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Full text of "Histoire d'un hôtel de ville et d'une cathédrale;"

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in  2010  with  funding  from 

Lyrasis  IVIembers  and  Sloan  Foundation 


http://www.archive.org/details/histoiredunhteOOviol 


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HISTOIRE 
D'UN  HOTEL  DE  VILLE 

ET 

D'UNE    CATHÉDRALE 


PARIS.    —   IMPRIMERIE    A.    LAHURE 

9,    RUE    DE    FLEURUS,    9 


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FRONTISPICE 

ARMES     DE     LA    VILLE    DE    CLUSY 


HISTOIRE 


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l'EXTE  ET  DESSINS         "^  >.  ^ "^^ 


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PARIS 
J.    HETZEL    ET   C%    ÉDITEURS 

i8,    RUE    JACOB,    i8 

Tous  droits  (le  trinJuction  et  de  icprodiiciion  réservés. 


HISTOIRE 


D    UN 


HOTEL   DE  VILLE 


ET    D    UNE 


CATHEDRALE 


CHAPITRE   PREMIER 


LA   CURIE   ET   LE    PRETOIRE, 


Cest  une  Jolie  ville,  la  cité  de  Clnsiacum  !  Elle  s'élève  en 
amphithéâtre  le  long  d'un  coteau  dont  le  pied  est  con- 
tourné par  une  petite  rivière. 

Un  pont,  bâti  sous  Aurélien,  réunit  les  quartiers  bas  à 
un  faubourg  de  médiocre  étendue,  et  le  point  culminant 
de  la  ville,  du  côté  du  nord,  est  occupé  par  le  Prétoire 
romain. 

Non  loin  du  débouché  du  pont  est  la  place  du  Marché, 


HISTOIRE    D    UN    HOTEL.  DE    VILLE 


bordée  de  portiques  de  bois,  et,  sur  un  des  côtés  de  cette 
place,  Tancienne  Curie. 

Ce  bâtiment,  quelque  peu  délabré,  se  compose  d'un  ves- 
tibule ouvert  sur  le  portique,  puis  d'un  vaisseau  assez  vaste, 
couvert  d'une  lourde  charpente,  avec  annexes  des  deux 
côtés.  Autour  de  la  salle  principale  régnent  des  bancs  de 
bois,  ceux  adossés  au  mur  du  fond  un  peu  plus  élevés  que 
les  autres,  et  au  milieu  est  disposée  une  table  longue, 
étroite,  sur  laquelle  sont  jetés  des  rouleaux.  La  charpente 
qui  couvre  la  salle  est  soulagée  près  des  murs  latéraux  par 
des  poteaux  (fig-  ij. 


nc)  T. 


Plact  du.  M  arche. 


-> 1^ 


Il  est  tard,  la  nuit  est  close,  une  douzaine  de  citadins 
(curialcs)  circulent  par  groupes  de  deux  ou  de  trois,  en  de- 
visant à  voix  basse  sur  les  aCTaires  du  moment.  Quelques 
lampes,  posées  sur  la  table,  répandent  dans  la  salle  une 
lumière  douteuse  et  vacillante,  car,  à  travers  les  baies  mu- 
nies de  châssis  vermoulus,  le  vent  qui,  au  dehors,  souf- 
fle avec  violence,  envoie  en  gémissant  des  bouffées  d'air 
jusque  sur  le  pavé. 


ET    n    UNE    CATHEDRALE. 


«  Inutile  d'attendre  plus  longtemps,  dit  le  plus  âgé 
parmi  ces  hommes,  qui  semblent  dominés  par  un  profond 
sentiment  de  tristesse  et  de  découragement,  ils  ne  vien- 
dront pas^  occupons-nous  des  ailliires  pressantes.... 

«  Une  troupe  nombreuse  de  Francs  est  à  quelques  milles 
d'ici,  vous  le  savez.  Demain  ces  loups  seront  à  nos  portes. 
Ils  ont  pillé  ces  jours  derniers  Bibrax,  la  ville  forte;  nous 
n'avons  pas  l'espoir  de  leur  résister^  nos  remparts  sont  en 
ruines,  et  eussions-nous  de  l'argent  et  des  matériaux  pour 
les  mettre  en  état  de  défense,  que  le  temps  nous  manque- 
rait; puis....  où  sont  les  soldats  pour  les  garnir  ?  Nos  col- 
lègues, loin  de  nous  aider  de  leurs  conseils  et  de  nous 
réconforter  de  leur  présence,  se  cachent  ou  fuient  en  dépit 
des  édits.  ..  Il  faut  cependant  aviser  !...  » 

A  cet  appel,  jeté  par  phrases  saccadées,  le  vent  seul  ré- 
pond. 

Cependant  les  douze  curiales  prennent  place  machinale- 
ment sur  les  bancs  (fig.  2). 

A  peine  les  aperçoit-on  dans  la  vaste  salle.  Personne 
n'ouvrant  un  avis,  le  premier  interlocuteur  continue  ainsi  : 

«  Vous  demeurez  muets....  Devons-nous  ne  rien  tenter  et 
attendre  les  événements?....  Convient-il  à  des  hommes  de  se 
conduire  comme  un  troupeau  de  brebis!....  Oui,  la  défense 
est  impossible;  mais  n'avons-nous  pas  d'autres  ressour- 
ces?... Il  y  a  déjà  longtemps  qus  l'empire  ne  nous  défend 
plus  et  que  ses  dernières  légions  nous  ont  abandonnés. 
«  Défendez- vous  vous-mSmes!  »  nous  a-t-il  dit,  à  nous 
qui,  pendant  tant  ^'années,  lui  fournissions  les  meilleurs 
soldats....  Ainsi,  après  nous  avoir  épuisés,  après  avoir 
entraîné  nos  enfants  dans  des  guerres  lointaines,  s'est-il 
trouvé  hors  d'état  de  sauvegarder  nos  cités  et  nos  campa- 
gnes.... Nos  sénateurs,  nos  clarissiines^  en  prévision  des 


4  HISTOIRE    D    UN    HOTEL    DE    VILLE 

■désastres,  ont,  la  plupart,  fui  vers  des  contrées  moins  expo- 
sées aux  incursions  des  barbares.  Nos  propres  collègues, 
curiales  comme  nous,  astreints  aux  mêmes  devoirs,  ne  ré- 
pondent pas  à  notre  appel,  puisque  nous  voici  douze,  sur 
plus  de  deux  cents  membres....  Mais,  par  cela  même  que 


Fi:r.  3. 


nous  sommes  réunis  en  petit  nombre  et  que  nous  montrons 
ainsi  combien  nos  devoirs  nous  tiennent  à  cœur,  Faction 
s'impose,  et  il  faut  que  dès  demain  matin  nous  ayons  tenté 
le  possible  pour  protéger  nos  concitoyens,  ne  serait-ce  que 
pour  faire  rougir  de  honte  ceux  qui  abandonnent  le  poste 
au  moment  du  péril.  Parlez!  quels  avis  ouvrez-vous?  ^, 


ET  1)  uni:  cathhdrali:. 


Alors  un  des  assistants  répondit  ainsi  : 

«  Les  Francs  qui  vont  se  montrer  demain,  certainement, 
devant  nos  murs  sont  surtout  avides  de  butin  :  ils  se  pré- 
sentent en  armes,  enlèvent  tout  ce  qu'ils  peuvent  emporter 
et  se  retirent;  s'ils  ne  trouvent  pas  de  résistance,  ils  se  con- 
tentent de  ruiner  le  pays,  mais  laissent  la  vie  aux  habitants 
et  ne  les  emmènent  point  en  esclavage.  La  résistance  est, 
de  notre  part,  impossible;  des  maux  qui  nous  menacent, 
si  nous  pouvons  choisir,  choisissons  le  moindre.  La  vie  et 
la  liberté  de  nos  concit03'ens,  l'honneur  de  nos  femmes  et  de 
nos  filles  sont  certainement  les  biens  les  plus  chers.  Aban- 
donnons donc  aux  Francs  tout  ce  qui  peut  satisfaire  leur 
rapacité. 

«  Réunissons  cette  nuit  les  objets  précieux,  l'argent  mon- 
nayé, sur  la  place  du  Marché,  et,  dès  que  les  Francs  se  pré- 
senteront à  nos  portes,  invitons-les  à  venir  prendre  ces  ri- 
chesses, comme  un  tribut  qui  leur  serait  dij. 

—  Bien,  reprit  un  des  curiales  ;  ces  barbares  prendront 
certainement  avec  joie  ce  que  nous  aurons  ainsi  placé  si 
gracieusement  à  leur  portée  ;  mais  n'est-il  pas  à  craindre, 
—  car  ces  hommes  sont  rusés,  —  que  voyant  combien  faci- 
lement nous  leur  abanc'onnons  ces  richesses,  ils  ne  nous 
soupçonnent  d'en  tenir  beaucoup  d'autres  cachées,  et  qu'a- 
près avoir  emporté  le  butin  livré  de  bonne  grâce,  ils  ne  re- 
viennent aussitôt  fouiller  nos  maisons  pour  s'emparer  de  ce 
que  nous  aurions  soustrait  à  leur  rapacité?  Alors  nous  n'y 
aurions  gagné  que  d'être  deux  fois  pillés.  Et,  ne  trouvant 
que  peu  d'objets  précieux  dans  leurs  recherches;,  Dieu  sait 
à  quels  excès  ils  se  livreraient  pour  nous  arracher  de  pré- 
tendus trésors  cachés  !... 

—  Mais,  dit  un  quatrième  curiale,  j'ai  ouï  dire  que  les 
Francs  traitaient  parfois  les  évèqucs  avec  un  certain  respect. 


HISTOIRE    D   UN    IIOFET.    DE    Vff.LE 


Que  ne  nous  adressons-nous  au  nôtre  ?  sa  présence,  peut- 
être  imposerait  aux  Francs  et  nous  permettrait  de  subir  des 
conditions  moins  dures,  ou  tout  au  moins  définies. 

—  L'avis  est  bon,  reprit  le  vieillard  qui  avait  ouvert  la 
séance.  Notre  évêque  est  un  saint  homme  et  très-probable- 
ment son  cœur  est  plein  d'angoisses.  Si  v^ous  m'en  croyez, 
rendons-nous  au  prétoire  sans  délai  et,  après  nous  être  con- 
certés avec  lui  sur  ce  qu'il  convient  de  tenter,  nous  nous 
répandrons  dans  la  ville  pour  faire  part  à  nos  concitoyens 
des  résolutions  qui  auront  été  arrêtées.  » 

Comme  il  a  été  dit,  le  prétoire  était  situé  au  point  culmi- 
nant de  la  ville,  le  long  des  anciens  remparts  romains, 
depuis  longtemps  abandonnés  et  en  partie  ruinés. 

Cependant,  un  siècle  avant  l'époque  où  commence  ce  récit, 
lorsque  apparurent  les  premières  invasions  des  barbares,  on 
avait  détruit  quelques  édifices  païens  pour  réparer  ces  rem- 
parts. Mais  ces  travaux,  faits  à  la  hâte,  n'offraient  pas  un 
obstacle  sérieux  à  un  assaillant  résolu.  D'ailleurs,  les  habi- 
tants de  la  ville  de  Clusiacum  n'avaient  aucune  pratique  du 
métier  de  la  guerre  et  ne  possédaient  pas  d'armes.  L'admi- 
nistration romaine,  depuis  l'empereur  Julien,  était  frappée 
d'impuissance,  abandonnait  ou  cédait  une  à  une  ses  pro- 
vinces aux  barbares,  se  contentant  de  maintenir  sur  ceux-ci 
une  sorte  de  suzeraineté  nominale  et  de  revêtir  leurs  chefs 
de  titres  de  l'empire. 

Les  malheureuses  populations  des  villes  et  des  campagnes, 
abandonnées,  déshabituées  du  métier  des  armes  par  une 
paix  qui  dura  près  de  trois  siècles,  se  gouvernaient  au  ha- 
sard tout  en  conservant  leur  constitution  administrative 
romaine. 

Les  évêques  maintenaient  seuls,  alors,  une  sorte  d'auto- 
rité qui  leur  fut  même  déléguée  souvent  par  le  pouvoir  im- 


ET    D    UNI-     CATIlliDRALE. 


périal,  et  remplaçaient  aux  yeux  des  populations  urbaines 
le  préfet  ou  le  préteur. 

Indépendam  lient  de  ce  pouvoir  nominal,  ils  exerçaient 
une  influence  morale  puissante  sur  les  populations  qui, 
habituellement,  les  désignaient  dans  des  assemblées  solen- 
nelles par  voie  d'élection. 

Ce  pouvoir,  d'autant  plus  fort  dans  un  temps  d'anarchie 
qu'il  était  mal  défini,  s'obtenait  souvent  par  la  brigue  et  par 
des  largesses  et  des  promesses  mondaines;  mais  il  arrivait 
aussi  qu'il  tombait  entre  des  mains  dignes  de  l'exercer  et 
sur  des  personnages  capables  et  actifs.  Alors  l'éveque  était 
une  véritable  providence.  C'était  à  lui  qu'en  toute  circon- 
stance on  recourait,  car  il  était  le  seul  représentant  du  pou- 
voir dans  Tordre  civil,  aussi  bien  que  dans  le  domaine  du 
spirituel. 

L'éveque  de  Clusiacum,  au  moment  où  les  douze  curia- 
les  de  la  cité  entraient  au  prétoire,  avait  réuni  près  de  lui 
quelques  clercs,  afin  d'aviser  à  ce  qu'il  convenait  de  faire 
dans  les  circonstances  présentes. 

Les  bâtiments  du  prétoire  composaient  un  amas  de  con- 
structions assez  désordonnées,  entourées  d'une  enceinte  se 
reliant  aux  remparts. 

Une  porte  s'ouvrait  sur  la  ville,  et  une  poterne  sur  les 
fossés  à  travers  le  mur  de  la  cité. 

En  entrant  par  la  porte  donnant  du  côté  de  la  ville,  on 
trouvait  une  cour  assez  vaste,  irrégulière  •,  à  droite  étaient 
des  bâtiments  peu  élevés,  servant  de  logement  aux  clercs  ; 
au  fond,  une  large  construction  à  deux  étages.  En  face  de 
l'entrée,  le  baptistère,  installé  au  rez-de-chaussée  d'une  tour 
romaine  qui  dominait  la  cité;  puis,  à  gauche,  la  basilique, 
précédée  d'un  large  portique.  Cette  basilique  avait  été  éta- 
blie à  la  place  d'un  temple  dédié  à  Diane  ;  les  matériaux 


8  HISTOIRE    d'un    hôtel    DE    VILLE 

de  ce  temple  avaient  servi  à  la  construire.  Les  bâtiments 
du  prétoire  s'étendaient  jusqu'à  l'ancien  rempart ,  sur- 
monté d'une  haute  tour  carrée  qui  commandait  les  dehors. 
Une  des  portes  de  la  ville  (ancienne  porte  Prétorienne) 
s'ouvrait  proche  de  l'enceinte  du  prétoire  (fig.  3)  *. 

«  Dieu  soit  avec  vous!  Je  réclamais  à  l'instant  votre  pré- 
sence, dit  l'évêque,  dès  que  les  douze. curiales  eurent  été 
introduits  dans  la  pièce  Joignant  l'ancienne  salle  du  prétoire, 
alors  abandonnée. 

—  Tu  sais  quelles  sont  nos  alarmes,  saint  évêque?  dit 
alors  le  plus  âgé  d'entre  les  curiales.  Les  Francs  seront 
demain  à  nos  portes;  nous  n'avons  ni  les  moyens,  ni  la 
volonté  de  leur  résister,  sachant  que  nous  serions  écra- 
sés, puisque  nous  ne  possédons  ni  armes  ni  soldats,  et  que, 
dans  leur  fureur,  ces  barbares  brûleraient  nos  maisons  et 
nous  égorgeraient  tous.  Nous  venons  t'implorer.  Les  Francs 
ont  montré  à  diverses  reprises  qu'ils  respectent  les  évêques 
et  les  clercs....  Ils  écoutent  leur  parole  et  se  rendent  par- 
fois à  leurs  raisons....  Que  ferions-nous  si  tu  ne  consens  à 
aller  au-devant  de  ces  barbares  et,  par  tes  discours,  à  leur 
persuader  de  rie  nous  imposer  que  des  conditions  accep- 
tables? Nous  t'accompagnerons  hors  de  la  ville,  si  tu  te  pré- 
sentes aux  Francs  revêtu  de  tes  habits  sacerdotaux  et  en- 
touré de  tes  clercs  ;  nous  te  suivrons  en  suppliants  et,  chargés 
de  présents,  nous  jetterons  ces  richesses  aux  pieds  de  ces 
barbares,  pour  sauver  du  pillage  nos  maisons,  la  vie  de 
nos  concitoyens,  l'honneur  de  nos  femmes  et  de  nos  filles. 

1.  Voir,  sur  le  plan,  la  position  des  bâtiments;  A,  la  basilique;  B, 
le  baptistère;  C,  l'ancienne  salle  du  prétoire  avec  les  logis  annexes; 
D,  des  bains;  E,  la  tour  donnant  sur  la  campagne;  F,  la  poterne;  G,  la 
porte  de  la  ville;  H,  des  jardins;  I,  le  bâtiment  des  clercs;  K,  des 
écuries. 


ET    D   UNE    CATHI-nRALE. 


—  Mes  amis,  répondit  Tévêque  après  s'être  recueilli  un 


F'c,  3 


A'.N't.m'I.'.N'.'H  r^  [v?lv\VV\V<^^\VVWVTOWWWVV\WWWVAWVWWW^A\^^^^ 


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instant,  ma  vie  est  à  vous-,  mais  croyez  que  si  la  parole 
d'un  évêque  a  quelque  influence  sur  Fesprit  de  ces  Francs, 


lO  HISTOIRE    d'un    HOTEL    DE    VILLE 

c'est  que  le  Dieu  tout-puissant  inspire  cette  parole,  c'est 
qu'il  veut  lui-même  toucher  le  cœur  de  ces  idolâtres. 

«  Si,  aveuglés  par  le  démon,  ils  ne  sont  pas  encore  en  état 
de  voir  le  soleil,  du  moins  en  sentent-ils  la  chaleur.  J'irai, 
devant  vous!  Oui,  j'irai  avec  mes  clercs!  Mais  implorons 
la  miséricorde  du  Tout-Puissant,  afin  qu'il  soit  aussi  avec 
nous,  et  qu'il  daigne  écarter  de  notre  ville  les  malheurs  que 
nos  péchés  ont  attirés  sur  elle;  car,  sans  lui,  que  pourrions 
nous  espérer?...  Allez  prévenir  nos  concitoyens;  que  chacun 
se  mette  en  prière. 

«  Pour  nous,  nous  allons  nous  rendre  à  la  basilique  du 
bienheureux  saint  Etienne,  et,  à  la  lueur  des  lampes,  nous 
supplierons  le  Dieu  bon  et  juste  de  nous  pardonner  nos 
fautes  et  de  jeter  un  regard  de  compassion  sur  son  peuple. 
Nous  laisserons  l'église  ouverte  à  tous,  afin  que  chacun 
puisse  confesser  ses  péchés  en  public Demain,  à  la  pre- 
mière heure  du  jour,  je  me  rendrai  sur  la  place,  et  dès  que 
hs  guetteurs  auront  signalé  l'arrivée  des  Francs,  nous  sor- 
tirons au-devant  d'eux.   » 

Pendant  que  ceci  se  passait  au  prétoire,  un  certain  Gober- 
tus  réunissait  dans  son  logis  plusieurs  habitants,  de  lui  bien 
connus,  gens  mal  famés,  débauchés,  endettés,  mais  qui, 
par  leurs  flatteries  auprès  du  bas  peuple  et  leur  jactance 
vis-à-vis  des  notables  de  la  ville,  avaient  su  se  faire  un 
parti  dans  la  cité. 

Le  plan  que  Gobertus  entendait  soumettre  à  ses  confrères 
en  débauche  était  celui-ci  :  ne  pas  attendre  l'arrivée  des 
Francs  et,  dès  la  nuit  même,  ameuter  la  lie  du  peuple,  piller 
les  maisons  des  plus  riches  habitants  de  la  cité  et  fuir,  avant 
le  jour,  avec  le  butin. 

«  Je  viens,  dit  Gobertus  à  ses  complices,  de  passer  à 
la  curie;  douze  curiales  seulement  s'y  sont  réunis  pendant 


ET    D   UNE    CATHUIDRALE.  II 

quelques  momenls,  puis  se  sont  retirés*,  beaucoup  ont  déjà 
quitté  la  ville,  craignant  l'arrivée  des  Francs-,  d'autres  se 
cachent  chez  eux  transis  de  peur.  Tout  favorise  notre  pro- 
jet, la  tempête  mugit  au  dehors,  les  voies  de  la  ville  sont 
désertes.  Dans  deux  heures,  tenons-nous  prêts,  chacun  de 
nous  à  la  tête  d'une  dizaine  d'hommes,  et,  au  même  mo- 
ment, faisons  main  basse  sur  les  meilleures  maisons  -,  pos- 
tons une  vingtaine  de  gaillards  résolus  à  l'entrée  du  pont, 
afin,  au  besoin,  de  protéger  notre  retraite  par  cette  voie  et 
d'arrêter  toute  poursuite.  D'ailleurs,  nous  n'avons  rien  à 
craindre*,  il  nous  suffira  de  crier  :  les  Francs  !  les  Francs  ! 
pour  que  chacun  s'enferme  dans  son  logis,  » 

Ce  projet  arrêté  par  les  conjurés,  ceux-ci  sortaient  pour 
prendre  leurs  dispositions  et  ramasser  les  vagabonds  et  gens, 
sans  aveu  à  leur  dévotion;  mais  ils  observèrent  immédiate- 
ment qu'il  y  avait  dans  la  ville  une  animation  musitée  à 
cette  heure  et  par  le  temps  affreux  qu'il  faisait. 

On  voyait,  dans  les  rues,  des  groupes  qui  se  dirigeaient 
vers  le  haut  de  la  ville,  précédés  de  serviteurs  portant  des 
falots.  Des  hommes  munis  de  torches  entraient  dans  les 
maisons  pour  en  sortir  aussitôt.  On  voyait  quantité  de  lu- 
mières derrière  hs  châssis  des  fenêtres. 

ce  Qu'y  a-t-il  donc  ?  demanda  un  des  bandits  en  s'adres- 
sant  au  premier  porteur  de  torche  qu'il  rencontra. . 

—  Il  y  a,  répondit  celui-ci,  que  l'évêque  demande  à 
chacun  d'implorer  la  miséricorde  divine,  et  que  lui  et  ses 
clercs  seront  en  prières  toute  la  nuit  dans  la  basilique  de 
Saint-Etienne  ;  qui  veut  s'3^  rendre,  s'y  rende  et  confesse  ses 
péchés! 

—  Voilà  qui  va  bien,  se  dirent  les  conjurés  :  les  bonnes 
gens  nous  abandonnent  leurs  maisons....  Allons,  ne  per- 
dons pas  de  temps.  » 


12  HISTOIRE    D   UN    HOTEL    DE    VILLE 

Et  chacun  d'eux  tira  de  son  côté,  afin  de  recruter  les  vau- 
riens de  la  cité. 

Cependant  la  basilique  de  Saint- Etienne,  église  de 
révêque,  éclairée  à  Tintérieur  par  une  grande  quantité  de 
lampes,  ouvrait  sa  large  porte  à  la  foule  rassemblée  sous  le 
portique  et  dans  la  cour  du  prétoire.  Le  spectacle  était 
imposant. 

Autour  de  Tautel,  simple  table  de  pierre  surmontée  d'un 
ciboriiim  enrichi  de  lames  d'or,  étaient  rangés,  en  dedans 
de  la  clôture  du  chœur,  des  clercs  en  grand  nombre,  cou- 
verts de  longues  tuniques  blanches.  L'évêque,  revêtu  de 
ses  habits  pontificaux,  la  couronne  épiscopale  sur  la  tête, 
était  assis  sur  un  siège  élevé  au  lond  de  Pabside,  ayant  à 
ses  côtés,  sur  les  bancs  circulaires  disposés  à  droite  et  à 
gauche  de  la  chaire,  les  principaux  d'entre  ses  clercs. 

Le  peuple,  en  entrant  dans  la  basilique,  apercevait  ainsi 
la  tête  de  l'évêque  au-dessus  de  la  table  de  l'autel  et  comme 
entourée  d'une  auréole  lumineuse.  Les  hommes  se  pressaient 
dans  la  nef;  les  femmes  se  tenaient  dans  le  bas  côté  de 
droite.  Quand  l'église  fut  pleine,  par  la  porte  demeurée  ou- 
verte, la  lueur  des  lamp2s  éclairait  la  foule  compacte  des 
derniers  arri\'és  sous  le  porche  et  sur  la  place.  On  n'*enten- 
dait  qu'un  long  et  sourd  murmure.  Bientôt  l'évêque,  des- 
cendant de  sa  chaire,  suivi  des  clercs  rangés  dans  l'ab- 
side, fit  lentement  le  tour  de  l'autel,  et  se  plaça  devant  le 
ciboî'tîim;  tous  les  visages  se  tournèrent  vers  lui,  la  foule 
tomba  à  genoux,  et,  au  miUeu  du  plus  profond  silence, 
levant  la  main  droite,  il  donna,  d'une  voix  tremblante 
d'émotion,  la  bénédiction  épiscopale  (fig.  4).  Aussitôt, 
du  côté  occupé  par  les  femmes,  on  entendit  partir  des 
sanglots.  Les  hommes  se  frappciient  la  poitrine.  Quelques- 
uns  appuyaient  leurs  fronts  sur  les  dalles...  Puis,  après  un 


SANCTUAIRE   DE   LA   BASILIQUE. 


ET  d'une  cathédrale.  i3 


instant,  le  silence  se  rétablit^  Tévêque  parla  ainsi  à  la 
foule  : 

K  Frères  en  Jésus-Christ!  Par  la  bouche  du  prophète 
Isaïe,  Dieu  a  dit  :  «  Je  suis  le  Seigneur;  c'est  là  le  nom  qui 
«  m'est  propre.  Je  ne  donnerai  point  ma  gloire  à  un  autre, 
«  ni  mon  pouvoir  à  des  idoles  qui  ne  durent  qu'un  instant  !  » 
Ayez  donc  confiance  en  la  bonté  divine,  vous  qui  suivez 
les  voies  du  Seigneur  et  qui  avez  foi  en  la  sainte  Trinité. 
Mais,  hélas  !  nos  péchés  sont  grands,  et  chaque  jour  nous 
offensons  ce  Dieu  bon  et  juste  qui,  dans  la  personne  de 
son  fils,  a  voulu  mourir  sur  la  croix  pour  nous  racheter. 

«  Il  advient  alors  que  le  Dieu  puissant  détourne  de  nous 
ses  regards,  et  les  calamités  suscitées  par  l'esprit  du  mal 
fondent  sur  nous  ;  comme  ce  père  qui,  le  cœur  plein  d'a- 
mertume, en  considérant  les  écarts  et  les  révoltes  de  ses 
enfants  contre  son  autorité,  les  abandonne  aux  conséquences 
de  leur  orgueil  et  aux  embûches  du  démon.... 

«  Et  cependant,  lorsque  ces  enfants,  éprouvés  par  les 
malheurs  qu'ils  se  sont  attirés,  reviennent  à  lui  et  s'humi- 
lient en  sa  présence,  confessant  leurs  fautes,  le  père  ouvre 
ses  bras  et  se  réjouit  dans  son  cœur  d'avoir  retrouvé  ce 
qu'il  a  de  plus  cher  au  monde.... 

«  Eh  bien  I  frères,  devant  les  calamités  affreuses  qui  nous 
menacent,  recourons  à  notre  Père  commun,  implorons  son 
pardon,  confessons  nos  fautes  et  suppiions-le  de  recevoir  de 
nouveau  ses  enfants  dans  sa  gloire,  de  les  protéger  contre 
les  ennemis  de  son  nom.  Que  nos  voix,  si  notre  repentir  est 
sincère,  si  l'amour  du  prochain  est  dans  nos  cœurs,  arri- 
vent comme  un  parfum  jusqu'à  son  trône....  Car,  Jésus  a 
dit  à  ses  disciples  en  les  quittant  :  «  Aimez-vous  les  uns  les 
«  autres,  là  est  toute  ma  loi..  »  Alors,  soyons-en  certains, 
notre  Père  tournera  son  visage  vers  nous,  et  sa  main  arrê- 


14  HISTOIRE    D    UN    HOTEL    DE    VILLE 


tera  les  fléaux Confessons  nos  péchés,  ouvrons  nos  bras 

à  notre  ennemi  et  prions....  puis,  pleins  de  confiance  en  la 
justice  du  Seigneur,  attendons  tout  de  sa  bonté....  » 

La  foule  avait  écouté  ce  discours  dans  un  silence  profond; 
mais,  à  ces  dernières  paroles,  et  comme  Tévêque,  ainsi  que 
les  clercs,  s'agenouillaient  sur  les  marches  de  Pautel  et  les 
dalles  du  chœur,  les  gémissements,  les  sanglots  sortirent  de 
toutes  les  poitrines. 

Là,  des  hommes  se  prosternaient  et  confessaient  à  haute 
voix  leurs  péchés;  ici,  des  ennemis  juraient  d'oublier  leurs 
griefs  respectifs  et  s'accusaient  des  pièges  qu'ils  s'étaient 
tendus.  Quelques-uns,  recueillis,  debout,  les  bras  levés, 
étaient  comme  étrangers  à  ce  qui  se  passait  autour  d'eux. 
Les  femmes  entremêlaient  leurs  prières  de  longs  gémisse- 
ments, faisaient  des  vœux,  déchiraient  leurs  parures,  jetaient 
leurs  bijoux  sous  leurs  pieds. 

Et  sous  le  porche,  sur  la  place,  les  mêmes  scènes  se  répé- 
taient. C'était  comme  un  délire.  Déjà  des  femmes  s'étaient 
jetées  sur  le  pavé,  en  poussant  des  cris  déchirants.  Mais 
alors  une  clameur  plus  puissante  s'éleva  de  la  place  et  se 
répercuta  jusque  sous  le  portique  de  la  basilique  :  «  Les 
Francs!  les  Francs!  »  entendait-on  crier  au  dehors  dans  la 
foule  affolée. 

En  vain  quelques  hommes,  conservant  leur  sang-froid, 
essayaient  de  calmer  cette  foule  ;  d'une  part,  elle  se  précipi- 
tait dans  les  rues  ;  d'autre  part,  elle  essayait  de  pénétrer  dans 
la  basilique  déjà  pleine,  au  risque  d'étouffer. 

L'évêque  s'était  relevé  et,  debout  devant  l'autel,  il  ten- 
tait en  vain  de  se  faire  entendre.  Du  dehors,  les  hurlements, 
les  imprécations  de  ceux  qu'on  foulait  aux  pieds,  les  cris  des 
femmes  composaient  un  horrible  concert.  On  eut  dit  un 
massacre,  et  ceux  qui  étaient  dans  l'église  ne  doutaient  pas 


ET    r»   UNE    CATHlîDRALE.  l5 

que  les  Francs  n'eussent  surpris  la  ville  et  qu'elle  ne  fut 
mise  à  sac. 

L'évêque  cependant  parvint  à  réunir  autour  de  lui  quel- 
ques citoyens  courageux-,  ceux-ci,  employant  les  prières 
et  la  violence  au  besoin,  purent  comprimer  la  foule  et 
ouvrir  au  milieu  d'elle  un  étroit  chemin  jusqu'à  la  porte. 

On  vit  alors  le  prélat,  suivi  de  ses  clercs,  s'avancer  entre 
deux  haies  humaines.  Sa  démarche  résolue,  le  calme  de  ses 
traits  en  imposèrent  à  cette  multitude  effarée;  les  cris  ces- 
sèrent. 

«  Priez,  mes  frères,  priez,  disait-il,  le  Tout-Puissant 
ne  saurait  nous  abandonner.  » 

Et  quand  il  atteignit  la  porte,  on  n'entendait  plus  dans 
la  basilique  qu'un  murmure  confus. 

Mais  un  effroyable  désordre  régnait  sur  la  place. 

Au  moment  où  Tévéque  se  montrait  sous  le  portique 
et  commandait  le  silence,  plusieurs  des  curiales  y  arrivaient 
du  dehors. 

«  Saint  évêque,  dit  l'un  d'eux,  dont  les  vêtements  étaient 
déchirés,  ce  ne  sont  pas  les  Francs  qui,  à  cette  heure, 
pillent  nos  maisons,  mais  des  bandits  vomis  par  l'enfer, 
une  vile  populace,  Topprobre  de  la  cité,  A  nous  les  corpo- 
rations! à  nous!  cria-t-il  dans  la  basilique;  d'infâmes  vo- 
leurs, qui  se  disent  nos  concitoyens,  se  ruent  sur  nos  mai- 
sons. Pires  que  les  Francs  qui  n'attaquent  que  de  jour,  ils 
ont  profité  de  la  nuit  et,  pendant  que  vous  implorez  le  Dieu 
puissant,  forcent  nos  habitations!  A  nous!  Faisons-en  jus- 
tice! » 

Aussitôt  les  hommes,  en  grand  nombre,  se  précipitèrent 
vers  la  porte.  Les  curiales  étant  parvenus  à  déblayer  le  por-^ 
tique,  purent  grouper  ces  hommes  en  troupes,  suivant  les 
corporations  auxquelles  ils  appartenaient. 


l6  HISTOIRE    d'un    hôtel    DE    VILLE 

«  Défendez  vos  demeures,  mes  amis,  répétait  Tévêque, 
mais  pas  de  sang!  Ne  versez  pas  le  sang.  Songez  qu'un 
autre  péril  plus  grand  nous  menace  et  qu'il  nous  faut  être 
purs  devant  Dieu  pour  obtenir  sa  protection  !  » 

Les  demeures  les  plus  belles,  celles  qui  avaient  excité  la 
convoitise  de  Gobertus  et  de  ses  complices,  s'élevaient  le 
long  de  la  rivière,  à  l'autre  extrémité  delà  ville,  et, bien  que 
les  gens  des  corporations  fissent  diligence,  guidés  par  les 
curiales,  quand  ils  arrivèrent  sur  les  points  où  les  troupes 
des  bandits  avaient  accompli  leur  projet,  ils  ne  purent  guère 
que  constater  les  dégâts  :  bris  de  portes  et  de  meubles,  argent 
monnayé,  bijoux  et  vaisselle  enlevés.  On  ne  put  saisir  que 
quelques  malheureux  attardés,  qui^  malgré  les  conseils  de 
révêque,  furent  jetés  à  l'eau  sans  autre  forme  de  procès. 
Le  gros  de  la  troupe  de  Gobertus  s'était  mis  hors  d'atteinte 
à  la  première  alarme,  en  passanfle  pont. 

Au  matin  qui  suivit  cette  sinistre  nuit-,  le  soleil  se  montra 
radieux.  L'air  était  calme  et  doux,  une  belle  journée  de 
printemps  s'annonçait.  La  tempête  de  la  nuit  semblait  don- 
ner à  l'atmosphère  plus  de  transparence,  et  les  feuilles  nais- 
santes des  arbres,  couvertes  de  gouttelettes,  brillaient  aux 
premiers  rayons  du  soleil  comme  autant  d'aigrettes  de  dia- 
mant. L'horizon  était  débarrassé  de  vapeurs,  et*  les  objets 
les  plus  éloignés  se  détachaient  avec  netteté  sur  la  verdure 
des  coteaux. 

L'homme  isolé,  accablé  de  soucis,  ne  peut  demeurer  in- 
sensible à  ces  sourires  de  la  nature  printanière  ;  devant  ce 
spectacle,  il  oublie  une  partie  de  ses  peines  et  sent  son  âme 
armée  d'une  nouvelle  force  pour  lutter  contre  le  malheur. 
Comment  résister  à  ces  caresses  que  semble  nous  faire  notre 
mère  commune,  la  Nature,  toujours  jeune? 

Mais  combien  plus  encore  l'âme  de  la  foule  est-elle  sen- 


ET    d'une    cathédrale. 


sible  à  ces  caresses!  Il  semble  alors  que  la  pureté  et  le  calme 
de  l'atmosphère,  que  la  douce  chaleur  du  soleil  naissant,  la 
dispose  à  tout  accepter  avec  sérénité.  | 

Peut-être  les  Francs,  qui  s'avançaient  vers  la  cité  de  Clu- 
siacum,  étaient-ils  sous  Tempire  de  cette  impression.  Ils 
marchaient  en  assez  bon  ordre,  en  chantant  -,  à  leur  allure, 
malgré  leur  aspect  farouche,  on  n'eût  pu  croire  que  ces 
hommes  s'en  allaient  piller  une  ville  florissante  dont  les 
habitants  ne  leur  avaient  fait  aucune  offense. 

Dans  la  cité,  aux  cruelles  épreuves  de  la  nuit,  avait  suc- 
cédé dans  les  esprits  une  sorte  de  détente  -,  plus  le  péril 
s'approchait,  moins  les  visages  exprimaient  la  crainte  ou  de 
sinistres  préoccupations. 

On  plaisantait  même  sur  la  panique  de  la  soirée  précé- 
dente.... Le  soleil  brillait  d'un  éclat  si  vif!  L'air  matinal 
était  si  réconfortant!  Les  oisillons  gazouillaient  si  joyeu- 
sement ! 

Cependant,  suivant  sa  promesse,  l'évêque  é:ait  descendu 
sur  la  place  du  Marché  avec  tous  les  clercs  (fig.  5),  car  il 
n'était  pas  douteux  que  les  Francs  ne  dussent  se  présenter 
par  le  faubourg. 

Quelques  habitants  avaient  ouvert  l'avis  de  couper  ou  de 
barricader  le  pont.  Mais,  la  rivière  étantguéable  et  les  Francs 
ayant  maintes  fois  prouvé  qu'un  cours  d'eau,  à  moins  qu'il 
fût  très-large  et  profond,  ne  les  arrêtait  pas,  ce  semblant  de 
résistance  avait  été  rejeté. 

Un  grand  nombre  de  citadins  étaient  descendus  dans  la 
ville  basse  et  se  tenaient  sur  la  place  et  sur  le  pont;  quoique 
l'ordre  eût  été  donné  aux  femmes  de  ne  pas  qui. ter  les  mai- 
sons, soit  par  curiosité,  soit  pour  apporter  des  vivres  à  leurs 
maris  ou  à  leurs  pères,  car  la  matinée  s'avançait,  on  en 
voyait  qui  circulaient  au  milieu  de  la  foule. 

3 


HISTOIRE     D    UN    HOTEL    DE    VILLE 


L'évêque,  son  clergé,  les  curiales  et  des  citoyens  influents 
étaient  réunis  dans  la  curie,  attendant  Tavis  fatal. 

Tant  pour  donner  confiance  à  l'assistance  que  pour  ne 
pas  laisser  les  esprits  s'appesantir  sur  les  suites  de  cette  jour- 
née, le  prélat  tenait  des  propos  où  se  mêlait  parfois  une 


pointe  d'enjouement,  lorsque,  vers  la  sixième  heure  du 
jour,  un  guetteur,  pouvant  à  peine  parler  tant  l'émotion  le 
poignait,  vint  annoncer  l'arrivée  de  la  colonne  des  Francs. 
Aussitôt  l'évêque  se  lève,  fait  signe  aux  clercs  de  se  ran- 
ger en  bon  ordre  derrière  lui,  fait  porter  la  croix  à  ses  côtés, 
et,  sortant  de  la  curie,  il  s'avance  sur  la  place  endonjiant  la 
bénédiction  épiscopale. 


HT    n   UNE    CATIIEDRAI.n:. 


'0 


Tous  tombent  à  genoux  en  kvant  les  mains  vers  lui. 
«  Que  le  Seigneur  soit  avec  toi!  Sauve-nous,  Seigneur! 
Aie  pitié  de  nous!  »   cria-t-on  de  toute  part. 

Déjà  les  Francs  entraient  dans  le  faubourg,  qua.'id,  tout 
à  coup,  au  détour  de  la  voie,  ils  se  trouvèrent  en  face  de 
l'évêque.  Celui-ci  était  revêtu  d'une  ample  chasuble*  d'un 
lin  blanc  comme  le  lait  ;  deux  bandes  d'or  étroites  tom- 
baient des  épaules  jusqu'aux  pieds.  Sa  tête  était  ceinte  de 
la  couronne  épiscopale,  composée  d'un  cercle  d'or  avec  deux 
lobes  blancs  latéraux  séparés  par  une  bande  pourpre;  tom- 
bant du  cercle  d'or,  flottaient  sur  ses  épaules  deux  bande- 
lettes, également  d'or.  Dans  la  main  gauche,  il  tenait  le 
bâton  pastoral  blanc  avec  une  petite  traverse  d'ivoire  à  l'ex- 
trémité supérieure,  en  façon  de  béquille. 

Des  gants  pourpres,  brodés  d'or,  protégeaient  ses  mains. 

Les  clercs  étaient  tous  vêtus  de  tuniques  blanches  tom- 
bant jusqu'aux  talons  et  sans  ceintures. 

La  troupe  des  Francs,  cui  se  composait  environ  de 
quinze  cents  hommes  de  pied  et  de  quatre  à  cinq  cents 
cavaliers,  marchait  sous  les  ordres  d'un  chef  auquel  les 
Gaulois  donnaient  le  nom  de  duc  [dux).  Celui-ci,  monté 
sur  un  grand  cheval  noir,  se  tenait  aux  premiers  rtings 
des  arrivants.  C'était  un  homme  de  haute  taille. 

Ses  longs  cheveux,  d'un  blond  fauve,  couvraient  ses 
épaules.  Il  dédaignait  de  porter  un  casque,  mais  un  mince 
cercle  de  cuivre  empêchait  sa  chevelure  de  tomber  r:2vant 
ses  yeux.  JJnn  sorte  de  justaucorps  de  peau,  constellé  de 
petites  plaques  circulaires  de  cuivre  poli,  descendait  jus- 

I.  Ce  vêtement  (casiila)  était  exactement  circulaire,  avec  un  trou 
au  milieu,  également  circulaire,  pour  passer  la  tète.  11  descendait 
aux  chevilles,  et  des  deux  côtés  on  le  relevait  sur  les  bras,  ce  qui 
donnait  des  plis  trcs-élcg.mts. 


20  HISTOIRE     D    UN     MOTEL     DE    VILLE 


qu'aux  hanches.  A  une  large  ceinture,  avec  boucle  de  fer 
garnie  d'argent,  étaient  suspendus  une  épée  courte  et  un 
couteau;  le  long  de  sa  cuisse  droite  pendait  une  grande 
hache.  Sur  ses  épaules,  et  noué  par  devant,  il  avait  jclé  un 
large  morceau  d'étofie  rouge,  qui  recouvrait  à  psine  une 
partie  de  la  croupe  du  cheval.  Un  caleçon  de  peau,  le 
Doil  en  dehors,  protégeait  ses  cuisses,  et  autour  de  ses 
jambes  s'enroulaient  des  lanières  de  peau  auxquelles  s'at- 
tachaient des  souliers  de  même  étoffe. 

La  tête  de  la  troupe  des  Francs  s'arrêta  tout  d'abord  de- 
vant le  spectacle  nouveau  qui  se  présentait  à  ses  regards  -,  ce 
que  voyant,  le  duc  poussa  son  cheval,  et,  arrivant  devant 
révêque,  il  lui  dit  en  mauvais  latin  : 

«   Que  veux-tu,  toi?  que  fais-tu  ici? 

—  Duc,  reprit  l'évêque,  n'est  ce  pas  à  toi  que  je  pour- 
rais adresser  cette  question  ?  Viens-tu  en  ami  ?  es-tu  un 
allié  ou  un  ennemi  de  l'empire  romain  ?  Si  tu  te  présentes 
ici  comme  allié,  nos  cœurs  te  sont  ouverts  et  nous  sommes 
prêts  à  recevoir  tes  hommes  comme  des  frères;  si  c'est 
comme  ennemi,  que  t'avons-nous  fait?  Quelle  offense  as-tu 
n  venger?  La  population  de  Clusiacum  est  paisible,  tout 
occupée  de  travaux  des  champs  et  de  négoce  ;  elle  n'a  fait 
de  tort  à  personne,  elle  n'est  pas  armée  et  ne  saurait  se 
défendre.  Pourquoi  aurait-elle  des  armes,  puisqu'elle  ne  se 
connaît  pas  d'enneniis?  Alors,  pourquoi  cet  appareil  guer- 
rier? On  dit  que  les  Francs,  fiers  dans  les  combats,  sont 
doux  envers  les  faibles,  comme  il  convient  aux  forts.  Je  Tai 
cru,  et  c'est  pourquoi  je  suis  venu  devant  mon  troupeau 
pour  te  faire  savoir  qu'il  est  hors  d'état  de  se  défendre,  et 
que  la  valeur  des  Francs  n'a  pas  lieu  de  se  montrer  ici. 

—  Cest  bien,  c'est  bien,  répliqua  le  duc;  laisse-nous 
passer,  nous  savons  ce  que  nous  avons  à  faire. 


ET   D   UNE    CATHÉDRALE.  21 


—  Non!  par  le  Dieu  vivant,  je  ne  quitterai  pas  cette 
place  !  Passe  donc  sur  mon  corps  et  sur  celui  de  mes  clercs, 
si  tu  veux  poursuivre  sans  plus  m'écouter!  Tu  viens  pour 
détruire  le  troupeau,  il  est  juste  que  tu  écrases  d'abord  le 
pasteur!  Mais  souviens-toi  de  cette  parole  d'un  vieillard 
qui  ne  se  présente  devant  toi  armé  qu'avec  des  paroles  de 
paix  : 

«  Le  vrai  Dieu  juste  et  vengeur  prend  la  défense  des 
faibles,  et  tôt  ou  tard  châtie  ceux  qui,  abusant  de  leur  force, 
se  ruent  sans  affronter  aucun  péril  sur  les  suppliants,  pour 
leur  arracher  ce  qu'ils  possèdent!  » 

Les  clercs,  pendant  ces  dernières  parohs,  par  un  mouve- 
ment instinctif  de  crainte,  s'étaient  quelque  peu  éloignés  du 
prélat  et  barraient  absolument  la  voie.  L'avant-garde  con- 
sidérait curieusement  cette  troupe  vêtue  de  blanc  et  ce 
vieillard  dont  les  traits  s'étaient  animés  et  dont  l'attitude 
calme,  mais  résolue,  dont  le  geste,  le  noble  vêtement  im- 
primaient le  respect-,  l'évêque,  d'autant  plus  maître  de 
lui  qu'il  comprenait  l'imminence  du  péril,  sentant  que  le 
moment  était  décisif,  prétendait  au  moins  profiter  de  tous 
ses  avantages  et,  s'il  devait  mourir,  mourir  dignement.  Il 
s'était  aperçu  qu'entre  ses  clercs  et  lui  la  distance  était 
devenue  plus  large;  dans  son  cœur,  il  en  éprouva  comme 
un  encouragement,  car  jusqu'à  ce  moment  il  était  placé  pres- 
que sous  la  tête  du  cheval  du  duc,  et  ce  qu'il  redoutait  le 
plus,  c'était  une  de  ces  scènes  de  confusion  et  de  désordre 
qui  enlèvent,  même  au  martyre,  son  éclat  et  sa  dignité. 

Reculant  donc  de  quelques  pas,  par  un  beau  mouvement 
brusque,  en  fixant  ses  regards  sur  le  duc  et  montrant  la 
croix  portée  à  sa  droite,  un  peu  en  arrière  : 

«  Oui,  continua-t-il,  celui  qui  est  mort,  d'une  mort 
infâme,  sur  cette,  croix,  est  le  vrai  Dieu.  Pauvre,  faible, 


HISTOIRE    D    UN    HOTLL    DE     VILLE 


méprisé  par  les  grands,  les  forts  et  les  puissants,  il  a 
vaincu  cependant  ceux  qui  l'avaient  condamni.  Il  a  vaincu 
la  puissance  de  Rome,  il  a  suscité  autour  de  Tempire,  qui 
se  crovait  inimuable,  des  peuples  sans  ncrr.bre,  il  les  a 
appelés  pour  se  partager  les  dépouilles  de  la  domination 
impériale.  Mais  pourquoi  les  aurait-il  appelés,  ces  peuples, 
s'ils  devaient  à  leur  tour  abuser  de  leur  force  pour  égorger 
■et  dépouiller  les  faibles  ? 

«  Pourquoi  les  aurait-il  appelés?  Ce  serait  donc  aussi  pour 
les  humilier  et  les  réduire  e.n  poussière?  »  Et  alors,  saisis- 
sant la  croix  et  la  plaçant  devant  lui  :  «  Vois!  dit-il,  vrai 
Dieu  puissant,  vois  ces  Francs,  ces  hommes  braves  et  que 
tu  as  faits  victorieux,  vois!  les  voici  qui  viennent  en  armes 
se  jeter  comme  des  loups  sur  les  peuples  inoffensifs  qui  te 
connaissent,  que  tu  aimes  et  protèges  !  Vois  et  juge!  « 

Et  alors,  avançant  d'un  pas,  le  prélat  planta  la  croix  de- 
vant la  tête  du  cheval,  qui  recula.  Et  Tév^êque  d'avancer 
encore  d'un  pas  (fig.  6). 

Parmi  ces  guerriers  francs  qui  formaient  la  tête  de  co- 
lonne, plusieurs  étaient  familiers  avec  la  langue  latine.  Les 
derniers  mots  de  Tévêque,  son  geste,  ce  crucifix  brillant  au 
soleil,  devant  lequel  reculait  la  monture  du  duc,  jetaient 
■dans  les  âmes  de  ces  barbares,  sinon  de  l'efii-oi,  au  moi  ".s 
un  sentiment  de  malaise  et  d'incertitude-,  le  duc  s'en  aper- 
çut, réprima  un  mouvement  de  colère,  et  s'adressant  au 
prélat  : 

a  Oui  t'a  dit  que  nous  venions  ici  en  ennemis? 

—  Se  présente-t-on  avec  cet  appareil  guerrier  au  mi- 
lieu d'une  cité  désarmée?  répliqua  l'évêque.  Ql\q.  veux-tu? 
que  demandes-tu?...  Si  tes  exigences  sont  justes,  si  elles 
sont  dignes  d'hommes  hardis,  mais  protecteurs  des  faibles, 
comme  on  nous  a  dit  que  sont  les  Francs,  la  cité  s'empres- 


ET    D    UNE     CATHEDRALi: 


23 


sera  de  sou"^c^i^c  à  tes  désirs,  soit  en  donnant  des  vivres  à 
ta  troupe,  soit  en  vidant  ses  coffres  entre  tes  mains.  Mais 
n'a-t-c'.le  pas  à  redouter  mille  excès,  si  tu  entres  dans  ses 
murs  sans  conditions,  sans  garanties,  sans  avoir  reçu  de  toi 

fi",  (i. 


une  parole  de  paix  ?  Or,  nous  savons  que  les  Francs  sont 
fidèles  à  leur  parole;  c'est  le  privilège  des  guerriers  invin- 
cibles. 

—  Ek   bien,    soit!...  reprit  le   duc;  il  nous    faut    des 
vivres,  il  nous  faut  de  Tor....  deux  cents  livres  d'or.... 

—  On  te  donnera  tout  ce  qu'on  possède  en  métaux  pré- 
cieux ;  mais  jure  sur  ce  Christ  qui  nous  entend,  que  pas  un 


■2  4  H  IS  101  RE     D    UN     HOTEL     DE     V.I.LE 

habitant  ne  sera  insulté ,  que  pas  une   maison   ne   sera 
pillée  !... 

—  Je  te  le  promets! 

—  Alors,  sois  béni  !  » 

Et  révêque  étendit  le  bras  droit  sur  les  Francs....  On  vit 
des  têtss  s'incliner  sous  le  geste  du  pasteur. 

«  Et  nous,  dit  le  prélat  en  se  tournant  vers  les  clercs, 
rendons  gloire  au  Seigneur  !  »  Et  d'une  voix  forte,  il  com- 
mença aussitôt  un  cantique  que  les  clercs  entonnèrent  en 
chœur. 

La  colonne  des  Francs  se  mit  en  marche  vers  la  ville, 
précédée  par  Tévéque  et  les  clercs  qui  chantaient.  Ce  fut  un 
spectacle  étrange. 

Derrière  la  troupe  de  ces  hommes  vêtus  de  blanc,  et  dont 
les  voix  exercées  et  puissantes  s'entendaient  jusque  dans  la 
ville,  marchait  Tévêque,  seul,  puis  le  duc  soucieux,  puis  la 
longue  colonne  des  Francs,  à  l'aspect  sauvage,  couverts  de 
sueur,  silencieux. 

Ainsi,  tous  franchirent  le  pont  et  arrivèrent  sur  la  place 
du  Marché.  La  population  de  la  cité  s'agenouillait  au  pas- 
sage de  révêque,  et  cette  unanimité  dans  le  respect  exer- 
çait sur  les  Francs  une  sorte  de  fascination.  A  leurs  yeux, 
le  prélat,  surtout  après  la  scène  du  faubourg,  prenait  les 
proportions  d'un  être  surnaturel,  et  ils  ne  détachaient  plus 
leurs  regards  de  cette  croix,  couverte  de  lames  d'or,  qui 
brillait  près  de  lui. 

Ce  fut  dans  la  curie,  où  étaient  déjà  réunis  les  curiales, 
que  les  conditions  par  lesquelles  les  Francs  s'engageaient  à 
respecter  la  ville,  furent  traitées.  L'argent  monnayé,  les 
bijoux,  les  vases  d'or  et  d'argent  des  églises,  des  étoffes  pré- 
cieuses furent  amoncelées  sur  la  table,  pendant  qu'on  dis- 
tribuait, par  les  soins  des  curiales,  des  boissons  et  des  vivres 


liT    d'une    cathédrale.  2D 


aux  soldats,  qui  s'étaient  assis  sous  les  portiques  et  sur  le 
pavé  de  la  place. 

Cependant,  le  poids  de  Tor  exigé  par  le  duc  n'était  pas 
atteint-,  Tévcque  ordonna  d'arracher  du  ciborium  de 
réglise  de  Saint- Etienne  les  lames  d'or  qui  le  décoraient, 
et,  en  attendant  qu'on  les  remît  dans  la  balance,  il  raconta 
au  duc  comment,  la  nuit  passée,  des  voleurs  avaient  pillé 
plusieurs  maisons  riches  et  privaient  ainsi,  par  une  action 
doublement  coupable,  la  cité  du  moyen  de  se  libérer. 

Le  duc  réfléchit  quelques  instants,  puis,  ayant  parlé  bas 
à  l'un  de  ses  hommes,  celui-ci  sortit. 

Peu  après,  l'évêque  et  les  gens  de  la  ville  présents  dans  la 
curie,  ne  furent  pas  peu  surpris  de  voir  entrer,  entourés  de 
soldats,  attachés  deux  à  deux,  Gobertus  et  ses  complices. 

ce  Ces  hommes,  dit  le  duc,  ne  sont-ils  pas  les  voleurs 
dont  vous  me  parlez  ?  » 

L'évêque  se  taisait. 

«  Oui  !  ce  sont  eux  !  dirent  les  curiales. 

—  Ils  ont  été  saisis  à  quelques  milles  d'ici,  nantis  des 
objets  volés...  reprit  le  duc.  Qu'on  apporte  ce  butin.  » 

Ce  qui  fut  fait  immédiatement  ;  et,  ayant  pesé  les  métaux 
précieux,  il  se  trouva  que  le  poids  exigé  était  dépassé. 

'(  Garde  donc,  continua  le  duc  s'adressant  à  l'évêque, 
tes  lames  d'or,  et  de  plus,  je  te  donne  pour  ton  Dieu 
Texcédant  du  poids.  Et  maintenant,  ajouta-t-il  en  se  tour- 
nant vers  les  prisonniers,  quel  est  votre  chef  ? 

—  Moi,  dit  Gobertus. 

—  Eh  bien,  reprit  le  duc,  en  abattant  sa  hache  sur  la 
tête  du  malheureux,  voici  la  récompense  due  aux  traîtres, 
Que  les  autres  soient  traités  de  même  devant  le  peuple  !  « 

Le  sang  avait  jailli  sur  les  vêtements  de  l'évêque. 

«  Es-tu  satisfait?  lui  dit  le  duc. 

4 


26  HlSroiRIi    d'un    hôtel    Dli    VILLE 

—  Non,  reprit  le  prélat,  dont  le  visage  avait  pâli;  le 
vrai  Dieu  défend  de  verser  le  sang...  même  le  sang  du  cou- 
pable !  car  son  urne  est  immortelle,  et  c'est  au  Seigneur 
Dieu  qu'il  appartient  seul  de  la  séparer  du  corps,  quand  il 
lui  plaît,  pour  la  juger  selon  ses  œuvres. 

—  Ton  Dieu,  alors,  n'est  pas  celui  des  chrétiens,  puis- 
qu'ils s'entre-tuent  par  le  commandement  de  leur  Dieu,  di- 
sent-ils. » 

Le  lendemain,  les  F^rancs  quittaient  la  ville;  mais  pen- 
dant la  nuit,  malgré  les  promesses  de  leurs  chefs,  des  dé- 
sordres avaient  eu  lieu,  des  maisons  avaient  été  pillées.  La 
plupart  des  Francs  avaient  passé  cette  nuit  en  orgies,  et 
plusieurs  habitations  des  faubourgs  brûlaient  pendant  que 
la  queue  de  la  colonne  des  Francs  s'éloignait. 

Toutefois,  de  plus  grands  maux  étaient  à  redouter,  car 
pas  un  habitant  n'avait  été  tué  ou  blessé.  Avec  raison,  la 
population  de  Clusiacum  rendit  grâces  à  Tévêque  de  ce  que 
la  ville  était  épargnée;  chacun  répétait  ses  discours  adressés 
aux  Francs.  Dans  l'esprit  du  oeuple  de  Clusiacum,  sa 
légende  prit  bientôt  un  caractère  surnaturel.  Les  Francs 
avaient  été  saisis  de  vertige  en  apercevant  l'évêque  en- 
touré de  ses  clercs  et  abandonnaient  leurs  armes  ;  la  croix 
avait  fait  cabrer  le  cheval  du  diic^  celui-ci,  ébloui  par  l'éclat 
fulgurant  du  crucifix,  s V tait  prosterné  la  face  contre 
terre.  On  avait  vu  deux  angjs  aux  côtés  du  saint  prélat, 
armés  de  glaives  de  feu  qui  inspiraient  une  juste  terreur 
aux  Francs  et  les  empêchaient  d'avancer. 

Aussi,  au  milieu  du  carrefour  témoin  de  la  rencontre  de 
l'évêque  et  des  Francs,  une  croix  fut  élevée.  Ruinée  et  réta- 
blie maintes  fois  depuis  lors,  on  la  voit  encore  s'élever  à 
l'angle  de  la  petite  place  à  laquelle  aboutissent  les  trois 
rues  du  Pré,  de  Troyes  et  du  faubourg  Saint-Laurent,  non 


ET   D   UNE   CATHEDRALE. 


^7 


loin  de  la  station  du  chemin  de  fer  ;  il  y  a  peu  d'années, 
et, —  tant  les  traditions  sont  vivaces  dans  Tcsprit  des  popu- 
lations, —  on  rappelait  encore  :  la  croix  de  la  dclivrance. 
Mais  si  vous  demandiez  aux  habitants  pourquoi  on  la  dési- 
gnait ainsi,  ils  vous  répondaient  invariablement  que  «  c'était 
en  mémoire  de  la  reddition  de  la  ville  de  Clusy  au  roi  Char- 
les VII,  vers  la  fin  de  la  domination  anglaise.  »  Et  c'est 
ainsi  que  se  transforment  les  légendes. 


HISTOIRE    D    U\    HOTEL    DE    VILLE 


CHAPITRE  11 


LA    CATHEDRALE. 


Bientôt  après  hs  événements  que  nous  venons  de  ra- 
conter, les  Francs,  Ghlodowig  à  leur  tête,  se  convertirent  à 
la  foi  chrétienne,  et  on  sait  que  les  évêques  de  la  Gaule  furent 
les  actifs  ouvriers  de  cette  évolution.  Leur  influence,  par 
suite,  ne  fit  que  s'accroître  sur  ks  populations. 

Les  municipes  romains  conservaient  leurs  attributions, 
mais,  de  fait,  les  charges  descuriales  avaient  perdu  de  leur 
importance.  L'évêque  représentait  le  pouvoir;  il  était  Tin- 
termédiaire  entre  lautorité  souveraine,  mal  définie  d'ailleurs, 
et  SCS  administrés.  C'était  à  lui  qu'il  fallait  recourir  pour 
tout  ce  qui  touchait  aux  intérêts  de  la  cité.  C'était  lui  qui 
jugeait  les  différends  entre  les  habitants  ou  qui  obtenait 
justice  à  la  cour  des  Francs.  Pour  tout  ce  qui  avait  trait 
aux  intérêts  mêmes  du  clergé,  l'évêque  recourait  aux 
synodes. 

L'invasion,  suivie  de  la  domination  définitive  des  barbares 
sur  le  sol  des  Gaules,  avait  eu  pour  conséquence  de  rap- 
procher le  haut  clergé  du  peuple.  Une  sorte  de  lien  intime 


ET    D    UNE    CATHKDRALE.  29 


s'était  établi  entre  révéquj  et  les  lidcles,  en  présence  du 
péril  commun.  Mais,  quand  les  vainqueurs  se  furent  con- 
vertis, cet  état  de  choses  prit  un  autre  caractère.  Les  débris 
des  institutions  administratives  romaines  s'efTacèrent,  les 
populations,  habituées  à  ne  plus  compter  que  sur  Tinterven- 
tion  de  Tévéque,  se  désintéressèrent  des  questions  commu- 
nales. Les  curiales  se  crurent  heureux  de  se  débarrasser 
des  lourdes  charges  que  la  législation  romaine  leur  imposait, 
et  la  masse  du  peuple  des  cités  tomba  di  plus  en  plus  bas. 
Qu'ils  le  voulussent  ou  ne  le  voulussent  pas,  les  évêques  ne 
trouvèrent  bientôt  plus,  au  sein  de  ces  populations,  les 
forces  actives  sur  lesquelles  le  pouvoir  pouvait  s''appu3'er', 
et  la  distance  qui  les  séparait  des  misses  ne  fit  que  s'accuser 
chaque  jour  davantage. 

L'autorité  épiscopale  qui,  au  moment  de  l'invasion,  rele- 
vait encore  de  l'élection  populaire,  et  qui,  par  cela  même, 
pensait  ne  devoir  s'exercer  qu'avec  le  concours  des  notables 
clarissimes  et  curiales^  perdant  ce  soutien,  chercha  son 
point  d'appui  auprès  du  pouvoir  fantasque  des  rois  barba- 
res nouvellement  con\'ertis.  Il  leur  fallut  briguer  les  faveurs 
de  ces  chefi  mérovingiens,  et  les  intrigues,  les  complai- 
sances, l'habileté  durent,  en  bien  des  occasions,  remplacer 
les  vertus  pastorales  et  viriles  qui  étaient  le  partage  de 
répiscopat  des  Gaules  pendant  le  cinquième  siècle 

Si  les  populations  ne  s'en  trouvèrent  pas  mieux,  les  églises, 
leurs  privilèges,  leur  richesse  s'étendirent,  et,  à  l'époque 
des  derniers  rois  mérovingiens,  cet  épîscopat,  qui  s'était 
placé  entre  les  envahisseurs  et  les  vaincus  pour  rendre  le 
sort  de  ceux-ci  moins  dur,  donnait  trop  souvent  l'exemple 
de  la  dissolution. 

Alors  l'édifice  municipal,  la  curie,  n'avait  plus  sa  raison 
d'être;  toute  affaire  était  traitée  sous  la  direction  supérieure 


3o  HISTOIRE  d'un  hôtel  de  ville 

de  révêque;  de  rautonomic  municipale,  il  ne  restait  que 
des  débris  sans  consistance. 

Cependant,  un  pouvoir  nouveau  s'élevait  en  face  de  1  epis- 
copat.  Des  établissements  religieux,  qui  cherchaient  à  s'af- 
franchir de  Tautorité  diocésaine,  se  fondaient  rapidement 
sur  tout  le  territoire  des  Gaules.  Pourvus  de  privilèges  con- 
sidérables, enrichis  par  des  donations  répétées,  —  car,  à  la 
fin  d'une  existence  désordonnée  et  trop  souvent  souillée  de 
crimes,  les  grands,  parmi  les  Francs,  léguaient  partie  de 
leurs  biens  aux  monastères,  croyant  ainsi  racheter  leur 
ame,  —  ces  établissements  religieux  acquirent  à  leur  tour 
sur  les  populations  une  influence  considérable.  Ils  jouis- 
saient du  droit  d'asile,  ils  offraient  un  refuge  relativement 
respecté,  leurs  terres  étaient  moins  soumises  aux  dévasta- 
tions, ils  possédaient  des  écoles,  se  livraient  à  certaines  in- 
dustries et  n'étaient  tenus  à  aucune  charge  envers  l'État,  — 
si  toutefois  on  peut  donner  le  nom  d'État  au  règne  de 
'.'arbitraire,  du  caprice  et  de  la  force  brutale. 

L'épiscopat,  au  huitième  siècle,  était  donc  menacé  dans 
son  existence",  menacé  par  l'influence  croissante  des  mo- 
nastères, menacé  par  les  abus  qui  s'étaient  introduits  dans 
son  sein,  à  la  suite  d'un  pouvoir  presque  illimité.  Le  règne 
de  Charlemagne,  en  réglant  les  attributions  du  pouvoir,  en 
essayant  une  renaissance  de  l'organisation  romaine,  releva 
l'institution,  car  la  durée  n'est  assurée  qu'à  ce  qui  vit  sous 
l'empire  de  la  loi. 

Mais  il  ne  faudrait  pas  croire  cependant  qu'à  l'état  d'a- 
narchie précédent,  succéda  tout  à  coup  et  par  le  fait  de 
la  volonté  d'un  homme,  fiit-il  un  puissant  génie,  une 
organisation  réglée,  stable.  Non.  Le  travail  de  réédifi- 
cation du  grand  empereur  d'Occident  trouvait  dans  les 
mœurs,  dans  de  longues  habitudes  prises,  des  obstacles 


ET    I)    UNE    CATHI-DRALF.  '3l 


sans  nombre  ;  ses  efforts   échouaient   souvent    malgré   sa 
persistance. 

Il  établit  d'abord  des  agents  de  gouvernement  résidents  ; 
ducs,  comtes,  \-icaires  des  comtes,  scabini^  ces  derniers 
remplissant  les  fonctions  municipales;  puis,  au-dessus  de 
ces  délégués  du  pouvoir  central,  des  missi-dominici ^co.  que 
nous  appellerions  aujourd'hui  des  inspecteurs  généraux, 
chargés  de  visiter  les  provinces  et  de  lui  rendre  compte  de 
la  gestion  des  agvints  résidents. 

L'empereur  convoquait  en  outre  des  assemblées  géné- 
rales consultatives,  mais  -qui  ne  décidaient  rien  d'elles- 
mêmes,  pour  traiter  des  grands  intérêts  de  l'empire. 

Tous  ces  fonctionnaires  étaient  nommés  par  l'empereur, 
et  le  mode  d'élection  par  le  peuple  n'était  plus  admis  quand 
il  s'agissait  de  pourvoir  à  la  vacance  d'un  siège  épiscopal. 
Les  évêques  étaient  désignés  par  leurs  pairs  et  nommés  par 
l'empereur.  D'ailleurs,  les  assemblées  générales  se  compo- 
saient en  grande  partie  de  prélats,  et  les  missi-domiuici 
n'étaient  autres  que  des  comtes,  des  évêques  et  des  abbés 
appelés  à  la  cour  de  Charlemagne  à  cause  de  leur  savoir 
ou  de  leur  activité  dans  l'étude  des  affaires. 

Du  cinquième  au  huitième  siècle,  les  arts  n'avaient  pu 
que  décliner*,  les  dernières  traditions  romaines  s'étaient 
effacées  \  les  édifices  que  l'on  éleva  pendant  cette  période 
accusaient  de  plus  en  plus  l'oubli  des  règles  les  plus  élémen- 
taires de  l'art  de  l'architecture.  On  se  contentait  de  main- 
tenir tant  bien  que  mal  les  monuments  de  la  décadence  de 
l'empire.  Mais  Charlemagne  apporta  ses  soins  à  la  réédifi- 
cation des  anciennes  églises,  et  sous  son  règne,  les  édifices 


I .  Eschevins,  chargés  de  la  gestion  des  affaires  de  la  commune 
Ils  remplaçaient  les  curiales. 


32  HISTOIRE    d'un    HOTEL    DE     VILLE 

épiscopaux  furent  presque  partout  rebâtis,  agrandis  ou  res- 
taurés. 

La  basilique  de  Saint- Etienne  était  devenue  la  cathédrale 
de  Clusiacum,  car  ré\  êque  y  avait  sa  cathedra,  son  siège 
épiscopal.  Mais  le  vieil  édifice  était  fort  délabré,  ne  répon- 
dait plus  aux  besoins  des  habitants  et  à  Timportance  des 
solennités  qu'il  devait  abriter. 

En  effet,  par  suite  de  Fextension  de  Tautorité  épisco- 
pale,  non-seulement  la  cathidrale  servait  au  culte  religieux, 
mais  c'était  sous  son  toit  que  se  tenaient  les  assemblées  pen- 
dant lesquelles,  sous  la  présidence  de  Tév^êque,  on  discutait 
des  intérêts  de  la  cité.  Elle  servait  de  tribunal  lorsque  le 
prélat  avait  à  juger  des  causes  importantes. 

En  796,  Eustoche  venait  d'être  nommé  évêque  de  Clu- 
siacum :  c'était  un  prêtre  instruit,  natif  de  Lyon.  —  Car 
Charlemagne  cherchait  sans  cesse  à  s'entourer  de  tous  les 
hommes,  de  quelque  contrée  qu'ils  fussent,  qui  s'étaient  fait 
connaître  par  leurs  lumières.  —  Il  avait  gouverné  avec 
sagesse  un  monastère  d'Auvergne,  avait  su  y  fonder  des 
écoles  renommées.  Chargé  par  l'empereur  de  missions  dif- 
ficiles dont  il  s'était  tiré  à  son  honneur,  le  siège  de  Clusia- 
cum lui  échut. 

Un  de  ses  premiers  soins  se  porta  sur  l'agrandissement 
de  la  basilique  de  Saint- Etienne,  et,  peu  après  son  instal- 
lation, il  adressa  une  longue  lettre  à  Charlemagne,  de  la- 
quelle nous  extrayons  les  passages  suivants  (car  les  évêques 
et  les  comtes,  indépendamment  des  visites  des  missi-domi- 
nici^  se  croyaient  tenus  d'adresser  à  l'empereur  des  mis- 
sives, sous  forme  de  rapports,  sur  leur  gestion)  : 

Lorsque  feus,  suivant  votre  ordre^  pris  possession  de 
cette  église,  fagis  de  tout  mon  pouvoir,  selon  les  forces 


Tic,.?. 


PLAN  DE  LA  CATHÉDRALE  CAULOVINGIENNE  ET  DE  L  EVECHE 


ET    D    UNE    CATHÉDRALE,  33 


de  ma  petitesse^  pour  amener  les  offices  ecclésiastiques  au 
point  oit,  arec  la  grâce  de  Dieu,  ils  sont  à  peu  près  arri- 
vés. Il  a  plu  à  votre  piété  d'accorder  à  ma  demande  la 
restitution  des  revenus  qui  appartenaient  autrefois  à 
l'église  de  Clusiacum  ;  au  moyen  de  quoi.,  avec  la  grâce 
de  Dieu  et  la  vôtre,  fai  pu  entreprendre  la  reconstruction 
totale  de  la  vénérable  basilique  du  glorieux  martyr 
Etienne.^  ainsi  que  d'une  partie  des  bâtiments  épisco- 
paux  qui  tombaient  de  vétusté.^  de  manière  à  les  rendre 
dignes  de  vous.,  s'il  vous  plaisait  de  visiter  ces  régions. 
Je  projette  également  de  construire.,  dans  le  voisinage  de 
V église  de  Saint-Etienne.,  une  école  pour  les  clercs  avec  un 
cloitj'C.,  afin  qu'ils  puissent  vivre  en  commun  et  quils 
soient  en  état  de  répandre  la  lumière  des  lettres  et  des 
sciences  autour  d'eux,  aussi  bien  que  de  méditer  les  textes 
sacrés.... 

Ainsi  qu'il  l'annonçait  à  Charlemagne,  Tévêque  Eustoche 
fit  promptement  exécuter  de  grands  travaux  dans  Tenceinte 
de  l'ancien  prétoire  romain.  De  la  basilique  (fig.  7)*,  il  ne 
conserva  que  l'abside,  les  murs  latéraux  et  le  baptistère  qui 
était  couronné  par  une  tour.  Il  allongea  la  nef  de  deux  travées, 
perça  les  murs  latéraux  pour  élever  un  transsept  et  refit 
toute  l'ordonnance  intérieure,  en  se  servant  toutefois  de 
quelques-unes  des  colonnes  antiques  qui  avaient  été  déjà 
replacées  dans  l'ancienne  basilique. 

Reculant  les  bâtiments  épiscopaux,  il  fit  élever  un  grand 
cloître   sur  le  flanc  sud   de  l'église.    Les  habitants  durent 


I.  Dans  ce  plan,  les  parties  rouges  indiquent  les  reconstructions 
de  i'évéque  Eustoche  ;  les  parties  noires,  les  anciennes  construc- 
tions conservées. 


04        ^  HISTOIRE     D'UN     HOTEL      DE     VILLE 

pourvoir  de  leurs  deniers  à  la  resiauration  des  tours  et  de 
la  porte  romaines,  ainsi  que  des  remparts.  La  limite  de 
Tenceinte  de  l'ancien  prétoire  fut  quelque  peu  reculée  du 
côté  du  nord  aux  dépens  d'une  voie  publique,  moyennant 
une  somme  que  Tévêque  promit  de  donner  pour  réparer 
l'ancienne  curie  \ 

La  figure  8  donne  la  vue  du  palais  épiscopal  et  de  l'église. 
Sauf  l'abside  ancienne  e.t  les  deux  absidioles  ajoutées  à  l'ex- 
tr imité  des  bas-côtés,  lesquelles  étaient  voijtées  en  cul-de- 
four,  tout  le  reste  de  l'église  fut  couvert  par  une  charpente 
richement  décorée  de  peintures.  Deux  tours  s'élevaient  sur 
les  premières  travées  des  collatéraux  et  contenaient  des 
cloches. 

Cette  église,  ainsi  reconstruite,  parut  fort  belle  ;  mais  les 
dépenses  avaient  été  considérables.  Les  bâtiments  neufs  de 
l'évêché,  le  cloître  décoré  de  chapiteaux  sculptés  avaient  égale- 
ment demandé  des  sommes  importantes,  et,  quoique  Fem-" 
pereur  eût  accordé  à  plusieurs  reprises  des  subsides  sur 
le  trésor  impérial,  l'évêque,  à  la  fin  des  travaux,  était 
fort  obéré.  Il  lui  fallut  recourir  à  des  emorunts  pour  solder 
les  dernières  dépenses. 

Alors,  les  Juifs  et  les  Lombards,  établis  dans  toutes 
les  villes  de  France,  étaient  les  seuls  détenteurs  d'argent 
auxquels  on  piJt  recourir  lorsqu'on  voulait  contracter  des 
emprunts.  Pas  n'est  besoin  de  dire  qu'ils  ne  prêtaient  que 
sur  bons  gages  et  moyennant  de  gros  intérêts  ou  certains 


I,  A,  l'église  cathédralj,  à,  l'ancien  baptistère  servant  de  trésor; 
C,  le  cloître;  D,  celliers  à  rez-de-chaussée,  grandes  salles  au-dessus, 
pour  les  assemblées  des  clercs;  E,  logements  à  rez-de-chaussée  et  au 
premier  étage  ;  F,  ancienne  tour  romaine;  G,  écuries  et  communs; 
H,  jardins;  I,  cour;  K,  parvis;  L,  tours  romaines  restaurées;  M, 
porte  de  l'enceinte  de  la  cathédrale  et  de  l'évêché. 


VUE  DE  L  EVÊCHÉ  DE  CLUSY  ET  DE  LA  CATHÉDRALE 
CARLOVINGIENNE. 


ET   d'une    cathédrale.  35 

privilèges  qui  leur  permettaient  d'accroître  leur  commerce 
et  de  faire  certains  profits  plus  ou  moins  licites. 

Sous  Tempire  romain,  les  curiales  étaient  responsables 
de  la  perception  des  impôts.  C^était  à  eux  à  les  recueillir  ou 
à  les  payer  sur  leur  propre  avoir,  si  la  quotité  des  sommes 
à  verser  au  trésor  par  les  municipes  n'était  pas  complétée. 
Cette  lourde  responsabilité  faisait  que,  loin  d'être  recher- 
chées, les  fonctions  de  curiales  étaient  considérées  comme 
une  charge  à  laquelle  chacun  essayait  de  se  soustraire. 
Mais  il  n'était  pas  loisible  de  refuser  l'emploi  de  curiale. 
C'était  une  fonction  qui  incombait  à  tout  citoyen  ayant  des 
biens  dans  la  cité.  Le  curiale  même  ne  pouvait  s'absenter 
sans  une  autorisation  du  préfet  romain  \  il  était  rivé  à  ses 
fonctions. 

Cette  législation  draconienne  était  tombée  en  désuétude  à 
la  fin  de  l'empire  ;  les  pillages  répétés  auxquels  se  livraient 
les  premiers  envahisseurs  du  sol  des  Gaules  eussent  rendu 
d'ailleurs  la  perception  impossible. 

Charlemagne  tenta  de  régulafriser  la-  perception  des  im- 
pôts. Mais  l'unité  n'était  plus  possible.  Les  églises  s'étaient 
fait  donner  des  biens  immeubles,  des  territoires  dont  le  re- 
venu devait  pourvoir  à  l'entretien  des  clercs  et  des  bâti- 
m^nt^.  Ces  immeubles  et  territoires  étaient  affranchis  de 
tjut  impôt  envers  le  trésor  impérial,  dont  les  ressources 
principales  consistaient  en  biens  domaniaux  d'une  grande 
étendue. 

Il  fallut  pourvoir  à  l'existence  de  ces  comtes  et  vicomtes 
que  l'empereur  établit  partout  ;  les  villes  furent  chargées 
de  ce  soin.  Chaque  délégué  du  pouvoir  devait  vivre  sur  le 
territoire  où  il  était  envoyé,  moyennant  certaines  redevances, 
perceptions  par  feux,  droits  de  péages,  droits  de  mouture, 
droits  sur  les  ventes  des  denrées,  droits  sur  les  transactions, 


36  HISTOIRE     d'un     hôtel     DE      VILLE 

droits  sur  le  s:l,  etc.  1-,'impôt  tendait  à  prendre  ainsi  toutes 
les  formes,  à  frapper  sur  tout,  et  cela  sans  règle  fixe.  Chacun 
essayait  de  se  soustraire  à  cette  multiplicité  des  charges  ; 
les  établissements  religieux  comprirent  bien  vite  les  avan- 
tages, qu^ils  pouvaient  retirer  d'un  ordre  de  choses  intolé- 
rable en  bien  des  cas,  en  traitant  les  habitants  de  leurs 
terres  avec  plus  de  ménagements,  et  surtout  d'une  façon 
moins  arbitraire  ;  aussi  bon  nombre  de  petits  propriétaires 
jugèrent  plus  avantageux  de  vivre  comme  fermiers  des 
abbayes  que  d'être  à  la  merci  des  percepteurs  d'impôts  de 
toutes  sortes,  et  donnèrent-ils  leurs  biens  aux  monastères,  à 
certaines  conditions  d'affermage.  Ce  fait  contribua  singuHc- 
rement  à  accroître  les  domaines  de  ces  abbayes,  leurs  reve- 
nus et  leur  influence  sur  les  populations. 

Considérant  ces  faits,  les  évêques  s'émurent.  Outre  qu'ils 
conservaient  encore  quelque  chose  du  caractère  de  repré- 
sentants du  pouvoir  civil  remis  entre  leurs  mains  par  1  em- 
pire romain  expirant,  ils  vivaient  dans  les  cités,  s'en  consi- 
déraient comme  les  gardiens  naturels  et  crurent,  non  sans 
quelque  raison,  que  l'intérêt  des  habitants  était  lié  au  leur. 
Ils  tentèrent  donc,  en  présence  de  l'éparpillement  des  pou- 
voirs qui  se  manifesta  dès  la  mort  de  Charlemagne,  de 
l'espèce  de  curée  qui  suivit  cette  mort  et  qui  fut  le  prélude 
du  régime  féodal,  d'augmenter  le  territoire  épiscopal  dans 
la  cité. 

Jusqu'alors,  les  évêques  s'étaient  contentés  des  enceintes 
des  prétoires-,  s'ils  avaient  reçu  des  donations  de  terres 
et  de  propriétés  dont  les  revenus  devaient  poui"voir  à  leur 
entretien  comme  à  celui  des  clercs,  des  églises  et  bâtiments 
épiscopaux,  ces  biens  étaient  généralement  situés  dans  la 
campagne.  Il  s'agissait  de  posséder  tout  ou  partie  importante 
delà  ville  et  d'en  devenir  le  seigneur.  Cela  parut  d'autant  plus 


ET   d'une   cathédrale.  Sy 


urgent  aux  évcqucs  que  les  comtes  et  viomtes,  de  simples 
fonctionnaires  qu'ils  étaient  sous  Charlemagnc,  se  faisaient 
accorder  des  droits,  étendaient  leur  juridiction,  leur  auto- 
rité directe  sur  des  quartiers  tout  entiers  et  arrivaient  à 
transmettre  ce  pouvoir  à  leurs  héritiers.  Ils  devenaient  ainsi 
seigneurs  laïques  en  face  de  Tévéque,  qui  ne  pouvait  admet- 
tre de  rivaux  dans  Texercice  de  Tautoriti  qu'il  avait  si  long- 
temps exercée  sans  conteste  dans  la  cité. 

En  présence  du  danger  qui  menaçait  leur  pouvoir,  les 
évêques  français  agirent  avec  prudence  et  habileté.  Ils  réu- 
nirent autour  de  la  cathédrale  des  établissements  qui  de- 
vaient particulièrement  intéresser  la  cité  :  écoles,  maisons 
de  refuge,  hospices.  Pour  obtenir  ces  résultats  ;  ils  surent 
faire  partager  leurs  craintes  aux  citoyens  influents.  Ils  se 
montrèrent  à  eux  comme  les  défenseurs  naturels  de  leurs 
intérêts,  de  leurs  libertés,  si  on  peut  donner  le  nom  de  li- 
bertés à  quelques  privilèges  maintenus  à  travers  les  âges 
par  les  débris  des  corporations  gallo-romaines  :  ils  leur 
signalèrent  les  procédés  arbitraires  employés  par  les  comtes 
et  vicomtes^  ils  firent  valoir  la  douceur  relative  de  leur  juri- 
diction, leur  amour  constant  pour  les  habitants,  les  services 
rendus  par  leurs  prédécesseurs. 

Et,  en  effet,  à  dater  du  huitième  siècle,  on  vit  s'accroître 
en  étendue  les  bâtiments  épiscopoux;  des  quartiers  tout 
entiers  furent  placés  sous  la  dépendance  de  l'évêché.  On 
éleva  des  écoles,  un  hôtel-Dieu,  des  maisons  pour  les 
chanoines,  pour  les  clercs  et  serviteurs  ;  si  bien  que  le  do- 
maine épiscopal  fut  bientôt  une  cité  dans  la  ville;  cité  close, 
sur  laquelh,  à  mesure  que  s'établissait  le  régime  féodal, 
l'évêque  exerçait  les  droits  d'un  seigneur,  droits  de  juridic- 
tion, perception  des  impôts,  droits  de  voirie,  etc. 

Mais  dans  la  ville  de  Clusiacum  existait,  dès  le  huidème 


38  iiiSToiRF.    d'un    hôtel    de    Vir.LE 

siècle,  une  abbaye,  l'abbaye  de  Saint-Martin,  qui  s'était  fait 
attribuer  une  partie  des  terrains  de  la  ville  basse,  le  long  de 
la  rivière,  et  qui,  de  même  que  Tévêque,  en  vint  à  exercer 
les  pouvoirs  féodaux  sur  ce  territoire,  bientôt  garni  de  mai- 
sons élevées  sous  la  protection  de  Tabbaye. 

Quant  au  reste  de  la  cité,  il  demeura  nominativement 
sous  le  pouvoir  du  roi,  —  car  Clusiacum  était  situé  aux  li- 
mites du  domaine  royal,  — pouvoir  représenté  par  un  comte, 
seigneur  d'une  partie  notable  du  faubourg. 

Ce  fut  seulement  sous  Charles  le  Chauve  qu'une  charte,, 
datée  de  860,  mit  Tévêque  de  Clusiacum  en  possession  d'un 
territoire  étendu  en  dehors  de  l'ancienne  enceinte  du  pré- 
toire. 

Le  plan  (fig.  9)  présente  une  partie  de  cette  concession, 
qui  s'étendait  au  nord  et  au  midi. 

Ce  plan  montre,  en  A,,  l'ancienne  enceinte  de  la  cathé- 
drale et  de  l'évêché  (ancien  prétoire)  et,  en  BB,  partie  de 
l'enceinte  nouvelle,  avec  trois  portes  CDE. 

L'évêque  Maurice,  qui  alors  occupait  le  siège  épiscopal, 
fit  élever  un  hôtel-Dieu  en  G  et  des  bâtiments  H  pour  re- 
cevoir de  nombreux  écoliers,  puis  une  grande  chapelle  1 
pour  les  jeunes  clercs. 

La  plupart  des  maisons  qui  remplissaient  cet  espace 
avaient  été  successivement  abandonnées  aux  évêques,  depuis 
la  fin  du  huitième  siècle,  ou  acquises. 

Plusieurs  furent  démohes  pour  permettre  l'établissement 
de  l'école  et  de  Thôtel-Dieu.  Les  autres  furent  destinées 
aux  logements  des  membres  du  chapitre,  des  clercs  et  éco- 
liers. Toutefois  la  muraille  K  de  la  ville  dut  demeurer,  en 
cas  de  guerre,  à  la  disposition  du  comte  et  des  milices  de  la 
ville.  Quant  aux  habitants  qui  conservèrent  leurs  propriétés 
dans    cette  enceinte,  ils    devinrent   vassaux  de  Tévêque-, 


ET     D   UNE     CATHEDRALE. 


39 


comme  ceux  qui  demeuraient  sur  le  territoire  abbatial,  pas- 
sèrent à  rétat  de  vassaux  de  l'abbaye,  et  ceux  du  faubourg, 
■du  vassaux  du  comte. 

On  n'ignore  pas  que  les  Juifs  avaient,   depuis  Charlema- 


gne,  été  admis  dans  les  villes  et  qu'ils  jouissaient  d'une  sé- 
curité relative,  assez  étendue.  C'était  à  eux  que  les  seigneurs 
laïques  et  les  évêques  recouraient  habituellement  dans  leurs 
besoins  d'argent;  pour  en  obtenir,  force  était  bien  de  leur 
faire  des  concessions  avantageuses,  comme,  par  exemple, 


40  HISTOIRE      D    UN      HÔTEL     DE     VILLE 


roctroi  de  la  vente  de  certains  objets,  de  se  livrer  à  certaines 
industries  à  l'exclusion  des  autres  citoyens.  —  Car  alors, 
on  ne  connaiisait  guère  d'autres  moyens,  pour  se  procurer 
de  Targent,  que  d'accorder  des  privilèges  à  ceux  qui  possé- 
daient les  métaux  précieux,  quitte  à  leur  faire  payer  ces 
concessions  le  plus  chèrement  possible. 
■  Grâce  à  leur  intelligence,  à  leur  habileté  pour  le  négoce, 
à  leur  économie,  à  leur  esprit  de  solidarité,  les  Juifs  com- 
posaient dans  les  cités  une  sorte  de  congrégation  puissante. 
Ne  donnant  rien  à  la  vanité,  vivant  entre  eux  sur  le  pied 
d'une  fraternité  complète,  sobres,  patients,  humbles  même, 
en  apparence,  ils  étaient  les  seuls  détenteurs  de  capitaux  et 
savaient  habilement  les  faire  fructifier.  On  concevra  facile- 
ment que  cette  situation  devait  leur  susciter  de  nombreux 
ennemis  dans  le  peuple  des  villes. 

En  845,  les  conciles  de  Meaux  et  de  Paris  tentèrent  de 
renouveler  les  anciens  édits  qui  défendaient  aux  Juifs  de 
plaider,  d'administrer,  de  juger,  de  faire  partie  des  milices, 
d  avoir  des  esclaves  chrétiens,  d'élever  des  synagogues,  de 
se  marier  avec  des  chrétiennes,  de  posséder,  etc.  Mais  ces 
décrets  demeurèrent  lettres  mortes,  et  les  Juifs  n'en  conti- 
nuèrent pas  moins  à  prospérer  sous  la  protection  des  grands 
qui  avaient  besoin  d'eux. 

Quelle  était  la  situation  de  la  cité,  à  la  fin  du  règne  de 
Charlemagne?  Les  comtés  et  vicomtes  étaient  divisés  en 
centainies  (cent  feux  ou  ménages),  et  on  ne  pouvait  passer 
d'une  centainie  dans  une  autre  sans  une  autorisation  du 
comte,  qui  avait  droit  de  justice  dans  l'étendue  de  son  res- 
sort. Les  centainies  étaient  placées  directement  sous  l'auto- 
rité d'un  chef  pris  parmi  les  hommes  libres;  ceux-ci  pou- 
vaient décider  de  certaines  contestations  peu  importantes, 
toutes  causes  qui  n'emportaient  privation  ni  de  biens  fonds, 


ET    D  UNE    CATHÉDRALE.  4I 


ni  de  la  liberté,  ni  de  la  vie.  Ils  instruisaient  les  adaires 
criminelles  jugées  en  la  cour  du  comte. 

Le  comte  et  le  centcnier  étaient  assistés  de  conseillers  ou 
assesseurs  [judiccs  locorum^  scabini)^  pris  de  même  parmi 
les  citoyens  notables.  Mais  ces  conseillers  étaient  élus  par  le 
peuple  et  par  le  comte  et  confirinés  par  Tempereur. 

Il  en  était  de  même  des  ccnteniers.  Les  scabiiii  (esche- 
vms)  remplaçaient  ainsi  les  anciens  curiales. 

Mais  les  années  qui  précèdent  la  chute  des  successeurs 
de  Charlcmagne  présentent  un  tel  chaos,  une  telle  anarchie 
et  confusion  de  pouvoirs,  que  ces  institutions  étaient  pro- 
fondément altérées. 

Les  pouvoirs  féodaux  établis  sur  ces  ruines  tendaient  à 
supprimer  ces  dernières  et  faibles  garanties  de  la  liberté 
des  citoyens,  chacun  ne  pensant  qu'à  se  placer  sous  la  pro- 
tection du  plus  fort. 

Ainsi,  dans  la  cité  même,  l'antagonisme  féodal  se  mani- 
festait de  jour  en  jour;  si  une  querelle  survenait  entre 
révêque  et  Tabbé  ou  le  vicomte,  on  voyait  les  citoyens  pren- 
dre parti  pour  leur  seigneur  et  se  livrer  des  combats  dans 
les  rues,  autour  des  enceintes  qui  circonscrivaient  chaque 
seigneurie. 

A  Clusiacum,  les  eschevins  se  réunissaient  dans  Tancienne 
curie,  qui  occupait  encore  la  inême  surface. 

Ce  bâtiment  était  fort  délabré,  car  personne  n'avait  charge 
de  l'entretenir  ou  de  le  réparer.  Parfois,  quelque  riche 
citoyen  consacrait  une  somme  destinée  à  pourvoir  aux  tra- 
vaux les  plus  nécessaires,  mais  cet  argent  demeurait  en 
grande  partie  entre  les  mains  des  eschevins,  la  population 
n'a3^ant  aucun  moyen  de  leur  demander  des  comptes. 

Cependant,  les  traditions  des  municipes  romains  n'é- 
taient pas  tellement  effacées  dans  les  cités  gallo-romaines 

6 


42 


HISTOIRE      D    UN     HOTEL     DE     VILLE 


du  Nord,  qu'il  ne  restât  dans  Tesprit  des  citoyens  un  vieux 
levain  d'indépendance  et  un  secret  désir  de  gérer  leurs  pro- 
près  affaires ,  au  moyen  de  magistrats  nommés  par  les 
habitants  possesseurs  des  droits  de  cité. 

Peu  à  peu  Pidée  de  la  commune  indépendante  mûrissait 
au  sein  des  populations  ;  il  se  formait  ce  qu'on  appelait  des 
conjurations^  c'est-à-dire  des  associations  secrètes,  entre 
citoyens,  en  vue  de  résister  aux  exigences  croissantes  de  la 
féodalité  ;  et  l'heure  des  revendications  municipales  allait 
sonner. 


ET      D    UNE     CATHÉDRALE.  4> 


CHAPITRE    III 


LA   COMMUNE    DE    CLUSY. 


Alors,  —  c'était  pendant  les  dernières  années  du  onzième 
siècle,  —  les  évêques  de  Clusy  avaient  singulièrement  étendu 
leur  juridiction  seigneuriale  sur  la  ville,  si  bien  que,  sauf  la 
place  du  Marché  et  ses  alentours,  le  faubourg  et  le  domaine 
de  rabba3'e  de  Saint-Martin,  les  droits  féodaux  de  Tevéché 
s'exerçaient  sur  la  presque  totalité  des  habitants,  et  que  la 
partie  de  la  cité  gouvernée  par  un  prévôt  royal  ne  compre- 
nait guère  que  le  dixième  de  la  superficie  enclose  de  murs^ 
encore,  plusieurs  des  villages  environnants  étaient-ils  com- 
pris dans  la  seigneurie  de  l'évêque. 

Cependant,  la  disposition  des  bâtim.ents  de  Tévêché, 
indiquée  dans  la  figure  9,  n'avait  point  été  modifiée  ;  quel- 
ques corps  de  logis,  ajoutés  au  palais  épiscopal,  rendaient 
Thabitation  seigneuriale  plus  vaste  ;  mais  Penceinte  tracée 
sur  cette  figure  existait  encore.  C'était  la  clôture  du  cha- 
pitre, des  écoles  et  de  Thôtel-Dieu. 

Les  habitudes  des  évêques  s'étaient  modifiées  en  raison 
même  de  l'accroissement  de  leur  puissance,  et  si  les  prélats 


44  HISTOIRE      D    UN     HOTEL     DE     VILLE 

appliquaient  rigoureusement  leurs  droits  féodaux,  ils  ne  se 
préoccupaient  que  médiocrement  des  devoirs  de  défenseurs 
de  la  cité,  pratiqués  par  leurs  prédécesseurs. 

Puis,  tout  un  monde  dépendait  de  Tévêque,  seigneur 
féodal.  Chevaliers,  écuyers,  gentilshommes,  parents  ,  ser- 
viteurs étaient  attachés  à  Tévêché  et  composaient  une 
véritable  cour  qui  vivait  aux  dépens  du  bourgeois. 

Le  siège  de  Clusy  était  un  des  plus  productifs  du 
royaume  et,  comme  tel,  était  donné  à  des  personnages  de 
haute  lignée,  puissants,  et  qui  devaient  trop  souvent  leur 
élévation  au  siège  épiscopal,  à  la  faveur,  ou  mieux  à  Tin- 
trigue  et  à  la  simonie. 

En  1099,  ce  siège  était  devenu  vacant;  les  bourgeois  res- 
pirèrent, car,  en  cas  de  vacance,  les  revenus  féodaux  de 
tout  évêché  étaient  perçus  par  le  prévôt,  au  profit  de  la  cou- 
ronne et  de  la  commune.  Or,  Tév^êque  défunt  avait  fort 
abusé  de  ses  droits,  taxant  arbitrairement  les  habitants,  les 
rançonnant  sous  le  prétexte  le  plus  futile.  De  riches  bour- 
geois avaient  été  emprisonnés  pour  leur  extorquer  de  l'ar- 
gent, et  plusieurs  fois  les  violences  des  agents  de  Tévêché 
occasionnèrent  des  rixes  dans  la  ville.  Rien  n'était  plus 
fréquent,  alors,  que  les  longues  vacances  des  sièges  épis- 
copaux,  par  cette  raison  que  le  roi  avait  tout  intérêt  à  les 
faire  durer.  Mais  aussi,  c'était  un  moyen  de  remplir  le  tré- 
sor royal,  que  d'accorder  ces  sièges  moyennant  finance. 
Le  prélat,  qui  avait  ainsi  acheté,  pourrait-on  dire,  la  di- 
gnité épiscopale,  n'avait  rien  de  plus  pressé  que  de  rentrer 
dans  les  sommes  déboursées  par  lui,  et,  à  la  suite  de  ces 
vacances  qui  laissaient  quelque  répit  aux  citoyens,  les  exi- 
gences des  évêques  n'étaient  que  plus  dures. 

Il  se  trouva  que,  pendant  les  deux  années  que  dura  la 
vacance  du  siège  de  Clus}^,  le  prévôt  royal,  homme  di- 


ET    d'une    cathédrale.  46 

bonnairc,  ne  foula  pas  trop  les  habitants,  qu'une  aisance 
relative,  la  tranquillité  et  une  ccrlaine  liberté  permirent 
aux  Clusianois  de  travailler,  de  développer  leur  indus- 
trie et  leur  commerce. 

Les  corporations  resserrèrent  les  liens  qui  les  unissaient 
et  se  promirent  de  ne  plus  supporter  les  spoliations  dont 
elles  avaient  été  les  victimes.  Il  y  eut  des  conciliabules  et, 
suivant  Texemple  récemment  donné  par  certaines  villes  du 
Nord,  les  bourgeois  jurèrent  de  se  soutenir  par  toutes  voies 
et  de  revendiquer  Tancien  droit  de  s'administrer,  de  perce- 
voir les  impôts,  de  faire  la  police  chez  eux,  de  punir  les 
délits  et  de  nommer  à  toute  fonction  municipale  par  voie 
d*'élection. 

Il  y  avait  alors  à  Clusy  un  bourgeois  qui  s'était  enrichi 
dans  la  fabrication  des  draps,  homme  respecté  de  ses  con- 
cit03'ens,  car  il  faisait  le  bien  et  était  de  bon  conseil.  Plu- 
sieurs fois,  sous  le  précédent  évêque,  il  s'était  entremis 
pour  obtenir  justice.  Le  prélat,  qui  n'était  pas  méchant 
homme  au  fond,  mais  qui  pichait  par  faiblesse  envers  son 
entourage,  avait  des  égards  pour  ce  notable  et  l'écoutait 
volontiers. 

Ce  bourgeois  avait  nom  Ancelle,  était  père  de  huit 
enfants,  dont  plusieurs  étaient  déjà  mariés.  Une  de  ses 
filles  avait  même  épousé  l'écuyer  Raymon,  qui  était  homme 
d'un  des  chevaliers  de  bon  renom  de  la  ville. 

Quand  Ancelle  réunissait  à  sa  table  ses  enfants,  petits 
enfants  et  ses  proches,  cela  composait  une  assemblée  d'une 
trentaine  de  personnes.  Son  influence  était  grande  dans  la 
cité-,  aussi  fut-il  tout  d'abord  désigné  pour  présider  les  con- 
ciliabules pendant  lesquels  furent  établies  les  bases  de  la 
Commune.  Avisé  et  prudent,  il  proposa  tout  d'abord  de 
s'entendre  avec  les  clercs  du  chapitre  et  les  chevaliers,  afin 


4.6 


HISTOIRE     D    UN     HOTEL    DE     VILLE 


de  mettre  dans  le  parti  de  la  commune,  outre  le  bon  droit, 
les  hommes  attachés  à  Tévêque  qu'on  leur  donnerait. 

Cette  entente  n'était  pas  difficile;  il  s'agissait  seulement 
d'offrir  une  bonne  somme  d'argent  à  ces  soutiens  du  pou- 
voir féodal.  Nous  donnons,  figure  lo,  le  portrait  d'Ancelle. 

Fw.  10 


\. 


Portrait  du  maire  Ancelle. 


A  ce  sujet,  des  ouvertures  furent  donc  faites  à  ces  clercs 
du  chapitre  et  à  ces  chevaliers.  Ceux-ci  consentirent  à  tout 
ce  que  feraient  les  bourgeois  pour  constituer  la  commune, 
pourvu  qu'on  leur  donnât  de  bons  gages  pour  le  payement 
de  la  somme  fixée. 

Cela  fait,  après  plusieurs  séances  tenues  ea  présence  de 
CCS  chevaliers  et  clercs,  l'acte  de  commune  fut  rédigé,  et 


ET     d'une     cathédrale. 


47 


par  serment,  bourgeois,  clercs  et  chevaliers  jurèrent  de 
Tobservcr  fidèlement. 

Par  cet  acte,  la  commune  devait  être  administrée  par  un 
maire  [majeur]  et  des  jurés  nommés  à  l'élection .  Aucune 
arrestation  d'un  homme,  soit  libre  ou  serf,  ne  pourrait  être 
faite  que  sur  Tordre  du  maire  et  des  jurés.  Tout  délit  devait 
être  jugé  par  ces  mêmes  autorités,  et,  en  matière  capitale,  le 
maire  et  les  jurés  recevraient  les  dépositions  du  plaignant, 
s'il  n'était  pas  fait  justice  à  la  Cour  seigneuriale.  Les  cen- 
sitaires ne  payeraient  à  leur  seigneur  que  ce  qu'ils  devaient 
par  tête,  et  n'accorderaient  rien  en  sus  au  dit  seigneur,  que 
de  leur  propre  volonté. 

Quiconque  serait  reçu  dans  la  commune  devrait,  dans  le 
délai  d'un  an,  ou  bâtir  une  maison,  ou  acheter  des  champs, 
ou  être  nanti  d'objets  mobiliers  ayant  assez  de  valeur  pour 
que  justice  pîjt  être  faite  s'il  y  avait  plainte  contre  lui. 

Les  mainmortes  étaient  entièrement  abolies. 

Le  payement  des  tailles  était  réglé. 

Le  maire  et  les  jurés,  au  nombre  de  douze  au  moins, 
avaient  l'administration  de  la  justice,  de  la  police  et  de  l'é- 
dilité.  Ils  convoquaient  les  habitants  au  son  de  la  cloche, 
soit  pour  tenir  assemblée,  soit  pour  la  défense  de  k  ville. 
Ils  devaient  juger  les  délits  commis  dans  la  banlieue,  faire 
exécuter  les  jugements  en  leur  nom  et  sceller  leurs  actes  du 
sceau  municipal. 

Immédiatement  après  le  vote  de  cette  charte,  jurée  par 
les  bourgeois,  par  les  chevaliers  et  les  clercs,  on  se  mit  à 
Toeuvre  pour  organiser  la  petite  république.  Ancelle  fut 
nommé  maire,  et  tout  sembla  marcher  à  souhait.  Il  fallait 
songer  à  édifier  un  bâtiment  propre  à  recevoir  les  assemblées 
des  bourgeois,  avec  une  tour  pour  les  cloches  et  les  archives 
municipales.  Or,  l'ancienne  curie  n'était  plus,  à  proprement 


48  HISTOIRE     d'un     hôtel     DE     VILLE 

parler,  qu'une  sorte  de  grange  délabrée.  Le  maire  ei  les 
jurés  s'adressèrent  au  maître  des  œuvres,  Jean  de  Laon, 
qui  passait,  non  sans  raison,  pour  fort  expérimenté.  Il 
n'était  pas  possible  d'occuper  plus  de  terrain  que  n'en  pre- 
nait l'ancienne  curie,  et  même,  les  notables  consultés  furent 
d'avis  que  le  bâtiment  de  la  commune  devait,  autant  que 
possible,  être  isolé.  Le  programme  fut  ainsi  rédigé  :  Une 
tour,  devant  contenir  une  salle  propre  à  recevoir  les  archi- 
ves, les  sceaux,  les  bannières  et  toutes  choses  importantes 
et  précieuses  pour  la  commune,  surmontée  d'un  beffroi  et 
d'une  guette  permettant  de  découvrir  tous  les  points  de  la 
ville.  Dans  le  beffroi,  seraient  établies  trois  cloches;  la  pre- 
mière et  la  plus  grosse  pour  la  convocation  des  assemblées*, 
la  deuxième  pour  signaler  les  incendies,  attaques,  émo- 
tions •,  la  troisième  pour  sonner  l'heure  du  travail  des  ate- 
liers et  le  couvre-feu.  A  cette  tour  devait  être  joint  un 
escalier.  Sur  l'emplacement  de  l'ancienne  curie,  un  espace 
voûté  pour  la  réunion  des  dizainiers-,  une  prison;  au- 
dessus,  la  salle  de  réunion  des  bourgeois  -,  une  galerie 
ajourée  sur  la  place,  pour  parler  au  peuple. 

Maître  Jean  de  Laon  soumit  bientôt  au  maire  et  aux 
jurés  un  projet  tracé  sur  beau  vélin.  Les  murs  romains  de 
la  curie  romaine,  très-solides  encore,  étaient  conservés 
(fig.  II). 

En  avant  du  vieux  bâtiment,  le  maître  de  l'œuvre  proje- 
tait une  tour  carrée  avec  escalier  à  vis  d'une  belle  largeur 
(4  pieds  d'emmarchement).  Le  rez-de-chaussée  de  cette 
tour  servait  de  vestibule  à  la  grande  salle  voûtée  du  rez-de- 
chaussée.  Des  deux  côtés,  deux  portiques  avec  galeries  au 
dessus,  réunis  à  la  tour;  derrière  celle-ci,  la  salle  voûtée  à 
rez-de-chaussée,  divisée  en  trois  travées  par  deux  rangs 
de  colonnes;  une  prison  en  regard  de  la  cage  de  l'escalier. 


ET     D    UNE     CATHLDRALl-. 


49 


Au-dessus,  la  grande  salle  des  bourgeois,  à  laquelle  on  arri- 
vait par  Pescalier  à  vis,  et,  dans  la  tour,  la  salle  des  char- 
tes, sceaux,  bannières  et  pièces  judiciaires,  salle  également 
voûtée.  Puis  enfin,  le  beffroi  avec  sa  guette. 


FiQ  n 


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fia  c  e  du.  IAa.rck  é 


Il  restait  ainsi,  sauf  au  droit  des  galeries  de  face,  un  iso- 
lement complet  entre  la  maison  des  jurés  et  les  propriétés 
voisines.  D'un  côté,  à  droite,  cet  isolement  laissa  un  pas- 
sage public  de  la  place  du  Marché  à  la  rue  des  Guriales, 
dite  rue  Curiale,  et  de  l'autre,  à  gauche,  la  maison  des 
jurés  possédait  une  longue  cour  avec  hangar  dans  un 
redent  formé  par  la  propriété  voisine  sur  la  rue  Curiale. 
Cette  cour  fermée  fut  spécialement  affectée  au  dépôt  des 
engins,  tels  qu'échelles,  cordages,  chaînes,  chariots,  etc. 

La  figure  12  présente  le  projet  de  maître  Jean  de  Laon, 
en  perspective,  tel  qu'il  fut  bientôt  exécuté.  Avec  une  ar- 
deur singulière,  on  se  mit  à  Tœuvre.  Des  propriétaires  voi- 
sins prêtèrent  leurs  maisons  pour  les  réunions  des  jurés,  en 
attendant  que  le  bâtiment  municinal  fût  achevé.  Le  terrain 

7 


50  HISTOIRE     d'un      HOTEL     DE     VILLE 

fut  débla3^é  ;  de  la  curie,  on  ne  conserva  que  les  murs  dans 
la  hauteur  du  rez-de-chaussée  ;  les  fondations  de  la  tour 
furent  jetées,  et,  trois  mois  après  Tadoption  du  projet,  on 
voyait  déjà  cette  construction  s'élever  sensiblement  au-dessus 
du  sol  de  la  place. 

Cependant  Ancelle  n'avait  pas,  dans  le  fond  de  son  cœur, 
ia  confiance  que  montraient  ses  concitoyens.  Il  redoutait 
l'arrivée  de  l'évêque  futur;  il  n'était  pas  édifié  sur  les  -sen- 
timents du  suzerain  à  l'endroit  de  l'établissement  de  la  com- 
mune. Aussi  crut-il  sage  de  tâter  à  ce  sujet  le  prévôt. 

Celui-ci,  comme  il  a  été  dit,  était  un  homme  aux  habitudes 
douces,  qui  se  contentait  de  faire  lever  régulièrement  les 
taxes,  mais  ne  s'occupait  en  rien  de  la  gestion  intérieure  de 
la  cité.  Loin  de  s'émouvoir  de  l'établissement  de  la  com- 
mune, il  n'avait  vu  dans  cette  décision  des  bourgeois  qu'un 
moyen*  de  fortifier  le  pouvoir  royal  et  de  diminuer  d'autant 
l'autorité  féodale  de  l'évêque.  D'ailleurs,  les  clercs  du  cha- 
pitre qui,  en  l'absence  de  l'évêque,  gouvernaient  l'église 
et  les  chevaliers  ayant  prêté  serment  à  la  commune,  il 
ne  croyait  pas  utile  d'intervenir.  Il  s'était  contenté  de  faire 
savoir  au  roi  l'installation  de  cette  commune. 

Mais  alors,  Louis  VI  venait  à  peine  d'être  associé  à  la  cou- 
ronne ;  et  à  la  cour  on  avait  d'autres  préoccupations. 

Ancelle  se  rendit  donc  chez  le  prévôt,  afin  de  le  consulter 
sur  l'opportunité  d'une  démarche  auprès  du  roi. 

«  Ce  n'est  pas  le  moment,  lui  répondit  le  prévôt.  Le  roi 
ne  voudra  pas  prendre  une  décision  avant  que  le  seigneur 
du  lieu  n'ait  refusé  d'accepter  ou  n'ait  accepté  la  commune 
jurée  par  les  clercs,  par  les  chevaliers  et  les  bourgeois  de  la 
ville.  Suivant  ce  qui  arrivera,  il  sera  temps  d'agir,  soit  pour 
prier  le  roi  de  ratifier  les  conventions,  soit  pour  le  supplier 
d'intervenir  auprès  du  seigneur  évêque,  si  celui-ci  n'accep- 


ET   d'une    cathédrale.  5i 


tait  pas  ce  qui  a  été  fait  pendant  la  vacance  du  siège.  En  tout 
cas,  il  vous  en  pourra  coûter  gros;  donc,  ménagez  vos  res- 
sources. » 

L'avis  parut  sage  à  Ancelle,  et  les  travaux  furent  poussés 
avec  activité;  la  ville  se  gouvernait  suivant  la  nouvelle  lé- 
gislation communale,  et  la  petite  république  prospérait,  pre- 
nant confiance  chaque  )Our  davantage. 

Ce  fut  le  i5  février  i  loi  seulement  que  le  nouvel  évêque 
fit  son  entrée  dans  la  ville  de  Glusy.  L^évêque  Godefroy 
était  allié  aux  grandes  familles  de  Normandie;  il  avait  fait 
la  guerre  en  Angleterre  avec  Guillaume  le  Bâtard.  Ses  ha- 
bitudes étaient  plutôt  celles  d'un  seigneur  laïque  que  d'un 
pasteur  des  peuples  ;  il  menait  grand  train,  aimait  la  guerre 
et  la  chasse,  avait  autour  de  lui  gentilshommes  et  serviteurs 
vivant  largement.  On  prétend  qu'il  avait  obtenu  son  siège 
à  force  d'argent,  et  il  arrivait  à  Glusy  avec  la  ferme  inten- 
tion de  se  rembourser  promptement  des  sommes  dépensées 
par  lui. 

Dès  qu'il  eut  pris  connaissance  du  traité  conclu  pendant 
la  vacance  du  siège  épiscopal,  il  se  montra  profondément 
irrité  et  ne  parlait  de  rien  moins  que  de  sortir  de  la  ville  et 
d'y  rentrer  par  la  brèche.  Cependant,  sur  les  conseils  du 
prévôt,  la  commune  lui  offrit  une  grosse  somme  d'argent 
s'il  voulait  la  reconnaître  à  son  tour;  changeant  aussitôt 
d'avis  devant  cette  offre  qui  venait  si  bien  à  point,  l'évêque 
ne  fit  plus  de  difficulté  de  jurer  qu'il  respecterait  les  privi- 
lèges des  bourgeois,  renonçant  pour  lui-même  et  pour  ses 
successeurs  aux  anciens  droits  de  la  seigneurie. 

Les  bourgeois  n'avaient  plus  dès  lors  qu'à  solliciter  la 
sanction  de  l'autorité  royale,  sanction  qui  fut  obtenue 
moyennant  de  beaux  présents.  I 

Les  choses  durèrent  ainsi  plus  de  deux  ans.  La  maison 


52  HISTOIRE     d'un     HOTEL     DE     VILLE 

des  jurés  était  construite  (fig.  12).  Mais  les  sommes  versées 
entre  les  mains  de  Tévêque  étaient  dépensées,  et  les  taxes, 
régulièrement  perçues,  étaient  loin  de  suffire  aux  besoins  du 
prélat  et  de  sa  cour.  Les  clercs  et  chevaliers  avaient  aussi,  de 
leur  côté,  vu  bientôt  la  fin  des  sommes  qui  leur  avaient  été 
accordées  par  les  bourgeois.  Ces  clercs  et  chevaliers  deve- 
naient insolents,  arrêtaient  les  gens  la  nuit  dans  les  rues  pour 
les  détrousser.  Ils  allèrent  jusqu'à  pilhr  des  boutiques-,  les 
rixes  recommençaient  et  la  police  urbaine  avait  fort  à  faire, 
car  les  hommes  de  Tévêque,  sans  tenir  compte  des  règle- 
ments municipaux,  faisaient  parfois  main  basse  sur  tous, 
empnsonnai>::nt  les  citadins  à  Pévêché  où  ceux-ci  subissaient 
les  plus  cruels  traitements,  d'où  ils  ne  sortaient  qu'en 
payant  argent  comptant,  et  ils  relâchaient  les  leurs.  Sou- 
vent, la  nuit,  on  entendait  sonner  la  cloche  du  beffroi, 
annonçant  l'attaque  d'une  troupe  sortie  de  Tévêché  contre 
les  plus  riches  maisons.  Toutefois,  dans  ces  échauffo urées, 
les  bourgeois,  plus  nombreux,  organisés  en  compagnies 
par  quartiers,  avaient  le  dessus,  et,  sauf  des  exceptions 
rares,  force  restait  à  la  loi  de  la  commune-,  mais  les  senti- 
ments de  haine  fermentaient  chaque  jour  davantage  entre 
nobles  et  bourgeois. 

Un  soir  du  mois  d'avril  i  io3,  l'écuyer  Raymon,  gendre 
4'Ancelle,  vint  le  trouver,  et,  sous  le  sceau  du  secret,  lui  fit 
savoir  que  l'évêque  comptait  profiter  des  fêtes  prochaines  de 
Pâques  pour  en  finir  avec  la  commune;  qu'alors  les  clercs 
et  chevaliers  seraient  déliés  solennellement  de  leur  serment, 
que  tous  les  droits  seigneuriaux  seraient  rétablis  et  tous  les 
habitants  de  Clusy  ramenés  dans  leur  ancien  état  de  gens 
taillables  à  merci. 

a  Eh  bien ,  dit  Ancelle ,  nous  résisterons  par  les  ar- 
mes, si  l'on  nous  y  contraint;   car  nous  possédons  une 


VUE   DE   l'hOTEL   de   VILLE   DU    XU*    SIÈCLE. 


ET    d'unl:    cathhdh ai.k.  53 

charte  royale,  et  1  évoque  ne  p2ut,  de  son  chef,  la  dé- 
chirer. « 

Le  lendemain,  de  bon  matin,  Ancelle  réunit  les  dou/.e  ju- 
rés et  leur  lit  part  de  ce  qu'il  avait  appris.  Ces  braves  gens 
ne  s'émurent  pas  outre  mesure  dj  cette  conspiration  contre 
la  commune,  chacun  d'eux  sentant  qu'une  crise  violente 
■était  prochaine  et  qu'il  faudrait  payer  de  sa  personne.  Ils 
avaient  pour  eux  le  bon  droite  ils  étaient  décidés  à  le  faire 
respecter  et  ne  doutaient  pas  des  dispositions  de  tous  les 
hommes  libres  de  la  ville. 

Il  fut  décidé  que  chacun  d'eux  conjurerait  un  certain 
nombre  de  citoyens,  qu'on  réunirait  des  armes,  qu'on  veil- 
lerait à  la  police  de  la  ville  plus  exactement  que  jamais,  et 
qu'au  preniier  signal  les  milices  se  réuniraient  sur  la  place 
■du  Marché. 

Un  incident  contribua  à  empirer  la  situation.  A  Clusy, 
Avivait  la  veuve  d'un  bourgeois  notable,  laquelle  avait  une 
jeune  fille  fort  belle,  fiancée  au  fils  d'un  des  jurés. 

A  plusieurs  reprises,  un  chevalier  du  nom  de  Hugues  de 
Civry,  attaché  à  l'évêque,  qui  trouvait  la  jeune  Alette  fort 
de  son  goijt,  avait  tenté,  par  des  présents  et  des  paroles 
•dorées,  de  se  faire  bien  venir  dans  la  maison  de  la  veuve, 
avec  l'espoir  de  séduire  la  fille.  Mais  il  en  avait  été  pour  sa 
peine;  ses  offres  aussi  bien  que  ses  cadeaux  avaient  été  re- 
poussés, et  la  veuve  ne  quittait  pas  la  jeune  Alette  d'un  ins- 
tant. Jamais  l'une  ne  sortait  sans  l'autre  du  logis. 

Soit  que  Hugues  de  Civry  crût  le  moment  favorable,  soit 
<iue  les  dédains  des  deux  femmes  eussent  excité  sa  passion, 
une  nuit,  il  s'introduisit  de  force,  avec  quelques  mauvais 
■drôles,  dans  la  maison  de  la  veuve,  et  malgré  les  cris  et  l'é- 
nergique défense  de  celle-ci,  il  enleva  la  fille.  L'expédition 
fat  menée  si  rapidement  que  les  gens  de  la  ville  ne  purent 


54  HISTOIRE     d'un     hôtel     DE      VILLE 

que  constater  le  rapt,  peu  d'instants  après  la  fuite  du  cheva- 
lier et  de  ses  hommes. 

La  veuve,  au  désespoir,  blessée  dans  la  lutte,  couverte  de 
sang,  à  peine  vêtue,  courait  dans  les  rues,  accusant  les 
bourgeois  de  lâcheté;  elle  était  suivie  par  une  foule  exas- 
pérée quand  elle  arriva  chez  le  maire  au  moment  où  le  jour 
commençait. 

Celui  ci  s"'habilla  aussitôt  et  se  rendit  immédiatement  à 
révêché  pour  demander  justice,  le  coupable  étant  désigné 
par  la  veuve.  Il  ne  put  voir  Tévêque  ;  malgré  son  insistance, 
celui-ci  se  contenta  de  lui  répondre  qu'il  examinerait  l'af- 
faire et  que,  d'après  l'acte  de  la  commune,  il  avait  cinq 
jours  pour  juger  le  cas. 

L'émotion  croissant  dans  la  ville,  vers  le  milieu  du  jour, 
le  maire  et  les  jurés  se  rendirent  de  nouveau  en  corps  à 
l'évêchi.  Même  répons2.  Les  bourgeois,  excités  par  la 
veuve,  parlaient  d'aller  attaquer  la  maison  du  chevalier  ; 
mais  cette  maison  était  située  dans  l'enceinte  même  du  cha- 
pitre, et,  en  face  de  l'exaspération  de  la  multitude,  les  portes 
de  cetle  enceinte  avaient  été  fermées  après  la  sortie  des 
jurés. 

Le  lendemain,  le  roi  Louis  VI  (dit  le  Gros)  arrivait  dans 
la  ville  de  Clusy,  suivi  d'un  grand  train.  Il  se  rendait  à  l'in- 
vitation de  l'évêque,  auquel  .il  avait  promis  d'assister  aux 
fêtes  de  Pâques,  dans  son  éghse. 

Il  est  à  croire  que  cette  visite  avait  été  concertée  pour  en 
finir  avec  la  commune.  En  efïèt,  l'évêque  mit  la  question 
sur  le  tapis.  Le  roi  et  les  courtisans  avaient  des  scrupules  et 
l'évêque  n'avançait  pas  dans  sa  négociation,  d'autant  que 
les  bourgeois,  prévoyant  les  intentions  du  prélat,  avaient 
fait  offrir  quatre  cents  livres  et  plus  aux  conseillers  du 
roi. 


ET     D   UNE     CATHÉDRALE.  55 


En  présence  de  ces  hésitations,  TévêqueGodefroi,  n'ayant 
pas  de  peine  à  en  deviner  le  motif,  offrit  sept  cents  livres, 
non  qu'il  les  possédât,  mais  il  entendait  bien,  la  commune 
supprimée,  les  lever  sur  les  bourgeois.  Devant  de  pareilles 
offres,  les  conseillers  du  roi  reconnurent  volontiers  que  la 
commune  était  œuvre  du  démon,  et  le  suzerain  lui-même 
ne  fît  plus  de  difficultés  pour  anéantir  la  charte  qu'il  avait 
octroyée  deux  ans  auparavant. 

Il  s'agissait  de  se  mettre  en  règle  de  toutes  façons;  le 
prélat,  en  vertu  de  son  autorité  pontificale,  délia  Jes  clercs, 
les  chevaliers,  le  roi  et  lui-même  des  serments  prêtés  aux 
bourgeois,  et  immédiatement,  de  par  le  suzerain  et  l'éve- 
que,  on  publia  par  la  ville  l'abolition  de  la  commune  et 
l'injonction  à  tous  magistrats  de  la  cité  d'avoir  à  cesser 
leurs  fonctions,  de  déposer  le  sceau  et  la  bannière  de  la 
commune  à  l'évêché,  de  descendre  sans  délai  les  cloches  du 
beffroi  et  de  cesser  toute  réunion. 

Les  jurés,  cependant,  siégeaient  dans  leur  maison  com- 
munale, et  la  résistance  fut  décidée.  Malgré  le  cri  du  roi  et  de 
l'évêque,  des  conciliabules  eurent  lieu  la  nuit  suivante  et  pas 
un  bourgeois  ne  dormit  dans  la  ville. 

Ancelle,  portant  avec  calme  l'immense  responsabilité  qui 
pesait  sur  lui,  donna  ses  instructions,  bien  décidé  à  jouer  le 
tout  pour  le  tout  et  à  mourir  s'il  le  fallait  sur  les  ruines  de 
sa  ville. 

Le  cri  avait  été  accueilli  dans  toute  la  cité  avec  de  telles 
clameurs,  de  telles  huées,  que  le  roi  jugea  prudent  de  ne 
point  attendre  la  fin  de  cette  aventure.  Le  vendredi-saint, 
de  grand  matin,  il  sortit  avec  toute  sa  suite  par  la  porte 
Saint- Etienne,  voisine  de  l'évêché  où  il  avait  pris  son  logis. 

Ce  jour-là,  toutes  les  maisons  de  la  ville  restèrent  closes, 
personne  ne  circulait  dans  les  rues,  les  auberges  n'ouvrirent 


56  HISTOIRE     d'un     hôtel     DE     VILLE 

pas  aux  voyageurs  qui  frappaient  vainement  aux  huis.  Le 
Marché  demeura  désert.  Cette  attitude,  inquiétante  au  su- 
prême degré  pour  ceux  qui  savent  comment  se  préparent 
les  grandes  émotions  populaires,  n'excita  que  la  raillerie 
chez  les  nobles,  les  gens  de  Tévêque  et  les  clercs  du  chapi- 
tre. Ils  crurent  que  tout  était  fini.  Cependant,  Pévêque  Go- 
defroifit  venir  des  domaines  de  TÉglise  des  paysans  et  serfs 
qu'on  arma  et  qu'on  établit  dans  les  tours  de  la  cathédrale 
et  de  révcché  -,  puis  il  fut  entendu  qu'à  la  première  alerte,, 
les  chevaliers  se  rendraient  en  armes  au  palais  épiscopal. 

Le  soir,  un  autre  cri  fut  fait  dans  la  ville,  par  lequel 
chacun  devait  dresser  un  état  de  son  avoir  et  le  remettre 
dès  le  lendemain  à  Tévêché.  A  ce  cri^  cette  fois,  ne  furent 
opposées  ni  huées  ni  clameurs.  Les  rues  continuaient  à  être 
désertes  et  les  maisons  fermées. 

Pendant  la  nuit  et  la  journée  du  lendemain,  même  silence. 
Autre  cri  dans  la  journée  enjoignant  aux  bourgeois  d'avoir 
à  payer,  à  l'occasion  de  l'abolition  de  la  commune,  les 
mêmes  sommes  qu'ils  avaient  données  à  l'évêque,  aux  che- 
valiers et  clercs  pour  son  établissement.  Évidemment  les 
gens  de  l'évêché  s'enhardissaient  et  ajoutaient  l'insulte  et  la 
raillerie  à  ce  qu'ils  considéraient  comme  une  victoire. 

La  fête  de  Pâques  se  passa  sans  tur.rjlte,  bien  que 
quelques  cris  :  Commune  !  commune!  eussent  été  proférés 
au  moment  où  l'évêque  sortait  de  la  cathédrale  pour  rentrer 
à  l'évêché. 

Mais,  pendant  la  nuit  qui  suivit,  cinq  maisons  de  riches 
chevaliers  qui  tenaient  pour  l'évêque  furent  pillées  dans  la 
ville  basse,  ainsi  que  des  magasins  de  salaisons  et  plusieurs 
moulins  sur  la  rivière.  C'était  aux  vivres  spécialement  que 
les  pillards  s'adressaient,  comme  s'ils  eussent  voulu  se  pré- 
munir contre  un  siège. 


ET     d'une     CATHliDRALE.  5"] 


Ces  excès  firent  que  les  chevaliers  s'enfermèrent  chez  eux 
pour  défendre  leur  avoir  et  ne  se  rendirent  pas  de  grand 
matin  au  palais  épiscopal,  ainsi  qu'il  avait  été  convenu,  pour 
mettre  à  exécution  les  mesures  arrêtées  les  jours  précé- 
dents. 

L'évêque,  informé  des  attentats  commis  pendant  la  nuit, 
délibérait  avec  son  archidiacre  sur  les  moyens  de  châtier  ces 
bourgeois,  quand  un  des  chanoines,  homme  d'âge  et  véné- 
rable, qui  voyait  dans  Tabolition  de  la  commune  un  sujet 
de  graves  désordres  et  n'approuvait  pas  la  manière  dont 
cette  affaire  était  conduite,  demanda  à  être  introduit  auprès 
du  prélat. 

«  Seigneur  évêquc,    lui   dit-il,  dès  qu'il  fut  en  sa  pré- 
sence,   je    sais  de  source  certaine  que   les    bourgeois    de 
Clusy  ont  tenu  des  conciliabules  ces  jours  et  nuits  passés  ; 
que  beaucoup  d'entre  eux  se  sont  conjurés  dans  l'intention 
abominable  d'occire  vous,  vos  clercs  et  les  chevaliers  de  la 
cité  à  votre  dévotion.  Ces  gens  sont  hardis  et  nombreux-, 
en  admettant  que  l'on  puisse  leur  résister,  ce  ne  sera  qu'en 
répandant  beaucoup  de  sang  -,  permettez  à  un  vieux  servi- 
teur de  l'Église  de  faire  appel  à  vos  sentiments  de  pasteur 
de  ce  peuple...  Il  en  est  temps  encore  peut-être-,  des  paroles 
rassurantes,  paternelles,  détourneraient  de  leurs  mauvais 
desseins  les  moins  endurcis  et  isoleraient  certainement  les 
instigateurs    de  la  révolte.   Sans  abandonner    les    droits 
seigneuriaux  que  vous  venez  de   reprendre,  que  ne  pro- 
mettez-vous à  votre  peuple  de  ne  les  exercer  qu'avec  modé- 
ration et  justice,  de  telle  sorte  que  les  bourgeois  ne  soient 
point  lésés  dans  leurs  intérêts?...  Au  point  où  en  sont  les 
choses,  tout  est  à  redouter... 

—  Allons  1  interrompit  l'évêque  Godefroi,   au  point  ou 
en  sont  les  choses,  je  ne  donnerai  pas  à  ces  vilains  la  satis- 


58  HISTOIRE     d'un     hôtel     DE     VILLE 

faction  de  croire  qu'ils  me  font  peur.  Ne  craignez  rien,  de 
par  Dieu,  nous  en  avons  vu  bien  d'autres!  Trois  ou  quatre 
hommes  d'armes  suffiront  à  balayer  cette  canaille.  Qu'ils 
complotent  dans  leurs  maisons  tant  qu'il  leur  plaira  ;  mais 
s'ils  se  présentent  en  troupes  dans  les  rues,  soyez  en  paix... 
l'affaire  ne  sera  pas  longue,  et  nous  ne  verrons  que  leurs 
dos  !  D'ailleurs,  nous  3'  avons  pourvu  et  sommes  en  état  de 
nous  défendre...  » 

Puis,  après  un  moment  de  réflexion,  s'adressant  à  l'ar- 
chidiacre : 

«  Les  chevaliers  se  sont-ils  rendus  ici  ce  matin  ? 

—  Pas  encore,  seigneur  évêque. 

—  Eh  bien,  qu'on  les  fasse  prévenir  au  plus  tôt  !  » 
Quelques  heures  avant   cet  entretien,  au  petit  jour,   il 

s'était  passé  un  fait  qui  devait  hâter  le  soulèvement  des 
bourgeois. 

La  veuve,  mère  d'Alette,  la  jeune  fille  enlevée,  n'avait 
cessé  d'accabler  les  bourgeois  d'épithètes  outrageantes,  de 
ce  qu'ils  laissaient  ainsi  ravir  une  fille  hbre  et  de  ce  qu'ils 
ne  se  ruaient  pas  en  masse  sur  la  maison  du  ravisseur.  An- 
celle  avait  essayé  vainement  de  la  calmer,  car,  bien  qu'il  res- 
sentît la  gravité  de  l'injure  faite  à  la  veuve,  il  ne  voulait  pas 
compromettre  la  réussite  de  ses  projets  par  une  action  isolée 
qui  pût  détourner  l'attention  publique  du  fait  principal  :  la 
commune.  Il  lui  donnait  l'assurance  que  la  vengeance  serait 
telle  qu'elle  la  souhaitait,  mais  que  les  cris  et  les  injures  ne 
servaient  de  rien  ;  qu'il  fallait  patienter...  Celle-ci  répondait 
à  ses  discours  par  des  explosions  de  colère  mêlées  de 
railleries  amères. 

Voyant  pourtant  qu'elle  ne  pouvait  faire  sortir  le  maire 
de  son  calme,  la  veuve  alla  trouver  le  fiancé  de  sa  fille 
et  n'eut  pas  de  peine  à  le  pousser  à  des  actes  de  violence. 


ET     d'une    CATHliDRALE.  ^9 


Celui-ci  réunit  une  cinquantaine  de  jeunes  gens,  fils  de 
bourgeois  comme  lui,  et,  de  propos  en  propos,  s'échauf- 
fant  jusqu'à  la  fureur,  ils  jurèrent  par  serment  de  tuer  tous 
les  nobles  et  les  chevaliers,  de  brûler  leurs  maisons,  dus- 
sent-ils périr  eux-mêmes  jusqu'au  dernier  dans  leur  entre- 
prise. 

Ils  devaient,  pendant  la  nuit  du  dimanche  de  Pâques  au 
lundi,  escalader  les  murs  d'enceinte  du  chapitre  et  com- 
mencer par  tuer  le  chevalier  ravisseur,  brûler  sa  maison  et 
continuer  leur  œuvre  de  destruction,  tant  qu'un  noble  reste- 
rait vivant. 

Mais  au  moment  où,  réunis  chez  la  veuve,  ils  se  prépa- 
raient à  mettre  à  exécution  leur  projet,  Alette,  les  vêtements 
souillés,  mourante,  entra  chez  sa  mère. 

La  jeune  fille  pouvait  à  peine  se  soutenir  ;  tout  ce  qu'on 
put  apprendre  d'elle,  c'est  qu'elle  s'était  sauvée  de  chez  son 
ravisseur.  En  proie  à  la  fièvre,  ses  dents  claquaient,  elle  ne 
prononçait  que  des  paroles  incohérentes,  La  veuve,  affolée, 
tantôt  serrait  la  pauvre  fille  dans  ses  bras,  à  l'étoufïer, 
tantôt  se  répandait  en  imprécations  sauvages,  puis,  en  san- 
glotant, voulait  soigner  son  enfant,  lui  donner  à  boire,  la 
coucher.  Mais  celle-ci,  comme  insensible,  repoussait  tout  et 
ne  sortait  de  son  état  de  torpeur  que  pour  être  en  proie  à 
des  convulsions  effrayantes. 

Les  jeunes  gens  qui  assistaient  à  cette  scène,  pâles,  acca- 
blés, demeuraient  comme  pétrifiés  devant  le  désespoir  de  la 
mère  et  l'état  déplorable  d' Alette. 

La  soif  de  la  vengeance  était  poussée  chez  eux  au  pa- 
roxysme, et  cependant  ils  ne  pouvaient  se  détacher  de  ce 
spectacle  navrant. 

Une  crise  plus  violente  emporta  l'enfant...  Quand  la 
veuve  vit  sa  fille  morte,  elle  ne  pleura  plus,  ne  cria  plus, 


60  HISTOIRE     D   UN     HOTEL     DE     VILLE 


mais  se  dressant  de  toute  sa  hauteur  et  se  tournant  vers  les 
jeunes  gens  : 

«  S'il  en  est  un  seul  parmi  vous,  dit-elle  d'une  voix  rauque, 
qui  recule  devant  la  vengeance,  sMl  en  est  un  seul  parmi 
vous  qui  épargne  un  chevalier,  s'il  en  est  un  seul  parmi  vous 
qui  préfère  la  vie  au  besoin  d'assouvir  notre  haine  com- 
mune pour  ces  nobles...  celui-là  est  un  lâche,  un  traître,  un 
parjure  -,  qu'il  soit  maudit  dans  l'éternité...  Car,  au  jour  du 
Jugement,  je  me  lèverai  devant  Dieu  et  je  dirai:  «  Voilà  un 
«  parjure  à  ses  serments  qui  a  reculé  lâchement  quand  il 
«  fallait  venger  la  mort  d'une  enfant  traîtreusement  enlevée 
«  à  sa  mère  !  C'est  un  complice  du  crime...  Par  la  justice  de 
«  Dieu,  il  doit  être  maudit  !  »  (Fig.  t3.) 

Toutes  ks  mains  se  levèrent,  tous  jurèrent  de  nouveau, 
sur  le  corps  de  l'enfant,  de  ne  pas  laisser  un  noble  vivant 
dans  la  cité. 

«  Et  maintenant,  reprit  la  veuve,  il  vous  faut  faire  passer 
dans  le  cœur  de  ces  timides  bourgeois  la  soif  de  la  ven- 
geance... Portez  le  corps  d'Alette  dans  la  cité.  Allez!  que 
le  Dieu  juste  soit  avec  vous;  pour  moi,  je  pleurerai  sur  ma 
fille  quand  l'outrage  sera  lavé  dans  le  sang.  » 

Une  acclamation  accueillit  ces  derniers  mots.  Le  corps 
de  la  jeune  fille  fut  placé  sur  un  châlit,  aussitôt  enlevé  par 
quatre  jeunes  gens. 

Le  jour  commençait  à  poindre  et  la  troupe,  en  poussant 
des  cris  et  des  imprécations,  se  dirigea  vers  la  place  du 
Marché. 

Déjà  des  groupes  silencieux,  réunis  par  Ancelle,  débou- 
chaient des  rues.  L'arrivée  du  cortège  funèbre,  la  vue  de 
cette  belle  jeune  fille  qui  semblait  dormir,  —  car  la  mort 
laisse  sur  les  traits  de  ceux  qu'elle  frappe  ainsi  un  calme 
qui  contraste  avec  les  dernières  convulsions  de  l'agonie,  — 


HT     D    UNE     CATHl'jDRA  LE, 


Ol 


causèrent  parmi  les  arrivants  u:ie  sorte  d^  stupeur  respec- 
tueuse. 

Chacun  sut  bi.intôt  révénement  de  la  nuit,  d'autant  que 
toute  la  ville  é  a't  émue  de  renlèvjment  d'Alette. 


Fi-.  i3. 


Mais  quand  le  corps  eut  été  déposé  au  milieu  de  la  place, 
et  quand  les  jeunes  gens  eurent  répété  leur  S2rm3nt  de  ven- 
geance devant  la  foule,  une  immense  clameur  s'éleva  ;  des 
cris  :  «  Mort  aux  chevaliers!  mort  aux  nobles!  commune! 
commune!  »  partirent  de  toutes  les  poitrines. 

«  Allons,  dit  Ancelle  aux  jurés  qui  s'étaient  réunis  au- 
tour de  lui,  les  choses  vont  plus  vite  qu'il  n'eût  fallu  ^  il 


02  HISTOIRE     d'un     HOTEL     DE     VILLE 

n'y  a  pas  un  moment  à  perdre....  Qu'on  mette  en  branle 
les  cloches  du  beffroi  tout  à  Theure,  et,  sans  tarder,  mar- 
chons droit  à  Tenceinte  du  chapitre!  » 

Et,  ayant  réclamé  le  silence,  le  maire,  s'adressant  à  la 
foule,  dit  ces  quelques  mots  : 

«  Nous  observions  fidèlement  la  commune,  dites?, 

—  Oui!  répondit  la  foule. 

—  Ceux  qui  Pont  parjurée  nous  menacent  dans  nos 
biens,  dans  nos  franchises  obtenues  à  prix  d'argent....  Vous 
le  savez? 

—  Oui  !  reprit  encore  la  foule. 

—  D'eux,  nous  ne  pouvons  obtenir  ni  justice  m  pitié.... 
puisque  ce  sont  des  parjures  devant  Dieu. 

—  Non  !  hurlèrent  les  mêmes  voix. 

—  Eb  bien!...  c'est  à  nous  à  faire  justice, 

—  Oui!  oui! 

—  Que  pas  un  de  vous  ne  recule;  voyez  ce  que  font 
de  vos  filles  ces  nobles  qui  prétendent  nous  traiter  comme 
un  bétail  !  Ne  vaut-il  pas  mieux  périr  en  défendant  nos 
franchises  que  de  vivre  dans  l'opprobre,  que  de  voir  nos 
enfants  souillés  et  mourir  de  honte,  nos  biens  pillés  ? 

—  Commune  !  commune  !  répétèrent  les  groupes, 

—  En  avant  donc  !  » 

Et  on  vit  cette  masse  de  bourgeois  s'engouffrer  dans  les 
rues  qui  montaient  à  l'évêché.  Les  uns  étaient  armés  de 
haches  et  de  coignées,  d'autres  portaient  les  longues  plom- 
mées  terribles*.  Quelques-uns  brandissaient  des  vouges^ 


1.  La  plommée  était  un  long  bâton  bardé  de  bandes  de  fer  et  ter- 
miné par  une  masse  de  plomb. 

2.  Le  vouge  se  composait  d'une  lame  de  fer  lecourbée,  aiguë  et 
tranchante^  avec  un  crochet  à  la  base,  emmanchée  au  bout  d'un 
bâton. 


ET   d'une   cathédrale.  63 

ou  tenaient  à  li  main  de  lourdes  arbalètes.  On  en  voyait 
qui  s'étaient  munis,  en  guise  d'armes,  d'instruments  de 
métiers,  bisaiguës,  boyaux,  pioches,  longues  tarières, 
barres  de  fer,  faux,  fourches,  ou  même  d'ustensiles,  lan- 
diers,  broches,  pelles  de  fer,  leviers,  longs  couteaux,  etc. 

La  maison  du  ravisseur  de  la  jeune  fille  était  voisine 
d'une  des  portes  de  l'enceinte  du  chapitre*. 

La  troupe  des  jeunes  gens  qui  portaient  la  morte  au 
milieu  d'eux,  et  qui,  sur  son  passage,  recrutait  nombre  de 
citoyens  retardataires  ou  plus  timides,  mais  que  la  vue  du 
cortège  exaspérait,  arriva  devant  cette  porte,  laissée  ouverte 
dans  l'attente  des  chevaliers  mandés  par  l'évêque,  —  car 
celui-ci,  bien  qu'il  fut  prévenu  de  l'émotion  des  bourgeois, 
ne  supposait  pas  qu'ils  pussent  rien  entreprendre  de  sé- 
rieux. 

S'emparer  de  cette  porte  fut  l'affaire  d'un  instant;  lais- 
sant une  vingtaine  d'entre  eux  pour  la  garder,  le  reste 
se  rua  sur  la  maison  du  chevalier,  enfonça  l'huis,  se 
saisit  du  ravisseur,  qui  n'avait  pas  eu  le  temps  de  s'armer, 
et  l'amenant  devant  le  cadavre  de  la  jeune  fille,  le  cribla  de 
coups  de  hache  et  de  couteau. 

Les  autres  troupes  de  bourgeois  n'eurent  guère  plus  de 
peine  à  s'emparer  des  autres  portes;  devant  le  flot  mon- 
tant de  ces  hommes  armés,  les  quelques  défenseurs  de  ces 
issues  ne  tentèrent  même  pas  une  résistance  inutile. 

Cependant,  les  trois  cloches  du  beffroi  de  la  ville  son-, 
naient  à  toute  volée,  et  les  chevaliers,  répandus  dans  les 
divers  quartiers  de  la  cité,  s'empressaient  de  s'armer  pour 
se  réunir  à  l'évêché,  pensant  bien  que  le  palais  allait  être 
attaqué.  Ils  arrivaient  ainsi  successivement  aux  portes  lais- 

1.  Voir,  figure  9,  la  porte  C. 


64  HISTOIRE     d'un     hôtel    DE     VILLE 

sées  ouvertes  et  occupées  à  Tintérieur  par  les  bourgeois. 
Aussitôt  ils  étaient  entourés  et  massacrés. 

Ces  scènes  de  carnage  rapportées  à  Pévêque.  le  prélat 
comprit  trop  tard  l'étendue  du  péril.  Il  essaya  de  gagner 
les  champs  par  une  poterne  ouverts  dans  la  muraille  de  la 
ville,  sous  le  palais;  mais  Ancelle  Tavait  prévenu,  et  en 
dehors  des  remparts  étaient  postés  des  bourgeois  armés,  en 
assez  grand  nombre  pour  arrêter  les  fuyards.  Alors  Tévê- 
c]ue  tenta  d^organiser  la  résistance.  On  a  vu  qu'il  avait  fait 
venir  de  la  campagne  des  paysans;  ceux-ci,  armés  d'arcs 
et  d'arbalètes,  furent  postés  dans  les  tours  de  la  cathédrale 
et  dans  la  vieille  tour  romaine. 

Tous  les  gens  du  palais  et  même  des  clercs  se  rassem- 
blèrent aux  portes  et  le  long  des  murs.  Mais  ce  monde  fai- 
sait médiocre  contenance.  On  entendait  au  dehors  les  cris 
de  la  foule  ameutée  :  Commune!  commune!  et  cela  sur 
tous  les  points  à  la  fois,  car  Ancelle  disposait  les  troupes  de 
bourgeois  autour  de  Févêché,  afin  d'obliger  Pévèque  à 
capituler  et  à  accepter  des  conditions  de  paix,  c'est-à-dire 
le  rétablissement  de  la  commune. 

Cependant,  les  paysans  postés  dans  le  beffroi  de  la  cathé- 
drale, voyant  la  foule  déboucher  par  les  rues  voisines  de 
l'enceinte  du  palais,  lancèrent  quelques  flèches  et  carreaux 
qui  blessèrent  des  bourgeois.  Ceux-ci,  exaspérés  par  ce 
semblant  de  résistance,  se  ruèrent  sur  les  porte?,  et  plu- 
sieurs même,  allant  quérir  de  gros  chevrons,  se  mirent  à 
ba'itre  l'angle  nord-ouest  de  l'enceinte.  Le  mur,  vieux  et  de 
faible  épaisseur,  s'écroula  bientôt,  pendant  que  les  portes 
étaient  enfoncées. 

Ancelle  s'efforçait  de  maintenir  les  assaillants;  mais  la 
foule  ne  Técoutait  plus;  de  tous  côtés,  elle  envahissait 
révêché,  massacrant  les  clercs  et  cherchant  l'évcque.  Pour 


INCENDIE   DE   LA   CATHÉDRALE    CARLOVINGIENNE. 


ET    d'une   cathédrale.  65 


déloger  les  Jcfenscurs  des  tours,  qui  coniiiuiaient  à  tirer 
sur  les  bourgeois  et  à  leur  jeter  des  débris  de  toutes  sortes, 
le  feu  fut  mis  aux  charpentes  de  la  cathédrale,  et  rinccndic 
gagnant  bientôt  les  beffrois,  les  malheureux  paysans  péri- 
rent presque  tous  dans  les  Hammes  (fig.  14). 

•Quant  à  Tévêquc,  sur  le  soir,  on  le  trouva  caché  dans 
une  barrique,  et  malgré  ses  supplications,  ses  promesses  de 
rétablir  la  commune,  il  fut  égorgé. 

Sur  son  corps  dépouillé  et  abandonné  dans  la  cour,  cha- 
cun voulut  jeter  une  pierre. 

Cependant,  la  troupe  des  jeunes  g^ns  envahissait  succes- 
sivement les  maisons  des  nobles  et  des  chevaliers;  ceux-ci, 
n'ayant  pu  se  réunir,  se  défendirent  comme  ils  purent  dans 
leurs  logis,  et  blessèrent  ou  tuèrent  un  certain  nombre  des 
assaillants.  Mais  cette  résistance  ne  faisait  qu'animer  davan- 
tage les  bourgeois. 

Us  égorgeaient  tout  ce  qui  leur  tombait  sous  la  main,  et 
jusqu'aux  femmes  et  aux  enfants.  Peu  de  chevaliers  purent 
se  dérober,  se  cacher  ou  gagner  la  campagne. 

Ce  n'était  plus  un  combat,  mais  une  boucherie. 

A  la  fin  du  jour,  quand  le  massacre  fut  terminé,  la  troupe 
des  jeunes  gens  rapporta  le  corps  de  la  jeune  fille,  tout  cou- 
vert du  sang  des  victimes  immolées,  à  la  veuve,  et  pendit 
le  cadavre  mutilé  du  ravisseur  devant  sa  porte. 

La  foule  enivrée  avait  outrepassé  les  instructions  d'An- 
celle,  qui  eut  voulu  qu'on  gardât  en  otages  les  principaux 
d'entre  les  chevaliers,  et  qu'on  obligeât  l'évêque,  par  un 
blocus  rigoureux,  à  consentir  à  un  nouveau  traité  avec  la 
commune,  en  donnant  des  sûretés. 

L'incendie  avait  succédé  au  massacre.  Le  palais  épisco- 
pal,  la  cathédrale,  beaucoup  d'hôtels  de  nobles  étaient  en- 
flammés. 


DO  HISTOIRE     D    UN     HOTEL     DE     VILLE 

Après  cette  terrible  journée,  comme  il  arrive  toujours, 
la  stupeur  succéda  à  la  colère. 

Qu'allait-on  faire? 

Ancelle  réunit  les  jurés  afin  d'aviser-,  les  séances,  aux- 
quelles assistèrent  en  outre  beaucoup  de  bourgeois,  furent 
tumultueuses. 

Plusieurs  proposaient  de  députer  quelques-uns  d'entre 
eux  près  du  roi,  avec  une  bonne  somme  d'argent,  d'im- 
plorer sa  miséricorde  et  le  rétablissement  de  la  charte  de 
commune. 

Mais,  sentant  que  la  démarche  aurait  peu  de  succès,  et 
que  la  cour,  tout  en  gardant  l'argent,  ferait  très-probable- 
ment un  mauvais  parti  aux  députés,  sans  accorder  la 
charte,  ce  projet  fut  abandonné. 

Quelques-uns  ouvraient  l'avis  de  se  conjurer  avec  d'au- 
tres villes  voisines,  de  lever  des  milices  et  d'organiser  la 
résistance  sur  une  grande  échelle. 

Mais ,  outre  la  difficulté  d'arriver  à  cette  entente ,  le 
temps  manquait  pour  obtenir  un  résultat  sérieux.  D'autres 
enfin,  parmi  lesquels  se  trouvait  le  maire,  proposèrent  de 
s'aboucher  avec  le  comte,  seigneur  des  terres  du  faubourg 
et  lieux  circonvoisins,  et  d'obtenir  de  lui  que,  moyennant 
finance,  il  se  déclarât  le  protecteur  de  la  commune  de 
Clusy. 

Le  comte  Égelbert  était  un  homme  ambitieux  et  avide. 
11  avait  suivi  avec  une  joie  secrète  les  péripéties  du  drame 
qui  venait  de  se  dénouer,  et  comptait  bien  profiter  de  l'oc- 
casion pour  étendre  sa  juridiction,  et  peut-être  remplacer 
celle  de  l'évêque  dans  une  bo.'.ne  partie  de  la  ville.  Quand 
des  ouvertures  lui  furent  faites  par  les  bourgeois,  touchant 
le  titre  de  protecteur  de  la  commune  de  Clusy,  qu'on  lui 
offrait,  il  n'en  fut  pas  surpris. 


ET     D    UNE     CATHKUrî  ALE. 


67 


Il  s'agissait  de  discuter  les  conditions  de  son  appui.  Si 
onéreuses  qu'elles  fussent,  les  bourgeois,  qui  n'avaient 
guère  d'autre  parti  à  prendre,  les  acceptèrent,  et  le  comte 
entra  le  lendemain  dans  la  ville,  tout  armé,  entouré  de  sa 
chevalerie,  et,  dans  la  salle  des  jurés,  il  entendit  la  lecture 
du  traité  (fig.  i5).  Avant  d'y  apposer  son  sceau,  il  demanda 


toutefois  à  en  délibérer  avec  sa  noblesse.  Il  trouva  celle-ci 
peu  disposée  à  engager  avec  le  suzerain  une  lutte  inégale, 
—  car  il  n'était  pas  douteux  que  le  roi  dût  intervenir  bientôt 
pour  réduire  les  bourgeois  de  Clusy  à  l'obéissance. 

Le  comte  Egelbert  différa  donc  de  donner  sa  réponse, 
mais  n'en  reçut  pas  moins  des  présents  considérables  des 


HISTOIRE     D    UN     HOTEL     DE     VILLE 


bourgeois,  qui  cspiraient  Tamener  à  prendre  leur  parti. 
Enfin,  réfléchissant  sur  les  suites  de  cette  affaire,  n'igno- 
rant pas  que  le  prévôt  du  roi  avait  reçu  Tordre  de  réunir 
des  troupes,  il  rentra  dans  son  château  sans  avoir  rien 
conclu,  promettant  toutefois  de  donner  une  réponse  satis- 
faisante aux  bourgeois,  et  à  cet  effet  il  les  convoqua  dans 
un  champ  dépendant  de  sa  seigneurie. 

Là,  il  leur  déclara  qu'il  tiendrait  sa  promesse,  en  ce  qu  il 
protégerait  les  habitants  de  Clusy,  mais  que,  ne  disposant 
pas  de  forces  suffisantes  pour  entrer  en  lutte  avec  les 
troupes  du  roi,  il  offrait  sa  seigneurie  comme  asile,  où  il 
défendrait  les  bourgeois  selon  son  pouvoir. 

Cette  déclaration  jeta  la  consternation  et  le  décourage- 
ment parmi  les  Clusianois  ;  beaucoup,  en  effet,  se  réfugiè- 
rent sur  les  terres  du  comte,  d'autres  sur  celles  de  l'abbaye 
de  Saint-Martin,  dans  la  crainte  de  terribles  représailles. 

La  ville  se  dépeupla  ainsi  d'une  partie  de  ses  habitants, 
et  les  gens  de  la  campagne,  conduits  par  les  seigneurs  voi- 
sins, liQ  mirent  à  piller  les  maisons  abandonnées.  Les 
nobles  et  chevaliers  qui  n'avaient  pas  été  tués  pendant  l'in- 
surrection, profitant  de  ce  désarroi,  se  mirent  à  piller  de 
leur  côté  et  â  tuer  les  bourgeois  restés  dans  la  cité.  Les 
cloches  du  beffroi  furent  brisées. 

Et  quand  arriva  le  roi  à  la  tête  de  ses  troupes,  il  ne 
trouva  plus  guère  d'habitants  à  châtier;  toutefis,  cette 
intervention  fit  cesser  les  représailles. 

Des  cérémonies  expiatoires  furent  ordonnées  en  présence 
de  l'archevêque  de  Sens ,  venu  à  Clusy  pour  cet  objet, 
cérémonies  suivies  de  beaux  sermons,  parmi  lesquels  on 
peut  citer  ce  passage,  inspiré  du  texte  sacré  :  Servie  sub- 
diti  estote  in  omni  timoré  dominis!  «  Serfs,  disait  l'arche- 
vêque, soyez  soumis  en  toute  crainte  à  vos  seigneurs.^  i.i  si 


ET     D    UNE     CATniiDRALE. 


69 


VOUS  êtes  tentés  de  vous  prévaloir  contre  eux  de  leur  durcti 
et  de  leur  avarice,  écoutez  ces  autres  paroles  de  l'Apôtre  : 
«  Obéissez  non-seulement  à  ceux  qui  sont  bons  et  doux,  mais 
même  à  ceux  qui  sont  rudes  et  fâcheux.  )>  Aussi  les  canons 
Ixappent-ils  d'anathème  quiconque,  sous  prétexte  de  reli- 
gion, engagerait  les  serfs  à  désobéir  à  leurs  maîtres,  et  à 
plus  forte  raison  à  leur  résister  par  la  force...,  » 

Après  quoi,  Ancelle,  qui  n'avait  pas  voulu  quitter  sa 
maison,  s'employant  de  son  pouvoir  à  rendre  la  situation 
de  ses  concitoyens  moins  douloureuse,  fut  exilé  avec  toute 
sa  famille,  et  ses  biens  furent  confisqués  au  profit  du  roi.  Il 
alla  mourir  à  Troyes. 


70  HISTOIRE     D  UN     HÔTEL    DE     VILLE 


CHAPITRE   IV 


ou    l'accord    s'établit    ENTRE    l'ÉVÊQUE 
ET    LES    HABITANTS    DE    CLUSY. 


Bien  que  la  charte  de  commune  fut  déchirée,  bien  que  la 
ville  de  Clusy  eût  été  abandonnée,  ruinée,  bien  que  les  plus 
notables  parmi  les  habitants  eussent  dû  s'exiler,  que  beau- 
coup eussent  péri  pendant  les  mois  d'anarchie  qui  succédè- 
rent à  la  journée  du  lundi  de  Pilques  de  Tannée  i  io3;,  bien 
que  le  courageux  maire  fut  mort  peu  après  avoir  été  recueilli 
par  des  bourgeois  de  Troyes,  touchés  de  son  infortune  et 
pleins  de  respect  pour  son  caractère,  cependant,  les  prélats 
qui  «succédèrent  à  Pévêque  Godefroi  cherchèrent  plutô't  à 
améliorer  le  sort  des  malheureux  bourgeois  de  Clusy  qu'à 
profiter  de  leur  affaiblissement  pour  les  fouler  plus  griève- 
ment. 

Soit  que  ces  évêques  fussent  doués  d'un  esprit  modéré  et 
sage,  soit  qu'ils  redoutassent  l'esprit  communal  et  de  pro- 
voquer de  nouvelles  prises  d'armes,  ils  procédèrent  avec 
douceur,  et,  sans  abandonner  leur  droit  seigneurial,  établi- 
rent une  sorte  de  modus  vivendi  pendant  lequel  les  bourgeois 


INTERIEUR    DE    LA    CATHÉDRALE   CARLOVINGIENNE 
APRÈS   l'incendie. 


ET     DUNE     CATHÉDRALE.  ']  l 

traitaient  de  toutes  les  affaires  de  la  ville,  percevaient  les 
taxes  et  étaient  chargés  de  la  police  urbaine.  L'effort  tenté 
par  les  bourgeois  en  i  io3  n'avait  donc  pas  été  sans  résul- 
tats. Les  seigneurs  évêques  savaient  qu'il  fallait  compter 
avec  une  force  nouvelle  révélée  d'une  manière  terrible,  et 
que  le  mieux,  dans  lïntérêt  de  tous,  était  de  ne  pas  essayer 
de  la  trop  comprimer. 

Cet  état  transitoire  fut  suivi,  en  1 1 28,  de  l'octroi  en  bonne 
forme,  par  le  roi  Louis  le  Gros,  d'une  charte  intitulée  Ins- 
titution de  paix  *  -,  —  car  le  mot  «  commune  »,  considéré 
comme  séditieux,  ne  fut  pas  écrit  dans  cette  charte;  mais  ses 
articles  ne  faisaient  que  reproduire,  à  peu  de  différence  près, 
les  conditions  stipulées  lors  de  l'établissement  de  la  com- 
mune de  II 01. 

La  cathédrale  et  l'évêché  durent  être  réparés  à  la  hâte, 
après  le  désastre,  par  le  successeur  de  l'évêque  Godefroi. 
La  nef  de  l'église,  couverte  en  charpente  et  non  voûtée, 
avait  beaucoup  souffert  de  l'incendie-,  les  murs  et  piliers, 
calcinés  par  le  feu,  menaçaient  ruine  sur  quelques  points 
(fig.  16). 

On  se  contenta  d'aviser  aux  ouvrages  les  plus  urgents, 
en  rétablissant  une  couverture  provisoire,  mais  avec  l'in- 
tention de  rebâtir  un  édifice  plus  vaste  sur  de  nouveaux 
plans. 

Mais  'il  fallait  beaucoup  d'argent  pour  entreprendre  ces 
travaux,  et  les  évêques  avaient  eu  fort  à  faire  de  réparer  tous 
les  dégâts  commis,  lors  de  l'insurrection  de  i  io3,  dans 
palais  épiscopal  et  même  dans  les  bâtiments  capitulaires, 
écoles,  maisons  de  chanoines,  etc. 

Dans  le  diocèse  de  Clusy,  comme  dans  beaucoup  d'autres, 

I.  Inslituiio  pacis. 


72  HISTOIRE    d'un     HOTEL     DE     VILLE 

les  établissements  monastiques  clusiniens  prenaient  de  jour 
en  jour  plus  d'importance. 

A  la  suite  des  événements  de  i  io3,  on  a  vu  que  Tabbaye 
de  Saint-Martin  recueillit  un  grand  nombre  des  habitants 
de  la  ville  qui  craignaient  les  représailles  de  la  noblesse. 
Beaucoup  de  bourgeois,  pour  se  soustraire  aux  consé- 
quences de  la  réaction  contre  la  commune,  mirent  leur 
avoir  sous  la  dépendance  de  Tabbé  ;  ces  donations  avaient 
été  ratifiées  à  Rome,  si  bien  que  ces  bourgeois  devenaient 
ainsi  vassaux  de  Tabbaye.  Les  successeurs  de  Godefroi 
tentèrent  de  faire  annuler  ces  contrats  par  le  suzerain, 
comme  contraires  au  droit  féodal,  dès  que  l'ordre  eut  été 
rétabli  dans  la  cité-,  ils  n'obtinrent  de  la  cour  que  des  pro- 
messes. A  plusieurs  reprises,  cependant,  les  évêques  vou- 
lurent reprendre  ces  droits  par  la  force;  mais  l'abbé  de 
Saint-Martin  était  puissamment  soutenu  à  Rome,  et  ces 
entreprises,  hautement  blâmées  par  le  pape,  ne  firent  que 
donner  plus  de  poids  au  pouvoir  de  Tabbé. 

La  position  des  prélats  s'amoindrissait  ainsi,  comme 
seigneurs  et  comme  directeurs  spirituels,  car  les  abbayes, 
non  contentes  d'étendre  leur  territoire  seigneurial,  élevaient 
des  églises  paroissiales  dépendantes  de  l'église  mère,  pa- 
roisses qui  étaient  soustraites  à  l'ordinaire,  c'est-à-dire  qui 
ne  dépendaient  pas  de  l'évêché. 

L'ordre  de  Cîteaiix,  qui,  depuis  la  réforme  de  1107, 
prenait  un  grand  développement  et  qui  élevait  partout  des 
monastères  luttait  avec  l'ordre  de  Cluny  et  enlevait  encore 
des  territoires  étendus  à  l'autorité  diocésaine.  Le  péril  était 
imminent;  les  éveques  en  comprirent  la  gravité.  Bientôt, 
ils  ne  seraient  plus  que  les  pasteurs  d'une  faible  partie  de 
leurs  diocèses  et  seigneurs  féodaux  de  quelques  territoires 
sans  importance.  Appréciant  la  situation  qui  leur  était  faite, 


ET     D    UNE     CATHliDKALE.  70 

mal  soutenus  par  Rome  qui  avait  inicrct  à  voir  s'élever 
•dans  toute  la  chrétienté  des  établissements  ne  relevant  que 
du  Saint  Siège,  par  le  pouvoir  suzerain  qui  n'était  pas  fâché 
de  laisser  diminuer  la  puissance  des  évèques  comme  sei- 
gneurs féodaux,  ils  prirent,  dans  le  domaine  royal  notam- 
ment, un  grand  parti. 

C'était  vers  i  i  5o  ;  Tévêquc  de  Clus}'  était  un  homme  de 
haute  intelligence  :,  on  le  nommait  Baudoin.  Allié  aux 
comtes  de  Soissons,  des  qu'il  eut  pris  possession  du  siège 
épiscopal,  il  se  déclara  le  protecteur  de  la  commune  ou  de 
V Institution  de  paix^  puisque  le  nom  de  commune  était 
proscrit  depuis  longtemps.  Il  étendit  les  franchises  des 
bourgeois,  fît  rappeler  les  décrets  royaux  qui  maintenaient 
encore  en  exil  certaines  familles  de  la  ville,  les  descendants 
du  maire  Ancelle  entre  autres.  Il  poursuivit  et  obtint  les 
délimitations  exactes  entre  sa  seigneurie  et  celle  de  Tab- 
baye  de  Saint-Martin,  soit  par  arrangements  à  l'amiable, 
soit  par  des  sacrifices  pécuniaires,  et  rentra  ainsi  en  posses- 
sion de  territoires  restés  en  litige  depuis  des  années.  Il 
donna  une  nouvelle  importance  aux  écoles  de  la  cathédrale 
en  y  appelant  de  doctes  clercs  et  écoliers  de  toutes  les  par- 
ties du  diocèse.  Il  régla  les  privilèges  des  corporations  de 
la  ciiè.  Loin  de  montrer  le  faste  de  la  plupart  de  ses  pré- 
décesseurs, il  réduisit  le  nombre  des  serviteurs  de  l'évêché 
au  strict  nécessaire  et  vécut  simplement.  Il  renvoya  veneurs, 
chiens  et  fauconniers,  et  sut  exiger  des  chanoines  une  vie 
réglée,  ce  qui  ne  fut  pas  le  moindre  de  ses  soucis.  Loin  de 
vivre  à  la  cour  ou  dans  ses  maisons  des  champs,  il  tint  à 
résider  le  plus  possible  à  Clusy,  étant  d'ailleurs  accessible 
à  tous. 

Bientôt,  le  levain  de  vieille  rancune  et  de  défiance  qui 
subsistait  dans  le  cœur  de  tous  les  Clusianois  à  l'endroit  de 

10 


74  HISTOIRE     D    UN     HOTEL     DE'    V'ILLE 

Jeurs  évêques,  fit  place  à  un  sentiment  tout  opposé.  On  ne 
parlait,  entre  bourgeois,  de  ré\'êque  Baudoin  qu'avec  res- 
pect, et,  loin  de  redouter  sa  justice  seigneuriale,  on  se  ren- 
dait à  son  tribunal  avec  confiance;  car,  versé  dans  le  droit 
canonique,  il  s'efforçait  d'en  appliquer  les  règles  avec  dou- 
ceur, ou,  ce  qui  valait  mieux  encore,  de  terminer  les  procès 
à  Tamiable.  Si  son  tribunal  était  obligé  de  condamner  quel- 
que délinquant  à  une  amende  et  que  le  coupable,  pauvre, 
eût  péché  par  ignorance,  non  par  mauvais  vouloir,  il  lui 
faisait  remet<^re  secrètement  le  montant  de  Tamende. 

Aussi  la  ville  de  Clusy  prospérait-elle  grandement.  Sa 
population  augmentait,  et  les  vassaux  du  comte  ou  de  Tabbé, 
moins  bien  traités,  regrettaient  de  ne  pas  être  dans  la  sei- 
gneurie épiscopale.  Il  y  eut  même  une  sorte  de  sédition 
dans  la  partie  de  la  ville  dépendant  de  Tabbaye.  Les  habi- 
tants réclamaient  du  seigneur-abbé  des  firanchises  plus 
étendues,  une  juridiction  plus  douce  et  plus  équitable. 

Les  choses  allèrent  assez  loin  pour  que  les  moines  eussent 
recours  à  Tévêque  afin  qu'il  s'entremît,  ce  qu'il  fit  volon- 
tiers, mais  en  profitant  de  l'occasion  pour  faire  rentrer  dans 
le  fief  épiscopal  bon  nombre  de  ces  propriétés  qui  avaient 
fait  l'objet  de  contestations  entre  ses  prédécesseurs  et  l'ab- 
baye :  car  tout  service  doit  être  rémunéré. 

Baudoin  était  ami  de  Suger,  qui  venait  de  rebâtir  Téglise 
abbatiale  de  Saint-Denis  en  France.  L'évêque,  ayant  l'in- 
tention, en  raison  du  bon  état  des  finances  du  diocèse,  d'é- 
lever une  nouvelle  cathédrale  à  la  place  de  l'édifice  que 
l'incendie  de  i  io3  avait  en  partie  ruiné  et  que  des  répara- 
tions faites  à  la  hâte  rendaient  peu  digne  de  l'objet,  fit 
part  de  ses  projets  à  son  ami,  Tabbé  de  Saint-Denis,  afin 
d'avoir  son  avis. 

Bientôt  il  reçut  une  recense  oui  eut  lieu  de  le  satisfair 


ET      D'UNE     CATHÉDRALE.  jb 

tt  Certes,  disait  Suger  dans  sa  lettre,  le  moment  est 
venu  où  les  évêques  de  France  doivent  faire  de  grands  ef- 
forts pour  lutter  contre  Tesprit  de  désordre  d'une  partie  de 
la  noblesse  laïque  •,  pour  prévenir  le  retour  des  soulève- 
ments des  communes  qui  ont  affligé  le  royaume  et  n'ont 
pas  été  moins  préjudiciables  aux  intérêts  des  peuples  qu'à 
ceux  de  la  religion;  pour  limiter  la  puissance  des  monas- 
tères dans  de  justes  bornes. 

«  Il  dépend  des  évêques  vénérables  et  qui  sont  la  lumière 
de  l'Église,  de  faire  comprendre  aux  populations  des  cités 
que  leur  intérêt,  conformément  à  l'ancienne  loi,  est  lié  à 
la  prospérité,  à  l'éclat  de  l'église  cathédrale,  symbole  de  la 
foi  des  cités,  véritable  asile  de  leurs  franchises  sous  la  tu- 
telle épiscopale.  Votre  prudence,  votre  zèle  pour  le  bien, 
qui  me  sont  connus,  ami  vénérable,  vous  guideront  dans 
l'entreprise  que  vous  tentez,  mieux  que  ne  sauraient  le  faire 
mes  conseils-,  et,  avec  l'aide  de  Dieu,  vous  trouverez  les 
ressources  nécessaires  pour  mener  à  fin  une  aussi  louable 
entreprise.  Déjà  les  évêques  de  Noyon  et  de  Senlis  m'ont 
entretenu  touchant  le  même  objet. 

«  Ils  se  mettent  à  l'œuvre,  et  il  semble  que  le  résultat  de 
leurs  efforts  dépasse  leurs  espérances...  » 

Encouragé  par  cette  lettre,  l'évêque  Baudoin  se  rendit  à 
Saint-Denis  et  vit  Suger,  car  il  lui  paraissait  nécessaire  de 
le  consulter  sur  des  points  délicats  que  l'illustre  abbé  n'a- 
vait pu  indiquer  dans  sa  réponse  écrite. 

Vers  le  milieu  de  mars  i  i5o,  l'évêque  Baudoin  revint  à 
Clusy,  et  aussitôt  il  convoqua  le  maire  et  les  notables  bour- 
geois à  l'évêché. 

«  Vous  savez,  leur  dit-il,  que  notre  église  cathédrale  est 
dans  un  état  voisin  de  la  ruine,  qu'elle  ne  peut  contenir  les 
fidèles  qui  sy  rassemblent  tant  à  cause  de  son  exiguïté  que 


jG  HISTOIRE     d'un     hôtel     de     VILLE 

par  rétat  de  délabrement  de  quelques-unes  de  ses  parties 
abandonnées.  Mon  ferme  désir  est  d^élever  un  édifice  digne 
de  votre  ville,  et  j'entends  consacrer  à  cette  œuv^re  toutes 
les  ressources  dont  je  puis  disposer.  J'entends  que  cette 
église  soit  vôtre,  qu'elle  soit  non-seulement  le  temple  con- 
sacré à  Dieu  et  aux  saints  martyrs,  mais  Tasile  inviolable  de 
vos  franchises,  afin  de  cimenter  à  jamais  Theureuse  entente 
établie  entre  vos  évêques  et  vous,  en  ce  qui  touche  à  Tadmi- 
nistration  de  la  cité.  J'entends  que  l'église  mère  soit  ou- 
verte, en  tous  temps,  à  vos  assemblées,  sub  cathedra^ 
c'est-à-dire  sous  la  direction  du  siège  épiscopal,  afin  que 
vous  n'ayez  plus  à  redouter  l'influence  de  pouvoirs  étrangers 
à  vos  intérêts.  Si  ce  projet  a  votre  assentiment,  nous  nous 
mettrons  sans  retard  à  l'œuvre...  » 

Les  bourgeois,  tout  habitués  qu'ils  étaient  aux  procédés 
équitables  de  leur  évêque,  demeurèrent  ébahis,  en  enten- 
dant énoncer  ces  propositions,  et  ne  disaient  mot. 

«  Eh  bien,  reprit  Baudoin,  si  quelqu'un  parmi  vous 
a  des  objections  à  présenter,  qu'il  parle  librement,  puisque 
je  vous  ai  fait  appeler  près  de  moi  pour  avoir  votre  avis  !  » 

Alors  le  maire,  vieillard  prudent  et  qui  avait  gardé  le 
souvenir  des  désastres  de  iio3,  bien  qu'alors  il  sortît  à 
peine  de  l'enfance,  s'avança  devant  le  prélat  et  lui  dit  : 

«  Seigneur  évêque,  vous  nous  avez  montré  votre  équité 
et  votre  magnanimité  ;  la  ville  de  Glusy  n'oubliera  jamais 
combien  vous  avez  contribué  à  sa  prospérité,  soit  en  main- 
tenante /3^z.r  consentie,  soit  en  lui  accordant  des  franchises, 
soit  en  rendant  la  justice  comme  un  seigneur  bon  justicier  et 
doux-,  mais  votre  vénérable  seigneurie  sait  combien  les  choses 
de  ce  monde  sont  changeantes,  et  comme,  après  un  pasteur 
attentif  au  bien  et  à  la  conservation  de  son  troupeau,  il  peut 
s'en  trouver  un  autre  négligent  et  dur.  Si  Dieu  vous  conser-. 


ET     d'uni:     CATIIIÎDRAI.E.  77 


vait  toujours  parmi  nous,  ce  que  nous  lui  demandons  par 
prières,  mais  ce  que  sa  suprême  volonté  ne  saurait  nous 
accorder,  nous  engagerions  tout  notre  avoir  pour  vous  ai- 
der dans  une  entreprise  qui  assurerait  à  tout  jamais  notre 
tranquillité  et  notre  prospérité....  Qu^adviendra-t-il  de  votre 
bon  vouloir,  si  des  successeurs,  —  et  en  pouvons- nous  es- 
pérer qui  vous  égalent  en  sagesse  et  en  prudence!  —  mo- 
difient vos  projets,  suspendent  votre  entreprise  ?.... 

—  J'avais  prévu  votre  objection,  interrompit  Tévéque; 
j'entends  également  que  les  deniers  dont  disposera  Pœuvre 
soient  administrés  par  un  conseil  composé  moitié  de  cha- 
noines, moitié  de  bourgeois  délégués  par  vos  jurés,  que  les 
projets  ne  soient  exécutés  qu'autant  qu'ils  auront  été  discu- 
tés et  approuvés  par  ce  même  conseil,  et  de  cela,  nous 
prendrons  un  engagement  scellé  de  notre  sceau  et  du  sceau 
de  la  ville  après  serment,  engagement  qui  liera  nous  et  nos. 
successeurs.  Dans  cet  acte,  seront  stipulées  les  condinons 
nouvelles  de  jouissance  de  l'édifice,  soitau  profit  des  laïques, 
soit  au  profit  des  clercs,  les  privilèges  des  premiers,  les  attri- 
butions des  seconds,  sans  qu'il  soit  possible  à  nos  succes- 
seurs, sauf  consentement  des  parties,  de  modifier  ces  con- 
ditions, privilèges  et  attributions....  Gela  vous  satisfait-il?  » 
Au  milieu  d'un  murmure  approbateur,  le  maire,  assez 

ému,  reprit  : 

«  Votre  nom,  seigneur  évêque,  est  gravé  déjà  dans  nos 
cœurs,  il  le  sera  à  jamais  dans  le  cœur  de  nos  enfants  1 
Qu'il  soit  fait  comme  vous  le  désirez!  « 

Et  mettant  un  genou  en  terre  : 

«  Plaise  à  votre  sainteté  nous  donner  sa  bénédiction.  » 

Tous  tombèrent    à  genoux,  et  le  prélat,  se  levant,  les 

bénit. 

Cet  entretien,  aussitôt  répété  dans  la  ville,  causa  une  vive 


78  HISTOIRE     d'un     hôtel    DE    VILLE 

allégresse  ;  le  soir,  des  feux  de  joie  furent  allumés  dans  tous 
les  carrefours.  « 

L'évêque  ne  perdit  pas  de  temps;  six  chanoines  furent 
désignés  par  lui,  parmi  les  plus  doctes,  pour  faire  partie  du 
conseil  de  Toeuvre  de  la  cathédrale;  les  trente  jurés» de  la 
ville  nommèrent  de  leur  côté  six  bourgeois  à  cette  même 
fin,  parmi  lesquels  le  maire  et  trois  notables  appartenant 
aux  corporations  des  charpentiers,  des  maçons  tailleurs  de 
pierre  et  des  imagiers. 

La  première  question  posée  au  conseil,  présidé  par  l'é- 
vêque, porta  sur  le  choix  d'un  maître  des  œuvres  qui  pût 
rédiger  un  projet  conformément  au  programme  arrêté,  et 
diriger  Tentreprise. 

D'une  commune  voix,  ce  choix  se  porta  sur  maître  Pierre 
de  Provins,  lequel  avait  déjà  élevé  dans  les  villes  voisines 
des  constructions  importantes. 

A  ce  propos,  il  est  nécessaire  d'indiquer  les  motifs  qui 
dirigèrent  le  choix  du  conseil. 

Depuis  un  certain  nombre  d'années  déjà,  il  s'était  formé 
en  dehors  des  établissements  monastiques,  et  à  la  suite  du 
mouvement  communal,  des  écoles  d'enseignement  des  arts 
manuels,  sous  l'inspiration  laïque.  Les  ordres  religieux,  et 
celui  de  Cluny  en  particulier,  s'occupaient  seuls,  pendant 
les  dixième  et  onzième  siècles,  de  tout  ce  qui  touche  à  l'en- 
seignement. C'était  à  l'ombre  des  cloîtres  que  clercs  et  laï- 
ques acquéraient  les  connaissances  de  tout  ordre,  jusqu'aux 
arts  et  métiers,  et  les  édifices  conventuels  étaient  toujours 
élevés  sous  la  direction  de  moines,  les  ouvriers  étant  pris 
parmi  les  frères  convers  et  surtout  parmi  les  laïques. 

Après  l'établissement  plus  ou  moins  contesté  des  commu- 
nes, les  corporations  laïques,  qui  n'avaient  cessé  d'exister 
depuis  l'empire  romain  avec  des  fortunes  diverses,  acqui- 


ET     D   UNE     CATHÉDRALE.  jg 


rent  une  nouvelle  énergie.  La  cité  voulait  s'administrer 
en  dehors  du  pouvoir  féodal.  Il  ne  faut  pas  oublier  que  les 
abba3'es  étaient  nanties  de  ce  pouvoir,  mais  prétendaient 
encore  se  suffire  à  elles-mêmes,  et  n'avoir  recours,  pour  tout 
ce  qui  touche  Tédilité  et  les  constructions  civiles,  qu'au  sa- 
voir des  moines. 

Les  corporations  de  métiers  firent  donc  un  grand  effort, 
et,  au  milieu  d'elles,  renseignement  surparsa  bientôt  celui 
qui  était  donné  dans  les  abbayes.  De  ville  en  ville,  une  sorte 
de  fédération  s'organisa,  non-seulement  en  vue  de  la  dé- 
fense des  franchises  municipales,  mais  encore  pour  se  com- 
muniquer entre  elles  tout  ce  qui  avait  trait  aux  industries 
du  bâtiment,  les  plus  importantes  pour  une  cité. 

Les  progrès  furent  rapides.  S'il  y  avait  entre  villes  voi- 
sines des  conciliabules  tendant  à  obtenir  une  unité  d'action 
dans  la  résistance  aux  revendications  de  la  noblesse,  il  y  en 
avait  également  pour  traiter  des  questions  de  métier.  Bien- 
tôt, ce  travail  collectif  fit  surgir  des  hommes  capables,  ins- 
truits par  la  discussion  et  par  l'expérience. 

Lorsque  plusieurs  évêques  du  domaine  royal  prétendi- 
rent, comme  l'évêque  Baudoin  de  Clusy,  faire  alliance 
avec  les  communes,  ou  plutôt,  mettre  la  commune  sous 
la  protection  immédiate  de  l'évêque,  afin  de  lutter  contre 
l'envahissement  des  établissements  monastiques  et  les  em- 
piétements du  pouvoir  féodal  laïque  très-menaçant  alors, 
le  pouvoir  royal  et  l'abbé  Suger  qui  en  était  l'inspirateur, 
parurent  prêter  les  mains  à  ces  projets.  On  vit  donc,  à 
quelques  années  de  distance,  rebâtir  les  cathédrales  sur 
presque  toute  la  surface  du  domaine  royal. 

Les  villes  de  Noyon,  de  Paris,. de  Soissons,  de  Senlis, 
de  Sens,  de  Chartres  se  mirent  les  premières  à  l'œuvre; 
puis  celles  de  Meaux,  de  Laon,  de  Reims  ^  puis,  plus  tard 


8q 


HISTOIRE      D   UN     HOTEL     DE     VILLE 


encore,  celles  d'Amiens,  de  Bourges,  de  Beauvai's,  de 
Cambrai,  de  Troyes.  Et,  pour  bâtir  ces  édifices,  les  évê- 
ques  ne  s'adressèrent  qu'à  des  maîtres  laïques,  avec  la 
volonté  formelle  d'abandonner  entièrement  les  traditions 
monastiques  et  d'affirmer  leur  alliance  avec  les  cités. 

Fig.  17. 


Pierre  de  ^ro^iIls 


Pierre  de  Provins  fut  donc  mandé  à  Clusy,  Nous  don- 
nons, fig.  17,  son  portrait. 

Le  conseil,  toujours  présidé  par  l'évêque,  avait  rédigé 
un  programme  détaille  qui  charmait  fort  les  bourgeois  de 
Clusy.  Ce  programme  fut  soumis  à  Pierre  de  Provins, 
qui,  peu  après,  remit  un  premier  projet,  touchant  la  re- 


ET     d'une     cathédrale.  Sf 

construction  de  la  cathédrale  et  de  révcché,  car  le  palais 
avait  été  laissé  dans  le  plus  déplorable  état.  Ce  projet, 
dressé  sur  plusieurs  feuilles  de  vélin,  parut  fort  beau.  Nous 
en  donnons  le  plan  fig.  i8  *. 

Pierre  de  Provins  s'était  absolument  conformé  au  pro- 
gramme nouveau  de  la  cathédrale,  tel  qu'il  avait  été  arrêté 
d'un  commun  accord  entre  Tévêque,  les  chanoines  et  les 
bourgeois  faisant  partie  du  conseil. 

L'édifice,  en  effet,  devait  présenter  des  dispositions  inu- 
sitées jusqu'alors  dans  la  construction  des  cathédrales.  Il 
devait  se  composer  d'une  nef  de  deux  cent  quinze  pieds  de 
long,  dans  œuvre,  de  la  porte  principale  au  chevet,  de 
quarante  pieds  de  largeur  d'axe  en  axe  des  piles  et  de 
deux  cent  trente-sept  pieds  compris  le  chevet;  la  nef 
entourée  d'un  collatéral  large  de  quinze  pieds  dans  œuvre 

La  cathedî'a  (siège  épiscopal)  devait  être  placée  en  A, 
l'autel  en  B;  le  chœur  devait  commencer  en  GC,  élevé  de 
trois  marches  au-dessus  de  la  nef;  les  bas-côtés  du  chœur 
projetés  in  piano  avec  celui-ci.  Au  chevet,  une  seule  petite 
chapelle  sous  le  vocable  de  la  Sainte-Vierge,  l'église  de- 
vant conserver  l'ancien  vocable  de  Saint- Etienne.  Deux 
tours  étaient  projetées  sur  la  façade.  Tout  l'édifice  devait 
être  voûté,  avec  contreforts  extérieurs  pour  maintenir  la 
poussée  de  ces  voûtes. 

Du  palais  épiscopal,  on  ne  conservait  que  la  grosse  tour 
carrée  romaine  D  et  quelques  parties  de  fondation.  En  E, 
une  chapelle  projetée  pour  le  service  de  Tévêque,  attenant 
à  des  sacristies  et  salles  F,  pour  le  service  de  la  cathédrale, 
et  à  une  galerie  de  cloître  G.  Joignant  la  tour  de  la  porte 

I.  On  observera  que  tous  les  plans  donnés  jusqu'ici  sont  à  la 
même  échelle,  aussi  bien  pour  les  maisons  des  jurés  que  pour  les 
cathédrales. 


82 


HISTOIRE     D    UN      HOTEL     DE     VILLE 


J 1 L. 


ET    d'une    cathédrale.  83 


Saint-Éticmic  H  rcsiaurcc,  on  construirait  une  salle  I  pour 
les  serviteurs  de  révcché.  En  K  seraient  disposées  les  cui- 
sines avec  celliers  et  magasins  en  L;  en  M,  l'entrée  de  la 
cour  principale  du  palais,  entourée  sur  trois  côtés  de  gale- 
ries de  cloître,  en  N  roflicialité,  et  en  O  la  grande  salle 
capitulaire  s'ouvrant  sur  le  cloître  et  sur  le  bas-côté  sud  de 
la  cathédrale.  On  devait  monter  au  premier  étage  par  le 
grand  escalier  P,  aboutissant  aux  appartements  privés  de 
révéque,  placés  au-dessus  des  salles  K  et  L. 

Mais  on  ne  pouvait  entreprendre  tous  ces  travaux  à 
la  fois;  il  fallait  laisser  subsister  une  partie  de  la  vieille  ca- 
thédrale pour  ne  pas  interrompre  le  culte,  et  certains 
bâtiments  de  Tévéché,  provisoirement.  Il  fut  donc  décidé 
que,  pour  ce  qui  concernait  la  cathédrale,  on  bâtirait  d'a- 
bord le  chœur,  en  laissant  subsister  Tancienne  nef  ^,^,c,  d  % 
et  la  grande  chapelle  I  des  clercs  %  locaux  qui,  provisoire- 
ment, devaient  suffire  aux  besoins  du  culte;  que,  le  chœur 
étant  élevé,  on  y  transporterait  le  culte,  et  qu'après  avoir 
démoli  Fancienne  nef,  on  élèverait  la  nouvelle.  Pour  l'évê- 
ché,  on  laisserait  subsister  les  bâtiments  (?,/",  afin  de  don- 
ner des  logis  suffisants  pendant  les  constructions,  et  on 
élèverait  toute  la  partie  orientale  joignant  la  grosse  tour 
carrée.  Cependant,  en  rasant  des  maisons  du  chapitre  si- 
tuées à  Pouest  du  palais,  on  pourrait  commencer  la  con- 
struction de  l'officialité  en  N,  et  la  grande  salle  capitulaire 
O  réclamée  par  les  chanoines.  ' 

L'évêque  devait  payer  de  ses  deniers  les  bâtiments  du 
palais;   il  donnait  en  outre  cinq  cents  livres^  pour  com- 

1.  Partie  hachée. 

2.  Voir  le  plan  d'ensemble,  fig.  9. 

3.  Equivalant  à  environ  quarante  mille  livres  de  notre  monnaie 
actuelle. 


84  HISTOIRE     d'un     hôtel     DE     VILLE 


mencer  les  travaux  de  la  cathédrale,  s^engageant  à   fournir 
chaque  année  une  somme  de  deux  cents  livres  ^ 

Ces  ressources  étant  loin  de  suffire  pour  permettre  de 
pousser  les  travaux  activement,  ainsi  que  chacun  le  dési- 
rait, il  fut  décidé  en  conseil  que  Ton  ferait  appel  à  la  géné- 
rosité du  roi,  que  les  bourgeois  établiraient  une  taxe  sur  le 
beurre  et  les  volailles  vendues  au  marché,  laquelle  pourrait 
produire  environ  cent  livres  annuellement,  et  qu'enfin  on 
solliciterait  des  dons  des  habitants  riches  et  des  prestations 
des  gens  peu  aisés. 

Le  roi,  en  effet,  fit  remettre  deux  cent  cinquante  livres 
à  révêque,  et  bientôt  les  dons  atteignirent  le  chiffre  de  près 
de  mille  livres.  On  pouvait  donc  commencer  les  travaux 
de  la  cathédrale  avec  une  encaisse  de  mille  sept  cent  cin- 
quante livres^.  Mais  il  faut  ajouter  à  cette  somme  les  pres- 
tations pour  charrois  de  matériaux,  fouilles  et  terrasse- 
ments, qui  équivalaient  à  une  somme  assez  élevée. 

La  démolition  de  la  partie  orientale  de  l'ancienne  cathé- 
drale fut  donc  commencée  sans  délai,  et  les  fouilles  faites. 
On  conserva  les  anciennes  fondations  romaines,  car  elles 
étaient  très-bonnes,  et  contre  celles-ci  vinrent  s'appuyer  les 
nouvelles. 

.   La  première   pierre   du  nouveau  chevet   fut   posée   le 
1 5  octobre  1 1 5o.  On  n'avait  pas  perdu  de  temps. 

Tous  les  habitants  de  Clusy  et  même  ceux  des  villages 
suburbains  qui  faisaient  partie  de  la  commune,  apportaient 
une  singulière  ardeur  à  cette  entreprise  qu'ils  considéraient 
comme  devant  à  tout  jamais  assurer  leurs  franchises. 

On   voyait  de  pauvres  cultivateurs  qui  donnaient,  par 


î.  Seize  mille  francs  de  notre  monnaie. 
2.  Environ  cent  quarante  mille  francs. 


ET   D'UNE   CATHEDRALE. 


85 


semaine,  une  journée   de  travail  pour  contribuer  aux  ter- 
rassements, ou  bien  qui,  à  dos  d\lne,  apportaient  du  sable 

et  de  la  chaux. 

Des    femmes   même    travaillaient   aux  dcblais.    Cétait 

une  fièvre. 

11  avait  fallu  obtenir  du  roi  la  permission  d'empiéter 
quelque  peu  sur  la  muraille  de  la  ville  à  Test  pour  établir 
la  petite  chapelle  du  chevet.  L'autorisation  avait  été  accor- 
dée à  la  condition  de  faire  passer  le  chemin  de  ronde  libre- 
ment à  Textérieur  ou  de  créneler  le  couronnement  de  la 

chapelle. 

Quant  aux  conventions  scellées  entre  Tévêque  et  la  cité, 
en  voici  les  principales.  La  cathédrale  nouvelle  conservait 
le  droit  d'asile  que  possédait  Tancienne.  Elle  devait  être 
ouverte  du  lever  du  soleil  à  la  nuit,  et  les  bourgeois  pou- 
vaient se  rassembler  dans  la  nef,  en  avant  du  chœur,  à 
toute  heure  du  jour,  pour  traiter  de  leurs  affaires,  le 
chœur  seul  étant  réservé  au  culte  pendant  les  jours  de  la 
semaine  non  fériés.  L'édifice  entier  serait  livré  aux  gens  de 
la  ville  le  jour  de  Noël,  le  lundi  de  Pâques  et  le  lende- 
main de  la  Pentecôte  pour  y  tenir  des  assemblées  popu- 
laires, telles  que  fête  des  Fous,  procession  de  TAne,  mys- 
tères et  jeux,  auxquelles  réjouissances  participeraient  les 
chanoines  et  Tévêque,  quand  bon  leur  semblerait.  Les  cau- 
ses majeures,  ressortissant  à  la  juridiction  épiscopale,  se- 
raient appelées  dans  la  cathédrale,  devant  le  siège  épisco- 
pal,  les  bourgeois  assistant  aux  plaids  dans  le  collatéral 
du  chevet. 

Plus  les  travaux  avançaient,  plus  les  dons  affluaient-, 
après  cinq  années  de  travail,  la  partie  orientale  du  chœur 
était  élevée  jusqu'à  la  hauteur  des  grandes  voûtes.  L'évê- 
que  Baudoin,  qui  était  âgé  et  voulait,   avant  de  mourir, 


86  HISTOIRE     d'un     hôtel    DE     VILLE 

voir  au  moins  cette  partie  de  Te  Jifice  achevée,  donna  encore 
une  grosse  somme  pour  activer  les  travaux,  bien  qu'il  eut 
dépensé  déjà  beaucoup  dans  Tévêché,  et  en  ii58,  le  jour 
de  PAscension,  Tarchevêque  de  Reims,  assisté  de  sept 
évêques,  put  faire  la  consécration  du  chevet,  entièrement 
achevé.  Nous  en  donnons,  fig.  19,  la  vue  intérieure,  et 
fig.  20,  la  vue  extérieure. 

Pour  maintenir  la  poussée  de  la  première  voûte  croisée, 
il  avait  fallu  établir  des  éperons  provisoires  à  Textrémité 
de  la  nef  carlovingienne,  en  attendant  qu'on  pût  démolir 
celle-ci  pour  continuer  les  travaux. 

Peu  après  cette  consécration,  en  février  1169,  Tévêque 
Baudoin  mourut.  Ce  fut  une  véritable  désolation  dans  la 
ville  de  Clus3^  Son  corps  fut  placé  en  avant  de  la  chaire 
épiscopale,  sous  une  table  de  bronze  où  il  était  représenté 
en  ronde  bosse,  couvert  de  ses  vêtements  épiscopaux,  et 
pendant  longtemps,  les  habitants  du  diocèse  vinrent  prier 
devant  cette  tombe  et  implorer  le  défunt  prélat,  comme 
un  saint. 

L'évêque  Gilbert,  qui  succéda  à  Baudoin,  aurait  eu  grand'- 
peine  à  faire  oublier  son  prédécesseur,  en  admettant  qu'il 
en  eût  eu  la  pensée.  C'était  un  homme  déjà  vieux,  d'un 
tempérament  flegmatique,  qui  songea  tout  d'abord  à 
mettre  de  Tordre  dans  le  trésor  épiscopal,  singulièrement 
obéré  par  les  dépenses  de  Baudoin.  Les  travaux  d^  la 
cathédrale  s'en  ressentirent  et  ne  furent  poursuivis  qu'avec 
lenteur.  Après  que  le  culte  eut  été  transféré  dans  le  nou- 
veau chœur,  l'ancienne  nef  carlovingienne  fut  abandonnée 
aux  ouvriers,  et  on  commença  les  deux  travées  à  la  suite 
de  celles  qui  étaient  achevées,  afin  de  compléter  le  chœur 
définitif.  Quant  aux  travaux  de  la  salle  capitulaire  et  de 
l'officialité,  ils  furent  entièrement  suspendus. 


VUE   INTÉRIEURE    DU    CHŒUR   DE    LA    CATHEDRALE   DE   CLUSY 
DU    Xll«   SIÈCLE. 


20 


VUE    EXTÉRIEURE    DU    CHŒUR   DE    LA   CATHEDRALE    DE   CLUSY 
DU    XU"    SIÈCLE. 


ET     D   UNE     CATHÉDRALE. 


87 


Toutefois,  les  bourgeois  entendaient  jouir  des  avantages 
qui  leur  avaient  été  offerts  et  posséder  au  plus  tôt  leur  vais- 
seau entier.  Ils  obtinrent  sans  difficulté  de  Téveque  d'éle- 
ver une  construction  provisoire  en  charpente  sur  Tétendue 
que  devait  avoir  la  cathédrale  projetée;  cette  construction 
ayant  été  promptcmcnt  achevée,  la  cathédrale  de  Clusy  put 
facilement  contenir  les  fidèles  et  servir  aux  assemblées 
populaires,  ainsi  qu'il  avait  été  entendu. 


88  HISTOIRE     d'un    hôtel     DE     VILLE 


CHAPITRE  V 


LA    CATHEDRALE    DU    TREIZIEME    SIECLE. 


Pendant  soixante  années,  les  choses  restèrent  en  Tétat 
décrit  à  la  fin  du  chapitre  précédent.  Huit  évêques,  succes- 
seurs de  Baudoin,  n^avaient  fait  que  compléter  les  construc- 
tions sud-est  de  Tévêché  et  la  travée  de  la  cathédrale  com- 
ryencée  par  l'évêque  Gilbert  -,  cependant,  tous  prétendaient 
continuer  les  travaux,  sentant  leur  importance*,  tous  avaient 
scrupuleusement  rempli  les  engagements  contractés  par 
Baudoin,  tous  avaient  mis  des  sommes  en  réserve  pour 
achever  Tentreprise  à  un  moment  donné.  Le  maître  de 
Poeuvre,  Pierre  de  Provins,  était  mort  en  1 172,  laissant  le 
monument  incomplet,  ainsi  qu'il  a  été  dit,  et  depuis  lors, 
divers  projets  avaient  été  dressés  par  les  maîtres,  ses  suc- 
cesseurs, en  vue  de  Tachèvement.  Sous  le  règne  de  Phi- 
lippe-Auguste, la  ville  de  Clusy  avait  vu  sa  population  aug- 
menter ainsi  que  sa  richesse,  et,  à  Tombre  des  franchises 
municipales  qui  n'étaient  plus  menacées,  les  industries  et  le 
commerce  s'étaient  grandement  développés. 


ET    d'une    cathédrale.  89 

Alors,  les  bourgeois  de  Clus}/  possédaient  leur  milice,  et 
Tordre  régnait  dans  la  cité. 

En  i2ig,  le  siège  épiscopal  de  Glusy  fut  occupé  par 
Eudes  de  la  Ferté.  C'était  un  prélat  encore  jeune,  actif, 
entreprenant,  très-versé  dans  la  connaissance  des  arts  libé- 
raux, esprit  ouvert,  orateur  distingué  dans  ies  écoles  de 
Paris,  où  il  avait  acquis  une  grande  instruction  et  où  il 
avait  professé  plus  tard  avec  talent.  D'ailleurs,  ambitieux, 
libéral,  bien  vu  par  les  barons,  —  car  au  besoin  il  maniait 
la  lance  et  Tépée  et  montait  un  cheval  de  guerre  comme 
tout  bon  chevalier.  Il  avait  même,  en  maintes  occasions, 
suivi  le  roi  dans  ses  expéditions  militaires  en  sa  qualité  de 
seigneur  de  la  Ferté  et  y  avait  acquis  un  grand  renom  par 
ses  prouesses. 

Le  jour  de  son  entrée  dans  la  ville  de  Clusy,  il  fit  de 
grandes  largesses,  et  au  lieu  de  se  rendre  à  la  cathédrale, 
suivant  Tusage,  sur  une  chaire  préparée  à  cet  effet  et  portée 
par  quatre  des  plus  notables  bourgeois,  comme  seigneur  de 
la  ville,  il  voulut  monter  jusqu'à  l'église  sur  une  belle  ha- 
quenée  richement  harnachée.  Cela  plut  fort  à  la  foule  assem- 
blée sur  son  passage,  d'autant  qu'il  avait  grande  mine  sous 
ses  vêtements  épiscopaux,  et  que  de  tout  temps  le  populaire 
est  séduit  par  les  avantages  extérieurs  de  ceux  mêmes  qui 
peuvent  l'opprimer. 

Trente  ans  plus  tôt  cependant,  ces  allures  eussent  inspiré 
de  la  défiance  aux  bons  bourgeois  de  Clusy,  et  l'attitude 
martiale  d'un  évêque  venant  prendre  possession  de  son  siège 
dans  cet  appareil,  les  eut  inquiétés-,  mais  nul  n'ignorait  alors 
que  le  roi  Philippe  était  dur  aux  barons  et  favorisait  les  com- 
munes dont  il  tirait  profit  et  de  bonnes  milices.  Nul  n'igno- 
rait que  l'évêque  Eudes  était  bien  en  cour,  qu'il  ne  ferait 
rien  de  contraire  à  la  sage  discipline  du  ro3'aume  reposant 


90  HISTOIRE     D    UN     HOTEL     DE    VILLE 

en  grande  partie  sur  les  franchises  municipales,  et  que,  vou- 
lût-il attenter  à  ces  franchises,  le  roi  ne  le  soutiendrait  pas. 
D'ailleurs,  Tair  franc  et  ouvert  du  prélat  prévenait  en  sa 
faveur  et  éloignait  tout  soupçon  de  duplicité.  Le  peuple  se 
trompe  rarement  à  ces  signes  extérieurs  ;  aussi  le  contente- 
ment était-il  sur  tous  les  visages;  les  femmes,  surtout, 
criaient:  «  Noël  !  Noël  !  »  à  tue-tête,  et  on  avait  grand'peine 
à  les  empêcher  de  se  jeter  dans  les  jambes  de  la  monture 
épiscopale,  toute  harnachée  de  drap  de  soie  blanc  avec 
belles  bossettes  d'argent  reluisant  au  soleil. 

C'était  le  i5  juillet;  il  faisait  fort  chaud,  et  le  soir  éclata 
sur  la  ville  un  orage  formidable  qui  éteignit  tous  les  feux 
de  joie. 

Puis,  vers  onze  heures,  la  foudre  tomba  par  deux  fois 
sur  la  nef  de  la  cathédrale  dont  la  toiture  prit  feu.  En  peu 
d'instants,  toute  la  .construction  provisoire  de  bois  de  char- 
pente, sec  et  vieux,  ne  fut  qu'un  brasier.  La  population  se 
porta  enfouie  sur  le  lieu  du  sinistre  pour  combattre  le  fléau. 
L'évêque  encourageait  chacun  et  donnait  l'exemple,  si  bien 
qu'on  put  éviter  que  l'incendie  s'étendît  à  la  toiture  du 
chœur  et  compromît Jes  bâtiments  du  palais,  d'autant,  par 
bonheur,  que  le  vent,  venant  du  sud,  renvoyait  les  flam- 
mèches de  l'autre  côté  de  l'église. 

Cet  événement  fut,  le  lendemain,  commenté  d'une  façon 
fâcheuse  par -toute  la  ville.  On  y  voyait  le  signe  de  grands 
malheurs  sous  le  nouvel  évêque,  et  les  esprits  étaient  très- 
SDmbres. 

Il  n'est  guère  besoin  d'ajouter  que,  de  son  côté,  Tévêque 
était  profondément  affligé,  plus  encore  de  l'impression  dé- 
plorable que  le  sinistre  de  la  nuit  répandait  sur  l'inaugura- 
tion de  son  épiscopat,  que  des  dommages  causés  à  son 
église.  Mais  sa  résolution  fut  promptement  prise,  car  ce 


ET     D    UNE      CATHEDRALE.  QI 

n'était  pas  un  homme  à  mcditer  longtemps  sur  les  suites 
d'un  malheur  sans  trouver  les  mo3^ens  d'y  remédier.  Des  le 
soir,  il  convoqua  donc  les  notables  bourgeois  à  Tévêché,  et  il 
leur  parla  ainsi  : 

a  Dieu  a  voulu  que  le  jour  où,  par  sa  grâce,  nous  pre- 
nions possession  de  ce  siège  épiscopal,  un  événement  terri- 
ble me  rappelât  Tun  des  devoirs  les  plus  impérieux  qui  m'in- 
combent. Dieu  nous  a  dicté  ce  devoir....  Il  a  réduit  en 
cendres  Péglise  misérable  qui  avait  été  élevée  en  son  hon- 
neur. Dieu  nous  a  dit  :  «  Assez  d'atermoiements,  je  veux 
a  un  temple  digne  de  moi.  »  Nous  devons  nous  soumettre 
à  sa  volonté.  N'a-t-il  pas  préservé  miraculeusement  la  seule 
partie  achevée  de  cette  église  où  sont  placés  Fautel  et  les 
saintes  reliques  ? 

«  Je  me  suis  fait  rendre  compte  des  sommes  réservées 
pour  la  reprise  de  Toeuvre;  elles  sont  considérables.  Puis, 
n'ai-je  pas  à  compter  sur  vous?  N'est-ce  pas  votre  monument 
qu'il  s'agit  d'achever  ?  Mettons-nous  donc  à  l'œuvre  sans 
délai,  et  bientôt,  nous  bénirons  le  Seigneur  de  nous  avoir 
ainsi  rappelé  nos  mutuels  engagements,  dans  un  temple  qui 
réunira  sous  ses  voûtes  tous  les  habitants  de  la  cité.  Que, 
dès  demain,  le  conseil  de  l'œuvre  institue  par  nos  prédé- 
cesseurs s'assemble  ici  même,  afia  de  délibérer  sur  ce  qu'il 
convient  de  faire.  » 

Ce  discours  effaça  les  mauvaises  impressions  qui,  toute 
la  matinée,  avaient  dominé  la  population  de  Clus}^,  et 
le  lendemain,  le  sinistre  de  l'autre  nuit  était  considéré 
comme  un  avertissement  d'en  haut.  On  ne  parlait  plus 
que  de  la  future  cathédrale;  chacun  fournissant  son  idée. 

Alors,  les  bourgeois  commerçants  voyageaient  beaucoup, 
car  toutes  les  transactions  se  faisaient  au  moment  des  foires 
et  marchés  périodiques  dans  toutes  les  villes  de  France  \   il 


92  HISTOIRE     D    UN     HOTEL     DE     VILLE 

n'existait  pas  de  messageries  et  moyens  de  transports  nom- 
breux comme  aujourd'hui.  Les  commandes  ou  livraisons 
se  faisaient  dans  ces  foires  ou  marchés  périodiques,  et  il 
fallait  que  les  marchands  s'y  rendissent  en  personne  pour 
se  livrer  à  Tune  ou  Tautre  de  ces  opérations.  Il  n'y  avait 
guère  de  bourgeois,  à  Clusy,  qui  n'eût  maintes  fois  visité 
Paris,  Laon,  No3^on,  Meaux,  Reims,  Tro3xs,  Sens,  Beau- 
vais,  Amiens.  Et,  dans  la  plupart  de  ces  villes,  de  grandes 
cathédrales  s'élevaient.  Celle  de  Paris  était  presque  achevée, 
ainsi  que  celle  de  Laon  qui  avait  été  bâtie  très-rapidement. 
Les  cathédrales  de  Soissons,  de  Chartres,  de  Reims  étaient 
en  pleine  construction.  Les  projets  de  celle  d'Amiens  étaient 
prêts  à  être  mis  en  œuvre,  Or,  toutes  ces  cathédrales  possé- 
daient des  transsepts.  Seules,  celles  de  Sens  et  de  Senlisn'en 
possédaient  pas,  non  plus  que  la  cathédrale  projetée  par 
Pierre  de  Provins  pour  la  ville  de  Clusy.  Le  plan  de  la 
cathédrale  de  Paris,  mis  à  exécution  sous  l'évêque  Maurice 
de  Sully,  avait  été  conçu  sans  transsept  ;  mais  ce  plan 
avait  été  modifié  peu  après  la  mort  de  l'évêque  fondateur, 
et  alors,  en  12 19,  ce  transsept  ainsi  que  la  nef  étaient 
achevés. 

Il  va  sans  dire  que  dans  le  conseil  de  l'œuvre,  com- 
posé, comme  on  sait,  moitié  de  membres  du  chapitre, 
moitié  de  bourgeois,  la  discussion  porta  sur  les  cathé- 
drales qui  s'élevaient  dans  toutes  les  villes  du  domaine 
royal,  en  Champagne  et  en  Picardie,  et  que  chacun  prô- 
nait celle  qui  lui  paraissait  la  plus  belle.  Tous  furent  d'ac- 
cord pour  ajouter  un  transsept  au  projet  primitif  de  Pierre 
de  Provins  et  pour  donner,  par  suite,  plus  d'étendue  au 
vaisseau  de  la  nef,  qui  alors  eut  été  trop  courte.  Puis,  la 
discussion  s'engagea  sur  le  choix  du  maître  de  l'œuvre,  car 
l'homme  qui  était  alors  chargé  de  ces  fonctions,  depuis  que 


ET   d'uxe    cathédrale.  gS 


les  travaux  étaient  suspendus,  ne  parut  pas  à  la  hauteur  de 
cette  tache. 

Les  noms  de  Pierre  de  ('orbie,  de  Robert  de  Luzarches, 
de  Robert  de  Coucy  furent  mis  en  avant,  mais  on  considéra 
que  ces  maîtres  étaient  déjà  fort  occupés  et  qu'ils  ne  pour- 
raient guère  se  consacrer  à  une  œuvre  aussi  importanie. 
Après  un  long  débat  sur  ce  sujet,  le  conseil  de  Tœuvre  décida 
qu'on  mettrait  le  projet  au  concours. 

L'évêque  approuva  cette  résolution,  et  aussitôt  des  lettres 
furent  envoyées  dans  les  villes  du  Domaine  royal  pour 
faire  savoir  aux  maîtres  des  œuvTes  que  Tachèvement  de  la 
cathédrale  de  Clusy  serait  confié  à  celui  d'entre  eux  qui 
fournirait  le  meilleur  projet. 

Plusieurs  se  rendirent  en  effet  à  Clusy  pour  prendre  con- 
naissance des  localités  et  de  la  partie  de  l'église  à  laquelle  il 
s'agissait  de  se  raccorder. 

En  attendant  que  les  projets  fussent  prêts,  on  ferma  le 
chœur  conservé  par  un  pan  de  bois,  afin  de  pouvoir  utiliser 
ce  chœur  pour  les  besoins  du  culte  et  des  habitants. 

C'était  le  i"  octobre  que  les  maîtres  devaient  remettre 
leurs  travaux  au  conseil  de  l'œuvre  qui,  après  les  avoir 
examinés,  interrogerait  chacun  des  concurrents  sur  les 
moyens  d'exécution  qu'il  entendait  choisir.  A  cette  fin, 
furent  adjoints  au  conseil,  un  maître  charpentier,  deux 
maîtres  maçons,  deux  tailleurs  de  pierre  et  d'images  et 
deux  des  jurés  de  la  ville  ne  faisant  pas  partie  du  conseil. 

Sept  concurrents  se  présentèrent-,  quatre  furent  prompte- 
ment  éliminés,  leurs  projets  ne  satisfaisant  sur  aucun  point 
les  juges  du  concours.  Parmi  les  trois  autres  sur  lesquels 
le  choix  définitif  devait  porter,  l'un,  apparenté  dans  la 
ville,  était  de  ces  gens  qui  ne  doutent  pas  du  succès;  il 
n'avait  pas  manqué  de  répéter  par  toute  la  cité  que    lui 


94  HISTOIRE     D    UN     HOTEL     DE    VILLE 

seul  avait  exactement  rempli  les  conditions  du  programme 
et  que  son  projet  devait  être  certainement  le  meilleur. 

Si,  de  tout  temps,  il  a  paru  mal  séant  de  se  vanter,  de 
tout  temps  aussi,  Taxiome  :  «  On  n*a  pas  de  plus  fidèle 
ami  que  soi-même  »  a  été  vrai,  et,  des  éloges  que  fait  un 
quidam  de  lui  et  de  ses  œuvres,  il  reste  toujours  trace. 

On  trouve  Thomme  insupportable,  mais  du  bourdonne- 
ment élogieux  dont  il  a  rebattu  \os  oreilles,  Tesprit  est 
rempli  et  est  bien  près  de  former  une  opinion  favorable. 

Dans  la  ville  de  Clusy,  parmi  les  bourgeois,  fort  préoc- 
cupés des  projets  touchant  la  cathédrale,  il  paraissait  ainsi 
hors  de  doute  que  le  travail  du  maître  des  œuvres  Jean 
d'Orbais,  ne  diat  être  adopté  d'emblée.  Il  était  si  sûr  de  son 
fait  !  puis  ne  comptait-il  pas  deux  de  ses  cousins  dans  le 
sein  même  du  conseil  ? 

Mais  alors,  quand  un  concours  était  ouvert  entre  plusieurs 
maîtres,  il  était  d'usage  d'entendre  chacun  d'eux  et  souvent 
même  de  les  laisser  discuter  entre  eux.  Ces  discussions  étaient 
parfois  orageuses,  il  n'est  besoin  de  le  dire.  Les  jurés  im- 
passibles laissaient  parler  les  rivaux,  persuadés  que  le  bon 
sens  finit  par  prévaloir  dans  toute  discussion  libre. 

Le  2  octobre  12 19,  les  trois  maîtres,  Jean  d'Orbais, 
Jacques  de  Melun  et  Hugues  de  Courtena}^  furent  admis 
lu  sein  du  conseil  et  invités  à  expliquer  leurs  projets. 

Jean  d'Orbais  prit  le  premier  la  parole  ;  tout  en  conser- 
vant le  chœur  de  Pierre  de  Provins,  ainsi  qu'il  avait  été 
prescrit,  il  y  ajoutait  un  transsept  de  la  largeur  du  vaisseau 
central,  puis  une  nef  à  doubles  collatéraux  analogues  à 
ceux  de  la  cathédrale  de  Paris.  Il  fit  valoir  l'amphtude  de 
la  partie  neuve,  le  développement  que  prendrait  la  façade 
dont  les  tours,  comme  à  Notre-Dame  de  Paris,  occuperaient 
la  largeur  des  doubles  bas-côtés.  D'ailleurs,  il  conservait  le 


ET     D   UNE.  CATHÉDRALE  o5 


système  des  voûtes  hautes,  admis  dans  le  chceur,  c'est-à- 
dire  comprenant  deux  travées  avec  un  arc  doubleau  inter- 
médiaire. Jacques  de  Melun  faisant  valoir  à  son  tour  les 
mérites  de  son  projet,  qui  se  rapprocliait  des  dispositions 
adoptées  dans  la  cathédrale  de  Sens,  déjà  élevée,  en  ajoutant 
un  transsept  qui  n'existait  pas  dans  cette  dernière  éf^lisc, 
montra  combien  sa  nef,  soutenue  par  des  piliers  largement 
espacés,  aurait  de  grandeur.  Puis,  il  avait  terminé  ses  deux 
bras  de  croix  par  des  absides,  comme  à  Noyon  et  à  Sois- 
sons,  et  il  comptait  beaucoup  sur  relïct  de  ces  ronds-points 
latéraux. 

Hugues  de  Courtenay  eut  ia  parole  le  dernier;  sans  ex- 
pliquer tout  d'abord  son  œuvre,  il  se  mit  à  critiquer  celles 
de  ses  confrères.  Il  démontra  que  les  doubles    bas-côtés 
adoptés  par  Jean  d'Crbais  pour  sa  nef  auraient  l'inconvé- 
nient de  faire  paraître  le  chœur  conservé  mesquin,  que  les 
collatéraux  extrêmes  n'auraient  pas  de  débouchés  de  l'autre 
côté  du  transsept,  que,  pour  contrebuter  les  grandes  voûtes, 
il  serait  obligé  de  donner  aux  piles  intermédiaires  des  colla- 
téraux une  forte  section  pour  asseoir  les  arcs-boutants,  ou 
de  franchir  tout  l'espace  et  de  construire  ainsi  des  arcs  à 
double  révolution,  comme  à  Notre-Dame  de  Paris,  ce  qui 
lui  semblait  être  un  défaut;  que  le  transsept  formait  une 
coupure  sans  liaison  ni  avec  le  chœur  ni  avec  la  nef,  comme 
si  ce  bras  de  croix  eût  été  conçu  après  coup;  que  l'étendue 
démesurée  de  la  façade  ne  correspondait  pas  à  la  petite 
dimension  relative  du  chœur.  Passant  à  l'examen  du  pro- 
jet de  Jacques  de  Melun,  il. n'eut  pas  de  peine  à  faire  com- 
prendre que  la  largeur  excessive  des  travées  de  la  nef  ferait 
d'autant  plus  ressortir  l'étroitesse  de  celle  de  l'ancien  chœur, 
que  ces  voûtes  très-larges  seraient  difficiles  à  contrebuter,  à 
moins  de  donner  aux  arcs-boutants  une  force  peu  en  îiar- 


96  HISTOIRE     d'un    HQTEL     DE     VILLE 

monie  avec  ceux  de  la  partie  ancienne  ;  que  les  bras  de 
croix  terminés  par  des  absides  n'étaient  point  conformes  à 
l'interprétation  du  programme  donné,  lequel  ne  demandait 
pas  plusieurs  autels;  qu'au  contraire  le  transsept  devait 
être  disposé  pour  présenter  un  écoulement  facile  à  la  foule 
les  jours  de  grandes  assemblées  *,  c'est-à-dire  être  muni  de 
portes. 

S'il  fut  interrompu  pendant  ces  critiques  par  les  deux 
autres  concurrents,  il  n'est  besoin  de  le  dire.  Jean  d'Orbais, 
lorsqu'il  trouvait  un  contradicteur,  s^échauffait  et  bredouil- 
lait. 

Jacques  de  Melun,  au  lieu  de  répondre  aux  critiques  d'un 
ordre  général,  prétendait  se  rabattre  sur  les  détails  et  les 
exemples  existants. 

Ces  interruptions  ne  déconcertaient  pas  Hugues  de 
Courtenay  qui,  sans  y  répondre,  continuait  froidernent,  mé- 
thodiquement, son  examen.  Quand  il  l'eut  terminé,  il  passa 
à  l'explication  de  son  projet  dont  nous  donnons,  figure  2 1 ,1e 
plan.  Il  démontra  comment  il  avait  su  relier  le  transsept  aux 
bas-côtés  du  chœur  et  de  la  nef  en  faisant  retourner  ces 
latéraux,  ce  qui  donnait  au  centre  de  l'édifice  une  surface 
considérable  pour  les  assemblées*,  comment  il  s'était  con- 
tenté pour  la  nef,  de  bas-côtés  simples  dans  le  prolongement 
de  ceux  du  chœur  ;  comment,  tout  en  donnant  un  peu  plus 
de  largeur  aux  travées  de  cette  nef,  la  différence  avec  celles 
du  sanctuaire  n'était  pas  telle  qu'on  pût  l'apprécier  à  l'œil; 
que  d'ailleurs,  les  collatéraux  doubles,  s'ils  étaient  justifiés 
à  Paris,  étaient  inutiles  pour  une  cathédrale  d'une  ville 
comme  celle  de  Clusy,  qui  n'avait  pas  à  contenir  plus  de  six 
mille  personnes  ;  que  ces  collatéraux  simples  lui  permettaient 
déplacera  l'extérieur  des  contreforts  assez  puissants  pour 
contrebuter  les  hautes  voiàtes;  que  sa  façade  était  propor- 


ET     d'une     cathédrale.  97 

tionncc  à  la  grandeur  de  Tcdifice  et  que  d'ailleurs,  s'il  avait 
deux  tours  de  dimensions  suffisantes  sur  cette  façade,  il  en 
élevait  quatre  aux  angles  du  transsept  et  une  autre  centrale 
sur  les  quatre  gros  piliers;  de  telle  sorte  que  le  monument 
eut  trois  façades  comme  il  aurait  trois  entrées  principales, 
ce  qui  était  raisonnable;  «  car,  ajouta-t-il,  il  n'est  point  con- 
venable de  concevoir  un  monument  aussi  étendu  avec  une 
seule  façade  d'apparat  en  ayant  Tair  de  négliger  les  autres 
parties.  » 

Il  démontra  que  ses  voûtes  d'arêtes  combinées  pour 
chaque  travée  étaient  ainsi  également  contrebutées.  Il 
expliqua  comment,  pour  faciliter  le  service,  pour  établir  les 
tentures  les  jours  de  fcte,  pour  réparer  les  vitraux  des 
fenêtres  des  bas-côtés,  il  avait  établi  un  passage  continu 
relevé  de  deux  toises  au-dessus  du  sol,  à  la  base  des  fenêtres, 
et  comment  ces  passages  étaient  desservis  par  des  esca- 
liers. 

Les  hochements  de  tête  approbatifs  de  la  plupart  des 
jurés,  pendant  que  parlait  Hugues  de  Courtenay,  ne  fai- 
saient qu'exaspérer  ses  deux  confrères.  Ne  pouvant  s'atta- 
quer à  un  ensemble  de  dispositions  simples  qui  ne  prêtaient 
pas  le  flanc  à  la  critique,  les  deux  maîtres,  parlant  à  la  fois, 
Jean  bredouillant  et  Jacques  criant,  se  rejetaient  sur  les 
détails. 

Les  voûtes  hautes,  bandées  par  travées  au  Heu  de  l'être 
de  deux  en  deux  comme  dans  le  chœur,  étaient  contraires  à 
ce  qui  s'était  fait.  Comment  se  terminerait  la  galerie  haute 
du  chœur  sur  le  transsept  ?  Les  tours  de  la  croisée  seraient 
mesquines  et  la  tour  centrale  énorme.  A  quoi  bon  faire  re- 
tourner les  bas  côtés  dans  le  transsept?  etc.  Hugues  laissait 
dire;  quand,  épuisés,  l'un  eut  fini  de  bredouiUer  et  l'autre 
de  crier,  il  reprit  ainsi  : 

i3 


qS  HISTOIRE    d'un    hôtel    de    ville 

a  Maîtres  jurés,  messieurs  du  conseil,  je  répondrai  à  mes 
confrères  en  peu  de  mots. 

«  Les  voûtes  bandées  par  travées  simples  ont  cet  avan- 
tage, que  n"'ont  pas  les  anciennes,  de  reporter  les  poids 
également  sur  toutes  les  piles  égales  entre  elles  comme  sec- 
tion*, déplus,  leurs  arcs-ogives  ne  masquent  pas  les  fenêtres 
hautes.  Si  cela  ne  s'est  pas  fait  jusqu'à  présent,  cela  est 
cependant  admis  par  le  maître  des  œuvres  de  la  cathédrale 
de  Reims  qui  les  a  conçues  ainsi,  et  vous  ne  nierez  pas  sa 
compétence.  La  galerie  haute  du  chœur  se  terminera  natu- 
rellement à  la  première  travée  du  transsept  pour  adopter  à  la 
suite  et  dans  la  nef,  la  galerie  étroite,  ainsi  que  le  fait  voir 
mon  dessin.  Les  tours  du  transsspt  se  groupant  autour  de 
celle  du  centre  ne  peuvent  paraître  maigres,  ainsi  qu'on  peut 
'e  reconnaître  en  visitant  la  cathédrale  de  Laon  qu'on  ter- 
mine en  ce  moment.  Si  j'ai  fait  retourner  les  bas-côtés 
dans  le  transsept,  j'ai  dit  pourquoi  :  c'est  pour  donner  au 
centre  de  l'édifice,  là  où  on  en  a  le  plus  besoin,  un  très- 
large  espace  pour  les  réunions. 

«  D'ai'leurs,  ajouta-t-il  en  tirant  un  rouleau  de  dessous 
sa  cotte,  voici  un  pourtraict  au  naturel  de  l'ouvrage,  qui 
en  dira  plus,  pour  ce  qui  est  de  l'extérieur,  que  de  longs 
comm.entaires  (fig.  22). 

«  En  examinant  ce  dessin  conjointement  à  la  coupe  de 
la  net  projetée  que  vous  avez  sous  les  yeux  (figure  23), 
vous  pouvez  vous  rendre  compte  de  l'œuvre  assez  exacte- 
ment. » 

Tous  les  jurés  se  mirent  à  regarder  avec  le  plus  vif  intérêt 
le  pourtraict  au  naturel  qui  leur  faisait  si  bien  comprendre 
les  dispositions  extérieures  de  l'édifice  projeté  par  Hugues. 
Les  deux  autres  concurrents  se  récrièrent,  prétendant  qu'ils 
auraient  pu  aussi  uonner  des  pourtraicts  au  naturel  de  leurs 


/-.j^J'V 


U 


PROJET  d'achèvement  DE  LA  CATHÉDRALE  DE  CLLSY  AU  COMMENCEMENT 

DU  XIIl»^  SIÈCLE 


CU.'L  L  A  UMC  T     ai/A/fOf* 


VUE    DE   LA    CATHÉDRALE    DE    CLUSY,    COMMENCEMENT 
DU   Xllle    SIÈCLE. 


ET     d'une     CA  riIKDR  A^E.  99 


projets,  et  qu'alors  on  pourrait  juger  le  mérite  relatif  des 
aspects. 

«  Que  ne  Tavez-vous  fait?  »  répliqua  Hugues-,  puis, 
s'adressant  aux  jures  : 

«  Ceci  n'est  qu'une  image  qui  ne  saurait  donner  Téco- 
nomie  de  mon  projet.  Veuillez  examiner  le  plan  (fig.  21), 
vous  observerez  que  le  tracé  des  voûtes  commande  la  dis- 
position des  piles  et  leur  section,  et  cela  est  conforme  au 
simple  bon  sens;  car,  quel  est  le  résultat  à  atteindre  ?  La 
clôture  d'un  grand  vaisseau. 

«  Quel  est  dans  ce:te  clôture  l'objet  principal?  N'est-ce 
pas  la  voCite,  c'est-à-dire  la  partie  de  l'édilice  qui  couvre 
l'assemblée  ? 

«  Il  fallait  donc,  au  préalable,  tracer  les  mo3^ens  de  voù- 
tage,  et,  de  ce  tracé,  déduire  les  piles  et  contreforts,  leur 
épaisseur  et  leur  puissance  de  résistance,  soit  aux  poids 
verticaux,  soit  aux  poussées. 

«  Quant  à  la  coupe  de  la  nef  (fig.  2  3),  vous  voudrez  bien 
considérer  le  mode  de  tracé  que  j'ai  adopté,  et  qui  m'a 
d'ailleurs  été  suggéré  par  les  règles  adoptées  entre  plusieurs 
maîtres  notables,  depuis  peu.  J'ai  conservé  la  largeur  de  la 
nef  du  chœur,  laquelle  a,  d'axe  en  axe  des  piliers,  six  toises 
un  quart,  et  la  largeur  des  bas-côtés,  lesquels  portent  trois 
toises  de  l'axe  des  piles  au  nu  intérieur  des  murs.  Puis,  de 
ces  points  et  axes,  ayant  élevé  des  triangles  équilatéraux,  j'ai 
obtenu  la  hauteur  des  piliers,  y  compris  le  chapiteau  et  la 
hauteur  de  la  galerie  extérieure  à  la  base  des  fenêtres  hautes. 

((  Traçant  de  ces  derniers  points  un  autre  triangle  équi- 
latéral,  j'ai  fixé  la  hauteur  des  clefs  des  arcs-ogives,  c'est-à- 
dire  la  plus  grande  hauteur  dans  œuvre.  Ainsi  obtiendrai-je 
une  série  de  proportions  ayant  entre  elles  des  rapports  har- 
moniques, comme  l'indiquent  les  maîtres. 


100 


HISTOIRE    D   UN     HOTEL    DE    VILLE 


«  J'établis    à   rez-de-chaussée   des   passages   au-dessus 
d'une  arcaturc  intérieure  qui  décore  la  base  de  Tédificc, 


G  /-o^ifj 


10  tneUtf 


4i 


passage  utile  pour  le  service  et  pour  permettre  la  répara- 
tion des  vitraux  des  fenêtres  basses.  Au-dessus  des  collaté- 


VUE    INTÉRIEUKE     DE    LA    CATHEDRALE    DE     CLUSY. 
JONCTION    DES   XIl'    ET    XIU'    SIÈCLES, 


LT     d'une     CATHÉDRAhli.  lOI 


raux,  j'ai  une  autre  galerie  intérieurj  dans  la  hauteur  des 
combles;  au-dessus  de  cette  galerie,  une  coursicre  extérieure 
pour  focilitcr  la  réparation  des  combles  des  bas-côtés  et  des 
vitraux  des  fenêtres  hautes. 

«  A  la  base  de  ces  combles,  une  coursière,  passant  à 
travers  les  contreforts,  permet  la  circulation  tout  autour  de 
rédifice;  de  même  à  la  base  du  grand  comble. 

ce  La  voûte  du  chœur  à  conserver  étant  plus  basse  que 
celle  de  la  nef  et  du  transsept  nouveau,  et  les  archivoltes  des 
latéraux  de  ce  chœur  étant  de  même  moins  élevées  que 
celles  des  bas-côtés  à  construire,  je  compte  raccorder  ces 
parties  neuves  et  anciennes  (ainsi  que  le  fait  voir  la  figure  24) , 
en  arrêtant  la  large  galerie  supérieure  des  collatéraux  du 
chœur  aux  dernières  piles  cylindriques  en  arrière  des  grands 
piliers  du  transsept.  Toutefois,  l'arc-doubleau  d'entrée  du 
chœur  demeurera  plus  bas  que  ne  sont  les  trois  autres 
grands  arcs-doubleaux  du  transsept ,  mais  cela  ne  saurait 
produire  un  mauvais  effet,  le  tympan  pouvant  être  décoré. 

«  J'ai  fini,  messieurs,  à  moins  que  vous  n'ayez  à  me  de- 
mander d'autres  éclaircissements.   » 

Le  conseil  déclara  qu'il  était  suffisamment  instruit  et 
qu'il  allait  en  délibérer. 

Jean  d'Orbais  avait,  outre  deux  ou  trois  voix  assurées 
aans  ce  conseil ,  des  amis  dans  la  ville  qui ,  sur  ses 
vanteries  et  cabales,  étaient  parvenus  à  disposer  l'opinion 
en  sa  faveur,  ce  que  n'ignoraient  pas  les  juges  du  concours. 

Hugues  de  Courtenay,  inconnu  des  bourgeois  de  la  cité, 
et  qui  s'était  gardé  de  paraître  dans  les  assemblées,  ne  sem- 
blait avoir  aucune  chance  en  sa  faveur.  Tout  en  reconnais- 
sant que  son  projet  paraissait  être  le  meilleur  des  trois,  le 
conseil  n'osait  cependant  manifester  une  opinion  absolue  et 
s'en  référa  à  l'évêque.  Quant  à  Jacques  de  Melun,  il  était 


102  HISTOIRE     d'un     HOTEL     DE     VILLE 

de  fort  méchante  humeur  en  voyant  que  la  lutte  semblait 
devoir  se  limiter  entre  ses  deux  confrères  seulement,  sans 
qu'il  fût  ques  ion  de  lui. 

L'évêque,  après  avoir  examiné  les  projets  et  ouï  ses  con- 
seillers, ne  savait  trop  que  résoudre,  car  les  partisans  dé- 
clarés de  Jean  d'Orbais,  quoiqu'en  petit  nombre  dans  le 
conseil,  faisaient  beaucoup  de  bruit  et  revenaient  sur  les 
mêmes  critiques  adressées  au  projet  de  Hugues  de  Courte- 
nay,  sans  tenir  compte,  bien  entendu,  des  réponses  de  ce 
dernier. 

Après  avoir  réfléchi  quelque  temps,  l'évêque  décida 
qu'une  seconde  séance  serait  ouverte ,  dans  laquelle ,  en 
présence  du  conseil,  il  interrogerait  lui-même  les  trois 
concurrents. 

Ceux-ci  furent  donc  appelés  de  nouveau,  le  lendemain, 
dans  le  palais  épiscopal.  Et  il  fut  entendu  qu'ils  se  conten- 
teraient de  répondre  aux  questions  qui  leur  seraient  adres- 
sées. 

Les  projets  furent  appendus  aux  murs  -,  l'évêque  qui, 
comme  on  Ta  vu  déjà,  ne  manquait  pas  d'esprit  d'à-propos, 
s'adressant  tout  d'abord  à  Jacques  de  Meiun,  lui  demanda 
s'il  avait  pris  connaissance  des  projets  de  cathédrales  éla- 
borés depuis  peu,  etnotamm2:it  de  ceux  des  cathédrales  de 
Reims  et  d'Amiens. 

«  Seigneur  évêque,  répo:iJit  le  maître,  j'ai  fait  mieux, 
j'ai  étudié  soigneusement  les  édifices  déjà  construits,  les 
cathédrales  de  Noyon,  de  Sens,  de.... 

—  Ce  n'est  pas  ce  que  je  vous  demande,  répliqua  le 
prélat.  Connaissez-vous,  oui  ou  non,  les  projets  dont  je  vous 
parle  ? 

—  J'en  ai  ouï  parler. 

—  Bien!  Et  vous,  Jean  d'Orbais,  les  connaissez- vous? 


HT     d'une     CAIHLDRALE.  Io3 

—  Oui,  seigneur  évoque. 

—  Eli  bien,  alors,  pourquoi,  dans  les  dessins  que  vous 
nous  montrez,  présentez-vous  des  dispositions  qui  appar- 
tiennent à  un  édifice  conçu  il  y  a  soixante  ans  bientôt,  et  ne 
profitez-vous  pas  des  progrès  réalisés  depuis  par  les  maîtres 
qui  ont  su  donner  à  leurs  constructions  plus  de  légèreté, 
plus  d'air  et  de  lumière,  plus  d'espaces  couverts?  » 

Jean  d'Orbais,  toujours  bredouillant  : 

«  C'esj,  en  vérité,  dit- il,  parce  que  j'ai  pris  connaissance 
des  pro-ets  élaborés  pour  la  cathédrale  de  Reims  par  Robert 
de  Couc\%  et  pour  la  cathédrale  d'Amiens  par  Robert  de 
Luzarches,  que  je  n'ai  adopté  ni  Tune  ni  l'autre  des  dispo- 
sitions conçues  par  ces  maîtres.  Cela  ne  saurait  tenir  de- 
bout, ce  sont  des  échasses  que  le  premier  ouragan  renver- 
sera. D'ailleurs,  je  ne  prétends  imiter  personne,  et  je  crois 
qu'il  appartient  à  un  maître  d'innover. 

—  jNIais,  reprit  Tévêque,  je  crois  que  vous  n'inno- 
vez guère,  puisque  votre  œuvre  rappelle  Notre-Dame  de 
Paris  ? 

—  Excusez-moi,  seigneur  évêque,  ma  façade  offre  un 
parti  nouveau,  splendide,  qui  sera  la  gloire  de  votre 
évêché;  voyez  quelle  ampleur!  quelle..., 

—  Il  ne  s'agit  pas  de  la  façade  seulement,  et  je  ne  pré- 
tends pas  bâtir  une  cathédrale  pour  montrer  une  façade... 
splendide,  mais  pour  contenir  la  foule  des  citoyens  de 
■Clusy;  or,  je  vois  que  vos  bas-côtés  doubles  sont  étroits, 
bas ,  que  dans  le  voisinage  du  transsept  l'espace  manque, 
que  vos  fenêtres  hautes  sont  petites,  que  la  lumière  du  jour 
éclairerait  difficilement  le  vaisseau,  surtout  à  cause  de  ces 
doubles  bas-côtés. 

—  Seigneur  évêque,  il  n'y  a  que  trop  de  lumière  dans  les 
églises,  les  grandes  fenêtres  ne  se  peuvent  vitrer  ;  on  verra 


104  HISTOIRE     D   UN     HOTLL     DE     VILLE 

que  ce  n'est  pas  possible.  On  peut  faire  des  collatéraux 
simples,  si  vous  voulez;  la  galerie  supérieure  donne  des  jours 
suffisants.  Je  sais  bien  qu'on  médit  de  mon  projet,  mais  la 
façade  !  Il  n'y  aura  jamais  eu  de  façade  plus  majes- 
tueuse!... » 

Ces  phrases  incohérentes  ,  jetées  coup  sur  coup  sans 
achever  même  les  mots,  firent  sourire  le  prélat  qui,  inter- 
rompant Torateur  : 

«  Bien,  bien,  c'est  entendu,  dit-il....  Et  vous,  Hu- 
gues! répondez  à  mes  questions,  sans  vous  en  écarter. 
Pourquoi  avez -vous  donné  à  votre  transsept  une  si  grande 
largeur  ? 

—  Parce  que  c'est  le  centre  de  l'édifice,  le  point  où  la 
foule  se  réunira  avec  plus  de  presse. 

—  Pourquoi,  ayant  fait  les  travées  de  la  nef  plus  larges 
que  celles  du  chœur,  avez-vous  cependant  tenu  les  der- 
rières de  ces  travées,  proche  les  gros  piliers  de  la  croisée, 
plus  étroites? 

Pour  diminuer  la  poussée  des   archivoltes  sur  ces 
gros  piliers. 

—  Pourquoi  avez-vous  rétréci  la  nef  centrale  à  l'en- 
trée? 

—  Pour  donner  plus  d'assiette  aux  deux  tours  de  la 
façade  et  former  un  vestibule,  de  telle  sorte  que  les  fidèles 
ne  se  trouvent  pas  immédiatement  dans  la  partie  qui  doit 
être  réservée  aux  assemblées. 

■ —  Quel  motif  vous  a  fait  placer  des  tours  aux  quatre 
angles  du  transsept  ? 

—  Pour  que  l'édifice  accuse  trois  façades,  puisqu'il  pos- 
sède trois  portails;  cependant,  j'ai  tenu  les  tours  de  la 
façade  occidentale  plus  larges  et  plus  hautes,  parce  que 
c'est  de  ce  côté  qu'est  l'entrée  principale  de  l'édifice. 


ET     d'une     cathédrale.  103 


—  Les  piliers  de  la  nef  ne  sont-ils  pis  trop  grcics  en 
raison  de  la  hauteur  de  cette  nef  ? 

—  J'ai  donné  à  ces  piliers  la  section  qui  suffit  à  leur  fonc- 
tion verticale,  car  toutes  les  poussées  sont  neutralisées  par 
la  disposition  des  arcs-boutants  qui  reportent  ces  poussées 
sur  les  contreforts  extérieurs,  de  manière  à  laisser  le  plus 
grand  vide  possible  dans  Tintérieur.... 

—  Ah!  interrompit  Jean  d'Orbais,  il  ferait  beau  voir  ces 
piles,  quand  avant  d'être  chargées  elles  recevront  la  poussée 
des  voûtes  des  bas-côtés! 

—  L'inteiTuption  vient  à  point,  reprit  Hugues;  mon 
confrère  ne  sait  donc  pas  que  nous  plaçons  des  tirants  pro- 
visoires en  bois  ou  même  en  fer,—  et  c'est  ainsi  qu'on  pré- 
tend procéder  à  la  cathédrale  de  Reims,  —  pour  permettre 
de  bander  les  voûtes  des  collatéraux,  tirants  que  Ton  enlève 
ou  que  Ton  coupe  lorsque  toute  la  construction  est  terminée 
et  que  la  stabilité  des  piles  est  assurée  par  les  poids  supé- 
rieurs. 

—  Comment,  continua  Tévêque,  entendez-vous  disposer 
rimagerie  de  Téglise  future  ? 

—  Seigneur  évêque,  j'enttnds,  à  cet  égard,  m'en  rap- 
porter à  vos  lumières. 

—  Soif,  mais  avez- vous  en  vue  une  conception  géné- 
rale ? 

—  Je  placerais  sous  le  portail  principal,  au  trumeau  cen- 
tral, le  Christ  homme  entouré  des  douze  apôtres  sur  les 
deux  ébrasements -,  au-dessus,  dans  le  tympan,  le  Christ 
assistant  au  Jugement  dernier-,  dans  les  six  voussures  au- 
dessus,  les  anges  et  archanges,  les  martyrs,  les  vierges 
martyres,  les  prophètes,  les  sybilles  et  Tarbre  de  Jessé.  A 
la  porte  de  gauche,  la  sainte  Vierge  sur  le  trumeau  -,  ses 
ancêtres  sur  les  piédroits-,  dans  le  tympan,  la  mort  de  la 

i4 


:oG  HISTOIRE   d'un    hôtel   de    ville 

mère  du  Sauveur  et  son  couronnement;  dans  les  voussures, 
des  anges,  des  saints  et  saintes.  A  la  porte  de  droite,  saint 
Martin  sur  le  trumeau,  les  saints  évêques  de  France  autour 
de  lui  ;  dans  le  tympan,  l'histoire  de  saint  Martin,  et  dans 
les  voussures,  des  saints  des  Gaules. 

«Au-dessus  du  portail,  les  rois,  ancêtres  de  la  Vierge, 
images  colossales,  puis,  dans  les  quatre  pinacles,  les  fon- 
dateurs de  votre  église. 

«  Le  portail  sud  du  transsept  serait  consacré  à  saint 
Etienne,  en  souvenir  de  Pancienne  église,  et  celui  du  nord 
à  la  Vierge,  en  souvenir  de  la  chapelle  qui  existait  de  ce  côté. 

—  Bien,  nous  causerons  de  cela  s'il  y  a  lieu.  » 

Sur  ces  derniers  mots,  Pévêque  ayant  levé  la  séance,  les 
maîtres  se  retirèrent-,  Jacques  de  Melun,  de  plus  en  plus 
mécontent  et  déclarant  qu'on  n'avait  pas  voulu  l'entendre-, 
Jean  d'Orbais  répétant  partout  qu'il  avait  écrasé  ses 
rivaux  et  que  l'évêque  lui-même  était  resté  confondu 
devant  ses  réponses-,  Hugues  de  Courtenay  ne  disant  mot 
et  se  retirant  dans  la  chambre  de  son  hôtel. 

Aussi  y  eut-il  une  certaine  émotion  dans  la  ville,  le 
lendemain,  quand  on  sut  que  le  projet  de  Hugues  de  Cour- 
tenav  était  préféré,  et  les  bons  bourgeois,  qui  n'avaient  vu 
aucune  des  oeuvres  soumises  au  conseil  et  aux  jurés,  s'en- 
tretenaient, dans  les  tavernes  et  sur  les  places,  de  ce  juge- 
ment qui  leur  paraissait  inique  de  tout  point  ;  Jean  d'Or- 
bais n'était  pas  le  dernier,  bien  entendu,  à  crier  au  scan- 
dale. 

Quant  à  Jacques  de  Melun,  il  était  parti  dès  que  le 
résultat  du  concours  avait  été  connu. 

Les  conseillers  et  jurés  furent  assaillis  de  questions,  de 
critiques,  par  les  bourgeois  qui  avaient  pris  en  main  la 
cause  de  Jean  d'Orbais  sur  ses  propres  affirmations  et  sans 


ET     d'une      cathédrale.  I07 


connaître  d'ailleurs  les  projets  des  concurrents-,  si  bien  que 
le  maire  crut  bon  de  réunir  dans  le  chœur  de  la  cathé- 
drale, avec  Tassentiment  de  l'évéque,  tous  les  habitants 
qui  voulaient  être  éclairés  sur  les  considérants  des  con- 
seillers et  sur  leur  jugcm^it.  Hugues  de  Courtenay  et  Jean 
d'Orbais  furent  convoqués  également  afin  de  s'expliquer 
en  public  si  on  le  croyait  nécessaire.  Ce  dernier  se  rendit 
à  la  cathédrale  entouré  de  tous  ses  partisans,  bien  décidés 
à  faire  revenir  le  conseil  sur  sa  décision. 

Hugues  de  Courtenay  y  vint  seul-,  peu  d'habitants  le 
connaissaient. 

Les  preniiers  moments  de  la  réunion  se  passèrent  au 
milieu  du  tumulte;  le  maire,  entouré  des  conseillers  et 
jurés,  eut  grand  peine  à  se  faire  entendre.  Il  essaya  cepen- 
dant d'expliquer  les  motifs  du  jugement  porté  sur  les  pro- 
jets des  concurrents;  mais  il  était  interrompu  à  chaque 
instant  par  les  amis  de  Jean  d'Orbais. 

Impatienté,  le  maire  dit  enfin  : 

«  Eh  bien!  que  Jean  explique  lui-même  en  quoi  son 
projet  eût  du  être  préféré  à  celui  de  Hugues. 

—  Oui,  oui  !  »  cria-t-on  de  tous  côtés. 

Nous  Pavons  dit,  Jean  d'Orbais  s'exprimait  de  la  ma- 
nière la  plus  confuse,  quoiqu'il  n'eût  pas  la  conscience  de 
ce  défaut,  car  il  ne  s'en  connaissait  aucun.  Il  commença 
donc,  en  bredouillant,  suivant  son  habitude,  un  discours 
que  personne  n'entendit,  répétant  à  peu  près  ce  qu'il 
avait  dit  devant  le  conseil.  La  foule,  qui  ne  comprenait 
rien  à  ce  flot  de  paroles  précipitées,  à  ces  phrases  sans 
suite,  commençait  à  murmurer.  Un  plaisant  se  mit  à  dire 
tout  haut  et  d'une  voix  bien  claire  : 

«  Celui-ci  parle  comme  un  chandelier  qui  tombe  dans  un 
esraUer.  » 


I08  HISTOIRE      d'un     HÔTEL     DE     VILLE 

Les  rires  accueillirent  ce  propos  et  gagnèrent  bientôt 
toute  rassemblée.  L'orateur,  ne  pouvant  deviner  la  cause 
de  cette  hilarité,  bredouillait,  s'embrouillait  de  plus  belle; 
et  les  rires  de  s'accentuer,  au  point  de  couvrir  la  voix  du 
malheureux  Jean  qui,  à  bout  de  forces  et  irrité  au  dernier 
point,  cria  ces  dernières  paroles  aussi  haut  qu'il  put 

«  Vous  n'y  entendez  rien!  et  Je  vois  bien  que  vous 
êtes  tous  conjurés  contre  moi  !  Eh  bien,  tant  pis  pour 
vous,  car  vous  n'aurez  qu'une  méchante  cathédrale!  » 

De  violents  murmures  succédèrent  aux  rires-. 

«  Il  nous  injurie!  Cène  sont  pas  des  raisons  cela!  » 
criait-on  de  toutes  parts. 

Les  amis  de  Jean  étaient  consternés  et,  comme  il  voulait 
continuer  sur  ce  ton,  le  forcèrent  à  grand'peine  au  silence. 

«  Que  l'autre  s'explique!  »  cria  la  foule. 

Quand  le  calme  fut  rétabli,  Hugues  s'avança  et  parla 
ainsi  : 

«  Que  vous  faut-il?  une  cathédrale....  c'est-à-dire  un 
édifice  qui  permette  de  réunir  sous  ses  voûtes  un  grand 
nombre  d'habitants,  pouvant  délibérer,  voir,  entendre, 
circuler,  entrer  et  sortir  facilement,  qui,  par  conséquent, 
présente  de  vastes  espaces  dans  sa  partie  centrale,  des 
issues  nombreuses,  qui  soit  largement  éclairé,  d'une  con- 
struction assez  simple  pour  pouvoir  être  élevé  rapidement, 
qui  laisse  aux  clercs  les  espaces  nécessaires  pour  le  ser- 
vice religieux,  qui,  à  l'extérieur,  signale  au  loin  l'impor- 
tance de  la  ville  de  Clusy,  le  goût  de  ses  habitants,  leur 
piété  et  les  efforts  qu'ils  ont  faits  de  tous  temps  pour  main- 
tenir leurs  franchises  municipales  sous  la  garantie  du  sei- 
gneur évêque....  N'est-ce  pas  lace  que  vous  voulez? 

—  Oui.,  c'est  cela  !  répondit  la  foule. 

—  Eh  bien,  si  messieurs  les    conseillers  et  jurés  ont 


ET     d'une     CATIIKDRALE.  IO9 


choisi  mon  projet  entre  tous,  c'est  qu'ils  Tout  considéré 
comme  remplissant  mieux  que  les  autres  ces  conditions  ;  c'est 
que  j'ai  pu  leur  expliquer  sans  difficulté,  sans  détours,  ces 
avantages  que  les  tracés  sur  le  vélin  permettent  d'apprécier  ; 
c'est  qu'il  n'y  a  pas  une  partie  de  ces  tracés  dont  je  ne 
pusse  donner  la  raison  ;  c'est  que  j'ai  indiqué  les  moyens  de 
construction  que  j'emploierai-,  c'est  qu'enfin,  sachant  que  je 
travaillais  pour  une  ville  renommée  par  l'intelligence  de 
ses  habitants,  je  m'étais  mis  en  mesure  de  pouvoir  rendre 
compte  de  l'ensemble  comme  des  moindres  détails  de  ma 
conception,  ne  doutant  pas  que  les  choses  seraient  exa- 
minées avec  soin  et  jugées  par  des  personnes  compétentes; 
c'est  que  j'ai  cherché  à  obtenir  un  tout  complet  sans  sacrifier 
aucune  des  parties,  n'essayant  pas  d'entraîner  les  suffrages 
par  un  morceau  capital  séduisant,  conçu  au  détriment  du 
reste.  Que  diriez-vous  d'un  imagier  qui,  taillant  une  statue, 
lui  donnerait  une  tête  énorme  et  un  corps  grêle?  C'est  ce- 
pendant ce  qu'a  fait  mon  confrère  Jean  qui  vient  de  parler 
et  qui  réclame  contre  la  décision  du  conseil.  Il  a  fait  une 
belle,  une  énorme  façade,  et  derrière,  une  nef  basse  bordée 
de  doubles  bas -côtés  écrasés,  terminés  par  un  transsept 
étroit.  Le  conseil,  avec  raison,  a  donc  rejeté  son  projet, 
car  si  la  façade  de  votre  cathédrale  doit  être  digne  de  la 
cité,  ce  n'est  pas  dans  la  façade  ni  dans  ses  tours  que  vous 
vous  rassemblerez,  mais  dans  la  nef  et  la  partie  centrale 
de  l'édifice.  La  façade  n'est  pas  le  principal,  mais  l'acces- 
soire.... 

—  C'est  pour  cela  que  Hugues,  interrompit  Jean,  fait 
trois  façades  au  lieu  d'une  seule! 

—  Oui,  je  fais  trois  façades,  dont  une  plus  riche  et  plus 
importante  que  les  deux  autres,  posées  aux  extrémités  des 
bras  de  croix.  Comme  il  y  a  trois  portails  pour  permettre 


IIO  HISTOIRE     D    UN     HOTEL     DE      VILLE 

à  la  foule  de  circuler  facilement  et  de  se  rendre  au  centre 
de  l'édifice  de  divers  points  de  la  cité,  il  y  a  trois  façades. 
C'est  la  raison  qui  Tindique. 

«  Mais  aussi,  dans  mon  projet,  j'ai  du  penser  à  la  circu- 
lation qui  doit  être  ménagée  à  tous  les  étages  de  l'édifice, 
pour  assurer  un  bon  et  facile  entretien  des  vitraux  et  cou- 
vertures, pour  permettre  d'éteindre  les  incendies  si  le  feu 
du  ciel  tombe  sur  les  toitures,  pour  pouvoir  tendre  l'inté- 
rieur aux  jours  de  fêtes  et  allumer  les  lampes. 

(c  C'est  donc  probablement  au  soin  que  j'ai  pris  de  tout 
prévoir  dans  la  construction  d'un  édifice,  que  nous  vou- 
drions voir  rivaliser  avec  les  cathédrales  déjà  bâties  à  Sens, 
à  Senlis,  à  Meaux,  à  Paris,  à  Noyon,  à  Soissons,  à  Laon, 
et  avec  celles  que  l'on  construit  à  Reims,  à  Amiens,  à 
Bourges,  à  Chartres,  que  je  dois  d'avoT  vu  mon  projet 
choisi  comme  le  plus  digne-,  d'ailleurs,  m'en  rapportant 
entièrement  à  la  décision  des  juges  et  à  l'opinion  des  habi- 
tants que  je  tiens  à  éclairer,  je  m'offre  à  faire  un  modèle  en 
relief  de  la  cathédrale  conçue  par  moi  ;  mon  confrère  Jean 
pourra,  s'il  le  veut,  faire  de  même,  et  nous  soumettrons  ces 
modèles  au  jugement  des  citoyens  de  Clus}'.  » 

On  avait  écouté  cet  exposé  dans  le  plus  profond  silence; 
quelques  interrupteurs  ,  qui  avaient  tenté  de  déconcerter 
l'orateur,  furent  contraints  de  se  taire. 

«  C'est  cela!  dirent  d'une  commune  voix  les  assistants, 
que  Jean  et  Hugues  nous  montrent  des  modèles  de  leurs 
projets!  » 

Mais,  en  sortant  de  la  cathédrale,  Hugues  de  Courtenay 
fut  d'autant  plus  entouré  de  bourgeois  que  Jean  fut  dé- 
laissé par  ses  partisans  d'un  jour.  Tout  en  cheminant 
vers  son  hôtel,  le  premier  répondait  à  toutes  les  questions 
qui  lui  étaient  adressées  avec  autant  de  clarté  que  de  pa- 


ET     D    UNE     CATIIliDRALE. 


III 


tience;  la  foule  se  pressait  autour  de  lui,  tandis  que  Jean 
déconcertait  ses  amis  par  des  sorties  ridicules  et  des  propos 
sans  suite.  Aussi  le  groupe  déjà  maigre  qui  Tentourait  à  la 
sortie  de  rassemblée,  était-il  réduit  à  trois  ou  quatre  fidèles 
lorsqu'il  arriva  à  la  porte  de  son  logis. 

Ainsi  fut  fait  comme  il  avait  été  dit  -,  un  mois  après 
cette  réunion,  Hugues  de  Courtenay,  travaillant  jour  et  nuit 
avec  un  des  meilleurs  huchiers  de  la  ville  et  ses  deux  ap- 
prentis, fut  en  mesure  de  montrer  au  public  le  modèle  en 
relief  de  son  projet,  lequel  fut  exposé  au  milieu  du  chœur 
de  la  cathédrale. 

On  attendit  vainement,  pendant  deux  semaines  encore, 
celui  que  devait  produire  Jean.  L'eût-il  exposé  que  l'opi- 
nion était  entièrement  tournée  en  faveur  du  projet  de 
Hugues  de  Courtenay;  si  bien  que  les  notables,  au  nom  de 
la  ville,  vinrent  supplier  l'évêque  de  déclarer  la  clôture 
définitive  des  épreuves  et  de  confier  l'œuvre  à  Hugues, 
ainsi  que  le  conseil  l'avait  décidé. 


112  HISTOIRE     D   U.\     HOTEL     DE     VILLE 


CHAPITRE   VI 


POURQUOI    ET    COMMENT    LA    CATHEDRALE 
SUBIT    CERTAINES    MODIFICATIONS. 


Sous  répiscopat  de  Eudes  de  la  Ferté,  les  travaux  de  la 
cathédrale  de  Clusy,  confiés  au  maître  des  œuvres  Hugues, 
furent  poussés  avec  une  activité  prodigieuse,  si  bien  qu'en 
1240,  rédifice  était  achevé,  y  compris  la  salle  s3'nodale  in- 
diquée en  S  sur  le  plan  (fig.  21},  et  sauf  quelques  par- 
ties supérieures  de  la  façade,  et  les  quatre  tours  du 
transsept-,  mais  alors,  la  suite  de  l'opération  était  confiée  au 
.ils  de  Hugues,  Guillaume  de  Courtenay. 

Le  maître  dont  le  projet  a  été  expliqué  dans  le  chapitre 
précédent,  étant  mort  en  12 38,  Guillaume,  non  moins  ha- 
bile que  son  père,  avait  été  élevé  près  de  lui,  dans  ce  grand 
et  actif  chantier  de  la  cathédrale  de  Clusy  i  mais  Hugues, 
sachant  par  expérience  que  celui  qui  n'a  vu  qu'une  chose 
n'a  rien  vu,  voulut  que  son  fils  parcourût  les  divers  chan- 
tiers de  la  France  ;  et  comme  alors  tous  les  maîtres  des 
œuvres  étaient  en  relations  constantes  et  intimes,  se  fai- 
saient part,  réciproquement,  de  leurs  tentatives,  de  leurs 


ET     DUNE     CATHI.DRALE.  Il3 

succès  OU  de  leurs  insuccès^  comme  aussi  certains  se- 
crets du  métier  étaient  religieusement  gardés  et  transmis 
seulement  entre  les  membres  par  la  parole,  et  jamais  par 
écrit,  il  s'était  établi  entre  eux  une  sorte  d'association  dans 
laquelle,  pour  être  admis,  ;1  fallait  faire  ses  preuves 

Guillaume  s'était  donc  instruit  au  contact  de  ces  maîtres 
dont  il  avait  visité  successivement  les  chantiers,  non-seule- 
ment sur  le  domaine  ro3'al,  mais  en  Champagne,  en  Bour- 
gogne et  dans  les  Flandres-,  il  était  devenu  ainsi  maître  très- 
ingénieux  en  Tart  de  construire,  fort  versé  dans  les  procédés 
secrets  de  disposer  les  plans  et  de  tracer  les  voûtes  suivant 
la  méthode  la  plus  nouvelle. 

Mais,  pour  construire  cette  grande  cathédrale,  il  avait  fallu 
beaucoup  d'argent,  et  les  corporations  d'ouvriers  étaient  de- 
venues d'autant  plus,  exigeantes  qu'on  avait  un  plus  grand 
besoin  d'elles.  Le  prix  moyen  des  journées  s'était  successi- 
vement élevé  jusqu'à  la  somme  de  six  sous  et  plus  *^  puis, 
les  ouvriers  avaient  demandé  à  être  dispensés  de  faire  mai- 
gre pendant  le  carême  ;  les  corporations  s'étaient  fait  octroyer 
des  privilèges  tels  que  :  dispense  du  guet,  franchise  des  droits 
sur  le  vin  pour  elles,  faculté  de  travailler  après  le  couvre- 
feu  jusqu'à  dix  heures  du  soir,  etc. 

Quant  aux  sommes  nécessaires  à  l'exécution  de  ces  cons- 
tructions et  à  l'acquisition  des  matériaux,  l'évêque  ne  pou- 
vait guère  les  trouver  que  dans  l'escarcelle  des  bourgeois  ; 
car,  bien  que  le  roi  fît  des  dons  pour  hâter  le  travail,  ces 
sommes  étaient,  relativement  aux  besoins,  peu  importantes. 
Demander  de  l'argent  aux  nobles,  il  ne  fallait  pas  y  songer, 
on  va  voir  pourquoi. 


I.  Environ  cinq  francs  cinquante  de  notre  monnaie,  d'après  le 
prix  du  blc  à  cette  époque. 


tl4  HISTOIRE     D    UN     HOTEL     DE     VILLE 

Les  bons  bourgeois  de  Clusy  n'étaient  pas  disposés  à  vi- 
der leurs  bourses  seulement  par  un  sentiment  de  piété  ou 
de  vanité,  il  leur  fallait,  en  échange,  trouver  des  avantages 
réels. 

L'évêque  Eudes  de  la  Ferté,  qui  était  homme  d'esprit  et 
de  grand  sens,  le  savait  très-bien,  mais,  ainsi  que  tous  les 
autres  évêques  de  France  alors,  il  tenait  à  accomplir  pleine- 
ment le  projet  formé  par  ses  prédécesseurs  et  notamment 
par  Baudoin  de  sainte  mémoire.  Pendant  la  régence  de  la 
reine  Blanche,  mère  de  Louis  IX,  la  coalition  des  grands 
vassaux  de  la  couronne  ayant  été  dissoute,  grâce  à  Thabileté 
de  cette  princesse  et  à  la  défection  du  comte  de  Cham- 
pagne, les  évêques  crurent  le  moment  des  plus  favorables 
pour  atteindre  le  but  vers  lequel  ils  tendaient  depuis  près 
de  quatre-vingts  ans  et  que  nous  indiquerons  en  peu  de 
mots. 

Depuis  Philippe-Auguste  notamment,  et  même  déjà  du 
temps  de  la  régence  de  Tabbé  Suger,  le  pouvoir  des  grands 
vassaux  était  ébranlé.  Philippe  lui  avait  porté  un  coup  ter- 
rible* il  avait  protégé  les  communes,  s'était  servi  de  leurs 
milices  dans  ses  expéditions-,  mais  Foeuvre  était  de  trop 
longue  haleine  pour  qu'il  pût  l'achever.  A  sa  mort,  les  grands 
seigneurs  féodaux  prétendirent  reconquérir  tout  le  terrain 
perdu  et  partager  le  royaume  en  seigneuries  suzeraines, 
indépendantes  les  unes  des  autres.  Ils  ne  furent  secondés 
dans  cette  levée  de  boucliers  ni  par  les  populations  des 
villes  ni  parles  évêques  qui  prétendaient,  eux,  à  autre  chose, 
savoir  :  à  ce  rôle  qu'ils  avaient  rempli  jadis  avec  éclat,  de 
maîtres  absolus  dans  les  cités  sans  contrôle  d'aucune  sorte, 
maîtres  à  la  fois  séculiers  et  spirituels,  c'est-à-dire  des  corps, 
des  biens  et  des  âmes.  Ils  avaient  compris  que  ce  résultat 
ne  pouvait  être   obtenu  par  la  forcer  le  soulèvement  des 


ET     d'une     CATIIIÎDRALE.  Il5 

communes  avait  éclaire  souvent  d'une  lueur  sinistre  leurs 
tentatives  à  cet  égard;  ils  avaient  compris  également  que  le 
pouvoir  royal  ne  les  seconderait  pas  dans  cette  entreprise, 
.non  plus  que  la  noblesse  laïque.  Leur  seule  alliée  était  donc 
la  commune;  mais  il  fallait  acheter  cette  alliance  et  la  cul- 
tiver avec  la  plus  grande  prudence,  car  les  bourgeois  des 
villes  étaient  déliants  et  payés  pour  Tètre. 

C'est  pourquoi  les  cathédrales  s'élevaient  bien  plus  comme 
des  édifices  affectés  à  une  destination  civile  qu'à  un  service 
religieux.  La  cathédrale  devait  devenir  le  monument  de  la 
cité,  remplacer  Thôtel  de  ville  ;  donc,  le  parloir  aux  bourgeois 
n'avait  plus  sa  raison  d'être,  puisque  les  citoyens  pouvaient 
à  toute  heure  se  réunir  dans  l'église  mère,  y  discuter  de 
leurs  affaires  *,  puisque  les  cloches  des  tours  étaient  mises  en 
branle  par  leur  ordre  ;  puisque,  dans  ces  vastes  vaisseaux, 
ils  pouvaient  même  se  livrer  à  certains  passe-temps,  jeux 
et  mystères,  à  l'occasion. 

Seulement,  la  cathedra^  le  siège  épiscopal  était  là,  il 
était  la  sauvegarde  des  droits  concédés,  mais  surtout  le  tri- 
bunal, le  prétoire  où  toute  cause  devait  être  appelée,  car 
tout  crime  ou  délit  étant  l'occasion  d'un  péché,  c'était  à 
l'évêque,  comme  chef  spirituel,  d'en  connaître  et  d'en  juger 
tous  les  cas. 

C'est  ainsi  du  moins  que  l'entendait  l'épiscopat  au  com- 
mencement du  règne  de  Louis  IX,  et  les  prélats  croyaient 
bien  par  ce  raisonnement  supprimer  toute  autre  juridiction 
seigneuriale,  réduire  la  noblesse  féodale  à  néant  et  gouver- 
ner au  nom  du  suzerain,  d'abord  sur  les  villes,  puis  bien- 
tôt sur  toute  l'étendue  de  leur  diocèse. 

En  un  mot,  c'était  une  théocratie,  ayant  à  sa  tête  une 
sorte  de  doge  dont  les  volontés  eussent  été  entièrement  sou- 
mises à  ses  décisions. 


Il6  HISTOIRE     d'un     hôtel     DE     VILLE 

Encore  une  fois,  pour  obtenir  ce  résultat,  il  fallait  que  la 
cathédrale  fût  bâtie,  qu'elle  existât.  Aussi,  avec  quelle  hâte 
on  s'empressait  d'élever  les  édifices  retardataires,  à  Troyes, 
à  Reims,  à  Amiens,  à  Beauvais,  à  Bourges,  à  Rouen  !  Et 
pour  obtenir  Targent  nécessaire  à  leur  construction,  les 
évêques  ne  ménageaient  pas  Poctroi  des  franchises  munici- 
pales. La  garde  et  la  police  de  la  cité,  le  jugement  des  sim- 
ples délits,  la  perception  des  droits,  Tédilité,  la  tenue  des 
marchés,  le  cri  des  édits  ro3'aux,  les  règlements  touchant 
la  voirie,  tout  cela  avait  été  successivement  accordé  aux 
villes  par  les  évêques-seigneurs  et  sanctionné  par  des  char- 
tes moyennant  subsides  qui  étaient  employés  en  partie  à 
la  construction  de  la  grande  œuvre. 

D'ailleurs,  les  bourgeois,  se  voyant  maîtres  chez  eux, 
nantis  de  franchises  qui  assuraient  l'autonomie  de  la  cité, 
ne  faisaient  plus  de  difficultés  quand  il  s'agissait  de  subve- 
nir aux  dépenses  de  la  cathédrale,  symbole  visible  et  réel 
de  ces  libertés.  Ils  étaient  les  premiers  à  hâter  les  travaux, 
soit  de  leur  argent,  soit  par  des  prestations  consistant  en 
bêtes  de  somme,  chariots,  engins,  etc. 

Si  la  bourgeoisie  des  villes  s'élevait  ainsi  à  la  hauteur 
d'un  pouvoir  homogène  compacte,  le  bas  peuple  profitait 
également,  dans  une  certaine  mesure,  de  ce  nouvel  état  de 
choses.  La  ro3'auté  poussait  à  l'affranchissement  des  serfs 
des  campagnes  qui,  s'incorporant  à  des  communes,  pas- 
saient ainsi  de  l'autorité  du  seigneur  féodal  sous  celle  du 
roi.  De  telle  sorte  que  les  villes  et  leur  banlieue  se  peu- 
plaient d'autant,  s'enrichissaient,  pendant  que  les  seigneurs 
voyaient  déserter  leurs  terres. 

Ceux-ci  s'émurent  bientôt  de  la  situation  qui  leur  était 
faite;  leurs  seigneuries  se  dépeuplaient  pour  aller  grossir 
les  communes;  leurs  droits  de  justiciers,  auxquels  ils  te- 


ET     D    UNE     CATHl'DRALE.  II7 

liaient  grandement,  étaient  menaces  par  le  nouveau  pou- 
voir que  s'arrogeaient  les  évequcs  dans  leurs  cathédrales 
en  vertu  du  principe  établi  par  les  prélats  :  que  toute 
contestation  judiciaire  a  sa  source  dans  la  fraude  ou  la  vio- 
lence et  que  Téglise  doit  prendre  connaissance  de  tout  ce 
qui  est  péché,  afin  de  savoir  s'il  convient  de  remettre  ou 
retenir,  de  lier  ou  de  délier. 

De  sa  cathedra^  Tévêquc  prétendait  juger  toutes  les  con- 
testations, les  causes  criminelles  et  féodales,  les  nobles 
comme  les  vilains,  et  recourait  au  besoin  à  Texcommunica- 
tion,  même  en  cas  de  contestations  civiles,  lorsqu'il  était 
admis  que  la  partie  lésée  dans  ses  intérêts  purement  tempo- 
rels était  un  clerc. 

En  1235,  la  noblesse,  réunie  à  Saint-Denis,  en  présence 
du  roi  Louis  IX,  rédigea  une  protestation  contre  les  préten- 
tions des  évêques  et  adressa  ses  plaintes  au  pape.  Un  décret 
fut  rendu  qui  établissait  : 

1°  Que  les  seigneurs  ne  seraient  pas  justiciables  des  tri- 
bunaux ecclésiastiques  pour  les  affaires  civiles  -, 

2"  Que  si  un  juge  ecclésiastique  excommuniait  quelqu'un 
dans  ce  cas,  il  serait  contraint  à  lever  l'excommunication 
par  la  saisie  de  son  temporel  -, 

3°  Que  pour  leurs  fiefs,  les  ecclésiastiques  seraient  tenus 
de  répondre  devant  les  juges  laïques. 

Cette  première  manifestation  contre  les  prétentions  ec- 
clésiastiques, fit  réfléchir  les  plus  prudents  parmi  les  évê- 
ques, et  plusieurs  songèrent  déjà  à  enlever  à  la  cathédrale 
quelque  chose  du  caractère  de  prétoire  épiscopal  et  de  ba- 
silique qui  lui  avait  été  donné,  pour  en  faire  plus  spéciale- 
ment un  édifice  religieux. 

Une  tentative  avait  été  faite  directement  auprès  du  roi 
pour  connaître  ses  sentiments  personnels  à  l'endroit  de  ces 


[l8  HISTOIRE     d'un     HOTEL     DE     VILLE 

prétentions  du.  clergé,  touchant  le  droit  qu'il  entendait  s'ar- 
roger de  juger  tous  les  cas  et  de  ne  voir  dans  le  pouvoir 
laïque  que  l'exécuteur  aveugle  de  ses  décisions. 

L'évêque  d'Auxerre,  Guy  de  Mello,  au  nom  d'un  grand 
nombre  de  prélats,  se  présenta  un  jour  à  la  cour  et  dit  au 
roi  : 

('  Sire,  des  évêques  et  archevêques,  en  grand  nombre, 
m'ont  chargé  de  vous  faire  savoir  que  la  chrétienté  périt 
entre  vos  mains!  » 

Louis,  surpris,  se  signa  et  répondit  : 

«  Or,  me  dites  comment  cela  est? 

—  Sire,  reprit  l'évêque,  c'est  parce  qu'on  prise  si  peu  les 
excommunications  aujourd'hui,  que  les  gens  se  laissent 
mourir  excommuniés  avant  qu'ils  se  fassent  absoudre  et 
ne  veulent  pas  faire  satisfaction  à  l'Église.  Ces  seigneurs 
évêques  vous  requièrent  donc.  Sire,  pour  l'amour  de  Dieu 
et  parce  que  vous  le  devez  faire,  que  vous  commandiez  à 
vos  prévôts  et  baillis  que  tous  ceux  qui  resteront  excommu- 
niés un  an  et  un  jour,  qu'on  les  contraigne  par  la  saisie  de 
leurs  biens  à  ce  qu'ils  se  fassent  absoudre.  » 

A  cela  le  roi  répondit  : 

<(  Qu'il  le  leur  commanderait  volontiers  pour  tous  ceux 
dont  on  lui  donnerait  la  certitude  qu'ils  eussent  tort.  i> 

Mais  l'évêque  de  Mello  répliqua  : 

«  Que  les  prélats  ne  le  feraient  à  aucun  prix  et  qu'ils  lui 
contestaient  la  juridiction  de  leurs  causes. 

—  Je  n'agirai  point  autrement  cependant,  dit  le  roi, 
car  ce  serait  contre  Dieu  et  raison  si  je  contraignais  les  gens 
à  se  faire  absoudre  quand  le  clergé  leur  ferait  tort.  Et  à  ce 
propos,  je  vous  citerai  l'exemple  du  comte  de  Bretagne  qui 
a  plaidé  sept  ans,  étant  excommunié,  avec  les  prélats  de  Bre- 
tagne et  a  si  bien  fait  que  le  pape  a'condamné  ceux-ci.  Donc, 


ET     d'une     cathédrale.  I  I9 

si  j'eusse  contraint  le  comte  de  Bretagne,  la  première  an- 
née, de  se  faire  absoudre,  j'eusse  péché  contre  Dieu  et  contre 
le  pape.  » 

Depuis  cet  entretien,  persuadés  que  le  roi  ne  changerait 
pas  d'avis,  les  évcques  se  résignèrent  et  prirent  de  nouvelles 
dispositions,  d'autant  que,  pour  conformer  ses  actes  à  ses 
paroles,  Louis  IX  établit  dans  chaque  seigneurie  et  dans 
chaque  ville,  indépendamment  du  prévôt,  un  bailli  royal, 
lequel,  lorsqu'une  cause  quelconque  était  appelée  devant 
la  justice  seigneuriale  ,  pouvait  la  réserver,  comme  cas 
rojal^  et  l'introduire  ainsi  à  sa  cour,  à  celle  du  prévôt  ou 
au  Parlement,  prétextant  que  le  roi,  comme  chef  du  gou- 
vernement féodal,  avait,  de  préférence  à  tout  autre,  le  droit 
de  juger  certaines  causes  nommées  cas  ro/aux. 

A  ces  prétentions,  les  évêques,  aussi  bien  que  les  sei- 
gneurs laïques,  essayèrent  de  mettre  des  bornes,  en  deman- 
dant que  ces  cas  roj^aux  fussent  spécifiés  ;  mais  les  baillis 
ne  l'entendirent  point  ainsi.  Ce  fut  vainement  que  les  sei- 
gneurs employèrent  près  d'eux  les  prières,  les  instances  et 
même  les  menaces  -,  les  baillis,  toutes  les  fois  qu'ils  enten- 
daient débattre  dans  les  cours  seigneuriales  une  cause  qui  pa- 
raissait intéresser  l'autorité  du  roi,  s'interposaient  au  milieu 
des  parties,  déclaraient  la  cause  cas  vqyal^  et  en  attiraient 
le  jugement  à  leurs  cours.  Gr,  si  les  bourgeois  préféraient 
la  justice  de  l'évêque  à  celle  d'un  seigneur  laïque,  parce  que 
la  première  s'appuyait  sur  une  législation  moins  arbitraire 
et  offrait  ainsi  plus  de  garanties,  ils  trouvaient  encore  dans  le 
tribunal  du  bailli,  soustrait  aux  passions  du  moment  et  aux 
intérêts  locaux,  délégation  de  la  justice  royale  établie  déjà, 
quant  aux  grands  principes,  sur  le  droit  romain,  plus  d'im- 
partialité et  d'équité.  D'ailleurs,  le  roi  investissait  chaque 
jour  les  bourgeois  des  villes  de  fonctions  de  plus  en  plus 


120  HISTOIRE     D    UN     HOTEL    DE    VILLE 

étendues  ;   ceux-ci  s'habituaient  à    considérer  le   nouveau 
suzerain  comme  la  sauvegarde  de  leurs  droits  municipaux 
de  leurs  franchises  et  coutumes,  et  leur  alliance  avec  Tévê- 
que,    quant  au  maintien   de  ces  droits,  perdait  beaucoup 
d"'importance  ou  d'efficacité  à  leurs  yeux. 

Ces  quelques  développements  étaient  nécessaires  pour 
faire  comprendre  ce  qui  va  suivre. 

Eudes  de  la  Ferté  était  mort  vers  12  36,  au  moment  où 
rédifice  conçu  par  Hugues  de  Courtenay  présentait  déjà  un 
ensemble  complet.  Son  successeur,  Odon  de  Gisors,  trouva 
le  chapitre  de  son  église  singulièrement  relâché  dans  ses 
mœurs,  car  Téveque  Eudes  vivait  plus  comme  un  seigneur 
laïque  que  comme  un  prélat.  Il  aimait  à  s'entourer  de  gens 
de  société  facile  et  bons  vivants,  était  grand  chasseur,  et 
laissait  volontiers  ses  chanoines  mener  une  vie  qui  n'était 
rien  moins  qu'édifiante.  Plusieurs  étaient  mariés  et  même 
bigames  ;  d'aucuns  ne  sortaient  jamais  que  vêtus  richement 
et  coiffés  de  chapeaux  de  fleurs,  ou  même  armés  ^  ils  cou- 
raient les  tavernes  et  menaient  jo3'euse  existence. 

Odon  de  Gisors  commença,  en  s'appuyant  sur  les  décrets 
des  conciles,  à  réprimer  ces  abus  ;  puis,  tout  en  continuant 
l'œuvre  entreprise  par  son  prédécesseur,  il  dut,  comme  tous 
les  autres  prélats  de  France,  reconnaître  que  l'attitude  nou- 
velle prise  par  le  pouvoir  royal  devait  faire  abandonner  à 
répiscopat  l'espoir  longtemps  caressé  de  donner  à  la  ca- 
thédrale ds.  la  cité  le  caractère  attribué  jadis  à  la  basili- 
que antique,  à  la  fois  lieu  de  réunion,  centre  des  transac 
tions  de  toutes  les  affaires,  édifice  municipal  et  tribunal. 

Odon  de  Gisors  crut  donc  prudent  de  modifier  l'édifice 
dans  la  partie  particulièrement  réservée  au  culte.  A  cet  effet, 
il  demanda  au  maître  de  l'œuvre,  Guillaume,  de  dresser  un 
projet  de  reconstruction  d'un  chœur  plus  vaste,  avec  cha- 


ET     D    UNE     CATHEDRALE.  l2l 

pelles,  à  rinstar  de  ceux  que  Ton  construisait  à  Troyes  et 
que  Ton  commençait  à  établir  à  Amiens. 

Guillaume  se  mit  à  Toeuvre  avec  d'autant  plus  d'empres- 
sement que  ses  connaissances,  ses  voyages,  lui  permettaient 
d'entreprendre  cette  opération  de  manière  à  satisfaire  au 
beau  programme  qui  lui  était  imposé. 

Dans  son  projet,  il  conservait  les  hauteurs  données  par 
Hugues  aux  voûtes  de  la  nef,  du  transsept,  et  la  disposition 
des  travées  ^  il  conservait  les  dimensions  du  sanctuaire,  lui 
accolait  latéralement  des  collatéraux  doubles,  puis  établis- 
sait au  chevet  cinq  chapelles,  dont  une  plus  vaste  consacrée 
à  la  Vierge,  suivant  la  conception  de  Parchitecte  d'Amiens, 
Renault  de  Cormont,  qui  était  alors  chargé  de  la  conti- 
nuation de  l'œuvre  de  Robert  de  Luzarches. 

Guillaume  présenta  donc  bientôt  à  Tévêque  les  dessins 
de  ce  chœur. 

Le  plan  (fig.  2  5)  offrait  un  tracé  savamment  et  simple- 
ment conçu.  Se  servant  des  fondations  du  chœur  du  dou- 
zième siècle,  il  établissait  les  piliers  intérieurs  sur  ces  fonda- 
tions, mais  il  élargissait  le  vaisseau  par  l'adjonction  des 
doubles  collatéraux  A.  Du  centre  O,  il  divisait  le  demi- 
cercle  du  chevet  en  cinq  parties,  et  traçait  l'abside  avec  ses 
chapelles  comme  on  le.  voit  en  B. 

Ce  plan,  pour  être  mis  à  exécution,  devait  déborder  de 
beaucoup  l'enceinte  de  la  ville  qui,  coinme  on  l'a  vu, 
figure  2 1 ,  était  tangeante  au  chevet,  et  par  conséquent  il 
devait  recevoir  l'approbation  royale,  cette  enceinte,  comme 
celle  de  toutes  les  bonnes  villes,  ne  pouvant  être  modifiée 
qu'avec  l'assentiment  du  roi. 

Comme  son  prédécesseur,  Guillaume  de  Courtenay  avait 
fait  un  dessin  donnant  le  pourtraict  au  naturel  du  chœur 
projeté,  lequel  était  joint  aux  coupes  et  élévations.  La  dif- 

16 


'  '*,  . 


122  HISTOIRE     D    UN     HOTEL     DE     VILLE 


fit    d'une     CATHliDRALE.  123 

férence  de  niveau  entre  le  sol  de  la  ville  et  celai  du  dehors 
lui  avait  permis  de  concevoir  des  cryptes  sous  les  chapelles, 
auxquelles  on  serait  descendu  par  les  escaliers  G  qui  s'éle- 
vaient jusques  aux  combles  des  bas-côtés. 

L'évéquc  Odon  voulut  montrer  lui-même  ces  projets  au 
roi  (c'était  en  1242),  afin  d'obtenir  de  lui  les  modifications 
aux  remparts  de  la  ville  et  des  sommes  pour  Taider  dans 
son  entreprise. 

Les  choses  furent  réglées  à  la  satisfaction  du  prélat.  Le 
roi  Tautorisait  à  jeter  bas  la  muraille  de  la  ville,  à  s'em- 
parer du  terrain  nécessaire  dans  les  f  jssés  pour  asseoir  les 
fondations  des  chapelles,  à  la  condition  toutefois  d'établir 
avant  toute  entreprise  une  nouvelle  portion  d'enceinte  mu- 
nie de  deux  tours,  à  dix  toises  au  delà  de  la  chapelle  de  la 
Vierge,  et  de  s'entendre  à  ce  sujet  avec  le  sénéchal  et  le 
prévôt. 

Il  lui  fit  remettre  en  outre  700  livres  pour  lui  donner  les 
moyens  de  commencer  les  travaux  sans  retard. 

Toutefois,  quand  l'évêque  fit  part  aux  notables  de  Clusy 
de  son  projet,  il  ne  trouva  pas  ^ chez  ceux-ci  un  empresse- 
ment très-vif.  Plusieurs,  parmi  ceux  du  conseil,  firent  obser- 
ver au  prélat  que  le  chœur  actuel  était  fort  beau  et  fort  bon, 
bien  qu'il  eiJt  déjà  vu  passer  plus  d'un  demi-siècle,  et  que 
les  grandes  dépenses  qu'occasionnerait  la  nouvelle  construc- 
tion n'étaient  point  fort  utiles.  L'évêque  fit  valoir  le  dévoue- 
ment que  les  bourgeois  avaient  apporté  précédemment  à 
l'œuvre  et  les  sacrifices  faits  pour  édifier  une  cathédrale 
digne  de  Clusy.  Il  fit  la  critique  du  chœur  ancien,  dépourvu 
de  chapelles  et  si  mal  disposé  pour  le  service  religieux.  Les 
notables  ne  répliquèrent  rien  à  ces  raisons,  mais  ne  s'en- 
gagèrent que  pour  des  sommes  assez  faibles. 

L'évêque  ne  fut  pas  sani  constater  cette  froideur  et  ne 


124  HISTOIRE     d'un     HOTEL     DE     VILLE 

s'en  étonna  guère  d'ailleurs,  n'ignorant  pas  que  pareille 
disposition  existait  dans  beaucoup  d'autres  villes  depuis 
que  les  prétentions  épiscopales  avaient  été  limitées  brus- 
quement par  les  récentes  décisions  et  mesures  du  roi  tou- 
chant l'exercice  du  pouvoir  judiciaire  •,  mais  il  crut  qu'une 
fois  les  travaux  commencés,  il  obtiendrait  facilement  de  la 
cité  des  subsides  et  dons  pour  les  pousser  aussi  cictivement 
que  par  le  passé.  En  homme  prudent  cependant,  et  aussi 
pour  ne  pas  interrompre  ou  gêner  trop  longtemps  l'exercice 
du  culte,  l'évéque  se  garda  de  rien  démolir  des  vieilles 
constructions  et,  ayant  pris  possession  des  terrains  du  fossé, 
fait  relever  plus  loin  la  muraille  de  la  ville  sur  les  indica- 
tions du  sénéchal,  le  maître  des  œuvres,  Guillaume,  put 
commencer  les  substructions  de  trois  des  chapelles  absi- 
dales  et  notamment  de  celle  de  la  Vierge. 

L'évéque  Odon  avait  grande  hâte  de  voir  celle-ci  con- 
struite *,  «  car,  pensait-il,  si  nous  n'avons  pas  des  ressources 
suffisantes  pour  achever  le  reste,  du  moins  cette  chapelle 
donnera-t-elle  au  chevet  un  caractère  plus  convenable  à  un 
édifice  religieux.  »  Puis,  alors,  le  culte  de  la  Vierge  s'éten- 
dait singulièrement,  et  il  fallait  satisfaire  à  ce  nouveau 
besoin  des  âmes  pieuses. 

En  effet,  en  1248,  la  chapelle  de  la  Vierge  était  élevée  et 
provisoirement  raccordée  au  bas-côté  du  douzième  siècle 
en  démolissant  l'absidiole  ancienne,  de  telle  sorte  qu'on 
pût  se  servir  de  cette  adjonction.  Quant  aux  quatre  autres 
chapelles,  l'architecte,  avec  les  ressources  mises  à  sa  dispo- 
sition, n'avait  pu  les  élever  que  jusqu'au  ras  du  sol  de  1  église 
(fig.  26). 

La  consécration  de  la  nouvelle  chapelle  fut  faite  en 
grande  pompe  et  suivie  de  beaux  sermons  et  belles  proces- 
sions, dans  l'espoir  de  ranimer  le  zèle  du  bourgeois  qui 


>MOT     jL'une 


VUE  DE  LA    CHAPELLE    DE    LA    VIERGE    DE    LA  CATHEDRALE, 
MILIEU    DU    XIII°    SIÈCLE. 


ET     D   UNE     CATHEDRALE.  I2D 

l'aiblissait  chaque  jour.  L'cvèque  Odon  n'espérait  plus  pou- 
voir entreprendre  l'œuvre  totale  de  la  construction  du 
chœur;  mais  il  tenterait  du  moins  de  terminer  les  quatre 
chapelles  absidales  et  de  les  mettre  en  communication  avec 
le  pourtour. 

A  cet  elTet,  pour  recueillir  les  sommes  nécessaires,  la 
cathédrale  possédant  des  reliques  insignes  et,  entre  autres, 
un  morceau  de  la  vraie  croix,  la  dalmatique  de  saint 
Etienne  et  le  corps  de  saint  Babolein,  Pévêque  imagina  de 
faire  porter  ces  reliques  dans  un  grand  nombre  de  cités, 
par  des  clercs  doctes  et  sages,  qui,  les  montrant  aux  fidèles 
avec  toute  la  solennité  et  les  cérémonies  convenables, 
recueilleraient  ainsi  des  dons  abondants. 

De  leur  tournée  prolongée  pendant  toute  une  année,  les 
clercs  rapportèrent,  en  effet,  une  assez  belle  somme  qui 
permit  de  reprendre  les  travaux.  Mais,  sur  ces  entrefaites, 
révêque  Odon  vint  à  mourir  (i25[)  et,  suivant  ses  inten- 
tions, il  lui  fut  élevé  un  tombeau  le  long  de  la  paroi  de  la 
première  travée  de  la  chapelle  de  la  Vierge,  bâtie  sous  son 
épiscopat. 

Jusqu'alors,  bien  que  les  cérémonies  religieuses  se  lissent 
en  grande  pompe  dans  le  chœur,  cette  partie  de  l'édifice 
n'était  point  enclose.  Les  clercs  se  tenaient  soit  debout, 
soit  assis  sur  des  bancs  sans  dossiers  ou  à  genoux  sur  les 
dalles.  Le  trône  épiscopal  était  placé  au  fond  du  chœur, 
accompagné,  des  deux  côtés,  de  sièges  en  bois  avec  dossiers 
disposés  en  hémicycle  pour  les  chanoines. 

Le  public  circulait  librement  dans  les  bas-côtés  pendant 
les  cérémonies,  ou  se  tenait  dans  le  transsept  et  dans  la  nef, 
parlant,  se  groupant,  et  s'occupant  parfois  de  toute  autre 
chose  que  des  cérémonies  sacrées.  Le  long  des  murs  des 
bas-côiés  de  la  nef,  il  y  avait  même  des  marchands  qui 


120  HISTOIRE     d'un     HÔTEL     DE     VILLE 

vendaient  de  menus  objets,  images  d'étain  ou  de  bois,  des 
lacets,  des  boutons,  fermoirs  et  bijoux  communs,  sur  des 
•éventaires  mobiles. 

Les  deux  évêques  avaient  cru  devoir  tolérer  ces  abus  en 
raison  du  caractère  d'édifice  civil  qu'ils  prétendaient  lais- 
ser, en  partie,  à  la  cathédrale-,  mais  les  dispositions  étaient 
modifiées  et,  du  moment  que  Téglise  de  la  cité  reprenait 
une  affectation  purement  religieuse,  il  n'était  plus  pos- 
sible de  souffrir  ces  empiétements  du  profane  dans  le  lieu 
saint. 

Le  successeur  d'Odon,  Raymond  de  Villeneuve,  résolut  de 
faire  cesser,  à  cet  égard,  toute  équivoque.  C'était  un  homme 
froid,  d'esprit  net,  aux  mœurs  austères  et  qui  ne  se  faisait 
pas  d'illusions.  Il  commença  par  établir  parmi  les  clercs 
de  son  entourage  et  les  chanoines  une  discipline  sévère  \ 
appréciant  les  nécessités  du  temps,  l'importance  de  plus  en 
-plus  grande  que  prenait  le  pouvoir  royal,  il  abandonna  tout 
projet  d'extension  de  la  cathédrale,  fit  suspendre  les  tra- 
vaux des  chapelles  du  chœur,  et  prétendit  aménager  l'in- 
térieur de  l'édifice  de  telle  sorte  que  les  cérémonies  du 
culte  pussent  se  faire  avec  recueillement.  Après  s'être  fait 
rendre  un  compte  exact  de  toutes  les  conventions  passées 
avec  les  bourgeois  relativement  aux  droits  concédés  à  ceux- 
ci  dans  l'intérieur  de  l'église,  il  fit  venir  les  jurés  et  notables 
et  leur  parla  en  ces  termes. 

«  Grâce  aux  efforts  de  mes  prédécesseurs  et  aux  vôtres, 
notables  bourgeois,  une  cathédrale  a  été  élevée  dans  ce  dio- 
cèse de  Clusy  en  l'honneur  de  Dieu,  de  la  sainte  Vierge  et 
des  saints  martyrs.  Elle  répond  à  vos  besoins  et  nous  pré- 
tendons nous  en  tenir  à  cette  œuvre  achevée;  mais  nous 
avons  considéré  avec  tristesse  que  dans  cet  édifice,  qui  ne 
doit  retentir  que  des  louanges  du  Seigneur,  on  pourrait  se 


ET     D    UNE     CATHÉDRALE.  I27 

croire  souvient  dans  une  place  publique  ou  dans  un  marché. 
Sans  vouloir  revenir  sur  les  conventions  librement  consen- 
ties entre  vos  prédécesseurs  et  les  habitants  de  Clusy,  il 
nous  a  paru  que  de  grands  abus  s'étaient  introduits  dans 
cette  église- et  que  la  décence,  qui  doit  présider  à  toute 
assemblée  tenue  dans  le  temple  dédié  à  Dieu,  n'y  était  pas 
toujours  observ^ée,  cela  au  grand  détriment  du  salut  des 
âmes-, .car,  s'il  n'est  pas  admis  que  dans  la  salle  du  palais 
de  notre  sire  le  roi,  on  puisse  se  livrer  à  des  conversations 
futiles,  à  des  jeux  et  à  des  transactions  commerciales,  à 
plus  forte  raison  ne  saurait-on  le  faire  dans  la  maison  de 
Notre  Seigneur  Jésus-Christ. 

«  Or  donc,  nous  avons  cru  qu'il  était  bon  de  vous  faire 
savoir  que  nous  ne  saurions  admettre  plus  longtemps  dans 
la  cathédrale,  des  marchands  ambulants,  des  réunions 
profanes  autres  que  celles  desquelles  il  a  été  stipulé  dans 
les  actes  de  nos  prédécesseurs,  à  certaines  occasions,  ou 
sur  permission  spéciale  de  l'évêque;  que  notre  intention 
est  de  clore  le  chœur  afin  que  les  clercs  ne  soient  point 
distraits  pendant  les  cérémonies  religieuses. 

«  Les  chartes  royales  garantissent  l'intégrité  de  votre 
commune;  pour  les  affaires  qui  touchent  à  ses  intérêts, 
vous  avez  la  maison  de  ville  qui  convient  aux  délibérations 
des  jurés,  et  où  vous  pouvez  vous  réunir  toutes  fois  que 
cela  est  nécessaire.  Veuillez  donc  instruire  vos  concito3'ens 
de  ce  que  je  viens  de  vous  dire,  afin  que  toute  chose  rentre 
dans  l'ordre  et  que  la  maison  du  Seigieur  soit  désormais 
préservée  de  toute  souillure,  conformément  au  désir  de 
notre  sire  le  roi  et  à  notre  volonté.  » 

Nous  ne  saurions  dire  si  ce  discours  plut  fort  aux 
no'ables  bourgeois,  mais  au  total,  on  ne  leur  demandait 
pas  d'argent-,  il  n'était  pas    question  de  toucher  à  leurs 


128  HISTOIRE     d'un     HOTEL     DE     VILLE 

franchises  -,  ils  s'en  allèrent  donc  le  cœur  tranquille  après 
avoir  reçu  la  bénédiction  épiscopale. 

Les  travaux  des  quatre  chapelles  absidales  étant  sus- 
pendus, l'argent  qui  était  destiné  à  leur  construction  fut 
employé  à  Pédification  d'une  délicate  clôture  de  pierre,  en 
avant  et  autour  du  chœur,  toute  remplie  des  images  de 
l'Ancien  et  du  Nouveau  Testament,  derrière  laquelle 
seraient  établies  de  belles  et  hautes  stalles  de  bois  de  chêne 
pour  le  chapitre. 

L'évêque  voulut  également  élever  dans  le  sanctuaire  un 
autel  de  pierre  derrière  lequel  seraient  placés  les  reliquai- 
res, sous  un  magnifique  baldaquin  de  cuivre  doré. 

La  clôture  en  avant  du  chœur  servit  de  jubé,  c'est-à-dire 
de  tribune  élevée,  d'où  on  pouvait  lire  au  peuple  TÉpître 
et  l'Évangile,  et  sur  laquelle  se  tiendraient  les  chœurs  pour 
chanter  noëls  et  cantiques. 

Trois  portes  étaient  percées  sous  le  jubé,  lesquelles, 
ouvertes  pendant  les  offices,  permettaient  aux  fidèles  d'en- 
trevoir les  cérémonies  religieuses  (fîg.  27). 

On  montait  au  jubé  par  deux  escaliers  latéraux,  à  vis. 

Les  imageries  et  toute  l'architecture  de  ces  clôtures  fu- 
rent peintes  et  dorées  avec  grand  soin  et  au  mo3^en  de  dons 
particuliers  faits  par  les  plus  riches  bourgeois  dont  les  noms 
furent  inscrits  sur  les  parois.  De  même  aussi,  furent  ré- 
servées, dans  les  clôtures  latérales,  quelques  enfoncements 
propres  à  recevoir  la  sépulture  de  nobles  chanoines  qui 
avaient  laissé  des  legs  importants  pour  concourir  à  l'œu- 
vre et  qui  s'étaient  consacrés  à  l'édification  de  ces  clôtures. 

Ainsi,  désormais,  la  séparation  était  complète  entre  le 
lieu  affecté  "aux  clercs  et  l'espace  réservé  à  la  foule.  Le 
programme  de  la  cathédrale  s'était  modifié  profondément 
dans  l'espace  d'un  siècle. 


ET     D   USE     CATHliDRALE. 


129 


Toutefois,  les  populations  des  villes  ne  cessèrent  de  con- 
sidérer cet  édifice  comme  leur  propriété,  et  les  évêques  ne 
purent  les  empêcher  d'y  tenir  des  assemblées,  de  s'y  livrer 
même  à  des  passe-temps  burlesques  à  certaines  époques 
de  Tannée.  Alors  même,  le  chapitre  tout  entier  participait 


à  ces  sortes  de  mascarades  qui  n'étaient  rien  moins   que 
décentes. 

Cette  clôture  du  chœur,  ainsi  que  rétablissement  des 
stalles  de  chêne,  richement  sculptées,  demandèrent  beau- 
coup de  temps.  Quatre  imagiers  et  leurs  apprentis,  sans 
compter  les  tailleurs  de  pierre  et  les  huchiers,  furent  occupé^î 


*i3o 


HISTOIRE     D    UN      HOTEL     DE     VILLE 


à  ce  travail  pendant  près  de  vingt  ans,  et  l'argent  venant 
à  manquer,  cette  entreprise  ne  put  être  achevée  qu'avec  les 
dons  que  firent  encore  à  Pœuvre  plusieurs  des  notables  et 
fiches  chanoines. 


par  cWfaitom 

troiCtuanrroC 


F.T     d'une'    cathédrale.  I'-'À' 


CHAPITRE  VII 


l'hôtel  de  ville  de  la  fin  du  xiii"  siècle. 


Désormais  la  commune  de  Clusy  vivait  en  paix,  s'enri- 
chissait et  prospérait  grandement. 

Les  Établissements  de  saint  Louis,  sorte  de  code  de 
jurisprudence,  avaient  été  discutés  dans  un  conseil  composé 
de  barons  et  de  prudliommes,  c'est-à-dire  de  nobles  et  de 
bourgeois.  Le  roi,  ne  voulant  pas  rester  étranger  à  la  nomi- 
nation des  officiers  et  magistrats  des  villes,  lendit  deux 
ordonnances,  en  1266,  par  lesquelles  la  nomination  des 
maires  de  toutes  les  villes  du  royaume  était  fixée  au  lende- 
main de  la  Saint-Simon,  Saint-Jude. 

Le  nouveau  maire,  l'ancien  et  quatre  notables,  dont  deux 
avaient  participé  pendant  Tannée  à  Padministration  de  la 
ville,  devaient  venir  à  Paris,  aux  octaves  de  la  Saint- 
Martin,  pour  rendre  leurs  comptes. 

Quant  au  mode  à  suivre  pour  l'élection  des  maires, 
le  maire  sortant  et  les  notables  faisaient  une  liste  de 
quatre  prud'hommes  qu'ils  présentaient  au  roi  à  Paris. 
Le  roi  choisissait  le  maire  parmi  ces  candidats  \  ceux  qui 


T02  HISTOIRE    D   UN     HOTEL     DE    VILLE 

n''av^ient  pas  été  élus  devenaient  conseillers  de  la  com- 
mune. 

Après  la  mort  de  saint  Louis,  la  législation  touchant  les 
communes  fut  non-seulement  respectée,  mais  prit  de  plus 
grands  développements.  Beaumanoir  nous  montre  Tétat  de 
ces  communes,  insiste  sur  le  soin  que  prenait  le  pouvoir 
royal  pour  empêcher  les  mairies  de  se  fixer  dans  les  familles 
opulentes,  pour  que  le  peuple  participât  à  ces  charges,  qu'il 
assistât  à  la  reddition  des  comptes,  etc. 

Des  commissaires-voyers  étaient  envoyés  dans  les  pro- 
vinces pour  inspecter  les  routes,  pour  surveiller  la  naviga- 
on  des  rivières  et  pour  donner  leur  avis  sur  les  travaux  à 
entreprendre  aux  murailles  des  villes.  Les  seigneurs  terriens 
furent  rendus  responsables  des  crimes  ou  délits  commis  sur 
les  routes  de  leur  territoire,  depuis  le  lever  du  soleil  jus- 
qu'au coucher. 

On  comprend  qu'en  face  de  cette  organisation,  qui  ten- 
dait de  plus  en  plus  à  affranchir  la  commune  de  toute 
autorité  locale  autre  que  celle  déléguée  par  le  roi,  les  bour- 
geois des  villes  n'aient  plus  eu  grand  souci  de  consacrer 
leurs  ressources  à  construire  des  cathédrales. 

Aussi,  toutes  celles  qui  n'étaient  pas  achevées  vers  1260, 
ne  le  furent  jamais  ou  furent  continuées  péniblement  par 
les  évêques  eux-mêmes,  sur  leur  propre  avoir. 

Par  contre,  Thôtel  de  ville,  délaissé  de  1 1 5o  à  1260,  pen- 
dant la  construction  fiévreuse  des  cathédrales,  prend  alors 
une  nouvelle  importance.  Les  bourgeois  s'occupent  de 
rebâtir  ces  édifices  ou  de  les  agrandir  en  raison  des  besoins 
nouveaux  de  la  cité. 

Nous  avons  vu,  figures  11  et  12,  ce  qu'était  l'hôtel  de  ville 
de  Clusy  au  commencement  du  douzième  siècle.  En  1280, 
11  n'avait  guère  changé,  mais  alors  les  bourgeois  résolurent 


fi^28 


ZO'"- 


PLAN  DE  L  HOTEL  DE  VILLE ^  FIN 
DE   Xîlic  SIÈCLE 


PLAN  DE  L  HOTEL  DE  VILLE_,   REBATI 
A  LA  FIN  DU  XIVC  SIÈCLE 


l^"^'^^^^^'^^^^^.^^^,,^^      F^sUO 


Fla^e    du   Marchés 


LE  PLAN  DU  NOUVEL  HOTEL  DE  VILLE  EN   I47O 


ÉLÉVATION    DE     l'hOTEL   DE    VILLE    DE     CLUSY,  FIN    DU    XIII'=    SIÈCLE. 


ET    D  UNE     CATHEDRALE.  l33 

d'ajouter  au  vieux  bâtiment  deux  ailes  et  un  vaste  perron 
avec  loge. 

A  cet  effet,  des  maisons  voisines  furent  acquises,  avec 
Tautorisation  royale,  et  on  projeta  à  droite  et  à  gauche  de  la 
tour  du  beffroi,  à  la  place  des  deux  galeries  étroites,  deux 
corps  de  bâtiment  contenant  chacun  une  salle  à  rez-de- 
chaussée  et  une  salle  au  premier  étage  (fig.  28).  Un  perron 
à  double  degré,  couvert,  permettait  de  monter  de  la  place 
à  une  loge  également  couverte  qui  donnait  entrée  aux  salles 
du  premier  étage  ;  les  salles  latérales  du  rez-de-chaussée 
servaient  de  dépôt  des  armes  de  la  milice  ;  dans  la  vieille 
salle  centrale  basse  se  réunissaient  les  dizainiers  lors  des 
prises  d'armes.  De  la  loge  du  perron,  le  maire,  assisté  des 
jurés,  parlait  au  peuple  assemblé  sur  la  place  quand  les  cir- 
constances le  demandaient. 

Le  maire  et  les  jurés  se  réunissaient  au  premier  étage 
dans  Tune  des  salles  latérales;  dans  Tautre  étaient  disposées 
des  tables  pour  les  scribes  et  officiers  municipaux,  afin  qu'ils 
pussent  se  livrer  à  leurs  occupations  de  comptables  ou 
d'administrateurs.  La  grande  salle  centrale  était  réservée 
aux  assemblées  des  notables  et  au  jugement  des  causes 
ressortissant  au  tribunal  du  maire  et  jurés,  car  ce  tribunal 
connaissait  des  délits  de  police. 

Autour  du  beffroi  étaient  disposées  des  prisons  à  rez-de- 
chaussée  et  au  premier  étage,  indiquées  dans  notre  plan. 

Le  trésor  était  renfermé  dans  la  salle  voûtée  du  deuxième 
étage  de  la  tour  sous  le  beffroi. 

Ces  adjonctions  au  vieil  hôtel  de  ville  furent  conçues  et 
bâties  par  le  maître  des  œuvres  de  la  cathédrale,  Guillaume 
de  Courtenay,  qui  vivait  encore. 

La  figure  29  donne  l'élévation  de  la  façade  sur  la  place, 
avec  son  grand  perron  couvert.  Au-dessous,  nous  avons 


iD4  HISTOIRE     D    UN     HUTEL     DE     VILLE 

tracé  en  A  le  plan  du  rez-de-chaussée,  et  en  B,  le  plan  du 
premier  étage  de  cette  nouvelle  construction. 

Mais  Pautorisation  d'augmenter  les  bâtiments  de  Phôtel 
de  ville  de  Clus}^  ne  fut  accordée  que  moyennant  une 
somme  de  3oo  livres  au  profit  du  trésor  royal.  De  plus, 
l'état  prospère  de  cette  cité  avait  été  le  prétexte  d'une  aug- 
mentation des  redevances  à  payer  au  roi  et  à  Tévêque, 
surtout  depuis  la  mort  de  Louis  IX.  Si  bien  qu'alors,  ces 
redevances  annuelles  ne  s'élevaient  pas  à  moins  de  cinq 
cents  livres.  En  ajoutant  à  ces  sommes  les  dépenses  impo- 
sées par  les  prévôts  royaux  pour  remettre  en  état  les  mu- 
railles de  Clusy,  et  celles  enfin  qu'occasionnaient  les  con- 
structions de  1  hôtel  de  ville,  l'état  des  finances  municipales 
était  loin  d'être  satisfaisant.  Il  fallait  donc  augmenter  les 
impôts  qui  frappaient  certaines  denrées,  et  de  là,  un  grand 
mécontentement  parmi  les  bourgeois.  —  Car  il  faut  obser- 
ver que  plus  ceux-ci  s'enrichissent,  plus  ils  tiennent  à  leur 
avoir  et  ne  veulent  en  distraire  que  la  plus  faible  portion 
possible. 

Les  plaintes  devinrent  si  vives  que  le  maire  et  les  jurés 
élus  durent  s'en  émouvoir.  D'ailleurs,  quelques  notables 
parlaient  déjà  de  demander  l'abolition  de  la  commune,  son 
maintien  étant  une  charge  trop  lourde,  et  d'obtenir  du  roi 
que  la  ville  fut  gouvernée  par  un  prévôt  royal  qui  régirait 
les  habitants  suivant  leurs  coutumes,  libertés  et  franchises, 
ainsi  que  cela  avait  été  établi  dans  d'autres  localités, 
lesquelles  se  trouvaient  ainsi  déchargées,  moyennant  une 
redevance  annuelle  et  fixe,  de  toutes  les  dépenses  qui 
incombaient  à  la  commune  lorsqu'elle  s'administrait  elle- 
même  :  dépensas  de  voirie,  de  police,  de  guet,  de  défense, 
'de  bâtiments,  éventuelles,  etc. 
_Çette  opinion   réunissait  chaque  jour  un  nombre  plus. 


ET      d'une       cathédrale. 


i35 


considérable  d'adhérents,  et  le  maire  crut  devoir  assembler 
les  bourgeois  afin  de  s'en  expliquer  avec  eux. 

Le  10  avril  1282,  ceux-ci  furent  donc  convoqués  dans  la 
grande  salle,  demeurée  dans  son  état  ancien  (fig.  3o). 


■3»  .^mmmmm&m 


Le  premier  qui  prit  la  parole  était  un  riche  bourgeois, 
Pierre  POrmier,  qui  faisait  le  commerce  des  vins  et  qui  pos- 
sédait dans  les  environs  de  beaux  vignobles.  C'est  ainsi  qu'il 
parla  : 

«  Chers  concitoyens  !  Il  fait  beau  de  nommer  son  maire 
et  ses  échevins,  de  pourvoir  soi-même,  et  sans  que  le  sire 
notre  roi  et  le  seigneur  évêque  s'en  mêlent,  à  l'administra- 
tion de  la  cité,  à  sapolice,  à  sa  garde,  à  la  perceotion  des 


l36  HISTOIRE    ©""un     hôtel    DE     VILLE 

impôts-,  de  rendre  la  ustice  s'il  s'agit  de  délits,  d'avoir  ses 
jiirés^^  ses paiseurs ^ ^  son  sigillier^^  son  argentier''^  ses 
ménesireiix^ ^  ses  vigiders  ^\  mais  tout  cela  coûte  gros.  Or, 
nous  sommes  endettés  de  plus  de  mille  livres,  et  nos  charges 
s'accroissent,  rien  que  pour  satisfaire  au  plus  pressé  et  aux 
dépenses  de  chaque  jour. 

«  Vienne  un  tumulte  dans  le  royaume,  nous  n^avons  pas 
dix  sous  en  réserve  afin  de  pourvoir  aux  levées  royales. 

tt  Où  trouverons-nous  de  l'argent,  puisque  nous  sommes 
hors  d'état  de  payer  ce  que  nous  devons  déjà?  Je  dis  que 
cela  est  grande  folie.  Je  vois  que  nos  maires  et  eschevins 
tirent  leur  épingle  du  jeu  et  que  tous,  les  uns  après  le^  autres, 
vident  notre  bourse  pour  faire  des  dépenses  qu'il  nous  faut 
payer  :  que  les  assemblées  du  commun  peuple,  qui  n'ont  ni 
sens  ni  entendement  de  discerner  et  pressentir  le  bien  du 
mal,  choisissent,  non  les  plus  sages  et  les  plus  économes, 
mais  ceux  qui  font  des  largesses  avec  notre  argent.  Tout  cela 
nous  mène  à  la  ruine  et  à  la  misère.  Je  propose  donc  qu'il 
soit  demandé  au  sire  le  roi,  ainsi  que  cela  a  été  demandé 
par  d'autres  villes  plus  sages  que  celle-ci,  de  faire  adminis- 
trer notre  cité,  suivant  ses  coutumes,  par  un  prévôt  royal, 
et  cela  moyennant  une  somme  que  nous  payerons  chaque 
année  fidèlement,  mais  sans  être  exposés  à  voir  chaque  jour 
augmenter  les  impôts  sous  le  bon  plaisir  de  messieurs  nos 
eschevins  et  pour  satisfaire  à  leurs  fantaisies  et  bobans.  J'ai 
dit!  » 

Un  des  eschevins,  Jacques  Santier,  homme  d'âge  et  véné- 
rable, se  leva  et  répondit  ainsi  à  ce  discours  : 

I.  Conseillers  qui  rendaient  la  justice.  —  2.  Officiers  de  paix. 

3.  Greffier  de  la  ville.  —  4.  Trésorier. 

5.  Chefs  artisans.  —  6.  Gardes  champêtres. 


ET    d'une    cathédrale.  I Sj 

«  Chers  concitoyens,  laissez-moi  vous  dire  un  fabliau 
d'abord,  que  contait  le  trouvère  Odillon  le  Fol.  Du  temps 
que  les  ânes  étaient  en  liberté  dans  les  herbages  et  les  bois, 
ils  vivaient  en  commun  •  les  plus  paresseux  ne  mangeaient 
guère  quand  venait  Thiver,  mais  ils  s'étaient  entre  eux  con- 
certés afin  que  toute  la  compagnie  des  ânes  fût  avertie  par 
lesplus  alertes  des  endroits  où  il  y  avait  quelque  écorce  tendre 
ou  quelques  herbes  conservées  sous  la  neige  et  aussi  du  voi- 
sinage des  loups,  ours  et  autres  bêtes  sauvages  \  car  alors 
toute  la  troupe  se  réunissait,  braïant  horriblement  tout 
d'une  haleine,  et  les  ours  et  loups,  entendant  cette  clameur 
horrifique.et  craignant  aussi  les  ruades,  tiraient  ailleurs. 

«  Survint  un  homme  qui  dit  à  l'un  de  ces  ânes  gros,  gras, 
mais  auquel  il  déplaisait  d'aller  quérir  sa  nourriture  et  de 
veiller  au  besoin  pour  se  défendre  avec  ses  frères  : 

ce  Eh  !  bon  une,  mon  ami,  vous  voilà  bien  en  point  et 
«  luisant  comme  châtaigne  à  la  Toussaint.  Qu'il  est  dur  à 
a  votre  âge,  et  ainsi  que  de  pauvres  diables  d'ânes,  de 
«  courir  les  champs  et  de  gratter  la  neige  en  hiver  pour 
«  trouver  un  peu  d'herbe  pourrie,  de  vous  lever  la  nuit 
«'  pour  braire  après  les  ours  et  les  loups  et  lancer  force 
«  ruades  au  risque  d'attraper  quelque  morsure  et  coup  de 
«  griffe. 

«  Que  ne  venez-vous  chez  moi  ?  Vous  '  aurez  logis  clos 
«  toute  l'année  et  belle  herbe  fraîche  ou  sèche,  suivant  la 
«  saison,  dans  la  mangeoire.  Des  loups  et  des  ours  vous 
«  n'aurez  cure,  car  je  suis  là  pour  leur  envoyer  de  bons 
«  carreaux  ou  sajettes.  Vous  dormirez  à  votre  aise  et  man- 
tt  gérez  à  vos  heures. 

«  Pour  prix  de  ces  biens,  je  vous  demanderai  moins  que 
(c  rien,  un  peu  d'aide  pour  porter  mon  bled  et  mon  avoine, 
«  sans  vous  fouler  jamais,  mais  pour  vous  entretenir  en 

i8 


I  :>b  HISTOIRE    n   UN     HOTEL    DE    VILLE 

rt  appétit,  car  nous  sommes  amis;  c'est  chose  sûre,  et  j'ai 
^i  seulement  pitié  de  votre  mésaise.  Dites  la  chose  à  vos 
«  frères.   » 

«  Ainsi  fit  râne,  et  tous,  sur  son  conseil,  s'en  allèrent  chez 
les  hommes.  Les  bêtes  s'en  trouvèrent-elles  bien  ?  Deman- 
dez-leur ? 

«  Pierre  l'Ormier,  qui  a  pignon  sur  rue,  bon  vin  dans 
sa  cave  et  froment  dans  sa  huche,  trouve  dur  de  songer  au 
guet,  aux  tailles,  à  toutes  les  charges  que  chaque  citoyen 
doit  remplir;  il  voudrait  se  débarrasser  de  ces  soins  et  s'en 
aller  dire  au  sire  le  roi  :  «  Je  vous  abandonne,  sire,  une 
«  partie  de  mon  avoir,  et  vous  voudrez  bien  veiller  pour 
<(  moi,  guetter  pour  moi,  gérer  pour  moi  la  commune, 
<c  faire  dresser  les  actes  touchant  mes  affaires....  —  Eh! 
«  mais,  dira  le  sire  roi,  très-bien,  Pierre  l'Ormier,  mon  ami, 
«  paye,  c'est  entendu;  »  et  il  enverra  prévôts,  sénéchaux, 
baillis  et  voyers  ruraux  qui  remettront  au  roi  fidèlement 
ce  que  Pierre  l'Ormier  aura  promis  de  payer,  mais  qui 
prendront  aussi  une  part  à  leur  convenance  °,  et  si  ta  te 
plains,  Pierre  l'Ormier,  qui  donc  recevra  ta  plainte  ?  Ceux- 
là  mêm.es  qui  l'auront  fait  naître  par  leurs  exigences. 

«  Tu  n'auras  plus  ni  maire,  ni  eschevins  pour  dépenser 
ton  argent  dans  ta  ville  et  t'en  rendre  compte,  c'est  vrai; 
mais  un  prévôt  pour  le  prendre  et  le  dépenser  à  son  profit, 
si  cela  lui  plaît.  Les  bras  du  roi,  notre  sire,  sont  longs,  et 
si  longs  que  la  tête  ne  voit  ni  ne  sait  ce  à  quoi  s'occupent 
les  mains,  souvent. 

«  Et  crois-tu  donc  qu'il  sera  bien  difficile  aux  agents 
royaux  d'obtenir  un  édit  pour  augmenter  les  taxes  sur  le 
vin,  sur  le  beurre,  sur  l'hydromel?  Et  ainsi,  ton  argent  s'en 
ira  sans  que  tu  saches  à  quoi  il  est  dépensé,  et  sans  que  tu 
aies  mot  à  souffler. 


ET    d'une    cathédrale.  I  39 

ce  xMais  laissons  cela.  Si  vous  n'êtes  pas  contents  de  votre 
maire  et  de  vos  eschevins,  citoyens,  ne  les  renouvelez-vous 
pas  chaque  année?  Ainsi  Tabus,  le  gaspillage  dont  vous 
croyez  avoir  à  vous  plaindre,  ne  sont  au  moins  que  tempo- 
raires, vous  pouvez  y  remédier.  Si  vous  trouvez  qu'on 
dépense  trop  ici  ou  là,  ne  pouvez-vous  en  toute  liberté 
proposer  des  économies  ?  S'il  faut  établir  une  taxe  nouvelle, 
n'est-ce  pas  vous-mêmes  qui  dicidez  sur  quels  objets  elle 
doit  porter,  de  façon  à  grever  le  moins  possible  le  pauvre 
monde? 

«  S'il  y  a  tumulte  dans  la  vi!b,  n'est-ce  pas  à  vous  qu'il, 
appartient  de  le  réprimer  et  de  punir  hs  coupables  ?  Et  si 
vous  confiez  ce  soin  à  d'autres,  qui  peut  prévoir  les  cala- 
mités qui  en  résulteront? 

«  C'est  au  prix  du  sang  de  nos  pères  et  de  leur  argent, 
que  nous  avons  la  commune  de  Clusy,  et  vous  voudriez 
demander  son  abolition  !  Et  cela  parce  qu'il  nous  faut  tra- 
vailler, nous  ingénier  pour  payer  nos  dettes  et  satisfaire  à 
des  besoins  pressants? 

«  Afin  de  vous  éviter  les  soucis,  les  diffi:ultés  journa- 
lières de  la  gérance  de  la  cité,  vous  voudriez  vendre  vos 
libertés?  Je  dis  et  soutiens  que  celui  ou  ceux  qui  proposent 
un  pareil  marché  sont  de  mauvais  citoyens,  ou  qu'ils  par- 
bnt  sans  avoir  réfléchi  aux  conséquences  de  leurs  paroles, 
car  le  plus  grand  des  biens  pour  une  cité  est  de  pouvoir 
librement  gérer  ses  affaires^  le  pire  des  maux  est  de  les 
laisser  gérer  par  d'autres!  J'ai  cht.  » 

Ces  derniers  mots  excitèrent  la  colère  des  partisans  de 
l'abolition  de  la  commune,  lesquels,  bien  qu'en  minorité, 
formaient  un  groupe  compacte  au  milieu  de  la  salle,  et, 
pendant  quelques  instants,  les  apostrophes  les  plus  vio- 
lentas  se    croisèrent   dans   l'assemblée.    Le  silence    étant 


140  HISTOIRE     D    UN     HOTEL     DE     VILLE 

rétabli  à  grand'peine,  Pierre  l^Ormier  reprit  ainsi  la  parole  : 
«  Notre  eschevin  Jacques  Santier,  que  Dieu  garde  en 
santé,  trouve  bon  Peschevinage  et  le  veut  maintenir,  mes 
bons  amis  ;  quoi  de  plus  naturel?  Mais  nous  autres,  qui 
payons  les  dépenses  ordonnées  par  ces  messieurs,  et  qui  ne 
recherchons  pas  les  honneurs  et  privilèges  dont  jouissent  les 
élus  de  la  cité,  il  ne  nous  plaît  guère  d'avoir  une  vingtaine 
de  seigneurs  qui  disposent  de  nos  biens  et  de  nos  per- 
sonnes, et  nous  préférerions  n'en  avoir  qu'un....  Ceux  qui 
briguent  les  fonctions  de  maire  et  d'eschevin  font  au  peuple, 
pour  obtenir  ses  suffrages,  des  promesses  qu'il  faut  bien 
remplir  peu  ou  prou-,  et  ainsi,  à  chaque  élection,  ce  sont  de 
nouvelles  charges  pour  remplir  les  engagements  pris  par 
nos  élus.  Et  quand  Jacques  Santier  vient  nous  dire  que  si 
nous  ne  sommes  pas  contents  d'eux,  nous  les  pouvons 
changer,  c'est  vrai,  mais  c'est  toujours  la  même  chose,  et 
en  changeant  les  personnes ,  nous  ne  changeons  pas  les 
habitudes  de  dépense  et  les  abus  que  se  transmettent  nos 
messieurs  de  la  ville.  Ainsi,  il  y  a  deux  ans,  il  fut  résolu 
qu'on  augmenterait  les  bâtiments  de  l'hôtel  de  ville,  et  cela 
devait  être  fait  en  dix  années,  mo3'ennant  certaines  sommes 
prises  annuellement  sur  nos  revenus  du  marché.  Mais  ie 
maire  et  les  eschevins  élus  l'an  dernier  ont  prétendu  mar- 
cher plus  vite  et  ont  engagé  dans  ces  constructions  les  reve- 
nus futurs;  ils  ont  obtenu  des  avances  de  Lombards  qui  se 
font  payer  de  gros  intérêts,  de  sorte  que  nous  mangeons 
notre  blé  en  herbe.  Nous  allons  bientôt  avoir  à  nommer 
un  nouveau  maire  et  quelques  eschevins  *,  ceux-ci  ne  vou- 
dront pas  arrêter  les  travaux,  mais  au  contraire  les  pousser 
plus  activement,  pour  marquer  leur  passage;  ils  emprun- 
teront encore,  car  ils  trouveront  la  caisse  vide,  ou  feront 
appel  à  nos  bourses.... 


ET  d'une  cathédrale.  14^ 


—  Ils  feront  bien!  dit  une  voix  dans  l'assemblée-, 
moi,  je  donne  vingt  livres  pour  les  travaux  de  l'hôtel  de 
ville-,  que  chacun  en  fasse  autant!  Mais  nous  ne  voulons 
pas  être  gouvernés  par  un  prévôt  roj^al  ! 

Non  !  non  î  »  répondirent  un  grand  nombre  des  assis- 
tants. 

Autre  tumulte,  que  domina  bientôt  la  voix  formidable  du 
boucher  Simon  : 

«  Par  ma  foi,  dit-il,  voici  de  bons  frileux  et  couards! 
ils  veulent  rendre  une  ville  qui  n'est  pas  assiégée.  Nous 
avons  bien  trouvé  des  monceaux  d'argent  pour  bâtir  une 
cathédrale,  parce  que  nous  y  sommes  chez  nous,  bien 
qu'elle  appartienne  à  l'évêque,  et  nous  ne  pourrions  réunir 
ce  qu'il  nous  taut  pour  élever  notre  maison  de  ville  où 
personne  que  nous  n'a  le  droit  de  mettre  le  pied  ! 

«  Assez  de  discours  de  traîtres;  par  le  sang  du  Christ!  il 
me  prend  l'envie,  en  les  écoutant,  de  fendre  la  tête  jus- 
qu'aux épaules  à  ceux  qui  les  tiennent.  Eh!  Pierre  l'Or- 
mier,  quels  beaux  cadeaux  as-tu  reçus  du  roi  pour  lui 
vendre  ainsi  notre  ville  à  si  bon  compte?  Au  moins  de- 
vrais-tu partager  avec  nous,  si  tu  veux  que  nous  écoutions 
tes  belles  raisons.  Mais  nous  sommes  quelques  bourgeois  à 
Clusy  qui  saurions  arracher  la  langue  aux  parjures  disposés 
à  vendre  nos  franchises,  s'ils  répétaient  ce  que  nous  venons 
d'entendre!  » 

Cette  violente  apostrophe  entraîna  les  indécis,  d'autant 
que  le  boucher  Simon  jouissait  d'une  certaine  popularité 
dans  la  ville,  et  qu'on  le  savait  homme  à  mettre  ses  me- 
naces à  exécution.  Les  cris  s'accentuèrent  donc  contre  le 
groupe  des  partisans  de  l'abolition  de  la  commune. 

Pierre  rOrmier,  monté  sur  un  banc,  invectivait  Simon, 
mais  on  ne  Tentendait  pas. 


IA2,  HISTOIRE     d'un     HOTEL     DE     VILLE 


Le  boucher,  de  son  naturel  peu  patient,  franchissant  la 
presse  qui  le  séparait  de  son  adversaire,  Tenlevant  dans  ses 
bras  robustes  et  le  serrant  à  Tétouffer,  le  jeta  hors  de  la 
salle  comme  un  sac,  aux  applaudissements  de  la  majorité 
de  l'assistance,  et  sans  qu'aucun  des  partisans  de  Pierre 
rOrmier  osât  s'opposer  à  cet  acte  de  violence,  car  ils  se 
sentaient  trop  faibles. 

Après  cet  exploit,  Simon,  dominant  le  tumulte,  reprit 
ainsi  la  parole  : 

«  Mes  amis,  en  voilà  un  dehors;  ainsi  ferons-nous  de 
tous  ceux  qui  ne  tiennent  compte  de  nos  franchises. 

«  Quels  sont-ils?  Eh!  je  les  vois  d'ici!  Des  gens  qui  n'ont 
droit  de  cité  que  depuis  peu,  des  gaillards  qui  font  de  mé- 
chantes affaires  ou  des  enrichis  comme  Pierre  TOrmier,  aux 
dépens  du  peuple,  et  qui  voudraient  se  soustraire  aux  char- 
ges civiques.  J'admire  que  vous  ayez  écouté  si  patiemment 
ces  propos  de  traîtres.  Je  jure,  quant  à  moi,  que  je  ne  les 
souffrirai  pas,  comme  j'ai  juré,  petit,  à  mon  grand-père  de 
défendre  nos  franchises  communales.  Si  je  suis  seul  à  les 
soutenir  dans  notre  ville,  cela  ne  m'inquiète  guère,  je  tien- 
drai mon  serment!... 

—  Non,  non,  Simon  !  nous  sommes  avec  toi,  »  crièrent 
cent  voix. 

—  Eh  bien  !  si  vous  êtes  de  mon  avis,  je  demande  que 
vous  déclariez  déchus  de  leurs  droits  de  cité,  ceux  qui  au- 
raient l'audace  de  répéter  les  paroles  que  vous  avez  enten- 
dues, soit  en  assemblée,  soit  dans  la  ville  ! 

—  Oui,  oui,  c'est  cela....  déchus,  déchus! 

—  Faites  donc  expliquer  clairement  les  bonnes  gens  qui 
semblaient  approuver  les  propos  de  Pierre  TOrmier? 

—  Oui,  qu'ils  s'expliquent.  » 

Plusieurs  quittèrent  la  salle;  quant  aux  autres,  ils  décla- 


31 


VUE   DE   L  HOTEL    DE   VILLE    DE   CLUSY,     COMMENCEMENT 
DU   XIV^   SIÈCLE. 


ET     D   UNE     CATMl- HRAT.E.     '    '  I^:) 

rèrent  n'avoir  fait  qu'écouter  Pierre  TOrmicr,  sans  partager 
ses  idées. 

L'incident  ainsi  terminé,  le  maire,  prenant  la  parole,  dit 
qu'en  efTQt,  les  fonds  destinés  à  la  continuation  des  travaux  de 
la  maison  de  ville  étaient  pour  le  moment  épuisés,  mais  que 
les  eschevins  ni  lui  n'avaient  jamais  eu  l'idée  d'emprunter  les 
sommes  nécessaires  à  leur  achèvement  ;  qu'on  attendrait,  et 
que  si  les  bourgeois  de  Clusy  voulaient  jouir  de  leur  maison 
commune  à  bref  délai,  il  était  nécessaire  qu'ils  fissent  des 
dons  volontaires,  comme  on  en  avait  fait  pour  la  construction 
de  la  cathédrale,  car  les  eschevins  ne  proposeraient  pas 
de  nouvelles  taxes  municipales. 

Séance  tenante,  la  plupart  des  notables  bourgeois  s'ins- 
crivirent pour  des  sommes  assez  grosses  à  pa^er  dans  le 
cours  de  l'année,  afin  de  donner  aux  travaux  une  nou- 
velle impulsion-,  les  partisans  de  Pierre  l'Ormier  ne  fu- 
rent pas  des  derniers  à  apporter  leur  souscription,  afin 
peut-être  de  faire  oublier  leur  manifestation  en  faveur  de 
l'abolition  de  la  commune. 

Ces  travaux  durèrent  jusqu'en  1290.  Les  dons  s'étant 
élevés  au  fur  et  à  mesure  de  l'avancement  des  ouvrages, 
on  résolut  alors  de  refaire  le  couronnement  de  la  tour  du 
beffroi,  qui  était  en  fort  mauvais  état. 

L'étage  du  guet  fut  dérasé,  et  on  éleva  à  la  place  une  élé- 
gante construction  composée  de  huit  gables  de  pierre  avec 
balcon  et  pinacle,  surmontés  d'un  comble  pyramidal  plus 
élevé  que  ne  l'était  l'ancien.  L'escalier  fut  également  dérasé 
à  la  hauteur  du  beffroi,  et,  pour  accéder  à  l'étage  du  guet, 
on  établit  à  l'intérieur  un  degré  très-délicat  en  charpente. 

Ces  derniers  ouvrages  étaient  achevés  en  1294-,  alors 
l'hôtel  de  ville  de  Clusy  présentait,  sur  la  place,  l'aspect 
que  donne  la  figure  3 1 ,  et  il  y  eut  de  belles  fêtes  et  réjouis- 


T44 


HISTOIRE     D    UN     HOTEL     DE     VILLE 


sancGS  le  jour  où  les  eschevins  tinrent  la  première  séance 
dans  la  salle  qui  leur  était  dw^stinée.  Le  soir,  le  maire  parla 
au  peuple  du  haut  du  perron  et  on  alluma  des  feux  de  joie 
sur  la  place,  pendant  que  de  la  fontaine  du  Marché  cou- 
lait du  vin. 


(r,  -.^ 


ET     D^UNF.     CATHliDRALE.  145 


CHAPITRE  VIII 


ABOLITION    DE    LA    COMMUNE    DE    CLUSY. 


Les  gens  de  Clusy  se  gouvernaient  donc,  protégés  par 
leurs  franchises  municipales.  Mais  la  bonne  intelligence  qui 
n'avait  pas  cessé  de  régner  entre  eux  et  leur  seigneur  évêque 
pendant  la  plus  grande  partie  du  treizième  siècle  ne  tarda 
pas  à  s'altérer:  La  magistrature  bourgeoise  tendait  chaque 
jour  à  empiéter  sur  le  domaine  ecclésiastique  -,  tantôt  c'était 
un  délinquant  arrêté  dans  une  maison  dépendant  de  Tévê- 
ché,  tantôt  un  clerc  ivre  ou  turbulent  emprisonné  au  beffroi, 
ou  bien  encore  un  membre  du  chapitre  lésé  ou  injurié,  au- 
quel le  tribunal  municipal  refusait  de  rendre  justice.  Les 
plaintes  de  Tévêque  à  ce  sujet  s'accumulèrent  et  furent  por- 
tées au  parlement  de  Paris  -,  le  chapitre  eut  gain  de  cause  et 
la  commune  fut  condamnée  à  payer  de  fortes  amendes  en- 
vers ie  roi  et  le  chapitre  -,  plus,  les  dépens  qui  furent  consi- 
dérables. Cela  n'améliora  pas  sa  .«îtuation  financière  déjà 
fort  obérée.  Les  bourgeois  résolurent  de  contracter  un  em- 
prunt pour  liquider  ces  dettes  dont  le  payement  était  immé- 
diat.  Cet  emprunt  fut  couvert  par  les  Lombards  ou  les 

19 


146  HISTOIRE     d'uX     hôtel    DE     VILLE 

changeurs  établis  à  Clusy-  mais  Tévêque,  comme  seigneur 
féodal,  réclama  le  dixième  de  cet  emprunt.  Les  bourgeois 
refusèrent  absolument  de  céder  à  cette  prétention.  L'évêque 
menaça  de  suspendre  la  célébration  des  offices  si  on  ne  fai- 
sait pas  droit  à  sa  demande. 

Les  choses  en  étaient  là,  au  commencement  de  Tannée 
1 3 1 5,  à  Clusy,  et  les  affaires  du  royaume  allaient  s'empirant, 
carTétat  des  finances  était  déplorable.  Les  villes  et  les  campa- 
gnes, écrasées  d'impôts,  commençaient  à  murmurer  haute- 
ment. L'altération  des  monnaies  était  de  plus  une  cause  de 
ruine  et  d'épuisement  pour  le  commerce.  Les  gens  du  bas 
peuple  et  les  paysans,  livrés  aux  maltotiers  du  roi,  aux  agents 
fiscaux  du  seigneur  féodal  et  aux  collecteurs  d'impôts  des 
eschevins,  réduits  à  la  misère  pendant  que  le  luxe  ne  faisait 
que  s'accroître  chez  les  nobles  clercs  et  laïques,  et  même 
parmi  les  riches  bourgeois,  se  réunissaient  dans  des  lieux 
écartés  et  menaçaient  de  résister  parla  force  ouverte.  Quoi- 
que composée  uniquement  de  laïques,  cette  multitude  se 
donna  un  roi,  un  pape  et  des  cardinaux,  prétendant  se  gou- 
verner ainsi  en  dehors  de  la  société  civile  et  religieuse,  et 
surtout  rendre  le  mal  pour  le  mal. 

Un  de  ces  groupes  se  forma  dans  la  banHeue  de  Clusy. 
Les  notables  bourgeois  résolurent  de  sévir  contre  ces  mal- 
heureux, mais  il  était  difficile  de  les  saisir;  l'évêque  les 
excommunia,  mais  ils  se  faisaient  absoudre  par  leur  pape, 
et  recevaient  les  sacrements  de  leurs  cardinaux,  ou  em- 
ployaient  la   force  pour  se   les  faire  administrer  par  des 

prêtres. 

A  ces  troupes  de  misérables,  poussés  par  le  désespoir,  se 
réunissaient  des  aventuriers,  des  moines  défroqués,  des  va- 
gabonds et  des  voleurs  de  grand  chemin.  Ces  nouveaux 
pastoureaux  n'étaient  pas  de  force  à  s'attaquer  aux  villes  et 


ET     D    UNE     CATHEDRALE.  I47 

aux  châteaux  fermes;  mais  ils  pillaient  les  maisons  sei- 
gneuriales répandues  dans  la  campagne,  ils  comblaient  les 
puits,  détruisaient  les  vergers,  s'emparaient  des  troupeaux. 

Chose  étrange,  ils  prétendaient  composer  une  immense 
armée  qui,  comme  celle  réunie  jadis  par  Pierre  THermite, 
irait  délivrer  les  Saints  Lieux,  tant  il  est  vrai  qu'il  faut  tou- 
jours à  une  multitude,  livrée  aux  sentiments  les  moins 
avouables,  un  but  élevé  qui  la  puisse  tenir  unie. 

Uhomme  qui  avait  pris  sur  cette  troupe  des  environs  de 
Clusy  le  plus  d'influence,  et  qu'ils  avaient  désigné  comme 
leur  pape,  était  un  prêtre  condamné  par  Tofficialité  de  Sens 
à  la  prison  perpétuelle,  à  cause  de  ses  débordements,  et  qui, 
étant  parvenu  à  s'échapper,  se  donnait  dans  les  campagnes 
pour  un  des  derniers  débris  des  Croisés.  On  le  connaissait 
sous  le  nom  de  frère  Robert.  Il  avait  le  don  d'émouvoir 
la  multitude  ignorante  et  grossière  en  flattant  ses  passions 
et  en  la  grandissant  à  ses  propres  yeux.  Il  était  de  belle 
apparence  ;  son  air  hardi,  inspiré,  faisait  pénétrer  l'en- 
thousiasme et  le  mépris  du  danger  chez  les  plus  timides. 

Alors,  le  maire  de  Clusy  avait  été  nommé  directement  par 
le  roi,  à  la  suite  des  contestations  intervenues  entre  les  hauts 
bourgeois,  riches  marchands  et  les  gens  de  métier,  qui  n'a- 
vaient pu  s'entendre  sur  l'élection  de  ce  magistrat.  Il  y  avait 
eu  des  troubles  dans  la  ville*,  l'évêque  prétendait  avoir  le  droit 
de  désigner  le  maire  en  cas  d'élections  dans  lesquelles  aucun 
des  candidats  n'aurait  obtenu  la  majorité.  Pour  couper 
court  à  ces  difficultés  qui  menaçaient  de  troubler  la  paix  pu- 
blique, ayant  ouï  son  conseil,  le  roi  avait  désigné,  de  son 
autorité  suzeraine,  un  maire  étranger  à  la  ville,  ce  qui  était 
contraire  à  l'esprit  comme  aux  termes  des  chartes  et  lettres 
octroyées  et  suivies  dans  toutes  les  communes. 

Toutefois,  le  vieil  esprit  municipal,  tendant  à  s'éteindre 


148  HISTOIRE     d'un     hôtel     DE    VILLE 

chaque  jour  sous  la  prédominance  du  pou\'oir  royal,  les 
plus  notables,  parmi  les  bourgeois,  avaient  accepté  Félu  du 
roi. 

Il  n'en  fut  pas  de  même  dans  la  petite  bourgeoisie  et  dans 
les  corporations  de  métiers. 

Cette  nomination,  considérée  comme  une  violation  des 
droits  communaux,  provoqua  une  vive  irritation  parmi  le 
peuple  de  Clusy,  d'autant  que  la  signification  des  arrêts  du 
parlement  touchant  les  amendes  et  frais  que  devait  payer  la 
commune  et  le  projet  d'emprunt,  coïncidèrent  avec  l'arrivée 
de  ce  maire  dans  la  ville. 

Il  faut  dire  que  ces  emprunts  étaient,  non  sans  raison, 
fort  mal  accueillis  par  la  petite  bourgeoisie.  Couvert  par 
les  riches  marchands  ou  changeurs^  à  un  taux  élevé,  le 
paj^ement  de  l'intérêt  exorbitant  de  cette  dette  retombait  sur 
les  plus  pauvres  et  ne  pouvait  se  faire  qu'en  augmentant  les 
impôts.  Si,  à  ces  conditions  lourdes,  on  ajoute  la  dépré- 
ciation monétaire  qui,  par  un  mécanisme  fort  usité  alors  à 
la  cour  du  roi  de  France,  enlevait  les  épargnes  du  peuple 
des  villes,  la  situation  de  la  petite  bourgeoisie  était  des  plus 
précaires.  En  effet,  le  roi  remplissait  son  trésor  en  recueil- 
lant la  monnaie  de  bon  aloi,  puis,  payait  ses  dettes  avec  de 
la  monnaie  fabriquée  à  un  titre  inférieur  à  la  valeur  nomi- 
nale, en  forçant  ses  sujets  à  l'accepter,  ce  qui  lui  procurait 
un  gros  bénéfice;  puis  encore,  lorsque  le  stock  de  monnaie 
trébuchante  était  ainsi  dénaturé  et  épuisé,  il  relevait  la  fabri- 
cation au  titre  normal,  n'acceptait  plus  la  monnaie  fausse, 
émise  par  son  trésor,  que  pour  sa  valeur  réelle,  et  réalisait 
encore  un  gros  bénéfice. 

En  un  mot,  cette  double  opération  consistait  à  payer  les 
dettes  avec  une  monnaie  qui  n'avait  plus  sa  valeur  nomi- 
nale   mais  dont  le  cours  était  forcé,  et  à  ne  recevoir  cette 


CONJURATION   DES     GUEUX    DANS     LES    BOIS. 


ET     D   UNE     CATIIhDRAI.E.  I49 

même  monnaie  que  pour  sa  valeur  réelle-,  de  telle  sorte, 
qu'avec  un  bon  écu  d'or  de  douze  li\Tcs,  le  trésor  royal  en 
faisait  deux,  qu'on  forçait  les  gens  à  prendre  ainsi  pour 
vingt-quatre  livres,  —  bénéfice  net  douze  livres,  —  et  si  le 
trésor  avait  à  recevoir,  celui  qui  devait  douze  livres  était 
obligé  d'en  donner  vingt-quatre. 

On  comprend  que  les  épargnes  du  peuple  devaient  être 
absorbées  par  cette  opération  de  trésorerie  qu'on  peut  qua- 
lifier de  déprédation. 

Mais  les  riches  marchands,  les  changeurs  et  Lombards, 
comme  on  les  appelait,  qui  pouvaient  attendre  et  faire  leurs 
conditions,  ne  prêtaient  leur  argent  ou  ne  faisaient  leurs 
transactions  qu'en  raison  de  la  valeur  réelle  de  la  monnaie, 
et  profitaient  souvent  de  ces  variations. 

Informé  de  l'état  des  esprits,  frère  Robert  réunit  ses  gens 
dans  un  bois  des  environs  (fig.  32),  et  leur  parlaainsi  : 

«  Frères!  vos  ennemis  sont  partout,  vous  le  savez  •  nobles, 
évêques,  prêtres,  abbés,  bourgeois,  tout  ce  monde  a  grand 
souci  de  vous  tondre  comme  brebis,  et  quand  vous  n'avez 
plus  de  laine  à  couper,  de  vous  faire  travailler  comme  des  bê- 
tes de  somme  pendant  qu'ils  vivent  dans  l'abondance.  Vous 
savez  cela,  mais  ce  que  vous  ne  savez  peut-être  pas,  c'est  que 
ces  ennemis  si  bien  ligués  hier  pour  vous  tondre  et  manger, 
ne  s'entendent  pas  à  cette  heure.  Les  petits  bourgeois  de 
Clusy  trouvent  que  les  gros  ont  Tappétit  trop  vaste  et  qu'on 
commence  à  les  tondre  aussi.  Les  gros  bourgeois  sont  en 
querelle  avec  l'évêque  qui  demande  partie  de  la  tonte,  et  le 
prévôt  du  roi  regarde  faire,  pour  prendre  tout,  pendant  que 
l'on  se  disputera  les  parts.  Le  moment  est  favorable;  parti- 
cipons à  la  fête  que  nous  pouvons  rendre  complète;  allons 
reprendre  un  peu  de  la  laine  que  nous  avons  largement 
fournie...  J'ai  vu  nombre  de  marchands  et  d'artisans  prêts 


l5o  HISTOIRE     D    UN      HOTEL    DE     VILLE 

à  en  finir  avec  leur  maire  et  ses  eschevins  qui  les  ruinent. 
Demain  on  doit  commencer  le  branle,  rendons-nous  au 
marché  dès  l'ouverture  des  portes,  non  tous  ensemble,  mais 
par  petites  troupes,  et  chargés  de  légumes,  fourrages  ou 
bourrées  ;  a3^ons  de  bons  bâtons,  et  quand  les  petits  bour- 
geois nous  verront  si  bien  disposés  à  les  aider,  tout  ira  plus 
vite  et  mieux  qu'ils  ne  voudront  !  » 

Cette  allocution  fut,  comme  on  le  pense  bien,  fort  goûtée 
de  cette  assemblée  de  pauvres  diables,  de  ribauds  et  d'aven- 
turiers, et  rendez-vous  fut  pris  pour  le  lendemain  au  mar- 
ché de  Clusy  dès  la  première  heure. 

Les  magistrats  de  la  cité  n'étaient  pas  sans  inquiétudes  ; 
ils  avaient  quelque  soupçon  d'une  émotion  prochaine,  et 
s'étaient  réunis  dans  la  maison  de  ville,  située,  comme  on 
sait,  sur  l'un  des  côtés  de  la  place  du  Marché.  De  la  loge 
élevée  devant  le  beffroi,  ils  pouvaient  voir,  parmi  la  foule 
réunie  sur  cette  place,  des  groupes  se  former  qui  semblaient 
s'occuper  de  toute  autre  chose  que  de  vendre  et  acheter  des 
denrées.  La  milice  avait  été  convoquée,  mais  les  bourgeois 
ne  se  pressaient  pas  de  se  rendre  à  l'appel,  d'autant  que  plu- 
sieurs, accueillis  par  des  huées  et  des  quolibets,  avaient  jugé 
prudent  de  rentrer  chez  eux. 

Le  maire  crut  devoir  faire  prévenir  le  prévôt;  celui-ci 
répondit  que  les  eschevins  avaient  la  police  de  la  ville, 
qu'il  ne  pouvait  se  mêler  de  ce  qui  ne  le  concernait  pas  et 
qu'il  n'interviendrait  que  si  les  droits  royaux  étaient  mé- 
connus. 

Vers  dix  heures  du  matin,  quelques  bourgeois  se  déta- 
chèrent des  groupes  plus  compactes  de  minute  en  minute, 
et  demandèrent  à  être  introduits  auprès  des  eschevins,  ce 
qu'on  n'osa  pas  leur  refuser. 

Là,  dans  la  salle  de  l'hôtel  de  ville,  ils  déclarèrent  que 


ET   d'une   cathédrale.  i5i 

le  peuple  de  Clus}^  exigeait  qu'un  maire  fut  élu,  confor- 
mément aux  us  et  coutumes  de  la  commune.  Cette  préten- 
tion fut  mal  accueillie.  Les  eschevins,  s'appuyant  sur  ce  que 
le  roi  avait  nommé  le  maire  en  fonction,  alléguèrent  qu'il 
appartenait  au  roi  de  recevoir  la  requête  des  bourgeois. 
A  cela,  un  des  délégués  répondit  : 

«  C'était  à  vous  à  maintenir  les  privilèges  delà  commune; 
vous  ne  Pavez  pas  foit,  nous  nous  en  prenons  à  vous. 
Nous  déclarons  ne  pas  reconnaître  Tautorité  du  maire, 
irrégulièrement  élu,  et  nous  ne  reconnaîtrons  pas  la  vôtre 
si  vous  refusez  de  procéder  aux  élections  dans  la  forme 
ordinaire. 

—  Et  que  ferez-vous?  dit  Tun  des  eschevins. 

—  Nous  vous  chasserons  de  la  maison  de  ville  comme 
des  parjures  et  traîtres  à  vos  serments,  puisqu'en  prenant 
possession  de  vos  fonctions,  vous  avez  juré  de  respecter  et 
de  faire  respecter  nos  droits  et  franchises. 

—  C'est  ce  que  nous  verrons,  dirent  les  magistrats. 

—  C'est  ce  que  vous  allez  voir  sur  l'heure,  répondirent 
les  délégués,  si  l'on  ne  procède  immédiatement  à  l'élection 
d'un  maire.  » 

Sur  cette  menace,  les  eschevins  voulurent  faire  appré- 
hender les  bourgeois  par  des  gens  de  la  milice,  mais  ceux- 
ci  refusèrent  leur  concours.  La  position  devenait  critique 
pour  les  magistrats.  Les  moins  résolus  invitaient  le  maire 
à  se  démettre  de  ses  fonctions;  celui-ci  résistait  et  pré- 
tendait qu'étant  nommé  par  le  roi,  il  ne  pouvait  se  dé- 
mettre qu'entre  ses  mains  et  avec  son  agrément. 

Les  délégués  étaient  donc  descendus  tranquillement 
rejoindre  les  groupes  réunis  sur  la  place,  et,  sur  leur  rap- 
port touchant  la  conférence  engagée  avec  les  magistrats  de 
la  cité,  l'agitation  prenait  un  caractère  agressif. 


l52  HISTOIRE     d'un     HOTEL    DE    VILLE 

Cependant,  un  assez  grand  nombre  de  notables  s'é- 
taient joints  aux  magistrats-,  la  salle  se  remplissait,  ainsi 
que  les  rues  qui  bordaient  les  deux  côtés  de  l'hôtel  de  ville, 
de  citoyens  dévoués  au  maire,  —  car  il  avait  des  partisans 
dans  la  haute  bourgeoisie.  —  La  plupart  étaient  armés  et 
fort  disposés  à  défendre  les  eschevins.  Leur  présence  avait 
redonné  du  cœur  aux  quelques  miliciens  rassemblés  dès  le 
matin. 

Le  perron  se  garnissait  de  monde  et  les  grilles  avaient  été 
.fermées.  Ce  que  voyant,  la  foule  qui  stationnait  sur  la 
place  poussa  de  violentes  clameurs  et  se  massa  devant  le 
perron  en  demandant  qu'on  ouvrît  les  grilles. 

Des  pierres  furent  jetées. 

Le  maire,  qui  était  brave,  voulut  alors  parler  au  peuple 
et  parut  sur  le  balcon  de  la  loge. 

A  sa  vue,  les  huées,  les  cris  partirent  de  toute  la  place. 
De  la  main,  vainement,  il  réclamait  le  silence;  les  pierres 
pleuvaient  et  plusieurs  atteignirent  ceux  qui  l'entouraient. 
Il  fit  alors  rentrer  tout  le  monde  sous  la  tour,  et,  demeu- 
rant seul  au  milieu  de  la  loge,  il  croisa  les  bras  et  at- 
tendit. 

Cette  contenance  fière  fit  impression  sur  la  foule,  et  les 
applaudissements  succédèrent  aux  cris.  Alors,  profitant 
d'un  moment  de  calme  : 

«  Que  demandez-vous?  cria-t-il. 

—  Un  maire  élu  !  hurlèrent  mille  voix. 

—  Soit,  répondit  le  maire-,  mais,  nommé  par  le  roi, 
c'est  à  lui  qu'il  faut  demander  une  élection  nouvelle.... 
Faites  votre  requête  et  je  la  porterai  moi-même  à  notre 
sire  le  roi. 

—  A  bas!  à  bas!  à  bas  le  maire  !  pas  de  maire  royal, 
pas  de  prévôt  !  Retournez  chez   vous  I    II   n'est  pas   de 


ET  d'une    cathé DRAi.r:.  \b'5 

la  ville,  nous  ne  le  connaissons  pas!   Maire   élu!   Maire 
élu! 

—  Je  n'abandonnerai  la  place  que  quand  celui  qui  me 
Ta  confiée  me  donnera  Tordre  de  la  quitter^  ne  me  deman- 
dez pas  de  forfaire  à  l'honneur.  Mais  je  jure  d'informer  le 
roi  de  votre  désir  et  de  faire  valoir  vos  raisons  auprès  de 
lui.  Vous  savez  bien  qu'on  ne  peut  ainsi  procéder  à  une 
•élection....  N'attirez  pas  des  malheurs  sur  la  cité,  en  offen- 
sant notre  sire  par  la  violence  et  par  des  demandes  sous 
forme  de  menaces.... 

—  Gardez  pour  vous  vos  avis.,..  Vous  n'êtes  pas  de  la 
cité  ;  à  bas!  Laissez-nous  faire  nos  aflaires  comme  nous 
l'entendrons.  » 

Et  les  pierres  de  pleuvoir  de  plus  belle. 

Frère  Robert,  vêtu  en  paysan,  rassemblait  son  monde; 
il  ne  lui  convenait  guère  que  les  choses  traînassent  en 
longueur,  et  ces  pourparlers  n'étaient  pas  de  son  goût.  Sur 
un  signal  donné  par  lui,  ses  ribauds,  armés  de  gros  bâtons 
et  de  leviers,  se  ruèrent  sur  les  grilles  du  perron  et  les  eu- 
rent bientôt  fait  sauter,  malgré  la  résistance  des  notables 
et  miliciens  qui  se  tenaient  sur  les  degrés.  Là,  il  y  eut  des 
têtes  cassées  et  de  durs  horions  donnés  de  part  et  d'autre. 
La  population,  voyant  l'attaque  commencée,  à  l'aide  de 
bancs,  d'échelles,  se  mit  à  escalader  les  rampes  du  perron 
et  de  la  loge. 

Le  maire,  rentré  alors  dans  la  salle,  en  fit  fermer  les 
portes  et,  entouré  des  eschevins,  attendit  les  événements. 
La  mêlée  fut  rude  sur  le  perron  et  sous  la  tour,  car  les  dé- 
fenseurs combattaient  pied  à  pied.  Puis  les  bourgeois  et 
miliciens  rassemblés  dans  les  deux  rues  latérales  et  les 
salles  basses,  faisant  irruption  sur  les  assaillants,  ouvrirent 
deux  larges  trouées  dans  la  foule  et,  se  rabattant  sur  les  de- 

20 


i54  HiSTOiRi:  d'un    hôtel    de   ville 

grés,  assommaient  les  malheureux  engagés  dans  les  galeries 
rampantes  et  dans  la  loge.  A  cette  vue,  entendant  les  cris 
des  blessés,  la  masse  du  populaire,  qui,  jusqu'alors,  n'avait 
pas  pris  part  à  la  lutte,  exaspérée,  se  jeta  sur  les  défen- 
seurs, les  refoula  dans  les  rues  latérales  et,  montant  les 
degrés,  vint  se  heurter  comme  un  bélier  sur  la  porte  de  la 
salle,  qui  fut  bientôt  enfoncée  à  coups  de  coignée  et  de 
levier. 

Toutefois,  voyant  les  magistrats  assis  sur  leurs  sièges, 
entourant  le  maire,  ces  furieux  s'arrêtèrent,  retenus  par  un 
,  reste  de  respect. 

Ce  moment  d'indécision  pouvait  faire  échouer  les  projets 
de  frère  Robert.  Dans  la  lutte,  il  n'avait  pas  été  atteint, 
mais  ses  habits  étaient  couverts  de  sang. 

«  Eh  !  beaux  amis,  dit-il,  en  s'adressant  aux  magistrats, 
vous  voilà  paisibles  et  délibérant,  pendant  que  vous  nous 
faites  assommer  dehors.  Par  Dieu!  Allez  donc  voir  un  peu 
comment  les  choses  se  passent  à  vos  portes....  » 

Et,  prenant  l'un  des  eschevins  par  son  large  chaperon 
fourré,  il  le  fit  tomber  de  son  siège  sur  les  dalles. 

Alors  la  scène  fut  horrible  :  le  maire,  les  eschevins,  sai- 
sis, leurs  habits  en  lambeaux,  furent  poussés  dehors  et 
entraînés  sur  les  degrés  remplis  de  morts  et  de  blessés-, 
trébuchant  à  chaque  pas,  souillés  de  sang,  ils  arrivèrent  à 
grand'peine  jusque  sur  la  place,  croyant  leur  dernière  heure 
venue. 

A  la  vue  de  leurs  magistrats  ainsi  traités  outrageusement, 
un  assez  grand  nombre  de  bourgeois  furent  indignés.  Ils 
reconnaissaient  d'ailleurs ,  parmi  ceux  qui  s'acharnaient 
autour  de  ces  malheureux  chefs  de  la  commune,  des  hom- 
mes mal  famés  dans  la  ville,  des  malandrins  de  la  pire 
espèce  •  puis  se  montraient  des  figures  étrangères  à  la  cité, 


ET    d'une     CATHIÎDRALE. 


i55 


sordides,  lie  qui  n\ipparaît  que  dans  les  tumultes,  sortant 
d'on  ne  sait  quels  repaires  (fig.  33). 


«  A  bas  les  gueux  !  cria  une  voix,  tombons  dessus  ! 

—  Sus!  sus  aux  gueux!  »  vociféra  la  foule. 

Mais  les  gens  de  frère  Robert  n'étaient  pas  hommes  à 
se  laisser  faire;  ils  étaient  armés  de  gros  bâtons,  quelques- 
uns  avaient  aux  mains  des  coignées  et  de  lourdes  barres  de 
fer.  Devant  la  nouvelle  attitude  des  bourgeois,  ils  se  serrè- 
rent, tenant  au  milieu  de  leur  troupe  les  eschevins,  et  pré- 
sentèrent aux  assaillants  un  demi-cercle  formidable  appuyé 
aux  murs  du  perron.  Alors  les  bourgeois  s'écartèrent  et 
commencèrent  à  lancer  contre  ce  bloc  humain  des  pierres, 


l56  HISTOIRE     d'un     hôtel     DE    VILLE 

des  escabeaux  ramassés  sur  la  place  du  Marché,  des  bûches. 
La  position  devenait  critique. 

Si  Ton  jette  les  yeux  sur  les  figures  28  et  29,  on  verra 
que  sous  la  loge  du  perron  était  percée  une  porte  donnant 
dans  la  salle  basse.  Frère  Robert  l'eut  bientôt  fait  enfoncer, 
et  toute  sa  troupe  s'engouffra  sous  le  beffroi,  barricadant  la 
porte  derrière  elle-,  puis,  quelques  gaillards  alertes  mon- 
tèrent par  Tescalier  à  vis  de  la  tour  pour  barricader 
également  la  porte  de  la  salle  donnant  sur  la  loge. 

Dans  ce  mouvement  de  retraite,  quelques  eschevins 
avaient  été  abandonnés  ;  d'autres,  avec  le  maire,  entraînés 
par  la  troupe  de  frère  Robert,  restaient  entre  ses  mains,, 
enfermés  avec  elle. 

Sur  la  place,  la  confusion  était  inexprimable*,  les  uns 
voulaient  avoir  raison  des  gueux,  les  autres  tenaient  pour 
eux  et  prétendaient  empêcher  qu'il  ne  leur  fût  fait  aucun 
mal,  puisqu'ils  n'avaient  agi  que  dans  l'intérêt  des  bour- 
geois décidés  à  en  finir  avec  leurs  magistrats. 
•  Nul  n'osait  s'aventurer  sur  les  degrés  du  perron  et  dans 
la  loge,  encombrés  de  morts  et  de  blessés,  dans  la  crainte 
d'un  retour  offensif  des  gueux. 

Par  les  brisures  de  la  porte  basse  enfoncée  et  barricadée, 
frère  Robert  avait  jeté  ces  mots  : 

«  S'il  est  tenté  une  attaque  contre  nous,  défenseurs  des 
libertés  de  la  commune,  nous  enverrons  tout  d'abord  les 
têtes  du  maire  et  de  ses  eschevins,  du  haut  du  beffroi,  sur  les 
traîtres  bourgeois,  leurs  complices.  » 

Ces  paroles  n'étaient  pas  faites  pour  simplifier  la  situa- 
tion. 

Les  plus  exaltés  d'entre  les  gros  bourgeois  voulaient 
qu'on  ne  tînt  compte  de  ces  menées,  et  qu'on  mît  le  feu  aux 
portes  de  l'hôtel  de  ville  pour  déloger  les  insurgés   et  les 


ET    d'une     CATHEDRALE.  1  67 

assommer;,  mais  ce  n'était  pas  Tavis  de  ceux  qui,  parmi 
les  eschevins  retenus  comme  otages,  avaient  des  parents, 
des  amis.  Les  femmes  se  mêlèrent  bientôt  de  la  partie  et 
i:ivectivaient  les  partisans  de  la  lutte  à  outrance. 

Ceux-ci  perdaient  visiblement  du  terrain;  vers  quatre 
heures  du  soir,  après  bien  des  propos  échangés  et  quelques 
rixes  deci  et  delà,  la  foule  parut  vouloir  entrer  en  arran- 
gement. 

Quelques  hommes  de  métiers  qui  tenaient  plus  volontiers 
pour  les  gens  enfermés  dans  Thôiel  de  ville  que  pour  les 
riches   bourgeois ,   s'approchèrent   de   la   porte    basse    et 

demandèrent  à  parler  au  chef  de   la  troupe  enfermée 

Frère  Robert  s'avança  vers  Thuis  brisé,  et  les  propos  sui- 
vants furent  échangés  : 

«  Nous  sommes  vos  amis,  dit  Pun  de  ceux  du  dehors; 
ce  que  vous  voulez  nous  le  voulons  aussi  :  un  maire  nommé 
par  nous,  des  eschevins  qui  fassent  respecter  nos  franchises 
et  qui  ne  nous  écrasent  pas  d'impôts.  Mais  il  n'y  a  eu  que 
trop  de  sang  répandu  aujourd'hui;  il  n'est  pas  besoin  de 
nous  battre,  puisque  nous  voulons  tous  les  mêmes  choses. 
Il  n'est  pas  besoin  de  nous  défaire  du  maire  et  des  eschevins 
ce  serait  la  cause  de  nouveaux  malheurs. 

(f  Qu'ils  se  démettent  de  leurs  fonctions  et  s'en  aillent 
où  bon  leur  semblera  ;  et  quant  à  nous  tous,  délivrés  de  ces 
traîtres,  vivons  en  bonne  intelligence. 

—  Soit,  répondit  frère  Robert;  mais  qui  nous  assurera 
que  nous  ne  serons  pas  de  nouveau  attaqués  par  vos  bour- 
geois ligués  avec  le  maire  et  les  eschevins  pour  nous 
réduire  tous  à  la  misère?  Quelles  garanties  donnez- vous  si 
nous  sortons  d'ici?  Qui  eût  pu  supposer  qu'après  avoir  -fait 
la  bonne  besogne  de  'ce  matin,  à  nos  risques  et  périls, 
puisque  plusieurs  d'entre  nous  sont  restés  sur  le  pavé,  on 


l58  HISTOIRE    d'un    hôtel     DE     VILLE 


nous   remercierait  en  nous  jetant  des  pierres  et  en   nous 
assommant  ? 

—  Nous  sommes  assez  nombreux  pour*  empêcher  les 
gros  bourgeois  de  vous  faire  le  moindre  tort. 

—  Eh  !  que  ne  Pavez-vous  fait  tout  à  Theure  quand  on 
nous  assommait? 

—  On  n^a  pas  compris  ;  nous  étions  dispersés,  il  y  a  eu 
malentendu. 

—  Eh  bien,  vous  tous,  bons  citoyens  qui  voulez  la  paix 
et  la  fin  du  règne  des  traîtres  et  des  changeurs  qui  grugent 
le  monde,  assemblez-vous  devant  le  perron.  De  bons  dia- 
bles parmi  nous  reconnaîtront  bien  les  amis.  Vous  vous 
compterez,  nous  nous  compterons,  et  alors,  si  nous  sommes 
en  force,  ensemble,  nous  nous  réunirons  pour  faire  taire 
les  assommeurs  du  peuple.  Quand  nous  en  serons  là,  on 
rendra  aux  bourgeois  leur  maire  et  leurs  eschevins  pour  en 
faire  ce  que  bon  leur  semblera. 

«  M'est  avis  cependant  que,  quand  on  a  séparé  Tivraie 
du  bon  grain,  le  mieux  est  de  ne  l'y  point  mêler  de  nou- 
veau.  » 

Cet  entretien  fut  fidèlement  rapporté  à  la  foule  assem- 
blée sur  la  place.  Les  gros  bourgeois  crièrent  fort,  s'indi- 
gnèrent, nais  ils  n'étaient  pas  en  majorité  ;  puis  on  voulait 
aller  souper. 

Les  ménagères  étaient  intervenues  en  grand  nombre  et 
demandaient  impérieusement  qu'on  en  finît  puisqu'on  avait 
ce  qu'on  voulait.  On  entendait  surtout  les  cris  des  femmes 
des  blessés. 

«  Les  hommes  sont  plus  bêtes  que  les  animaux,  puisqu'ils 
se  battent  sans  savoir  pour  quoi  et  pour  qui,  »  disaient  elles 
entre  leurs  clameurs. 

Ainsi  fut-il  fait,  comme  il  avait  été  dit  ;  vers  huit  heures 


ET   d'une  cathédrale.  I Sq 


du  soir,  on  vit  s'assembler  devant  le  perron,  à  distance, 
une  portion  notable  de  la  foule,  femmes  mêlées  parmi-,  car 
une  fois  que  les  femmes  ont  pris  place  dans  un  tumulte, 
le  diable  ne  les  ferait  pas  rentrer  à  la  maison. 

Alors,  on  vit  sortir  frère  Robert  et  bon  nombre  de  ses 
hommes,  qu'il  avait  choisis  parmi  les  plus  connus  de  la  ville. 
Ils  s'avancèrent  jusqu'à  la  balustrade  de  la  loge. 

Aussitôt  les  propos  de  se  croiser  entre  les  gens  de  la  place 
et  ceux  du  perron  ; 

«  Eh  !  compère  le  Potier ,  te  voilà  là-haut  comme  un 
gros  eschevin  ? 

—  Mais  oui,  j'ai  fait  la  besogne  que  tu  as  regardé  faire. 

—  Et  souper!  là-dedans,  à  quand? 

—  Nos  femmes  y  auraient  bien  pourvu  ;  vous  ne  seriez 
pas  restés  là  toute  la  nuit,  vous  autres. 

—  Par  saint  Crépin  !  ta  femme  te  croyait  assommé, 
l'ami  Toucqueville !  viens  donc  te  montrer;,  qui  sait  si  elle 
ne  querre  pas  un  nouveau  mari  ? 

—  Holà!  te  voilà  donc  là-dedans!  criait  une  commère, 
avec  toute  la  ribaudaille  de  Glusy;  belle  besogne,  ma 
foi!.... 

—  Voyez- vous  cette  pie  qui  nous  traite  de  ribaudaille  ? 
Eh  !  la  mère,  est-ce  que  Tévêque  est  ton  parrain  ?  » 

Bientôt  les  deux  troupes  n'en  firent  qu'une  -,  on  alla  boire, 
et  frère  Robert  avec  quelques  bourgeois. 

Cependant,  les  notables  avaient,  dès  le  milieu  du  jour, 
envoyé  avis  au  prévôt  de  ce  qui  se  passait  dans  la  ville,  et 
celui-ci  s'empressa  d'expédier  un  message  au  conseil  du 
roi. 

L'évêque  était  absent,  mais  son  bailli  lui  dépêcha  un 
exprès  pour  qu'il  eut  à  revenir  au  plus  tôt  dans  sa  sei- 
gneurie. 


l60  HISTOIRE     d'un     HOTEL    DE     VILLE 

On  fraternisait  entre  gens  de  métier,  petits  bourgeois, 
populaire  et  suppôts  de  frère  Robert. 

Pendant  une  heure  encore,  on  promena  le  maire,  sa  robe 
déchirée,  par  la  ville,  en  criant  autour  de  lui,  chaque  fois 
qu'on  le  maltraitait  pour  le  faire  marcher  :  «  Nous  te. faisons 
maire  cette  fois  !  » 

Le  malheureux  était  épuisé. 

La  troupe  diminuait  à  chaque  instant,  les  uns  pensant  à 
leurs  soupers  et  à  leurs  femmes  qui  les  attendaient,  les 
autres  entrant  dans  les  tavernes. 

Il  n'y  avait  plus  guère  autour  de  frère  Robert  que  ses 
gens  à  lui,  qui  commençaient  à  murmurer,  ne  voyant,  en 
cette  affaire,  aucun  bénéfice  pour  eux  •,  mais  frère  Robert 
passait  de  Tun  à  Tautre,  leur  disant  quelques  mots  à 
Toreille. 

Arrivée  à  un  des  carrefours  de  la  ville,  dans  le  voisinage 
des  plus  beaux  hôtels,  la  troupe,  qui  se  composait  d'en- 
viron trois  à  quatre  cents  hommes,  se  trouva  en  face 
d'une  masse  de  bourgeois  passablement  armés,  lesquels 
barrèrent  le  chemin  aux  ribauds  et  les  invitèrent  à  s'en  re- 
tourner en  leur  logis  et  à  remettre  en  leurs  mains  le  maire, 
ainsi  que  cela  avait  été  promis. 

Et,  sans  plus  attendre,  les  bourgeois  se  précipitèrent 
hardiment  sur  la  troupe. 

Ces  gens,  surpris,  abandonnèrent  le  maire  et  prirent  ia 
fuite  en  criant  :  «  Trahis  !  trahis  !  >> 

Sur  leur  passage,  on  ouvrait  les  huis  pour  savoir  la  cause 
de  ce  nouveau  tumulte*,  mais  compagnons  de  métier  et 
petits  marchands  se  gardaient  de  sortir. 

«  Les  gens  du  roi!  crièrent  quelques  voix  dans  les  rues 
déjà  sombres,  les  gens  du  roi  arrivent  !  « 

Si  invraisemblable  que  fût  cette  nouvelle,  répandue  aus- 


ET     DUNE    CATHliDRAI.E. 


l6l 


sitôt  par  la  ville,  clic  contribua  d'autant  à  faire  que  chacun 
demeurât  chez  soi. 

Plusieurs  des  hommes  de  la  troupe  de  frère  Robert, 
tout  en  fuyant,  ne  perdaient  pas  de  vue  le  quidam,  car  il 
leur  était  venu  des  soupçons. 

Quand  ils  virent  celui-ci,  à  la  faveur  de  Tobscuritc,  tour- 
ner dans  une  ruelle  étroite,  ils  le  saisirent  vivement  par 
les  bras  et  le  forcèrent,  quoi  qu'il  en  eût,  à  marcher  avec 
eux. 

En  courant  droit  devant  eux,  les  ribauds  se  trouvèrent 
sur  la  place  de  Thôtel  de  ville. 

A  leurs  cris  répétés,  nul  ne  répondit;  envoyait  seulement 
quelques  fenêtres  s'ouvrir,  des  lumières  apparaître,  puiî 
c'était  tout. 

Il  n'y  avait  plus  rien  à  faire  ;  cependant,  la  troupe  repre- 
nait haleine;  personne  ne  la  poursuivait;  les  trois  hommes 
qui  tenaient  toujours  frère  Robert  dirent  à  leurs  compa- 
gnons : 

«  Cet  homme  nous  a  trahis,  nous  en  avons  la  preuve; 
liez-le  bien  avec  des  cordes,  afin  qu'il  ne  s'échappe,  puis 
faisons  notre  journée  à  cette  heure.  D'abord,  mettons  le  feu 
à  la  maison  de  ville  pour  occuper  ces  traîtres  bourgeois  ; 
pendant  ce  temps,  nous  travaillerons  à  Taise. 
—  Bien  parlé,  w  dirent  les  bandits. 
Plusieurs  d'entre  eux  se  dirigèrent  donc  vers  Phôtel  de 
ville.  Quelques   hommes,  munis  de  lanternes,  achevaient 
d'enlever  les  morts  et  ne  firent  guère  attention  aux  nou- 
veaux venus,  les  croyant  des  leurs.  Les  portes  brisées,  les 
escaliers  ouverts  permettaient  d'atteindre  le  faîte  de  l'édifice. 
S'emparant  d'une  des  lanternes  posées  dans  la  loge,  deux 
des  truands  montèrent  l'escalier  à  vis    jusqu'au  comble 
du  beffroi-   mais  là,  ils  trouvèrent  le  guetteur;  le  brave 


2t 


ï62  HISTOIRE     d'un     HOTEL    DE     VILLE 

homme  était  à  son  poste.  Avant  qu'il  n'eut  ouvert  la  bouche, 
deux  coups  de  couteau  Pavaient  étendu  sur  le  carreau;  puis, 
ramassant  à  la  hâte  quelques  débris  de  menu  bois,  les 
vêtements  du  pauvre  guetteur,  le  tout  arrosé  de  Thuile  de 
la  lainpe  du  guet,  sous  le  grand  poinçon  de  la  charpente,  là 
OLi  les  bois  forment  un  embranchage  compliqué,  ils  y 
mirent  le  feu  et  descendirent  aussitôt.  En  passant,  ils  dirent 
aux  gens  qui  s'occupaient  encore  de  leur  lugubre  besogne 
sur  le  perron,  qu'ils  venaient  de  porter  à  souper  au  guet- 
teur. 

Pendant  cette  expédition,  la  troupe  de  frère  Robert 
s'était  répandue  sur  la  place  et  sembla  se  dissiper  peu  à 
peu,  tout  en  restant  aux  aguets  par  groupes,  au  coin  des 
rues  adjacentes.  Frère  Robert  avait  voulu  crier,  on  l'avait 
bâillonné  et  fortement  hé  aux  bras  et  aux  jambes  ;  il  était 
étendu*  à  terre  comme  un  ballot. 

Une  demi-heure  environ  s'était  écoulée,  que  les  bandits 
virent  poindre  une  lueur  au  centre  de  la  flèche  du  beffroi, 
par  les  ouvertures  de  la  guette.  Surs  de  leur  affaire,  doré- 
navant, ils  se  divisèrent  en  deux  troupes  et  filèrent  vers  le 
quartier  des  hôtels. 

Quand  les  habitants  s'aperçurent  du  feu,  la  flèche  du  bef- 
froi, tout  entière,  était  enveloppée  de  flammes,  et  les  bran- 
dons embrasés  étant  tombés  dans  le  beffroi  même,  les 
cordes  des  cloches  brûlaient.  Il  était  impossible  de  sonner 
le  tocsin.  Il  fallut  aller  aux  tours  de  la  cathédrale  et  crier 
par  les  rues  :  «  A  l'eau  !  »  Les  magistrats  de  la  cité  n'exis- 
tant plus,  aucun  ordre  régulier  ne  pouvait  être  transmis.  Ce 
ne  fut  guère  que  vers  dix  heures  du  soir  que  les  secours 
purent  être  à  peu  près  organisés. 

Alors,  non-seulement  le  beffroi  était  en  feu,  mais  l'in- 
cendie s'était  communiqué  au  comble  de  la  grand'salle  et  à 


L  INCENDIE  DE  L  HOTEL  DE  VILLE  DE  CLUSY 


ET     D   UNE     CATHliDRALE. 


lG3 


Tun  des   combles  des   bâtiments  latéraux,  sous    le    vent 

(fig.  -34). 

Par  bonheur,  Tair  était  calme,  sans  quoi,  tout  le  quar- 
tier bas  de  la  ville  eût  été  brûlé. 

Renonçant  à  sauver  leur  hôtel  de  ville,  tous  les  hommes 
valides,  répandus  dans  les  rues  avoisinantes  et  sur  les  toits 
des  maisons,  étaient  occupés  à  éteindre  les  charbons  incan- 
descents qui  tombaient  dru  comme  grelc  assez  loin  du  lieu 

du  sinistre. 

Les  ribauds  ne  perdaient  pas  leur  temps.  Quand  ils  virent 
que  tout  le  monde  était  dehors,  que  de  toutes  parts  on  cou- 
rait effaré,  ils  se  ruèrent  sur  deux  des  plus  riches  hôtels 
de  la  ville,  les  pillèrent  à  fond  en  un  clin  d'œil,  en  tuant 
les  habitants  qui  essayaient  de  défendre  leur  bien-,  puis, 
se  dirigeant  vers  une  des  portes  de  la  ville,  en  aval  de 
la  rivière,  ils  massacrèrent  les  portiers,  levèrent  les  her- 
ses, ouvrirent  les  huis,  sans  pont-levis  sur  ce  point,  et 
cracrnèrent  au  lar^e,  chargés  de  leurs  dépouilles  et  de  frère 
Robert. 

Avant  le  jour,  ils  étaient  réunis  dans  la  forêt.  Là,  ils  firent 
bon  feu,  ne  craignant  guère  les  forestiers  qui  se  gardaient 
de  les  déranger,  pour  cause,  se  mirent  à  rôtir  des  quartiers 
de  viande  qu'ils  avaient  volés,  sortirent  du  pain  et  du  vin 
de  leur  bissac  et  comptèrent  leur  butin.  Il  était  gros  :  beaux 
écus,  argenterie,  bijoux,  vêtements  Quand  le  partage  fut 
fait  éauitablement,  ils  songèrent  à  jjur  prisonnier;  on  le 
délia,  puis  on  procéda  à  son  interrogatoire. 

«  Tu  nous  as  trahis  !  dit  le  grand  gaillard  cà  la  physiono- 
mie sombre  qui,  le  premier,  avait  eu  des  soupçons  sur 
frère  Robert. 

. —  Non,  répondit  celui-ci. 

—  Ne  nie  pas....   Qjand  tu  es  allé  boire  avec   quatre 


164  HISTOIRE     d'un     hôtel    DE    VILLE 


bourgeois.^    après   que   nous  sommes  sortis  de  Thôtel  de 
ville,  ceux-ci  t'ont  remis  une  somme  pour  nous  livrer? 

—  Cest  faux. 

—  Qu'on  le  mette  tout  nu.  » 

L'ordre  fut  aussitôt  exécuté  et,  des  chausses  de  frère 
Robert,  on  tira  une  vingtaine  d'écus  d'or. 
«  Ces  écus  sont  à  moi,  c'est  mon  avoir. 

—  Nous  te  ferons  bien  parler  vrai,  «  dit  Tinterroga- 
teur  ;  et,  sur  son  ordre,  les  pieds  du  malheureux  furent  ap- 
prochés d'un  des  brasiers. 

Alors,  en  poussant  des  cris  affreux,  frère  Robert  avoua 
tout  ce  qu'on  voulut  : 

Comme  quoi,  voyant  que  les  choses  traînaient  en  lon- 
gueur et  que,  le  peuple  de  Clusy  ne  jouant  pas  franc  jeu 
contre  les  notables,  on  arriverait  à  un  arrangement,  il 
avait  voulu  au  moins  tirer  quelque  profit  de  Péchauffourée-, 
que,  pour  se  débarrasser  de  ses  complices,  ils  les  avait  menés 
au  point  de  la  ville  où  ils  devaient  trouver  des  bourgeois 
armés.... 

Chaque  fois  que  le  misérable  essayait  de  revenir  sur  ses 
aveux  ou  d'atténuer  sa  trahison,  ses  pieds  étaient  posés  sur 
les  charbons. 

Alors,  il  confessait  tous  les  méfaits  qu'on  lui  imputait. 

Quand  l'interrogatoire  fut  terminé,  la  sentence  fut  pro- 
noncée par  le  même  bandit,  et  quelques  secondes  après,  le 
corps  de  frère  Robert  se  balançait  au  bout  d'une  grosse 
branche  d'un  hêtre. 

Pendant  que  la  troupe  des  ribauds,  vagabonds,  truands 
et  pauvres  hères  employait  ainsi  son  temps  dans  la  forêt, 
on  était  en  grand  émoi  dans  la  ville  de  Clusy.  L'hôtel 
de  ville  était  détruit  par  le  feu ^  toutefois,  le  trésor  et  les 
archives,  enfermés  dans  l'étage  voûté  de  la  tour  sous  le 


ET     d'uNI::    CATHIÎDRALE.  lC)5 


bciVroi,  avaient  été  préservés;  deux  riches   hôtels  étaient 
pillés,  on  ne  savait  trop  par  qui,  avec  meurtres. 

Il  n'y  avait  plus  de  magistrature,  les  eschevins  et  le  maire 
ayant,  dès  Taube,  quitté  la  ville.  Uévcché  demeurait  fermé 
et  le  prévôt  royal  ne  donnait  signe  de  vie. 

Qa\altait-il  advenir?  Chacun  se  faisait,  au  matin,  cette 
question. 

Les  bourgeois  toutefois,  se  donnèrent  rendez-vous  à 
rheure  de  midi,  dans  la  cathédrale,  pour  aviser.  Les  cha- 
noines en  laissèrent  les  portes  ouvertes,  mais  à  toutes  les 
questions  ne  répondirent  autre  chose,  sinon  qu'on  atten- 
dait révéque. 

L'assemblée  nomma  à  la  hâte  un  maire,  des  eschevins 
et  jurés,  et  vers  le  soir,  le  prélat  entra  dans  la  ville.  Les 
nouveaux  élus  le  reçurent  avec  de  grandes  marques  de  res- 
pect, lui  déclarant  que  la  ville  se  mettait  sous  sa  protection, 
comme  étant  le  gardien  naturel  de  ses  franchises,  et  que 
tous  les  excès  de  la  veille  avaient  été  provoqués  par  le  maire 
étranger,  imposé  par  le  roi,  par  les  eschevins  qui  lui  étaient 
entièrement  dévoués  et  par  des  gens  sans  aveu,  poussés 
par  eux. 

L'évêque  écouta  froidement  les  dires  des  délégués  des 
bourgeois,  mais  leur  déclara  que  les  élections  auxquelles 
ils  avaient  procédé  dans  la  journée  étaient  nulles,  comme 
ayant  été  faites  contrairement  à  toutes  les  formes,  et  que, 
s'ils  voulaient  obtenir  sa  protection,  il  fallait  d'abord  qu'ils 
remissent  entre  les  mains  de  ses  offîciaux  les  plus  compro- 
mis d'entr'eux,  afin  qu'il  pût  faire  juger  le  cas. 

Fort  mécontents,  les  délégués  rapportèrent  à  l'assemblée 
les  paroles  de  l'évêque.  Il  était  évident  que  les  élections 
faites  le  matin,  du  moment  qu'elles  n'étaient  pas  agréées 
par  l'évêque,  n'avaient  aucune  valeur.  Une  délégation  en- 


i66  HISTOIRE   d'un    hôtel   de  ville 

voyée  au  prévôt  ne  reçut  que  des  réponses  évasives.  Ce 
personnage,  déclara  qu'il  avait  informé  le  conseil  du  roi 
des  événements  de  la  veille  et  qu'il  attendait  des  ordres. 

Depuis  quinze  Jours,  Tanarchie  régnait  dans  la  ville  de 
Clusy.  Il  iiY  avait  plus  de  police,  les  bourgeois  osaient  à 
peine  sortir  de  leurs  maisons.  Des  bandes  de  malandrins 
parcouraient  la  banlieue  et  venaient  piller  jusque  dans 
les  faubourgs,  lorsque  Tarrivée  des  troupes  du  roi  fut  an- 
noncée. 

Louis  X  se  présentait  en  personne  à  la  tête  de  deux  mille 
hommes  d'armes,  le  5  juin,  devant  les  portes  de  la  ville. 
L'évêque  s'empressa  de  se  rendre  près  de  lui,  et  lui  de- 
manda aussitôt,  comme  à  son  seigneur,  ce  qu'il  convenait 
de  faire,  car  il  comptait  bien  jouer  en  celte  circonstance  le 
rôle  d'arbitre. 

«  J'aviserai,  répondit  le  roi  -,  et  j'aurai  soin  de  faire 
bonne  et  prompte  justice. 

—  Mais,  reprit  le  prélat,  vous  n'ignorez  pas,  très-cher  et 
honoré  sire,  que  c'est  moi  qui  ai  dans  la  ville  haute  justice.  » 

Le  roi  ne  répondit  rien,  mais  se  dirigea  vers  la  cathé- 
drale où  furent  convoqués  les  bourgeois. 

Les  parents  de  ceux  qui  avaient  été  tués  ou  blessés  pen- 
dant l'émeute,  se  jetèrent  à  ses  pieds  en  réclamant  justice. 

Un  conseil  fut  composé,  comprenant  le  maire  et  les  an- 
ciens eschevins,  auxquels  furent  adjoints  des  conseillers  du 
roi.  Une  information  fut  commencée  et  poursuivie  cinq 
jours  durant,  à  la  suite  de  laquelle  douze  cents  habitants 
furent  exilés,  comme  ayant  participé  au  tumulte,  malgré  les 
protestations  de  Tévêque  qui  revendiquait  le  jugement  des 
coupables,  conformément  aux  privilèges  appartenant  à  son 
siège.  Il  demanda  que  les  bannis  lui  fussent  remis,  comme 
étant  jugés  illégalement. 


ET    d'une    CATHKDRALE.  167 

Mais  le  roi  ne  tint  compte  de  sa  requête  et,  avant  de  quit- 
ter la  ville,  réclama  de  Tévêché  cent  livres  pour  son  droit 
de  gîte,  ce  qui  irrita  profondément  le  prélat. 

Nous  ne  saurions  dire  si  la  somme  fut  payée. 

La  commune  de  Clusy  était  dans  une  situation  désas- 
treuse. Endettée,  sa  maison  de  ville  brûlée,  une  partie  des 
bourgeois  et  gens  de  métier  exilés,  n'ayant  plus  de  crédit,  et, 
devant  elle,  des  charges  énormes,  elle  ne  pouvait  plus  s'ad- 
ministrer. 

A  la  suite  d'une  réunion  des  notables,  il  fut  décidé  qu'on 
proposerait  au  roi  de  lui  vendre  l'abolition  de  la  commune 
et  de  se  soumettre  au  régime  prévôtal,  à  la  condition  que 
la  dette  municipale  tomberait  à  la  charge  de  la  cou- 
ronne. 

Après  quelques  pourparlers  et  de  bonnes  sommes  ver- 
sées par  les  plus  riches  d'entre  les  bourgeois  entre  les  mains 
des  officiers  du  roi,  cette  proposition  fut  agréée  et  un  traité 
conclu  le  i'''"  juillet  i3i5  à  Clusy,  scellé  du  sceau  ro3^al  et 
ainsi  libellé  : 

«  Louis,  par  la  grâce  de  Dieu,  etc.,  faisons  savoir  à 
tous  présents  et  à  venir,  que  Nous,  ayant  reçu  de  la  com- 
mune de  Clus}^,  supplication  des  bourgeois  et  habitants 
d'icelle,  pour  certaines  causes  tendantes  aux  fins  qu'ils  tus- 
sent ci-après  gouvernés  à  perpétuité  en  prévôté,  en  Notre 
nom,  par  un  prévôt  que  Nous  y  établirons  désormais  sans 
qu'ils  aient  maires  ni  jurés  en  commune;  Nous,  à  la  sup- 
plication des  dits  habitants,  la  commune  avec  les  juridictions, 
droitures  et  émoluments,  avons  reçu  et  recevons  par  la  te- 
neur de  ces  présentes  lettres  et  gouvernerons  en  Notre  nom, 
dorénavant,  par  un  prévôt  que  Nous  y  députerons^  et  vou- 
lons que  le  prévôt  qui,  de  par  Nous,  sera  député  en  la  ville, 
pour  la  gouverner  en  Notre  nom,  gouverne  en  prévôté  les 


i68 


HISTOIRE     D    UN     HOTEL     DE    VILLE 


habitants,  selon  leurs  lois  et  coutumes,  avec  les  libertés  et 
franchises  qu'ils  avaient  au  temps  qu'ils  étaient  gouvernés 
en  commune,  excepté  que  dorénavant  majeurs  ni  jurés  n'y 
seront  mis  ni  établis,  que  les  habitants  n'auront  ri  sceau, 
ni  bannière,  ni  beffroi  municipal ,  ni  assemblées  publi- 
ques.... » 

En  quittant  de  nouveau  la  ville,  le  roi  voulut  bien  accep- 
ter des  habitants  un  don  de  quatre  cents  livres. 


ET     DUNE    CATHÉDRALE.  169 


CHAPITRE   IX 


RÉTABLISSEMENT   DE    LA    COMMUNE   DE    CLUSY. 


La  ville  de  Clusy  eut  grand'peine  à  se  relever  de  Tétat 
dans  lequel  nous  Pavons  vue  tomber;  car  les  impôts 
n'étaient  pas  moins  lourds  sous  Tadministration  prévôtale 
que  sous  celle  des  eschevins.  Loin  de  là,  ils  avaient  été 
augmentés  afin  de  payer  Tintérêt  et  Tamortissement  de  la 
dette  mise  cà  la  charge  du  trésor  royal,  lequel  d'ailleurs 
avait  confisqué  et  vendu  aux  enchères  le  bien  des  exilés 
pour  se  couvrir  d'une  partie  de  cette  dette,  sans  que  le  pro- 
duit de  cette  vente  eut  été  porté  en  déduction  des  emprunts 
contractés  par  la  commune. 

L'évêque  préférait  de  beaucoup  le  régime  de  la  commune 
à  celui  de  la  prévôté  -,  car  de  Tadministration  municipale 
révêché  tirait  certains  avantages  sous  forme  de  redevan- 
ces féodales,  que  le  prévôt  royal  contestait  sans  cesse 
quand  il  ne  refusait  pas  absolument  de  les  reconnaître.  Il 
fallait  alors  recourir  au  parlement,  et  cette  juridiction 
lente  penchait  toujours  en  faveur  du  pouvoir  royal. 

Cependant  les  habitants  de  Clusy  étaient  industrieux, 


170  HISTOIRE     D    UN     HOTEL     DE     VILLE 

travailleurs  et  cconomcs.  La  fabrication  des  étoflcs  de 
laine  et  notamment  des  serges,  prenait  chaque  jour  un 
plus  grand  développement  dans  la  cité,  et  alors  ces  tissus 
étaient  fort  prisés  dans  toutes  les  classes. 

Malgré  les  impôts  dont  ils  étaient  accablés,  les  Clusianois 
\oyaient  peu  à  peu  leurs  biens  s'accroître  et  avec  les  biens 
le  désir  de  recouvrer  leur  indépendance  et  leurs  anciennes 
libertés  municipales-,  en  effet,  Tamour  de  la  liberté  naît  du 
travail  et  de  la  richesse,  fruit  de  l'épargne. 

Les  vieillards  ne  pouvaient  passer  sur  la  place  du  Mar- 
ché sans  jeter  un  regard  plein  d'amertume  sur  les  ruines 
"de  leur  vieille  maison  de  ville,  abandonnée  depuis  Tincendie 
de  i3i5.  Car  les  bâtiments  avaient   été  laissés  à  peu  près 
tels  qu'ils  étaient  le  lendemain  du  sinistre. 

Le  beffroi  découpait  sa  noire  silhouette  calcinée  sur  le 
ciel  -,  la  grande  salle  du  douzième  siècle,  effondrée,  avait 
été  déblayée  et  servait  de  marché  aux  volailles  -,  laile 
gauche,  recouverte  provisoirement,  servait  de  magasin,  et 
celle  de  droite,  seule  intacte  avec  le  grand  perron  et  sa 
loge,  était  à  la  disposition  du  prévôt.  Le  trésor,  placé 
dans  la  tour  sous  le  beiîroi,  contenait  les  archives  que  per- 
sonne ne  consultait,  puisque  le  passé  de  la  commune  était 
effacé;  quant  aux  prisons,  le  prévôt  les  utilisait  au  besoin, 
mais  les  entrées  du  p2rron,  murées  jusqu'à  la  hauteur 
d'une  toise,  ne  permettaient  plus  l'accès  à  la  loge,  aban- 
donnée aux  hirondelles. 

•  Malgré  Tordonnance  royale  du  i"""  juillet  i3i5,  les 
bourgeois  n'avaient  pas  entièrement  perdu  l'habitude  de  se 
réunir  dans  la  cathédrale. 

L'évêque  encourageait  volontiers  ces  réunions,  dans  l'es- 
poir de  voir  renaître  les  jours  où  les  habitants  de  Clusy  consi- 
déraient réglise  épiscopale  comme  le  palladium  de  la  cité. 


ET     d'une    CATIIKDRALE.  I?! 


Les  prévôts  ne  se  montraient  très-vigilants  que  lorsqu  il 
s'agissait  de  faire  rentrer  les  impôts,  mais  se  souciaient 
médiocrement  de  Pédilité,  de  la  police  et  de  la  gestion  des 
biens  communaux. 

La  nuit,  les  rues  de  la  ville,  malgré  la  milice,  notaient 
pas  sûres-,  les  maisons  mal  famées,  chaque  jour  plus  nom- 
breuses, étaient  Poccasion  de  rixes  et  de  scandales.  Les 
règlements  de  voirie,  mal  observés  ou  éludés,  moyennant 
finance,  donnaient  lieu  à  des  réclamations  continuelles. 

Et  au  total,  plus  la  ville  s'enrichissait  par  le  travail, 
plus  elle  présentait  l'aspect  de  l'abandon,  de  l'incurie  et  de 

la  misère. 

Ces  choses  touchaient  les  habitants  qui  aimaient  leur 
cité,  d'autant  qu'ils  pouvaient  établir  une  comparaison  entre 
cet  état  et  celui  que  présentaient  certaines  villes  voisines 
qui  avaient  conservé  leurs  institutions  communales. 

L'évêque,  profitant  du  peu  de  soin  que  prenait  le  pré- 
vôt de  l'administration  de  la  ville,  commençait  à  empiéter 
sur  la  juridiction  royale.  Ses  officiaux  attiraient  les  procès 
devant  la  cour  du  prélat  ;  ils  interdisaient  aux  gens  de  la 
prévôté  d'arrêter  les  clercs  pour  quelque  cause  que  ce 
fût.  En  même  temps,  à  l'aide  des  notaires  ecclésiastiques 
nommés  en  face  des  officiers  royaux,  les  testaments,  les 
successions  passaient  par  les  mains  du  clergé  en  y  laissant 
de  grosses  parts,  sous  forme  de  droits  de  mutations. 

En  décembre  1329,  le  roi  Philippe  convoqua  cinq 
archevêques  et  quinze  évêques  pour  essayer  de  mettre  un 
terme  à  ces  empiétements-  en  effet,  sur  le  réquisitoire  de 
l'avocat  général  au  parlement,  Pierre  de  Cugnières,  le 
conseil  du  roi  opina  pour  que  le  spirituel  fût  séparé  du 
temporel,  et  une  année  fut  donnée  aux  prélats  pour  remé- 
dier aux  abus.  Les  droits  des  populations,  toutefois,  ne 


172  HISTOIRE    D    UN     HOTEL     DE     VILLE 

furent  guère  protégés  à  la  suite  de  cette  assemblée  ;  mais  il 
fut  défendu  aux  évêques  de  mettre  en  interdit  aucune  par- 
tie du  domaine  royal,  et  le  roi  maintint  le  plein  exercice 
du  droit  de  régale,  c'est-à-dire  de  battre  monnaie  et  de 
pourvoir  à  tous  les  bénéfices  d'un  diocèse  pendant  la  va- 
cance du  siège  et  d'en  économiser  à  son  gré  les  revenus. 

Dans  cette  assemblée  également,  fut  établi  le  principe  de 
l'appel  comme  d'abus^  c'est-à-dire  l'appel  interjeté  d'une 
sentence  d  un  évêque  auprès  du  parlement^  mesure  ineffi- 
cace s'il  en  fut. 

L'évêque  de  Clusy,  cependant,  se  fit  auprès  du  roi  l'in- 
terprète des  plaintes  des  bourgeois  de  sa  ville  épiscopale, 
croyant  trouver  un  avantage  au  rétablissement  du  régime 
communal,  pendant  que  son  collègue  Albert  de  Roye 
sollicitait  l'abrogation  de  celle  de  Laon  et  l'obtint,  moyen- 
nant une  forte  somme  d'argent. 

Ces  plaintes  se  résumaient  ainsi  :  «  Depuis  qu'il  n'y  a 
plus  de  corps  de  ville  à  Clusy,  personne  ne  prend  soin  des 
affaires  publiques,  toutes  choses  vont  s'empirant  par  la  né- 
gligence des  agents  du  prévôt,  et  la  perte  totale  du  revenu 
ainsi  que  des  édifices  municipaux  est  imminente^  la  police 
est  mal  faite,  les  milices  sont  découragées  et  font  leur 
service  très-incomplétement,  etc » 

Le  roi  écouta  ces  doléances,  voulut  bien  recevoir  une 
députation  des  notables  bourgeois,  mais  ne  consentit  pas 
au  rétablissement  de  la  commune  telle  qu'elle  existait 
vingt  ans  auparavant. 

Il  maintint  dans  la  ville  de  Clusy  le  gouvernement  en 
son  nom  et  l'office  de  prévôt  royal,  mais  il  permit  aux 
bourgeois  d'élire  chaque  année  six  d'entre  eux  qui,  sous  le 
titre  d'eschevins,  assisteraient  le  prévôt  dans  ses  fonctions 
de  magistrat  et  prendraient  soin  des  affaires  municipales, 


ET     d'une     CATHIÎDRAI-E.  1^5 

touchant  la  levée  des  impôts,  rédilltc  et  Torganisatioii  de 
la  milice  locale. 

Il  fallut  bien  se  contenter  de  ces  concessions  incom- 
plètes qui,  si  elles  satisfaisaient  pleinement  la  haute  bour- 
geoisie, ne  donnaient  point  à  Tévcque  les  avantages  qu'il 
espérait,  et  les  choses  furent  mises  sur  un  meilleur  pied 
dans  la  ville  de  Clusy.  On  songea  au  rétablissement  des 
bâtiments  de  Thôtel  de  ville;  mais  peu  après,  les  mal- 
heurs qui  affligèrent  le  royaume  et  l'étendue  des  subsides 
qu'il  fallut  payer  pour  subvenir  aux  dépenses  de  la  guerre 
contre  les  Anglais,  puis  les  courses  des  grandes  compa- 
gnies qui  désolaient  le  plat  pays  et  menaçaient  même  les 
villes,  puis  Tinsurrection  des  Jacques,  puis  les  courses 
du  roi  de  Navarre  et  des  Anglais,  puis  la  rançon  du  roi 
Jean,  empêchèrent  les  Glusianois  de  mettre  la  main  à 
Toeuvrc. 

Ce  ne  fut  qu'en  iSyS  qu2  Ton  put  s'occuper  de  cette 
affaire  qui  tenait  fort  à  cœur  aux  bourgeois. 

A  plusieurs  reprises,  des  sommes  avaient  été  réunies 
pour  commencer  les  travaux,  mais  elles  avaient  été  absor- 
bées pour  satisfaire  à  des  besoins  plus  pressants  et  notam- 
ment à  la  réparation  des  murailles  de  la  ville  et  aux  levées 
des  milices  aussi  bien  qu'à  leur  équipement,  pour  pour- 
voir aux  besoins  du  royaume,  sans  grand  profit,  comme 
on  sait,  toutes  les  ressources  fournies  par  les  villes  s'en 
allant  en  fumée,  sans  que  la  chose  publique  fut  en  meil- 
leur état. 

Mais  alors,  de  sages  ordonnances  du  roi  Charles  cin- 
quième, rendaient  confiance  aux  villes  et  aux  campagnes. 
Le  droit  de  prise,  qui  n'était  autre  que  la  réquisition  arbi- 
traire exercée  au  nom  du  roi  par  tous  les  gens  de  cour, 
fut  aboli,  ce  qui  soulagea  fort  le  pauvre  monde  et  permit 


174  HISTOIRE     D    UX     HOTEL    DE     VILLE 

à  nombre  de  gens  éloignés  de  leurs  biens  pour  se  sous- 
traire à  ce  pillage ,  de  revenir  et  de  les  faire  valoir. 

A  la  suite  de  la  belle  conduite  des  gens  de  Clusy  lors  du 
soulèvement  des  Jacques,  le  roi  avait  accordé  aux  bourgeois 
des  sauvegardes  comme  aux  hommes  de  ses  domaines, 
sauvegardes  qui  leur  permettaient  de  circuler  et  de  com- 
mercer librement. 

En  iSyi,  le  roi  avait  renouvelé  d'anciens  édits  qui 
défendaient  à  tous  clercs,  nobles,  avocats,  sergents  d'ar- 
mes, etc.,  de  prendre  à  ferme  les  prévôtés  ou  autres  charges 
touchant  les  marchés  et  péages.  Il  avait  astreint  à  la  taille 
et  à  tous  les  impôts  personnels,  pour  biens  non  nobles, 
ks  nobles,  les  clercs  et  autres  privilégiés. 

Mais  les  villes  soumises  aux  Anglais,  qui  rentraient 
sous  l'autorité  royale,  étaient  exemptes  d'impôts,  et  les 
charges  incombaient  d'autant  plus  lourdement  à  celles 
qui  étaient  restées  fidèles  ou  qui  avaient  pu  résister  à  l'in- 
vasion. 

Aussi  fallut-il  encore  augmenter  ces  impôts,  transfor- 
mer les  aides  extraordinaires  en  aides  permanentes  et 
substituer  aux  collecteurs  élus  par  les  communes  des  col- 
lecteurs et  répartiteurs  choisis  parmi  les  élus  royaux  •,  ce 
qui-  bientôt  conduisit  à  l'affermage  des  tailles  et  aides  et 
fut  une  source  de  déplorables  abus. 

Mais  la  monnaie  demeurait  stable,  ce  qui  était  un  grand 
point,  et  les  villes  dépendant  du  domaine  royal  étaient  rela- 
tivement prospères,  après  les  désastres  qui  accablèrent  le 
royaume  pendant  vingt  ans.  On  sortait  d'une  crise  terri- 
ble-, le  commerce,  l'industrie,  l'agriculture  ne  demandaient 
qu'à  se  développer  sous  l'influence  d'un  gouvernement 
régulier  et  d'une  autorité  respectée,  après  ces  années 
d'anarchie  effroyable. 


ET   d'une    cathédrale.  lyB 

La  ville  de  Clus}^,  pendant  cette  dernière  période 
désastreuse,  avait  eu  le  bonheur  de  posséder,  comme' 
prévôt,  un  homme  sage,  intègre  et  qui  savait  défendre  les 
intérêts  de  la  cité.  Il  était  aimé  du  peuple  et  respecté  des 
notables  bourgeois,  à  cause  de  son  équité. 

Ce  fut  lui  qui  le  premier  engagea  les  habitants  de  Clusy 
à  rebâtir  leur  vieil  hôtel  de  ville  ruiné-,  il  obtint  même 
du  roi,  pour  les  y  aider,  une  somme  à  prendre  sur  la 
gabelle. 

Un  architecte  fut  donc  appelé  à  Clusy  afin  d'examiner 
les  moyens  d'utiliser  les  anciens  bâtiments  et  de  les  com- 
pléter en  raison  des  besoins  de  la  ville. 

Ce  maître  des  oeuvres  se  nommait  Raymond,  natif  de 
Paris;  il  avait,  dans  cette  ville,  élevé  ou  réparé  des  hôtels 
de  nobles  et  de  riches  bourgeois  depuis  la  rentrée  du  roi,  et 
était  fort  expert. 

Il  fut  fort  bien  reçu  à  Clusy  par  le  prévôt  et  les  eschevins 
et  alla  tout  d'abord  visiter  les  vieux  bâtiments,  é-coutant 
les  observations  qui  lui  étaient  faites.  Comme  il  a  été  dit 
plus  haut,  le  perron  n'avait  pas  grandement  souflert;  la 
tour  du  beffroi,  ruinée  dans  sa  partie  supérieure  par  l'in- 
cendie, conservait  intacts  les  étages  bas  et  la  salle  des 
archives;  l'aile  de  gauche  n'avait  pas  souffert  de  dommages 
sérieux*,  la  toiture  ancienne  de  l'aile  de  droite,  brûlée,  mais 
remplacée  provisoirement,  préservait  les  voûtes  de  la  salle 
du  premier  étage.  Cette  aile  pouvait  être  facilement 
réparée.  Quant  à  la  grande  salle,  il  n'en  restait  que  les 
murs  calcinés,  les  voûtes  basses  s'étant  effondrées  sous 
la  chute  de  la  grande  charpente. 

Le  prévôt  et  les  eschevins  auraient  voulu  qu'on  rebâtît 
cette  salle  dont  l'étendue  était  médiocre,  mais  cependant 
ils  demandaient  plus  d'espace  pour  les  services  de  la  cité 


IjS  HISTOIRE    d'un    hôtel     DE    VILLE 

et  un  grand  magasin  propre  à  contenir  les  armes  des 
milices. 

Provisoirement,  ces  armes  étaient  déposics  dans  des 
maisons  situées  de  l'autre  côté  de  la  rue  Curiale  et  que  la 
ville  avait  acquises  à  cet  effet,  dans  des  conditions  avanta- 
geuses. 

Après  avoir  examiné  le  tout  sans  mot  dire,  Raymond 
demanda  quarante-huit  heures  pour  préparer  un  avant- 
projet  et  soumettre  ses  idées  aux  bourgeois. 

La  vue  des  localités  suggéra  au  maître  des  œuvres  Tidée 
de  convertir  remplacement  de  Tancienne  grande  salle  en 
une  cour,  ce  qui  donnerait  plus  d'air  et  de  lumière  aux 
bâtiments  des  ailes,  d'élever  des  deux  côtés  de  cette  cour 
des  portiques  donnant  accès  à  un  escalier  intérieur  et  de 
bâtir  la  grande  salle  de  l'autre  côté  de  la  rue,  en  la  mettant 
en  communication  avec  cet  escalier  par  un  pont  jeté  sur 
cette  rue. 

En  conséquence,  il  dressa  le  plan*  (fig.  35). 

Le  rez-de-chaussée  du  grand  bâtiment  neuf  A  devait 
servir  de  dépôt  des  armes  de  la  ville  \  il  restait  derrière  ce 
bâtiment  une  cour  d'isolement  B. 

Au  premier  étage  s'élevait  la  grande  salle  mise  de 
plain  pied  en  communication  avec  le  grand  escalier  par 
un  pont  P.  Des  deux  côtés  du  portique  qui  se  retournait 
devant  l'escalier,  des  bâtiments  annexes  réclamés  par  les 
eschevins  couvraient  les  anciennes  rues  latérales,  ainsi 
supprimées  en  partie  et  réduites  à  l'état  de  cours. 

Il  faut  dire  que  les  maisons  donnant  sur  ces  rues  réser- 


I.  La  leinte  noire  indique  dans  ce  plan  les  constructions  anté- 
rieures conservées,  et  la  teinte  rouge,  les  constructions  projetées 
par  Raymond. 


nj5c. 


LE  GRAND   ESCALIER  DE    l'hOTEL   DE  VILLE,    FIN    DU   XIV'    SIÈCLE. 


'1 


LE    NOUVEAU    BEFFROI    DE    l'hOTEL    DE    VILLE. 


ET    D   UNE    CATHÉDRALE.  1 77 

vccs  au  service  de  rancicn  hôtel  de  ville,  n'avaient  point 
droit  de  vue  sur  ces  passages  fermés  habituellement. 

L'architecte  avait  joint  à  son  plan  une  coupe  sur  la  cour 
qui  montrait  la  disposition  des  portiques,  du  grand  escalier 
et  du  bâtiment  de  la  grande  salle  en  arrière  (fig.  36). 

Ces  dispositions  plurent  fort  au  prévôt  et  aux  eschevins; 
après  quelques  observations  de  détail,  Raymond  fut  invité 
à  rédiger  un  projet  de  devis  pour  être  soumis  à  Ten  quête - 
L'année  suivante,  en  avril  1 376,  on  jetait  les  fondements  des 
nouveaux  bâtiments. 

Toutefois  les  travaux  ne  furent  poursuivis  qu'avec  len- 
teur-, les  ressources  n'étaient  pas  étendues,  et  les  habitants 
de  Clusy,  surchargés  d'impôts,  ne  pouvaient  faire  de  grands 
sacrifices. 

Quant  à  emprunter,  il  n'y  fallait  pas  songer,  les  revenus 
de  la  commune  ne  le  permettant  pas  et  l'intérêt  de  l'argent 
étant  à  un  taux  exorbitant. 

On  restaura  toutefois  assez  rapidement  le  sommet  du 
beffroi,  car  les  Clusianois  tenaient  beaucoup  à  leur  tour,  et 
on  mit  en  bon  état  le  bâtiment  de  droite  ;  le  perron  fut  réou- 
vert et  réparé  ;  on  commença  les  portiques  et  les  bâtiments 
annexes,  ainsi  que  la  grande  salle. 

Nous  donnons  (fig.  37)  le  couronnement  neuf  du  beffroi. 

De  la  tour  du  douzième  siècle  on  ne  conserva  que  la 
partie  inférieure,  comprenant  le  rez-de-chaussée,  le  premier 
et  le  deuxième  étage;  toute  la  partie  supérieure  ayant 
été  calcinée  profondément  par  l'incendie  de  1 3 1 5  ne  pouvait 
être  maintenue. 

L'étage  contenant  les  cloches  fut  donc  construit  à  neuf 
en  belles  pierres  détaille.  Cet  étage  présentait  un  plan  octo- 
gonal avec  quatre  tourelles  ajourées  sur  quatre  des  faces, 
l'une   de  ces  tourelles  contenant    un  escalier,   des    baies 

23 


HISTOIR„    D    UN    HOTEL     DE     VILLE 


jumelles  s'ouvrirent  sur  les  quatre  autres  faces.  Au-dessus 
de  cet  étage  du  beffroi  était  un  chemin  dî  ronde  avec  ouver- 
tures en  façon  de  carniaux  pour  les  guetteurs.  Cet  étage  fut 
surmonté  d'une  charpente  couverte  d'ardoises  avec  échau- 
guettes  sur  les  huit  faces,  garnies  de  plomb. 

Ces  échauguettes  étaient  à  Pusage  des  guetteurs,  lorsqu'il 
sVgissait  de  découvrir  d'un  niveau  plus  élevé  tous  les 
points  de  l'horizon,  en  cas  d'incendie,  de  tumulte  ou  de 
mouvements  de  troupes. 

Alors  seulement,  les  armes  de  la  ville  de  Clusy,  qui 
avaient  été  figurées  de  diverses  manières,  furent  définitive- 
ment blasonnées  et  octroyées  par  lettres  royales.  Elles  por- 
taient :  de  gueules  p.  la  porte  d'argent,  maçonnée  de  sable, 
hersée  d'or,  surmontée  d'une  corneille  volante  de  sable 
au  chef  cousu  de  France  ancien,  comme  bonne  ville,  avec 
cette  devise,  se  rapportant  à  la  corneille  :  «  Avuls^  plum^ 
REViviscuxT^  »  et  ainsi  furent-elles  peintes  et  sculptées  sous 
la  loge  et  dans  la  salle  des  esche  vins  (voyez  le  frontispice), 
gravées  sur  le  sceau  de  la  ville  et  brodées  sur  sa  ban- 
nière. 

Mais  en  i38o,  le  roi  Charles  cinquième  était  mort  et  une 
nouvelle  ère  désastreuse  allait  commencer  pour  le  ro3-aume. 

En  Tannée  i38i,  les  sires  des  Fleurs-de-Lys,  —  ainsi 
appelait-on  les  frères  du  roi  défunt,  auxquels  fut  remis  le 
gouvernement  du  royaume  pendant  la  minorité  de  Charles 
sixième,  —  se  partagèrent  le  trésor  de  Charles  V,  qui  était 
considérable,  et  voulurent  bientôt  augmenter  encore  les  im- 
pôts qui  écrasaient  les  villes  et  les  campagnes.  Le  soulève- 
ment fut  général  et  s'étendit  des  Flandres  jusque  dans  le 
domaine  royal.  Gand  se  mit  en  insurrection.  Le  peuple  de 
Paris  s'armait,  décidé  à  résister  par  la  force  à  toute  de- 
mande de  subsides,  et  menaçait  les  percepteurs.  Les  bour- 


ET'  D   UNE    CATHEDRALE.  I  7O 


geois  de  Rouen  avaient  du  être  désarmés,  après  un  gouver- 
nement populaire  qui  dura  quatre  mois  et  fut  noyé  dans  le 


sans 


Mais  les  Gantois  se  soutenaient  vaillamment  contre  la 
noblesse,  correspondaient  avec  les  communes  de  France, 
ce  qui  encourageait  fort  celles-ci  dans  leur  résistance. 

A  Glusy,  un  droit  nouveau  ayant  été  établi  par  les 
régents  du  royaume  sur  les  boissons  et  les  serges,  les  habi- 
tants refusèrent  absolument  de  le  payer,  tuèrent  les  percep- 
teurs, s'armèrent,  nommèrent  des  dizainiers  et  quartiniers, 
chassèrent  le  nouveau  prévôt  ro3ral  envoyé  dans  la  ville 
depuis  la  mort  de  Charles  V,  tendirent  des  chaînes  dans  les 
rues,  élurent,  dans  une  réunion  populaire,  un  maire  des 
jurés,  maltraitèrent  des  membres  du  chapitre,  lesquels  s'en- 
fuirent de  la  ville  ainsi  que  Tévêque. 

Le  mair^  élu  était  un  marchand  fort  aimé  du  peuple,  car 
il  savait  flatter  la  multitude  et  s'était  élevé  à  plusieurs 
reprises  contre  les  administrateurs  de  la  ville,  riches  bour- 
geois qui  ne  savaient  résister  aux  exigences  des  agents 
royaux  et  aux  prétentions  de  Tévêque  et  finissaient  toujours 
par  voter  les  subsides  demandés. 

On  l'appelait  maître  Cornil.  C'était  un  homme  de  petite 
taille,  gros,  à  l'œil  noir  et  vif,  au  front  large  et  chauve,  en 
tout  temps  perlé  de  sueur,  toujours  en  mouvement,  parlant 
avec  facilité,  ambitieux,. et  au  total  actif,  énergique  et  intel- 
ligent. Il  détestait  la  haute  bourgeoisie  à  Tégal  das  nobles  et 
on  le  craignait  à  cause  de  l'influence  qu'il  avait  su  prendre 
sur  le  populaire. 

Sitôt  entré  en  fonctions,  entouré  des  jurés  dévoués  à  sa 
cause,  il  promulgua  les  arrêtés  suivants  par  la  ville  : 

«  Tout  habitant  qui  attentera  à  la  vie  d'un  autre  habitant 
de  Clusy  et  de  sa  banlieue,  perdra  la  tête.  Tout  citoyen  qui 


\So  HISTOIRE     d'u\     hôtel    DE     VILLE 

proposera  la  paix  avec  les  nobles,  perdra  la  t3te.  Toutes  les 
querelles,  rixes,  blasphèmes,  Jeux  de  hasard,  tumultes, 
seront  punis  de  quarante  jours  de  cachot  au  pain  et  à  Teau. 
—  Le  pauvre  comme  le  riche  aura  accès  et  voix  délibéra - 
tive  dans  l'assemblée  du  peuple.  —  Il  sera  rendu  compte 
chaque  mois  de  Tadministration  des  deniers  de  la  commune 
en  assemblée.   » 

Maître  Cornil  changea  les  doyens  des  métiers  et  organisa 
la  défense  de  la  ville. 

Il  nomma  par  quartier  des  capitaines  qui,  à  tour  de  rôle, 
devaient  garder  les  portes. 

Il  fit  fouiller  les  maisons  pour  recueillir  les  armes  et  les 
harnais  de  guerre,  qui  furent  déposés  à  l'hôtel  de  ville 
comme  réserve. 

11  s'assura  que  tous  les  habitants  faisant  partie  de  la 
milice  étaient  armés  d'arcs,  d'arbalètes,  de  piques,  de 
vouges,  de  plommées  ou  de  fléaux. 

Il  fit  placer  sur  les  murailles,  dans  le  voisinage  des  portes, 
quelques  ribaudequins  que  possédait  la  ville,  fit  fabriquer 
de  la  poudre,  des  flèches  et  des  carreaux. 

On  le  rencontrait  partout,  Jour  et  nuit.  Cependant,  plu- 
sieurs d'entre  les  plus  riches  bourgeois  et  les  eschevins  dé- 
possédés ne  voyaient  pas  sans  grande  appréhension  ces 
façons  de  faire  et  essayaient  de  persuader  aux  notables  que 
la  ville  de  Clusy  marchait  ainsi  infailliblement  à  sa  ruine; 
que  le  conseil  du  roi,  lorsqu'il  en  aurait  fini  avec  de  plus 
grosses  affaires,  ne  manquerait  pas  de  rétablir  le  pouvoir 
royal  dans  la  cité,  laquelle  ne  pouvait  espérer  résister  à 
toute  la  gendarmerie  de  la  noblesse  liguée,  et  qu'alors  il 
fallait  s'attendre  aux  plus  cruelles  représailles,  ainsi  qu'il 
était  advenu  à  la  bonne  ville  de  Rouen,  bien  autrement  puis- 
sante et  forte. 


ET     d'une     cathédrale.  i8I 


D'autre  part,  le  conseil  du  roi,  vo\ant  le  soulèvement  des 
villes  se  prononcer  de  tous  cotés,  n'était  pas  sans  de  grandes 
inquiétudes  sur  Tissue  de  ces  affaires.  Chaque  jour,  on 
signalait  Tinsurrection  d'une  commune. 

Il  était  impossible  aux  princes  de  séjournera  Paris,  après 
la  paix  plâtrée  faite  avec  les  maillotins;  Reims,  Sens 
avaient  fermé  leurs  portes  aux  troupes  royales  et  chassé 
leurs  prévôts.  Partout  le  clergé  et  les  religieux  étaient 
rançonnés  par  les  bourgeois  et,  dans  les  campagnes,  les 
paysans  se  soulevaient  pour  recommencer  la  jacquerie 
contre  les  châteaux,  manoirs  et  abbayes. 

La  noblesse  de  France  ne  pouvait  ignorer  que  la  tète  de 
cette  révolte  était  à  Gand.  Van  Artevelde,  assiégé  dans  cett2 
ville,  était  sorti,  le  i"  mai  i382,  à  la  tête  d'une  troupe  des 
plus  braves  citoyens;  le  lendemain,  il  battait  l'armée  du 
comte  Louis  sous  les  murs  de  Bruges,  s'emparait  de  cette 
ville,  et  bientôt  il  fut  en  possession  de  presque  toute  la 
Flandre.  C'est  alors  que  ce  Van  Artevelde  établit  une  corres- 
pondance avec  les  villes  de  France  et  les  encouragea  ainsi 
à  la  résistance  contre  la  noblesse. 

Le  péril  était  donc  imminent  pour  la  cour  de  France.  Il 
fallait  vaincre  ce  soulèvement  là  où  était  son  foyer  princi- 
pal, et  en  attendant  l'issue,  ménager  les  villes  douteuses, 
essayer  de  ramener,  par  des  promesses  de  concessions,  les 
communes  insurgées.  A  cet  effet,  des  ouvertures  furent 
faites  aux  gens  de  Clusy  et  des  sauf-conduits  furent  donnés 
à  six  bourgeois  notables  pour  qu'ils  pussent  traiter  des  con- 
ditions de  la  paix  avec  les  princes  qui  se  préparaient  à 
passer  en  Flandre  avec  le  Jeune  roi. 

Maître  Cornil,  ayant  assemblé  le  peuple  sur  la  place, 
parla  ainsi,  du  haut  du  perron  : 

«  Habitants  de  Clusy,  les  lions  ont  pear  des  loups  à  cette 


l82  HISTOIRE     D  UN     HOTEL     DE   VILLE 

heure  et  viennent  leur  offrir  la  paix....  Mais  est-ce  la  guerre 
que  nous  voulons,  est-ce  la  guerre  que  nous  faisons?  Non, 
nous  ne  demandons  rien,  nous  n'attaquons  personne,  nous 
voulons  nous  gouverner  nous-mêmes,  nous  voulons  manger 
le  fruit  de  notre  travail  entre  nous  et  empêcher  les  nobles 
de  le  manger.  Quelle  paix  nous  offre-t-on?  Que  veut-on 
de  nous  ?  Que  nous  nous  remettions  pieds  et  poings  liés 
dans  la  gueule  du  lion  pour  qu'il  nous  puisse  dévorer  à 
sa  volonté.  Voulez- vous  qu'il  en  soit  ainsi  ? 

—  Non  !  non  !  cria  la  foule. 

—  Eh  bien,  ce  n'est  donc  pas  à  nous  à  faire  des  proposi- 
tions. Résolus  à  défendre  nos  libertés,  nous  attendrons 
celles  qu'on  nous  fera.  Que  les  princes  et  les  nobles  nous 
laissent  tranquilles  chez  nous,  nous  n'irons  point  les  cher- 
cher dans  leurs  châteaux^  qu'ils  vivent  sur  leurs  biens  et 
nous  laissent  jouir  des  nôtres  sans  nous  en  demander  la 
moitié,  quand  ils  ne  prennent  pas  tout,  pour  s'ébattre  en 
leurs  fètCS,  tournois  et  guerres  sans  raison. 

«  Que  nos  députés,  si  c"est  là  votre  avis,  aillent  donc 
trouver  les  princes  et  leur  disent  ce  que  je  viens  de  vous 
dire. 

—  Oui,  c'est  cela  !  »  cria  de  nouveau  la  foule. 

Les  six  bourgeois,  munis  de  leurs  saufs-conduits,  se  diri- 
gèrent vers  Arras  à  grand'peine,  car  h  plat  pa3's  était  dé- 
vasté durement  par  les  troupes  que  rassemblaient  les  princes 
et  spécialement  par  les  Bretons,  conduits  par  le  connétable 
de  Clisson',  toutefois  ils  se  gardèrent  de  reproduire  devant  le 
conseil  du  roi  les  paroles  de  maître  Cornil;  outre  qu'ils  ne 
les  ci"oyaient  point  propres  à  faciliter  un  arrangement 
amiable,  ils  s'étaient  concertés  avec  les  notables  de  Clusy 
pour  tâcher  d'obtenir  les  conditions  les  moins  dures,  en 
promettant  obéissance  et  cessation  de  toute  sédition. 


ET     d'une     CATHliDRALE.  l83 


Il  fut  répondu  à  ces  bonnes  gens  que  le  roi  comptait  sur 
la  fidélité  de  ses  bourgeois  de  Clusy,  lesquels  s'étaient 
laissé  surprendre  par  quelques  hommes  sans  aveu  et  por- 
teurs de  troubles-,  que,  sur  l'avis  de  son  conseil,  il  oublie- 
rait les  révoltes  et  méfaits  derniers,  à  la  condition  qu'on  lui 
livrerait,  pour  en  faire  ce  que  bon  lui  semblerait,  cent  des 
habitants,  auteurs  principaux  de  la  révolte  et  désignés  par 
lui-,  que,  moyennant  ce,  quand  il  reviendrait,  après  avoir 
châtié,  comme  ils  le  méritaient,  ces  ribauds  Gantois,  il 
entrerait  dans  sa  bonne  ville  de  Clusy  sans  y  causer  nul 
dommage,  ni  exercer  nulle  vengeance  des  insultes  faites  à 
la  noblesse,  à  son  prévôt  et  à  l'évêque,  ainsi  qu'à  son 
clergé,  et  sans  demander  de  nouveaux  subsides.  D'ailleurs, 
les  six  notables  furent  bien  traités  et  il  leur  fut  donné  à 
chacun  des  cadeaux  pour  leurs  femmes. 

Ils  étaient  toutefois  fort  perplexes,  ces  six  notables,  et  ils 
ne  se  pressèrent  pas  de  rapporter  cette  réponse  aux  gens  de 
Clusy,  d'autant  qu'ils  espéraient,  en  raison  des  dispositions 
des  riches  bourgeois,  que  le  règne  de  maître  Cornil  ne 
serait  pas  de  longue  durée,  et  qu'au  retour  ils  trouveraient 
les  esprits  disposés  à  la  conciliation. 

Mais  en  cela,  ils  se  trompaient.  Maître  Cornil  ne  perdait 
pas  son  temps.  Il  avait  fait  emprisonner  quelques  notables 
bourgeois  soupçonnés  de  répandre  des  nouvelles  de  nature 
à  décourager  les  partisans  de  la  résistance  à  outrance.  La 
milice  urbaine,  bien  organisée,  s'exerçait  au  tir  de  l'arc  et  de 
l'arbalète.  La  ville  était  divisée  en  quartiers,  chacun  sous 
la  direction  d'un  quartinier  qui  devait  recevoir  les  ordres 
directement  de  jurés  désignés  d'avance.  Au  son  de  la 
grosse  cloche  du  beffroi,  les  cinquantainiers  et  les  dizainiers 
se  réunissaient  chez  le  quartinier  pour  agir  avec  leurs 
hommes  conformément  aux  ordres  reçus  des  iurés,  et  les 


1S4  HISTOIRE     d'un     hôtel    DE    VILLE 

positions  sur  les  murailles  étaient  désignées  à  chaque  quar- 
tinier  dès  que  la  grosse  cloche  sonnerait  le  tocsin. 

Des  provisions  de  vivres  emmagasinées  permettaient  de 
soutenir  un  siège  pendant  deux  mois  au  moins,  et  les  habi- 
tants avaient  été  invitas  à  son  de  trompe  de  réunir  dans 
leurs  logis  de  la  farine  et  des  salaisons  pour  quinze  jours. 
Le  maire  avait  mis  la  main  sur  les  magasins  à  sel  et  sur 
les  produits  de  la  gabelle.  Chaque  nuit,  les  chaînes  étaient 
tendues  dans  les  rues,  et  les  postes  de  milice  ne  laissaient 
circuler  personne  passé  Theure  du  couvre-feu. 

Quand  les  six  notables  rentrèrent  dans  Clusy,  ils  trou- 
vèrent donc  les  esprits  plus  que  jamais  résolus  à  la  résis- 
tance. Avant  de  faire  leur  rapport  au  corps  de  ville,  ils 
communiquèrent  à  un  certain  nombre  de  bourgeois  du 
parti  de  la  conciliation  les  conditions  imposées  par  le  con- 
seil des  princes  ;  tous  résolurent,  plutôt  que  de  courir 
les  risques  d'une  lutte  qui  ne  pouvait  avoir  qu'une  issue 
fâcheuse,  de  représenter  au  peuple  les  dangers  qui  mena- 
çaient la  ville  et  de  le  déterminer  à  accepter  les  conditions 
imposées. 

En  effet,  le  lendemain,  maître  Gornil,  les  jurés,  les  six 
notables  députés  se  réunirent  à  Thôtel  de  \ille  avec  un 
nombre  considérable  de.  bourgeois  pour  connaître  les  pro- 
positions des  princes.  Les  partisans  de  la  paix  entouraient 
les  six  députés,  ce  qui  n'échappa  pas  aux  regards  perspi- 
caces du  maire. 

Alors  l'un  des  six  prit  la  parole;  après  s'être  étendu 
longuement  sur  la  bonne  réception  qui  leur  avait  été  faite, 
sur  le  désir  que  le  conseil  du  roi  montrait  de  rétablir  la 
paix  et  d'oublier  les  attentats  commis  contre  l'autorité 
royale,  d'abolir  les  taxes  nouvelles  et  de  laisser  à  la  ville 
ses  franchises  -,  quand  l'orateur  exposa  à  quelles  conditions 


ET     d'une    CATHIÎDRALE.  l8b 


cette  paix  serait  souscrite,  comment  la  ville  serait  tenue  de 
livrer  au  roi  cent  bourgeois  désignés  par  lui,  et  pour  en 
faire  ce  que  bon  lui  semblerait,  une  violente  clameur  s'é- 
leva dans  une  partie  de  la  salle  ;  mais,  d'un  geste,  maître 
Cornil  imposa  le  silence,  et  s'adressant  aux  députés  : 

«  Je  savais  bien,  leur  dit-il,  que  rien  de  bon  ne  nous 
viendrait  de  cette  députation-,  mais,  du  moins,  les  traîtres 
sont  entre  nos  mains  et  ne  trafiqueront  plus  de  notre  sang 
avec  ces  nobles....  Tiens,  ajouta-t-il  en  tirant  un  large  cou- 
teau de  dessous  sa  cotte  et  en  le  plongeant  dans  la  gorge  du 
député  par  un  mouvement  prompt  comme  l'éclair,  voici 
la  réponse  à  ton  discours.  » 

Aussitôt  les  jurés  et  bon  nombre  de  partisans  de  Cornil, 
qui  avaient  des  armes  cachées  sous  leurs  vêtements,  l'entou- 
rèrent pour  le  protéger. 

Surpris  par  la  brusque  attaque  du  maire  et  la  contenance 
de  ses  partisans,  les  bourgeois  qui  comptaient  soutenir 
leurs  députés,  pâles,  atterrés,  paraissaient  peu  disposés 
à  la  résistance;  plusieurs  gagnaient  prudemment  la  porte. 
Les  cinq  députés,  voyant  leur  compagnon  expirant,  senti- 
rent cependant  l'indignation  les  saisir  à  la  gorge,  et  l'un 
•d'eux,  s'avançant  vers  Cornil,  en  lui  montrant  le  poing  : 

«  Lâche  meurtrier,  lui  dit- il,  le  sang  demande  du  sang. 
Par  Dieu,  tu  payeras  ta  félonie  !  » 

Mais  Cornil,  le  repoussant  de  la  main  : 

«  Meurtrier!  je  ne  le  suis  point,  mais  justicier;  tu  vas  le 
reconnaître,  toi  et  tes  compagnons-,  et  s'adressant  aux  jurés  : 
Que  pas  un  de  ces  cinq  traîtres  qui  sont  là  devant  nous  ne 
s'échappe,  et  faisons  justice,  » 

Les  cinq  députés  furent  aussitôt  entourés  d'hommes  ar- 
més de  couteaux,  et  maître  Cornil,  s'asseyant  : 

«  Le  conseil  de  la  ville  a  décrété,  dit-il,  que  tout  citoyen 

24 


l86  HISTOIRE    d'un     hôtel    DE     VILLE 

qui  proposera  la  paix  avec  les  nobles  perdra  la  tête.  Ces 
hommes  ont-ils  proposé  la  paix  au  prix  du  sang  de  leurs 
concitoyens? 

—  Oui  !  répondirent  les  jurés. 

—  Eh  bien,  que  justice  soit  faite  publiquement.  » 

A  peine  si  quelques  rumeurs  sorties  des  rangs  des  bour- 
geois, partisans  des  députés,  se  firent  entendre,  et  Cornil, 
suivi  de  la  troupe  armée  qui  entourait  les  cinq  bourgeois, 
s'avança  sur  le  balcon  de  la  loge.  La  place  était  remplie  et 
déjà  la  foule  avait  connaissance  de  la  scène  tragique  qui  ve- 
nait de  se  passer',  sitôt  que  parut  Cornil  retentirent  les  cris 
de  <c  Vive  le  maire!  » 

Celui-ci,  réclamant  le  silence  de  la  main,  parla  ainsi  : 

«  Citoyens  de  Clusy!  Las  d'une  longue  oppression,  déci- 
dés à  ne  plus  la  souffrir,  pendant  que  confiants  dans  vos 
droits,  calmes  dans  votre  force,  vous  organisiez  la  défense 
dans  votre  cité,  afin  de  résister  aux  exactions  de  ces  nobles 
qui  vous  traitent  comme  un  vil  troupeau,  pendant  que 
chacun  de  vous  se  dévouait  corps  et  âme  au  triomphe  de 
notre  cause,  pendant  qu'autour  de  nous,  dans  les  campa- 
gnes, dans  les  villes  voisines,  s'élevait  comme  un  seul  cri 
d'affranchissement,  six  de  vos  notables,  sur  votre  consente- 
ment, munis  de  saufs-conduits,  s'en  allaient  traiter  delà  paix 
avec  les  princes  conseillers  du  roi....  Dussent-ils  périr,  ils 
avaient  pour  instruction  de  ne  céder  sur  aucun  point  tou- 
chant vos  franchises,  vos  libertés  conquises,  votre  sécuri- 
té.... Savez-vous  ce  qu'ils  ont  fait,  là-bas?  Ils  achetaient 
une  promesse  vague  de  paix  et  d'oubli,  au  prix  de  la  tête  de 
cent  de  nos  con citoyens.... v.» 

Une  immense  clameur  accueillit  ces  derniers  mots.  Cor- 
nil continuant  : 

ce  Celui  d'entre  eux  qui  avait  l'audace  de  nous  proposer 


F.T     D    UNE     CATHÉDRALE.  187 

ce  marché  infdmc  a  été  puni  comme  notre  loi  le  comman- 
dait. Ses  cinq  complices,  que  voici,  ont  éti  condamnés, 
comme  coupables  de  trahison,  à  perdre  la  tête....  Que  la 
sentence  soit  exécutée  ! . . . 

—  A  mort!  à  mort!  hurla  la  foule. 

—  Faites  place,  faites  place  !  ajouta  Cornil-,  les  décrets  de 
la  justice  du  peuple  doivent  être  exécutés  avec  calme.  » 

Alors  on  \h  la  foule  s'écarter  du  bas  perron  comme  la 
vague  qui  se  retiré  sur  la  plage  sablonneuse  ;  les  cinq  m.al- 
heureux  bourgeois  descendirent  lentement  les  degrés,  en- 
tourés des  jurés  et  d'hommes  armés. 

Un  billot  fut  pris  dans  une  maison  voisine  et,  sous  la 
hache  d'un  boucher,  les  cinq  tètes  roulèrent  Tune  après 
Tautre  sur  le  pavé. 

Les  bourgeois  qui  penchaient  pour  la  modération,  pour 
les  transactions,  étaient  consternés  et  s'enfermaient  dans 
leurs  maisons,  pleins  d'angoisses,  pendant  que  la  foule, 
enivrée  par  Pacte  de  puissance  qu'elle  venait  d'accomplir, 
parcourait  les  rues  en  criant  :  «  ^Mort  aux  traîtres  !  » 

Toutefois,  maître  Cornil  n'entendait  pas  que  cette  exé- 
cution fut  suivie  d'excès,  et  il  donna  des  ordres  rigoureux 
pour  que  les  quartiniers  fissent  arrêter  tout  individu  qui 
serait  la  cause  de  quelque  tumulte. 

Une  vingtaine  de  misérables  avinés  furent  enfermés 
dans  les  prisons  de  la  ville. 

Vers  les  premiers  jours  de  décembre  1082,  des  nouvelles 
sinistres  circulaient  dans  la  ville.  On  disait  que  les  Gantois, 
sur  la  résistance  énergique  desquels  toutes  les  communes 
comptaient  et  qui  étaient  considérés  par  elles  comme  invin- 
cibles, avaient  été  anéantis  par  l'armée  royale,  commandée 
parle  connétable  de  Clisson,  près  de  Roosebeke. 

Maître  Cornil,  averti  de  ces  bruits,  fit  crier  par  la  ville 


HISTOIRE    d'un    hôtel    DE    VILLE 


que  quiconque  propagerait  des  nouvelles  évidemment  trans- 
mises par  les  ennemis  des  villes  fédérées,  perdrait  la  tête. 

Depuis  Texécution  des  six  députés,  bien  que  le  maire 
maintînt  une  police  sévère,  la  terreur  régnait  dans  la  ville 
de  Glusy. 

Les  bourgeois  riches,  la  plupart  des  notables  n'osaient 
se  montrer  dans  les  rues,  dans  la  crainte  d'être  insultés  par 
les  miliciens  qui  les  accusaient  de  trahir  la  cause  du  peuple 
et  de  "\^ouloir  livrer  la  ville  aux  princes  sans  conditions. 
Chaque  jour,  dans  les  tavernes,  étaient  prononcées  des  me- 
naces contre  ces  bourgeois  dont  les  moindres  démarches 
étaient  épiées  et  qui  ne  pouvaient  communiquer  entre  eux 
sans  provoquer  les  soupçons. 

Maître  Cornil,  autant  pour  calmer  les  défiances  du  peu- 
ple que  pour  éviter  des  excès  contre  les  personnes  et  les 
propriétés,  avait  même  jugé  prudent  de  faire  mettre  en 
prison  quelques-uns  des  gros  bourgeois  accusés  de  cons- 
pirer contre  les  libertés  conquises. 

Grâce  à  Ténergie  et  à  l'activité  du  maire  et  de  ses  jurés, 
il  n^y  avait  nul  tumulte  dans  la  ville,  le  marché  était  bien 
approvisionné,  car  la  fraude  ou  le  pillage  était  puni  sans 
délai  ;  un  homme,  qui  vola  un  jour  une  botte  d'oignons  à 
une  pauvre  marchande  de  la  banlieue,  avait  eu  la  main 
coupée  sur  la  place.  Cette  main,  clouée  au  poteau  du 
pilori,  en  disait  plus  que  tous  les  arrêts  criés  par  les  rues. 
Une  autre  fois,  un  marchand  ayant  refusé  le  salaire  à  un 
pauvre  homme  qui  avait  porté  au  marché  un  lourd  paquet 
de  laine,  le  marchand  fut  condamné  à  porter  le  même 
paquet  une  heure  durant  par  la  ville,  accompagné  d'appa- 
riteurs qui  usaient  du  fouet  lorsqu'il  s'arrêtait.  Chaque 
jour,  Cornil  siégeait  à  l'hôtel  de  ville  avec  six  des  jurés  et 
jugeait,  séance  tenante,  tous  les  cas  présentés  devant  son 


ET    D   UNE     CATHÉDRALE.  189 

iribunal,  quelle  que  fût  ki  nature  du  crime  ou  du  délit. 
Cette  manière  sommaire  de  rendre  la  justice  et  de  mettre  à 
exécution  les  sentences,  sans  nul  répit,  avait  pour  consé- 
quence d'inspirer  une  crainte  salutaire  à  la  tourbe  des 
gens  sans  aveu  qui  s'étaient  réfugiés  à  Clusy,  depuis  que 
la  ville  s'était  soustraite  aux  autorités  féodale  et  royale  et 
à  l'influence  des  riches  bourgeois  qui  espéraient  faire  leur 
paix,  à  part,  avec  ces  pouvoirs. 

Mais  à  l'animation,  à  la  gaîté  qui  régnaient  dans  cette 
jolie  cité,  l'une  des  plus  agréables  du  domaine  royal,  à  l'af- 
flucnce  des  marchands,  avait  succédé  un  aspect  sévère  et 
sombre. 

Les  habitants  se  considéraient  avec  défiance  et  ne  se 
réunissaient  guère  que  pour  remplir  leurs  devoirs  de  mili- 
ciens. 

Toute  pompe  religieuse  était  supprimée,  ce  qui  n'était 
pas  du  goût  des  femmes. 

Quelques  prêtres  obscurs,  restés  dans  la  ville,  disaient 
les  offices-,  car  l'évêque,  homme  âgé  et  prudent,  n'avait  pas 
jugé  à  propos  d'excommunier  les  habitants  et  s'était  con- 
tenté de  s'éloigner. 

Les  religieux  de  l'abbaye  de  Saint-Martin  ne  sortaient 
pas  de  leur  enclos  et  se  faisaient  oublier.  Maître  Cornil 
n'avait  eu  garde  de  les  tourmenter  ;  il  les  laissait  tranquilles 
dans  leur  cloître. 

L'aspect  morne  de  la  ville,  l'absence  des. étrangers,  la 
suspension  de  toutes  les  affaires  pesaient  lourdement  sur 
les  esprits  et  causaient  une  grande  gêne.  Les  métiers  chô- 
maient -,  chaque  jour  le  nombre  des  mendiants  était  plus 
nombreux. 

On  vo3^ait,  le  matin,  devant  le  perron  de  l'hôtel  de  ville, 
quelques  centaines  de  malheureux,  de  femmes  et  d'enfants 


IQO  HISTOIRE    D    UN     HOTEL    DE    VILLE 

qui  venaient  demander  du  pain.  Le  maire  faisait  distribuer 
des  vivres  à  ces  affamés,  mais  le  lendemain  leur  nombre 
s'était  accru. 

Pour  subvenir  à  ces  dépenses  et  à  celles  touchant  la  dé- 
fense de  la  ville,  il  avait  fallu  frapper  les  ventes  d'un  droit 
très-élevé,  sur  le  marché,  et  la  consommation  diminuait 
d'autant.  Cette  ressource  étant  insuffisante,  le  conseil  de  la 
ville  avait  taxé  les  riches  bourgeois  sur  leur  revenu-,  cet 
impôt,  difficile  à  établir  et  à  percevoir,  était  l'occasion  de 
discussions  incessantes. 

Plusieurs,  parmi  les  notables,  avaient  abandonné  la 
ville.  Le  maire  fit  crier  à  son  de  trompe  que  les  biens  des 
bourgeois  qui  quitteraient  la  cité ,  sans  une  permission 
revêtue  du  sceau  municipal,  seraient  confisqués  et  vendus. 
Voulant  faire  un  exemple,  trois  ou  quatre  hôtels  aban- 
donnés par  leurs  propriétaires  furent  mis  aux  enchères, 
mais  nul  acquéreur  ne  se  présenta. 

Ceux  qui  souffraient  le  plus  de  cet  état  de  choses  étaient 
les  gens  de  métier  et  les  petits  bourgeois,  commerçants, 
petits  propriétaires,  fournisseurs  de  Tévêché  et  des  nobles 
des  environs.  Ils  commençaient  à  se  plaindre,  non  trop  haut, 
car  on  craignait  fort  maître  Cornil,  mais  ils  se  faisaient 
part  entre  eux  de  leur  détresse  croissante  et  se  rappro- 
chaient des  riches  bourgeois  demeurés  isolés  jusqu'alors. 

Ce  fut  à  ce  moment  critique  qu'arrivèrent  les  nouvelles 
certaines  de  k  destraction  des  Gantois  à  Roosebeke  et  du 
retour  de  Tarmée  ro3'ale  victorieuse.  On  montrait  cette 
armée  comme  étant  disposée  à  raser  toutes  les  villes  qui 
s'étaient  soustraites  au  joug  féodal  et  royal. 

On  citait  le  brûlement  de  cités  rév^oltées,  le  massacre  ou 
l'enlèvement  de  tous  les  habitants,  et  entre  autres  de  ceux 
de  Courtray. 


ET     D   UNE    CATHEDRALE.  IQl 

Malgré  les  efforts  de  Cornil  pour  donner  du  cœur  aux 
Clusianois,  la  stupeur  et  le  découragement  régnaient  dans 
la  ville  *,  la  masse  indécise,  toujours  facile  à  entraîner  dans 
un  sens  ou  dans  un  autre,  commençait  à  tourner  ses 
regards  vers  les  notables,  dans  Tespoir  qu'ils  sauraient  con- 
jurer le  péril  et  trouver  quelque  accommodement. 

Ce  sentiment  se  manifesta  avec  une  certaine  insistance 
lors  d'une  assemblée  que  le  maire  crut  devoir  convo- 
quer, la  nouvelle  du  désastre  des  Gantois  étant  certaine 
Quelques-uns  des  notables  osèrent  même  se  présenter  à 
cette  assemblée  et  proposer  de  déléguer  des  députés  près 
des  princes  pour  traiter  dz  la  paix.  Si  la  proposition  ne  fut 
point  agréée,  du  moins  n'excita-t-elle  nulle  protestation. 
Seul,  Cornil  déclara  que  la  ville  n'avait  pas  à  traite-r,  que  si 
on  attaquait  ses  libertés,  elle  saurait  les  défendre.  Ce  dis- 
cours ne  tut  accueilli  que  par  quelques  cris  de  :  «  Vive 
Cornil!  vivent  nos  libertés!   » 

Cependant,  l'armée  des  princes  approchait,  et  le  4  jan- 
vier i383,  furent  signalées  dans  les  environs  des  troupes  de 
Bretons  qui  pillaient  les  maisons  de  la  campagne. 

jNIaître  Cornil  montra  alors  toute  l'énergie  dont  il  était 
doué.  Ayant  réuni  les  jurés,  les  quartiniers  et  dizainiers, 
il  leur  fît  entendre  qu'ils  n'avaient  rien  à  espérer  de  cette 
armée  de  nobles  et  de  pillards,  que  toute  tentative  d'accord 
serait  une  duperie,  et  qu'il  valait  mieux  mourir  les  armes  à 
la  main  que  de  se  laisser  pendre  ou  égorger  sans  défense; 
que  l'armée  royale,  fîère  de  sa  victoire,  gorgée  de  sang  et 
de  pilleries,  ne  s'attendait  pas  à  trouver  des  hommes  réso- 
lus devant  elle,  et  que,  s'il  fallait  en  venir  à  traiter,  on 
obtiendrait  de  meilleures  conditions  en  montrant  une  con- 
tenance sûre  et  hardie  qu'en  se  présentant  en  suppliants. 
Ce  discours  rendit  le  courage  à  ces  hommes.  Répété  parmi 


ig2  HISTOIRE    D    UN     HOTEL     DE     VILLE 

les  miliciens,  ceux-ci  jurèrent  de  mourir  plutôt  que  de  se 
rendre  sans  conditions.  Alors,  il  y  eut  une  grande  montre 
sur  la  place-,  Cornil,  après  avoir  parcouru  les  rangs  des 
miliciens,  montant  sur  le  balcon,  leur  dit  ces  quelques  pa- 
roles : 

r(  Frères,  depuis  cinq  mois,  vous  avez  miontré  ce  que 
vous  êtes,  vous  avez  conquis  et  m.aintenu  vos  libertés,  Tor- 
dre, une  bonne  police  dans  votre  ville-,  vous  vous  êtes  habi- 
tués à  porter  le  harnais  de  guerre....  Serait-ce  donc  pour 
vous  soumettre  comme  des  femmes  à  ces  nobles,  que  vous 
avez  chassés,  parce  qu'ils  se  présentent  aujourd'hui,  cou- 
verts du  sang  des  justes,  devant  vos  murs?  Ainsi,  pendant 
cinq  mois,  vous  vdus  seriez  préparés  à  la  lutte,  et  le  jour 
où  il  la  faudrait  soutenir,  vous  rentreriez  dans  vos  mii- 
sons!  Non,  je  jure  Dieu  que  cela  ne  sera  pas!...  Mais  si 
cela  devait  être,  votre  lâcheté  ne  ferait  que  rendre  pires  les 
maux  dont  nous  sommes  menacés.  Ils  ne  sont  que  trop  habi- 
tués, ces  nobles,  à  compter  sur  la  timidité  des  vilains,  et 
cela  ne  les  rend  que  dIus  durs  à  leur  égard.  Si  au  contraire 
ils  voient  devant  eux  des  hommes  résolus  à  se  défendre  et  à 
mourir  pour  la  bonne  cause,  ils  pensent  à  leurs  châteaux,  à 
leurs  vêtements  de  soie,  à  toutes  les  joies  qu'ils  se;  donnent 
à  vcs  dépens,  et  ne  veulent  pas  risquer  tous  ces  biens.  Au- 
tour de  nous,  de  bonnes  villes  tiennent  encore  contre  les 
princes-,  Paris  n'est  pas  disposé  à  leur  ouvrir  ses  portes.... 
Je  le  sais....  Donnerons-nous  l'exemple  de  la  défection, 
tandis  que  notre  résistance  rendra  le  courage  à  toutes  ces 
cités  ? 

a  Gro3'ant  ne  rencontrer  sur  leur  passage  que  des  mal- 
heureux sans  armes,  sans  cœur,  ils  s'en  viennent  débandés, 
plus  occupés  de  brûler,  de  piller  et  de  pendre,  que  préparés 
à  combattre. 


LES    MILICIENS    DE   CLUSY 


ET    D    UNE     CATHEDRALE. 


190 


-'  Montrons-leur  que  Clusy  n'est  pas  un  village  ouvert, 
et,  avant  qu'elles  se  soient  réunies  sous  nos  murs,  allons 
en  bon  ordre  au-devant  de  ces  troupes  dispersées-,  détrui- 
sons-les séparément,  et  Dieu,  protecteur  des  opprimés,  sera 
pour  nous  !  » 

Les  miliciens,  levant  leurs  armes,  acclamèrent  chaude- 
ment ce  discours  (fig.  38)  -,  aussitôt,  maître  Gornil  ayant 
vêtu  son  haubergeon,  posé  sur  sa  tête  un  lourd  chapel  de 
fer  et  saisi  un  vouge,  descendit  sur  la  place. 

En  poussant  des  cris,  les  troupes  se  dirigèrent  vers  les 
portes.  Sur  les  remparts,  les  vieillards,  les  enfants,  les 
femmes  les  regardaient  sortir.  Ils  étaient  environ  quatre 
mille  hommes.  Leurs  colonnes,  commandées  par  les  quar- 
tiniers,  se  réunirent  en  masse  compacte  à  deux  cents  pas 
des  murs  et  se  dirigèrent  vers  des  maisons  qu'occupaient 
déjà  des  pillards  bretons.  Bientôt  des  clameurs  arrivèrent 
aux  oreilles  des  Clusianois  groupés  sur  les  chemins  de  ronde 
des  murs,  puis  on  vit  des  tourbillons  de  fumée  s'élever  au- 
dessus  des  chaumières.  De  loin  en  loin,  des  groupes  de  sol- 
dats de  l'armée  des  princes  se  dirigeaient  à  la  hâte  sur  le 
lieu  du  combat.  Quelques  hommes  d'armes  franchissaient  la 
plaine  de  toute  la  vitesse  de  leurs  chevaux.  La  plus  vive 
anxiété  se  peignait  sur  les  visages  de  C2tte  foule  attentive, 
groupée  sur  les  murailles,  et  à  peine  si  on  entendait  quel- 
ques mots  prononcés  à  demi-voix. 

A  cette  époque  de  l'année,  les  jours  sont  courts  -,  la  nuit 
se  faisait  quand  on  vit  rentrer  les  gens  de  la  ville,  en  assez 
bon  ordre,  couverts  de  boue  et  de  sang.  Ils  avaient  surpris 
et  anéanti  un  gros  parti  de  Bretons,  puis  s'étaient  jetés  sur 
les  troupes  qui  successivement  venaient  secourir  ces  mili- 
ciens, avaient  massacré  quelques  hommes  d'armes,  et, 
enivrés  de  leur  succès,  ils  ne  demandaient  que  bataille. 


i-g4  HISTOIRE     d'un     HOTEL     DE    VILLE 

Dans  cette  échauffourée,  ils  avaient  perdu  peu  de  monde 
et  juraient  d'exterminer  le  lendemam  l'armée,  royale.     ;      ., 

Les  vainqueurs  furent  reçus  dans  la  ville  avec  les  mar- 
ques de  l'allégresse  la  plus  vive.  On  s'empressait  autour 
d'eux,  on  leur  faisait  raconter  les  phases  de  la  lutte,  et  la 
plus  grande  partie  de  la  soirée  se  passa  à  boire. 

Maître  Cornil,  cependant,  ne  partageait  pas  cet  enthou- 
siasme ,  bien  qu'il  montrât  la  plus  grande  confiance.  Il 
pensait,  non  sans  raison,  que  le  lendemain  toute  l'arméç 
des  princes  serait  devant  la  ville,  et  croyait  que  le  plus  sage 
était  de  l'attendre  derrière  les  murs,  les  miliciens  ayant 
montré  qu'ils  pouvaient  combattre.  Il  visita  les  défenses, 
pourvut  à  l'artillerie,  et  n'alla  prendre  quelque  repos  que 
fort  avant  dans  la  nuit,  après  avoir  fait  savoir  aux  quarti- 
niers  qu"iis  eus;  e  it  à  se  trouver  dès  l'aube,  avec  leurs 
hommes,  sur  la  place  du  Marché. 

Le  lendemain,  en  effet,  les  miliciens  étaient  réunis ,. et 
faisaient  bonne  contenance.  Mais  ce  fut  vainement  que  .le 
maire  voulut  leur  persuader  de  demeurer  dans  la  ville  et 
de  se  borner  pour  le  moment  à  la  défensive. 

Leur  succès  facile  de  la  veille  faisait  croire  à  ces  braves 
gens  que  désormais  ils  étaient  invincibles.  Ils  deman- 
daient qu'on  les  menât  au  plus  tôt  au  combat  ;  ils  commen- 
çaient même  à  murmurer  en  accusant  Cornil  de  timidité  et 
disaient  hautement  que  si  on  ne  voulait  pas  les  conduire 
ils  sauraient  bien  sortir  seuls. 

«  Eh  bien  !  dit  Cornil,  si  vous  le  voulez,  sortons  ;  mais, 
par  Dieu  !  le  jeu  sera  rude  ^  préparez-vous  donc  à  bien 
faire  !  » 

Ayant  réuni  les  quartiniers,  il  leur  recommanda  de  tenir 
leurs  hommes  serrés  en  batailles,  séparées  les  unes  des^-auj- 
très  de  dix  toises  environ,  de  mettre  entre  elles  les  archers 


ET     d'une     cathédrale.-  IQÔ 


et  coutillers,  les  arbalétriers  sur    les  ailes,  et  de  marcher 
ainsi  sur  une  seule  ligne.  \i; -[jL 

Ce  fut  avec  des  cris  de  joie  que  les  habitants,  demeuré 
dans  la  ville,  accompagnèrent  les  colonnes  jusqu'aux 
portes. 

Le  jour  était  clair  et  la  terre  séchée  par  une  petite  gelée. 
Les  miliciens  formèrent  leurs  batailles  hors  des  murs,  et 
s'avancèrent  dans  la  plaine.  On  voyait  au  loin  une  ligne 
noire  étendue,  et  derrière,  deux  grosses  batailles  de  gens 
d'armes  dont  les  armures  blanches  brillaient  au  soleil. 

Il  ne  s'agissait  plus,  comme  la  veille,  de  surprendre  des 
troupes  débandées,  mais  de  livrer  un  combat  régulier. 

A  la  vue  de  la  belle  ordonnance  qu'ils  avaient  devant 
eux,  les  chants  et  les  propos  cessèrent  parmi  les  miliciens  ; 
mais  ils  n'avançaient  pas  moins  en  bon  ordre.  On  voyait 
en  même  temps  la  ligne  noire  opposée  se  mouvoir  et  plan- 
ter ses.  pavois  en  herse. 

Quand  les  deux  partis  furent  à  portée  de  traits,  les 
flèches  et  les  carreaux  tombèrent  dru  comme  grêle  sur 
Jes  gens  de  Clusy,  beaucoup  furent  atteints,  mais  sans 
;s'arrêter  pour  riposter,  les  batailles,  malgré  les  cris  des 
quartiniers,  se  mirent  à  courir  sus  aux  archers  et  arbalé- 
triers ennem.is  et  ne  formèrent  plus  qu'une  masse  confuse. 

Alors,  les  deux  batailles  des  gens  d'armes,  tournant  les 
ailes  des  piétons  qui  les  couvraient,  vinrent  fondre  au  galop, 
lances  couchées,  sur  les  flancs  des  Clusianois. 

Ceux-ci,  voyant  ces  deux  ouragans  de  fer  qui  allaient  les 
saisir  comme  dans  une  tenaille,  ne  les  attendirent  pas,  et, 
saisis  de  panique,  se  bousculaient  et  renversaient  dans  leur 
fuite  ceux  qui  essayaient  de  les  arrêter. 

Les  habitants,  qui  étaient  sur  les  murailles,  vo3^ant  ce 
désarroi,  levaient  les  mains  au  ciel  et  poussaient  des  cris 


1^6  HISTOIRE     d'un     hôtel    DL    VILLE 

de  désespoir,  mais  ne  songeaient  guère  à  veiller  aux  portes 
demeurées  ouvertes. 

Les  batailles  débandées,  poursuivies  par  les  armures  de 
fer,  se  précipitaient  sur  les  ponts  des  fossés,  trop  étroits 
pour  les  recevoir. 

Les  gens  d'armes  arrivaient  en  même  temps  qu'eux-,  et 
avec  leurs  masses,  leurs  longues  épées,  ils  abattaient  et 
fauchaient  dans  cette  foule  affolée  (figure  38  bis). 

Maître  Cornil  avait  eu  la  précaution  de  faire  placer  sur 
les  portes  quelques  ribeaudequins  et  de  les  confier  à  des 
hommes  sûrs  et  dévoués,  avec  ordre  de  tirer,  en  cas  de 
retraite,  sur  fennemi  fût-il  mêlé  aux  gens  de  Clus}'  et  au 
risque  de  tuer  les  fuyards.  Au  moment  où  déjà  quelques 
hommes  d'armes  menaçaient  de  passer  sur  Tun  des  ponts, 
deux  volées  de  ces  pièces  les  enlevèrent,  ainsi  que  plusieurs 
des  fuyards. 

Cet  acte  énergique  rendit  un  peu  de  cœur  aux  malheu- 
reux miliciens  qui  se  retournèrent. 

Deux  autres  volées  envoyées  au  hasard,  du  côté  où  la 
presse  des  armures  de  fer  était  la  plus  forte,  ralentirent  l'ar- 
deur des  gens  d'armes,  qui  craignaient  fort  ces  engins  des 
vilains  ;  on  put  ainsi  faire  rentrer  bon  nombre  de  fu^-ards 
et  lever  les  ponts.  Toutefois,  un  tiers  de  ces  miliciens  res- 
tèrent dans  la  plaine  et  furent  massacrés  sans  miséricorde. 

Maître  Cornil,  blessé,  avait  été  entraîné  dans  le  flot  et 
rentrait  dans  la  ville  un  des  derniers. 

Nous  n'essa3'erons  pas  de  peindre  la  confusion  de  ces 
premiers  moments.  «  Trahison  !  »  criaient  les  uns;  «  Nous 
avons  été  menés  à  la  boucherie  !  »  vociféraient  les  autres. 
Et  les  femmes  de  courir  les  cheveux  épars  cherchant  leurs 
maris!  Et  les  blessés  qui  s'appuyaient  mornes  contre  les 
murs  et  auxquels  personne  ne  songeait  à  porter  secours  l 


DEROUTE  DES  GENS  DE  CLUSY. 


ET    D   UNE    CATHEDRALE.  I97 

Cornil,  entoure  de  quelques  quartiniers,  se  dirigeait  sans 
mot  dire  et  aussi  rapidement  que  le  lui  permettait  sa  bles- 
sure vers  l'hôtel  de  ville,  quand  au  détour  d'une  rue  il 
fut  rencontré  par  un  groupe  de  bourgeois  armés. 

«  Traître  !  »  dit  Tun  d'eux,  et  le  saisissant  à  la  gorge,  il 
lui  porta  deux  coups  de  dague  sous  son  camail.  Le  maire 
tomba  lourdement  sur  le  pavé.  Les  quartinicrs,  surpris  par 
cette  attaque,  eurent  un  moment  d'hésitation. 

«  Oui  !  poursuivait  le  m.eurtrier,  cet  homme  est  un 
traître-,  l'armée  royale  était  prévenue  par  lui  de  notre  sor- 
tie; il  a  vendu  notre  sang  pour  faire  sa  paix  avec  les 
princes  !  » 

La  foule  s'amassait-,  si  invraisemblable  que  fût  l'accusa- 
tion, le  peuple  est  toujours  disposé  à  voir  un  traître  dans  le 
chef  qui  Va  mené  à  la  déroute  -,  pas  une  voix  n'osa  donc  s'é- 
lever pour  défendre  la  mémoire  du  malheureux  maire.... 

Les  gens  de  Clusy,  par  un  de  ces  virements  subits  qui  se 
produisent  dans  les  grandes  crises,  se  tournèrent  vers  ces 
notables  bourgeois  suspectés  la  veille. 

Eux  seuls  pouvaient  traiter  avec  les  princes.  Il  fut  donc 
décidé  dans  la  nuit,  après  une  séance  orageuse  pendant  la- 
quelle les  récriminations  se  croisèrent  avec  une  extrême 
violence,  que,  dès  le  matin,  douze  notables  iraient  trouver 
les  princes  et  tâcheraient  d'obtenir  les  conditions  les  moins 
dures,  en  promettant  démettre  la  ville  entre  leurs  mains. 

Ainsi  fut-il  fait,  à  l'insu  du  menu  peuple,  qui  seul  parlait 
encore  de  résistance  et  se  défiait  des  notables.  Les  princes 
promirent  que  la  ville  ne  serait  point  livrée  au  pillage,  et 
que,  sauf  les  coupables  de  trahison  envers  le  sire  roi,  il  ne 
serait  exercé  aucune  vengeance  contre  les  habitants  à  propos 
de  leurs  mutineries. 

Tout  cela  était  bien  vague,  mais  il  n'}^  avait  pas  à  discu- 


Î9l§  HISTOIRE     d'un    hôtel    DE    VILLE 

ter,  car  Tarmée  royale  comptait  plus  de  ?ix  mille  lances  et 
quinze  à  vingt  mille  Bretons  routiers,  gens  de  pied,  ouis 
deux  mille  arbalétriers  génois.  - 

Les  princes  avaient  hâte  d'arriver  à  Paris  et  ne  vou- 
laient point  être  arrêtés  en  route. 

-  '■  L'^entrée  des  troupes  royales  se  fit,  en  effet,  en  bon  ordre 
et  sans  qu'il  y  eût  excès  commis. 

Le  conseil  du  roi  demanda  qu'on  lui  livrât  le  maire, 
les  jurés,  les  quartiniers  et  dizainiers,  les  capitaines  des 
portes  et  tous  ceux  qui  avaient  participé  à  l'administration 
de  la  ville. 

Le  corps  du  maire  fut  pendu  sur  la  place  du  Marché,  les 
•qtiaffini^rs  eurent  la  tête  tranchée  sur  l'heure,  et  les  autres 
furent  jetés  provisoirement  en  prison.  Les  cloches  du 
beffroi  de  la  commune  durent  être  descendues  et  brisées, 
le  sceau  et  les  actes  publiés  pendant  la  magistrature  de 
Cornil,  brûlés  sur  la  place. 

^  Un  corps  de  Bretons  fut  installé  dans  Thôtel  de  la  com- 
mune, avec  ordre  de  ne  laisser  aucun  habitant  s'en  appro- 
cher sous  peine  de  la  hart,  et  les  cadavres  des  décapités 
furent  brûlés  sur  la  place  du  Marché,  leurs  cendres  jetées 
dans  la  rivière. 

^'  La  ville,  dans  les  vingt-quatre  heures,  eut  à  payer 
1Jo  000  francs  d'or,  à  fournir  des  vivres  à  toute  l'armée 
royale,  et  il  fut  enjoint  aux  habitants  de  déposer  toutes  les 
'àrities  au  palais  épiscopal,  dans  lequel  fut  mis  garnison. 
TLés  plus  riches  bourgeois  eurent  à  loger  et  à  nourrir  des 
gens  d'armes  et  les  autres  gens  de  pied.  Après  quoi,  ces  pre- 
mières mesures  prises,  les  princes  se  dirigèrent  vers  Paris, 
aVècle  gros  de  l'armée,  en  toute  hâte.  ---^ 

Il  n'est  besoin  d'ajouter  que  les  maisons  de  la  banlieue 
Tarent  brûlées  et  les  champs  saccagés. 


ET    D    UNE    CA  ril  i;i)R  ALIÎ. 


199 


Si  durs  qu'étaient  ces  premiers  actes,  les  gens  de  Clusy 
craignaient  un  pire  traitement. 

Mais  ils  ne  tardèrent  pas  à  envier  le  sort  de  ceux  qui 
avaient  été  lues  en  combattant  pour  leurs  libertés. 

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200  HISTOIRE     D    UN     HOTEL     DE    VILLE 


CHAPITRE  X 


L  EPOQUE  DES  GRANDS  MAUX. 


Dès  que  les  princes  furent  entrés  à  Paris,  ils  déléguèrent 
dans  les  villes  du  royaume  de  notables  seigneurs  pour  pro- 
céder au  récolement  des  subsides  et  à  la  nouvelle  organi- 
sation des  cités  méchamment  mutinées  contre  l'autorité 
royale. 

Pendant  une  semaine,  la  ville  de  Clusy  fut  sous  Tempire 
de  la  terreur.  Les  délégués  royaux  siégeaient  chaque  jour 
à  l'hôtel  de  ville,  faisaient  arrêter  et  amener  devant  eux 
tous  les  adhérents  principaux  au  dernier  règne  de  la  com- 
mune. 

Ceux-ci  étaient  jugés  et  condamnés  séance  tenante  à  la 
corde,  à  la  hache  ou  à  la  prison.  Pour  les  obliger  à  dénon- 
cer leurs  complices,  la  plupart  étaient  soumis  à  la  torture. 

Les  portes  de  la  ville  étaient  fermées  et  gardées  par  des 
soudoyers.  On  ne  les  ouvrait  le  matin  que  pendant  deux 
heures  pour  permettre  aux  paysans  d'approvisionner  le 
marché.  Mais  ceux-ci  n'osaient  venir  qu'en  petit  nombre,  la 
campagne  était  dévastée  et  la  disette  se  faisait  durement 


JUGEMENT   DES    GENS    DE    CLUSY    EN    l383. 


ET    D   UNE   CATHhDRALE.  201 


sentir  dans  les  familles,  d'autant  que  chacun  n'osait  sortir 
de  son  logis. 

Comme  il  arrive  toujours,  des  misérables,  dans  l'espoir 
de  rimpunité  ou  des  récompenses  qu'on  leur  promettait, 
se  faisaient  les  dénonciateurs  des  coupables  prétendus  ou 
vrais  et  les  pourvoyeurs  du  tribunal  ;  parfois,  après  avoir 
reçu  de  l'argent  pour  taire  certains  noms,  ils  allaient 
les  livrer  sous  promesse  de  sommes  qui  d'ailleurs  ne  leur 
furent  jamais  payées. 

Ainsi,  plus  de  trois  cents  bourgeois  et  marchands,  parmi 
les  plus  notables,  furent  envoyés  à  la  mort,  leurs  biens  con- 
fisqués,  et  plus  de  six  cents  entassés  dans  les  prisons  de  la 
ville  et  de  l'évêché. 

Le  huitième  jour,  un  échafaud  fut  dressé  devant  la  ïocre 
de  l'hôtel  de  ville  et  couvert  de  beaux  draps  armoyés  aux 
armoiries  du  roi,  des  princes  ses  oncles,  et  des  nobles  per- 
sonnages là  présents,  lesquels  vinrent  s'asseoir  en  grande 
pompe  sur  ledit  échafaud. 

Devant  le  peuple  assemblé  à  son  de  trompe,  le  bailli 
royal  rappela,  dans  un  long  et  beau  discours,  les  horribles 
méfaits  dont  les  gens  de  Clusy  s'étaient  rendus  coupables 
envers  le  roi  et  les  princes  ;  crimes  et  forfaits  qui  devaient 
être  punis.  Que  si  déjà  la.  justice  du  roi  avait  frappé  les  plus 
criminels,  beaucoup  d'autres  attendaient  en  prison  le  châti- 
ment qu'ils  avaient  mérité  (fîg.  39). 

Après  cette  péroraison,  les  parents,  les  femmes  et  les  en- 
fants des  prisonniers  se  mirent  à  pousser  des  gémisse- 
ments et  à  crier  7JiiséHcorde^  en  grand  effroi. 

Ce  qu'entendant,  l'évêque,  qui  siégeait  parmi  les  person- 
nages réunis  sur  l'échafaud,  se  leva,  implora  la  clémence 
des  seigneurs  délégués,  les  suppliant  d'intercéder  auprès  du 
roi  pour  que  toute  exécution  fût  suspendue,  et  que  le  gra- 

36 


202  HISTOIRE     D    UN    HOTEL     DE    VILLE 

cieux  sire  voulût  bien  prendre  sa  ville  de  Clusy  à  merci. 
Ces  paroles  furent  suivies  de  nouveaux  cris  du  peuple  im- 
plorant miséricorde. 

Alors,  un  des  seigneurs  se  leva  à  son  tour  et  déclara  que 
les  délégués  en  référeraient  au  roi  et  que,  jusqu'à  sa  réponse, 
les  supplices  seraient  suspendus. 

Cette  mise  en  scène  avait  fait  sur  la  foule  une  profonde 
impression,  et  un  peu  d'espoir  se  faisait  jour  dans  les  es- 
prits. Des  bourgeois  se  réunirent  et  proposèrent,  pour  ga- 
gner la  bienveillance  des  seigneurs,  de  leur  offrir  une  grosse 
somme  que  ceux-ci  acceptèrent  en  manifestant  leur  désir 
d'obtenir  du  roi  une  amnistie. 

En  effet,  six  jours  après,  la  réponse  du  roi  arriva  ;  le  peuple 
ayant  été  de  nouveau  rassemblé  devant  Thôtel  de  ville,  les 
seigneurs  prirent  place,  sur  Téchafaud,  et  le  bailli  royal,  ayant 
pris  de  nouveau  la  parole,  dit  ceci  : 

«  Notre  très-cher  sire  le  roi,  ouï  son  conseil  :  prenant  en 
considération  la  grande  affection  du  seigneur  évêque  pour 
la  ville  de  Clusy,  le  repentir  des  gens  de  la  cité  à  l'occasion 
des  forfaits  commis  par  iceux  contre  son  autorité  royale, 
ensemble,  les  maux  qu'entraînent  avec  elles  les  dissensions 
et  guerres  civiles,  et  mù  par  le  grand  amour  qu'il  porte  à 
ses  sujets,  consent  à  ce  que  toute  peine  criminelle,  touchant 
les  horribles  forfaits  des  bourgeois  aujourd'hui  détenus,  soit 
commuée  en  peine  civile,  et  par  suite  de  ce,  tous  prison- 
niers délivrés.  » 

Le  peuple  manifesta  tout  d'abord  une  grande  joie,  mais 
les  gens  qui  savaient  le  fond  des  choses  demeurèrent  mé- 
diocrement contents,  et  n'était-ce  point  sans  raison. 

La  peine  civile  n'était  autre  chose  qu'une  amende  égale 
à  la  valeur  des  biens  des  détenus-,  ceux-ci  ne  sortaient  de 
prison  qu'autant  qu'ils  payaient  la  somme  taxée.  Ainsi  les 


ET    d'une    cathédrale.  2o3 

seigneurs  amassèrent-ils  grande  fmancc,  dont  le  quart  à 
peine  entra  dans  les  collVes  royaux.  Les  délégués  du  roi, 
prenant  goût  au  jeu,  ne  se  contenicrent  pas  de  taxer  les  pri- 
sonniers, ils  étendirent  les  amendes  à  tous  ceux  qui  jus- 
qu'alors étaient  parv'enus  à  se  soustraire  aux  poursuites  et 
qui  possédaient  du  bien. 

La  plupart  des  riches  bourgeois  furent  réduits  à  la  men- 
dicité; seuls,  ceux  qui  ne  possédaient  rien  furent  épargnés; 
avant  de  partir,  les  délégués  royaux,  indépendamment  des 
anciens  subsides  qui  furent  rétablis,  frappèrent  les  revenus 
et  le  mobilier  d'un  nouvel  impôt. 

Les  habitants  durent  démolir  leurs  portes  afin  de  laisser 
la  ville  ouverte,  dans  la  crainte  de  nouvelle  rébellion. 

L'évêque  avait  eu  sa  part  du  pillage  judiciaire,  et  il  ré- 
solut d'employer  cette  somme  à  la  restauration  de  sa  cathé- 
drale, qui  avait  grand  besoin  qu'on  s'occupât  d'elle,  surtout 
dans  la  partie  datant  du  douzième  siècle. 

On  a  vu  que  des  chapelles  qui  devaient  entourer  le  chœur, 
une  seule,  celle  de  la  Vierge  à  l'abside,  avait  été  bâtie  ;  les 
autres  ne  possédaient  que  leurs  soubassements  jusqu'au 
niveau  du  sol  intérieur.  L'évcque  pensa  qu'il  les  pourrait 
élever;  mais,  auparavant,  il  voulut  réparer  les  arcs-bou- 
tantsetles  couronnements  du  chœur,  dégradés  par  le  temps. 

Les  travaux,  toutefois,  ne  marchaient  qu'avec  lenteur;  la 
plupart  des  maîtres  des  corporations  manquaient  à  leurs 
ateliers,  tués,  en  fuite  ou  ruinés.  Beaucoup  de  maisons 
étaient  abandonnées,  les  bras  faisaient  ciéfaut.  Et  il  ne  sem- 
blait pas  que  cet  état  misérable  dut  jamais  finir,  car  les  col- 
lecteurs royaux  ne  souffraient  pas  de  retard  au  payement 
des  impôts;  chaque  jour,  des  habitants  qui  ne  pouvaient 
les  acquitter  étaient  traînés  en  prison  et  leurs  meubles  ven- 
dus à  vil  prix. 


204  HISTOIRE     n   UN     HOTEL    DE    VILLE 

Pour  ajouter  encore  à  ces  maux,  les  campagnes  étaient 
ravagées  par  les  routiers,  et  les  marchés  n'étaient  plus  ap- 
provisionnés. 

Comme  si  les  princes  eussent  pris  à  tâche  de  ruiner  le 
pays  tout  à  plat,  pour  suffire  à  leurs  dépenses  toujours 
croissantes,  ils  empruntèrent  aux  prélats  et  aux  couvents  de 
fortes  sommes  qu'on  n'osait  leur  refuser,  si  bien  que  l'é- 
vêque  de  Clusy  se  vit  obligé  de  prêter  au  trésor  ro3^al  les 
sommes  qu'il  destinait  aux  travaux  à  peine  commencés  de 
sa  cathédrale. 

Ce  ne  fut. pas  tout  encore*,  en  i385,  le  titre  de  toutes 
les  monnaies,  sauf  celles  frappées  sous  Charles  V,  fut 
changé,  au  profit  du  roi,  ce  qui  acheva  de  ruiner  le  com- 
merce. 

Une  disette,  suivie  d'une  épidémie,  vint  ajouter  à  toutes 
ces  misères  ;  les  natures  les  plus  énergiques  se  laissaient 
aller  au  découragement.  Chaque  nuit,  des  enfants  nouveau- 
nés  étaient  abandonnés  sur  la  voie  publique  et  des  orphe- 
lins mouraient  de  misère  et  de  faim;  personne  ne  songeait 
à  les  recueillir. 

Les  rues  étaient  remplies  d'immondices,  les  boutiques 
fermées.  Un  égoïsme  farouche  avait  remplacé  les  sentiments 
de  solidarité  qui  unissaient  autrefois  les  habitants  de  la 
commune;  chacun  ne  songeait  qu'à  soi,  cherchait  à  se  faire 
oublier  en  dérobant  aux  regards  de  tous  et  surtout  des' 
agents  royaux,  le  peu  qu'il  possédait.  , 

En  moins  de  deux  ans,  la  population  de  Clusy  avait  di- 
minué de  moitié,  l'herbe  croissait  dans  les  rues,  et,  l'hiver, 
des  troupes  de  loups  venaient  la  nuit  dévorer  les  cadavres 
gisants  au  milieu  d'amas  immondes. 

Les  collecteurs  royaux  trouvaient  encore  le  moyen  de 
tirer  de  l'argent  des  malheureux  Clusianois.  On  enfermait 


ET    d'une    cathédrale  205 

les  récalcitrants  ou  ceux  qui  réellement  ne  possédaient  plus 
rien,  et,  à  force  de  mauvais  traitements,  on  les  amenait  à 
solliciter  de  leurs  parents  ou  amis  des  rançons,  au  prix  sou- 
vent des  sacrifices  les  plus  cruels.  Des  bourgeois  étaient 
ainsi  amenés  à  vendre  leurs  filles,  à  céder  à  vil  prix  un 
champ  ou  une  maison,  leur  unique  patrimoine. 

Et  jamais  on  ne  vit  cour  plus  brillante  que  celle  du  jeune 
roi  Charles  VI.  Les  fêtes  succédaient  aux  fêtes.  Des  expé- 
ditions étaient  projetées  et  aussitôt  rompues,  lorsque  déjà 
d'énormes  dépenses  avaient  été  faites. 

Les  paysans  se  réunissaient  en  troupes,  pour  piller  les 
domaines  isolés,  puis  quittaient  le  sol,  émigraient,  et  les 
campagnes  restaient  ainsi  sans  culture. 

Ce  n'était  que  désespoir  et  stupeur  dans  tout  le  royaume. 

Seules,  les  femmes  ne  s'abandonnaient  pas  au  morne  dé- 
couragement qui  s'était  emparé  de  toute  la  bourgeoisie  de 
Clusy. 

Seules,  elles  se  réunissaient  encore  dans  quelques  mai- 
sons par  petits  groupes,  devisaient  librement  sur  les 
nouvelles  du  jour,  tentaient  d'aider  les  plus  malheureux, 
de  secourir  les  orphelins  et  de  raviver  quelques  étincelles 
d'énergie    dans  le    cœur  des  hommes. 

Les  choses  durèrent  ainsi  jusqu'en  i388,  c'est-à-dire 
jusqu'à  la  majorité  du  jeune  roi  et  au  renvoi  de  ses  on- 
cles, les  ducs  de  Berri  et  de  Bourgogne,  dans  leurs  sei- 
gneuries. 

Il  y  eut  alors  quelque  soulagement  apporté  dans  la  con- 
dition des  populations.  Les  travaux  et  le  commerce  repri- 
rent une  certaine  activité,  et  les  dépenses  de  la  haute  no- 
blesse retombèrent  en  pluie  d'or  sur  tous  les  gens  de  mé- 
tiers qui  retrouvèrent  ainsi,  par  le  travail,  une  partie  de  l'ar- 
gent si  durement  extorqué  par  les  princes. 


206 


HISTOIRE    D  UN     HOTEL     DE    VILLE 


Mais  cet  intervalle  de  prospérité  relative  et  de  calme  ne 
fut  pas  de  longue  durée.  La  guerre  civile  éclata  bientôt  entre 
les  factions  des  Bourguignons  et  des  Armagnacs  et,  en 
14 14,  la  ville  de  Clusy,  qui  tenait  pour  le  duc  Jean-sans- 
Peur,  ayant  été  prise  par  le  parti  d'Orléans,  fut  pillée  et 
brûlée  en  partie,  puis  se  rendit  aux  Anglais  après  le  traité 
de  Troyes  en  1420. 


ET    D    UNE    CATHKDRALE.  207 


CHAPITRE  XI 


L   HOTEL    DE    VILLE    DE    CLUSY    EST    REBATI    PAR    LA 
MUNIFICENCE    DU    ROI    LOUIS    LE    ONZIÈME. 


Pour  arracher  la  France  aux  grands  vassaux  qui  la  dé- 
chiraient, aux  Anglais  qui  Toccupaient,  il  fallut  un  suprême 
effort  national.  L'excès  des  maux  fait  naître  les  grandes 
vertus,  et  Thomme  qui  n'a  plus  rien  à  perdre  fait  bon 
marché  d'une  existence  misérable. 

Au  moment  où  nous  reprenons  le  cours  de  cette  histoire, 
la  ville  de  Glusy,  après  bien  des  désastres,  respirait  depuis 
quelques  années.  Son  commerce,  ses  métiers  avaient  repris 
une  grande  activité. 

Ses  franchises  municipales  lui  av^aient  été  rendues  en 
partie,  par  le  roi  Charles  VII,  sous  le  contrôle  supérieur 
d'un  prévôt  royal. 

Les  notables  bourgeois  nommaient  leurs  eschevins  et 
présentaient  à. la  sanction  royale  la  nomination  du  maire. 

Les  impôts  devaient  être  perçus  par  ces  magistrats,  qui 
avaient  entre  les  mains  la  police  de  la  ville,  étaient  chargés 


208  HISTOIRE     d'un     HOTEL     DE    VILLE 

de  lever  les  milices  urbaines  et  suburbaines  et  de  tout  ce 
qui  concernait  Tédilité. 

Ces  impôts  étaient  fort  lourds  alors,  mais  Tordre  régnait 
dans  le  royaume,  sous  la  main  du  roi  Louis  XI  \  le  com- 
merce était  protégé,  les  routes  sûres,  les  pilleries  des  nobles 
n''étaient  plus  à  craindre-,  et  si  pesant  que  soit  Fimpôt, 
quand  le  peuple  de  France  peut  travailler  en  paix,  il  le 
paye  sans  trop  se  plaindre. 

Toutefois,  le  très-redouté  roi  de  France  inspirait  à  ses 
sujets  plus  de  crainte  que  d'amour.  La  haute  bourgeoisie^ 
qu'il  favorisait  volontiers,  n'avait  pour  le  noble  sire  qu'une 
affection  fort  modérée;  car  les  dépenses  de  la  cour  étaient 
nulles.  Il  n'y  avait  plus,  comme  du  temps  des  rois  Charles  VI 
et  Charles  VII,  de  belles  et  somptueuses  fêtes,  à  l'occasion 
desquelles  les  grands  seigneurs  se  ruinaient  et  qui  étaient 
des  coups  de  fortune  pour  les  gens  de  métier  et  les  mar- 
chands, quand  ils  parvenaient  à  se  faire  payer. 

Beaucoup  donc,  sans  songer  que  les  gros  gains  qu'ils 
faisaient  parfois,  leur  étaient  ravis  le  lendemain  par  les 
mains  de  ceux-là  mêmes  d'où  ils  les  avaient  tirés,  regret- 
taient un  petit,  sans  le  trop  dire  hautement  toutefois,  les 
prodigalités  des  cours  précédentes  ;  et  on  citait  le  faste  et  la 
générosité  du  duc  de  Bourgogne,  en  regard  de  l'économie 
du  roi  Louis. 

Le  bourgeois  est  naturellement  enclin  à  oublier  les  maux 
passés  en  face  des  maux  présents,  pour  ne  se  souvenir  que 
des  biens  -,  ainsi  îrouve-t-il  le  temps  présent  plus  dur  que 
le  temps  passé  et  blâme-t-il  volontiers  ceux  qui  gouvernent 
la  chose  publique.  Ce  dont  il  a  le  moins  de  souvenance, 
c'est  de  la  cause  des  malheurs  dont  il  a  pâti. 

Il  n'aimait  donc  guère  le  roi  Louis  onzième,  mais  n'osait 
trop  le  dire  et  pour  cause. 


ET     I)    UNE    CATHÉDRALE.  .209 

L'hôtel  de  ville  de  Clusy  avait  eu  fort  à  souffrir  pendant 
tout  le  siècle.  Abandonné,  après  la  révolte  de  i382,  puis  oc- 
cupé par  les  agents  royaux  jusqu'en  1414,  on  avait  cessé 
de  l'entretenir.  Les  Anglais  rétablirent  une  administration 
communale,  sorte  d'agence  fiscale,  composée  par  eux,  parmi 
les  plus  notables  habitants,  qu'ils  le  voulussent  ou  non.  La 
ville  avait  été  taxée,  aussi  bien  pour  subvenir  à  l'entretien 
de  ses  édifices  et  pour  les  dépenses  de  voirie  que  pour  payer 
les  subsides  au  roi  d'Angleterre  ou  à  ses  gouverneurs. 

Quelques  ouvrages  avaient  été  faits  aussi  aux  bâtiments 
de  la  maison  de  ville-,  mais  la  grande  salle  projetée  de 
l'autre  côté  de  la  rue  et  l'escalier  étaient  restés  inachevés. 

Quant  à  la  cathédrale,  comme  nous  l'avons  vu  précédem- 
ment, les  travaux  entrepris  pendant  les  dernières  années 
du  quatorzième  siècle  avaient  bientôt  été  suspendus,  et 
s'étaient  bornés  à  quelques  réparations  aux  arcs-boutants  du 
chœur  et  aux  toitures. 

Après  l'affaire  de  Péronne,  en  décembre  1468,  avant  de 
se  rendre  à  Senlis  où  il  avait  convoqué  le  parlement  et  la 
chambre  des  comptes,  pour  avoir  à  enregistrer  le  traité 
conclu  avec  le  duc  Charles  de  Bourgogne,  Louis  XI  passa 
à  Clusy.  Il  ne  portait  point  la  tête  haute  en  ce  moment  ;  car, 
bien  qu'il  ne  fût  pas  scrupuleux,  le  traitement  barbare  infligé 
aux  Liégeois  par  sa  faute,  n'était  pas  sans  lui  causer  de 
l'ennui. 

Puis  il  craignait  fort  l'esprit  frondeur  de  ses  bons  Pari- 
siens et  savait  qu'ils  se  gaussaient  de  lui  pour  s'être  ainsi 
laissé  prendre  au  piège  par  son  rival.  Aussi  ne  voulut-il 
point  passer  dans  la  grande  cité. 

Le  roi  Louis  XI,  ainsi  que  beaucoup  de  gens  soupçon- 
neux et  retors,  lorsqu'ils  ont  failli  et  ont  été  dupes  dans  une 
entreprise  dont  ils  espéraient  tirer  profit  par  astuce,  sont 


210  HISTOIRE     D    UN     HOTEL     DE    VILLE 

disposés  à  faire  les  bons  compagnons  et  à  cacher  ainsi  leur 
déconvenue  sous  l'apparence  de  la  belle  humeur. 

Quoique  au  fond  du  cœur  il  fût  profondément  marri  et 
courroucé,  le  roi  n'en  laissait  rien  paraître.  Il  entrevoyait 
déjà  le  moyen  de  se  tirer  du  mauvais  pas  où  il  était  tombé 
par  sa  faute,  et  cela  le  mettait  en  liesse,  d'autant  qu'il  avait 
été  si  près  de  perdre  la  couronne  et  peut-être  la  vie,  que 
la  joie  de  se  sentir  libre  lui  donnait  un  grand  soulage- 
ment. 

Il  arriva  donc  dans  sa  bonne  ville  de  CIus}-  en  bon 
point. 

Les  bourgeois,  précédés  du  maire  et  de  leurs  eschevins 
vêtus  de  robes  de  drap  rouge,  fourrées  de  vair,  allèrent 
au-devant  de  lui  jusqu'à  un  quart  de  lieue  environ  en 
dehors  des  murs.  Et,  comme  le  magistrat  de  la  cité  se 
préparait  à  lui  faire  une  belle  harangue,  le  roi  l'arrêta  de 
la  main  : 

«  Eh  !  mon  compère,  vous  me  direz  cela  plus  tard  ;  il  ne 
fait  pas  bon,  par  cette  froidure,  à  discourir  en  plein  champ; 
entrons  chez  nous,  s'il  vous  plaît,   y^ 

Ainsi,  en  belle  ordonnance,  la  chevauchée  du  roi  entra 
dans  la  ville  et  se  rendit  à  la  cathédrale,  devant  laquelle  se 
tenait  l'évêque  entouré  de  son  clergé,  pendant  que  les 
cloches  sonnaient  à  toute  volée. 

Le  roi,  ayant  entendu  la  messe  en  grande  dévotion,  se 
reposa  quelques  instants  dans  l'évêché  et  y  prit  une  colla- 
tion, mais  ne  voulut  point  y  demeurer,  car  il  avait  fait  rete- 
nir son  logis  chez  un  riche  bourgeois  de  la  ville, 
j  L'évêque  lui  remontra  le  piteux  état  de  son  église  qui  avait 
grand  besoin  de  réparations.  Louis  l'écouta  fort  bien,  lui 
promit  qu'il  y  penserait,  mais  l'engagea  à  recourir  à  ses 
bons  chanoines,  lesquels  étaient  riches  et  pourraient  l'aider 


ET    D   UNE   CATHEDRALE.  211 

de  leurs  biens,  n'ayant  pas  comme  lui  gens  d'armes  à  entre- 
tenir et  guerres  à  soutenir  fort  ruineuses,  ce  à  quoi  il  lui 
fallait  surtout  aviser  pour  le  moment.  Puis,  il  se  dirigea 
avec  tout  son  monde  vers  le  logis  qui  lui  était  préparé 
chez  maître  Nicolas  Lefort.  Il  s  y  installa  avec  le  conné- 
table de  Saint-Pol,  Dammartin,  autant  d'archers  écossais 
qu'il  en  put  tenir,  les  autres  étant  logés  aux  environs  jus- 
qu'au nombre  de  quatre  cents,  et  quelques  gens  de  son  ser- 
vice en  pjtit  nombre. 

Incontinent  qu'il  fut  reposé,  l'après-dînée,  le  roi  manda 
le  maire  et  les  eschevins,  et  s'entretint  familièrement  avec 
eux  sur  toutes  choses  concernant  l'ordonnance  de  la  ville, 
l'état  des  habitants,  etc. 

Sur  ce  que  le  maire  lui  représentait  les  grands  maux  que 
la  cité  avait  eu  à  souffrir,  et  combien  encore  il  s'en  fallait 
qu'elle  n'eût  repris  son  ancienne  splendeur  et  richesse,  à 
cause  de  la  grièveté  des  impôts  : 

«  Avec  l'aide  de  Dieu  et  de  Notre-Dame,  dit  le  roi,  nous 
y  pourvoirons  -,  prenons  notre  temps  et  labourons  de  notre 
mieux,  car  nous  avons  grand'besognes  à  faire.  Mais  pour 
vous  montrer  notre  bon  vouloir,  dites  un  peu  ce  que 
désirez  et  si  le  ferai  volontiers  et  en  tant  que  le  pourrai 
faire.   » 

Alors,  le  maire,  voyant  l'occasion  belle  : 

«  Eh!  très-gracieux  sire,  dit-il,  nous  avons  un  hôtel  de 
ville  fort  ruineux  et  délabré,  par  le  malheur  des  temps-  s'il 
vous  plaisait  nous  aider  à  le  rebâtir,  ce  serait  un  grand  bien 
pour  la  cité  -,  car  ne  pouvons  y  séjourner  sans  que  l'eau  du 
ciel  tombe  sur  nos  vêtements,  et  nos  besognes  en  sont 
toutes  gâtées. 

—  Voire,  reprit  Louis,  c'est  grand  dommage  !  et  vous 
faut-il  grosses  sommes  pour  faire  ces  bâtiments  ? 


212  HISTOIRE     D    UN     HOTEL     DE    VILLE 

—  Cinq  cents  roN'aux  d'or,  au  moins,  pour  aviser  au  plus 
pressé,  sire. 

—  Cinq  cents  ro^^aux  d'or!  par  Notre-Dame!  nous  ne 
les  avons  point  !...  Mais  j'ai  souci  de  ma  promesse  et  vous 
les  trouverai  sans  trop  tarder.   » 

Et  ainsi,  après  quelques  autres  propos,  le  maire  et  les 
eschevins  sortirent  bien  contents  du  logis  du  roi,  répétant 
par  la  ville  les  bonnes  paroles  qui  leur  avaient  été  dites. 

Dès  le  lendemain,  le  roi  fit  remettre  au  maire  de  Clusy 
la  lettre  suivante,  scellée  du  sceau  royal  : 

«  Nous,  Louis,  etc.  ; 
....  Considérant  les  grands  maux  que  notre  bonne  ville 
de  Clusy  a  soufferts  es  temps  de  troubles  et  de  guerres-, 
ensemble,  sa  fidélité  envers  la  couronne  de  France,  et  spé- 
cialement les  services  rendus  par  les  milices  en  toutes  occa- 
sions ;  considérant  Tétat  ruineux  et  délabré  de  Thôtel  des 
bourgeois  de  la  dite  ville,  lesquels  s'emploient  au  bien  de 
notre  royaume  et  à  la  bonne  gestion  de  la  cité,  comme 
maire,  eschevins  et  jurés,  et  par  notre  volonté,  avons,  par 
ces  présentes,  accordé  à  la  dite  ville,  et  ce,  pour  être  em- 
ployés à  la  réédification  de  l'hôtel  des  bourgeois,  séant  en 
la  place  du  Marché,  cinq  cents  souverains  d'or,  lesquels 
seront  délivrés  par  notre  trésorier  en  cinq  termes,  c'est 
assavoir,  le  premier  de  cent  royaux  d'or,  à  la  Pâques  pro- 
chaine, et  les  quatre  autres  de  cent  royaux  d'or  chacun  aux 

époques  suivantes Et  voulons  que  les  travaux  d'icelle 

bâtisse  soient  commencés  dès  le  payement  du  premier  terme 
prochain..    » 

Les  bons  bourgeois  de  Clusy  furent  fort  joyeux  de  la 
libéralité  du  roi,  mais  leur  joie  ne  dura  guère;  car  inconti- 
nent que  le  roi  fut  rendu  à  Tours,  parut  un  édit  touchant 


ET    D    UNE    CATHIÎDRALE.  2  I  3 

de  nouvelles  taxes  sur  les  vins  et  autres  denrées,  qui  pre- 
nait aux  habitants  de  Clusy  la  moitié  plus  que  ce  qui  leur 
avait  été  accordé  de  si  bonne  grâce. 

Toutefois,  le  roi  s'enquit  si  on  s'occupait  de  rebâtir  Phôtel 
de  ville,  car  il  s'enquérait  de  toutes  choses,  avait  bonne 
mémoire  et  faisait  écrire  belles  lettres  pressantes  à  ce  sujet 
au  maire  et  aux  eschevins,  les  assurant  de  son  affection  pour 
la  ville. 

D'ailleurs,  les  fabriques  de  serge  et  le  commerce  de  Clusy 
prospéraient  grandement,  car,  depuis  peu,  existait  dans  le 
royaume  de  France,  sous  la  protection  du  roi,  une  grande 
association,  dite  Compagnie  française^  composée  de  gros 
marchands  de  Paris  et  autres  villes,  investie  de  beaux  pri- 
vilèges pour  le  transport  et  Texpcrt  .tion  des  vins  et  autres 
denrées,  ainsi  que  des  objets  fabriqués,  notamment  des 
étoffes  de  laine  et  de  soie,  ce  dont  les  dits  marchands 
tiraient  grand  profit  et  les  métiers  aussi,  lesquels  pouvaient 
à  peine  suffire  aux  demandes  qui  étaient  faites  de  tous  côtés, 
soit  de  France,  soit  d'Angleterre,  de  Bourgogne  et  d'Alle- 
magne. 

L'évêque  de  Clusy  était  demeuré  assez  mal  content  de  ce 
que  le  roi  avait  donné  cinq  cents  royaux  d'or  aux  bourgeois 
pour  rebâtir  leur  hôtel,  plutôt  que  de  les  accorder  au  cha- 
pitre pour  les  réparations  de  la  cathédrale*,  toutefois,  il  n'en 
laissa  rien  paraître,  car  il  était  fort  l'ami  de  l'évêque  de 
Verdun  et  du  cardinal  Balue,  lesquels,  comme  on  sait,  à  la 
suite  de  l'affaire  de  Péronne  et  de  Liège,  furent  convaincus 
de  trahison  et  enfermés,  le  premier  à  la  Bastille,  et  l'autre 
dans  une  cage  de  fer,  au  château  d'Ouzain,  près  de  Blois. 

Le  roi,  sachant  cette  grande  amitié  entre  l'évêque  de 
Clusy  et  le  cardinal  Balue,  fit  savoir  à  l'évêque  qu'il  le  tenait 
pour  fidèle  et  loyal,  et  étranger  aux  menées  du  cardinal, 


214  HISTOIRE     D    UX     HOTEL     DE     VILLE 

mais  qu'il  était  bon  qu'il  pourvût  aux  nécessités  de  son 
évêché  et  notamment  à  Tétat  de  sa  cathédrale,  laquelle 
lui  avait  paru  fort  délabrée,  et  qu'il  espérait  qu'au  moyen 
des  grands  biens  dont  il  disposait,  ainsi  que  messieurs  de 
son  chapitre,  il  rendrait  à  son  église  épiscopale  la  splendeur 
qu'elle  avait  perdue  par  suite  des  temps  et  des  malheurs 
publics. 

Le  bon  prélat  ne  se  fit  pas  répéter  l'avis,  car  il  n'était 
pas  sans  quelques  craintes  touchant  certaines  lettres  écrites 
par  lui  au  cardinal,  en  ces  derniers  temps-,  il  fut  donc  résolu, 
à  révêché,  qu'on  pourvoirait  sans  délais  aux  travaux  de  la 
cathédrale,  moyennant  une  subvention  fournie  par  mes- 
sieurs du  chapitre,  parmi  lesquels  étaient  plusieurs  riches- 
hommes,  et  le  revenu  des  bois  appartenant  au  seigneur 
évêque. 

Les  bâtiments  de  l'hôtel  de  ville  se  composaient  alors  du 
beffroi,  des  deux  salles  voisines  à  droite  et  à  gauche  du  per- 
ron, et  de  quelques  ouvrages  inachevés  sur  la  cour  inté- 
rieure et  appropriés  tant  bien  que  mal  (voir  fig.  35).  Quant 
à  la  grande  salle  commencée  de  l'autre  côté  de  la  rue  Cu~ 
riale,  elle  n'avait  été  élevée  que  d'un  rez-de-chaussée, 
lequel,  couvert  par  une  charpente  provisoire,  servait  de 
halle  aux  drapiers. 

Mais,  par  suite  de  legs,  la  ville  possédait  à  la  gauche  de 
la  façade,  sur  la  place,  deux  maisons  qui  étaient  occupées 
par  les  services  municipaux.  Ces  maisons  étaient  vieilles  et 
en  assez  mauvais  état. 

Dans  les  délibérations  qui  suivirent  la  visite  du  roi  à 
Clusy,  il  fut  décidé  qu'on  étendrait  les  bâtiments  du  nouvel 
hôtel  sur  ces  terrains,  en  utilisant  d'ailleurs,  autant  que 
possible,  les  vieux  logis  -,  qu'on  abandonnerait  la  construc- 
tion de  la  grande  salle  au  service  auquel  alors  son  rez-de- 


ET    d'une    CATHKDRALE.  2i5 


chaussée  était  aH'cctc,  et  que  la  future  graiursallc  s^éléverait 
sur  remplacement  des  maisons. 

En  conséquence  de  ces  délibérations,  furent  appelés  plu- 
sieurs maîtres  des  œuvres,  afin  qu'ils  présentassent,  dans  un 
délai  rapproché,  des  projets  dressés  conformément  à  ce  pro- 
gramme. 

Il  y  eut  dans  rassemblée  des  notables  de  longues  discus- 
sions touchant  la  conservation  ou  la  démolition  du  vieux 
beffroi. 

Les  partisans  de  la  conservation  firent  valoir  Pancienneté 
de  cette  construction,  signe  vénérable  des  franchises  de  la 
commune,  sa  solidité  et  l'inutilité  de  la  dépense  que  néces- 
siterait la  construction  d'une  nouvelle  tour  et  beffroi.  Ceux 
qui  en  demandaient  la  démolition  prétendaient  que  la  con- 
servation de  la  vieille  tour  gênerait  les  dispositions  à  pren- 
dre dans  la  construction  d'une  nouvelle  façade,  et  qu^il 
était  préférable  de  ne  pas  se  préoccuper  d'une  bâtisse  qui  ne 
pourrait  que  s'accorder  fort  mal  avec  les  btitiments  à 
élever. 

Cet  avis  ne  prévalut  pas,  et  la  conservation  du  vieux  bef- 
froi fut  décidée. 

Avant  les  fêtes  de  Pâques  (1469),  les  maîtres  présentèrent 
leurs  projets.  Celui  qui  parut  le  plus  satisfaisant  aux  nota- 
bles était  dû  à  maître  Michel  de  Blamont.  La  figure  40*  en 
donne  le  plan  à  rez-de-chaussée. 

Ainsi  qu'on  le  voit  sur  ce  plan,  maître  Michel  conservait 
le  beffroi  et  la  salle  de  droite  dont  il  avançait  le  pignon  sur 
la  place.  Il  se  servait,  autant  que  possible,  des  fondations 
des  vieux  bâtiments  et  maintenait  l'escalier  circulaire  qu'il 

1.  Le  noir  indique  les  vieilles  constructions  conservées,  et  le 
rouge  les  bâtiments  neufs. 


2l6  HISTOIRE     d'un     HOTEL     DE    VILLE 

se  proposait  de  terminer.  Le  perron,  avec  sa  loge,  fort 
ruiné,  était  démoli  et  remplacé  par  une  loge  au-dessus  de 
rentrée  principale  A,  En  outre  de  cette  entrée,  il  en  ména- 
geait deux  autres,  Tune  sous  la  tour  du  beffroi  et  Tautre 
en  B.  Ces  entrées  donnaient  sous  des  portiques  élevés  au- 
tour de  la  cour  G. 

En  D,  Michel  projetait  une  belle  montée  qui  permettait 
d'arriver  à  Pétage  supérieur  par  une  pente  douce.  La 
grande  salle  était  établie  au  premier  étage  du  bâtiment  E, 
dont  elle  occupait  toute  la  longueur.  La  porte  gauche  de 
rhôtel  était  aussi  destinée  aux  grandes  assemblées,  et 
celle  de  droite,  ainsi  que  le  bâtiment  du  fond,  aux  eschevins 
et  aux  services  de  la  ville.  Une  grille  fermait  le  portique  F, 
sur  la  cour,  au  besoin,  de  telle  sorte  que  les  gens  qui  se 
réunissaient  en  assemblée  par  la  porte  B  ne  pussent  vaguer 
dans  les  autres  parties  de  l'édifice. 

Le  portique  F  et  celui  G  en  regard  ne  s'élevaient  que  de 
la  hauteur  du  rez-de-chaussée,  formant  terrasse  au  niveau 
du  sol  du  preinier  étage,  tandis  que  les  galeries  doubles 
prenaient  la  hauteur  de  ce  premier  étage  et  permettaient 
d'entrer  à  couvert  dans  les  salles  E  et  H  ;,  Tescalier  circulaire, 
ainsi  que  la  rampe  D,  débouchant  dans  ces  galeries. 

La  figure  41  ,(coupe  faite  en  travers  de  la  grande  salle, 
et  des  galeries  sur  a^  b)  permettra  de  saisir  cette  disposi- 
tion. 

G'était  pour  se  conformer  au  programme  que  maître  Mi- 
chel avait  supprimé  Taccès  à  la  loge,  du  dehors,  et  par 
conséquent,  le  perron.  Les  bourgeois  ne  tenaient  pas  à  être 
ainsi  en  contact  avec  le  populaire  -,  il  était  resté  de  mauvais  ' 
souvenirs  du  perron,  bâti  à  la  fin  du  treizièine  siècle  -,  le 
prévôt  royal  de  Glusy  déclara  d'ailleurs  qu'il  ne  fallait  pas 
songer  à  le  rétablir,  et  que  telle  était  la  volonté  du  roi. 


I-T    D   UNE    CATHliDRALt:. 


217 


La  figure  42  donne  la  vue  de  la  façade  du  nouvel  hôtel 
de  ville  projeté.   Les  travaux  en  furent  poussés  avec  une 


rcj-ui. 


I    I    1 


^ 


grande  activité,  malgré  les  charges  énormes  dont  était  acca 
blé  le  peuple,  sans  qu'il  eût  été  consulté  en  rien;  car,  comme 
le  dit  un  auteur  contemporain  : 

2S 


2î8 


HISTOIRE    D   UN    HOTEL    DE    VILLE 


«  Y  a-t-il  roi  ou  seigneur  sur  terre,  qui  ait  pouvoir,  ou- 
tre son  domaine,  de  mettre  un  denier  sur  ses  sujets,  sans 
octroi  et  consentement  de  ceux  qui  le  doivent  payer,  sincn 
par  tyrannie  ou  violence  *  ?  j) 


Mais  Louis  XI,  pour  établir  de  nouveaux  impôts,  non- 
seulement  ne  consulta  jamais  ses  États,  mais  se  passa  par- 
fois du  parlement. 

Les  tailles,  devenues  permanentes,  étaient  augmentées  de 
plus  des  trois  cinquièmes.  La  cour  de  Rome    faisait  lever 


1.  Commines,  Mémoires,  livre  V,  chap.  xviii. 


ET    d'une    cathédrale.  2I9 

deniers  sur  toute  la  France,  avec  une  singulière  apreté  et 
plus  qu'en  aucun  autre  temps,  car  la  Pragmatique  sanc- 
tion^ supprimée  par  Louis  XI,  laissait  le  royaume  à  la 
merci  des  entreprises  du  pape  sur  le  temporel,  contraire- 
ment aux  usages  du  ro3'aume  depuis  saint  Louis.  Puis 
enfin,  Louis  XI,  pour  payer  ses  gens  d'armes,  officiers  et 
étrangers  qu'il  tenait  près  de  lui,  et  faire  les  grandes  dépen- 
ses qu'exigeaient  ses  entreprises,  avait  peu  à  peu  aliéné 
tous  les  biens  du  domaine  de  la  couronne,  et  était  ainsi 
obligé  de  recourir  entièrement  à  Timpôt  qui  s'aggravait 
d'autant. 

Les  cinq  cents  royaux  d'or  donnés  par  le  roi  étaient  dé- 
pensés que  les  bâtiments  n'étaient  pas  montés  à  moitié; 
les  notables  avaient,  en  adoptant  leur  projet  d'hôtel  de 
ville,  consulté  leur  désir  de  bien  faire'  plus  que  leur 
bourse. 

Toutefois,  les  bâtiments  prenaient  une  si  bonne  appa- 
rence que  chacun  dans  la  ville  désirait  les  voir  terminer, 
et  que  plusieurs  gros  bourgeois  s'empressèrent  de  donner 
des  sommes  considérables  pour  aider  à  l'achèvement  de 
l'édifice. 

En  Tan  1483,  au  moment  de  la  mort  de  Louis  XI 
(3o  août  1483),  les  ouvrages  les  plus  voisins  de  la  tour  du 
beffroi  étaient  montés,  couverts  et  occupés  ;  il  ne  restait  plus 
que  la  partie  de  gauche,  c'est-à-dire  la  grande  salle  et  ses 
annexes. 

La  mort  du  roi  fut  accueillie  comme  une  délivrance,  et  les 
États  généraux,  convoqués  en  1484,  ayant  obtenu  la  réduc* 
tion  des  impôts,  le  nouvel  hôtel  de  ville  put  être  terminé 
en  1485. 

Maître  Michel  de  Blamont  avait  mis  tous  ses  soins  au 
pavillon  du  milieu,  qui  contenait  la  loge.  Ce  pavillon  plut 


220  HISTOIRE     D   UN     HOTEL     DE     VILLE 

fort  aux  habitants  de  Clusy  et  aux  étrangers  qui  visitaient 
la  ville  (fig.  43^). 

Six  statues,  surmontées  de  dais,  ornaient  les  contre-forts 
de  cet  avant-corps.  Il  y  eut  de  longues  discussions  entre  les 
notables  et  les  eschevins  pour  savoir  quels  seraient  les  per- 
sonnages dont  on  exposerait  ainsi  les  portraictures  sur  la 
façade  de  Thôtel  de  ville.  Les  uns  voulaient  des  figures 
allégoriques  :  la  Vigilance,  la  Prudence,  la  Force,  la  Jus- 
tice, la  Charité  et  la  Liberté  ;  les  autres  demandaient  des 
statues  de  souverains  :  Charlemagne,  Louis  le  Gros,  Phi- 
lippe-Auguste, saint  Louis,  Charles  VII  et  Louis  XL 

On  admit  un  compromis  :  deux  figures  de  rois,  saint 
Louis  et  Charles  VIII  (Louis  XI  étant  mort,  personne  ne 
songea  à  réclamer  sa  portraicture)  et  quatre  figures  allégo- 
riques. 

D'autres  parties  de  l'édifice  reçurent  l'approbation  de 
tous  :  la  grande  salle  avec  ses  deux  cheminées  aux  deux 
extrémités  et  sa  belle  charpente  lambrissée*,  les  portiques  de 
la  cour,  délicatement  ouvrés,  avec  l'étage  qui  les  couron- 
nait (fig.  44). 

Les  travaux  entrepris  à  la  cathédrale  furent,  pendant  le 
même  temps,  poursuivis  avec  assez  d'activité.  La  flèche  de 
la  tour  centrale  qui,  à  diverses  reprises,  avait  été  endom- 
magée par  la  foudre,  fut  presqu'entièrement  rebâtie  sui* 
vant  le  goût  du  temps,  avec  belles  lucarnes  ajourées  de 
pierre  et  clochetons  finement  découpés.  Cet  ouvrage  coûta 
gros  et  ne  put  même  être  entièrement  achevé  que  sous  le 
règne  de  François  P"".  Tous  les  arcsboutants  du  chœur 
durent  être,  en  grande  partie,  refaits  avec  pinacles  ouvra- 


I.  En  A  est  donné  le  plan  du  pavillon  central  à  rez-de-chaussée; 
en  B,  au  premier  étage  ;  en  C,  l'élévation  sur  la  place  du  Marché. 


AilMST     i/umip^^ 


LOGE    DE    L  HOTEL    DE   VILLE    EN    Kjyo. 


PORTIQUE    DE    l'hOTEL   DE   VILLE    EN    ï470' 


ET    D   UNE    CATHIÎDRALE. 


221 


gés  à  leur  tête.  On  répara  les  chéneaux  et  balustrades,  les 
combles  et  les  tours;  mais  Tévcque  ne  put  achever  les  cha- 
pelles du  rond-point,  car  l'argent  lui  faillit  pour  cette  entre- 
prise. A  sa  mort,  advenue  en  i486,  son  successeur,  trou- 
vant le  trésor  de  Févêché  obéré,  suspendit  les  travaux. 


'211  HISTOIRE     D   UN     HOTF.L     DE     VILLE 


CHAPITRE  XII 


LA    LIGUE. 


La  ville  de  Clusy  avait  grandement  prospéré  sous  le 
règne  de  Louis  XH. 

La  réduction  des  impôts,  les  développements  donnés  au 
commerce  augmentèrent  sa  richesse  et  accrurent  sa  popu- 
lation. Elle  fit  faire  de  nouveaux  travaux  à  Tintérieur  de  son 
hôtel  de  ville:  belles  boiseries,  peintures,  beaux  pavages  de 
faïence,  tentures  de  drap  et  de  cuir  \  si  bien  que  la  maison 
des  bourgeois  de  Clusy  passait  avec  raison  pour  une  des 
plus  belles  de  PIle-de-France. 

Les  bourgeois  s'en  montraient  fiers  et  n'épargnaient  rien 
pour  accroître  la  splendeur  de  leur  hôtel. 

Sous  François  I",  cette  prospérité  reçut  une  première 
atteinte  par  l'augmentation  des  taxes.  Puis,  survint  la 
réformation  qui  divisa  la  ville.  Cependant,  les  calvinistes 
ne  comptaient  parmi  les  bourgeois  qu'une  minorité 
faible;  mais  ils  suppléaient  à  leur  petit  nombre  par  leur 
activité,  d'autant  qu'ils  comptaient  parmi  eux  quelques- 
uns  des  plus  notables  et  des  plus  riches.  Le  corps   des 


ET    d''uNE    cathédrale.  22? 

magistrats  de  la  ville  ne  se  composait  que  de  catholiques, 
car  le  mode  ancien  d'élection  n'était  plus  admis,  et  le 
maire  et  les  eschevins  étaient  pris  parmi  les  quartiniers  et 
agréés  par  le  roi,  sur  une  liste  présentée  par  rassemblée  des 
notables. 

Nous  ne  raconterons  pas  les  événements  qui  émurent 
la  cité  pendant  les  années  du  règne  de  Henri  II,  de  Fran- 
çois II  et  de  Charles  IX. 

Il  Y  eut  dans  la  ville  quelques  victimes  à  la  suite  de 
la  Saint-Barthélémy,  mais  en  petit  nombre,  car,  aux  pre- 
mières nouvelles  des  massacres  de  Paris,  les  calvinistes 
de  Clusy  prirent  le  large  et  se  réfugièrent  dans  les  Flan- 
dres. 

Le  conseil  des  Seize  se  mit  en  rapport  avec  les  gens  de 
Clusy  dès  les  premiers  jours  de  la  ligue,  vu  que  ceux-ci 
tenaient  en  grande  partie  pour  les  Guises  -,  aussi,  quand 
Tassassinat  du  Balafré  fut  connu  dans  la  ville,  il  y  eut 
grand  émoi.  Les  églises  se  remplirent,  et  les  prêtres  et 
moines,  par  leurs  prédications  furibondes,  excitaient  le 
peuple  contre  leurs  magistrats,  composés  de  politiques 
dévoués  au  roi. 

«  Ces  suppôts  d'Hérode,  dit  Tun  de  ces  prédicateurs,  en 
pleine  cathédrale,  sont  prêts  à  vous  livrer  aux  hérétiques 
et  ont  fait  alliance  avec  eux.  Ils  se  disent  dévoués  à  la  sainte 
Église  et  vont  à  la  messe,  comme  leur  roi,  pour  vous  en- 
dormir. Mais  si  vous  les  laissez  faire,  ils  vous  égorgeront 
traîtreusement  pour  s'emparer  de  vos  biens.  La  sainte 
Union  vient  de  voir  son  chef  massacré  par  les  mignons  du 
tyran,  et  sur  son  ordre.  Cette  trahison  infâme,  après  les 
serments  de  bonne  amitié  prononcés  devant  Tautel,  vous 
délie  de  toute  obéissance  aux  commandements  du  traître 
sacrilège  qu'on  nomme  Henri. 


224  HISTOIRE     D'UN     HOTEL     DE    VILLE 

«  Quelle  fiance  pouvez- vous  avoir  en  celui  qui  parjure 
Dieu! 

«  Parmi  vous,  ne  souffrez  plus  ces  politiques  hypocrites 
et  retors,  pires  que  les  hérétiques,  puisqu'ils  cachent  leurs 
trahisons  sous  de  faux  semblants  de  dévotion. 
•    «   Tous  ceux  qui    ne   sont   pas   de  T Union,   sont  nos 
ennemis. 

tt  Tous  ceux  qui  pactisent  avec  le  tyran,  méritent  la 
mort 

—  Oui  !  répondit  la  foule  entassée  dans  la  cathédrale, 
vive  l'Union  !  à  mort  les  traîtres  !  les  politiques  !  les  suppôts 
du  tyran  !  » 

Pendant  que  ces  prédications  se  faisaient  dans  les  égli- 
ses, les  eschevins,  le  maire  et  quelques  notables  étaient  as- 
semblés à  rhôtel  de  ville  pour  aviser  aux  nécessités  du 
moment,  à  cause  de  la  furieuse  contenance  du  peuple. 
Les  avis  étaient  fort  partagés.  Allait-on  se  déclarer  pour 
les  Seï:{e  et  F  Union,  rompre  avec  le  parti  du  roi  violem- 
ment, se  mettre  en  insurrection  contre  son  autorité,  ou 
devait-on  user  d'atermoiement  et  essayer  de  traiter? 

L'un  des  eschevins,  homme  respectable  et  d'esprit  sage, 
prit  la  parole  en  ces  termes  : 

«  Messieurs  du  conseil,  ce  n'est  point  que  j'approuve  la 
façon  dont  le  roi  s'est  défait  de  M.  de  Guise;  c'est  là  un 
acte  condamnable  et  qui  ne  peut  qu'engendrer  des  maux 
pires  que  ceux  déjà  soufferts.  Si  je  voyais,  parmi  ceux  de 
l'Union,  quelques  personnages  capables  et  sages,  connus 
par  les  services  rendus  au  pays,  je  m'attacherais  peut- 
être  à  ce  parti  ;  mais  je  ne  vois  là  que  des  moines  ignorants, 
des  étrangers  altérés  de  notre  sang  et  de  notre  substance, 
que  des  femmes  ambitieuses,  des  prêtres  débauchés,  que 
des  nobles  ruinés  et  une  racaille  nécessiteuse  qui  aime  la 


ET    D   UNn:    CATHKDRALE.  22D 

guerre  et  le  trouble,  parce  qu'elle  vit  aux  dépens  du 
bonhonDJie.  Que  fait  là  dedans  monsieur  le  légat,  sinon 
pour  empêcher  la  liberté  des  suffrages  et  encourager  ceux 
qui  lui  ont  permis  de  faire  merveilles  pour  les  affaires  de 
Rome  et  d'Espagne?  Lui,  qui  est  Italien  et  vassal  d'un 
prince  étranger,  ne  doit  avoir  chez  nous  ni  rang,  ni 
séance.  Ce  sont  donc  les  affaires  des  Français  qui  le 
touchent  de  près  et  non  celles  d'Italie  ou  d'Espagne  ? 

«  D'où  lui  viendrait  cette  curiosité,  sinon  pour  profiter  de 
notre  dommage?  Est-ce  au  duc  de  Feria,  à  Mendoze  et  à 
don  Diego  que  nous  devons  prendre  avis  comme  la  France 
se  doit  gouverner  ?  C'est  assez  vivre  en  anarchie  et  désor- 
dre au  profit  de  quelques  ambitieux  qui  mènent  le  peuple 
par  de  belles  paroles.  Quant  à  moi,  je  n'entre  pas  dans 
rUnion  qui  est  la  ruine  du  royaume  de  France,  en  ce 
qu'elle  le  met  tout  d'abord  es  mains  de  ses  ennemis 
d'Espagne  et  d'Itahe,  et  suis  d'avis  qu'il  faut  traiter  avec 
le  roi  avant  qu'il  soit  trop  tard. 

—  Je  ne  saurais  partager  l'opinion  du  préopinant, 
répondit  à  ce  discours  un  des  autres  eschevins.  Nous  ne 
saurions  traiter  avec  le  faux  moine  Henri,  troisième  du 
nom,  car  son  intérêt  consistait  à  ne  pas  souffrir  diverses 
factions  dans  son  royaume,  à  conserver  les  princes  de  son 
sang,  puisqu'il  n'avait  point  d'enfants,  et  à  tenir  bas  ceux 
qui  s'élevaient  au  préjudice  de  son  autrité  royale,  et, 
cependant,  il  fit  tout  le  contraire. 

«  Il  fomenta  les  factions,  au  lieu  de  les  éteindre,  et  même 
se  joignit  à  l'une  pour  détruire  l'autre.  —  Comme  si  un 
roi  devait  partager  les  ambitions  d'une  facdoni  —  Il  fit 
une  guerre  perpétuelle  aux  princes  du  sang,  à  la  persua- 
sion de  ceux  qui  en  voulaient  voir  l'extinction  pour  s'é- 
lever   en   leurs   places ,   et    autorisa   du    commandement 


220  HISTOIRE     D^UN     HOTEL     DE    VILLE 

de  ses  armées  ceux  qui  aspiraient  à  l'usurpation  de  son 
royaume. 

«  Il  fit  pis  encore  -,  quand  il  commença  à  s'aperce- 
voir de  rinutilité  de  sa  politique,  on  le  vit  se  jeter  dans  une 
dévotion  affectée  et  extraordinaire,  ne  bougeant  des  cloîtres 
et  vivant  avec  les  moines  ;  pensant  par  ces  moyens  ôter  au 
duc  de  Guise  le  crédit  que  ce  dernier  s'était  acquis  parmi  les 
catholiques,  qui  le  tenaient  pour  leur  chef.  Mais  il  en  arriva 
le  contraire,  car  il  se  rendit  méprisable  à  ses  peuples,  et 
spécialement  à  celui  de  Paris,  qui  le  chassa  honteusement 
du  Louvre-,  et  enfin  ce  roi  fit  assassiner  celui  qu'il  craignait 
voir  régner  en  sa  place  et  qui  était  digne  du  trône  par  son 
courage,  son  attachement  à  la  religion  catholique  et  sa 
haine  pour  les  gens  de  la  religion,  qui  sont  les  pires  ennemis 
de  rÉtat. 

—  Voire,  reprit  un  troisième  orateur,  Tun  ne  vaut  pas 
mieux  que  Tautre,  et  j'aime  les  choses  en  leur  place,  non 
autrement. 

«  Aujourd'hui,  ceux  qui  obéissaient,  commandent-,  ceux 
qui  empruntaient,  prêtent  à  usure;  ceux  qui  jugeaient,  sont 
jugés  -,  ceux  qui  emprisonnaient,  sont  emprisonnés  ;  et  tous 
ces  miracles  sont  advenus  par  les  eiforts  de  M.  de  Guise, 
dont  Dieu  ait  l'âme,  et  de  cette  sainte  Union,  sa  fille. 

<c  Les  aunes  des  drapiers  sont  tournées  en  pertuisanes, 
les  écritoires  en  mousquets,  les  bréviaires  en  rondaches,  les 
scapulaires  en  corselets  et  les  capuchons  en  salades  et  mo- 
rions.  Et  n'est-ce  pas  un  grand  miracle  du  diable  !  si  nous 
étions  tous  naguères  en  Flandre,  à  faire  la  guerre  aux 
archicatholiques  espagnols,  en  faveur  des  hérétiques  des 
Pays-Bas,  de  nous  voir  catholiquement  rangés  aujour- 
d'hui au  giron  de-  la  sainte  Ligue  romaine?  si  tant  de 
bons  matois,    banqueroutiers,   saffran'ers,  hautgourdiers, 


ET     D   UNE    CATHÉDRALE.  227 


tous  gens  de  sac  et  de  corde,  se  sont  jcnés  des,  premiers 
en  ce  saint  pani  pour  faire  leurs  adaires  et  sont  devenus 
catholiques  bien  loin  devant  les  autres  ?  Et,  devons-nous 
remercier  beaucoup  ceux  qui,  ayant  commis  quelque  assas- 
sinat ou  insigne  lâcheté  ou  volerie  au  parti  de  Tennemi,  se 
sont  catholiquement  jetés  entre  nos  bras,  pour  éviter  la  pu- 
nition de  leurs  méfaits  et  trouver  parmi  nous  franchise  et 
impunité  ? 

«  Ceux-là,  certes,  tiendront  bon  jusqu'à  la  mort  pour  la 
sainte  Union,  et  tout  autant  pourrais-je  dire  de  ces  coqs- 
plumets  qui  se  montrent  vaillants  quand  il  n'y  a  péril 
aucun  et  nous  assourdissent  de  leurs  vanteries.  Donc,  si  le 
roi  ne  vaut  guère  et  ne  peut  nous  inspirer  confiance,  toute 
la  séquelle  des  guisards  ne  vaut  rien,  ne  pensant  qu'à 
nous  plumer  à  Is^ur  profit  et  à  celui  dss  Espagnols,  leurs 
amis. 

(c  Tant  est  qu'il  est  bon  de  fermer  ses  portes  et  de  se 
garder  contre  tous.  J'ai  dit.  « 

Un  quatrième  personnage  prit  alors  la  parole  en  ces 
termes  : 

«  Je  vous  parlerai  franchement,  comme  bon  bourgeois, 
ami  de  sa  patrie  et  jaloux  de  la  conservation  de  la  religion; 
nous  voyons  bien  que  les  Seize  sont  aux  filets  du  roi  d'Es- 
pagne, notre  ennemi  mortel,  lequel,  s'il  le  peut,  veut  nous 
rendre  esclaves  pour  joindre  l'Espagne,  la  France  et  les 
Pays-Bas  tout  en  un  tenant,  ou,  s'il  ne  le  peut,  pour  le  moins 
nous  affaiblir  et  mettre  si  bas  que  jamais  ou  de  longtemps 
nous  ne  puissions  nous  relever  et  rebéquer  contre  lui. 

«  Car  le  roi  d'Espagne  est  un  vieux  renard;  il  sait  bien  le 
tort  qu'il  nous  fait  déjà  en  tenant  les  royaumes  de  Naples  et 
Navarre,  et  le  duché  de  Milan,  et  le  comté  deRoussillon,  qui 
nous  appartiennent;  il  connaît  le  naturel  des  Français,  qui 


228  HISTOlRIi:     d'un    HOTEL    D C     VILI.B 


ne  sauraient  longtemps  demeurer  en  paix  sans  attaquer 
leurs  voisins-,  sur  quoi  les  Flamaïuls  ont  fait  un  proverbe, 
qui  dit  que  :  quand  le  Français  dort,  le  diable  le  berce. 

«  Notre  intérêt  est  de  nous  mettre  à  couvert  et  d'accor- 
der nos  dillcrends,  en  otant  les  folles  vanités  que  nous  avons 
en  la  tête  et  faisant  la  paix.  Il  n'y  a  ni  paradis  bien  tapis- 
sés et  dorés,  ni  processions,  ni  prédications  ordinaires  et 
extraordinaires  qui  nous  donnent  à  manger. 

«  Les  pardons,  stations,  indulgences,  brefs  et  bulles  de 
Rome,  sont  viande  creuse  qui  ne  rassasie  que  les  cerveaux 
éventés.  Il  n'y  a  ni  rodomontade  d'Espagne,  ni  temple  ou 
citadelle  dont  on  nous  menace,  qui  nous  puisse  empêcher 
de  désirer  et  de  demander  la  paix » 

Les  cris  que  la  foule  poussait  sur  la  place  du  Marché  in- 
terrompirent ce  discours.  Plusieurs  eschevins,  s'étant  rendus 
dans  la  loge  pour  connaître  la  cause  de  ce  bruit,  furent 
accueillis  par  des  huées. 

«  A  bas  les  politiques!  criait  la  foule-  lUnion!  vive 
l'Union  !  « 

A  la  tête  de  cette  foule,  on  voyait  des  moines  et  des  curés 
des  paroisses  de  la  ville,  quelques  jeunes  gentilshommes 
ligueurs,  venus  de  Paris  pour  provoquer  le  mouvement,  des 
chefs  du  guet  et  des  olHciers  de  l'évéché  (fig.  46),  tous 
portant  la  croix  de  Lorraine  sur  leurs  chapeaux  ou  leurs 
habits. 

Les  notables  bourgeois,  réunis  dans  l'hôtel  de  ville, 
quittaient  la  salle  les  uns  après  les  autres  et  s'échappaient 
par  une  petite  porte  de  service  donnant  sur  la  rue  Curiale. 
Seuls  le  maire  et  les  eschevins  restaient  à  leur  poste,  atten- 
dant les  événements  et  ayant  donné  l'ordre  de  laisser  la 
porte  centrale  ouverte. 

Les  chefs  du  peuple  prétendaient  procéder  régulièrement 


ET    D   UNE     CATUinR  A  I  R. 


229 


Apres  quelques  p.uirparlers,  \ini;t-deu\  d'enire  eux,  ar- 
més, entrèrent  dans  riiôiel  Je  \  ille  et  déclarèreni  aux  ma- 
gistrats municipaux  que  les  habitants  de  Clusy  entendaient 
avoir  à  leur  tète  un  conseil  entièrement  dévoué  à  la  sainte 
Union  ;  que  si,  parmi  les  magistrats  do  la  cité,  il  en  était 


qui  voulussent  signer  leur  adhésion  à  la  Ligue,  ils  le  de\  aient 
faite  immédiatement,  et  que  les  autres  eussent  à  sj  retirer  en 
leurs  logis. 

Sur  les  quin/.c  magistrats  rnunicipaux,  six  seulement  si- 
gnèrent; les  autres,  parmi  lesquels  était  le  maire,  quittè- 
rent la  salle,  non  sans  protester  contre  la  violence  qui  leur 
était  faite. 


23o  HISTOIRE     d'un     HOTEL     DE     VILLE 

V 

Vêtus  de  leurs  robes,  ils  sortirent  par  la  grande  porte  à 
pas  lents. 

Aussitôt,  ils  furent  entourés  par  la  foule,  accablis  d'inju- 
res, et  les  choses  eussent  pu  tourner  au  plus  mal,  si  les 
vingt  chefs  qui  les  avaient  accompagnés  ne  se  fussent  inter- 
posés pour  qu'on  les  conduisît  à  Tévêché,  où  ils  furent 
détenus  jusqu'à  ce  qu'il  fût  statué  sur  leur  sort. 

Les  neuf  magistrats  traversèrent  donc  toute  la  ville,  non 
sans  peine,  .sous  escorte,  et  furent  enfermés  dans  les  pri- 
sons de  Tofficialité. 

Ce  fut  au  milieu  d'une  confusion  inexprimable  que  les 
élections  du  nouveau  conseil  se  firent  dans  la  grande  salle. 

Un  nom  était  prononcé;  la  foule  l'acceptait  ou  le  re- 
poussait par  acclamation. 

Aucun  des  six  eschevdns  qui  avaient  signé  le  pacte  de 
l'Union  ne  fut  élu,  et  ce  nouveau  conseil,  composé  de  dix 
membres  et  d'un  président,  entra  aussitôt  en  fonction.  On 
y  voyait  deux  curés,  un  chanoine,  un  boucher,  un  forgeron, 
deux  avocats,  un  officier  de  l'évêché  et  deux  aventuriers 
qui  s'étaient  fait  connaître  dans  la  ville  par  leur  fanatisme 
de  ligueurs.  Le  président  était  un  certain  Malestroit,  se  di- 
sant gentilhomme,  agent  actif  des  guisards,  homme  sans 
conscience,  brave,  pillard,  a}'ant  la  parole  facile, prêt  atout, 
recevant  de  l'argent  de  toutes  mains  et  le  dépensant  large- 
ment. 

Les  premiers  actes  du  conseil  furent  : 

1°  De  déclarer  Findépendance  de  la  ville  de  Clusy  et  de  sa 
banlieue  •, 

2°  L'adhésion  à  la  sainte  Union  dans  tout  ce  qu'elle 
entreprendrait  \ 

3"  L'exemption  des  tailles,  cens  et  devoirs  envers  les  sei- 
gneurs ; 


ET    DUNE    CATIilÎDR  ALE.  23l 

4"  L'arrestation  de  tous  les  gens  soupçonnés  d'être  en 
relations  av^cc  la  cour; 

5"  La  levée  d'un  subside  de  guerre  pour  la  défense  de  la 
sainte  Union  -, 

y  La  nomination  d'une  délégation  de  députés  auprès 
du  conseil  des  Quarante,  à  Paris,  qui  venait  de  se  con- 
stituer. 

Tout  cela  ne  satisfaisait  que  médiocrement  la  populace-, 
elle  comptait  sur  quelque  chose  de  plus  immédiat.  Les  moi- 
nes-prêcheurs sollicitaient  le  peuple  à  ne  pas  quitter  ses 
armes  et  à  faire  justice  des  politiques  et  des  suppôts  du  ty- 
ran. L'un  d'eux,  portant  la  robe  des  dominicains,  qui  se 
faisait  surtout  remarquer  par  son  exaltation  et  ses  discours 
violents,  avait  pris  un  grand  ascendant  sur  la  foule  et  sur- 
tout sur  les  femmes.  Le  frère  Côme  était  un  grand  gaillard, 
maigre.  Sa  belle  tête  pâle,  entourée  d'une  couronne  de 
cheveux  noirs,  prenait,  quand  il  parlait,  une  expression 
extatique  qui  pénétrait  ses  auditeurs  d'une  sorte  de  ter- 
reur fanatique.  Vêtu  d'une  cuirasse  par-dessus  sa  robe, 
une  longue  rapière  ceinte  autour  des  reins,  après  la  scène 
de  l'hôtel  de  ville,  il  se  dirigeait,  suivi  d'une  foule  nom- 
breuse ,  vers  la  cathédrale  •,  là,  s'arrêtant  sur  les  mar- 
ches du  portail  et  se  retournant  vers  le  peuple  attaché  à 
ses  pas  : 

«  Mes  frères,  dit-il,  croyez-vous  que  votre  tâche  soit 
remplie  parce  que  vous  avez  mis  hors  la  maison  'de  ville 
les  valets  de  ce  Judas  qu'on  nommait  Henri?  L'ange  exter- 
minateur essuie-t-il  son  épée  tant  qu'il  reste  un  hérétique 
marqué  du  sceau  du  parjure  à  frapper?  Le  Seigneur  a-t-il 
suspendu  d'une  heure  les  effets  de  son  jugement  sur  la  ville 
deSodome?  Non,  ayant  fuit  partir  Loth,  le  seul  juste,  le 
seul  soumis  à  sa  loi,  il  a  répandu  sur  la  ville  maudite  la 


232  HISTOIRE     d'uN     HOTEL     DE    VILLE 

pluie  de  feu,  décournant  ses  regards  et  sans  écouter  les 
cris  des  petits  enfants.... 

«  Et  nous,  mes  frères,  que  faisons-nous?  Tandis  que  le 
Valois  emprisonne,  torture  et  fait  assassiner  par  ses  mi- 
gnons les  plus  illustres  entre  les  défenseurs  de  la  foi,  quand 
il  fait  alliance  avec  les  hérétiques  cent  fois  maudits,  avec 
les  politiques  conjurés  avec  l'enfer,  lorsqu'il  emploie  mille 
sortilèges  pour  répandre  la  peste  et  la  famine  sur  ceux  de 
la  sainte  Union ,  nous  pardonnerions  aux  traîtres  qui, 
comme  lui,  sont  prêts  à  donner  la  main  à  Satan,  aux  hu- 
guenots!... Oyez?  n'entendez-vous  pas  la  voix  du  Dieu  ir- 
rité qui,  du  fond  du  sanctuaire,  crie  :  «  Frappez,  frappez 
«  mes  ennemis  !  frappez ,  si  vous  ne  voulez  pas  être  con- 
«  fondus  avec  eux,  car  l'heure  de  la  justice  est  proche,  et, 
«  dans  ma  colère,  comme  autrefois  à  Sodome,  j'écraserai 
u  jusqu'aux  femmes  et  enfants  à  la  mamelle.  Triez  et  brù- 
«  lez  le  mauvais  grain,...  il  est  temps.  » 

Ayant  tiré  sa  rapière  du  fourreau,  le  moine  accompagnait 
ce  discours  de  gestes  de  possédé  \  les  derniers  rayons  du 
soleil  le  frappaient  d'une  lueur  rouge,  et  derrière  lui  s'éle- 
vait  la  façade   de   la  cathédrale,  étincelante    de  lumière 

(fig.  4<3). 
Alors  les  cloches  furent  mises   en   branle   et   la   foule 

hurla  : 

«  Oui!  mort  aux  ennemis  de  l'Union,  vive  la  Ligue,  à 
mort  les  politiques  !  » 

Des  prisons  de  l'officialité,  les  malheureux  eschevins  en- 
tendirent ces  cris. 

Pendant  que  cette  scène  se  passait  devant  le  portail  de  la 
cathédrale,  le  long  de  la  rivière  se  tenait  une  autre  assem- 
blée à  la  grande  hôtellerie  du  Pélican^  rendez-vous  de  tous 
les  coupeurs  de  bourse,  des  ruffians,  de  soldats  débandés  et 


46 


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LE    FRERE    COME. 


ET    \i   UNE    CATIIliQRALE.  20J 

vagabonds  auxquels  s'étaient  joints  des  capucins  et  des  pros- 
tituées. Là,  on  buvait,  on  chantait  des  couplets  en  faveur 
de  la  Ligue  et  de  la  sainte  Union,  mêlés  à  des  chansons 
obscènes.  Riffaut,  façon  de  bandit  qui  avait  participé  à 
tous  les  excès  commis  contre  les  huguenots  depuis  la 
Saint-Barthélem}',  et  qui  commandait  à  une  troupe  de  gens 
de  sac  et  de  corde  avec  lesquels  il  rançonnait  les  paysans  et 
pillait  les  hameaux,  montant  sur  une  table  et  dominant  le 
tumulte,  prit  la  parole  : 

«  Je  ne  sais,  dit-il,  quels  dé,<Toûtés  politiques,  de  la  no- 
blesse et  de  la  robe  parlent  de  paix  et  de  conserver  la  Reli- 
gion et  rÉtat  tout  ensemble  ;  quant  à  nous,  nous  n'enten- 
dons point  à  toutes  ces  finesses  ;  vive  la  guerre,  par  Dieu  ! 
J'ai  bonne  épée  et  bon  pistolet,  et  il  n'y  a  ni  sergent,  ni  pré- 
vôt des  maréchaux  qui  m'osât  ajourner!  M.  le  légat  ne 
nous  a-t-il  pas  mis  la  bride  sur  le  col  pour  prendre  le 
bien  des  politiques  et  faire  suer  l'or  à  ces  huguenots  du 
diable  par  tous  les  moyens  ?  Pourvu  que  nous  soyons 
bons  catholiques,  le  reste  n'est  rien,  et  faisons  nos  affaires. 
Donc,  finissons-e.i  avec  ces  gens  qui  tournent  leur  robe  si 
aisément  et  parlent  de  paix  quand  ils  voient  que  leur  parti 
va  mal. 

«  Il  ne  nous  chaut  ni  du  Valois,  ni  du  Béarnais,  ni  de 
tous  les  chats-fourrés  qui  les  conseillent  et  soufflent  le  chaud 
et  le  froid,  croyant  nous  amuser  aux  bagatelles....  Ne  nous 
laissons  endormir,  et  sus  aux  hérétiques,  politiques,  nobles 
ou  vilains,  de  la  ville  et  des  champs  ! 

«  Assez  avons  enduré  l'insolence  de  ces  hochebrides  et 
avaleurs  de  frimats  -,  faisons  cette  soirée-ci  de  la  bonne  be- 
sogne, la  sainte  Union  s'en  trouvera  bien,  et  nous  autres 
mieux,  ou  je  me  donne  au  diable  !  » 

Et  toute  l'assemblée  d'applaudir,  d'entourer  Riffaut,  de 


l34  HISTOIRE     d'un     hôtel     DE     Vni.LE 


lui  demander  de  se  mettre  à  la  tête  de  tous  hs  hommes  de 
bonne  volonté  pour  en  finir  avec  les  politiques. 

La  nuit  était  venue;  la  foule  qui  accompagnait  le  père 
Côme  à  la  cathédrale  avait  allumé  des  torches  et,  en  hur- 
lant des  cantiques,  descendait  la  principale  rue  de  la  ville, 
suivant  le  dominicain  et  bon  nombre  de  religieux  armés. 

Ainsi,  cette  multitude  arriva-t-elle  sur  la  place  devant 
rhôtel  de  ville,  criant  : 

«  Mort  aux  politiques,  aux  traîfres,  aux  amis  du  Valois!  » 

I^e  conseil  siégeait  encore  et,  entendant  ces  clameurs,  se 
montra  dans  la  loge  entouré  de  flambeaux.  JVIalestroit, 
voyant  de  quoi  il  s'ajissait  : 

a  Ehî  mes  amis,  cria-t-il,  après  avoir  obtenu  un  peu 
de  silence  :  qi^'C  voulez-vous? 

—  La  mort  des  ennemis  de  TUnion  !  hurla  la  foule. 

—  Mais,  vous  avez  fait  justice  !  Ils  sont  enfermés;  on  fera 
Leur  procès  ! 

—  La  mcrt  !  la  mort  ! 

—  Eh  !    par  la  sainte  Union  !  vous   êtes  les  maîtres 
faites  ce  que  bon  vous  semblera  ! 

—  A  révêché  !  à  mort  les  politique  !  » 

Et  le  flot  populaire,  remontant  la  cité,  se  précipita-  vers 
b  palais  épiscopal  \  on  brisa  les  portes  extérieures  fermées, 
,  car  nul,  à  Tintérieur,  n'osait  les  ouvTir,  on  pénétra  dans 
Tofficialité,  cherchant  les  malheureux  eschevins.  Mais  au 
bruit  du  dehors,  le  porte-clefs,  ne  pouvant  se  méprendre 
sur  les  intentions  de  la  populace,  avait  ouvert  les  portes  des 
prisons  en  engageant  les  eschevins  à  se  tirer  d'affaire  comme 
ils  pourraient.  Sur  les  neuf,  quatre  seulement  tentèrent  d'é- 
chapper à  leurs. bourreaux,  les  cinq  autres  restèrent  dans- 
leurs  cachots,  attendant  la  mort. 

L'évêque  était  absent.  Pendant  ces  temps  de  troubles, 


LT    d'une   CATHHDRALE.  235 

peu  de  prélats  demsuraient  dans  leurs  év3chés;  la  plupart 
étaient  avec  Ls  princes,  ou  à  Paris,  ou  ailleurs,  plus  occu- 
pés d'intriguer  quj  de  maintenir  Tordre  dans  leurs  dio- 
cèses. 

Les  religieux,  mêlés  à  la  foule,  ne  voyaient  pas  sans 
crainte  cette  violation  du  palais  épiscopal.  L'archiprêtre  ni 
aucun  des  chanoines  n'étaient  parmi  eux.  Aussi,  après  avoir 
allumé  le  feu,  essayaient-ils  de  Téteindre  et  criaient-ils  à 
tous  ces  hommes  possédés  d'une  fureur  vertigineuse  : 

«  Pas  de  sang  !  pas  de  sang  dans  le  palais  de  Tévêque  ! 
Emmenez-les  !  » 

Les  cinq  malheureux  eschevins,  frappés,  blessés,  furent 
ainsi  entraînés  hors  de  l'évêché  et  massacrés  sur  la  place 
du  parvis. 

Les  quatre  fugitifs  erraient  dans  le  palais,  cherchant  une 
issue  dans  l'ombre  ou  quelque  cachette  sure,  et  cro^^ant  à 
chaque  instant  entendre  derrière  eux  les  pas  des  massa- 
creurs. 

Pendant  que  ceci  se  passait  en  haut  de  la  cité,  la  troupe 
de  Riffaut  s'était  Jetée  sur  les  hôtels  des  eschevins  prison- 
niers et  les  pillait,  mettant  à  mort  les  quelques  serviteurs 
restés  à  leur  poste,  les  femmes  et  les  enfants  surpris  dans 
ces  demeures.  Quand  ceux  d'en  haut  redescendirent  pour 
procéder  à  cette  opération,  ils  trouvèrent  la  besogne  fort 
avancée-,  mais  ils  se  dédommagèrent  sur  d'autres  hôtels 
appartenant  à  des  bourgeois  soupçonnés  de  ne  pas  être 
dévoués  à  la  sainte  Union. 

Ces  scènes  de  désordre  et  de  meurtre  durèrent  toute  la 
nuit  et  la  journée  du  lendemain;  les  détonations  d'arque- 
buses, les  cris,  les  chants  reiiiplissaient  la  ville,  et  le  con- 
seil laissait  faire,  ne  tentait  rien  pour  empêcher  le  pillage 
cî  le  mas.'icre. 


2J0  histoire     D    un    HOTEL     DE    VILLE 

Cependant,  vers  le  soir,  nombre  de  bourgeois  s^étaient 
réunis  à  Phôtel  de  ville,  armés,  adjurant  Malestroit  de  faire 
cesser  ces  excès  -,  celui-ci,  qui,  à  tout  prendre,  était 
brave,  considérant  d'ailleurs  que  Tautorité  dont  il  était 
revê:u  allait  lui  échapper  s'il  ne  parvenait  à  maintenir  la 
populace  enivrée  de  pillage  et  de  tueries,  dit  à  ses  collègues 
et  à  ces  bourgeois  : 

«  Allons,  il  est  temps  que  tout  cela  finisse,  par  Dieu  !  il 
faut  avoir  raison  de  cette  canaille  ;  qui  veut,  me  suive  !   » 

Et  sortant  de  Thôtel  de  ville,  à  la  tête  de  deux  à  trois 
cents  bourgeois,  précédé  de  trompettes,  il  donna  sur  la  pre- 
mière bande  de  pillards  qu'il  rencontra,  la  désarma  sans 
peine,  et,  allant  ainsi  de  maison  en  maison  où  étaient  fort 
occupés  ces  bandits ,  il  en  eut  raison ,  d'autant  qu'ils 
étaient  tous  chargés  de  butin,  et  que  ceux  qui  eussent  pu  le 
réclamer  étaient  cachés  dans  la  ville  ou  tués. 

Ayant  ainsi  rétabli  quelque  ordre  dans  la  cité,  le  conseil 
fit  publier  à  son  de  trompe  que  nul  n'eût  à  sortir  en 
armes  dans  les  rues,  sauf  sous  le  commandement  des  quar- 
tiniers-,  que  justice  étant  faite  des  politiques  et  alliés  des 
huguenots,  le  peuple  devait  considérer  les  violateurs  de 
maisons  et  d'hôtels  comme  voleurs  et  brigands,  et  courir 
sus. 

Dès  lors,  le  conseil  crut  bon  de  s'entourer  d'une  garde 
nombreuse  de  bourgeois  armés,  laquelle  était  relevée  tous 
les  soirs  et  se  tenait  dans  les  salles  basses  de  l'hôtel  de 
ville. 

Mais,  chaque  jour  étaient  dénoncés  des  citoyens  parmi 
les  plus  notables,  comme  politiques  et  ennemis  de  l'Union  ; 
le  conseil  les  faisait  arrêter  et  enfermer  dans  les  prisons 
de  l'évêché,  puis,  la  place  manquant,  dans  certaines  tours 
des  murailles. 


ET     d'une  cathédrale.  287 

Beaucoup,  parmi  ces  malheureux  prisonniers,  mouru- 
rent de  misère  ou  de  maladie  dans  les  cachots  étroits  où 
ils  étaient  entasses;  quelques-uns,  sur  les  instances  de 
leurs  parents  qui  donnèrent  de  grosses  sommes  à  Males- 
troit,  furent  élargis  et  purent  gagner  les  champs  ou  se  ca- 
cher dans  la  ville  sans  oser  jamais  se  montrer,  de  sorte 
qu'ils  ne  firent  que  changer  de  prison. 

Ce  ne  fut  qu'en  1594  que  la  ville  de  Clus}'  rentra  sous 
l'autorité  ro3'ale.  Malestroit,  de  président  du  conseil, 
en  était  devenu  le  véritable  gouverneur  après  la  mort 
de  Henri  III ,  par  suite  d'une  délégation  du  duc  de 
Mayenne,  lieutenant  général  du  royaume.  Il  y  fit  maintenir 
l'ordre,  en  rétablissant  la  milice  et  Tapparence  des  fran- 
chises municipales,  sous  son  autorité  omnipotente.  Les 
bourgeois  lui  reprochaient  toutefois  ses  exactions.  11  ran- 
çonnait arbitrairement  les  plus  riches  d'entre  eux,  sous 
prétexte  de  garantir  leur  vie  et  leurs  biens  contre  les  muti- 
neries de  la  populace  excitée  par  les  moines. 

Et,  pour  montrer  que  cette  protection  était  efficace,  il  fit 
pendre  Riffaut  et  bon  nombre  de  ses  bandits,  comme  pil- 
lards, robeurs  et  meurtriers. 

Malestroit,  voyant  les  affaires  de  l'Union  marcher  de  mal 
en  pis,  et  ne  recevant  plus  d'Espagne  un  seul  doublon,  se 
rapprocha  des  politiques  et  rendit  la  ville  à  Henri  IV, 
mioyennant  une  somme  de  dix  mille  écus  qui  lui  furent 
comptés. 

Le  premier  acte  du  roi,  en  entrant  à  Clusy,  fut  d'abolir 
toutes  les  franchises  municipales,  de  nommer  un  gouver- 
neur, d'y  installer  un  prévôt,  chargé  de  l'administration  et 
de  la  police  de  la  cité,  et  d'y  laisser  une  garnison. 

Cependant,  en  1604,  un  édit  royal,  «  considérant  les 
domiTiages  qu'a  subis  la  viile  de  Clusy  et  la  nécessité  d'y 


238 


HISTOIRE    D   UN     HOTEL     DE     VILLE 


apporter  remède,  permet  aux  habitants  d'élire  des  officiers 
municipaux  (eschevins),  lesquels  seront  renouvelés  chaque 
année  et  devront  désigner'  un  certain  nombre  de  notables- 
parmi  lesquels  le  roi  choisira  un  maire.  » 


\  ^/  J-  "-^ 


1£T    D   UNE    CATHEDRALE.  2^9 


CHAPITRE   XIII 


l'édit  de  1692. 


Un  édit  royal,  signé  à  Versailles  en  1692,  érigea  les  fonc- 
tions municipales  en  titres  d'offices.  Voici  le  préambule  de 
c;t  édit  : 

«  Le  soin  que  nous  avons  toujours  pris  de  choisir  les  su- 
jets les  plus  capables  entre  ceux  qui  nous  ont  été  présentés, 
pour  remplir  la  charge  de  maire  dans  les  principales  villes 
de  notre  royaume,  n'a  pas  empêché  que  la  cabale  et  les 
brigues  n'aient  eu  souvent  beaucoup  de  part  à  l'élection  de 
ces  magistrats-,  d'où  il  est  presque  toujours  arrivé  que  les 
officiers,  ainsi  élus,  pour  ménager  les  particuliers  auxquels 
ils  étaient  redevables  de  leur  emploi  et  ceux  qu'ils  pré- 
voyaient pouvoir  leur  succéder,  ont  surchargé  les  habitants 
des  villes,  et  surtout  ceux  qui  leur  avaient  refusé  leurs  suf- 
frages.... C'est  pourquoi,  nous  avons  jugé  à  propos  de  créer 
des  maires  en  titre,  dans  toutes  les  villes  et  lieux  de  notre 
royaume,  qui,  n'étant  point  redevables  de  leurs  chargés 
aux  suffrages  des  particuliers,  et  n'ayant  plus  lieu  d'appré- 
hender leurs  successeurs,  en  exerceront  les  fondions  sans 


240  HISTOIRE     D    UN     HOTEL     DE     VILLE 

passion  et  avec  toute  la  liberté  qui  leur  est  nécessaire  pour 
conserver  Tégalité  dans  ]a  distribution  des  charges  pu- 
bliques. 

«  D'ailleurs,  étant  perpétuels,  ils  seront  en  état  d'acquérir 
une  connaissance  parfaite  des  affaires  de  la  communauté  et 
se  rendront  capables,  par  une  longue  expérience,  de  satis- 
faire à  tous  leurs  devoirs  et  aux  obligations  qui  sont  atta- 
chées à  leur  ministère....  » 

L'administration  des  villes  du  royaume,  à  l'exception  de 
Paris  et  de  Lyon,  fut  donc  vendue  et  livrée  au  plus  offrant., 
mo^^ennant  finance. 

Ainsi  étaient  abolies,  par  une  loi  fiscale,  les  franchises 
municipales,  pour  subvenir  aux  dépenses  de  la  guerre  d'Al- 
lemagne, commencée  en  1668  et  terminée  seulement  en  1697 
par  le  traité  de  Ryswyk. 

Mais,  tel  était  l'attachement  que  la  plupart  des  villes 
conservaient  pour  leurs  anciennes  franchises,  qu'elles  ac- 
quirent de  leurs  deniers  les  nouveaux  offices,  afin  de  les 
réunir  au  corps  de  ville. 

En  d'autres  termes,  ces  villes  devinrent  adjudicataires  de 
la  majeure  partie  des  offices  nouvellement  créés,  non  sans 
de  grandes  plaintes,  mais  qui  n'allèrent  jamais  jusqu'à  pro- 
voquer des  soulèvements. 

Le  gouvernement  de  Louis  XIV,  qui,  en  cette  affaire,  ne 
demandait  autre  chose  que  de  l'argent,  facilita  même  ces 
transactions,  ainsi  que  le  fait  ressortir  l'édit  de  septembre 
17 14,  lequel  contient  le  passage  suivant  : 

«  Nous  avons  résolu,  non-seulement  de  supprimer  ceux 
desdits  offices  qui  restent  à  vendre  ou  à  réunir,  et  d'accor- 
der aux  communautés  la  liberté  de  faire  faire  les  fonctions 
par  les  sujets  qu'elles  voudront  nommer,  mais  encore,  pour 
rétablir  dans  les  hôtels  de  ville  de  notre  royaume  l'ordre 


ET    D    UNE    CATHÉDRALE.  24I 

qui  y  était  établi  avant  nos  édits  ponr  l'élection  des  maires, 
lieutenants  de  maires,  secrétaires,  greffiers  et  autres  officiers 
nécessaires  à  Tadmini^^tration  de  leurs  atïaires  communes, 
de  permettre  aux  communautés  de  déposséder  les  acqué- 
reurs et  titulaires  de^es  offices....  en  les  remboursant  toute- 
fois en  un  seul  et  mêmepayement  de  ce  qu'ils  se  trouveront 
avoir  pa}-é.  )) 

Ainsi  les  offices  municipaux  restant  à  vendre,  et  qui  n'a- 
vaient pas  trouvé  acquéreurs,  étaient  supprimés.  Quant 
à  ceux  qui  étaient  possédés  par  des  particuliers  acquéreurs, 
ledit  autorisait  les  communes  à  les  racheter  de  leurs  pro- 
pres deniers-,  c'était,  en  un  mot,  rendre  à  ces  communes 
leur  droit  d'élection  des  magistrats,  moyennant  rembour- 
sement, aux  acquéreurs,  des  sommes  versées  par  eux  à 
rÉtat. 

Ces  franchises  communales,  basées  sur  le  droit  pour  les 
citoyens,-  d'élire  leurs  magistrats  municipaux,  tant  de  fois 
achetées,  obtenues  au  prix  de  tant  de  luttes  et  de  sacrifices, 
étaient  donc  mises  aux  enchères,  encore  une  fois,  par  le 
grand  roi,  pour  remplir  les  caisses  de  l'État,  vidées  à  la 
suite  d'une  guerre  insensée. 

La  ville  de  Clusy  se  saigna  aux  quatre  membres  pour  re- 
couvrer ce  droit  d'élection,  mais  beaucoup  d'autres  n'a- 
vaient pu  racheter  leurs  franchises  -,  aussi,  à  la  mort  de 
Louis  XIV,  de  tous  les  côtés,  les  villes  réclamèrent  le  réta- 
blissement des  Hbertés  communales. 

Un  édit  du  1 3  juin  1 7 1 6,  publié  par  h  régent,  fit  droit  à 
ces  réclamations.  Voici  le  préambule  de  cet  édit  : 

«  Le  feu  roi,  de  glorieuse  mémoire,  notre  très-honoré 
seigneur  et  bisaïeul,  créa  par  ses  édits....  des  offices  de 
maires,  lieutenants  de  maires,  eschevins,  consuls,  capi- 
touls,  etc.,  en  chacune  des  paroisses,  des  généralités  des 

3i 


242  HISTOIRE     D    UN     HOTEL    DE    VILLE 


pa3-s  d'élection....  avec  attribution  des  droits,  gages,  taxa- 
tions, honneurs,  fonctions  et  privilèges  portés  par  lesdits 
édits.  Mais  ces  nouveaux  établissements  ayant  causé  beau- 
coup de  désordre  dans  l'administration  publique  ...  nous 
désirons...  de  rétablir  Tordre  qui  s'observait  avant  l'an- 
née 1692,  dans  l'administration  des  villes  et  communautés 
de  notre  ro3^aume,  soit  qu'elles  aient  acquis  et  réuni  les  dits 
offices soit  que  les  dits  offices  aient  été  vendus  à  des  par- 
ticuliers •  nous  avons  résolu  de  supprimer  tous  ces  offices 
sans  exception,  et  de  rendre  à  toutes  les  villes,  communau- 
tés et  paroisses  de  notre  royaume,  la  liberté  qu'elles  avaient 
d'élire  et  nommer  les  maires  et  esche\'ins,  consuls,  capi- 
touls,  etc.  » 

Cet  édit  fut  accueilli  avec  des  transports  de  joie  par  les 
villes-,  mais  ce  n'était  qu'un  leurre. 

L'époque  des  remboursements  des  charges  n'était  pas 
mentionnée,  de  sorte  que  l'État  se  contenta,  pour  la  plu- 
part, d'en  pa^'er  l'intérêt,  et,  dès  1722,  un  nouvel  édit,  daté 
du  mois  d'août,  rétablit  la  vénalité  des  charges,  s'appuyant 
sur  les  considérants  suivants  : 

«  La  nécessité  de  pourvoir  au  payement  exact  des  arré- 
rages et  au  remboursement  des  capitaux  des  dettes  de 
l'État,  nous  a  obligé  à  chercher  les  moyens  les  plus  conve- 
nables pour  y  arriver;  et  il  ne  nous  a  point  paru  d'expédient 
plus  sûr  et  moins  onéreux  à  nos  peuples  que  le  rétablisse- 
ment des  offices  supprimés  depuis  notre  avènement  à  la 
couronne,  et  dont  les  finances  font  actuellement  une  partie 
considérable  des  premières  dettes  de  l'État.  » 

Et  le  prix  de  ces  charges  fut  singulièrement  augmenté;  de 
telle  sorte  qu'il  permettait  de  rembourser  les  créanciers  por- 
teurs de  liquidations  d'offices  antérieurs,  et  d'encaisser  de 
nouvelles  sommes. 


ET    D   UNE    CATHÉDRALE. 


243 


Dj  1722  à  1789,  le  régime  municipal  n'eut  pas  plus  de 
seize  ans  de  liberté  sans  rançon!,..  Et  cependant,  tel  était 
l'amour  des  villes  pour  leurs  libertés  communales  qu'elles 
n'hésitaient  jamais  à  les  racheter  lorsqu'elles  leur  avaient" 
été  ravies  contrairement  à  tout  droit. 


H. 


244  HISTOIRE     D    UN     HOTEL     DE    VILLE 


CHAPITRE  XIV 


LES    CONSEQUENCES    D   UN    VŒU    ROYAL. 


Par  lettres  patentes,  en  date  du  lo  février  i638, 
Louis  XIII  mit  son  royaume  sous  la  protection  spéciale 
de  la  Vierge,  et  le  roi  déclarait  qu'il  consacrerait  dans  le 
sanctuaire  de  Notre-Dame  de  Paris  le  souvenir  de  ce  vœu 
solennel. 

Louis  XIII  mourut  en  1643,  sans  avoir  pu  réaliser  son 
projet-,  mais  Louis  XIV  voulut  acquitter  la  dette  de  son 
père,  et,  en  1699,  des  travaux  importants  furent  entrepris 
dans  le  choeur  de  Notre- Dame  de  Paris  pour  en  changer 
Fordonnance.  Le  jubé  du  treizième  siècle  fut  détruit,  la 
clôture  du  rond-point  fut  supprimée,  les  stalles  du  quator- 
zième siècle  enlevées,  Tautel  et  son  ciborium  de  bronze 
fondus,  ainsi  que  beaucoup  de  tombes  d'évèques,  pour 
faire  place  à  une  décoration  de  marbre  fastueuse,  mais  du 
plus  déplorable  goût. 

Ces  travaux  ne  furent  terminés  qu'en  17 14. 

La  plupart  des  évêques  de  France,  tant  pour  faire  leur 
cour  au  roi  que  pour  sacrifier  à  la  mode  du  temps,  voulu- 


ET    d'une    cathédrale.  24^ 


rent  imiter  ce  qui  se  faisait  dans  la  cathédrale  de  Paris. 
L'évêque  de  Clusy  fut  un  des  premiers  parmi  ceux  qui  son- 
gèrent à  transformer  le  chœur  des  églises  épiscopales. 

Armand  de  Conflans  occupait  alors,  en  1 710,  le  siège  de 
Clusy.  Cétait  un  prélat  conime  on  en  comptait  beaucoup 
alors,  courtisan  assidu,  ne  résidant  que  très-rarement  dans 
son  diocèse,  homme  du  grand  monde,  pourvu,  outre  soii 
évêché,  de  beaux  bénéfices,  qui  avait  été  au  mieux  avec 
révêque  de  Meaux,  ce  qui  ne  Tempêchait  pas  d'être  bien  vu 
en  cour  de  Rome. 

Monsieur  de  Clusy  ayant  donc,  à  part  lui,  fait  dresser  un 
beau  projet  de  décoration  nouvelle  pour  le  chœur  de  son 
église,  assembla  son  chapitre  afin  de  le  lui  soumettre. 

Tous  les  chanoines  trouvèrent  la  chose  du  meilleur  goût 
et  en  firent  de  beaux  compliments  à  leur  évéque.  Seul,  le 
doyen,  vieux  prêtre  né  en  i63o,  ne  disait  mot;  ce  ne  fut 
que  sur  les  instances  réitérées  de  Tévêque  qu'il  donna  son 
avis  en  ces  termes  : 

«  Monseigneur,  il  ne  convient  guère  à  un  vieillard  d'ex- 
primer une  opinion  sur  les  choses  nouvelles,  les  personnes 
arrivées  au  déclin  de  la  vie  étant  portées  naturellement  à 
regretter  ce  qu'elles  ont  vu  dans  leur  jeunesse.  Mais,  puisque 
vous  souhaitez  que  je  donne  mon  avis,  je  le  ferai  en  toute 
sincérité. 

«  Depuis  les  temps  anciens  jusqu'à  ce  jour,  notre  cathé- 
drale n'a  subi  ni  altération  ni  changements-,  elle  nous  rap- 
pelle l'histoire  entière  du  diocèse  et  ses  efforts  pour  élever 
un  monument  digne  de  la  gloire  de  Dieu.  Son  chœur,  no- 
tamment, renferme  les  tombeaux  de  vos  prédécesseurs  et 
toutes  choses  vénérables  par  leur  ancienneté.  Il  est  fermé 
par  un  jubé  et  par  une  haute  clôture  ornée  d'images  de  l'An- 
cien et  du  Nouveau  Testament  qui,  bien  que  taillées  par  des 


246  HISTOIRE     d'un     hôtel     DE    VILLE 

artistes  naïfs,  d'aucuns  disent  barbares,  n'en  sont  pas  moins' 
un  enseignement  pour  le  peuple,  en  même  temps  que  ces 
fermetures  permettent  au  chapitre  le  recueillement  pendant 
la  célébration  des  saints  mystères.  Or,  le  projet  que  nous 
soumet  monseigneur  supprime  celte  clôture  et  ce  jubé  pour 
les  remplacer  par  des  grilles.  Je  sais  bien  que,  depuis  peu, 
on  a  regardé  ces  clôtures  et  jabés  comme  des  ornements 
inutiles,  incommodes,  qui  dérobaient  aux  fidèles  la  vue  des 
saints  autels  et  les  empêchaient  de  contemplera  leur  aise  nos 
mystères.  Mais  en  cela,  peut-être,  n'a-t-on  pas  eu  assez 
égard  au  respect  qui  est  du  à  Tantiquité  sacrée,  et  on  s'é- 
loigne de  l'esprit  et  de  la  tradition  de  l'église. 

«  Saint  Ambroise  veut  que  l'on  conserve  en  leur  entier  les 
usages  que  l'on  trouve  établis  dans  les  églises,  et  assure  que 
c'esr  donner  occasion  de  scandale  que  de  retrancher  des 
églises  les  coutumes  qui  y  sont  reçues  ;  et,  sans  remonter  si 
haut,  le  concile  de  Trente  a  déclaré  qu'il  était  nécessaire  de 
conserver  aux  églises  leurs  usages,  s'appuyant  en  ceci  sur  k 
lettre  de  saint  Jérôme  à  Lucinius,  dans  laquelle  il  s'exprime 
ainsi  :  «  Je  crois  devoir  vous  avertir  en  peu  de  mots  qu'il 
«  faut  garder  les  usages  que  l'église  a  reçus  par  tradition, 
«  de  la  même  manière  qu'elle  les  a  reçus,  lors  p:incipale- 
«  ment  qu'ils  ne  sont  point  contraires  aux  vérités  de  la  foi.» 

«  Et,  pour  parler  plus  spécialement  de  ce  qui  touche  les 
jubés,  je  rappellerai  que,  selon  la  pensée  de  saint  Germain 
et  de  Siméon  de  Thessalonique,  le  jubé  ou  l'ambon  repré- 
sente la  pierre  sainte  qui  fut  mise  à  l'entrée  du  sipulcie,  et 
ainsi  la  mort  et  la  résurrection  de  Jésus-Christ  et  tous  les 
grands  mystères  de  la  rédemption. 

«  Je  conviens  que  ces  raisons  n'entrent  pas  dans  l'esprit 
de  tous  les  chrétiens  et  qu'il  en  est  beaucoup  à  qui  les  ju- 
bés ne  sont  point  capables  de  les  faire  comprendre  ;  mais 


li  r    D    UNE    CATHl-DRALE.  247 

aussi,  ne  peut-on  pas  me  contester  qu'elles  ne  soient  goûtées 
au  moins  de  ceux  qui  savent  le  fond  de  leur  religion,  qui 
ont  quelque  teinture  de  l'antiquité  sacrée  et  qui  pénètrent  le 
sens  et  les  mystères  des  cérémonies  de  Téglise.  Je  sais  qu'au- 
jourd'hui on  a  moins  d'égard  à  ces  derniers,  en  petit  nom- 
bre, qu'à  l'opinion  de  ceux  pour  qui  la  nouveauté  a  toujours 
beaucoup  de  charmes,  quoique  saint  Bernard  l'appelle  ju- 
dicieusement la  mère  de  la  témérité,  la  sœur  de  la  super- 
stition, la  fille  de  l'inconstance  :  Novitas  mater  temeritatis^ 
soror  superstitionis^Jîlia  levitatis...  » 

Ce  petit  discours,  prononcé  d'une  voix  lente,  mais  ferme 
encore  malgré  Tàge  du  chanoine,  fit  l'effet  d'une  douche 
glacée  sur  les  assistants.  L'évêque  se  pinçait  les  lèvres,  les 
chanoines  les  plus  jeunes  souriaient  à  demi,  la  plupart  bais- 
saient les  yeux. 

«  Monsieur  le  doyen,  dit  l'évêque,  vos  raisons  sont 
d'un  grand  poids;  mais  veuillez  considérer  qu'il  s'agit  au 
contraire  de  rendre  à  notre  cathédrale  la  dignité  qu'elle  a 
perdue  par  suite  de  l'accumulation  de  tant  de  monuments 
disposés  sans  S3'métrie,  d'un  goût  barbare  et  dont  l'aspect 
est  indécent. 

a  Le  projet,  que  nous  avons  fait  rédiger  par  un  artiste  de 
l'Académie,  sera  porté  sous  les  yeux  de  Sa  Majesté,  sans 
l'ordre  exprès  de  laquelle  il  ne  sera  rien  fait  \  si  ce  pro- 
jet supprime  le  jubé  qui  barre  le  chœur,  il  rétablit  cepen- 
dant une  clôture  majestueuse,  d'un  profil  antique  et  beau, 
laissant  toutefois  aux  fidèles  la  vue  du  sanctuaire. 

«  Vous  ne  pouvez  ignorer  que  l'autel  ancien  est  fort  déla- 
bré et  tout  à  fait  indigne  de  l'objet. 

«  L'Église  admet  certainement  que,  tout  en  respectant  les 
anciennes  coutumes,  il  convient  de  donner  à  la  maison  de 
Dieu,  siège  épiscopal,  la  splendeur  que  l'art  permet  de  lui 


248  HISTOIRE     d'un     hôtel     DE     VILLE 

accorder;  et  vous  savez  que,  malgré  toute  la  vénération 
professée  par  la  chrétienté  pour  Tantique  basilique  de  Saint- 
Pierre,  les  papes  n''ont  pas  hésité  à  renverser  la  vieille  église 
pour  élever  ce  magnifique  temple,  sujet  d'admiration  pour 
tous  et  que  Ton  peut  appeler  la  première  des  merveilles  du 
monde. 

«  Le  vénérable  archevêque  de  Paris  n'a-t-il  pas  donné 
l'exemple  en  acceptant  avec  empressement  les  dons  magni- 
fiques faits  par  Sa  Majesté  pour  rendre  au  chœur  de  son 
église  la  splendeur  qui  lui  manquait?  A-t-il  été  arrêté  dans 
celte  entreprise  par  des  considérations  qu'on  ne  saurait  ad- 
mettre en  pareil  cas,  puisqu'elles  tendraient  à  ne  jamais 
modifier  ou  renouveler  les  choses  que  le  temps  et  la  main 
des  hommes  ont  pu  altérer  et  qui  ne  sont  plus  dignes  de  la 
Divinité  ? 

«  D'ailleurs,  il  s'agit  ici  de  l'accomplissement  d  un  vœu 
royal.  En  dédiant  la  France  à  la  sainte  Mère  de  Dieu,  le 
roi  Louis  XIII  rendait  un  hommage  éclatant  à  l'interces- 
sion de  Notre-Dame,  sans  laquelle  il  n'eut  pas  eu  raison  de 
r  hérésie  qui  dévorait  encore  le  pays  lorsqu'il  prit  les  rênes 
de  l'État. 

—  Oui,  reprit  le  doyen,  avec  une  certaine  vivacité, 
l'église  de  Paris  a  donné  l'exemple,  et  c'est  parce  que  j'ai 
vu  un  jour,  passant  dans  cette  ville,  les  tombes  des  évêques 
et  vénérables  personnages  profanées,  les  saintes  imageries 
frappées  par  le  marteau  des  démolisseurs,  la  statue  du  roi 
Philippe-Auguste  renversée  par  des  m.anœuvres,  l'autel,  le 
vieil  autel  sacré  !  mutilé,  que  mon  cœur  s'est  soulevé  en 
pensant  que  cette  œuvre  était  accomplie,  non  par  des  hé- 
rétiques, mais  par  l'ordre  de  Sa  Majesté  très-chrétienne. 

«  Faites  !  monseigneur,  mais  souvenez-vous  de  ceci  :  Ce 
n'est  pas  à  l'Église  à  porter  la  main  sur  les  objets  vénérés 


ET    D    UNE    CATHliDRALE.  24.9 

par  un  grand  nombre  de  générations,  qui  ont  été  les  té- 
moins des  prières  de  tout  un  peuple  pendant  des  siècles,  et 
si  elle  le  fait,  dans  une  intention  plus  mondaine  que  reli- 
gieuse, elle  doit  s'attendre  à  ce  que  ses  ennemis  n'hésite- 
ront pas  eux-mêmes  à  détruire  ces  nouveautés....  N'ayant 
plus  rien  à  ajouter  à  ce  que  j'ai  dit,  permettez-moi,  mon- 
seigneur, de  me  retirer.  » 

Disant  cela,  le  vieillard  se  leva,  et,  appuyé  sur  sa  canne,  il 
quitta  lentement  la  salle. 

Chacun,  après  cette  sortie,  gardant  le  silence,  l'évêque, 
assez  embarrassé,  repoussa  son  siège  et  dit  : 

«  Messieurs,  nous  devons  respecter  l'opinion  du  véné- 
rable doyen  de  ce  chapitre....  c'est  un  vieillard  attaché  à  ses 
habitudes.  Si  quelques-uns  parmi  vous  partagent  son  avis, 
je  les  prie  de  le  dire  en  toute  franchise,  car  je  ne  voudrais 
rien  entreprendre  qui  ne  fut  approuvé  par  la  majorité  de  ce 
chapitre.  » 

Tous  les  chanoines  protestèrent  de  nouveau  qu'ils  trou- 
vaient l'idée  belle,  le  projet  merveilleux,  et  qu'ils  s'en  rap- 
portaient entièrement  au  goût  de  monseigneur,  d'autant 
mieux  que  le  doyen  était  entaché  de  jansénisme  et  que  nul 
d'entre  ces  messieurs  du  chapitre  ne  se  souciait  d'être 
soupçonné  de  partager  ses  opinions. 

Cependant,  les  chanoines  de  Clusy,  comme  tous  les  oi- 
sifs, étaient  causeurs,  et,  le  soir  même,  toute  la  ville  savait 
que  révêque  allait  faire  bouleverser  le  chœur  de  la  cathé- 
drale pour  y  placer  une  décoration  nouvelle  dans  le  meil- 
leur style. 

Ce  projet  excita  une  assez  vive  émotion.  Les  gens  de  Clusy 
étaient  habitués  à  la  vieille  cathédrale,  on  l'aimait  comme 
tout  ce  qu'elle  renfermait.  N'avait-elle  pas  été  le  témoin 
de  bien  des  assemblées,  fêtes,  cérrimonies  ?  Chacun  de  ses 


25o  HISTOIRE     d'un     HOTEL    DE    VILLE 

recoins  laissait  un  souvenir  dans  Tesprit  des  Clusianois,  et, 
.  ridée  qu'on  allait  jeter  bas  cette  clôture,  ce  jubé  dont  les 
imageries  avaient  fait  la  joie  de  tant  de  générations,  des 
critiques  assez. vives  s'élevaient  de  bien  des  points.  La  no- 
blesse et  la  haute  bourgeoisie  seules  approuvaient  entière- 
ment les  idées  de. l'évêque;  mais  le  gros  de  la  population, 
moins  sensible  aux  beautés  majestueuses  de  Part  en  vogue 
alors,  regrettait  ses  vieilles  sculptures  peintes. 

Comme  toujours,  alors,  on  fit  des  chansons  dans  les- 
quelles le  prélat  était  assez  cavalièrement  traité,  et  qui  furent 
bientôt  colportées  partout. 

Ces  propos,  ces  chansons  n'étaient  du  goût  ni  de  l'évê- 
que, ni  des  chanoines.  Pour  empêcher  que  les  choses  n'al- 
lassent plus  loin,  ces  .messieurs  du  chapitre  résolurent  d'en 
finir. 

Donc,  une  nuit,  ils  firent  entrer  dans  la  cathédrale  une 
vingtaine  de  maçons  qui,  sans  autre  forme  de  procès,  mi- 
rent à  bas  le  jubé,  en  déposèrent  les  principaux  fragments 
dans  la  cour  de  l'évêché  et  déblayèrent  le  pavé  du  mieux 
qu'ils  purent-,  si  bien  que  le  matin,  à  l'ouverture  des  portes 
le  public  trouva  place  nette,  au  grand  ébahissement  des 
badauds. 

On  en  glosa  fort  dans  la  ville,  pendant  quarante-huit  heu- 
res, et....  il  n'en  fut  plus  question. 

Aussitôt  les  travaux  furent  commencés,  et  successive- 
ment les  vieilles  stalles  en  chêne  du  quatorzième  siècle, 
l'autel,  avec  ses  quatre  colonnes  de  bronze  qui  portaient 
des  anges,  la  clôture  du  chœur  et  ses  belles  imageries,  les 
tombes  de  cuivre  et  de  pierre  des  évêques  allèrent  aux  gra- 
vois  ou  à  la  fonte. 

D'ailleurs  la  nouvelle  décoration  fit  bientôt  l'admiration 
des  bonnes  gens  de  Clasy. 


F.T    D    LNli    CATHtiDRAI.E.  2DI 

A  la  place  du  jubc,  s'ouvrait  une  grille  en  fer  ouvragé, 
flanquée  de  deux  niches  avec  statues  et  de  quatre  colonnes 
d'ordre  corinthien,  le  tout  en  stuc,  imitant  les  plus  beaux 
marbres. 

La  clôture  du  sanctuaire  était  remplacée  de  même  par 
des  grilles  avec  ornements  de  fer  battu  et  doré;  et  au  fond, 
derrière  Tautel,  s'épanouissait  une  Gloire,  dont  les  ra3'ons  de 
bois  doré  perçaient  des  nuages  de  plâtre,  dans  lesquels  se 
jouaient  des  chérubins  sous  forme  d'enfants  porteurs  d'ailes 
et  entremêlés  de  guirlandes  de  lis  et  de  roses. 

Sur  le  nouvel  autel,  fait  de  marbre  de  Languedoc  et  a3ant 
la  forme  d'un  sarcophage  renflé,  s'élevait  un  baldaquin  de 
bois,  à  l'instar  de  celui  de  Saint-Pierre  de  Rome,  peint  en 
marbre  vert,  avec  ornements  de  plomb  doré. 

Tout  le  chœur  fut  dallé  en  marbre  blanc  et  noir.  Une 
Piété,  c'est-à-dire  une  vierge  tenant  le  Christ  mort  sur  ses 
genoux,  pour  rappeler  le  vœu  de  Louis  XIII,  était  placée 
au-dessous  de  la  Gloire.  Ce  groupe  devait  être  fait  en  mar- 
bre blanc,  mais  le  modèle  seul  fut  mis  en  place,  en  attendant 
des  ressources  qui  n'arrivèrent  pas  probablement,  car  l'éve- 
que  avait  dépensé  à  cette  œuvre  plus  de  cent  mille  écus,  }'" 
compris  les  stalles  nouvelles  en  b3is  de  chêne  sculpté  et  une 
belle  lampe  d'argent  suspendue  devant  l'autel. 

Le  vieux  do3'en  du  chapitre  ne  vit  pas  toutes  ces  belles 
choses  -,  il  mourut  peu  de  temps  après  la  destruction  de  son 
jubé. 

D'autres  travaux  autrement  urgents  étaient  devenus  né- 
cessaires. 

La  flèche  de  la  tour  centrale  et  celle  des  quatre  tours  du 
transsept  étaient  en  fort  mauvais  état,  faute  d'entretien.  Il 
fut  résolu  qu'on  réparerait  ces  quatre  flèches,  mais  qu'on 
démolirait  celle  de   la  croisée,  dont   il  se  détachait  chaque 


252  HISTOIRE     d'uN     HOTEL    DE    VILLE 

jour  d^s  fragments  qui  tombaient  sur  les  couvertures  et  les 
perçaient. 

Cette  flèche  de  pierre  fut  donc  remplacée  par  un  toit  p}^- 
ramidal  de  charpente,  couvert  d'ardoises. 

Mais  en  réparant  les  quatre  autres  flèches,  on  trouva  bon 
de  supprimer  les  pinacles-lucarnes  des  angles. 

Les  vieux  vitraux  du  chœur,  qui  dataient  de  la  fin  du 
treizième  siècle,  étaient  fort  délabrés  et  sales,  de  telle  sorte 
qu'ils  ne  laissaient  guère  passer  la  lumière.  Après  que  la 
décoration  intérieure  du  sanctuaire  eût  été  terminée,  les 
chanoines  voulurent  qu'on  put  jouir  du  coup  d'œil  qu'elle 
présentait,  et  surtout  faire  apparaître  la  Gloire  de  bois 
doré  dans  tout  son  éclat.  On  dépensa  donc  quelques  mil- 
liers de  livres  pour  remplacer  les  verrières  anciennes  à 
sujets  colorés  par  des  vitraux  blancs  avec  une  bordure  fleur- 
delysée,  et  ainsi  messieurs  du  chapitre  purent  admirer  la 
splendeur  du  nouveau  sanctuaire  et  lire  plus  facilement  les 
offices. 

L'autel  et  son  baldaquin  (fig.  47)  furent  fort  vantés  ;  ils 
firent  surtout  l'admiration  des  dévotes  de  Clusy,  dont  la  foi 
s'exaltait  en  regardant  les  beaux  anges  en  plâtre,  qui  por- 
taient avec  tant  de  grâce  l'exposition  du  saint  sacrement 
et  le  tabernacle  suspendu  au-dessus  * 

Aussi,  depuis  le  jour  où  la  nouvelle  décoration  du  chœur 
eut  été  terminée,  les  Saluts  attiraient-ils  un  grand  concours 
de  fidèles,  qui  voulaient  jouir  du  spectacle  de  ces  splendeurs 
à  la  lumière  des  cierges  \  et  personne  ne  regretta  ni  le  vieux 
jubé  de  pierre  si  finement  sculpté,  i-i  l'ancienne  clôture  de 
liais  avec  ses  imageries,  ni  l'autel  de  bronze  du  quator- 
zième siècle. 

Sous  le  baldaquin  fut  placée  la  chasse  de  saint  Babolein, 
patron  du  diocèse  de  Clusy. 


f>'-ï>S/t^-^^2ï.  ^^'^^ 


LE   NOUVEL    AUTEL    DE    LA    CATHÉjRALE   EN     1 7  i  O. 


ET    d'une   CATHLDRALE.  253 


CHAPITRE  XV 


LA    REVOLUTION. 


«  Il  n'y,  a  aujourd'hui,  disait  Camille  Desmoalin  en  1 798, 
que  les  douze  cent  mille  soldats  de  nos  armées  qui,  fort 
heureusement,  ne  fassent  pas  des  lois-,  car  les  commissaires 
de  la  Convention  font  des  lois,  les  départements,  les  dis- 
tricts, les  municipalités,  les  sections,  les  comités  révolu- 
tionnaires font  des  lois;  et.  Dieu  me  pardonne,  je  crois  que 
les  sociétés  fraternelles  en  font  aussi  î  » 

Cette  boutade  du  spirituel  publiciste  avait  bien  quelque 
chose  de  vrai  1  comme  tant  d'autres,  la  commune  de  Clusy, 
en  1793,  se  considérait  comme  souveraine. 

Elle  était  administrée  conformément  à  la  loi  de  1 789,  par 
un  maire  et  vingt  officiers  municipaux,  un  procureur  de  la 
commune  et  un  substitut. 

!  Des  notables  en  nombre  double  de  celui  des  membres  du 
conseil  municipal  formaient  le  conseil  général  de  la  com- 
mune. Le  maire,  les  officiers  municipaux,  les  notables,  le 
procureur  de  la  commune  et  son  substitut  étaient  élus  par 
les  citoj'ens   actifs^   c'est-à-dire   par   les   citoyens  ayant 


254  HISTOIRE    d'un    hôtel   de   ville 

vingt-cinq  ans  dTige,  une  année  de  domicile  dans  la  com- 
mune., pa3Mnt  une  contribution  directe  de  la  valeur  lo- 
cale de  trois  journées  de  travail  et  n'étant  pas  serviteurs  à 
gages. 

'  Les  officiers  municipaux  étaient  renouvelés  par  moitié 
tous  les  ans,  et  le  maire  ainsi  que  les  procureurs  nommés 
pour  deux  ans;  mais  ces  deux  officiers  sortaient  alternative- 
ment, de  sorte  que  chaque  année,  il  y  avait  lieu  de  renou- 
veler l'un  d'eux. 

Les  conditions  d'éligibilité  étaient  d'être  membre  de  la 
commune  et  de  réunir  aux  qualités  de  ciloycn  ad  if ^]c  paye- 
ment d'une  contribution  montant  tV  la  valeur  locale  de  dix 
journées  de  travail.  Le  maire  était  élu  au  scrutin  individuel 
à  la  majorité  absolue  des  voix,  ainsi  que  le  procureur  et  son 
substitut. 

Les  autres  membres  du  conseil  municipal  étaient  élus  au 
scrutin  de  liste,  à  la  majorité  absolue,  et  les  notables  à  la 
pluralité  relative  seulement. 

Bientôt  le  cens  fut  supprimé,  aussi  bien  pour  les  élec- 
teurs que  pour  les  élus. 

Mais  après  la  proclamation  delà  République  (22-23  sep- 
tembre 1792),  les  municipalités  durent  être  entièrement 
renouvelées. 

Le  maire  élu  s'appelait  Hillot.  C'était  un  homme  froid^ 
réservé,  qui  s'était  fait,  depuis  le  commencement  de  la  Ré- 
volution, un  parti  dans  le  peuple  de  Clusy,  par  sa  résistance 
tenace  aux  prétentions  des  fauteurs  de  la  réaction.  Chari- 
table, patient  et  bienveillant,  ennemi  de  la  violence,  il  ne  se 
laissait  pas  entraîner  aux  excès  de  langage  si  communs  dans 
les  discussions  politiques  à  cette  époque. 

Nous  donnons,  fig.  48,  son  portrait.  Le  maire  Hillot  et  les 
officiers  municipaux  siégeaient  à  l'hôtel  de  ville.  Quelques- 


ET    D    UNE    CATHEDRALE. 


255 


uns  de  ceux-ci  faisaient  partie  du  club  des  Jacobins,  qui 
s'était  installé  dans  les  bâtiments  abandonnés  du  palais 
épiscopal.  Les  prélats  n'y  résidaient  plus  depuis  longtemps; 
dès  avant  les  événements,  quand  ils  n'étaient  pas  à  la  cour, 
ou  à  Rome,  ou  ailleurs,  ils  habitaient  une  maiso;i  de  cani- 


k-S 


Poiti'.ilt  du  111  lire  IlIIliot. 


pagne,  appartenant  à  Tévèché,  si:uée  à  deux  lieues  de  la 
ville. 

Ce  palais  était  donc  fort  délabré. 

Le  club  des  Jacobins  prétendait  dominer  la  commune  ; 
mais  le  maire  opposait  son  calme  et  sa  fermeté  aux  motions 
des  clubistes,  répétant  sans  cesse  que  la  Révolution  ne  fai- 
sait que  commencer,  et  qu'il  fallait  à  tout  prix  maintenir 
Tunion   entre    les   patriotes   sincères,    à   quelque    nuance 


256  HISTOIRE     d'un     HOTEL     DE    VILLE 

qu'ils  appartinssent,  afin  de  lutter  ensemble  au  moment  de 
la  crise. 

«  Car,  ajoutait-il,  nous  sommes  en  face  d'une  société  qui 
s'écroule  et  d'un  monde  qui  ne  connaît  pas  encore  ses  desti- 
nées; ne  disséminons  pas  nos  forces....  nous  en  aurons 
besoin  !  « 

La  population  de  Clusy,  quels  que  fussent  ses  sentiments 
patriotiques,  avait  été  profondément  émue  par  le  jugement 
et  la  condamnation  du  roi  ;  des  membres  du  club  des 
Jacobins  les  plus  exaltés,  qui,  à  la  nouvelle  de  l'exécution  de 
Capet,  avaient  voulu  faire  une  manifestation,  lurent  accueil- 
lis dans  les  rues  par  des  huées  et  des  injures.  S'étant  pré- 
sentés à  l'hôtel  de  ville,  pour  demander  à  la  commune 
qu'une  fête  patriotique  fut  organisée  à  propos  de  la  mort  du 
tyran,  le  maire  avait  répondu  simplement  aux  délégués  du 
club  que  la  mort  d'un  homme,  fût-il  roi,  ne  pouvait  être 
l'occasion  d'une  réjouissance  publique;  que  justice  était 
faite,  et  ou'il  n'appartenait  à  personne  de  ratifier  ou  de 
blâmer  un  jugement;  que  le  calme  et  un  silence  respec- 
tueux étaient  la  seule  attitude  convenable  en  face  des  arrêts 
de  la  justice  du  pays. 

A  dater  de  ce  jour,  Hillot  et  les  conseillers  municipaux 
qui  le  soutenaient  furent  violemment  accusés  par  les 
Jacobins  de  pactiser  avec  la  réaction,  les  prêtres  et  les 
nobles. 

Le  procureur  de  la  commune,  Juglars,  et  le  citoyen 
Rulle,  qui  souvent  occupait  le  fauteuil  du  président  du 
club  des  Jacobins,  étaient  les  ennemis  déclarés  du  maire  et 
ie  signalaient  en  toute  occasion  comme  un  traître. 

Après  les  événements  du  3i  mai  1793,  le  comité  qui 
siégeait  aussi  à  Tévêché,  et  qui,  depuis  quelques  jours, 
avait  pris  le  titre  de  comité  central  des  Sans-culottes^  se 


ET    d'une    CATHIÎDRALE.  267 

;  déclara  en  permanence.  Après  avoir  réuni  autour  de  lui 
les  sections  des  faubourgs,  il  fit  savoir  au  club  des  Jaco- 
bins que  le  peuple  de  Paris,  ayant  fait  justice  des  conspi- 
rateurs et  des  ennemis  des  vrais  patriotes  en  les  arrêtant 
ou  en  les  expulsant  de  la  Convention,  le  moment  était 
venu  de  soustraire  la  ville  de  Clusy  à  l'autorité  de  la  mu- 
nicipalité réactionnaire  qui  était  vendue  aux  chouans.  Le 
comité  sommait  les  Jacobins  de  se  réunir  à  lui  pour  marcher 
ensemble  sur  Thôtel  de  ville.  Cette  ouverture  fut  accueillie 
par  des  acclamations. 

Cependant,  le  maire  avait  fait  convoquer,  de  son  côté, 
les  sections  sur  lesquelles  il  croyait  pouvoir  compter,  et,  dès 
le  matin,  la  place  du  Marché  était  remplie  de  gardes  natio- 
naux disposés  à  défendre  la  commune. 

Hillot  avait  entretenu  les  chefs  des  sections  des  dangers 
que  ferait  courir  à  la  liberté  la  réussite  des  projets  formés 
par  les  clubs. 

Quatre  canons  étaient  braqués  sur  la  place,  au  débouché 
des  rues  principales,  mèches  allumées. 

Quand  arrivèrent  les  gens  des  clubs,  et  qu'ils  virent  ces 
bataillons  de  gardes  nationaux  rangés  devant  Thôtel  de 
ville,  ils  essaimèrent  de  parlementer  et  d'entraîner  avec  eux 
les  défenseurs  de  la  commune.  Mais  ils  furent  assez  bruta- 
lement reçus,  car  la  majeure  partie  de  la  garde  nationale 
était  fatiguée  de  l'agitation  qu'entretenaient  ces  clubs  dans 
la  ville  et  eût  été  ravie  d'en  finir. 

Voyant  ainsi  leurs  projets  avortés,  les  Sans-culottes  et 
Jacobins  s'en  furent,  fort  mal  contents  et  disant  partout  que 
c'en  était  fait  de  la  République,  si  le  peuple  ne  se  soulevait 
pas  en  masse  contre  les  royalistes. 

Ils  se  dédommagèrent  provisoirement,  en  faisant  dans 
leurs  réunions  les  motions  les  plus  violentes. 


258  HISTOIRE     d'un    HÔTEL     DE     VILLE 

Ce  succès  facile  donna  courage  aux  défenseurs  de  la  mu- 
nicipalité ;  les  chefs  des  sections  s'étant  réunis,  décidèrent 
de  demander  aux  officiers  municipaux  l'arrestation  des 
meneurs  des  clubs,  et, des  mesures  sévères  pour  empêcher 
le  renouvellement  de  pareilles  tentati\'es. 

Sur  ces  entrefaites,  arrivèrent  à  Clusy  des  délégués  des 
Girondins,  qui  firent  un  tableau  navrant  des  Journées  des 
28,  2C),  3o  et  3i  mai,  déclarant  que  la  Convention  n'était 
plus  libre.  Qu'elle  était  à  la  merci  de  la  populace  parisienne,, 
et  que  les  départements  n'avaient  plus,  s'ils  voulaient  con- 
server la  liberté,  qu'à  se  soulever  contre  les  t3Tans  obscurs 
qui  commandaient  aux  députés,  prisonniers  dans  la  capitale. 

Ces  propos,  répandus  dans  la  ville,  ne  firent  qu'exaspérer 
les  citovens  qui  ne  demandaient  que  le  repos  et  la  tranquil- 
lité pour  se  livrer  à  leurs  travaux  et  leurs  affaires,  et  bientôt 
le  maire  fut  assailli  de  pétitions  dressées  contre  les  clubistes, 
les  Jacobins  et  les  Sans-culottes. 

Le  mouvement  de  l'opinion  s'accentuait  dans  la  ville 
en  faveur  des  modérés.  Beaucoup  de  gros  bourgeois  et  d'an- 
ciens fonctionnaires  attachés  à  la  monarchie,  revenus  de 
la  terreur  que  leur  avaient  inspirée  et  les  journées  de  sep- 
tembre et  la  mort  du  roi,  commençaient  à  parler  haute- 
ment dans  les  cafés  et  lieux  publics  de  l'oppression  de  la 
canaille  de  Paris,  de  la  nécessité  de  s'affranchir  de  la  domi- 
nation des  clubs,  ajoutant  qu'il  était  temps  de  ne  plus 
suivre,  comme  des  moutons,  l'impulsion  donnée  par  tous 
les  émeutiers  qui  dictaient  des  lois  à  la  Convention,  et  que 
l'Assemblée  nationale  ne  retrouverait  sa  liberté  que  si  elle 
siégeait  dans  une  ville  autre  que  la  capitale  ;  qu'en  tous  cas, 
ses  décrets,  imposés  par  la  terreur,  étaient  sans  force,  et 
qu'il  fallait  que  les  villes  des  départements  se  liguassent 
pour  opposer  la  violence  à  la  violence. 


ET  d'une  cathédrale.  2b9 

Les  clubistes  de  Clusy,  atterrés  par  cette  manifestation 
de  Topinion,  qui  semblait  prendre. à  chaque  heure  plus  de 
consistance,  vo3^aient  leurs  réunions  abandonnées.  Ils  se 
comptaient  avec  effroi  ;  plusieurs,  parmi  les  plus  fou- 
gueux naguère,  n'osaient  sortir  de  leurs  logis,  car  on  parlait 
d'arrestations,  de  la  nomination  d'une  commission  com- 
posée de  notables  pour  dresser  une  liste  des  patriotes  les 
plus  compromis. 

La  majorité,  dans  le  conseil  de  la  commune,  semblait 
pencher  vers  les  mesures  dictées  par  la  réaction. 

Hillot,  voyant  le  péril,  se  mit  en  rapport  avec  les  princi- 
pales tctcs  du  club  des  Jacobins,  rassura  Ces  chets  et  leur 
dit  que,  comme  maire  de  la  commune,  il  ferait  respecter  la 
liberté  des  opinions,  à  la  condition  que  chacun  resterait 
soumis  à  la  loi;  que  tous  les  bruits  touchant  une  ligue  des 
villes  des  départements  contre  les  décrets  de  la  Convention 
étaient  absurdes,  et  que,  tant  que  cette  Assemblée  demeu- 
rerait, il  fallait  lui  obéir  ;  qu'en  conséquence,  il  réclamait 
d'eux  de  servir  avec  lui  la  République  une  et  indivisible  ; 
que  le  danger  était  évident,  mais  "qu'il  serait  facilement 
conjuré  si  tous  les  patriotes  restaient  unis  contre  la  réac- 
tion. 

La  bonne  attitude  du  maire,  ses  paroles  à  la  fois  conci- 
liantes et  pleines  de  fermeté,  rendirent  un  peu  de  courage 
au  club  des  Jacobins,  qui  cessa  d'attaquer  les  officiers  mu- 
nicipaux, réclamant  d'eux  seulement  des  mesures  efficaces 
contre  les  fauteurs  de  la  réaction,  lesquels  relevaient  la  tête. 
Plusieurs  orateurs  dénoncèrent  les  menées  des  agents  de  la 
monarchie,  et  leurs  discours  ne  laissèrent  pas  de  faire  im- 
pression sur  un  auditoire  mobile. 

Cependant,  on  recevait  peu  de  nouvelles  de  Paris,  lors- 
qu'un commissaire  de  la  Convention  se  présenta  à  Clusy  et 


2  6o  HISTOIRE     d'un     HOTEL     DE    VILLE 

réclama  rarrestation  de  tous  les  suspects  de  royalisme , 
déclarant,  d'ailleurs,  que  l'Assemblée  nationale  avait  agi 
en  toute  liberté  en  décrétant  d'accusation  les  Girondins, 
amis  de  Dumouriez  et  de  tous  les  royalistes  déguisés  ;  que 
le  peuple  de  Paris,  par  son  attitude  énergique,  avait  sauvé 
la  R.épublique. 

Le  soir  de  son  arrivée,  ce  commissaire  se  présenta  au 
club  des  Jacobins,  où  la  foule  était  cette  fois  compacte. 

Voici  à  peu  près  quel  fut  son  discours  ; 

«  Citoyens, 

a  Cest  au  moment  où  la  patrie  court  les  plus  grands 
dangers,  c'est  au  moment  où  les  royalistes  relèvent  le  dra- 
peau du  t3Tan  dans  la  Vendée,  où  l'étranger  enveloppe  nos 
frontières  à  l'Est  et  au  Midi ,  c'est  alors  qu'une  faction 
d'ambitieux  a  tenté  de  fomenter  la  discorde  au  sein  de  la 
Convention.  Derrière  cette  faction,  se  levaient  tous  les  sup- 
pôts du  despotisme,  tous  les  hommes  qui  vivaient  de  l'èx- 
cour,  tous  ceux  enfin  qui,  sous  Tombre  du  modéraiitisme^ 
cachent  leurs  secrets  desseins  contre  la  République. 

«  Cette  faction  croyait  avoir  pour  elle  la  majorité  du 
peuple  de  Paris-,  déjà  elle  avait  fait  jeter  dans  les  cachots 
les  plus  purs  d'entre  les  patriotes. 

tt  Le  peuple  de  Paris,  indigné,  a  répondu!  Il  s'est  levé 
tout  entier  et  a  dit  aux  représentants  de  la  nation  :((....  Je 
«  suis  là,  faites  justice  des  conspirateurs  -,  vos  décrets  sont 
«  appu3^és.  par  nos  canons  !  » 

«  Et  c'est  l'élan  d'une  population  héroïque  que  ces 
mêmes  conspirateurs  essayent  de  présenter  comme  un  acte 
odieux,  comme  la  pression  d'une  vile  populace  sur  la  repré- 
sentation nationale  ? 


ET  d'une  cathédralc:.  2O1 


«  Appuyée  sur  cette  force  protectrice,  impassible  et 
calme,  la  Convention  a  délibéré^  elle  a  dévoilé  les  manœu- 
vres de  ces  conspirateurs,  de  ces  intrigants,  et  les  a  rcjctés 

de  son  sein. 

c(  Aujourdliui  unie,  dans  la  seule  pensée  de  sauver  la 
République,  d'assurer  le  bonheur  du  peuple  et  de  vaincre 
les  ennemis  du  dedans  et  du  dehors,  elle  compte  sur  tous 
les  patriotes,  et  tous  les  patriotes  peuvent  compter  sur  elle. 

«  Le  drapeau  du  fédéralisme  est  abattu  désormais,  et  les 
représentants  de  la  nation  considèrent  comme  des  ennemis 
de  la  République  une  et  indivisible  tous  ceux  qui  tente- 
raient de  le  relever  ! 

«  Veillez  donc,  citoyens  !  Veillez  et  soyez  unis,  car  les 
conspirateurs  ne  se  lassent  pas  -,  ils  épient  toutes  les  occa- 
sions de  jeter  Talarme  dans  les  villes  et  dans  les  campagnes. 
Veillez!  le  salut  est  à  ce  prix.  » 

Après  ce  discours,  le  président  du  club  des  Jacobins 
annonça  à  F  Assemblée  qu'une  liste  de  suspects  lui  avait  été 
remise  et  que,  séance  tenante,  il  fallait  nommer  une  com- 
mission pour  Texaminer  et  demander  à  la  commune  l'ar- 
restation immédiate  des  réactionnaires. 

Le  maire  n'avait  pas  attendu  cette  injonction-,  pendant 
qu'on  délibérait  au  club  des  Jacobins,  il  avait  fait  saisir  à 
leur  domicile  tous  ceux  qui,  la  veille  encore,  s'étaient  dé- 
clarés hautement  en  faveur  du  fédéralisme,  ainsi  que  les 
émissaires  des  Girondins. 

Gela  fait,  Hillot  se  rendit  au  club  des  Jacobins,  et  récla- 
mant la  parole,  il  dit  en  substance  que  :  conformément  aux 
ordres  de  la  Gonvention,  qui  lui  avaient  été  transmis  dans 
la  matinée  par  le  citoyen  commissaire,  il  n'avait  pas  hésité 
un  instant  à  faire  mettre  en  lieu  sûr  tous  les  instigateurs  de 
la  réaction,  et,  dépliant  un  papier,  il  lut  leurs  noms. 


202  HISTOIRE     d'uN     HOTEL     DE    VILLE 

Cette  communication  fut  accueillie  par  des  bravos  fréné- 
tiques. Et  ceux-là  mêmes  qui,  la  veillj,  étaient  tout  prêts  à 
écouter  ks  propos  des  fauteurs  de  la  réaction  et  du  fédéra- 
lisme, n'étaient  pas  les  derniers  à  applaudir  aux  mesures 
de  rigueur  annoncées  par  le  maire. 

Après  quoi,  la  commission  déclara  que  le  conseil  de  la 
commune  avait  bien  mérité  de  la  patrie. 

La  concorde  semblait  donc  rétablie  entre  les  autorités 
municipales  et  les  Jacobins;  mais  ces  derniers  réclamaient 
chaque  jour  l'arrestation  de  nouveaux  suspects,  et  préten- 
dirent même  nommer  un  tribunal  révolutionnaire  pour  les 
juger.  A  cela,  Hillot  s'opposa  énergiquement,  en  disant  que 
seule,  la  Convention  avait  le  pouvoir  d'instituer  des  tribu- 
naux et  qu'il  se  conformerait  à  ses  ordres. 

Les  prisonniers  demeuraient  donc  enfermés  dans  l'offi- 
cialité  de  l'évêché  et  dans  les  salles  basses  de  l'hôtel  de 
ville,  attendant  ou  un  jugement  ou  un  ordre  d'élargissement. 
Hillot  gagnait  du  temps  et  voulait  surtout  éviter  les  excès, 
ne  pensant  pas  qu'ils  pussent  jamais  servir  la  cause  de  la 
République. 

Jusqu'alors,  quelques  vieux  prêtres  qui  avaient  prêté  ser- 
ment, n'avaient  cessé  de  dire  les  offices  dans  ïa  cathédrale  ; 
mais  en  novembre  1798,  à  la  suite  de  manifestations  popu- 
laires contre  le  culte  catholique,  la  municipalité  eut  à  déli- 
bérer sur  la  conservation  ou  la  destruction  des  statues  et 
bas-reliefs  qui  décoraient  les  portails  de  la  cathédrale,  et  le 
citoyen  Rulle,  conseiller  et  membre  du  club  des  Jacobins, 
plaida  chaleureusement  pour  la  suppression  de  toutes  ces 
représentations  de  sujets  sacrés,  de  personnages  saints  et  de 
rois  : 

«  Citoyens,  disait-il,  nous  ne  devons  pas  laisser  aux  re- 
gards du  peuple,  désormais  aflr-anchi  de  la  tyrannie  et  de  la 


ET    d'une    CATHl'DRALE.  203 

superstition,  les  emblèmes  qui  lui  rappellent  la  sen'itude 
sous  laquelle  il  a  gémi  si  longtemps. 

«  L'hésitation,  à  cet  égard,  ne  peut  qu'exciter  son  indi- 
gnation-, il  demande  que  sans  plus  tarder,  les  ordres  soient 
donnés  par  les  représentants  de  la  commune  pour  que  les 
statues  des  despotes  et  tous  les  symboles  de  la  domination 
des  prêtres  soient  détruits.  L'homme  libre  ne  peut  souffrir 
la  vue  des  instruments  de  l'esclavage.  Au  nom  du  peuple, 
je  réclame  leur  suppression.  » 

Cette  motion  eût  probablement  été  adoptée  si  le  maire  ne 
fût  intervenu. 

«  Ce  qu'on  vous  demande  là,  citoyens,  ne  saurait  rece- 
voir l'approbation  des  magistrats  qui  siègent  ici.  Se  livrer  à 
la  destruction  d'images  de  pierre  ou  de  bois  n'est  point  le 
signe  de  la  force,  qui  est  toujours  calme  et  n'agit  qu'après 
réflexion.  S'en  prendre  à  de  vains  emblèmes,  les  briser,  Les 
disperser,  c'est  faire  supposer  qu'on  leur  reconnaît  une 
puissance.  La  République  a  d'autres  ennemis  plus  sérieux 
que  ne  peuvent  l'être  des  images,  et  c'est  à  vaincre  ces  en- 
nemis ou  à  les  réduire  à  l'impuissance  qu'elle  doit  tous 
ses  mornents. 

«  Nous  avons  reçu  l'ordre  de  saisir,  au  profit  du  trésor 
de  la  République  et  pour  aider  à  payer  les  patriotes  qui 
défendent  le  sol,  tous  les  objets  de  métal  qui  font  partie  du 
mobilier  des  églises,  et  nous  devons  nommer  une  commis- 
sion qui  sera  chargée  de  ce  soin  ;  mais  l'Assemblée  natio- 
nale a  elle-même,  dès  le  mois  dernier,  envoyé  des  instruc- 
tions aux  communes  pour  que  les  objets  d'art,  qui  n'ont 
pas  une  valeur  intrinsèque,  soient  conservés  comme  faisant 
partie  du  domaine  de  la  République  et  pouvant  servir  à 
l'étude. 

«  Nous  agirions  donc  contre  ses  intentions  en  détruisant 


264  HISTOIRE     D   UN     HOTEL    DE     VILLE 

inutilement  quelques  statues  et  bas-reliefs.  D'ailleurs,  ci- 
t03'ens,  ces  ouvrages  ne  sont-ils  pas  sortis  de  la  main  du 
peuple?  Ce  ne  sont  ni  les  rois,  ni  les  nobles,  ni  les  prêtres, 
qui  ont  ciselé  ces  images  -,  c'est  le  peuple,  ce  sont  nos  pères, 
et  s'ils  vivaient  sous  l'empire  de  la  superstition,  il  serait 
puéril  de  nous  en  prendre  à  leurs  œuvres. 

«  Ne  nous  servons-nous  pas,  pour  nos  besoins  civiques, 
des  bâtiments  laissés  par  ces  nobles  et  ces  prêtres?  Élevés 
par  la  nation,  ils  reviennent,  comme  c'est  justice,  à  la  na- 
tion qui  recueille  aujourd'hui  le  fruit  de  ses  sueurs.  Tous 
ces  bâtiments  et  ce  qui  les  compose  appartiennent  au  peu- 
ple, et  s'il  a  repris  possession  d'un  bien  obtenu  à  l'aide  de 
son  argent  et  de  son  travail,  ce  ne  peut  être  pour  le  dé- 
truire. 

«  Nous  avons  d'autres  soucis  en  tête  que  d'aller  briser 
des  figures  de  pierre,  et  je  propose  de  passer  à  l'ordre  du 
jour. 

—  Ce  modérantisme^  reprit  le  conseiller  RuUe,  n'a  peut- 
être  pas  lieu  de  nous  surprendre,  mais  il  n'est  pas  de  saison. 
Le  peuple  entend  effacer  tout  ce  qui  lui  rappelle  un  passé 
exécrable,  et  il  veut  que  ses  enfants  n'aient  désormais  devant 
les  yeux  que  des  objets  dignes  de  former  l'âme  des  répu- 
blicains. Tant  qu'il  restera  un  château  et  une  église  debout, 
les  nobles  et  les  prêtres  auront  l'espoir  de  reprendre  pos- 
session de  ces  repaires  de  l'oppression.  Tant  qu'il  restera 
une  image  des  ci-devant  rois,  ou  des  ci-devant  saints,  en- 
tière, il  restera  une  trace  de  leur  infâme  domination  dans  le 
cœur  des  modérés.  La  nation  doit  oublier  les  rois  et  les 
prêtres,  cette  honte  de  l'humanité,  et  pour  qu'en  perdant 
leur  souvenir,  elle  n'ait  plus  pour  idole  que  la  Vertu,  il  faut 
que  les  images  des  tyrans  et  des  hypocrites  disparaissent  de 
la  surface  du  sol  de  la  patrie. 


HT    d'une    CATHÉDRAI.Ii:.  265 


—  Tu  dévoiles  ta  pensée,  citoyen,  répliqua  le  maire,  et 
tu  ne  crois  pas  la  République  assez  forte  pour  dédaigner  les 
souvenirs  du  despotisme.  J^aid^elle  meilleure  opinion, et  en 
supposant  que  je  me  trompe,  crois-tu  que  des  actes  de  van- 
dalisme edaceront  du  cœur  de  ceux  qui  appellent  la  réac- 
tion, leurs  espérances,  leurhaiie  pour  cette  République! 
Non  !  tu  ajouteras  aux  griefs  réels  ou  faux  que  les  aristo- 
crates et  leurs  suppôts  élèvent  contre  elle. 

«  Tu  auras  toi-même  dévoilé  tes  craintes  devant  Tenne- 
mi  commun.  Et  cette  colère  contre  des  images  vaincs  mon- 
trera que,  n'osant  frapper  les  vrais  coupables,  tu  te  jettes 
sur  des  objets  qui  certes  ne  se  peuvent  défendre. 

«  L'histoire  du  passé  est  là,  pour  nçus  apprendre  que 
s'attaquer  aux  objets  matériels  n'est  qu'une  marque  de  co- 
lère impuissante.  Ces  prêtres  n'ont-ils  pas  brûlé  plus  de  li- 
vres que  tu  ne  pourras  détruire  de  statues-,  cela  a-t-il  em- 
pêché le  triomphe  de  la  philosophie  ei  de  la  vertu  ? 

(i  Mais  tu  m'accuses  déjà  de  modérantisme  parce  que  je 
défends  la  cause  de  la  raison.  Je  ne  répondrai  pas  à  cette 
insinuation,  et  mes  concito3'ens  verront  si  je  sais  défendre 
la  République,  aussi  bien  contre  ceux  qui  conspirent  ouver- 
tement sa  perte,  que  contre  ceux  qui  tendent  à  la  compro- 
mettre par  des  motions  faites  pour  flatter  quelques  insensés, 
instruments  aveugles  de  la  réaction. 

.  «  Car  sachez-le,  cito^'ens  !  hs  ennemis  de  la  Révolution 
prennent  toutes  les  formes  et  tous  les  langages.  Les  uns  la 
combattent  les  armes  à  la  main,  et  criminels,  mais  au 
moins  criminels  qui  affirment  leurs  détestables  projets,  ils  ne 
craignent  pas  de  tourner  en  plein  jour  leur  glaiv^e  vers  le 
sein  de  la  patrie;  les  autres....  Oh!  les  autres  sont  plus 
redoutables....  Ceux-là,  poussant  le  peuple  aux  excès-,  exal- 
tant dans  l'ombre,  jusqu'à  la  folie,  les  passions  les  plus 

34 


266  HISTOIRE     d'un    HOTEL     DE    VILLE 

nobles,  ils  espèrent  ainsi  noyer  la  République  dans  le  sang 
qu'elle  aurait  versé  ou  Tétouffer  sous  les  ruines  amoncelées 
par  elle-même.  Je  ne  te  confonds  pas,  citoyen  RuUe,  avec  ces 
h3^pocrites,  crois-le  bien,  mais  je  te  signale  leurs  manœu- 
vres perverses  et  je  dis  comment  les  patriotes  peuvent  de- 
venir leurs  instruments.  » 

Le  cit03^en  Rulle  essaya  encore  de  répondre,  mais  les  au- 
tres conseillers  déclarèrent  la  discussion  close,  et  Ton  passa 
à  Tordre  du  jour. 

Le  même  soir,  au  club  des  Jacobins,  des  discours  vio- 
lents furent  prononcés;  l'attitude  du  conseil  de  la  commune 
ayant  été  dénoncée  comme  réactionnaire,  il  fut  résolu  que 
le  peuple  ferait  justice  des  simulacres  du  despotisme  et  de 
la  superstition.  En  effet,  le  lendemain,  quelques  hommes 
se  dirigèrent  vers  la  cathédrale,  munis  d'échelles,  de  cordes 
et  de  marteaux,  pour  renverser  toutes  les  statues  de  rois  et 
de  saints  et  briser  les  bas-reliefs. 

Mais  Hillot,  le  maire,  les  avait  prévenus  :  il  avait  fait 
poser  devant  les  portails  des  rubans  tricolores  et  se  tenait 
là,  entouré  des  conseillers.  La  vue  des  rubans  aux  trois 
couleurs  et  l'attitude  du  maire,  arrêtèrent  tout  d'abord  les 
iconoclastes,  d'ailleurs  en  assez  petit  nombre.  Puis,  un 
détachement  de  gardes  nationaux  vint  se  ranger  sur  la 
place.  On  parlementa,  et  Hillot,  calme  et  froid,  parla  ainsi 
à  la  foule,  qui  peu  à  peu  s'amassait  devant  le  parvis  : 

«  Citoyens  !  nous  ne  sommes  pas  venus  ici  pour  défendre 
les  images  de  rois  à  jamais  rejetés  du  sol  de  la  patrie,  et  de 
prétendus  saints,  inventés  par  les  prêtres  pour  subjuguer 
l'esprit  de  la  nation.  Non!  nous  sommes  ici  pour  vous  dire 
que  la  inutilation  des  œuvres  d'art,  dues  à  nos  pères,  à  des 
hommes  du  peuple,  serait  un  acte  de  barbarie....  Ce  n'est 
pas  contre  ces  images  de  pierre  qu'il  faut  manifester  vos 


ET    d"'UXF.    CATHKDRALE.  2G7 

justes  ressentiments,  mais  bien  contre  les  ennemis  du 
dedans  et  du  dehors,  ennemis  vivants  et  qui  se  riraient  de 
vos  colères,  inutilement  exercées  contre  des  représentations 
inoffensives. 

«  Puis quelles   sont  donc  ces  images?  Jésus....  ses 

apôtres?  Mais  n'étaient-ils  pas  des  démocrates?  Vivaient-ils 
dans  la  pourpre  et  les  richesses?  s'entouraient-ils  d'esclaves 
et  de  serviteurs?  Est-ce  à  eux  qu'il  faut  s'en  prendre  si  les 
prêtres  ont  corrompu  leur  enseignement?  Ne  sont-ce  pas 
les  prêtres  qui  ont  fait  périr  Jésus?  Aujourd'hui,  ne  serait-il 
pas  au  milieu  de  vous,  coiffé  du  bonnet  de  la  liberté?  Mais 
regardez  donc  cette  sculpture.  C'est  l'enfer,  je  crois,  qu'ont 
taillé  ici  des  artistes  que  les  lumières  de  la  philosophie 
n'avaient  pas  encore  éclairés  ! 

«  Eh  bien!  quels  sont  ceux  que  les  diables  entraînent? 
Un  pape!  un  roi,  des  moines,  des  nobles,  des  dames  de 
cour... 

c(  Ainsi,  ces  artisans,  sortis  du  peuple,  auteurs  de  ces 
sculptures,  avaient  devancé  les  temps  et  exprimaient  déjà, 
dans  leur  langage,  le  seul  qui  leur  fut  permis,  leur  haine 
contre  les  t3Tans  et  les  gens  d'église. 

«  Laissez  donc  subsister  ces  débris  de  la  pansée  du 
peuple  qui  a  vécu  avant  vous,  qui  a  souffert  du  despotisme 
et  qui  a  su  exprimer  son  amour  pour  la  vérité  et  la  vertu 
pendant  qu'il  était  opprimé. 

«  Et  là,  encore,  que  voyons-nous  ?  Un  zodiaque  et  les 
travaux  des  champs.  L'image  de  la  science  astronomique  et 
du  travail. 

«  En  voulez-vous  à  ces  représentations?  Ah!  chers  con- 
citoyens, ce  ne  sont  pas  ces  symboles  qu'il  vous  faut  redou- 
ter, mais  bien  les  instigateurs  de  la  ruine  et  du  désordre. 
La  cathédrale  de  Clusy,  bâtie  par  le  peuple  de  Clusy,  est  un 


268  HISTOIRE     D^UN    HOTEL     DE    VILLE 

monument  national,  il  nous  appartient  ;  conservons-le  in- 
tact, et  qu'il  serve  dorénavant  aux  grandes  réunions  popu- 
laires, sous  la  garde  du  peuple,  qui  Ta  élevé!  » 

Ce  discours  fut  accueilli  par  les  cris  de  :  «  Vive  la  nation! 
Vive  le  maire!  »  (Fig.  48  bis.) 

Et  les  statues  furent  aussitôt  décorées  de  rubans  tricolores 
et  coiffées  de  bonnets  rouges. 

Puis,  la  foule  se  mit  à  considérer  toutes  ces  sculptures 
sous  une  impression  nouvelle,  en  leur  donnant  les  interpré- 
tations les  plus  étranges. 

Toutefois,  la  cathédrale  était  sauvée-,  le  baldaquin  seul  fut 
dépouillé  de  ses  anges  en  plâtre  et  de  ses  ornements  de 
plomb  doré  qui  servirent  à  fabriquer  des  balles. 

Les  cloches,  sauf  une  seule,  réservée  pour  sonner  le 
tocsin,  durent  être  fondues  pour  faire  des  sous,  et  les  châs- 
ses d'argent  et  de  vermeil  furent  envoyées  à  la  Convention. 

A  rinstar  de  la  fête  de  la  Raison,  que  Ton  célibrait  à 
Paris  le  20  brumaire  (lo.  novembre  1793),  Clusy  vou- 
lut avoir  aussi  dans  sa  cathédrale  une  cérémonie  semblable. 

La  déesse  de  la  Raison,  représentée  par  une  jeune  femme 
vêtue  d'une  tunique  blanche,  d'un  manteau  bleu,  coiffée  du 
bonnet  de  la  liberté,  fut  portée,  assise  sur  un  trône  d'or, 
par  huit  jeunes  filles  jusque  dans  le  sanctuaire  de  l'église 
et   déposée   sur   une   estrade ,    couvrant    le   maître-autel 

(fig-  49)- 

:  Là,  des  discours  furent  prononcés,  des  hymnes  patrioti- 
ques chantés,  et  pendant  quelque  temps,  les  jours  de  décade, 
le  peuple  se  rassemblait  dans  la  cathédrale-,  on  y  lisait  la 
Déclaration  des  droits  de  Vhomme^  on  y  prononçait  des 
discours  sur  la  vertu,  sur  la  famille,  on  y  exécutait  des 
morceaux  de  musique,  on  y  chantait  des  hymnes  républi- 
cains. 


LE   MAIRE    EMPÊCHE    LA    DESTRUCTION    DES    STATUES 
DE    LA    CATHÉDRALE. 


ET    D    UNE    CATHIJDRALE. 


269 


On  avait  remplacé  la  première  déesse  de  la  Raison,  en 
chair  et  en  os,  et  qui  s'en  alla,  après  Pinauguration,  dîner 
avec  les  commissaires  de  la  fêtw,  par  une  statue  de  plâtre, 
et,  à  ce  sujet,  le  maire,  qui  ne  participait  guère  aux  céré- 
monies imaginées  par  les  promoteurs  du  culte  de  la  Rai-' 
son,  pensait  qu'il  était  au  moins  ridicule  de  substituer  une 
idolâtrie  nouvelle  à  celle  qu'on  prétendait  abolir 

Et,  en  effet,  voyait-on  des  bonnes  femmes  de  Clusy 
entrer  dans  la  cathédrale  pour  déposer  des  fleurs  et  allumer 
des  chandelles  aux  pieds  de  la  statue  de  la  Raison,  comme 
autrefois  elles  en  plaçaient  devant  Timage  de   la  Vierge, 

Les  idées  abstraites  n'entrent  pas  dans  le  cerveau  des 


270  HISTOIRE     D    U\     HOTEL     DE     VILLE 

simples,  et  la  nouvelle  déesse  de  plâtre  devenait  à  leurs  yeux 
un  fétiche.  Aussi,  dans  le  conseil  de  la  commune,  dans  le 
club  des  Jacobins,  des  orateurs  s'élevaient  contre  ce  nou- 
veau culte  qui  semblait  préparer  les  esprits  au  retour  des 
pompes  du  catholicisme.  Si  on  adressait  à  ce  sujet  des 
observations  au  maire,  il  levait:  les  épaules;  se  conte:itait  de 
dire  tristement  :  «  Ceci  nous  prouve  que  les  lumières  de  la 
philosophie  pure  n'ont  point  pénétré  Tâme  du  peuple,.,. 
Pourquoi  nous  en  étonner?  une  nation  ne  prend  pas  en 
deux  ou  trois  ans  des  habitudes  contractées  pendant  des 
siècles.  » 

Toutefois  ces  réunions  durèrent  peu;  le  peuple  les  tour- 
nait en  dérision,  et  Téglise  demeura  bientôt  déserte. 

Pendant  les  derniers  jours  de  1793,  les  clubs  réclamèrent 
impérieusement  le  jugement  des  suspects,  et  ils  menaçaient 
de  forcer  les  prisons.  Le  maire  attendait,  répétait-il  tou- 
jours, des  ordres  de  la  Convention. 

Au  péril  de  sa  vie,  il  opposait  aux  injonctions  des  clu- 
bistes  une  inébranlable  fermeté.  Puis  intervint  le  décret 
de  la  Convention  qui  ordonnait  de  fermer  toutes  les 
réunions,  sauf  celle  des  Jacobins. 

Hillot  n'a3^ant  plus  à  lutter  qu'avec  celle-ci  et  tenant  la 
garde  nationale  dans  sa  main,  sut  éviter  les  excès  popu- 
laires. 

Actif,  sans  cesse  à  son  poste,  prévoyant  tout,  il  put  main- 
tenir Tordre  dans  la  ville,  sut  pourvoir  à  son  approvision- 
nement, décourager  les  meneurs,  faire  respecter  les  lois, 
ménager  les  esprits  violents,  et  imposer  par  sa  fermeté  et 
son  calme  à  la  nombreuse  et  dangereuse  classe  des  trem- 
bleurs. 

Après  le  9  thermidor,  les  prisons  furent  ou\'ertes,  et 
bientôt  après,  Hillot,  accusé  d'avoir   favorisé  les  Jacobins 


ET    D    UNE    CA  TllI.nRALn:. 


27  l 


par  ceux-là  mêmes  qu'il  avait  sauvés  d'une  mort  certaine, 
fut  arrêté,  traduit  de\'ant  une  commission  composée  de 
contre-révolutionnaires  et  condamné  au  bannissement;  car 
la  peur  ne  pardonne  pas. 

Réduit  à  rindigence,  —  il  avait  dépensé  son  faible  patri- 
moine pendant  sa  magistrature,  —  il  finit  ses  jours  en 
Hollande,  dans  un  hospice,  en  1800. 


272  HISTOIRE     d'un     hôtel     DE    VILLE 


CONCLUSION 


A  quoi  servirait  Tliistoirc,  si  elle  n'était  un  enseigne- 
ment ? 

Et  cependant,  si  Ton  tient  compte  des  mœurs  et  du  temps, 
les  mêmes  fautes,  les  mêmes  excès,  les  mêmes  moyens  d'ac- 
tion ou  de  réaction,  se  représentent  sans  cesse.  Ce  serait  à 
désespérer  du  progrès  chez  les  peuples  qui  passant  pour  ci- 
vilisés, si,  en  considérant  les  choses  avec  attention,  on  ne 
découvrait,  à  travers  ces  événements  qui  se  reproduisent 
périodiquement,  sous  une  forme  identique,  un  fait  constant, 
une  pensée  dominante  :  le  rétablissement  de  Téquilibre  rom- 
pu, par  le  travail  persistant  des  populations. 

l.a  décadence  ne  commence  réellement  pour  une  nation 
que  quand  elle  cesse  de  considérer  le  travail  comme  l'élé- 
ment vital,  et  toutes  les  ruines  sont  bien  vite  réparées  quand 
un  peuple  se  remet  courageusement  à  l'œuvre,  après  une 
catastrophe. 

L'histoire  de  la  ville  de  Clusy  est  l'histoire  de  la  plupart 
de  nos  grandes  communes. 

Dès  l'époque  gallo-romaine,  l'esprit  de  solidarité  qui  unit 
les  membres  d'une  même  cité  se  prononce  avec  énergie 

Sous  la  domination  des  Mérovingiens,  pendant  ces  temps 
de  désordre  et  de  trouble,  quand  la  vieille  civilisation  ro- 


El-  d'une  catim-drale.  273 

maine  semble  à  tout  jamais  effacée,  bs  villes  conservent  et 
maintiennent,  tant  bien  que  mal,  les  traditions  administra- 
tives des  municipes.  Et,  à  la  fin  du  onzième  siècle,  c^s  tra- 
ditions reparaissent  sous  une  forme  républicaine.  La  cité 
prétend,  au  sein  du  régime  féodal,  conquérir  son  indépen^ 
dance  absolue,  et  elle  Tacquiert,  en  effet,  au  prix  des  sacri- 
fices les  plus  douloureux. 

Depuis  lors,  nos  cités  françaises  n'ont  cessé  de  poursuivre 
la  même  pensée  vingt  fois^  elles  ont  perdu  leurs  franchises, 
achetées  à  prix  d'argent,  conquises  par  la  force  ou  l'a- 
dresse, vingt  fois  elles  ont  su  retrouver  leur  indépendance 
municipale,  et,  aujourd'hui  encore,  cette  pensée  se  mani- 
feste énergiquement. 

Mais  à  l'amour  pour  la  cité  indépendante,  est  venu  se 
joindre  le  sentiment  de  la  solidarité  nationale,  qui  n'existait 
pas  pendant  la  durée  de  la  période  féodale. 

Alors,  si  certaines  villes  tentaient  de  former  entre  elles 
une  sorte  de  fédération,  afin  de  résister  à  l'ennemi  com- 
mun, la  féodalité,  le  fédéralisme  ne  saurait  être  confondu 
avec  ce  que  nous  appelons  aujourd'hui  le  sentiment  natio- 
nal, Tamour  de  la  patrie.  C'était  une  sorte  d'assurance  mu- 
tuelle qui  se  développa  particulièrement  entre  les  villes  d':! 
Nord,  entre  les  cités  flamandes,  et  qui  n'excluait  nullement 
rappel  au  secours  prêté  par  Tétranger. 

Le  progrès  réel  résulte  donc  de  la  simultanéité  des  deux 
sentiments  :  l'amour  de  la  patrie  et  l'amour  de  la  cité,  le 
premier  dominant,  comme  de  juste,  le  second  ;  et,  pour 
nous  exprimer  avec  plus  de  précision,  la  cité  administrati- 
vement  indépendante,  concourant  à  la  défense  commune  du 
pays. 

Il  a  fallu  des  siècles  et  de  dures  épreuves  pour  associer 
ces  deux  idies  oui  semblent,  au  premier  abord,  contradic- 

35 


274  HISTOIRE     D    UN     HOTEL    DE    VILLE 

toires.  Il  a  fallu  rintervention  de  h  monarchie,  travaillant 
ou  croyant  travailler  pour  son  propre  compte  ;  il  a  fallu  une 
révolution  grande  et  terrible,  des  guerres  sanglantes  -,  il  a 
fallu  encore  la  ténacité  laborieuse  des  populations  et  le  sen- 
timent de  civisme  particulier  aux  races  latines. 

Est-ce  à  dire  que  les  progrès  soient  accomplis  et  que  nous 
entrions  dans  Tâge  d'or  des  cités?  Non  certes,  on  signale  le 
progrès,  on  ne  saurait  le  considérer  comme  réalisé  encore. 

Les  progrés  ne  seront  définitivement  acquis  que  quand 
les  citoyens  auront  k  connaissance  exacte  de  leurs  droits  et 
de  leurs  devoirs,  quand  ils  seront  tous  pourvus  d'une  in- 
struction suffisante  pour  les  mettre  à  Tabri  des  entraîne- 
ments irréfléchis;  lorsqu'ils  se  considéreront  comme  soli- 
daires, et  que  les  plus  capables  parmi  eux  se  dévoueront, 
sans  arrière-pensée,  aux  fonctions  publiques  et  répondront 
sans  héstier  à  l'appel  de  leurs  concit03xns  :  toutes  condi- 
tions qui  sont  loin  encore  d'être  remplies. 

Mais  ce  que  nous  avons  voulu  faire  ressortir  dans  cet 
ouvrage,  c'est  la  persistance  d'une  cité  à  se  constituer  civi- 
lement', comme  dans  V Histoire  d'une  Forteresse  ^  nous 
avons  essayé  de  montrer  la  persistance  d'une  ville  à  se  dé- 
fendre contre  les  attaques  à  main  armée.  Les  deux  œuvres 
se  complètent  et  donnent  la  mesure  de  l'énergie  vitale  des 
populations  urbaines  françaises. 

Ce  que  nous  avons  voulu  montrer,  c'est  comment  et  pour- 
quoi la  cathédrale  est,  au  même  titre  que  la  maison  de  ville, 
le  monument  ài  la  cité,  le  signe  visible  deseff"orts,  à  un  cer- 
tain moment,  pour  se  constituer  en  face  du  pouvoir  féodal. 
Et  le  sentiment  des  populations  ne  s'est  pas  égaré  sur  ce 
point. 

Lorsque,  par  suite  d'une  réaction  violente  contre  les  abus 
du  régime  monarchique  et  les  prétentions  du  clergé,  la 


CT    D  UNE   CATHIÎDRAl.E.  27!? 


Révolution  a  porté  la  main  sur  les  établissements  rdij^ieux, 
les  villes  ont  respecté  leurs  cathédrales  Une  vieille  tra- 
dition, dont  alors  certainement  on  ne  se  rendait  pas  un 
compte  exact,  a  protégé  ces  édifices  contre  les  démolis- 
seurs. 

Peu  de  ces  églises  ont  vu  détruire  leur  statuaire.  Reims, 
Chartres,  Amiens  ont  conservé  la  leur,  intacie. 

Et  il  faut  dire,  pour  être  vrai,  que  depuis  le  rétablisse- 
ment du  culte,  et  notamment  sous  le  premier  Empire  et  la 
Restauration,  ces  grands  monuments  des  cités  françaises  par 
excellence  et  dus  au  génie  des  populations  urbaines,  ont  eu 
à  subir  certaines  mutilations  graves  que  leur  ava:t  épar- 
gnées la  Révolution. 

Le  caractère  officiellement  et  exclusivement  religieux  donné 
aux  cathédrales  depuis  la  fin  du  treizième  siècle,  les  a  garan- 
ties contre  les  événements  politiques,  qui  ont  eu,  sur  les 
hôtels  de  ville,  une  si  désastreuse  influence.  Car  Fhôtel  de 
ville  subissait  le  contre-coup  de  chaque  révolution  survenue 
dans  le  sein  de  la  commune.  C'était  à  Thôtel  de  ville  que 
s'en  prenaient  les  pouvoirs  monarchique  et  féodaux  avec 
lesquels  les  cités  entraient  en  lutte  ouverte,  et  c'est  pourquoi 
nous  ne  possédons  en  France  qu'un  si  petit  nombre  de  ces 
édifices  d'une  date  ancienne.  La  plupart,  cependant,  ont 
été  rebâtis  plusieurs  fois  sur  l'emplacement  qu'ils  occu- 
paient dès  rétablissement  des  communes,  et  peut-être  sur 
les  terrains  affectés  à  la  curie  municipale  romaine;  de  même 
que  nos  cathédrales  et  évêchés  occupent  l'emplacement  du 
prétoire  romain,  situé  le  long  de  Tenceinte  de  la  ville,  du 
côté  le  moins  facilement  attaquable. 

Les  cathédrales  de  Paris,  de  Bourges,  de  Chartres, 
d'Amiens,  de  Soissons,  de  Meaux,  de  Senlis,  de  Beau- 
vais  (pour  ne  parler  que  de  celles  qui  faisaient  pariie  du 


276  HISTOIRE     d'un     hôtel     DE    VILLE 

domaine  ro3'ai  ou  qui  en  étaient  le  plus  voisines),  sont  dans 
ce  cas. 

C'est  qu'en  effet,  au  moment  de  la  chute  de  l'empire 
romain,  les  évêques  étaient  investis  de  Tautorité  du  préteur 
et  étaient  chefs  de  Tadministration  municipale,  en  même 
temps  que  pasteurs  spirituels.  Et  c'est  bien  sur  ce  pouvoir, 
accordé  aux  premiers  dignitaifes  chrétiens,  que  Tépiscopat 
s'appuya  longtemps  pour  réclamer  la  suprématie  sur  les 
villes. 

Il  ne  fallut  rien  moins  que  le  mouvement  communal  et 
la  prépondérance  plus  ou  moins  marquée  du  pouvoir  mo- 
narchique pour  imposer  silence  à  ces  prétentions  épisco- 
pales. 

L'histoire  de  France  est  ainsi,  en  grande  partie,  renfer- 
mée dans  rhistoire  de  nos  cités.  Ce  sont  nos  cités,  ce  sont 
les  luttes  incessantes  de  leurs  habitants  contre  les  pouvoirs 
anarchiques  de  la  féodalité,  despotiques  de  la  monarchie, 
contre  les  envahisseurs  étrangers,  les  passions  des  partis 
rivaux  auxquels  le  pays  était  livré,  qui  ont  constitué  la 
France. 

Aussi,  est-ce  aux  villes  et  aux  grandes  villes  surtout,  que 
les  despotismes,  quels  qu'ils  soient,  refusent  leurs  sympa- 
thies. Les  seigneurs  féodaux  vivaient  dans  leurs  châteaux 
et  se  tenaient  à  distance  des  villes.  Quand  la  monarchie 
française  fut  assez  puissante  pour  régner  de  fait,  elle  n'ha- 
bita guère  les  villes.  Parmi  les  souverains,  le  plus  des- 
pote de  tous,  Louis  XIV,  ne  fut  jamais  à  Paris  que  pendant 
quelques  jours,  et  Louis  XVI  y  fut  amené  malgré  lui. 

Si  cet  ouvrage,  essentiellement  lié  à  V Histoire  d'une  For- 
teresse^ contribue,  pour  si  peu  que  ce  soit,  à  faire  entrevoir 
et  apprécier  la  partie  la  plus  intéressante  peut-être  de  notre 
histoire  nationah,  en  ce  qu'elle  montre  comment  et  au  prix 


ET     D   UNE     CATHEDRALE. 


77 


de  quels  sacrifices  un  pays  conquiert  et  conserve  ses  liber- 
tés sans  cesse  contestées,  nous  croirons  avoir  rempli  notre 
tâche. 

Un  de  nos  grands  écrivains,  Edgard  Quinet,  écrivait  en 
i8G3  :  «  Si  la  liberté  se  perdait  pour  jamais,  je  tiens  pjur 
certain  que  Tintérêt  attaché  à  nos  origines  se  perdrait  in- 
failliblement. Les  vastes  travaux  entrepris  sur  notre  histoire 
seraient  interrompus  et  abandonnés.  Car,  qui  se  sentirait  le 
courage,  du  fond  d'une  servitude  présente,  d'attacher  son 
esprit  à  l'histoire  de  la  servitude  passée  ?  Les  écrivains,  di- 
gnes de  ce  nom,  chercheraient  d'autres  sujets  qui  leur  per- 
missent au  moins  de  se  distraire  des  maux  connus,  par  Til- 
lusion  de  l'espérance.  » 

A  cette  observation  si  juste  et  présentée  sous  une  forme 
si  noble,  on  peut  ajouter  : 

L'amour  du  pays  est  en  raison  de  la  connaissance  de  son 
histoire,  et  si  l'on  veut  faire  pénétrer  cet  amour  dans  les 
esprits,  il  faut  que  cette  histoire  devienne  familière  à  tous! 


PRINCIPAUX 

OUVRAGES  ET  DOCUMENTS  CONSULTÉS 


CHAPITRE    PREMIER. 

Grégoire  de  Tours,  Histoire  ecclcsiasliqiic  des  Francs. 
Sidoine  Apollinaire,  Lettres. 
Guizot,  Essais  sur  l'histoire  de  France. 

—  Des  institutions  politiques  en  France  du  V"  au  X"  siccle. 

—  Histoire  de  la  civilisation  en  France. 
Augustin  Thierry,  Récits  des  temps  mérovingiens. 

CHAPITRE    II. 

Eginhard,   Vie  de  l'Empereur  Charles. 

Frodoard,  Histoire  de  l'Église  de  Reims. 

Hincmar,  Lettres 

Guizot,  Ouvrages  déjà  cités. 

C.  F.  E.  Dupin,  Histoire  administrative  des  communes  de  France, 

Michelet,  Origines  du  droit  français. 

CHAPITRE   III. 

Guibert  de  Nogent,  Mémoires. 

Baldcrig,  Chroniques  d'Arras  et  de  Canibray,  publiées  par  le  docteur 

Le  Glay. 
Recueil  des  ordonnances  des  rois  de  France. 
Hugues  de  Poitiers,  Histoire  de  l'ahhaye  de  Vé-^elay, 
Mabillon,  Annales  de  l'ordre  de  Saint-Benoit. 
Suger,  Vie  de  Louis  le  Gros. 


28o  PRINCIPAUX   OUVRAGES 


Anquetil,  Histoire  de  Reims. 

Augustin  Thierry,  Lettres  sur  l'histoire  de  France. 

CHAPITRE    IV. 

Suger,  Lettres. 

Guillaume  le  Breton,   Vie  de  Philippe-Auguste. 

Cartnlairede  Laon. 

H.  Martin,  Histoire  de  France, 

Vitet,  Monographie  de  la  Cathédrale  de  Noyon. 

Marion,  Essai  sur  l'église  Notre-Dame  de  Laon. 

D.  Bugnâtre. 

CHAPITRE   V. 

Guillaume  de  Nangis,  Chroniques. 

Ordonnances  des  rois  de  France. 

Guillaume  Durand,  Rationak. 

Jehan  le  Mrrchant,  Poème  des  miracles. 

Goze,  Histoire  de  la  Cathédrale  d'Amiens. 

A.  de  Girardot,   La  Cathédrale  de  Bourges. 

Tailiar,  Recueil  d'actes  des  xn"  et  xui^  siècles  die  nord  de  la  Francs. 

CHAPITRE    VI. 

Guillaume  de  Nangis,  Chroniques. 

Le  Sire  de  Joinville,  Histoire  de  saint  Louis. 

Pierre  de  Fontaines  {le  conseil  de). 

Beugnot,  Institutions  de  saint  Louis. 

Beaumanoir,  Coutumes  de  Beauvoisis. 

Isambert,    Lois  anciennes. 

De  Guilhermy  et  ViolIct-le-Duc,  Description  de  Notre-Dame  de  Paris. 

CHAPITRE    VIT. 

Documents  inédits  sur  l'histoire  de  France,  les  01  im. 

Ordonnances  des  rois  de  France. 

Chroniques  de  Saint-Denis. 

Isambert,  Lois  anciennes. 

Augustin  Thierry,  Lettres  sur  l'histoire  de  France, 


ET    DOCUMENTS   CONSULTIÎS.  28i 


CHAPITRE    VIII. 

Continuateur  de  Guillaume  de  Nangis,  Chroniques. 

Chroniques  de  Saint-Denis. 

Henri  Martin,  Histoire  de  France. 

Augustin  Thierry,  Lettres  sur  l'histoire  de  France. 


CHAPITRE    IX. 

Froissart,  Chroniques. 

Chroniques  de  Saint-Denis. 

Henri  Martin^  Histoire  de  France. 


CHAPITRE  X. 

Froissart,  Chroniques. 

J.  Ju vénal  des  Ursins,  Histoire  de  Charles  VI. 

Pierre  de  Fenin,  Mémoires. 

Journal  d'un  bourgeois  de  Paris  sous  le  règne  de  Charles  VI. 


CHAPITRE  XI. 


Philippe  de  Commines,  Mémoires. 
Olivier  de  la  Marche,  Mémoires. 
Jean  de  Troyes,  Mémoires. 
Henri  Martin,   Histoire  de  France. 


CHAPITRE  XII. 

La  Satyre  mêntppêe. 

L'Estoile,  Godefroy.  Mémoire  pour  servir  à  l'histoire  de  France  (i Si  5- 

L'Estoile,  Journal  des  choses    inénurahles    advenues   durant   h    règne    de 

Henri  HI. 
Agrippa  d'Aubigné,  Mémoires. 
Henri  Martin,  Histoire  de  France. 


?.82  PRINCIPAUX    OUVRAGES,    ETC. 


CHAPITRE  XIII. 

Albert  Christophle,    Une  cleciion  iminicipah  en  ly^S,  étude  sur  Je  drc:'t 

municipal  au  xviu*  siècle. 
de  Tocqueville,    L'ancien  régime  et  la  Révolution. 
Augustin  Thierry,  Essai  sur  l'histoire  du  Tiers-État. 

CHAPITRE   XIV. 

J.    B.    Thiers,    Dissertations    ecclésiastiques  sur   les  principaux  au'.cls  de 

églises  ;  les  jîibés  des  églises,  la  clôture  du  claiir  des  églises  (1688). 
Lebrun  des  Marettes,  Voyages  lithurgiqiies  de  France  (1718). 

CHAPITRE   XV. 

Thiers,  Histoire  de  la  Révolution  française. 

Décrets  de  la  Convention. 

Vaultier,  Souvenirs  de  l'insurrection  normande  dite  du  fédéralisme. 

Mémoires  et  journaux  de  la  Révolution. 


TABLE 


Chap.  I.  La  Curie  et  le   Prétoire.    .   .    ,    .  i 

—  II  La  Cathédrale 28 

—  III.       La  Commune  de  Clusy 43 

—  IV.       Ou  l'accord  s'établit   entre   l'évè- 

que  et  les  habitants  de  Clusy.  .  .         70 

—  V.         La  Cathédrale  du  aiii"  siècle.  .   .         88 

—  VI.       Pourquoi  et  comment'la  Cathédrale 

subit  certaines  modifications.   .  .       112 

—  VII.      L"'hôtel  de  ville  de  la  fin  du  Xlll 

siècle i3i 

—  VIII.    Abolition  de  la  commune  de  Clusy.       145 

—  IX.       Rétablissement    de   la  commune  de 

Clusy 169 

—  X.         L'ÉPOQUE  des  grands  maux 200 

—  XI.       L'hôtel  ds  ville  de    Clusy  est  re- 

bâti par    la   munificence    du    roi 
louis  le  onzième. 207 


284 


TABLE. 


Chap.  XII.      La  Ligue 222 

—  XIII.    L'ÉDiT  DE  1692 236 

—  XIV.    Les  conséquences  d'un  vœu  royal.  .'  241 

—  XV.      La  Révolution *......  253 

Conclusion ,  .  .  .  .  274 


FIN    DE    LA    TAELE 


Impriuurie  A-  Laliurc,  rue  de  Flcr.rus,  9,  à  Paru. 


Collection    Hetzel 


ÉDUCATION 

RÉCRÉATION 


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c=^€ii7teé^é^e  -^  <=z:^^€t'^^tiile 


5 00  Ouvrages 


^  loule         v' 


en  1864 

et 

Semaine  des  Enfants 

réunis,  dirigés  par 

Jules  Verne    —    J.  Hetzel    --    J.  Macé 


La   Collection   complète 

56  beaux  volumes  in-8  niustrés 


Brochés 

Cartonnés  dorés.  .   .  . 

Volume  séparé,  broché 

—       cartonné  doré. 


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ABONNEMENT 
d'un  An 

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Paris 1  4  fr. 

Déparlements 1  6  fr. 

Union 1  7  fr. 

(Il  paraît  deux  volumes  par  an.) 


Principales   Œuvres  parues 


w 


Les  Voyages  Extraordinaires,  par  Jules  Verne 
La   Vie  de  Collège  dans  tous  les  Pays,  par  André  Laurie 

Les  Voyages  involontaires,  par  Lucien  Biart 

Les  Romans  d'Aventures,  par  André  Laurie  et  Rider  Haggard 

Les  Romans  de  l'Histoire  naturelle,  par  le  D'  Candèze 

Les  Œuvres  pour  la  Jeunesse  de  Stahl,  J.  Sandeau,  E.  Legouvé,  V.  de  Laprade,  Jean  Macé,  Hector 
Malot,  Viollet-le-Duc,  S.  Blandy,  J.  Lermont,  Th.  Benlzon,  E.  Muller,  Dickens,  A.  Dequet,  A.  Badin, 
E.  Egger,  Gennevraye,  B,  Vadier,  Génin,  P.  Gouzy. 


Nombreuses  gravures  des  meilleurs  artistes 
Catalogue  G  I 


<>/\A^v\Ay\Ay\/\y\Ay\/\y\Ay\Ay\Ay\/\y\Ay\Ay\/v\/v\/vA/^ 

<  ALBUMS  STAHL  en  COULEURS,  IN-4°   | 

S  L.    FRŒL  I  CH  ^ 

^  CJiansons  &  Bondes  de  l'Enfance  ^ 

^  t  Les  Frères  c'e  M"«  Lili.         )   La  Mère  Michel.  )  Cadet-Roussel.  ^ 

^  Sur  le  Pont  d'Avignon.  Gironè-Girofja.  Le  bon  Roi  Dagoberl.  C 

>  La  Tour,  prends  garde.  Il  était  une  Bergère.  Compère  Guilleri.  > 
C  La  Marmotte  en  vie.  M.  de  La  Palisse.  Malbroughs'enva-t-en  guerre.  ^ 
^  La  Boulangère  a  des  écus.  (  Au  Clair  de  la  Lune.  (  Nous  n'irons  plus  au  bois.  ^ 
^  L.  FRŒLICH  C 
•              M.  César.  —  Le  Cirque  à  la  maison.  —  Pommier  de  Robert.  —  La  Revanche  de  François.  ^ 

>  BECKER.  .  • Une  drôle  d'École.  ^ 

S  CASELLA Les  Chagrins  de  Dick.  ^ 

^  FROMENT Tambour  et  Trompette.  S 

C.  GEOFFROY Monsieur  de  Crac.  —  Don  Quichotte.  —  Gulliver.  C 

—  L'Ane  gris.  —  Le  pauvre  Ane.  ^ 

JAZET. L'Apprentissage  du  Soldat.  • 

KURNER Une  Maison  inhabitable.  ^ 

DE   LUCHT L'HommeàlaFlûte— Les  3  montures  de  John  Cabriole.       ^ 

—  .La  Leçon  d'Èquilalion. —  La  Pèche  au  Tigre.  ^ 

—  Les  Animau.\  domestiques.  ^ 

^  —  •••  Robinson  Crusoë.  V 

^  MATTHIS Métamorphoses  du  Papillon.  ^ 

^  MARIE Mademoiselle  Suzon.  ^ 

^  TINANT Du  haut  en  bas.  —  Un  Voyage  dans  la  neige.  ^ 

^  —         Une  Chasse  extraordinaire.  —  La  Revanche  de  Cassandre.        ^ 

\  —  Les  Pécheurs  ennemis.  —  La  Guerre  sur  les  Toits.  ^ 

C  —         Machin  et  Chose.  ^ 

^  —         Le  Bercer  ramoneur.  ^ 

^  TROJELLI Alphabet  musical  de  Mlle  Lili.  ^ 

^  i^'  et  2"""  Ages  < 

\  PETITE  BIBLIOTHÈQUE  BLANCHE    | 

^  Volumes  gr.  in-16  colombier,  illustrés  C 

<^  AUSTIN   .   .   . Boulotte.  ^ 

P  BENTZON Yelte.  ^ 

y  BERTIN(M. )............  Les  Douze.  —  Voyage  au  Pays  des  défauts,  ^ 

^  —        Les  deux  côtés  du  Mur.  ^ 

^  BIGNON Un  singulier  petit  Homme.  C 

<^  CHAZEL  (PROSPER) Riquetle.  ^ 

>  DE   CHERVILLE  (M.) Histoire  d'un  trop  bon  Chien.  > 

S  DICKENS  (C  H.) L'Embranchement  de  Mugby.  b 

X  DIENY  (F.) La  Patrie  avant  tout.  ^ 

^  DUMAS  iA.) La  Bouillie  de  la  comtesse  Berthe.  ' 

^  DURAND  (H.) Histoire  d'une  bonne  aiguille.  ^ 

^  FEUILLET   (O.) La  Vie  de  Polichinelle.  ^ 

^  G  EN  IN  (M.) Un  petit  Héros.  ^ 

C  —  Les  Grottes  de  Piémont.  —  Pain  d'épice.  ^ 

^  GENN.EVRAYE Petit  Théâtre  de  Famille.  C 

^  LA    BÉDOLLIERE   (DE) Histoire  de  la  Mère  Michel  et  de  son  chat.  X 

^  LE  MAI  RE-CRETIN Le  Livre  de  Trotty.  '  b 

^  LEMOINE La  Guerre  pendant  les  vacances.  ^ 

C  LEMONNIER  (C-) Bébés  et  Joujoux.— Hist.de  huit  Bêtes  et  d'une  Poupée.        ^ 

^  —  Les  Joujoux  parlants.  ^ 

^  LERMONT  (J.) f  Mes  Frères  et  moi.  ^ 

^  LOCKROY  (S.) Les  Fées  de  la  Famille.  S 

S  MAYNE-REID f  Les  Exploits  des  jeunes  Boërs.  C 

^  MULLER(E.) Récits  enfantins.  ^ 

>  MUSSET  (P.    DE) Monsieur  le  Vent  et  Madame  la  Pluie.  • 

^  NODIER  (CHARLES) Trésor  des  Fèves  et  Fleur  des  Pois.  ^ 

^  OURLIAC  (E.) Le  Prince  Coqueluche.  N 

C  PERRAULT  (p.) Les  Lunettes  de  Grand'Maman.  C 

^  —  Les  Exploits  de  Mario.  ^ 

^  SAND  (GEORGE) Le  Véritable  Gribouille.  V 

S  SPARK.. Fabliaux  et  Paraboles.  S 

^  STAHL  (P.-J.) Les  Aventures  de  Tom  Pouce.  ^ 

r  STAHL  ET  WILLIAM  HUGHES.  Contes  de  la  Tante  Judith.  C 

^  VERNE  (JULES) Un  Hivernage  dans  les  glaces.  y 

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4 


ovA./\A/\Ay\Ay\Ay\A./\A/\A/\Ay\/\/\/\y\Ay\Ay\Ay\/v\/Ay\/v\a 

|iiMiiîtî|èpe  i'|iltteitî(îïi  it  k  ^mhûm  ^ 

QUELS  souvenirs  aiïréabics  cl  charmants  ce  litre  Rénéral  ne  rappellc-l-il  pas  aux  hommes  ^ 

jeunes  d'aujourd'hui,  à  ceux  qui  entraient  dans  la  vie  au  moment  même  où  une  révolution  ^ 

complète  s'opérait,  en  leur  faveur,  dans  la  littérature!  Car  il  n'y  a  pus  beaucoup  plus  ^ 

(le  vin^t  ans  que  les  jeunes  gens  lisent,  c'est-ù-dire  qu'ils  ont  des  livres  conçus  pour  eux,  écrits  C 

pour  eux,  et  dont  le  succès  est  tel  qu'on  n'aurait  pas  osé  l'attendre.  ^ 

^              «  C'est  une  innovation  que  lintroduction  de  la  lecture  dans  les  plaisirs  de  la  jeunesse.  Elle  ^ 

"^       date  prcsoue  d'hier  :  mettons  vingt  ans,  c'est  tout  le  bout  du  monde.  Pendant  ces  vingt  années,  C 

Q        l'éditeur  llclzel  a  su  publier  300  volumes  de  premier  ordre.  ^ 

^               «1  Le    titre    trouvé   par    l'édileLu-    constitue  à  lui    seul    un    programme  :    ÉDUCATION  et  ^ 

X        RECHEATION.  El,  en  effet,  tout  est  là.  Ces  beaux  cl  bons  livres  instruisent  cl  ils  amueenl.  »  C 

^                        VOLUMES  IN-8°  CAVALIER,  ILLUSTRÉS  x 

C        ALDRICH Un  Écolier  américain.  ^ 

^        ANC  EAUX Blanchelle  et  Capitaine.  ^ 

J        AUDEVAL  (H.) La  Famille  de  Michel  Kagenet.  > 

p        BENTZON  (TH.) Pierre  Casse-Cou.  ^ 

^        BERR   DE  TURIQUE +  La  Petite  chanteuse.  ^ 

^        BIART  (L.) Voyage  de  deux  Enfants  dans  un  parc.  ^ 

^                  —            Entre  Frères  et  Sœurs.  —  Deux  Amis.  ^ 

^        BUSNACH  (W.) O  Le  Petit  Gosse.  S 

CHAZEL   (PROSPER) Le  Chalet  des  sapins.  C 

DEQUET Histoire  de  mon  Oncle  et  de  ma  Tante.  ^ 

DUMAS    (ALEXANDRE) Histoire  d'un  Casse-noisette.  •  > 

ERCKMANN-CHATRIAN Pour  les  Enfants.  —  Les  Vieux  de  la  Vieille.  b 

FATH   (G.) Un  drôle  de  Voyage.  S 

GOUZY Voyage  d'une  Filietle  au  pays  des  Étoiles.  ^ 

^                  —         Promenade  d'une  Fillette  autour  d'un  laboratoire.  ^ 

^        LEM  A  I  RE-CRETIN Expériences  de  la  petite  Madeleine.  V 

^        LERMONT L'Aînée.  ^ 

S                  —         Histoire  de  deux  Bébés  (Kitty  et  Bo).  C 

^                 —         Un  heureux  Malheur.  ^ 

V  MAYNE-REID    — Œuvres  choisies.  ^ 

^       Désert  d'eau.  —  Deux  Filles  du  Squatter. —  Chasseurs  de  chevelures.  —  Chef  au  Bracelet  d'or  ^ 

^                                               Exploits  des  jeunes  Boërs.  —  Jeunes  Voyageurs.  N 

^                    Petit  Loup  de  mer.  —  Naufragés  de  l'ile  de  Bornéo.  —  Robinsons  de  terre  ferme.  ^ 

C                                                           Sœur  perdue.  —  William  le  Mousse.  ^ 

^        "|\  /TTayne-Reid  est  un  Cooper  plus  accessible  à  tous,  aux  jeunes  gens  en  particulier.  Scrupu-  ^ 

^           wl    leusemenl  moral,  d'une  imagination   riche  et  curieuse,  mettant  en  scène  quelque  simple  ^ 

^        1  T  i  récit,  autour  duquel  il    groupe    des  incidents   romanesques,  et  cependant   possibles,  ^ 

^        il  promène  son  lecteur  au  milieu  des  forêts  vierges,  parmi  les  tribus  sauvages,  cl  exalte  le  cou-  ^ 

V  rage  individuel  aux  prises  avec  les  difficultés  et  les  nécessités  de  la  vie.                   Claretie.  ^ 

^        MULLER La  Morale  en  Action  par  l'Histoire.  S 

S        NERAUD La  Botanique  de  ma  Fille.  C 

C        PERRAULT  (p.) Pas-Pressé.  ^ 

^        RECLUS  (E.) Histoire  d'une  Montagne.  —  Histoire  d'un  Ruisseau.  • 

^        STAHL  (P.-J.) La  famille  Chester.  ~  Mon  premier  Voyage  en  mer.  ^ 

^        STAHL    ET    LERMONT La  Petite  Rose,  ses  six  Tantes  et  ses  sept  Cousins.  C 

S        VADIER  (B.) Blanchette.  C 

C        VALLERY- RADOT  (R.) ||  Journal  d'un  Volontaire  d'un  an.  ^ 

^        VAN    BRUYSSEL Scènesdela  Vie  des  Champs  et  des  Forêts  aux  États- 

^  Unis. 

^  VOLUMES   IN-8°  RAISIN,  ILLUSTRÉS 

^        BADIN   (A.) Jean  Casleyras  (Aventures  de  trois  Enfants  en  Algérie). 

>        BENEDICT La  Madone  de  Guido  Reni.  p 

^        BENTZON   (TH.) Contes  de  tous  les  pays.  C 

N        BLANDY  (S-) Le  petit  Roi.  «T 

^                  —                Fils  de  veuve.  —  L'Oncle  Philibert.  ^ 

^        BOI.SSONNAS  (B.). i4|i  Une  Famille  pendant  la  guerre.  ^ 

^        BRÉHAT  (A.   DE) Les  Aventures  d'un  petit  Parisien.  ^ 

S        BRUN  ET Les  Jeunes  Aventuriers  de  la  Floride.  ^ 

\         BIART  (L.) .Vlonsicur  Pinson.  ^ 

^                 —            Le  Secret  de  José.  V 

V  —            Lucia.  S 

0\  A/V/A/X/X/X/VVVX/XA  AAyVVVVXA/VX/X/VXA./^^  0 

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Volumes  in-8°  illustrés  (suite) 

Contes  et  Romans  de  l'Histoire  naturelle 


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D'  CANDEZE 


Aventures  d'un  Grillon. 

Périnelle  (Histoire  surprenante   de   cinq  moineaux). 


Aventures  d'un  Grillon.  —  «  Cette  biographie  d'un  insecte  obscur  cache,  sous  une  fine 
allégorie,  non  seulement  un  petit  traité  de  morale  familière,  mais  encore  des  notions 
d'entomologie  très  précises  et  très  sûres.  L'auteur,  M.  Ernest  Candèze ,  est  un  écrivain 
déjà  connu  des  lecteurs  de  la  Revue  Scientifique,  et  ses  qualités  littéraires  ne  nuisent  pas,  bien 
au  contraire,  à  l'autorité  de  son  enseignement. 

0  C'est  une  philosophie  ingénieuse  que  celle  qui  cherche  dans  l'étude  du  plus  petit  des 
mondes,  du  monde  des  insectes,  des  leçons  applicables  à  l'univers  entier.  C'est  merveille  de  voir 
comment  même  les  petits  c6tés  de  la  science  gagnent  à  être  traités  par  des  écrivains  littéraires, 
quand  ils  ont  su  se  munir  au  préalable  d'un  savoir  sérieux  et  éprouvé.  » 

{Revue  Scientifique.) 

CAD  VAIN  (H.) Le  grand  Vaincu  (le  Marquis  de  Monlcalm). 

DAUDET    (ALPHONSE) Histoire  d'un  Enfant. 

—  Contes  choisis. 

DESNOYERS  (L.) Aventures  de  Jean-Paul  Choppart. 

DUPIN    DE  SAINT-ANDRÉ.   .   .  Ce  qu'on  dit  à  la  maison. 

FAUQUEZ    'H.) Les  Adoptés  du  Boisvallon 

GENNEVRAYE.  .   .   .' Théâtre  de  Famille. 

—  La  petite  Louisette. 

—  ^  Marchand  d'Allumettes. 

GRIMARD    (E.) La  Plante. 

HUGO   I, VICTOR) Le  Livre  des  Mères. 

LAPRADE  (V.   DE).   •   • Le  Livre  d'un  Père. 

La  vie  de  Collège  dans  tous  les  Pays 

ANDRÉ    LAURIE 

Mémoires   d'un   Collégien.  (Un  )  La  Vie  de  Collège  en  Angle-  )  Autour  d'un  Lycée  japonais. 

ijcée  de  déparlement.)  j      terre.  )  Le  Bachelier  de  Séville. 

Une  Année  de  Collège  à  Paris.      Un  Écolier  hanovrien.  (  A.xel      Ebersen  .      (Le      Gradué 

Mémoires  d'un  Collégien  russe.  J  Tito  le  Florentin.  )      d'Dpsala.) 

M  Francisque  Sarcey  a  consacré  à  chacun  des  livres  qui  composent  cette  série  une 
élude  spéciale. 
•  «  Notre  ami  Hetzel,  écrivait-il  au  mois  de  décembre  1885,  a  commencé  une  collec- 
lion  bien  curieuse  et  dont  le  titre  générique  suffit  à  indiquer  l'intérêt.  Chaque  année,  il  parait  un 
volume  qui  nous  transporte  dans  un  pays  différent.  Il  y  a  quatre  ans,  nous  étions  en  France; 
l'année  suivante,  on  nous  a  menés  en  Angleterre;  l'an  d'après,  en  Allemagne.  L'ensemble  des 
volumes  dont  cette  série  doit  se  composer  formera  une  étude  assez  complète  des  divers 
systèmes  d'éducation  suivis  par  chaque  nation. 

«  Tous  ces  volumes  partent  de  la  même  main;  ils  sont  de  M.  André  Laurie,  qui  me  parait 
être  un  universitaire  fort  au  courant  des  questions  pédagogiques,  et  qui  n'en  est  pas  moins  un 
conteur  agréable  et  un  écrivain  élégant.  C'est  chaque  année  un  régal  attendu  par  moi  de  recevoir 
et  de  déguster  son  volume.  » 

Francisque  Sarcey. 

LES   ROMANS    D'AVENTURES 

ANDRÉ    LAURIE Le  Capitaine  Trafalgar. 

—  L'Héritier  de  Robinson. 

— De  New- York  à  Brest  en  sept  heures. 

—  Le  Secret  du  Mage. 

—  f  Le  Rubis  du  Grand  Lama. 

J.   VERNE   ET   A.    LAURIE.   •   •   •  L'Épave  du  Cynthia. 

RIDER-HAGGARD Découverte  des  Mines  du  roi  Salomon. 

STEVENSON    ET  A.   LAURIE.  .  L'Ile  au  Trésor. 

A  PROPOS  ûeVÈpave  du  Cynthia,  M.  Ulbach  écrivait  les  lignes  suivantes  : 
«  La  collaboration  de  MM.  Jules  Verne  et  André  Laurie  ne  pouvait  être   que  féconde. 
La  science  de  l'un,  l'observation  de  l'autre,  les  qualités  littéraires  des  deux  collabora- 
teurs font  de  ce  livre  un  des  plus  émouvants  de  la  collection  nouvelle.  » 


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Volumes  in-8"  illustrés  (suite) 

«  lly  a  peu  délivres  plus  nourris  de  faits,  plus  substanliels,  et  d'un  intérêt  mieux  soutenu 
que  VEpai-e  du  Cynthia,  »  a  écrit  M.  Dancourt  dans  la  Galette  de  Fi  ance. 

(1  Plus  sombre,  plus  terrible  est  17/t;  au  Trésor,  roman  popularisé  en  Anf^lcterre  par  des 
milliers  il'èdilions,  et  dont  la  maison  lletzel  s'est  assuré  le  droit  de  traduction  exclusif.  On 
raconlecjue  M.  Gladstone,  le  grand  homme  d'iilat,  rentrant  chez  lui,  après  une  séance  aijitée, 
trouva,  pjr  hasard,  sous  sa  main,  i'Ile  au  Trcsnr,  de  Stevenson.  Il  en  parcourut  les  premières 
pages,  cl  il  ne  quitta  plus  le  livre  (|u'il  ne  l'eut  achevé.  C'est  que  ces  premières  pages  sont  un 
chef-d'œuvre  d'exposition  mystérieuse,  d'attractions  captivantes...  » 


LEGOUVÉ  (E) Nos  l'iiles  et  nos  Fils. 

— .  La  Lecture  en  famille. 

—  Une  LIéve  de  seize  ans. 

—  t  Épis  et  Bluets. 

LE  RM  ONT  (J.) Les  jeunes  Filles  de  Quinnebasset. 

MACÉ   (JEAN) •  Contes  du  Pelil-Chàteau. 

— Histoire  d'une  Bouchée  de  Pain. 

—  Histoire  de  deux  Marchands  de  pommes. 

—  Les  Scrvileurs  de  l'estomac. 

—  Théâtre  du  Petit-Chàteau. 

M  A  LOT    (HECTOR) Romain  Kalbris. 

MULLER   ;£•') La  Jeunesse  des  Hommes  célèbres. 

RATISBONNE  (LOUIS) U  La  Comédie  enfantine. 

SAINT  IN  E  ^X.; Picciola. 

SANDEAU    (J-) La  Roche  aux  Mouettes.  —  §|  Madeleine. 

—  Mademoiselle  de  la  Seiglière. 

—  t  La  petite  fée  du  village. 

SAUVAGE   (E.) La  petite  Bohémienne. 

SEGUR   vCOMTE    DE) Fables. 

ULBACH  (L.) Le  Parrain  de  Cendrillon. 


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ŒUVRES  de  P.-J.  STAHL 

1^  Contes  et  Récits  de  Morale  familière. —  Les    /       — iQf  Les  Patins  d'argent. —  Les  Quatre  Filles 
Histoires  de  mon  Parrain.—  Q  Histoire  d'un  du  docteur  .Marsch.  —  ^  Les  Quatre  Peurs 

Ane  et  de  deux  jeunes  Filles. —  i||  Maroussia.    (       de  noire  Général. 
Les  Contes  de  l'Oncle  Jacques. 

STAHL  a  voulu  enseigner  familièrement  la  morale,  la  mettre  en  action  pour  lous  les  â<^es. 
De  chacun  des  livres  de  Siahl  se  dégage  une  morale  présentée  avec  toute  la  séduc- 
tion et  cette  forme  spirituelle  qui  donne  à  la  fiction  les  apparences  de  la  réalité. 
Peu  d'hommes  ont  plus  et  mieux  fait  pour  la  jeunesse,  qui  lui  doit  sa  libération  littér  .ire. 

____________  Ch.  Canivet.  (Le  Soleil.) 

STAHL  ET  LERMONT Jack  et  Jane. 

TEMPLE    (DU; Sciences  usuelles.  —  Communications  de  la  Pensée. 

TOLSTOÏ  (COMTE   L.) Enfance  et  Adolescence. 

VERNE  1  JULES)  ET  D'ENNERY.   Les  Voyages  au  Théâtre. 
VIOLLET-LE-DUC Histoire  d'une  Maison. 

—  Histoire  d'une  Forteresse. 

—  Histoire  de  l'Frabitalion  humaine. 

—  Histoire  d'un  Hôtel  de  Ville  et  d'une  Cathédrale. 

—  Histoire  d'un  Dessinateur. 

Volumes  grand  in-8°  jésus,  illustrés 

BIART  (L.) Aventures  d'un  jeune  Naturalislc. 

—  Don  QuichoUe  (adaptation  pour  la  jeunesse). 

—  t  Les    Voyages    involontaires   {Monsieur    Pinson,    Le 

Secret  de  José,  La  Frontière  indienne,  Lucia  Avila). 

BLANDY  (S.) Les  Epreuves  de  NorberL 

CLÉMENT    CH.) Michel-Ange,  Raphaël,  Léonard  de  Vinci. 

FLAMMARION   (C) Histoire  du  Ciel. 

GRANDVILLE Les  Animaux  peints  par  eux-mêmes. 

GRIMARD    (E.) Le  Jardin  d'Acclimatation. 

LA     FONTAINE Fables,  illustrées  par  Eue.  Lambert. 

LAURIE   (A.) Les  Exilés  de  la  Terre. 

MALOT   (HECTOR)  ........  U  Sans  Famille. 

MAYNE-REID Aventures  de  Terre  et  de  Mer. 

MOLIERE Édition  Sainte-Beuve  et  Tony  Johannot. 

STAHL  ET  MULLER Nouveau  Robinson  suisse. 


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Jules  Verne 

"VOYAGES  EXTRAORDINAIRES 

39    VOLUMES  IN-S"  JÉSUS,  ILLUSTRÉS 

t  Cldudius  Bombarnac.  Hector  Servadac. 

t  Le  Château  des  Carpalhes.  L'Ile  mystérieuse. 

Mistress  Branican.  Les  Indes-Noires. 

César  Cascabel  Matliias  Sandorf. 

Famille  sans  Nom.  Le  Chemin  de  France. 

Sans  dessus  dessous.  Robur  le  Conquérant. 

Deux  ans  de  Vacances.  La  Jangada. 

Nord  contre  Sud.  Kéraban-le-Tèlu. 

Un  Billet  de  Loterie.  La  Maison  à  vapeur. 

Autour  de  la  Lune.  Michel  Strogoff. 

Aventures  de  trois  Russes  et  de  trois  Le  Pays  des  Fourrures. 

Anglais.  Le  Tour  du  monde  en  80  jours. 

Aventures  du  capitaine  Kalleras.  Les  Tribulations  d'un  Chinois  en  Chine. 

Un  Capitaine  de  quinze  ans.  Une  Ville  flottante. 

Le  Chancellor.  Vingt  mille  lieues  sous  les  Mers. 

Cinq  Semaines  en  ballon.  Voyage  au  centre  de  la  Terre. 

Les  Cinq  cents  millions  de  la  Bégum.  Le  Rayon-Vert. 

De  la  Terre  à  la  Lune.  L'École  des  Robinsons. 

Le  Docteur  Ox.  L'Étoile  du  sud. 

Les  Enfants  du  capitaine  Grant.  L'Archipel  en  feu. 

L'cEtvRE  de  Jules  Verne   est  aujourd'hui  considérable.  La  collection  des  Voyages  extra- 
ordinaires,  que  l'Académie  française  a  couronnés,  se   compose  déjà    de    vingt-huit 
volumes  (contenant  39  ouvrages),    et  tous  les   ans  Jules   Verne   donne    au    Magasin 
d'Éducation  et  de  Récréation  un  roman  inédit. 

Ces  livres  de  voyage,  ces  contes  d'aventures,  ont  une  originalité  propre,  une  clarté  et   une 
vivacité  entraînantes.  C'est  très  français. 

Claretie. 
-*-<oocooooooooooo»-*- 

Découverte  de  la  Terre 

3  Volumes  in-S» 

Les  Premiers  Explorateurs.  —  Les  Grands  Navigateurs  du  xviii*  siècle. 

Les  Voyageurs   du    xix«  siècle. 

J.    VERNE    et    TH.    LAN/ALLÉE.     Géographie   illustrée   de  la  France,    édition 
revue  et  corrigée  par  .M.  Dubail. 

. a — <^^\xJi^p^ri « — 0 ^ 

BIBLIOTHÈQUE  DES  JEUNES  FRANÇAIS 

Volumes  gr.  in-16  colombier 

ERCKMANN-CHATRIAN.  Avant  89 (illustré). 

BLOCK  (M.).  Entretiens  familiers  sur  l'administration  de  notre  pays. 

La  France.  —  Le  Département.  —  La  Commune. 

Paris,  Organisation  municipale.  —  Paris,  Institutions  administratives.  —  L'Impôt.  —  Le  Budget. 

L'Agriculture.  —  Le  Commerce.  —  L'Industrie. 

^  Petit  Manuel   d'Économie   pratique. 

PONTIS Petite  Grammaire  de  la  prononciation. 

J.MACÉ La  France  avant  les  Francs  {illustré). 

MAXIME    LECOMTE La  Vocation  d'Albert. 

TRIGANT  GENESTE Le  Budget  communal. 


1055C.  —  Imp.  r.  —  Motteroz. 


DATE  DUE 

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