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Full text of "Histoire du droit francais : précédée d'une introduction sur le droit civil de Rome"

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VER5ITV    OF   CALIFORNIA     SAN    DIEGO 


3   1822  0 


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GUSTIN  RODRIGUEZ. 


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THE  UNIVERSITY  LIBRARY 
UNIVERSITY  OF  CALIFORNIA,  SAN  DIEGO 
LA  JOLLA,  CALIFORNIA 


Il  PROFESSOR  JOSE  MIRANDA    ^  t 

COLLECTION  K 

%     : 


"«VERSIT»    OF  c 


3  if fïiliiii 

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HISTOIRE 


DROIT  FRANÇAIS. 


I. 


\       SANWEGT 


OUVRAGES  DU  MÊME  AUTEUR. 


COURS  nimm  et  mwm 

DE  DROIT  PUBLIC 

Eï  ADMINISTRATIF 

MIS   EN    UAPPOUT 

ATEC    Î.A    eOM§»TITIJTIOM     DK    1N48 

VA  .i\ec'  la  L(';;isl;i(i()ii  cl  la  .liiiispiiulence  nouvelles  sur  le  (Conseil  d'Klal  , 

la  Cour  des  Comptes,  les  Élei'tions,  l'Enseignement,  les  Impôts, 

le  Contentieux,  i.e  TRittOAT,  r.ES  Conflits,  eir. 

TROISIÈME   ÉDITION. 
2  forls  volume»  in-8  .  —  Prix  :  16  fr. 

.Y.  B.  ("ne  OL.^TRIÙME  KDITlOiX  de  ici  ouvrage,  RKVie  ,  coniîUiKK 
i-,T  NOTAHLE>!ENT  AMÉLIORÉE  ,  csl  cn  couis  d'impiession. 

Celle  Ql'ATRiÊME  EDITION  sera  publiée  aussi  prochainement  que  possible , 
avec  les  changements  que  les  circonstances  pourront  introduire  dans  la  partie 
du  Droit  public. 

HISTOIRE  DES  PRH\C1PES 

DES  INSTITUTIONS  ET  DES  LOIS 

PENDAMT   LA   RÉVOLUTION   FRAÏJÇAÏSE 

liepuis  1780  jusqu'à  1804 
DKniÉE    A    l,A    JEIIKESSE    FRAKÇAISF. 

Jieiiiiniie  rililinn  ,   reri/c,   corrigée  et   aiiijiiii'nti'c. 
1  vol.  in  18.  —  Prix  :  h  Ir. 


rOlJIS    TRIPIER. 


LES  CONSTITUTIONS  FRANÇAISES  DEPUIS  1789 

y  compris  les  l'ecrels  du  (Touvernement  provisoire 

ET  LA  CONSTITCTION  RÉPdBLICAlME  DU  4  NOVEMBHE  1848 

suivies  de 

i/%  4'o.\NViTi'Tio:v  DES!  ét.vtm-i^ivis  d'améhiqi  k 

DEUXIEME   ÉUrnON 

aiif/nii'iiU'e  de  toutes  les  Lois  jusqu'à  ce  jour,  eAc. 

I  vol.  ln-18.  —  Prix  ;  k  fr. 


l'snv  ^-  Imprimé  far  F,.  TllliVOT  H  V,  rue  n.icine.  2r.. 


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HISTOIRE 


DROIT  FRANÇAIS 


Dll\iî  INTRODUCTION  SUR  LE  DROIT  CIVIL  DE  ROME 


PAR 


M.   F.   LAFERRIERE, 

PROFESSKOR    HONORAIRE  ,     ANCIEN     CONSEILLER     D'ÉTAT 
INSPECTEIR    GÉNÉRAL    DES    FACULTÉS    DE    DROIT. 


X  L'bistuire  interne  du  Droit  contient  la  substance 
»  même  du  droit.  (  Illa  ipsam  Jurisprudenllse  sub- 
»  stantiam  ingreditur. )  • 

{  Leibmtz.  (A'oi'O  melhodusj 

«  La  science  explique  les  lois  par  l'bisloire  .  et  la 
»  philosophie  travaille  a  les  épurer  par  la  morale. 
»  source  première  des  lois    » 

FoRTALis.  (/)e  Pusage  et  de  labus 
de  l'esprit  philosophique.) 


TOME  PREMIER. 


I\TFiODLCTIO\.    DROIT    DES  XII   TABLES; 
DROIT    PBÉTORIEV:    PHILOSOPHIE    DL     DROIT 


PARIS. 

LIBRAIRIE   DE  .URISPRUDENCE   DE   COTILLOiN 

rue  «les  Grès,  J6,  près  de  l'École  «le  l>roit. 
«$^59-53 


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in  2009  witii  funding  from 

University  of  Ottawa 


Iittp://www.archive.org/details/histoiredudroitf01lafe 


A  MONSIEUR  DUPIN  AÎNÉ, 

PROCUREUR-GÉNÉRAL  ALA  COUR  DE  CASSATION, 
ANCIEN  PRÉSIDENT  DE  LA  CHAMBRE  DES  DÉPUTÉS. 


MONSIEUR  LE  PROCUREUR-GENERAL , 


Les  Jurisconsultes  qui  représentent  y  dans  l'histoire  du 
Droit  français  y  aux  XV II"  et  XV IW  siècles,  la  philo- 
sophie du  droit ,  la  science  du  droit  romain  et  du  droit 
coutumier ,  Domat  ,  Furgole  ,  Pothier  ,  ont  trouvé  un 
appui  et  les  conseils  d'une  haute  intelligence  dans  les  ma- 
gistrats les  plus  éminents  de  leur  siècle.  Faible  dis- 
ciple de  cette  Ecole  nationale  qui ,  à  l^ exemple  des  Juris- 
consultes romains  y  alliait  profondément  la  pratique  et  la 
théorie ,  j'ai  reçu  de  vous ,  Monsieur  le  procureur  gé- 
néral ,  encouragement ,  appui ,  et  les  conseils  de  la  véri- 
table science.  Je   n'ai  point  le  droit ,  par  mes  ouvrages  , 

T,    I. 


de  rappeler  le  souvenir  des  Jurisconsultes  si  noblement 
encouragés  par  les  Talon  et  les  Daguesseau  ;  mais 
ma  reconnaissance  personnelle  se  rend  l'interprète  de  la 
conscience  publique  en  rapprochant  votre  nom  de  celui  de 
ces  illustres  protecteurs.  Cest  à  moi  de  travailler  sans 
cesse ,  par  mon  culte  envers  l'histoire  du  Droit ,  à  faire 
oublier  mon  infériorité.  En  ce  moment ,  je  suis  heureux  , 
du  moins  ,  de  rappeler  un  patronage  qui  honore  la  Ma- 
gistrature française ,  et  de  produire  le  témoignage  public 
de  ma  gratitude ,  en  vous  dédiant  le  fruit  des  travaux 
que  vous  avez  soutenus  de  votre  suffrage  et  éclairés  de  vos 
conseils. 

Veuillez  agréer, 


Monsieur  le  Procureur-Générai. 


Mes  profonds  sentiments  de  respect  et  de 
reconnaissance. 


^j^.    C7.    .^liiÀ^^&te. 


Rennes,  le  It  mai  18/15. 


AVAM-PROPOS. 


En  1836  ,  j'ai  publié  un  volume  sous  le  titre  d'HiSTOiRE 
DU  Droit  français.  Ce  titre  dépassait  la  portée  de  l'ouvrage 
et  l'intention  de  son  auteur,  qui ,  de  loin ,  avait  indiqué  un 
litre  plus  modeste  et  plus  convenable  au  sujet  :  Essai  phi- 
losophique sur  V Histoire  du  Droit  français  ' .  Ce  volume 
conduisait  le  mouvement  historique  jusqu'à  la  révolution  de 
4789.  C'était  mon  début  d'auteur.  J'attendais  avec  anxiété 
l'expression  de  l'opinion  publique.  Le  premier  jugement  pu- 
blié sur  mon  livre  fut  celui  de  Klimrath  ,  dont  la  fin  pré- 
maturée a  été  si  douloureusement  sentie.  Les  idées  germa- 
niques du  jeune  et  savant  docteur  en  droit  de  Strasbourg  s'in- 
surgèrent vivement  contre  les  traditions  romaines.  Le  juge- 
ment fut  rigoureux;  l'auteur  du  compte-rendu,  inséré  dans 
la  Revue  de  Législation,  en  convenait  lui-même  :  «  Une  grande 
dissidence  d'opinions  ,  disait-il ,  nous  a  dicté  une  critique 
sévère.  »  —  La  plume  me  tomba  des  mains  quand  je  lus  , 
dans  ce  premier  article ,  qu'on  me  reprochait  «  de  présenter 
»)  l'histoire  du  droit  français  sous  un  jour  contraire  à  la  vérité 


1  Les  mots  dressai  reparaissent  plusieurs  fois  dans  le  corps  de  l'ou- 
\rage  et  dans  les  notes. 


IV  AVANT-PROPOS. 

»  historique,  et  de  m'égarer  dans  mes  recherches.  »  — L'Al- 
lemagne elle-même  frappa  moins  fort  sur  mon  essai  ;  le 
savant  M.  Mittermaier  ,  en  souscrivant  aux  principales  cri- 
tiques de  Rlimrath,  qui  touchaient  à  l'influence  du  droit 
germanique,  versait  le  baume  de  l'éloge  sur  la  blessure  faite 
par  la  main  d'un  disciple;  et  récemment  encore ,  M.  War- 
NCHOENiG  a  même  atteint  la  dernière  limite  de  la  générosité , 
dans  la  préface  du  Recueil  qui  rassemble  si  heureusement 
les  divers  fragments  des  travaux  de  Klimrath. 

Des  appréciations  et  des  jugements ,  qui  ne  m'étaient  point 
transmis  par  les  organes  de  la  presse,  me  soutinrent  contre 
l'atteinte  que  j'avais  reçue.  Je  me  permettrai  de  citer  ici  deux 
noms  parmi  les  magistrats  et  les  professeurs  en  droit  qui 
encouragèrent  mes  efforts  :  —  celui  de  M.  le  procureur  gé- 
néral DupiN  ,  qui  ,  par  une  lettre  chaleureuse  ,  me  donna 
l'élan,  décida  ma  vocation  nouvelle,  et  qui,  dans  une  au- 
dience solennelle  de  la  Cour  de  cassation,  signala  honorable- 
ment à  la  piemière  magistrature  du  royaume  l'œuvre  d'un 
auteur  inconnu;  —  celui  de  M.  Boncenne,  qui  m'écrivait  le 

30  mars  1836  :  « Personne  ne  donijeraà  votre  livre  une 

approbation  plus  franche  et  mieux  sentie.  » 

Je  compris  d'où  venaient  la  sévérité  de  la  presse  t)ériodi- 
que,  l'indulgence  de  la  magistrature  et  du  barreau'.  Le  blâme 

2  La  presse  du  Midi  m'a  donné  des  conseils  et  des  encouragements 
que  je  ne  puis  oublier.  Le  journal  de  Toulouse  a  publié  deux  articles 
approfondis ,  dus  à  un  magistrat  qui  a  pris  rang ,  depuis,  parmi  les 
membres  distingués  de  la  Faculté  de  Toulouse  (M.  Victor Molinier). 


AVANT-PROPOS.  V 

s'adressait  surtout  à  l'omission  des  origines  et  des  doc- 
trines germaniques  :  l'indulgence  s'appliquait  à  la  méthode 
qui  associait  l'histoire  à  la  doctrine ,  et  qui  cherchait ,  même 
dans  un  livre  historique ,  l'alliance  de  la  pratique  et  de  la 
théorie.  Mais  je  ne  me  dissimulais  pas  le  caractère  incomplet 
de  mon  travail.  J'avais  voulu  faire,  au  milieu  des  occupa- 
tions du  Barreau ,  un  Essai  d'Histoire,  à  une  époque  où  nulle 
production  moderne  n'avait  embrassé  l'ensemble  de  l'Histoire 
du  Droit  français  3,  Je  n'avais  eu  ni  l'intention,  ni  la  possi- 
bilité de  porter  sur  toutes  les  divisions  du  sujet  un  travail  ap- 
profondi. Mon  livre  était  comme  une  esquisse  qui,  sur  quel- 
ques parties ,  se  dessinait  en  traits  saillants ,  et  qui  se  per- 
dait sur  d'autres  en  traces  incomplètes.  Cet  essai  fut ,  en 
définitive,  favorablement  accueilli;  et  je  résolus  de  poursui- 
vre mon  travail,  mais  en  donnant  à  l'Epoque  moderne  des 
proportions  plus  étendues. 

J'aurais  pu,  en  1838,  publier  une  seconde  édition  de 
mon  Essai  sur  l'Histoire  de  l'ancien  Droit  ;  je  me  contentai 
d'en  donner  au  public  un  second  tirage  avec  quelques  cor- 
rections, dont  je  ne  fis  même  aucune  mention.  J  indiquai 
cet  Essai  comme  un  tome  premier,  et  je  publiai,  en  1838, 
sous  le  titre  de  tome  deuxième  ,  l'Histoire  du  Droit  pendant 
la  Révolution  et  jusqu'à  la  Codification  consulaire.  Les  deux 
volumes,  associés  ainsi  l'un  à  l'autre,  ont,  par  l'enchaî- 


3  Le  savant  mémoire  de  M.  Pardessus,  sur  l'origine  du  Droit  cou- 
tumier,  fut  publié  en  1834;  mais  il  s'arrêtait  au  xiiie  siècle- 


Vj  AVANT-PROPOS. 

nement  des  époques  historiques,  formé  un  corps  d'ouvrage; 
mais  il  est  facile  de  voir  que  la  dernière  composition  dif- 
fère de  la  précédente  par  le  plan  et  la  mise  en  œuvre.  Le 
livre  sur  l'Epoque  révolutionnaire  ne  se  borne  pas  à  présen- 
ter une  esquisse  ;  il  offre  lés  résultats  d'une  élude  attentive 
à  pénétrer  dans  les  diverses  parties  de  celte  immense  Ré- 
forme, qui  avait  renversé  ou  ébranlé  toutes  les  institutions 
et  remué  toutes  les  idées.  Aussi ,  malgré  certaines  taches  qui 
disparaîtront ,  ce  second  volume  n'a  pas  soulevé  les  mêmes 
critiques  que  le  premier  Essai  ;  et  l'écrivain  qui  a  recueilli 
avec  tant  de  succès  l'héritage  de  Klimralh,  M.  Ed.  Labou- 
LAYE  ,  disait,  dans  son  Introduction  à  l'Histoire  du  Droit  de 
propriété  :  «  C'est  un  livre  indispensable  à  qui  veut  con- 
naître l'esprit  des  Lois  révolutionnaires.  » 

Aujourd'hui,  et  après  dix  ans  d'études  spéciales,  je  viens, 
offrir  un  nouveau  tribut  à  l'Histoire  du  Droit. 

Je  n'ai  point  entrepris  de  faire  une  seconde  édition  de 
mon  Livre  de  1836.  C'eût  été  me  condamner  à  suivre  uu  plan 
utile,  peut-être,  pour  appeler  l'attention  sur  une  branche 
négligée  de  la  science  du  droit ,  mais  trop  resserré  pour  une 
publicati(  n  postérieure  aux  grands  travaux  qui  cnt  enrichi, 
dans  ces  dernières  années,  le  domaine  de  l'histoire  juridique. 
J'ai  donc  résolu  de  recommencer  mon  travail ,  et  d'écrire 
un  livre  qui  put  porter  le  titre  d'HiSTOiRE  du  Droit  civil  de 
Rome  et  du  Droit  français,  comme  si  mon  premier  essai, 


AVANT-PROPOS.  VIJ 

sur  le  Droit  antérieur  à  1789,  n'existait  pas,  ou  s'il  n'était 
pour  moi  qu'un  travail  préparatoire.  Dans  les  deux  volumes 
que  je. publie  d'abord  sur  l'Epoque  romaine  et  sur  les  Epoques 
celtique  et  gallo-romaine,  il  n'y  a  pas  une  seule  page  de  l'essai 
primitif  qui  soit  complètement  reproduite.  J'ai  tâché  d'em- 
brasser mon  sujet  d'une  manière  plus  large ,  et  de  l'appuyer 
sur  de  solides  fondements.  On  pourra  s'étonner  du  grand 
nombre  de  not^  qui  accompagnent  mon  œuvre  ;  mais  je  ne 
chercherai  pas  à  m'en  excuser.  Ce  sont  des  textes  que  j'ai  re- 
cueillis ou  discutés,  et  qui  servent  de  base  nécessaire  à  toute 
production  lentement  préparée  sur  l'Histoire  du  Droit;  genre 
de  composition  où  l'intelligence  de  l'auteur  ne  peut  prendre 
J'essor,  qu'à  la  condition  de  ne  jamais  perdre  de  vue  le  texte 
des  lois  et  l'autorité  des  doctrines. 

J'ai  expliqué,  dans  l'Introduction,  mon  plan  général,  mes 
vues  sur  l'Histoire  du  Droit  et  sur  la  place  qui  lui  doit  être 
assignée  dans  le  domaine  de  la  science.  Par  cet  Avant-Propos, 
j'ai  voulu  seulement  indiquer  comment  j'étais  entré  dans  la 
carrière  historique,  et  pourquoi  j'y  reparaissais.  —  Si  j'offre 
aux  amis  du  droit ,  de  l'histoire  et  de  la  philosophie ,  non 
une  seconde  édition  de  l'Essai  d'un  jeune  homme,  mais  un 
ouvrage  nouveau ,  du  aux  méditations  d'un  âge  plus  sévère 
et  plus  librement  consacré  aux  travaux  d'érudition ,  ce  n'est 
pas  pour  renier  un  passé ,  que  la  reconnaissance  me  rendra 
toujours  présent ,  mais  pour  tâcher  de  payer  un  plus  digne 
tribut  à  la  science  que  je  cultive  et  à  l'enseignement  du  droit. 


LÏÏRODlCTIOi 


NÉCESSITÉ  DE  L'HISTOIRE  «L  DROIT  ROMAO  ÎT  DE  L'ANCIE?!  DROIT  FRASÇâlS, 

POl'R  L•I^TELLIGE\CE  ET  L'APPLICAT10\  DU  DROIT  CIVIL  MODERNE. 

PLAN,  MÉTHODE  ET  BUT  GÉi>É8AL  DE  L'OUVRAGE. 


L'histoire  interne  du  droit  contient 
la  substance  même  du  droit.  —  Illa 

IPSAM    JCRISPBCDENTIiE  SUBSTAINTIAM   IN- 
GKEDITUB. 

(  Leibisitz  ,  Ifova  Methodus.  ) 


Le  science  du  droit  est  la  science  sociale  par  ex- 
cellence ,  la  science  antique  et  toujours  nouvelle. 
Au  milieu  des  inquiétudes  morales  qui  travaillent 
aujourd'hui  la  société ,  elle  présente  un  corps  de 
doctrine  qui  unit  le  présent  au  passé  ,  et  nous  ga- 
rantit  l'avenir.    Sans  être  immobile ,    au    milieu   des 


X  INTRODUCTION. 

changements  de  la  société  ,  elle  est  stable  ;  sans  être 
un  accident  passager  de  la  vie  et  de  l'histoire  des 
nations ,  elle  s'unit  aux  grandes  révolutions ,  et  se 
transforme  avec  les  destinées  de  la  société.  —  Elle 
est  stable  ,  parce  qu'elle  a  des  principes  fondés  sur 
la  nature  des  choses.  —  Elle  se  transforme  avec  les 
révolutions  sociales  ,  parce  que  celles-ci  tiennent  à 
la  nature  de  l'humanité ,  qui  est  perfectible ,  mais 
qui  rétrograde  quelquefois  et  s'arrête  dans  de  lon- 
gues réactions. 

Le  Droit  ,  considéré  dans  son  développement 
historique  et  scientifique  ,  est  l'association  laborieuse 
et  progressive  de  la  liberté  humaine  et  de  la  vie 
sociale   avec  la  justice  et  la  raison. 

Dans  toutes  les  sociétés  il  y  a  des  mœurs ,  des 
lois,  des  institutions;  qui  pourrait  le  nier? —  Mais 
toutes  les  sociétés  ne  portent  pas  en  elles  le  droit  , 
qui  représente  à  la  fois  la  science  et  la  législation , 
le  mouvement  des  faits  et  le  progrès  des  idées. 

Le  droit  ,  conforme  à  cette  notion ,  ne  peut  se 
développer    où  l'homme  n'est   rien ,    où   sa   nature , 


INTRODUCTION.  XI 

domptée  par  une  puissance  supérieure ,  s'enchaîne  à 
l'immobilité  des  Castes ,  s'anéantit  devant  les  hau- 
teurs infinies  et  mystérieuses  de  la  Théocratie.  Aussi 
le  droit  n'a  pas  d'histoire  dans  l'Inde  ,  dans  l'Asie, 
dans  l'Egypte.  Des  usages ,  des  institutions  et  des 
lois  ont  existé ,  depuis  un  grand  nombre  de  siècles ,  sur 
cette  terre  d'Orient ,  qui  se  laisse  arracher ,  même  de 
nos  jours,  des  témoignages  si  imposants  de  son  an- 
tique civilisation  ;  mais  on  n'a  pas  encore  trouvé,  dans 
les  traditions,  ces  différences  d'âges,  cette  succession 
d'époques  qui  marquent ,  pour  les  peuples  comme  pour 
les  individus ,  tous  les  développements  de  la  vie. 
Les  Lois  Mosaïques  elles-mêmes,  qui  forment  un  si 
admirable  monument ,  ne  peuvent  être  opposées 
comme  une  exception  à  cette  vue  générale  sur  l'O- 
rient :  l'empreinte  divine  dont  elles  furent  marquées 
était  pour  elles  le  sceau  de  l'immutabilité.  —  Non 
que  rOrient  ne  puisse  un  jour  offrir  à  l'histoire  du 
droit ,  en  général ,  une  grande  et  magnifique  Epoque  ! 
—  Si  le  rayon  divin ,  qui  entourait  le  berceau  des  peu- 
ples primitifs ,  pouvait  sortir  des  ombres  qui  le  retien- 
nent loin  de  nous  et  se  répandre  sur  l'histoire,  il  éclai- 


Xlj  INTRODUCTION. 

rerait  vivement  des  origines  que  nous  subissons 
comme  des  nécessités  historiques  ,  et  au-delà  des- 
quelles nous  sentons  qu'il  doit  y  avoir  une  clarté 
qui  manque  à  l'intelligence  des  faits.  L'homme  ne 
peut  voir  pleinement  la  vérité  que  dans  les  causes 
premières  ;  et  l'Orient  ,  inconnu  dans  son  âge  pri- 
mitif, est  pour  nous  une  cause  première  qui  reste 
dans  l'obscurité.  Le  berceau  du  monde  grec  et  ro- 
main ,  du  monde  celtique  et  germanique ,  est  oriental  ; 
les  flots  qui  l'ont  déposé  sur  les  rivages  de  l'Occi- 
dent ont  laissé  quelques  traces  indicatives  de  leur 
passage  ;  mais  la  lumière  qui  l'entourait  est  comme 
remontée  vers  sa  source.  Si  elle  pouvait  redescendre 
encore  et  se  projeter  sur  les  origines ,  comme  elle 
commence  à  se  répandre  sur  .les  formes  antiques  et  la 
filiation  du  langage,  elle  changerait  peut-être  les  voies 
de  la  science  historique  ;  elle  nous  ferait  assister  au 
spectacle  d'une  imposante  harmonie  ;  elle  nous  rap- 
procherait sans  doute  de  l'unité  ,  qui  est  le  point  de 
départ,  et  qui  sera  le  dernier  terme  du  genre  hu- 
main. 
Mais  jusqu'à  cette  manifestation  des  choses  obscu- 


INTRODUCTION.  xiij 

res ,  l'histoire  du  Droit  français  est  obligée  de  se 
détourner  des  régions  inconnues ,  et  de  chercher  la 
lumière   où    elle    brille  *. 

C'est  sous  '\e  ciel  de  la  !Grèce  que  l'homme  et 
les  sociétés  de  I'Occident  font  leurs  premiers  pas 
à  la  clarté  du  jour.  Là  ,  nous  voyons  les  Cités 
naître ,  grandir ,  vivre  ,  mourir  ;  là ,  nous  trouvons 
les  quatre  âges  de  l'homme  et  des  peuples  ;  là , 
nous  trouvons  des  lois  ou  des  institutions  qui  réflé- 
chissent le  mouvement  de  l'homme  et  de  la  société. 
Dans  la  Grèce ,  l'homme  est  une  puissance  libre 
et  personnelle  qui  s'appartient  ,  qui  a  des  droits. 
Les  hommes  réunis  ,  dans  cette  jeunesse  de  la  Cité 
grecque ,  paraissent  même  comme  enivrés  de  leur  ré- 

*  M.  Ledeu-Rollin  ,  dans  son  Introduction  au  Journal  du  Palais, 
qui  a  suscité  une  vive  polémique ,  a  entendu  quelques  expressions  de 
ma  préface  de  1836  dans  un  sens  absolu,  qui  va  au-delà  de  ma  véritable 
pensée.  J'ai  n'ai  point  voulu  dire  que  le  droit  de  l'Orient  n'ofiïirait  pas 
une  époque  digne  d'être  étudiée;  je  disais  (p.  iv)  en  parlant  de  l'his- 
toire du  droit  :  «  La  Grèce  et  Rome  ont  pour  antécédents ,  dans  l'his- 
toire ,  l'Inde  et  l'Orient;  »  et  dans  mon  compte-rendu  des  Okigines 
DE  M.  MicHELET  (1837,  Revue  de  Législation) ,  j'ai  cherché  à  préci- 
ser, avec  la  riche  Introduction  de  l'auteur,  le  caractère  du  droit 
oriental.  La  récente  publication  de  M.  Obianne  sur  le  Droit  hindou 
est  un  document  très-utile  [1844] ,  et  l'on  doit  désirer  que  l'auteur, 
conseiller  à  la  Cour  royale  de  Pondichéry,  continue  ses  iulérejsantes 
communications  ;  il  facilitera  beaucoup  le  tableau  du  Dboit  oriental. 


Xiv  IXTRODUCTION. 

cente  émancipation.  Chaque  République ,  chaque  ville 
du  Péloponèse  veut  avoir  sa  vie  politique ,  sa  consti- 
tution propre  ;  et  les  lois  civiles  suivent  l'esprit  po- 
litique de  la  cité.  La  diversité  est  partout,  en  ap- 
parence ,  dans  la  famille ,  la  propriété ,  les  succes- 
sions ;  mais  les  systèmes  opposés  ont  cependant  leur 
type  supérieur  dans  les  lois  de  Lycurgue  et  de  So- 
lon ,  qui  les  résument  et  leur  impriment  une  sorte 
d'unité.  —  Les  lois  de  la  Grèce  ont  leur  naissance , 
leurs  progrès  ,  leurs  révolutions  :  elles  ont  donc  une 
histoire  possible;  la  savante  Allemagne  l'a  prouvé  de 
nos  jours  avec  éclat.  *  Mais  ,  chose  bien  remarquable  ! 
en  Grèce ,  il  y  a  des  poètes  ,  des  orateurs  ,  des  phi- 
losophes ,  des  utopistes  ,  des  législateurs  ;  il  n'y  a  pas 

de    JURISCONSULTES  ! 

C'est  à  Rome  que  naît  la  science  du  droit  ;  c'est 
à  Rome  que  se  fait  l'intime  alliance  d'une  pratique 
austère  et  d'une  sévère  théorie  ;  là  se  produisent  et 
se  soutiennent  les  grands  législateurs,  les  grands  ma- 
gistrats et  les  grands  jurisconsultes. 

*  Voir  le  Mémoire  plein  d'intérêt  et  d'érudition  que  M.  Gikaud  a  lu 
à  l'Académie  des  sciences  morales  sur  le  droit  de  succession  chez  les 
Athéniens.  (Revue  de  législation  ,  xvi    97.  ) 


INTRODUCTION.  XV 

L'histoire  spéciale  des  lois  de  la  Grèce,  si  intéressante 
dans  ses  aspects  divers  et  la  soudaineté  de  ses  révolu- 
tions, serait  cependant  pour  nous,  en  la  considérant 
dans  ses  rapports  avec  le  droit  qui  fait  le  fond  de  notre 
société  moderne ,  une  étude  à  peu  près  stérile.  — 
Au  contraire  ,  l'histoire  du  droit  romain  est  une  né- 
cessité que  nous  ne  pouvons  écarter,  et  une  source 
inépuisable  ,  soit  pour  la  science  du  droit  en  géné- 
ral ,  soit  pour  l'intelligence  de  l'histoire  et  de  la  théo- 
rie du  droit  français.  Le  Droit  civil  de  notre  ancienne 
et  nouvelle  Monarchie  est  fils  du  droit  romain  et  des 
coutumes  nationales  :  nous  avons  donc ,  même  avant 
d'étudier  et  de  suivre  les  transformations  de  nos  cou- 
tumes ,  un  grand  intérêt  à  connaître  le  principe  fon- 
damental et  le  développement  du  droit  romain. 

A  la  vérité  ,  le  Droit  français  du  xix^  siècle 
paraît  avoir  une  vie  à  lui  ;  il  s'est  concentré  dans 
un  Code  ;  il  s'est  mis  en  harmonie  avec  les  consé- 
quences de  la  révolution  sociale  de  1789.  Puisant  ses 
principes  dans  l'ordre  rationnel  et  dans  l'état  de  la 
société  actuelle ,  il  semble  ,  au  premier  coup-d'œil , 
n'avoir  pas   besoin   d'être   mis    en   regard   du  passé. 


XVI  INTRODUCTION. 

C'est  encore  là  ropinion  d'esprits  et  d'écrivains  dis- 
tingués ;  c'est  le  prétexte  aussi  d'une  pratique  inin- 
telligente. Mais  l'erreur  serait  fatale  à  la  théorie  de 
notre  Code ,  à  la  philosophie  ,  à  la  pratique  éclairée 
du  droit  ;  et  cette  erreur  a  été  condamnée  d'avance 
par  les  rédacteurs  de   nos  Lois. 

Le  jurisconsulte-philosophe   qui   a  si   puissamment 
concouru  au  projet  et  à  la  rédaction  définitive  de  no- 
tre Législation  civile,  Portalis  a  dit,  avec  toute  l'au- 
torité de  son  expérience  :  «  La  science  du  droit  four- 
»  nit  tous  les  matériaux  à  la  Législation.   La  Légis- 
»  lation  choisit  dans  la  science  tout  ce  qui  peut  in- 
»  téresser  directement  la  société.  Ce  ne  sera  pas  con- 
»  naître  nos  Codes  que  de  les  étudier  seulement  en 
»  eux-mêmes.  Il   faut  ,  pour  comprendre  le  droit 
»  français  ,  remonter  au  droit  romain.  Le  Légis- 
»  lateur  fi:'ançais  a  rassemblé    un    certain  nombre  de 
»  principes  ,   leur   a  donné    force   de  loi  ;    mais  c'est 
»  dans  le  Droit  romain  que  se  trouve  le  développe- 
»,ment  de  ces  principes,    et  que  la  loi   est  reconnue 

»   l'OEUVRE    ET    LE    PRODUIT    DE    LA    RAISON.   » 


INTRODUCTION.  XVij 

Ainsi  Portalis ,  après  avoir  parlé  comme  législa- 
teur ,  voulait ,  comme  jurisconsulte ,  remettre  la  gé- 
nération   nouvelle    dans    les    véritables    voies    de    la 

science. 

Le  Droit ,  il  faut  le  reconnaître  sous  l'inspiration 
de  Portalis  lui-même ,  ne  peut  grandir  de  nos  jours 
que  pcir  les  moyens  et  la  puissance  qui  l'ont  fait 
si  grand  autrefois  en  France,  et  principalement  au 
XVI®  siècle.  Le  génie  de  Cujas  ,  inspiré  par  les 
jurisconsultes  romains  et  une  connaissance  appro- 
fondie de  l'antiquité ,  avait  renouvelé  le  droit  par 
l'histoire.  C'est  le  mouvement  interrompu  de  cette 
glorieuse  École,  qui  a  été  repris  et  heureusement 
continué  par  l'Allemagne  contemporaine.  G.  Hugo 
et  Savigny  ,  malgré  la  distance  des  siècles ,  sont  des 
disciples  de  Cujas  et  de  Doneau.  La  France,  ren- 
fermée d'abord ,  par  sa  récente  Codification ,  dans 
les  nécessités  de  l'exégèse,  n'a  retrouvé  l'ardeur  de 
ses  élans  vers  la  science  qu'en  remontant  aux  sources 
vives  du  Droit,  à  l'étude  des  textes  déjà  connus  ou 
nouvellement  découverts.  —  La  publication  du  ma- 
nuscrit  de    Gains    a    constitué   pour    nous   une   ère 


Xviij  INTRODUCTION. 

nouvelle.  Ce  livre  a  ranimé  une  foi  qui  était  près  de 
s'éteindre.  Il  a  dissipé  les  ténèbres  dans  lesquelles 
combattaient  quelquefois  encore  les  jurisconsultes  du 
XVI®  siècle.  Notre  âge  ne  peut  prétendre,  sans  doute, 
à  reproduire  les  immortels  travaux  du  siècle  de  la 
Jurisprudence;  mais  il  peut  aspirer,  du  moins,  à 
marquer ,  à  suivre  la  filiation  des  idées ,  avec  les 
précieux  débris  de  l'antiquité  romaine,  et  à  conquérir 
sur  plusieurs  points  une  théorie  plus  précise  et  plus 
complète.  C'est  à  l'histoire  du  Droit  à  favoriser  ce  ré- 
sultat, et  à  mettre  en  lumière  les  principes  de  jus- 
tice, de  raison,  de  spiritualisme  social,  qui  se  sont 
développés  avec  les  lois  romaines. 

«  La  plupart  des  auteurs  qui  censurent  le  Droit 
»  romain  avec  autant  d'amertume  que  de  légèreté 
»  (  disaient  les  rédacteurs  du  Code  dans  le  Dis- 
»  cours  préliminaire)  blasphèment  ce  qu'ils  ignorent. 
»  On  en  sera  bientôt  convaincu  si,  dans  les  Collec- 
»  tions  qui  nous  ont  transmis  ce  droit,  on  sait  dis- 
»  tinguer  les  lois  qui  ont  mérité  d'être  appelées  la 
»  RAISON  ÉCRITE,  d'avcc  cclles  qui  tenaient  à  des  in- 
»  stitutions  particulières,  étrangères  à  notre  situation 


INTRODUCTION.  xix 

»  et  à  nos  usages.  »  —  La  distinction  faite  par  Tron- 
chet  et  Portalis  est  le  trait  de  lumière  jeté  sur 
l'étude  du  droit  romain.  Les  institutions  particulières 
des  Romains ,  formes  périssables  d'une  société  qui 
est  loin  de  nous,  resteront  comme  ensevelies  dans 
l'histoire;  mais  les  principes  généraux  et  la  philo- 
sophie même  du  droit  romain  seront  toujours  l'objet 
de  la  science,  et  l'une  des  bases  de  la  société  civile. 

—  «  Jeunes  gens  ((Usait,  en  1820,  le  savant  Mer- 
»  lin  )  Jeunes  gens ,  qui  voulez  parcourir  la  carrière 
»  de  la  Jurisprudence,  étudiez,  étudiez  sans  relâche 
»  les  Lois  Romaines  ,  et  familiarisez-vous  avec  leur 
»  langage,  qui  a  souvent  un  caractère  tout  particu- 
»  lier  :  sans  cela,  vous  ne  serez  jamais  que  des 
»  Praticiens ,  toujours  exposés  à  prendre  les  erreurs  les 
»  plus  graves  pour  les  vérités  les  plus  constantes  *.  » 

Nous  prenons  donc  Rome  pour  point   de  départ. 

—  Toutefois  ,  nous  n'avons  pas  l'intention  de  pré- 
senter l'histoire   externe   du  droit  romain ,  à  laquelle 


*  Meblin,  Questions  de  Droit,  v»  héritier,  §  m,  3^  édit.  (1820), 
p.  340,  note.  1. 


XX  INTRODUCTION. 

ont  été  consacrés,  de  nos  jours,  des  travaux  appro- 
fondis, et  notamment  en  Allemagne  ceux  de  Ch.  Hau- 
bold ,  en  France  ceux  de  MM.  Berriat-Saint-Prix  et 
Giraud,  sur  les  collections  de  Droit  et  les  institu- 
tions romaines.  Leurs  recherches  et  leurs  tableaux  se 
soutiennent ,  se  complètent  réciproquement  :  dans  son 
ensemble,  l'œuvre  paraît  accomplie.  —  On  ne  peut 
en  dire  autant  de  l'histoire  interne  du  droit  romain , 
de  cette  œuvre  magnifique  pour  laquelle  il  faudrait 
le  génie  d'un  jurisconsulte  qui  planerait  sur  le  droit 
et  ses  développements  à  travers  les  siècles ,  comme 
le  génie  de  Bossuet  sur  l'histoire  universelle  et  le 
Christianisme ,  comme  le  génie  de  Montesquieu  sur 
les  révolutions  du  Droit  politique.  —  L'histoire  de 
G.  Hugo  n'est  qu'une  savante  ébauche  où  viennent 
se  réunir  de  patientes  recherches,  des  aperçus  pro- 
fonds, mais  où  manque  le  souffle  divin  du  génie  qui 
crée  et  vivifie.  —  Savigny,  dans  la  tranquille  ma- 
jesté de  sa  gloire  historique,  a  entrevu  la  théorie 
épurée  des  Lois  romaines  ;  mais  il  a  conçu  son  Traité 
du  droit  romain  en  vue  de  l'Allemagne,  qui  suit  le 
droit   romain   comme  législation   positive,  au  Heu  de 


INTRODUCTION.  XXI 

l'écrire  pour  l'Europe  ou  pour  la  France,  la  patrie 
de  ses  pères.  Il  était  digne  de  réaliser  la  pensée  de 
Leibnitz ,  qui  disait ,  à  vingt  ans  ,  dans  sa  Nova 
Methodus  :  «  L'histoire  interne  du  droit  contient  la 
substance  même  du  droit.  »  Mais ,  pour  cette  grande 
création,  ce  n'était  pas  trop  peut-être  de  la  vie  et 
du  génie  tout  entier  de  celui  qui  fut,  dans  le  Traité 
de  la  possession,  l'émule  de  Doneau,  cet  autre  ré- 
fugié français  de  l'école  de  Bourges,  qui  n'eut  pas, 
dans  les  troubles  religieux  du  xvi®  siècle,  la  pru- 
dente réserve  de  Cujas. 

Les  travaux  exécutés  en  France  sur  les  Institutes, 
par  l'Ecole  contemporaine  ,  sont  d'un  puissant  se- 
cours. Il  y  aurait  injustice  à  ne  pas  reconnaître  les 
services  successivement  rendus  ,  de  nos  jours  ,  à  la 
science  du  droit  romain  par  MM.  Dupin  aîné ,  Blon- 
deau  et  Ducaurroi  ;  —  par  MM.  Giraud  ,  Pellat ,  Or- 
tolan ,  Etienne  et  Bonjean.  M.  Troplong  a  jeté  aussi 
ui>  VI  intérêt  sur  une  époque  de  l'histoire,  en  re- 
dierchant  l'influence  du  christianisme  sur  le  droit  privé 
des  Romains.  Nous  voudrions  pouvoir  dire  qu'il  suffit, 
en  ce  moment ,  de  résumer  l'œuvre  d'un  grand  histo- 


XXIJ  INTRODUCTION. 

rien  du  Droit ,  pour  arriver  aux  origines  de  notre 
Droit  national  ;  mais ,  nous  le  confessons  à  regret , 
cet  historien ,  ce  Montesquieu  du  droit  civil  nous 
manque.  Heureusement,  du  moins,  nous  avons  pour 
nous  guider  le  flambeau  de  Gains  ,  qui ,  placé  entre 
la  Loi  des  XII  Tables  et  le  droit  des  Jurisconsultes , 
nous  montre  le  lien  des  deux  époques ,  et  jette  sur 
elles  une  égale  lumière. 

Dans  l'histoire  du  droit ,  l'époque  de  la  Républi- 
que romaine ,  depuis  les  premiers  temps  jusqu'à  l'a- 
vènement d'Auguste ,  est  représentée  par  le  droit 
CIVIL  DE  ROME  ;  l'époquc  de  l'Empire  est  représentée 
par  LE  DROIT  ROMAIN  proprement  dit. 

Le  Droit  civil  ,  sous  la  République ,  comprend 
deux  périodes  :  la  Loi  des  XII  Tables ,  le  Droit 
prétorien. 

Le  Droit  romain ,  sous  l'Empire ,  en  comprend 
deux  aussi  :  le  droit  romain  de  l'Ëcole  Stoïcienne, 
à  partir  du  jurisconsulte  Labéon ,  sous  Auguste;  le 
droit  romain  sous  l'Influence  Chrétienne,  à  partir 
de  l'empereur  Constantin. 


INTRODUCTION.  XXÎlj 

Mais  nous  ne  pouvons  suivre  ici  l'ordre  rigoureux  de 
ces  diverses  phases.  Nous  ne  faisons  pas  isolément 
l'histoire  générale  du  Droit  romain;  et  en  exposant 
le  droit  de  la  République  et  de  l'Empire,  nous  ne 
devons  pas  perdre  de  vue  notre  but  principal,  qui 
est  l'histoire  du  Droit   français. 

L'Époque  romaine  pure ,  dégagée  de  tout  autre 
élément ,  comprend ,  dans  notre  livre ,  les  deux  pre- 
mières périodes  seulement,  ou  le  Droit  des  XII  Ta- 
bles et  le  Droit  prétorien.  Nous  avons  cherché  à  con- 
centrer, dans  cette  ère  de  la  République,  l'esprit  des 
lois  et  des  mœurs  romaines,  de  manière  à  nous  bien 
assurer  des  principes  qui  se  répandront  sur  le  monde, 
et  se  modifieront,  sous  l'influence  successive  du  Stoï- 
cisme et  du  Christianisme.  Déjà  même,  avant  de 
clore  cette  époque  ,  nous  aurons  reconnu  le  principe 
qui  servira  de  base  à  la  grande  École  des  Juris- 
consultes :  Cicéron  aura  puisé  dans  le  sein  du  stoï- 
cisme et  produit  dans  ses  beaux  traités,  à  l'expira- 
tion de  la  République,   la  philosophie  du  Droit. 

Au  terme  de  cet  Age,  que  nous  qualifions  spécia- 
lement d'Époque  romaine ,  nous  sortons  de  Rome  et 


Xxiv  INTRODUCTION. 

du  monde  soumis   à    ses    lois  ;    nous    entrons    dans 
les  Gaules  ;   nous    y  suivons  Jules   César.   Sur    cette 
terre  féconde ,  où  s'est  agité  le  monde  Celtique ,  nous 
rechercherons   avec  Jules   César  lui-même  ,    en  com- 
plétant les  données  juridiques  et  les  observations  de 
ses  Commentaires  par  les  Coutumes  galloises  et  bre- 
tonnes qui  ont  vécu  du  même  esprit ,  nous  recherche- 
rons l'esprit  général  des  lois  et  des  mœurs  galliques. 
En  plaçant  ainsi  l'Époque  celtique  entre  l'Époque  ro- 
maine  et  l'Époque  gallo-romaine  ,  nous   obtenons  le 
grand  avantage  de  ne  pas  intervertir  ,   dans  l'histoire 
du  Droit,  l'ordre  chronologique,  et  de  représenter  avec 
vérité  l'ensemble  des  institutions  qui  auront  à  subir, 
plus    tard,   l'action    incessante  de    la  civihsation   ro- 
maine.   —    La  conquête    de   César  met   en  présence 
Rome  antique  et  la   Gaule  barbare.  Rome ,  pour  la 
première  fois ,    entre  en  communication  directe    avec 
les   peuples   de   l'intérieur  des   Gaules  ;   et    la    Gaule 
Chevelue,   dernière  conquête  vraiment  incorporée   au 
territoire  romain  ,  subira  l'influence  du  Droit  civil  de 
Rome ,  même  avant  qu'il  se  soit  modifié  sous  l'action 
des  jurisconsultes  stoïciens  et  des  empereurs  chrétiens. 


i:ntroduction,  xxv 

Le  tableau  du  Droit  celtique  se  plaçait  donc  natu- 
rellement entre  le  Droit  civil  de  la  République  et  le 
Droit  romain  de  l'Empire.  Les  recherches  des  Ori- 
gines gauloises ,  qui  n'ont  pas  été  jusqu'à  présent  cu- 
rieusement explorées  au  point  de  vue  du  Droit , 
devenaient ,  dans  notre  Histoire ,  l'un  des  préhmi- 
naires  indispensables  ;  car  les  vaincus  n'ont  pas  en- 
tièrement dépouillé  leurs  coutumes  primitives  devant 
les  lois  du  peuple  vainqueur  :  et  si  l'assimilation  a 
été  facile  et  puissante  sur  un  grand  nombre  de  points, 
il  y  a  eu  constante  résistance ,  au  moins  sur  un 
point  capital.  Il  était  nécessaire  de  chercher,  de  saisir 
l'entière  raison  de  l'assimilation  et  de  la  résistance, 
dans  le  parallèle  des  mœurs  ou  des  institutions  de  la 
Cité  romaine  et  de  la  Gaule   barbare. 

Quand  ce  rapprochement  est  fait ,  et  que  l'esprit 
du  lecteur  peut  entrevoir  déjà  les  conséquences  qui 
seront  données  par  la  force  des  choses ,  alors  doit 
apparaître  le  droit  romain  de  l'Empire  ;  alors  la  phi- 
losophie du  droit,  considérée  au  point  de  vue  de  la 
doctrine  stoïcienne  et  de  l'idée  chrétienne,  doit  pren- 
dre sa  place  dans  l'histoire  ,   et  marquer  pour  nous  la 


XXVi  INTRODUCTION. 

troisième  Époque,  qui  s'étend  jusqu'au  vi^  siècle, 
jusqu'à  l'établissement  des  peuples  Germaniques  sur  le 
sol  gallo-romain.  —  Le  Droit  romain  de  l'Empire , 
non  avec  l'immensité  de  ses  détails ,  mais  avec  la 
grandeur  de  ses  principes ,  visiblement  unis  à  ceux 
du  Chistianisme,  devait  logiquement  après  le  Droit 
civil  de  Rome ,  après  le  Droit  celtique ,  se  placer  à 
à  l'entrée  de  notre  histoire ,  et  ouvrir  l'Époque  gallo- 
romaine.  C'est  en  effet  le  droit  romain  de  l'école  des 
jurisconsultes  qui  a  développpé  les  germes  déposés 
dans  les  mœurs  galliques,  et  c'est  surtout  l'alliance 
du  droit  romain  et  du  christianisme  qui  a  fait  le  ca- 
ractère distinctif ,  le  fonds  inépuisable  de  la  civilisa- 
tion des  Gaules  et  de  la  France. 

Au  surplus ,  nous  le  déclarons  ouvertement ,  l'al- 
liance du  droit  romain  et  du  christianisme,  soit  dans  la 
nature  intime  de  leur  principe  ,  soit  dans  leur  action 
sur  la  société ,  c'est  là  une  pensée  fondamentale  dans 
notre  livre  ;  c'est  le  principe  d'unité  qui  en  soutient 
toutes  les  parties ,  et  le  point  de  vue ,  nouveau  peut- 
être  dans  l'histoire  du  droit,  auquel  nous  nous  sommes 
principalement  attaché ,  sans  jamais  y  sacrifier  la  vérité 


INTRODUCTION.  XXVlj 

des  faits.  Après  les  travaux  accomplis  jusqu'à  ce  jour,  il 
nous  a  paru  qu'il  restait  encore  à  manifester  par  l'histoire 
le  rapport  essentiel  et  philosophique  du  droit  romain 
avec  le  christianisme ,  agissant  d'abord  l'un  et  l'autre 
dans  des  sphères  séparées  ,  et  s'associant  ensuite  dans 
le  monde  moderne  comme  éléments  civilisateurs. 

Cependant ,  et  nous  nous  empressons  de  le  recon- 
naître ,  le  droit  romain  et  le  christianisme  ne  contien- 
nent pas  toute  l'histoire  de  l'ancien  Droit  français  , 
toute  la  substance  de  notre  Droit  moderne.  La  divi- 
sion de  la  France  en  pays  coutumiers  et  paijft  de  droit 
écrit  est  un  fait  continué  par  la  Jurisprudence  parle- 
mentaire ,  mais  bien  plus  ancien  que  nos  Parlements  ; 
car  nous  en  retrouverons  la  racine  jusque  dans  nos 
origines  gallicanes.  Malgré  ses  nombreuses  diversités , 
le  Droit  coutumier  avait,  à  sa  base,  des  principes  uni- 
formes ,  un  entre  autres ,  qui  avait  une  grande  va- 
4eur  morale,  l'esprit  de  famille.  L'École  coutumière, 
en  France ,  a  été  illustrée  par  les  noms  d'éminents 
jurisconsultes  ;  elle  se  sentit  même  assez  forte ,  au 
milieu  du  xvu^  siècle,  pour  déclarer,  contre  la  maxi- 


XXVUJ  INTRODUCTION. 

me  jusqu'alors  reçue ,  que  la  Coutume  de  Paris ,  et 
non  le  Droit  romain,  était  le  droit  commun  de  la 
France  *.  11  faut  donc  nécessairement  tenir  grand 
compte  et  faire  une  étude  approfondie  des  Coutumes 
nationales. 

Les  Coutumes ,  dont  le  développement  s'épanouis- 
sait avec  un  légitime  orgueil  après  l'âge  des  Dumou- 
lin ,  des  Guy  -  Coquille ,  des  Loyseau  et  des  d'Ar- 
gentré ,  s'étaient  lentement  formées  sous  l'influence 
de  races  et  de  conquêtes ,  de  mœurs  et  d'institutions , 
de  lois  et  de  civilisations  diverses  ;  elles  avaient  subi 
sur  plusieurs  points  de  complètes  transformations. 
Pour  faire  l'histoire  de  l'ancien  Droit  français ,  il  faut 
par  conséquent  suivre  les  Coutumes  dans  ce  long 
travail  des  siècles. 

Droit  Gallique  ,  recueilli  principalement  dans  les 
Commentaires  de  Jules  César,  le  Code  de  Howeldda, 
les  très-anciennes  coutumes  de  Bretagne; 

Droit  Gallo-Romain  ,  depuis  l'Edit  provincial  jus- 
ques  et  y  compris  le  Code  d'Alaric; 

*  Bbodeau  ,  Comm.  sur  la  Coût,  de  Paris,  in  principio.  —  De  Lau- 
EiÈRE,  Établissements  de  Saint-Louis  (Ordonnances ,  t.  i.  aux  notes). 


INTRODUCTION.  XXIX 

Droit  Germanique  ,  implanté  sur  le  sol  conquis ,  et 
dont  M.  Pardessus  a  profondément  suivi  et  mis  à 
découvert  les  racines,  dans  ses  dissertations  sur  la  Loi 
Salique  ; 

Droit  Mixte  des  Époques  Mérovingienne  et  Car- 
lovingienne,  où  viennent  se  réunir  les  antiques  Con- 
ciles des  Gaules ,  les  Formules  de  Marculfe ,  les  Chartes 
mérovingiennes  ,  les  Décrets  des  rois  de  la  première 
race ,  les  Capitulaires  de  la  race  de  Charlemagne  ; 

Droit  Canonique  ,  principalement  au  moyen-âge ,  et 
Renaissance  du  Droit  Romain  aux  xii®  et  xiii^  siècles  ; 

Droit  Féodal,  dont  le  Livre  des  Fiefs,  les  Assises 
de  Jérusalem  retrouvées  et  renouvelées  de  nos  jours, 
ies  Coutumes  de  Beaumanoir  et  les  Établissements  de 
Saint -Louis  ,  réfléchissent,  sous  différents  aspects, 
l'image  primitive  et  les  grandes   modifications; 

Droit  Coutumier  ,  considéré  d'un  point  de  vue  gé- 
néral ,  par  rapport  à  la  topographie  de  la  France , 
à  la  diversité  des  races  qui  ont  occupé  le  territoire , 
aux  caractères  distincts  et  permanents  des  principales 
Provinces;  et  considéré  d'un  point  de  vue  plus  spécial , 


XXX  INTRODUCTION, 

par  rapport  aux  sources  originales  et  traditionnelles , 
telles  que  les  Cartulaires ,  le  Polyptique  d'Irminon 
auquel  se  rattache  aujourd'hui  un  si  beau  monument 
d'érudition  \  les  Chartes  d'affranchissements  des  serfs 
et  villages ,  les  Chartes  des  communes ,  les  Statuts 
des  villes  méridionales  ,  les  Monuments  de  la  Renais- 
sance romaine  et  du  Droit  ecclésiastique ,  les  Olim  , 
les  Vieux  Coutumiers  des  xiii'' ,  xiv^  et  xv^  siècles  , 
la   Rédaction   officielle  et  la    Réformation   du  xvi®   : 

Telles  sont  les  couches  successives ,  telle  est  la  géo- 
logie morale,  par  l'étude  desquelles  nous  devrons  ar- 
river   à  LA    THÉORIE    GÉNÉRALE   DU   DrOIT  CoUTUMIER  , 

en    marquant   les   grandes   diversités    qui   distinguent 
les  pays  de  Coutumes  et  les  pays  de  Droit  écrit. 

Nous  étudierons  ensuite  laction  de  la  Royauté  sur 
le  droit  civil  par  les  ordonnances,  et  l'action  bien 
supérieure  des  Jurisconsultes  français  dans  nos  écoles 
scientifiques  du  Droit  Romain  et  du  Droit  coutumier. 

*  Polyptique  de  l'abbé  Irminon,  avec  Prolégomènes,  Commen- 
taire et  iiclaircissements ,  par  M.  B.  Guéraed,  de  l'Institut  (183(:-r 
1844). 


INTRODUCTION.  XXXI 

Et  dans  cette  vaste  exposition  des  âges  et  des 
monuments,  des  coutumes  et  des  révolutions  socia- 
les ou  juridiques,  nous  ne  perdrons  point  de  vue 
l'intervention,  tantôt  manifeste,  tantôt  cachée,  mais 
continue,  mais  toujours  active,  du  droit  romain  et 
du  christianisme,  représentée  par  les  Évêques  et  les 
Papes,  par  les  Légistes  et  les  Rois.  Nous  suivrons 
le  droit  romain  et  le  catholicisme  dans  leurs  luttes 
laborieuses  avec  les  autres  éléments  de  la  société , 
pour  les  conquérir  et  les  assimiler  à  leur  principe 
civiUsateur.  —  Fidèle  ainsi  à  l'objet  principal  de  no- 
tre Livre,  nous  tâcherons  de  saisir  et  de  suivre  dans 
sa  marche,  ses  interruptions,  ses  alliances  et  ses 
transformations,  la  pensée  civilisatrice  qui ,  des  Con- 
ciles de  la  Gaule  et  des  Capitulaires  de  Charlema- 
gne,  qui  de  l'école  d'Irnerius  et  de  Pierre  De  Fon- 
taines, des  Étabhssements  de  saint  Louis  et  du  Livre 
de  Beaumanoir,  a  conduit  nos  lois  civiles,  à  travers 
les  âges  de  la  Féodalité  et  de  la  Monarchie  française , 
jusqu'à  la  Révolution  de   1789. 

Là  un   monde  nouveau    nous  apparaît. 

Dans  l'œuvre    divine   de   la    création  ,    lorsque    le 


XXxij  INTRODUCTION. 

chaos  n'est  plus ,  la  lumière  est  faite  :  dans  la  révo- 
lution française,  œuvre  de  Dieu  et  de  l'homme,  la 
lumière  a  précédé  le  désordre.  —  La  lumière  de  89, 
c'est  celle  du  Droit  et  du  Christianisme  ;  puis  vient 
le  chaos  de  93,  de  l'an  II,  et  s'étendent  ces  ténèbres 
visibles  où  toute  une  société  se  précipite  sur  ses  in- 
stitutions religieuses,  politiques  et  civiles;  sur  Dieîi, 
la  Cité ,  la  Famille!....  Puis  encore  la  clarté  reparaît 
avec  le  pouvoir  organisateur  du  Consulat;  et  le  divin 
rayon ,  qui  vivifie  la  société  sauvée  ,  c'est  toujours  la 
lumière  du  Catholicisme  et  la  lumière  du  Droit! 

L'histoire  du  droit,  pendant  la  révolution,  doit 
donc,  d'abord,  recueillir  et  manifester  les  grands 
principes  qui  étaient  dans  la  science  des  jurisconsul- 
tes, des  philosophes  chrétiens,  et  dans  la  conscience 
nationale,  mais  auxquels  les  faits  de  l'ancienne  so- 
ciété opposaient  obstacle  et  faisaient  violence.  — 
Elle  doit  représenter  ensuite  l'oubh,  la  négation,  la 
corruption  de  ces  principes,  ou  l'irruption  du  maté- 
rialisme dans  la  société  religieuse,  poU tique  et  civile. 
L'histoire  du    droit   s'anime  nécessairement    du   ca- 


INTRODUCTION.  XXXllj 

ractère  dramatique  de  ces  deux  périodes  de  la  révolu- 
tion; elle  réfléchit  les  idées  et  les  crimes,  les  faits  et 
les  discours  qui  renversent  l'ancienne  sqciété  ou  qui 
ébranlent  la  nouvelle;  elle  reproduit  les  principes,  les 
institutions,  les  essais  qui  se  jettent  dans  le  moule 
révolutionnaire ,  au  nom  des  théories  sociales  ou  reli- 
gieuses. Pour  ne  pas  être  historien  infidèle,  nous  avons 
dû  conserver,  à  cette  Époque  complexe,  son  caractère 
mixte,  tantôt  politique  ou  religieux,  tantôt  administratif 
ou  civil.  —  Et  cette  époque  de  l'histoire  est  d'une 
haute  importance  pour  la  moralité  nationale  et  pour 
le  droit  français.  Elle  apprend  à  faire  la  séparation 
du  bien  et  du  mal  ;  et ,  dans  la  diversité  de  ses  pério- 
des, elle  porte  et  prépare  l'Époque  nouvelle  où  le  gou- 
vernement français^  sous  les  auspices  du  Premier  Con- 
sul ,  voudra  fonder  la  liberté  civile  *,  reconstituer 
LA  FAMILLE  **,  réaliser  les  bons  principes ,  répudier  les 
mauvais,  et  accomplir  enfin  la  promesse  faite  à  la 
France ,  par  la  Révolution  de  89 ,  d'un  code  de  lois 

CIVILES    COMMUNES    A   TOUT   LE   ROYAUME***.  « 

*  Paroles  de  Bonaparte  dans  sa  proclamation  après  le  9  brumaire. 
**  Paroles  de  Portails  dans  le  discours  préliminaire  du  projet  de  Code. 
***  Constitution  de  1791 ,  tit.  le»",  dispositions  fondamentales. 


XXxiv  INTRODUCTION. 

Sur  le  lien  indissoluble  du  droit  moderne  avec  le 
droit  romain ,  nous  avons  textuellement  reproduit,  plus 
haut,  la  pensée  de  Portalis  et  des  auteurs  du  Code 
civil.  —  Nous  allons  aussi  rappeler  leurs  vues  sur  les 
Coutumes,  les  Ordonnances  des  Rois ,  les  Décrets  des 
Assemblées  nationales  dans  leur  rapport  avec  le  Code 
du  xix*'  siècle.  Tronchet  et  Portalis  ,  en  rendant 
compte  de  leurs  idées  et  de  leur  méthode  ,  avaient , 
pour  ainsi  dire  ,  tracé  d'avance  le  plan  général  de 
l'histoire  du  Droit  civil  français. 

«  Dans  le  nombre  de  nos  Coutumes  ,  disaient-ils , 
»  il  en  est  sans  doute  qui  portent  l'empreinte  de  no- 
»  tre  première  barbarie  ;  mais  il  en  est  aussi  qui 
»  font  honneur  à  la  sagesse  de  nos  pères ,  qui  ont 
»  formé  le  caractère  national ,  et  qui  sont  dignes  des 
»  meilleurs  temps.  Nous  n'avons  renoncé  qu'à  celles 
»  dont  l'esprit  a  disparu  devant  un  autre  esprit... 

»  En  examinant  les  dernières  Ordonnances  royales , 
»  nous  en  avons  conservé  tout  ce  qui  tient  à  l'ordre 
»  essentiel  des  sociétés ,  au  maintien  de  la  décence 
»  publique  ,  à  la  sûreté  des  patrimoines ,  à  la  prospé- 
»  rite  générale. 


INTRODUCTION.  XXXV 

»  Nous  avons  respecté^  dans  les  Lois  publiées  par 
»  nos  Assemblées  nationales  sur  les  matières  civiles, 
»  toutes  celles  qui  sont  liées  aux  grands  changements 
»  opérés  dans  l'ordre  politique ,  et  qui  par  elles-mê- 
»  mes  nous  ont  paru  évidemment  préférables  à  des 
»  institutions  usées  et  défectueuses.  Il  faut  chan- 
»  ger ,  quand  la  plus  funeste  de  toutes  les  innova- 
»  tions  serait,  pour  ainsi  dire,  de  ne  pas  innover... 
»  L'essentiel  est  d'imprimer  aux  institutions  nouvelles 
»  ce  caractère  de  permanence  et  de  stabilité  qui  puisse 
»  leur  garantir  le  droit  de   devenir  anciennes. 

»  Nous  avons  fait ,  s'il  est  permis  de  parler  ainsi , 
»  u.NE  TRANSACTION  entre  le  Droit  écrit  et  les  Cou- 
»  tûmes ,  toutes  les  fois  qu'il  nous  a  été  possible  de 
»  concilier  leurs  dispositions ,  ou  de  les  modifier  les 
»  unes  par  les  autres ,  sans  rompre  I'unité  du  système  , 
»  et  sans  choquer  Tesprit  général.  » 

Ainsi,  les  fondateurs  du  Code  moderne  nous  ont 
expliqué  la  pensée  d'histoire  et  de  philosophie  du 
droit  qui  a  présidé  à  leurs  travaux.  Ils  veulent  que 
leur  système  de  législation  repose  sur  I'Unité,  et, 
pour  en  former  l'esprit  général,   ils  impriment  à  nos 


XXXVl  INTRODUCTION. 

Lois  civiles  trois  caractères  qui  résument  l'expérience 
de  tous  les  temps  : 

V  Caractère  de  Tradition  romaine  et  coutumière; 

2*  Caractère  de  Transaction  entre  les  pays  de 
Droit  écrit  et  de  Coutumes; 

3"  Caractère  d'ORiGiNALiTÉ ,  né  de  l'esprit  et  des 
innovations  légitimes  de  la  Révolution  française. 

L'unité  de  législation  est  leur  principe  philosophique, 
la  diversité  d'éléments  est  le  résultat  historique  qui 
s'impose  à  leurs  travaux. 

Comme  législateurs ,  ils  le  disent  eux-mêmes ,  «  ils 
»  ont  observé  avec  soin  les  rapports  naturels  qui 
»  lient  toujours,  plus  ou  moins,  le  présent  au  passé 
»  et  l'avenir  au  présent.    » 

L'histoire  du  Droit  est  donc ,  de  leur  aveu ,  la 
compagne  nécessaire  d'une  Législation  qui  a  jeté  ses 
racines  ou  dans  les  profondeurs  du  passé  le  plus 
antique ,  ou  dans  les  champs  du  passé  qui  nous  tou- 
che ,  et  que  sillonnait ,  tout  récemment  encore ,  le 
soc  des  révolutions. 

Depuis  le  Consulat  jusqu'à  la  chute  de  l'ancienne 
Dynastie ,  en  1 830 ,  bien  des  changements  de  gouver- 


INTRODUCTION.  XXXVIJ 

nement  se  sont  succédé  ;  mais  la  révolution  sociale 
était  faite,  et  les  secousses  politiques  n'ont  pas  péné- 
tré bien  avant  dans  nos  Lois  civiles. 

L'Empire  et  la  Restauration  tentèrent  de  renouve- 
ler des  institutions  vieillies  qui  tenaient  au  système 
politique  renversé  par  le  principe  de  89.  L'Empire, 
puissance  militaire,  avait  établi  des  Majorais,  avait 
même  rétrogradé  jusqu'aux  inféodations  transmissibles 
de  mâle  en  mâle,  et  réversibles  en  cas  d'extinction  de 
la  race  masculine*.  La  Restauration  avait  maintenu  les 
majorats  dans  l'intérêt  politique  de  la  Pairie  constitu- 
tionnelle, et  voulu"  replacer  l'inégalité  des  partages 
dans  le  droit  privé  des  successions.  —  La  chute  de 
l'Empire  entraîna  les  fiefs  militaires  de  1810;  —  le 
souffle  de  89  emporta  les  propositions  de  1825  contre 
l'égalité  des  partages  ;  —  la  révolution  de  1 830  anéantit 
les  majorats  ,  en  respectant  les  droits   acquis.  ■ 

Une  grave  innovation  en  faveur  des  Étrangers,  sur 
le  droit  de  succéder  et  de  tester  en  France ,  s'est 
seule    introduite    dans   nos  lois    civiles  ;    et   c'est    un 

*  Senatus-consulte  du  30  janvier  1810,  sur  le  domaine  extraordinaire. 


XXXVllj  INTRODUCTION. 

Décret  de  l'Assemblée  constituante  qui ,  repoussé  d'a- 
bord par  le  Consulat  en  guerre  avec  l'Europe ,  réclama' 
sa  place  dans  le  Code  de  la  France»  en  1819,  au 
moment  où  la  France ,  délivrée  de  la  présence  et  des 
armes  de  l'étranger,  pouvait  accueillir  avec  sympathie 
un  principe  de  89,  et  reconnaître  librement  l'autorité 
morale    de   son  origine. 

Nous  observerons ,  dans  l'histoire  du  Droit  jus- 
qu'à nos  jours  ,  ces  divers  efforts  de  la  société  po- 
litique contre  la  société  civile;  mais,  surtout,  nous 
aurons  à  suivre  l'histoire  de  la  science  depuis  la  Co- 
dification ,  et  à  caractériser  le  mouvement  de  l'É- 
cole contemporaine  dans  les  sphères  parallèles  du 
Droit  romain  et  du  Droit  français. 

L'histoire  du  Droit ,  telle  que  nous  la  concevons  , 
n'est  pas  seulement  une  oeuvre  d'érudition;  elle  doit 
être  en  même  temps  une  œuvre  de  science  ,  et  il 
n'y  a  pas  de  science  sans  théorie  ,  sans  résultats.  Il 
faut,  sans  doute,  que  les  esprits  curieux  des  traditions 
nationales  en  retrouvent  l'origine ,  les  progrès ,  les 
transformati!)ns  dans  l'histoire  du  Droit;  mais  il  faut 
aussi  que  le  Jurisconsulte,  dans  les  différentes  pha- 


INTRODUCTION,  XXXIX 

ses   de    sa  carrière  ,    puisse  s'aider    et   s'éclairer   des 
travaux  de  l'historien. 

Pour  l'homme  de  la  science  juridique  ,    le.  Droit  , 
élevé   à   toute   sa   hauteur ,  présente   trois   points   de 
vue   distincts   et  non   opposés   :   l'histoire ,   la  philo- 
sophie du   droit ,   la  législation.   —  L'Histoire   con- 
tient  les   faits,    leur    enchaînement    progressif   et    le 
long   enfantement  de   I'idée.  —  La  Philosophie  du 
Droit  détermine  les  principes  immuables,   pris   dans 
la  nature  des  choses,   et  les  rapports  moralement  né- 
cessaires de  l'homme  et  de  la  société.  —  La  Légis- 
lation ,    à  une  époque  de  civilisation  avancée ,   choi- 
sit avec  discernement  dans  l'héritage  du  passé,  for- 
mule en  Loi  positive  Tidée  qui  est  sortie  victorieuse 
des  faits  ,   ou  sanctionne  les  principes  proclamés  par 
la    philosophie  du   droit.    —   C'est    sur  les   résultats 
combinés  qui  viennent  de  ces  différentes  causes  plus 
ou  moins  anciennes ,  plus  ou  moins  accessibles ,  que 
la  science  du   Jurisconsulte ,    véritable    science    alors 
DES  CHOSES    divines  ET  HUMAINES,  foudc  la   théoric 
ou  la  dogmatique  du  Droit. 

Ces    divers   résultats  ,   dépourvus  des   preuves   de 


Xl  INTRODUCTION. 

leur  origine  ou  de  leur  filiation ,  dépourvus  de  la 
lumière  historique,  manqueraient  d'une  condition  né- 
cessaire à  leur  pleine  intelligence.  —  L'étude  appro- 
fondie du  droit  réclame  donc  impérieusement  fhis- 
toire  ;  et  l'histoire  du  droit ,  en  s'appuyant  sur  féru- 
dition,  doit  principalement  être  faite  en  vue  de  la 
science  des  jurisconsultes. 

Tel  est  le  but  que  nous  avons  eu  devant  les  yeux; 
telle  est  falliance  que  nous  avons  voulu  cimenter  en- 
tre le  droit ,  l'histoire  et  la  philosophie. 

Ce  but  si  élevé ,  si  difficile ,  il  avait  apparu  ,  un 
jour  ,  au  milieu  des  méditations  sur  TEsprit  des 
Lois  ,  à  l'homme  qui  seul  par  son  génie  était  ca- 
pable de  l'atteindre.  Malheureusement,  il  était  trop 
tard  !  Montesquieu  ,  après  vingt  ans  de  travaux ,  ar- 
rivait à  la  fin  du  xxviii^  livre  sur  l'Origixe  et  les 
Révolutions  des  Lois  civiles  chez  les  Français  : 
«  Il  aurait  fallu ,  dit-il ,  que  je  m'étendisse  davantage 
»  à  la  fin  de  ce  livre  ,  et  qu'entrant  dans  de  plus 
»  grands  détails  ,  j'eusse  suivi  tous  les  changements 
»  insensibles  qui ,  depuis  fouverture  des  Appels  ,  ont 
»  formé  le  grand   corps  de  notre  Jurisprudence  fran- 


INTRODUCTION.  xlî 

»  çaise;  mais  j'aurais  mis  un  grand  ouvrage  dans 
»  UN  grand  ou\rage.  » 

Voilà  une  pensée  bien  propre  sans  doute  à  exciter 
l'ardeur,  à  féconder  le  génie  de  l'historien  du  droit, 
qui  pourrait  redire  avec  Montesquieu  :  «  Et  moi  aussi 
»  je  suis  peintre  î  » 

Mais  elle  est  de  nature  à  jeter  la  terreur  dans 
l'âme  de  l'écrivain  qui  ne  trouve  pas  en  lui  ce  se- 
cret témoignage.  Mon  premier  travail  arrivait  à  son 
terme  ,  lorsque  le  passage  décourageant  de  l'Esprit 
des  Lois  a  vivement  attiré  mon  attention.  C'est  là 
mon  excuse. 

Frappé  plutôt  de  ce  rapprochement ,  qui  me  con- 
damne à  l'exécution  imprévue  d'une  pensée  de  Mon- 
tesquieu ,  je  me  serais  arrêté  soudain ,  et  n'aurais 
jamais  entrepris  d'écrire  l'Histoire  du  Droit  français. 

Peut-être  cette  histoire  sera-t-elle  encore  à  faire 

Ce  n'est  pas  à  nous  qu'il  appartient  d'en  juger.  ?(ous 
aurons ,  du  moins ,  le  mérite  d'avoir  repris  ouver- 
tement les  traditions  de  l'École  historique  du  droit 
français ,  glorieusement  fondée ,  au  xvi®  siècle ,  par 
les  Pithou  ,    les   Bignon  ,   les  Brisson ,    les    Dumou- 


Xlij  INTRODUCTION. 

lin^  enrichie,  aux  xvii^  et  xviii^  siècles,  des  savants 
travaux  de  tant  d'auteurs  coutumiers ,  curieux  inves- 
tigateurs de  nos  origines,  et  principalement  illustrée 
par  Caseneuve,  Lathaumassière ,  Hévin,  Bouhier,  de 
Laurière  et  Montesquieu.  —  Eusèbe  de  Lalrière  et 
Montesquieu  ,  voilà  surtout  les  deux  noms  qui  do- 
minent l'École  française,  l'un  par  la  science  des  ori- 
gines ,  l'autre  par  le  génie.  —  Le  génie  n'a  pas  d'hé- 
ritiers ;  mais  la  science  lègue  à  la  postérité  des  travaux 
interrompus  qui  demandent  à  être  repris  et  continués. 

Il  y  a  dix  ans  à  peine ,  l'École  germanique  ,  dont 
j'admire  la  vaste  érudition  ,  mais  dont  je  ne  partage 
pas  toutes  les  tendances ,  manaçait  d'envahir  le  do- 
maine de  nos  traditions ,  d'obscurcir  nos  origines  , 
et  de  troubler  le  cours  de  la  science  juridique  en 
France ,  en  nous  séparant  des  traditions  ,  des  théo- 
ries romaines  et  de  l'esprit  vital  de  nos  institutions. 
Je  n'ai  pas  hésité  ,  jeune  encore  et  tout-à-fait  in- 
connu dans  les  lettres ,  à  reprendre  le  mouvement , 
à  reproduire  la  pensée  de  l'école  française  ,  de  l'é- 
cole nationale.   —  Un    homme   jeune   aussi ,    enlevé 


INTRODUCTION.  xliij 

trop  jeune  aux  travaux  historiques  ,  Rlimrath ,  dans 
son  enthousiasme  germanique ,  a  quaUtié  mon  livre 
de  chaleureux  plaidoyer  en  faveur  du  Droit  romain  ;  il 
m'a  représenté  comme  Y  homme  du  Midi ,  qui  se  levait 
encore,  au  xix^  siècle,  pour  crier  anathème  contre 
V homme  du  Nord.  —  Il  n'y  avait ,  de  ma  part ,  ni 
plaidoyer,  ni  anathème;  mais  le  sentiment  du  droit 
protestait  contre  l'usurpation  du  germanisme  contem- 
porain ,  qui ,  prétendant  renouveler  nos  origines ,  et 
se  substituer  à  notre  passé ,  oubliait  que  pendant  trois 
siècles  une  Ëcole  de  Jurisconsultes  français  avait  inter- 
rogé sur  tous  les  points  les  sources  et  les  transforma- 
tions de  notre  droit ,  au  nord  et  au  midi  de  la  France. 

Toutefois  ,  et  j'en  ferai  facilement  l'aveu  ,  emporté 
par  ce  besoin  de  résistance  ,  j'ai  exprimé  dans  ma 
première  publication ,  sur  l'histoire  du  Droit ,  des  pro- 
positions trop  exclusives.  J'ai  même  écarté  entière^ 
ment  de  mon  esquisse  ,  et  avec  intention ,  le  Droit 
Barbare  :  c'est  une  lacune  qu'on  m'a  justement  re- 
prochée ;  mais  tout  en  avouant  mes  torts  ,  je  pour- 
rais à  mon  tour  reprocher  à  la  critique  de  n'avoir 
pas  fait  attention  à  la  grande  influence  ,  à  l'influence 


xliv  INTRODUCTION. 

même  excessive  que  j'attribuais  à  l'élément  germani- 
que sur  notre  Droit  coutumier,  puisque  je  regardais 
l'élément  germanique  comme  ayant  produit  en  France 
la  féodalité  ,  et  que  je  regardais  la  féodalité  comme 
une  des  principales  sources  de  nos  coutumes. 

Ces  débats  de  1836  seraient  aujourd'hui  sans  inté- 
rêt; la  réaction  est  faite  contre  l'invasion  absolue  des 
idées  germaniques.  Grâces  à  des  études  plus  sévères,  à 
la  découverte  de  précieux  monuments ,  à  l'influence  des 
travaux  accomplis ,  en  plusieurs  directions ,  durant 
les  dix  dernières  années ,  on  a  reconnu  dans  les  let- 
tres ,  dans  l'histoire ,  dans  les  usages  ,  les  institu- 
tions et  les  lois,  la  profondeur  de  la  couche  romaine. 
Augustin  Thierry  ,  écrivant  ses  Considérations  sur 
l'histoire  de  France ,  a  constaté  ce  grand  résultat  en 
des  termes  qu'on  doit  reproduire  pour  ne  pas  en  af- 
faibUr  l'autorité  :  «  En  résumé  (  dit  l'admirable  his- 
»  torien),  le  nouveau  caractère,  le  cachet  d'originaUté 
»  que  la  théorie  de  l'histoire  de  France  a  reçu  des 
»  études  contemporaines ,  consiste  pour  elle,  à  être  une 
»  comme  l'est  maintenant  la  nation  ,  à  ne  plus  con- 
»  tenir  deux  systèmes  se  niant  l'un  l'autre,  et  répon- 


INTRODUCTION.  .  x!v 

»  dant  à  deux  traditions  de  nature  et  d'origine  impo- 
»  sées ,  la  tradition  romaine  et  la  tradition  germanique. 
»  La  plus  large  part  a  été  donnée  à  la  tradition  ro- 
»  maine  ;  elle  lui  appartient  désormais ,  et  un  retour 
»  en  sens  contraire  est  impossible.  »  —  Le  progrès  et 
l'activité  des  recherches  liistoriques  ,  le  zèle  du  Gou- 
vernement français  pour  les  grandes  publications  ,  le 
concours  des  Académies  ,  et  les  généreux  efforts  de 
plusieurs  hommes  sans  titre  académique ,  ont  ouvert 
des  sources  nouvelles  ou  ranimé  des  sources  presque 
taries.  L'histoire  du  Droit  français  peut  puiser  libre- 
ment aux  sources  nationales  ;  elle  peut ,  sans  danger 
désormais ,  faire  aussi  la  part  aux  origines  étrangères. 
Le  moment  est  donc  venu  de  dépouiller  l'armure  du 
combat ,  et  de  rendre  à  l'histoire  du  Droit  son  vrai 
caractère ,  I'impartialité. 


Nous  avons  fait  connaître  notre  plan  général;  en 
quelques  mots,   nous  indiquerons  notre    méthode. 

Elle  a  pour  objet  de  mettre  en  évidence  le  Droit 
public   et    le  Droit  privé.    Toutefois,   le   droit  public 


xlvi  INTRODUCTION. 

ne  reçoit  pas  dans  cet  ouvrage  les  mêmes  développe- 
ments que   le  droit  civil  proprement  dit.   «  Le  droit 
privé ,    selon   l'expression    du    chancelier   Bacon ,    est 
placé  sous   la  tutelle  du  droit  public  :   jus  privatum 
SUE  TUTELA  juRis  PUBLici  LATET.  »   On  uc  pcut  sé- 
parer,   par   conséquent,   l'histoire  du   droit  privé  des 
révolutions  du  droit  public.   Mais  notre  but  principal 
est  le  Droit  civil,  dans  le  sens  restreint  attaché  à  ce 
dernier   mot  depuis  Domat;    et  le    Droit  public  sera 
représenté  par   nous  dans  ses  principes  et  ses  résul- 
tats, plutôt  que  dans  l'ensemble  de  ses  origines  et  de  ses 
institutions.  —  Deux  branches  importantes,   le  Droit 
commercial  et  le  Droit  criminel,  sont  à  peu  près  absentes 
de  nos   recherches.  Elles  ont  leur  caractère  propre  et 
doivent  avoir  leur   histoire  spéciale   comme  elles   ont 
leur  monographie.  —  Le  Droit  criminel   a  trouvé  de 
nos  jours  son  historien  ;  et  la  collection  des  Lois  mari- 
times de  M.  Pardessus  a  posé  une  base  large  et  pro- 
fonde pour  l'histoire  du    Droit  commercial. . 

Trois   idées    principales   dominent    la    matière    que 
nous  traitons. 


INTRODUCTION.  xlvij 

Il  fallait  marquer,  premièrement,  les  faits  exté- 
rieurs, les  causes  politiques,  morales,  religieuses,  qui 
caractérisent  les  grandes  Époques  de  l'histoire  du  droit  ; 

Secondement,  faire  connaître  les  monuments  des 
lois,  des  coutumes,  des  jurisconsultes  influents  de 
chaque  période; 

Troisièmement  ,  déterminer  pour  chaque  Époque 
les  résultats  acquis  à  l'histoire  ,  à  la  théorie  du 
droit. 

Ainsi , 

Faits  extérieurs  et  causes  de  l'ordre  politique  ou 
moral  ; 

Monuments  du  droit  et  de  la  doctrine  ; 

Résultats  : 

Telle  est  la  loi  apparente  ou  cachée,  mais  invaria- 
ble ,   de  notre  méthode. 

Les  RÉSULTATS  auxqucls  concourent  toutes  les  par- 
ties de  ce  livre  ont  été  distribués ,  pour  les  grandes 
périodes  de  l'histoire  du  droit,  depuis  les  XII  Tables 
et  le  droit  Prétorien  jusqu'au  Code  civil  et  au  Droit 
du  xix^  siècle ,  sous  les  dénominations  et  dans  l'or- 
dre suivant  : 


xlviij  INTRODUCTION. 

I.  La  Cité,  sous  le  point  de  vue  politique  et  privé, 
et,  par  conséquent,  les  institutions  de  droit  public  et 
la  division  des  personnes  ; 

II.  La  Famille  ,  considérée  dans  sa  constitution 
PERSONNELLE ,  et  daus  sa  constitution  réelle  ou  re- 
lative aux  transmissions  de   biens; 

III.  La  Propriété,  les  moyens  d'acquérir; 

IV.  Les  Obligations  ; 

Y.  Les  Institutions  et  Actions  judiciaires  ; 
VI.  La  Culture  et  l'Enseignement  du  Droit  ; 
VIL  La  Philosophie  du  Droit. 

Cette  classification ,  avec  la  liberté  de  mouvement 
que  doit  se  réserver  l'écrivain  ,  embrasse  toutes  les 
sphères  du  droit  public  et  privé ,  et  permet ,  par  l'é- 
tendue des  idées  qui  se  rattachent  à  la  constitution 
de  la  Cité ,  de  lier  aux  révolutions  de  l'ordre  civil  , 
quand  l'histoire  le  réclame,  les  révolutions  de  l'ordre 
social ,  politique  ou  religieux. 

FIN  DE  l'introduction. 


HISTOIRE 


DROIT  CIVIL  DE  ROME 

ET 

DU  DROIT  FRANÇAIS. 

LIVRE    PREMIER. 
ÉPOQUE  ROMAINE, 

OU 

DROIT   CIVIL    DE  ROME. 


DIVISION  GÉNÉRALE   DE   l'ÉPOQUE    ROMAINE. 

L'histoire  politique  de  Rome  se  divise  en  deux  grandes 
parties  :  la  République  et  I'Empire. 

L'histoire  générale  du  Droit  romain  se  divise  aussi  en 
deux  grandes  parties  :  le  Droit  sous  la  République ,  ou 
le  Droit  civil  de  Rome  ;  le  Droit  sous  les  Empereurs , 
ou  le  Droit  Romain  proprement  dit. 

Le  Droit  civil  de  Rome  comprend  deux  périodes  :  la 
Loi  des  XII  Tables,  le  Droit  Prétorien. 

Le  Droit,  sous  l'Empire,  comprend  également  deux  pé- 


2  LIV.  I.   —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

riocles  notables  :  le  Droit  romain  de  l'Ecole  stoïcienne, 
à  partir  de  Labéon ,  sous  Auguste;  le  Droit  romain, 
sous  l'influence  chrétienne,  à  partir  de  Constantin. 

Ainsi , 

Droit  des  XII  Tables  ; 

Droit  Prétorien  (avec  ses  annexes,  savoir,  plébiscites, 
lois  spéciales ,  droit  non  écrit ,  droit  provincial  )  ; 

Droit  romain ,  de  l'Ecole  stoïcienne  ; 

Droit  romain,  sous  l'influence  chrétienne; 

Tels  sont  les  objets  et  les  quatre  grandes  périodes  que 
renferme  I'Èpoque  romaine. 

Notre  but  n'est  pas  de  présenter  ici  une  histoire  com- 
plète du  Droit  Romain.  Mais  nous  voulons  déterminer 
les  caractères  de  chaque  période ,  en  nous  attachant  plus 
spécialement  aux  deux  premières.  Nous  voulons  suivre  le 
mouvement  qui  part  de  l'unité  romaine,  marquer  le  pro- 
grès qui  s'accomplit  dans  les  faits  et  les  idées ,  et  recon- 
naître cette  philosophie  du  Droit  romain  et  du  Christia- 
nisme ,  qui ,  après  avoir  contribué  à  la  civilisation  du 
monde ,  conservera  toujours  une  légitime  influence  sur 
les  législations  modernes. 

Le  Droit  civil  de  Rome  se  divise  théoriquement  en 
droit  public  et  droit  privé. 

L'histoire  des  institutions  politiques ,  jusqu'aux  temps 
de  la  confusion  et  des  déchirements  causés  par  les  guer-, 
res  civdes  du  vii^  siècle,  est  pour  nous  une  préparation 
nécessaire  à  l'histoire  du  Droit  privé  sous  la  République. 

Ce  sera  l'objet  de  notre  premier  chapitre.  Trop  d'om- 
bre resterait  sur  la  suite  de  nos  idées,  sans  cet  exposé  ou 
ce  résumé  préliminaire  des  institutions  et  dos  faits  de  l'or- 
dre politique. 


INSTITUTIONS  DE  L  ORDRE    POLITIQUE. 

CHAPITRE  r. 

TABLEAU  DES  INSTITUTIONS   DE  L'ORDRE  POLITIQUE  ,   JUSQU'A 
L'ÉPOQUE  DES  GUERRES  CIVILES. 


SECTION  r\ 

.DEPUIS  LA.  FONDATIOS  DE  ROME  JUSQUES  AU  IV'  SIECLE    [305]. 

I.  —  L'antique  Italie  renfermait  dans  son  sein  une 
multitude  de  peuples  et  de  races.  Les  uns,  indigènes, 
habitaient  les  plaines  et  les  montagnes  ;  les  autres ,  d'o- 
rigine étrangère,  occupaient  les  bords  de  la  Méditerra- 
née et  de  l'Adriatique ,  et  formaient  des  colonies  grec- 
ques ,  des  cités  pélasgiques ,  indépendantes  des  peuples 
qui  les  avaient  envoyées.  La  race  pélasgique ,  dispersée 
après  le  siège  de  Troie ,  était  originaire  de  l'Orient  ;  elle 
était  sortie  de  l'Indostan  * .  Les  rapports  découverts  de 
nos  jours,  par  la  philologie,  entre  les  mots  primordiaux 
du  Sanscrit,  dont  les  Pélasges  étaient  les  propagateurs, 
et  les  mots  primitifs  du  grec  et  du  latin  ,  prouvent  tout 
à  la  fois  l'origine  de  leur  race  voyageuse  et  la  réalité  de 


1  Les  anciennes  traditions  représentaient  les  Pélasges  comme  une 
race  persécutée  par  les  puissances  célestes,  et  livrée  à  des  maux  infi- 
nis. {Denys  d'Halic.^  liv.  i.  ch.  17.) 

Ceux  qui  regardent  les  Pélasges  du  centre  de  l'Italie  comme  origi- 
naires de  l'Orient ,  les  font  arriver  de  la  Thessalie  ;  Strabon  (  liv.  v  ) 
dit  indifféremment  Pélasges  ou  Thessaliens.  {JNiebuhr,  l.  42-43.  ) 


4  LIV.  I.  — ÉPOQUE  ROMAINE. 

leurs  établissements.  Cette  race  persécutée  avait  fondé 
Tyr ,  et  y  avait  déposé  les  caractères  de  l'écriture.  Elle 
s'était  reposée  sur  les  côtes  de  la  Grèce,  et  l'écriture  grec- 
que fut  identique  à  l'écriture  phénicienne.  Elle  avait  pé- 
nétré dans  l'Etrurie  ^ ,  et  les  caractères  étrusques  re- 
produisirent les  signes  de  l'écriture  grecque.  La  lan- 
gue latine,  plus  encore  que  les  autres  ,  a  puisé  ses  raci- 
nes dans  la  langue  sanscrite,  dont  les  monuments  recon- 
nus remontent  à  1500  ans  avant  l'ère  chrétienne,  et  par 
conséquent ,  à  700  ans  avant  la  fondation  de  Rome.  Ce 
rapport  d'identité,  que  la  science  des  orientalistes  vient 
de  révéler  avec  éclat ^  ,   atteste  une  antique  fraternité 

2  Une  foule  de  témoignages  atteste  que  sur  la  côte  d'Étrurie  iî  y 
avait  des  Pélasges.  Il  y  a  unanimité  aussi  pour  représenter  Cœré  comme 
ayant  été  ,  sous  le  nom  ài'AgyUa,  une  ville  des  Pélasges  ;  depuis  ,  elle 
fut  une  ville  étrusque ,  la  ville  de  Cœré  ,  où  les  vestales  portèrent  les 
choses  saintes  à  l'approche  des  Gaulois. 

L'Enéide  a  contribué  surtout  à  établir  l'opinion  de  l'identité  des 
Grecs  et  des  Pélasges. — Niebuhr,  qui  démontre  l'erreur  de  cette  opi- 
nion ,  n'admet  pas  cependant  la  tradition  qui  regarde  les  Pélasges 
comme  des  peuples  errants.  A  ses  yeux,  les  Pélasges  composaient  des 
nations  assises  sur  leur  territoire ,  puissantes  et  glorieuses  ,  habitant 
depuis  le  Pô  et  l'Arno  jusqu'au  Bosphore  ,  à  une  époque  qui  précède 
l'histoire  des  Hellènes  (t.  1.  p.  75)  ;  et  cependant  il  rapporte  d'abord 
(p.  41),  sans  la  combattre  ,  l'ancienne  tradition  qui  représente  la  race 
pélasgique  comme  errante  et  persécutée. — M.  Michelet  suit  les  traces 
de  Niebuhr  ;  mais  il  reconnaît  le  caractère  de  colonisalion  qui  appar- 
tient aux  industrieux  Pélasges  ,  et  leurs  courses  aventureuses.  «  L'o- 
rigine de  Rome  était  pélasgique ,  dit-il  ;  après  la  ruine  de  Troie ,  Énée 
avait  apporté  dans  leLatium  les  pénates  et  le  feu  de  Vesta.  Rome  ho- 
norait l'îlede  Samothrace  comme  sa  mère.  «  {Rrp.  rom.,  1.  21. )M.  Gi- 
raud  admet  le  rapport  de  l'Etrurie  avec  l'Orient.  (  Recherches  sur  le 
droit  de  propriété ,  t.  1.  p.  106.  ) 

3  Voir  les  tableaux  de  M.  Eichoff ,  et  un  tableau  fort  restreint  dressé 
par  M.  Burnouf  et  reproduit  par  M.  Michelet ,  t.  t ,  aux  notes. 


CHAP,  I.  INSTIT.  DE  LORDRE  POLITIQUE.  SECT.  I.        5 

des  peuples  de  l'Italie  avec  les  peuples  émigrés  des  Indes-  ' 
Orientales  ;  et  d'antiques  traditions ,  que  nous  aurons  à 
signaler  plus  tard,  indiquaient  aussi  les  rapports  de  plu- 
sieurs peuples  établis  en  Italie,  des  Oiiibriens,  par  exem- 
ple, avec  les  nations  de  race  celtique. 

La  race  romaine  s'est  formée  de  plusieurs  éléments 
combinés  : 

1**  Les  Latins,  habitants  du  vieux  Latium  ,  appelés 
Ramnenses,  qui,  de  Ramnès  ouRomulus,  leur  chef ,  don- 
nèrent le  nom  de  Rome  à  la  vdle  fondée  sur  le  mont  Pa- 
latin ; 

2"  Les  Sabins ,  appelés  Titlemes ,  de  Tatius ,  roi  des  Sa- 
bins,  lesquels  habitaient  le  mont  Quirinal  ; 

3^  Les  Etrusques,  appelés  aussi  Lucerenses ,  du  nom  de 
leur  principale  magistrature,  selon  Cicéron  *  ; 

4"  Les  fugitifs  des  diverses  parties  de  l'Italie ,  les  pâ- 
tres, les  débiteurs,  les  esclaves,  qui  avaient  cherché  un 
refuge  dans  la  ville  nouvelle,  où  Romulus  avait  consacré 
un  heu  au  droit  (fasyle  ^. 

La  race  latine  et  sabine  est  représentée,  dans  l'his- 
toire, par  le  patriciat  guerrier  ;  la  race  étrusque  par  le  pa- 
triciat  sacerdotal  6,  De  leur  association  est  sortie  la  classe 
primitive  des  patriciens. 

4  Luceres,  Lucerences...,  de  nomine  Lucumonis.  Rep.,  11.8.  20. 
Selon  Niebuhr  (1.  419),  cette  dénomination  vient  d'un  nom  de 

lieu,  Lucer,  sur  le  montCœlius,  où  furent  postérieurement  établis  les 
Albains. 

Il  faut  se  rappeler,  quand  on  lit  les  Origines  dans  Niebuhr ,  que  l'i- 
magination ,  avec  ses  créations  hardies ,  vient  souvent  chez  lui  en  aide 
à  l'érudition. 

5  Tit.  Liv.,  lib.  i.  cap.  8.  Denys  d'Halic,  liv.  ii.  ch.  6. 

6  n  Les  pontifes ,  tant  qu'on  les  prit  dans  les  grandes  familles  pa- 


6  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

Les  réfugiés ,  qui  ont  profité  de  l'asyle  ouvert  par  Ro- 
mulus ,  sont  placés  sous  la  protection ,  sous  le  patronage 
des  patriciens,  et  deviennent  leurs  clients.  Leur  classe  in- 
férieure ,  grossie  d'émigrations  nouvelles  et  des  peuples 
vaincus  que  Rome,  dans  les  premiers  temps,  incorporait 
à  la  cité  '  ,  forme  la  classe  nombreuse  des  plébéiens.  — 
Là  se  trouve  à  sa  source  la  grande  division  des  patriciens 
et  des  plébéiens ,  des  patrons  et  des  clients.  Il  ne  serait  pas 
exact  d'en  conclure  que  tous  les  plébéiens ,  cependant , 
furent  confondus  dans  la  classe  des  clients.  Plusieurs  fa- 
milles plébéiennes,  d'origine  latine,  sabine  ou  étrusque, 
gardèrent  sans  doute  leur  position  indépendante ,  quoi- 
que inférieure  ;  et  c'est  autour  d'elles  que  se  rangèrent  les 
plébéiens  dans  les  luttes  qui  éclatèrent  par  la  suite. 

IL  —  A  cette  origine  de  Rome,  à  cette  distinction  des 
races  primitives,  au  partage  de  Vager  romanus  en  trois 
parties,  se  rapporte  la  première  division  du  peuple  en  trois 
TRIBUS,  ceWes  des  Ramnenses  ^  des  Titienses ,  des  Luceres, 


»  triciennes  (  c'est-à-dire  jusqu'à  l'an  453  ,  où  les  plébéiens  furent  ad- 
»  mis  au  pontificat  ) ,  étaient  sans  doute  le  plus  souvent ,  en  qualité  de 
»  chefs  de  la  religion,  originaires  de  l'Étrurie,  comme  peut-être  Numa 
«lui-même,  comme  les  institutions  pieuses  qu'il  avait  apportées  à 
"Rome. 

u  On  trouve  le  caractère  étrusque  dans  un  grand  nombre  deç  anti- 
«  ques  récits  (  sur  les  premiers  temps  de  Piome).  Tullus  Hostilius , 
»  Servius,  les  Tarquins,  sont  Étrusques.  Tite-Live,  quoiqu'il  n'indi- 
»  que  pas  ses  sources ,  puise  évidemment  dans  les  Annales  des  ponti- 
))  fes ,  à  la  fois  étrusques  et  pontificales  ,  tout  ce  qui  répand  sur  sa  nar- 
»  ration  un  air  vénérable  d'antiquité  religieuse,  de  tradition  sainte.  » 
{Mémoire  sur  les  Annales  des  Ponlifes,par  M.  V.  Leclcrc,  de  l'Inslilul, 
p.  37.) 

7  Tit.  Liv.,  lib.  i.  cap.  10  et  11. 


CHAP.  I.  INSTIT.  DE  LORDRE  POLITIQUE.    SECT.  1.        7 

dont  Varron ,  Cicéron  et  Tite-Llye  nous  ont  transmis  le 
souvenir  ^.  Les  réfugiés  furent  d'abord  incorporés  dans 
les  trois  tribus  et  attachés  par  les  liens  de  la  clientelle  aux 
familles  patriciennes. 

Chaque  tribu  eut  son  augure.  Les  trois  tribus  furent 
divisées  en  trente  curies ,  lesquelles  avaient  chacune  leur 
quartier  dans  Rome ,  leur  temple ,  leurs  sacrifices ,  leur 
prêtre  ou  curion   (^magisler  curiœ.) 

.  Le  sénat  romain ,  composé  d'abord  de  cent  sénateurs , 
le  fut  de  deux  cents ,  après  la  réunion  des  Sabins  de  Ta- 
tius  ;  de  trois  cents ,  sous  le  règne  de  Tarquin-l'Ancien , 
qui  choisit ,  au  rapport  de  Tite-Live ,  cent  sénateurs  nou- 
veaux parmi  les  principaux  plébéiens^.  Les  sénateurs 
s'appelaient  patres,  et  leurs  descendants  patricii.  Les  sé- 
nateurs étaient  les  fondateurs  ou  les  soutiens  de  leur  race 
patricienne,  gentis  palriciœ.  Mais  les  descendants  des  pre- 
miers sénateurs  s'appelaient  patricii  majorum  geniium  ,  et 
les  descendants  des  cent  sénateurs  créés  par  Tarquin  s'ap- 
pelaient patricii  minorum  gentium.  Les  patriciens  majorum 
geniium  avaient  le  privilège  de  donner  à  Rome  les  vesta- 
les ,  les  augures ,  les  féciaux ,  les  collèges  des  prêtres ,  le 
grand-pontife  et  ses  quatre  collègues ,  chargés  d'écrire  les 
annales  de  la  Cité  ;  privilège  qui  maintint  long-temps  la 


8  Varro,  de  Ling.  lat. ,  lib.  iv.  9.  'Cicer. ,  de  Republ. ,  lib.  ii.  nis  8 
et  20.  Tit.  Liv.,  lib.  x.  6  :  Quum  inter  augures  constet  imparem  nu- 
merum  debere  esse,  ut  très  antiquae  tribus,  Ranines,  Titienses , 
Luceres,  suuni  quaeque  augurera  habeant. 

9  Tite-Live  (i.  cap.  35). 

Il  est  difficile  de  concilier  ce  choix  avec  rélection  de  dix  sénateurs 
par  chacune  des  trente  curies ,  selon  l'opinion  de  Niebuhr. 


8  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

distinction  primitive  *o.  Le  patriciat  était  héréditaire. 
—  Les  plébéiens  qui  furent,  dans  la  suite,  appelés  au 
sénat  devenaient  nobles  et  non  patriciens  ^  * . 

Dans  les  premiers  temps,  les  patriciens  avaient-ils  seuls 
la  GENS?  —  C'est  une  question  controversée.  Les  gentiles 
sont  placés,  dans  les  fragments  de  la  Loi  des  XII  Tables, 
immédiatement  après  les  agnats  ;  et  nulle  distinction  en- 
tre les  droits,  soit  des  agnats,  soit  des  gentils,  n'existait 
par  rapport  aux  familles  patriciennes  et  plébéiennes.  La 
loi  suppose  des  gentils  comme  elle  admet  des  agnats  tant 
dans  les  unes  que  dans  les  autres.  C'est  l'ingénuité  {comme 
on  le  verra  dans  notre  chapitre  sur  la  famille  romaine), 
et  non  l'origine  patricienne ,  qui  était  la  condition  essen- 
tielle de  la  gens.  La  définition  des  gentiles ,  donnée  par 


10  Cic,  de  Divinat.,  lib.  il. 

Jusqu'à  l'an  453,  il  n'y  eut  que  quatre  pontifes  et  le  pontife  Maximus. 
Par  la  loi  Ogulnia ,  on  ajouta  quatre  nouveaux  pontifes ,  pour  partager 
le  pontificat  avec  les  plébéiens.  —  Les  Grandes  Annales ,  Maximi  An- 
nales ,  Annales  publici ,  ponlificiim  Commentarii,  étaient  ainsi  appelées 
du  grand-pontife ,  qui  en  était  le  rédacteur  officiel.  Elles  paraissent 
avoir  été  rédigées  régulièrement  à  partir  de  Tan  350  ;  mais  elles  exis- 
taient auparavant,  ainsi  qu'il  résulte  de  plusieurs  documents. (^^■<. -Lit)., 
4.  3.  fait  de  VanSlO.)  Les  faits  et  la  tradition  enregistrés  par  le  grand- 
pontife  remontaient  à  la  fondation  de  Rome  :  Polybe  les  cite  pour  la 
dote  de  la  fondation.  L'usage  de  leur  exposition  publique  cessa  vers 
l'an  623  de  la  République.  {Mémoire  sur  les  Annales,  par  M.  V.  Le- 
clerc,  p.  101-110.) 

11  Cic,  de  Rep.,  lib.  ii.  n°  20. 
Aulu-Gell.,x.  20. 
Niebuhr,  1.  421. 

Ce  sont  les  sénateurs  nommés  après  l'expulsion  des  rois ,  sous  le 
consulat  de  J.  Brutus  ,  qui  furent  appelés  conscripli ,  d'où  vint  la  déno- 
mination générale  de  patres  conscripli. 


CHAP.  I.  INSTIT.  DE  LORDRE  POLITIQUE.  SECT.  1.        9 

Cicéron,  en  est  la  complète  démonstration*^.  Mais  les 
genfes  patriciennes  étaient  les  plus  nombreuses  et  les  plus 
influentes.  La  gentilité  formait  un  lien  politique,  reli- 
gieux et  civil ,  entre  tous  les  hommes  sortis  d'une  même 
origine* 5.  —  Chaque  gens  avait  ses  sacrifices  en  com- 
mun (sacra  gentUitia  ) ,  ses  tombeaux  ;  et  vers  la  fin  de  la 
République ,  Cicéron  disait  encore,  en  parlant  de  lui  et  de 
son  frère,  et  en  montrant  les  bords  du  Fibrène  :  «■  Nous 
sommes  né,?»  sur  ces  bords  d'une  souche  très-antique;  là 
sont  pour  nous  les  sacrifices ,  la  race  et  les  nombreux  ves- 
tiges de  nos  ancêtres  :  Hinc  orti  stirpe  antiquissima  su- 
mus;  hic  sacra,  hic  genus,  hic  majorum  multa  vesti- 
gia*'».  » 

m.  —  Les  trente  curies  des  premiers  âges  se  compo- 
saient ,  selon  Niebuhr,  d'un  certain  nombre  de  gentes  ou 
familles  politiques.  Les  votes  des  curies  auraient  eu  lieu, 
dans  ce  système ,  non  par  citoyen  ,  mais  par  chef  de  fa- 
mille politique.  L'opinion  de  Niebuhr  est  contraire  aux 
faits  et  à  l'opinion  consignés  dans  Tite-Live  :  elle  peut  donc 


12  Cic,  Top.  6.  Gentiles  qui  inter  se  eodem  nomine  sunt,  qui  ah in- 
genuis  oriundi  sunt 

13  Varro ,  de  Ling.  lat.,  vu.  2.  Ab  ^milio  homines  orti  vEniilii  ac 
genliles. 

14.  Cic,  de  Rep.,  i.  6.  — DeLegibus,  ii.  1.  Genus  est  employé  sou- 
vent pour  gens.  —  Niebuhr  considère  la  gens  comme  la  famille  politi- 
que; et  la  gens  pour  lui  est  exclusivement  patricienne.  Son  système  a 
été  combattu  par  M.  Ortolan  ( /ns(.  comment,  m.  49,  et  Revue  de  légis- 
lation ,  t.  2.  p.  263  ) ,  qui  en  a  montré  le  côté  vulnérable.  M.  Ortolan 
propose  un  système  nouveau  qui  réduit  le  droit  de  gentilité  à  la  famille 
affranchissante  dans  ses  rapports  avec  la  famille  affranchie.  Nous  trai- 
terons ce  sujet  dans  le  chapitre  sur  la  famille  romaine. 


10  LIV.  1,  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

rester  seulement  comme  un  objet  de  controverse*^. 
Mais  ce  qui  est  au  dessus  de  toute  contradiction,  c'est  l'in- 
fluence prédominante  exercée  par  les  patriciens  dans  les 
comices  par  curies.  —  En  laissant  à  l'écart  la  question 
du  vote  par  tête  ou  par  gens,  on  voit  que  les  patriciens 
avaient  une  grande  supériorité  d'influence  :  1°  par  les 
auspices,  qui  dépendaient  d'eux  seuls  en  vertu  de  leur 
qualité  d'augures;  21"  par  l'examen  préalable  des  proposi- 
tions et  le  droit  de  sanction  qui  appartenaient  au  sénat  *6. 
IV.  —  Dès  les  premiers  temps,  la  misère  des  plébéiens 
fut  grande.  L'agriculture  et  la  guerre  étaient  les  deux  seules 
occupations  permises  aux  citoyens.  Les  arts  mécaniques , 
les  travaux  mercantiles,  les  métiers  sédentaires,  étaient 
abandonnés  aux  esclaves  et  aux  derniers  de  la  classe  du 
peuple.  Cicéron  rappelle ,  dans  sa  République,  que  pour 
soulager  la  misère  des  citoyens,  Numa  fit  une  distribution 
des  terres  conquises  et  des  terres  publiques  ^  '^  ;  son  exem- 
ple fut  suivi.  Mais  les  terres  revenaient  bientôt  aux  riches, 
par  suite  des  dettes  que  contractait  le  pauvre;  et  la  classe 


15  Tite-Live  dit  que  les  suffrages  étaient  pris  par  tête  ;  ce  qui  don- 
nait à  tous  les  mêmes  droits.  (Lib.  i.  cap.  43.  ) 

M.  Giraud,  Histoire  du  Droit  rom.,  a  suivi  le  système  de  Niebuhr , 
sur  la  composition  des  curies  (  p.  50.  ) 

16Tit.  Liv.,  lib.  i.  cap.  17-22-23.  Kieburh  ,  t.  2.  p.  46. 

17  Cic,  de  Rep.,  lib.  ii.  11.  Denys  d'Halic,  liv.  ii.  ch.  16.  Plutar- 
que.  —  Vie  de  ]\uma. 

Des  terres  du  domaine  royal  furent  aussi  distribuées  au  peuple  par 
Tullus  Hostilius.  {Denys  d'Halic,  liv.  m.  ch.  1.  ) 

—  Une  autre  distribution  de  tetres  eut  lieu  sous  Ancus.  (  Cic,  Ref^, 
lib.  II.  no  18.  ) 

Ancus  enferma  l'Aventin  dans  l'enceinte  de  Rome,  et  y  plaça  les 
Latins  incorporés  à  la  cité ,  comme  plébéiens.  (  Niebuhr ,  t.  2.  p.  145.) 


CHAP.  I.  INSTIT.  DE  LORDRE  POLITIQUE.  SECT.  I.      11 

plébéienne  eut  sa  partie  infime  et  nombreuse,  qui  se  com- 
posa des  prolétaires. 

V.  —  Servius  Tullius  frappa  la  classe  prolétaire  d'im- 
puissance politique ,  et  modifia  profondément  la  constitu- 
tion de  la  Cité. 

L'établissement  du  Cens  [176],  registre  public  dans  le- 
quel chaque  chef  de  famille  faisait  inscrire,  tous  les  cinq 
ans ,  les  personnes  de  sa  famille  et  la  quotité  de  ses  biens 
meubles  et  immeubles,  la  division  du  peuple  en  1 93  Centu- 
ries et  en  six  Classes  qui  les  comprenaient,  enfin  la  création 
des  Comices  ^âr  centuries,  apportèrent  dans  la  Constitution 
politique  un  grand  changement.  Le  cens  mit  en  évidence, 
dans  la  société  romaine ,  un  nouvel  élément ,  la  richesse. 
L'aristocratie  de  la  richesse  fut  associée  par  Servius  Tul- 
lius à  faristocratie  du  patriciat;  la  division  par  centuries 
et  par  classes  fut  fondée  sur  l'inégalité  des  patrimoines. — 
Les  Assemblées  par  centuries  enlevèrent  le  pouvoir  légis- 
latif aux  Curies;  mais  les  comices  par  curies,  cependant,  ne 
furent  pas  abolis.  C'est  par  eux  que  les  pontifes  faisaient 
statuer  sur  les  matières  religieuses;  ces  comices  étaient 
convoqués ,  deux  fois  par  an ,  pour  les  solennités  des 
adrogations  ou  des  testaments ,  actes  civils  et  politiques 
des  citoyens;  ïimperium  était  aussi  conféré  aux  Généraux 
par  une  loi  Curiate. 

La  pensée  créatrice  des  comices  par  centuries  résidait 
dans  la  distribution  des  centuries  et  des  classes. 

La  1""^  classe,  composée  de  98  centuries,  supposait  un 
cens  ou  patrimoine  de 100,000  as. 

La  T  classe 21  centuries  .     75,000 

La  3^  classe 21  centuries  .     30,000 

La  4^  classe 21  centuries  .     23,000 


12  LIV.  1.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

La  5^  classe 31  centuries  .     11,000  as. 

La  6*^  classe  se  composait  des  prolétaires ,  des  capite 
ceïisi^  qui  n'avaient  pas  de  patrimoine  appréciable* s. 

Les  comices  par  centuries  eurent  trois  grands  objets  : 
la  nomination  des  magistrats  qualifiés  majores,  le  vote  des 
lois ,  les  jugements  en  matière  criminelle  par  suite  de  l'ap- 
pel au  peuple.  On  consultait  les  auspices  avant  les  opé- 
rations, et  si  même  les  augures  déclaraient  que  les  auspices 
étaient  vicieux ,  les  actes  de  l'assemblée  étaient  annulés. 

Pendant  la  tenue  des  comices ,  on  recueillait  d'abord 
les  suffrages  dans  chaque  centurie ,  en  suivant  l'ordre  des 
classes;  et,  pour  déterminer  le  résultat  définitif  des  votes, 
on  ne  donnait  qu'une  voix  à  chacune  des  centuries  vo- 
tantes. La  première  classe,  qui  comprenait,  selon  la  tra- 
dition commune ,  quatre-vingt-dix-huit  centuries ,  c'est- 
à-dire  plus  que  la  majorité,  ou  quatre-vingt-huit,  selon 
Cicéron,  c'est-à-dire  un  peu  moins  que  la  majorité,  vo- 
tait avant  les  autres  classes.  Celles-ci  n'étaient  successi- 
vement appelées  à  voter  qu'en  cas  de  division  dans  les 


18  II  y  a  divergence  sur  quelques  points  entre  Denys  d'Halicarnasse , 
Tite-Live,  Cicéron.  {Rep.,  ii.  22.) 

Nous  avons  suivi  la  tradition  commune  donnée  par  Denys.  —  Selon 
Cicéron ,  qui  devrait  avoir  le  plus  d'autorité ,  la  première  classe  ne  com- 
prenait que  88  centuries;  ce  qui  nécessitait  le  concours  de  8  centuries 
des  classes  suivantes  pour  la  majorité.  Selon  Tite-Live  ,  il  y  avait  194 
centuries. 

Niebuhr  croit  devoir  même  en  compter  195.  Les  prolétaires  et  les 
capile  censi,  dans  son  système,  ne  formaient  pas  une,  mais  deux  cen- 
turies. En  cela ,  il  est  contraire  à  N  Grucchius  ,  qui  admet  aussi  une 
distinction  entre  les  prolétaires  et  les  capile  censi ,  mais  en  les  compre- 
nant en  une  seule  centurie.  (De  Comil.Rom.  i.  —  In  Sigonio.  Hislor., 
de  rébus  Bononiens. ,  p.  685 ,  édit.  1604.  ) 


CHAP.  1.  I>'STIT.  DE  l'oRDRE  POLITIQUE.  SECT.  1.      13 

centuries  de  la  première  ou  des  premières  classes.  La 
sixième,  qui  embrassait  la  populeuse,  mais  unique  cen- 
turie des  prolétaires ,  n'avait  point  de  participation  active 
au  résultat  des  délibérations.  —  Dans  la  suite ,  le  mode 
d'opération  fut  moins  aristocratique.  Le  sort  indiquait  la 
centurie  qui  devait  voter  la  première ,  et  qui  recevait  de 
cette  priorité  la  qualification  de  prerogativa. 

Les  classes  de  citoyens  établies  au  cens  payaient  les 
impôts  publics  proportionnellement  à  leurs  richesses  : 
la  surveillance  du  Trésor  était  confiée  à  des  questeurs , 
institués  sous  les  rois,  dit  Tacite,  comme  on  le  voit  par 
la  loi  Curiate  que  Brutus  renouvela*-'.  La  classe  des 
prolétaires  fut  exempte  de  tributs;  de  là  le  nom  de  ca- 
pite  censi.  Elle  fut  même  exemptée  ou  privée  du  droit  de 
milice  jusqu'au  temps  de  Marins ,  qui,  le  premier,  enrôla 
les  prolétaires  dans  les  légions  romaines. 

Le  mont  Esquilin  fut  compris  dans  l'enceinte  de  la  ville, 
et  livré  au  petit  peuple,  qui  forma  la  tribu  esqniline.  Les 
tribus  urbaines  furent  ainsi  portées  au  nombre  de  qua- 
tre, qui  correspondaient  à  la  division  de  Rome  en  cer- 
tains quartiers 20.  Mais,  de  plus,  le  territoire  romain  fut 
partagé  en  vingt-six  tribus  rustiques  selon  diverses  cir- 
conscriptions établies  dans  la  campagne  de  Rome  ,  à  me- 
sure que  \ager  romanus  s'étendait  par  la  conquête  ;  ces 
tribus  rurales ,  qui  furent  depuis  au  nombre  de  trente  et 
une ,  étaient  désignées  d'après  la  dénomination  du  lieu  ou 


19  Quœstores  regibus  etiam  tum  imperantibus  instituti  sunt;  quod 
Lex  Curiata  ostendit  ab  L.  Bruto  repetita.  (  Tac,  Annal.,  xi.  22.  ) 

20  Les  quatre  tribus  s'appelaient  Subnrrana,  Palalina,  Collina,  Es- 
quilina.  (  Gravina  ,  de  Ortii  et  Progr.,  cap.  9.  ) 


14  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

les  noms  de  quelque  grande  famille'^*.  Les  citoyens  dis- 
tingués, répandus  dans  la  campagne  de  Rome,  se  trou- 
vaient toutefois  inscrits  dans  les  tribus  de  la  ville ,  alors 
réputées  les  plus  honorables.  —  Les  curies  ne  devinrent 
point,  comme  les  tribus,  une  division  qui  s'appliquât  au 
territoire  rural  de  la  cité.  Elles  furent  toujours  concen- 
trées dans  les  murs  de  Rome;  et  lorsqu'à  une  époque  pos- 
térieure ,  le  régime  municipal  se  généralisera  dans  le 
monde  romain ,  c'est  le  nom  antique  de  curie  qui  repré- 
sentera l'organisation  intérieure  des  Cités. 

La  richesse  du  patrimoine,  en  devenant  un  avantage  po- 
litique, d'après  la  constitution  de  Servius  ïullius,  ne  mit 
pas  les  patriciens  hors  de  la  première  Classe ,  car  ils  pos- 
sédaient la  plus  grande  masse  de  propriétés  territoriales; 
mais  elle  fit  surgir  dans  l'État ,  avec  une  nouvelle  impor- 
tance, l'Ordre  des  ChevaUers.  La  possession  d'une  fortune 
déterminée  devint  une  condition  indispensable  pour  en- 
trer dans  cet  Ordre  honorable,  lequel  se  développa  de  plus 
en  plus  comme  un  Ordre  intermédiaire  entre  les  patriciens 
et  les  plébéiens.  Le  taux  de  fortune  nécessaire  s'éleva  pro- 
gressivement à  400,000  sesterces,  ce  qui  paraît  corres- 
pondre au  cens  de  la  2*  classe -2. 

Entre  la  réforme  de  Servius  Tullius ,  à  Rome ,  et  celle 
de  Solon ,  à  Athènes ,  il  y  a  une  relation  de  temps  et  de 

21  Par  exemple  ,  les  tribus  Romilie,  Cruslumine ,  d'après  des  noms 
de  lieu  ;  les  tribus  Fabienne,  Horaiienne,  d'après  des  noms  de  famille. 

22  Les  400,000  sesterces  valaient  77,496  fr.  de  notre  monnaie;  ce 
qui  représente  à  peu  près  la  valeur  des  75,000  as  de  poids ,  taux  de  la 
2«  classe  des  centuries.  (L'as  de  cuivi'e  ,  d'airain  ou  de  bronze  pesait 
une  livre  entière  ).  {Nicbuhr,  t.  2.  p.  210.  )  D.  Delamalle  ,  1.  ch.  3. 


CHAP.  I.  INSTIT.  DE  l'oRDRE  POLITIQUE.  SECT.  I.      15 

choses  qui  frappe  vivement  l'esprit  par  les  rapports  et  les 
différences,  —  La  réforme  de  Solon  est  de  l'an  1 60  de 
Rome  [594  ans  avant  J.-C]  ;  la  réforme  de  Servius 
commence  vers  l'an  1 80  ;  elle  s'accomplit  dans  les  vingt 
années  qui  suivent. 

Solon  abolit  ou  réduit  les  dettes  des  citoyens ,  en  chan- 
geant la  valeur  du  signe  monétaire  ;  —  Servius  fait  mieux  : 
il  paie ,  avec  les  ressources  du  trésor  royal ,  les  dettes  des 
débiteurs  obérés  ou  menacés  d'esclavage,  et  il  institue  le 
signe  monétaire ,  en  faisant  frapper  Vas  romain  d'une  em- 
preinte publique^'. 

Solon  maintient  la  division  en  curies  et  en  quatre  tri- 
bus; Servius  porte  au  nombre  de  quatre,  les  tribus  de  la 
ville. 

Solon  partage  les  citoyens  en  quatre  classes ,  d'après 
l'importance  des  revenus  ;  dans  la  dernière  il  renferme 
fes  citoyens  qui  avaient  un  revenu  très-faible,  et  qui 
étaient  désignés  sous  le  nom  de  Thètes  (vivant  de  leur  tra- 
vail )  ;  il  déclare  les  citoyens  des  trois  premières  classes 
éligibles  à  toutes  les  magistratures  ;  à  ceux  de  la  qua- 
trième il  accorde  le  droit  de  voter  dans  les  assemblées  du 
peuple  et  de  siéger  comme  juges  dans  les  tribunaux.  C'est 
la  constitution  d'une  Cité  commerçante  et  démocrati- 
que 2^»,  —  Servius  Tullius  prend  aussi  pour  règle  de 
sa  distribution  en  six  Classes  le  recensement  de  toutes  les 


23  C'est  sons  Servius  Tullius  que  l'a*  fut  frappé  d'une  empreinte  re- 
présentant une  tête  de  bétail  (nota  pccudum  ,  d'où  pecunia).  Aupara- 
vant on  usait  de  Vœs  rude.  (  Plin.,  Hisl.  nat.,  lib.  xxxiii.  cap.  3.  ) 

24  Voir  Plutarque ,  Vie  de  Solon,  §  30-32. 
Pastoret,  Hist.  de  la  Législation  ,  t.  6.  p.  171  et  suiv. 


16  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

fortunes;  mais,  réformateur  dans  une  Cité  non  commer- 
çante ,  il  ne  s'attache  pas  aux  revenus  ,  élément  mobile 
et  variable ,  il  prend  pour  base  la  valeur  capitale  du  pa- 
trimoine :  législateur  dans  une  Cité  aristocratique  ,  il 
attribue  le  droit  d'élection  à  tous  les  citoyens ,  en  le  pa- 
ralysant dans  la  Classe  dernière  ,  et  il  réserve  exclusive- 
ment à  l'Ordre  des  patriciens,  soit  l'admissibilité  aux  char- 
ges publiques ,  soit  l'exercice  des  fonctions  judiciaires. — 
Entre  les  deux  républiques  de  la  Grèce  et  de  l'Italie  il  y  a 
reflet  d'institutions  analogues  et  peut-être  imitation  de  la 
part  de  Servius  ïullius  ;  mais  au  sein  des  deux  constitu- 
tions politiques  vit  un  esprit  profondément  distinct,  qui  se 
révélera  aussi ,  par  des  différences  caractéristiques ,  dans 
les  mœurs,  les  institutions  et  les  principes  de  la  société 
civile. 

VI.  —  L'institution  des  Consuls  remplaça  un  roi  électif 
et  à  vie  par  deux  rois  annuels  [2i3].  Les  Consuls ,  éligi- 
bles  à  43  ans,  exerçaient  les  pouvoirs  généraux,  en  con- 
sultant le  sénat.  Ils  étaient  investis  de  la  juridiction  civile 
et  criminelle  :  toutefois ,  l'appel  au  peuple  contre  les  sen- 
tences du  magistrat ,  rendues  en  matière  criminelle,  fut 
renouvelé  des  premiers  temps ,  par  le  consul  Yalerius  Pu- 
blicola,  en  faveur  des  citoyens  condamnés  à  des  peines  af- 
flictives,  la  mort  ou  les  verges^^  :  c'était  le  jus  iiberlalis 
[245]. 

25  Ne  quis  maqislralus  civcm  romanum  adversus  provocalionem  ne- 
caret  ,  neve  verbcrarel.  —  Cic. ,  de  Rep. ,  11.  31. 

Cicéron  prend  à  témoin  les  livres  ou  rituels  des  pontifes  ,  libri  pon- 
lificii  (différents  des  Grandes  Annales),  pour  constater  l'usage  de 
l'appel  au  peuple  sous  les  rbis.— Concernant  les  lois  Yaleriœ,  voir  les 
savants  ouvrages  sur  les  lois  criminelles  de  Rome,  par  M.  Laboulaye, 
ch.2;~sur  l'histoire  de  la  procédure  criminelle,  par  M.  F.  Hélie  (184.5). 


CHAP.  I.  INSTIT.  DE  l'oRDRE  POLITIQUE.   SECT.  I,     17 

La  condition  de  la  classe  plébéienne  n'avait  pas  chan- 
gé :  elle  était  toujours  assujettie  aux  patriciens,  qui  ré- 
gnaient par  le  sénat  et  les  consuls ,  qui  dominaient  par 
l'influence  de  la  richesse  et  des  auspices  dans  l'Assemblée 
des  centuries ,  qui  seuls  composaient  les  tribunaux  et  re- 
présentaient leurs  clients  en  justice. 

YII.  —  Un  débiteur  parut  sur  la  place  publique,  por- 
tant l'empreinte  des  fers  et  de  la  cruauté  d'un  créancier; 
le  peuple  s'émut  et_^se  retira  sur  le  Mont-Sacré  [260].  — 
La  retraite  sur  le  Mont-Sacré  est  le  premier  symptôme  et 
le  symptôme  éclatant  du  déchirement  des  deux  Ordres. 
Les  Tribuns  sont  créés  dans  les  Assemblées  par  curies,  où 
les  seuls  habitants  de  Rome  avaient  droit  de  suffrage; 
leur  personne  est  déclarée  inviolable;  le  peuple  est  né 
à  la  vie  politique. 

Un  grand  fait  s'est  donc  produit  dans  la  Cité  romaine: 
la  base  de  l'aristocratie  est  ébranlée.  Le  Patriciat ,  désor- 
mais, rencontrera  partout  l'opposition  tribunitienne,  l'in- 
flexible VETO.  Les  comices  par  Tribus  sont  institués  en 
vertu  de  la  loi  Publilia  [282],  pour  contrebalancer  les  co- 
mices par  Centuries  '^.  Sur  la  proposition  du  tribun 
Yolero ,  les  Tribus  de  la  campagne ,  exclues  des  comices 
par  curies,  furent  autorisées  à  donner  leurs  voix. dans 
les  comices  par  tribus.  Ces  comices  sont  créés  en  opposi- 
tion à  l'influence  du  patriciat  et  des  riches  citoyens "2^.  La 


26  II  y  avait  alors  30  tribus ,  qui  furent  portées  à  35  en  l'année  512. 

27  Gaius,  1.  §  3  ,  dit  plebis  appellalione  sine  palriciis  cœleri  cives 
signi(îcantur.—l\  semblerait  résulter  de  ces  termes  que  les  patriciens 
n'assistaient  même  pas  comme  simples  citoyens  aux  comices  par  tri- 
bus. Mais  ce  serait ,  nous  le  pensons  ,  donner  à  ce  passage  un  sens 

T.  I.  2 


L 


18  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

PLEBS,  les  prolétaires  même  y  dominent  d'abord  :  les 
suffrages  sont  recueillis  par  tête  dans  chaque  tribu.  Le 
suffrage  de  chaque  tribu  se  forme  à  la  majorité  des  voix, 
et  la  décision  des  comices  à  la  majorité  des  tribus  vo- 
tantes 28.  Les  comices  par  tribus  étaient  affranchis  de 
l'examen  préalable  et  de  la  confirmation  du  sénat  :  ils  le 
furent  aussi  des  auspices  ;  les  augures  n'étaient  point  con- 
sultés avant  la  convocation  -'^  ;  le  tonnerre  seul  faisait 
remettre  le  jour  de  l'assemblée  :  Jove  fidgente,  cum  populo 
agi  nefas.  Toute  chance  paraissait  donc  enlevée  d'avance 
au  calcul,  à  l'influence  du  patriciat;  et  l'esprit  démo- 
cratique s'exerçait  en  maître  dans  les  nouveaux  co- 
mices. 

Institués  d'abord  pour  la  nomination  des  Tribuns  et  des 
Édiles  plébéiens ,  ils  furent  convoqués  bientôt  pour  déli- 
bérer sur  toutes  les  affaires  concernant  le  peuple ,  c'est- 
à-dire  sur  toutes  les  résolutions  que  les  tribuns  voulaient 
faire  appuyer  de  ses  suffrages  ;  mais ,  dans  ces  premiers 

trop  absolu.  Les  plébiscites  étaient  faits  sine  auclorilate  eorum,  puis- 
que le  sénat  n'avait  à  leur  égard  ni  droit  d'examen  préalable  ,  ni  droit 
de  sanction.  IMais  les  patriciens  n'étaient  pas  exclus  des  comices  par 
tribus.  Il  était  libre  aux  patriciens  de  donner  leur  suffrage  dans  la 
tribu  où  ils  étaient  inscrits.  (  Gravina,  de  Orlu  et  Progressa,  cap.  28.) 

28Tit.  Liv.,lib.  xxx.  cap.  43.  Uti  rogassent  omne*  tribus  jusserunt. 
—  Lib.  xxxiii.  Omnes  V  et  XXX  tribus  uti  rogatse  jusserunt. 

N.  Gruccli.,  de  comit.  Rom.,  ii.  cap.  4.  Omnia  de  renunciatione 
ad  hsec  comitia,  si  tantum  pro  Centuriis  Tribus  ponas. 

Gravina,  de  Ortu  et  Progressu ,  ch.  30.  Ut  ea  tribus  aut  centurise 
renunciaretur  sententia. 

29  Cependant ,  vers  l'an  402 ,  sous  la  dictature  de  Publius  Pbilo ,  il 
fut  ordonné  que  les  comices  par  curies,  qui  avaient  les  auspices ,  rati- 
fieraient à  l'avenir  les  décisions  prises  dans  les  comices  par  tribus. 
(  Cic,  de  Lecje  agr.  oral.,  cap.  ii.  2.  —  Aulu-Gell,  xiil.  cb.  li. 


CHAP.  1.  IXSTIT.  DE  LORDRE  POLITIQUE,  SECT.  I.        19 

temps ,  les  décisions  des  comices  par  tribus ,  appelées  plé- 
biscites, n'étaient  obligatoires  que  pour  les  plébéiens. 

VIII.  — L'esprit  nouveau  s'attaqua  même  aux  comices 
par  Centuries ,  afin  de  diminuer  à  leur  égard  l'influence 
patricienne.  Le  Sénat,  à  l'approbation  duquel  les  résolu- 
tions des  comices  par  centuries  devaient  être  soumises,  fut 
obligé,  par  la  loi  Terentilia,  d'approuver  d'avance  ces  résolu- 
tions ^^^  Un  sénatus-consulte ,  dans  ce  cas,  déterminait 
les  matières  qui  seraient  soumises  à  l'assemblée  du  peu- 
ple, et  les  comices  étaient  remis ,  si  les  tribuns  usaient  de 
leur  veto. 

IX.  —  Pour  la  première  fois  aussi,  les  usurpations  de 
\ager  publicus  par  les  patriciens  devinrent  l'objet  de  vives 
réclamations.  La  proposition  de  la  loi  agraire,  pour  le 
partage  de  ces  terres,  fut  jetée  sur  la  place  publique.  Les 
divisions  entre  les  patriciens  et  les  plébéiens  pouvaient 
renaître  de  ce  grand  débat  :  le  sénat,  obéissant  à  une  sage 
politique,  détourna  la  question -en  faisant  des  distributions 
de  terres ,  en  fondant  des  colonies  ;  il  se  laissa  ainsi  arra- 
cher, au  profit  du  peuple,  la  cession  complète  du  Mont- 
Aventin  [297],  dont  une  partie  avait  été  affectée  déjà  par 
le  roi  Ancus  aux  Latins ,  incorporés  comme  plébéiens  à 
la  Cité  5*.  Les  citoyens  cependant  ne  se  prêtaient  pas  à 
toutes  ses  vues  sur  ce  sujet  ;  et  lorsque  le  sénat  voulut  en- 
voyer à  Antium  une  colonie  de  citoyens  pauvres  [286], 


30  Le  sénat  trouva  le  moyen  de  retenir  encore ,  pendant  un  siècle  , 
sa  prérogative ,  qui  lui  fut  enlevée  définitivement  par  la  dictature  de 
Publius  Philo  ,  vers  l'au  402. 

31  Cic. ,  de  Rep.,  lib.  ii.  no  18. 
Niebuhr,  Hist.  rom.,  2.  p.  145. 


W  LIV.  ï.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

les^itoyens  refusèrent  :  ils  aimaient  mieux,  dit  Tite-Live, 
demeurer  à  Rome ,  pour  demander  des  terres,  que  de  se 
transporter  à  Antium  pour  en  recevoir  ^2^ 

X.  —  Par  suite  de  la  révolution  du  Mont-Sacré ,  la 
Cité  politique  se  trouvait  constituée  sur  une  double  base , 
sans  perdre  son  unité  :  d'une  part,  les  comices  par  centu- 
ries, ou  d'institution  aristocratique,  et,  pour  contre-poids, 
les  comices /jar  ;n6M5,  ou  d'institution  populaire;  d'autre 
part,  le  sénat  et  les  consuls  de  l'ordre  patricien,  et,  pour 
contre-poids ,  les  édiles  plébéiens  et  les  tribuns  du  peu- 
ple, avec  l'inviolabilité  de  leur  personne  sacrée  et  la 
puissance  du  veto;  au  dessus  de  toutes  les  magistratu- 
res ,  pour  les  moments  de  crise  où  le  salut  du  peuple  est 
la  suprême  loi ,  la  dictature  :  mais  à  côté  du  dictateur, 
le  tribunat,  et,  au  dessus  de  la  aictature  elle-même,  l'Ap- 
pel au  peuple  ^•'^.  La  constitution  politique  avait  donc  re- 
connu les  deux  éléments  qui  vivaient  dans  la  Cité,  et  con- 
trebalancé leur  puissance  d'action. 

Mais  la  société  civile  n'avait  pas  encore  ressenti  le  con- 
trecoup de  la  révolution  politique.  Le  droit  privé,  comme 
cbose  mystérieuse,  était  abandonné  à  l'influence  exclusive 
des  pontifes  et  des  patriciens.  Les  plébéiens,  une  fois  re- 
connus dans  la  société  politique,  voulurent  agir  sur  la 
société  civile.  Ils  réclamèrent  des  lois  écrites  et  livrées  à 

32  Antium ,  chez  les  Volsques ,  ne  fut  soumis  définitivement  qu'en 
l'année  378;  ce  qui  peut  bien  aussi  expliquer  la  répugnance  des  ci- 
toyens à  recevoir  des  terres  en  286 ,  chez  un  peuple  belliqueux  et  en- 
nemi de  Rome. 

33  Les  tribuns  alors  n'avaient  pas  le  veto;  mais  ils  pouvaient  provo- 
quer l'assemblée  du  peuple.  {Til.  Liv.,  lib.  vu.  Hugo,  Hisl.  du  dr. 
roMJ.,  1.  218.) 


CHAP.  I.  INSTIT.  DE  L  ORDRE  POLITIQUE.  SECT.  II.     2i 

ia  publicité.  Ces  lois,  vivement  sollicitées  par  les  tribuns, 
se  firent  long-temps  attendre;  mais  enfin  des  décemvirs 
furent  élus  parmi  les  patriciens ,  dans  les  comices  par  cen- 
turies, pour  travailler  à  leur  rédaction.  L'Assemblée  les 
investit  de  toutes  les  magistratures ,  les  exempta  même 
de  l'appel  au  peuple ,  prérogative  que  n'avait  pas  à  Rome 
le  dictateur  ^'^.  La  Loi  des  XII  Tables,  exposée  d'abord 
aux  regards  et  aux  observations  des  citoyens ,  fut  accep- 
tée par  le  sénat  et  les  comices  [303]. 

L'organisation  delà  République,  suspendue  par  la  créa- 
tion passagère  du  Décemvirat  et  menacée  par  la  tyrannie 
du  décemvir  Appius  Claudius,  reprit  son  caractère  mixte; 
le  tribunat  et  fappel  au  peuple  furent  rétablis.  La  retraite 
sur  le  Mont-Aventin  consolida  la  révolution  du  Mont- 
Sacré  [305]. 

SECTION  IL 

DEPUIS  LE  IV'  SIÈCLE  JUSQTJES  AVX  GUERRES  CIVILES. 


Durant  la  première  période  que  nous  venons  de  par- 
courir, la  rivalité  des  deux  Ordres  patricien  et  plébéien 
est  constituée  ;  leur  pouvoir  se  balance. 

Pendant  la  deuxième  période  qui  s'ouvre  devant  nous , 
la  lutte,  quelque  temps  assoupie ,  reprend  une  force  nou- 
velle ;  la  victoire  des  plébéiens  sur  les  patriciens  se  dé- 
clare dans  l'ordre  politique  et  civil  ;  Rome  marche  à  la 
conquête  du  monde,  et  les  anciennes  institutions  s'altè- 
rent profondément,  dans  l'ardeur  des  conquêtes  et  l'anar- 
chie des  guerres  civiles. 

34  Cic,  de  Rep.,  lib.  ii.  cap.  31.  Tit.  Liv.,  lib.  \n.  cap.  32  et  33, 


22  LIV.  I.  —  ÉPOOLE  ROMAIINE. 


§    l«r.  —  PARTAGE   DES   DIGNITÉS   ENTRE    LES   DEUX   ORDRES.  —    IN- 
STITUTION DE  LA  CENSURE  ET  DE  LA  PRÉTURE. 


Les  tribuns,  en  demandant  le  partage  du  Consulat,  pour 
l'Ordre  des  plébéiens,  déterminèrent  d'abord  le  sénat  à 
suspendre  l'institution  elle-même ,  et  à  remplacer  les  deux 
Consuls  par  six  ou  dix  Tribuns  militaires  [309],  dont  la 
moitié  pouvait  être  élue  parmi  les  plébéiens  ^ .  Mais  en  fai- 
sant cette  concession ,  le  sénat  institua  les  censeurs  , 
pour  protéger  ses  droits  contre  les  excès  de  la  démocra- 
tie ,  et  maintenir  les  mœurs  au  sein  de  la  République 
[31 0].  —  Les  Censeurs,  qui  exerçaient  une  action  directe 
sur  la  composition  de  l'Ordre  des  sénateurs  et  des  cheva- 
liers ,  étaient ,  en  outre ,  investis  du  droit  de  composer 
les  Tribus ,  de  faire  passer  des  citoyens  d'une  tribu  dans 
une  autre ,  et  même  de  priver  des  tribus  entières  de  l'exer- 
cice du  droit  de  suffrage  ;  prérogative  importante  qui  mo- 
difiait dans  ses  éléments  l'institution  des  comices  par  tri- 
bus2.  —  C'est  aussi  par  suite  des  concessions  arrachées 
au  sénat  en  faveur  des  plébéiens  que  fut  instituée  la  pré- 
TURE.  Le  consulat  est  partagé  avec  les  plébéiens  ,  en 
387;  et  en  même  temps  Camille,  dictateur,  propose  la 


1  Les  plébéiens  n'usèrent  pas  d'abord  du  droit  de  nommer  parmi  eux 
les  tribuns  militaires  ;  mais  ils  usèrent  du  droit  de  nommer  un  consul 
plébéien  ,  et  dès  Tannée  de  Tinnovalion,  Scxtus,  l'un  des  tribuns  au' 
teurs  de  la  réclamation ,  fut  consul  en  388. 

2  Si  les  censeurs  se  conduisaient  avec  passion  ,  on  pouvait  les  tra- 
duire en  justice  ;  ce  que  firent  souvent  les  tribuns  du  peuple. 


CHAP.  1.  INSTIT.  DE  L  ORDRE  POLITIOLE.  SECT.  II.     23 

division  des  fonctions  consulaires.  Le  droit  de  juridic- 
tion est  alors  séparé  des  fonctions  de  consuls  ;  la  charge 
de  Préteur  de  la  Ville  est  créée,  et  placée  au  rang  des  ma- 
gistratures majores;  plus  tard ,  celle  de  Préteur  des  Étran- 
gers [507].  La  condition  stipulée  par  le  sénat  fut  que  le 
Préteur  serait  toujours  pris  dans  les  familles  nobles  ;  mais 
cette  réserve  tardive  et  impuissante  s'évanouit  bientôt. 

Les  tribuns ,  à  force  de  combats ,  de  menaces ,  d'en- 
vahissements ,  firent  participer  successivement  les  plé- 
béiens, d'abord  aux  fonctions  qui  entraînaient  un  pou- 
voir politique,  ensuite  à  celles  qui  eniraininent  juridiction 
ou  autorité  morale  :  ainsi ,  les  plébéiens  furent  admis  d'a- 
bord aux  charges  de  Questeurs  [333],  de  Consuls  [387], 
d'Édiles  curules  [388]  %  de  Dictateurs  [397]; 

Et  puis  aux  charges  de  Censeurs  [402]  ,  de  Sénateurs 
[402],  de  Préteurs  [416],  de  Pontifes  [453],  de  Grand- 
Pontife  [502]. 

Le  premier  Préteur  plébéien  fut  Publius  Philo  ,  qui 
déjà  avait  exercé  les  charges  de  consul  et  de  dictateur. 
—  Le  premier  plébéien  élevé  à  la  dignité  de  Grand-Pon- 
tife fut  Tib.  Coruncanius.  —  Le  tribunat  resta  exclusi- 
vement attaché  à  l'ordre  des  plébéiens  ;  et  les  patriciens 
qui  voulurent  participer  à  l'immense  pouvoir  du  tribunat, 
furent  obligés  de  se  faire  adopter  par  une  famille  plé- 
béienne :  Clodius ,  au  vii^  siècle,  donna  encore  l'exemple 
de  cette  adoption  spéciale  pour  parvenir  au  tribunat. 

Quand  la  Cité  politique  sera  ouverte  à  toutes  les  classes 


3  Les  fonctions  ii' édiles  curules  conféraient  la  noblesse  aux  descen- 
dauts  des  édiles,  tandis  que  les  édiles  plébéiens  n'avaient  aucun  privi- 
lège de  ce  genre. 


24  LIVRE  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

de  citoyens,  que  l'accès  aux  Charges  consulaires  sera  éga- 
lement permis  à  tous ,  et  qu'un  temple  aura  été  voué  à  la 
Concorde,  les  plébéiens,  réunis  aux  patriciens,  s'élance- 
ront avec  ardeur  à  la  conquête  de  l'Italie  et  du  monde 
connu. 

§  2.  —  AGRANDISSEMENT  DE  EOME  PAR  LES  GUERRES  d'ITALIE. 

Dans  les  premiers  siècles ,  Rome  avait  lutté  contre  les 
Latins,  les  Sabins ,  les  Etrusques,  qui  dans  leur  ensem- 
ble constituaient  ce  qu'on  appelait  le  Latium  vêtus.  Les 
anciens  Latins,  vaincus  près  du  lac  Régille,  avaient  con- 
servé leur  liberté  civile  et  perdu  leur  indépendance  poli- 
tique. Ils  s'étaient  engagés  à  suivre  la  fortune  de  Rome. 
Sur  le  Mont-Albain ,  un  temple  avait  été  élevé  à  Jupiter 
Latialis  ,  pour  célébrer  par  des  sacrifices  communs  les 
Fériés  latines;  et  le  traité  de  l'an  26 1  avec  les  Latins  fut  re- 
produit sur  une  colonne  d'airain  et  replacé  encore,  sous  le 
consulat  de  Cicéron,  derrière  la  tribune  aux  harangues'*. 

Mais  les  Etrusques ,  aux  douze  villes ,  avaient  conservé 
d'abord  leur  indépendance ,  et  Yeies ,  au  iv^  siècle ,  était 
une  Cité  rivale  de  Rome.  La  politique  du  sénat  résolut 
sa  ruine.  L'ardeur  plébéienne,  qui  combattait  les  patri- 
ciens à  l'intérieur  de  Rome,  fut  dirigée  à  l'extérieur  con- 
tre la  principale  cité  des  Etrusques,  souche  primitive  du 
patriciat  sacerdotal.  Après  un  siège  de  dix  ans,  Yeies  fut 
détruite  [358].  Sept  arpents  de  son  territoire  furent  con- 
cédés à  chaque  père  de  famille  indigent  et  à  chacun  de 

4  Cic,  pro  Balbo,  23.  Cum  latiuis  omnibus  fœdus  ictum  Sp.  Cassio, 

Postuniio  Cominio ,  consulibus Quod  quidem  Duper  in  columna 

œnea  memininius  post  rostra  incisuni  et  prescriptum  fuisse. 


CHAP.  I.  INSTIT.  DE  L  ORDRE  POLITIQUE.  SECT.  II.     25 

ses  enfants  mâles ,  pour  empêcher  le  peuple  de  se  diviser 
entre  Veies  et  Rome ,  et  de  porter  atteinte  à  l'unité  de  la 
Cité.  Le  danger  était  imminent.  La  proposition  des  tri- 
buns de  partager  le  peuple  romain  en  deux  Cités  fut  re- 
jetée dans  les  comices  par  tribus ,  à  la  majorité  d'une 
seule  tribu  ! 

Bientôt  après ,  les  Gaulois  cisalpins  de  Brennus  sont 
au  pied  du  Capitole  [364];  leur  invasion  est  repoussée; 
toutefois ,  Rome  est  affaiblie  :  les  Latins  nouveaux  (no- 
vum  Latium) ,  qui  comprenaient  les  Yolsques,  les  Herni- 
ques,  les  Aurunces,  les  Ausonnes,  se  soulèvent  ;  les  Sam- 
nites ,  presque  inexpugnables  dans  les  Apennins ,  et  les 
peuples  de  l'Italie  centrale,  veulent  profiter  de  l'ébranle- 
ment du  Capitole  pour  assurer  leur  avenir.  Mais  la  cité 
des  Yolsques,  Antium,  est  définitivement  soumise  aux 
Romains  [378]  ;  les  Samnites  sont  domptés,  après  une 
une  guerre  de  77  ans  et  24  triomphes  [481]  ;  et  la  vic- 
toire ,  digne  des  grandes  destinées  de  Rome ,  entraîne 
la  soumission  des  peuples  de  l'Italie  centrale ,  les  Salen- 
tins,  les  Eques ,  les  Ombriens  d'origine  gallique,  qui 
avaient  embrassé  la  cause  de  l'indépendance.  —  Des  Co- 
lonies romaines  vont,  dans  l'Italie,  remplacer  les  peuples 
absents  que  la  guerre  et  la  servitude  ont  enlevés  de  leur 
territoire,  ou  maintenir,  par  les  mœurs  guerrières  et  leurs 
relations  avec  la  mère-patrie ,  l'obéissance  des  peuples  al- 
liés (fœderati).  De  l'an  244  à  l'an  574,  Sigonius  a  compté 
soixante-seize  colonies  fondées  seulement  en  Italie^  ! 

Après  la  guerre  contre  les  Samnites,  Rome  étendait  sa 


5  ïit.  Liv.,  lib.  xxxii,  xxiv,  etc.  Le  relevé  a  été  fait  par  Sigonius, 
dans  son  traité  de  Jure  ilalico. 


26  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMALNE. 

domination  dans  l'Italie  centrale.  —  Après  la  guerre  con- 
tre Pyrrhus  et  les  Tarentins ,  Rome  l'étendait  au  sud , 
jusqu'aux  rivages  de  la  Grande-Grèce. 


§  3.  —  PROVIiNCES  CONQUISES. 

I.  — Cartilage  avait  porté  secours  aux  Tarentins.  Vain- 
queurs de  Tarente ,  les  Romains  tentent  la  mer.  La  Sicile 
les  reçoit  et  leur  révèle  toute  la  puissance  de  Carthage. 
Long-temps  avant  cette  époque ,  les  Carthaginois  étaient 
.connus  des  Romains.  Polybe  donne  un  traité  fait  en  244, 
à  l'origine  du  Consulat,  entre  les  Romains  et  les  Cartha- 
ginois, dans  lequel  on  règle  l'éteTidue  de  la  navigation 
des  Romains ,  et  l'on  établit  des  garanties  contre  les  Car- 
thaginois en  faveur  des  Latins,  alliés  ou  même  alors  su- 
jets de  Rome  6.  Mais  la  rivalité  entre  les  deux  peuples  ne 
se  déclara  que  vers  la  fin  du  v^  siècle.  —  Les  Carthaginois 
sont  chassés  de  la  Corse  et  de  la  Sardaigne  en  492,  La 
partie  de  la  Sicile  qui  leur  avait  appartenu  ^  moins  Syra- 
cuse, est  soumise  et  réduite  en  province ,  en  51 1 .  C'est  la 
première  province  qu'ait  possédée  le  Peuple  romain.  Plus 


6  Polyb.,  Hist.,  m.  22.  24,  édit.  de  Folard ,  t.  4.  p.  26.  M.  Leclerc, 
dans  ses  Annales  des  pontifes  ,  donne  à  ce  sujet  des  renseignements 
curieux ,  p.  39  :  «  Les  traités  de  Rome  avec  Cra'thage  ,  dès  l'origine 
»  du  gouvernement  consulaire ,  ont  été  traduits  en  entier  par  Polybe , 
«  qui  les  avait  lus  sur  bronze  ,  dans  les  archives  des  édiles ,  au  temple 
>)  de  Jupitcr-Capitolin.  Il  en  résulte  que  Pvome  ,  avant  la  révolution 
«consulaire  qui  l'affaiblit,  était  maîtresse  d'Ardée,  d'Antium  ,  de 
«  Circéi ,  de  ïerracine ,  dont  les  peuples  ,  dans  le  texte ,  sont  appelés 
vscs  sujets.  » 


CHAP.   I.  iNSTiT.  DE  l'oRDRE  POLITIQUE.  SECT.  II.     27 

tard  ,  Syracuse  est  enlevée  à  la  domination  des  Carthagi- 
nois, et  la  Sicile  entière  est  province  R03iai>e  [540]'. 

IL  —  L'Espagne,  où  Carthage puise  ses  richesses,  at- 
tire aussi  le  génie  belliqueux  des  Romains  :  là ,  ils  trou- 
vent dans  les  Celtibériens  de  nouveaux  Samnites  à  com- 
battre. Enfin,  ils  descendent  sur  le  rivage  de  l'Afiuque; 
ils  voient  les  murs  de  Carthage.  La  république  commer- 
çante et  la  république  guerrière  sont  en  présence^.  Aux 
soldats  de  Rome,  citoyens  romains,  seront  opposés  des 
soldats  mercenaires ,  venus  de  tous  les  points  où  Rome 
aura  fait  haïr  ou  craindre  sa  domination.  Un  fils  de  Car- 
thage, élevé  au  milieu  de  ces  camps  d'étrangers,  et  animé 
autant  par  son  mépris  des  marchands  du  sénat  carthagi- 
nois, que  par  sa  haine  contre  Rome,  Hannibal,  à  lui  seul, 
balancera  la  fortune  du  Capitole.  —  De  l'Espagne ,  il  s'é- 
lancera vers  l'Italie  ;  il  se  fera  jour  au  milieu  des  peuples  de 
la  Gaule;  il  traversera  le  Rhône;  il  emploiera  cinq  mois 
à  franchir  les  Alpes ,  perdra  trente  mille  de  ses  merce- 
naires; et  un  jour,  debout  sur  les  hauteurs  du  versant 
méridional  des  Alpes  ,  à  la  tête  de  vingt-six  mille  soldats , 
il  jetera  sur  les  plaines  de  l'Italie  un  œil  victorieux.  Il 
appellera  à  lui  tous  ces  peuples  vaincus ,  qui  subissent  à 
regret  le  joug  des  Romains;  et,  pendant  quinze  ans,  à 
partir  de  ce  passage  héroïque ,  son  génie  fera  trembler  le 
génie  de  la  Yille  éternelle. 

Mais  le  sénat ,  au  milieu  des  désastres  publics ,  soutien- 


7  Provincia  ,  provinciales ,  de  provincere ,  provictus  ,  provicta.—  La 
Corse  et  la  Sardaigne  ont  été  réduites  en  provinces  en  520. 

8  Voir  dans  Tnistoire  de  la  Républ.  roni. ,  de  M.  Michelet ,  cette 
lutte  de  Rome  et  de  Carthage;  elle  y  est  admirablement  décrite. 


28  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

dra  dignement  la  destinée  de  Rome ,  et  la  fortune  du  Ca- 
pitole  tient  en  réserve  la  famille  des  Scipions  :  deux  grands 
hommes  en  sortiront  pour  triompher  de  la  gloire  d'Han- 
nibal.  —  Les  ruines  de  Carthage  et  de  Numance  atteste- 
ront, à  peu  d'intervalle  [606-619],  la  conquête  de  l'Afri- 
que et  de  l'Espagne  :  l'Afrique  est  réduite  en  province 

ROMAINE. 

IIÏ. — Dans  la  guerre  de  Pyrrhus  et  de  Carthage,  Rome 
avait  rencontré  la  Grèce.  La  civilisation  grecque  et  le  gé- 
nie romain  ne  s'étaient  qu'entrevus  avant  cette  époque  : 
ils  apprennent  à  se  bien  connaître  dans  cette  période,  mar- 
quée par  la  guerre  contre  Philippe ,  Antiochus  et  Persée , 
par  la  guerre  contre  la  Ligue  achaïque ,  et  par  la  destruc- 
tion de  Corinthe  [de  552  à  606]. 

L'action  réciproque  de  Rome  et  d'Athènes  s'exerce  et 
se  poursuivra  désormais  dans  l'empire  des  faits  et  des  idées. 
— Le  siècle  de  Périclès était  déjàloin^.  L'École  de  Socrate 
avait  enfanté  ses  sectes  diverses,  et,  dans  la  philosophie 
morale,  ses  branches  extrêmes,  Epicure  et  Zenon.  La  li- 
berté de  la  Grèce  s'était  épuisée  de  démocratie  à  Athènes, 
d'aristocratie  à  Sparte,  de  vie  républicaine  dans  la  guerre 
du  Péloponèse  et  la  lutte  éloquente  de  Démosthènes 
contre  Philippe.  La  Grèce  avait  réagi  par  Alexandre  sur 
le  monde  oriental.  Alexandre  avait  fondé  sur  les  rivages 
de  l'Egypte  la  ville  où  l'Orient  et  l'Occident  devaient  ten- 
ter un  jour  l'alliance  de  leurs  destinées  et  même  de  leurs 


9  Le  commencement  de  la  guerre  du  Péloponèse  est  de  l'an  431 
avant  J.-C.  ;  ce  qui  correspond  à  Tan  32 1  de  Rome.  II  y  a  donc  près  de 
trois  siècles  de  distance  entre  les  beaux  temps  de  la  Grèce  et  l'époque 
de  la  destruction  de  Corinthe  par  les  Romains  (606). 


CHAP.  1.  INSTIT.  DE  L  ORDRE  POLITIQUE.  SECT.  II.     29 

doctrines ^<^.  Après  lui,  rois  sans  gloire,  les  Chefs  macé- 
doniens voulaient  aussi  dominer  sur  les  villes  de  la  Grèce. 
La  Ligue  achaïque  luttait  pour  l'indépendance  des  villes 
républicaines.  Rome  intervient  alors  comme  libératrice. 
Vainqueur  des  successeurs  d'Alexandre,  le  Consul  romain 
proclame  aux  Jeux  ithsmiques  [556] ,  la  liberté  de  la 
Grèce....  et  la  Grèce,  enivrée  de  cette  proclamation  inat- 
tendue ,  embrasse  les  mains  victorieuses  du  consul  Fla- 
mininus  :  elle  se  croit  libre  en  effet  !  —  Mais  la  polftique 
du  sénat  se  jouera  de  cet  enivrement  ;  elle  détruira  la  Li- 
gue achaïque,  dernier  rempart  de  la  liberté  grecque;  et 
bientôt,  sous  le  nom  d'Achaïe,  la  Grèce  aussi  sera  réduite 
EN  PROVINCE  romaine!  [609] 

L'Italie,  la  Sicile,  l'Espagne ,  l'Afrique,  la  Grèce,  sont 
conquises;  l'Occident  est  romain.  Rome  élève  sa  tête  or- 
gueilleuse :  tout  lui  est  soumis,  moins  le  monde  barbare, 
le  Nord,  qu'elle  ne  connaît  encore  que  par  les  incursions 
des  Gaulois;  moins  l'ancien  monde  civilisé,  l'Asie,  la  plus 
belle  proie  de  l'Univers ,  que  se  disputeront  bientôt  les 
promoteurs  des  guerres  civiles,  La  vocation  de  Rome  à 
l'empire  des  nations  s'accomplit  : 

«  Tu  regere  imperio  populos.  Romane ,  mémento.  » 

§  4.  —  MODIFICATIONS  DANS  LA  CONSTITUTION  ET  LES  MŒUBS  DE  LA 
CITÉ  PAR  SUITE  DES  CONQUÊTES. 

Que  se  passe-t-il,  cependant,  à  l'intérieur  de  Rome? 
L  —  Le  sénat ,  durant  cette  ère  de  guerres  continuel- 
les ,  avait  acquis  dans  l'administration  de  la  République 

10  Voir  la  belle  production  de  M.  Jules  Simon,  sur  l'École  d'Alexan- 
drie (1844). 


30  LIV.   1.  ÉPOQUE   ROMAINE. 

et  des  possessions  romaines  une  grande  autorité.  Il  n'était 
plus  une  assemblée  ouverte  seulement  à  la  noblesse  patri- 
cienne; il  était  formé  de  divers  éléments  :  les  Censeurs, 
à  partir  de  la  loi  Ovinia  et  du  v*  siècle  [402]  ,  y  admet- 
taient les  plébéiens  riches  et  honorés  par  leurs  servi- 
ces **.  L'aristocratie  patricienne  avait  perdu  une  partie  de 
sa  puissance,  mais  non  le  sénat.  Maître  du  Gouverne- 
ment pendant  la  guerre ,  le  Sénat  s'était  habitué  à  se  re- 
garder comme  le  maître  de  la  République  et  des  pays  ré- 
duits en  provinces  romaines. 

II. — Les  Censeurs  avaient  secondé  la  politique  sénato- 
riale par  leur  action  sur  les  tribus  de  la  République.  Les 
tribus,  qui  s'élevèrent  successivement  au  nombre  de 
trente-cinq ,  étaient ,  comme  on  Je  sait ,  divisées  en  ur- 
baines et  rustiques.  Par  une  antique  tradition,  les  ci- 
toyens riches  et  considérés  se  trouvaient  inscrits  dans  les 
tribus  urbaines.  Le  censeur  Fabius  Maximus,  pour  don- 
ner aux  citoyens  riches  et  puissants  une  influence  réelle, 
même  dans  les  comices  par  tribus ,  les  classa ,  en  449  , 
dans  les  tribus  rusliijues ,  et  ne  laissa  que  le  petit  peuple 
dans  les  tribus  urbaines.  Les  quatre  tribus  urbaines,  sur 
lesquelles  les  magistrats  populaires  exerçaient  le  plus  d'in- 
fluence, n'avaient  que  quatre  voix  dans  les  comices  où 
pouvaient  figurer  les  trente-cinq  tribus ,  et  dont  les  déci- 
sions se  formaient  à  la  majorité  des  tribus  votantes.  L'in- 
fluence tribunitienne  était  donc  profondément  affaiblie 
par  cette  mesure  du  censeur  Fabius  ,  qui  reçut  de  la  re- 


11  Le  cens  sénatorial  était  de  800  seslcrlia,  ou  800,000  seslerlii 
(  131,000  fr.  )  La  questure  et  les  services  militaires  donnaient  le  droit 
d'éligibilité. 


CHAP.  I.  INSTIT.  DE  L  ORDRE  POLITIQUE.  SECT.  II.     31 

connaissance  des  principaux  citoyens  le  titre  de  Maximus. 
Peu  de  temps  après  cette  époque,  par  la  loi  Hortensia, 
rendue  en  468,  les  plébiscites  furent  déclarés  obligatoires 
pour  tous  les  citoyens,  sans  distinction  de  patriciens  et  de 
plébéiens.  Ce  rapprochement  fait  comprendre  facilement 
la  soumission  des  patriciens  aux  plébiscites.  Pourquoi 
auraient-ils  refusé  leur  obéissance?  Après  la  mesure  cen- 
soriale  de  Fabius ,  les  citoyens  considérés  et  tous  les  pa- 
triciens, par  leur  influence  dans  les  tribus  rustiques,  pou- 
vaient prendre  une  participation  très-effective  au  vote 
des  plébiscites. 

III.  —  Les  affranchis  répandus  dans  les  quatre  tribus 
de  la  ville  furent  inscrits,  eïi  584,  pour  le  recensement  des 
suffrages,  dans  la  seule  tribu  Esquiline  ;  ils  excitaient  des 
troubles  par  leur  présence  dans-les  quatre  tribus;  renfer- 
més dans  une  seule,  ils  furent  frappés  d'impuissance.  C'est 
le  père  des  Gracches,  le  censeur  Tib.  Sempronius  Grac- 
chus ,  qui  opéra  cette  grave  réforme  d'un  seul  mot,  nutu 
at(]ue  verbo  :  et  Cicéron  fait  dire  au  grand-pontife  Scevola, 
dans  le  traité  de  oratore  :  «  Depuis  long-temps ,  sans  cette 
mesure ,  nous  n'aurions  plus  de  République  ^^  !  » 

Le  grand  nombre  des  affranchis  imposait  la  nécessité 
de  cette  concentration.  Les  plébéiens,  d'origine  vraiment 
romaine,  avaient  vu  leurs  masses  s'éclaircir  et  par  l'envoi 
des  Colonies,  et  par  la  continuité  des  guerres  lointaines. 
Le  nombre  des  esclaves ,  au  contraire,  et  celui  des  affran- 
chis s'accroissaient  sans  cesse.  Les  vides  que  les  guerres 

12  Quod  nisi  fecisset,  rempublicam  quani  nunc  vix  tenemus,  jamdiu 
nuUam  haberemus.  —  C'est  en  662  que  Scevola  est  censé  prononcer 
cette  parole.  (  Cic,  de  Oral. ,  i.  9.  )  —  Fabius  avait  agi  aussi  ne  humil- 
limorum  in  manu  comilia  essenl.  Tit.  Liv.,  ix.  46. 


32  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

faisaient  dans  les  rangs  des  plébéiens,  se  remplissaient  au 
forum  par  les  affranchis.  La  tribu  Esquiline  recevait  de 
nouveaux  citoyens ,  amenés  naguère  esclaves  de  l'Espa- 
gne ,  de  l'Afrique ,  de  l'Illyrie ,  de  l'Epire*''  ;  et  c'était  à 
ce  peuple  nouveau ,  qui  l'interrompait  par  ses  murmures, 
que  le  second  Africain  (Scipion  Emilien),  disait  du  haut 
de  la  tribune,  avec  la  fierté  d'une  origine  toute  romaine  : 
Taisez-vous  ,  faux  fils  de  l'Italie**  î 

IV.  —  Les  Chevaliers,  fermiers  des  revenus  de  l'État 
(publicani),  avaient  grossi  leUrs  richesses  ;  ils  possédaient, 
soit  à  titre  de  redevances,  soit  par  usurpation,  une  partie 
des  terres  conquises  sur  les  peuples  vaincus.  Ils  étaient 
ainsi  détenteurs  de  vastes  domaines  dans  l'Italie,  la  Grèce, 
l'Afrique*^.  Ils  achetaient  des  milliers  d'esclaves  qui  cul- 
tivaient ou  gardaient  leurs  possessions^^ .  Leur  aristocratie 
d'argent  pesait  donc  également  sur  les  terres  et  sur  les 
hommes. 

Y.  —  Les  mœurs  se  modifiaient;  l'antique  esprit  de 
Rome  républicaine  se  corrompait.  Les  arts  de  la  Grèce, 
dont  le  consul  Mummius,  après  la  prise  de  Corinthe,  avait 
transporté  à  Rome  les  chefs-d'œuvre ,  agissaient  sur  les 

13  Par  ordre  du  sénat,  les  villes  de  l'Epire  furent  rasées  en  584  ,  et 
150,000  de  leurs  habitants  furent  réduits  en  esclavage. 

14  Publius  Cornélius  Scipio  Africanus,  ^Emilianus,  consul  en  605 
et  G18.  (  Fastes  consulaires.  ) 

15  Pline  l'Ancien  parle  de  six  citoyens  qui  possédaient  la  moitié  de 
l'Afrique.  (Liv.  xviii.  ch.  6.  )  Sex  domini  semissem  Afric^  posside- 
banl.... 

16  L'abus  s'est  continué. 

Tacite  parle  de  domaines  infinis  où  l'on  comptait  des  nations  d'es- 
claves. {Annal.,  liv.  ni.  n»  53;  —  et  xiv.  44.  Nulionesin  familiis  ha' 
hemvs. 


CHAP.  I.  INSTIT.  DE  L  ORDRE  POLITIQUE.  SECT.   II.      33 

imaginations.  Les  idées  philosophiques  étaient  entrées 
dans  la  cité  à  la  suite  des  rhéteurs  et  des  philosophes  de 
la  Grèce.  En  vain  le  préteur  Pomponius  lit  expulser  de 
Rome  les  rhéteurs,  par  décret  du  sénat  [592];  en  vain  Ca- 
ton  le  censeur  demandait  le  renvoi  immédiat  de  Carnéade 
et  des  autres  philosophes ,  députés  d'Athènes  [598]  :  la 
jeunesse  romaine  écoutait  avec  avidité  les  sophistes,  avant 
de  connaître  encore  les  sources  élevées  de  la  philosophie. 
La  famille  même  des  Scipions  donna  l'exemple  du  cortège 
des  esclaves  grecs ,  grammairiens ,  poètes  ou  sophistes  ; 
elle  eut  d'illustres  amitiés  parmi  les  étrangers  attirés  par 
la  gloire  de  Rome  ;  elle  usa  noblement  de  son  influence 
en  faveur  de  l'historien  Polybe ,  auquel  elle  ouvrit  les  ar- 
chives de  laRépubUque*^.  La  première,  elle  reçut  le  re- 
flet de  la  civilisation  grecque;  la  première,  eUe  mêla  l'at- 
ticisme  à  la  sévérité  romaine. 

Athènes,  soumise  aux  Romains,  soumettait  à  son  tour 
les  vainqueurs  à  l'influence  de  son  génie ,  en  répandant  au 
sein  de  Rome  le  goût  des  lettres  et  des  arts ,  et  les  semen- 
ces diverses  de  ses  écoles  philosophiques^^.  La  doctrine 
épicurienne  pénétra  profondément  dans  des  mœurs  qui 
se  corrompaient,  et  hâta  la  corruption.  Le  stoïcisme,  cette 
religion  philosophique  des  grandes  âmes,  éclaira  les  intel- 
ligences supérieures,  et  fortifia  le  courage  des  grands  ci- 
toyens, qui,  en  luttant  contre  leur  siècle,  trouvaient  dans 


17  Grâces  à  cette  protection  ,  Polybe  paraît  avoir  connu  des  traités 
et  des  documents  que  Tite-Live  lui-même  et  Denys  d'Halicarnasse 
n'ont  pas  consultés.  (Voir  le  Mém.  de  M.  V.  Leclerc,  sur  les  Annalrs 
des  pontifes  ,  p.  98-104  ,  153  et  passim.  ) 

18  «  Graecia  capta  ferum  victorem  cœpit,  et  artes 

a  Intulit  agresti  Latio.  »  iHorat.,  Episf.  ad  Àug.  ) 

T.  I.  3 


34  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

l'inflexibilité  de  la  doctrine  de  Zenon  un  rapport  sublime 
avec  l'inflexibilité  de  leur  culte  pour  la  République. 

Le  moment  approche  où  ce  courage  civil  et  ce  culte  de 
l'antique  Cité  seront  livrés  à  de  rudes  épreuves. 


§  5.  —  DISSOLUTION  DE  LA  CITE  PAfi  LES  GUERRES  CIVILES.  —  TRANS- 
FORMATION DE   LA  RÉPUBLIQUE  EN  EMPIRE. 


l.  —  Carthage  et  Numance  détruites,  la  Macédoine 
vaincue ,  la  guerre  n'avait  plus  son  aliment  accoutumé. 
L'activité  romaine  se  reporta  sur  elle-même.  Les  Factions 
qui  s'étaient  ralliées  sous  l'Aigle  consulaire ,  se  retrouvè- 
rent face  à  face  au  Forum  ;  leurs  débats  se  ranimèrent. 
Les  Gracches  s'emparèrent  de  la  tribune ,  et  avec  eux  un 
nouveau  pouvoir  y  monta,  l'éloquence,  don  généreux  de 
la  liberté  et  de  la  patrie  de  Périclès,  La  proposition  des 
lois  agraires,  qui  sommeillait  depuis  trois  siècles,  fut 
jetée  de  nouveau  par  Tiberius  Gracchus  sur  la  place  pu- 
blique [620].  Elle  n'attaquait  point  les  propriétés  pri- 
vées; mais  elle  avait  pour  objet  le  partage  du  domaine 
de  la  République,  fruit  de  la  conquête  :  elle  avait  cer- 
tainement son  principe  de  justice.  Le  peuple  la  soutint 
d'abord   avec  emportement;    les  riches  la  regardaient 
comme  subversive.  Intéressés  à  conserver  les  possessions 
usurpées  sur  Yager  piiblicus,  les  Chevaliers  s'unirent  aux 
sénateurs  pour  repousser  le  partage.  Caius  Gracchus,  afin 
de  les  attacher  à  sa  cause,  les  fit  investir,  à  l'exclusion 
des  patriciens  ,  du  droit  de  siéger  comme  juges  dans  les 
tribunaux  [631];  mais  ils  acceptèrent  ce  bénéfice  pour 
leur  Ordre,  sans  prêter  appui  à  ses  projets.  Ils  se  servirent 
de  leur  nouvelle  prérogative,  d'être  seuls  choisis  comme 


CHAP.  I.  INSTIT.  DE  l'ordre  POLITIQUE.  SECT.  IL     33 

juges,  pour  défendre  leurs  usurpations,  —  Le  peuple, 
que  les  Gracches  avaient  voulu  favoriser,  ne  retira  aucun 
soulagement  de  la  promulgation  des  Lois  agraires.  La 
mesure  fut  paralysée  par  l'impossibilité  ou  la  grande  dif- 
ficulté de  son  exécution.  Les  anciennes  limites  des  pos- 
sessions publiques  et  privées  avaient  disparu.  On  ne  pou- 
vait les  retrouver  sous  l'uniformité  des  pâturages,  des 
latifundia,  qui  avaient  couvert  l'Italie,  et  qui  perdirent 
l'Italie  d'abord ,  puis  les  provinces,  selon  les  expressions 
de  Pline  l'ancien*^.  Les  Gracches,  délaissés  par  les  che- 
valiers, qui  avaient  tremblé  à  l'idée  de  la  loi  agraire, 
abandonnés  par  les  plébéiens ,  qui  en  avaient  espéré  vai- 
nement le  bien-être ,  tombèrent  frappés ,  ïibérius  par  la 
main  des  sénateurs,  au  pied  du  Capitole  ;  Gains  par  la 
main  d'un  esclave  fidèle ,  dans  un  refuge  consacré  à  la 
vengeance"^, 

II. —  La  révolution  démocratique ,  reprise  et  continuée 
par  les  fils  de  Gornélie,  avait  remué  de  grandes  passions  : 
ces  passions  ne  s'éteignirent  point  dans  le  sang  des  Grac- 
ches ;  elles  s'y  retrempèrent  ;  elles  y  prirent  une  nouvelle 
vie  pour  enfanter  un  vengeur,  Marius. 

En  ce  moment ,  deux  vastes  régions  s'offraient  à  Rome 
conquérante,  l'une  dont  les  riches  dépouilles  devaient  dé- 
sormais alimenter  les  promoteurs  de  la  guerre  civile ,  les 
candidats  à  la  dictature,  et  qui  aura  son  héros  dans  Mi- 


19  Latifundia  perdidere  Italiam  jam  vero   et  provincias.  {Plin.  , 
lib.  XVIII.  cap.  6.) 

20  II  se  fit  tu€r  dans  le  bois  consacré  aux  Furies  ;  il  dévoua  à  leur 
vengeance  l'ingratitude  du  peuple  (620-631). 


36  LlV.  I.  —  ÉPOgUE  ROMAINE. 

thridate"^*;  l'autre,  dont  la  redoutable  existence,  annon- 
cée déjà  par  les  incursions  et  la  guerre  des  Gaulois,  se 
montrait  de  loin ,  plus  effrayante  encore ,  par  ses  débor- 
dements de  Cimbres  et  de  Teutons. 

Le  consul  plébéien  Marins  est  le  représentant  du  parti 
démocratique  ;  c'est  à  lui  qu'est  échue  la  lutte  contre  les 
Barbares,  —  Du  Nord  viendra  un  jour  le  danger  pour 
Rome  ;  mais  les  envahissements  du  monde  germanique 
sont  alors  prématm'és,  et  ces  multitudes,  qui  avaient  in- 
ondé la  Gaule  et  fait  trembler  l'Italie,  s'abîment,  des  deux 
côtés  des  Alpes,  sous  la  main  terrible  de  Marius. 

A  côté  de  l'homme  des  plébéiens,  le  principe  aristocra- 
tique suscite  et  place  son  Représentant,  pour  la  lutte  d'ex- 
termination qui  approche.  Sylla  paraît  :  à  lui  est  échue  la 
guerre  de  l'Asie,  la  guerre  dans  le  vieux  Monde ,  comme 
si  la  Providence  avait  voulu  distinguer  les  deux  champions 
de  l'avenir  et  du  passé,  même  par  le  théâtre  de  leurs  ex- 
ploits!—  Les  deux  rivaux,  parleurs  guerres  lointaines  et 
leurs  victoires,  obtiennent  le  même  résultat  personnel  :  ils 
se  font  des  armées  à  eux.  Redoutables  par  leur  gloire  et 
leurs  forces  matérielles,  ils  sont  en  état  d'opprimer  alter- 
nativement le  parti  qui  leur  est  contraire.  Marius  eritre,  le 
premier,  dans  la  carrière  sanglante  de  la  tyrannie  du  vain- 
queur; mais,  impétueux  dans  sa  fureur,  il  s'aliène  même 
ses  partisans;  il  n'apporte  pas  dans  la  cruauté  le  génie  du 
calcul  politique.  —  L'Homme  des  représailles  vient  à  son 
tour:  il  a  la  conscience  de  sa  mission  impitoyable  de  ven- 
geur du  patriciat;  il  répand  ses  vétérans  dans  l'Italie,  et 


21  C'est  uu  roi  de  Syrie  ,  Antiochus  ,  qui  de  la  Grèce  a  nioutré  la 
route  de  l'Asie  aux  Romains. 


4 


CHAP.  1.  INSTIT.  DE  l'ordre  POLITIQUE,  SECT.  11.       37 

'es  attache ,  comme  possesseurs ,  à  la  terre  dont  il  a  dé- 
pouillé les  anciens  propriétaires.  La  loi  Valeria  a  déclaré 
que  le  Dictateur  pourrait  faire  tuer  impunément  le  ci- 
toyen qu'il  lui  plairait  désigner ,  sans  lui  faire  son  procès , 
indictà  causa"  :  les  Tables  de  proscription  annoncent  cha- 
que jour  qui  doit  mourir,  qui  doit  vivre  ;  et  le  sacrifice 
à  l'antique  Aristocratie  se  continue  avec  la  cruauté  froide 
de  la  réflexion.  Les  institutions  démocratiques  sont  ren- 
versées dans  le  sang  ;  les  tribuns  sont  exclus  du  sénat ,  et 
perdent  le  droit  de  parler;  les  comices  par  tribus  sont 
abolis  ;  les  chevaliers  sont  expulsés  des  tribunaux  ;  aux 
sénateurs  seuls  reviennent  les  jugements  :  le  nombre  des 
s<''nateurs  est  porté  à  quatre  cents.  —  Et  quand  il  a  tout 
glacé  d'épouvante ,  quand  il  a  fait  ruissefer  le  sang  à  son 
gré  dans  Rome ,  dans  l'Italie ,  dans  les  provinces,  le  Dic- 
tateur s'arrête;  il  descend  de  son  tribunal,  protégé  par 
l'image  terrible  de  la  dictature,  qu'il  abdique,  et  la  ter- 
reur des  Vétérans ,  maîtres  du  sol  romain  [674]. 

Mais,  avant  de  se  mêler  à  cette  foule  qu'il  épouvante, 
il  aurait  voulu  frapper  encore  une  tête,  celle  de  Jules 
César  :  dans  le  jeune  homme  de  dix-sept  ans,  qui  avait 
résisté  à  son  ordre  de  répudiation,  il  avait  vu  plusieurs 
Marius-^.  Ainsi,  le  représentant  du  passé,  qui  avait  of- 
fert tant  de  victimes  humaines  à  l'aristocratie,  voyait, 
après  l'accomplissement  du  sanglant  holocauste ,  renaitre 
dans  l'avenir,  plus  fort,  plus  indomptable,  le  principe 
qu'il  croyait  avoir  abattu. 


22  Rendue  sur  la  proposition  de  Finterroi  Valerius.  (C«c.,  de  Letfib., 
Vib.  I.  no  15.) 

23  Suétone,  .7.  Csesar.  Vita,  1.  Nam  Cœsari  multos^Iarios  iuesse. 


38  LIV.  1.  — ÉPOQUE  ROMAINE. 

III.  —  Le  jeune  Jules  César  avait  compris  son  épo- 
que :  après  une  tentative  d'extermination ,  qui  n'avait  pu 
anéantir  aucun  des  partis,  il  jugea  que  la  fusion  des  par- 
tis et  la  transformation  de  la  République  en  Empire 
étaient  nécessaires  à  la  vie,  à  la  grandeur  romaines;  que 
sa  destinée ,  à  lui ,  était  de  fonder  cette  ère  nouvelle ,  en 
se  rendant ,  à  force  de  gloire ,  maître  de  Rome  et  de  l'U- 
nivers. 

Nous  retrouverons  Jules  César  dans  la  Gaule ,  quand 
sa  glorieuse  épée  tracera  profondément ,  à  travers  les  fo- 
rêts druidiques ,  le  passage  à  la  civilisation  romaine. 

Mais  nous  devons  arrêter  là  l'esquisse  des  institutions 
qui  se  rattachent  au  Droit  public  de  Rome.  —  Sous 
les  guerres  civiles  de  César  et  de  Pompée,  d'Octave  et 
d'Antoine,  comme  sous  les  divisions  de  Marins  et  de 
Sylla,  de  Cicéron  et  de  Clodius ,  il  y  avait  bien  encore  un 
combat  de  principes  et  d'institutions ,  une  lutte  de  dé- 
mocratie et  d'aristocratie  ;  mais  les  passions  de  l'homme 
et  l'ambition  individuelle  dominaient  ces  luttes  acharnées 
où  s'épuisait  la  vie  de  la  République.  —  Jules  César  et 
Auguste  (quand  il  a  du  triumvir  dépouillé  tout,  jusqu'à 
son  nom)  restent  seuls,  dans  l'histoire,  comme  la  person- 
nification glorieuse  du  principe  vainqueur. 

Nous  avons  indiqué  le  mouvement  des  faits  et  des  idées 
dans  l'ordre  politique  ;  il  faut  en  étudier  plus  lentement 
le  progrès  et  les  résultats  dans  l'ordre  purement  civil ,  ou 
dans  le  droit  privé. 


PRINCIPE   FONDAMENTAL.  .  39 

CHAPITRE  II. 

PRINCIPE  FONDAMENTAL  DU  DROIT  CIVIL  DES  XII  TABLES  ,  DU  DROIT 
PRÉTORIEN ,  DE  LA  PHILOSOPHIE  DU  DROIT, 


I.  —  Une  idée  absolue,  celle  de  la  cité,  domine  le 
Droit  civil  de  Rome  à  son  origine. 

Le  droit  civil  de  Rome,  c'est  le  droit  spécial  de  la  Cité, 
le  droit  exclusivement  attribué  aux  citoyens  romains. 

Dans  l'unité  de  la  Cité,  il  y  a  deux  éléments,  le  patri- 
ciat  et  le  peuple ,  dont  l'un  d'abord  s'élève  au  dessus  de 
l'autre.  Mais  la  distance  entre  les  deux  classes  patricienne 
et  plébéienne  établissait  une  division  dans  les  personnes, 
et  non  une  division  dans  I'unité  du  droit  civil  ,  choses 
qu'il  ne  faut  pas  confondre'. 

L'unité  de  la  Cité  romaine  donne  son  empreinte  à  la 
famille,  à  la  propriété,  bases  de  l'organisation  civile;  à 
l'olîligation  personnelle,  à  l'intervention  delà  justice,  lien 
et  garantie  nécessaires  de  cette  organisation- 
La  famille  et  la  puissance  paternelle ,  qui  en  concentre 
tous  les  droits,  reposent  sur  le  mariage  entre  citoyens 
romains ,  ou  sur  l'adoption  et  l'adrogation  ,  dans  l'accom- 
plissement desquelles  intervient  la  Cité. 

1  L'hypothèse  de  Niebuhr  sur  les  deux  cilès,  à  l'origine  de  Rome , 
a  entraîné  l'auteur  d'un  Essai  sur  le  droit  privé  des  Romains  (1840), 
(M.  Guérard),  quia  mis  au  service  de  cette  hypothèse  archéologique 
un  vrai  talent  d'exposition.  Cette  fausse  idée  a  entraîné  aussi  plusieurs 
de  nos  auteurs  contemporains  dans  des  erreurs  d'application. 


40  LIV.  1.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

La  propriété  {domininm  ex  jure  Quiriiium)  repose  sur  la 
qualité  romaine  de  la  terre  et  de  la  personne ,  et  sur  le 
caractère  romain  des  moyens  d'acquisition  et  de  transmis- 
sion, tels  que  la  mancipation,  le  testament,  l'hérédité 
légitime. 

L'obligation  repose  sur  le  lien  personnel ,  le  nexum  du 
débiteur  envers  le  créancier  romain  (jus  nexi). 

L'intervention  de  la  justice  {vocatio  in  jus ,  legis  actio- 
nés)  repose  sur  le  droit  du  citoyen  de  traduire  son  adver- 
saire devant  le  magistrat  de  la  Cité  (injure),  pour  obte- 
nir des  juges  qui  prononcent  sur  le  différend  (injudicio). 
Tous  les  droits  qui  composent  l'ensemble  du  Droit  civil 
réfléchissent  l'idée  romaine  et  portent  le  caractère  unique 
du  droit  de  la  cité.  «  Qu'est-ce,  en  effet,  que  la  Cité,  dit 
»  ériergiquement  Cicéron ,  si  ce  n'est  la  société  du  droit? 
»  Quid  est  enim  Civilas,  nisijuris  societas'^  » 

«  Sans  le  droit  civil ,  dit  encore  l'orateur  philosophe  et 
»  jurisconsulte,  il  n'y  a  rien  qui  puisse  être  égal  entre 
»  tous ,  qui  puisse  être  un  pour  tous^.  » 

L'unité  romaine  appliquée-aux  éléments  de  la  société  ci- 
vile, tel  est  donc  le  fondement  du  droit  antique  ;  telle  est 
l'idée  qui  éclaire  tous  les  débris  du  premier  âge,  en  re- 
montant jusqu'aux  Lois  royales ,  et  en  s'attachant  surtout 
aux  fragments  de  la  Loi  des  XII  Tables. 

IL  —  Les  XII  Tables  furent  promulguées  après  une  ré- 
volution politique,  qui  avait  mis  en  présence  et  contre- 

2  De  Rep.,  t.  .32.  S.  Aug.,  de  Civitate  Dei ,  xv.  8  :  Civitas  nihil 
nliiid  est  quam  hominum  multitudo  societatis  vinculo  colligata. 

3  Cic,  pro  Cœcina  ,  cap.  25  : 

«  Hoc  sublato,  nihil  est....  quod  aequabile  inter  omnes  atque  uniim 
»  omnibus  esse  possit.  » 


PRINCIPE  FONDAMENTAL.  41 

balancé  l'une  par  l'autre  l'aristocratie  et  la  démocratie 
romaines.  Mais  le  caractère  du  droit  civil  n'en  fut  pas 
changé.  L'unité  de  la  cité  romaine ,  avec  une  distinction 
aristocratique  entre  les  deux  Ordres ,  resta  le  fondement 
de  la  Loi  des  XII  Tables. 

Toutefois ,  le  passage  d'un  droit  mystérieux  à  un  droit 
fixé  par  écrit ,  la  promulgation  exigée  et  obtenue  par  les 
efforts  des  tribuns  du  peuple  :  c'est  là  un  fait  grave  et  si- 
gnificatif dans  la  Cité.  La  subordination  des  plébéiens  aux 
patriciens  n'est  plus  entière.  Les  relations  de  Rome  avec 
les  peuples  étrangers  s'étendent  ;  le  Préteur  de  la  vdle ,  le 
Préteur  des  étrangers  sont  institués  et  investis  du  pouvoir 
de  publier  un  Édit.  Le  mouvement  commence  dans  la  so- 
ciété civile.  L'unité  primitive ,  tout  en  conservant  un  ca- 
ractère de  supériorité,  s'ouvre  à  des  éléments  nouveaux. 
Bientôt  au  jus  civile  ,  à  l'idée  absolue  de  l'unité  romaine 
se  joindra,  avec  une  influence  progressive,  le  caractère 
flexible  d'un  Droit  réglementaire,  pour  aider,  expliquer 
et  tempérer  le  droit  antique:  ce  sera  le  droit  prétorien 
[jus  houorarium). 

Dans  la  première  période,  depuis  la  fondation  de  Rome 
jusques  et  y  compris  la  Loi  des  XII  Tables  et  sa  pleine  do- 
mination ,  l'idée  fondamentale  de  I'unité  s'applique  aux 
objets  constitutifs  du  droit  civil. 

Dans  la  deuxième  période,  depuis  l'institution  des  Pré- 
teurs jusqu'à  l'école  de Labéon,  sous  Auguste,  l'unité  se 
divise  ;  elle  perd  son  caractère  exclusif;  elle  n'est  plus 
qu'une  idée  de  prééminence  sur  les  éléments  nouveaux  qui 
apparaissent  et  se  développent. 

A  l'idée  fondamentale  de  I'unité  se  joint,  dans  l'his- 
toire du  droit  civil,  le  caractère  de  dualisme,  ou  l'éta- 


42  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

blissement  d'un  Droit  fondé  sur  l'équité,  qui  se  développe 
parallèlement  au  Droit  primitif. 

C'est  là  ce  qui  distingue  les  deux  périodes  du  Droit  des 
XII  Tables  et  du  Droit  prétorien. 

III.  —  Ce  n'est  pas  tout  :  un  élément  supérieur  au 
droit  civil  et  au  droit  prétorien  se  dégage  de  l'enveloppe 
extérieure  des  faits,  et  sort  du  sein  des  révolutions.  Les 
mœurs,  les  lois,  les  communications  étrangères,  les  mou- 
vements et  les  déchirements  même  de  la  société ,  appel- 
lent l'esprit  de  l'homme  à  la  réflexion.  L'intelligence,  en 
se  rephant  sur  les  faits  qui  ont  éveillé  son  activité ,  les 
pénètre  de  sa  lumière,  les  rattache  à  leurs  causes  d'abord 
obscures  ou  inconnues;  et  la  raison  humairfe  éprouve,  un 
jour,  le  besoin  sublime  de  chercher  les  rapports  des  faits 
sociaux  avec  la  nature  de  I'homme  ,  la  nature  de  la  so- 
ciété, la  nature  de  dieu.  —  Alors  naît  la  philosophie 
DU  DROIT.  —  C'est  à  la  limite  extrême  de  la  République 
de  Rome ,  quand  les  anciennes  institutions  de  l'ordre  po- 
litique s'épuisent  dans  l'anarchie  des  guerres  civiles ,  et 
vont  se  transformer  ou  se  perdre  sous  la  dictature  des 
Césars,  que  la  philosophie  du  droit  est  subitement  élevée 
à  toute  sa  grandeur  par  le  génie  de  Cicéron.  La  philo- 
sophie du  droit ,  dans  les  traités  de  la  Répiihlique  et  des 
Lois,  est  le  testament  social  de  la  République  expirante. 

Nous  renfermerons  donc  dans  ce  livre,  sur  le  Droit 
civil  de  Rome,  trois  objets  : 

La  Loi  des  XII  Tables  ; 

Le  Droit  prétorien  ; 

La  Philosophie  du  droit,  considérée  comme  la  base 
d'une  École  nouvelle. 


ORIGINES  HISTORIQUES.  43 


CHAPITRE  III. 

ORIGINES  HISTORIQUES,  ET  CARACTÈRE  GÉNÉRAL  DE  LA  LOI  DES 

XII  TABLES,  PAR  RAPPORT  AUX  LOIS  GRECQUES 

ET  AUX  MŒURS  ROMAINES. 


Gaics  ad  leg*  XII  Tabularum  : 
Sed  qiiod  in  omnibus  rébus  animadverto  id  pcrfec- 
tum  esse,  qnod  ex  suis  partibus  constaret  :  etcertè, 

CUJUSQUE  REI  POTISSIMA  PABS  PRINCIPIUM  EST. 


ObservalioDS  prélimiuaires  el  bibliographiques  sur  les  travaux  modernes  concernart  les 
XII  TABLES. 

Bien  des  travaux  ont  été  faits  sur  la  Loi  des  XII  Ta- 
bles, depuis  le  xvi^  siècle  jusqu'à  nos  jours.  —  Les  ju- 
risconsultes ,  à  cet  égard ,  se  divisent  en  deux  classes  : 
1°  les  collecteurs  de  texte;  2"  les  commentateurs. 

Dans  la  première  classe  sont  principalement  : 

1  •  Aymar  Rivallius  (du  Rivail)  ;  il  paraît  être  le  premier  en 
France  qui  se  soit  occupé  de  la  Loi  des  XII  Tables  dans  son 
Histoire  du  droit  civil  et  pontifical  de  l'an  1 51 5  >  ;  il  recher- 
che les  institutions  des  rois,  les  résultats  de  la  révolution  con- 


1  Aymari  Rivalli  allobrogis  jurisconsulti  ac  oratoris  libri  de  historia 
juris  civilis  et  pontiflci.  —  Valence ,  1515.  Imprimé  aussi  à  Mayence , 
en  1527. 


44  LIV.  l.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

sulaire,  le  caractère  de  la  Loi  des  XII  Tables;  il  rassemble 
des  fragments,  les  dispose  dans  un  ordre  arbitraire,  et  les 
accompagne  quelquefois  d'une  assez  heureuse  interprétation. 
Une  chose  intéressante  pour  l'école  historique ,  c'est  que  son 
histoire  du  droit  est  inspirée  par  l'exemple  du  jurisconsulte 
Gains  ,  et  qu'à  l'entrée  de  cexvi^  siècle  ,  qui  produira  Cujas, 
Aymar  du  Rivail  dit ,  comme  Montesquieu ,  il  faut  éclairer 
les  lois  par  l'histoire,  «  historia  evidentiorem  juris  prœstat 
intellectum  ;  » 

2°  Lesueur  ,  JusTE-LiPSE  ,  François  Pithou  ;  ils  ont  réuni 
en  plus  grand  nombre  des  fragments  de  textes  et  des  passages 
d'auteurs  de  l'antiquité ,  se  rapportant  au  souvenir  des  XII 
Tables.  —  Mais  dans  leurs  collections,  il  y  a  beaucoup  de 
choses  conjecturales  ; 

3°  Jacques  Godefroy;  les  textes  épurés  par  sa  critique  et 
accompagnés  des  indications  de  sources ,  ont  été  adoptés  et 
suivis  par  tous  ceux  qui  sont  venus  après  lui ,  et  notamment 
par  Heineiccius  ,  Hoffmann  ,  Bach ,  Terrasson ,  etc.  ; 

4«  DiRKSEN  etZELL  (Léipzig ,  1824);  leur  judicieuse  com- 
pilation ,  avec  les  notes  relatives  aux  sources ,  a  été  re- 
produite par  M.  Giraud  ,  en  appendice  à  son  Histoire  du  droit 
romain,  et  par  M.  Blondeau,  %'  vol.  des  Institutes  [jus  ante 
Justinianeum].  C'est  la  plus  complète  et  celle  qui  doit  être 
suivie. 

Dans  la  deuxième  classe  (les  commentateurs)  sont  prin- 
cipalement : 

1°  F.  Beacdoin  ad  kg  es  Romuli  et  xn  Tabularum  (  1"  édi- 
tion, 1550; 2%  1554;  3%  1559  :  Balduinus,  dans  le2^  vol.  de 
la  Collectio  Romana  et  Attica  d'Heineiccius);  il  y  aune  grande 
différence  entre  les  première  et  dernière  éditions;  ce  sont 
deux  œuvres  qui  semblent  à  peine  appartenir  au  même  au- 
teur. L'une  est  une  esquisse ,  l'autre  une  œuvre  approfondie; 


.NOTIONS   BIBLIOGRAPHIQUES.  45 

2°  P.  DuPRAT  [Pardulphus  Pratems  d'Aubusson) ,  XII  Ta- 
bularum  leges;  — jurisprudentia  vêtus  (in-12,  1559).  Son 
ouvrage  ,  comme  il  l'indiqule  ui-même ,  fut  inspiré  par  celui 
de  Beaudoin ,  qui  n'avait  pas  encore  publié  sa  troisième  édi- 
dion ,  et  pour  combler  les  lacunes  laissées  par  ce  dernier  ; 
Quia  mullas  ab  eo  prœtermissas  deprœhendi  (p.  202)  ; 

3°  Jacques  R^evard  (  de  Bruges) ,  disciple  de  Cujas  et  pro- 
fesseur à  Douai;  il  a  déployé  dans  son  commentaire  ad  le<j . 
XII  Tab.  une  grande  connaissance  de  l'antiquité,  Lipse  l'ap- 
pelait le  Pajomî'en  des  Pays-Bas;  il  est  mort  comme  le  ju- 
risconsulte de  Rome  à  trente-quatre  ans  (1568); 

4°  Charo.ndas  ,  CATALOGLS  leguiii  antiquarum  d'Ulrique 
Zasius  ,  avec  notes  (1567 — 1578).  L'auteur  français  a  joint 
aux  notes  sur  les  XII  Tables  et  les  lois  postérieures  un  livre 
d' antiquités  romaines ,  où  se  trouvent  de  judicieuses  obser- 
vations ,  notamment  sur  les  Centumvirs  ; 

5°  Crispi.nus;  juris  civilis  Rom.  initia  et  proyressus  ad 
leges  XIITabul.  (1578).  Ce  n'est  pas  un  commentaire  nou- 
veau, mais  un  résumé  des  travaux  antérieurs;  il  reproduit 
notamment  ceux  de  J.  Oldendorpius  ,  de  Hambourg  (mort  en 
1 567) ,  dont  le  commentaire  avait  de  la  réputation  ; 

6"  Jaq.  Godefroy  {legem  Tabularum  fragmenta,  nunc  pri- 
mum  tabulis  restitutaj;  ses  commentaires,  comme  sa  collection 
de  textes,  ont  effacé  les  travaux  de  ses  devanciers  et  préparé 
ceux  de  Gravina  ,  de  Pothier  ,  de  Bouchaud  ,  qui  clôt  la  liste 
des  commentateurs  modernes  par  une  œuvre  non  proportion- 
née aux  travaux  antérieurs ,  aux  besoins  de  la  science  du 
xviii*  siècle,  et  peut-être  au  sujet  lui-même,  malgré  toute 
son  importance. 

Nous  ferons  ici  une  remarque  qui  se  rapporte  aux  indica- 
tions précédentes  : 

1  °  Le  travail  d'Aymar  du  Rivail  a  servi  de  point  de  départ 
aux  travaux  du  xvi"  siècle  sur  la  Loi  des  XII  Tables; 


46  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAIINE. 

2"  L'œuvre  de  Jacques  Godefroy  a  servi  de  base  à  tous  les 
historiens  et  commentateurs  des  xvn*  et  xvni*  siècles  ; 

3"  La  compilation  de  Dirksen ,  qui  s'est  enrichie  des  frag- 
ments révélés  par  la  découverte  de  Gains  et  de  la  République 
de  Cicéron,  servira  de  point  de  départ  aux  travaux  du  xix*  siè- 
cle sur  la  Loi  que  J.  Godefroy  appelait  «  le  fondement  de  tout 
le  droit  romain ,  la  source  de  tout  le  droit  public  et  privé  2.  » 

Nous  reprenons  cette  série  nouvelle  d'explications  du  droit 
des  XII  Tables,  mais  sous  une  forme  toute  différente  des 
commentaires ,  sous  la  forme  d'une  exposition  historique  et 
théorique ,  la  seule  qui  puisse  convenir  à  la  nature  de  notre 
livre. 


Avant  la  Loi  des  XII  Tables ,  les  mœurs  de  Rome,  les 
lois ,  les  traditions ,  composaient  dans  leur  ensemble 
un  droit  obscur ,  incertain ,  mystérieux ,  soumis  à  l'in- 
fluence exclusive  des  pontifes  et  des  patriciens  {jus  pon- 
tificium). 

Il  existait,  à  la  vérité,  un  recueil  de  Lois  royales,  fait 
par  Sext.  Papirius ,  que  Pomponius  place  sous  le  règne 
de  Tarquin  le  Superbe.  Ce  recueil ,  appelé  Jus  papirla- 
num  ^,  renfermait  les  lois  de  Romulus ,  les  lois  sacrées  de 
Numa,  et  les  lois  Curiates  ou  rendues  par  les  Curies  de 
Rome  sur  la  proposition  des  rois.  Mais  ces  lois  avaient 
perdu  leur  autorité  après  rex})ulsion  des  ïarquins,  et 
d'ailleurs  elles  devaient  concerner  principalement  les  cho- 

2  Lex  XII  Tabularum  fondaraentum  totius  juris  romani,  fonsque 
omnis  juris  publici  privatique.  {Jac.  Golhof.,Hist.  Jur.  Rom.,  ch.  2.) 

3  Vel  Jus  civile  papirianum.  (Pomponius. ,  de  Orig.  J.,  §  2.  ) 
Paul  dit  :  de  Jure  papiriano.  (  D.  de  Yerb.  Sifinif.,  1.  144.  ) 

M.  Daunou  a  fait  une  dissertation  sur  le  Jus  papirianum ,  quiest 
insérée  au  7^  vol.  de  la  Thémis. 


CHAP.  III.  ORIGINES  HIST.  DES  XII  TABLES.  47 

ses  du  culte  *.  Le  droit  privé  restait  donc  livré  à  l'incerti- 
tude de  règles  obscures  (jus  in  latenti). 

Les  Plébéiens  ,  qui  avaient  pris,  avec  les  Tribuns,  une 
grande  place  au  forum  après  la  révolution  du  Mont-Sacré, 
et  qui  se  voyaient  exposés  cependant  à  l'arbitraire  des 
Patriciens,  seuls  interprètes  de  la  coutume,  réclamèrent 
vivement  la  fixité ,  la  publicité  de  lois  écrites.  Les  récla- 
mations incessantes  du  tribun  Terentilius  furent  long- 
temps ajournées  par  la  force  d'inertie  du  sénat.  La  loi 
Terentilia,  de  l'an  292,  pour  la  formation  d'une  Commis- 
sion législative,  ne  fut  exécutée  qu'après  huit  ans  de 
combats  contre  la  résistance  passive  que  lui  opposaient  les 
patriciens.  —  DesCommisaires  cependant  furent  choisis, 
dans  leur  Ordre,  vers  l'année  300,  pour  les  travaux  pré- 
paratoires. Selon  Tite-Live  et  Denys  d'Halicarnasse ,  une 
députation  fut  envoyée  en  Grèce,  au  nom  du  Sénat,  pour 
s'instruire  des  lois  célèbres  d'Athènes  et  de  Lacédémone  , 
et  s'informer  des  mœurs  de  diverses  républiques ,  soit  de 
la  Grèce,  soit  des  parties  de  l'Italie  appelées  la  Grande- 
Grèce.  Yico  a  révoqué  en  doute  le  fait  de  la  députation  , 
et  s'est  fondé  principalement  sur  ce  que  Rome  ne  con- 
naissait pas  encore  la  Grèce.  Il  suppose  que  la  guerre  avec 
Pyrrhus  et  les  Tarentins ,  à  la  fin  du  v^  siècle ,  a  révélé 
la  Grèce  à  Rome ,  et  lui  a  permis  de  voir  au  delà  de  l'Ita- 


4  Paul  nous  apprend  (de  Verb.  Signif. ,  Dig.,  l.  144  ),  que  Granius 
Flaccus  avait  fait  un  livre  de  Jiire  papiriano  :  et  l'on  trouve  ce  Granius 
Flaccus  compris  dans  les  attaques  dirigées  par  Arnobe  contre  le  paga- 
nisme {adversus  Génies  ,  lib.  m.  )  Ce  qui  peut  prouver  que  l'œuvre  de 
Jure  papiriano  se  rattachait  au  Culte  païen.  Au  xvie  siècle,  Baudouin 
a  voulu  reconstruire  les  lois  de  Romulus,  travail  qui  a  peu  de  valeur. 
^Jurisp.  Au.  et  Rom.,  t.  3.  )  • 


48  LIV.  I.  EPOQUE  ROMAINE. 

lie^.  Cette  opinion  est  complètement  détruite  par  la  cer- 
titude d'un  traité  fait ,  au  milieu  du  iii^  siècle ,  entre  les 
Romains  et  les  Carthaginois,  et  rapporté  par  Polybe^. 
Rome ,  qui  connaissait  déjà ,  en  244 ,  la  Sicile  et  Carthage , 
ne  devait  pas  ignorer,  vers  l'année  300  ,  l'importance  po- 
litique de  la  Grèce ,  ni  la  renommée  des  lois  de  Lycurgue, 
qui  existaient  depuis  quatre  cents  ans ,  ou  celle  des  lois 
de  Dracon  et  de  Solon ,  qui  existaient  depuis  environ  cent 
cinquante  ans^.  —  La  députation  du  sénat  est  donc  une 
mesure  très-vraisemblable. 

Toutefois,  un  rapprochement  omis  par  Vico,  et  qui 
touche  au  fond  du  Droit  civil,  repousse  l'idée  d'emprunts 
faits  aux  lois  de  la  Grèce  sur  les  points  les  plus  essentiels  : 
ce  rapprochement  est  relatif  à  la  constitution  de  la  cité  et 
de  la  famille.    • 

A  Rome ,  le  droit  de  cité  appartenait  exclusivement 
aux  citoyens  romains ,  et  les  étrangers  étaient  exclus  de 
toute  participation  au  droit  civil  :  Adversus  hostem  œterna 
auctoritas  esto.  —  Athènes,  au  contraire,  offrait  le  droit 
de  cité  aux  étrangers  :  une  loi  voulait  que  les  étrangers 

5  M.  Michelet  regarde  l'opinion  comme  douteuse  ;  mais  il  ne  la  re- 
pousse pas  entièrement  dans  son  Histoire  de  la  Rép.  rom.,  1.  304. 

6  Polybe ,  III.  23-24.  t.  4.  p.  26  (éd.  Folard).  Nous  en  avons  parlé 
dans  notre  chap.  l^r. 

7  La  législation  de  Lycurgue  remonte  à  l'an  84.5  avant  J.-C. ,  ou 
92  ans  avant  la  fondation  de  Rome. 

Les  lois  de  Dracon  sont  de  l'an  624  avant  .T.-C,  ou  de  l'an  128  ou 
130  de  Rome. 

Les  lois  de  Solon  sont  de  l'an  594  avant  J.-C,  ou  de  l'an  158  ou  160 
de  Rome. 

Servius  TuUius  avait  connu  certainement  les  lois  de  Solon  sur  la 
Constitution  athénienne .J  Voir  notre  chap.  le^.) 


CHAP.  III.  ORIGINES  HIST.  DES  Xli  TABLES.  49 

venus  à  Athènes  pour  y  habiter  fussent  compris ,  après 
un  court  délai ,   parmi  les  citoyens  :  Intra   brève  tem- 
pus  in  cives  cooptantor.  —  C'est  là  certainement ,  dans  la 
constitution  de  la  Cité  romaine  et  de  la  Cité  grecque , 
une  différence  caractéristique  ^ .  —  A  Athènes,  le  jeune 
homme  de  vingt  ans  était  inscrit  parmi  les  citoyens  et 
devenait  chef  de  famille,  indépendant  de  son  père.  La 
femme  apportait  une  dot  à  son  mari,  et  conservait  une 
certaine  indépendance;  le  divorce  était  facile  et  réci- 
proque :  la  femme  pouvait  accuser  le  mari,  aussi  bien 
que  le  mari  accuser  la  femme^.  A  Athènes,   enfin,  le 
père  famille  ne  pouvait  pas  tester  au  préjudice  de  ses 
enfants.  Liberté  pour  la  femme  et  les  enfants,  négation 
ou  enchaînement  de  la  puissance  paternelle ,  tel  était  l'es- 
prit de  la  famille  grecque.  —  La  famille  romaine,  au  con- 
traire, avait  pour  loi  fondamentale  la  soumission  à  la 
puissance  de  l'aïeul,  du  père,  du  mari;  et  le  droit  absolu 
de  tester  se  liait  à  l'exercice  de  l'autorité  paternelle. 

Ce  contraste  sur  l'esprit  de  la  cité  et  de  la  famille,  sur 
l'organisation  de  la  puissance  paternelle  ou  maritale ,  et 

8  Samuel  Petit,  in  Leges  atticas  ,  lib.  ii.  t.  3  : 

«  Advenae  qui  Athenas  habitandi  causa  commigrarunt ,  intra  brève 
»  tempus  in  cives  cooptantor.  » 

Aristophane  rappelle  cette  loi,  Guêpes  ,  v.  716. 

La  loi  de  Solon  sur  l'acquisition  du  droit  de  cité  modifla  l'ancien 
droit,  d'après  lequel  aucune  condition  n'était  imposée  pour  être  ci- 
toyen; il  suffisait  de  s'établir  en  Attique  {Thucyd.,  1.  §  2);  d'après  la 
loi  de  Solon,  il  fallait  se  fixer  à  Athènes  avec  toute  sa  famille ,  et  y 
exercer  au  moins  un  métier.  {Paslorel,Hisl.  delaLégisl.,t.  6.  p.  177). 

9  Le  mari  rendait  la  dot  ou  payait  une  pension  (  Loi  de  Solon.  )  La 
femme  était  obhgée  de  comparaître  elle-même  devant  les  juges ,  et  de 
présenter  sa  requête.  {Plularque ,  vie  d'Alcib. — Monlesquieu,  xvi.  16.) 

T.   I.  U 


50  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

sur  le  droit  de  succession ,  prouve  évidemment  que  l'ori- 
gine des  XII  Tables  a  été  vraiment  romaine.  Des  lois  grec- 
ques furent  connues  et  employées  ;  car  le  Sénat  éleva  une 
statue  au  grec  Hermodore,  qui  en  avait  traduit  dans  l'i- 
diôme  latin.  Mais  le  droit  civil  des  XII  Tables,  fidèle  au 
caractère  originel  de  Rome,  a  dû  nécessairement  repro- 
duire la  vie  intime  et  les  mœurs  de  la  cité,  la  constitution 
préexistante  de  la  famille,  de  la  propriété,  de  l'hérédité, 
des  obligations  et  conventions  entre  citoyens.  C'est  d'elle- 
même  ,  de  ses  éléments  natifs,  de  son  origine  étrusque  et 
latine ,  de  ses  traditions  pélasgiques  ou  orientales , 
que  Rome,  renfermée  dans  un  étroit  territoire,  pouvait 
tirer  la  racine  et  les  principes  de  son  droit  civil.  L'origi- 
nalité et  la  supériorité  du  droit  civil  de  Rome  étaient  si 
bien  reconnues  par  Cicéron,  qu'il  disait  aux  Romains,  avec 
une  sorte  d'orgueil  national  :  «  Vous  comprendrez  très- 
»  facilement  combien  nos  ancêtres  l'ont  emporté  en  sa- 
»  gesse  sur  les  autres  nations,  si  vous  voulez  comparer  nos 
«lois  avec  les  lois  de  Lycurgue,  de  Dracon  et  de  Solon  : 
»la  distance  entre  elles  est  infinie*^.» 

Les  Décemvirs,  chargés  de  rédiger  la  loi  des  XII  Ta- 
bles, furent  élus,  la  première  fois,  parmi  les  patriciens. 
Dix  Tables  de  loi  furent  gravées  et  exposées  aux  regards 
des  citoyens  dans  la  première  année  du  Décemvirat;  elles 
furent  approuvées  par  un  décret  du  Sénat  et  par  tout  le 


10  «  Quantum  prsestiterint  nostri  majores  prudentia  ceteris  genti- 
bus  ,  facillime  intelligetis ,  si  cum  illorum  Lycurgo,  et  Dracone  ,  et  So- 
lone  nostras  leges  conferre  volueritis.  —  Incredibile  est  enim ,  quam  sit 
omne  jus  civile  ,  prœter  lïoc  uostrum  ,  incondilum  ac  pœne  ridiculum. 
{Cic. ,  de  Oral.,  i.  44.) 


CHAP.  m.  ORIGINES  HIST.  DES  XII  TABLES.  51 

peuple  assemblé  en  centuries  [302].  L'année  suivante , 
Appius  Claudius ,  le  principal  rédacteur  de  la  loi ,  pro- 
posa et  fit  accepter  deux  Tables  nouvelles ,  où  se  trou- 
vait profondément  marquée ,  dans  l'ordre  civil ,  la  sépa- 
ration des  classes  patricienne  et  plébéienne  par  la  pro- 
hibition des  mariages  entre  les  membres  des  deux  Or- 
dres ;  et  cependant  Appius  Claudius ,  réélu  décemvir , 
était  alors  entouré  de  collègues  plébéiens  ^  *  ! 

La  Loi  fut  promulguée  l'an  303  de  Rome  ;  le  vœu  pri- 
mitif du  peuple  et  des  tribuns  fut  accompli.  —  La  Loi 
des  XII  Tables ,  publiée  quarante  ans  après  la  révolution 
plébéienne  du  Mont-Sacré,  n'était  pas  et  ne  pouvait  pas 
être  le  Code  absolu  du  patriciat.  L'esprit  patricien  s'y 
révèle  par  la  prohibition  des  mariages  mixtes,  par  des 
dispositions  rigoureuses  contre  les  débiteurs ,  contre  les 
étrangers  :  mais  les  citoyens  y  trouvaient  leurs  garanties 
générales  ;  et  long-temps  après  l'affaiblissement  du  pa- 
triciat, les  XII  Tables  étaient  regardées  par  les  juris- 
consultes romains  comme  la  source  du  droit  public  et 
privé  ;  «  source  bien  supérieure ,  disait  Cicéron ,  dût-on 
en  frémir  autour  de  lui ,  fremant  omnes  licet ,  source  bien 
supérieure  par  l'autorité,  l'utiUté,  la  fécondité,  à  tous  les 
livres  de  philosophie*^.  » 

11  Cic,  de  K,ep.,  ii.  37.  Duabus  Tabulis  iniquarum  legum  additis. 
—  Appius  avait  usé  de  son  ascendant  sur  le  peuple  romain ,  pour  se 
faire  nommer  des  collègues  plébéiens,  soumis  à  son  influence.  —  Tit. 
Liv.,  III.  32.  33 

12  Fremant  omnes  licet,  dicam  quod  sentio.  Bibliothecas  me  Hercule 
omnium  philosophorum  unus  mihi  videtur  XII  Tabularum  libellus ,  si 
quis  legum  fontes  et  capila  videret,  et  auctoritatis  pondère  et  utilitatis 
ubertate  superare  !  (  Cic,  de  Oral.,  i.  44.  —  Dtjf.,  i.  2.  §  5.  G.  ) 


52  LIV.  1.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

CHAPITRE  IV. 

LE  DROIT  DES  XII  TABLES  DANS   SON  APPLICATION   AUX  OBJETS 
GÉNÉRAUX  DU  DROIT  PRIVÉ. 


(1"  PÉRIODE  DE  l'Époque  romaine.) 

En  exposant  le  droit  des  XÏI  Tables ,  on  ne  doit  pas 
limiter  le  sujet  à  la  Loi  elle-même,  aux  fragments  qui  en 
ont  été  recueillis;  mais  on  doit  l'étendre  aux  éléments  ac- 
cessoires qui  sont  nés  directement  de  l'application  de  la 
loi  fondamentale ,  c'est-à-dire  au  droit  kon-écrit  résul- 
tant de  l'interprétation  des  Prudents ,  et  aux  actions  de 
LA  LOI ,  qui  furent  composées  vers  la  même  époque.  Ces 
trois  parties  réunies  formèrent  le  droit  civil  des  XII  Ta- 
bles ,  et  eodem  tempore^  dit  Pomponius ,  tria  hœcjura  naia 
snnt.  Aussi ,  le  premier  jurisconsulte  romain  qui  ait  écrit 
un  livre  sur  le  droit  civil ,  Sextus  ^ëlius  ,  l'avait-il  inti- 
tulé Tripertita  ,  parce  qu'il  avait  ce  triple  objet  :  la  Loi , 
l'Interprétation,  les  Actions  de  la  loi.  C'est  aux  trois  sour- 
ces primitives  que  nous  puiserons  notre  exposition. 

Le  Droit  des  XII  Tables  embrasse  cinq  éléments  : 

La  cité  ; 

La  famille  ; 

La  propriété  et  les  moyens  d'acquérir  ; 

Les  OBLIGATIONS  ; 

L'institution  judiciaire  et  les  actions. 

Il  comprend  ainsi ,  dans  la  puissance  de  son  unité , 


CHAP.  IV.  DROIT  DES  XII  TABLES.  SECT.  I.  53 

l'ensemble  des  objets  qui  constituent  la  matière  du  droit 
public  et  privé  chez  toutes  les  nations  civilisées  ;  car  la 
Cité  ,  comme  nous  l'avons  dit  dans  notre  Introduction  , 
est  une  notion  complexe  à  laquelle  se  rattache  l'ordre 
politique ,  religieux  et  civil. 

Nous  avons ,  dans  le  premier  chapitre ,  exposé  les  in- 
stitutions pohtiques  de  la  Cité  romaine  ;  nous  la  consi- 
dérerons maintenant ,  dans  le  droit  des  XII  Tables ,  au 
point  de  vue  du  Droit  privé. 

SECTION  ^^ 

LA  CITÉ. 


SOMMAIRE. 

ï.  —  Eléments  constitutifs  de  l'état  des  citoyens. 
II.  —  Ingénus.  —  Affranchis.  —  Étrangers. 
ÏII.  —  Clients.  —  Patrons. 
TV.  —  Perte  des  droits  de  citoyen.  —  imerdictio  aquje  et  ignis. 

—  Exil  avant  le  jugement;  ses  effets  sur  le  droit  de  cité. 
V.  —  Roynain  prisonnier  de  guerre.  —  Jus  postliminii. 
VI.  —  Personnes  sui  juris  et  alieni  juris.  —  Transition. 

I.  —  Dans  l'état  de  citoyen  romain  se  trouvaient  réu- 
nis trois  éléments  :  la  Liberté ,  la  Cité  ,  la  Famille. 

La  Liberté  était  le  fondement  nécessaire  de  tous  les  au- 
tres droits  :  si  le  citoyen  perdait  la  liberté  par  son  crime, 
il  perdait  nécessairement  tous  les  droits  qui  constituaient 
son  état  civil  ;  c'était ,  en  langage  technique ,  la  grande 
diminution  de  tète  * . 

1  Maxima  vel  magna  capitis  deminutio. 


54  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

Mais  la  Cité  aussi  était  le  fondement  de  tous  les  droits 
du  citoyen  romain  :  s'il  perdait  la  cité ,  il  perdait  donc 
tous  ses  droits,  même  ceux  de  père  de  famille,  de  fils 
de  famille,  car  il  n'était  plus  Romain^.  C'était  encore  un 
grand  changement  d'état. 

Si  le  Romain ,  au  contraire ,  conservait  la  qualité  de 
citoyen  ,  et  que  seulement  il  s'opérât  un  changement 
dans  ses  droits  de  famille  par  l'adoption,  l'adrogation  ,  l'é- 
mancipation ,  il  n'y  avait  en  lui  qu'un  petit  changement 
d'état.  Cette  modification  était  assez  grave  pour  entraî- 
ner un  renouvellement  de  personne  civile ,  de  famille , 
de  propriété.  Ainsi,  l'adopté  sortait  de  sa  famille  natu- 
relle et  tombait  sous  la  puissance  paternelle  du  père  adop- 
tif;  ainsi,  l'adrogé,  sui  juris,  sa  femme,  ses  enfants, 
tombaient  sous  la  puissance  de  l'adrogeant  ;  ses  biens 
changeaient  de  maître,  ses  obligations  personnelles  étaient 
éteintes ,  d'après  le  droit  des  XII  Tables ,  et  son  testa- 
ment infirmé.  Ainsi ,  l'émancipé ,  mis  hors  de  la  puis- 
sance paternelle,  était  placé  en  dehors  de  la  famille,  il 
perdait  ses  droits  d'agnation  ,  de  gentilité ,  d'hérédité  lé- 
gitime; il  devenait  le  chef  d'une  famille  nouvelle,  le 
maître  d'une  nouvelle  propriété.  Mais  ces  graves  modi- 
fications dans  l'état  de  la  famille  ne  touchaient  pas  à  la 
qualité  essentielle ,  celle  de  Citoyen.  Le  Romain ,  en  con- 
servant sa  qualité  de  citoyen  ,  conservait  son  état  fonda- 
mental {caput ,  status);  car  la  cité  supposait  nécessaire- 
ment la  liberté;  et,  dans  ce  sens,  Ulpien  disait  :  La 
petite  diminutien  de  tête  a  lieu  sans  que  l'état  des  per- 
sonnes se  perde,  salvo  statut.  Aussi  les  jurisconsultes  ne 

2  Gaius ,  I.  §  128.  Ex  numéro  civium  Romanorum  tollitur. 
3D.  xxxvui.— 17-1.  §  1. 


CHAP.  IV.  DROIT  DES  XII  TABLES.  SECT.  I.  55 

considéraient  souvent  la  deminutio  capitis  que  sous  deux 
rapports,  magna  etminor*.  Cependant  la  division  tripar- 
tite  (mdxima,  média,  minima)  avait  été  le  plus  générale- 
ment adoptée  comme  répondant  aux  trois  éléments  de 
l'État  des  personnes ,  la  liberté ,  la  cité ,  la  famille ,  et 
comme  renfermant  en  elle  toutes  les  questions  d'état  :  c'est 
celle  de  Gains  et  de  Paul ,  qui  a  passé  dans  les  Institutes 
de  Justinien  ^. 

II.  —  Dans  les  premiers  temps  ,  le  droit  civil  de  Rome 
ne  connaissait  pas  de  situation  intermédiaire  entre  la  con- 
dition de  citoyen  et  celle  d'esclave.  Tous  les  affranchis 
étaient  citoyens  :  les  affranchis  déditices  et  latins-juniens 
sont  du  siècle  d'Auguste  et  de  Tibère.  Cependant ,  parmi 
les  citoyens  on  distinguait  les  ingénus  et  les  affranchis.  La 
distinction  entraînait  des  conséquences  non  seulement 
dans  l'ordre  politique,  comme  on  l'a  vu  par  la  classification 
des  Tribus ,  mais  dans  l'ordre  purement  civil ,  pour  les 
prohibitions  de  mariage  et  les  droits  de  gentilité. 

Les  peuples  vaincus  que  Rome  transportait  dans  son 
enceinte ,  ou  dans  les  limites  du  territoire  composant 
Yager  romanus ,  étaient  faits  citoyens  romains  par  une  na- 
turalisation collective;  mais  on  ne  pratiquait  pas  encore 
la  naturalisation  comme  concession  individuelle. 

L'Étranger,  qualifié  d'abord  comme  l'ennemi  (liostis)^ 
n'avait  pas  de  droit  propre  et  reconnu  ;  il  ne  pouvait  en 
obtenir  qu'en  se  plaçant,  comme  cUent,  sous  le  patronage 
d'un  patricien. 

III,  —  Le  patronage  formait  dans  la  cité  romaine  une 

4  D.  XXXVIII.  —  16-1.  §  4.  UIp. 

5  Gaius  I.  §  159. 

Paul,  D.  VI.  -r-5-ll   last.  I.-16. 


56  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

institution  surtout  politique  ;  mais  il  produisait  aussi  des 
effets  importants  dans  Tordre  civil. 

Chaque  plébéien  avait  le  choix  de  son  patron  parmi 
les  patriciens.  Les  clientelles  étaient  héréditaires ,  carac- 
tère très-remarquable.  Le  droit  attaché  aux  descendants 
du  Patron  s'étendait  sur  la  famille  du  Client  ;  celui-ci  ne 
pouvait  changer  de  patronage,  que  dans  le  cas  où  le  pa- 
tron mourait  sans  enfants  ni  descendants. 

Des  obligations  mutuelles  dérivaient  de  cette  belle 
institution ,  dont  l'origine  se  confond  avec  celle  de  Ro- 
me ,  et  qui  dura  plus  de  six  cents  ans  sans  aucune  alté- 
ration. Le  patron  devait  faire  connaître  à  ses  clients 
leurs  droits,  et  les  représenter  en  justice;  il  devait  pren- 
dre soin  des  intérêts  du  client  présent  ou  absent,  l'aider 
de  son  argent ,  si  le  client  était  pauvre  ,  et  pourvoir  à 
l'éducation  des  enfants.  Le  patron ,  possesseur  de  terres 
dépendant  de  la  République ,  les  donnait  à  cultiver  à  des 
clients ,  à  charge  de  redevance*^.  —  Les  clients ,  de  leur 
côté ,  devaient  concourir  à  payer  la  rançon  du  patron  et 
de  ses  fils  tombés  en  captivité ,  à  le  libérer  de  ses  dettes 
et  des  peines  pécuniaires  prononcées  contre  lui.  Ils  de- 
vaient soutenir  le  patron  de  leurs  suffrages  dans  les  co- 
mices ,  de  leur  argent  pendant  l'exercice  des  charges  dont 
il  était  revêtu.  L'obligation  mutuelle  entre  le  patron  et 
le  client  était  si  étroite  et  si  sacrée  ,  que  dans  le  respect 
du  client ,  le  patron  occupait ,  disait  Caton ,  le  premier 

6  Cic,  de  Off.,  II.  24.  Rem  publicam  augeant  agris,  vectigalibus. 

Tit.  Liv.,  IV.  36.  Et  vectigali  possessoribus  agrorum  imposito. 

F.  Baudouin,  dans  son  Essai  sur  les  Lois  de  Romulus,  en  avait  tiré 
cette  loi ,  agros  plebei  colunlo  :  l'expression  de  la  loi  était  imaginée  par 
le  collecteur;  mais  l'usage  existait.  (  Collecl.  leg.  ÂUic.  et  Rom. ,  t.  2.  ) 


CHAP.  IV.  DROIT  DES  XII  TABLES.  SECT.  I.  57 

rang  après  le  père''.  Aussi  le  patron  et  le  client  ne  pou- 
vaient-ils s'accuser  ni  rendre  témoignage  l'un  contre  l'au- 
tre ,  et  la  Loi  des  XII  Tables  vouait  à  l'exécration  publique 
et  aux  Dieux  infernaux  le  patron  qui  aurait  trompé  son 
client  :  Patronus  si  clienti  fraudem  facit,  sacer  esto  *. 

L'institution  du  patronage  avait ,  de  plus  ,  dans  les 
premiers  siècles  ,  ce  caractère  essentiel  en  droit  civil , 
qu'elle  était  propre  à  servir  de  lien  entre  les  citoyens  et 
les  étrangers  :  ceux-ci  pouvaient  être  reçus  parmi  les 
clients.  Membres  de  la  clientelle ,  ils  se  produisaient  dans 
la  Cité  sous  le  nom  du  patron ,  et  ils  pouvaient  indirec- 
tement ,  à  la  faveur  de  ce  nom ,  exercer  certains  droits 
et  obtenir  justice  ;  la  création  du  Préteur  des  étrangers 
[en  507]  ,  rendit  superflu  devant  les  tribunaux  cet  em- 
prunt du  patronage®.  —  Au  reste,  lorsque  l'étranger , 
placé  dans  la  clientelle  d'un  citoyen  ,  résidait  et  mou- 
rait à  Rome  ,  il  y  avait  sur  ses  biens ,  au  profit  de  son 
patron ,  un  droit  d'application ,  jus  applicationis  ,  dont 
Cicéron  nous  a  conservé  la  trace  positive ,  et  qui  pour- 
rait présenter  quelque  analogie  avec  le  droit  d'aubaine 
de  la  féodalité  ^°. 

IV.  —  La  condition  d'homme  libre  et  celle  de  citoyen 

7  Aulu-Gell.  V.  13.  Palrem  primum,  poslea  patronum  proximum 
nomen  habere. 

8  Tab.  VIII.  21.  (Éditions  de  MM.  Dirkseri,  Giraud  et  Blondeau.) 
La  formule  sacer  esto  est  la  mise  hors  la  loi. 

Du  temps  de  Virgile ,  la  réprobation  n'avait  rien  perdu  de  sa  force 
contre  le  patron....  Si  frans  inexa  clienli.  {Encid.,  vi.  80.  ) 

9  IViebuhr,  Hist.  rom.,  11.  <101,  note  502  : 

La  clientèle  italique  devenant  redoutable,  on  créa  le  Préteur  des 
étrangers. 

10  Cic,  deOrat.,  i.  39. 

Quod  item  in  centumvirali  judicio  certatum  esse  accepimus  qui  Ro- 


58  LIV.  1.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

se  confondaient  dans  l'intérieur  delà  Cité.  La  Loi  pénale, 
dans  certains  cas ,  prononçait  la  peine  de  mort  contre  un 
citoyen  jugé  par  l'Assemblée  du  peuple  ;  ou  d'un  citoyen 
coupable ,  et  condamné  à  une  peine  perpétuelle  {metallis)^ 
la  Loi  faisait  un  esclave ,  servus  pœnœ.  Elle  ne  pouvait  pas 
faire  directement  d'un  citoyen  un  homme  libre  non-citoyen; 
car  cette  condition  intermédiaire  entre  l'esclave  et  le  ci- 
toyen n'existait  pas  dans  le  droit  primitif  de  la  Cité.  Elle 
ne  pouvait  pas ,  d'un  autre  côté ,  transformer  un  citoyen 
romain  en  étranger  ;  car  Xextranéité  est  un  fait  naturel  de 
naissance,  ou  d'existence  volontaire  en  dehors  d'une  cité. 
Que  pouvait  donc  la  loi  ? — Déterminer  par  ses  mesures  un 
citoyen  à  renoncer  à  sa  patrie ,  à  se  rendre  lui-même  étran- 
ger pour  conserver  sa  vie  :  de  là  l'interdiction  du  toit,  de 
l'eau  et  du  feu,  interdictio  tecti,  aquœ  et  ignis.  L'ordre  du 
peuple  n'enlevait  pas  au  citoyen  sa  qualité ,  son  droit  de 
cité ,  inséparable  de  sa  personne  civile;  mais  l'interdiction 
de  l'eau  et  du  feu  lui  rendait  la  vie  impossible  dans  la 
Cité*  * .  Privé  des  moyens  d'existence  physique  dans  Rome, 
le  citoyen  s'exilait  pour  vivre,  et  devenait  membre  d'une 
autre  Cité.  Or,  nul  ne  pouvait,  selon  le  droit  civil,  être 
citoyen  de  deux  cités  :  Ex  noslrojure  duarum  civitatum  nemo 
esse  potest^^.  Le  Romain  devenait  donc  étranger  à  laso- 

mam  in  exilium  venisset,  cui  Romae  exsulare  jus  esset,  si  se  ad  ali- 
quem  quasi  palronum  appiicuisset ,  intestatoque  esset  mortuus ,  nonne 
in  ea  causa  jus  appUcalionis ,  obscurum  sane  et  ignotum,  patefactum 
in  judicio  atque  illustratum  est  a  patrono? 

11  Civitatem  nemo  unquam  ullo  populi  jussu  amittit  invitus;  id  au- 
tem,  ut  esset  faciendum,  non  ademptione  civitatis,  sed  tecti ,  aquae  et 
ignis  interdictione  faciebant.  (  Cic,  pro  domo  sua,  cap.  29.  30.  ) 

12  Cic,  pro  Caecina  34. 

II  ajoute  :  « Aniittitur  hinc  civitas,  quuin  is  qui  profugit  recep- 

tus  est  in  exilium  ,  hoc  est ,  in  alîamcivitatem.  > 


CHAP.  IV.  DROIT  DES  XII  TABLES.  SECT.  I.  59 

ciété  romaine  par  son  propre  fait;  il  perdait  son  état,  sa 
tête  de  citoyen  ;  et ,  par  ce  motif,  l'exil ,  quoique  laissant 
la  vie  et  la  liberté  à  l'individu,  était  considéré  dans  ses  ef- 
fets civils,  par  Labéon,  comme  la  condamnation  capi- 
tale *^ 

Lïi  mort,  l'interdiction  de  l'eau  et  du  feu  étaient  pro- 
noncées parle  jugement  du  peuple;  mais  l'exil  n'était  pas 
une  peine  infligée  par  sentence.  Il  s'offrait ,  dans  les 
mœurs  romaines,  comme  une  ressource,  comme  un  asyle 
contre  un  châtiment  imminent.  Les  citoyens,  après  l'accu- 
sation et  pendant  le  procès,  étaient  libres  de  s'exiler,  afin 
d'éviter  les  cachots,  la  mort,  l'ignominie.  C'était  un  re- 
fuge nécessaire  dans  une  république,  où  les  condamna- 
tions pouvaient  être  arrachées  aux  juges  par  les  passions 
populaires,  par  la  vengeance  des  partis.  L'exil  était  alors 
vraiment  l'autel  du  salut,  confugiuxt  m  exilium  quasi  ad 
ARAM,  disait  Cicéron,  qui  avait  eu  besoin  aussi  de  l'autel 
protecteur  **.  —  Cet  exil  volontaire,  qu'une  loi  seule  pou- 
vait faire  cesser,  produisait  pendant  sa  durée  les  effets  ci- 
vils de  Vinterdictio  aguœ et  ignis  après  jugement.  Cicéron, 
rappelé  de  l'exil  par  le  vœu  formel  des  Comices,  fut  obligé 
de  plaider  à  son  retour  pro  domo  sua  [696],  et  pour  la  re- 
stitution de  ses  biens  incorporés  au  domaine  public*^. 

V.  —  Le  Romain  prisonnier  de  guerre  était  immédia- 
tement privé,  non  de  sa  qualité  de  citoyen,  mais  de  l'exer- 
cice de  ses  droits;  sa  capacité  était  suspendue.  En  ren- 
trant dans  la  Cité,  il  était  censé  n'en  avoir  pas  été  séparé; 

13  Labeo  existiraat  capitis  accusationem  eam  esse  cujus  psena  mors 
aut  exilium  esset.  (  2).,  xxxviii.  —  14.-10.  ) 

14  Cic,  pro  Caecina,  34.  Maleficiutn  nullum  exilio  multatum. 

15  Cic,  pro  dorao  sua,  cap.  18,  et  Epist.  ad  Attic,  iv.  1. 


60  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

il  reprenait  tous  ses  droits  par  le  Jus  Postliminii.  Mais  s'il 
mourait  prisonnier  de  guerre ,  il  mourait  incapable  :  le 
jour  où  il  avait  perdu  la  liberté ,  il  était  présumé  avoir 
perdu  tous  les  droits  de  la  Cité.  Régulus,  captif,  n'est  plus 
sénateur,  époux  ou  père,  même  quand  il  reparaît  à  Rome, 
libre  sur  parole  [303];  de  retour  à  Carthage,  il  meurt  in- 
capable, capitis  minor ,  disait  Horace'^  :  c'était  là  le  droit 
des  XII  Tables ,  sévère ,  mais  conséquent  au  principe  qui 
attachait  tous  les  droits  à  l'existence  dans  la  Cité. 

A  la  fm  du  YIP  siècle,  en  686,  la  loi  Cornelia  créa  une 
fiction  généreuse  :  le  citoyen  mort  prisonnier  de  guerre 
fut  réputé  mort  dans  la  Cité*^.  —  Le  temps  de  la  capti- 
vité s'effaçait;  le  jour  du  combat  et  le  jour  de  la  mort  ne 
faisaient  qu'un  ;  le  citoyen  mourait  integri  status ,  comme 
sur  le  champ  de  bataille;  son  testament  antérieur  était 
valable  :  expirant  loin  de  Rome,  il  savait  qu'à  Rome  sa 
volonté  serait  sacrée  pour  la  Cité ,  pour  la  famille. 

YI.  —  Toutes  les  distinctions  qui  viennent  d'être  suc- 
cessivement marquées  concernent  principalement  la  Cité. 
Il  en  est  une  qui  tenait  directement  à  la  famille ,  à  la  si- 
tuation personnelle  et  respective  de  ses  membres  :  les  uns 
étaient  sui  juris ,  les  autres  alieni  juris  ;  ce  qui  nous  con- 
duit historiquement  et  théoriquement  à  la  constitution 
de  la  famille  romaine  et  de  la  gens ,  d'après  la  loi  des 
XII  Tables. 


16  «  Fertur  pudicse  conjugis  osculum 
«  Parvosque  natos  ut  capilis  minor 

«  A  se  removisse.  »  {  Od.  Horal.  ) 

Crc,  Off.  III.  27.  Non  esse  se  senatorem. 

17  Ex  lege  Cornelia  quac  perinde  successionem  ejus  conflrmat,  atque 
si  in  civitate  decessisset.  (  Ulp.,  Reg.  23.  §  5.  ) 


CHAP.  IV.  DROIT  DES  XII  TABLES.  SECT.  II.  61 

SECTION  IL 

CONSTITUTION   DE  LA  FAMILLE  ROMAINE  ET  DE  LA    GE.\S. 


SOMMAIRE. 

I.  —  Principe  de  la  famille  romaine  dans  son  rapport  avec  la  Cilé. 
II.  —  Juste  mariage  (justae  nuptise). 

III.  —  Puissance  paternelle.  —  Pouvoir  de  tester. 

IV.  —  Agnation.  —  Cognation. 
V.  —  Gens.  —  Gentilité. 

VI.  —  Fille  ou  Femme  romaine  (civis  romana). 
VII.  —  Subordination  des  rapports  réels  aux  rapports  personnels. 
—  Principes  relatifs  à  f  hérédité  ab  intestat  des  trois  ordres 
d'iiériliers.  —  Supériorité  de  l'hérédité  testamentaire. 
VIII.  —  Eléments  accessoires  de  la  famille.  —  Esclaves ,  enfants  in 
mancipio ,  émancipés  ,  affranchis. 
IX.  —  Distinction  des  familles  patriciennes  et  plébéiennes. 
X.  —  Résumé. 

C'était  vraiment  la  famille  romalne  ,  et  l'on  ne  peut 
bien  l'expliquer  qu'en  remontant  jusqu'à  la  notion  de  la 
Cité. 

Le  mariage ,  à  Rome ,  n'est  pas  l'unique  cause  de  la  fa- 
mille. L'adoption  fait  passer  un  fils  de  famille  de  la  puis- 
sance du  père  naturel  sous  la  puissance  du  père  adoptif  ; 
l'adrogation  fait  passer  un  citoyen  maître  de  ses  droits, 
avec  ses  propres  enfants ,  sous  la  puissance  paternelle  de 
l'adrogeant.  Trois  causes  concourent  donc  à  la  formation 
delà  famille  romaine;  mais  la  puissance  paternelle  est  le 
principe  uniforme  qui  s'y  rattache.  Cette  puissance ,  à  la- 


62  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

quelle  s'unissent  les  divers  éléments  de  la  famille ,  n'est 
pas  seulement  celle  qui  dérive  de  la  nature  ou  du  Droit 
des  gens ,  elle  est  déclarée  un  droit  propre  aux  citoyens 

ROMAINS,  JU3  PROPRIUM  CIVIUM  ROMANORUM  ;  et  c'cst  la 

Cité  elle-même  qui  intervient  dans  l'adoption ,  par  l'auto- 
rité du  magistrat  ;  dans  l'adrogation  ,  par  la  solennité  des 
comices ,  pour  opérer,  en  faveur  d'un  citoyen ,  le  trans- 
port ou  la  création  de  la  puissance  paternelle \  La  Cité, 
par  conséquent ,  domine  la  puissance  paternelle ,  et  par  le 
caractère  absolu  qu'elle  lui  imprime  en  dehors  du  droit 
naturel ,  et  par  l'attribution  qui  en  est  faite  à  des  citoyens, 
en  dehors  du  mariage^. 

Ainsi ,  le  mariage  n'est  pas ,  dans  le  droit  des  XII  Ta- 
bles ,  le  fondement  de  la  famille  ;  c'est  la  puissance  pa- 
ternelle ;  —  mais  la  puissance  paternelle  ne  devient  la 
base  de  la  famille  romaine  que  parce  qu'elle  se  lie  au  droit 
spécial  et  à  la  puissance  de  la  Cité. 

II.  —  Le  consentement  fait  le  mariage  entre  un  citoyen 
et  une  femme  romaine  :  enfants  de  la  même  Cité,  ils  ont 
\ejus  connnbiP,  sauf  les  empêchements  tirés  de  la  parenté 
naturelle  ou  adoptive,  et  de  l'inégalité  des  conditions  de 


1  Imperio  magistratus.  —  Populi  auctoritate. 
Gaius,i.  §§98,99,  134. 

2  Fere  enim  nulli  alii  sunt  homines  qui  talem  in  lilios  suos  habent 
potestatem  qualem  nos  habemus.  Gains,  i.  §  55. 

La  restriction  fere  est  à  remarquer  pour  l'histoire  du  droit.  Il  nous 
sera  facile  d'en  faire  l'appbcation  au  Droit  Celtique  {infra,  liv.  ii.  ch.  2.) 

3  II  fallait  que  le  connubium  existât  entre  le  mari  et  la  femme  ;  au- 
trement le  fils  suivait  la  condition  de  sa  mère  :  par  exemple  ,  si  un  ci- 
toyen avait  épousé  une  étrangère.  (  Gains ,  i.  §  67.) 


CHAP.  IV.  DROIT  DES  XII  TABLES.  SECT.  11.  65 

patriciens  et  de  plébéiens,  peut-être  d'ingénus  et  d'af- 
franchis^. —  Par  le  consentement,  il  y  avait  engagement 
pour  toute  la  vie  (consortium  omnls  vitœ);  mais  il  n'y  avait 
pas  nécessairement  participation  de  la  femme  à  la  reli- 
gion du  foyer  domestique  de  l'époux  et  aux  droits  de  la 
famille  :  cette  participation  résultait  des  modes  de  célé- 
bration ou  d'exécution  du  mariage. 

Des  rites  symboliques  pouvaient  accompagner  le  con- 
trat, en  lui-même  purement  consensueP.  La  confarréa- 
lion  faite  avec  plusieurs  cérémonies  et  des  paroles  solen- 

4  Cette  prohibition  de  mariage  entre  les  ingénus  et  les  affranchis , 
si  elle  existait,  résultait  du  droit  non-écrit.  Elle  paraît  à  quelques-uns 
prouvée,  1°  par  le  sénatus-consulte  sur  les  Bacchanales  [an  568],  où  le 
sénat,  pour  récompense,  permit  à  l'affranchie  Fecetia  Hispala  d'épou- 
ser un  ingénu,  ut  ei  I>'GENU0NUBEBELICEBET(ri7.I,Ù\,  XXXIX.  19  ): 

mais  Hispala  n'était  pas  seulement  affranchie  ;  elle  était  courtisane  ,  et 
l'exemple  doit  s'appliquer  à  l'empêchement  d'honnêteté  publique; 

2»  Par  la  loi  Julia,  de  marilandis  ordinibiis ,  qui  restreint  la  prohibi- 
tion ancienne  aux  sénateurs  età  leurs  descendants  (Z)«g.xxYiii.2.44), 
et  surtout  par  la  loi  Pappia  Poppaea,  qui  permet  le  mariage  omnibus 
ingenuis.  —  (V.  infrà,  p.  213,  not.  1.) 

5  La  tradition  de  la  femme  ,  qui  résulte,  soit  de  la  translation  de  la 
femme  dans  la  maison  du  mari ,  dcduclio  nxoris  ,  soit  de  la  présence 
nécessaire  de  la  femme  pour  exprimer  son  consentement,  in  prœsenli, 
a  paru  au  savant  auteur  du  Commentaire  historique  des  Instîtutes 
(M.  Ortolan)  une  raison  suffisante  pour  donner  au  mariage  le  caractère 
d'un  contrat  réel  (t.  1 ,  tit.  de  nupliis);  mais  la  déduction  de  la  femme 
au  domicile  n'est  qu'un  mode  d'exécution  ou  un  mode  de  preuve  du 
mariage ,  que  les  lois  exigèrent  en  certains  cas  déterminés,  comme  le 
fait  observer  très-justement  J.  Godefroy  ,  à  l'occasion  d'une  loi  qui 
exige  cette  condition  dans  le  Code  théodosien. 

«  Il  faut,  dit-il,  noter  cela  comme  singulier,  savoir,  qu'ici  la  loi  re- 
»  garde  comme  épouse  celle  seulement  qui  a  été  introduite  ou  conduite 
»  dans  la  maison  du  mari.  Certes,  cette  déduction  dans  la  maison  de 
»  l'époux  n'était  pas  requise  pour  constituer  le  mariage,  uœoris  in 
»  domum  mariti  deductioad  constiluendum  matrimonium....  non  requi- 


64  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

nelles,  en  présence  de  dix  témoins,  exprimait  symboli- 
quement, par  le  gâteau  sacré  de  fleur  de  froment,  de 
sel  et  d'eau ,  l'union  de  la  sagesse  et  de  la  pureté  ;  elle 
était  suivie  dans  les  familles  patriciennes,  destinées  à  don- 
ner aux  autels  une  postérité  sacerdotale  ,  et  s'observait 

>)  rebalur.  Cela  est  assez  prouvé  par  la  loi  22  ,  au  Code  Just. ,  de  nup- 
»  lîis;  la  loi  pénultième  au  Dig.  de  donat  inl.  vir.  et  uxor.;  par  la  règle 
«vulgaire  solo  honore  marilali  el  affeclu  nuptias  consiitui  (  L.  il, 
»  Cad.  Jusl.,  de  repudiis,  Nov.  22.  cap.  3.  —  74.  cap.  4.),  cet  honneur 
»  marital  qu'une  loi  qualifie  de  plenus  honor  (  Dig.  de  his  guœ  ul  in- 
«  dignis ,  L.  16  §  1.  )  Cependant  il  arrivait  plusieurs  fois  que  la  vo- 
»  lonté  de  l'un  et  de  l'autre  épou.x  n'était  bien  connue  que  par  cette 
»  action  du  mari  de  conduire  la  femme  au  domicile  conjugal  ;  et  cela 
«était  même  requis  en  cerlains  cas.,  de  peur,  ou  que  la  preuve  ne 
»  manquât  autrement,  ou  qu'il  ne  se  fit  quelque  fraude  ;  par  exemple, 
»  dans  l'espèce  de  la  présente  loi  (  Cod.  Th.,  vu.  12.  6  )  et  de  la  loi  5  , 
»  au  Dig.  de  ripiu  nupt..,  qui  parlent  du  mariage  comme  d'une  condition 
»  qui  devait  être  accomplie.  Dans  ces  cas  et  d'autres ,  où  l'intérêt  public 
»  est  engagé  ,  il  ne  suffit  pas  d'alléguer  l'intention  seule  (  nudus  affec- 
»  lus  )  que  quelques-uns  pourraient  facilement  feindre  par  le  men- 
»  songe  ;  mais  la  preuve  complète  est  requise  (  plena  probalio  requi- 
»  rilur);  preuve  qui  ne  peut  résulter  d'un  fait  autre  ou  plus  certain 
»  que  cette  circonstance,  savoir,  que  l'épouse  a  été  conduite  dans  le 
«  domicile  de  son  mari.  »  {Cod.  Th.  Comm.  vu.  12.  6.  Tom.  2,  p.  378, 
édit.  Ritter.  ) 

Quant  à  la  présence  de  la  femme  pour  exprimer  son  consentement, 
elle  tient  à  la  nature  même  du  contrat,  et  à  la  situation  de  la  femme 
dans  la  cité  romaine.  Pour  la  femme  toujours  placée,  d'après  l'ancien 
droit  civil,  sous  la  puissance  du  père  et  la  tutelle  testamentaire  ou  lé- 
gitime ,  il  fallait ,  dans  un  acte  aussi  essentiel  que  le  mariage ,  l'ex- 
pression du  consentement  personnel  de  la  future.  Le  père  et  le  tuteur 
ne  pouvaient  exprimer  que  leur  consentement  propre  ;  mais  ce  n'était 
qu'une  adhésion  au  contrat,  et  non  le  contrat.  Xe  consentement  même 
des  époux  faisait  le  mariage,  à  ce  point  qu'en  droit  romain  le  père  ne 
pouvait  faire  annuler  le  mariage  contracté  sans  son  aveu.  Il  fallait 
donc  la  certitude  du  consentement,  de  la  part  de  la  personne  placée 
sous  l'autorité  d'autrui ,  et  de  là  l'indispensable  présence  de  la  femme. 


CHAP.  IV.  DROIT  DES  XII  TABLES.  SECT.  II.  65 

encore,  du  temps  de  Gaius,  pour  les  Flamines  majeurs.  ® 
— La  Coemption  représentait  l'achat  de  la  femme  romaine 
par  le  citoyen  qui  voulait  l'acquérir  pour  épouse,  et  qui 
employait  la  forme  solennelle  de  la  mancipation  ''.  —  Sous 
la  solennité  de  ces  deux  formes  symboliques  qui  indiquent 
la  supériorité  de  la  sagesse  ou  du  pouvoir  de  l'homme , 
le  mari  obtenait  sur  sa  femme  la  puissance  absolue ,  ma- 
Nus.  L'épouse  alors  était  qualifiée  mater-familias.  — 
Un  troisième  mode,  le  plus  simple  et  peut-être  le  plus 
ancien  ,  c'était  l'habitation  de  la  femme  au  domicile  du 
mari,  Usns,  en  exécution  du  contrat^.  Si  la  première 
année  s'était  écoulée  sans  interruption  de  co-demeurance, 
il  y  avait  puissance  absolue  du  mari ,  manus  :  la  femme 
était  comme usucapée ,  par  la  possession  annale^.  Si,  cha- 
que année ,  elle  interrompait  l'usucapion  par  une  absence 
de  trois  nuits ,  elle  ne  tombait  pas  in  manu  mariti  ;  la  Loi 
des  XII  Tables  lui  donnait  le  droit  d'interruption**^.  Il  y 


6 Gaius,  I.  §  112.— Tacit.,  Ann.,  iv.  l«i.— Plin.,  Hist.  uat. ,  xviii. 
cap.  3. 

7  Présents  ,  cinq  témoins  ,  citoyens  romains  ,  le  libripens ,  I'homme 
et  la  FEMME  entre  lesquels  se  fait  la  coemption.  (  Gaius  ,  i.  §  113.  )  — 
La  coemptio  était  une  coutume  que  l'on  retrouve  dans  les  plus  anciens 
usages  des  Indes.  iSlrabon,  lib.  .\v.  ) 

8  Gaius  indique  ce  mode  avant  les  deux  autres  :  Olim usu  ,  far- 

reo,  coemptione,  i.  §  410. 

9  Velut  annua  possessione  usucapiebatur.  (  Gaius  ,  i.  §  3.) 

La  possession  annale  a  joué  un  grand  rôle  aussi  dans  notre  droit 
coutumier.  En  beaucoup  de  coutumes ,  la  communauté  n'existait 
qu'après  l'an  et  jour  du  mariage. 

10  Lege  duodecim  Tabularum  cautum  erat ,  si  qua  nollet  eo  modo 
in  manum  mariti  convenire ,  ut  quotannis  trinoctio  abesset ,  atque  ita 
usum  cujusque  anni  interrumperet.  (  Gaius  ,  i.  §  3.  ) 

T.  I.  5 


66  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROiMALNE. 

avait  alors  mariage  libre.  L'épouse  était  appelée  UXOR  ou 
MATROiNA  **  :  les  enfants  étaient  également  légitimes. 

La  femme ,  d'après  les  anciens  modes  de  célébration  ou 
d'exécution,  et  conformément  à  la  sévérité  des  mœurs  ro- 
maines, dans  les  premiers  siècles,  tombait  le  plus  souvent 
in  manu  ^^.  Par  l'effet  de  cette  puissance,  elle  passait  dans 
la  famille  du  mari ,  elle  partageait  le  culte  des  dieux  do- 
mestiques, sacra  domùs ;  elle  avait,  par  rapport  au  mari, 
le  rang  et  les  droits  de  sa  fille  *^  :  il  y  avait  communica- 
tion du  droit  divin  et  humain*^;  et  c'était  là  encore,  dit 
Gains,  un  droit  propre  aux  citoyens  romains  [i.  §  108]. 
La  femme  romaine ,  qui  avait  interrompu  la  cohabitation 
annale,  restait  dans  sa  famille  originaire,  sous  la  puissance 
paternelle  ou  sous  la  tutelle  des  agnats. 

Pour  l'un  et  l'autre  cas,  il  n'y  a ,  dans  les  fragments  de 
la  loi  des  Xll  Tables,  aucune  trace  de  la  dot;  mais  cela 
s'explique  facilement.  La  situation  la  plus  générale  était 

11  Cic,  Topic.  —  3.  Aulu-Gell. ,  xyiii.  16. 

12  Quintilien  { Inslituliones ,  lib.  i.  cap.  7)  attribue  la  loi  à  Roniu- 
lus.  —  Denys  d'Halicarnasse  dit  que ,  dans  les  premiers  temps ,  la 
femme  était  toujours  soumise  à  la  manus.  (  Liv.  ii.  ch.  25.) 

13  La  femme  pouvait  être  in  manu ,  seulement  pour  les  sacra  do- 
mus ,  et  non  sous  un  autre  rapport  :  Quod  vero  ad  caetera  perinde 
habeatur  atque  si  in  manum  non  convenisset.  (  Gains ,  i.  §  136.  ) 

Filiœ  locum  obtinebat....  placuit  eam  filiœ  jus  nancisci.  {Gains ,  i. 
§115.) 

14  Cette  admirable  définition  de  Modestinus  :  «  Nuptiœ  sunt  con- 
»  junctio  maris  et  feminae ,  consortium  omnis  vitae  ,  divini  alque  hu- 
»  mani  juris  communicatio  [D.  xxiii,  2.  1.),  »  suppose  la  communi- 
cation du  culte  domestique  qui  résultait  du  mariage ,  dans  les  pre- 
miers temps ,  et  qui  s'était  encore  maintenue  au  iii*  siècle  de  l'Em- 
pire, comme  tradition  du  passé  ;  mais  elle  a ,  de  plus,  un  sens  très- 
clevé  pour  la  philosophie  du  droit  romain. 


CHAP.  IV.  DROIT  DE^  XII  TABLES.  SECT.  H.  67 

celle  de  la  femme  placée  in  manu  mariti  :  ce  qui  apparte- 
nait à  la  femme  était  alors  acquis  au  mari  ou  au  père  de 
celui-ci,  par  droit  de  puissance  et  à  titre  universel,  permii- 
versitatem^^ .  — Dans  les  plus  anciennes  mœurs  de  Rome, 
l'usage  des  fiançailles  (sponsalia)  était  connu ,  et  le  futur 
mari  stipulait  ordinairement  du  père  un  don  pécmiiaire 
qui  lui  était  acquis  au  jour  du  mariage;  mais  la  dot,  pro- 
prement dite ,  ne  s'introduisit  que  plus  tard ,  sous  l'in- 
fluence des  mœurs  grecques ,  et  lorsque  le  mariage  libre 
devint  à  Rome  le  mode  le  plus  usueP®. 

Par  le  mariage  romain  ,  par  l'adoption  et  l'adrogation, 
la  famille  est  créée  dans  la  Cité. — Pénétrons  maintenant 
dans  l'ensemble  de  sa  constitution ,  dans  l'unité  de  puis- 
sance qui  va  en  retenir  et  concenter  tous  les  éléments. 
Cette  unité  de  puissance ,  c'est  la  puissance  paternelle. 

III. — Le  père  ou  i'aïeul,  considéré  comme  chef  de  fa- 
mille, a  sous  sa  puissance  : 

1"  Ses  enfants  des  deux  sexes  nés  de  ses  justes  noces , 
quel  que  soit  d'ailleurs  leur  âge;  les  enfants  des  deux 
sexes  introduits  dans  la  famille  par  V adoption,  et  les  ci- 
toyens adrogés ,  avec  leurs  propres  enfants ,  qui  sont  au 
nombre  des  petits-fds  ; 

2°  Les  enfants  ou  petits-enfants  nés  du  mariage  de  ses 
fds  ou  petits- fils  (nepotes,  pronepotes)-, 

3"  Les  brus  mariées  en  justes  noces  et  placées  in  manu  : 

15  Quam  in  manum,  ut  uxoreiii ,  receperimus,  ejus  res  ad  nos 
transeunt.  {Gains ,  ii.  §  98.  ) 

16  Voir  infra  le  ch.  5.  sect.  2.  §  1  ,  où  nous  traitons  la  question  de 
la  dot  et  des  origines  du  réeinie  dotal. 


68  LIV.  I.  —  EPOQUE  ROMAIiNE. 

filles  de  leur  mari ,  elles  sont  au  rang  de  petites-tîlles  à 
l'égard  de  leur  beau-père.  Le  fils  de  famille  ne  peut 
avoir  sous  sa  propre  puissance  ni  ses  enfants,  ni  son 
épouse ,  parce  qu'il  faut  être  maître  de  soi  pour  exercer 
puissance  sur  un  autre *^. 

La  puissance  du  chef  de  famille  (aïeul  ou  père)  est  pres- 
que absolue  ;  elle  renferme  le  droit  de  souveraine  juri- 
diction, ou  le  droit  de  vie  et  de  mort,  le  droit  de  vendre 
trois  fois  les  fils ,  une  fois  les  filles  et  les  petits-enfants  ^^; 
mais  elle  s'arrête  devant  le  principe  de  la  liberté  romaine  : 
«  Il  a  été  tant  accordé  à  la  liberté  par  nos  ancêtres,  dit 
»  Constantin ,  que  les  pères  de  famille,  qui  avaient  autre- 
»  fois  le  droit  de  vie  et  de  mort  sur  leurs  enfants,  n'au- 
»  raient  pas  pu  leur  enlever  la  liberté*^.» 

Le  père  acquiert  par  ses  fils  ;  les  enfants  en  puissance 
sont  censés ,  pendant  la  vie  du  père ,  associés  à  la  pro- 
priété de  ses  biens  ^'^.  —  Le  père  de  famille  acquiert  par 
ses  fils,  même  la  gloire.  La  Loi  des  XII  Tables  veut  que  la 
couronne  gagnée  par  le  fils  de  famille  soit  portée  aux  fu- 
nérailles du  père  comme  aux  funérailles  du  fils^*. 

Le  chef  de  famille  est  père  à  l'égard  des  uns,  aïeul  à  l'é- 

IJ  Dig.  xLvni.  5.  21.  In  sua  potestale  non  videtur  habere  qui  non 
est  suae  potestatis.  (  Ulp.  ) 

18  Tabul.  IV.  2.  Jus  vit.e,  necis,  vendendique  eos  jus  esto.  Paul 
dit:...  Licet  eos exheredarequod et occidere  licebat.  (Z).  xxxiii.  2.  11.) 

19  Cod.  VIII.  47.  lO.Libertati  a  Majoribus  tantum  impensum  est,  ut 
patribus ,  quibus  jus  vitae  in  libères  necisque  potestas  olim  erat  per- 
missa ,  libertatem  eripere  non  liceret. 

20  Gains,  ii.  157.  —  D.  xxxviii.  9. 1.  §  12.  —  Quasi  olim  hi  domini 
essent. 

21  Cic,  de  Leg.,  ii.  24.  «  Coronain  virtute  partani ,  »  et  ei  qui  pe- 
perisset  et  eius  parent! ,  sine  fraude  esse  Lex  impositam  jubet. 


CHAP.  IV.  DROIT  DES   XII  TABLES.   SECT.  II.  69 

gard  des  autres  ;  mais  il  tient  toute  la  puissance  concen- 
trée dans  ses  mains;  il  est,  par  excellence,  le  citoyen  sui 
juris;  ses  fils  non  émancipés  sont  tous  également  alieni 
juris.  C'est  seulement  à  la  mort  du  père  que  les  fils  succé- 
deront à  la  puissance  sous  laquelle  ils  seront  restés  tou- 
jours placés.  Les  fils  continueront  la  personne ,  la  puis- 
sance, le  domaine  du  père,  et  les  sacrifices  privés  dont 
la  loi  veut  la  perpétuité  ^^. 

»  Héritiers  ab  intestat ,  les  enfants  en  puissance  sont  héri- 
tiers siens  et  nécessaires;  mais  le  citoyen,  Chef  de  famille, 
peut  en  ordonner  autrement  par  acte  solennel  de  dernière 
volonté.  Il  dicte  la  Loi  à  sa  famille ,  par  son  testament , 
pour  le  temps  où  il  ne  sera  plus.  Il  dispose  librement 
de  son  patrimoine  et  de  la  tutelle  des  enfants  impubè- 
res. La  Loi  des  XII  Tables,  qui  l'a  investi  pendant  sa  vie 
de  la  souveraine  juridiction  sur  la  personne  de  ses  en- 
fants, l'investit  encore,  au  moment  suprême,  de  la  toute- 
puissance  ;  et  il  l'exerce  sur  la  personne ,  par  la  nomina- 
tion du  tuteur  testamentaire;  sur  les  biens,  par  la  liberté 
absolue  de  distribution  ou  d^  disposition  :  uti  legassit 

s  UPER   PECUNIA  TUTELAVE   SU^  REl ,   ITA   JUS  ESTO  ^^. 

La  puissance  paternelle  réunit,  par  conséquent,  tous  les 
attributs  de  la  souyeraineté  domestique  sur  les  personnes  et 
sur  les  biens  pendant  la  vie  et  même  après  la  mort  du  père. 

Le  chef  de  famille ,  qui  a  le  droit  d'instituer  un  ou  plu- 


22  Sacra  privata  perpétua  manento  (Cic,  deLeg.,  ii.  9,  19.  )  —  Et 
statim  morte  parentis  quasi  continuatio  dominii.  {Inst.,  m.  lit.  3.)  — 
ffœres  vient  de  herus  :  veteres  enim  hœredes  pro  dominis  appellabant, 
(/ns<.,  II.  19.  7.  ) 

23  Tabul.  v.  3.  —  Res  comprend  la  famille;  les  enfants,  en  ce  sens, 
sont  res  palris. 


70  LIVRE  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

sieurs  héritiers  autres  que  les  héritiers  siens ,  peut  insti- 
tuer même  son  esclave ,  en  le  déclarant  expressément  li- 
bre par  son  testament,  cum  liber tate^^.  L'esclave  institué 
par  le  testament  devient  héritier  nécessaire ,  et  subit  en 
son  nom  seul  l'ignominie  de  la  vente  des  biens  du  testateur 
qui  serait  mort  insolvable  :  aussi  l'institution  de  l'esclave 
peut  être  faite  au  premier,  au  second  degré ,  à  un  rang 
ultérieur,  par  substitution,  au  gré  du  testateur  qui  veut 
protéger  sa  mémoire  contre  la  poursuite  de  ses  créanciers. 

Le  père  de  famille  peut  passer  ses  enfants  sous  silence 
dans  son  testament  ;  il  n'est  pas  encore  obligé  de  les  ex- 
héréder  expressément  ;  il  peut  instituer  à  son  choix  un  ou 
plusieurs  de  ses  enfants ,  qui  sont ,  dans  ce  cas  encore , 
héritiers  siens  et  nécessaires^^. 

Ce  testament  est  un  acte  souverain  qui  met  une  loi 
particulière  au  dessus  de  la  loi  générale  de  succession  ab 
intestat  ;  aussi  le  testament  romain ,  dans  sa  forme  primi- 
tive, était-il  revêtu  des  solennités  de  la  loi  elle-même;  le 
citoyen  testait  dans  les  Comices.  Les  Comices  par  curie 
étaient  convoqués ,  deux  fois  l'an ,  pour  cet  acte  de  sou- 
veraineté. 

Si  le  citoyen  romain  est  sous  les  armes ,  prêt  h  com- 
battre pour  la  République ,  il  trouve  dans  l'armée,  compo- 
sée de  citoyens,  l'image  des  Comices  ;  il  teste  devant  ses 
compagnons  d'armes  et  ses  concitoyens ,  in  procinctu. 

Le  testament  est  une  Loi  ;  de  là  plusieurs  conditions 
nécessaires  : 

24  Gaius,  II.  153.  Post  mortem  teslaloris  prolinus  liber  et  hœres  esl. 

25  Sui  heredes....  necessarii  vero  ideo  dicuntur  quia  omnimodo, 
velint  nolintve,  tam  ab  inteslalo  quam  ex  lestamenlo  haeredes  fiunt. 
(Gaius,  II.  157.) 


CHAP.  I.  DROIT  DES  XII  TABLES.  SECT.  II.  71 

1°  Le  testament  est  écrit,  et  doit  être  fait  uno  contextu; 
car  ce  qui  est  fait  par  des  comices  interrompus  est  non 
avenu'; 

2°  Le  testateur  doit  être  capable  au  moment  du  testa- 
ment, puisque  c'est  dans  ce  moment  solennel  qu'une  loi 
est  faite ,  et  que  la  confection  de  la  loi  suppose  la  plus 
grande  capacité,  celle  du  législateur  ou  du  souverain  : 
nulle  dans  ce  moment ,  elle  ne  pourrait  valoir  par  aucun 
événement  postérieur  ;  c'est  la  règle  Catonienne ,  ou  la 
règle  de  nullité  radicale  à  laquelle  s'est  attaché  le  nom  de 
Caton ; 

3"  Le  testateur  doit  être  capable  au  moment  de  la 
mort ,  puisque  la  loi  n'est  exécutoire  qu'après  son  décès , 
et  que  le  législateur  doit  avoir  persévéré  dans  sa  volonté 
pour  qu'il  y  ait  exécution  ;  mais ,  pour  persévérer  dans 
une  volonté  législative  ,  il  faut  être  capable  de  volonté 
jusqu'au  moment  suprême; 

4°  L'héritier  institué  doit  exister,  doit  être  une  per- 
sonne certaine  et  capable,  ou  participer  au  droit  de  la 
Cité  au  moment  du  testament,  afin  que  les  Comices 
puissent  apprécier  et  confirmer  la  volonté  du  testateur^^  ; 

5"  L'héritier  doit  être  capable  au  moment  du  décès , 
parce  que  la  loi  faite  pour  les  citoyens  romains  ne  peut 
être  réclamée  ou  exécutée  que  par  des  citoyens  capables  ; 

6**  Le  testament  doit  commencer  par  l'institution  d'hé- 

26  Les  trois  premières  règles  sont  restées  dans  le  droit  romain 
comme  essentielles;  la  première,  uno  contexlu,  n'est  pas  suivie  dans 
le  Droit  français  pour  le  testament  notarié ,  mais  pour  la  suscription  du 
testament  mystique.  {Arl.  971.  72.  76.) 

La  quatrième  règle  a  été  modifiée ,  en  droit  romain ,  quant  aux  pos' 
Ihumes,  après  la  désuétude  du  testament  calatis  comiliis. 


72  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

ritier,  qui  en  est  le  fondement  (caput  et  fundamentum)  ;  les 
dispositions,  les  affranchissements,  les  legs  particuliers 
en  tirent  leur  force ^^. 

7"  Le  citoyen  a  le  choix  ou  de  laisser  le  règlement  de 
sa  succession  ab  intestat  à  la  loi  générale  de  la  Cité ,  ou  de 
dicter  sa  loi  particulière  (  legem  condere.  )  Mais  ces  deux 
lois  ne  peuvent  s'exécuter  en  même  temps  :  l'une  exclut 
l'autre  ;  de  là  venait  la  règle  que  le  citoyen  ne  peut  mou- 
rir testât  et  intestat  :  l'unité  est  imposée  à  l'hérédité  testa- 
mentaire ou  légitime ,  qui  est  le  grand  moyen  d'acquérir 
per  universitatem  ^^. 

Les  testaments  calatis  Comitiiset  inprocinctu  sont  les  plus 
anciennes  formes  de  tester ,  en  temps  de  paix  et  en  temps 
de  guerre.  Le  droit  civil  des  XII  Tables  a  trouvé  une  au- 
tre forme  en  faveur  du  citoyen  qui,  hors  des  murs  de 
Rome,  ou  pendant  l'intervalle  des  Comices  par  curies, 
était  pressé  par  la  crainte  d'une  mort  prochaine^®.  Le 

27  Cette  sixième  règle  a  conservé  toute  sa  valeur,  sauf  la  place  de 
l'institution  dans  le  testament.  La  priorité  de  l'institution ,  caput  lesta- 
menli,  était  encore  le  droit  au  temps  de  Gains  (ii.  §  229.  )  Celle  de 
l'institution  de  l'esclave ,  cum  libertale,  a  été  modifiée.  La  liberté  a 
été  supposée  dans  l'institution  même.  {Inst.  Jusl.)  Elle  n'a  plus  eu 
besoin  d'être  exprimée  formellement. 

28  La  règle  fondamentale  qu'on  ne  peut  mourir  partie  testât  et  partie 
intestat,  a  cessé  positivement  dans  le  testament  militaire,  sous  l'Empire. 
Elle  peut  aussi  cesser  d'être  applicable ,  ex  post  facto,  par  l'effet  de  la 
sentence  du  juge,  quand  il  y  a  eu  exercice  de  la  plainte  d'inofficiosité, 
et  que  l'héritier  n'a  réussi  qu'à  l'égard  de  l'un  des  institués.— Celui  qu' 
a  intenté  la'plaintejvient  à  l'hérédité  jure  sanguinis.  {D.  V.-2-I5,  24. 

29  Gains,  ii.  §  102.  Si  jubila  morte  urgebatur. 

G.  Hugo  (  Histoire  du  D.  R.  )  pense  que  ce  mode  fut  introduit  en  fa- 
veur des  affranchis,  auxquels  l'accès  des  anciens  comices  par  curies 
était  très-difficile.  Selon  lui,  les  affranchis ,  quoique  citoyens  romains, 
n'auraient  pas^eu,  dans  les  premiers  temps ,  la  faculté  de  tester.  Les 


CHAP.  IV.  DROIT  DES  XII  TABLES.  SECT.  II.  73 

Romain  peut  tester,  par  ce  troisième  mode ,  en  employant 
la  forme  solennelle  de  la  mancipation.  Alors  il  agit  comme 
père  ou  comme  maître  :  il  vend  son  patrimoine  solennel- 
lement à  Xemplor  familiœ ,  qui  est  son  héritier  institué , 
et  auquel  il  impose  ses  volontés,  soit  en  les  exprimant 
oralement  (nuncupatio) ,  soit  en  lui  remettant  des  tablet- 
tes qui  les  contiennent ,  en  présence  de  cinq  témoins , 
citoyens  romains ,  et  du  libripens  qui ,  dans  les  premiers 
temps ,  était  peut-être  pontife  ou  patricien.  Cette  forme 
contractuelle  de  tester,  plus  libre  et  plus  facilement  à  la 
disposition  de  tous  les  citoyens  ,  ingénus  ou  affranchis , 
fut  employée  d'abord ,  de  préférence ,  par  la  classe  plé- 
béienne; elle  ne  gênait  en  rien  la  faculté  de  révocation  , 
malgré  son  apparence  de  contrat  et  d'institution  contrac- 
tuelle ;  elle  devint  la  forme  générale  de  tester  selon  le 
Droit  civil.  Elle  trouvait  sa  sanction  dans  la  Loi  des 
XII  Tables ,  laquelle  déclarait  improbes  et  indignes  du  droit 
de  témoigner  et  de  tester  les  témoins ,  le  libripens  refusant 
leur  témoignage  ^",  et  condamnait  le  faux  témoin  à  être 
précipité  du  haut  de  la  Roche  Tarpéienne  ^'. 

comices  par  curies ,  placés  sous  l'influence  des  pontifes ,  ne  s'ouvraient 
pas  aux  affranchis,  comme  aux  autres  citoyens,  pour  changer  la  loi 
civile  d'hérédité  ab  intestat ,  favorable  aux  droits  des  patrons.  Le  tes- 
tament per  CBS  et  libram  aurait  été  trouvé  en  vue  des  affranchis ,  à  qui 
la  Loi  des  XII  Tables  aurait  enfin  accordé  le  droit  de  tester ,  tant  dé- 
siré par  eux.  —  Ce  sont  là  des  conjectures  auxquelles  les  textes  man- 
quent complètement.  — M.  Guérard  (  1840)  (Essai sur  VHist.  du  droit 
privé  des  Rom.  ),  suppose  que  le  testament  per  œs  et  libram  a  eu  deux 
âges ,  l'un  avant,  l'autre  après  la  Loi  des  XII  Tables;  mais  sa  supposi- 
tion tient  à  l'idée  fondamentale  de  son  livre ,  qu'il  y  avait  deux  espèces 
de  droit  civil,  deux  cités  dans  Rome.  (Essai,  p.  465.  ) 

30  Tab.  VIII.  22.  Improbus  et  intestabilis. 

31  Aulu-Gell.,  XX.  I.  e  Saxo  Tarpeio.  Cic,  Off.  m.  29.  Fidem  in 
Capitolio. 


74  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

Montesquieu  rattache  l'origine  du  testament  romain  à 
la  Loi  des  XII  Tables.  Les  historiens  qui  regardent  cette 
Loi  comme  une  transaction  entre  les  deux  Classes  riva- 
les, indiquent  aussi  le  testament  comme  une  conquête  de 
la  révolution  plébéienne ^^.  G.  Hugo  rapporte  aux  temps 
primitifs  de  Rome  le  testament  calatis  Comitiis  et  in  pro- 
cinctu. — La  distinction  d'origine  clairement  marquée  par 
Gaius  entre  les  testaments  calatis  Comitiis,  in  procinctu , 
et  le  testament  per  aes  et  libram ,  résout  à  nos  yeux  toute 
la  difficulté  dans  le  sens  de  cette  dernière  opinion.  «  Deux 
espèces  de  testament,  dit  le  Jurisconsulte,  existaient  au 
commencement,  imtio  ;  une  troisième  espèce  s'y  joignit 
ensuite,  accessit  deinde  tertium  genus Ces  deux  pre- 
mières formes  tombèrent  en  désuétude  :  le  testament  per 
œset  libram  fut  seul  conservé  dans  Tusage  des  citoyens  :  » 
Telles  sont  ses  expressions.  [Il  —  §  i02].  —  Or,  le  tes- 
tament per  3es  et  libram,  tous  les  historiens  le  consta- 
tent, est  né  du  Droit  des  XII  Tables  :  les  testaments  anté- 
rieurs ,  les  formes  connues  ab  initia ,  devaient  donc  exis- 
ter avant  les  XII  Tables,  et  remontaient  aux  Comices  par 
curies,  les  seuls  Comices  des  premiers  siècles  de  Rome. 

IV.  —  Nous  avons  vu  les  enfants  ou  petits -fils,  na- 
turels et  adoptifs,  soumis  à  la  puissance  du  père  ou  de 
l'aïeul.  C'est  la  famille  immédiate,  en  ce  sens  que  tous 
ces  descendants  sont  placés  sous  la  puissance  directe  ou 
immédiate  du  chef  de  famille. — Là  se  trouve  aussi ,  à  son 
origine ,  l'agnation  romaine.  Tant  que  l'auteur  commun 
existe,  tous,  pères  et  enfants,  frères,  oncles  et  neveux 

32  Montesq.,  liv.  xxvii,ch.  uniq.  —  M,  Michelet ,  Hist.  rom.,  1. 
123.  128.  —  Gans,  traduit  td.,  p.  335. 


CHAP.  IV.  DROIT  DES  XII  TABLES.  SECT.  II.  75 

sont  soumis  à  la  puissance  de  l'aïeul  qui  ne  les  aura  pas 
émancipés.  Nés  auprès  du  père  commun  ou  pour  le  père, 
adcnati  ^^,  ils  sont  étroitement  unis  par  ce  lien  de  soumis- 
sion à  la  puissance  paternelle  :  entr'eux  ils  sont  Agxats  ; 
ils  portent  le  même  nom  ;  et  tous  les  membres  de  la  famille 
qui,  si  le  chef  était  encore  vivant,  seraient  soumis  à  sa  puis- 
sance ,  conserveront  dans  la  suite  le  caractère  d  agnats. 
Ainsi ,  l'aïeul  et  le  père  étant  morts ,  les  enfants  devien- 
nent sui  juris^  et  les  fds  peuvent  devenir  souches  de  nou- 
velles familles  ;  mais  agnats  d'origine ,  et  selon  le  Droit 
civil,  ils  conservent  le  caractère  d'agnation  tant  qu'ils 
restent  dans  la  famille ^^.  Ils  sont  agnats  entr'eux,  et  par 
rapport  aux  frères  de  leur  père ,  c'est-à-dire  à  leurs  on- 
cles paternels  (patrui)  ;  leurs  enfants ,  fils  de  frères  ou 
cousins  (^[ratres  pafriieles),  sont  agnats  entr'eux  et  par 
rapport  aux  enfants  et  descendants  de  leurs  oncles  pa- 
ternels^^. Tous  sont  parents  par  les  mâles  du  côté  de 

33  On  les  appelait  adgnali,  adcnati ,  par  contraction  des  mots  ad  euin 
nali.  Les  parents  maternels  étaient  appelés  cognali{cuin  ea  nali.  )  Quasi 
commune  nascendi  inilium  habuerint,  dit  Labéon  (D.  xxxviii.  8.  1. 
§  1.)  —  Quod  quasi  una  communiterve  nali,  vel  ab  eodem  orti,  pro- 
geniti  sint,  dit  Modestinus  ;.D.  xxxviii.  10.  4.  §  1.)  Ces  étymologies 
rendent  bien  sensible  la  différence  primitive  des  agnats  et  des  cognats  » 
puisque  l'agnation  reposait  sur  la  puissance  du  père,  et  la  cognation, 
sur  le  rapport  purement  naturel  de  la  naissance  par  la  mère  ou  du  côté 
de  la  mère. 

34  Patre-familias  mortuo ,  singuli  singulas  familias  habent  ;  tamen 
omnes  qui  sub  unius  potestate  fuerunt,  recte  ejusdem  familiœ  appel- 
'abuDtur.  (  Ulp.,  de  Verb.  Sig.  D.,  l.  195.  Gains,  m.  §  10.  ) 

35  Les  cousins  du  côté  de  la  mère ,  les  tils  de  ses  sœurs ,  étaient  ap- 
pelés consobrini  :  «  Qui  quaeve  ex  duabus  sororibus,  consobrini ,  con- 
sobrineeque,  quasi  consororini...  sed  fere  vulgus  omnes istoscommuni 
appellatione  consobrinos  vocant.  (Gains,  D.  xxxviii.  10.  1.  §  6.  ) 


76  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

l'aïeul  paternel  qui  originairement  avait  la  puissance  et 
qui  l'aurait  encore  s'il  vivait  ;  tous  portent  son  nom. 
L'agnation  est  par  conséquent  un  lien  naturel  et  civil , 
qui  rattache  la  famille  romaine  à  un  chef  commun  et  au 
principe  de  la  puissance  paternelle. 

La  famille  romaine,  considérée  au  double  point  de  vue 
de  la  puissance  paternelle  et  de  l'agnation,  se  divise  en 
deux  lignes  ,  la  ligne  directe  et  la  ligne  transver- 
sale ,  sur  l'étendue  desquelles  chaque  génération  forme 
un  degré.  L'aïeul  et  le  père  sont  la  base  commune  de  la- 
quelle partent  les  deux  hgnes.  Mais  la  ligne  transversale 
est  double ,  en  ce  sens  qu'à  chacun  des  Chefs  directs 
de  la  famille ,  l'aïeul  ,  le  père  ,  se  rattache  une  série 
transversale  de  générations  qui  représente  l'agnation.  La 
Loi  des  XII  Tables  comptait  l'agnation  jusqu'au  dixième 
degré ^^;  le  tableau  suivant  figure  la  famille  jusqu'au 
sixième. 


2 

AVUS.  " 
1 

PATEB. 

i 

3. 

Patruus. 

4. 

Patruelis.            2. 

Frater. 

1. 

Filius. 

5. 

Patruelis  filius.  3. 

Fratris  filius. 

2. 

Nepos. 

6. 

Patruelis  nepos.  4. 
5. 
6. 

Fratris  nepos. 
Fratris  pronepos. 
Fratris  abnepos. 

3. 
4. 
5. 
6. 

Pronepos. 
Abnepos. 
Atnepos. 
Trinepos. 

La  puissance  paternelle  s'exerce  sur  la  ligne  directe 


36  Instit.  m.  6.  5.  «  Adgnationis  quidem  jure ,  admitti  aliquem  ad 
»  haereditatem  etsi  decimo  gradu  sit,  sive  de  Lege  XII  Tab.,  sive  de 
»  Edicto  quœramus.  » 


CHAP.  IV.  DROIT  DES  XII  TABLES.  FECT.  II.  77 

dont  les  degrés  successifs  constituent  la  famille ,  dans  le 
présent  et  dans  l'avenir;  l'agnation  s'exerce  sur  la  ligne 
transversale  des  oncles  paternels  et  de  leurs  descendants, 
et  sur  la  ligne  transversale  des  frères  et  descendants  de 
frères. 

La  puissance  paternelle  fonde,  comme  on  l'a  vu,  l'hé- 
rédité du  premier  ordre,  ou  des  héritiers  siens;  l'agnation 
fonde  le  second  ordre  d'hérédité ,  celui  des  agnats.  Quand 
le  citoyen  meurt  intestat  et  sans  héritiers  siens,  l'agnat 
le  plus  proche  est  l'héritier  appelé  par  la  loi  des  XII  Ta- 
bles ^^;  il  est  aussi  le  tuteur  légitime,  à  défaut  de  tuteur 
testamentaire,  si  le  chef  de  famille  a  laissé  des  enfants  ou 
petits-enfants  impubères. 

Le  citoyen  pubère ,  sui  juris ,  ayant  la  capacité  natu- 
relle et  civile  de  se  marier,  est  investi  par  cette  raison  de 
l'exercice  de  tous  ses  droits  ;  et  d'après  la  Loi  des  XII  Ta- 
bles, le  mineur  pubère  n'a  pas  de  curateur,  à  moins 
qu'il  ne  soit  prodigue  ou  furieux,  L'agnat  le  plus  proche 
est  le  curateur  légitime  (custos)  du  furieux  ou  du  prodi- 
gue. Il  a  la  garde  de  sa  personne  et  la  pleine  adminis- 
tration du  patrimoine^*.  Le  curateur  est  légitime  ou  ho- 
noraire, c'est-à-dire  donné  par  la  loi  ou  le  magistrat;  il 
ne  peut  pas  être  imposé ,  comme  le  tuteur,  par  le  testa- 
ment du  père  de  famille  ^^. 


37  Proximus  adcnatus  familiam  habeto.  —  (  Tab.  V.  4.  Gaius, 

III.  §11.) 

38  Tab.  V.  7.  Gaius ,  i.  209.  Ulp. ,  Frag.  xii. 

39  Les  interprètes  en  ont  donné  pour  raison  que  le  testament  romain 
a  pour  objet  essentiel  de  créer  un  droit  relatif  à  la  personne,  un  droit 
tout  personnel ,  VinstiluUon  dliérilier.  Or,  le  tuteur  est  donné  princi- 
palement à  la  personne  du  pupille;  mais  le  curateur  est  donné  surtout 


78  LIV.  1.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

La  Cognation,  c'est-à-dire  la  parenté  par  la  mère 
ou  les  personnes  du  sexe  féminin ,  formait  une  parenté 
purement  naturelle,  qui  n'avait  rien  de  commun  avec 
l'agnation  ou  la  parenté  civile.  Le  fils  de  la  sœur  n'était 
pas  censé  naître  dans  la  famille  à  laquelle  appartenait  ou 
avait  appartenu  sa  mère;  l'oncle  maternel  (avunculiis) 
n'était  donc  pas  un  agnat  par  rapport  au  fils  de  la  sœur. 
Entre  l'oncle  maternel  et  ses  neveux,  ou  leurs  descendants, 
il  y  a  seulement  la  cognation  ;  et  la  Loi  des  XII  Tables  ne 
reconnaît  aucun  droit  d'hérédité  dans  la  ligne  transver- 
sale des  cognats.  Ceux  qui  naissaient  suivaient  la  famille 
de  leur  père  et  non  celle  de  la  mère  ;  c'était  là  le  principe 
constitutif  de  la  famille  civile  :  «  Qui  nascuntur,  patris  non 
y>matris  famiiiam  sequuntur^^.  » 

Passons  à  la  Gens  et  aux  Gentiles. 

Y.  —  La  famille  n'est  pas  constituée  seulement  dans 
le  présent  et  en  vue  de  l'avenir  ;  elle  existe  aussi  ou  peut 
exister  dans  ,1e  passé.  L'aïeul ,  le  père ,  qui  sont  devenus 
la  souche  d'une  famille,  pouvaient  tenir  eux-mêmes  à 
une  race,  c'est-à-dire,  en  droit  civil,  à  une  Gen^  plus  ou 
moins  ancienne  dont  ils  portaient  le  nom.  La  gens  est  la 
famille  antique,  primitive,  toujours  ingéime  ou  pure  de 
servitude ,  qui  a  donné  son  nom  générique  aux  familles 
particulières  issues  d'elle,  lesquelles,  en  se  multipliant, 

aux  biens ,  et  la  nomination  du  curateur  devait  être  confirmée  par  le 
magistrat.  Il  serait  plus  simple  de  dire ,  avec  les  jurisconsultes  romains, 
en  semblable  occurrence  :  Non  enim  de  omnium  quœ  a  majoribus  con- 
slilula  sunl  ratio  reddi  potest.  (  Julianus.) 

40  Gains,  i.  §  156.— Plus  tard,  le  mot  cognalio  fut  appliqué  à  toute 
parenté  paternelle  ou  maternelle. 


CHAP.  IV.  DROIT  DES  XII  TABLES.  SECTION  II.         79 

se  sont  distinguées  de  la  race  génératrice ,  par  un  sur- 
nom de  famille  ou  de  branche. 

L'agnation ,  comme  on  l'a  déjà  dit,  est  fondée  sur  la 
puissance  paternelle;  elle  unit  tous  ceux  qui  seraient 
placés  sous  la  puissance  du  même  chef  de  famille,  s'il  vi- 
vait encore,  et  par  conséquent  tous  ceux  qui,  dans  le  Ta- 
bleau généalogique  de  la  famille  romaine ,  sont  placés  en 
ligne  transversale  au  dessous  de  ce  chef  de  famille, 
I'aïeul  ,  que  nous  prenons  pour  point  de  départ. 

Au  dessus  de  l'aïeul,  sont  le  bisaïeul  (proavus),  le  tri- 
saïeul (abavus),  le  quadrisaïeul  (atavus),  etc.  ,  qui  ont  pu 
avoir  plusieurs  enfants,  lesquels,  en  se  mariant,  ont  pu 
devenir  des  souches  de  nouvelles  familles ,  et  constituer 
des  lignes  transversales  absolument  semblables  à  celles 
que  nous  avons  vues  partir  de  l'aïeul  et  du  père,  et  repré- 
ter  l'agnation.  Mais  ceux  dont  les  lignes  transversales  se 
rattachent  au  bisaïeul,  au  trisaïeul ,  etc.,  n'ont  jamais  été 
certainement,  et  n'ont  jamais  pu  être  sous  la  puissance  de 
l'aïeul ,  qui  appartient  aux  générations  subséquentes.  Ils 
ne  sont  donc  pas  des  agnats ,  par  rapport  aux  parents  des 
degrés  inférieurs ,  mais  ils  font  partie  de  la  race  antique, 
delà  GENS;  ils  sont  des  ge>tile>. 

Ainsi ,  le  Tableau  généalogique  doit  se  diviser  en  deux 
parties.  Au  dessus  du  tableau  qui  commence  à  l'aïeul,  on 
peut  en  tracer  un  autre ,  qui  partira  de  V Atavus  ou  Trl- 
tavus  (sixième  dans  la  ligne  ascendante)  ,  et  qui  aura  des 
séries  transversales  de  même  étendue.  Eh  bien!  l'aïeul, 
dans  ces  tableaux  superposés ,  formera  le  point  de  par- 
tage entre  l'agnation  et  la  gentilité  :  tout  ce  qui  sera  au 
dessous  de  lui ,  il  l'aurait  sous  ,sa  puissance  (sub  unius 
potestale) ,  s'il  vivait  encore  ;  tout  ce  qui  sera  au  des»us 


80  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

de  lui  serait  évidemment  en  dehors  de  sa  puissance.  Or, 
c'est  la  possibilité  ou  l'impossibilité  de  soumission  à  la 
puissance  du  même  chef  de  famille  qui  est  le  caractère 
distinctif  donné  par  Ulpien  ,  et  qui  fait  la  véritable  sépa- 
ration de  l'agnation  et  de  la  gentilité.  Tous  les  parents 
qui  formeront  ligne  transversale  à  partir  de  /'aïeul,  repré- 
senteront Xagnation;  tous  ceux  qui  formeront  ligne  trans- 
versale au  dessus  de  /'aïeul  ,  représenteront  la  gentilité. 

Ce  partage  dans  l'arbre  généalogique  de  la  famille  ro- 
maine est  fondé  sur  les  textes  de  Cicéron ,  de  Gaius , 
d'Ulpien  et  de  Paul,  Le  texte  de  Paul  est  tellement  pré- 
cis, qu'il  ne  peut  même  laisser  aucun  doute  :  «  Agnati  autem 
sunt  cognati  virilissexus,  pervirilem  sexum  descendentes ,  sicut 
filius  fratris,  et  patruus ,  DEINCEPS  ET  TOTA  succESSio*'  ». 

Prenomen  sera  le  nom  de  l'individu ,  JSomen  le  nom  de 

41  Paul ,  Sent.  iv.  8.  §  13.  Collât,  leg.  Mosaïc.  et  Roman.,  tit.  15. 
C.  3.  §  13. 

Cicéron  définit  les  Gentiles  :  «  Qui  inter  se  eodem  nomine  sunt  ;  qui 
ab  ingenuis  oriundi  sunt;  quorum  majorum  nemo  servitutem  servi- 
vit  ;  qui  capite  non  sunt  deminuti.  (  Topic.  6.  ) 

Il  ne  parle  pas  de  la  soumission  à  la  puissance  paternelle  comme  élé- 
ment de  la  Gentilité,  caractère  marqué  par  Paul,  Gaius ,  Ulpien,  quand 
il  s'agit  de  l'agnation.  —  L'Agnation  et  la  gentilité  ne  peuvent  donc 
pas  être  confondues  comme  elles  l'ont  été  par  l'ingénieux  auteur  d'un 
Système  nouveau  (  M.  Obtolan,  dans  ses  Insliluls.) 

Gaius  I.  §  156  :  Sunt  autem  agnati  per  virilis  sexus  personas  ce. 
gnatione  juncti,  quasi  a  pâtre  cognati,  velutifrater  eodem  paire  natus, 
fratris  filius,  neposve  ex  eo;  item  patruus  et  patrui  filius  et  nepos  ex 
eo.  (id.  III.  §  10.) 

Ulpien,  D,  l.  16. 195.  §  2,  de  Verb.  Signif.  :  Communi  jurefamiliam 
dicimus  omnium  agnatorum  ;  nam  etsi ,  patre-familias  mortuo  ,  sin- 
guli  singulas  familiam  habent,  tamen  omnes  qui  sub  umls  potestate 
FUEEUNT,  recte  ejusdem  familise  appellabuntur,  qui  ex  eadem  domo  et 
genlc  proditi  sunt. 


CHAP.  IV.  DROIT  DES  XII  TABLES.  SECT,  II.  81 

la  race,  Agnomen  le  nom  ou  surnom  de -la  branche,  de  la 
famille  spéciale,  CognomenXe  snvnom  possible  de  l'individu. 
Dans  Publius  Cornélius  Scipio  Africanus,  Publlus  sera  le 
prénom  de  l'individu ,  Cornélius  le  nom  de  la  race ,  Scipio 
le  nom  de  famille ,  Africanus  le  surnom  héroïque  de  l'in- 
dividu. Le  vainqueur  de  Carthage  sera  donc  indiqué 
comme  appartenant  à  la  famille  des  Scipions  et  à  la  race 
Cornélia,  qui,  outre  la  famille  des  Scipions,  contenait 
celles  des  Lentullus,  des  Dolabella,  des  Rufinus  et  plu- 
sieurs autres.  La  gexs  sera ,  par  rapport  aux  diverses  fa 
milles,  ce  que  le  genre  est  par  rapport  aux  espèces  ;  aussi 
le  mot  genus  est-il  employé  souvent  pour  gens ,  notam- 
ment par  Cicéron  ,  par  Festus  *-  ;  et  Cicéron ,  qui  em- 
ployait indifféremment  l'une  ou  l'autre  expression  ,  a 
donné  du  genre  une  définition  également  applicable  à  la 
notion  de  la  ge>s,  telle  que  nous  venons  de  la  détermi- 
ner :  «  Le  genre  est  ce  qui  embrasse  deux  ou  plusieurs 
»  parties  semblables  entre  elles  par  un  caractère  commun, 
»  mais  différentes  par  quelque  chose  de  particulier.  »  La 
GENS^  la  race,  est  aussi  ce  qui  embrasse  plusieurs  familles, 
toujours  ingénues ,  semblables  entre  elles  par  l'origine , 
le  nom  ,  la  communauté  des  sacrifices  {sui  si  miles  commu- 
nione  quadam  ) ,  mais  différentes  par  le  nom  et  l'agnation 
de  chaque  famille  spéciale  (speci^  autem  différentes)*^, 

42  Cic.  de  Leg.  1.8.  —  Festus  ,  «  Genîilis  dicitur  et  ex  eodeni  gc- 
»  nere  ortus,  et  is,  qui  simili  nomine  appellatiir,  ut  ait  Cincius  :  Gen- 
»  tiles  mihi  sunt,  qui  meo  nomine  appellantur.  »  (Lib.  vu  ,  éd.  IMul- 
LER,  1839.) 

43  Gcnus  autem  est  quod  sui  similes  communione  quadam  ,  specie 
autem  différentes  ,  duas  aut  plures  complectitur  partes.  (De  Oral.  1. 
42.  )  —  Il  faut  remarquer  que  c'est  en  parlant  du  droit  civil,  pour  eu 
déterminer  la  méthode ,  que  Cicéron  donne  cette  définition  ;  et  la  dé- 

T.  I.  (i 


82  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

De  là  il  résulte  que  les  membres  de  la  race ,  les  gen- 
tiles ,  dont  l'ancienne  généalogie  s'est  continuée  par  les 
parents  mâles  et  paternels ,  doivent  venir  dans  l'ordre  des 
droits  de  famille  et  de  succession  après  les  agnats  ;  c'est 
ce  que  veut  la  Loi  des  XII  Tables  :  «  Sei  adcnatos  nec 
ESciT  ,  GeiNTiliS  familiam  nancitor**.  »  —  Par  hypo- 
thèse, dans  la  famille  de  P.  Cornehus  Scipion  l'Africain  , 
ce  n'est  qu'à  défaut  d'agnats  dans  la  famille  des  Sci- 
pions*^,  que  les  gentils,  les  Cornélius Dolabella  ouLen- 
tulus*®,  viendront  à  la  succession  selon  leur  degré  de  pa- 
renté et  de  proximité.  —  A  défaut  d'agnats,  les  Gentils 
auront  aussi  la  tutelle  des  impubères  et  la  curatelle  des 
furieux  et  des  prodigues^''. 

finition  spéciale  qu'il  a  présentée  (  dans  ses  Topiques  )  sur  les  gentiles 
rentre  parfaitement  dans  cette  notion  :  le  nom  commun  de  plusietirs  fa- 
milles ,  Vorigine  toujours  ingcnue ,  le  mainlien  dans  la  famille  civile , 
sont  des  caractères  généraux,  et  forment  le  genj-e^  par  rapport  aux  fa- 
milles diverses  qui  tiennent  de  loin  à  la  même  souche.  Cette  notion  est 
celle  suivie  et  développée  sur  la  gens  par  Sigonius ,  dans  ses  Annota- 
tions sur  Tite-Live,  iv.  1.  note  4.  (  Til.  Liv.  cum  perpeluis  Sigon.  et 
Gronovii.  nolis,  BoUerd.,  1679,  Elzev.  ) 

44  Tab.  V.  5.  Cic,  de  Invent.,  ii.  50.  Gains,  Inst.,  m.  17. 

Paraphrasis  :  Si  agnatus  non  erit ,  tum  gentilis  hères  esto. 

4r»  C'est-à-dire  à  défaut  de  frères  (  ou  sœui-s  ) ,  d'oncles  paternels  , 
de  fils  de  frères  ou  d'oncles. 

46  C'est-à-dire  les  descendants  mâles  des  grands-oncles ,  des  propa- 
Irui ,  des  palrui  maximi. 

47  Tab.  V.  7.  —  Pour  la  curatelle ,  le  fragment  de  la  Loi  des  XII  Ta- 
bles s'explique  formellement.  Quant  à  la  lulelle,  elle  se  prouve  par  une 
induction  certaine  ,  fondée  ,  1»  sur  l'argument  a  majori  :  si  les  gentils 
sont  curateurs,  à  défaut  d'agnats,  à  plus  forte  raison  doivent-ils  être 
tuteurs  ;  2»  sur  le  principe  en  vertu  duquel  ceux  qui  ont  la  succession 
doivent  avoir  la  charge  de  la  tutelle  ;  3"  sur  l'ordre  dans  lequel  Gaius 
'i'occupait  des  gentils  La  lacune  existe  précisément  dans  la  partie  où 
i!  Iraite  de  la  tutelPe  légitime.  (1.  164.  16-5.) 


CHAP.  IV.  DROIT  DES  XII  TABLES.  SECT.  II.  83 

Ainsi  donc ,  chaque  père  de  famille ,  qui  laisse  des  en- 
fants, fait  souche  (stirps)  par  rapport  à  ceux-ci ,  héritiers 
siens  et  nécessaires^^;  chaque  père  de  famille  qui  laisse 
plusieurs  enfants  laisse  des  agnats  dont  la  ramification  à 
venir  sera  plus  ou  moins  étendue  ;  mais  chaque  père  de 
famille  ne  fonde  pas  une  Gens  qui  lui  est  antérieure  et  qui 
ne  peut  avoir  de  racine  que  dans  le  passé.  —  Ce  ne  se- 
rait ,  du  moins,  qu'après  un  long  temps  et  lorsqu'il  serait 
devenu  par  l'écoulement  des  âges  une  souche  très-an- 
cienne ,  stirps  antiquissima  ^® ,  qu'il  pourrait  être  regardé 
comme  l'origine  d'une  race. 

iNous  avons  considéré  les  enfants  et  petits-enfants  en 
puissance,  les  agnats,  les  gentils;  il  faut  aussi- détermi- 
ner spécialement  le  rang  que  la  femme  occupait  dans  la 
constitution  de  la  famille. 

YI. — La  fille  ou  femme  romaine,  civis  romana ,  était 
toujours  en  puissance  ou  en  tutelle. 

Elle  était  placée  sous  la  puissance  du  père,  ou  sous  la 
puissance  du  mari. 

Non  mariée,  et  sous  la  puissance  du  père  ou  de  l'aïeul, 
elle  était  au  même  rang  que  ses  frères;  mariée,  mais  non 
placée  in  manu ,  d'après  le  mode  exceptionnel  de  mariage 
reconnu  par  la  Loi  des  XII  Tables,  elle  restait  dans  la 
famille  de  son  père  et  sous  sa  puissance.  Dans  l'un  et 
l'autre  cas,  si  le  père  mourait  intestat  ^  elle  était,  comme 

48  C'est  dans  ce  sens  quMl  est  dit  qu'entre  héritiers  siens,  nepotes  vel 
pronepotes,  qui  succèdent  au  lieu  de  leur  père,  l'hérédité  se  partage  , 
non  in  capila  ,  sed  in  stirpes. 

49  Cicéron  se  sert  de  cette  expression  ,  en  parlant  de  la  souche  de  sa 
famille.  (Z)efiep.,i.  6.) 


Si  LTV.  I.  — ÉPOQUE  ROMAINE. 

ses  frères,  au  nombre  des  héritiers  siens,  et  au  nombre 
des  héritiers  siens  et  nécessaires,  si  elle  était  instituée 
par  le  testament  paternel. 

Elle  était  aussi  placée  parmi  les  agnats;  toutefois,  elle 
avait  cette  qualité  par  rapport  seulement  aux  agnats  con- 
sanguins, c'est-à-dire  aux  autres  frères  et  sœurs  ^^  :  elle 
partageait  leur  droit  de  succession  ;  il  y  avait  égalité; 
mais  au-delà  du  degré  des  consanijtiins  ^  l'hérédité  ne  lui 
appartenait  plus ,  bien  que  sa  propre  succession  fût  dé- 
férée aux  agnats  jusqu'au  dixième  degré ^*. 

Mariée  avec  le  consentement  du  chef  de  famille,  elle 
entrait,  selon  le  droit  commun  ,  dans  la  famille  du  mari. 
Elle  ne  pouvait  plus  compter  alors  parmi  les  héritiers 
siens  de  son  père;  elle  était  sous  la  puissance  du  mari, 

50  Gains ,  m.  §  10  :  Qui  eodem  pâtre  nati  sunt  fratres,  agnali  sibi 
sunt,  qui  etiam  consanguinei  vocantur. 

51  Gaius,  III.  §§  14.  18.  23.— Paul ,  Sentent.,  iv.  §  22  ,  dit  :  «  Fe- 
»  minœ  ad  hereditates  légitimas  ultra  consanguineas  successiones  non 
»  admittuntur.  Idque  jure  civili,  Voconiana  ratione,  videtur  effectum.  » 
De  là  naît  la  question  de  savoir  si  c'est  par  application  de  la  loi  Voco- 
nia  [585]  que  le  droit  civil  fut  fixé  sur  ce  point.  M.  Blondeau  (t.  2  , 
Inst.,  p.  297)  rapporte  un  passage,  d'après  unMS.  (B.  R.Paris,  4403) 
qui  prouve  que  le  texte  plus  haut  cité  des  Sentences  de  Paul  n'est  pas 
une  base  invariable  sur  laquelle  on  puisse  bien  fonder  une  opinion. 
Mais  nos  arguments  viennent  d'une  autre  source,  de  Gaius  lui-même  : 
1»  Le  passage  de  Gaius,  m.  §  14,  dit  :  Noslrœ  vero  her éditâtes  ad  fc- 
minas  ultra  consanguinearum  gradum  non  perlinenl.  Il  ne  fait  nulle 
mention  de  la  loi  Voconia.  Il  la  cite  ailleurs  sur  d'autres  points  :  pour- 
quoi ne  l'aurait-il  pas  citée  à  ce  sujet,  si  le  droit  relatif  aux  femmes 
était  venu  de  cette  loi  ou  de  son  interprétation  ?  —  Au  surplus ,  une 
preuve  péremptoire  résulte  des  §§  18  et  23  :  dans  ce  dernier,  c'est 
directement  à  la  Loi  des  XII  Tables  que  se  rapporte  la  succession  au 
degré  de  consanguinité  :  NiMljuris  ex  lege  habent.  (Voir  ci-dessous 
noire  exposition  de  la  loi  Voconia,  ch.  v,  sect.  2,  §  1.) 


CHAP.  IV.  DROIT  DES  XII  TABLES.  SECT.  II.  85 

qui  avait  sur  elle  la  puissance  paternelle;  qui  pouvait, 
devant  ses  proches ,  prononcer  sur  sa  vie  et  son  hon- 
neur ,  et  même  la  vendre  comme  son  enfant  ou  son  es- 
clave ^^.  —  Le  mari,  père  de  famille,  suijuris,  se  don- 
nait-il en  adrogation? —  Le  mari,  fils  de  famille,  alieni 
juris ,  était-il  donné  par  son  père  en  adoption?  —  La 
femme  suivait  la  condition  du  mari  ;  elle  entrait  dans  la 
nouvelle  famille;  l'union  était  indivisible^^. 

Mais  l'union  n'était  pas  indissoluble ,  sauf  dans  le  ma- 
riage des  Flamines  majeurs^*.  La  puissance,  à  laquelle 
la  femme  était  soumise ,  contenait  en  elle  le  droit  de 
répudiation  :  elle  aurait  pu ,  sous  forme  de  vente ,  pro- 
duire indirectement  une  répudiation  tout  arbitraire, 
L'Histoire  cependant  n'en  a  conservé  aucune  trace  ;  et  la 
pureté  des  mœurs  antiques  devait  y  résister^^.  Mais  le 

52  Tacite  :  Prisco  instituto ,  propinquis  coram  de  capite  famaque 
conjugis  cognovit.  [Annal.,  xiii.  32,  anno  U.  R.  811.) 

Gaius,  I.  §§  117-118  :  «  Omnes  liberorum  personae,  sive  masculini, 
»  sive  feminini  sexus ,  si  in  potestate  parentis  sunt ,  mancipari  ab  lioc 
»  eodem  modo  possunt ,  quo  etiam  servi  mancipari  possunt  :  idem  ju- 
»  ris  est  in  earum  ptrsonis  quae  in  manu  sunt.  » 

53  Individuam  vitae  consuetudinem  continens.  {Inslit.,  de  Nupt.) 

54  Plutarch.,  in  Quaest.  rom.,  n»  49. 

C'est  Domilien  qui  le  premier  a  permis  le  divorce  en  ce  cas.  (  Diele- 
rie.  Trechell,  sur  Brisso?j  ,  de  Rilu  nup. ,  Briss.  Op.  min.  p.  297.  ) 

55  Gaius,  i.  §  118.  —  Savigny ,  Traité  du  droit  romain,  i.  p.  255. 
La  pratique  de  cette  faculté  de  répudiation  s'est ,  au  contraire ,  con- 
servée dans  les  mœurs  de  la  basse  classe  en  Angleterre  ;  l'homme  du 
peuple  ,  récemment  encore ,  comme  on  le  sait ,  conduisait  sa  femme 
au  marché  et  la  mettait  en  vente  ;  c'était  un  mode  de  divorce  toléré 
parles  magistrats.  On  en  attribue  l'origine  à  des  usages  transmis  par 
les  anciens  Bretons.  (V.  V Angleterre ^  par  M.  Pillel,  ch.  34.  )  Or,  dans 
le  droit  celtique  (comme  je  le  ferai  voir  au  ne  livre  ) ,  il  y  avait  puis- 
sance abffolue  du  mari. 


86  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

mari  pouvait  exercer  la  répudiation  ou  le  divorce  pour 
cause  déterminée,  savoir  :  l'adultère,  l'intempérance,  la 
tentative  d'empoisonnement  à  l'égard  des  enfants,  la  substi- 
tution de  part  ^^ ,  et  même  la  stérilité  de  l'épouse ,  comme 
le  prouve  le  divorce  de  Carvilius  Ruga ,  vers  l'an  320  , 
le  premier  dont  l'histoire  ait  transmis  le  souvenir^'''. 

Le  divorce,  dans  ces  anciens  temps ,  pouvait  être  ré- 
clamé par  le  mari  seuP^.  La  cause  alléguée  était  exa- 
minée dans  un  Conseil  de  parents  ou  d'amis  qui  consti- 
tuait le  Tribunal  domestique  {jndicinm de morikis) .  Le  mari, 
en  cas  d'adultère,  jugeait  seul  sa  femme,  en  présence  des 
parents  de  celle-ci  ;  pour  les  autres  causes  déterminées , 
il  la  jugeait  avec  sept  d'entr'eux  :  distinction  fondée  sur 
la  nature  du  sentiment  qu'inspire  l'adultère  au  cœur  du 
mari.  Nul  que  lui  ne  peut  être  vraiment  juge  de  la  gran- 
deur de  l'outrage  et  de  la  jiécessité  de  rompre  le  lien 
profané  ^^. 

56  Denys  d'Halic. ,  liv.  ii.  ch.  2G.  Cic.,Orat.  1.  40  ;  Philipp.  ii.  28. 
Dig.  24.   2.   1.  (Gaius)  :  La  fornmle  était  :   Tuas  res  libi  habelo. 

Pothier  (ad  Leg.  Tab.  )  pense  que  le  mari  pouvait  répudier  pro  lu- 
bilu.  Il  serait  possible  que  la  détermination  de  cause  vînt  des  Lois 
royales  ou  de  l'usage. 

57  Aulu-Gell.  ,  liv.  iv.  ch.  3.  Valère-Maxime,  ii.  1,  n»  4. 
Montesquieu  blâme  l'exagération  des  auteurs  qui  disent  que  pen- 
dant 500  ans  il  n'y  eut  pas  dé  divorce,  xvi.  16. 

58  Gravina,  liv.  ii.  ch.  29,  de  divortiis,  fragment  de  la  Loi  des 
XII  Tables  :  «  Si  mulieri  repudium  mittere  volet ,  causam  dicito  ,  ha- 
»  rumce  unam  »  (  source  douteuse).  (  OUo.,  Thés,  jur.,  t.  iv.  p.  10.) 

59  Les  parents  étaient  au  nombre  de  sept,  pubères,  citoyens  ro- 
mains, suivant  la  loi  Julia.  —  Brisson,  ad  legem  Juliam,  de  adult., 
cap.  28.  —  Tacit. ,  Ann.,  xiii.  32.  —  D.  xxiii.  4.  5  :  «  Judicio  de 
»  moribus  quod  anteaquidem  in  autiquis  legibus  posituni  erat....  »  — 


CHAP.  IV.  DROIT  DEi  XII  T.IBLES.  SECT.  II.  87 

La  femme,  placée  sous  la  puissance  maritale,  était,  en 
«as  de  survie,  au  nombre  des  enfants  ou  des  héritiers 
siens  du  mari.  Si  le  mari  intestat  ne  laissait  pas  d'enfants, 
la  femme  encore  avait  la  qualité  d'héritier  sien.  La  qualité 
légale  de  fille  du  mari,  étendait  ses  effets  sur  la  succes- 
sion des  enfants  communs  et  même  sur  la  succession  des 
enfants  du  mari  seul.  Ainsi,  la  mère  prenait  part,  comme 
sœur  ,  à  la  succession  de  ses  fils  prédécédés;  et,  consé- 
quence rigoureuse ,  la  seconde  femme  du  mari ,  noverca , 
prenait  aussi  la  part  de  sœur  dans  la  succession  des  fils 
du  premier  lit^^. 

La  mère ,  soumise  pendant  le  mariage  à  la  puissance 
paternelle  ou  maritale ,  assimilée,  après  la  mort  du  mari, 
à  ses  propres  enfants,  ne  pouvait  évidemment,  à  aucune 
époque  de  sa  vie ,  participer  à  la  puissance  paternelle ,  soit 
à  fégard  des  personnes ,  soit  à  l'égard  des  choses.  —  Elle 
ne  pouvait  adopter,  précisément  parce  qu'elle  ne  pouvait 
avoir  la  puissance  paternelle. 

Le  Législateur  des  XII  Tables  tenait  toujours  la  fille 
ou  la  femme  romaine  en  état  de  subordination  et  d'infé- 
riorité. Quand  elle  n'était  plus  en  puissance ,  elle  était  en 


D.  XXIV.  3.  15 ,  §  1.  —  Id.  1.  39.  —  Cod.,  v.  17.  11.  §  2  :  Judicio  de 
moribus  sublato.  —  Montesq. ,  yii.  10. 

D'après  Tite-Live  (39.  18)  les  femmes  convaincues  d'avoir  pris  part 
aux  crimes  des  Bacchanales  furent  livrées  à  leurs  parents  ou  à  leurs 
maris,  cognalis  ,  aut  in  quorum  manu  essenl,  pour  qu'ils  les  fissent 
exécuter  en  particulier  :  Ut  ipsi  in  privalo  animadverlerenl  in  cas. 
(An.  566.) 

60  Gaius  ,  lîi.  §  14  :  Sororis  autem  nobis  loco  est  etiam  mater  ,  aut 
noverca  quœ  per  in  manum  conventionem  apud  patrem  uostrum  jura 
filiae  consecuta  est. 


88  LIV.  I.  —  EPOQUE  ROMALNE. 

tutelle.  La  tutelle  des  femmes  était  perpétuelle,  à  cause 
de  la  faiblesse  de  leur  sexe,  propter  levlfafem  animi.  Les 
Vestales  seules  en  étaient  exemptes. — La  tutelle  était  tes- 
tamentaire ou  légitime. 

Le  père  de  famille  ou  le  mari  avait  le  droit  de  pourvoir, 
par  testament,  à  la  défense  de  la  fdle  ou  de  la  femme,  soit 
en  nommant  le  tuteur  testamentaire,  soit  en  laissant  à  la 
femme  le  choix  de  son  tuteur,  appelé  alors  tuteur  optif^\ 

A  défaut  de  tutelle  testamentaire ,  ou  à  son  expiration , 
la  fdle  ou  la  veuve  était  soumise ,  par  la  Loi  des  XIÏ  Ta- 
bles, à  la  tutelle  de  son  agnat  le  plus  proche  ^^. 

Il  était  permis  aux  agnats ,  tuteurs  légitimes  des  fem- 
mes ,  aux  frères ,  par  exemple,  tuteurs  de  leurs  sœurs,  de 
céder  à  d'autres  la  tutelle  devant  le  magistrat.  Si  le  tu- 
teur cession naire  venait  à  changer  d'état  ou  à  mourir,  la 
tutelle  revenait  au  cédant;  si  ce  dernier  mourait  ou  subis- 
sait la  petite  diminution  de  tète,  la  tutelle  se  retirait  du  ces- 
sionnaire,  et  revenait  à  l'agnat  qui  occupait  le  degré  sub- 
séquent^^. 

La  femme  esclave,  affranchie  par  son  maître,  était 
soumise  à  la  tutelle  légitime  du  patron.  —  La  fdle  ingé- 
nue, émancipée  par  son  père,  était  soumise  à  la  tutelle  lé- 
gitime du  parent  émancipateur.  La  tutelle  légitime  des  pa- 


61  Gaius ,  I.  §§  148. 154.  La  faculté  laissée  à  la  femme  était  absolue 
ou  restreinte.  Dans  le  premier  cas ,  la  femme  avait  le  droit  de  se  choi- 
sir un  nouveau  tuteur  pour  chaque  circonstance  ;  dans  le  second ,  elle 
pouvait  faire  cette  option  une  ou  deux  fois  ,  selon  la  volonté  exprimée 
par  le  testateur. 

62  Gaius  ,  I.  §§  144.  14.5.  157  :  Quantum  ad  Legem  XII  Tabularum 
attinet,  etiam  feminae  agnatos  habebant  tutores. 

63  Gaius,  I.  §§  169.  171  :  In  jure  cedere  —  tutor  Cessicius. 


CHAP.  IV.  DROIT  DES  XII  TABLES.   SECT.  11.  89 

trons  et  des  parents  émancipa teurs  n'était  pas  moins  forte 
que  celle  des  agnats;  elle  a  même  conservé  plus  long-temps 
sa  force.  Ainsi ,  à  l'époque  où  la  tutelle  testamentaire  et 
celle  des  agnats  étaient  affaiblies  par  les  mœurs,  les  patrons 
et  les  parents  émancipateurs  ne  pouvaient  être  contraints, 
par  le  magistrat,  à  autoriser  les  filles  affranchies  ou  éman- 
cipées à  faire  un  testament  ;  ils  ne  pouvaient  être  con- 
traints à  autoriser  l'aliénation  des  res  mancipi ,  ou  l'obli- 
gation personnelle  de  la  femme,  à  moins  d'une  cause 
très-grave ,  soit  d'aliénation ,  soit  d'obligation.  Cette 
autorité  avait  été  accordée  et  maintenue  en  faveur  des  paî- 
trons et  des  émancipateurs ,  afin  que  l'hérédité  des  fem- 
mes ,  soumises  à  leur  tutelle ,  ne  leur  fût  pas  enlevée  di- 
rectement, ou  ne  leur  revînt  pas  grevée  de  dettes  et  ap- 
pauvrie des  choses  les  plus  précieuses^*, 

La  femme  pouvait  éviter  la  tutelle  légitime  par  une 
coemption  fiduciaire ,  imitée  de  la  coemption  pour  ma- 
riage. Avec  le  consentement  et  sous  l'autorité  des  tuteurs 
qu'elle  voulait  éviter ,  elle  faisait  coemption,  vente  d'elle- 
même  ;  l'acheteur  la  revendait  sous  certaines  conditions 
au  citoyen  qu'elle  indiquait,  et ,  affranchie  par  ce  dernier, 
elle  l'avait  pour  tuteur  fiduciaire  ^^ ,  conformément  aux 
conditions  stipulées.  —  Pour  échapper  à  la  tutelle  des 
agnats ,  la  femme  mariée,  mais  non  encore  in  manu,  pou- 


64  Gaius,  I.  §  192  :  Eaque  onmiaipsorum  causa,  constituta  sunt. 

65 Gains,  I.  §§114.  115  :  «  lis  auctoribus coemptionera  facit;  deinde 
»  a  coemptionatore  remancipata  ei  /rwi  ipsa  velif  ;  et  ab  eo  vindicta 
»  manumissa ,  incipit  eum  habere  tutoreni ,  quo  manumissa  est  :  qui 
^)  tutor  fiduciarius  dicitur.  » —  Ce  sont  ces  tuteurs  que  Cicéron  dit  avoir 
été  inventés  pour  être  placés  sous  la  puissance  des  femmes,  (pro  Mur.  12.) 


90  LIV.  1.  —  ÉPOQUE  ROMAINE, 

vait  faire  la  coemption  fiduciaire  avec  son  mari  :    alors 
elle  prenait  auprès  de  lui  sa  place  de  fille  de  famille. 

La  femme  étant  toujours  soit  en  puissance,  soit  en  tu- 
telle, ne  pouvait  avoir  le  droit  de  tester.  C'est  au  citoyen 
suijuris  et  pubère  (par  conséquent  affranchi  de  la  tutelle), 
que  les  XII  Tables  accordaient  le  droit  de  dicter  la  loi  tes- 
tamentaire, uti  legassit ,  ita  jus  esto.  Mais,  au  moyen  de 
la  coemption  faite  sous  l'autorité  des  tuteurs  légitimes, 
et  par  l'effet  de  l'affranchissement  conditionnel  et  de  la 
tutelle  fiduciaire ,  qui  en  était  la  suite ,  la  femme  pubère 
acquérait  la  faculté  de  faire  testament.  N'étant  plus  sou- 
mise à  la  tutelle  des  agnats ,  elle  n'était  plus  en  état  de 
pupiliarilé.  Vendue  sous  la  condition  d'un  complet  affran- 
chissement ,  avec  la  seule  réserve  d'une  tutelle  fiduciaire , 
qui  n'était  ni  la  tutelle  légitime  des  agnats ,  ni  la  tutelle 
légitime  des  patrons,  la  femme  vraiment  sui  juris  n'était 
plus  incapable  de  tester^*^.  «Autrefois,  dit  Gaius,  te  moyen 
était  le  seul  qui  put  conférer  à  la  femme  la  capacité  de  tes- 
ter ;  et  cette  forme  d'affranchissement  n'a  cessé  que  sous 
Adrien®"^.  »  Les  intérêts  de  fagnat  le  plus  proche,  tuteur 
et  en  même  temps  héritier  présomptif  de  la  femme,  étaient 


66  Si  l'affranchissant  avait  été  regardé  comme  ayant  le  droit  de  pa- 
tronage ,  la  femme  n'y  aurait  rien  gagné  ,  car  le  patron ,  tuteur  légi- 
time ,  ne  pouvait  être  contraint ,  même  par  le  Préteur,  a  consentir  à  ce 
que  la  femme  fit  soii  testament,  comme  on  l'a  dit  avec  Gaius,  i.  §  192  : 
«  Sane  patronorum  et  parentum  légitimée  tutelse  vim  aliquam  habere 
»  intelliguntur ,  eo  quod  hi  neque  ad  testamenlum  faciendum,  neque... 
»  auctores  ûeri  coguntur  » 

67  Gaius,  I.  115.  a.  Sed  hanc  necessitatem  coemptionis  faciendse 
ex  auctoritate  divi  Hadriani  senatus  reraisit. 


CHAP.  IV.  DROIT  DES  XII  TABLES.  SECT.  II.  91 

garantis  par  la  nécessité  de  son  consentement.  Il  ne  de- 
vait pas  consentir  facilement  à  être  dépouillé,  par  un  tes- 
tament, des  droits  que  la  loi  lui  assurait  sur  la  succession 
future  de  la  femme  soumise  à  sa  tutelle.  Dans  tous  les 
cas,  il  ne  pouvait  se  plaindre  de  la  disposition;  car  on  au- 
rait fait,  à  son  égard,  une  saine  application  de  la  règle, 
qui  deviendrait  fausse  par  trop  d'extension,  volenli  non 
fit  injuria.  —  La  forme  à^ affranchissement  étant  tombée  en 
désuétude,  la  règle  fondamentale  resta ,  que  la  femme  en 
tutelle  ne  pouvait  tester  qu'avec  l'autorisation  du  tu- 
teur *^^ 

VII.  —  Nous  avons  considéré  les  éléments  personnels 
de  la  famille  ;  il  faut  constater  maintenant  une  grande  loi 
dans  la  constitution  de  la  famille  romaine ,  savoir ,  la  su- 
bordination des  rapports  réels  aux  rapports  pef sonnets ,  en 
matière  d'hérédité  légitime. 

Les  rapports  i-éels,  c'est-à-dire  ceux  qui  concernent  la 
transmission  légitime  des  biens,  sont  toujours  subordon- 
nées aux  rapports  personnels ,  c'est-à-dire  au  maintien  de 
la  personne  dans  la  famille  civile. 

I**  La  qualité  de  fds  de  famille,  alieni  jiiris ,  est  fondée 
sur  la  puissance  paternelle;  et,  par  conséquent,  si  le  fils 
est  mis ,  par  fémancipation ,  hors  de  la  puissance  du  chef 
de  famille ,  il  n'a  plus  sa  qualité  première  ;  il  devient  père 

68  Gaius,  II.  §  113.  Elle  pouvai  tester  après  douze  ans.  Plusieurs 
Coutumes  de  France  ne  permettaient  à  la  femme  mariée  de  lester 
qu'avec  l'autorisation  du  mari.  Bourgogne  (tit.  4,  art.  1);  Tsivernais 
(ch.  23,  art.  1)  ;  Bourbonnais  (art.  216);  TSormandie  (art.  4,  7);  Bre- 
tagne (art.  619);  Cambrai  (tit.  7,  art.  13);  Tournay  (tit.  14,  art.  6,  7); 
Arras(86). 

V.  Obs.  sur  la  Coût,  de  Bourgogne.  Bouhïer  ,  i.  ch.  19. 


92  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

de  famille ,  sui  juris  ^'^;  ou  s'il  est  donné  en  adoption  ,  il 
passe  sous  la  puissance  du  père  adoptif.  N'étant  plus  dans 
la  famille ,  il  ne  peut  plus  être  au  nombre  des  héritiers 
siens.  Le  droit  des  XII  Tables  défère  l'hérédité  ab  intestat 
aux  héritiers  siens ,  c'est-à-dire  aux  enfants  en  puissance 
qui  viennent  de  leur  chef,  per  capita,  et  aux  petits-enfants 
ou  descendants  d'un  fils  prédécédé  ou  émancipé,  qui  vien- 
nent par  représentation  de  leur  père*^^.  Sont  réputés  hé- 
ritiers siens  les  enfants  seulement  qui  se  trouvent  sous  la 
puissance  du  défunt,  au  temps  de  sa  mort,  et  les  des- 
cendants qui  ne  doivent  pas ,  à  la  mort  du  chef  de  fa- 
mille, retomber  sous  la  puissance  de  leur  propre  père''. 
Le  petit  changement  d'état  qui  résulte  de  l'adoption  ou 
de  l'émancipation ,  suffît  donc  pour  rompre ,  à  l'égard  de^ 
l'adopté  ou  de  l'émancipé ,  le  lien  de  la  famille  civile  et 
de  la  succession  des  sui  et  necessarii.  Les  enfants  de  l'é- 
mancipé ,  restés  en  puissance ,  sont  héritiers  siens  à  la 
place  de  leur  père.  Les  enfants  du  fds  de  famille  ne  sont 
pas  héritiers  siens  de  l'aïeul  :  ils  sont  exclus  par  la  pré- 
sence de  leur  père ,  sous  la  puissance  duquel  ils  doivent  re- 

69  Pater-familias  appellatur  qui  in  domo  dominiuni  habet ,  recteque 
hoc  nomine  appellatur ,  quamvis  filium  uon  habeat  ;  nou  enini  solam 
personam  ejus  ,  sed  et  jus  demonstramus.  Denique  et  pupilluin  pa- 
trem-familias  appellamus  ;  et  cum  pater-familias  moritur ,  quotquot 
capita  ei  subjecta  fuerunt  singulas  familias  incipiunt  habere  ;  singuli 
patrum-familiarura  nomen  subeunt;  idemque  evenil  in  eo  qui  emanci- 
palus  est  ;  nam  et  hic  sui  juris  effectus  propriam  familiam  habet. 
(Ulp.,  D.,  de  Verb.  Sig.  195.) 

70  Gaius,  III.  §§7.8.  Non  in  capita  ,  sed  in  stirpes  hereditates  di- 
vidi. 

71  Instit.  Just. ,  III.  1.  §  2.  Ita  démuni  nepos  neptisve  ,  pronepos  , 
proneptisve  suorum  heredum  numéro  sunt,  si  prœcedens  persona 
desierit  in  potestate  parentis  esse. 


CHAP.  IV.  DROIT  DES  XII  TABLES.  SECT.  II.  93 

tomber.  Si  le  fils  en  puissance  est  institué  par  son  père,  il 
est  héritier  sien  et  nécessaire;  mais  si  l'émancipé  est  institué 
héritier ,  il  est  compté  au  nombre  des  héritiers  externes. 
Il  a,  par  conséquent,  le  droit  de  faire  ou  de  ne  pas  faire 
adition  d'hérédité,  car  il  n'est  plus  héritier  sien  et  né- 
cessaire'^. 

2"  L'agnation  est  fondée  ,  comme  on  l'a  vu ,  sur  le 
principe  de  la  puissance  paternelle.  Lorsque  un  agnat 
subi'  la  petite  diminution  de  tête,  par  adoption  ou  par 
émancipation ,  le  lien  de  fagnation  est  rompu  ;  car  si  le 
chef  de  famille  vivait ,  cet  agnat  ne  serait  plus  sous  sa 
puissance.  Ce  dernier  a  donc  cessé  d'être  agnat;  il  est 
hors  de  k  famille;  il  n'a  plus  droit  à  l'hérédité  légitime 
et  à  la  tutelic  des  agnats.  —  Cette  hérédité  est  déférée 
aux  agnats  du  degré  le  plus  proche ,  par  tête  et  non  par 
souches.  Il  n'y  a  pas  lieu  à  représentation  entre  ceux  du 
même  degré,  par  exemple,  entre  les  enfants  de  plusieurs 
frères  '^^.  Si  l'agnat  ne  veut  pas  accepter  l'hérédité,  il  n'y 
'■a  pas  dévolution  au  degré  subséquent  '"^. 

3"  La  gentilité  est  fondée  sur  les  rapports  entre  la  race 
A  première  et  les  familles  qui  en  sont  successivement  is- 
sues ;  elle  a  aussi  pour  appui ,  dans  son  origine  lointaine , 

72  Gaius ,  II.  §§  161.  162.  Liberi  nostri  qui  in  potestate  non  sunt 
heredes  a  nobis  institut!  sicut  extranei  videutur. 

73  Gaius ,  i.  §  158. 163.  Id.  m.  §  16  :  «  Quod  si  defuncti  nullus  frater 
exstet,  sed  sint  liberi  fratrum ,  ad  omnes  quidem  hœreditas  pertiuet  ; 
sed  quaesitum  est  si  dispari  forte  numéro  sint  nati ,  ut  ex  uno  unus  vel 
duo,  ex  altero  très  vel  quatuor,  utrum  in  slirpes  dividenda  sit  hereditas, 
sicut  inlcr  suos  heredes  juris  est,  an  potius  in  capila;  jamdudum  ta- 
men  placuit  in  capita  dividendam  esse  hereditatem.  » 

74  Plus  tard ,  le  préteur  accorda  la  possession  de  biens ,  unde  cognali. 
(  Voir  cil.  V  ,  deuxième  période  :  Droit  prétorien.  ) 


94  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

le  lien  civil  de  l'agnation,  qui  doit  se  maintenir  à  travers 
les  âges.  Le  lien  est  rompu  si  un  citoyen  passe  dans  une 
famille  de  race  différente ,  ou  s'il  sort  de  la  famille  par 
l'émancipation.  La  petite  diminution  de  tête  suffit  pour 
faire  perdre  les  droits  de  gentilité  "^^ ,  comme  dans  les  au- 
tres rapports  de  la  famille  romaine ,  parce  que  la  raison 
civile  peut  rompre  les  liens  civils"^®.  Pour  la  gentilité, 
comme  pour  l'agnation ,  c'est  au  degré  le  plus  proche  , 
sans  représentation  ni  dévolution  au  degré  subséquent , 
que  l'hérédité  est  déférée. 

Ainsi  tout  se  tient  dans  l'organisation  de  la  famille 
romaine  et  de  l'hérédité  légitime.  Les  rapports  réels 
sont  subordonnés  aux  rapports  personnels  ;  en  sortant  de 
la  famille  civile ,  par  quelque  cause  que  ce  soit ,  on  rompt 
en  même  temps  les  rapports  personnels  et  réels. 

Mais  la  volonté  du  citoyen,  Chef  de  famille,  investi  de 
la  puissance  absolue  de  tester ,  peut  troubler ,  dans  ses 
effets  ,  la  corrélation  établie  entre  l'hérédité  et  l'état 
des  personnes.  Le  droit  du  citoyen  ,  dans  la  liberté  de 
tester  reconnue  par  les  XII  Tables ,  l'emporte  sur  le 
droit  de  la  famille ,  tel  qu'il  est  constitué  par  là  loi.  L'hé- 
rédité testamentaire  est  préférée  à  l'hérédité  légitime. 
Le  citoyen  ,  membre  de  la  souveraineté  dans  la  Cité , 

75  Cicéroa  le  dit  expressément  dans  sa  définition ,  Topic.  6  :  «  Gen- 
tiles  suut  :  qui  eodem  inter  s'e  sunt  nomine....  qui  capile  non  sunt  de- 
minuli.  » 

76  Gains  ,  i.  §  158  :  Quia  civilis  ratio  civilia  qiiidem  jura  corrum- 
perepolesl,  naluralia  vcro  non  potest.  Gains  dit  dans  ce  §  158  que  la 
cognatiou  n'est  pas  changée  par  la  diminution  de  t(Ue ,  mais  Yognalion; 
il  ne  parle  pas  de  la  gentilité.  La  lacune  relative  à  la  gentilité  est  entre 
les  ^^  164  et  165. 


CHAP.  DROIT  DES  Xll  TABLES.  SECTION  II.  95 

est  souverain  absolu  dans  sa  famille.  Le  droit  individuel 
de  l'homme  l'emporte  sur  le  droit  collectif  de  la  famille 
civile  ou  naturelle  ;  et  ce  principe  de  liberté  testamen- 
taire ,  de  pouvoir  individuel ,  forme  l'un  des  caractères 
distinctifs  du  Droit  romain  ,  dans  l'histoire  du  Droit  des 
nations. 

L'hérédité ,  testamentaire  ou  légitime  ,  est  la  conti- 
nuation de  la  personne  ;  c'est  un  moyen  aussi  de  conti- 
nuer le  culte  domestique,  les  sacra  domùs  ;  mais  si  les  hé- 
ritiers siens,  les  agnats,  les  gentils,  ou  les  héritiers  in- 
stitués négligent  l'exercice  de  leurs  droits  ,  l'hérédité 
elle-même  et  les  choses  héré;litaires  peuvent  être  usuca- 
pées  pro  lieredé  par  le  possesseur,  qui  s'en  |empare  ,  soit 
avant  l'immixtion  des  héritiers  siens  ou  nécessaires  ,  soit 
avant  l'adition  d'hérédité  des  héritiers  externes.  L'usu- 
capion  est  acquise  au  possesseur ,  par  une  grande  et  pri- 
mitive apphcation  de  la  possessiOxN  annale  chez  les  Ro- 
mains. Cette  règle  du  droit   antique  était  établie  pour 
rendre  promptes  les  aditions  d'hérédité ,  prévenir  l'inter- 
ruption des  sacrifices  privés,  et  donner  aux  créanciers  une 
personne   contre  laquelle  ils  pussent  poursuivre  leurs 
droits"'^;  elle  était,  aussi,  favorable  aux  agnats  et  aux 
gentils  du  second  degré,  qui  pouvaient  trouver  dansl'usu- 
capion  pro  herede  un  remède  contre  le  défaut  de  dévolu- 
tion du  degré  le  plus  proche  au  degré  subséquent ,  et  qui 
n'étaient  pas  ainsi    totalement  privés  du  secours  de  la 
loi ,  avant  l'institution  prétorienne  de  la  succession  widè 
cognaii. 

77  Gaius ,  II.  §§  54.  55.  56.  Adrieu  a  supprime  ceUe  usucapion ,  sauf 
quand  il  y  avait  des  héritiers  nécessaires. 


96  LIV.  I.  — ÉPOQUE  ROMAINE. 

VIII.  —  Les  héritiers  siens,  les  agnats,  les  gentils, 
c'est  là  ce  qui  constitue  la  famille  romaine ,  considérée  , 
selon  la  Loi  des  XII  Tables,  dans  ses  éléments  fonda- 
mentaux. 

Mais  la  famille  comprenait  aussi  des  éléments  acces- 
soires :  c'étaient  les  esclaves ,  les  enfants  in  mancipio ,  les 
affranchis ,  les  enfants  émancipés  ;  et  si  la  puissance  pa- 
ternelle formait  l'unité  de  principe  dans  l'ordre  fonda- 
mental ,  la  puissance  dominicale  formait  aussi  l'unité  de 
principe  dans  l'ordre  accessoire  de  la  famille  romaine. 

Il  y  avait  unité  de  puissance  pour  faire  sortir  de  la 
servitude  les  esclaves  ,  les  enfants  placés  in  mancipio,  et 
de  la  famille,  les  enfants  soumis  au  pouvoir  du  père  ou 
de  l'aïeul  ; 

Il  y  avait  identité  de  moyens  pour  l'action  de  cette 
puissance  dominicale  ; 

Il  y  avait  identité  de  droits  sur  la  personne  des  esclaves 
affranchis  et  des  enfants  émancipés. 

Les  esclaves  sont  compris  sous  le  nom  générique  de 
famille''^.  Ce  que  le  père  pouvait  envers  les  esclaves,  il 
le  pouvait  envers  ses  enfants  ,  patri  licebat  in  fiUos  quod 
in  servos.  Il  avait  également  le  droit  de  vendre  les  uns 
et  les  autres  ,  et  le  droit  de  les  revendiquer  comme 
sa  chose  "^^  ;  les  enfants  pouvaient  être  mancipés  par  le 
même  mode  que  les  esclaves ^*^,  —  Si  le  père  avait  le 


78  Servitutem  quoque  solemus  appellare  fainilias. 

Familiœ  appellatio  omncs  servos  comprehendit,  sedet^/»  contiaen- 
tur.  (  Ulp.,  1.  195.  D.  de  Verb.  Signif.) 

79  D.  VI.  I.  1.  §  2  :  Filium....  ex  lege  Quiritium  vindicareposse. 

80  Eodem  modo  quo  etiani  servi  maucipari  possunt.  {Gains,  i.  §  117.) 
Eodem  modo serviles et liberœ personae  maucipautur.  {Gains ^i.  §  120.) 


CHAP,  IV.  DROIT  DES  XII  TABLES.  SECT.  II.  97 

droit  de  vendre  ses  fils,  de  les  livrer  in  mancipio ,  il  avait 
aussi  le  droit  de  les  affranchir  ;  et  l'émancipation  du  fds 
n'était,  en  définitive,  qu'un   affranchissement.  Vendu 
par  son  père  une  première  fois ,  le  fils  affranchi  par  l'a- 
cheteur rentrait  sous  la  puissance  paternelle  ;  vendu  une 
seconde  fois  et  affranchi  de  nouveau,  il  retombait  sous 
cette  puissance;  vendu  une  troisième  fois,  il  était  libre 
du  pouvoir  paterneP* .  Il  ne  pouvait  plus  être  in  potestate, 
mais  il  était  in  mancipio.  Celui  qui  l'avait  acheté  du  père 
le  possédait  in  causa  mancipii  ^^  ;  il  avait  sur  lui  le  droit 
du  maître ,  quoique  le  fils  mancipé  ne  fût  pas  entière- 
ment assimilé  à  l'esclave  aux  yeux  de  la  Cité.  —  Le  man- 
cipé pouvait,  en  effet,  obtenir  sa  liberté  par  le  Cens, 
malgré  le  possesseur  ^^  ;  et ,  dégagé  d'une  servitude  pas- 
sagère ,  il  reprenait  les  droits  d'ingénuité.  Hors  ce  cas 
d'affranchissement  par  l'intervention  directe  du  magis- 
trat ,  le  fils  placé  in  causa  mancipii  était  affranchi  comme 
l'esclave,  par  les  modes  ordinaires ,  la  Vindicte,  le  Cens, 
le  Testament^*,  et  celui  qui  l'avait  affranchi  devenait  son 
patron.  Si  donc  le  père  voulait  se  réserver  le  droit  d'af- 
franchir son  fils ,  et  d'exercer  le  patronage ,  à  la  troisième 
vente  il  imposait  la  condition  de  fiducie  à  l'acheteur,  qui 

81  «  Sr  PATER   FILIUM  TER  VENUM  DUIT  ,  FIDIUS  A  PATRE  LIBER  ES- 

TO.  «  {Tah.  IV.  3.  —  Vlp.,  Frag.  x.  1.  Gains,  1.  §§  132.  141.  iv.  79.) 

82  Gaius,  II.  §  160.  S'il  était  institué  liéritier,  il  était,  comme  l'es- 
clave, héritier  nécessaire. 

83  Gaius,  1.  §  140  :  Invito  eo,  cujus  in  mancipio  sunt  libertatem 
Censu  consequi  possunt. 

§  141.  Adversus  eos,  quos  in  mancipio  habemus ,  nihil  nobis  contu- 
meliose  facere  licet. 

84  Gaius,  I.  §  138  :  li  qui  in  causa  mancipii  sunt,  quia  servorumloco 
habcnlur,  vindicta,  censu,  testamento  mauumissi,  sui  juris  fmnt. 

T.   1.  7 


98  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE, 

s'obligeait  à  lui  faire  la  rémancipation  du  fils^''.  Par  la 
rémancipation ,  le  père  possédait  lui-même  son  fils  in 
mancipio ,  et  alors  il  pouvait ,  par  la  Vindicte ,  l'affranchir, 
comme  son  esclave  et  devenir  son  patron.  De  ce  droit  pri- 
mitif de  ventes  successives,  et  de  cette  institution  du 
rnancipium  à  l'égard  des  enfants  vendus  en  vertu  de  la 
puissance  paternelle ,  est  venue  l'émancipation  qui  se  fai- 
sait par  trois  ventes  fictives  et  non  interrompues,  par  la 
rémancipation  et  par  laffranchissement  devant  le  magis- 
trat*^. Le  fils  sortait  par  ce  dernier  affranchissement  de 
l'état  de  mancipation ,  ex  mancipio  ;  il  était  enfin  émancipé. 

L'Emancipation,  dans  sa  forme  symbohque,  avait  ainsi 
conservé  l'identité  de  la  puissance  paternelle  et  de  la  puis- 
sance dominicale. 

Elle  était  employée  pour  rendre  le  fils  de  famille  sa» 
juris;  elle  était  employée  aussi  comme  préalable  néces- 
saire dans  l'adoption,  pour  faire  passer  le  fils,  alieni  ju- 
ris, d'une  famille  dans  une  autre.  L'adoption  se  compo- 
sait de  deux  actes  essentiels  :  la  triple  mancipation,  qui 
éteignait  la  puissance  dans  le  père  naturel ,  et  la  vindica- 
tion ,  faite  devant  le  magistrat  par  l'acheteur,  c'est-à-dire 
par  le  père  adoptif  réclamant  le  fils  contre  le  père  natu- 
rel, qui  le  détenait  encore  après  la  troisième  mancipa- 
tion*''. Cette  vindication  fictive  devant  le  magistrat  s'ap- 
pelait injure  cessio,  et  les  formes  de  l'adoption  se  compo- 

85  «  Quem  pater  ea  Icge  mancipio  dédit  ut  sibi  remancipelur.  » 
(  Gaius,  I.  §  140.) 

86  S'il  s'agissait  d'une  fille  ou  d'un  petit-fils,  une  vente  seule  suffi- 
sait, avec  la  rémancipation  et  l'affranchissement. 

87  Aut  jure  mancipatur  patri  adoptivo  vindicanti  filium  ab  eo  apud 
quem  in  tertia  maucipatione  est.  (  Gains ,  i.  133.  ) 


CHAP.  IV,  DROIT  DES  XII  TABLE^.  SECT.  II.  99 

siient  ainsi  des  formes  combinées  de  l'émancipation  et  de 
la  cessio  injure. — Le  père  adoptif  ne  pouvait  ensuite  faire 
sortir  de  sa  puissance  l'enfant  adopté  que  par  l'émanci- 
pation dans  les  formes  ordinaires ,  ou  par  une  seconde 
adoption  réunissant  les  solennités  combinées®*. 

L'unité  de  puissance ,  à  l'égard  des  esclaves  affranchis 
et  des  enfants  émancipés,  produit  deux  corollaires  im- 
portants, quant  aux  droits  de  succession  et  de  tutelle. 

i^"  COROLLAIRE  :  Le  maître  qui  affranchit  son  esclave 
a  le  droit  de  patronage.  La  Loi  des  XIÏ  Tables  accordait 
au  patron  le  droit  d'hérédité  à  l'égard  des  affranchis  morts 
sans  hériliers  siens  ou  sans  héritiers  testamentaires*^.  Les 
enfants  du  patron  ou  ses  descendants  succédaient  à  son 
droit  d'hérédité  légitime.  Le  patron  et  ses  descendants 
avaient  aussi  la  Tutelle  légitime  de  faffi'anchi  impubère 
ou  de  l'enfant  impubère  qui  lui  avait  survécu  ^^  ;  les  fils 
du  patron  étaient  dits  tuteurs  légitimes ,  car  si  le  père 
n'avait  pas  affranchi  l'esclave ,  celui-ci ,  à  la  mort   du 
maître ,  aurait  été  sous  la  puissance  de  ses  enfants ,  hé- 
ritiers siens. 

88  Gaius,  I.  §  61  :  Quum  vero  per  emancîpatioaem  adoptio  disso- 
lutasit 

89  Gaius,  I.  §  165  :  Ad  patronos  liberosve  eorum  pertinere.  —  m. 
§  40  :  Ita  demum  Lex  XII  Tabularuni  ad  hereditatem  liberti  vocabat 
patronum ,  si  m(esfa(MS  raortuus  esset  libertus,  nullo  sao  haeredere- 
licto. 

Ulp.,  Frag.,  tit.  xxvii.  §  1  :  Libertorum  intestatorum  hœreditas  pri- 
mum  ad  suos  bseredes  pertinet  ;  deinde  ad  eos  quorum  liberti  sunt , 
velut  patronum,  patronam,  liberosve  patroni.  »  (id.,  tit.  xxix.  §  1.  ) 

90  La  tutelle  était  dite  légilime,  bien  qu'elle  ne  fut  pas  formellement 
établie  par  la  loi  des  XII  Tables,  mais  parce  qu'elle  en  était  descendue 
par  inlerprétalion  et  comme  si  elle  avait  été  introduite  par  la  loi  elle- 
même.  (Inst.  JusL  I.  17.) 


'ÏOO  LIV,  1.  —  ÉPOQUE  ROMAINE, 

2°  COROLLAIRE  :  Le  droit  de  patronage ,  par  interpré- 
tation de  la  Loi  des  XIÏ  Tables,  appartenait  également, 
pour  la  tutelle  et  X hérédité  légitimes ,  au  parent  émancipa- 
teur  (manumissor)  et  à  ses  fils ,  sur  la  personne  et  les  biens 
de  l'émancipé  ®^  ;  seulement ,  les  fils  du  parent  émancipa- 
teur  étaient  nommés,  en  droit,  iuienvs  fiduciaires^^.  Les 
enfants  impubères,  émancipés,  ne  pouvaient  directement 
retomber  sous  la  tutelle  légitime  de  leurs  frères ,  consi- 
dérés en  qualité  d'agnats ,  puisque  l'émancipation,  petite 
diminution  de  tête,  rompait  fagnation.  Les  frères  étaient 
donc  appelés  à  la  tutelle  de  leurs  frères  émancipés  par 
suite  d'une  réserve  ou  d'une  clause  dé  fiducie  que  l'on  pré- 
sumait avoir  eu  lieu  au  moment  de  l'émancipation  ;  de 
là  leur  nom  de  tuteurs  fiduciaires. 

Le.  droit  de  patronage  sur  la  personne  des  affranchis 
et  sur  leurs  successions  était  identique  au  droit  d'agna- 
tion  dans  la  constitution  de  la  famille.  Les  patrons  et  leurs 
enfants  occupaient  la  place  des  agnats  à  l'égard  de  l'af- 

91  «  Et  tune,  exedicto  prœloris,  in  hujus  filii  vel  filiae,  vel  nepotis, 
vel  neptis  bonis,  qui  qiiaeve  a  parente  manumissus,  vel  manumissa 
fuerit ,  eadem  jura  prœstantur  parenti  quœ  Iribuunlur  patrono  in  bonis 
liberti.  Et  prœterea  si  impubes  sit  fîlius,  vel  filia,  vel  cœteri,  ipse  pa- 
rens  ex  manuraissione  lulclam  ejiis  nanciscilur.  {Inst.  Jtcst.  i.  12.  6.  ) 
Ad  legitimam  successionem  vocaturetiam  parens  qui  contracta  fiducia 
filiuin ,  vel  filiam ,  nepotem ,  vel  neptem  ac  deinceps  émancipât.  ^{Id., 
III.  2.  8.) 

92  Gaius,  I.  §§  172.  175.  Le  jurisconsulte  dit(§  166)  :  Exemplopa- 
tronorum  quoque  fiduciaria  tulela  rcperta  est  ;  ce  qui  semblerait  s'ap- 
pliquer au  titre  même  du  paient  émancipateur ,  qui  serait  appelé  alors 
tuteur  fiduciaire.  Cependant  on  voit  (§§  î72.  175)  que  le  père  éman- 
cipateur est  regardé  comme  tuteur  légitime,  et  au  surplus,  quel  que 
soit  son  titre ,  non  minus  huic  quam  palronis  honor  prœslandus  est. 
(172.) 


CHAP.  IV.  DROIT  DE^  XII  TABLEE.  SECT.  II.         iO\ 

franchi,  qui,  né  récemment  à  la  vie  civile,  ne  pouvait 
pas  avoir  encore  d'agnats  par  le  sang.  C'était  une  agna- 
tion  secondaire ,  créée  à  l'image  de  la  grande  agnation 
fondée  sur  les  droits  de  consanguinité  °^. 

Cette  assimilation  était  toute  logique,  car  l'affranchi 
était  vraiment  associé  à  la  famille  du  patron.  L'affranchi 
prenait  les  noms  du  patron ,  en  y  ajoutant  son  nom  indi- 
viduel. Les  droits  d'hérédité  des  patrons  et  de  ses  en- 
fants étaient,  comme  ceux  des  agnats,  suhordonnés  à  la 
condition  que  l'affranchi  n'aurait  pas  laissé  àliéritiers  siens 
ou  serait  mort  sans  testament.  —  Les  affranchis  formaient 
ainsi  une  partie  accessoire  à  la  famille ,  qui  existait  dans 
le  présent  et  s'étendait  vers  l'avenir. 

Mais  pouvaient-ils  faire  partie  de  la  race,  de  la  gens? 
Evidemment  non,  puisqu'ils  n'avaient  pas  de  famille  dans 
le  passé.  Ils  naissaient  à  la  vie  de  citoyen ,  à  la  vie  de 
famille  par  l'affranchissement;  ils  n'avaient  de  racine  que 
dans  la  famille  civile  et  l'agnation  représentée  par  le  pa- 
tron et  ses  enfants.  Leur  souche  unique  était  dans  le  pa- 
tron qui  les  avait  affranchis  ^*  ;  ils  ne  pouvaient  pas  re- 
monter plus  haut  :  car  plus  haut ,  il  n'y  avait  pour  eux 
que  la  servitude ,  que  la  négation  même  de  l'existence 

93  Vinnius,  Inst.,  lib.  m.  tit.  8.  Legem  XII  Tab.  non  alio  jure  pa- 
tronum  censuisse ,  quain  agnatorum.  (Comment.  1.) 

94  L'affranchi  qui  avait  appartenu  à  deux  maîtres  et  qui  avait  deux 
patrons ,  ne  pouvait  pas  avoir  deux  souches;  aussi  sa  succession  ne  se 
dirisait  pas  entre  les  enfants  des  deux  patrons  in  stirpes ,  mais  par  tête 
in  capila.  —  C'est  ce  que  nous  apprennent  Ulpien ,  Frag.,  tit.  xxvii. 
§  4 ,  et  Paul ,  Reg.,  sent,  m  2.  §  3  :  «  Libertorum  hœreditas  in  capila 
non  in  slirpcs  dividetur  ;  et  ideo  si  unius  patroni  duo  sunt  liberi ,  al- 
terius  quatuor,  singuli  viriles,  id  est ,  aequales  portiones  habebunt.  » 


102  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAIKE, 

civile.  N'ayant  point  de  passé  dans  la  famille,  ils  n'avaient 
pas  de  race,  ils  étaient  sine  gente,  selon  l'expression 
d'Horace  ^^.  —  «  Sont  Gentiles  ,  ceux  qui  sont  nés  de 
parents  ingénus ,  dit  Cicéron ,  et  dont  les  ancêtres  n'ont 
jamais  subi  la  servitude.  » 

Les  affranchis  ne  pouvant  avoir  cette  qualité  de  gen- 
tils ,  ne  pouvaient  participer ,  dans  l'ordre  civil ,  au  droit 
de  gentilité  :  ce  qui  composait  le  Gentilicium  jus  de  la  Loi 
des  XII  Tables  leur  restait  nécessairement  étranger®^. 
Ils  ne  pouvaient  exercer  ce  droit  ni  en  subir  les  effets, 
car  ce  droit  était  fondé  sur  des  liens  de  famille,  qui  ont 
pour  caractère  la  réciprocité.  Il  n'y  avait  donc,  par  rap- 
port à  eux,  ni  hérédité ,  ni  tutelle  ou  curatelle  des  gen- 
tils. Il  y  avait  à  leur  égard  droit  de  patronage  et  conti- 
nuation du  droit  de  patronage  dans  la  ligne  directe  et 
descendante,  soit  du  patron ,  soit  de  l'affranchi  ;  il  y  avait 
droit  de  souche  et  d'agnation ,  mais  il  ne  pouvait  y  avoir, 
ni  activement  ni  passivement,  droit  de  gentilité. 

Cicéron  rappelle,  précisément  à  l'égard  d'un  affran- 
chi, la  différence  ancienne  du  droit  de  souche  et  du  droit 
de  gentilité ,  stirpis  ac  gentilitatis^^.  —  Dans  l'ingé- 
nieux système  d'un  savant  professeur,  les  affranchis  n'ont 

95  Horat.,  Sat.  ii.  5.  v.  15.  Ailleurs  il  ait  generosus  et  non  libertinus , 
et  l'on  sait  que  les  écrivains  latins  employaient  indifféremment  gens 
ou  gcnus. 

96  Gaius,  m.  17,  emploie  cette  expression  de  gentilicium  j:ts,  pré- 
cisément après  avoir  dit  que  la  Loi  des  XII  Tables  appelait  les  gentils 
à  l'hérédité ,  à  défaut  d'agnats  :  preuve  certaine  que  la  loi  ne  confon- 
dait pas  les  uns  et  les  autres  dans  la  même  notion. 

97  Cic,  de  Orat.,  i.  39  :  Quid?  Qua  de  re  inter  Marcellos  et  Clau- 
dios  patricios  Centumviri  judicaruut ,  quum  Marcelli  ab  liberti  fllio 
stirpe ,  Claudii  patricii  ejusdem  hominis  hereditatem ,  gente  ad  se  re- 


CHAP.   IV.  DROIT  DES  XII  TABLES.  SECT.  II.         103 

jamais  la  qualité  de  Gentiles  ,  mais  les  membres  de  la 
famille  affranchissante ,  les  descendants  du  patron ,  sont 
Gentiles  à  l'égard  des  descendants  d'affranchis,  malgré 
l'absence  de  toute  réciprocité  dans  le  lien  civil.  La  con- 
tinuation du  droit  de  patronage^  dans  les  lignes  directes  et 
descendantes  du  patron  et  de  l'affranchi,  est  ainsi  trans- 
formée en  droit  de  gentilité.  —  Nous  ne  pouvons  pas 
présenter  ici  une  dissertation  spéciale  à  ce  sujet;  mais 
une  raison  nous  paraît  péremptoire  pour  écarter  l'idée 
nouvelle. 

D'après  la  Loi  des  XIÏ  Tables ,  les  gentils  ne  sont  ap- 
pelés à  l'hérédité  qu'à  défaut  d'agnafs.  —  Il  n'est  donc 
pas  possible  de  les  confondre  en  un  seul  ordre  d'héri- 
tiers :  ils  forment  deux  ordres  distincts  de  succession; 
et  ces  deux  ordres  d'héritiers  sont  distincts ,  parce  que 
les  lignes  de  parenté  sont  différentes ,  ainsi  qu'on  l'a  vu 
dans  l'organisation  de  la  famille  romaine.  Or,  dans  le  sys- 
tème de  M.  Ortolan ,  le  droit  de  succession ,  qui  s'appelle 
Droit  de  Patronage,  à  l'égard  du  patron  et  de  ses  des- 
cendants succédant  à  l'affranchi ,  s'appelle  Droit  de  Gen- 
tilité quand  les  descendants  du  patron  succèdent  à  ceux 
de  l'affranchi.  Mais  comment  l'ordre  d'hérédité  aurait-il 
pu  changer ,  puisqu'il  n'y  a  pas  eu  changement  de  ligne^ 
et  seulement  de  degrés?  Cette  transformation ,  dans  la 
même  ligne,  est  contraiiVà  la  nature  des  choses^^. 

diisse  dicerent  ;  nonne  in  ea  causa  fuit  oratoribus  de  tolo  stiepis  ac 
GENTILITATIS  jure  dicendum? 

Ernesti ,  dans  son  Index  latinitatis  ad  Cicer. ,  dit  très-bien  :  Siirps , 
seu  familia ,  pars  genlis. 

98.  Sur  les  deux  systèmes  de  Niebuhr  et  de  M.  Ortolan ,  nous  avons 
fait  une  dissertation  spéciale  dans  la  Revue  bretonne,  t.  m,  p.  83. 


loi  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  R03IAINE. 

IX.  —  Nous  avons  analysé  la  famille  romaine  sui  ge- 
neris  ;  nous  n'avons  encore  tenu  aucun  compte  de  la  dis- 
tinction des  familles  patriciennes  et  plébéiennes. 

Il  faut,  cependant,  apprécier  les  effets  de  cette  distinc- 
tion aristocratique,  consacrée  par  la  Loi  des  XII  Tables. 

La  Loi  des  XII  Tables  avait  prohibé  le  mariage ,  ou  le 
connubium  entre  patriciens  et  plébéiens  ;  elle  avait  main- 
tenu la  barrière  élevée  par  les  moeurs  et  par  l'aristocratie 
des  temps  antérieurs  ^^. 

Cette  prohibition  empêchait  les  droits  de  famille  de  se 
communiquer  entre  patriciens  et  plébéiens. 

En  effet,  leyMsco/i»w6«7  entraînait,  1^  la  puissance  pa- 
ternelle ;  %^  l'agnation  ;  3"  la  gentilité  ;  4°  l'hérédité  légi- 
time ou  ab  intestat  ;  5"  la  tutelle  et  curatelle  légitimes.  — 
Par  cela  même  que  le  connubium  n'existait  pas  entre  les 
deux  classes ,  il  y  avait  entre  elles  séparation  dans  l'ordre 
civil ,  puisque  les  patriciens  à  l'égard  des  plébéiens  , 
comme  les  plébéiens  à  l'égard  des  patriciens ,  ne  pou- 
vaient avoir  ni  la  puissance  paternelle  ,  ni  les  droits  d'a- 
gnation  ou  de  gentilité ,  ni  les  droits  d'hérédité  ou  de 
tutelle  légitimes ,  résultant  des  justes  noces.        * 

Toutefois  ,  cette  séparation  n'était  pas  absolue  entre 
les  deux  classes  :  il  y  avait  entre  elles  des  liens  possibles 
et  légitimes,  par  l'institution  du  patronage  et  des  clien- 
tèles ,  par  le  droit  d'adoption  et  d'adrogation  ,  et  enfin 
par  le  droit  de  testament. 

L'institution  du  patronage  patricien  était ,  comme  on 
l'a  vu  plus  haut ,  un  lien  à  la  fois  politique  et  civil  entre 
les  deux  classes  de  citoyens. 

99  Tab.  XI.  1.  Ne  connubium  patribus  cum  plebe.  {Cic. ,  de  Rcp. , 
IT.  37.  )  Gains ,  ad  Legem  XÎI.  ïab.  D.,  de  Vcrb.  Sig.,  L.  238. 


CHAP.  IV.  DROIT  DES  XII  TABLES.  SECT.  II.  105 

L'adoption  pourait  forjner  un  lien  civil  entre  une  fa- 
mille patricienne  et  une  personne  d'une  autre  origine. 

L'adrogation  établissait  le  lien  de  famille  entre  l'adro- 
geant ,  l'adrogé  et  les  enfants  de  l'adrogé.  C'est  par  l'effet 
de  cette  institution ,  civile  et  politique  à  la  fois,  que  les 
Gentes  patriciennes  purent  comprendre  dans  leur  sein  des 
familles  ou  des  branches  d'origine  plébéienne,  mais  in- 
génue. La  GENS  Claudia,  par  exemple,  comprenait  les 
Marcellus  d'origine  plébéienne  et  les  Claudius  d'origine 
patricienne  ^^^. 

Le  droit  de  tester  pouvait  étendre  aussi  ses  effets  d'une 
classe  sur  l'autre  :  l'héritier  institué  représentait  la  per- 
sonne du  défunt.  Titre  de  transmission  héréditaire  ,  pr 
unîversitatem ,  le  testament.était  un  moyen  de  rapproche- 
ment ,  de  communication  ,  de  transmission  de  patrimoi- 
nes entre  les  familles  des  deux  Ordres. 

Ainsi ,  la  barrière  posée  entre  les  patriciens  et  les  plé- 
béiens ,  par  la  prohibition  du  connubium ,  n'était  pas  telle- 
ment élevée  qu'il  n'y  eût  encore  entre  les  deux  classes 
des  liens  possibles  et  reconnus  par  le  Droit  des  XII  Ta- 
bles : 

Relativement  aux  personnes  ,  par  le  patronage  et  l'a- 
doption ; 

Relativement  aux  familles  ,  par  l'adrogation  ; 

Relativement  à  la  transmission  des  patrimoines  ,  par 
le  testament. 

Mais  la  distinction  aristocratique ,  consacrée  par  la  Loi 


100  Cic,  de  Orat.,  i.  39.  —  Niebuhr,  voulant  que  les  Gentes  soient 
patriciennes ,  a  expliqué  par  des  mésalliances  ce  qui  était  le  résultat 
de  Yadrogalion. 


i06  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

des  XII  Tables ,  était  en  opposition  directe  avec  l'esprit 
de  la  révolution  plébéienne  qui  avait  institué  les  tri- 
buns et  réclamé  des  lois  écrites  :  aussi  elle  n'eut  pas  une 
longue  existence  dans  la  loi.  Le  principe  de  la  révolu- 
tion politique  s'efforça  de  pénétrer  promptement  dans  la 
société  civile ,  et  la  prohibition  du  mariage  entre  les  pa- 
triciens et  les  plébéiens  fut  abolie,  en  309  ,  sur  la  propo- 
sition d'un  tribun,  par  la  loi  Canuleia,  six  ans  seulement 
après  la  promulgation  des  XII  Tables*^'. 

A  la  vérité,  cette  loi  était  un  plébiscite,  et  les  plébis- 
cites alors  n'étaient  obligatoires  que  pour  les  plébéiens. 
Mais  après  l'habile  classement  des  citoyens  dans  les  tri- 
bus par  le  censeur  Fabius  Maximus ,  les  plébiscites  de- 
vinrent ,  en  vertu  de  la  loi  Hortensia ,  exécutoires  pour 
tous  les  citoyens  [468].  Les  rapprochements  des  deux 
classes ,  favorisés  par  les  mœurs  et  le  partage  des  dignités 
de  la  république ,  n'eurent  plus  dès  lors  aucun  obstacle 
dans  la  loi  civile  de  Rome  ;  et  Cicéron  met  dans  la  bou- 
che de  Scipion  un  hngage  qui  montre  combien  les  hom- 
mes éminents  de  l'aristocratie  romaine  étaient  opposés 
au  vieil  orgueil  des  Castes  :  il  qualifie  l'ancienne  prohi- 
bition de  loi  inique  et  très-inhumaine*^^. 

101  Tit.  Liv.,  IV.  1  :  Anni  principio  et  de  connubio  patrum  et  pie- 
bis  C.  Canuleius  tribunus  plebis  rogationem  promulgavit ,  qua  con- 
taminari  sanguinem  suum  patres ,  confundique  jura  genlium  reban- 
tur.  (L'expression  confundi  jura  genlium  prouve,  contre  Niebubr, 
que  déjà  les  plébéiens  avaient  le  jus  gentis ,  mais  séparé  des  gentes 
pair  ici  œ.  ) 

102  Cic,  de  Rep. ,  II.  39  :  Duabus  Tabulis  iniquarum  legum  ad- 
ditis  quibus  connubia  ut  ne  Plebei  cum  patribus  essent ,  inhumanis- 
sima  lege  sanxerunt. 


CHAP.  IV.  DROIT  DES  XII  TABLES.  SECT.  II.         107 

X.  —  Nous  avons  déterminé  la  constitution  de  la  fa- 
mille romaine  : 

Par  son  principe,  la  puissance  paternelle  et  la  cité,  la 
puissance  paternelle  dérivant  du  mariage  légitime  et  d'in- 
stitutions purement  civiles; 

Par  ses  éléjients  fondamentaux  ,  les  Héritiers  siens , 
les  Agnats,  les  Gentils,  la  condition  civile  de  la  Femme 
romaine  selon  ses  diverses  situations,  —  la  subordina- 
tion des  droits  d'hérédité  légitime  au  maintien  de  la 
personne  dans  la  famille  civile ,  et  la  supériorité  de  l'hé- 
rédité testamentaire  sur  la  quahté  d'héritier  du  sang  ; 

Nous  l'avons  déterminée  aussi , 

Par  ses  éléments  accessoires  ,  les  esclaves ,  les  en- 
fants,2»  mancipio,  les  enfants  émancipés,  les  affranchis; 

Par  son  élément  politique  ,  la  prohibition  du  Connu- 
bium  entre  les  familles  patriciennes  et  plébéiennes ,  ou  la 
distinction  ,  maintenue  par  la  Loi  des  XII  Tables ,  entre 
les  deux  Ordres  de  Citoyens ,  sans  atteinte  portée ,  ce- 
pendant, à  l'unité  du  droit  de  la  Famille  et  de  la  Cité. 

Passons  maintenant  au  droit  de  propriété. 


108  LIV.  I.  — ÉPOQUE  ROMAINE. 

SECTION  III. 

PROPRIÉTÉ  ROiMAINE  (DOMINIUM  EX  JURE  QIJIRITIIJM). 


SOMMAIRE. 

§  1.  —  Division  de  VAger  Romanus.  —  Principe  du  droit  de  propriété. 
§  2.  —  Division  des  Choses  d'après  le  Droit  civil  de  Rome. 

I.  —  Res  nullius,  divini  juris  (  res  sacrae,  sanctae,  reli- 

giosse). 
II.  —  Res  nullius,  humani  juris  (res  publicse  et  ager  pu- 
blicus  ). 

III.  —  Res  singulorum ,  vel  privali  juris  (ager  privatus, res 

quse  in  nostro  patrimonio  habentur  ). 

IV.  —  Res  mancipi  et  non  raancipi. 

§  3.  —  Modes  d'acquérir  la  propriété  romaine ,  à  titre  singulier. 
§  4.  —  Modes  d'acquérir  per  uuiversatem. 

§  5.  —  Propriété  des  Etrangers.  —  Dislinciion  correspondante  entre  les 
choses  et  les  personnes . 


§  l<r.    DIVISION   PRIMITIVE   DE    L'AGER    ROMANUS.    —    PBINCiPE    DD 
DROIT  DE  PROPRIÉTÉ. 

L'idée  de  la  Cité  romaine  qui  avait  dominé  la  famille 
s'est  imposée  à  la  propriété.  Il  ne  peut  y  avoir  qu'une 
propriété  à  Rome ,  la  propriété  romaine ,  laquelle  est 
concentrée  d'abord  dans  un  étroit  territoire ,  l'.ager  ro- 
manus. 

Une  division  de  l'ager  romanus  fut  opérée  dans  les 
temps  voisins  de  la  fondation  de  Rome.  Une  première 
partie  avait  été  consacrée  au  culte  divin  et  avait  formé 


CHAP.  IV.  DROIT  DES  XII  TABLES.  SECTION  III.      109 

la  distinction  des  choses  divini  juris ,  qui  s'est  retrouvée 
dans  la  Loi  des  XII  Tables  et  dans  le  Droit  postérieur. 
—  Une  seconde  partie  fut  attribuée  à  la  Cité ,  tant  pour 
les  lieux  publics ,  les  édifices  et  leurs  dépendances ,  que 
comme  source  de  revenus.  Elle  est  le  principe  et  des  Res 
pubticœ  et  de  fAger  publlcus.  Les  terres  confisquées  sur  les 
peuples  déditices  faisaient  partie  de  ce  domaine  du  peuple 
romain  * .  —  Enfin  une  troisième  partie  fut  attribuée  aux 
citoyens  en  particulier  ;  et  Cicéron  nous  apprend ,  au 
Traité  de  la  République ,  que  la  division  fut  faite  par  tète 
entre  les  citoyens  :  Romulus...  dividit  viritim  civibus^. 
Ce  mode  de  distribution ,  attesté  par  un  écrivain  aussi 
grave,  qui  avait  pu  consulter  les  annales  des  pontifes^, 
renverse  tout  le  système  de  Yico  et  de  Niebuhr  sur  l'assi- 
milation du  droit  civil  de  Rome  au  droit  féodal ,  sur  la 
distinction  supposée  d'une  propriété  patricienne  et  d'une 
propriété  plébéienne ,  analogue  à  notre  division  coutu- 
mière  des  fiefs  nobles  et  des  héritages  roturiers.  De  cette 
répartition , à  titre  singulier,  s'était  formé  VAgerprivatus, 
qui ,  distribué  par  l'Autorité  publique  entre  les  citoyens 
originaires  appelés  Quirites  ,  est  devenu  dans  la  langue 
du  droit  le  dOiMinium  ex  jure  Quiritium. 

Toutefois,  il  faut  bien  le  remarquer,  cette  source  his- 

1  DOMINIDM  POPULI  EOMANI.  {GaÙtS  ,  II.  §  2.) 

La  formule  des  déditices  a  été  conservée.  {Tile-Live,  i.  8.  — viii.  31. 
—  Voir  aussi  les  Recherches  sur  le  droit  de  propriété  ,  par 
M.  Giraud ,  i.  162.) 

2  De  Rep.,  ii.  14.  (Partie  découverte  de  nos  jours  par  M.  Angelo 
Mai ,  traduite  par  M.  Villemain  ,  et  précédée  d'une  savante  Introduc- 
tion.) 

3  M.  Leclerc  a  prouvé ,  dans  son  livre  sur  les  Annales ,  combien 
cette  preuve  était  précieuse  pour  les  antiquités  romaines. 


1  \  0  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

torique  indiquée  par  Cicéron  ne  peut  porter  aucune  at- 
teinte au  principe  naturel  de  la  propriété  privée ,  dans  la 
doctrine  du  droit  romain.  Un  Etat,  à  son  origine,  peut 
répartir,  dans  des  vues  d'intérêt  public ,  le  territoire  qu'il 
occupe ,  entre  les  membres  qui  vont  former  la  société 
nouvelle;  mais  l'occupation  générale  n'a  pu  constituer 
un  droit,  que  parce  qu'elle  était  la  somme,  le  symbole  ou 
la  garantie  des  occupations  particulières.  L'occupation 
particulière  du  sol  par  les  individus ,  avec  l'intention  de 
le  posséder  en  maîtres,  est  la  racine  primitive  du  droit 
de  propriété  ;  c'est  le  droit  d'occupation  primordiale ,  le 
moyen  naturel  d'acquérir.  La  libre  volonté  de  l'homme 
se  mettant  en  rapport  de  puissance  avec  la  terre ,  avec 
les  objets  extérieurs ,  imprime  à  la  chose  le  moi  humain, 
la  fait  CHOSE  mienne  ,  et  dès  lors  sacrée  comme  la  li- 
berté elle-même  :  tel  est  le  principe  fondamental  que  le 
droit  civil  de  Rome  a  emprunté  au  droit  naturel;  et 
Cicéron  ne  craignait  pas  d'affirmer  que  si  les  hommes 
étaient  conduits  par  la  nature  même  à  l'état  de  société, 
les  villes  étaient  établies,  cependant ,  les  cités  et  les  ré- 
publiques constituées  pour  garantir  la  propriété ,  et  dans 
le  but  surtout  que  chacun  con.  erverait  sa  chose  ,  ut 
SUA  tenerent^. 

La  division  première  de  VAger  romarus ,  indiquée  par 
Cicéron,  est  donc  une  origine  historique  utile  à  recueil- 
lir, mais  qui  ne  doit  pas  être  transportée  dans  la  théo- 
rie fondamentale  du  droit  de  propriété,  comme  si  la 

4.  Cic  ,  de  Off.,  ii.  21  :  Hanc  enim  ob  causam  maxime  ut  sua  te- 
nerent,  respublicae  civitatesque  constitutae  sunt.  Nam  etsi  duce  na- 
tura ,  congregabantur  homines ,  tamen  spe  custodiœ  rerum  suaruin 
urbium  precsidia  quœrebant. 


CHAP.  IV.  DROIT  DES  XII  TABLES.  SECT.  III.        1 1 1 

propriété  n'avait  pour  principe  que  la  volonté  du  corps 
social. 

§  2.  —  DIYISION  DES  CHOSES ,  D' APRÈS  LE  DROIT  CIVIL  DE  ROME.    ] 

La  division  originaire  du  territoire  romain  en  trois  par- 
ties avait  conduit  à  une  division  des  choses  en  trois  gran- 
des classes  :  en  res  nullius  ,  de  droit  divin  ;  res  nul- 
Lius,  de  droit  humain,  et  choses  de  notre  patrimoine. 

I.  —  Les  choses  de  droit  divin ,  consacrées  aux  Dieux 
supérieurs  par  l'autorité  du  peuple  romain  ,  res  sacrée  ; 
à  la  Cité  elle-même  par  la  sanction  pénale  de  la  loi ,  comme 
les  portes  ,  les  murs  de  Rome ,  res  sanct^e  ;  aux  Dieux 
Mânes  par  le  propriétaire,  qui  imprimait  au  sol  un  carac- 
tère religieux ,  en  y  déposant  la  dépouillle  mortelle  de 
l'homme  libre  ou  esclave,  res  religios^  :  —  toutes  ces 
choses  étaient  en  dehors  de  la  propriété  des  citoyens,  du 
jus  commerça  ;  elles  étaient  imprescriptibles,  et  ne  pou- 
vaient être  aliénées  qu'en  vertu  d'une  loi^. 

IL  —  Les  choses  dépendant  du  domaine  public ,  dont 
l'usage  est  à  tous  les  citoyens ,  comme  les  fleuves ,  les 
ports ,  les  voies  publiques ,  res  publics  ,  sont  enlevées 
également  au  commerce ,  soit  par  leur  nature ,  soit  par 
leur  destination  sociale. 

Vager  fubliciis  qui ,  par  sa  nature ,  était  susceptible  de 
culture ,  de  revenus ,  de  propriété  privée ,  mais  qui  de- 

5  Gaius,  II.  48:  Libères  homines  et  res  sacras  et  religiosas  usucapi 
non  posse  manifestum  est. 


i  \  %  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

vait ,  par  la  destination  de  ses  produits,  subvenir  aux  dé- 
penses de  la  République ,  était  placé  aussi  en  dehors  de 
la  propriété  des  citoyens  ;  il  ne  pouvait  être  acquis  par 
usucapion  ^  ;  il  était  réputé  inaliénable  ;  ii  ne  pouvait  se 
confondre  dans  le  domaine  des  citoyens  que  de  l'autorité  du 
peuple  romain  et  en  vertu  d'une  loi"^.  —  La  possession 
de  l'ager  publions ,  non  converti  par  une  loi  en  domaine 
privé ,  était  livrée  cependant  à  des  citoyens  qui  payaient 
à  la  Cité  une  redevance  (vecligal).  Ces  champs ,  ainsi  dé- 
tenus ,  et  quelquefois  usurpés  par  les  citoyens  riches ,  pa- 
triciens ou  chevaliers ,  sont  appelés  possessiones.  Dès  les 
premiers  siècles  de  Rome,  l'équivoque  et  fructueuse  pos- 
session est  reprochée  aux  patriciens.  Tite-Live  dit,  en 
parlant  de  la  première  proposition  d'une  loi  agraire ,  faite 
par  Sp.  Cassius  :  «  Elle  effrayait  beaucoup  les  sénateurs, 
»  possesseurs  eux-mêmes  de  ces  terres ,  et  menacés  dans 
»  leur  jouissance^.  »  Les  puissants  détenteurs  des  do- 
maines de  la  République  en  concédaient  à  leurs  clients 
la  culture  précaire^;  et  c'est  à  cette  concession  secon- 
daire, faite  par  les  patrons  en  faveur  de  leurs  clients 
plébéiens ,   mais  révocable  à  volonté ,  que  Niebuhr  et 
Savigny  ont  rapporté ,  avec  toute  vraisemblance ,  l'ori- 
gine du  PRÉCAIRE ,  et  de  l'interdit  de  precario  ,  destiné 


6  Aggenus  de  Controv.  agr.  :  Quod  solum  populi  R.  esse  cœpit 
nullomodo  usucapi  a  quoquani  mortaliumposse.  {Ed.  Goesii,  p.  69.) 

7  Publica  res  in  privatim  deduci  potest.  (Insl.^  m.  19.  2.) 

8  Id  multos  quidem  patrum  ipsos  possessores  periculo  rerum  sua- 
rum  terrebat.  {Tite-Live ,  ii.  41.) 

Les  détenteurs  étaient  dits  avoir  Vusus  cl  possessio. 

9  Ii  Patres  dicti  sont  quia  agroruni  partes  adtribuerant  lenuioribus 
perindc  ac  liberis.  {Fesii  Frag.  Cod.  Farn.,  lib.  xvi,  cd.  Muller,  p.  24G.) 


CHAP.  IV.  DROIT  DES  XH  TABLES.  SECT.  III.        1  13 

d'abord  à  faire  déguerpir  le  client  de  mauvaise  volonté  *°. 

III.  —  La  propriété  privée ,  ager  privatus,  reposait  sur 
la  qualité  romaine ,  tant  du  fonds  que  du  propriétaire ,  et 
sur  le  caractère  romain  des  moyens  d'aliénation  et  de 
transmission.  Il  faut  être  citoyen  romain  pour  être  pro- 
priétaire, et  chaque  citoyen  est  propriétaire  selon  le  droit 
de  la  Cité,  ou  il  n'est  pas  propriétaire.  L'unité  primitive 
a  été  formellement  établie  par  Gains  :  «  AiU  enini  ex  jure 
»  QUIRITIUM  unusqiiisque  dominus  erat,  aut  non  inielligebatur 
»  dominus.  »  (ii.  §  40).  La  propriété  privée  a  donc,  à  Rome, 
dans  la  première,  période  du  droit ,  un  caractère  unique , 

celui  du  DO.IIAINE  QUIRITAIRE. 

Et  non  seulement  le  droit  de  propriété ,  mais  les  droits 
analogues  ou  accessoires ,  savoir,  l'usufruit  et  les  servitu- 
des prédiales,  sont  aussi  constitués  ou  acquis  ex  jure  Qui- 
ritium  *  * . 

IV. — La  division  des  choses  de  droit  divin,  de  droit 

10  Traité  du  Droit  de  possession,  sect.  l^e.  §  12.  3.  et  §  42. 

Niebuhr,  Hist.  rom.,  m.  p.  199.  «  Par  rapport  aux  patrons ,  la  pos- 
session des  clients  n'était  pas  moins  précaire  que  ne  l'était  celle  des 
détenteurs  envers  l'Etat  ;  car  les  patrons ,  pour  prix  de  leur  soumis- 
sion, leur  concédaient  une  petite  partie  du  domaine  de  l'État.  —  Ils  le 
concédaient,  est-il  dit  (dans  le  Fragment  de  Festus),  comme  à  leurs 
propres  enfants  (  lenuioribus  perinde  ac  libcris  propriis.  )  Or ,  la  durée 
de  la  possession  que  le  fils  tenait  du  père  dépendait  uniquement  de 
celui-ci.  » 

En  droit  primitif ,  les  termes  de  posscssio ,  possessiones  ,  possessor , 
esse  inpossessione,  et  de  precarmm ,  étaient  relatifs  à  Vager  publicus. 

11  Le  droit  de  superficie  est  une  institution  prétorienne ,  et  l'emphy- 
théose  est  une  institution  impériale.  —  Il  n'en  est  pas  question  dans 
le  droit  primitif.  Vico  s'est  mépris  sur  l'emphy théose ,  qu'il  a  regardée 
comme  un  contrat  primitif. 

T.  I.  8 


114  LIV.  I.  — ÉPOQUE  ROMAINE, 

public ,  de  droit  privé,  était  générale,  et  pouvait  embras- 
ser toutes  les  choses ,  d'après  leur  nature  ou  leur  desti- 
nation ;  mais  une  autre  division  concernait  plus  spéciale- 
ment les  biens  dans  leur  rapport  avec  le  domaine  privé 
des  citoyens. 

Toutes  les  choses  immobilières,  mobilières  ou  incorpo- 
relles étaient  comprises  sous  la  division  antique  des  res 
Mancipi  aut  nec  Mancipi^^. 

Cette  seconde  division ,  consacrée  par  la  Loi  des  XII 
Tables ^^,  a  pris  son  origine  dans  l'idée  de  la  propriété, 
considérée  par  les  Romains,  d'après  l'une  de  ses  causes 
primitives,  la  victoire  ou  la  prise  sur  l'ennemi  -.«Aucune 
»  chose ,  dit  Cicéron ,  n'est  dans  le  domaine  privé  par  la 
»  nature,  mais  par  une  ancienne  occupation  ou  par  la  ffc- 
toire^^.y^  —  MA^■CIPIUM,  quod  3IANU  capitur,  disait  Var- 
ron  ;  mancipia  vero  dicta  quod  ab  hostibus  manu  capiuntur, 
disait  le  jurisconsulte  Florentinus,  en  parlant  des  escla- 
ves*^. Cette  idée  primitive,  l'un  des  fondements  du  droit 
de  propriété ,  est  restée  dans  le  droit  civil.  «  Les  choses 
»  que  nous  avons  prises  sur  l'ennemi  deviennent  nôtres , 
»  par  la  raison  naturelle ,  dit  Gains  :  le  Romain  regar- 

i2  Frag.  Ulp.,  XIX.  1  :  Oinnes  res  aut  mancipi  sunt ,  aut  nec  man- 
cipi. (id.,  II.  27.) 

13  Gains,  ii.  47.  M.  Blondeau,  s'appuyant  sur  l'opinion  «l'un  Savant 
étranger ,  a  cru  pouvoir  regarder  cette  doctrine  comme  douteuse  ; 
mais  c'était  trop  de  condescendance  pour  une  opinion,  et  la  distinc- 
tion des  res  mancipi  et  non ,  qui  est  dans  le  texte  de  Gains  ,  est  mise , 
par  M.  Blondeau,  au  rang  des  fragments  restitués  des  XII  Tables. 
^  V.  Chbestomathie,  p.  209,— et  Jus  anle  Juslinianeum,  Tabula  v.  2^ 

14  II  ajoute  :  Lege,  pactione,  conditio^je,  sobte.  (  O/f.,  i.  7.  ) 

15  Varro,  de  Ling.  lat.,  85.  §  vi.  Tlorent.,  D.  i.  4,  §  3.  ) 


CHAP.  IV.  DROIT  DES  XII  TABLES.  SECT.  III.         115 

»  dait  surtout  comme  sienne  la  chose  qu'il  avait  prise 
»  sur  l'ennemi  *^.  »  —  De  là  l'antique  usage  de  la  lance, 
comme  symbole  du  droit  de  propriété  ^^.  La  lance  était 
dressée  devant  le  tribunal  des  Centumws,  juges  des 
questions  de  propriété.  Dans  la  revendication  réelle  ou 
fictive  d'une  chose  ou  d'un  esclave ,  on  se  servait  d'une 
baguette,  image  de  la  pique  guerrière*^.  L'idée  de  con- 
quête, de  prise  sur  l'ennemi,  se  retrouvait  sans  cesse 
dans  le  droit  de  propriété  romaine.  Aussi  le  mot  man- 
ciPiUM  a  d'abord  exprimé  la  propriété  elle-même,  par 
l'indication  de  sa  cause  principale  ;  il  a  exprimé  ensuite 
le  caractère  supérieur ,  attaché  aux  objets  les  plus  im- 
portants, compris  dans  le  domaine  du  citoyen  ;  et  il  a  fini 
par  indiquer  le  moyen  civil  employé  pour  faire  passer , 
d'un  citoyen  à  un  autre ,  le  droit  de  propriété  sur  cer- 
tains objets.  Dans  cette  dernière  signification  ,  manci- 
pium  fijt  employé  pour  mancipatio  *^.  C'est  le  sens  qui  s'at- 
tache définitivement  à  la  division  des  choses  mancipi  et 
non  :  les  res  mancipi  sont  celles  dont  la  propriété  est 
transférée  d'un  citoyen  à  un  autre  par  la  mancipation  ; 
les  res  nec  mancipi  celles  dont  la  propriété  est  transférée 
par  la  simple  tradition.  * 

16  Ea  quae  ex  hostibus  capiuntur  naturali  ratione  nostra  fîunt. 
{Gains,  ii.  69.)  —  Maxime  enira  sua  esse  credebant  quae  ex  hostibus 
cepissent.  (  Gains ,  iv.  §  16.  ) 

17  La  dénomination  de  quiriles  et  de  domaine  ex  jure  quirilium  tire 
sa  racine  du  vieux  mot  latin  qnir,  qniris,  qui  veut  dire  lance,  selon 
Vico  (  Scienza  nuova.  ) 

18  Festuca  autem  utebantur  quasi  hast.e  loco  ,  signo  quodam 
JOSTi  DOMi>-ii.  {Gains,  iv.  §  16.) 

19  Gaius,  II.  §  121  :  Mancipalio  dicitur,  quia  res  manu  capitur. 


116  LIVRE  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

Le  caractère  des  Res  Mancipi  s'applique  aux  choses 
qui  étaient  connues  des  premiers  Romains ,  et  qui ,  par 
leur  nature  immuable  et  renfermée  dans  un  étroit  ter- 
ritoire, ou  par  leur  individualité  facile  à  reconnaître, 
devenaient  entre  les  citoyens  la  base  d'une  propriété  du- 
rable. —  Nous  devons  constater  ce  caractère  ou  son  ab- 
sence ,  à  l'égard  des  choses  immobilières ,  mobilières  et 
incorporelles. 

1**  Les  immeubles,  c'est-à-dire  les  maisons  et  les  fonds 
de  terre,  compris  dans  l'Ager  romanus,  avaient  seuls, 
dans  les  premiers  temps ,  et  sous  l'empire  de  la  Loi  des 
XII  Tables ,  la  qualité  de  Res  Mancipi  :  les  autres  ter- 
res ,  situées  hors  de  ces  étroites  limites ,  étaient  Res  non 
Mancipi. 

2°  Parmi  les  choses  mobilières  {se  moventes  vel  mobiles), 
les  esclaves  et  les  animaux  qui  servaient  à  l'exploitation 
des  terres  ou  aux  transports ,  et  sur  lesquels  chacun 
exerce,  à  raison  de  leur  individualité,  une  propriété  per- 
manente, sont  Res  Mancipi  ^°;  mais  les  animaux  sau- 
vages ,  dont  la  propriété  se  perd  dès  qu'ils  se  sont  déro- 
bés à  notre  garde ,  et  les  animaux  d'origine  étrangère 
inconnus  aux  premiers  Romains,  comme  les  éléphants, 
qui  étonnèrent  l'armée  romaine  lors  de  la  guerre  de 
Pyrrhus,  sont  Res  non  Mancipi.  —  De  même,  les  choses 
qui  ne  forment  pas  un  corps  certain,  une  individuaUté , 
mais  qui  peuvent  se  remplacer  les  unes  par  les  autres,  qui 
se  pèsent,  se  mesurent,  se  comptent,  comme  l'huile,  le 
blé ,  le  vin  ,  les  étoffes  ,  le  numéraire ,  sont  Res  nec 
Mancipi. 

20  Servi  et  quadrupèdes  qui  dorso ,  collo  domantur ,  velut  boves , 
uiiili,  equi,  asini.  (  Ulp.,  Frag.  xix.  ) 


CHAP.  IV.  DROIT  DES  XII  TABLES.  SECT.  III.        117 

Et  ici  l'on  doit  remarquer  combien  était  judicieuse  la 
classification  des  choses  mobilières  parmi  les  Res  Mancipi 
aut  nec  Mancipi ,  faite  par  les  Romains  des  premiers  siè- 
cles. Au  mouvement  libre  et  naturel  de  la  tradition ,  ils 
avaient  laissé  les  objets  de  consommation  et  les  signes 
de  valeur,  ce  qui  constituait  le  commerce  primitif;  et, 
dans  la  suite,  par  Teffet  de  leur  division,  les  choses  de 
luxe,  matière  du  commerce  de  terre  et  de  mer,  les  mé- 
taux, l'or,  les  pierreries,  les  diamants,  les  objets  de  tout 
genre  les  plus  précieux ,  se  trouvèrent  confondus  dans  la 
classe  illimitée  des  choses  non  Mancipi  ;  de  sorte  que  la 
division  des  Res  Mancipi  vel  non  y  appliquée  aux  choses 
mobilières,  ne  pouvait  nullement  entraver  le  commerce 
et  l'industrie  des  âges  postérieurs ,  ni  comprimer  les  be- 
soins d'une. civilisation  plus  avancée  ou  plus  exigeante. 

3"  Les  choses  incorporelles ,  en  général  (Jura) ,  comme 
les  droits  de  servitude  prédiale ,  le  droit  d'usufruit ,  le 
droit  d'hérédité ,  les  obligations  ou  créances ,  étaient  con- 
sidérées comme  Res  nec  Mancipi.  —  Toutefois,  il  exis- 
tait, à  ce  sujet,  une  grande  distinction  entre  les  servi- 
tudes rustiques  et  les  servitudes  urbaines.  Les  servitudes 
rustiques^*, presque  aussi  anciennes  que  la  propriété  des 
champs ,  furent  assimilées  aux  fonds  de  terre  pour  l'uti- 
lité desquels  elles  étaient  créées,  et  réputées  Res  Man- 
cipi ,  comme  les  héritages  eux-mêmes.  —  Les  servitudes 
urbaines ,  au  contraire ,  sont  considérées  comme  Res 
non  Mancipi;  et  cette  différence,  qui  paraît  d'abord 
<lifficile  à  expliquer,  trouve  sa  raison  dans  l'un  des  carac- 

21.  Iter,  actus,  via,  aquse-ductus ;  —  aquas  haustura,  Jus  paseendi, 
arenœ  fodiendae,  etc....  {Inst,  ii.  3.) 


118  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

tères  que  nous  avons  assignés  aux  choses  Mancipi.  En 
effet,  les  servitudes  urbaines  n'ont  été  connues  à  Rome 
que  tardivement.  D'après  la  Loi  des  XII  Tables ,  on  de- 
vait laisser  entre  les  maisons  un  espace  libre  de  deux 
pieds  et  demi,  ambitus^^,  précaution  légale  qui  prévenait 
la  plupart  des  servitudes  urbaines  ^^;  et  par  cela  même 
que  les  servitudes  urbaines  n'avaient  pas  été  connues 
dès  les  premiers  temps ,  elles  n'avaient  pas  été  classées , 
comme  les  servitudes  rurales,  parmi  les  res  mancipi.  On 
peut  en  dire  autant  de  l'usufruit ,  qui  n'a  été  définitive- 
ment établi  dans  le  droit  civil ,  comme  servitude  per- 
sonnelle, qu'après  la  Loi  des  XII  Tables^*.  — Ces  droits 
de  servitudes  urbaines  ou  d'usufruit ,  ne  constituant  pas 
des  Res  Mancipi,  ne  pouvaient  être  transférés  par  la 
mancipation  ,  comme  les  servitudes  rustiques ,  mais  seu- 
lement par  la  Cession  injure  introduite  après  la  Loi  des 
XII  Tables ,  et  applicable  tout  à  la  fois  aux  res  mancipi 
et  aux  choses  incorporelles  nec  mancipi. 

La  Cession  injure  était  une  forme  symbolique,  d'après 
laquelle  un  citoyen  paraissait  revendiquer  contre  un  au- 
tre ,  devant  le  magistrat ,  des  droits  de  propriété ,  d'usu- 
fruit, de  servitude;  l'autre  citoyen  ne  contredisant  pas, 
le  magistrat  attribuait  les  droits  réclamés  ^^.  —  Le  droit 

22  Ambitus.  —  later  vicinorum  aedificia  locus  duorum  pedum  et  se- 
mipedis  ad  circumeundi  facultaterii  relictus.  (Feslus.) 

23  Par  exemple  :  Le  Jus  ligni  immillendi  ;  h  Jus  slillicidii;  mêm^ 
le  Jus  luminum  pris  dans  un  sens  restreint.  —  Gravina  paraît  avoir 
entrevu  cette  raison  de  différence,  sans  la  donner  positivement.  {De 
Or  t.  et  Prog.,  ii.  cap.  44.  ) 

24  G.  Hugo  ,  I.  §  85.  —  M.  Ortolan  ,  Inst.,  ii.  p.  294. 

25  Elle  était  employée  aussi  dans  l'adopfion ,  dans  la  revendication 
de  liberté  {causa  liberalis). 


CHAP.  IV.  DROIT  DES  XII  TABLES.  SECT.  III.         119 

d'hérédité ,  chose  incorporelle ,  pouvait  être  ainsi  trans- 
féré par  la  Cession  injure^^.  Mais  les  créances  {obligationes)^ 
bien  que  classées  par  les  jurisconsultes  parmi  les  choses 
incorporelles,  ne  pouvaient  être  cédées  in  jure  :  elles  ne 
passaient  sur  la  tète  d'un  tiers  que  si  le  tiers  stipulait  di- 
rectement du  débiteur,  par  Tordre  du  créancier;  ce  qui 
opérait  novation  d'obligation^''. 

§  3.  —  MODES  D'ACQUÉRIK  Là  PEOPEIÉTÉ  ,  A  TITBE  PABTICULIEB. 

En  résumant  les  résultats  que  donne  l'histoire  du  droit, 
sur  la  distinction  générale  des  choses  mancipi  aut  nec  man- 
cipi ,  et  sur  les  moyens  du  droit  civil  d'acquérir  ou  d'alié- 
ner la  propriété,  à  titre  singulier,  on  trouve,  sous  le  Droit 
des  XII  Tables ,  les  six  modes  rappelés  dans  un  précieux 
fragment  dXlpien  :  «  La  mancipation,  la  tradition ,  l'usu- 
capion  ,  la  cession  injure,  l'adjudication,  la  loi^*.» 

I.  —  La  MANCIPATION  s'appliquait  aux  immeubles  ro- 
mains, aux  servitudes  rustiques,  aux  choses  mobilières 
classées  parmi  les  res  mancipi;  et  la  mancipation  était  la 
forme  suivie  pour  la  transmission  de  propriété,  par  acte 
entre-vifs,  soit  à  titre  onéreux,  soit  à  titre  gratuit.  Dans 
ce  dernier  cas ,  la  mancipation  se  faisait  causa  donationis , 
et  la  donation  entre  vifs ,  sous  cette  forme  symbolique , 

26  Gaius ,  II.  §  34  :  Haereditas  quoque  in  jure  cessionem  tantum  re- 
cipit. 

27  Gaius,  II.  §§  38.  39  :  Sine  hac  vero  novatioae  non  poteristuo no- 
mine  agere.  —  Voir  infra,  dans  ce  chapitre,  la  sect.  iv.  §§  4  et  5. 

28  Singularum  rerum  dominia  nobis  acquiruntur  mancipatione , 
traditione ,  usucapione,  in  jure  cessione,  adjudicatione ,  lege.  xix.  2. 


120  LIV.  1.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

ne  connaissait  pas  d'abord  de  limite  légale  à  l'égard  des 
personnes.  La  Loi  Cincia  [de  l'an  550]  défendit,  la  pre- 
mière ,  de  donner  au-delà  d'une  valeur  déterminée ,  sauf 
exception  en  faveur  de  certaines  personnes  ^^.  Bien  que  le 
contrat  de  vente,  du  droit  des  gens  (emptio-venditio),  se 
soit  introduit  dans  le  droit  romain  postérieurement  à  la 
Loi  des  XII  Tables,  il  ne  faut  pas  croire  cependant  que 
I'emptio  fût  un  mot  inconnu  à  la  Loi  civile.  Emptio  était 
employé  par  les  XII  Tables  dans  le  sens  générique  d'alié- 
nation ,  soit  à  titre  onéreux ,  soit  à  titre  gratuit  :  Lex 
XII  Tabularum  emptioims  vereo  omnem  alienationem 

COMPLEXA  VIDETUR^^. 

II.  —  La  TRADITION  précédée  d'une  juste  cause,  d'un 
titre  onéreux  ou  gratuit ,  était  applicable  aux  choses  cor- 
porelles et  mobilières  nec  mancipi  ;  mais ,  bien  que  ce  fût 
un  moyen  d'acquérir  du  droit  naturel ,  le  citoyen  romain 
acquérait  sur  les  choses  mobilières,  ainsi  transmises,  le 
domaine  ex  jure  quiritium  ,  parce  que  le  moyen  na- 
turel était  sanctionné  par  le  droit  de  la  Cité. 

III.  —  L'usucAPiON  était  applicable  aux  seuls  immeu- 
bles romains  et  aux  choses  mobilières  mancipi  vehion  man-^ 
cipi.  Le  domaine  était  acquis,  entre  citoyens  seulement, 
par  l'usucapion  de  deux  ans  sur  un  immeuble  romain  : 
4  **  si  la  tradition  avait  été  faite  par  le  véritable  proprié- 


29  Frag.  Vaticana  ad  legem  Cinciam.  —  Voyez  infra,  sur  la  loi 
Cincia,  ch.  v.  sect.  2.  §  2.  n»  1. 

30  D.,  XL.  7.  29.  §  1.  —  Frag.  Pomp. 

Merlin ,  Questions  de  droit,  v»  Héritier,  §  3.  p.  337  (3»  édit.  ) ,  dit  : 
«  Le  mot  EMPTOR,  pris  dans  le  sens  le  plus  large,  s'entend  de  l'ac- 
»  quéreur  à  titre  gratuit  et  à  titre  onéreux.  » 


CHAP.  IV.  DROIT  DES   XII  TABLES.    SECT.  III.       121 

taire ,  sans  emploi  des  formes  solennelles  de  la  manci- 
pation  ;  2**  s'il  y  avait  mancipation  et  tradition  faite  par 
un  non  propriétaire  en  faveur  d'un  acquéreur  de  bonne 
foi^*.  —  Les  choses  mobilières,  mancipi  aut nec mancipi ^ 
étaient  acquises  entre  citoyens  par  l'usucapion  d'un  an , 
quand  la  tradition  avait  une  juste  cause ,  et  le  domaine 
était  toujours  acquis  ex  jure  Quiritium. 

Les  servitudes ,  dans  les  premiers  temps ,  n'étaient  pas 
regardées  comme  susceptibles  même  de  quasi-possession  : 
elles  ne  pouvaient  donc  s'acquérir  par  usucapion;  mais  el- 
les se  perdaient  par  le  non-usage  de  deux  ans;  toutefois, 
la  servitude  d'aqueduc ,  éteinte  d'abord  par  non-usage , 
revivait  par  un  nouvel  exercice  de  deux  années  ^^. 

IV.  —  La  Cessio  in  Jure  était  applicable ,  comme  la 
Mancipation ,  aux  édifices  et  aux  fonds  de  l'ager  roma- 
nus;  mais  elle  était  seule  et  exclusivement  employée  pour 
ia  constitution  ou  la  transmission ,  par  acte  entre  vifs , 
des  servitudes  urbaines,  des  servitudes  personnelles,  et 

31  Gaius,  II.  §  204  :  Si  mancipi  rem  tantum  tradiderit ,  nec  manci- 
paverit,  usucapione...  pleno  jure  fit. 

Usucapione  domiaia  adipiscimur  tam  mancipi  rerum  quam  non 
mancipi.  (  Ulp.  Frag.,  xix.  §  8.  —  Gaius,  ii.  §§  41.  43.  65.  )  —  Cette 
règle,  malgré  sa  généralité,  ne  s'applique  pas  aux  choses  immobilières 
non  mancipi ,  comme  les  fonds  provinciaux  ou  étrangers. 

32  D.  VIII.  2.  20.  32.  Ulpien. 

Labéon  établissait  encore  la  règle  sur  la  non-possession  ou  quasi- 
possession  en  matière  de  servitude  ;  mais  les  jurisconsultes  posté- 
rieurs (  comme  on  le  voit  au  Digeste,  liv.  xliii.  tit.  18;  liv.  viii , 
tit.  2 1  reconnurent  une  quasi-tradition  ou  possession  par  Yusagc  de  la 
servitude.  — De  là  des  règles  différentes  et  très-compliquées  sur  la 
prescription  des  servitudes.  (  On  peut  consulter  le  savant  ouvrage  de 
J.  D'Avezan  ;  Servitulum  liber ^  pars  nona  et  ullima.  Aureliee ,  1650. 


122  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

pour  la  cession  des  droits  d'hérédité  ou  des  autres  droits 
incorporels  ,  sauf  les  créances. 

V.  —  L'adjudication  ,  sous  la  Loi  des  XII  Tables , 
avait  pour  objet  de  faire  cesser  l'indivision  des  patri- 
moines entre  cohéritiers,  l'indivision  de  la  chose  com- 
mune entre  plusieurs  citoyens ,  volontairement  associés 
ou  simples  communistes ,  et  l'incertitude  ou  les  discus- 
sions sur  les  limites  des  héritages  limitrophes. 

Les  trois  actions  qui  tendaient  à  ce  but  dérivaient 
des  XII  Tables  ^^.  Gaius  le  dit  d'abord  pour  l'action  fa- 
mi  tiœ  erciscundœ  ^*;  de  plus,  la  Loi  s'occupait  expressé- 
ment des  consortes  ou  copropriétaires,  entre  lesquels 
il  fallait  opérer  la  division  (communi  dividundo)  ^^  ;  enfin  , 
elle  employait  le  terme  de  jurgare  pour  indiquer  la  con- 
testation des  limites  entre  voisins.  — La  Loi ,  du  reste, 
avait  abrogé  la  rigueur  du  Droit  Pontifical  sur  les  limites 
des  héritages.  Selon  une  tradition  Étrusque ,  celui  qui 
violait  la  hmite  sacrée  des  héritages ,  impie  envers  le 
Dieu  TERME  {Jupiter  Terminalis)  était  dévoué  aux  Dieux, 
lui  et  les  bœufs  attelés  à  la  charrue  ^^.  La  Loi  des  XII 
Tables,  pour  prévenir  le  sacrilège ,  voulait  qu'on  laissât 

33  Ce  sont  les  actions  :  1°  Familiœ  erciscundœ  ;  2°  Communi  divi- 
dundo ;  3°  Finium  regundorum,  qui  ont  été  qualifiées  d'actions  mixtes, 
parce  qu'elles  ont  pour  objet  la  propriété  et  des  prestations  possibles; 
théorie  d'aclîons  mixtes  fort  contestable  ;  l'action  mixte  est  plutôt 
celle  qualifiée  en  D.  R.  actio  personnlis  in  rem  scripta. 

34Hœc  actio  proficisciture  legeXII  Tabularum.  F.  Gaii.  D.,x.  2.  1. 

35  Festus  :  Ebctum  ,  Citumque  ,  fit  inter  coxsortes  ,  ut  in  li- 
bris  legum  romanarum  legitur-,  erctuni  a  coercendo  dictuni. 

36  Numa  Pompilius  statuit  eum  qui  terminum  exarasset ,  et  ipsum 
et  boves  sacres  esse  (Festus,  vo  Term.  p  388);  —  etRech.  sur  le 
droit  de  prop. ,  M.  Giraud,  p.  52,  119. 


CHAP.  IV.  DROIT  DES  XII  TABLES.  SECT.  III.        123 

entre  les  propriétés  rurales  un  espace  libre  de  cinq  pieds, 
espace  imprescriptible  ;  et  quand  il  y  avait  discussion  sur 
les  limites  (jurgatio) ,  trois  Arbitres  prononçaient.  Cette 
disposition  passait ,  dans  l'opinion  des  jurisconsultes , 
pour  avoir  été  empruntée  par  les  Décemvirs  aux  lois  de 
Selon  ^''. 

VI.  La  LOI  est  indiquée  comme  dernier  mode  d'acqui- 
sition. Ulpien  désignait  principalement  ainsi  le  legs, 
exécutoire  en  vertu  de  la  Loi  des  XII  Tables ,  legatum  ex 
Lege duodecim  Tabularum^^ .  C'est  le  legs  per  vindicationem 
qui  se  plaçait  sous  ce  mode  d'acquisition.  La  chose  du 
testateur,  léguée  sous  forme  impérative  et  directe  (do, 
lego)  devenait,  immédiatement  après  l'adition  d'hé- 
rédité, la  propriété  du  légataire,  qui  la  réclamait  de 
l'héritier  comme  sienne ,  ex  jure  Quirltium^^ .  —  Le  Legs 
n'était  pas  cependant  la  seule  application  du  mode  d'ac- 
quérir par  la  Loi.  Ulpien  désigne ,  comme  exemple , 
la  loi  Pappia  Poppaea,  sur  l'attribution  des  choses  cadu- 
ques et  de  celles  enlevées  aux  héritiers  indignes *°.  Mais 

37  Gaius,  ad  Legem  XII  Tabularum.  —  D.,  x.  1.  13.  Scienduni  est 
in  actione  finium  regundorum  illud  observandum  esse,  quod  ad  exem- 
p!um  quodammodo  legis ,  scriptum  est ,  quam  Athenis  Solonem  dici- 
tur  tulisse. 

Vid.  Tabul.  xii,  et  Tabul.  vu.  2.  4. 

38  UIp.  Frag.,  tit.  xix. 

39.  Gaius,  II.  §  194.  Vindicare  débet ,  id  est,  intendere  rem  suam 
ex  jure  Quiritium  esse.  Sane  hcte  ita  est  ex  jure  civili. 

§  197.  Il  fallait  que  la  chose,  si  elle  formait  un  corps  cerlnin,  ap- 
partînt au  testateur  au  temps  du  testament  et  du  décès.  —  Si  c'était 
une  chose  de  quantité  (ou  chose  fongible  ),  il  suffisait  que  le  testateur 
en  fut  propriétaire  ex  jure  Quirilium  au  jour  du  décès.  (§  196. 

40  Lege  nobis  acquiritur  velut  caducum  vel  erep  torium  ,  ex  lege 
Pappia  Poppœa.  (  Ulp.  Frag.,  xix.  §  17.  ) 


^24  LIV.  ï.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

l'acquisition  par  la  Loi ,  moyen  d'acquérir  mentionné  par 
Cicéron  ^* ,  antérieurement  à  l'existence  de  la  loi  Pappia 
Poppœa,  avait  aussi,  dans  les  premiers  siècles  de  Rome, 
un  rapport  direct  à  la  Loi  agraire ,  en  vertu  de  laquelle 
des  terres  inaliénables  et  imprescriptibles,  dépendant  du 
domaine  public ,  étaient  aliénées  au  profit  du  Trésor  ou 
même  distribuées  gratuitement  aux  citoyens ,  et  incorpo- 
rées à  la  propriété  privée.  Les  preuves  de  ces  aliénations 
et  distributions  sont  certaines  dans  l'histoire  de  la  Répu- 
blique. Nous  résumerons  ici  quelques  faits,  dont  plusieurs 
ont  été  déjà  mentionnés  plus  haut  : 

V  Des  terres  situées  auprès  du  Capitole,  et  concédées 
d'abord  au  Collège  des  prêtres ,  à  titre  de  possession ,  fu- 
rent aliénées,  en  vertu  de  la  loi ,  dans  un  pressant  besoin 
de  la  cité  "^^5  2°  sous  le  consulat  de  Sp.  Cassius  [265]  ,  fut 
promulguée  la  première  Loi  agraire  pour  le  partage  de  l'a- 
ger  publicus  possédé  par  les  patriciens  "^^j  3"  après  la  con- 
quête de  Véies ,  réunie  au  territoire  romain  [3u8] ,  une  loi 
ordonna  que  chaque  citoyen  pauvre  aurait  une  certaine 
portion  de  la  terre  conquise  ;  4*"  la  Loi  agraire  fut  reprise 
en  377  par  le  tribun  C.  Licinius  Stolon,  qui  fit  ordon- 
ner par  un  plébiscite ,  la  loi  licima  ,  que  nul  ne  pourrait 
posséder  plus  de  cinq  cents  jugères  de  terrain,  et  que 


41  Veteri  occupaiione ,  Victoria,  Lege.  (Cic,  Off.,  i.  7.) 

42  Orosius,  v.  18,  add.  661. 

Namque  eodem  anno loca  publica  quœ  in  circuitu  Capitolii  pon- 

tificibus ,  auguribus,  decemviris  et  flaminibus  in  possessionem  tradita 
erant,  cogente  iuopia ,  vendita  sunt.  (Voir  Savigny,  Passes. ,  sect.  1. 
§12.) 

43  Sp.  Cassius....  tune  primum  lex  agraria  promulgata  est.  {Tit. 
Liv.,  II.  41.  ) 


CHAP.  IV.  DROIT  DES  XII  TABLES.  SECT.  III.        125 

dans  le  partage  des  domaines  de  la  République ,  en  fa- 
veur du  peuple,  chaque  citoyen  recevrait  l'étendue  de 
sept  jugères^*;  5*^  un  plébiscite  porté  par  le  tribun  C. 
Flaminius  [52 1  ] ,  et  malgré  l'opposition  du  Sénat ,  dis- 
tribua aux  soldats,  par  tète  (viritim)  ,  les  terres  gallo- 
ROMAiiNES  situées  entre  Rimini  et  le  Picenum  *^  ;  6**  au 
VII*  siècle,  la  loi  sempronia  agraria,  portée  par  T.  Grac- 
chus ,  ordonna  le  partage  des  terres  publiques  possédées 
par  les  patriciens  et  les  chevaliers ,  au-delà  des  quanti- 
tés fixées  par  la  loi  Licinia;  et  7"  enfin  J.  César,  pendant 
son  premier  consulat,  fit  rendre  une  loi  pour  que  les  terres 
de  la  Campanie  fussent  distribuées  au  peuple  ^^  :  Vingt 
mille  plébéiens  participèrent  au  partage. 

44  Varro ,  de  Re  rustica,  i.  2,  mentionne  les  deux  dispositions  : 
seulement  il  pourrait  y  avoir  doute  si  elles  doivent  être  rapportées 
toutes  les  deux  au  même  Licinius  et  à  la  même  époque. 

On  peut  voir  aussi  Columella  ,  lib.  i.  cap.  3. 

l.ejugcrum,  long  de  240  pieds,  large  de  120,  équivalait  à  25  ares 
28  centiares.  Quatre  jugères  formaient  1  hectare  ,  plus  1  are  14  cen- 
tiares. (Voir  les  Tables  de  conversion  de  M.  Bureau  de  la  Malle  ,  Eco- 
nomie politique  des  Romains  ,  t.  i.  p.  434.  440.) 

Le  jugère  valait  à  peu  près  l'arpent  des  Gaulois.  —  Selon  Goësius , 
l'arpent  romain  [arepennis]  valait  un  demi-jugère  ;  il  était  égal  à 
Vaclus  dwplicalus ,  (\m.  avait  120  pieds  de  long  et  60  pieds  de  large.  — 
AVil.  Goësii  Index  in  rei  agrariae  scriptores  ,  verbis  Aclus,  Arepennis 
jugerum.)  —  Mais  il  y  a  divergence  d'opinion  à  ce  sujet. 

Dans  les  Tables  qui  accompagnent  le  Varron  (édit.  Panckoucke), 
\o  Jugerum,  on  dit  que  le  jugère  valait  un  peu  moins  que  le  demi- 
arpent  romain,  ce  qui  paraît  conforme  à  l'opinion  de  M.  De  la  Malle. 

45  Varro ,  de  Re  rust. ,  i.  2.  C'est  d'après  les  Origines  de  M.  Caton 
que  Varron  appelle  ces  terres  ager  gallicus-romanus.  On  voit  par  là 
que  l'expression  de  gallo-romain ,  que  nous  emploierons  si  souvent  au 
livre  me,  n'est  pas  nouvelle. 

46  Caesar ,  in  consulatu  legem  tulit  ut  ager  Campanus  plebi  divide- 
retur ,  suasore  legis  Ponipeio.  iVcU.  Pal.  —  Varro^  de  Re  rusl.,  i.  2. ) 


126  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

La  LOI  était  donc  ,  soit  directement ,  soit  indirecte- 
ment ,  un  moyen  d'acquérir ,  dont  l'application  était  fré- 
quente sous  l'empire  du  droit  des  XII  Tables. 

G.  Hugo  ajoute  qu'il  faut  comprendre  sous  cette  ex- 
pression, LEGE,  tout  ce  que  les  auteurs  appellent  manière 
romaine  d'acquérir  ,  et  dont  Ulpien  ne  parle  pas.  Nous 
pensons  également  qu'il  faut  donner  ce  sens  un  peu  large 
au  mode  d'acquérir  par  la  Loi.  Ainsi ,  dans  Yarron ,  se 
trouve  énoncé  un  mode  d'acquisition ,  que  Cicéron  pou- 
vait avoir  aussi  en  vue  ;  il  dit  :  Aut  si  e  prœda  sub  Corona 
emil^'' .  En  vertu  de  la  loi  politique  et  par  ordre  du  chef 
d'armée,  Consul,  Dictateur,  Proconsul,  les  ennemis  pris 
sur  le  champ  de  bataille  ou  après  l'assaut  d'une  ville  et 
faisant  partie  du  butin  ,  étaient  vendus  à  l'enchère  ,  une 
couronne  sur  la  tête ,  au  profit  du  Trésor  de  la  Répu- 
blique*^. C'était  l'effet  de  la  victoire,  sanctionné  par  la 
Loi  qui  ordonnait  la  vente  et  le  versement  du  prix  dans 
XMrarium  du  peuple  romain. 

§  4.  —  MODES  d'acquérir  per  universitatem. 

En  étudiant  la  constitution   de  la  famille  romaine , 

47  Varro,  de  Rerust.,  ii.  10.  L'acheteur  était  qualifié  dominus 
legilhnus. 

48  Tite-Live,  en  parlant  de  la  vente  faite  par  le  dictateur  Camille , 
après  la  prise  de  Véies ,  dit  :  «  Libéra  corpora  dictator  sub  corona 
vendidit;  ea  sola  pecunia  in  publicum  redigitur.  «  (  v.  22.  )  —  César 
dit  aussi ,  dans  ses  Commentaires ,  après  la  défaite  des  Vcneli  insur- 
gés (les  habitants  du  pays  de  Vannes)  :  «  Omni  senatu  necato ,  reli- 
quos  sub  corona  vendidit.  »  (  Comm.  m.  )  On  vendait  aussi  sub  hasla. 

Les  peuples  dédilices  (ou  rendus  à  discrétion)  étaient  à  l'abri  de  la 
vente  et  de  la  servitude. 


CHAP.  IV.  DROIT  DES  XII  TABLES.  SECT.  III.         127 

nous  avons  indiqué  les  moyens  de  transmission  qui  s  y 
rattachent,  et  qu'on  appelle,  en  dfoit,  modes  d'acquérir 
à  titre  universel.  Ils  sont  tous  relatifs  à  la  personne  civile 
qui  passe  d^ans  une  autre  famille,  ou  qui  continue  dans 
la  Cité  la  personne  du  citoyen  qui  n'est  plus.  Quatre 
moyens  de  transmission  se  sont  présentés  successivement: 

I'aDROGATIOM  ,     la    MA^XS  ,    I'hÉRÉDITÉ    TESTAME^TAIRE  , 

I'hérédité  ab  iktestat.  —  Nous  voulons  ici  caractériser 
seulement  le  principe  commun  sur  lequel  est  fondée 
cette  transmission  universelle. 

1**  Lorsque  l'adrogé  passe  avec  ses  enfants  sous  la 
puissance  de  l'adrogeant ,  c'est  sa  personne,  et  sa  famille 
immédiate  qui  entrent  dans  une  famille  nouvelle  ;  les 
biens  de  l'adrogé  ne  suivent  que  comme  conséquence. 
Les  biens  et  les  charges  réelles  sont  un  accessoire  qui 
suit  la  condition  du  principal;  et  la  loi  sur  l'adrogation 
a  principalement  en  vue  les  personnes. 

2"  Lorsque  la  femme  ,  par  suite  du  mariage  ,  et  en 
vertu  des  modes  légitimes  de  célébration ,  est  placée  in 
manu  mariti ,  les  biens  de  la  femme  suivent  comme  acces- 
soire ;  ils  sont  acquis  au  mari  per  universilatem ,  comme 
ceux  de  l'adrogé  sont  acquis  à  l'adrogeant  :  l'établissement 
de  la  puissance  absolue  du  mari  a  encore  principalement 
en  vue  la  personne.  — Postérieurement,  lorsque  la  manus 
étant  tombée  en  désuétude  ,  la  femme  donnait  tous  ses 
biens  en  dot  à  son  mari ,  ce  n'était  plus  une  transmission 
de  même  nature,  per  universilatem  ;  elle  ne  regardait  que 
les  biens  ;  il  n'y  avait  pas  confusion  de  personne  civile , 
et  le  mari  n'était  tenu  des  dettes  que  jusqu'à  concur- 
rence de  l'émolument.  —  Cela  marque  très-nettement  la 


i  28  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

distinction  Je  la  succession  aux  biens  et  de  la  succession 
à  la  personne  ^^. 

3**  Quand  le  testateur  institue  un  héritier  et  transmet 
sa  personne  civile  à  l'héritier  institué  ,  il  n'y  a  pas  de 
vide  ou  d'interruption  dans  l'ordre  de  la  société  civile; 
la  personne  de  l'héritier  continue  celle  qui  existait  dans 
le  testateur  ;  et  si  l'institué  n'est  pas  du  nombre  des  hé- 
ritiers siens  ou  nécessaires ,  mais  du  nombre  des  héritiers 
externes ,  qui  ont  le  droit  de  faire  ou  de  ne  pas  faire 
adition  d'hérédité ,  I'hérédité  jacente  représente  le  dé- 
funt jusqu'à  l'adition  ;  ce  que  les  esclaves  héréditaires 
peuvent  acquérir  est  acquis  à  l'hérédité;  celle-ci  est  une 
personne  morale  qui  continue  la  personne  civile  du  dé- 
funt. —  Dans  la  continuation  de  la  personne  du  tes- 
tateur par  l'héritier  institué,  les  biens,  les  dettes  et  les 
charges  suivent  la  personne  comme  un  accessoire.  La. 
personne  est  l'objet  principal  que  le  testateur  avait  en 
vue  dans  cette  grande  création  de  sa  volonté. 

4"  Enfin,  lorsque  la  loi  civile  a  reconnu  l'hérédité  fon- 
dée sur  les  liens  du  sang ,  de  l'agnation ,  de  la  gentilité , 
c'est  encore  la  continuation  de  la  personne  civile  que  la 
toute-puissance  de  la  loi  s'est  proposé  d'admettre ,  afin 
qu'il  n'y  eût  pas  dans  la  famille  et  dans  la  société  solution 
de  continuité.  L'héritier  continue  ou  soutient  la  personne 
du  défunt;  or,  la  continuation  de  la  personne  étant  l'objet 
principal ,  le  patrimoine ,  avec  les  charges  et  toutes  les 
dettes,  repose  comme  un  accessoire  sur  la  personne  elle- 

49  D.,  xxiii.  23  ,  de  Jure  dotium,  72  (Paul)  :  «  Mulier  bona  sua 
omnia  in  dotem  dédit ,  quero  an  maritus  qucui  hercs  oneribus  respon- 
dere  cogatur.  Respondit  a  creditoribus  conveniri  qui  non  posse.  » 


CHAP.  IV.  DROIT  DES  XII  TABLES.  SECT.  III.  129 

même  ;  et  comme  il  ne  peut  pas  y  avoir  deux  personnes 
civiles  et  distinctes  en  une  seule ,  il  en  résulte  que  les 
biens  et  les  charges  du  testateur  ou  de  l'auteur  décédé  ne 
font  qu'uN  avec  les  biens  et  charges  de  l'héritier  institué 
ou  légitime. 

Cette  UNITÉ  de  personne  et  cette  unité  de  patrimoine 
constituent  un  principe  essentiel,  dont  les  conséquences 
logiques  et  nécessaires  ne  pourront  être  arrêtées  que  par 
des  exceptions  formelles,  par  des  bénéfices  résultant  de 
lois  purement  positives  :  le  bénéfice  de  séparation  en  faveur 
de  Tesclave  ou  de  l'enfant  in  mancipio ,  héritier  nécessaire, 
qui  n'avait  retiré  aucun  fruit  des  biens  de  Thérédité ,  et 
en  avait  séparé  son  pécule  ^^;  le  bénéfice  A' abstention  en 
faveur  de  fhéritier  sien  et  nécessaire^';  la  séparation  des 
patrimoines  en  faveur  des  créanciers  de  l'hérédité;  plus 
tard ,  le  bénéfice  d* inventaire  en  faveur  des  héritiers  insti- 
tués ou  légitimes.  Mais  ces  exceptions  et  bénéfices  n'ap- 
partiennent pas  au  droit  des  XII  Tables  ;  ils  se  sont  lente- 
ment produits  dans  la  législation  romaine,  à  des  époques 
plus  ou  moins  éloignées  de  la  période  où  l'unité  était  la 
base  du  droit  civil  de  Rome. 


50  Gaius,  II.  §  160,  l'appelle  aussi  bénéfice  d'abstention,  en  l'appli- 
quant aux  enfants  in  mancipio  qui,  institués  comme  les  eî^claves  par 
testament,  se  trouvaient  héritiers  nécessaires  :  Quum  ncccssarius , 
non  eliam  suus  hœres  sit,  tanquam  scrvus. 

51  Gaius,  II.  §§  158.  160.  Le  préteur  pouvait  leur  permettre  de  s'abf- 
tenir;  en  ne  recueillant  pas  les  avantages  de  l'hérédité ,  ils  n'en  sup- 
portaient pas  les  charges;  mais  ils  avaient  toujours  la  qualité  d'héritier. 


ZO  LIV.   î.  —  El'OnUE  I1031A1M:. 


§  5.  —  PROPBIÉTÉ  DES  ÉTHANGEBS.  —  DISTINCTION  CORRESPONDANTE 
ENTRE  LES  CHOSES  ET  LES  PERSONNES. 

La  distinction  des  choses  mancipi  mit  nec  mancipi,  que 
nous  avons  précédemment  déterminée ,  ne  se  rapporte 
pas  exactement  à  la  distinction  des  personnes  considé- 
rées en  qualité  de  citoyens  ou  d'étrangers  :  on  ne  peut 
pas  dire ,  d'une  manière  absolue ,  les  i^es  mancipi  cor- 
respondent à  la  propriété  des  Romains  ;  les  res  non  man- 
cipi correspondent  à  la  propriété  des  Etrangers.  Il  est 
certain  que  le  citoyen  romain  avait  également  le  domaine 
civil  ou  quiritaire  sur  les  choses  mancipi  et  sur  les  choses 
mobilières  non  mancipi.  Mais  quand  il  s'agissait  des  immeu- 
bles ,  la  propriété  Quiritaire  était  limitée  aux  fonds  clas- 
sés parmi  les  res  mancipi,  c'est-à-dire  anciennement  aux 
immeubles  compris  dans  l'étroite  limite  de  I'ager  roma- 
isvs,  qui  ne  s'étendit  progressivement  qu'à  cinq  Milles 
de  Rome.  —  Les  fonds ,  situés  au-delà ,  n'étaient  plus 
susceptibles  de  la  propriété  romaine,  mais  de  la  pro- 
priété naturelle  des  étrangers.  Ces  terres  étrangères 
étaient  confondues  dans  la  classe  générale  des  res  non 
mancipi ,  comme  leurs  possesseurs  étaient  confondus  dans 
la  classe  générale  des  peregrini.  Quand  il  s'agissait  des  im- 
meubles ,  la  distinction  des  res  mancipi  et  non  mancipi  cor- 
respondait donc  exactement  à  la  distinction  des  citoyens 
et  des  étrangers.  Les  res  mancipi  s'identifiaient,  sous  ce 
rapport ,  avec  la  propriété  romaine  ;  et  les  fonds  de  terre 
ne  pouvaient  devenir  susceptibles  du  domaine  ex  jure 
Qîiirilium ,  que  par  une  participation  au  droit  de  la  Cité ,  ^ 


CHAP.  IV.  DROIT  DES  XII  TABLES.  SECT.  III.         131 

par  une  incorporation,  au  moins  fictive,  à  \ Ager  romanus  , 
par  une  introduction  réelle  dans  la  classe  des  Res  mancipi. 
Devenir  res  mancipi  ou  terre  susceptible  de  propriété  ro- 
maine ,  c'était  un  caractère  identique  pour  les  immeubles. 
Ainsi ,  quand  l'Italie ,  après  la  guerre  sociale ,  fut  admise 
au  partage  du  droit  de  Cité ,  le  sol  italique  devint  res 
mancipi  ou  partie  du  territoire  romain ,  comme  les  ha- 
bitants de  l'Italie  devenaient  citoyens  ou  membres  de  la 
cité  romaine. 

Là  se  trouve  l'application  d'une  grande  loi  sociale  en 
matière  de  propriété  foncière ,  la  condition  correspoiX- 
DANTE  des  personnes  et  DES  PROPRIÉTÉS.  jNous  la  rcu- 
contrerons  à  toutes  les  époques  de  l'histoire  du  droit. 
Elle  tient  à  forigine ,  à  la  nature  même  du  droit  de  pro- 
priété. —  La  propriété  est  le  résultat  d'un  acte  de  la  li- 
berté ,  du  pouvoir  de  l'homme ,  qui  se  porte  en  dehors 
de  lui-même ,  qui  imprime  aux  objets  extérieurs  sa  vo- 
lonté, son  MOI.  Dans  ce  sens,  la  propriété,  c'est  Thomme, 
c'est  l'homme  maître  des  choses  :  elle  le  réfléchit  tel  qu'il 
est,  et  par  conséquent  dans  ses  situations  diverses,  dans 
ses  états  successifs. 

Le  rapport  de  fhomme  à  la  terre  qu'il  habite  est  la 
première  loi  de  son  existence  physique  ;  le  rapport  de 
l'homme  à  la  terre  comme  objet  de  possession ,  est  aussi 
dans  la  société  un  rapport  nécessaire.  Dans  l'histoire  de 
la  société  et  de  la  propriété ,  l'un  des  termes  révèle  l'au- 
tre ;  un  état  donné  de  la  société  appelle  ou  suppose  dans 
la  propriété  un  état  correspondant.  Ce  rapport  entre  l'état 
de  la  société  et  de  la  propriété  se  manifeste  de  lui-même 
dans  l'ordre  politique ,  et  fonde  les  grandes  distinctions 
de  l'aristocratie  et  de  la  démocratie  par  la  concentration 


132  LIV.  I.  — ÉPOQUE  ROMAIPsE. 

OU  la  division  des  terres.  Mais  il  se  produit  sous  des  for- 
mes plus  nombreuses  et  avec  des  applications  plus  va- 
riées dans  Tordre  civil  :  là,  une  classe  de  personnes  appelle 
presque  toujours  une  classe  correspondanle  de  propriétés.  — 
Le  moyen-âge  est  la  plus  ample  démonstration  de  cette 
loi  sociale. 

Rome,  dans  la  première  période,  ne  reconnaît,  dans 
l'intérieur  de  la  Cité,  que  des  citoyens,  et  elle  ne  recon- 
naît dans  son  territoire  qu'un  seul  genre  de  propriété 
foncière  ,  la  propriété  romaine.  —  H  y  a  unité  dans  la 
condition  civile  du  propriétaire  et  de  la  propriété  terri- 
toriale. 

Nous  rechercherons  plus  tard  comment  le  droit  de 
propriété  sortira  de  l'étroite  enceinte  dans  laquelle  se 
trouve  renfermé  le  domaine  Quiritaire. 

Nous  avons  vu  le  Romain  propriétaire,  à  Rome  et 
dans  l'Ager  romanus  ;  il  faut  le  voir  débiteur  ou  créan- 
cier :  ce  qui  nous  conduit  à  l'obligation  civile. 


CHAP.  IV.  DROIT  DES  XII  TABLES.  SECT.  IV.  133 

SECTION    lY. 


OBLIGATIONS. 


SOMMAIRE. 

§  t.  —  Principe  de  l'obligation  civile.  , 

§  2.  —  Formes  de  l'obligation  contractuelle. 

I.  —  Mancipalion.  —  Différence  du  jus  nexi  et  du  jus  man- 
cipii. 

II.  —  Serment  volontaire  ou  promissoire. 

III.  —  Stipulation.  —  Son  extension. 

IV.  —  Contrat  littéral.  —  Expensilatio.  —  Son  application 

au  prêt  à  intérêt.  —  Taux  de  l'intérêt  suivant  la  Loi 
des  XII  Tables^  fsenus  unciarium. 
V.  —  Contrats  réels. 

VI.  —  Transaction.  —  Son  caractère  mixte. 
§  3.  —  Moyens  de  rescision  sous  le  droit  des  XII  Tables.  —  Contrat:^ 

stricti  juris  efbonse  fîdei. 
§  4.  —  Transport  des  obligations  et  des  droits. 
§  5.  —  Libération  des  obligations. 

§  6.  —  Délits  com,me  principe  d'obligation  civile.  —  Classification  de? 
faitsi  —  Action  noxale. 


§  1er.  _  PBINCIPE  DE  l'OBLÎGATION  CIVILE. 

Le  grand  principe  de  l'unité,  qui  s'est  appliqué  succes- 
sivement à  la  cité ,  à  la  famille ,  à  la  propriété ,  s'appli-^ 
quera-t-il  aussi  à  l'obligation? 

Sous  la  Loi  des  XIÏ  Tables,  avant  l'institution  du  Pré- 
teur, on  ne  connaissait  en  droit  qu'une  seule  nature  dV 


134  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

bligation ,  I'obligation  civile  ,  laquelle  naissait  d'un  con- 
trat ou  d'un  délit  ^ . 

Par  l'obligation,  le  citoyen  engageait  sa  foi  envers  un 
autre  citoyen  ;  il  s'obligeait  à  donner ,  à  faire ,  à  ne  pas 
faire;  il  diminuait  sa  liberté  antérieure  par  rapport  à  celui 
qui  devenait  son  créancier.  En  engageant  sa  foi ,  en  res- 
treignant sa  liberté  première  à  l'égard  d'un  citoyen ,  c'é- 
tait sa  personne  même  qu'il  engageait.  Il  cessait  de  s'ap- 
'  partenir  complètement  à  lui-même  ;  il  n'était  plus  sien  , 
necsms,  racine  des  mots  nexus,  nexum,  selon  l'étymolo- 
gie,  du  moins,  donnée  par  Yarron^.  Le  débiteur  lié  en- 
vers le  créancier  est  appelé  nexus ,  et  son  obligation  ,  qui 
est  un  lien  personnel,  est  appelée  nexiim^.  hejiis  nexi  con- 
tient donc  le  droit  du  créancier  et  l'obligation  corrélative 
du  débiteur,  ce  qui  constitue  le  lien  de  droit  dans  sa  force 
morale  et  obligatoire,  \ejus  in  personam. 

De  cette  notion  fondamentale  de  l'obligation  civile ,  la 
logique  des  premiers  temps  tire  directement  d'inexora- 
bles conclusions  :  c'est  que  la  personne  tout  entière  du 
débiteur  est  affectée  à  la  sûreté  de  son  engagement  ;  que 
si  le  débiteur  ne  remplit  pas  son  obligation,  s'il  n'est 
pas  dégagé  de  son  lien  (solulus),  il  est  le  gage  naturel  de 
son  créancier;  que,  faute  de  paiement,  le  débiteur  ap- 
partient au  créancier ,  et  que  non  seulement  il  lui  appar- 
tient comme  individu,  mais  dans  sa  personne  civile, 
c'est-k-dire  dans  sa  qualité  de  père  de  famille  et  avec  les 

1  Omnis  obligatio  vel  ex  contractu  nascitur  ,  vel  ex  delicto.  (  Gaius, 
m.  §8.) 

2  De  Ling.  lat.,  vi.  5.  G.  Hugo  critique,  sans  donner  aucun  motif, 
l'étymologie  de  Varron  ,  qui  fut  qualifié  le  plus  docte  des  Romains. 

3  Quelquefois  aussi  ncxus. 


CHAP.  IV.  DROIT  DES  XII  TABLES.  eECT.  IV.         135 

enfants  qui  sont  sa  chose.  C'est  par  cette  logique  du  droit 
primitif  que  la  servitude  s'appesantit  sur  la  classe  des  dé- 
biteurs, des  iiexl,  des  addicti'\  Bien  que  citoyens  et  in- 
génus, ils  sont ,  après  jugement,  livrés  au  créancier,  qui 
peut  d'abord  les  retenir  chez  lui  pendant  soixante  jours, 
dans  une  prison  particulière ,  les  lier  d'une  chaîne  en  fer, 
du  poids  de  quinze  livres ,  les  conduire  sur  la  place  pu- 
blique pendant  trois  jours  de  marché ,  en  proclamant  la 
dette  et  le  jugement,  puis  les  vendre  au-delà  du  Tibre  ^; 
et  même,  d'après  le  témoignage  d'Aulu-Gelle,  de  Quin- 
tillien ,  de  Tertullien  ,  le  débiteur,  qui  avait  plusieurs 
créanciers,  pouvait  être  mis  à. mort,  et  les  créanciers 
avaient  la  faculté  de  se  partager  le  corps  du  débiteur  qui 
leur  était  livré,  addicti  sibi  homlms.  Mais  ce  droit,  qui 
ne  peut  être  révoqué  en  doute ,  n'était  que  comminatoire 
contre  les  débiteurs®.  L'histoire  ne  dit  pas  que  la  menace 
ait  jamais  été  réalisée;  et  cependant  Tite-Live  enregistre 


4  Les  addicli  sont  les  nexi  livrés,  après  jugement,  à  leurs  créan- 
ciers. Au  temps  delà  réforme  des  lois  grecques,  faite  par  Solon,  les 
pauvres,  accablés  de  dettes  ,  donnaient  aux  riclies  le  sixième  du  pro- 
duit de  la  terre  qu'il  labouraient ,  ou  empruntaient  en  donnant  leur 
•personne  ■pour  sûreté  du  prêt. 

Il  en  était  de  même  en  Egypte.  (  Pastobet  ,  Hist.  de  la  Législ.,  t.  ii. 
p.  240.  )  —  S'ils  ne  payaient  pas,  ils  étaient  adjugés  au  créancier ,  qui 
les  retenait  comme  esclaves ,  ou  les  envoyait  vendre  en  pays  étranger. 
Plusieurs  trafiquaient  de  leurs  enfants.  (.  Plutarqiic ,  Vie  de  Solon , 
§  XXIII.  Paslorel,  Hisl.  de  la  Législ.,  t.  vi.  p.  171.  )  —  Solon  défendit 
de  donner  son  corps  pour  gage.  (  Plularque,  Solon ,  §  xx.  ) 

5  Tab.  m.  4.  5.  6.  —  D.  de  Verb.  Sig.  ccxxxiv.  §  2  (Gaius.)  — 
Aulu-Gell. ,  XX.  1  :  Trans  Tiberim  venum  ibant. 

6  CaPITE  P.ENAS  DABAT SECARE    SI    YELLE>"T  ,    ATQUE  PAÎ5Tir.I 

CORPUS  ADDICTI  SIBI  HOMINIS.  [Aulu-Gell.  ,  XX.   1. 

Sur  cette  question ,  plus  curieuse  qu'utile ,  on  peut  consulter,  eu  on- 


136  LIV.  1.  —  ÉPOQUE  romaine/ 

avec  une  sorte  de  complaisance  les  plaintes  des  débiteurs 
et  les  rigueurs  des  créanciers.  Au  surplus,  et  en  écartant 
même  le  droit  de  vie  et  de  mort ,  jamais  le  principe  que 
robligation  est  un  lien  personnel  n'a  été  plus  énergique- 
ment  traduit  par  les  faits  et  par  les  lois. 

La  conséquence  matérielle  est  tombée  dans  la  suite  ; 
mais  le  principe  de  l'obligation ,  comme  lien  de  droit  et 
personnel ,  vinculum  juris  ,  est  resté  le  fondement  des 
obligations  dans  le  droit  civil  de  Rome  et  des  nations"^. 

De  ce  principe ,  que  l'obligation  était  essentiellement 
un  lien  civil  de  la  personne ,  dérivaient  des  effets  juridi- 
ques que  l'on  ne  saurait  comprendre  aujourd'hui ,  qu'en 


tre,  Quintill.,  Instit.  Orat. ,  m.  6.  —  Tertull.,  Apologet.,  c.  4,  pour 
les  textes.  —  Quant  aux  opinions  des  auteurs  contemporains  :  G.  Hu- 
go ,  Hist.  D.  R.  I.  §  149;  —  Kiebubr ,  t.  ii.  p.  379.  no  490;  —  M.  Mi- 
chelet,  Hist.  Rom.,  t.  i;— M.  Blondeau  (Instit.)  Appendice,  i.  p.  431; 
—  M.  Giraud ,  Hist.  du  D.  R.  —  L.  XII  Tab.  Append.,  p.  472,  se  ren- 
dent tous  à  l'autorité  des  textes.  —  Des  auteurs  aussi  très-recomman- 
dables  dans  la  science  du  droit  s'y  refusent  cependant  ;  mais  il  nous 
semble  qu'en  regardant  la  disposition  ou  la  peine  comme  commina- 
toire ,  on  peut  tout  concilier. 

7  Un  publiciste  célèbre  de  notre  époque ,  1\I.  le  duc  de  Broglie ,  a 
représenté  la  Conlrainte  par  corps  comme  une  des  dernières  formes  de 
la  torture  :  «  La  Contrainte  par  corps  ,  a-t-il  dit,  n'est  à  bien  prendre 
«  que  la  question,  conservée  en  matière  civile,  après  qu'elle  a  dis- 
»  paru  en  matière  criminelle.  La  souffrance  qui  résuite  de  la  première 
»  e.st  moins  poignante,  moins  amère  ,  moins  déchirante,  que  celle  qui 
»  caractérisait  autrefois  la  Question  ;  mais,  en  revanche ,  elle  est  plus 
»  longue  ,  et  ce  qui  se  perd  en  intensité  se  regagne  en  durée.  »  (Revue 
FRANÇAISE,  1828,  et  à  la  Ch.  des  Pairs.  ) 

N'est-il  pas  plus  exact,  en  droit,  de  reconnaître  que  la  Contrainte 
par  corps  est  la  conséquence  personnelle  et  rigoureuse  du  principe 
n^.?me  de  l'obligation  civile? 


CHAP.  IV.  DROIT  DES  XII  TABLES.  SECT.  IV.        i37 

les  rapprochant  du  principe  lui-même  appliqué  avec 
une  logique  rigoureuse  : 

Ainsi,  r  aucune  obligation  ne  pouvait  être  valable- 
ment contractée  par  l'esclave  et  par  le  fils  de  famille  en 
leur  propre  nom  ;  car  l'esclave  n'a  pas  de  personne  civile 
de  laquelle  puisse  partir  l'obligation^,  et  le  fils  de  famille 
n'est  censé  faire  avec  le  père  qu'une  seule  personne  ci- 
vile :  l'un  et  l'autre  ne  pouvaient  donc  contracter,  comme 
ils  ne  pouvaient  acquérir,  que  pour  le  maître  et  le  chef 
de  famille; 

Ainsi ,  2**  l'obligation ,  toute  personnelle  en  principe , 
s'éteignait  par  l'adrogation  dans  la  personne  de  l'adrogé , 
qui  cessait  d'être  civilement  capable ,  et  ne  pouvait  pas- 
ser sur  la  tête  de  l'adrogeant,  qui  ne  favait  pas  contrac- 
tée personnellement;  principe  tellement  impérieux  qu'il 
limitait  dans  ses  effets  le  mode  d'acquérir ,  per  universi- 
tatem,  résultant  de  l'adrogation  ; 

Ainsi,  3**  les  obligations  ne  pouvaient  être  l'objet  de 
la  CESSio  IN  JURE,  comme  les  autres  droits  incorporels, 
tels  que  l'usufruit,  les  servitudes,  le  droit  d'hérédité; 
car  la  cessio  in  jure  supposait  une  vindication  fictive 
de  la  propriété.  Il  aurait  fallu  que  le  tiers  revendiquant 
pût  dire  fictivement  devant  le  Magistrat  qu'il  avait  un 
droit  sur  le  débiteur  ;  mais  comment  la  fiction  juridique, 
qui  doit  être  l'image  de  la  vérité,  aurait-elle  été  possible, 
puisque  la  personne  du  débiteur  s'était  engagée  envers 
tel  citoyen  et  non  envers  tel  autre?  —  Il  fallait  donc  né-' 
cessairement  qu'il  intervînt,  par  l'ordre  du  créancier  et 


8  la  personaiu  servilem  nulla  cadit  obligatio   (D.  de  Ueg.  Jur.,  l. 
22.  Vlp.  ) 


438  LIV.  I.   -— ÉPOQUE  ROMAINE. 

avec  le  consentement  du  débiteur ,  une  obligation  nouvelle 
entre  le  débiteur  et  le  nouveau  créancier  ^  ; 

Ainsi ,  4"  on  ne  pouvait  contracter  une  obligation  pour 
les  derniers  temps  de  sa  vie,  in  novissimum  vitœ  tempus, 
ou  stipuler  une  chose  pour  son  héritier  ;  car  Tobligation 
devait  reposer  sur  la  personne  même  du  débiteur  ou 
celle  du  créancier  ;  elle  ne  pouvait  pas  partir  de  la  per- 
sonne de  l'héritier,  ex  heredis  fersona  incipere^^  :  de  là 
vinrent,  dans  le  droit  antique,  les  adstipulatores  et 
les  ADPROMissoRES ,  qui  étaient  adjoints  aux  contractants 
principaux ,  afin  que  les  effets  de  l'obligation  pussent  pas- 
ser aux  héritiers  par  l'action  de  mandat  ^^ 

Ainsi,  ^6^  du  même  principe,  il  résultait  encore  que  la 
personne  du  citoyen  ne  pouvait  être  représentée  par  une 
autre,  dans  les  actes  de  la  vie  civile.  Le  citoyen  devait 
agir  par  lui-même,  pour  son  propre  compte,  dans  les  so- 


9  Nam  quod  mutui  ab  aliquo  debetur ,  id  si  velim  tibi  deberi ,  nullo 
eorum  modo  quibus  res  corporales  ad  aliani  trausferuntur  id  efficere 
possuni,  sedopus  est  ut  jubenle  me  tu  ab  eo  slipulcris  ,  quae  res  eflicit 
ut  a  me  liberetur  et  incipiat  tibi  teneri  ;  quae  dicitur  novatio  obliga- 
tionis  (  Gaius ,  u.  §  38  )  :  D'après  l'édition  très-correcte  de  Gaius , 
faite  sur  les  notes  de  Goeschen ,  par  Lachmann.  Berlin  ,1842. 

lONam  inelegansessevisum  est  ex  heredis  persona  incipere  obli- 
gationem.  (  Gains,  m.  §  10.  ) 

11  Gaius,  III.  §  117.  —  Voir  la  dissertation  de  M.  Ortolan  sur  les 
adstipulores,  Revue  bbetonne  de  Droit  et  de  Jurisprudence ,  t.  ii. 
p.  459. 

Les  jurisconsultes  postérieurs  à  Gaius  reconnurent  le  droit  direct  de 
ceux  qui  succédaient  aux  stipulants,  quand  la  clause  générale  eive  ad- 
que  cas  res  periinebil  était  ajoutée  :  «  Cum  generaliter  adjicimus  eive 
adque  eas  res  pertinebit,  et  adrogati  et  eorum  qui  jure  nohis  succe- 
dunt  personas  conipreheudimus.  (  D.  xliv.  7.  îyZ.  §  1.  Modcslinus.  ; 


CHAP.  IV.   DROIT  DES  XII  TABLES.  SECT.  IV.  139 

lennités  du  droit  civil,  les  contrats,  les  obligations,  les 
actions  de  la  loi.  Il  ne  pouvait  être  question ,  dans  le 
droit  primitif,  de  mandataire ,  de  procureur  comme  re- 
présentant la  personne ,  comme  acquérant  obligation  , 
propriété  ou  possession  pour  un  commettant  :  le  tuteur 
lui-même*  (sauf  le  cas  où  le  pupille  était  tout-à-fait 
en  bas  âge,  infans) ,  le  tuteur  ne  représentait  pas  la 
personne  du  pupille;  il  complétait  sa  capacité  par  son 
assistance ,  auclor  erat.  Le  principe  absolu  était  celui  rap- 
pelé par  Lllpien  :  nemo  alieno  nomine  lege  agere  po- 
TEST*^. — Dans  la  pratique  de  la  vie,  Tinconvénient  dis- 
paraissait ou  s'amoindrissait  par  le  droit  du  maître  et  du 
chef  de  famille  d'acquérir  et  de  contracter  par  ceux  qu'il 
avait  sous  sa  puissance*^. 

§  2.  —  FORMES  DE  l'OBLÎGATION  CONTRACTUELLE. 

Il  y  avait  unité  dans  le  principe  tout  personnel  de  l'o- 
bligation, quel  qu'en  fut  l'objet,  de  donner  ou  de  faire. 

Quant  à  la  manière  de  contracter  l'obligation,  le  Droit 
des  XII  Tables  connaissait  bien  une  forme  géinérale  , 
mais  sans  unité  exclusive  et  absolue. 


12  D.,  L.  17.  123,deReg.  jur. 

Le  principe  a  été  modifié  par  une  constitution  de  Sévère  et  d'An- 
tonin,  quant  à  la  possession.  [Inst.  Jusl.,  ii.  9.  5.  C.  Jusl.,  de  Acq. 

poss.,i.) 

13  «  Acquiritur  vobis  non'solum  per  vosmet  ipsos,  sed  etiam  per 
eos  quos  in  potestate  habetis.  »  [Insl.  Jusl.,  ii.  9.  Prœm.  ) 

«  Et  hoc  est  quod  dicitur  per  extraneam  personam  nihil  acquiri 
posse  ...  »  (  Gains ,  ii.  §  95.  ) 


140  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

I.  —  La  forme  primitive  et  générale  de  l'obligation 
civile  était  celle  même  de  la  mancipation.  Les  autorités 
à  ce  sujet  ne  laissent  aucun  doute.  Varron  et  Festus, 
qui  citent  textuellement  les  plus  anciens  jurisconsultes 
(  Manilius,  Scœvola ,  Gallus  OElius)  s'accordent  à  repré- 
senter le  NEXUM  comme  accompli  per  ^s  et  libram*^. 
Nous  en  retrouvons  aussi  la  trace  dans  Gains  :  si  ouid  eo 

NOMINE  DEBEATUR  OUOD  per  JES  et  LIBRAM  GESTUM  SIT*^. 

Ainsi,  la  balance  et  l'airain,  le  citoyen  libripens,  les 
cinq  témoins  citoyens  romains,  les  paroles  solennelles, 
tels  étaient  les  éléments  dont  la  réunion  constituait  la 
forme  de  l'obligation  civile ,  sous  le  droit  des  XII  Tables. 

De  cette  identité  de  forme ,  il  ne  faut  pas  conclure  à 
l'identité  absolue  du  jus  nexi  et  du  jus  mancipii  ^^.  Les 
écrits  des  anciens  jurisconsultes  peuvent  faire  supposer 
que  nexus  ou  nexum  était  pris  quelque  fois  dans  le  sens 
général  et  applicable  à  l'aliénation  des  choses  mancipi. 
—  Gains  en  laisse  apercevoir  la  trace  dans  un  passage 
mutilé  des  Institutes ,  où  nexum  est  relatif  à  la  trans- 
mission du  soP*^.  Mais  des  monuments  certains,  à  par- 

14Varro,  vi.  5.  INexum  Manilius  scribit  omne  quod  per  ^s  et 
LiBBAM  geritur.,.. 

Festus,  yo  Neclere.  Nexum  est  ut  ait  Gallls  OElius,  quodcumque 
per  œs  et  libram  geritur.  Idque  necti  dicitur.  Quo  in  génère  sunthsec: 
Testamenti  faclio,  nexi  dando,  nexi  libérante.  {Ed.  Mullcr,  p.  165, 
no  20.  ) 

15  Gains,  m ,  §  173.  —  Gravina ,  de  Ortu  et  Prog. ,  cap.  80  ,  disait 
d'une  manière  générale ,  mancipatio  fons  est  ommum  ctvilium 

OBLTGATIONUM. 

16  Gravina  a  fait  cette    confusion.  (De    Orig.,  cop.   lxxx;  — 

cap.  XLTV. ) 

17  Esse  provincialis  soli  nexum  non (  V.  passage  resliluèdans  Vc- 

dilion  de  Lachmann ,  p.  104.  105.  ] 


CHAP.  IV.  DROIT  DES  Xll  TABLES.  SECT.  IV.       141 

tir  des  fragments  de  la  Loi  des  XII  Tables,  jusqu'aux 
textes  des  Pandectes  et  du  Code,  prouvent  qu'il  y  avait 
une  distinction  à  faire  entre  le  jus  nexi  et  le  jus  man- 

CIPI. 

La    Loi    des  XII   Tables   disait  :    «  quum  necsom 

FAXIT,  MAÎNCIPIUMOUE,  UTI  LI^GUA  INUiXCUP ASSIT  ,  ITA  JUS 

esto  *^.  »  S'il  y  avait  eu  identité  dans  le  fond  des  cho- 
ses ,  la  loi  n'aurait  pas  dit  aexum  ,  mancipiumoue  ;  elle 
aurait  employé  l'une  ou  l'autre  expression  ,  et  non  les 
deux  à  la  fois.  Le  grand  pontife  M.  Scaevola  ,  au  rap- 
port de  Yarron ,  enseignait  que  nexum  indiquait  l'obliga- 
tion, et  non  ce  qui  est  donné  à  titre  de  mancipation  ''*. 
Cicéron  confond  souvent  le  nexum  et  le  mancipium  ;  mais 
il  les  a  distingués  avec  précision  dans  une  occasion  so- 
lennelle où  il  s'agissait  de  déterminer  à  quel  titre  on 
pouvait  posséder  des  maisons  à  Rome.  «  On  les  possé- 
»dait,  dit-il,  en  général,  par  droit  héréditaire,  par  droit 
»  d'usucapion ,  par  droit  de  mancipation ,  jure  mancipi,  par 
»  droit  à! obligation ,  jure  nexi'^.  »  —  Il  s'agissait ,  cans 
ce  dernier  cas,  de  maisons  affectées,  comme  ga^je  ,  à 
la  sûreté  d'une  obligation ,  et  attribuées  au  créancier  à 

18  Tab.  Vf.  1.  Festus,  v»  nuncupala  pecunia,  ajoute  :  lia  uti  nomi- 
narel  loculusveeril ,  ilajus  eslo  (p.  173.  ) 

19  Nexum  scribit  M.  Scaevola  quae  per  aes  et  libram  fiant  ut  obligenlur, 
praeter  quain  quae  mancipio  dentur.  {  Varro.,  de  Ling.  lat.,  vi.  5.  ) 

Festus  applique  aussi  le  nexum  à  la  somme  prêtée  solennellement 
nimcupala  pecunia.  Certes,  l'argent  n'est  pas  resmanc/pi;  mais  il  peut 
être  l'objet  du  nexum. 

20  Cic,  orat.  de  arusp.  responsis  ,  cap.  vu  :  «  Multae  sunt  domus 
in  hac  urbe,  atque  haud  scio  an  poene  cuncta?  jure  optimo  ;  sed  tamen 
jure  privato,  jure  hereditario ,  jure  auctoritatis ,  jure  mancipi,  jure 
nexi.  (  EdiL  F.  Lcclcrc  ,  t.  ii.  p.  362.  ) 


142  LIV.  1.  —  EPOOLE  ROMAINE. 

défaut  de  paiement.  En  constituant  le  gage  dans  l'ancien 
droit  civil ,  on  convenait  que  si  le  créancier  n'était  pas 
payé  à  l'époque  fixée ,  il  deviendrait  propriétaire  de  la 
chose  engagée-'.  Le  jus  nexi  appliqué  aux  maisons  était 
une  extension  du  jus  nexi  appliqué  aux  personnes  ;  et 
c'est  dans  le  sens  d'obligation  et  de  gage  que  le  terme 
de  nexum  et  de  jus  nexi  s'est  conservé  dans  la  langue  du 
droit  romain--. 

II.  —  La  forme  la  plus  générale  de  l'obligation  civile 
était  la  forme  per  œs  et  libram;  mais  elle  n'était  pas  la  seule. 
Les  Offices  .de  Cicéron  nous  apprennent  que ,  d'après  la 
Loi  des  XII  Tables ,  nul  lien  n'était  plus  étroit  que  le 
lien  du  serment  :  kullum  vinculum  ad  astringendam 

FIDEM  JUREJURANDO  MAJORES   ARCTIUS  ESSE  VOLUERUIST  ; 

ID  iNDiCAîNT  LEGES  IN  XII  TABULis  ;  et  Cicéron  rappelle 
«  que  les  notes  et  les  condamnations  des  Censeurs  prou- 
»  vaient  que  rien,  plus  que  le  serment,  n'attirait  leur  sé- 
»  vère  diligence '^^.  »  —  «  Le  serment,  dit-il  encore,  est 
»  une  affirmation  religieuse  :  ce  que  vous  avez  promis  af- 
»  firmativement,  et  comme  prenant  Dieu  même  à  témoin, 

2t  Cic,  ad  Famil.,  lib.  xiii.  Ep.  56.  Fragm.  Vatic,  i.  §  9. 

C'était  ce  qu'on  appelait  lex  commissoria ,  autorisée  par  le  droit  des 
Paudec'tes.  (  D.  xx.  1 .  16.  §  9.  —  xx.  6. 12.)  —  Constantin  prohiba  cetts 
clause  commissoire.  [Cod.  Theod.,  m.  2.  Cod.  Jusl.,  viii.  35.  3.  ) 

22  Ab  nexu  absolutio;  nexu  venditi  liberatio.  (  D.  XLVi.  4. 1.  —  xii. 
6.  26.  )  —  Prœdium  pignori  ncxinn  (  D.  ii.  14.  52.  ).  —  Ne.xus  pigno- 
ris.  (  D.  X.  2.  23.  )  —  Vid.  Beisson  ,  de  Verb.  Sig.,  v»  nexum. 

23  Off.  III.  ch,  22.  Indicant  notiones  animadversionesque  Cen- 
soruni ,  qui  nulla  de  re  diligentius  quam  de  jurejuraivdo  judica- 

BAXT. 


CHAP.   IV.  DROIT  DES  XII  TABLE.   SECT.   IV.  143 

»  doit  être  tenu,  et  appartient  à  la  Justice  et  à  la  Foi^*.  » 
—  Les  Censeurs ,  '  et  probablement  aussi  les  Pontifes , 
étaient  les  magistrats  devant  lesquels  se  contractaient  les 
obligations  par  serment  volontaire.  L'obligation  par  ser- 
ment volontaire  et  promissoire,  en  dehors  de  tout  litige, 
résultait  d'un  contrat  verbal  ou  parfait  par  la  parole.  Ul- 
pien  mentionnait  avec  ce  caractère  l'obligation  par  ser- 
ment, contractée  encore  de  son  temps  par  l'affranchi  en- 
vers le  patron,  en  vue  de  la  liberté ^^. 

Une  observation  est  essentielle  à  l'égard  de  l'obligation 
par  serment  :  c'est  qu'à  l'époque  même  où  l'étranger  était 
qualifié  hostis  par  la  Loi  des  XIÏ  Tables,  le  serment  pou- 
vait devenir  un  lien  de  droit  entre  les  Romains  et  les 
Étrangers ,  spécialement  les  Latins.  La  forme  solennelle 


24  Ad  justitiametadfidempertinet.  [Off.  m.  ch.  29.  t.  27.  p. 618. 
Les  fi'agmeuts  de  la  Loi  des  XII  Tables,  édition  de  Dirksen,  se 

taisent  sur  le  serment.  —  Godefroy,  dans  la  Xe  Table ,  ne  rapportait 
point  le  passage  de  Cicéron;  il  donnait  seulement  un  titre  dejureju- 
rando.  —  Pothier  l'a  suivi.  —  Hotman  avait  été  plus  bardi  :  il  avait 
supposé  que  la  Loi  des  XII  Tables  sanctionnait  l'obligation  par  ser- 
ment dans  les  termes  même  rapportés  par  Cicéron.  Evidemment,  il 
allait  trop  loin. 

Gravina  ajoute  que  la  peine  divine  du  parjure  est  la  mort,  la  peine 
humaine  le  déshonneur. 

Le  passage  de  Cicéron  est  important,  surtout  quand  on  le  rappro- 
che des  Lois  du  Digeste  [lib.  xlvi.  4.  13.  et  lib.  xxxviii.  1.  7.  c<  8.  ) , 
où  Ton  voit  Vobligalion  par  serment  appliquée  aux  engagements  de 
l'affranchi  envers  le  patron  :  «  Vt  jurisjurandi  obligalio  conirahalur 
«  libertum  esse  oportet,  qui  juret  et  libertatis  causa.  » 

25  Per  jusjurandum  interpositam  obligationem  libertatis  cau^a. 
(P.,  XLVI.  4.  13.) 

La  glose  de  Godefroy  dit  très-bien  :  Jurejurando  vcrbis  obligatio 
contrahitur. 


144  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

de  la  mancipation  ne  pouvait  avoir  lieu  qu'entre  citoyens; 
mais  le  serment ,  par  sa  nature ,  s'offrait  comme  un  lien 
obligatoire  entre  les  membres  de  diverses  cités,  parce  que 
Rome  et  les  différentes  cités  du  Latium  reconnaissaient 
une  souveraineté  commune  ,  celle  d'un  Dieu  suprême. 
Dans  les  Fériés  latines ,  depuis  l'an  222 ,  c'est  le  Jupi- 
ter-Latialis  qu'on  invoquait  sur  le  Mont  Albain  ;  et  les 
anciens  Romains ,  ainsi  que  le  rappelait  Caton ,  avaient 
placé  dans  le  Capitole ,  à  côté  du  Jupiter  optimus  maxi- 
Mus,  la  statue  de  la  Foi-*^. 

111.  —  Dans  la  forme  obligatoire  de  la  mancipation  et 
du  serment,  une  chose  était  commune,  la  solennité  des 
paroles  :  Uti  lingua  nuîncup assit,  ita  jus  esto.  C'était 
une  règle  fondamentale  dans  la  Loi  des  XII  Tables.  Cette 
solennité  de  la  parole,  dans  l'obligation  civile,  a  tout  na- 
turellement donné  naissance  à  un  contrat  qui,  dégagé  de 
l'appareil  extérieur  de  la  mancipation  ou  du  serment ,  a 
produit  le  lien  de  droit ,  par  la  parole  même  des  contrac- 
tants, par  la  solennité  de  l'interrogation  et  de  la  réponse  : 
c'est  la  stipulation  ,  contrat  solennel  et  de  droit  strict^'. 


26  Ciceron  rappelle  le  discours  où  Catoa  marquait  ce  souvenir 
d'autiquité  romaine  :  Qui  jusjurandum  violât  is  fidem  violât....  quam 
in  Capitolio  vicinam  .Tovis  Optinii  IMaximi ,  ut  in  Gatonis  oratione  est], 
Majores  nostri  esse  voluerunt.  (Off.  lu.  29.  T.  xxvii.  p.  618.  ) 

27  Cette  origine  est  bien  marquée  dans  le  savant  traité  de  .T.  D'Ave- 
zan  ,  de  ConlraçUbus ,  lib.  i.  p.  58.  —  D'Avezan,  professeur  en  droit  à 
l'Université  d'Orléans,  au  xyii*  siècle,  a  été,  par  son  livre  des  Con- 
trais, le  digne  précurseur  de  Polhier ,  dans  son  traité  des  Obliga- 
tions. 

Les  origines  étymologiques  sont  nombreuses  sur  la  slipulalion. 


CHAP.  IV.  DROIT  DES  XII  TABLES.  SECT.  IV.         145 

La  Stipulation ,  forme  abrégée  et  dérivée  de  la  Manci- 
pation ,  est  profondément  marquée  d'abord  du  caractère 
romain.  Elle  a  lieu  entre  citoyens ,  et  les  mots  sacramen- 
tels, —  DARi  spo?sDES?  — SPO^DEO ,  ne  pcuvcnt  être  em- 
ployés qu'entre  citoyens  présents,  et  dans  la  langue  même 
de  la  Cité^^.  Mais  avec  la  stipulation ,  les  Romains  pos- 
sèdent une  forme  de  contracter  grave  et  précise  qui 
pourra ,  comme  la  mancipation  et  plus  facilement ,  s'ap- 
pliquer à  toute  espèce  de  convention  de  donner,  de  faire , 
de  ne  pas  faire,  ou  s'ajouter  à  tout  autre  contrat,  afin  d'en 
fortifier  les  effets  par.  Faction  ex  stipnlalu  ^^. 

Et  la  stipulation  ne  donne  pas  seulement  la  force  aux 
obligations  principales  ;  elle  s'applique  aussi  aux  obliga- 
tions ACCESSOIRES,  à  la  fidéjussion  :  sous  cette  forme,  le 
cautionnement  ou  la  fidéjussion  peut  se  joindre  à  toute 
espèce  d'obligation;  et  s'il  y  a  plusieurs  fidéjusseurs,  cha- 
cun ,  d'après  la  Loi  des  XII  Tables ,  est  obligé  pour  le 
tout;  chaque  fidéjusseur  tient  lieu  du  débiteur  principal, 

BI.  Ortolan  a  fait  une  dissertation  très-intéressante  à  ce  sujet.  {Revue 
bretonne  de  droit ,  t.  li.  p.  46.  ) 

L'étyniologiedonnéepar  le  jurisconsulte  Paul,  Sent.  v.  7.  §  1,  et  re- 
produite par  les  lustitutes  de  Justinien  ,  slipulum  et  slips ,  pour  indi- 
quer que  la  stipulation  donne  force  à  la  convention,  nous  paraît  la  plus 
naturelle  et  la  plus  juridique. 

28  Gains ,  m.  §  93  :  Sed  lisec  quidem  verborum  obligatio  dari 
spondes?  —  Spondée,  propi'ia  civium  romanorum  est. 

29  Deux  actions  sont  attachées  ,  eu  droit  romain  ,  à  la  stipulation  : 
condictio  ccrti^  pour  obligation  de  corps  certain,  et  aclio  ex  slipu- 
lalu  ,  pour  quantité  incertaine ,  pour  chose  désignée  en  espèce  (in  gé- 
nère) ou  pour  obligation  de  faire.  Toutefois  ,  la  dénomination  d'action 
ex  stipulalu  est  aussi  employée  généralement.  (D.  xxxv.  2.  32.  §  2. 
Cod.  III.  18.  1.) 

T.  ..  10 


4  46  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

sans  aucun  bénéfice  de  division,  de  discussion  ou  de  ces- 
sion d'actions^''. 

Généralisation  de  la  forme  des  contrats  ,  quel 
qu'en  soit  l'objet  :  tel  est  le  grand  et  vrai  caractère  de  la 
stipulation  ,  dans  le  droit  primitif. 

Ce  caractère  a  pris ,  par  la  suite ,  une  nouvelle  exten- 
sion :  au  temps  de  Cicéron,  et  par  l'influence  du  Pré- 
teur Aquilius  ,  la  stipulation  aquilienne  s'introduisit 
comme  moyen  de  faire  novation  à  tous  les  engagements, 
et  de  transformer  en  stipulation  tout  contrat  antérieur^'. 
Bien  plus  encore  :  la  stipulation ,  par  interrogation  et  ré- 
ponse, devint  le  lien  général  des  engagements  entre  les 
citoyens  et  les  étrangers ,  et  par  conséquent  la  forme  de 
contracter  commune  à  tous  les  hommes,  à  mesure  que 
les  relations  s'étendaient  entre  les  romains  et  les  autres 


30  Le  bénéfice  de  division ,  d'après  lequel  le  fidéjusseur  pouvait 
repousser  le  créancier  par  exce[^tion,  en  le  forçant  à  agir  d'abord 
contre  le  débiteur  principal ,  fut  introduit  par  Adrien.  {Insl.  Jusl. , 
m.  21  ,  §  4  ,  e(  D.,  XVII.  27.  7.  Papin.  ) 

Ce  moyen  fut  abandonné  ensuite ,  d'après  l'opinion  de  Papinien , 
parce  qu'il  entraînait  des  lenteurs,  et  fut  rétabli  seulement  par  Tustt- 
nien,  sous  le  titre  de  bénétice  de  discussion ,  par  la  Novelle  iv,  cap.  i. 

Les  fidéjusseurs  solidaires  eurent  aussi ,  par  rescrit  d'Adrien  , 
le  bénétice  de  division,  pour  que  l'obligation  fût  divisée  entre  les 
fidéjusseurs  solvables.  Ce  bénéfice  resta  dans  le  droit,  et  fut  confirmé 
par  Sévère  et  Antonin.  (  C.  de  Fidej.  el  Mand.,\\i.  43.  ) 

Le  bénéfice  cedendarum  actionum  était  fondé  sur  l'équité ,  et  avait 
pour  objet  d'obtenir  du  créancier  la  cession  de  ses  actions  ,  soit  con- 
tre le  débiteur ,  soit  contre  les  autres  fidéjusseurs.  {D. ,  xlvi.  1.  13. 
17.  39.) 

31  Quodquod  mibi  debes ,  ex  quacumque  causa,  idein  mihi  promit- 

tis La  formule ,  très-développée  ,  est  dans  les  Institutes  de  Justi- 

nien  ,  m.  39.  2. 


CHAP.  IV .  DROIT  DES  XII  TABLES.  SECT.  H' .         1  47 

peuples.  Seulement  la  formule  sacramentelle ,  spondes ? 
spo^DEO ,  resta  pour  la  stipulation  entre  citoyens  ;  les 
Étrangers  stipulant  entr'eux  ou  avec  les  Romains,  em- 
ployaient l'interrogation  et  la  réponse  promittis?  -  pro- 
MiTTO,  libres  d'ailleurs  de  les  exprimer,  soit  en  latin,  soit 
en  langue  étrangère.  —  La  stipulation  avait  un  mode 
d'extinction  tout-à-fait  analogue,  l'acceptilation,  qui  passa 
aussi  du  droit  civil  dans  le  droit  des  gen  î,  et  put  s'ap- 
pliquer même  à  l'obligation  par  serment  ^^. 

Ainsi  le  Contrât  verbal  n'est  pas  seulement  une  forme 
générale  d'obligation  ou  de  libération  entre  citoyens  :  né 
du  droit  civil  de  Rome,  il  devient  une  forme  générale 
de  contracter,  et  de  se  libérer,  du  droit  des  gens^^  : 
admirable  formule,  qui  dans  sa  simplicité  peut  compren- 
dre toutes  les  relations  des  citoyens  entr'eux,  des  citoyens 
avec  les  étrangers,  des  nations  entr'elles ,  et  de  Rome 
avec  le  Monde  qui  la  reconnaît  pour  Capitale ^^! 

IV.  —  Sous  l'empire  de  la  Loi  des  XII  Tables  est  né 
aussi  le  contrat  littéral  ,  spécialement  relatif  au  prêt 
d'argent. 

Le  prêt  d'argent  avec  intérêt  se  distinguait,  dans  le 

32  Gaius,  III.  §  170.  D.,  XLVI.  4.  8.  §  4.  Idem,  4.  13  :  Per  jusjuran- 
■dum  obligationem  interpositam  per  acceplilalionem  tolli  verius  est. 

33  Caeterae  verborum  obligationes  juris  gentium  sunt.  {Gaius,  m. 
§93.) 

34  Gaius,  m.  §  94  :  Velut  si  imperator  noster  principem  alicujus 
peregrini  populi  de  pace  ita  interroges?— Pacem  futur am  spondes? 
Vel  ipse  eodem  modo  interrogetur. 

Dans  notre  acte  le  plus  solennel  de  droit  français  ,  l'acte  civil 
du  mariage,  nous  avons  conservé  la  forme  de  la  slipuladon;  seule- 
ment, l'interrogation  est  faite  par  l'intermédiaire  de  l'officier  public. 


1  48  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAIINE. 

droit,  du  prêt  gratuit,  même  par  sa  dénomination^^  : 
le  prêt  gratuit  s'appelait  mutuuim  ;  le  prêt  à  mtérêt,  foe- 
isus.  Cette  distinction  était  entrée  dans  le  langage  vul- 
gaire, ainsi  que  le  prouve  une  locution  de  Plante  :  «  Si 
je  ne  puis  emprunter  gratuitement,  mutuo ,  j'emprunterai 
avec  intérêt,  fœnore^^.  »  Ce  prêt  à  intérêt,  si  important 
dans  les  relations  des  premiers  Romains ,  ne  devait  pas 
s'accomplir  par  la  seule  tradition ,  à  cause  des  conven- 
tions accessoires  sur  les  intérêts  ;  et  nous  trouvons  dans 
Ïite-Live,  dans  Gains,  deux  documents  qui  rattachent 
le  prêt  avec  intérêt  à  la  forme  générale  de  s'obliger  par  la 
mancipation.  Dans  Tite-Live  on  voit  M.  Manlius ,  le  sau- 
veur du  Capitole,  qui  paie  pour  un  débiteur  conduit  en 
servitude  par  son  créancier,  et  qui  le  libère,  devant 
le  peuple ,  par  la  forme  de  la  mancipation ,  ltbraque  et 
^RE  L1BERATUM  E3I1TTIT  ^^.  Ce  fait  sc  passc  soixautc  ans 
après  la  Loi  des  Xll  Tables,  en  l'année  369.  —  Dans 
Gaius,  on  remarque  encore  l'antique  formule  de  la  libé- 
ration du  prêt  d'argent  per  ^s  et  libram  ;  et  la  libé- 
ration se  faisait  sous  cette  forme ,  parce  que  l'obligation 

35  Nonnius  Marcellus ,  grammairien  du  me  siècle  de  l'ère  chré- 
tienne, qui  nous  a  conservé  des  fragments  d'auteurs  bien  plus  anciens, 
a  nettement  marqué  la  différence  :  Muluum  a  fœnore  hoc  clistal  quod 
iMuTUUM  SINE  usuRis ,  FcKNUS  CUM  iisDRTS  sumilur.  (  Tract,  de  Pro- 
prielate  sermonum  ,  edil.  1614  ;  et  Brissonn.,  v»  Fœnus.  ) 

36  Nam  si  muluo  non  polero ,  cerlum  est  sumam  fœnore. 

(  Plaut.  ,  Asin..,  act.  i.  se.  3.  v.  ult.  ) 

37  Tit.  Liv-,  vi.  14  :  Centuriouem  judicatum  pecuniae  quum  duel 

niedio  foro  videretur,  manum  injecit vociferatusque  de  super- 

bia  patrum  ac  crudelitate  fœneratorum  et  miseriis  plebis inderem 

creditori  palam  populo  solvit  Vbraque  et  œrc  liberatum  emittit. 


CHAP.  IV.  DROIT  DES  XII  TABLES.  SECT.  IV.         H 9 

était  née  de  la  même  manière,  en  la  personne  du  dé- 
biteur ^^. 

Mais  le. prêt  d'argent ,  et  spécialement  le  prêt  à  intérêt, 
avait  donné  lieu  très-anciennement  à  une  forme  parti- 
culière de  s'obliger,  au  contrat  littéral  ou  parfait  par  l'écri- 
ture (lifferis).  Les  anciens  Romains  avaient  des  regis- 
tres domestiques  sur  lesquels  ils  inscrivaient  l'argent 
qu'ils  payaient  et  celui  qu'ils  recevaient,  expensi  et  ac- 
CEPTi  coDiCES,  ratio^es.  Lcs  Ccuscurs  (institués  en 
l'an  310)  étaient  chargés  de  recevoir,  tous  les  cinq  ans, 
le  serment  des  citoyens  sur  la  fidélité  de  leurs  registres , 
de  fide  takdarum'^^ .  Quand  un  citoyen  prêtait  une  somme 
à  un  autre ,  il  la  portait  à  la  colonne  de  sortie  ou  de  dé- 
pense :  c'était  expensum  ferre  ,  expe>si-latio  ;  quand 
elle  lui  était  rendue ,  il  la  portait  à  la  colonne  de  rentrée 
ou  de  recette  :  c'était  acceptum  referre  ^'^.  —  L'em- 
prunteur portait  en  même  temps  sur  son  livre  la  somme 
reçue  comme  emprunt ,  et  quand  il  s'acquittait ,  il  la  por- 

38  Gaius,  III.  §  174  :  «  Quod  ego  tibi  tôt  millibus  eo  nominede  quo 
agitur ,  nexus  sum ,  id  tibi  hoc  asse  solvo ,  liberoque  hoc  œre  œnmque 
libra.  » 

La  règle  rappelée  par  Ulplen,  «  nihil  tam  naturale  est  quam  quidquid 
dissolvere  eo  génère  quo  colligalum  est ,  »  se  trouve ,  en  droit  romain , 
une  règle  de  tous  les  temps.  —  Gaius ,  dans  la  formule  ci-dessus ,  dit 
le  débiteur  nexus  notnine ,  lié  par  la  créance  ;  or,  le  ncxum  se  faisait 
per  œs  et  libram. 

39  Denys  d'Halic,  lib.  iv. 

Fr.  Hottm.,  Inst.  comm.,  m.  9  :  De  earuni  tabularum  fide  censores 
quinto  quoque  anno  jusjurandura  a  civibus  exigebant. 

40  Cic,  in  Verr.,  iv.  —  Pro  Q.  Roscio  :  Per  tabulas  hominis  bonesti 
pecuniam  expensam  ferre....  in  codicem  referre. 

Varro ,  v.  183 ,  de  Ling.  lat.,  in  labulis  expensum  ferre. 
D.,  XX.  4.  12.  §  5  :  Ut  pecuniam  expensam  ferat.  (Pap.) 


Ï50  LIV.  1.  — ÉPOQUE  ROMAIKE. 

tait  comme  payée.  Les  registres  faisaient  foi.  —  Le  mot 
expensum  ,  expensi-tatio  remontait ,  par  son  étymologie  , 
au  temps  où  les  Romains  ne  connaissaient  pas  l'argent 
monnayé  et  pesaient  l'airain.  Pline  ne  laisse  aucun  doute 
à  ce  sujet ,  et  constate  ainsi  la  haute  antiquité  de  Vexpensi- 
latio,  puisque  l'usage  de  la  monnaie  d'argent  ne  com- 
mença qu'en  l'année  485''*.  L'expeS^si-latio  était  donc 
un  contrat  littéral  et  solennel  qui,  sous  la  foi  du  serment 
relatif  aux  registres  domestiques,  faisait  preuve  du  prêt 
d'argent  et  du  taux  accessoire  de  l'intérêt.  — Aulu-Gelle 
met  l'expensi-latio  au  premier  rang,  dans  l'énumération 
des  moyens  propres  à  établir  le  prêt  d'argent  ^^. 

Gains  nous  a  donné,  sur  l'application  du  contrat  lit- 
téral ,  une  lumière  toute  nouvelle.  L'obligation  littérale 
était  un  moyen  général  de  faire  notation  à  la  cause  d'une 
créance  ou  à  la  personne  du  créancier. 

1**  Je  portais  sur  mon  livre  domestique ,  comme  comp- 
tée et  prêtée  en  argent,  une  somme  qui  m'était  due 
antérieurement  à  titre  de  vente,  de  louage,  ou  tout  au- 
tre ;  mon  débiteur  faisait  sur  son  registre  la  même  men- 
tion :  la  somme,  dès  lors,  était  réputée  m'être  due  à 
titre  de  prêt;  la  novation  s'opérait  par  la  substitutic  n 
d'une  nouvelle  dette  à  l'ancienne  ;  il  y  avait  transcriptio 
a  re  in  personam  ; 

41  Plin. ,  Hist.  nat.,  fib.  xxxin.  cai^  3. 

Populus  romanus  ne  argento  quidem  signato  ante  regem  Pyrrhum 
devictum  usus  est.  Libralis  unde  etiam  nunc  libella  dicitur,  et  du- 
pondius  appendcbatur  assis  :  quare  aeris  gravis  pœna  dicta ,  et  adhuc 
EXPENSA  IN  BATioîViBUS  DicuNTUR  ;  item  impendia  et  dependere. 

42  Clamitabat  probari  apud  me  debere  pecuniam  datam  consuetis 
modis  ,  expcnsilalione ,  mensae  rationibus  ,  cbirograpbi  exbibitione  , 
tabularum  obsignatione ,  testium  intercessione.  {Àulu-GelL,  xiv.  2.)' 


CHAP.  IV.  DROIT  DES  Xil  TABLES.  SECT.  IV.  151 

2°  J'avais  Titius  pour  débiteur  et  je  voulais  vous  trans- 
mettre ma  créance  sur  lui  :  je  portais  sur  mon  livre, 
comme  payée  par  vos  mains,  la  soffme  que  me  de- 
vait Titius;  —  Titius,  de  son  côté,  vous  mettait  à  ma 
place  sur  son  livre  domestique.  Il  y  avait  délégation  de 
mon  droit  en  votre  faveur ,  changement  de  créancier  ou 
choix  d'un  autre  créancier,  transcriptio  a  persona  in  perso- 

Au  surplus ,  dans  le  contrat  littéral  résultant  des  in- 
scriptions de  créance ,  l'un  oblige  par  l'indication  de  sor- 
tie sur  son  livre,  l'autre  est  obligé  par  l'indication  de 
recette.  Ce  contrat  peut  se  former  même  entre  citoyens 
absents,  à  la  différence  de  l'obligation  verbale,  qui  ne 
peut  être  contractée  qu'entre  personnes  présentes**. 

Le  contrat  littéral  ne  dérivait  pas  seulement  de  l'insti- 
tution des  registres  domestiques.  —  A  Rome ,  et  dès  le 
temps  de  Tarquin-l' Ancien,  on  connaissait  les  Banquiers, 


43.  Gaius ,  III.  §§  128.  129. 130.—  Ces  deux  cas  répondent  à  l'article 
1271  de  notre  Code ,  1»,  S».  —  Pour  le  second  ca.«,  Gaius  dit  :  «  Si  id 
quod  mihi  Titius  débet  tibi  id  expensum  tulero ,  id  est ,  si  Titius  le 
delegavcrit  mihi. 

Délégation  ici  ne  veut  pas  dire  délégation  d'un  droit ,  mais  choix  de 
la  personne  du  débiteur.  C'est  dans  le  même  sens  que  l'art.  1275  a 
e  "nployé  le  mot  délégation.  —  Le  sens  le  plus  naturel  est  celui  qui  a 
pré.alu  dans  le  droit  public,  où  la  cité  délègue  un  droit,  un  pou- 
voir. 7>ans  ce  sens ,  le  mot  serait  bien  plus  clair  aussi  pour  la  lan- 
gue du  droit  civil. 

44 Gaius,  III.  §  137  :  Innorainibus  alius  expensum  ferendo  obliget, 
alius....  obligetur.  —  Sed  absenti  expensum  ferre  potest,  etsi  verbis 
obligatio  cum  absente  contrahi  non  possit.  —  Id.  §  138.  —  Nos  obli- 
gations commerciales  par  Compte-courant  ont  quelque  chose  du  con- 
trat littéral. 


152  LIV.  1.   ^  ÉPOQUE  ROMAINE. 

Mensarii,  Argentarii,,  qui  avaient  leurs  comptoirs,  Mensœ, 
autour  du  Forum  ^■'.  Ils  étaient  les  intermédiaires  par 
lesquels  souvent  les  Romains  prêtaient  à  usure  et  rece- 
vaient les  intérêts.  L'emprunteur  signait  ordinairement 
sur  le  registre  la  somme  prêtée;  c'était  la  Mensœ  scripfiira 
vel  ratio,  leXivre  du  Banquier.  Cicéron  témoigne  que, 
de  son  temps,  l'argent  était  prêté  plus  fréquemment  au 
Forum  et  sur  les  écritures  des  Banquiers,  que  dans  la 
maison  des  citoyens  ^^.  Les  registres  des  banquiers  fai- 
saient preuve  en  justice. 

L'obligation  littérale  résultant  des  livres  domestiques 
ou  du  livre  des  banquiers  ,  s'appliquait  le  plus  générale- 
ment au  prêt  avec  intérêt.  Cela  nous  conduit  à  examiner 
l'état  de  l'ancienne  législation  sur  le  foenus  unciarium  , 
ou  le  taux  de  l'intérêt  dans  le  prêt  d'argent. 

La  loi  des  XII  Tables,  selon  le  témoignage  bien  certain 
de  Caton  et  de  Tacite,  avait  des  dispositions  sur  le  prêt 
à  intérêt.  Elle  punissait  de  la  condamna'tion  au  quadru- 
ple l'usurier,  le  foenerator  qui  dépassait  le  taux  pejt'- 
mis'*'^.  L'intérêt,  d'abord  illimité  et  livré  à  l'arbitraire  des 

45  Sigonuis ,  de  Antiq  J.  Civ.  roni.,  ii.  11. 

«  Tabernas  argentarias  in  foro  construxit  Tarquinius  priscus  rex , 
teste  Dyonisio  ,  ex  qno  intelligere  possumus,  jam  tum  negotiationem 
argentariorum  nummariam  Roinœ  esse  factitatam.  (Cap.  de  argcnlariis 
et  fœneratoribus.  )  —  Les  argenlarii  vendaient  aussi  toutes  les  choses 
précieuses.  {Sueton.,  lib.  vi.  —  Vila  Ncr.,  cap.  5,  et  nolœ  Vario- 
rum.  ) 

46  In  foro  et  de  mensœ  scriptura  magis  quam  ex  arca  domoque  pe-, 
cunia  numerabatur.  (  Cic,  pro  Cœcina ,  vi.  ) 

47  Si  quis  unciario  fœnore  amplius  fœnerassit,  quadruplione  luito. 
Tab.  iii  (/inGolho).  —  Cato,  deRe  rustica.  Fœneratorem  quadruplo. 


LflAP.   IV.  DROIT  DES  Xll  TABLES.      ECt.    IV.        153 

riches ,  fut  fixé  par  les  Décemvirs  à  douze  pour  cent  par 
an,  selon  ropinion  la  plus  probable ^^.  Les  Romains,  en 
effet,  divisaient  le  capital  prêté  en  cent  parties;  fusure 
permise  était  d'un  pour  cent  par  mois,  usura  centesima;  de 
manière  que,  dans  fespace  de  cent  mois,  la  somme  des 
intérêts  devînt  égale  au  principal ^^  :  l'intérêt,  au  cen- 
tième denier,  Wisui-a  centesima ,  représentait  donc  le  taux 
de  douze  pour  cent  par  an.  Une  opinion,  généralement 
répandue  chez  les  Romains,  plaçait  dans  le  nombre  douze 
la  solidité  des  choses  ou  la  raison  du  tout.  Ils  regardaient 
comme  un  entier,  as,  ce  qui  était  composé  de  douze  par- 
ties, et  ils  déduisaient  de  ce  nombre  la  raison  d'une  di- 
vision quelconque  :  tincia  était  le  douzième  de  Yas  et  de 
toute  unité.  De  là  est  venu  I'as  héréditaire,  ou  l'hérédité 
qui  se  divisait  en  douze  parties  (iinciœ)  ;  de  là  encore  est 
venu  I'as  usuraire ,  parce  qu'il  avait  ses  douze  unciœ  pour 
chaque  année.  Cette  explication  ,  donnée  par  Sigonius  et 
Gravina,  s'appuie  sur  de  nombreux  textes  de  droit  ^^;  elle 

48  Tacit. ,  Ann. ,  vi.  16  :  Vêtus  urbi  fœnebre  raalum....  Primo  duo- 
decim  Tabulis  sanctum ,  ne  quis  unciario  fœnore  amplius  exerceret , 
quiini  antea  ex  libidine  locupletium  agitaretur. 

49  C'est  ce  qu'on  appelait  cenlcsimas  computare.  {Plinius  Jun., 
Epit.  IX.  28.  ) 

L'année  était  d'abord  de  dix  mois  (  304  jours  )  ;  mais  Numa  adopta 
l'année  lunaire  de  douze  mois  {355  jours).  C'est  Jules  César  qui  réforma 
le  calendrier  romain,  en  adoptant  l'année  solaire  de  365  jours. 

50  Sigonius,  de  Jure  ant.  civ.  Rom.,  ii.  cap.  11.  —  Gravina,  de 
Ortu  et  Prog.,  C.  xlaii.  —  Montesquieu,  xxii.  22. 

M.  Burnouf,  dans  sa  traduction  et  ses  notes  de  Tacite  (t.  ii.  p.  473), 
adopte  implicitement  cette  théorie.  «  Il  est  évident ,  dit-il ,  que  asses 
usïtrœ,  ou  fœnus  ex  asse,  est  synonyme  de  centesima,  c'est-à-dire  de 
1  p.  100  par  mois,  12  p.  100  par  an.  »  —  Mais  M.  Burnouf  ajoute  que 
fœnus  unciarium  signiOe  le  douzième  de  la  centésime  par  mois  ;  ce  qui 


io4  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

prévient  la  contradiction  choquante  qui  existerait,  sans 
elle,  entre  Tite-Live  et  Tacite;  Tite-Live,  qui  représente, 
au  iv^  siècle  de  Rome,  une  partie  de  la  Cité  comme  écra- 
sée et  ensevelie  sous  l'usure ,  mersam  et  obrutam  fœnore; 
qui  reproduit  les  murmures  des  débiteurs  se  plaignant 
d'avoir  payé  plusieurs  fois  le  capital  par  l'énormité  des  in- 
térêts^*; et  Tacite,  à  qui  l'on  ferait  dire  que  le  taux  de  la 

donne  seulement  la  centésime  pntière  pour  douze  mois ,  ou  1  p.  100 
par  an.  —  Cette  interprétation  du  savant  traducteur  (qui  est  aussi  don- 
née par  Pothier,  Comm.  xii.,  Tab.  m  c.  2.  et  par  Adam,  Ânliq.  rom., 
t.  II.  p.  361  ,  ne  nous  paraît  pas  admissible.  Comme  on  le  voit  dans 
les  nombreux  exemples  rappelés  par  le  président  Brissou  (de  Verb. 
Sig.,  \o  fœnus),  fœnus  veut  dire  revenu;  uncia  veut  dire  once  ou  dou- 
zième d'as ,  et  d'après  la  division  d'un  capital  en  cent  parties  (  usura 
centesima  ),  uncia  veut  dire  un  centième  de  capital  par  un  douzième 
d'année ,  et ,  par  conséquent ,  1  p.  100  par  mois ,  ou  12  p.  100  par  an. 
Fœnus  unciarium  est  pour  fœnus  unciarum;  il  signifie  le  revenu  des 
douze  parties  à  prendre  annuellement  sur  les  cent  parties  primitiv(  s 
du  capital.  Dans  le  Digeste ,  il  est  question  de  deux  héritiers ,  dont 
l'un  est  institué  ex  uncia  ^  l'autre  ex  undecim  unciis ,  et  ce  dernier  est 
qualifié  de  unciarum  heredem.  (  D.,  xxx.  1.  34.  §  12,  )  Dans  le  mène 
sens  ,  on  dirait  le  revenu  des  onces ,  unciarum  fœnus. 

Jacques  Godefroy  a  fait  une  profonde  dissertation  sur  l'intérêt  re- 
présenté par  les  fruits  et  par  l'argent ,  dans  son  Commentaire  sur  le 
Code  Théodosien  (ii.  33.  1.  )  Il  dit  :  «  Centesimam  scilicet  uiuram  le- 
»  gitimam  pecuniœ  usuram  olim  fuisse ,  ut  aliunde  notissimum  est 
»  (  et  inter  alias  ex  leg.  4.  §  1.  D.  de  Naul.  Fœn.  —  L.  xxvi.,  Cod.  Just. 

»  usur.  ) Exploratum  et  illud,  centesimam  usuram  fuisse  quœ  in 

»  nummos  centenos ,  singulos  niimmos  singulis  mensibus  prœstaret.  »  — 
Le  sens  est  ici  bien  clair  :  L'intérêt,  centesima  usura,  sur  un  capital 
de  cent  écus ,  représente  un  écu  par  mois  ;  c'est  bien  douze  écus  par 
an,  ou  les  douze  centièmes  du  capital.  (  Voir  t.  1.  p.  270,  cdit.  Rilter) 

51  Propter  ingentem  vim  aeris  alieni.  —  Cum  jam  ex  re  nihil  dari 
posset,  fama  et  corpore  judicati  atque  addicti,  creditoribus  satisfacie- 
bant.  (  Til.  Liv. ,  yi.  cap.  34.  )  —  On  peut  consulter  aussi  les  ch.  14. 
18.  31.  32.  35.  —  Tacit.,  vi.  16.  dit  :  Seditionum  creberrima  causa. 


CHAP.  IV.  DROIT  DES  XII  TABLES.  SECT.  IV.       155 

Loi  des  XII  Tables  était  d'un  pour  cent  par  an ,  et  bien- 
tôt après  d'un  demi  pour  cent  !  Pour  concilier  Tacite ,  non 
seulement  avec  Tite-Live,  mais  avec  toute  l'histoire  de  la 
République ,  depuis  la  Loi  des  XII  Tables ,  il  faut  enten- 
dre le  Fœmis  unciarium  dans  le  sens  indiqué  par  Sigrnius, 
J.  Godefroy,  Gravina ,  Montesquieu ,  de  la  division  du 
capital  en  cent  parties,  et  de  la  division  annuelle  de  Vas 
usuraire  en  douze  unciœ,  qui  représentent  les  douze  pour 
cent  par  an.  Du  reste,  ce  taux  légal,  abaissé  quelquefois 
par  des  lois  de  circonstances ,  s'est  maintenu  sous  l'Em- 
pire, et  notamment  depuis  Constantin,  qui  l'a  confirmé, 
jusqu'à  Justinien,  qui  l'a  réduit  à  quatre  pour  cent^^. 

V.  —  Les  contrats  accomplis  sous  la  forme  de  la  man- 
cipation ,  du  serment ,  de  la  stipulation ,  de  l'obligation 
littérale ,  sont-ils  les  seuls  qui  dérivent  de  la  Loi  des  XII 
Tables,  pour  produire  le  lien  du  débiteur  et  l'action 
du  créancier  ?  —  Cela  n'est  pas  vraisemblable.  Les  con- 
trats connus ,  en  droit  romain ,  sous  le  nom  de  contrats 
réels,  le  prêt  de  consommation ,  le  prêt  à  usage ,  le  gage , 
le  dépôt ,  sont ,  dans  toute  société ,  des  contrats  usuels 
et  primitifs^^  :  ils  s'accomplissent  naturellement  par  la  tra- 
dition de  la  chose ,  re  perficiuntur ,  et  il  est  impossible  de 

52  C.  Th.,  II.  23. 1.  —  IV.  19.  —  C.  Just.,  IV.  32.  26.  De  usur.  rei 
jud. 

53  En  mots  techniques  :  Mutuum  ;  —  commodatum ;  —  pigniis;  — 
depositum. 

Le  mutuum,  dans  le  droit  des  Institutes ,  comprend,  avec  les  choses 
qui  se  consomment  par  le  premier  usage ,  le  prêt  de  num^i^ire;  mais 
sous  la  Loi  des  XII  Tables  ,  le  prêt  d'argent  était  distingué  du  simple 
mutuum ,  comme  on  l'a  vu  plus  haut,  par  l'application  de  la  mancipa- 
tion  et  de  Vexpemilalio. 


156        .  LIV.  1.  —  ÉPOQUE  KOMAI^'E. 

les  comprendre  sans  cette  tradition  qui  est  de  leur  es- 
sence. Que  serait  un  dépôts  un  gage  ,  un  prêt ,  sans 
chose  déposée ,  engagée ,  prêtée?  —  Il  est  donc  fort  lo- 
gique de  rapporter  ces  quatre  contrats,  réels  et  nommés, 
à  la  Loi  des  XII  Tables,  ou  à  l'interprétation  des  Pru- 
dents qui  en  était  le  complément  légitime.  Un  texte  pré- 
cis place  au  surplus ,  dans  la  loi  elle-même ,  la  mention 
expresse  du  dépôt  :  le  jurisconsulte  Paul  rappelle  à  ce 
sujet  l'action  m  duplum,  que  la  Loi  des  XII  Tables,  en 
cas  de  non  restitution  ,  donnait  contre  le  dépositaire , 
et  que  l'Édit  du  Préteur ,  par  une  sanction  moins  rigou- 
j  reuse  ,  réduisit  à  l'action  in  simplum  ' 


54 


VI.  —  Mais  la  classe  des  contrats  purement  consen- 
suels et  de  bonne  fol  (la  vente,  le  louage,  le  mandat, 
la  société  ) ,  n'existait  pas  dans  les  XII  Tables ,  et  n'a- 
vait pas  encore  passé  du  droit  des  gens  dans  le  droit 
civil.  —  Toutefois ,  nous  trouvons ,  dans  les  fragments 
des  XII  Tables ,  une  convention  fort  importante ,  la  trans- 
action ,  qui ,  par  sa  nature  complexe  ,  nous  donne  le 
germe  des  contrats  nommés  et  consensuels ,  des  contrats 
innommés  et  de^  pactes  nus  ou  légitimes. 

La  transaction,  en  effet ,  d'après  la  Loi  des  XII  Tables, 
a  trois  caractères  : 

1  **  Elle  est  un  pacte  reconnu  par  la  loi ,  si  l'on  a  traité 


54  Paul,  Sent.  ii.  12.  §  11  :  Ex  causa  depositi  Lex  duodecira  Tabu- 
larum ,  in  duplum  actio  datur ,  edicto  prœtoris  in  simplum. 

L'édit  flu  préteur  réduisit  l'action  au  simple  pour  le  dépôt  volontaire, 
et  la  laissa  au  double  en  cas  de  dépôt  nécessaire ,  ou  fortuit,  par  suite 
de  naufrage ,  d'incendie ,  de  sédition. 

L'édit  est  au  Digeste ,  xvï.  3.  l.  §  1. 


CHAP,    IV.   DROIT  DES  XII  TABLES.    SECT.   IV.       157 

sur  un  vol ,  par  exemple  ,  ou  sur  un  membre  rompu  ,  de 
furlo  facto  ^  de  membro  rupto;  c'est  alors  un  pacte  légi- 
time qui  produit  obligation  et  action  directe ,  comme  le 
contrat  consensuel  et  nommé  ^^; 

2"  Ou  la  transaction  produit  effet,  seulement  si  quel- 
que cbose  a  été  donné  ou  retenu  ^'^  :  —  c'est  alors  le 
contrat  innommé  qui  existe ,  dans  le  droit  romain  des 
temps  postérieurs  ,  quand  il  y  a  une  cause,  c'est-à-dire , 
une  chose  donnée  ou  un  fait  accompli  par  Tune  des 
parties  ; 

3"  Ou  la  transaction  n'a  été  suivie  d'aucun  effet  ;  — 
et  alors  elle  est  restée  comme  un  simple  pacte  ,  un 
pacte  nu ,  privé  d'action ,  laissé  à  la  bonne  foi  des  par- 
ties ,  et  qui  recevra  un  jour  du  Préteur  la  garantie  du 
droit  d'exception  ^'^. 

55  Tab.  VIII.  2  :  Sei  membkum  bupit  ni  clm  eo  pacit,  Talio  es 
TOD.  (  D.  II.  14.  6.  17.  )  —  (  Colomhel,  ParaliU. ,  ii.  14.  de  paclis.  ) 

La  différence  est  seulement  que  le  contrat  consensuel  et  nommé  pro- 
duit une  action  du  même  nom  que  le  contrat,  tandis  que  la  transaction, 
comme  pacte  légitime,  produit  l'action  directe  ex  lege. 

56  Àliquo  data  aul  retenlo.  —  Le  Fragment ,  Tab.  i.  6.  porte  :  Rem 
UBEi  PAicoNT  ORATOD.  —  Ici  le  Caractère  de  la  chose  donnée  est  in- 
diqué par  le  mot  même  de  rem  ;  obatod  est  pour  ralum  cslo. — Gaius, 
ad  Leg  xii  Tab.,  dit  :  In  Iradilionibus  rerum  quocumque  pactum  sit, 
id  valere  manifestissimum  est.  (D.  ii.  14.  48.) 

La  Table  m.  5.  reconnaissait  à  l'égard  des  débiteurs,  au  moment 
de  l'incarcération ,  le  droit  de  transiger  :  «  Ac  nisi  pacti  forent ,  habe- 
banlur  in  vinculis.  (  Aulu-GcU.^  xx.  1.  )  ~  Le  créancier  ne  se  conten- 
tait pas  certainement  alors  de  la  ■parole  du  débiteur. 

57  Tab.  1.6:  IN'Ei  pagunt  lis  comitio  aut  in  foeo  ,  ante  me- 

BIDIEM  CAUSAM     COXJICITO  ,     QUOM     PERORANT    AMBO     PR.ESENTES. 

—  Par  ces  distinctions  seules ,  on  peut  concilier  les  lois  dans  lesquel- 
les la  transaction  est  appelée  tantôt  un  contrat,  tantôt  un  pacte 


158  LÏV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAL\E. 

.  Et  ainsi ,  le  système  des  obligations  conventionnel- 
les du  droit  romain ,  qui  se  résume  1  "  dans  les  distinc- 
tions des  contrats  nommés,  des  contrats  innommés  et 
des  pactes  ;  2°  dans  la  distinction  des  actions  certaines , 
des  actions  incertaines  ou  innommées,  des  condictions  ex 
lege ,  des  exceptions  ;  tout  ce  vaste  système  qui  se  déve- 
loppera, dans  la  suite,  sous  Tinfluence  des  Préteurs  et 
des  Jurisconsultes  de  la  grande  époque,  est  déjà  compris 
implicitement  dans  la  sagesse  féconde  des  XII  Tables  ; 
et  pour  posséder,  d'une  manière  complète,  la  théorie 
des  obligations,  le  jurisconsulte  devra  nécessairement  re- 
monter à  la  source  du  droit  public  et  privé  des  Romains. 


§  3.  —  MOYENS  DE  RESCISION.   —  CONTBATS  STBICTI  JUBIS  ET  BON^ 

FIDEI. 


Les  contrats  ou  les  obligations ,  dont  l'origine  est  dans 
le  Droit  civil  des  XII  Tables ,  seront  qualifiés  postérieu- 
rement contrats  ou  obligations  de  droit  strict ,  par  op- 
position aux  contrats  de  bonne  foi,  venant  du  droit 
des  gens.  La  distinction  des  contrats  stricti  juris  et  bonœ 
fidei  tenait  bien  plus  à  cette  différence  d'origine  qu'à  des 
idées  de  l'ordre  moral.  La  bonne  foi  était  également 
l'âme  des  contrats  du  droit  civil  et  du  droit  des  gens  : 

nu.  {D.  n.  15.  2.  6.  15.  Cod.  de  Transacl.)  —  Il  est  remarquable , 
au  surplus ,  que ,  dans  le  plan  des  Pandectes  ,  les  deux  titres  de  pac- 
tis  et  transacl.  viennent  immédiatement  après  le  titre  de  edendo  .  cela 
rappelle  bien  l'origine  des  pactes  et  des  transactions,  nés  d'abord  du 
besoin  de  traiter  sur  les  actions  judiciaires.  —  Les  pactes,  ensuite, 
ont  pris,  par  le  droit  prétorien,  une  bien  plus  grande  extension. 


CHAP.    IV.  DROIT  DES  Xll  TABLES.   SECT.  IV.       159 

seulement,  dans  les  premiers ,  la  loi  protégeait  avec  aus- 
térité la  foi  explicite  des  contractants,  et  n'admettait  pas 
les  interprétations  ou  les  suites  que  l'usage  et  l'équité 
avaient  introduites  dans  les  autres ,  en  les  faisant  passer 
dans  le  droit  primitif  de  la  Cité.  —  Un  jurisconsulte 
moderne  a  plusieurs  fois  exprimé  cette  pensée  «  que 
»  d'après  la  Loi  des  XII  Tables ,  ce-  qui  oblige  l'homme 
»  ce  n'est  pas  la  conscience,  ce  n'est  pas  la  nature  du 
«juste  et  de  l'injuste;  c'est  la  parole,  c'est  la  religion 
»  de  la  lettre  »  ^^.  Ce  jugement  sur  l'ancien  droit  civil 
de  Rome  n'est-il  pas  trop  sévère?  La  solennité  des  pa- 
roles n'est  point  par  elle-même  en  opposition  avec  la 
conscience  :  elle  est  employée  précisément  pour  prévenir 
ou  empêcher  les  erreurs  d'interprétation  ou  les  détours 
de  la  mauvaise  foi.  —  Les  anciens  prudeints  pouvaient 
donner,  dans  leurs  formules,  trop  d'importance  aux  mots 
sacramentels ,  ce  qui  était  plutôt  l'abus  que  l'effet  naturel 
de  la  solennité;  mais  le  droit  primitif  de  Rome  n'était 
point  désarmé  contre  la  fraude.  Cicéron  nous  enseigne , 
d'abord ,  que  le  dol  était  expressément  réprouvé  par  la 
Loi  des  XII  Tables ,  dans  les  engagements  ou  l'exercice 
des  tutelles,  et  par  la  Loi  Laetoria ,  de  l'an  497,  qui  con- 
cernait les  mineurs  de  vingt-cinq  ans ,  et  les  protégeait 
contre  les  fraudes  employées  pour  les  circonvenir^'-^.  De 
plus ,  il  nous  a  transmis  les  formules  de  bonne  foi ,  d'é- 

58  M.  Troplong.  (  Voir  Trailé  de  la  vmle ,  p.  200,  et  Mém.  de  l'In- 
fluence du  Christianisme  sur  le  Droit  romain.  ) 

59  La  date  de  la  loi  Lsetoria  [497],  est  donnée  par  J.  Godefroy.  (  C. 
Th.,  viii.  12.  2.  )  —  La  loi  était  appelée  Quina  Vicennaria par  Plante 
{in  Pseudolo,  act.  i.  se.  3.  v.  69),  parce  qu'elle  regardait  les  mineurs 
de  vingt-cinq  ans. 


160  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

quité,  de  fiducie,  ex  bona  fide,  melius  ^ouius,  l\ter 
BONOS ,  qui  s'ajoutaient  aux  contrats,  et  les  garantissaient 
contre  le  dol  et  les  manœuvres  frauduleuses^".  Une  belle 
et  antique  formule  portait  spécialement  :  «  afin  que  de 

»  vous  NI  DE  VOTRE  FOI  JE  n'ÉPROUVE  AUCUNE  FRAUDE  : 
»  UTI  NE  PROPTER  TE  FIDEMVE  TUAM  CAPTUS  FRAUDA- 

»  TUSOUE  siEM*'*.  »  Si  donc,  d'après  les  Xll  Tables,  il 
suffisait,  dans  la  mancipation  ou  la  stipulation,  d'exé- 
cuter ce  qui  avait  été  formellement  promis,  les  Pru- 
dents y  avaient  bientôt  ajouté  la  garantie  même  des  ré- 
ticences. Les  jugements  concernant  la  mauvaise  foi ,  de 
FIDE  MALA,  étaient  nombreux  ^'^.  C'est  après  avoir  cité 
beaucoup  de  faits  que  Cicéron  exprime  cette  conclusion  : 
«  Pourquoi  tous  ces  exemples?  —  Pour  faire  comprendre 
»  que  NOS  ANCÊTRE,  n'out  jamais  favorisé  l'artifice®^.  » 

Ainsi ,  le  Droit  des  XII  Tables  n'avait  pas  étouffé  la 
justice  et  féquité  sous  la  forme  et  la  parole  solennelle 
du  droit  strict.  L'interprétation  des  Prudents ,  qui  était 
une  partie  du  droit  des  XII  Tables,  avait  écarté  les  plus 
granâs  abus.  L'Édit  du  préteur ,  en  suivant  cet  exemple , 
a  élargi  plus  tard  la  voie  des  rescisions  par  les  restitu- 
tions en  entier*^'. 


GO  Cic,  de  Oiu,  m.  14.  15.  IG. 

61  Cic,  de  Off.,  m.  17.  —  Academ.,  iv.  47. 

62  Inde  tôt  judicia  de  fide  mala.  [Cic,  de  Nal.  Deor.,  m.  30.  ) 

63  Quorsuin  hue  ?  Ut  illud  intelligas  non  placuisse  majobibus  nos- 

TBIS  ASTCTOS.  (  Off.,  lU.  16.  ) 

64  Quidem  plcraque  jure  prœtorio  liberanlur ,  nonnulla  legibus. 
(D.  IV.  1.  2.  Pfiul.  Scni.,  I.  7.  §  1.  ) 


CHAP.   IV.  DROIT  DES  XII  TABLES.  SECT.  IV.        161 

§  4.  —  TBANSPOET  DES  OBLIGATIONS  ET  DES  DROITS  D'hÉRÉDITÉ 
COMPRENANT  DES  CRÉANCES. 

Le  droit  civil  avait  ses  règles  spéciales  sur  le  transport 
des  créances  (nomina).  Les  obligations  ou  créances  ne 
pouvaient,  à  la  différence  des  autres  choses  incorporelles, 
être  transportées  par  la  cessio  in  jure.  Le  moyen  principal 
de  transporter  l'obligation  était  la  novatioin  ,  qui  faisait 
passer  la  créance  d'une  personne  sur  une  autre.  La  no- 
vation  s'accomplissait ,  verbis  ,  au  moyen  de  la  stipula- 
tion. Par  l'ordre  du  créancier  intervenant,  le  tiers  stipu- 
lait directement  du  débiteur,  lequel  était  libéré  à  l'égard 
du  premier  créancier®^.  —  Le  transport  de  la  créance 
se  faisait  aussi,  litteris,  par  délégation  écrite  sur  les 
registres  domestiques  plus  haut  mentionnés.  Lorsque  la 
créance  inscrite  en  faveur  d'une  personne ,  était  portée 
sur  les  registres  comme  devant  être  acquittée  en  faveur 
d'une  autre  personne ,  choisie  par  le  créancier  et  déléguée 
à  cet  effet,  le  transfert  était  accompU^^. 

Le  principe  sur  le  transport  des  obligations  était  suivi 
dans  toute  sa  rigueur,  et  la  logique  du  droit  civil  aimait 
mieux  laisser  périr  la  créance  que  manquer  au  principe 
lui-même.  On  en  trouve  la  preuve  bien  manifeste  à  l'oc- 
casion des  cessions  d'hérédité  légitime  ou  testamentaire. 


65  Jubente  me ut  a  me  liberetur  et  incipiat  tibi  teneri.  {Gains , 

II.  §§  38.  39.  ) 

66  In  nominibus  transcriptitiis  a  persona  in  personam  transcriptio. 
{Gains,  m.  §  138.) 

Plus  tard,  la  délégation  put  n'être  qu'une  indication  de  paiement 
solutionis  causa. 

T.  1.  11 


162  LlV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

Le  droit  d'hérédité ,  comme  chose  incorporelle,  pou- 
vait être  transféré  par  Cessio  in  jure.  Si  la  Cession  d'une 
hérédité  légitime  était  faite  avant  l'adition ,  celui  qui  l'ac- 
ceptait devant  le  magistrat  était  héritier  comme  si  la  loi 
l'avait  appelé  lui-même  à  l'hérédité  ab  intestat  ^"^ .  Il  pro- 
fitait dès  lors  des  créances  comme  des  autres  droits  ou 
hiens  de  la  succession,  —  Mais  si  la  cession  était  faite 
après  l'adition  d'hérédité ,  les  corps  certains  de  l'héré- 
dité passaient  '  au  cessionnaire  comme  si  chaque  objet 
avait  été  particuUèrement  cédé;  les  créances,  au  con- 
traire, {nomina)  restaient  en  dehors  :  elles  n'apparte- 
naient plus  à  l'héritier  qui  avait  transporté  ses  droits  à 
un  autre  ;  et  elles  n'avaient  pu  passer  sur  la  tête  du  ces- 
sionnaire ,  parce  qu'elles  n'étaient  pas  susceptibles  de  ces- 
sion injure  :  elles  périssaient  donc  au  profit  des  débi- 
teurs eux-mêmes ^^.  —  L'héritier  cédant,  qui  ne  pou- 
vait réclamer  activement  les  créances ,  restait  cependant 
SQumis  aux  dettes  de  la  succession,  non  en  vertu  du 
principe,  se3iel  hères  semper  hères,  mais  par  une 
raison  toute  spéciale  :  c'est  qu'il  avait  contracté,  par 
l'adition  d'hérédité,  une  obligation  personnelle  envers 
les  créanciers  héréditaires  ;  et  de  cette  obligation ,  nais- 
sant comme  d'un  contrat  i^quasier  contractu),  il  ne  pou- 
vait s'affranchir  par  la  cession  d'hérédité  :  un  débiteur 


67  Gaius ,  II.  §§  34.  35  :  Hereditas  quoque  in  jurecessionem  tantum 
recipit.  —  Nam  si  is  ad  quem  ab  inleslalo.,  legitimo  jure,  pertinet ,  in 
jure  eam  alii  anle  adilionem  ccdal ,  \à  est  antequam  hères  extiterit  ; 
perinde  fit  hères  is  cui  in  jure  cessent ,  ac  si  ipse  per  legem  ad  heredi- 
tatem  vocatus  esset. 

68  Débita  vero  pereunt  ;  eoque  modo  débiteras  hereditarii  lucrum 
faciunt.  {Gains,  ii.  35,) 


CHAP.  IV.  DROIT  DES  XII  TABLES.  SECT.  IV.        163 

n'est ,  en  effet ,  libéré  d'une  obligation  que  par  le  paie- 
ment ou  par  l'extinction  des  droits  du  créancier,  et  l'hé- 
ritier ne  se  trouvait ,  ici ,  ni  dans  l'un  ni  dans  l'autre 
cas. 

L'hérédité  testamentaire  ne  pouvait  être  l'objet  de  la 
cession  devant  le  magistrat  qu'après  l'adition  d'hérédité. 
Alors  se  produisaient  tous  les  effets  de  la  cession  in  jure  y 
relative  à  l'hérédité  légitime  préalablement  acceptée;  les 
créances  n'étaient  point,  par  conséquent,  transportées  sur 
la  tête  du  cessionnaire,  et  les  débiteurs  héréditaires  se 
trouvaient  libérés ,  non  par  le  paiement ,  mais  par  l'ex- 
tinction des  droits  du  créancier®^. 


§  5,  —  PAIEMENT  ET  LIBÉRATION  DES  OBLIGATIONS. 


Dans  l'obligation  ,  c'est  le  lien  de  droit  et  personnel 
qui  est  le  principe  ;  dans  le  paiement ,  c'est  la  libération 
ou  la  dissolution  du  lien  ,  solutio  "^.  Le  paiement , 
comme  le  dit  excellemment  le  jurisconsulte  -Paul ,  se 
rapporte  plus  à  la  substance  de  l'obligation  qu'à  la  nu- 
mération même  des  espèces  :  magis  ad  substantiam 

OBLIGATIOMS   REFERTUR   OUAM  AD   NUMMORUM    SOLUTIO- 

NEM.  Il  se  rapporte  donc  ,  dans  le  sens  général ,  à  tous 
les  modes  par  lesquels  le  lien  d'une  obligation  peut  être 


69  Gaius ,  II.  §  36  :  Postea  quam  adierit ,  si  cedat,  ea  accidunt  quae 
proxime  diximus  de  eo  ad  queni  ab  intestato ,  legitimo  jure ,  pertinet 
hereditas ,  si  post  obligationem  (  aditionem  )  in  jure  cedat. 

70 Gaius,  m.  §  168  ;  Obligatio  tollitur  solutione. 


164  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

dissous^*.  Ainsi,  dans  le  droit  des  XII  Tables,  l'obliga- 
tion des  débiteurs  héréditaires  s'éteignait  en  certains  cas, 
comme  on  vient  de  le  voir,  par  la  cession  du  droit  d'hé- 
rédité. Ainsi  encore,  l'obligation  s'éteignait  par  un  sim- 
ple changement  opéré  dans  la  personne  civile ,  par  la 
petite  diminution  de  tète,  lorsque  la  femme  suijiiris  et 
débitrice,  passait  en  se  mariant  sous  la  puissance  mari- 
tale, ou  lorsque  le  père  de  famille  débiteur  se  donnait  en 
adrogation.  —  S'il  y  avait  unité  dans  le  principe  de 
l'obligation ,  le  lien  personnel ,  il  y  avait  donc  aussi  unité 
dans  le  principe  de  la  libération,  la  dissolution  du  Hen. 
Un  autre  rapport  existe  :  nous  avons  reconnu ,  sous 
la  Loi  des  XII  Tables ,  plusieurs  formes  d'obligation  ; 
nous  allons  reconnaître  aussi  plusieurs  formes  de  libéra- 
tion qui  leur  étaient  corrélatives,  car  les  obligations  s'étei- 

71  Le  Prés.  Brisson  a  fait  un  savant  traité,  de  Solutionibus  et  de  Li- 
beralionibus ,  en  trois  livres  ;  il  s'attache  à  la  pensée  de  Paul ,  ainsi 
exprimée  (Z>  xlvi.  3.  54.)  :  «  Solutionis  verbuni  pertinet  ad  omnem 
liberationem  quoquo  modo  factam  ;  magisque  ad  substantiam  obliga- 
tionis  refertur  quam  ad  nummorum  solutionem.  »  —  Brisson  dit  à  ce 
sujet  :  «  Quod  sic  plerique  omnes  accipiunt ,  quasi  eamdem  cum  num- 
morum solutione  caeteras  liberationes  habere  potestatem  significet. 
Nam  et  qui  acceptilatione,  delegatione ,  compensatione,  confusione  et 
his  similibus  modis  liberati  sunt ,  velut  solvisse  intelliguntur.  Mihi 
propius  adspicienti ,  aliud  sensisse  Paulus  visus  est ,  nec  tam  effec- 
tum  rei  quam  verborum  vim  potestatemque  spectasse  :  quœ  si  origini 
suse  reddantur,  perspicuum  fiet ,  liberationem  et  solutionem  solo  nonii- 
nis  sono  differre  ,  vim  utriusque  verbi  eamdem  plane  esse  ,  ad  eaque 
omnia  gênera  pertinere  quibus  obligationis  vinculum  quoquomodo 
dissolvilur.  Quod  ipsum  si  solutionis  nomen  obligationi  applices , 
planum  erit.  Quid  enim  aliud  liberatio  est ,  quam  obligationis  solutio  ? 
Et  hoc  nimirum  est  quod  Paulus  ait  :  Magisque  ad  obligationis  sub- 
stantiam quam  ad  nummorum  solutionem.  (Z/arn.  Brissonii  opéra  mi- 
nora, Èdil.  Dielric.  TrckellJ.  C.  Lugdun.  Balavor.  1747.  p.  113.) 


CHAP.  IV.  DROIT  DES  XII  TABLES.  SECT.  IV.         165 

gnent  comme  elles  naissent ,  se  dissolvent  comme  elles  se 
contractent  ;  et  c'est  dans  le  droit  civil  des  XII  Tables  , 
non  moins  que  dans  la  raison  de  l'homme ,  qu'Ulpien  a 
puisé  la  règle  générale  :  «  Rien  n'est  si  naturel  que  de 
dissoudre  un  engagement,  selon  la  manière  même  dont 
il  a  été  formé  ?  Nihil  tam  naiurale  est  quant  eo  génère  quid- 
que  dissolvere  quo  coUigatum  est  »  '*. 

Il  faut  donc  marquer  les  corrélations  de  formes  entre 
les  modes  de  paiement  et  les  modes  d'obligation. 

I.  —  A  la  forme  générale  de  l'obligation  civile ,  par 
les  solennités  de  la  mancipation,  répondait  la  forme  gé- 
nérale de  la  libération  per  œs  et  Jibram,  que  déjà  nous 
avons  précédemment  indiquée.  Cette  forme  de  paiement 
était  employée  toutes  les  fois  que  le  Nexitm  avait  eu  lieu 
per  œs  et  libram;  alors  il  y  avait  nexu  liberatio,  absoiiitio. 
Elle  était  appliquée  encore  lorsque  la  dette  résultait ,  soit 
de  la  sentence  du  juge ,  soit  du  legs  de  quantité,  sous  la 
forme  de  legs  per  damnationem  qui,  dans  le  testament, 
imitait  la  sentence  de  condamnation  contre  l'héritier  : 
Hères  meus  damnas  esto"^^. 

II. — A  la  forme  de  l'obligation  verbale,  la  Stipulation, 
répondait  l'Acceptilation ,  qui  consistait  aussi  dans  la  so~ 

72  D. ,  de  Reg.  Jur. ,  1.  xxxv.  Fere  quibuscumque  modis  obliga- 
mur ,  iisdem  in  contrarium  actis  liberamur.  (i).,  l.  17.  153.  ) 

73  Gaius,  m.  §  173:  Si  quid  eo  nomine  debeatur  quod  per  ces  et  li- 
bram geslum  est^  sive  quod  ex  judicati  causa  debitum  sit.  —  Similiter 
Jegatarius  hœredem  eo  modo  libérât  de  legato  quod  per  damnationem 

relictum  est De  eo  tanien  tantum  potest  hoc  modo  liberari  quod 

pondère ,  numéro  constet  ;  et  ita  si  certum  sit  :  quidam  et  de  eo  quod 
mensura  constat ,  idem  existimant.  (  Gaius,  ni.  175.  ) 


i66  LIV.  I.  — ÉPOQUE  ROMAIKE. 

lennité  de  l'interrogation  et  de  la  réponse'''*.  C'était  une 
forme  qui  pouvait  également  s'appliquer  à  un  paiement 
réel  et  à  un  paiement  fictif'^;  et  toute  espèce  d'obligation, 
ramenée  à  la  forme  de  la  stipulation,  pouvait  être  dissoute 
par  l'acceptilation"'*^.  Elle  éteignait  par  la  parole  l'obliga- 
tion contractée  par  la  parole.  —  De  là  naissait  naturelle- 
ment la  conséquence  que  l'acceptilation  pouvait  être  ap- 
pliquée à  l'extinction  des  obligations  par  serment ,  doc- 
trine enseignée  par  Ulpien'''. — Et  quand  la  stipulation  a 
été  admise  entre  citoyens  et  étrangers,  l'acceptilation  a 
suivi ,  comme  mode  de  libération  commun  au  droit  des 
gens.  C'est  encore  Ulpien  qui  l'enseigne  :  Hoc  jure  uti- 

MUR  UT  JURIS  GENTIUM  SIT  ACCEPTILATIO  '*. 

III.  —  A  la  forme  de  l'obligation  littérale,  contractée 
par  l'inscription  sur  les  registres  domestiques  et  les  livres 
des  banquiers,  répondait  une  forme  littérale  de  libération 
qui  résultait  d'une  mention  sur  ces  mêmes  livres  et  re- 
gistres. A  I'expensum  ou  EXPENSiLATio  répondait  peut- 

74  QUOD  EGO  TIBI  PBOMISI ,  HABES  NE  ACCEPTUM  ?  —  HABEO.  {Gaius, 
III.  §  169.  ) 

Acceptilatio  est  liberatio  per  mutuam  interrogationem  qua  utrius- 
que  contingit  ab  eodem  nexu  absolutio.  —  Acceptilatio  verboruiii  obli- 
gationein  tollit,  quia  et  ipsa  vcrbis  fit.  (D.  xlvi.  4.  1.  Vlp.  ) 

75  Acceptilatione  omni  modo  liberatio  contingit,  licel  pecunia  solula 
WGn«î7.  (D.  XLYI.  4.  19.  §  t.) 

76  Sed  et  id  quod  ex  alia  causa  debeatur  potest  in  stipulationem  de- 
duci  et  per  acceptilatiouem,  imaginariasolutione,  dissolvi.  {Gaius,\n. 
170.  ) 

77  Et  per  jusjurandum  liberti  operarum  interpositam  obligationem 
per  acceptilatiouem  tolli  verius  est.  (Z).  xlvi.  4,  13.) 

78  D.  XLVI.  4.  8.  §4. 


CHAP.  IV.  DROIT  DES  XII  TABLES.  SECT.  IV.         167 

être,  en  langage  technique,  le  dispendium  dont  Varron  a 
présenté  le  rapprochement^'^. 

IV.  — La  novation,  que  nous  avons  déjà  mentionnée 
comme  moyen  de  transporter  les  créances ,  était  aussi  un 
mode  de  libération  applicable  aux  obligations  verbales  et 
littérales.  —  Lorsque,  dans  le  contrat  littéral,  il  y  avait 
changement  apporté  à  la  cause  de  l'obligation  première , 
laquelle  était  transformée  en  prêt  d'argent ,  l'obligation 
première  était  éteinte  ou  transportée  dans  la  seconde,  et 
confondue  avec  elle^".  —  Lorsque,  dans  le  contrat  ver- 
bal, il  y  avait  stipulation  d'un  nouveau  débiteur  à  la  place 
du  premier,  une  nouvelle  obligation  naissait ,  et  la  pre- 
mière était  éteinte^*. 

L'extinction  des  obligations  était  favorable ,  sous  la  Loi 
des  XII  Tables ,  et  la  faveur  de  la  novation  s'étendit  pro- 
gressivement. Si  la  seconde  stipulation  était  inutile  en 
elle-même,  comme  si  l'on  stipulait  d'une  femme,  d'un 
pupille  non  autorisés  par  leur  tuteur,  elle  produisait  ce- 

79  Varro,  de  L.  Lat.,  v.  §  183  :  Ab  eodem  œre  pendendo  dispensator; 

et  in  tabulis  scribimus  expensum et  dispendium  ideo  quod  in 

dispendendo  solet  minus  fieri.  —  Il  est  remarquable  que  Varron,  en 
rapprochant  ainsi  expensum  et  dispendium,  dit  :  Et  in  tabulis  scri- 
Mus.  —  C'était  donc  bien  une  mention  opposée  faite  sur  les  livres 
domestiques.  —  Au  surplus ,  l'expression  expensum  ferre ,  —  expen- 
sum referre ^  est  bien  certaine  pour  exprimer  les  deux  choses.  {Gaius, 
m.  §§  128.  137.) 

80  Veluti  si  id  ,  quod  ex  emptionis  causa,  aut  conductionis ,  aut  so- 
cietatis  mihi  debeas  ,  id  expensum  tibi  tulero.  (  Gaius,  m.  §  129.  ) 

81  Novatione  toUitur  obligatio ,  veluti  si  quod  tu  mihi  debeas  a  Titio 
dari  stipulatus  sim  :  nam  interventu  novae  personœ,  nova  nascitur  obli- 
gatio, et  prima  tollitur  translata  in  posteriorem.  (  Gaius  ^  m.  §  176.) 


]  68  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

pendant  l'effet  d'éteindre  la  première  obligation*^.  Les 
anciens  jurisconsultes  ajoutèrent  qu'en  stipulant  de  la 
personne  obligée  quelque  chose  de  nouveau ,  comme  une 
condition,  un  terme,  un  garant  (sponsor),  il  y  avait  no- 
vation.  Servius  Sulpicius,  contemporain  de  Cicéron,  vou- 
lait qu'il  y  eût  novation,  même  lorsque  l'événement  de  la 
condition  était  encore  incertain  (pendente  conditione),  même 
lorsqu'on  avait  stipulé  d'un  esclave  ;  esprit  de  concession 
excessive ,  qui  succédait  à  l'ancien  système  de  rigueur  en- 
vers les  débiteurs ,  mais  dont  l'exagération  ne  fut  point 
acceptée  par  les  jurisconsultes  de  l'Empire  :  dans  l'un  et 
l'autre  cas,  dit  Gains,  nous  usons  d'un  autre  droit*"'. — 
La  Jurisprudence  postérieure  admit  la  novation  seulement 
lorsque  les  parties  auraient  expressément  déclaré  leur  in- 
tention à  cet  égard  ,  et  laissa  subsister  conjointement  les 
première  et  dernière  obligations**.  Les  rigueurs  Décem- 
virales  contre  les  débiteurs  avaient  cessé  depuis  long- 
temps ;  et  Justinien ,  en  déclarant  ainsi  valables,  simulta- 
nément, deux  obligations  successives,  effaçait  complète- 
ment le  caractère  originel  de  la  Novation  du  droit  civil , 
qui  avait  eu  pour  objet  de  protéger  le  débiteur  contre  les 
conséquences  de  l'obligation  primitive ,  dans  les  liens  de 
laquelle  sa  personne  tout  entière  était  engagée. 

V.  —  La  litiscontestation  et  le  jugement  étaient  aussi 
une  manière  d'éteindre  l'obligation  qui  se  rattachait  à  la 

82  Adeo  ut  interdum ,  licet  posterior  stipulatio  inutilis  sit ,  tamen 
prima  novationis  jure  tollatur.  l  Gains ,  m.  §  176.  ) 

83  Gaius,  III.  §  179.  —  Il  dit,  §  178,  à  l'égard  du  sponsor:  Quodde 
sponsore  dixi  non  constat,  nam  diversœ  scholœ  auctoribus  placuit  nihil 
ad  novationem  proficere  adjectionem  aut  detractionem. 

84  Inst.  Just.  III.  29.  —  C'est  aussi  l'esprit  de  notre  art.  1273  C.  C. 


CHAP.  IV.  DROIT  DES  XII  TABLES.  SECT.  IV.         169 

novation.  —  II  y  avait  novation  dans  la  cause  de  l'obli- 
gation. «  Chez  les  anciens  ,  dit  Gains,  apud  veteres  , 
»  il  est  écrit  qu'avant  la  contestation  en  cause ,  le  débi- 
»  teur  doit  donner  ou  faire  ;  après  la  contestation  ,  il  doit 
»  être  condamné  ;  après  la  condamnation ,  il  doit  faire 
»  ce  qui  est  jugé^^.  »  L'obligation  primitive  est  enlevée 
et  transportée  dans  la  litiscontestation  et  dans  la  chose 
jugée.  Après  le  jugement ,  le  débiteur  est  tenu  ex  causa 
judicati.  Le  jugement  légitime  à  Rome,  sauf  pour  la  com- 
pensation de  plein  droit,  n'a  pas  le  caractère  purement 
déclaratif;  il  éteint  une  obligation  ,  pour  en  créer  une 
nouvelle. 

VL  —  Dans  le  système  de  la  Loi  des  XII  Tables ,  les 
obligations  naissent  d'un  contrat  ou  d'un  délit  :  c'est  la 
division  fondamentale  qui  est  restée  dans  le  droit  avec 
une  subdivision  accessoire  des  obligations  ,  quasi  ex  con- 
tractu,  quasi  ex  delicto.  Les  obligations,  qui  naissent  comme 
d'un  déUt  ou  comme  d'un  contrat ,  supposent  toujours 
qu'elles  ont  pour  principe  un  fait,  et  non  une  conven- 
tion**'. 

L'adition  d'hérédité ,  l'acceptation  d'une  tutelle ,  la 
gestion  des  affaires  d'un  absent,  étaient  des  sources  d'o- 
bUgations  qui  naissaient  comme  d'un  contrat.  —  Dans 


85  Gaius ,  m.  §§  180.  181.  Cela  avait  lieu  in  legilimis  judiciis  ;  les 
autres  jugements  quœ  imperio  contineantur  produisaient  seulement 
l'exception  de  chose  jugée.  (V.  infra,  chap.  v,  sect.  5,  §  5.) 

86  M.  Ducauroy  a  démontré  par  quel  vice  de  langage  et  par  quelle 
confusion  d'idées  on  avait  rais  quasi-conlraclus ,  quasi-deliclum,  à  la 
place  de  quasi  ex  conlraclu  ,  quasi  ex  delicto.  (  Insl.,  lib.  m.  ttt.  27. 
t.  m.  p.  201  et  suiv.  )  , 


170  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

les  textes  de  Gaius,  on  trouve  le  mot  obligation  de  l'héri- 
tier, employé  pom^  signifier  l'adition  d'hérédité ^'^. 

Sous  l'expression  générique  de  délits  étaient  ren- 
fermés tous  les  faits  criminels  ou  dommageables  ;  il  y 
avait  par  conséquent  différentes  classes  de  faits  : 

1°  Les  faits,  auxquels  la  Loi  des  XII  Tables  attachait 
une  peine  publique ,  comme  le  faux  témoignage ,  ou  le 
refus  du  libripens  d'attester  la  mâncipation  ^^  ; 

2"  Les  faits,  auxquels  la  loi  attachait  à  la  fois  une  peine 
publique  et  une  réparation  privée,  comme  l'incendie*^; 

3°  Les  faits ,  dont  le  caractère  emportait  simplement 
action  en  réparation  d'injure  ou  de  dommage ,  injuriœ  vel 
damni  :  ainsi  l'action  d'injure  contre  celui  qui  ayant  fait, 
en  acte  ou  en  parole  ,  une  injure  légère  à  autrui ,  était 
soumis  à  la  peine  pécuniaire  de  25  as  :  ainsi  l'action  en 
dommage  contre  celui  qui ,  ayant  coupé  des  arbres  sur 
la  propriété  d'autrui ,  était  condamné  à  raison  de  25  as 
par  pied  d'arbre  ^^  ; 

4"  Les  faits ,  dont  le  caractère  emportait  réparation  au 
double ,  au  quadruple ,  avec  déshonneur  :  ainsi ,  l'action 
in  ijuadrupium  contre  l'usurier^*  ;  l'action  in  duplum  contre 
le  voleur ,  le  tuteur  suspect ,  le  dépositaire  infidèle  ;  ac- 
tions qui  entraînaient  la  note  d'infamie,  famosœ  actiones^^. 


87  Gaius,  ii.  §  36  :  Si  is  anle  adilionem  cedat posl  obligalionem 

vero  si  cesserit.... 

88  Tab.  vui.  Cic,  Off.  m.  31.  23.  22.  Instit.  de  test,  ordin.,  §  6  , 
improbus,  inleslabilis. 

89  Tab.  VIII.  10.  D.  xlvii.  9.  9.  (Gaius,  adLeg.  xii  Tab.  ) 

90  Tab.  VIII.  11.  4.  Coll.  Leg.  Mosaic.  et  Roman.,  ii.  5. 

91  Tab.  viii.  18.  Furem  dupli  condemnari,  fœneratorem  quadrupli. 

92  D .  i II .  2 . 1 .  2 .  Dp  /us  qui  notanlur  infamia .  L .  7 .  Licel  famosœ  sint. 


CHAP.  IV.  DROIT  DES  XII  TABLE-.  SECT.  IV.         171 

5"  Les  faits  ou  actes  préjudiciables,  dont  la  responsa- 
bilité civile  retombait  sur  un  citoyen,  formaient  une 
dernière  classe  pour  laquelle  la  loi  avait  créé  une  action 
en  dommage,  qualifiée  généralement  d'aclion  noxale , 
soit  que  le  dommage  fût  causé  par  un  être  inintelligent , 
si  quadrupes  pauperiem  fecerit  '^^  ,  soit  qu'il  résultât  des 
maléfices  de  l'esclave  ou  du  fils  de  famille.  La  consé- 
quence de  l'action  noxale  était  l'abandon  de  l'animal  qui 
avait  nui ,  de  l'esclave  ou  du  fils  de  famille  qui  avait  fait 
injure ,  à  moins  que  le  maître  ou  le  père  n'aimât  mieux 
payer  l'estimation  du  litige.  —  La  chose  et  l'esclave 
abandonnés  devenaient  la  propriété  du  plaignant;  le 
fils  de  famille ,  livré  pour  cause  noxale ,  tombait  in  man- 
cipio,  sous  la  puissance  dominicale  de  ce  dernier^*. 

SECTION  V. 

INSTITUTIONS   ET    ACTIONS    JUDICIAIRES. 


SOMMAIRE. 

Caractère  primitif.  —  Renvoi  à  la  2^  'période. 


Du  temps  des  Rois,  jusqu'à  Servius  Tullius,  tout  le 
pouvoir  judiciaire,  en  matière  civile,  était  concentré  dans 
les  mains  du  chef  de  l'Etat.  Il  prononçait  sur  le  droit  et 

93  Si  quadrupes  pauperiem  fecisse  dicetur,  actio  ex  Lege  XII  Tabu- 
larum  descendit ,  quœ  lex  voluit  aut  dari  id  quod  nocuit ,  id  est ,  id 
animal  quod  noxiam  commisit  ;  aut  œstimationem  noxiae  offerre. 
(Z).  IX.  1.  prœm.  Ulp.  ) 

94  Gains ,  iv.  §§  75.  79  :  Ex  malellciis,  veluti  si  furlum,  aut  inju- 
Wam  commiserunt....  —  Filius  familias  ex  noxali  causa  in  mancipio 
datur. 


172  LIV.  I.  — ÉPOQUE  ROMAINE. 

sur  le  fait.  «  Nul  particulier,  dit  Cicéron  ,  n'était  le  juge 
ou  l'arbitre  du  litige,  mais  toutes  choses  étaient  sou- 
mises au  jugement  royal  * .  »  Servius  TuUius  institua  des 
juges,  qui  prirent  plus  tard  le  nom  célèbre  de  Centum- 
virs. 

Sous  la  République,  les  Consuls,  alternativement^,  et 
depuis  l'institution  prétorienne,  le  Préteur  de  la  Ville, 
plus  tard  celui  des  Étrangers ,  furent  investis  de  la  ju- 
ridiction^ :  la  jURiSDiCTio  était  le  pouvoir  du  magis- 
trat de  dire  le  droit  et  de  donner  le  juge  aux  parties, 
selon  la  nature  de  la  cause '^. 

Les  fragments  de  la  Loi  des  XII  Tables  et  plusieurs 
passages  de  Cicéron  ne  laissent  pas  de  doute  sur  cette 
séparation  fondamentale  du  magistrat  et  du  juge ,  du 
JUS  et  du  jUDiciUM.  La  Loi  ordonnait  de  remettre  le  jour 
du  jugement  en  cas  de  maladie  grave  dn  juge,  de  Y  arbitre 
ou  du  défendeur^.  —  Cicéron  dit  :  «  Nos  ancêtres  ont 
»  VOULU  que ,  non  seulement  pour  les  questions  qui  tou- 
»  chent  à  la  considération  du  citoyen ,  mais  même  pour 
»  les  moindres  questions  d'intérêt  pécuniaire ,  nul  ne  fût 

1  Nec  vero  quisquam  privatus  erat  disceptator  aut  arbiter  litis ,  sed 
omnia  conficiebantur  judiciis  regiis.  (  De  Rep.,  v.  2.  ) 

2  Sigonius ,  parlant  des  consuls  ,  dit  :  Sane  intelligi  potest  duo  eo- 
rum  fuisse  imperia ,  unum  civile  ,  alterum  mililare.  (  De  usu  legis  Cu- 
rialœ  ,  Hislor.  Bononiensis  ,  p.  877.  ) 

SPomponius,  Orig.,  §27  :  Quumque  consules  avocarentur  bellis 
finitimis  ,  neque  esset  qui  in  civilate  jus  reddere  posset ,  factum  est 
ut  prœtor  quoque crearetur,  qui  urbanus  appellatus  est,  quod  in  urbe 
jus  dicebat. 

4  Jus  dicere ,  judicium  dare. 

5  Morbus  sonticus ,  status  dies  cum  hoste ,  quid  horum  fuit  unum  , 
jDDici  ABBiTBOVE  REOVE,  dies  diffisus  esto.  {Cic,  Off.,  I.  12.— Aulu- 
GelL,  XX.  1.) 


CHAP.  IV.  DROIT  DES  XII  TABLES.  SECT.  IV.         173 

»  juge  s'il  n'avait  été  agréé  par  les  parties  adverses^.  » — 
C'est  donc  sans  aucun  fondement  que  deux  historiens  du 
droit,  Bach  et  G.  Hugo,  ont  allégué  que,  sous  la  Loi 
des  XII  Tables ,  on  ne  connaissait  pas  les  pouvoirs  dis- 
tincts de  diriger  la  conduite  de  l'action  et  d'apprécier  les 
faits  ou  les  moyens". 

Tout  système  judiciaire  comprend  trois  parties  essen- 
tielles : 

L'organisation , 

La  compétence , 

La  procédure. 

Le  système  établi  en  vertu  des  XII  Tables  satisfait  à 
cette  triple  condition.  —  Le  principe  d'uNiTÉ  que  nous 
avons  constaté  dans  la  Cité,  la  famille,  la  propriété, 
l'obligation,  se  retrouvait  encore  dans  la  sphère  judi- 
ciaire; là,  toutefois,  il  s'associait  nécessairement  avec  la 
diversité,  qui  tient  à  la  nature  des  choses  ;  il  y  avait  unité 
dans  le  pouvoir  du  Magistrat;  mais  il  y  avait  diversité 
dans  les  actions,  selon  leur  objet ,  et  diversité  dans  la  com- 
pétence des  tribunaux  ou  des  juges,  selon  la  nature  des 
actions.  — Il  y  avait  unité  dans  le  principe  de  droit  public 
qui  fondait  la  séparation  du  jus  et  du  judicium,  et  con- 
stituait les  jugements  ordinaires  ;  mais  à  ce  principe  géné- 
ral venait  se  joindre  l'exception  des  jugements  exiraordi- 

6  Neminem  volueruut  majores  nostri  non  modo  de  existimatione  cu- 
jusquam,  sed  ne  pecuniaria  quidem  de  re  minima  esse  judicem,  nisi 
qui  inler  adversarios  convenisset.  {Pro  Cluentio,  cap.  43.)  —  C'était 
ce  qu'on  appelait  sumere  judicem.  {Pro  Flacco,  21.  ) 

7  Aug.  Bachius  ,  Hist.  jurisp.  rom.,  lib.  ii.  cap.  1.  §  25 ,  cite  le  ju- 
gement de  Virginie  sous  les  décemvirs. —  G.  Hugo,  Hist.  D.R.,§  146, 
adopte  l'avis,  rejette  l'exemple  et  ne  met  rien  à  la  place. 


-174  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAIINE. 

naires ,  où  le  magistrat  statuait  directement  sur  le  tout**. 
—  La  procédure  des  actions  de  la  loi  reposait  générale- 
ment sur  la  distinction  des  formes  à  suivre  injure  et  in 
judicio  ;  mais  à  cette  procédure  d'un  caractère  définitif 
venait  aussi  se  joindre  celle  sur  la  possession  '^,  qui  avait 
besoin  d'une  solution  immédiate,  provisionnelle,  et  qui 
la  recevait  du  Magistrat. 

Les  institutions  judiciaires  et  les  actions,  sous  le  Droit 
des  XII  Tables,  formaient  un  système  complet.  Des  ju- 
risconsultes historiens  n'y  ont  vu  long-temps ,  et  même 
de  nos  jours,  qu'obscurité  et  confusion.  En  coordonnant 
avec  soin  les  textes  nouvellement  découverts  et  les  frag- 
ments épars  dans  les  monuments  et  les  écrivains  de  l'an- 
tiquité, on  peut  retrouver  la  lumière.  Mais  le  lien  entre 
le  Droit  prétorien  et  le  Droit  des  XII  Tables ,  surtout  à 
l'égard  des  formules  et  de  certains  interdits  possessoires  y 
est  trop  intime ,  pour  que  l'histoire  du  droit  puisse  scin- 
der en  deux  périodes  l'exposition  du  système  judiciaire. 
C'est  une  vue  d'ensemble  que  nous  devons  renvoyer  à  la 
fin  de  la  deuxième  Période,  ou  du  Droit  prétorien. 

La  rigueur  de  la  chronologie  doit  céder,  ici,  à  la  néces- 
sité de  l'ordre  logique.  Il  faut  placer,  en  regard  des  an- 
ciennes formules  et  des  actions  de  la  Loi ,  les  modifica- 
tions et  les  développements  apportés  par  l'usage  et  par 
les  Édits  du  Préteur.  La  Loi  des  XII  Tables ,  à  la  vérité, 
est  le  fonds  sur  lequel  s'est  élevée  la  procédure  préto- 
rienne ;  mais  l'institution  accessoire  ou  dérivée  est  tel- 
lement grande  qu'on  doit  ajourner,  au  temps  où  elle 
apparaît,  l'exposition  même  de  l'institution  primitive. 

8  Judicia  ordinaria ,  Judicia  extraordinaria. 

9  Lis  Vindiciaruni.  (Voir  infra ,  chap.  v.  sect.  v.  §  2.  n»  3.) 


CHAPITRE  V. 
DROIT  PRÉTOPaEN. 


(  2e  PÉRIODE  DE  l'Époque  romaine.  ) 

Jus  praetoriurn  pars  est  Joris  civilis  geueraliler 
sumpti.  (ViNNius,  Iiiât.  Coinui.,  m.  ili.  §  1.) 


OBSEllVATlOKS  PRÉLIMINAIRES. 

î.  — UNION  DU  DROIT  PRÉTORIEN,  DU  DROIT  NON-ÉCRIT  ET  DES  LOIS 
SPÉCIALES  VERS  UN   BUT  COMMUN, 

Nous  réunissons  ici  trois  éléments  distincts  :  le  Droit 
non-écrit ,  les  Lois  spéciales ,  le  Droit  prétorien  * . 

L'interprétation  des  Prudents  avait ,  dès  l'origine ,  ac- 
compagné la  Loi  des  XII  Tables.  —  Mais ,  dans  cette  se- 
conde période ,  le  Droit  non-écrit  a  reçu  une  nouvelle 
impulsion  de  l'institution  même  du  Préteur ,  et  surtout 
du  Préteur  des  étrangers.  Les  rapports  fréquents  qui  s'é- 
tablirent ,  aux  v^  et  vi^  siècles ,  entre  les  Romains  et  les 
autres  nations ,  ainsi  que  l'affluence  des  étrangers  à  Ro- 
me ,  ouvrirent  de  nouvelles  sources  d'idées ,  de  relations, 
de  droits  et  d'obligations.  Le  droit  non-écrit  devint,  dans 
le  droit  civil,  un  élément  actif.  C'est  lui,  par  exemple,  qui 

1  En  langage  technique. —  Jus  non  scriptum,  vel  interpretatio  pru- 
dentum,  vel  disputatio  fori.  — Leges,  et  plébiscita.  —  Jus  prœtorium, 
vel  Jus  honorarium ,  vel  Edicta  magistratuum. 


176  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

introduisit  la  classe  des  contrats  consensuels  et  des  ac- 
tions directes  qui  en  dérivent.  —  De  même,  plusieurs 
lois  émanées  des  Comices  par  centuries  et  des  Comices  par 
tribus  portèrent  sur  des  objets  du  droit  civil.  Les  Tribuns 
surtout  provoquèrent  des  plébiscites  pour  abroger,  mo- 
difier ou  étendre  certaines  dispositions  des  XII  Tables. 
Depuis  la  loi  Hortensia ,  sur  le  caractère  généralement 
obligatoire  des  Plébiscites ,  ces  lois  prirent  dans  le  droit 
civil  une  place  importante  ;  elles  furent  nombreuses  ;  et 
Cicéron ,  admirateur  de  la  Loi  des  XII  Tables,  faisait 
dire  à  Antoine ,  peu  favorable  au  droit  civil  :  «  Ne 
»  voyez-vous  pas  que  les  anciennes  lois  ou  sont  affaiblies 
»  par  leur  vétusté ,  ou  sont  abrogées  par  des  lois  nou- 
»  velles  -  ?  »  Ainsi ,  à  côté  du  droit  des  XII  Tables ,  et 
concurremment  avec  le  Droit  prétorien,  se  dévelop- 
paient le  Droit  non-écrit  et  les  Lois  spéciales.  Mais  c'est  le 
DROIT  PRÉTORIEN  qui  a  domiué  le  mouvement  général  de 
cette  seconde  Période  et  marqué  principalement  son  but. 

Il  se  faisait  alors ,  dans  le  droit  de  la  République ,  un 
travail  fécond  ,  dont  Cicéron  a  déterminé  le  caractère 
avec  un  '  précision  bien  remarquable.  On  peut  dire  que  la 
pensée  de  la  Période  nouvelle ,  qui  s'ouvre  devant  nous , 
'  est  tout  entière  dans  ce  passage  des  offices  :  «  Il  est  une 
»  société ,  la  plus  vaste  de  toutes ,  celle  qui  unit  généra- 
»  lement  les  hommes  entre  eux  ;  il  est  une  société  plus 
»  restreinte  qui  unit  les  hommes  de  la  même  nation  ;  il 
»  en  est  une  plus  restreinte  encore  qui  unit  les  membres 

2  Cic,  DE  ORA.T.  I.  58  :  «  Non  vides,  veteres  leges  aut  ipsa  sua  ve- 
tustate  consenuisse ,  aut  novis  legibus  esse  sublatas?  » 


CHAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEN.  OBSERV.  PRÉLIM.  I.  177 

»  d'une  même  cité.  Aussi  nos  ancêtres  ont  voulu  qu'autre 
»  chose  fût  le  droit  des  gens ,  autre  chose  le  droit  civil. 
»  Ce  qui  est  droit  civil  ne  doit  pas  devenir  aussitôt  droit 
»  des  gens  ;  mais  ce  qui  est  du  droit  des  gens  doit  de- 
»  venir  droit  civil  :  Quod  Civile  non  idem  continuo  Gen- 
»  fium;  quod  autem  gentium,  idem  CIVILE  esse  débet  ^.  » 

Tel ,  en  effet,  dans  Rome,  s'est  accompU  le  mouvement 
historique.  Le  droit  civil  et  le  droit  des  gens  ont  été  com- 
plètement distincts  dans  la  première  période  de  la  cité 
romaine;  mais  les  relations  de  Rome  se  sont  étendues  et 
multipliées  au  dehors  ;  les  coutumes ,  les  mœurs  géné- 
rales des  nations  étrangères  ont  passé,  du  moins  en  par- 
tie, dans  le  droit  de  la  cité  pendant  la  seconde  période 
de  la  République;  et  réciproquement,  des  institutions  du 
droit  civil  sont  devenues  du  droit  des  gens ,  c'est-à-dire 
sont  devenues  communes  aux  nations.  Le  droit  non-écrit 
sous  l'influence  des  Jurisconsultes,  les  lois  et  les  plébis- 
cites sous  l'influence  des  Consuls  et  des  Tribuns,  et  sur- 
tout les  édits  du  Préteur  de  la  ville  et  du  Préteur  des 
étrangers ,  ont  concouru  à  ce  grand  résultat  :  l'introduc- 
tion du  DROIT  DES  gens  daus  le  droit  civil  de  Rome*. 


3  Cic,  Off.  III.  17.  éd.  Leclerc ,  t.  xxvii.  p.  584  :  «  Societas  enim  est 
»  latissime  quidem  quae  pateat  horninum  inter  homines  :  interior  eo- 
»rum,  qui  ejusdem  gentis  sunt;propior  eorum,  qui  ejusdem  civi- 
»  tatis.  Itaque  Majores  aliud  jus  gentium,  aliud  jus  civile  esse  volue- 
»  runt.  Quod  civile ,  non  idem  continuo  gentium  ;  quod  autem  gen- 
»  tium ,  idem  civile  esse  débet.  » 

La  fin  du  passage  appartient  à  un  autre  ordre  d'idées ,  et  nous  la 
rappellerons  au  chapitre  sur  la  Philosophie  du  droit.  [Infra.,  ch.  vn. 

4  Ulpien  a  dit  :  Cum  aliquid  addimus ,  detrahimus  juri  communi , 
jus  proprium ,  id  est  civile  efficimus.  (  D.  i.  1.  6.  ) 

Le  droit  civil  de  Rome ,  par  réciprocité ,  s'est  étendu ,  en  certains 

T.  I.  12 


478  LIV.  1.   —  ÉPOQUE   ROMAINE. 

IL  _  ORIGINE  ET  CONSTITLTION  DU  DROIT  PRÉTORIEN, 

Quelle  est  la  source  du  Droit  prétorien?  Est -il  né 
d'un  pouvoir  légitime?  —  En  quel  temps  devint-il  un 
droit  distinct  et  reconnu  dans  la  cité?  —  Ces  questions 
sont  à  résoudre,  avant  de  suivre  l'action  du  droit  préto- 
rien sur  le  droit  des  XII  Tables. 

I.  —  Le  Préteur  est  le  gardien  du  droit  civil,  disait 
Cicéron.  —  Le  Droit  honoraire  est  la  vive  voix  du  droit 
civil,  disait  un  jurisconsulte  des  Pandectes^. 

«Le  Droit  prétorien,  dit  Papinien,  est  celui  que  les 
«Préteurs  ont  introduit  pour  aider,  suppléer  et  corriger 
»le  Droit  civil ,  en  vue  de  l'utilité  publique  :  Adjuvandi , 
TDvel  supplendi ,  vel  corrigendi  juris  civilis  gratia^ . 

»Le  Préteur,  disaient  Paul  et  Ulpien ,  ne  protège  per- 
»  sonne  contre  une  prohibition  expresse  ou  une  disposi- 
»tion  formelle  de  la  loi  '^.  » 

cas ,  au  droit  des  gens  ;  nous  citerons  pour  exemples  :  la  stipulation 
et  l'acceptilation ,  qui ,  parties  du  droit  civil ,  ont  été  applicables  aux 
étrangers ,  et  sont  devenues  du  droit  des  gens  ;  les  fidéicommis ,  qui 
furent  d'abord  un  moyen  du  droit  civil  de  faire  passer  des  successions 
aux  étrangers.  —  Théophile ,  suivant  cette  idée  ,  va  jusqu'à  dire  que 
les  testaments  sont  devenus  du  droit  des  gens  :  Ut  contractus,  ut  dona- 
liones  fiant....,  ut  lestamenta  conscribanlur.  {Théoph. ,  Inslit.,  éd.  Dou- 
jat.,  I.  2.) 

5  Juris  civilis  custos.  (  Cic.,  de  Leg.  m.  3.  —  Viva  vox  juris  civilis. 
(D.  I.  1.  8.  Marcianus.) 

6  Jus  prœtorium  est  quod  prsetores  introduxerunt  adjuvandi ,  vel 
supplendi,  vel  corrigendi  juris  civilis  gratia ,  propter  utilitatem  publi- 
cam.  (D.  I.  1.  7.) 

7  Si  res  talis  sit  ut  eam  Lex  aut  Constitutio  alienari  prohibeat ,  eo 


CHAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEN.  OBSERV.  PRÉLIM.  11.  179 

Être  le  Gardien  et  l'organe  du  droit  civil ,  suppléer  à 
son  silence  et  corriger  la  rigueur  de  la  Loi ,  sans  pou- 
voir abroger  une  disposition  ou  une  prohibition  for- 
melle :  tel  était  donc  le  double  objet  du  droit  prétorien. 
Il  alliait  le  respect  de  la  Loi  fondamentale  avec  la  né- 
cessité de  pourvoir  aux  besoins  nouveaux  de  la  société  ; 
en  lui  se  réalisait  l'union  des  deux  principes  qui  font  la 
vie  des  sociétés,  savoir,  la  conservation  et  le  progrès. 
a  Cette  législation  annuelle,  dit  très-bien  M.  Ducaurroi, 
«avait  l'immense  avantage  de  suivre  facilement  les  pro- 
»grès  de  la  civilisation ,  et  de  s'adapter  aux  mœurs  qui, 
«ens'éloignant  peu  à  peu  de  l'ancienne  rigidité,  contrai- 
»gnaient  les  magistrats  à  n'appliquer  l'ancien  droit  qu'a- 
»vec  les  modifications  nécessitées  par  des  besoins  et  des 
«rapports  nouveaux^.  » 

Le  droit  des  Préteurs  venait-il  de  l'usurpation ,  comme 
l'a  dit  CuJAS?  —  Si  cela  était  vrai,  en  soi,  il  faudrait  du 
moins  reconnaître,  avec  Vinnius,  que  l'usurpation  a  été 
confirmée  par  le  consentement  tacite  du  peuple^.  Mais 
le  fait  même  de  l'usurpation  répugne  à  l'idée  d'une  ma- 
gistrature née  dans  les  beaux  jours  de  la  République  et 
constamment  honorée. 

Le  peuple  romain  avait  la  souveraineté ,  le  pouvoir  de 

casu  Publiciana  non  competit;  quia  his  casibus  neniinem  prsetor  tuetur 
ne  contra  leges  facial.  (  D.  vi.  2.  12.  §  4.  )  (  Paul.  ) 

Ubicumque  lex ,  vel  senatus ,  vel  constitutio  capere  haereditatem 
prohibet ,  et  bonorum  possessio  cessai.  {D.  xxxvii.  1.  12-  §  1.)  {Ulpien.) 

8  Institutes  de  Justinien  nouvellement  expliquées.  (  Tom.  i.  p.  52.  ) 

9  Cujas  ad  Instit.  —  Vinnius  ,  Insiii.  i.  2.  §  7. 

«  Progressu  autem  temporis ,  non  obnilenle  populo ,  hoc  simul  usur- 
«  passe ,  ut  edicendo  etiam  jus  constituèrent.  » 


480  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

faire  la  loi  et  d'ordonner,  qualifié  potestas,  imperium. 
Il  déléguait  annuellement  une  partie  de  son  pouvoir  aux 
Préteurs  et  à  d'autres  magistrats  majores  ,  nommés  dans 
les  Comices  par  centuries ,  et  qui  recevaient  d'eux  le  pou- 
voir, POTESTAS.  —  Le  Sénat ,  qui  avait  le  gouvernement 
politique ,  la  haute  administration ,  et  qui  ne  tenait  pas 
son  existence  des  suffrages  du  peuple ,  n'avait  point  po- 
testas ,  mais  AUCTORITAS  ^^. 

Les  mots  potestas,  imperium  sont  attachés ,  dans  la 
langue  du  droit  public  romain ,  à  la  souveraineté  exercée 
ou  déléguée  ;  le  mot  auctoritas  se  rapporte  à  l'exécu- 
tion ,  à  l'administration  (distinction  qui  devrait  être  con- 
servée dans  la  langue  du  droit  moderne.) 

Le  Préteur,  par  le  pouvoir  à  lui  délégué  dans  les  comi- 
ces,-avait  le  Droit  et  le  devoir,  à  l'entrée  de  sa  magistra- 
ture ,  de  faire  un  Edit  ou  de  déclarer  les  règles  qu'il  sui- 
vrait et  auxquelles  devraient  se  conformer  les  citoyens". 
En  exerçant  cette  prérogative ,  il  participait  à  la  souverai- 

10  Le  savant  président  Brisson ,  dans  son  ouvrage  de  Formulis 
pop.  rom.  (lib.  ii.  art.  2.  p.  120,  édil.  Leipsick,  1731  )  a  fait  la  dis- 
tinction,  avec  Cicéron  et  Tite-Live  :  «  Etquidem  auctoritas  erat  in  se- 
natu,  et  po<e*<as  in  populo.  »  —  Cicéron  (de  Leg.,  ii.  12)  présente 
de  fréquentes  applications  de  summum  imperium,  summa  potestas, 
d'une  part  ;  et ,  d'autre  part ,  il  dit  :  Auctoritas  optimatura  ,  auctori- 
tas augurum. 

Cuj as  a  fait  une  dissertation  approfondie  sur  V imperium.  {Quœst. 
papin.,  ad  leg.  i,  de  Off.  oui  mand.) 

11  Les  Édiles  Curuies  avaient  le  droit  de  proposer  aussi  des  édits  à 
l'entrée  de  leurs  fonctions ,  mais  des  édits  spéciaux  à  leur  charge. 
{Inst.,  I.  2.  §  1.) 

Et  magistratus  jura  reddebant,  et  ut  scirent  cives  quod  jus  de  qua- 
que  re  quisque  dicturus  esset,  seque  prœmuniret ,  Edicta  proponebant. 
(D. ,  I.  2.  10.  Pomp.  ) 


CHAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEN.  OBSERV.  PRÉLIM.  II.  181 

neté.  Il  n'avait  pas  le  pouvoir  de  faire  une  loi  proprement 
dite ,  condere  legem ,  mais  de  faire  un  édit  ayant ,  aux  yeux 
du  peuple,  force  de  loi,  vlm  legis^^.  Dire  qu'il  a  usurpé 
son  action  sur  le  droit  civil ,  ce  serait  dire  qu'il  n'avait 
pas  le  droit  de  faire  des  Edits,  et  nier  les  textes  les  plus 
positifs.  «  Au  début  de  sa  magistrature ,  dit  Cicéron ,  le 
»  Préteur  montait  à  la  tribune  aux  harangues  pour  déclarer 
»  le  droit  qu'il  observerait  en  rendant  la  justice*^.  »  C'est 
dans  ce  moment  solennel  qu'il  avait  le  pouvoir,  potestas, 
pour  un  but  d'utilité  publique.  Ensuite  le  préteur,  dans 
l'exercice  ordinaire  de  sa  charge  annuelle,  avait  seule- 
ment imperium  mixlum ,  c'est-à-dire ,  selon  la  remarque 
de  Cujas,  l'empire  mêlé  à  la  juridiction**. 

Cette  participation  à  la  souveraineté ,  par  la  confection 
de  l'Édit,  était  si  bien  le  vrai  caractère  du  pouvoir  du  Pré- 
teur, que  l'Edit,  considéré  dans  ses  effets  par  rapport  à  la 
société,  était  généralement  appelé,  du  temps  de  Cicéron, 
Loi  ANNUELLE,  etqu'Ulpien  lui  donnait  encore  la  quali- 
fication de  Loi*^.  Mais  si  l'édit  a  force  de  loi,  c'est  sans 

12  Dans  l'ancienne  école  de  nos  jurisconsultes ,  Paul  de  Castres 
disait  très-bien  :  Praetor  non  habet  potestatem  legem  condendi 
PEE  PBius  (  a  priori  ) ,  licet  ejus  edicta  habebant  vim  legis  ,  quia 
recipiebantur  a  populo.  —  FachinjEUS,  Controv.  ,lib.xiii.  cap.  29,  a 
présenté  le  résumé  de  toute  l'ancienne  école  sur  ce  point  de  controverse. 

13  Cic,  de  Finibus,  lib.  ii.  22  :  Quum  magistratum  inieris  et  in 
concionem  ascenderis,  est  tibi  edicendum  qusesis  observaturus  injure 
dicendo.  —  Il  distingue  ensuite  ce  qui  se  fait  injudicio. 

14  Cujas,  Quaest.  papin.,  ad  legem  i ,  de  Off.  oui  mand.  —  Impe- 
rium mixtum ,  id  est ,  juridictioni  immixtum. 

15  Qui plurinium  tribuunt  edicto  legem  annuam  dicunt  esse.  {Cic,  in 
Verr. ,  i.  cap.  42.  )  Ulpien,  ad  edicl. ,  sur  la  possession  unde  cognati^ 
dit  :  Pertinet  autem  h^ec  lex  ad  cognationes  non  serviles.  (D.  xxxviii . 
8.  1.  §2.) 


182  LIV.    I.    —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

doute  parce  que  celui  qui  le  fait  et  le  promulgue  repré- 
sente, en  ce  moment,  la  souveraineté  du  peuple  romain  ; 
c'est  parce  que  le  pouvoir  du  Préteur,  selon  la  juste  ob- 
servation de  G.  Hugo ,  est  alors  une  des  branches  du 
pouvoir  souverain*^. 

L'Edit  de  chaque  Préteur ,  à  la  vérité ,  n'était  qu'une 
Loi  annuelle,  temporaire,  et  ne  durait  pas  plus,  comme 
loi  obligatoire,  que  le  pouvoir  du  magistrat;  mais  l'in- 
stitution subsistait  toujours,  et  quelque  chose  restait  par  ^ 
la  force  même  de  l'institution  prétorienne  :  c'étaient  les 
principes  traditionnels.  La  Loi  qui  expirait  chaque  année 
transmettait  à  la  Loi  subséquente  les  principes  reçus  des 
Èdits  antérieurs;  et  c'est  ainsi  que  les  Édits  des  magis- 
trats ,  sous  le  nom  de  Droit  honoraire  ou  prétorien,  sont 
devenus  une  partie  du  Droit  romain. 

Mais  quand  ce  résultat  s'est-il  produit  dans  l'histoire? 

IL  —  Les  Edits  prétoriens  n'ont  pu  constituer  un 
droit  distinct  de  la  Loi  des  XII  Tables ,  que  par  un  en- 
semble de  principes  et  de  dispositions ,  que  par  une  tradi- 
tion continuée  assez  long-temps  pour  former  un  corps  de 
doctrine.  La  Préture ,  créée  en  387,  et  d'abord  exclusi- 
vement exercée  par  les  patriciens ,  devint  commune  aux 
deux  Ordres,  au  commencement  du  v^  siècle  [446].  Le 

16  Hugo  n'en  parle  cependant  que  per  transennam  :  «  Ce  droit,  dit- 
»  il ,  était  considéré  comme  une  des  branches  principales  du  pouvoir 
»  suprême  ,  de  Vimperitim.  »  { Hist.  du  D.  R.  i.  §  146.  ) 

M.  Touiller  (  t.  vu.  p.  523),  dit ,  incidemment  à  la  question  des  nul- 
lilés  de  droit  et  des  reslUulions  :  «  Les  préteurs  exerçaient  la  puis- 
»  sance  judiciaire ,  et  même  la  puissance  législative,  au  moyen  des  èdits 
»  qu'ils  publiaient  en  entrant  dans  les  fonctions  de  leur  magistrature.  » 
—  La  doctrine  sur  la  puissance  législative  du  préteur  est  donc  formel- 
lement reconnue  par  notre  savant  Jurisconsulte. 


CHAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEN.  OBSERV.  PRÉLIM.  II.  183 

Préteur  des  étrangers  ,  qui  eut  le  droit  de  publier  un 
édit  comme  le  Préteur  urbain,  fut  institué  l'an  507,  se- 
lon la  date  donnée  par  Lydus ,  de  magistratibus  ^"^ .  Au 
vi^  siècle,  le  Droit  prétorien  avait  déjà  puissamment  ma- 
nifesté son  influence.  Plante ,  qui  écrivait  pendant  ce 
siècle ,  disait  ouvertement  que  les  Préteurs  avaient  sou- 
mis les  lois  à  leur  pouvoir ^^.  -7-  Dans  les  édits  annuels, 
il  y  avait  des  dispositions  qui  passaient  toujours  de  l'Edit 
ancien  à  l'Edit  nouveau.  Cette  partie  était  appelée  Edic- 
tiim  translatitium.  C'est  ce  fonds  commun  à  tous  les  édits 
qui  constituait  vraiment  le  Droit  prétorien  ;  et  pour  dé- 
terminer à  quelle  époque  ce  résultat  apparaît  dans  l'his- 
toire ,  Cicéron  doit  nous  servir  principalement  de  guide. 
Dans  sa  seconde  Action  contre  Verres ,  qui  remonte  à 
l'an  682 ,  l'orateur  dit  :  «  Depuis  que  le  Droit  prétorien 
»a  été  constitué,  nous  avons  toujours  usé  de  ce  droit, 
»  savoir....  »  Et  bientôt  il  ajoute  :  «  Dans  une  chose  si 
»  usitée ,  il  suflît  de  montrer  que  tous  les  préteurs  ont 
»  ainsi  dit  le  droit,  que  c'est  là  l'Edit  ancien  et  tradition- 
»  nel^^.  »  —  Le  Droit  prétorien ,  d'après  ce  langage,  était 
donc  constitué  ;  il  avait  une  existence  à  part  et  reconnue, 
même  avant  cette  époque.  Pomponius  nous  apprend  que 

17  De  Magistratibus  Reipublic^  romande,  grec.-lat.,  1812,  et 
Fragm.  ex  Codd.  reg.,  1823.  Jusqu'à  cette  publication,  la  date  de  l'an 
488  était  reçue  dans  l'histoire.  Lydus ,  officier  du  palais  impérial,  vi- 
vait au  v«  siècle  de  l'ère  chrétienne.  —  Surl'édit  du  préteur  des  étran- 
gers, Cic,  Ep.  famil.  xiii.  59.  —  Théoph. ,  Instit.  i.  tit.  2. 

18  Perduxerunt  leges  in  potestatem  suam.  (Plaute  mourut  en  569.) 
19.  Cic.  in  Verr. ,  actio  11.  lib.  1.  cap.  44. 

«  Posteaquam  jH.?  prœfor non  constilutum  est ,  semper  hoc  jure  usi 

sumus sed  inre  tam  usitata,  satis  est  ostendere  omnes,  antea  jus 

itadixisse  et  hoc  vêtus  edictum  translatUiumque  esse. 


184  LIV.  I.   —  ÉPOQUE  ROMAL\E. 

le  jurisconsulte  Servius  avait  écrit  et  adressé  à  Brutus 
deux  livres  très-brefs  sur  l'édit ,  et  que  le  jurisconsulte 
Ofilius ,  l'ami  intime  de  Jules  César ,  avait ,  le  premier , 
méthodiquement  disposé  l'édit  du  préteur  ^^.  —  D'un 
autre  côté ,  Cicéron  rappelle ,  dans  le  traité  de  legibus 
écrit  vers  l'an  70-1 ,  «  qu'au  temps  de  son  enfance  (  il 
était  né  en  647  ),  les  jeunes  Romains  apprenaient  de 
mémoire  la  Loi  des  XII  Tables  comme  chose  indispen- 
sable; que,  depuis,  nul  ne  l'apprenait;  et  que  si  les  an- 
ciens puisaient  le  droit  dans  les  XII  Tables ,  les  contem- 
porains ,  pour  la  plupart ,  le  tiraient  de  I'édit  du  pré- 
teur ^* .  »  —  L'époque  où  le  Droit  prétorien  est  constitué 
comme  corps  de  doctrine  et  de  droit  distinct,  est  bien 
marquée  par  ces  documents  :  c'est  dans  l'intervalle  écoulé 
entre  l'enfance  de  Cicéron  et  son  âge  mur ,  c'est-à-dire 
de  l'an  650  à  l'an  700,  que  le  Droit  prétorien  s'affermit, 
s'étend ,  se  coordonne ,  et  qu'il  devient ,  soit  dans  l'in- 
struction de  la  jeunesse ,  soit  dans  la  pratique  du  bar- 
reau ,  l'émule  et  presque  le  rival  du  droit  des  XII  Tables, 

m.  —  Toutefois,  un  vice  s'était  glissé  dans  l'exercice 
de  la  charge  de  préteur ,  un  vice  propre  à  donner  au  droit 
prétorien  une  atteinte  mortelle.  —  Les  Préteurs,  dans 
l'exercice  de  leur  juridiction ,  s'arrogeaient  le  droit  de 

20  Ofilius,  Caesari  familiarissimus.... ,  edictum  praetoris  primas 
diligenter  composuit ,  nam  ante  eum  Servius  duos  libros  ad  Brutum 
perquam  brevissimos  ad  ediclum  subscriptos  reliquit.  {Pomp.  de 
Orig.  J.  §  44.  ) 

21  «  Discebamus  pueri  XII  Tabulas,  ut  carmen  necessarium,  quas 
»  nemo  jam  discit.  »  (  De  Legib.  ii.  c.  23.  ) 

«  Non  ergo  a  prœloris  ediclo ,  ut  plerique  nunc  ,  neque  a  XII  Ta- 
bulas, ut  suPERiOBES,  sed  penitus  ox  intima  pliilosophia  hauriendaro 
juris  disciplinam  putas.  »  {De  Legib. ^  i.  5  ) 


CHAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEN.  OBSERV.  PRÉLIM.  II.  185 

s'écarter  de  l'Édit,  promulgué  par  eux  à  l'entrée  de  leur 
charge  ;  et  il  n'y  avait  de  ressource  efficace  contre  les  va" 
riations  et  l'injustice  d'un  préteur,  que  dans  I'inter- 
CESSioN  de  son  collègue  ou  des  tribuns.  Ainsi  Verres, 
préteur  de  la  ville ,  s'écartant  de  son  édit ,  trouvait  ob- 
stacle dans  son  collègue  L.  Pison ,  préteur  des  étrangers  ; 
les  citoyens,  irrités  des  injustices  de  Verres,  se  réfu- 
giaient et  s'empressaient  autour  du  tribunal  de  son  grave 
collègue*^.  —  Il  fallut  une  loi  impérative  pour  enchaî- 
ner à  jamais  l'abus  ;  et  la  loi  Cornélia,  plébiscite  de  l'an 
686 ,  ordonna  que  les  Préteurs  jugeraient  toute  l'année 
d'après  leurs  Édits ,  qualifiés  de  perpétuels  ^^. 

L'Édit  fut  dès  lors  une  règle  fixe  pour  tous,  magistrats, 
juges,  citoyens;  et  la  fixité  de  l'édit  annuel,  jointe  aux 
principes  traditionnels  qui  faisaient  le  fonds  commun  de 
tous  les  édits,  assura,  de  plus  en  plus,  la  constitution  et 
la  force  du  Droit  prétorien,  qui,  selon  l'expression  de 
Vinnius  ,  devint  une  partie  du  Droit  civil  de  Rome, 
considéré  dans  un  sens  général**. 

IV.  —  Les  faits  et  les  caractères  constitutifs  du  Droit 

22  InVerr. ,  i.  c.  46.  t.  6.  p.  560.  éd.  Lecl. 

«  L.  Piso  multos  codices  implevit  earum  rerum ,  in  quibus  ita  in- 
»  tercessit ,  quod  isle  aliter ,  atque  ut  edixerat ,  decrevisset.  Quod  vos 
»  oblitos  esse  non  arbitrer,  quse  multitudo ,  qui  Ordo  ad  Pisonis  sellara 
»  isto  prsetore  solitus  sit  convenire  ;  quem  iste  collegam  nisi  habuisset 
»  lapidibus  coopertus  esset  in  Foro.  » 

23  Ut  Edictis  suis  perpetuis  judicarent.  —  Loi  proposée  par  C.  Cor- 
nélius, tribun  du  peuple,  en  686.  —  Asconius  in  argum.  oral,  pro  Cor- 
nelio  ( discours  dont  nous  n'avons  que  des  fragments.)  —  Ernesti, 
Indices  Ciceroniani.  Index  legura ,  \°  Corneliœ. 

24  Vinnius,  Inst.  ni.  14.  §  1.  Comm.  :  Pars  Juris  civilis  generaliter 
sumpti. 


1  86  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

Honoraire  étant  ainsi  reconnus ,  nous  allons  suivre  l'ac- 
tion combinée  du  Droit  non-écrit,  —  des  Lois  spéciales, 
— du  Droit  Prétorien  sur  le  Droit  civil  de  Rome  ;  et  pour 
rendre  manifeste  le  parallélisme  qui  existe  entre  le  Droit 
des  XII  Tables  et  le  Droit  Prétorien ,  nous  allons  con- 
sidérer, au  point  de  vue  nouveau ,  la  Cité  ,  la  famille ,  la 
propriété,  les  obligations,  les  institutions  judiciaires,  que 
nous  avons  étudiées  d'abord  ,  au  point  de  vue  de  l'unité , 
sous  l'empire  du  Droit  des  XII  Tables.  —  C'est  la  pre- 
mière fois  ,  peut-être,  que  l'on  considère  le  Droit  Pré- 
torien sous  ces  rapports  multipliés  dans  la  société  ro- 
maine; et  c'est  le  moyen,  cependant,  de  constater  toute 
l'importance  de  la  révolution  qui  s'accomplit  dans  le 
droit  civil.   Sur  cette  double  base ,    la  Loi  des  XII 
Tables  et  l'Édit  du  Préteur ,  s'est  élevé  l'édifice  de  la 
Jurisprudence  romaine.  Les  plus  grands  jurisconsultes 
de  l'Empire  ont  produit  leurs  œuvres  capitales ,  en  les 
rattachant ,  sous  la  forme  de  commentaires ,  au  Droit 
des  XII  Tables ,  au  Droit  prétorien  ;  et  la  lumière  de  la 
philosophie  du  droit  romain ,  qui  a  pénétré  si  profondé- 
ment dans  la  nature  de  l'homme  et  des  choses,  s'est  le 
plus  souvent  réunie  et  confondue  avec  ces  sources  pri- 
mitives du  droit  civil  de  Rome. 

Dans  le  développement  de  la  Cité  et  des  autres  objets 
essentiels  de  la  société  civile ,  nous  verrons  naître  avec 
le  Droit  Prétorien  et  subsister,  à  côté  de  lui,  le  Droit 
Provincial,  qui  conservera  toujours  une  part,  plus  ou 
moins  grande ,  de  vivante  originalité ,  sous  l'uniformité 
apparente  du  Droit  Romain  :  cette  persistance  du  Droit 
Provincial  expliquera  ou  justifiera  d'avance  nos  recher- 
ches sur  le  Droit  Gallique ,  objet  du  deuxième  Livre. 


CHAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEN.  SECT.  I.  187 


SECTION  P^ 


LA  CITE. 


SOMMAIRE. 

§  1 ,  —  Division  générale  du  Latium ,  de  Tltalie ,  des  Provinces ,  com- 
prenant comme  éléments  particuliers ,  savoir  : 
1.  —  Alliés  (socii,  fœderati ,  dedititii)  ; 
IL  —  Préfectures  ; 

III.  —  Colonies  ; 

IV.  —  Villes  municipales  ; 
Y.  —  Peuples  fundi  facti  ; 

"VI.  —  Naturalisation  individuelle. 

§  2.  —  Condition  du  Latium  (jus  Latii). 

§  3.  —  Condition  de  l'Italie  (jus  Italicum). 

§  4.  —  Condition  des  Provinces.  —  Décret  de  soumission;  éléments  de 
VÈdit  fait  pour  chaque  province. 

§  5.  —  Résumé.  —  Division  des  personnes.  —  Extension  du  Droit  Ro- 
main comme  droit  réel  et  territorial  sous  le  nom  de  Droit  du 
Latium  et  de  Droit  Italique. 


Au  milieu  du  quatrième  siècle,  la  Cité,  c'est  Rome. 
Vers  la  fin  du  septième  siècle,  la  Cité,  c'est  l'Italie; 
—  et  bientôt  le  Droit  Italique  se  transporte  au  delà  de 
l'Italie  elle-même. 

Observons  ce  mouvement,  qui  se  fait  hors  de  Rome, 
et  les  résultats  juridiques  qu'il  entraîne  avec  lui. 


188  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

§  1.  —DIVISION  GÉNÉRALE  DU  LATIUM,  DE  l'iTALIE,  DES  PROVINCES. 
—  ÉLÉMENTS  PARTICULIERS. 

Les  peuples  se  divisent  en  trois  classes,  relativement 
aux  droits  communiqués  ou  imposés  par  la  Cité  romaine  : 

Les  Latins, 

Les  Italiens , 

Les  Provinciaux  * . 

Mais  dans  ces  trois  régions  du  Latium,  de  l'Italie,  des 
Provinces,  étaient  des  peuples  ,  des  cités,  des  individus 
de  condition  différente,  comme  les  alliés,  les  préfectu- 
res ,  les  colonies ,  les  villes  municipales ,  les  peuples  fundi 
facti,  les  individus  étrangers  et  ceux  qui  obtenaient  la 
Naturalisation  romaine.  Nous  devons  donc  déterminer 
les  différences  qui  les  caractérisent ,  et  marquer  ainsi  les 
éléments  particuliers,  avant  de  développer  la  division 
plus  générale  qui  les  embrasse  tous. 

I.  —  Sous  le  nom  d'Alliés  (Socii)  étaient  compris  les 
peuples  unis  avec  Rome  par  des  traités,  et  les  peuples 
qui  avaient  été  soumis  à  sa  puissance  {Fœderati  —  Dedi" 
titii.  )  Ils  n'avaient  que  les  droits  stipulés  dans  les  traités 
ou  concédés  au  moment  de  la  soumission.  L'objet  du 
traité,  ordinairement,  était  politique  :  une  alliance  plaçait 
une  Cité  sous  la  protection  romaine,  en  lui  imposant 
soit  la  charge  d'un  tribut,  soit  l'obligation  de  mettre 
une  partie  de  ses  forces  au  service  de  Rome  :  le  célè- 

1  Neque  alii  populi  fuerunt  qui  jura  a  populo  romano  acceperint 
quam  Latini,  Italici ,  Provinciales. 
SiGONii  Dispulalionum  Patavinarum ,  lib.  I.  (P.  544 ,  éd.  1604.) 


CHAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEN.  SECT.  I.  1  89 

bre  traité  de  l'an  261  ,  avec  les  Latins,  établissait  leur 
contingent  dans  l'armée  romaine.  Mais  les  Alliés  con- 
servaient leurs  lois,  leurs  usages  civils,  leur  gouver- 
nement intérieur.  La  politique  du  Sénat  imposait  quel- 
quefois le  titre  d'allié  ou  d'ami  du  peuple  romain  à 
des  peuples  étrangers ,  dans  des  pays  libres  de  la  domi- 
nation romaine;  ainsi  le  Sénat,  avant  la  conquête  des 
Gaules,  avait  donné  le  titre  d'ALLiÉ  à  la  nation  des 
Eduens ,  puissante  parmi  les  nations  gauloises  ;  et  Jules 
César  nous  apprend,  dans  ses  Commentaires,  que,  sous 
son  consulat,  il  avait  fait  donner  le  titre  d'AMi  du  peuple 
ROMAIN  à  un  Chef  germain ,  Arioviste ,  qu'il  a  trouvé 
ensuite  dans  la  Gaule  comme  un  redoutable  adversaire. 
Les  peuples  Déditices ,  soumis  à  la  volonté  du  Sénat  et 
du  peuple  romain  ,  étaient  le  plus  souvent  exclus  de  la 
Cité  et  du  droit  de  Latinité  pour  le  présent  et  l'avenir. 
Les  Campaniens,  par  exemple,  après  la  prise  de  Capoue 
[542],  furent  frappés  d'une  loi  et  d'un  sénatus-consulte 
ordonnant  qu'aucun  d'eux  ne  serait  citoyen  Romain ,  ni 
allié  du  nom  Latin  ^. 

IL  —  Les  Préfectures  étaient  les  villes  de  l'Italie  dont 
les  habitants  n'étaient  régis  ni  par  leurs  propres  lois ,  ni 

2  Tit.  Liv.,  XXVI.  34.  Ut  nemo  civis  Romanus  aut  Latini  nominis 
esset.  Dans  le  ch.  33  se  trouve  l'énumération  de  tous  les  caractères  de 
la  soumission  des  déditices  •  «  Omnes  Campani ,  Attellani ,  Calatini , 
»  Sabatini,  qui  se  dediderunt  in  arbitrium  ditionemque  populi  rora.  Ful- 
»  vio  pro  consuli  quaeque  una  secum  dediderunt,  agrum  urbemque, 
»  divina,  humanaque ,  utensiliaque ,  sivequid  aliud  dediderunt;  de  lis 
»  rébus  quid  fieri  velitis ,  vos  rogo ,  Quiritcs.  »  —  Plebs  sic  jussit  : 
«  Quod  senatus  juratus ,  maxima  pars ,  censeat ,  qui  assidetis ,  id  vo- 
»>  lumus  jubemusque.  » 


^90  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

par  leurs  propres  magistrats,  mais  qui  recevaient  de  Rome 
leurs  magistrats,  et  de  ces  derniers  leurs  lois.  Le  magis- 
trat principal ,  étant  appelé  Prœfectus ,  avait  donné  la  qua- 
lification de  Prœfedura  à  la  ville  ainsi  régie,  sans  sénat 
et  sans  assemblée  de  citoyens.  C'était  la  condition  qui 
succédait  à  celle  des  Déditices ,  et  qui  fut  aussi  celle  des 
Campaniens  :  elle  ne  cessa  pour  eux  que  lorsque ,  sous  le 
consulat  de  Jules  César,  Vager  campanus  fut  distribué  à 
vingt  mille  citoyens  de  la  plèbe  romaine^. 

III.  —  La  politique  de  Rome  établissait  des  Colonies 
sur  le  territoire  des  peuples  qu'elle  avait  plus  ou  moins 
soumis. 

Polybe  dit  que  c'est  dans  la  Gaule  cisalpine,  sur  le  ter- 
ritoire des  Gaulois  Sénonais ,  près  du  lac  Vadimon  (en 
Etrurie),  que  les  Romains  envoyèrent  leur  première  colo- 
nie, et  bâtirent  une  ville  nommée  Séna*.  Cette  colonie 
et  celle  d'AnniA  (au  bord  de  la  mer  Adriatique)  rempla- 
cèrent la  ligne  la  plus  avancée  des  Gaulois  cisalpins^.  — 
Plus  tard ,  et  après  la  guerre  contre  les  Roiens  et  les  Insu- 
briens,  autres  Colonies  gauloises  établies  depuis  long- 

3  Velleius  Patekculus  II.  cap.  46  :  In  hoc  consulatu  Csesar  legem 
tulit  ut  agcr  Campanus  plebei  divideretur  suasore  legis  Pompeio.  Ita 
circiter  XX  millia  civium  eo  deducta,  et  jus  ab  his  restitutuni  post 
annos  circiter  centum  quinquaginta  duos,  quam  bello  punico  ab  ro- 
manis Capua  in  formam  Pra;fecturœ  redacta  erat. 

4  Polybe,  lib.  ii.  cap.  4.  —  Silius  Italicus ,  lib.  ix,  dit  :  Senonum 
ex  nomine  Sena. 

5  Ces  Gaulois,  de  la  tribu  ou  nation  des  Sénonais  {Senonenses), 
étaient  en  Italie  vers  l'an  163  de  Rome.  (  Tit.  Liv.,  v.  cap.  34.  35.  )— 
On  peut ,  sur  ces  émigrations ,  voir  le  Précis  historique  de  l'ancienne 
Gaule,  par  le  C.  Berlier  (ancien  conseiller  d'Etat),  ch.  iv.  p.  90  et  suiv. 
(Bruxelles,  1822.) 


CHAP.  V.  DROIT   PRÉTORIEN.    SECT.    I.  191 

temps  sur  les  bords  du  Pô ,  les  Romains  envoyèrent  des 
colonies  latines  sur  leur  territoire ,  et  fondèrent,  en-deçà 
et  au-delà  du  fleuve,  c'est-à-dire,  dans  la  Gaule  Cispadane 
et  Transpadane,  les  villes  de  Plaisance  et  de  Crémone^. 
Les  colonies  furent  répandues  dans  l'Italie  en  très-grand 
nombre;  et  la  première,  conduite  par  les  Romains  sur  le 
sol  même  des  Gaulois ,  dans  la  Gaule  Transalpine ,  en 
631 ,  fut  celle  d'Aix,  aqvm  sextile  ,  du  nom  de  son  fon- 
dateur le  proconsul  Sextius''.  —  Les  colonies  ne  vivaient 
pas  de  leur  propre  vie  ;  elles  tiraient  leur  force  de  la 
Cité  ;  elles  avaient  les  droits  et  les  institutions  qu'elles 
tenaient  de  la  volonté  du  Peuple  Romain ,  et  non  de  leur 
volonté  propre  ;  elles  recevaient  des  droits  inégaux  ,  des 
concessions  plus  ou  moins  étendues  de  droits  apparte- 
nant en  plénitude  aux  citoyens  romains  :  le  Jus  Commercii 
ordinairement  ou  droit  de  propriété  romaine ,  quelque- 
fois le  Jus  Connubii.  Elles  nommaient  leurs  magistrats  , 
mais  elles  n'avaient  point  le  droit  de  suffrage  à  Rome^. 

IV.  —  Les  Villes  municipales  conservaient  leurs  lois 
particulières,  leur  droit  civil,  leurs  magistrats.  Les  ci- 
toyens des  municipes  avaient  la  qualité  de  Citoyens  Ro- 
mains et  des  droits  politiques  à  Rome,  par  l'aptitude  à 
être  revêtus  des  charges  militaires  et  des  magistratures 

6  IMilan  était  la  capitale  des  Insubriens ,  et  avait  été  bâti  par  eux. 

7  Tit.  Liv.,  Epitome,  lib.  lxi  :  Sextius  proconsul  victa  Salvioruin 
gente  coloniam  Âquas  Sexlias  condidit  :  aquarum  copia  et  calidis  et 
frigidis  fontibus,  atque  a  nomine  suo,  ita  appellata. 

8  SiGON.,  de  Jure  Italie,  lib.  ii,  in  Disputât,  patav.  (p.  546),  dit  : 
«  Eodem  loco  ais  colonias  jus  habuisse  suffragii  ferendi  in  comitiis 
niagistratuum  romanorum  :  —  Quod  est  plane  falsum.  Nulla  enim  co- 
lonia,  qualenus  colonia,  jus  unquam  habuit  suffragii.  » 


4  92  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

de  la  République^.  Ils  appartenaient  ainsi  à  deux  patries, 
à  deux  cités,  maxime  tout  à  fait  contraire  à  celle  que  Rome 
appliquait  à  ses  propres  citoyens,  qui  ne  pouvaient  ap- 
partenir qu'à  la  cité  romaine  *^.  Les  municipes  n'avaient 
pas  généralement  à  Rome  le  droit  de  suffrage.  Le  premier 
municipe ,  la  ville  de  Cœre ,  qui  avait  rendu  de  grands 
services  à  la  République  [365],  n'avait  point  reçu  ce  droit; 
et  le  Jus  Cœritum  était  appliqué  souvent  aux  autres  muni- 
cipes. Les  citoyens  romains ,  auxquels  les  Censeurs  enle- 
vaient le  droit  de  suffrage  par  peine  censoriale ,  étaient 
inscrits  in  Cœritum  tabulis^^.  Le  droit  de  suffrage  était 
accordé  aux  citoyens  des  municipes  qui  avaient  exercé 
des  charges  publiques  dans  leur  ville  municipale,  et  trans- 
porté ensuite  leur  domicile  à  Rome.  Quelques  villes  mu- 
nici}>ales ,  seulement ,  avaient  reçu  le  droit  de  suffrage 
avec  la  qualité  de  municipes ,  comme  Tusculum  [273] , 
Lanuvium  et  les  villes  des  Sabins.  Du  reste,  les  muni- 
cipes ,  dans  leur  organisation  intérieure ,  prenaient  or- 
dinairement pour  modèle  l'organisation  de  la  grande 


9  «Munus....  officium.  Igitur  municipes  dici,quod  munera  civilia 
capiant,  »  dit  Paul  (  D.  de  Verb.  Sig.  L.  xviii.  ) 

Municipes  sunt  cives  romani  ex  raunicipiis ,  legibus  suis  et  suo  jure 
utentes ,  muneris  tantum  cum  populo  romano  honorarii  participes ,  a 
quo  munere  capessando  appellati  videntur.  (  Aulu-GelL-,  xvi.  13.  ) 
Milon ,  dictateur  à  Lanuvium ,  sollicitait  à  Rome  le  consulat. 

10  Cic,  de  Legib.,  ii.  2  :  Numquid  duas  habetis  patrias?  —  ....  Omr 
nibus  municipibus  duas  esse  censeo  patrias ,  unam  naturœ ,  alteram 
çivitatis.  —  Sed  necesse  est,  caritate  eam ,  prœstare  qua  reipublicse  no- 
men  universae  çivitatis  est  ;  pro  qua  mori,  et  cui  nos  totos  dedere,  et  in 
qua  nostra  omnia  ponere  et  quasi  consecrare  debemus. 

11  Nie.  Grucch.,  de  Com.  Rom. ,  i.  in  Sigonio. ,  de  Rébus  Bonon., 
p.  648. 


CHAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEN.  SECT.  I.  193 

Cité.  Ils  avaient  un  sénat,  des  comices,   des  duumvirs 
qu'ils  qualifiaient  de  Consuls  *^. 

Y.  —  La  participation  la  plus  grande  au  droit  de  cité 
romaine  appartenait  aux  peuples  qui  étaient  dits  fundi 
FACTi.  —  Les  villes  municipales  qui  renonçaient  à  leurs 
propres  lois  pour  suivre  le  droit  civil  de  Rome  étaient 
comme  incorporées  au  territoire  de  la  République.  Si  les 
peuples  avaient  manifesté  cette  volonté  d'assimilation , 
ou  comme  disait  la  formule,  si  fundi  facti  essent,  la  cité 
municipa4e  était  censée  faire  partie  de  la  cité  romaine*^. 

VL  —  La  communication  du  droit  de  cité,  qui  se  fai- 
sait dans  les  premiers  temps  de  Rome  par  naturalisation 

12.  Voir  de  nombreux  exemples  dans  les  Antiq.  d'Heinecc,  i.  5. 
123,  et  dans  Beaufort ,  Rép.  rom.,  t.  ii.  p.  231,  et  infra  notre  liv.  m. 

13  Cic,  pro  Balbo ,  viii  :  Postremo  hsec  vis  est  istius  juris  et  verbi , 
ut  fundi  populi  beneficio  nosfro  non  suojure  fiant.  » — Aulu-Gell.,  xvi. 
13.  XIX.  8.  Legis  fundus  subscriptorque.  —  Festus  :  Fundus  dicitur 
populus  esse  rei,  quam  aliénât,  hoc  est  auctor.  —  Sigonius,  Ant.  jure 
Ital.,  I.  4.  —  M.  Giraud,  Rech.  sur  le  droit  de  prop. ,  p.  95-106,  a 
suivi  l'indication  de  FesHs  et  de  Sigonius;  il  a  pris  le  mot  de  fundus 
dans  le  sens  de  souscription ,  d'auclor.  —  Mais ,  malgré  plusieurs  des 
autorités  ci-dessus  indiquées ,  nous  pensons  que  le  mot  fundus  ne 
doit  pas  être  ici  complètement  séparé  du  sens  qu'il  a  dans  la  loi  60 , 
de  Verb.  Signif.,  etlocus  possit  fundus  dici  si  fundi  animo  eum  habui- 
mus.  (Paul.)  —  Vager  romanus  était  le  sol  de  la  cité,  et  quand  une 
autre  cité  devenait  partie  de  la  cité  romaine ,  son  territoire  était  com- 
pris dans  le  fonds  romain  ;  les  peuples  des  municipes  devenaient  ci- 
toyens romains  et  sujets  de  la  loi  romaine ,  en  faisant  partie  du  fonds, 
du  territoire  de  la  république.  C'était  l'extension  de  Vager  romanus  et 
le  développement  naturel  d'une  institution  et  d'une  idée  toute  romaine. 
Varron  donne  cet  unique  sens  :  Age»....  fundus  di'ctus  ( de  jLmgf. 
lai. ,  V.  §  35);  et  Cicéron  (loc.  cil.  )  dit  que  la  loi  romaine  réside  alors 
IN  POPULO  ALiQUO  tauquam  in  fundo. 

T.  I.  13 


194  LIV.  1.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

collective,  se  fit  aussi,  dans  la  seconde  période,  par  na- 
turalisation individuelle  en  faveur  des  étrangers.  D'après 
la  Loi  des  XII  Tables,  les  privilèges,  c'est-à-dire  les  lois 
faites  pour  les  personnes  prises  individuellement,  étaient 
prohibés  ;  la  naturalisation  romaine  en  faveur  des  étran- 
gers ne  pouvait  donc  être  que  collective.  La  loi  Apuleia 
de  Cotoniis  [653]  s'écarta  la  première  de  cette  règle.  Le 
tribun  Apuleius  Saturninus  fit  autoriser  Marins  à  confé- 
rer, dans  chacune  des  colonies,  à  trois  personnes,  la  qua- 
lité de  citoyen  romain**.  La  loi  Julia  de  civitate  [663], 
dont  nous  parlerons  bientôt ,  communiquait  collective- 
ment le  droit  de  cité  aux  Latins  et  aux  alliés  de  l'Italie  ; 
mais  dans  les  villes  de  l'Italie  se  trouvaient  des  étran- 
gers auxquels  ces  villes  avaient  accordé  par  honneur  le 
droit  de  cité  (ou,  comme  on  aurait  dit  au  moyen-âge, 
le  droit  de  bourgeoisie)  :  étrangers,  ils  ne  profitaient  pas 
de  plein  droit  du  bénéfice  de  la  loi  Julia.  La  loi  Plautia 
Papiria  [664]  donna  le  droit  de  cité  romaine  à  tous  ceux 
qui  étaient  inscrits  dans  les  villes  alliées  et  qui  avaient 
leur  domicile  en  Italie  au  moment  de  la  loi ,  à  la  charge 
par  eux  de  faire,  dans  les  soixante  jours,  entre  les  mains 
du  préteur,  la  déclaration  de  leur  intention  de  devenir 
citoyens  romains.  C'est  le  plébiscite  dont  Cicéron  faisait 
l'application  au  poète  Archias ,  qui  avait  été  précédem- 
ment inscrit  comme  citoyen  d'Héraclée*^.  Ce  plébiscite 
s'occupait  de  certaines  personnes ,  et  cependant  il  conte- 
nait encore  une  mesure  d'un  caractère  général. 

14  Cic,  pro  Balbo,  cap.  21  :  Ut  in  singulas  colonias  ternos  cives 
romanos  facere  posset. 

15  Cic,  pro  Archia  ,  cap.  3  :  Quae  cum  esset  civitas  aequissimo  jure 
ac  fœdere,  adscribi  se  in  eam  civitatem  voluit idque  impetravit. 


CHAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEN.  SECT.  I.  195 

Cn.  Pompée,  par  la  loi  Gellia  Cornelia  [681],  fut  au- 
torisé à  accorder  le  droit  de  cité  dans  la  province  d'Es- 
pagne ,  de  l'avis  de  son  Conseil ,  à  ceux  qui  avaient  bien 
mérité  de  Rome ,  dans  la  guerre  contre  Sertorius.  Il  en 
fit  usage  spécialement  en  faveur  du  gaulois  Trogus ,  ap- 
pelé Trogue-Pompée ,  aïeul  de| l'historien  dont  le  grand 
ouvrage  a  été  résumé  par  Justin  *^.  Là  encore  il  y  avait 
une  loi  préalable ,  et  seulement  un  choix  laissé  au  général 
romain  *'.  Mais  Jules  César  alla  plus  loin  :  il  s'attribua 
le  droit  de  conférer  à  des  individus  nommément  dési- 
gnés le  bénéfice  direct  du  droit  de  cité,  et  il  permit  d'in- 
scrire sur  des  Tables,  exposées  aux  regards  du  public, 
les  noms  des  nouveaux  citoyens.  Il  s'aperçut  que  sa  fa- 
cilité était  surprise  et  sa  faveur,  pour  les  concessions 
individuelles,  vendue  par  ceux  qui  l'entouraient**.  Il  or- 
donna que  les  Tables  fussent  brisées  ;  mais  il  maintint  le 
bénéfice  du  droit  de  cité  à  l'égard  de  quelques  individus  ; 
et  de  là  est  venu  le  droit  des  Empereurs  romains  d'accor- 
der spécialement  le  droit  de  cité  à  des  personnes  dési- 
gnées *^.  La  naturaUsation ,  à  partir  de  cette  époque,  a 
pu  s'exercer  d'une  manière  collective  ou  individuelle  :  c'é- 
tait une  modification  importante  dans  le  mode  de  com- 
munication du  droit  de  cité  romaine. 

16  Justin  xLiii.  5.  Trogus  majores  a  Yocontiis  originom  ducere, 
avum  suum  cititatem  a  Cn.  Pompeio  percepisse  dicit. 

17  Cic. ,  pro  Balbo.  En  vertu  de  cette  loi,  Balbus  fut  reconnu  ci- 
toyen romain,  sur  la  plaidoirie  de  Cicéron.  Il  fut  depuis  consul. 

18  Cic,  Epist.  famil.,  xii.  36.  T.  xvii.  p.  190 ,  éd.  Leclerc. 

19  Epist.  famiï.,  id.  ibid.  :  «  Ei  (Demetrio  Mega)  Dolabella ,  rogatu 
»  meo ,  civitatem  a  Cœsare  impelravil.  Qua  in  re  ego  interfui...  Eidem 
»  Dolabellse  ,  me  audiente ,  Caesar  dicit  nihil  esse  quo  de  Mega  vere- 
»  retur  ;  beneficium  suum  in  eo  manere  [  an.  707].  » 


1  96  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

Toutes  ces  diversités  de  peuples ,  de  villes ,  de  condi- 
tions, de  droits,  étaient  répandues  dans  le  Latium,  l'I- 
talie et  les  provinces  de  la  République.  La  division  qui  a 
dominé  tout  le  reste ,  et  qui  a  le  plus  long-temps  sub- 
sisté, c'est  la  triple  division  du  Latium,  de  l'Italie,  des 
Provinces,  avec  la  division  correspondante  du  Jus  Latii, 
du  Jus  lialicum ,  du  Jus  Provinciale.  —  C'est  celle  qui  doit 
désormais  nous  occuper. 

§  2.  —  CONDITION  DU  LATIUM  (JUS  LATII  )• 

La  plus  ancienne  distinction ,  parmi  les  trois  classes  de 
nations  et  de  droits,  fut  celle  des  Latins  et  du  Jus  Latii. 
Une  concession  partielle  du  droit  de  Cité  Romaine  eut 
lieu  en  faveur  des  Latins ,  qui  formèrent  une  classe  inter- 
médiaire entre  les  Citoyens  et  les  Etrangers. 

L'époque  très-probable  de  cette  concession  résulte  d'un 
ensemble  de  faits  historiques  exposés  dans  notre  premier 
chapitre  (sect.  ii ,  §  2),  et  dont  nous  devons  résumer  ici 
quelques  traits. 

Les  Latins,  après  le  traité  de  l'an  261  avec  Rome, 
avaient  conservé  leur  liberté  civile  et  perdu  leur  indé- 
pendance nationale  ;  ils  fournissaient  des  troupes,  et  for- 
maient une  partie  imposante  de  l'armée  romaine.  Après 
la  conquête  de  Véies  en  358,  tout  l'ancien  Latium  (La- 
tins, Sabins,  Etrusques)  reconnaissait  la  puissance  de 
Rome.  —  Les  Latins  nouveaux  (Volsques,  Herniques, 
Aurunces ,  Ausonnes  ) ,  après  des  guerres  de  fortune  di- 
verse ,  étaient  entrés  aussi  dans  l'alliance  des  Romains. 
Mais  la  fidélité  des  alliés  de  Rome  fut  soumise  à  une 


CHAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEN.  SECT.  I.  197 

grande  épreuve  pendant  la  guerre  des  Samnites  :  la  foi 
des  anciens  Latins,  les  premiers  dans  l'alliance,  ne  se 
démentit  point.  Les  Latins  nouveaux ,  au  contraire ,  ainsi 
que  les  peuples  de  l'Italie  centrale ,  suivirent  avec  ardeur 
le  parti  des  Samnites,  pour  reconquérir  leur  propre  in- 
dépendance. Rome,  humiliée  d'abord  sous  les  Fourches- 
Caudines  [433],  réduisit  sous  sa  puissance,  vers  la  fin 
du  v^  siècle,  les  Latins  nouveaux,  les  Samnites  et  les 
peuples  de  l'Italie  centrale  [481].  Eclairée  par  l'expé- 
rience de  la  foi  de  ses  alliés ,  et  assez  forte  pour  récom- 
penser ou  punir,  Rome,  à  cette  époque,  fit  une  conces- 
sion de  droits  en  faveur  des  Latins ,  mais  seulement  des 
anciens  Latins,  ses  fidèles  alliés;  elle  leur  accorda  une 
partie  du  droit  de  cité  romaine ,  qui  fut  dénommé  Droit 
de  Latinité ,  Droit  des  Latins,  ou  jus  latii. 

Les  Latins  exerçaient  une  partie  des  droits  politiques 
du  Citoyen  romain.  Ils  avaient  le  droit  de  Milice  ;  ils 
étaient  admissibles  aux  grades  de  l'Armée ,  à  la  dignité 
du  Sénat ,  aux  diverses  Magistratures  -°.  Lorsqu'ils  se 
trouvaient  à  Rome ,  ils  pouvaient  être  invités  par  le  ma- 
gistrat à  donner  leurs  suffrages  dans  les  Comices ,  et  l'on 
tirait  au  sort  le  nom  de  la  Tribu  dans  laquelle  ils  vote- 
raient^*. 

Quant  aux  droits  purement  civils ,  les  Latins  avaient 
la  propriété  romaine,  ou  le  Jus  Commercii,  avec  toutes  les 
conséquences  attachées  au  Domaine  Quiritaire ,  tels  que 

20  Tacit.,  Anna!.,  ii.  24  :  «  Plebei  magistratus  post  patricios ,  La- 
TTNi  post  plebeios ,  cseterarum  Italiae  gentium  post  Latinos.  » 

Î2l  En  566 ,  on  fit  sortir  de  Rome  12,000  Latins  qui  avaient  voulu  s'y 
établir  définitivement.  (Annal.  Rom.J 


198  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

le  droit  de  mancipation  et  d'usucapion.  Le  droit  de  tes- 
ter  fer  œs  et  libram  fut  une  conséquence  du  droit  de  pro- 
priété et  de  mancipation.  Gaïus  en  fait  foi^^. 

Les  Latins  n'avaient  pas  le  Jus  Connubii  et  les  droits  de 
famille  attachés  au  mariage  des  citoyens  romains  :  ils  n'a- 
vaient donc  pas  le  droit  de  Cité  dans  sa  plénitude,  mais 
dans  une  certaine  proportion. 

Le  droit  de  Latinité  fut  appliqué  dans  la  suite,  pour  ca- 
ractériser une  certaine  classe  de  droits,  intermédiaire 
entre  la  condition  des  citoyens  et  celle  des  étrangers.  Il 
fut  communiqué ,  à  titre  de  récompense ,  à  des  Cités  ita- 
liques situées  hors  du  vieux  Latium  ;  il  fut  appliqué  aussi 
aux  habitants  de  plusieurs  Colonies. 

Vers  l'an  531,  après  la  retraite  d'Hannibal,  le  dicta- 
teur P.  Sulpicius  Galba  parcourut  les  villes  et  les  colonies 
de  l'Italie  qui ,  pendant  la  deuxième  guerre  punique , 
avaient  soutenu  ou  déserté  les  intérêts  de  Rome.  Il 
régla  leur  sort  suivant  leur  témoignage  de  fidéUté  ou  la 
gravité  de  leurs  fautes.  Plusieurs  des  Cités  italiques 
perdirent  alors  leurs  anciens  droits.  Quelques  peuples, 
comme  les  Bruttiens ,  les  Picentins ,  les  Lucaniens ,  fu- 
rent réduits  à  une  condition  presque  servile^'.  —  Dix- 
huit  Colonies  qui ,  sur  trente  dont  le  contingent  était  ré- 

22  Gaius,  III.  §  56.  Il  déclare  que  les  affranchis  Latins- Juniens  au- 
raient eu  le  droit  de  transmettre  leurs  biens ,  s'ils  avaient  été  complè- 
tement assimilés  aux  Latins,  mais  qu'à  cet  égard,  les  choses  restè- 
rent comme  si  la  loi  n'avait  pas  été  portée,  ac  si  Lex  lala  non  esset. 

La  loi  I.  Cod.  J.  vu.  6.,  de  Latin,  lib. ,  s'applique  aux  affranchis. 

23  Tit.  Liv.  ,  xxx.  24.  —  Reliquum  anni  circumeundis  Italiae  ur- 
bibus,quae  bello  alienatae  fuerant,  noscendisque  singularum  causis 
consumpsit.  —  Aulu-Gell.  x.  3  fin  fine).  Nec  pro  sociis  habebant ,  sed 
servorum  vicem —  Beaufort,  Rep.  Rom.j  vu.  ch.  2. 


CHAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEN.  SECT.  I.  499 

clamé  par  le  sénat  en  544 ,  avaient  secondé  activement 
le  peuple  romain ,  et  dont  le  noble  dévouement ,  selon 
Tite-Live ,  avait  sauvé  la  République ,  reçurent  le  droit 
de  latinité  ou  le  jus  latii,  d'où  vint  la  dénomination  de 
LATiNi  coLONARii  OU  COLOM,  donnée  aux  membres  de  ces 
colonies  et  de  celles  qui ,  par  la  suite ,  furent  investies 
des  mêmes  droits^*. 

Plus  tard,  et  sous  les  premiers  empereurs,  les  escla- 
ves affranchis  par  les  modes  non  solennels ,  en  vertu  de 
la  loi  Junia  [772],  furent  aussi  placés  dans  la  condition 
des  Latins ,  mais  avec  cette  différence  essentielle ,  qu'ils 
n'avaient  pas  comme  les  Latini  coloni  le  droit  de  tester  ^^. 

§  3.  —  CONDITION  DE  l'ITALIE  (  JUS  ITALICUM). 

Au  vii^  siècle ,  l'Italie  renfermait  un  grand  nombre  de 
peuples  et  de  colonies ,  dont  la  condition  politique  et 
civile ,  dans  ses  diversités ,  avait ,  relativement  à  Rome , 
un  caractère  d'infériorité.  Mais  tous  ces  peuples  étaient 
animés  d'une  même  intention.  Ils  voulaient  participer 
également  au  droit  de  Cité  romaine.  Alliés,  Municipes, 
Colonies  ,  Préfectures ,  réclamaient  leur  place  au  Forum 
et  la  jouissance  de  tous  les  droits  civils  et  politiques  des 
citoyens  romains.  Rome  s'efforçait  de  maintenir  contre 

24  Douze  des  trente  colonies  qui  devaient ,  dans  l'année  544 ,  four- 
nir leur  contingent,  refusèrent  :  Negaverunt  consuUbus  esse  unde  mi- 
liles  pecuniamque  durent.  Les  dix-huit  autres  offrirent  plus  que  leur 
contingent.  Tite-Live  a  transmis  leur  nom  à  la  postérité.  (  Tit.  Liv., 
xxvii.  9. 10.  ) 

25  Gains,  m.  §  56  :  Ne  beneficium  istis  datura,  in  injuriam  patro- 
norum  converteretur;  itaque  jure  quodamraodo  peculi  bona  latinorura 
ad  raanumissores  pertinent. 


200  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

l'Italie  l'infériorité  et  l'inégalité  des  conditions.  La  lutte 
primitive,  qui  avait  existé  entre  les  patriciens  et  les  plé- 
béiens, se  produisit,  sur  un  plus  vaste  théâtre,  entre 
Rome  et  l'Italie.  La  Cité-Reine  ne  voulut  répandre ,  sur 
le  sol  italique ,  que  des  concessions  de  droits  partiels  : 
de  là  vint  la  Guerre  Sociale  ou  Marsique  de  l'an  662 ,  à 
laquelle  les  anciens  alliés  de  Rome ,  les  Latins ,  ne  prirent 
aucune  part.  Le  droit  de  cité  fut  accordé  immédiatement 
aux  Latins  fidèles  et  à  quelques  peuples  de  l'Etrurie  par 
la  loi  JuLiA  DE  civiTATE  [663] ,  qualifiée  ainsi  du  nom  de 
Lucius  Julius  César,  consul,  et  qu'il  ne  faut  pas  confondre 
avec  les  lois  de  Jule>  César. 

Après  la  guerre  sociale,  en  665,  Rome,  cruellement 
avertie ,  accorda  le  droit  de  Cité  aux  peuples  alliés  de 
l'Italie,  à  fexception  des  Samnites  et  des  Lucaniens.  La 
Loi  fut  étendue  alors  à  l'Italie,  et  prit  la  dénomination, 
qu'elle  a  conservée,  de  loi  Julia  sur  la  communication  du 
droit  de  cité  aux  alliés  et  aux  Latins  ^^.  Cette  communi- 
cation complète  du  droit  de  cité  n'avait  lieu  toutefois 
qu'envers  les  peuples  qui  déclaraient  accepter  le  bénéfice 
de  la  loi,  sous  la  formule  si  fadi  fundi  essent^"^ .  Ces  peu- 
ples furent  classés  dans  huit  nouvelles  Tribus;  mais  cette 
addition  aux  Tribus  de  Rome  eut  peu  de  durée.  Auguste 
établit  que  les  suffrages  ne  seraient  plus  donnés  à  Rome, 
qu'ils  seraient  envoyés  des  Villes  où  ils  auraient  été  re- 
cueiUis  :  la  classification  devint  inutile;  et  bientôt  l'ap- 
parence même  du  droit  de  suffrage  cessa  d'exister. 

26  Lex  Julia,  de  civitate  cum  sociiset  latiuiscommunicanda.  {Cic, 
prn  Balbo,  viii.  Deny.<}  d'Halic,  iv.  G2.  ) 

27  ïpsa  denique  Julia ,  qua  lege  civitas  est  sociis  etlatinis  data ,  qui 
fundi  popuH  non  esscnt ,  civitatein  non  haberent.  (Cic.  id.  ibid.J 


CHAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEN.  SECT.  I.  201 

De  l'admission  de  l'Italie  au  droit  de  cité  naquit  le  jus 
ITALICUM.  Il  était  appliqué  aux  villes  de  l'Italie,  à  leur  ter- 
ritoire, et  il  emportait,  pour  la  masse  des  habitants,  le 
droit  de  cité  romaine.  La  ville  et  les  habitants,  investis 
du  droit  italique,  étaient  unis  à  la  grande  Cité;  le  sol 
était  incorporé  au  territoire  de  la  République.  Le  Jus  ita- 
LicuM  constituait  un  droit  ou  un  statut  réel.  Le  Sol  ita- 
lique eut  donc  les  mêmes  avantages  que  l'Ager  romanus. 
Les  terres  de  l'Italie  furent  marquées  d'un  caractère  pri- 
vilégié à  l'égard  des  terres  provinciales.  Elles  furent  mises 
dans  la  classe  des  Resviancipi,  dont  les  citoyens  seuls  pou- 
vaient être  légitimes  propriétaires,  selon  les  formes  et  les 
conditions  de  la  propriété  ex  Jure  Quiritium;  elles  étaient 
nommément  comprises  dans  le  Cens  romain;  elles  avaient, 
à  proprement  parler,  le  droit  de  la  Cité,  Jus  Civile ^^. 

La  loi  JuUa  de  civitate,  s'apphquait  au  Latium,  à  l'Italie 
centrale,  à  l'Italie  du  sud  ou  la  Grande-Grèce.  —  Qua- 
rante ans  après  cette  loi ,  Jules  César,  revenant  vainqueur 
de  la  Gaule  Celtique,  voulut  récompenser  l'Italie  du  nord, 
qui  l'avait  si  puissamment  secondé  pendant  ses  dix  an- 
nées de  gouvernement  et  de  conquête.  Le  droit  de  cité 
fut  en  conséquence  étendu  à  toute  la  Gaule  Cisalpine  "^^. 
Pour  elle  aussi  fut  promulguée,  vers  la  même  époque , 
la  LEX  GALLL^  CISALPINE ,  dout  les  fragments  sont  prin- 
cipalement relatifs  aux  jugements  en  matière  de  dom- 
mage, de  prêt  d'argent ,  de  partage  d'hérédité.  La  loi 

28  Cic,  pro  Flacco,  n»  32  :  Illud  qusero,  sint-ne  prsedia  censuicen- 
sendn?  habeant  jus  civile (Tom  x.  p.  506.) 

29  Cela  même  se  fit  graduellement.  Il  accorda  le  droit  de  cité  d'a- 
bord à  la  Gaule  cispadane ,  ensuite  à  la  Gaule  transpadane ;  ce  qui 
constituait  Tensemble  de  la  Gaule  cisalpine. 


202  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

donne  une  énumération  de  toutes  les  divisions  qui  con- 
stituaient le  pays,  villes,  municipes,  colonies,  préfec- 
tures, bourgs,  châteaux ^^.  Un  monument  de  la  même 
époque,  les  Tables  d'Héraclée,  relatives  aux  élections 
dans  les  villes  de  l'Italie ,  prouve  que  Rome ,  après  la 
loi  Julia ,  s'efforçait  de  régulariser  les  municipes  selon 
des  règles  uniformes.  Les  cités  les  plus  importantes  pos- 
sédèrent par  écrit  leur  loi  municipale  ;  il  n'existait  pas , 
comme  on  l'a  supposé,  de  Loi  municipale  unique  pour 
toutes  les  cités  ^\  On  tendait  à  l'uniformité  du  régime 
municipal,  mais  en  l'appropriant  à  l'esprit  particulier 
des  nations  et  des  coutumes  locales.  —  Sous  le  Trium- 
virat d'Antoine,  Octave  et  Lépide,  les  noms  distinctifs 
des  contrées  italiques  furent  effacés ,  en  vue  de  l'unité 
politique  et  administrative;  le  nom  uniforme  d'Italie  fut 
appliqué  à  toute  la  péninsule  ;  et  son  étendue,  reculée  jus- 
qu'aux Alpes,  fut  divisée  par  Auguste  en  onze  Régions  ^^. 
Le  JUS  iTALicuM  fut ,  par  la  suite ,  un  moyen  de  pro- 
pager le  droit  de  cité  en  dehors  de  l'Italie  ;  il  fut  accordé 
à  des  villes,  à  des  colonies,  dans  toutes  les  parties  du 
monde  romain.  La  colonie  de  Tyr,  l'antique  et  glorieuse 

30  In  eorum  quo  oppido ,  municipio ,  colonia ,  praefectura ,  foro , 
vico ,  conciliabulo ,  castellove ,  quae  sunt ,  eruntve  in  Gallia  cisalpina. 
{Lex  Gall.  cis.  Blondeau ,  ii.  p.  79.) 

31  Les  Tables  d'Héraclée  ont  été  retrouvées  en  1732.  —  On  a  sup- 
posé que  le  titre  du  Digeste ,  ad  municipalem ,  devait  sous-entendre 
legem.  On  a  même  attribué  à  Jules  César  une  loi  uniforme ,  sous  le  nom 
de  Lex  municipalis.  Savigny  croit  trouver  cette  loi  dans  les  Tables 
d'Héraclée.  Nous  discuterons  ces  questions,  liv.  m,  époque  Gallo- 
Romaine.  —  Voir  le  Mém.  de  M.  Améd.  Thierry,  sur  l'organisation 
communale  des  Romains.  (  Acad.  des  Se.  mor.  ) 

32  Dion. ,  XLvin.  12.  —  Le  sénat  ratifia  généralement  les  actes  des 
triumvirs  en  l'an  715. 


CHAP.  V.  DROIT  PRETORIEN.  SECT.  I.  203 

patrie  d'UIpien ,  reçut  de  l'empereur  Sévère  le  Droit  de 
l'Italie  ^^ 

Les  domaines,  placés  dans  les  pays  qui  avaient  le  Droit 
italique ,  étaient  réputés  in  Solo  Italico;  et  les  habitants 
des  villes  ou  colonies,  auxquelles  était  concédé  le  droit 
de  l'Italie ,  avaient  toujours  le  droit  de  Cité  romaine  ou 
la  qualification  de  Citoyens  romains. 

Nous  avons  vu  successivement  le  Latium  et  I'Italie, 
par  rapport  à  la  Cité  romaine;  passons  aux  provinces. 

§  4.   •—  CONDITION  DES  PROVINCES.  —   DÉCRET  DE  SOUMISSION.  — 
ÉLÉMENTS  DE  l'ÉDIT  FAIT  POUR  CHAQUE  PROVINCE. 

L'établissement  des  provinces  romaines  naquit  de  la 
lutte  entre  Rome  et  Carthage ,  et  suivit  tous  les  déve- 
loppements de  la  conquête^*. 

Rome  appliqua  aux  provinces ,  dès  le  principe ,  le  ré- 
gime varié  des  préfectures,  des  municipes,  des  colonies, 
du  droit  de  latinité,  du  droit  italique.  La  Sardaigne,  par 
exemple ,  et  l'Espagne ,  réduite  en  province  après  la  prise 
de  Numance  [619] ,  eurent  des  municipes,  des  villes  fé- 
dérées ^^;  le  droit  de  latinité  fut  accordé  à  la  Sicile ^^;  et 

33  Sciendum  est  quasdam  colonias  Juris  italici ,  ut  est  in  Syria 
splendidissima  Tiriorum  Colonia,  unde  mihi  origo  est.  (D.,iv.  15.  1.) 

34  Voir  notre  ch.  ler,  sect,  2.  §  3.  supra,  p.  26  et  suiv. 

35  Cic,  pro  Balbo.  Plin.,  Hist.  nat.,  m.  2. 

36  Pline  ,  dans  la  description  de  la  Sicile ,  indique  les  cités,  les  co- 
lonies; puis  il  nomme  cinquante  peuples  de  l'intérieur  de  l'île,  qui  sont 
de  condition  latine  :  Inlus  Lalinœ  conditionù.  (m.  8.  ) 


204  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

même,  sous  Vespasien,  à  l'Espagne  tout  entière^'.  Dans 
la  Gaule  méridionale ,  devenue  province  romaine  [634], 
entre  le  Rhône ,  les  Cévennes ,  les  Pyrénées,  Arles ,  Nar- 
bonne,  Vienne  furent  fondées  comme  Colonies  romaines; 
Nîmes  fut  dotée  du  jus  Latiiy  Aix  du  jus  Italicum. 

Les  privilèges  locaux  ainsi  répandus  dans  les  provin- 
ces, à  côté  du  régime  sévère  des  Préfectures,  avaient 
pour  objet  de  rattacher  plus  étroitement  à  la  Cité  ro- 
maine des  villes ,  des  territoires  heureusement  situés. 
Ces  concessions  formaient  un  Droit  spécial  dans  quelques 
parties  des  provinces. 

Mais  il  y  avait,  de  plus,  un  Régime  général,  dont  le 
but  était  de  consolider  la  domination  du  peuple  romain 
dans  les  pays  de  conquête.  Une  seule  province  en  fut 
assez  promptement  exceptée  ,  la  Grèce  ,  déclarée  libre 
parla  loi  Julia  deprovinciis  [694];  exception  qui  honore 
les  Romains ,  et  qui  ayant ,  dès  la  conquête ,  commencé 
par  la  ville  d'Athènes,  était  un  hommage  rendu  à  la  gloire 
et  à  la  civilisation  ^^. 

Le  régime  général  des  provinces,  sous  la  République, 
se  manifeste  par  la  création  de  Préteurs  et  de  Procon- 
suls ,  et  par  la  double  institution  du  Décret  de  soumis- 
sion et  de  l'Edit  provincial. 

Après  les  conquêtes  successives  de  la  Sicile  ,  de  la 
Sardaigne  ,  de  l'Espagne ,  de  la  Gaule  Narbonnaise ,  on 
créa  autant  de  préteurs  qu'il  y  avait  de  provinces  sou- 
mises. Chaque  préteur  gouvernait  sa  province  pendant 

37  Universse  Hispaniae  Vespasianus  Latii  jus  tribuit.  {Pline,  m.  3.) 

38  Sigonius ,  de  Anl.  Jur  prov.,  i.  9. 


CHAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEN.  SECT.  I.  205 

une  année  ^''.  C'était  là  le  régime  ordinaire.  Mais  le  sé- 
nat était  libre  de  prendre  une  mesure  extraordinaire  et 
de  confier  aux  consuls  deux  provinces  ,  qui  étaient  dites 
alors  Provinces  Consulaires '^°.  —  Le  Préteur  pouvait 
être  prorogé  dans  son  pouvoir  sur  la  province ,  ou  un 
ancien  Préteur  de  Rome  être  appelé  à  ce  pouvoir.  Il 
prenait  alors  le  nom  de  pro-préteur  :  ainsi  Caton  fut 
pro-préteur  en  Sicile,  quelques  années  après  sa  pré- 
ture  de  Rome;  et  Yerrès  avait  été  préteur  en  cette 
même  province  au  sortir  de  sa  préture  urbaine.  —  De 
même,  le  Consul  pouvait  être  prorogé  dans  son  pou- 
voir sur  la  province  qui  lui  était  tombée  en  partage ,  ou 
un  personnage  consulaire  être  appelé  à  cette  haute  ad- 
ministration :  ils  prenaient  alors  le  titre  de  proconsuls. 
Cicéron  fut  Proconsul  en  Cilicie ,  plusieurs  années  après 

39 Pompon.,  de  Orig.  Jur.,  §  32  :  «  Totidem  praetores ,  quotprovin- 
ciae  in  ditionem  vénérant,  creati  sunt ,  partim  qui  urbanis  rébus ,  par- 
tira qui  provincialibus  praeissent.  »  —  Les  préteurs  provinciaux  rem- 
plissaient, pcncianf  un  an,  à  Rome  y  avant  de  partir  pour  leur  province, 
les  fonctions  de  quœslores  parricidii  ,depuis  l'institution  des  questions 
perpétuelles.  (  Cic. ,  in  Verr. ,  1. 13.  ) 

40  Si  quid  extra  ordinem  senatus  decernebat,  duae  (provinciae  )  Con- 
sulibus  mandarentur  quse  consulares  dictœ  ;  reliquas  praetores  sorti- 
rentur.  (  Sigonius,  Disp.,  ii.  p.  579.  )  —  Cic.,deProv.  Consul.,  cap.  7  : 
Faciam  illas  praetorias.  —  Selon  P.  Manuce,  ad  Cic,  epist.  famil.  i. 
n»  7,  le  tribun  C.  Sempr.  Gracchus  porta  une  loi  observée,  par  la  suite , 
savoir ,  que  le  sénat ,  avant  les  Comices ,  décernerait  deux  provinces 
consulaires  et  six  prétoriennes  jpour  les  magistrats  qui  seraient  nom- 
més ,  et  dont  ceux-ci  feraient ,  en  tirant  au  sort ,  le  partage  entre  eux. 
Ces  provinces  n'étaient  point  déterminées  comme  consulaires  ou  préto- 
riennes d'une  manière  fixe.  La  même  était ,  suivant  l'avis  du  sénat,  tan- 
tôt consulaire  ,  tantôt  prétorienne.  (Nieuport^Cout.  des  Rom.,  ii.  14. 
p.  109.  )  —  Tit.-Liv.,  XL.  1  :  Sortiti  provincias  sunt. 


206  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

son  consulat  [690-702];  et  quand  Jules  César,  avant  l'ex- 
piration du  pouvoir  de  cinq  ans  qu'il  s'était  fait  attribuer, 
pendant  son  consulat,  sur  la  province  des  deux  Gaules, 
obtint  la  prorogation  de  son  commandement  pour  cinq 
autres  années ,  ce  fut  aussi  sous  le  titre  de  Proconsul. 

Le  Préteur  provincial  et  le  Proconsul  n'avaient  pas 
seulement  le  pouvoir  civil ,  ils  avaient  le  pouvoir  mili- 
taire. A Ja  différence  du  Préteur  de  la  ville ,  qui  avait 
pendant  l'exercice  de  sa  charge  le  pouvoir  civil ,  impe- 
rium  mixtum  ,  le  Préteur  des  provinces  avait  le  pouvoir 
militaire  ,  summum  imper ium.  Le  pouvoir  qui  tenait  à  la 
magistrature  civile  résultait  de  la  déclaration  des  Centu- 
ries qui  nommaient  le  magistrat  ;  mais ,  pour  le  pouvoir 
militaire ,  il  fallait  de  plus  au  préteur  provincial  une  loi 
de  imperio  portée  par  les  Curies ,  Lex  Curiata  ** . 

Après  la  victoire  qui  avait  soumis  un  pays  à  la  puis- 
sance de  Rome ,  le  sénat  déclarait  le  pays  province  ro- 
maine, et  il  envoyait  dix  commissaires  (Legati)  au  général 
vainqueur  {Imperator),  pour  établir  les  conditions  de  la 


41  II  en  était  des  préteurs  et  des  proconsuls  comme  des  consuls  . 
o  Consuli ,  si  legem  Curiatam  non  habet,  attingere  rem  militarem  non 
»  licet.  M  (  Cic,  in  Sec.  Agr.  )  —  a  Appius  Claudius  dixit  in  senatu , 
sese,  si  licitum  esset  legem  Curiatam  ferre ,  sortiturum  esse  cum  col- 
lega  provinciam.  »  {Cic,  Epist.  ad  Lentul.)  —  Caesar,  de  Bello  civili, 
lib.  I ,  atteste  pour  les  préteurs  de  province  la  nécessité  «  ut  de  eorum, 
imperio  ad  populum  referalur.  »  —  Sigonius  a  fait  une  dissertation 
spéciale  sur  cette  distinction  nécessaire  ,  entre  la  manière  dont  était 
attribué  le  pouvoir  civil  ou  le  pouvoir  militaire  :  De  usu  legis  Curiatœ , 
de  imperio.  (  Loc.  cil.,  p.  876.  )  —  Ce  n'est  que  dans  les  troubles  de  la 
guerre  civile  que  l'on  vit  des  préteurs  ne  pas  attendre  la  loi  de  imperio. 


CHAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEN.  SECT.  I.  207 

soumission.  Le  vainqueur,  de  l'avis  des  dix  députés,  ren- 
dait un  Décret  qui  devenait  une  loi  générale  du  pays  ; 
c'était  le  Décret  de  soumission  à  l'état  de  Province  ^^. 

L'Édit  provincial  était  le  moyen  par  lequel  les  Préteurs 
et  les  Proconsuls  exerçaient  ensuite ,  sur  les  provinces , 
leur  puissance  législative ,  et  déterminaient  le  mode  d'ad- 
ministration :  c'est  par  son  influence  progressive  que  le 
Droit  civil  de  Rome  pouvait  pénétrer  dans  les  provinces. 

L'Édit  fait  pour  chaque  province  en  prenait  le  nom 
particulier.  On  disait  :  Ex  edicto  Siciliense,  ex  edicto  Asia- 
tico ,  etc.  La  qualification  d'Edictum  provinciale^  employée 
quelquefois  dans  Cicéron  ^"^^  n'avait  point  encore  une  si- 
gnification générale  pour  annoncer  un  Êdit  fait  en  vue  de 
toutes  les  provinces. 

Pour  chaque  province,  l'Èdit  avait,  sous  le  rapport  du 
droit,  trois  éléments  :  1"  des  dispositions  empruntées 
aux  édits  précédents  qui  formaient  Vedictum  translatitiwm, 
le  droit  traditionnel;  2**  des  dispositions  nouvelles  établies 
par  le  préteur  ou  proconsul  dans  l'édit  publié  à  son  en- 
trée dans  la  province;  dispositions  ordinairement  confor- 
mes à  l'édit  du  préteur  de  Rome  ;  3°  des  dispositions  qui 
maintenaient  sur  certaines  matières  les  coutumes  ou  les 
lois  anciennes  du  pays.  —  La  plus  grande  part  était  faite, 

42  Cic,  in  Verr.,  xvii.  13. 

Après  la  guerre  des  esclaves ,  P.  Rupilius  était  vainqueur  en  Sicile 
[  620  ] ,  et  Cicéron  cite  le  décret  rendu  par  lui ,  et  appelé  par  les  Sici- 
liens lex  Rupilia  :  «  Ex  P.  Rupilii  decreto ,  quod  is  de  decem  legatorum 
»  sententia  statuit ,  quam  legem  il!i  Rupiliam  vocant.  » 

Pour  la  Macédoine ,  le  décret  fut  rendu  de  la  même  manière.  Tite- 
Live  dit  :  «  Decem  legati ,  more  majobum  ,  quorum  ex  cousilio 
»  T.  Quinetius  iraperator  leges  pacis  Philippo  daret ,  deoreti.  « 

43  In  Verr.,  i.  46  :  Cur  ea  capita  in  edictum  provinciale.... 


208  LIVRE  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

dans  l'édit  des  préteurs  provinciaux  ou  des  proconsuls , 
au  droit  prétorien  promulgué  dans  Rome'^*;  mais  les 
usages  des  provinces  étaient  maintenus  sur  beaucoup  de 
points  :  Multa  esse  in  provinciis  aliter  edicenda*^. 

Il  y  avait  aussi  dans  les  édits  une  partie  qui  était  spé- 
cialement appelée  provinciale,  et  qui  était  relative  aux 
comptes  des  Cités,  à  leurs  dettes,  à  leurs  obligations,  et 
aux  traités  avec  les  Publicains  :  c'était  la  partie  adminis- 
trative de  l'édit ,  celle  qui  offrait  aux  exactions  des  Pro- 
consuls et  des  Publicains  le  plus  de  ressource;  exactions 
qui  entraînaient  souvent  l'épuisement  des  provinces,  et 
qui  faisaient  dire  à  Cicéron,  d'Appius  son  prédécesseur 
dans  le  gouvernement  de  la  Cilicie ,  «  qu'il  la  lui  avait 
livrée  ruinée ,  épuisée  de  sang ,  expirante  ^^. 

Sous  la  République  ,  il  faut  le  reconnaître ,  le  régime 
des  provinces  était  désastreux;  et  pour  quelques  rares 
préteurs  ou  proconsuls ,  comme  Caton  dans  la  Sicile  et 
Scévola  dans  l'Asie ,  S.  Sulpicius  dans  la  Grèce  ou  Cicé- 
ron dans  la  Cilicie,  on  avait  en  foule  des  Yerrès  et  des 
Appius.  Trois  parts  étaient  faites  par  les  proconsuls  dans 

44  L'épître  de  Cicéron  à  Appius,  m.  8,  et  surtout  son  épître  à 
Atticus ,  VI.  1 ,  où  il  parle  de  son  édit  en  Cilicie  (t.  xix.  p.  126.  123), 
contiennent  des  détails  précieux  sur  les  éléments  de  l'édit  provin- 
cial ;  c'est  dans  cette  dernière  qu'il  dit  :  »  Tertium  —  de  reliquo  jure 

dicundo Dixi  me  de  eo  génère  mea  décréta  ad  edida  urôanaaccom- 

modaturum.  » 

45  In  Verr...,  i.  46.  Les  choses  qui  paraissaient  toucher  à  Véquilé, 
fondement  du  droit  prétorien ,  étaient  réglées  par  l'édit  :  An  aliud 
Romœ  œquum  est,  aliud  in  Sicilia?  —  Non  enim  hoc  potest  hoc  loco 
dici ,  multa  esse  in  provinciis  aliter  edicenda. 

46  «  lllo  imperante ,  exhaustam  esse  sumptibus  et  jacturis  provin- 
ciam....  quid  dicam  de  illis  praefectis ,  comitibus  ,  legatis  ?  Etiam  de 
rapiuis ,  de  Hbidinibus ,  de  contumeliis  ?  »  (  Ep.  ad  Atlic,  vi.  1.  ) 


CHAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEN.  SECT.  I.      209 

leurs  dilapidations  :  la  première,  pour  eux;  la  seconde, 
pour  payer  des  témoins  lors  des  accusations  qui  seraient 
peut-être  portées  contre  les  proconsuls ,  dans  les  trente 
jours  qui  suivraient  Texpiration  de  leur  charge  ;  la  troi- 
sième, pour  les  juges  qu'il  fallait  corrompre.  —  C'est 
par  les  blessures  toujours  saignantes  des  provinces  que 
s'écoulèrent  les  vertus  et  les  forces  de  la  République. 

§  5.  —  RÉSUMÉ.  —  DIVISION  DES  PERSONNES.  —  EXTENSION  DU  DROIT 

ROMAIN  ,  COMME  DROIT  RÉEL  OU  TERRITORIAL  ,  SOUS  LE  NOM 

DE  DROIT  DU  LATIUM  ET  DE  DROIT  ITALIQUE. 

En  résumé,  pendant  cette  seconde  période  de  l'his- 
toire, la  Cité  romaine,  dans  ses  rapports  avec  l'extérieur, 
a  d'abord  distribué  des  fractions  du  Jus  civitatis  aux  ha- 
bitants des  colonies  et  des  municipes ,  et  à  la  classe  gé- 
nérale des  anciens  Latins  ;  —  après  la  guerre  sociale  elle 
a  donné,  sous  le  nom  de  Jus  Italicum,  le  droit  de  cité  à 
l'Italie  centrale  et  méridionale  5  —  après  la  conquête  de  ^ 
Gaules ,  à  l'Italie  du  nord  ou  la  Gaule  cisalpine.  Le  jus 
ïTALicoi  a  remplacé  dans  l'Italie,  comme  droit  réel  et 
territorial ,  le  jus  latii  ,  qui  est  resté  encore  applicable 
à  des  Cités ,  à  des  Colonies  et  même  à  des  contrées  en- 
tières ,  situées  hors  de  l'Italie.  —  De  plus ,  le  droit  per- 
sonnel de  cité,  qui  ne  s'accordait  que  par  une  loi  et 
par  une  disposition  collective  en  faveur  d'une  classe  de 
personnes,  s'est  modifié  sous  l'influence  successive  de 
Marins,  de  Pompée,  de  Jules  César  surtout,  et  a  pu 
devenir,  depuis  la  dictature  de  ce  dernier,  un  droit  de 
naturalisation  individuelle.  —  Enfin,  par  le  Décret  de 
rimperator  et  des  dix  Commissaires  députés  par  le  sénat, 

T.   I.  \lx 


210  LIV.  I.  — ÉPOQUE  ROMAINE. 

et  principalement  par  l'Edit  des  préteurs  et  proconsuls , 
Rome  a  pu  propager  le  droit  prétorien  dans  les  provinces; 
elle  a  fait  pénétrer,  à  travers  les  ruines  des  pays  vaincus, 
quelques  rayons  de  son  droit  civil  et  de  l'édit  du  préteur 
de  la  Yille.  Mais  les  habitants  des  provinces,  en  général, 
sont  restés  avec  leur  condition  d'Etrangers  (peregrini) , 
relativement  à  la  Cité  romaine. 

Au  terme  de  cette  seconde  période  du  Droit  civil ,  et 
sans  parler  ici  des  esclaves ,  la  division  des  personnes , 
par  rapport  à  l'intérieur  et  à  l'extérieur  de  la  cité ,  com- 
prenait donc  trois  grandes  classes  : 

1"  Les  Citoyens, 

2**  Les  Latins , 

3**  Les  Étrangers  : 

Les  Citoyens  de  Rome  ou  de  l'Italie,  y  compris  les 
étrangers  naturalisés  par  bénéfice  individuel  ; 

Les  Latins  des  colonies  ou  de  certaines  provinces , 
un  peu  plus  tard  les  affranchis  Latins-Jiiniens  ; 

Les  Étrangers  appelés  provinciales  ou  peregrini,  c'est-à- 
dire  les  habitants  des  provinces  non  gratifiées  du  Droit  du 
Latium  ou  de  l'Italie,  et  les  membres  des  nations  non 
encore  soumises  à  la  puissance  de  Rome. 

Nous  sommes  déjà  loin,  comme  on  le  voit,  de  l'épo- 
que où  Rome  ne  connaissait ,  à  l'intérieur  de  la  cité,  que 
des  citoyens  ou  des  esclaves;  —à  l'extérieur,  que  des 
étrangers,  qualifiés  ennemis! 

La  Cité  romaine ,  dans  l'origine,  c'était  Rome  et  l'étroit 
Ager  romamis;  la  Cité ,  à  la  fin  de  la  seconde  période ,  ce 
sont  les  villes  de  l'Italie  et  le  sol  italique;  —  et  de  plus, 
toutes  les  villes ,  toutes  les  colonies ,  tous  les  territoires 


CHAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEN.  SECT.  I.  211 

qui  recevront  le  droit  de  lltalie ,  et  seront  dès  lors  consi- 
dérés comme  incorporés  au  sol  italique. 

Admirable  conquête  de  VAger  romanusl  tandis  que  ses 
limites  antiques,  posées  à  cinq  ou  six  milles  de  Rome, 
étaient  honorées  chaque  année  par  les  cérémonies  reli- 
gieuses des  ambarvalia^'' ,  en  mémoire  de  Romulus,  les 
limites  réelles  et  progressives  s'avançaient  jusqu'aux  con- 
fins de  l'Italie  et  sur  plusieurs  points  des  provinces,  en 
attendant  le  jour  où  elles  devaient  se  confondre  avec  les 
limites  mêmes  de  l'Empire,  de  I'Orbis  roma^us,  proclamé 
à  son  tour  la  cité  romaine.  —  Et  le  Droit  romain ,  en 
même  temps,  s'étendait  sur  les  nations,  non  seulement 
par  l'influence  de  sa  doctrine  et  des  édits  prétoriens, 
mais  par  l'extension  et  la  communication  du  Jus  Latii  et 
du  Jus  Ilalicum.  —  Sous  ce  nom  de  Droit  du  Latium ,  de 
Droit  Italique ,  il  s'établissait  sur  divers  points  de  l'Em- 
pire et  sur  les  territoires  les  plus  éloignés ,  avec  le  carac- 
tère d'un  droit  réel  et  territorial;  il  prenait  possession 
des  Provinces. 

De  la  Cité  telle  qu'elle  se  développe  dans  la  période  du 
Droit  prétorien ,  portons  nos  regards  sur  la  Famille. 

47  M.  Michelet,  qui  a  mis  en  lumière,  dans  son  Histoire  de  la  Répu- 
blique romaine  ,  l'importance  de  Yager  romanus ,  dit,  t.  i.  p.  115. 
291  :  «  Ce  champ  sacré  était  fort  circonscrit  ;  selon  Strabon ,  on  voyait 
à  cinq  ou  six  milles  de  Rome  un  lieu  appelé  Festi  ;  c'était  là  l'ancienne 
limite  du  territoire  primitif.  Le5  prêtres  faisaient  à  cet  endroit, 
comme  en  plusieurs  autres  ,  la  cérémonie  des  amhartalia.  » 

Les  ambarvalia  ou  larenlalia  étaient  des  sacrifices  publics  pour  la 
fertilité  des  campagnes;  ils  se  faisaient  au  mois  d'avril ,  par  le  prêtre 
du  dieu  Mars.  {Plut.,  Vie  de  Rom.  )  —  Varro,  de  Ling.  lat.,  vi.  §  32. 

Larenlinal  quem  diem  quidam  in  scribendo  ^aren(a/m  appellant 

quia  sacerdotes  nostri  publiée  parentant  festo  die  qui  ab  Acca  Larentia 
dicitur 


212  LIT.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

SECTION  IL 

LA  FAMILLE  ;  CONSTITCTIOH  PERSONNELLE  ET  REELLE. 


SOMMAIRE. 

1 .  —  Changements  par  rapport  aux  époux. 

I.  —  Résultats  produits  par  les  lois  Canuleia,  Julia,  Men- 
sia.  —  Mariage  libre.  —  Réciprocité  de  divorce  et 
de  répudiation. 
II.  —  Origines  de  la  Dot  et  du  Régime  dotal. 
m.  —  Donations  ante  nuptias.  —  Donations  entre  vifs  d'un 
époux  à  l'autre  pendant  le  mariage.  —  Donations 
mutuelles. 
IV.  —  Institutions  testamentaires  et  legs  en  faveur  des  fem- 
mes :  Loi  Voconia. 

2.  ■—  Changements  par  rapport  au  père,  aux  enfants,  à  V ensemble 

de  la  famille  romaine. 
I.  —  Limite  imposée  à  la  faculté  de  disposer  par  donation 
entre  vifs  ;  Loi  Cincia. 

II.  —  Limite  imposée  à  la  disposition  par  testament  ;  Loi 

Furia  testamentaria  ;  Loi  Voconia  (disposition 
toute  spécirt/e^;  Loi  Falcidia. 

III.  —  Abolition  de  l'exhérédation  tacite. 

IV.  —  Plainte  en  testament  inofficieux  (querela  testamenti 

inofficiosi). 
V.  —  Possession  de  biens  en  faveur  du  fils  émancipé. 

VI.  —  Système  des  possessions  de  biens  ou  successions  pré- 
toriennes. —  Parallélisme  du  Droit  prétorien  et  du 
Droit  civil. 

VII.  —  Caractère  du  droit  conféré  par  les  successions  préto- 

riciennes. 
VIII.  —  Caractère  de  la  possession  de  biens  purement  confir- 
niative  de  l'hérédité  testamentaire  ou  légitime. 

IX.  —  Différence  essentielle  entre  le  principe  de  l'Mrédité 
eivile  et  le  principe  de  la  succession  prétorienne. 


CHAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEN.  SECT.  II.  213 

§  1er.  _  CHAj>JGEMENTS  PAK  RAPPORT  AUX  ÉPOUX. 

I.  —  Les  obstacles  existants  entre  les  classes  patricienne 
et  plébéienne,  relativement  au  mariage,  furent  attaqués , 
dès  les  premiers  temps  de  la  Loi  des  XII  Tables ,  par  un 
plébiscite  qui  entra,  quoiqu'avec  lenteur,  dans  les  moeurs 
de  Taristocratie  romaine.  —  A  la  fm  de  la  deuxième  pé- 
riode [757],  la  Loi  Julia,  de  maritandis  ordinibus,  alla 
plus  loin  :  elle  permit  le  mariage  entre  les  patriciens  et 
les  affranchis  *  ;  elle  maintint  toutefois  la  barrière,  d'une 
part,  entre  les  femmes  affranchies  et  les  sénateurs  ou 
leurs  descendants,  jusqu'au  troisième  degré  ;  d'autre  part, 
entre  les  affranchis  et  les  fdles  des  sénateurs,  jusqu'au 
même  degré  de  descendance  ^. 

L'ancienne  prohibition  du  Connubium  entre  les  Ci- 

1  Sur  la  Loi  Canuleia,  voir  suprà,  p.  106.  —  Hottraann  rapporte  la 
loi  à  Jules  César,  Haubold  larapporte  à  Auguste[757].Ut  patriciis  liceret 
libertinas  uxores ,  praelerquam  si  senatores  senatorurave  liberi  essent. 
{Hotom.,  Index  legum.  )  —  Dans  la  loi  Pappia-Poppaea ,  qui  a  remplacé 
la  loi  Julia  ,  de  Marit.  ordin.,  il  est  dit  omnibus  ingenuis ,  au  lieu  des 
mots  ul  patriciis  [  Z).,  xxiii.  2.  23.  )  ;  ce  qui  appuie  l'opinion ,  cepen- 
dant douteuse ,  qu'avant  cette  loi  le  mariage  était  prohibé  entre  les 
ingénus  et  les  affranchis.  (D.  Trekel ,  sur  Brisson,  de  Rit.  nupt.  op. 
min.,  p.  342.  )  L'exemple  de  l'affranchie  Hispala ,  qui  dénonça  les  Bac- 
chanales et  à  qui  le  sénat  permit  le  mariage  avec  un  ingénu,  n'est  pas 
applicable  ;  car  elle  était  en  même  temps  courtisane,  et  il  y  avait  l'em- 
pêchement d'honnêteté,  levé  par  le  sénat  en  568.  {Til.  Liv.,  xxxix.  18.) 

2  La  même  prohibition  était  exprimée  pour  le  mariage  avec  des 
femmes  livrées  aux  jeux  de  la  scène  ,  ou  filles  de  père  ou  mère  de  con- 
dition scénique. 

D.,  XXIII.  2.  44  ,  de  Ritu  nupt.  (Paul.  )  :  Lege  Julia  ita  cavetur  : 
«  Qui  senator  est ,  quive  filius  neposve  ex  filio  ,  pronepos  ex  filio  nato , 
u  cujus  eorum  est ,  erit  :  ne  quis  eorum  sponsara  uxoremve  sciens  dolo 


an  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

toyens  romains  et  les  Étrangers  conserva  sa  force.  La 
Loi  Mensia^,  de  Civitate  [735],  statuait  que  les  enfants 
nés  de  deux  époux,  dont  l'un  était  étranger,  suivraient 
la  condition  la  plus  défavorable  ^  ;  cependant ,.  si  le  ma- 
riage était  contracté  de  bonne  foi  avec  une  étrangère  par 
un  citoyen  romain ,  l'enfant  né  de  cette  union  était  lé- 
gitime :  cela  passait  même  pour  une  ancienne  exception*. 

Le  Droit  prétorien  ne  toucha  point  à  la  constitution 
personnelle  de  la  famille  ;  mais  l'altération  des  mœurs  et 
l'influence  des  relations  de  Rome  avec  la  Grèce  y  por- 
tèrent une  profonde  atteinte.  Déjà ,  vers  le  milieu  du 
vi^  siècle,  la  situation  de  l'épouse  s'était  gravement  mo- 
difiée dans  la  maison  conjugale.  Impatientes  du  joug, 
les  femmes  tendaient  à  l'indépendance.  La  richesse  des 
institutions  testamentaires  ou  des  legs  faits  à  leur  profit , 
le  luxe  qui  en  dérivait,  l'orgueil  qu'elles  puisaient  dans 
la  supériorité  de  leur  fortune  sur  celle  de  leurs  maris, 
corrompaient  les  mœurs  antiques  de  la  famille.  Porcins 
Caton,  du  haut  de  la  tribune,  en  558,  reprochait  avec 

»  malo  habetô  libertinam  aut  eam  quae  ipsa ,  cujusve  pater  materve 
^  artem  ludicrani  facit ,  fecerit.  Neve  senatoris  filia ,  neptisve  ex  lilio , 
»  proneptis  ex  nepote  nata ,  filio  nato,  nata  :  libertino  eive  qui  ipse 
»  cujusve  pater,  materve  artem  ludicram  facit ,  fecerit  :  spousa ,  nup- 
»  tave  sciens,  dolo  malo  esto,  si  neve  quis  eorura  dolo  malo  sciens  spon- 
»  sam  ,  uxorerave  eam  habeto.»—  La  prohibition  pour  les  personnes  de 
condition  scénique  fut  confirmée  par  Valentinieu  en  454 ,  et  fut  abolie 
par  Justinien  en  534.  »  {Cod.  Jusl. ,  v.  5.  7.  —  v.  4.  23.  28.) 

3  Deterioris  parentis  conditionem  sequi  jubet.  (  Vlp-  Frag.  v.  §  68.) 

4  Gains ,  ii.  §§  142. 143  :  Simile  jus  olim  fuit  in  ejus  persona  cujus 
nomine  ex  senatus  consulte  erroris  causa  probatur,  quia  forte  ex  pere- 
grina  ,  vel  Latina  quse  per  errorem  quasi  civis  romana  uxor  ducta  es- 
set  ,  natus  esset. 


CHAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEN.  SECT.  II.  215 

force  aux  femmes  romaines  d'envier  la  liberté  et  même 
la  licence  de  toutes  choses ,  et  aux  citoyens  romains  de 
n'avoir  pas  conservé  le  droit  et  la  majesté  de  l'homme  , 
JUS  3IAJESTATEM0LE  viRi^.  Mais  ces  rcprochcs  sévères 
du  Censeur  ne  pouvaient  enchaîner  le  mal.  L'influence 
de  la  Grèce  se  répandait  de  plus  en  plus  dans  Rome, 
cette  influence  dont  Pline  l'ancien  a  sévèrement  caracté- 
risé les  tristes  résultats ,  deux  siècles  après  Caton,  quand 
il  a  dit  «  que  les  Grecs  étaient  les  pères  de  tous  les  vi- 
ces^. »  La  femme,  d'origine  grecque,  hautaine  dans  son 
attitude  et  sa  parole,  demandait  fièrement  au  chevaUer 
romain  «  si  elle  n'était  qu'une  étrangère  dans  sa  mai- 
son '^.  »  —  Aussi  l'imitation  de  la  Grèce  et  l'amour  des 
femmes  pour  la  liberté  domestique  apportèrent  un  grand 
changement  dans  la  constitution  de  la  famille  romaine. 
Le  mariage  'per  usum  qui  ne  produisait  plus  la  puissance 
maritale  ou  la  manus ,  par  l'habitude  facile  de  l'interrup- 
tion annale,  devint  le  mode  le  plus  fréquent  dans  l'usage. 
On  l'a  qualifié  de  mariage  libre  ;  et  pour  la  femme ,  af- 
franchie de  l'autorité  maritale ,  c'était  vraiment  le  libre 
mariage,  comparativement  à  l'union,  plus  rare  désormais, 
qui  se  contractait  par  la  Coemption  ou  la  Confarréation. 
Le  mariage  libre  entraînait  à  sa  suite  la  facilité  du  di- 
vorce. Le  divorce,  que  le  mari  seul ,  selon  les  anciennes 

5  Omnium  rerum  libertatem ,  imo  licentiam  desiderant.  {TU.  Liv.^ 
XXXIV.  2.  ) 

6  Grœci ,  vitiorum  omnium  genitores.  {Flin.,  Hist.  nal.,  xv.  5.  ) 

7  Cicéron ,  en  parlant  de  la  femme  de  son  frère  Quintus,  sœur  du 
grec  Atticus  ,  écrivait  à  celui-ci  :  «  INihil  meo  fratre  lenius,  nihil  aspe- 
»rius  tua  sorore....  Ula,  audientibus  nobis  :  Ego  sum,  inquit,  hic 
»  HospiTA  ?  »  (  Episl.  ad  AU.,  v.  1.) 


216  LIV.  I.  — ÉPOQUE  ROMAINE. 

lois ,  pouvait  exercer,  devint  un  droit  égal  en  faveur  de 
la  femme  ;  et  la  répudiation  de  la  part  des  époux  ,  comme 
de  la  part  des  fiancés,  devint  aussi  une  faculté  réci- 
proque ^. 

II.  —  Ce  changement  dans  la  constitution  personnelle 
de  la  famille  en  produisit  un  très-important  dans  la  con- 
stitution réelle  j  ou  les  rapports  des  époux  quant  aux 
biens. 

Dans  les  mœurs  primitives  de  Rome ,  comme  on  l'a 
vu,  la  femme  était  presque  toujours  placée  in  manu  ma- 
riti,  sous  une  puissance  absolue ,.  identique  à  la  puis- 
sance paternelle,  applicable  à  la  fois  à  la  personne  et  aux 
biens.  Si  la  future  épouse  était  sui  juris  ,  et  propriétaire 
de  certaines  choses  avant  son  mariage ,  ses  biens ,  par 
l'effet  de  son  union ,  étaient  acquis  au  mari  à  titre  uni- 
versel. —  Si ,  avant  son  mariage ,  la  fille  romaine  était 
sous  la  puissance  de  son  père  ou  de  son  aïeul,  alieni  juris, 
elle  n'avait  rien  en  propre  et  ne  pouvait  ainsi  rien  ap- 
porter à  son  mari  ;  mais,  d'après  un  ancien  usage,  at- 
testé par  S.  Sulpicius  et  Varron ,  le  futur  époux,  au  jour 
des  fiançailles,  stipulait  du  père  que  sa  iille  lui  serait  don- 
née en  mariage,  avec  une  somme  déterminée''.  Le  père 
promettait  solennellement,  spondebat;  et,  selon  Yar- 
ron  ,  la  somme  promise  était  qualifiée  sponsa  ,  comme 

8  D.,  XXV.  2.  3,  de  Div.  et  Rep.  —  xxiii.  3.  38  ,  de  Solut.  niatr. ,  et 
Brissonn.,  de  Verb.  signif.,  v»  Repudium  :  Repudium  non  uuptiarum 
tantum  diremptionem,  renimciationemve,  sed  et  sponsalium  signiflcat. 

9  S.  Sulpicius  in  libro  quem  scripsit  de  dolibus  :  qui  uxorem  ductu- 
rus  erat,....  slipulnbalur  eam  in  matrimonium  ductum  iri.  Cui  da- 
turus  eratitidem ,  spo^debat  daturum.  (De  là  vint  le  mot  sponsalia, 
fiançailles.  )  {Aulu-GelL,  iv.  4.  —  Brisson.,  de  Rit.  nupt.,  p.  207.) 


CHAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEN.  SECT.  il.  217 

la  fiancée,  et  quelquefois  spo\sio*°.  Le  mot  dos,  qui 
est  d'origine  grecque ,  n'existait  pas  encore  dans  la  lan- 
gue du  droit**;  mais  l'expression  datio,  rapprochée  de 
l'idée  de  mariage ,  se  trouve  dans  un  monument  précieux 
de  l'an  568  ,  le  sénatus-consulte  sur  les  Bacchanales;  et 
Plante  disait,  déjà,  que  la  dot  c'est  de  l'argent,  dos  pe- 
cuxiA  EST*^.  La  somme  promise  par  le  père  au  jour  des 
fiançailles  était  déposée  quelquefois ,  en  attendant  les  no- 
ces, entre  les  mains  des  Aruspices ,  ou  donnée  le  jour  du 
mariage  :  elle  était  vraiment  un  don  acquis  au  mari  par 
la  tradition  de  la  somme,  donum,  datio,  dos. 

Dans  le  premier  cas ,  où  la  future  était  sui  juris ,  où 
le  mari  devenait  propriétaire  à  titre  universel  des  biens 
apportés  par  la  femme,  le  mari  était  certainement,  dans 
toute  la  force  de  fexpression ,  le  maître  des  biens  ou  de 
la  dot,  dominus  dotis.  —  Dans  le  second  cas,  et  en  ap- 
pliquant la  qualification  de  dot  à  la  somme  versée  par  le 
père  de  famille  entre  les  mains  de  son  gendre ,  le  mari 
donataire  était  encore,  dans  le  sens  propre,  le  maître 
de  la  dot. 


10  «  Spondcbatur  pecunia  aut  filia  nuptiarum  causa....  Appellabatur 
»  et  pecunia,  et  quse  desponsa  erat,  sponsa....-,  «  quae  pecunia  inter  se 
contra  sponsum  rogata  erat ,  dicta  sponsio  ;  cui  desponsa  quae  erat , 
sponsus.  [  Varro,  de  Ling.  lat.,  vi.  §  70.  ) 

11  Vabbo  ,  V.  §  175  :  Pecunia  vocabulum  mutât.  Dos,  si  nuptiarum 
causa  data,  haec  graece  5wt£v>3  ,  ita  enim  hoc  Siculi.  —  Festus  :  do- 
tera manifestum  est  ex  graeco  esse. 

12  Utique  Feceniae  Hispalae  datio Utique  ei  ingemio  niibere  lice- 

rct.  {TU.  Liv.,  xxxix.  19.)  Pulchra  dos  pecunia  est.  (Plaul.,  Epid.,  ii. 
se.  I.  V.  11.  )  —  CicÉBON  applique  le  nom  de  dot  même  aux  biens  de 
de  la  femme  en  puissance  :  «  Quem  mulier  viro  in  manum  convenit, 
omnia  quœ  mulieris  fuerunt  viri  fiunt  dotis  nomke,  »  —  Topic.  iv. 


218  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

Droit  absolu  sur  les  biens  ayant  appartenu  à  la  femme 
avant  son  mariage,  ou  sur  les  valeurs  données  en  vue 
des  justes  noces;  tel  était  le  résultat  nécessaire  du  ma- 
riage qui  entraînait  la  manus. 

Si  donc  l'on  croit  devoir ,  avec  Plante  et  Cicéron , 
appliquer  le  nom  de  dot  aux  biens  apportés  par  la  femme 
ou  à  la  somme  fournie  par  le  père ,  on  trouve  ici  l'ori- 
gine de  la  dot;  mais  il  est  évident  qu'aucun  régime 
DOTAL  ne  pouvait  exister  dans  ce  système  de  propriété 
absolue  et  irrévocable  ;  et  c'est  seulement  à  mesure  qu'on 
s'éloignera  de  l'idée  de  puissance ,  de  propriété  absolue , 
que  l'on  pourra  trouver  l'origine  du  régime  dotal  et  de 
la  dotalité  des  biens. 

Le  divorce  était  permis  au  mari  seul  sous  le  droit  des 
XII  Tables  ;  et  la  femme ,  dont  le  lien  était  brisé  ,  ne  pou- 
vait avoir,  selon  la  sévère  application  des  principes ,  au- 
cun droit  de  reprise  sur  les  biens  apportés  ou  donnés.  La 
confusion  de  ces  biens  avec  ceux  de  son  mari  était  un  fait 
irrévocablement  accompli.  Sp.  Carvilius  Ruga,  homme 
de  noble  race ,  ayant  répudié  sa  femme  vers  l'an  520,  ne 
fit  aucune  restitution.  «  Il  est  de  tradition,  dit  Aulu- 
»  Celle ,  que ,  pendant  près  de  cinq  cents  ans ,  il  n'y  eut 
»  dans  la  Yille,  ni  dans  le  Latium ,  aucune  caution ,  au- 
»  cune  action  relative  aux  biens  de  la  femme  mariée.  Le 
»  besoin ,  sans  doute,  ne  s'en  était  pas  fait  sentir ,  parce 
»  que  l'on  ne  voyait  pas  alors  de  mariage  dissous  par  le 
»  divorce.  Aussi  Servius  Sulpicius,  dans  son  Traité  de 
»  dotibus ,  a  écrit  que  pour  la  première  fois ,  après  le  di- 
»  vorce  de  Carvilius  Ruga ,  on  a  regardé  comme  néces- 


CHAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEN.  SECT.  II.  219 

»  saire  la  caution  des  biens  de  la  femme,  m  uxoriœ*^.  » 
—  Cicéron  nous  apprend ,  dans  les  Offices ,  que  l'action 
rei  iixoriœ  était  une  action  de  bonne  foi,  portée  devant  les 
arbitres*^.  —  Ainsi  l'exercice  du  divorce  introduisit,  au 
commencement  du  yf  siècle ,  dans  la  confusion  primitive 
des  patrimoines  de  la  femme  et  du  mari ,  une  distinction 
possible ,  un  cas  de  restitution  de  la  res  uxoria  ,  malgré  la 
force  de  la  manus  et  l'acquisition  à  titre  universel. 

Mais  c'est  à  la  pratique  fréquente  du  mariage  fer  tisum 
(avec  l'interruption  annuelle  de  cohabitation) ,  c'est  au 
mariage  libre  que  se  rapporte  le  premier  régime  de  la  dot. 
Caton,  en  se  plaignant  de  l'entraînement  général  des 
femmes  romaines  vers  la  liberté  et  de  l'affaiblissement  du 
pouvoir  marital ,  dépose  du  changement  opéré  dans  les 
mœurs.  —  Par  son  discours  sur  la  loi  Yoconia ,  en  585 , 
il  constate  en  même  temps ,  et  l'usage  de  la  dot  apportée 
par  la  femme,  et  l'usage  des  biens  réservés  par  elle  ou  ex- 
ceptés de  la  dot.  Il  nous  montre  la  femme  recevant  par 
testament  des  sommes  considérables ,  et  prêtant ,  à  titre 
demutuum,  son  argent  au  mari;  puis,  lorsque  la  femme, 
créancière  et  capable  d'agir ,  était  mécontente  ou  irritée 
contre  le  mari  débiteur,  elle  le  fatiguait  de  ses  exigen- 
ces ;  elle  ordonnait  à  un  esclave ,  excepté  des  biens  dotaux, 
de  poursuivre  son  mari ,  de  le  persécuter  de  ses  récla- 
mations^^. 

13  NuUas  rei  uxoriœ  neque  actiones  ,  neque  cautiones  iu  urbe  Ro- 
mana  aut  in  Latio  fuisse....  S.  Sulpicius,  tuin  primum  cautiones  rei 
uxorise  necessarias  esse  visas,  scripsit.  {Aulu-GelL,  iv.  3.  ) 

14  Haec  verba  excellunt  in  arbitrio  rei  uxoriae ,  melius  .eqdius.  (0/f., 
III.  i5.1 

15  Principio  nobis  juulier  mag>'AM  dotem  adtulit  ;  tum  raagnam  pe- 


220  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

Vers  la  fin  duvi*'  siècle,  deux  résultats  sont  donc  mis 
en  évidence  :  1"  l'usage  très-fréquent  du  mariage  fer 
MSîm ,  devenu  le  mariage  libre;  T  l'usage  correspondant 
de  la  dot ,  sous  son  nom  propre ,  d'origine  grecque  ,  avec 
la  distinction  des  biens  réservés  et  non  dotaux  ,  qui  pren- 
dront plus  tard  aussi  leur  nom  grec  de  paraphernaux^^. 

Tel  est  le  point  de  départ  du  régime  de  la  dot.  — 
Voyons  maintenant  quels  sont  les  premiers  rapports  qui 
naissent  de  ce  régime  nouveau. 

Si  la  future  était  sous  la  puissance  de  son  père ,  elle 
ne  pouvait ,  dans  cette  seconde  période  de  l'histoire  du 
droit ,  pas  plus  que  dans  les  temps  antérieurs ,  constituer 
par  elle-même  aucune  dot  à  son  mari.  Celui-ci  recevait 
du  père,  et  à  titre  de  propriétaire,, causa  (io/î5,  le  don 
stipulé  au  moment  des  fiançailles  :  mais  sa  propriété  était 
résoluble  en  cas  de  divorce  ;  elle  l'était  aussi  en  cas  de 
prédécès  de  la  femme ,  lorsque  le  père  avait  stipulé  la 
condition  de  retour.  Plus  tard,  le  retour  de  la  dot,  au 

cuniam  recipit  quam  in  viri  potestate  non  committit.  Eam  pecuniam 
viro  dat  mutuam.  Postea  ubi  irata  facta  est  servum  eeceptitium  sec- 
tari  atque  flagitare  virum  jubet.  {Aulu-Gell.^  xvii.  6.  ) 

Les  comédies  de  Plante  parlent  de  Vesclave  dolal  (  Dolalem  servum, 
act.  I.  se.  1.  V.  71),  attaquent  souvent  le  mariage  rfo(é,  et  prouvent  que 
l'usage  nouveau  s'était  rapidement  propagé.  Ainsi ,  dans  YAsinaria 
(act.  V.  se.  3.  V.  49)  la  hauteur  de  la  femme  dotée  est  peinte  par  ces 
vers  : 

....  Venias  modo  domum  ,  faxo  ut  scias 

Quid  pericli  sit  dolalœ  uxori  convicium  diccre: 

16  Le  point  de  vue  tiré  de  l'influence  des  mœurs  grecques  et  du  ma- 
riage libre  a  été  parfaitement  traité  ,  en  premier  lieu  (  Revue  de  légis- 
lation )  par  M.  D'hauthuille ,  dont  la  perte  est  si  regrettable ,  et  plus  ré- 
cemment par  M.  Ginoullîiac.  (  Hisl.  du  Rêg.  dotal ,  p.  85  et  suiv.  ) 


CHAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEN.  SECT.  II.      221 

cas  de  prédécès ,  exista  de  plein  droit  en  faveur  du  père, 
qui  reprenait  la  dot,  appelée  profectice*"^. 

Si  la  femme  était  sui  jiiris ,  et  avait  une  fortune  per- 
sonnelle, ses  biens  lui  restaient  propres.  Seulement  elle 
donnait,  sous  l'autorité  de  son  tuteur,  ou  promettait  so- 
lennellement une  dot  à  son  mari ,  dicebat  dotem.  Le 
mari  qui  avait  reçu  la  dot ,  directement  ou  en  vertu  de 
l'action  attachée  à  la  dictio  dotis,  en  devenait  proprié- 
taire. S'agissait-il  d'un  immeuble  situé  en  Italie  et  com- 
pris dès  lors  parmi  les  res  mancipi?  Il  en  acquérait  la 
propriété  romaine  par  la  mancipation ,  la  cession  in  jure, 
faites  causa  dotis,  ou  par  l'usucapion,  s'il  y  avait  eu  sim- 
ple tradition.  —  La  dot  fournie  par  la  femme  était  qua- 
lifiée d'ADVEXTiCE;  elle  était  acquise  au  mari,  et  n'était 
point  résoluble  par  le  prédécès  de  la  femme;  elle  était 
sujette  à  résolution,  seulement  en  cas  de  divorce,  sauf 
des  droits  particuliers  de  retenue ,  et ,  spécialement ,  la 
retenue  d'un  sixième  par  chaque  enfant  né  du  mariage, 
de  manière  cependant  à  laisser  intacte  la  moitié  de  la 
dot*^.  —  La  loi  Julia  (de  maritandis  ordinibus)  condamna 
la  femme  qui  avait ,  par  sa  faute ,  provoqué  le  divorce , 
à  perdre  sa  dot  en  totalité. 

Enfin,  une  dot  pouvait  être  promise  ou  donnée  par 
un  tiers  en  faveur  de  la  future ,  fille  de  famille ,  ou  sui 
juris;  et  le  donateur  était  libre  de  stipuler  le  retour  à  son 
profit,  au  cas  du  prédécès  de  la  femme.  La  dot  soumise 

17  D.  XXIII.  3.  6.  de  jure  dotium  :  Jure  succursum  estpatri,  ut  filia 
amissa  solatii  loco  cederet ,  si  redderetur  dos  ab  ipso  profecta  :  ne  et 
filiœ  amisssse  et  pecunise  damnum  sentiret.  (Pomp.) 

18  Propter  impensas  ;  —  propter  mores;  —  propter  liberos. 


222  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

au  retour  conventionnel  était  appelée  dos  receptitia  *^. 
Quant  aux  objets  non  compris  dans  la  dot ,  il  était 
d'usage  général  à  Rome  que  le  mari  en  signât  l'état  ou 
inventaire  ^^.  Ces  objets  et  les  biens  qui  advenaient  à  la 
femme,  pendant  le  mariage,  étaient  en  dehors  du  pou- 
voir et  de  l'administration  du  mari.  La  femme  sui  juris 
les  gérait ,  et  pouvait  même  les  aliéner  sans  l'autorité  de 
son  tuteur,  à  moins  qu'ils  ne  fissent  partie  des  choses 
mancipi. 

En  résumé. 

Dans  le  mariage  primitif  qui  produisait  la  manus  sous 
la  Loi  des  XII  Tables,  le  principe,  à  l'égard  des  biens, 
c'était  la  confusion  du  patrimoine  de  la  femme  avec  celui 
du  mari,  sauf,  à  partir  du  vi*  siècle,  le  cas  d'action  ou 
de  caution  relative  à  la  res  uxoria  pour  cause  de  divorce. 
—  Le  mari  était  propriétaire  à  titre  universel. 

Dans  le  mariage  libre,  et  sous  l'influence  des  mœurs 
nouvelles,  le  principe  était,  au  contraire,  la  distinction 
des  patrimoines  de  la  femme  et  du  mari.  Les  biens  don- 
nés ou  apportés  par  la  femme  l'étaient  exclusivement , 
pour  cause  de  dot  et  à  titre  singulier ,  lors  même  que 
la  dot  embrassait  la  totalité  des  biens  existants^*.  Tous 

19  II  y  avait  alors  promissiô  dolis,  dalio  doits.  —  La  dictio  dolis, 
acte  solennel,  n'était  applicable  qu'à  la  femme,  au  père,  à  l'aïeul. 
{  Ulp.  Frag.  vi.  de  Dolibus.  ) 

20  D.  XXIII.  3.  9.  §  3  .  Plane,  si  rerum  libellas  marito  detur,  ut 
Romœ  vulgo  fieri  videmus  ;  nam  mulieres  res ,  quas  solet  in  usu  ha- 
bei*e  in  domo  mariti ,  neque  in  dotem  dat ,  in  libellum  solet  conferre , 
eumque  libellum  marito  offerre,  ut  is  subscribat,  quasi  res  acceperit  ; 
et  velut  chirograpbum  ejus  uxor  retinet  res  quae  libello  continentur  in 
domum  ejus  contulisse.  [Ulp.) 

21  D.  XXIII.  3.  72.  De  jure  dotium.  (Paul.  ) 


CHAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEN.   SECT.  II.  223 

les  biens  non  compris  dans  la  dot  étaient  de  plein  droit 
extra-dotaux  ou  parapliernaux. 

Sous  l'empire  des  XII  Tables,  il  y  avait  une  dot  pos- 
sible, en  ce  sens  seulement  que  des  biens  étaient  ap- 
portés ou  donnés  au  mari;  mais  il  n'y  avait  pas,  pour 
les  biens  venant  de  la  femme ,  de  régime  particulier  ou 
distinct  de  l'administration  maritale.  Une  seule  personne 
civile  existait,  le  mari,  investi  de  la  puissance  paternelle 
et  unique  propriétaire. 

Sous  l'influence  du  Droit  prétorien  ou  du  Droit  non- 
écrit  delà  seconde  période,  il  y  avait  dot  expressément 
constituée,  et,  de  plus,  régime  à  part  des  biens  person- 
nels de  la  femme.  Pendant  le  mariage,  deux  personnes 
civiles  existaient  à  l'égard  des  biens  :  le  mari ,  proprié- 
taire de  la  dot ,  dominus  dotis ,  sauf  résolution  de  droit  en 
certains  cas  ;  —  la  femme ,  propriétaire  de  ses  biens  ex- 
tradotaux ,  et  libre  de  les  gérer. 

Jusqu'alors ,  cependant ,  le  droit  du  mari  sur  les  biens 
de  la  dot  n'est  pas  altéré  ;  c'est  le  droit  du  vrai  proprié- 
taire. Pour  la  première  fois,  il  sera  limité  par  Auguste, 
dans  la  loi  Julia,  de  fuxdo  dotali^-.  Le  mari  sera 
toujours  réputé  maître  de  la  dot,  mais  il  ne  pourra  alié- 
ner le  fonds  dotal  situé  en  Italie ,  sans  le  consentement 
de  la  femme  ;  il  ne  pourra  l'hypothéquer,  même  avec  le 
consentement  de  celle-ci,  qui  se  déciderait  plus  facilement 
à  une  obligation  sans  dessaisissement  qu'à  une  vente  avec 
tradition ,  et  que  le  législateur  veut  protéger  contre  sa 


22  Elle  est  ainsi  désignée  ;  mais  elle  était  comprise  comme  une  dis- 
position de  la  loi  Julia ,  de  marilandis  ordinibus.  (  Paul ,  Sentenl.  ) 


224  LïV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

faiblesse  présumée.  La  prohibition  de  la  loi  Julia  est  une 
limitation  imposée  au  pouvoir  du  mari  sur  la  chose  don- 
née; c'est  un  élément  nouveau  qui  s'introduit  dans  le  droit 
civil.  Avant  la  loi  Julia,  il  y  avait  dot,  mobilière  ou  im- 
mobilière, transmise  au  mari  en  toute  propriété;  il  y 
avait  administration  distincte  des  biens  du  mari ,  quelle 
qu'en  fut  l'origine,  et  des  biens  de  la  femme  non  dotaux 
ou  réservés  ;  —  après  la  loi  Julia ,  il  y  aura  dotalité  des 
biens  immobiliers  apportés  en  dot  par  la  femme  pour 
soutenir  les  charges  de  la  vie  commune;  alors,  mais 
alors  seulement,  le  régime  dotal,  appliqué  d'abord  aux 
fonds  italiques  et  puis  aux  fonds  provinciaux  faisant  partie 
de  la  dot ,  prendra  vraiment  naissance. 

A  partir  de  cette  époque,  la  dot  est  considérée  comme 
chose  d'intérêt  public.  C'est  une  pensée  poUtique  qui  en- 
tre dans  le  Droit  civil  et  qui  lui  impose  une  modification. 
L'Italie  était  dépeuplée  par  suite  des  guerres  civiles;  à 
Rome ,  le  mariage  était  déserté  par  les  Chevaliers  et  par 
les  simples  citoyens '^^.  Il  fallait  repeupler  la  République 
et  favoriser  les  seconds  mariages  ;  aussi  les  jurisconsultes, 
s'associant  à  l'esprit  de  la  loi  Julia ,  disaient  expressé- 
ment :  «  Il  importe  à  la  République  que  les  femmes  con- 
»  servent  leurs  dots  pour  qu'elles  puissent  se  remarier-^.  » 

A  mesure  que  le  germe  déposé  par  la  loi  Julia  s'enra- 
cinera dans  les  mœurs ,  le  Piégime  dotal  rendra  plus  ri- 
goureuses ,  1  **  la  conservation  de  la  dot  ;  2"  l'inaliénabi- 

23  Dion  a  conservé  le  discours  d'Auguste  aux  chevaliers  contre  le  cé- 
libat. Liv.  LVI,  in  piHncip.  Montesquieu,  Esprit  des  lois,  xxiii.  ch.  21. 

24  Reipublicae  interest  mulieres  dotes  salvas  habere  ,  propter  quas 
nubere possunt.  (D.,  xxiii.  3.  2.  {Paul.  ) 


CHAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEN.  SECT.  II.  223 

lité  du  fonds  dotal,  comme  droit  réel,  opposable  aux  tiers. 
—  Déjà  Gaius  disait  que  de  son  temps  les  Jurisconsultes 
doutaient  si  la  loi  Julia ,  de  fundo  dotait,  ne  devait  pas 
être  étendue  des  terres  de  Fltalie  aux  fonds  dotaux  situés 
dans  les  provinces. 

L'intérêt  de  la  femme  et  des  enfants ,  et  à  défaut  de 
ceux-ci ,  l'intérêt  des  parents  de  la  femme  se  substituera, 
dans  le  cours  des  siècles ,  à  l'intérêt  politique  de  la  loi 
Julia,  à  ses  vues  d'encouTagement  pour  les  secondes  no- 
ces. La  dot  sera  purement  et  simplement ,  du  côté  de  la 
femme,  un  moyen  de  concourir  aux  charges  du  ma- 
riage ^^,  et  le  régime  dotal  sera,  pour  la  famille,  la  ga- 
rantie de  son  intérêt  collectif.  Le  mari  cessera  d'être  ré- 
puté le  maître  de  la  dot,  selon  l'ancienne  tradition  :  la 
femme  sera  censée  en  être  restée  propriétaire ,  à  moins 
que  l'époux,  par  l'estimation  des  objets,  ne  soit  réputé 
acquéreur,  débiteur  du  prix  des  choses  dotales ,  et  sou- 
mis aux  risques  de  leur  perte ^®.  La  dot  sera  toujours 
considérée,  sans  doute,  comme  une  institution  d'ordre 
social;  mais  l'intérêt  des  enfants  et  de  la  famille  con- 
stituer^Plintérêt  d'ordre  public,  et  la  maxime  des  juris- 

25  Dotis  fructum  ad  maritiim  pertinere  debere  œquitas  suggerit. 
Cum  enim  ipse  ouera  matrimonii  subeat,  aequum  est  etiam  fructus 
percipere.  (Z).,  xxni.  3.  7.  L'Ip.  ) 

Pro  oneribus  matrimonii  mariti  lucro  fructus  totius  dotis  esse 

manitestissimi  juris  est.  {Cod.  Just.,  v.  12.  20  Diocl.,  an,  293.) 

26  Plerumque  interest  viri  res  non  esse  îestimatas ,  ne  periculum 

rerum  ad  eum  pertineat Si  prœdiis  inœstimatis  aliquid  accessit 

hoc  ad  compendium  mulieris  pertinet    Si  aliquid  decessit  mulieris 
damnum  est.  (Z).,  xxiii.  3.  10.  Llp.) 

Quotiens  res  sestimalae  in  dotem  dantur,  maritus  dominium  conse- 
cutus ,  summœ  f cZm<  prelii  débiter  efficitur.  {Cod.  Jusl.,  v.  12  5. 
Ale^.,  an  221 .  ) 

T.  t.  15 


226  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

consultes  de  l'Empire  sera  conservée  seulement  dans  sa 
première  partie ,  en  devenant  un  principe  absolu  :  Rei- 

PUBLIC^  INTEREST  MULIERES  DOTES  SALVAS  HABERE^'. 

Ainsi  les  institutions  se  développent ,  se  fortifient  en  s'é- 
loignant  de  leur  origine  et  des  motifs  qui  les  avaient  fait 
naître.  —  Ainsi  les  principes  nouveaux  qu'elles  s'appro- 
prient leur  communiquent  un  redoublement  de  vie ,  de 
durée,  et  une  puissance  inépuisable  de  transformations. 

m.  —  La  distinction  du  patrimoine  des  époux,  qui 
se  liait  directement  au  mariage  libre  et  à  la  dot ,  entraî- 
nait la  possibilité  des  donations  entre  mari  et  femme. 

Les  donations  anle  nupUas  étaient  permises  de  la  part 
du  futur  époux  ou  de  la  future  :  le  plus  souvent  elles 
étaient  faites  par  le  futur,  en  récompense  ou  en  vue  de 
la  dot ,  mais  sans  aucune  condition  d'égalité.  La  dona- 
tion ante  nuptlas  était  une  donation  entre  vifs  ,  irrévoca- 
ble ^«. 

Le  danger  des  donations  entre  vifs ,  pendant  le  mariage^ 
les  fit  exclure;  la  prohibition  fut  établie  par  le  droit  non- 
écrit.  «  Il  est  reçu  chez  nous,  par  la  coutume,  dil^Llpien, 
que  les  donations  entre  mari  et  femme  ne  sont  pas  va- 
lables :  MORiBUS  apud  nos  receptum  est,  ne  inter  virum  et 
uxorem  donationes  valermit^^ .  »  On  voulait  éviter  que  les 

27  C'est  la  maxime  qui  a  survécu  dans  les  pays  de  droit  écrit ,  et  qui 
revit  dans  notre  Code  sur  le  régime  dolal.    - 

28.  D.  xxili.  3.  7.  §  l.  9.  §  1.  —  D.  XXTV.  1.  66.  —  Cod.  v.  3.  1. 
29  D.  XXTV.  1  :  Ne  mutuato  a  more  invicem  spoliarentur.  (  L.  i.  ) 
Ne.concordia  pretio  conciliari  videretur.  (  L.  3.  Ulp.  ) 
Quia  sœpe  futurum  esset  ut  discuterentur  matrimonia  si  non  dona- 
ret  is  qui  posset,  atque  ea  ratione  eventurum  ut  venalia  essent  matri- 
monia. (  L.  2,  Vaul.  ) 


CHAP,  V.  DROIT  PRÉTOTIIEN.  SECT.  II.  227 

époux  ne  se  dépouillassent  l'un  l'autre  par  entraînement 
d'affection  mutuelle ,  ou  que  les  mariages  ne  fussent 
troublés  par  des  refus  de  donation  ;  on  voulait  garantir 
l'époux  le  plus  délicat  contre  les  sollicitations  intéressées 
de  son  conjoint,  garantir  le  mariage  lui-même  de  l'at- 
teinte des  divorces,  inspirés  par  le  ressentiment  des 
âmes  vénales  ;  on  voulait  enfin,  en  cas  de  divorce,  faci- 
liter les  seconds  mariages  par  la  conservation  de  la  for- 
tune de  chaque  époux. 

Les  donations  entre  vifs,  même  mutuelles,  étaient  pro- 
hibées par  ces  motifs,  à  moins  qu'il  n'y  eût  entre  elles 
une  parfaite  égalité  :  dans  ce  cas ,  la  donation  prenait  le 
caractère  d'un  échange^''.  Or,  la  donation  entre  vifs 
était  prohibée,  à  raison  des  motifs  d'ordre  public  qui 
viennent  d'être  rappelés;  mais  les  autres  contrats,  tels 
que  la  vente,  l'échange,  le  prêt,  le  mandat,  n'étaient 
point  interdits  d'un  époux  à  lautre  :  la  règle,  à  ce  sujet, 
c'était  la  capacité. 

La  prohibition  des  avantages  entre -vifs  n'était  éta- 
blie, au  surplus,  qu'en  vue  du  mariage  et  de  la  personne 
même  des  époux.  Elle  n'était  point  fondée  sur  l'intérêt  des 
familles  respectives  ,  et  sur  la  conservation  des  biens  dans 
ces  familles.  Aussi  les  époux,  en  général ,  étaient  libres 
de  s'instituer  héritiers  et  de  se  léguer  par  testament,  ou 
de  se  donner  par  donation  à  cause  de  mort  :  entre  mari  et 
femme,  les  donations  à  cause  de  mort  étaient  permises 

30  D.  xxïT.  1.  7.  §  2  :  Placuit  compensationerti  fieri  donationiiin. 
Cette  loi  a  eu  de  l'influence  sur  notre  ancienne  jurisprudei  c  '.  Nos  ju- 
risconsultes appliquaient  la  loi  7  au  don  mutuel.  La  Glose  de  Godefroy 
renvoie  au  comment,  de  Pyrrhus  sur  la  Coul.  d'Orléans.  {Aurelinn.  con- 
sueUidines  a  Pyrrhoenuclealœ.  Disp.  de  donal.  muL,  édit.  1547,  f«  170} 


%%S  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

parce  que  l'événement  delà  donation ,  dit  Gains ,  se  pro- 
duit dans  un  temps  où  il  n'y  a  plus  ni  mari  ni  femme  ^*. 

IV.  —  Les  femmes  non  seulement  pouvaient,  selon 
l'ancien  droit,  être  gratifiées  de  dons  et  legs,  ou  se  voir 
instituer  héritières  par  le  testament  de  leur  mari;  elles 
pouvaient  aussi  recevoir  de  parents  ou  même  d'étrangers 
des  legs  et  des  institutions  testamentaires.  Cette  faculté 
illimitée  d'accepter  des  libéralités  engendra  de  graves 
désordres  dans  la  cité  et  dans  la  famille.  Ce  fut  pour  y 
remédier  et  pour  arrêter  l'affaiblissement  des  mœurs  an- 
tiques que  M.  P.  Caton  fit  porter,  par  le  tribun  Yoconius, 
et  soutint  avec  énergie,  en  585,  la  Loi  Yoconia,  dont 
les  prohibitions ,  dirigées  contre  les  femmes ,  s'appliquè- 
rent aux  testaments  des  pères ,  des  maris  et  de  tous  les 
citoyens  étrangers  à  la  parenté  ^'^. 

Bien  des  systèmes  se  sont  produits  à  l'occasion  de  cette 
Loi  célèbre  ;  les  circonstances  dans  lesquelles  elle  a  été 
rendue  peuvent  concourir  à  en  éclairer  l'esprit  politique 
et  civil  ^^. 

31  D.  XXIV.  1.  9.  §  2.  10  §  1  :  Quo  vir  et  uxor  esse  desinunt. 

Sous  l'Empire  [211],  les  donations  eutre  vifs  restèrent  prohibées  à 
ce  titre  ,  mais  elles  furent  assimilées  à  des  donations  à  cause  de  mort, 
révocables  par  l'époux  donateur,  et  subordonnées  à  la  survie  de  l'époux 
donataire. 

32  Quum  ego  quideni  (Cato)  V  etLX  annos  ûatus  legem  Voconiani 
magna  voce  et  bonis  lateribus  suasissem.  Cic.  de  Senect.,  v 

33  On  peut  consulter  Aymar  Rivail,  Historia  Juris  [1515J;  le  pré- 
sident Bbisson  ,  de  Verh.  signif.  ;  Hottmann  ,  Index  legum  ;  Pekizo- 
Nius,  de  lege  Voconia  [  1G79  J ,  qui  a  éclairci  beaucoup  de  difllcultés  ; 
ViNNius,  Inst,,  11.  23 ,  no  5;  Gravina,  de  Leg.  et  SNC,  cap.  7G  ; 
Heinecctus  ,  Ant.  rom. ,  annotées  par  Humbold  et  Muihenbruk ,  ii. 
44.  §  2  ;  iMoNTESQi'iEU  ,  XXVII ,  cbap.  unique  ;  Savigny,  Comm.  sur 
la  loi  Voconia;  M.  Giuaud,  Mém.  à  l'Acad.  des  sciences,  nior.  [1841]. 


CHAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEN.  SECT.   II.  229 

Depuis  l'agrandissement  de  Rome  par  des  conquêtes 
lointaines,  le  sénat  avait  acquis,  dans  l'administration  de 
l'Etat,  une  immense  autorité.  Mais  la  noblesse  patri- 
cienne, comme  aristocratie,  voyait  tous  les  jours  dimi- 
nuer sa  puissance  ;  l'équilibre  entre  les  deux  Ordres  qui 
avaient  fait  la  force  de  la  République,  subissait  une  pro- 
fonde altération.  Les  Chevaliers  et  même  les  Plébéiens 
assez  riches  pour  payer  le  cens  sénatorial ,  étaient  intro- 
duits en  grand  nombre  dans  le  sénat '^.  Le  censeur  Ap- 
pius  Claudius  avait  donné ,  au  v^  siècle ,  l'exemple  de  fils 
d'affranchis  créés  sénateurs"'^.  Les  plébéiens  acquéraient 
des  richesses  et  par  l'effet  des  victoires  de  la  Républi- 
que ,  et  par  leur  union  avec  des  femmes  de  race  noble  ou 
patricienne,  qui  apportaient  de  grands  biens  en  dot,  et 
qui  recevaient,  en  outre,  pendant  le  mariage,  des  legs 
et  même  des  hérédités.  La  République  était  donc  entraî- 
née, en  même  temps,  sur  le  penchant  de  la  démocratie  et 
vers  la- corruption  des  mœurs  publiques  et  privées,  con- 
séquence presque  nécessaire  des  richesses  et  du  luxe.  — 
Quelques  grands  personnages  avaient  fait  effort,  vers  la 
fin  du  VI*  siècle ,  contre  ce  double  entraînement  :  le  Cen- 
seur Simpronius  Gracchus,  par  son  action  sur  les  Tribus 
[584];  les  Censeurs  Fulvius  etPosthumius,  par  leur  ac- 

Ce  Mémoire  rappelle  les  productions  de  la  science  allemande  sur  la  loi 
Voconia  ;  et  Tun  des  érudits  d'outre-Rhin  a  méconnu  son  vrai  carac- 
tère ,  qui  est  d'offrir  une  analyse  critique  des  travaux  contemporains. 

34  Le  cens  sénatorial  était  de  800  sesterlia  ou  800,000  seslerlii 
(  131,000  fr.  )  —  L'ordre  des  chevaliers  fut  appelé  vers  cette  époque  le 
séminaire  du  sénat  :  seminnrium  senalifs.  (  Tilc-Live  ,  xlii.  Ot.  ) 

35  Ap.  Claudii  censura  vires  nacta  ,  qui'senatum  primus  libertino- 
rum  filiis  lectis  inquinaverat.  (  TU.  Liv.,  \x.  46.) 

INiebuhr,  v.  p.  407,  place  la  censure  d'Appius  Claudius  à  l'an  4S6. 


230  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

tien  sur  le  Sénat  qui  put  voir  parmi  les  sénateurs  dégradés 
l'indigne  fils  du  grand  Scipion  [579]  ;  le  tribun  G.  Op- 
pius  y  par  la  loi  Oppia,  contre  le  luxe  des  Matrones  [540], 
loi  qui  fut  abrogée  vingt  ans  après  sa  date ,  malgré  la 
véhémence  de  P.  Caton,  et  aux  applaudissements  des 
femmes  romaines;  enfin  le  tribun  G.  Furius,  par  les 
premières  tentatives  de  la  loi  Furia,  jpour  réprimer  la 
valeur  excessive  des  legs  [571].  —  Gaton  le  Genseur, 
quoiqu'il  ne  fût  pas  de  race  patricienne,  et  qu'il  eût 
trouvé  même  les  patriciens  opposés  à  sa  Gensure,  l'aus- 
tère Gaton  s'associa  fortement  à  l'espril  de  résistance,  et 
embrassa  dans  ses  vues  l'ordre  politique  et  civil. 

Par  la  loi  Voconia,  dont  la  pensée  lui  appartient,  il 
éleva  une  barrière  contre  les  déplacements  des  grandes 
fortunes.  Il  entreprit  de  raffermir  l'aristocratie  patri- 
cienne, en  faisant  une  Loi  prohibitive,  toute  favorable 
aux  citoyens  de  la  première  classe,  et  en  empêchant  les 
plus  opulentes  successions  de  passer,  par  les  femmes  y 
dans  des  familles  étrangères.  Le  principe  de  la  loi  Yo-- 
conia ,.  dans  l'ordre  politique,  état  k  conservation  des 
biens  dans  les  familles  les  plus  riches  et  les  plus  illus- 
tres^'^. —  Dans  l'ordre  civil,  Gaton  eut  pour  objet  de 
fortifier  le  gouvernement  domestique  :  il  voulait  relever 
la  puissance  maritale,  atteinte  dans  sa  force  et  sa  dignité 
par  les  institutions  testamentaires  et  la  grandeur  des  legs 
qui  se  multipliaient  en  faveur  des  femmes;  il  voulait 

36.  Tit.  Liv.,  xli.  34.  Hactenus  feminas  non  minus  qiiam  viros  ad 
hereditates  admitti  jus  fuerat.  Inde  fiebat  ut  illuslrissimarum  sœpe 
familiarum  bona  in  aliénas  domos  transfundcFentur ,  magno  cuni  rei- 
publicœ  danino,  cujus  iuterest  claroruin  nominum  lieredibu.s  suppe- 
t«re  opes.  .. 


CHAP.    V.  DROIT   PRÉTORIEN.    SECT.  II,  231 

réfréner  le  luxe  des  matrones,  l'esprit  d'orgueil  et  de 
domination  qu'elles  puisaient  dans  le  sentiment  de  leurs 
richesses,  et  prévenir  la  dépendance  humiliante  dans  la- 
quelle, impérieuses  créancières,  elles  maintenaient  leurs 
maris  débiteurs ,  toujours  menacés  des  poursuites  d'un 
esclave ,  ou  des  volontés  d'une  épouse  irritée^'. 

Conserver  les  forces  respectives  et  l'équilibre  des  Or- 
dres de  l'Etat;  —  maintenir  ou  fortifier  les  mœurs  de  la 
famille  :  tel  fut  donc  l'esprit  général  de  la  loi  Yoconia. 

Pour  retrouver  l'ensemble  de  ses  dispositions,  on  ne 
peut  aujourd'hui  que  rassembler  et  comparer  différents 
passages  de  Cicéron,  de  Tite-Live ,  de  Gains,  d'Aulu- 
Gelle,  de  Quintilien ,  de  Pline,  de  Saint-Augustin.  Une 
première  remarque  est  essentielle  :  le  but  principal  des 
dispositions  de  la  loi  était  relatif  aux  hérédités  et  ^ux 
legs  qui  concernaient  les  femmes.  Mais  ce  n'était  pas  son 
seul  objet  ;  elle  en  avait  un  autre  d'une  importance  se- 
condaire ,  et  cependant  d'une  application  plus  générale  : 
c'était  de  réduire  les  legs,  sans  distinction  du  sexe  des 
légataires,  à  une  portion  égale  à  celle  de  l'héritier,  et 
d'ajouter  ainsi,  en  faveur  des  héritiers  institués,  une  ga- 
rantie vainement  cherchée  par  la  loi  Furia ,  antérieure 
de  quelques  années  ^^.  Nous  n'avons  pas  à  nous  occuper 
ici  de  cette  seconde  partie  de  la  loi  Yoconia  ;  nous  vou- 
lons seulement  nous  attacher  au  but  principal  de  la  loi , 

37  Peouniam  viro  dat  mutuaiii  :  postea  uhi  irala  fada  est  servum 
receptitium  sectari  atque  flagilare  vîrum  jubel.  [Aulu-Gell. ,  xvii.  6.  ) 

38  Ideo  postea  lata  est  lex  Yoconia  ,  qiia  cautum  est  ne  cui  plus  le- 
gatorum  noniine  niortisve  causa  capere  liceret ,  quam  heredes  cape- 
rent.  {Gains,  ii..§  226.) 


232  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE, 

aux  résultats  qui  concernent  les  femmes  romaines ,  et  à 
ceux  de  ces  résultats  cfui  paraissent  les  mieux  soutenus 
par  la  combinaison  des  textes  anciens  ou  nouveaux. 

La  loi  Voconia,  dans  ses  rapports  avec  le  sujet  qui 
nous  occupe,  avait  deux  dispositions  fondamentales  : 

L'une  prohibait  Tinstitution  d'héritier  en  faveur 
d'une  femme  romaine,  mariée  ou  non  mariée; 

L'autre  limitait  à  une  certaine  portion  la  faculté  de  dis- 
poser en  faveur  des  femmes,  a  titre  de  legs. 

Quant  aux  successions  ab  intestat,  la  loi  Yoconia  y 
était  restée  complètement  étrangère. 

Nous  devons  considérer  rapidement  ces  divers  points 
de  vue. 

I'*  La  prohibition  relative  à  l'institution  d'héritier  n'é- 
tait pas  absolue;  elle  concernait  seulement  les  citoyens, 
hommes  ou  femmes ,  qui  étaient  inscrits  au  Cens ,  dans 
la  première  classe,  établie  d'après  l'ancienne  distribu- 
tion de  Servius  Tullius;  c'est-à-dire  dans  la  classe  de  ceux 
qui  possédaient  un  patrimoine  de  cent  mille  as  et  au 
dessus  ^^.  —  Ceux-là  ne  pouvaient  pas  instituer  une  fem- 

39  Annius  Asellus....  quum  haberet  iinicam  filiam  ,  neque  census 
ESSET,  quod  eum  natura  liortabatur,  lex  nuHa  prohibebat,  fecit  ut 
filiam  bonis  suis  heredem  institueret.  (  Cic,  in  Verrem.,  i.  41.  \ 

Voconius....    sanxit  in  posterum   qui  post  eos  censores  census 

ESSET,  NE  QUIS  HEREDEM  VIUGINEM  NEVE  MULIEKEM  faCCret.  {M.  42.) 

Item  mulier,  quœ  abeo  qui  centdm  millia  .^ris  census  est,  per 
Jegem  Voconiam  beres  institui  non  potest...  {Gains  ,  ii.  §  274.  ) 

Les  cenliim  millia  œris  se  rapportent  aux  cent  mille  as  de  Servius 
Tullius;  car  Varron  dit  formellement  que  ^s  était  pris  pour  l'ancien 
mot  AS,  [De  Ling.  lai.,  v»  ms.  )  Aulu-Gelle ,  vu.  13  ,  dit  aussi  ccnlum 
millia  œris.  Le  mémoire  de  M.  Giraud  réfute  victorieusement  les  ar- 
guments contraires  (p.  27.)  Long-temps  avant  la  découverte  du  ma- 


CHAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEN.  SECT.  IL  233 

me  comme  héritière,  même  leur  fille  ou  leur  épouse, 
même  leur  fille  unique  ^'^  :  sur  ce  dernier  point  on  pos- 
sède le  témoignage  de  Tite-Live  et  celui  de  Saint-Au- 
gustin qui  dit,  dans  la  Cité  de  Dieu ,  nec  unica3I  filiam; 
ce  qui  exclut  les  conjectures  contraires  de  Savigny. 

Les  citoyens  inscrits  au  Cens,  dans  une  classe  infé- 
rieure à  la  première,  ou  ceux  qui  n'auraient  atteint  la  for- 
tune des  cent  mille  as  que  dans  l'intervalle  des  cinq  ans , 
d'un  recensement  à  un  autre,  pouvaient  librement  con- 
férer à  une  femme  romaine ,  mariée  ou  non  mariée ,  l'in- 
stitution d'héritier  ;  l'incapacité  ne  les  frappait  nullement 
ou  ne  les  frappait  point  encore^*. 

nuscrit  de  Gaius  ,  ce  point  avait  été  comme  deviné  par  notre  plus  an- 
cien historien  de  droit ,  Aymar  Rivail  :  Ise  quis  census ,  hoc  est 
pecuniosus,  heredem  nec  uniouni  filiam,  rehnqueret.  Erat  autem  cen- 
sus ille  qui  centinn  millia....  detulisset.  (Il  se  trompait  seulement  sur 
la  valeur  de  l'as,  auquel  il  substitue  cenlum  millia  sesleriitim.) 

40  jN'llli  ncqiie  virgini ,  neque  mulieri....  (  Cic,  in  Verr.,  v.  42.  ) 

«  ?se  quis ,  qui  census  esset ,  heredem  virginem ,  neve  mulierem  fa- 
ceret.  »  (  lit.  Liv.,  xli.  34.  ) 

Lata  est  etiam  illa  lex  Voconia  ne  quis  heredem  feminam  faceret , 
nec  UNicAM  FILIAM.  (  S.  AuGUST.,  de  Civil,  dci.,  m.  21.  ) 

41  Classici  dicebantur  non  omnes  qui  in  classibus  erant ,  sed  primœ 

tantum  classis  homines Infra  classem  autem  appellantur  secundae 

classis ,  caeterarumque  omnium  classium ,  qui  minore  summa  seris 
censebantur.  Hoc  eo  strictim  notavi  quoniam  in  M.  Catonis  oratione, 
qua  Voconiam  legem  suasit ,  quaeri  solet  quid  sit  classicus ,  quid  infra 
classem.  {Aulu-Gell.,  vu.  1.3.  ) 

Voconia  le.x  te  videlicet  delectabat?  —  Imitatus  esses  ipsum  Voco- 
nium  qui  lege  sua  hereditatem  ademit  nulli  neque  virgini,  neque 

mulieri.  Sanxit  in  posteruin  qui  iposl  cos  censorcs  census  csscl — 

Post  te  prœtorem  multi  testamento  eodem  modo  feceruut  :  in  his 
nuper  Annia.  Ea,  de  multorum  propinquorum  sententia,  pecuniosa 
mulier ,  quod  censa  non  crat ,  testamento  fecit  heredem  filiam.  (  Cic, 
in  Ferr.,  I.  42.  43.  ) 


234  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMALNE. 

2"  A  l'égard  des  simples  legs ,  c'était  aux  citoyens,  in- 
scrits dans  la  première  Classe ,  que  s'adressait  aussi  la  Loi 
Voconia'^^  :  elle  leur  défendait  de  léguer  à  une  femme 
au-delà  de  la  portion  légalement  déterminée.  Cette  por- 
tion paraissait  être,  règle  générale,  du  quart  de  leurs 
biens.  On  peut  opposer  les  expressions  de  Tite-Live  qui 
fixe  en  sesterces  la  valeur  disponible.  Mais  au  vi*  siè- 
cle;, le  Sesterce,  dans  ^on  rapport  avec  le  denier  d'ar- 
gent ,  unité  monétaire ,  représentait  le  Quadrans  dans  son 
rapport  avec  l'ancien  As  d'airain ,  unité  monétaire  de  Ser- 
vius  Tullius;  c'était  la  nième  quotité,  le  quart,  expri- 
mée différemment;  et  le  legs  permis  était  vraisemblable- 
ment un  legs  partiaire,  ex  (luadranie^^ .  Dion  Cassius ,  en 
marquant  l'usage  pratiqué  du  temps  d'Auguste ,  nous 

42  Quid ,  si  plus  legaril  quam  ad  heredem ,  heredesve  perveniat , 
quod  per  legein  Voconiam  ei  qui  census  sit  non  licel?(Cic.,  in 
Verr.,  i.  43.  )  Tite-Live  n'offre  pas  un  texte  aussi  précis. 

43  Tit.  Liv.,  xLi.  34  :  Ne  liceat.....  percipere  ultra  centum  miilia 
sestertium.  On  sait  que  le  livre  xli  de  Tite-Live  n'a  pas  été  parfaite- 
ment conservé  ;  mais  on  peut  expliquer  le  texte  de  Tite-Live  par  le  pas- 
sage de  Pline  sur  la  transformation  des  monnaies  à  Rome  (liv.  xxxiii. 
cap.  3.)  L'as  originaire,  valeur  de  poids  et  valeur  intrinsèque,  équi- 
valait à  une  livre  de  douze  onces  d'airain.  Pendant  la  première  guerre 
punique ,  l'as  est  diminué  de  dix  onces  quant  au  poids,  et  conserve  sa 
valeur  première,  comme  signe  représentatif.  U'œs  (pesant  deux 
onces)  est  frappé  comme  unité  monétaire,  et  avec  lui  des  monnaies 
représentant  le  tiers  et  le  quart,  de  l'as ,  et  appelées  l'une  triens , 
Vautre  quadrans.  Pendant  la  deuxième  guerre  punique,  l'as  fut  ré- 
duit au  poids  d'une  once.  —  Mais  le  denier  d'argent ,  unité  nouvelle  , 
représenta  seize  as  ou  seize  onces,  et  le  sesterce  représenta  quatre 
as  ou  quatre  onces.  Ainsi  le  sesterce  ,  dans  son  rapport  avec  le  de- 
nier, représenta  le  quadrans ,  dans  son  rapport  avec  l'as  d'airain  ; 
c'était  toujours  le  quart  par  rapport  à  l'unité  monétaire ,  et  le  signe 
du  quart  considéré  comme  quotité  {quadrans). 


CHAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEN.  SECT.  II.  235 

apprend  que  pour  laisser  un  tiers  de  ses  biens  à  Livie 
(ex  iriente),  Auguste  fut  obligé  de  demander  au  sénat 
l'autorisation  de  léguer  au-delà  de  la  portion  permise 
par  la  Loi^*  :  donc  la  portion  ordinaire  et  légale  était 
inférieure  aux  tiers. 

Mais  il  y  avait,  à  l'égard  des  legs,  une  exception  en 
faveur  de  la  fille  unique  du  testateur.  Cicéron  a  tou- 
jours expressément  distingué  la  fille  unique  à  l'égard  des 
autres  femmes.  Dans  le  Traité  de  la  République ,  où  il 
représente  la  loi  Voconia  comme  s'appliquant  tout  à  la 
fois  aux  legs  et  aux  hérédités  concernant  les  femmes,  il  se 
demande  pourquoi ,  s'il  s'agissait  d'imposer  une  mesure 
à  la  fortune  des  femmes ,  la  fille  de  Crassus  pourrait  avoir 
millies  œris ,  100  millions  de  sesterces  (ou  21  millions  de 
francs),  si  elle  était  fille  unique,  tandis  que  sa  fdle 
à  lui,  qui  avait  alors  un  fils,  n'en  pouvait  avoir  que  tri- 
cies ,  3  millions  de  sesterces  (ou  630,000  francs). — Cette 
différence  entre  la  situation  des  deux  filles  de  Crassus  et 
de  Cicéron  ne  peut  être  expliquée  par  la  différence  entre 
l'hérédité  ab  inlestat  et  l'hérédité  testamentaire  ;  car  Cicé- 
ron aurait  pu ,  comme  Crassus  ,  ne  pas  faire  de  testa- 
ment ;  mais  elle  s'explique,  tout  naturellement,  et  par 
la  différence  de  fortune  entre  Crassus  et  Cicéron  dispo- 
sant Fun  et  l'autre  en  faveur  de  leur  fille,  et  jxir  la  dif- 
férence de  qualité  entre  les  deux  filles  :  cella  de  Crassus 
était  supposée  fille  unique^  tandis  que  la  fille  de  Cicéron, 
à  l'époque  où  il  écrivait  son  Traité ,  en  70  i ,  avait  un 
frère.  La  portion  disponible  en  faveur  de  la  fille  unique 

44  Ex  tricnle  Livia a  senatu  petierat  ut  tantum  etiam  prœter 

legum  prœscripta  legare  ei  posset....  {Dion.,  lvi.  —  Xyland.  inlerp.) 


236  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

était  probablement  de  la  moitié  des  biens.  Crassus  pou- 
vait donner  à  sa  fille  unique  mUlies  œris ,  disait  Cicéron; 
or,  il  était  de  notoriété  publique,  à  Rome,  que  Crassus 
avait  une  fortune  territoriale  évaluée  à  bis  millies  :  le 
fait  est  attesté  par  Pline  l'ancien  ^^.  C'était  donc  à  la 
moitié  de  la  fortune  de  Crassus  que  Cicéron  faisait  allu- 
sion ,  en  parlant  de  son  droit  de  disposer ,  s'il  avait  une 
fille  unique.  —  Le  titre  et  le  texte  d'une  déclamation  de 
Quintilien,  sur  la  fraude  à  la  loi  Yoconia,  ne  permettant 
de  donner  à  une  femme  que  la  moitié  des  biens ,  ne  liceat 
mulieri ,  nisi  dimidiam  partem  bonorum  dare ,  ne  peuvent 
se  rapporter  qu'à  ce  cas  particulier  d'une  fille  unique. 
Le  témoignage  de  Dion,  sur  les  autres  cas,  détermine  à 
moins  du  tiers  la  quotité  disponible  ^^\ 

Quoi  qu'il  en  soit,  sur  l'exacte  quotité,  la  différence 

45  Cic,  de  Rep. ,  m.  7  :  Cur  aiitem  si  peciinise  modus  statuendus 
fuit  feminis ,  Crassi  filia  posset  liabere ,  si  nnica  patri  «sset ,  œres  mil- 
lies salva  lege;  mea  tricies  non  posset?  —  Plin.,  Hist.  nat.,  xxxiii. 
10  :  M.  Crassus  negabat  locupletem  esse,  nisi  qui  redditu  annuo  le- 
giouem  tueri  posset.  —  In  agris  suis  sestertium  mm.  possedit, 
Quiritium  post  Syllam  diditissimus.  {Elzèvyr,  1635.) 

46  Quintil. ,  Déelam.,  n»  264  (m  fine)  :  Satis  hoc  quacsitum  ne  uni 
plus  quani  dimidia  pars  patrimonii  relinqueretur.  —  La  quotité  ordi- 
naire du  quart  est  conforme  à  l'opinion  d'Hottmann ,  de  Cujas ,  de 
Vinnius  (ii.-  c.  23),  de  Gronovius,  de  Gravina  (c.  76.)  —  Nous  n'avons 
pas  trouvé  de  motif  sufflsaut  pour  la  rejeter.  M.  Giraud  a  supposé  que 
la  portion  ordinaire  était  de  la  moilié.  Il  nous  semble  que  l'erreur  vient 
de  ce  que  M.  Giraud  n'a  pas  fait  une  distinction  qui  naît  des  textes, 
entre  la  tille  unique  et  les  autres  femmes. 

D'après  la  proportion  de  la  demie  et  du  quart,  indiquée  dans  notre 
texte  ,  il  résulterait  que  Crassus  avait  une  fortune  territoriale  évaluée 
à  200  millions  de  sesterces,  ou  42  millions  de  francs,  et  que  Ci- 
céron avait  une  fortune  de  la  valeur  de  12  millions  de  sesterces ,  ou 
2  millions  520,000  francs. 


CHAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEN.  SECT.  II.  237 

entre  les  libéralités  autorisées  n'allait  pas  certainement 
jusqu'à  permettre  de  donner  à  la  fdle  unique  la  totalité 
des  biens  :  on  ne  l'aurait  pu  que  par  l'institution  d'héri- 
tier; et  saint  Augustin,  dans  la  Cité  de  Dieu,  a  dit  po- 
sitivement que  la  loi  Yoconia  ne  permettait  point  d'in- 
stituer une  femme  pour  héritière ,  pas  même  une  fille 
unique. 

3°  Le  passage  de  Cicéron,  que  nous  avons  interprété 
plus  haut,  sur  la  position  de  la  fille  unique  de  Crassus, 
et  le  témoignage  de  Saint-Augustin ,  qui  confirme  celui 
de  Tite-Live ,  repoussent  la  doctrine  professée  par  Savi- 
gny,  savoir,  que  la  loi  Yoconia  autorisait  l'institution 
d'héritier  en  faveur  de  la  femme  romaine,  lorsque  l'in- 
stituée aurait  pu  recueillir  l'hérédité  ab  intestat  ^'.  La 
loi  Yoconia  prohibait  formellement  l'institution  d'héritier 
en  faveur  de  la  femme,  de  la  part  des  citoyens  de  la 
première  classe,  sans  aucune  distinction  :   «  Ne  quis 

(CEiSSUS)  HEREDEM  VIRGINEM  NEVE  MULIEREM  FACIAT.  *^  » 

Mais  elle  restait  complètement  étrangère  aux  successions 
ab  intestat.  Quelques  déplacements  de  fortune  étaient 
sans  doute  possibles  en  ce  cas ,  par  l'effet  des  mariages  ; 
mai^  en  statuant  sur  les  hérédités  testamentaires  des  ci- 
toyens de  la  première  Classe ,  la  loi  protégeait  la  plupart 
des  riches  patrimoines  contre  l'influence  des  femmes  ;  car 
les  citoyens,  et  surtout   les   citoyens  notables,  répu- 

47  Savigny,  Coram.  ùber  die  lex  Voconia;  vorgelesen  in  der  Berlin. 
Akad.  (1820.)  —  Mùhlembruch ,  in  Heinecc. ,  Antiq.  Piom.,  p.  432. 

48  Cic,  in  Verr.,  1.  42.  Tite-Live  répète  les  mêmes  expressions  de 
la  loi  :  Virginem  neve  mulierem  ;  Gaïus  dit  sans  distinction  aucune  : 

MuLiER  ab  eo  qui  census  est per  legem  Voconiam  i?\Stitui  non 

POTEST.  (il.  §  274.  ) 


238  LIV.  I.  —  EPOQUE  ROMAINE. 

gnaient  à  mourir  «6  intestat.  Tous  ,  au  contraire,  étaient 
jaloux  d'exercer  leur  puissance  de  tester.  —  En  portant 
ses  prohibitions  sur  les  hérédités  testamentaires ,  la  loi 
statuait  donc  pour  les  cas  les  plus  ordinaires.  L'hérédité 
légitime  ou  ab  intestat  n'était  que  l'exception  dans  les 
mœurs  de  Rome  et  des  patriciens. 

La  loi  Vo^onia ,  qui  restreignait  la  fortune  des  fem- 
mes, en  gênant  la  liberté  testamentaire  des  hommes, 
rencontra  de  vives  oppositions  dans  les  esprits,  et  con- 
tribua à  l'introduction  de  l'usage  des  fidéicommis.  Ci- 
céron  lui-même  la  critique  ouvertement  dans  le  Traité 
de  la  République.  Il  dit  qu'elle  avait  été  portée  pour 
l'utilité  des  hommes,  et  qu'elle  était  pleine  d'injustice 
outre  les  femmes. — «  Pourquoi  donc,  ajoute-t-it,  la  fem- 
»  me  n'aurait-elle  pas  une  grande  fortune?  —  Pourquoi 
»  la  mère  d'une  Yestale  ne  pourrait-elle  pas  avoir  sa  fdle 
»  pour  héritière,  lorsque  la  Vestale  peut,  par  testament, 
.»  se  donner  un  héritier?  »  L'objection  était  faite  par  le 
jurisconsulte  philosophe  de  Rome  ;  mais  le  philosophe 
était  le  père  qui ,  plus  tard ,  éleva  un  temple  à  la  mé- 
moire de  sa  chère  Tullie.  L'objection  ,  tirée  d'un  cas 
singulier,  prouvait  peu,  du  reste,  contre  l'esprit  général 
de  la  loi  de  Caton.  Et  cependant  Auguste  en  fut  frappé; 
car  Dion  Cassius  nous  apprend  qu'il  affranchit  de  la  loi 
Yoconia  les  femmes  qui  se  vouaient  à  une  virginité  per- 
pétuelle^^. 

Pour  vaincre  la  résistance  que  la  loi  trouvait  dans  les 
mœurs,  d  parait  qu'en  certaines  circonstances,  peut- 

49  Ea  quoque  Lege  quasdam  solvit,  quae  perpetuam  virginem  ser- 
vareut.  (Dio  Cass.,  lib.  lvi.  Xyland.  inlerp.) 


CHAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEN.  SECT.  II.      239 

être  au  moment  de  rinscription  au  Cens,  on'  faisait  jurer 
aux  citoyens  l'observation  de  la  loi  ^".  Mais  ils  éludaient 
la  loi  et  le  serment  par  les  fidéicommis  ;  et  du  temps 
de  Cicéron,  où  les  fidéicommis  n'avaient  pas  encore  la 
force  obligatoire,  l'estime  s'attachait  au  nom  du  citoyen 
qui  avait  accompli  le  vœu  du  défunt,  et  le  blâme  frap- 
pait celui  qui  préférait  ses  intérêts  et  l'observation  de  la 
loi  \  oconia  au  respect  des  intentions  du  testateur. 

La  Loi  prohibitive  avait  sa  sanction  dans  des  dis- 
positions pénales,  qui  faisaient  une  part  au  Trésor  pu- 
blic^', et  dans  le  principe  général  du  droit,  qui  défen- 
dait aux  citoyens  de  faire  fraude  à  ta  loi,  selon  l'expres- 
sion du  jurisconsulte  Julien  ^'^.  —  Toutefois,  la  défense 
de  faire  fraude  à  la  loi  n'empêcha  pas,  à  une  époque  où 
les  fidéicommis  furent  reconnus  obligatoires ,  l'effet  des 
fidéicommis  expressément  portés  dans  les  testaments  en 
faveur  des  femmes.  Gains  atteste  que ,  de  son  temps , 
la  femme  pouvait  recueillir  ainsi,  par  fidéicommis,  l'hé- 
rédité qu'elle  n'aurait  pu  recevoir  directement,  en  rai- 
son de  la  loi  Yoconia^^'.  Le  fidéicommis  tacite  était  seul 

50  Addebat  (Sextilius  Rufus)  se  iii  legem  Y oconiam  juralum ,  con- 
tra eam  facere  non  audere,  nisi  aliter  amicis  videretur.  (  Cic,  de  Fi- 
nibus ,  II.  17.  ) 

51  «  Locupletabant  et  fiscum  et  aerarium  non  tam  Voconice  et  Juliœ 
leges^  q'.iam  majestatis  singulare  et  unicum  crimen  eoruni  qui  cri- 
mine  vacarent.  »  (Plin.  Jim.,  Panegyr.  Trajani.  ) 

Les  mots  penilus  sustulisti ,  qui  sont  dans  le  passage  qui  suit  ianné- 
diatement,  ne  s'appliquent  qu'à  l'accusation  du  crime  de  lèze-majesté, 
et  non  aux  lois  JuUa  et  Voconia. 

52  D.  xLix.  14.  3.  Fraus  legi  fieri  videtur. 

53  Gaius  ,  II.  §  274  :  Tanien  fideicoraraisso  relictam  sibi  haeredita- 
teni  capere  potest. 


240  HV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

puni;  et  les  Lois  romaines,  sur  les  droits  du  Fisc,  por- 
taient que  celui-là  n'était  pas  censé  avoir  fait  fraude  à 
la  loi,  qui  avait  été  ouvertement  prié  de  restituer  l'hé- 
rédité^* :  tant  il  est  difficile  qu'une  loi  contraire  aux 
mœurs  d'une  société  puisse  exercer  un  véritable  empire! 

§  2.  —  changements  par  rapport  au  père  ,  aux  enfants  ,  a 
l'ensemble  de  la  famille. 

Nous  avons  marqué ,  relativement  aux  époux ,  et  il 
faut  suivre ,  relativement  au  père ,  aux  enfants ,  et  à  l'en- 
semble de  la  famille ,  les  changements  qui  se  font  dans  la 
constitution  personnelle  et  réelle  de  la  Famille  romaine. 

Le  Droit  prétorien  et  le  Droit  non-écrit  ne  modifièrent 
point  la  puissance  paternelle ,  en  ce  qui  concerne  les 
rapports  des  personnes.  Le  pouvoir  du  père  avait  con- 
servé ,  au  temps  de  Cicéron ,  tout  son  caractère  de  sévé- 
rité ^^.  Salluste  cite  l'exemple  de  Fulvius,  fils  d'un  sé- 
nateur ,  que  son  père  fit  mettre  à  mort ,  parce  qu'il 
avait  trempé  dans  la  conjuration  de  Catilina  ;  et  Valère 
Maxime ,  entr'autres  exemples ,  cite  celui  d'Atilius  Phi- 
liscus ,  homme  de  mauvaises  mœurs  ,  qui  tua  impuné- 
ment sa  fille  ,  coupable  d'impudicité  ^^. 

54  Non  intelligiUir  fraudem  legi  fccisse  qui  rogatus  est  palam  resti- 
tuere....  (  D.  xltx.  14.  3.  )  Ceci  explique  le  passage  du  Panégyrique. 

55  Cic,  de  luvent.,  ii.  17,  rapporte  l'exemple  du  tribun  Caius  Fla- 
niinius,  que  son  père  arracha  de  la  tribune  aux  harangues  [an  521], 
sans  quH  le  peuple  réclamât;  mais  la  puissance  paternelle  ordinaire 
ne  touchait  pas  aux  choses  de  droit  public. 

56.  Sa'lust.  Catil.,  xxxix.  Val.  Max.,  vi.  1.  §  7.  Filiam  suam ,  eo 
quod  stupri  se  crimine  coinquinaverat ,  interemit. 


CHAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEN.  SECT.  II.  241 

Mais  les  Lois  spéciales ,  le  Droit  non-écrit ,  le  Droit 
prétorien ,  apportèrent  de  grandes  modifications  au  pou- 
voir du  chef  de  famille  de  disposer  de  ses  biens  de  la 
manière  la  plus  absolue ,  soit  par  donation  entre  vifs , 
soit  par  testament. 

1.  —  Les  donations  entre  vifs,  sous  le  Droit  des  XII 
Tables,  étaient  assujetties  aux  formes  générales  de  l'alié- 
nation des  choses  mancipi  vel  non;  mais  elles  ne  subis- 
saient aucune  limite  de  quotité.  La  loi  Cincia ,  plébiscite 
du  vi^  siècle ,  posa  une  borne  à  la  valeur  des  donations. 
Selon  les  conjectures  de  Savigny ,  adoptées  par  G.  Hugo, 
la  même  restriction  avait  été  apportée  par  la  loi  Cincia 
aux  donations  [530] ,  et  par  la  loi  Cornélia  [673]  aux 
cautionnements  ^"^  :  or ,  celle-ci  défendait  de  cautionner 
pour  une  valeur  supérieure  à  vingt  mille  sesterces  (envi- 
ron 4,000  fr.  de  notre  monnaie).  —  Cette  opinion  nous 
paraît  très-difficile  à  admettre  à  cause  du  long  intervalle 
qui  sépare  ces  deux  lois  ;  et  la  limitation  de  somme,  mille 
as,  fixée  dans  le  même  siècle,  vingt  ans  plus  tard  seu- 

57  INDI.  Savigny,  W^arkœmg ,  Mulhembruch ,  Marezoll ,  ont  résumé 
les  résultats  de  leurs  travaux  sur  la  loi  Cincia  :  le  premier,  dans  un  com- 
mentaire qui  a  servi  de  guide  (  inséré  au  recueil  intitulé  Zeilschrisl , 
t.  IV);  —  le  deuxième  ,  Institut.  Juris  romani,  §  951  [1834];  —  le  troi- 
sième, Doctrina  Pandect.  (  m.  10.  §§  417.  422  ),  et  Annotations  sur 
les  Antiq.  d'Heineccius  (ii.  7.  §  13  [1841],  p.  396);  —  le  quatrième, 
Droit  privé  des  Romains ,  2e  partie,  liv.  m.  §  127,  traduction  du  sa- 
vant professeur  de  Pandectes ,  M.  Pellat. 

G.  Hugo ,  1.  §  280 ,  renvoie  à  Savigny  pour  la  fixation  de  quotité. 

Les  fragments  du  Vatican  contiennent  un  titre  de  donalionibus  ad 
legem  Cinciam.  —  Ils  furent  découverts  en  1821  par  M.  Maï,  publiés 
en  1823,  bur  un  manuscrit  du  v«  siècle.  —  Ils  se  trouvent  dans  le  Jus 
nnlejuslinianeum  de  M.  Blondeau  (p.  374.) 

T.    1.  16 


2!42'  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

lemeiit,  par  la  loi  Furia  sur  la  valeur  des  legs,  nous 
semble  bien  plus  applicable  à  la  loi  Cincia  :  ce  qui  est 
certain,  c'est  que  les  donations  entre  vifs  ne  pouvaient 
dépasser  une  valeur  déterminée. 

La  Loi  Cincia  était  une  garantie  en  faveur  de  la  famille 
contre  les  libéralités  inconsidérées  du  citoyen.  La  restric- 
tion n'existait  pas  pour  les  donations  au  profit  de  certai- 
nes personnes  formant  une  classe  exceptionnelle  (exceptœ 
■personœ).  Paul,  od  legem  Cinciam,  a  désigné  cette  classe 
qui  comprenait  les  parents  jusqu'au  sixième  degré  et 
ceux  qui  se  trouvaient  sous  leur  puissance,  les  alliés  au 
premier  degré ,  les  fiancés ,  le  tuteur  disposant  en  faveur 
de  son  pupille ,  l'affranchi  en  faveur  du  patron  ou  de  ses 
enfants"*.  Le  nombre  et  la  qualité  des  personnes  excep- 
tées prouvent  que  le  plébiscite  ne  voulait  nullement  en- 
traver, entre  parents ,  entre  futurs  époux,  les  sentiments 
de  libéralité;  mais  que  la  loi  Cincia,  favorable  à  la  fa- 
mille, élevait  sa  barrière  ou  ses  restrictions  contre  les 
personnes  étrangères  au  donateur. 

Cette  loi  avait  une  sanction  imparfaite ,  en  ce  sens  que 
la  donation  excessive  n'était  pas  nulle  de  plein  droit  ^^; 
mais  si  le  donateur  avait  payé  ou  livré  contre  le  vœu  du 
Plébiscite,  il  avait  le  droit  de  répétition  pendant  toute  sa 
vie;  et  non  seulement  le  donateur  lui-même,  mais  tout 
citoyen  pouvait  agir ,  car  \ exception  de  la  loi  Cincia  était 

58  Frag.  Vat.,  §§  266.  298.  299.  300.  301.  302. 

59  Ulp.,  Frag.,  §  1.  de  Legibus,  dit  :  Iniperfectalex....  Veluli  Cin- 
cia quœ  supra  cerlum  modum  donari....  prohibet ,  exceptis  quibusdam 
cognatis,  et  s[  plusdonatum  sit,  non  kescindit.  (Les  mots  en  ita- 
lique snut  pris  de  la  restitution  de  texte  faite  par  Cujas  et  générale- 
ment adoptée). 


CHAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEN.  SECT.  II.  243 

d'intérêt  public  et  réputée  populaire  :  Etiam  quivis,  dit 
Ulpien,  quasi  fopularis  sif  excepfio^^.  Si  l'exception  n'avait 
pas  été  exercée  pendant  la  vie  du  donateur,  elle  était  pé- 
rimée ,  et  la  donation  assimilée  à  une  disposition  à  cause 
de  mort^\ 

Au  surplus ,  la  loi  Cincia  ne  regardait  d'aucune  ma- 
nière les  donations  fait^  par  le  chef  de  famille  aux 
enfants  placés  sous  sa  puissance  :  celles-ci  ne  consti- 
tuaient que  des  donations  provisionnelles  en  avancement 
d'hoirie  y  comme  on  dirait  aujourd'hui,  une  sorte  de  pé- 
cule profectice,  toujours  rappor table,  sauf  les  fruits, 
à  l'hérédité  du  père.  Servius  Sulpicius,  dit  Papinien , 
ne  voulait  pas  que  ce  fût  même  un  titre  à  l'usucapion , 
si  le  frère  avait  laissé  son  frère  en  possession  de  l'objet 
donné,  non  compris,  par  erreur  de  droit,  dans  le  partage 
de  l'hérédité^'-. 

II.  —  Dans  le  même  siècle  où  la  loi  Cincia  limitait  les 
donations  entre  vifs ,  un  autre  plébiscite ,  la  Loi  Furia 
TESTA3IENTARIA ,  vcrs  o7l,  interdisait  aux  citoyens  la 
faculté  de  faire  des  legs  ou  donations ,  à  cause  de  mort , 
de  plus  de  mille  as^^,  sauf  exception  en  faveur  des  pa- 

60  Frag.  Vat. ,  §§  266.  294.  Seraper  exceptione  Cinciae  uti  potuit 
non  solura  ipse....  Verum  etiam  quivis.... 

61  Frag.  Vat.,  §§  294.  312.  —  La  persévérance  de  volonté,  disait 
Papinien ,  périmait  l'exception. 

'   62  Frag.  Vat.,  §  ult.  296.  Si  possessionem  errore  juris  reliquit. 

63  Suivant  le  tableau  de  conversion  des  monaaies ,  donné  par  M.  Bu- 
reau de  la  Malle ,  dans  son  savant  traité  de  VEconomie  politique  dis 
Romains,Vas,  X^  et  puis  XVI^  partie  àndenarius  d'argent,  aurait  valu 
7  centimes  [après  l'an  513  ],  et  raille  as  environ  150  fr.  Ce  résultat  ne 
nous  semble  pas  applicable  à  la  loi  Furia.  Il  n'est  pas  probable  qu'on  ait 
voulu  réduire  les  legs  à  une  si  modique  valeur;  et  nous  pensons  que, 


244  LIV.  I.  —  ÎÉPOQUE  ROMAINE. 

rents  jusqu'au  sixième  degré®*;  mais  le  testateur  pou- 
vait épuiser  ses  biens  en  legs  de  cette  valeur ,  et  ne 
laisser  à  ses  enfants  ou  autres  héritiers  institués ,  qu'une 
qualité  presque  illusoire.  —  Un€  disposition  particulière 
de  la  loi  Yoconia,  peu  de  temps  après  [080],  eut  pour 
objet  de  suppléer  à  l'insuffisance  de  la  loi  Furia  :  elle  ré- 
duisit l'étendue  des  legs  à  une  portion  égale  à  celle  de 
l'héritier  ou  des  héritiers  institués.  Cette  restriction  de 
la  faculté  de  léguer ,  cette  subordination  de  la  quotité 
des  legs  à  la  part  de  l'institué,  était  un  moyen  d'arrêter 
la  trop  grande  division  des  héritages ,  et  de  conserver 
une  partie  des  biens  dans  les  familles;  mais  les  Romains, 
jaloux  de  leur  liberté  testamentaire ,  et  fidèles  au  prin- 
cipe de  la  Loi  des  XII  Tables ,  UTi  legassit  suiE  rei  ita 
JUS  ESTO,  se  jouaient  de  l'obstacle  apporté  par  la  loi  Yo- 
conia ;  ils  épuisaient  leur  patrimoine  en  une  multitude 
de  legs  modiques,  et  ne  laissaient  ainsi  à  l'héritier  institué 
qu'une  minime  portion  de  leur  héritage,  sans  violer  la 
lettre  de  la  loi ,  salva  lege. 

dans  les  lois  qui  étaient  rendues  sous  l'empire  du  droit  des  XII  Tables, 
on  indiquait  la  monnaie  et  les  valeurs  conformément  à  celles  expri- 
mées par  la  loi  fondamentale.  Ainsi,  la  loi  Furia  disait  mille  assibus  , 
comme  la  loi  des  XII  Tables  (tab.  viii.  4.  1 1),  disait  :  Si  injuriam  faxit 
alteri  XXV  œris  pœnae  sunto.  Et,  par  conséquent,  as  ou  œs  était  toujours 
la  livre  d'airain  dans  le  langage  légal,  valeur  de  poids  et  valeur  intrin- 
sèque. Au  Vie  siècle,  où  l'on  avait  adopté  l'unité  monétaire  du  denier 
d'argen! ,  valant  16  as  ou  16  onces  de  cuivre  ,  les  mille  as  ,  valeur  de 
S.  Tullius  ,  auraient  répondu  à  seize  mille  as,  valeur  au  VI^  siècle  ; 
un  peu  moins  de  mille  francs  de  notre  monnaie. 

G4  Gains ,  ii.  §  225,  iv.  §  23.  Ulp.  Frag.  xxviii.  7.  Frag.  Vat.,  §  301 . 
Cette  exception ,  en  faveur  dos  parents ,  analogue  à  celle  de  la  loi 
Cincia,  doit  faire  penser  comme  on  l'a  vu  ci-dessus,  que  la  même 
limit'  de  quotité  existait  pour  les  donations  entre  vifs  et  les  legs. 


CHAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEN.  SECT.  II.       245 

La  Loi ,  faite  pour  empêcher  la  division  des  fortunes , 
produisait  un  effet  contraire ,  l'extrême  division.  Un  ma- 
gistrat du  peuple,  Philippe,  proclamait  à  la  tribune  ,  en 
661  ,  qu'il  n'y  avait  pas  à  Rome  deux  mille  citoyens  qui 
eussent  une  fortune  vraiment  indépendante.  Cicéron 
blâme  l'imprudent  Tribun ,  qui  visait  à  la  popularité  par 
son  discours;  mais  il  ne  dément  pas  le  fait  ou  l'asser- 
tion ®^.  La  liberté  indéfinie  de  tester  devait  nécessaire- 
ment produire  l'extrême  division  des  patrimoines. 

Enfin,  plus  d'un  siècle  après  les  tentatives  infruc- 
tueuses des  lois  Furia  et  Voconia,  fut  porté,  en  714  , 
par  le  tribun  Falcidius ,  le  Plébiscite  qui  établit  sur  les 
legs  testamentaires  la  retenue  du  quart  :  c'est  la  création 
célèbre  de  la  ouarte-falcidie  ,  en  faveur  des  héritiers 
institués,  et  dont  l'influence  s'étendit,  par  la  suite,  sur 
toutes  les  dispositions  à  cause  de  mort. 

Le  quart  des  biens  était  donc  affecté  à  l'hérédité  tes- 
tamentaire ;  et  ainsi ,  lorsque  le  père  de  famille  instituait 
héritiers  ses  enfants  ou  quelques-uns  d'eux,  une  part  était 
réservée  aux  institués  :  la  ouarte-falcidie  devenait  une 
sorte  de  Légitime  ou  de  Réserve  en  leur  faveur. 

IIL  —  Mais  le  père  était  libre,  d'après  la  Loi  des  XII 
Tables ,  de  passer  sous  silence ,  dans  son  testament ,  l'un 
ou  plusieurs  de  ses  enfants,  et  son  silence  valait  exhéré- 
dation.  Une  modification  nécessaire  fut  introduite  sur  ce 
point,  vers  le  temps  de  Cicéron,  par  le  droit  non-écrit, 

65  Cic,  de  Off.,  II.  21  :  «  Tson  esse  in  civitate  duo  n.niii  liorainum 

qui  rem  haberenl Quum  in  agendo  multa  populaiiter,  uira  illud 

maie.  » 


246  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  R031AÏNE. 

contre  l'exercice  de  la  puissance  paternelle  ®*^.  —  La  Ju- 
risprudence exigea  ,  pour  la  validité  du  testament,  que 
l'exhérédation  fut  expresse.  A  l'égard  des  fils  de  famille, 
naturels  ou  adoptifs,  elle  devait  être  spéciale  et  nomina- 
tive ;  à  l'égard  des  filles ,  des  petits-fils ,  elle  pouvait  être 
collective  (inter  cœteros).  Il  fallait  le  témoignage  formel 
que  le  testateur  avait  pensé  à  ses  enfants ,  et  prononcé 
avec  réflexion  sa  sentence  sur  leur  mérite  ou  démérite. 
La  prétérltion  (ïun  héritier  sien,  même  posthume,  ou  né 
depuis  l'institution  ,  entraînait  la  rupture  du  testament®^. 
—  Toutefois,  l'exhérédation  expresse,  comme  aupara- 
vant l'exhérédation  tacite ,  était ,  selon  l'esprit  des  XIÏ 
Tables,  un  acte  inviolable  de  la  puissance  paternelle; 
le  testament  qui  la  contenait  restait  la  suprême  Loi;  les 
enfants  exhérédés  devaient  respectueusement  la  subir. 
Bientôt  apparut  en  leur  faveur  une  garantie  plus  efficace, 
une  institution  nouvelle,  la  plainte  d'inofficiosité^^. 

IV.  —  L'exhérédation  expresse  cessa  d^être  une  ex- 
clusion souveraine ,  une  sentence  irréfragable.  Le  fils 
déshérité  put  se  plaindre  de  ce  que  le  père  ou  l'aïeul , 

66  Cic,  de  Orat.,  i.  38.  Quccsitum  est  de  jure  civili,  posset  ne  ex- 
heres  esse  filius,  quem  pater  testamento  neque  lieredem,  neque  ex- 
heredem  scripsisset  ndniinatim. 

67  II  y  avait  alors  rupture  par  l'agnation  d'un  hérilicr  sien.  La  loi 
Julia  Velleia  donna  la  même  force  à  la  quasi-^ig nation  des  enfants  d'un 
fils  institué,  mort  avant  le  testateur  {Insl.,  ii.  13.  3.) 

68  Querela  inofficiosi  testamenti ,  vel  inofficiositatis. 

Cic,  inVerr.,  i.  42  :  Testamentum  Aunius  fecerat  non  impro- 
bum,  non  inofficiosum....  —  Le  jurisconsulte  Marcellus  (antérieur  à 
Gaius)  disait  :  Inofficiosum  testamentum  dicere ,  hoc  est  allegare  quare 
exheredari  (vel  praeteriri)  non  debuerit.  (D.,  v.  2.  2.) 


CHAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEN.  SECT.  II.  247 

dans  l'exercice  absolu  de  son  pouvoir  de  tester,  n'avait 
pas  rempli ,  à  son  égard ,  le  devoir  de  la  piété  paterneOe, 
OFFiciui\i  PATERNE  piETATis.  La  plainte  d'inofficiosité 
est  une  institution  d'origine  prétorienne ,  qui  permet  au 
fils  de  lutter  contre  le  testament  du  chef  de  famille.  On 
ne  peut  marquer  avec  une  rigoureuse  exactitude  la  date 
de  cette  innovation  dans  le  droit  ;  mais ,  du  temps  de 
Cicéron,  on  connaissait  le  testament  inofticieux.  Une 
barrière  était  posée  devant  l'absolue  volonté  du  père. 
L'inofficiosité  protégeait  le  droit  de  la  famille  contre  la 
souveraineté  du  citoyen. — La  légitime  ou  la  réserve  en 
faveur  des  enfants  n'était  pas  écrite  dans  une  loi  ;  mais  le 
droit  de  plainte  contre  le  testament  inoffîcieux  préve- 
nait ,  dans  le  père  de  famille ,  les  écarts  d'une  volonté 
arbitraire,  ou  réprimait  son  exercice  abusif,  en  faisant 
briser  l'exbérédation  et  le  testament  lui-même.  Ce  n'est 
pas  la  Loi,  égale  pour  tous  et  inflexible  dans  son  unifor- 
mité, qui  se  place  alors  au  sein  du  foyer  domestique, 
pour  faire,  au  nom  de  la  société,  la  part  nécessaire  du 
fils  dans  l'hérédité  du  père.  Un  tribunal,  à  Rome ,  pro- 
noncera entre  le  fils  et  le  testament  paternel  ;  il  jugera  la 
conduite  du  fils  et  la  sentence  du  chef  de  famille  ;  il 
rendra  ses  droits  au  fils  qui  n  avait  pas  démérité ^'■^.  C'est 
un  acte  de  souverain  Pouvoir ,  qui  sera  ainsi  exercé  sur 
le  testament,,  sur  la  Loi  particulière  que  tout  citoyen  peut 
dicter  à  sa  famillle.  Il  faut  donc  un  Tribunal  qui  repré- 
sente vraiment  la  souveraineté  du  Peuple  Romain ,  pour 
anéantir  l'acte  émané  de  la  souveraineté  individuelle  du 


69  Necenini  minus  is  qui  de  ino/feioso  cognitmus  est ,  mérita  nepo- 
tis,  quam  paU'is  ejus  delicla  perpendit.  (D.,  xxvii.  4.  3.  §  5.  L'ip.) 


248  LIV.  I.  -^  ÉPOQUE  ROMAINE. 

testateur  ;  et  c'est  le  tribunal  des  Centumvirs  ,  nommé 
par  l'élection  des  Tribus ,  qui  est  juge  de  la  plainte  d'in- 
officiosité  :  Querela  inofficiosi  testamenti  judicium  est  Ceiir- 
tumviraW^ . 

Le  motif  sur  lequel  sont  fondées  la  plainte  et  l'entière 
rescision  du  testament,  pour  cause  d'inofficiosité ,  n'est 
pas,  comme  on  l'a  dit  souvent,  l'injurieuse  fiction  de  la 
démence  ou  de  la  fureur  du  testateur'^*.  Mais  les  Cen- 
tumvirs, représentant  les  Tribus  de  la  Cité,  apprécient 
la  conduite  du  fils  déshérité,  et  s'ils  jugent  qu'il  n'a  pas 
mérité  l'exhérédation,  ils  prononcent  que  le  père  a  man- 
qué de  sagesse,  et  testé  contre  le  devoir  de  la  piété  pa- 
ternelle. La  formule  de  l'inofficiosité  est  bien  digne  d'être 
recueillie  :  Parum  sain^  mentis  fuisse  testatorem  cum 

TESTAMENTUM  ORDINARET  ,  OUOD  IM3IERENTEM  CONTRA 
OFFICIUM  PIETATIS  EXHEREDASSET  ^^. 

Ainsi,  les  droits  du  sang  avaient  une  garantie  dans 
Tinstitution  du  Jugement  centumviral,  en  matière  d'in- 
officiosité. La  légitime  des  enfants  était  subordonnée  à 
leur  conduite  envers  le  père  :  règle  profondément  mo^ 
raie,  qui  devait  contribuer  à  maintenir  le  respect  des- 
enfants  envers  le  chef  de  famille. 

70  D.,  V.  2.  13.  17.  —  XXXIV.  3.  30,  et  de  Legatis  (ii)  L.  76.  — 
Cod.  Just.,in.  31. 12.Briss.,deYerb.  signiL,voCentumvîrim/ràsect.v. 

71  Si  le  testateur  avait  été  réellement  en  démence  ou  en  fureur ,  \\ 
n'y  aurait  pas  eu  de  testament  même  apparent ,  et  il  n'y  a  de  fiction 
en  droit  que  celle  qui  peut  représenter  le  vrai. 

Hoc  colore  inofficioso  testamento  agitur,  quasi  non  sanae  mentis 
fuerunt ,  ut  testamentum  ordinarent ,  et  hoc  dicitur  non  quasi  vere 
furiosus  vel  démens  leslatus  sit,  sedi*ecte  quidem  fecit  testamentum  ^ 
%ed  non  ex  o/ficio  pictatis;  nam  si  vere  furiosus  esset  vel  démens , 
-AuUum  essel  teslamenlum.  (  D.,  v.  2.  2.  {Marcianus.  ) 

72  Brisson.,  de  Formulis ,  lib.  v.  form.  37. 


CHAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEN.  SECT.  II.  249 

Pour  écarter  la  plainte  d'iiiofficiosité ,  les  institués 
étaient  libres  d'offrir  la  quatrième  portion  de  l'héré- 
dité "^.  C'était  la  Quarte-Falcidie ,  étendue  aux  enfants 
non  institués.  La  même  réserve  se  trouvait  par  consé- 
quent établie,  et  en  faveur  des  enfants  injustement  exhé- 
rédés,  et  en  faveur  des  enfants  institués  héritiers  pour 
une  portion  insuffisante.  Le  fds  exhérédé  n'aurait  pas  pu 
renoncer  d'avance  à  la  plainte  d'inofficiosité.  La  constitu- 
tion de  la  famille  et  l'intérêt  public  demandaient  que  les 
enfants  fussent  jugés  selon  leur  mérite ,  et  non  selon 
des  pactes  privés  '^^.  «  Il  ne  faut  pas,  dit  Gains,  donner 
»  un  assentiment  facile  aux  pères  dont  le  testament  fait 
»  injure  à  leurs  enfants,  et  qui,  corrompus  par  les  sé- 
»  ductions  et  les  artifices  des  secondes  femmes,  s'élè- 
»  vent  et  portent  un  jugement  injuste  contre  leur  pro- 
»  pre  sang  '^^.  »  —  Voilà  le  droit  qui  est  établi  à  Rome, 
et  porté  dans  les  provinces  par  l'Édit  des  préteurs  et  des 
proconsuls. 

V.  —  La  puissance  paternelle,  qui  trouve  dans  le  tri- 
bunal des  Centumvirs  un  juge  de  son  exercice  testa- 
is Paul,  Sent.,  iv.  5.  §  6  :  Quarta  portio  liberis ,  deducto  œre 
alieno  ,  et  funeris  impensa,  preestanda  est,  ut  ab  inofficiosi  querela 
excludautur. 

74  Meritis  enim  liberos  magis  quam  pactionibus  adstringi  placuit. 
{Senl.,  IV.  5.  §8.) 

75  Non  est  enim  consentiendum  parentibus  qui  injuriam  adversus 
liberos  suos  testamento  inducunt  :  quod  plerumque  faciunt  maligne 
circa  sanguinem  suum ,  inferentes  judicium  novercalibus  delenimentis 
instigationibusque  corrupti.  (D.,  v.  2.  4.  Gains  ,  ad  legem  Gliliam.) 
—  Cette  citation  ,  d'un  ouvrage  de  Gains  ,  ad  legem  GHtiam ,  d'après  le 
Digeste,  ferait  croire  qu'une  loi  Glitia  avait  quelque  rapport  avec 
l'inofficiosité.  Mais  on  ne  trouve  nulle  mention  de  cette  loi  dans  le 
droit  romain.  Hottman  (Index  legum  )  a  proposé  de  lire  ad  legem  Ti- 


âSO  LlV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

mentaire,  va  recevoir  une  limitation  plus  directe,  plus 
immédiate  encore ,  par  institution  des  possessions  de 
BIENS  ou  successions  PRÉTORIENNES  ;  et  la  constitution 
de  la  famille  romaine  sera  profondément  modifiée  sous 
plusieurs  rapports. 

Dans  l'esprit  des  XIÏ  Tables,  la  famille  repose  sur  la 
puissance  du  père.  L'enfant  qui  est  hors  de  la  puissance 
ou  émancipé,  est  hors  de  la  famille;  il  ne  fait  plus  par- 
tie des  héritiers  siens.  Les  rapports  personnels  de  puis- 
sance et  de  sujétion  n'existant  plus,  les  rapports  réels 
concernant  la  transmission  des  biens  ont  cessé  égale- 
ment d'exister.  Telle  est  la  règle  inflexible  de  la  Loi- 
primitive. 

Le  Droit  prétorien,  par  la  puissance  de  l'Édit,  corrige 
la  rigueur  de  l'ancien  droit  ^^  ;  il  rescinde  l'émancipa- 
tion après  la  mort  du  père  ;  il  appelle  le  fils  émancipé  à 
partager  les  biens  du  père  mort  ab  intestat ,  ou  il  lui  ac- 
corde la  possession  de  biens  contre  le  testament,  comme  si 
l'émancipation  n'avait  pas  eu  lieu.  Et  ce  droit  n'est  pas 
exclusivement  attaché  à  sa  personne  :  la  possession  de 
biens  peut  être  exercée  en  son  nom  par  un  créancier ,  si 
le  fils  émancipé  ne  l'exerce  pas  lui-même  '^''. 

tiam ,  Loi  qui  était  de  l'an  723 ,  et  protégeait  les  intérêts  des  pupilles , 
en  accordant  aux  présidents  des  provinces  le  droit  de  nommer  les  tu- 
teurs. C'est  aux  intérêts  des  pupilles  que  se  rapporte  en  effet  le  frag- 
ment de  Gains.  —  Le  Calalogus  legum  de  Charondas  ne  mentionne 
pas  de  loi  Glitia. 

7G  Jus  bonorum  possessionis  introductum  est  a  praetore  emendandi 
veteris  juris  gralia.  {Insl.,  m.  10.  1.  ) 

77  Emancipato  omitteute  bonorum  possessionem  ,  non  inique  pos- 
tulabit  creditor  restitui  sibi  actionem  adversus  scriptum  heredem. 
(D.  XLEV.  7.  15  Ulp.) 


CHAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEN.  SECT.  II.  25f 

L'émancipation  est  rescindée ,  dans  ses  effets  réels , 
par  l'intervention  du  Préteur.  Le  fils  est  censé  n'être 
pas  sorti  de  la  famille;  il  participe  à  l'hérédité  comme 
s'il  avait  été  en  puissance  au  temps  du  décès  de  son  père. 
De  là  une  grave  conséquence  :  les  biens  qu'il  a  pu  ac- 
quérir ou  recevoir  pendant  son  émancipation  doivent 
être  rapportés  et  confondus  dans  le  patrimoine  commun. 
S'il  était  resté  membre  de  la  famille  civile,  il  n'aurait 
pas  acquis  pour  lui ,  mais  pour  le  chef;  lorsque ,  par  la 
fiction  prétorienne ,  il  rentre  dans  la  famille ,  comme  s'il 
n'y  avait  pas  eu  d'émancipation,  il  faut  qu'il  subisse  les 
conséquences  de  la  fiction ,  et  qu'il  rapporte  les  biens  à 
l'hérédité.  C'est  la  coUatio  bonorum  et  l'origine  du  rapport 
aux  successions.  —  Pour  retenir  les  biens  qu'il  a  pu  ac- 
quérir ou  recevoir  du  père  lui-même ,  à  titre  gratuit ,  le 
fils  émancipé  doit  s'abstenir  du  bénéfice  de  la  succession 
prétorienne.  Là  se  trouve  aussi ,  à  son  origine ,  le  droit 
de  rétention  en  faveur  des  enfants  donataires  qui  s'abstien- 
nent de  la  succession  du  donateur  ''*. 

"VL  — Mais  l'institution  prétorienne  des  POSSESSIONS  de 
BIENS  n'apportait  pas  seulement  une  grave  modification 
à  la  puissance  paternelle  et  aux  effets  de  l'émancipation; 
elle  modifiait  profondément ,  sous  d'autres  rapports ,  la 
constitution  de  la  famille  civile,  en  reconnaissant  des 
droits  aux  parents  du  côté  maternel ,  aux  cognats ,  et  en 

78  C'est  le  droit  consacré  par  notre  art.  924  du  Code,  sauf  la  diffé- 
rence d'étendue  dans  les  donations  qui ,  en  droit  français ,  ne  peuvent 
excéder  la  réserve  légale;  c'est  une  exception  au  principe  romain  et 
français  que  la  légitime  est  une  portion  de  l'hérédité ,  ou  qu'elle  est 
prise ,  selon  l'expression  de  Papinien ,  jure  heredilario. 


LIV.  I.  —  EPOQUE  ROMAINE. 

établissant   un  système  de  succession  parallèle  à  celui 
des  XII  Tables. 

Le  Préteur,  par  des  principes  de  progrès  et  d'équité ,  a 
dilaté,  comme  disent  les  Institutes,  le  droit  d'hérédité 
renfermé  par  la  Loi  Décemvirale  dans  les  plus  étroites 
limites;  et  Gains,  plus  sévère  dans  l'expression ,  avait 
dit  :  «  Les  iniquités  du  droit  civil  ont  été  corrigées  par 
l'Édit  du  préteur 


79 


Le  Droit  prétorien ,  dans  son  parallélisme  systémati- 
que ,  a  suivi  l'ordre  de  la  Loi  des  XII  Tables. 

Et  d'abord,  la  Loi  divisait  l'hérédité  civile  en  hérédité 
testamentaire  et  en  hérédité  ab  intestat;  —  de  même  la 
succession  prétorienne  s'est  divisée  en  possession  de 
biens  ex  testamento ,  et  en  possession  de  biens  ab  intestato. 

Le  Droit  civil  voulait  que  les  héritiers  externes  fissent 
l'adition  d'hérédité  avec  une  formule  solennelle,  cretio, 
dans  un  délai  déterminé  par  le  testament  ou  par  la  loi  ; 
de  même,  l'Édit  voulait  que  dans  le  délait  d'un  an,  pour 
les  parents  en  ligne  directe ,  de  cent  jours  pour  les  au- 
tres ,  le  successeur  se  présentât  devant  le  préteur,  et  fît 
la  demande  (agnitio  possessionis) ,  selon  la  formule  con- 
servée par  les  Institutes  de  Théophile  :  da  mihi  hanc 

BONORUM  POSSESSIOiNEM  *^. 

Quant  au  fond  des  choses ,  le  système  prétorien  cor- 
respondait exactement  au  système  du  droit  civil  ;  et  ses 

79  Inst.  Just.,  III.  10.  20  :  Angustissimis  finibus  constitutum  per 
legetn  XII  Tabularum  jus  percipiendarum  hœreditatum  pr^tor  rono 
ET  ;equo  dilatavit.  —  Gaius  :  Sed  h^  juris  iniquitâtes  edicto 
prœtoris  emendatae  sunt. 

80  Inst.  Theoph.,  m.  9.  §  7, 


CHAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEN.   SECT.  11.  253 

principes ,  étendus  aux  provinces  par  l'Édit  des  Préteurs 
et  des  proconsuls ,  devinrent  une  des  parties  ordinaires 
du  Droit  provincial  ^*. 

La  Loi  des  XII  Tables ,  dans  la  constitution  de  la  Fa- 
mille et  de  la  Gens,  divisait  l'hérédité  en  trois  ordres ,  les 
héritiers  siens ,  les  agnats ,  les  gentils ,  et  faisait  une  dis- 
tinction relative  à  l'hérédité  des  femmes  :  de  plus ,  elle 
rattachait  des  droits  de  succession  aux  éléments  acces- 
soires de  la  famille ,  comme  les  affranchis ,  les  émancipés. 

—  Le  Droit  prétorien  s'applique  aux  trois  branches  de 
l'hérédité  civile,  et  aux  autres  droits  de  succession.  Sui- 
vons ce  parallélisme  curieux  : 

1  °  Par  RAPPORT  AUX  HÉRITIERS-SIENS.  —  Les  enfants 
émancipés,  qu'il  s'agisse  d'une  hérédité  testamentaire  ou 
légitime,  sont  appelés,  comme  on  l'a  vu,  parle  préteur 
et  la  rescision  de  l'émancipation  ,  au  partage  avec  les  hé- 
ritiers-siens ;  mais,  ainsi  que  les  enfants  en  puissance, 
ils  pouvaient  être  régulièrement  exhérédés  par  le  père. 
Dans  ce  cas,  ils  devaient  agir  par  la  plainte  d'inofficio- 
sité ,  après  avoir  reçu  la  possession  contra  Tabulas ,  né- 
cessaire pour  engager  le  litige  [ordinatoriœ  litis  causa). 

—  Les  posthumes  externes ,  c'est-à-dire  ceux  qui  en  nais- 
sant ne  seraient  pas  sous  la  puissance  du  testateur,  par 
exemple,  les  enfants  à  naître  d'un  fds  émancipé,  n'étaient 
pas  héritiers-siens  par  le  droit  civil ,  et  ne  pouvaient , 
comme  personnes  incertaines ,  être  valablement  institués 
héritiers  :  le  Droit  prétorien  corrigea  la  rigueur  du 
droit  et  leur  accorda  la  possession  secundum  Tabulas. 
Dans  l'ordre  des  héritiers-siens,  il  y  avait  donc  mo- 

.    81  Cic,  iu  Verr.,  i.  -11.  Epist.  ad  Allie,  vi.  1. 


254  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

dification  par  la  possession  prétorienne  :  c'est  la  posses- 
sion unde  liberi: 

â"  Par  RAPPORT  AUX  AGNATs.  — L'hérédité,  selon  la 
Loi  des  XII  Tables,  était  dévolue  au  premier  degré  ;  elle 
ne  passait  point  aux  agnats  du  second  degré ,  s'il  y  avait 
abstention  ou  refus  du  premier.  De  plus ,  les  agnats  qui 
avaient  subi  la  petite  diminution  de  tête ,  par  l'adoption 
ou  l'émancipation ,  ne  faisant  plus  partie  de  la  famille  ci- 
vile, n'avaient  plus  droit  à  l'hérédité. — Le  Droit  prétorien 
accorda  la  possession  aux  agnats  du  deuxième  degré  ou 
des  degrés  subséquents  :  c'est  la  possession  unde  Legitimi. 

Les  agnats  qui  ont  subi  le  petit  changement  d'état  sont 
appelés  aussi  par  le  préteur,  mais  seulement  à  défaut  d'ag- 
nats  d'un  degré  plus  éloigné ,  et  par  conséquent  au  troi- 
sième rang,  undè  cognati.^^.  —  Les  femmes  n'avaient  le 
droit  d'agnation  qu'au  degré  de  consanguinité  ;  mais  au- 
delà  des  consanguins ,  elles  sont  placées  aussi  par  l'Edit 
au  troisième  rang^^.  Les  possessions  de  biens  unde  legi- 
timi, unde  cognali,  concourent  donc  à  modifier  l'hérédité 
des  agnats  de  l'un  et  de  l'autre  sexe. 

3"  Par  rapport  aux  gentils. —  Les  Gentils  ,  comme 
on  le  sait,  étaient  reconnus  héritiers  par  la  loi  des  XII 
Tables,  au  défaut  des  agnats;  mais  ce  droit  n'appartenait 
qu'aux  hommes  d'une  race  toujours  ingénue,  qui,  par 
lignes  transversales,  remontaient  à  un  ancêtre  commun 
aux  gentils  et  aux  agnats.  Le  droit  prétorien  renverse  la 
barrière  établie  entre  les  deux  familles  paternelle  et  ma- 
ternelle; il  appelle  les  parents  du  côté  des  femmes  :  c'est  la 

S2  Gaius,  m.  §§  18.  27  :  Tertio  proximitatis  nomine. 
8)  Gaius,  m.  §§23.  29  :  Tertio  gradu  vocautur. 


CHAP.   V.  DROIT  PRÉTORIEN.   SECT.  II.  255 

possession  générale  undè  cognati ,  qui  s'applique  à  tous  les 
parents  qui  étaient  en  dehors  du  droit  civil.  — Même  les 
enfants ,  placés  dans  une  famille  adoptive ,  étaient  appelés 
pour  recueillir,  à  ce  troisième  rang,  la  succession  de 
leurs  parents  naturels  ^^. 

4**  Après  cet  ordre  dans  les  successions  prétorieiTnes , 
et  à  son  défaut ,  venait  la  possession  undè  vir  et  uxor  , 
qui  occupait  dans  la  famille  le  quatrième  et  dernier  rang, 
en  faveur  de  Tépouse  non  placée  in  manu  ,  non  comprise 
comme  tille  de  son  mari,  dans  l'ordre  des  héritiers-siens. 
—  Nous  savons  déjà  que  sous  l'influence  des  mœurs 
et  du  mariage  libre ,  la  condition  de  la  femme  s'était  le 
plus  souvent  séparée  de  l'antique  coutume  :  il  en  résultait 
que  l'épouse  n'étant  plus  assimilée  à  une  fille  de  son  mari, 
à  une  sœur  de  ses  enfants,  n'avait  aucun  droit  sur  les  biens 
de  ses  enfants  prédécédés ,  ni  les  enfants  sur  les  biens  de 
leur  mère.  C'est  pour  combler  cette  lacune  que ,  d'abord , 
l'Édit  les  appela  respectivement  comme  Cognats ,  et  que 
furent  rendus,  un  peu  plus  tard,  les  sénatus-consultes 
Orphitien  et  Tertullien  ,  lesquels  se  rapprochaient 
de  l'ancien  droit  des  XII  Tables,  mais  en  restituant  à  la 
mère  et  aux  enfants  leur  véritable  qualité ^^.  La  mère,  à 
ce  titre ,  recueillit  les  successions  qui  lui  étaient  ancien- 
nement déférées  comme  sœur,  et  les  enfants  recevaient , 
en  cette  qualité ,  la  succession  maternelle  à  eux  dévolue 
comme  frères ,  sous  l'empire  des  XII  Tables  :  l'ordre  na- 

84  Gaius,  m.  §§  30.  31  :  Etiani  ea^  personae  quœ  per  feminini  sexus 
personas  copulatœ  sunt.  —  Qui  in  adoptiva  familia  sunt ,  ad  natura- 
Hum  parentum  hereditatem  tertio  gradu  vocantur. 

S.J  lust. ,  m.  3  :  Prœtores ,.  eas  personas  ad  successionem ,  bonorum 
possessions  undc  cognait  accommodala,  vocabaut. 


256  LIV.  1.  —  ÉPOQUE  ROMAINE, 

turel  reprenait  ainsi  sa  place  et  son  nom  dans  l'ordre 
civil,  résultat  conforme  à  Tesprit  du  Droit  prétorien. 

S*'  L'Édit  du  Préteur  s'était  attaché  aux  diverses  bran- 
ches de  la  famille  civile ,  pour  y  adapter  son  système  de 
succession  ;  et ,  après  avoir  suivi  la  famille  dans  sa  con- 
stitution principale ,  il  la  suivait  dans  ses  éléments  acces- 
soires, les  affranchis,  les  émancipés,  les  enfants  inman- 
cipio.  Les  deux  ordres  de  succession  ,  selon  le  droit  civil 
et  le  droit  prétorien,  pourraient,  dans  cette  seconde  di- 
vision de  la  famille,  être  placés  encore  sur  deux  lignes  pa- 
rallèles ;  mais  il  nous  suffira  de  rappeler  ici  ce  qui  con- 
cernait LES  AFFRAxNCHIS. 

La  Loi  des  XII  Tables  respectait ,  dans  les  affranchis , 
le  droit  absolu  de  tester;  et  les  patrons  ou  leurs  descen- 
dants ,  assimilés  par  elle  à  des  agnats ,  ne  venaient  à 
l'hérédité  légitime  des  affranchis  qu'à  défaut  d'héritiers 
testamentaires  et  d'héritiers-siens.  —  L'Édit  prétorien 
restreignit,  en  faveur  des  patrons,  la  liberté  testamentaire 
des  affranchis  et  le  droit  illimité  des  héritiers-siens.  Il 
accorda  la  possession  contra  tabulas  au  patron ,  omis  dans 
le  testament  de  son  affranchi ,  ou  inscrit  pour  une  por- 
tion moindre  que  la  moitié;  et  il  accorda  la  possession 
ab intestat,  aussi  pour  la  moitié,  si  l'affranchi  ne  laissait 
comme  héritier-sien  qu'un  enfant  adoptif  ou  l'épouse  pla- 
cée sous  sa  puissance ,  in  manu  ^^. 

Selon  la  Loi  des  XII  Tables ,  le  droit  de  patronage , 
comme  droit  de  succession ,  appartenait  seulement  au  pa- 
tron et  à  ses  descendants.  —  L'Édit  du  Préteur  étendit  ce 

86  Insc.  m.  7  :  Aperte iniquum  erat  nihiljuris  patrono  superesse... 
De  même ,  par  analogie ,  pour  le  parent  émancipateur.  D.  xxxvii.  12, 

1-  2. 


CHAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEN.  SECT.  II.  257 

droit  de  patronage  aux  agnats  et  aux  cognats  du  patron; 
il  régla  par  conséquent  la  succession  des  affranchis  sur 
le  modèle  de  l'Édit  relatif  aux  successions  des  ingénus*'. 
Le  droit  de  patronage ,  développé  de  cette  manière , 
devait  favoriser  les  affranchissements;  car  la  liberté  don- 
née devenait  féconde  pour  la  famille  affranchissante.  La 
loiPappia-Poppaea,  sous  Auguste,  vint  ajouter  encore  à 
l'action  du  droit  prétorien  et  l'exagérer  :  elle  donna  aux 
patrons  une  part  virile  dans  l'hérédité  des  affranchis  qui 
laissaient  moins  de  trois  enfants  et  une  fortune  de  cent 
mille  sesterces  (21,000  fr.)^*.  Ainsi,  au  double  point  de 
vue  de  cette  Loi,  née  des  désastres  de  la  guerre  civile, 
la  République  épuisée  aspirait  à  se  repeupler ,  dans  l'ave- 
nir, même  par  les  enfants  d'affranchis;  et  la  famille  des 
patrons,  enrichie  par  des  prélèvements  de  succession, 
pouvait  racheter  de  nouveaux  esclavee,  et  se  préparer  de 
nouvelles  familles  d'affranchis  et  de  tributaires!  — Rome, 
si  grande  jadis  par  la  liberté  de  ses  citoyens ,  se  recrutait 
dans  l'esclavage;  et  ses  citoyens,  jadis  si  fiers  de  leur 
vertueuse  pauvreté ,  s'abaissaient  à  spéculer  sur  la  liberté 
comme  sur  la  servitude  de  leurs  esclaves.  —  Rientôt 
même ,  la  loi  Junia-Norbana  protégera  les  patrons  contre 
l'éventualité  des  testaments  d'affranchis  ou  des  parts  vi- 
riles subordonnées  au  nombre  des  enfants;  la  loi  Junia- 
Norbana  ,  rendue  sous  Tibère ,  inventera  les  affranchis 
Latins-Juniens  qui  ne  pourront  tester,  dont  les  biens 
appartiendront  aux  patrons  par  droit  de  pécule ,  et  qui 

87  iQst.  ni.  10.  1.2.—  Bacchovius  avait  émis ,  à  ce  sujet,  une  con- 
jecture qui  fut  approuvée  par  Vinnius.  {Insl.,  p.  678.  ) 

88  Gains,  m.  §  42  :  Si  très  reliquerat  repeilebatur  patronus.  —  Inst., 
III.  7.  2.  Si  pauciores  quam  très  liberos...  virilis  pars  patrono. 

T.  I.  17 


258  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

réuniront  dans  leur  personne  ces  deux  conditions  con- 
tradictoires de  VIVRE  LIBRES  et  de  mourir  esclaves  ! 

Nous  avons  vu  comment  le  préteur,  par  les  possessions 
de  biens,  modifiait  le  système  de  l'hérédité  des  XII  Ta- 
bles ;  il  faut  déterminer  le  caractère  du  droit  conféré  par 
les  successions  prétoriennes. 

YII.  —  La  Loi  seule ,  ou  le  testament  romain ,  par  la 
force  qu  il  tient  de  la  loi ,  a  la  puissance  de  faire  un  hé- 
ritier ,  en  déclarant  ou  créant  cette  qualité. 

Le  Préteur,  avec  son  pouvoir  temporaire,  ne  peut 
créer  un  héritier  dans  la  plénitude  de  sa  qualité  légale. 
Quel  est  donc ,  en  droit ,  le  caractère  des  possessions  de 
biens  ou  des  successions  prétoriennes,  question  qui  divi- 
sait les  interprètes  des  lois  romaines,  notamment  Cujas 
et  Vinnius?  *® 

La  Bonorum  possessio  est  un  moyen  d'acquérir  per  uni- 
versitatem.  Elle  ne  doit  pas  être  confondue,  disait  le  ju- 
risconsulte Labéon,  avec  la  possession  des  choses;  elle 
est  plus  de  droit  que  de  fait  ;  elle  peut  avoir  lieu  lors 
même  que ,  dans  l'hérédité ,  il  n'y  aurait  aucune  chose 
susceptible  de  possession  corporelle  :  elle  est  le  droit  de 
poursuivre  et  de  retenir  le  patrimoine  du    défunt  ®''. 

«  Le  Bcnoriim  possessor  succède  à  la  place  du  défunt , 
dit  Gains;  —  le  Préteur  le  met,  en  toute  cause,  au  Ueu 
même  de  fhéritier ,  dit  Paul ,  et  sous  le  titre  d'hérédité 

89  Cujas ,  ad  Afr.,  tr.  ix.  L.  Cum  postulassem.  — Vinnius,  Inst.  m. 
10.  Prœm.  —  L'ancienne  école  avait  été  aussi  divisée.  (  Coni.rov.  Fa- 
chinœi^  lib.  xiii.  cap.  29.) 

90  D.  XXXVII.  1.  3.  §  1.  2  :  .Tus  persequendi  relinendique  patrimonii, 
sive  rei  quEc  cujusque  cum  moritur  fuit.  fUlp-J 


CHAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEiV.   SECT.  II.  259 

est  comprise  la  possession  de  biens  ^* .  »  Ulpien  déclare 
même  expressément  que  la  possession  de  biens  emporte 
tous  les  avantages  ,  toutes  les  charges  héréditaires ,  ainsi 
que  le  domaine  des  choses  qui  sont  dans  la  succession , 
iTEMQUE  DOMiNiUM  RERUM^^.  OÙ  douc  se  trouvc  la  diffé- 
rence entre  l'héritier  et  le  successeur  prétorien  ?  —  Elle 
se  borne  à  ce  point  important ,  que  le  possesseur  n'a  pas 
les  actions  directes  de  l'héritier.  En  demandant  la  pos- 
session de  biens  ex  edicto ,  il  ne  peut  pas  soutenir  directe- 
ment que  «  ce  qui  fut  au  défunt  est  à  lui  » ,  que  «  ce  qui 
était  dû  au  défunt  doit  lui  être  donné  » .  Il  ne  peut  agir 
que  par  des  actions  fictives  (actionibus  fictitiis).  II  agit  en 
se  supposant  héritier,  fido  se  hœrede,  et  sous  la  formule 
si  hœres  esset.  Mais ,  à  l'aide  de  cette  fiction ,  qui  modifie 
la  compétence  judiciaire,  il  arrive  en  réalité  au  même 
but;  il  se  fait  attribuer  les  immeubles,  les  droits  et 
créances  de  l'hérédité ,  comme  s'il  avait  la  qualité  d'hé- 
ritier, ou  celle  de  propriétaire  ex  jure  quiritium^^. 

91  Gaius,  IV.  §  34.  —  D.  de  Reg.  Jur.  117.  —  Inst.  m.  10.  prœm. 
—  D,  de  Verb.  Sig.  138.  Hsereditatis  appellatione  bonorum  quoque 
possessio  continetur.  (Paul.) 

92  Bonorum  possessio  admissa  commoda  et  incommoda  hœreditaria, 
itemque  dominium  rerum  quse  in  bonis  sunt  tribuit ,  nam  hœc  omnia 
bonis  sunt  conjuncta.  {D.,  xxxvn.  1.  1.  )  Cujas  (loc.  cil.)  dit  veluti 
dominium.  C'est  faire  fléchir  le  texte  en  vue  d'une  opinion. 

93  Gaius  iv.  §  34  :  Judex  esto Si  haeres  esset Si  bis  fundus 

de  quo  agitur  ex  jure  quiritium  ejus  esset.  —  Le  texte  de  Gaius  ren- 
verse l'opinion  de  Cujas,  savoir,  que  la  possession  de  biens  ne  donne 
pas  la  propriété ,  mais  une  occasion  d'acquérir  le  domaine  par  usuca- 
pion.  {Ad  Afric.  Tracl.,  ix.  t.  l.  p.  1199,  et  Oôs.,  lib.  xxi.  cap.  36.  ) 
Cette  opinion,  adoptée  par  A.  Costa ,  dans  ses  Institutes  (p.  309),  avait 
été  combattue  par  Doujat  (  Notes  sur  Théoph.,  t.  ii.  p.  78),  par 
yinnius  (/ns(.,  m.  10.  prœm.,  no  4),  et  par  Pothier  {Pand.,  lib.  37.) 


260  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

VIII.  —  Les  possessions  de  biens,  que  nous  avons  mises 
en  parallèle  avec  le  système  de  la  Loi  des  XII  Tables , 
étaient  destinées  à  suppléer  le  droit  civil  ;  mais  les  pos- 
sessions de  biens  étaient  aussi  données  pour  le  confir- 
mer :  c'est  là  une  distinction  essentielle.  —  Les  pos- 
sessions prétoriennes,  destinées  à  confirmer  le  droit 
civil ,  ajoutaient  à  ses  effets,  en  s'appliquant  à  l'hérédité 
testamentaire  ou  légitime ^'^.  L'héritier  ,  régulièrement 
institué ,  pouvait  faire  adition  d'hérédité  par  la  voie  ci- 
vile ;  mais  le  préteur  pouvait  lui  donner  aussi  la  posses- 
sion de  biens  secundum  tabulas.  —  De  même ,  les  hé- 
ritiers-siens étaient  saisis  de  fhérédité  civile ,  et  les  hé- 
ritiers légitimes  faisaient  adition;  mais  le  préteur  pro- 
mettait aux  uns  et  aux  autres  la  possession  unde  Liberi , 
unde  Legilimi.  L'édit  du  préteur  alors  concourait  avec  le 
droit  civil.  Si  l'héritier  ne  demandait  pas  la  possession 
de  biens ,  il  n'en  était  pas  moins  héritier ,  en  vertu  du 
testament  ou  de  la  Loi  des  XII  Tables  ;  mais  la  posses- 
sion prétorienne ,  en  concours  avec  l'hérédité ,  lui  pro- 
curait le  bénéfice  de  l'interdit  quorum  ronorum  ;  c'est- 
à-dire  un  moyen  prompt  et  facile  d'obtenir,  par  l'auto- 
rité prétorienne ,  de  celui  qui  possédait  à  titre  d'héritier 
ou  de  possesseur,  la  restitution  de  toutes  les  choses  qui 
dépendaient  de  la  succession^''.  En  l'absence  de  cet  in- 


96  Cicéron  donnait  une  qualification  très-exacte  en  ce  cas  :  Heredi- 
tatum  possessiones.  (in  Verr. ,  i.  45.  46.  —  Episl.  ad  Allie,  vi.  6.  ) 

97  Gaius,  III.  §  34.  tv.  §  144  :  «  Adipiscendae  possessionis  causa  in- 
terdictum  ;  ejusque  vis  ac  potestas  haec  est  ut  quod  quisque  ex  bis 
bonis  quorum  possessio  alicui  data  est  pro  berede ,  aut  pro  possessore 
possideret,  id  ei  cui  bonorum  possessio  data  est,  restituatur.  » 


CHAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEN.  SECT.  II.  26 ^ 

terdit ,  l'héritier  était  obligé  d'agir  par  la  pétition  d'héré- 
dité contre  les  détenteurs  des  choses  héréditaires ,  et  de 
subir  les  lenteurs  d'une  procédure  devant  le  tribunal 
des  Centumvirs.  —  Ce  n'était  donc  qu'une  voie  d'agir , 
ou  un  envoi  en  possession  qui  résultait  alors  de  l'Édit 
du  préteur  et  de  sa  disposition  confirmative. 

La  possession  de  biens  établie  pour  suppléer  aux  omis- 
sions de  la  loi  civile  et  pour  en  corriger  la  rigueur ,  con- 
tenait le  véritable  caractère  de  la  succession  prétorienne. 
C'est  là  que  se  trouvait  tout  un  système ,  qui  avait  ses 
différents  ordres  d'héritiers ,  qui  avait  dans  chaque  ordre 
ses  différents  degrés  ;,  avec  droit  d'accroissement  en  cas 
de  renonciation  de  quelques-uns  des  successibles ,  et 
avec  dévolution  d'un  degré  à  l'autre ,  à  défaut  de  récla- 
mation opportune. 

IX.  —  La  succession  prétorienne  était  parallèle  à  l'hé- 
rédité déférée  par  la  Loi  des  XII  Tables  ;  mais  elle  repo- 
sait sur  un  principe  tout  différent.  L'hérédité ,  selon  la 
Loi  des  XII  Tables ,  avait  pour  principe  et  la  puissance 
du  père  ou  de  l'aïeul  et  le  lien  civil  de  la  famille  dans  ses 
rapports  avec  la  puissance  paternelle ,  avec  l'agnation , 
avec  la  gentilité ,  appuyées  sur  la  prééminence  du  sexe 
masculin.  —  La  succession  prétorienne  avait  pour  prin- 
cipe la  parenté  naturelle ,  le  lien  du  sang ,  l'affinité  des 
époux.  C'est  un  élément  nouveau  qui  vient  se  placer  dans 
tous  les  vides  qu'avait  laissés  la  constitution  civile  et  po- 
litique de  la  famille  romaine ,  et  qui  a  pour  effet  de  dé- 
tourner, de  repousser  certaines  conséquences  de  cette 
constitution  primitive,  mais  non  d'abroger  les  disposi- 
tions expresses  de  la  Loi,  et  de  s'élever  contre  des  prohibi- 


262  LîV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

tions  formelles  ^*.  —  Il  en  résulte  que  les  deux  principes 
de  la  famille  civile  et  de  la  famille  naturelle,  de  la  parenté 
par  le  père ,  de  la  parenté  par  la  mère ,  vivent  l'un  à  côté 
de  l'autre,  se  limitent,  se  soutiennent  mutuellement. 

Le  Droit  prétorien  a  mis  dans  le  domaine  des  succes- 
sions un  germe  qui  se  développera  sous  les  empereurs 
par  les  Sénatus-consultes  et  les  Constitutions^^ ,  jusqu'au 
moment  oii  Justinien,  arrachant,  par  la  Novelle  118,  les 
vieilles  racines  de  la  famille  romaine  et  de  l'agnation , 
donnera  une  nouvelle  force  aux  liens  du  sang ,  un  seul 
titre ,  la  cognation ,  à  là  parenté  de  quelque  côté  qu'elle 
vienne ,  et  rattachera  directement  aux  deux  tiges  et  aux 
différentes  branches  de  la  famille  naturelle  le  système  des 
successions  légitimes ,  divisé  désormais  en  trois  ordres , 
les  ascendants ,  les  descendants ,  les  collatéraux  paternels 
et  maternels. 


98  D.,  de  Bon.  poss.,  xxxvii,  1.  12.  §  1.  (  Ulp.  )  —  Ubicumque  Lex, 
vel  Senatus,  vel  Constitulio  capere  hereditatem  prohibet  ;  et  bonorum 
possessio  cessât. 

99  Nous  rappellerons  ici  principalement  :  1"  Les  sénatus-consultes 
Tertullien  et  Orphitieu,  relatifs  auxdroits  de  succession  respective  de 
la  mère  et  des  enfants  (sous  Marc  Aurèle);  2°  la  constitution  de  Théo- 
dose et  de  Valentinien  ,  par  laquelle  les  enfants  de  la  fille  furent  ad- 
mis en  premier  ordre  et  concurremment  avec  les  héritier S'siens,  à  re- 
cueillir, dans  la  succession  de  l'aïeul  maternel ,  les  deux  tiers  de  ce  que 
leur  mère  aurait  personnellement  recueilli  jusqu'alors.  — La  fille  pré- 
décédée  n'était  représentée  ni  dans  la  famille  ,  ni  dans  l'hérédité  de 
son  père,  non  plus  que  dans  la  possession  de  biens  contra  tabulas,  unde 
liberi.  Les  petits-enfants  n'étaient  pour  l'aïeul  maternel  que  de  sim- 
ples cognats ,  admis  au  troisième  ordre  par  le  droit  prétorien.  — 
C.  Theod.,  V.  l.  4.  de  Legit.  hœred.  (an  389)  {Inst.,  m,  5.  §  1.  M.  Du- 
cauroi, t.  ii.  p.  327.  )  Voir  infra  notre  liv.  m, époque  gallo-eomaine. 


CHAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEN.  SECT,  III.  263 

SECTION    III. 


LA.  PROPRIETE. 


SOMMAIRE. 

§  1.  —  Etal  de  la  propriété  et  des  possessions  ,  à  Rome,  lors  de  lA  Cori' 

quête  des  provinces. 
§  2.  —  Droit  de  propriété  dans  les  provinces.  —  Moyens  d'acquérir. 
I.  —  Ager  publicus,  en  province. 
IL  —  Ager  provincialis  ,  wZ  privatus,  dîsH'ncï  de  r^gfcr 

publicus  et  du  Sol  Italique. 
III.  —  Moyen  d'acquérir  :  Tradition  pour  juste  came.  — 
Introduction  de  reniptio-venditio  ;  son  caractère 
distinctif  de  la  Mancipation ,  né  du  caractère  ju- 
ridique des  fonds  provinciaux. 
IV.  —  Parallélisme  du  Droit  des  Gens  et  du  Droit  Civil 
quant  aux  modes  d'acquérir  les  immeubles ,  de 
prescrire  par  la  possession,  d'établir  des  servi- 
tudes et  de  créer  des  droits  de  jouissance. 


%  i*'.  —  ÉTAT  DE  LA  iPBOPRIÉTÉ  ET  DES  POSSESSIONS ,  A  BOME,  LORS 
DE  LA  CONQUÊTE  DES  PROVINCES. 

Sous  la  Loi  des  XII  Tables ,  il  n'y  a  d'abord  qu'un  do- 
maine à  Rome,  le  domaine  Quiritaire.  Les  immeubles 
romains,  formant  l'ager  privatus,  s'identifient  avec  les 
Res  Mancipi.  Mais  les  terres  du  Latium,  de  ITtalie,  de  la 
Gaule  Cisalpine,  sont  devenues  successivement  des  terres 
romaines ,  susceptibles  de  la  Mancipation ,  de  la  Cession 


264  LIV.  L  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

in  Jure,  de  l'Usucapion ,  à  mesure  que  ces  contrées  ont 
été  admises  à  participer  au  droit  de  la  Cité. 

L'ager  publicus ,  réputé  imprescriptible ,  avait  été  li- 
vré, dès  l'origine,  sous  charge  de  redevances,  à  la  pos- 
session des  Patriciens  et  des  Chevaliers.  Les  possesseurs 
avaient  ensuite  tâché  de  se  rapprocher,  de  plus  en  plus , 
du  droit  de  propriété ,  en  faisant  des  constructions  sur 
le  sol,  en  transportant  à  d'autres,  par  la  tradition,  les 
biens  possédés.  Ils  les  transmettaient  ainsi  à  leurs  héri- 
tiers ,    libres  souvent   des  redevances  originaires  ,   et 
comme  à  titre  d'hérédité,  disait  Florus,  quasi  jure  hère- 
ditario^.  Les  lois  Licinia  et  Sempronia  [377-620],  pour 
empêcher  ou  dissoudre  l'accumulation  des  grandes  for- 
tunes territoriales,  avaient  limité  à  cinq  cents  jugères 
l'étendue  des  propriétés  et  des  possessions  d'un  citoyen  ; 
mais  ces   tentatives  étaient  restées  impuissantes.   Les 
vastes  possessions,  les  latifundia,  couvrirent  progressi- 
vement le  territoire.du  Latium  et  les  champs  de  la  fertile 
Italie.  Les  discordes  civiles ,  les  distributions  de  terres 
faites  aux  soldats  par  Sylla  et  ses  imitateurs,  les  usur- 
pations des  chevaliers,  protégées  par  leur  nouveau  privi- 
lège de  siéger  exclusivement   dans  les  tribunaux,  au 
temps  même  des  lois    agraires  de  C,    Gracchus,    les 
ventes  ordonnées  par  des  lois  spéciales  et  exécutées  au 
profit  du  Trésor  public ,  par  l'intermédiaire  des  Censeurs 
et  des  Questeurs  ;  enfin  les  assignations  de  terre  éta- 
blies en  faveur  des  Vétérans  ou  des  Prolétaires  ,  firent 
disparaître  successivement  du  domaine  de  la  République 

1  Relictas  sibi  a  majoribus  sedes  œtate ,  quasi  jure  hereditario,  pos- 
sidebant.  [Florus ,  ii.  12.  Niebtihr,  m.  p.  199.  ) 


CHAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEN.  SECT.  111.  265 

l'ancien  ager  publions  de  Rome  et  de  l'Italie  ;  et  dans  le 
livre  sur  les  Devoirs,  après  la  tourmente  des  lois  agraires 
et  des  guerres  civiles ,  Cicéron  réclamait  pour  les  lon- 
gues possessions  la  même  inviolabilité  que  pour  la  pro- 
priété ordinaire^. 

Mais  aux  vi^  et  vii^  siècles  de  Rome ,  lorsque  la  con- 
quête vint  ajouter  de  vastes  provinces  au  territoire  et  à 
l'empire  de  la  République ,  l'ager  publicus  existait  en- 
core. Les  terres  qui  en  dépendaient,  et  qui  étaient  pos- 
sédées par  les  particuliers  ou  les  Collèges  des  augures  et 
des  prêtres,  étaient  qualifiées  de  possessiones ,  et  garanties 
contre  les  voies  de  fait  par  les  Interdits  Prétoriens ,  qui 
maintenaient  ou  rétablissaient  en  possession  ceux  qui  se 
plaignaient  d'avoir  été  troublés  dans  leur  jouissance'. 


2  Cic,  de  Off.,  ii.  22.  23  :  «  Qui  vero  esse  populares  volunt,  ob 
eamque  causam  ,  agrariam  rem  tentant ,  ut  possessores  suis  sedibus 
pellantur.,...  ii  labefactant  fundamenta  Reipublicae.  Concordiam  pri- 
muni  tollunt....  deinde  cequilatem  quae  tollitur  oranis  ,  si  habere  suum 
cuique  non  licet....  quam  autem  habet  œquitatem,  ut  agrum  mullis 
annis,  aut  etiam  ante  seculis  possessum ,  qui  nullum  habuit,  habeat  : 
qui  autem  habuit,  amittat?  »  (Cap.  22.) 

«  Habitent  gratis  in  alieno  ?  —  Quid  ita?  Ut  cùm  ego  emerim ,  aedi- 
ficaverim ,  tuear,  impendam  :  tu  me  invito ,  fruare  meo  ?  Quid  est 
aliud  quam  aliis  sua  eripere  ,  aliis  dare  aliéna.  »  (Cap.  23.  ) 

C'est  certainement  la  doctrine  chère  aux  Chevaliers  qui  est  ici  ex- 
posée par  Cicéron,  en  707. 

3  L'interdit  uli  possidetis  qui ,  dans  les  textes  du  Digeste ,  s'appli- 
que aux  maisons  ,  uti  possidetis  eas  œdes ,  contenait ,  d'après  Festus , 
dans  le  droit  ancien,  les  mots  eum  fundum.  Voici  la  formule  telle  que 
Festus  la  donne  :  «  Uti  nunc  possidetis  eum  fundum ,  quod  nec  vi ,  nec 
clam ,  nec  precarfo  alter  ab  altero  possidetis ,  ita  possideatis  ,  adver- 
sus  ea  vim  fieri  veto.  »  {Festus^  v^  Possess.,  et  Fest.  Frag.  e  Cod.  Farn., 
èdit.  Muller,  p.  232.  233.) 


266  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

Ces  Interdits  tenaient  lieu ,  à  l'égard  des  détenteurs ,  de  la 
Vindicatio  et  des  autres  actions  réelles  qu'ils  ne  pouvaient 
exercer ,  parce  qu'ils  n'avaient  ni  ne  pouvaient  avoir , 
en  leur  qualité  de  détenteurs ,  la  pleine  propriété  de  la 
chose  possédée. 

Propriété  romaine,  de  Droit  civil,  et  possession  seu- 
lement des  fonds  dépendant  de  l'ager  publicus  :  —  tel 
était  donc  à  Rome  le  double  caractère  de  la  propriété 
far  faite  et  imparfaite,  quand  la  conquête  vint  soumettre 
de  nombreuses  provinces  au  pouvoir  de  la  République. 

§  2.  —  droit  de  propkiété  dans  les  provinces.  —  moyens 
d'acquérir. 

Quel  fut  le  droit  de  propriété  dans  les  provinces  ?  — • 
Quelle  influence  le  Droit  des  Provinces  a-t-il  exercée  sur 
le  Droit  civil  de  Rome ,  en  matière  de  propriété  ? 

La  solution  de  ces  questions  est  nécessaire  pour  ex- 
pliquer le  passage  de  la  propriété  et  des  modes  d'acqui- 
sition du  Droit  Civil  à  la  propriété  et  aux  modes  d'ac- 
quérir du  Droit  des  Gens.  Dans  leur  examen  se  ren- 
contre aussi  la  théorie  de  Niebuhr  et  de  Savigny ,  sur 
le  rapport  supposé  entre  Vager  publicus  et  les  possessions 
de  Vager  provincialis  ^ . 

Dès  les  premiers  siècles  où  Rome  eut  des  provinces , 
il  se  fit ,  dans  l'étendue  des  terres  provinciales ,  une  divi- 
sion qui  réfléchissait  la  distinction  romaine  du  domaine 

4  La  théorie  des  savants  de  l'Allemagne  a  été  adoptée  ,  développée 
et  peut-être  dépassée  par  M.  Giraud ,  Recherches  sur  la  propriété , 
p.  197.  204. 


CHAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEN.  SECT.  m.  267 

public  et  du  domaine  privé.  Les  vainqueurs  s'attri- 
buaient, dans  chaque  province,  des  terres  qui  étaient 
affectées  à  la  République,  et  qui  étaient  comprises  sous 
la  qualification  propre  à'ager  publicus  :  c'était  le  plus  sou- 
vent le  territoire  des  cités  qui ,  ayant  opposé  une  vive  ré- 
sistance, avaient  été  complètement  vaincues  ou  avaient 
fini  par  se  rendre  à  discrétion,  comme  déditices^.  Les 
autres  terres,  laissées  aux  habitants,  aux  anciens  pro- 
priétaires ,  sous  la  charge  de  la  Dîme  des  fruits ,  ou  d'un 
tribut  fixe ,  formaient  le  domaine  privé ,  le  domaine  pro- 
vincial ou  tributaire ,  ager  privalus ,  ager  provincialis  vel 
tribularius ,  prœdia  provincialia^. 

l.  —  L'ager  publicus  des  provinces  était  incor- 
poré au  domaine  de  la  République.  —  Sous  le  con- 
sulat de  Cicéron,  le  tribun  Servilius  Rullus  fit  adop- 
ter une  loi  agraire  applicable  à  l'ager  publicus  situé 
dans  l'Italie  et  hors  de  l'Italie''^.  La  loi  désignait  les  terres 


5  Cicéron  dit  :  Perpaucse  Sicilise  civitates  sunt  bello  a  Majoribus  nos- 
tris  subactae  :  quarum  ager  qiium  esset  piibHcus  populi  romani  factus, 
tamen  illis  est  redditus....  Fœderatse  civitates  duae  sunt  quarum  de- 
cumse  venire  non  soleant....  quinque  sine  fœdere  immunes  civitates 
ac  liberae....  Praeterea  omnis  ager  Sicilise  civitatum  decumanus  est. 
In  Verr.^  de  Re  Frument.,  m.  c.  6.) 

6  In  diversis  provinciis....  omnes  etiam  privati  agbi  tributa  atque 
vectigalia  persolvunt.  (  Rei  agrariœ  auclores  ,  Aggenus ,  édit.  Goesii , 
p.  47.)  —  Cicéron  avait  dit  :  Impositum  vectigal  certum,  quod  stipen- 
diarium  dicitur.  {In  Verr.,  m.  6.)  —  Gains,  ii.  21,  dit  :  Prœdia  pro- 
vincialia ,  alia  stipendiaria ,  alia  tributaria. 

7  Rei  agrariœ  Leges  variœ  (Goesius,  p.  357)  :  «  Qui  agri,  quœ  loca , 
quœ  œdificia  aliudve  quid  ,  quod  publicum  populi  romani  factura 
est;  fuitve  in  Italia  atque  extra  Italiam,  L.  Sylla,  Q.  Pompeio 
Coss.,  aut  postea  ;  id  Decemviri  vendento. 


268  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

publiques,  quod  publicum  populi  romani,   situées  : 

En  Italie, 

En  Sicile, 

En  Asie , 

En  Macédoine, 

Dans  la  Chersonèse , 

En  Grèce, 

En  Espagne, 

En  Afrique. 

La  Loi  voulait  aussi  que  «  les  édifices ,  les  champs ,  les 
étangs,  les  marais,  les  possessions,  les  lieux  publique- 
ment assignés,  vendus,  concédés,  possédés  depuis  le  consu- 
lat de  C.  Marius  et  de  Carbon,  fussent  placés  sous  le  droit 
le  plus  favorable  à  la  propriété  privée^.  » 

Trois  siècles  plus  tard ,  le  jurisconsulte  Paul  indique 
des  terres,  des  possessions  achetées  dans  la  Germanie 
Trans-rhénane ,  et  il  décide  que  le  prix  en  était  dû  par 
l'acquéreur,  bien  que  depuis  l'acquisition  elles  eussent  été 
vendues  par  l'ordre  du  Prince  ou  assignées  aux  Vété- 
rans^. —  Le  même  jurisconsulte  dit  que  les  terres  publi- 

8  Ea  omnia  jure  sint  ut  quae  oplimo  jure  privata  sunt.  (  Goesius  , 
Leg.  var.,  n»  13.  14.  ) 

9  D.  ,  XXI.  2.  11.  Le  mot  possessiones  indique,  dans  cette  loi ,  qu'il 
s'agissait  de  Vager  publicus  :  «  L.  Titius  prœdia  in  Germania  trans- 
»  Rhenum  émit  et  partem  pretii  intulit.  Cum  in  residuam  quantitatem 
»  hères  emptoris  conveniretur,  quaestionem  retulit,  dicens  :  Has  pos- 
»SESsiONES  EX  PRvECEPTO  PRiNciPALi  partini  dislraclas ,  partira 
»  veteranis  in  praemio  adsignatas.  Quaero  an  hujus  rei  periculum  ad 
»  venditorem  pertinere  possit?  Et  ideo  secundum  ea  quae  proponuntur 
»  pretium  prœdiorum  peti  posse.» — C'était  le  (ail  du  Prince,  appliqué 
à  ce  que  le  Prince  avait  le  droit  de  faire ,  comme  représentant  le 
peuple  Romain  ,  propriétaire  d'un  domaine  imprescriptible. 


CHAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEN.    SECT.  III.  269 

ques,  AGRi  PUBLici,  qui  ont  été  louées  à  perpétuité,  ne 
peuvent  être  retirées  sans  l'autorité  du  Prince*". 

Il  est  donc  bien  certain  qu'il  y  avait  dans  les  pro- 
vinces un  ager  publicus ,  dont  le  domaine  appartenait  à 
l'Etat,  et  dont  la  possession  était  concédée  aux  parti- 
culiers ,  qui  pouvaient  vendre ,  acheter ,  succéder ,  mais 
sous  la  condition  d'une  révocabilité  perpétuelle  ".  — 
\Jager  publicus ,  dans  les  provinces  comme  à  Rome ,  était 
imprescriptible,  inaliénable  à  titre  définitif,  sauf  l'in- 
tervention de  la  loi  ou  de  la  puissance  souveraine.  Lors- 
que des  terres  du  domaine  public  étaient  assignées,  en 
vertu  de  la  souveraineté,  aux  Vétérans  ou  aux  Colons, 
avec  arpentage  et  délimitation  par  les  agrimensores  , 
les  terres  étaient  censées  faire  partie  du  sol  italique  ; 
elles  devenaient  propriété  romaine ,  Res  mancipi^^.  Les 
vétérans,  les  citoyens  de  la  colonie,  en  avaient  le  do- 
maine ex  Jure  Quiritium ,  qui  s'appliquait  alors  à  des 
terres  situées  à  une  grande  distance  de  Rome,  comm.e  il 
s'appliquait ,  dans  les  premiers  temps ,  au  sol  des  colo- 
nies fondées  en  Italie,  et  investies  du  Droit  de  Latinité. — 
En  résumé,  l'ager  publicus  des  Provinces  était  la  repré- 
sentation fidèle  de  l'ager  publicus  de  l'Italie ,  soit  dans  sa 
condition  première ,  soit  dans  ses  concessions  possibles. 


10  Agbi  PUBLICI  qui  in  perpetuum  locantur  a  curatore ,  sine  auc- 
toritate  principali  revocari  non  possunt.  (  D.,  xxxix.  4.  11.  ) 

11  Condition  analogue  aux  domaines  de  la  Couronne,  qui,  dans 
l'ancien  Droit  français,  étaient  dits  domaines  engagés  et  révocables. 

12  Le  rôle  de  Vagrimensor  était  d'une  haute  importance  pour  l'as- 
signation des  terres.  (Voir  Goesius,  Antiquit.  agrar.,  cap.  xxiv, 
p.  27.) 


270  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

IL  —  L'ager  privatus  des  provinces,  au  contraire,  ne 
devenait  jamais  terre  romaine ,  Res  mancipi,  à  moins  que 
la  cité  elle-même,  par  une  faveur  toute  spéciale,  n'eût 
été  gratifiée  du  jus  ïtalicum.  Mais  (à  part  ce  privilège 
politique),  que  l'ager  privatus  fut  possédé  par  un  habi- 
tant du  pays  ou  par  un  citoyen  romain,  il  restait  tou- 
jours terre  provinciale ,  ager  provincialis ,  Res  nec  man- 
cipi. La  qualité  du  possesseur  n'influait  îpas  sur  la  con- 
dition de  la  terre.  Le  domaine  Quiritaire  sur  le  sol  pro- 
vincial ne  pouvait  appartenir  à  personne  en  particulier. 
Il  appartenait  au  Peuple  Romain  ,  mais  comme  domaine 
général,  comme  domaine  éminent  et  de  souveraineté, 
qualifié  par  Gains  dominium  populi  romani  ,  plus  tard 
iMPERiUM  *^,  et  représenté  soit  par  la  dime  des  fruits 
établie  sur  les  terres  provinciales,  soit  par  les  impôts 
fonciers  (^tributum  vel  stipendium) ^  dont  le  sol  italique 
resta  long-temps  affranchi. 

Les  terres  des  provinces ,  ainsi  possédées  sous  la  sou- 
veraineté du  peuple  romain ,  étaient  quelquefois  quali- 
fiées possESSiONES ,  comme  celles  de  l'ager  publicus. 
Festus  dit  en  effet  :  «  On  appelait  possessions,  les  champs 
soit  publics,  soit  privés,  qui  n'étaient  pas  acquis  par 
mancipation,  mais  par  usage  ou  tradition  **.  »  Là  se 
trouve  le  rapport  entre  l'ager  publicus  et  l'ager  provin- 

13  Gaius  ,  II.  §  7.  Les  Institutes  de  Justinien  disent  imperium. 

14  Possessiones  appellantur  agri  late  patentes  publici  pbivatique 
qui  non  mancipalione,  sed  usu  tenebantur...  {Fest.  Frag.  e  Cod.  Far., 
édil.  Muller,  p.  241.) 

Niebuhr,  pour  étayer  son  système  sur  la  prétendue  identité  de 
Vager  publicus  et  de  Yager  provincialis  ,  propose  tout  simplement  de 
retrancher  les  mots  privalique ,  qui  renversent  toutes  ses  idées.  C'est 
se  mettre  un  peu  à  Taise  avec  les  textes.  {Hisl.  rom. ,  m.  p.  193.) 


CHAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEN.   SECT.  III.  2*71 

«ialis.  Il  est  dans  la  qualification  respective  de  posses- 
sion; il  est  principalement  en  cette  circonstance  que  la 
terre ,  dans  l'un  et  l'autre  cas ,  était  transmise  par  la 
tradition ,  et  non  par  la  mancipation.  Mais  là  s'arrête  la 
ressemblance.  Le  caractère  du  droit  de  propriété,  le 
plein  pouvoir  sur  la  chose,  n'existait  point  en  faveur  des 
particuliers ,  relativement  aux  terres  de  Vager  publicus , 
puisqu'il  y  avait  toujours  révocabilité,  imprescriptibilité. 
—  Au  contraire,  il  existait  relativement  aux  terres  de 
Vager  provincialis-,  les  particuliers  en  avaient  la  libre  dis- 
position ,  sans  aucune  condition  expresse  ou  tacite  de  ré- 
vocabilité. Ils  exerçaient,  à  leur  égard,  tous  les  droits 
utiles  du  domaine;  ils  transmettaient  leurs  droits,  avec 
toute  sécurité,  à  leurs  héritiers  ou  représentants.  — 
Les  terres  provinciales,  en  principe,  étaient  donc  bien 
distinctes  de  l'ager  publicus. 

D'un  autre  côté,  ces  terres  se  distinguaient  essentiel- 
lement du  sol  Italique.  Elles  n'étaient  pas  dans  la  pro- 
priété Quiritaire ,  elles  étaient  in  Bonis;  elles  n'étaient 
pas  du  domaine  selon  le  Droit  civil,  mais  du  domaine 
selon  le  Droit  des  gens;  et  c'est  là  le  point  fondamental. 

Après  la  conquête  des  provinces,  et  sous  l'influence 
du  Droit  provincial,  le  domaine,  selon  l'expression  de 
Gains ,  le  domaine  est  double  dans  te  Droit  romain  : 
DUPLEX  DOMiNiUM  *^.  Si  Romo  a  sur  la  province  le  do- 
maine de  souveraineté ,  ex  jure  ouiritium  ,  les  habi- 
tants de  la  province  ont  le  droit  sur  leurs  biens  ,  le 
véritable  pouvoir  sur  la  chose,  la  propriété  qualifiée  în 

15  Apud  cives  romanos  duplex  dominium,  nam  vel  in  bonis,  vel 
exjure  Quirilium.  {Gains ,  i.  §  54.)  Théop.,  Inst.  i.  5.  §  3.  ii.  1.  §  40. 


272  LIV.  I.  — ÉPOQUE  ROMAINE. 

BONIS.  Une  apparente  suprématie  était  pour  Rome;  la 
réalité  du  droit  était  pour  la  Province.  Ainsi,  la  pro- 
vince n'avait  pas,  à  proprement  parler,  les  choses  sa- 
crées, parce  que  la  terre  n'avait  pas  été  consacrée  de 
l'autorité  du  peuple  romain  ;  mais  le  sol  destiné  au  culte 
était  tenu  pro  sacro.  De  même,  le  lieu  qui  recevait  la 
dépouille  de  l'homme  libre  ou  esclave,  n'était  pas  dit 
religieux,  mais  il  était  tenu  pro  religioso*®.  —  Cette 
doctrine  sur  la  distinction  à  faire  entre  le  domaine  qui- 
ritaire  et  la  propriété  in  bonis ,  a  passé  même  du  Droit 
provincial  dans  le  Droit  privé  des  citoyens  romains. 
Deux  citoyens  peuvent  avoir  sur  le  même  objet,  l'un, 
le  domaine  in  bonis,  l'autre,  le  domaine  ex  jure  Quiri- 
tium;  mais  celui  qui  a  seulement  le  droit  Quiritaire 
n'est  pas  censé  avoir  le  domaine  réel.  La  chose  est  vrai- 
ment sous  le  pouvoir  du  maître  qui  la  tient  dans  ses 
biens,  in  potestate  domini,  si  sit  in  bonis*'. 

16  Sed  sacrum  quidem  solum  existimatur  auctoritate  populi  ro- 
mani fieri  ;  consecratur  enim  lege  de  ea  re  lata ,  eut  senatusconsulto 
facto.  Religiosum  vero  nostra  voluntate  facimus  mortuum  inferentes 
in  locum  nostrum  ,  si  modo  ejus  mortui  funus  ad  nos  pertineat.  Sed 
in  provinciali  solo  placet  plerisque  sotum  religiosum  non  fieri ,  quia 
in  eo  solo  dominium  populi  romani  est  vel  Cœsaris  ;  nos  aiilem  posses- 
sionem  tanlum  et  usumfructum  habere  videmuf  :  utique  tamen  ejui- 
modi  locus,  licet  non  bit  religiosus,  pro  religioso  habetur;  quia 
etiam  quod  in  provinciis  non  ex  auctoritate  populi  romani  consecra- 
tuin  est ,  quamquam  proprie  sacrum  non  .est,  pro  sacro  habe- 
tur. {Gains  ,  ti.  §§5.  6.  7.  ) 

17  Caeterum  quod  apud  cives  romanos  duplex  sit  dominium,  nam 
vel  in  bonis ,  vel  ex  jure  Quiritium  ,  vel  ex  utroque  jure  cujusque  ser- 
vus  esse  intelligitur,  ità  demum  servum  in  potestate  domini  esse  dlce- 
mus,  si  in  bonis  ejus  sit,  etiamsi  simul  ex  jure  Quiritium  ejusdem  non 
sit ,  nam  qui  nudumjus  Quiritium  in  servo  habet ,  is  potestatem  ha- 
bere non  intelligitur.  (  Gains,  i.  §  54.) 


CHAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEN.  SECT.  III.     273 

Ainsi,  nulle  confusion  n'est  possible  :  la  propriété 
provinciale  ne  peut  être  confondue  ni  avec  la  possession 
précaire  ou  révocable  des  terres  composant  le  domaine 
de  la  république ,  ni  avec  la  propriété  du  sol  Italique 
devenu  res  Mancipi.  —  La  distinction  du  sol  italique 
et  du  sol  provincial,  dans  le  droit  privé  des  Romains, 
servira  de  base  désormais  à  deux  espèces  de  tîomaine  : 
le  PR^muM  iTALicuM,  c'est  la  propriété  selon  le  Droit 
Civil;  le  pr^dium  provinciale,  c'est  la  propriété  se- 
lon le  Droit  des  Gens.  —  «  Et  nous  devons  avertir, 
»  dit  Gains ,  que ,  chez  les  étrangers  (ou  les  provin- 
»  ciaux),  il  n'y  a  qu'un  seul  domaine.  Ainsi  un  homme, 
»  dans  les  provinces,  est  propriétaire  ou  il  n'est  pas  pro- 
»  priétaire.  C'était  aussi  l'ancien  droit  du  peuple  romain  : 
»  ou  quelqu'un,  en  effet,  était  propriétaire  ex  jure  Quiri- 
»  tium,  ou  il  n'était  pas  propriétaire-  Mais ,  depuis ,  le 
»  domaine  a  reçu  la  division  d'après  laquelle  l'un  peut 
»  avoir  le  domaine  quiritaire ,  et  l'autre  avoir  la  chose  in 
»  bonis  *^.  »  Le  sol  italique  sera  susceptible  de  ces  deux 
espèces  de  propriété;  il  pourra  être  l'objet  du  domaine 
quiritaire,  ou  seulement  du  domaine  in  bonis ^  d'après  la 
qualité  du  possesseur,  citoyen  romain  ou  non  citoyen,  et 
d'après  la  nature  du  moyen  d'acquérir,  conforme  ou  non 
conforme  au  droit  civil.  —  Le  sol  provincial  sera  suscep- 
tible de  la  propriété  unique  selon  le  droit  des  Gens,  c'e§t- 
à-dire  selon  le  droit  naturel  ^^. 


18Gaius,ii.  §40  :  Sequitur,  ut  aJmoneamus  apud  peregrinos- 

UNUM  ESSE  DOMINIUM. 

19  Quod...  tatnen  recte  dicitur  et  jure  gentium,  id  est  jure  natu 
BALi,  id  efflci.  (  Insl.  Jusl.,  tt.  i.  41.  De  Divis.  Rerum.  ) 

T.  I.  •  18 


274  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE, 

lïl.  —  Quand  Rome  connaît  la  propriété  du  droit  des 
gens  relative  aux  fonds  de  terre ,  le  Droit  civil  non-écrit 
admet ,  comme  corollaire ,  le  moyen  d'acquérir  du  Droit 
des  gens,  la  tradition.  —  Précédée  de  la  vente ,  la  tra- 
dition est  le  moyen  d'acquérir  les  immeubles  provinciaux 
à  titre  onéreux  ;  précédée  de  la  volonté  de  donner  entre 
vifs ,  la  tradition  est  le  moyen  de  les  acquérir  à  titre  gra- 
tuit et  singulier  ^°. 

Le  contrat  de  vente,  Emptio-VendUio ,  applicable  aux 
immeubles ,  s'est  introduit  par  l'usage  dans  le  droit  civil, 
lorsque  les  rapports  des  Romains  avec  les  nations  étran- 
gères étaient  devenus  fréquents ,  lorsque  les  provinces 
d«  la  République  embrassaient  une  partie  du  monde 
connu,  vers  le  vif  siècle.  II  était  certainement  pratiqué 
à  Rome,  du  temps  de  Cicéron,  comme  un  contrat 
nommé,  produisant  obligation  et  action;  car  Cicéron 
mentionne  les  actions  correspondantes  ex  emplo  mit  ven- 
dito  ^' .  —  Admise  dans  le  droit  civil  au  rang  des  contrats 
et  munie  de  deux  actions  directes,  la  vente  y  a  conservé, 
cependant ,  son  titre  originel  et  sa  nature  comme  con- 
trat du  droit  des  gens  et  de  bonne  foi.  C'est  un  point 
remarquable. 

Un  autre  l'est  plus  encore. 

Dans  l'Emptio-venditio ,  le  vendeur  ne  s'oblige  pas  à 
rendre  l'acbeteur  propriétaire,  mais  seulement  à  lui  li- 
vrer une  possession  paisible,  à  lui  faire  avoir  la  cbose  à 

20 Fragm.  Vaticana ,  de Donalionibiis  :  In donatione rei  tributarise.... 
In  his  quidem  quse  solo  Iributario  consistunt.... ,  in  vacuam  inductos 
possessioneni  ostendi  conveuit.  (§  293.  ) 

21  Cic,  de  Nat.  deorum,  m.  30  :  Quae  ex  empto ,  aut  vendito,  con- 
ducto  aut  locato fiunt . 


CHAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEN.  SECT.  III.  275 

titre  de  propriétaire  et  à  le  garantir  des  évictions  ^^.  D'où 
-naît  ce  caractère  spécial ,  qui  distingue  la  simple  vente 
de  la  mancipation ,  laquelle  avait  pour  objet  la  transmis- 
sion du  droit  de  propriété?  —  11  nous  semble  venir  du 
caractère  même  des  immeubles  sur  lesquels  portait  origi- 
nairement la  vente. 

Qu'on  y  réfléchisse ,  en  effet  : 

L'Emptio-venditio  et  la  tradition,  en  prenant  place 
dans  le  droit  civil,  à  côté  de  la  Mancipation,  s'appli- 
quaient aux  fonds  de  terre  qui  n'étaient  pas  susceptibles 
d'une  propriété  parfaite.  La  mancipation  restait  le  moyen 
solennel,  du  droit  civil,  pour  effectuer  le  transport  de 
propriété  des  immeubles  de  Rome  et  de  l'Italie,  sur  les- 
quels les  citoyens  pouvaient  avoir  le  domaine  parfait,  ex 
optimo  jure  QuirUiim.  Mais  dans  la  vente  et  la  tradition 
des  immeubles  provinciaux ,  au  contraire ,  le  vendeur  ne 
pouvait  jamais  transmettre,  selon  l'acception  de  la  Loi 
civile ,  le  droit  de  pleine  propriété ,  puisque  le  domaine 
Quiritaire  ou  éminent  de  ces  immeubles  était  attaché  à 
l'empire  du  Peuple  Romain.  Toutefois,  comme  ce  ven- 
deur avait  le  domaine  utile  ou  la  chose  in  bonis,  il  pouvait 
transmettre  la  possession  paisible,  dont  il  jouissait,  et 
garantir  de  l'éviction.  Il  possédait  le  sol  provincial  comme 
à  lui,  PRO  suo;  et  par  la  vente,  par  la  tradition  ,  il  trans- 


22  Paul ,  aâ  Edictum ,  disait  en  termes  bien  précis  :  «  Venditori 
sufficit  ob  evictionem  se  obligare,possessioneni  tradere,  et  purgari 
dolo  ma!o.  Itaque  si  evicta  res  nonsil,  nihil  débet.»  (/).,  xix.  4.  1.) 

J.  Pacius,  centur.^  m.  p.  273 ,  a  très-bien  développé  la  doctrine  de 
cette  loi ,  qu'il  résume  ainsi  :  «  Eam  traditionem  modo  sequitur ,  modo 
non  sequitur  Iranslatio  dominii;  heec  igitur  consideratio  non  est  ࣠
milura  contractus ,  sed  de  implemcnlo.  » 


â76  LIV.  I.  — ÉPOQUE  ROMAINE. 

mettait  les  mêmes  droits  à  l'acquéreur,  qui  possédait  pro» 
EiMPTORE  et  PRO  suo^'.  —  La  vente,  dans  la  suite,  s'est 
généralisée  en  droit  romain  par  son  application  aux 
fonds  de  terre,  quelle  que  fût  leur  situation  dans  les 
provinces  ou  dans  l'Italie  ;  mais  elle  a  retenu  son  carac- 
tère originaire  et  distinctif. 

Elle  est  restée ,  comme  nous  l'avons  dit  d'abord ,  un 
contrat  du  droit  des  gens  et  de  bonne  foi;  elle  est  restée 
aussi  un  contrat  parfait  par  le  seul  consentement  sur  la 
cbose  et  sur  le  prix,  confirmé  ou  sanctionné  par  le  droit 
civil  comme  produisant  obligation  et  action  personnelle , 
mais  non  transformé ,  ainsi  que  la  Mancipation  ou  la  Ces- 
sion injure,  en  moyen  d'acquérir ^^. 

C'est  la  Tradition  précédée  d'une  juste  cause,  moyen 
déjà  reçu. ,  dans  l'ancien  droit  civil ,  d'acquérir  les  choses 
mobilières  nec  mancipi,  qui  devient,  dans  la  deuxième 
période  du  droit  romain ,  le  moyen  d'acquérir  les  im- 
meubles, en  général,  selon  le  droit  des  gens  ou  le  droit 
naturel.  Et  alors  le  citoyen  a  vraiment  deux  domaines 
possibles  :  le  domaine  civil  ou  Qiiirilaire  sur  les  fonds  du 
territoire  italique,  le  domaine  naturel  ou  Bonitaire  (selon 
l'expression  de  Théophile)  soit  sur  les  terres  italiques,  soit 


23  Peo  suo  possessio  talis  est ,  cum  doniiniuni  nobis-  adquiri  puta- 
mus  et  ex  ea  causa  possidemus ,  ex  qua  adquiritur ,  et  prœterea  pro 
suo  :  ut  puta,  ex  causa  emptionîs  et  pro  emptore  et  pro  suo  possidet. 
(D.,  xLi.  10.  1.  Ul-p.  )  —  J.  Godefroy  dit  très-bien  à  ce  sujet  :  «  Pbo 
y>  suo  possidet  ex  causis  quibus  Jure  Gentium  dominium  adquiritur.  » 

24  Dans  la  théorie  de  notre  Code  civil ,  la  vente  des  immeubles  est , 
quant  à  la  forme ,  du  droit  des  gens  commQ  V em-plio-vendilio ,  et  quant 
au  fond,  pour  la  transmission  ipso  jure  de  la  propriété,  elle  est  une 
création  du  droit  civil  comme  la  mancipation. 


CHAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEN.  SECT.  III.  277 

sur  les  biens  du  territoire  provincial.  —  Mais  l'habitant 
des  provinces ,  qui  n'est  pas  investi  par  naturalisation 
individuelle  de  la  qualité  de  citoyen  romain ,  ou  qui  n'est 
pas  membre  d'une  cité,  d'une  colonie  gratifiée  du.  Jus 
Latii  ou  du  Jus  ludicmn ,  ne  peut  avoir  qu'une  seule  es- 
pèce de  domaine,  le  domaine  selon  le  Droit  des  gens. 

La  même  distinction  que  nous  venons  de  reconnaître, 
dans  l'aliénation  à  titre  onéreux ,  entre  la  propriété  pro- 
vinciale et  la  propriété  romaine ,  se  retrouve  par  rap- 
port à  la  donation  entre  vifs.  I^  dualisme,  qui  s'est  ma- 
nifesté par  la  mancipation  du  droit  civil  et  l'emptio- 
venditio  du  droit  des  gens,  existe  aussi  dans  l'aliéna- 
tion à  titre  gratuit.  Dans  le  système  de  la  loi  Cincia ,  sur 
laquelle  les  fragments  du  Vatican  nous  ont  fourni  une 
lumière  nouvelle ,  la  distinction  entre  les  immeubles  de 
propriété  romaine,  res  mancipi ,  et  les  immeubles  pro- 
vinciaux ,  res  tribufaiiœ,  est  fondamentale.  Les  terres  ro- 
maines ou  italiques  étaient  transmises  ,  pour  cause  de 
donation  entre  vifs,  par 'la  mancipation,  et  la  donation 
devait  être  renfermée  dans  les  limites  de  la  Loi;  —  mais 
les  terres  provinciales  ou  tributaires  étaient  transmises 
par  la  seule  tradition,  émanée  d'un  majeur  de  vingt-cinq 
ans ,  et  pouvaient  être  données  sans  aucune  restriction^^. 
Or,  cette  Loi,   du  yf  siècle  de  Rome,  n'a  pas  eu  une 


25  In  donatione  rei  tributariae  circa  exceptam  et  non  exeeptam  per- 
sonam  legis  Cincise  nulla  differentia  est,  quum  et  vacuae  possessionis 

inductioue  celebrata  in  utriusque  persona  perficiatur quapropter 

in  liis  quidem  quae  solo  tributario  consistunt ,  a  majore  v  et  xx  annis 
in  vacuam  inductos  posseàsionem  ostendi  convenit.  (  §  293.  Frag. 
Vatic.  )  —  Cette  Loi  avait  plus  d'un  rapport  avec  l'ordre  politique. 


278  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMALNE. 

existence  éphémère  :  on  retrouve  en  effet  sa  distinctioïî 
essentielle  rappelée  et  confirmée,  en  l'an  296  de  l'ère 
chrétienne,  par  un  rescrit  de  Dioclétien*^. 

iV.  —  Tout  un  ordre  de  propriété,  de  modes  d'ac- 
quérir, de  moyens  d'établir  les  servitudes  et  de  créer  des 
droits  de  jouissance ,  se  rattachait  au  sol  provincial  ;  la 
propriété  du  droit  des  gens  s'organisait  et  marchait  de 
front  avec  la  propriété  du  droit  civil.  —  Le  parallélisme  , 
est  complet. 

Aux  moyens  civils  d'acquérir  les  immeubles,  de  con- 
stituer les  servitudes  personnelles  et  réelles  et  de  créer 
des  droits  à  la  simple  jouissance  des  fruits ,  la  mancipa- 
tion  ,  l'usucapion,  la  cession  in  jure,  le  précaire,  corres- 
pondaient j  selon  le  droit  des  gens,  la  tradition  pour 
cause  de  vente  ou  de  donation ,  la  prescription  de  long- 
temps ,  les  pactes  et  stipulations  ,  le  louage. 

1  **  La  Tradition  ,  pour  cause  de  vente  ou  de  donation 
entre  vifs,  répon  ait  à  la  mancipation,  comme  on  l'a  vu, 
pour  le  transport  des  immeubles.  L'Emptio-venditio  du 
droit  des  gens,  acceptée  par  le  droit  non-écrit,  avec  ga- 
rantie en  cas  d'éviction ,  se  substituait  progressivement 
à  la  Mancipation  civile  ;  elle  finira  par  l'effacer  et  par 
être  seule  employée  à  fégard  des  immeubles  romains.  Et 
cependant,  elle  gardera  toujours  son  caractère  primi- 
tif, de  ne  pas  obliger  le  vendeur  à  transférer  par  la  tra- 
dition le  droit  de  pleine  propriété,  et  de  pouvoir,  par 

26  Donatio  praedii  qUod  mancipi  est ,  inter  non  exceptas  personas 
traditione  atque  mancipatione  perGcitur;  ejus  veroquod-nec  mancipi 
esttraditionesola.  (§  313  Frag.  Yalk.—Dioclet.  et  Constant.,  an  296.) 


CHAP.  V.  DROIT   PRÉTORIEN.    SECT.    III.  279 

conséquent ,  s'appliquer  à  la  vente  de  la  chose  d'au- 
trui,  c'est-à-dire  à  l'obligation  du  vendeur  de  faire  avoir 
la  chose  à  Tacquéreur  ou  de  lui  payer  des  dommages  et 
intérêts,  en  cas  de  non  tradition. 

2"  La  Prescription  de  long-temps,  pour  les  fonds  pro- 
vinciaux, dix  ans  entre  présents  ou  habitants  de  la  même 
province  et  vingt  ans  entre  absents ,  introduite  par  les 
mœurs  et  le  droit  prétorien ,  était  corrélative  à  l'usuca- 
pion  de  deux  ans  pour  les  fonds  d'Italie;  elle  ne  conférait 
pas  directement  la  propriété,  elle  produisait  une  excep- 
lion  pérempioire  pour  repousser  l'action  du  propriétaire  ; 
elle  n'avait  pas  lieu  en  matière  mobilière.  L'ancienne 
usucapion  du  droit  civil,  applicable  dès  l'origine  aux 
meubles  mancipi  vel  non,  conservait  sa  généralité  entre 
citoyens  romains  ;  mais  pour  ceux  qui  n'étaient  pas  ci- 
toyens ,  la  possession  non  précaire ,  non  violente  ou  fur- 
tive  des  objets  mobiliers,  valait  prescription  pu  titre  ^'^. 

3"  Les  pactes,  ajoutés  à  la  vente,  ou  les  stipulations 
correspondaient  à  la  mancipation  et  à  la  cession  injure, 
pour  l'établissement  et  le  transport  des  servitudes  rurales 
et  urbaines ,  et  pour  la  constitution  de  l'usufruit  con- 
ventionnel. Gaius  en  fait  la  déclaration  expresse"*. 

27  Doneau,  de  Jurecivili,  v.  4.  tom.  1.  p.  946  (édit.  de  Naples)  :  Prae- 
scriptio  longi  teniporis  in  rébus  mobilibus  locuni  non  habuit. 

28  Sed  liaec  scilicet  in  italicis  praediis  ita  sunt,  quia  et  ipsa  prsedia 
niancipationem  et  in  jure  cessionem  recipiunt  ;  alioquin  in  provincia- 
libus  prœdiis ,  sive  quis  usumfructum ,  sive  jus  eundi,  agendi ,  aquam- 
ve  ducendi ,  vel  altius  tollendi ,  ne  luminibus  vicini  officiatur ,  cœtera- 
que  similia  jura  constituere  velit,  paclionibus  et  sltpulalionibus /id 
efficere  potest,  quia  ne  ipsa  quidem  prdsdidi  mancipalionem  aulinjure 
cessionem  recipiunt,  {Gaius ,  ii.  §  31.  ) 


280  LIV.    I.    —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

4°  Quant  au  mode  de  jouissance  des  immeubles,  le 
droit  des  gens  apportait  au  droit  civil  le  louage,  locatio 
conducMo ,  contrat  consensuel  et  de  bonne  foi ,  produisant 
obligation  et  droit  personnel^  relativement  à  la  perception 
des  fruits.  Ce  contrat,  accepté  par  le  droit  non-écrit, 
était  venu  se  placer  à  côté  du  precarium  des  temps  an- 
ciens ,  et  améliorer  la  condition  des  détenteurs  et  culti- 
vateurs, en  imposant  des  obligations  réciproques  au 
propriétaire  et  au  fermier  ^^. 

Ainsi ,  le  Droit  civil  de  la  deuxième  Période,  sous  l'in- 
fluence du  Droit  prétorien  et  du  Droit  provincial ,  con- 
naissait vraiment  deux  espèces  de  propriété ,  duplex  do- 
minium  ,  avec  tous  les  corollaires  de  ce  dualisme  nouveau. 
Ce  n'est  pas  une  exception  apportée  au  droit  de  l'époque 
primitive,  qui  connaissait  un  seul  domaine,  ex  jure  qui- 
RiTiUM  ;  c'est  un  système  nouveau  qui  se  développe  à 
côté  de  l'ancien  et  qui  tend  à  l'absorber,  pour  se  répan- 
dre librement  sur  l'univers  romain. 


29  L'action  conduclo  aul  localo  est  mentionnée  par  Cicéron.  (  De 
Nal.  deor.,  ni.  30.) 


CHAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEN.  SECT.  IV.  281 


SECTION  IV. 


OBLIGATIONS. 


SOMMAIRE. 

1.  —  Extension  de  l'obligation  civile.  —  Sources  nouvelles.  —  Trois 

classes  d'obligations. 

I.  —  Obligation  emïe  appliquée  à  des  éléments  nouveaux, 

et  communicable  aux  Etrangers.  —  Restriction 
relative  à  l'obligation  littérale.  —  Chirographa, 
syngraphae  ,  arcaria  uoniina.  —  Exception  non 
numeratse  pecuniae. 
II,  _  Obligation  honoraire  ou  prétorienne.  —  Parallé- 
lisme du  Droit  prétorien  et  du  Droit  civil  par 
rapport  aux  obligations. 
III.  —  Obligation  naturelle. 

2.  —  Influence  du  Droit  nouveau  sur  l  exécution  et  l'extinction  des 

Obligations.  —  Restitutions  in  integrura. 

I.  —  Modifications  par  des  lois  ou  des  formes  nouvelles  : 

—  Loi  Papyria.  —  Emptio  bonoruni.  —  Fosses" 

sio  bonorum. 

—  Loi  Julia  ,  de  bonis  cedendis. 

II.  —  Modifications  par  le  Droit  prétorien  : 

—  Restitutions  en  entier  à  l'égard  des  Majeurs. 

—  Restitutions  en  entier  à  l'égard  des  Mineurs  de 

vingt-cinq  ans. 

—  Vue  d'ensemble  sur  Vincapacilé  des  impubères  et 

des  pubères.  —  Loi  Lsetoria.  —  Transition  de 
celle  loi  aux  Restitutions  in  integrum. 


282  LIV.   I.    —  ÉPOQUE   ROMAINE. 

§  1er,  —  EXTENSION  DE  l' OBLIGATION  CIVILE.  —  SOURCES  NOUVELLES. 
—  TBOIS  CLASSES  D'OBLIGATIONS. 

I.  —  L'obligation  civile ,  fondée  sur  la  Loi  des  XII 
Tables,  s'étend  et  reçoit  des  éléments  nouveaux.  Elle 
embrasse  certaines  conventions  du  droit  des  gens ,  éle- 
vées par  le  droit  non-écrit  au  rang  des  contrats  nom- 
més. Par  obligations  civiles,  on  entend  désormais  celles 
qui  sont  constituées  par  les  Lois  ,  ou  confirmées  d'une 
manière  certaine  par  le  Droit  civil  ' . 

Le  Droit  romain  a  sa  classification  définitive  des  con- 
trats nommés  en  contrats  réels,  verbaux,  littéraux,  con- 
sensuels ,  ou  contrats  parfaits  ,  re  ,  verbis  ,  litteris  et 

CON SENSU. 

Les  quatre  Contrats  consensuels  et  de  bonne  foi ,  la 
vente ,  le  louage ,  le  mandat ,  la  société  ,  sont  indiqués 
ensemble  dans  les  écrits  de  Cicéron  comme  contrats  obli- 
gatoires ,  et  désignés  par  les  actions  même  qui  en  déri- 
vent'^. Ils  n'ont  point  de  caractère  exclusif  à  l'égard  des 
Étrangers  qui  peuvent  s'obliger,  entre  eux  ou  avec  les  ci- 
toyens ,  par  des  contrats  dont  l'origine  se  puise  dans  le 
droit  des  gens  et  dont  le  principe  est  la  bonne  foi. 

Les  Contrats  réels,  dont  trois,  le  dépôt,  le  gage,  le 
commodat ,  sont  de  bonne  foi ,  n'ayant  besoin  pour  leur 
perfection  que  du  consentement  des  personnes  et  de  la 

1  Civiles  suntquse  autlegibus  constitutœ  ,  aut  cerle '}ure  civili  com- 
probatae  sunt  {alias  certo).  {Insl.  Jusl.,  lu.  13.  1.) 

2  Inde  tôt  judicia  de  fide  mala  ,  tutelse ,  mandati,  pbo  socio  ,  fidu- 
ciœ,  reliqua  quœ  ex  empto  aut  vendtto,  ex  locato  aut  con- 
DUCTO,  contra  fidem  fiuut.  {Cic,  de Nal.  Ueor.,  m.  30.) 


CHAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEN.  SECT.  IV.  283 

tradition  des  choses,  sont  communs  aux  citoyens  et  aux 
étrangers. 

Le  Contrat  verbal  lui-même ,  la  stipulation ,  malgré 
sa  civile  origine ,  prend  une  grande  extension ,  et  de- 
vient, par  la  puissance  du  droit  non-écrit,  une  forme 
générale  de  contracter  entre  personnes  étrangères  et  un 
lien  possible  d'engagement,  un  vincuium jitris  entre  les 
étrangers  et  les  citoyens.  Le  droit  civil  de  Rome,  qui 
s'enrichit  des  éléments  du  droit  des  nations ,  reporte  au 
droit  des  gens ,  par  une  sorte  de  réciprocité ,  des  insti- 
tutions nées  dans,  le  sein  même  de  la  Cité  :  le  Préteur 
des  Étrangers,  dont  le  pouvoir  égale  celui  du  Préteur 
delà  Yille,  assure,  au  profit  des  personnes  étrangères 
et  contre  elles,  l'exercice  des  droits,  l'exécution  des  obli- 
gations qui  les  concernent,  et  protège,  par  sa  haute  in- 
fluence, cet  échange  de  mœurs  et  de  relations  qui  s'éta- 
blit entre  Rome  et  les  diverses  nations  du  Monde. 

L'Obligation  littérale  du  droit  civil,  celle,  du  moins, 
qui  naissait  des  inscriptions  ou  transcriptions  sur  les 
registres  domestiques ,  ne  pouvait  pas  s'étendre  aux 
.  Étrangers ,  car  ces  registres ,  sur  la  fidélité  desquels  les 
Censeurs  faisaient  prêter  serment ,  étaient  ceux  des  ci- 
toyens de  Rome  ;  donc  l'obligation  transcriptiis  nomlnibus 
restait  purement  de  droit  civil  ^.  Mais  les  billets  sous 

3  Gaius,iii.  §  133  :  Transcriptiis  vero  nominibus  an  obligentur 
peregrini  merito  quœritur,  quia  quodammodo  juris  civilis  est  talis 
obligatio.  —  Il  y  avait  controverse  entre  les  jurisconsultes  pour  savoir 
si  la  novation  a  causa  in  personam  pouvait  se  faire  sur  le  registre  en- 
vers un  étranger.  Nerva  et  Sabinus  n'étaient  pas  du  même  avis.  —  Il 
est  probable  que ,  dans  ce  cas ,  il  s'agissait  d'une  novation  faite  sur 
le  livre  des  argenlarii;  car  les  registres  domestiques,  comme  moyen 
légal  de  preuve  judiciaire  ,  étaient  tombés  en  désuétude  sous  l'empire, 
parce  qu'il  n'y  avait  plus  de  censeurs  pour  les  surveiller. 


284  LIV.   1.  —  ÉPOOUÉ  ROM  AINE. 

seing-privé,  Chirographa ,  portant  que  le  souscripteur 
doit;  et  les  écrits,  signés  de  deux  personnes,  Syngra- 
phœ ,  portant  que  l'une  des  parties  promet  de  donner 
à  l'autre ,  constituaient  une  obligation  littérale  propre 
aux  étrangers'*.  —  Au  reste,  les  citoyens  et  les  étran- 
gers connaissaient  des  créances  par  écrit ,  arcaria  nomina 
(effets  de  Caisse) ,  qui  étaient  à  leur  usage  commun. 
Ces  titres,  appelés  aussi  cautiones ,  n'obligeaient  pas  par 
eux-mêmes,  ipso  nomine  ^  mais  seulement  par  la  nu- 
mération des  espèces  qui  devait  être  prouvée.  Les  ar- 
caria nomina  ne  créaient  aucune  obligation  ;  ils  étaient 
un  témoignage,  un  instrument  de  l'obligation  qui  pou- 
vait être  combattu  par  des  preuves  contraires  ;  l'obli- 
gation en  elle-même  était  plutôt  réelle  que  littérale^  : 
on  pouvait  opposer  au  porteur  du  titre  l'exception  non 
numeratœ  pecimiœ.  —  Cette  exception  était  d'abord  an- 
nale; mais  le  délai  dans  lequel  elle  devait  être  opposée 
fut  ensuite  prorogé  à  cinq  années  par  une  Constitution 
de  Marc-Aurèle  ;  plus  tard ,  et  selon  le  droit  de  Justi- 
nien,  le  délai  de  l'exception  fut  de  deux  ans.  Le  délai 


4  Gaius,  III.  §  134  :  Prœterea  litterarum  obligatio  fieri  videtur 
chirografis  et  syngraphis,  id  est  si  quis  debere  se,  aut  daturum  se  scri- 
bat  ;  ita  scilicet  si  eo  nomine  stipulatio  non  fiât  :  quod  genus  obliga- 
tionis  proprium  peregriuorum  est. 

5  Gaius,  m.  §§  131,  132  :  In  his  enim,  rei  non  litterarum  obligatio 

consistit  ;  quippe  non  aliter  valeat  quam  si  numerata  sit  pecunia 

Qua  de  causa  recte  dicemus  arcaria  nomina  nullam  facere  obligatio- 
nem ,  sed  obligationis  factœ  testimonium  prœbere.  —  Unde  proprie 
dicitur  arcariis  noniinibus  etiam  peregrinos  obîigari ,  quia  non  ipso 
nomine ,  sed  numeralione  pccuniœ  obligantur  :  quod  genus  obliga- 
tionis juris  gentium  est. 


CHAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEN.  SECT.  IV.  285 

étant  expiré ,  le  titre  devenait  vraiment  une  obligation 
littérale  et  se  prouvant  par  elle-même^. 

II.  —  A  l'obligation  civile .  agrandie  par  le  droit  des 
gens  et  le  droit  non-écrit ,  l'édit  des  Préteurs  ajouta  une 
seconde  source ,  l'obligation  Honoraire  ;  et  alors  s'établit 
dans  le  droit  romain  une  division  essentielle  entre  les 
obligations  civiles  et  les  obligations  prétoriennes'^. 

Dans  cette  division  se  retrouvait  encore  la  corrélation 
du  droit  civil  et  du  droit  prétorien,  comme  on  l'a  vu  pour 
les  successio;is  et  pour  la  propriété.  Le  Préteur  par  I'édit, 
émané  de  son  pouvoir,  par  le  décret,  émané  de  sa  juri- 
diction ,  sanctionne  ou  impose  des  obligations  qui  pren- 
nent ,  dans  l'ensemble  du  droit ,  une  place  régulière  et 
correspondante  à  des  contrats  du  droit  civil^.  Si  le  Droit 

6  La  constitution  de  Marc-Aurèle  est  dans  le  premier  fragment  du 
Code  Hermogenien  :  Ex  caiilione,  exceptionem  non  numeratse  pecuniae 
nonanni,  sed  quinquennii  spaûo  deficere  nuper  censuimus.  (Règle 
suivie  dans  le  droit  romain  de  la  Gaule  méridionale,  comme  le  prouve 
l'interprétation  qui  accompagne  le  fragment.  ) 

Inst.  Just.,  III.  2» .  (de  Liller.  oblig.  )  :  Plane  si  quîs  debere  se  scrip- 
serit  quod  ei  numeratum  non  est ,  de  pecunia  minime  numerata  post 
multum  lemporis  exceptionem  opponere  non  potest,  hoc  enim  saepis- 
sime  constitutum  est.  Sic  fit  ut  hodie ,  dum  queri  non  potest ,  scrip- 
lura  obligelur  et  ex  ea  nascitur  condictio. 

7  D.  XLiv.  7.  52.  Obligamur  aut  Lége,  aut  Jure  Honorario 

(  Modesl.  ) 

Omnium  autem  obligationum  summa  divisio  in  duo  gênera  dedu- 
citur;  namque  aut  civiles  sunt  aut  prœtoriœ....  quœ  etiam  honorariœ 
vocantur.  {Inst.  Just.,  m.  13.  1.  ) 

8  Videtur  enim  et  debitum  et  quod  jure  praetorio  debetur.  (D.  xiii. 
3.1.§8.  L7p.  ) 

Jure  honorario  obUgamur  ex  bis ,  quae  edicto  perpetuo  ,  vel  màgis- 
tratu  fieri  prœcipiuntur ,  vel  fieri  prohibentur.  (Z).,  xliv.  7.  52.  §  6. 
Modesl.  ) 


286  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

civil  a  ses  contrats  nommés,  le  Droit  honoraire  a  aussi  ses 
pactes  prétoriens ,  nommés  dans  l'édit  ou  désignés  par 
l'action  qu'ils  produisent.  Nous  allons  suivre  quelques  in- 
stants, ici,  le  parallèle  à  l'égard  des  contrats  parfaits, 

RE  ,  VERBIS  et  CONSENSU. 

1  "  Il  y  a  des  pactes  prétoriens  parfaits  par  la  chose  (  re 
perfecta)  : 

Ainsi ,  les  conventions  du  fils  en  puissance  ou  de  l'es- 
clave produisent  obligation  et  action  de  peculio  contre  le 
père  et  le  maître  qui  ont  accordé  un  pécule;  mais  il  faut 
qu'il  y  ait  une  chose  dans  le  pécule,  au  moins  au  jour  de  la 
sentence ,  et  que  le  père  ou  le  maître  en  soit  le  détenteur 
réel  pour  être  obligé.  Le  lien  préexistant  entre  le  père  et 
le  fils ,  le  maître  et  l'esclave,  ne  pouvait  pas  donner  force 
contre  le  père  ou  le  maître  à  l'engagement  du  fils  et  de 
l'esclave.  Levinculum  juris  naît  de  l'édit;  le  père  et  le 
maître  sont  obhgés,  non  par  le  droit  civil,  mais  parle 
droit  honoraire  ^;  et  l'obligation  est  subordonnée  à  la  dé- 
tention d'une  chose  dépendant  du  pécule  *°. 

On  retrouve  encore  ce  caractère  réel  dans  l'action  pré- 
torienne de  in  rem  verso  ^  qui  existe  même  en  l'absence  de 
tout  pécule,  contre  le  père  et  le  maître,  mais  seulement 
pour  la  valeur  des  choses  versées  dans  leur  patrimoine , 


9  Verba  autem  edicti  talia  sunt  :  «  Quod  cum  eo  qui  in  alterius 

»  POTESTATE  ESSET  NEGOTIUM,  ERÏT.  >>  (D.,  XV.  1.  ) 

Le  père  et  le  maître ,  de  peculio  obstricli ,  sont  dits  par  Ulpieu  ,  lio- 
noraria  actioae,  non  jure.civili  obligati.  {D.,  xiii.  5.  i.  §  8.  ) 

10  Filius-familias  promittendo  patrem  civiliter  non  obligat.  (Z)., 

XLYI.  4.  8.  §4.  ) 


CHAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEN.  SECT.  IV.      287 

par  suite  des  conventions  du  fils  et  de  l'esclave  avec  des 


tiers 


11 


2°  Il  y  a  des  pactes  prétoriens  parfaits  par  la  parole 
(yerbis  perfecta)  : 

Ce  sont  les  stipulations  prétoriennes ,  qui  ont  lieu  en 
vertu  d'un  décret  du  préteur*^. 

Le  décret  du  préteur,  rendu  en  connaissance  de  cause, 
impose  des  obligations  sous  la  forme  de  stipulations  ou 
de  promesses,  qualifiées  de  stipulations  prétoriennes, 
parce  qu'elles  partent  de  l'office  même  du  préteur  :  telle 
est  principalement  la  stipulation  pour  cause  de  dommage 
imminent,  damni  infecli^^.  Les  stipulations  prétoriennes 
doivent  être  demandées  au  magistrat,  in  jure*'*.  Tro's 
décrets  interviennent  dans  la  cause  du  dommage  immi- 
nent :  le  preiiiier  ordonne  que  le  propriétaire  de  l'édi- 
fice PROMETTE  à  son  voisiu ,  à  titre  de  garantie,  de  ré- 
parer le  dommage  futur ,  et  la  promesse  doit  revêtir  la 
forme  de  la  stipulation.  Si  le  propriétaire  n'obéit  pas , 
et  refuse  la  promesse  exigée,  un  second  décret  envoie  le 
réclamant  en  possession  provisoire  des  bâtiments  qui  me- 
nacent ruine,  non  pour  lui  donner  les  droits  d'un  pos- 
sesseur, mais  afin  que  la  présence  importune  d'un  gar- 

11  D.  XV.  3.  1....:  Si  in  rem  eoruni ,  quod  acceptum  est  conversum 
sit ,  quasi  cum  ipsis  contractum  videatur;  (  Ulp.  ) 

L'action  de  peculio  était  purement  annale  ;  l'action  de  in  rem  verso 
était  perpétuelle.  (Jd.,  i.  §  1.  ) 

12  Cum  ]^tsetorutprom,iUeres  deerevisset.  (  D.,xxxix.  2.  44.  A  fric.) 

13  Pra'torise  (  stipulationes)  sunt  quae  a  mero  prœtoris  officio  profi- 
ciscuntur,  valut  damni  in  fecli  vel  legatorum.  {Insl.,  m.  18.) 

14  Sous  ce  rapport,  elles  sont  assimilées  à  des  actions.  (Cujas  ,  ad 
A  fric.,  Tract,  ix.  in  §  cum  poslulassem.  ) 


288  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

dien  détermine  le  propriétaire  à  répondre  du  dommage. 
—  Si  le  propriétaire  résiste  toujours ,  alors  un  troisième 
et  dernier  décret  constitue  le  demandeur  possesseur  ju- 
ridique (facit  possessorem)  ;  le  propriétaire  est  expulsé 
de  sa  maison  :  le  Préteur  a  rendu  le  voisin  possesseur,  à 
titre  de  maître,  et  lui  a  fourni  l'occasion  d'acquérir  la 
propriété  par  vsiicapion  ;  l'usucapion  ajoute  la  propriété 
civile  à  la  possession  prétorienne*^. 

La  stipulation  prétorienne  s'exerce  aussi  en  faveur 
des  légataires  à  terme  ou  sous  condition  ;  l'héritier  est 
obligé ,  sous  forme  de  stipulation ,  de  garantir  l'acquitte- 
ment du  legs  à  l'échéance  du  terme ,  à  l'événement  de  la 
condition. 

Elle  a  lieu  encore  pour  obliger  le  tuteur  qui  n'a  pas  été 
nommé  par  testament  ou  après  enquête,  et  le  curateur, 
quel  qu'il  soit,  à  donner  caution  de  la  bonne  gestion  des 
affaires  du  pupille ,  du  mineur  ou  du  furieux.  Si  le  pu- 
pille ne  pouvait  pas  lui-même  stipuler  de  son  tuteur,  l'un 
de  ses  esclaves  ou  un  esclave  public  stipulait  de  ce  tu- 
teur le  cautionnement,  en  présence  du  Préteur*^. 

Elle  pouvait  être  admise  dans  d'autres  cas  prévus  ;  et 
l'on  retrouve  toujours,  dans  les  applications  diverses ,  le 


15  Occasio  usucapionis  est  a  magistratu  vel  a  privato,yMs  a  legibus, 
(CujAS,  ad  A  fric,  ibid.  j 

16  D.,  XLVi.  7  :  Rem  pupilli  vel  adolescentis  salvam  fore. 

Si  pupillus  absens  sit,  vel  fari  non  possit,  servus  ejus  stipulabitur , 
si  servum  non  habeat  emendus  ei  servus  est.  Sed  si  non  sit  unde  ema- 
tur  aut  non  sit  expedita  emplio  ,  profecto  dicenms  Servum  publicum 
apud  prœlorem  stipulari  debere.  [L.  ii.  ) 

Pertinet  autem  hsec  stipulatio  ad  omnes  curatores.  (L.  iv.  §  8.  Ulp.) 


CHAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEN.  SECT.  IV.  289 

caractère  inhérent  à  la  stipulation  prétorienne ,  savoir,  le 
principe  de  garantie*'. 

3**  Il  y  a  des  pactes  prétoriens  parfaits  par  le  seul  con- 
sentement (consensu  perfeda). 

Ainsi,  le  père  ou  le  maître  qui  a  donné  l'ordre  verbal , 
écrit ,  ou  par  message ,  de  contracter  soit  spécialement 
soit  généralement  avec  son  fils  en  puissance  ou  son  es- 
clave, est  obligé  par  son  consentement  à  exécuter  la 
convention  faite,  et  se  trouve  soumis  à  l'action  préto- 
rienne, quod  jussu*^. 

Ainsi ,  le  pacte  de  constitut  (de  pecunia  constiiutd),  par 
lequel  un  simple  citoyen  a  promis  de  payer  pour  lui  ou 
pour  un  autre ,  est  suivi  d'une  action  honoraire  et  per- 
sonnelle du  même  nom  ;  elle  correspond  à  l'action  civile 
contre  les  banquiers  du  forum  qui  s'étaient  chargés  de 
payer  pour  quelqu'un  ^^. 

Ainsi ,  le  pacte  de  gage  et  d'hypothèque  {de  pignore  vel 
kijpothecœ) ,  simple  convention  qui  oblige  la  chose  du  dé- 
biteur, sans  tradition  et  sans  l'intermédiaire  de  la  fiducie, 
produit,  par  le  droit  prétorien,  l'action  quasi-servienne 

17  Et  scienduin  est  omnes  stipulationes  natura  sui  cautionales 
ESSE.  (D.,  XLVI.  5.  1.  §  4.  Ulp.) 

Cujas  ajoute  aux  stipulations  prétoriennes  damni  infecli ,  legalorum, 
tutelœ ,  les  stipulations  au  double ,  en  cas  d'éviction ,  et  les  stipulations 
de  ralo,  vel  rem  ralam  habere.  —  Le  Digeste  contient  encore  d'autres 
exemples.  {Liv.  xlv.  lit.  5.  6.  7.  8.  ) 

18  Merito  exjussu  domini  in  solidum  adversus  euni  judicium  datur  : 
nam  quodammodo  cum  eo  contrahitur  qui  jubet.  Jussum  autem  ac- 
cipiendum  est,  sive  testato  quis,  sive  per  epistolam,  sive  verbis,  aut 
per  nuncium,  sive  specialiter  in  uno  contractu  jusserit,  sive  genera- 
liter.  (Z).,  XV.  4.  1.  Ulp.) 

19  Action  civile  receplilia,  qui  s'exerçait  contre  les argenlarii.  {In$t. 
Just  ,iy.  6.  §8.  ) 

T    I.  19 


290  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

OU  hypothécaire^^.  La  convention  d'hypothèque- ne  con- 
stitue ni  un  contrat  du  droit  civil ,  ni  un  pacte  légitime 
ou  sanctionné  par  une  loi  spéciale  :  c'est  un  pacte  pré- 
torien tout  à  fait  analogue  au  contrat  consensuel^*.  — 
Et  ce  pacte,  relativement  à  son  effet  obligatoire,  a,  de 
plus,  un  rapport  très-important  avec  l'obligation  civile 
des  premiers  temps.  L'hypothèque,  droit  réel  créé  par  le 
pacte  prétorien ,  oblige  immédiatement  et  suit  la  chose 
du  débiteur,  comme  le  contrat  originaire  du  droit  civil 
obligeait  immédiatement  et  suivait  la  personne  du  débi- 
teur. Le  JUS  NEXi  avait  passé,  par  l'imitation  et  l'applica- 
tion prétorienne,  de  la  personne  sur  la  chose  ;  et  de  même 
que  l'obligation  primitive,  produisant  l'action  person- 
nelle ,  s'attachait  à  la  personne  engagée /«re  nexi^  et  con- 
duisait à  la  vente  du  débiteur  ou  au  droit  de  propriété  sur 
sa  personne;  de  même  l'hypothèque,  produisant  l'action 
réelle ,  s'attachait  à  la  chose  directement  obligée ,  nexu 
obligata,  et  emportait  le  droit  de  suivre,  de  vendre^  et, 
par  clause  commissoire ,  de  s'approprier  la  chose  hypo- 
théquée. 

20  De  pignore  jure  honorario  nascitur  pacto  actio.  (D.,  ii.  14. 17.  §  2.) 

—  Proprie  pignus  dicimus  quod  ad  creditorem  transit ,  hypothecam 
cum  non  transit ,  nec  possessio ,  ad  creditorem.  (  D.,  xiii.  7.  9.  )  — 
Item  et  quasi  serviana  quœ  etiam  hypotliecaria  vocatur,  ex  ipsius  prae- 
loris  jurisdictione  substantiam  capit.  (  Insl. ,  iv.  §§  7.  31.  ) 

La  qualiGcation  formula  hypolhecaria  était  appliquée ,  soit  à  la  con- 
vention, soit  à  l'action,  par  Gaius  et  Mabcien,  qui  avaient  fait  des 
commentaires  particuliers  ad  formulant  hypothecariam.  —  Selon  le  pré- 
sident Brisson  ,  formula  est  pris  pour  actio.  {De  Form.,  iv.  44.  p.  365.) 

—  Sur  le  gage  et  l'hypothèque ,  voir  stipra ,  p.  141,  et  infra,  liv.  ni. 

21  Id  scilicet  est  pignus  quod  traditione  constituitur...,nam  hypo- 
theca  quse  nudo  pacto  consistit,  instituitur  de  jure  prsetorio...  et  nomen 
civile  nonhabetaut  legitimum,  seàprœlorium.  {Cujas,  Cod._  \v.  c.  24.) 


CHAP.    V.  DROIT  PRÉTORIEN.   SECT.  IV.  291 

C'est  donc  ici  l'un  des  plus  grands  effets  de  la  corréla- 
tion qui  s'est  établie  entre  le  droit  civil  et  le  droit  pré- 
torien. L'obligation  civile,  avec  tous  ses  caractères,  a  été 
transportée,  ainsi  qu'on  l'a  dit,  de  la  personne  sur  la 
chose  ;  et  quand  l'idée  du  droit  de  propriété  sur  la  per- 
sonne du  débiteur  s'est  effacée  complètement  des  lois  et 
des  mœurs  romaines,  le  droit  d'appropriation  sur  le  gage, 
par  la  clause  commissoire ,  a  été  aboli  et  prohibé  pour 
l'avenir.  La  fin  de  l'hypothèque  n'a  plus  été  la  propriété 
de  la  chose  pour  le  créancier ,  mais  le  paiement  sur  le 
prix;  c'est-à-dire  la  libération  de  la  chose  obligée. 

Ainsi ,  la  convention ,  comme  source  première  de  l'obli- 
gation qui  affecte  la  chose  ;  —  la  réalité  et  l'indivisibilité 
du  droit,  comme  principe  de  l'hypothèque  ;  —  le  droit 
de  suite  sur  la  chose,  comme  moyen;  —  le  paiement, 
comme  fm  de  l'obligation  ;  —  en  un  mot ,  tous  les  carac- 
tères du  droit  hypothécaire  tiennent  à  cette  origine  du 
pacte  prétorien,  mis  en  parallèle  avec  l'obligation  primi- 
tive qui  affectait  la  personne  dans  le  droit  civil  de  Rome. 
Par  là  s'explique  la  création  d'un  droit  réel  par  le  seul 
consentement.  Cette  anomalie,  qui  paraît  si  choquante 
dans  la  théorie  du  droit  romain  ,  disparaît  complètement 
sous  l'influence  de  l'histoire  du  droit  et  de  la  doctrine, 
par  la  corrélation  qui  existe  entre  le  Droit  civil  et  le  Droit 
prétorien,  au  sujet  des  obligations,  comme  au  sujet  de 
Ja  propriété  et  des  successions. 

riL  —  Mais  tous  les  pactes  ne  sont  pas  élevés  au  rang 
de  pactes  prétoriens ,  qui  produisent  par  leur  assimilation 
à  des  contrats  réels ,  verbaux  et  consensuels ,  l'obligation 
et  l'action  honoraire.  Le  droit  prétorien  a  fait  son  choix 


292  LIV.  1.  — liPOQUE  ROMALNE. 

parmi  les  conventions  les  plus  utiles ,  les  plus  usuelles , 
et  laissé  les  autres  dans  le  vaste  domaine  du  droit  naturel 
et  des  gens.  Ce  sont  ces  conventions,  non  sanctionnées 
par  le  droit  civil  ou  par  le  droit  prétorien,  qui  forment  la 
classe  indéfinie  des  pactes  nus  (nuda  pacta ,  nudœ  pactio- 
nes),  lesquels  ne  produisent  ni  action  civile,  ni  action 
honoraire  ,  mais  une  obligation  purement  naturelle. 

Toutefois,  le  droit  prétorien  veut  donner  encore  une 
garantie  à  la  bonne  foi,  et  il  attache  une  exception  à 
cette  obligation  naturelle.  Le  préteur  dit  :  «  Je  protégerai 
les  pactes  convenus  :  pacta  conventa  servabo.  »  — 
Dès  lors  celui  qui  a  exécuté  le  pacte,  et  qui  veut  revenir 
contre  son  exécution  par  l'action  civile  en  répétition  (con^ 
dictio  indebitt) ,  est  repoussé  par  une  exception  ;  ou  celui 
qui  a  promis  de  ne  pas  réclamer  une  chose,  une  valeur 
(pacium  de  non  petendo) ,  est  repoussé  dans  son  action,  à 
moins  que  le  pacte  ne  soit  entaché  de  dol,  ou  contraire 
aux  lois,  aux  moeurs,  à  l'équité  naturelle ^^. 

L'obligation  naturelle ,  dérivant  de  conventions  non 
classées  parmi  les  obligations  civiles  ou  honoraires,  a 
donc,  sous  un  premier  rapport ,  une  existence  reconnue 
dans  le  droit,  et  les  jurisconsultes  romains  ne  l'ont  ja- 
mais confondue  avec  les  devoirs  de  l'ordre  purement 
moral  ^^.  Accompagnée  du  droit  d'exception,  elle  peut 
devenir  la  base  légitime   d'une  novation,   d'une  com- 

22  Ait  praetor  :  «  Pacta  conventa  qu^  neque  dolo  malo  ,  neque 

ADVEBSUS  LEGES,  PLEBISCITA,  SENATUS  CONSULTA  ,  EDICTA  PRINCI- 
PUM  ,  NEQUE   QUO  FRAUS  GUI    FIAT  ,  FACTA  ERUNT  SERVABO.  (  D.  ,  II. 

14.  7.  §  7.)  De  Reg.  jur.,  lxvi  :  Desinit  débiter  esse  is  qui  nanctus 
est  exceptionem  justam. 

23  Is  uatura  débet,  quein  jure  gentium  dare  oportet,  cujus  lidem 
geculi  sumus.  {De  Reg.  jur.,  lxxxiv.  §  1.) 


CHAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEN.  SECT.  IV.  293 

pensation,  d'un  cautionnement,  d'une  hypothèque^*. 

Les  obhgations  naturelles  ne  naissent  pas  seulement 
des  simples  pactes  ;  elles  embrassent  aussi ,  en  second 
lieu,  les  conventions  des  personnes  qui,  à  raison  de  leur 
âge,  de  leur  sexe  ou  de  leur  qualité  (les  impubères,  les 
femmes  placées  sous  la  puissance  du  père ,  du  mari  ou 
du  tuteur)  sont  incapables  de  s'engager  civilement. 
Leurs  conventions  restent  dans  Tordre  des  obligations 
naturelles ,  destituées  d'action  civile  ou  honoraire ,  bien 
que  l'engagement  des  personnes  capables  qui  ont  con- 
tracté avec  elles  ait  toute  la  force  du  lien  civil  ^^  ;  mais  elles 
peuvent ,  comme  obligations  naturelles ,  servir  de  base  à 
une  novation,  à  un  cautionnement,  à  une  hypothèque, 
qui  seront  consentis  par  des  personnes  capables  de  s'o- 
bliger. 

Ainsi ,  par  les  combinaisons  successives  du  droit  civil , 
du  droit  prétorien ,  du  droit  des  gens ,  se  forment  trois 
classes  d'obligations  conventionnelles  :  l'obhgation  civile 

24  Pour  la  novation  {Dig.,  xlvi.  2.  1.  (  Ulp.  )  :  Novatio  est  prioris 
debiti  in  aliam  obligationeni ,  vel  civilem ,  vel  naturaiem  transfusio 
atque  transi  atio. 

Pour  la  compensation  (D.,  xvi.  2.  6.  (  Ulp.)  :  Etiam  quod  natura 
debetur  venit  in  compensationem. 

Pour  le  cautionnement  { Gains,  m.  %  119 ,  et  Inst.  Just.,  m.  21. 
§  1 .  )  :  Ac  nec  illud  quidem  interest  utrum  civilis  an  naturalis  sit  obli- 
gatio  cui  adjicitur  fidejussor. 

Pour  le  gage  et  l'hypothèque  (D.,  xx.  1,  5.)  :  Res  hypothecse  dari 
posse  sciendum  est  pro  quacumque  obligatione...  vel  tantum  naturali. 

25  Inst.,  I.  21  :  Ipsi  quidem  qui  cum  his  contrahunt  obligantur ,  at 
invicem  pupilli  non  obligantur. 

Il  était  reconnu  que  le  pupille  qui  recevait  de  l'argent  à  titre  de 
prêt ,  muluam  pecuniam ,  n'était  pas  obligé  même  jure  naturali. 


294  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

par  la  Loi  des  XII  Tables  ;  l'obligation  honoraire  par 
le  droit  prétorien  ;  l'obligation  naturelle  par  le  droit 
des  gens,  le  droit  prétorien  et  le  droit  civil  réunis.  — 
La  triple  division  des  obligations,  désormais  acquise 
à  la  science  des  jurisconsultes ,  sera  fondamentale  dans 
la  théorie  des  obligations  j  elle  est  reconnue  par  Ulpien^^. 


§  2.  ~  INFLUENCE  DU  DROIT  NOUVEAU  SUR  l'eXÉCUTION  ET  l'eX- 
TINCTION  DES  OBLIGATIONS.  —  RESTITUTIONS  IN  INTEGRUM. 

Le  droit  nouveau  n'agit  pas  seulement  sur  les  obliga- 
tions elles-mêmes ,  il  agit  puissamment  sur  leur  exécu- 
tion et  leur  extinction.  —  Les  modifications  sont  pro- 
duites., et  par  des  Lois  ou  formes  spéciales,  et  par  le 
Droit  prétorien, 

I.  —  La  servitude  personnelle  du  débiteur,  qui  était 
le  gage  primitif  et  le  rigoureux  accessoire  de  l'obligation 
civile  à  défaut  de  paiement ,  fut  abolie  par  la  loi  p^eti- 
L1A  PAPIRIA  DENEXU,  ccut  vingt  aus  après  la  promulga- 
tion des  XII  Tables,  en  l'année  427.  Cette  loi,  comme 
toutes  celles  qui  sont  contraires  aux  mœurs  d'un  pajs, 
éprouva  des  obstacles  dans  son  exécution;  mais  son  prin- 
cipe pénétra  dans  le  droit  civil. 

L'obligation  resta  toujours  uii  lien  personnel ,  un  lien 
de  droit,  mais  elle  cessa  d'être  un  lien  corporel.  «  Cette 

26  D.,  XLVi.  2.  1.  §  1.  (Ulp.  )  :  «  Illud  non  interest  qualis  processit 
obligatio  :  utrum  naturalis  ,  an  civilis  ,  an  honobaria.  » 

D,,  XX.  I.  5.  (Marcianus)  :  Et  velpro  civili  obligatione  ,  vel  hono- 
baria ,  vel  tantum  naturali. 


CHAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEN.  SECT.  IV.      295 

»  année,  dit  Tite-Live,  le  peuple  fut  en  quelque  sorte 
»  initié  à  une  liberté  nouvelle ,  par  l'abolition  de  l'asser- 
»  vissement  pour  dettes.  L'impudicité  et  la  cruauté  de 
»  l'usurier  L.  Papirius  produisirent  cette  révolution  dans 
»  le  droit  ^'.  »  Le  peuple  s'émut  aux  plaintes  du  jeune 
Publilius,  qui  s'était  livré  aux  mains  du  créancier  de 
son  père.  Le  Sénat  ordonna  aux  consuls  de  proposer  au 
peuple  «  que  nul,  hors  le  cas  de  crime,  ne  serait  re- 
»  tenu  dans  les  chaînes  ;  et  que  les  biens  ,  et  non  le  corps 
»  du  débiteur,  seraient  assujettis  à  ses  dettes^*.  »  — 
Alors  fut  brisé ,  dit  l'historien  romain ,  ce  lien  puissant 
de  la  foi  des  contrats,  ingExNS  vinculum  fidei.  Les  dé- 
biteurs enchaînés  furent  mis  en  liberté  ^^;  et  il  fut  éta- 
bli qu'à  l'avenir  il  n'y  aurait  plus  d'emprisonnement 
pour  dettes.  «  Le  crime  de  Sextus,  a  dit  Montesquieu, 
»  donna  à  Rome  la  liberté  politique  ;  celui  de  Papirius  y 
«donna  la  liberté  civile^''.  » 


27  Eo  anno  plebi  romanœ  veîut  aliud  initîum  libertatis  factum  est 
quod  ligari  nexi  desierunt  :  mulalumautemjus  ob  iiniusfœneratoris 
simul  libidinem ,  simul  crudelitatem  insignem.  L.  Papirius  is  fuit, 
{TU.  Liv.,  YMi.  28.) 

28  Lex  Pœlilia  Papiria ,  de  Nexu  :  Jussi  consules  ferre  ad  popu- 
lum  ,  «  ne  quis  ,  nisi  qui  noxam  meruisset,  donec  pœnani  lueret ,  in 
compedibus  aut  in  nervo  teneretur.  Pecunise  creditae  bona  débitons 
non  coBPUS  obnoxium  esset.  »  (  TU.  Liv..,  viii  28.  ) 

29  Ita  NEXI  soLUTi  :  cauturaque  in  posterum  ne  necterentur.  (  Id. 
ibid.  ) 

30  Esprit  des  lois ,  xii,  ch.  21  :  La  loi  ne  vainquit  pas  de  suite  les 
habitudes  :  en  465 ,  Veturius  était  contraint  de  se  donner  en  servitude 
à  C.  Plotius ,  nexum  se  dare.  Déchiré  de  coups  par  la  main  des  escla- 
ves ,  parce  qu'il  avait  résisté  à  l'impudicité ,  il  porta  plainte  aux  con- 
suls ,  et  le  sénat  unanime  ordonna  que  le  créancier  serait  conduit  en 
prison  :  Hoc  universi  paires  censuerunl.  (  Val.  Max.,  liv.  6.  no  10.  ) 


296  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

Les  poursuites  des  créanciers  s'adressèrent  aux  biens 
des  débiteurs.  Le  mode  le  plus  ancien  d'exécution  était 
celui  attribué  au  préteur  Rutilius,  ÏEmplio  bonorum.  Un 
des  créanciers  ou  même  un  étranger  se  rendait  acqué- 
reur de  l'universalité  des  biens  du  débiteur,  à  la  charge 
de  payer  les  divers  créanciers  intégralement,  ou  dans 
une  proportion  convenue  d'avance  avec  eux;  il  pouvait 
agir  comme  l'héritier  du  débiteur  ^^ 

Un  autre  mode  fut  l'envoi  en  possession,   Posaessio 
bononim^^.  Les  créanciers  pouvaient  directement  obtenir 
du  magistrat  la  possession  des  biens  du  débiteur.  Des 
syndics  (Magisfri)  étaient  nommés  pour  en  poursuivre 
la  vente  publique.  L'édit  du  préteur  ou  du  proconsul 
autorisait  ces  envois  en  possession ,  même  dans  les  pro- 
vinces. Cicéron  nous  apprend  expressément  qu'il  avait 
établi  dans  son  édit  de  Cilicie ,  comme  disposition  habi- 
tuelle, la  règle  des  envois  en  possessions^.  La  vente 
publique,  faite  sous  le  nom  du  débiteur,  s'il  n'avait  pas 
institué,  en  mourant,  un  esclave  héritier  nécessaire, 
emportait  contre  le  débiteur  insolvable  la  ivote  d'in- 
famie. 

Malgré  la  loi  Papiria  l'emprisonnement  des  débiteurs. 


31  Gaius,  IV.  §  35  :  Sîmiliter  et  bonorum  emptor  fîcto  se  hœrede 
agit.  Les  Institutes  de  Justinien ,  m.  12  ,  emploient  la  qualifîcatiou 
de  bonorum  vendilioncs.  P.  Rutilius  Rufus  fut  consul  en  645. 

32  La  possessio  bonorum  et  la  bonorum  possessio  ne  doivent  pas  être 
confondues  ;  cette  dernière  inversion  s'appliquait  exclusivement  à  la 
succession  prétorienne. 

33  Regulae  de  bonisl'possidendis ,  magistris  faciendis ,  vendendis , 
quse  ex  edicto  et  postulari  et  lieri  soient.  {Episl.  ad  AlL,  vi.  1.  Cic, 
edil.  Leclerc  ,  xix.  p.  128.) 


CHAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEN.  SECT.  IV.  297 

les  rigueurs  contre  leur  personne  n'avaient  pas  complè- 
tement disparu,  et  par  le  décret  du  Préteur,  sur  Tenvoi 
en  possession  des  biens  du  débiteur,  la  honte  s'atta- 
chait à  la  personne  de  l'insolvable.  Jules  César  vint  au 
secours  des  débiteurs  de  bonne  foi,  en  portant  la  loi  Ju- 
LiA  DE  BONIS  CEDENDis  [706];  loi  d'abord  faite  pour  Rome 
seulement,  et  puis  étendue  aux  provinces^*.  Le  débiteur 
faisait  la  cession  de  ses  biens  devant  le  préteur,  en  em- 
ployant des  paroles  solennelles ,  et  en  protestant  de  son 
malheur  ou  de  sa  bonne  foi,  qui  était  appréciée  par  le 
magistrat  ^^  :  plus  tard ,  sous  Théodose ,  les  solennités 
furent  aboUes^^.  Les  biens  étaient  vendus  par  l'ordre  du 
préteur  et  l'intermédiaire  des  syndics  nommés  par  les 
créanciers^"'.  Si  les  biens  ne  suffisaient  pas  à  l'acquitte- 
ment des  dettes ,  le  débiteur  n'était  pas  entièrement  li- 

34  «  Leges  Juliœ  de  bonis  cedendis  beneficium  ad  provincias  por- 
rectum  est  constitutionibus  divorum  nostrorum  parentum ,  »  disait 
l'empereur  Dioclétien.  (  Cod.  JusL,  viii.  71.  4.  )  —  Une  loi  de  Gratien 
et  de  Valentinien  [  379  ]  excepta  du  bénéfice  les  débiteurs  du  fisc  qui 
pouvaient  être  contraints  dans  leurs  personnes.  (C.  Theod.,  iv.  20. 11.) 
De  même ,  dans  les  Elablissements  de  Saint-Louis ,  la  contrainte  par 
corps  est  autorisée  pour  les  dettes  du  roi.  Le  ch.  xxi  cite  la  loi  3  au 
Code,  si  adversus  fiscum.  (  Collect.  des  Ord.,  i.  p.  272.  ) 

35  Justiuien  a  conservé  sans  doute  quelque  chose  de  l'ancienne  for- 
mule quand  il  a  dit  :  «  Cum  solito  more  a  nostra  Maj estais  petitur  , 
ut  ad  miserabile  cessionis  bonorum  homines  venianl  auxilium,  »  {C. 
Just.,  VII.  71.  8.  ) 

36  In  omni  cessione  sufficit  solse  voluntatis  sola  professio  [ann.  386]. 
(C.  T/ieod.,iv.  20.  2.) 

37  On  suivait  les  formes  de  Vemplio  bonorum.  Les  biens  seulement 

étaient  considérés  comme  biens  d'homme  vivant  : Ilem  eorum  qui 

ex  Lege  Julia  bonis  cedunt,  dit  Gains,  qui  ne  parle  pas  ailleurs,  dans  ses 
Commentaires ,  de  la  loi  Julia.  (  Gains ,  m.  §  78.  ) 


298  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

béré^®;  le  bénéfice  de  la  cession  était  de  l'affranchir  de 
l'emprisonnement  et  de  la  note  d'infamie.  Jules  César, 
par  cette  institution ,  avait  donc  fait  plus  que  l'ancienne 
Loi  Papiria,  puisqu'il  protégeait  non  seulement  la  liberté, 
mais  l'honneur  du  débiteur  malheureux  et  de  bonne  foi. 

II.  —  Les  modifications  apportées  par  le  Droit  préto- 
rien à  l'exécution  des  obligations  formaient  la  branche 
importante  des  restitutiojNS  en  entier,  par  rapport  aux 
Majeurs  et  aux  Mineurs  de  vingt-cinq  ans. 

Les  causes  générales  de  restitutions  à  l'égard  des  ma- 
jeurs tenaient  aux  vices  qui  avaient  affecté  le  consente- 
ment ,  principe  essentiel  de  l'obligation,  savoir,  le  dol,  la 
violence,  et  ce  que  Paul  appelait  une  juste  erreur'^  elles  te- 
naient aussi  aux  effets  du  changement  d'état  et  de  l'ab- 
sence^^. 

1°  Le  préteur  Aquilius,  que  Cicéron  appelle  son  collè- 
gue et  son  ami,  établit  la  formule  du  dol  rescisoire,  de  dolo 
malo.  Il  y  avait  dol,  selon  sa  définition,  lorsqu'une  chose 
était  faite  en  apparence  et  une  autre  en  réalité *°;  mais 
cette  notion  convenait  à  la  simulation  plus  qu'au  dol  ; 
aussi  fut-elle  critiquée  et  repoussée  bientôt  par  l'esprit 
sévère  de  Labéon ,  qui  marqua  le  vrai  caractère  du  dol 
en  le  définissant  :  «  Toute  finesse,  tromperie,  machina- 

38  Cod.  Just.,  Yiii.  71.  1.  [an  324]  :  Beneficium  eis  prodest  tantum- 
modo,  ne  judicati  detrahantur  in  carcerem.  (Ce  qui  suppose  que  l'usage 
de  l'emprisonnement  s'était  maintenu ,  en  fait,  malgré  la  loi  Papiria.  ) 

39  Sive  metu  ,  sive  calliditate ,  sive  absentia ,  sive  per  status  muta- 
tionem  aut  justum  errorem.  (D.,  iv.  2.  1.  2.  Ulp.  et  Paul.) 

40  Quum  esset  aliud  simulatum,  aliud  actum.  {Cic,  Off.,  m.  14. 
15.  )  —  C'était  aussi  à  peu  près  la  définition  de  Servius  Sulpicius. 


CHAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEN.  SECT.   IV.  299 

3  tion  employée  pour  circonvenir,  entraîner  dans  l'erreur 
»  et  tromper  une  autre  personne^*.»  L'édit  prétorien  ren- 
dit ,  au  surplus ,  la  restitution  pour  cause  de  dol  appli- 
cable à  tous  les  cas  de  fraude,  et  reçut  un  caractère  de  gé- 
néralité qui  n'existait  pas  dans  le  droit  primitif ^'^.  Il  pour- 
suivit le  dol  jusque  dans  l'intention  frauduleuse  qui  fai- 
sait aliéner  une  chose  en  litige,  pour  rendre  plus  difficile 
la  demande  ou  même  la  position  de  l'adversaire.  Si ,  par 
exemple ,  pendant  le  litige,  l'objet  était  vendu  à  un  habi- 
tant d'une  autre  province ,  si  l'esclave  réclamé  venait  à 
être  affranchi  par  le  défendeur,  si  un  héritage  était  vendu 
pour  échapper  à  une  action  en  partage;  en  un  mot,  toute 
innovation  faite  pendant  le  litige  dans  une  intention  de 
fraude ,  était  prohibée  et  rescindée  par  le  préteur*^.  L'état 
de  la  chose  doit  être  fixé  par  le  procès  ;  c'est  un  principe 
de  tous  les  temps.  En  cas  d'infraction ,  il  y  avait  action 
personnelle  en  dommages  et  intérêts  contre  l'auteur  de 
l'aliénation,  et,  de  plus,  action  pour  la  poursuite  de  la 
chose**. 

41  Omnis  calliditas ,  fallacia ,  machinatio  ad  circumvenienduni ,  fal- 
lendum ,  decipiendum  alterum  adhibita.  —  Labeonis  definitio  vera  est, 
ditUlpien.  (Z).,  IV.  3.  1.) 

42  Verbo  Edicti  talia  sunt  :  «  Qu^  dolo  malo  fa<:ta  esse  dicen- 

TUB  ,  SI  DE  HIS  BEBUS  ALIO  ACTIO  NON  EBIT  ET  JUSTA  CAUSA  ESSB 
VIDEBITUB  ,  JUDICIUM  DABO.  (D.,  IV.  3.  1.  Ulp.  ) 

43  D.  IV.  7.  1  :  De  alienatione,judiciimulandi causa,  fada.  (L.  3. 
$l.el  L.6.  Paul.)    " 

Ait  prœtor  :  Qu^ve  alienatio  judicii  mdtandi  causa  facta  ebix. 
Id  est  si  futuri  judicii  causa,  non  ejus  quod  jam  sit. 

44  Tanti  nobis  in  factum  actione  teneatur  quantum  nobis  interest 
alium  adversarium  nos  non  habuisse.  —  Haec  actio  non  est  pœnalis , 
sed  rei  perseculionem ,  arbitrio  judicis ,  continet ,  quam  et  hseredi  da- 
bitur  et  in  heredem.  (  D.,  iv.  7.  1.  4.  §  2.  ) 


300  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

2"  Les  plus  anciens  édits  du  Préteur  portaient  qu'il 
ne  tiendrait  point  pour  ratifié  ce  qui  serait  déterminé  par 
la  violence  ou  la  crainte ,  quod  vi  metusve  causa.  Dans 
la  suite,  l'édit  prétorien  mentionna  seulement  ce  qui 
serait  fait  par  crainte,  quod  metus  causa,  mais  sans 
changer  la  nature  de  cette^cause  de  restitution  :  il  fallait 
que  la  crainte,  faite  pour  agir  sur  un  homme  ferme,  fût 
excitée  ou  par  un  acte  de  violence  exercé  ou  par  un  acte 
de  violence  imminent  contre  la  personne  elle-même  ou 
celle  des  enfants ,  et  de  nature  à  compromettre  la  vie ,  la 
pudicité ,  la  liberté  :  la  menace  de  servitude  par  la  des- 
truction, immédiatement  possible,  des  titres  de  l'état  libre 
était  propre  à  inspirer  une  crainte  suffisante ^^.  La  resti- 
tution ,  fondée  sur  la  violence  ou  la  crainte ,  pouvait  être 
exercée,  soit  par  action,  soit  par  exception,  lorsque  les 
choses  étaient  accomplies  ou  lorsqu'elles  étaient  encore 
imparfaites,  comme  si  la  stipulation  arrachée  par  violence 
n'avait  pas  été  suivie  de  la  numération  des  espèces. 
L'action  pouvait  n'être  pas  seulement  personnelle^*^  :  elle 
était  mixte,  quand  il  y  avait  eu  corps  certain  livré  par 
crainte;  elle  était  in  rem  scripta  :  elle  suivait  la  chose 
dans  toutes  les  mains;  le  vice  de  la  violence  s'y  était 

45  D.  IV.  2  :  Postea  detracta  est  vis  mentio ,  quia  quodcumque  vi 
atroci  fit  id  metu  quoque  fieri  videatur  [L.  1]...  Si  quis  vi  compulsas 
aliquid  fecit  [2]....  Vini  atrocem  accipimus.  Metum,  non  quemqueti- 
morem ,  sed  majoris  malitatis  [Labeo  5]...  Metum  qui  merito  et  in  ho- 
minem  constantissimum  cadat[6]....  Ne  stuprum  patiatur  vir  seumu- 
lier.  Nihil  interest  in  se  quis  veritus  sit  an ,  in  liberis  suis  [8]....  Si  qui 

in  carcerem  quem  detrusitut  aliquid  ei  extorqueret  [22] Ego  puto 

etiam  servitutis  timorem  accipiendum  [4]....  Si  qui  instrumenta  status 
mei  interversurus  est,  nisi  dem  [8]. 

46Sive  perfecta,  sive  imperfecta  sit  et  actio  et  exceptio  detur.  (X.  9. 
§3.) 


CHAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEN.  SECT.  IV.  301 

comme  incorporé  et  ne  se  purgeait  que  par  le  retour  de 
la  chose  même  entre  les  mains  du  propriétaire'^'. 

3"  La  juste  erreur  était  une  troisième  cause  de  resti- 
tution :  on  entendait  par  cette  expression  l'erreur  de 
droit  ou  de  fait  que  les  circonstances  rendaient  comme 
inévitable  pour  l'homme  même  le  plus  prudent;  par 
exemple,  la  délivrance  d'un  legs  porté  par  un  testament, 
dans  l'ignorance  d'une  autre  disposition  qui  l'annulait 
ou  le  révoquait  partiellement ,  ou  l'obligation  de  donner 
une  chose  pour  en  tenir  heu  *^.  —  L'erreur  qui  tombait 
sur  une  qualité,  sur  un  accident,  même  sur  la  valeur  de 
la  chose  convenue ,  ou  l'erreur  accidentelle ,  n'était  point 
une  cause  de  restitution  en  faveur  des  majeurs  de  vingt- 
cinq  ans  ^^.  Cette  erreur  ne  portait  point  atteinte  à  la 
réalité  du  consentement  donné  au  contrat  en  lui-même. 
Quant  à  l'erreur  sur  la  substance  du  contrat,  comme  la 
vente  d'une  chose  qui  n'existait  plus  au  moment  de  la 
convention,  elle  n'était  pas  une  cause  de  rescision,  mais 
de  nullité.  Dans  les  cas  de  dol ,  de  violence,  de  juste  er- 
reur, il  y  avait  un  contrat  apparent ,  un  objet  sur  lequel  il 
reposait;  dans  le  cas  d'erreur  substantielle,  il  n'y  avait 

47  Volenti  auteni  datur  et  in  rem  actio  et  in  personam Cum  au- 

tem  hsec  actio  in  rem  sil  scripla ,  nec  per  personam  vini  fncieutis 

coerceat,  sed  adversus  omnes  reslllui  vclit (D.,  iv.  2.  9.  §§  4.  8. 

Ulp.J 

48  Paul.,  Sent.,  i.  7,  et  Cujacii  Interpret.  ad  Sent.—  lustit.  Just.  iv. 
6.  33  :  Si  tam  magna  causa  justi  erroris  interveniebat  ut  etiam  constan- 
tissimus  quisque  labi  possit  —  D. ,  iv.  1 1  •  prsetor  hominibus  vel  lap- 
sis,  vel  circumscriptis  subvenit. 

49  La  lésion  d'outre-moitié  dans  la  vente  ,  en  faveur  du  vendeur  , 
n'a  été  admise  ^dans  le  droit  romain  que  par  une  loi  de  Dicclétien. 
(  Cod.  Jusl.  IV.  44.  2.  ) 


302  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

pas  d'objet  sur  lequel  pût  porter  l'accord  des  volontés  ou 
le  consentement.  Ceux  qui  se  trompent  de  cette  manière 
ne  paraissent  pas  consentir  :  non  videntur  consextire 
QUI  errant  (  de  R.  J.  i  1 6  ).  Il  n'y  avait  pas  un  consente- 
ment ,  un  lien  apparent ,  dont  le  secours  du  préteur  put 
seul  affranchir  ou  dégager;  le  contrat  était  non  existant, 
il  était  nul  ou  non  avenu. 

Alors  s'établit,  dans  la  jurisprudence  romaine,  une  dis- 
tinction radicale  entre  les  nullités  de  droit  et  les  an  • 
nulations  par  voie  de  rescision  ou  de  restitution,  —  Les 
nullités  qui  tenaient ,  soit  à  la  forme  extrinsèque  des 
actes  soumis  aux  solennités  de  la  Loi ,  soit  à  l'erreur  sur 
la  substance  des  contrats ,  avaient  lieu  de  plein  droit 
et  sans  être  prononcées  par  le  juge  :  la  stipulation  était 
réputée  inutile.  La  partie  intéressée  pouvait  revendiquer 
coinme  sienne  la  chose  livrée  ou  la  somme  payée  en  vertu 
de  ce  titre  nul  ;  et  si  elle  ne  l'avait  pas  livrée ,  elle 
pouvait  opposer  perpétuellement  la  nullité  ^^.  —  La 
rescision  ,  au  contraire,  ou  la  restitution  en  entier,  était 
demandée  au  préteur ,  et  n'intervenait  jamais  que  par 
le  pouvoir  du  magistrat^'.  Le  préteur  accordait,  en  con- 
naissance de  cause  ,  et  en  présence  de  l'adversaire ,  le 
droit  de  se  faire  restituer  au  même  état  que  s'il  n'y  avait 
pas  eu  de  convention.  Mais  il  ne  prononçait  pas  la  res- 
titution, et  il  renvoyait  devant  le  juge  l'appréciation  du 

50  Cujas,  Obs.,  sur  la  loi  7,  dolo  malo.  —  Furgole,  testameat,  m. 
no  116.  —  Touiller,  t  vu.  11°  479.  —  M.  Durauton,  t.  xii.  n"  520.  — 
M.  Troploug ,  Vente  ,  1. 11.  n»  685. 

51  Ex  hoc  edicto  ,  nuUa  proprie  actio  vel  cautio  proficiscitur.  To- 
tuin  enim  pendet  ex  praetoria  cognitione.  (D.,  iv.  4.  24.) 


CHAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEN.  SECT.  IV.  303 

dol ,  de  la  violence ,  ou  des  autres  faits  qui  fondaient  la 
demande  ou  l'exception  en  restitution.  —  Le  magistrat 
auquel  le  pouvoir  ,  potestas  ,  était  délégué ,  le  préteur 
à  Rome ,  dans  les  provinces  le  proconsul  ou  le  président, 
pouvait  seul  accorder  la  restitution,  dans  l'année  utile ^^. 
Le  juge  qui  aurait  eu  seulement  la  juridiction,  et  non 
Yimperium,  comme  le  Juge  Municipal  dans  les  cités,  ne 
pouvait  prononcer  de  lui-même,  et  sans  autorisation  , 
la  restitution  en  entier^'. 

Cette  différence ,  toutefois ,  entre  les  moyens  de  res- 
cision et  les  nullités  de  plein  droit ,  cessait  d'exister  à 
l'égard  de  certains  contrats.  Le  dol,  la  violence,  la  juste 
erreur  étaient,  par  rapport  aux  contrats  du  Droit  civil, 
des  exceptions  du  Droit  prétorien  :  il  fallait  le  pouvoir 
du  préteur,  pour  rescinder  les  contrats  formés  selon  la 
loi.  Les  contrats  du  droit  des  gens,  la  vente,  le  louage, 
le  mandat ,  la  société ,  avaient  passé  dans  le  droit  civil , 
mais  en  conservant  leur  caractère  de  contrats  consen- 
suels et  de  bonne  foi.  Le  dol ,  la  violence,  furent  consi- 
dérés ,  par  rapport  à  ces  contrats  du  droit  des  gens , 
comme  des  nullités  de  plein  droit,  parce  que  rien  nVst 
plus  contraire  à  la  bonne  foi ,  au  vrai  consentement ,  fjiic 
le  dol  ou  la  crainte.  L'intervention  directe  du  piticur 

52  Depuis  Constantin  ,  le  temps  utile  de  la  restitution  fut  à  Rome 
de  cinq  ans ,  de  quatre  ans  en  Italie,  de  trois  ans  dans  la  province.  — 
Justinien  établit  le  délai  uniforme  de  quatre  ans ,  sauf  pour  le  cas  d3 
dol,  qui  devait  être  poursuivi  dans  les  deux  ans. 

53  Cujas  ,  in  iv  lib.  Codicis  (lib.  ii.  cap.  35  ),  t.  x.  p.  633  [cdilion 
Fabrot.).T>e  là  est  venu  en  France  l'usage  des  lettres  de  rescision, 
que  l'on  obtenait  de  la  Chancellerie  et  qui  n'ont  été  abolies  qu'en 
1790. 


304  LiV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

n'était  pas  nécessaire  ;  la  convention  manquait  par  son 
principe.  Il  y  avait  nullité  immédiate,  merojure  ;  et  par 
conséquent ,  le  vendeur ,  le  locateur ,  etc. ,  pouvaient 
revendiquer  la  chose  livrée,  ou  s'il  n'y  avait  pas  en- 
core eu  tradition  ,  ils  pouvaient  opposer  perpétuelle- 
ment la  nullité  devant  le  juge,  qui  alors  seulement  ap- 
préciait la  vérité  des  faits  et  des  moyens^*. 

4"  Le  droit  prétorien ,  qui  restituait  les  débiteurs  ap- 
parents contre  les  effets  d'une  obligation  purement  civile 
viciée  dans  son  principe  ,  le  consentement ,  étendit  aussi 
sa  protection  sur  les  créanciers,  dont  les  droits  péris- 
saient par  le  changement  d'état  de  leur  débiteur  et  une 
application  trop  rigoureuse  de  la  Loi  des  XII  Tables.  On 
a  vu  plus  haut  que  l'obligation  attachée  à  la  personne 
civile  du  débiteur  s'éteignait  même  par  là  petite  di- 
minution de  tète.  La  femme  sui  jiiris  qui  passait  sous 
la  puissance  maritale,  le  père  de  famille  qui  était  reçu 
en  adrogation ,  cessaient  d'être  obligés  par  leur  en- 
gagement préexistant,  et  l'obligation  réputée  toute  per- 
sonnelle ne  retombait  ni  sur  le  mari ,  ni  sur  l'adrogeant  : 
elle  était  anéantie.  Le  préteur  restituait  les  créanciers 
contre  l'injuste  effet  d'une  situation  nouvelle  dans  la  fa- 
mille ,  et  maintenait  équitablement  le  lien  de  l'obligation 
comme  lien  personnel  et  supérieur  à  la  volonté  du  débi- 
teurs^. L'action  utile  qu'il  accordait  donnait  le  droit  d'agir 

54  Cujas  dit  :  «  Régula  est  certissima  ,  quia  niliil  est  tam  conlra- 
rium  bonœ  fîdei  quam  dolus  aut  metus.  »  (  Cujas,  in  kg.  36 ,  de  verb. 
Obligal.  ) 

55  Gaius ,  ix.  §  38  :  Ne  in  potestate  ejus  sit  jus  nostrum  corrum- 
pere ,  introducta  est  contra  euin  eanive  actio  utilis  rescissa  capitis  de- 


CHAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEN.  SECT.  IV.  305 

comme  s'il  n'y  avait  pas  eu  modification  dans  l'état  de  la 
personne;  et,  sous  ce  rapport,  la  petite  diminution  de  tête 
était  rescindée.  Le  grand  et  le  moyen  changement  d'état 
éteignaient  seuls  l'obligation  civile  dans  la  personne  du 
débiteur,  parce  qu'ils  effaçaient  la  qualité  d'homme  libre 
ou  de  citoyen  :  le  créancier  ne  pouvait  exercer  ses  pour- 
suites contre  la  personne ,  qui  n'était  plus  aux  yeux  de  la 
cité  ;  mais  il  avait  action  contre  ceux  aux  mains  desquels 
parvenaient  les  biens  de  l'ancien  débiteur  ^^, 

'6°  Le  droit  prétorien  étendit  aussi  sa  protection  sur 
ceux  qui  avaient  l'excuse  d'une  absence  légitime  ou  né- 
cessaire. Ils  pouvaient ,  dans  l'année  de  leur  retour,  se 
faire  restituer  contre  la  perte  de  leurs  droits  ou  de  leurs 
biens.  Ainsi,  celui  qui  était  absent  pour  le  service  de  la 
République  ou  au  pouvoir  de  l'ennemi ,  pouvait  faire  res- 
cinder l'usucapion  acquise  à  son  préjudice;  et  récipro- 
quement le  citoyen  présent,  au  préjudice  duquel  s'était 
accomplie  une  usucapion  commencée  avant  et  achevée 
pendant  l'absence  d'un  autre  citoyen ,  qui  n'avait  laissé 
personne  pour  le  représenter,  pouvait  se  faire  restituer, 
dans  l'année  du  retour,  contre  l'accompUssement  de  l'usu- 
capion. Dans  l'un  et  l'autre  cas,  l'usucapion  était  égale- 

minutione ,  id  est  in  qua  fingitur  eapitis  deminutionem  non  esse.  — 
Ait  praetor  :  Qui  qu^eve  pqsteaquam  quid  cum  his  actum,  cox- 

TBACTUMVE  SIT  ,  CAPITE  DEMINUTl  DEMIXDT^YE  ESSE  DICENTUR  , 
I:N  EOS    EASYE   PERIISDE    quasi  id  FACTLM  non  SIT  ,  JUDICIUM  DABO. 

(Z).,iv.  5.  2.) 

56  CcCterum  sive  amissioue  civitatis  ,  sive  libertatîs  amissione  con- 
tingat  eapitis  deminutio,  cessabit  edictum  :  neque  possunt  bi  conve- 
niri  :  dabitur  plane  in  eos  ad  quos  bona  pervenerunt  eorum.  (  D.,  iv, 
5.  2.  Ulp.  ) 

T.  I.  20 


306  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

ment  rescindée,  et  l'ancien  maître  rétabli  dans  l'exercice 
des  actions  et  des  droits  de  propriété^^. 

En  résumé,  la  restitution  in  integrum,  en  faveur  des 
majeurs,  agit  sur  les  obligations  apparentes  et  de  droit 
civil  pour  les  annuler;  sur  les  obligations  éteintes  en  droit 
civil ,  pour  leur  rendre  la  force  ;  sur  le  domaine  acquis 
par  un  moyen  de  droit  civil ,  pour  le  rendre  à  l'ancien 
propriétaire. 

II.  —  Mais  la  restitution  en  entier  avait  encore ,  à 
l'égard  des  Mineurs,  une  plus  vaste  application. 

Le  préteur  accordait  aux  Mineurs  de  vingt-cinq  ans 
la  restitution  en  entier,  pour  cause  de  lésion. 

Ici  se  présente  naturellement  le  tableau  des  phases 
successives  du  droit  civil ,  relativement  aux  engagements 
des  mineurs  impubères  et  pubères  ;  les  présenter  séparé- 
ment serait  les  obscurcir. 

La  Loi  des  XII  Tables  avait  constitué  la  tutelle  des 
impubères.  L'état  de  pupillarité  finissait  à  l'âge  de  pu- 
berté ,  qui  dépendait  d'abord  du  progrès  de  la  nature 
en  chaque  individu ,  et  qui  fut  ensuite  fixé  à  douze  ans 
pour  les  femmes,  à  quatorze  ans  pour  les  hommes.  Pen- 
dant la  durée  de  la  tutelle ,  le  pupille  de  la  première  en- 
fance ,  qui  n'avait  pas  encore  le  discernement  des  choses 
utiles ,  était  absolument  incapable  de  contracter  par  lui- 
même.  Il  était  représenté  par  son  tuteur,  qui  alors  gé- 
rait l'affaire.  Mais  le  pupille  qui  avait  le  discernement 
des  choses,  affedumrei,  selon  l'expression  de  Papinien , 

57  D.  IV.  6.  1.  21.  —  Ait  prsetor.:...  Quam  clausulam  praetor  inse- 
ruit  ut  quemadmodum  succurrit  supra  scriptis  personis,  ne  capiantur, 
ita  et  adversus  ipsas  succurrit  ne  capiant.  (  (Jlp.  —  Jnsl.  Just.  de  ac- 
tionibus ^ly.  6.  5.  ) 


CHAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEN.  SECT.  IV,  307 

était  capable  de  tous  les  actes,  avec  rintervention  de  son 
tuteur ^^.  Le  tuteur  ne  stipulait  pas  pour  le  pupille,  ne 
gérait  pas  l'affaire;  il  assistait  le  pupille  ,  auctor  erat ;  il 
complétait  sa  capacité  ,  véritable  sens  des  mots  tutoris 
AUCTomTAS^^.  —  Le  pupille  pouvait,  cependant,  figurer 
dans  un  contrat  sans  Tassistance  de  son  tuteur,  et  ren- 
dre sa  condition  meilleure.  Alors  il  ne  s'obligeait  pas  ci- 
vilement par  le  contrat ,  mais  il  obligeait  les  autres  envers 
lui  ;  et  l'obligation ,  quant  à  sa  personne ,  restait  dans 
îes  termes  d'une  obligation  naturelle ,  qui  pouvait  donner 
lieu  à  fidéjussion  et  autres  obligations  accessoires'^'^.  Il 
était  libre  de  regarder  la  convention  comme  non  ave- 
nue ,  et  il  avait  l'action  en  revendication ,  pour  ressaisir 
la  chose  qu'il  aurait  livrée  en  vertu  de  la  convention. 

Si  cependant  il  était  prouvé  que  le  prix  ou  la  chose 
reçue  avait  tourné  à  son  avantage ,  il  ne  pouvait  s'enri- 
chir aux  dépens  d'autrui  ;  et  quand  il  revenait  contre 
l'exécution  du  contrat ,  il  était  obligé  de  rendre  ce  qui 
n'était  pas  consommé ,  ce  qui  avait  tourné  à  son  profit. 

58  L'enfance  proprement  dite  s'étendait  jusqu'à  sept  ans.  —  L'âge 
voisin  (  infanliœ  proximus  )  s'étendait ,  selon  les  interprètes ,  jusqu'à 
dix  ans.  —  L'âge  voisin  de  la  puberté  s'étendait  de  dix  ans  jusqu'à 
quatorze. 

L'enfance  et  Fâge  voisin  de  l'enfance  étaient  sur  la  même  ligne, 
quant  au  droit.  —  Le  pupille,  pubertalis  proximus,  de  dix  ans  à  qua- 
torze ans ,  avait  capacité  d'agir  sous  certaines  conditions- 

59  Augere,  auclor,  auctoritas,  selon  les  interprètes.  (  Voir  Vinnius , 
MM.  Ducaurroy  et  Ortolan,  lit.  de  Tut.  ) 

60  Inst.,  1. 21  :  Placuit  meliorem  suam  eonditionem  licere  eis  facere. 
—  Nascitur  enim  obligatio  naturalis  ex  fîde  quam  minor  prsestitit  nec 
efficere  potest  praetor ,  ut  sit  infectum  quod  factum  est ,  aut  non  con- 
venisse  de  eo  quod  convenerit. (  iveramu^,  Interpr.  Juris ,  ii.  9.  tO.) 


308  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

De  plus ,  si  sa  conduite  avait  été  marquée  par  le  dol ,  si , 
dans  le  dépôt ,  le  commodat  ou  d'autres  contrats ,  il 
avait  manqué  à  la  bonne  foi ,  il  aurait  inutilement  invo- 
qué le  secours  du  préteur  :  il  pouvait  bien  faire  sa  con- 
dition meilleure,  mais  non  au  mépris  de  la  morale  et  de 
l'équité,  IN  DELiCTis  MiNORiBUS  NON  suBVEiMRi^'.  Le  pu- 
pille ne  pouvait  entreprendre  aussi  de  faire  sa  condition 
meilleure,  au  mépris  de  la  prudence;  et,  bien  qu'une 
hérédité  se  présentât  comme  avantageuse,  il  n'était  pas 
admis  à  réclamer  une  hérédité  testamentau*e  ou  légi- 
time, une  possession  prétorienne  (plus  tard  un  fidéicom- 
mis  universel),  sans  l'autorisation  de  son  tuteur.  En 
succédant  à  un  défunt,  il  aurait  pris  la  continuation  de 
sa  personne,  et  se  serait  soumis  à  des  charges  incon- 
nues* 


G2 


La  tutelle  finissait  par  l'âge  de  puberté;  il  n'y  avait 
plus  alors  de  pupille  ,  et  la  Loi  des  XII  Tables  laissait 
au  citoyen  pubère  toute  sa  liberté  d'action.  —  S'il  en 
abusait,  s'il  devenait  prodigue,  il  tombait  sous  la  cura- 
telle des  agnats  ou  des  gentils,  et  la  disposition  de  ses 
biens  lui  était  interdite  par  cette  formule  solennelle  qui 
s'appliquait  aussi  aux  majeurs  prodigues  :  «  Quando  tua 

BONA  PATERNA ,  AVITAQUE  NEOUITIA  TUA  DISPERDIS ,   LI- 


61  D-,  IV.  4.  9.  §  2  :  Nunc  videndum,  minoribus  utrum  caplis  dun- 
taxat  subveniatur  an  etiam  delinquenlibus  :  ut  puta  dolo  aliquid  minor 
fecit  in  re  deposita,  vel  commodata ,  vel  alias  in  contractu  ;  an  ei  sub- 
veniatur, si  nihil  ad  eum  pervenit?  Et  placet  in  deliclis  minoribus  non 
subveniri-;  nec  hic  itaque  subvenietur.  (  Ulp.  ) 

62Quamvisi!Iislucrosa  sit  ,neculluin  damnuni  liabeat.  {fnsl.  Jusl., 
I.  21.  1.) 


CHAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEN.  SECT.  IV.  309 

BEROSOUE  TUOS   AD   EGESTATEM   PERDUCIS ,  OB  EAM   REM 
TIBI  EA  RE  C031I\1ERCI0QUE  INTERDICO  ^^. 

Mais  cette  interdiction  du  prodigue,  mesure  rigoureuse, 
n'était  pas  applicable  aux  jeunes  hommes  qui  pouvaient 
être  imprudents  ou  inexpérimentés  sans  être  dissipateurs. 
La  loi  L^TORiA,  vers  la  fin  du  v®  siècle  [497],  vint  sup- 
pléer au  silence  de  la  Loi  des  XII  Tables  :  1  **  elle  donna 
aux  pubères,  qui  n'avaient  pas  vingt-cinq  ans,  la  qualité 
de  mineurs ,  en  faisant  succéder  ainsi  l'état  de  minorité 
à  celui  de  pupillarité;  2"  elle  imposa  des  curateurs  aux 
mineurs,  à  raison  de  leur  inconduite  ou  de  leur  démence^^-, 
3°  elle  défendit  à  tous  les  mineurs  de  vingt-cinq  ans  de 
s'obliger  par  stipulation,  et  les  protégea  contre  les  fraudes 
qui  les  auraient  circonvenus;  4°  enfin,  elle  interdit  au 
créancier,  qui  avait  prêté  son  argent  au  mineur,  toute  ac- 
tion contre  lui^^.  — Tels  sont  les  résultats  de  la  loi  Laeto- 
ria®^.  Le  dernier  point,  relatif  aux  prêteurs  d'argent,  a 
été  développé  depuis  par  le  sénatus-consulte  macédonien, 
qui,  en  haine  des  usuriers,  refusait  toute  action,  soit 
contre  les  pères,  soit  contre  les  fils,  pour  prêts  d'argent 
faits  aux  fils  de  famille,  quels  que  fussent  leur  âge,^ 
leurs  dignités.  Ce  sénatus-consulte  du  temps  de  Claude 

G3  Pauli  Sent.,  de  Teslam.  m.  4. 7.  Brisson.,  de  forraulis,  v.  p.  388. 

64  Vel  propter  lasciviam,  vel  propter  dementiam.  L'empereur  An- 
tonin  établit  des  curaleurs  pour  tous  les  adultes.  (Spart.  Capitol,  in 
vila  Ânt.  p/».,  c.  x.  ) 

65  Perii  !  An  non  tum  lex  me  perdit  quina  vicenaria  ? 

Metuunt  credere  omnes.  —  Eadem  mihi  lex;  metuo  credere. 

{Plaut.,  in  Pseud.,  i.  se.  3.  v.  69.  :0.)  Y o\r  supra ,  p.  159. 

66  Ils  ont  été  mis  en  lumière  par  Bbisson  et  J.  Godefboy.  {Bris- 
son..,  Select.  exJur.  civil,  antiq.,  lib.  m.  cap.  2.  p.  66.  {cdit.  1747). 
—  J.  Golhof.,  Cod.  Thcod.,  viii.  12.  2.  (t.  ii.  p.  645.  édit.  Hitler.) 


310  LIV.  ï.  — ÉPOQUE  ROMAINE. 

OU  de  Vespasien  reposait  sur  le  terrible  motif  que  soiï- 
vent  les  fils,  chargés  de  dettes,  se  préparaient  secrète- 
ment au  parricide^'^! 

Le  Droit  prétorien  prit  pour  limite  de  la  minorité  l'âge 
de  vingt-cinq  ans,  fixé  par  la  loi  Lsetoria,  et  il  accorda 
un  nouveau  secours  aux  mineurs  pubères,  la  Restitution 
en  entier  :  elle  était  accordée  par  le  Préteur  en  connais- 
sance de  cause,  lorsque  le  mineur  était  lésé.  Là  s'appli- 
que avec  justesse  la  règle  que  le  mineur  est  restitué,  non 
comme  mineur,  mais  comme  lésé  :  Restituitur  minor  non 
tanquam  minor,  sed  tanqnam  lœsus.  La  loi  Lsetoria  n'avait 
accordé  secours  qu'en  certaines  circonstances  :  le  Droit 
prétorien  accordait  la  restitution  dans  tous  les  cas  où  il 
y  avait  lésion,  ou  même  erreur  sur  des  qualités  purement 
accidentelles  de  l'objet  du  contrat*^^.  Le  bénéfice  de  resti- 
tution s'étendait  à  tout,  vente,  donation,  usucapion  , 
paiement,  transaction,  adition  ou  abstention  d'hérédité^®. 

67  Verba  senatusconsulti  hœc  sunt  :  Cum  inter  citeras  scele- 

BIS  CAUSAS....  ^S  ALIENUM...  ET  S^PE  MATEBIAM  PECCANDI  MALIS 
MORIBUS  PB.î:STARET.  (Z>.,  XIV.  6.  1.  ) 

Les  Institutes  de  Justinien  disaient  avec  Ulpien  :  Quse  ideo  senatus 
prospexit ,  quia  sœpe  onerati  aère  alieno  creditarum  pecuniarum  quas 
in  luxuriam  consumebant  vit^e  PARENTUMi>sir!iABA>TUR.(iv.  7.  §'7.) 

68  Cum  dé  bonis  eorum  aliquid  minuitur si  émit,  vendidit....  et 

caplus  est.  (D.,  tv.  4.  6.  7.) 

69  Cujas  retend  même  au  cas  d'exclusion  d'hérédité  pour  cause 
d'indignité,  pour  n'avoir  pas  vengé  la  mort  du  défunt.  {Recilal.  ad 
IV.  lib.  Cod.,  éd.  Fabrol. ,  lom.  uU.).  Mais  cela  est  douteux,  car  il 
s'agissait  d'une  sorte  de  délit.  —  Ce  qui  est  certain ,  c'est  que  l'inter- 
prétation de  Cujas  n'était  pas  conforme  à  l'histoire  du  droit  romain 
dans  les  Gaules  :  l'exclusion  prononcée  contre  les  enfants  de  Sadrage- 
rit,  comte  de  Bordeaux ,  en  vertu  de  la  loi  romaine ,  en  est  la  preuve 
(Voir  notre  livre  III.) 


CHAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEN.    SECT.  IV.  311 

La  restitution  in  integrum,  qui  d'abord  n'était  instituée 
qu'en  vue  des  mineurs  pubères ,  fut  dans  la  suite  éten- 
due aux  impubères.  —  Originairement ,  les  contrats  des 
pupilles,  consentis  avec  les  formes  légales,  et  sous  l'au- 
torité du  tuteur,  étaient  inattaquables.  Le  pupille ,  lésé 
par  la  convention ,  n'avait  point  d'action  contre  les  tiers; 
il  avait  seulement  action  contre  son  tuteur,  judicium  tu- 
telœ;  mais  si  le  tuteur  était  insolvable,  le  droit  prétorien 
accordait  la  restitution  in  integrum  au  pupille  contre  la 
partie  contractante'^'^. 

Le  droit  civil  de  la  République ,  y  compris  le  droit 
prétorien ,  laissait  aux  tuteurs  et  curateurs  la  faculté 
d'aliéner  et  d'hypothéquer  les  biens  des  pupilles  et  des 
interdits,  sous  leur  propre  responsabilité;  mais  s'il  y  avait 
insolvabilité,  et  par  conséquent  responsabilité  illusoire, 
le  bénéfice  de  la  restitution  prétorienne  protégeait  en- 
core le  pupille  ou  le  mineur,  en  autorisant  son  action 
contre  les  tiers  détenteurs. 

Le  droit  postérieur,  sous  l'Empire,  défendit  aux  tu- 
teurs et  curateurs  l'aliénation  des  fonds  de  terre  apparte- 
nant aux  pupilles  et  mineurs,  prœdia  rustica  et  suburbana, 
ce  qui  ne  comprenait  pas  les  maisons  situées  dans  les 
villes.  L'aliénation  ou  l'hypothèque  ne  fut  permise  que 
de  l'autorité  du  préteur  ou  du  magistrat,  et  seulement 
dans  le  cas  de  nécessité ,  quand  il  s'agissait  de  payer  les 


70  Si  tes  pupillaris  vel  adolescentis  distracta  fuerit  quam  lex  dis- 
trahi non  prohibet ,  venditio  quidera  valet  :  verumtamen  si  grande 
damnum  pupilli  vel  adolescentis  versatur,  etiamsi  collusio  non  inter- 
cessit ,  distractio  per  in  integrum  restitutionem  revocatur.  (  D.  iv, 
4.  49.  —  Vinnius,  Insl.,  ii.  8.  Com.  —  Ducaurroy,  tom.  i.  p.  413.) 


312  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

dettes  du  pupille  ou  du  mineur'^*.  Si  le  préteur  avait 
été  trompé,  si  l'autorisation  lui  avait  été  surprise,  le  pu- 
pille ou  le  mineur  avait  l'action  personnelle  contre  le  tu- 
teur ou  curateur,  et  l'action  réelle  pour  revendiquer  la 
chose  ^'^.  —  Sous  Justinien ,  la  garantie  contre  la  restitu- 
tion fut  étendue  en  faveur  de  ceux  qui  avaient  payé  leurs 
dettes  aux  pupilles  assistés  de  leur  tuteur  ;  mais  il  fallait 
qu'une  sentence  du  juge  eût  autorisé  le  paiement  :  dans 
ce  cas  seulement,  il  y  avait  parfaite  sécurité  '^. 

De  cet  ensemble  de  vues  résulte,  dans  le  droit  romain, 
une  théorie  qui  a  été  reproduite  par  les  lois  et  les  juris- 
consultes modernes ,  et  qui  peut  se  ramener  aux  résul- 
tats suivants  : 

Ex\  PREMIER  LIEU,  Ics  mincurs  soumis  à  la  tutelle  (les 
impubères),  avaient  contre  leurs  engagements  deux  voies 
d'annulation  formellement  reconnues  par  les  anciens  ju- 
risconsultes Ofilius,  Labéon,  et  confirmées  par  la  doc- 
trine d'Ulpien  ^*  :  1"  la  nullité  de  plein  droit,  mero  jitre^ 


71  Constitution  de  Sévère.  {Oraiio.  )  D.,  xxvii.  9.  1.  et  L.  3.  §  1  : 
Non  ex  tutoris  vel  ciiratoris  voluntate  id  fit ,  sed  ex  magistratuum 
auctoritate. 

72  Manet  actio  pupillo ,  si  postea  poterit  probare  obreptum  esse 
prœtori;  sed  videiidum  est  utruni  in  rem  an  in  personam  dabinius  ei 
actioneni ,  et  niagis  est  ut  in  rem  delur,  non  tantum  in  personam  ad- 
versus tutores ,  sive  curatores.  (D.,  xxvii.  9.  5.  §  15.  ) 

73  Sed  judex  pronuutiaverit  et  debitor  solverit;  sequatur  hujus- 
modi  solutionem plenissima  securitas.  {Cod.  Just.,  v.  37.  2o.Insl.,  ii. 
8.  §2.) 

74  In  causée  cognitione  etiam  hoc  versabitur,  num  forte  alia  actio 
possit  corapetere  citra  in  iutegrum  restilutionem.  INam  si  communi 
Ai'xiLio  F.T  MEBO  JURE  munitus  sit ,  non  débet  ei  tribui  extraordina- 


CHAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEN.  SECT.  IV.  313 

si  le  pupille,  clans  ses  divers  engagements,  n'était  pas 
autorisé  de  son  tuteur,  ou  s'il  y  avait  nullité  pour  d'au- 
tres vices  intrinsèques  ou  extrinsèques ,  ubi  contractns  non 
valet;  g**  la  voie  de  restitution  en  entier  devant  le  ma- 
gistrat, causa  cognifa,  si  le  pupille  avait  légalement  con- 
tracté avec  l'assistance  de  son  tuteur,  mais  éprouvé  une 
lésion,  par  l'effet  du  contrat  et  par  suite  de  l'insolvabilité 
du  tuteur. 

En  second  lieu,  le  mineur  de  vingt-cinq  ans ,  pubère 
et  non  furieux  ou  prodigue,  possède"  généralement  la  ca- 
pacité civile  de  contracter  :  il  peut  agir  aussi  par  voie  de 
nullité ,  s'il  se  trouve  dans  un  cas  de  droit  commun  ,  et 
par  voie  de  rescision  ou  restitution ,  s'il  a  éprouvé  une 
lésion  ;  mais  il  ne  peut ,  comme  le  pupille ,  demander  la 
nullité  pour  le  seul  défaut  d'autorisation  d'un  curateur 
(qu'il  en  soit  ou  non  pourvu).  C'est  dans  ce  sens,  et  par 
rapport  à  lui ,  qu'il  faut  entendre  la  maxime  Non  tam- 
OUAM  MiNOR,  SED  TAMQUAM  L^sus.  Cette  maxiiuc  se- 
rait absolument  fausse  en  droit  romain  ,  si  on  l'appliquait 
à  l'impubère ,  au  pupille ,  et  si  l'on  disait  :  Non  tam- 

QUAM  PUPILLUS,  SED  TAMQUAM  L^SUS.    C'cst  de   la   COU- 

fusion  des  deux  époques  bien  distinctes  de  la  minorité 


riuni  auxilium  :  ut  puta ,  cum  pupillo  contractum  est  sine  tutoris 
AUCTORiTATE ,  nec  locupletior  factus  est.  —  §1.  Item  relatuni  est 
apud  Labeonem,  si  minor  circumscriptus  societatem  coierit,  vel  etiam 
doDationis  causa  nec  inter  majores  quidem,  et  ideo  cessare  partes  prae- 
toris;  idem  et  Ofilius  respondit  :  Satis  enim  ipso  jure  munitus  est. 
Pomponius  quoque  refert....  §  3  :  Et  generaliter  probandum  est  ubi 
contraclus  non  valet ,  pro  certo  prœlorem  se  non  debere  interponere. 
(D.,iv.  4.  16.  Ulp.) 


314  LIV.  I.  -^  ÉPOQUE  ROMAINE. 

romaine  qu'est  venue  l'obscurité ,  dont  une  pratique  in- 
intelligente a  quelquefois  entouré  l'axiome  de  droit  que 
nous  avons  rappelé. 

En  troisième  lieu  ,  le  magistrat  étant  intervenu  pour 
accorder  une  autorisation  légale  au  fond ,  et  non  surprise 
par  fraude ,  toute  voie  de  recours  était  fermée  aux  pu- 
pilles et  aux  mineurs  de  vingt-cinq  ans'^. 


75  Cujas  a  très-neUement  marqué  la  théorie  des  nullités  et  des  res- 
cisions, dans  ses  Recitaliones  in  quatuor  libros  codicis  :  «  Si  adolescens 
ipso  jure  munitus  sit,  si  conXractus  que  jure  non  valeat,  ut  puta  si  sine 

lutoris  aucloritale  celebratus  sit,  ubi  ea  exigilur Evidentissimum 

est  in  his  causis  non  esse  necessariam  reslilulionem  in  integrum.  (Edit. 
Fabrol.  tom.  ult.,  p.  633.) 

M.  TouLLiER  s'est  rattaché  à  la  doctrine  romaine  dans  sa  Théorie 
des  nullités ,  sans  lui  donner  peut-être  une  démonstration  suffisante. 
Les  développements  de  Cujas  sont  le  complément  naturel  de  sa  disser- 
tation. 

Merlin  (  Questions  de  droit,  vo  hypoth.,  §  iv.  t.  3.  p.  414),  dit  que 
notre  Code  civil  a  établi ,  à  l'égard  de  la  nullité  et  de  la  rescision  des 
actes  des  mineurs ,  une  législation  toute  nouvelle.  C'est  une  erreur 
péniblement  soutenue  par  les  termes  de  l'art.  1305,  combiné  avec 
l'art.  484  du  Code.  —  M.  Pkoudhon  (de  l'Etat  des  personnes),  et  son 
savant  annotateur  M.  Valette  (  3e  édit.,  t.  ii.  p.  473-489  et  suiv.J, 
M.  Tboplong  {Htjpolh.,  t.  u.  n»  492.  —  Vente,  nos  566-685),  ont 
adopté  la  doctrine  du  droit  romain.  MM.  Duranton  etDemante,  après 
s'en  être  écartés ,  s'en  sont  de  plus  en  plus  rapprochés.  La  Cour  de 
cassation  (  arrêt  18  juin  1844  )  a  récemment  adopté  une  doctrine  inter- 
médiaire :  elle  admet  la  distinction  entre  les  actions  en  nullité  et  en 
rescision ,  mais  elle  n'admet  pas  l'action  en  nullité ,  quand  il  y  a  seu- 
lement absence  de  l'autorisation  du  tuteur.  En  statuant  dans  une  es- 
pèce très-favorable  ,  où  il  s'agissait  d'un  contrat  pour  remplacement 
à  l'armée ,  fait  par  un  mineur  non  autorisé ,  elle  a  repoussé  la  de- 
mande en  nullité  fondée  par  le  mineur  sur  le  défaut  d'autorisation. 
Mais,  sans  rejeter  ou  modifier  la  doctrine  si  rationnelle  du  droit  ro- 
main ,  la  Cour  ne  pouvait-elle  pas  appliquer  à  la  cause  un  autre  priu- 


CHAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEN.  SECT.  IV.  315 

Tel  est  le  système  des  Restitutions  en  entier,  par  rap- 
port aux  majeurs,  et  par  rapport  aux  mineurs  de  vingt- 
cinq  ans,  soit  impubères,  soit  pubères. 

L'équité  du  préteur  a  pénétré  dans  tous  les  replis  du 
droit  civil  et  dans  toute  la  profondeur  des  intentions  de 
l'homme,  pour  porter  secours  où  le  sentiment  de  la  jus- 
tice pouvait  être  blessé  ;  mais  dans  la  crainte  religieuse 
que  quelque  cause  de  restitution  n'eût  échappé  à  son 
analyse ,  à  ses  investigations ,  le  Préteur  couronne  toute 
sa  théorie  en  déclarant ,  à  la  fm  de  l'Édit ,  que  s'il  se  pré- 
sentait ,  en  dehors  des  causes  mentionnées ,  une  juste 
cause  de  rescision ,  il  accorderait  la  restitution  en  entier  : 
«  Item  si  qua  alia  mihi  justa  causa  videbitur  ,  m  in- 

TEGRUM  RESTITUAM 


76 


cipe  de  ce  droit  ;  savoir,  que  le  mineur  peut  faire  sa  condition  meilleure 
sans  autorisation  de  son  tuteur?  —  Il  nous  semble  que  c'était  le  prin- 
cipe vraiment  applicable. 

Quelle  que  soit  la  solution  sur  cette  question  spéciale ,  on  doit  re- 
connaître que  le  Code  civil  a  adopté  les  points  fondamentaux  de  la 
théorie  romaine  : 

1»  La  nullité,  à  défaut  d'autorisation  du  tuteur,  ou  à  défaut  des 
solennités  spéciales  réclamées  pour  certains  actes.  (Art.  1304). 

2°  La  rescision  pour  lésion  (  sans  qu'il  y  ait  toutefois  aucune  condi- 
tion d'insolvabilité  de  la  part  du  tuteur.  )  {Art.  1305.  ) 

30  L'effet  définitif  des  actes  concernant  les  mineurs ,  quand  il  y  a 
intervention  de  la  justice.  (  Art.  1314.  ) 

40  Le  droit  du  mineur  de  faire  sa  condition  meilleure ,  sans  l'inter- 
vention de  son  tuteur,  à  moins  qu'il  ne  s'agisse  d'acquisitions  per  uni- 
versitatem,  qui  entraînent  l'obligation  d'acquitter  des  dettes  et  charges 
ultra  vires.  (En  France,  l'acceptation  serait  toujours  censée  sous  bé- 
néfice d'inventaire.  ) 

76  D.,  IV.  6.  26.  §  9.  Et  Ulpien  ajoute  :  Hœc  clausula  edicto  inserto 
est  necessaria  :  multi  enim  casus  evenire  potueruntut  quotieus  ^equi- 
XAS  restitutionem  suggerit ,  ad  hanc  clausulam  erit  descendendum. 


316  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

SECTION  V. 

INSTITUTIONS   ET  ACTIONS  JUDICIAIRES, 
SOUS   LA    LOI    DES    XII  TABLES  ET  LE    DROIT  PRÉTORIEN. 


SOMMAIRE. 

§  1.  —  Organisation  judiciaire,  et  Compétence  des  Tribunaux  ou  des 
Juges  de  l'ordre  civil. 

I.  —  Tribunal  des  Cenlumvirs. 

II.  —  Juge  (judex  privatus). 

III.  —  Arbitre  (arbiter  honorarius). 

IV.  —  Récupérateurs  à  Rome  et  dans  les  Provinces. 

V.  —  Voies  de  recours  ou  d'opposition.  —  Droit  d'inter- 
cession des  Magistrats.  —  Différence  des  juge- 
ments légitimes  et  des  jugements  soumis  à  la  durée 
de  la  magistrature  (judicia  légitima  et  judicia 
quœ  in  iniperio  coulinentur). 
§  2.  —  Procédure  ordinaire  sous  la  Loi  des  XII  Tables  et  sous  le  Droit 
Prétorien. 

I.  —  Actions  de  la  Loi  (legis  actiones).  — Appel  en  Justice 
et  engagement  de  comparaître  devant  le  magistrat 
(vocatio  in  jus.  —  Vadimoniuin). 
II.  —  Procédure  formulaire  ;  lois  OEbutia  ,  Juliœ  judicia- 
riae.  —  Liens  entre  les  deux  systènles. 
§  3.  —  Procédure  au  possessoire  sous  la  Loi  des  XII  Tables  et  le  Droit 
Prétorien. 

I.  —  Possession  provisionnelle  (lis  Vindiciarum ). 

II.  —  Interdits  possessoires. 

§  4.  —  Distinction  des  jugements  ordinaires  et  des  jugements  extraor-' 

dinaires. 
§  5.  —  Chose  jugée  ;  son  autorité.  —  Litis-contestatio.  —  Action  judi- 

cati;  Exception  rei  judicatœ.  —  Moyens  d'exécution. 


CHAP.   V,  DROIT  PRÉTORIEN.  SECT.   V.  317 

§  1er.  _  ORGAMSATION  JUDICIAIRE  ET  COMPÉTENCE   DES    TRIBUNAUX 
ET   DES  JUGES  DE  L'OBDRE  CIVIL. 

Le  système  judiciaire  ,  né  de  la  Loi  des  XII  Tables , 
modifié  par  des  lois  spéciales ,  développé  et  perfectionné 
par  l'intervention  Prétorienne,  s'est  maintenu  jusqu'à 
l'empereur  Dioclétien  ;  il  a  régné  pendant  plus  de  six 
siècles;  il  a  traversé  toute  la  Période  florissante  des  Ju- 
risconsuUes,  —  Et  lorsque  l'institution  ,  fondée  sur  la 
séparation  du  Magistrat  et  du  Juge ,  de  la  procédure 
L\  JURE  et  de  la  procédure  ix  judicio,  a  cessé  d'être, 
tout  n'a  pas  été  entraîné  dans  cette  révolution. 

L'institution  judiciaire;,  considérée  dans  l'organisation 
et  la  compétence  de  ses  branches  diverses,  a  disparu  en 
grande  partie;  mais  elle  a  laissé  une  trace  précieuse 
dans  les  juridictions  des  Cités  provinciales,  qui  ont  re- 
tenu les  Judices  Pedanei.  —  Et  les  distinctions  qui  s'é- 
taient établies  entre  le  droit  et  le  fait,  entre  les  actions 
réelles  et  personnelles ,  directes  et  utiles ,  de  droit  strict 
et  de  bonne  foi ,  en  nullité  ou  en  rescision ,  ont  sur- 
vécu aux  formes  juridiques ,  et  sont  entrées  dans  le 
droit  commun  des  nations  sorties  du  démembrement 
de  l'Empire  romain. 

Il  faut  donc  revenir  sur  cette  antique  institution ,  qui 
embrassait  l'Organisation  judiciaire,  la  Compétence  ,  la 
Procédure ,  et  qui  contenait  en  elle  des  formes ,  périssa- 
bles sans  doute,  mais  profondément  combinées  avec  les 
principes  dérivés  de  la  nature  des  choses.  —  Il  faut  tâ- 
cher de  la  ressaisir  et  de  la  représenter  dans  son  en- 
semble, en  nous  plaçant  d'abord  au  point  de  vue  de  l'or- 


318  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

ganisation  et  de  la  compétence,  deux  choses  qui  s'unis- 
sent intimement  dans  les  idées  romaines. 

Le  Préteur  de  la  Yille  était  le  magistrat  investi  de  la 
juridiction ,  depuis  l'an  de  Rome  387.  La  juridiction  se 
caractérisait  par  ces  trois  mots ,  do  ,  dico  ,  addico  ,  qui 
exprimaient  le  droit  de  donner  le  Juge,  de  dire  la  For- 
mule ,  d'adjuger,  en  certains  cas,  les  biens*.  La  ju- 
ridiction du  magistrat  n'était  point  limitée  par  la  na- 
ture des  affaires  ;  mais  les  attributions  de  sa  charge 
étaient  fixées  par  des  principes  de  droit  pubhc ,  et  il  ne 
pouvait  les  méconnaître  ou  les  dépasser  par  des  excès 
de  pouvoir,  sans  encourir  la  responsabilité  imposée  aux 
magistrats  qui  violaient  la  majesté  du  peuple  romain  ; 
responsabilité  qui  fut  sanctionnée  successivement  par  les 
lois  CoRNELiA  et  JuLiA  MAJESTATis^.  Si  douc  le  Pré- 
teur avait  la  plénitude  de  juridiction ,  par  rapport  à  la 
nature  des  affaires,  il  exerçait  cependant  une  juridic- 
tion mesurée  par  certaines  attributions;  et  par  consé- 
quent ,  il  n'avait  pas ,  sous  ce  rapport ,  la  plénitude  de 
compétence^. 

1  Cujas,  adtit.  xix.  Ulp.  :  Tribus  verbis  omne  officium  prsetoris  con~ 
tinetur,  do,  dico,  addico.  Dat  judices,  dicit  jus,  addicit,  exempli 
gratia,  in  cessiouibus.  Addicitbona  libertatum  conservandarum  causa. 
(Inst.,  III.  12.  ) 

2  Hoc  in  illo  majestatis  judicio  si  licuisse  sibi  ostenderit ,  ego  con- 
cedam.  (  Cic,  in  Verr.,  i.  5.  )  —  Voir  YEssai  sur  les  lois  criminelles 
des  Romains ,  par  M.  Ed.  Laboulaye  ,  liv.  ii.  ch.  16.  p.  266. 

3  Zimmern,  dont  l'opinion,  sous  un  autre  aspect  de  la  compétence, 
nous  paraît  très-contestable,  dit  très-bien,  au  sujet  du  magistrat  : 
«  D'après  l'esprit  de  la  constitution  romaine,  ce  n'était  pas  par  la  na- 
»  lure  des  affaires  qu'était  déterminé  le  cercle  dans  lequel  s'exerçait  la 
«compétence  des  magistrats.»  {Théorie  dcsAct.,  §  xxvi.  Trad.  de 
M.  Etienne.  ) 


CHAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEN.   SECT.  V.  319 

Le  Préteur  peregrhius,  institué  depuis  l'an  507  pour 
administrer  la  justice  entre  les  citoyens  et  les  étrangers, 
était ,  dans  le  cercle  plus  étroit  de  ses  fonctions  et  de  sa 
compétence,  investi  des  mêmes  prérogatives  que  le  Pré- 
teur Urbain  :  égal  en  pouvoir  pour  publier  l'édit  à  l'en- 
trée de  sa  charge,  il  était  égal  aussi  en  droit  de  juridic- 
tion. Le  même  pouvoir,  la  même  juridiction,  apparte- 
naient au  Propréteur,  au  Proconsul ,  au  Président  dans 
les  provinces ,  quand  Rome  s'étendit  au  loin  par  ses  con- 
quêtes. 

A  Rome,  le  Préteur  de  la  Ville  était  le  représentant  des 
Consuls  absents,  le  président  du  Sénat  et  des  Comices, 
le  chef  de  l'administration  de  la  Justice  ;  mais  il  pouvait 
être  suppléé  par  son  collègue,  le  Préteur  des  étrangers. 

Au  dessous  d'eux  étaient  les  Tribunaux  ou  les  Juges 
qui  concouraient  à  la  distribution  des  jugements,  et  for- 
maient les  divers  éléments  de  l'Institution^judiciaire. 

Les  tribunaux  et  les  juges  se  divisaient  en  quatre  bran- 
ches : 

Les  CEMTLMVIRS  ; 

Le  JUDEX  ; 

L'arbiter  ; 

Les  récupérateurs. 

Nous  devons  examiner  séparément  ces  branches  diffé- 
rentes, en  déterminant  leur  organisation  et  leur  compé- 
tence ,  ainsi  que  leurs  rapports  avec  la  nature  et  la  di- 
versité des  actions. 

L  —  Tribunal  des  centumvirs.  —  Denys  d'Halicar- 
nasse  rapporte  que  Servius  Tullius  créa  des  juges  pour 


320  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

décider  les  procès  des  particuliers.  «  Je  ne  doute  pas,  dit 
»  Niebuhr,  qu'il  ne  soit  question  ici  de  la  création  des 
»  centumvirs*.  »  Il  y  avait  trois  juges  par  chaque  tribu. 
Quand  les  tribus  furent  portées ,  en  512,  au  nombre  de 
trente-cinq ,  il  y  eut  cent  cinq  juges  :  de  là,  selon  Fes- 
tus,  le  nom  de  centumvirs^.  Cette  représentation  de 
chaque  tribu  par  trois  juges,  qui  indique  une  égale  pro- 
portion du  nombre  des  juges  avec  le  nombre  des  tribus 
primitives  ;  de  plus ,  le  symbole  de  la  lance  dressée  de- 
vant le  tribunal  et  qui  donnait  son  nom  au  tribunal 
même ,  Centumviralis  hasta  ,  annoncent  certainement 
une  institution  d'une  très-ancienne  origine^. 

Les  centumvirs  étaient  élus  annuellement  par  les  tri- 
bus, mais  dans  l'ordre  sénatorial.  L'institution  était  plé- 
béienne par  le  principe  d'élection ,  et  aristocratique  par 
le  principe  d'éligibilité.  Les  patriciens  avaient  voulu  con- 
server leur  supériorité  par  la  connaissance  et  l'applica- 
tion exclusive  du  droit  civil  "'.  Caius  Gracchus,  dans  ses 

4  Denys  d'Halic,  iv  25  Niebuhr.,  Hist.  roni.,  ii.  p.  168.  Zhnmern, 
§  14.  note  12.  M.  Bonjean,  Traité  des  Actions,  t.  1.  §  84. 

5  Festus,  vo  cenlumviralia  judicia  :  «  Nam  quum  essent  Rornse  tri- 
ginta  et  quinque  tribus  quœ  et  curiae  sunt  dictae,  terni  ex  singulis  tri- 
bubus  sunt  electi  ad  judicandum ,  qui  centumviri  appeilati  sunt  :  et , 
licet  quinque  amplius  quani  centum  fuerint ,  tamen  quo  facilius  no- 
minarentur,  centumviri  sunt  dicti.  {Edil.  MuUer,  p.  54.  ) 

6  Pomponius,  Orig.  Jur.,  §  29  :  «  Magistratus  qui  hast^  prœesset.  » 
Quintilien  dit  aussi ,  pour  indiquer  deux  sections  :  duce  haslœ.  {Insl. 

Oral.,  \.  2.) 
Suétone  dit  :  Cenlumviralis  hasla.  [  Lib.  ii.  n»  37.  ) 

7  Cic,  de  Orat.,  i.  41  :  Quia  veteres  illi,  qui  huic  scientiœ  praefue- 
runt,  Oà)tinendae  atque  augendœ  potentia?  suse  causa  pervulgari  artem 
suan!  nokierunt. 


CHAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEN.  SECT.  V.  321 

plans  de  réforme,  investit  les  chevaliers  seuls  du  droit 
de  siéger  comme  juges  dans  les  tribunaux  [631]  ;  Sylla 
rétablit  les  sénateurs  dans  leur  antique  prérogative  [674]. 
La  loi  Aurélia  judiciaria^  proposée  par  le  préteur  Cotta, 
partagea  le  droit  de  juger  entre  les  sénateurs,  les  cheva- 
liers, les  tribuns  du  Trésor  [687]. 

Jules  César,  à  son  retour  des  Gaules,  enleva  ce  droit 
aux  tribuns  du  Trésor  et  le  laissa  aux  chevaliers ,  ainsi 
qu'aux  sénateurs ,  pris  par  lui  dans  toutes  les  classes  et 
portés  au  nombre  de  neuf  cents  [708]  ^. 

Le  tribunal  des  Centumvirs  était  permanent.  Il  se  di- 
visait en  quatre  Sections,  qui  jugeaient  tantôt  séparé- 
ment, tantôt  au  nombre  de  deux,  et  quelquefois  sec- 
tions RÉUNIES.  Le  jugement,  selon  la  diversité  des  cas, 
était  qualifié  de  cenlumvirale  judicium ,  duplicia  judicia, 
quadruplex  judicium  ^.  Les  Sections  furent  présidées  par 
les  Décemvirs  institués  comme  magistrats,  vers  le 
vi^  siècle  de  Rome,  pour  présider  et  juger,  et  appelés 
Decemviri  in  litibus  judicandis^^. 

8  Suet.,  I.  D.  Julius  Cœsar ,  cap.  41 .  Senatum  supplevit,  patricios  ad- 
legit.  Picetorum ,  sedilium,  quaestorum ,  minorum etiam  magistratuum 

nunierum  ampliavit Judicia  ad  duo  gênera  judicumredegit,eques- 

tris  ordinis  ac  senatorii  :  tribunos  aerarios  quod  erat  tertium  sustulit. 

9  Quintil.,  Inst.  orat.,  v.  2.  §  1.  —  xii,  18. 
Plin.  junior.,  Epist.,  i.  18.  —  iv.  24.  —  vi.  33. 

10  Pomp.,  Orig.,  §  29  :  «  Deinde  quuni  esset  magistbatus  neces- 
sarius  qui  hast^  pb^eesset  ,  Decemviri  in  litibus  judicandis  sunt 
constituti.  »  —  Le  récit  de  Pomponius  ne  permet  pas  de  placer  sous 
Auguste  la  création  des  décemvirs ,  comme  on  Ta  fait  souvent  par  in- 
terprétation de'Suétone.  (  Vit.  Oclav.,  c.  37.  )  L'institution  est  placée 
par  le  jurisconsulte  dans  le  même  temps  que  les  Iriumviri  capitales 
[§  30] ,  et  après  la  préture  des  étrangers,  ce  qui  remonte  au  \i^  siècle. 
{Niebuhr,  vi.  p.  317.) 

T.  1.  21 


322  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

Les  attributions  ou  la  Compétence  du  tribunal  des 
Centumvirs  étaient  de  l'ordre  le  plus  élevé.  Cicéron  nous 
a  transmis  à  cet  égard  des  renseignements  qui  permet- 
tent d'en  indiquer  avec  précision  la  nature. 

Dans  le  traité  rfe  Oratore  [cbap.  38],  il  exige  de  l'ora- 
teur la  connaissance  du  droit  civil ,  et  il  condamne  celui 
qui  va  se  jeter,  ignorant  le  droit,  dans  les  causes  cen- 
TUMViRALES,  OÙ  s'agitcut ,  dit-il,  «les  questions  d'usuca- 
»pion,  de  tutelle,  de  gentilité,  d'agnation,  d'alluvion, 
»d'attérissements ,  des  nexa,  des  mancipations ,  des  servi- 
»tudes,  des  testaments  rompus  ou  confirniés ,  et  une  mul- 
»titude  d'autres  points  *^  »  Aux  cbapitres  38  et  39,  il  in- 
dique aussi,  comme  plaidées  devant  les  Centumvirs ,  la 
cause  d'un  soldat  qui  avait  passé  pour  mort  et  qui  récla- 
mait la  succession  paternelle  contre  le  testament  inspiré 
par  cette  fausse  nouvelle;  celle  d'un  citoyen  qui  deman- 
dait, jure  applicationis ,  la  succession  d'un  étranger  exilé 
qui  l'avait  cboisià  Rome  pour  patron.  Il  indique  aussi  une 
cause  où  le  jurisconsulte  Scévola  et  l'orateur  Crassus, 
discutant  sur  une  condition  attachée  à  une  institution 
d'héritier,  fm^ent  obligés  d'invoquer  des  autorités,  des 
exemples,  des  formules  de  testaments,  et  de  se  plonger, 
dit-il,  dans  le  sein  du  droit  civil  (m  mediojure  civili  versa- 


11  De  Orat.,  i.  cap.  38  :  Jactare  se  in  causis  centumviralibus  in 
quibus  usucapionum  ,  tutelarum  ,  geutilitatum  ,  agnationum  ,  allu- 
vionum,  circumluvionum  ,  ncxorum,  niaDcipiorum  ,  parietum,  lumi- 
num  ,  stillicidiorum  ,  testamentorum  ruptorum  aut  ratorum  ,  caetera- 
rumque  rerum  innumerabilium  versentur. 

On  trouve  dans  Graevius,  Antiq.  rom.,  t.  ii,  une  dissertation  sur 
les  centumvirs ,  pnr  Siccama  (  Cenlumvirale  judicium). 


CHAP,  V.  DROIT  PRÉTORIEN.  SECT.  V.  323 

ri.)  —  Il  ajoute  immédiatement,  au  chapitre  40  :«  J'omets 
«d'innombrables  exemples  de  causes  très-graves  :  sou- 
»  vent  il  peut  arriver  que  notre  état,  dans  la  cité  ou  la 
«famille,  soit  mis  en  question  et  dépende  d'un  point  de 
»  droit  *^;  »  il  rappelle  des  causes  où  les  questions  tou- 
chaient directement  à  l'état  de  liberté,  de  cité,  de  ma- 
riage, de  divorce,  de  filiation  légitime.  —  Au  chapi- 
tre 56  ,  l'orateur  Antoine ,  qui  va  entreprendre  de  réfuter 
Crassus ,  reconnaît  que  les  causes  indiquées  sont  de  la 
compétence  des  Centumvirs,  maximas  centumvirales 
CAUSAS  IN  JURE  posiTAS  pROTULisTi ,  et  il  ïûe  Seulement 
que  l'orateur  ait  besoin  d'être  jurisconsulte. 

Que  l'on  interroge  attentivement  ces  textes  précieux, 
que  l'on  se  rende  compte  des  éléments  renfermés  dans 
ces  diverses  indications,  et  Ton  y  trouvera  les  grands 
intérêts  de  la  cité,  les  grandes  questions  de  droit,  tout 
ce  qui  constituait  les  bases  du  droit  civil,  précédemment 
établies  par  nous  sous  la  division  de  la  Cité ,  de  la  Fa- 
mille, de  la  Propriété  romaine. 

En  coordonnant  et  résumant  les  faits,  les  exemples, 
les  points  de  droit  indiqués  par  Cicéron ,  et  en  les  rap- 
prochant des  textes  de  Gains  et  des  Pandectes,  nous  trou- 
vons que  la  compétence  des  Centumvirs,  déterminée  par 
l'usage  ou  le  droit  non-écrit,  embrassait  les  questions 
relatives  : 

12  «  Capilis  nostri  ssepe  potesl  accîdere  ut  causœ  versentur  in 
jure.  »  —  Le  caput,  en  droit  civil ,  se  rapporte  à  la  cité  et  à  la  famille. 
—  Dans  une  collection  moderne  ,  ce  passage  est  traduit  :  «  Souvent 
une  affaire  capitale  peut  dépendre  d'un  point  de  droit.  »  Nouvelle 
preuve  que  îa  langue  du  droit  est  nécessaire  aux  littérateurs  qui  tra- 
duisent l'antiquité. 


324  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

.1**  A  Tétat  des  personnes,  c'est-à-dire  aux  qualités 
d'homme  libre  ou  d'ingénu,  d'étranger,  de  citoyen*^; 
questions  d'état  qui  sont  toujours  préjudicielles  et  doi- 
vent être  décidées  avant  le  litige  à  l'occasion  duquel  elles 
se  présentent; 

2**  Aux  droits  de  famille,  c'est-à-dire  aux  droits  de 
gentilité,  d'agnation,  de  tutelle,  de  filiation  ,  de  mariage, 
de  divorce  ; 

3"  A  la  pétition  d'hérédité ,  soit  testamentaire ,  soit  lé- 
gitime; àlaquahté  d'héritier,  qui  ne  pouvait  même  in- 
cidemment être  fixée  par  les  autres  juges  ;  à  la  plainte 
d'inofficiosité  qui  attaquait  la  sentence  testamentaire  du 
chef  de  famille  ou  l'exhérédation  des  héritiers-siens**; 

4°  A  la  propriété  romaine  ou  quiritaire  et  aux  acces- 
soires, comme  les  servitudes  réelles. 


13  Dans  le  plaidoyer  pour  Cœcina,  Cicéron  attribue  positivement 
aux  centumvirs  les  questions  de  Libertale. 

Sigonius ,  sur  Suétone ,  en  avait  fait  la  remarque.  (  Suet. ,  cum  No- 
lis  Variorum,  lib.  ii.  c.  37.  ) 

14  II  ne  pouvait,  en  aucun  cas,  être  prononcé  par  d'autres  juges 
sur  la  qualité  d'hèriiier,  quand  elle  était  contestée  ,  avant  que  les  cen- 
tumvirs ne  l'eussent  reconnue  par  jugement.  De  là  était  née  l'excep- 
tion quod  prœjudicium  hœredilati  non  fiât ,  qu'on  opposait ,  comme 
exception  préjudicielle ,  au  demandeur  ou  au  défendeur  en  pétition 
d'hérédité. 

An  exceptione  non  repellatur,  quod  pb^ejudicium  h^ebedi- 

TÀTI  NON  FIAT  INTEK  ACTOREM  ET  EUM   QUI   VENUM    DEDIT.  (  D.  ,  V. 

3.  25.  §  17.  (  Ulp.)  —  Eorum  judiciorum  quae  de  hœredilatis  petitione 
sunt  ea  auctoritas  est,  ut  nihil  in  prœjudicium  ejus  judicii  fieri  de- 
beat.  (Z).,v.  3.  5.  §2.(Z7ip.) 

Merlin  a  fait  une  savante  dissertation  sur  l'exception  prœjudicium 
hœreditati  non  fiât.  {Questions  de  droit,  v»  héritier,  §  3.  ) 


CHAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEN.  SECT.  V.  325 

Que  reste-t-il  donc  en  dehors  de  la  compétence  civile 
des  Centumvirs? 

Il  reste  les  possessions  de  biens  ou  successions  préto- 
riennes; — les  actions  fictives,  qui  ne  se  rapprochent  des 
actions  civiles  que  par  des  assimilations  faites  par  le  pré- 
teur, comme  l'action  pubhcienne*^;  —  les  obligations 
qui  naissent  des  contrats  ou  comme  des  contrats;  —  les 
obligations  qui  naissent  des  délits  ou  autres  faits  dom- 
mageables *^  ;  —  les  questions  qui  concernent  les  per- 

15  Gaius,  IV.  §  36  :  Fiugitur  rem  usucepisse  et  ita  ^asi  ex  jure 
Quirilium  do  rai  nus  factus  esset  intendit. 

16  Sur  la  compétence  relative  aux  obligations ,  nous  recueillons  ici 
les  opinions  diverses  des  principaux  auteurs  modernes  : 

1»  G.  Hugo  (  Hist.  du  Droit  rom. ,  i.  §  264  ),  dit  :  «  Ce  qui  est  re- 
marquable dans  ce  passage  de  Cicéron  (ch.  38),  c'est  qu'à  l'exception 
tout  au  plus  du  mot  nexorum ,  il  n'est  fait  aucune  mention  des  con- 
trats dans  cette  longue  énumération.  » 

2°  NiEBUBH  est  plus  positif  (Hù(.  rom.,  vi.  p.  320)  :  «  Le  tribunal 
des  centumvirs ,  dit-il ,  ne  jugeait  pas  plus  les  conventions  que  les  pro- 
cès criminels.  » 

30  Heffter,  qui  a  publié ,  en  1827,  son  Commentaire  de  Actionibus , 
ne  fait  pas  difficulté ,  au  contraire ,  de  comprendre  les  obligations  en 
général  dans  la  compétence  des  centumvirs  :  Nulla  ratio  est  cur  jura 
obligalionum  a  cenlumviris  aliéna  fuisse  statuatnus.  (  Observ.  liber. , 
ch.  IX.  p.  33.) 

40  ZiMMERN ,  qui  a  publié ,  en  1829 ,  son  ouvrage  approfondi  sur  les 
actions ,  pense  que  les  actions  in  personam  étaient  en  dehors  des  cau- 
ses centumvirales  ;  ce  qui  met  en  dehors  de  la  compétence  centumvi- 
rale  toutes  les  obligations.  Mulhembruch  approuve  cette  opinion  avec 
quelque  timidité  :  Qui  non  sine  veri  specie  conjicit.  (Heinecc.,  Antiq  , 
p.  645. ) 

5°  Walteb  {Hist.  de  la  Procéd.  civ.  chez  les  Romains),  ne  discute 
pas  la  question  spéciale  ,  mais  il  dit  que  l'objet  principal  de  la  compé- 
tence des  centumvirs  concernait  la  propriété  quiritaire  et  les  succes- 
sions. (Ch.  1.  p.  10,  Irad.  de  M.  Ed.  Laboulaye ,  1841.  ) 

60  Enfin,  M.  Bonjean  ,  dans  son  savant  Traité  sur  les  actions,  fait 


326  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

sonnes,  les  biens,  les  conventions  des  étrangers,  dont  ïa 
qualité  n'est  pas  contestée;  — les  questions  possessoires , 
et  les  actions  in  factum  d'un  nombre  indéfini. 

Ce  point  reconnu,  nous  tenons  la  clef  de  l'organisation 
judiciaire  et  de  la  compétence,  d'après  les  institutions 
romaines. 

La  République  était  fondée  sur  la  souveraineté  du  peu- 
ple romain.  En  matière  criminelle,  le  peuple  en  corps, 
par  l'appel  j)orté  devant  les  Comices ,  statuait  sur  la  vie 
du  citoyen,  sur  le  droit  de  liberté  et  de  cité  :  «  Populus 
»  romanus  de  jure  libertatis  et  civitatis  suum  esse 
»  judicium  putat,  et  recte  putat,  »  disait  Cicéron^'.  — - 
En  matière  civile,  il  fallait  une  institution  conforme  à  ce 
principe  de  souveraineté,  pour  statuer  définitivement  sur 
la  condition  et  sur  la  propriété  des  citoyens.  Cette  institu- 

observer  qu'il  serait  singulier  que  Cicéron ,  qui  énumère  avec  tant  de 
complaisance  les  diverses  espèces  de  questions  de  propriété  ,  ne  con- 
sacrât qu'un  seul  mot  à  une  matière  aussi  considérable  que  l'est  celle 
des  obligations,  et  qu'il  eut  placé  ce  mot  au  milieu  de  l'énumération 
relative  à  la  propriété ,  entre  circumluvionum  et  mancipiorum.  (  i. 
p.  201.  )  Il  pense  donc  qu'il  n'a  pas  indiqué  les  obligations ,  mais  que 
le  mot  nexorum  pourrait ,  tout  au  plus ,  se  rapporter  aux  débiteurs 
donnés  en  gage  ;  ce  qui  n'est  pas  admissible ,  car  long-temps  avant  Ci- 
céron ,  la  loi  Papiria  de  neccu  avait  aboli  la  servitude  du  débiteur,  et 
celui  qui,  depuis ,  se  donnait  en  gage  temporaire  n'était  pas  esclave. 
—  Il  faut  donc  entendre  ici  le  mot  nexorum  dans  le  même  sens  que 
celui  employé  par  Cicéron ,  en  son  discours  sur  les  aruspices,  oià  Jus 
nexi  est  formellement  appliqué  aux  maisons  possédées  à  Rome  Jure 
nexi.  {Supra,  p.  141.  ) 

17  Cic,  in  Verr.,  m.  —  De  Legibus,  m.  3.  —  De  Repub.,  ii.  36  . 
«  Ke  de  capite  civis  ,  nisi  in  comitiis  centuriatis  statueretur.  » 

Cicéron  dit  même  que  les  Lois  des  XII  Tables  permettaient  d'appe- 
ler de  tout  jugement  pénal  :  «  Ab  omnijudicio  pœnaqiie  provocari  licere 
indicanl.  » 


CHAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEN.  SECT.  V.  327 

tion,  c'était  le  tribunal  des  Centiimyirs  :  directement  élus 
par  les  Tribus ,  les  Centumvirs  représentaient  la  souve- 
raineté même  du  peuple  romain.  —  Dans  les  affaires  civi- 
les, le  peuple  assemblé  ne  pouvait  décider  par  lui-même  ; 
il  avait  été  contraint  par  la  nature,  la  difficulté,  le  grand 
nombre  des  questions  à  juger,  de  déléguer  sa  souverai- 
neté. Les  Centumvirs ,  délégués  par  le  peuple ,  étaient 
donc  les  juges  naturels  de  la  qualité  des  citoyens,  de  leurs 
droits  de  famille ,  du  domaine  quiritaire  et  de  l'hérédité  ; 
en  un  mot,  de  ce  qui  tenait  le  plus  étroitement  à  la  con- 
stitution de  la  cité.  La  Lance  romaine,  placée  devant  le 
tribunal  des  Centumvirs,  était  le  signe  permanent  du  do- 
maine Quiritaire  et  de  la  souveraineté**. 

Toutes  les  actions  in  rem,  mobilières  ou  immobilières, 
appliquées  soit  à  la  propriété  romaine,  entre  citoyens, 
soit  à  des  droits  de  servitude  sur  la  chose ,  soit  à  la  ré- 
clamation des  droits  d'hérédité ,  soit  même  à  la  question 
d'état  la  plus  importante,  celle  de  l'état  d'homme  libre, 
étaient  originairement  qualifiées  de  vindicationes  ,  et 
c'était  de  la  Lance  souveraine,  hasta,  festuca,  vindicta 
que  venait  la  dénomination  deYindicatio  *^.  Dans  le  prin- 
cipe, où  l'on  ne  pouvait  agir  au  nom  d'autrui  que  pour 
le  peuple  et  pour  cause  de  liberté  ^'^ ,  celui  qui  agissait 

18  Hasta  signum  jusli  dominii....  unde  in  centumviralibus  judiciis 
hasta  prœponitur.  {Gaius  ,  iv.  §  16.)  —  Dans  les  ventes  faites  au  nom 
du  peuple  romain  {Seclio  bonorum),  on  vendait  sub  hasta. 

19  Qui  vindicabat  feslucam  tenebat et  dieebat Ecce  tibi  vin- 

dictani  imposui.  —  Festuca autem  ulebantur  quasi  hastae  loco 

signo  quodam  justi  dominii.  (  Gaius ,  iv.  §  16.  )  —  Appellantur  autem 
in  rem  quidem  actiones  ,  vIïsdicatiojvES  (§  5.  ) 

20 Gaius,  IV.  §  82  :  Olim,  quanidiu  solœ  Legis  actiones  in  usu  fuissent, 
aàterius  noniine  agere  non  liceret,  nisi  pro  populo  et  liberlalis  causa. 


328  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

au  nom  d'un  autre  comme  défenseur  de  la  liberté ,  adser- 
tor  liberlatis,  vendiquait  en  liberté  l'homme  injustement 
retenu  en  esclavage  ^^  Ces  vendications,  que  leur  nature 
et  leur  dénomination  primitive  rattachaient  à  la  compé- 
tence des  Centumvirs,  furent  ensuite  comprises,  comme 
actions  réelles,  sous  le  nom  dePETiTiONES  :  de  là,  dans 
le  langage  du  droit,  l'action  pétitoire,  la  pétition  d'hé- 
rédité. Le  mot  ACTïo  restait  plus  spécialement  propre  aux 
obligations  personnelles^^.  —  Mais  le  changement  de 
dénomination  dans  les  actions  réelles,  qui  tenaient  au 
juste  domaine  et  à  l'hérédité ,  ne  changea  point  la  com- 
pétence du  tribunal  des  Centumvirs;  et  long- temps 
après  la  révolution  judiciaire  de  Dioclétien,  l'empereur 
Justinien  rendait  à  l'antique  Tribunal  du  peuple  romain 
et  à  sa  compétence  ce  témoignage  solennel  :  «  La  gran- 
»  deur  et  l'autorité  du  jugement  Centumviral  ne  per- 
»  mettaient  pas  que  la  pétition  d'hérédité  fût  entraînée 
»  dans  d'autres  voies  de  juridiction,  magnitudo  et  auc- 

»  TOPJTAS  CENTUMVIRALIS  JUDICII  NON  PATIEBANTUR  PER 
»  ALIOS     TRAMITES    VIAM     HEREDITATIS     PETITIONIS    IN- 

23     „ 


»  FRINGI. 


L'organisation  et  la  compétence  du  tribunal  des  Cen- 
tumvirs se  liaient  donc  étroitement  l'une  à  l'autre  et  avec 
la  nature  des  actions.  La  compétence  a  pu ,  avec  le  temps 

21  D.,  de  causa  liberali,  xl.  1.  2.  {Ulp.):  Amplius  puto  naturali- 
bus  quoque  hoc  idem  prsestandum ,  ut  parens  filiuin  in  servitute  quae- 
situm  et  inauumissum  possit  in  libektatem  vindicabe. 

22  Petitio  in  bem  infertur,  ut  actio  in  pebsonam  (  D.,  de  Ohlig. 
(7.'<r^,xLiv.7.28.)  petitionis-  verbo  in  rem  actiones.(De  V.S  L.  178.) 

23  Cod.  .lust.,  ni.  31.  12.  Prœm.  [An.  530.] 


CHAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEN.  SECT.  V.       329 

et  les  changements  de  législation  ou  de  procédure,  subir 
quelques  modifications  dans  son  application ,  dans  son 
étendue;  mais  sous  la  République,  et  pendant  les  pre- 
miers siècles  de  l'Empire ,  du  temps  de  Cicéron  et  de 
Gaius,  les  rapports  de  l'institution  du  tribunal  des  Ceri- 
tumvirs  se  trouvent  déterminés  par  des  textes  irrécu- 
sables :  i**  avec  les  questions  d'état  et  de  famille,  tou- 
jours préjudicielles;  2**  avec  les  actions  réelles,  soit  pour 
le  domaine  Quiritaire ,  soit  pour  les  servitudes  ;  3"  avec 
les  pétitions  d'hérédité  et  les  questions  de  testament  in- 
officieux. 

Passons  aux  autres  branches  de  l'institution  judi- 
ciaire. 

II.  —  lîï.  —  Le  JUDEX  ;  I'arbiter. 

Le  juge  était  unique  pour  chaque  cause  ;  on  l'appelait 
juge  privé  (jiidex  privatus).  Il  était  choisi  par  les  parties, 
et ,  à  défaut  d'accord  entre  elles ,  donné  par  le  magis- 
trat^*. —  Il  en  était  de  même  pour  la  nomination  de  l'ar- 
bitre ;  mais  celui-ci  n'était  pas  toujours  unique  ;  les  ar- 


24  Cic. ,  pro  Cluentio ,  c.  8.  9.  43  ;  —  pro  Flacco ,  c.  21;  —  in  Ver- 
rem.,  ii.  12.  C'est  ce  qu'on  appelait  sumeré  judiccm.  —  Le  Digeste 
contient  à  ce  sujet  le  témoignage  de  Servius  Sulpicius  :  «  Si  in  judicis 
nomine ,  prœnomine  erratum  est ,  Servius  respondit  :  Si  ex  conven- 
tione  litigalorum  is  judex  addiclus  esset ,  eum  esse  judicem  de  quo 
iitigatores  sensissent.  «  (  Z).,  v.  1.  80.  {Pomp.)  —  Un  fragment  de  la 
loi  Julia  Judiciorum ,  conservé  dans  un  texte  d'Ulpien ,  portait  : 
QuoMiNUs  iNTER  PRivATOS  CONVENIAT  ;  et  Ulpieu  ajoutc  :  SufOcit 
ergo  privatorum  consensus.  (D.,  v.  1.  2.  §  1.  )Mais  s'il  n'y  a  pas  ac- 
cord des  parties  ,  il  y  désignation  par  le  magistrat.  —  Voir  les  frag- 
ments de  la  loi  Julia ,  dont  Heffter  a  tenté  la  restitution,  quoiqu'il 
n'y  ait  d'authentiques  que  les  quatre  mots  indiqués. (De'.4c<.  06*.,  p.  28.) 


330  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

bitres  pouvaient  être  donnés  au  nombre  de  trois,  et  la 
Loi  des  XII  Tables  exigeait  ce  nombre  en  certains  cas  "^. 

Ces  juges  et  arbitres  étaient  pris  parmi  les  sénateurs 
et  patriciens,  et,  depuis  C.  Gracchus,  dans  l'ordre  des 
cbevaliers.  Le  Préteur  de  la  Ville  fut  ensuite  chargé  de 
dresser  une  liste  de  juges  qui  étaient  choisis  pour  l'an- 
née (Judices  seledi),  et  dont  le  nom  était  publié  par  I'al- 
BUM  du  Préteur.  Cette  liste  comprit  d'abord  trois  cents 
noms,  qui  furent  portés  à  huit  cent  cinquante  du  temps 
de  Cicéron ,  à  quatre  mille  sous  Auguste ,  et  qui  furent 
divisés  successivement  en  trois ,  quatre  et  cinq  Décu- 
ries ^^. 

Le  juge  et  l'arbitre  étaient  spécialement  chargés  de 
l'examen  du  fait  et  de  l'application  de  la  formule  (dont 
nous  parlerons  bientôt);  leurs  jugements  étaient  quali- 
fiés JUDiciA  PRiVATA.  Daus  l'cxamen  des  faits  pouvaient 
se  rencontrer  souvent  des  questions  de  droit.  «  Les  ju- 
»  gements  privés,  disait  Cicéron,  portent  sur  de  grands 
»  intérêts,  et  l'on  y  discute  souvent  non  sur  le  fait,  mais 
»  sur  l'équité ,  mais  sur  le  droit ^'.  »  Ces  jugements  sup- 

25Festus,  vo  vindicia  :  «  Si  vindiciani  îalsam  tulit arbitres 

très  dato  ,  eoruin  arbitrio  fructus  duplione  damnum  decidito.  Muller, 
p.  376,  rapporte  les  sens  divers  donnés  à  lal^oi  sur  la  Yindicia. 

26  Cic,  ad  Fam.,  viii.  8  ;  —  ad  Attic,  viii.  16. 
Plin,,  Hist.  nat.,  xxxiii.  7. 

Walter,  Procéd.  civ.,  ch.  1.  p.  4.  {Trad.  de  M.   Laboulaye.  ) 

27  Judicia  privata  magnarum  reruni  in  quibus  sœpe  non  de  facto, 
sed  de  sequitate  ac  jure  certatur.  {Cic,  de  Oral.,  i.  38.) 

Au  chap.  39 ,  il  cite  une  cause  plaidée  devant  le  judex  :  «  Quum 
ergo  C.  Sergii  contra  hune  nostrum  Antonium  judido  privalo  defen- 
derem  ,  nonne  omnis  nostra  injure  versata  defensio  est  ?  »  —  AValter 
a  donc  commis  une  erreur  quand  il  a  dit  que  les  questions  de  droit  ne 
se  discutaient  pas  devant  le  judex. 


CHAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEN.   SECT.  V.  334 

posaient  donc  la  connaissance  du  droit  :  de  !à  vint  l'usage 
des  jurisconsultes  assesseurs,  choisis  par  le  juge  et  sié- 
geant derrière  lui,  pour  le  conseiller  sur  les  questions 
juridiques  ^^. 

Mais  ces  jugements  pouvaient-ils  porter  sur  toute  es- 
pèce de  questions  ou  de  procès?  En  d'autres  termes  ,  les 
parties  qui  avaient  le  droit  de  convenir  de  leur  juge  , 
avaient-elles  ce  droit  absolu ,  sans  aucune  limite ,  sans 
aucune  règle  de  compétence  à  raison  de  la  matière?  — 
La  solution  affirmative  se  trouve  dans  l'ouvrage  de  Zim- 
mern.  Il  dit  :  «  C'était  devant  le  magistrat  {injure), 
y>  que  les  parties  convenaient  du  juge  qui  devait  décider 
»  le  litige,  et  Y  investissaient  delà  compétence  nécessaire  pour 
»  rendre  la  sentence ^^.  »  Il  résulterait  de  cette  théorie, 
que  les  parties  auraient  pu  porter  devant  le  juge  privé 
même  les  causes  d'hérédité,  de  plainte  en  testament 
inofficieux,  et  toutes  les  causes  centumvirales.  Mais  alors 
pourquoi  les  jurisconsultes  romains  auraient-ils  men- 
tionné les  causes  centumvirales  comme  distinctes  des  au- 
tres litigps?  —  Pourquoi  Cicéron  aurait-il  séparé  les  ju- 
gements des  centumvirs  des  jugements  privés?  —  Pour- 
quoi Gains  aurait-il  distingué  les  centumvirs  des  juges 
privés  ,  même  par  la  différence  des  formes  de  procéder? 
—  Pourquoi  Festus ,  qui  vivait  au  v®  siècle  de  l'ère  chré- 
tienne, mais  qui  était,  dans  son  livre,  l'abréviateur  de 

28  Le  préteur  lui-même  avait  quelquefois  des  assesseurs  ;  ainsi , 
dans  le  traité  de  Oral. ,  i.  37,  Crassus  dit  qu'il  a  été  l'assesseur  de 
Q.  Pompée ,  préteur  de  la  ville.  —  Plus  tard ,  les  préfets  du  Prétoire 
eurent  aussi  leurs  assesseurs. 

29  Théorie  de  la  procédure  privée  chez  les  Romains  (§1.  avant- 
propos  ,  p.  4 ,  traduction  de  M.  Etienne.  ) 


332  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

Verrius  Flaccus ,  contemporain  d'Auguste ,  pourquoi 
Festus  aurait-il  défini  les  actions  centumvirales  ,  celles 
que  jugeaient  les  centumvirs,  centumviralia  judicia 
ou^  CENTUMViRi  JUDiCABANT^^? —  Pourquoî  enfin  Justi- 
nien  lui-même  aurait-il  dit  que  la  grandeur  et  l'autorité 
du  tribunal  des  Centumvirs  n'auraient  pas  souffert  que  les- 
questions  d'hérédité  fussent  déférées  à  d'autres  juges? 
—  Il  y  avait  donc  évidemment  des  règles  de  Compétence 
qui  se  confondaient  avec  les  attributions  et  avec  l'exi- 
stence même  des  différentes  parties  de  l'Organisation  ju- 
diciaire :  ces  règles  étaient  de  droit  public ,  et  il  était  de 
principe  immuable,  sous  le  droit  des  XII  Tables  comme 
sous  le  droit  postérieur ,  qu'il  n'est  pas  permis  aux  par- 
ticuliers de  déroger,  par  leurs  conventions,  aux  règles 
du  droit  public.  Ce  n'était  donc  que  dans  la  mesure  de 
ces  attributions  préexistantes  et  reconnues ,  que  les  ci- 
toyens pouvaient  choisir  leur  juge;  et  le  Préteur,  sous 
sa  responsabilité,  ne  nommait  le  juge  privé  ou  l'arbitre 
que  dans  le  cercle  de  sa  compétence. 

En  dehors  de  la  compétence  des  Centumvirs ,  comme 
nous  l'avons  remarqué  plus  haut,  se  trouvaient  notam- 
ment les  successions  et  les  actions  réelles  prétoriennes  dis- 
tinctes de  la  propriété  quiritaire  ;  les  obligations  ou  les 
actions  personnelles ,  et  par  conséquent  la  vaste  matière 
des  contrats  et  des  engagements  sans  contrats.  —  Nous 
laisserons  à  l'écart  en  ce  moment  les  autres  objets;  nous 
les  retrouverons  plus  tard.  —  Ce  sont  tous  les  procès 


SO  Festus  a  donné  deux  articles  sur  hscenlumvir alla  judicia.  Notre 
citation  est  empruntée  au  second  article.  (  Muller.  p.  64.  ) 


CHAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEN.  SECT.  V.  333 

relatifs  aux  matières  que  nous  venons  de  rappeler ,  qui 
tombaient,  par  le  renvoi  du  Préteur,  sous  l'appréciation 
du  juge  et  des  arbitres,  et  qui  formaient  la  matière  même 
de  leur  Compétence. 

Les  sentences  du  juge  et  des  arbitres ,  et  les  actions 
soumises  à  leur  jugement ,  étaient  renfermées,  comme 
nous  l'avons  dit,  sous  la  qualification  générale  de  judi- 
ciA  PRiVATA;  on  distinguait  cependant  le  judiciitm  etl'ar- 
bitrium.  C'est  qu'en  effet  le  juge  et  l'arbitre  avaient  bien 
une  compétence  commune,  qui  s'alimentait  à  la  source 
que  nous  avons  indiquée,  savoir  :  les  actions  réelles, 
de  création  prétorienne,  et  les  actions  personnelles  de 
création  civile  ou  prétorienne,  comprises  sous  la  dé- 
nomination générale  de  condictiones^^  ;  mais  le  juge  et 
l'arbitre  avaient  dans  cette  source  commune  leur  compé- 
tence distincte,  qui  en  formait  comme  deux  dérivations. 

Toute  dette  d'une  chose  certaine,  condictio  certi,  était 
de  la  compétence  du  juge.  —  Toute  obligation  de  faire 
ou  de  donner  en  espèce  (condictio  incerli),  ou  de  fournir 
une  prestation  de  valeur  incertaine,  comme  la  soulte 
dans  les  actions  de  partage ,  qui  avaient  sous  ce  rapport 
un  caractère  mixte,  était  de  la  compétence  de  l'arbitre ^^. 

31  Gaius,  IV.  §§  2.  5,  Condictiones  :  Quum  intendimus  dare,  fa- 
cere,  praestare,  oportere. 

32  Cic. ,  pro  Cœcina ,  vu  :  Nomine  heredis  arbitrum  familise  ercis- 
cundae  postulavit. 

I).  XX.  5.  11  :  Arbiter  dividendae  hereditatis  cuni  corpora  heredi- 
taria  divisisset ,  nomina  quoque  communium  debitorum  separatim 
singulis  in  solidum  assignavit.  {Scœvol.)  —  x.  2.  30  :  Quaero  an  recte 
arbitrum  communi  dividundo  ad  hune  fundum  partiendum  petani  ;  an 
etiam  is  arbiler  qui  familiae  erciscundae  datur.  (Modesl.)  —  Insl. 
Just.,l\.  6.  20."^ 


334       '  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

De  là ,  comme  le  disait  Cicéron  dans  une  discussion 
spéciale,  «  autre  chose  est  le  jugement,  autre  chose  est 
»  l'arbitrage  :  le  jugement  se  donne  pour  une  chose  cer- 
»  taine;  l'arbitrage  pour  une  chose  incertaine  ^^.  »  Dans 
lejudicium,  la  sentence  était  rigoureuse  :  il  fallait  accorder 
tout  ou  rien;  dans  Xarbitrium  ,  il  y  avait  plus  de  latitude, 
et  la  formule  appelait  la  sentence  la  plus  équitable^*. 

La  division  des  actions  de  droit  strict  et  de  bonne 
FOI  vint  se  rattacher,  tout  naturellement,  à  la  distinction 
du  juge  et  de  l'arbitre.  Les  actions  de  droit  strict  étaient 
portées  devant  le  juge  :  telles,  les  actions  qui  naissaient 
de  l'obligation  verbale  ou  de  la  stipulation,  du  serment 
promissoire,  de  la  dictio  dotis ,  et  celles  qui  naissaient  de 
l'obligation  littérale,  du  mutuum  ,  du  prêt  à  intérêt  ^^.  — 
Les  actions  de  bonne  foi  étaient  portées  devant  les  ar- 
bitres :  telles,  les  actions  provenant  des  contrats  nommés 
et  consensuels ,  la  vente ,  le  louage ,  le  mandat ,  la  so- 

33  Aliud  est  judicium  ,  aliud  est  arbitrium  :  Judicium  est  pecunise 
certae,  arbitrium  est  incertœ.  (  Cic,  pro  Roscio  Comœd.,  iv.  ) 

34  Quantum  ^quius  et  melius  id  dake.  {Feslus ,  \o  arbiter.  Cic, 
Topica  XVII.  De  Off.,  m.  15.  17.  Walter,  Procéd.  civ.  des  Romains , 
p.  32.) 

35  Gains,  IV.  §62,  et  Inst.  Just.,  iv.  6.  §  28,  indiquent  les  actions 
5ir^ct^■  jMîù  indirectement,  par  leur  absence  dans  l'énumération  des 
actions  de  bonne  foi.  — Les  deux  éuumérations  sont  concordantes, 
sauf  que  les  Institutes  mentionnent  de  plus,  comme  actions  de  bonne 
foi ,  les  actions  familiœ  erciscundœ  ,  communi  dividundo  ,  et  l'action 
prœscriptis  verbis  en  deux  cas  :  quand  elle  est  donnée  à  l'occasion  des 
contrats  de  œsiimalo  et  de  permulaiione.  Pour  le  système  formulaire, 
il  est  plus  sûr  de  suivre  la  nomenclature  plus  restreinte  de  Gains ,  à 
l'égard  des  actions  de  bonne  foi  :  Ex  empto,  vendito ,  localo,  conduclo , 
negolhrum  geslorum ,  mandali,  deposili,  fiduciœ  ,  pro  socio ,  tutelœ, 
comviodali. 


CHAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEN.  SECT.  V.  335 

ciété  ^®  ;  ou  des  contrats  réels  de  bonne  foi ,  le  dépôt ,  le 
gage,  le  commodat;  l'action  rei  uxoriœ,  relative  aux  re- 
prises de  la  femme ,  et  mentionnée  par  Cicéron ,  par 
Ulpien ,  comme  action  de  bonne  foi.  —  Les  actions  en 
garantie  ou  indemnité ,  pour  cause  de  réticence  dans  les 
ventes ,  bien  que  les  immeubles  vendus  fissent  partie  du 
territoire  romain,  étaient  portées,  non  devant  les  Cen- 
tumvirs,  mais  en  jugement  privé  et  devant  l'arbitre, 
parce  qu'elles  se  rattachaient  aux  obligations.  Cicéron 
nous  en  fournit  deux  exemples  remarquables  :  le  pre- 
mier est  l'exemple  du  vendeur  d'une  maison ,  qui  n'avait 
pas  déclaré  l'existence  d'une  servitude.  On  soutint  con- 
tre lui,  in  judicio  privato,  l'obligation  des  dommages 
et  intérêts.  —  Dans  le  second  exemple,  Calpurnius, 
contraint  par  l'ordre  des  Augures  de  démolir  sa  mai- 
son ,  ayant  appris  que  son  vendeur  avait  reçu  déjà  et 
caché  l'ordre  de  démolition  avant  la  mise  en  vente ,  ac- 
tionna le  vendeur  devant  l'arbitre ,  pour  qu'il  fût  tenu  de 
donner  ou  faire  tout  ce  qu'exigeait  la  bonne  foi^*^. 

Les  actions  naissant  des  obhgations  qua-n  ex  contractu, 
notamment  dans  les  cas  de  gestion  d'affaires,  de  tutelle 
ou  curatelle ,  d'adition  d'hérédité  à  l'égard  des  légataires 
et  des  créanciers,  de  réception  de  la  chose  non  due  qui 
donnait  lieu  à  la  conditio  indebiti,  toutes  les  actions  de  ce 


36  Pro  socio  arbiter  prospicere  débet  cautionibus  in  future  damno, 
vel  lucro  pendente  ex  eo  societate.  (D.,  xvii.  2.  38.  )  {Paul.  ) 

37  Cic,  1»  de  Orat.,  r.  39  :  Quidquid  fuisset  incommodi;  —  2°  De 
Off.,  m.  16  :  Arbitrum  illum  adegit  quidquid  sibi  dare ,  facere,  opor- 
teret  ex  bona  fide.  —  Ce  second  exemple  est  remarquable  ;  car  on  v  voit 
des  Augures  faire  démolir  une  maison,  sans  qu'on  rencontre  l'indem- 
nité préalable  ou  postérieure  pour  V expropriation  d'intérêt  public. 


336  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

genre  étaient  portées  devant  le  juge  ou  l'arbitre,  selon 
que  leur  objet  était  certain  ou  incertain  ;  et  peut-être 
même  celles  qui  tenaient  à  l'administration  de  la  tu- 
telle et  à  la  gestion  d'affaires  tombaient-elles  exclusive- 
ment sous  la  compétence  de  l'arbitre,  à  raison  du  carac- 
tère d'actions  de  bonne  foi  qui  leur  était  spécialement 
imprimé^*. 

D'autres  actions,  celles  appelées  arbitrariœ,  exprimaient, 
par  leur  qualification  même,  qu'elles  dépendaient  de  l'ar- 
bitrage du  juge;  et  ce  juge,  ordinairement,  c'était  farbi- 
tre,  qui  laissait  à  une  partie  la  faculté  de  donner  ou  de 
faire  certaine  chose  pour  satisfaire  à  la  demande ,  et  ne  la 
condamnait  qu'à  défaut  d'exécution  :  c'est  ce  qui  avait  lieu 
dans  les  restitutions  prétoriennes,  pour  cause  de  crainte 
ou  de  doP^,  et  dans  les  actions  prétoriennes  qui  avaient 
un  caractère  de  réalité ,  comme  les  actions  publicienne , 
servienne,  hypothécaire,  et  l'action  pauUenne  dirigée 
contre  l  es  actes  faits  en  fraude  des  droits  d'un  créan- 

38  L'action  de  tutelle  est  encore  qualifiée  arbilrium  lulelœ,  dans  un 
titre  du  Code  de  Justinien ,  v.  51. 

39  D.,  IV.  1.  Quod  metus  causa  ,  xiv.  §  4.  {Ulp.)  :  Hsec  autem  actio 
cum  ASBiTBARiA  siT,  liahct  reus  licentiam  usque  ad  sententiam  ab 
ARBiTEO  datam  ,  restitutionem  ,  secundum  quod  supra  diximus  ,  rei 
facere  ;  quod  si  non  fecerit ,  jure  meritoque  quadrupli.  condemnatio- 
nem  patietur.  —  D.,  iv.  3,  de  Dolo  malo ,  xyiii.  {Paul)  :  Arbitrio 
judicis  in  hac  quoque  actione  restitutio  coinprehenditur,  et  nisi  fiât 
restituiio,  sequitur  condemnatio  quanti  ea  res  est.  Ideo  autem  et  hic 
et  în  metus  causa  actione  certa  quantitas  non  adjicitur  ;  ut  possit  per 
coutumaciam  suam  tanti  reus  coudemnari  quanti  actor  in  litem  jura- 
verit  :  sed  officio  judicis  débet  in  utraque  actione,  taxatione  jusju- 
randum  refrenari. 

On  voit ,  dans  ces  deux  lois ,  qu'Ulpien  appelle  nrbiirc  celui  que 
Paul  qualifie  de  juge. 


CHAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEN.   SECT.  V.  337 

cier^®.  —  Mais  les  actions  arbitraires  pouvaient  se  réu- 
nii'  à  des  actions  de  droit  strict,  en  ce  sens  que  l'arbitrage 
ou  la  faculté  laissée  à  la  partie  pouvait  précéder  une  con- 
damnation de  droit  strict,  et  en  ce  cas  le  juge  devenait 
arbitre  sans  cesser  d'être  juge.  Aussi  dans  le  discours 
pour  Muréna,  où  Cicéron  entraîné  par  un  intérêt  poli- 
tique poursuivait  les  Prudents  de  sa  mordante  ironie , 
l'orateur  disait:  «  Une  chose  qui  me  surprend  toujours, 
»  c'est  que  tant  d'hommes  si  ingénieux  ;i'aient  pas  pu , 
»  depuis  tant  d'années ,  et  ne  puissent  pas  même  encore 
»  aujourd'hui,  décider  si  l'on  doit  dire  un  juge  ou  un 
«ARBITRE**.»  —  Il  est  certain  que  les  limites  sur  la 
compétence  respective  du  juge  et  de  l'arbitre  restaient 
quelquefois  indécises  en  théorie  ;  mais  cela  n'avait  aucun 
inconvénient  dans  la  pratique ,  soit  à  raison  de  la  délé- 
gation faite  par  le  Préteur,  qui  levait  toutes  les  difficul- 
tés ,  soit  à  raison  de  l'intime  analogie  qui  existait  dans 
le  caractère  du  juge  et  de  l'arbitre,  les  formes  de  pro- 
céder et  l'effet  des  jugements,  qui  constituaient  égale- 
ment des  Judicia  privata. 

Les  actions  ou  les  instances  devant  un  seul  juge  ou 
devant  un  arbitre ,  lorsqu'elles  étaient  suivies  entre  Ci- 
toyens, dans  la  ville  de  Rome  ou  dans  le  rayon  d'un 

40  Inst.  Just.,  IV.  6.  31  :  In  bis  enim  actionibus  et  cseteris  simili- 
bus  perraittitur  judici  ex  aequo  et  bono  secundum  cujusque  rei  de  qua 
actum  est ,  naturam  sestimare  quemadmodum  actori  satisfieri  opor- 
teat.  (  Voir  Perezius  et  Donellus ,  ad  Inst.,  de  actionibus  arbitrariis.  ) 

41  Cic,  pro  Murena,  xii  :  «  Jain  illud  mihi  quidern  mirum  videri 
solet ,  tôt  homines ,  tara  ingeniosos ,  per  tôt  annos ,  etiam  nunc ,  sta- 
tuere  non  potuisse  utrum judicem  an  abbitbum dici  opop. 

tere  ?  » 

22 


338  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

mille  autour  de  Rome,  étaient  appelées  judicia  légitima: 
c'est-à-dire  qu'elles  prenaient  leur  force  dans  la  Loi , 
qu'elles  étaient  perpétuelles  ou  ne  tombaient  pas  en  pé- 
remption, faute  d'être  suivies  d'une  sentence,  dans  un 
certain  délai.  La  loi  Julia  Judiciaria  exigea  que  le  litige 
fût  terminé  dans  le  délai  de  dix-huit  mois,  autrement  il 
était  réputé  mort  légalement  ou  éteint  de  plein  droit '*'^. 

Il  nous  reste  à  faire  connaître  l'organisation  et  la  com- 
pétence des  RÉCUPÉRATEURS. 

IV.  —  Un  fragment  de  Gallus  iEIius,  jurisconsulte 
sous  la  République  et  contemporain  de  Cicéron,  nous 
apprend  que,  dans  l'origine,  il  y  avait  reciperatio, 
lorsque  après  une  guerre  une  Loi  prescrivait  comment 
se  feraient ,  par  Récupérateurs ,  entre  le  Peuple  romain 
et  les  Cités  étrangères ,  les  restitutions  et  réceptions  des 
choses  publiques  ;  et  comment  aussi  les  réclamations  re- 
latives aux  choses  privées  se  poursuivraient  entre  les  in- 
dividus des  deux  nations'*^.  Cette  coutume ,  née  du  droit 
de  la  guerre,  avait  pour  objet  la  réparation  des  faits  qui 
en  sont  la  suite ,  la  restitution  des  choses  prises  et  pos- 

42  Gaius ,  IV.  §  104  :  Légitima  sunt  judicia  quœ  in  urbe  Roma  vel 
întra  primum  urbis  Romœ  milliarium  inter  omnes  cives  romanos, 
sub  UNO  JUDiCE  accipiuntur  ;  eaque  lege  Julia  judicia ,  nisi  in  anno  et 
sex  mensibus  judicata  fuerint ,  expirant  :  et  hoc  est  quod  vulgo  dici- 
tur,  e  lege  Julia,  litem  anno  et  sex  mensibus  mori. 

43  Reciperatio  est,  ut  ait  Gallus  OElius,  cum  inter  populum  et  re- 
ges  nationesque  et  civitates  peregrinasLex  convenit  quomodo  per  re- 
ciperatores  reddantur  res  reciperenturque ,  resque  privatas  inter  se 
persequantur.  (  Fesli  Frag.  e  Cod.  Farn.  Muller,  p.  274.  ) 

Gallus  OElius  avait  fait  un  livre  sur  la  signification  des  mots  dans 
le  droit  civil. 
Tacite  disait  encore  Reciperatores.  {Annal.,  i.  74.  ) 


CHAP.  V.  DROIT   PRÉTORIEN.    SECT.    V.  339 

sédées  pendant  l'état  d'hostilité.  Elle  passa  du  droit  pu- 
blic, entre  Rome  et  les  nations,  dans  le  droit  privé  de  la 
Cité ,  en  conservant  l'empreinte  de  son  origine. 

Elle  fit  partie  des  institutions  judiciaires  de  Rome , 
pour  la  poursuite  et  le  jugement  des  choses  privées  en- 
tre Citoyens  et  Etrangers;  et  de  plus,  ello  s'appliqua, 
entre  citoyens  romains,  aux  faits  possessoires ,  aux  obli- 
gations naissant  des  délits,  à  la  réparation  du  dommage 
et  des  injures,  aux  faits  de  concussion,  et  aux  actions 
utiles  ou  prétoriennes,  in  factum,  qui  suppléaient  au  dé- 
faut des  autres ,  et  pouvaient  être  exercées  même  par  les 
fils  de  famille. 

Les  monuments  antiques  nous  ont  laissé  des  preuves 
de  cette  compétence  spéciale  des  Récupérateurs  : 

\  "  Pour  les  choses  privées  concernant  les  étrangers , 
ie  témoignage  est  dans  le  fragment  de  Gallus  iî^lius  con- 
servé par  Festus  ; 

2"  Pour  les  faits  de  possession,  l'autorité  principale 
est  dans  le  plaidoyer  en  faveur  de  Cécina,  prononcé  par 
Cicéron  devant  les  Récupérateurs,  et  confirmé  par  un  pas- 
sage de  Gains ,  qui  se  rapporte  à  la  prohibition  de  toute 
violence  contre  la  possession  *^  ; 

3"  Pour  la  réparation  du  dommage  naissant  d'un  délit, 
d'une  injure,  d'un  fait  (damnum  factum) j  la  compétence 

44  Gaius,  IV.  §  141  :  Ad  judicem  Recuperaloresve  itur,  et  tum  ibi 
edictis  formulis  quaeritur  an  aliquid  adversus  praetoris  edictum  factum 
sit,  vel  factum  non  sit  quod  is  Oeri  jusserit.  —  Gaius  dit  au  juge  ou  aux 
récupcraleurs  :  Ce  qui  se  rapporte  à  deux  espèces  d'interdit  dont  il  est 
question  (§§  140.  141  );  l'un  ordonne  qu'une  chose  soit  faite  et  impose 
ainsi  une  obligation  prétorienne  ;  l'autre  défend  ou  prohibe.  C'est  à  l'in- 
terdit prohibitoire  que  se  rapportent  les  mots  ad  recuperalores  itur. 


340  LIV.  ï.   —  ÉPOQUE   ROMAINE. 

est  prouvée  par  Gaius  et  par  le  plaidoyer  pro  Tullio,  dont 
quelques  fragments  ont  été  recueillis  de  nos  jours  ^^  ; 

4"  Pour  les  actions  in  factum ,  l'autorité  principale  est 
Gaius ,  au  lY^  livre  de  ses  Commentaires*®. 

Les  matières  de  la  compétence  civile  des  Récupérateurs 
se  rattachaient  ainsi  à  l'origine  de  leur  établissement. 
Dans  le  droit  public ,  le  but  que  l'on  se  proposait  était  de 
réparer  les  dommages  causés  par  le  fait  de  la  guerre;  dans 
le  droit  privé,  le  but  principal  était  de  terminer  les  dis- 
cussions entre  les  étrangers  et  les  Romains,  et  de  réparer 
les  dommages  causés  par  les  voies  de  fait  et  les  troubles 

45  Cic,  pro  Tullio,  il  :  «  Judicium  vestrum  est,  recuperatores , 
quantae  pecuniœ  paret....  damnum  factum  esse  Tullio.  »  (  Cic,  Frag.^ 
éd.  Leclerc,  t.  xxix.  p  4.  ) 

Pour  l'action  d'injure  qualifiée  par  la  loi  et  punie  de  la  peine  de 
XXV  as,  c'était  le  judex  qui  seul ,  sous  la  Loi  des  XII  Tables ,  avait 
compétence.  Il  y  avait  obligation,  certi,  ex  deliclo;  mais  après  l'abo- 
lition de  la  peine  des  XXV  as,  les  préteurs  attribuèrent  l'estimation  de 
l'injure  et  du  délit  aux  récupérateurs  :  Injurïisque  .estimandts  re- 

CCPERATOBES  SE  DATUROS  EDIXERUNT.  (  Guius ,  III    §§  223.  224.  225.) 

L'affranchi  qui  avait  commis  le  délit  d'injure  envers  son  patron ,  en 
le  citant  en  justice,  était  renvoyé  devant  les  récupérateurs.  Il  y  avait 
même  une  formule  rédigée  d'avance  à  ce  sujet;  ce  qui  confirme  bien 
notre  doctrine  qu'il  y  avait  des  règles  de  compétence  reconnues  et 
pratiquées.  (  Gaius,  iv.  §  46.  ) 

De  pecuniis  repetundis  ad  recuperatores  itur.  (  TU.  Liv.,  lib.  xliii. 
cap.  2.  Tacit.,  Annal.,  i.  74.) 

46  Le  principe  sur  les  actions  in  factum  est  ainsi  posé  :  In  omnibus 
casibus  in  quibus  neque  ad  exhibendum,  neque  in  rem  locum  habet, 
in  factum  actio  necesse  est.  (  D.,  vi.  1.  23.  §  5.  )  Les  exemples  sont 
nombreux  dans  Goius  et  dans  le  Digeste,  (xx.  1.  11.  §  1.  —  vi.  1.  52. 
—  IX.  4.  10.)  —  In  factum  actiones  etiam  filii-familiarum  possunt 
exercere.  (D.,  xliv.  7.  13.) 

Gaius,  IV.  §  46  :  Recuperatores  sunto.  ..  et  innumerabiles  ejus- 
modi  (in  factum)  aliae  formulœ  in  albo  proponuntur. 


CHAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEN.  SECT.  V.  341 

de  possession.  L'institution,  dans  le  droit  privé,  réflé- 
chissait donc  l'institution  primitive,  comme  les  luttes  d'iîi- 
térêt  privé  représentent  quelquefois  la  guerre  des  Cités. 
Les  résultats  de  ces  luttes,  de  ces  voies  de  fait,  étaient 
le  sujet  des  litiges  qu'il  fallait  terminer;  et  l'affecta- 
tion de  ces  litiges  à  la  compétence  des  Récupérateurs 
remplissait  le  vide  laissé  dans  la  compétence  des  autres 
juges. 

Les  matières  des  jugements  récupératoires  étaient  tou- 
jours urgentes.  Aussi  les  formalités  étaient  simples,  la 
nomination  prompte  et  presque  instantanée.  Le  Préteur 
donnait  les  récupérateurs;  le  choix  se  faisait  ou  parmi  les 
sénateurs  et  chevaliers ,  ou  parmi  les  juges  inscrits  sur 
l'Album ,  et  quelquefois  parmi  les  citoyens  présents.  Ils 
étaient  choisis  au  nombre  de  Trois  ou  de  Cinq ,  selon  les 
circonstances*^. 

Les  poursuites  devant  les  récupérateurs  n'étaient  pas 
dites  légitimes  ou  soutenues  par  la  Loi  ;  elles  étaient  sou- 
tenues seulement  par  le  pouvoir  du  magistrat  {imperio 
continebantur)  :  c'est-à-dire  qu'elles  devaient  s'accomplir, 
sous  peine  de  péremption,  pendant  l'année  assignée  au 
pouvoir  du  magistrat  qui  avait  donné  le  Judicium  *^. 

47  Tit.  Liv.,  xiiii.  2  :  L.  Canuleio  prsetori  qui  Hispaniam  sortitus 
erat ,  negotiurn  datum  est  ut  in  singulos  a  quibus  Hispani  pecuniam 
répétèrent,  quinos  recuperalores  exordine  senatorio  daret,  patronosque 
quos  vellent  sumendi  potestatem  faceret.  {Ad  an.  582.) 

.  Plinius  Junior.,  Epist.  m.  20  :  Nam  ut  in  recuperatoriis  judiciis  sic 
nos  in  bis  comitiis,  quasi  repente  apprehensi  sinceri  judices  fuinius. 

48  GaiuSjiv.  §§  103. 105  :  iegf/dma  ,quselegitimojure  consistunt... 
imperio  conlineri  judicia  dicuntur,  quia  tamdiu  valent  quamdiu  is  qui 
ea  preecepit  iraperium  babebit.  —  (  Les  poursuites  ou  les  instances 
devant  les  récupérateurs  étaient  qnaMMsJudicia  recuperaloria.)  {Plin.) 


342  LlV.  I.  —  ÉPOQtE  ROMAINE. 

La  création  des  Récupérateurs  fut  de  la  plus  haute  im* 
portance  dans  les  provinces.  Elle  se  rattachait  à  l'établis- 
sement du  coNVENTUs  ou  dcs  ASSISES,  quc  le  préteur  ou 
le  proconsul  tenait  tous  les  ans,  pour  rendre  la  justice,  k 
une  ou  plusieurs  époques  fixées  d'avance,  dans  les  princi- 
pales villes  de  la  province  confiée  à  son  gouvernement  ^^. 

Il  y  avait  des  décuries  déjuges  et  de  récupérateurs. 

Pour  ceux  des  provinciaux  qui  avaient  obtenu  de 
vivre  selon  leurs  lois,  les  récupérateurs  étaient  pris  ex- 
clusivement parmi  les  hommes  du  pays  ou  les  compa- 
triotes qui  avaient  répondu  à  la  convocation  du  magis- 
trat :  c'était  un  privilège  vivement  ambitionné  par  les 
habitants  des  provinces ,  et  maintenu  ordinairement  en 
faveur  des  Grecs  répandus  dans  les  provinces  d'Orient  ^^. 

Pour  les  citoyens  romains  fixés  dans  la  province ,  les 
récupérateurs  étaient  choisis  parmi  les  citoyens  du  Con- 
ventus;  et  si  les  litiges  existaient  entre  les  provinciaux 
seulement,  ou  entre  les  citoyens  et  les  indigènes,  le  Pré- 
teur était  libre  de  donner  les  récupérateurs  sans  distinc- 
tion d'origine,  sauf  un  droit  de  récusation  en  faveur  des 
parties  {jpoteslas  rejiciundi)  ;  il  avait  la  faculté  de  les  pren- 

49  Conventus  intelligitur quum  a  magistratibus  judicii  causa 

populus  congregatur.  (  Fcslus ,  v»  convenlus.  ) 

On  donnait  aussi  ce  nom  de  convenlus  à  la  réunion  des  citoyens  ro- 
mains qui  s'étaient  fixés  dans  une  ville  pour  exercer  le  commerce^ 
ainsi,  dans  Cicéron  {ferr.,  ii.  i3.).  Le  Convenlus  judiciaire  était  ap- 
pelé aussi  forum  :  Preetor  indicebat  forum.  (  Sur  le  convenlus,  voir 
Théoph.,  InsL,  i.  6.  §  4.  Sigonius ,  de  Jur.  prov.^  ii.  cap.  5.) 

50  Cicéron  parle  ainsi  de  la  disposition  de  son  édit  en  faveur  des 
Grecs  :  Multa  sum  secutus  Scœvola;;  in  iis  illud  in  quo  sibi  libertatem 
censent  Grœci  dutani,  ut  Grseci  inter  se  disceptent  suis  legibus.., 
Graeci  vero  exsuitant  quod  peregrinis  judicibus  utuntur.  (  Ad  AU. , 
VI.  1. 


CHAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEN.  SECT.  V.  343 

dre  même  parmi  les  personnages  qui  l'accompagnaient, 
ou  de  composer  un  tribunal  mi-parti  de  Romains  et  d'in- 
digènes. —  De  cette  latitude  pouvaient  naître  des  abus 
que  Cicéron  reproche  avec  véhémence  à  l'administration 
de  Verres  dans  la  Sicile  ^* . 

Au  dernier  jour  des  assises,  un  Conseil  de  vingt 
récupérateurs,  citoyens  romains,  était  tenu  sous  la  pré- 
sidence du  Magistrat ,  pour  prononcer,  en  exécution  de 
la  loi  JEliSi  Sentia,  et  en  connaissance  de  cause,  sur  les 
affranchissements  proposés  par  des  mineurs  de  vingt  ans, 
et  sur  les  affranchissements  des  esclaves  âgés  de  moins 
de  trente  ans.  Ce  conseil  tenait  lieu  de  celui  qui  siégeait 
à  Rome  auprès  du  préteur,  pour  l'exécution  de  la  loi 
^LiA  SENTIA ,  et  qui  était  composé  de  cinq  Sénateurs  et 
de  cinq  Chevaliers  ^^. 

L'administration  de  la  justice  dans  les  provinces,  au 
reste ,  était  l'image  de  celle  de  Rome.  Le  Président  pou- 
vait, selon  la  nature  des  causes,  donner  un  seul  juge 
ou  des  récupérateurs.  —  L'institution  des  Récupérateurs 
dans  les  provinces  représentait  la  grande  institution  des 
Centumvirsà  Rome,  sinon  pour  l'organisation,  du  moins 

51  Cic,  in  Verr. ,  m.  11  :  Quid  praetor?  Jubet  recuperatores  re- 
jicere.  —  Decurias  scribamus.  Quas  decurias? —  De  cohorte  mea  reji- 
cies ,  inquit.  —  Quid  ?  Ista  cohors  quorum  hominum  est  ?  Volusii  ha- 
ruspicis,  et  Cornelii  medici ,  et  horum  canum  quos  tribunal  meum 
vides  hmbere.  Nam  de  Conventu  nullum  unquam  judicem,  nec  re- 
cuperatorem  dédit  {Vid.  cap.  12.  13.  59.  ) 

52  Gains  ,  i.  §§  20.  38  :  Consilium  autem  adhibetur  in  urbe  romana 
quinque  senatorum  et  quinque  equitum  romanorum  puberum  ;  in 
provinciis  autem  viginti  recuperatorum  civium  romanorum  ;  idque 
fit  ullimo  die  Conventus;  sed  Romae  certis  diebus  apud  consilium 
naanumittuntur. 


34i  LIV.  I.  — ÉPOQUE  ROMAINE. 

pour  la  compétence  :  elle  s'appliquait  aux  questions 
d'Etat,  aux  droits  de  propriété.  Dans  la  Sicile,  nous 
voyons ,  par  exemple ,  les  propriétaires  réclamer  le  ju- 
gement par  récupérateurs  contre  le  décimateur  Apro- 
nius,  complice  de  Verres;  et  nous  lisons  dans  Suétone 
que  c'est  par  jugement  récupératoire ,  rendu  dans  la 
province  d'Afrique,  que  l'impératrice  Flavia ,  l'épouse  de 
Vespasien,  avait  été  déclarée,  avant  son  mariage,  jouir 
des  droits  d'ingénuité  et  de  cité  romaine  ^^.  —  La  Pro- 
vince avait  donc,  sous  l'empire  des  préteurs,  procon- 
suls, ou  présidents,  une  institution  judiciaire  qui  offrait 
des  garanties  de  justice  à  ses  habitants,  et  qui  réfléchis- 
sait l'image  des  garanties  romaines. 

Tel  est ,  à  Rome  et  dans  les  provinces ,  l'ensemble  de 
l'organisation  judiciaire  et  de  la  compétence.  Le  système 
existe  complètement  sous  le  droit  de  la  République.  Il  a 
pu ,  dans  les  premiers  temps  de  l'Empire ,  éprouver  quel- 
ques modifications.  La  création  du  Préfet  de  la  ville,  par 
Auguste,  celle  des  Préfets  du  prétoire,  qui  sont  devenus 
par  la  suite  des  magistrats  tout  puissants ,  la  force  nouvelle 
donnée  aux  attributions  des  Décemvirs ,  qui  présidaient 


S3  Cic,  in  Verr.,  m.  13 :  Si  ex  omni  copia  conveutus  Syracu- 

sani ,  facere  potestatem  aratori  non  modo  rejiciundi,  sed  etiam 

sumendi  recuperatores ,  tamen  hoc  novum  genus  injuriée  ferre  nema 
posset  se,  quiim  suos  omnes  fructus  publicano  tradidisset ,  et  rem  de 
manibus  amisisset,  tum  bona  sua  repetere  ac  persequi  lite  atque  ju- 
dicio. 

Sueton.  Vespas.,  m  :  Flaviani  diixit  uxorem ex  Africa  dele- 

gatam  olim,  latinspque  conditionis,  sed  mox  ingenuam  et  civem  ro- 
manam  recuperatorio  judicio  pronuntiatam.  (Voir  Hefflery  de  Acl,, 
p.  38.  ) 


CHAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEN.  SECT.  V.  345 

les  différentes  Sections  du  tribunal  des  Centumvirs,  et 
d'autres  innovations ,  ont  pu  modifier  certaines  relations 
entre  les  magistrats  et  les  juges,  ou  rendre  plus  mobile 
le  lien  de  la  compétence.  Ainsi  le  préfet  de  la  ville  et 
les  préfets  du  prétoire  eurent  le  droit  de  prononcer  des 
sentences ,  même  en  matière  civile ,  et  d'accorder  la  res- 
titution en  entier,  tant  contre  leurs  propres  décisions , 
que  dans  d'autres  causes  ^*.  Ainsi  le  préteur  rédigea  des 
formules  en  pur  droit,  propres  à  saisir  \ejudex  d'une  re- 
vendication ex  jure  qmrilkm  ,  principalement  en  matière 
mobilière  ^^  Mais  les  bases  générales  de  l'organisation 
et  de  la  compétence  ont  subsisté  ,  malgré  certains  ébran- 
lements, jusqu'à  la  fm  du  iii*^  siècle  de  l'ère  chrétienne. 

En  résumant  les  rapports  des  Centumvirs  avec  les  au- 
tres branches  de  l'Organisation  judiciaire,  et  les  rapports 
des  différentes  espèces  d'actions  avec  chaque  branche 
de  cette  organisation ,  au  temps  où  elle  s'est  complétée 
sous  l'influence  du  Droit  prétorien ,  on  arrive  aux  résul- 
tats suivants  : 


54  D.  IV.  4.  16.  §  7.  (  Ulp.)  :  Nunc  videndum  qui  in  integrum  resti- 
luere  possunl?  —  Et  tain  prœfectus  Urbi  quam  alii  magistratus  pro 
jurisdictione  sua  restituere  in  integrum  possunt ,  tani  in  aliis  causis 
quam  contra  sententiam  suam.  —  L.  xvii  :  Praefecti  etiam  prœtorio 
ex  sua  sententia  in  integrum  possunt  restituere ,  quamvis  appeliari 

ab  bis  non  possit In  integrum  restitutio  erroris  proprii  veniœ  pe- 

titionem  ,  vel  adversarii  circumventionis  allegationem  continet.  (  Cette 
dernière  loi  est  empruntée  à  Hermogénien ,  qui  vivait  à  une  époque 
où  l'appel  en  matière  civile  était  organisé,  après  Dioclétien.) 

55  Gaius ,  IV.  §  45  :  Sed  eas  quidem  formulas  in  quibus  de  jure  quse- 
ritur,  injtis  conceptas  vocamus  :  quales  sunt  quibus  intendimus  nos- 
trum  esse  aliquid  ex  jure  Quiritium ,  aut  nobis  dare  oportere,  aut  pro 
fure  damnum....  in  quibus  juris  civilisjntentio  est. 


346  LIV.  I.  — ÉPOQUE  ROIW AINE. 

1  "  A  l'égard  de  l'organisation , 

Les  centumvirs  formaient  un  tribunal  qui  représen- 
tait la  souveraineté  du  peuple  romain.  Le  juge ,  l'arbitre, 
les  récupérateurs ,  par  délégation  de  la  loi  et  du  magis- 
trat combinée  avec  le  choix  des  parties,  formaient  les 
jugements  privés,  soit  à  Rome,  soit  dans  les  provinces. 
Les  récupérateurs,  branche  accessoire  et  complémentaire 
de  l'organisation  judiciaire  à  Rome,  constituaient  dans 
les  provinces  la  branche  principale,  par  rapport  aux  ci- 
toyens et  aux  provinciaux ,  et  se  liaient  à  la  grande  in- 
stitution du  Conventus  ou  des  assises  périodiques. 

2°  A  l'égard  de  la  compétence , 

Au  tribunal  souverain  des  centumvirs  ressortissaient 
les  questions  d'état  et  de  famille ,  les  pétitions  d'hérédité 
légitime  ou  testamentaire,  et  les  plaintes  en  testament 
inoffîcieux ,  les  revendications  et  autres  actions  réelles  du 
droit  civil ,  applicables  surtout  aux  immeubles  romains. 
—  Au  juge  et  à  1' arbitre  appartenaient  en  commun  les 
actions  prétoriennes,  réelles  ou  personnelles ,  les  actions 
personnelles  nées  des  contrats  ou  comme  des  contrats 
(ex  variis  causarum  figuris),  les  actions,  réputées  mixtes, 
en  partage  de  succession ,  de  copropriété  ou  de  limite 
incertaine ,  les  actions  réputées  arbitraires  \  et  ces  diffé- 
rentes actions  s'attachaient  à  la  compétence  spéciale  du 
juge ,  quand  elles  étaient  de  valeur  certaine  ou  de  droit 
strict;  à  celle  de  l'arbitre,  quand  elles  étaient  de  va- 
leur incertaine  ou  de  bonne  foi.  —  Enfin  aux  récupé- 
rateurs étaient  attribuées  les  matières  possessoires  ou  la 
plupart  des  interdits ,  les  actions  en  dommage  ,  en  con- 
cussion ,  et  les  actions  utiles  in  fcutum ,  sauf  les  attribu- 


CHAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEN.  SECT.  V.  347 

lions  plus  larges  établies  en  faveur  des  Récupérateurs  dans 
les  provinces. 

La  compétence  des  tribunaux  ou  des  juges  était  donc 
déterminée  par  la  nature  même  des  actions  ou  des 
INTÉRÊTS  A  JUGER  ;  principe  éternel  de  droit  et  de  rai- 
son ,  sur  lequel  s'appuie  la  théorie  générale  de  la  com- 
pétence ^^. 

Nulle  part,  dans  ses  Commentaires,  Gains  n'a  donné 
la  description  de  l'ordre  judiciaire  des  Romains;  nous  ne 
possédons  plus  son  Commentaire  sur  la  Loi  des  XII  Ta- 
bles, où  peut-être  il  expliquait  cette  savante  organisa- 
tion ;  et  cependant  c'est  encore  à  sa  lumière,  et  à  celle  de 
Cicéron  qui  se  répand  sur  tant  de  choses  ,  que  nous 
avons  tâché  de  coordonner  les  divers  éléments  de  la  Jus- 
tice civile ,  et  de  rendre  à  chaque  branche  de  l'institu- 
tion ses  attributions  ou  sa  compétence. 

Gains ,  en  effet,  a  distingué  les  trois  grandes  classes  des 
actions  in  rem  ,  in  personam  ,  in  factum  ,  qui  se  distri- 
buent entre  les  différentes  branches  de  l'organisation 
judiciaire. 

Or ,  quand  il  a  parlé  des  actions  réelles  du  Droit  civil, 
vindicationes ,  il  a  mis  en  regard  de  ces  actions  le  tri- 
bunal des  Centumvirs^''. 


56  C'est  le  principe  sur  lequel  repose  en  partie  notre  système  judi- 
ciaire. La  compétence  des  tribunaux  civils,  des  juridictions  commer- 
ciales ,  des  justices  de  paix ,  des  tribunaux  administratifs ,  est  fondée 
sur  la  nature  différente  des  intérêts  civils ,  des  affaires  commerciales, 
des  matières  possessoires,  des  matières  administratives.  (Les  justices 
de  paix  sont  le  moins  fidèles  à  ce  principe ,  par  l'extension  donnée  à 
leur  juridiction  sur  les  actions  purement  personnelles.  ) 

37  Gaius,  IV.  §  16  :  In  centuraviraiibus  judiciis. 


348  LIV.    I.   —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

Quand  il  a  parlé  des  actions  personnelles,  condidiones ^ 
il  a  mis  en  regard  le  Judex^*  ;  —  et  l'on  sait  que  l'Arbitre 
n'est  qu'un  juge  pour  les  obligations  de  faire,  pour  les 
obligations  de  bonne  foi. 

Enfin,  quand  il  a  parlé  des  actions  in  factum,  actions 
personnelles  qui  se  distinguent  des  autres  par  la  cause 
qui  les  produit  et  la  formule  qui  les  exprime ,  il  a  mis 
en  regard  les  Récupérateurs,  dont  Cicéron,  d'ailleurs, 
et  Gains  lui-même  ont  marqué  la  compétence  en  matière 
de  possessions^. 

V.  —  Entre  ces  différentes  branches  de  l'institution 
judiciaire,  il  n'y  avait  pas  de  hiérarchie,  de  degrés  de 
juridiction ,  de  recours  en  appel  proprement  dit.  L'appel 
au  peuple,  dans  les  Comices,  n'était  relatif  qu'aux  juge- 
ments en  matière  criminelle.  Toutefois,  dans  le  tribunal 
des  Centumvirs,  qui  représentait  le  peuple,  il  y  avait  un 
recours  possible  d'une  Section  à  deux  ou  plusieurs  Sec- 
tions réunies;  et  ce  recours  soumettait  une  cause  à  l'é- 
preuve de  plus  d'un  jugement.  La  sentence  rendue  par 
deux  ou  (juaire  Sections  prenait  la  dénomination  propre 
et  indicative  de  duplex  judicium ,  quadruplex  judicium^^ . 

Les  Magistrats  égaux  en  pouvoir,   comme  les  Con- 

58  Gaius,  IV.  §§  47.  104.  107. 

59  Gaius,  iv.  §  46  :  «  Cseteras  (formulas)  in  factum  vocamus  in 

quibus iuitio  formulas  ,  nominato  eo  quod  faslum  est....  nam  in  eo 

ita  est  :  Reguperatores  sunlo....,  etc.  » 

60  II  y  a  controverse  sur  ce  point  d'érudition,  savoir  si  la  qualiflca- 
tion  vient  du  nombre  des  jugements  rendus,  ou  du  nombre  des  sec- 
tions réunies.  La  deuxième  solution  nous  paraît  plus  conforme  à  la 
raison  ,  et  le  bon  sens  l'a  établie  par  l'appel  et  d'autres  recours  dans 
les  institutions  judiciaires  anciennes  et  modernes. 


CHAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEN.  SECT.  V.  349 

suis ,  les  Préteurs  urbain  ou  pérégrin ,  avaient  le  veto 
par  rapport  à  leurs  actes  respectifs  ;  et  ce  droit ,  appliqué 
aux  actions  judiciaires,  était  appelé  droit  d'intercession. 
Ainsi  Verres ,  préteur  de  la  ville ,  trouvait  obstacle  à  ses 
injustices  dans  l'intercession  habituelle  de  L.  Pison,  pré- 
teur des  étrangers  ;  et  Jules  César  nous  montre  le  pré- 
teur Cœlius  Rufus  plaçant  son  tribunal  auprès  de  celui  du 
préteur  de  la  Ville  C.  Tribonius,  pour  recevoir  plus  faci- 
lement les  réclamations  des  débiteurs  qui  en  appelleraient 
à  son  intercession  :  si  quis  appellasset  ®^  Le  droit 
d'iNTERCESSiON  appartenait  également  aux  Tribuns,  qui 
pouvaient  s'opposer  devant  le  magistrat  à  la  continuation 
du  litige,  et  faire  ainsi  renvoyer  l'affaire  à  une  époque 
où  le  magistrat  qui  donnait  le  juge  ne  serait  plus  en 
exercice.  Le  veto  ne  pouvait  être  opposé  qu'au  magistrat , 
et  par  le  tribun  présent  à  l'injustice  commise.  Les  Tri- 
buns étaient  sans  force,  quand  le  litige  était  engagé 
devant  les  centumvirs  ou  les  autre  juges.  Ils  n'avaient, 
au  surplus,  leur  droit  d'intercession  que  dans  Rome  et 
à  un  mille  autour  de  Rome  ^^.   Les  Judicia  Légitima 

61  Cic,  de  Leg.  :  Par  majorve  potestas  plus  valeto. 

In  Verr.,i.  46  :  Piso  multos  codices  implevitearum  reriim  inquibus 
ita  intercessil ,  quod  iste  (Verres)  aliter  atque  ut  edixerat  decrevisset. 
—  In  aequitate  prudentiaque  Pisonis  paratissimum  perfugium. 

J.  Cœsar. ,  de  Bello  civili ,  m.  20  :  lisdeni  temporibus  Roniae  Cœlius 
Rufus  praetor,  causa  debitorum  suscepta ,  initio  magistratus  tribunal 
suumjuxtaC.  Trebonii  urbani  sellam  coUocavit;  si  quis  appellasset 
de  œstimatione ,  et  de  solutionibus  quœ  per  arbitruni  fièrent ,  ut 
Cœsar  praesens  coustituerat ,  fore  auxilio  poUicebatur. 

62  Aulu-Gell.,  XIII.  12  :  Tribuni ,  antiquitus  creati ,  videnturnon 
juri  dicundo ,  nec  causis  querelisque  de  absentibus  noscendis ,  sed 
iNTEBCESsiONiBUs  FACiENDis  quibus  prœseutes  fuissent,  ut  injuria 
quae  coram  fîeret  arceretur.  (V.  Walter,  Proc.  des  Rom.,  eh.  8,  p.  96.) 


350  LIV.   1.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

auxquels  les  tribuns  opposaient  leur  veto  reprenaient 
leur  cours  à  l'expiration  des  fonctions  du  tribun  oppo- 
sant; ils  se  soutenaient  par  l'autorité  de  la  Loi;  tandis 
que  les  jugements  récupératoires,  ou  les  autres  litiges 
qui  étaient  subordonnés  à  Yimperium  du  magistrat,  à 
la  durée  de  sa  magistrature,  pouvaient  long-temps,  et 
même  complètement ,  rester  sans  solution  ,  par  l'oppo- 
sition tribunitienne.  En  effet,  si  l'opposition  se  mainte- 
nait pendant  l'année  assignée  au  pouvoir  du  préteur, 
tout  était  arrêté  :  le  pouvoir  annuel  du  magistrat  ces- 
sant, il  fallait  recommencer  la  procédure  devant  son 
successeur;  or,  elle  ne  pouvait  arriver  à  solution,  si 
d'autres  tribuns  usaient  encore  de  leur  droit  de  veto  et 
reprenaient  l'opposition  de  leurs  prédécesseurs.  —  La 
force  et  la  garantie  des  jugements  ou  instances  légitimes 
étaient  donc  bien  plus  grandes ,  à  Rome,  que  celles  des 
litiges  soumis  à  la  compétence  des  récupérateurs,  et  que 
celles  des  autres  procédures  appuyées,  non  sur  la  Loi, 
mais  seulement  sur  le  pouvoir  du  Magistrat  ^^. 

63  Gaius,  iv,  ^§  105—106.  Ces  judicia  étaient  désignés  sous  cette  lo- 
cution, quœ  imperio  conlinenlur.  Tous  ceux  qui  n'étaient  pas  ^égt7irncs 
étaient  appuyés  seulement  par  le  pouvoir  du  magistrat.  Cette  diffé- 
rence tenait  sans  doute  à  l'origine  même  de  ces  institutions.  Les  juge- 
ments légitimes  avaient  leur  origine  dans  la  Loi  des  XII  Tables;  les 
jugements  récupératoires ,  ou  autres  semblables ,  avaient  pris  nais- 
sance dans  la  Coutume;  l'usage  s'était  établi  sous  la  protection  du 
magistrat ,  et  l'exercice  du  droit  était  attaché  spécialement  à  cette 
protection.  Quand  cette  protection  n'était  plus  possible  par  l'expira- 
tion même  de  la  charge  annuelle  du  magistrat,  le  droit  restait  sans 
force  et  sans  appui.  Par  jugement  ici,  l'on  ne  doit  pas  entendre  la 
chose  jugée ,  mais  la  poursuite  en  justice  ou  l'instance  commencée. 


CHAP.  V,  DROIT  PRÉTORIEN.   SECT.  V.  351 

§   2.    —   PBOCÉDURE   OEDINAIKE   SOUS   LA  LOI   DES   XII   TABLES 
ET  LE  DROIT  PBÉTOBIEN. 

I.  —  AcTioNES  LEGis —  Les  actions  de  la  Loi  étaient 
tout-à-fait  distinctes  des  actions  réelles  et  personnelles , 
dont  nous  avons  déterminé  la  nature  et  les  principales 
subdivisions  à  l'occasion  de  la  compétence.  Elles  consti- 
tuaient la  mise  en  action  de  la  Loi  des  XII  Tables ,  ou  la 
forme  de  procéder  :  quœ  ad  leges  actionem  pertinent ,  disait 
Gains;  qttœ  formam  agendi  continent,  disait  Pomponius®*. 
C'était ,  en  langage  moderne,  un  Code  de  procédure  mis 
à  côté  d'un  Code  civil. 

Les  actions  de  la  Loi  avaient  été  créées,  après  la  Loi 
des  XII  Tables ,  par  le  Collège  des  pontifes ,  ou  par  les 
jurisconsultes  patriciens,  qui  avaient  aussi  rédigé  des 
FORMULES  accessoires  à  chaque  action.  Cette  union  de  l,a 
forme  de  procéder  et  de  la  formule  accessoire  était  com- 
prise dans  la  notion  des  actions  légitimes,  qu'il  ne  faut 
pas  confondre  avec  les  actes  légitimes,  tels  que  l'adop- 
tion ,  l'émancipation ,  la  dation  de  tuteur,  l'adition  d'hé- 
rédité®^. C'est  principalement  par  les  formules  accessoi- 

64  Gaius,  IV.  §  4.  Pomponius,  de  Orig.  Jur.,  §  12. 

65  Deinde  ex  his  legibus  eodem  fere  tempore  actiones  compositœ 
sunt,  quibusinter  se  hommes  disceptarent;  quas  actiones ,  ne  populus 
prout  vellet  institueret,  certas  solemnesque  esse  voluerunt;  et  appel- 
laturhsec  pars  jurisLegis  Actiones,  id  estLEGiTiM^  actiones.  {Pomp. , 
de  Orig.  Jttr.,  §  6.  )  —  Actus  legitimi....  veluti  mancipatio,  accep- 
tilatio,  hereditatis  aditio,  servi  optio  ,  datio  tutoris....  Ces  actes  légi- 
times n'étaient  susceptibles  ni  de  terme,  ni  de  condition.  (D.,  de  Reg. 
Jur.^  1.  Lxxvii.  Papin.  —  D.  xxx.  1.  5.  Servi  electio.  Paul.) 

La  question  des  actes  Ugilimes  avait  divisé  Hotman  et  Cujas.  —  Gra- 
vina  s'était  rangé  du  côté  de  Cujas,  et  avait  très-bien  établi  la  distinc- 
tion à  faire.  (  Gravina^  de  Jur.  nal.  gent.,  elXII  Tab.,  ch.  lxxix.  ) 


352  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

res  que  les  patriciens  retenaient  les  plébéiens  dans  leur 
dépendance  :  seuls  ils  fixaient,  comme  pontifes,  ou  con- 
naissaient les  Fériés  et  les  jours  Fastes  (Dies  fasti),  jours 
de  justice  et  d'affaires;  et  seuls  ils  déterminaient  ou  con- 
naissaient les  mots  sacramentels  des  formules  légitimes. 

Le  censeur  Appius  Claudius  Cœcus  avait  rédigé,  au 
V®  siècle ,  le  tableau  des  Fastes  et  le  recueil  complet  des 
Formules;  son  secrétaire,  Cn.  Flavius,  livra  au  public 
les  formules,  et  exposa  les  fastes  autour  du  Forum  [448], 
peut-être  de  l'avis  même  du  Censeur^®.  Cette  publication, 
connue  sous  le  nom  de  droit  civil  flavien  ,  fut  la  cause 
d'une  grande  joie  pour  le  peuple ,  qui  récompensa  Cn. 


66  Postea  cum  Appius  Claudius  proposuisset  et  ad  formam  redigisset 
bas  actiones....  (  De  Orig.  Jur.,  §  7.  Pomp.  ) 

Cujas  a  proposé  de  lire  ad  formulam.  —  Le  sens  l'indique;  Van- 
Leuwen  s'est  trompé  en  critiquant  Cujas.  (  De  Orig.  et  Prog.  Jur.  civ., 
cum  notis  Vinnii.  1671.)  Il  ne  peut  être  question  ici ,  au  surplus ,  d'Ap. 
Claudius  le  décemvir ,  mais  d'Appius  Claudius  C^cus ,  dont  parle  Tite- 
Live  (IX.  29.  46),  et  que  Pline  indique  positivement.  (  xxxiii.  1.  ) 

Cicéron ,  dans  le  discours  pro  Murena  (  ii.  1. 10.  p.  218  ),  et  dans  l'é- 
pître  à  Atticus*(vi.  1.  tom.  19.  p.  121),  donne  au  sujet  de  Cn.  Flavius 
des  renseignements  précis.  Atticus  les  avait  révoqués  en  doute  ;  Cicé- 
ron en  rétablit  la  vérité  par  la  tradition.  —  Pline  l'Ancien  exclut  toute 
idée  de  supercherie,  de  la  part  de  Cn.  Flavius,  dans  la  publication  des 
Fastes  ;  il  dit  que  la  publication  fut  faite  à  l'invitation  d'Appius ,  cujus 
hortatu.  (xxxiii.  1.  )  Les  expressions  de  Tite-Live  semblent  d'accord 
avec  ce  fait  :  Fastos  circa  forum  in  al.bo  proposuit.  (ix.  46.)  Du  reste, 
un  passage  de  Valère-Maxime  dit  bien  clairement  que  la  divulgation 
porta  sur  les  fastes  et  sur  les  formules  du  droit  civil  :  «  Jus  civile  per 
multa  secula  inter  sacra ,  ceremoniasque  Deorum  immortalium  abdi- 
tum ,  solisque  pontificibus  nolum ,  Cn.  Flavius ,  libertino  pâtre  geni- 
tus ,  et  scriba ,  cum  ingenti  nobilitatis  indignatione  factus  sedilis  cu- 
rilis,  vulgavit,  et  fastos  pêne  toto  foro  exposuit.  »  (ii.  5.  ) 


CHAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEN.  SECT.  V.  353 

Flavius,  le  fils  d'un  affranchi,  par  le  tribunal  et  l'édilité 
curule,  et  causa  en  même  temps  une  grande  douleur  à  la 
noblesse  patricienne  et  aux  sénateurs ,  qui ,  dans  leur  in- 
dignation, jetèrent  loin  d'eux  leurs  anneaux®'^.  Les  patri- 
ciens se  ravisèrent  cependant  ;  et  pour  rendre  leur  inter- 
vention nécessaire  dans  toutes  les  affaires ,  dit  Cicéron , 
ils  composèrent  des  formules  nouvelles ,  indiquées  seule- 
ment par  des  signes  abréviatifs  {notas  quasdam  composue- 
runt).  Un  siècle  après,  vers  552,  les  formules  mystérieu- 
ses furent  expliquées,  produites  au  grand  jour  et  augmen- 
tées sous  le  nom  de  droit  ^lien,  par  un  patricien,  Sextus 
^lius,  que  le  plus  ancien  poète  des  Romains  célébrait 
comme  un  homme  de  science  et  de  noble  cœur  ^*. 

Ainsi ,  les  actions  de  la  Loi ,  formes  de  procéder  peu 
nombreuses ,  ne  doivent  pas  être  confondues  avec  ces 
formules  accessoires  qui  furent  sjiccessivement  appelées 
Droit  civil  Flavien ,  Droit  JEiien ,  formules  qui  étaient 
appropriées  aux  termes  de  la  Loi  des  XII  Tables,  comme 
le  dit  Gaius ,  et  conçues  d'une  manière  générale  et  per- 
manente pour  les  affaires  d'un  certain  genre  ^^. 

C'est  dans  le  choix  que  devait  faire  le  plaideur  de  la 

67  Quo  facto  tanta  senatus  indignatione  exarsit,  ut  annulos  ab  eo  ab- 
jectes fuisse,  in  antiquissimis  reperiatur  annalibus.  (P/m. ,  Hisl. 
nal.,  XXXIII.  1.  ) 

68  Egregie  Cordatus,  homo  catus  OElius  Catus.  [Ennius,  poêla.  ) 
Sextum  OElium  etiam  Ennius  laudavit.  (  Pomp.,  §  38.  ) 

69  Hic  liber  qui  actiones  continet  appellatur  Jus  civile  Flavia- 

KUM Augenti  civitate,  quia  deerant  quœdflwi  gênera  agendi ,  Sextus 

JEÏius  alias  actiones  coniposuit  et  librum  populo  dédit  qui  appellatus 
Jus  OElianum.  (  Pomp.^  §  7.  ) 

Ipsarum  legum  verbis  accommodataï  erant  etideo  imniutabiles, 

proinde  atque  leges  observabantur.  (  Gaius,  iv.  §  11-  ) 

T.  I.  23 


S54  LIV.  I,   —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

formule  applicable  à  sa  demande  que  se  trouvait  le  dan- 
ger :  s'il  se  trompait  d'un  mot ,  s'il  n'employait  pas  tous 
ceux  de  la  formule  sacramentelle  arrêtée  d'avance,  il  per- 
dait son  procès  devant  les  tribunaux  ou  les  juges,  pris 
exclusivement  dans  l'ordre  des  patriciens '^*'.  Pour  éviter 
l'erreur,  le  plébéien,  le  client  était  nécessairement  con- 
traint de  recourir  aux  patriciens ,  auteurs  et  dépositaires 
des  formules. 

Les  actions  de  la  Loi  sont  indiquées  au  nombre  de 
cinq  :  on  agissait  par  Consignation  ,  par  Demande  de 
juge,  par  Dénonciation  au  magistrat,  par  Main-mise, 
par  Saisie  de  gage  ;  ou ,  pour  employer  les  termes  tech- 
niques, d'après  Gaius  (iv,  §  12),   on  agissait  sacra- 

3IENT0  ,    PER   JUDICIS   POSTULATIONEM  ,    PER    CONDICTIO- 
NEai,  PER  MANUS  IINJECTIONEM  ,  PER  PIGNORIS  CAPTIONEM. 

Cette  dernière  action ,  la  saisie  de  gage ,  était  un  pro- 
cédé extrajudiciaire,  appliqué  d'abord  à  la  garantie  du 
citoyen  qui  avait  vendu  une  victime  pour  les  sacrifices  , 
contre  l'acheteur  qui  ne  l'avait  pas  payée  ;  garantie  éten- 
due, depuis,  au  soldat  pour  le  paiement  de  sa  solde  (sti- 
fendium) ,  aux  publicains  pour  le  paiement  des  revenus 
publics.  Cette  saisie  avait  lieu  hors  de  la  présence  du  ma- 
gistrat, et  souvent  en  l'absence  de  l'adversaire,  même  dans 
les  jours  néfastes  :  c'était  donc  improprement,  comme  le 
dit  Ga'us ,  qu'elle  avait  été  quaUfiée  action  de  la  Loi''*. 

70  Gaius,  IV.  §  30  :  Namque  ex  nimia  subtilitate  veterum  qui  lune 
jura  condiderunt ,  eo  res  perducta  est  ut  vel  qui  minimum  errasset,  li- 
tem  perderet. 

71  Gaius,  IV.  §§  12.  29  :  Quibusdam  non  placebat,  primum  quod 
pignoris  captio  extra  jus  peragebatur,  id  est  non  apud  prsetorem,  ple- 
rumque  etiam  absente  adversario....  prœterea  nefasto  quoque  die  ,  id 
«st,  quo  non  licebat  lege  agere,  pignus  capi  poterat 


CHAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEN.  SECT.  V.  355 

Restaient  les  quatre  actions  qui  formaient ,  avec  l'a- 
journement en  Justice  et  le  Vadimonium ,  l'ensemble  de 
la  procédure  suivie ,  soit  lu  Jure ,  devant  le  magistrat , 
soit  in  Judicio ,  devant  les  centumvirs  ,  le  juge,  l'ar- 
biti'e ,  les  récupérateurs.  Nous  allons  en  marquer  ici  le 
caractère  et  le  mouvement. 

Tout  procès,  dans  les  premiers  temps  de  la  Loi  des 
XII  Tables,  commençait  par  la  Vocatio  in  Jus  ou  l'ajourne- 
ment. Cétait  une  sommation  verbale,  que  le  demandeur 
faisait  à  son  adversaire  de  le  suivre  au  tribunal  du  Con- 
sul ou  du  Préteur.  S'il  y  avait  refus ,  ou  tentative  de 
fuite ,  le  demandeur  prenait  des  témoins ,  saisissait  l'ad- 
versaire ,  le  conduisait  de  force  devant  le  magistrat  '^^. 
Pour  éviter  cette  comparution  forcée,  le  défendeur  pou- 
vait offrir  un  représentant ,  vindex  ,  qui  assumait  le  pro- 
cès sur  sa  tête.  Le  riche  servait  de  répondant  au  riche , 
au  prolétaire  tout  citoyen  '^^.  Celui  que  la  maladie  ou 
l'âge  empêchait  de  marcher  au  tribunal ,  y  était  trans- 
porté par  les  soins  du  demandeur.  Le  défendeur  ne  pou- 
vait être  arraché  de  sa  maison  ;  le  domicile  du  citoyen 
était  inviolable  :  do3ius  tutissimum  cuioue  refugium 

ATOLE  RECEPTACLLU3I  ^*. 

72  «  Si  m  JUS  vocat ,  ni  it  ,  amestatob  ;  igitub  em  capito.  » 
(Tafe.  I.  1.)  —  Cic,  deLegib.,  ii.  4.  —  Aulu-Gell.,  xx.  1. 

73  «  ASSIDUO  VINDEX  ASSIDUUS  ESTO  ;  PKOLETARIO  QUOIQUIS  VO- 
»  LET,  VINDEX  ESTO.  »  (  Toft.,  I.  4.) 

Le  l'index  n'était  pas  un  simple  fidéjusseur  promettant  que  le  défen- 
deur se  représenterait.— (Foir  M.  Bonjean,  Trailè  des  Actions,  §  192.) 

74  Gains ,  ad  Leg.  XII  Tab.  :  Plerique  putaverunt  nullum  de  dorao 
sua  in  jus  vocari  licere  :  quia  domus  tutissimum  euique  refugium 
atque  receptaculum  sit;  eumque  qui  indeinjus  vocaret  vim  inferre  vi- 
deri.  (D.,  ii.  4.  18.)  —  Même  règle  sous  Tédit  du  préteur  :  Nea:o  de 
domo  sua  extrahi  débet.  {De  Reg.  J.  103  ,  Paul,  ad  ediclum.) 


356  LIV.  1.  —  ÉPOQUE  ROMAINE, 

La  violence  empêchait  quelquefois  l'effet  de  cette  ci- 
tation par  main -mise  personnelle;  le  citoyen  conduit  au 
tribunal  était  délivré  par  ses  amis  ;  mais ,  pour  éviter  ces 
luttes  de  vive  force ,  le  préteur  accorda  une  action  pé- 
nale contre  celui  qui  enlevait ,  par  violence ,  le  défendeur 
conduit  en  justice''^. 

La  Vocatio  in  Jus  était  applicable ,  avec  sa  rudesse  primi- 
tive, à  toutes  les  classes  de  personnes.  Il  y  avait  unité 
dans  le  principe  qui  imposait  au  demandeur  lui-même 
l'obligation  de  traduire  le  défendeur  devant  le  magistrat 
sans  l'intervention  d'un  officier  public,  et  il  y  avait  d'a- 
bord uniformité  dans  l'application.  Les  édits  du  préteur 
apportèrent  quelques  modifications  pour  certaines  per- 
sonnes, les  ascendants  ,  les  patrons ,  les  ascendants  et  les 
enfants  des  patrons ,  lesquels  ne  pouvaient  être  appelés 
en  justice  qu'avec  l'autorisation  du  magistrat;  exception 
d'honnêteté  publique ,  étendue  au  droit  des  provinces"^®. 
L'action  de  la  loi  fer  condictionem,  comme  nous  le  verrons 
bientôt ,  put  dispenser  de  la  forme  primitive  pour  un  cer- 
tain genre  d'affaires,  et  l'usage  introduisit  la  stipulation, 
entre  parties,  de  se  présenter  à  jour  fixe  devant  le  magis- 
trat ou  le  juge. 

75  C'était  l'action  de  vi  non  eximendo  in  jus  vocatum.  {Tnst. 
Just.,  IV.  6.  12,  et  D.,  II.  7.) 

76  Ait  praetor  :  «  Parentem  ,  patbondm  ,  patbonam  ,  ltbebos  , 

PABENTES  PATBONI ,  PATRONNE  ,  IN  JUS  SINE  PEBMISSU  MEO,  NE  QDIS 

vocet.  (D.,  II.  2.  4.) 

L'empereur  Alexandre  ajouta  aux  personnes  exceptées  l'épouse  du 
manumisseur  [an  231].  (  Cod.  Just  ,  ii.  2.  1.  ) 

Nec  in  ea  re  rusticitati  venia  praebeatur,  cum  nalurali  ratione  ho- 
nor  hujusmodi  personis  debeatur.  {Gordianiis  [an.  240].  Cod.  Just., 
II.  2.  2.) 


CHAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEN.  SECT.   V.  357 

Cette  promesse  de  comparution  était  comprise  sous  le 
mot  de  A'ADiMOMUM ,  et  pouvait  être  faite  au  moment  où 
le  demandeur  ajournait  verbalement  le  défendeur.  Le  Ya- 
dimonium  avait  lieu  aussi  devant  le  magistrat,  quand  l'at- 
faire  était  remise  à  une  autre  audience  :  dans  l'un  et  l'au- 
tre cas ,  il  y  avait  obligation  de  comparaître  au  jour  indi- 
qué'"'.— La  promesse  était  faite  ou  purement  et  simple- 
ment, ou  avec  caution,  ou  par  serment,  ou  avec  nomi- 
nation de  récupérateurs  chargés  de  condamner,  de  suite, 
au  paiement  de  la  somme  convenue  celui  qui  ferait  défaut. 
L'obligation  du  Yadimonium  était-elle  pure  et  simple  ou 
sans  détermination  de  somme?  Le  magistrat  condamnait 
à  des  dommages  et  intérêts  ;  mais  la  condamnation  ne 
pouvait  dépasser  en  valeur  la  moitié  de  la  demande  ou  la 
somme  de  cent  mille  sesterces"^.  S'il  s'agissait,  cepen- 
dant,  de  l'action  Judicati,  Depensive ,  c'est-à-dire  s'il  y 
avait  obligation  née  d'un  premier  jugement  ou  d'un  paie- 
ment fait  au  nom  du  défendeur  par  un  sponsor,  la  peine 
du  Yadimonium  pouvait  égaler  la  valeur  même  du  litige 


79 


77  Le  premier  cas  est  indiqué  dans  Cicéron ,  sous  le  nom  de  vadi- 
monium  (pro  Quinlio,  xiv.  ),  et  dans  les  lois  du  Digeste,  comme 
stipulation  ou  promesse  faite  injudicio  sislendi  causa.  (Z).,  ii.  5  et  6.) 

Le  second  cas  est  seul  compris  dans  l'explication  que  Gaius  donne 
du  vadimonium  ,  iv.  §§  184  et  suiv. 

78  Cum  quis  injudicio  sisti  promiserit,  neque  adjecerit  pœnam  ,  si 
stalus  non  essel ,  incerti  cum  eo  agendum  est  in  id  quod  interest , 
verissimum  est ,  et  ita  Celsus  quoque  scribit.  (  D.,  ii.  5.  3.  Ulp.  ) 

Pour  les  autres  dispositions  ,  Gaius ,  iv.  §§  186-187.  —  Cependant , 
sur  le  chiffre  des  sesterces  ,  il  y  a  quelque  incertitude ,  d'après  l'état 
du  manuscrit  de  Gaius  (  édit.  Lachmann  ,  p.  414,  note  14.)  —  M.  Bon- 
jean  a  adopté  le  chiffre  de  50,000  sesterces  (i.  p.  458).  Les  100,000 
H.  S.  font  21,000  fr. 

79  Et  si  quidem  judicati  depensive  agetur,  tanti  fiet  vadimonium 
quanti  ea  res  erit. . .  pro  quo  sponsor  dependisset.  {Gaius,  iv.  §  186.  §  22.) 


â5S  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

Lorsque  la  partie  ne  comparaissait  pas  devant  le  ma-* 
gistratau  jour  marqué,  le  Vadimonium  était  dit  aban- 
donné, et  une  mesure  de  rigueur,  l'envoi  en  possession 
des  biens ,  pouvait  être  réclamée  par  le  demandeur  et 
prise  par  le  magistrat,  après  un  délai  de  trente  jours  *^.  — 
De  même  ,  quand  un  citoyen  se  cachait  par  esprit  de 
fraude ,  pour  échapper  à  l'ajournement,  ou  lorsqu'il  était 
absent  et  non  représenté  par  un  procurateur  ou  par  uii 
citoyen  honnête,  arbitratu  boni  viri,  l'édit  du  préteur, 
après  trois  avertissements  publiés  de  dix  jours  en  dix 
jours ,  ordonnait  l'envoi  en  possession.  Si  la  saisie  des 
biens  n'était  pas  attaquée  par  une  opposition  personnelle 
du  défendeur,  et  si  une  procédure  nouvelle  n'était  pas 
engagée  sur  sa  validité ,  la  vente  publique ,  qui  empor- 
tait la  note  d'infamie,  pouvait  avoir  lieu  après  une  pos- 
session de  trente  jours  ^*. 

80  Cic,  pro  Quintio  :  Vadimonium  ait  esse  desertum...  ad  vadimo- 
nium non  venit.  (Cap.  14-16.)  ...  Postulaturus  eras  quando?  Post  dies 
XXX.  (Cap.  26.)  El...  absenti  omnia  fortuuarum  suarum,  omnia  vitae 
ornameuta  per  summum  dedecus  et  ignominiam  deripi  convenit. 
(  Cap.  20.  )  —  Le  plaidoyer  de  Cicéron  pour  Quintius  est  le  plus  ancien 
de  ceux  qui  nous  ont  été  transmis.  Il  fut  prononcé  par  Cicéron,  âgé  de 
\ingt-six  ans,  en  673,  devant  un  juge  et  trois  assesseurs.  —Il  est  très-  • 
précieux  pour  ta  procédure  romaine ,  et  spécialement  pour  le  vadimo- 
nium et  les  représentants  des  absents. 

81  Recita  edictum  :  Qui  fraudationis  causa  latitabit.  Cui 

HERES  NON  EXSTABIT.  QUI  EXSULII  CAUSA  SOLUM  VERTERIT.  QUI  AB- 

SENS  jUDicio  DEFENSUS  NON  FUERiT...  (  Ex  cdicto  prœtoris ,  bona 

possideri.  ) Hic  constat  procuratoris  diligentis  oflicium.  Debere 

tibi  Quintium  (absentem)  :  procurator  negat.  Vadari  vis  :  promittit. 
în  jus  vocas  :  sequitur.  Judicium  postulas  :  non  récusât.  Quid  aliud 
sit  absentem  defendendi ,  ego  non  intelligo.  At  quis  erat  procurator  ? 
— Eques  Romanus  locuples ,  sui  negotii  bene  gerens.  (  Clc,  pro  Quin- 
llo  ,  XIX.  )  —  C'est  sur  une  opposition  à  un  envoi  en  possession ,  à  une 
saisie  des  biens,  qu'a  porté  la  cause  de  Quintius. 


CHAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEN.  SECT.  V.  359 

La  Vocatio  in  Jus  étant  accomplie  et  les  deux  par- 
ties étant  présentes  devant  le  magistrat,  alors  avait  lieu 
la  procédure  par  les  actions  de  la  Loi. 

l^'Le  SACRAMENTUM  coustituait  la  forme  générale  de 
procéder,  dans  toutes  les  contestations  auxquelles  n'é- 
taient pas  attachées  des  formes  spéciales.  Cette  forme 
était  obligatoire  pour  toutes  les  causes  Centumvirales  ; 
et  même  quand  la  loi  iEbutia  et  les  lois  Julise,  dont 
nous  parlerons  bientôt,  eurent  aboli  les  actions  légiti- 
mes, elle  fut  encore  suivie  dans  les  causes  portées  au 
tribunal  des  Centumvirs.  —  Cette  action  de  la  Loi  pou- 
vait s'appliquer  aux  obligations  personnelles ,  mais  seule- 
ment comme  mode  facultatif,  car  on  était  libre,  en  ce 
cas,  de  procéder  par  la  Demande  de  Juge  ^^. 

Le  Sacramentum  consistait  dans  la  provocation  ré- 
ciproque des  parties  au  paiement ,  à  titre  pénal ,  contre 
celle  qui  succomberait,  d'une  somme  de  cinq  cents  as, 
pour  les  valeurs  de  mille  livres  d'airain  ou  plus;  de  cin- 
quante as ,  pour  les  valeurs  moindres  ou  pour  la  vendi- 
cation  en  liberté,  causa  liberalis  ^^.  L'argent  était  consa- 
cré, dès  l'origine,  aux  sacrifices  publics  :  de  là  le  nom 
de  Sacramentum^^.  La  somme  destinée  aux  sacrifices 
était  versée  au  Trésor.  D'après  Varron ,  la  consignation 

82  Gaius ,  IV.  §§  13.  20  :  Sacramenti  actio  generalis  erat Quum 

de  eo  quod  nobis  dari  oportet ,  sacramento  aut  per  judicis  postula- 
tionem 

83  Gaius,  IV.  §  16  :  iERES  sacramento  te  provoco similiter 

EGO  TE. 

84  «  Sacramenti  autem  nomiue  id  aes  dici  cœptuni  est  quod  et  prop- 
ter  aerarii  inopiam  et  sacrorum  piiblicorum  multitudinem  consumeba- 
tur  id  in  rébus  divinis.  »  (  Feslus ,  «»  sacramentum.  ) 


360  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

réelle  était  préalablement  exigée;  du  temps  de  Gaius, 
des  cautions  suffisantes  (prœdes)  étaient  fournies  entre 
les  mains  du  préteur,  jusqu'à  la  décision  du  litige  *^.  Le 
magistrat  donnait  ensuite  le  Judicium ,  c'est-à-dire  ren- 
voyait les  parties  devant  le  tribunal  des  centumvirs, 
devant  le  juge,  l'arbitre  ouïes  récupérateurs,  selon  la 
nature  de  la  cause;  et  les  juges  désignés  étaient  saisis 
de  la  connaissance  du  litige*^.  Il  n'y  avait  pas,  d'après 
la  Loi  des  XII  Tables,  de  formule  donnée  par  le  Magis- 
trat. Celui-ci  renvoyait  devant  le  juge,  mais  n'indiquait 
pas  de  quelle  formule  spéciale  le  demandeur  devait  user  : 
«  Pr^tor  is  QUI  jUDiciA  DAT,  dit  Cicérou,  nunquam  pe- 

TITORI   PR^STITUIT   QUA  ACTIONE    ILLUM  UTI  VEUT  ^^.  » 

La  partie  choisissait ,  à  ses  risques  et  périls ,  la  formule 
légitime  établie  d'avance,  pour  en  faire  l'application  à 
la  cause;  et,  s'il  y  avait  erreur  dans  le  choix  de  la  for- 
mule ou  son  application,  la  cause  était  perdue.  Gaius 
donne  l'exemple  de  la  perte  d'un  procès  sur  des  cep?  de 
vigne,  de  vilibus  succisis ,  parce  que  le  mot  vites  avait  été 
employé  au  lieu  d'arborés,  seul  mot  contenu  dans  la  Loi 
des  XII  Tables ,  et  qui  devait  se  retrouver  aussi  dans  la 
formule  légitime. 

85  Varro,  de  Ling.  lat.,  iv.  36  :  Ea  pecunia  quœ  in  judicium  venit 
in  litibus,  sacramentum  a  sacro..  .  qui  judicio  vicerat  suuni  sacra- 
mentum  e  sacro  auferebat;  sacramentum  victi  ad  œrarium  redibat. 

Gaius,  IV.  §  13  ,  dit  :  Prœdes  eo  nomine  prœlori  dabanlur. 
§  16  :  «  Praedes  ipse  praelor  ab  utroque  accipiebat  sacramenti.  » 
Du  temps  de  Gaius ,  le  sacramenlum  existait  toujours  pour  les  cau- 
ses centumvirales  ;  mais  la  réalité  de  la  consignation  avait  été  rempla- 
cée par  le  cautionnement. 

86  Prœtor  decernit....'jubet....  (  Cic,  pro  Quinlio,  cap.  viii.  ) 

87  Cic,  pro  Caecina,  eap.  m.  tom.  8.  p.  428. 


CHAP.   V.  DROIT  PRÉTORIEN.   SECT.  V.  361 

2®  La  seconde  action  de  la  Loi ,  judicis  postulatio  , 
s'appliquait  principalement  aux  obligations  personnelles. 
Dans  Tune  et  l'autre  forme  de  procéder,  il  y  avait  de- 
mande de  juge;  mais,  dans  la  première,  il  y  avait  une 
consignation  qui  augmentait  le  péril  du  procès  ;  dans  la 
seconde ,  il  n'y  avait  pas  consignation  :  aussi  le  Sacra- 
mentum  était  indispensable  dans  les  matières  de  la  com- 
pétence centumvirale ,  qui  embrassait  les  grandes  ques- 
tion d'état,  de  domaine  quiritaire  et  d'hérédité,  tandis 
que  la  judicis  postulatio,  purement  applicable  aux  actions 
personnelles,  prétoriennes,  possessoires  et  in  fadiim,  ser- 
vait d'introduction  aux  litiges  devant  le  juge,  l'arbitre,  les 
récupérateurs,  et  non  devant  les  Centumvirs.  La  forme 
de  procéder  par  Consignation  était  générale  ;  la  forme  de 
procéder  par  Demande  déjuge  était  spéciale  :  et  pour  des 
juges,  de  compétence  tout  à  fait  distincte,  il  y  avait, 
ainsi ,  deux  formes  distinctes  de  procéder ,  sous  la  Loi 
des  XII  Tables.  —  L'une  et  l'autre  devaient  être  précédées 
de  la  Vocal io  in  Jus  ^^. 

3"  L'action  de  la  Loi ,  appelée  condictio  ,  ne  prove- 
nait pas  de  la  Loi  des  XII  Tables,  mais  de  Lois  posté- 
rieures, la  loi  siLiA,  qui  l'avait  créée  pour  toute  demande 
de  sommes  déterminées,  la  loi  calpurma,  qui  l'avait 
appliquée  à  toute  demande  d'un  objet  déterminé,  et  par 
conséquent  de  la  compétence  du  Judex^^.  Le  demandeur 

88  II  y  a  lacune  dans  Gains  sur  la  judicis  postulatio  (§  15);  mais 
nous  tirons  notre  explication  de  la  combinaison  du  §  20  avec  d'autres; 
et  cette  explication  est  tout-à-fait  en  harmonie  avec  la  distinction  des 
compétences. 

89  La  loi  Silia  est  d'une  date  incertaine ,  mais  antérieure  par  son 
objet  à  la  loi  Calpurnia ,  dont  la  date  est  reportée  par  Haubold  et 
M.  Blondeau  à  l'an  520. 


362  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

faisait  dénonciation  au   magistrat,   et  il  devait  ensuite 
intimer  à  son  adversaire  la  dénonciation  par  mode  so- 
lennel, et  l'assigner  publiquement'^'^.  Il  obligeait  ainsi  le 
défendeur  à  se  présenter  dans  les  trente  jours  devant  le 
tribunal,  pour  recevoir  un  juge.  De  là,  ditFestus,  condi- 
eere  est  dicendo  denuntiare  :  condictio  est  in  diem  certum  ejus 
rei  quœ  agitur  denmiciatio.  Cette  action  de  la  Loi  paraissait 
superflue  à  quelquesjurisconsultes,  comme  nous  l'apprend 
Gains  ;  car  il  existait  déjà  une  forme  générale  et  une  pro- 
cédure spéciale  pour  demande  de  juge®*.  Mais  il  y  avait 
ici  cette  différence  essentielle,  que  la  Condictio  n'était 
pas  précédée  de  la  vocatio  in  Jus,  et  qu'elle  en  tenait 
lieu  :  elle  évitait  donc  la  violence  possible  du  deman- 
deur sur  la  personne  du  défendeur  ou  le  Yadimonium. 
Cette  cause,  bien  suffisante  pour  motiver  son  introduc- 
tion dans  la  procédure,  postérieurement  à  la  Loi  des 
XII  Tables  et  vers  le  vi®  siècle ,  Fa  maintenue  dans  le 
droit  des  époques  postérieures  jusqu'à  Justinien ,   avec 
des  modifications  de  formes  ou  de  délais ,  et  avec  des 
restrictions  indiquées ,  selon  la  nature  des  intérêts   en 
litige®^. 

90  Actor,  seu  petitor  reo  litem  adversario  suodenunciare,  inlimare 
debebat  et  solemni  more,  per  publicam  conventionem.  Golhof.  Para- 
tilL,  Cad.  Th.,  lib.  ii.  4.  (Tom.  1.  p.  110.  RiUer.) 

91  Gaius,  IV.  §20  :  Quare  autem  haec  actio  desiderata  sit,  cum 
de  eo  quod  nobis  dari  oportet  potuerimus  sacramento  aut  per  judicis 
postulationem  agere  ,  valde  quaeritur. 

92  L'usage  se  maintint ,  après  la  suppression  des  actions  de  la  loi  ^ 
que  le  demandeur,  pour  toutes  les  causes  civiles  ,  indiquât  solennel- 
lement ,  par  dénonciation  au  défendeur,  un  jour  certain ,  ut  diem  cer- 
tum condicerct.  Les  délais  étaient  de  quatre  mois  ,  si  le  fisc  intimait  un 
particulier  ;  de  six  mois ,  si  un  particulier  agissait  contre  le  fisc— Les 


CHAP.  V,  DROIT  PRÉTORIEN.  SECT.  V.  363 

4*  Les  trois  actions  de  la  Loi  que  nous  venons  d'indi- 
quer sont  les  formes  de  procéder  établies  pour  obtenir 
jugement;  la  quatrième,  manus  injectio,  est  la  forme 
ou  procédure  d'exécution. 

La  Loi  des  XII  Tables  n'autorisait  cette  main-mise  sur 
le  débiteur  que  pour  chose  jugée ®^.  Celui  qui  avait  ob- 
tenu la  sentence,  rappelait  la  condamnation  :  ob  eam 

REM  EGO  TIBl  PRO  JUDICATO  MANUM  INJICIO.    Puis  il  Sai- 

sissait  le  débiteur;  et  il  n'était  pas  permis  au  condamné 
de  repousser  la  main  du  saisissant,  et  d'exercer  action 
selon  la  Loi.  Il  devait  donner  un  répondant  (vindex)  qui 
avait  coutume  d'agir  pour  lui.  Le  débiteur  qui  ne  pou- 
dénonciations  solennelles  et  les  longs  délais  furent  modifiés  par  Con- 
stantin, en  319.  {Cod.  Theod.,  de  Denunliaiion.  vel  edict.  resçripli  , 
L.  II.  tit.  4.)  —  En  406  ,  les  empereurs  Honorius  ,  Arcadius  et  Théo- 
dose supprimèrent  la  dénonciation  dans  sept  espèces  de  causes ,  qui 
furent  soumises  à  une  simple  citation  avec  délais  : 

1"  L'argent  dû  par  fœnus  ,  muluum  ou  par  obligation  iillérale  ; 
2o  Les  fidéicommis  ; 
30  Les  interdits  ; 
40  La  plainte  d'inofficiosité  ; 
50  L'action  de  tutelle  ; 
6°  L'action  negoiiorum  gestorum; 

70  Les  causes  civiles  d'un  intérêt  modique ,  c'est-à-dire  n'excédant 
pas  la  somme  de  cenlum  solidorum. 

Cod.  Th.,  II.  4.  6.  (Vide  Comment.  Golh.,  tom.  i. p.  120, et Perezius, 
ad  Insl.,  IV.  6. 1 .)  —  Il  ne  faut  pas  oublier  que  les  sept  causes  ci-dessus 
sont  indiquées  long-temps  après  le  changement  de  l'organisation  judi- 
ciaire introduite  par  Dioclétien  ,  et  après  la  suppression  des  actions  de 
la  loi.  Aussi,  dans  la  suppression  de  la  dénonciation ,  on  mentionne 
une  cause  qui  appartenait  à  l'action  de  la  loi  sacramenlum ,  la  plainte 
d'inofjiciosilé  qui  était  portée  devant  les  centumvirs  ,  selon  l'ancienne 
organisation.  —  Honorius  permit  la  simple  citation  dans  les  procès 
concernant  l'Église.  (Cod.  Théod.,  id. ,  L.  7.) 
93  Gaius  ,  IV.  §§21.  22.  24  ,  pro  judicato. 


364  LIV.  1.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

vait  l'offrir  était  conduit  et  enchaîné  dans  la  maison  du 
créancier. 

Des  lois  postérieures  étendirent  à  d'autres  causes  la 
Manus  injectio  :  ainsi ,  la  loi  Marcia  l'autorisait  contre 
l'usurier,  quand  le  débiteur  agissait  en  restitution^*; 
mais ,  dans  ces  autres  causes ,  il  était  permis  de  repous- 
ser la  main-mise.  —  A  l'action  exercée  seulement  pro 
judicato  était  attaché  le  privilège  d'obéissance  passive. 
L'autorité  de  la  chose  jugée  couvrait  du  respect  qui  lui 
était  dû  la  main  du  créancier  exerçant  la  contrainte  par 
corps.  —  Lorsque  le  débiteur  condam.né  voulait  satisfaire 
au  paiement  de  la  condamnation ,  soit  avant ,  soit  après 
la  saisie  personnelle,  l'acquittement  de  la  dette  se  faisait 
par  la  forme  générale  de  la  mancipation^^.  Le  paiement 
pouvait  se  faire  par  le  condamné  ou  par  un  tiers  interve- 
nant. Ainsi,  d'après  Tite-Live,  nous  avons  vu  Manlius 
acquitter  per  œs  et  libram  la  dette  d'un  citoyen  que  son 
créancier  conduisait  en  prison®*^. 

94  Gaius  ,  iv.  §  23  :  Sed  aliae  leges  ex  quibusdam  causis  constitue- 
runt  quasdam  actiones  per  manus  injectionem,  sed  puram,  id  est  pro 
non  Judicato;  velutlexFuria....  item  lex  Marcia  adversus  fœneratores 
ut  si  usuras  exegissent,  de  his  reddendis  per  manus  injectionem  cum 
eis  ageretur. 

95  Quod  et  ipsum  genus  certis  in  causis  receptum  sit;  velut  si 
quid....  ex  judicati  causa  debitum  sit.  {Gains  ,  m.  §  173.) 

96  Tit.  Liv.,  vi.  14.  Su^ra ,  sect.  4,  §  2.no  iv.  p.  148.  ) 


'CHAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEN.  SECT.  V.  365 

II.  —  Procédure  formulaire.  —  Les  publications 
faites  successivement  par  Cn.  Flavius  et  Sextus  iElius, 
livrèrent  au  peuple  reconnaissant  le  mystère  et  la  solen- 
nité des  formules  accessoires  aux  actions  de  la  Loi  * .  Ces 
formules  alors  cessèrent  d'être,  pour  les  patriciens,  un 
moyen  de  retenir  les  plébéiens  dans  leur  dépendance ,  et 
les  actions  de  la  Loi  cessèrent  bientôt  aussi  d'être  l'unique 
mode  de  procéder  en  justice.  La  loi  iEbutia ,  dont  la  date 
précise  est  inconnue,  les  abrogea  même  en  partie.  Ce  Plé- 
biscite ,  qui  devait  être  postérieur  à  l'époque  où  les  for- 
mules abrégées  furent  expliquées  au  peuple  par  S.  iElius, 
et  qu'on  peut  ainsi  placer  à  la  fm  du  vi^  ou  au  commen- 
cement du  vii^  siècle,  avait  plusieurs  objets^  :  il  abro- 
geait d'abord  certaines  dispositions  de  la  Loi  des  XII  Ta- 
bles, qui  tenaient  à  l'ordre  criminel ,  comme  la  peine  du 
Talion,  la  recherche  du  vol ,  cum  lance  et  licio,  la  peine 
des  25  as  pour  injure  ;  il  abrogeait  aussi  des  dispositions 
de  l'ordre  civil  sur  la  qualité  des  cautions  ou  répondants 
en  justice  {assldui,  vades  et  subvades)  ;  mais  Aulu-Gelle, 
qui  rappelle  ces  abrogations  partielles,  a  donné  au  plé- 
biscite un  sens  trop  absolu ,  concernant  les  actions  de  la 


1  Cic,  pro  Murena ,  ii  :  Inventus  est  scriba  qui....  et  ab  ipsis  juris- 
consultis  sapienliam  compilant. 

2  Haubold ,  suivi  par  M.  Blondeau  ,  indique  la  date  de  520  comme 
probable  ;  mais  il  est  impossible  de  l'admettre.  Le  livre  de  Sextus 
iElius  ,  qui  expliquait  les  sigles  et  les  difficultés  des  actions  de  la  loi , 
aurait  été  beaucoup  moins  utile,  si  les  actions  de  la  loi  avaient  été 
abrogées;  et  cependant  il  a  pris,  dans  l'histoire  du  droit,  le  nom  de 
Jus  œlianum ,  qui  suppose  la  pleine  activité  du  système  des  actions 
auquel  il  s'appliquait.  La  loi  J^butia  doit  donc  être  placée  après  l'an 
552,  époque  du  Jus  œlianum.  Heffter  la  met  au  commencement  du 
vii«  siècle.  {Observ.,  p.  23  ,  et  Tabula  fonlium.  ) 


366  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

Loi,  qu'il  a  supposées  entièrement  abrogées,  excepté  dans 
les  causes  centumvirales  ^.  Cicéron  nous  montre  des  ac- 
tions de  la  Loi  suivies,  depuis  le  plébiscite,  dans  des  cau- 
ses étrangères  à  la  compétence  des  Centumvirs*;  et  Gains 
nous  représente  les  deux  lois  Julise  comme  ayant  concou- 
ru, avec  la  loi  iEbutia,  à  l'abolition  des  actions  delà  Loi, 
sauf  toujours  l'exception  du  jugement  des  Centumvirs^. 

C'est  vers  le  temps  de  la  loi  iEbutia ,  et  par  conséquent 
dans  le  vii^  siècle,  que  s'introduisit  la  Procédure  préto- 
rienne par  les  formules,  ou  ce  qu'on  est  convenu  de  dé- 
nommer le  système  Formulaire.  «  Effectum  est,  dit  Gains , 
ut  per  concepta  verba ,  id  est  per  formulas  litigaremus .  »  Le 
Préteur  indiquait ,  dans  son  Édit,  les  formules  qu'il  don- 

3  Sed  enini  quum  prolelarii  et  assidui  et  sanales  (id  est ,  rebelles  ad 
sanam  mentem  regressi  (Gronov.),  et  vades  et  subvades  et  viginli  quin- 
que  asses,  el  taliones,  furlorumque  quœslio  cum  lance  et  licio  evanuerinl, 
omnisque  illa  XII  Tabularum  antiquitas  ,  nisi  in  legis  actionibus  cen- 
tumviralium  causarum ,  lege  ^Ebutia  lata ,  consopita  sit  :  studium 
scientiamque  ego  praestare  debeo ,  juris  et  legum  vocumque  earum 
quibus  utimur.  {Aulu-GelL,  xvi.  10.  ) 

4  Cicéron  dit  d'une  manière  générale  ,  in  Verr.,  ii.  16  :  Quis  un- 
quam  isto  praetore ,  Chelidone  invita,  lege  agere  poluit  ?  —  In 
Verr.,  m.  11  ,  il  indique  la  pignoris  capio.  —  Ailleurs ,  il  indique  la 
demande  de  l'arbitre  famiiiœ  erciscundœ  et  de  finibus  rcgundis  ,  sans 
formule  prétorienne.  —  Heffter  le  reconnaît,  p.  19  ;  mais  il  conjec- 
ture que  les  deux  actions  Judicis  poslulalio  et  Condiclio  étaient 
abrogées  par  la  loi  Jibutia,  pure  hypothèse  détruite  par  la  perma- 
nence même  de  la  condiclio ,  qui  a  subsisté  si  long-temps  en  fait  dans 
le  droit  romain,  sous  son  nom  ou  celui  de  Denuncialio.  —  M.  Bonjean 
n'a  pas  adopté  l'hypothèse  de  Heffter.  (i.  p.  411.) 

5  Gaius,  §§30.  31  :  Itaque  per  legem  ^Ebutiam  et  duas  Julias  sub- 
latae  sunt  istœ  legis  actiones....  Les  lois  Juliœ  judiciarise  sont  attri- 
buées ,  l'une  à  .Tules  César,  l'autre  à  Auguste  [  708-729] ,  par  Haubold. 
Heffter  croit  devoir  les  attribuer  toutes  deux  à  Auguste. 


CHAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEN.  SECT.  V.  367 

nerait  selon  la  nature  des  actions,  et  ces  formules,  annon- 
cées d'avance  par  TAIbum  prétorien,  étaient  toujours 
composées  avec  le  plus  grand  soin.  Mais  le  Préteur  ne  s'en 
tenait  pas  là  :  les  citoyens  auraient  pu  se  tromper  dans 
l'application;  et  le  magistrat,  en  nommant  le  juge  pour 
chaque  cause,  donnait  la  formule  spécialement  assortie 
à  la  prétention  du  demandeur  et  aux  noms  des  parties. 

La  Formule  contenait  ordinairement  trois  éléments  : 
i  °  La  DEMONSTRATio ,  qui  indiquait  principalemejit  la 
chose  dont  il  s'agissait,  comme  la  vente  ou  le  dépôt  d'un 
objet  dans  les  contrats  nommés ,  la  chose  donnée  ou  le 
fait  accompli  par  lune  des  parties  dans  les  actions  prœ- 
scriptis  verbis  qui  naissaient  des  contrats  innommés  ; 

2°  L'i>'TE>Tio ,  qui  exprimait  la  prétention  du  deman- 
deur, soit  en  droit ,  soit  en  fait  ; 

3"  La  coNDEMXATio ,  qui  donnait^  au  juge  le  pouvoir 
de  condamner  ou  d'absoudre ,  mais  qui ,  du  temps  de 
Gains,  tendait  toujours  à  une  somme  d'argent. 

4"  S'il  s'agissait  d'un  partage  entre  héritiers^  entre  as- 
sociés ou  propriétaires  indivis,  d'une  contestation  de  limi- 
tes entre  voisins,  la  Condemnatio  était  remplacée  par 

r  ADJUDICATION^. 

La  formule  était  arrêtée  en  présence  du  défendeur,  et 
si  ce  dernier  avait  une  exception  à  opposer,  exception 
puisée  soit  dans  les  lois,  soit  dans  l'édit  du  préteur  ou 
dans  une  cause  de  restitution  in  iategrum'' ,  elle  devait 

6  Gaius,  IV.  §§  39  et  seq. 

7  Gaius ,  IV.  §  118  :  E.xceptiones  autem  alias  in  edicto  praetor  habet 
propositas,  alias,  causa  cognita,  accommodât;  quœ  omnes  vel  ex  le- 
gibus,  vel  ex  his  quse  legis  vicem  obtinent,  substantiam  capiunt,  vel 
ex  jurisdictione  praetoris  proditse  sunt. 


368  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

être  proposée  devant  le  magistrat,  qui  l'insérait  dans  la 
formule ,  sous  une  locution  contraire  à  la  prétention  du 
demandeur  :  par  exemple,  si  rien  n'a  été  fait  far  dol  ^  s'il 
n'y  a  pas  eu  promesse  de  ne  pas  réclamer.  L'exception  ,  jointe 
à  la  formule,  rendait  la  condamnation  conditionnelle^. 

Les  parties  n'avaient  qu'à  présenter  au  juge  la  formule 
et  les  exceptions  accessoires.  Le  demandeur  y  conformait 
ses  preuves  et  moyens ,  le  défendeur  ses  exceptions  et  dé- 
fensQ3.  Le  juge  vérifiait  les  faits  et  moyens  de  part  et 
d'autre ,  et ,  usant  du  pouvoir  de  condamner  ou  d'absou- 
dre, il  appliquait  la  formule  et  rendait  le  jugement,  sans 
qu'il  y  eût  retour  au  Préteur  pour  cette  application. 

Mais  il  y  avait  une  grande  exception  ou  restriction  ap- 
portée à  la  procédure  formulaire  ;  nous  l'avons  indiquée 
déjà  avec  Aulu-Gelle  et  Gains  :  elle  regardait  les  causes 
Centumvirales. 

Depuis  la  loi  iEbutia  et  les  lois  Juliœ  Judiciarise  qui 
concouraient  à  l'abolition  de  l'ancienne  procédure,  on 
continua  d'agir  devant  les  Centumvirs  par  la  consigna- 
tion, Sacramentum,  l'action  de  la  Loi  qui  avait  le  caractère 
de  généralité®.  Ce  tribunal,  juge  des  grandes  questions 
d'état ,  de  propriété  quiritaire ,  d'hérédité ,  n'avait  pas 
besoin  d'une  formule  spéciale ,  qui  aurait  pu  gêner  la  dis- 

8  Gaius ,  IV.  §  119  :  «  Omnes  autem  exceptiones  in  contrarium  con- 
cipiuntur...  Si  in  ea  re  nihil  de  dolo  malo  factum  sit.  — Si  inter  A  et  N, 

non  convenit  ne  ea  pecunia  peterelur omnis  exceptio  objicitur 

quidem  a  reo;  sed  ita  formulée  iuseritur,  ut  conditionalem  faciat  con- 
demnationem.  » 

9  Gaius,  IV.  §  31  :  Et  si  centumvirale  judicium  fuerit  provocatum, 
ideo  quum  ad  centumviros  ilur,  ante  agitur  Lege ,  sacbamento,  apud 
prœtorem  urbanum  vel  peregrinum.  {Vid.  Aul.  Gell.,  xvi.  10.) 


CHAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEN.  SECT.  V.  369 

cussion  des  points  de  droit,  la  délibération  et  la  sentence. 
La  Formule  prétorienne,  qui,  dans  \?l condamnation ,  ten- 
daità  une  somme  d'argent,  était  créée  en  vue  des  obli- 
gations ,  et  non  des  questions  d'état  et  de  domaine  qui- 
ritaire.  Après  les  décisions  du  Préteur  sur  la  possession 
provisoire,  après  la  consignation  ou  le  cautionnement  de 
la  somme  fixée  pour  le  Sacramentiim ,  les  parties  portaient 
le  débat  devant  les  centumvirs,  ad  centumviros  itur. 
Des  exceptions  pouvaient  être  présentées  dans  les  actions 
réelles  et  les  autres  causes  centumvirales ,  comme  dans 
les  actions  personnelles;  mais  elles  étaient  opposées  au 
demandeur  au  moment  du  litige,  et  devant  les  Centum- 
virs eux-mêmes^ '^.  Il  y  avait  aussi  des  questions  préjudi- 
cielles que  l'on  pouvait  faire  décider  avant  de  former  toute 
autre  action,  prœjîidicium  postulare  ^*  -,  il  y  avait  même  des 
PR^JUDiciA  que  les  autres  juges  devaient  d'office  laisser 
à  la  compétence  des  Centumvirs,  comme  les  questions 
d'état,  de  liberté,  et  celles  relatives  à  la  qualité  d'héri- 
tier*'. 

10  Gaius,  IV.  §  17  :  Si  fundum  litigiosum  sciens  a  non  possidente 
emeris,  euinque  à  possidenti  petas ,  opponitur  tibi  exceplio  per  quam 

OMNIMODO  SUBMOVEBIS. 

11  Gains,  ni.  §  123.  D.  xlii.  5.  35.  §  2.  Zimmern,  §§  53.  69. 

12  Zimmern  (§  69.  p.  208.  note  3),  fait  observer  que  le  prajudicium 
proprement  dit  est  distinct  de  l'action  préjudicielle ,  et  il  cite  des  lois 
du  Digeste.  (  m.  3.  35.  §  2.  —  xliv.  7.  37.  )  Mais  le  prœjudicium  sur 
la  qualité  d'héritier  est  un  exemple  bien  plus  précis ,  puisque  rien  ne 
peut  être  fait  qui  puisse  préjuger  la  qualité  d'héritier  :  Quod  prœju- 
dicium HEEEDITATI  NON   FIAT  OTER  ACTOREM  ET  EUM  QUI  VENUM- 

DEDIT.  (D.,  V.  3.  25.  §  17.  De  Heredil.  peliL  Ulp.  ) 
Et  au  titre  Familiœ  erciscundœ^  Gaius  rappelle  la  même  règle  :  Si 

IN  EA  RE  DE  QUA  AGITUB  PRŒJUDICIUM  HŒREDITATI  NON  FIAT.  (Z)., 
X.  2.  1.) 

1. 1.  n 


370  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

Le  système  formulaire  se  trouvait  donc  renfermé  dans 
de  justes  limites.  C'était  par  rapport  aux  obligations  et 
actions  personnelles  naissant  des  contrats  et  des  délits, 
par  rapport  à  la  délivrance  des  legs ,  à  la  réparation  des 
dommages,  aux  actions  réelles  prétoriennes  et  aux  ac- 
tions in  facfum;  c'était,  en  un  mot,  pour  les  litiges  de 
la  compétence  du  juge,  des  arbitres,  des  récupérateurs, 
toutes  choses  qui  pouvaient  se  traduire  en  une  question 
d'argent  comprise  dans  la  condamnation ,  que  les  for- 
mules étaient  d'abord  rédigées  et  données  par  le  Préteur. 

Il  faut  remarquer,  toutefois,  que  le  Préteur  trouva,  par 
la  suite ,  le  moyen  de  dégager  certaines  questions  de  fait 
ou  de  droit  de  la  gène  des  formules  complètes ,  pour  les 
attribuer  séparément  à  l'appréciation  du  Judex  :  ainsi ,  il 
inventa  des  formules  préjudicielles  qui  ne  contenaient  que 
Vinfentio ,  c'est-à-dire  des  points  de  fait  ou  de  droit  à  dé- 
cider, sans  condamnation  :  par  exemple ,  la  formule  pré- 
judicielle par  laquelle  on  demandait  quelle  était  la  quotité 
d'une  dot ,  ou  si  quelqu'un  était  l'affranchi  de  tel  patron  , 
et  plusieurs  autres ,  dit  Gaius'^.  —  De  même,  le  Préteur 

13  Intentio  aliquando  sola  invenitur,  sicut  in  praejudicialibus  for- 
mulis  :  qualis  qua  quœritur  aliquis  libertus  sit ,  vel  quanta  dos  sit,  et 
alise  complures.  {Gains,  iv.  §  44.  ) 

On  peut  ne  pas  être  l'affranchi  d'un  patron ,  et  être  l'affranchi  d'un 
autre.  L'état  lui-même  de  la  personne  n'est  pas  engagé  dans  la  ques- 
tion. —  S'il  s'agissait  d'une  question  d'ingénuUé  élevée  par  un  affran- 
chi, elle  était  portée  devant  les  centumvirs,  et ,  plus  tard,  devant  le 
prince,  d'après  une  constitution  de  Marc-Aurèle ,  qui  régla  le  mode 
de  preuve  de  l'ingénuité.  (  Capitolin.  M.  Ant.  vita.  c.  ix.  )  Qui  se  ex 
libertinitate  ingenuitati  adserant ,  non  ultra  quinquennium  ,  quani 
manumissi  fuissent  audientur.  Qui  post  quinquennium  reperisse  in- 
strumenta ingenuitatis  suœ  adseverant,  de  ea  re  ipsos  Prmc/pe*  adiré 
oporlere  cognituros.  {D.,  xl.  14.  2.  §§  1.  2.  Salurninus.  ) 


CHAP.  V.  DROIT 'prétorien.  ^ECT.  V.  371 

composa  des  formules  conçues  en  droit ,  dans  lesquelles 
YinfenUo  était  de  droit  civil *^  :  ainsi,  la  formule  dans  la- 
quelle le  successeur  prétorien  agissait  comme  s'il  était  hé- 
ritier et  propriétaire  ex  jure  Quirilium,^^-^  la  formule,  par 
laquelle  le  légataire  per  vindicationem  agissait  contre  l'hé- 
ritier obligé  par  Vadilion  d'hérédité  comme  par  un  con- 
trat *6;  mais  alors  il  y  avait  condamnation,  et  la  condam- 
nation portait  toujours  sur  la  valeur  estimative  de  la 
chose*^  —  Le  Préteur,  au  surplus,  étendait  l'influence 
des  formules  à  des  cas  opposés  au  pur  droit  civil.  Dans 
les  actions  de  la  Loi ,  on  ne  pouvait  agir  pour  autrui  ; 
une  formule,  au  contraire,  fut  adaptée  à  cette  possibi- 
lité :  Vinteutio  était  prise  des  droits  supposés  du  créancier 
ou  du  propriétaire,  et  la  condamnation  était  convertie  en 
faveur  du  demandeur  agissant  au  nom  d'autrui*^. 

Ces  extensions  de  la  Formule  venaient  donc  s'appro- 
prier aux  différents  aspects  des  affaires  et  des  instances  ; 

14  Sed  eas  quidem  formulas  in  quibus  de  jure  quœritur,  in  jus 

conceptas  vocaraus in  quibus  juris  civilis  intentio  est.  (  Gaius^  iv. 

§  45.  ) 

15  JuDEX  ESTO  :  Si  (actor)  sEi  h.îres  esset,  tdm  si  is  fundu9.de 

QUO  AGITUR  EX  JUBE  QUIBITIUM  EJUS  ESSET.  (  Gaius ,  IV.  §  34.  ) 

16  Gaius,  u.  §  194  :  Per  vindicationem  legatum legatarius 

vindicare  débet,  id  est  inlendere  rem  suam  ex  jure  quiritium  esse.  — 
Au  reste  ,  on  peut  douter  si  la  revendication  du  legs  per  vindicationem 
n'était  pas  portée  primitivement  devant  les  centumvirs ,  juges  de  la 
vendicalion  en  général  (  Cenlumviralis  hasta). 

17  Gaius,  IV.  §  48  :  Omnium  autem  formularum  ad  pecuniariam 

œstimationem  condemnatio  concepta  est Judex  non  ipsam  rem 

condemnat  eum ,  eum  quo  actum  est ,  sicut  olim  fieri  solebal ,  sed  aes- 
timata  re  pecuniam  «um  condemnat. 

18  Gaius,  IV.  §  86  :  Qui  autem  alieno  noniiue  agit  intentionem  qui- 
dem ex  persona  domini  sumit ,  condemnationem  autem  in  suam  per- 
sonain  convertit. 


372  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

elles  donnaient  plus  de  liberté  d'action  à  la  Juridiction 
prétorienne;  elles  pouvaient  même  déplacer  quelquefois, 
mais  elles  n'effaçaient  jamais  la  profonde  ligne  de  démar- 
cation qui  existait  entre  la  compétence  des  centumvirs  et 
celle  des  autres  juges. 

Les  écrivains  qui,  dans  nos  temps  modernes,  parlent 
de  l'application  du  jury  aux  causes  civiles  ,  et  citent 
l'exemple  des  Romains,  oublient  que  les  grandes  affaires, 
celles  où  les  questions  les  plus  élevées,  les  points  de  droit 
les  plus  difficiles  se  discutent ,  celles  où  la  séparation  du 
droit  et  du  fait  est  souvent  impossible,  n'étaient  pas  dé- 
cidées par  les  Jurés  romains ,  mais  par  un  Tribunal  que 
présidaient  des  magistrats  institués  dans  ce  but*'';  par 
un  tribunal  qui  jugeait  sans  formule  obligatoire,  sans  dé- 
termination préalable,  et  qui  réformait  ou  confirmait,  en 
Sections  réunies  ,  des  décisions  portées  par  une  ou  deux 
Sections.  L'appel,  ou,  du  moins,  un  second  degré  de 
juridiction  inconciliable  avec  l'institution  du  jury,  se 
trouvait  comme  une  garantie  organisée  dans  le  sein  même 
du  tribunal  des  Centumvirs. 

Nous  avons  reconnu  les  bases  de  la  procédure  formu- 
laire ;  recliercbons  quel  lien  existait  entre  l'ancien  et  le 
nouveau  système. 

Les  actions  de  la  Loi ,  limitées  à  une  classe  d'affaires , 
par  suite  des  lois  /Ebutia  et  Julige  Judiciarise ,  furent  rem- 
placées dans  les  autres  causes  par  une  procédure  qu'elles 
portaient  en  germe;  car,  dans  les  deux  systèmes,  il  y 


19  Tfe'mde  {posl  prœloremperegrinum,)  cum  esset  necessarius  nia- 
gistratusqui  hastï  prœessent,  Decemviri  iu  litibus  judicandis  sunt 
coustituti.  (  Orig.  J.,  Pomp.,  §  29.  ) 


CHAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEN.  SECT.  V.  373 

avait  des  formules.  La  différence  essentielle  ,  entre  les 
formules  accessoires  aux  actions  de  la  Loi  et  les  formules 
Prétoriennes,  consistait  en  ce  que  les  parties  choisissaient, 
dans  le  premier  cas ,  à  leurs  risques  et  périls ,  la  formule 
convenable  à  un  certain  genre  d'affaires  ;  et  que  les  par- 
ties ,  dans  le  second  cas ,  recevaient  la  formule  de  l'Édit 
et  de  la  main  du  Préteur,  sans  danger  de  nullité,  à  moins 
qu'il  n'y  eût  demande  excessive,  plus-petitio  ;  faute  qui  ve- 
nait du  demandeur  lui-même,  et  qui  viciait  YintenHo  de 
la  formule"^. 

Le  Système  formulaire  prenait  la  procédure  au  point 
où  la  laissait  soit  Tappel  devant  le  magistrat,  Vocalio  in 
jns,  soit  la  dénonciation  solennelle  du  jour  de  la  com- 
parution ,  Condictio  :  sous  ce  dernier  rapport,  il  n'anéan- 
tissait pas  l'action  de  la  Loi  per  condictlonem ,  il  la  con- 
servait transformée  en  ajournement. 

Le  Vadimonium  ,  qui  existait  déjà  en  des  cas  prévus , 
put  même  s'appliquer  à  la  stipulation  et  promesse  de 
comparaître  devant  le  magistrat;  ce  qui  formait  un  ajour- 
nement sous  caution,  et  ajoutait  aux  autres  moyens  de 
citer  en  justice ^^  La  procédure  Formulaire,  après  la 
comparution  devant  le  Magistrat ,  ^faisait  abstraction  de 

20  Quand  la  plus  pelUion  était  dans  Vinlenlio  de  la  formule  où  le  de- 
mandeur exprimait  sa  prétention,  elle  viciait  la  demande;  si  elle  se 
trouvait  seulement  dans  la  condcmnalin  de  la  formule  où  le  préteur 
seul  intervenait,  il  n'y  avait  pas  nullité  pour  le  demandeur,  et  il  y 
avait  restitution  in  integrum  pour  le  défendeur.  (  Gains ,  iv.  §§  53  . 
57.  68.  ) 

21  Vadimonium  promittere.  {Sencca  ,  de  Beneficiis  ,  lib.  m.  ) 
Vadari  erat  vadem  dare  aut  stipulari  vadimonium   et  poscere. 

(Ctc,  pro  Quinlio.  Brtssox.,  de  Verb.  signif.,  v  Vades.) 


374  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

la  consignation  ou  d'autres  formalités  surannées ,  et,  sub- 
stituait à  la  FORMULE  LÉGITIME,  clioisie  par  le  demandeur 
sans  la  participation  du  magistrat  et  nécessaire  pour  abor- 
der le  juge,  la  FORMULE  PRÉTORiEisiNE ,  rédigée,  publiée 
et  appliquée  par  le  Préteur. 

Ce  qui  avait  fait  haïr  les  actions  de  la  Loi ,  ce  n'était 
pas  l'emploi  des  formes  extérieures,  plus  ou  moins  solen- 
nelles, car  les  Romains  avaient  l'esprit  formaliste;  mais 
c'était  l'excessive  subtilité  des  formules  accessoires,  le 
danger  du  choix  en  l'absence  du  magistrat  qui  donnait  le 
juge,  la  grave  responsabilité  d'une  erreur  même  très-lé- 
gère^^. —  Les  formules  prétoriennes  étaient,  delà  part 
des  magistrats,  des  actes  de  loyale  intervention;  elles 
donnaient  aux  citoyens  une  grande  et  nouvelle  garantie, 
en  offrant  aux  parties  et  aux  juges  un  moyen  sur  et  fa- 
cile d'appliquer  aux  litiges  la  loi  ou  l'équité.  Le  Préteur, 
intervenant  pour  la  rédaction  de  la  formule,  l'appropriant 
à  chaque  cause  ^^,  imprimait  la  sécurité  au  cœur  du  ci- 
toyen qui  ne  demandait  pas  plus  qu'il  ne  lui  était  dû ,  et 
associait  l'exercice  de  la  Justice  au  mouvement  de  la  so- 
ciété romaine ,  aux  besoins  nouveaux  du  commerce  et  de 
la  civilisation. 


22  Sed  istse  omnes  legis  actiones  paulatim  in  odiuin  veuerunt; 
namque  ex  nimia  sublililate  velerum  qui  tune  jura  condiderunl ^  eo 
res  perducta  est  ut  vel  qui  minimum  errasset  ,  litem  perderet. 
(  Gaius ,  TV.  §  30.  ) 

23  Eodem  tempore  et  mapistratus  jura  reddebant ,  et  nt  scirent 
cives  de  quaque  EEquisque  dicturus  essetseque  praemunirent,  edicta 
proponebant.  {De  Orig.  J.,  §  10.  ) 


CHAP.   V.  DROIT  PRÉTORIEN.  SECT.  Y.  375 

§  3.  —  PEOCÉDUBE  POSSESSOIRE  SOUS  LA  LOI   DES  XII  TABLES 
ET  LE  DROIT  PRÉTORIEN. 

ï.  —  Possession  provisiokaelle  (lis  vlndiciarum). 
La  procédure,  pour  engager  la  revendication  et  obtenir 
la  possession  provisoire  de  l'objet,  se  liait,  sous  le  droit 
des  XII  Tables,  au  Sacramenlum ,  et  s  accomplissait  par 
une  forme  dramatique. 

Si  la  chose  était  mobile  ou  animée ,  elle  était  originai- 
rement apportée  ou  conduite  devant  le  Magistrat.  Le 
demandeur  la  réclamant  comme  sienne,  ex  jure  ouiri- 
TiUM ,  la  saisissait  et  élevait  sur  elle  la  lance  symbolique. 
—  Le  défendeur  la  disait  à  lui ,  au  même  titre ,  la  saisis- 
sait et  imposait  la  lance.  Si  la  chose  ne  pouvait  être  fa- 
cilement amenée  in  Jus,  comme  un  troupeau ,  une  co- 
lonne, un  navire,  il  suffisait  d'un  objet,  d'un  fragment, 
d'un  signe  représentatif,  devant  lequel  s'accomplissaient 
les  formalités  de  la  vendication  * . 

Si  la  chose  litigieuse  était  un  immeuble  ou  un  droit 
d'hérédité,  représentant  l'universalité  des  biens  mobiliers 
et  immobiliers  d'un  citoyen ,  un  combat  simulé  s'enga- 
geait, dans  l'origine,  sur  le  terrain  même  qui  faisait  l'ob- 
jet du  Htige,  ou  qui  dépendait  de  l'hérédité  :  mais  les 
parties  devaient  comparaître  d'abord  devant  le  magistrat. 
L'une  exposait  qu'un  fonds,  qu'une  hérédité  lui  apparte- 
nait :  «  FUNDUS  on  EST  ÏX  AGRO  OUI  SABI?,US  VOCATUR , 
»  EUM  EGO  EX  JURE  OUIRITIUM  MEUMESSE  AIO.  »  —  L'autre 

1  Gaius,  IV.  §§  16.  17.  Une  brebis,  une  chèvre ,  partie  du  troupeau, 
suffisait.  Etiam  piLUS,  dit  le  jurisconsulte;  ce  qui  est  un  peu  dérisoire. 


376  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

partie  contestait  et  affirmait  dans  les  mêmes  termes  le 
droit  en  sa  favem\  Le  demandeur  alors  disait  :  au  nom 

DU  MAGISTRAT,  je  t' APPELLE  AU  COMBAT  SUR  LES  LIEUX '^^ 

Le  défendeur  répondait  par  une  semblable  provocation 
d'en  venir  aux  mains ,  manu  consertum  voco  ;  et  dans 
les  premiers  temps,  parties,  témoins  et  magistrat  se  ren- 
daient sur  les  lieux.  On  en  venait  aux  mains  fictivement; 
les  témoins  étaient  entendus^,  et  la  possession  provisoire 
était  adjugée  par  le  Préteur.  —  Plus  tard,  quand  les  af- 
faires devinrent  nombreuses,  et  que  le  déplacement  du 
magistrat  n'était  plus  aussi  facile,  la  même  provocation 
se  faisait  in  jure  :  mais  au  lieu  de  se  rendre  sur  le  ter- 
rain, les  parties,  sur  l'ordre  du  Préteur,  en  prenaient  le 
chemin,  et  revenaient  subitement  à  sa  voix*.  Alors  le 
combat  simulé  avait  lieu  ,  les  lances  étaient  croisées  de- 
vant la  motte  de  terre  apportée  d'avance  du  fonds  en  li- 
tige ou  de  l'un  des  fonds  compris  dans  l'hérédité  récla- 
mée^. Le  magistrat  statuait  sur  la  possession  provisoire 

2  «  Inde  ibi  ego  te,  ex  Jure,  manu  consertum  voco.  »  (  Cic.,pro  Mu- 
rena,  xn.  De  Oral.,  i.  10.) —  Ex  Jure,  au  nom  du  magistrat,  ou  peut- 
être  DU  TRIBUNAL,  JE  t' APPELLE LcS   XII  TablcS   {Tab.  VI.    5), 

portaient  :  Sei  quei  endo  jubé  manum  consebunt  {Aulu-GclL,  xx. 
10.  )  —  Jus  dicitur  (aliquando)  locusinquo  Jus  redditur.  (D.  i.  1.  11.) 

3  Ils  étalent  appelés  superstiles ,  de  super  agros  stantes. 

4  Inite  viam ,  redite  viam.  (  Cic,  pro  Murena ,  xii.  )     • 

5  Gains,  ix.  §  17  :  Similiter  si  defundo,  vel  de  aedibus,  sivede./iœ- 
redilate  controversia  erat,  pars  aliqua  inde  sumebatur  et  in  jus  affe- 
rebatur  ;  et  in  eam  partem  perinde  atque  in  totani  rem  prœsentem 
fiebat  vindicatio.  —  Or,  Gaius(§  16)  explique  comment  la  vin- 
dicalio  se  faisait  :  le  combat  simulé  se  faisait  réellement  devant  la 
motte  ou  la  tuile  représentant  la  terre  ou  la  maison  ;  mais  les  parties 
ne  faisaient  pas  le  combat ,  une  première  fois ,  sur  le  champ  contesté, 
comme  le  dit  AValter  (  Procèd.  civile  des  Romains,  ch.  m.  p.  26  ),  qui 
a  mis  beaucoup  de  confusion  dans  le  tableau  de  cette  procédure. 


CHAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEN.  SECT.  V.  3T7 

OU  sur  les  vindici^  (d'où  est  venue  la  dénomination  de 
LIS  VINDICIARU3I  )  ;  et  il  ordonnait  que  le  possesseur  se- 
rait tenu  de  fournir  caution  à  son  adversaire,  tant  de  la 
chose  que  des  revenus®. 

Mais  lorsqu'il  s'agissait  d'une  cause  de  liberté,  lors- 
qu'une personne  était  revendiquée  comme  esclave  ou 
comme  libre ,  le  plus  ancien  droit  de  Rome,  confirmé  par 
la  Loi  des  XII  Tables,  voulait  que  la  possession  provisoire 
fût  pour  l'état  de  liberté  :  secundum  libertatem  vindi- 
ciAS  semper  dato.  La  présomption  était  en  faveur  de  la 
liberté  :  principe  généreux  qui  doit  régner  dans  le  droit 
public  et  civil  de  toutes  les  nations'. 

C'est  après  cette  décision ,  sur  la  possession  provisoire, 
qu'afin  d'engager  le  litige  au  pétitoire,  la  consignation 
pour  le  sacramentun  était  faite  au  Trésor  public  ,  ou  que 
les  cautions  étaient  reçues,  à  ce  sujet,  par  le  Préteur  lui- 
même. 

Le  combat  fictif  qui  avait  lieu  pour  la  possession  pro- 
visionnelle n'avait  rien,  au  surplus,  du  Duel  judiciaire 
qu'on  a  vu  naître  dans  l'Europe  du  moyen-âge;  il  n'or- 
ganisait pas  entre  individus  la  force  et  l'adresse  à  la 
place  du  droit;  il  représentait  seulement  la  conquête  pri- 

6  Gaius,  IV.  §  16  :  Prsetor  secundura  alterum  eorum  vindicias  di- 
cebat ,  id  est ,  intérim  aliquem  possessorem  constituebat ,  eumque  ju- 
bebat  praedes  adversario  dare  litis  et  vindiciabium,  id  est,  p.ei  et 

FBUCTULM. 

7  Pomp.  Orig.  J.,  §  24 ,  rappelle  à  ce  sujet  le  trait  de  Virgiuius  im- 
molaut  sa  fille  :  Quum  animadverteret  Ap.  Claudium  contra  jus  quod 
ipse  ex  velerejitre  in  XII  Tabulas  transtuleret ,  vindicias  liliae  suœ  ab 
se  abduxisse  et  secundum  eum  qui  in  servitutem  ab  eo  suppositus  pe- 
tierat,  dixisse....  Tit.  Liv.  liv  m.  47  :  Decrevisse  vindicias  secundura 
seVvitutem. 


378  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

mitive  de  la  terre  romaine,  l'origine  de  la  propriété  Qui- 
ritaire;  mais  il  n'exerçait  aucune  influence  sur  le  droit 
même  de  possession  provisoire,  puisque  le  magistrat 
prononçait  d'après  la  déclaration  des  témoins. 

Un  citoyen  pouvait  ne  pas  employer  la  procédure  préa- 
lable de  la  vendication  pour  réclamer  la  possession  d'un 
fonds  de  terre,  s'il  en  avait  été  chassé  réellement  par 
violence,  ou  si  un  autre  s'en  était  emparé  ,  de  fait,  sans 
violence  effective.  La  forme  de  procéder  sur  le  pos- 
sessoire  était  alors  différente  de  celle  qui  précède;  mais 
le  demandeur  devait  se  plaindre,  dans  ces  deux  cas, 
comme  s'il  avait  éprouvé  une  violence  réelle ,  si  vi  dejec- 
tus  essel  ^. 

Au  jour  convenu  entre  lui  et  le  possesseur,  il  se  ren- 
dait, avec  ses  témoins  ou  amis,  vers  la  terre  dont  il  ré- 
clamait la  possession.  Là,  il  trouvait  obstacle  de  la  part  du 
possesseur,  qui  employait  une  quasi-violence,  c'est-à- 
dire  une  violence  de  forme ,  une  violence  convenue  (  ex 
conventu  vim  fieri  oportebat ,  dit  Cicéron)  ;  et  par  l'elfetde 
cette  violence  supposée  en  présence  de  la  chose ,  le  de- 
mandeur se  disait  dépossédé  du  fonds ,  de  fiindo  deduce- 
balur^.  Le  magistrat  entendait  les  témoins,  statuait  sur 
la  possession  ;  mais  s'il  y  avait  contestation  de  la  part  du 
défendeur  au  possessoire,  il  statuait  provisoirement,  vin- 
DiciAs  DïCEBAT.  —  Daus  cc  cas  (comme  dans  le  cas  de 

8  Sigonius ,  rfe  Judîcm  ,  i.  cap.  21  :  Altéra  vis  simulata  fuit  quse 
non  a  lege ,  sed  a  moribiis  emanavit.  (P.  423,  èdit.  1576.  ) 

9  Placeat  Cœcinee  de  amicorum  sententia  consiituere  quo  die  in 
reiTî  praesentem  veniretur ,  et  de  fundo  Caecina  moribus  deduceretur. 
(  Cic,  pro  Cœcina,  cap.  8.  ) 


CHAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEN.    SECT.  V.  3 79 

la  yendication ) ,  il  ordonnait  que  la  partie,  constituée  en 
possession,  fournirait  caution  de  la  chose  et  des  fruits  '°; 
et  sur  le  litige  ainsi  garanti  par  la  sponsio,  il  renvoyait, 
pour  le  fond  de  la  question  possessoire,  devant  les  Récu- 
pérateurs'*. 

II.  —  Lnterdits  possessoires.  —  Il  y  avait  néces- 
sité ,  quand  on  avait  affranchi  la  procédure  ordinaire 
des  solennités  pontificales  et  des  liens  du  patriciat,  d'af- 
franchir aussi  la  procédure  possessoire  des  formes  dra- 
matiques ,  des  fictions  qui  la  surchargeaient ,  et  que 
Cicéron  avait  signalées  comme  ahsolument  vides  de 
sagesse^  inanissima  priidenliœ^'.  —  Les  interdits,  UTi 
P0SSIDETIS,  vel  UTRUCi,  prirent  la  place  du  comhat  fic- 
tif, pour  attribuer  à  Tune  des  parties  la  possession  pro- 
visoire ou  des  fonds  de  terre  ou  des  choses  mobilières, 
pendant  le  litige  sur  la  question  de  propriété.  Ces  in- 
terdits furent  assimilés  à  des  actions  mixtes ,  en  ce  que 
chaque  partie  à  l'égard  de  la  possession  était  demande- 
resse ;  mais  bien  qu'ils  parussent  conçus  in  rem ,  par  leur 
propre  force  ils  étaient  personnels*^. 

lOGaius,  IV.  §  16,  pour  le  cas  de  vendication;  —  Cic,  Caecina,  viii, 
pou)"  la  possession  provisoire  :  His  rébus  ita  gestis ,  DolabelJa  praetor 
inlerdixit ,  ut  est  consuetudo  ,  de  vi  liominibus  armalis  ,  sine  ulla  ex- 
ceptione,  tautuni  ut  unde  dejicisset  restituerez  —  Restituisse  se 
dixit  (  Ebulius);  sponsio  facta  est.... 

1 1  Le  plaidoyer  pro  Cœcina  est  prononcé  devant  les  rècupéraleiirs  : 
o  Sponsio  facta  est  ;  hac  de  possessione  vobis  judicandum  est.  » 

12  Cic,  pro  Murena  ,  cap.  12  :  Inanissima  prudentise  reperta  sunt. 

13  Mixtas  sunt  actiones  in  quibus  uterque  actor  est ,  ut  puta  finium 
regundorum  ,  fainiliae  erciscundse  ,  commun!  dividundo  ,  interdic- 
TUM  UTI  possiDETis  ,  UTRUBi.  (D.,  XLiv.  7.  37.  Llp.  )  —  Interdicta 
omnia  licet  in  rem  videantur  concepta,  vi  tamen  ipsa  personalia  sunt. 
(i>.,  XLUi.  1.  1.  §3.  fy7p.) 


380  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

Le  Préteur  maintenait  en  possession ,  uti  possidetis, 
celui  qui  était  possesseur  de  l'immeuble  au  moment  du 
litige  ,  sans  violence  ,  clandestinité  ,  ni  précaire  *^  ;  il 
mettait  en  possession  de  la  chose  mobilière ,  utrubi  pos- 
sidetis, celui  qui,  dans  l'année,  avait  possédé  le  plus 
long-temps  ,  sans  aucun  des  vices  signalés.  L'usucapion , 
à  Rome,  était  d'un  an  pour  les  meubles  :  le  bénéfice  de 
la  possession  mobilière  ,  dans  le  doute ,  devait  donc  ap- 
partenir au  possesseur  qui  approchait  le  plus  de  la  pos- 
session annale.  —  Les  interdits  uti  possidetis  et  utrubi 
étaient  dans  la  classe  des  interdits  retinend^  posses- 

SIOMS. 

Les  interdits  uade  vi  prirent  la  place  de  la  procédure 
de  violence  réelle,  ou  de  violence  ex  conventu.  Ç.qXw.  qui 
avait  été  chassé  par  violence,  et  qui  n'était  pas  rentré  im- 
médiatement en  possession  par  la  force  ,  ne  pouvait  plus, 
ex  intervallo ,  employer  la  force  contre  le  spoliateur;  mais 
il  était  rétabli  dans  sa  possession  par  l'interdit  unde  vi  , 
droit  de  réintégrande  ,  qui  ne  supposait  point  la  né- 
cessité d'une  longue  possession  ,  ou  d'une  possession  an- 
nale ,  antérieure  à  la  violence.  C'est  la  violence  même 
qui  était  réprimée,  spoliatus  ante  omnia  reslituendus^^.  — 
Toutefois ,  si  la  possession  commencée  par  la  violence 
avait  duré  un  an,  l'interdit  unde  vi  n'était  plus  ac- 

14  Nec  clam ,  nec  vi ,  nec  precario. 

15  D.,  VI.  G  :  «  En  droit  romain  ,  il  ne  pouvait  ctre  question  de  la 
possession  annale  pour  la  réintégrande  ;  la  controverse  élevée  à  ce  sujet 
dans  l'ancien  droit  français  et  le  droit  moderne  ne  pouvait  avoir  aucun 
objet  en  droit  romain,  puisque  c'était  la  violence  seule  qu'on  voulait 
réprimer.  Dans  notre  ancien  droit,  cette  violence  était  appelée  saisine 
de  happée.  {Somvfie  rurale  de  BoulciUer ,  tit.  23.  p.  Î31,  édil.  1621,) 


CHAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEN.  SECT.  V.  384 

cordé;  l'usurpateur  qui  avait  joui  durant  l'année  pou- 
vait lui-même  se  faire  maintenir  en  possession  par  la 
voie  ordinaire  des  Interdits  ;  mais  il  ne  pouvait  acquérir 
par  l'usucapion,  malgré  le  bénéfice  de  sa  possession  annale. 

La  RESTITUTION  ,  pour  dépossession  violente ,  pouvait 
être  appliquée  aux  choses  mobilières  par  le  même  Inter- 
dit :  restituer,  c'était  faire  le  réclamant  possesseur  et  lui 
rendre  les  fruits  de  la  chose. 

Quelquefois  I'exhibition  seulement  d'une  chose  ou 
d'une  personne  était  demandée  comme  mesure  préalable. 
L'individu  qui  avait  enlevé  une  chose  mobilière ,  sous- 
trait un  esclave,  ou  tenu  cachée  une  personne  libre, 
était  obligé ,  par  l'interdit  ad  exhibendum ,  de  représenter 
cette  chose  ou  cette  personne.  H  y  avait  plus  dans  la  res- 
titution que  dans  \ exhibition  ^^ .  —  Et  de  là  tout  naturelle- 
ment une  distinction  d'interdits  restitutoires  ou  exhibi- 
toires,  dans  la  classe  générale  des  Interdits  pou  •  le  re- 
couvrement de  la  possession,  recuperand^  possessionis. 

Le  Préteur  rendait  sa  décision  entre  les  deux  parties 
présentes,  interdicebat^"^.  Si  le  défendeur  se  soumettait, 
il  n'y  avait  pas  de  poursuite  ultérieure  ;  mais  s'il  con- 
testait, la  décision  du  préteur  n'était  que  provisionnelle, 
et  sur  la  question  de  possession ,  il  renvoyait  devant  les 
Récupérateurs. 

Telle  est  la  procédure  simple  et  rapide  des  interdits 
possESSoiRES  ;  mais  bien  que  tous  les  interdits  fussent 
relatifs  à  la  possession  (ou  à  la  quasi-possession ,  s'il  s'a- 

I6D.,  deVerb.  sign.,  1.  22  :  Plus  est  in  restitulioue  quam  iii  exhi- 
bitione.  Nam  exhibere  est,  praesentiam  corporis  prœbere;  reslilueie 
est  etiain  possessiouem  facere  fruclusque  reddere.  Pleraque  praeterea 
restitutiouis  verbo  coutinentur.  {Gaius,  ad  edic.) 

17  luter  duos  dicebat.  {InsL,  iv.  15.  iJ 


382  LIV.  I.  —  ÉPOOUE  ROMAINE. 

gissait  d'usufruit  et  de  servitudes  réelles) ,  tous  n'avaient 
pas  pour  objet  un  litige  au  possessoire;  tous  ne  répon- 
daient pas  à  ce  que  nous  appellerions  aujourd'hui  des  ac- 
tions possessoires.  Quelques-uns  avaient  pour  objet  l'ac- 
quisition même  de  la  possession  ;  ils  étaient  accordés  , 
notamment,  au  successeur  prétorien ,  ou  à  l'héritier  qui 
avait  obtenu  du  Préteur  la  possession  de  biens.  L'inter- 
dit QUORUM  BONORUM  donnait  le  droit  au  successeur  et  à 
l'héritier  de  s'emparer  immédiatement  des  objets  de  la 
succession  possédés  par  autrui,  sans  qu'ils  eussent  be- 
soin d'agir  par  la  procédure  bien  plus  longue  de  la  pé- 
tition d'hérédité ,  qui  se  poursuivait  devant  le  tribunal 
des  Centumvirs  :  c'était  une  troisième  espèce  d'interdits, 
qualifiée  adipiscend^  possessionis;  une  saisine  déférée 
par  le  magistrat ,  et  qui  n'avait  rien  de  commun  avec 
les  interdits  relatifs  à  la  procédure  possessoire. 

Niebuhr  et  Savigny  ont  assigné  aux  interdits ,  reli- 
nendœ  et  recuperandœ  possessionis,  une  origine  spéciale  :  ils 
supposent  qu'ils  ont  été  d'abord  institués  pour  donner 
une  garantie  aux  possesseurs  de  l'ager  publicus  qui  ne 
pouvaient  pas  exercer  la  vendication  ,  puisqu'ils  n'é- 
taient pas  propriétaires ,  et  qui  avaient  besoin  cependant 
d'une  garantie  juridique.  Ce  point  de  vue,  que  déjà  nous 
avons  indiqué,  a  fourni  au  savant  auteur  du  Traité  de  la 
Possession  d'ingénieux  rapprochements*^.  G.  Hugo  ne 
s'est  point  rendu  à  cet  aperçu;  il  dit  que  les  Interdits  ne 
durent  pas  leur  naissance ,  comme  on  le  croit  par  erreur, 
à  la  possession  des  terres  publiques.  —  La  remarque  de 
Niebuhr  et  de  Savigny  n'est  pas,  cependant ,  à  négliger. 

18  Niebuhr  (  ffisf.  rowi.,  t.  m.  p.  201.  no  316.  )  Savigny  (  rrai7é  de 

la  Possession  ,  sect.  iv.  §§  34  et  suiv.  ) 


CHAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEN.  SECT.  V.  383 

Le  besoin  social  de  la  protection  publique  contre  la 
violence  et  les  voies  de  fait  est  le  véritable  principe  des 
interdits;  n^ais  les  interdits  possessoires  ont  pu  se  pro- 
duire d'abord  ,  à  Toccasion  de  Yager  publicus ,  pour  en 
protéger  la  possession  contre  les  voies  de  fait  des  tiers ,  et 
contre  la  résistance  des  clients  ou  des  colons  à  l'ordre  de 
déguerpir  une  possession  purement  précaire.  Les  plé- 
béiens, les  clients ,  voulaient  se  maintenir  dans  la  culture 
des  terres  publiques;  les  patriciens  et  les  chevaliers  ten- 
daient aies  remplacer  par  des  esclaves  attachés  à  la  glèbe. 
Tib.  Gracchus  réclamait  encore  vivement,  au  vii^  siècle, 
la  culture  des  terres  en  faveur  du  peuple.  Dans  ce  conflit 
d'intérêts  et  de  prétentions ,  on  comprend ,  comme  né- 
cessaires, l'intervention  du  préteur  et  l'application  de 
l'interdit  de  precario  contre  la  résistance  extrême  de 
certains  colons.  Mais  par  un  progrès  tout  favorable  à 
l'ordre  public,  qui  veut  que  nul  ne  se  fasse  justice  à  lui- 
même,  les  Interdits  sont  devenus  une  institution  générale 
et  permanente. 

En  dernier  lieu ,  ils  furent  établis,  dans  l'Èdit  pré- 
torien ,  sous  forme  impérative  ou  sous  forme  prohibi- 
tive ,  comme  dispositions  du  Droit  honoraire ,  obligatoi- 
res pour  tous;  et  le  Préteur  faisait  ensuite ,  dans  sa  juri- 
diction ,  l'application  particulière  des  interdits  qui  ordon- 
naient ou  qui  prohibaient  :  lorsqu'il  y  avait  ordre  ou  jus- 
sion  du  Préteur,  ils  prenaient  dans  la  pratique,  s  Ion 
Gains ,  le  nom  propre  de  décrets  ,  et  conservaient  celui 
d'iNTERDiTS  quand  il  y  avait  prohibition  *'^. 

19  Gaius,  IV.  §§  160  et  suiv.  La  première  division  mentionnée  par 
Gains  et  par  Justiuien  (iv.  15),  est  en  interdits  ■prohibiloires ,  rcsli- 
tuloirts ,  exhibiloires ,  que  nous  avons  rappelée  ci-dessus. 


384  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

En  résumant  ces  matières  possessoires ,  et  en  les  rap- 
portant à  la  classification  principale  des  interdits  qui 
tendent  à  retenir,  à  recouvrer  et  à  acquérir  la  possession , 
on  recueille  les  résultats  suivants  : 

1**  A  l'interdit  retinend^  possessions  (avant  l'en- 
gagement du  litige  au  pétitoire),  se  rattachaient  l'inter- 
dit uti  possidetis  pour  les  immeubles  ;  —  l'interdit  utrubi 
pour  les  meubles  ;  —  et  même  l'interdit  de  precario. 

2"  A  l'interdit  recuperand^  possessions  se  ratta- 
chaient les  interdits  unde  vi  (  si  la  possession  avait  duré 
moins  d'une  année),  et  l'interdit  ad  exhibendum  (qui 
s'appUquait  aux  choses  et  aux  personnes)  ; 

3"*  A  l'interdit  ADiPiscENDiE  possessionis  se  rattachait 
l'interdit  quorum  bonorum,  accordé  soit  au  successeur 
prétorien,  pour  qu'il  put  s'emparer  des  objets  de  la  suc- 
cession ,  soit  à  l'héritier  testamentaire  ou  légitime ,  pour 
qu'il  put  prendre  possession  des  objets ,  sans  avoir  besoin 
de  procéder  par  le  sacramentum  et  le  jugement  centum- 
viral.  Dans  l'un  et  l'autre  cas,  l'interdit  quorum  bonorum 
était  une  saisine  de  droit  accordée  par  le  Préteur  en 
matière  de  succession. 


CHAP.   V.  DROIT  PRÉTORIEN.   SECT.  V.  385 

§   4.  —  DISTINCTION  DES  JUGEMENTS  ORDINAIRES 
ET  EXTBAOUDJNAIRES. 

Les  quatre  branches  qui  composaient  l'organisation 
judiciaire  placée  sous  la  direction  de  la  Préture ,  les 
Centumvirs,  le  Juge,  les  Arbitres,  les  Récupérateurs, 
et  l'ensemble  des  pétitions  ou  des  actioxs  qui  se  dis- 
tribuaient entre  ces  branches  diverses  selon  leur  com- 
pétence, formaient  à  Rome  les  Jugements  ordinaires, 

ou  rORDO  JUDICIARILS. 

Il  y  avait  aussi  des  Jugements  extraordinaires ,  cogm- 
TioNES  EXTRAORDiNARiiE ,  qui  étaient  nominativement 
attribués  au  Préteur  ou  à  certains  magistrats  pour  des 
cas  prévus  par  une  Loi  ou  par  lEdit*.  Les  demandes 
réelles  ou  personnelles,  qui  tendaient  à  ces  procédures 
extraordinaires,  étaient  comprises  sous  la  dénomination 
générale  de  persecltiones  in  rem  vel  ix  persOxXam*. 
Nous  ferons  remarquer  ici  que  ces  trois  qualifications  des 
actions,  en  droit  romain,  petitio,  actio,  persecutio, 
se  trouvent  textuellement ,  non  seulement  dans  Ulpien , 
mais  dans  le  texte  de  la  stipulation  Aquilienne ,  qui  re- 

1  Extraordiuarise  cognitiones  omnes  quœ  uomiuatim  certis  magistra- 
tibus  injunguatur.  (Cujas,  D.  in  lit.,  de  jurisd  ,  L.  i.  2.  3.  Comment.) 

2  Actionis  verbum  et  spéciale,  et  générale  ;  nam  omnis  actio  dicitur, 
sive  iu  persouam,  sive  in  rein  sit  petitio;  sed  plerumque  actiones 
PERSONALES  solemus  dicere  :  Petitionis  autem  verbo  in  rem  actio- 
RES  significari  videntur.  Persecutionis  verbo  extraordinarias  perse- 
cutioues  puto  contineri ,  ut  puta  fideicoinmissoruin,  et  si  quse  alise  suut 
qu?o  nouhabent  jurisordiuarii  executionem.  (D.,d«  Terh.  sig.,  L.  178. 
§  2.  Op.  ) 

T.  I.  25 


386  LTV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

monte  au  siècle  de  Cicéron^,  et  qu'elles  se  rapportent 
parfaitement  à  l'ordre  des  compétences  que  nous  avons 
établi  :  la  première,  petitio,  à  la  compétence  des  cen- 
tumvirs;  la  deuxième,  actio,  à  la  compétence  du  juge, 
de  l'arbitre,  des  récupérateurs;  la  troisième,  persécution 
à  la  compétence  du  préteur  ou  du  magistrat  jugeant  di- 
rectement et  par  lui-même;  ce  qui  confirme  de  plus  en 
plus  l'harmonie  introduite  dans  toutes  les  parties  du 
système  judiciaire  des  Romains. 

Les  plus  importantes  de  ;  causes  qui  formaient  les  ju- 
gements extraordinaires  étaient  : 

i"  Celles  dérivant  de  la  Loi  des  XII  Tables  contre  les 
tuteurs  suspects,  qui  étaient  déférées  dans  Rome  au  pré- 
teur-, dans  les  provinces  au  proconsul  ou  président; 

2*^  Celles  relatives  aux  fidéicommis,  dont  la  connais- 
sance" fut  confiée,  par  Auguste,  à  des  préteurs  spéciaux*  ; 

3"  Celles  relatives  au  juge  qui  ayant  péché  par  dol 
ou  par  impéritie,  dans  sa  sentence,  était  responsable 
du  dommage,  sijudex  Utem  suam  feceril-^ 

4"  Celles  relatives  aux  parties  qui  avaient  fait  défaut 
devant  le  juge,  lorsque  la  demande  contre  le  contumace 
offrait  peu  de  difficultés^. 

Dans  les  trois  premiers  cas ,  la  sentence  du  Préteur 

â  «  Quarumcumque rerum  mihitecum  actio  est,qu3eque  adversus 
te  PETiTio,  vel  adversus  te  pebsecutio  est,  eritve....  {Insl.,  m.  30.) 

4  La  persecutio  était  in  personam  pour  la  coguitio  suspecti  tutoris, 
et  in  rem  pour  les  fldéicommis. 

5  D.,  V.  1.  75.  {Julian.)  :  Si  prsetor  jusserit  ew/n  a  qiio  debilum  pete- 
balur,  adcssc ,  et,  ordiue  edictorum  peracto,  prouunciaverit  obsenlem 
debere  :  non  utique  judex  ,  qui  de  judicato  cognoscit ,  débet  de  prae- 
toris  sententia  cognoscere.  —  Pour  le  troisième  cas  ,  le  juge  qui  lilem 
suam  fccil,  il  faut  voir  D.  L.  13.  6.  {Gains.) 


CHAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEN.  SECT.  V.  387 

était  un  décret  contenant  une  condamnation  pécuniaire  ; 
et  il  y  avait  exécution  par  la  prise  de  gage;  dans  le  qua- 
trième cas ,  la  décision  était  comme  émanée  du  juge  et 
produisait  l'action  judicati. 

A  regard  des  Interdits,  s'il  n'y  avait  pas  contestation  de 
la  part  du  défendeur,  ils  formaient  aussi  une  sorte  de  co- 
gnitio  exlraordinaria-^  mais,  s'il  y  avait  contestation,  le  li- 
tige rentrait  dans  l'ordre  des  jugements  ordinaires.  Gaius 
nous  apprend  qu'alors  le  Préteur  renvoyait  les  parties 
devant  les  récupérateurs  ou  le  juge  chargés  d'appliquer 
la  formule ,  et  de  rechercher  si  quelque  chose  avait  été 
fait  contre  l'édit,  ou  si  quelque  chose  n'avait  pas  été  fait 
conformément  à  ce  qu'il  avait  ordonné^. 

Quant  aux  restitutions  en  entier,  elles  ne  doivent  pas 
être  classées  dans  les  jugements  extraordinaires.  Il  est 
vrai  que  le  préteur  accordait,  en  connaissance  de  cause, 
le  droit  de  se  faire  restituer  in  i?itegrum,  contre  une 
obligation  ;  uiaisil  ouvrait  seulement  une  voie  de  procé- 
der, et  il  renvoyait  devant  le  juge  l'appréciation  du  dol, 
de  la  violence ,  de  l'erreur,  de  la  lésion ,  de  la  minorité 
ou  des  autres  moyens  de  rescision.  En  deux  mots,  il 
donnait  le  pouvoir  de  restituer,  mais  il  ne  restituait  pas. 

Les  jugements  extraordinaires,  d'abord  assez  rares ,  se 
multiplièrent  avec  les  lois  nouvelles.  Le  préfet  de  la  Ville , 
en  prenant,  sous  Auguste,  la  part  importante  des  fonctions 
du  Préteur  qui  concernaient  l'ordre  criminel,  reçut  ou 
s'attribua  aussi  la  connaissance  directe  de  certaines  affai- 

G  Ibi  editis  formulis  quœritur ,  an  aliquid  adversus  preetoris  edictum 
i'actum  sit,  vel  au  factum  non  sit,  qiiod  is  lieri  jusserit.  {Gains ,  iv. 
§  141.) 


388  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

res  civiles.  C'est  lui  qui  jugeait  les  plaintes  des  esclaves 
réfugiés  près  de  la  statue  des  empereurs ,  ou  des  esclaves 
acquis  de  leurs  propres  deniers ,  sous  la  condition  d'être 
affranchis  par  l'acquéreur;  c'est  lui  qui  jugeait  les  récla- 
mations des  patrons  nécessiteux  ou  valétudinaires  contre 
leurs  affranchis ,  et  les  causes  des  tuteurs  ou  curateurs 
qui ,  dans  leur  gestion ,  avaient  mérité  plus  que  la  note 
d'infamie  attachée  aux  tuteurs  suspects"'.  Il  fut  également 
chargé  de  prononcer  contre  les  personnes  associées  à.  une 
corporation  illicite,  et  d'appliquer  l'ancien  principe  de 
la  Loi  des  XII  Tahles,  qui  défendait  aux  membres  des 
corporations  de  faire  entre  eux  des  conventions  ou  des 
statuts  contraires  à  la  Loi  publique^.  —  L'Empereur 
aussi  s'éleva  progressivement  à  la  qualité  de  Juge  su- 
prême; Suétone  cite  des  jugements  de  Claude,  de  Néron, 
de  Domitien  !  Ils  décidaient  direi^tement,  ou  par  voie 
d'appel ,  sur  les  causes  portées  à  leur  Tribunar-*.  Ils  réu- 
nissaient, sous  leur  titre  impérial,  toutes  les  mag'stra- 
tures,  même  celle  de  Tribun  du  peuple;  et  le  droit  d'in- 
tercession des  Tribuns  s'était  transformé  dans  leur  per- 
sonne en  suprême  Juridiction.  Des  successeurs,  plus 

7  D.,  I.  12.  1 .  §§  1.  2.  7.  Le  préfet  de  la  Ville  put  connaître  des  af- 
faires des  banquiers  et  des  causes  pécuniaires  ;  mais  alors  il  ne  jugeait 
pas ,  il  donnait  le  juge  :  adiri  ab  argenlariis  (  £.  2.  ) 

8  Gaius,  ad  Leg.  XII  Tab.  :  Sodales  sunt  qui  ejusdem  Collegii 

sunt His  autem  potestatem  facit  Lex,  pactionem  quam  velint, 

sibi  ferre  :  dum  ne  quid  ex  publica  Lege  corrumpant.  —  Hœc  lex  vi- 
detur  ex  Lege  Solonis  translata  esse.  (  J5.,  xlvii.  22.  4.  ) 

Divus  Severus  rescripsit  eos  etiam  qui  iliicitum  Collegiuni  coïsse 
dicuntur  apud  Prefectum  Urbis  accusandos.  (  D.,  i.  12.  1.  §  14.  ) 

9  Suetcn— Claud.,  xtv.  xv.— ]\er.,xv.— Domit.,VTii.  —  D.,xlix, 
de  Appt'fiiHimihus;  ;  le;?  xrn  premiers  titres. 


CHAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEN.   SECT.  V.  389 

dignes  de  l'empire,  les  Antonins ,  sans  répudier  la  qua- 
lité de  Juge ,  renvoyaient  souvent  au  sénat  la  connais- 
sance des  causes  portées  devant  eux ,  et  permettaient 
l'appel  de  leurs  propres  décisions*^. 

Les  jugements  extraordinaires  prirent  une  extension 
continuelle,  surtout  dans  les  provinces.  Dès  le  second 
siècle  de  l'Empire,  le  jurisconsulte  Julien,  le  collecteur 
de  l'Édit  perpétuel ,  déclarait  que  le  Président  de  la  pro- 
vince devait  être  libre  de  renvoyer  le  litige  au  juge  ou 
d'en  connaître  lui-même^*.  C'est  au  Président  de  la  pro- 
vince qu'Ulpien  attribue  la  connaissance  des  réclamations 
d'honoraires  faites  par  les  précepteurs  enseignant  les  arts 
libéraux,  par  les  médecins,  par  les  avocats,  les  mathé- 
maticiens, les  libraires  ou  copistes;  c'est  au  Président 
qu'il  atti'ibue  le  droit  de  statuer  sur  l'usage  des  eaux ,  sur 
les  ruisseaux  nouvellement  établis  \  et  Callistrate  déclare 
que  les  connaissances  extraordinaires  viennent  de  causes 
nombreuses,  variées,  difficiles  à  classer*"^.  —  Et  ainsi 
la  révolution  qui  s'accomplira  un  jour  dans  l'ordre  de  la 
Justice  romaine  ,  et  qui  fera  du  Jugement  extraordinaire 
Tordre  commun  des  jugements ,  se  préparait  d'avance 
dans  les  faits  et  la  pratique  de  la  société. 

10.  Capitolin.  M.  Anton.,  cap.  x  :  Senatum  niuUis  cognitionibus , 

et  maxime  ad  se  pertinentibus  judicem  dédit in  senatus  autem 

honorificentiam  multis  et  prœtoriis  et  consularibus  privatis  decidenda 
negotia  delegavil,  quo  magis  eorum  cum  exercitio  juris  auctoritas  cres- 
ceret.  (Script,  hist.  Aug.)  —  D.,  xlix.  1. 1.  §§  1.  2.  Post  resaiptum 
provocare. 

11  D.,  I.  18.  8  :  Eum  sestimare  debere  ipse  cognoscere  an  judicem 
dare  debeat.  {Juliaiu) 

12  D.  L.  1.  2.  5.  Z>e  cxU'uordinai'iis  cognUionibus. 


390  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAIIVË, 


§  5.  —  CHOSE  JUGÉE.    —    SON    AUTOBITÉ.  —  LlTlS-CONTESTATICf. 

—  ACTION  JUDICATI.  —  EXCEPTION  REl  JUDlCAT/ï,.   ~ 

MOYENS   d'exécution. 

Les  principes  sur  la  chose  jugée  n'auront  point  à  su- 
bir Teffet  des  révolutions  judiciaires,  comme  les  formes 
de  procéder,  comme  les  droits  de  juridiction;  et  l'auto- 
rité de  la  chose  jugée,  fondée  sur  l'intérêt  public,  res- 
tera l'une  des  bases  essentielles  de  l'ordre  social. 

La  sentence  du  juge  ou  le  décret  du  magistrat,  dans 
l'esprit  des  institutions  romaines,  diffère  de  la  chose 
jugée  comme  la  cause  diffère  de  l'effet.  La  sentence  est 
la  décision  qui  met  fin  au  litige  ;  la  chose  jugée  est  l'effet 
de  la  sentence  devenue  ii  révocable  et  exécutoire. 

Dans  les  Jugements  ordinaires ,  la  distinction  entre  la 
procédure  m  jure  et  la  procédure  m  jumcio  produisait 
deux  résultats  qui  se  liaient  l'un  à  l'autre ,  savoir  :  la  fin 
de  l'instance  devant  le  magistrat,  qualifiée  de  contes- 
tation en  cause ,  litis-conteslatio  ;  la  fin  de  l'instance  de- 
vant le  juge,  qualifiée  sentence,  prononciation  du  j^uge, 
litis  decisio\  — La  Litis-contestation  est  un  préliminaire 
indispensable  à  l'examen  de  la  Chose  jugée.    ' 

L  —  Sous  la  Procédure  primitive  de  la  Loi  des  XII 
Tables,  le  magistrat  qui  exerçait  la  juridiction,  en  fixant 

1  Res  judicata  diciUir  quœ  finem  controversiarum  proimutiatioue 
judicis  accipit,  quod  vel  coiidemnatione  vel  absolutione  contingit. 
(D.,  XLii.  I.  \,  de  re  judicata  et  effcclu  senlcnliarum.  Modcsl.  ) 


CHAP,  V.  DROIT  PRÉTORIEN.  SECT.  V.  391 

l'état  du  litige  pour  lequel  les  parties  demandaient  le 
juge,  ne  constatait  point  par  écrit  ce  qui  s'était  passé  ix 
JURE ,  devant  son  tribunal ,  et  les  parties  prenaient  à  té- 
moins des  citoyens  présents  qui  devaient  attester  le 
litige,  contesfari  litem.  «  Le  jugement  étant  ordonné,  dit 
«Festus,  chaque  partie  avait  coutume  de  dire  à  des 
«assistants  :  Soyez  témoins.  »  C'était  ce  qu'on  appelait 
l'attestation  du  litige  ou  la  litis-coïntestatio^.  Le  pro- 
cès était  engagé  définitivement,  et  une  conséquence  très- 
grave  était  attachée  à  cette  fin  de  l'instance  in  jure; 
c'était  la  novation  de  l'obligation  primitive.  «  Avant  le 
«litige,  disaient  les  anciens  Prudents,  il  faut  que  le  dé- 
«biteur  donne;  après  la  contestation  en  cause,  il  faut 
«> qu'il  soit  condamné;  après  la  condamnation,  il  faut 
«qu'il  exécute  le  jugé^.  »  Mais  dans  les  actions  en  reven- 
dication des  choses  immobilières  ou  mobilières ,  la  litis- 
contestatio  n'interrompait  point  l'usucapion,  parce  que 
le  titre  et  la  possession ,  qui  la  fondaient ,  restaient  ce 
qu'ils  étaient  auparavant,  et  qu'un  moyen  d'acquérir  ne 
pouvait  être  remplacé  par  une  obligation  ,  à  moins  que 
la  cause  même  de  la  possession  n'eût  été  changée  par 


2  Conlcslari  Ulem  dicunUir  duo  aut  plures  adversarii ,  quod  ordi- 
nato  iudit'io  utraque  pars  dicere  solet  :  testes  estote.  (  Fcsius. 
Muller,  p.  57.  ) 

3  Gaius  m.  §  180  :  ToUitur  obligatio  ,  litis  contestatione ,  si  modo 
legitimo  judicio  fuerit  actum.  ]N"am  tune  obligatio  quidem  principalis 

dissolvitur;  incipit  auteni  teneri  reus  litis  contestatione Sed  si 

condemnatus  sit ,  sublata  litis  contestatione  ,  incipit  ex  causa  judicati 
teneri  ;  et  hoc  est  quod  apud  veteres  scriptum  est  :  «■  Ante  litem  con- 
»  testatani  dare  debitorem  oportere  ;  post  litem  contestatam  condem- 
»  nari  oportere  ;  post  coudeuinationeia  judicatum  t'acere  oportere.  » 


392  LIV.  ï.  — EPOQUE  ROMAÏXE. 

le  consentement  des  parties,   comme  si  elles  avaient 
converti  le  litige  en  estimation  du  dommage 


4 


Sous  la  procédure  formulaire  du  Droit  prétorien, 
Fétat  du  litige  n'avait  plus  besoin  d'être  constaté  par 
tes  témoins;  les  points  du  débat  étaient  fixés  par  écrit; 
le  magistrat  rédigeait  la  formule ,  et  chaque  partie  en 
recevait  une  copie  authentique;  mais  si  le  mode  de 
preuve  avait  changé,  et  si  les  incertitudes  attachées  à  la 
preuve  testimoniale  avaient  disparu  devant  la  rédaction 
des  formules  prétoriennes,  la  litis-contestatio  ,  com.me 
terme  de  l'instance  injure,  subsistait  toujours.  Etie  n'é- 
tait plus  le  litige  attesté  par  les  assistants;  elle  était 
le  litige  déterminé  par  la  formule.  Des  effets  importants 
s'y  rattachaient;  trois  d'entre  eux,  notamment,  méri- 
tent d'être  signalés. 

1"  Le  premier  effet  était  celui  déjà  reconnu  sous  la 
procédure  des  actions  de  la  Loi,  la  novation.  L'obliga- 
tion primitive  était  remplacée  par  l'obligation  qui  naissait 
comme  d'un  contrat.  On  contracte  en  justice  comme 
devant  les  citoyens^;  et  par  l'engagement  qui  naissait 
de  la  Litis-contestation ,  les  deux  parties  étaient  censées 


4  Si  rem  alienam  emero,  et  cum  usucaperem  eanidem  rem,  dominu3 
a  me  petierit,  non  interpellari  usucapionem  meam  litis  contestatione. 
—  Sed  si  litis  sestimationem  siifferre  maluerim  ,  ait  Julianus  ,  causam 
possessionis  mutari  ei  qui  litis  sestimationem  sustulerit.  (D.  ,  XLi.  4. 
2.  ^21.  Paul.) 

5  D.,  XV.  1.  3.  §  U  :  ^^am  sicut  in  stipulatione  contrahitur ita 

judicio  contrahi;  proiiide  non  originem  judicii  spectaudam,  sed  ipsam 
judicati  velut  obligationem.  (  Paul.  ) 


CHAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEN.  SECT.  V.  393 

s'obliger  devant  le  magistrat  à  suivre  le  jugement  et  à 
exécuter  la  future  sentence. 

Dans  les  jugements  qualifiés  légitdies,  et  par  rapport 
aux  obligations  du  droit  civil ,  il  y  avait ,  de  plein  droit , 
noYAtion  e,v  causa  obi igationis',  un  rapport  nouveau  entre 
les  parties  était  substitué  à  Tancien;  le  demandeur  ne  pou- 
vait plus  se  fonder  sur  Tobligation  primitive,  pour  agir 
utilement  une  seconde  fois  contre  son  débiteur;  l'action 
lui  était  enlevée  ipso  jure,  par  l'extinction  de  sa  créance. 

Dans  les  jugements  non  légitimes,  et  soutenus  seu- 
lement par  le  pouvoir  du  magistrat,  il  n'y  avait  pas  ex- 
tinction du  droit  d'agir;  mais  le  demandeur,  qui  agis- 
sait une  seconde  fois,  était  repoussé  par  l'exception  de  la 
chose  déduite  en  jugement.  La  raison  en  est  que  le  pou- 
voir seul  du  magistrat,  qui  détermine  le  litige  et  donne 
le  juge,  ne  peut  détruire  directement  le  lien  d'une  obli- 
gation civile.  —  De  même,  dans  les  actions  in  rem  et 
in  factum  ,  la  litis-contestation  ne  pouvait  produire  que 
l'exception  mentionnée  ,  parce  que  le  droit  réel  et  le 
fait,  qui  servaient  de  fondement  à  l'action ,  restaient  né- 
cessairement ce  qu'ils  étaient  avant  la  litis-contestation. 
Ils  n'avaient  pas  pu  être  transformés  par  l'oliligation  quasi 
ex  contraclu  :  un  droit  est  ou  il  n'est  pas  ;  un  fait  est  ou  il 
n'est  pas  ;  il  n'y  a  pas  là  matière  à  novation.  La  litis-con- 
testation ,  qui  n'interrompait  pas  l'usucapion ,  interrom- 
pait cependant  la  prescription  de  dix  et  vingt  ans.  C'est 
parce  que  celle-ci  n'était  pas  considérée  comme  un  moyen 
d'acquérir,  mais  seulement  comme  un  moyen  de  repous- 
ser l'action  réelle  du  propriétaire  :  tant  qu'elle  n'était  pas 
accomplie,  il  n'y  avait  pas  exception  acquise;  et  la  litis- 
contestation  ne  laissait  au  possesseur  de  bonne  foi  que  le 


394  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

bénéfice  du  temps  écoulé*^.  —  Dans  ces  divers  cas ,  l'ex- 
ception rei  in  judicium  deductœ  assurait  l'effet  de  la  litis- 
contestation;  elle  repoussait  le  demandeur  qui  aurait 
voulu  recommencer  la  procédure  devant  le  magistrat, 
et  obtenir  soit  d'autres  positions  de  droit  ou  de  fait, 
soit  la  nomination  de  nouveaux  juges ^. 

La  Litis-contestatio  produisait  une  autre  novation  bien 
importante,  que  l'on  peut  appeler  une  novation  judi- 
ciaire, qui  rendait  perpétuelles  les  actions  purement  an- 
nales. Cette  perpétuation  d'actions  était  le  moyen  de  don- 
ner aux  obligations  prétoriennes  une  durée  efficace,  et 
de  les  assimiler,  sous  ce  rapport,  aux  obligations  civiles. 
Si  les  Tribuns  n'usaient  pas,  devant  le  magistrat,  de  leur 
droit  d'intercession,  s'ils  n'arrêtaient  pas  le  débat  avant 
la  Litis-contestation  qui  terminait  l'instance  injure,  l'ac- 

6  Morae  litis  causam  possessoris  non  instruunt  adinducendam  lougae 
possessionis  praescriptionem,  quae  post  litem  contestatam  in  pe^- 
TERiTUM  .ESTiMATUR.  (Cod.  J.,  lu.  32.  26.  Dioclél.,  an  294).  —  Jiis- 
tinien  établit  que  la  prescription  de  trente  ans  serait  interrompue 
par  la  simple  citation  en  justice,  parce  que  cette  prescription,  qui 
ne  suppose  pas  la  bonne  foi  du  possesseur,  est  odieuse,  comme  l'a 
remarqué  Barthole  (  in  L.  ii ,  pro  Emplo.  ) 

7  Gains ,  m.  §  180.  iv.  §  107  :  Ut  vero  si  légitime  judicio  in  perso- 
nam  factura  sit,  ea  formula  quae  juris  civilis  habet  intentionem  postea 
ipso  jure  de  eadem  re  agi  non  polesl ,  et  ob  id  exceptio  supervacua  est; 
si  vero  vel  in  rem,  vel  in  factum  actum  fuerit,  ipso  jure  nihilominus 
postea  agi  potest,  et  ob  id  exceptio  necessaria  est  rei  judicatœ,  vel  in 
JUDICIUM  DEDUCTŒ.  (  Si^ra,  p.  169.  ) 

M.  Bonjean,  t.  i.  p.  477,  dit  que  le  défendeur  arrivera  indirecte- 
ment, par  l'exception  rei  in  judicium  deduclœ,  a  éviter  la  condamna- 
tion. —  Cela  ne  nous  paraît  pas  admissible.  Le  défendeur ,  par  l'ex- 
ception, conservera  l'état  de  la  première  lilis  conleslalio,  avec  le  juge 
déjà  nommé;  mais  la  condamnation  pourra  venir  ensuite  :  Post  lilem 
conteslatam  condemnari  oporlere.  (  Gains  ,  m.  §  180.  ) 


CHAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEN.  SECT.  V.      395 

tien  devenait  perpétuelle,  d'annuelle  qu'elle  était,  et 
l'instance  ne  subissait  que  les  déchéances  ou  péremptions 
ordinaires.  —  Même  les  actions  spécialement  attachées 
à  la  personne ,  comme  les  actions  d'injures  et  les  actions 
pénales,  devenaient,  par  cette  novation  judiciaire,  perpé- 
tuelles et  transmissibles  aux  héritiers.  Le  Préteur  trou- 
vait ainsi ,  dans  l'acte  qui  terminait  l'instance  devant  lui , 
une  garantie  nouvelle  pour  l'exécution  des  obligations 
nées  de  son  pouvoir  ;  et  les  citoyens,  en  exerçant  devant 
le  magistrat  l'action  provenant  de  l'édit  ou  même  de  la  loi, 
faisaient  leur  cause  meilleure*.  De  là  est  venue  cette  règle 
juridique,  que  «  toutes  les  actions  qui  périssent  par  la 
»  mort  de  l'ayant-droit  ou  parle  temps,  demeurent  sta- 
«  blés,  quand  elles  sont  portées  en  jugement  :  omnes 

»  ACTIONES    q\]M    MORTE   AUT   TEMPORE   PEREUNT ,  SE3IEL 
»  IXCLUSiE  JUDICIO  SALV^  PERMANENT^.  » 

2"  La  Litis-contestatio  ,  par  la  détermination  du  litige, 
était  un  commencement  de  Chose  jugée  ;  elle  marquait 
la  limite  dans  laquelle  le  juge  serait  obligé  de  porter  sa 
sentence  *°  ;  et  en  même  temps  elle  restreignait  le  droit 

8  D.,  XLVi.  2.  29  :  Aliam  causam  esse  novationis  voluntarise,  aliam 
judicii  accepti,  multa  exempla  ostendunt.  Périt  privilegium  dotis  et 
tutelae ,  si  pcst  divortium  dos  iu  stipulationem  deducatur ,  vel  post 
pubertatem  tutelse  aotio  novetur,  si  id  specialiter  actum  est,  quod  nemo 
dixil  lile  conleskila  :  neque  enim  deteriorem  causam  noslram  facimus 
aclionem  exercentes ,  sed  meliorem  ;  ut  solet  dici  m  His  actionibus 

QU.E  TEMPORE  VEL  MORTE  FIMRI  POSSUXT.  (  Paul.  ) 

9  D.,  de  Rcg.  Jur.,  1.  cxxxix.  Gaius  ,  ad  ediclum  prœloris.  (^Voir 
M.  Bonjcan,  t.  1.  §208.) 

tout  fundus  hereditarius  fundo  non  hereditario  serviat,  arbiter 
disponere  non  potest,  quia  ultra  id  quod  injudicium  deductum  est 
excedere  potestas  judicis  non  potest.  {D.,  x.  3.  18.  Javolenus.  ) 


396  LIV.  1.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

du  demandeur,  qui,  pour  la  même  cause,  aurait  pu  avoir 
plusieurs  actions  :  son  choix  était  fait  entre  les  voies  à 
suivre,  et  il  ne  pouvait  revenir  à  une  autre  voie.  —  La 
règle,  qui  a  soulevé  tant  de  discussions  entre  les  juris- 
consultes modernes,  eleda  nna  via,  non  datur  recursus  ad 
alteram,  tient  à  cette  origine.  Mais  Llpien  l'a  renfermée 
dans  son  véritable  objet,  en  parlant  du  choix  qui  serait 
fait  entre  les  actions  diverses  pour  une  même  cause;  car  si 
l'on  agit  pour  une  cause  nouvelle ,  on  ne  peut  craindre 
l'exception  de  la  Litis-contestation ,  qui  a  fixé  les  bases 
d'une  première  instance*'.  C'est  avec  un  sentiment  bien 
sur  d'une  vérité  non  encore  manifestée  par  l'étude  de 
Gains  ,  qu'un  auteur  contemporain  a  dit  que  la  règle  sur 
l'option,  entre  différentes  voies  d'agir,  ne  pouvait  être  sé- 
parée des  principes  de  la  chose  jugée.  La  Litis-contes- 
tatio  était ,  en  effet,  la  chose  jugée  quant  à  la  position  des 
questions.  Le  demandeur  ayant  fixé  sa  prétention  par  la 
formule,  avait  renoncé  aux  autres  voies  qui  pouvaient  con- 
courir en  faveur  de  la  même  cause.  C'est  le  sens  désormais 
bien  clair  de  cette  maxime  des  jurisconsultes  romains  : 
«  Dans  le  concours  de  plusieurs  actions  pour  la  même 
»  chose ,  il  faut  en  choisir  une  ;  quoties  concurrunf  piures 
»  actiones  ejusdem  rei  nomine,  una  quis  experm  débet  ^^.  » 

11  D.,  XIV.  4.  9.  §  1.  Ulp.  :  Eligere  quis  débet  qua  actione  experia- 
tur  utrum  de  peculio,  an  tributoria  :  cum  scit  sibi  regressuni  ad  aliam 
non  futurum.  Plane,  si  quis  velit  ex  alia  causa  tributoria  agere,  ex 
alia  causa  de  peculio  agere,  audiendus  erit.  —  Avec  une  parfaite  in- 
telligence de  ce  texte  M.  Toullier  a  prouvé  (x.  174)  que  ,  pour  rendre 
la  règle  des  interprètes  vraiment  exacte ,  il  fallait  dire,:  Electa  una 
via  ,  non  datur  recursus  ad  alteram,  nisi  ex  alia  causa. 

12  D.,  de  Rcg.  Jwr.,  1.  xliti.  §  1.  —  Merlin,  Questions  de  droit  ^ 
V"  option.  —  Toullier,  t.  x.  nos  171.  172. 


CIIAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEN.  SECT.  V.  397 

S"*  Un  troisième  effet  de  la  Litis-contestatio  était  de 
lier  définitivement  la  cause  entre  les  parties ,  et  de  ren- 
dre possible  la  sentence  définitive,  malgré  l'absence  ou 
le  dé  faut  de  Tune  des  parties.  Si ,  au  jour  marqué,  ordi- 
nairement le  troisième  (  dics  comperendimis  ) ,  les  parties 
ne  comparaissaient  pas  devant  le  juge  nommé  par  la 
formule,  il  y  avait  défaut,  il  pouvait  y  avoir  contumace; 
mais  le  litige  était  engagé,  par  la  Litis-contestatio  ,  avec 
des  conséquences  irrévocables. 

Le  défaut  venait-ib  du  demandeur?  L'adversaire  de- 
vait obtenir  son  absolution  immédiate.  —  Au  tribunal 
des  Centumvirs,  où  l'on  procédait  sans  formule,  il  pou- 
vait y  avoir  décision  favorable  au  demandeur  absent, 
mais  dans  les  questions  de  liberté  et  en  faveur  de  la 
liberté  même  :  «  II  peut  arriver,  dit  Ulpien ,  que  l'absent 
)>remporte,  ut  absens  vlncat;  car  une  sentence  alors 
»peut  être  portée  en  faveur  de  la  liberté.  »  C'était  une 
décision  conforme  au  Droit  public,  qui  avait  fait  établir, 
même  sous  la  Loi  des  XÎI  Tables ,  le  principe  généreux, 

LA  PRÉS03IPTI0N  EST  DUE  A  LA  LIBERTÉ  :  mais  OU  UC  pCUt 

rien  conclure  de  cette  exception ,  en  faveur  du  deman- 
deur ,  qui ,  dans  l^s  cas  ordinaires  et  dans  la  procédure 
par  formules,  ne  venait  pas  justifier  sa  demande  au  jour 
marqué  pour  la  comparution  *^, 


13  Selon  MM.  Zimmern  (§  136)  et  Bonjean  (  §  223),  les  textes 
offriraient  quelque  doute  sur  la  nécessité  de  l'absolution;  mais  le 
texte  d'Ulpien  serait  seul  un  puissant  argument ,  et  il  n'est  pas  appli- 
cable. Voici  les  textes  indiqués  : 

Confessus  pro  judicato  erit....  Si  quis  absente  adversario  confessus 
sit,  videndu  n  numquid  non  debeat  pro  judicalo  haberi ,  quia ncc 


398  LIV.   I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

Le  défaut  venait-il  du  défendeur?  —  Une  procédure 
particulière  s'engageait  devant  le  magistrat  pour  consta- 
ter la  contumace.  Le  Préteur,  par  trois  cdicla  ou  avertis- 
sements successifs  de  dix  jours  en  dix  jours,  et  quelque- 
fois par  un  seul,  qualifié  d'édit  péremptoire,  enjoignait  au 
défendeur  de  comparaître  devant  le  juge,  et  menaçait, 
par  le  dernier  avertissement,  de  connaître  et  de  pro- 
noncer extraordinairement  {cogniturum  se  et  prommciatu- 
rum).  Après  l'édit  péremptoire ,  l'absent  était  cité  de  nou- 
veau; s'il  ne  comparaissait  pas,  il  était  réputé  en  état 
de  contumace,  et  la  cause  pouvait  être  jugée,  soit  par 
le  préteur  lui-même ,  dans  l'état  où  l'avait  laissée  la  litis- 
contestation  ,  soit  par  le  juge  désigné ,  si  la  cause  offrait 
des  difficultés  de  preuves  et  d'examen.  Mais  la  contumace 
n'appelait  pas  une  condamnation  :  «  la  cause  sera  vérifiée, 
dit  Llpien,  et  il  sera  prononcé,  non  toujours  selon  les 
prétentions  du  demandeur  présent,  mais  aussi  en  faveur 

^soleal  qnis  abscnli  condcmnari  ?  — -  Certe  procuratorem ,  tutorem  ,  cu- 
ratoremve,  preesentem  esse  sufficit.  (Z>.,  xlii.  2.  6.  §  3.  Ulp.  ) 

Créditer  cuin  fidejussoribus  egerat,  sed  posl  judicium  acceplum  ad 
agendain  causam  ipse  non  adfuit  :  et  cum  absoluli  essenl  fidejusso- 
res....  (i).,  xLix.  1.  28.  Scœr.)  —  Ces  deux  passages  supposent  la 
prati({ue  ordinaire  de  l'absolution  du  détendeur ,  en  l'absence  du  de- 
mandeur ,  ou  ce  que  nous  appelons  le  défaul-congc. 

Tout  le  fragment  d'Ulpien  où  se  trouve  le  passage  tvenire  polesl , 
ul  cliam  absens  vincal  ;  nam  polesl  senlenlia  cliam  secundum  liberla- 
lem  ferri  (  D.,  xl.  12.  27.  §  2,  )  —  Tout  ce  fragment  est  relatif  à  des 
causes  de  liberté  et  d'ingénuité.  Uipien  parle  des  juges  au  pluriel  : 
Recte  atque  ordine  judices  puto  factuuos.  (§  1  )  —  Ces  juges  ,  en 
nombre  collectif,  ne  peuvent  être  que  les  centumvirs  à  Rome  ,  ou 
les  récupérateurs  dans  les  provinces  ,  ou  le  Sénat  par  délégation  du 
priîice. 

Pour  le  dies  compcrcndimis  ou  la  compfvcmlinalio,  Gaius,  iv.  §  15. 


CHAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEN.  SECT.  V.  399 

de  l'absent,  qui  vaincra,  s'il  avait  une  bonne  cause '^.  » 
La  sentence,  favorable  ou  contraire,  sera  définitive;  le 
défendeur  condamné  ne  pourra  revenir  que  parla  resti- 
tution in  inlegrum  ,  en  justifiant  d'une  cause  légitime 
d'absence,  ou  par  l'annulation  de  la  procédure  de  con- 
tumace présentée  comme  irrégulière.  —  Ainsi ,  après  la 
litis-contestation ,  l'intérêt  des  deux  parties  était  de  ne 
pas  faillir  à  la  comparution  devant  le  juge.  Le  deman- 
deur avait  devant  lui,  comme  résultat  de  son  absence ,  le 
rejet  de  sa  demande;  et  le  défendeur,  l'état  de  contumace 
suivi  d'une  sentence  portant  un  caractère  définitif. 

IL  —  La  Sentence  produit  une  seconde  novation  :  le 
débiteur  n'est  plus  tenu  ,  ni  en  vertu  de  l'obligation  pre- 
mière ,  ni  en  vertu  de  l'obligation  nouvelle  née  de  la  litis- 
contestation  ;  il  est  obligé  par  la  condamnation  ,  ex  causa 
jiidicali  :  il  faut  qu'il  exécute  le  jugé.  Mais  cette  novation 
complète  n'a  lieu  qu'en  matière  de  jugement  légitime 
rendu  par  le  jige  ou  l'arbitre.  S'il  s'agit  d'un  jugement 
dépendant  de  l'empire  du  magistrat,  il  n'y  a  pas  novation. 
Le  demandeur  pourrait  encore  agir  de  plein  droit,  sauf 
à  être  repoussé  par  l'exception  de  la  cbose  jugée ^^. 

14  D.,  V.  I.  73.  De  Judiciis.  {Ulp.)  :  Et  post  edictuui  peremptorium 
impetratum  cuni  dies  ejussuperveuerit,  tune  absensciTARi  débet;  et 
sive  responderit,  sive  non  responderit,  agitur  causa  et  pronuncia- 
bitur  :  non  utique  secundum  pra?senteni,  sed  intebdum  vel  ab- 

SENS  ,  SI  BONAM  CAUSAM  HABUIT ,  MXCET. 

15  Gains,  m.  §  181  :  Unde  lit  ut  si  legitimo  judicio  debitum  petiero, 
postea  de  eo,  ipso  jure,  agere  non  possim ,  quia  inutiliter  interdo  daei 
MiHi  oporiebe;  quia  litis  contestatione  dari  oportere  desiit.  Aliter 
atque  si  imperio  contineuti  judicio  egerim,  tune  enim  uibilominus 
obligatio  durât,  et  ideo  ipso  Jure  postea  agere  possuni  ;  sed  debeo  per 
exceptionem  rei  judicatœ  vel  in  judicium  deductie  summoveri. 


400  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

Dans  le  système  formulaire,  la  sentence,  qui  con- 
damne, consiste  toujours  dans  la  condamnajion  au  paie- 
ment d'une  somme  déterminée.  Lorsque  le  litige  porté 
devant  le  juge ,  l'arbitre  ou  les  récupérateurs,  repose  sur 
une  action  réelle ,  comme  en  certaines  actions  prétorien- 
nes, la  sentence  substitue  à  l'objet  primitif  une  créance 
purement  pécuniaire ,  et  le  demandeur  qui  a  gagné  son 
procès  a  l'action  de  la  chose  jugée,  actio  judicati.  Les 
rapports  antérieurs  sont  éteints  et  remplacés  par  cette  ac- 
tion, qui  naît  du  jugement  et  qui  conduit  à  l'exécution 
de  la  sentence,  ou  à  une  condamnation  au  double. 

La  sentence,  qui  absout  le  défendeur  de  l'action  inten- 
tée ,  exerce  le  même  effet  sur  les  rapports  préexistants 
entre  les  parties  :  tous  ces  rapports  juridiques  sont  anéan- 
tis par  la  sentence  d'absolution;  et  pour  repousser  la  pré- 
tention que  le  demandeur  voudrait  foire  valoir  de  nou- 
veau, relativement  à  l'objet  du  litige,  le  défendeur  a  l'ex- 
ception de  la  chose  jugée,  exceptio  rei  judicati. 

La  sentence,  une  fois  rendue,  n'appartient  plus  au 
juge;  elle  est  irrévocable;  elle  appartient  aux  parties  in- 
téressées :  c'est  un  principe  fondamental'^.  Mais,  malgré 
son  caractère  définitif,  la  sentence  peut  trouver  des  ob- 
stacles opposés  à  son  autorité,  soit  de  la  part  du  défen- 
deur condamné ,  soit  de  la  part  du  demandeur  vaincu. — 
L'action  judicati  et  l'exception  rei  judicat^e  ont  pour 
principal  objet  de  détruire  les  obstacles  élevés  contre  l'au- 
torité de  la  sentence  qui  condamne  ou  qui  absout. 

Nous  allons  considérer  ces  positions  alternatives  des 
parties  : 

16  Judex,  posteaquam  semel  sententiam  dixit,  judcx  esse  desinit.... 
Semel  enim ,  maie  seu  bene ,  officio  functus  est.  {D.  xlu.  1 .  r).).  VIp.  ) 


CHAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEN.  SECT.  V.  404 

1  •*  Et  d'abord ,  le  demandeur,  qui  a  gagné  le  procès  et 
qui  veut  exécuter  la  sentence,  doit  réclamer  du  magis- 
trat l'intervention  nécessaire  pour  l'exécution.  A  celui 
qui  donne  le  juge  appartient  le  pouvoir  de  faire  exécuter 
le  jugement  ;  mais  la  partie  condamnée  peut  alors  oppo- 
ser la  nullité  de  la  sentence ,  ou  soutenir  qu'il  n'y  a  pas 
de  sentence,  non  esse  judicatum  :  c'est  ce  qu'on  appelle 
proposer  des  voies  de  nullité. 

«  Nous  devons  regarder  comme  condamné,  dit  Ulpien, 
»  celui  qui  a  été  condamné  régulièrement ,  afin  que  la 
»  sentence  vaille.  Mais  si  la  sentence  ,  par  quelque  raison 
»  que  ce  soit ,  n'a  pas  de  véritable  existence ,  si  nullius 
»  momenii  sit ,  la  parole  de  condamnation  ne  peut  pas 
»  tenir*''.  » 

Les  voies  de  nullité  contre  la  sentence  pouvaient  ve- 
nir de  plusieurs  sources  *^  : 

Causes  de  nullité  relatives  à  l'état  de  l'une  des  parties 
incapable  ou  absente  pour  motif  légitime; 

Causes  relatives  à  l'incompétence  du  magistrat  qui 
avait  donné  le  juge  ,  et  à  l'incapacité  du  juge  (sauf  l'er- 
reur commune  faisant  droit)  ; 

Causes  relatives  à  l'inobservation  de  la  formule ,  à  l'ir- 
régularité des  formes  substantielles  de  la  sentence  ; 

17  D.,  XLTi.  1.  4.  §  6.  de  Be  judicala  :  Condemnatuni  accipere  de- 
bemus  eum  qui  rite  condemnatus  est,  ut  sententia  valeat.  Caeterum  , 
si  aliqua  ratione  sententia  nullius  nionienti  sit ,  dicenduni  est  con- 
deninationis  verbum  non  tenere.  (  Ulp.  ) 

18  Ces  causes  sont  dites,  par  les  interprètes  du  droit,  venir  :  1°  Ex 
persona  liliganlium ,  magislratus ,  judicis;  2°  ex  defectu  processus , 
si  vel  forma,  vel  subslanlialia  deficianl.  {Corvinus  ,  Insl.  iv.  lit.  16.) 

T.  1.  26 


402  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

Causes  relatives  à  l'infraction  de  la  Loi  ou  à  la  viola- 
tion du  Droit  constitué ,  cum  contra  constitutiones  judicatur , 
aut  de  jure  consUluto  pronunciatur  '^. 

Saisi  de  cette  opposition  par  voie  de  nullité  fondée  sur 
un  moyen  de  droit ,  le  Préteur,  juge  de  la  nullité,  accor- 
dait ou  refusait  l'exécution  du  jugement.  —  Mais  si  la 
sentence  en  elle-même ,  son  existence  de  fait ,  était  révo- 
quée en  doute,  le  magistrat  renvoyait  devant  le  juge  avec 
la  formule  de  l'action  du  Jugé,  si  paret  judicatum  esse. 
Toutefois,  la  sent<;nce  apparente  ou  alléguée  avait  une 
force  provisionnelle ,  en  ce  sens  que  le  défendeur  oppo- 
sant devait  fournir  la  caution  judicatum  solvi;  et  s'il  per- 
dait son  nouveau  procès,  il  subissait  la  condamnation 
au  double  ;  car  on  avait  agi  contre  une  personne  qui  avait 
nié  sciemment  une  chose  certaine ,  adversus  inficiantem. 
—  L'action  Judicati  venait  de  la  Loi  des  XII  Tables  ;  elle 
était  civile  et  pénale;  elle  était  perpétuelle,  avec  droit 
de  poursuite  sur  la  chose  et  contre  l'héritier  ^". 

2°  Dans  le  second  cas,  lorsque  le  défendeur  originaire 

19D.,XLix.  1.  19.  {Macer.) 

M.  Boniean  a  parfaitement  expliqué  ces  quatre  causes  de  nullité, 
t.  II.  §  387.  Cependant  il  ajoute  ,  p.  535  ,  que  la  voie  de  nullité  pou- 
vait être  fondée  sur  la  violation  de  l'autorité  de  la  chose  jugée  ;  ce  qui 
ne  peut  être  admis  sans  distinction ,  mais  pour  les  cas  seulement  où 
cette  autorité  prouve  à  l'égard  de  tous ,  selon  la  distinction  que  nous 
présenterons  bientôt ,  relativement  à  l'autorité  de  la  chose  jugée. 

20  CtJJAS,  Observ.,  xxx.  lib.  2. 

Doneau,  de  Jur.  civ.,  xxvii.  ch.  3.  —  D.,  xlii.  1.  6.  §  3  :  Rei  per- 
secutoria  ;  in  heredem,  pro  parte  virili. 

Gaius,  IV.  §  9  :  Rem  vero  et  pœnam  persequimur,  velut  ex  his  eau- 
sis  ex  quibus  adversus  inficiantem  in  duplum  agimus  :  quod  accidit 
per  actionem  judicati,  depensi,  damni,  injurise,  pecuniarum?  lega- 
tarum  nomine ,  quœ  per  damnationem  certse  relictœ  sunt. 


CHAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEN.  SECT.  V.  403 

avait  obtenu  la  sentence  d'absolution ,  le  demandeur  , 
qui  voulait  se  prévaloir  de  la  nullité  du  jugement,  for- 
mait de  nouveau  son  action  devant  le  Préteur ,  comme 
s'il  n'y  avait  eu  ni  sentence,  ni  même  litis-contestation. 
—  Alors  le  défendeur  opposait  l'exception  de  la  chose 
jtigée.  Le  magistrat  statuait ,  s'il  y  avait  question  de 
droit  élevée  contre  la  validité  de  la  décision  du  juge  ; 
il  renvoyait  devant  le  juge ,  dans  le  cas  où  l'existence 
même  de  la  sentence  était  mise  en  question  ;  et  le  de- 
mandeur téméraire ,  qui  avait  nié  la  sentence  d'absolu- 
tion, subissait  la  condamnation  au  double  de  la  valeur 
du  litige. 

Ainsi ,  les  voies  de  nullité  étaient  librement  ou- 
vertes contre  les  sentences  des  juges  donnés  par  le  Pré- 
teur ,  et  elles  constituaient  un  puissant  moyen  de  faire 
respecter  les  règles  du  droit,  la  compétence  des  magis- 
trats et  des  juges,  l'inviolabilité  des  formules  prétorien- 
nes ;  mais  si  le  citoyen  voulait  aller  au-delà  de  ces  at- 
taques par  les  moyens  de  droit ,  et  user  de  sa  faculté 
de  nier  l'existence  même  de  la  décision  du  juge ,  il  était 
averti  ou  retenu  par  de  sages  précautions  ;  il  était  li- 
bre, mais  il  encourait  la  responsabilité  de  ses  actes. 
L'action  ou  l'exception  judicati  et  la  caution  judica- 
TUM  SOL VI  se  combinaient  avec  la  condamnation  in  du- 
PLUM ,  pour  prévenir  ou  réprimer,  par  une  grave  sanc- 
tion ,  l'usage  téméraire  d'une  faculté  précieuse  à  la  sé- 
curité du  citoyen.  Lorsque  le  citoyen  abusait  de  sa  li- 
berté d'attaquer  les  actes  de  la  Justice,  il  encourait  une 
peine  méritée.  «  Dans  un  État,  dit  Montesquieu,  c'est- 
»  à-dire  dans  une  société  où  il  y  a  des  lois ,  la  liberté  ne 
»  peut  consister  qu'à  pouvoir  faire  ce  que  l'on  doit  vou- 


404  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

»  LOIR  »  ^*.  La  constitution  judiciaire  des  Romains  réali- 
sait admirablement  ce  principe  de  liberté  politique  et 
civile. 

III.  —  La  sentence  passée  en  force  de  chose  jugée  est 
exécutoire  sous  l'autorité  du  Magistrat  qui  donne ,  en 
vertu  des  Lois  ou  de  l'Edit,  les  moyens  d'exécution.  Les 
deux  voies  d'exécution  les  plus  anciennes ,  la  manus  in- 
jECTio  et  la  Missio  m  possessioinem  ,  l'une  venant  des 
XII  Tables,  l'autre  de  l'Édit  prétorien,  s'adressaient  à 
la  personne  et  aux  biens. 

La  première  était  l'action  qui  tendait  à  l'exécution  gé- 
nérale des  jugements.  C'était  une  contrainte  par  corps; 
et  le  débiteur  condamné  ne  pouvait  repousser  la  main  du 
créancier  agissant  par  lui-même  pro  judicato  ,  sans  être 
rebelle  et  livré  au  pouvoir  du  magistrat,  qui  ordonnait 
de  le  conduire  dans  la  prison  publique ,  in  publica  vin- 
CULA^^.  —  En  vertu  de  la  loi  Papyria  de  nexu,  le  débiteur 
condamné  cessa  d'être  réduit  en  état  de  servitude  ;  mais 
laManus  injectio,  comme  moyen  d'exécution  par  la  main- 
mise personnelle  ,  ne  fut  point  alors  abolie.  Plus  tard  ,  et 
après  l'abrogation  des  actions  de  la  Loi ,  elle  fut  rempla- 

21  Esprit  des  Lois  ,  liv.  xi.  cli.  3.  Ce  que  c'esl  que  la  liberté. 

22  La  loi  Julia  de  vi  publica,  punissait  le  magistrat  qui  avait  mal- 
traité ou  fait  conduire  in  publica  vincula  le  citoyen  qui  avait  fait  son 
appel  au  peuple;  mais  la  loi  exceptait  les  cas  où  le  magistrat  en  avait 
agi  ainsi  à  l'égard  du  débiteur  condamné  qui  avait  refusé  d'obéir ,  et 
de  ceux  qui  avaient  enfreint  la  discipline  publique. 

«  Hac  lege  excipiuntur,  dit  Paul ,  judicali  etiam  et  confessi ,  et  qui 
ideo  in  carcerem  duci  jubentur,  quod  jus  dicenti  non  obtemperave- 
rint,  quidve  contra  disciplinam  publicam  fecerint.  {Paul.,  Sent. ,  v. 
26  ,  el  Cvjas,  Comm.  ) 


CHAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEN.  SECT.  V.  405 

cée^  à  Rome  et  dans  les  Provinces,  par  l'ordre  du  Pré- 
teur de  conduire  le  condamné,  duci  jubet  (sorte  de  man- 
dat d'amener),  pour  que  le  débiteur  conduit  dans  la  mai- 
son du  créancier  appliquât  son  travail  à  l'extinction  de  la 
dette.  C'est  cette  transformation  de  l'ancienne  main-mise 
que  la  Loi  de  la  Gaule  Cisalpine  exprimait  par  ces  mots  : 
«  Ne  ouïs  de  ea  re  msi  pr^tor  ,  isve  qui  rom^e  juri- 

DICUNDO  PR^ERIT DUCI  EUM  JUBE  AT ' 


,23 


La  seconde  voie  d'exécution ,  l'Envoi  en  possession  et 
la  vente  publique  des  biens ,  fut  conservée.  Mais  le  ca- 
ractère des  droits  du  créancier,  sur  les  biens  détenus  par 
suite  de  l'envoi  en  possession ,  fut  précisé  par  la  déno- 
mination de  GAGE  PRÉTORIEN  donnée  aux  objets  mobi- 
liers et  immobiliers  placés  sous  la  main  de  l'envoyé  en 
possession.  Il  y  avait  cette  différence  essentielle  entre  le 
gage  prétorien  et  l'hypotbèque  créée  par  le  pacte  préto- 
rien ,  que  l'hypothèque  ne  supposait  pas  la  détention  des 
objets  par  le  créancier,  et  pouvait  s'appliquer  même  à 
des  biens  futurs ,  tandis  que  le  gage  prétorien  n'existait 
qu'à  la  condition  de  la  mise  en  possession  effective.  Si  le 
débiteur  avait  vendu  les  objets  avant  l'exécution  de  la 
missio  in  'possessionem ,  le  gage  prétorien  n'avait  pas  lieu  ; 
comme  le  pignus,  dans  l'ordre  des  contrats  du  droit  civil, 
il  était  essentiellement  réeP*.  Lorsqu'il  portait  sur  des 

23  Lex  Galliae  Cisalpinae,  cap.  xxii ,  in  fine. 

24  D.,  XIII.  7.  26.  §  1.  (  Ulp.  )  :  Sciendum  est  ubi  jussu  magistratus 
pignus  constituitur,  non  alias  constitui,  nisi  ventum  fuerit  in  posses- 
sionem. —  Cod.  J.,  Yiii.  18.  2  :  Praevalet  jure  qui  praeveuit  tempore. 
{Anlon.,  an.  213.) 

Inter  pignus  hoc  prœtorium  et  caetera  quae  lege  tacite  dantur  aut 
conventione,  hoc  interest  quod  ille  siraul  atque  obUgatio  subest,  aut 


406  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAIîSE. 

immeubles  susceptibles  de  revenus ,  le  créancier  recueil- 
lait les  fruits  jusqu'à  la  vente  ou  à  la  remise  du  gage  ;  les 
fruits  se  compensaient  avec  les  intérêts  de  la  créance,  car 
il  était  dispensé  expressément  de  leur  restitution^^. 

La  Pignoris  Capio  du  droit  des  XII  Tables  n'était  point 
créée  comme  action  de  la  Loi  pour  l'exécution  des  senten- 
ces; mais  elle  s'étendit  dans  l'usage;  et  après  l'abolition 
de  l'ancien  système  de  procédure,  il  y  eut  une  prise  de 
gage  autorisée  par  le  magistrat ,  qui  constituait  un  gage 
judiciaire  distinct  du  gage  prétorien  dont  nous  venons  de 
parler.  —  Le  gage  prétorien  portait  sur  l'ensemble  des 
biens  compris  dans  la  missio  in  possessionem ,  et  possédés 
soit  par  les  créanciers ,  ex  causa  judicati ,  soit  par  des  en- 
voyés en  possession  à  d'autres  titres  qu'une  sentence  de 
condamnation  ;  le  gage  judiciaire  proprement  dit  portait 
spécialement  sur  un  objet,  et  n'existait  jamais  que  pour 
garantir  le  résultat  d'une  condamnation.  —  Dans  le  gage 
prétorien ,  c'était  le  créancier  lui-même  qui  se  mettait  en 
possession  ;  dans  le  gage  judiciaire,  la  main-mise  s'effec- 
tuait par  l'appariteur  ou  l'officier  ministériel  exécutant 
l'ordre  du  magistrat.  — La  vente  se  faisait,  dans  le  gage 


de  pignore  convenit,  creditori  obligaiitur  etiarasi  nunqaam  res  in 
manus  et  possessionem  créditons  venerit.  —  Quod  autem  a  magis- 
tratudaturnon  alias  constituitur,  nisi  in  possessionem  ventum  fuerit , 
quibus  ex  causis  in  possessionem  missi  sumus ,  aut  res  ex  causa  ju- 
(fï>«a"  capta  et  occnpata  sit.  (DoNELLUS,  de  Pign.  et  Hyp. ,  cap.  v. 
(t.  VI.  p.  881.  —  et  t.  XI.  p.  230.  ) 
25  Prœtor  ait  :  Si  quis  cum  tn  possessioîve  bonorum  esset  quod 

rO  NOMI>'E  FBUCTUS  CEPERTT  El  AD  QUEM  EA  RES  PERTINET  NO?}  RES- 
TITUAT. —  His  verbis,  ad  qnnn  ea  res  perlinel,  etiam  curator  bonis  dis- 
îrahendis  continebitur  ,  et  ipse  debitor,  si  contigerit  ne  bona  ejus  ve- 
neaut,  (P.,  xlii.  5.  9.  §  2.  Ulp.) 


CHAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEN.  SECT.  V.      407 

prétorien ,  par  les  soins  du  curateur  et  à  la  diligence  des 
créanciers;  dans  le  gage  judiciaire,  la  vente  s'effectuait  par 
l'autorité  directe  du  magistrat"®.  —  La  vente  publique, 
après  la  missio  in  possessionem ,  entraînait  la  note  d'infa- 
mie contre  le  débiteur;  il  n'en  était  pas  ainsi  dans  la 
vente  du  gage  spécial.  —  Dans  le  gage  prétorien,  la  vente 
aux  enchères  était  la  conséquence  de  la  missio  ,  à  moins 
que  le  débiteur  n'eût  obtenu  la  réintégration  après  le  paie- 
ment, et  les  biens  n'étaient  jamais  attribués  aux  créanciers 
sans  l'intervention  de  la  vente  publique  ;  dans  le  gage 
judiciaire,  si  le  condamné  avait  par  ses  manœuvres  écarté 
les  acheteurs,  l'objet  pouvait  être  attribué  au  créancier, 
dominiiim  creditori  addici  solet ,  usage  qui  s'est  pratiqué 
surtout  dans  les  provinces"^.  Mais  une  règle  commune 
aux  deux  espèces  de  gage  prétorien  et  judiciaire,  et  sur 

26  Res  ob  causam  judicati  ejus  jussii  cui  jus  jubendi  fuit,  pignoris 
jure  teneri  ac  distrahi  posse  saepe  rescriptum  est;  nain  in  vicem  justae 
obligationis  succedit  ex  causa  contractus  auctoritas  jubentis.  (  Cod. 
Jusl.,  VIII.  23.  1.  Anton.  [An.  214.]  Si  in  causa  judicati  pignus  cap- 
ium.—  Cum  IX  causa  judicati  aliqua  res  pignobi  capitur  peb  offi- 
ciUM  EJUS  qui  ita  decrevit,  venumdari  solet,  non  per  eum  qui  judi- 
catUQi  lieri  postulavit.  {Idem ,  L.  2.  Alex.  [  An  224.  J 

Cujas ,  dans  ses  Paralitla,  sur  les  Livres  du  Code,  viii.  21  et  22  , 
(  annotés  par  Fabrot  ) ,  a  fait  ressortir  les  différences  entre  le  gage  pré- 
torien et  le  gage  in  causa  judicali  caplum. 

Doneau  n'a  pas  fait  les  mêmes  distinctions ,  et  semble  considérer  le 
gage  prétorien  comme  ne  faisant  qu'un  avec  le  gage  judiciaire.  (Com- 
ment, in  seleclos  quosdam  lilulos  Digesl.,  volum.  secund.,  t.  xi.  p.  230, 
édit.  Naples.  ) 

27  In  causa  judicati  pignora  ex  autoritate  pr^sidis  capta ,  potius 
distrahi  quam  jure  dominii  possideri  consueverunt.  Si  tamen  perçai, 
liditatem  condemnati  emptor  inveniri  non  potest ,  tune  auctorit'ate 
Principis  dominium  creditori  addici  solet.  {Cod.  Just. ,  viii.  23.  3. 
GOEDIAN.,  An.  240.) 


408  •  LIV.   1.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

laquelle  il  n'y  avait  aucune  variation ,  c'était  la  nécessité 
de  la  détention  réelle  de  l'objet^*  :  —  d'où  il  résulte  que 
le  gage  prétorien  et  judiciaire  des  Romains  n'a  aucun 
rapport  avec  l'hypothèque  judiciaire  des  Modernes. 

Au  surplus,  le  bénéfice  de  Cession,  introduit  par  Jules 
César  en  faveur  des  débiteurs  insolvables ,  mais  de  bonne 
foi  dans  leur  malheur,  fut  toujours  la  ressource  placée  à 
côté  des  moyens  de  rigueur;  et  par  une  modification 
toute  favorable  aux  débiteurs,  la  Cession,  qui  devait  d'a- 
bord se  faire  solennellement  devant  le  Magistrat ,  put 
même  se  faire  extrà-judiciairement  par  lettre  ou  par  mes- 
sage ^^. 

IV.  —  L'autorité  de  la  chose  jugée  était  un  grand 
principe,  fondé  sur  l'intérêt  sociaP". 

«  L'état  de  la  République ,  disait  Cicéron  (même  après 
avoir  frappé,  sans  jugement,  Catilina  et  ses  complices), 

28  Un  jurisconsulte  (d'orgine  portugaise),  qui  professa  avec  gloire 
dans  les  anciennes  Universités  de  France,  et  que  Cujas  a  qualifié  le 
premier  parmi  les  inlerprèles  présents  el  futurs  du  Droit  de  Justinicn , 
Antoine  de  Gou\éa{  Goveanus  ),  a  dit  que  l'envoyé  en  possession  avait 
le  droit  de  gage ,  bien  qu'il  ne  possédât  pas  :  «  Licet  autem  missus  in 
possessionem  nonpossideal ,  jus  tamcn  pignoris  hahel.  »  Mais  il  se  fonde 
seulement  sur  la  loi  26  ,  de  pigneratiiia  actione.  (Z).,  xiit.  7  ),  qui  dit 
positivement,  §  1  :  Sciendum  est ,  ubijussu  magistratus pignus consti- 
tuitur  non  alias  constitui,  nisi  venlum  fueril  in  possessionem. — Il  y  avait 
donc  erreur.  (Ânt.  Govean.,de  Jtirisdiclione,  lib.  li.p.  75,  édit.  1622.) 

29  Bonis  cedi  non  tantum  in  jure,  sed  etiam  extra  jus  potest;  et 
sufficit  et  per  nuncium  vel  per  epistolam  id  declarari.  (  />.,  xlii.  3.  9. 
Marcian.  ) 

30  D.,  XXXVI.  1.  65  :  Etiam  Publici  interest  propter  rerum  judica- 
tarum  auctoritatem ,  id  est  ut  res  judicatse  suam  teneant  auctori- 
tatem. 


CHAP.  V.  DROIT   PRÉTORIEN.   SECT.    V.  409 

l'état  de  la  République  est  maintenu ,  surtout  par  l'au- 
torité des  sentences  ^*  » . 

Le  respect  dû  à  la  Chose  jugée,  dans  l'ordre  civil,  fut 
considéré  comme  le  respect  dû  à  la  Vérité ,  dans  l'ordre 
moral;  et  de  là  cette  maxime  qui,  des  Romains,  a  passé 
dans  la  jurisprudence  de  tous  les  peuples  civilisés,  res 
JUDICATA  PRO  VERITATE  ACCiPiTUR.  L'assimilatiou  ,  ce- 
pendant, n'est  pas  possible  dans  un  sens  absolu.  L'au- 
torité de  la  chose  jugée  ne  peut  pas  être  la  même  à  l'é- 
gard de  toutes  les  questions ,  de  toutes  les  sentences  et 
de  tous  les  citoyens.  La  présomption  de  vérité  attachée 
aux  jugements  est  tantôt  générale ,  et  tantôt  relative. 

La  maxime  insérée  au  titre  de  Regulis  Juris  [207] ,  qui 
semble  tirer  de  son  isolement  le  caractère  d'un  axiome,  est 
empruntée  à  un  fragment  d'Ulpien,  qui  l'appliquait  à  l'état 
des  personnes.  [D.  i.  5.  25].  Dans  son  application  aux  ques- 
tions d'état,  savoir  si  un  homme  est  libre,  ingénu,  citoyen  ; 
s'il  y  a  mariage,  paternité,  filiation,  la  règle  est  générale  : 
l'autorité  du  jugement,  lorsqu'il  y  a  eu  légitime  contra- 
dicteur, est  universelle  dans  la  Cité;  l'erreur  même,  con- 
sacrée par  la  sentence  définitive  en  faveur  de  l'état  ré- 
clamé, est  entourée  du  respect  que  l'on  doit  à  la  vérité. 
Or^  dans  la  constitution  romaine,  par  une  précieuse  har- 
monie entre  les  institutions  et  leur  principal  objet,  c'était 
le  Tribunal  électif  des  Centumvirs  qui ,  statuant  sur 
l'état  des  personnes  dans  la  Cité ,  dans  la  famille ,  pro- 
nonçait les  Sentences  préjudicielles,  obhgatoires  pour  la 

31  Status  Reipublicae  maxime  judicatis  rébus  continetur.  (  Cic.  , 
pro  P.  Sulla ,  cap.  xxii.  )— Le  discours  fut  prononcé  en  691  ,  après  le 
consulat  de  Cicéron  ,  et  en  faveur  d'un  citoyen  accusé  d'avoir  été  l'un 
des  complices  de  Catilina  lui-même. 


44  0  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

Cité  tout  entière.  «  La  sentence  alors  préjuge  à  l'égard  de 
tous,  disait  énergiquement  un  jurisconsulte  du  xiv^  siè- 
cle, J.  Faber;  la  sentence  portée  pour  l'état  des  personnes 
fait  droit,  senteintia  latapro  statu  facit  jus^^.  » 

Mais  quand  les  questions  en  litige  ne  concernent  pas 
l'état  des  personnes  dans  la  Cité,  ne  touchent  pas  à  la 
constitution  personnelle  de  la  famille,  et  regardent  la 
propriété ,  les  obligations  et  toutes  les  choses  suscepti- 
bles d'évaluation  pécuniaire,  l'autorité  de  la  chose  jugée 
ne  s'impose  plus,  comme  la  vérité,  à  la  société  entière; 
elle  n'est  plus  générale},  elle  est  relative  seulement  aux 
citoyens  qui  ont  figuré  dans  le  procès,  ou  à  ceux  qui 
les  représentent.  —  Et  lors  môme  qu'il  s'agjirait  d'une 
qualité  de  la  personne ,  si  cette  qualité  est  liée  à  une 
obligation,  à  une  preuve,  qui  peut  être  à  l'égard  de  l'un 
et  n'être  pas  à  l'égard  de  l'autre ,  le  jugement  rendu  con- 
tre la  personne  en  cette  qualité  ne  peut  profiter  ni  nuire 
à  celui  qui  n'a  pas  été  partie  dans  l'instance.  Ainsi ,  le 
jugement  obtenu  par  un  créancier  ou  un  légataire  contre, 
un  successible  ou  un  institué ,  en  qualité  d'héritier  ,  ne 

32  Joan.  Fabri ,  Comment,  in  lib.  iv.  Inst.,  tit.  vi.  §  13,  pb^judi- 
CIALES  ACTIONES.  (P.  473.  474  ,  edil.  Lugduni,  1593.  ) 

«  Sententia  in  eis  lata  pracjudicat  omnibus....  Numquid  est  verum 
indistincte?  «  Sententia  lata  pro  statu  facit  jus.  Quid  si  contra  sta- 
tum  ?  Non  videtur  idem  ;  cum  cesset  causa  favoris  liberlalis  vcl  inge- 
nuilatis.  »  Le  facit  jus  esi  tiré  des  lois  romaines.  (Z).  v.  2.  17.  §  uU.) 

Toute  la  discussion  de  J.  Faber  mérite  d'être  étudiée.  Un  juriscon- 
sulte, D.  Herald,  qui  a  fait  un  traité  spécial  très-intéressant  dererum 
judicalarum  auctorilale ,  inséré  dans  le  2*  tome  du  Trésor  d'Othon,  ex- 
pose et  développe  la  même  doctrine  (liv.  i.  c.  1.  n»  9.) 

Zimmern  fait  aussi  cette  remarque,  mais  sans  développement  :  «  C'est 
en  matière  de  questions  d'état  que  l'on  peut  dire  avec  raison  :  Resju- 
dicala  pro  verilate  accipitur.  »  (  Traité  des  actions,  §  140,  in  fine.  ) 


CHAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEN.  SECT.  V.  411 

peut  être  invoqué  par  un  autre  créancier  contre  le  même 
successibîe ,  parce  que  l'obligation  qui  résulte  de  Tadi- 
tion  d'hérédité,  ou  la  preuve  de  l'obligatton,  a  pu  exis- 
ter à  l'égard  de  l'un ,  sans  exister  à  l'égard  de  l'autre. 
Ainsi,  de  deux  cohéritiers  d'un  débiteur,  l'un  est  pour- 
suivi et  condamné  envers  un  créancier:  le  jugement 
ne  pourra  nuire  à  l'autre  cohéritier,  bien  qu'il  ait  connu 
l'action  et  le  jugement ,  parce  que  la  défense  étant 
divisible,  reste  entière  pour  le  cohéritière^.  —  Ainsi, 
encore,  la  plainte  en  testament  inofficieux  a  pu  réussir 
contre  un  institué,  sans  réussir  contre  un  autre,  parce 
qu'une  mauvaise  défense  ne  peut  nuire  à  une  bonne. 
Le  testament  peut  donc  être  rescindé  à  l'égard  de  l'un 
et  n'être  pas  rescindé  à  l'égard  de  l'autre  :  là  encore  il 
y  a  des  intérêts  et  des  défenses  divisibles,  et  cette  di- 
visibiUté  pénètre  jusque  dans  le  testament  ;  car  ,  malgré 
la  règle  qu'un  citoyen  ne  peut  mourir  partie  testât  et 
partie  intestat ,  l'hérédité  est  partagée  entre  l'héritier 
testamentaire  et  l'héritier  du  sang.  Ce  qui  n'aurait  pu 
avoir  lieu  par  la  volonté  du  testateur  s'effectue  après  sa 
mort ,  ex  post  facto ,  par  respect  pourl'autorité  purement 
relative  de  la  chose  jugée  e*. 

33  Nam  scientibus  nihil  praejudicat,  veluti  si  ex  duobus  heredibus 
débitons  aller  condemnatur  ;  ùam  alteri  intégra  defensio  est ,  etiamsi 

cum  coherede  suo  agi  scierit.  (  D.,  xLii,  t.  63.  Macer.  ) 

34  Cum  inofficiosi  querelam  evenire  plerumque  adsolet  ut  in  una  ea 

atque  eadem  causa  diversse  sententiœ  proferantur.  Quid  enim  si ,  fratre 
cogente,  heredes  scripti  diversi  juris  fuerunt?  Quod  si  fuerit,  pro  parte 
testatus  et  pro  parte  intestatus,  decessisse  videtur.  (D.,v.  2.  24.  Ulp.) 
Filius  qui  de  inofficiosi  actione  ad  versus  duos  heredes  expertus  di- 
versas  sententias  judicum  tulit  etunum  vicit ,  ab  altero  superatns  est , 
et  debitores  convenire  et  ipse  a  creditoribus  conveniri  pro  parte  po- 


442  LIV.    I.    —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

Cette  autorité ,  ramenée  ainsi  à  son  caractère  relatif 
dans  le  domaine  des  intérêts  réels  et  privés ,  est  opposée 
sous  la  forme  de  l'exception  reijudicatœ.  L'exception  est 
donnée ,  comme  on  l'a  vu  plus  haut ,  au  défendeur  ab- 
sous par  le  jugement ,  pour  repousser  l'action  nouvelle 
du  demandeur  ;  elle  est  donnée  aussi  au  demandeur  qui 
a  vaincu  dans  l'instance  et  qui  serait  poursuivi ,  plus 
tard  ,  par  l'ancien  défendeur.  Cette  exception  est  perpé- 
tuelle et  péremptoire.  Mais,  pour  qu'elle  puisse  exister, 
trois  conditions  doivent  concourir  :  —  Il  faut  que  la 
chose  demandée  soit  la  même  ,  eadem  res  ;  —  que  la 
demande  soit  fondée  sur  la  même  cause ,  eadem  causa 
PETENDi;  —  qu'elle  soit  entre  les  mêmes  parties  ,  inter 
easdem  personas. 

1**  Identité  de  chose.  —  La  condition  existe  ,  quelle 
que  soit  la  nature,  mobilière  ou  immobiUère,  corporelle 
ou  incorporelle,  totale  ou  partielle  de  l'objet  du  litige. 

2°  Identité  de  cause.  —  Une  seule  cause  de  demande 
aurait  pu  donner  lieu  à  plusieurs  actions  ;  la  diversité 
des  actions  possibles  ne  change  pas  l'unité  de  la  cause 
prochaine  qui  pouvait  les  produire^  et  c'est  à  cette  cause 
prochaine  que  l'on  doit  s'attacher  pour  savoir  s'il  y  a 
identité ^^.  Quand  il  s'agit  de  propriété  ,  une  cause  ab- 
sorbe toutes  les  causes  ;  car  on  ne  peut  être  propriétaire 
qu'une  fois  d'un  même  objet.  Quand  il  s'agit  d'obUga- 

test  ;  et  corpora  vindicare  et  hereditatem  dividere.  Verum  enim  est 
familise  erciscundae  judicium  competere  :  quia  credimus  eum  legiti- 
mum  heredem  pro  'parle  esse  factum ,  et  ideo  pars  hereditatis  in  tes- 
taraento  remansit.  Née  absurdum  videtur,  pro  parte  iutestatum  vi- 
deri.  (Z).,  v.  2.  15.  Papin.  )  Supra  ,  p.  72.  note  28. 
35  Proxima  causa  actiouis.  (D..  xliv.  2  27,  ) 


CHAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEN.  SECT.  V.  4i  3^ 

tion ,  il  peut  y  avoir  plusieurs  causes  différentes  et  suc- 
cessives ;  une  personne  peut  être  obligée  envers  moi  de 
différentes  manières ,  à  divers  titres  :  si  donc  j'ai  suc- 
combé en  invoquant  une  cause  d'obligation ,  je  puis  réus- 
sir contre  la  même  personne ,  en  invoquant  une  cause 
différente.  Après  avoir  agi  inutilement  contre  elle  par 
l'action  mandali ,  je  puis  agir  par  l'action  fro  socio;  mais 
si  j'ai  revendiqué  ,  à  titre  de  propriétaire ,  contre  Seius 
le  fonds  Cornélien,  et  si  j'ai  succombé  dans  mon  action , 
je  ne  puis  agir  contre  le  même  adversaire,  en  alléguant 
une  autre  cause  de  propriété,  à  moins  qu'une  cause  nou- 
velle ne  soit  survenue  depuis  l'instance^®. 

3**  Identité  de  personnes.  —  Les  successeurs  à  titre 
universel  ou  singulier  de  la  partie  qui  a  figuré  dans  le 
jugement  ne  sont  pas  considérés  comme  des  personnes 
différentes  ;  la  représentation  de  la  personne  elle-même , 
ou  la  succession  h  la  propriété  de  la  chose,  par  transmis- 
sion à  titre  singulier,  produira  le  même  effet  et  supposera 
l'identité  des  personnes ,  parce  que  les  intérêts  des  au- 
teurs et  des  successeurs  se  confondent,  dans  les  deux  cas, 
à  l'occasion  de  l'objet  litigieux  et  de  la  cause  du  litige. 

Par  ce  simple  aperçu  sur  une  Règle  qui  a  donné  lieu 
à  de  si  riches  développements  dans  la  science  du  droit, 
on  peut  entrevoir  à  quelle  profondeur  l'analyse  des  Ju- 
risconsultes romains  avait  cherché  les  éléments  de  la 
grande  exception  rei  judicatœ.  Ils  voulaient  s'assurer  que 

36  D.,  xLiv.  2.  14.  §  2  :  Neque  eniiiî  amplius  quam  semel  res  mea 
esse  potest ,  saepe  autem  deberi  potest. 

StruviusSyntagm.  juris  civilis  exercit.  45,  de  Excepl.  rei  judicatce , 
n»  XX.  —  Zimmern.  (§  139.  ) 


M  4  LIV.  1.   —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

Texception  ne  serait  pas  abusive,  qu'elle  porterait  avec 
certitude   sur  un   litige  déjà  terminé  entre  les  mêmes 
parties.  Ils  voulaient  que  la  Chose  jugée  servît  ou  nuisît 
à  ceux  seulement  qui  avaient  été  personnellement  jugés 
ou  représentés.  —  Pour  éviter  la  multiplicité  des  pro- 
cès, ils  faisaient  encore  une  distinction  fondée  sur  la 
position  respective  des  personnes  et  sur  la  nature  des 
droits  subordonnés  les  uns  aux  autres.   Lorsque  celui 
qui  avait  le  plus  "d'intérêt  à  agir  le  premier  laissait  sciem- 
ment agir  la  personne  qui  n'avait  qu'un  droit  secondaire, 
il  devait  s'imputer  de  n'avoir  pas  usé  de  son  droit  de 
priorité ,  et  subir  la  conséquence  du  jugement.  Le  créan- 
cier ,  par  exemple ,  qui  laissait  le  débiteur  plaider  sur  la 
propriété  du  gage  remis  entre  ses  mains;  — le  mari  qui 
laissait  son  beau-père  ou  sa  femme  plaider  sur  la  propriété 
des  choses  par  lui  reçues  en  dot,  étaient  censés  avoir 
consenti  ou  participé  au  jugement.  Ils  auraient  donc  été 
repoussés  par  l'exception  de  la  chose  jugée ,  si,  plus  tard, 
ils  étaient  venus  réclamer  le  gage  ou  la  chose  dotale  contre 
ceux  qui  avaient  gagné  le  procès.  —  De  même ,  la  sen- 
tence sur  la  nullité  d'un  testament,  portée  contre  l'héritier 
inscrit,  nuisait  aux  légataires ,  dont  les  droits  sont  néces- 
sairement subordonnés  à  la  validité  d'un  titre  indivisible^'. 

Ainsi,  et  en  résumé,  les  Jurisconsultes  romains,  en 
proclamant  l'autorité  de  la  chose  jugée,  en  l'assimilant 
à  la  vérité,  lui  donnaient  dans  la  Cité  une  autorité 
GÉNÉRALE  ou  RELATIVE  ,  sclou  Ic  Caractère  des  questions, 

37D.,XLii.  1. 63. (ij/acer.):  Sœpe  constitutumestres  iiiteraliosjudica- 
tas  aliis  non  prœjudicare  ;  quod  tamen  quamdam  distinctionem  habet  ; 
nani  seuteutia  inter  alios  dicta  aliis  quibusdani  etiani  scientibus  obest. 

D.  XXX.  I.  50.  §  1  :  Quant  aux  legs.  Sccus,  s'il  s'agissait  d'uu  gage, 
qui  pouvait  valoir  par  une  autre  cause.  D.  xx.  1.  3.  Pap.  {H/r.,  i.  c.  2.^ 


CHAP.  V.  DROIT  PRÉTORIEN.  SECT.  V.  415 

des  personnes  et  des  intérêts.  —  Quand  ils  la  réduisaient  à 
une  application  relative,  ils  s'assuraient,  par  les  conditions 
constitutives  de  l'exception  rei  judicatœ,  qu'elle  porterait 
vraiment  sur  un  litige  déjà  jugé  entre  les  mêmes  parties 
ou  leurs  ayant-cause ,  ou  sur  des  droits  subordonnés  par 
leur  nature  à  un  droit  fondamental.  — Déplus,  ils  tai- 
saient en  sorte  que  chacun  tut  intéressé  gravement  à 
veiller  sur  ses  propres  droits,  en  associant  aux  effets  de 
la  sentence  les  personnes  qui  auraient  pu  agir,  et  qui,  par 
incurie  ou  par  connivence,  avaient  laissé  de  moins  inté- 
ressés agir  à  leur  place.  La  Loi  civile  de  Rome  protège 
le  Citoyen  dans  l'exercice  de  ses  droits,  mais  en  attachant 
ses  garanties  à  un  devoir,  la  vigilance  du  père  de  famille  : 

JUS  CIVILE  VIGILANTIBUS  SCRIPTUM  EST. 

Si  la  vigilance  est  un  devoir  lié  à  l'intérêt  des  plaideurs, 
^lle  est  un  devoir  bien  plus  impérieux  encore  pour  le  juge, 
{ui  doit  accomplir  religieuâement  son  office.  Le  juge  qui 
prononçait  la  sentence  contre  les  lois ,  contre  le  droit  pu- 
blic ,  invoqués  devant  lui ,  était  criminel  et  frappé  de  dé- 
portation; celui  qui  prononçait  par  faveur,  par  haine,  par 
cupidité ,  dolo  mato,  assumait  le  procès  sur  sa  tête,  et  en 
devait  la  véritable  estimation  :  mais,  en  outre,  celui-là 
même  qui  ne  commettait  le  dommage  que  par  impéritie, 
par  imprudence ,  faisait  sien  le  htige  et  en  était  respon- 
sable^^. La  responsabilité  du  juge  garantissait  les  citoyens 
contre  ses  passions ,  son  ignorance  ou  sa  légèreté.  Quelle 
admirable  harmonie  entre  les  fonctions  du  juge  et  les  de- 
voirs de  l'homme  ! 

38 Paul.,  Sent.  v.  25.  §  4.  In  insulam  deporlalur.  —  D.  v.  1. 15.  §  1. 
Judex  cum  dolo  malo  {Ulp.)  —  D.  L.  13.  6.  Per  imprudenliam  {Gains.) 
—  Donellus,  Comm.,  lib.  xxviii.  c.  2. 


416  LÎV.  1.    —  ÉPOQUE   ROMAINE. 

CHAPITRE  VI. 

CULTURE  ET  ENSEIGNEMENT  DU  DROIT.  —  ÉCOLE  DES  PRUDENTS.  * 


Existimo  juris  civilis  magnum  usum....  et 
apud  multos  fuisse.         (Cic,  Bkutus,  xli.) 


Avant  la  Loi  des  XII  Tables,  le  Droit  était  pontifical  : 
ses  principes  et  ses  modes  d'action  étaient  entourés  de 
mystère.  —  Depuis  la  Loi  des  XII  Tables ,  le  Collège  des 
pontifes  dressait  les  formules  d'action ,  les  patriciens  ré- 
pondaient sur  le  droit  à  leurs  clients;  l'initiation  à  la  con- 
naissance ,  à  la  pratique  du  droit  était  encore  le  privilège 
du  patriciat.  Mais  en  l'an  502  un  plébéien ,  TiB.  Corux- 
CANius ,  fut  élevé,  par  l'illustration  de  ses  services  et  la 
force  des  cboses ,  à  la  dignité  àe  Grand-Pontife;  il  put  in- 
terroger les  derniers  replis  du  droit  pontifical,  et  s'appro- 
prier la  notion  des  formules,  la  doctrine  des  prudents  sur 
la  Loi  des  XII  Tables  et  le  Droit  non-écrit.  Quand  il  fut 
maitre  delà  science  mystérieuse,  il  eut  le  noble  courage  de 
RÉPONDRE  SUR  LE  DROIT ,  uon  plus  à  des  clicnts ,  mais  à 
tous  les  citoyens,  et  de  professer  publiquement  une  doc- 
trine dont  l'impression  resta  long-temps  dans  les  esprits  * . 

*  Pour  l'EcoLE  DES  JURISCONSULTES  de  l'Empire ,  voir  au  tome  ii , 
notre  Liv.  m.  ch.  .5. 

1  Pomp.,  Orig.  Jur.,  §§  35.  38  :  Ex  omnibus  qui  scientiam  nacti  suut, 

ante  Tib.  Coruncaniuni  publice  pbofessum  neminem  ïbaditue 

Cujus  scriptum  uullum  exstat,  sed  responsa  complura  et  memorahilia 
ejus  fuerunt. 

Geavina  ya  peut-être  trop  loin ,  quand  il  dit  que  Tib.  Coruncanius 
forma  des  disciples,  disdpulos  habuisse.  {De  On.  et  Pr.,  ch.  43.  p.  34.) 


CHAP.  VI.  CULTURE  ET  ENSEIGN.  DU  DROIT.        417 

Cinquante  ans  après,  un  patricien,  que  Cicéron  ap- 
pelle le  plus  habile  de  tous  en  droit  civil ,  Sextus  ^-Elius, 
fit  un  livre ,  déjà  cité  par  nous ,  qui  comprenait  la  Loi 
des XII  Tables,  son  interprétation,  et  les  actions  de  la 
Loi,  mises  en  rapport  avec  le  texte.  Ce  livre  mérita  d'être 
appelé  par  les  jurisconsultes  des  siècles  postérieurs  le 
Droit  ^lien  et  le  berceau  de  la  science  du  droit  ^. 

Le  premier  enseignement  du  droit  par  la  parole,  et 
le  PREMIER  LIVRE  écrit  sur  le  droit  civil ,  se  sont  donc 
produits  dans  le  vi^  siècle  de  Rome.  —  L'enseignement 
oral  ou  par  écrit  était  alors  renfermé  dans  l'interpréta- 
tion des  XII  Tables  et  des  plus  anciens  usages. 

Au  vii^  siècle,  le  Droit  civil  reçoit  des  éléments  de  dif- 
férente nature.  Le  droit  des  gens,  les  plébiscites ,  les  lois 
spéciales ,  les  édits  des  préteurs  de  la  ville  et  des  étran- 
gers ,  sont  des  sources  nouvelles  pour  la  législation  et 
pour  la  science.  Les  pontifes,  les  consuls,  les  censeurs, 
les  tribuns,  les  préteurs  et  les  proconsuls  dans  les  pro- 
vinces ,  concourent  tous ,  comme  jurisconsultes  ou  légis- 
lateurs, au  développement  du  droit.  Caton  le  censeur  et 
son  fds  exercèrent  une  telle  influence  dans  la  science  pra- 
que  qu'une  règle  de  droit  sur  la  validité  des  testaments 

porte  à  jamais  la  dénomination  dérègle  Catonienne^;  le 

/ 

2  Cic,  in  Bruto  :  «  Sextus  jElius,  juris  quidem  civilis,  omnium  pe- 
ritissimus.  »  —  Supra  chap.  iv.  p.  52.  —  chap.  5.  p.  353. 

Pomp.-  Orig. ,  Jur.,  §  38  :  «  Sextus  JSlius  alias  actionescomposuitet 

»  librum  populo  dédit  qui  appellatur  Jus  .Elianum »  Sextum 

^lium  etiam  Ennius  laudavit  ;  et  exstat  iilius  liber  qui  inscribitur 
Triperlila  ;  qui  liber  veluti  Cunabula  Juris  continet. 

3  D.,xxxiv.  7.  Régula  Caloninna  sic  définit  :  «  Quod  si  testamenti 
facti  tempore  decessit  testator ,  inutile  foret  :  id  legatum ,  quando- 
cunique  decesserit,  non  valere.  «  —  D'après  cette  règle,  le  testa- 

T.  1.  27 


448  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

tribun  Aquilius  attacha  son  nom  à  un  plébiscite  (la  loi 
AquUia)  sur  le  dommage  causé  par  la  faute  ou  l'impru- 
dence des  citoyens^;  le  préteur  Publicius  attacha  le  sien 
à  l'action  Publicienne,  qui  garantit  le  droit  de  possession  à 
l'acquéreur  de  bonne  foi  ^;  le  préteur  C.  Aquilius  Gallus, 
le  collègue  de  Cicéron  dans  la  préture  [687],  celui  que  Ya- 
lère  Maxime  qualifie  à' homme  d'une  grande  autorité^  à' homme 
éminent  dans  la  science  du  droit  civil  ^ ,  imprima  aussi  son 
nom  à  une  forme  générale  de  contracter,  la  stipulation 
Aquilienne  ;  et  par  l'exception  de  dol  qu'il  introduisit  dans 
le  droit,  il  priva  la  fraude  de  ses  plus  subtiles  ressources'^. 
—  Quintus  Mucius  Scévola,  tribun,  consul  [658],  grand- 
pontife,  et  proconsul  en  Asie,  fit  pour  sa  province  un  édit 
qui  mérita  d'être  proposé  comme  modèle  à  ses  successeurs 

ment  doit  être  tel  que  si  le  testateur  venait  à  mourir  immédiatement, 
le  testament  pût  produire  effet.  —  En  d'autres  termes ,  la  capacité  du 
testateur  doit  exister  au  moment  de  la  confection  du  testament ,  et  non 
pas  seulement  au  jour  du  décès.  —  Caton  suivit  quelquefois  S.  iElius, 
selon  la  remarque  de  Pomp.  Ob.,  §  38. 

4  Ce  que  nous  appelons  quasi-dèlUs .  —  Ce  tribun  Aquilius  tie  doit 
pas  être  confondu  avec  le  préteur  C.  Aquilius  Galius.  Il  lui  est  anté- 
rieur. Le  jurisconsulte  Brutus ,  que  l'on  regarde  comme  un  des  plus 
anciens,  parlait  de  la  loi  Aqiiilia  dans  ses  écrits.  (Z).,  ad  Leg  Aq.^ 
IX.  2.  27.  §22.,  etL.  39.) 

5  Ce  préteur  vivait  probablement  du  temps  de  Cicéron  (  Pro  Cluen- 
lio,  XLV.  )  —  Heineccius  avait  combattu  la  conjecture  par  un  passage 
de  Térence ,  faisant  mention  de  l'action  resçisoire ,  attribuée  au  même 
Publicius  ;  mais  Térence  ne  parle  point  de  celle  action,  ainsi  qu'on  l'a 
justement  remarqué  dans  les  notes  sur  Heinec.  (Antiq.  rom.,  p.  681, 
édil.  Mulhcnb.  )  —  Pothier  avait  suivi  sans  discussion  l'opinion  d'Hei- 
neccius.  {Pandect.,  vi.  2.  t.  (1). 

6  «  Vir  magnse  autoritatis  et  scientia  juris  civîlis  excellens.  »  (  Val. 
JWaac.,  VIII.  2.) 

7  Cic,  de  Nat.  Deor.,  m.  16. 


CHAP.  VI.  CULTURE  ET  ENSEIGN.  DU  DROIT.         41  9 

par  un  décret  du  sénat*,  et  il  publia  sur  le  droit  civil  des 
livres  qui  méritèrent  aussi  les  éloges  des  jurisconsultes  de 
la  grande  époque^.  Alfenus  Varus,  qui  des  rangs  les  plus 
obscurs  s'éleva  sous  Auguste  au  rang  de  consul ,  composa 
le  premier  recueil  connu  sous  le  nom  de  Digeste. 

Tous  ces  hommes  supérieurs  et  d'autres  encore ,  tels 
que  Publius  M.  Scévola ,  consul  en  620,  père  de  Quintus 
Mucius;  iElius  Gallus,  qui  s'occupa  spécialement  des 
origines;  Rutilius  Rufus,  consul  en  648,  proconsul  en 
Asie ,  qui  le  premier  réfréna  la  rapacité  des  chevaliers  et 
mourut  en  exil  *°,  tous  étaient  remarquables  par  leur 
connaissance  étendue  et  leur  grande  pratique  du  droit 
civil.  Mais  jusqu'alors,  un  seul  jurisconsulte,  au  juge- 
ment de  Cicéron ,  avait  fait  vraiment  du  droit  civil  une 
science  par  la  méthode  :  c'était  Servius  Sulpicius.  «  J'es- 
»  time,  dit  l'orateur  romain,  qu'une  grande  pratique  du 
«droit  civil  est  chez  Scévola  et  plusieurs  autres;  l'art 
«EST  EN  lui  seul.  —  En  lui  seul,  aujourd'hui,  il  y  a 
«grandeur  d' autorité  et  de  science *\» 

8  Val.  Max.,  viii.  16.  6  :  Qui  Asiam  taiii  saacte  et  tam  fortiter  ob- 
tinuit  ut  Senatus  deinceps  in  eam  provinciam  ituris  magistratibus , 
exeraplum  atque  formam  officii  Scœvolain  decrelo  suo  proponerel. 

Cicéron  cite  l'édit  Asiatique  dans  sa  lettre  à  Atticus.  (vi.  1.) 

9  Index  Justinianeus  in  Pand.  Florent.  :  Axioraat.  liber  singul.  De  jure 
civili.  — Lib.xix.  D.  DeReg.jur.,\.7S.— D. ii., de  Orig.jur.%^  41.  43. 

10  Cic,  Brut.,  30.  31.  —  De  Orat.,  ii.  69.  —  Tacit.,  Annal.,  iv.  43. 
—  Senec,  de  Benefic,  xxxyii.  —  Tous  ces  auteurs  font  le  plus  grand 
éloge  de  Rufus,  qui  refusa  de  retourner  à  Rome,  sur  la  proposition  de 
Sylla ,  et  mourut  à  Smyrne. 

11  Existimo  juris  civilis  magnum  usum  et  apud  Scœvolam,  et  apud 
multos  fuisse ,  artem  in  hoc  uno.  (  Cic,  BruL,  41.  ) 

Sit  ista  res  magna,  sicut  est;  quœ  quondam  a  multis  claris  viris  nune 

ab  UNO  SUMMA  AUCTORITATE,  et  SCIENTIA  SUSTINETUR  {fie  LcQ.,  I.  5.) 


420  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

Le  jurisconsulte  S.  Sulpicius,  contemporain  et  ami  de 
Cicéron,  n'était  pas  enchaîné  par  la  lettre  rigoureuse 
des  XII  Tables  :  le  droit  prétorien  avait  déjà  conquis  les 
esprits  les  plus  distingués.  L'orateur  qui  avait  fait  la 
faute  de  plaider  pour  Muréna  contre  S.  Sulpicius  lui- 
même,  et  de  jeter  du  ridicule  sur  la  gravité  des  juris- 
consultes pour  plaire  au  peuple  du  forum ,  s'en  repentit 
plus  tard*^;  et  il  rendit  cet  éclatant  hommage  à  Sulpi- 
cius, qu'il  n'était  pas  plus  l'organe  du  droit  que  de  la 
justice,  et  qu'il  rapportait  le  droit  civil  à  l'équité  :  Qui 

NOA  MAGIS  JURIS   QUAM    JUSTJTI^   CONSULTUS  ES-ET,    ET 
JUS  CIVILE  AD  ^QUITATEM  REFERRET.  (Philipp.   9.) 

Disciple  d'Aquilius  Gallus,  Sulpicius  eut  lui-même 
de  nombreux  disciples.  Il  alliait  la  culture  des  lettres, 
dit  Aulu-Gelle,  à  la  science  du  droit  civil  *^.  La  célèbre 
épître  à  Cicéron  sur  la  mort  de  Tullie  atteste  l'élévation 
de  son  esprit  et  de  sa  philosophie'*.  Il  avait  écrit,  d'a- 
près le  témoignage  de  Pomponius,  cent  quatre-vingts  livres 
sur  le  droit.  Sa  méthode  était  savante  et  profonde  par 
la  distribution  des  matières,  la  justesse  des  définitions, 
la  clarté  des  distinctions  dans  les  choses  obscures,   la 


12  Apud  imperitos  tum  illa  dicta  sunt;  aliquid  etiam  coronœ  datum. 
{De  Finib.,  iv.  7.) 

13  S.  Sulpicius,  juris  civilis  auctor,  virbenelilleralus.  (Aulu-GelL, 
Jib.  II.  c.  10.) 

14Epist.  Cic,  lib.  iv.  5,  an.  708.  —  Eruesti ,  dans  sonlndex  histori- 
ens (  augmenté  par  M.  V.  Leclerc  ) ,  vo  Servius  Sulp.,  ne  met  pas  en 
doute  l'identité  de  l'auteur  de  cette  lettre  éloquente  avec  le  juriscon- 
sulte qui  avait  été  successivement  questeur,  préteur,  consul  et  pro- 
consul en  Grèce.— Le  même  Servius  écrit  une  autre  lettre  à  Cicéron  sur 
la  mort  de  Marcellus.  On  y  trouve  la  dignité  d'une  âme  vraiment  forte. 


CHAP.  VI.  CULTURE  ET  ENSEIGN.  DU  DROIT.  it\ 

sûreté  des  principes  et  l'appréciation  des  conséquences 
vraies  ou  fausses  qui  en  étaient  déduites  *^. 

Le  droit  n'était  donc  pas  seulement,  comme  droit  po- 
sitif, dans  la  Loi  des  XII  Tables,  dans  les  mœurs,  dans 
les  lois  spéciales,  les  plébiscites,  les  édits  des  magistrats; 
il  était  constitué  en  art,  en  théorie;  la  science  du  droit 
civil  était  créée. 


15  Quod  nunquam  effecisset  ipsius  juris  scientiam ,  nisi  eam  prœte- 
rea  didicisset  arleni  quae  doceret  rem  universam  tribuere  in  partes, 
latentein  explicare  definiendo ,  obscurara  explanare  interpretando , 
anibigua  primum  videre ,  deinde  distinguere  ;  postremo  habere  regu- 
lara  qua  vera  et  falsa  judicarentur ,  et  quœ ,  quibus  positis ,  essent  vel 
non  essent  consequentia.  (  Cic,  Brutus,  xlii.  ) 


422  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

CHAPITRE  YII. 

PHILOSOPHIE  DU  DROIT  SELON  LA  DOCTRINE  DE  CICÉRON. 


Penitus  ex  intima  pbilosophia  hauricudam 
discipIiDam  putat.  (  Cic.  ,  de  Legibus.  ) 


SOMMAIRE. 


S  I.  —  Philosophie  du  droit  considérée  dans  son  principe,  d'après  le 

Traité  de  Republica. 
§  2.  —  Philosophie  du  droit  considérée  dans  ses  applications  générales, 
d'après  le  Traité  de  Legibus. 
I.  —  Nature  de  l'Homme. 
II.  —  Origine  et  nature  de  la  Société. 

III.  —  Origine  et  nature  de  la  Loi. 

IV.  —  Souveraineté  du  Peuple.  —  Caractère  du  Pouvoir. 

§  3.  —  Essai  d'application  de  la  philosophie  du  Droit  au  droit  civil  de 
Rome. 


§  1er.  _  phisolophie  du  droit  ,  considébée  dans  son  pbincipe, 
d'après  le  traité  sur  la  république. 

A  Tépoque  où  le  Droit  civil  était  constitué  comme 
science ,  une  branche ,  qui  doit  en  être  inséparable ,  la 
philosophie  du  Droit ,  naissait  à  Rome  sous  l'influence 
de  Cicéron  et  de  la  philosophie  stoïcienne.  —  On  s'est 
demandé  si  l'orateur  romain  avait  fait  ou  non  un  Traité 
sur  le  Droit  civil,  et  l'on  cite  avec  complaisance  un  pas- 
sage d'Aulu-Gelle  qui  se  rapporterait  à  un  ouvrage  de  ce 


CHAP.  VII.  PHILOSOPHIE  DU  DROIT.  423 

genre'.  Qu'importent  les  conjectures  à  cet  égard?  Il  est 
certain  que  Cicéron ,  auditeur  et  disciple  de  Quintus 
Mucius ,  avait  profondément  étudié  le  droit  civil  ^,  et 
que,  dans  ses  ouvrages  sur  l'art  oratoire  ou  sur  la  phi- 
losophie, il  saisit  toutes  les  occasions  de  faire  l'éloge  des 
XII  Tables ,  de  TEdit  prétorien ,  et  d'en  reproduire  l'es- 
prit ,  le  texte ,  les  sentences ,  comme  on  peut  s'en  con- 
vaincre par  les  nombreux  emprunts  que  nous  lui  avons 
faits  dans  notre  Exposition.  Mais  sous  le  point  de  vue 
du  droit  civil  et  privé ,  Cicéron  aurait  dans  l'histoire  une 
place  inférieure  à  Q  Mucius,  à  S.  Sulpicius;  sous  le  point 
de  vue  de  la  philosophie  du  droit ,  au  contraire ,  il  n'a 
pas  d'égal  parmi  ses  contemporains,  et  nous  dirions  dans 
la  postérité ,  si  I'esprit  des  lois  n'existait  pas. 

Cicéron  avait  vu  le  droit  civil  de  Rome  s'ouvrir  aux 
principes  du  droit  des  gens;  il  avait  applaudi  à  ce  pro- 
grès ,  par  lequel  Rome  s'assimilait  les  institutions  et  les 
idées  consacrées  par  l'assentiment  commun  des  peuples. 
L'introduction  d'une  partie  du  droit  des  gens  dans  le 

1  M.  autem  Cicero  in  libro  qui  inscriptus  est  de  jubé  civili  in 
ABTEM  EEDiGENDO.  Le  seul  passage  de  ce  livre  que  nous  connais- 
sions, d'après  Aulu-Gelle  ,  se  rapporte  à  l'histoire  du  droit  ou  des 
jurisconsultes  :  «  Nec  vero  scienliajuris  majoribus  suis  Q.  iElius  Tu- 
bero  defuit;  doctrina  etiam  superfuit.  »  {Àulu-GelL,  i.  22.) 

2  Ego  autem  juris  civilis  studio ,  multum  operœ  dabam  Q.  Scse- 
volae  Pontifici,  qui  quamquam  nemini  se  ad  docendum  dabat,  tamen 
consulentibus  respondendo ,  studiosos  audiendi  docebat.  (  Cic,  Bru- 
fu5,  cap.  89.) 

Dans  le  Livre  des  Lois,  Atticus  dit  à  Cicéron  :  Quin  igitur....  et 
conscribis  de  jure  civili  subtilius  quam  caeteri  ?  Nam  a  primo  tempore 
aetatis  juri  studere  te  memini ,  quum  ipse  etiam  ad  Scœvolam  ventita- 
rem  ;  neque  unquam  niihi  visus  es  ita  te  ad  dicendum  dédisse  ut  Jus 
Civile  contemneres.  (  Cic,  de  Legib. ,  i.  4.  ) 


424  LIV.  I.   —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

droit  primitif  était  le  résultat  que  les  Jurisconsultes,  les 
Tribuns  et  les  Magistrats  de  la  seconde  période  de  l'Épo- 
que romaine  avaient  laborieusement  obtenu  ;  c'était  beau- 
coup. Mais  Cicéron  portait  son  regard  plus  loin  :  il  vou- 
lait faire  dériver  la  science  du  droit  des  profondeurs 
même  de  la  philosophie  :  pemtus  ex  iintima  philoso- 

PHIA  HAURIENDAM  DISCIPLINAM  PUT  AT  ^. 

Les  idées  de  la  Grèce  avaient  fait ,  au  vu^  siècle ,  in- 
vasion dans  la  société  romaine.  Le  matérialisme  d'Epi- 
cure  avait  enfanté  à  Rome  le  vaste  poème  de  la  nature 
des  choses,  et  T.  Lucrèce,  en  se  donnant  la  mort  [698], 
avait  confié  à  son  ami,  à  Cicéron  lui-même,  le  soin  de 
publier  son  œuvre.  Par  respect  pour  les  dernières  volon- 
tés d'un  ami  malheureux ,  Cicéron  livra  le  poème  à  la  pu- 
blicité, non  sans  en  avoir  corrigé  certaines  parties,  si  l'on 
en  croit  le  témoignage  de  S.  Jérôme  et  d'Eusèbe*.  Mais 
il  garda  dans  ses  propres  ouvrages  un  silence  absolu  sur 
une  production  dont  les  beautés  poétiques  ne  pouvaient 
absoudre  à  ses  yeux  l'idée  fondamentale^. 

3  Cic,  de  Leg. ,  i.  5  :  Non  ergo  a  praetoris  edicto  ut  plerîque  nunc  , 
neque  a  XII  Tabulis,  utsuperiores,  sedpenitus  ex  intima  philosophia. 

4  T.  Lucretii  Cari  vita.  —  De  poetarum  histor.  Dial.  iv.  Aut.  Greg. 
Gyraido  :  Hieronymus  ex  Eusebio  ,  etiam  ab  ipso  Cicérone  emenda- 

tum  opus,  his  ex  libro  de  temporibus  verbis  prodidit :  «  Cum  ali- 

»quos  libres  conscripsisset ,  quos  postea  Cicero  eniendavit....  » 

5  Cicéron  ,  dans  une  lettre  à  son  frère  Quintus ,  de  janvier  699  , 
parle  une  seule  fois  du  poème  de  Lucrèce  ,  et  le  passage  est  douteux , 
d'après  les  anciens  manuscrits.  Selon  une  leçon  (celle  de  D'Olivet)  sui- 
vie par  M.  V.  Leclerc ,  il  dit  :  «  Lucretii  poemata  ut  scribis  ita  sunt  : 
<^muUis  luminibus  ingenii,  multœ  tamen  artis.  «  Selon  la  variante 
d'Ernesti ,  il  faudrait  lire  :  Non  mullis  luminibns  ingenii.  L'antipa- 
thie de  Cicéron  contre  la  doctrine  d'Epicure  me  paraît  donner  beau- 
coup de  vraisemblance  à  la  leçon  d'Ernesti.  (Episl.  ad  Q.  fralrem, 
n.  1 1 .  —  t.  XXI.  p.  348.  —  Et  la  note  de  É.  V.  Leclerc ,  p.  378.  —  Voir 
le  beau  travail  de  M.  Villemain  sur  Lucrèce ,  il/é/.  liltér.,  m.) 


CHAP.  Vil.  PHILOSOPHIE  DU  DROIT.  425 

La  doctrine  d'Epicure  s'était  enhardie  jusqu'à  procla- 
mer dans  le  sénat  de  Rome  la  négation  de  la  vie  future , 
par  l'organe  de  Jules  César,  défendant  la  vie  des  com- 
plices de  Catilina.  Pur  du  soupçon  d'avoir  souillé  sa  toge 
de  patricien  dans  la  conjuration  ou  l'amitié  des  conjurés 
{nobilissmi  cives),  il  appela  le  matérialisme  à  l'appui  de 
l'indulgence ,  et  repoussa  la  peine  de  mort  comme  n'étant 
pas  un  supplice,  mais  la  fin  de  tous  les  maux ,  les  mor- 
tels n'ayant  rien  à  craindre  au-delà ,  ni  rien  à  espérer. 
César  rencontrait  là  une  de  ces  hardiesses  qui  devaient 
tenter  son  éloquence  et  son  courage;  c'était  de  provo- 
quer à  la  lutte  des  délibérations  le  spiritualisme  sévère  de 
Marcus  Porcins  Caton ,  dont  la  grande  àme  s'attachait  au 
stoïcisme ,  et  qui  ne  manqua  pas  à  la  cause  publique  ^. 

La  doctrine  d'Epicure ,  qui  s'introduisait  au  sénat  de 
Rome,  avait  pénétré  même  parmi  les  jurisconsultes.  Al- 
fenus  Varus,  jurisconsulte  des  derniers  temps  de  la  Ré- 
publique, auquel  les  Pandectes  de  Justinien  ont  em- 
prunté jusqu'à  cinquante  lois  ou  fragments,  désignait  la 


6  Sallustii  Catilina.  —  Cap.  51.  Caesaris  oratio «  De  pœna  pos- 

sum  equideni  dicere  id  quod  res  habet  ;  in  luctu  atque  miseriis  ,  mor- 
tem  œrumnarum  requiem,  non  eruciatum  esse;  eam  cuncta  niortalium 
raala  dissolvere  ;  ullra  neque  curœ ,  neque  gaudio  locum  esse. 

Cap.  52.  Catonis  oratio «  Bene  et  composite  Caius  Caesar  paulo 

ante  in  hoc  ordine  de  vita  et  morte  disseruit ,  credo,  falsa  existiinans 

ea  quae  de  inferis  memorantur Sin  in  tanto  omnium  nietu  solus 

non  timet ,  co  magis  referl  me  mihi  alque  vobis  limere.  »  —  Cette  der- 
nière phrase  annonce  que  Caton  pressentait  le  danger  qui  viendrait 
du  côté  de  César. 

Salluste  saisit  l'occasion  de  ce  grand  débat  pour  mettre  en  parallèle 
César  et  Caton  :  «  Sed  memoria  mea  ,  ingenti  virtute ,  diversis  mori- 
bus  fuere  viri  duo ,  M.  Cato  et  J.  Cœsar.  (Cap.  53.  ) 


426  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE, 

doctrine  d'Epicure  comme  la  philosophie  elle-même'.  — 
Le  jurisconsulte  C.  Trébatius,  l'ami  de  Jules  César, 
l'ami  auquel  Cicéron  adressa,  depuis,  son  livre  des  To- 
piques ,  avait  fini  par  adopter  la  secte  des  Epicuriens. 
«  0  l'admirable  camp  choisi  par  vous  !  lui  écrivait  Cicé- 
»  ron  :  0  castra  pr^clara  !  Comment  défendrez-vous 
»  le  Droit  civil  désormais ,  quand  votre  intérêt  sera  tout 
»  pour  vous  ?  —  Et  la  formule  de  Fiducie ,  qu'il  faut  bien 
»  agir  entre  gens  de  bien?  —  Et  le  serment  au  nom  du 
»  Dieu  suprême,  quand  vous  croirez  que  Jupiter  ne  peut 
»  s'irriter  contre  personne*  ?  » 

Cicéron  combattit  énergiquement  l'ascendant  de  fécole 
épicurienne.  Son  génie,  si  abondant  et  si  élevé,  puisait 
à  toutes  les  sources  de  la  philosophie  spiritualiste  pour 
en  répandre  l'influence  sur  la  jeunesse  romaine.  Il  s'in- 
spirait également  de  la  haute  métaphysique  de  Platon 
dans  les  Tusculaiies,  de  la  méthode  sévère  d'Aristote 
dans  le  traité  de  Finibus ,  de  la  philosophie  morale  du 
Portique  dans  les  traités  de  la  République  et  des  Lois , 

7  D.,  V.  1.  76.  (Alf.)  :  Quod  si  quis  putaret  partibus  commutatis 
aliam  rem  fieri  :  fore ,  ut  ex  ejus  ratione  nos  ipsi  non  iidem  essemus  , 
qui  abhinc  anno  fuissemus  ;  propterea  quod ,  ut  Philosophi  dicerent , 
ex  quibus  particulis  minimis  consisterenius,  bse  quotidie  ex  nostro  cor- 
pore  décédèrent,  aliaeque  extrinsecus  in  earum  locum  accédèrent. 
Quapropter  cujus  rei  species  eadem  consisteret ,  rem  quoque  eamdem 
esse  existimari. 

Dans  cette  doctrine ,  Alfenus ,  pour  prouver  l'identité  de  l'homme 
avec  lui-même,  ne  voit  que  l'homme  purement  corporel  ou  matériel, 

8  O  castra  praeclara! Sed  quonam  modo  jus  civile  défendes» 

quum  omnia  lui  causa  facias,  non  civmm  ?Ubi  porro  illa  erit  formula 
fiduciae,  «  ut  inter  bonos  bene  agier  oportet?...»  Quomodoautem  tibi 
placebit ,  Jovem  lapidem  jurare ,  quum  scias  Jovem  iratura  esse  nemi- 
ni  posse?  {Cic,  Episl.,  vu.  12.  an.  700.  Les  Topiques  sont  de709.) 


CHAP.  VII.  PHILOSOPHIE  DU  DROIT.  42T 

et  dans  le  livre  sur  les  Devoirs.  Orateur  ou  publiciste , 
philosophe  ou  jurisconsulte ,  il  proclamait  la  loi  natu- 
relle dans  toute  sa  pureté.  Il  en  donnait ,  dans  le  dis- 
cours pour  Milon,  une  magnifique  définition  qui  excitait 
dans  les  assemblées  publiques  un  long  tressaillement®. 
L'orateur  ne  l'appliquait  alors  qu'au  droit  de  défense  lé- 
gitime; mais  le  jurisconsulte  philosophe  en  démontrait 
ailleurs  la  nécesssité,  et  pressentait  son  empire  dans  la 
société  civile  et  politique.  Il  la  regardait,  sous  le  nom 
d'Equité,  comme  le  fondement  du  Droit.  Dans  le  Traité 
des  Devoirs,  il  dit  :  Le  droit  est  identique  a  l'équité; 

AUTREMENT  IL  NE  SERAIT  PAS  LE  DROIT  *^.  —  Au  livrC  P"" 

de  la  République ,  il  se  demande  d'où  vient  le  droit  des 
gens,  d'où  vient  le  droit  civil;  —  et  il  les  fait  dériver 
de  la  même  source  que  la  justice,  la  foi,  l'équité**.  «  La 
justice,  dit-il,  regarde  le  monde  entier;  elle  brille,  elle 
se  répand  sur  lui  :  Justitia  foras  spectat  et  projecta 
TOTA  EST  ATQUE  EMiNET*^.  »  —  Daus  la  bouchc  de 
l'interlocuteur  Philus,  il  met  une  diatribe  pleine  de  verve 
contre  la  justice  et  le  droit  civil;  il  lui  fait  dire  d'avance 
ce  que  Montaigne  et  Pascal  ont  mis  si  fortement  en  sail- 
he  sur  la  justice  légale  de  leurs  siècles.  Mais  il  y  répond, 
sous  le  nom  de  Lœlius,  par  cette  admirable  exposition 

9  Est  igitur  non  scripta ,  sed  nata  lex ,  quam  non  didicimus ,  acce- 
pimus,  legimus,  veruin  ex  natura  ipsa  arripuiraus ,  hausimus ,  ex- 
pressimus;  ad  quam  non  docti,  sed  facti-,  non  institut!,  sed  imbuti 
sumus 

10  Jus  enim  semper  quœsituin  est  sequabile  :  neque  eniin  aliter  es- 
set  jus.  {DeOff.,  II.  12.) 

11  «  Uude  jus  aut  gentium,  aut  hoc  civile  quod  dicetur? Unde 

»  justitia,  fides,  sequitas.  »  (  De  Rep.,  i,  2.  ) 

12  De  Rep.,  nt.  4. 


428  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

de  la  loi  naturelle ,  qui  est  citée  partout  :  «  Est  quidem 

»  VERA  LEX  RECTA  RATIO ,  NATURiE  CONGRUENS ,  DIFFUSA 
»  IN  OMNES  ,  CONSTANS  ,  SEMPITERNA  ,  QISM  VOCET  AD  OF- 
»  FICIUM  JUBENDO,  VETANDO,   A  FRAUDE  DETERREAT^^..,. 

»  Il  est  une  Loi  vraie ,  rationnelle ,  conforme  à  la  nature , 
»  commune  au  genre  humain,  immuable,  éternelle,  qui 
»  ordonne  le  bien,  prohibe  le  mal ,  impose  le  devoir....  » 

Mais  une  idée  générale  n'est  pas  une  théorie  ;  et  Ci- 
céron  n'aurait  pas  créé  la  philosophie  du  droit ,  s'il  avait 
présenté  seulement  une  grande  généralité. 

Reconnaissons  donc  à  quelle  condition  il  l'a  fondée. 
C'est  principalement  dans  ses  deux  traités  de  la  Républi- 
que et  des  Lois  qu'il  faut  en  rechercher  les  bases.  Cicéron 
les  a  composés  à  la  fin  du  septième  siècle  de  Rome  et  au 
commencement  du  huitième ,  dans  la  plénitude  de  l'âge 
mùr.  11  laissait  le  traité  de  la  République  à  ses  conci- 
toyens, en  partant  pour  le  proconsulat  de  la  Cilicie 
[699];  et  ses  amis,  Cœlius  notamment  et  Atticus,  l'in- 
formaient par  leurs  lettres,  en  702,  de  tout  le  succès  de 
son  ouvrage**.  —  Le  hvre  des  Lois  fut  fait  pour  com- 
pléter l'œuvre  de  la  République. 

Pour  le  titre,  la  forme  et  la  composition  successive 
de  ses  deux  ouvrages ,  Cicéron  était  l'imitateur  de  Pla- 
ton. Mais  dans  le  fond  il  y  avait,  entre  la  république 

13  DeRep.,111.  27. 

14  Cœlius  Ciceroni  :  «  Tui  politici  libri  omnibus  vigent.  [An.  702.] 
{Epislolœ  famil.,  yiii.  1,  t.  16.  p.  124.) 

Cicero  ad  Atticum  :  «  Itaque  irascatur  qui  volet,  patiar praeser- 

tim  cum  sex  libris,  tanquam  prœdibus,  me  ipsum  obstrinxerim , 
quos  tibitam  valdeprobari  gaudeo.  [An.  703.]  ( Episl.  ad  Allie,  vi.  1.^ 


CHAP.   VIT.  PHILOSOPHIE  DU  DROIT.  429 

OU  les  LOIS  de  Platon  et  de  Cicéron ,  toute  la  distance 
qui  sépare  le  génie  grec  et  le  génie  romain  ;  l'esprit  pu- 
rement spéculatif  d'un  philosophe  qui  a  vécu  dans  la 
contemplation  des  idées  ;  l'esprit  méditatif  et  pratique 
d'un  personnage  consulaire  qui  s'est  trouvé  aux  prises 
avec  les  hommes  et  les  faits. 

Une  autre  cause  de  différence  existait  :  elle  tenait  à  la 
différence  même  des  sociétés  au  sein  desquelles  nais- 
saient et  se  développaient  les  systèmes  philosophiques. 

Tous  les  systèmes  de  philosophie  ont  un  rapport  plus 
ou  moins  profond  avec  l'état  de  la  société,  des  mœurs, 
des  esprits;  c'est  leur  part  de  vérité  relative.  —  Tous 
aussi  ont  une  part  plus  ou  moins  grande  de  la  vérité 
absolue,  sans  laquelle  ils  ne  pourraient  agir  sur  l'homme. 
Les  Républiques  de  la  Grèce  ont  produit  la  République 
de  Platon  ;  celle-ci  est  leur  idéal ,  leur  forme  supérieure , 
mais  elle  se  rattache  visiblement  à  la  République  de 
Lycurgue.  Le  principe  fondamental  de  ce  livre,  c'est  que 
la  société  domine  l'individu ,  et  que  l'homme  n'a  pas  de 
droits  individuels  ,  doctrine  qui  venait  de  l'Orient  ^^. 
L'Etat  (ou  le  corps  social)  absorbe  le  développement 
des  facultés  humaines;  la  prééminence  absolue  de  la 
société  sur  l'individualité  détruit  la  liberté  de  l'homme 
et  sa  moralité,  la  famille  et  la  propriété.  Dans  la  Répu- 
blique de  Platon  ,  la  communauté  des  femmes ,  des  en- 
fants et  des  biens  n'est  qu'un  sacrifice  de  l'homme  in- 
dividuel à  l'idée  absolue  de  la  société.  —  Les  lois  de 
Platon   ont  pour  objet  de  réaliser  sa  République,  en 


15  Voir  dans  le  Platon,  traduit  par  M.  Cousin,  l'argument  du 
t.  viï.  p.  8 ,  qui  condense  avec  tant  de  force  la  doctrine  platonicienne. 


130  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

modifiant  toutefois  fideal  pour  Tapproprier  aux  temps; 
mais  Platon  est  encore  là  dominé  par  son  principe  : 
«  Partout ,  dit-il  au  Livre  v^ ,  où  les  lois  auront  pour  but 
»  de  rendre  fEtat  parfaitement  un  ,  on  peut  assurer  que 
»  là  est  le  comble  de  la  vertu  politique.  » 

Dans  la  société  romaine ,  les  faits ,  depuis  long-temps , 
avaient  donné  une  grande  place  à  l'homme.  La  constitu- 
tion originaire  était  aristocratique;  l'unité  de  l'État  do- 
minait le  peuple  divisé  en  plusieurs  classes  ;  l'homme  ser- 
vait d'instrument  à  la  Cité;  mais,  sous  l'empire  de  la  Cité 
primitive,  il  y  avait  toujours  eu,  cependant,  deux  principes 
essentiels,  la  famille  et  la  propriété,  qui  écartaient  le 
sacrifice  absolu  de  l'homme  à  la  société.  La  forme  aristo- 
cratique elle-même  ne  resta  pas  long-temps  impénétrable 
au  principe  individuel,  à  fesprit  de  la  démocratie.  L'anti- 
que combat  des  Plébéiens  contre  les  Patriciens,  la  retraite 
sur  le  Mont-Sacré  et  sur  le  Mont-Aventin ,  l'admission 
de  l'Italie  au  droit  de  cité  après  la  guerre  Sociale  :  c'est 
la  lutte  des  individus  et  des  peuples,  des  droits  indivi- 
duels et  des  droits  politiques,  contre  l'aristocratie  du 
patriciat  et  l'unité  prédominante  de  la  cité.  —  La  cité 
reste  comme  typepiimitif  de  l'organisation  sociale;  mais 
les  droits  personnels  sont  reconnus  et  sacrés  :  le  sum 
civis  ROMANUs  est  Ic  plus  beau  titre  de  l'homme  avant  le 
Christianisme,  et  saint  Paul  lui-même  s'en  est  prévalu. 

Ce  que  les  plébéiens  ont  fait  par  leur  lutte  énergique 
dans  la  cité ,  le  stoïcisme  l'a  fait  dans  la  science ,  dans  la 
philosophie  du  droit. 

Le  stoïcisme  est  la  doctrine  de  1' individualité  à  sa 
plus  grande  hauteur;  il  pose  théoriquement  les  droits 


CHAP.  VII.  PHILOSOPHIE  DU  DROIT.  431 

naturels  et  personnels  à  côté  du  droit  de  la  société. 
Zenon  voulait  que  son  disciple  se  mêlât  aux  mouvements 
de  la  vie  civile;  et  Cicéron,  qui  emprunte  à  Platon  le 
titre  et  la  forme  des  traités  de  la  République  et  des  Lois, 
s'attache ,  pour  en  composer  la  substance ,  à  la  doctrine 
stoïcienne.  —  La  doctrine  de  Zenon  et  de  Chrysippe, 
qui  florissaient  aux  v®  et  vf  siècles,  avait  été  enseignée 
à  Rome  ,  vers  le  milieu  même  du  vi^  siècle ,  par  Pané- 
tius,  sous  les  auspices  de  Scipion  l'Africain.  A  son  école 
s'étaient  formés  les  jurisconsultes  Rutilius  Rufus ,  /Elius 
Tubéron,  P.  Mucius  Scévola,  le  père  des  jurisconsultes 
de  la  famille  Mucia.  Dans  le  siècle  suivant ,  Athénodore 
avait  eu  Caton  pour  disciple  ;  Posidonius,  Pompée  pour 
auditeur  et  pour  patron,  puis  Rrutus  et  Cicéron  lui- 
même  pour  disciple  et  pour  ami*®.  —  A  l'exemple  de 
Panétius,  de  Dion  le  stoïcien,  de  Démétrius  de  Plia- 
lère ,  Cicéron  plaça  la  philosophie  au  milieu  des  réalités 

16  ZENON  était  né  à  Cittium  ,  en  Chypre;  il  forma  sa  célèbre  école 
du  Portique  à  Athènes,  vers  Tan  450  de  Rome. 

Chrysippe,  dont  les  ouvrages  exercèrent  une  grande  influence  sur 
les  jurisconsultes  romains  ,  était  né  vers  l'an  472  ,  en  Cilicie  ,  à  Tarse, 
patrie  présumée  de  Saint-Paul.  Il  était  réputé  la  colonne  du  Portique. 
Il  mourut  vers  l'an  545. 

PaNvEties,  de  Rhodes,  enseigna  à  Rome,  vers  le  milieu  du  yi^  siè- 
cle ,  probablement  avant  et  depuis  l'an  566 ,  époque  de  la  retraite  de 
Scipion  l'Africain.  {Voir  les  Mémoires  de  l'Acad.  des  Inscripl.,  t.  x; 
Vie  et  Ouv.  de  Panœlius.  ) 

Athénodoke,  l'ami  de  Caton,  était  le  bibliothécaire  de  Pergame  ; 
il  n'est  pas  le  même  que  l'Athénodore ,  précepteur  et  ami  d'Octave. 

Cicéron  parle  de  ses  relations  avec  Posidonius,  au  commencement 
du  Trailé de Natura  Deorum  (i.  3)  :  Et  principes  illi ,  Diodorus,  Philo, 
Antioclîus,  Posidonius  a  quibus  instituti  sumus. 


432  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

de  la  vie,  et  le  philosophe  à  côté  de  l'homme  d'état  *'. 
C'est  ainsi  que  la  philosophie  stoïcienne ,  échappant  à 
l'influence  de  ses  erreurs  métaphysiques,  devint  surtout 
une  philosophie  morale  et  sociale. 

Un  personnage  politique  (P.  Scipion,  le  second  Afri- 
cain); un  philosope  stoïcien  (Q.  Tubéron)  ;  un  juris- 
consulte (ManiUus) ,  tels  sont  les  interlocuteurs  dans  la 
République.  Cicéron  veut  fortifier  sa  théorie  de  l'autorité 
et  de  la  gloire  des  grands  hommes  du  siècle  précédent. 
—  Dès  le  début ,  il  combat  contre  les  philosophes  qui 
ne  veulent  pas  qu'on  prenne  part  aux  affaires  publiques  : 
«  On  doit  s'occuper  des  destinées  et  de  la  constitution 
»  de  la  patrie,  dit-il  ;  la  plus  noble  ambition  de  l'homme 
»  est  d'accroître  l'héritage  du  genre  humain*^.  » 

La  question  fondamentale  du  traité  de  la  République 
est  de  rechercher  quelle  est  la  meilleure  forme  de  Gouver- 
nement. Scipion  examine  les  trois  formes  de  l'État  mo- 
narchique, aristocratique,  populaire.  Il  assigne  à  chaque 
gouvernement  son  principe  :  à  la  monarchie,  l'amour 
des  sujets  {cari(afi)'^  à  l'aristocratie,  la  prudence  {consi- 
lium)  ;  à  la  démocratie ,  la  liberté.  —  Il  montre  la  corrup- 
tion de  ces  formes  simples  dans  la  tyrannie,  l'olygar- 
chie ,  l'anarchie ,  avec  cette  pénétration  dont  Rossuet 
et  Montesquieu  ont  seuls  retrouvé  la  puissance;  et  en 
présence  des  abus  inévitables  qui  suivent  les  formes  sim- 
ples, Scipion  conclut  en  faveur  d'une  quatrième  forme 

17  De  Leg. ,  m.  5.  6  :  Qui  vero  utraque  re  excelleret,  ut  et  doc- 
trine STUDiis  ET  BEGENDA.CIVITATE  princeps  Bsset ,  quis  facile  prœ- 
ter  hune  (Demetrium  )  iuveniri  potest? 

Alticus  répond  à  l'interpellation  de  son  ami  :  Pcul-êire  un  de  nous 
trois. 

18  lie  Rep.  1.2:  Maxime  rapimur  ad  opes  augendas  generis  huniani. 


CHAP.  VU.  PHILOSOPHIE  DU  DROIT.  43S 

de  République ,  le  gouveraement  mixte.  «  La  meilleure 
«constitution  politique,  dit-il,  est  celle  qu-i  réunit  dans 
»une  juste  mesure  les  trois  formes  de  Gouvernement, 
»  et  qui  est  tout  à  la  fois  monarchique ,  aristocratique 
»  et  populaire  *^.  » 

Mais  dans  Texamen  et  la  recherche  de  la  meilleure 
forme  de  Gouvernement,  quelle  est  la  dernière  mesure 
d'appréciation,  quel  est  son  critérium?  —  Ici  la  philoso- 
phie du  droit  prononce  :  c'est  le  degré  de  justice  dont 
chaque  forme  est  susceptible.  Or,  la  justice  regarde  en 
même  temps  les  individus  et  la  société.  Elle  étabht, 
elle  soutient  le  rapport  naturel  entre  la  société  et  ses 
membres;  elle  détend  d'immoler  les  droits  individuels 
et  privés  au  droit  public  du  Corps  social  ;  elle  empêche  la 
domination  absolue  de  I'état  sur  I'hojoie  :  qvm  virtus  , 

PRETER  CiETERAS ,  TOTA  SE  AD  ALIENAS  UTILITATES  POR- 

RiGiT  ATQUE  EXPLiCAT  -^•,  elle  maintient,  dans  leurs 
rapports  moralement  nécessaires ,  les  droits  naturels  de 
l'homme  et  les  droits  de  la  société. 

Telle  est  la  doctrine  de  la  République  deCicéron;  elle 
est  à  une  distance  infinie  de  la  doctrine  de  Platon. — La 
philosophie  du  droit  a  déposé  dans  ce  premier  monument, 
couronné  par  le  songe  sublime  de  Scipion ,  le  principe 
fondamental  des  rapports  de  l'homme  avec  la  société. 
—  Mais  c'est  dans  le  Traité  des  lois,  et  par  ses  appli- 
cations aux  bases  constitutives  du  droit  et  de  la  société , 
que  la  théorie  va  se  développer  tout  entière. 

19  De  Rep. ,  i.  29  :  Itaque  ,  quartum  quoddam  genus  Reipublicae 
maxime  probandum  esse  sentio,  quod  est  ex  his,  quae  prima  dixi,  mo- 
deratum  ei  permixtuni  tribus. 

20  De  Rep.,  m.  4.  Fragment  tiré  de  rsonius.  (  Cic,  t.  xxix.  p.  294.) 

T.  I.  28 


434  LIV.  1.  —  ÉPOQUE  ROMAIINE. 

§2.  —  PHILOSOPHIE  DU   DROIT   CONSIDÉRÉE  DANS   SES  APPLICATIONS 
GÉNÉRALES,  d' APRES  LE  TRAITÉ  DES  LOIS. 

Le  philosophe-jurisconsulte,  qui  a  caractérisé  d'une 
main  ferme  les  rapports  de  l'homme  avec  la  société,  va 
se  mettre  en  présence  de  l'idée  du  droit  et  de  ses  gran- 
des applications  :  il  cherchera  la  racine  du  Droit  dans  la 
nature  elle-même  :  Repetam  stirpem  jupvIS  a  natura^V 

La  question  change  de  face.  Ce  n'est  plus  la  Forme  po- 
litique ,  avec  ses  garanties  dans  la  pondération  des  pou- 
voirs, avec  son  but  général,  la  justice;  c'est  le  fond  des 
choses  que  Cicéron  va  interroger.  —  Et  il  ne  met  pas  en 
scène ,  alors ,  un  personnage  imposant  d'un  autre  siècle  : 
c'est  lui-même ,  homme  consulaire ,  proclamé  père  de 
LA  patrie  ,  législateur  dont  l'Édit  plein  de  sagesse  a  ra- 
nimé la  Cilicie  expirante ,  philosophe  instruit  de  tous  les 
systèmes,  et  pénétré  de  la  doctrine  stoïcienne;  c'est  lui 
qui  parle  en  son  propre  nom ,  et  qui  résout ,  en  présence 
d'un  frère  et  d'un  ami ,  les  questions  les  plus  intimes  et 
les  plus  profondes  de  l'ordre  sociaP^^. 

Il  y  a  deux  parties  dans  le  traité  de  legibus  :  l'une  est 
de  doctrine  philosophique ,  l'autre  est  d'application  aux 

21  De  Leg.,  i.  6. 

22  La  date  précise  de  la  rédaction  est  incertaine  ;  mais  un  point  est 
certain  :  la  République  fut  rédigée  en  689  ;  elle  fut  publiée  au  moment 
du  départ  pour  la  Cilicie  ;  les  Lois  sont  postérieures  à  la  République  , 
qu'elles  rappellent  expressément.  Eu  703 ,  dans  une  lettre  à  Atticus 
(vi.  1-  Supra,  p.  428.  not.  14),  Cicéron  se  dit  engagé  par  les  six  pre- 
miers livres  à  continuer  son  oeuvre.  C'est  donc  après  cette  époque  et 
depuis  le  retour  de  la  Cilicie  que  les  Lois  ont  été  rédigées,  vers  70ô, 
70f;.  —  Voir  la  préface  de  "M.  Ch.  de  Rémusat ,  en  tête  de  Ja  nouvelle 
Traduction  des  Lois,  dtns  l'édition  de  Cic. ,  par  M.  V.  Lederc  (t.  27). 


CHAP.  VU.   PHILOSOPHIE  DU  DROIT.  435 

lois  de  Rome.  —  Celle-ci  est  malheureusement  très-in- 
complète. —  Ce  sont  les  idées  philosophiques  de  la  pre- 
mière que  nous  avons  dû  rechercher  et  constater  ici. 

Quatre  questions  sont  fondamentales  dans  le  Traité 
des  Lois  : 

1^  La  nature  de  l'homme; 
9,"  L'origine  et  la  nature  de  la  société  ; 
3^*  L'origine  et  la  nature  de  la  Loi  ; 
4°  L'étendue  légitime  de  la  souveraineté  du  Peuple 
et  le  caractère  du  Pouvoir. 

L  —  Nature  de  l'homme.  —  La  philosophie  stoï- 
cienne tire  toute  sa  substance ,  toute  sa  force  des  prin- 
cipes de  la  nature-^.  Son  but  est  d'ordonner,  conformé- 
ment à  la  nature ,  la  vie  de  l'homme  et  de  la  société.  La 
philosophie  du  droit,  qui  s'inspire  du  stoïcisme,  doit 
donc  premièrement  interroger  la  nature  humaine. 

Seul  de  tous  les  êtres  animés ,  dit  Cicéron ,  l'homme 
a  la  pensée ,  et  participe  de  la  raison ,  particeps  ratio- 

KIS  et  COGITATIOMS^*, 

La  nature  a  donné  à  l'homme  des  sens  qui  sont  comme 
les  satellites  et  les  organes  de  son  intelligence^^;  elle  a 

23  «Omnia  officia  a  principiis  naturae  proficiscuntur.  »  {Cic,  de 
Finit.,  m.  7.  tom.  27.  p.  246.) 

24  «  Particeps  ralionis  et  cogitalionis ,  quura  caetera  (animantiura 
gênera)  sint  omnia  expertia.  »  {De  Leg.,  i.  7.  ) 

25  Ipsum  hominem  eadem  natura ,  non  solum  celeritate  mentis  or- 
navit ,  sed  etiam  sensus  tanquam  salelliles  aUribuil  ac  nuniios.  (  i.  9.) 

Cela  rappelle  la  définition  de  M.  de  Bonald  :  «  L'homme  est  une  in- 
telligence servie  par  des  organes.  » 


436  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

déposé  dans  son  esprit  des  notions  primitives  qui  sont 
comme  les  fondements  de  la  science^*^. 

L'homme  tient  à  l'espèce  mortelle,  par  la  partie  ma- 
térielle et  fragile  de  son  existence  ;  mais  son  âme  est 
engendrée  de  Dieu  :  il  a  donc  une  ressemblance  avec 
Dieu  ^^ 

Quoi  de  plus  divin  ,  non  seulement  dans  l'homme , 
mais  sur  la  terre  et  dans  le  ciel ,  quoi  de  plus  divin  que 
la  raison  !  —  Et  puisque  rien  n'est  meilleur  que  la  rai- 
son ,  puisqu'elle  existe  et  dans  l'homme  et  dans  Dieu , 

LA  PREMIÈRE  SOCIETE  EST  CELLE  DE  l'hOMME  AVEC 
DlEU^«. 

Telle  est,  au  point  de  départ,  la  doctrine  de  Cicéron. 
La  nature  de  l'homme  est  matérielle  et  spirituelle  ;  par 
l'élément  matériel ,  l'homme  tient  à  la  terre  ;  par  la 
partie  spirituelle ,  il  est  en  communication  avec  Dieu. 
—  11  ne  porte  pas  en  lui  la  raison  dans  sa  plénitude , 
mais  il  y  participe;  et  son  intelligence  contient  des  no- 
tions PRIMITIVES,  qu'Aristote  regardait  comme  insépa- 
rables de  l'intelligence  elle-même-^,  que  Descartes  appel- 

26  Et  rerum  plurimarum  obscurarum  necessarias  intelligentias 
enodavit  quasi  fundainenta  qusedam  scientiaî.  (De  Leg.^  i.  9.  ) 

27  Quumque  alias  quibus  cohœreut  homines ,  e  mortali  génère 
sumserit,  quae  fragilia  esseut  et  caduca;  animum  tamen  esse  ingene- 
ratum  a  Deo.  —  P^st  igilur  homiui  cum  Deo  simililudo .  (  i.  8.) 

28  Quid ratione  divinius?  —  Quoniam  uihil  est  ratione  melius 

eaque  et  in  homine  et  in  Deo ,  prima  hominis  cum  Deo  ralionis  socie- 
tas.  (I.  7.) 

La  même  doctrine  est  dans  l'Essai  philosophique  sur  le  gouverne- 
ment civil,  de  Fénélon,  ouvrage  posthume,  tom.  x,  édit.  182G. 

29  C'est  la  fameuse  proposiiion  :  «  Nihil  est  in  iiitellectu  quod  non 
fuerit  in  sensu,  Nisi  intellegtus  ipse.  » 


CHAP.  VU.  PHILOSOPHIE  DU  DROIT.  437 

lera  un  jour  les  idées  innées  ,  Rant,  des  formes  nécessaires , 
M.  de  Bonald,  des  vérités  générales^'\  l'École  actuelle,  des 
faits  de  conscience ]  notions  universelles  et  fondamentales, 
telles  que  les  notions  de  Cause  et  d'Effet ,  de  Rapport 
entre  la  cause  et  l'effet,  de  Justice,  d'Infini,  sans  les- 
quelles l'intelligence  ne  serait  pas ,  et  par  qui  elle  vit, 
elle  s'exerce ,  elle  s'élance  dans  le  monde  visible  et  in- 
visible. 

II.  —  Origine  et  nature  de  la  société.  — Le  grand 
principe  de  la  philosophie  stoïcienne,  savoir,  la  société 
naturelle  de  l'homme  avec  Dieu  par  la  raison ,  ne  sera 
pas  stérile  sur  la  terre  ;  et  dans  la  théorie  de  Cicéron , 
Dieu  sera  le  fondement  même  delà  société  humaine^*. 

Les  hommes,  en  effet,  ne  sont  pas  des  êtres  dissem- 
blables que  la  nature  sépare  et  condamne  à  l'isolement  : 
la  société  humaine  est  naturelle^-.  Nulle  chose  sur  la 
terre  n'est  aussi  semblable  à  une  autre  que  tous  les 
hommes  ne  sont  semblables  entr'eux.  La  définition  de 
l'homme  s'applique  à  tous  les  hommes;  il  y  a  un  genre 
humain,  et  non  des  individus  isolés  et  dissemblables^^; 
par  la  nature,  rien  d'humain  n'est  étranger   a 

30  Recherches  philosophiques  sur  les  premiers  objets  de  nos  con- 
naissances morales  [1818]. 

31  Das-ne  igitur  hoc  nobis  Deorum  immortalium  vi,  natura,  ra- 
tione  ,  potestate,  mente,  numine,....  naturam  omnium  régi?  —  Nam 
si  hoc  non  probas,  ab  eo  nobis  causa  ordienda  est  potissimum. 
(De  Leg.,  i.  7.) 

32  Quse  sit  conjunctio  hominum  et  quœ  naturalis  societas  inter 
ipsos.  (i.  5.  )  . 

33  Nihil  est  unum  uni  tam  simile ,  tam  par  quam  omnes  inter  nos- 
metipsos  sumus....  nuliam  dissimiiitudinem  esse  in,  génère,  (i.  10.  ) 


438  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

l'homme^*.  —  Cette  égalité  de  l'homme,  à  l'égard  de 
l'homme,  est  fondée  sur  le  principe  divin  de  la  raison,  par 
laquelle  nous  sommes  supérieurs  aux  animaux.  Notre  in- 
telligence est  diverse  dans  ses  applications,  dans  son  dé- 
veloppement, dans  ses  doctrines;  elle  est  égale  en  elle- 
même  et  par  la  faculté  de  connaître ^^.  Ces  notions,  qui 
viennent  de  la  raison  commune  à  Dieu  et  à  l'homme,  ces 
notions  primitives  et  nécessaires,  qui  sont  imprimées  dans 
nos  âmes,  sont  imprimées  également  dans  toutes  lésâmes: 
et  il  n'est  pas  un  homme  qui,  prenant  la  nature  pour 
guide ,  ne  puisse  parvenir  à  la  vérité  et  à  la  vertu.  La  vé- 
rité et  la  vertu  dérivent  du  même  principe ,  la  raison  par- 
faite ^^.  —  La  parole  est  leur  commun  interprète.  La  pa- 
role est  diverse  par  l'expression ,  variée  dans  les  formes 
du  langage;  mais  partout  elle  s'accorde  avec  l'esprit  de 
l'homme  ;  et  le  lien  de  la  société  humaine  est  maintenu 
et  fortifié  par  sa  puissance  conciliatrice^'.. 

Ainsi  donc ,  la  société ,  état  naturel  et  nécessaire  de 
l'homme,  est  fondée  sur  l'égalité  de  la  nature  humaine , 
considérée  dans  son  principe  spirituel  et  moral. 

34  De  Leg.,  i.  12  :  Quod  si,  quo  modo  est  natura ,  sic  judicio,  homi- 
nes  HUMANi ,  ut  ait  poeta,  nihil  a  se  alienum  putahent,  coleretur 
jus  aeque  ab  omnibus. 

35  Discendi  quidem  facultate  par. 

36  Quœque  ia  animis  imprimuntur  incohatœ  intelligentiae,  similiter 
in  omnibus  imprimuntur.  — Le  rapprochement  ici  est  inévitable  entre 
la  pensée  de  Cicéron,et  l'expression  même  de  l'Evangile  :  Erat  lux  vera 
quœ  illuminât  omnem  homineni  venientem  in  hune  mundum.  (1.  9.) 

Nec  est  quisquam  gentis  ullius  qui  ducem  naturam  nactus  ad  virtu- 
tem  pervenire  non  possit.  (i.  10.  )  —  Est  virtus  perfecta  ratio,  quod 
certe  in  natura  est.  (i.  16.  )  ^ 

37  Interpres mentis  oratio,  verbis  discrepans,  sAitentiis  congruens... 
Orationis  vim  quse  conciliatrix  est  humanae  maxime  soeietatis.  (  i.  9.) 


CHAP.  VII.  PHILOSOPHIE  DU  DROIT.  439 

Ainsi ,  en  dernier  résultat ,  la  société  humaine  est 
vraiment  fondée  sur  la  société  primitive  de  Thomme 
avec  Dieu.  Quelle  admirable  philosophie^^! 

•  III.  — Et  alors,  Torigine  de  la  loi  et  du  droit  n'est 
pas  difficile  à  trouver  :  c'est  la  troisième  question. 

La  Loi ,  prise  à  sa  source  la  plus  élevée ,  est  la  rai- 
son souveraine ,  essentielle  à  Dieu,  communiquée  à  l'in- 
telUgence  de  l'homme ,  imposée  à  la  nature  et  réfléchie 
par  elle^^.  —  L'origine  du  Droit  est  dans  cette  Loi  sou- 
veraine ,  qui  a  précédé  les  siècles  ,  les  lois  écrites  ,  la 
constitution  des  cités*''.  Le  droit  ne  réside  pas  dans 
l'opinion  :  nous  sommes  nés  pour  la  justice  ;  le  droit 

38  Cette  philosophie  est  reproduite  avec  les  mêmes  arguments  dans 
Fénélon,  Essai  sur  le  gouvernement  civil,  ch.  i.  2.  3. 

Elle  sert  de  fondement  aussi  aux  Recherches  'philosophiques  de 
M.  de  Bonald,  ouvrage  plein  de  profondeur  et  de  clarté  (1818). 

39  Cette  notion  de  la  loi  se  déduit  de  plusieurs  passages  : 

Lex  est  ratio  summa  ixsiTA  IN  natueA....  Eadcm  ratio  quum  est 
in  homiûis  meute  confirmata  et  confecta  lex  est....  Ea  est  naturœ  vis; 
ea  mens  ratioque  prudentis;  ea  juris  atque  injuriœ régula. (De Legf.,  i.  6.) 

Das-ne  hoc  nobis...  Deorum  immortalium  vi,  natura, ratione,potes- 
tate,  mente,  numine,  sive  quod  est  aliud  verbum  quo  pleuius  signifî- 
cem  quod  volo ,  naturam  omnium  régi?  —  On  ne  peut  séparer  de  la 
doctrine  de  Cicérou  la  grande  définition  de  Montesquieu  :  «  Les  lois  , 
»  dans  la  signification  la  plus  étendue ,  sont  les  rapports  qui  dérivent 
»  de  la  nature  des  choses  :  et  dans  ce  sens  tous  les  êtres  ont  leurs 
»  lois  ,  la  divinité  a  ses  lois;  le  monde  matériel  a  ses  lois;  les  intelli- 
v  gences  supérieures  à  l'homme  ont  leurs  lois;  les  bêtes  ont  leurs  lois; 
»  l'homme  a  ses  lois.  »  —  (  jNous  awns  commenté  cette  définition  dans 
notre  Cours  de  Droit  public  et  administratif ,  2«  édit.  [1841],  p.  6.  ) 

40  A  Lege  ducendum  est  ex  juris  exordium Constituendi  vero 

juris  ab  illa  summa  Lege  capiamus  exordium  ,  quee  seeculis  omni- 
bus ante  nata  est ,  quam  scripta  lex  ulla ,  aut  quam  omniuo  civitas 
constituta.  (i.  6.  ) 


440  LIV.  1.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

est  fondé  sur  la  nature  de  l'homme  et  de  la  société^*. 
—  De  là  naît  le  véritable  caractère  des  Lois  écrites  ou  po- 
sitives. Ce  serait  une  insigne  aberration  de  mesurer  la 
justice  de  toute  chose  sur  les  institutions  et  les  lois  des 
peuples.  Quoi  ?  Même  les  lois  des  trente  tyrans  d'Athè- 
nes ,  même  la  loi  qui  donnait  au  dictateur  Sylla  la  faculté 
de  mettre  à  mort  les  citoyens  sans  forme  de  procès,  ces 
lois  seraient  justes,  parce  qu'elles  auraient  le  caractère 
extérieur  de  Lois  !  —  Non  ;  il  n'existe  qu'un  seul  droit 
qui  lie  la  société  humaine ,  et  ce  droit  dérive  d'une  seule 
LOI ,  la  raison  elle-même  (  recta  ratio  ) ,  qui  ordonne 
ou  prohibe.  Celui  qui  la  méconnaît  est  injuste,  que  cette 
loi  soit  écrite  partout  ou  nulle  part.  —  Si  la  justice  con- 
siste dans  l'obéissance  aux  lois  écrites ,  aux  institutions 
des  peuples  ;  si  tout  doit  se  rapporter  au  point  de  vue 
de  V utile ,  comme  le  soutiennent  les  sectes  d'Epicure  et 
d' Aristippe ,  qui  fondent  la  religion  sur  la  crainte ,  la  loi 
sur  l'utilité ,  la  justice  sur  la  coutume ,  l'homme ,  dès  qu'il 
y  verra  son  intérêt,  devra  négliger  les  lois  ou  briser  leur 
frein-:  ce  qui  est  constitué  en  vue  de  l'utilité  seule,  sera 
renversé  par  un  intérêt  contraire. 

La  justice  n'est  absolument  rien ,  si  elle  n'a  pas  une 
base  immuable.  Si  le  droit  n'est  pas  fondé  sur  la  nature, 
toutes  les  vertus  tombent  sans  appui.  D'où  naissent  la 
libéralité ,  l'amour  de  la  patrie ,  la  bienfaisance ,  la  recon- 
naissance? —  De  la  nature  qui  nous  a  donné  l'amour  de 

41  Omnium  quae  in  hominum  doctorum  disputatione  versantur, 
nihil  est  profecto  prsestabilius  qiiam  plane  intelligi,  nos  ad  justitiam 
esse  natos,  neque  opinione,  sed  nalura  constitutum  esse  jus;  id  jam 
patebit,  si  hominum  inter  ipsos  societaicm  conjmictiouemque  per- 
pexerjs.  (.De  Leg.,  i.  10.) 


CHAP.  VII.  PHILOSOPHIE  DU  DROIT.  441 

nos  semblables.  Mais  si  la  nature  n'est  pas  aussi  le  fon- 
dement du  Droit,  tout  manque  à  la  fois  ^'^;  et  non  seu- 
lement les  devoirs  envers  les  hommes  disparaissent,  mais 
les  devoirs  envers  la  Divinité  s  éteignent,  les  religions 
périssent ,  les  religions  qui  ne  doivent  pas  être  conser- 
vées par  la  crainte ,  mais  par  ce  lien  intime  et  profond  qui 
unit  l'homme  à  Dieu*^. 

IV.  —  La  notion  fondamentale  de  la  loi  et  du  droit 
étant  posée  par  la  philosophie ,  la  question  de  la  souve- 
raineté DU  PEUPLE  est  facilement  ramenée  à  ses  vérita- 
bles hmites  ;  et  Tidée  du  pouvoir  se  manifeste  dans  toute 
sa  pureté. 

Sans  doute  le  peuple  a  sa  volonté ,  les  chefs  leurs 
décrets,  les  juges  leurs  sentences;  mais  leur  Pouvoir 
n'est  pas  assez  grand  pour  changer  la  nature  des  cho- 
ses. —  Si  les  volontés  de  la  multitude  ou  les  sentences 
des  juges  fondaient  le  Droit,  le  vol  serait  le  Droit,  l'a- 
dultère serait  le  Droit,  la  supposition  d'un  faux  testa- 
ment serait  le  Droit ,  dès  qu'on  aurait  les  suffrages  du 
peuple.  Mais,  si  telle  est  l'étendue  de  la  souveraineté  du 
peuple  ,  pourquoi  n'ordonne-t-elle  pas  aussi  que  ce  qui 
est  mauvais  et  pernicieux  soit  tenu  pour  bon  et  salutaire? 
—  Ou  pourquoi,  lorsque  la  loi  peut  de  l'injustice  faire  le 
droit ,  ne  pourrait-elle  pas  du  mal  faire  le  bien?  —  Il  est 
évident  que  nous  avons  une  règle  supérieure  à  la  vo- 

42  Recte  Socrates  exsecrare  eum  solebat  qui  primus  utililalem  a 
natura  sejunxisset.  {De  Leg.,  i.  12.  ) 

43  rseque  solum  in  homines  obsequia ,  sed  etiam  in  deos  caeremouiae 
religionesqiie  tollentur  ;  quas  non  metu  ,  sed  ea  conjunclione  quse  est 
honiini  cum  Deo  conservandas  puto.  (i.  15.  ) 

Tout  le  cVi.  15  est  à  peu  près  traduit  dans  notre  texte. 


442  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

LONTÉ  POPULAIRE  poiir  distinguer  une  ])onne  loi  d'une 
mauvaise ,  c'est  la  nature  et  la  raison  ;  et  par  elle  nous 
distinguons  le  juste  de  l'injuste,  la  vertu  du  vice,  et  les 
choses  honnêtes  du  mal  moral  *^. 

Lorsque  la  Loi ,  lorsque  la  Souveraineté  a  été  recon- 
nue dans  sa  nature  immuable  et  vraie ,  le  pouvoir  ap- 
paraît dans  toute  la  force ,  dans  toute  la  pureté  de  son 
principe.  Rien  n'est  plus  approprié  au  droit  et  à  la  loi 
que  le  pouvoir,  potestas,  imperium.  La  famille,  la  cité, 
la  nation ,  le  genre  humain ,  ne  peuvent  subsister  sans 
lui  :  la  nature  des  choses  et  le  monde  lui  sont  soumis , 
car  ils  obéissent  à  Dieu^^. 

Dans  la  cité,  le  Pouvoir  doit  prescrire  et  faire  exécuter 
ce  qui  est  juste  et  utile,  ce  qui  est  conforme  aux  lois. 
Comme  les  lois  sont  au  dessus  du  magistrat,  le  magis- 
trat est  au  dessus  de  la  multitude,  et  l'on  peut  dire  avec 
vérité  que  le  Magistrat  est  la  loi  parlante,  et  la  Loi  le  ma- 
gistrat muet^^'.  — Il  faut  donc  des  magistrats  :  sans  leur 

44  De  Leg.,  i.  16.  Tout  ce  chapitre  est  traduit  ou  précisé  dans  le 
texte.  Les  principaux  traits  sont  :  «  Quee  si  tanta  potestas  est  stulto- 
rum  seiitentiis  atque  jussis,ut  eorum  suffragiis  kekum  natura  ver- 
TATUR ,  cur  non  sanciunt  ut  quee  mala  perniciosaque  sunt,  habeantur 
pro bonis  ac  salutaribus?...  Atqui  nos  legem  bonam  a  mala  nulla  alia 
nisi  uaturac  norma  dividere  possumus.  Nec  soluin  jus  et  injuria  a  na- 
tura  dijudicantur,  sed  omnino  omnia  honesta  ac  turpia....  Est  eniin 
virtus  perfecta  ratio  :  quod  certe  in  natura  est. 

45  Nihil  tam  aptum  est  ad  jus  conditionemque  naturœ....  quam  im- 
perium, sine  quo  nec  domus  ulla ,  nec  civitas,  nec  gens,  nec  hominum 
universuni  genus  stare  ,  nec  rerum  natura  oninis ,  nec  ipse  mundus 
potest.  Nani  et  hic  Deo  paret,ethuic  obediuut  maria  terraeque,  et 
hominum  vita  jussis  supremœ  legis  obtempérât.  {De  Leg.,  m.  l.) 

46  Vere  dici  potest  Magistratum  legem  esse  loquentem ,  Legem  au- 
tem  mutum  magistratum.  (m.  1.) 


CHAP.  VII.  PHILOSOPHIE  DU  DROIT.  443 

prudence,  leur  zèle  et  la  détermination  de  leurs  fonc- 
tions, la  cité  ne  peut  exister.  Si  le  droit  du  commande- 
ment est  essentiel,  le  devoir  de  l'obéissance  n'est  pas 
moins  nécessaire.  Selon  la  pensée  de  Platon ,  ceux  qui 
s'opposent  aux  magistrats  sont  de  la  race  des  Titans ,  qui 
s'opposaient  aux  Dieux.  Il  faut  non  seulement  obéir  aux 
magistrats ,  mais  les  honorer  et  les  aimer  :  la  modestie 
de  l'obéissance  doit  répondre  à  la  justice  du  pouvoir*'. 

Et  Cicéron ,  qui ,  par  la  philosophie  du  droit ,  posait 
ainsi  les  bases  de  la  société  sur  des  vérités  immuables, 
avait,  de  plus,  entrevu  deux  autres  lois  que  le  Christia- 
nisme seul  devait  développer  :  la  loi  de  charité,  fondée 
sur  notre  parenté  naturelle,  et  la  loi  de  perfectibilité, 
fondée  sur  notre  nature  spirituelle**. 

§  3.  —  ESSAI    d' APPLICATION   DE  LA  PHILOSOPHIE  DU  DBOIT 
AU  DROIT  CIVIL  DE  ROME. 

La  philosophie  du  droit  n'était  pas,  chez  l'orateur  ju- 
risconsulte, une  science  abstraite  qui  dût  rester  isolée 

47  Nec  vero  solum  ut  obtempèrent,  obediantque magistratibus,  sed 
etiam  ut  eos  colant  diligahlque  pracscribimus.  Qui  modeste  paret ,  vide- 
tur,  qui aliquando  imperet,  dJgnus  esse...  Justaimperia  sunto;  iisque 
civis  modeste  ac  sine  recusatione  parente. (De  Leg.,iu.  1.  2.Z.passim.) 

48  Cuni  auimus  cognitis  perceptisque  virtutibus,  societatem  cahi- 
TATis  coierit  oum  suis  ,  omnesque  natura  conjunctos  suos  duxerit.... 
Quid  eo  dici  aut  cogitari  beatius  ?  (  De  Leg.,  i.  23.  ) 

iXunc  quoniam  hominem ,  quod  principium  reliquarum  rerum  esse 
voluit,  generavitet  ornavit  Deus,  perspicuum  sit  illud  (ne  omnia  dis- 
serantur),iPSAM  per  senatur.4m  longiusprogredi  :  quœ  etiam  nullo 
doceiite  profecta  ab  iis  quorum ,  ex  prima  et  inchoata  iutelligentia ,  gê- 
nera cognovit ,  confirmât  ipsa  per  se  rationem ,  et  perficit.  (  i.  9.  ) 


414  LIV.  1.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

de  l'application  ou  étrangère  au  droit  civil  ;  elle  était  pui- 
sée dans  les  profondeurs  de  dieu  ,  de  Thomme  ,  de  la  so- 
ciété, mais  pour  être  répandue  sur  le  droit  des  Cités  en 
général ,  et  particulièrement  sur  le  droit  civil  de  Rome. 
C'était  l'alliance  du  droit  et  de  la  philosophie  que  Cicé- 
ron  avait  voulu  établir  et  cimenter  étroitement.  «  La 
»  nature  du  droit  doit  être  expliquée  par  nous,  disait-il; 
»  elle  doit  être  recherchée  dans  la  nature  de  l'homme, 
»  et  nous  aurons  à  considérer  en  elle-mêmes  les  lois  par 
»  lesquelles  les  cités  doivent  être  gouvernées.  —  Puis 
»  nous  examinerons  les  lois  positives,  les  règles  écrites, 
»  le  droit  civil  des  peuples ,  et  spécialement  le  droit  civil 
»  du  peuple  romain*®.  »  —  Sa  théorie  philosophique  de- 
vait servir  de  fondement  au 'droit  pubUc  et  au  droit  pri- 
vé. Son  vaste  plan  embrassait  toutes  les  institutions  de 
la  société^^.  — Mais  un  seul  homme  de  génie  et  une  seule 
époque  ne  pouvaient  suffire  à  la  réahsation  complète  de 
cette  grande  pensée. 

Quant  au  Droit  public ,  au  moment  même  où  la  phi- 
losophie en  coordonnait  les  principes,  recommandait  la 
nature  mixte  des  institutions  politiques  et  en  vivifiait 


49  Natura  enim  juris  explicanda  est  nobis ,  eaque  ab  hominis  repe- 
tenda  nalura  ;  considerandae  leges ,  quibus  ciVitates  régi  debeant  ; 
tum  hsec  Iraclanda,  qua;  composita  sunt  et  descripta,  jura  et  jussa 
populorum ,  in  quibus  ne  nostri  quidem  populi  latebunt,  quae 
vocantur  jura  civilia.  —  (  De  Leg.  1.5.) 

50  L'auteur  du  Divorce  et  des  Recherches  philosophiques  ,  M.  de 
Ronald  ,  inspiré  par  la  philosophie  chrétienne,  dit ,  comme  Cicéron, 
éclairé  par  la  philosophie  stoïcienne,  «  que  la  philosophie,  en  général, 
est  la  science  de  dieu,  de  Thomme,  de  la  société.  »  {Recherch.  phil., 
i.  80.) 


CHAP.  VU.  PHILOSOPHIE  DU  DROIT.  445 

l'image  dans  la  peinture  des  institutions  romaines,  le 
Droit  public  de  la  grande  Cité  allait  mourir.  Rome  ap- 
plaudissait ,  en  l'année  702 ,  au  Traité  de  la  République, 
où  le  philosophe  prêtait  à  Scipion  sa  théorie  sur  le  prin- 
cipe, sur  la  division  et  l'équilibre  des  pouvoirs;  —  et 
deux  ans  après,  en  704 ,  Jules  César  passait  le  Rubicon, 
et  saisissait  à  Rome  la  dictature  perpétuelle. 

Quant  au  Droit  privé  ,  il  resta  imparfait  sous  la  main 
du  condisciple  et  de  l'admirateur  de  S.  Sulpicius^'.  Le 
Traité  des  Lois ,  dans  ses  détails ,  était  un  résumé  de  la 
Loi  des  XII  Tables  et  du  droit  Prétorien ,  dont  la  perte 
pour  nous  est  bien  regrettable,  sans  doute,  et  qui  ce- 
pendant, à  en  juger  par  les  fragments  qui  nous  restent, 
ne  portait  pas ,  comme  la  partie  philosophique ,  l'em- 
preinte d'une  œuvre  originale  et  profonde.  —  Mais  le 
Droit  civil  proprement  dit  ne  périra  pas  avec  les  institu- 
tions politiques  de  Rome  ;  il  vivra  dans  la  science  et  dans 
la  société. 

Aux  temps  de  Cicéron ,  il  y  a  deux  Ecoles  bien  disr 
tinctes  :  l'Ecole  du  droit  privé ,  dont  S.  Sulpicius  est  le 
chef,  et  l'Ecole  philosophique ,  dont  Cicéron  lui-même 
est  le  fondateur.  Les  Prudents,  les  Consuls,  les  Tribuns, 
les  Préteurs ,  qui  avaient  interprété ,  développé  ou  modi- 
fié le  droit  des  XII  Tables  par  le  droit  non-écrit,  les  lois, 
les  plébiscites  et  les  édits ,  avaient  concouru  à  introduire 
le  droit  des  gens  dans  le  droit  privé;  c'était  le  grand  ré- 
sultat conquis  par  l'école  de  S.  Sulpicius.  —  Cicéron  osa 
placer  la  science  sur  une  base  encore  plus  large  et  plus 
élevée,  la  loi  de  la  nature,  la  philosophie  du  droit.  Il 

51  Cicéron  dit,  en  parlant  de  Sulpicius  :  In  iisdem  exercitationi- 
bus  ineunte  œtate  fuimus.  {Brut.,  cap.  41 . ) 


446  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

accueillait ,  il  constatait  avec  reconnaissance  l'introduc- 
tion du  droit  des  gens  dans  le  droit  civil  de  Pionie  ;  mais, 
après  son  Traité  de  la  République  et  des  Lois,  il  s'écriait 
dans  les  Offices  :  «  Nous  n'avons  pas  encore  le  vrai  droit, 
»  nous, n'en  avons  que  l'ombre  et  l'image.  Plût  à  Dieu 
»  que  nous  eussions  l'image  réelle  de  ce  droit ,  qui  émane 
»  des  sources  les  plus  pures,  la  nature  et  la  vérité!  — 
»  Sed  non  veri  juris,  germanaeque  justitige  solidam  et 
»  expressam  effigiem  nullam  tenemus.  Umbra  et  imagini- 
»  bus  utimur.  Eas  ipsas  utinam  sequeremur!  Feruntur 
»  enim  ex  optimis  nature  et  veritatis  exemplis^^  !  » 

A  chaque  époque  sa  mission.  C'était  beaucoup,  pour 
le  droit  prétorien  et  la  gloire  des  jurisconsultes  de  la 
République,  d'avoir  introduit  les  préceptes  du  droit  des 
gens  dans  l'unité  absolue  de  la  Loi  des  XII  Tables,  dans 
l'étroite  enceinte  de  la  Cité  romaine ,  et  d'avoir  créé  une 
école  pratique  et  théorique  qui  avait  eu  des  jurisconsul- 
tes tels  que  Caton ,  Scévola ,  Sulpicius.  —  C'était  beau- 
coup aussi  pour  la  science  du  juste  et  de  l'injuste,  que 
le  génie  de  Cicéron  eût  manifesté  les  rapports  du  droit , 
en  général,  avec  la  philosophie  stoïcienne,  et  fondé 
ainsi,  sur  une  base  immuable,  la  philosophie  du  droit. 

A  une  autre  Époque  appartiendra  la  gloire  d'associer, 
de  confondre  les  deux  Écoles ,  de  rendre  leur  alliance 
indissoluble ,  et  de  porter  la  science  du  droit  civil  au 
plus  haut  degré,  en  incorporant  la  philosophie  du  droit 
dans  le  droit  lui-même. 

52  De  Offic. ,  ni.  17.  C'est  la  On  du  précieux  paésage  rapporté  plus 
haut,  p.  177,  sur  l'introduction  du  droit  des  gens  dans  le  droit  privé. 

On  sait  que  le  Traité  des  Devoirs  est  de  l'an  709  ,  et  par  conséquent 
postérieur  au.x  deux  Traités  de  la  République  et  des  Lois. 


CHAP.  Vm.  TRANSITION.  447 


CHAPITRE  VÏIL 


TRANSITION  A  L'ÉPOQUE  CELTIQUE  ET  A  L'EPOQUE  GALLO-ROMAINE. 


Avant  d'entrevoir  l'Époque  nouvelle  qui  se  prépare 
pour  l'histoire  du  droit  et  les  destinées  de  la  société  hu- 
maine, il  faut  jeter  les  yeux  sur  la  dernière  conquête 
unie  au  territoire  romain  ,  sur  la  Gaule  vaincue  par  Ju- 
les César ,  observée  et  décrite  par  son  vainqueur.  Il  faut 
étudier ,  dans  son  organisation  et  ses  mœurs ,  la  Gaule 
barbare ,  et  tâcher  de  retrouver  les  traits  principaux , 
l'esprit  du' Droit  Gallique. 

L'exposé  des  institutions  et  des  mœurs  celtiques ,  qui 
auront  à  subir  toute  la  puissance  de  l'action  romaine , 
se  place  naturellement  entre  le  Droit  Civil  de  Rome ,  tel 
que  nous  l'avons  reconnu  et  conduit  jusqu'à  la  fin  de 
la  République ,  et  le  Droit  romain  de  l'Empire ,  tel  qu'il 
se  développera  sous  l'influence  successive  du  Stoïcisme 
et  du  Christianisme. 

Quand  l'Epoque  celtique  et  l'esprit  du  droit  qui  s'y 
rapporte  auront  été  mis  en  présence  de  l'Epoque  ro- 
maine et  du  droit  civil  de  Rome ,  on  comprendra  plus 
facilement  comment  le  Droit  romain ,  dont  nous  mar- 
querons les  doctrines  progressives,  s'est  propagé  si  rapi- 
dement dans  les  Gaules;  devant  quels  obstacles  de  mœurs 
et  de  coutumes  il  a  dû  cependant  s'arrêter  ou  modifier 


448  LIV.  1.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

ses  principes;  comment  il  s'est  allié,  durant  l'Époque 
gallo-romaine ,  avec  l'influence  et  la  propagation  du  Chris- 
tianisme ;  quels  sont  enfin  les  vrais  éléments  et  l'impor- 
tance spéciale  du  Droit  gallo-romain,  qui  exprime,  dans 
l'histoire  du  droit ,  la  réunion  de  deux  nationalités,  mais 
qui  présente  aux  peuples  Germaniques ,  s'établissant  dans 
les  Gaules,  l'image  de  l'unité  romaine. 


FIN  DU  TOME  PREMIER. 


APPENDICES. 


T.   I. 


29 


APPENDICES. 


APPEINDIGEI. 

EXAMEN  DES  OPINIONS  DE  NIEBDHR  ET  DE  M.  ORTOLAN  SUR  LA 
GENS  ET  LE  DROIT  DE  GENTILITÉ. 


Voir  ci-dessus  chap.  iv.  sect.  ii.  n"  v-viil  p.  78-85—101-105.) 


I.  —  D'après  la  Loi  des  XII  Tablfs,  la  gens  et  le  droit  de 
GENTILITÉ  appartenaient-ils  exclusivement  à  la  Classe  patri- 
cienne?' 

Cette  première  question  nous  met  en  présence  du  système 
de  Vico ,  et  de  Niebuhr ,  surtout ,  qui  l'a  renouvelé  et  gran- 
dement développé. 

Dans  les  fragments  de  la  Loi  des  XII  Tables ,  les  gentils 
sont  placés  immédiatement  après  les  agnats:  soit  comme  hé- 
ritiers et  tuteurs  légitimes,  soit  comme  curateurs  des  furieux 
et  des  prodigues,  les  gentils  sont  appelés  à  défaut  des  agnats. 

L'agnation  et  la  geiitilité,  qui  cessaient  par  la  petite  di- 

1  Nous  reproduisons  ici ,  mais  avec  d'importantes  modifications ,  une 
partie  du  travail  inséré,  en  1841,  sur  le  droit  de  Gentilité ,  dans  ia 
Revue  Bretonne  de  Droit  et  de  Jurisprudence  (tora.  m  ). 


452  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

minution  de  tête  ,  à  la  différence  de  la  cognation  ou  parenté 
naturelle,  formaient  une  parenté  civile,  une  source  de  droits 
dans  la  constitution  de  la  famille  romaine.  L'agnation  exis- 
tait dans  les  familles  plébéiennes  ;  pourquoi  la  gentilité  ,  qui 
venait  après  elle  et  à  son  défaut  pour  l'hérédité ,  la  tutelle  et 
la  curatelle  légitimes,  n'aurait-elle  pas  existé  aussi  à  l'égard 
de  ces  familles?  La  Loi  des  XII  Tables  ne  faisait  aucune  dis- 
tinction entre  les  familles  plébéiennes  et  patriciennes ,  et  les 
deux  institutions  attachées  à  la  famille  civile  devaient  se  rap- 
porter aux  unes  et  aux  autres;  aussi  Vico ,  dont  l'esprit  sys- 
tématique acceptait  tous  les  corollaires  d'un  principe  posé , 
Vico,  en  refusant  la  gens  aux  plébéiens ,  leur  refusait  égale- 
ment l'agnation  entr'eux  et  même  le  connubium!  Il  était  con- 
séquent avec  lui-même  et  avec  l'ordre  logique  des  idées.  Il  faut, 
en  effet,  ou  les  admettre  ou  les  rejeter  ensemble  à  l'égard  des 
plébéiens  ;  car  la  Loi  des  XII  Tables  ne  fait  ni  ne  permet  la 
distinction.  L'erreur  de  Vico  ,  dans  tout  son  système  sur  les 
origines  romaines,  c'est  de  n'avoir  vu  qu'une  classe  aristocra- 
tique ,  où  il  y  a\ait  d'abord  une  institution  prédominante, 
la  CITÉ.  Chaque  classe  de  citoyens,  par  le  principe  d'unité 
qui  faisait  le  fond  de  la  cité  ,  avait  les  mêmes  droits  ,  bien 
que  les  deux  classes  patriciennes  et  plébéiennes  ne  pussent 
pas  les  avoir  entr'elles  ,  pendant  la  première  période  de  l'his- 
toire du  Droit  civil  de  Rome. 

En  se  plaçant  dans  le  droit  des  XII  Tables  et  au  sein  de  la 
distinction  des  deux  Classes ,  rien  n'autorise  donc  à  conclure 
que  les  plébéiens  ne  pussent  pas  avoir  la  gens  et  la  gentilité. 
11  faut  conclure ,  au  contraire ,  que  les  plébéiens  entr'eux 
avaient  ce  droit ,  lorsque  leurs  familles  étaient  d'une  origine 
toujours  ingénue.  C'est  Vingénuité ,  ainsi  que  nous  l'avons 
constaté  dans  ce  Livre,  et  non  la  noblesse  patricienne  qui 
formait  la  condition  nécessaire  de  la  gens  :  la  définition  des 
gentiles  ,  donnée  par  Cicéron  comme  définition  complète ,  le 


APPENDICE  I.  —  OPINION  DE  NIEBUHR.  433 

démontre  ;  nous  la  rappellerons  ici  :  a  Gentiles  qui  inter  se 
»  eodem  nomine  sunt;  qui  ab  ingenuis  or  lundi  sunt;  quo- 
»  rum  majorum  nemo  servitutem  servivit;  qui  capite  non 
»  sunt  deminuti.  »  (Topic.  vi.) 

Niebuhr ,  pour  établir  que  les  gentes  étaient  purement  pa- 
triciennes, se  fonde  sur  des  textes  de  Tite-Live  et  d'Aulu- 
Gelle.  — Aulu-Gelleest  plus  éloigné  des  XII  Tables  que  Cicé- 
ron ,  qui  avait  pour  cette  première  source  du  droit  civil  un 
culte  respectueux  ,  et  qui  certes  n'a  pas  dû  s'en  écarter  dans 
sa  définition  des  gentiles,  adressée  à  un  jurisconsulte.  Au 
surplus  le  texte ,  principalement  emprunté  à  Aulu-Gelle  ,  est 
celui-ci  :  «  Plebs  dicitur  in  quà  gentes  patnciœ  non  insunt^.» 
—  Mais  si  l'institution  de  la  gens  était  une  institution  exclu- 
sivement patricienne ,  pourquoi  le  jurisconsulte,  dont  Aulu- 
Gelle  empruntait  le  personnage,  disait- il  gentes  patriciœP  II 
suffisait  de  dire  gentes  .-  et  si  l'écrivain  a  dit  gentes  patriciœ , 
n'est-ce  pas  indiquer  qu'il  y  avait  aussi  des  gentes  plé- 
béiennes? 

le  savant  Niebuhr  reconnaît  qu'en  effet  il  y  avait  à  Rome 
des  gentes  plébéiennes  et  patriciennes  ;  mais  il  suppose  que 
c'est  à  une  époque  postérieure  à  la  Loi  des  XII  Tables ,  et 
que  cette  participation  des  plébéiens  au  droit  de  la  gens  est 
née  de  l'établissement  du  connubium  entre  les  patriciens  et 
les  plébéiens.  —  Niebuhr  et  ceux  qui  ont  soutenu  cette  opi- 
nion avec  lui ,  ne  se  sont  pas  rendu  compte  de  Veiï-jl  de 
ces  alliances.  La  gentilité  était  fondée  sur  la  parenté  civile 
du  côté  paternel,  etc'étaitpar  les  personnes  du  sexe  masculin 
que  la  gentilité  s'établissait  et  se  continuait  ^.  Le  patricien 

2  Aulu-Gell.,  X.  20.  —  Aulu-Gelle  vivait  dans  le  second  siècle  de 
l'Empire. 

3  Varro ,  de  Ling.  lat.,  viii.  §  4  :  «  Ut  in  hominibus  qusedam  sunt 
»  agnationes  et  gentilitates,  sic  in  verbis  :  Ut  enim  ab  JEmilio  hommes 
y>  orli ,  JEmilii  ac  gentiles;  sic  ab  iEniilii  nomine  declinatee  voces  in 
»  gentilitate  nomiuali et  sic  reliqua,  ejusdem  quae  sunt  stirpis.  » 


454  IIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

qui  se  serait  uni  à  une  femme,  d'une  autre  origine,  ne  com- 
muniquait pas  à  la  famille  plébéienne  le  droit  de  gens ,  puis- 
que la  femme  sortait  de  sa  propre  famille  par  l'effet  du  ma- 
riage; de  même ,  le  plébéien  qui  se  mariait  à  une  femme  pa- 
tricienne n'entrait  pas  dans  la  famille  de  celle-ci,  et  ne  pou- 
vait par  conséquent  entrer  dans  la  genfi ,  et  participer  au 
droit  de  gentilité.  Si  donc  il  y  avait  des  gentes  plébéiennes, 
comme  on  est  obligé  de  le  reconnaître ,  c'est  qu'elles  exis- 
taient par  elles-mêmes  et  dès  les  premiers  temps. 

Le  principal  texte  de  Tite-Live  que  l'on  oppose  est  le  vos 
solos  genîem  habere ,  que  l'historien  met  dans  la  bouche  de 
Decius  Mus  luttant  contre  les  patriciens,  en  453,  pour  ob- 
tenir que  les  plébéiens  fussent  admis  au  partage  du  ponti- 
ficat. —  En  lisant  ce  discours  avec  attention,  on  voit  que 
l'orateur  plébéien  n'affirme  pas  l'existence  du  droit  de  gens 
comme  une  institution  spéciale  aux  patriciens,  mais  qu'il 
rappelle  seulement  une  des  prétentions  orgueilleuses  du  pa- 
triciat,  dans  la  lutte  engagée  contre  les  plébéiens  ^  :  «  Tou- 
»  jours  on  entend  les  mêmes  choses,  dit  Decius;  qu'à  vous 
»  seuls  appartiennent  les  auspices;  que  seuls  vous  avez  une 
»  race  fgentemj;  que  seuls  vous  avez  des  titres  légitimes  à 
»  commander ,  sous  vos  propres  auspices,  dans  la  paix  et 
»  dans  la  guerre.  Cependant ,  jusqu'ici  le  plébéien  n'a  pas 
»  commandé  avec  moins  de  succès  que  le  patricien ,  et  il  en 
»  sera  toujours  ainsi.  Eh  quoi  !  ne  savez-vous  pas,  au  surplus, 
»  que  les  premiers  patriciens  n'étaient  pas  descendus  du 

4  Tit  -Liv.,  lib.  x.  cap.  8  .  «  Semper  ista  audita  sunt  eadem  ,  pênes 
I)  vos  auspicia  esse,  vos  solos  genlem  habere,  vos  solos  justum  imperium 
»  et  auspicium  donii  niilitieeque.  J^.que  adbuc  prosperum  plebeium  ac 
M  patricium  fuit ,  porroque  erit.  En  unquam  fando  audistis  ,  patricios 
»  primo  esse  factos  ,  non  de  cœlo  démisses ,  sed  qui  patrem  ciere  pos- 
»  sent:  id  est,  niliil  ultra  quam  ingenuosPConsulem  jam  patrem  ciere 
»  possum  ,  avumque  jam  poterit  lilius  meus  I  » 


APPENDICE  I.  —  OPINION  DE  NIEBUHR.  455 

»  ciel;  mais  qu'on  choisit  pour  tels  ceux  qui  avaient  pu 
»  nommer  leur  père ,  c'est-à-dire ,  et  rien  de  plus ,  des  ci- 
»  toyens  d'origine  ingénue,  id  est  nihil  ultra  quam  inge- 
»  nuosP  Eh  bien  ,  moi ,  je  puis  déjà  citer  pour  père  un  consul, 
»  et  bientôt  mon  fils  pourra  citer  un  consul  pour  aïeul  ^  !  » 

Ainsi ,  Decius  Mus ,  pour  réfuter  la  prétention  des  patri- 
ciens ,  va  jusqu'à  dire  que  le  patriciat  lui-même  n'a  d'autre 
origine  que  l'ingénuité,  et  rapproche,  par  conséquent,  du  pa- 
triciat les  familles  plébéiennes,  qui  ont  toujours  conservé  l'in- 
génuité primitive.  —  Ce  passage  de  Tite-Live  ne  prouve  pas 
que  la  gens  était  exclusivement  patricienne,  mais  que.  les 
patriciens  parlaient  orgueilleusement  de  leur  race ,  de  leurs 
aïeux.  Niebuhr,  pour  appuyer  son  système,  pour  créer  un 
principe  absolu  de  droit  public  et  civil ,  force  évidemment 
le  sens  d'un  discours  non  spécial  sur  la  question  des  génies 
patriciennes;  et  cependant  il  écarte  dédaigneusement  l'autori- 
té de  l'historien ,  quand  elle  est  directement  contraire  à  sa 
théorie  sur  les  génies!  Lorsqu'il  s'agit  du  vote  dans  les  an- 
ciens Comices  par  Curies,  Tite-Live  dit  positivement  que  le 
vote  était  par  tête  de  citoyens  ;  mais  ceci  renverserait  tout  le 
système  du  savant  étranger ,  et  Niebuhr  dit  hardiment  que 
Tite-Live  se  trompe  et  que  le  vote  se  faisait  par  Gens. 

Nous  pensons  donc  que  l'hypothèse  de  Niebuhr  est  inad- 
missible. Ses  rapprochements  des  gentes  romaines  avec  celles 
de  la  Grèce  ne  peuvent  détruire  les  preuves  fournies  par  les 
fragments  des  XII  Tables  et  par  la  définition  de  Cicéron,  sur 
l'application  du  droit  de  genlilité  aux  familles  plébéiennes 
comme  aux  familles  patriciennes. 

5  Ce  dernier  passage  prouve  que  ,  par  gcnlem  ,  Tite-Live  entendait 
réellement  des  aïeux,  comme  on  l'a  traduit  dans  la  eollectioa  de 
M.  Nisard  (i.  p.  445 j;  car  Décius  oppose  son  fils,  qui  pourra  citer  un 
aïeul  consul ,  à  ceux  qui  citent  leur  gens,  leurs  aïeux. 


456  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

Il  faut,  du  reste,  se  rappeler  qu'anciennement,  à  Rome, 
des  familles  plébéiennes  avaient  pris  une  grande  importance. 
Les  cent  sénateurs  nommés  par  Tarquin  l'Ancien ,  et  dont 
les  descendants  étaient  appelés  patricii  minorum  (jentium, 
avaient  été  choisis ,  selon  toute  probabilité  ,  parmi  les  princi- 
paux plébéiens  c. — Les  sénateurs  nommés  par  le  consulj.  Bru- 
tus,  après  l'expulsion  des  rois,  et  appelés  joa^res  conscripti , 
furent  choisis  aussi  dans  des  familles  plébéiennes.  Les  plé- 
béiens avaient  fait  la  révolution  tribunitienne  [260],  et  parmi 
les  Décemvirs  de  la  deuxième  année ,  élus  pour  réviser  et 
achever  la  Loi  des  XII  Tables ,  il  y  avait  des  plébéiens  que 
les  Comices  par  Centuries  avaient  donnés  pour  collègues  au 
patricien  Appius  Claudius.  Comment  donc  les  familles  plé- 
béiennes, d'origine  ingénue,  n'auraient-elles  pas  aussi  tenu 
à  la  conservation  et  à  l'honneur  de  leur  race? 

Quant  à  ce  fait  incontestable  que  certaines  gentes  renfer- 
maient à  la  fois  des  familles  patriciennes  et  des  familles  plé- 
béiennes, comme  la  gens  Claudia,  qui  contenait  les  Margellus 
de  plébéienne  origine  ,  il  s'explique,  non  par  des  mésallian- 
ces ,  comme  Niebuhr  l'avait  prétendu,  mais  par  l'adrogation 
qui  faisait  entrer  toute  une  famille,  père,  mère,  enfants, 
sous  la  puissance  et  dans  la  famille  de  l'adrogeant.  C'était 
une  adoption  politique ,  et  celle  pour  laquelle  le  droit  civil  de 
Rome  avait  requis  ,  en  conséquence ,  le  concours  des  Comices 
par  Curies. 

Nous  nous  réunissons  donc  à  M.  Ortolan  pour  repousser 
la  doctrine  de  Niebuhr  sur  la  gens,  et  avec  lui  nous  regar- 
dons liNGÉNuiTÉ  comme  le  principe  certain  de  la  Gens  ro- 
maine f  t  la  cause  du  Droit  de  Gentililé.  Il  est  de  toute  justice 
de  le  reconnaître  ,  au  surplus;  M.  Ortolan  est  le  premier  qui 

6  Tit.-Liv.,  I.  35  :  Nec  minus  regni  sui  firmandi,  quain  augendse 
Reipublicœ  menior,  centum  in  Patres  legit;  qui  deinde  minorum  gen- 
lium  sunt  appellati. 


APPENDICE  I.  —  OPINION  DE  M.  ORTOLAN.        457 

ait  fait  ressortir  ce  caractère  essentiel  de  la  gens ,  et  qui  ait 
mis  vraiment  en  lumière  un  élément  jusqu'alors  négligé  ou 
laissé  dans  l'ombre  7.  — Mais  nous  ne  pouvons  admeltVe  l'avis 
que  l'auteur  du  Commentaire  historique  des  Institutes  propose 
à  la  place  de  celui  de  Niebuhr. 

II.  —  Cette  seconde  opinion  est  que  la  Gens  et  le  Droit  de 
gentilité  appartenaient  exclusivement  aux  patrons  et  aux  fa- 
milles alfranchissanles,  par  rapport  aux  enfants  et  descen- 
dants d'affranchis  :  —  opinion  qui  réduirait  à  bien  peu  de 
chose  un  élément  général  de  la  famille  romaine. 

Nous  croyons  que  la  vérité  est  entre  les  deux  systèmes 
trop  exclusifs  de  Niebuhr  et  de  l'auteur  français. 

Dans  notre  exposé  sur  la  constitution  de  la  famille  ro- 
maine, nous  avons  démontré,  par  des  textes  précis  d'Ulpien 
et  de  Paul ,  quelle  était  la  véritable  différence  qui  existait 
entre  l'agnation  et  la  gentilité  ;  différence  caractérisée  sur- 
tout par  le  principe  que  l'agnation  liait  tous  ceux  qui  avaient 
été  ou  qui  auraient  pu  être  placés  sous  la  puissance  d'un 
même  chef  de  famille,  qui  sub  imls  potestate  fuerunt.  Or, 
le  système  très-ingénieux  de  M.  Ortolan  repose  sur  ce  point 
fondamental ,  savoir  :  «  que  les  membres  de  la  famille  per- 
»  pétuellement  ingénue  sont  à  la  fois,  entre  eux,  agnats  et 
y>  gentils»;  »  proposition  qui  n'est  pas  seulement  incon  lilia- 
ble  avec  le  principe  de  Paul  et  d'Ulpien  ;  mais  qui  contredit 
aussi  le  texte  formel  de  la  Loi  des  XII  Tables ,  n'admettant 
les  gentils  à  l'hérédité  qu'à  défaut  des  agnats ,  si  adgnatus 
NEC  EsciT  GENTiLis  FAMiLiAM  NANCiTOR.  —  Si  Ics  membres  de  la 
famille  étaient  à  la  fois,  entre  eux,  agnats  et  gentils ,  ainsi 
que  le  dit  l'auteur ,  la  Loi  n'aurait  pu  évidemment  les  diviser 
en  deux  ordres  d'héritiers  tout-à-fait  distincts.  L'identité  de 

7  Revue  de  législation  ,  tom.  xi.  p.  260  et  suiv. 

8  Revue  de  législation  ,  tom.  xi.  p.  265,  et  Instit.  m.  2.  p.  623. 


458  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

l'agnation  avec  la  gentilité  nous  paraît  donc  répugner  complè- 
tement aux  notions  que  les  monuments  et  la  doctrine  des  ju- 
risconsultes nous  ont  transmises  sur  les  agnats  et  les  gentils. 

Après  avoir  identifié  l'agnation  avec  la  gentilité,  par  rap- 
port aux  familles  ingénues ,  M.  Ortolan  transforme  en  droit 
de  gentilité  le  prétendu  drpit  du  patron  et  de  ses  descendants 
sur  la  succession  des  enfants  et  descendants  d'affranchis. 
«  Quant  à  l'affranchi,  dit  l'auteur,  il  y  a  pour  le  patron  et 
»  sa  famille  successihilité  par  droit  de  patronage  ;  —  quant 
»  aux  enfants  de  l'affranchi  et  tous  leurs  descendants ,  suc- 
»  cessibilité  ;)ar  droit  de  gentilité'^.  » 

Examinons  donc  comment  ce  qui  est  droit  de  patronage 
à  l'égard  de  l'affranchi ,  pourra  devenir  droit  de  gentilité  à 
l'égard  des  enfants  de  l'affranchi. 

Le  patron  et  ses  descendants  ont ,  d'après  la  Loi  des  XII 
Tables  ,  des  droits  d'hérédité  à  l'égard  des  affranchis  décédés 
sans  héritiers-siens  et  sans  testament.  —  Quelle  est  la  na- 
ture de  ces  droits?  Ils  sont  assimilés  à  l'hérédité  et  à  la  tutelle 
des  agnats.  Gaius  atteste  clairement  cette  assimilation,  et 
Vinnius  l'explique  ainsi  :  «  La  Loi  des  XII  Tables ,  dit-il , 
n'a  pas  voulu  donner  d'autre  droit  au  patron  que  le  droit  des 
agnats  ,  qui  sont  appelés  ,  après  les  héritiers-siens  ,  à  la  suc- 
cession de  V intestat,  et  qui  peuvent  être  omis  dans  le  testament 
du  défunt  *o,  »  —  Dans  la  transmission  légitime  des  droits 


9  Revue  de  législation,  toin.  xi.  p.  271-272,  et  Instit.  m.  2.  p.-627. 

10 Gaius,  I.  §  165  :  Eo  enim  ipso  quod  hereditates  libertorum  si 
intestati  decessissent ,  jusserat  lex  ad  patronos  liberosve  eorum  per- 
tinere ,  crediderunt  veteres,  voluisse  legem  etiam  tutelas  ad  eos  perti- 
nere  :  quum  et  agnatos  quos  ad  haereditatem  vocavit,  eosdem  et  tuto- 
res  esse  jusserat. 

Vinnius  ,  Inst.,  m.  8.  1.  Comm.  :  Hinc  vero  apparet,  Legem  non 
alio  jure  patronum  censuisse  ,  quam  agnatorum  ,  qui  et  ipsi  ab  intes- 
tate post  siios  hcrcdes  vocanlur  ,  et  leslamenlo  prseteriri  possunt. 


,       APPENDICE  I.  —  OPINION  DE  M.  ORTOLAN.         459 

du  patron  à  ses  enfants  ou  descendants  à  l'égard  de  l'affran- 
chi, il  n'y  avait  donc  que  la  continuation  du  droit  de  patro- 
nage et  de  l'espèce  d'agnation  qui  s'y  rattachait. 

Il  y  a  même  ici  ce  point  notable ,  que  les  descendants  du 
patron,  liberi,  dit  Gains,  étaient  appelés  par  la  Loi  des 
XII  Tables ,  à  la  succession  de  l'affranchi ,  mais  non  les  pa- 
rents du  patron ,  ni  les  agnats ,  ni  les  gentils.  Les  droits  de 
patronage  ,  d'après  la  loi  civile,  n'existaient  que  dans  la  li- 
gne descendante  du  patron  à  l'égard  de  l'affranchi,  lorsque 
celui-ci  mourait  sans  héritiers-siens  et  sans  testament.  C'est 
le  préteur  seul  qui ,  plus  tard ,  donna  la  possession  de  biens 
aux  parents,  aux  agnats  etcognats  du  patron  <•.  Ainsi  la  Loi 
des  XII  Tables  concentrait  tous  les  droits  de  patronage  dans 
la  personne  du  patron  et  de  ses  descendants ,  à  l'égard  de  la 
personne  et  des  biens  de  l'affranchi. 

Mais  qu'arrivera-t-il,  sous  l'empire  de  cette  Loi,  s'il  s'agit 
de  la  succession  <1es  enfants  ou  descendants  de  l'affranchi , 
et  non  plus  de  l'affranchi  lui-même?  Ici  la  condition  des  per- 
sonnes change  complètement.  Le  fils  de  l'affranchi  n'est  pas 
un  affranchi ,  il  est  ingénu  ,  et  par  conséquent  sa  succession 
est  réglée ,  non  par  le  droit  spécial  aux  patrons  à  l'égard 
des  affranchis,  mais  par  le  droit  commun  de  l'hérédité  des 
ingénus.  — M.  Ortolan  suppose  que  les  patrons  et  leurs  des- 
cendants auraient,  à  raison  de  l'affranchissement  primitif, 
des  droits  héréditaires  sur  les  biens  des  enfants  ou  descen- 
dants d'affranchis  ,  et  il  les  qualifie  droits  de  gentilité;  mais 
rien,  dans  la  Jurisprudence  romaine ,  n'établit  l'existence  de 
ces  prétendus  droits  de  succession  et  d'une  dérogation  au  bé- 
néfice de  l'ingénuité.  Pour  expliquer  la  gens  et  le  droit  de 


11  Inst.,  m.  9.  3  :  Sexlo.  Patrono  et  patronaj ,  liberisque  eorum 
et  parentibus Oclavo cognatîs  manumissoris. 


460  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

GENTiLiTÉ,  selon  SCS  idées  ,  l'auteur  est  obligé  de  commencer 
par  une  pure  et  simple  hypothèse.  [Comm.  Inst.,p.  607.) 

Admettons,  pour  un  instant,  que  des  droits  eussent  existé 
sur  les  biens  des  descendants  d'affranchis.  Quel  aurait  pu 
être  logiquement  leur  caractère?  —  Les  droits  du  patron  et 
de  ses  enfants  n'auraient  pu  être  que  la  continuation  du  droit 
de  patronage  et  de  l'agnation  fictive  attachée  à  ce  patronage. 
Mais  la  transformation  ,  dans  la  même  ligne,  de  l'agnation 
en  gentilité  aurait  été  impossible.  En  effet ,  la  Loi  des  XII 
Tables  a  fait  des  agnats  et  des  gentils  deux  ordres  distincts 
d'héritiers  ;  quand  le  premier  degré  de  l'agnation  n'existe 
pas ,  l'hérédité  est  déférée  au  second  :  le  droit  d'agnation 
pouvait  même  s'étendre  jusqu'au  dixième  degré,  et  ce  n'é- 
tait qu'à  défaut  d'hériliers  dans  cet  ordre,  et  par  consé- 
quent à  défaut  du  dixième  degré ,  que  les  gentils  étaient  ap- 
pelés à  succéder,  comme  formant  un  autre  ordre  d'héritiers. 
Dans  l'hypothèse  que  nous  examinons ,  il  n'y  a  pas  change- 
ment de  ligne :,  il  n'y  a  pas  épuisement  du  dixième  degré  de 
l'agnation  en  la  descendance  respective  du  patron  et  de  l'af- 
franchi ;  il  y  a  seulement  quelques  degrés  de  plus  ;  que  dis- 
je?  Un  degré  unique,  s'il  s'agit  des  fils  de  l'affranchi  ;  et  l'or- 
dre d'hérédité  cependant  serait  changé!  —  Si  le  patron  suc- 
cède à  l'affranchi,  c'est  droit  de  patronage,  dit  l'auteur;  si 
le  patron  succède  au  fils  de  l'affranchi ,  ce  sera  droit  de 
gentilité  !  Un  changement  de  degré  sans  changement  de  ligne 
suffira  pour  constituer  un  nouvel  ordre  d'hérédité  /  —  Cela 
nous  paraît  inadmissible,  et  tout- à-fait  contraire  à  l'esprit 
du  droit  civil  sur  la  constitution  de  la  famille  romaine. 
Dans  la  ligne  directe  descendante ,  les  droits  comme  les  pro- 
hibitions s'étendent,  sans  changer  de  nature,  ad  infinitum; 
dans  la  ligne  transversale  de  l'agnation ,  les  degrés  de  suc- 
cessibilité  s'étendent,  d'après  les  XII Tables,  jusqu'au  dixième 
degré,  et  c'est  à  défaut  de  cette  ligne  transversale  d'agnation 


APPENDICE  I.  —  OPINION  DE  M.  ORTOLAN.         461 

jusqu'au  dixième  degré  que  la  loi  s'adresse  à  un  autre  ordre 
d'héritiers  ,  les  gentils  ;  c'est-à-dire  à  une  autre  ligne  trans- 
versale qui  se  rattache  à  un  ancêtre  plus  éloigné  dans  la  sé- 
rie antique  des  générations  ,  comme  nous  l'avons  prouvé  dans 
notre  chapitre  siii'  la  constitution  de  la  famille  romaine  ,  et 
comme  nous  le  rendrons  sensible  à  l'œil  même  par  le  Tableau 
qui  terminera  celte  discussion. 

Une  considération  qui  se  place  en  dehors  du  droit  des  XII  Ta- 
bles nous  paraît  encore  décisive  à  ce  sujet. 

Le  droit  de  gentilité  est  tombé  en  désuétude  vers  les  pre- 
miers temps  de  l'Empire  ,  lorsque  les  branches  des  familles 
s'étant  indéfiniment  multipliées  ,  il  était  devenu  difficile  de 
suivre  une  race  dans  ses  ramifications,  en  tenant  compte 
des  petites  diminutions  de  tête  et  des  affranchissements.  La 
complication  des  familles  et  de  leurs  dérivés  a  dû  faire  aban- 
donner le  droit  de  gentilité ,  surtout  depuis  que  le  Préteur 
accordait  la  possession  de  biens  aux  cognais  ;  la  succession 
prétorienne  des  gognats  a  remplacé  tout  naturellement  la  suc- 
cession civile  des  gentils.  Mais  si  le  droit  de  gentilité  avait 
été  seulement  la  continuation  du  droit  de  patronage  sur  les 
enfants  et  descendants  d'affranchis;  s'il  n'avait  été,  en  dé- 
finitive ,  que  le  droit  de  successibilité  à  l'égard  des  descen- 
dants d'affranchis ,  ce  droit  ne  serait  pas  tombé  en  désuétude 
avant  Gains  ;  car  les  droits  des  patrons  et  de  leurs  familles  se 
sont  accrus  ,  au  lieu  de  diminuer,  par  les  Sénatus-consultes 
et  les  Constitutions  des  princes.  Cçrtes  ,  les  familles  des  pa- 
trons auraient  été  trop  intéressées  au  maintien  d'un  droit  de 
gentilité  identique  au  droit  de  successibilité ,  pour  que  ce  droit 
eût  été  abandonné ,  par  désuétude,  vers  le  deuxième  siècle. 
—  C'est  la  gens  antique ,  et  non  la  famille  affranchissante , 
qui  a  disparu  du  droit  civil.  Ce  qu'on  appelait  ge7is  dans  les 
anciens  temps  a  été  compris  sous  le  nom  générique  de  famille. 


162  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

Ainsi  Ulpien  dit  :  «  Item  appellatur  familia  plurium  per- 
»  sonarum  quae  ab  ejusdem  ultimi  genitoris  sanguine  profi- 
»  ciscuntur  :  sicuti  dicimus  familiam  Juliam ,  quasi  à  fonte 
»  quodam  memoriis.  »  (Ulp. ,  D.,  de  verb.  sig.  i9b,  §  4.) 

En  dernière  analyse,  sur  les  deux  points  traités  dans  cette 
dissertation  ,  nous  pensons  4  <•  que  la  vérité  n'est  point  dans 
le  système  de  Vico  et  de  Nieburh,  sur  le  caractère  exclusif 
des  gentes  patriciennes  ;  2°  qu'elle  n'est  pas  davantage,  soit 
dans  la  confusion  du  droit  de  gentilité  avec  le  droit  d'agna- 
tion,  soit  dans  l'absorption  du  droit  de  gentilité  au  profit  dé 
la  famille  affranchissante,  selon  le  Commentaire  historique 
des  Institutes. 

III.  —  La  vérité ,  telle  qu'elle  nous  apparaît  d'après  les 
fragments  de  la  Loi  des  XII  Tables ,  les  monuments  de  l'an- 
tiquité, la  définition  des  gentiles  et  divers  autres  passages  de 
Cicéron ,  peut  se  résumer  dans  les  résultats  suivants  : 

1"  Sous  la  Loi  des  XII  Tables  ,  rien  n'autorise  à  regarder 
le  droit  de  gentilité  comme  l'attribut  exclusif  des  familles  pa- 
triciennes, bien  qne\e&  gentes  patriciennes  dussent  être  plus 
nombreuses  et  plus  importantes  que  les  gentes  plébéiennes. 

2°  La  Loi  des  XÎI  Tables  ayant  prohibé  le  commbium  en- 
tre les  patriciens  et  les  plébéiens  ,  par  tradition  des  mœurs 
aristocratiques  ,  le  droit  de  gentilité  ne  pouvait  pas  exister 
des  familles  patriciennes  aux  familles  plébéiennes ,  comme 
effet  d'alliances  ou  de  mésalliances  par  mariage  ,  mais  seu- 
lement par  l'effet  de  Vadrogation. 

3*»  La  gens  ou  genus  était ,  dans  la  constitution  de  la  fa- 
mille romaine,  la  race  générique  qui  comprenait,  sous  une 
origine  perpétuellement  ingénue  et  sous  un  nom  commun  ,  les 
familles  dérivées ,  lesquelles  étaient  différentes  par  leur  sur- 
nom et  leur  agnation  spéciale  (sui  similes  communione  qua- 
dam ,  specie  différentes). 


âr 


APPENDICE  I.  —  RÉSULTATS.  463 

4*  L'agnation  proprement  dite  et  la  gentilité  se  distin- 
guaient, dans  l'ensemble  de  la  famille  romaine ,  et  pour  les 
droits  à  elles  respectivement  attribués ,  par  la  possibilité  ou 
Vimpossihilité  d'une  soumission  commune  à  la.  puissance  du 
même  chef  de  famille. 

5°  Dans  le  Droit  des  XII  Tables ,  les  gentiles  étaient  tou- 
jours appelés  à  défaut  des  agnats  pour  l'hérédité  ,  la  tutelle  , 
la  curatelle  légitimes  ,  sans  distinction  entre  les  familles  pa- 
triciennes ou  plébéiennes  ,  sans  aucune  mention  des  familles 
afifranchissantes. 

6**  Les  affranchis  n'avaient  point  de  race;  ils  étaient  sine 
gente;  ils  ne  participaient  en  aucune  manière,  ni  activement 
ni  passivement,  au  droit  de  gentilité. 

7°  Le  patron  et  ses  descendants  n'avaient  aucun  droit  sur 
les  biens  des  enfants  et  descendants  d'affranchis  ;  s'ils  avaient 
eu  un  droit,  celui-ci  n'aurait  pu  être  que  la  continuation  du 
droit  de  patronage.  Mais  l'existence  même  de  ce  droit  et  sa 
transformation  en  droit  de  gentilité,  sont  une  double  hypo- 
thèse non  conforme  au  principe  de  la  Jurisprudence  sur  la 
constitution  de  la  famille  romaine  et  des  différents  ordres 
d'hérédité  '2. 

(Pour  rendre  plus  sensibles  la  constitution  de  la  famille  ro- 
romaine  et  la  différence  qui  existait  entre  l'agnation  et  la  gen- 
tilité ,  nous  avons  dressé  le  Tableau  suivant,  qui  se  rapporte  à 
celui  déjà  inséré  p.  76,  et  à  l'explication  donnée  p.  79  et  80.) 

12  Nous  avons  cru  devoir  donner  à  notre  opinion  quelque  développe- 
ment, parce  que  le  système  de  M.  Ortolan  a  convaincu,  par  l'habileté 
de  son  exposition ,  plusieurs  personnes  très-éclairées.  Ainsi,  tout  ré- 
cemment encore ,  M.  Taulier  (  professeur  à  la  Faculté  de  Grenoble), 
dans  la  dissertation  historique  et  philosophique  sur  les  successions , 
qui  ouvre  son  troisième  volume  de  la  Théoeie  eaisoxée  du  Code 
CIVIL ,  a  embrassé  et  appuyé  de  l'autorité  de  son  talent  l'opinion  que 
nous  venons  de  combattre. 


^64  LIV.  I.  — ÉPOQUE  ROMAINE. 

IV.   —   TABLEAU  DE    LA   FAMILLE  ROMAirVl 

Pour  indiquer  la  distinction  entre  /'AGNATION  et  la  GENTILITÉ. 


GENTILES. 


GENS  CORNELIA. 

PARENTES. 

6. 
TRITAVUS. 
Cornélius. 
tres  filii 


GENTILES. 


6. 


6.  5. 

ATPATRUUS.      ÂTAVUS.      ATPATRUUS. 

-Corn.  Dolabella.  Corn.  Scipio.  Corn,  Lentulus._ 


ABPATRUUS. 

.L.  Corn.  Dolabella. 


ABAVUS. 

,  L.  Corn.  Scipio. 


ABPATRUlîS. 

T.  Corn.  Lentulus. 


SS015 


AGNATI. 
3.  Patruus. 


Û.  Patrnelis, 

5.  Patroelis  filins. 

6.  Patruelis  nepos. 
Vsq ue  ad  g radum  10. 


li-  3.  II. 

PROPATTi.vvs  {ex justis  nuptiis].  proavus.  propatkdus  [adrogaiione) 

Corn.  Scipio  F.  Corn.  Corn.  Scipio 

RuFiNus.  Scipio.  JEmiliancs. 


2. 
AYUS. 
Paulus  Corn.  Scipio. 

1. 
PATER. 

* 

LIBERI. 

1.  Filius. 

2.  Nepos. 

3.  Prouepos. 
II.  Abncpos. 

5.  Alnepos. 

6.  Tri  nepos. 


3? 


2.  Frater. 

3.  Fratris  filius. 
û.  Fra.'ris  nepos. 

5.  Fratris  pronepos 

6.  Fratris  abnepos. 
Utque  ad  grad/im  10 


(Sit ,  Publias  Cornélius  Scipio  Afri 
canus  DE  CDJUS.  ) 


Si  l'aïeul  (  Paulus  Corn.  Scipio  )  vivait ,  tous  ceux  qui  seraient  au  dessous  de  lui  seraient  sous  s; 
puissance  ;  mais  si  tous  ceux  venant  du  père,  du  frère,  de  l'oncle  sont  dûcdùés,  quand  mourr; 
celui  de  cujus,  les  agnats  manqueront,  et  la  succession  remontera  aux  gentils,  les  plus  proche 
en  degré  ,  soit  par  l'ancCtre  auquel  se  rattachera  leur  ligne  transversale ,  soit  par  la  numdratioi 
même  des  degr(-s  de  génération.  Si  adgnatos  nec  escit  ,  genxilis  familiam  nancitor. 


APPENDICE  II.  465 

APPENDICE  H. 

PARALLÉLISME  DU  DROIT  PRÉTORIEN  AVEC  LE  DROIT  CIVIL, 

PAR  RAPPORT  AUX  SUCCESSIONS, 

DANS  L'ORDRE  SECONDAIRE  DE  LA  FAMILLE  ROMAINE. 


{  Voir  chap.  v.  sect.  ii.  §  2.  n»  iv.  p.  251-258.) 


Nous  avons  suivi ,  dans  le  corps  de  cet  ouvrage ,  le  pa- 
rallélisme du  droit  prétorien  avec  le  droit  civil ,  quant  à 
l'ordre  principal  de  la  famille  romaine;  nous  allons  le  suivre 
ici  quant  à  l'ordre  accessoire  ou  secondaire. 

Dans  l'ordre  principal  de  la  famille ,  le  Droit  prétorien  agit 
sur  les  successions  relativement  aux  héritiers-siens,  aux 
agnats ,  aux  gentils ,  aux  droits  des  femmes.  Dans  l'ordre 
accessoire ,  il  agit  relativement  aux  esclaves  affranchis ,  aux 
enfants  émancipés,  aux  enfants  in  mancipio.  —  Nous  men- 
tionnerons, de  plus ,  le  droit  de  Justinien  à  cet  égard,  et  don- 
nerons le  tableau  comparatif  des  possessions  de  biens  selon 
la  méthode  ordinaire  et  selon  notre  division. 

I.  —  Par  RAPPORT  AUX  AFFRANCHIS.  —  Lc  dpoit  des  XII  Ta- 
bles n'accordait  l'hérédité  légitime  aux  patrons  et  à  leurs  des- 
cendants que  si  l'affranchi  décédait  sans  héritiers-siens  et 
sans  testament.  —  Le  Droit  prétorien  accorda  la  possession 
contra  Tabulas  au  patron  omis  dans  le  testament  ou  inscrit 
pour  une  portion  moindre  que  la  moitié  des  biens  ;  et  il  ac- 
corda la  possession  ab  intestato  pour  la  moitié,  si  l'affranchi 
ne  laissait  comme  héritier-sien  qu'un  enfant  adoptif  ou  la 
femme  placée  in  manu  mariti^.  Dans  les  temps  primitifs  de 

1  Inst.  Just.  III.  8,  de  Suce  Libert.  i. 

T.  I.  30 


466  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

l'institution  prétorienne,  c'était  une  application,  modifiée  en 
faveur  des  patrons,  de  l'interdit  undelegitimi.  Mais  la  faculté 
de  succéder  selon  l'édit  prétorien ,  accordée  aux  patrons , 
homme  ou  femme  ,  et  à  leurs  descendants ,  fut  accordée  par 
innovation  à  leurs  ascendants  ,  et  dès  lors  ce  fut  la  posses- 
sion de  biens  unde  patroni,  patrons,  liberi  et  parentes  eorlm^. 

Le  droit  de  patronage ,  sur  l'hérédité  des  affranchis  morts 
sans  testament ,  fut  même  étendu  (  comme  on  l'a  vu  dans  la 
dissertation  précédente),  aux  agnats  du  patron,  qui  étaient 
supposés  les  agnats  de  l'affranchi ,  qîiasi  agnati  :  c'était  la 
possession  de  biens  ,  tanquam  ex  familia. 

Bien  plus  encore  :  lorsque  le  préteur  créa  la  possession  de 
biens  en  faveur  des  cognats  dans  la  famille  paternelle  et  ma- 
ternelle, selon  les  liens  du  sang,  et  substitua  ainsi  la  suc- 
cession prétorienne ,  unde  cognati ,  à  l'ancienne  hérédité  des 
gentiles,  tombée  en  désuétude ,  le  préteur  accorda  la  posses- 
sion de  biens  sur  la  succession  de  l'affranchi  aux  cognats 
du  patron.  C'était  une  des  applications  de  la  possession  de 
biens  unde  cognati  manumissoris. 

Le  Préteur  avait  ainsi  réglé  la  succession  des  affranchis 
sur  le  modèle  de  l'Edit  relatif  aux  successions  des  ingénus  s. 
—  La  possession  unde  vir  et  uxor  y  était  même  transportée; 
mais  cependant  avec  cette  modification  toute  d'équité ,  qu'au 
lieu  d'être  la  dernière  ,  elle  était  préférée  à  la  possession  des 
cognati  manumissoris. 

n.  —  Par  rapport  aex  enfants  émancipés.  —  D'après  la 
Loi  des  XII  Tables ,  le  droit  du  père  émancipateur  était  as- 
similé au  droit  du  patron  relativement  oux  affranchis;  le 
Droit  prétorien  suivit  celte  assimilation  ;  et  1  edit  donna  au 

2  Inst.  Just.,  III.  10.  1  et  2. 

3  Baccovius  avait  émis  cette  conjecture ,  qui  fut  approuvée  par 
Vinnius,  et  qui  est  la  seule  explication  claire  qui  ait  été  donnée 
{Vinn.,  Insl.,  m.  10.  1.) 


APPENDICE  II,  —  SUCCESSIONS  PRÉTORIENNES.      467 

père ,  à  l'aïeul  ou  bisaïeul ,  émancipateur,  contre  le  testament 
de  l'émancipé  ,  la  même  possession  de  biens  qu'aux  patrons 
sur  les  biens  de  l'affranchi ,  exemplo  patrom''.  —  Toutefois, 
l'assimilation  n'allait  pas  plus  loin:  les  enfants  de  l'émanci- 
pateur  n'avaient  point  la  possession  contra  Tabulas;  car 
l'homme  ingénu  ,  dit  Gains,  n'aurait  pas  pu  être  privé ,  sans 
injustice,  de  la  disposition  de  sa  choses. 

III.  —  Par  rapport  aux  enfants  in  mancipio  —  Selon  la 
Loi  des  XII  Tables ,  le  droit  de  patronage  appartenait  à  l'é- 
tranger qui ,  après  les  trois  ventes  faites  par  le  père  sans 
fiducie,  avait  affranchi  le  fils  ainsi  placé  in  mancipio  •  c'était 
le  manumisseur  étranger  qui ,  alors ,  pouvait  recueillir  les 
biens  par  droit  de  patronage.  Mais  l'Edit  du  Préteur  appelait 
successivement  les  dix  personnes  dont  les  liens  du  sang  avec 
le  fils  affranchi  lui  paraissaient  un  titre  préférable  à  la  qua- 
lité du  manumissor  extraneus.  Celait  la  possession  unde 
DECEM  person.c  ;  ct  dans  les  dix  personnes ,  le  père  ou  la 
mère,  l'aieul  ou  l'aïeule,  paternels  et  maternels,  le  fils  ou 
la  fille ,  le  petit-fils  ou  la  petite-fille ,  le  frère  et  la  sœur, 
consanguins  ou  utérins  ,  sans  distinction  de  sexe  ni  de  ligne, 
étaient  appelés  à  la  succession  prétorienne. 

4  D. ,  xxxvii.  12.  1  (  Ulp.  )  Si  a  parente  quis  manumissus  sil. 
Emancipatus  a  parente  in  ea  causa  est,  ut  in  contra  Tabulas  bonorum 

possessione  liberti  patiatur  exitum;  quod  cequissimum  Prœlori  visuni 

est,  quia. a  parente  beneficium  habuit  bonorum  quaerendoruni Et 

ideo  itum  est  in  hoc,  ut  parens  exemplo  palroni  ad  contra  Tabulas  bo- 
norum possessionem  admittatur....  §  2  :  quia  perinde  defert  Prœtor 
bonorum  possessionem  atque  si  ex  servitute  manumissus  esset. 

5  Liberos  autem  manuraissoris  non  venire  ad  contra  Tabulas  posses- 
sionem filii  constat,  quamvis  patroni  veniant.  {Id.  ibid.,  L.  i.  §  5.  ) 

Non  usque  adeo  exsequandus  est  patrono  parens ,  ut  etiam  Faviana 
aut  Calvisiana  actio  ei  detur,  quia  iniquum  est  ingenuis  homini- 

BUS  NON   ESSE  LIBERAS!  REBUM   SUARUM  ALIENATIONEM.   (  Id.  ibid. , 

L.  2.  Gains  ,  in  Edicl.  provinr.  ) 


468  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

Si ,  malgré  la  multiplicité  des  cas  prévus,  l'application 
de  la  possession  de  biens  n'était  pas  possible ,  il  y  avait 
DÉSHÉRENCE,  et  occupation  des  biens  par  le  Trésor  public  6. 

Le  système  des  Possessions  de  biens  fut  étendu  aux  pro- 
vinces par  l'édit  des  préteurs  et  des  proconsuls  ;  il  devint  une 
des  parties  ordinaires  du  Droit  provincial  7, 

L'ordre  suivi  par  Justinien  dans  l'exposition  des  succes- 
sions prétoriennes  (  Instit.  liv.  m)  n'est  pas  rigoureusement 
exact  dans  toutes  ses  parties  ;  Vinnius  ne  s'y  était  pas  as- 
servi. La  distinction  faite  par  nous  entre  la  famille  princi- 
pale et  la  famille  accessoire  nous  paraît  devoir  jeter  la  lu- 
mière sur  une  matière  obscure.  Voici ,  au  surplus  ,  le  tableau 
comparatif  suivant  Justinien  et  suivant  notre  classification  : 


ORDRE  lPiDlQl]É  PAR  JU8T1MEN, 

ORDRE  CONFORME  i  NOTRE  DISTINCTION  : 

applicable 

1*  La  Famille  principale  ; 

à  la  Famille  en  général. 

2°  La  Famille  accessoire. 

1. 

UlSDE  LIBERI. 

§  1.  —  Famille  principale  : 

2. 

Unde  LEGITIMI. 

1.  Unde  liberi. 

2.  Unde  legitxmi. 

3. 

Unde  decem  personne. 

3.  Unde  cognati. 

à. 

Unde  cognati. 

û.  Unde  vir  et  uxob. 

5. 
6 

TaISQUAM  ex  FAMILIA. 

Unde  patroni  et  patroN/E  ,  etc. 

§  2.  —  Famille  accessoire  : 

1.  Unde  patroni  ,  etc. 

2.  TaNQUAMEX  FAMILIA. 

7.  Unde  vir  et  uxor. 

8.  Unde  cognati  manumissoris. 


3.  Unde  \ir  et  uxor. 

il.  Ukde  cognati  manumissoris. 

5.  Poss  ssio  contra  Tabulas  omanci- 

pati,  PARENTI,  EXEMPLO  PATRONI. 

6.  Unde  decem  person/e. 


Justinien  a  supprimé  les  possessions  comprises  sous  le  §  2; 
dès  lors  tout  est  rentré  dans  l'ordre  des  successions  du  §  T', 


6  L.  unie,  Cod.  Just.,  uni>e  vir  et  uxok  ,  vi.  18. 

7  Cic,  in  Verr.,  i.  41.  Epist.  ad  Att.,  vi.  1. 


APPENtolCE  III.  469 

APPENDICE  III. 

CARACTÈRE  POLITIQUE  ET  MORAL  DE  LA  LOI  CINCIA. 


(Voir  chap.  v,  sect.  u.  §  2.  n"  1.  p.  2W-2Zi3.  ) 


Nous  nous  sommes  occupé  de  la  Loi  Cincia,  en  la  considé- 
rant dans  ses  rapports  avec  le  Droit  privé ,  et  les  garanties 
données  à  la  famille  contre  les  libéralités  des  citoyens.  — 
Nous  voulons  ici  rechercher  quel  pouvait  être  le  caractère 
moral  et  politique  de  cette  Loi. 

La  loi  CiNCiA  DE  DOMS  ET  MUNERiBUS  ,  dc  l'an  550  de  Rome , 
avait  deux  objets  principaux  ;  mais  tous  les  deux ,  à  notre 
sens  ,  se  rattachaient  plus  ou  moins  directement  à  l'ordre 
politique. 

L  —  Son  premier  objet  était  de  prohiber  les  dons  ou  pré- 
sents des  clients  envers  les  patrons  et  envers  les  orateurs  ou 
avocats  qui  avaient  défendu  leur  cause.  La  loi  venait  au  se- 
cours des  clients ,  épuisés  d'argent  par  l'exigence  des  patri- 
ciens qui  leur  imposaient  des  présents  dispendieux.  Elle  fut 
rendue,  dix  ans  après  la  loi  Oppia,  contre  le  luxe  des  fem 
mes  ;  et  Caton  le  censeur ,  rigide  défenseur  de  la  loi  Oppia , 
ne  craignait  pas  de  dire  du  haut  de  la  tribune  aux  haran- 
gues :  «  Pourquoi  la  loi  Cincia  a-t-elle  prohibé  les  dons  et 
»  les  cadeaux?  —  Parce  que  le  sénat  s'hatfituait  à  lever  des 
»  impôts  et  des  tributs  sur  le  peuple  i.  »  C'était  donc  vraiment 

1  Tit.  Liv.,  XXXIV.  4.  Catonis  oratio  [  570.  ]  «  Quid  legem  Cinciani 
de  donis  et  muneribus ,  nisi  quia  vectigalis  jam  et  stipendiaria  plèbes 
esse  senatus  cœperat.?  » 


470  LIV.  I.  ÉPOQUE  ROMAINE. 

dans  une  vue  politique,  et  pour  affranchir  le  peuple  de  la  dé- 
pendance ruineuse  dans  laquelle  le  plaçait  l'usage  des  dons 
volontaires  envers  les  grands ,  que  la  lek  muneralis  avait 
été  portée.  Une  réponse  piquante  du  tribun  Cincius ,  auteur 
de  la  Loi,  peint  bien  sa  pensée;  elle  est  rapportée  par  Cicé- 
ron  :  «  Que  proposez-vous  là,  petit  Cincius,  Cinciole,  lui  di- 
»  sait  dédaigneusement  le  patricien  Caius  Cento ,  le  jour  même 
»  du  plébiscite  ;  —  que  vous  achetiez ,  Caius ,  si  vous  voulez 
»  jouir  ,  »  répartit  le  tribun  2, 

Lorsque  le  patronage  politique  s'affaiblit,  la  prohibition 
de  la  Loi  ne  pouvait  plus  recevoir  la  même  application;  mais 
elle  fut  maintenue,  en  ce  sens  que  nul  ne  pouvait  recevoir, 
pour  plaider  une  cause,  ni  argent,  ni  présents.  Dans  les 
premiers  temps  de  l'Empire ,  la  Loi  était  encort"  respectée  ; 
Tacite  rappelle  les  noms  d'Asinus  ,  de  Messala  ,  d'Arrun- 
tius ,  qui  «  tous  étaient  montés  au  faîte  des  honneurs  ,  par 
»une  vie  sans  reproche  et  une  éloquence  désintéressée'^.  » 

Un  grand  scandale  éclata  sous  l'empereur  Claude  :  un 
Chevalier  romain  ,  après  avoir  donné  400,000  sesterces 
(  84,000  fr.  )  à  l'avocat  Suilius  ,  fut  trahi  par  lui ,  et  se  perça 
de  son  épée  dans  la  maison  de  l'infidèle  défenseur.  Les  sé- 
nateurs, indignés,  demandèrent  l'exécution  de  l'antique  loi 
Cincia;  mais  Claude  permit  que  la  question  des  honoraires  fût 
agitée  devant  lui  ;  et  les  adversaires  de  la  loi  Cincia  opposè- 
rent que  «  l'institution  des  avocats  avait  pour  but  d'empêcher 
»  que  le  faible  ne  fut  opprimé  par  le  puissant;  mais  que  l'é- 
»  loquence  ne  s'acquérait  pas  gratuitement;  que  l'orateur  né- 

2 Ut  Cincius  quo  die  legem  de  donis  et  muneribus  tulit,  quum 

C.  Cento  prodiisset,  et  satis  contumeliose,  «  quid  fers,  Cinciole? 
quaesisset  :  ut  emas,  inquit,  Cai,  si  uti  velis.  »  (  Ctc,  de  Orat.,  11.  71.) 
—Selon  Ernesti,  C.  Cento  était  de  la  Gens  Claudia  (Index  hisloricus.) 

3  Ad  sumnia  provectos  incorrupta  vita  et  facundia.  (  Tacil. ,  Ann., 
XI.  6,  Trad.  de  M.  Burnouf.  ) 


APPENDICE  111.  —  LOI  CI>C1A.  47l 

»  gligeait  ses  affaires  pendant  qu'il  se  dévouait  à  celles  d'au- 
»  trui;  que  le  guerrier  vivait  de  son  épée,  le  laboureur  de  sa 
a  charrue;  que  nul  n'entrait  dans  une  carrière  sans  en  pré- 
»  voiries  fruits;  que  l'on  devait  songer  au  peuple,  d'ail- 
»  leurs,  dont  les  membres  pouvaient  briller  par  la  toge  : 
»  en  supprimant  la  récompense,  on  éteignait  les  talents '.  » 
—  Le  prince  trouva  que  ces  raisons  n'étaient  pas  sans  fon- 
dement. «  Il  fixa  des  bornes  aux  honoraires ,  et  permit  de  re- 
»  cevoir  jusqu'à  10,000  sesterces  (  2,100  fr.  ),  au-delà  des- 
»  quels  l'avocat  serait  coupable  de  concussion  s.  »  —  La  loi 
Cincia  fut  donc  abrogée  implicitement ,  ou  modifiée  à  l'égard 
des  honoraires  offerts  aux  orateurs.  Trajan  fit  de  vains  efforts 
pour  la  ranimer  •^.  La  règle  s'établit  sous  les  Antonins  que  le 
juge  fixerait  les  honoraires  des  avocats ,  selon  la  nature  du 
procès  ,  l'éloquence  de  l'orateur  ,  la  coutume  du  barreau 
et  du  tribunal ,  pourvu  que  la  somme  ne  dépassât  point  le 
taux  légitime;  et  le  maximum  légal  fut  de  cent  écus  d'or, 
à  peu  près  celui  déterminé  par  Claude  7.  L'avocat  pouvait 
réclamer  ses  honoraires  en  vertu  d'un  pacte,  pourvu  que 
ce  pacte  fût  postérieur  à  la  plaidoirie  de  la  cause.  —  Mais  le 
jurisconsulte,  le  professeur  en  droit  étaient  placés,  au  point 
de  vue  moral ,  dans  une  région  supérieure  à  l'avocat  plai- 
dant. «  La  sagesse  civile  est  trop  sainte,  dit  Ulpien,  pour 
devoir  être  estimée  à  prix  d'argent ,  ou  exposée  à  la  honte 
d'un  jugement  d'honoraires  ;  »  et  il  établit  alors  cette  règle  de 
délicatesse  ,  qui  devrait  servir  de  guide  aux  jurisconsultes  et 

4  Cogitaret  plebem,  quœ  toga  enistesceret.  Suhiatis  studioruni  pre- 
tiis ,  etiam  studia  peritura.  (  Tacil.,  xi.  7,  et  xiii.  42.  ) 

5  Tacite  ,  xi.  7.  Capiendis  pecuniis  posuit  modum. 

6  Plin.;  Epist.  v.,  ult. 

7D.,L.  13.  §§  10.  11.  12.  (ï/7p.)Usque  ad  ccnlum  aurcos  (2,493 fr.) 
Sous  les  Antonins,  Yaureus  valait  24  fr.  9â  c.  (  M.  De  la  IHalle,  Econ. 
pol.  des  Rom.,  t.  \.  p.  4.50.)  Les  Pvoniains,  dans  leurs  indications,  pre- 
naient toujours  le  chi/fre  rond. 


472  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

même  aux  avocats  de  tous  les  temps  :  «  Certaines  choses  peu- 
vent se  recevoir  honnêtement  qui  ne  peuvent  se  demander 
sans  indélicatesse  :  Qu^edam  enim  tametsi  honesteaccipiantur, 

INHONESTE  TAMEN  PETUNTUR  8.  » 

Ainsi,  la  Loi  Cincia  avait  un  objet  politique;,  en  ce  qui  con- 
cernait les  relations  des  patriciens  et  des  plébéiens,  et  un  but 
moral ,  en  ce  qui  concernait  les  relations  des  orateurs  et  des 
clients.  Elle  n'a  eu  sa  complète  application  que  pendant  la 
durée  de  la  République  et  les  premières  années  de  l'Empire; 
mais  l'esprit  de  l'antique  prohibition  avuit  laissé,  dans  les 
mœurs  des  véritables  jurisconsultes  ,  un  principe  d'honneur 
et  de  désintéressement  digne  d'être  recueilli  par  les  âges  pos- 
térieurs. 

II.  —  Le  second  objet  de  la  loi  Cincia ,  relatif  aux  dona- 
tions entre  vifs  ,  était  bien  plus  important  sous  le  point  de  vue 
du  droit  privé ,  et  n'était  pas  cependant  étranger ,  selon  notre 
opinion  ,  à  l'ordre  politique. 

Sous  le  Droit  des  XII  Tables,  les  donations  entre  vifs,  as- 
sujetties aux  formes  générales  de  l'aliénation  à  titre  onéreux, 
ne  connaissaient  aucune  limite  de  quotité.  La  loi  Cincia  res- 
treignit la  libre  faculté  de  donner.  Les  restrictions,  toute- 
fois ,  n'existèrent  point  à  l'égard  de  certaines  personnes  qui 
formaient  une  classe  exceptionnelle  ;  classe  très-vaste  encore, 
car  elle  embrassait  tous  ceux  avec  lesquels  le  donateur  avait 
des  rapports  de  parenté  paternelle  ou  maternelle-,  jusqu'au 
sixième  degré ,  et  des  liens  analogues  à  la  parenté.  Les  res- 
trictions de  la  loi  Cincia  ne  re^^ardaient  que  les  personnes 
tout-à  fait  étrangères  au  donateur.  —  Sous  ce  rapport ,  elles 
protégeaient  la  famille  contre  des  libéralités  propres  à  dépla- 
cer les  patrimoines;  c'était  une  garantie  pour  la  famille. 
Mais  cette  garantie  ne  contenait  pas  tout  l'esprit  de  la  loi 
Cincia.  En  effet ,  la  Loi  produisait  en  faveur  du  donateur  une 

8D.,L.  13. 1.  §5.  {UlpJ 


APPENDICE  III.  —  LOI  CINCIA.  473 

exception  perpétuelle.  S'il  avait  payé  la  somme  ou  livré  la 
chose  donnée  contre  le  vœu  de  la  loi  Cincia,  il  avait  le 
droit  de  répétition  ;  et  non  seulement  le  donateur  pouvait  ré- 
péter, mais  tout  citoyen  pouvait  agir,  l'exception  et  l'action 
étant  réputées  populaires  :  etiam  quivis  ,  dit  Ulpien  dans  les 
fragments  du  Vatican,  quasi  popularis  sit  exception.  — 
D'où  vient  ce  caractère  d'action  quasi-publique?  Ce  n'est  pas 
du  rapport  de  la  loi  avec  la  garantie  de  la  famille  ,  car  il  au- 
rait sufiB  de  donner  l'action  aux  membres  de  la  famille ,  aux 
successibles  du  donateur.  Mais  rappelons-nous  que  la  loi 
Cincia  avait  déjà  un  but'  politique ,  celui  de  prémunir  les 
clients ,  c'est-à-dire  les  plébéiens ,  contre  l'influence  abusive 
des  patrons  et  des  sénateurs.  Il  se  peut  donc  que,  tout  en  se 
proposant,  dans  la  seconde  partie  de  la  Loi ,  un  objet  concer- 
nant l'intérêt  privé  de  chaque  famille ,  le  tribun  Cincius  y 
mêlât  une  pensée  d'un  ordre  différent.  —  Cette  loi  était  un 
Plébiscite.  En  l'an  550  ,  la  lutte  de  l'aristocratie  et  de  la  dé- 
mocratie n'était  certainement  pas  terminée  ,  car  la  loi  Cincia 
précédait  de  soixante-dix  ans  les  lois  de  Tiberius  et  de  Caius 
Gracchus.  La  pensée  politique  du  tribun  pouvait  être  d'em- 
pêcher les  patriciens,  les  citoyens  riches ,  de  faire  passer,  par 
leurs  largesses  intéressées,  des  clients,  des  citoyens  pauvres , 
mais  considérés  ,  des  centuries  d'une  classe  inférieure  dans 
une  classe  supérieure ,  où  ils  pouvaient  avoir  une  part  plus 
efficace  aux  votes  des  comices  ,  aux  élections  des  magistrats, 
aux  jugements  en  matière  capitale,  et  s'unir  plus  étroitement 
aux  intérêts  de  l'aristocratie.  On  sait  qu'une  des  conditions 
attachées  au  patronage  était  que  les  clients  devaient  appuyer 
les  patrons  de  leurs  suffrages  dans  les  comices  'o.  A  Rome,  tout 
se  réduisait  aux  comices  et  à  l'action  qui  s'exerçait  sur  les 

9Frag  Vat.,  §  266. 

10  Supra^  chap.  iv.  sect.  t.  p.  56. 


474  LIV.   I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

suffrages.  Les  lois  Calpurnia  et  TuUia,  de  ambitu,  ont  eu  suc- 
cessivement pour  but  d'arrêter  les  scandales  ;  la  loi  Cincia , 
antérieure  de  deux  siècles,  voulait  prévenir  une  influence  qui 
avait  quelque  chose  d'honorable ,  et  qui  ne  pouvait  être  répri- 
mée comme  un  délit.  Dans  les  gouvernements  libres,  on  voit 
souvent  les  riches  chercher,  à  l'aide  de  leur  fortune,  à  aug- 
menter le  nombre  des  électeurs  à  l'appui  de  leur  opinion  ou 
de  leur  candidature  •<.  —  Ce  qui  prouve  donc,  en  premier 
lieu,  que  la  restriction  de  la  loi  Cincia  était  apportée  non  seu- 
lement dans  l'intérêt  des  familles ,  mais  dans  un  intérêt  poli- 
tique, c'est  le  caractère  imprimé  à  l'exception  perpétuelle  de 
la  Loi,  qui  devenait  une  sorte  d'action  publique  en  restitution. 

Une  seconde  preuve  se  tire  du  changement  qui  s'opérait 
au  décès  du  donateur.  L'exception  perpétuelle,  transformée 
en  droit  de  répétition ,  ne  passait  pointa  l'héritier  ,  si  le  do- 
nateur avait  persévéré  dans  sa  volonté  jusqu'à  son  décès.  La 
persévérance  de  volonté  purgeait  le  vice  de  fraude  à  la  loi 
Cincia,  ou,  comme  disait  Papinien,  la  persévérance  de  volonté 
périmait  l'exception  *2.  L'intérêt  de  la  famille,  cependant, 
n'en  était  pas  moins  blessé ,  puisque  la  chose  jugée  lui  était 
enlevée.  Mais,  d'une  part ,  la  donation  entre  vifs  se  trouvait 
transformée ,  par  la  persévérance  du  donateur,  en  donation  à 
cause  de  mort;  et ,  d'autre  part,  l'intérêt  politique  du  dona- 
teur ne  pouvait  plus  exister  :  en  politique  et  en  matière  de 
suffrage,  la  mort  termine  tout.  Mors  omnia  solvit. 

Une  troisième  preuve ,  à  l'appui  de  notre  opinion ,  nous 

11  Les  exemples  ,  en  Angleterre,  sont  nombreux  ,  nous  en  avons 
même  en  France.  La  restriction  apportée  tout  récemment,  chez  nous, 
à  la  faculté  de  transporter  son  domicile  politique  dans  un  autre  arron- 
dissement a  eu  pour  l'un  de  ses  motifs  l'abus  qui  pouvait  se  faire  des 
acquisitions  collectives,  par  lesquelles  des  hommes  riches  se  feraient 
suivre  d'électeurs  dévoués  à  leur  candidature. 

12  Frag.  Vat.,  §§  294.  312.  Doli  replicatione  périrait. 


APPENDICE  III.  —  LOI  CINCIA.  475 

est  fournie  par  les  dispositions  de  la  loi  Cincia  relatives  aux 
donations  des  terres  situées  dans  les  provinces.  Les  Romains 
avaient  de  grandes   possessions  dans  l'Italie  du  nord ,  en 
Sicile ,  en  Sardaigne ,  en  Grèce  ,  en  Asie ,  au  temps  de  la  loi 
Cincia  ;  Caton   redoutait  déjà  cette  fortune  de  Rome ,  qui 
agrandissait  son  empire  et  qui  la  mettait  en  possession  de 
royales  richesses  i3.  La  loi  Cincia  n'apportait  aucune  restric- 
tion aux  donations  de  terres  situées  dans  les  provinces  ;  les 
fonds  du  territoire  romain  ou  du  Latium ,  qui  seuls  consti- 
tuaient ,  parmi  les  propriétés  immobilières ,  des  res  mancipi , 
seuls  étaient  frappés  par  la  restriction ,  et  ne  pouvaient  être 
donnés  aux  personnes  non  exceptées ,  que  dans  la  limite  de 
quotité  fixée  par  la  loi  Cincia.  Pourquoi  les  terres  provin- 
ciales  ou  tributaires ,  non  mancipi ,  pouvaient-elles  être 
données  ainsi  sans  aucune  restriction?  L'intérêt  de  la  farailip 
avait  à  en  souffrir,  cela  est  certain;  mais  l'intérêt  politique 
n'y  était  nullement  engagé.  En  etfet,  les  terres  de  Vager 
romamis  et  du  Latium  figuraient  seules  dans  le  cens  lu  ci- 
toyen ,  au  temps  de  la  loi  Cincia  et  même  de  Cicéron  ;  — 
les  terres  provinciales ,  au  contraire ,  n'étaient  pas  portées 
au  cens,  et  ne  servaient  point  au  taux  des  Centuries"*.  Voilà 
pourquoi ,  à  notre  avis  ,  les  donations  des  premières  étaient 
très-limitées,  et  les  donations  des  dernières  étaient  illimitées. 
L'intérêt  politique,  qui  concourait  fortement  à  établir  la  res- 
triction de  la  loi  Cincia,  venant  à  cesser,  la  prohibition  de 
donner  cessait  elle-même  :  Cessante  causa,  cessât  effectus. 
Cette  différence  entre  les  donations  des  terres  de  propriété 

13  Hsec  ego,  quo  melior  laetiorque  in  dies  fortuna  reipublicœ  est, 
imperiumque  crescit,  et  jam  in  Grœciam  Asiamque  transceudimus, 
omnibus  libidinum  illeeebris  repeletas,  et  regias  etiam  attrectamus 
gazas ,  eo  plus  horreo ,  ne  illœ  magis  res  nos  ceperint,  quam  nos  illas. 
CTit.  xxxiv.  4.) 

14  Cic,  pro  Flacco,  cap.  xxxii  :  Sunt-ne  prsedia  Censui  censeudo, 
habeant  jus  civile.  (  Supra ,  p.  193.) 


476  LIV.  I.  —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

romaine  et  des  terres  de  propriété  provinciale  était  si  pro- 
fondément établie  dans  l'esprit  de  la  loi  Cincia,  qu'elle  s'est 
maintenue  tant  que  la  différence  entre  le  sol  italique  et  le  sol 
provincial  a  été  conservée  réellement  dans  le  droit  civil  de 
l'Empire.  Les  fragments  du  Vatican  nous  ont  transmis  un 
texte  de  Dioclétien  ,  de  l'an  293  ,  qui  porte  que  dans  la  do- 
nation d'une  chose  tributaire,  on  ne  fait,  d'après  la  loi 
Cincia,  aucune  différence  entre  les  personnes  exceptées  et 
les  personnes  non  exceptées  <3. 

Ce  texte  démontre  en  même  temps  et  la  persistance  de  la 
loi  C  incia  en  ce  qui  concerne  l'Italie ,  et  l'absence  de  sa  pro- 
hibition dans  le  Droit  provincial.  Il  en  résulte  ce  point  impor- 
tant, qui  reparaîtra  dans  l'histoire  du  droit  coutumier,  savoir , 
que  les  donations  entre  vifs ,  même  de  biens  immeubles , 
étaient  regardées  comme  libres  et  illimitées  dans  le  droit  ro- 
main des  provinces.  L'empereur  Alex.  Sévère ,  voyant  l'abus 
possible,  étendit  en  certains  cas  aux  donations  entre  vifs 
la  plainte  d'inofficiosité  le. 

Plusieurs  travaux  ont  été  faits  sur  la  loi  Cincia  dans  l'an- 
cienne et  la  nouvelle  École ,  mais  surtout  au  point  de  vue  du 
Droit  privé. 

L'ancienne  école  avait  principalement  le  Commentaire  de 
Brummer,  ad  legem  Cinciam  [1668]. — Le  Trésor  deMeermann, 
tome  VI,  p.  645  et  suiv.  de  donationibus ,  renferme  des  do- 
cuments sur  le  même  sujet,  ainsi  que  la  Jurisprudence 
antéjuslinienne  de  Schulting,  p.  581. 

La  nouvelle  école,  dans  la  savante  Allemagne,  a  produit 
plusieurs  travaux  depuis  la  découverte  des  fragments  du  Va- 
is in  donatione  rei  Iributariœ  circa  exceptam  et  non  exceptam 
personam  legis  Cinciœ  nulla  differentia  est.  {Frag.  Vaiic,  §  293.  ) 

16  D.,  XXXI.  1.  87.  §  3.  {Paul.  )  :  Ralio  deposcit,  id,  quod  donatum 
est  pro  dimidia  parte  revocari. 


APPENDICE  III.  —  LOI  CINCIA.  477 

tican  [ISâi].  On  doit  citer,  entre  autres  écrivains  :  Ru- 
DORFF,  DE  LEGE  CiNciA  (  Berlin ,  1825);  —  Rlinkammer  ,  de 
DoNAT.  exFrag.  Vat.  [Amsterd.,  1826].  —  Bruns  ,  quid  con- 
férant Frag.  Vat  admelius  cognosc.  Jus  Romanum.  [Tubing, 
1838.] 

MM.  Savigny,  Warnchoenig  ,  Mulhembruch  ,  Marezoll  ,  ont 
résumé  les  résultats  de  leurs  travaux  sur  la  loi  Cincia ,  le 
premier  dans  un  commentaire  qui  a  servi  de  guide  aux  au- 
tres (recueil  intitulé  Zeitschrist,  tome  IV);  le  deuxième  dans 
ses  Institutiones  Juris romani privati  (§  951  ); le  troisième  dans 
sa  Doctrina  Pandectarum  (iii-IO,  §§  417-442),  et  ses  An- 
notations aux  Antiq.  d'Heinecc.  (ii-7,  §  12,  p.  396);  le  qua- 
trième dans  son  Droit  privé  des  Romains ,  traduit  par  M.  Pel- 
lat  (liv.  III,  §  127). 

Nous  présentons  sur  le  caractère  politique  de  la  loi  Cincia 
des  idées  qui  sont  exprimées  pour  la  première  fois.  Nous 
croyons  avoir  prouvé  que  les  restrictions  du  Plébiscite  à  l'é- 
gard des  donations  entre  vifs ,  ne  peuvent  s'expliquer  par  la 
seule  raison  du  droit  privé;  qu'elles  touchaient  à  des  intérêts 
de  l'ordre  politique,  et  qu'en  l'absence  de  cet  esprit  de  la  Loi, 
on  ne  peut  se  rendre  un  compte  suffisant  des  dispositions  fon- 
damentales. —  Les  Doctes  prononceront. 


3-78  LÎV.    I.    —  ÉPOQUE  ROMAINE. 

APPENDICE  lY. 

TRANSFORMATION  DES  MONNAIES  ROMAINES   ET  DE   L'UNITÉ  MONÉ- 
TAIRE,   —  RAPPORT  ENTRE  LES  DIFFÉRENTES  UNITÉS, 
SOUS  LA  RÉPUBLIQUE. 


(Voir  chap.  i.  sect.  i.  p.  lu.  not.  22-23.  —  chap.  v.  sect.  ii.  p.  23/i.  not.  û3, 
p.  2f|3.  not.  03.) 


Dans  plusieurs  parties  de  cet  ouvrage,  nous  avons  été  obli- 
gé de  mentionner  les  monnaies  romaines ,  et  d'indiquer  des 
rapports  de  valeurs.  Pour  éclaircir  par  une  vue  d'ensemble 
cette  matière  obscure ,  nous  allons  marquer  ici  les  époques 
successives  de  la  révolution  des  monnaies ,  révolution  qui  n'a 
pas  d'abord  changé  les  dénominations  employées  dans  la  lan- 
gue des  lois.  Les  documents  fournis  par  Varron,  et  surtout  un 
passage  de  Pline  (Histoire  naturelle,  liv.  xxxiii,  chap.  3), 
sont  la  base  de  notre  exposé.  De  nos  jours,  MM.  Letronne  et 
De  la  Malle  ont  jeté  sur  ce  sujet  une  lumière  nouvelle  qui 
nous  a  aussi  servi  de  guide. 

§  1.  —  Monnaie  de  cuivre. 

I.  —  Avant  Servius  TuUius,  il  n'y  avait  pas  de  monnaie 
frappée;  on  se  servait  de  Vœs  rude  et  de  la  balance  pour  le 
peser  :  d'où  est  venue  la  forme  de  la  mancipation  per  œs  et 
Hhram.  Sous  le  règne  de  Servius,  I'as  fut  frappé  d'une  em- 
preinte représentant  ufie  tète  de  bétail ,  nota  pecudum  :  d'où 


APPENDICE  IV-  —  MONNAIES  ROMAINES.  479 

pecunia.  L'as  était  de  cuivre ,  d'airain  ou  de  bronze ,  et  pesait 
la  Livre  romaine  de  douze  onces.  11  avait,  comme  monnaie, 
sa  valeur  intrinsèque  ou  sa  valeur-poids  d'une  livre  d'airain; 
la  valeur  intrinsèque  et  la  valeur  représentative  étaient  alors 
en  parfait  accord.  As  ,  ^s ,  assis  ,  sont  synonymes  sous  la  Loi 
des  XII  Tables;  de  même  libralis  assis  ou  liera  :  as  erat  liera 
PONDUS,  dit  Yarron,  v,  §  169.  —  L'as  originaire,  ou  la  livre  de 
douze  onces  de  poids ,  était  donc  l'unité  monétaire  dans  cette 
première  époque'. 

Du  reste ,  pour  le  besoin  de  la  circulation  ,  on  avait  frappé 
des  monnaies  inférieures  de  trois  onces  ou  du  quart  de  I'as, 
qui  étaient  appelées  triumcius  ,  triumcii  ,  de  tribus  unciis 
(Varron  et  Pline). 

II.  —  Pendant  la  première  guerre  punique  [488-512],  l'as 
originaire  fut  diminué  de  son  poids  et  de  sa  valeur  intrinsèque. 
La  diminution  décrétée  par  le  Sénat  était  de  dix  onces  ou  des 
cinq  sixièmes  :  «  Constitutum  ut  asses  sextantario  pondère  fé- 
rir entur.  û  Ainsi  la  République ,  avec  un  as  ancien ,  en  frappa 
six  nouveaux ,  et  gagna  ,  par  conséquent ,  les  cinq  sixièmes 
sur  la  valeur  des  monnaies ,  afin  d'acquitter  ses  dettes  :  Ità 
quinque partes  factœ  lucri,  dissolutumque  œs  aliemim{V\me]. 
L'as  pesant  deux  onces  eut  la  valeur  représentative  de  l'as 
originaire  de  douze  onces.  La  valeur  représentative  était  donc 
alors  bien  différente  de  la  valeur  intrinsèque  :  ce  fut  une 
grande  révolution  dans  le  signe  monétaire.  L'empreinte  de 
la  République  faisait  la  valeur.  L'as  nouveau  fut  frappé  d'une 
tête  de  Janus  et  d'une  proue  de  navire  frostrumj ,  emblème  si- 
gnificatif du  passé  et  de  l'avenir  de  Rome. 

Pour  faciliter  la  circulation  monétaire,  on  frappa  aussi  des 


1  Voir  supra,  p.  153,  ce  que  nous  disons  de  Tas  considéré  comme 
l'entier,  par  rapport  à  l'as  hérédilaire  el  usiiraire. 


480  UV.  I.  ÉPOQUE  ROMAINE. 

monnaies  appelées  triens  et  quadrans  ,  et  qui  représentaient 
le  TIERS  et  le  quart  de  la  valeur  nominale  de  l'as. 

Annibal  pressant  l'Italie  de  toutes  parts ,  on  réduisit  le 
poids  de  l'as  à  une  once  ,  pendant  la  seconde  guerre  punique, 
sous  la  dictature  de  Fabius  Maximus.  L'as,  ainsi  réduit,  con- 
servait toujours  sa  valeur  primitive  et  nominale  de  livre  de 
douze  onces  :  la  République  gagna ,  cette  fois ,  la  moitié  pour 
payer  ses  dettes  et  faire  face  aux  circonstances,  dimidium 
lucrata  est.  — Bientôt,  par  une  loi  Papyria,  dont  la  date 
précise  est  inconnue,  et  qui  est  reportée,  par  M.  Letronne, 
à  l'année  562 ,  époque  de  la  guerre  d'Antiochus ,  on  fil  frap- 
per des  as  qui  n'avaient  de  poids  qu'une  demi-once  [Mox 
lege  Papiria  semunciales  asses  facti]  2, 

Voilà  pour  la  monnaie  de  cuivre  :  c'est  toujours  l'as  pri- 
mitif pour  la  valeur  représentative  ;  mais  la  valeur  intrinsè- 
que a  changé  de  la  livre  ,  ou  de  l'entier ,  au  vingt-quatrième. 

§  2.  —  Monnaie  d'argent. 

1.  —  Les  Romains,  d'après  le  témoignage  de  Pline,  ne 
commencèrent  à  faire  frapper  des  monnaies  d'argent  qu'après 
la  défaite  de  Pyrrhus  et  la  soumission  des  Tarentins  ,  en 
484.  Le  denier  d'argent,  Denarius,  valut  d'abord  dix  as  de 
cuivre  ;  et  des  monnaies  de  subdivision  s'y  rattachèrent  :  on 
frappa  le  Quinarius,  valant  cinq  as,  ou  la  moitié  du  denier, 

2  Pline  ,  XXXIII.  3.  —  M.  Bœckh ,  en  Allemagne,  fixe  la  date  à  l'an 
669,  et  attribue  la  loi  à  Papirius  Carbo.  (Econ.  pol.)  —  En  Italie ,  le 
comte  Borghesi,  savant  numismatiste ,  et,  en  France,  M.  De  la  Malle, 
reportent  la  loi  à  l'époque  de  la  guerre  sociale  et  l'attribuent  aussi  à 
Papirius  Carbo,  tribun  du  peuple  en  665.  (Econ.  pol.  des  rom.  , 
M.  De  la  Malle,  i,  p.  83.)  Il  me  semble  qu'alors  on  avait  peu  d'inté- 
rêt à  frapper  des  asses  semunciales.  —  Le  mox  de  Pline  s'accorde  mieux 
avec  la  date  de  562. 


APPENDICE  IV.  — MONNAIES  ROMAINES.  481 

et  le  Sesterce,  valant  deux  as  et  demi.  Sestertius  vient,  selon 
Vàrron  (v.  §-173),  de  semis  tertkis,  comme  si  l'on  disait 
demi-troisième  as  ;  le  sesterce  représentait  le  quart  du  denier 
d'argent. 

II.  —  Pendant  la  deuxième  guerre  punique ,  sous  la  dicta- 
ture de  Q.  Fabius  Maximus  [an  537] ,  on  établit  que  le  de- 
nier d'argent  vaudrait  seize  as  au  lieu  de  dix  (sauf  pour  la 
paie  des  soldats ,  in  militari  stipendia)  ;  que  le  quinaire  vau- 
drait huit  as ,  et  le  sesterce  quatre  as.  C'était  un  nouveau 
gain  que  la  République  faisait  sur  la  monnaie  d'argent ,  après 
avoir  gagné,  plusieurs  fois  déjà,  sur  la  monnaie  de  cuivre. 
Cette  mesure  produisit  un  grave  résultat  :  c'est  que  l'unité 
monétaire  d'argent  ne  fut  pas  d'accord,  quant  à  ses  parties 
élémentaires ,  avec  l'ancienne  unité  monétaire  de  cuivre  :  elle 
n'eut  pas  douze  parties  comme  celle-ci ,  elle  en  eut  seize  ;  et 
ce  changement  se  faisant  à  l'époque  même  où  l'as  était  ré- 
duit à  l'état  réel  d'une  once  ,  on  put  dire  que  le  denier,  unité 
monétaire  d'argent ,  représentait  également  seize  as  ou  seize 
onces  ;  confusion  qui  associa  à  l'idée  d'unité  celle  de  varia- 
tion dans  le  nombre  des  parties  constitutives;  confusion  qui 
s'étendit  à  l'unité  de  poids,  et  fit  admettre,  à  côté  de  la  livre 
romaine  de  douze  onces  ,  des  variétés  de  livres  de  quatorze  et 
de  seize  onces  s. 

Au  surplus  ,  le  Sesterce  ,  valant  quatre  as ,  conserva  tou- 
jours son  rapport  primitif  de  quotité  ou  son  rapport  du  quart 
avec  le  denier;  le  sesterce,  à  l'égard  de  l'unité  monétaire  d'ar- 
gent ,  avant  et  depuis  Fabius  Maximus ,  est  toujours  comme 
le  quadrans  à  l'égard  de  l'unité  monétaire  de  Servius  Tul- 
lius.  —  Le  sesterce  n'était  pas  la  plus  petite  monnaie  d'ar- 
gent; il  y  eut  des  subdivisions ,  et  notamment  la  libella,  qui 

3  Le  Cod.  ïhéod. ,  x.  19.  4  de  Melallis ,  mentionne  la  livre  de  qua- 
torze onces,  qui  devint  dans  les  Gaules  la  livre  de  Lyon. 

T.  1.  31 


482  LIV.   I.    —  ÉPOQUE    ROMAINE. 

était,  d'abord,  la  dixième  partie  du  denier  d'argent,  et  qui 
valait  la  livre,  poids  d'airain'*.  Mais,  dans  l'usage  et  dans 
la  langue  des  jurisconsultes,  le  Sesterce  devint  comme  l'u- 
nité élémentaire  pour  l'évaluation  des  fortunes  ou  des  som- 
mes, et  finit  par  remplacer  l'as.  Le  sesterce  a  varié  dans  sa 
valeur  :  —  vers  l'an  485,  il  valut  41  centimes  de  notre 
monnaie;  —  de  l'an  513  à  l'an  707,  il  valut  19  centimes 
(selon  la  douzième  table  de  conversion  de  M.  De  la  Malle); 
aprèsl'an  707,  il  valut  21  centimes. 

L'as  alors,  quart  du  sesterce,  ne  valait  plus  que  5  centimes 
Vi,  mais  comme  l'as  avait  varié  de  l'entier  au  vingt-qua- 
triènje ,  il  s'ensuit  que  l'as  de  poids,  I'.es  grave  ,  ancienne 
monnaie  romaine ,  aurait  alors  représenté,  selon  notre  mon- 
naie, 1  franc  26  centimes,  ou  la  valeur  de  six  sesterces  ,  sous 
l'Empire;  par  conséquent  les  100,000  as  formant  le  taux  de 
la  1"  Classe,  d'après  la  distribution  de  Servius  TuUius ,  au- 
raient valu  600,000  sesterces  de  l'Empire,  ou  126,000  francs 
de  notre  monnaie.  —  On  ne  doit  pas  confondre  le  sestertius, 
monnaie  rtielle  que  nous  venons  d'évaluer, et  le  sestertium, 
monnaie  fictive  ou  de  compte ,  qui  valait  mille  sestertii. 

§  3.  —  Mouuaie  d'or. 

D'après  le  témoignage  de  Pliiie,  c'est  soixante-deux  ans 
après  la  fabrication,  à  Rome,  de  la  monnaie  d'argent,  et  par 
conséquent  en  546 ,  que  la  monnaie  d'or  fut  frappée  au  type 
romain.  L'or,  avant  celte  époque,  était  en  lingots  dans  le 
commerce. 

Le  scrupule  d'or,  qui  était  la  24"  partie  de  l'once,  de 
poids,  et  la  288*=  partie  de  la  livre,  valait  4  deniers  ou  1 6  ses- 

4  Nuaiini  denarii  decmna  libella ,  quodVihram  pondo  a^ris  valebat 
el  erat  ex  argeuto  parva.  (  Farro.,  l  l.  v.  §  173.  ) 


APPENDICE  IV.  —  MONNAIES  ROMAINES.  483 

terces  (Pline,  xix — 4);  mais  la  République,  en  frappant  de  la 
monnaie  d'or,  tailla  les  aurei  dans  la  livre  d'or  et  les  frappa 
de  manière  à  ce  que  le  scrupule  d'or  valût  dans  la  circulation 
20  sesterces,  ou  5  deniers  d'argent;  ce  qui  lui  donna  un 
bénéfice  réel  de  288  deniers  par  livre  d'or,  ou  -1152  sester- 
ces, que  Pline  réduit  à  900,  comme  bénéfice  net,  selon  l'ob- 
servalion  due  àla  sagacité  de  M.  l.etronne».  —  L'aureus  subit 
quelques  variations.  Sous  Jules  César,  depuis  l'an  707,  où 
l'on  tailla  40  aurei  dans  la  livre  d'or,  l'aureus  valut  27  francs 
95  centimes  de  notre  monnaie;  sous  Auguste,  26  francs 
89  centimes;  sous  les  Antonins,  24  francs  93  centimes. 
L'aureus ,  comparé  aux  sesterces ,  était  l'unité  comparée  à  la 
centaine  :  1  aureus  valait  100  sestertii,  et  iO  aurei  valaient 
un  sestertiur^;  les  100  aurei,  dont  Ulpien  parle  au  Digeste 
(  L.  13.  1 .  §  12.)  équivalaient  aux  dena  sestertia,  dont  parle 
Tacite  (Annales,  xi  —  7.),  à  l'occasion  des  honoraires  dé- 
terminés par  Claude. 

Malgré  la  transformation  des  monnaies  et  des  valeurs ,  le 
mot  iEs  continua  de  signifier  la  monnaie  en  général  :  aureos 
NUMMOS  jEs  Dicmus ,  dit  Ulpien  ;  et  quand  on  voulait  parler 
des  anciennes  valeurs  ou  chercher  leur  rapport  avec  les  va- 
leurs  nouvelles ,   on  revenait  toujours  à  I'.es  de  poids ,  .es 

GRAVE  6, 

5 Pline,  XXXIII.  3.  —  M.  Letronne,  Considérations  générales  sur 
les  monnaies  grecques  et  romaines.  —  M.  Bureau  de  la  Malle ,  Éco- 
nomie politique  des  Romains,  i.  p.  87,  et  Tables  de  conversion,  xiii. 
xiv.  Le  solidits  de  Constantin,  le  sou  d'or,  \a\nt  15  francs  53  centimes 
et  puis  15  francs  10  centimes. 

6  lit.  Liv.,  IV.  41  et  60.  — v.  12.  Senec.  de  Benef. ,  v.  14  :  .Es  alie- 
num  habere  dicitur  et  qui  aureos  débet....  —  Nalural  Quœst...  1. 17  : 
An  tu  existimas,  ex  auro  nitidum  habuisse  Scipionis  filias  spéculum , 
cum  illis  dos  fuisset  ^s  grave .^ 

FIN  DE  l'appendice. 


TABLE  DES  MATIÈRES. 


T03IE  I. 


I^TRODICTIO^. 


NECESSITE  DE  L'HISTOIRE  DU  DROIT  ROMAIN  ET  DE  L'ANCIEN  DROIT 

FRANÇAIS  POUR  L'INTELLIGENCE  DU  DROIT  CIVIL  MODERNE. 

PLAN  ,  MÉTHODE  ET  BUT  GÉNÉRAL  DE  L'OUVRAGE. 


LIVRE  r\  —  ÉPOQUE  ROMAINE 

ou  DROIT  CIVIL  DE  ROME. 


Pages. 
DIVISION  GÉNÉRALE  DE  L'ÉPOQUE  ROIVIAINE 1 

CHAPITRE   1er,  —  TABLEAU  DES    INSTITUTIONS  DE  l'ORDBE  PO- 
LITIQUE jusqu'à  l'Époque  des  guebres 

CIVILES , 3 

SECTION  I".  —  DEPUIS  LA  FO^DATIo:>^  de  bohe  jusqu'au  it'  siècle  (305). 

I.  —  Eléments  de  la  race  romaine 3 

IL  —  Division  du  peuple  en  trois  tribus.  —  Sé- 
nat. —  Palricii  majorum  el  minorum 
genlium 6 


486  TABLE  DES  MATIÈBES.    —  ORDBE  POLITIQUE. 

Pages. 

III.  —  Division  du  peuple  en  30  curies.  Comices 

par  curies 9 

IV.  —  Classe  des  prolétaires 10 

V.  —  Institutions  de  Servius  Tullius. 

Cens.  —  Classes.  —  Centuries.  —  Comices 
par  centuries.  —  Mode  d'opération.  — 
Division  eu  tribus  urbaines  etrustiques. 
—  Ordre  des  chevaliers.  —  Parallèle  des 
réformes  de  Solon  et  de  Servius  ....     11 

VI.  —  Institution  du  consulat.— Appel  au  peuple.    16 
VII.  —  Retraite  sur  le  Mont-Sacré.  Institution  du 

tribunat. 
Comices  par  tribus.  —  Mode  d'opération.     17 
VIII.  —  Influence  de  la  révolution  plébéienne  sur 
les  Comices  par  centuries.  —  Restric- 
tions des  prérogatives  du  sénat  ....     19 
IX.  —  Proposition  d'une  loi  agraire.  —  Cession 

du  Mont-Aventin  aux  plébéiens  ....     19 
X.  —  Equilikre  des  pouvoirs  politiques ,  sus- 
pendu pendant  le  Décemvirat ,  rétabli 
en  305 20 

SECTION  II-  —  DEPUIS  LE  IV'  SIÈCLE  JUSQUES    AUX   GUERRES  CIVILES.  .        21 

§  1.  —  Partage  des  dignités  de  la  République  entre  les 
deux  Ordres.  Institution  de  la  censure  et  de  la 
préture , 22 

§  2.  —  Agrandissement  de  Rome  par  les  guerres  d'Italie. 

Fondation  des  colonies  dans  la  péninsule.  .  .    24 

§  3.  —  Provinces  conquises 26 

I.  —  La  Sicile ,  la  Corse,  la  Sardaigne 26 

II.  —  L'Afrique  et  l'Espagne 27 

m.  —  La  Grèce 28 

§  4.  —  Modifications  dans  la  constitution  et  les  mœurs 

de  la  cité  par  suite  des  conquêtes 29 

I.  —  Progrès  de  la  puissance  du  sénat  par  l'ad- 
ministration des  provinces ,  et  affaiblis- 
sement de  la  noblesse  patricienne  ...    29 
II.  —  Modifications  dans  la  nature  démocratique 
de  Comices  par  tribus.  —  Action  du 


TABLE  DES  MATIÈRES.  —  DROIT  DES  XII  TABLES.  487 

Pages. 

censeur  Fabius  INIaximus  sur  la  compo- 
sition des  tribus  rustiques  et  urbaines. 
—  Loi  Hortensia  sur  le  caractère  obli- 
gatoire des  plébiscites 30 

III.  —  Concentration  des  affranchis  dans  la  seule 
tribu  Esquiline.  Diminution  des  plé- 
béiens d'origine  romaine 31 

'   IV.  —  Richesses  et  vastes  possessions  des  cheva- 
liers (pwW^canO  ^^ 

V.  —  Apparition  à  Rome  des  arts  et  de  la  phi- 
losophie de  la  Grèce 32 

§  5.  -  Dissolution  de  la  cité  par  les  guerres  civiles.  - 

Transformation 34 

I.  —  Les  Gracches.  —  Lois  agraires 34 

II.  —  Marins  et  Sylla  :  Caractère  de  leur  lutte  .    35 
m.  —  Jules-César.  —Indication  d'une  ère  nou- 
velle. —  Transition  au  Droit  privé.  .  .    38 

CHAPITRE  II.  —  PRINCIPE  FONDAMENTAL  DU  DROIT  CIVIL  DES 
XII  TABLES ,  DU  DROIT  PRÉTORIEN ,  DE  LA 
PHILOSOPHIE  DU  DROIT 39 

I.  —  Unité  de  la  Cité  et  du  Droit  civil 39 

II.  —  Parallélisme  du  Droit  prétorien  relative- 

ment au  droit  primitif 40 

III.  —  Rapport  des  faits  sociaux  avec  la  nature 

de  iHOMME ,  de  la  société  ,  de  dieu.  .    42 

CHAPITRE  III.  —  origines  historiques  et  caractère  gé- 
néral DE  la  loi  des  XII  TABLES ,  PAR 
RAPPORT  AUX  LOIS  GRECQUES  ET  AUX 
MŒURS  ROMAINES ^3 

Observations  préliminaires  et  bibliographi- 
ques sur  les  travaux  modernes  concernant 
les  XII  tables ^^ 

CHAPITRE  IV.  —  LE  DROIT  DES  XII  TABLES  DANS  SON  APPLI- 
CATION AUX  OBJETS  GÉNÉRAUX   DU   DROIT 

PRIVÉ.  (1«  période  de  l'Époque  romaine) .     52 
53 

SECTION  I.  —  LA  CTTÉ , 

I.  -  Elém.  constitutifs  de  l'état  des  personnes.    53 


488  TABLE  DES  MATIERES.  —  DBOIT  DES  XII  TABLES. 

Pages. 

II.  —  Ingénus.  —  Affranchis.  —  Etrangers.  .    55 

III.  -:-  Clients ,  patrons 55 

IV.  —  Perte  des  droits  de  citoyen.  —  Inlerdiclio 

aqxiœ  el  ignis.  Exil  avant  le  jugement  : 

Ses  effets  sur  le  droit  de  cité 57 

V.  —  Romain  prisonnier  de  guerre.  —  Jus 

poslliminii.  Loi  Cornelia 59 

VI.  —  Personnes sui juris  el  alieni  juris.  Tran- 

•  sition 60 

SECTION  IL  —  co^sTITUTION  de  la  famille  romaine  et  de  la  gens.      61 

I.  —  Principe  de  la  famille  romaine  dans  son 

rapport  avec  la  cité 61 

II.  —  Juste  mariage  (juslœ  nupliœ) 62 

Effets  de  la  Iradition  de  la  femme  quant 
au  caractère  du  contrat  de  mariage. 

(Note  5) 63 

III.  —  Puissance  paternelle,  pouvoir  de  tester..    67 
Différentes  espèces  de  testaments.  Leur 

origine 7Qf72 

Conditions  nécessaires  à  la  validité  du 

testament  romain 71 

IV.  —  Agnation.  —  Cognation 74 

V.  —  Gens.  —  Gentilité 78-101 

Examen  des  opinions  de  Niebuhr  et  de 
M.  Ortolan 452 

Tableau  de  la  famille  romaine  pour  indi- 
quer la  distinction  entre  l'agnation  et  la 
gentilité. .  464 

VI.  —  Fille  ou  femme  romaine  fcivisromanaj. 

Sa  condition  dans  ses  diverses  situa- 
tions par  rapport  à  la  famille.  —  Di- 
vorce. —  Tutelle  perpétuelle 83 

VII.  —  Subordination  des  rapports  rpe^s  aux  rap- 

ports personnels.  Principes  relatifs  à 
l'hérédité  ab  inteslat  des  trois  ordres 
d'héritiers.  —  Supériorité  de  l'hérédité 
testamentaire 91 

VIII.  —  Eléments  accessoires  à  la  famille  ;  escla- 

ves, enfants  in  mancipio,  émancipés ,  af- 
franchis    ...  101 


TABLE  DES  MATIÈRES.  —  DROIT  DES  XII  TABLES.  489 

Pages. 
IX.  —  Distinction  des  familles  patriciennes  et 
plébéiennes  ;  ses  effets;  liens  possibles 
entre  les  personnes  et  les  familles  des 

deux  classes 104 

X.  —  Résumé ....  107 

SECTION  III.  —  PROPBiÉTÉ  KOUAinE  (domiriuh  et  JDRE  QUnUTIUU).    108 
§  1.  —  Division  primitive  de  Vager  romanus.  —  Principe 

du  droit  de  propriété 108 

§  2.  —  Division  des  choses  d'après  le  droit  civil  de  Rome.  111 
I.  —  Res  nullius,  divini  juris  (res  sacrœ, 

sanctae,  religiosœ) 111 

II.  —  Res  nullius,  humani  juris  (res  publicse'et 

ager  publicus) 111 

III.  —  Res  singulorum ,  privati  juris  (ager  pri- 
vatus ,  res  quae  in  nostro  patrimonio 

habentur) 113 

rv.  —  Res  mancipi  et  non^  mancipi 113 

Application    aux  choses   immobilières, 
mobilières ,  incorporelles 116 

§  3.  —  Modes  d'acquérir  la  propriété  romaine  à  titre 

particuUer 119 

I.  —  Mancipation 119 

II.  —  Tradition 120 

III.  —  Usucapion 121 

IV.  —  Cession  injure 121 

V.  —  Adjudication 122 

VI.  —  Loi 123 

Applications  diverses.  —  Lois  agraires,  124 

§  4.  —  Modes  d'acquérir  per  universilalem 126 

Principe  commun  sur  lequel  sont  fondés  les  di- 
vers modes  de  transmission  universelle.  .  .  .  127 

§  5.  —  Propriété  des  étrangers.  — Distinction  correspon- 
dante entre  les  choses  et  les  personnes.  —  Loi 
sociale 130 

SECTION  IV.  —  OBLIGATIONS 133 

§1.  —  Principe  de  l'obligation  civile 133 

Jus  riexi  .  —  Servitude  des  addicli 134-135 


490  TABLE  DES  MATlÈBES.  —  DROIT  DES  XII  TABLES. 

Pages. 

Conséquences  juridiques  du  principe  que  l'obli- 
gation était  un  lien  civil  de  la  personne.  .  .  .136 

§  2.  —  Formes  de  l'obligation»  contractuelle 139 

I.  —  Mancipation.  —  Différence  du  jus  nexi 

et  du  jus  mancipii 140 

II.  —  Serment  volontaire  ou  promissoire.  .  .  .  142 
Son  caractère  comme  contrat  verbal.  .  .  143 

III.  —  Stipulation.  —  Son  extension 144 

Stipulation  Aquilienne 146 

IV.  —  Contrat  littéral  (expensilalioj.  Son  appli- 

cation spéciale  au  prêt  à  intérêt.  ...  147 

Expensilatio ,  mode  de  novation 150 

Contrat  littéral  des  banquiers  (argentarii); 

mensse  scriptura 151 

Taux  de  l'intérêt  selon  la  Loi  des  XII  Ta- 
bles. Fœnus  unciarium 152 

V.  —  Contrats  réels.  —  Quels  sont  ceux  qui 

existaient  sous  la  loi  des  XII  Tables.  .  155 
VI.  —  Transaction.  —  Son  caractère  mixte.  .  .  156 

§  3.  —  Moyens  de  rescision  sous  la  Loi  des  XII  Tables. 

Contrats  slricli  juris  et  bonœ  fidei 158 

Examen  de  l'opinion  d'un  jurisconsulte  moderne 
sur  le  carac':ère  de  l'obligation  civile  d'après 
le  droit  des  XII  Tables 159 

,  §  4.  —  Transport  des  obligations  et  des  droits  d'hérédité 

comprenant  des  créances 161 

Obligations  qui  périssent  au  profit  des  débiteurs.  162 

§  5.  —  Paiement  et  libération  des  obligations 163 

I.  —  Libération  per  œs  el  libram 165 

II.  —  Acceptilation 165 

III.  —  Libération  h7<erù  (dispendium) 166 

IV.  —  Novation 167 

V.  —  Litis-contestation  et  jugement 168 

§  6  (1).  —  Délits  considérés  comme  principe  d'obligation 

(1)  C'est  par  erreur  d'impression  que  ce  §  6  a  été  incliqué  à  la  page  169 
comme  simple  n"  VI  ,  sans  titre  explicite  :  le  sommaire  contient  (p.  133) 
l'indication  exacte. 


TABLE  DES  MATIÈRES.   —  DROIT  PRÉTORIEN.  491 

Pages, 
civile.  —  Classification  des  faits.  —  Action 
noxale 169 

SECTION   V.    —  INSTITUTIONS  ET   ACTIONS  JUDICIAIRES. 

Caractère  primitif  :  —  sous  les  Rois  ;  —  sous 

la  République 171 

Renvoi  à  la  2e  période  de  l'Époque  romaine.  .  174 

CHAPITRE  V.  —  DROIT  PRÉTORIEN.  (2*  période  de  l'Époque  romaine). 

OhSERVATIONS  PRÉLIMINAIRES 175 

I.  —  Union  du  droit  prétorien  ,  du  droit 

NON-ÉCRIT  ET  DES  LOIS  SPÉCIALES  VERS    UN 
BUT  COMMUN 175 

II.  —  Origine  et  constitution  du  droit  pré- 
torien   , 178 

1°  Le  Droit  prétorien  n'est  pas  né  de  l'usurpa- 
tion  ••  .   178 

2»  Époque  de  sa  constitution 182 

30  Loi  Cornélia,  sur  les  Édits •  ...  184 

40  Action  combinée  du  Droit  prétorien  et  d'au- 
tres éléments  sur  le  Droit  civil  de  la  2e  pé- 
riode ;  naissance  du  Droit  provincial.  .  .  .  186 

SECTION  I".  —  LA  CITÉ 187 

§  1er.  —  Division  générale  du  Latium,  de  V Italie,  des 
provinces  comprenant  comme  éléments  parti- 
culiers : 

I.  —  AWiés  {socii—fœderali—dedilicii) 188 

II.  —  Préfectures 189 

III.  —  Colonies .• 190 

IV.  —  Villes  municipales 1  •  •  •  191 

V.  —  Peuples  fundi  facli 193 

VI.  —  Naturalisation  individuelle 193 

Lois  Apuleia  ,  Julia  ,  Plautia  Papiria  , 
Gellia  Cornélia 194—195 

§  2.  —  Condition  du  Latium  (jus  latii) 196 

Époque  probable  de  la  concession  du  Jus  Latii.  196 
Étendue  et  limites  du  Droit  des  Latins 197 


492  TABLE  DES  MATIÈRES.  —  DBOIT  PRÉTORIEN. 

Pages. 
Perte  de  ce  droit 198 

§  3.  —  Condition  de  l'Italie  (jus  italicum) 199 

Loi  Julia  de  civilale 200 

Nature  du  Jus  Italicum 201 

Lex  Galliae  Cisalpinœ 201 

Tables  d'Héraclée 202 

Unité  de  l'Italie 202 

Extension  du  droit  Italique. 202 

§  4.  —  Condition  des  provinces.  —  Décret  de  soumis- 
sion. —  Éléments  de  l'Édit  fait  pour  chaque 

province  . 203—207 

Régime  général.   —  Exception  relative  à  la 

Grèce 204 

Provinces  consulaires 205 

Préteur  provincial.  —  Proconsuls 205 

Lex  Curiata  de  imperio- 206 

•  §  5.  —  Résumé.  —  Division  des  personnes.  —  Extension 
du  droit  romain ,  comme  droit  réel  ou  terri- 
torial ,  sous  le  nom  de  droit  du  Latium  et  de 
droit  Italique 209 

S  ECTION  II.  —  LA  FAMILLE.  —  CONSTITDTION  PERSONNELLE  ET  RÉELLE.      212 

§  l«r,  —  Changements  par  rapport  aux  époux. 213 

I.  —  Résultats  produits  par  les  lois  Canuleia, 

Julia  de  marilandis  ordinibus,  Mensia.  106-213 
Mariage  des  patriciens  et  des  affranchis.   213 
Mariage  libre.  —  Réciprocité  de  divorce 
et  de  répudiation.  —    Influence  des 

mœurs  de  la  Grèce 214—216 

II.  —  Origines  de  la  dot  et  du  régime  dotal.  216 

Res  uxoria •  .    219 

Loi  Julia  de  fundodolali.  —  Son  caractère.  223 
Différence  entre  la  dot  et  la  dotalité  des 

biens 224 

III.  —  Donations  ante  nuplias 226 

Donations  entre  vifs  d'un  époux  à  l'autre 

pendant  le  mariage •  •  •   226 

Donations  mutuelles 227 


TABLE  DES  MATlÈBES    —  DROIT  PRÉTOKIEN.  493 

Pages. 
IV.  —  Institutions  testamentaires  et  legs  en  fa- 
veur des  femmes. —  LoiVoconia.  .  .  .  228 
Dispositions  de  la  loi  Voconia ,  relatives  : 

1°  Aux  institutions  d'héritier 232 

20  Aux  legs 234 

30  A  l'hérédité  ab  intestat 237 

Obstacles.— Fraude  à  la  loi.— Fidéicommis.  239 
Sanction  pénale 239 

2.  —  Changements  par  rapport  au  père ,  aux  enfants 

et  à  l'ensemble  de  la  famille  romaine 240 

I.  —  Limite  imposée  à  la  faculté  de  disposer 

par  donation  entre  vifs.  —  Loi  Cincia-   241 
II.  —  Limite  à  la  disposition  par  testament.  — 
Loi  FMrmtestameutaria.  —  Loi  Voconia 
(disposition  toute  spéciale. )--LoiFalcidia.  243 

III.  —  Abolition  de  l'exhérédation  tacite  .  .  .  '.  .   245 

IV.  —  Plainte  en  testament  inofficieux.  .....   246 

Moyen  d'écarter  la  plainte 249 

V.  —  Possession  de  biens  en  faveur  du  fils  éman- 

cipé  249 

Origine  des  rapports  de  succession  ....   251 

VI.  —  Système  général  des  possessions  de  biens 

ou  successions  prétoriennes.  • 251 

Parallélisme  du  Droit  prétorien  et  du  Droit 
civil  : 
10  Par  rapport  aux  héritiers  siens.  .  •  .   253 

2"  Par  rapport  aux  Agnats 254 

3"  Par  rapport  aux  Gentils 254 

40  Droits  des  époux  à  défaut  d'héritiers.   255 
Droits  respectifs  de  la  mère  et  des 
enfants.  (S.  N.  C.  Orphitien  et  Ter- 

tullien) 255 

50  Succession  des  affranchis.  —  Déve- 
loppement du  droit  de  patronage 
en  matière  de  succession.  —  Ca- 
ractère de  la  loi  Julia  Norbana.  .   256 

VII.  —  Caractère  du  droit  conféré  par  les  succes- 

sions prétoriennes 258 

VIII.  —  Caractère  de  la  possession  de  biens  pure- 


494  TABLE  DES  MATIÈRES.  —   DROIT  PRETORIEN. 

Pages, 
ment  confirmalive  de  riiérédité  testamen- 
taire ou  légitime 260 

IX.  —  Différence  essentielle  entre  le  principe  de 
l'hérédité  civile  et  le  principe  de  la  suc- 
cession prétorienne- 261 

SECTION  m.  —  LA  PROPRIÉTÉ 263 

§  1er,  _  État  de  la  propriété  et  des  possessions  à  Rome, 

lors  de  la  conquête  des  provinces 263 

Lois  Licinia  et  Sempronia 264 

§  2.  —  Droit  de  propriété  dans  les  provinces.  —  Moyens 

d'acquérir 266 

I.  —  Ager  publicus  en  province .........   267 

II.  —  Ager  provincialis  vel  privulus,  distinct  de 
Vager  publicus  et  du  sol  italique.  —  Do- 
maine du  droit  des  gens 270 

III.  —  Moyen  d'acquérir  :  tradition  pour  juste 
cause.  —  Introduction  de  Yemplio-ven- 
dilio.  —  Son  caractère  distinctif  de  la 
mancipalion,  né  du  caractère  juridique 

des  fonds  provinciaux 274 

iV.  —  Parallélisme  du  Droit  des  gens  et  du  Droit 
civil,  quant  aux  modes  d'acquérir  les  im- 
meubles, de  prescrire  par  la  possession, 
d'établir  des  servitudes,  et  de  créer  des 

droits  de  jouissance 278 

10  Tradition 278 

20  Prescription  de  long  temps,  en  matière 

immobilière.   ............    .  .  279 

30  Pactes  ajoutés  à  la  vente,  et  stipulations.  279 
40  Contrat  de  louage 280 

SECTION  IV.  —  OBLIGATIONS 281 

§  ler.  —  Extension  de  l'obligation  civile.  —  Sources  nou- 
velles. —  Trois  classes  d'obligations 282 

I.  —  Obligation  civile  appliquée  à  des  éléments 
nouveaux,  et  communicable  aux  étran- 
gers.—Restrictionrelative  à  l'obligation 
littérale  :  —  Chirographa ,  syngraphœ , 


TABLE  DES  MATIERES.  —  DROIT  PRETORIEN.        495 

Pages. 
arcaria  nomina.  —  Exception  non  nu- 

meralœ  pccunice  ....." 282 — 283 

II.  —  Obligation  honoraire  ou  prétorienne  .  .  .   285 
Parallélisme  du  Droit  prétorien  et  du  Droit 

civil ,  par  rapport  aux^bligations.  •  •  .  285 
Pactes  prétoriens  parfaits  : 

1°  Par  la  chose.  . 286 

2»  Par  la  parole.  .-..., 287 

30  Par  le  consentement 289 

Spécialement  pacte  d'hypothèque..   289—291 

III.  —  Obligations  naturelles 291 

§  2.  —  Influence  du  droit  nouveau  sur  l'exécution  et  l'ex- 
tinction des  obUgations.  —  Restitutions  in 
integrum . •• 294 

I.  —  3Iodifications  par  des  lois  ou  des  formes 

nouvelles 294 

Loi  Papyria  de  nexu 294 

Emptio  bonorum 296 

Possessio  bonorum 296 

Loi  Julia  de  bonis  cedendis 297 

II.  —  Modifications  par  le  Droit  prétorien.  — 

Restitutions  en  entier  à  l'égard  des  majeurs  298 

I«>  Pour  cause  de  dol. 298 

2°  Pour  cause  de  violence .   300 

30  Pour  juste  erreur 301 

Distinction  entre  les  actions  en  nullité 

et  rescision 302 

40  Restitutions    contre    l'extinction    des 
obligations  pour  cause  de  changement 

d'état 304 

50  Pour  cause  d'absence  légitime  ou  né- 
cessaire.    305 

III.  (1)—  Restitutions  en  entier  à  l'égard  des 

mineurs  de  25  ans 306 

Vue  d'ensemble  sur  l'incapacité  des  impu- 
bères et  des  pubères  sous  la  Loi  des  XII 
Tables  et  la  Loi  Lœloria.  —  Transition 

(1)  A  la  page  306 ,  au  lieu  du  chiffre  11 .  il  faut  lire  111. 


496  TABLE  DES  MATIÈRES.  —  INSTITUTIONS  JUDICIAIRES. 

Pages. 
de  cette  dernière  Loi  aux  restitutions 

in  integrum 306—309—310 

Résultats  de  la  théorie  romaine,  sur  les 
restitutions,  dans  ses  rapports  avec  les 
doctrines  modernes 312—315 

SECTION    V.  —  INSTITUTIONS  ET  ACTIONS  JUDICIAIBES ,  SOUS  LA  LOI  DES 

XII  TABLES  ET   LE  DROIT    PnÉTORIEN 316 

§  1er.  _  Organisation  judiciaire,  et  compétence  des  tri- 
bunaux ou  des  juges  de  l'ordre  civil 317 

I,  —  Tribunal  des  Centuravirs 319 

Ses  attributions  ou  sa  compétence 322 

Principes  de  l'organisation  et  de  la  com- 
pétence judiciaire  d'après  les  institu- 
tions romaines 326 

II.  —  Juge  {judex  privalus) .   329 

III.  —  Arbitre  {arbiler  honorarius) 329 

Les  parties  avaient-elles  le  choix  du  juge 
sans  règles  de  compétence?.  ••....   331 

Matière  commune  de  la  compétence  du 
juge  et  de  l'arbitre 332 

Matière  spéciale  de  leur  compétence  res- 
pective   334 

IV.  —  Récupérateurs  à  Rome 338 

Matière  de  leur  compétence 339 

Récupérateurs  dans  les  provinces,  con- 
VENTUS 342 

Conseil  des  Récupérateurs  pour  les  affran- 
chissements   .......   343 

Rapports  existant  entre  les  diverses  bran- 
ches de  l'organisation  judiciaire,  et  rap- 
ports des  différentes  classes  d'actions 
avec  chacune  de  ces  branches 345 

V.  —  Voies  de  recours  ou  d'opposition.  —  Droit 

d'intercession  des  magistrats.  —  Diffé- 
rence des  juDiciA  LEGITIMA  et  des  JU- 

DICIAQUvE  IMPEBIO  CONTINENTUR.    .    .     348 

§  2.  —  Procédure  ordinaire  sous  la  Loi  des  XII  Tables 

et  sous  le  Droit  prétorien 351 


TABLE  DES  MATIÈRES.  —  INSTITUTIONS  JUDICIAIKES.  497 

Pages. 

I.  —  Actions  de  la  loi 351 

Appel  en  justice  et  engagement  de  com- 
paraître devant  le  magistrat  {vocatio  in 

Jus  et  vadimonium) 355—357 

Vadimonium  abandonné.  —  Sanction,  .  •   35^ 
(  Formes  d'ajournement  après  l'abolition 

des  actions  de  la  loi,  note  92) 362 

l»  Sacramentum  ou  consignation 359 

2°  Judicis  postulatio  • 36 1 

3°  Condictio 361 

4°  Manus  injectio 363 

50  pignoris  capio.  —  Son  caractère  ex- 
ceptionnel  354 

II.  —  Procédure  formulaire 365 

Caractère  de  la  loi  ^Ebutia  et  des  lois  Julias 

judiciariœ 365 

Éléments  de  la  formule  prétorienne. .  .  .   367 
Exception  à  la  procédure  formulaire.  — 

Causes  centumvirales 368 

:i         Extension  de  la  formule.  —  Formules  pré- 
judicielles   ...    370 

Lien  existant  entre  l'ancien  et  le  nouveau 
système.  —  Différence  essentielle  .  .  •   372 

§  3.  —  Procédure  possessoire  sous  la  Loi  des  XII  Tables 

et  le  Droit  prétorien 375 

I.  —  Possession  provisionnelle.  —  Lis  Vindi- 

ciarum 375 

Procédure  qui  précédait  l'action  en  reven- 
dication. —  Combat  fictif.  ....    375—377 
Procédure  par  violence  convenue  (  vi  ex 

convenlu). 378 

IL  —  Interdits  possessoires .   379 

Uti  possidetis  et  utrubi  (  rclinendœ  pos- 

sessionis  causa). 380 

Unde  vi Urecuperandœ pos-\ 

Ad  exibendum.  ;     sessionis)-  .  •  •  ) 
Quorum   bonorum    {acquirendœ   posses- 

sionis  ). 382 

T.  ï.  32 


498  TABLE  DES  MATIÈRES.  —  INTITUTIONS  JUDICIAIRES. 

Pages. 

Interdit  de  precario. 383 

Décision  du  préteur  en  matière  d'in- 
terdits.  381—387 

Principe  des  interdits.  —  Opinion  de 
ÎSiebuhr  et  Savigny 382 

Résumé 384 

§  4.  —  Distinction  des  Jugements  ordinaires  et  extraor- 
dinaires  385 

Distinction  des  termes  pélilio,  aclio  et  perseculio-   385 
Causes  les  plus  importantes  formant  les  Juge- 
ments extraordinaires 386 

Extension  des  Jugements  extraordinaires ....   387 
Indication  des  juridictions  nouvelles  ,  du  Préfet 
de  la  Ville ,  de  l'Empereur,  du  Sénat.  .....   388 

Naissance  de  la  voie  d'appel. 388 

Jugements  extraordinaires  dans  les  provinces.  .   389 

§  5.  —  Chose  jugée 390 

I.  —  Litis-contestatio.  —  Ses  effets 390 

idans  les  jugements  légi- 
times  
dans  les  jugements  impe- 
rio  conlinenli 

Novation  judiciaire  quant  aux  actions 
annales  et  purement  personnelles. 

—  Perpétuation  d'actions 394 

2»  Détermination  du  litige.  —  Commen- 
cement de  chose  jugée 395 

Explication  de  la  règle  elecla,  una  via 

non  recursus  ad  alleram 390 

3°  Cause  liée  définitivement  entre  les  par- 
ties. ■ 397 

Défaut  du  demandeur 397 

Défaut  du  défendeur.  —  Contumace.  — 

Édit  péremptoire 398 

II.  —  Sentence.  —  Ses  effets.  —  Novation  .  •  •   399 

Actio  judicati 402 

Exceptio  reijudicatœ •  .   400—403 

Voies  de  nullité ,  contre  les  Sentences/  ve- 
nant de  plusieurs  causes 401 


392 


T13LE  DES  MATIÈRES.  —  ENSEIG.  ET  PHILOS.  DU  DROIT.  499 

Pages. 
Caution  jitdicaium  solvi.  —  Condamna- 
tion in  duplum 402—403 

ÎII.  —  Exécution  des  Sentences 404 

]\Ianus  injectio 404 

Missio  in  possessioneni.— Gage  prétorien.  405 
Gage  judiciaire.  —  {Pignoris  capio ,  ex 

causa  judicali) 406 

Différence  entre  le  gage  prétorien  nais- 
sant de  la  missio  in  possessionem  ,  et 
du  gage  spécial  et  judiciaire.  •  •   406 — 407 
Bénéfice  de  cession  ,  judiciaire  et  extra- 
judiciaire. . 408 

IV.  —  Autorité  de  la  cliose  jugée 408 

Dans  quel  cas- elle  est  générale 409 

Dans  quel  cas  elle  est  re/rtt/we.  ......   410 

Conditions  constitutives  de  l'exception  de 

Chose  jugée.  . 412 

Distinction  fondée  sur  la  position  respec- 
tive des  ayant-droit ,  et  sur  la  nature 
des  droits  subordonnés  les  uns  aux  au- 
tres   .....   414 

Responsabilité  du  juge,  qui  lilcm  suam 
fecit. 415 

CHAPITRE  VI.  —  CULTURE    et    EÎNSEIGNEMENT     du    DROIT.   — 

ÉCOLE  DES  PRUDENTS 416 

Premier  enseignement  oral,  premier  livre  sur 
le  Droit  civil 417 

Coruncanius,Sextus  JLlius,Caton  le  Censeur, 
le  tribun  Aquilius,  le  préteur  Publicius ,  le 
préteur  Aquilius  Gallus,  P.Mucius  Scffvola, 
^lius  Gallus ,  Rutilius  Rufus ,  Q.  Mucius 
Scœvola,  Alfeuus  Varus.    416—417—418—419 

Servius  Sulpicius 419—420 

CHAPITRE  VII.  —  PHILOSPHIE  du  droit  selon  la  DOCTRINE 

DE  CICÉRON •   .   .    422 

§  ler.  _  Philosophie  du  droit,  considérée  dans  son  prin- 
cipe ,  —  d'après  le  traité  sur  la  République-  422 


500  TABLE  DES  MATIÈBES.  —  PHILOSOPHIE  DU  DROIT. 

Pages. 

Cicéron,  pour  agrandir  l'étude  du  Droit  civil , 
fonde  uûe  école  nouvelle  et  philosophique.  .  423 

La  doctrine  d'Epicure,  au  vii^  siècle  de  Rome, 
pénètre  dans  les  lettres,  dans  le  Sénat,  dans 
la  Jurisprudence.  —  Résistance  de  Cicéron 
contre  cette  influence .  424—425 

Loi  naturelle  proclamée  par  Cicéron 427 

Époque  du  traité  de  la  République.  —  Son  suc- 
cès à  Rome 428 

Imitation  de  Platon.  —  Profonde  différence 
entre  la  République  et  les  Lois  de  Platon  et 
de  Cicéron 429 

Rapports  des  systèmes  de  philosophie  avec  l'état 
de  la  société 429—430 

Caractère  du  Stoïcisme  dans  la  science  ,  dans 
la  philosophie  du  droit 430—431 

Question  fondamentale  de  la  République  : 
Quelle  est  la  meilleure  forme  de  gouverne- 
ment?  432 

§  2.  —  Philosophie  du  droit,  considérée  dans  ses  applica- 
tions générales ,  —  d'après  le  traité  des  Lois.  .  434 

L  —  Nature  de  l'homme 435 

IL  —  Origine  et  nature  de  la  société 437 

III.  —  Origine  et  nature  de  la  loi 439 

IV.  —  Étendue  légitime  de  la  souveraineté  du 

peuple.  —  Caractère  du  pouvoir 441 

§  3.  —  Essai  d'application  de  la  philosophie  du  droit  au 

droit  civil  de  Rome,  par  Cicéron  lui-même.  .  .  443 

Obstacles  quant  au  droit  public .  444 

quant  au  droit  privé 445 

Nécessité  et  perspective  d'une  Époque  nouvelle 
par  l'association  de  l'école  positive  de  Sulpicius 
et  de  l'école  philosophique  de  Cicéron.  .  445 — 446 

CHAPITRE  VIII.  —  TRANSITION  A  l'époque  celtique  et  a 

l'époque  gallo-romaine 447 


5§1  "■      TABLE  DES  MATIÈRES.  --  APPENDICES  I  ET  II. 


TABLE  DES  APPEINDICES. 


Pages, 
APPEJNDICE  I.  —  EXAMEN    DES   OPINIONS    DE    NIEBUHR    ET   DE 
M.  ORTOLAN  SUR  LA  GENS  ET  LE  DROIT  DE 
GENTILITÉ 452 

I.  —  D'après  la  Loi  des  XII  Tables ,  la  gens  et  le 

droit  de  gentilité  appartenaient-ils  ex- 
clusivement à  la  classe  patricienne? 
—  Système  de  Vico  et  de  iSiebuhr.  452—453 

II.  —  La  gens  et  le  droit  de  gentilité  apparte- 

naient-ils exclusivement  aux  patrons  et 
aux  familles  affranchissantes  par  rap- 
port aux  enfants  et  descendants  affran- 
chis? —  Système  de  M.  Ortolan  .  .  .  •  457 
Pourquoi  le  droit  de  gentihté  a  cessé  vers 
la  fin  de  la  République 461 

III,  —  Résultats  fournis  par  les  divers  monu- 

raens  de  l'antiquité  sur  la  gens  et  le 
droit  de  gentihté  •  .  .  .     •  . 462 

IV.  —  Tableau  de  la  Famille  romaine,  pour  indi- 

quer la  distinction  entre  l'agnation  et 

la  gentilité 464 

APPENDICE  II.  —  PARALLÉLISME  DU  DROIT  PRÉTORIEN  AVEC 
LE  DROIT  CIVIL,  PAR  RAPPORT  AUX  SUCCES- 
SIONS ,  DANS  l'ordre  SECONDAIRE  DE  LA 
FAMILLE  ROMAINE 465 

I.  —  Par  rapport  aux  affranchis 465 

II.  —  Par  rapport  aux  enfants  émancipés 466 

III.  —  Par  rapport  aux  enfants  in  mancipio.  .  .  .  467 


502  TABLE  DES  MATIÈRES.  —  APPENDICES  III  ET  IV. 

Pages. 
APPENDICE  III.  —  CABACTÈEE  POLITIQUE  ET  MORAL  DE  LA  LOI 

CINCIA  DE  DONIS  ET  MUNERIEUS 469 

I.  —  Proliibition  des  dons  ou  présents  des  plé- 
béiens ou  clients  envers  les  patriciens 
et  les  orateurs 469 

Effet  de  la  prohibition  sous  l'Empire,  re- 
lativement aux  avocats 470 

Modification  à  la  Loi  Cincia ,  apportée 

par  Claude ; 471 

II.  —  La  prohibition  concernant  les  donations 
entre  vifs ,  sauf  les  personnes  exceptées , 
très-importante  au  point  de  vue  du  droit 
privé ,  n'était  pas  étrangère  à  l'ordre 
politique 472 

Différence  entre  le  droit  de  l'Italie  et  le 
droit  des  provinces  quant  à  la  Loi  Cincia .  475 

Indication  des  travaux  relatifs  à  la  Loi 
Cincia 476 

APPENDICE  IV.  —  TRANSFORMATION  DES  MONNAIES  ROMAINES 

SOUS  LA  RÉPUBLIQUE.  .  .' 478 

§  1er.  —  Monnaie  de  cuivre,  (as,  ^s,  liera,  triuncius, 

QUADBANS) 478 

§  2.   —  Monnaie  d'argent,  (denabius,  quinarius.ses- 

tertius) 480 

Évaluations  diverses.  —  Valeur  comparative 
des  100,000  as  fixés  comme  cens  de  la  l^e 
Classe,  par  Servius  Tullius .  482 

§  3.    —   Monnaie  d'or,  (aureus) 482 


FIN   DE   LA  TABLE. 


ERRATA. 


Page    12 ligne    8,  après...  et  si  même  ...,  ajoutez  depuis. 

45 25,  au  lieu  de...  Bouchaud,  qui...  suppri- 

mez la  virgule. 

G7 14,  au  lieu  de...  concenter,  lisez  :  concen- 

trer. 

70 19 ,  au  lieu  de...  comices  par  curie ,  lisez  : 

par  curies. 

207 10  ,  au  lieu  de...  siciliense,  lisez  :  5ic?7«<?nsî. 

235 5 ,  au  lieu  de...  inférieur  aux  tiers  ,  lisez: 

au  tiers. 

241 3  ,  au  lieu  de...  obligation  ,  lisez:  obliga- 

tion. 


RENNES,   IMPRIMERIE  DE    A.   MARTE\II.l.E  ET   LEFAS. 


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