sans distinc-
tion d'origine, sauf un droit de récusation en faveur des
parties {jpoteslas rejiciundi) ; il avait la faculté de les pren-
49 Conventus intelligitur quum a magistratibus judicii causa
populus congregatur. ( Fcslus , v» convenlus. )
On donnait aussi ce nom de convenlus à la réunion des citoyens ro-
mains qui s'étaient fixés dans une ville pour exercer le commerce^
ainsi, dans Cicéron {ferr., ii. i3.). Le Convenlus judiciaire était ap-
pelé aussi forum : Preetor indicebat forum. ( Sur le convenlus, voir
Théoph., InsL, i. 6. § 4. Sigonius , de Jur. prov.^ ii. cap. 5.)
50 Cicéron parle ainsi de la disposition de son édit en faveur des
Grecs : Multa sum secutus Scœvola;; in iis illud in quo sibi libertatem
censent Grœci dutani, ut Grseci inter se disceptent suis legibus..,
Graeci vero exsuitant quod peregrinis judicibus utuntur. ( Ad AU. ,
VI. 1.
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. V. 343
dre même parmi les personnages qui l'accompagnaient,
ou de composer un tribunal mi-parti de Romains et d'in-
digènes. — De cette latitude pouvaient naître des abus
que Cicéron reproche avec véhémence à l'administration
de Verres dans la Sicile ^* .
Au dernier jour des assises, un Conseil de vingt
récupérateurs, citoyens romains, était tenu sous la pré-
sidence du Magistrat , pour prononcer, en exécution de
la loi JEliSi Sentia, et en connaissance de cause, sur les
affranchissements proposés par des mineurs de vingt ans,
et sur les affranchissements des esclaves âgés de moins
de trente ans. Ce conseil tenait lieu de celui qui siégeait
à Rome auprès du préteur, pour l'exécution de la loi
^LiA SENTIA , et qui était composé de cinq Sénateurs et
de cinq Chevaliers ^^.
L'administration de la justice dans les provinces, au
reste , était l'image de celle de Rome. Le Président pou-
vait, selon la nature des causes, donner un seul juge
ou des récupérateurs. — L'institution des Récupérateurs
dans les provinces représentait la grande institution des
Centumvirsà Rome, sinon pour l'organisation, du moins
51 Cic, in Verr. , m. 11 : Quid praetor? Jubet recuperatores re-
jicere. — Decurias scribamus. Quas decurias? — De cohorte mea reji-
cies , inquit. — Quid ? Ista cohors quorum hominum est ? Volusii ha-
ruspicis, et Cornelii medici , et horum canum quos tribunal meum
vides hmbere. Nam de Conventu nullum unquam judicem, nec re-
cuperatorem dédit {Vid. cap. 12. 13. 59. )
52 Gains , i. §§ 20. 38 : Consilium autem adhibetur in urbe romana
quinque senatorum et quinque equitum romanorum puberum ; in
provinciis autem viginti recuperatorum civium romanorum ; idque
fit ullimo die Conventus; sed Romae certis diebus apud consilium
naanumittuntur.
34i LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
pour la compétence : elle s'appliquait aux questions
d'Etat, aux droits de propriété. Dans la Sicile, nous
voyons , par exemple , les propriétaires réclamer le ju-
gement par récupérateurs contre le décimateur Apro-
nius, complice de Verres; et nous lisons dans Suétone
que c'est par jugement récupératoire , rendu dans la
province d'Afrique, que l'impératrice Flavia , l'épouse de
Vespasien, avait été déclarée, avant son mariage, jouir
des droits d'ingénuité et de cité romaine ^^. — La Pro-
vince avait donc, sous l'empire des préteurs, procon-
suls, ou présidents, une institution judiciaire qui offrait
des garanties de justice à ses habitants, et qui réfléchis-
sait l'image des garanties romaines.
Tel est , à Rome et dans les provinces , l'ensemble de
l'organisation judiciaire et de la compétence. Le système
existe complètement sous le droit de la République. Il a
pu , dans les premiers temps de l'Empire , éprouver quel-
ques modifications. La création du Préfet de la ville, par
Auguste, celle des Préfets du prétoire, qui sont devenus
par la suite des magistrats tout puissants , la force nouvelle
donnée aux attributions des Décemvirs , qui présidaient
S3 Cic, in Verr., m. 13 : Si ex omni copia conveutus Syracu-
sani , facere potestatem aratori non modo rejiciundi, sed etiam
sumendi recuperatores , tamen hoc novum genus injuriée ferre nema
posset se, quiim suos omnes fructus publicano tradidisset , et rem de
manibus amisisset, tum bona sua repetere ac persequi lite atque ju-
dicio.
Sueton. Vespas., m : Flaviani diixit uxorem ex Africa dele-
gatam olim, latinspque conditionis, sed mox ingenuam et civem ro-
manam recuperatorio judicio pronuntiatam. (Voir Hefflery de Acl,,
p. 38. )
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. V. 345
les différentes Sections du tribunal des Centumvirs, et
d'autres innovations , ont pu modifier certaines relations
entre les magistrats et les juges, ou rendre plus mobile
le lien de la compétence. Ainsi le préfet de la ville et
les préfets du prétoire eurent le droit de prononcer des
sentences , même en matière civile , et d'accorder la res-
titution en entier, tant contre leurs propres décisions ,
que dans d'autres causes ^*. Ainsi le préteur rédigea des
formules en pur droit, propres à saisir \ejudex d'une re-
vendication ex jure qmrilkm , principalement en matière
mobilière ^^ Mais les bases générales de l'organisation
et de la compétence ont subsisté , malgré certains ébran-
lements, jusqu'à la fm du iii*^ siècle de l'ère chrétienne.
En résumant les rapports des Centumvirs avec les au-
tres branches de l'Organisation judiciaire, et les rapports
des différentes espèces d'actions avec chaque branche
de cette organisation , au temps où elle s'est complétée
sous l'influence du Droit prétorien , on arrive aux résul-
tats suivants :
54 D. IV. 4. 16. § 7. ( Ulp.) : Nunc videndum qui in integrum resti-
luere possunl? — Et tain prœfectus Urbi quam alii magistratus pro
jurisdictione sua restituere in integrum possunt , tani in aliis causis
quam contra sententiam suam. — L. xvii : Praefecti etiam prœtorio
ex sua sententia in integrum possunt restituere , quamvis appeliari
ab bis non possit In integrum restitutio erroris proprii veniœ pe-
titionem , vel adversarii circumventionis allegationem continet. ( Cette
dernière loi est empruntée à Hermogénien , qui vivait à une époque
où l'appel en matière civile était organisé, après Dioclétien.)
55 Gaius , IV. § 45 : Sed eas quidem formulas in quibus de jure quse-
ritur, injtis conceptas vocamus : quales sunt quibus intendimus nos-
trum esse aliquid ex jure Quiritium , aut nobis dare oportere, aut pro
fure damnum.... in quibus juris civilisjntentio est.
346 LIV. I. — ÉPOQUE ROIW AINE.
1 " A l'égard de l'organisation ,
Les centumvirs formaient un tribunal qui représen-
tait la souveraineté du peuple romain. Le juge , l'arbitre,
les récupérateurs , par délégation de la loi et du magis-
trat combinée avec le choix des parties, formaient les
jugements privés, soit à Rome, soit dans les provinces.
Les récupérateurs, branche accessoire et complémentaire
de l'organisation judiciaire à Rome, constituaient dans
les provinces la branche principale, par rapport aux ci-
toyens et aux provinciaux , et se liaient à la grande in-
stitution du Conventus ou des assises périodiques.
2° A l'égard de la compétence ,
Au tribunal souverain des centumvirs ressortissaient
les questions d'état et de famille , les pétitions d'hérédité
légitime ou testamentaire, et les plaintes en testament
inoffîcieux , les revendications et autres actions réelles du
droit civil , applicables surtout aux immeubles romains.
— Au juge et à 1' arbitre appartenaient en commun les
actions prétoriennes, réelles ou personnelles , les actions
personnelles nées des contrats ou comme des contrats
(ex variis causarum figuris), les actions, réputées mixtes,
en partage de succession , de copropriété ou de limite
incertaine , les actions réputées arbitraires \ et ces diffé-
rentes actions s'attachaient à la compétence spéciale du
juge , quand elles étaient de valeur certaine ou de droit
strict; à celle de l'arbitre, quand elles étaient de va-
leur incertaine ou de bonne foi. — Enfin aux récupé-
rateurs étaient attribuées les matières possessoires ou la
plupart des interdits , les actions en dommage , en con-
cussion , et les actions utiles in fcutum , sauf les attribu-
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. V. 347
lions plus larges établies en faveur des Récupérateurs dans
les provinces.
La compétence des tribunaux ou des juges était donc
déterminée par la nature même des actions ou des
INTÉRÊTS A JUGER ; principe éternel de droit et de rai-
son , sur lequel s'appuie la théorie générale de la com-
pétence ^^.
Nulle part, dans ses Commentaires, Gains n'a donné
la description de l'ordre judiciaire des Romains; nous ne
possédons plus son Commentaire sur la Loi des XII Ta-
bles, où peut-être il expliquait cette savante organisa-
tion ; et cependant c'est encore à sa lumière, et à celle de
Cicéron qui se répand sur tant de choses , que nous
avons tâché de coordonner les divers éléments de la Jus-
tice civile , et de rendre à chaque branche de l'institu-
tion ses attributions ou sa compétence.
Gains , en effet, a distingué les trois grandes classes des
actions in rem , in personam , in factum , qui se distri-
buent entre les différentes branches de l'organisation
judiciaire.
Or , quand il a parlé des actions réelles du Droit civil,
vindicationes , il a mis en regard de ces actions le tri-
bunal des Centumvirs^''.
56 C'est le principe sur lequel repose en partie notre système judi-
ciaire. La compétence des tribunaux civils, des juridictions commer-
ciales , des justices de paix , des tribunaux administratifs , est fondée
sur la nature différente des intérêts civils , des affaires commerciales,
des matières possessoires, des matières administratives. (Les justices
de paix sont le moins fidèles à ce principe , par l'extension donnée à
leur juridiction sur les actions purement personnelles. )
37 Gaius, IV. § 16 : In centuraviraiibus judiciis.
348 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
Quand il a parlé des actions personnelles, condidiones ^
il a mis en regard le Judex^* ; — et l'on sait que l'Arbitre
n'est qu'un juge pour les obligations de faire, pour les
obligations de bonne foi.
Enfin, quand il a parlé des actions in factum, actions
personnelles qui se distinguent des autres par la cause
qui les produit et la formule qui les exprime , il a mis
en regard les Récupérateurs, dont Cicéron, d'ailleurs,
et Gains lui-même ont marqué la compétence en matière
de possessions^.
V. — Entre ces différentes branches de l'institution
judiciaire, il n'y avait pas de hiérarchie, de degrés de
juridiction , de recours en appel proprement dit. L'appel
au peuple, dans les Comices, n'était relatif qu'aux juge-
ments en matière criminelle. Toutefois, dans le tribunal
des Centumvirs, qui représentait le peuple, il y avait un
recours possible d'une Section à deux ou plusieurs Sec-
tions réunies; et ce recours soumettait une cause à l'é-
preuve de plus d'un jugement. La sentence rendue par
deux ou (juaire Sections prenait la dénomination propre
et indicative de duplex judicium , quadruplex judicium^^ .
Les Magistrats égaux en pouvoir, comme les Con-
58 Gaius, IV. §§ 47. 104. 107.
59 Gaius, iv. § 46 : « Cseteras (formulas) in factum vocamus in
quibus iuitio formulas , nominato eo quod faslum est.... nam in eo
ita est : Reguperatores sunlo...., etc. »
60 II y a controverse sur ce point d'érudition, savoir si la qualiflca-
tion vient du nombre des jugements rendus, ou du nombre des sec-
tions réunies. La deuxième solution nous paraît plus conforme à la
raison , et le bon sens l'a établie par l'appel et d'autres recours dans
les institutions judiciaires anciennes et modernes.
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. V. 349
suis , les Préteurs urbain ou pérégrin , avaient le veto
par rapport à leurs actes respectifs ; et ce droit , appliqué
aux actions judiciaires, était appelé droit d'intercession.
Ainsi Verres , préteur de la ville , trouvait obstacle à ses
injustices dans l'intercession habituelle de L. Pison, pré-
teur des étrangers ; et Jules César nous montre le pré-
teur Cœlius Rufus plaçant son tribunal auprès de celui du
préteur de la Ville C. Tribonius, pour recevoir plus faci-
lement les réclamations des débiteurs qui en appelleraient
à son intercession : si quis appellasset ®^ Le droit
d'iNTERCESSiON appartenait également aux Tribuns, qui
pouvaient s'opposer devant le magistrat à la continuation
du litige, et faire ainsi renvoyer l'affaire à une époque
où le magistrat qui donnait le juge ne serait plus en
exercice. Le veto ne pouvait être opposé qu'au magistrat ,
et par le tribun présent à l'injustice commise. Les Tri-
buns étaient sans force, quand le litige était engagé
devant les centumvirs ou les autre juges. Ils n'avaient,
au surplus, leur droit d'intercession que dans Rome et
à un mille autour de Rome ^^. Les Judicia Légitima
61 Cic, de Leg. : Par majorve potestas plus valeto.
In Verr.,i. 46 : Piso multos codices implevitearum reriim inquibus
ita intercessil , quod iste (Verres) aliter atque ut edixerat decrevisset.
— In aequitate prudentiaque Pisonis paratissimum perfugium.
J. Cœsar. , de Bello civili , m. 20 : lisdeni temporibus Roniae Cœlius
Rufus praetor, causa debitorum suscepta , initio magistratus tribunal
suumjuxtaC. Trebonii urbani sellam coUocavit; si quis appellasset
de œstimatione , et de solutionibus quœ per arbitruni fièrent , ut
Cœsar praesens coustituerat , fore auxilio poUicebatur.
62 Aulu-Gell., XIII. 12 : Tribuni , antiquitus creati , videnturnon
juri dicundo , nec causis querelisque de absentibus noscendis , sed
iNTEBCESsiONiBUs FACiENDis quibus prœseutes fuissent, ut injuria
quae coram fîeret arceretur. (V. Walter, Proc. des Rom., eh. 8, p. 96.)
350 LIV. 1. — ÉPOQUE ROMAINE.
auxquels les tribuns opposaient leur veto reprenaient
leur cours à l'expiration des fonctions du tribun oppo-
sant; ils se soutenaient par l'autorité de la Loi; tandis
que les jugements récupératoires, ou les autres litiges
qui étaient subordonnés à Yimperium du magistrat, à
la durée de sa magistrature, pouvaient long-temps, et
même complètement , rester sans solution , par l'oppo-
sition tribunitienne. En effet, si l'opposition se mainte-
nait pendant l'année assignée au pouvoir du préteur,
tout était arrêté : le pouvoir annuel du magistrat ces-
sant, il fallait recommencer la procédure devant son
successeur; or, elle ne pouvait arriver à solution, si
d'autres tribuns usaient encore de leur droit de veto et
reprenaient l'opposition de leurs prédécesseurs. — La
force et la garantie des jugements ou instances légitimes
étaient donc bien plus grandes , à Rome, que celles des
litiges soumis à la compétence des récupérateurs, et que
celles des autres procédures appuyées, non sur la Loi,
mais seulement sur le pouvoir du Magistrat ^^.
63 Gaius, iv, ^§ 105—106. Ces judicia étaient désignés sous cette lo-
cution, quœ imperio conlinenlur. Tous ceux qui n'étaient pas ^égt7irncs
étaient appuyés seulement par le pouvoir du magistrat. Cette diffé-
rence tenait sans doute à l'origine même de ces institutions. Les juge-
ments légitimes avaient leur origine dans la Loi des XII Tables; les
jugements récupératoires , ou autres semblables , avaient pris nais-
sance dans la Coutume; l'usage s'était établi sous la protection du
magistrat , et l'exercice du droit était attaché spécialement à cette
protection. Quand cette protection n'était plus possible par l'expira-
tion même de la charge annuelle du magistrat, le droit restait sans
force et sans appui. Par jugement ici, l'on ne doit pas entendre la
chose jugée , mais la poursuite en justice ou l'instance commencée.
CHAP. V, DROIT PRÉTORIEN. SECT. V. 351
§ 2. — PBOCÉDURE OEDINAIKE SOUS LA LOI DES XII TABLES
ET LE DROIT PBÉTOBIEN.
I. — AcTioNES LEGis — Les actions de la Loi étaient
tout-à-fait distinctes des actions réelles et personnelles ,
dont nous avons déterminé la nature et les principales
subdivisions à l'occasion de la compétence. Elles consti-
tuaient la mise en action de la Loi des XII Tables , ou la
forme de procéder : quœ ad leges actionem pertinent , disait
Gains; qttœ formam agendi continent, disait Pomponius®*.
C'était , en langage moderne, un Code de procédure mis
à côté d'un Code civil.
Les actions de la Loi avaient été créées, après la Loi
des XII Tables , par le Collège des pontifes , ou par les
jurisconsultes patriciens, qui avaient aussi rédigé des
FORMULES accessoires à chaque action. Cette union de l,a
forme de procéder et de la formule accessoire était com-
prise dans la notion des actions légitimes, qu'il ne faut
pas confondre avec les actes légitimes, tels que l'adop-
tion , l'émancipation , la dation de tuteur, l'adition d'hé-
rédité®^. C'est principalement par les formules accessoi-
64 Gaius, IV. § 4. Pomponius, de Orig. Jur., § 12.
65 Deinde ex his legibus eodem fere tempore actiones compositœ
sunt, quibusinter se hommes disceptarent; quas actiones , ne populus
prout vellet institueret, certas solemnesque esse voluerunt; et appel-
laturhsec pars jurisLegis Actiones, id estLEGiTiM^ actiones. {Pomp. ,
de Orig. Jttr., § 6. ) — Actus legitimi.... veluti mancipatio, accep-
tilatio, hereditatis aditio, servi optio , datio tutoris.... Ces actes légi-
times n'étaient susceptibles ni de terme, ni de condition. (D., de Reg.
Jur.^ 1. Lxxvii. Papin. — D. xxx. 1. 5. Servi electio. Paul.)
La question des actes Ugilimes avait divisé Hotman et Cujas. — Gra-
vina s'était rangé du côté de Cujas, et avait très-bien établi la distinc-
tion à faire. ( Gravina^ de Jur. nal. gent., elXII Tab., ch. lxxix. )
352 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
res que les patriciens retenaient les plébéiens dans leur
dépendance : seuls ils fixaient, comme pontifes, ou con-
naissaient les Fériés et les jours Fastes (Dies fasti), jours
de justice et d'affaires; et seuls ils déterminaient ou con-
naissaient les mots sacramentels des formules légitimes.
Le censeur Appius Claudius Cœcus avait rédigé, au
V® siècle , le tableau des Fastes et le recueil complet des
Formules; son secrétaire, Cn. Flavius, livra au public
les formules, et exposa les fastes autour du Forum [448],
peut-être de l'avis même du Censeur^®. Cette publication,
connue sous le nom de droit civil flavien , fut la cause
d'une grande joie pour le peuple , qui récompensa Cn.
66 Postea cum Appius Claudius proposuisset et ad formam redigisset
bas actiones.... ( De Orig. Jur., § 7. Pomp. )
Cujas a proposé de lire ad formulam. — Le sens l'indique; Van-
Leuwen s'est trompé en critiquant Cujas. ( De Orig. et Prog. Jur. civ.,
cum notis Vinnii. 1671.) Il ne peut être question ici , au surplus , d'Ap.
Claudius le décemvir , mais d'Appius Claudius C^cus , dont parle Tite-
Live (IX. 29. 46), et que Pline indique positivement. ( xxxiii. 1. )
Cicéron , dans le discours pro Murena ( ii. 1. 10. p. 218 ), et dans l'é-
pître à Atticus*(vi. 1. tom. 19. p. 121), donne au sujet de Cn. Flavius
des renseignements précis. Atticus les avait révoqués en doute ; Cicé-
ron en rétablit la vérité par la tradition. — Pline l'Ancien exclut toute
idée de supercherie, de la part de Cn. Flavius, dans la publication des
Fastes ; il dit que la publication fut faite à l'invitation d'Appius , cujus
hortatu. (xxxiii. 1. ) Les expressions de Tite-Live semblent d'accord
avec ce fait : Fastos circa forum in al.bo proposuit. (ix. 46.) Du reste,
un passage de Valère-Maxime dit bien clairement que la divulgation
porta sur les fastes et sur les formules du droit civil : « Jus civile per
multa secula inter sacra , ceremoniasque Deorum immortalium abdi-
tum , solisque pontificibus nolum , Cn. Flavius , libertino pâtre geni-
tus , et scriba , cum ingenti nobilitatis indignatione factus sedilis cu-
rilis, vulgavit, et fastos pêne toto foro exposuit. » (ii. 5. )
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. V. 353
Flavius, le fils d'un affranchi, par le tribunal et l'édilité
curule, et causa en même temps une grande douleur à la
noblesse patricienne et aux sénateurs , qui , dans leur in-
dignation, jetèrent loin d'eux leurs anneaux®'^. Les patri-
ciens se ravisèrent cependant ; et pour rendre leur inter-
vention nécessaire dans toutes les affaires , dit Cicéron ,
ils composèrent des formules nouvelles , indiquées seule-
ment par des signes abréviatifs {notas quasdam composue-
runt). Un siècle après, vers 552, les formules mystérieu-
ses furent expliquées, produites au grand jour et augmen-
tées sous le nom de droit ^lien, par un patricien, Sextus
^lius, que le plus ancien poète des Romains célébrait
comme un homme de science et de noble cœur ^*.
Ainsi , les actions de la Loi , formes de procéder peu
nombreuses , ne doivent pas être confondues avec ces
formules accessoires qui furent sjiccessivement appelées
Droit civil Flavien , Droit JEiien , formules qui étaient
appropriées aux termes de la Loi des XII Tables, comme
le dit Gaius , et conçues d'une manière générale et per-
manente pour les affaires d'un certain genre ^^.
C'est dans le choix que devait faire le plaideur de la
67 Quo facto tanta senatus indignatione exarsit, ut annulos ab eo ab-
jectes fuisse, in antiquissimis reperiatur annalibus. (P/m. , Hisl.
nal., XXXIII. 1. )
68 Egregie Cordatus, homo catus OElius Catus. [Ennius, poêla. )
Sextum OElium etiam Ennius laudavit. ( Pomp., § 38. )
69 Hic liber qui actiones continet appellatur Jus civile Flavia-
KUM Augenti civitate, quia deerant quœdflwi gênera agendi , Sextus
JEÏius alias actiones coniposuit et librum populo dédit qui appellatus
Jus OElianum. ( Pomp.^ § 7. )
Ipsarum legum verbis accommodataï erant etideo imniutabiles,
proinde atque leges observabantur. ( Gaius, iv. § 11- )
T. I. 23
S54 LIV. I, — ÉPOQUE ROMAINE.
formule applicable à sa demande que se trouvait le dan-
ger : s'il se trompait d'un mot , s'il n'employait pas tous
ceux de la formule sacramentelle arrêtée d'avance, il per-
dait son procès devant les tribunaux ou les juges, pris
exclusivement dans l'ordre des patriciens '^*'. Pour éviter
l'erreur, le plébéien, le client était nécessairement con-
traint de recourir aux patriciens , auteurs et dépositaires
des formules.
Les actions de la Loi sont indiquées au nombre de
cinq : on agissait par Consignation , par Demande de
juge, par Dénonciation au magistrat, par Main-mise,
par Saisie de gage ; ou , pour employer les termes tech-
niques, d'après Gaius (iv, § 12), on agissait sacra-
3IENT0 , PER JUDICIS POSTULATIONEM , PER CONDICTIO-
NEai, PER MANUS IINJECTIONEM , PER PIGNORIS CAPTIONEM.
Cette dernière action , la saisie de gage , était un pro-
cédé extrajudiciaire, appliqué d'abord à la garantie du
citoyen qui avait vendu une victime pour les sacrifices ,
contre l'acheteur qui ne l'avait pas payée ; garantie éten-
due, depuis, au soldat pour le paiement de sa solde (sti-
fendium) , aux publicains pour le paiement des revenus
publics. Cette saisie avait lieu hors de la présence du ma-
gistrat, et souvent en l'absence de l'adversaire, même dans
les jours néfastes : c'était donc improprement, comme le
dit Ga'us , qu'elle avait été quaUfiée action de la Loi''*.
70 Gaius, IV. § 30 : Namque ex nimia subtilitate veterum qui lune
jura condiderunt , eo res perducta est ut vel qui minimum errasset, li-
tem perderet.
71 Gaius, IV. §§ 12. 29 : Quibusdam non placebat, primum quod
pignoris captio extra jus peragebatur, id est non apud prsetorem, ple-
rumque etiam absente adversario.... prœterea nefasto quoque die , id
«st, quo non licebat lege agere, pignus capi poterat
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. V. 355
Restaient les quatre actions qui formaient , avec l'a-
journement en Justice et le Vadimonium , l'ensemble de
la procédure suivie , soit lu Jure , devant le magistrat ,
soit in Judicio , devant les centumvirs , le juge, l'ar-
biti'e , les récupérateurs. Nous allons en marquer ici le
caractère et le mouvement.
Tout procès, dans les premiers temps de la Loi des
XII Tables, commençait par la Vocatio in Jus ou l'ajourne-
ment. Cétait une sommation verbale, que le demandeur
faisait à son adversaire de le suivre au tribunal du Con-
sul ou du Préteur. S'il y avait refus , ou tentative de
fuite , le demandeur prenait des témoins , saisissait l'ad-
versaire , le conduisait de force devant le magistrat '^^.
Pour éviter cette comparution forcée, le défendeur pou-
vait offrir un représentant , vindex , qui assumait le pro-
cès sur sa tête. Le riche servait de répondant au riche ,
au prolétaire tout citoyen '^^. Celui que la maladie ou
l'âge empêchait de marcher au tribunal , y était trans-
porté par les soins du demandeur. Le défendeur ne pou-
vait être arraché de sa maison ; le domicile du citoyen
était inviolable : do3ius tutissimum cuioue refugium
ATOLE RECEPTACLLU3I ^*.
72 « Si m JUS vocat , ni it , amestatob ; igitub em capito. »
(Tafe. I. 1.) — Cic, deLegib., ii. 4. — Aulu-Gell., xx. 1.
73 « ASSIDUO VINDEX ASSIDUUS ESTO ; PKOLETARIO QUOIQUIS VO-
» LET, VINDEX ESTO. » ( Toft., I. 4.)
Le l'index n'était pas un simple fidéjusseur promettant que le défen-
deur se représenterait.— (Foir M. Bonjean, Trailè des Actions, § 192.)
74 Gains , ad Leg. XII Tab. : Plerique putaverunt nullum de dorao
sua in jus vocari licere : quia domus tutissimum euique refugium
atque receptaculum sit; eumque qui indeinjus vocaret vim inferre vi-
deri. (D., ii. 4. 18.) — Même règle sous Tédit du préteur : Nea:o de
domo sua extrahi débet. {De Reg. J. 103 , Paul, ad ediclum.)
356 LIV. 1. — ÉPOQUE ROMAINE,
La violence empêchait quelquefois l'effet de cette ci-
tation par main -mise personnelle; le citoyen conduit au
tribunal était délivré par ses amis ; mais , pour éviter ces
luttes de vive force , le préteur accorda une action pé-
nale contre celui qui enlevait , par violence , le défendeur
conduit en justice''^.
La Vocatio in Jus était applicable , avec sa rudesse primi-
tive, à toutes les classes de personnes. Il y avait unité
dans le principe qui imposait au demandeur lui-même
l'obligation de traduire le défendeur devant le magistrat
sans l'intervention d'un officier public, et il y avait d'a-
bord uniformité dans l'application. Les édits du préteur
apportèrent quelques modifications pour certaines per-
sonnes, les ascendants , les patrons , les ascendants et les
enfants des patrons , lesquels ne pouvaient être appelés
en justice qu'avec l'autorisation du magistrat; exception
d'honnêteté publique , étendue au droit des provinces"^®.
L'action de la loi fer condictionem, comme nous le verrons
bientôt , put dispenser de la forme primitive pour un cer-
tain genre d'affaires, et l'usage introduisit la stipulation,
entre parties, de se présenter à jour fixe devant le magis-
trat ou le juge.
75 C'était l'action de vi non eximendo in jus vocatum. {Tnst.
Just., IV. 6. 12, et D., II. 7.)
76 Ait praetor : « Parentem , patbondm , patbonam , ltbebos ,
PABENTES PATBONI , PATRONNE , IN JUS SINE PEBMISSU MEO, NE QDIS
vocet. (D., II. 2. 4.)
L'empereur Alexandre ajouta aux personnes exceptées l'épouse du
manumisseur [an 231]. ( Cod. Just , ii. 2. 1. )
Nec in ea re rusticitati venia praebeatur, cum nalurali ratione ho-
nor hujusmodi personis debeatur. {Gordianiis [an. 240]. Cod. Just.,
II. 2. 2.)
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. V. 357
Cette promesse de comparution était comprise sous le
mot de A'ADiMOMUM , et pouvait être faite au moment où
le demandeur ajournait verbalement le défendeur. Le Ya-
dimonium avait lieu aussi devant le magistrat, quand l'at-
faire était remise à une autre audience : dans l'un et l'au-
tre cas , il y avait obligation de comparaître au jour indi-
qué'"'.— La promesse était faite ou purement et simple-
ment, ou avec caution, ou par serment, ou avec nomi-
nation de récupérateurs chargés de condamner, de suite,
au paiement de la somme convenue celui qui ferait défaut.
L'obligation du Yadimonium était-elle pure et simple ou
sans détermination de somme? Le magistrat condamnait
à des dommages et intérêts ; mais la condamnation ne
pouvait dépasser en valeur la moitié de la demande ou la
somme de cent mille sesterces"^. S'il s'agissait, cepen-
dant, de l'action Judicati, Depensive , c'est-à-dire s'il y
avait obligation née d'un premier jugement ou d'un paie-
ment fait au nom du défendeur par un sponsor, la peine
du Yadimonium pouvait égaler la valeur même du litige
79
77 Le premier cas est indiqué dans Cicéron , sous le nom de vadi-
monium (pro Quinlio, xiv. ), et dans les lois du Digeste, comme
stipulation ou promesse faite injudicio sislendi causa. (Z)., ii. 5 et 6.)
Le second cas est seul compris dans l'explication que Gaius donne
du vadimonium , iv. §§ 184 et suiv.
78 Cum quis injudicio sisti promiserit, neque adjecerit pœnam , si
stalus non essel , incerti cum eo agendum est in id quod interest ,
verissimum est , et ita Celsus quoque scribit. ( D., ii. 5. 3. Ulp. )
Pour les autres dispositions , Gaius , iv. §§ 186-187. — Cependant ,
sur le chiffre des sesterces , il y a quelque incertitude , d'après l'état
du manuscrit de Gaius ( édit. Lachmann , p. 414, note 14.) — M. Bon-
jean a adopté le chiffre de 50,000 sesterces (i. p. 458). Les 100,000
H. S. font 21,000 fr.
79 Et si quidem judicati depensive agetur, tanti fiet vadimonium
quanti ea res erit. . . pro quo sponsor dependisset. {Gaius, iv. § 186. § 22.)
â5S LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
Lorsque la partie ne comparaissait pas devant le ma-*
gistratau jour marqué, le Vadimonium était dit aban-
donné, et une mesure de rigueur, l'envoi en possession
des biens , pouvait être réclamée par le demandeur et
prise par le magistrat, après un délai de trente jours *^. —
De même , quand un citoyen se cachait par esprit de
fraude , pour échapper à l'ajournement, ou lorsqu'il était
absent et non représenté par un procurateur ou par uii
citoyen honnête, arbitratu boni viri, l'édit du préteur,
après trois avertissements publiés de dix jours en dix
jours , ordonnait l'envoi en possession. Si la saisie des
biens n'était pas attaquée par une opposition personnelle
du défendeur, et si une procédure nouvelle n'était pas
engagée sur sa validité , la vente publique , qui empor-
tait la note d'infamie, pouvait avoir lieu après une pos-
session de trente jours ^*.
80 Cic, pro Quintio : Vadimonium ait esse desertum... ad vadimo-
nium non venit. (Cap. 14-16.) ... Postulaturus eras quando? Post dies
XXX. (Cap. 26.) El... absenti omnia fortuuarum suarum, omnia vitae
ornameuta per summum dedecus et ignominiam deripi convenit.
( Cap. 20. ) — Le plaidoyer de Cicéron pour Quintius est le plus ancien
de ceux qui nous ont été transmis. Il fut prononcé par Cicéron, âgé de
\ingt-six ans, en 673, devant un juge et trois assesseurs. —Il est très- •
précieux pour ta procédure romaine , et spécialement pour le vadimo-
nium et les représentants des absents.
81 Recita edictum : Qui fraudationis causa latitabit. Cui
HERES NON EXSTABIT. QUI EXSULII CAUSA SOLUM VERTERIT. QUI AB-
SENS jUDicio DEFENSUS NON FUERiT... ( Ex cdicto prœtoris , bona
possideri. ) Hic constat procuratoris diligentis oflicium. Debere
tibi Quintium (absentem) : procurator negat. Vadari vis : promittit.
în jus vocas : sequitur. Judicium postulas : non récusât. Quid aliud
sit absentem defendendi , ego non intelligo. At quis erat procurator ?
— Eques Romanus locuples , sui negotii bene gerens. ( Clc, pro Quin-
llo , XIX. ) — C'est sur une opposition à un envoi en possession , à une
saisie des biens, qu'a porté la cause de Quintius.
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. V. 359
La Vocatio in Jus étant accomplie et les deux par-
ties étant présentes devant le magistrat, alors avait lieu
la procédure par les actions de la Loi.
l^'Le SACRAMENTUM coustituait la forme générale de
procéder, dans toutes les contestations auxquelles n'é-
taient pas attachées des formes spéciales. Cette forme
était obligatoire pour toutes les causes Centumvirales ;
et même quand la loi iEbutia et les lois Julise, dont
nous parlerons bientôt, eurent aboli les actions légiti-
mes, elle fut encore suivie dans les causes portées au
tribunal des Centumvirs. — Cette action de la Loi pou-
vait s'appliquer aux obligations personnelles , mais seule-
ment comme mode facultatif, car on était libre, en ce
cas, de procéder par la Demande de Juge ^^.
Le Sacramentum consistait dans la provocation ré-
ciproque des parties au paiement , à titre pénal , contre
celle qui succomberait, d'une somme de cinq cents as,
pour les valeurs de mille livres d'airain ou plus; de cin-
quante as , pour les valeurs moindres ou pour la vendi-
cation en liberté, causa liberalis ^^. L'argent était consa-
cré, dès l'origine, aux sacrifices publics : de là le nom
de Sacramentum^^. La somme destinée aux sacrifices
était versée au Trésor. D'après Varron , la consignation
82 Gaius , IV. §§ 13. 20 : Sacramenti actio generalis erat Quum
de eo quod nobis dari oportet , sacramento aut per judicis postula-
tionem
83 Gaius, IV. § 16 : iERES sacramento te provoco similiter
EGO TE.
84 « Sacramenti autem nomiue id aes dici cœptuni est quod et prop-
ter aerarii inopiam et sacrorum piiblicorum multitudinem consumeba-
tur id in rébus divinis. » ( Feslus , «» sacramentum. )
360 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
réelle était préalablement exigée; du temps de Gaius,
des cautions suffisantes (prœdes) étaient fournies entre
les mains du préteur, jusqu'à la décision du litige *^. Le
magistrat donnait ensuite le Judicium , c'est-à-dire ren-
voyait les parties devant le tribunal des centumvirs,
devant le juge, l'arbitre ouïes récupérateurs, selon la
nature de la cause; et les juges désignés étaient saisis
de la connaissance du litige*^. Il n'y avait pas, d'après
la Loi des XII Tables, de formule donnée par le Magis-
trat. Celui-ci renvoyait devant le juge, mais n'indiquait
pas de quelle formule spéciale le demandeur devait user :
« Pr^tor is QUI jUDiciA DAT, dit Cicérou, nunquam pe-
TITORI PR^STITUIT QUA ACTIONE ILLUM UTI VEUT ^^. »
La partie choisissait , à ses risques et périls , la formule
légitime établie d'avance, pour en faire l'application à
la cause; et, s'il y avait erreur dans le choix de la for-
mule ou son application, la cause était perdue. Gaius
donne l'exemple de la perte d'un procès sur des cep? de
vigne, de vilibus succisis , parce que le mot vites avait été
employé au lieu d'arborés, seul mot contenu dans la Loi
des XII Tables , et qui devait se retrouver aussi dans la
formule légitime.
85 Varro, de Ling. lat., iv. 36 : Ea pecunia quœ in judicium venit
in litibus, sacramentum a sacro.. . qui judicio vicerat suuni sacra-
mentum e sacro auferebat; sacramentum victi ad œrarium redibat.
Gaius, IV. § 13 , dit : Prœdes eo nomine prœlori dabanlur.
§ 16 : « Praedes ipse praelor ab utroque accipiebat sacramenti. »
Du temps de Gaius , le sacramenlum existait toujours pour les cau-
ses centumvirales ; mais la réalité de la consignation avait été rempla-
cée par le cautionnement.
86 Prœtor decernit....'jubet.... ( Cic, pro Quinlio, cap. viii. )
87 Cic, pro Caecina, eap. m. tom. 8. p. 428.
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. V. 361
2® La seconde action de la Loi , judicis postulatio ,
s'appliquait principalement aux obligations personnelles.
Dans Tune et l'autre forme de procéder, il y avait de-
mande de juge; mais, dans la première, il y avait une
consignation qui augmentait le péril du procès ; dans la
seconde , il n'y avait pas consignation : aussi le Sacra-
mentum était indispensable dans les matières de la com-
pétence centumvirale , qui embrassait les grandes ques-
tion d'état, de domaine quiritaire et d'hérédité, tandis
que la judicis postulatio, purement applicable aux actions
personnelles, prétoriennes, possessoires et in fadiim, ser-
vait d'introduction aux litiges devant le juge, l'arbitre, les
récupérateurs, et non devant les Centumvirs. La forme
de procéder par Consignation était générale ; la forme de
procéder par Demande déjuge était spéciale : et pour des
juges, de compétence tout à fait distincte, il y avait,
ainsi , deux formes distinctes de procéder , sous la Loi
des XII Tables. — L'une et l'autre devaient être précédées
de la Vocal io in Jus ^^.
3" L'action de la Loi , appelée condictio , ne prove-
nait pas de la Loi des XII Tables, mais de Lois posté-
rieures, la loi siLiA, qui l'avait créée pour toute demande
de sommes déterminées, la loi calpurma, qui l'avait
appliquée à toute demande d'un objet déterminé, et par
conséquent de la compétence du Judex^^. Le demandeur
88 II y a lacune dans Gains sur la judicis postulatio (§ 15); mais
nous tirons notre explication de la combinaison du § 20 avec d'autres;
et cette explication est tout-à-fait en harmonie avec la distinction des
compétences.
89 La loi Silia est d'une date incertaine , mais antérieure par son
objet à la loi Calpurnia , dont la date est reportée par Haubold et
M. Blondeau à l'an 520.
362 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
faisait dénonciation au magistrat, et il devait ensuite
intimer à son adversaire la dénonciation par mode so-
lennel, et l'assigner publiquement'^'^. Il obligeait ainsi le
défendeur à se présenter dans les trente jours devant le
tribunal, pour recevoir un juge. De là, ditFestus, condi-
eere est dicendo denuntiare : condictio est in diem certum ejus
rei quœ agitur denmiciatio. Cette action de la Loi paraissait
superflue à quelquesjurisconsultes, comme nous l'apprend
Gains ; car il existait déjà une forme générale et une pro-
cédure spéciale pour demande de juge®*. Mais il y avait
ici cette différence essentielle, que la Condictio n'était
pas précédée de la vocatio in Jus, et qu'elle en tenait
lieu : elle évitait donc la violence possible du deman-
deur sur la personne du défendeur ou le Yadimonium.
Cette cause, bien suffisante pour motiver son introduc-
tion dans la procédure, postérieurement à la Loi des
XII Tables et vers le vi® siècle , Fa maintenue dans le
droit des époques postérieures jusqu'à Justinien , avec
des modifications de formes ou de délais , et avec des
restrictions indiquées , selon la nature des intérêts en
litige®^.
90 Actor, seu petitor reo litem adversario suodenunciare, inlimare
debebat et solemni more, per publicam conventionem. Golhof. Para-
tilL, Cad. Th., lib. ii. 4. (Tom. 1. p. 110. RiUer.)
91 Gaius, IV. §20 : Quare autem haec actio desiderata sit, cum
de eo quod nobis dari oportet potuerimus sacramento aut per judicis
postulationem agere , valde quaeritur.
92 L'usage se maintint , après la suppression des actions de la loi ^
que le demandeur, pour toutes les causes civiles , indiquât solennel-
lement , par dénonciation au défendeur, un jour certain , ut diem cer-
tum condicerct. Les délais étaient de quatre mois , si le fisc intimait un
particulier ; de six mois , si un particulier agissait contre le fisc— Les
CHAP. V, DROIT PRÉTORIEN. SECT. V. 363
4* Les trois actions de la Loi que nous venons d'indi-
quer sont les formes de procéder établies pour obtenir
jugement; la quatrième, manus injectio, est la forme
ou procédure d'exécution.
La Loi des XII Tables n'autorisait cette main-mise sur
le débiteur que pour chose jugée ®^. Celui qui avait ob-
tenu la sentence, rappelait la condamnation : ob eam
REM EGO TIBl PRO JUDICATO MANUM INJICIO. Puis il Sai-
sissait le débiteur; et il n'était pas permis au condamné
de repousser la main du saisissant, et d'exercer action
selon la Loi. Il devait donner un répondant (vindex) qui
avait coutume d'agir pour lui. Le débiteur qui ne pou-
dénonciations solennelles et les longs délais furent modifiés par Con-
stantin, en 319. {Cod. Theod., de Denunliaiion. vel edict. resçripli ,
L. II. tit. 4.) — En 406 , les empereurs Honorius , Arcadius et Théo-
dose supprimèrent la dénonciation dans sept espèces de causes , qui
furent soumises à une simple citation avec délais :
1" L'argent dû par fœnus , muluum ou par obligation iillérale ;
2o Les fidéicommis ;
30 Les interdits ;
40 La plainte d'inofficiosité ;
50 L'action de tutelle ;
6° L'action negoiiorum gestorum;
70 Les causes civiles d'un intérêt modique , c'est-à-dire n'excédant
pas la somme de cenlum solidorum.
Cod. Th., II. 4. 6. (Vide Comment. Golh., tom. i. p. 120, et Perezius,
ad Insl., IV. 6. 1 .) — Il ne faut pas oublier que les sept causes ci-dessus
sont indiquées long-temps après le changement de l'organisation judi-
ciaire introduite par Dioclétien , et après la suppression des actions de
la loi. Aussi, dans la suppression de la dénonciation , on mentionne
une cause qui appartenait à l'action de la loi sacramenlum , la plainte
d'inofjiciosilé qui était portée devant les centumvirs , selon l'ancienne
organisation. — Honorius permit la simple citation dans les procès
concernant l'Église. (Cod. Théod., id. , L. 7.)
93 Gaius , IV. §§21. 22. 24 , pro judicato.
364 LIV. 1. — ÉPOQUE ROMAINE.
vait l'offrir était conduit et enchaîné dans la maison du
créancier.
Des lois postérieures étendirent à d'autres causes la
Manus injectio : ainsi , la loi Marcia l'autorisait contre
l'usurier, quand le débiteur agissait en restitution^*;
mais , dans ces autres causes , il était permis de repous-
ser la main-mise. — A l'action exercée seulement pro
judicato était attaché le privilège d'obéissance passive.
L'autorité de la chose jugée couvrait du respect qui lui
était dû la main du créancier exerçant la contrainte par
corps. — Lorsque le débiteur condam.né voulait satisfaire
au paiement de la condamnation , soit avant , soit après
la saisie personnelle, l'acquittement de la dette se faisait
par la forme générale de la mancipation^^. Le paiement
pouvait se faire par le condamné ou par un tiers interve-
nant. Ainsi, d'après Tite-Live, nous avons vu Manlius
acquitter per œs et libram la dette d'un citoyen que son
créancier conduisait en prison®*^.
94 Gaius , iv. § 23 : Sed aliae leges ex quibusdam causis constitue-
runt quasdam actiones per manus injectionem, sed puram, id est pro
non Judicato; velutlexFuria.... item lex Marcia adversus fœneratores
ut si usuras exegissent, de his reddendis per manus injectionem cum
eis ageretur.
95 Quod et ipsum genus certis in causis receptum sit; velut si
quid.... ex judicati causa debitum sit. {Gains , m. § 173.)
96 Tit. Liv., vi. 14. Su^ra , sect. 4, § 2.no iv. p. 148. )
'CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. V. 365
II. — Procédure formulaire. — Les publications
faites successivement par Cn. Flavius et Sextus iElius,
livrèrent au peuple reconnaissant le mystère et la solen-
nité des formules accessoires aux actions de la Loi * . Ces
formules alors cessèrent d'être, pour les patriciens, un
moyen de retenir les plébéiens dans leur dépendance , et
les actions de la Loi cessèrent bientôt aussi d'être l'unique
mode de procéder en justice. La loi iEbutia , dont la date
précise est inconnue, les abrogea même en partie. Ce Plé-
biscite , qui devait être postérieur à l'époque où les for-
mules abrégées furent expliquées au peuple par S. iElius,
et qu'on peut ainsi placer à la fm du vi^ ou au commen-
cement du vii^ siècle, avait plusieurs objets^ : il abro-
geait d'abord certaines dispositions de la Loi des XII Ta-
bles, qui tenaient à l'ordre criminel , comme la peine du
Talion, la recherche du vol , cum lance et licio, la peine
des 25 as pour injure ; il abrogeait aussi des dispositions
de l'ordre civil sur la qualité des cautions ou répondants
en justice {assldui, vades et subvades) ; mais Aulu-Gelle,
qui rappelle ces abrogations partielles, a donné au plé-
biscite un sens trop absolu , concernant les actions de la
1 Cic, pro Murena , ii : Inventus est scriba qui.... et ab ipsis juris-
consultis sapienliam compilant.
2 Haubold , suivi par M. Blondeau , indique la date de 520 comme
probable ; mais il est impossible de l'admettre. Le livre de Sextus
iElius , qui expliquait les sigles et les difficultés des actions de la loi ,
aurait été beaucoup moins utile, si les actions de la loi avaient été
abrogées; et cependant il a pris, dans l'histoire du droit, le nom de
Jus œlianum , qui suppose la pleine activité du système des actions
auquel il s'appliquait. La loi J^butia doit donc être placée après l'an
552, époque du Jus œlianum. Heffter la met au commencement du
vii« siècle. {Observ., p. 23 , et Tabula fonlium. )
366 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
Loi, qu'il a supposées entièrement abrogées, excepté dans
les causes centumvirales ^. Cicéron nous montre des ac-
tions de la Loi suivies, depuis le plébiscite, dans des cau-
ses étrangères à la compétence des Centumvirs*; et Gains
nous représente les deux lois Julise comme ayant concou-
ru, avec la loi iEbutia, à l'abolition des actions delà Loi,
sauf toujours l'exception du jugement des Centumvirs^.
C'est vers le temps de la loi iEbutia , et par conséquent
dans le vii^ siècle, que s'introduisit la Procédure préto-
rienne par les formules, ou ce qu'on est convenu de dé-
nommer le système Formulaire. « Effectum est, dit Gains ,
ut per concepta verba , id est per formulas litigaremus . » Le
Préteur indiquait , dans son Édit, les formules qu'il don-
3 Sed enini quum prolelarii et assidui et sanales (id est , rebelles ad
sanam mentem regressi (Gronov.), et vades et subvades et viginli quin-
que asses, el taliones, furlorumque quœslio cum lance et licio evanuerinl,
omnisque illa XII Tabularum antiquitas , nisi in legis actionibus cen-
tumviralium causarum , lege ^Ebutia lata , consopita sit : studium
scientiamque ego praestare debeo , juris et legum vocumque earum
quibus utimur. {Aulu-GelL, xvi. 10. )
4 Cicéron dit d'une manière générale , in Verr., ii. 16 : Quis un-
quam isto praetore , Chelidone invita, lege agere poluit ? — In
Verr., m. 11 , il indique la pignoris capio. — Ailleurs , il indique la
demande de l'arbitre famiiiœ erciscundœ et de finibus rcgundis , sans
formule prétorienne. — Heffter le reconnaît, p. 19 ; mais il conjec-
ture que les deux actions Judicis poslulalio et Condiclio étaient
abrogées par la loi Jibutia, pure hypothèse détruite par la perma-
nence même de la condiclio , qui a subsisté si long-temps en fait dans
le droit romain, sous son nom ou celui de Denuncialio. — M. Bonjean
n'a pas adopté l'hypothèse de Heffter. (i. p. 411.)
5 Gaius, §§30. 31 : Itaque per legem ^Ebutiam et duas Julias sub-
latae sunt istœ legis actiones.... Les lois Juliœ judiciarise sont attri-
buées , l'une à .Tules César, l'autre à Auguste [ 708-729] , par Haubold.
Heffter croit devoir les attribuer toutes deux à Auguste.
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. V. 367
nerait selon la nature des actions, et ces formules, annon-
cées d'avance par TAIbum prétorien, étaient toujours
composées avec le plus grand soin. Mais le Préteur ne s'en
tenait pas là : les citoyens auraient pu se tromper dans
l'application; et le magistrat, en nommant le juge pour
chaque cause, donnait la formule spécialement assortie
à la prétention du demandeur et aux noms des parties.
La Formule contenait ordinairement trois éléments :
i ° La DEMONSTRATio , qui indiquait principalemejit la
chose dont il s'agissait, comme la vente ou le dépôt d'un
objet dans les contrats nommés , la chose donnée ou le
fait accompli par lune des parties dans les actions prœ-
scriptis verbis qui naissaient des contrats innommés ;
2° L'i>'TE>Tio , qui exprimait la prétention du deman-
deur, soit en droit , soit en fait ;
3" La coNDEMXATio , qui donnait^ au juge le pouvoir
de condamner ou d'absoudre , mais qui , du temps de
Gains, tendait toujours à une somme d'argent.
4" S'il s'agissait d'un partage entre héritiers^ entre as-
sociés ou propriétaires indivis, d'une contestation de limi-
tes entre voisins, la Condemnatio était remplacée par
r ADJUDICATION^.
La formule était arrêtée en présence du défendeur, et
si ce dernier avait une exception à opposer, exception
puisée soit dans les lois, soit dans l'édit du préteur ou
dans une cause de restitution in iategrum'' , elle devait
6 Gaius, IV. §§ 39 et seq.
7 Gaius , IV. § 118 : E.xceptiones autem alias in edicto praetor habet
propositas, alias, causa cognita, accommodât; quœ omnes vel ex le-
gibus, vel ex his quse legis vicem obtinent, substantiam capiunt, vel
ex jurisdictione praetoris proditse sunt.
368 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
être proposée devant le magistrat, qui l'insérait dans la
formule , sous une locution contraire à la prétention du
demandeur : par exemple, si rien n'a été fait far dol ^ s'il
n'y a pas eu promesse de ne pas réclamer. L'exception , jointe
à la formule, rendait la condamnation conditionnelle^.
Les parties n'avaient qu'à présenter au juge la formule
et les exceptions accessoires. Le demandeur y conformait
ses preuves et moyens , le défendeur ses exceptions et dé-
fensQ3. Le juge vérifiait les faits et moyens de part et
d'autre , et , usant du pouvoir de condamner ou d'absou-
dre, il appliquait la formule et rendait le jugement, sans
qu'il y eût retour au Préteur pour cette application.
Mais il y avait une grande exception ou restriction ap-
portée à la procédure formulaire ; nous l'avons indiquée
déjà avec Aulu-Gelle et Gains : elle regardait les causes
Centumvirales.
Depuis la loi iEbutia et les lois Juliœ Judiciarise qui
concouraient à l'abolition de l'ancienne procédure, on
continua d'agir devant les Centumvirs par la consigna-
tion, Sacramentum, l'action de la Loi qui avait le caractère
de généralité®. Ce tribunal, juge des grandes questions
d'état , de propriété quiritaire , d'hérédité , n'avait pas
besoin d'une formule spéciale , qui aurait pu gêner la dis-
8 Gaius , IV. § 119 : « Omnes autem exceptiones in contrarium con-
cipiuntur... Si in ea re nihil de dolo malo factum sit. — Si inter A et N,
non convenit ne ea pecunia peterelur omnis exceptio objicitur
quidem a reo; sed ita formulée iuseritur, ut conditionalem faciat con-
demnationem. »
9 Gaius, IV. § 31 : Et si centumvirale judicium fuerit provocatum,
ideo quum ad centumviros ilur, ante agitur Lege , sacbamento, apud
prœtorem urbanum vel peregrinum. {Vid. Aul. Gell., xvi. 10.)
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. V. 369
cussion des points de droit, la délibération et la sentence.
La Formule prétorienne, qui, dans \?l condamnation , ten-
daità une somme d'argent, était créée en vue des obli-
gations , et non des questions d'état et de domaine qui-
ritaire. Après les décisions du Préteur sur la possession
provisoire, après la consignation ou le cautionnement de
la somme fixée pour le Sacramentiim , les parties portaient
le débat devant les centumvirs, ad centumviros itur.
Des exceptions pouvaient être présentées dans les actions
réelles et les autres causes centumvirales , comme dans
les actions personnelles; mais elles étaient opposées au
demandeur au moment du litige, et devant les Centum-
virs eux-mêmes^ '^. Il y avait aussi des questions préjudi-
cielles que l'on pouvait faire décider avant de former toute
autre action, prœjîidicium postulare ^* -, il y avait même des
PR^JUDiciA que les autres juges devaient d'office laisser
à la compétence des Centumvirs, comme les questions
d'état, de liberté, et celles relatives à la qualité d'héri-
tier*'.
10 Gaius, IV. § 17 : Si fundum litigiosum sciens a non possidente
emeris, euinque à possidenti petas , opponitur tibi exceplio per quam
OMNIMODO SUBMOVEBIS.
11 Gains, ni. § 123. D. xlii. 5. 35. § 2. Zimmern, §§ 53. 69.
12 Zimmern (§ 69. p. 208. note 3), fait observer que le prajudicium
proprement dit est distinct de l'action préjudicielle , et il cite des lois
du Digeste. ( m. 3. 35. § 2. — xliv. 7. 37. ) Mais le prœjudicium sur
la qualité d'héritier est un exemple bien plus précis , puisque rien ne
peut être fait qui puisse préjuger la qualité d'héritier : Quod prœju-
dicium HEEEDITATI NON FIAT OTER ACTOREM ET EUM QUI VENUM-
DEDIT. (D., V. 3. 25. § 17. De Heredil. peliL Ulp. )
Et au titre Familiœ erciscundœ^ Gaius rappelle la même règle : Si
IN EA RE DE QUA AGITUB PRŒJUDICIUM HŒREDITATI NON FIAT. (Z).,
X. 2. 1.)
1. 1. n
370 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
Le système formulaire se trouvait donc renfermé dans
de justes limites. C'était par rapport aux obligations et
actions personnelles naissant des contrats et des délits,
par rapport à la délivrance des legs , à la réparation des
dommages, aux actions réelles prétoriennes et aux ac-
tions in facfum; c'était, en un mot, pour les litiges de
la compétence du juge, des arbitres, des récupérateurs,
toutes choses qui pouvaient se traduire en une question
d'argent comprise dans la condamnation , que les for-
mules étaient d'abord rédigées et données par le Préteur.
Il faut remarquer, toutefois, que le Préteur trouva, par
la suite , le moyen de dégager certaines questions de fait
ou de droit de la gène des formules complètes , pour les
attribuer séparément à l'appréciation du Judex : ainsi , il
inventa des formules préjudicielles qui ne contenaient que
Vinfentio , c'est-à-dire des points de fait ou de droit à dé-
cider, sans condamnation : par exemple , la formule pré-
judicielle par laquelle on demandait quelle était la quotité
d'une dot , ou si quelqu'un était l'affranchi de tel patron ,
et plusieurs autres , dit Gaius'^. — De même, le Préteur
13 Intentio aliquando sola invenitur, sicut in praejudicialibus for-
mulis : qualis qua quœritur aliquis libertus sit , vel quanta dos sit, et
alise complures. {Gains, iv. § 44. )
On peut ne pas être l'affranchi d'un patron , et être l'affranchi d'un
autre. L'état lui-même de la personne n'est pas engagé dans la ques-
tion. — S'il s'agissait d'une question d'ingénuUé élevée par un affran-
chi, elle était portée devant les centumvirs, et , plus tard, devant le
prince, d'après une constitution de Marc-Aurèle , qui régla le mode
de preuve de l'ingénuité. ( Capitolin. M. Ant. vita. c. ix. ) Qui se ex
libertinitate ingenuitati adserant , non ultra quinquennium , quani
manumissi fuissent audientur. Qui post quinquennium reperisse in-
strumenta ingenuitatis suœ adseverant, de ea re ipsos Prmc/pe* adiré
oporlere cognituros. {D., xl. 14. 2. §§ 1. 2. Salurninus. )
CHAP. V. DROIT 'prétorien. ^ECT. V. 371
composa des formules conçues en droit , dans lesquelles
YinfenUo était de droit civil *^ : ainsi, la formule dans la-
quelle le successeur prétorien agissait comme s'il était hé-
ritier et propriétaire ex jure Quirilium,^^-^ la formule, par
laquelle le légataire per vindicationem agissait contre l'hé-
ritier obligé par Vadilion d'hérédité comme par un con-
trat *6; mais alors il y avait condamnation, et la condam-
nation portait toujours sur la valeur estimative de la
chose*^ — Le Préteur, au surplus, étendait l'influence
des formules à des cas opposés au pur droit civil. Dans
les actions de la Loi , on ne pouvait agir pour autrui ;
une formule, au contraire, fut adaptée à cette possibi-
lité : Vinteutio était prise des droits supposés du créancier
ou du propriétaire, et la condamnation était convertie en
faveur du demandeur agissant au nom d'autrui*^.
Ces extensions de la Formule venaient donc s'appro-
prier aux différents aspects des affaires et des instances ;
14 Sed eas quidem formulas in quibus de jure quœritur, in jus
conceptas vocaraus in quibus juris civilis intentio est. ( Gaius^ iv.
§ 45. )
15 JuDEX ESTO : Si (actor) sEi h.îres esset, tdm si is fundu9.de
QUO AGITUR EX JUBE QUIBITIUM EJUS ESSET. ( Gaius , IV. § 34. )
16 Gaius, u. § 194 : Per vindicationem legatum legatarius
vindicare débet, id est inlendere rem suam ex jure quiritium esse. —
Au reste , on peut douter si la revendication du legs per vindicationem
n'était pas portée primitivement devant les centumvirs , juges de la
vendicalion en général ( Cenlumviralis hasta).
17 Gaius, IV. § 48 : Omnium autem formularum ad pecuniariam
œstimationem condemnatio concepta est Judex non ipsam rem
condemnat eum , eum quo actum est , sicut olim fieri solebal , sed aes-
timata re pecuniam «um condemnat.
18 Gaius, IV. § 86 : Qui autem alieno noniiue agit intentionem qui-
dem ex persona domini sumit , condemnationem autem in suam per-
sonain convertit.
372 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
elles donnaient plus de liberté d'action à la Juridiction
prétorienne; elles pouvaient même déplacer quelquefois,
mais elles n'effaçaient jamais la profonde ligne de démar-
cation qui existait entre la compétence des centumvirs et
celle des autres juges.
Les écrivains qui, dans nos temps modernes, parlent
de l'application du jury aux causes civiles , et citent
l'exemple des Romains, oublient que les grandes affaires,
celles où les questions les plus élevées, les points de droit
les plus difficiles se discutent , celles où la séparation du
droit et du fait est souvent impossible, n'étaient pas dé-
cidées par les Jurés romains , mais par un Tribunal que
présidaient des magistrats institués dans ce but*''; par
un tribunal qui jugeait sans formule obligatoire, sans dé-
termination préalable, et qui réformait ou confirmait, en
Sections réunies , des décisions portées par une ou deux
Sections. L'appel, ou, du moins, un second degré de
juridiction inconciliable avec l'institution du jury, se
trouvait comme une garantie organisée dans le sein même
du tribunal des Centumvirs.
Nous avons reconnu les bases de la procédure formu-
laire ; recliercbons quel lien existait entre l'ancien et le
nouveau système.
Les actions de la Loi , limitées à une classe d'affaires ,
par suite des lois /Ebutia et Julige Judiciarise , furent rem-
placées dans les autres causes par une procédure qu'elles
portaient en germe; car, dans les deux systèmes, il y
19 Tfe'mde {posl prœloremperegrinum,) cum esset necessarius nia-
gistratusqui hastï prœessent, Decemviri iu litibus judicandis sunt
coustituti. ( Orig. J., Pomp., § 29. )
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. V. 373
avait des formules. La différence essentielle , entre les
formules accessoires aux actions de la Loi et les formules
Prétoriennes, consistait en ce que les parties choisissaient,
dans le premier cas , à leurs risques et périls , la formule
convenable à un certain genre d'affaires ; et que les par-
ties , dans le second cas , recevaient la formule de l'Édit
et de la main du Préteur, sans danger de nullité, à moins
qu'il n'y eût demande excessive, plus-petitio ; faute qui ve-
nait du demandeur lui-même, et qui viciait YintenHo de
la formule"^.
Le Système formulaire prenait la procédure au point
où la laissait soit Tappel devant le magistrat, Vocalio in
jns, soit la dénonciation solennelle du jour de la com-
parution , Condictio : sous ce dernier rapport, il n'anéan-
tissait pas l'action de la Loi per condictlonem , il la con-
servait transformée en ajournement.
Le Vadimonium , qui existait déjà en des cas prévus ,
put même s'appliquer à la stipulation et promesse de
comparaître devant le magistrat; ce qui formait un ajour-
nement sous caution, et ajoutait aux autres moyens de
citer en justice ^^ La procédure Formulaire, après la
comparution devant le Magistrat , ^faisait abstraction de
20 Quand la plus pelUion était dans Vinlenlio de la formule où le de-
mandeur exprimait sa prétention, elle viciait la demande; si elle se
trouvait seulement dans la condcmnalin de la formule où le préteur
seul intervenait, il n'y avait pas nullité pour le demandeur, et il y
avait restitution in integrum pour le défendeur. ( Gains , iv. §§ 53 .
57. 68. )
21 Vadimonium promittere. {Sencca , de Beneficiis , lib. m. )
Vadari erat vadem dare aut stipulari vadimonium et poscere.
(Ctc, pro Quinlio. Brtssox., de Verb. signif., v Vades.)
374 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
la consignation ou d'autres formalités surannées , et, sub-
stituait à la FORMULE LÉGITIME, clioisie par le demandeur
sans la participation du magistrat et nécessaire pour abor-
der le juge, la FORMULE PRÉTORiEisiNE , rédigée, publiée
et appliquée par le Préteur.
Ce qui avait fait haïr les actions de la Loi , ce n'était
pas l'emploi des formes extérieures, plus ou moins solen-
nelles, car les Romains avaient l'esprit formaliste; mais
c'était l'excessive subtilité des formules accessoires, le
danger du choix en l'absence du magistrat qui donnait le
juge, la grave responsabilité d'une erreur même très-lé-
gère^^. — Les formules prétoriennes étaient, delà part
des magistrats, des actes de loyale intervention; elles
donnaient aux citoyens une grande et nouvelle garantie,
en offrant aux parties et aux juges un moyen sur et fa-
cile d'appliquer aux litiges la loi ou l'équité. Le Préteur,
intervenant pour la rédaction de la formule, l'appropriant
à chaque cause ^^, imprimait la sécurité au cœur du ci-
toyen qui ne demandait pas plus qu'il ne lui était dû , et
associait l'exercice de la Justice au mouvement de la so-
ciété romaine , aux besoins nouveaux du commerce et de
la civilisation.
22 Sed istse omnes legis actiones paulatim in odiuin veuerunt;
namque ex nimia sublililate velerum qui tune jura condiderunl ^ eo
res perducta est ut vel qui minimum errasset , litem perderet.
( Gaius , TV. § 30. )
23 Eodem tempore et mapistratus jura reddebant , et nt scirent
cives de quaque EEquisque dicturus essetseque praemunirent, edicta
proponebant. {De Orig. J., § 10. )
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. Y. 375
§ 3. — PEOCÉDUBE POSSESSOIRE SOUS LA LOI DES XII TABLES
ET LE DROIT PRÉTORIEN.
ï. — Possession provisiokaelle (lis vlndiciarum).
La procédure, pour engager la revendication et obtenir
la possession provisoire de l'objet, se liait, sous le droit
des XII Tables, au Sacramenlum , et s accomplissait par
une forme dramatique.
Si la chose était mobile ou animée , elle était originai-
rement apportée ou conduite devant le Magistrat. Le
demandeur la réclamant comme sienne, ex jure ouiri-
TiUM , la saisissait et élevait sur elle la lance symbolique.
— Le défendeur la disait à lui , au même titre , la saisis-
sait et imposait la lance. Si la chose ne pouvait être fa-
cilement amenée in Jus, comme un troupeau , une co-
lonne, un navire, il suffisait d'un objet, d'un fragment,
d'un signe représentatif, devant lequel s'accomplissaient
les formalités de la vendication * .
Si la chose litigieuse était un immeuble ou un droit
d'hérédité, représentant l'universalité des biens mobiliers
et immobiliers d'un citoyen , un combat simulé s'enga-
geait, dans l'origine, sur le terrain même qui faisait l'ob-
jet du Htige, ou qui dépendait de l'hérédité : mais les
parties devaient comparaître d'abord devant le magistrat.
L'une exposait qu'un fonds, qu'une hérédité lui apparte-
nait : « FUNDUS on EST ÏX AGRO OUI SABI?,US VOCATUR ,
» EUM EGO EX JURE OUIRITIUM MEUMESSE AIO. » — L'autre
1 Gaius, IV. §§ 16. 17. Une brebis, une chèvre , partie du troupeau,
suffisait. Etiam piLUS, dit le jurisconsulte; ce qui est un peu dérisoire.
376 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
partie contestait et affirmait dans les mêmes termes le
droit en sa favem\ Le demandeur alors disait : au nom
DU MAGISTRAT, je t' APPELLE AU COMBAT SUR LES LIEUX '^^
Le défendeur répondait par une semblable provocation
d'en venir aux mains , manu consertum voco ; et dans
les premiers temps, parties, témoins et magistrat se ren-
daient sur les lieux. On en venait aux mains fictivement;
les témoins étaient entendus^, et la possession provisoire
était adjugée par le Préteur. — Plus tard, quand les af-
faires devinrent nombreuses, et que le déplacement du
magistrat n'était plus aussi facile, la même provocation
se faisait in jure : mais au lieu de se rendre sur le ter-
rain, les parties, sur l'ordre du Préteur, en prenaient le
chemin, et revenaient subitement à sa voix*. Alors le
combat simulé avait lieu , les lances étaient croisées de-
vant la motte de terre apportée d'avance du fonds en li-
tige ou de l'un des fonds compris dans l'hérédité récla-
mée^. Le magistrat statuait sur la possession provisoire
2 « Inde ibi ego te, ex Jure, manu consertum voco. » ( Cic.,pro Mu-
rena, xn. De Oral., i. 10.) — Ex Jure, au nom du magistrat, ou peut-
être DU TRIBUNAL, JE t' APPELLE LcS XII TablcS {Tab. VI. 5),
portaient : Sei quei endo jubé manum consebunt {Aulu-GclL, xx.
10. ) — Jus dicitur (aliquando) locusinquo Jus redditur. (D. i. 1. 11.)
3 Ils étalent appelés superstiles , de super agros stantes.
4 Inite viam , redite viam. ( Cic, pro Murena , xii. ) •
5 Gains, ix. § 17 : Similiter si defundo, vel de aedibus, sivede./iœ-
redilate controversia erat, pars aliqua inde sumebatur et in jus affe-
rebatur ; et in eam partem perinde atque in totani rem prœsentem
fiebat vindicatio. — Or, Gaius(§ 16) explique comment la vin-
dicalio se faisait : le combat simulé se faisait réellement devant la
motte ou la tuile représentant la terre ou la maison ; mais les parties
ne faisaient pas le combat , une première fois , sur le champ contesté,
comme le dit AValter ( Procèd. civile des Romains, ch. m. p. 26 ), qui
a mis beaucoup de confusion dans le tableau de cette procédure.
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. V. 3T7
OU sur les vindici^ (d'où est venue la dénomination de
LIS VINDICIARU3I ) ; et il ordonnait que le possesseur se-
rait tenu de fournir caution à son adversaire, tant de la
chose que des revenus®.
Mais lorsqu'il s'agissait d'une cause de liberté, lors-
qu'une personne était revendiquée comme esclave ou
comme libre , le plus ancien droit de Rome, confirmé par
la Loi des XII Tables, voulait que la possession provisoire
fût pour l'état de liberté : secundum libertatem vindi-
ciAS semper dato. La présomption était en faveur de la
liberté : principe généreux qui doit régner dans le droit
public et civil de toutes les nations'.
C'est après cette décision , sur la possession provisoire,
qu'afin d'engager le litige au pétitoire, la consignation
pour le sacramentun était faite au Trésor public , ou que
les cautions étaient reçues, à ce sujet, par le Préteur lui-
même.
Le combat fictif qui avait lieu pour la possession pro-
visionnelle n'avait rien, au surplus, du Duel judiciaire
qu'on a vu naître dans l'Europe du moyen-âge; il n'or-
ganisait pas entre individus la force et l'adresse à la
place du droit; il représentait seulement la conquête pri-
6 Gaius, IV. § 16 : Prsetor secundura alterum eorum vindicias di-
cebat , id est , intérim aliquem possessorem constituebat , eumque ju-
bebat praedes adversario dare litis et vindiciabium, id est, p.ei et
FBUCTULM.
7 Pomp. Orig. J., § 24 , rappelle à ce sujet le trait de Virgiuius im-
molaut sa fille : Quum animadverteret Ap. Claudium contra jus quod
ipse ex velerejitre in XII Tabulas transtuleret , vindicias liliae suœ ab
se abduxisse et secundum eum qui in servitutem ab eo suppositus pe-
tierat, dixisse.... Tit. Liv. liv m. 47 : Decrevisse vindicias secundura
seVvitutem.
378 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
mitive de la terre romaine, l'origine de la propriété Qui-
ritaire; mais il n'exerçait aucune influence sur le droit
même de possession provisoire, puisque le magistrat
prononçait d'après la déclaration des témoins.
Un citoyen pouvait ne pas employer la procédure préa-
lable de la vendication pour réclamer la possession d'un
fonds de terre, s'il en avait été chassé réellement par
violence, ou si un autre s'en était emparé , de fait, sans
violence effective. La forme de procéder sur le pos-
sessoire était alors différente de celle qui précède; mais
le demandeur devait se plaindre, dans ces deux cas,
comme s'il avait éprouvé une violence réelle , si vi dejec-
tus essel ^.
Au jour convenu entre lui et le possesseur, il se ren-
dait, avec ses témoins ou amis, vers la terre dont il ré-
clamait la possession. Là, il trouvait obstacle de la part du
possesseur, qui employait une quasi-violence, c'est-à-
dire une violence de forme , une violence convenue ( ex
conventu vim fieri oportebat , dit Cicéron) ; et par l'elfetde
cette violence supposée en présence de la chose , le de-
mandeur se disait dépossédé du fonds , de fiindo deduce-
balur^. Le magistrat entendait les témoins, statuait sur
la possession ; mais s'il y avait contestation de la part du
défendeur au possessoire, il statuait provisoirement, vin-
DiciAs DïCEBAT. — Daus cc cas (comme dans le cas de
8 Sigonius , rfe Judîcm , i. cap. 21 : Altéra vis simulata fuit quse
non a lege , sed a moribiis emanavit. (P. 423, èdit. 1576. )
9 Placeat Cœcinee de amicorum sententia consiituere quo die in
reiTî praesentem veniretur , et de fundo Caecina moribus deduceretur.
( Cic, pro Cœcina, cap. 8. )
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. V. 3 79
la yendication ) , il ordonnait que la partie, constituée en
possession, fournirait caution de la chose et des fruits '°;
et sur le litige ainsi garanti par la sponsio, il renvoyait,
pour le fond de la question possessoire, devant les Récu-
pérateurs'*.
II. — Lnterdits possessoires. — Il y avait néces-
sité , quand on avait affranchi la procédure ordinaire
des solennités pontificales et des liens du patriciat, d'af-
franchir aussi la procédure possessoire des formes dra-
matiques , des fictions qui la surchargeaient , et que
Cicéron avait signalées comme ahsolument vides de
sagesse^ inanissima priidenliœ^'. — Les interdits, UTi
P0SSIDETIS, vel UTRUCi, prirent la place du comhat fic-
tif, pour attribuer à Tune des parties la possession pro-
visoire ou des fonds de terre ou des choses mobilières,
pendant le litige sur la question de propriété. Ces in-
terdits furent assimilés à des actions mixtes , en ce que
chaque partie à l'égard de la possession était demande-
resse ; mais bien qu'ils parussent conçus in rem , par leur
propre force ils étaient personnels*^.
lOGaius, IV. § 16, pour le cas de vendication; — Cic, Caecina, viii,
pou)" la possession provisoire : His rébus ita gestis , DolabelJa praetor
inlerdixit , ut est consuetudo , de vi liominibus armalis , sine ulla ex-
ceptione, tautuni ut unde dejicisset restituerez — Restituisse se
dixit ( Ebulius); sponsio facta est....
1 1 Le plaidoyer pro Cœcina est prononcé devant les rècupéraleiirs :
o Sponsio facta est ; hac de possessione vobis judicandum est. »
12 Cic, pro Murena , cap. 12 : Inanissima prudentise reperta sunt.
13 Mixtas sunt actiones in quibus uterque actor est , ut puta finium
regundorum , fainiliae erciscundse , commun! dividundo , interdic-
TUM UTI possiDETis , UTRUBi. (D., XLiv. 7. 37. Llp. ) — Interdicta
omnia licet in rem videantur concepta, vi tamen ipsa personalia sunt.
(i>., XLUi. 1. 1. §3. fy7p.)
380 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
Le Préteur maintenait en possession , uti possidetis,
celui qui était possesseur de l'immeuble au moment du
litige , sans violence , clandestinité , ni précaire *^ ; il
mettait en possession de la chose mobilière , utrubi pos-
sidetis, celui qui, dans l'année, avait possédé le plus
long-temps , sans aucun des vices signalés. L'usucapion ,
à Rome, était d'un an pour les meubles : le bénéfice de
la possession mobilière , dans le doute , devait donc ap-
partenir au possesseur qui approchait le plus de la pos-
session annale. — Les interdits uti possidetis et utrubi
étaient dans la classe des interdits retinend^ posses-
SIOMS.
Les interdits uade vi prirent la place de la procédure
de violence réelle, ou de violence ex conventu. Ç.qXw. qui
avait été chassé par violence, et qui n'était pas rentré im-
médiatement en possession par la force , ne pouvait plus,
ex intervallo , employer la force contre le spoliateur; mais
il était rétabli dans sa possession par l'interdit unde vi ,
droit de réintégrande , qui ne supposait point la né-
cessité d'une longue possession , ou d'une possession an-
nale , antérieure à la violence. C'est la violence même
qui était réprimée, spoliatus ante omnia reslituendus^^. —
Toutefois , si la possession commencée par la violence
avait duré un an, l'interdit unde vi n'était plus ac-
14 Nec clam , nec vi , nec precario.
15 D., VI. G : « En droit romain , il ne pouvait ctre question de la
possession annale pour la réintégrande ; la controverse élevée à ce sujet
dans l'ancien droit français et le droit moderne ne pouvait avoir aucun
objet en droit romain, puisque c'était la violence seule qu'on voulait
réprimer. Dans notre ancien droit, cette violence était appelée saisine
de happée. {Somvfie rurale de BoulciUer , tit. 23. p. Î31, édil. 1621,)
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. V. 384
cordé; l'usurpateur qui avait joui durant l'année pou-
vait lui-même se faire maintenir en possession par la
voie ordinaire des Interdits ; mais il ne pouvait acquérir
par l'usucapion, malgré le bénéfice de sa possession annale.
La RESTITUTION , pour dépossession violente , pouvait
être appliquée aux choses mobilières par le même Inter-
dit : restituer, c'était faire le réclamant possesseur et lui
rendre les fruits de la chose.
Quelquefois I'exhibition seulement d'une chose ou
d'une personne était demandée comme mesure préalable.
L'individu qui avait enlevé une chose mobilière , sous-
trait un esclave, ou tenu cachée une personne libre,
était obligé , par l'interdit ad exhibendum , de représenter
cette chose ou cette personne. H y avait plus dans la res-
titution que dans \ exhibition ^^ . — Et de là tout naturelle-
ment une distinction d'interdits restitutoires ou exhibi-
toires, dans la classe générale des Interdits pou • le re-
couvrement de la possession, recuperand^ possessionis.
Le Préteur rendait sa décision entre les deux parties
présentes, interdicebat^"^. Si le défendeur se soumettait,
il n'y avait pas de poursuite ultérieure ; mais s'il con-
testait, la décision du préteur n'était que provisionnelle,
et sur la question de possession , il renvoyait devant les
Récupérateurs.
Telle est la procédure simple et rapide des interdits
possESSoiRES ; mais bien que tous les interdits fussent
relatifs à la possession (ou à la quasi-possession , s'il s'a-
I6D., deVerb. sign., 1. 22 : Plus est in restitulioue quam iii exhi-
bitione. Nam exhibere est, praesentiam corporis prœbere; reslilueie
est etiain possessiouem facere fruclusque reddere. Pleraque praeterea
restitutiouis verbo coutinentur. {Gaius, ad edic.)
17 luter duos dicebat. {InsL, iv. 15. iJ
382 LIV. I. — ÉPOOUE ROMAINE.
gissait d'usufruit et de servitudes réelles) , tous n'avaient
pas pour objet un litige au possessoire; tous ne répon-
daient pas à ce que nous appellerions aujourd'hui des ac-
tions possessoires. Quelques-uns avaient pour objet l'ac-
quisition même de la possession ; ils étaient accordés ,
notamment, au successeur prétorien , ou à l'héritier qui
avait obtenu du Préteur la possession de biens. L'inter-
dit QUORUM BONORUM donnait le droit au successeur et à
l'héritier de s'emparer immédiatement des objets de la
succession possédés par autrui, sans qu'ils eussent be-
soin d'agir par la procédure bien plus longue de la pé-
tition d'hérédité , qui se poursuivait devant le tribunal
des Centumvirs : c'était une troisième espèce d'interdits,
qualifiée adipiscend^ possessionis; une saisine déférée
par le magistrat , et qui n'avait rien de commun avec
les interdits relatifs à la procédure possessoire.
Niebuhr et Savigny ont assigné aux interdits , reli-
nendœ et recuperandœ possessionis, une origine spéciale : ils
supposent qu'ils ont été d'abord institués pour donner
une garantie aux possesseurs de l'ager publicus qui ne
pouvaient pas exercer la vendication , puisqu'ils n'é-
taient pas propriétaires , et qui avaient besoin cependant
d'une garantie juridique. Ce point de vue, que déjà nous
avons indiqué, a fourni au savant auteur du Traité de la
Possession d'ingénieux rapprochements*^. G. Hugo ne
s'est point rendu à cet aperçu; il dit que les Interdits ne
durent pas leur naissance , comme on le croit par erreur,
à la possession des terres publiques. — La remarque de
Niebuhr et de Savigny n'est pas, cependant , à négliger.
18 Niebuhr ( ffisf. rowi., t. m. p. 201. no 316. ) Savigny ( rrai7é de
la Possession , sect. iv. §§ 34 et suiv. )
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. V. 383
Le besoin social de la protection publique contre la
violence et les voies de fait est le véritable principe des
interdits; n^ais les interdits possessoires ont pu se pro-
duire d'abord , à Toccasion de Yager publicus , pour en
protéger la possession contre les voies de fait des tiers , et
contre la résistance des clients ou des colons à l'ordre de
déguerpir une possession purement précaire. Les plé-
béiens, les clients , voulaient se maintenir dans la culture
des terres publiques; les patriciens et les chevaliers ten-
daient aies remplacer par des esclaves attachés à la glèbe.
Tib. Gracchus réclamait encore vivement, au vii^ siècle,
la culture des terres en faveur du peuple. Dans ce conflit
d'intérêts et de prétentions , on comprend , comme né-
cessaires, l'intervention du préteur et l'application de
l'interdit de precario contre la résistance extrême de
certains colons. Mais par un progrès tout favorable à
l'ordre public, qui veut que nul ne se fasse justice à lui-
même, les Interdits sont devenus une institution générale
et permanente.
En dernier lieu , ils furent établis, dans l'Èdit pré-
torien , sous forme impérative ou sous forme prohibi-
tive , comme dispositions du Droit honoraire , obligatoi-
res pour tous; et le Préteur faisait ensuite , dans sa juri-
diction , l'application particulière des interdits qui ordon-
naient ou qui prohibaient : lorsqu'il y avait ordre ou jus-
sion du Préteur, ils prenaient dans la pratique, s Ion
Gains , le nom propre de décrets , et conservaient celui
d'iNTERDiTS quand il y avait prohibition *'^.
19 Gaius, IV. §§ 160 et suiv. La première division mentionnée par
Gains et par Justiuien (iv. 15), est en interdits ■prohibiloires , rcsli-
tuloirts , exhibiloires , que nous avons rappelée ci-dessus.
384 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
En résumant ces matières possessoires , et en les rap-
portant à la classification principale des interdits qui
tendent à retenir, à recouvrer et à acquérir la possession ,
on recueille les résultats suivants :
1** A l'interdit retinend^ possessions (avant l'en-
gagement du litige au pétitoire), se rattachaient l'inter-
dit uti possidetis pour les immeubles ; — l'interdit utrubi
pour les meubles ; — et même l'interdit de precario.
2" A l'interdit recuperand^ possessions se ratta-
chaient les interdits unde vi ( si la possession avait duré
moins d'une année), et l'interdit ad exhibendum (qui
s'appUquait aux choses et aux personnes) ;
3"* A l'interdit ADiPiscENDiE possessionis se rattachait
l'interdit quorum bonorum, accordé soit au successeur
prétorien, pour qu'il put s'emparer des objets de la suc-
cession , soit à l'héritier testamentaire ou légitime , pour
qu'il put prendre possession des objets , sans avoir besoin
de procéder par le sacramentum et le jugement centum-
viral. Dans l'un et l'autre cas, l'interdit quorum bonorum
était une saisine de droit accordée par le Préteur en
matière de succession.
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. V. 385
§ 4. — DISTINCTION DES JUGEMENTS ORDINAIRES
ET EXTBAOUDJNAIRES.
Les quatre branches qui composaient l'organisation
judiciaire placée sous la direction de la Préture , les
Centumvirs, le Juge, les Arbitres, les Récupérateurs,
et l'ensemble des pétitions ou des actioxs qui se dis-
tribuaient entre ces branches diverses selon leur com-
pétence, formaient à Rome les Jugements ordinaires,
ou rORDO JUDICIARILS.
Il y avait aussi des Jugements extraordinaires , cogm-
TioNES EXTRAORDiNARiiE , qui étaient nominativement
attribués au Préteur ou à certains magistrats pour des
cas prévus par une Loi ou par lEdit*. Les demandes
réelles ou personnelles, qui tendaient à ces procédures
extraordinaires, étaient comprises sous la dénomination
générale de persecltiones in rem vel ix persOxXam*.
Nous ferons remarquer ici que ces trois qualifications des
actions, en droit romain, petitio, actio, persecutio,
se trouvent textuellement , non seulement dans Ulpien ,
mais dans le texte de la stipulation Aquilienne , qui re-
1 Extraordiuarise cognitiones omnes quœ uomiuatim certis magistra-
tibus injunguatur. (Cujas, D. in lit., de jurisd , L. i. 2. 3. Comment.)
2 Actionis verbum et spéciale, et générale ; nam omnis actio dicitur,
sive iu persouam, sive in rein sit petitio; sed plerumque actiones
PERSONALES solemus dicere : Petitionis autem verbo in rem actio-
RES significari videntur. Persecutionis verbo extraordinarias perse-
cutioues puto contineri , ut puta fideicoinmissoruin, et si quse alise suut
qu?o nouhabent jurisordiuarii executionem. (D.,d« Terh. sig., L. 178.
§ 2. Op. )
T. I. 25
386 LTV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
monte au siècle de Cicéron^, et qu'elles se rapportent
parfaitement à l'ordre des compétences que nous avons
établi : la première, petitio, à la compétence des cen-
tumvirs; la deuxième, actio, à la compétence du juge,
de l'arbitre, des récupérateurs; la troisième, persécution
à la compétence du préteur ou du magistrat jugeant di-
rectement et par lui-même; ce qui confirme de plus en
plus l'harmonie introduite dans toutes les parties du
système judiciaire des Romains.
Les plus importantes de ; causes qui formaient les ju-
gements extraordinaires étaient :
i" Celles dérivant de la Loi des XII Tables contre les
tuteurs suspects, qui étaient déférées dans Rome au pré-
teur-, dans les provinces au proconsul ou président;
2*^ Celles relatives aux fidéicommis, dont la connais-
sance" fut confiée, par Auguste, à des préteurs spéciaux* ;
3" Celles relatives au juge qui ayant péché par dol
ou par impéritie, dans sa sentence, était responsable
du dommage, sijudex Utem suam feceril-^
4" Celles relatives aux parties qui avaient fait défaut
devant le juge, lorsque la demande contre le contumace
offrait peu de difficultés^.
Dans les trois premiers cas , la sentence du Préteur
â « Quarumcumque rerum mihitecum actio est,qu3eque adversus
te PETiTio, vel adversus te pebsecutio est, eritve.... {Insl., m. 30.)
4 La persecutio était in personam pour la coguitio suspecti tutoris,
et in rem pour les fldéicommis.
5 D., V. 1. 75. {Julian.) : Si prsetor jusserit ew/n a qiio debilum pete-
balur, adcssc , et, ordiue edictorum peracto, prouunciaverit obsenlem
debere : non utique judex , qui de judicato cognoscit , débet de prae-
toris sententia cognoscere. — Pour le troisième cas , le juge qui lilem
suam fccil, il faut voir D. L. 13. 6. {Gains.)
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. V. 387
était un décret contenant une condamnation pécuniaire ;
et il y avait exécution par la prise de gage; dans le qua-
trième cas , la décision était comme émanée du juge et
produisait l'action judicati.
A regard des Interdits, s'il n'y avait pas contestation de
la part du défendeur, ils formaient aussi une sorte de co-
gnitio exlraordinaria-^ mais, s'il y avait contestation, le li-
tige rentrait dans l'ordre des jugements ordinaires. Gaius
nous apprend qu'alors le Préteur renvoyait les parties
devant les récupérateurs ou le juge chargés d'appliquer
la formule , et de rechercher si quelque chose avait été
fait contre l'édit, ou si quelque chose n'avait pas été fait
conformément à ce qu'il avait ordonné^.
Quant aux restitutions en entier, elles ne doivent pas
être classées dans les jugements extraordinaires. Il est
vrai que le préteur accordait, en connaissance de cause,
le droit de se faire restituer in i?itegrum, contre une
obligation ; uiaisil ouvrait seulement une voie de procé-
der, et il renvoyait devant le juge l'appréciation du dol,
de la violence , de l'erreur, de la lésion , de la minorité
ou des autres moyens de rescision. En deux mots, il
donnait le pouvoir de restituer, mais il ne restituait pas.
Les jugements extraordinaires, d'abord assez rares , se
multiplièrent avec les lois nouvelles. Le préfet de la Ville ,
en prenant, sous Auguste, la part importante des fonctions
du Préteur qui concernaient l'ordre criminel, reçut ou
s'attribua aussi la connaissance directe de certaines affai-
G Ibi editis formulis quœritur , an aliquid adversus preetoris edictum
i'actum sit, vel au factum non sit, qiiod is lieri jusserit. {Gains , iv.
§ 141.)
388 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
res civiles. C'est lui qui jugeait les plaintes des esclaves
réfugiés près de la statue des empereurs , ou des esclaves
acquis de leurs propres deniers , sous la condition d'être
affranchis par l'acquéreur; c'est lui qui jugeait les récla-
mations des patrons nécessiteux ou valétudinaires contre
leurs affranchis , et les causes des tuteurs ou curateurs
qui , dans leur gestion , avaient mérité plus que la note
d'infamie attachée aux tuteurs suspects"'. Il fut également
chargé de prononcer contre les personnes associées à. une
corporation illicite, et d'appliquer l'ancien principe de
la Loi des XII Tahles, qui défendait aux membres des
corporations de faire entre eux des conventions ou des
statuts contraires à la Loi publique^. — L'Empereur
aussi s'éleva progressivement à la qualité de Juge su-
prême; Suétone cite des jugements de Claude, de Néron,
de Domitien ! Ils décidaient direi^tement, ou par voie
d'appel , sur les causes portées à leur Tribunar-*. Ils réu-
nissaient, sous leur titre impérial, toutes les mag'stra-
tures, même celle de Tribun du peuple; et le droit d'in-
tercession des Tribuns s'était transformé dans leur per-
sonne en suprême Juridiction. Des successeurs, plus
7 D., I. 12. 1 . §§ 1. 2. 7. Le préfet de la Ville put connaître des af-
faires des banquiers et des causes pécuniaires ; mais alors il ne jugeait
pas , il donnait le juge : adiri ab argenlariis ( £. 2. )
8 Gaius, ad Leg. XII Tab. : Sodales sunt qui ejusdem Collegii
sunt His autem potestatem facit Lex, pactionem quam velint,
sibi ferre : dum ne quid ex publica Lege corrumpant. — Hœc lex vi-
detur ex Lege Solonis translata esse. ( J5., xlvii. 22. 4. )
Divus Severus rescripsit eos etiam qui iliicitum Collegiuni coïsse
dicuntur apud Prefectum Urbis accusandos. ( D., i. 12. 1. § 14. )
9 Suetcn— Claud., xtv. xv.— ]\er.,xv.— Domit.,VTii. — D.,xlix,
de Appt'fiiHimihus; ; le;? xrn premiers titres.
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. V. 389
dignes de l'empire, les Antonins , sans répudier la qua-
lité de Juge , renvoyaient souvent au sénat la connais-
sance des causes portées devant eux , et permettaient
l'appel de leurs propres décisions*^.
Les jugements extraordinaires prirent une extension
continuelle, surtout dans les provinces. Dès le second
siècle de l'Empire, le jurisconsulte Julien, le collecteur
de l'Édit perpétuel , déclarait que le Président de la pro-
vince devait être libre de renvoyer le litige au juge ou
d'en connaître lui-même^*. C'est au Président de la pro-
vince qu'Ulpien attribue la connaissance des réclamations
d'honoraires faites par les précepteurs enseignant les arts
libéraux, par les médecins, par les avocats, les mathé-
maticiens, les libraires ou copistes; c'est au Président
qu'il atti'ibue le droit de statuer sur l'usage des eaux , sur
les ruisseaux nouvellement établis \ et Callistrate déclare
que les connaissances extraordinaires viennent de causes
nombreuses, variées, difficiles à classer*"^. — Et ainsi
la révolution qui s'accomplira un jour dans l'ordre de la
Justice romaine , et qui fera du Jugement extraordinaire
Tordre commun des jugements , se préparait d'avance
dans les faits et la pratique de la société.
10. Capitolin. M. Anton., cap. x : Senatum niuUis cognitionibus ,
et maxime ad se pertinentibus judicem dédit in senatus autem
honorificentiam multis et prœtoriis et consularibus privatis decidenda
negotia delegavil, quo magis eorum cum exercitio juris auctoritas cres-
ceret. (Script, hist. Aug.) — D., xlix. 1. 1. §§ 1. 2. Post resaiptum
provocare.
11 D., I. 18. 8 : Eum sestimare debere ipse cognoscere an judicem
dare debeat. {Juliaiu)
12 D. L. 1. 2. 5. Z>e cxU'uordinai'iis cognUionibus.
390 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAIIVË,
§ 5. — CHOSE JUGÉE. — SON AUTOBITÉ. — LlTlS-CONTESTATICf.
— ACTION JUDICATI. — EXCEPTION REl JUDlCAT/ï,. ~
MOYENS d'exécution.
Les principes sur la chose jugée n'auront point à su-
bir Teffet des révolutions judiciaires, comme les formes
de procéder, comme les droits de juridiction; et l'auto-
rité de la chose jugée, fondée sur l'intérêt public, res-
tera l'une des bases essentielles de l'ordre social.
La sentence du juge ou le décret du magistrat, dans
l'esprit des institutions romaines, diffère de la chose
jugée comme la cause diffère de l'effet. La sentence est
la décision qui met fin au litige ; la chose jugée est l'effet
de la sentence devenue ii révocable et exécutoire.
Dans les Jugements ordinaires , la distinction entre la
procédure m jure et la procédure m jumcio produisait
deux résultats qui se liaient l'un à l'autre , savoir : la fin
de l'instance devant le magistrat, qualifiée de contes-
tation en cause , litis-conteslatio ; la fin de l'instance de-
vant le juge, qualifiée sentence, prononciation du j^uge,
litis decisio\ — La Litis-contestation est un préliminaire
indispensable à l'examen de la Chose jugée. '
L — Sous la Procédure primitive de la Loi des XII
Tables, le magistrat qui exerçait la juridiction, en fixant
1 Res judicata diciUir quœ finem controversiarum proimutiatioue
judicis accipit, quod vel coiidemnatione vel absolutione contingit.
(D., XLii. I. \, de re judicata et effcclu senlcnliarum. Modcsl. )
CHAP, V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. V. 391
l'état du litige pour lequel les parties demandaient le
juge, ne constatait point par écrit ce qui s'était passé ix
JURE , devant son tribunal , et les parties prenaient à té-
moins des citoyens présents qui devaient attester le
litige, contesfari litem. « Le jugement étant ordonné, dit
«Festus, chaque partie avait coutume de dire à des
«assistants : Soyez témoins. » C'était ce qu'on appelait
l'attestation du litige ou la litis-coïntestatio^. Le pro-
cès était engagé définitivement, et une conséquence très-
grave était attachée à cette fin de l'instance in jure;
c'était la novation de l'obligation primitive. « Avant le
«litige, disaient les anciens Prudents, il faut que le dé-
«biteur donne; après la contestation en cause, il faut
«> qu'il soit condamné; après la condamnation, il faut
«qu'il exécute le jugé^. » Mais dans les actions en reven-
dication des choses immobilières ou mobilières , la litis-
contestatio n'interrompait point l'usucapion, parce que
le titre et la possession , qui la fondaient , restaient ce
qu'ils étaient auparavant, et qu'un moyen d'acquérir ne
pouvait être remplacé par une obligation , à moins que
la cause même de la possession n'eût été changée par
2 Conlcslari Ulem dicunUir duo aut plures adversarii , quod ordi-
nato iudit'io utraque pars dicere solet : testes estote. ( Fcsius.
Muller, p. 57. )
3 Gaius m. § 180 : ToUitur obligatio , litis contestatione , si modo
legitimo judicio fuerit actum. ]N"am tune obligatio quidem principalis
dissolvitur; incipit auteni teneri reus litis contestatione Sed si
condemnatus sit , sublata litis contestatione , incipit ex causa judicati
teneri ; et hoc est quod apud veteres scriptum est : «■ Ante litem con-
» testatani dare debitorem oportere ; post litem contestatam condem-
» nari oportere ; post coudeuinationeia judicatum t'acere oportere. »
392 LIV. ï. — EPOQUE ROMAÏXE.
le consentement des parties, comme si elles avaient
converti le litige en estimation du dommage
4
Sous la procédure formulaire du Droit prétorien,
Fétat du litige n'avait plus besoin d'être constaté par
tes témoins; les points du débat étaient fixés par écrit;
le magistrat rédigeait la formule , et chaque partie en
recevait une copie authentique; mais si le mode de
preuve avait changé, et si les incertitudes attachées à la
preuve testimoniale avaient disparu devant la rédaction
des formules prétoriennes, la litis-contestatio , com.me
terme de l'instance injure, subsistait toujours. Etie n'é-
tait plus le litige attesté par les assistants; elle était
le litige déterminé par la formule. Des effets importants
s'y rattachaient; trois d'entre eux, notamment, méri-
tent d'être signalés.
1" Le premier effet était celui déjà reconnu sous la
procédure des actions de la Loi, la novation. L'obliga-
tion primitive était remplacée par l'obligation qui naissait
comme d'un contrat. On contracte en justice comme
devant les citoyens^; et par l'engagement qui naissait
de la Litis-contestation , les deux parties étaient censées
4 Si rem alienam emero, et cum usucaperem eanidem rem, dominu3
a me petierit, non interpellari usucapionem meam litis contestatione.
— Sed si litis sestimationem siifferre maluerim , ait Julianus , causam
possessionis mutari ei qui litis sestimationem sustulerit. (D. , XLi. 4.
2. ^21. Paul.)
5 D., XV. 1. 3. § U : ^^am sicut in stipulatione contrahitur ita
judicio contrahi; proiiide non originem judicii spectaudam, sed ipsam
judicati velut obligationem. ( Paul. )
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. V. 393
s'obliger devant le magistrat à suivre le jugement et à
exécuter la future sentence.
Dans les jugements qualifiés légitdies, et par rapport
aux obligations du droit civil , il y avait , de plein droit ,
noYAtion e,v causa obi igationis', un rapport nouveau entre
les parties était substitué à Tancien; le demandeur ne pou-
vait plus se fonder sur Tobligation primitive, pour agir
utilement une seconde fois contre son débiteur; l'action
lui était enlevée ipso jure, par l'extinction de sa créance.
Dans les jugements non légitimes, et soutenus seu-
lement par le pouvoir du magistrat, il n'y avait pas ex-
tinction du droit d'agir; mais le demandeur, qui agis-
sait une seconde fois, était repoussé par l'exception de la
chose déduite en jugement. La raison en est que le pou-
voir seul du magistrat, qui détermine le litige et donne
le juge, ne peut détruire directement le lien d'une obli-
gation civile. — De même, dans les actions in rem et
in factum , la litis-contestation ne pouvait produire que
l'exception mentionnée , parce que le droit réel et le
fait, qui servaient de fondement à l'action , restaient né-
cessairement ce qu'ils étaient avant la litis-contestation.
Ils n'avaient pas pu être transformés par l'oliligation quasi
ex contraclu : un droit est ou il n'est pas ; un fait est ou il
n'est pas ; il n'y a pas là matière à novation. La litis-con-
testation , qui n'interrompait pas l'usucapion , interrom-
pait cependant la prescription de dix et vingt ans. C'est
parce que celle-ci n'était pas considérée comme un moyen
d'acquérir, mais seulement comme un moyen de repous-
ser l'action réelle du propriétaire : tant qu'elle n'était pas
accomplie, il n'y avait pas exception acquise; et la litis-
contestation ne laissait au possesseur de bonne foi que le
394 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
bénéfice du temps écoulé*^. — Dans ces divers cas , l'ex-
ception rei in judicium deductœ assurait l'effet de la litis-
contestation; elle repoussait le demandeur qui aurait
voulu recommencer la procédure devant le magistrat,
et obtenir soit d'autres positions de droit ou de fait,
soit la nomination de nouveaux juges ^.
La Litis-contestatio produisait une autre novation bien
importante, que l'on peut appeler une novation judi-
ciaire, qui rendait perpétuelles les actions purement an-
nales. Cette perpétuation d'actions était le moyen de don-
ner aux obligations prétoriennes une durée efficace, et
de les assimiler, sous ce rapport, aux obligations civiles.
Si les Tribuns n'usaient pas, devant le magistrat, de leur
droit d'intercession, s'ils n'arrêtaient pas le débat avant
la Litis-contestation qui terminait l'instance injure, l'ac-
6 Morae litis causam possessoris non instruunt adinducendam lougae
possessionis praescriptionem, quae post litem contestatam in pe^-
TERiTUM .ESTiMATUR. (Cod. J., lu. 32. 26. Dioclél., an 294). — Jiis-
tinien établit que la prescription de trente ans serait interrompue
par la simple citation en justice, parce que cette prescription, qui
ne suppose pas la bonne foi du possesseur, est odieuse, comme l'a
remarqué Barthole ( in L. ii , pro Emplo. )
7 Gains , m. § 180. iv. § 107 : Ut vero si légitime judicio in perso-
nam factura sit, ea formula quae juris civilis habet intentionem postea
ipso jure de eadem re agi non polesl , et ob id exceptio supervacua est;
si vero vel in rem, vel in factum actum fuerit, ipso jure nihilominus
postea agi potest, et ob id exceptio necessaria est rei judicatœ, vel in
JUDICIUM DEDUCTŒ. ( Si^ra, p. 169. )
M. Bonjean, t. i. p. 477, dit que le défendeur arrivera indirecte-
ment, par l'exception rei in judicium deduclœ, a éviter la condamna-
tion. — Cela ne nous paraît pas admissible. Le défendeur , par l'ex-
ception, conservera l'état de la première lilis conleslalio, avec le juge
déjà nommé; mais la condamnation pourra venir ensuite : Post lilem
conteslatam condemnari oporlere. ( Gains , m. § 180. )
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. V. 395
tien devenait perpétuelle, d'annuelle qu'elle était, et
l'instance ne subissait que les déchéances ou péremptions
ordinaires. — Même les actions spécialement attachées
à la personne , comme les actions d'injures et les actions
pénales, devenaient, par cette novation judiciaire, perpé-
tuelles et transmissibles aux héritiers. Le Préteur trou-
vait ainsi , dans l'acte qui terminait l'instance devant lui ,
une garantie nouvelle pour l'exécution des obligations
nées de son pouvoir ; et les citoyens, en exerçant devant
le magistrat l'action provenant de l'édit ou même de la loi,
faisaient leur cause meilleure*. De là est venue cette règle
juridique, que « toutes les actions qui périssent par la
» mort de l'ayant-droit ou parle temps, demeurent sta-
« blés, quand elles sont portées en jugement : omnes
» ACTIONES q\]M MORTE AUT TEMPORE PEREUNT , SE3IEL
» IXCLUSiE JUDICIO SALV^ PERMANENT^. »
2" La Litis-contestatio , par la détermination du litige,
était un commencement de Chose jugée ; elle marquait
la limite dans laquelle le juge serait obligé de porter sa
sentence *° ; et en même temps elle restreignait le droit
8 D., XLVi. 2. 29 : Aliam causam esse novationis voluntarise, aliam
judicii accepti, multa exempla ostendunt. Périt privilegium dotis et
tutelae , si pcst divortium dos iu stipulationem deducatur , vel post
pubertatem tutelse aotio novetur, si id specialiter actum est, quod nemo
dixil lile conleskila : neque enim deteriorem causam noslram facimus
aclionem exercentes , sed meliorem ; ut solet dici m His actionibus
QU.E TEMPORE VEL MORTE FIMRI POSSUXT. ( Paul. )
9 D., de Rcg. Jur., 1. cxxxix. Gaius , ad ediclum prœloris. (^Voir
M. Bonjcan, t. 1. §208.)
tout fundus hereditarius fundo non hereditario serviat, arbiter
disponere non potest, quia ultra id quod injudicium deductum est
excedere potestas judicis non potest. {D., x. 3. 18. Javolenus. )
396 LIV. 1. — ÉPOQUE ROMAINE.
du demandeur, qui, pour la même cause, aurait pu avoir
plusieurs actions : son choix était fait entre les voies à
suivre, et il ne pouvait revenir à une autre voie. — La
règle, qui a soulevé tant de discussions entre les juris-
consultes modernes, eleda nna via, non datur recursus ad
alteram, tient à cette origine. Mais Llpien l'a renfermée
dans son véritable objet, en parlant du choix qui serait
fait entre les actions diverses pour une même cause; car si
l'on agit pour une cause nouvelle , on ne peut craindre
l'exception de la Litis-contestation , qui a fixé les bases
d'une première instance*'. C'est avec un sentiment bien
sur d'une vérité non encore manifestée par l'étude de
Gains , qu'un auteur contemporain a dit que la règle sur
l'option, entre différentes voies d'agir, ne pouvait être sé-
parée des principes de la chose jugée. La Litis-contes-
tatio était , en effet, la chose jugée quant à la position des
questions. Le demandeur ayant fixé sa prétention par la
formule, avait renoncé aux autres voies qui pouvaient con-
courir en faveur de la même cause. C'est le sens désormais
bien clair de cette maxime des jurisconsultes romains :
« Dans le concours de plusieurs actions pour la même
» chose , il faut en choisir une ; quoties concurrunf piures
» actiones ejusdem rei nomine, una quis experm débet ^^. »
11 D., XIV. 4. 9. § 1. Ulp. : Eligere quis débet qua actione experia-
tur utrum de peculio, an tributoria : cum scit sibi regressuni ad aliam
non futurum. Plane, si quis velit ex alia causa tributoria agere, ex
alia causa de peculio agere, audiendus erit. — Avec une parfaite in-
telligence de ce texte M. Toullier a prouvé (x. 174) que , pour rendre
la règle des interprètes vraiment exacte , il fallait dire,: Electa una
via , non datur recursus ad alteram, nisi ex alia causa.
12 D., de Rcg. Jwr., 1. xliti. § 1. — Merlin, Questions de droit ^
V" option. — Toullier, t. x. nos 171. 172.
CIIAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. V. 397
S"* Un troisième effet de la Litis-contestatio était de
lier définitivement la cause entre les parties , et de ren-
dre possible la sentence définitive, malgré l'absence ou
le dé faut de Tune des parties. Si , au jour marqué, ordi-
nairement le troisième ( dics comperendimis ) , les parties
ne comparaissaient pas devant le juge nommé par la
formule, il y avait défaut, il pouvait y avoir contumace;
mais le litige était engagé, par la Litis-contestatio , avec
des conséquences irrévocables.
Le défaut venait-ib du demandeur? L'adversaire de-
vait obtenir son absolution immédiate. — Au tribunal
des Centumvirs, où l'on procédait sans formule, il pou-
vait y avoir décision favorable au demandeur absent,
mais dans les questions de liberté et en faveur de la
liberté même : « II peut arriver, dit Ulpien , que l'absent
)>remporte, ut absens vlncat; car une sentence alors
»peut être portée en faveur de la liberté. » C'était une
décision conforme au Droit public, qui avait fait établir,
même sous la Loi des XÎI Tables , le principe généreux,
LA PRÉS03IPTI0N EST DUE A LA LIBERTÉ : mais OU UC pCUt
rien conclure de cette exception , en faveur du deman-
deur , qui , dans l^s cas ordinaires et dans la procédure
par formules, ne venait pas justifier sa demande au jour
marqué pour la comparution *^,
13 Selon MM. Zimmern (§ 136) et Bonjean ( § 223), les textes
offriraient quelque doute sur la nécessité de l'absolution; mais le
texte d'Ulpien serait seul un puissant argument , et il n'est pas appli-
cable. Voici les textes indiqués :
Confessus pro judicato erit.... Si quis absente adversario confessus
sit, videndu n numquid non debeat pro judicalo haberi , quia ncc
398 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
Le défaut venait-il du défendeur? — Une procédure
particulière s'engageait devant le magistrat pour consta-
ter la contumace. Le Préteur, par trois cdicla ou avertis-
sements successifs de dix jours en dix jours, et quelque-
fois par un seul, qualifié d'édit péremptoire, enjoignait au
défendeur de comparaître devant le juge, et menaçait,
par le dernier avertissement, de connaître et de pro-
noncer extraordinairement {cogniturum se et prommciatu-
rum). Après l'édit péremptoire , l'absent était cité de nou-
veau; s'il ne comparaissait pas, il était réputé en état
de contumace, et la cause pouvait être jugée, soit par
le préteur lui-même , dans l'état où l'avait laissée la litis-
contestation , soit par le juge désigné , si la cause offrait
des difficultés de preuves et d'examen. Mais la contumace
n'appelait pas une condamnation : « la cause sera vérifiée,
dit Llpien, et il sera prononcé, non toujours selon les
prétentions du demandeur présent, mais aussi en faveur
^soleal qnis abscnli condcmnari ? — - Certe procuratorem , tutorem , cu-
ratoremve, preesentem esse sufficit. (Z>., xlii. 2. 6. § 3. Ulp. )
Créditer cuin fidejussoribus egerat, sed posl judicium acceplum ad
agendain causam ipse non adfuit : et cum absoluli essenl fidejusso-
res.... (i)., xLix. 1. 28. Scœr.) — Ces deux passages supposent la
prati({ue ordinaire de l'absolution du détendeur , en l'absence du de-
mandeur , ou ce que nous appelons le défaul-congc.
Tout le fragment d'Ulpien où se trouve le passage tvenire polesl ,
ul cliam absens vincal ; nam polesl senlenlia cliam secundum liberla-
lem ferri ( D., xl. 12. 27. § 2, ) — Tout ce fragment est relatif à des
causes de liberté et d'ingénuité. Uipien parle des juges au pluriel :
Recte atque ordine judices puto factuuos. (§ 1 ) — Ces juges , en
nombre collectif, ne peuvent être que les centumvirs à Rome , ou
les récupérateurs dans les provinces , ou le Sénat par délégation du
priîice.
Pour le dies compcrcndimis ou la compfvcmlinalio, Gaius, iv. § 15.
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. V. 399
de l'absent, qui vaincra, s'il avait une bonne cause '^. »
La sentence, favorable ou contraire, sera définitive; le
défendeur condamné ne pourra revenir que parla resti-
tution in inlegrum , en justifiant d'une cause légitime
d'absence, ou par l'annulation de la procédure de con-
tumace présentée comme irrégulière. — Ainsi , après la
litis-contestation , l'intérêt des deux parties était de ne
pas faillir à la comparution devant le juge. Le deman-
deur avait devant lui, comme résultat de son absence , le
rejet de sa demande; et le défendeur, l'état de contumace
suivi d'une sentence portant un caractère définitif.
IL — La Sentence produit une seconde novation : le
débiteur n'est plus tenu , ni en vertu de l'obligation pre-
mière , ni en vertu de l'obligation nouvelle née de la litis-
contestation ; il est obligé par la condamnation , ex causa
jiidicali : il faut qu'il exécute le jugé. Mais cette novation
complète n'a lieu qu'en matière de jugement légitime
rendu par le jige ou l'arbitre. S'il s'agit d'un jugement
dépendant de l'empire du magistrat, il n'y a pas novation.
Le demandeur pourrait encore agir de plein droit, sauf
à être repoussé par l'exception de la cbose jugée ^^.
14 D., V. I. 73. De Judiciis. {Ulp.) : Et post edictuui peremptorium
impetratum cuni dies ejussuperveuerit, tune absensciTARi débet; et
sive responderit, sive non responderit, agitur causa et pronuncia-
bitur : non utique secundum pra?senteni, sed intebdum vel ab-
SENS , SI BONAM CAUSAM HABUIT , MXCET.
15 Gains, m. § 181 : Unde lit ut si legitimo judicio debitum petiero,
postea de eo, ipso jure, agere non possim , quia inutiliter interdo daei
MiHi oporiebe; quia litis contestatione dari oportere desiit. Aliter
atque si imperio contineuti judicio egerim, tune enim uibilominus
obligatio durât, et ideo ipso Jure postea agere possuni ; sed debeo per
exceptionem rei judicatœ vel in judicium deductie summoveri.
400 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
Dans le système formulaire, la sentence, qui con-
damne, consiste toujours dans la condamnajion au paie-
ment d'une somme déterminée. Lorsque le litige porté
devant le juge , l'arbitre ou les récupérateurs, repose sur
une action réelle , comme en certaines actions prétorien-
nes, la sentence substitue à l'objet primitif une créance
purement pécuniaire , et le demandeur qui a gagné son
procès a l'action de la chose jugée, actio judicati. Les
rapports antérieurs sont éteints et remplacés par cette ac-
tion, qui naît du jugement et qui conduit à l'exécution
de la sentence, ou à une condamnation au double.
La sentence, qui absout le défendeur de l'action inten-
tée , exerce le même effet sur les rapports préexistants
entre les parties : tous ces rapports juridiques sont anéan-
tis par la sentence d'absolution; et pour repousser la pré-
tention que le demandeur voudrait foire valoir de nou-
veau, relativement à l'objet du litige, le défendeur a l'ex-
ception de la chose jugée, exceptio rei judicati.
La sentence, une fois rendue, n'appartient plus au
juge; elle est irrévocable; elle appartient aux parties in-
téressées : c'est un principe fondamental'^. Mais, malgré
son caractère définitif, la sentence peut trouver des ob-
stacles opposés à son autorité, soit de la part du défen-
deur condamné , soit de la part du demandeur vaincu. —
L'action judicati et l'exception rei judicat^e ont pour
principal objet de détruire les obstacles élevés contre l'au-
torité de la sentence qui condamne ou qui absout.
Nous allons considérer ces positions alternatives des
parties :
16 Judex, posteaquam semel sententiam dixit, judcx esse desinit....
Semel enim , maie seu bene , officio functus est. {D. xlu. 1 . r).). VIp. )
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. V. 404
1 •* Et d'abord , le demandeur, qui a gagné le procès et
qui veut exécuter la sentence, doit réclamer du magis-
trat l'intervention nécessaire pour l'exécution. A celui
qui donne le juge appartient le pouvoir de faire exécuter
le jugement ; mais la partie condamnée peut alors oppo-
ser la nullité de la sentence , ou soutenir qu'il n'y a pas
de sentence, non esse judicatum : c'est ce qu'on appelle
proposer des voies de nullité.
« Nous devons regarder comme condamné, dit Ulpien,
» celui qui a été condamné régulièrement , afin que la
» sentence vaille. Mais si la sentence , par quelque raison
» que ce soit , n'a pas de véritable existence , si nullius
» momenii sit , la parole de condamnation ne peut pas
» tenir*''. »
Les voies de nullité contre la sentence pouvaient ve-
nir de plusieurs sources *^ :
Causes de nullité relatives à l'état de l'une des parties
incapable ou absente pour motif légitime;
Causes relatives à l'incompétence du magistrat qui
avait donné le juge , et à l'incapacité du juge (sauf l'er-
reur commune faisant droit) ;
Causes relatives à l'inobservation de la formule , à l'ir-
régularité des formes substantielles de la sentence ;
17 D., XLTi. 1. 4. § 6. de Be judicala : Condemnatuni accipere de-
bemus eum qui rite condemnatus est, ut sententia valeat. Caeterum ,
si aliqua ratione sententia nullius nionienti sit , dicenduni est con-
deninationis verbum non tenere. ( Ulp. )
18 Ces causes sont dites, par les interprètes du droit, venir : 1° Ex
persona liliganlium , magislratus , judicis; 2° ex defectu processus ,
si vel forma, vel subslanlialia deficianl. {Corvinus , Insl. iv. lit. 16.)
T. 1. 26
402 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
Causes relatives à l'infraction de la Loi ou à la viola-
tion du Droit constitué , cum contra constitutiones judicatur ,
aut de jure consUluto pronunciatur '^.
Saisi de cette opposition par voie de nullité fondée sur
un moyen de droit , le Préteur, juge de la nullité, accor-
dait ou refusait l'exécution du jugement. — Mais si la
sentence en elle-même , son existence de fait , était révo-
quée en doute, le magistrat renvoyait devant le juge avec
la formule de l'action du Jugé, si paret judicatum esse.
Toutefois, la sent<;nce apparente ou alléguée avait une
force provisionnelle , en ce sens que le défendeur oppo-
sant devait fournir la caution judicatum solvi; et s'il per-
dait son nouveau procès, il subissait la condamnation
au double ; car on avait agi contre une personne qui avait
nié sciemment une chose certaine , adversus inficiantem.
— L'action Judicati venait de la Loi des XII Tables ; elle
était civile et pénale; elle était perpétuelle, avec droit
de poursuite sur la chose et contre l'héritier ^".
2° Dans le second cas, lorsque le défendeur originaire
19D.,XLix. 1. 19. {Macer.)
M. Boniean a parfaitement expliqué ces quatre causes de nullité,
t. II. § 387. Cependant il ajoute , p. 535 , que la voie de nullité pou-
vait être fondée sur la violation de l'autorité de la chose jugée ; ce qui
ne peut être admis sans distinction , mais pour les cas seulement où
cette autorité prouve à l'égard de tous , selon la distinction que nous
présenterons bientôt , relativement à l'autorité de la chose jugée.
20 CtJJAS, Observ., xxx. lib. 2.
Doneau, de Jur. civ., xxvii. ch. 3. — D., xlii. 1. 6. § 3 : Rei per-
secutoria ; in heredem, pro parte virili.
Gaius, IV. § 9 : Rem vero et pœnam persequimur, velut ex his eau-
sis ex quibus adversus inficiantem in duplum agimus : quod accidit
per actionem judicati, depensi, damni, injurise, pecuniarum? lega-
tarum nomine , quœ per damnationem certse relictœ sunt.
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. V. 403
avait obtenu la sentence d'absolution , le demandeur ,
qui voulait se prévaloir de la nullité du jugement, for-
mait de nouveau son action devant le Préteur , comme
s'il n'y avait eu ni sentence, ni même litis-contestation.
— Alors le défendeur opposait l'exception de la chose
jtigée. Le magistrat statuait , s'il y avait question de
droit élevée contre la validité de la décision du juge ;
il renvoyait devant le juge , dans le cas où l'existence
même de la sentence était mise en question ; et le de-
mandeur téméraire , qui avait nié la sentence d'absolu-
tion, subissait la condamnation au double de la valeur
du litige.
Ainsi , les voies de nullité étaient librement ou-
vertes contre les sentences des juges donnés par le Pré-
teur , et elles constituaient un puissant moyen de faire
respecter les règles du droit, la compétence des magis-
trats et des juges, l'inviolabilité des formules prétorien-
nes ; mais si le citoyen voulait aller au-delà de ces at-
taques par les moyens de droit , et user de sa faculté
de nier l'existence même de la décision du juge , il était
averti ou retenu par de sages précautions ; il était li-
bre, mais il encourait la responsabilité de ses actes.
L'action ou l'exception judicati et la caution judica-
TUM SOL VI se combinaient avec la condamnation in du-
PLUM , pour prévenir ou réprimer, par une grave sanc-
tion , l'usage téméraire d'une faculté précieuse à la sé-
curité du citoyen. Lorsque le citoyen abusait de sa li-
berté d'attaquer les actes de la Justice, il encourait une
peine méritée. « Dans un État, dit Montesquieu, c'est-
» à-dire dans une société où il y a des lois , la liberté ne
» peut consister qu'à pouvoir faire ce que l'on doit vou-
404 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
» LOIR » ^*. La constitution judiciaire des Romains réali-
sait admirablement ce principe de liberté politique et
civile.
III. — La sentence passée en force de chose jugée est
exécutoire sous l'autorité du Magistrat qui donne , en
vertu des Lois ou de l'Edit, les moyens d'exécution. Les
deux voies d'exécution les plus anciennes , la manus in-
jECTio et la Missio m possessioinem , l'une venant des
XII Tables, l'autre de l'Édit prétorien, s'adressaient à
la personne et aux biens.
La première était l'action qui tendait à l'exécution gé-
nérale des jugements. C'était une contrainte par corps;
et le débiteur condamné ne pouvait repousser la main du
créancier agissant par lui-même pro judicato , sans être
rebelle et livré au pouvoir du magistrat, qui ordonnait
de le conduire dans la prison publique , in publica vin-
CULA^^. — En vertu de la loi Papyria de nexu, le débiteur
condamné cessa d'être réduit en état de servitude ; mais
laManus injectio, comme moyen d'exécution par la main-
mise personnelle , ne fut point alors abolie. Plus tard , et
après l'abrogation des actions de la Loi , elle fut rempla-
21 Esprit des Lois , liv. xi. cli. 3. Ce que c'esl que la liberté.
22 La loi Julia de vi publica, punissait le magistrat qui avait mal-
traité ou fait conduire in publica vincula le citoyen qui avait fait son
appel au peuple; mais la loi exceptait les cas où le magistrat en avait
agi ainsi à l'égard du débiteur condamné qui avait refusé d'obéir , et
de ceux qui avaient enfreint la discipline publique.
« Hac lege excipiuntur, dit Paul , judicali etiam et confessi , et qui
ideo in carcerem duci jubentur, quod jus dicenti non obtemperave-
rint, quidve contra disciplinam publicam fecerint. {Paul., Sent. , v.
26 , el Cvjas, Comm. )
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. V. 405
cée^ à Rome et dans les Provinces, par l'ordre du Pré-
teur de conduire le condamné, duci jubet (sorte de man-
dat d'amener), pour que le débiteur conduit dans la mai-
son du créancier appliquât son travail à l'extinction de la
dette. C'est cette transformation de l'ancienne main-mise
que la Loi de la Gaule Cisalpine exprimait par ces mots :
« Ne ouïs de ea re msi pr^tor , isve qui rom^e juri-
DICUNDO PR^ERIT DUCI EUM JUBE AT '
,23
La seconde voie d'exécution , l'Envoi en possession et
la vente publique des biens , fut conservée. Mais le ca-
ractère des droits du créancier, sur les biens détenus par
suite de l'envoi en possession , fut précisé par la déno-
mination de GAGE PRÉTORIEN donnée aux objets mobi-
liers et immobiliers placés sous la main de l'envoyé en
possession. Il y avait cette différence essentielle entre le
gage prétorien et l'hypotbèque créée par le pacte préto-
rien , que l'hypothèque ne supposait pas la détention des
objets par le créancier, et pouvait s'appliquer même à
des biens futurs , tandis que le gage prétorien n'existait
qu'à la condition de la mise en possession effective. Si le
débiteur avait vendu les objets avant l'exécution de la
missio in 'possessionem , le gage prétorien n'avait pas lieu ;
comme le pignus, dans l'ordre des contrats du droit civil,
il était essentiellement réeP*. Lorsqu'il portait sur des
23 Lex Galliae Cisalpinae, cap. xxii , in fine.
24 D., XIII. 7. 26. § 1. ( Ulp. ) : Sciendum est ubi jussu magistratus
pignus constituitur, non alias constitui, nisi ventum fuerit in posses-
sionem. — Cod. J., Yiii. 18. 2 : Praevalet jure qui praeveuit tempore.
{Anlon., an. 213.)
Inter pignus hoc prœtorium et caetera quae lege tacite dantur aut
conventione, hoc interest quod ille siraul atque obUgatio subest, aut
406 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAIîSE.
immeubles susceptibles de revenus , le créancier recueil-
lait les fruits jusqu'à la vente ou à la remise du gage ; les
fruits se compensaient avec les intérêts de la créance, car
il était dispensé expressément de leur restitution^^.
La Pignoris Capio du droit des XII Tables n'était point
créée comme action de la Loi pour l'exécution des senten-
ces; mais elle s'étendit dans l'usage; et après l'abolition
de l'ancien système de procédure, il y eut une prise de
gage autorisée par le magistrat , qui constituait un gage
judiciaire distinct du gage prétorien dont nous venons de
parler. — Le gage prétorien portait sur l'ensemble des
biens compris dans la missio in possessionem , et possédés
soit par les créanciers , ex causa judicati , soit par des en-
voyés en possession à d'autres titres qu'une sentence de
condamnation ; le gage judiciaire proprement dit portait
spécialement sur un objet, et n'existait jamais que pour
garantir le résultat d'une condamnation. — Dans le gage
prétorien , c'était le créancier lui-même qui se mettait en
possession ; dans le gage judiciaire, la main-mise s'effec-
tuait par l'appariteur ou l'officier ministériel exécutant
l'ordre du magistrat. — La vente se faisait, dans le gage
de pignore convenit, creditori obligaiitur etiarasi nunqaam res in
manus et possessionem créditons venerit. — Quod autem a magis-
tratudaturnon alias constituitur, nisi in possessionem ventum fuerit ,
quibus ex causis in possessionem missi sumus , aut res ex causa ju-
(fï>«a" capta et occnpata sit. (DoNELLUS, de Pign. et Hyp. , cap. v.
(t. VI. p. 881. — et t. XI. p. 230. )
25 Prœtor ait : Si quis cum tn possessioîve bonorum esset quod
rO NOMI>'E FBUCTUS CEPERTT El AD QUEM EA RES PERTINET NO?} RES-
TITUAT. — His verbis, ad qnnn ea res perlinel, etiam curator bonis dis-
îrahendis continebitur , et ipse debitor, si contigerit ne bona ejus ve-
neaut, (P., xlii. 5. 9. § 2. Ulp.)
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. V. 407
prétorien , par les soins du curateur et à la diligence des
créanciers; dans le gage judiciaire, la vente s'effectuait par
l'autorité directe du magistrat"®. — La vente publique,
après la missio in possessionem , entraînait la note d'infa-
mie contre le débiteur; il n'en était pas ainsi dans la
vente du gage spécial. — Dans le gage prétorien, la vente
aux enchères était la conséquence de la missio , à moins
que le débiteur n'eût obtenu la réintégration après le paie-
ment, et les biens n'étaient jamais attribués aux créanciers
sans l'intervention de la vente publique ; dans le gage
judiciaire, si le condamné avait par ses manœuvres écarté
les acheteurs, l'objet pouvait être attribué au créancier,
dominiiim creditori addici solet , usage qui s'est pratiqué
surtout dans les provinces"^. Mais une règle commune
aux deux espèces de gage prétorien et judiciaire, et sur
26 Res ob causam judicati ejus jussii cui jus jubendi fuit, pignoris
jure teneri ac distrahi posse saepe rescriptum est; nain in vicem justae
obligationis succedit ex causa contractus auctoritas jubentis. ( Cod.
Jusl., VIII. 23. 1. Anton. [An. 214.] Si in causa judicati pignus cap-
ium.— Cum IX causa judicati aliqua res pignobi capitur peb offi-
ciUM EJUS qui ita decrevit, venumdari solet, non per eum qui judi-
catUQi lieri postulavit. {Idem , L. 2. Alex. [ An 224. J
Cujas , dans ses Paralitla, sur les Livres du Code, viii. 21 et 22 ,
( annotés par Fabrot ) , a fait ressortir les différences entre le gage pré-
torien et le gage in causa judicali caplum.
Doneau n'a pas fait les mêmes distinctions , et semble considérer le
gage prétorien comme ne faisant qu'un avec le gage judiciaire. (Com-
ment, in seleclos quosdam lilulos Digesl., volum. secund., t. xi. p. 230,
édit. Naples. )
27 In causa judicati pignora ex autoritate pr^sidis capta , potius
distrahi quam jure dominii possideri consueverunt. Si tamen perçai,
liditatem condemnati emptor inveniri non potest , tune auctorit'ate
Principis dominium creditori addici solet. {Cod. Just. , viii. 23. 3.
GOEDIAN., An. 240.)
408 • LIV. 1. — ÉPOQUE ROMAINE.
laquelle il n'y avait aucune variation , c'était la nécessité
de la détention réelle de l'objet^* : — d'où il résulte que
le gage prétorien et judiciaire des Romains n'a aucun
rapport avec l'hypothèque judiciaire des Modernes.
Au surplus, le bénéfice de Cession, introduit par Jules
César en faveur des débiteurs insolvables , mais de bonne
foi dans leur malheur, fut toujours la ressource placée à
côté des moyens de rigueur; et par une modification
toute favorable aux débiteurs, la Cession, qui devait d'a-
bord se faire solennellement devant le Magistrat , put
même se faire extrà-judiciairement par lettre ou par mes-
sage ^^.
IV. — L'autorité de la chose jugée était un grand
principe, fondé sur l'intérêt sociaP".
« L'état de la République , disait Cicéron (même après
avoir frappé, sans jugement, Catilina et ses complices),
28 Un jurisconsulte (d'orgine portugaise), qui professa avec gloire
dans les anciennes Universités de France, et que Cujas a qualifié le
premier parmi les inlerprèles présents el futurs du Droit de Justinicn ,
Antoine de Gou\éa{ Goveanus ), a dit que l'envoyé en possession avait
le droit de gage , bien qu'il ne possédât pas : « Licet autem missus in
possessionem nonpossideal , jus tamcn pignoris hahel. » Mais il se fonde
seulement sur la loi 26 , de pigneratiiia actione. (Z)., xiit. 7 ), qui dit
positivement, § 1 : Sciendum est , ubijussu magistratus pignus consti-
tuitur non alias constitui, nisi venlum fueril in possessionem. — Il y avait
donc erreur. (Ânt. Govean.,de Jtirisdiclione, lib. li.p. 75, édit. 1622.)
29 Bonis cedi non tantum in jure, sed etiam extra jus potest; et
sufficit et per nuncium vel per epistolam id declarari. ( />., xlii. 3. 9.
Marcian. )
30 D., XXXVI. 1. 65 : Etiam Publici interest propter rerum judica-
tarum auctoritatem , id est ut res judicatse suam teneant auctori-
tatem.
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. V. 409
l'état de la République est maintenu , surtout par l'au-
torité des sentences ^* » .
Le respect dû à la Chose jugée, dans l'ordre civil, fut
considéré comme le respect dû à la Vérité , dans l'ordre
moral; et de là cette maxime qui, des Romains, a passé
dans la jurisprudence de tous les peuples civilisés, res
JUDICATA PRO VERITATE ACCiPiTUR. L'assimilatiou , ce-
pendant, n'est pas possible dans un sens absolu. L'au-
torité de la chose jugée ne peut pas être la même à l'é-
gard de toutes les questions , de toutes les sentences et
de tous les citoyens. La présomption de vérité attachée
aux jugements est tantôt générale , et tantôt relative.
La maxime insérée au titre de Regulis Juris [207] , qui
semble tirer de son isolement le caractère d'un axiome, est
empruntée à un fragment d'Ulpien, qui l'appliquait à l'état
des personnes. [D. i. 5. 25]. Dans son application aux ques-
tions d'état, savoir si un homme est libre, ingénu, citoyen ;
s'il y a mariage, paternité, filiation, la règle est générale :
l'autorité du jugement, lorsqu'il y a eu légitime contra-
dicteur, est universelle dans la Cité; l'erreur même, con-
sacrée par la sentence définitive en faveur de l'état ré-
clamé, est entourée du respect que l'on doit à la vérité.
Or^ dans la constitution romaine, par une précieuse har-
monie entre les institutions et leur principal objet, c'était
le Tribunal électif des Centumvirs qui , statuant sur
l'état des personnes dans la Cité , dans la famille , pro-
nonçait les Sentences préjudicielles, obhgatoires pour la
31 Status Reipublicae maxime judicatis rébus continetur. ( Cic. ,
pro P. Sulla , cap. xxii. )— Le discours fut prononcé en 691 , après le
consulat de Cicéron , et en faveur d'un citoyen accusé d'avoir été l'un
des complices de Catilina lui-même.
44 0 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
Cité tout entière. « La sentence alors préjuge à l'égard de
tous, disait énergiquement un jurisconsulte du xiv^ siè-
cle, J. Faber; la sentence portée pour l'état des personnes
fait droit, senteintia latapro statu facit jus^^. »
Mais quand les questions en litige ne concernent pas
l'état des personnes dans la Cité, ne touchent pas à la
constitution personnelle de la famille, et regardent la
propriété , les obligations et toutes les choses suscepti-
bles d'évaluation pécuniaire, l'autorité de la chose jugée
ne s'impose plus, comme la vérité, à la société entière;
elle n'est plus générale}, elle est relative seulement aux
citoyens qui ont figuré dans le procès, ou à ceux qui
les représentent. — Et lors môme qu'il s'agjirait d'une
qualité de la personne , si cette qualité est liée à une
obligation, à une preuve, qui peut être à l'égard de l'un
et n'être pas à l'égard de l'autre , le jugement rendu con-
tre la personne en cette qualité ne peut profiter ni nuire
à celui qui n'a pas été partie dans l'instance. Ainsi , le
jugement obtenu par un créancier ou un légataire contre,
un successible ou un institué , en qualité d'héritier , ne
32 Joan. Fabri , Comment, in lib. iv. Inst., tit. vi. § 13, pb^judi-
CIALES ACTIONES. (P. 473. 474 , edil. Lugduni, 1593. )
« Sententia in eis lata pracjudicat omnibus.... Numquid est verum
indistincte? « Sententia lata pro statu facit jus. Quid si contra sta-
tum ? Non videtur idem ; cum cesset causa favoris liberlalis vcl inge-
nuilatis. » Le facit jus esi tiré des lois romaines. (Z). v. 2. 17. § uU.)
Toute la discussion de J. Faber mérite d'être étudiée. Un juriscon-
sulte, D. Herald, qui a fait un traité spécial très-intéressant dererum
judicalarum auctorilale , inséré dans le 2* tome du Trésor d'Othon, ex-
pose et développe la même doctrine (liv. i. c. 1. n» 9.)
Zimmern fait aussi cette remarque, mais sans développement : « C'est
en matière de questions d'état que l'on peut dire avec raison : Resju-
dicala pro verilate accipitur. » ( Traité des actions, § 140, in fine. )
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. V. 411
peut être invoqué par un autre créancier contre le même
successibîe , parce que l'obligation qui résulte de Tadi-
tion d'hérédité, ou la preuve de l'obligatton, a pu exis-
ter à l'égard de l'un , sans exister à l'égard de l'autre.
Ainsi, de deux cohéritiers d'un débiteur, l'un est pour-
suivi et condamné envers un créancier: le jugement
ne pourra nuire à l'autre cohéritier, bien qu'il ait connu
l'action et le jugement , parce que la défense étant
divisible, reste entière pour le cohéritière^. — Ainsi,
encore, la plainte en testament inofficieux a pu réussir
contre un institué, sans réussir contre un autre, parce
qu'une mauvaise défense ne peut nuire à une bonne.
Le testament peut donc être rescindé à l'égard de l'un
et n'être pas rescindé à l'égard de l'autre : là encore il
y a des intérêts et des défenses divisibles, et cette di-
visibiUté pénètre jusque dans le testament ; car , malgré
la règle qu'un citoyen ne peut mourir partie testât et
partie intestat , l'hérédité est partagée entre l'héritier
testamentaire et l'héritier du sang. Ce qui n'aurait pu
avoir lieu par la volonté du testateur s'effectue après sa
mort , ex post facto , par respect pourl'autorité purement
relative de la chose jugée e*.
33 Nam scientibus nihil praejudicat, veluti si ex duobus heredibus
débitons aller condemnatur ; ùam alteri intégra defensio est , etiamsi
cum coherede suo agi scierit. ( D., xLii, t. 63. Macer. )
34 Cum inofficiosi querelam evenire plerumque adsolet ut in una ea
atque eadem causa diversse sententiœ proferantur. Quid enim si , fratre
cogente, heredes scripti diversi juris fuerunt? Quod si fuerit, pro parte
testatus et pro parte intestatus, decessisse videtur. (D.,v. 2. 24. Ulp.)
Filius qui de inofficiosi actione ad versus duos heredes expertus di-
versas sententias judicum tulit etunum vicit , ab altero superatns est ,
et debitores convenire et ipse a creditoribus conveniri pro parte po-
442 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
Cette autorité , ramenée ainsi à son caractère relatif
dans le domaine des intérêts réels et privés , est opposée
sous la forme de l'exception reijudicatœ. L'exception est
donnée , comme on l'a vu plus haut , au défendeur ab-
sous par le jugement , pour repousser l'action nouvelle
du demandeur ; elle est donnée aussi au demandeur qui
a vaincu dans l'instance et qui serait poursuivi , plus
tard , par l'ancien défendeur. Cette exception est perpé-
tuelle et péremptoire. Mais, pour qu'elle puisse exister,
trois conditions doivent concourir : — Il faut que la
chose demandée soit la même , eadem res ; — que la
demande soit fondée sur la même cause , eadem causa
PETENDi; — qu'elle soit entre les mêmes parties , inter
easdem personas.
1** Identité de chose. — La condition existe , quelle
que soit la nature, mobilière ou immobiUère, corporelle
ou incorporelle, totale ou partielle de l'objet du litige.
2° Identité de cause. — Une seule cause de demande
aurait pu donner lieu à plusieurs actions ; la diversité
des actions possibles ne change pas l'unité de la cause
prochaine qui pouvait les produire^ et c'est à cette cause
prochaine que l'on doit s'attacher pour savoir s'il y a
identité ^^. Quand il s'agit de propriété , une cause ab-
sorbe toutes les causes ; car on ne peut être propriétaire
qu'une fois d'un même objet. Quand il s'agit d'obUga-
test ; et corpora vindicare et hereditatem dividere. Verum enim est
familise erciscundae judicium competere : quia credimus eum legiti-
mum heredem pro 'parle esse factum , et ideo pars hereditatis in tes-
taraento remansit. Née absurdum videtur, pro parte iutestatum vi-
deri. (Z)., v. 2. 15. Papin. ) Supra , p. 72. note 28.
35 Proxima causa actiouis. (D.. xliv. 2 27, )
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. V. 4i 3^
tion , il peut y avoir plusieurs causes différentes et suc-
cessives ; une personne peut être obligée envers moi de
différentes manières , à divers titres : si donc j'ai suc-
combé en invoquant une cause d'obligation , je puis réus-
sir contre la même personne , en invoquant une cause
différente. Après avoir agi inutilement contre elle par
l'action mandali , je puis agir par l'action fro socio; mais
si j'ai revendiqué , à titre de propriétaire , contre Seius
le fonds Cornélien, et si j'ai succombé dans mon action ,
je ne puis agir contre le même adversaire, en alléguant
une autre cause de propriété, à moins qu'une cause nou-
velle ne soit survenue depuis l'instance^®.
3** Identité de personnes. — Les successeurs à titre
universel ou singulier de la partie qui a figuré dans le
jugement ne sont pas considérés comme des personnes
différentes ; la représentation de la personne elle-même ,
ou la succession h la propriété de la chose, par transmis-
sion à titre singulier, produira le même effet et supposera
l'identité des personnes , parce que les intérêts des au-
teurs et des successeurs se confondent, dans les deux cas,
à l'occasion de l'objet litigieux et de la cause du litige.
Par ce simple aperçu sur une Règle qui a donné lieu
à de si riches développements dans la science du droit,
on peut entrevoir à quelle profondeur l'analyse des Ju-
risconsultes romains avait cherché les éléments de la
grande exception rei judicatœ. Ils voulaient s'assurer que
36 D., xLiv. 2. 14. § 2 : Neque eniiiî amplius quam semel res mea
esse potest , saepe autem deberi potest.
StruviusSyntagm. juris civilis exercit. 45, de Excepl. rei judicatce ,
n» XX. — Zimmern. (§ 139. )
M 4 LIV. 1. — ÉPOQUE ROMAINE.
Texception ne serait pas abusive, qu'elle porterait avec
certitude sur un litige déjà terminé entre les mêmes
parties. Ils voulaient que la Chose jugée servît ou nuisît
à ceux seulement qui avaient été personnellement jugés
ou représentés. — Pour éviter la multiplicité des pro-
cès, ils faisaient encore une distinction fondée sur la
position respective des personnes et sur la nature des
droits subordonnés les uns aux autres. Lorsque celui
qui avait le plus "d'intérêt à agir le premier laissait sciem-
ment agir la personne qui n'avait qu'un droit secondaire,
il devait s'imputer de n'avoir pas usé de son droit de
priorité , et subir la conséquence du jugement. Le créan-
cier , par exemple , qui laissait le débiteur plaider sur la
propriété du gage remis entre ses mains; — le mari qui
laissait son beau-père ou sa femme plaider sur la propriété
des choses par lui reçues en dot, étaient censés avoir
consenti ou participé au jugement. Ils auraient donc été
repoussés par l'exception de la chose jugée , si, plus tard,
ils étaient venus réclamer le gage ou la chose dotale contre
ceux qui avaient gagné le procès. — De même , la sen-
tence sur la nullité d'un testament, portée contre l'héritier
inscrit, nuisait aux légataires , dont les droits sont néces-
sairement subordonnés à la validité d'un titre indivisible^'.
Ainsi, et en résumé, les Jurisconsultes romains, en
proclamant l'autorité de la chose jugée, en l'assimilant
à la vérité, lui donnaient dans la Cité une autorité
GÉNÉRALE ou RELATIVE , sclou Ic Caractère des questions,
37D.,XLii. 1. 63. (ij/acer.): Sœpe constitutumestres iiiteraliosjudica-
tas aliis non prœjudicare ; quod tamen quamdam distinctionem habet ;
nani seuteutia inter alios dicta aliis quibusdani etiani scientibus obest.
D. XXX. I. 50. § 1 : Quant aux legs. Sccus, s'il s'agissait d'uu gage,
qui pouvait valoir par une autre cause. D. xx. 1. 3. Pap. {H/r., i. c. 2.^
CHAP. V. DROIT PRÉTORIEN. SECT. V. 415
des personnes et des intérêts. — Quand ils la réduisaient à
une application relative, ils s'assuraient, par les conditions
constitutives de l'exception rei judicatœ, qu'elle porterait
vraiment sur un litige déjà jugé entre les mêmes parties
ou leurs ayant-cause , ou sur des droits subordonnés par
leur nature à un droit fondamental. — Déplus, ils tai-
saient en sorte que chacun tut intéressé gravement à
veiller sur ses propres droits, en associant aux effets de
la sentence les personnes qui auraient pu agir, et qui, par
incurie ou par connivence, avaient laissé de moins inté-
ressés agir à leur place. La Loi civile de Rome protège
le Citoyen dans l'exercice de ses droits, mais en attachant
ses garanties à un devoir, la vigilance du père de famille :
JUS CIVILE VIGILANTIBUS SCRIPTUM EST.
Si la vigilance est un devoir lié à l'intérêt des plaideurs,
^lle est un devoir bien plus impérieux encore pour le juge,
{ui doit accomplir religieuâement son office. Le juge qui
prononçait la sentence contre les lois , contre le droit pu-
blic , invoqués devant lui , était criminel et frappé de dé-
portation; celui qui prononçait par faveur, par haine, par
cupidité , dolo mato, assumait le procès sur sa tête, et en
devait la véritable estimation : mais, en outre, celui-là
même qui ne commettait le dommage que par impéritie,
par imprudence , faisait sien le htige et en était respon-
sable^^. La responsabilité du juge garantissait les citoyens
contre ses passions , son ignorance ou sa légèreté. Quelle
admirable harmonie entre les fonctions du juge et les de-
voirs de l'homme !
38 Paul., Sent. v. 25. § 4. In insulam deporlalur. — D. v. 1. 15. § 1.
Judex cum dolo malo {Ulp.) — D. L. 13. 6. Per imprudenliam {Gains.)
— Donellus, Comm., lib. xxviii. c. 2.
416 LÎV. 1. — ÉPOQUE ROMAINE.
CHAPITRE VI.
CULTURE ET ENSEIGNEMENT DU DROIT. — ÉCOLE DES PRUDENTS. *
Existimo juris civilis magnum usum.... et
apud multos fuisse. (Cic, Bkutus, xli.)
Avant la Loi des XII Tables, le Droit était pontifical :
ses principes et ses modes d'action étaient entourés de
mystère. — Depuis la Loi des XII Tables , le Collège des
pontifes dressait les formules d'action , les patriciens ré-
pondaient sur le droit à leurs clients; l'initiation à la con-
naissance , à la pratique du droit était encore le privilège
du patriciat. Mais en l'an 502 un plébéien , TiB. Corux-
CANius , fut élevé, par l'illustration de ses services et la
force des cboses , à la dignité àe Grand-Pontife; il put in-
terroger les derniers replis du droit pontifical, et s'appro-
prier la notion des formules, la doctrine des prudents sur
la Loi des XII Tables et le Droit non-écrit. Quand il fut
maitre delà science mystérieuse, il eut le noble courage de
RÉPONDRE SUR LE DROIT , uon plus à des clicnts , mais à
tous les citoyens, et de professer publiquement une doc-
trine dont l'impression resta long-temps dans les esprits * .
* Pour l'EcoLE DES JURISCONSULTES de l'Empire , voir au tome ii ,
notre Liv. m. ch. .5.
1 Pomp., Orig. Jur., §§ 35. 38 : Ex omnibus qui scientiam nacti suut,
ante Tib. Coruncaniuni publice pbofessum neminem ïbaditue
Cujus scriptum uullum exstat, sed responsa complura et memorahilia
ejus fuerunt.
Geavina ya peut-être trop loin , quand il dit que Tib. Coruncanius
forma des disciples, disdpulos habuisse. {De On. et Pr., ch. 43. p. 34.)
CHAP. VI. CULTURE ET ENSEIGN. DU DROIT. 417
Cinquante ans après, un patricien, que Cicéron ap-
pelle le plus habile de tous en droit civil , Sextus ^-Elius,
fit un livre , déjà cité par nous , qui comprenait la Loi
des XII Tables, son interprétation, et les actions de la
Loi, mises en rapport avec le texte. Ce livre mérita d'être
appelé par les jurisconsultes des siècles postérieurs le
Droit ^lien et le berceau de la science du droit ^.
Le premier enseignement du droit par la parole, et
le PREMIER LIVRE écrit sur le droit civil , se sont donc
produits dans le vi^ siècle de Rome. — L'enseignement
oral ou par écrit était alors renfermé dans l'interpréta-
tion des XII Tables et des plus anciens usages.
Au vii^ siècle, le Droit civil reçoit des éléments de dif-
férente nature. Le droit des gens, les plébiscites , les lois
spéciales , les édits des préteurs de la ville et des étran-
gers , sont des sources nouvelles pour la législation et
pour la science. Les pontifes, les consuls, les censeurs,
les tribuns, les préteurs et les proconsuls dans les pro-
vinces , concourent tous , comme jurisconsultes ou légis-
lateurs, au développement du droit. Caton le censeur et
son fds exercèrent une telle influence dans la science pra-
que qu'une règle de droit sur la validité des testaments
porte à jamais la dénomination dérègle Catonienne^; le
/
2 Cic, in Bruto : « Sextus jElius, juris quidem civilis, omnium pe-
ritissimus. » — Supra chap. iv. p. 52. — chap. 5. p. 353.
Pomp.- Orig. , Jur., § 38 : « Sextus JSlius alias actionescomposuitet
» librum populo dédit qui appellatur Jus .Elianum » Sextum
^lium etiam Ennius laudavit ; et exstat iilius liber qui inscribitur
Triperlila ; qui liber veluti Cunabula Juris continet.
3 D.,xxxiv. 7. Régula Caloninna sic définit : « Quod si testamenti
facti tempore decessit testator , inutile foret : id legatum , quando-
cunique decesserit, non valere. « — D'après cette règle, le testa-
T. 1. 27
448 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
tribun Aquilius attacha son nom à un plébiscite (la loi
AquUia) sur le dommage causé par la faute ou l'impru-
dence des citoyens^; le préteur Publicius attacha le sien
à l'action Publicienne, qui garantit le droit de possession à
l'acquéreur de bonne foi ^; le préteur C. Aquilius Gallus,
le collègue de Cicéron dans la préture [687], celui que Ya-
lère Maxime qualifie à' homme d'une grande autorité^ à' homme
éminent dans la science du droit civil ^ , imprima aussi son
nom à une forme générale de contracter, la stipulation
Aquilienne ; et par l'exception de dol qu'il introduisit dans
le droit, il priva la fraude de ses plus subtiles ressources'^.
— Quintus Mucius Scévola, tribun, consul [658], grand-
pontife, et proconsul en Asie, fit pour sa province un édit
qui mérita d'être proposé comme modèle à ses successeurs
ment doit être tel que si le testateur venait à mourir immédiatement,
le testament pût produire effet. — En d'autres termes , la capacité du
testateur doit exister au moment de la confection du testament , et non
pas seulement au jour du décès. — Caton suivit quelquefois S. iElius,
selon la remarque de Pomp. Ob., § 38.
4 Ce que nous appelons quasi-dèlUs . — Ce tribun Aquilius tie doit
pas être confondu avec le préteur C. Aquilius Galius. Il lui est anté-
rieur. Le jurisconsulte Brutus , que l'on regarde comme un des plus
anciens, parlait de la loi Aqiiilia dans ses écrits. (Z)., ad Leg Aq.^
IX. 2. 27. §22., etL. 39.)
5 Ce préteur vivait probablement du temps de Cicéron ( Pro Cluen-
lio, XLV. ) — Heineccius avait combattu la conjecture par un passage
de Térence , faisant mention de l'action resçisoire , attribuée au même
Publicius ; mais Térence ne parle point de celle action, ainsi qu'on l'a
justement remarqué dans les notes sur Heinec. (Antiq. rom., p. 681,
édil. Mulhcnb. ) — Pothier avait suivi sans discussion l'opinion d'Hei-
neccius. {Pandect., vi. 2. t. (1).
6 « Vir magnse autoritatis et scientia juris civîlis excellens. » ( Val.
JWaac., VIII. 2.)
7 Cic, de Nat. Deor., m. 16.
CHAP. VI. CULTURE ET ENSEIGN. DU DROIT. 41 9
par un décret du sénat*, et il publia sur le droit civil des
livres qui méritèrent aussi les éloges des jurisconsultes de
la grande époque^. Alfenus Varus, qui des rangs les plus
obscurs s'éleva sous Auguste au rang de consul , composa
le premier recueil connu sous le nom de Digeste.
Tous ces hommes supérieurs et d'autres encore , tels
que Publius M. Scévola , consul en 620, père de Quintus
Mucius; iElius Gallus, qui s'occupa spécialement des
origines; Rutilius Rufus, consul en 648, proconsul en
Asie , qui le premier réfréna la rapacité des chevaliers et
mourut en exil *°, tous étaient remarquables par leur
connaissance étendue et leur grande pratique du droit
civil. Mais jusqu'alors, un seul jurisconsulte, au juge-
ment de Cicéron , avait fait vraiment du droit civil une
science par la méthode : c'était Servius Sulpicius. « J'es-
» time, dit l'orateur romain, qu'une grande pratique du
«droit civil est chez Scévola et plusieurs autres; l'art
«EST EN lui seul. — En lui seul, aujourd'hui, il y a
«grandeur d' autorité et de science *\»
8 Val. Max., viii. 16. 6 : Qui Asiam taiii saacte et tam fortiter ob-
tinuit ut Senatus deinceps in eam provinciam ituris magistratibus ,
exeraplum atque formam officii Scœvolain decrelo suo proponerel.
Cicéron cite l'édit Asiatique dans sa lettre à Atticus. (vi. 1.)
9 Index Justinianeus in Pand. Florent. : Axioraat. liber singul. De jure
civili. — Lib.xix. D. DeReg.jur.,\.7S.— D. ii., de Orig.jur.%^ 41. 43.
10 Cic, Brut., 30. 31. — De Orat., ii. 69. — Tacit., Annal., iv. 43.
— Senec, de Benefic, xxxyii. — Tous ces auteurs font le plus grand
éloge de Rufus, qui refusa de retourner à Rome, sur la proposition de
Sylla , et mourut à Smyrne.
11 Existimo juris civilis magnum usum et apud Scœvolam, et apud
multos fuisse , artem in hoc uno. ( Cic, BruL, 41. )
Sit ista res magna, sicut est; quœ quondam a multis claris viris nune
ab UNO SUMMA AUCTORITATE, et SCIENTIA SUSTINETUR {fie LcQ., I. 5.)
420 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
Le jurisconsulte S. Sulpicius, contemporain et ami de
Cicéron, n'était pas enchaîné par la lettre rigoureuse
des XII Tables : le droit prétorien avait déjà conquis les
esprits les plus distingués. L'orateur qui avait fait la
faute de plaider pour Muréna contre S. Sulpicius lui-
même, et de jeter du ridicule sur la gravité des juris-
consultes pour plaire au peuple du forum , s'en repentit
plus tard*^; et il rendit cet éclatant hommage à Sulpi-
cius, qu'il n'était pas plus l'organe du droit que de la
justice, et qu'il rapportait le droit civil à l'équité : Qui
NOA MAGIS JURIS QUAM JUSTJTI^ CONSULTUS ES-ET, ET
JUS CIVILE AD ^QUITATEM REFERRET. (Philipp. 9.)
Disciple d'Aquilius Gallus, Sulpicius eut lui-même
de nombreux disciples. Il alliait la culture des lettres,
dit Aulu-Gelle, à la science du droit civil *^. La célèbre
épître à Cicéron sur la mort de Tullie atteste l'élévation
de son esprit et de sa philosophie'*. Il avait écrit, d'a-
près le témoignage de Pomponius, cent quatre-vingts livres
sur le droit. Sa méthode était savante et profonde par
la distribution des matières, la justesse des définitions,
la clarté des distinctions dans les choses obscures, la
12 Apud imperitos tum illa dicta sunt; aliquid etiam coronœ datum.
{De Finib., iv. 7.)
13 S. Sulpicius, juris civilis auctor, virbenelilleralus. (Aulu-GelL,
Jib. II. c. 10.)
14Epist. Cic, lib. iv. 5, an. 708. — Eruesti , dans sonlndex histori-
ens ( augmenté par M. V. Leclerc ) , vo Servius Sulp., ne met pas en
doute l'identité de l'auteur de cette lettre éloquente avec le juriscon-
sulte qui avait été successivement questeur, préteur, consul et pro-
consul en Grèce.— Le même Servius écrit une autre lettre à Cicéron sur
la mort de Marcellus. On y trouve la dignité d'une âme vraiment forte.
CHAP. VI. CULTURE ET ENSEIGN. DU DROIT. it\
sûreté des principes et l'appréciation des conséquences
vraies ou fausses qui en étaient déduites *^.
Le droit n'était donc pas seulement, comme droit po-
sitif, dans la Loi des XII Tables, dans les mœurs, dans
les lois spéciales, les plébiscites, les édits des magistrats;
il était constitué en art, en théorie; la science du droit
civil était créée.
15 Quod nunquam effecisset ipsius juris scientiam , nisi eam prœte-
rea didicisset arleni quae doceret rem universam tribuere in partes,
latentein explicare definiendo , obscurara explanare interpretando ,
anibigua primum videre , deinde distinguere ; postremo habere regu-
lara qua vera et falsa judicarentur , et quœ , quibus positis , essent vel
non essent consequentia. ( Cic, Brutus, xlii. )
422 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
CHAPITRE YII.
PHILOSOPHIE DU DROIT SELON LA DOCTRINE DE CICÉRON.
Penitus ex intima pbilosophia hauricudam
discipIiDam putat. ( Cic. , de Legibus. )
SOMMAIRE.
S I. — Philosophie du droit considérée dans son principe, d'après le
Traité de Republica.
§ 2. — Philosophie du droit considérée dans ses applications générales,
d'après le Traité de Legibus.
I. — Nature de l'Homme.
II. — Origine et nature de la Société.
III. — Origine et nature de la Loi.
IV. — Souveraineté du Peuple. — Caractère du Pouvoir.
§ 3. — Essai d'application de la philosophie du Droit au droit civil de
Rome.
§ 1er. _ phisolophie du droit , considébée dans son pbincipe,
d'après le traité sur la république.
A Tépoque où le Droit civil était constitué comme
science , une branche , qui doit en être inséparable , la
philosophie du Droit , naissait à Rome sous l'influence
de Cicéron et de la philosophie stoïcienne. — On s'est
demandé si l'orateur romain avait fait ou non un Traité
sur le Droit civil, et l'on cite avec complaisance un pas-
sage d'Aulu-Gelle qui se rapporterait à un ouvrage de ce
CHAP. VII. PHILOSOPHIE DU DROIT. 423
genre'. Qu'importent les conjectures à cet égard? Il est
certain que Cicéron , auditeur et disciple de Quintus
Mucius , avait profondément étudié le droit civil ^, et
que, dans ses ouvrages sur l'art oratoire ou sur la phi-
losophie, il saisit toutes les occasions de faire l'éloge des
XII Tables , de TEdit prétorien , et d'en reproduire l'es-
prit , le texte , les sentences , comme on peut s'en con-
vaincre par les nombreux emprunts que nous lui avons
faits dans notre Exposition. Mais sous le point de vue
du droit civil et privé , Cicéron aurait dans l'histoire une
place inférieure à Q Mucius, à S. Sulpicius; sous le point
de vue de la philosophie du droit , au contraire , il n'a
pas d'égal parmi ses contemporains, et nous dirions dans
la postérité , si I'esprit des lois n'existait pas.
Cicéron avait vu le droit civil de Rome s'ouvrir aux
principes du droit des gens; il avait applaudi à ce pro-
grès , par lequel Rome s'assimilait les institutions et les
idées consacrées par l'assentiment commun des peuples.
L'introduction d'une partie du droit des gens dans le
1 M. autem Cicero in libro qui inscriptus est de jubé civili in
ABTEM EEDiGENDO. Le seul passage de ce livre que nous connais-
sions, d'après Aulu-Gelle , se rapporte à l'histoire du droit ou des
jurisconsultes : « Nec vero scienliajuris majoribus suis Q. iElius Tu-
bero defuit; doctrina etiam superfuit. » {Àulu-GelL, i. 22.)
2 Ego autem juris civilis studio , multum operœ dabam Q. Scse-
volae Pontifici, qui quamquam nemini se ad docendum dabat, tamen
consulentibus respondendo , studiosos audiendi docebat. ( Cic, Bru-
fu5, cap. 89.)
Dans le Livre des Lois, Atticus dit à Cicéron : Quin igitur.... et
conscribis de jure civili subtilius quam caeteri ? Nam a primo tempore
aetatis juri studere te memini , quum ipse etiam ad Scœvolam ventita-
rem ; neque unquam niihi visus es ita te ad dicendum dédisse ut Jus
Civile contemneres. ( Cic, de Legib. , i. 4. )
424 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
droit primitif était le résultat que les Jurisconsultes, les
Tribuns et les Magistrats de la seconde période de l'Épo-
que romaine avaient laborieusement obtenu ; c'était beau-
coup. Mais Cicéron portait son regard plus loin : il vou-
lait faire dériver la science du droit des profondeurs
même de la philosophie : pemtus ex iintima philoso-
PHIA HAURIENDAM DISCIPLINAM PUT AT ^.
Les idées de la Grèce avaient fait , au vu^ siècle , in-
vasion dans la société romaine. Le matérialisme d'Epi-
cure avait enfanté à Rome le vaste poème de la nature
des choses, et T. Lucrèce, en se donnant la mort [698],
avait confié à son ami, à Cicéron lui-même, le soin de
publier son œuvre. Par respect pour les dernières volon-
tés d'un ami malheureux , Cicéron livra le poème à la pu-
blicité, non sans en avoir corrigé certaines parties, si l'on
en croit le témoignage de S. Jérôme et d'Eusèbe*. Mais
il garda dans ses propres ouvrages un silence absolu sur
une production dont les beautés poétiques ne pouvaient
absoudre à ses yeux l'idée fondamentale^.
3 Cic, de Leg. , i. 5 : Non ergo a praetoris edicto ut plerîque nunc ,
neque a XII Tabulis, utsuperiores, sedpenitus ex intima philosophia.
4 T. Lucretii Cari vita. — De poetarum histor. Dial. iv. Aut. Greg.
Gyraido : Hieronymus ex Eusebio , etiam ab ipso Cicérone emenda-
tum opus, his ex libro de temporibus verbis prodidit : « Cum ali-
»quos libres conscripsisset , quos postea Cicero eniendavit.... »
5 Cicéron , dans une lettre à son frère Quintus , de janvier 699 ,
parle une seule fois du poème de Lucrèce , et le passage est douteux ,
d'après les anciens manuscrits. Selon une leçon (celle de D'Olivet) sui-
vie par M. V. Leclerc , il dit : « Lucretii poemata ut scribis ita sunt :
<^muUis luminibus ingenii, multœ tamen artis. « Selon la variante
d'Ernesti , il faudrait lire : Non mullis luminibns ingenii. L'antipa-
thie de Cicéron contre la doctrine d'Epicure me paraît donner beau-
coup de vraisemblance à la leçon d'Ernesti. (Episl. ad Q. fralrem,
n. 1 1 . — t. XXI. p. 348. — Et la note de É. V. Leclerc , p. 378. — Voir
le beau travail de M. Villemain sur Lucrèce , il/é/. liltér., m.)
CHAP. Vil. PHILOSOPHIE DU DROIT. 425
La doctrine d'Epicure s'était enhardie jusqu'à procla-
mer dans le sénat de Rome la négation de la vie future ,
par l'organe de Jules César, défendant la vie des com-
plices de Catilina. Pur du soupçon d'avoir souillé sa toge
de patricien dans la conjuration ou l'amitié des conjurés
{nobilissmi cives), il appela le matérialisme à l'appui de
l'indulgence , et repoussa la peine de mort comme n'étant
pas un supplice, mais la fin de tous les maux , les mor-
tels n'ayant rien à craindre au-delà , ni rien à espérer.
César rencontrait là une de ces hardiesses qui devaient
tenter son éloquence et son courage; c'était de provo-
quer à la lutte des délibérations le spiritualisme sévère de
Marcus Porcins Caton , dont la grande àme s'attachait au
stoïcisme , et qui ne manqua pas à la cause publique ^.
La doctrine d'Epicure , qui s'introduisait au sénat de
Rome, avait pénétré même parmi les jurisconsultes. Al-
fenus Varus, jurisconsulte des derniers temps de la Ré-
publique, auquel les Pandectes de Justinien ont em-
prunté jusqu'à cinquante lois ou fragments, désignait la
6 Sallustii Catilina. — Cap. 51. Caesaris oratio « De pœna pos-
sum equideni dicere id quod res habet ; in luctu atque miseriis , mor-
tem œrumnarum requiem, non eruciatum esse; eam cuncta niortalium
raala dissolvere ; ullra neque curœ , neque gaudio locum esse.
Cap. 52. Catonis oratio « Bene et composite Caius Caesar paulo
ante in hoc ordine de vita et morte disseruit , credo, falsa existiinans
ea quae de inferis memorantur Sin in tanto omnium nietu solus
non timet , co magis referl me mihi alque vobis limere. » — Cette der-
nière phrase annonce que Caton pressentait le danger qui viendrait
du côté de César.
Salluste saisit l'occasion de ce grand débat pour mettre en parallèle
César et Caton : « Sed memoria mea , ingenti virtute , diversis mori-
bus fuere viri duo , M. Cato et J. Cœsar. (Cap. 53. )
426 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE,
doctrine d'Epicure comme la philosophie elle-même'. —
Le jurisconsulte C. Trébatius, l'ami de Jules César,
l'ami auquel Cicéron adressa, depuis, son livre des To-
piques , avait fini par adopter la secte des Epicuriens.
« 0 l'admirable camp choisi par vous ! lui écrivait Cicé-
» ron : 0 castra pr^clara ! Comment défendrez-vous
» le Droit civil désormais , quand votre intérêt sera tout
» pour vous ? — Et la formule de Fiducie , qu'il faut bien
» agir entre gens de bien? — Et le serment au nom du
» Dieu suprême, quand vous croirez que Jupiter ne peut
» s'irriter contre personne* ? »
Cicéron combattit énergiquement l'ascendant de fécole
épicurienne. Son génie, si abondant et si élevé, puisait
à toutes les sources de la philosophie spiritualiste pour
en répandre l'influence sur la jeunesse romaine. Il s'in-
spirait également de la haute métaphysique de Platon
dans les Tusculaiies, de la méthode sévère d'Aristote
dans le traité de Finibus , de la philosophie morale du
Portique dans les traités de la République et des Lois ,
7 D., V. 1. 76. (Alf.) : Quod si quis putaret partibus commutatis
aliam rem fieri : fore , ut ex ejus ratione nos ipsi non iidem essemus ,
qui abhinc anno fuissemus ; propterea quod , ut Philosophi dicerent ,
ex quibus particulis minimis consisterenius, bse quotidie ex nostro cor-
pore décédèrent, aliaeque extrinsecus in earum locum accédèrent.
Quapropter cujus rei species eadem consisteret , rem quoque eamdem
esse existimari.
Dans cette doctrine , Alfenus , pour prouver l'identité de l'homme
avec lui-même, ne voit que l'homme purement corporel ou matériel,
8 O castra praeclara! Sed quonam modo jus civile défendes»
quum omnia lui causa facias, non civmm ?Ubi porro illa erit formula
fiduciae, « ut inter bonos bene agier oportet?...» Quomodoautem tibi
placebit , Jovem lapidem jurare , quum scias Jovem iratura esse nemi-
ni posse? {Cic, Episl., vu. 12. an. 700. Les Topiques sont de709.)
CHAP. VII. PHILOSOPHIE DU DROIT. 42T
et dans le livre sur les Devoirs. Orateur ou publiciste ,
philosophe ou jurisconsulte , il proclamait la loi natu-
relle dans toute sa pureté. Il en donnait , dans le dis-
cours pour Milon, une magnifique définition qui excitait
dans les assemblées publiques un long tressaillement®.
L'orateur ne l'appliquait alors qu'au droit de défense lé-
gitime; mais le jurisconsulte philosophe en démontrait
ailleurs la nécesssité, et pressentait son empire dans la
société civile et politique. Il la regardait, sous le nom
d'Equité, comme le fondement du Droit. Dans le Traité
des Devoirs, il dit : Le droit est identique a l'équité;
AUTREMENT IL NE SERAIT PAS LE DROIT *^. — Au livrC P""
de la République , il se demande d'où vient le droit des
gens, d'où vient le droit civil; — et il les fait dériver
de la même source que la justice, la foi, l'équité**. « La
justice, dit-il, regarde le monde entier; elle brille, elle
se répand sur lui : Justitia foras spectat et projecta
TOTA EST ATQUE EMiNET*^. » — Daus la bouchc de
l'interlocuteur Philus, il met une diatribe pleine de verve
contre la justice et le droit civil; il lui fait dire d'avance
ce que Montaigne et Pascal ont mis si fortement en sail-
he sur la justice légale de leurs siècles. Mais il y répond,
sous le nom de Lœlius, par cette admirable exposition
9 Est igitur non scripta , sed nata lex , quam non didicimus , acce-
pimus, legimus, veruin ex natura ipsa arripuiraus , hausimus , ex-
pressimus; ad quam non docti, sed facti-, non institut!, sed imbuti
sumus
10 Jus enim semper quœsituin est sequabile : neque eniin aliter es-
set jus. {DeOff., II. 12.)
11 « Uude jus aut gentium, aut hoc civile quod dicetur? Unde
» justitia, fides, sequitas. » ( De Rep., i, 2. )
12 De Rep., nt. 4.
428 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
de la loi naturelle , qui est citée partout : « Est quidem
» VERA LEX RECTA RATIO , NATURiE CONGRUENS , DIFFUSA
» IN OMNES , CONSTANS , SEMPITERNA , QISM VOCET AD OF-
» FICIUM JUBENDO, VETANDO, A FRAUDE DETERREAT^^..,.
» Il est une Loi vraie , rationnelle , conforme à la nature ,
» commune au genre humain, immuable, éternelle, qui
» ordonne le bien, prohibe le mal , impose le devoir.... »
Mais une idée générale n'est pas une théorie ; et Ci-
céron n'aurait pas créé la philosophie du droit , s'il avait
présenté seulement une grande généralité.
Reconnaissons donc à quelle condition il l'a fondée.
C'est principalement dans ses deux traités de la Républi-
que et des Lois qu'il faut en rechercher les bases. Cicéron
les a composés à la fin du septième siècle de Rome et au
commencement du huitième , dans la plénitude de l'âge
mùr. 11 laissait le traité de la République à ses conci-
toyens, en partant pour le proconsulat de la Cilicie
[699]; et ses amis, Cœlius notamment et Atticus, l'in-
formaient par leurs lettres, en 702, de tout le succès de
son ouvrage**. — Le hvre des Lois fut fait pour com-
pléter l'œuvre de la République.
Pour le titre, la forme et la composition successive
de ses deux ouvrages , Cicéron était l'imitateur de Pla-
ton. Mais dans le fond il y avait, entre la république
13 DeRep.,111. 27.
14 Cœlius Ciceroni : « Tui politici libri omnibus vigent. [An. 702.]
{Epislolœ famil., yiii. 1, t. 16. p. 124.)
Cicero ad Atticum : « Itaque irascatur qui volet, patiar praeser-
tim cum sex libris, tanquam prœdibus, me ipsum obstrinxerim ,
quos tibitam valdeprobari gaudeo. [An. 703.] ( Episl. ad Allie, vi. 1.^
CHAP. VIT. PHILOSOPHIE DU DROIT. 429
OU les LOIS de Platon et de Cicéron , toute la distance
qui sépare le génie grec et le génie romain ; l'esprit pu-
rement spéculatif d'un philosophe qui a vécu dans la
contemplation des idées ; l'esprit méditatif et pratique
d'un personnage consulaire qui s'est trouvé aux prises
avec les hommes et les faits.
Une autre cause de différence existait : elle tenait à la
différence même des sociétés au sein desquelles nais-
saient et se développaient les systèmes philosophiques.
Tous les systèmes de philosophie ont un rapport plus
ou moins profond avec l'état de la société, des mœurs,
des esprits; c'est leur part de vérité relative. — Tous
aussi ont une part plus ou moins grande de la vérité
absolue, sans laquelle ils ne pourraient agir sur l'homme.
Les Républiques de la Grèce ont produit la République
de Platon ; celle-ci est leur idéal , leur forme supérieure ,
mais elle se rattache visiblement à la République de
Lycurgue. Le principe fondamental de ce livre, c'est que
la société domine l'individu , et que l'homme n'a pas de
droits individuels , doctrine qui venait de l'Orient ^^.
L'Etat (ou le corps social) absorbe le développement
des facultés humaines; la prééminence absolue de la
société sur l'individualité détruit la liberté de l'homme
et sa moralité, la famille et la propriété. Dans la Répu-
blique de Platon , la communauté des femmes , des en-
fants et des biens n'est qu'un sacrifice de l'homme in-
dividuel à l'idée absolue de la société. — Les lois de
Platon ont pour objet de réaliser sa République, en
15 Voir dans le Platon, traduit par M. Cousin, l'argument du
t. viï. p. 8 , qui condense avec tant de force la doctrine platonicienne.
130 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
modifiant toutefois fideal pour Tapproprier aux temps;
mais Platon est encore là dominé par son principe :
« Partout , dit-il au Livre v^ , où les lois auront pour but
» de rendre fEtat parfaitement un , on peut assurer que
» là est le comble de la vertu politique. »
Dans la société romaine , les faits , depuis long-temps ,
avaient donné une grande place à l'homme. La constitu-
tion originaire était aristocratique; l'unité de l'État do-
minait le peuple divisé en plusieurs classes ; l'homme ser-
vait d'instrument à la Cité; mais, sous l'empire de la Cité
primitive, il y avait toujours eu, cependant, deux principes
essentiels, la famille et la propriété, qui écartaient le
sacrifice absolu de l'homme à la société. La forme aristo-
cratique elle-même ne resta pas long-temps impénétrable
au principe individuel, à fesprit de la démocratie. L'anti-
que combat des Plébéiens contre les Patriciens, la retraite
sur le Mont-Sacré et sur le Mont-Aventin , l'admission
de l'Italie au droit de cité après la guerre Sociale : c'est
la lutte des individus et des peuples, des droits indivi-
duels et des droits politiques, contre l'aristocratie du
patriciat et l'unité prédominante de la cité. — La cité
reste comme typepiimitif de l'organisation sociale; mais
les droits personnels sont reconnus et sacrés : le sum
civis ROMANUs est Ic plus beau titre de l'homme avant le
Christianisme, et saint Paul lui-même s'en est prévalu.
Ce que les plébéiens ont fait par leur lutte énergique
dans la cité , le stoïcisme l'a fait dans la science , dans la
philosophie du droit.
Le stoïcisme est la doctrine de 1' individualité à sa
plus grande hauteur; il pose théoriquement les droits
CHAP. VII. PHILOSOPHIE DU DROIT. 431
naturels et personnels à côté du droit de la société.
Zenon voulait que son disciple se mêlât aux mouvements
de la vie civile; et Cicéron, qui emprunte à Platon le
titre et la forme des traités de la République et des Lois,
s'attache , pour en composer la substance , à la doctrine
stoïcienne. — La doctrine de Zenon et de Chrysippe,
qui florissaient aux v® et vf siècles, avait été enseignée
à Rome , vers le milieu même du vi^ siècle , par Pané-
tius, sous les auspices de Scipion l'Africain. A son école
s'étaient formés les jurisconsultes Rutilius Rufus , /Elius
Tubéron, P. Mucius Scévola, le père des jurisconsultes
de la famille Mucia. Dans le siècle suivant , Athénodore
avait eu Caton pour disciple ; Posidonius, Pompée pour
auditeur et pour patron, puis Rrutus et Cicéron lui-
même pour disciple et pour ami*®. — A l'exemple de
Panétius, de Dion le stoïcien, de Démétrius de Plia-
lère , Cicéron plaça la philosophie au milieu des réalités
16 ZENON était né à Cittium , en Chypre; il forma sa célèbre école
du Portique à Athènes, vers Tan 450 de Rome.
Chrysippe, dont les ouvrages exercèrent une grande influence sur
les jurisconsultes romains , était né vers l'an 472 , en Cilicie , à Tarse,
patrie présumée de Saint-Paul. Il était réputé la colonne du Portique.
Il mourut vers l'an 545.
PaNvEties, de Rhodes, enseigna à Rome, vers le milieu du yi^ siè-
cle , probablement avant et depuis l'an 566 , époque de la retraite de
Scipion l'Africain. {Voir les Mémoires de l'Acad. des Inscripl., t. x;
Vie et Ouv. de Panœlius. )
Athénodoke, l'ami de Caton, était le bibliothécaire de Pergame ;
il n'est pas le même que l'Athénodore , précepteur et ami d'Octave.
Cicéron parle de ses relations avec Posidonius, au commencement
du Trailé de Natura Deorum (i. 3) : Et principes illi , Diodorus, Philo,
Antioclîus, Posidonius a quibus instituti sumus.
432 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
de la vie, et le philosophe à côté de l'homme d'état *'.
C'est ainsi que la philosophie stoïcienne , échappant à
l'influence de ses erreurs métaphysiques, devint surtout
une philosophie morale et sociale.
Un personnage politique (P. Scipion, le second Afri-
cain); un philosope stoïcien (Q. Tubéron) ; un juris-
consulte (ManiUus) , tels sont les interlocuteurs dans la
République. Cicéron veut fortifier sa théorie de l'autorité
et de la gloire des grands hommes du siècle précédent.
— Dès le début , il combat contre les philosophes qui
ne veulent pas qu'on prenne part aux affaires publiques :
« On doit s'occuper des destinées et de la constitution
» de la patrie, dit-il ; la plus noble ambition de l'homme
» est d'accroître l'héritage du genre humain*^. »
La question fondamentale du traité de la République
est de rechercher quelle est la meilleure forme de Gouver-
nement. Scipion examine les trois formes de l'État mo-
narchique, aristocratique, populaire. Il assigne à chaque
gouvernement son principe : à la monarchie, l'amour
des sujets {cari(afi)'^ à l'aristocratie, la prudence {consi-
lium) ; à la démocratie , la liberté. — Il montre la corrup-
tion de ces formes simples dans la tyrannie, l'olygar-
chie , l'anarchie , avec cette pénétration dont Rossuet
et Montesquieu ont seuls retrouvé la puissance; et en
présence des abus inévitables qui suivent les formes sim-
ples, Scipion conclut en faveur d'une quatrième forme
17 De Leg. , m. 5. 6 : Qui vero utraque re excelleret, ut et doc-
trine STUDiis ET BEGENDA.CIVITATE princeps Bsset , quis facile prœ-
ter hune (Demetrium ) iuveniri potest?
Alticus répond à l'interpellation de son ami : Pcul-êire un de nous
trois.
18 lie Rep. 1.2: Maxime rapimur ad opes augendas generis huniani.
CHAP. VU. PHILOSOPHIE DU DROIT. 43S
de République , le gouveraement mixte. « La meilleure
«constitution politique, dit-il, est celle qu-i réunit dans
»une juste mesure les trois formes de Gouvernement,
» et qui est tout à la fois monarchique , aristocratique
» et populaire *^. »
Mais dans Texamen et la recherche de la meilleure
forme de Gouvernement, quelle est la dernière mesure
d'appréciation, quel est son critérium? — Ici la philoso-
phie du droit prononce : c'est le degré de justice dont
chaque forme est susceptible. Or, la justice regarde en
même temps les individus et la société. Elle étabht,
elle soutient le rapport naturel entre la société et ses
membres; elle détend d'immoler les droits individuels
et privés au droit public du Corps social ; elle empêche la
domination absolue de I'état sur I'hojoie : qvm virtus ,
PRETER CiETERAS , TOTA SE AD ALIENAS UTILITATES POR-
RiGiT ATQUE EXPLiCAT -^•, elle maintient, dans leurs
rapports moralement nécessaires , les droits naturels de
l'homme et les droits de la société.
Telle est la doctrine de la République deCicéron; elle
est à une distance infinie de la doctrine de Platon. — La
philosophie du droit a déposé dans ce premier monument,
couronné par le songe sublime de Scipion , le principe
fondamental des rapports de l'homme avec la société.
— Mais c'est dans le Traité des lois, et par ses appli-
cations aux bases constitutives du droit et de la société ,
que la théorie va se développer tout entière.
19 De Rep. , i. 29 : Itaque , quartum quoddam genus Reipublicae
maxime probandum esse sentio, quod est ex his, quae prima dixi, mo-
deratum ei permixtuni tribus.
20 De Rep., m. 4. Fragment tiré de rsonius. ( Cic, t. xxix. p. 294.)
T. I. 28
434 LIV. 1. — ÉPOQUE ROMAIINE.
§2. — PHILOSOPHIE DU DROIT CONSIDÉRÉE DANS SES APPLICATIONS
GÉNÉRALES, d' APRES LE TRAITÉ DES LOIS.
Le philosophe-jurisconsulte, qui a caractérisé d'une
main ferme les rapports de l'homme avec la société, va
se mettre en présence de l'idée du droit et de ses gran-
des applications : il cherchera la racine du Droit dans la
nature elle-même : Repetam stirpem jupvIS a natura^V
La question change de face. Ce n'est plus la Forme po-
litique , avec ses garanties dans la pondération des pou-
voirs, avec son but général, la justice; c'est le fond des
choses que Cicéron va interroger. — Et il ne met pas en
scène , alors , un personnage imposant d'un autre siècle :
c'est lui-même , homme consulaire , proclamé père de
LA patrie , législateur dont l'Édit plein de sagesse a ra-
nimé la Cilicie expirante , philosophe instruit de tous les
systèmes, et pénétré de la doctrine stoïcienne; c'est lui
qui parle en son propre nom , et qui résout , en présence
d'un frère et d'un ami , les questions les plus intimes et
les plus profondes de l'ordre sociaP^^.
Il y a deux parties dans le traité de legibus : l'une est
de doctrine philosophique , l'autre est d'application aux
21 De Leg., i. 6.
22 La date précise de la rédaction est incertaine ; mais un point est
certain : la République fut rédigée en 689 ; elle fut publiée au moment
du départ pour la Cilicie ; les Lois sont postérieures à la République ,
qu'elles rappellent expressément. Eu 703 , dans une lettre à Atticus
(vi. 1- Supra, p. 428. not. 14), Cicéron se dit engagé par les six pre-
miers livres à continuer son oeuvre. C'est donc après cette époque et
depuis le retour de la Cilicie que les Lois ont été rédigées, vers 70ô,
70f;. — Voir la préface de "M. Ch. de Rémusat , en tête de Ja nouvelle
Traduction des Lois, dtns l'édition de Cic. , par M. V. Lederc (t. 27).
CHAP. VU. PHILOSOPHIE DU DROIT. 435
lois de Rome. — Celle-ci est malheureusement très-in-
complète. — Ce sont les idées philosophiques de la pre-
mière que nous avons dû rechercher et constater ici.
Quatre questions sont fondamentales dans le Traité
des Lois :
1^ La nature de l'homme;
9," L'origine et la nature de la société ;
3^* L'origine et la nature de la Loi ;
4° L'étendue légitime de la souveraineté du Peuple
et le caractère du Pouvoir.
L — Nature de l'homme. — La philosophie stoï-
cienne tire toute sa substance , toute sa force des prin-
cipes de la nature-^. Son but est d'ordonner, conformé-
ment à la nature , la vie de l'homme et de la société. La
philosophie du droit, qui s'inspire du stoïcisme, doit
donc premièrement interroger la nature humaine.
Seul de tous les êtres animés , dit Cicéron , l'homme
a la pensée , et participe de la raison , particeps ratio-
KIS et COGITATIOMS^*,
La nature a donné à l'homme des sens qui sont comme
les satellites et les organes de son intelligence^^; elle a
23 «Omnia officia a principiis naturae proficiscuntur. » {Cic, de
Finit., m. 7. tom. 27. p. 246.)
24 « Particeps ralionis et cogitalionis , quura caetera (animantiura
gênera) sint omnia expertia. » {De Leg., i. 7. )
25 Ipsum hominem eadem natura , non solum celeritate mentis or-
navit , sed etiam sensus tanquam salelliles aUribuil ac nuniios. ( i. 9.)
Cela rappelle la définition de M. de Bonald : « L'homme est une in-
telligence servie par des organes. »
436 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
déposé dans son esprit des notions primitives qui sont
comme les fondements de la science^*^.
L'homme tient à l'espèce mortelle, par la partie ma-
térielle et fragile de son existence ; mais son âme est
engendrée de Dieu : il a donc une ressemblance avec
Dieu ^^
Quoi de plus divin , non seulement dans l'homme ,
mais sur la terre et dans le ciel , quoi de plus divin que
la raison ! — Et puisque rien n'est meilleur que la rai-
son , puisqu'elle existe et dans l'homme et dans Dieu ,
LA PREMIÈRE SOCIETE EST CELLE DE l'hOMME AVEC
DlEU^«.
Telle est, au point de départ, la doctrine de Cicéron.
La nature de l'homme est matérielle et spirituelle ; par
l'élément matériel , l'homme tient à la terre ; par la
partie spirituelle , il est en communication avec Dieu.
— 11 ne porte pas en lui la raison dans sa plénitude ,
mais il y participe; et son intelligence contient des no-
tions PRIMITIVES, qu'Aristote regardait comme insépa-
rables de l'intelligence elle-même-^, que Descartes appel-
26 Et rerum plurimarum obscurarum necessarias intelligentias
enodavit quasi fundainenta qusedam scientiaî. (De Leg.^ i. 9. )
27 Quumque alias quibus cohœreut homines , e mortali génère
sumserit, quae fragilia esseut et caduca; animum tamen esse ingene-
ratum a Deo. — P^st igilur homiui cum Deo simililudo . ( i. 8.)
28 Quid ratione divinius? — Quoniam uihil est ratione melius
eaque et in homine et in Deo , prima hominis cum Deo ralionis socie-
tas. (I. 7.)
La même doctrine est dans l'Essai philosophique sur le gouverne-
ment civil, de Fénélon, ouvrage posthume, tom. x, édit. 182G.
29 C'est la fameuse proposiiion : « Nihil est in iiitellectu quod non
fuerit in sensu, Nisi intellegtus ipse. »
CHAP. VU. PHILOSOPHIE DU DROIT. 437
lera un jour les idées innées , Rant, des formes nécessaires ,
M. de Bonald, des vérités générales^'\ l'École actuelle, des
faits de conscience ] notions universelles et fondamentales,
telles que les notions de Cause et d'Effet , de Rapport
entre la cause et l'effet, de Justice, d'Infini, sans les-
quelles l'intelligence ne serait pas , et par qui elle vit,
elle s'exerce , elle s'élance dans le monde visible et in-
visible.
II. — Origine et nature de la société. — Le grand
principe de la philosophie stoïcienne, savoir, la société
naturelle de l'homme avec Dieu par la raison , ne sera
pas stérile sur la terre ; et dans la théorie de Cicéron ,
Dieu sera le fondement même delà société humaine^*.
Les hommes, en effet, ne sont pas des êtres dissem-
blables que la nature sépare et condamne à l'isolement :
la société humaine est naturelle^-. Nulle chose sur la
terre n'est aussi semblable à une autre que tous les
hommes ne sont semblables entr'eux. La définition de
l'homme s'applique à tous les hommes; il y a un genre
humain, et non des individus isolés et dissemblables^^;
par la nature, rien d'humain n'est étranger a
30 Recherches philosophiques sur les premiers objets de nos con-
naissances morales [1818].
31 Das-ne igitur hoc nobis Deorum immortalium vi, natura, ra-
tione , potestate, mente, numine,.... naturam omnium régi? — Nam
si hoc non probas, ab eo nobis causa ordienda est potissimum.
(De Leg., i. 7.)
32 Quse sit conjunctio hominum et quœ naturalis societas inter
ipsos. (i. 5. ) .
33 Nihil est unum uni tam simile , tam par quam omnes inter nos-
metipsos sumus.... nuliam dissimiiitudinem esse in, génère, (i. 10. )
438 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
l'homme^*. — Cette égalité de l'homme, à l'égard de
l'homme, est fondée sur le principe divin de la raison, par
laquelle nous sommes supérieurs aux animaux. Notre in-
telligence est diverse dans ses applications, dans son dé-
veloppement, dans ses doctrines; elle est égale en elle-
même et par la faculté de connaître ^^. Ces notions, qui
viennent de la raison commune à Dieu et à l'homme, ces
notions primitives et nécessaires, qui sont imprimées dans
nos âmes, sont imprimées également dans toutes lésâmes:
et il n'est pas un homme qui, prenant la nature pour
guide , ne puisse parvenir à la vérité et à la vertu. La vé-
rité et la vertu dérivent du même principe , la raison par-
faite ^^. — La parole est leur commun interprète. La pa-
role est diverse par l'expression , variée dans les formes
du langage; mais partout elle s'accorde avec l'esprit de
l'homme ; et le lien de la société humaine est maintenu
et fortifié par sa puissance conciliatrice^'..
Ainsi donc , la société , état naturel et nécessaire de
l'homme, est fondée sur l'égalité de la nature humaine ,
considérée dans son principe spirituel et moral.
34 De Leg., i. 12 : Quod si, quo modo est natura , sic judicio, homi-
nes HUMANi , ut ait poeta, nihil a se alienum putahent, coleretur
jus aeque ab omnibus.
35 Discendi quidem facultate par.
36 Quœque ia animis imprimuntur incohatœ intelligentiae, similiter
in omnibus imprimuntur. — Le rapprochement ici est inévitable entre
la pensée de Cicéron,et l'expression même de l'Evangile : Erat lux vera
quœ illuminât omnem homineni venientem in hune mundum. (1. 9.)
Nec est quisquam gentis ullius qui ducem naturam nactus ad virtu-
tem pervenire non possit. (i. 10. ) — Est virtus perfecta ratio, quod
certe in natura est. (i. 16. ) ^
37 Interpres mentis oratio, verbis discrepans, sAitentiis congruens...
Orationis vim quse conciliatrix est humanae maxime soeietatis. ( i. 9.)
CHAP. VII. PHILOSOPHIE DU DROIT. 439
Ainsi , en dernier résultat , la société humaine est
vraiment fondée sur la société primitive de Thomme
avec Dieu. Quelle admirable philosophie^^!
• III. — Et alors, Torigine de la loi et du droit n'est
pas difficile à trouver : c'est la troisième question.
La Loi , prise à sa source la plus élevée , est la rai-
son souveraine , essentielle à Dieu, communiquée à l'in-
telUgence de l'homme , imposée à la nature et réfléchie
par elle^^. — L'origine du Droit est dans cette Loi sou-
veraine , qui a précédé les siècles , les lois écrites , la
constitution des cités*''. Le droit ne réside pas dans
l'opinion : nous sommes nés pour la justice ; le droit
38 Cette philosophie est reproduite avec les mêmes arguments dans
Fénélon, Essai sur le gouvernement civil, ch. i. 2. 3.
Elle sert de fondement aussi aux Recherches 'philosophiques de
M. de Bonald, ouvrage plein de profondeur et de clarté (1818).
39 Cette notion de la loi se déduit de plusieurs passages :
Lex est ratio summa ixsiTA IN natueA.... Eadcm ratio quum est
in homiûis meute confirmata et confecta lex est.... Ea est naturœ vis;
ea mens ratioque prudentis; ea juris atque injuriœ régula. (De Legf., i. 6.)
Das-ne hoc nobis... Deorum immortalium vi, natura, ratione,potes-
tate, mente, numine, sive quod est aliud verbum quo pleuius signifî-
cem quod volo , naturam omnium régi? — On ne peut séparer de la
doctrine de Cicérou la grande définition de Montesquieu : « Les lois ,
» dans la signification la plus étendue , sont les rapports qui dérivent
» de la nature des choses : et dans ce sens tous les êtres ont leurs
» lois , la divinité a ses lois; le monde matériel a ses lois; les intelli-
v gences supérieures à l'homme ont leurs lois; les bêtes ont leurs lois;
» l'homme a ses lois. » — ( jNous awns commenté cette définition dans
notre Cours de Droit public et administratif , 2« édit. [1841], p. 6. )
40 A Lege ducendum est ex juris exordium Constituendi vero
juris ab illa summa Lege capiamus exordium , quee seeculis omni-
bus ante nata est , quam scripta lex ulla , aut quam omniuo civitas
constituta. (i. 6. )
440 LIV. 1. — ÉPOQUE ROMAINE.
est fondé sur la nature de l'homme et de la société^*.
— De là naît le véritable caractère des Lois écrites ou po-
sitives. Ce serait une insigne aberration de mesurer la
justice de toute chose sur les institutions et les lois des
peuples. Quoi ? Même les lois des trente tyrans d'Athè-
nes , même la loi qui donnait au dictateur Sylla la faculté
de mettre à mort les citoyens sans forme de procès, ces
lois seraient justes, parce qu'elles auraient le caractère
extérieur de Lois ! — Non ; il n'existe qu'un seul droit
qui lie la société humaine , et ce droit dérive d'une seule
LOI , la raison elle-même ( recta ratio ) , qui ordonne
ou prohibe. Celui qui la méconnaît est injuste, que cette
loi soit écrite partout ou nulle part. — Si la justice con-
siste dans l'obéissance aux lois écrites , aux institutions
des peuples ; si tout doit se rapporter au point de vue
de V utile , comme le soutiennent les sectes d'Epicure et
d' Aristippe , qui fondent la religion sur la crainte , la loi
sur l'utilité , la justice sur la coutume , l'homme , dès qu'il
y verra son intérêt, devra négliger les lois ou briser leur
frein-: ce qui est constitué en vue de l'utilité seule, sera
renversé par un intérêt contraire.
La justice n'est absolument rien , si elle n'a pas une
base immuable. Si le droit n'est pas fondé sur la nature,
toutes les vertus tombent sans appui. D'où naissent la
libéralité , l'amour de la patrie , la bienfaisance , la recon-
naissance? — De la nature qui nous a donné l'amour de
41 Omnium quae in hominum doctorum disputatione versantur,
nihil est profecto prsestabilius qiiam plane intelligi, nos ad justitiam
esse natos, neque opinione, sed nalura constitutum esse jus; id jam
patebit, si hominum inter ipsos societaicm conjmictiouemque per-
pexerjs. (.De Leg., i. 10.)
CHAP. VII. PHILOSOPHIE DU DROIT. 441
nos semblables. Mais si la nature n'est pas aussi le fon-
dement du Droit, tout manque à la fois ^'^; et non seu-
lement les devoirs envers les hommes disparaissent, mais
les devoirs envers la Divinité s éteignent, les religions
périssent , les religions qui ne doivent pas être conser-
vées par la crainte , mais par ce lien intime et profond qui
unit l'homme à Dieu*^.
IV. — La notion fondamentale de la loi et du droit
étant posée par la philosophie , la question de la souve-
raineté DU PEUPLE est facilement ramenée à ses vérita-
bles hmites ; et Tidée du pouvoir se manifeste dans toute
sa pureté.
Sans doute le peuple a sa volonté , les chefs leurs
décrets, les juges leurs sentences; mais leur Pouvoir
n'est pas assez grand pour changer la nature des cho-
ses. — Si les volontés de la multitude ou les sentences
des juges fondaient le Droit, le vol serait le Droit, l'a-
dultère serait le Droit, la supposition d'un faux testa-
ment serait le Droit , dès qu'on aurait les suffrages du
peuple. Mais, si telle est l'étendue de la souveraineté du
peuple , pourquoi n'ordonne-t-elle pas aussi que ce qui
est mauvais et pernicieux soit tenu pour bon et salutaire?
— Ou pourquoi, lorsque la loi peut de l'injustice faire le
droit , ne pourrait-elle pas du mal faire le bien? — Il est
évident que nous avons une règle supérieure à la vo-
42 Recte Socrates exsecrare eum solebat qui primus utililalem a
natura sejunxisset. {De Leg., i. 12. )
43 rseque solum in homines obsequia , sed etiam in deos caeremouiae
religionesqiie tollentur ; quas non metu , sed ea conjunclione quse est
honiini cum Deo conservandas puto. (i. 15. )
Tout le cVi. 15 est à peu près traduit dans notre texte.
442 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
LONTÉ POPULAIRE poiir distinguer une ])onne loi d'une
mauvaise , c'est la nature et la raison ; et par elle nous
distinguons le juste de l'injuste, la vertu du vice, et les
choses honnêtes du mal moral *^.
Lorsque la Loi , lorsque la Souveraineté a été recon-
nue dans sa nature immuable et vraie , le pouvoir ap-
paraît dans toute la force , dans toute la pureté de son
principe. Rien n'est plus approprié au droit et à la loi
que le pouvoir, potestas, imperium. La famille, la cité,
la nation , le genre humain , ne peuvent subsister sans
lui : la nature des choses et le monde lui sont soumis ,
car ils obéissent à Dieu^^.
Dans la cité, le Pouvoir doit prescrire et faire exécuter
ce qui est juste et utile, ce qui est conforme aux lois.
Comme les lois sont au dessus du magistrat, le magis-
trat est au dessus de la multitude, et l'on peut dire avec
vérité que le Magistrat est la loi parlante, et la Loi le ma-
gistrat muet^^'. — Il faut donc des magistrats : sans leur
44 De Leg., i. 16. Tout ce chapitre est traduit ou précisé dans le
texte. Les principaux traits sont : « Quee si tanta potestas est stulto-
rum seiitentiis atque jussis,ut eorum suffragiis kekum natura ver-
TATUR , cur non sanciunt ut quee mala perniciosaque sunt, habeantur
pro bonis ac salutaribus?... Atqui nos legem bonam a mala nulla alia
nisi uaturac norma dividere possumus. Nec soluin jus et injuria a na-
tura dijudicantur, sed omnino omnia honesta ac turpia.... Est eniin
virtus perfecta ratio : quod certe in natura est.
45 Nihil tam aptum est ad jus conditionemque naturœ.... quam im-
perium, sine quo nec domus ulla , nec civitas, nec gens, nec hominum
universuni genus stare , nec rerum natura oninis , nec ipse mundus
potest. Nani et hic Deo paret,ethuic obediuut maria terraeque, et
hominum vita jussis supremœ legis obtempérât. {De Leg., m. l.)
46 Vere dici potest Magistratum legem esse loquentem , Legem au-
tem mutum magistratum. (m. 1.)
CHAP. VII. PHILOSOPHIE DU DROIT. 443
prudence, leur zèle et la détermination de leurs fonc-
tions, la cité ne peut exister. Si le droit du commande-
ment est essentiel, le devoir de l'obéissance n'est pas
moins nécessaire. Selon la pensée de Platon , ceux qui
s'opposent aux magistrats sont de la race des Titans , qui
s'opposaient aux Dieux. Il faut non seulement obéir aux
magistrats , mais les honorer et les aimer : la modestie
de l'obéissance doit répondre à la justice du pouvoir*'.
Et Cicéron , qui , par la philosophie du droit , posait
ainsi les bases de la société sur des vérités immuables,
avait, de plus, entrevu deux autres lois que le Christia-
nisme seul devait développer : la loi de charité, fondée
sur notre parenté naturelle, et la loi de perfectibilité,
fondée sur notre nature spirituelle**.
§ 3. — ESSAI d' APPLICATION DE LA PHILOSOPHIE DU DBOIT
AU DROIT CIVIL DE ROME.
La philosophie du droit n'était pas, chez l'orateur ju-
risconsulte, une science abstraite qui dût rester isolée
47 Nec vero solum ut obtempèrent, obediantque magistratibus, sed
etiam ut eos colant diligahlque pracscribimus. Qui modeste paret , vide-
tur, qui aliquando imperet, dJgnus esse... Justaimperia sunto; iisque
civis modeste ac sine recusatione parente. (De Leg.,iu. 1. 2.Z.passim.)
48 Cuni auimus cognitis perceptisque virtutibus, societatem cahi-
TATis coierit oum suis , omnesque natura conjunctos suos duxerit....
Quid eo dici aut cogitari beatius ? ( De Leg., i. 23. )
iXunc quoniam hominem , quod principium reliquarum rerum esse
voluit, generavitet ornavit Deus, perspicuum sit illud (ne omnia dis-
serantur),iPSAM per senatur.4m longiusprogredi : quœ etiam nullo
doceiite profecta ab iis quorum , ex prima et inchoata iutelligentia , gê-
nera cognovit , confirmât ipsa per se rationem , et perficit. ( i. 9. )
414 LIV. 1. — ÉPOQUE ROMAINE.
de l'application ou étrangère au droit civil ; elle était pui-
sée dans les profondeurs de dieu , de Thomme , de la so-
ciété, mais pour être répandue sur le droit des Cités en
général , et particulièrement sur le droit civil de Rome.
C'était l'alliance du droit et de la philosophie que Cicé-
ron avait voulu établir et cimenter étroitement. « La
» nature du droit doit être expliquée par nous, disait-il;
» elle doit être recherchée dans la nature de l'homme,
» et nous aurons à considérer en elle-mêmes les lois par
» lesquelles les cités doivent être gouvernées. — Puis
» nous examinerons les lois positives, les règles écrites,
» le droit civil des peuples , et spécialement le droit civil
» du peuple romain*®. » — Sa théorie philosophique de-
vait servir de fondement au 'droit pubUc et au droit pri-
vé. Son vaste plan embrassait toutes les institutions de
la société^^. — Mais un seul homme de génie et une seule
époque ne pouvaient suffire à la réahsation complète de
cette grande pensée.
Quant au Droit public , au moment même où la phi-
losophie en coordonnait les principes, recommandait la
nature mixte des institutions politiques et en vivifiait
49 Natura enim juris explicanda est nobis , eaque ab hominis repe-
tenda nalura ; considerandae leges , quibus ciVitates régi debeant ;
tum hsec Iraclanda, qua; composita sunt et descripta, jura et jussa
populorum , in quibus ne nostri quidem populi latebunt, quae
vocantur jura civilia. — ( De Leg. 1.5.)
50 L'auteur du Divorce et des Recherches philosophiques , M. de
Ronald , inspiré par la philosophie chrétienne, dit , comme Cicéron,
éclairé par la philosophie stoïcienne, « que la philosophie, en général,
est la science de dieu, de Thomme, de la société. » {Recherch. phil.,
i. 80.)
CHAP. VU. PHILOSOPHIE DU DROIT. 445
l'image dans la peinture des institutions romaines, le
Droit public de la grande Cité allait mourir. Rome ap-
plaudissait , en l'année 702 , au Traité de la République,
où le philosophe prêtait à Scipion sa théorie sur le prin-
cipe, sur la division et l'équilibre des pouvoirs; — et
deux ans après, en 704 , Jules César passait le Rubicon,
et saisissait à Rome la dictature perpétuelle.
Quant au Droit privé , il resta imparfait sous la main
du condisciple et de l'admirateur de S. Sulpicius^'. Le
Traité des Lois , dans ses détails , était un résumé de la
Loi des XII Tables et du droit Prétorien , dont la perte
pour nous est bien regrettable, sans doute, et qui ce-
pendant, à en juger par les fragments qui nous restent,
ne portait pas , comme la partie philosophique , l'em-
preinte d'une œuvre originale et profonde. — Mais le
Droit civil proprement dit ne périra pas avec les institu-
tions politiques de Rome ; il vivra dans la science et dans
la société.
Aux temps de Cicéron , il y a deux Ecoles bien disr
tinctes : l'Ecole du droit privé , dont S. Sulpicius est le
chef, et l'Ecole philosophique , dont Cicéron lui-même
est le fondateur. Les Prudents, les Consuls, les Tribuns,
les Préteurs , qui avaient interprété , développé ou modi-
fié le droit des XII Tables par le droit non-écrit, les lois,
les plébiscites et les édits , avaient concouru à introduire
le droit des gens dans le droit privé; c'était le grand ré-
sultat conquis par l'école de S. Sulpicius. — Cicéron osa
placer la science sur une base encore plus large et plus
élevée, la loi de la nature, la philosophie du droit. Il
51 Cicéron dit, en parlant de Sulpicius : In iisdem exercitationi-
bus ineunte œtate fuimus. {Brut., cap. 41 . )
446 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
accueillait , il constatait avec reconnaissance l'introduc-
tion du droit des gens dans le droit civil de Pionie ; mais,
après son Traité de la République et des Lois, il s'écriait
dans les Offices : « Nous n'avons pas encore le vrai droit,
» nous, n'en avons que l'ombre et l'image. Plût à Dieu
» que nous eussions l'image réelle de ce droit , qui émane
» des sources les plus pures, la nature et la vérité! —
» Sed non veri juris, germanaeque justitige solidam et
» expressam effigiem nullam tenemus. Umbra et imagini-
» bus utimur. Eas ipsas utinam sequeremur! Feruntur
» enim ex optimis nature et veritatis exemplis^^ ! »
A chaque époque sa mission. C'était beaucoup, pour
le droit prétorien et la gloire des jurisconsultes de la
République, d'avoir introduit les préceptes du droit des
gens dans l'unité absolue de la Loi des XII Tables, dans
l'étroite enceinte de la Cité romaine , et d'avoir créé une
école pratique et théorique qui avait eu des jurisconsul-
tes tels que Caton , Scévola , Sulpicius. — C'était beau-
coup aussi pour la science du juste et de l'injuste, que
le génie de Cicéron eût manifesté les rapports du droit ,
en général, avec la philosophie stoïcienne, et fondé
ainsi, sur une base immuable, la philosophie du droit.
A une autre Époque appartiendra la gloire d'associer,
de confondre les deux Écoles , de rendre leur alliance
indissoluble , et de porter la science du droit civil au
plus haut degré, en incorporant la philosophie du droit
dans le droit lui-même.
52 De Offic. , ni. 17. C'est la On du précieux paésage rapporté plus
haut, p. 177, sur l'introduction du droit des gens dans le droit privé.
On sait que le Traité des Devoirs est de l'an 709 , et par conséquent
postérieur au.x deux Traités de la République et des Lois.
CHAP. Vm. TRANSITION. 447
CHAPITRE VÏIL
TRANSITION A L'ÉPOQUE CELTIQUE ET A L'EPOQUE GALLO-ROMAINE.
Avant d'entrevoir l'Époque nouvelle qui se prépare
pour l'histoire du droit et les destinées de la société hu-
maine, il faut jeter les yeux sur la dernière conquête
unie au territoire romain , sur la Gaule vaincue par Ju-
les César , observée et décrite par son vainqueur. Il faut
étudier , dans son organisation et ses mœurs , la Gaule
barbare , et tâcher de retrouver les traits principaux ,
l'esprit du' Droit Gallique.
L'exposé des institutions et des mœurs celtiques , qui
auront à subir toute la puissance de l'action romaine ,
se place naturellement entre le Droit Civil de Rome , tel
que nous l'avons reconnu et conduit jusqu'à la fin de
la République , et le Droit romain de l'Empire , tel qu'il
se développera sous l'influence successive du Stoïcisme
et du Christianisme.
Quand l'Epoque celtique et l'esprit du droit qui s'y
rapporte auront été mis en présence de l'Epoque ro-
maine et du droit civil de Rome , on comprendra plus
facilement comment le Droit romain , dont nous mar-
querons les doctrines progressives, s'est propagé si rapi-
dement dans les Gaules; devant quels obstacles de mœurs
et de coutumes il a dû cependant s'arrêter ou modifier
448 LIV. 1. — ÉPOQUE ROMAINE.
ses principes; comment il s'est allié, durant l'Époque
gallo-romaine , avec l'influence et la propagation du Chris-
tianisme ; quels sont enfin les vrais éléments et l'impor-
tance spéciale du Droit gallo-romain, qui exprime, dans
l'histoire du droit , la réunion de deux nationalités, mais
qui présente aux peuples Germaniques , s'établissant dans
les Gaules, l'image de l'unité romaine.
FIN DU TOME PREMIER.
APPENDICES.
T. I.
29
APPENDICES.
APPEINDIGEI.
EXAMEN DES OPINIONS DE NIEBDHR ET DE M. ORTOLAN SUR LA
GENS ET LE DROIT DE GENTILITÉ.
Voir ci-dessus chap. iv. sect. ii. n" v-viil p. 78-85—101-105.)
I. — D'après la Loi des XII Tablfs, la gens et le droit de
GENTILITÉ appartenaient-ils exclusivement à la Classe patri-
cienne?'
Cette première question nous met en présence du système
de Vico , et de Niebuhr , surtout , qui l'a renouvelé et gran-
dement développé.
Dans les fragments de la Loi des XII Tables , les gentils
sont placés immédiatement après les agnats: soit comme hé-
ritiers et tuteurs légitimes, soit comme curateurs des furieux
et des prodigues, les gentils sont appelés à défaut des agnats.
L'agnation et la geiitilité, qui cessaient par la petite di-
1 Nous reproduisons ici , mais avec d'importantes modifications , une
partie du travail inséré, en 1841, sur le droit de Gentilité , dans ia
Revue Bretonne de Droit et de Jurisprudence (tora. m ).
452 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
minution de tête , à la différence de la cognation ou parenté
naturelle, formaient une parenté civile, une source de droits
dans la constitution de la famille romaine. L'agnation exis-
tait dans les familles plébéiennes ; pourquoi la gentilité , qui
venait après elle et à son défaut pour l'hérédité , la tutelle et
la curatelle légitimes, n'aurait-elle pas existé aussi à l'égard
de ces familles? La Loi des XII Tables ne faisait aucune dis-
tinction entre les familles plébéiennes et patriciennes , et les
deux institutions attachées à la famille civile devaient se rap-
porter aux unes et aux autres; aussi Vico , dont l'esprit sys-
tématique acceptait tous les corollaires d'un principe posé ,
Vico, en refusant la gens aux plébéiens , leur refusait égale-
ment l'agnation entr'eux et même le connubium! Il était con-
séquent avec lui-même et avec l'ordre logique des idées. Il faut,
en effet, ou les admettre ou les rejeter ensemble à l'égard des
plébéiens ; car la Loi des XII Tables ne fait ni ne permet la
distinction. L'erreur de Vico , dans tout son système sur les
origines romaines, c'est de n'avoir vu qu'une classe aristocra-
tique , où il y a\ait d'abord une institution prédominante,
la CITÉ. Chaque classe de citoyens, par le principe d'unité
qui faisait le fond de la cité , avait les mêmes droits , bien
que les deux classes patriciennes et plébéiennes ne pussent
pas les avoir entr'elles , pendant la première période de l'his-
toire du Droit civil de Rome.
En se plaçant dans le droit des XII Tables et au sein de la
distinction des deux Classes , rien n'autorise donc à conclure
que les plébéiens ne pussent pas avoir la gens et la gentilité.
11 faut conclure , au contraire , que les plébéiens entr'eux
avaient ce droit , lorsque leurs familles étaient d'une origine
toujours ingénue. C'est Vingénuité , ainsi que nous l'avons
constaté dans ce Livre, et non la noblesse patricienne qui
formait la condition nécessaire de la gens : la définition des
gentiles , donnée par Cicéron comme définition complète , le
APPENDICE I. — OPINION DE NIEBUHR. 433
démontre ; nous la rappellerons ici : a Gentiles qui inter se
» eodem nomine sunt; qui ab ingenuis or lundi sunt; quo-
» rum majorum nemo servitutem servivit; qui capite non
» sunt deminuti. » (Topic. vi.)
Niebuhr , pour établir que les gentes étaient purement pa-
triciennes, se fonde sur des textes de Tite-Live et d'Aulu-
Gelle. — Aulu-Gelleest plus éloigné des XII Tables que Cicé-
ron , qui avait pour cette première source du droit civil un
culte respectueux , et qui certes n'a pas dû s'en écarter dans
sa définition des gentiles, adressée à un jurisconsulte. Au
surplus le texte , principalement emprunté à Aulu-Gelle , est
celui-ci : « Plebs dicitur in quà gentes patnciœ non insunt^.»
— Mais si l'institution de la gens était une institution exclu-
sivement patricienne , pourquoi le jurisconsulte, dont Aulu-
Gelle empruntait le personnage, disait- il gentes patriciœP II
suffisait de dire gentes .- et si l'écrivain a dit gentes patriciœ ,
n'est-ce pas indiquer qu'il y avait aussi des gentes plé-
béiennes?
le savant Niebuhr reconnaît qu'en effet il y avait à Rome
des gentes plébéiennes et patriciennes ; mais il suppose que
c'est à une époque postérieure à la Loi des XII Tables , et
que cette participation des plébéiens au droit de la gens est
née de l'établissement du connubium entre les patriciens et
les plébéiens. — Niebuhr et ceux qui ont soutenu cette opi-
nion avec lui , ne se sont pas rendu compte de Veiï-jl de
ces alliances. La gentilité était fondée sur la parenté civile
du côté paternel, etc'étaitpar les personnes du sexe masculin
que la gentilité s'établissait et se continuait ^. Le patricien
2 Aulu-Gell., X. 20. — Aulu-Gelle vivait dans le second siècle de
l'Empire.
3 Varro , de Ling. lat., viii. § 4 : « Ut in hominibus qusedam sunt
» agnationes et gentilitates, sic in verbis : Ut enim ab JEmilio hommes
y> orli , JEmilii ac gentiles; sic ab iEniilii nomine declinatee voces in
» gentilitate nomiuali et sic reliqua, ejusdem quae sunt stirpis. »
454 IIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
qui se serait uni à une femme, d'une autre origine, ne com-
muniquait pas à la famille plébéienne le droit de gens , puis-
que la femme sortait de sa propre famille par l'effet du ma-
riage; de même , le plébéien qui se mariait à une femme pa-
tricienne n'entrait pas dans la famille de celle-ci, et ne pou-
vait par conséquent entrer dans la genfi , et participer au
droit de gentilité. Si donc il y avait des gentes plébéiennes,
comme on est obligé de le reconnaître , c'est qu'elles exis-
taient par elles-mêmes et dès les premiers temps.
Le principal texte de Tite-Live que l'on oppose est le vos
solos genîem habere , que l'historien met dans la bouche de
Decius Mus luttant contre les patriciens, en 453, pour ob-
tenir que les plébéiens fussent admis au partage du ponti-
ficat. — En lisant ce discours avec attention, on voit que
l'orateur plébéien n'affirme pas l'existence du droit de gens
comme une institution spéciale aux patriciens, mais qu'il
rappelle seulement une des prétentions orgueilleuses du pa-
triciat, dans la lutte engagée contre les plébéiens ^ : « Tou-
» jours on entend les mêmes choses, dit Decius; qu'à vous
» seuls appartiennent les auspices; que seuls vous avez une
» race fgentemj; que seuls vous avez des titres légitimes à
» commander , sous vos propres auspices, dans la paix et
» dans la guerre. Cependant , jusqu'ici le plébéien n'a pas
» commandé avec moins de succès que le patricien , et il en
» sera toujours ainsi. Eh quoi ! ne savez-vous pas, au surplus,
» que les premiers patriciens n'étaient pas descendus du
4 Tit -Liv., lib. x. cap. 8 . « Semper ista audita sunt eadem , pênes
I) vos auspicia esse, vos solos genlem habere, vos solos justum imperium
» et auspicium donii niilitieeque. J^.que adbuc prosperum plebeium ac
M patricium fuit , porroque erit. En unquam fando audistis , patricios
» primo esse factos , non de cœlo démisses , sed qui patrem ciere pos-
» sent: id est, niliil ultra quam ingenuosPConsulem jam patrem ciere
» possum , avumque jam poterit lilius meus I »
APPENDICE I. — OPINION DE NIEBUHR. 455
» ciel; mais qu'on choisit pour tels ceux qui avaient pu
» nommer leur père , c'est-à-dire , et rien de plus , des ci-
» toyens d'origine ingénue, id est nihil ultra quam inge-
» nuosP Eh bien , moi , je puis déjà citer pour père un consul,
» et bientôt mon fils pourra citer un consul pour aïeul ^ ! »
Ainsi , Decius Mus , pour réfuter la prétention des patri-
ciens , va jusqu'à dire que le patriciat lui-même n'a d'autre
origine que l'ingénuité, et rapproche, par conséquent, du pa-
triciat les familles plébéiennes, qui ont toujours conservé l'in-
génuité primitive. — Ce passage de Tite-Live ne prouve pas
que la gens était exclusivement patricienne, mais que. les
patriciens parlaient orgueilleusement de leur race , de leurs
aïeux. Niebuhr, pour appuyer son système, pour créer un
principe absolu de droit public et civil , force évidemment
le sens d'un discours non spécial sur la question des génies
patriciennes; et cependant il écarte dédaigneusement l'autori-
té de l'historien , quand elle est directement contraire à sa
théorie sur les génies! Lorsqu'il s'agit du vote dans les an-
ciens Comices par Curies, Tite-Live dit positivement que le
vote était par tête de citoyens ; mais ceci renverserait tout le
système du savant étranger , et Niebuhr dit hardiment que
Tite-Live se trompe et que le vote se faisait par Gens.
Nous pensons donc que l'hypothèse de Niebuhr est inad-
missible. Ses rapprochements des gentes romaines avec celles
de la Grèce ne peuvent détruire les preuves fournies par les
fragments des XII Tables et par la définition de Cicéron, sur
l'application du droit de genlilité aux familles plébéiennes
comme aux familles patriciennes.
5 Ce dernier passage prouve que , par gcnlem , Tite-Live entendait
réellement des aïeux, comme on l'a traduit dans la eollectioa de
M. Nisard (i. p. 445 j; car Décius oppose son fils, qui pourra citer un
aïeul consul , à ceux qui citent leur gens, leurs aïeux.
456 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
Il faut, du reste, se rappeler qu'anciennement, à Rome,
des familles plébéiennes avaient pris une grande importance.
Les cent sénateurs nommés par Tarquin l'Ancien , et dont
les descendants étaient appelés patricii minorum (jentium,
avaient été choisis , selon toute probabilité , parmi les princi-
paux plébéiens c. — Les sénateurs nommés par le consulj. Bru-
tus, après l'expulsion des rois, et appelés joa^res conscripti ,
furent choisis aussi dans des familles plébéiennes. Les plé-
béiens avaient fait la révolution tribunitienne [260], et parmi
les Décemvirs de la deuxième année , élus pour réviser et
achever la Loi des XII Tables , il y avait des plébéiens que
les Comices par Centuries avaient donnés pour collègues au
patricien Appius Claudius. Comment donc les familles plé-
béiennes, d'origine ingénue, n'auraient-elles pas aussi tenu
à la conservation et à l'honneur de leur race?
Quant à ce fait incontestable que certaines gentes renfer-
maient à la fois des familles patriciennes et des familles plé-
béiennes, comme la gens Claudia, qui contenait les Margellus
de plébéienne origine , il s'explique, non par des mésallian-
ces , comme Niebuhr l'avait prétendu, mais par l'adrogation
qui faisait entrer toute une famille, père, mère, enfants,
sous la puissance et dans la famille de l'adrogeant. C'était
une adoption politique , et celle pour laquelle le droit civil de
Rome avait requis , en conséquence , le concours des Comices
par Curies.
Nous nous réunissons donc à M. Ortolan pour repousser
la doctrine de Niebuhr sur la gens, et avec lui nous regar-
dons liNGÉNuiTÉ comme le principe certain de la Gens ro-
maine f t la cause du Droit de Gentililé. Il est de toute justice
de le reconnaître , au surplus; M. Ortolan est le premier qui
6 Tit.-Liv., I. 35 : Nec minus regni sui firmandi, quain augendse
Reipublicœ menior, centum in Patres legit; qui deinde minorum gen-
lium sunt appellati.
APPENDICE I. — OPINION DE M. ORTOLAN. 457
ait fait ressortir ce caractère essentiel de la gens , et qui ait
mis vraiment en lumière un élément jusqu'alors négligé ou
laissé dans l'ombre 7. — Mais nous ne pouvons admeltVe l'avis
que l'auteur du Commentaire historique des Institutes propose
à la place de celui de Niebuhr.
II. — Cette seconde opinion est que la Gens et le Droit de
gentilité appartenaient exclusivement aux patrons et aux fa-
milles alfranchissanles, par rapport aux enfants et descen-
dants d'affranchis : — opinion qui réduirait à bien peu de
chose un élément général de la famille romaine.
Nous croyons que la vérité est entre les deux systèmes
trop exclusifs de Niebuhr et de l'auteur français.
Dans notre exposé sur la constitution de la famille ro-
maine, nous avons démontré, par des textes précis d'Ulpien
et de Paul , quelle était la véritable différence qui existait
entre l'agnation et la gentilité ; différence caractérisée sur-
tout par le principe que l'agnation liait tous ceux qui avaient
été ou qui auraient pu être placés sous la puissance d'un
même chef de famille, qui sub imls potestate fuerunt. Or,
le système très-ingénieux de M. Ortolan repose sur ce point
fondamental , savoir : « que les membres de la famille per-
» pétuellement ingénue sont à la fois, entre eux, agnats et
y> gentils»; » proposition qui n'est pas seulement incon lilia-
ble avec le principe de Paul et d'Ulpien ; mais qui contredit
aussi le texte formel de la Loi des XII Tables , n'admettant
les gentils à l'hérédité qu'à défaut des agnats , si adgnatus
NEC EsciT GENTiLis FAMiLiAM NANCiTOR. — Si Ics membres de la
famille étaient à la fois, entre eux, agnats et gentils , ainsi
que le dit l'auteur , la Loi n'aurait pu évidemment les diviser
en deux ordres d'héritiers tout-à-fait distincts. L'identité de
7 Revue de législation , tom. xi. p. 260 et suiv.
8 Revue de législation , tom. xi. p. 265, et Instit. m. 2. p. 623.
458 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
l'agnation avec la gentilité nous paraît donc répugner complè-
tement aux notions que les monuments et la doctrine des ju-
risconsultes nous ont transmises sur les agnats et les gentils.
Après avoir identifié l'agnation avec la gentilité, par rap-
port aux familles ingénues , M. Ortolan transforme en droit
de gentilité le prétendu drpit du patron et de ses descendants
sur la succession des enfants et descendants d'affranchis.
« Quant à l'affranchi, dit l'auteur, il y a pour le patron et
» sa famille successihilité par droit de patronage ; — quant
» aux enfants de l'affranchi et tous leurs descendants , suc-
» cessibilité ;)ar droit de gentilité'^. »
Examinons donc comment ce qui est droit de patronage
à l'égard de l'affranchi , pourra devenir droit de gentilité à
l'égard des enfants de l'affranchi.
Le patron et ses descendants ont , d'après la Loi des XII
Tables , des droits d'hérédité à l'égard des affranchis décédés
sans héritiers-siens et sans testament. — Quelle est la na-
ture de ces droits? Ils sont assimilés à l'hérédité et à la tutelle
des agnats. Gaius atteste clairement cette assimilation, et
Vinnius l'explique ainsi : « La Loi des XII Tables , dit-il ,
n'a pas voulu donner d'autre droit au patron que le droit des
agnats , qui sont appelés , après les héritiers-siens , à la suc-
cession de V intestat, et qui peuvent être omis dans le testament
du défunt *o, » — Dans la transmission légitime des droits
9 Revue de législation, toin. xi. p. 271-272, et Instit. m. 2. p.-627.
10 Gaius, I. § 165 : Eo enim ipso quod hereditates libertorum si
intestati decessissent , jusserat lex ad patronos liberosve eorum per-
tinere , crediderunt veteres, voluisse legem etiam tutelas ad eos perti-
nere : quum et agnatos quos ad haereditatem vocavit, eosdem et tuto-
res esse jusserat.
Vinnius , Inst., m. 8. 1. Comm. : Hinc vero apparet, Legem non
alio jure patronum censuisse , quam agnatorum , qui et ipsi ab intes-
tate post siios hcrcdes vocanlur , et leslamenlo prseteriri possunt.
, APPENDICE I. — OPINION DE M. ORTOLAN. 459
du patron à ses enfants ou descendants à l'égard de l'affran-
chi, il n'y avait donc que la continuation du droit de patro-
nage et de l'espèce d'agnation qui s'y rattachait.
Il y a même ici ce point notable , que les descendants du
patron, liberi, dit Gains, étaient appelés par la Loi des
XII Tables , à la succession de l'affranchi , mais non les pa-
rents du patron , ni les agnats , ni les gentils. Les droits de
patronage , d'après la loi civile, n'existaient que dans la li-
gne descendante du patron à l'égard de l'affranchi, lorsque
celui-ci mourait sans héritiers-siens et sans testament. C'est
le préteur seul qui , plus tard , donna la possession de biens
aux parents, aux agnats etcognats du patron <•. Ainsi la Loi
des XII Tables concentrait tous les droits de patronage dans
la personne du patron et de ses descendants , à l'égard de la
personne et des biens de l'affranchi.
Mais qu'arrivera-t-il, sous l'empire de cette Loi, s'il s'agit
de la succession <1es enfants ou descendants de l'affranchi ,
et non plus de l'affranchi lui-même? Ici la condition des per-
sonnes change complètement. Le fils de l'affranchi n'est pas
un affranchi , il est ingénu , et par conséquent sa succession
est réglée , non par le droit spécial aux patrons à l'égard
des affranchis, mais par le droit commun de l'hérédité des
ingénus. — M. Ortolan suppose que les patrons et leurs des-
cendants auraient, à raison de l'affranchissement primitif,
des droits héréditaires sur les biens des enfants ou descen-
dants d'affranchis , et il les qualifie droits de gentilité; mais
rien, dans la Jurisprudence romaine , n'établit l'existence de
ces prétendus droits de succession et d'une dérogation au bé-
néfice de l'ingénuité. Pour expliquer la gens et le droit de
11 Inst., m. 9. 3 : Sexlo. Patrono et patronaj , liberisque eorum
et parentibus Oclavo cognatîs manumissoris.
460 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
GENTiLiTÉ, selon SCS idées , l'auteur est obligé de commencer
par une pure et simple hypothèse. [Comm. Inst.,p. 607.)
Admettons, pour un instant, que des droits eussent existé
sur les biens des descendants d'affranchis. Quel aurait pu
être logiquement leur caractère? — Les droits du patron et
de ses enfants n'auraient pu être que la continuation du droit
de patronage et de l'agnation fictive attachée à ce patronage.
Mais la transformation , dans la même ligne, de l'agnation
en gentilité aurait été impossible. En effet , la Loi des XII
Tables a fait des agnats et des gentils deux ordres distincts
d'héritiers ; quand le premier degré de l'agnation n'existe
pas , l'hérédité est déférée au second : le droit d'agnation
pouvait même s'étendre jusqu'au dixième degré, et ce n'é-
tait qu'à défaut d'hériliers dans cet ordre, et par consé-
quent à défaut du dixième degré , que les gentils étaient ap-
pelés à succéder, comme formant un autre ordre d'héritiers.
Dans l'hypothèse que nous examinons , il n'y a pas change-
ment de ligne :, il n'y a pas épuisement du dixième degré de
l'agnation en la descendance respective du patron et de l'af-
franchi ; il y a seulement quelques degrés de plus ; que dis-
je? Un degré unique, s'il s'agit des fils de l'affranchi ; et l'or-
dre d'hérédité cependant serait changé! — Si le patron suc-
cède à l'affranchi, c'est droit de patronage, dit l'auteur; si
le patron succède au fils de l'affranchi , ce sera droit de
gentilité ! Un changement de degré sans changement de ligne
suffira pour constituer un nouvel ordre d'hérédité / — Cela
nous paraît inadmissible, et tout- à-fait contraire à l'esprit
du droit civil sur la constitution de la famille romaine.
Dans la ligne directe descendante , les droits comme les pro-
hibitions s'étendent, sans changer de nature, ad infinitum;
dans la ligne transversale de l'agnation , les degrés de suc-
cessibilité s'étendent, d'après les XII Tables, jusqu'au dixième
degré, et c'est à défaut de cette ligne transversale d'agnation
APPENDICE I. — OPINION DE M. ORTOLAN. 461
jusqu'au dixième degré que la loi s'adresse à un autre ordre
d'héritiers , les gentils ; c'est-à-dire à une autre ligne trans-
versale qui se rattache à un ancêtre plus éloigné dans la sé-
rie antique des générations , comme nous l'avons prouvé dans
notre chapitre siii' la constitution de la famille romaine , et
comme nous le rendrons sensible à l'œil même par le Tableau
qui terminera celte discussion.
Une considération qui se place en dehors du droit des XII Ta-
bles nous paraît encore décisive à ce sujet.
Le droit de gentilité est tombé en désuétude vers les pre-
miers temps de l'Empire , lorsque les branches des familles
s'étant indéfiniment multipliées , il était devenu difficile de
suivre une race dans ses ramifications, en tenant compte
des petites diminutions de tête et des affranchissements. La
complication des familles et de leurs dérivés a dû faire aban-
donner le droit de gentilité , surtout depuis que le Préteur
accordait la possession de biens aux cognais ; la succession
prétorienne des gognats a remplacé tout naturellement la suc-
cession civile des gentils. Mais si le droit de gentilité avait
été seulement la continuation du droit de patronage sur les
enfants et descendants d'affranchis; s'il n'avait été, en dé-
finitive , que le droit de successibilité à l'égard des descen-
dants d'affranchis , ce droit ne serait pas tombé en désuétude
avant Gains ; car les droits des patrons et de leurs familles se
sont accrus , au lieu de diminuer, par les Sénatus-consultes
et les Constitutions des princes. Cçrtes , les familles des pa-
trons auraient été trop intéressées au maintien d'un droit de
gentilité identique au droit de successibilité , pour que ce droit
eût été abandonné , par désuétude, vers le deuxième siècle.
— C'est la gens antique , et non la famille affranchissante ,
qui a disparu du droit civil. Ce qu'on appelait ge7is dans les
anciens temps a été compris sous le nom générique de famille.
162 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
Ainsi Ulpien dit : « Item appellatur familia plurium per-
» sonarum quae ab ejusdem ultimi genitoris sanguine profi-
» ciscuntur : sicuti dicimus familiam Juliam , quasi à fonte
» quodam memoriis. » (Ulp. , D., de verb. sig. i9b, § 4.)
En dernière analyse, sur les deux points traités dans cette
dissertation , nous pensons 4 <• que la vérité n'est point dans
le système de Vico et de Nieburh, sur le caractère exclusif
des gentes patriciennes ; 2° qu'elle n'est pas davantage, soit
dans la confusion du droit de gentilité avec le droit d'agna-
tion, soit dans l'absorption du droit de gentilité au profit dé
la famille affranchissante, selon le Commentaire historique
des Institutes.
III. — La vérité , telle qu'elle nous apparaît d'après les
fragments de la Loi des XII Tables , les monuments de l'an-
tiquité, la définition des gentiles et divers autres passages de
Cicéron , peut se résumer dans les résultats suivants :
1" Sous la Loi des XII Tables , rien n'autorise à regarder
le droit de gentilité comme l'attribut exclusif des familles pa-
triciennes, bien qne\e& gentes patriciennes dussent être plus
nombreuses et plus importantes que les gentes plébéiennes.
2° La Loi des XÎI Tables ayant prohibé le commbium en-
tre les patriciens et les plébéiens , par tradition des mœurs
aristocratiques , le droit de gentilité ne pouvait pas exister
des familles patriciennes aux familles plébéiennes , comme
effet d'alliances ou de mésalliances par mariage , mais seu-
lement par l'effet de Vadrogation.
3*» La gens ou genus était , dans la constitution de la fa-
mille romaine, la race générique qui comprenait, sous une
origine perpétuellement ingénue et sous un nom commun , les
familles dérivées , lesquelles étaient différentes par leur sur-
nom et leur agnation spéciale (sui similes communione qua-
dam , specie différentes).
âr
APPENDICE I. — RÉSULTATS. 463
4* L'agnation proprement dite et la gentilité se distin-
guaient, dans l'ensemble de la famille romaine , et pour les
droits à elles respectivement attribués , par la possibilité ou
Vimpossihilité d'une soumission commune à la. puissance du
même chef de famille.
5° Dans le Droit des XII Tables , les gentiles étaient tou-
jours appelés à défaut des agnats pour l'hérédité , la tutelle ,
la curatelle légitimes , sans distinction entre les familles pa-
triciennes ou plébéiennes , sans aucune mention des familles
afifranchissantes.
6** Les affranchis n'avaient point de race; ils étaient sine
gente; ils ne participaient en aucune manière, ni activement
ni passivement, au droit de gentilité.
7° Le patron et ses descendants n'avaient aucun droit sur
les biens des enfants et descendants d'affranchis ; s'ils avaient
eu un droit, celui-ci n'aurait pu être que la continuation du
droit de patronage. Mais l'existence même de ce droit et sa
transformation en droit de gentilité, sont une double hypo-
thèse non conforme au principe de la Jurisprudence sur la
constitution de la famille romaine et des différents ordres
d'hérédité '2.
(Pour rendre plus sensibles la constitution de la famille ro-
romaine et la différence qui existait entre l'agnation et la gen-
tilité , nous avons dressé le Tableau suivant, qui se rapporte à
celui déjà inséré p. 76, et à l'explication donnée p. 79 et 80.)
12 Nous avons cru devoir donner à notre opinion quelque développe-
ment, parce que le système de M. Ortolan a convaincu, par l'habileté
de son exposition , plusieurs personnes très-éclairées. Ainsi, tout ré-
cemment encore , M. Taulier ( professeur à la Faculté de Grenoble),
dans la dissertation historique et philosophique sur les successions ,
qui ouvre son troisième volume de la Théoeie eaisoxée du Code
CIVIL , a embrassé et appuyé de l'autorité de son talent l'opinion que
nous venons de combattre.
^64 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
IV. — TABLEAU DE LA FAMILLE ROMAirVl
Pour indiquer la distinction entre /'AGNATION et la GENTILITÉ.
GENTILES.
GENS CORNELIA.
PARENTES.
6.
TRITAVUS.
Cornélius.
tres filii
GENTILES.
6.
6. 5.
ATPATRUUS. ÂTAVUS. ATPATRUUS.
-Corn. Dolabella. Corn. Scipio. Corn, Lentulus._
ABPATRUUS.
.L. Corn. Dolabella.
ABAVUS.
, L. Corn. Scipio.
ABPATRUlîS.
T. Corn. Lentulus.
SS015
AGNATI.
3. Patruus.
Û. Patrnelis,
5. Patroelis filins.
6. Patruelis nepos.
Vsq ue ad g radum 10.
li- 3. II.
PROPATTi.vvs {ex justis nuptiis]. proavus. propatkdus [adrogaiione)
Corn. Scipio F. Corn. Corn. Scipio
RuFiNus. Scipio. JEmiliancs.
2.
AYUS.
Paulus Corn. Scipio.
1.
PATER.
*
LIBERI.
1. Filius.
2. Nepos.
3. Prouepos.
II. Abncpos.
5. Alnepos.
6. Tri nepos.
3?
2. Frater.
3. Fratris filius.
û. Fra.'ris nepos.
5. Fratris pronepos
6. Fratris abnepos.
Utque ad grad/im 10
(Sit , Publias Cornélius Scipio Afri
canus DE CDJUS. )
Si l'aïeul ( Paulus Corn. Scipio ) vivait , tous ceux qui seraient au dessous de lui seraient sous s;
puissance ; mais si tous ceux venant du père, du frère, de l'oncle sont dûcdùés, quand mourr;
celui de cujus, les agnats manqueront, et la succession remontera aux gentils, les plus proche
en degré , soit par l'ancCtre auquel se rattachera leur ligne transversale , soit par la numdratioi
même des degr(-s de génération. Si adgnatos nec escit , genxilis familiam nancitor.
APPENDICE II. 465
APPENDICE H.
PARALLÉLISME DU DROIT PRÉTORIEN AVEC LE DROIT CIVIL,
PAR RAPPORT AUX SUCCESSIONS,
DANS L'ORDRE SECONDAIRE DE LA FAMILLE ROMAINE.
{ Voir chap. v. sect. ii. § 2. n» iv. p. 251-258.)
Nous avons suivi , dans le corps de cet ouvrage , le pa-
rallélisme du droit prétorien avec le droit civil , quant à
l'ordre principal de la famille romaine; nous allons le suivre
ici quant à l'ordre accessoire ou secondaire.
Dans l'ordre principal de la famille , le Droit prétorien agit
sur les successions relativement aux héritiers-siens, aux
agnats , aux gentils , aux droits des femmes. Dans l'ordre
accessoire , il agit relativement aux esclaves affranchis , aux
enfants émancipés, aux enfants in mancipio. — Nous men-
tionnerons, de plus , le droit de Justinien à cet égard, et don-
nerons le tableau comparatif des possessions de biens selon
la méthode ordinaire et selon notre division.
I. — Par RAPPORT AUX AFFRANCHIS. — Lc dpoit des XII Ta-
bles n'accordait l'hérédité légitime aux patrons et à leurs des-
cendants que si l'affranchi décédait sans héritiers-siens et
sans testament. — Le Droit prétorien accorda la possession
contra Tabulas au patron omis dans le testament ou inscrit
pour une portion moindre que la moitié des biens ; et il ac-
corda la possession ab intestato pour la moitié, si l'affranchi
ne laissait comme héritier-sien qu'un enfant adoptif ou la
femme placée in manu mariti^. Dans les temps primitifs de
1 Inst. Just. III. 8, de Suce Libert. i.
T. I. 30
466 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
l'institution prétorienne, c'était une application, modifiée en
faveur des patrons, de l'interdit undelegitimi. Mais la faculté
de succéder selon l'édit prétorien , accordée aux patrons ,
homme ou femme , et à leurs descendants , fut accordée par
innovation à leurs ascendants , et dès lors ce fut la posses-
sion de biens unde patroni, patrons, liberi et parentes eorlm^.
Le droit de patronage , sur l'hérédité des affranchis morts
sans testament , fut même étendu ( comme on l'a vu dans la
dissertation précédente), aux agnats du patron, qui étaient
supposés les agnats de l'affranchi , qîiasi agnati : c'était la
possession de biens , tanquam ex familia.
Bien plus encore : lorsque le préteur créa la possession de
biens en faveur des cognats dans la famille paternelle et ma-
ternelle, selon les liens du sang, et substitua ainsi la suc-
cession prétorienne , unde cognati , à l'ancienne hérédité des
gentiles, tombée en désuétude , le préteur accorda la posses-
sion de biens sur la succession de l'affranchi aux cognats
du patron. C'était une des applications de la possession de
biens unde cognati manumissoris.
Le Préteur avait ainsi réglé la succession des affranchis
sur le modèle de l'Edit relatif aux successions des ingénus s.
— La possession unde vir et uxor y était même transportée;
mais cependant avec cette modification toute d'équité , qu'au
lieu d'être la dernière , elle était préférée à la possession des
cognati manumissoris.
n. — Par rapport aex enfants émancipés. — D'après la
Loi des XII Tables , le droit du père émancipateur était as-
similé au droit du patron relativement oux affranchis; le
Droit prétorien suivit celte assimilation ; et 1 edit donna au
2 Inst. Just., III. 10. 1 et 2.
3 Baccovius avait émis cette conjecture , qui fut approuvée par
Vinnius, et qui est la seule explication claire qui ait été donnée
{Vinn., Insl., m. 10. 1.)
APPENDICE II, — SUCCESSIONS PRÉTORIENNES. 467
père , à l'aïeul ou bisaïeul , émancipateur, contre le testament
de l'émancipé , la même possession de biens qu'aux patrons
sur les biens de l'affranchi , exemplo patrom''. — Toutefois,
l'assimilation n'allait pas plus loin: les enfants de l'émanci-
pateur n'avaient point la possession contra Tabulas; car
l'homme ingénu , dit Gains, n'aurait pas pu être privé , sans
injustice, de la disposition de sa choses.
III. — Par rapport aux enfants in mancipio — Selon la
Loi des XII Tables , le droit de patronage appartenait à l'é-
tranger qui , après les trois ventes faites par le père sans
fiducie, avait affranchi le fils ainsi placé in mancipio • c'était
le manumisseur étranger qui , alors , pouvait recueillir les
biens par droit de patronage. Mais l'Edit du Préteur appelait
successivement les dix personnes dont les liens du sang avec
le fils affranchi lui paraissaient un titre préférable à la qua-
lité du manumissor extraneus. Celait la possession unde
DECEM person.c ; ct dans les dix personnes , le père ou la
mère, l'aieul ou l'aïeule, paternels et maternels, le fils ou
la fille , le petit-fils ou la petite-fille , le frère et la sœur,
consanguins ou utérins , sans distinction de sexe ni de ligne,
étaient appelés à la succession prétorienne.
4 D. , xxxvii. 12. 1 ( Ulp. ) Si a parente quis manumissus sil.
Emancipatus a parente in ea causa est, ut in contra Tabulas bonorum
possessione liberti patiatur exitum; quod cequissimum Prœlori visuni
est, quia. a parente beneficium habuit bonorum quaerendoruni Et
ideo itum est in hoc, ut parens exemplo palroni ad contra Tabulas bo-
norum possessionem admittatur.... § 2 : quia perinde defert Prœtor
bonorum possessionem atque si ex servitute manumissus esset.
5 Liberos autem manuraissoris non venire ad contra Tabulas posses-
sionem filii constat, quamvis patroni veniant. {Id. ibid., L. i. § 5. )
Non usque adeo exsequandus est patrono parens , ut etiam Faviana
aut Calvisiana actio ei detur, quia iniquum est ingenuis homini-
BUS NON ESSE LIBERAS! REBUM SUARUM ALIENATIONEM. ( Id. ibid. ,
L. 2. Gains , in Edicl. provinr. )
468 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
Si , malgré la multiplicité des cas prévus, l'application
de la possession de biens n'était pas possible , il y avait
DÉSHÉRENCE, et occupation des biens par le Trésor public 6.
Le système des Possessions de biens fut étendu aux pro-
vinces par l'édit des préteurs et des proconsuls ; il devint une
des parties ordinaires du Droit provincial 7,
L'ordre suivi par Justinien dans l'exposition des succes-
sions prétoriennes ( Instit. liv. m) n'est pas rigoureusement
exact dans toutes ses parties ; Vinnius ne s'y était pas as-
servi. La distinction faite par nous entre la famille princi-
pale et la famille accessoire nous paraît devoir jeter la lu-
mière sur une matière obscure. Voici , au surplus , le tableau
comparatif suivant Justinien et suivant notre classification :
ORDRE lPiDlQl]É PAR JU8T1MEN,
ORDRE CONFORME i NOTRE DISTINCTION :
applicable
1* La Famille principale ;
à la Famille en général.
2° La Famille accessoire.
1.
UlSDE LIBERI.
§ 1. — Famille principale :
2.
Unde LEGITIMI.
1. Unde liberi.
2. Unde legitxmi.
3.
Unde decem personne.
3. Unde cognati.
à.
Unde cognati.
û. Unde vir et uxob.
5.
6
TaISQUAM ex FAMILIA.
Unde patroni et patroN/E , etc.
§ 2. — Famille accessoire :
1. Unde patroni , etc.
2. TaNQUAMEX FAMILIA.
7. Unde vir et uxor.
8. Unde cognati manumissoris.
3. Unde \ir et uxor.
il. Ukde cognati manumissoris.
5. Poss ssio contra Tabulas omanci-
pati, PARENTI, EXEMPLO PATRONI.
6. Unde decem person/e.
Justinien a supprimé les possessions comprises sous le § 2;
dès lors tout est rentré dans l'ordre des successions du § T',
6 L. unie, Cod. Just., uni>e vir et uxok , vi. 18.
7 Cic, in Verr., i. 41. Epist. ad Att., vi. 1.
APPENtolCE III. 469
APPENDICE III.
CARACTÈRE POLITIQUE ET MORAL DE LA LOI CINCIA.
(Voir chap. v, sect. u. § 2. n" 1. p. 2W-2Zi3. )
Nous nous sommes occupé de la Loi Cincia, en la considé-
rant dans ses rapports avec le Droit privé , et les garanties
données à la famille contre les libéralités des citoyens. —
Nous voulons ici rechercher quel pouvait être le caractère
moral et politique de cette Loi.
La loi CiNCiA DE DOMS ET MUNERiBUS , dc l'an 550 de Rome ,
avait deux objets principaux ; mais tous les deux , à notre
sens , se rattachaient plus ou moins directement à l'ordre
politique.
L — Son premier objet était de prohiber les dons ou pré-
sents des clients envers les patrons et envers les orateurs ou
avocats qui avaient défendu leur cause. La loi venait au se-
cours des clients , épuisés d'argent par l'exigence des patri-
ciens qui leur imposaient des présents dispendieux. Elle fut
rendue, dix ans après la loi Oppia, contre le luxe des fem
mes ; et Caton le censeur , rigide défenseur de la loi Oppia ,
ne craignait pas de dire du haut de la tribune aux haran-
gues : « Pourquoi la loi Cincia a-t-elle prohibé les dons et
» les cadeaux? — Parce que le sénat s'hatfituait à lever des
» impôts et des tributs sur le peuple i. » C'était donc vraiment
1 Tit. Liv., XXXIV. 4. Catonis oratio [ 570. ] « Quid legem Cinciani
de donis et muneribus , nisi quia vectigalis jam et stipendiaria plèbes
esse senatus cœperat.? »
470 LIV. I. ÉPOQUE ROMAINE.
dans une vue politique, et pour affranchir le peuple de la dé-
pendance ruineuse dans laquelle le plaçait l'usage des dons
volontaires envers les grands , que la lek muneralis avait
été portée. Une réponse piquante du tribun Cincius , auteur
de la Loi, peint bien sa pensée; elle est rapportée par Cicé-
ron : « Que proposez-vous là, petit Cincius, Cinciole, lui di-
» sait dédaigneusement le patricien Caius Cento , le jour même
» du plébiscite ; — que vous achetiez , Caius , si vous voulez
» jouir , » répartit le tribun 2,
Lorsque le patronage politique s'affaiblit, la prohibition
de la Loi ne pouvait plus recevoir la même application; mais
elle fut maintenue, en ce sens que nul ne pouvait recevoir,
pour plaider une cause, ni argent, ni présents. Dans les
premiers temps de l'Empire , la Loi était encort" respectée ;
Tacite rappelle les noms d'Asinus , de Messala , d'Arrun-
tius , qui « tous étaient montés au faîte des honneurs , par
»une vie sans reproche et une éloquence désintéressée'^. »
Un grand scandale éclata sous l'empereur Claude : un
Chevalier romain , après avoir donné 400,000 sesterces
( 84,000 fr. ) à l'avocat Suilius , fut trahi par lui , et se perça
de son épée dans la maison de l'infidèle défenseur. Les sé-
nateurs, indignés, demandèrent l'exécution de l'antique loi
Cincia; mais Claude permit que la question des honoraires fût
agitée devant lui ; et les adversaires de la loi Cincia opposè-
rent que « l'institution des avocats avait pour but d'empêcher
» que le faible ne fut opprimé par le puissant; mais que l'é-
» loquence ne s'acquérait pas gratuitement; que l'orateur né-
2 Ut Cincius quo die legem de donis et muneribus tulit, quum
C. Cento prodiisset, et satis contumeliose, « quid fers, Cinciole?
quaesisset : ut emas, inquit, Cai, si uti velis. » ( Ctc, de Orat., 11. 71.)
—Selon Ernesti, C. Cento était de la Gens Claudia (Index hisloricus.)
3 Ad sumnia provectos incorrupta vita et facundia. ( Tacil. , Ann.,
XI. 6, Trad. de M. Burnouf. )
APPENDICE 111. — LOI CI>C1A. 47l
» gligeait ses affaires pendant qu'il se dévouait à celles d'au-
» trui; que le guerrier vivait de son épée, le laboureur de sa
a charrue; que nul n'entrait dans une carrière sans en pré-
» voiries fruits; que l'on devait songer au peuple, d'ail-
» leurs, dont les membres pouvaient briller par la toge :
» en supprimant la récompense, on éteignait les talents '. »
— Le prince trouva que ces raisons n'étaient pas sans fon-
dement. « Il fixa des bornes aux honoraires , et permit de re-
» cevoir jusqu'à 10,000 sesterces ( 2,100 fr. ), au-delà des-
» quels l'avocat serait coupable de concussion s. » — La loi
Cincia fut donc abrogée implicitement , ou modifiée à l'égard
des honoraires offerts aux orateurs. Trajan fit de vains efforts
pour la ranimer •^. La règle s'établit sous les Antonins que le
juge fixerait les honoraires des avocats , selon la nature du
procès , l'éloquence de l'orateur , la coutume du barreau
et du tribunal , pourvu que la somme ne dépassât point le
taux légitime; et le maximum légal fut de cent écus d'or,
à peu près celui déterminé par Claude 7. L'avocat pouvait
réclamer ses honoraires en vertu d'un pacte, pourvu que
ce pacte fût postérieur à la plaidoirie de la cause. — Mais le
jurisconsulte, le professeur en droit étaient placés, au point
de vue moral , dans une région supérieure à l'avocat plai-
dant. « La sagesse civile est trop sainte, dit Ulpien, pour
devoir être estimée à prix d'argent , ou exposée à la honte
d'un jugement d'honoraires ; » et il établit alors cette règle de
délicatesse , qui devrait servir de guide aux jurisconsultes et
4 Cogitaret plebem, quœ toga enistesceret. Suhiatis studioruni pre-
tiis , etiam studia peritura. ( Tacil., xi. 7, et xiii. 42. )
5 Tacite , xi. 7. Capiendis pecuniis posuit modum.
6 Plin.; Epist. v., ult.
7D.,L. 13. §§ 10. 11. 12. (ï/7p.)Usque ad ccnlum aurcos (2,493 fr.)
Sous les Antonins, Yaureus valait 24 fr. 9â c. ( M. De la IHalle, Econ.
pol. des Rom., t. \. p. 4.50.) Les Pvoniains, dans leurs indications, pre-
naient toujours le chi/fre rond.
472 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
même aux avocats de tous les temps : « Certaines choses peu-
vent se recevoir honnêtement qui ne peuvent se demander
sans indélicatesse : Qu^edam enim tametsi honesteaccipiantur,
INHONESTE TAMEN PETUNTUR 8. »
Ainsi, la Loi Cincia avait un objet politique;, en ce qui con-
cernait les relations des patriciens et des plébéiens, et un but
moral , en ce qui concernait les relations des orateurs et des
clients. Elle n'a eu sa complète application que pendant la
durée de la République et les premières années de l'Empire;
mais l'esprit de l'antique prohibition avuit laissé, dans les
mœurs des véritables jurisconsultes , un principe d'honneur
et de désintéressement digne d'être recueilli par les âges pos-
térieurs.
II. — Le second objet de la loi Cincia , relatif aux dona-
tions entre vifs , était bien plus important sous le point de vue
du droit privé , et n'était pas cependant étranger , selon notre
opinion , à l'ordre politique.
Sous le Droit des XII Tables, les donations entre vifs, as-
sujetties aux formes générales de l'aliénation à titre onéreux,
ne connaissaient aucune limite de quotité. La loi Cincia res-
treignit la libre faculté de donner. Les restrictions, toute-
fois , n'existèrent point à l'égard de certaines personnes qui
formaient une classe exceptionnelle ; classe très-vaste encore,
car elle embrassait tous ceux avec lesquels le donateur avait
des rapports de parenté paternelle ou maternelle-, jusqu'au
sixième degré , et des liens analogues à la parenté. Les res-
trictions de la loi Cincia ne re^^ardaient que les personnes
tout-à fait étrangères au donateur. — Sous ce rapport , elles
protégeaient la famille contre des libéralités propres à dépla-
cer les patrimoines; c'était une garantie pour la famille.
Mais cette garantie ne contenait pas tout l'esprit de la loi
Cincia. En effet , la Loi produisait en faveur du donateur une
8D.,L. 13. 1. §5. {UlpJ
APPENDICE III. — LOI CINCIA. 473
exception perpétuelle. S'il avait payé la somme ou livré la
chose donnée contre le vœu de la loi Cincia, il avait le
droit de répétition ; et non seulement le donateur pouvait ré-
péter, mais tout citoyen pouvait agir, l'exception et l'action
étant réputées populaires : etiam quivis , dit Ulpien dans les
fragments du Vatican, quasi popularis sit exception. —
D'où vient ce caractère d'action quasi-publique? Ce n'est pas
du rapport de la loi avec la garantie de la famille , car il au-
rait sufiB de donner l'action aux membres de la famille , aux
successibles du donateur. Mais rappelons-nous que la loi
Cincia avait déjà un but' politique , celui de prémunir les
clients , c'est-à-dire les plébéiens , contre l'influence abusive
des patrons et des sénateurs. Il se peut donc que, tout en se
proposant, dans la seconde partie de la Loi , un objet concer-
nant l'intérêt privé de chaque famille , le tribun Cincius y
mêlât une pensée d'un ordre différent. — Cette loi était un
Plébiscite. En l'an 550 , la lutte de l'aristocratie et de la dé-
mocratie n'était certainement pas terminée , car la loi Cincia
précédait de soixante-dix ans les lois de Tiberius et de Caius
Gracchus. La pensée politique du tribun pouvait être d'em-
pêcher les patriciens, les citoyens riches , de faire passer, par
leurs largesses intéressées, des clients, des citoyens pauvres ,
mais considérés , des centuries d'une classe inférieure dans
une classe supérieure , où ils pouvaient avoir une part plus
efficace aux votes des comices , aux élections des magistrats,
aux jugements en matière capitale, et s'unir plus étroitement
aux intérêts de l'aristocratie. On sait qu'une des conditions
attachées au patronage était que les clients devaient appuyer
les patrons de leurs suffrages dans les comices 'o. A Rome, tout
se réduisait aux comices et à l'action qui s'exerçait sur les
9Frag Vat., § 266.
10 Supra^ chap. iv. sect. t. p. 56.
474 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
suffrages. Les lois Calpurnia et TuUia, de ambitu, ont eu suc-
cessivement pour but d'arrêter les scandales ; la loi Cincia ,
antérieure de deux siècles, voulait prévenir une influence qui
avait quelque chose d'honorable , et qui ne pouvait être répri-
mée comme un délit. Dans les gouvernements libres, on voit
souvent les riches chercher, à l'aide de leur fortune, à aug-
menter le nombre des électeurs à l'appui de leur opinion ou
de leur candidature •<. — Ce qui prouve donc, en premier
lieu, que la restriction de la loi Cincia était apportée non seu-
lement dans l'intérêt des familles , mais dans un intérêt poli-
tique, c'est le caractère imprimé à l'exception perpétuelle de
la Loi, qui devenait une sorte d'action publique en restitution.
Une seconde preuve se tire du changement qui s'opérait
au décès du donateur. L'exception perpétuelle, transformée
en droit de répétition , ne passait pointa l'héritier , si le do-
nateur avait persévéré dans sa volonté jusqu'à son décès. La
persévérance de volonté purgeait le vice de fraude à la loi
Cincia, ou, comme disait Papinien, la persévérance de volonté
périmait l'exception *2. L'intérêt de la famille, cependant,
n'en était pas moins blessé , puisque la chose jugée lui était
enlevée. Mais, d'une part , la donation entre vifs se trouvait
transformée , par la persévérance du donateur, en donation à
cause de mort; et , d'autre part, l'intérêt politique du dona-
teur ne pouvait plus exister : en politique et en matière de
suffrage, la mort termine tout. Mors omnia solvit.
Une troisième preuve , à l'appui de notre opinion , nous
11 Les exemples , en Angleterre, sont nombreux , nous en avons
même en France. La restriction apportée tout récemment, chez nous,
à la faculté de transporter son domicile politique dans un autre arron-
dissement a eu pour l'un de ses motifs l'abus qui pouvait se faire des
acquisitions collectives, par lesquelles des hommes riches se feraient
suivre d'électeurs dévoués à leur candidature.
12 Frag. Vat., §§ 294. 312. Doli replicatione périrait.
APPENDICE III. — LOI CINCIA. 475
est fournie par les dispositions de la loi Cincia relatives aux
donations des terres situées dans les provinces. Les Romains
avaient de grandes possessions dans l'Italie du nord , en
Sicile , en Sardaigne , en Grèce , en Asie , au temps de la loi
Cincia ; Caton redoutait déjà cette fortune de Rome , qui
agrandissait son empire et qui la mettait en possession de
royales richesses i3. La loi Cincia n'apportait aucune restric-
tion aux donations de terres situées dans les provinces ; les
fonds du territoire romain ou du Latium , qui seuls consti-
tuaient , parmi les propriétés immobilières , des res mancipi ,
seuls étaient frappés par la restriction , et ne pouvaient être
donnés aux personnes non exceptées , que dans la limite de
quotité fixée par la loi Cincia. Pourquoi les terres provin-
ciales ou tributaires , non mancipi , pouvaient-elles être
données ainsi sans aucune restriction? L'intérêt de la farailip
avait à en souffrir, cela est certain; mais l'intérêt politique
n'y était nullement engagé. En etfet, les terres de Vager
romamis et du Latium figuraient seules dans le cens lu ci-
toyen , au temps de la loi Cincia et même de Cicéron ; —
les terres provinciales , au contraire , n'étaient pas portées
au cens, et ne servaient point au taux des Centuries"*. Voilà
pourquoi , à notre avis , les donations des premières étaient
très-limitées, et les donations des dernières étaient illimitées.
L'intérêt politique, qui concourait fortement à établir la res-
triction de la loi Cincia, venant à cesser, la prohibition de
donner cessait elle-même : Cessante causa, cessât effectus.
Cette différence entre les donations des terres de propriété
13 Hsec ego, quo melior laetiorque in dies fortuna reipublicœ est,
imperiumque crescit, et jam in Grœciam Asiamque transceudimus,
omnibus libidinum illeeebris repeletas, et regias etiam attrectamus
gazas , eo plus horreo , ne illœ magis res nos ceperint, quam nos illas.
CTit. xxxiv. 4.)
14 Cic, pro Flacco, cap. xxxii : Sunt-ne prsedia Censui censeudo,
habeant jus civile. ( Supra , p. 193.)
476 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
romaine et des terres de propriété provinciale était si pro-
fondément établie dans l'esprit de la loi Cincia, qu'elle s'est
maintenue tant que la différence entre le sol italique et le sol
provincial a été conservée réellement dans le droit civil de
l'Empire. Les fragments du Vatican nous ont transmis un
texte de Dioclétien , de l'an 293 , qui porte que dans la do-
nation d'une chose tributaire, on ne fait, d'après la loi
Cincia, aucune différence entre les personnes exceptées et
les personnes non exceptées <3.
Ce texte démontre en même temps et la persistance de la
loi C incia en ce qui concerne l'Italie , et l'absence de sa pro-
hibition dans le Droit provincial. Il en résulte ce point impor-
tant, qui reparaîtra dans l'histoire du droit coutumier, savoir ,
que les donations entre vifs , même de biens immeubles ,
étaient regardées comme libres et illimitées dans le droit ro-
main des provinces. L'empereur Alex. Sévère , voyant l'abus
possible, étendit en certains cas aux donations entre vifs
la plainte d'inofficiosité le.
Plusieurs travaux ont été faits sur la loi Cincia dans l'an-
cienne et la nouvelle École , mais surtout au point de vue du
Droit privé.
L'ancienne école avait principalement le Commentaire de
Brummer, ad legem Cinciam [1668]. — Le Trésor deMeermann,
tome VI, p. 645 et suiv. de donationibus , renferme des do-
cuments sur le même sujet, ainsi que la Jurisprudence
antéjuslinienne de Schulting, p. 581.
La nouvelle école, dans la savante Allemagne, a produit
plusieurs travaux depuis la découverte des fragments du Va-
is in donatione rei Iributariœ circa exceptam et non exceptam
personam legis Cinciœ nulla differentia est. {Frag. Vaiic, § 293. )
16 D., XXXI. 1. 87. § 3. {Paul. ) : Ralio deposcit, id, quod donatum
est pro dimidia parte revocari.
APPENDICE III. — LOI CINCIA. 477
tican [ISâi]. On doit citer, entre autres écrivains : Ru-
DORFF, DE LEGE CiNciA ( Berlin , 1825); — Rlinkammer , de
DoNAT. exFrag. Vat. [Amsterd., 1826]. — Bruns , quid con-
férant Frag. Vat admelius cognosc. Jus Romanum. [Tubing,
1838.]
MM. Savigny, Warnchoenig , Mulhembruch , Marezoll , ont
résumé les résultats de leurs travaux sur la loi Cincia , le
premier dans un commentaire qui a servi de guide aux au-
tres (recueil intitulé Zeitschrist, tome IV); le deuxième dans
ses Institutiones Juris romani privati (§ 951 ); le troisième dans
sa Doctrina Pandectarum (iii-IO, §§ 417-442), et ses An-
notations aux Antiq. d'Heinecc. (ii-7, § 12, p. 396); le qua-
trième dans son Droit privé des Romains , traduit par M. Pel-
lat (liv. III, § 127).
Nous présentons sur le caractère politique de la loi Cincia
des idées qui sont exprimées pour la première fois. Nous
croyons avoir prouvé que les restrictions du Plébiscite à l'é-
gard des donations entre vifs , ne peuvent s'expliquer par la
seule raison du droit privé; qu'elles touchaient à des intérêts
de l'ordre politique, et qu'en l'absence de cet esprit de la Loi,
on ne peut se rendre un compte suffisant des dispositions fon-
damentales. — Les Doctes prononceront.
3-78 LÎV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
APPENDICE lY.
TRANSFORMATION DES MONNAIES ROMAINES ET DE L'UNITÉ MONÉ-
TAIRE, — RAPPORT ENTRE LES DIFFÉRENTES UNITÉS,
SOUS LA RÉPUBLIQUE.
(Voir chap. i. sect. i. p. lu. not. 22-23. — chap. v. sect. ii. p. 23/i. not. û3,
p. 2f|3. not. 03.)
Dans plusieurs parties de cet ouvrage, nous avons été obli-
gé de mentionner les monnaies romaines , et d'indiquer des
rapports de valeurs. Pour éclaircir par une vue d'ensemble
cette matière obscure , nous allons marquer ici les époques
successives de la révolution des monnaies , révolution qui n'a
pas d'abord changé les dénominations employées dans la lan-
gue des lois. Les documents fournis par Varron, et surtout un
passage de Pline (Histoire naturelle, liv. xxxiii, chap. 3),
sont la base de notre exposé. De nos jours, MM. Letronne et
De la Malle ont jeté sur ce sujet une lumière nouvelle qui
nous a aussi servi de guide.
§ 1. — Monnaie de cuivre.
I. — Avant Servius TuUius, il n'y avait pas de monnaie
frappée; on se servait de Vœs rude et de la balance pour le
peser : d'où est venue la forme de la mancipation per œs et
Hhram. Sous le règne de Servius, I'as fut frappé d'une em-
preinte représentant ufie tète de bétail , nota pecudum : d'où
APPENDICE IV- — MONNAIES ROMAINES. 479
pecunia. L'as était de cuivre , d'airain ou de bronze , et pesait
la Livre romaine de douze onces. 11 avait, comme monnaie,
sa valeur intrinsèque ou sa valeur-poids d'une livre d'airain;
la valeur intrinsèque et la valeur représentative étaient alors
en parfait accord. As , ^s , assis , sont synonymes sous la Loi
des XII Tables; de même libralis assis ou liera : as erat liera
PONDUS, dit Yarron, v, § 169. — L'as originaire, ou la livre de
douze onces de poids , était donc l'unité monétaire dans cette
première époque'.
Du reste , pour le besoin de la circulation , on avait frappé
des monnaies inférieures de trois onces ou du quart de I'as,
qui étaient appelées triumcius , triumcii , de tribus unciis
(Varron et Pline).
II. — Pendant la première guerre punique [488-512], l'as
originaire fut diminué de son poids et de sa valeur intrinsèque.
La diminution décrétée par le Sénat était de dix onces ou des
cinq sixièmes : « Constitutum ut asses sextantario pondère fé-
rir entur. û Ainsi la République , avec un as ancien , en frappa
six nouveaux , et gagna , par conséquent , les cinq sixièmes
sur la valeur des monnaies , afin d'acquitter ses dettes : Ità
quinque partes factœ lucri, dissolutumque œs aliemim{V\me].
L'as pesant deux onces eut la valeur représentative de l'as
originaire de douze onces. La valeur représentative était donc
alors bien différente de la valeur intrinsèque : ce fut une
grande révolution dans le signe monétaire. L'empreinte de
la République faisait la valeur. L'as nouveau fut frappé d'une
tête de Janus et d'une proue de navire frostrumj , emblème si-
gnificatif du passé et de l'avenir de Rome.
Pour faciliter la circulation monétaire, on frappa aussi des
1 Voir supra, p. 153, ce que nous disons de Tas considéré comme
l'entier, par rapport à l'as hérédilaire el usiiraire.
480 UV. I. ÉPOQUE ROMAINE.
monnaies appelées triens et quadrans , et qui représentaient
le TIERS et le quart de la valeur nominale de l'as.
Annibal pressant l'Italie de toutes parts , on réduisit le
poids de l'as à une once , pendant la seconde guerre punique,
sous la dictature de Fabius Maximus. L'as, ainsi réduit, con-
servait toujours sa valeur primitive et nominale de livre de
douze onces : la République gagna , cette fois , la moitié pour
payer ses dettes et faire face aux circonstances, dimidium
lucrata est. — Bientôt, par une loi Papyria, dont la date
précise est inconnue, et qui est reportée, par M. Letronne,
à l'année 562 , époque de la guerre d'Antiochus , on fil frap-
per des as qui n'avaient de poids qu'une demi-once [Mox
lege Papiria semunciales asses facti] 2,
Voilà pour la monnaie de cuivre : c'est toujours l'as pri-
mitif pour la valeur représentative ; mais la valeur intrinsè-
que a changé de la livre , ou de l'entier , au vingt-quatrième.
§ 2. — Monnaie d'argent.
1. — Les Romains, d'après le témoignage de Pline, ne
commencèrent à faire frapper des monnaies d'argent qu'après
la défaite de Pyrrhus et la soumission des Tarentins , en
484. Le denier d'argent, Denarius, valut d'abord dix as de
cuivre ; et des monnaies de subdivision s'y rattachèrent : on
frappa le Quinarius, valant cinq as, ou la moitié du denier,
2 Pline , XXXIII. 3. — M. Bœckh , en Allemagne, fixe la date à l'an
669, et attribue la loi à Papirius Carbo. (Econ. pol.) — En Italie , le
comte Borghesi, savant numismatiste , et, en France, M. De la Malle,
reportent la loi à l'époque de la guerre sociale et l'attribuent aussi à
Papirius Carbo, tribun du peuple en 665. (Econ. pol. des rom. ,
M. De la Malle, i, p. 83.) Il me semble qu'alors on avait peu d'inté-
rêt à frapper des asses semunciales. — Le mox de Pline s'accorde mieux
avec la date de 562.
APPENDICE IV. — MONNAIES ROMAINES. 481
et le Sesterce, valant deux as et demi. Sestertius vient, selon
Vàrron (v. §-173), de semis tertkis, comme si l'on disait
demi-troisième as ; le sesterce représentait le quart du denier
d'argent.
II. — Pendant la deuxième guerre punique , sous la dicta-
ture de Q. Fabius Maximus [an 537] , on établit que le de-
nier d'argent vaudrait seize as au lieu de dix (sauf pour la
paie des soldats , in militari stipendia) ; que le quinaire vau-
drait huit as , et le sesterce quatre as. C'était un nouveau
gain que la République faisait sur la monnaie d'argent , après
avoir gagné, plusieurs fois déjà, sur la monnaie de cuivre.
Cette mesure produisit un grave résultat : c'est que l'unité
monétaire d'argent ne fut pas d'accord, quant à ses parties
élémentaires , avec l'ancienne unité monétaire de cuivre : elle
n'eut pas douze parties comme celle-ci , elle en eut seize ; et
ce changement se faisant à l'époque même où l'as était ré-
duit à l'état réel d'une once , on put dire que le denier, unité
monétaire d'argent , représentait également seize as ou seize
onces ; confusion qui associa à l'idée d'unité celle de varia-
tion dans le nombre des parties constitutives; confusion qui
s'étendit à l'unité de poids, et fit admettre, à côté de la livre
romaine de douze onces , des variétés de livres de quatorze et
de seize onces s.
Au surplus , le Sesterce , valant quatre as , conserva tou-
jours son rapport primitif de quotité ou son rapport du quart
avec le denier; le sesterce, à l'égard de l'unité monétaire d'ar-
gent , avant et depuis Fabius Maximus , est toujours comme
le quadrans à l'égard de l'unité monétaire de Servius Tul-
lius. — Le sesterce n'était pas la plus petite monnaie d'ar-
gent; il y eut des subdivisions , et notamment la libella, qui
3 Le Cod. ïhéod. , x. 19. 4 de Melallis , mentionne la livre de qua-
torze onces, qui devint dans les Gaules la livre de Lyon.
T. 1. 31
482 LIV. I. — ÉPOQUE ROMAINE.
était, d'abord, la dixième partie du denier d'argent, et qui
valait la livre, poids d'airain'*. Mais, dans l'usage et dans
la langue des jurisconsultes, le Sesterce devint comme l'u-
nité élémentaire pour l'évaluation des fortunes ou des som-
mes, et finit par remplacer l'as. Le sesterce a varié dans sa
valeur : — vers l'an 485, il valut 41 centimes de notre
monnaie; — de l'an 513 à l'an 707, il valut 19 centimes
(selon la douzième table de conversion de M. De la Malle);
aprèsl'an 707, il valut 21 centimes.
L'as alors, quart du sesterce, ne valait plus que 5 centimes
Vi, mais comme l'as avait varié de l'entier au vingt-qua-
triènje , il s'ensuit que l'as de poids, I'.es grave , ancienne
monnaie romaine , aurait alors représenté, selon notre mon-
naie, 1 franc 26 centimes, ou la valeur de six sesterces , sous
l'Empire; par conséquent les 100,000 as formant le taux de
la 1" Classe, d'après la distribution de Servius TuUius , au-
raient valu 600,000 sesterces de l'Empire, ou 126,000 francs
de notre monnaie. — On ne doit pas confondre le sestertius,
monnaie rtielle que nous venons d'évaluer, et le sestertium,
monnaie fictive ou de compte , qui valait mille sestertii.
§ 3. — Mouuaie d'or.
D'après le témoignage de Pliiie, c'est soixante-deux ans
après la fabrication, à Rome, de la monnaie d'argent, et par
conséquent en 546 , que la monnaie d'or fut frappée au type
romain. L'or, avant celte époque, était en lingots dans le
commerce.
Le scrupule d'or, qui était la 24" partie de l'once, de
poids, et la 288*= partie de la livre, valait 4 deniers ou 1 6 ses-
4 Nuaiini denarii decmna libella , quodVihram pondo a^ris valebat
el erat ex argeuto parva. ( Farro., l l. v. § 173. )
APPENDICE IV. — MONNAIES ROMAINES. 483
terces (Pline, xix — 4); mais la République, en frappant de la
monnaie d'or, tailla les aurei dans la livre d'or et les frappa
de manière à ce que le scrupule d'or valût dans la circulation
20 sesterces, ou 5 deniers d'argent; ce qui lui donna un
bénéfice réel de 288 deniers par livre d'or, ou -1152 sester-
ces, que Pline réduit à 900, comme bénéfice net, selon l'ob-
servalion due àla sagacité de M. l.etronne». — L'aureus subit
quelques variations. Sous Jules César, depuis l'an 707, où
l'on tailla 40 aurei dans la livre d'or, l'aureus valut 27 francs
95 centimes de notre monnaie; sous Auguste, 26 francs
89 centimes; sous les Antonins, 24 francs 93 centimes.
L'aureus , comparé aux sesterces , était l'unité comparée à la
centaine : 1 aureus valait 100 sestertii, et iO aurei valaient
un sestertiur^; les 100 aurei, dont Ulpien parle au Digeste
( L. 13. 1 . § 12.) équivalaient aux dena sestertia, dont parle
Tacite (Annales, xi — 7.), à l'occasion des honoraires dé-
terminés par Claude.
Malgré la transformation des monnaies et des valeurs , le
mot iEs continua de signifier la monnaie en général : aureos
NUMMOS jEs Dicmus , dit Ulpien ; et quand on voulait parler
des anciennes valeurs ou chercher leur rapport avec les va-
leurs nouvelles , on revenait toujours à I'.es de poids , .es
GRAVE 6,
5 Pline, XXXIII. 3. — M. Letronne, Considérations générales sur
les monnaies grecques et romaines. — M. Bureau de la Malle , Éco-
nomie politique des Romains, i. p. 87, et Tables de conversion, xiii.
xiv. Le solidits de Constantin, le sou d'or, \a\nt 15 francs 53 centimes
et puis 15 francs 10 centimes.
6 lit. Liv., IV. 41 et 60. — v. 12. Senec. de Benef. , v. 14 : .Es alie-
num habere dicitur et qui aureos débet.... — Nalural Quœst... 1. 17 :
An tu existimas, ex auro nitidum habuisse Scipionis filias spéculum ,
cum illis dos fuisset ^s grave .^
FIN DE l'appendice.
TABLE DES MATIÈRES.
T03IE I.
I^TRODICTIO^.
NECESSITE DE L'HISTOIRE DU DROIT ROMAIN ET DE L'ANCIEN DROIT
FRANÇAIS POUR L'INTELLIGENCE DU DROIT CIVIL MODERNE.
PLAN , MÉTHODE ET BUT GÉNÉRAL DE L'OUVRAGE.
LIVRE r\ — ÉPOQUE ROMAINE
ou DROIT CIVIL DE ROME.
Pages.
DIVISION GÉNÉRALE DE L'ÉPOQUE ROIVIAINE 1
CHAPITRE 1er, — TABLEAU DES INSTITUTIONS DE l'ORDBE PO-
LITIQUE jusqu'à l'Époque des guebres
CIVILES , 3
SECTION I". — DEPUIS LA FO^DATIo:>^ de bohe jusqu'au it' siècle (305).
I. — Eléments de la race romaine 3
IL — Division du peuple en trois tribus. — Sé-
nat. — Palricii majorum el minorum
genlium 6
486 TABLE DES MATIÈBES. — ORDBE POLITIQUE.
Pages.
III. — Division du peuple en 30 curies. Comices
par curies 9
IV. — Classe des prolétaires 10
V. — Institutions de Servius Tullius.
Cens. — Classes. — Centuries. — Comices
par centuries. — Mode d'opération. —
Division eu tribus urbaines etrustiques.
— Ordre des chevaliers. — Parallèle des
réformes de Solon et de Servius .... 11
VI. — Institution du consulat.— Appel au peuple. 16
VII. — Retraite sur le Mont-Sacré. Institution du
tribunat.
Comices par tribus. — Mode d'opération. 17
VIII. — Influence de la révolution plébéienne sur
les Comices par centuries. — Restric-
tions des prérogatives du sénat .... 19
IX. — Proposition d'une loi agraire. — Cession
du Mont-Aventin aux plébéiens .... 19
X. — Equilikre des pouvoirs politiques , sus-
pendu pendant le Décemvirat , rétabli
en 305 20
SECTION II- — DEPUIS LE IV' SIÈCLE JUSQUES AUX GUERRES CIVILES. . 21
§ 1. — Partage des dignités de la République entre les
deux Ordres. Institution de la censure et de la
préture , 22
§ 2. — Agrandissement de Rome par les guerres d'Italie.
Fondation des colonies dans la péninsule. . . 24
§ 3. — Provinces conquises 26
I. — La Sicile , la Corse, la Sardaigne 26
II. — L'Afrique et l'Espagne 27
m. — La Grèce 28
§ 4. — Modifications dans la constitution et les mœurs
de la cité par suite des conquêtes 29
I. — Progrès de la puissance du sénat par l'ad-
ministration des provinces , et affaiblis-
sement de la noblesse patricienne ... 29
II. — Modifications dans la nature démocratique
de Comices par tribus. — Action du
TABLE DES MATIÈRES. — DROIT DES XII TABLES. 487
Pages.
censeur Fabius INIaximus sur la compo-
sition des tribus rustiques et urbaines.
— Loi Hortensia sur le caractère obli-
gatoire des plébiscites 30
III. — Concentration des affranchis dans la seule
tribu Esquiline. Diminution des plé-
béiens d'origine romaine 31
' IV. — Richesses et vastes possessions des cheva-
liers (pwW^canO ^^
V. — Apparition à Rome des arts et de la phi-
losophie de la Grèce 32
§ 5. - Dissolution de la cité par les guerres civiles. -
Transformation 34
I. — Les Gracches. — Lois agraires 34
II. — Marins et Sylla : Caractère de leur lutte . 35
m. — Jules-César. —Indication d'une ère nou-
velle. — Transition au Droit privé. . . 38
CHAPITRE II. — PRINCIPE FONDAMENTAL DU DROIT CIVIL DES
XII TABLES , DU DROIT PRÉTORIEN , DE LA
PHILOSOPHIE DU DROIT 39
I. — Unité de la Cité et du Droit civil 39
II. — Parallélisme du Droit prétorien relative-
ment au droit primitif 40
III. — Rapport des faits sociaux avec la nature
de iHOMME , de la société , de dieu. . 42
CHAPITRE III. — origines historiques et caractère gé-
néral DE la loi des XII TABLES , PAR
RAPPORT AUX LOIS GRECQUES ET AUX
MŒURS ROMAINES ^3
Observations préliminaires et bibliographi-
ques sur les travaux modernes concernant
les XII tables ^^
CHAPITRE IV. — LE DROIT DES XII TABLES DANS SON APPLI-
CATION AUX OBJETS GÉNÉRAUX DU DROIT
PRIVÉ. (1« période de l'Époque romaine) . 52
53
SECTION I. — LA CTTÉ ,
I. - Elém. constitutifs de l'état des personnes. 53
488 TABLE DES MATIERES. — DBOIT DES XII TABLES.
Pages.
II. — Ingénus. — Affranchis. — Etrangers. . 55
III. -:- Clients , patrons 55
IV. — Perte des droits de citoyen. — Inlerdiclio
aqxiœ el ignis. Exil avant le jugement :
Ses effets sur le droit de cité 57
V. — Romain prisonnier de guerre. — Jus
poslliminii. Loi Cornelia 59
VI. — Personnes sui juris el alieni juris. Tran-
• sition 60
SECTION IL — co^sTITUTION de la famille romaine et de la gens. 61
I. — Principe de la famille romaine dans son
rapport avec la cité 61
II. — Juste mariage (juslœ nupliœ) 62
Effets de la Iradition de la femme quant
au caractère du contrat de mariage.
(Note 5) 63
III. — Puissance paternelle, pouvoir de tester.. 67
Différentes espèces de testaments. Leur
origine 7Qf72
Conditions nécessaires à la validité du
testament romain 71
IV. — Agnation. — Cognation 74
V. — Gens. — Gentilité 78-101
Examen des opinions de Niebuhr et de
M. Ortolan 452
Tableau de la famille romaine pour indi-
quer la distinction entre l'agnation et la
gentilité. . 464
VI. — Fille ou femme romaine fcivisromanaj.
Sa condition dans ses diverses situa-
tions par rapport à la famille. — Di-
vorce. — Tutelle perpétuelle 83
VII. — Subordination des rapports rpe^s aux rap-
ports personnels. Principes relatifs à
l'hérédité ab inteslat des trois ordres
d'héritiers. — Supériorité de l'hérédité
testamentaire 91
VIII. — Eléments accessoires à la famille ; escla-
ves, enfants in mancipio, émancipés , af-
franchis ... 101
TABLE DES MATIÈRES. — DROIT DES XII TABLES. 489
Pages.
IX. — Distinction des familles patriciennes et
plébéiennes ; ses effets; liens possibles
entre les personnes et les familles des
deux classes 104
X. — Résumé .... 107
SECTION III. — PROPBiÉTÉ KOUAinE (domiriuh et JDRE QUnUTIUU). 108
§ 1. — Division primitive de Vager romanus. — Principe
du droit de propriété 108
§ 2. — Division des choses d'après le droit civil de Rome. 111
I. — Res nullius, divini juris (res sacrœ,
sanctae, religiosœ) 111
II. — Res nullius, humani juris (res publicse'et
ager publicus) 111
III. — Res singulorum , privati juris (ager pri-
vatus , res quae in nostro patrimonio
habentur) 113
rv. — Res mancipi et non^ mancipi 113
Application aux choses immobilières,
mobilières , incorporelles 116
§ 3. — Modes d'acquérir la propriété romaine à titre
particuUer 119
I. — Mancipation 119
II. — Tradition 120
III. — Usucapion 121
IV. — Cession injure 121
V. — Adjudication 122
VI. — Loi 123
Applications diverses. — Lois agraires, 124
§ 4. — Modes d'acquérir per universilalem 126
Principe commun sur lequel sont fondés les di-
vers modes de transmission universelle. . . . 127
§ 5. — Propriété des étrangers. — Distinction correspon-
dante entre les choses et les personnes. — Loi
sociale 130
SECTION IV. — OBLIGATIONS 133
§1. — Principe de l'obligation civile 133
Jus riexi . — Servitude des addicli 134-135
490 TABLE DES MATlÈBES. — DROIT DES XII TABLES.
Pages.
Conséquences juridiques du principe que l'obli-
gation était un lien civil de la personne. . . .136
§ 2. — Formes de l'obligation» contractuelle 139
I. — Mancipation. — Différence du jus nexi
et du jus mancipii 140
II. — Serment volontaire ou promissoire. . . . 142
Son caractère comme contrat verbal. . . 143
III. — Stipulation. — Son extension 144
Stipulation Aquilienne 146
IV. — Contrat littéral (expensilalioj. Son appli-
cation spéciale au prêt à intérêt. ... 147
Expensilatio , mode de novation 150
Contrat littéral des banquiers (argentarii);
mensse scriptura 151
Taux de l'intérêt selon la Loi des XII Ta-
bles. Fœnus unciarium 152
V. — Contrats réels. — Quels sont ceux qui
existaient sous la loi des XII Tables. . 155
VI. — Transaction. — Son caractère mixte. . . 156
§ 3. — Moyens de rescision sous la Loi des XII Tables.
Contrats slricli juris et bonœ fidei 158
Examen de l'opinion d'un jurisconsulte moderne
sur le carac':ère de l'obligation civile d'après
le droit des XII Tables 159
, § 4. — Transport des obligations et des droits d'hérédité
comprenant des créances 161
Obligations qui périssent au profit des débiteurs. 162
§ 5. — Paiement et libération des obligations 163
I. — Libération per œs el libram 165
II. — Acceptilation 165
III. — Libération h7<erù (dispendium) 166
IV. — Novation 167
V. — Litis-contestation et jugement 168
§ 6 (1). — Délits considérés comme principe d'obligation
(1) C'est par erreur d'impression que ce § 6 a été incliqué à la page 169
comme simple n" VI , sans titre explicite : le sommaire contient (p. 133)
l'indication exacte.
TABLE DES MATIÈRES. — DROIT PRÉTORIEN. 491
Pages,
civile. — Classification des faits. — Action
noxale 169
SECTION V. — INSTITUTIONS ET ACTIONS JUDICIAIRES.
Caractère primitif : — sous les Rois ; — sous
la République 171
Renvoi à la 2e période de l'Époque romaine. . 174
CHAPITRE V. — DROIT PRÉTORIEN. (2* période de l'Époque romaine).
OhSERVATIONS PRÉLIMINAIRES 175
I. — Union du droit prétorien , du droit
NON-ÉCRIT ET DES LOIS SPÉCIALES VERS UN
BUT COMMUN 175
II. — Origine et constitution du droit pré-
torien , 178
1° Le Droit prétorien n'est pas né de l'usurpa-
tion •• . 178
2» Époque de sa constitution 182
30 Loi Cornélia, sur les Édits • ... 184
40 Action combinée du Droit prétorien et d'au-
tres éléments sur le Droit civil de la 2e pé-
riode ; naissance du Droit provincial. . . . 186
SECTION I". — LA CITÉ 187
§ 1er. — Division générale du Latium, de V Italie, des
provinces comprenant comme éléments parti-
culiers :
I. — AWiés {socii—fœderali—dedilicii) 188
II. — Préfectures 189
III. — Colonies .• 190
IV. — Villes municipales 1 • • • 191
V. — Peuples fundi facli 193
VI. — Naturalisation individuelle 193
Lois Apuleia , Julia , Plautia Papiria ,
Gellia Cornélia 194—195
§ 2. — Condition du Latium (jus latii) 196
Époque probable de la concession du Jus Latii. 196
Étendue et limites du Droit des Latins 197
492 TABLE DES MATIÈRES. — DBOIT PRÉTORIEN.
Pages.
Perte de ce droit 198
§ 3. — Condition de l'Italie (jus italicum) 199
Loi Julia de civilale 200
Nature du Jus Italicum 201
Lex Galliae Cisalpinœ 201
Tables d'Héraclée 202
Unité de l'Italie 202
Extension du droit Italique. 202
§ 4. — Condition des provinces. — Décret de soumis-
sion. — Éléments de l'Édit fait pour chaque
province . 203—207
Régime général. — Exception relative à la
Grèce 204
Provinces consulaires 205
Préteur provincial. — Proconsuls 205
Lex Curiata de imperio- 206
• § 5. — Résumé. — Division des personnes. — Extension
du droit romain , comme droit réel ou terri-
torial , sous le nom de droit du Latium et de
droit Italique 209
S ECTION II. — LA FAMILLE. — CONSTITDTION PERSONNELLE ET RÉELLE. 212
§ l«r, — Changements par rapport aux époux. 213
I. — Résultats produits par les lois Canuleia,
Julia de marilandis ordinibus, Mensia. 106-213
Mariage des patriciens et des affranchis. 213
Mariage libre. — Réciprocité de divorce
et de répudiation. — Influence des
mœurs de la Grèce 214—216
II. — Origines de la dot et du régime dotal. 216
Res uxoria • . 219
Loi Julia de fundodolali. — Son caractère. 223
Différence entre la dot et la dotalité des
biens 224
III. — Donations ante nuplias 226
Donations entre vifs d'un époux à l'autre
pendant le mariage • • • 226
Donations mutuelles 227
TABLE DES MATlÈBES — DROIT PRÉTOKIEN. 493
Pages.
IV. — Institutions testamentaires et legs en fa-
veur des femmes. — LoiVoconia. . . . 228
Dispositions de la loi Voconia , relatives :
1° Aux institutions d'héritier 232
20 Aux legs 234
30 A l'hérédité ab intestat 237
Obstacles.— Fraude à la loi.— Fidéicommis. 239
Sanction pénale 239
2. — Changements par rapport au père , aux enfants
et à l'ensemble de la famille romaine 240
I. — Limite imposée à la faculté de disposer
par donation entre vifs. — Loi Cincia- 241
II. — Limite à la disposition par testament. —
Loi FMrmtestameutaria. — Loi Voconia
(disposition toute spéciale. )--LoiFalcidia. 243
III. — Abolition de l'exhérédation tacite . . . '. . 245
IV. — Plainte en testament inofficieux. ..... 246
Moyen d'écarter la plainte 249
V. — Possession de biens en faveur du fils éman-
cipé 249
Origine des rapports de succession .... 251
VI. — Système général des possessions de biens
ou successions prétoriennes. • 251
Parallélisme du Droit prétorien et du Droit
civil :
10 Par rapport aux héritiers siens. . • . 253
2" Par rapport aux Agnats 254
3" Par rapport aux Gentils 254
40 Droits des époux à défaut d'héritiers. 255
Droits respectifs de la mère et des
enfants. (S. N. C. Orphitien et Ter-
tullien) 255
50 Succession des affranchis. — Déve-
loppement du droit de patronage
en matière de succession. — Ca-
ractère de la loi Julia Norbana. . 256
VII. — Caractère du droit conféré par les succes-
sions prétoriennes 258
VIII. — Caractère de la possession de biens pure-
494 TABLE DES MATIÈRES. — DROIT PRETORIEN.
Pages,
ment confirmalive de riiérédité testamen-
taire ou légitime 260
IX. — Différence essentielle entre le principe de
l'hérédité civile et le principe de la suc-
cession prétorienne- 261
SECTION m. — LA PROPRIÉTÉ 263
§ 1er, _ État de la propriété et des possessions à Rome,
lors de la conquête des provinces 263
Lois Licinia et Sempronia 264
§ 2. — Droit de propriété dans les provinces. — Moyens
d'acquérir 266
I. — Ager publicus en province ......... 267
II. — Ager provincialis vel privulus, distinct de
Vager publicus et du sol italique. — Do-
maine du droit des gens 270
III. — Moyen d'acquérir : tradition pour juste
cause. — Introduction de Yemplio-ven-
dilio. — Son caractère distinctif de la
mancipalion, né du caractère juridique
des fonds provinciaux 274
iV. — Parallélisme du Droit des gens et du Droit
civil, quant aux modes d'acquérir les im-
meubles, de prescrire par la possession,
d'établir des servitudes, et de créer des
droits de jouissance 278
10 Tradition 278
20 Prescription de long temps, en matière
immobilière. ............ . . 279
30 Pactes ajoutés à la vente, et stipulations. 279
40 Contrat de louage 280
SECTION IV. — OBLIGATIONS 281
§ ler. — Extension de l'obligation civile. — Sources nou-
velles. — Trois classes d'obligations 282
I. — Obligation civile appliquée à des éléments
nouveaux, et communicable aux étran-
gers.—Restrictionrelative à l'obligation
littérale : — Chirographa , syngraphœ ,
TABLE DES MATIERES. — DROIT PRETORIEN. 495
Pages.
arcaria nomina. — Exception non nu-
meralœ pccunice ....." 282 — 283
II. — Obligation honoraire ou prétorienne . . . 285
Parallélisme du Droit prétorien et du Droit
civil , par rapport aux^bligations. • • . 285
Pactes prétoriens parfaits :
1° Par la chose. . 286
2» Par la parole. .-..., 287
30 Par le consentement 289
Spécialement pacte d'hypothèque.. 289—291
III. — Obligations naturelles 291
§ 2. — Influence du droit nouveau sur l'exécution et l'ex-
tinction des obUgations. — Restitutions in
integrum . •• 294
I. — 3Iodifications par des lois ou des formes
nouvelles 294
Loi Papyria de nexu 294
Emptio bonorum 296
Possessio bonorum 296
Loi Julia de bonis cedendis 297
II. — Modifications par le Droit prétorien. —
Restitutions en entier à l'égard des majeurs 298
I«> Pour cause de dol. 298
2° Pour cause de violence . 300
30 Pour juste erreur 301
Distinction entre les actions en nullité
et rescision 302
40 Restitutions contre l'extinction des
obligations pour cause de changement
d'état 304
50 Pour cause d'absence légitime ou né-
cessaire. 305
III. (1)— Restitutions en entier à l'égard des
mineurs de 25 ans 306
Vue d'ensemble sur l'incapacité des impu-
bères et des pubères sous la Loi des XII
Tables et la Loi Lœloria. — Transition
(1) A la page 306 , au lieu du chiffre 11 . il faut lire 111.
496 TABLE DES MATIÈRES. — INSTITUTIONS JUDICIAIRES.
Pages.
de cette dernière Loi aux restitutions
in integrum 306—309—310
Résultats de la théorie romaine, sur les
restitutions, dans ses rapports avec les
doctrines modernes 312—315
SECTION V. — INSTITUTIONS ET ACTIONS JUDICIAIBES , SOUS LA LOI DES
XII TABLES ET LE DROIT PnÉTORIEN 316
§ 1er. _ Organisation judiciaire, et compétence des tri-
bunaux ou des juges de l'ordre civil 317
I, — Tribunal des Centuravirs 319
Ses attributions ou sa compétence 322
Principes de l'organisation et de la com-
pétence judiciaire d'après les institu-
tions romaines 326
II. — Juge {judex privalus) . 329
III. — Arbitre {arbiler honorarius) 329
Les parties avaient-elles le choix du juge
sans règles de compétence?. ••.... 331
Matière commune de la compétence du
juge et de l'arbitre 332
Matière spéciale de leur compétence res-
pective 334
IV. — Récupérateurs à Rome 338
Matière de leur compétence 339
Récupérateurs dans les provinces, con-
VENTUS 342
Conseil des Récupérateurs pour les affran-
chissements ....... 343
Rapports existant entre les diverses bran-
ches de l'organisation judiciaire, et rap-
ports des différentes classes d'actions
avec chacune de ces branches 345
V. — Voies de recours ou d'opposition. — Droit
d'intercession des magistrats. — Diffé-
rence des juDiciA LEGITIMA et des JU-
DICIAQUvE IMPEBIO CONTINENTUR. . . 348
§ 2. — Procédure ordinaire sous la Loi des XII Tables
et sous le Droit prétorien 351
TABLE DES MATIÈRES. — INSTITUTIONS JUDICIAIKES. 497
Pages.
I. — Actions de la loi 351
Appel en justice et engagement de com-
paraître devant le magistrat {vocatio in
Jus et vadimonium) 355—357
Vadimonium abandonné. — Sanction, . • 35^
( Formes d'ajournement après l'abolition
des actions de la loi, note 92) 362
l» Sacramentum ou consignation 359
2° Judicis postulatio • 36 1
3° Condictio 361
4° Manus injectio 363
50 pignoris capio. — Son caractère ex-
ceptionnel 354
II. — Procédure formulaire 365
Caractère de la loi ^Ebutia et des lois Julias
judiciariœ 365
Éléments de la formule prétorienne. . . . 367
Exception à la procédure formulaire. —
Causes centumvirales 368
:i Extension de la formule. — Formules pré-
judicielles ... 370
Lien existant entre l'ancien et le nouveau
système. — Différence essentielle . . • 372
§ 3. — Procédure possessoire sous la Loi des XII Tables
et le Droit prétorien 375
I. — Possession provisionnelle. — Lis Vindi-
ciarum 375
Procédure qui précédait l'action en reven-
dication. — Combat fictif. .... 375—377
Procédure par violence convenue ( vi ex
convenlu). 378
IL — Interdits possessoires . 379
Uti possidetis et utrubi ( rclinendœ pos-
sessionis causa). 380
Unde vi Urecuperandœ pos-\
Ad exibendum. ; sessionis)- . • • )
Quorum bonorum {acquirendœ posses-
sionis ). 382
T. ï. 32
498 TABLE DES MATIÈRES. — INTITUTIONS JUDICIAIRES.
Pages.
Interdit de precario. 383
Décision du préteur en matière d'in-
terdits. 381—387
Principe des interdits. — Opinion de
ÎSiebuhr et Savigny 382
Résumé 384
§ 4. — Distinction des Jugements ordinaires et extraor-
dinaires 385
Distinction des termes pélilio, aclio et perseculio- 385
Causes les plus importantes formant les Juge-
ments extraordinaires 386
Extension des Jugements extraordinaires .... 387
Indication des juridictions nouvelles , du Préfet
de la Ville , de l'Empereur, du Sénat. ..... 388
Naissance de la voie d'appel. 388
Jugements extraordinaires dans les provinces. . 389
§ 5. — Chose jugée 390
I. — Litis-contestatio. — Ses effets 390
idans les jugements légi-
times
dans les jugements impe-
rio conlinenli
Novation judiciaire quant aux actions
annales et purement personnelles.
— Perpétuation d'actions 394
2» Détermination du litige. — Commen-
cement de chose jugée 395
Explication de la règle elecla, una via
non recursus ad alleram 390
3° Cause liée définitivement entre les par-
ties. ■ 397
Défaut du demandeur 397
Défaut du défendeur. — Contumace. —
Édit péremptoire 398
II. — Sentence. — Ses effets. — Novation . • • 399
Actio judicati 402
Exceptio reijudicatœ • . 400—403
Voies de nullité , contre les Sentences/ ve-
nant de plusieurs causes 401
392
T13LE DES MATIÈRES. — ENSEIG. ET PHILOS. DU DROIT. 499
Pages.
Caution jitdicaium solvi. — Condamna-
tion in duplum 402—403
ÎII. — Exécution des Sentences 404
]\Ianus injectio 404
Missio in possessioneni.— Gage prétorien. 405
Gage judiciaire. — {Pignoris capio , ex
causa judicali) 406
Différence entre le gage prétorien nais-
sant de la missio in possessionem , et
du gage spécial et judiciaire. • • 406 — 407
Bénéfice de cession , judiciaire et extra-
judiciaire. . 408
IV. — Autorité de la cliose jugée 408
Dans quel cas- elle est générale 409
Dans quel cas elle est re/rtt/we. ...... 410
Conditions constitutives de l'exception de
Chose jugée. . 412
Distinction fondée sur la position respec-
tive des ayant-droit , et sur la nature
des droits subordonnés les uns aux au-
tres ..... 414
Responsabilité du juge, qui lilcm suam
fecit. 415
CHAPITRE VI. — CULTURE et EÎNSEIGNEMENT du DROIT. —
ÉCOLE DES PRUDENTS 416
Premier enseignement oral, premier livre sur
le Droit civil 417
Coruncanius,Sextus JLlius,Caton le Censeur,
le tribun Aquilius, le préteur Publicius , le
préteur Aquilius Gallus, P.Mucius Scffvola,
^lius Gallus , Rutilius Rufus , Q. Mucius
Scœvola, Alfeuus Varus. 416—417—418—419
Servius Sulpicius 419—420
CHAPITRE VII. — PHILOSPHIE du droit selon la DOCTRINE
DE CICÉRON • . . 422
§ ler. _ Philosophie du droit, considérée dans son prin-
cipe , — d'après le traité sur la République- 422
500 TABLE DES MATIÈBES. — PHILOSOPHIE DU DROIT.
Pages.
Cicéron, pour agrandir l'étude du Droit civil ,
fonde uûe école nouvelle et philosophique. . 423
La doctrine d'Epicure, au vii^ siècle de Rome,
pénètre dans les lettres, dans le Sénat, dans
la Jurisprudence. — Résistance de Cicéron
contre cette influence . 424—425
Loi naturelle proclamée par Cicéron 427
Époque du traité de la République. — Son suc-
cès à Rome 428
Imitation de Platon. — Profonde différence
entre la République et les Lois de Platon et
de Cicéron 429
Rapports des systèmes de philosophie avec l'état
de la société 429—430
Caractère du Stoïcisme dans la science , dans
la philosophie du droit 430—431
Question fondamentale de la République :
Quelle est la meilleure forme de gouverne-
ment? 432
§ 2. — Philosophie du droit, considérée dans ses applica-
tions générales , — d'après le traité des Lois. . 434
L — Nature de l'homme 435
IL — Origine et nature de la société 437
III. — Origine et nature de la loi 439
IV. — Étendue légitime de la souveraineté du
peuple. — Caractère du pouvoir 441
§ 3. — Essai d'application de la philosophie du droit au
droit civil de Rome, par Cicéron lui-même. . . 443
Obstacles quant au droit public . 444
quant au droit privé 445
Nécessité et perspective d'une Époque nouvelle
par l'association de l'école positive de Sulpicius
et de l'école philosophique de Cicéron. . 445 — 446
CHAPITRE VIII. — TRANSITION A l'époque celtique et a
l'époque gallo-romaine 447
5§1 "■ TABLE DES MATIÈRES. -- APPENDICES I ET II.
TABLE DES APPEINDICES.
Pages,
APPEJNDICE I. — EXAMEN DES OPINIONS DE NIEBUHR ET DE
M. ORTOLAN SUR LA GENS ET LE DROIT DE
GENTILITÉ 452
I. — D'après la Loi des XII Tables , la gens et le
droit de gentilité appartenaient-ils ex-
clusivement à la classe patricienne?
— Système de Vico et de iSiebuhr. 452—453
II. — La gens et le droit de gentilité apparte-
naient-ils exclusivement aux patrons et
aux familles affranchissantes par rap-
port aux enfants et descendants affran-
chis? — Système de M. Ortolan . . . • 457
Pourquoi le droit de gentihté a cessé vers
la fin de la République 461
III, — Résultats fournis par les divers monu-
raens de l'antiquité sur la gens et le
droit de gentihté • . . . • . 462
IV. — Tableau de la Famille romaine, pour indi-
quer la distinction entre l'agnation et
la gentilité 464
APPENDICE II. — PARALLÉLISME DU DROIT PRÉTORIEN AVEC
LE DROIT CIVIL, PAR RAPPORT AUX SUCCES-
SIONS , DANS l'ordre SECONDAIRE DE LA
FAMILLE ROMAINE 465
I. — Par rapport aux affranchis 465
II. — Par rapport aux enfants émancipés 466
III. — Par rapport aux enfants in mancipio. . . . 467
502 TABLE DES MATIÈRES. — APPENDICES III ET IV.
Pages.
APPENDICE III. — CABACTÈEE POLITIQUE ET MORAL DE LA LOI
CINCIA DE DONIS ET MUNERIEUS 469
I. — Proliibition des dons ou présents des plé-
béiens ou clients envers les patriciens
et les orateurs 469
Effet de la prohibition sous l'Empire, re-
lativement aux avocats 470
Modification à la Loi Cincia , apportée
par Claude ; 471
II. — La prohibition concernant les donations
entre vifs , sauf les personnes exceptées ,
très-importante au point de vue du droit
privé , n'était pas étrangère à l'ordre
politique 472
Différence entre le droit de l'Italie et le
droit des provinces quant à la Loi Cincia . 475
Indication des travaux relatifs à la Loi
Cincia 476
APPENDICE IV. — TRANSFORMATION DES MONNAIES ROMAINES
SOUS LA RÉPUBLIQUE. . .' 478
§ 1er. — Monnaie de cuivre, (as, ^s, liera, triuncius,
QUADBANS) 478
§ 2. — Monnaie d'argent, (denabius, quinarius.ses-
tertius) 480
Évaluations diverses. — Valeur comparative
des 100,000 as fixés comme cens de la l^e
Classe, par Servius Tullius . 482
§ 3. — Monnaie d'or, (aureus) 482
FIN DE LA TABLE.
ERRATA.
Page 12 ligne 8, après... et si même ..., ajoutez depuis.
45 25, au lieu de... Bouchaud, qui... suppri-
mez la virgule.
G7 14, au lieu de... concenter, lisez : concen-
trer.
70 19 , au lieu de... comices par curie , lisez :
par curies.
207 10 , au lieu de... siciliense, lisez : 5ic?7«<?nsî.
235 5 , au lieu de... inférieur aux tiers , lisez:
au tiers.
241 3 , au lieu de... obligation , lisez: obliga-
tion.
RENNES, IMPRIMERIE DE A. MARTE\II.l.E ET LEFAS.
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